La protection juridique du logiciel créé au sein d’une entreprise

Si, depuis près d’un siècle, le pouvoir de direction de l’employeur n’a, globalement, eu de  cesse de se réduire au profit d’une extension des droits de l’employé, le régime de la protection juridique du logiciel créé au sein de l’entreprise s’est inscrit dans une logique inverse.

Sous la pression des grands industriels de l’informatique outre atlantique la réforme entreprise par la loi du 3 juillet 1985 a sonné le glas pour le salarié informaticien, lequel s’est vu soustrait du « pays des merveilles » [1].

La loi de 1985, qui a été confirmée par la directive du 14 mai 1991, puis reformulée par la loi de transposition du 10 mai 1994, dispose désormais à l’article L 113-9 du CPI, que « sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer ».

Par cette disposition, « le droit d’auteur échappe à son auteur »[2], quittant sa « pureté »[3] pour devenir un droit d’entreprise. Ainsi, le logiciel qui est appréhendé par le droit comme une œuvre, au même titre qu’un tableau de Picasso ou qu’une fresque de Michel Ange, sans hiérarchie de valeur, se voit reléguer au second plan, au mépris du principe d’équivalence.

Pour A. Lucas, « la situation n’est pas saine »[4]. Celle-ci recouvre, néanmoins, tout son sens, à la lumière des impératifs économiques des employeurs pour qui la prohibition des cessions globales d’œuvres futures se concilie mal avec les intérêts supérieurs de l’entreprise[5].

Toutefois, sans cette disposition, l’article L 131-3 du CPI se trouverait vidé de sa substance, puisqu’il est destiné à protéger la partie faible qu’est l’auteur. Le critère économique l’a donc emporté sur le critère juridique, légitimant comme juste la cession automatique des droits du salarié à l’employeur.

Pourtant, Aristote professait en son temps, que « le juste et l’équitable sont la même chose et, quoique tous les deux soient bons, l’équité est néanmoins préférable »[6]. Aussi, eût-il été préférable, pour la cohésion du droit d’auteur et pour le droit en général, de privilégier l’équité, afin que soit évité un retour au temps des privilèges.

Aujourd’hui, l’employeur demeure plus que jamais le « maître » des droits sur le logiciel créé par l’un de ses salariés. Si la loi de 1994 a su effacer les nombreuses incertitudes qui ont pris racine dans loi de 1985, elle en a malgré tout fait naître des nouvelles.

 I) La portée du principe

Principe désormais bien ancré dans le droit spécifique du logiciel, la dévolution automatique des droits d’auteur du salarié à l’employeur induit, d’une part, des effets positifs (1) et, d’autre part, des effets négatifs (2).

 A) Les effets positifs de la dévolution

Les effets positifs entraînés par la dévolution automatique des droits à l’employeur sont au nombre de deux. Le premier concerne le transfert de la titularité des droits (a). Quant au second, il a trait au transfert des droits stricto sensu (b).

  1. Le transfert de la titularité des droits

Aussi bien dans sa version initiale, que dans sa version actuelle, on peut observer l’existence d’une anomalie dans le vocable utilisé par la loi du 10 mai 1994, en ce qu’il est fait référence au concept de dévolution : « sont dévolus à l’employeur ». Or à l’époque médiévale, la dévolution consistait en un passage de droits héréditaires au degré subséquent par renonciation au degré précédent ou à une ligne par extinction.

La notion de dévolution implique nécessairement l’idée de continuité dans le patrimoine du de cujus qui se poursuit à travers celui des héritiers ab in intestat. A l’opposé, une cession évoque l’idée d’un transfert de propriété de droits, d’un patrimoine à un autre.

En recourant à cette terminologie, le législateur laisse entrevoir un paradoxe entre, d’une part, sa volonté de traiter le logiciel différemment des autres œuvres de l’article L 112-1 du CPI et, d’autre part, la difficulté qu’il rencontre à détacher de la personne de son auteur l’œuvre qu’est le logiciel, plaçant alors ce dernier au même niveau que toutes les œuvres protégées par le droit d’auteur.

Cette incohérence se poursuit d’ailleurs lorsque dans les débats parlementaires, il est fait référence à l’idée de cession des droits du salarié à l’employeur. Comment peut-on parler de cession, qui on le rappelle, renvoie à l’idée de transfert de propriété d’un droit, alors que le salarié ne sera jamais en mesure d’en exercer les attributs ?

En témoigne la formulation de la loi de 1985 qui dispose que « le logiciel (…) appartient à l’employeur ». Il s’agit là d’un lapsus révélateur, faisant ressortir l’esprit de la loi. Si le logiciel appartient à l’employeur, alors celui-ci en « est par nature propriétaire » et par conséquent n’a nullement besoin de transmettre des droits qui sont déjà inscrits dans son patrimoine[7].

 C’est pourquoi, sous les vives critiques des commentateurs, le législateur a tenté de rectifier le tir, en reprenant les termes de la directive[8], afin de remplacer le verbe « appartenir », qui provient du langage économique, par le verbe « habilité », lequel appartient quant à lui au langage juridique. Pourtant, même avec cette modification, cela n’a pas eu le résultat escompté.

L’employeur est désormais « seul habilité » à exercer les droits du salarié sur le logiciel, sans que l’on sache[9] s’il les exerce en son nom ou pour le compte de l’auteur.

Il peut être ajouté que « l’employeur est seul habilité à exercer les droits parce qu’ils lui sont dévolus », de sorte que « l’on retourne à la case départ »[10]. L’employeur s’affiche bel et bien comme le propriétaire du logiciel créé dans les conditions de l’article L 113-9 du CPI.

Cette pirouette juridique, qui n’échappera à personne, met ainsi parfaitement en évidence, les tiraillements entre la logique du droit d’auteur, pour qui chaque œuvre se vaut, et la logique économique qui se satisfait peu du formalisme que requiert la cession de droits d’auteur.

 2. Le transfert des droits

Pour ce qui est des droits cédés, la pseudo cession des droits à l’employeur englobe la totalité des droits patrimoniaux, précision qui n’était pas mentionnée dans la loi de 1985.

En effet, dans sa version initiale, il était question de « tous les droits reconnus aux auteurs », ce qui, dans une certaine mesure, laissait planer une incertitude quant à la situation des droits moraux. Fallait-il interpréter cette disposition à la lumière des principes généraux du droit d’auteur, lesquels tendent à considérer le droit moral comme étant inaliénable[11], ou fallait-il interpréter celle-ci à la lumière de l’esprit général de la loi qui tend à considérer le logiciel comme une œuvre de l’esprit marginale ?

Pour la doctrine, seule la première interprétation aurait du être conservée, tant aux vues des travaux préparatoires, qu’au regard de l’article 6 bis de la convention de Berne, qui ne permet, en aucun cas, de priver un auteur de toute prérogative d’ordre morale.

Tel n’a pourtant pas été le chemin emprunté par bon nombre de législations nationales, au premier rang desquelles pouvait-on compter la France, aux cotés du Japon[12] ou de l’Allemagne[13]. Aux termes de ces différentes législations, les droits du salarié sont transférés, sans préalable, directement à l’employeur. La règle devient alors : « au salarié la gloire, à l’employeur l’argent »[14], ce qui n’est pas sans rappeler une certaine époque.

Sans doute, une certaine consolation pourrait-être trouvée dans le fait que seuls les droits patrimoniaux sont dévolus à l’employeur, ce qui implique dans une certaine mesure que le salarié est toujours titulaire des droits moraux, ce qui fait de lui, à titre symbolique, le véritable propriétaire du logiciel, contrairement à ce que l’on aurait pu avancer.

Cependant, peut-on réellement se considérer propriétaire d’une œuvre, au regard de la consistance des droits moraux en matière de logiciel ? Comme nous l’évoquions précédemment, un droit de propriété dont on ne peut exercer les attributs se trouve vidé de sa substance. Or, peut-on raisonnablement admettre que le droit de paternité et le droit de divulgation sont d’une nature telle qu’ils sont à même de donner à leur titulaire la pleine jouissance de la propriété ?

Il semble qu’il faille répondre par la négative à cette interrogation, dont la réponse est une fois de plus guidée par un critère économique.

En outre, il peut être ajouté à la faveur de la cession des droits à l’employeur, que l’article L 113-9 du CPI n’est pas d’ordre public, puisqu’il précise en son alinéa premier qu’il peut y être dérogé dans le contrat de travail par « des dispositions statutaires ou stipulations contraires ».

Ainsi, selon la maxime nocent, non expressa non nocent, ce qui est exprimé peut nuire, mais non ce qui ne l’est pas. On peut en déduire que seules des stipulations plus favorables au salarié pourraient être utilisées afin qu’un retour vers le droit commun soit envisagé.

Cependant, en pratique, il est fort probable que le salarié se trouver dans un état de dépendance économique vis à vis de son employeur. Or, comment dans une telle situation ce dernier pourrait-il négocier d’égale à égale une telle clause, ce d’autant plus s’il s’agit de l’objet même de son contrat de travail ?

Serait-ce un nouveau tour de passe-passe du législateur, ou serait-ce le renouveau de l’autonomie de la volonté dans les contrats informatiques ?

Assurément, il serait téméraire, voire illusoire, de penser à cette exception au droit d’auteur, puisse de quelque manière que ce soit se muer en principe[15]. Dans pareil cas, cela aurait au moins le mérite de ne pas être l’un des nombreux effets négatifs de la dévolution des droits à l’employeur.

B) Les effets négatifs de la dévolution

Michel-Ange confessa un jour de ses œuvres, que « si les gens savaient à quel point j’ai travaillé pour développer ce talent, ils ne s’étonneraient plus de rien »[16]. Cette modeste pensée corrobore pleinement les dires de Le Pelletier en son temps, pour qui « c’est le travail qui fait naître le prodigue et non le prodigue qui fait naître le chef-d’œuvre dont il en est résulté ».

Ainsi, le fruit de la pensée ne tombe-t-il jamais d’un arbre sans avoir préalablement été mûri par l’esprit et mis en forme par le génie. Comme tout labeur, une œuvre ne peut prendre vie que par l’existence « d’un effort intellectuel »[17], qui, à ce titre, mérite une juste et proportionnelle rémunération.

C’est d’ailleurs ce qui a formellement été consacré et élevé au rang de principe général dans le Code de la propriété intellectuelle, dont le siège réside à l’article L 131-4[18].

Tel n’a pourtant pas été le cas pour les logiciels créés sous l’égide d’un employeur. Ils se voient dénier une fois de plus le bénéfice du principe d’équivalence.

S’il est indéniable que tout analyste-programmeur qu’il se doit parlerait en des termes poétiques de son code source, il n’en demeure pas moins que l’article L 113-9 du CPI ne prévoit aucune rémunération spécifique quant à la création de celui-ci.

Quand bien même le code source serait écrit en alexandrin, il ne bénéficierait en aucune façon des dispositions générales du code de la propriété intellectuelle ayant trait à la rémunération des auteurs, sauf à en disposer autrement contractuellement entre les parties. Serait-ce un oubli de la part du législateur, ou serait-ce un reversement du principe ?

Indéniablement, l’esprit de l’article L 113-9 du CPI nous guide vers la seconde solution, laquelle trouva d’ailleurs application dans un arrêt du 26 septembre 1997 par la Cour d’Appel de Lyon[19].

Sans doute, serait-il permis de penser, compte tenu de la logique du droit d’auteur, et, plus généralement, de la théorie générale du contrat (car nous sommes dans une cession nous dit le législateur), que la cause du transfert des droits patrimoniaux sur le logiciel à l’employeur, réside dans une rémunération spécifique versée à son auteur, qui en l’occurrence est le salarié.

En effet, la cause de l’obligation d’une partie est l’objet de l’obligation de l’autre [20], sans quoi le contrat est nul[21]. Se pose ainsi la question de savoir quelle est la cause du transfert de propriété dans la cession prévue à l’article L 113-9 du CPI.

En toute logique la cause de cette obligation devrait résider dans le salaire versé au titre du contrat de travail du salarié. Cet argument a pourtant été réfuté par la jurisprudence[22].

Celle-ci considère pour le reste, qu’en vertu de l’article L 111-1 alinéa 3 du CPI, l’existence d’un tel contrat, ne saurait emporter le transfert des droits d’auteur du salarié. En réalité, l’article L 113-9 du CPI nie toute contrepartie au salarié, son salaire ayant pour cause l’exécution de son travail et non de la cession de ses droits en tant qu’auteur.

Toutefois, en vertu de l’adage juridique « Specialia generalibus derogant, non generalia specialibus », seule cette disposition a vocation à s’appliquer en matière de logiciel, exhortant par la même toute incertitude, quant à la validité d’une telle cession.

Le second effet négatif de la dévolution des droits sur le logiciel à l’employeur, trouve sa source dans l’inaliénabilité du droit moral de l’auteur[23], lequel, en matière de logiciel, est quelque peu mis à mal. Effectivement, l’article L 121-7 du CPI restreint considérablement le droit moral de l’auteur du logiciel au droit de divulgation et au droit de paternité qui, s’ils ne sauraient être aliénés à l’employeur (bien qu’une incertitude pesait lors de la loi de 1985), ne permettent, en aucun cas, à son titulaire de jouir pleinement de sa propriété.

Aussi, quand bien même il est précisé, que seuls « les droits patrimoniaux » peuvent faire l’objet d’une cession, en réalité ces derniers constituent la quasi-totalité des droits sur le logiciel. De manière générale, le mécanisme juridique de cession des droits à l’employeur conforte bel et bien la tendance actuelle selon laquelle la propriété intellectuelle tend à se métamorphoser en un droit de l’entreprise.

Ab initio la propriété intellectuelle était destinée à protéger, tant les auteurs, que leurs œuvres en leur reconnaissant un statut juridique. Aujourd’hui, on a le sentiment que celle-ci passe d’un droit d’auteur à un droit du promoteur. On ne cherche plus à protéger l’auteur en tant que tel, mais un investissement financier.

En témoigne l’agencement du Code de la propriété intellectuelle dont la première partie qui a trait au droit d’auteur est grignotée petit à petit par la seconde, consacrée à la propriété industrielle et qui contient désormais plus des deux tiers des dispositions[24].

Cette métamorphose rejaillit directement sur les conditions de forme de la cession des droits dont jouit le salariée sur sa création.

 II) Le contenu du principe

Le principe de dévolution automatique des droits du salarié à l’employeur est soumis et encadré dans la loi par des conditions très restrictives, tant sur le fond (A) que sur la forme (B).

A) Les conditions de fond

La doctrine a dégagé deux conditions principales quant à l’application de l’article L 113-9 du CPI. La première a trait à la qualité de l’auteur du logiciel (1), la seconde à l’exercice de ses fonctions (2).

1. Un logiciel créé par un employé

La loi prévoit que le logiciel doit être développé « par un ou plusieurs employés »[25], ce qui, dès lors, suppose de s’interroger sur la notion d’employé. A l’origine, la proposition sénatoriale[26] ne visait que les logiciels créés dans le cadre d’un contrat de travail. Cela explique la terminologie utilisée qui n’est absolument pas le fruit du hasard.

Quand bien même les termes de « salarié » et d’« employé » sont considérés comme des synonymes[27], il n’en demeure pas moins, selon Monsieur Cottereau[28], que le second est destiné à étendre le champ d’application de l’article L 113-9 du CPI. En effet, « si un salarié est nécessairement employé, l’inverse n’est pas vrai ».

En ce sens, on peut rappeler le principe selon lequel, le contrat de travail se caractérise par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné »[29], en contrepartie d’une rémunération.

Dès lors, la détermination de l’employeur s’opère conformément aux règles du droit social, ce qui, dans une certaine mesure, permettrait, comme le souligne Monsieur Lucas, d’englober les œuvres de commande dans la catégorie des créations salariées. De la sorte, pourrait être évité le prêt de main-d’œuvre illicite qui n’est pas étranger au domaine de l’informatique[30].

Enfin, on peut ajouter que le dispositif légal prévu par le Code de la propriété intellectuelle n’a vocation à s’appliquer que si l’auteur du logiciel a la qualité d’employé au moment de la création[31]. Qui plus est, le salarié doit oeuvrer dans l’exercice de ses fonctions, soit sous les instructions de son employeur.

2. Création dans l’exercice des fonctions ou d’après les instructions de l’employeur

Inséré par la loi du 10 mai 1994, l’article L113-9 alinéa 1er  du CPI n’est applicable désormais, qu’aux logiciels développés dans «l’exercice des fonctions » d’un employé ou selon « les instructions de son employeur ».

Dans sa première rédaction, la loi du 3 juillet 1985 ne mentionnait pas la précision selon laquelle le logiciel devait être élaboré « d’après les instructions de l’employeur ». Seul était exigée la condition tenant à la réalisation du logiciel « dans l’exercice des fonctions » du salarié. Or, de ces deux expressions, résulte le fondement de la distinction en droit des brevets, entre les inventions dites « de mission » attribuable à l’employeur, les inventions dites « hors mission » attribuable à l’employé et les inventions dites « hors mission » non attribuables au salarié, ce qui, en pratique, permet de couvrir tous les cas.

En matière de logiciel, le choix offert par le législateur est restreint à deux branches. Soit, le salarié se trouve dans l’exercice de ses fonctions, auquel cas ses droits seront dévolus à l’employeur, soit il ne l’est pas et restera propriétaire des droits sur sa création. Cela n’est pas sans occasionner quelques difficultés.

En effet, on pourrait se demander si un logiciel créé avec le matériel de l’entreprise par un salarié, sans aucun rapport avec la nature de ses fonctions, serait dévolu à son employeur, comme cela l’est rendu possible en matière de propriété industrielle.

Aussi, cela revient-il à se demander si la distinction connue du droit des brevets est compatible avec les dispositions de l’article 2.3 de la directive de 1991, transposées dans l’article L 113-9 du CPI . La réponse fut formellement énoncée lors des débats parlementaires où il n’a jamais été question d’appliquer le régime du droit des brevets au droit des logiciels et ce à la grande déception de M. Vivant qui a fait valoir à juste titre que la formulation était « bien frustre et bien pauvre » comparée à celle de l’article L 611-7 du CPI.

Il convient donc de se tourner vers une interprétation exégétique du texte afin d’en saisir la teneur. Pour M. Cottereau, l’exercice des fonctions se définit, comme « toute création exécutée sur son lieu et pendant son temps de travail, même si elle est sans rapport avec la nature de sa prestation contractuelle de travail ; en dehors de son lieu et de son temps de travail, dès l’instant où elle n’a pu être réalisée qu’avec les moyens informatiques appartenant à l’entreprise »[32].

Autrement dit, il résulte de cette définition, que l’expression « dans l’exercice des fonctions » conduit à attribuer à l’employeur les droits sur un logiciel créé par un salarié, dès lors que celui-ci a été élaboré avec les moyens de l’entreprise. C’est une approche extensive de la loi qui a d’ailleurs déjà été adoptée par la Cour d’Appel de Nancy. Les juges du fond ont considéré que le logiciel « transcrit » à l’aide du matériel de l’employeur devient la propriété de celui-ci comme ayant été élaboré avec le concours de ce dernier[33].

Une large portée a donc été donnée par la loi à l’exécution des fonctions du salarié, portée qui se trouve étendue par la seconde alternative. De l’expression des « instructions de l’employeur », il se peut, selon le rapporteur de l’assemblée nationale, que l’ajout de ce vocable permet de « couvrir le cas d’un salarié qui, sans exercer la fonction d’informaticien, participe à la réalisation d’un logiciel, par exemple un comptable participant à la réalisation d’un programme de comptabilité »[34].

Toutefois, est-il raisonnable d’attribuer à un comptable la qualité d’auteur d’un code source ? Le fait pour un mannequin de poser pour un tableau justifie t-il pour autant que lui soit attribué la qualité de coauteur au même titre que le peintre ?

Véritablement, il semble que la réponse donnée par le législateur est bien moins guidée par le droit d’auteur, que par le droit des brevets.

Cette terminologie nous rapproche finalement de l’article L 611-7.2 du CPI, qui dispose que l’invention réalisée par un salarié résultant « d’études et de recherches », sera explicitement confiée à l’employeur. L’esprit de la loi fait ainsi preuve d’un grand impérialisme en tentant d’appréhender l’ensemble des créations qui sont liées directement ou indirectement à l’activité de l’entreprise de sorte que son champ d’application en devient très étendu. La jurisprudence n’a d’ailleurs pas hésité dans certaines décisions à y voir une présomption générale de cession des droits à l’employeur[35].

Cependant, des limites à une telle présomption s’avèrent exister dans les conditions de forme qui découlent de l’article L 113-9 du CPI.

 2. Les conditions de forme

L’employeur étant automatiquement investi des droits patrimoniaux de son salarié sur son œuvre, force est de constater que le formalisme imposée en droit commun par l’article L. 131-3 du CPI est inopérant en matière de logiciel. Seul le contrat de travail suffit à faire présumer la cession automatique des droits, sous réserve du respect des dispositions imposées par l’article L 113-9 du CPI.

[1] M.Vivant, « Le logiciel au Pays des Merveilles », JCP, 1984, éd. G., I, 3169.

[2] M. Vivant et C. Le Stanc, Lamy. Droit de l’informatique et des réseaux, 2005, n°179.

[3] Ibid.

[4] A. Lucas, Propriété littéraire et artistique, Dalloz, Connaissance du droit 2e éd.

[5] Article L 131-1 du CPI.

[6] Aristote, Morale à Nicomaque, Ive siècle avant Jésus-Christ, traduction Barthélémy-Saint-Hilaire, Ladrange, 1856, tome II, livre V.

[7] Cottereau, « Le logiciel d’employé », Semaine sociale Lamy 1987, n°343.

[8] Directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur.

[9] Rapport de M. Jérôme Bignon, au nom de la commission des lois, no 724.

[10] M. Vivant., « Logiciel 94 : Tout un programme ? », JCP éd. G 1994, I, n°3792, n°10.

[11] Article L 121-1 du CPI.

[12] Loi du 14 juin 1985.

[13] Loi du 24 juin 1985.

[14] M. Vivant, Le logiciel au Pays des Merveilles, JCP, 1984, éd. G., I, 3169.

[15]Cottereau, « Le logiciel d’employé », Semaine sociale Lamy 1987, n°343.

[16] Michelangelo Buaonarroti 1475-1584.

[17] Cass. Ass. Plén., 7 mars 1986 : JCP G 1986, II, 20631, note Mousseron, Teyssié et Vivant ; D. 1986, p. 405, note Edelman ; RIDA 3/1986, p. 136.

[18] Article L131-4 du CPI : « La cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre peut être totale ou partielle. Elle doit comporter au profit de l’auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation (…) ».

[19] CA Lyon 26 septembre 1997, JCP éd. E 1999, p909, n°3, obs. Vivant et Le Stanc, Juris-data, n°056028.

[20] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil , les obligations, Dalloz, 2001, n°313.

[21] Article 1131 du code civil.

[22] Civ. 1re 16 décembre. 1992, RIDA, avril. 1993. 193, note P. Sirinelli.

[23] Article L 121-1 alinéa 3 : « Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible ».

[24] Cour de Monsieur le Professeur P-Y Gautier.

[25] Article L 113-9 du CPI.

[26] Projet de loi modifié par le Sénat, Rapport A.N., n°2597, procès-verbal du 9 avril 1985, art. 38 quiquies.

[27] TGI Versailles, 1re ch.,19 novembre. 1991, Expertises, 1992, p. 188, confirmé par la CA Versailles, 14e ch, 15 juin 1992, Expertises, 1992, p. 350.

[28] Ibid.

[29] Soc, 16 novembre 1996, affaire Société Générale,. Dr. Soc. 1996. 1067, note J.-J. Dupeyroux ; JCP 1997, éd. E, II. 911, note Barthélémy.

[30] L’article L. 125-1 du Code du travail dispose que « Toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail, ou “marchandage”, est interdite. 

Les associations d’ouvriers qui n’ont pas pour objet l’exploitation des ouvriers les uns par les autres ne sont pas considérées comme marchandage ».

[31] CA Paris, 13e Ch., 20 décembre. 1991, Expertises, 1998, p. 197, obs. Lucas.

[32] Cottereau, « Le logiciel d’employé », Semaine sociale Lamy 1987, n°343.

[33] CA Nancy, 1er ch., 13 septembre 1994, JCP éd E 1996 ; I n°559, n°2, obs. Vivant et Le stanc.

[34] Rapport Bignon, JO rapp. AN, n°724, p 18.

[35] CA Versailles, 1er ch., 8 octobre 1990, Juris-Data,, n°049184 ; CA Lyon, 3e ch., 26 septembre 1997 JCP, E, 1999, p 909, n°3, obs Vivant et Le Stanc.

L’engagement unilatéral de volonté

I) Définition

L’engagement unilatéral de volonté se définit comme l’acte juridique par lequel une personne s’oblige seule envers une autre

II) Distinction engagement unilatéral / acte unilatéral / contrat unilatéral

L’engagement unilatéral de volonté se distingue, tant de l’acte juridique unilatéral, que du contrat unilatéral :

  • L’acte juridique unilatéral n’est jamais générateur d’obligations
    • Il ne produit que quatre sortes d’effets de droit :
      • Un effet déclaratif : la reconnaissance
      • Un effet translatif : le testament
      • Un effet abdicatif : la renonciation, la démission
      • Un effet extinctif : la résiliation
  • Le contrat unilatéral est quant à lui générateur d’obligations.
    • Dans le contrat unilatéral une seule partie s’oblige
    • Toutefois, comme n’importe quel contrat, sa validité est subordonnée à la rencontre des volontés.
    • Il en résulte que pour être valablement formé, la prestation à laquelle s’oblige le débiteur doit être acceptée par le bénéficiaire de l’obligation ainsi créée.
    • Exemple : la donation
  • L’engagement unilatéral de volonté
    • À la différence de l’acte juridique unilatéral, l’engagement unilatéral de volonté est générateur d’obligation
    • À la différence du contrat unilatéral, la validité de l’engagement unilatéral de volonté n’est pas subordonnée à l’acceptation du créancier de l’obligation

III) Position du problème

La question qui se pose est de savoir si une personne peut, par l’effet de sa seule volonté, s’obliger envers une autre, sans qu’aucune rencontre des volontés ne se réalise

Ainsi, une obligation peut-elle naître en dehors de la loi et de tout concours de volontés ?

Au fond, la question qui se pose est de savoir, si une promesse peut obliger son auteur envers son bénéficiaire ? Si oui, dans quelle mesure ?

Deux thèses s’affrontent :

  • Arguments contre l’admission de l’engagement unilatéral de volonté comme source d’obligation
    • Silence du Code civil
      • Le Code civil ne reconnaît pas l’engagement unilatéral de volonté comme source obligation, alors qu’il vise expressément la loi, les contrats et quasi-contrats ainsi que les délits et quasi-délits
    • Absence de créancier
      • Adhérer à la thèse de l’engagement unilatéral de volonté revient à admettre qu’une obligation puisse naître en l’absence de créancier
    • Caractère non obligatoire de l’engagement unilatéral
      • L’engagement unilatéral de volonté ne peut pas être source d’obligation, car cela supposerait que le promettant puisse, corrélativement, par le seul effet de sa volonté se dédire.
      • Or si on l’admettait, cela reviendrait, in fine, à priver l’engagement unilatéral de tout caractère obligatoire.
      • L’effet recherché serait donc neutralisé
  • Arguments pour l’admission de l’engagement unilatéral de volonté comme source d’obligation
    • Cas particuliers reconnus par la loi
      • Le silence du Code civil n’est en rien un argument décisif, dans la mesure où, dans certaines hypothèses, la loi reconnaît que la seule volonté de celui qui s’engage puisse être source d’obligation :
        • L’émission de titres au porteur engage le signataire par l’effet de sa seule volonté envers tous les porteurs subséquents
        • L’offrant a l’obligation de maintenir son offre :
          • pendant une durée raisonnable si elle n’est assortie d’aucun délai
          • jusqu’à l’échéance du délai éventuellement fixé
        • En acceptant la succession, l’héritier s’oblige seul au passif successoral
        • Le gérant d’affaires doit satisfaire à certaines obligations, lorsque, sans en avoir reçu l’ordre, il agit pour le compte du maître de l’affaire
        • Possibilité pour un entrepreneur d’instituer par l’effet de sa seule volonté une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL).
    • Existence d’un créancier potentiel
      • L’obligation créée par l’engagement unilatéral n’est pas dépourvue de créancier : il s’agit du bénéficiaire de l’engagement, lequel est susceptible de se prévaloir de dudit engagement auquel s’est obligé le promettant
    • Caractère non obligatoire de l’engagement unilatéral
      • Si l’accord qui résulte de la rencontre des volontés revêt un caractère obligatoire, c’est grâce à la loi qui lui confère cette force par l’entremise de l’article 1103 C. civ (ancien article 1134, al. 1er C. civ)
      • Ainsi, rien n’empêche que la loi confère à l’engagement unilatéral pareille force obligatoire, le rendant alors irrévocable, au même titre qu’un engagement contractuel.

IV) Reconnaissance jurisprudentielle

La jurisprudence ne répugne pas à admettre que par l’effet de sa seule volonté, celui qui s’engage puisse s’obliger.

==>Transformation d’une obligation naturelle en obligation civile

Si, par principe, l’obligation naturelle n’est pas susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée, il n’en va pas de même lorsque son débiteur s’engage volontairement à exécuter ladite obligation.

Ainsi la jurisprudence considère-t-elle que celui qui promet d’exécuter une obligation naturelle s’engage irrévocablement envers le bénéficiaire, sans qu’il soit besoin qu’il accepte l’engagement.

La Cour de cassation considère en ce sens que : « la transformation improprement qualifiée novation d’une obligation naturelle en obligation civile, laquelle repose sur un engagement unilatéral d’exécuter l’obligation naturelle, n’exige pas qu’une obligation civile ait elle-même préexisté à celle-ci » (Cass. 1ère civ. 10 oct. 1995, n°93-20.300).

Elle a, par suite, réaffirmé sa position dans un arrêt du 21 novembre 2006 aux termes duquel elle a jugé que la « manifestation expresse de volonté » d’un chirurgien de restituer des honoraires à son associé, suivie de plusieurs remboursements des honoraires perçus pendant la période d’association de cinq ans, l’obligeait dans la mesure où l’engagement pris s’analysait en « une obligation naturelle qui s’est muée en obligation civile » (Cass. 1re civ., 21 nov. 2006, n°04-16.370).

==>Les engagements pris par l’employeur envers ses salariés

La Cour de cassation a estimé dans une décision remarquée que l’engagement unilatéral pris par un employeur envers ses salariés l’obligeait (Cass. soc., 25 nov. 2003, n° 01-17.501).

==>Les engagements pris par le cessionnaire d’une entreprise en difficulté

La Cour de cassation considère que la cessionnaire d’une société dans le cadre d’une procédure collective doit satisfaire à ses engagements pris unilatéralement (Cass. com., 28 mars 2000, n°98-12.074)

==>Les promesses de gains faites dans le cadre de loteries publicitaires

  • Exposé du cas de figure
    • Une personne reçoit d’une société de vente par correspondance un avis lui laissant croire qu’il a gagné un lot qui, le plus souvent, sera une somme d’argent.
    • Lorsque toutefois, cette personne réclame son gain auprès de l’organisateur de la loterie publicitaire, elle se heurte à son refus.
    • Il lui est opposé qu’elle ne répond pas aux conditions – sibyllines – figurant sur le document qui accompagnant le courrier.
  • Évolution de la position de la Cour de cassation
    • Première étape
      • La Cour de cassation retient la responsabilité de l’organisateur de la loterie publicitaire sur le fondement de la responsabilité délictuelle (Cass. 2e civ. 3 mars 1988, n°86-17.550)
        • Critique :
          • Préjudice difficile à caractériser (si le consommateur ne gagne pas, il ne perd pas non plus)
    • Deuxième étape
      • La Cour de cassation reconnaîtra ensuite l’existence d’un engagement unilatéral de volonté pour condamner l’organisateur de la loterie (Cass. 1ère civ., 28 mars 1995, n°93-12.678)
        • Critique :
          • La fermeté de la volonté de s’engager fait ici clairement défaut
    • Troisième étape
      • La Cour de cassation s’appuie plus tard sur les principes de la responsabilité contractuelle afin d’indemniser la victime (Cass. 2e civ. 11 févr. 1998, n°96-12.075)
        • Critique :
          • Volonté de s’engager de l’organisateur de la loterie difficilement justifiable
    • Quatrième étape
      • Pour mettre un terme au débat, la Cour de cassation a finalement estimé, dans un arrêt du 6 septembre 2002, au visa de l’article 1371 C. civ (ancien) que, dans la mesure où « les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l’homme dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers », il en résulte que « l’organisateur d’une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l’existence d’un aléa s’oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer » (Cass., ch. mixte, 6 sept. 2002, 98-22.981)
        • Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cet arrêt :
          • La promesse de gain faite à une personne oblige son auteur, par le jeu d’un quasi-contrat, à exécuter son engagement, dès lors que n’est pas mise en évidence l’existence d’un aléa
          • La promesse de gain ne constitue pas, en soi, un engagement unilatéral de volonté. À tout le moins, la figure de l’engagement unilatéral ne permet pas de rendre compte de cette manœuvre.
          • La promesse de gain s’apparente, en réalité, à un quasi-contrat
          • Reconnaissance d’une nouvelle catégorie de quasi-contrat
        • Critiques
          • Classiquement, le quasi-contrat s’apparente à un fait licite. Or les promesses fallacieuses de gain sont des faits illicites.
          • Les quasi-contrats ont pour finalité de restaurer un équilibre patrimonial injustement rompu. Or tel n’est pas le cas, s’agissant d’une promesse de gain. L’organisateur de la loterie ne reçoit aucun avantage indu de la part du consommateur. Aucun équilibre patrimonial n’a été rompu.
          • Cette jurisprudence a pour effet de porter atteinte à la cohérence de la catégorie des quasi-contrats

V) Consécration légale

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations introduit l’engagement unilatéral de volonté dans le nouvel article 1100-1 du Code civil.

Cette disposition prévoit désormais que « Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux. »

Le rapport du Président de la République dont est assortie l’ordonnance du 10 février 2010 nous indique que « en précisant que l’acte juridique peut être conventionnel ou unilatéral, [cela] inclut l’engagement unilatéral de volonté, catégorie d’acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui-ci. »

Ainsi, l’engagement unilatéral de volonté peut-il, désormais, être pleinement rangé parmi les sources générales d’obligations, aux côtés de la loi, du contrat, du quasi-contrat, du délit et du quasi-délit.

Toutefois, une question demeure : quel régime juridique appliquer à l’engagement unilatéral de volonté ?

L’ordonnance du 10 février 2016 ne prévoit rien, de sorte qu’il convient de se tourner vers les principes fixés par la jurisprudence

VI) Conditions d’application

Pour que l’engagement unilatéral de volonté soit générateur d’obligations cela suppose la satisfaction de trois conditions cumulatives :

  • La reconnaissance d’une force obligatoire à l’engagement unilatéral de volonté ne peut se faire qu’à titre subsidiaire
    • Autrement dit, il ne faut pas que puisse être identifiée une autre source d’obligations, telle un contrat, un quasi-contrat ou un délit.
  • L’engagement unilatéral de volonté n’est qu’une source « d’appoint »[1].
  • Pour être source d’obligation, l’engagement unilatéral doit être le fruit d’une volonté ferme, précise et éclairée. Il doit être dépourvu de toute ambiguïté quant à la volonté de son auteur de s’obliger.