Le créancier du devoir de conseil en assurance

L’identification des acteurs soumis au devoir de conseil en assurance révèle l’ampleur de la transformation opérée par l’ordonnance du 16 mai 2018. Cette réforme, transcrivant fidèlement la directive européenne du 20 janvier 2016, a considérablement élargi le cercle des débiteurs de l’obligation tout en précisant les contours de sa mise en œuvre. Au-delà des intermédiaires traditionnels, ce sont désormais l’ensemble des acteurs de la chaîne de distribution qui se trouvent potentiellement assujettis à cette exigence, témoignant d’une volonté résolue d’harmoniser la protection offerte aux consommateurs d’assurance.

Cet élargissement soulève des interrogations inédites quant à sa délimitation pratique. Comment articuler les obligations respectives des multiples intervenants dans les circuits de distribution contemporains ? Dans quelle mesure les nouveaux acteurs issus de la révolution numérique peuvent-ils échapper à cette qualification ? Symétriquement, l’identification des créanciers de l’obligation révèle une complexité particulière dans les montages contractuels modernes, notamment en matière d’assurance collective ou pour compte d’autrui.

Cette analyse des débiteurs et créanciers du devoir de conseil invite à repenser les catégories traditionnelles de la distribution d’assurance, révélant les tensions entre innovation technologique et impératifs de protection, entre spécialisation et responsabilité solidaire des acteurs du marché.

Nous nous focaliserons ici sur le créancier du devoir de conseil.

I. Règles générales

Le créancier du devoir de conseil est, par principe, le « souscripteur éventuel » ou « l’adhérent éventuel », selon la terminologie constante des articles L. 521-4 et L. 522-5 du Code des assurances. Cette formulation met l’accent sur le caractère précontractuel de l’obligation, conformément à l’économie générale de la directive du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances.

L’emploi du terme « éventuel » traduit la finalité préventive du dispositif : il s’agit d’éclairer la décision contractuelle avant qu’elle ne soit définitivement arrêtée. Cette approche s’inscrit dans la logique consumériste qui sous-tend la réglementation européenne, visant à permettre au consommateur de « prendre une décision en connaissance de cause ».

La distinction opérée par le législateur entre « souscripteur » et « adhérent » reflète la diversité des schémas contractuels en assurance. Le souscripteur désigne celui qui contracte directement avec l’assureur dans le cadre d’une assurance individuelle, tandis que l’adhérent vise celui qui rejoint un contrat de groupe préalablement souscrit par une personne morale ou un chef d’entreprise, conformément à la définition de l’article L. 141-1 du Code des assurances³.

II. Les situations particulières

==>L’assurance de groupe

  • Le souscripteur du contrat groupe
    • En matière d’assurance de groupe, l’analyse du devoir de conseil se heurte à une complexité supplémentaire, liée à la structure duale du mécanisme contractuel. En effet, ce type d’assurance repose sur deux niveaux de relation juridique distincts mais articulés :
      • d’une part, un contrat d’assurance collectif conclu entre un souscripteur (généralement une personne morale, une entreprise ou une association) et l’assureur ;
      • d’autre part, des adhésions individuelles au contrat-cadre de la part des membres du groupe concerné (salariés, adhérents, emprunteurs, etc.), qui bénéficient des garanties prévues par le contrat collectif.
    • Cette dualité contractuelle engendre une dissociation entre celui qui négocie et souscrit le contrat (le souscripteur) et ceux qui en bénéficient (les adhérents), ce qui redéfinit en profondeur le périmètre et les modalités du devoir de conseil.
    • Dans ce contexte, le souscripteur – personne morale ou employeur – est seul en relation directe avec le distributeur, et peut légitimement exiger de ce dernier les informations et recommandations nécessaires avant la conclusion du contrat collectif.
    • Il lui revient en effet d’apprécier l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe qu’il entend couvrir, ce qui suppose une analyse approfondie des risques collectifs, du profil des adhérents potentiels, ainsi que des garanties et exclusions contenues dans le contrat proposé.
    • Le souscripteur occupe ainsi une position particulière : intermédiaire entre l’assureur et les bénéficiaires potentiels, il porte la responsabilité de choisir une offre adaptée aux intérêts de la collectivité.
    • Cette responsabilité implique, en contrepartie, que le distributeur lui délivre un conseil éclairé et personnalisé, portant non pas sur des besoins individuels, mais sur les caractéristiques générales du groupe à assurer.
  • Les adhérents individuels : créanciers de second rang
    • Les adhérents au contrat collectif ne sont pas parties à la négociation initiale, mais ils deviennent bénéficiaires des garanties dès leur adhésion individuelle au dispositif.
    • À ce titre, ils peuvent également être considérés comme créanciers du devoir de conseil, mais dans une mesure différente de celle du souscripteur initial. Cette qualité de créancier de second rang découle de leur besoin légitime d’être informés et conseillés sur les conditions de leur adhésion :
      • pour en comprendre la portée,
      • pour évaluer son intérêt au regard de leur situation personnelle,
      • et pour pouvoir prendre une décision éclairée, notamment lorsque l’adhésion est facultative, comme en matière d’assurance emprunteur ou de prévoyance individuelle.
    • Contrairement à la tendance générale en matière de contrats d’assurance individuels, la reconnaissance d’un devoir de conseil au profit des adhérents d’un contrat d’assurance de groupe ne constitue pas un principe général.
    • Elle demeure strictement circonscrite à certaines hypothèses, dans lesquelles un professionnel assume expressément un rôle de distributeur vis-à-vis des adhérents individuels.
    • A cet égard, La jurisprudence de la Cour de cassation a reconnu de manière nette la qualité de créancier du conseil à certains adhérents, notamment les emprunteurs adhérant à une assurance de groupe souscrite par leur banque.
    • L’arrêt de principe rendu par la chambre commerciale le 18 avril 2019 affirme que « l‘obligation d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur […] incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance »[47].
    • Cette solution ne repose pas sur une reconnaissance abstraite et générale de la qualité de créancier des adhérents, mais sur une qualification fonctionnelle du souscripteur-emprunteur comme distributeur effectif de l’assurance.
    • C’est en raison de ce rôle actif dans la commercialisation du produit que la banque est tenue d’un devoir de conseil à l’égard de l’adhérent.
    • L’article L. 141-4 du Code des assurances impose au souscripteur de remettre à chaque adhérent une notice d’information, décrivant notamment les garanties offertes et les modalités de mise en œuvre du contrat.
    • Cette obligation traduit un droit à l’information à la charge du souscripteur, mais ne fonde pas à elle seule un véritable devoir de conseil au sens de l’article L. 521-4.
    • Le devoir de conseil suppose en effet :
      • une relation directe entre un professionnel et l’adhérent ;
      • un recueil d’informations personnelles ;
      • une recommandation individualisée.
    • Or, dans la plupart des régimes collectifs, l’adhésion se fait sans contact personnalisé avec un distributeur, par simple acceptation des conditions du contrat-cadre.
    • En l’absence de ce lien personnel, l’adhérent n’est pas considéré comme créancier du conseil, sauf circonstances particulières.
    • La reconnaissance de la qualité de créancier du conseil pour l’adhérent dépend donc étroitement des modalités de son adhésion :
      • En cas d’adhésion facultative (assurance emprunteur, prévoyance complémentaire), l’adhérent dispose d’un pouvoir de choix. Il doit être en mesure de comparer les options disponibles et d’évaluer l’intérêt de son adhésion au regard de sa situation personnelle. Dans ce cas, si un professionnel agit comme distributeur à son égard, un devoir de conseil peut s’appliquer.
      • En cas d’adhésion obligatoire (ex. : assurance collective d’entreprise à caractère obligatoire), le besoin de conseil est atténué : l’adhérent n’a pas à choisir, il subit une affiliation imposée. Le droit à l’information subsiste, mais le devoir de conseil n’a pas lieu de s’exercer de la même manière.
    • Lorsque les conditions sont réunies, la situation conduit à une configuration à créanciers multiples du devoir de conseil :
      • Le souscripteur reste créancier du conseil vis-à-vis du distributeur pour ce qui concerne l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe ;
      • L’adhérent, quant à lui, peut devenir créancier d’un conseil individualisé dans la seule mesure où un professionnel assume un rôle actif de distribution à son égard.
    • C’est cette condition – l’existence d’un acte de distribution au profit de l’adhérent – qui fonde ou exclut l’application du devoir de conseil.
    • À défaut, aucun distributeur ne peut être tenu d’une obligation qu’il n’a pas eu l’occasion d’exercer.
    • La prudence de la jurisprudence et de la doctrine s’explique ainsi : la qualité de créancier du devoir de conseil n’est jamais présumée en matière d’assurance de groupe, mais doit être analysée au cas par cas, selon les circonstances concrètes de l’adhésion et l’identité du professionnel impliqué.

==>L’assurance pour compte

L’assurance pour compte constitue un mécanisme particulier où une personne souscrit une assurance non pas pour elle-même, mais pour le compte d’autrui, qu’il soit déterminé ou déterminable au moment du sinistre. Cette configuration soulève des questions spécifiques quant à l’identification des créanciers du devoir de conseil.

  • Principe
    • La jurisprudence admet désormais que le bénéficiaire de l’assurance pour compte peut se prévaloir d’un défaut de conseil, même en l’absence de lien contractuel direct avec l’assureur ou le distributeur. Cette solution s’écarte du principe traditionnel de l’effet relatif des contrats pour privilégier une approche fonctionnelle centrée sur la finalité protectrice de l’assurance.
    • Un arrêt de la première chambre civile du 18 janvier 2018 illustre cette évolution (Cass. 1re civ., 18 janv. 2018, n°16-29.062 et 17-10.189).
    • En l’espèce, une SCI, propriétaire de murs loués à un exploitant de discothèque, se trouvait dans une situation d’assurance pour compte particulièrement révélatrice.
    • La SCI, représentée par son gérant, louait des murs à un exploitant qui y exploitait une discothèque.
    • Par l’intermédiaire d’un cabinet de courtage en assurances, l’exploitant avait conclu « tant pour son propre compte que pour celui de la SCI, un contrat d’assurance », sur la base d’un questionnaire « renseigné et signé par lui ainsi que par [le gérant de la SCI] ».
    • Lors de la destruction de la discothèque par incendie, l’assureur a pu opposer à la SCI la faute intentionnelle de l’exploitant-souscripteur et refuser sa garantie.
    • La SCI et son gérant ont alors assigné l’assureur du courtier, estimant que ce dernier « avait engagé sa responsabilité pour ne pas les avoir utilement conseillés, ni correctement informés sur la nature, les spécificités et l’étendue de la police d’assurance souscrite pour le compte de la SCI ».
    • La cour d’appel avait initialement adopté une position restrictive, considérant que « le contrat d’assurance pour compte est une stipulation pour autrui et que, dès lors, seul le souscripteur, qui a contracté l’assurance par l’intermédiaire de son courtier, peut revendiquer de celui-ci le respect de son obligation de loyauté et d’information ».
    • Elle avait également retenu que « le seul fait que [le gérant de la SCI] ait pu suivre de près la négociation du contrat d’assurance en présence du préposé [du courtier] n’est pas de nature à lui conférer la qualité de futur souscripteur et de rendre le courtier débiteur d’obligations à son égard ou à l’égard de la société qu’il représentait ».
    • La Cour de cassation censure cette analyse au visa de l’article L. 520-1, II, du Code des assurances (devenu L. 521-4).
    • Elle reproche à la cour d’appel d’avoir retenu des « motifs impropres à établir» l’absence d’obligation du courtier.
    • La Haute juridiction considère qu’en l’espèce, lorsque le gérant de la SCI avait « conjointement avec [l’exploitant], consulté [le courtier], remplissant et signant avec lui le questionnaire qu’elle leur avait remis pour pouvoir évaluer le risque à assurer, et manifesté ainsi sa volonté de voir la SCI assurée en toute circonstance contre le risque incendie », la SCI avait acquis « la qualité de souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification emporte des conséquences importantes : le courtier était dès lors « tenu d’une obligation d’information sur les conséquences, pour l’assuré pour compte, des causes de non garantie opposables au souscripteur et d’une obligation de conseil relative à l’adaptation du contrat aux risques que la SCI entendait voir garantir ».
  • Fondement
    • Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence développée en matière d’action directe.
    • Comme l’a établi l’arrêt d’assemblée plénière du 6 octobre 2006, un tiers peut reprocher à un contractant l’inexécution de ses obligations contractuelles si cette inexécution lui cause un préjudice.
    • L’arrêt “Boot Shop” ou “Myr’ho” (Cass. Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255) pose le principe que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
    • Cette solution, initialement développée en matière de responsabilité délictuelle, trouve ici une application particulière.
    • L’assurance pour compte a précisément pour objet de protéger des personnes qui ne sont pas parties au contrat initial.
    • Il serait paradoxal que ces bénéficiaires, pour la protection desquels l’assurance a été souscrite, ne puissent invoquer les manquements du distributeur qui les privent d’une couverture adéquate.
    • Certains auteurs analysent cette situation à travers le prisme de la stipulation pour autrui.
    • Le souscripteur stipulerait le bénéfice du conseil au profit du bénéficiaire final, créant ainsi un lien juridique direct entre ce dernier et le distributeur.
  • Modalités d’application
    • Les conditions de mise en œuvre
      • Pour que le bénéficiaire puisse invoquer un défaut de conseil, plusieurs conditions doivent être réunies :
        • L’existence d’une assurance pour compte : Il faut établir que l’assurance a bien été souscrite dans l’intérêt d’autrui
        • Un préjudice direct : Le bénéficiaire doit démontrer qu’il subit personnellement un préjudice du fait du défaut de conseil
        • Un lien de causalité : Le préjudice doit résulter directement du manquement aux obligations de conseil
    • L’étendue du conseil dû
      • Le conseil dû au bénéficiaire porte principalement sur :
        • L’existence même de l’assurance et son périmètre de couverture
        • L’adéquation des garanties aux risques effectivement encourus par le bénéficiaire
        • Les modalités de mise en œuvre des garanties
        • Les exclusions susceptibles d’affecter la couverture
  • Portée
    • L’arrêt du 18 janvier 2018 introduit une notion nouvelle : celle de «souscripteur éventuel » en matière d’assurance pour compte.
    • Cette qualification ne procède pas d’un lien contractuel direct, mais de la participation effective du bénéficiaire au processus de souscription.
    • L’arrêt dégage plusieurs critères pour reconnaître cette qualité :
      • La consultation conjointe du distributeur par le souscripteur formel et le bénéficiaire
      • La participation active au processus d’évaluation du risque (remplissage et signature du questionnaire)
      • La manifestation de volonté de voir le bien assuré contre les risques identifiés
    • Une fois cette qualité reconnue, le distributeur assume deux obligations spécifiques vis-à-vis du bénéficiaire :
      • Une obligation d’information sur les conséquences des causes de non-garantie opposables au souscripteur formel
      • Une obligation de conseil sur l’adaptation du contrat aux risques que le bénéficiaire entend voir garantir
    • Aussi, la portée exacte de cette jurisprudence reste à préciser.
    • Tous les bénéficiaires d’assurance pour compte n’acquièrent pas automatiquement la qualité de « souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification semble subordonnée à une participation effective au processus de souscription.

III. La modulation du conseil selon les compétences du créancier

==>Le principe de proportionnalité

  • L’adaptation du devoir aux capacités du créancier
    • Le devoir de conseil n’est pas figé : il s’adapte au profil du destinataire.
    • L’un de ses traits essentiels est sa modulation en fonction des compétences du créancier, selon une logique de proportionnalité qui irrigue aussi bien le droit de la consommation que celui des relations professionnelles.
    • La jurisprudence consacre expressément ce principe.
    • Dans un arrêt du 17 janvier 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation affirme que « l’étendue de l’obligation d’information et de conseil du courtier, dont la preuve du respect incombe à celui-ci, est ajustée selon les connaissances et les capacités du créancier » (Cass. 2e civ., 17 janv. 2019, n°17-31.408).
    • En l’espèce, une société exploitant un domaine viticole avait, avec l’aide d’un courtier, remplacé un contrat multirisque agricole par un contrat multirisque industriel. À la suite d’un sinistre, elle reprochait au courtier un défaut de conseil, en invoquant des lacunes de couverture par rapport à l’ancien contrat.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir écarté la responsabilité du courtier. Elle relève que le dirigeant :
      • s’était personnellement chargé de définir les montants à garantir ;
      • avait souscrit le contrat en connaissance de cause ;
      • et que les clauses litigieuses étaient suffisamment claires pour qu’un professionnel averti comprenne les différences de couverture.
    • En particulier, les juges avaient noté que les limitations de garantie étaient expressément stipulées, telles que la couverture des pertes plafonnée à 150 000 € ou l’indemnisation calculée sur la base du prix de revient.
    • Cet arrêt illustre parfaitement que l’implication du client dans la définition des garanties, jointe à la clarté des stipulations contractuelles, peut exonérer le courtier de sa responsabilité pour défaut de conseil lorsque le client est un professionnel expérimenté.
    • Cette solution jurisprudentielle permet de dégager plusieurs principes structurants :
      • L’évaluation concrète des compétences : Le juge doit apprécier, au cas par cas, si le souscripteur avait les capacités techniques ou juridiques de comprendre la portée du contrat.
      • La valorisation de l’implication personnelle : Lorsque le client s’implique directement dans la définition du contrat, son autonomie réduit d’autant le devoir d’assistance du professionnel.
      • La clarté des stipulations contractuelles : Un professionnel averti ne saurait invoquer un défaut de conseil sur des clauses claires, compréhensibles et librement négociées.
    • L’obligation de conseil demeure une obligation de moyens renforcée, exigeant une démarche proactive du professionnel.
    • Toutefois, cette obligation n’implique pas un devoir de vigilance uniforme et maximal dans tous les cas.
    • Le droit impose une juste proportion entre l’intensité du devoir et le degré de compétence du cocontractant.
    • Cette modulation permet de concilier deux exigences :
      • la protection des souscripteurs profanes, en leur garantissant un accompagnement adapté à leur niveau de compréhension ;
      • et la responsabilisation des professionnels avertis, qui ne peuvent se défausser de leur autonomie décisionnelle en invoquant systématiquement un défaut de conseil.
  • Les critères d’appréciation de la compétence
    • La détermination du niveau de compétence du créancier s’effectue selon plusieurs paramètres.
    • L’expérience professionnelle constitue un critère déterminant, comme l’illustre un arrêt de la première chambre civile du 9 juillet 1991 (Cass. 1re civ., 28 oct. 1991, n° 90-15.029).
    • En l’espèce, un artisan-couvreur reprochait à son assureur et à l’agent général un manquement au devoir de conseil, soutenant qu’ils auraient dû «l’éclairer sur l’érosion de sa garantie au fil de dix années d’assurances» et lui «conseiller une révision du taux de garantie».
    • L’artisan estimait que l’agent général avait « manqué à son devoir de renseignement et de conseil » en ne l’alertant pas sur l’insuffisance progressive de sa couverture due à l’inflation.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir relevé qu’« en sa qualité d’artisan [l’assuré] était à même d’apprécier l’évolution des prix consécutive à l’érosion monétaire et de veiller à faire modifier, en conséquence, ses polices d’assurance ».
    • La Haute juridiction valide la déduction selon laquelle « en l’espèce l’agent n’était pas tenu à un devoir de renseignement et de conseil particulier sur ce point ».
    • Cette solution illustre parfaitement la prise en compte de l’expérience professionnelle dans l’appréciation des compétences du créancier.
    • L’artisan, par sa pratique quotidienne et sa connaissance du marché de la construction, était présumé capable d’appréhender les effets de l’inflation sur la valeur de ses biens et activités.
    • Cette expertise professionnelle justifie l’allègement correspondant du devoir de conseil de l’intermédiaire.
    • La formation et le parcours professionnel sont également pris en considération dans l’évaluation des compétences du créancier.
    • Ainsi, une cour d’appel a pu débouter un souscripteur « diplômé de l’École normale, de l’institut d’études politiques et de l’ENA » de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de conseil, considérant que son niveau de formation lui permettait d’appréhender les enjeux du contrat d’assurance-vie litigieux[48].
    • Cette approche différenciée témoigne de la volonté jurisprudentielle d’adapter l’intensité du devoir de conseil aux capacités réelles du créancier, évitant ainsi une infantilisation excessive des professionnels et des personnes disposant d’une formation ou d’une expérience particulière.

==>La typologie des créanciers selon leurs compétences

  • Les consommateurs profanes
    • Les particuliers dépourvus d’expérience en matière d’assurance constituent la catégorie de créanciers bénéficiant de la protection la plus étendue.
    • Cette situation s’enracine dans le déséquilibre informationnel caractérisant la relation entre le professionnel de l’assurance et le consommateur.
    • L’arrêt fondateur de la première chambre civile du 10 novembre 1964 impose au courtier d’être « un guide sûr et expérimenté », formule qui a irrigué l’ensemble de la jurisprudence ultérieure (Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, n°62-13.411).
    • Cette exigence traduit la mission éducatrice dévolue aux professionnels de l’assurance vis-à-vis de leur clientèle non avertie.
  • Les consommateurs avertis
    • La pratique judiciaire a fait émerger une catégorie intermédiaire de consommateurs avertis, qui, sans être des professionnels de l’assurance, disposent d’une expérience ou de compétences particulières justifiant un allègement du devoir de conseil.
    • Un arrêt de la deuxième chambre civile du 22 janvier 2004 qualifie ainsi un souscripteur de contrat d’assurance-vie chef d’entreprise, par ailleurs gestionnaire avisé d’un compte d’épargne en actions (PEA) ayant choisi dans un but spéculatif d’investir ses actifs sur des unités de compte (Cass. 2e civ., 22 janv. 2004).
    • L’évaluation du caractère averti du consommateur s’effectue de manière casuistique.
    • La jurisprudence examine les circonstances concrètes révélatrices de l’expérience du souscripteur, notamment ses investissements antérieurs et sa familiarité avec les produits financiers.
  • Les professionnels avertis
    • Le devoir de conseil, s’il constitue en principe une obligation de vigilance renforcée à la charge du distributeur, n’est pas exercé avec la même intensité envers tous les souscripteurs.
    • La jurisprudence admet une modulation de son contenu en fonction des compétences professionnelles ou de l’expérience technique du créancier de l’obligation.
    • Cette modulation repose sur l’idée que certains professionnels disposent d’un niveau de connaissance suffisant pour appréhender les enjeux juridiques et économiques d’un contrat d’assurance, de sorte qu’un conseil personnalisé ou insistant serait redondant, voire inutile.
    • Deux arrêts de la deuxième chambre civile illustrent cette approche.
      • Le cas du mandataire judiciaire (Cass. 2e civ., 16 mai 2013, n° 12-19.119)
        • Dans cette affaire, la Cour de cassation rejette le pourvoi d’un professionnel qui reprochait à l’assureur de ne pas l’avoir informé de la brièveté du délai de prescription applicable à son action.
        • La Haute juridiction valide l’appréciation des juges du fond ayant retenu que le demandeur, en sa qualité de mandataire judiciaire, était présumé connaître la règle de droit invoquée.
        • Cette décision marque une ligne claire : lorsque le créancier est un professionnel du droit ou de la procédure, la jurisprudence ne fait pas peser sur l’assureur ou son intermédiaire une obligation d’alerte sur des éléments juridiques accessibles au professionnel concerné, dès lors qu’ils relèvent de sa sphère de compétence habituelle.
      • Le cas du professionnel de l’immobilier (Cass. 2e civ., 22 nov. 2018, n° 17-19.454)
        • Dans cette seconde espèce, un professionnel de l’immobilier, qui avait procédé de lui-même à une renégociation de ses garanties, reprochait à l’assureur de ne pas avoir proposé une couverture sur un bien spécifique ultérieurement sinistré.
        • La Cour de cassation rejette sa demande, en considérant qu’il avait sciemment exclu ledit bien du périmètre d’assurance et qu’en sa qualité de professionnel, il devait être en mesure d’apprécier les conséquences de ses propres choix contractuels.
        • Il en ressort que la responsabilité du professionnel averti est pleinement engagée lorsqu’il prend seul l’initiative de définir le périmètre des garanties, sans solliciter d’éclaircissements ou sans faire état d’une incertitude particulière.
    • Ces deux décisions permettent de dégager une grille d’analyse de l’intensité du devoir de conseil envers les professionnels avertis :
      • L’expérience technique ou juridique du souscripteur justifie une atténuation du devoir de conseil, en particulier lorsqu’il dispose, de par sa profession, d’une connaissance suffisante du domaine considéré.
      • L’autonomie décisionnelle du professionnel est prise en compte : lorsqu’il élabore seul le projet de couverture ou renégocie les garanties sans demande d’assistance, il est tenu pour pleinement informé.
      • La clarté des stipulations contractuelles joue un rôle déterminant : un professionnel ne peut invoquer un manquement au devoir de conseil s’il était à même de comprendre les termes du contrat, à défaut d’ambiguïté ou de complexité manifeste.
    • L’obligation de conseil n’est pas purement évincée à l’égard des professionnels avertis. Elle demeure, mais son contenu s’adapte à la qualité du souscripteur.
    • Ainsi, le distributeur n’est pas dispensé de toute vigilance, mais il n’est tenu de faire porter son conseil que sur les points objectivement ambigus ou manifestement omis, sans devoir alerter sur des évidences juridiques ou des conséquences manifestes pour un professionnel expérimenté.
    • Cette solution assure un équilibre entre protection du client et reconnaissance de sa compétence, en évitant une infantilisation du souscripteur averti tout en préservant l’exigence de rigueur à l’égard du distributeur.

 

  1. D. Langé, « Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005 », Mélanges Bigot, p. 259 ?
  2. J. Bigot, « L’obligation de conseil des intermédiaires », RGDA 2018, p. 445 ?
  3. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  4. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  5. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil (à propos du conseil en investissement assurantiel) », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  6. A. Pélissier, « Devoir de conseil de l’assureur et de la banque », RGDA 2019, n° 1169, p. 7 ?
  7. I. Monin-Lafin, « Le nouveau régime du conseil en assurance », Trib. ass. 2018, p. 45 ?
  8. J. Kullmann, « L’interprétation systémique en droit des assurances », RGDA 2019, p. 234 ?
  9. J. Bigot, « Les niveaux de conseil : clarification ou complexification ? », RGDA 2018, p. 445 ?
  10. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  11. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  12. D. Langé, « La gradation des obligations de conseil », RGDA 2019, p. 156 ?
  13. P. Mayaux, « L’économie du conseil en assurance », Rev. dr. bancaire et fin. 2019, p. 23 ?
  14. H. Groutel, “Le devoir de conseil en assurance”, Risques 1990, n° 2, p. 89 ?
  15. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018 ?
  16. D. Lange, “Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005”, Mélanges Bigot, p. 259. ?
  17. Y. Lequette, “L’obligation de renseignement et le droit commun du contrat”, in L’information en droit privé, LGDJ, 1978, p. 305 ?
  18. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. ?
  19. Voir notamment A. Couret, H. Le Nabasque, “Valeurs mobilières”, Dalloz Action, 2020, n° 12.45 ?
  20. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, “Droit des sociétés”, Litec, 31e éd., 2018, n° 452 ?
  21. Art. L. 111-1 du Code de la consommation ?
  22. H. Groutel, “L’évolution du devoir de conseil en assurance”, RCA 2019, étude 4 ?
  23. N. Reich, “Protection of Consumers’ Economic Interests by the EC”, Sydney Law Review, 1992, vol. 14, p. 23 ?
  24. Directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, considérant 31 ?
  25. Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, RGAT 1965, p. 175, note A. Besson ?
  26. J. Lasserre Capdeville, “Le conseil en investissement”, Rev. dr. bancaire et fin. 2018, dossier 15 ?
  27. Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers ?
  28. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018, p. 12 ?
  29. Ph. Storck, “La transformation de l’intermédiation financière”, Rev. économie financière 2017, n° 127, p. 45 ?
  30. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008 ?
  31. Malaurie Ph., Aynès L., Stoffel-Munck Ph., Droit des obligations, LGDJ ?
  32. J. Bigot, « Missions non traditionnelles : la responsabilité professionnelle du producteur d’assurances », L’Assureur Conseil, oct. 1987, p. 3 ?
  33. Cass. 1?? civ., 6 nov. 1984, RGAT 1985, p. 313 ?
  34. H. Groutel, « Le devoir de conseil en assurance », Risques 1990, n° 2, p. 89. ?
  35. Cass. 1?? civ., 10 nov. 1964, JCP G 1965, II, 13981, note PP ?
  36. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  37. J.-C. Heydel, « L’agent général d’assurance », LGDJ, 2019, n° 156 ?
  38. Cass. 1?? civ., 28 oct. 1986, RGAT 1986, p. 610 ?
  39. L. Mayaux, Les assurances de personnes, Traité, t. IV, n° 835 ?
  40. D. Lange, « Les limites du devoir de conseil », RGDA 2019, p. 456 ?
  41. J. Kullmann, Le contrat d’assurance, Traité, t. 3, n° 1262 ?
  42. L. Mayaux, « Les grands risques et la protection du consommateur », RGDA 2018, p. 234 ?
  43. H. Groutel, « L’exclusion des grands risques », RCA 2019, comm. 156 ?
  44. J. Bigot, D. Langé, J. Moreau et J.-L. Respaud, La distribution d’assurance, éd. LGDJ, 2020, n°1257. ?
  45. P. Maystadt, « Les assurances affinitaires », Argus, 2020, p. 45 ?
  46. J. Bigot, « Les courtiers grossistes », in Traité de droit des assurances, t. 6, n° 234 ?
  47. Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11108 ?
  48. CA Lyon, 18 févr. 2003, RGDA 2003, p. 371, obs. J. Kullmann ?
  49. Cass. 1re civ., 31 mars 1981, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 1982, IR, p. 97, note Berr et Groutel. ?

Le débiteur du devoir de conseil en assurance

L’identification des acteurs soumis au devoir de conseil en assurance révèle l’ampleur de la transformation opérée par l’ordonnance du 16 mai 2018. Cette réforme, transcrivant fidèlement la directive européenne du 20 janvier 2016, a considérablement élargi le cercle des débiteurs de l’obligation tout en précisant les contours de sa mise en œuvre. Au-delà des intermédiaires traditionnels, ce sont désormais l’ensemble des acteurs de la chaîne de distribution qui se trouvent potentiellement assujettis à cette exigence, témoignant d’une volonté résolue d’harmoniser la protection offerte aux consommateurs d’assurance.

Cet élargissement soulève des interrogations inédites quant à sa délimitation pratique. Comment articuler les obligations respectives des multiples intervenants dans les circuits de distribution contemporains ? Dans quelle mesure les nouveaux acteurs issus de la révolution numérique peuvent-ils échapper à cette qualification ? Symétriquement, l’identification des créanciers de l’obligation révèle une complexité particulière dans les montages contractuels modernes, notamment en matière d’assurance collective ou pour compte d’autrui.

Cette analyse des débiteurs et créanciers du devoir de conseil invite à repenser les catégories traditionnelles de la distribution d’assurance, révélant les tensions entre innovation technologique et impératifs de protection, entre spécialisation et responsabilité solidaire des acteurs du marché.

Nous nous focaliserons ici sur les débiteurs du devoir de conseil.

L’identification des débiteurs du devoir de conseil en assurance révèle une architecture complexe où se mêlent obligations légales et constructions prétoriennes. Comme le souligne Jean Bigot, « l’obligation de conseil des intermédiaires d’assurances [est devenue] l’une des caractéristiques de leur activité »[32]. Cette obligation, initialement d’origine jurisprudentielle, a connu une consécration légale progressive qui en a étendu le champ d’application à de nouveaux débiteurs.

i. Les personnes assujetties au devoir de conseil

==>Les entreprises d’assurance

  • Les assureurs stricto sensu
    • La directive sur la distribution d’assurance de 2016, transposée par l’ordonnance du 16 mai 2018, a marqué un tournant décisif en soumettant expressément les entreprises d’assurance pratiquant la vente directe aux mêmes obligations de conseil que les intermédiaires.
    • Comme l’observe Luc Mayaux, cette évolution répond à un impératif d’égalité de traitement : « la clientèle doit disposer des mêmes protections quel que soit le canal de distribution ».
    • L’article L. 521-4 du Code des assurances impose désormais à tout distributeur, y compris l’entreprise d’assurance en vente directe, de « préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » et de lui «fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé ».
    • Cette obligation se double d’un véritable devoir de conseil consistant à conseiller « un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ».
    • La jurisprudence avait d’ailleurs anticipé cette évolution législative en sanctionnant régulièrement les manquements de l’assureur à son devoir de conseil[33].
    • Ainsi, dans l’affaire de l’exposition « Our Body », la Cour de cassation a retenu la responsabilité contractuelle de l’assureur qui n’avait pas « attiré l’attention de la société organisatrice de l’exposition sur le risque d’annulation de l’exposition » (Cass. 1ère civ. 29 oct. 2014, n°13-19.729).
  • Les mutuelles et institutions de prévoyance
    • L’ordonnance de 2018 a étendu le champ d’application du devoir de conseil aux organismes relevant du Code de la mutualité et du Code de la sécurité sociale.
    • L’article L. 116-6 du Code de la mutualité dispose que « les dispositions du Code des assurances relatives aux distributeurs d’assurance sont applicables aux mutuelles et unions régies par le livre III du présent code, sous réserve des règles propres à ces mutuelles ou unions ».
    • Cette extension répond à une logique de cohérence du système juridique, comme le relève Hubert Groutel : « il serait paradoxal que les assurés bénéficient d’une protection différente selon qu’ils s’adressent à une société d’assurance, une mutuelle ou une institution de prévoyance »[34].

==>Les distributeurs d’assurance

  • Les courtiers d’assurance
    • Les courtiers constituent historiquement les premiers débiteurs du devoir de conseil. La jurisprudence les a très tôt qualifiés de « guide sûr et conseiller expérimenté »[35], imposant à leur charge une obligation particulièrement étendue en raison de leur indépendance supposée vis-à-vis des assureurs.
    • Cette obligation revêt une intensité particulière pour les courtiers, comme le souligne Pierre-Grégoire Marly : « le courtier doit être en mesure de proposer à son client un contrat qui, non seulement correspondrait au mieux à ses exigences et ses besoins de garantie, mais offrirait les meilleures conditions tarifaires »[36].
  • Les agents généraux d’assurance et autres mandataires d’assurance
    • Bien que mandataires des compagnies d’assurance, les agents généraux sont également tenus du devoir de conseil envers leur clientèle. Cette situation peut créer un conflit d’intérêts potentiel, comme le note un auteur: «l’agent général se trouve dans la situation délicate de devoir servir à la fois les intérêts de son mandant assureur et ceux de sa clientèle »[37].
    • La Cour de cassation a tranché cette difficulté en affirmant que « en sa qualité de professionnel de l’assurance mettant sa compétence à la disposition du public, l’agent général est tenu d’une obligation de conseil »[38].
    • Cette solution s’impose désormais avec force compte tenu des termes de l’article L. 521-1 du Code des assurances qui impose aux distributeurs d’agir « au mieux des intérêts du souscripteur ou de l’adhérent ».

==>Les souscripteurs de contrats collectifs

  • Les employeurs
    • Dans le cadre des assurances collectives, l’employeur souscripteur endosse une double casquette.
    • Bénéficiaire du conseil en tant que souscripteur, il devient également débiteur d’une obligation de conseil envers ses salariés adhérents, comme le précise l’article L. 141-4 du Code des assurances.
    • Cette situation particulière a été analysée par Laurent Mayaux qui observe que « le souscripteur de l’assurance de groupe proposée à l’adhésion devient comme distributeur d’assurance, véritable Janus bifrons »[39].
    • L’employeur concentre aujourd’hui l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par les contrats de groupe proposés à l’adhésion des salariés.
  • Les établissements de crédit
    • Les banques prêteuses qui souscrivent des assurances de groupe en garantie des prêts qu’elles accordent sont soumises à un devoir de conseil particulièrement strict.
    • La Cour de cassation a solennellement affirmé que l’obligation « d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts » à sa situation personnelle «incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance», ajoutant même qu’«aucun devoir de conseil ou de mise en garde n’incombait à l’assureur de groupe» (Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11.108).
    • L’établissement de crédit concentre ainsi l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par le contrat de groupe souscrit au profit des emprunteurs.
    • Cette jurisprudence, construite avant l’inscription dans la loi de l’obligation d’information et de conseil à la charge de tout distributeur d’assurance, n’en prend que plus de force aujourd’hui.
  • Les associations et personnes morales
    • Les associations d’épargnants et autres personnes morales qui souscrivent des contrats de groupe sont également tenues d’un devoir de conseil envers leurs adhérents.
    • Cette obligation découle de leur qualité de distributeur au sens de l’article L. 511-1 du Code des assurances.
    • Il convient de noter que lorsque le distributeur à titre accessoire, souscripteur du contrat de groupe dont il propose une adhésion à ses clients, est un professionnel d’une autre spécialité, le distributeur qui a placé le contrat de groupe a obligation « de conseiller utilement le souscripteur, distributeur à titre accessoire sur l’étendue des garanties », et d’attirer plus spécialement son attention sur « les exclusions et limites » qu’elles comportent (Cass. 2? civ., 29 mars 2018, n° 17-14.975).
  • Les prestataires de services numériques
    • La révolution numérique a profondément bouleversé l’écosystème de la distribution d’assurance, faisant émerger de nouveaux acteurs dont le statut juridique soulève des interrogations inédites.
    • Les plateformes et comparateurs en ligne incarnent cette mutation technologique qui questionne les frontières traditionnelles de l’intermédiation d’assurance et, par voie de conséquence, l’application du devoir de conseil.
    • Contrairement à une idée répandue, les comparateurs d’assurance en ligne n’ont jamais bénéficié d’un statut dérogatoire en droit français.
    • La multiplication des plateformes de comparaison n’a pas donné lieu à une catégorie juridique autonome.
    • Comme l’a rappelé l’ACPR dès 2015, « le statut de comparateur n’est ni défini, ni reconnu spécifiquement par la réglementation française ».
    • Cette lacune juridique a longtemps créé une zone d’incertitude quant au régime applicable à ces nouveaux acteurs, nombreux étant ceux qui arguaient de la spécificité de leur activité pour échapper aux obligations traditionnelles de l’intermédiation d’assurance.
    • La directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (DDA) a permis de clarifier cette question en adoptant une approche fonctionnelle plutôt que statutaire.
    • Elle considère comme constitutive de distribution d’assurance : « la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le client sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le client peut conclure un contrat directement ou indirectement au moyen d’un site internet ou d’autres moyens de communication. »
    • Cette définition a été fidèlement transposée en droit français à l’article L. 511-1, I, alinéa 2 du Code des assurances, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018.
    • Le texte français reprend substantiellement la formulation européenne en précisant : « est également considérée comme de la distribution d’assurances la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le souscripteur ou l’adhérent sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le souscripteur ou l’adhérent peut conclure le contrat directement ou indirectement au moyen du site internet ou par d’autres moyens de communication. »
    • A l’analyse, la qualification d’activité de distribution repose sur plusieurs critères cumulatifs définis par l’article L. 511-1 :
      • La fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par l’utilisateur
      • L’établissement d’un classement de produits comprenant une comparaison des prix et des produits
      • La possibilité pour l’utilisateur de conclure un contrat directement ou indirectement par le biais de la plateforme
    • Cette approche téléologique privilégie la substance économique de l’activité sur sa forme juridique, conformément à l’esprit de la directive européenne visant à éviter les contournements réglementaires.
    • Cette qualification n’est pas neutre sur le plan juridique.
    • Elle implique que les comparateurs d’assurance relèvent intégralement du champ de la réglementation applicable aux distributeurs et sont donc soumis à l’ensemble des obligations professionnelles prévues par le Code des assurances, notamment :
      • L’obligation d’immatriculation à l’ORIAS (article L. 512-1)
      • L’obligation de capacité professionnelle (articles L. 512-7 et suivants)
      • Les règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts (article L. 521-1)
      • Le respect des règles de conduite (articles L. 521-1 à L. 521-6)
      • Et surtout, le devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4
    • Sur ce dernier point, la position de l’ACPR est explicite et sans ambiguïté : «dans ce contexte, le comparateur d’assurance sur Internet est avant tout un courtier d’assurance ».
    • Cette qualification entraîne l’application intégrale du régime de responsabilité prévu pour les intermédiaires d’assurance.
    • Il en résulte que, dès lors qu’un comparateur permet au souscripteur de conclure un contrat, directement ou par redirection vers un partenaire, il doit être regardé comme participant à l’acte de distribution et, à ce titre, tenu d’un devoir de conseil à l’égard de l’utilisateur.
    • Conformément à l’article L. 521-4 du Code des assurances, le comparateur doit :
      • Préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel
      • Fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse
      • Conseiller un contrat cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur
      • Préciser les raisons qui motivent ce conseil
    • L’application de ces obligations aux comparateurs soulève des difficultés pratiques particulières :
      • La limitation du périmètre de comparaison : aucun comparateur ne peut avoir accès à l’ensemble du marché, ce qui questionne la pertinence du conseil fourni
      • L’automatisation du processus : la dimension largement automatisée de la comparaison peut entrer en tension avec l’exigence de personnalisation du conseil
      • La transparence sur les partenariats : l’obligation d’information sur les conflits d’intérêts impose de révéler les accords commerciaux avec les assureurs référencés
    • Comme le souligne l’ACPR, « les comparateurs ont développé une approche marketing qui s’appuie sur le sentiment qu’ont les internautes d’avoir accès à une base d’informations sans limite ».
    • Cette communication peut créer une confusion préjudiciable aux consommateurs qui croient bénéficier d’une vision exhaustive du marché.
    • À ce jour, l’autorité de régulation constate que « la majorité des comparaisons se fait sur le seul critère tarifaire, sans que le consommateur soit averti des limites du conseil fourni ou que la fiabilité des offres présentées soit garantie».
    • Cette approche essentiellement tarifaire entre en contradiction avec l’obligation de conseil qui impose de prendre en compte l’ensemble des besoins du souscripteur et non le seul critère économique.

ii. Les personnes non assujetties au devoir de conseil

L’identification des personnes exclues du devoir de conseil répond à une logique de proportionnalité et d’efficience économique. Comme le souligne Daniel Langé, « ces exclusions visent à éviter l’application d’obligations inadaptées à certaines situations où le déséquilibre informationnel justifiant le devoir de conseil n’existe pas »[40].

==>Les exclusions liées à la nature des risques

  • Les grands risques
    • L’article L. 521-5 du Code des assurances exclut expressément de l’obligation de conseil « la présentation d’un contrat couvrant les risques mentionnés à l’article L. 111-6 ».
    • Cette exclusion concerne deux catégories de risques distincts.
      • Les grands risques par nature
        • Certains risques relèvent de la catégorie des grands risques en raison de leur objet même.
        • Il s’agit notamment des véhicules ferroviaires, aériens, maritimes, lacustres et fluviaux ainsi que la responsabilité civile afférente à ces véhicules, les marchandises transportées, les installations d’énergies marines renouvelables définies par décret en Conseil d’État, et les assurances crédit et caution lorsque le souscripteur exerce à titre professionnel une activité industrielle, commerciale ou libérale en rapport avec le risque couvert.
      • Les grands risques par la taille
        • Dans les autres branches d’assurance de dommages, la qualification de grand risque dépend de la taille de l’entreprise souscriptrice.
        • Le risque n’est « grand » que si l’entreprise dépasse les limites d’au moins deux des trois critères chiffrés visés à l’article R. 111-1 du Code des assurances : total du bilan supérieur à 6,2 millions d’euros, chiffre d’affaires supérieur à 12,8 millions d’euros, ou plus de 250 salariés en moyenne.
    • Cette exclusion des grands risques du champ d’application du devoir de conseil se justifie par la présomption de compétence des souscripteurs de cette catégorie de risques.
    • Comme l’explique Jérôme Kullmann : « Le législateur considère que la personne qui cherche à assurer des grands risques détient les connaissances et l’expertise nécessaires pour décider, de son propre chef, de souscrire tel ou tel contrat d’assurance »[41].
    • Laurent Mayaux nuance cette approche en observant qu’« autant peut-on comprendre la dispense d’assistance du distributeur auprès de la grande entreprise, dans la mesure où elle dispose en interne des moyens de mobiliser à travers une direction des risques et assurances les compétences nécessaires »[42].Toutefois, il souligne que même ces entreprises « ne peuvent se mettre à la place de l’assureur dans l’appréciation du risque et du règlement de l’éventuel sinistre ».
    • Cette exclusion des grands risques peut donc paraître discutable s’agissant des entreprises qui, bien que dépassant les seuils quantitatifs, ne disposent pas nécessairement en interne des compétences techniques spécialisées pour apprécier tous les aspects de l’assurance, notamment les exclusions complexes ou les mécanismes de franchise sophistiqués.
  • Les traités de réassurance
    • Les traités de réassurance sont également exclus du champ du devoir de conseil.
    • Cette exclusion trouve sa justification dans la nature même de ces opérations, comme l’explique Daniel Langé : la réassurance est négociée «entre deux parties professionnelles de l’assurance entre lesquelles on postule l’égalité de compétence pour aborder la négociation du traité ».
    • Hubert Groutel précise que «cette exclusion se comprend aisément dans la mesure où la réassurance met en relation des professionnels de l’assurance disposant, par hypothèse, des mêmes compétences techniques»[43].
    • L’asymétrie informationnelle qui justifie le devoir de conseil dans les relations entre professionnels et consommateurs disparaît dans ce contexte.

==>Les exclusions liées au statut de l’intermédiaire

  • Les intermédiaires à titre accessoire
    • L’article L. 513-1 du Code des assurances prévoit un régime dérogatoire pour certains intermédiaires à titre accessoire.
    • Ces intermédiaires, « qui, comme l’indique leur dénomination, bénéficient de dérogations aux exigences s’imposant aux autres intermédiaires à raison de la simplicité des produits d’assurance qu’ils distribuent »[44], échappent partiellement aux obligations de conseil.
    • Cette dérogation concerne notamment la distribution d’assurances dites «affinitaires», caractérisées par leur simplicité et leur standardisation.
    • Comme le note Philippe Maystadt, « ces produits, souvent liés à l’achat d’un bien ou d’un service principal, présentent des caractéristiques suffisamment simples pour ne pas justifier un conseil approfondi »[45].
    • Toutefois, cette dérogation ne doit pas compromettre la protection des consommateurs.
    • L’article L. 513-2 du Code des assurances prévoit que c’est à l’entreprise ou à l’intermédiaire d’assurance qui distribuent via l’intermédiaire à titre accessoire de faire en sorte que des “dispositions appropriées et proportionnées” soient prises pour assurer le respect des dispositions relatives aux règles de conduite.
  • Les courtiers grossistes
    • Les courtiers grossistes occupent une position singulière dans l’organisation du marché de l’assurance.
    • Contrairement aux courtiers dits traditionnels ou « détaillants », ils interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits, en négociant les conditions de couverture avec les assureurs, ou encore en structurant l’offre assurantielle destinée à être diffusée par un réseau d’apporteurs ou de courtiers distributeurs.
    • Comme l’explique Jean Bigot, « les courtiers grossistes interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits ou en négociant des conditions avec les assureurs, mais sans contact avec l’assuré final »[46].
    • Leur rôle est ainsi souvent double : ils peuvent être distributeurs de produits d’assurance, tout en exerçant, dans certains cas, une fonction de délégataire de gestion pour le compte d’un assureur.
      • La fonction de distributeur auprès d’un réseau d’intermédiaires
        • Lorsqu’ils interviennent en qualité de distributeurs, les courtiers grossistes conçoivent des produits qu’ils mettent à disposition de courtiers détaillants, chargés de les proposer aux clients finaux.
        • Dans ce schéma, le courtier grossiste ne contracte pas avec le candidat à l’assurance et ne participe pas à l’acte de distribution final.
        • C’est le courtier détaillant – titulaire d’un mandat de placement de risques conféré par l’assuré – qui exerce l’intermédiation de proximité et recueille les besoins du client.
        • Il en découle que le devoir de conseil repose exclusivement sur ce dernier, seul en mesure d’évaluer les attentes du souscripteur, de l’interroger, de le mettre en garde, et de lui recommander un contrat adéquat.
        • Le courtier grossiste, en revanche, n’entretient aucun lien contractuel ni relation commerciale avec le preneur d’assurance.
        • Mieux encore, il n’est pas autorisé à en avoir, car le client appartient exclusivement au courtier distributeur.
        • Toute ingérence du courtier grossiste dans cette relation pourrait être qualifiée de détournement de clientèle, et engager sa responsabilité délictuelle.
        • Dans ces conditions, il serait juridiquement incohérent de lui imposer un devoir de conseil qu’il n’a ni les moyens ni le droit d’exercer.
      • La fonction de délégataire de gestion pour le compte de l’assureur
        • Par ailleurs, certains courtiers grossistes assument, en parallèle de leur activité de distribution, une mission de gestion administrative pour le compte de l’assureur, dans le cadre d’une délégation de gestion.
        • Ils interviennent alors en exécution du contrat d’assurance, souvent après la souscription, et accomplissent des actes tels que l’émission des pièces contractuelles, la gestion des sinistres ou le recouvrement des primes.
        • Dans ce cadre, le courtier grossiste agit au nom et pour le compte de l’assureur.
        • Il n’est plus un distributeur, mais un gestionnaire délégué, placé sous l’autorité juridique du porteur de risque.
        • Même lorsque cette mission de gestion implique un contact direct avec l’assuré (par exemple lors du traitement d’un sinistre ou de l’émission d’un certificat), aucun devoir de conseil autonome ne peut naître à sa charge, car il n’accomplit pas d’acte de distribution.
        • Le cas échéant, s’il devait exister une obligation de conseil dans le cadre de la gestion, celle-ci ne pourrait être imputée qu’à l’assureur, débiteur naturel du devoir, et non au délégataire, qui n’intervient que par représentation.
    • La question de savoir si un courtier grossiste peut être tenu au devoir de conseil à l’égard de l’assuré final a été expressément tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 23 mars 2017 (Cass. 2e civ., 23 mars 2017, n° 16-15.090).
    • En l’espèce, une assurée reprochait à la société April, intervenant en qualité de courtier grossiste, un manquement à son devoir de conseil lors de l’adhésion à un contrat d’assurance de groupe emprunteur, souscrit par l’intermédiaire d’une association.
    • La société April agissait exclusivement dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur, la société Axeria Prévoyance.
    • Elle n’avait ni commercialisé le contrat, ni participé à son élaboration.
    • La Cour de cassation rejette le pourvoi et affirme que « la société April, intervenue dans la seule gestion administrative du contrat d’assurance sur délégation de l’assureur, n’avait ni proposé le contrat d’assurance ni participé à l’élaboration de la proposition d’assurance, de sorte qu’elle n’était débitrice à l’égard de l’assurée d’aucune obligation d’information et de conseil. »
    • Par cette décision, la Haute juridiction délimite avec précision le périmètre d’application du devoir de conseil, en opérant une distinction fonctionnelle entre deux types d’activités exercées par les courtiers grossistes : d’une part, les fonctions de distribution, qui impliquent un devoir de conseil, et d’autre part, les fonctions de gestion administrative, qui en sont exclues.
    • Elle affirme ainsi que le courtier grossiste n’engage pas sa responsabilité à ce titre lorsqu’il cumule les trois caractéristiques suivantes :
      • Absence d’intervention dans la conception ou la présentation du contrat d’assurance
        • Le devoir de conseil trouve son fondement dans l’acte de distribution au sens propre : il suppose que l’intermédiaire participe, directement ou indirectement, à la présentation, à la recommandation, ou à la mise en place d’un contrat d’assurance à destination d’un client déterminé.
        • Or, dans l’affaire jugée, la Cour de cassation relève que la société April n’a ni proposé le contrat, ni participé à l’élaboration de la proposition : le produit avait été conçu et présenté au client par un autre intermédiaire (le cabinet Michel Astre), seul en lien avec le souscripteur.
        • Ce premier critère exclut donc la qualification d’activité de distribution.
        • En l’absence d’une implication dans le processus de placement du risque, le courtier grossiste ne saurait être regardé comme débiteur d’un devoir de conseil.
      • Exercice d’une mission de gestion par délégation de l’assureur
        • La société April agissait dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur.
        • Elle se bornait à exécuter des tâches telles que la tenue des dossiers, la production des certificats d’adhésion ou la gestion des flux contractuels, sans initiative commerciale ou responsabilité dans la construction de l’offre.
        • Dans ce contexte, le courtier grossiste agit en représentation de l’assureur, dans un cadre strictement déterminé.
        • Il n’endosse pas le rôle de distributeur, mais celui de gestionnaire de prestations au nom du porteur de risque.
        • Toute obligation d’information ou de conseil qui pourrait être invoquée dans ce contexte relèverait de la seule responsabilité de l’assureur, le gestionnaire n’étant qu’un relais technique.
        • La Haute juridiction se fonde donc sur une analyse fonctionnelle du rôle du courtier : elle retient que l’absence d’autonomie dans la présentation du produit, jointe à la qualité de mandataire du gestionnaire, suffit à écarter toute obligation personnelle de conseil.
      • Absence de relation contractuelle directe avec le souscripteur
        • Enfin, la Cour de cassation insiste sur un troisième élément fondamental : l’inexistence de tout lien contractuel direct entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance.
        • Elle écarte expressément l’argument fondé sur l’existence d’échanges de courriers ou la remise de documents : ces simples démarches administratives ne suffisent pas à caractériser une relation juridique autonome de nature à faire naître des obligations propres au gestionnaire.
        • Cette précision est essentielle. Elle souligne que le devoir de conseil suppose une relation d’intermédiation individualisée : il implique que l’intermédiaire soit investi d’un mandat – explicite ou implicite – par le client, qu’il soit en situation de dialogue et de recueil d’informations, et qu’il puisse formuler une recommandation adaptée.
        • En l’absence de tout lien de droit entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance, aucune de ces conditions n’est remplie.
  • Les indicateurs
    • En droit de la distribution d’assurance, les indicateurs constituent une catégorie à part, expressément exclue du champ d’application du régime de l’intermédiation.
    • À la différence des courtiers, agents généraux ou mandataires, ces acteurs ne sont pas considérés comme des distributeurs au sens du Code des assurances, et n’assument donc aucune des obligations professionnelles attachées à cette qualité.
    • L’article R. 511-3, III du Code des assurances définit leur rôle restrictif : ils sont des « indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre ».
    • Autrement dit, l’indicateur se limite à une mise en relation ou à une simple recommandation de contact, sans participer à la présentation, à la proposition, ni à la conclusion d’un contrat d’assurance.
    • Il n’exerce aucun acte de distribution au sens de l’article L. 511-1, et ne réalise pas de travaux préparatoires à la souscription.
    • Cette qualification emporte des conséquences juridiques majeures : n’étant pas un distributeur, l’indicateur est exclu du champ d’application de l’article L. 521-4, et ne peut être tenu au devoir de conseil à l’égard du candidat à l’assurance.
      • Fondement de l’exclusion: la nature restrictive de l’activité d’indication
        • Le Code des assurance distingue expressément certaines activités accessoires qui, bien qu’elles puissent participer indirectement à la mise en place de contrats, échappent à la qualification d’intermédiation.
        • Tel est le cas des indicateurs d’affaires, qui bénéficient d’un statut dérogatoire précisément défini par les textes.
        • L’article L. 511-1, II du Code des assurances, dans la liste de ses exclusions, précise que « ne sont pas considérées comme de la distribution d’assurances des activités s’apparentant à de l’indication d’affaires ».
        • Cette disposition est éclairée par l’article R. 511-3, III, qui encadre strictement les contours de cette fonction : « La présente section ne fait pas obstacle à la rétrocession d’une commission d’apport aux indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre. »
        • Trois éléments caractérisent donc le périmètre limité de l’activité d’indication :
          • une simple mise en relation entre un assuré potentiel et un professionnel habilité (assureur ou intermédiaire),
          • un signalement passif ne s’accompagnant d’aucune présentation des garanties,
          • et, éventuellement, la perception d’une commission d’apport, à condition qu’elle ne rémunère pas une prestation assimilable à un acte de distribution.
        • L’utilisation du verbe « se borne » dans le texte réglementaire souligne le caractère strictement délimité de cette activité : l’indicateur ne participe ni à l’élaboration ni à la présentation de l’offre, et n’intervient pas dans la conclusion du contrat.
        • Il n’a, en réalité, aucune légitimité à influencer le consentement du souscripteur, ce qui justifie son exclusion du régime de la distribution d’assurance.
        • Les textes vont plus loin en énonçant négativement les actes interdits à l’indicateur. Il lui est notamment interdit :
          • de présenter les garanties d’un contrat d’assurance ;
          • de recueillir les informations nécessaires à l’établissement d’un devis ;
          • ou encore d’exposer oralement ou par écrit les conditions de garantie, telles que définies à l’article R. 511-1, alinéa 1er.
        • Dès lors que l’indicateur franchit l’une de ces limites, il cesse de bénéficier de l’exclusion et devient un intermédiaire au sens plein, devant satisfaire aux obligations afférentes: immatriculation à l’ORIAS, conditions de capacité, assurance RC professionnelle, devoir de conseil, etc.
        • La doctrine a souligné avec justesse que cette frontière est historiquement liée à l’évolution du droit de l’intermédiation.
        • Comme l’ont observé certains auteurs, « le problème vient de l’évolution de la définition de l’intermédiaire lui-même », qui, depuis la réforme de 2005, repose sur la qualité de professionnel impliqué dans le processus contractuel, et non plus uniquement sur l’acte de présentation formelle du contrat.
      • Les conséquences de l’exclusion sur le devoir de conseil
        • L’exclusion des indicateurs d’affaires du champ de l’article L. 511-1 du Code des assurances implique, par cohérence, leur exonération du devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4.
        • Cette exemption n’est pas circonstancielle mais structurelle : l’indicateur n’est pas un distributeur, et ne peut donc être assujetti à des obligations qui ne concernent que les acteurs de la distribution.
        • Elle se justifie également par l’impossibilité matérielle pour l’indicateur d’exercer un conseil pertinent.
        • En effet, il ne peut :
          • ni présenter les garanties du contrat ;
          • ni interroger l’assuré sur ses besoins ou objectifs ;
          • ni analyser la situation assurantielle ou proposer des solutions adaptées.
        • Or, le devoir de conseil suppose précisément ces facultés : recueillir les exigences et besoins, formuler une recommandation motivée, éclairer la décision du souscripteur.
        • L’indicateur, par définition, n’en a ni la compétence ni le droit, ce qui rend toute obligation de conseil juridiquement inopérante à son égard.
        • Pour autant, la frontière entre l’indication d’affaires et la distribution peut s’avérer difficile à respecter en pratique.
        • Comme le relève pertinemment la doctrine, « pour signaler un assuré à un assureur, et pour en retirer une commission d’apport au sens de l’article R. 511-3, encore faut-il au minimum que l’indicateur d’assurance se soit renseigné préalablement sur la possibilité pour l’assureur signalé de répondre aux besoins du futur assuré ».
        • Cette observation met en lumière une tension structurelle : l’efficacité commerciale de l’indication suppose un minimum d’information sur les profils des clients et les offres disponibles, mais ce recueil d’informations, dès lors qu’il devient substantiel ou oriente une décision, peut franchir le seuil de l’intermédiation.
        • Dès que l’indicateur commence à adapter ses signalements en fonction des besoins du client ou à orienter celui-ci vers un contrat particulier, il bascule dans une activité de conseil, qui requiert un statut d’intermédiaire et l’assujettissement aux règles professionnelles de la distribution.
        • A cet égard, un défaut d’habilitation d’un intermédiaire est assorti de sanctions pénales au sens de l’article L. 514-1 (deux ans d’emprisonnement et/ou une amende de 6 000 €).
        • Sans compter les risques relatifs à la déclaration mensongère au sens de l’article L. 310-28 du Code des assurances.
        • Au civil, les conséquences sont tout aussi lourdes : si l’apporteur est requalifié en intermédiaire, il supportera pleinement le devoir de conseil dû à l’assuré, et les risques de responsabilité afférents, sans assurance pour le protéger.
        • Cette perspective explique l’importance cruciale du respect strict des limites de l’activité d’indication.
    • L’une des clés de distinction entre l’intermédiaire d’assurance et l’indicateur réside dans l’absence totale d’assistance.
    • Cette approche a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 mars 1996 qui considérait qu’un franchisé n’était pas un intermédiaire dès lors qu’il n’avait pas « assisté les clients dans la recherche et la prise de garantie ».
    • Le critère opérant semble donc résider dans l’abstention de toute forme d’assistance dans la conclusion du contrat, l’indicateur devant se cantonner «strictement à la seule mise en relation, sans fournir, d’une quelconque façon, une assistance à la mise en place de la police ».

==>Les exclusions liées aux circonstances

Le devoir de conseil, bien qu’étant une obligation du distributeur d’assurance, connaît certains aménagements dans ses modalités d’exécution ou peut être suspendu dans des circonstances particulières. Ces situations, loin de remettre en cause le principe même de l’obligation de conseil, témoignent de la nécessaire adaptation du droit aux réalités pratiques de la distribution d’assurance.

  • La commercialisation à distance d’urgence
    • Dans certaines situations d’urgence, notamment lors de la commercialisation à distance, les informations précontractuelles peuvent être fournies après la conclusion du contrat.
    • L’article R. 521-2, II du Code des assurances prévoit expressément que «lorsque le contrat a été conclu à la demande du souscripteur utilisant un moyen technique à distance ne permettant pas la transmission des informations sur support papier ou sur un autre support durable, le distributeur met les informations à disposition immédiatement après la conclusion du contrat ».
    • Cette dérogation ne supprime nullement l’obligation mais en aménage les modalités d’exécution pour tenir compte des contraintes techniques inhérentes aux nouveaux modes de communication.
    • Elle s’inscrit dans une logique pragmatique qui reconnaît que l’urgence d’une couverture d’assurance peut justifier une inversion de l’ordre chronologique habituel entre information et souscription.
    • Plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies pour que cette dérogation trouve à s’appliquer :
      • La souscription doit résulter d’une demande expresse du souscripteur, excluant ainsi toute initiative du distributeur
      • L’utilisation d’un moyen technique à distance doit être établie
      • Cette technique doit ne pas permettre la transmission des informations sur support papier ou durable au moment de la souscription
      • Les informations doivent être mises à disposition immédiatement après la conclusion du contrat
    • Cette exception ne concerne que les modalités de transmission des informations et non leur contenu.
    • Le distributeur demeure tenu de fournir l’intégralité des informations précontractuelles requises, y compris le conseil adapté aux besoins du souscripteur.
    • Comme le précise le document joint, “l’intermédiaire n’est pas exonéré de ses obligations d’information, lesquelles sont simplement décalées dans le temps“.
  • Le refus du souscripteur
    • Depuis la loi relative à l’industrie verte du 23 octobre 2023, qui a instauré un devoir de conseil dans la durée, le législateur a dû prendre en compte la possibilité pour le souscripteur de refuser l’actualisation de son conseil. L’article A. 522-2, I, 3° du Code des assurances prévoit désormais que «l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation n’est pas tenu de procéder à l’actualisation des informations du souscripteur ou de l’adhérent comme mentionné au 2° du III de l’article L. 522-5 si le souscripteur ou l’adhérent oppose un refus ou n’a pas donné suite à la demande d’actualisation adressée sur tout support durable par l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation, après une relance effectuée sur tout support durable au sens de l’article L. 111-9 du présent code».
    • Cette disposition s’inscrit dans le cadre plus large de l’obligation de réactualisation du conseil prévue à l’article L. 522-5, III du Code des assurances.
    • Le distributeur doit procéder à une actualisation des informations lorsque :
      • Il est informé d’un changement dans la situation du souscripteur
      • Le contrat n’a fait l’objet d’aucune opération pendant 4 ans (ou 2 ans en cas de service de recommandation personnalisée)
      • Une opération susceptible d’affecter significativement le contrat est envisagée
    • Cependant, cette obligation cède devant la volonté expresse du souscripteur.
    • Le texte prévoit même une procédure : le distributeur doit adresser une demande d’actualisation “sur tout support durable” et, en cas de silence du souscripteur, effectuer une relance avant de pouvoir considérer que l’obligation ne s’applique plus.
    • Cette disposition reconnaît l’autonomie du souscripteur tout en préservant les intérêts légitimes du distributeur.
    • Elle évite que ce dernier ne soit indéfiniment tenu d’une obligation de conseil actualisé face à un souscripteur qui refuse de coopérer ou qui, en toute connaissance de cause, souhaite maintenir son contrat en l’état.
    • Le législateur a ainsi trouvé un équilibre délicat entre deux impératifs : d’une part, la protection du souscripteur par un conseil adapté et actualisé ; d’autre part, le respect de sa liberté contractuelle et de son droit à refuser cette protection s’il l’estime superflue.
    • Lorsque le souscripteur oppose un refus ou ne donne pas suite à la demande d’actualisation, “la durée de 4 ans ou de 2 ans mentionnée ci-avant est appliquée de nouveau à compter de ce refus ou de la relance”.
    • Cette solution assure une forme de “remise à zéro” du compteur, permettant au distributeur de reproposer ultérieurement une actualisation sans être indéfiniment lié par un refus ancien.

 

  1. D. Langé, « Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005 », Mélanges Bigot, p. 259 ?
  2. J. Bigot, « L’obligation de conseil des intermédiaires », RGDA 2018, p. 445 ?
  3. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  4. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  5. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil (à propos du conseil en investissement assurantiel) », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  6. A. Pélissier, « Devoir de conseil de l’assureur et de la banque », RGDA 2019, n° 1169, p. 7 ?
  7. I. Monin-Lafin, « Le nouveau régime du conseil en assurance », Trib. ass. 2018, p. 45 ?
  8. J. Kullmann, « L’interprétation systémique en droit des assurances », RGDA 2019, p. 234 ?
  9. J. Bigot, « Les niveaux de conseil : clarification ou complexification ? », RGDA 2018, p. 445 ?
  10. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  11. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  12. D. Langé, « La gradation des obligations de conseil », RGDA 2019, p. 156 ?
  13. P. Mayaux, « L’économie du conseil en assurance », Rev. dr. bancaire et fin. 2019, p. 23 ?
  14. H. Groutel, “Le devoir de conseil en assurance”, Risques 1990, n° 2, p. 89 ?
  15. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018 ?
  16. D. Lange, “Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005”, Mélanges Bigot, p. 259. ?
  17. Y. Lequette, “L’obligation de renseignement et le droit commun du contrat”, in L’information en droit privé, LGDJ, 1978, p. 305 ?
  18. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. ?
  19. Voir notamment A. Couret, H. Le Nabasque, “Valeurs mobilières”, Dalloz Action, 2020, n° 12.45 ?
  20. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, “Droit des sociétés”, Litec, 31e éd., 2018, n° 452 ?
  21. Art. L. 111-1 du Code de la consommation ?
  22. H. Groutel, “L’évolution du devoir de conseil en assurance”, RCA 2019, étude 4 ?
  23. N. Reich, “Protection of Consumers’ Economic Interests by the EC”, Sydney Law Review, 1992, vol. 14, p. 23 ?
  24. Directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, considérant 31 ?
  25. Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, RGAT 1965, p. 175, note A. Besson ?
  26. J. Lasserre Capdeville, “Le conseil en investissement”, Rev. dr. bancaire et fin. 2018, dossier 15 ?
  27. Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers ?
  28. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018, p. 12 ?
  29. Ph. Storck, “La transformation de l’intermédiation financière”, Rev. économie financière 2017, n° 127, p. 45 ?
  30. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008 ?
  31. Malaurie Ph., Aynès L., Stoffel-Munck Ph., Droit des obligations, LGDJ ?
  32. J. Bigot, « Missions non traditionnelles : la responsabilité professionnelle du producteur d’assurances », L’Assureur Conseil, oct. 1987, p. 3 ?
  33. Cass. 1?? civ., 6 nov. 1984, RGAT 1985, p. 313 ?
  34. H. Groutel, « Le devoir de conseil en assurance », Risques 1990, n° 2, p. 89. ?
  35. Cass. 1?? civ., 10 nov. 1964, JCP G 1965, II, 13981, note PP ?
  36. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  37. J.-C. Heydel, « L’agent général d’assurance », LGDJ, 2019, n° 156 ?
  38. Cass. 1?? civ., 28 oct. 1986, RGAT 1986, p. 610 ?
  39. L. Mayaux, Les assurances de personnes, Traité, t. IV, n° 835 ?
  40. D. Lange, « Les limites du devoir de conseil », RGDA 2019, p. 456 ?
  41. J. Kullmann, Le contrat d’assurance, Traité, t. 3, n° 1262 ?
  42. L. Mayaux, « Les grands risques et la protection du consommateur », RGDA 2018, p. 234 ?
  43. H. Groutel, « L’exclusion des grands risques », RCA 2019, comm. 156 ?
  44. J. Bigot, D. Langé, J. Moreau et J.-L. Respaud, La distribution d’assurance, éd. LGDJ, 2020, n°1257. ?
  45. P. Maystadt, « Les assurances affinitaires », Argus, 2020, p. 45 ?
  46. J. Bigot, « Les courtiers grossistes », in Traité de droit des assurances, t. 6, n° 234 ?
  47. Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11108 ?
  48. CA Lyon, 18 févr. 2003, RGDA 2003, p. 371, obs. J. Kullmann ?
  49. Cass. 1re civ., 31 mars 1981, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 1982, IR, p. 97, note Berr et Groutel. ?

Les parties intéressées au devoir de conseil en assurance

L’identification des acteurs soumis au devoir de conseil en assurance révèle l’ampleur de la transformation opérée par l’ordonnance du 16 mai 2018. Cette réforme, transcrivant fidèlement la directive européenne du 20 janvier 2016, a considérablement élargi le cercle des débiteurs de l’obligation tout en précisant les contours de sa mise en œuvre. Au-delà des intermédiaires traditionnels, ce sont désormais l’ensemble des acteurs de la chaîne de distribution qui se trouvent potentiellement assujettis à cette exigence, témoignant d’une volonté résolue d’harmoniser la protection offerte aux consommateurs d’assurance.

Cet élargissement soulève des interrogations inédites quant à sa délimitation pratique. Comment articuler les obligations respectives des multiples intervenants dans les circuits de distribution contemporains ? Dans quelle mesure les nouveaux acteurs issus de la révolution numérique peuvent-ils échapper à cette qualification ? Symétriquement, l’identification des créanciers de l’obligation révèle une complexité particulière dans les montages contractuels modernes, notamment en matière d’assurance collective ou pour compte d’autrui.

Cette analyse des débiteurs et créanciers du devoir de conseil invite à repenser les catégories traditionnelles de la distribution d’assurance, révélant les tensions entre innovation technologique et impératifs de protection, entre spécialisation et responsabilité solidaire des acteurs du marché.

1. Le débiteur du devoir de conseil

L’identification des débiteurs du devoir de conseil en assurance révèle une architecture complexe où se mêlent obligations légales et constructions prétoriennes. Comme le souligne Jean Bigot, « l’obligation de conseil des intermédiaires d’assurances [est devenue] l’une des caractéristiques de leur activité »[32]. Cette obligation, initialement d’origine jurisprudentielle, a connu une consécration légale progressive qui en a étendu le champ d’application à de nouveaux débiteurs.

i. Les personnes assujetties au devoir de conseil

==>Les entreprises d’assurance

  • Les assureurs stricto sensu
    • La directive sur la distribution d’assurance de 2016, transposée par l’ordonnance du 16 mai 2018, a marqué un tournant décisif en soumettant expressément les entreprises d’assurance pratiquant la vente directe aux mêmes obligations de conseil que les intermédiaires.
    • Comme l’observe Luc Mayaux, cette évolution répond à un impératif d’égalité de traitement : « la clientèle doit disposer des mêmes protections quel que soit le canal de distribution ».
    • L’article L. 521-4 du Code des assurances impose désormais à tout distributeur, y compris l’entreprise d’assurance en vente directe, de « préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » et de lui «fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé ».
    • Cette obligation se double d’un véritable devoir de conseil consistant à conseiller « un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ».
    • La jurisprudence avait d’ailleurs anticipé cette évolution législative en sanctionnant régulièrement les manquements de l’assureur à son devoir de conseil[33].
    • Ainsi, dans l’affaire de l’exposition « Our Body », la Cour de cassation a retenu la responsabilité contractuelle de l’assureur qui n’avait pas « attiré l’attention de la société organisatrice de l’exposition sur le risque d’annulation de l’exposition » (Cass. 1ère civ. 29 oct. 2014, n°13-19.729).
  • Les mutuelles et institutions de prévoyance
    • L’ordonnance de 2018 a étendu le champ d’application du devoir de conseil aux organismes relevant du Code de la mutualité et du Code de la sécurité sociale.
    • L’article L. 116-6 du Code de la mutualité dispose que « les dispositions du Code des assurances relatives aux distributeurs d’assurance sont applicables aux mutuelles et unions régies par le livre III du présent code, sous réserve des règles propres à ces mutuelles ou unions ».
    • Cette extension répond à une logique de cohérence du système juridique, comme le relève Hubert Groutel : « il serait paradoxal que les assurés bénéficient d’une protection différente selon qu’ils s’adressent à une société d’assurance, une mutuelle ou une institution de prévoyance »[34].

==>Les distributeurs d’assurance

  • Les courtiers d’assurance
    • Les courtiers constituent historiquement les premiers débiteurs du devoir de conseil. La jurisprudence les a très tôt qualifiés de « guide sûr et conseiller expérimenté »[35], imposant à leur charge une obligation particulièrement étendue en raison de leur indépendance supposée vis-à-vis des assureurs.
    • Cette obligation revêt une intensité particulière pour les courtiers, comme le souligne Pierre-Grégoire Marly : « le courtier doit être en mesure de proposer à son client un contrat qui, non seulement correspondrait au mieux à ses exigences et ses besoins de garantie, mais offrirait les meilleures conditions tarifaires »[36].
  • Les agents généraux d’assurance et autres mandataires d’assurance
    • Bien que mandataires des compagnies d’assurance, les agents généraux sont également tenus du devoir de conseil envers leur clientèle. Cette situation peut créer un conflit d’intérêts potentiel, comme le note un auteur: «l’agent général se trouve dans la situation délicate de devoir servir à la fois les intérêts de son mandant assureur et ceux de sa clientèle »[37].
    • La Cour de cassation a tranché cette difficulté en affirmant que « en sa qualité de professionnel de l’assurance mettant sa compétence à la disposition du public, l’agent général est tenu d’une obligation de conseil »[38].
    • Cette solution s’impose désormais avec force compte tenu des termes de l’article L. 521-1 du Code des assurances qui impose aux distributeurs d’agir « au mieux des intérêts du souscripteur ou de l’adhérent ».

==>Les souscripteurs de contrats collectifs

  • Les employeurs
    • Dans le cadre des assurances collectives, l’employeur souscripteur endosse une double casquette.
    • Bénéficiaire du conseil en tant que souscripteur, il devient également débiteur d’une obligation de conseil envers ses salariés adhérents, comme le précise l’article L. 141-4 du Code des assurances.
    • Cette situation particulière a été analysée par Laurent Mayaux qui observe que « le souscripteur de l’assurance de groupe proposée à l’adhésion devient comme distributeur d’assurance, véritable Janus bifrons »[39].
    • L’employeur concentre aujourd’hui l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par les contrats de groupe proposés à l’adhésion des salariés.
  • Les établissements de crédit
    • Les banques prêteuses qui souscrivent des assurances de groupe en garantie des prêts qu’elles accordent sont soumises à un devoir de conseil particulièrement strict.
    • La Cour de cassation a solennellement affirmé que l’obligation « d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts » à sa situation personnelle «incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance», ajoutant même qu’«aucun devoir de conseil ou de mise en garde n’incombait à l’assureur de groupe» (Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11.108).
    • L’établissement de crédit concentre ainsi l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par le contrat de groupe souscrit au profit des emprunteurs.
    • Cette jurisprudence, construite avant l’inscription dans la loi de l’obligation d’information et de conseil à la charge de tout distributeur d’assurance, n’en prend que plus de force aujourd’hui.
  • Les associations et personnes morales
    • Les associations d’épargnants et autres personnes morales qui souscrivent des contrats de groupe sont également tenues d’un devoir de conseil envers leurs adhérents.
    • Cette obligation découle de leur qualité de distributeur au sens de l’article L. 511-1 du Code des assurances.
    • Il convient de noter que lorsque le distributeur à titre accessoire, souscripteur du contrat de groupe dont il propose une adhésion à ses clients, est un professionnel d’une autre spécialité, le distributeur qui a placé le contrat de groupe a obligation « de conseiller utilement le souscripteur, distributeur à titre accessoire sur l’étendue des garanties », et d’attirer plus spécialement son attention sur « les exclusions et limites » qu’elles comportent (Cass. 2? civ., 29 mars 2018, n° 17-14.975).
  • Les prestataires de services numériques
    • La révolution numérique a profondément bouleversé l’écosystème de la distribution d’assurance, faisant émerger de nouveaux acteurs dont le statut juridique soulève des interrogations inédites.
    • Les plateformes et comparateurs en ligne incarnent cette mutation technologique qui questionne les frontières traditionnelles de l’intermédiation d’assurance et, par voie de conséquence, l’application du devoir de conseil.
    • Contrairement à une idée répandue, les comparateurs d’assurance en ligne n’ont jamais bénéficié d’un statut dérogatoire en droit français.
    • La multiplication des plateformes de comparaison n’a pas donné lieu à une catégorie juridique autonome.
    • Comme l’a rappelé l’ACPR dès 2015, « le statut de comparateur n’est ni défini, ni reconnu spécifiquement par la réglementation française ».
    • Cette lacune juridique a longtemps créé une zone d’incertitude quant au régime applicable à ces nouveaux acteurs, nombreux étant ceux qui arguaient de la spécificité de leur activité pour échapper aux obligations traditionnelles de l’intermédiation d’assurance.
    • La directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (DDA) a permis de clarifier cette question en adoptant une approche fonctionnelle plutôt que statutaire.
    • Elle considère comme constitutive de distribution d’assurance : « la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le client sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le client peut conclure un contrat directement ou indirectement au moyen d’un site internet ou d’autres moyens de communication. »
    • Cette définition a été fidèlement transposée en droit français à l’article L. 511-1, I, alinéa 2 du Code des assurances, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018.
    • Le texte français reprend substantiellement la formulation européenne en précisant : « est également considérée comme de la distribution d’assurances la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le souscripteur ou l’adhérent sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le souscripteur ou l’adhérent peut conclure le contrat directement ou indirectement au moyen du site internet ou par d’autres moyens de communication. »
    • A l’analyse, la qualification d’activité de distribution repose sur plusieurs critères cumulatifs définis par l’article L. 511-1 :
      • La fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par l’utilisateur
      • L’établissement d’un classement de produits comprenant une comparaison des prix et des produits
      • La possibilité pour l’utilisateur de conclure un contrat directement ou indirectement par le biais de la plateforme
    • Cette approche téléologique privilégie la substance économique de l’activité sur sa forme juridique, conformément à l’esprit de la directive européenne visant à éviter les contournements réglementaires.
    • Cette qualification n’est pas neutre sur le plan juridique.
    • Elle implique que les comparateurs d’assurance relèvent intégralement du champ de la réglementation applicable aux distributeurs et sont donc soumis à l’ensemble des obligations professionnelles prévues par le Code des assurances, notamment :
      • L’obligation d’immatriculation à l’ORIAS (article L. 512-1)
      • L’obligation de capacité professionnelle (articles L. 512-7 et suivants)
      • Les règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts (article L. 521-1)
      • Le respect des règles de conduite (articles L. 521-1 à L. 521-6)
      • Et surtout, le devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4
    • Sur ce dernier point, la position de l’ACPR est explicite et sans ambiguïté : «dans ce contexte, le comparateur d’assurance sur Internet est avant tout un courtier d’assurance ».
    • Cette qualification entraîne l’application intégrale du régime de responsabilité prévu pour les intermédiaires d’assurance.
    • Il en résulte que, dès lors qu’un comparateur permet au souscripteur de conclure un contrat, directement ou par redirection vers un partenaire, il doit être regardé comme participant à l’acte de distribution et, à ce titre, tenu d’un devoir de conseil à l’égard de l’utilisateur.
    • Conformément à l’article L. 521-4 du Code des assurances, le comparateur doit :
      • Préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel
      • Fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse
      • Conseiller un contrat cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur
      • Préciser les raisons qui motivent ce conseil
    • L’application de ces obligations aux comparateurs soulève des difficultés pratiques particulières :
      • La limitation du périmètre de comparaison : aucun comparateur ne peut avoir accès à l’ensemble du marché, ce qui questionne la pertinence du conseil fourni
      • L’automatisation du processus : la dimension largement automatisée de la comparaison peut entrer en tension avec l’exigence de personnalisation du conseil
      • La transparence sur les partenariats : l’obligation d’information sur les conflits d’intérêts impose de révéler les accords commerciaux avec les assureurs référencés
    • Comme le souligne l’ACPR, « les comparateurs ont développé une approche marketing qui s’appuie sur le sentiment qu’ont les internautes d’avoir accès à une base d’informations sans limite ».
    • Cette communication peut créer une confusion préjudiciable aux consommateurs qui croient bénéficier d’une vision exhaustive du marché.
    • À ce jour, l’autorité de régulation constate que « la majorité des comparaisons se fait sur le seul critère tarifaire, sans que le consommateur soit averti des limites du conseil fourni ou que la fiabilité des offres présentées soit garantie».
    • Cette approche essentiellement tarifaire entre en contradiction avec l’obligation de conseil qui impose de prendre en compte l’ensemble des besoins du souscripteur et non le seul critère économique.

ii. Les personnes non assujetties au devoir de conseil

L’identification des personnes exclues du devoir de conseil répond à une logique de proportionnalité et d’efficience économique. Comme le souligne Daniel Langé, « ces exclusions visent à éviter l’application d’obligations inadaptées à certaines situations où le déséquilibre informationnel justifiant le devoir de conseil n’existe pas »[40].

==>Les exclusions liées à la nature des risques

  • Les grands risques
    • L’article L. 521-5 du Code des assurances exclut expressément de l’obligation de conseil « la présentation d’un contrat couvrant les risques mentionnés à l’article L. 111-6 ».
    • Cette exclusion concerne deux catégories de risques distincts.
      • Les grands risques par nature
        • Certains risques relèvent de la catégorie des grands risques en raison de leur objet même.
        • Il s’agit notamment des véhicules ferroviaires, aériens, maritimes, lacustres et fluviaux ainsi que la responsabilité civile afférente à ces véhicules, les marchandises transportées, les installations d’énergies marines renouvelables définies par décret en Conseil d’État, et les assurances crédit et caution lorsque le souscripteur exerce à titre professionnel une activité industrielle, commerciale ou libérale en rapport avec le risque couvert.
      • Les grands risques par la taille
        • Dans les autres branches d’assurance de dommages, la qualification de grand risque dépend de la taille de l’entreprise souscriptrice.
        • Le risque n’est « grand » que si l’entreprise dépasse les limites d’au moins deux des trois critères chiffrés visés à l’article R. 111-1 du Code des assurances : total du bilan supérieur à 6,2 millions d’euros, chiffre d’affaires supérieur à 12,8 millions d’euros, ou plus de 250 salariés en moyenne.
    • Cette exclusion des grands risques du champ d’application du devoir de conseil se justifie par la présomption de compétence des souscripteurs de cette catégorie de risques.
    • Comme l’explique Jérôme Kullmann : « Le législateur considère que la personne qui cherche à assurer des grands risques détient les connaissances et l’expertise nécessaires pour décider, de son propre chef, de souscrire tel ou tel contrat d’assurance »[41].
    • Laurent Mayaux nuance cette approche en observant qu’« autant peut-on comprendre la dispense d’assistance du distributeur auprès de la grande entreprise, dans la mesure où elle dispose en interne des moyens de mobiliser à travers une direction des risques et assurances les compétences nécessaires »[42].Toutefois, il souligne que même ces entreprises « ne peuvent se mettre à la place de l’assureur dans l’appréciation du risque et du règlement de l’éventuel sinistre ».
    • Cette exclusion des grands risques peut donc paraître discutable s’agissant des entreprises qui, bien que dépassant les seuils quantitatifs, ne disposent pas nécessairement en interne des compétences techniques spécialisées pour apprécier tous les aspects de l’assurance, notamment les exclusions complexes ou les mécanismes de franchise sophistiqués.
  • Les traités de réassurance
    • Les traités de réassurance sont également exclus du champ du devoir de conseil.
    • Cette exclusion trouve sa justification dans la nature même de ces opérations, comme l’explique Daniel Langé : la réassurance est négociée «entre deux parties professionnelles de l’assurance entre lesquelles on postule l’égalité de compétence pour aborder la négociation du traité ».
    • Hubert Groutel précise que «cette exclusion se comprend aisément dans la mesure où la réassurance met en relation des professionnels de l’assurance disposant, par hypothèse, des mêmes compétences techniques»[43].
    • L’asymétrie informationnelle qui justifie le devoir de conseil dans les relations entre professionnels et consommateurs disparaît dans ce contexte.

==>Les exclusions liées au statut de l’intermédiaire

  • Les intermédiaires à titre accessoire
    • L’article L. 513-1 du Code des assurances prévoit un régime dérogatoire pour certains intermédiaires à titre accessoire.
    • Ces intermédiaires, « qui, comme l’indique leur dénomination, bénéficient de dérogations aux exigences s’imposant aux autres intermédiaires à raison de la simplicité des produits d’assurance qu’ils distribuent »[44], échappent partiellement aux obligations de conseil.
    • Cette dérogation concerne notamment la distribution d’assurances dites «affinitaires», caractérisées par leur simplicité et leur standardisation.
    • Comme le note Philippe Maystadt, « ces produits, souvent liés à l’achat d’un bien ou d’un service principal, présentent des caractéristiques suffisamment simples pour ne pas justifier un conseil approfondi »[45].
    • Toutefois, cette dérogation ne doit pas compromettre la protection des consommateurs.
    • L’article L. 513-2 du Code des assurances prévoit que c’est à l’entreprise ou à l’intermédiaire d’assurance qui distribuent via l’intermédiaire à titre accessoire de faire en sorte que des “dispositions appropriées et proportionnées” soient prises pour assurer le respect des dispositions relatives aux règles de conduite.
  • Les courtiers grossistes
    • Les courtiers grossistes occupent une position singulière dans l’organisation du marché de l’assurance.
    • Contrairement aux courtiers dits traditionnels ou « détaillants », ils interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits, en négociant les conditions de couverture avec les assureurs, ou encore en structurant l’offre assurantielle destinée à être diffusée par un réseau d’apporteurs ou de courtiers distributeurs.
    • Comme l’explique Jean Bigot, « les courtiers grossistes interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits ou en négociant des conditions avec les assureurs, mais sans contact avec l’assuré final »[46].
    • Leur rôle est ainsi souvent double : ils peuvent être distributeurs de produits d’assurance, tout en exerçant, dans certains cas, une fonction de délégataire de gestion pour le compte d’un assureur.
      • La fonction de distributeur auprès d’un réseau d’intermédiaires
        • Lorsqu’ils interviennent en qualité de distributeurs, les courtiers grossistes conçoivent des produits qu’ils mettent à disposition de courtiers détaillants, chargés de les proposer aux clients finaux.
        • Dans ce schéma, le courtier grossiste ne contracte pas avec le candidat à l’assurance et ne participe pas à l’acte de distribution final.
        • C’est le courtier détaillant – titulaire d’un mandat de placement de risques conféré par l’assuré – qui exerce l’intermédiation de proximité et recueille les besoins du client.
        • Il en découle que le devoir de conseil repose exclusivement sur ce dernier, seul en mesure d’évaluer les attentes du souscripteur, de l’interroger, de le mettre en garde, et de lui recommander un contrat adéquat.
        • Le courtier grossiste, en revanche, n’entretient aucun lien contractuel ni relation commerciale avec le preneur d’assurance.
        • Mieux encore, il n’est pas autorisé à en avoir, car le client appartient exclusivement au courtier distributeur.
        • Toute ingérence du courtier grossiste dans cette relation pourrait être qualifiée de détournement de clientèle, et engager sa responsabilité délictuelle.
        • Dans ces conditions, il serait juridiquement incohérent de lui imposer un devoir de conseil qu’il n’a ni les moyens ni le droit d’exercer.
      • La fonction de délégataire de gestion pour le compte de l’assureur
        • Par ailleurs, certains courtiers grossistes assument, en parallèle de leur activité de distribution, une mission de gestion administrative pour le compte de l’assureur, dans le cadre d’une délégation de gestion.
        • Ils interviennent alors en exécution du contrat d’assurance, souvent après la souscription, et accomplissent des actes tels que l’émission des pièces contractuelles, la gestion des sinistres ou le recouvrement des primes.
        • Dans ce cadre, le courtier grossiste agit au nom et pour le compte de l’assureur.
        • Il n’est plus un distributeur, mais un gestionnaire délégué, placé sous l’autorité juridique du porteur de risque.
        • Même lorsque cette mission de gestion implique un contact direct avec l’assuré (par exemple lors du traitement d’un sinistre ou de l’émission d’un certificat), aucun devoir de conseil autonome ne peut naître à sa charge, car il n’accomplit pas d’acte de distribution.
        • Le cas échéant, s’il devait exister une obligation de conseil dans le cadre de la gestion, celle-ci ne pourrait être imputée qu’à l’assureur, débiteur naturel du devoir, et non au délégataire, qui n’intervient que par représentation.
    • La question de savoir si un courtier grossiste peut être tenu au devoir de conseil à l’égard de l’assuré final a été expressément tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 23 mars 2017 (Cass. 2e civ., 23 mars 2017, n° 16-15.090).
    • En l’espèce, une assurée reprochait à la société April, intervenant en qualité de courtier grossiste, un manquement à son devoir de conseil lors de l’adhésion à un contrat d’assurance de groupe emprunteur, souscrit par l’intermédiaire d’une association.
    • La société April agissait exclusivement dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur, la société Axeria Prévoyance.
    • Elle n’avait ni commercialisé le contrat, ni participé à son élaboration.
    • La Cour de cassation rejette le pourvoi et affirme que « la société April, intervenue dans la seule gestion administrative du contrat d’assurance sur délégation de l’assureur, n’avait ni proposé le contrat d’assurance ni participé à l’élaboration de la proposition d’assurance, de sorte qu’elle n’était débitrice à l’égard de l’assurée d’aucune obligation d’information et de conseil. »
    • Par cette décision, la Haute juridiction délimite avec précision le périmètre d’application du devoir de conseil, en opérant une distinction fonctionnelle entre deux types d’activités exercées par les courtiers grossistes : d’une part, les fonctions de distribution, qui impliquent un devoir de conseil, et d’autre part, les fonctions de gestion administrative, qui en sont exclues.
    • Elle affirme ainsi que le courtier grossiste n’engage pas sa responsabilité à ce titre lorsqu’il cumule les trois caractéristiques suivantes :
      • Absence d’intervention dans la conception ou la présentation du contrat d’assurance
        • Le devoir de conseil trouve son fondement dans l’acte de distribution au sens propre : il suppose que l’intermédiaire participe, directement ou indirectement, à la présentation, à la recommandation, ou à la mise en place d’un contrat d’assurance à destination d’un client déterminé.
        • Or, dans l’affaire jugée, la Cour de cassation relève que la société April n’a ni proposé le contrat, ni participé à l’élaboration de la proposition : le produit avait été conçu et présenté au client par un autre intermédiaire (le cabinet Michel Astre), seul en lien avec le souscripteur.
        • Ce premier critère exclut donc la qualification d’activité de distribution.
        • En l’absence d’une implication dans le processus de placement du risque, le courtier grossiste ne saurait être regardé comme débiteur d’un devoir de conseil.
      • Exercice d’une mission de gestion par délégation de l’assureur
        • La société April agissait dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur.
        • Elle se bornait à exécuter des tâches telles que la tenue des dossiers, la production des certificats d’adhésion ou la gestion des flux contractuels, sans initiative commerciale ou responsabilité dans la construction de l’offre.
        • Dans ce contexte, le courtier grossiste agit en représentation de l’assureur, dans un cadre strictement déterminé.
        • Il n’endosse pas le rôle de distributeur, mais celui de gestionnaire de prestations au nom du porteur de risque.
        • Toute obligation d’information ou de conseil qui pourrait être invoquée dans ce contexte relèverait de la seule responsabilité de l’assureur, le gestionnaire n’étant qu’un relais technique.
        • La Haute juridiction se fonde donc sur une analyse fonctionnelle du rôle du courtier : elle retient que l’absence d’autonomie dans la présentation du produit, jointe à la qualité de mandataire du gestionnaire, suffit à écarter toute obligation personnelle de conseil.
      • Absence de relation contractuelle directe avec le souscripteur
        • Enfin, la Cour de cassation insiste sur un troisième élément fondamental : l’inexistence de tout lien contractuel direct entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance.
        • Elle écarte expressément l’argument fondé sur l’existence d’échanges de courriers ou la remise de documents : ces simples démarches administratives ne suffisent pas à caractériser une relation juridique autonome de nature à faire naître des obligations propres au gestionnaire.
        • Cette précision est essentielle. Elle souligne que le devoir de conseil suppose une relation d’intermédiation individualisée : il implique que l’intermédiaire soit investi d’un mandat – explicite ou implicite – par le client, qu’il soit en situation de dialogue et de recueil d’informations, et qu’il puisse formuler une recommandation adaptée.
        • En l’absence de tout lien de droit entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance, aucune de ces conditions n’est remplie.
  • Les indicateurs
    • En droit de la distribution d’assurance, les indicateurs constituent une catégorie à part, expressément exclue du champ d’application du régime de l’intermédiation.
    • À la différence des courtiers, agents généraux ou mandataires, ces acteurs ne sont pas considérés comme des distributeurs au sens du Code des assurances, et n’assument donc aucune des obligations professionnelles attachées à cette qualité.
    • L’article R. 511-3, III du Code des assurances définit leur rôle restrictif : ils sont des « indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre ».
    • Autrement dit, l’indicateur se limite à une mise en relation ou à une simple recommandation de contact, sans participer à la présentation, à la proposition, ni à la conclusion d’un contrat d’assurance.
    • Il n’exerce aucun acte de distribution au sens de l’article L. 511-1, et ne réalise pas de travaux préparatoires à la souscription.
    • Cette qualification emporte des conséquences juridiques majeures : n’étant pas un distributeur, l’indicateur est exclu du champ d’application de l’article L. 521-4, et ne peut être tenu au devoir de conseil à l’égard du candidat à l’assurance.
      • Fondement de l’exclusion: la nature restrictive de l’activité d’indication
        • Le Code des assurance distingue expressément certaines activités accessoires qui, bien qu’elles puissent participer indirectement à la mise en place de contrats, échappent à la qualification d’intermédiation.
        • Tel est le cas des indicateurs d’affaires, qui bénéficient d’un statut dérogatoire précisément défini par les textes.
        • L’article L. 511-1, II du Code des assurances, dans la liste de ses exclusions, précise que « ne sont pas considérées comme de la distribution d’assurances des activités s’apparentant à de l’indication d’affaires ».
        • Cette disposition est éclairée par l’article R. 511-3, III, qui encadre strictement les contours de cette fonction : « La présente section ne fait pas obstacle à la rétrocession d’une commission d’apport aux indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre. »
        • Trois éléments caractérisent donc le périmètre limité de l’activité d’indication :
          • une simple mise en relation entre un assuré potentiel et un professionnel habilité (assureur ou intermédiaire),
          • un signalement passif ne s’accompagnant d’aucune présentation des garanties,
          • et, éventuellement, la perception d’une commission d’apport, à condition qu’elle ne rémunère pas une prestation assimilable à un acte de distribution.
        • L’utilisation du verbe « se borne » dans le texte réglementaire souligne le caractère strictement délimité de cette activité : l’indicateur ne participe ni à l’élaboration ni à la présentation de l’offre, et n’intervient pas dans la conclusion du contrat.
        • Il n’a, en réalité, aucune légitimité à influencer le consentement du souscripteur, ce qui justifie son exclusion du régime de la distribution d’assurance.
        • Les textes vont plus loin en énonçant négativement les actes interdits à l’indicateur. Il lui est notamment interdit :
          • de présenter les garanties d’un contrat d’assurance ;
          • de recueillir les informations nécessaires à l’établissement d’un devis ;
          • ou encore d’exposer oralement ou par écrit les conditions de garantie, telles que définies à l’article R. 511-1, alinéa 1er.
        • Dès lors que l’indicateur franchit l’une de ces limites, il cesse de bénéficier de l’exclusion et devient un intermédiaire au sens plein, devant satisfaire aux obligations afférentes: immatriculation à l’ORIAS, conditions de capacité, assurance RC professionnelle, devoir de conseil, etc.
        • La doctrine a souligné avec justesse que cette frontière est historiquement liée à l’évolution du droit de l’intermédiation.
        • Comme l’ont observé certains auteurs, « le problème vient de l’évolution de la définition de l’intermédiaire lui-même », qui, depuis la réforme de 2005, repose sur la qualité de professionnel impliqué dans le processus contractuel, et non plus uniquement sur l’acte de présentation formelle du contrat.
      • Les conséquences de l’exclusion sur le devoir de conseil
        • L’exclusion des indicateurs d’affaires du champ de l’article L. 511-1 du Code des assurances implique, par cohérence, leur exonération du devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4.
        • Cette exemption n’est pas circonstancielle mais structurelle : l’indicateur n’est pas un distributeur, et ne peut donc être assujetti à des obligations qui ne concernent que les acteurs de la distribution.
        • Elle se justifie également par l’impossibilité matérielle pour l’indicateur d’exercer un conseil pertinent.
        • En effet, il ne peut :
          • ni présenter les garanties du contrat ;
          • ni interroger l’assuré sur ses besoins ou objectifs ;
          • ni analyser la situation assurantielle ou proposer des solutions adaptées.
        • Or, le devoir de conseil suppose précisément ces facultés : recueillir les exigences et besoins, formuler une recommandation motivée, éclairer la décision du souscripteur.
        • L’indicateur, par définition, n’en a ni la compétence ni le droit, ce qui rend toute obligation de conseil juridiquement inopérante à son égard.
        • Pour autant, la frontière entre l’indication d’affaires et la distribution peut s’avérer difficile à respecter en pratique.
        • Comme le relève pertinemment la doctrine, « pour signaler un assuré à un assureur, et pour en retirer une commission d’apport au sens de l’article R. 511-3, encore faut-il au minimum que l’indicateur d’assurance se soit renseigné préalablement sur la possibilité pour l’assureur signalé de répondre aux besoins du futur assuré ».
        • Cette observation met en lumière une tension structurelle : l’efficacité commerciale de l’indication suppose un minimum d’information sur les profils des clients et les offres disponibles, mais ce recueil d’informations, dès lors qu’il devient substantiel ou oriente une décision, peut franchir le seuil de l’intermédiation.
        • Dès que l’indicateur commence à adapter ses signalements en fonction des besoins du client ou à orienter celui-ci vers un contrat particulier, il bascule dans une activité de conseil, qui requiert un statut d’intermédiaire et l’assujettissement aux règles professionnelles de la distribution.
        • A cet égard, un défaut d’habilitation d’un intermédiaire est assorti de sanctions pénales au sens de l’article L. 514-1 (deux ans d’emprisonnement et/ou une amende de 6 000 €).
        • Sans compter les risques relatifs à la déclaration mensongère au sens de l’article L. 310-28 du Code des assurances.
        • Au civil, les conséquences sont tout aussi lourdes : si l’apporteur est requalifié en intermédiaire, il supportera pleinement le devoir de conseil dû à l’assuré, et les risques de responsabilité afférents, sans assurance pour le protéger.
        • Cette perspective explique l’importance cruciale du respect strict des limites de l’activité d’indication.
    • L’une des clés de distinction entre l’intermédiaire d’assurance et l’indicateur réside dans l’absence totale d’assistance.
    • Cette approche a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 mars 1996 qui considérait qu’un franchisé n’était pas un intermédiaire dès lors qu’il n’avait pas « assisté les clients dans la recherche et la prise de garantie ».
    • Le critère opérant semble donc résider dans l’abstention de toute forme d’assistance dans la conclusion du contrat, l’indicateur devant se cantonner «strictement à la seule mise en relation, sans fournir, d’une quelconque façon, une assistance à la mise en place de la police ».

==>Les exclusions liées aux circonstances

Le devoir de conseil, bien qu’étant une obligation du distributeur d’assurance, connaît certains aménagements dans ses modalités d’exécution ou peut être suspendu dans des circonstances particulières. Ces situations, loin de remettre en cause le principe même de l’obligation de conseil, témoignent de la nécessaire adaptation du droit aux réalités pratiques de la distribution d’assurance.

  • La commercialisation à distance d’urgence
    • Dans certaines situations d’urgence, notamment lors de la commercialisation à distance, les informations précontractuelles peuvent être fournies après la conclusion du contrat.
    • L’article R. 521-2, II du Code des assurances prévoit expressément que «lorsque le contrat a été conclu à la demande du souscripteur utilisant un moyen technique à distance ne permettant pas la transmission des informations sur support papier ou sur un autre support durable, le distributeur met les informations à disposition immédiatement après la conclusion du contrat ».
    • Cette dérogation ne supprime nullement l’obligation mais en aménage les modalités d’exécution pour tenir compte des contraintes techniques inhérentes aux nouveaux modes de communication.
    • Elle s’inscrit dans une logique pragmatique qui reconnaît que l’urgence d’une couverture d’assurance peut justifier une inversion de l’ordre chronologique habituel entre information et souscription.
    • Plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies pour que cette dérogation trouve à s’appliquer :
      • La souscription doit résulter d’une demande expresse du souscripteur, excluant ainsi toute initiative du distributeur
      • L’utilisation d’un moyen technique à distance doit être établie
      • Cette technique doit ne pas permettre la transmission des informations sur support papier ou durable au moment de la souscription
      • Les informations doivent être mises à disposition immédiatement après la conclusion du contrat
    • Cette exception ne concerne que les modalités de transmission des informations et non leur contenu.
    • Le distributeur demeure tenu de fournir l’intégralité des informations précontractuelles requises, y compris le conseil adapté aux besoins du souscripteur.
    • Comme le précise le document joint, “l’intermédiaire n’est pas exonéré de ses obligations d’information, lesquelles sont simplement décalées dans le temps“.
  • Le refus du souscripteur
    • Depuis la loi relative à l’industrie verte du 23 octobre 2023, qui a instauré un devoir de conseil dans la durée, le législateur a dû prendre en compte la possibilité pour le souscripteur de refuser l’actualisation de son conseil. L’article A. 522-2, I, 3° du Code des assurances prévoit désormais que «l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation n’est pas tenu de procéder à l’actualisation des informations du souscripteur ou de l’adhérent comme mentionné au 2° du III de l’article L. 522-5 si le souscripteur ou l’adhérent oppose un refus ou n’a pas donné suite à la demande d’actualisation adressée sur tout support durable par l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation, après une relance effectuée sur tout support durable au sens de l’article L. 111-9 du présent code».
    • Cette disposition s’inscrit dans le cadre plus large de l’obligation de réactualisation du conseil prévue à l’article L. 522-5, III du Code des assurances.
    • Le distributeur doit procéder à une actualisation des informations lorsque :
      • Il est informé d’un changement dans la situation du souscripteur
      • Le contrat n’a fait l’objet d’aucune opération pendant 4 ans (ou 2 ans en cas de service de recommandation personnalisée)
      • Une opération susceptible d’affecter significativement le contrat est envisagée
    • Cependant, cette obligation cède devant la volonté expresse du souscripteur.
    • Le texte prévoit même une procédure : le distributeur doit adresser une demande d’actualisation “sur tout support durable” et, en cas de silence du souscripteur, effectuer une relance avant de pouvoir considérer que l’obligation ne s’applique plus.
    • Cette disposition reconnaît l’autonomie du souscripteur tout en préservant les intérêts légitimes du distributeur.
    • Elle évite que ce dernier ne soit indéfiniment tenu d’une obligation de conseil actualisé face à un souscripteur qui refuse de coopérer ou qui, en toute connaissance de cause, souhaite maintenir son contrat en l’état.
    • Le législateur a ainsi trouvé un équilibre délicat entre deux impératifs : d’une part, la protection du souscripteur par un conseil adapté et actualisé ; d’autre part, le respect de sa liberté contractuelle et de son droit à refuser cette protection s’il l’estime superflue.
    • Lorsque le souscripteur oppose un refus ou ne donne pas suite à la demande d’actualisation, “la durée de 4 ans ou de 2 ans mentionnée ci-avant est appliquée de nouveau à compter de ce refus ou de la relance”.
    • Cette solution assure une forme de “remise à zéro” du compteur, permettant au distributeur de reproposer ultérieurement une actualisation sans être indéfiniment lié par un refus ancien.

2. Le créancier du devoir de conseil

i. Règles générales

Le créancier du devoir de conseil est, par principe, le « souscripteur éventuel » ou « l’adhérent éventuel », selon la terminologie constante des articles L. 521-4 et L. 522-5 du Code des assurances. Cette formulation met l’accent sur le caractère précontractuel de l’obligation, conformément à l’économie générale de la directive du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances.

L’emploi du terme « éventuel » traduit la finalité préventive du dispositif : il s’agit d’éclairer la décision contractuelle avant qu’elle ne soit définitivement arrêtée. Cette approche s’inscrit dans la logique consumériste qui sous-tend la réglementation européenne, visant à permettre au consommateur de « prendre une décision en connaissance de cause ».

La distinction opérée par le législateur entre « souscripteur » et « adhérent » reflète la diversité des schémas contractuels en assurance. Le souscripteur désigne celui qui contracte directement avec l’assureur dans le cadre d’une assurance individuelle, tandis que l’adhérent vise celui qui rejoint un contrat de groupe préalablement souscrit par une personne morale ou un chef d’entreprise, conformément à la définition de l’article L. 141-1 du Code des assurances³.

ii. Les situations particulières

==>L’assurance de groupe

  • Le souscripteur du contrat groupe
    • En matière d’assurance de groupe, l’analyse du devoir de conseil se heurte à une complexité supplémentaire, liée à la structure duale du mécanisme contractuel. En effet, ce type d’assurance repose sur deux niveaux de relation juridique distincts mais articulés :
      • d’une part, un contrat d’assurance collectif conclu entre un souscripteur (généralement une personne morale, une entreprise ou une association) et l’assureur ;
      • d’autre part, des adhésions individuelles au contrat-cadre de la part des membres du groupe concerné (salariés, adhérents, emprunteurs, etc.), qui bénéficient des garanties prévues par le contrat collectif.
    • Cette dualité contractuelle engendre une dissociation entre celui qui négocie et souscrit le contrat (le souscripteur) et ceux qui en bénéficient (les adhérents), ce qui redéfinit en profondeur le périmètre et les modalités du devoir de conseil.
    • Dans ce contexte, le souscripteur – personne morale ou employeur – est seul en relation directe avec le distributeur, et peut légitimement exiger de ce dernier les informations et recommandations nécessaires avant la conclusion du contrat collectif.
    • Il lui revient en effet d’apprécier l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe qu’il entend couvrir, ce qui suppose une analyse approfondie des risques collectifs, du profil des adhérents potentiels, ainsi que des garanties et exclusions contenues dans le contrat proposé.
    • Le souscripteur occupe ainsi une position particulière : intermédiaire entre l’assureur et les bénéficiaires potentiels, il porte la responsabilité de choisir une offre adaptée aux intérêts de la collectivité.
    • Cette responsabilité implique, en contrepartie, que le distributeur lui délivre un conseil éclairé et personnalisé, portant non pas sur des besoins individuels, mais sur les caractéristiques générales du groupe à assurer.
  • Les adhérents individuels : créanciers de second rang
    • Les adhérents au contrat collectif ne sont pas parties à la négociation initiale, mais ils deviennent bénéficiaires des garanties dès leur adhésion individuelle au dispositif.
    • À ce titre, ils peuvent également être considérés comme créanciers du devoir de conseil, mais dans une mesure différente de celle du souscripteur initial. Cette qualité de créancier de second rang découle de leur besoin légitime d’être informés et conseillés sur les conditions de leur adhésion :
      • pour en comprendre la portée,
      • pour évaluer son intérêt au regard de leur situation personnelle,
      • et pour pouvoir prendre une décision éclairée, notamment lorsque l’adhésion est facultative, comme en matière d’assurance emprunteur ou de prévoyance individuelle.
    • Contrairement à la tendance générale en matière de contrats d’assurance individuels, la reconnaissance d’un devoir de conseil au profit des adhérents d’un contrat d’assurance de groupe ne constitue pas un principe général.
    • Elle demeure strictement circonscrite à certaines hypothèses, dans lesquelles un professionnel assume expressément un rôle de distributeur vis-à-vis des adhérents individuels.
    • A cet égard, La jurisprudence de la Cour de cassation a reconnu de manière nette la qualité de créancier du conseil à certains adhérents, notamment les emprunteurs adhérant à une assurance de groupe souscrite par leur banque.
    • L’arrêt de principe rendu par la chambre commerciale le 18 avril 2019 affirme que « l‘obligation d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur […] incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance »[47].
    • Cette solution ne repose pas sur une reconnaissance abstraite et générale de la qualité de créancier des adhérents, mais sur une qualification fonctionnelle du souscripteur-emprunteur comme distributeur effectif de l’assurance.
    • C’est en raison de ce rôle actif dans la commercialisation du produit que la banque est tenue d’un devoir de conseil à l’égard de l’adhérent.
    • L’article L. 141-4 du Code des assurances impose au souscripteur de remettre à chaque adhérent une notice d’information, décrivant notamment les garanties offertes et les modalités de mise en œuvre du contrat.
    • Cette obligation traduit un droit à l’information à la charge du souscripteur, mais ne fonde pas à elle seule un véritable devoir de conseil au sens de l’article L. 521-4.
    • Le devoir de conseil suppose en effet :
      • une relation directe entre un professionnel et l’adhérent ;
      • un recueil d’informations personnelles ;
      • une recommandation individualisée.
    • Or, dans la plupart des régimes collectifs, l’adhésion se fait sans contact personnalisé avec un distributeur, par simple acceptation des conditions du contrat-cadre.
    • En l’absence de ce lien personnel, l’adhérent n’est pas considéré comme créancier du conseil, sauf circonstances particulières.
    • La reconnaissance de la qualité de créancier du conseil pour l’adhérent dépend donc étroitement des modalités de son adhésion :
      • En cas d’adhésion facultative (assurance emprunteur, prévoyance complémentaire), l’adhérent dispose d’un pouvoir de choix. Il doit être en mesure de comparer les options disponibles et d’évaluer l’intérêt de son adhésion au regard de sa situation personnelle. Dans ce cas, si un professionnel agit comme distributeur à son égard, un devoir de conseil peut s’appliquer.
      • En cas d’adhésion obligatoire (ex. : assurance collective d’entreprise à caractère obligatoire), le besoin de conseil est atténué : l’adhérent n’a pas à choisir, il subit une affiliation imposée. Le droit à l’information subsiste, mais le devoir de conseil n’a pas lieu de s’exercer de la même manière.
    • Lorsque les conditions sont réunies, la situation conduit à une configuration à créanciers multiples du devoir de conseil :
      • Le souscripteur reste créancier du conseil vis-à-vis du distributeur pour ce qui concerne l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe ;
      • L’adhérent, quant à lui, peut devenir créancier d’un conseil individualisé dans la seule mesure où un professionnel assume un rôle actif de distribution à son égard.
    • C’est cette condition – l’existence d’un acte de distribution au profit de l’adhérent – qui fonde ou exclut l’application du devoir de conseil.
    • À défaut, aucun distributeur ne peut être tenu d’une obligation qu’il n’a pas eu l’occasion d’exercer.
    • La prudence de la jurisprudence et de la doctrine s’explique ainsi : la qualité de créancier du devoir de conseil n’est jamais présumée en matière d’assurance de groupe, mais doit être analysée au cas par cas, selon les circonstances concrètes de l’adhésion et l’identité du professionnel impliqué.

==>L’assurance pour compte

L’assurance pour compte constitue un mécanisme particulier où une personne souscrit une assurance non pas pour elle-même, mais pour le compte d’autrui, qu’il soit déterminé ou déterminable au moment du sinistre. Cette configuration soulève des questions spécifiques quant à l’identification des créanciers du devoir de conseil.

  • Principe
    • La jurisprudence admet désormais que le bénéficiaire de l’assurance pour compte peut se prévaloir d’un défaut de conseil, même en l’absence de lien contractuel direct avec l’assureur ou le distributeur. Cette solution s’écarte du principe traditionnel de l’effet relatif des contrats pour privilégier une approche fonctionnelle centrée sur la finalité protectrice de l’assurance.
    • Un arrêt de la première chambre civile du 18 janvier 2018 illustre cette évolution (Cass. 1re civ., 18 janv. 2018, n°16-29.062 et 17-10.189).
    • En l’espèce, une SCI, propriétaire de murs loués à un exploitant de discothèque, se trouvait dans une situation d’assurance pour compte particulièrement révélatrice.
    • La SCI, représentée par son gérant, louait des murs à un exploitant qui y exploitait une discothèque.
    • Par l’intermédiaire d’un cabinet de courtage en assurances, l’exploitant avait conclu « tant pour son propre compte que pour celui de la SCI, un contrat d’assurance », sur la base d’un questionnaire « renseigné et signé par lui ainsi que par [le gérant de la SCI] ».
    • Lors de la destruction de la discothèque par incendie, l’assureur a pu opposer à la SCI la faute intentionnelle de l’exploitant-souscripteur et refuser sa garantie.
    • La SCI et son gérant ont alors assigné l’assureur du courtier, estimant que ce dernier « avait engagé sa responsabilité pour ne pas les avoir utilement conseillés, ni correctement informés sur la nature, les spécificités et l’étendue de la police d’assurance souscrite pour le compte de la SCI ».
    • La cour d’appel avait initialement adopté une position restrictive, considérant que « le contrat d’assurance pour compte est une stipulation pour autrui et que, dès lors, seul le souscripteur, qui a contracté l’assurance par l’intermédiaire de son courtier, peut revendiquer de celui-ci le respect de son obligation de loyauté et d’information ».
    • Elle avait également retenu que « le seul fait que [le gérant de la SCI] ait pu suivre de près la négociation du contrat d’assurance en présence du préposé [du courtier] n’est pas de nature à lui conférer la qualité de futur souscripteur et de rendre le courtier débiteur d’obligations à son égard ou à l’égard de la société qu’il représentait ».
    • La Cour de cassation censure cette analyse au visa de l’article L. 520-1, II, du Code des assurances (devenu L. 521-4).
    • Elle reproche à la cour d’appel d’avoir retenu des « motifs impropres à établir» l’absence d’obligation du courtier.
    • La Haute juridiction considère qu’en l’espèce, lorsque le gérant de la SCI avait « conjointement avec [l’exploitant], consulté [le courtier], remplissant et signant avec lui le questionnaire qu’elle leur avait remis pour pouvoir évaluer le risque à assurer, et manifesté ainsi sa volonté de voir la SCI assurée en toute circonstance contre le risque incendie », la SCI avait acquis « la qualité de souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification emporte des conséquences importantes : le courtier était dès lors « tenu d’une obligation d’information sur les conséquences, pour l’assuré pour compte, des causes de non garantie opposables au souscripteur et d’une obligation de conseil relative à l’adaptation du contrat aux risques que la SCI entendait voir garantir ».
  • Fondement
    • Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence développée en matière d’action directe.
    • Comme l’a établi l’arrêt d’assemblée plénière du 6 octobre 2006, un tiers peut reprocher à un contractant l’inexécution de ses obligations contractuelles si cette inexécution lui cause un préjudice.
    • L’arrêt “Boot Shop” ou “Myr’ho” (Cass. Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255) pose le principe que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
    • Cette solution, initialement développée en matière de responsabilité délictuelle, trouve ici une application particulière.
    • L’assurance pour compte a précisément pour objet de protéger des personnes qui ne sont pas parties au contrat initial.
    • Il serait paradoxal que ces bénéficiaires, pour la protection desquels l’assurance a été souscrite, ne puissent invoquer les manquements du distributeur qui les privent d’une couverture adéquate.
    • Certains auteurs analysent cette situation à travers le prisme de la stipulation pour autrui.
    • Le souscripteur stipulerait le bénéfice du conseil au profit du bénéficiaire final, créant ainsi un lien juridique direct entre ce dernier et le distributeur.
  • Modalités d’application
    • Les conditions de mise en œuvre
      • Pour que le bénéficiaire puisse invoquer un défaut de conseil, plusieurs conditions doivent être réunies :
        • L’existence d’une assurance pour compte : Il faut établir que l’assurance a bien été souscrite dans l’intérêt d’autrui
        • Un préjudice direct : Le bénéficiaire doit démontrer qu’il subit personnellement un préjudice du fait du défaut de conseil
        • Un lien de causalité : Le préjudice doit résulter directement du manquement aux obligations de conseil
    • L’étendue du conseil dû
      • Le conseil dû au bénéficiaire porte principalement sur :
        • L’existence même de l’assurance et son périmètre de couverture
        • L’adéquation des garanties aux risques effectivement encourus par le bénéficiaire
        • Les modalités de mise en œuvre des garanties
        • Les exclusions susceptibles d’affecter la couverture
  • Portée
    • L’arrêt du 18 janvier 2018 introduit une notion nouvelle : celle de «souscripteur éventuel » en matière d’assurance pour compte.
    • Cette qualification ne procède pas d’un lien contractuel direct, mais de la participation effective du bénéficiaire au processus de souscription.
    • L’arrêt dégage plusieurs critères pour reconnaître cette qualité :
      • La consultation conjointe du distributeur par le souscripteur formel et le bénéficiaire
      • La participation active au processus d’évaluation du risque (remplissage et signature du questionnaire)
      • La manifestation de volonté de voir le bien assuré contre les risques identifiés
    • Une fois cette qualité reconnue, le distributeur assume deux obligations spécifiques vis-à-vis du bénéficiaire :
      • Une obligation d’information sur les conséquences des causes de non-garantie opposables au souscripteur formel
      • Une obligation de conseil sur l’adaptation du contrat aux risques que le bénéficiaire entend voir garantir
    • Aussi, la portée exacte de cette jurisprudence reste à préciser.
    • Tous les bénéficiaires d’assurance pour compte n’acquièrent pas automatiquement la qualité de « souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification semble subordonnée à une participation effective au processus de souscription.

iii. La modulation du conseil selon les compétences du créancier

==>Le principe de proportionnalité

  • L’adaptation du devoir aux capacités du créancier
    • Le devoir de conseil n’est pas figé : il s’adapte au profil du destinataire.
    • L’un de ses traits essentiels est sa modulation en fonction des compétences du créancier, selon une logique de proportionnalité qui irrigue aussi bien le droit de la consommation que celui des relations professionnelles.
    • La jurisprudence consacre expressément ce principe.
    • Dans un arrêt du 17 janvier 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation affirme que « l’étendue de l’obligation d’information et de conseil du courtier, dont la preuve du respect incombe à celui-ci, est ajustée selon les connaissances et les capacités du créancier » (Cass. 2e civ., 17 janv. 2019, n°17-31.408).
    • En l’espèce, une société exploitant un domaine viticole avait, avec l’aide d’un courtier, remplacé un contrat multirisque agricole par un contrat multirisque industriel. À la suite d’un sinistre, elle reprochait au courtier un défaut de conseil, en invoquant des lacunes de couverture par rapport à l’ancien contrat.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir écarté la responsabilité du courtier. Elle relève que le dirigeant :
      • s’était personnellement chargé de définir les montants à garantir ;
      • avait souscrit le contrat en connaissance de cause ;
      • et que les clauses litigieuses étaient suffisamment claires pour qu’un professionnel averti comprenne les différences de couverture.
    • En particulier, les juges avaient noté que les limitations de garantie étaient expressément stipulées, telles que la couverture des pertes plafonnée à 150 000 € ou l’indemnisation calculée sur la base du prix de revient.
    • Cet arrêt illustre parfaitement que l’implication du client dans la définition des garanties, jointe à la clarté des stipulations contractuelles, peut exonérer le courtier de sa responsabilité pour défaut de conseil lorsque le client est un professionnel expérimenté.
    • Cette solution jurisprudentielle permet de dégager plusieurs principes structurants :
      • L’évaluation concrète des compétences : Le juge doit apprécier, au cas par cas, si le souscripteur avait les capacités techniques ou juridiques de comprendre la portée du contrat.
      • La valorisation de l’implication personnelle : Lorsque le client s’implique directement dans la définition du contrat, son autonomie réduit d’autant le devoir d’assistance du professionnel.
      • La clarté des stipulations contractuelles : Un professionnel averti ne saurait invoquer un défaut de conseil sur des clauses claires, compréhensibles et librement négociées.
    • L’obligation de conseil demeure une obligation de moyens renforcée, exigeant une démarche proactive du professionnel.
    • Toutefois, cette obligation n’implique pas un devoir de vigilance uniforme et maximal dans tous les cas.
    • Le droit impose une juste proportion entre l’intensité du devoir et le degré de compétence du cocontractant.
    • Cette modulation permet de concilier deux exigences :
      • la protection des souscripteurs profanes, en leur garantissant un accompagnement adapté à leur niveau de compréhension ;
      • et la responsabilisation des professionnels avertis, qui ne peuvent se défausser de leur autonomie décisionnelle en invoquant systématiquement un défaut de conseil.
  • Les critères d’appréciation de la compétence
    • La détermination du niveau de compétence du créancier s’effectue selon plusieurs paramètres.
    • L’expérience professionnelle constitue un critère déterminant, comme l’illustre un arrêt de la première chambre civile du 9 juillet 1991 (Cass. 1re civ., 28 oct. 1991, n° 90-15.029).
    • En l’espèce, un artisan-couvreur reprochait à son assureur et à l’agent général un manquement au devoir de conseil, soutenant qu’ils auraient dû «l’éclairer sur l’érosion de sa garantie au fil de dix années d’assurances» et lui «conseiller une révision du taux de garantie».
    • L’artisan estimait que l’agent général avait « manqué à son devoir de renseignement et de conseil » en ne l’alertant pas sur l’insuffisance progressive de sa couverture due à l’inflation.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir relevé qu’« en sa qualité d’artisan [l’assuré] était à même d’apprécier l’évolution des prix consécutive à l’érosion monétaire et de veiller à faire modifier, en conséquence, ses polices d’assurance ».
    • La Haute juridiction valide la déduction selon laquelle « en l’espèce l’agent n’était pas tenu à un devoir de renseignement et de conseil particulier sur ce point ».
    • Cette solution illustre parfaitement la prise en compte de l’expérience professionnelle dans l’appréciation des compétences du créancier.
    • L’artisan, par sa pratique quotidienne et sa connaissance du marché de la construction, était présumé capable d’appréhender les effets de l’inflation sur la valeur de ses biens et activités.
    • Cette expertise professionnelle justifie l’allègement correspondant du devoir de conseil de l’intermédiaire.
    • La formation et le parcours professionnel sont également pris en considération dans l’évaluation des compétences du créancier.
    • Ainsi, une cour d’appel a pu débouter un souscripteur « diplômé de l’École normale, de l’institut d’études politiques et de l’ENA » de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de conseil, considérant que son niveau de formation lui permettait d’appréhender les enjeux du contrat d’assurance-vie litigieux[48].
    • Cette approche différenciée témoigne de la volonté jurisprudentielle d’adapter l’intensité du devoir de conseil aux capacités réelles du créancier, évitant ainsi une infantilisation excessive des professionnels et des personnes disposant d’une formation ou d’une expérience particulière.

==>La typologie des créanciers selon leurs compétences

  • Les consommateurs profanes
    • Les particuliers dépourvus d’expérience en matière d’assurance constituent la catégorie de créanciers bénéficiant de la protection la plus étendue.
    • Cette situation s’enracine dans le déséquilibre informationnel caractérisant la relation entre le professionnel de l’assurance et le consommateur.
    • L’arrêt fondateur de la première chambre civile du 10 novembre 1964 impose au courtier d’être « un guide sûr et expérimenté », formule qui a irrigué l’ensemble de la jurisprudence ultérieure (Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, n°62-13.411).
    • Cette exigence traduit la mission éducatrice dévolue aux professionnels de l’assurance vis-à-vis de leur clientèle non avertie.
  • Les consommateurs avertis
    • La pratique judiciaire a fait émerger une catégorie intermédiaire de consommateurs avertis, qui, sans être des professionnels de l’assurance, disposent d’une expérience ou de compétences particulières justifiant un allègement du devoir de conseil.
    • Un arrêt de la deuxième chambre civile du 22 janvier 2004 qualifie ainsi un souscripteur de contrat d’assurance-vie chef d’entreprise, par ailleurs gestionnaire avisé d’un compte d’épargne en actions (PEA) ayant choisi dans un but spéculatif d’investir ses actifs sur des unités de compte (Cass. 2e civ., 22 janv. 2004).
    • L’évaluation du caractère averti du consommateur s’effectue de manière casuistique.
    • La jurisprudence examine les circonstances concrètes révélatrices de l’expérience du souscripteur, notamment ses investissements antérieurs et sa familiarité avec les produits financiers.
  • Les professionnels avertis
    • Le devoir de conseil, s’il constitue en principe une obligation de vigilance renforcée à la charge du distributeur, n’est pas exercé avec la même intensité envers tous les souscripteurs.
    • La jurisprudence admet une modulation de son contenu en fonction des compétences professionnelles ou de l’expérience technique du créancier de l’obligation.
    • Cette modulation repose sur l’idée que certains professionnels disposent d’un niveau de connaissance suffisant pour appréhender les enjeux juridiques et économiques d’un contrat d’assurance, de sorte qu’un conseil personnalisé ou insistant serait redondant, voire inutile.
    • Deux arrêts de la deuxième chambre civile illustrent cette approche.
      • Le cas du mandataire judiciaire (Cass. 2e civ., 16 mai 2013, n° 12-19.119)
        • Dans cette affaire, la Cour de cassation rejette le pourvoi d’un professionnel qui reprochait à l’assureur de ne pas l’avoir informé de la brièveté du délai de prescription applicable à son action.
        • La Haute juridiction valide l’appréciation des juges du fond ayant retenu que le demandeur, en sa qualité de mandataire judiciaire, était présumé connaître la règle de droit invoquée.
        • Cette décision marque une ligne claire : lorsque le créancier est un professionnel du droit ou de la procédure, la jurisprudence ne fait pas peser sur l’assureur ou son intermédiaire une obligation d’alerte sur des éléments juridiques accessibles au professionnel concerné, dès lors qu’ils relèvent de sa sphère de compétence habituelle.
      • Le cas du professionnel de l’immobilier (Cass. 2e civ., 22 nov. 2018, n° 17-19.454)
        • Dans cette seconde espèce, un professionnel de l’immobilier, qui avait procédé de lui-même à une renégociation de ses garanties, reprochait à l’assureur de ne pas avoir proposé une couverture sur un bien spécifique ultérieurement sinistré.
        • La Cour de cassation rejette sa demande, en considérant qu’il avait sciemment exclu ledit bien du périmètre d’assurance et qu’en sa qualité de professionnel, il devait être en mesure d’apprécier les conséquences de ses propres choix contractuels.
        • Il en ressort que la responsabilité du professionnel averti est pleinement engagée lorsqu’il prend seul l’initiative de définir le périmètre des garanties, sans solliciter d’éclaircissements ou sans faire état d’une incertitude particulière.
    • Ces deux décisions permettent de dégager une grille d’analyse de l’intensité du devoir de conseil envers les professionnels avertis :
      • L’expérience technique ou juridique du souscripteur justifie une atténuation du devoir de conseil, en particulier lorsqu’il dispose, de par sa profession, d’une connaissance suffisante du domaine considéré.
      • L’autonomie décisionnelle du professionnel est prise en compte : lorsqu’il élabore seul le projet de couverture ou renégocie les garanties sans demande d’assistance, il est tenu pour pleinement informé.
      • La clarté des stipulations contractuelles joue un rôle déterminant : un professionnel ne peut invoquer un manquement au devoir de conseil s’il était à même de comprendre les termes du contrat, à défaut d’ambiguïté ou de complexité manifeste.
    • L’obligation de conseil n’est pas purement évincée à l’égard des professionnels avertis. Elle demeure, mais son contenu s’adapte à la qualité du souscripteur.
    • Ainsi, le distributeur n’est pas dispensé de toute vigilance, mais il n’est tenu de faire porter son conseil que sur les points objectivement ambigus ou manifestement omis, sans devoir alerter sur des évidences juridiques ou des conséquences manifestes pour un professionnel expérimenté.
    • Cette solution assure un équilibre entre protection du client et reconnaissance de sa compétence, en évitant une infantilisation du souscripteur averti tout en préservant l’exigence de rigueur à l’égard du distributeur.

 

  1. D. Langé, « Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005 », Mélanges Bigot, p. 259 ?
  2. J. Bigot, « L’obligation de conseil des intermédiaires », RGDA 2018, p. 445 ?
  3. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  4. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  5. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil (à propos du conseil en investissement assurantiel) », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  6. A. Pélissier, « Devoir de conseil de l’assureur et de la banque », RGDA 2019, n° 1169, p. 7 ?
  7. I. Monin-Lafin, « Le nouveau régime du conseil en assurance », Trib. ass. 2018, p. 45 ?
  8. J. Kullmann, « L’interprétation systémique en droit des assurances », RGDA 2019, p. 234 ?
  9. J. Bigot, « Les niveaux de conseil : clarification ou complexification ? », RGDA 2018, p. 445 ?
  10. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  11. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  12. D. Langé, « La gradation des obligations de conseil », RGDA 2019, p. 156 ?
  13. P. Mayaux, « L’économie du conseil en assurance », Rev. dr. bancaire et fin. 2019, p. 23 ?
  14. H. Groutel, “Le devoir de conseil en assurance”, Risques 1990, n° 2, p. 89 ?
  15. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018 ?
  16. D. Lange, “Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005”, Mélanges Bigot, p. 259. ?
  17. Y. Lequette, “L’obligation de renseignement et le droit commun du contrat”, in L’information en droit privé, LGDJ, 1978, p. 305 ?
  18. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. ?
  19. Voir notamment A. Couret, H. Le Nabasque, “Valeurs mobilières”, Dalloz Action, 2020, n° 12.45 ?
  20. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, “Droit des sociétés”, Litec, 31e éd., 2018, n° 452 ?
  21. Art. L. 111-1 du Code de la consommation ?
  22. H. Groutel, “L’évolution du devoir de conseil en assurance”, RCA 2019, étude 4 ?
  23. N. Reich, “Protection of Consumers’ Economic Interests by the EC”, Sydney Law Review, 1992, vol. 14, p. 23 ?
  24. Directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, considérant 31 ?
  25. Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, RGAT 1965, p. 175, note A. Besson ?
  26. J. Lasserre Capdeville, “Le conseil en investissement”, Rev. dr. bancaire et fin. 2018, dossier 15 ?
  27. Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers ?
  28. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018, p. 12 ?
  29. Ph. Storck, “La transformation de l’intermédiation financière”, Rev. économie financière 2017, n° 127, p. 45 ?
  30. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008 ?
  31. Malaurie Ph., Aynès L., Stoffel-Munck Ph., Droit des obligations, LGDJ ?
  32. J. Bigot, « Missions non traditionnelles : la responsabilité professionnelle du producteur d’assurances », L’Assureur Conseil, oct. 1987, p. 3 ?
  33. Cass. 1?? civ., 6 nov. 1984, RGAT 1985, p. 313 ?
  34. H. Groutel, « Le devoir de conseil en assurance », Risques 1990, n° 2, p. 89. ?
  35. Cass. 1?? civ., 10 nov. 1964, JCP G 1965, II, 13981, note PP ?
  36. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  37. J.-C. Heydel, « L’agent général d’assurance », LGDJ, 2019, n° 156 ?
  38. Cass. 1?? civ., 28 oct. 1986, RGAT 1986, p. 610 ?
  39. L. Mayaux, Les assurances de personnes, Traité, t. IV, n° 835 ?
  40. D. Lange, « Les limites du devoir de conseil », RGDA 2019, p. 456 ?
  41. J. Kullmann, Le contrat d’assurance, Traité, t. 3, n° 1262 ?
  42. L. Mayaux, « Les grands risques et la protection du consommateur », RGDA 2018, p. 234 ?
  43. H. Groutel, « L’exclusion des grands risques », RCA 2019, comm. 156 ?
  44. J. Bigot, D. Langé, J. Moreau et J.-L. Respaud, La distribution d’assurance, éd. LGDJ, 2020, n°1257. ?
  45. P. Maystadt, « Les assurances affinitaires », Argus, 2020, p. 45 ?
  46. J. Bigot, « Les courtiers grossistes », in Traité de droit des assurances, t. 6, n° 234 ?
  47. Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11108 ?
  48. CA Lyon, 18 févr. 2003, RGDA 2003, p. 371, obs. J. Kullmann ?
  49. Cass. 1re civ., 31 mars 1981, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 1982, IR, p. 97, note Berr et Groutel. ?

Les caractères du cautionnement: accessoire, consensuel et unilatéral

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs du cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

Nous nous focaliserons ici sur les caractères de l’opération.

I) Le caractère accessoire du cautionnement

A) Signification du caractère accessoire

Il est de l’essence du cautionnement de présenter un caractère accessoire, en ce sens qu’il est affecté au service de l’obligation principale qu’il garantit.

Par accessoire, il faut comprendre, autrement dit, que le cautionnement suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle il se rattache.

Ainsi que le relève Philippe Simler « le cautionnement est à tous égards directement et étroitement dépendant de cette obligation : son existence et sa validité, son étendue, les conditions de son exécution et de son extinction sont déterminées par ce lien »[5].

La raison en est que l’engagement de la caution se rapporte à la même dette qui pèse sur la tête du débiteur. On dit qu’il y a « unicité de la dette », ce qui est confirmé par l’article 2288 qui prévoit que « la caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur »[6].

Il en résulte que tout ce qui est susceptible d’affecter la dette cautionnée a vocation à se répercuter sur l’obligation de la caution.

À l’analyse, le caractère accessoire du cautionnement n’est affirmé expressément par aucun texte. La réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a pas procédé au comblement de ce vide que la doctrine appelait pourtant de ses vœux.

L’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant proposait ainsi d’introduire un article 2286-2 du Code civil qui aurait posé un principe général, applicable à toutes les sûretés, selon lequel « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie ».

Cette proposition n’a finalement pas été retenue, le législateur estimant que le caractère accessoire du cautionnement se dégageait suffisamment clairement d’un certain nombre de dispositions du Code civil.

Il est, en effet, plusieurs textes qui expriment la dépendance de l’engagement de la caution par rapport à l’obligation principale. Les manifestations du caractère accessoire du cautionnement sont multiples.

B) Les manifestations du caractère accessoire

Le caractère accessoire reconnu au cautionnement se dégage donc de plusieurs règles :

1. L’existence du cautionnement

L’article 2293 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable ».

Il ressort de cette disposition que l’existence même du cautionnement dépend de la validité de l’obligation principale.

Autrement dit, la nullité ou l’inexistence de cette obligation a pour effet de rendre caduc le cautionnement.

À cet égard, il peut être observé que cette exigence ne fait pas obstacle au cautionnement d’une dette future, pourvu que cette dette soit déterminable et qu’elle ne soit pas frappée d’inexistence le jour où la caution est appelée en garantie (art. 2292, al. 1er C. civ.).

2. L’étendue du cautionnement

L’article 2296 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il s’infère de cette règle que la caution ne saurait être engagée, ni au-delà du montant de l’obligation principale, ni en des termes plus rigoureux.

La dette cautionnée constitue ainsi le plafond du cautionnement ; la caution ne doit jamais payer plus que ce qui est dû par le débiteur principal.

Rien n’interdit néanmoins, comme énoncé par le second alinéa de l’article 2296 qu’il soit « contracté pour une partie de la dette seulement et sous des conditions moins onéreuses ».

3. L’opposabilité des exceptions

==> Principe

L’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293. »

Par exception, il faut entendre tout moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité (causes de nullité, prescription, inexécution, cause d’extinction de la créance etc…).

Le principe d’opposabilité des exceptions puise directement son fondement dans le caractère accessoire du cautionnement.

Parce que la caution ne peut être tenue à plus que ce qui est du par le débiteur principal, elle doit être en mesure d’opposer au créancier tous les moyens que pourrait lui opposer le débiteur principal afin de se décharger de son obligation, à tout le moins de la limiter.

Il ne faudrait pas, en effet, que le débiteur principal puisse se libérer de son obligation, tandis que la caution serait contrainte, faute de pouvoir opposer les mêmes moyens de défense que le débiteur au créancier, de le payer.

Ne pas reconnaître à la caution cette faculté, l’exposerait donc à être plus rigoureusement tenue que le débiteur principal.

Or cette situation serait contraire au principe de limitation de l’étendue de l’engagement de caution à celle de l’obligation principale.

D’où le principe d’opposabilité des exceptions institué en matière de cautionnement ; il en est d’ailleurs l’un des principaux marqueurs.

À cet égard, il peut être observé que la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne s’est pas limitée à réaffirmer ce principe, elle en a renforcé la portée.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

En substance :

  • Les exceptions inhérentes à la dette sont celles qui affectent son existence, sa validité, son étendue ou encore ses modalités (prescription, nullité, novation, paiement, confusion, compensation, résolution, caducité etc.)
  • Les exceptions personnelles au débiteur sont celles qui affectent l’exercice du droit de poursuite des créanciers en cas de défaillance de celui-ci (incapacité du débiteur, délais de grâce, suspension des poursuites en cas de procédure collective etc.)

Seules les exceptions inhérentes à la dette étaient susceptibles d’être opposées par la caution au débiteur avant la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

Dans un premier temps, la jurisprudence a adopté une approche restrictive de la notion d’exception personnelle en ne retenant de façon constante comme exception inopposable au créancier que celles tirées de l’incapacité du débiteur.

Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en élargissant, de façon significative, le domaine des cas d’inopposabilité des exceptions.

Dans un arrêt du 8 juin 2007, la Cour de cassation a ainsi jugé que la caution « n’était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal et qui, destinée à protéger ce dernier, constituait une exception purement personnelle » (Cass. ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15.602).

Elle a, par suite, étendu cette solution à toutes les causes de nullité relative (V. en ce sens Cass. com., 13 oct. 2015, n° 14-19.734).

La première chambre civile est allée jusqu’à juger que la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution en ce qu’elle constituait « une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service » (Cass. 1ère civ. 11 déc. 2019, n°18-16.147).

En restreignant considérablement le domaine des exceptions inhérentes à la dette, il a été reproché à la haute juridiction de déconnecter l’engagement de la caution de l’obligation principale en ce qu’il est de nombreux cas où elle était devenue plus rigoureusement tenue que le débiteur lui-même.

Attentif aux critiques – nombreuses – émises par la doctrine et reprenant la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés, le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de mettre un terme à l’inflation des cas d’inopposabilité des exceptions.

Par souci de simplicité et de sécurité juridique, il a donc été décidé d’abolir la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

D’où la formulation du nouvel article 2298 du Code civil qui pose le principe selon lequel la caution peut opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient personnelles à ce dernier ou inhérentes à la dette.

En reconnaissant à la caution le bénéfice des mêmes moyens de défense que ceux dont jouit le débiteur principal, le législateur a ainsi redonné une place centrale au caractère accessoire du cautionnement.

==> Dérogations

Il est seulement deux cas où le principe d’opposabilité des exceptions est écarté :

  • Premier cas
    • L’article 2298 du Code civil prévoit que l’incapacité du débiteur ne peut jamais être opposée par la caution au créancier.
    • Cette règle, qui déroge au caractère accessoire du cautionnement, se justifie par le caractère purement personnel de l’exception au débiteur.
    • Surtout, elle vise à favoriser le crédit des incapables dont les engagements doivent pouvoir être aisément cautionnés.
    • Pour ce faire, il est nécessaire de garantir au créancier qu’il ne risque pas de se voir opposer par la caution l’incapacité de son débiteur
    • D’où la dérogation portée au principe d’opposabilité des exceptions pour les personnes incapables (mineurs ou majeurs).
  • Second cas
    • L’alinéa 2 de l’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire. »
    • Aussi par dérogation au principe d’opposabilité des exceptions, la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance (les délais de grâce d’origine légale ou judiciaire, suspension des poursuites dans le cadre d’une procédure collective etc.).
    • La raison en est que le cautionnement a précisément pour finalité de couvrir une telle défaillance.
    • L’ordonnance du 15 septembre 2015 est ici venue clarifier le principe qui était pour le moins obscur sous l’empire du droit antérieur.
    • Il est toutefois admis que le droit des procédures collectives ou le droit du surendettement puissent prévoir, dans certains cas, des solutions différentes en fonction des objectifs qui sont les leurs.
    • Tel sera notamment le cas en présence de cautions personnes physiques dirigeantes qui, par exemple, bénéficient de l’arrêt du cours des intérêts et peuvent se prévaloir de l’inopposabilité de la créance non déclarée.

4. La transmission du cautionnement

Parce que le cautionnement présente un caractère accessoire, il suit l’obligation principale.

Il en résulte que, en cas de cession de créance, le cessionnaire se verra également transférer le bénéfice du cautionnement contracté au profit du cédant.

L’article 1321 du Code civil prévoit en ce sens que la cession « s’étend aux accessoires de la créance ».

Par accessoires, il faut comprendre toutes les sûretés attachées à la créance cédée, ce qui inclut les sûretés personnelles et donc le cautionnement.

À cet égard, non seulement la cession de créance emporte transmission du cautionnement au cédant, mais encore, conformément à l’article 1326 du Code civil, elle met à la charge du cessionnaire une obligation de garantir l’existence des accessoires de la créance.

II) Le caractère consensuel  du cautionnement

I) Principe

Il est admis que, conformément au principe du consensualisme, le cautionnement appartient à la catégorie des contrats consensuels.

Pour mémoire le contrat consensuel est celui qui se « forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression ».

Il s’oppose au contrat solennel dont la validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi.

À cet égard, des auteurs soulignent que « quand la loi impose une exigence qui pourrait apparaître comme une condition de forme, elle doit être interprétée comme une règle de preuve afin de ne pas altérer le caractère consensuel du contrat »[7].

S’agissant du contrat de cautionnement il est réputé, par principe, formé dès lors que la volonté de la caution de s’engager a rencontré l’acceptation du créancier.

Si donc aucune forme particulière n’est, a priori, requise pour que le cautionnement soit valablement conclu, l’article 2294 du Code civil exige néanmoins qu’il soit « exprès ».

Par exprès, il faut comprendre que l’engagement de la caution doit être établi avec suffisamment de certitude.

Autrement dit, la caution doit avoir manifesté clairement la volonté de s’obliger au profit du créancier.

Cette volonté ne saurait se déduire des circonstances ou être tacite ; elle doit être positivement exprimée.

L’engagement oral de la caution est donc, par principe, pleinement valable, pourvu qu’il ne soit pas équivoque.

Dans un arrêt du 24 avril 1968 la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis l’existence d’un cautionnement « par de simples présomptions » (Cass. civ. 24 avr. 1968).

S’agissant de l’acceptation du créancier, contrairement à l’engagement de la caution, il n’est pas exigé qu’il soit exprès.

Il est, en effet, admis que la volonté du créancier d’accepter le cautionnement soit tacitement exprimée, soit qu’elle puisse se déduire d’indices ou de son comportement (V. en ce sens Cass. com., 13 nov. 1972).

II) Exceptions

==> L’exception tenant au formalisme exigé à titre de preuve

Parce que le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est soumis aux exigences probatoires énoncées par l’article 1376 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres ».

Appliquée au cautionnement, cette règle signifie que l’acte qui constate l’engagement de caution n’a valeur de preuve qu’à la condition qu’il soit assorti d’une mention manuscrite apposée par la caution.

Si, conformément au principe du consensualisme, il a toujours été admis que cette mention manuscrite était exigée ad probationem, la Cour de cassation a, au cours des années 1980, adopté la position radicalement inverse en jugeant qu’il s’agissait là d’une condition de validité du cautionnement.

Dans un arrêt du 22 février 1984, elle a affirmé en ce sens « qu’il résulte de la combinaison des articles 1326 et 2015 du Code civil que les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituent pas de simples règles de preuve mais ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 22 févr. 1984, n°82-17.077).

La première chambre civile a réaffirmé, dans les mêmes termes cette position dans un arrêt du 30 juin 1987 (Cass. 1ère civ. 30 juin 1987, n°85-15.760).

La solution retenue par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, les auteurs lui reprochant de se détourner de l’esprit des textes.

Au surplus, cette solution revenait à conférer un caractère solennel au cautionnement, ce qu’il n’est pas.

De son côté, la Chambre commerciale a refusé l’évolution jurisprudentielle – que d’aucuns ont qualifiée d’excès de formalisme – opéré par la Première chambre civile en jugeant que le défaut de mention manuscrite ne remettait nullement en cause la validité de l’acte constatant le cautionnement qui donc conservait sa valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. com. 6 juin 1985, n°83-15.356).

Finalement, la première chambre civile s’est progressivement ralliée à la chambre commerciale.

Dans une première décision, elle a d’abord jugé que les exigences de signature et de mention manuscrite posées par l’ancien article 1326 du Code civil (devenu 1376 C. civ.) constituaient des « règles de preuve [qui] ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 15 nov. 1989, n°87-18.003).

Puis, dans une seconde décision rendue deux ans plus tard, elle en a tiré la conséquence que, « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » et que donc l’engagement de caution n’était pas nul (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

Si cette solution a eu pour effet de ramener le cautionnement dans le giron des contrats consensuels, cela est sans compter sur les incursions du législateur qui, guidé par la volonté de protéger la caution, a, en parallèle, progressivement institué un formalisme ad validitatem.

==> L’exception tenant aux règles de protection de la caution

Alors que le cautionnement a toujours été envisagé un contrat consensuel, la loi n°89-1010 du 31 décembre 1989, dite Neiertz, est venue semer le doute en soumettant le cautionnement conclu sous seing privé par une personne à l’exigence d’apposition d’une mention manuscrite sur l’acte.

L’ancien article L. 313-7 du Code de la consommation prévoyait en ce sens que la personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution pour l’une des opérations de crédit à la consommation ou de crédit immobilier doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci :

« En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même ».

Cette mention était ainsi exigée ad validitatem, ce qui dès lors faisait conférait au cautionnement une dimension solennelle.

Puis la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, dite Dutreil, a étendu l’exigence de reproduction de la mention manuscrite à tous les cautionnements souscrits par une personne physique sous seing privé au profit d’un créancier professionnel, peu importe la nature de l’opération cautionnée.

Depuis l’adoption de cette loi, les auteurs s’accordent à dire que le cautionnement doit désormais être regardé comme un contrat solennel, le législateur ayant érigé le formalisme en principe et reléguer le consensualisme au rang des exceptions.

La réforme opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 n’y a rien changé.

L’exigence de mention manuscrite a été réaffirmée à l’article 2297 du Code civil. La règle s’applique désormais à tous les cautionnements souscrits par des personnes physiques quelle que soit la qualité du créancier (professionnel ou non professionnel)

Seule modification opérée par la réforme : la formule sacramentelle dictée par la loi a été abolie. Désormais, la mention doit simplement exprimer, avec suffisamment de précision, la nature et la portée de l’engagement de la caution.

Au bilan, cette évolution du régime de la mention manuscrite est sans incidence sur le caractère solennel du cautionnement qui a pris le pas sur son caractère consensuel.

III) Le caractère unilatéral  du cautionnement

A) Signification

À l’origine le cautionnement a été envisagé comme ne créant d’obligation qu’à la charge de la seule caution.

S’il s’agit bien d’un contrat, car supposant l’accord des deux parties (caution et créancier), l’obligation qui pèse sur la caution (payer le créancier en cas de défaillance du débiteur) n’est assortie d’aucune contrepartie.

Cette particularité du cautionnement conduit à le classer dans la catégorie des contrats unilatéraux.

Pour mémoire, l’article 1106 du Code civil prévoit qu’un contrat est unilatéral « lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci. »

Le cautionnement répond pleinement à cette définition : seule la caution s’oblige envers le créancier qui doit accepter cet engagement faute de quoi le contrat n’est pas conclu.

À cet égard, si le caractère unilatéral du cautionnement n’est, aujourd’hui, pas contesté, une nuance doit néanmoins être apportée.

En effet, une analyse des textes révèle que l’engagement pris par la caution envers le créancier n’est pas la seule obligation créée par le cautionnement.

Surtout, il apparaît qu’un certain nombre d’obligations ont été mises à la charge du créancier, ce qui dès lors interroge sur le bien-fondé du caractère unilatéral que l’on prête au cautionnement, à tout le moins a pu semer le doute dans les esprits.

Par exemple, il pèse sur le créancier une obligation d’information de la caution sur l’état des remboursements de la dette principale. Il a encore été mis la charge de ce dernier une obligation de proportionnalité et de mise en garde.

Ces obligations – toujours plus nombreuses et rigoureuses – sont le fruit d’une succession de réformes qui ont visé à renforcer la protection de la caution.

La question s’est alors posée est de savoir si la multiplication des obligations qui ont été mises à la charge du créancier n’était pas de nature à priver le cautionnement de son caractère unilatéral.

Pour la doctrine majoritaire il n’en est rien dans la mesure où ces obligations ne constituent, en aucune manière, la contrepartie à l’engagement de la caution.

Un contrat synallagmatique, qui est la figure juridique opposé du contrat unilatéral, présente la particularité de créer des obligations réciproques entre les parties.

Par obligations réciproques, il faut entendre des obligations interdépendantes qui se servent mutuellement de contrepartie (ou de cause).

Tel n’est pas le cas des obligations qui pèsent sur le créancier qui « ne constituent pas l’engagement réciproque de celui qui a souscrit la caution »[8].

Il s’agit là d’obligations purement légales dont la fonction est seulement d’assurer la protection de la caution et non de lui fournir une quelconque contrepartie.

B) Conséquences

La qualification du cautionnement de contrat unilatéral emporte deux conséquences majeures :

  • Première conséquence
    • Parce qu’il présente un caractère unilatéral, le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du « double original ».
    • Cette formalité est réservée aux seuls contrats synallagmatiques.
    • L’article 1375 du Code civil prévoit en ce sens que « l’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé.»
    • Aussi, en pratique, le cautionnement ne sera établi qu’en un seul exemplaire, lequel sera conservé presque systématiquement par le créancier.
    • Aucune obligation ne pèse donc sur les établissements de crédit de remettre un exemplaire au client au profit duquel le cautionnement a été souscrit.
  • Seconde conséquence
    • Si le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du double original, il n’échappe pas pour autant à toute formalité probatoire.
    • L’article 1376 du Code civil prévoit, en effet, que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres»
    • Ainsi, pour valoir de preuve, l’acte de cautionnement doit comporter la signature de la caution et la mention manuscrite de la somme garantie en chiffres et en lettres.

C) Tempérament

Si, par nature, le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est des cas où il pourra présenter un caractère synallagmatique.

Il en ira ainsi, la caution s’engagera en contrepartie de la souscription d’obligations par le créancier.

Il pourra ainsi s’agir pour lui de consentir une remise de dette au débiteur, de proroger le terme ou encore de réduire le taux d’intérêt du prêt cautionné.

Dès lors que la caution s’engage en considération de l’engagement pris par le créancier, le cautionnement devient un contrat synallagmatique.

Il en résulte qu’il devra alors être établi en double original, conformément à l’existence posée à l’article 1375 du Code civil.

[1] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°56, p. 44

[3] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 7e éd., 2005, p. 249, v. « crédit ».

[4] F. Grua, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec, 2001, n°324.

[5] Ph. Simler, Le cautionnement – Définition, critère distinctif et caractères, Jurisclasseur, art. 2288 à 2320, Fasc. 10

[6] Pour une approche nuancée de cette thèse, V. notamment M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°145, p. 91

[7] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°74, p.55.

[8] M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°108, p. 75

La notion de cautionnement: éléments constitutifs et caractères

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

§1: Les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement

Le cautionnement consiste donc en une opération triangulaire à laquelle interviennent trois personnes : un créancier, un débiteur et une caution.

  • Un premier rapport – principal – se noue entre le créancier et le débiteur qui entretiennent entre eux un lien d’obligation
  • Un deuxième rapport – accessoire – se crée entre la caution et le créancier, la première s’engageant contractuellement à payer le second en cas de défaillance du débiteur
  • Un troisième rapport est établi entre la caution et le débiteur. Il se distingue des deux autres en ce qu’il ne consiste pas en un lien d’obligation. Il ne sera mis en jeu qu’en cas de défaillance du débiteur.

 

Pratiquement, en cas de défaillance du débiteur principal, soit s’il n’exécute pas l’obligation à laquelle il est tenu envers le créancier, ce dernier pourra actionner en paiement la caution au titre de l’engagement accessoire auquel elle a souscrit.

Après avoir désintéressé le créancier, la caution pourra alors se retourner contre le débiteur aux fins d’être remboursée à concurrence de ce qu’elle a payé.

 

Analysons désormais, un à un, les trois rapports autour desquels s’articule l’opération de cautionnement.

I) Le rapport entre le créancier et le débiteur

Le cautionnement ne se conçoit, pour mémoire, que s’il existe une obligation principale à garantir.

C’est là la raison d’être de n’importe quelle sûreté : conférer au créancier un droit – personnel ou réel – qui lui procure une position le prémunissant du risque de défaillance de son débiteur.

Chez les romains, l’engagement pris au titre d’un cautionnement se confondait avec l’obligation garantie, si bien que la caution et le débiteur étaient solidairement tenus envers le créancier.

Tel n’est plus le cas aujourd’hui. L’engagement souscrit par la caution est distinct de l’obligation principale, bien qu’accessoire à cette dernière.

La question qui alors se pose est de savoir si toutes les obligations sont susceptibles de faire l’objet d’un cautionnement.

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter aux articles 2292 et 2293 du Code civil qui fixent les exigences auxquelles l’obligation cautionnée doit répondre.

  • Une obligation valable
    • La spécificité – sans doute la plus importante – du cautionnement réside dans son caractère accessoire.
    • Par accessoire, il faut comprendre que le cautionnement suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle il se rattache.
    • Pour cette raison, l’article 2293 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable», soit une obligation qui n’est entachée d’aucune irrégularité quant à ses éléments constitutifs.
    • Un contrat qui serait frappé de nullité ne peut donc pas faire l’objet d’un cautionnement. Il s’agit là d’un empêchement dirimant à l’engagement de caution.
    • Par exception à la règle, l’alinéa 2 de l’article 2293 du Code civil prévoit que « celui qui se porte caution d’une personne physique dont il savait qu’elle n’avait pas la capacité de contracter est tenu de son engagement. »
  • Une obligation présente ou future
    • L’article 2292 du Code civil prévoit que « le cautionnement peut garantir une ou plusieurs obligations, présentes ou futures […]. »
    • L’obligation présente est celle qui naît au jour de la souscription du cautionnement, peu importe qu’elle soit ou non exigible à cette même date.
    • S’agissant de l’obligation future, il s’agit de celle dont le fait générateur survient postérieurement à la souscription du cautionnement.
    • Si le cautionnement de dettes futures est admis, encore faut-il que l’obligation cautionnée soit déterminable.
  • Une obligation déterminée déterminable
    • L’article 2292 du Code civil prévoit que « le cautionnement peut garantir une ou plusieurs obligations […] déterminées ou déterminables. »
    • Il ressort de cette disposition que le cautionnement peut avoir pour objet n’importe quelle obligation, pourvu qu’elle soit déterminable.
    • À cet égard, l’article 1163, al. 3e du Code civil prévoit que « la prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire. »
    • Appliquée au cautionnement, cette règle implique, en substance, que l’acte régularisé par la caution soit suffisamment précis pour que l’on soit en mesure de déterminer l’étendue de son engagement.

Au bilan, il se dégage des articles 2292 et 2293 du Code civil que toutes les obligations sont susceptibles de faire l’objet d’un cautionnement, dès lors qu’elles sont valables et déterminables.

Qu’il s’agisse de leur source ou de leur nature, elles tous deux sont sans incidence sur la potentialité d’une dette être cautionnée.

  • S’agissant de la source de l’obligation cautionnée
    • Si, dans la très grande majorité des cas, les obligations cautionnées résultent de la conclusion d’un contrat, on s’est demandé si les obligations qui trouvent leur source dans un délit ou quasi-délit ne pouvaient pas également faire l’objet d’un cautionnement.
    • Pendant longtemps, la jurisprudence s’est refusé à l’admettre (V. en ce sens 2e civ. 13 déc. 1993).
    • Au soutien de cette position, il a été avancé est que le cautionnement ne pouvait avoir pour objet qu’une obligation valable.
    • Or un délit ou quasi-délit futur présente, par hypothèse, un caractère illicite.
    • D’où le refus de la Cour de cassation de reconnaître la validité d’un cautionnement qui porterait sur une obligation délictuelle.
    • Un revirement a néanmoins été opéré par la Cour de cassation dans un arrêt du 8 octobre 1996.
    • Dans cette décision, la Première chambre civile a jugé que « le cautionnement garantissant le paiement à la victime de créances nées d’un délit ou d’un quasi-délit est licite» (Cass. 1ère 8 oct. 1996, n°94-19.239).
    • Elle a réaffirmé cette solution, en des termes similaires, dans un arrêt du 13 mai 1998 ( 1ère civ. 13 mai 1998, n°96-14.852).
    • Depuis lors, cette position adoptée par la Cour de cassation n’a pas été remise en cause.
  • S’agissant de la nature de l’obligation cautionnée
    • L’obligation cautionnée consiste, en principe, pour le débiteur à payer au créancier une somme d’argent.
    • Dans le silence des textes, rien n’interdit toutefois que le cautionnement ait pour objet une obligation de faire, soit une obligation consistant pour le débiteur à fournir une prestation autre que le transfert d’une somme d’argent.
      • Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
    • En cas de défaillance du débiteur, quid de l’exécution de l’obligation de la caution ?
    • En application de l’article 1231-1 du Code civil, les auteurs s’accordent à dire que la caution ne sera nullement tenue de fournir la prestation promise par le débiteur initialement.
    • Elle devra seulement verser au créancier une somme d’argent qui correspond à la valeur de cette prestation.

II) Le rapport entre la caution et le créancier

==> La source du cautionnement : le contrat

Bien que le cautionnement tire sa raison d’être de l’existence d’une obligation principale à garantir, il ne se confond pas avec cette obligation.

Le cautionnement désigne le rapport qui se noue entre, d’un côté, le créancier de l’obligation cautionnée et, d’un autre côté, la personne qui s’oblige à payer en cas de défaillance du débiteur, la caution.

La spécificité du lien qui unit le créancier à la caution réside dans sa nature conventionnelle. Car un cautionnement procède toujours de la conclusion d’un contrat.

C’est là une particularité qui le distingue des sûretés réelles, lesquelles peuvent puiser leur source indifféremment dans la loi, le contrat ou la décision du juge.

Tel n’est pas le cas du cautionnement qui peut certes être imposé par la loi ou par le juge, auquel cas on le qualifiera de légal ou de judiciaire.

Néanmoins, dans ces deux hypothèses, la constitution du cautionnement ne procédera nullement d’une obligation qui pèserait sur un tiers de garantir la dette d’autrui.

Il s’agit seulement pour la loi ou pour le juge de subordonner l’octroi ou le maintien d’un droit à la fourniture par le débiteur d’une caution.

Celui qui donc accepte de se porter caution au profit du débiteur le fera toujours volontairement, sans que la loi ou le juge ne l’y obligent.

Aussi, le cautionnement que l’on qualifie couramment – et par abus de langage – de légal ou judiciaire s’analyse, en réalité, en une sûreté purement conventionnelle puisqu’il sera souscrit dans le cadre de la conclusion d’un contrat entre un tiers (la caution) et le débiteur.

Il en résulte qu’il est soumis, pour une large part, au droit des obligations et plus précisément aux règles qui intéressent la formation, le contenu et l’extinction du contrat.

==> Les parties au contrat de cautionnement

Parce que le cautionnement est un contrat, il est nécessairement le produit de la rencontre des volontés de deux personnes : la caution et le créancier.

  • La caution
    • La caution, désignée parfois sous le qualificatif de fidéjusseur en référence au fidejussor qui endossait le rôle de caution en droit romain, n’est autre que la personne qui s’engage envers le créancier à payer en lieu et place du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.
    • En application du principe de l’autonomie de la volonté, une personne ne saurait valablement se porter caution sans y avoir consenti.
    • Aussi, ne peut-on être obligé à un cautionnement contre son gré ou à son insu : la souscription d’un engagement de caution procède toujours d’une démarche volontaire.
    • Par ailleurs, pour être partie à un contrat de cautionnement il faut justifier de la capacité juridique requise, soit disposer de la capacité à contracter, ce qui n’est pas le cas des mineurs ou des majeurs protégés faisant l’objet d’une mesure de tutelle ou de curatelle.
    • Dès lors, en revanche, que la condition tenant à la capacité est remplie, toute personne physique ou morale peut se porter caution.
    • En outre, il est indifférent que la personne qui s’oblige à cautionner la dette d’autrui endosse la qualité de consommateur ou de professionnel.
    • La qualité de la caution a pour seul effet de lui conférer une protection plus ou moins renforcée.
    • C’est ainsi que le cautionnement souscrit par une personne physique au profit d’un créancier professionnel est soumis à un régime juridique particulièrement contraignant.
    • Les exigences applicables sont, à l’inverse, bien moins rigoureuses lorsque le cautionnement est conclu en dehors d’une relation d’affaires.
  • Le créancier
    • Le créancier, qui peut indifféremment être une personne physique ou morale, est le bénéficiaire de l’engagement souscrit par la caution.
    • Dans cette opération triangulaire que constitue le cautionnement, il occupe une position pour le moins privilégiée puisque, tant dans ses rapports avec la caution, que dans ses rapports avec le débiteur principal, il se trouve toujours dans la situation de celui envers qui une prestation est due :
      • Le débiteur doit exécuter la prestation initialement promise
      • La caution doit garantir l’exécution de l’obligation du débiteur
    • S’agissant du cautionnement, la position du créancier est d’autant plus favorable qu’il s’agit d’un contrat unilatéral, en ce sens qu’il ne crée d’obligations qu’à la charge de la seule caution.
    • Dans ces conditions, la qualité du créancier devrait être sans incidence sur le régime applicable : qu’il endosse ou non la qualité de professionnel, le cautionnement souscrit par la caution devrait être soumis aux mêmes exigences.
    • Tel n’est toutefois pas le cas, le législateur ayant, au fil des réformes, mis à la charge des créanciers professionnels et notamment des établissements crédits un certain nombre d’obligations – toujours plus nombreuses – l’objectif recherché étant de conférer une protection à la caution.
    • Cette distinction entre créanciers professionnels et créanciers non-professionnels introduite initialement dans le Code de la consommation a été reprise par l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés.
    • Elle figure désormais dans le Code civil, corpus au sein duquel toutes les règles régissant le cautionnement ont été rassemblées.

==> La situation du débiteur

Parce que le cautionnement est un contrat, seuls la caution et le créancier endossent la qualité de partie.

Bien que le débiteur soit directement intéressé à l’opération, il y reste néanmoins étranger et doit donc, à ce titre, être regardé comme un tiers.

Aussi, le débiteur est-il insusceptible de fixer les termes du contrat de cautionnement, ni de s’ingérer dans son exécution.

La plupart du temps, l’engagement de caution sera, certes, pris sur la demande du débiteur.

L’article 2288 du Code civil prévoit toutefois expressément qu’un contrat de cautionnement peut être conclu à son insu, soit sans que son accord ait été sollicité, ni qu’il ait été informé.

III) Le rapport entre la caution et le débiteur

À la différence du lien qui unit le créancier au débiteur principal ou le créancier à la caution dont la qualification ne soulève pas de difficulté – il s’agit dans les deux cas d’un contrat – le rapport que la caution entretient avec le débiteur se laisse, quant à lui, plus difficilement saisir.

La raison en est que la nature de ce rapport est susceptible de varier selon les circonstances qui ont conduit à la conclusion du cautionnement.

Deux situations doivent être distinguées :

  • Le cautionnement n’a pas été conclu à la demande du débiteur
  • Le cautionnement a été conclu à la demande du débiteur

A) Le cautionnement n’a pas été conclu à la demande du débiteur

Dans cette hypothèse, le cautionnement a été conclu sans que le débiteur ait donné son accord. Tout au plus, il peut avoir été informé de l’opération. Il n’en est toutefois pas à l’origine.

Faute de rencontre des volontés entre le débiteur et la caution, la qualification de contrat du lien qui les unit doit d’emblée être écartée.

Leur relation présente un caractère purement légal. Aussi, est-elle réduite à sa plus simple expression, soit se limite, en simplifiant à l’extrême, aux seuls recours que la loi confère à la caution contre le débiteur défaillant.

Au nombre de ces recours figurent :

  • Le recours personnel
    • L’article 2308 du Code civil prévoit que « la caution qui a payé tout ou partie de la dette a un recours personnel contre le débiteur tant pour les sommes qu’elle a payées que pour les intérêts et les frais. »
  • Le recours subrogatoire
    • L’article 2309 du Code civil prévoit que « la caution qui a payé tout ou partie de la dette est subrogée dans les droits qu’avait le créancier contre le débiteur.»

Réciproquement, on pourrait imaginer que le débiteur dispose d’un recours contre la caution pour le cas où cette dernière ne déférerait pas à l’appel en garantie du créancier, cette situation étant susceptible de lui causer un préjudice.

Reste que, dans la configuration envisagée ici, l’engagement de caution a été pris indépendamment de la volonté du débiteur.

Dans ces conditions, on voit mal comment celui-ci pourrait se prévaloir d’une obligation qui n’est, ni prévue par la loi, ni ne peut trouver sa source dans un contrat.

D’aucuns soutiennent que lorsque le cautionnement est souscrit à l’insu du débiteur, il s’analyse en une gestion d’affaires, car il répondrait aux critères de l’acte de gestion utile.

Cette qualification, si elle était retenue par le juge, pourrait alors fonder une action du débiteur contre la caution, au titre des obligations qui pèsent sur le gérant d’affaires.

L’article 1301 du Code civil prévoit notamment qu’il « est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire. »

L’article 1301-1 précise que le gérant « est tenu d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’une personne raisonnable ; il doit poursuivre la gestion jusqu’à ce que le maître de l’affaire ou son successeur soit en mesure d’y pourvoir ».

Si l’on transpose ces règles au cautionnement, cela signifie que l’inexécution de l’engagement pris par la caution envers le créancier serait constitutive d’un manquement aux obligations qui lui échoient en sa qualité de gérant d’affaires.

Aussi, le débiteur serait-il fondé, en tant que maître de l’affaire, à engager la responsabilité de la caution.

Pour l’heure, aucune décision n’a, à notre connaissance, été rendue en ce sens. Par ailleurs, la doctrine est plutôt défavorable à l’application des règles de la gestion d’affaires au rapport caution-débiteur.

Des auteurs affirment en ce sens que la qualification de gestion d’affaires « nécessite une volonté de gérer les affaires d’autrui qui est ici trop ténue ; surtout, elle impliquerait la libération du garant dès l’acceptation de l’opération par le maître de l’affaire (le débiteur), ce qui est inconcevable »[2].

B) Le cautionnement a été conclu à la demande du débiteur

Dans l’hypothèse où le cautionnement a été souscrit par la caution à la demande du débiteur, ce qui correspond à la situation la plus fréquente, il est admis que le rapport qu’ils entretiennent entre eux présente un caractère contractuel.

La raison en est que, dans cette configuration, l’engagement pris par la caution procède d’un accord, tacite ou exprès, conclu avec le débiteur à titre gratuit ou onéreux.

Tel est le cas, par exemple, lorsque le débiteur sollicite un établissement bancaire aux fins qu’il lui fournisse, moyennant rémunération, un service de caution.

Le recours à une caution professionnelle peut être exigé, soit par la loi ou le juge, soit par le prêteur lui-même en contrepartie de l’octroi d’un crédit.

Quels que soit les caractères de l’accord conclu entre le débiteur et la caution, il est le produit d’une rencontre des volontés, en conséquence de quoi il s’analyse en un contrat.

Reste à déterminer la qualification de ce contrat, ce qui n’est pas sans avoir fait l’objet d’une importante controverse.

Plusieurs qualifications ont, en effet, été attribuées par les auteurs à l’accord conclu entre le débiteur et la caution.

Ces qualifications diffèrent néanmoins selon que l’accord initial a donné lieu ou non à la régularisation d’un cautionnement.

==> L’accord intervenu entre le débiteur et la caution a donné lieu à la conclusion d’un cautionnement

  • Le mandat
    • Les auteurs classiques ont d’abord vu dans le lien noué entre le débiteur et la caution un mandat.
    • En sollicitant la caution afin qu’elle garantisse l’exécution de l’obligation principale, le débiteur lui aurait, en effet, donné mandat de s’engager au profit du créancier.
    • A priori, cette approche est parfaitement compatible avec la qualification de mandat, lequel est défini à l’article 1984 du Code civil comme « l’acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom».
    • L’exécution du mandat consistant ainsi à accomplir un acte juridique au nom et pour le compte du mandant, il semble possible d’imaginer que cet acte puisse être un cautionnement.
    • Bien que séduisante, cette analyse est aujourd’hui unanimement réfutée par la doctrine.
    • Le principal argument avancé tient aux effets du mandat qui divergent fondamentalement de ceux attachés au contrat conclu entre le débiteur et la caution.
    • Lorsque dans le cadre de l’exercice de sa mission, le mandataire accompli un acte, il agit au nom et pour le compte du mandant, de sorte qu’il n’est pas engagé personnellement à l’opération.
    • Tel n’est pas le cas de la caution qui, lorsqu’elle conclut un cautionnement au profit du créancier, s’oblige personnellement à l’opération, quand bien même elle agit sur la demande du débiteur.
    • En cas de défaillance de celui-ci, c’est donc bien elle qui sera appelée en garantie et personne d’autre.
    • Pour cette raison, la relation que le débiteur entretient avec la caution ne peut pas s’analyser en un mandat.
  • Le contrat de commission
    • Afin de surmonter l’obstacle tenant aux effets du mandat qui, par nature, est une technique de représentation, des auteurs ont suggéré de qualifier le lien unissant le débiteur à la caution de mandat sans représentation, dont la forme la plus connue est le contrat de commission.
    • Au soutien de cette analyse, il est soutenu que le mandat pourrait avoir pour objet une représentation imparfaite, ce qui correspond à l’hypothèse où le représentant déclare agir pour le compte d’autrui mais contracte en son propre nom ( 1154, al. 2e C. civ.)
    • La conséquence en est qu’il devient seul engagé à l’égard du cocontractant.
    • Celui qui est réputé être partie à l’acte ce n’est donc pas le représenté, comme en matière de représentation parfaite, mais le représentant qui endosse les qualités de créanciers et débiteurs.
    • Appliqué au rapport entretenu entre le débiteur et la caution, la qualification de mandat sans représentation permet d’expliquer pourquoi la caution est seule engagée au contrat de cautionnement.
    • Reste que cette qualification n’est pas totalement satisfaisante, elle présente une faille.
    • En effet, la conclusion d’un mandat de représentation suppose que l’engagement pris par le mandataire, qui donc agit en son nom personnel, soit exactement le même que l’obligation mise à la charge du mandant après le dénouement de l’opération.
    • Tel n’est cependant pas le cas en matière de cautionnement : l’obligation souscrite par la caution est différente de l’obligation qui pèse sur le débiteur.
    • L’engagement de la caution se limite à payer le créancier en cas de défaillance du débiteur, tandis que l’obligation mise à la charge de celui-ci a pour objet la fourniture de la prestation initialement promise.
    • Les deux obligations ne sont pas les mêmes, raison pour laquelle la qualification de mandat sans représentation ne s’applique pas au rapport caution-débiteur.
  • La promesse de cautionnement
    • Autre qualification attribuée à la relation entretenue par la caution avec le débiteur : la promesse de cautionnement.
    • Selon cette thèse, défendue par Franck Steinmetz, la caution endosserait la qualité de promettant, en ce sens qu’elle promettrait au débiteur de s’engager auprès du créancier à garantir l’exécution de l’obligation principale.
    • Là encore, cette proposition de qualification du rapport caution-débiteur n’emporte pas la conviction.
    • En premier lieu, une promesse de contrat a pour objet la conclusion d’un contrat définitif.
    • Par hypothèse, elle est donc conclue entre les mêmes parties que celles qui concluront l’accord final.
    • L’opération de cautionnement ne correspond pas à cette situation : la caution promet au débiteur de s’obliger à titre définitif non pas envers lui ce qui n’aurait pas de sens, mais envers une tierce personne, le créancier.
    • Il n’y a donc pas identité de parties entre la promesse de cautionnement et le contrat de cautionnement stricto sensu.
    • En second lieu, à supposer que l’engagement pris par la caution envers le débiteur s’analyse en une promesse, leurs rapports devraient prendre fin au moment même où le contrat de cautionnement est conclu.
    • Or tel n’est pas le cas. La relation entre le débiteur et la caution se poursuit bel et bien tant que le cautionnement n’est pas éteint.
    • Pour les deux raisons ainsi exposées, la qualification de promesse de contrat doit être écartée.
  • Le contrat de crédit
    • S’il est une qualification du rapport débiteur-caution qui fait l’unanimité : c’est celle de contrat de crédit.
    • En promettant au débiteur de payer le créancier qui le solliciterait, l’opération s’analyse incontestablement en un crédit.
    • Classiquement, on définit le crédit comme l’« opération par laquelle une personne met ou fait mettre une somme d’argent à disposition d’une autre personne en raison de la confiance qu’elle lui fait»[3].
    • Bien que correspondant au sens commun que l’on attache, en première intention, au crédit, cette définition est pour le moins étroite, sinon réductrice des opérations que recouvre en réalité la notion de crédit.
    • En effet, le crédit ne doit pas être confondu avec le prêt d’argent qui ne connaît qu’une seule forme : la mise à disposition de fonds.
    • Tel n’est pas le cas du crédit qui, comme relevé par François Grua, « peut se réaliser de trois manières différentes : soit par la mise à disposition de fonds, soit par l’octroi d’un délai de paiement, soit par un engagement de garantie d’une dette»[4].
    • Cette approche est confirmée par l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier qui définit le crédit comme « tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie».
    • Il ressort de cette disposition que la loi envisage donc deux formes de crédit, la première consistant en la mise à disposition temporaire ou future de fonds, la seconde en l’octroi d’une garantie.
    • Le cautionnement, qui est nommément visé par le texte, appartient à la seconde catégorie.
    • Il constitue donc une opération de banque au sens de l’article L. 311-1 du Code monétaire et financier et relève donc, lorsqu’il est pratiqué de façon habituelle, du monopole des établissements bancaires et financiers ( L. 511-5, al. 1er CMF).
    • L’article 511-7 du Code monétaire et financier autorise toutefois une entreprise, « quelle que soit sa nature», dans l’exercice de son activité professionnelle, à consentir à ses contractants des délais ou avances de paiement.
    • En application de cette disposition, il a été admis qu’il pouvait également s’agir pour une entreprise de se porter caution ou sous-caution, y compris à titre habituel, au profit d’un partenaire commercial.

==> L’accord intervenu entre le débiteur et la caution a donné lieu à la conclusion d’un cautionnement

Il est des cas où, alors même que la caution s’est engagée envers le débiteur à le garantir de son obligation souscrite auprès du créancier, aucun cautionnement ne sera finalement régularisé.

Dans cette hypothèse, quelle qualification donner à l’accord conclu entre la caution et le débiteur ?

L’enjeu est ici de faire produire des effets à cet accord et plus encore de déterminer dans quelle mesure la caution est engagée envers le créancier alors même qu’elle n’a conclu aucun cautionnement avec lui, à tout le moins pas directement.

Certains auteurs estiment que, parce que l’accord intervenu entre la caution et le débiteur est pourvu de la force obligatoire attachée à n’importe quel contrat, la conclusion d’un contrat de cautionnement ne serait, au fond, pas indispensable.

Pratiquement, cela permettrait d’admettre qu’une caution puisse s’engager au profit d’un créancier indéterminé.

Au soutien de cette thèse, il a été soutenu que l’accord conclu entre le débiteur et la caution s’analyserait en une stipulation pour autrui.

Pour mémoire, la stipulation pour autrui est un contrat par lequel une partie appelée le stipulant, obtient d’une autre, appelée le promettant, l’engagement qu’elle donnera ou fera, ou ne fera pas quelque chose au profit d’un tiers appelé le bénéficiaire.

Il s’agit, autrement dit, de faire promettre, par voie contractuelle, à une personne qu’elle s’engage à accomplir une prestation au profit d’autrui.

L’une des applications la plus répandue de la stipulation pour autrui est l’assurance-vie. Le souscripteur du contrat d’assurance-vie fait promettre à l’assureur de verser un capital ou une rente, moyennant le paiement de primes, à un bénéficiaire désigné dans le contrat.

 

À l’instar du cautionnement, la stipulation pour autrui fait naître trois rapports :

  • Rapport stipulant-promettant
    • Parce que l’accord conclu entre le stipulant et le promettant s’analyse en un contrat, le promettant est tenu d’exécuter l’obligation promise à la faveur du bénéficiaire.
    • Ainsi, l’article 1209 du Code civil prévoit que « le stipulant peut lui-même exiger du promettant l’exécution de son engagement envers le bénéficiaire».
  • Rapport promettant-bénéficiaire
    • L’article 1206 du Code civil prévoit que « le bénéficiaire est investi d’un droit direct à la prestation contre le promettant dès la stipulation».
    • Cela signifie que le bénéficiaire peut contraindre le promettant à exécuter l’engagement pris à son profit aux termes de la stipulation, quand bien même il n’est pas partie au contrat.
    • C’est là l’originalité de la stipulation pour autrui, le droit dont est investi le bénéficiaire contre le promettant naît directement dans son patrimoine sans qu’il lui soit transmis par le stipulant.
  • Rapport stipulant-bénéficiaire
    • La stipulation pour autrui fait certes naître un droit direct au profit du bénéficiaire contre le promettant.
    • Ce droit demeure néanmoins précaire tant qu’il n’a pas été accepté par le bénéficiaire.
    • L’article 1206 du Code civil prévoit, en effet que « le stipulant peut librement révoquer la stipulation tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée.»
    • Ce n’est donc que lorsque le bénéficiaire a accepté la stipulation que le droit stipulé à son profit devient irrévocable.

Il ressort de l’articulation des rapports entretenus par les personnes intéressées à la stipulation pour autrui, que cette opération présente de nombreuses ressemblances avec le cautionnement.

Afin de déterminer s’il y a identité entre les deux, superposons les rapports de l’une et l’autre opération :

  • Tout d’abord, le rapport entre le stipulant et le promettant correspondrait au rapport débiteur-caution
  • Ensuite, le rapport entre le promettant et le bénéficiaire correspondrait quant à lui au rapport caution-créancier
  • Enfin, le rapport entre le stipulant et le bénéficiaire correspondrait au rapport débiteur-créancier

 

Si donc l’on raisonne par analogie, à supposer que l’opération de cautionnement s’analyse en une stipulation pour autrui, cela signifierait que la caution serait engagée envers le bénéficiaire du seul fait de l’accord conclu avec le débiteur.

Il en résulterait alors deux conséquences :

  • Le créancier pourrait poursuivre la caution, alors même qu’aucun contrat de cautionnement n’a été conclu entre eux
  • Le débiteur pourrait contraindre la caution à exécuter l’engagement pris envers le créancier

Bien que séduisante, l’analogie opérée par une partie de doctrine entre le cautionnement et la stipulation pour autrui ne résiste pas à la critique pour deux raisons principales.

En premier lieu, le cautionnement est un contrat. L’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés n’est pas revenue sur cette spécificité.

Le nouvel article 2288 du Code civil prévoit en ce sens que « le cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il en résulte qu’il ne peut valablement produire ses effets qu’à la condition qu’il y ait un échange des consentements entre la caution et le débiteur.

L’article 2294 précise, à cet égard, que le cautionnement doit être exprès, ce qui signifie qu’il ne peut pas être présumé.

C’est là une différence majeure avec la stipulation pour autrui dont l’originalité réside précisément dans la création d’un lien d’obligation entre le promettant et le bénéficiaire sans qu’aucun accord ne soit directement intervenu entre eux.

Le promettant est personnellement engagé envers le bénéficiaire du seul fait du contrat conclu avec le stipulant.

Pour cette seule raison, l’analogie entre le cautionnement et la stipulation pour autrui est inopérante.

En second lieu, si, une fois régularisé, le contrat de cautionnement oblige la caution à payer le créancier en cas d’appel en garantie, c’est à la condition que ce dernier préserve les droits et actions dont il est investi à l’égard du débiteur.

L’article 2314 du Code civil prévoit, en effet, que « lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut plus, par la faute de celui-ci, s’opérer en sa faveur, la caution est déchargée à concurrence du préjudice qu’elle subit. »

Ainsi, le créancier doit-il prendre toutes les mesures utiles aux fins de ménager ce que l’on appelle le bénéfice de subrogation qui joue, de plein droit, au profit de la caution qui a payé en lieu et place du débiteur.

Pour que le créancier soit en mesure de satisfaire à cette obligation qui lui échoit, encore faut-il ait connaissance de l’engagement pris par la caution envers lui.

Or tel ne sera pas nécessairement le cas si l’on se place dans la configuration de la stipulation pour autrui : aucune obligation n’impose que le bénéficiaire soit informé de l’accord conclu entre le stipulant et le promettant.

Surtout, et c’est là un argument déterminant nous semble-t-il, le principe même de faire peser sur le créancier une obligation en matière de cautionnement – au cas particulier celle de préserver les droits et actions dans lesquels la caution est susceptible de se subroger – est incompatible avec la stipulation pour autrui qui ne peut jamais faire naître d’obligation à la charge du bénéficiaire.

Pour toutes ces raisons, le cautionnement ne saurait s’analyser en une stipulation pour autrui bien qu’il s’agisse là d’opérations dont les économies générales sont proches.

À cet égard, dans un arrêt du 18 décembre 2002, la Cour de cassation a prononcé la nullité d’un cautionnement qui reposait sur une stipulation pour autrui (Cass. 3e civ. 18 déc. 2002, n°99-18.141).

Il s’agissait en l’espèce, du cautionnement conclu entre un établissement bancaire et un entrepreneur principal au profit de ses sous-traitants.

La particularité de cette technique de garantie, qualifiée usuellement de « cautionnement-flotte » réside dans la couverture d’un risque global.

Il s’agit, en effet, pour l’entrepreneur principal de se faire garantir, comme l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 l’y oblige, le paiement de l’ensemble des sous-traitants qui ont vocation à intervenir sur le chantier pendant une période donnée.

Dans le silence des textes sur la forme que doit arborer cette garantie, une pratique s’était instituée consistant pour les établissements bancaires à cautionner de façon générale toutes opérations de sous-traitante présentes et futures, sans que le nom des sous-traitements ne soit expressément visé dans l’acte de cautionnement.

La Cour de cassation a condamné cette pratique au motif que « la caution personnelle et solidaire, garantissant le paiement de toutes les sommes dues par l’entrepreneur principal au sous-traitant en application du sous-traité, doit comporter le nom de ce sous-traitant et le montant du marché garanti, ce qui exclut l’existence d’une stipulation pour autrui ».

Au soutien de sa décision, la troisième chambre civile rappelle que, en application de la loi du 31 décembre 1975, les opérations de sous-traitance doivent être garanties par une caution solidaire, mais également personnelle obtenue par l’entrepreneur auprès d’un établissement bancaire.

Il en résulte que la validité du cautionnement souscrit est subordonnée à la mention du nom du sous-traitant et des sommes garanties dans l’acte.

Par cette décision, la Cour de cassation a ainsi posé un principe de prohibition du cautionnement-flotte.

Dans un arrêt du 20 juin 2012, elle est toutefois revenue sur sa position en admettant qu’il puisse y être recouru pour garantir le paiement des sous-traitants (Cass. 3e civ. 20 juin 2012, n°11-18.463).

La haute juridiction a, en effet, reconnu la validité de cette technique de garantie dès lors que :

  • D’une part, un accord-cadre a été régularisé entre l’entrepreneur principal et l’établissement de crédit
  • D’autre part, cet accord prévoit la notification par l’entrepreneur principal à l’établissement de crédit des contrats de sous-traitance qu’il entend faire garantir et qu’il lui soit délivré en retour par ce dernier, dans les trois jours ouvrés suivant la notification de l’avis, une attestation de cautionnement.

Bien que, par cette décision, la validité du cautionnement-flotte soit désormais admise, les conditions posées par la Cour de cassation excluent toujours la qualification de stipulation pour autrui.

En effet, il n’est certes plus besoin de mentionner le nom du sous-traitant dans l’accord-cadre initial instituant le cautionnement.

Cette exigence resurgit néanmoins à chaque fois que l’entrepreneur principal contracte avec un nouveau sous-traitant. Il s’oblige à notifier le contrat de sous-traitance à la caution.

Cette exigence ne se retrouve pas dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire au profit duquel le promettant s’engage pouvant être une personne indéterminée au moment de la conclusion du contrat à l’origine de la créance (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 7 oct. 1959, n°58-10.056).

Le nouvel article 1205, al. 2e in fine du Code civil prévoit en ce sens que le bénéficiaire « peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse. »

S’agissant du cautionnement-flotte, la Cour de cassation exige que le sous-traitant, soit désigné dès la formalisation du contrat de sous-traitance, soit avant même que la caution soit appelée à exécuter son engagement ; d’où l’incompatibilité avec la stipulation pour autrui.

§2: Les caractères de l’opération de cautionnement

I) Le caractère accessoire du cautionnement

A) Signification du caractère accessoire

Il est de l’essence du cautionnement de présenter un caractère accessoire, en ce sens qu’il est affecté au service de l’obligation principale qu’il garantit.

Par accessoire, il faut comprendre, autrement dit, que le cautionnement suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle il se rattache.

Ainsi que le relève Philippe Simler « le cautionnement est à tous égards directement et étroitement dépendant de cette obligation : son existence et sa validité, son étendue, les conditions de son exécution et de son extinction sont déterminées par ce lien »[5].

La raison en est que l’engagement de la caution se rapporte à la même dette qui pèse sur la tête du débiteur. On dit qu’il y a « unicité de la dette », ce qui est confirmé par l’article 2288 qui prévoit que « la caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur »[6].

Il en résulte que tout ce qui est susceptible d’affecter la dette cautionnée a vocation à se répercuter sur l’obligation de la caution.

À l’analyse, le caractère accessoire du cautionnement n’est affirmé expressément par aucun texte. La réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a pas procédé au comblement de ce vide que la doctrine appelait pourtant de ses vœux.

L’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant proposait ainsi d’introduire un article 2286-2 du Code civil qui aurait posé un principe général, applicable à toutes les sûretés, selon lequel « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie ».

Cette proposition n’a finalement pas été retenue, le législateur estimant que le caractère accessoire du cautionnement se dégageait suffisamment clairement d’un certain nombre de dispositions du Code civil.

Il est, en effet, plusieurs textes qui expriment la dépendance de l’engagement de la caution par rapport à l’obligation principale. Les manifestations du caractère accessoire du cautionnement sont multiples.

B) Les manifestations du caractère accessoire

Le caractère accessoire reconnu au cautionnement se dégage donc de plusieurs règles :

1. L’existence du cautionnement

L’article 2293 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable ».

Il ressort de cette disposition que l’existence même du cautionnement dépend de la validité de l’obligation principale.

Autrement dit, la nullité ou l’inexistence de cette obligation a pour effet de rendre caduc le cautionnement.

À cet égard, il peut être observé que cette exigence ne fait pas obstacle au cautionnement d’une dette future, pourvu que cette dette soit déterminable et qu’elle ne soit pas frappée d’inexistence le jour où la caution est appelée en garantie (art. 2292, al. 1er C. civ.).

2. L’étendue du cautionnement

L’article 2296 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il s’infère de cette règle que la caution ne saurait être engagée, ni au-delà du montant de l’obligation principale, ni en des termes plus rigoureux.

La dette cautionnée constitue ainsi le plafond du cautionnement ; la caution ne doit jamais payer plus que ce qui est dû par le débiteur principal.

Rien n’interdit néanmoins, comme énoncé par le second alinéa de l’article 2296 qu’il soit « contracté pour une partie de la dette seulement et sous des conditions moins onéreuses ».

3. L’opposabilité des exceptions

==> Principe

L’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293. »

Par exception, il faut entendre tout moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité (causes de nullité, prescription, inexécution, cause d’extinction de la créance etc…).

Le principe d’opposabilité des exceptions puise directement son fondement dans le caractère accessoire du cautionnement.

Parce que la caution ne peut être tenue à plus que ce qui est du par le débiteur principal, elle doit être en mesure d’opposer au créancier tous les moyens que pourrait lui opposer le débiteur principal afin de se décharger de son obligation, à tout le moins de la limiter.

Il ne faudrait pas, en effet, que le débiteur principal puisse se libérer de son obligation, tandis que la caution serait contrainte, faute de pouvoir opposer les mêmes moyens de défense que le débiteur au créancier, de le payer.

Ne pas reconnaître à la caution cette faculté, l’exposerait donc à être plus rigoureusement tenu que le débiteur principal.

Or cette situation serait contraire au principe de limitation de l’étendue de l’engagement de caution à celle de l’obligation principale.

D’où le principe d’opposabilité des exceptions institué en matière de cautionnement ; il en est d’ailleurs l’un des principaux marqueurs.

À cet égard, il peut être observé que la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne s’est pas limitée à réaffirmer ce principe, elle en a renforcé la portée.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

En substance :

  • Les exceptions inhérentes à la dette sont celles qui affectent son existence, sa validité, son étendue ou encore ses modalités (prescription, nullité, novation, paiement, confusion, compensation, résolution, caducité etc.)
  • Les exceptions personnelles au débiteur sont celles qui affectent l’exercice du droit de poursuite des créanciers en cas de défaillance de celui-ci (incapacité du débiteur, délais de grâce, suspension des poursuites en cas de procédure collective etc.)

Seules les exceptions inhérentes à la dette étaient susceptibles d’être opposées par la caution au débiteur avant la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

Dans un premier temps, la jurisprudence a adopté une approche restrictive de la notion d’exception personnelle en ne retenant de façon constante comme exception inopposable au créancier que celles tirées de l’incapacité du débiteur.

Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en élargissant, de façon significative, le domaine des cas d’inopposabilité des exceptions.

Dans un arrêt du 8 juin 2007, la Cour de cassation a ainsi jugé que la caution « n’était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal et qui, destinée à protéger ce dernier, constituait une exception purement personnelle » (Cass. ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15.602).

Elle a, par suite, étendu cette solution à toutes les causes de nullité relative (V. en ce sens Cass. com., 13 oct. 2015, n° 14-19.734).

La première chambre civile est allée jusqu’à juger que la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution en ce qu’elle constituait « une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service » (Cass. 1ère civ. 11 déc. 2019, n°18-16.147).

En restreignant considérablement le domaine des exceptions inhérentes à la dette, il a été reproché à la haute juridiction de déconnecter l’engagement de la caution de l’obligation principale en ce qu’il est de nombreux cas où elle était devenue plus rigoureusement tenue que le débiteur lui-même.

Attentif aux critiques – nombreuses – émises par la doctrine et reprenant la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés, le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de mettre un terme à l’inflation des cas d’inopposabilité des exceptions.

Par souci de simplicité et de sécurité juridique, il a donc été décidé d’abolir la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

D’où la formulation du nouvel article 2298 du Code civil qui pose le principe selon lequel la caution peut opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient personnelles à ce dernier ou inhérentes à la dette.

En reconnaissant à la caution le bénéfice des mêmes moyens de défense que ceux dont jouit le débiteur principal, le législateur a ainsi redonné une place centrale au caractère accessoire du cautionnement.

==> Dérogations

Il est seulement deux cas où le principe d’opposabilité des exceptions est écarté :

  • Premier cas
    • L’article 2298 du Code civil prévoit que l’incapacité du débiteur ne peut jamais être opposée par la caution au créancier.
    • Cette règle, qui déroge au caractère accessoire du cautionnement, se justifie par le caractère purement personnel de l’exception au débiteur.
    • Surtout, elle vise à favoriser le crédit des incapables dont les engagements doivent pouvoir être aisément cautionnés.
    • Pour ce faire, il est nécessaire de garantir au créancier qu’il ne risque pas de se voir opposer par la caution l’incapacité de son débiteur
    • D’où la dérogation portée au principe d’opposabilité des exceptions pour les personnes incapables (mineurs ou majeurs).
  • Second cas
    • L’alinéa 2 de l’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire. »
    • Aussi par dérogation au principe d’opposabilité des exceptions, la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance (les délais de grâce d’origine légale ou judiciaire, suspension des poursuites dans le cadre d’une procédure collective etc.).
    • La raison en est que le cautionnement a précisément pour finalité de couvrir une telle défaillance.
    • L’ordonnance du 15 septembre 2015 est ici venue clarifier le principe qui était pour le moins obscur sous l’empire du droit antérieur.
    • Il est toutefois admis que le droit des procédures collectives ou le droit du surendettement puissent prévoir, dans certains cas, des solutions différentes en fonction des objectifs qui sont les leurs.
    • Tel sera notamment le cas en présence de cautions personnes physiques dirigeantes qui, par exemple, bénéficient de l’arrêt du cours des intérêts et peuvent se prévaloir de l’inopposabilité de la créance non déclarée.

4. La transmission du cautionnement

Parce que le cautionnement présente un caractère accessoire, il suit l’obligation principale.

Il en résulte que, en cas de cession de créance, le cessionnaire se verra également transférer le bénéfice du cautionnement contracté au profit du cédant.

L’article 1321 du Code civil prévoit en ce sens que la cession « s’étend aux accessoires de la créance ».

Par accessoires, il faut comprendre toutes les sûretés attachées à la créance cédée, ce qui inclut les sûretés personnelles et donc le cautionnement.

À cet égard, non seulement la cession de créance emporte transmission du cautionnement au cédant, mais encore, conformément à l’article 1326 du Code civil, elle met à la charge du cessionnaire une obligation de garantir l’existence des accessoires de la créance.

II) Le caractère consensuel  du cautionnement

I) Principe

Il est admis que, conformément en application du principe du consensualisme, le cautionnement appartient à la catégorie des contrats consensuels.

Pour mémoire le contrat consensuel est celui qui se « forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression ».

Il s’oppose au contrat solennel dont la validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi.

À cet égard, des auteurs soulignent que « quand la loi impose une exigence qui pourrait apparaître comme une condition de forme, elle doit être interprétée comme une règle de preuve afin de ne pas altérer le caractère consensuel du contrat »[7].

S’agissant du contrat de cautionnement il est réputé, par principe, formé dès lors que la volonté de la caution de s’engager a rencontré l’acceptation du créancier.

Si donc aucune forme particulière n’est, a priori, requise pour que le cautionnement soit valablement conclu, l’article 2294 du Code civil exige néanmoins qu’il soit « exprès ».

Par exprès, il faut comprendre que l’engagement de la caution doit être établi avec suffisamment de certitude.

Autrement dit, la caution doit avoir manifesté clairement la volonté de s’obliger au profit du créancier.

Cette volonté ne saurait se déduire des circonstances ou être tacite ; elle doit être positivement exprimée.

L’engagement oral de la caution est donc, par principe, pleinement valable, pourvu qu’il ne soit pas équivoque.

Dans un arrêt du 24 avril 1968 la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis l’existence d’un cautionnement « par de simples présomptions » (Cass. civ. 24 avr. 1968).

S’agissant de l’acceptation du créancier, contrairement à l’engagement de la caution, il n’est pas exigé qu’il soit exprès.

Il est, en effet, admis que la volonté du créancier d’accepter le cautionnement soit tacitement exprimée, soit qu’elle puisse se déduire d’indices ou de son comportement (V. en ce sens Cass. com., 13 nov. 1972).

II) Exceptions

==> L’exception tenant au formalisme exigé à titre de preuve

Parce que le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est soumis aux exigences probatoires énoncées par l’article 1376 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres ».

Appliquée au cautionnement, cette règle signifie que l’acte qui constate l’engagement de caution n’a valeur de preuve qu’à la condition qu’il soit assorti d’une mention manuscrite apposée par la caution.

Si, conformément au principe du consensualisme, il a toujours été admis que cette mention manuscrite était exigée ad probationem, la Cour de cassation a, au cours des années 1980, adopté la position radicalement inverse en jugeant qu’il s’agissait là d’une condition de validité du cautionnement.

Dans un arrêt du 22 février 1984, elle a affirmé en ce sens « qu’il résulte de la combinaison des articles 1326 et 2015 du Code civil que les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituent pas de simples règles de preuve mais ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 22 févr. 1984, n°82-17.077).

La première chambre civile a réaffirmé, dans les mêmes termes cette position dans un arrêt du 30 juin 1987 (Cass. 1ère civ. 30 juin 1987, n°85-15.760).

La solution retenue par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, les auteurs lui reprochant de se détourner de l’esprit des textes.

Au surplus, cette solution revenait à conférer un caractère solennel au cautionnement, ce qu’il n’est pas.

De son côté, la Chambre commerciale a refusé l’évolution jurisprudentielle – que d’aucuns ont qualifiée d’excès de formalisme – opéré par la Première chambre civile en jugeant que le défaut de mention manuscrite ne remettait nullement en cause la validité de l’acte constatant le cautionnement qui donc conservait sa valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. com. 6 juin 1985, n°83-15.356).

Finalement, la première chambre civile s’est progressivement ralliée à la chambre commerciale.

Dans une première décision, elle a d’abord jugé que les exigences de signature et de mention manuscrite posées par l’ancien article 1326 du Code civil (devenu 1376 C. civ.) constituaient des « règles de preuve [qui] ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 15 nov. 1989, n°87-18.003).

Puis, dans une seconde décision rendue deux ans plus tard, elle en a tiré la conséquence que, « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » et que donc l’engagement de caution n’était pas nul (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

Si cette solution a eu pour effet de ramener le cautionnement dans le giron des contrats consensuels, cela est sans compter sur les incursions du législateur qui, guidé par la volonté de protéger la caution, a, en parallèle, progressivement institué un formalisme ad validitatem.

==> L’exception tenant aux règles de protection de la caution

Alors que le cautionnement a toujours été envisagé un contrat consensuel, la loi n°89-1010 du 31 décembre 1989, dite Neiertz, est venue semer le doute en soumettant le cautionnement conclu sous seing privé par une personne physique à l’exigence d’apposition d’une mention manuscrite sur l’acte.

L’ancien article L. 313-7 du Code de la consommation prévoyait en ce sens que la personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution pour l’une des opérations de crédit à la consommation ou de crédit immobilier doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci :

« En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même ».

Cette mention était ainsi exigée ad validitatem, ce qui dès lors faisait conférait au cautionnement une dimension solennelle.

Puis la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, dite Dutreil, a étendu l’exigence de reproduction de la mention manuscrite à tous les cautionnements souscrits par une personne physique sous seing privé au profit d’un créancier professionnel, peu importe la nature de l’opération cautionnée.

Depuis l’adoption de cette loi, les auteurs s’accordent à dire que le cautionnement doit désormais être regardé comme un contrat solennel, le législateur ayant érigé le formalisme en principe et reléguer le consensualisme au rang des exceptions.

La réforme opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 n’y a rien changé.

L’exigence de mention manuscrite a été réaffirmée à l’article 2297 du Code civil. La règle s’applique désormais à tous les cautionnements souscrits par des personnes physiques quelle que soit la qualité du créancier (professionnel ou non professionnel)

Seule modification opérée par la réforme : la formule sacramentelle dictée par la loi a été abolie. Désormais, la mention doit simplement exprimer, avec suffisamment de précision, la nature et la portée de l’engagement de la caution.

Au bilan, cette évolution du régime de la mention manuscrite est sans incidence sur le caractère solennel du cautionnement qui a pris le pas sur son caractère consensuel.

III) Le caractère unilatéral  du cautionnement

A) Signification

À l’origine le cautionnement a été envisagé comme ne créant d’obligation qu’à la charge de la seule caution.

S’il s’agit bien d’un contrat, car supposant l’accord des deux parties (caution et créancier), l’obligation qui pèse sur la caution (payer le créancier en cas de défaillance du débiteur) n’est assortie d’aucune contrepartie.

Cette particularité du cautionnement conduit à le classer dans la catégorie des contrats unilatéraux.

Pour mémoire, l’article 1106 du Code civil prévoit qu’un contrat est unilatéral « lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci. »

Le cautionnement répond pleinement à cette définition : seule la caution s’oblige envers le créancier qui doit accepter cet engagement faute de quoi le contrat n’est pas conclu.

À cet égard, si le caractère unilatéral du cautionnement n’est, aujourd’hui, pas contesté, une nuance doit néanmoins être apportée.

En effet, une analyse des textes révèle que l’engagement pris par la caution envers le créancier n’est pas la seule obligation créée par le cautionnement.

Surtout, il apparaît qu’un certain nombre d’obligations ont été mises à la charge du créancier, ce qui dès lors interroge sur le bien-fondé du caractère unilatéral que l’on prête au cautionnement, à tout le moins a pu semer le doute dans les esprits.

Par exemple, il pèse sur le créancier une obligation d’information de la caution sur l’état des remboursements de la dette principale. Il a encore été mis la charge de ce dernier une obligation de proportionnalité et de mise en garde.

Ces obligations – toujours plus nombreuses et rigoureuses – sont le fruit d’une succession de réformes qui ont visé à renforcer la protection de la caution.

La question s’est alors posée est de savoir si la multiplication des obligations qui ont été mises à la charge du créancier n’était pas de nature à priver le cautionnement de son caractère unilatéral.

Pour la doctrine majoritaire il n’en est rien dans la mesure où ces obligations ne constituent, en aucune manière, la contrepartie à l’engagement de la caution.

Un contrat synallagmatique, qui est la figure juridique opposé du contrat unilatéral, présente la particularité de créer des obligations réciproques entre les parties.

Par obligations réciproques, il faut entendre des obligations interdépendantes qui se servent mutuellement de contrepartie (ou de cause).

Tel n’est pas le cas des obligations qui pèsent sur le créancier qui « ne constituent pas l’engagement réciproque de celui qui a souscrit la caution »[8].

Il s’agit là d’obligations purement légales dont la fonction est seulement d’assurer la protection de la caution et non de lui fournir une quelconque contrepartie.

B) Conséquences

La qualification du cautionnement de contrat unilatéral emporte deux conséquences majeures :

  • Première conséquence
    • Parce qu’il présente un caractère unilatéral, le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du « double original ».
    • Cette formalité est réservée aux seuls contrats synallagmatiques.
    • L’article 1375 du Code civil prévoit en ce sens que « l’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé.»
    • Aussi, en pratique, le cautionnement ne sera établi qu’en un seul exemplaire, lequel sera conservé presque systématiquement par le créancier.
    • Aucune obligation ne pèse donc sur les établissements de crédit de remettre un exemplaire au client au profit duquel le cautionnement a été souscrit.
  • Seconde conséquence
    • Si le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du double original, il n’échappe pas pour autant à toute formalité probatoire.
    • L’article 1376 du Code civil prévoit, en effet, que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres»
    • Ainsi, pour valoir de preuve, l’acte de cautionnement doit comporter la signature de la caution et la mention manuscrite de la somme garantie en chiffres et en lettres.

C) Tempérament

Si, par nature, le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est des cas où il pourra présenter un caractère synallagmatique.

Il en ira ainsi, la caution s’engagera en contrepartie de la souscription d’obligations par le créancier.

Il pourra ainsi s’agir pour lui de consentir une remise de dette au débiteur, de proroger le terme ou encore de réduire le taux d’intérêt du prêt cautionné.

Dès lors que la caution s’engage en considération de l’engagement pris par le créancier, le cautionnement devient un contrat synallagmatique.

Il en résulte qu’il devra alors être établi en double original, conformément à l’existence posée à l’article 1375 du Code civil.

[1] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°56, p. 44

[3] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 7e éd., 2005, p. 249, v. « crédit ».

[4] F. Grua, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec, 2001, n°324.

[5] Ph. Simler, Le cautionnement – Définition, critère distinctif et caractères, Jurisclasseur, art. 2288 à 2320, Fasc. 10

[6] Pour une approche nuancée de cette thèse, V. notamment M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°145, p. 91

[7] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°74, p.55.

[8] M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°108, p. 75

Le caractère consensuel du cautionnement

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

Nous nous focaliserons ici sur le caractère consensuel du cautionnement.

I) Principe

Il est admis que, conformément au principe du consensualisme, le cautionnement appartient à la catégorie des contrats consensuels.

Pour mémoire le contrat consensuel est celui qui se « forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression ».

Il s’oppose au contrat solennel dont la validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi.

À cet égard, des auteurs soulignent que « quand la loi impose une exigence qui pourrait apparaître comme une condition de forme, elle doit être interprétée comme une règle de preuve afin de ne pas altérer le caractère consensuel du contrat »[1].

S’agissant du contrat de cautionnement il est réputé, par principe, formé dès lors que la volonté de la caution de s’engager a rencontré l’acceptation du créancier.

Si donc aucune forme particulière n’est, a priori, requise pour que le cautionnement soit valablement conclu, l’article 2294 du Code civil exige néanmoins qu’il soit « exprès ».

Par exprès, il faut comprendre que l’engagement de la caution doit être établi avec suffisamment de certitude.

Autrement dit, la caution doit avoir manifesté clairement la volonté de s’obliger au profit du créancier.

Cette volonté ne saurait se déduire des circonstances ou être tacite ; elle doit être positivement exprimée.

L’engagement oral de la caution est donc, par principe, pleinement valable, pourvu qu’il ne soit pas équivoque.

Dans un arrêt du 24 avril 1968 la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis l’existence d’un cautionnement « par de simples présomptions » (Cass. civ. 24 avr. 1968).

S’agissant de l’acceptation du créancier, contrairement à l’engagement de la caution, il n’est pas exigé qu’il soit exprès.

Il est, en effet, admis que la volonté du créancier d’accepter le cautionnement soit tacitement exprimée, soit qu’elle puisse se déduire d’indices ou de son comportement (V. en ce sens Cass. com., 13 nov. 1972).

II) Exceptions

==> L’exception tenant au formalisme exigé à titre de preuve

Parce que le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est soumis aux exigences probatoires énoncées par l’article 1376 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres ».

Appliquée au cautionnement, cette règle signifie que l’acte qui constate l’engagement de caution n’a valeur de preuve qu’à la condition qu’il soit assorti d’une mention manuscrite apposée par la caution.

Si, conformément au principe du consensualisme, il a toujours été admis que cette mention manuscrite était exigée ad probationem, la Cour de cassation a, au cours des années 1980, adopté la position radicalement inverse en jugeant qu’il s’agissait là d’une condition de validité du cautionnement.

Dans un arrêt du 22 février 1984, elle a affirmé en ce sens « qu’il résulte de la combinaison des articles 1326 et 2015 du Code civil que les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituent pas de simples règles de preuve mais ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 22 févr. 1984, n°82-17.077).

La première chambre civile a réaffirmé, dans les mêmes termes cette position dans un arrêt du 30 juin 1987 (Cass. 1ère civ. 30 juin 1987, n°85-15.760).

La solution retenue par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, les auteurs lui reprochant de se détourner de l’esprit des textes.

Au surplus, cette solution revenait à conférer un caractère solennel au cautionnement, ce qu’il n’est pas.

De son côté, la Chambre commerciale a refusé l’évolution jurisprudentielle – que d’aucuns ont qualifiée d’excès de formalisme – opéré par la Première chambre civile en jugeant que le défaut de mention manuscrite ne remettait nullement en cause la validité de l’acte constatant le cautionnement qui donc conservait sa valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. com. 6 juin 1985, n°83-15.356).

Finalement, la première chambre civile s’est progressivement ralliée à la chambre commerciale.

Dans une première décision, elle a d’abord jugé que les exigences de signature et de mention manuscrite posées par l’ancien article 1326 du Code civil (devenu 1376 C. civ.) constituaient des « règles de preuve [qui] ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 15 nov. 1989, n°87-18.003).

Puis, dans une seconde décision rendue deux ans plus tard, elle en a tiré la conséquence que, « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » et que donc l’engagement de caution n’était pas nul (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

Si cette solution a eu pour effet de ramener le cautionnement dans le giron des contrats consensuels, cela est sans compter sur les incursions du législateur qui, guidé par la volonté de protéger la caution, a, en parallèle, progressivement institué un formalisme ad validitatem.

==> L’exception tenant aux règles de protection de la caution

Alors que le cautionnement a toujours été envisagé un contrat consensuel, la loi n°89-1010 du 31 décembre 1989, dite Neiertz, est venue semer le doute en soumettant le cautionnement conclu sous seing privé par une personne physique à l’exigence d’apposition d’une mention manuscrite sur l’acte.

L’ancien article L. 313-7 du Code de la consommation prévoyait en ce sens que la personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution pour l’une des opérations de crédit à la consommation ou de crédit immobilier doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci :

« En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même ».

Cette mention était ainsi exigée ad validitatem, ce qui dès lors faisait conférait au cautionnement une dimension solennelle.

Puis la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, dite Dutreil, a étendu l’exigence de reproduction de la mention manuscrite à tous les cautionnements souscrits par une personne physique sous seing privé au profit d’un créancier professionnel, peu importe la nature de l’opération cautionnée.

Depuis l’adoption de cette loi, les auteurs s’accordent à dire que le cautionnement doit désormais être regardé comme un contrat solennel, le législateur ayant érigé le formalisme en principe et reléguer le consensualisme au rang des exceptions.

La réforme opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 n’y a rien changé.

L’exigence de mention manuscrite a été réaffirmée à l’article 2297 du Code civil. La règle s’applique désormais à tous les cautionnements souscrits par des personnes physiques quelle que soit la qualité du créancier (professionnel ou non professionnel)

Seule modification opérée par la réforme : la formule sacramentelle dictée par la loi a été abolie. Désormais, la mention doit simplement exprimer, avec suffisamment de précision, la nature et la portée de l’engagement de la caution.

Au bilan, cette évolution du régime de la mention manuscrite est sans incidence sur le caractère solennel du cautionnement qui a pris le pas sur son caractère consensuel.

[1] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°74, p.55.

Le caractère unilatéral du cautionnement

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

Nous nous focaliserons ici sur le caractère unilatéral du cautionnement.

I) Signification

À l’origine le cautionnement a été envisagé comme ne créant d’obligation qu’à la charge de la seule caution.

S’il s’agit bien d’un contrat, car supposant l’accord des deux parties (caution et créancier), l’obligation qui pèse sur la caution (payer le créancier en cas de défaillance du débiteur) n’est assortie d’aucune contrepartie.

Cette particularité du cautionnement conduit à le classer dans la catégorie des contrats unilatéraux.

Pour mémoire, l’article 1106 du Code civil prévoit qu’un contrat est unilatéral « lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci. »

Le cautionnement répond pleinement à cette définition : seule la caution s’oblige envers le créancier qui doit accepter cet engagement faute de quoi le contrat n’est pas conclu.

À cet égard, si le caractère unilatéral du cautionnement n’est, aujourd’hui, pas contesté, une nuance doit néanmoins être apportée.

En effet, une analyse des textes révèle que l’engagement pris par la caution envers le créancier n’est pas la seule obligation créée par le cautionnement.

Surtout, il apparaît qu’un certain nombre d’obligations ont été mises à la charge du créancier, ce qui dès lors interroge sur le bien-fondé du caractère unilatéral que l’on prête au cautionnement, à tout le moins a pu semer le doute dans les esprits.

Par exemple, il pèse sur le créancier une obligation d’information de la caution sur l’état des remboursements de la dette principale. Il a encore été mis la charge de ce dernier une obligation de proportionnalité et de mise en garde.

Ces obligations – toujours plus nombreuses et rigoureuses – sont le fruit d’une succession de réformes qui ont visé à renforcer la protection de la caution.

La question s’est alors posée est de savoir si la multiplication des obligations qui ont été mises à la charge du créancier n’était pas de nature à priver le cautionnement de son caractère unilatéral.

Pour la doctrine majoritaire il n’en est rien dans la mesure où ces obligations ne constituent, en aucune manière, la contrepartie à l’engagement de la caution.

Un contrat synallagmatique, qui est la figure juridique opposé du contrat unilatéral, présente la particularité de créer des obligations réciproques entre les parties.

Par obligations réciproques, il faut entendre des obligations interdépendantes qui se servent mutuellement de contrepartie (ou de cause).

Tel n’est pas le cas des obligations qui pèsent sur le créancier qui « ne constituent pas l’engagement réciproque de celui qui a souscrit la caution »[1].

Il s’agit là d’obligations purement légales dont la fonction est seulement d’assurer la protection de la caution et non de lui fournir une quelconque contrepartie.

II) Conséquences

La qualification du cautionnement de contrat unilatéral emporte deux conséquences majeures :

  • Première conséquence
    • Parce qu’il présente un caractère unilatéral, le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du « double original ».
    • Cette formalité est réservée aux seuls contrats synallagmatiques.
    • L’article 1375 du Code civil prévoit en ce sens que « l’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé.»
    • Aussi, en pratique, le cautionnement ne sera établi qu’en un seul exemplaire, lequel sera conservé presque systématiquement par le créancier.
    • Aucune obligation ne pèse donc sur les établissements de crédit de remettre un exemplaire au client au profit duquel le cautionnement a été souscrit.
  • Seconde conséquence
    • Si le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du double original, il n’échappe pas pour autant à toute formalité probatoire.
    • L’article 1376 du Code civil prévoit, en effet, que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres»
    • Ainsi, pour valoir de preuve, l’acte de cautionnement doit comporter la signature de la caution et la mention manuscrite de la somme garantie en chiffres et en lettres.

III) Tempérament

Si, par nature, le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est des cas où il pourra présenter un caractère synallagmatique.

Il en ira ainsi, la caution s’engagera en contrepartie de la souscription d’obligations par le créancier.

Il pourra ainsi s’agir pour lui de consentir une remise de dette au débiteur, de proroger le terme ou encore de réduire le taux d’intérêt du prêt cautionné.

Dès lors que la caution s’engage en considération de l’engagement pris par le créancier, le cautionnement devient un contrat synallagmatique.

Il en résulte qu’il devra alors être établi en double original, conformément à l’existence posée à l’article 1375 du Code civil.

[1] M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°108, p. 75

Le caractère accessoire du cautionnement

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

Nous nous focaliserions ici sur le caractère accessoire du cautionnement.

I) Signification du caractère accessoire

Il est de l’essence du cautionnement de présenter un caractère accessoire, en ce sens qu’il est affecté au service de l’obligation principale qu’il garantit.

Par accessoire, il faut comprendre, autrement dit, que le cautionnement suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle il se rattache.

Ainsi que le relève Philippe Simler « le cautionnement est à tous égards directement et étroitement dépendant de cette obligation : son existence et sa validité, son étendue, les conditions de son exécution et de son extinction sont déterminées par ce lien »[2].

La raison en est que l’engagement de la caution se rapporte à la même dette qui pèse sur la tête du débiteur. On dit qu’il y a « unicité de la dette », ce qui est confirmé par l’article 2288 qui prévoit que « la caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur »[3].

Il en résulte que tout ce qui est susceptible d’affecter la dette cautionnée a vocation à se répercuter sur l’obligation de la caution.

À l’analyse, le caractère accessoire du cautionnement n’est affirmé expressément par aucun texte. La réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a pas procédé au comblement de ce vide que la doctrine appelait pourtant de ses vœux.

L’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant proposait ainsi d’introduire un article 2286-2 du Code civil qui aurait posé un principe général, applicable à toutes les sûretés, selon lequel « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie ».

Cette proposition n’a finalement pas été retenue, le législateur estimant que le caractère accessoire du cautionnement se dégageait suffisamment clairement d’un certain nombre de dispositions du Code civil.

Il est, en effet, plusieurs textes qui expriment la dépendance de l’engagement de la caution par rapport à l’obligation principale. Les manifestations du caractère accessoire du cautionnement sont multiples.

II) Les manifestations du caractère accessoire

Le caractère accessoire reconnu au cautionnement se dégage donc de plusieurs règles :

A) L’existence du cautionnement

L’article 2293 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable ».

Il ressort de cette disposition que l’existence même du cautionnement dépend de la validité de l’obligation principale.

Autrement dit, la nullité ou l’inexistence de cette obligation a pour effet de rendre caduc le cautionnement.

À cet égard, il peut être observé que cette exigence ne fait pas obstacle au cautionnement d’une dette future, pourvu que cette dette soit déterminable et qu’elle ne soit pas frappée d’inexistence le jour où la caution est appelée en garantie (art. 2292, al. 1er C. civ.).

B) L’étendue du cautionnement

L’article 2296 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il s’infère de cette règle que la caution ne saurait être engagée, ni au-delà du montant de l’obligation principale, ni en des termes plus rigoureux.

La dette cautionnée constitue ainsi le plafond du cautionnement ; la caution ne doit jamais payer plus que ce qui est dû par le débiteur principal.

Rien n’interdit néanmoins, comme énoncé par le second alinéa de l’article 2296 qu’il soit « contracté pour une partie de la dette seulement et sous des conditions moins onéreuses ».

C) L’opposabilité des exceptions

==> Principe

L’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293. »

Par exception, il faut entendre tout moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité (causes de nullité, prescription, inexécution, cause d’extinction de la créance etc…).

Le principe d’opposabilité des exceptions puise directement son fondement dans le caractère accessoire du cautionnement.

Parce que la caution ne peut être tenue à plus que ce qui est du par le débiteur principal, elle doit être en mesure d’opposer au créancier tous les moyens que pourrait lui opposer le débiteur principal afin de se décharger de son obligation, à tout le moins de la limiter.

Il ne faudrait pas, en effet, que le débiteur principal puisse se libérer de son obligation, tandis que la caution serait contrainte, faute de pouvoir opposer les mêmes moyens de défense que le débiteur au créancier, de le payer.

Ne pas reconnaître à la caution cette faculté, l’exposerait donc à être plus rigoureusement tenue que le débiteur principal.

Or cette situation serait contraire au principe de limitation de l’étendue de l’engagement de caution à celle de l’obligation principale.

D’où le principe d’opposabilité des exceptions institué en matière de cautionnement ; il en est d’ailleurs l’un des principaux marqueurs.

À cet égard, il peut être observé que la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne s’est pas limitée à réaffirmer ce principe, elle en a renforcé la portée.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

En substance :

  • Les exceptions inhérentes à la dette sont celles qui affectent son existence, sa validité, son étendue ou encore ses modalités (prescription, nullité, novation, paiement, confusion, compensation, résolution, caducité etc.)
  • Les exceptions personnelles au débiteur sont celles qui affectent l’exercice du droit de poursuite des créanciers en cas de défaillance de celui-ci (incapacité du débiteur, délais de grâce, suspension des poursuites en cas de procédure collective etc.)

Seules les exceptions inhérentes à la dette étaient susceptibles d’être opposées par la caution au débiteur avant la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

Dans un premier temps, la jurisprudence a adopté une approche restrictive de la notion d’exception personnelle en ne retenant de façon constante comme exception inopposable au créancier que celles tirées de l’incapacité du débiteur.

Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en élargissant, de façon significative, le domaine des cas d’inopposabilité des exceptions.

Dans un arrêt du 8 juin 2007, la Cour de cassation a ainsi jugé que la caution « n’était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal et qui, destinée à protéger ce dernier, constituait une exception purement personnelle » (Cass. ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15.602).

Elle a, par suite, étendu cette solution à toutes les causes de nullité relative (V. en ce sens Cass. com., 13 oct. 2015, n° 14-19.734).

La première chambre civile est allée jusqu’à juger que la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution en ce qu’elle constituait « une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service » (Cass. 1ère civ. 11 déc. 2019, n°18-16.147).

En restreignant considérablement le domaine des exceptions inhérentes à la dette, il a été reproché à la haute juridiction de déconnecter l’engagement de la caution de l’obligation principale en ce qu’il est de nombreux cas où elle était devenue plus rigoureusement tenue que le débiteur lui-même.

Attentif aux critiques – nombreuses – émises par la doctrine et reprenant la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés, le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de mettre un terme à l’inflation des cas d’inopposabilité des exceptions.

Par souci de simplicité et de sécurité juridique, il a donc été décidé d’abolir la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

D’où la formulation du nouvel article 2298 du Code civil qui pose le principe selon lequel la caution peut opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient personnelles à ce dernier ou inhérentes à la dette.

En reconnaissant à la caution le bénéfice des mêmes moyens de défense que ceux dont jouit le débiteur principal, le législateur a ainsi redonné une place centrale au caractère accessoire du cautionnement.

==> Dérogations

Il est seulement deux cas où le principe d’opposabilité des exceptions est écarté :

  • Premier cas
    • L’article 2298 du Code civil prévoit que l’incapacité du débiteur ne peut jamais être opposée par la caution au créancier.
    • Cette règle, qui déroge au caractère accessoire du cautionnement, se justifie par le caractère purement personnel de l’exception au débiteur.
    • Surtout, elle vise à favoriser le crédit des incapables dont les engagements doivent pouvoir être aisément cautionnés.
    • Pour ce faire, il est nécessaire de garantir au créancier qu’il ne risque pas de se voir opposer par la caution l’incapacité de son débiteur
    • D’où la dérogation portée au principe d’opposabilité des exceptions pour les personnes incapables (mineurs ou majeurs).
  • Second cas
    • L’alinéa 2 de l’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire. »
    • Aussi par dérogation au principe d’opposabilité des exceptions, la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance (les délais de grâce d’origine légale ou judiciaire, suspension des poursuites dans le cadre d’une procédure collective etc.).
    • La raison en est que le cautionnement a précisément pour finalité de couvrir une telle défaillance.
    • L’ordonnance du 15 septembre 2015 est ici venue clarifier le principe qui était pour le moins obscur sous l’empire du droit antérieur.
    • Il est toutefois admis que le droit des procédures collectives ou le droit du surendettement puissent prévoir, dans certains cas, des solutions différentes en fonction des objectifs qui sont les leurs.
    • Tel sera notamment le cas en présence de cautions personnes physiques dirigeantes qui, par exemple, bénéficient de l’arrêt du cours des intérêts et peuvent se prévaloir de l’inopposabilité de la créance non déclarée.

IV) La transmission du cautionnement

Parce que le cautionnement présente un caractère accessoire, il suit l’obligation principale.

Il en résulte que, en cas de cession de créance, le cessionnaire se verra également transférer le bénéfice du cautionnement contracté au profit du cédant.

L’article 1321 du Code civil prévoit en ce sens que la cession « s’étend aux accessoires de la créance ».

Par accessoires, il faut comprendre toutes les sûretés attachées à la créance cédée, ce qui inclut les sûretés personnelles et donc le cautionnement.

À cet égard, non seulement la cession de créance emporte transmission du cautionnement au cédant, mais encore, conformément à l’article 1326 du Code civil, elle met à la charge du cessionnaire une obligation de garantir l’existence des accessoires de la créance.

[1] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[2] Ph. Simler, Le cautionnement – Définition, critère distinctif et caractères, Jurisclasseur, art. 2288 à 2320, Fasc. 10

[3] Pour une approche nuancée de cette thèse, V. notamment M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°145, p. 91

Cautionnement: la qualification de l’accord conclu entre le débiteur et la caution

À la différence du lien qui unit le créancier au débiteur principal ou le créancier à la caution dont la qualification ne soulève pas de difficulté – il s’agit dans les deux cas d’un contrat – le rapport que la caution entretient avec le débiteur se laisse, quant à lui, plus difficilement saisir.

La raison en est que la nature de ce rapport est susceptible de varier selon les circonstances qui ont conduit à la conclusion du cautionnement.

Deux situations doivent être distinguées :

  • Le cautionnement n’a pas été conclu à la demande du débiteur
  • Le cautionnement a été conclu à la demande du débiteur

I) Le cautionnement n’a pas été conclu à la demande du débiteur

Dans cette hypothèse, le cautionnement a été conclu sans que le débiteur ait donné son accord. Tout au plus, il peut avoir été informé de l’opération. Il n’en est toutefois pas à l’origine.

Faute de rencontre des volontés entre le débiteur et la caution, la qualification de contrat du lien qui les unit doit d’emblée être écartée.

Leur relation présente un caractère purement légal. Aussi, est-elle réduite à sa plus simple expression, soit se limite, en simplifiant à l’extrême, aux seuls recours que la loi confère à la caution contre le débiteur défaillant.

Au nombre de ces recours figurent :

  • Le recours personnel
    • L’article 2308 du Code civil prévoit que « la caution qui a payé tout ou partie de la dette a un recours personnel contre le débiteur tant pour les sommes qu’elle a payées que pour les intérêts et les frais. »
  • Le recours subrogatoire
    • L’article 2309 du Code civil prévoit que « la caution qui a payé tout ou partie de la dette est subrogée dans les droits qu’avait le créancier contre le débiteur.»

Réciproquement, on pourrait imaginer que le débiteur dispose d’un recours contre la caution pour le cas où cette dernière ne déférerait pas à l’appel en garantie du créancier, cette situation étant susceptible de lui causer un préjudice.

Reste que, dans la configuration envisagée ici, l’engagement de caution a été pris indépendamment de la volonté du débiteur.

Dans ces conditions, on voit mal comment celui-ci pourrait se prévaloir d’une obligation qui n’est, ni prévue par la loi, ni ne peut trouver sa source dans un contrat.

D’aucuns soutiennent que lorsque le cautionnement est souscrit à l’insu du débiteur, il s’analyse en une gestion d’affaires, car il répondrait aux critères de l’acte de gestion utile.

Cette qualification, si elle était retenue par le juge, pourrait alors fonder une action du débiteur contre la caution, au titre des obligations qui pèsent sur le gérant d’affaires.

L’article 1301 du Code civil prévoit notamment qu’il « est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire. »

L’article 1301-1 précise que le gérant « est tenu d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’une personne raisonnable ; il doit poursuivre la gestion jusqu’à ce que le maître de l’affaire ou son successeur soit en mesure d’y pourvoir ».

Si l’on transpose ces règles au cautionnement, cela signifie que l’inexécution de l’engagement pris par la caution envers le créancier serait constitutive d’un manquement aux obligations qui lui échoient en sa qualité de gérant d’affaires.

Aussi, le débiteur serait-il fondé, en tant que maître de l’affaire, à engager la responsabilité de la caution.

Pour l’heure, aucune décision n’a, à notre connaissance, été rendue en ce sens. Par ailleurs, la doctrine est plutôt défavorable à l’application des règles de la gestion d’affaires au rapport caution-débiteur.

Des auteurs affirment en ce sens que la qualification de gestion d’affaires « nécessite une volonté de gérer les affaires d’autrui qui est ici trop ténue ; surtout, elle impliquerait la libération du garant dès l’acceptation de l’opération par le maître de l’affaire (le débiteur), ce qui est inconcevable »[2].

II) Le cautionnement a été conclu à la demande du débiteur

Dans l’hypothèse où le cautionnement a été souscrit par la caution à la demande du débiteur, ce qui correspond à la situation la plus fréquente, il est admis que le rapport qu’ils entretiennent entre eux présente un caractère contractuel.

La raison en est que, dans cette configuration, l’engagement pris par la caution procède d’un accord, tacite ou exprès, conclu avec le débiteur à titre gratuit ou onéreux.

Tel est le cas, par exemple, lorsque le débiteur sollicite un établissement bancaire aux fins qu’il lui fournisse, moyennant rémunération, un service de caution.

Le recours à une caution professionnelle peut être exigé, soit par la loi ou le juge, soit par le prêteur lui-même en contrepartie de l’octroi d’un crédit.

Quels que soit les caractères de l’accord conclu entre le débiteur et la caution, il est le produit d’une rencontre des volontés, en conséquence de quoi il s’analyse en un contrat.

Reste à déterminer la qualification de ce contrat, ce qui n’est pas sans avoir fait l’objet d’une importante controverse.

Plusieurs qualifications ont, en effet, été attribuées par les auteurs à l’accord conclu entre le débiteur et la caution.

Ces qualifications diffèrent néanmoins selon que l’accord initial a donné lieu ou non à la régularisation d’un cautionnement.

==> L’accord intervenu entre le débiteur et la caution a donné lieu à la conclusion d’un cautionnement

  • Le mandat
    • Les auteurs classiques ont d’abord vu dans le lien noué entre le débiteur et la caution un mandat.
    • En sollicitant la caution afin qu’elle garantisse l’exécution de l’obligation principale, le débiteur lui aurait, en effet, donné mandat de s’engager au profit du créancier.
    • A priori, cette approche est parfaitement compatible avec la qualification de mandat, lequel est défini à l’article 1984 du Code civil comme « l’acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom».
    • L’exécution du mandat consistant ainsi à accomplir un acte juridique au nom et pour le compte du mandant, il semble possible d’imaginer que cet acte puisse être un cautionnement.
    • Bien que séduisante, cette analyse est aujourd’hui unanimement réfutée par la doctrine.
    • Le principal argument avancé tient aux effets du mandat qui divergent fondamentalement de ceux attachés au contrat conclu entre le débiteur et la caution.
    • Lorsque dans le cadre de l’exercice de sa mission, le mandataire accompli un acte, il agit au nom et pour le compte du mandant, de sorte qu’il n’est pas engagé personnellement à l’opération.
    • Tel n’est pas le cas de la caution qui, lorsqu’elle conclut un cautionnement au profit du créancier, s’oblige personnellement à l’opération, quand bien même elle agit sur la demande du débiteur.
    • En cas de défaillance de celui-ci, c’est donc bien elle qui sera appelée en garantie et personne d’autre.
    • Pour cette raison, la relation que le débiteur entretient avec la caution ne peut pas s’analyser en un mandat.
  • Le contrat de commission
    • Afin de surmonter l’obstacle tenant aux effets du mandat qui, par nature, est une technique de représentation, des auteurs ont suggéré de qualifier le lien unissant le débiteur à la caution de mandat sans représentation, dont la forme la plus connue est le contrat de commission.
    • Au soutien de cette analyse, il est soutenu que le mandat pourrait avoir pour objet une représentation imparfaite, ce qui correspond à l’hypothèse où le représentant déclare agir pour le compte d’autrui mais contracte en son propre nom ( 1154, al. 2e C. civ.)
    • La conséquence en est qu’il devient seul engagé à l’égard du cocontractant.
    • Celui qui est réputé être partie à l’acte ce n’est donc pas le représenté, comme en matière de représentation parfaite, mais le représentant qui endosse les qualités de créanciers et débiteurs.
    • Appliqué au rapport entretenu entre le débiteur et la caution, la qualification de mandat sans représentation permet d’expliquer pourquoi la caution est seule engagée au contrat de cautionnement.
    • Reste que cette qualification n’est pas totalement satisfaisante, elle présente une faille.
    • En effet, la conclusion d’un mandat de représentation suppose que l’engagement pris par le mandataire, qui donc agit en son nom personnel, soit exactement le même que l’obligation mise à la charge du mandant après le dénouement de l’opération.
    • Tel n’est cependant pas le cas en matière de cautionnement : l’obligation souscrite par la caution est différente de l’obligation qui pèse sur le débiteur.
    • L’engagement de la caution se limite à payer le créancier en cas de défaillance du débiteur, tandis que l’obligation mise à la charge de celui-ci a pour objet la fourniture de la prestation initialement promise.
    • Les deux obligations ne sont pas les mêmes, raison pour laquelle la qualification de mandat sans représentation ne s’applique pas au rapport caution-débiteur.
  • La promesse de cautionnement
    • Autre qualification attribuée à la relation entretenue par la caution avec le débiteur : la promesse de cautionnement.
    • Selon cette thèse, défendue par Franck Steinmetz, la caution endosserait la qualité de promettant, en ce sens qu’elle promettrait au débiteur de s’engager auprès du créancier à garantir l’exécution de l’obligation principale.
    • Là encore, cette proposition de qualification du rapport caution-débiteur n’emporte pas la conviction.
    • En premier lieu, une promesse de contrat a pour objet la conclusion d’un contrat définitif.
    • Par hypothèse, elle est donc conclue entre les mêmes parties que celles qui concluront l’accord final.
    • L’opération de cautionnement ne correspond pas à cette situation : la caution promet au débiteur de s’obliger à titre définitif non pas envers lui ce qui n’aurait pas de sens, mais envers une tierce personne, le créancier.
    • Il n’y a donc pas identité de parties entre la promesse de cautionnement et le contrat de cautionnement stricto sensu.
    • En second lieu, à supposer que l’engagement pris par la caution envers le débiteur s’analyse en une promesse, leurs rapports devraient prendre fin au moment même où le contrat de cautionnement est conclu.
    • Or tel n’est pas le cas. La relation entre le débiteur et la caution se poursuit bel et bien tant que le cautionnement n’est pas éteint.
    • Pour les deux raisons ainsi exposées, la qualification de promesse de contrat doit être écartée.
  • Le contrat de crédit
    • S’il est une qualification du rapport débiteur-caution qui fait l’unanimité : c’est celle de contrat de crédit.
    • En promettant au débiteur de payer le créancier qui le solliciterait, l’opération s’analyse incontestablement en un crédit.
    • Classiquement, on définit le crédit comme l’« opération par laquelle une personne met ou fait mettre une somme d’argent à disposition d’une autre personne en raison de la confiance qu’elle lui fait»[3].
    • Bien que correspondant au sens commun que l’on attache, en première intention, au crédit, cette définition est pour le moins étroite, sinon réductrice des opérations que recouvre en réalité la notion de crédit.
    • En effet, le crédit ne doit pas être confondu avec le prêt d’argent qui ne connaît qu’une seule forme : la mise à disposition de fonds.
    • Tel n’est pas le cas du crédit qui, comme relevé par François Grua, « peut se réaliser de trois manières différentes : soit par la mise à disposition de fonds, soit par l’octroi d’un délai de paiement, soit par un engagement de garantie d’une dette»[4].
    • Cette approche est confirmée par l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier qui définit le crédit comme « tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie».
    • Il ressort de cette disposition que la loi envisage donc deux formes de crédit, la première consistant en la mise à disposition temporaire ou future de fonds, la seconde en l’octroi d’une garantie.
    • Le cautionnement, qui est nommément visé par le texte, appartient à la seconde catégorie.
    • Il constitue donc une opération de banque au sens de l’article L. 311-1 du Code monétaire et financier et relève donc, lorsqu’il est pratiqué de façon habituelle, du monopole des établissements bancaires et financiers ( L. 511-5, al. 1er CMF).
    • L’article 511-7 du Code monétaire et financier autorise toutefois une entreprise, « quelle que soit sa nature», dans l’exercice de son activité professionnelle, à consentir à ses contractants des délais ou avances de paiement.
    • En application de cette disposition, il a été admis qu’il pouvait également s’agir pour une entreprise de se porter caution ou sous-caution, y compris à titre habituel, au profit d’un partenaire commercial.

==> L’accord intervenu entre le débiteur et la caution a donné lieu à la conclusion d’un cautionnement

Il est des cas où, alors même que la caution s’est engagée envers le débiteur à le garantir de son obligation souscrite auprès du créancier, aucun cautionnement ne sera finalement régularisé.

Dans cette hypothèse, quelle qualification donner à l’accord conclu entre la caution et le débiteur ?

L’enjeu est ici de faire produire des effets à cet accord et plus encore de déterminer dans quelle mesure la caution est engagée envers le créancier alors même qu’elle n’a conclu aucun cautionnement avec lui, à tout le moins pas directement.

Certains auteurs estiment que, parce que l’accord intervenu entre la caution et le débiteur est pourvu de la force obligatoire attachée à n’importe quel contrat, la conclusion d’un contrat de cautionnement ne serait, au fond, pas indispensable.

Pratiquement, cela permettrait d’admettre qu’une caution puisse s’engager au profit d’un créancier indéterminé.

Au soutien de cette thèse, il a été soutenu que l’accord conclu entre le débiteur et la caution s’analyserait en une stipulation pour autrui.

Pour mémoire, la stipulation pour autrui est un contrat par lequel une partie appelée le stipulant, obtient d’une autre, appelée le promettant, l’engagement qu’elle donnera ou fera, ou ne fera pas quelque chose au profit d’un tiers appelé le bénéficiaire.

Il s’agit, autrement dit, de faire promettre, par voie contractuelle, à une personne qu’elle s’engage à accomplir une prestation au profit d’autrui.

L’une des applications la plus répandue de la stipulation pour autrui est l’assurance-vie. Le souscripteur du contrat d’assurance-vie fait promettre à l’assureur de verser un capital ou une rente, moyennant le paiement de primes, à un bénéficiaire désigné dans le contrat.

 

À l’instar du cautionnement, la stipulation pour autrui fait naître trois rapports :

  • Rapport stipulant-promettant
    • Parce que l’accord conclu entre le stipulant et le promettant s’analyse en un contrat, le promettant est tenu d’exécuter l’obligation promise à la faveur du bénéficiaire.
    • Ainsi, l’article 1209 du Code civil prévoit que « le stipulant peut lui-même exiger du promettant l’exécution de son engagement envers le bénéficiaire».
  • Rapport promettant-bénéficiaire
    • L’article 1206 du Code civil prévoit que « le bénéficiaire est investi d’un droit direct à la prestation contre le promettant dès la stipulation».
    • Cela signifie que le bénéficiaire peut contraindre le promettant à exécuter l’engagement pris à son profit aux termes de la stipulation, quand bien même il n’est pas partie au contrat.
    • C’est là l’originalité de la stipulation pour autrui, le droit dont est investi le bénéficiaire contre le promettant naît directement dans son patrimoine sans qu’il lui soit transmis par le stipulant.
  • Rapport stipulant-bénéficiaire
    • La stipulation pour autrui fait certes naître un droit direct au profit du bénéficiaire contre le promettant.
    • Ce droit demeure néanmoins précaire tant qu’il n’a pas été accepté par le bénéficiaire.
    • L’article 1206 du Code civil prévoit, en effet que « le stipulant peut librement révoquer la stipulation tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée.»
    • Ce n’est donc que lorsque le bénéficiaire a accepté la stipulation que le droit stipulé à son profit devient irrévocable.

Il ressort de l’articulation des rapports entretenus par les personnes intéressées à la stipulation pour autrui, que cette opération présente de nombreuses ressemblances avec le cautionnement.

Afin de déterminer s’il y a identité entre les deux, superposons les rapports de l’une et l’autre opération :

  • Tout d’abord, le rapport entre le stipulant et le promettant correspondrait au rapport débiteur-caution
  • Ensuite, le rapport entre le promettant et le bénéficiaire correspondrait quant à lui au rapport caution-créancier
  • Enfin, le rapport entre le stipulant et le bénéficiaire correspondrait au rapport débiteur-créancier

 

Si donc l’on raisonne par analogie, à supposer que l’opération de cautionnement s’analyse en une stipulation pour autrui, cela signifierait que la caution serait engagée envers le bénéficiaire du seul fait de l’accord conclu avec le débiteur.

Il en résulterait alors deux conséquences :

  • Le créancier pourrait poursuivre la caution, alors même qu’aucun contrat de cautionnement n’a été conclu entre eux
  • Le débiteur pourrait contraindre la caution à exécuter l’engagement pris envers le créancier

Bien que séduisante, l’analogie opérée par une partie de doctrine entre le cautionnement et la stipulation pour autrui ne résiste pas à la critique pour deux raisons principales.

En premier lieu, le cautionnement est un contrat. L’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés n’est pas revenue sur cette spécificité.

Le nouvel article 2288 du Code civil prévoit en ce sens que « le cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il en résulte qu’il ne peut valablement produire ses effets qu’à la condition qu’il y ait un échange des consentements entre la caution et le débiteur.

L’article 2294 précise, à cet égard, que le cautionnement doit être exprès, ce qui signifie qu’il ne peut pas être présumé.

C’est là une différence majeure avec la stipulation pour autrui dont l’originalité réside précisément dans la création d’un lien d’obligation entre le promettant et le bénéficiaire sans qu’aucun accord ne soit directement intervenu entre eux.

Le promettant est personnellement engagé envers le bénéficiaire du seul fait du contrat conclu avec le stipulant.

Pour cette seule raison, l’analogie entre le cautionnement et la stipulation pour autrui est inopérante.

En second lieu, si, une fois régularisé, le contrat de cautionnement oblige la caution à payer le créancier en cas d’appel en garantie, c’est à la condition que ce dernier préserve les droits et actions dont il est investi à l’égard du débiteur.

L’article 2314 du Code civil prévoit, en effet, que « lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut plus, par la faute de celui-ci, s’opérer en sa faveur, la caution est déchargée à concurrence du préjudice qu’elle subit. »

Ainsi, le créancier doit-il prendre toutes les mesures utiles aux fins de ménager ce que l’on appelle le bénéfice de subrogation qui joue, de plein droit, au profit de la caution qui a payé en lieu et place du débiteur.

Pour que le créancier soit en mesure de satisfaire à cette obligation qui lui échoit, encore faut-il ait connaissance de l’engagement pris par la caution envers lui.

Or tel ne sera pas nécessairement le cas si l’on se place dans la configuration de la stipulation pour autrui : aucune obligation n’impose que le bénéficiaire soit informé de l’accord conclu entre le stipulant et le promettant.

Surtout, et c’est là un argument déterminant nous semble-t-il, le principe même de faire peser sur le créancier une obligation en matière de cautionnement – au cas particulier celle de préserver les droits et actions dans lesquels la caution est susceptible de se subroger – est incompatible avec la stipulation pour autrui qui ne peut jamais faire naître d’obligation à la charge du bénéficiaire.

Pour toutes ces raisons, le cautionnement ne saurait s’analyser en une stipulation pour autrui bien qu’il s’agisse là d’opérations dont les économies générales sont proches.

À cet égard, dans un arrêt du 18 décembre 2002, la Cour de cassation a prononcé la nullité d’un cautionnement qui reposait sur une stipulation pour autrui (Cass. 3e civ. 18 déc. 2002, n°99-18.141).

Il s’agissait en l’espèce, du cautionnement conclu entre un établissement bancaire et un entrepreneur principal au profit de ses sous-traitants.

La particularité de cette technique de garantie, qualifiée usuellement de « cautionnement-flotte » réside dans la couverture d’un risque global.

Il s’agit, en effet, pour l’entrepreneur principal de se faire garantir, comme l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 l’y oblige, le paiement de l’ensemble des sous-traitants qui ont vocation à intervenir sur le chantier pendant une période donnée.

Dans le silence des textes sur la forme que doit arborer cette garantie, une pratique s’était instituée consistant pour les établissements bancaires à cautionner de façon générale toutes opérations de sous-traitante présentes et futures, sans que le nom des sous-traitements ne soit expressément visé dans l’acte de cautionnement.

La Cour de cassation a condamné cette pratique au motif que « la caution personnelle et solidaire, garantissant le paiement de toutes les sommes dues par l’entrepreneur principal au sous-traitant en application du sous-traité, doit comporter le nom de ce sous-traitant et le montant du marché garanti, ce qui exclut l’existence d’une stipulation pour autrui ».

Au soutien de sa décision, la troisième chambre civile rappelle que, en application de la loi du 31 décembre 1975, les opérations de sous-traitance doivent être garanties par une caution solidaire, mais également personnelle obtenue par l’entrepreneur auprès d’un établissement bancaire.

Il en résulte que la validité du cautionnement souscrit est subordonnée à la mention du nom du sous-traitant et des sommes garanties dans l’acte.

Par cette décision, la Cour de cassation a ainsi posé un principe de prohibition du cautionnement-flotte.

Dans un arrêt du 20 juin 2012, elle est toutefois revenue sur sa position en admettant qu’il puisse y être recouru pour garantir le paiement des sous-traitants (Cass. 3e civ. 20 juin 2012, n°11-18.463).

La haute juridiction a, en effet, reconnu la validité de cette technique de garantie dès lors que :

  • D’une part, un accord-cadre a été régularisé entre l’entrepreneur principal et l’établissement de crédit
  • D’autre part, cet accord prévoit la notification par l’entrepreneur principal à l’établissement de crédit des contrats de sous-traitance qu’il entend faire garantir et qu’il lui soit délivré en retour par ce dernier, dans les trois jours ouvrés suivant la notification de l’avis, une attestation de cautionnement.

Bien que, par cette décision, la validité du cautionnement-flotte soit désormais admise, les conditions posées par la Cour de cassation excluent toujours la qualification de stipulation pour autrui.

En effet, il n’est certes plus besoin de mentionner le nom du sous-traitant dans l’accord-cadre initial instituant le cautionnement.

Cette exigence resurgit néanmoins à chaque fois que l’entrepreneur principal contracte avec un nouveau sous-traitant. Il s’oblige à notifier le contrat de sous-traitance à la caution.

Cette exigence ne se retrouve pas dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire au profit duquel le promettant s’engage pouvant être une personne indéterminée au moment de la conclusion du contrat à l’origine de la créance (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 7 oct. 1959, n°58-10.056).

Le nouvel article 1205, al. 2e in fine du Code civil prévoit en ce sens que le bénéficiaire « peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse. »

S’agissant du cautionnement-flotte, la Cour de cassation exige que le sous-traitant, soit désigné dès la formalisation du contrat de sous-traitance, soit avant même que la caution soit appelée à exécuter son engagement ; d’où l’incompatibilité avec la stipulation pour autrui.

 

 

[1] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°56, p. 44

[3] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 7e éd., 2005, p. 249, v. « crédit ».

[4] F. Grua, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec, 2001, n°324.

Le cautionnement s’analyse-t-il en une stipulation pour autrui?

Il est des cas où, alors même que la caution s’est engagée envers le débiteur à le garantir de son obligation souscrite auprès du créancier, aucun cautionnement ne sera finalement régularisé.

Dans cette hypothèse, quelle qualification donner à l’accord conclu entre la caution et le débiteur ?

L’enjeu est ici de faire produire des effets à cet accord et plus encore de déterminer dans quelle mesure la caution est engagée envers le créancier alors même qu’elle n’a conclu aucun cautionnement avec lui, à tout le moins pas directement.

Certains auteurs estiment que, parce que l’accord intervenu entre la caution et le débiteur est pourvu de la force obligatoire attachée à n’importe quel contrat, la conclusion d’un contrat de cautionnement ne serait, au fond, pas indispensable.

Pratiquement, cela permettrait d’admettre qu’une caution puisse s’engager au profit d’un créancier indéterminé.

Au soutien de cette thèse, il a été soutenu que l’accord conclu entre le débiteur et la caution s’analyserait en une stipulation pour autrui.

Pour mémoire, la stipulation pour autrui est un contrat par lequel une partie appelée le stipulant, obtient d’une autre, appelée le promettant, l’engagement qu’elle donnera ou fera, ou ne fera pas quelque chose au profit d’un tiers appelé le bénéficiaire.

Il s’agit, autrement dit, de faire promettre, par voie contractuelle, à une personne qu’elle s’engage à accomplir une prestation au profit d’autrui.

L’une des applications la plus répandue de la stipulation pour autrui est l’assurance-vie. Le souscripteur du contrat d’assurance-vie fait promettre à l’assureur de verser un capital ou une rente, moyennant le paiement de primes, à un bénéficiaire désigné dans le contrat.

 

À l’instar du cautionnement, la stipulation pour autrui fait naître trois rapports :

  • Rapport stipulant-promettant
    • Parce que l’accord conclu entre le stipulant et le promettant s’analyse en un contrat, le promettant est tenu d’exécuter l’obligation promise à la faveur du bénéficiaire.
    • Ainsi, l’article 1209 du Code civil prévoit que « le stipulant peut lui-même exiger du promettant l’exécution de son engagement envers le bénéficiaire».
  • Rapport promettant-bénéficiaire
    • L’article 1206 du Code civil prévoit que « le bénéficiaire est investi d’un droit direct à la prestation contre le promettant dès la stipulation».
    • Cela signifie que le bénéficiaire peut contraindre le promettant à exécuter l’engagement pris à son profit aux termes de la stipulation, quand bien même il n’est pas partie au contrat.
    • C’est là l’originalité de la stipulation pour autrui, le droit dont est investi le bénéficiaire contre le promettant naît directement dans son patrimoine sans qu’il lui soit transmis par le stipulant.
  • Rapport stipulant-bénéficiaire
    • La stipulation pour autrui fait certes naître un droit direct au profit du bénéficiaire contre le promettant.
    • Ce droit demeure néanmoins précaire tant qu’il n’a pas été accepté par le bénéficiaire.
    • L’article 1206 du Code civil prévoit, en effet que « le stipulant peut librement révoquer la stipulation tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée.»
    • Ce n’est donc que lorsque le bénéficiaire a accepté la stipulation que le droit stipulé à son profit devient irrévocable.

Il ressort de l’articulation des rapports entretenus par les personnes intéressées à la stipulation pour autrui, que cette opération présente de nombreuses ressemblances avec le cautionnement.

Afin de déterminer s’il y a identité entre les deux, superposons les rapports de l’une et l’autre opération :

  • Tout d’abord, le rapport entre le stipulant et le promettant correspondrait au rapport débiteur-caution
  • Ensuite, le rapport entre le promettant et le bénéficiaire correspondrait quant à lui au rapport caution-créancier
  • Enfin, le rapport entre le stipulant et le bénéficiaire correspondrait au rapport débiteur-créancier

 

Si donc l’on raisonne par analogie, à supposer que l’opération de cautionnement s’analyse en une stipulation pour autrui, cela signifierait que la caution serait engagée envers le bénéficiaire du seul fait de l’accord conclu avec le débiteur.

Il en résulterait alors deux conséquences :

  • Le créancier pourrait poursuivre la caution, alors même qu’aucun contrat de cautionnement n’a été conclu entre eux
  • Le débiteur pourrait contraindre la caution à exécuter l’engagement pris envers le créancier

Bien que séduisante, l’analogie opérée par une partie de doctrine entre le cautionnement et la stipulation pour autrui ne résiste pas à la critique pour deux raisons principales.

En premier lieu, le cautionnement est un contrat. L’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés n’est pas revenue sur cette spécificité.

Le nouvel article 2288 du Code civil prévoit en ce sens que « le cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il en résulte qu’il ne peut valablement produire ses effets qu’à la condition qu’il y ait un échange des consentements entre la caution et le débiteur.

L’article 2294 précise, à cet égard, que le cautionnement doit être exprès, ce qui signifie qu’il ne peut pas être présumé.

C’est là une différence majeure avec la stipulation pour autrui dont l’originalité réside précisément dans la création d’un lien d’obligation entre le promettant et le bénéficiaire sans qu’aucun accord ne soit directement intervenu entre eux.

Le promettant est personnellement engagé envers le bénéficiaire du seul fait du contrat conclu avec le stipulant.

Pour cette seule raison, l’analogie entre le cautionnement et la stipulation pour autrui est inopérante.

En second lieu, si, une fois régularisé, le contrat de cautionnement oblige la caution à payer le créancier en cas d’appel en garantie, c’est à la condition que ce dernier préserve les droits et actions dont il est investi à l’égard du débiteur.

L’article 2314 du Code civil prévoit, en effet, que « lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut plus, par la faute de celui-ci, s’opérer en sa faveur, la caution est déchargée à concurrence du préjudice qu’elle subit. »

Ainsi, le créancier doit-il prendre toutes les mesures utiles aux fins de ménager ce que l’on appelle le bénéfice de subrogation qui joue, de plein droit, au profit de la caution qui a payé en lieu et place du débiteur.

Pour que le créancier soit en mesure de satisfaire à cette obligation qui lui échoit, encore faut-il ait connaissance de l’engagement pris par la caution envers lui.

Or tel ne sera pas nécessairement le cas si l’on se place dans la configuration de la stipulation pour autrui : aucune obligation n’impose que le bénéficiaire soit informé de l’accord conclu entre le stipulant et le promettant.

Surtout, et c’est là un argument déterminant nous semble-t-il, le principe même de faire peser sur le créancier une obligation en matière de cautionnement – au cas particulier celle de préserver les droits et actions dans lesquels la caution est susceptible de se subroger – est incompatible avec la stipulation pour autrui qui ne peut jamais faire naître d’obligation à la charge du bénéficiaire.

Pour toutes ces raisons, le cautionnement ne saurait s’analyser en une stipulation pour autrui bien qu’il s’agisse là d’opérations dont les économies générales sont proches.

À cet égard, dans un arrêt du 18 décembre 2002, la Cour de cassation a prononcé la nullité d’un cautionnement qui reposait sur une stipulation pour autrui (Cass. 3e civ. 18 déc. 2002, n°99-18.141).

Il s’agissait en l’espèce, du cautionnement conclu entre un établissement bancaire et un entrepreneur principal au profit de ses sous-traitants.

La particularité de cette technique de garantie, qualifiée usuellement de « cautionnement-flotte » réside dans la couverture d’un risque global.

Il s’agit, en effet, pour l’entrepreneur principal de se faire garantir, comme l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 l’y oblige, le paiement de l’ensemble des sous-traitants qui ont vocation à intervenir sur le chantier pendant une période donnée.

Dans le silence des textes sur la forme que doit arborer cette garantie, une pratique s’était instituée consistant pour les établissements bancaires à cautionner de façon générale toutes opérations de sous-traitante présentes et futures, sans que le nom des sous-traitements ne soit expressément visé dans l’acte de cautionnement.

La Cour de cassation a condamné cette pratique au motif que « la caution personnelle et solidaire, garantissant le paiement de toutes les sommes dues par l’entrepreneur principal au sous-traitant en application du sous-traité, doit comporter le nom de ce sous-traitant et le montant du marché garanti, ce qui exclut l’existence d’une stipulation pour autrui ».

Au soutien de sa décision, la troisième chambre civile rappelle que, en application de la loi du 31 décembre 1975, les opérations de sous-traitance doivent être garanties par une caution solidaire, mais également personnelle obtenue par l’entrepreneur auprès d’un établissement bancaire.

Il en résulte que la validité du cautionnement souscrit est subordonnée à la mention du nom du sous-traitant et des sommes garanties dans l’acte.

Par cette décision, la Cour de cassation a ainsi posé un principe de prohibition du cautionnement-flotte.

Dans un arrêt du 20 juin 2012, elle est toutefois revenue sur sa position en admettant qu’il puisse y être recouru pour garantir le paiement des sous-traitants (Cass. 3e civ. 20 juin 2012, n°11-18.463).

La haute juridiction a, en effet, reconnu la validité de cette technique de garantie dès lors que :

  • D’une part, un accord-cadre a été régularisé entre l’entrepreneur principal et l’établissement de crédit
  • D’autre part, cet accord prévoit la notification par l’entrepreneur principal à l’établissement de crédit des contrats de sous-traitance qu’il entend faire garantir et qu’il lui soit délivré en retour par ce dernier, dans les trois jours ouvrés suivant la notification de l’avis, une attestation de cautionnement.

Bien que, par cette décision, la validité du cautionnement-flotte soit désormais admise, les conditions posées par la Cour de cassation excluent toujours la qualification de stipulation pour autrui.

En effet, il n’est certes plus besoin de mentionner le nom du sous-traitant dans l’accord-cadre initial instituant le cautionnement.

Cette exigence resurgit néanmoins à chaque fois que l’entrepreneur principal contracte avec un nouveau sous-traitant. Il s’oblige à notifier le contrat de sous-traitance à la caution.

Cette exigence ne se retrouve pas dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire au profit duquel le promettant s’engage pouvant être une personne indéterminée au moment de la conclusion du contrat à l’origine de la créance (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 7 oct. 1959, n°58-10.056).

Le nouvel article 1205, al. 2e in fine du Code civil prévoit en ce sens que le bénéficiaire « peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse. »

S’agissant du cautionnement-flotte, la Cour de cassation exige que le sous-traitant, soit désigné dès la formalisation du contrat de sous-traitance, soit avant même que la caution soit appelée à exécuter son engagement ; d’où l’incompatibilité avec la stipulation pour autrui.

[1] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°56, p. 44

[3] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 7e éd., 2005, p. 249, v. « crédit ».

[4] F. Grua, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec, 2001, n°324.