L’accession immobilière artificielle : vue générale

L’accession immobilière correspond à l’hypothèse où une chose mobilière ou immobilière est incorporée à un immeuble, de telle sorte qu’une union se crée entre les deux biens qui en formeront plus qu’un seul et même bien.

À l’examen, outre son objet, les immeubles, l’accession immobilière se distingue de l’accession mobilière en ce qu’elle remplit deux fonctions.

En effet, l’accession immobilière n’est pas seulement un mode d’acquisition de la propriété, elle vise également à en fixer les limites.

Avant de résoudre un conflit de propriétés, ce qui est la fonction première de l’accession, encore faut-il être en mesure de délimiter les assiettes des droits qui s’affrontent, ne serait-ce que pour identifier celle qui correspond au principal et emporte, par voie de conséquence, la propriété du bien accessoire.

Lorsque les propriétés en conflits portent sur des biens meubles, la délimitation de l’assiette des droits de chaque propriétaire ne soulève aucune difficulté dans la mesure où elle embrasse les contours physiques du bien qui, par nature, sont finis.

Lorsque, en revanche, il s’agit de délimiter l’assiette de la propriété d’un bien immobilier, l’exercice est tout autre. La propriété d’un immeuble est assise sur le sol. Or non seulement celui-ci peut s’étendre sans fin, mais encore il doit être appréhendé tant de long en large (surface) que de haut en bas (dessus et dessous).

Aussi, la délimitation de l’assiette de la propriété immobilière est loin d’être aussi évidente qu’en matière mobilière où ce sont les contours physiques de la chose qui fixent l’assiette des droits de son propriétaire.

Afin de surmonter cette difficulté de la délimitation de la propriété immobilière, qui est un préalable nécessaire, à la résolution des conflits de propriétés, les rédacteurs du Code civil ont posé des règles aux articles 552 et 552.

Si ces règles introduisent la section consacrée à l’accession immobilière, elles y sont en réalité étrangères.

En effet, elles visent à définir, non pas un mode d’acquisition de la propriété, mais l’assiette du droit du propriétaire d’un immeuble.

La résolution des conflits de propriétés en matière immobilière est, quant à elle, envisagée aux articles suivants (art. 554 à 564 C. civ.) qui donc intéressent le mode d’acquisition de la propriété que constitue l’accession.

A cet égard, le Code civil distingue selon que l’accession immobilière est le résultat d’un phénomène naturel ou selon qu’elle procède de l’intervention de la main de l’homme.

Nous nous focaliserons ici sur l’accession artificielle.

L’accession est dite artificielle lorsque l’incorporation de la chose procède donc du fait de l’homme, en ce sens qu’il est intervenu dans le processus d’union des biens.

Cette forme d’accession est régie aux articles 554 et 555 du Code civil qui doivent être articulés avec les articles 552 et 553.

==> Délimitation de la propriété et résolution des conflits de propriété

Le mécanisme d’acquisition de la propriété institué par les articles 554 et 555 du Code civil ne peut être compris que s’il est appréhendé à la lumière des articles 552 et 553.

  • L’article 552 vise à définir l’objet de la propriété immobilière en présument le propriétaire du sol, propriétaire du dessus et du dessous
  • L’article 553 vise, quant à lui, non pas à délimiter l’objet de la propriété immobilière, mais à prévenir la survenance d’un conflit entre propriétaires résultant de l’incorporation à un fonds d’un bien appartenant à autrui.

La combinaison de ces deux dispositions a manifestement pour effet de conférer au propriétaire du sol une maîtrise totale de l’immeuble en ce que non seulement il est présumé être propriétaire du dessus et du dessous mais encore il est réputé avoir édifié tout ce qui est implanté sur son fonds.

S’agissant, spécifiquement, de l’article 553 du Code civil, cette disposition envisage l’hypothèse où la propriété d’un bien incorporé dans le sous-sol ou élevé en surface serait contestée au propriétaire du sol.

Deux situations sont susceptibles de se présenter :

  • Soit le propriétaire du sol a réalisé un ouvrage en incorporant à son fonds les biens d’autrui
  • Soit un tiers a réalisé un ouvrage incorporé au fonds du propriétaire du sol parce qu’il en avait la jouissance, en vertu d’un droit personnel (bail), d’un droit réel (usufruit) ou encore qu’il était occupant sans droit ni titre

Afin de résoudre ce conflit de propriétés, deux approches peuvent être adoptées :

  • Première approche
    • Elle consiste à faire une application stricte de la règle de l’accession ce qui aurait pour effet de désigner de façon systématique le propriétaire du sol comme étant le propriétaire de l’ouvrage réalisé, peu importe que la construction procède de l’intervention d’un tiers
    • Cette approche présente l’avantage de la simplicité, en ce qu’elle fait d’emblée échec à toute action en revendication.
    • L’inconvénient, c’est qu’elle peut s’avérer pour le moins sévère sinon injuste pour le tiers muni d’un titre qui, bien qu’il soit l’auteur de l’ouvrage réalisé, ne pourra pas échapper à une expropriation.
  • Seconde approche
    • Elle consiste à positionner le conflit de propriétés sur le terrain probatoire en posant une présomption qui désigne le propriétaire du sol comme l’auteur des ouvrages réalisés sur son fonds, mais qui peut être combattue par la preuve contraire.
    • Cette approche autorise ainsi les tiers à contester la propriété de la chose incorporée au fonds du propriétaire du sol et donc à faire valoir ses droits sur le bien revendiqué.
    • Faute de preuve suffisante, c’est la règle de l’accession qui a vocation à s’appliquer, d’où il s’ensuit la désignation du propriétaire du sol comme étant le propriétaire de l’ouvrage implanté sur son fonds

À l’examen, les rédacteurs du Code civil ont opté pour la seconde approche, l’article 553 instituant au profit du propriétaire du sol une présomption réfragable, soit qui peut être combattue par la preuve contraire.

==> Présomption et accession

La présomption instituée à l’article 553 du Code civil est à double détente :

  • Première détente: toutes les constructions élevées sur un fonds sont présumées avoir été réalisées par le propriétaire de ce fonds à ses frais.
  • Seconde détente: faute de preuve contraire, l’ouvrage implanté sur le fonds est réputé appartenir au propriétaire du sol.

Il peut être observé que le texte ne rattache nullement ici la propriété de la construction à la qualité de propriétaire du sol, ce qui reviendrait à faire application de la règle de l’accession.

Il se limite seulement à énoncer que l’incorporation d’un ouvrage à un fonds fait présumer que cet ouvrage a été réalisé par le propriétaire du sol.

Aussi, l’article 553 ne déduit la qualité de propriétaire de la construction, non pas de la qualité de propriétaire du sol, mais de la qualité de maître d’ouvrage.

Cette subtilité n’est pas sans importance, dans la mesure où elle offre la possibilité à quiconque de revendiquer la propriété d’un ouvrage élevé sur le fonds d’autrui.

Pour ce faire, il est néanmoins nécessaire de combattre la présomption posée par le texte à laquelle il peut être fait échec par tout moyen.

Dans un arrêt du 7 novembre 1978, la Cour de cassation a ainsi admis que la preuve de la propriété d’un ouvrage élevé sur le terrain d’autrui était rapportée du seul fait que le revendicant était parvenu à démontrer que le bien revendiqué a été construit pour son propre compte, sur ses plans et en partie de ses mains, sans aucune intervention du propriétaire du sol, et qu’il justifiait, par des factures établies à son nom et payées par lui, avoir assumé seul la charge du coût de la construction (Cass. 3e civ. 7 nov. 1978, n°77-13045).

Il ressort de la jurisprudence que pour faire échec à la présomption posée à l’article 553 il y a lieu de prouver :

  • D’une part, que le tiers agi dans son propre intérêt et non pour le compte du propriétaire du sol ou d’autrui
  • D’autre part, que le tiers a agi à ses frais, soit que c’est lui qui a personnellement supporté le coût de la construction

Lorsque la preuve de la réalisation de l’ouvrage par un tiers est rapportée, il n’en acquiert pas pour autant la propriété.

En effet, cette preuve a seulement pour effet de faire échec à l’attribution, par présomption, de la propriété de la construction au propriétaire du sol.

Elle ne pourra toutefois pas faire obstacle à l’application de la règle de fond énoncée à l’article 555 du Code civil qui désigne, par voie d’accession, le propriétaire du sol comme le propriétaire de toutes les plantations, constructions et ouvrages élevés sur son fonds.

L’union des biens est inévitable : si elle ne se fait pas sur le terrain probatoire, elle se fera sous l’effet de la règle de l’accession.

Mais alors, puisque l’attribution de l’ouvrage au propriétaire du sol est inévitable, immédiatement la question se pose de l’intérêt de l’article 553 du Code civil ?

Pourquoi ouvrir la possibilité aux tiers de contester, sur le fondement de l’article 553, la propriété de l’ouvrage élevé sur le fonds d’autrui si, in fine, elle sera systématiquement attribuée au propriétaire du sol ?

L’intérêt pour le tiers de se placer sur le terrain probatoire, c’est que, une fois démontré que c’est lui qui a endossé la qualité de maître d’ouvrage et non le propriétaire du sol, il sera fondé, au titre de cette qualité, à réclamer dans le cadre de l’application de la règle de l’accession à percevoir une indemnité.

C’est là qu’interviennent les articles 554 et 555 du Code civil qui, lorsqu’il est fait échec à la présomption posée à l’article 553 du Code civil, opèrent un basculement vers l’application de la règle de l’accession.

D’une présomption de propriété on passe à un mode d’acquisition de la propriété du bien incorporé au fonds.

Cette incorporation peut résulter :

  • Soit de la réalisation de plantations ou de constructions par le propriétaire du sol sur son fonds avec des matériaux qui appartiennent à autrui
  • Soit de la réalisation de plantations ou de constructions par un tiers sur un fonds appartenant à autrui

Les articles 554 et 555 du Code civil envisagent ces deux hypothèses qui, toutes deux, mobilisent la règle de l’accession.

Les servitudes: notion, éléments constitutifs et caractères

I) Notion

Classiquement on définit les servitudes comme des droits réels en vertu desquels une personne est autorisée à tirer de la chose d’autrui une certaine utilité.

Autrefois, on opposait les servitudes personnelles aux servitudes réelles :

  • Les servitudes personnelles
    • Elles étaient celles qui étaient établies pour l’avantage individuel d’une personne déterminée et constituaient un droit temporaire ou viager.
    • Elles pouvaient être de deux ordres :
      • Les servitudes mixtes désignaient les démembrements du droit de propriété, tel que le droit de jouissance conféré à l’usufruitier ou le droit d’usage et d’habitation
      • Les servitudes purement personnelles désignaient le pouvoir conféré à une personne d’assujettir une autre personne en la mettant dans une situation de dépendance servile (l’esclavage, la taille, la corvée etc…
    • Tandis que les servitudes purement personnelles ont été abolies, d’abord partiellement à la Révolution, puis totalement lorsqu’il a été mis fin à l’esclavage, les servitudes mixtes perdurent toujours, mais plus sous le même nom.
    • La raison en est que l’usufruit, le droit d’usage, de jouissance ou encore d’habitation sont envisagés par le Code civil comme des droits réels spécifiques et non comme des servitudes.
    • À cet égard, à la différence des servitudes qui sont perpétuelles, ces droits réels spécifiques présentent un caractère nécessairement temporaire.
    • Il y a donc désormais une différence de nature entre les servitudes et les différentes variantes du droit – réel – de jouissance
  • Les servitudes réelles
    • Anciennement désignées sous le nom de servitudes prédiales (du latin praedium mot qui signifie « héritage »), elles sont définies comme celles qui assujettissent un héritage à certaines choses envers un autre héritage.
    • Par héritage, il faut comprendre un immeuble, un fonds.
    • La servitude est donc une charge instituée entre biens immeubles exclusivement.
    • C’est parce que la servitude s’exerce sur une chose et non sur une personne qu’elle est qualifiée de réelle (réel vient du latin res, la chose)
    • L’héritage auquel la servitude est due s’appelle fonds dominant, celui qui la doit fonds servant.

Désormais, la notion de servitude que l’on retrouve dans le Code civil ne désigne plus que les servitudes réelles et plus précisément celles qui portent sur des immeubles par nature (fonds).

Sans doute animé par souci de chasser toute ambiguïté quant à la nature du droit conféré au bénéficiaire d’une servitude et pour prévenir d’éventuelles dérives qui tendraient à exhumer des pratiques de la féodalité, le législateur a précisé à l’article 686 du Code civil que « il est permis aux propriétaires d’établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n’aient d’ailleurs rien de contraire à l’ordre public. »

Il est donc absolument exclu, même par convention contraire, qu’une servitude puisse consister à créer une charge sur la personne d’autrui.

Aussi, les servitudes présentent-elles nécessairement un caractère réel et foncier, ce qui n’est pas sans conséquence sur le régime juridique auquel elles sont assujetties.

II) Éléments constitutifs

L’article 637 du Code civil dispose que « une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que la constitution d’une servitude suppose la réunion de trois éléments constitutifs :

  • Un fonds
  • Des propriétés distinctes
  • Un fonds affecté au service d’un autre fonds

A) Un fonds

==> Domaine

Une servitude est une charge imposée sur un « héritage ». Par héritage il faut entendre un immeuble par nature.

La question qui alors se pose est alors de savoir ce que recouvre la notion d’immeuble par nature. Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 518 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature. »

La catégorie des immeubles par nature, qui repose sur le critère physique, comprend donc le sol et tout ce qui est fixé au sol :

  • Le sol: par sol il faut entendre le fonds de terre, ce qui comprend, tant la surface du sol, que le sous-sol
  • Tout ce qui est fixé au sol: il s’agit de :
    • D’une part, toutes les constructions qui sont édifiées sur le sol ou dans le sous-sol (bâtiments, canalisations, les piliers ou poteaux fixés par du béton, ponts, barrage etc.)
    • D’autre part, tous les végétaux (arbres, plantes, fleurs etc), avec cette précision que s’ils sont détachés du sol ils deviennent des meubles (art 520 C. civ.)

La jurisprudence a eu l’occasion de préciser qu’il est indifférent que la chose soit fixée au sol à titre provisoire ou définitif. En tout état de cause, dès lors qu’elle adhère au sol elle est constitutive d’un immeuble par nature.

Au bilan, une servitude peut ainsi tout aussi bien grever le sol que ce qui est fixé au sol, pourvu qu’il s’agisse d’un immeuble par nature.

==> Exclusion

Les servitudes ne pouvant porter que sur des immeubles par nature, il faut en déduire que sont exclus de leur champ d’application :

  • Les biens meubles
    • Classiquement on définit les meubles comme toutes les choses qui sont mobiles et qui, donc ne sont ni fixées, ni incorporées au sol.
    • Tout ce qui donc n’est pas attaché au sol, est un bien meuble. Le code civil inclut notamment dans cette catégorie qui embrasse une grande variété de choses :
      • Les bateaux, bacs, navires, moulins et bains sur bateaux, et généralement toutes usines non fixées par des piliers, et ne faisant point partie de la maison ( 531 C. civ.)
      • Les matériaux provenant de la démolition d’un édifice, ceux assemblés pour en construire un nouveau jusqu’à ce qu’ils soient employés par l’ouvrier dans une construction ( 532 C. civ.)
      • Les meubles meublants qui comprennent :
        • Les biens destinés à l’usage et à l’ornement des appartements, comme tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature.
        • Les tableaux et les statues qui font partie du meuble d’un appartement y sont aussi compris, mais non les collections de tableaux qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières.
        • Il en est de même des porcelaines : celles seulement qui font partie de la décoration d’un appartement sont comprises sous la dénomination de “meubles meublants”.
      • Les meubles immatriculés, tels que les aéronefs ou les navires. L’immatriculation de ces biens leur confère un statut particulier qui les rapproche des immeubles, notamment s’agissant des actes de disposition dont ils sont susceptibles de faire l’objet.
    • Ne peuvent pas non plus faire l’objet de servitudes :
      • Les meubles par anticipation, soit les biens qui sont des immeubles par nature, mais qui, dans un futur proche, ont vocation à être détachés du sol
      • Les meubles par détermination de la loi, soit les choses incorporelles qui peuvent faire l’objet d’un droit de propriété (les valeurs mobilières, les droits personnels, les droits réels mobiliers, les œuvres de l’esprit, les brevets, les marques etc.)
  • Les immeubles par destination
    • À la différence des immeubles par nature qui sont déterminés par un critère physique, les immeubles par destination reposent sur la volonté du propriétaire.
    • Il s’agit, plus précisément, de biens qui, par nature, sont des meubles, mais qui sont qualifiés fictivement d’immeubles en raison du lien étroit qui les unit à un immeuble par nature dont ils constituent l’accessoire.
    • Tel est le cas, par exemple, du bétail affecté à un fonds agricole et qui donc, par le jeu d’une fiction juridique, est qualifié d’immeuble par destination.
    • L’objectif recherché ici est de lier le sort juridique de deux biens dont les utilités qu’ils procurent sont interdépendantes.
    • Par la création de ce lien, il sera, dès lors, beaucoup plus difficile de les séparer ce qui pourrait être fortement préjudiciable pour leur propriétaire.
    • Ainsi, des biens affectés au service d’un fonds, devenus immeubles, ne pourront pas faire l’objet d’une saisie par un tiers indépendamment du fonds lui-même.

Au total, il apparaît que le domaine des servitudes est quelque peu restreint puisqu’il se limite aux seuls immeubles par nature.

B) Des propriétés distinctes

==> Principe

La constitution d’une servitude suppose l’existence de deux fonds appartenant à des propriétaires différents.

Cette règle s’infère de l’article 705 du Code civil qui prévoit que « toute servitude est éteinte lorsque le fonds à qui elle est due, et celui qui la doit, sont réunis dans la même main. »

Cette disposition n’est autre que la traduction de l’adage nemini res sua servit qui signifie : « nul n’a de servitude sur sa propre chose ».

Aussi, une servitude confère un droit qui ne peut être exercée que sur un fonds appartenant à autrui. Selon l’expression du Doyen Cornu, « l’autoservitude » n’existe pas.

À supposer qu’une même personne soit propriétaire de deux fonds distincts, tous les aménagements qu’elle est susceptible de réaliser, notamment ceux tenant à l’écoulement des eaux ou encore au passage, ne peuvent être regardés que comme des expressions de l’exercice du droit de propriété et non comme la création de servitudes du fait de l’homme.

Par ailleurs, il peut être observé que l’établissement d’une servitude ne suppose pas que les deux fonds soient contigus (qui se touchent). Il est néanmoins nécessaire qu’ils soient voisins, car les services qui peuvent être imposés à un fonds n’ont de sens qu’entre propriétés voisines.

Enfin, comme relevé par des auteurs « si la notion de servitude implique la dualité de fonds et de propriétaires, cette dualité, constitutive d’un minimum, n’exclut pas la pluralité. Un même fonds peut être servant au bénéfice de plusieurs fonds dominants ou réciproquement »[1].

Cette situation se rencontrera notamment dans les lotissements ou les ensembles d’immeubles formant une copropriété.

==> Cas particulier de la copropriété

La question s’est posée en jurisprudence de savoir si la règle exigeant la présence de deux propriétés distinctes avait vocation à s’appliquer lorsque les deux fonds concernés relèvent d’une copropriété.

Autrement dit, un lot privatif peut-il être grevé par une servitude à la faveur d’un autre lot privatif, alors même qu’ils sont les composantes d’un même bien ?

Dans un premier temps, la Cour de cassation a refusé d’admettre la possibilité de constituer une servitude entre des parties privatives d’un lot de copropriété.

Dans un arrêt du 6 mars 1991 elle a jugé en ce sens « qu’il existe une incompatibilité entre la division d’un immeuble en lots de copropriété et la création, au profit de la partie privative d’un lot, d’une servitude sur la partie privative d’un autre lot » (Cass. 3e civ. 6 mars 1991, n°89-14374).

Elle a précisé sa position un an plus tard en affirmant « qu’une servitude n’existe que si le fonds servant et le fonds dominant constituent des propriétés indépendantes appartenant à des propriétaires différents et que tel n’est pas le cas d’un immeuble en copropriété » (Cass. 3e civ. 30 juin 1992, n°91-10116 91)

La Cour de cassation a, par la suite, réaffirmé cette position toujours au visa de l’article 637 du Code civil (V. en ce sens Cass. 3e civ. 21 mars 2001, n°98-21668).

Elle justifiait cette solution en soutenant qu’un immeuble soumis au régime de la copropriété constituait un héritage unique, alors que l’établissement d’une servitude suppose l’existence de deux fonds distincts.

Dans un second temps, alors que la doctrine faisait feu de tout bois contre cette position à laquelle s’accrochait la Cour de cassation, cette dernière a fini par céder.

Dans un arrêt du 30 juin 2004, elle a opéré un revirement de jurisprudence magistral en affirmant que « le titulaire d’un lot de copropriété disposant d’une propriété exclusive sur la partie privative de son lot et d’une propriété indivise sur la quote-part de partie commune attachée à ce lot, la division d’un immeuble en lots de copropriété n’est pas incompatible avec l’établissement de servitudes entre les parties privatives de deux lots, ces héritages appartenant à des propriétaires distincts » (Cass. 3e civ. 30 juin 2004, n°03-11562).

La troisième chambre civile est venue préciser 10 ans plus tard, dans un arrêt du 11 mars 2014 que « dans un immeuble en copropriété, des servitudes ne sont susceptibles de s’établir qu’entre des parties privatives » (Cass. 3e civ. 11 mars 2014, n°12-29734).

En revanche, lorsqu’il s’agit non pas de parties privatives relevant d’une copropriété, mais de parties d’une indivision, la Cour de cassation refuse l’établissement de servitudes (Cass. 3e civ. 27 mai 2009, n°08-14376).

C) Un fonds affecté au service d’un autre fonds

L’établissement d’une servitude ne se conçoit que s’il existe un rapport entre deux fonds, un rapport asymétrique puisqu’il institue une charge pour l’un et une utilité pour l’autre.

  1. L’établissement d’une utilité au profit du fonds dominant

==> Une utilité

Pour être qualifiée de servitude, celle-ci doit conférer une utilité au fonds dominant. L’article 637 prévoit en ce sens que la charge imposée au fonds servant doit être établie « pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire ».

Que faut-il entendre par utilité ? La jurisprudence a adopté une interprétation plutôt extensive cette notion. Aussi, admet-elle qu’un simple avantage, une commodité procurée au fonds dominant suffit à la justifier la constitution d’une servitude.

Entre d’autres termes, il n’est pas exigé que l’utilité procurée soit indispensable et nécessaire ; elle doit seulement être de nature à augmenter la valeur du fonds qui en bénéficie (V. en ce sens Cass. 3e civ., 9 juill. 1980, n° 79-12867)

Tel est le cas, lorsque l’utilité permet d’accéder à un fond en passant par un autre fonds. Il en va de même pour la servitude de puisage qui autorise à prélever de l’eau sur le terrain d’autrui ou la servitude d’égout qui permet de verser les eaux pluviales de son toit sur le fonds voisin.

En revanche, lorsque l’utilité procure seulement un agrément au fonds dominant, la jurisprudence refuse de la qualifier de servitude.

Pour illustration, dans le cadre d’une affaire pendante devant la Cour d’appel de Metz un requérant réclamait un droit de passage sur le fond voisin pour gagner sa place de parking située le long du mur délimitant la propriété de ce dernier et éviter ainsi d’avoir à effectuer le tour du pâté de maison pour rejoindre son véhicule.

Les juges le déboutent de sa demande au motif qu’il est constant qu’un simple souci de commodité ou de convenance ne permet pas de caractériser l’absence ou l’insuffisance d’issue sur la voie publique et alors que cette notion de convenance personnelle est évoquée par l’un des témoignages produits par le requérant au soutien de ses prétentions (CA Metz, 13 oc. 2016, n° 16/00366, RG 15/00398).

Pour déterminer si l’établissement d’une servitude est justifié, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 16 mai 1952, affirmé qu’il convenait de se demander si le droit envisagé procure une plus-value au fonds, à tout le moins une commodité réelle.

==> Une utilité au profit d’un fonds

Il ne suffit pas que le service procure une utilité pour être qualifiée de servitude, il faut encore qu’il soit utile au fonds dominant et non au propriétaire du fonds.

C’est là une exigence qui résulte de l’article 637 du Code civil et qui constitue une limite importante aux objets possibles des servitudes.

Les droits de promenade, de chasse, de pêche, de cueillette ou encore d’utilisation d’un four sont octroyés en considération, non pas des besoins du fonds dominant, mais de la personne de son propriétaire (V. en ce sens Cass. 3e civ., 22 juin 1976, n° 74-14148).

2. La création d’une charge qui pèse sur le fonds servant

L’établissement d’une servitude suppose, corrélativement à l’octroi d’une utilité au fonds dominant, la création d’une charge imposée au fonds servant.

Toutefois, ainsi que le prévoit l’article 638 du Code civil « la servitude n’établit aucune prééminence d’un héritage sur l’autre ». Le rapport créé entre les deux fonds n’est donc pas d’ordre hiérarchique, en ce sens qu’il n’existe aucun lien de vassalité entre eux.

Il s’agit seulement d’un rapport d’utilité. La servitude grève, elle assujettit un fonds dont elle attend un service : elle lui imprime la fonction de fonds servant.

La création de cette charge sur le fonds servant emporte trois conséquences principales :

  • Première conséquence
    • La charge imposée sur le fonds servant consiste à restreindre les prérogatives du propriétaire sur le fonds grevé.
    • Par nature, la servitude a pour effet de porter atteinte au droit de propriété.
    • Ces atteintes peuvent être tantôt positives, tantôt négatives.
      • La servitude sera qualifiée de positive lorsqu’elle consistera à entamer certains attributs du droit de propriété qui seront accordés au bénéfice du fonds dominant : le propriétaire perd l’exclusivité de la chose en devant souffrir la présence d’un autre, qui passe sur son fonds, qui prélève de l’eau
      • La servitude sera qualifiée de négative lorsqu’elle consistera à neutraliser le caractère absolu du droit de propriété en l’empêchant de faire quelque chose que son droit de propriété l’autorise normalement à faire, tel que, édifier un ouvrage sur son fonds, cultiver des plantations, créer une ouverture etc.
  • Deuxième conséquence
    • La charge créée par la servitude est strictement attachée au fonds servant, de sorte qu’elle se transmet avec la propriété
    • Parce qu’elle est l’accessoire du fonds qu’elle grève, elle est perpétuelle et ne peut être cédée indépendamment de ce fonds
    • Seule solution pour le propriétaire du fonds grevé de s’affranchir de la servitude en dehors de sa cession, l’abandon de la partie qui sert d’assiette à cette servitude
  • Troisième conséquence
    • Dans la mesure où la servitude est attachée à un fonds, elle n’oblige pas personnellement le propriétaire du fonds servant.
    • Aussi n’est-elle pas constitutive d’une dette qui grèverait son patrimoine
    • La conséquence en est qu’elle ne peut jamais obliger le propriétaire à accomplir une action positive.
    • Selon l’adage servitus in faciendo non potest, une servitude ne peut pas consister en une obligation de faire: il ne peut y avoir de servitude qu’in patiendo (à supporter quelque chose).
    • Autrement dit, la servitude ne peut avoir pour effet que d’imposer une abstention : le propriétaire doit souffrir sur son fonds les actes d’usage accomplis par le propriétaire du fonds dominant.

III) Caractères

Il est classiquement admis que les servitudes présentent quatre traits de caractère qui permettent de les distinguer des autres droits réels et notamment des droits de jouissance tels que l’usufruit ou le droit d’usage et d’habitation.

A) Caractère réel immobilier

==> Un droit réel

Les servitudes consistent, tout d’abord, en des droits réels. Il en résulte qu’elles confèrent au propriétaire du fonds dominant un pouvoir direct et immédiat sur le fond grevé.

 Structurellement, le droit réel suppose un sujet, le titulaire du droit et un objet, la chose sur laquelle s’exerce le droit réel. Le droit réel établit, en d’autres termes, une relation entre une personne et une chose

Le droit réel s’exerce ainsi sans qu’il soit besoin d’actionner une personne. Il s’exerce sans l’entremise d’un tiers.

C’est pour cette raison que les servitudes sont toujours attachées, non pas à une personne, mais directement au fonds qu’elles grèvent.

C’est également parce qu’elles sont constitutives de droits réels que l’exercice des servitudes n’est subordonné au paiement d’aucune redevance.

Tout au plus, une indemnité peut être octroyée au propriétaire du fonds servant lors de la constitution de la servitude.

Cette indemnité n’a toutefois pas pour cause la stipulation d’une quelconque obligation de ne pas faire qui s’imposerait à ce dernier. Elle seulement la contrepartie de la diminution de son droit de propriété.

À cet égard, en cas de non-respect de la servitude par le propriétaire du fonds servant, celui-ci engage sa responsabilité délictuelle et non contractuelle.

==> Un droit réel immobilier

Il ressort de l’article 637 du Code civil qu’une servitude ne peut être imposée que sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un autre héritage.

Une servitude a donc nécessairement pour objet un immeuble par nature, ce qui leur confère un caractère immobilier. Elles ont ainsi pour assiette, soit le sol, soit ce qui est fixé au sol, telles que des constructions.

Parce que les servitudes consistent en des droits réels immobiliers, lorsqu’elles sont constituées au moyen d’un titre elles ne sont opposables aux tiers que si elles font l’objet de formalités de publicité foncières (V. en ce sens Cass. 3e civ., 27 oct. 1993, n° 91-19.874)

B) Caractère accessoire

La servitude présente un caractère accessoire en ce qu’elle est indissociable du fonds dominant qu’elle grève. Il en résulte qu’elle ne peut pas être « cédée, saisie ou hypothéquée » indépendamment de ce fonds[2].

Plus précisément, la servitude a vocation à suivre le sort du fonds auquel elle est attachée. Elle est transmise de plein droit aux acquéreurs du fonds dominant.

Corrélativement, dès lors qu’elle a valablement été publiée, la servitude s’imposera aux propriétaires successifs du fonds servant.

Enfin, si la servitude profite à l’usufruitier du fonds dominant, elle ne bénéficie pas au locataire dans la mesure où celui-ci n’exerce aucun droit réel sur le fonds, il est seulement investi d’un droit personnel contre le propriétaire.

C) Caractère perpétuel

Parce que les servitudes sont l’accessoire du fonds qu’elles grèvent, elles durent aussi longtemps qu’il est un droit de propriété qui s’exerce sur lui.

Or la propriété présente un caractère perpétuel. Cette perpétuité s’insuffle donc aux servitudes qui ne peuvent donc pas s’éteindre sous l’effet du temps.

Seules les causes d’extinction énoncées aux articles 703 et suivants du Code civil sont susceptibles de mettre fin aux servitudes soit :

  • Lorsque la chose se trouve en tel état qu’on ne peut plus en user
  • Lorsque le fonds à qui elle est due, et celui qui la doit, sont réunis dans la même main.
  • Par le non-usage pendant trente ans.
  • Par la volonté des propriétaires du fonds dominant et du fonds servant

Il peut encore être observé qu’il est admis que la constitution de servitudes puisse être temporaire. Il peut notamment être convenu que la servitude s’éteindra au décès du propriétaire du fonds dominant.

Dans un arrêt du 22 mars 1989 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la stipulation d’une servitude temporaire est licite » (Cass. 3e civ. 22 mars 1989, n°87-17454).

Cass. 3e civ. 22 mars 1989
Sur le moyen unique :

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt attaqué (Douai, 17 juin 1987) d'avoir décidé que leur fonds ne disposaient pas d'une servitude par destination du père de famille sur une partie du fonds acquis par les époux Z... en 1981, alors, selon le moyen, " que la clause susceptible de tenir en échec la servitude par destination du père de famille qui résulte de la division du fonds ne peut être la clause de style de l'acte de division aux termes de laquelle les parties déclarent qu'elles n'ont conféré aucune servitude et qu'à leur connaissance, il n'en existe pas ; qu'ainsi la cour d'appel, en statuant comme elle l'a fait, a violé les articles 694 et 1134 du Code civil et alors que, seule une clause de l'acte opérant division du fonds peut tenir en échec la servitude par destination du père de famille résultant de cette division ; qu'ainsi en se fondant pour déclarer éteinte la servitude de passage sur la clause d'une promesse sous seing privé non reproduite dans l'acte d'échange notarié mais incluse dans un acte de vente ultérieur du fonds servant auquel n'étaient pas partie les propriétaires du fonds dominant, la cour d'appel a violé l'article 694 du Code civil " ;

Mais attendu que la stipulation d'une servitude temporaire est licite ; qu'après avoir relevé que lors de la vente du fonds servant aux auteurs des époux Z..., les parties avaient inséré dans l'acte la clause selon laquelle tant que Mme Y... restera propriétaire du fonds dominant et à condition qu'il soit occupé par elle-même ou son mari ou l'un de ses enfants, l'exploitant aura le droit de passage sur la parcelle A 1541, la cour d'appel a exactement retenu que Mme Y... étant décédée le 9 juin 1980, l'une des deux conditions nécessaires et cumulatives prévues dans la clause avait disparu et que les consorts X... ne pouvaient plus se prévaloir du bénéfice de la servitude de passage ;

Que par ce seul motif, l'arrêt est légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

D) Caractère indivisible

Une servitude est indivisible en ce qu’elle grève nécessairement le fonds servant pour le tout et profite au fonds dominant dans son entier.

Tout d’abord, lorsque le fonds servant ou dominant fait l’objet d’une indivision ou est soumis à une copropriété, l’indivisibilité de la servitude emporte plusieurs conséquences :

  • Elle profite à tous les propriétaires du fonds dominant qui ont un droit entier sur elle, tout autant qu’elle s’impose à tous les propriétaires du fonds servant qui doivent la respecter
  • Elle ne peut être constituée sur un fonds ou établie à son profit qu’à la condition que tous les propriétaires y consentent, cette unanimité étant également exigée pour qu’il y soit mis fin

Ensuite, l’article 700, al. 1er du Code civil prévoit que « si l’héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du fonds assujetti soit aggravée. »

L’alinéa 2 ajoute que « s’il s’agit d’un droit de passage, tous les copropriétaires seront obligés de l’exercer par le même endroit. »

Ainsi, en cas de division d’un fonds en plusieurs parcelles, chacune d’elles continuant à supporter la charge de la servitude dans son entier

Dans un arrêt du 23 mars 2001, la Cour de cassation réunie en assemblée plénière a néanmoins précisé que la règle énoncée à l’article 700 du Code civil « postule que la servitude préexiste à la division de l’héritage » (Cass. ass. plen. 23 mars 2001, 98-19018).

Cass. ass. plen. 23 mars 2001
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 2 juillet 1998), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 11 décembre 1996, Bull. 1996, III, n° 238, p. 155), que par acte du 21 février 1900, M. Y... a vendu la partie centrale d'un terrain lui appartenant et l'a grevé de deux zones non aedificandi sur une distance de deux mètres à partir des lignes divisoires intérieures Est et Ouest ; que M. Z..., devenu propriétaire de ce lot, a édifié une construction de la ligne divisoire Est à la ligne divisoire Ouest ; que M. A..., propriétaire du lot contigu, situé à l'est de celui de M. Z..., a, par acte du 11 mars 1991, assigné M. Z... en démolition des ouvrages édifiés sur les zones non aedificandi Est et Ouest, sous peine d'astreinte ; que M. Z... a invoqué l'extinction de la servitude du fait d'un acte contraire, consistant dans l'édification d'un garage sur la zone non aedificandi Ouest, avant 1960 ; que M. A... étant décédé en cours d'instance, celle-ci a été reprise par Mme A..., MM. Pierre-Marie et Yves-Marie A... (les consorts A...) ; que le Tribunal a accueilli la demande des consorts A... ; que M. Z... a fait appel du jugement ; que par arrêt du 13 décembre 1994, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé le jugement ; qu'après cassation de cet arrêt, devant la cour d'appel de renvoi, les consorts A... ont seulement demandé la démolition des ouvrages édifiés sur la zone non aedificandi Est ; que M. Z... a demandé la condamnation des consorts A... à lui restituer la somme qu'il leur avait réglée en exécution de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. Z... reproche à l'arrêt de lui avoir ordonné de démolir les ouvrages édifiés sur la zone non aedificandi, en limite divisoire Est, sous peine d'une astreinte de 1 000 francs par jour de retard à compter de la signification de cette décision, alors, selon le moyen :

1° que, si l'héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du fonds assujetti soit aggravée ; que dès lors, l'existence d'une construction, pendant trente ans, sur la zone non aedificandi entraînait l'extinction de la servitude dans son ensemble ; qu'en refusant néanmoins de constater l'extinction de la servitude, motif pris de ce que la construction invoquée par M. Z... avait été édifiée à l'Ouest, et que la propriété des consorts A... était située à l'est, les juges du fond ont violé les articles 700, 706 et 707 du Code civil ;

2° que, dès lors que l'absence d'aggravation postule que la servitude puisse s'éteindre à raison de l'édification d'une construction sur un point de la zone non aedificandi, il importe peu qu'un autre point de cette zone soit matériellement distinct de l'assiette de la construction ; qu'en se fondant sur un motif inopérant, les juges du fond ont de nouveau violé les articles 700, 706 et 707 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate que M. Y... avait divisé son fonds en trois parcelles antérieurement à la création de l'interdiction de construire le long des lignes divisoires entre la parcelle centrale et les parcelles voisines ; que, dès lors, le moyen pris de la violation des articles 700 et suivants du Code civil qui postule que la servitude préexiste à la division de l'héritage, n'est fondé en aucune de ses branches ;

Enfin, dans un arrêt du 29 mai 1963 a posé une limite à l’indivisibilité de la servitude en posant que lorsque l’héritage à la charge duquel la servitude a été établie vient à être divisé, elle reste due par chaque portion, cette indivisibilité ne saurait avoir pour conséquence de faire supporter la servitude, par voie d’extension, a des fonds que le propriétaire de l’héritage assujetti y aurait ultérieurement réunis (Cass. 1ère civ. 29 mai 1963).

Enfin, lorsque l’exercice de la servitude est circonscrit à une partie seulement du fonds servant, tel que cela peut être le cas pour un droit de passage, en cas de division du fonds, la servitude ne sera maintenue que sur la partie qui constitue l’assiette de la servitude.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les biens, éd. Dalloz, 2004, n°870, p. 753.

[2] F. Terré et Ph. Simler, op. cit., n°873, p. 754.

Les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité pour troubles de voisinage

Aux côtés de la théorie de l’abus de droit, la jurisprudence a construit la théorie de l’excès de droit de propriété aux fins d’appréhender ce que l’on appelle les troubles de voisinage.

La situation de voisinage comporte généralement des inconvénients. Certains comportements peuvent excéder ces inconvénients normaux, sans toutefois être constitutifs d’une faute au sens de l’article 1240 du Code civil.

Aussi, Geneviève Viney et Patrice Jourdain ont-ils pu écrire que « les inconvénients liés au voisinage doivent être supportés jusqu’à une certaine limite, parce qu’ils sont inhérents à la vie en société ; au-delà de ce seuil, la responsabilité sera engagée, même en l’absence de faute de l’auteur, parce que la gêne devient intolérable et ne peut plus être justifiée par des relations de voisinage ».

Au nombre de ces troubles qui sont de nature à menacer la paix sociale entre voisins, on compte les bruits, les odeurs malsaines, les fumées délétères d’usine, les aboiements de chien, le plancher qui craque, les ébranlements, les poussières de chantier, la réduction de l’ensoleillement etc.

La difficulté ici est donc d’appréhender des troubles de voisinage susceptibles de causer un dommage à autrui sans pour autant que l’on puisse reprocher une quelconque faute à leur auteur.

I) Les conditions tenant à l’existence de troubles de voisinage

A) Notion de trouble

Classiquement, le trouble est défini comme une atteinte aux conditions de jouissance du bien d’autrui. Il s’apparente, autrement dit, à une nuisance.

Les formes que peut prendre cette nuisance sont innombrables (bruit, odeurs, fumée, privation d’ensoleillement, vibration, poussières, émanations etc.)

Afin d’apprécier le trouble il convient de se placer du point de vue de la victime. Le trouble est, en effet, ce qui est ressenti par elle et non ce qui est produit.

Il en résulte que, ni l’intention de nuire, ni la faute ne sont des conditions ne conditionnent la caractérisation d’un trouble. Peu importe donc que l’activité de l’auteur du trouble soit licite ou illicite (V. en ce sens Cass. 2e civ., 17 févr. 1993).

Seule compte la gêne, la nuisance occasionnée à la victime qui est affectée dans la jouissance de son bien.

B) Caractérisation du trouble

Après avoir déterminé ce que l’on devait entendre par trouble, la question qui se pose de savoir à partir de quand peut-on considérer qu’une nuisance est constitutive d’un trouble ?

Un simple un désagrément causé à la victime suffit-elle à engager la responsabilité de l’auteur de ce désagrément ou faut-il que la nuisance présente une intensité particulière ? Où doit-on placer le curseur sur l’échelle de la nuisance ?

À l’examen, pour que le trouble engage la responsabilité de son auteur, encore faut-il, d’une part, qu’il cause un préjudice à la victime et, d’autre part, que ce préjudice soit réparable.

Bien qu’ils entretiennent une proximité pour le moins étroite, trouble et préjudice ne se confondent pas.

Le trouble correspond, en effet, au fait générateur de la responsabilité (bruit), tandis que le préjudice n’en est la conséquence (maux de tête).

Il en résulte que le trouble peut parfaitement exister, sans pour autant causer de préjudice à la victime, à tout le moins de préjudice réparable.

La caractérisation du trouble doit ainsi être envisagée indépendamment de la question du préjudice qui ne peut donc pas se déduire de la nuisance dont se plaint la victime.

C) Extension de la notion de trouble

À l’examen, la jurisprudence a progressivement adopté une approche extensive de la notion de trouble, en reconnaissant qu’il pouvait également consister, d’une part, en un risque, d’autre part en une gêne esthétique.

==> L’extension de la notion trouble au risque éventuel occasionnée

 Plusieurs arrêts rendus par la Cour de cassation ont retenu l’attention en ce qu’ils ont admis que le trouble puisque consister en le risque créé pour le voisinage

Dans un arrêt du 10 juin 2004, la deuxième chambre civile a, par exemple, jugé s’agissant d’une propriété située en bordure d’un golf que la contrainte pour le propriétaire de vivre sous la menace constante d’une projection de balles qui devait se produire d’une manière aléatoire et néanmoins inéluctable, et dont le lieu et la force d’impact, comme la gravité des conséquences potentielles, étaient totalement imprévisibles était constitutive d’un trouble, en ce sens que cette menace excédait dans de fortes proportions ceux que l’on pouvait normalement attendre du voisinage d’un parcours de golf (Cass. 2e civ. 10 juin 2004, n°03-10434).

Ainsi le trouble ne s’apparente pas seulement en une nuisance tangible qui doit nécessairement se produire, il peut également consister en une simple menace qui pèse sur le voisinage, telle la menace de recevoir à tout moment des balles de golf dans sa propriété.

Dans un arrêt du 24 février 2005, la Cour de cassation est allée plus loin en jugeant que « la présence d’un tas de paille à moins de 10 mètres de la maison des époux X… stockage qui, selon lui posait un problème au niveau de la sécurité incendie, ainsi qu’un dépôt de paille dans une grange située à proximité de l’immeuble des intimés ; que, le stockage de paille ou de foin, en meules à l’extérieur ou entreposé dans une grange est bien de nature à faire courir un risque, dès lors qu’il était effectué en limite de propriété et à proximité immédiate d’un immeuble d’habitation ; que si la paille est effectivement un produit inerte, il n’en demeure pas moins que son pouvoir de combustion est particulièrement rapide et important, et qu’une simple étincelle peut suffire à provoquer son embrasement ; que, compte-tenu du risque indéniable qu’elle faisait courir à l’immeuble des époux X…, la proximité immédiate du stockage de paille de Mme Y… constituait pour ceux-ci un trouble anormal de voisinage, auquel il devait être remédié » (Cass. 2e civ. 24 févr. 2005, n°04-10362).

Ainsi, pour la deuxième chambre civile le simple risque d’incendie, bien que, sa réalisation ne soit, par hypothèse, qu’éventuelle, peut être constitutif d’un trouble.

Il s’agit là d’une approche pour le moins extensive de la notion de trouble, en ce qu’il consiste ici en une gêne psychologique, soit non tangible.

==> L’extension de la notion de trouble à la gêne esthétique occasionné

Dans un arrêt du 9 mai 2001, la Cour de cassation jugé que « la dégradation du paysage et de l’environnement urbain » peut constituer « un trouble anormal et excessif de voisinage, peu important qu’une telle opération eût été réalisée conformément aux règles de l’urbanisme ».

La deuxième chambre civile admet ainsi que l’on puisse compter parmi les troubles de voisinage la gêne esthétique.

Cette décision, n’est pas sans avoir fait réagir la doctrine qui s’est demandé si la haute juridiction n’était pas allée trop loin dans l’extension de la notion de trouble.

Dans un arrêt du 8 juin 2004, la Cour de cassation a semblé revenir sur sa position en excluant l’existence d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage s’agissant de l’édification d’un immeuble qui privait le fonds voisin de la vue sur mer (Cass. 1ère civ. 8 juin 2004, n°02-20906).

Elle a néanmoins fait machine arrière, un an plus tard, dans l’arrêt du 24 février 2005 aux termes duquel elle admet que l’importance de dépôts de machines usagées, caravane, camion et autres matériels divers entreposés en limite de propriété ou stationnements prolongés de matériels hors d’usage ou usagés, à proximité immédiate du fonds voisin, était source d’une gêne esthétique anormale pour ceux-ci, d’autant plus injustifiée que, eu égard à la taille de sa propriété, l’auteur de la nuisance était en mesure de procéder sans difficulté au stockage de ces biens en un endroit plus éloigné de la limite des deux fonds, dans des conditions qui ne soient pas susceptibles de nuire à ses voisins (Cass. 2e civ. 24 févr. 2005, n°04-10362)

D) La préexistence du trouble

Très tôt la question s’est posée en jurisprudence de la recevabilité de l’action engagée à l’encontre du voisin qui se serait installé antérieurement à la victime des troubles.

Il ne s’agit pas ici de s’intéresser au contexte général dans lequel s’inscrit l’immeuble, mais à la prééxistence, apparente, du gêneur particulier duquel émane le trouble.

Doit-on admettre que l’antériorité d’installation confère à l’occupant une immunité contre les actions fondées sur les troubles de voisinage ou doit-on considérer que cette situation est sans incidence sur le droit à indemnisation de la victime du trouble ?

La réponse à cette question est réglée par la théorie dite de la « pré-occupation » laquelle a donné lieu à une évolution de la jurisprudence, sous l’impulsion du législateur.

==> Évolution

  • La position orthodoxe de la jurisprudence
    • Dans un premier temps la jurisprudence refusait catégoriquement d’écarter l’indemnisation de la victime de troubles de voisinage au seul nom de l’antériorité d’installation de l’auteur des nuisances (V. en ce sens civ., 18 févr. 1907).
    • Une certaine doctrine soutenait pourtant que lorsque le trouble préexistait de manière apparente à l’installation de la victime, cette dernière avait, en quelque sorte, accepté les risques.
    • Or pour mémoire, l’acceptation des risques constitue, en matière de responsabilité délictuelle, un fait justificatif susceptible d’exonérer l’auteur du dommage de sa responsabilité.
    • Bien que audacieuse, cette thèse n’a pas convaincu les juridictions qui, en substance, considéraient que l’antériorité d’occupation de l’auteur des troubles ne pouvait, en aucune manière, lui conférer une immunité civile.
    • L’admettre, serait revenu pour la jurisprudence à légaliser la création d’une servitude en dehors du cadre défini à l’article 691 du Code civil, lequel prévoit que « les servitudes continues non apparentes, et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes, ne peuvent s’établir que par titres».
    • Considérant que la position adoptée par la Cour de cassation manquait de souplesse, le législateur est intervenu en 1976.
  • L’assouplissement de la règle par le législateur
    • Le législateur est intervenu dès 1976 pour assouplir la position pour le moins orthodoxe de la jurisprudence.
    • Aussi, a-t-il introduit un article L. 421-9 dans le Code de l’urbanisme, que la loi du 4 juillet 1980 a, par suite, transféré à l’article L. 112-16 du Code de la construction et de l’habitation.
    • Cette disposition prévoit que « les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions. »
    • À l’examen, ce texte prévoit un certain nombre de cas qui exonèrent, sous certaines conditions, l’auteur des dommages de toute responsabilité au titre des troubles anormaux du voisinage en raison de l’antériorité de son occupation.
    • Il s’agit là, en quelque sorte d’une servitude d’intérêt économique qui est consentie aux personnes qui exploitent des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques.
    • La règle posée par la jurisprudence aux termes de laquelle l’antériorité de l’installation est sans incidence sur le droit à indemnisation d’une victime de troubles de voisinage est ainsi assortie d’exceptions.
  • L’intervention du Conseil constitutionnel
    • Dans le cadre d’un litige engagé par des propriétaires pour qu’il soit mis fin à des troubles anormaux du voisinage causés par les clients d’un relais routier dont le parking est contigu à leur habitation, la Cour de cassation a été saisie aux fins que soit portée devant le Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ( 3e civ., 27 janv. 2011, n° 10-40.056).
    • La question posée était de savoir si l’article L. 112-16 du code de la construction et de l’habitation portait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution en ses articles 1 à 4 de la Charte de l’environnement de 2004 intégrée au préambule de la Constitution de 1958 ?
    • À cette question, le Conseil constitutionnel a, dans une décision du 8 avril 2011, répondu par la négative, considérant que « l’article L. 112-16 du code de la construction et de l’habitation interdit à une personne s’estimant victime d’un trouble anormal de voisinage d’engager, sur ce fondement, la responsabilité de l’auteur des nuisances dues à une activité agricole, industrielle, artisanale, commerciale ou aéronautique lorsque cette activité, antérieure à sa propre installation, a été créée et se poursuit dans le respect des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et, en particulier, de celles qui tendent à la préservation et à la protection de l’environnement ; que cette même disposition ne fait pas obstacle à une action en responsabilité fondée sur la faute ; que, dans ces conditions, l’article L. 112-16 du code de la construction et de l’habitation ne méconnaît ni le principe de responsabilité ni les droits et obligations qui résultent des articles 1er à 4 de la Charte de l’environnement» ( const., 8 avr. 2011, n° 2011-116 QPC).

==> Conditions

L’application de l’article L. 112-16 du Code de la construction et de l’habitation est subordonnée à la réunion de plusieurs conditions :

  • L’exploitation d’une activité agricole, industrielle, artisanale, commerciale ou aéronautique
    • La prise en compte de l’antériorité de l’installation ne bénéficie qu’aux seules personnes qui exploitent des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques.
    • À cet égard, la Cour de cassation se refuse à toute extension du champ d’application de l’article L. 112-16 qui fait l’objet d’une interprétation stricte.
    • Ainsi, a-t-elle refusé, par exemple, qu’il puisse être invoqué dans le cadre d’un litige opposant des copropriétaires (V. en ce sens ass. 3e civ., 23 janv. 1991).
  • L’exigence d’antériorité du trouble
    • L’article L. 112-16 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que seules les activités qui « se sont poursuivies dans les mêmes conditions» que celles qui existaient au moment de l’installation de la victime du trouble.
    • Si, autrement dit, les conditions d’exercice de l’activité se sont transformées postérieurement à l’installation de la victime et que la survenance du trouble procède de cette transformation, alors l’auteur des nuisances ne pourra se prévaloir d’aucune immunité.
    • Dans un arrêt du 18 janvier 2005, la Cour de cassation a jugé en ce sens que bien que l’activité agricole des exploitants était antérieure à l’installation des victimes des nuisances, ces nuisances avaient pour origine l’accroissement d’un élevage qui est intervenu postérieurement à cette installation.
    • La troisième chambre civile en déduit que les requérants étaient parfaitement fondés à solliciter une indemnisation à raison de l’existence de troubles qui excédaient les inconvénients normaux du voisinage ( 3e civ. 18 janv. 2005, n°03-18914).
  • L’existence de conformité de l’activité aux lois et règlements
    • L’article L. 112-16 du Code de la construction et de l’habitation n’est applicable qu’à la condition que l’exercice de l’activité agricole, industrielle, artisanale, commerciale ou aéronautique soit conforme aux lois et règlements.
    • Dans le cas contraire, l’antériorité de l’activité sera inopposable à la victime des troubles de voisinage.
    • Dans un arrêt du 13 janvier 2005, la Cour de cassation a, par exemple, considéré qu’une activité antérieure à l’installation du voisin, mais dont la légalité n’est clairement établie que postérieurement à cette installation, est une activité postérieure à l’installation de l’article L. 112-16 du Code de la construction de l’habitation (V. en ce sens 2e civ. 13 janv. 2005, n°04-12.623).
    • Dans un autre arrêt du 10 juin 2004, la question s’est posée de savoir si, en l’absence de réglementation spécifique de l’activité, l’article L. 112-16 pouvait s’appliquer.
    • Dans cette décision, le voisin d’un golf se plaignait des balles qui atterrissaient régulièrement dans sa propriété, ce qui était de nature à troubler la jouissance de son bien.
    • Reste qu’il s’était installé postérieurement à l’exploitation de ce golf, si bien que l’on eût pu penser que l’article L. 112-16 était applicable au cas particulier.
    • C’est sans compter sur la Cour de cassation qui, dans cette affaire, a jugé « qu’en l’absence de texte définissant les règles d’exploitation d’un terrain de golf autre que le règlement du lotissement qu’elle n’a pas dénaturé, la société Massane loisirs ne pouvait utilement invoquer en l’espèce les dispositions de l’article L. 112-16 du Code de la construction et de l’Habitation qui ne prévoient une exonération de responsabilité que si l’activité génératrice du trouble s’exerce conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur, de sorte qu’il convenait de faire application du principe général selon lequel l’exercice même légitime du droit de propriété devient générateur de responsabilité lorsque le trouble qui en résulte pour autrui dépasse la mesure des obligations ordinaires du voisinage» ( 2e civ. 10 juin 2004, n°03-10434).

II) Les conditions tenant à l’anormalité de troubles de voisinage

Pour que le trouble de voisinage soit de nature à engager la responsabilité de son auteur, encore faut-il qu’il soit anormal.

Dans la mesure où, en matière de responsabilité fondée sur les troubles de voisinage, il est indifférent qu’une faute puisse être reprochée à l’auteur des nuisances, l’anormalité ne se confond pas avec l’illicéité.

En effet, un trouble peut parfaitement n’être en contravention avec aucun texte et pourtant être anormal et, par voie de conséquence, ouvrir droit à réparation pour la victime.

À l’analyse, il ressort de la jurisprudence que l’anormalité du trouble est caractérisée lorsque deux conditions cumulatives sont réunies :

  • Le trouble présente un certain degré de gravité
  • Le trouble est persistant et récurrent

==> Sur la gravité du trouble

Seul le trouble de voisinage qui présente une gravité suffisante engage la responsabilité de son auteur. Les désagréments mineurs et qui, au fond, sont inhérents aux rapports de voisinage et plus généralement à la vie en société ne sont pas sanctionnés.

Seul l’excès ouvre droit à réparation, soit lorsque le trouble atteint un certain niveau de désagrément.

La jurisprudence retient ainsi la responsabilité de l’auteur d’un trouble lorsqu’il « excède les inconvénients normaux de voisinage » (Cass. 2e civ. 16 juill. 1969).

À l’évidence, la notion d’« anormalité » est une notion relative qui ne peut pas s’apprécier intrinsèquement.

Elle requiert, en effet, une appréciation in concreto en tenant compte des circonstances de temps (nuit et jour) et de lieu (milieu rural ou citadin, zone résidentielle ou industrielle), mais également en prenant en considération la perception des personnes qui se plaignent (V. en ce sens Cass. 3e civ., 14 janvier 2004, n°01-17.687).

Aussi, convient qu’il faut désigner seulement par trouble « anormal » celui que les voisins n’ont pas l’habitude de subir dans telle région et à telle époque. Car au fond, ce qu’on doit supporter de ses voisins, et ce que, pour leur être supportable, on doit éviter, est affaire de convenance et d’usage, donc de temps et de lieu.

C’est la raison pour laquelle le caractère excessif du trouble doit s’apprécier compte tenu de toutes les circonstances du cas et notamment de sa permanence . À cet égard, ce trouble dommageable est caractérisé par l’aggravation des embarras inhérents au voisinage se traduisant notamment par toutes dégradations de vie.

Dans ce cadre, les juges du fond apprécient souverainement le caractère anormal du trouble (Cass. 2e  civ., 27 mai 1999, n° 97-20488) ainsi que les mesures propres à le faire cesser (Cass. 2e civ., 9 octobre 1996, n° 94-16616).

Dans un arrêt du 13 juillet 2004, la Cour de cassation a ainsi opposé à l’auteur d’un pourvoi contestant la caractérisation d’un trouble par la Cour d’appel que « d’une part, que sous le couvert du grief non fondé de manque de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil, la première branche du moyen ne tend qu’à remettre en discussion le pouvoir souverain des juges du fond en ce qui concerne l’existence de troubles anormaux du voisinage » (Cass. 1ère civ. 13 juill. 2004, n°02-15176).

Cela n’empêche pas la Cour de cassation d’exercer un contrôle étroit sur la motivation de la Cour d’appel quant à la caractérisation du trouble.

==> Sur la persistance et la récurrence du trouble

L’anormalité du trouble ne procède pas seulement de sa gravité : la nuisance doit encore être persistance et récurrente.

Dans un arrêt du 5 février 2004, la deuxième chambre civile a, par exemple, jugé que « procédant d’une appréciation souveraine des éléments de preuve et desquels il ressort que les troubles, qui, en raison de leur durée, ne résultaient plus d’un cas de force majeure, excédaient les inconvénients normaux du voisinage, la cour d’appel a légalement justifié sa décision » (Cass. 2e civ. 5 févr. 2004, n°02-15206).

Ainsi, pour ouvrir droit à indemnisation le trouble doit être continu, à tout le moins répétitif. S’il n’est que très ponctuel, il ne saurait présenter un caractère anormal.

Les modes de constitution de l’usufruit: la loi, la volonté et la prescription

L’article 579 du Code civil dispose que « l’usufruit est établi par la loi, ou par la volonté de l’homme. »

À ces deux modes de constitution de l’usufruit visés par le texte, on en ajoute classiquement un troisième : la prescription acquisitive.

I) La loi

La loi prévoit plusieurs cas de constitution d’un usufruit sur un ou plusieurs biens :

  • L’usufruit légal du conjoint survivant sur un ou plusieurs biens du de cujus
  • Le droit de jouissance légale des parents sur les biens de leurs enfants mineurs
  • Le droit de l’époux bénéficiaire d’une prestation compensatoire

==> L’usufruit légal du conjoint survivant

La loi a toujours octroyé au conjoint survivant un droit d’usufruit sur les biens du de cujus, lorsque celui-ci est en concours avec des descendants ou des descendants.

Sous l’empire du droit antérieur, ce droit d’usufruit était limité à une quote-part des biens du prédécédé.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001, les droits du conjoint survivant ont été renforcés.

En effet, l’article 757 du Code civil dispose que « si l’époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux. »

Il ressort de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer selon que le conjoint survivant est ou non en présence d’enfants communs.

  • En présence d’enfants communs
    • Dans cette hypothèse, le conjoint survivant, il dispose d’une option :
      • Soit il peut réclamer un droit d’usufruit sur la totalité du patrimoine du de cujus
      • Soit il peut obtenir un quart en pleine propriété des biens de cujus
    • S’il opte pour l’usufruit, cette solution permet au conjoint survivant de se maintenir dans son cadre de vie habituel, sans préjudicier aux droits des héritiers du de cujus, en particulier des enfants.
  • En l’absence d’enfants communs
    • Le conjoint survivant ne disposera d’aucune option, il ne pourra revendiquer qu’un quart des biens du de cujus en pleine propriété.
    • Il s’agit ici d’éviter de préjudicier aux enfants qui ne seraient pas issus de cette union
    • Le droit d’option est également refusé au conjoint survivant s’il vient en concours avec les père et mère
    • L’article 757-1 du Code civil prévoit en ce sens que si, à défaut d’enfants ou de descendants, le défunt laisse ses père et mère, le conjoint survivant recueille la moitié des biens.
    • L’autre moitié est alors dévolue pour un quart au père et pour un quart à la mère.
    • Quand le père ou la mère est prédécédé, la part qui lui serait revenue échoit au conjoint survivant.
    • Enfin, en l’absence d’enfants ou de descendants du défunt et de ses père et mère, le conjoint survivant recueille toute la succession ( 752-2 C. civ.)

==> Le droit de jouissance légale des parents

L’article 386-1 du Code civil confère aux parents d’un enfant mineur un droit de jouissance légale sur les biens qu’ils administrent.

Cette disposition prévoit en ce sens que « la jouissance légale est attachée à l’administration légale : elle appartient soit aux parents en commun, soit à celui d’entre eux qui a la charge de l’administration. »

La jouissance octroyée par la loi aux parents sur les biens de leurs enfants s’assimile à un véritable usufruit (V. en ce sens Cass. civ., 24 janv. 1900), précision faite que cet usufruit ne présente pas de caractère viager.

À cet égard, l’article 386-2 précise que le droit de jouissance cesse :

  • Soit dès que l’enfant a seize ans accomplis ou même plus tôt quand il contracte mariage ;
  • Soit par les causes qui mettent fin à l’autorité parentale ou par celles qui mettent fin à l’administration légale ;
  • Soit par les causes qui emportent l’extinction de tout usufruit.

L’article 386-3 ajoute que, les charges de cette jouissance sont :

  • Celles auxquelles sont tenus les usufruitiers ;
  • La nourriture, l’entretien et l’éducation de l’enfant, selon sa fortune ;
  • Les dettes grevant la succession recueillie par l’enfant en tant qu’elles auraient dû être acquittées sur les revenus.

En contrepartie, les parents perçoivent les fruits civils, naturels ou industriels que peuvent produire les biens de l’enfant (encaissement des loyers, des intérêts d’un compte rémunéré etc.).

Enfin, l’article 383-4 parachève le régime du droit de jouissance légale conféré aux parents en prévoyant que certains biens sont exclus de son périmètre, au nombre desquels figurent :

  • Les biens que l’enfant peut acquérir par son travail ;
  • Les biens qui lui sont donnés ou légués sous la condition expresse que les parents n’en jouiront pas ;
  • Les biens qu’il reçoit au titre de l’indemnisation d’un préjudice extrapatrimonial dont il a été victime.

==> L’époux bénéficiaire d’une prestation compensatoire

Aux termes de l’article 270, al. 2 du Code civil « l’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. »

Ainsi, dans le cadre des mesures qui accompagnent un divorce,

Le juge peut octroyer une prestation compensatoire à un époux, laquelle vise à compenser la disparité que la rupture du mariage créée dans les conditions de vie respectives des époux.

Le principe posé par la loi est que cette prestation compensatoire doit être octroyée sous forme de capital

L’article 270, al. 2 prévoit en ce sens que la prestation compensatoire « a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d’un capital dont le montant est fixé par le juge »

Pour que le principe de versement d’une prestation compensatoire sous forme de capital puisse être appliqué efficacement, le législateur a prévu d’encourager le versement en numéraire tout en diversifiant les formes de paiement de ce capital, notamment en autorisant l’abandon d’un bien en pleine propriété.

À cet égard, l’article 274 du Code civil prévoit que le juge décide des modalités selon lesquelles s’exécutera la prestation compensatoire en capital parmi les formes suivantes:

  • Soit versement d’une somme d’argent, le prononcé du divorce pouvant être subordonné à la constitution des garanties prévues à l’article 277 ;
  • Soit attribution de biens en propriété ou d’un droit temporaire ou viager d’usage, d’habitation ou d’usufruit, le jugement opérant cession forcée en faveur du créancier.

Cette disposition a été adoptée afin de diversifier les formes d’attribution d’un capital et de permettre au débiteur qui ne dispose pas de liquidités suffisantes d’abandonner ses droits en propriété sur un bien mobilier ou immobilier propre, commun ou indivis.

Il peut également préférer céder à son conjoint un droit d’usufruit sur le logement de famille pendant une durée qui peut être soit temporaire, soit viagère.

En tout état de cause, il appartiendra au juge, qui a l’obligation de fixer le montant de la prestation compensatoire en capital, de procéder à une évaluation de l’usufruit.

La Cour de cassation n’a pas manqué de rappeler cette règle dans un arrêt du 22 mars 2005 aux termes duquel elle a affirmé que « lorsque le juge alloue une prestation compensatoire sous forme d’un capital il doit quelles qu’en soient les modalités en fixer le montant » (Cass. 1ère civ. 22 mars 2005, n°02-18648).

II) La volonté de l’homme

En application de l’article 579 du Code civil, l’usufruit peut être établi, nous dit le texte, « par la volonté de l’homme ».

Par volonté de l’homme, il faut entendre, tout autant l’accomplissement d’un acte unilatéral, que la conclusion d’une convention.

  • L’usufruit par acte unilatéral
    • Cette hypothèse correspond à l’établissement par le propriétaire d’un testament aux termes duquel il gratifie un ou plusieurs bénéficiaires d’un droit d’usufruit sur un bien ou sur tout ou partie de son patrimoine
    • Il peut ainsi consentir un usufruit à un légataire désigné et réserver la nue-propriété à ses héritiers ab intestat (légaux)
    • En la matière, le disposant dispose d’une relativement grande liberté sous réserve de ne pas porter atteinte à la réserve héréditaire.
    • Pour mémoire, cette réserve héréditaire consiste en « la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent. » ( 912 C. civ.)
    • Il s’agit, autrement dit, de la portion de biens dont le défunt ne peut pas disposer à sa guise, la réserve héréditaire présentant un caractère d’ordre public ( req., 26 juin 1882).
    • Ainsi, la réserve s’impose-t-elle impérativement au testateur qui ne pourra déroger aux règles de dévolution légale qu’en ce qui concerne ce que l’on appelle la quotité disponible.
    • C’est sur cette quotité disponible que le disposant aura toute liberté pour constituer un ou plusieurs usufruits
  • L’usufruit par acte conventionnel
    • Le propriétaire est libre de constituer un usufruit par convention à titre gratuit (donation) ou onéreux (cession)
    • L’usufruit peut alors être constitué selon deux schémas différents
      • Constitution de l’usufruit per translationem
        • Dans cette hypothèse, le propriétaire aliène directement l’usufruit (usus et fructus) en conservant la nue-propriété (abusus)
      • Constitution de l’usufruit per deductionem
        • Dans cette hypothèse, le propriétaire se réserve l’usufruit, tandis qu’il aliène la nue-propriété
    • Le plus souvent l’usufruit sera constitué selon le second schéma, l’objectif recherché étant, par exemple, pour des parents, de consentir à leurs enfants une donation de leur vivant, tout en conservant la jouissance du bien transmis.
    • La constitution d’un usufruit par convention n’est subordonnée à l’observation d’aucunes particulières, sinon celles qui régissent la validité des actes juridiques et la publicité foncière lorsque l’usufruit est constitué sur un immeuble.
    • Reste qu’il convient de distinguer selon que la constitution procède d’une donation ou d’une cession
      • La constitution d’usufruit à titre gratuit
        • Dans cette hypothèse, la constitution procédera d’une donation, ce qui implique qu’elle doit, d’une part, faire l’objet d’une régularisation par acte authentique, et, d’autre part, satisfaire aux règles du droit des successions.
        • En effet, en cas de donation excessive, la constitution d’usufruit pourra donner lieu à des restitutions successorales, notamment au titre de la réserve héréditaire à laquelle il serait porté atteinte ou au titre de l’égalité qui préside au partage de cette réserve héréditaire
      • La constitution d’usufruit à titre onéreux
        • Le propriétaire est libre de constituer un usufruit par voie de convention conclue à titre onéreux
        • L’hypothèse est néanmoins rare, dans la mesure où la constitution d’un usufruit par convention vise le plus souvent à organiser la transmission d’un patrimoine familial.
        • Reste que lorsque l’usufruit est constitué à titre onéreux, la contrepartie consistera pour l’acquéreur à verser, tantôt un capital, tantôt une rente viagère.
        • Par hypothèse, l’opération n’est pas sans comporter un aspect spéculatif, en raison du caractère viager de l’usufruit.
        • Aussi, pourrait-elle être requalifiée en donation déguisée dans l’hypothèse où le prix fixé serait déraisonnablement bas, l’objectif recherché étant, pour les parties, d’échapper au paiement des droits de mutation.

III) La prescription acquisitive

Bien que prévu par aucun texte, il est admis que l’usufruit puisse être acquis par le jeu de la prescription acquisitive attachée à la possession.

L’article 2258 du Code civil définit cette prescription comme « un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

La prescription acquisitive aura vocation à jouer lorsque celui qui tire profit de la jouissance de la chose se comportera comme le véritable usufruitier.

Tel sera notamment le cas, lorsqu’il aura acquis l’usufruit, en vertu d’un titre, auprès d’une personne qui n’était pas le véritable propriétaire du bien. Le possesseur aura ainsi été institué usufruitier a non domino.

S’agissant de la durée de la prescription acquisitive, elle dépend de la nature du bien objet de la possession.

  • S’il s’agit d’un immeuble, la prescription pourra être de 10 ans en cas de bonne foi du possesseur et de justification d’un juste titre. À défaut, la durée de la prescription acquisitive est portée à trente ans.
  • S’il s’agit d’un meuble, l’effet acquisitif de la possession est immédiat, sauf à ce que le possesseur soit de mauvaise foi auquel cas la durée de la prescription sera de trente ans.

La durée de l’usufruit

Par nature, l’usufruit présente un caractère temporaire l’objectif recherché étant de permettre au nu-propriétaire de récupérer, à terme, les utilités de la chose, faute de quoi son droit de propriété serait vidé de sa substance et la circulation économique du bien paralysé.

Si, tous les usufruits présentent ce caractère temporaire, leur durée peut être, tantôt viagère, tantôt déterminée.

I) L’usufruit à durée viagère

==> Principe

L’article 617, al. 1 prévoit que « l’usufruit s’éteint […] par la mort de l’usufruitier ». Le principe, c’est donc que l’usufruit est viager, ce qui implique qu’il prend fin au décès de l’usufruitier.

À cet égard, l’usufruit est attaché à la personne. Il en résulte qu’il n’est pas transmissible à cause de mort.

==> Tempéraments

Bien que l’interdiction qui est faite à l’usufruitier de transmettre son droit après sa mort soit une règle d’ordre public, elle comporte deux tempéraments

  • Premier tempérament : l’usufruit simultané
    • L’usufruit peut être constitué à la faveur de plusieurs personnes simultanément, ce qui revient à créer une indivision en usufruit.
    • Cette constitution d’usufruit est subordonnée à l’existence de tous les bénéficiaires au jour de l’établissement de l’acte.
    • Dans cette hypothèse, l’usufruit s’éteint progressivement à mesure que les usufruitiers décèdent, tandis que le nu-propriétaire recouvre corrélativement la pleine propriété de son bien sur les quotes-parts ainsi libérées
    • Afin d’éviter que l’assiette de l’usufruit ne se réduise au gré des décès qui frappent les usufruitiers, il est possible de stipuler une clause dite de réversibilité.
    • Dans cette hypothèse, la quote-part de celui des usufruitiers qui est prédécédé accroît celle des autres, qui en bénéficient pour la totalité, jusqu’au décès du dernier d’entre eux.
    • Le dernier survivant a ainsi vocation à exercer un monopole sur l’usufruit du bien.
  • Second tempérament : l’usufruit successif
    • L’usufruit peut également être constitué sur plusieurs têtes, non pas simultanément, mais successivement.
    • Il s’agira autrement dit de stipuler une clause de réversibilité aux termes de laquelle au décès de l’usufruitier de « premier rang », une autre personne deviendra usufruitière en second rang.
    • Dans cette hypothèse, les usufruitiers n’exerceront pas de pouvoirs concurrents sur la chose : ils se succéderont, le décès de l’un, ouvrant le droit d’usufruit de l’autre.
    • Chacun jouira ainsi, tout à tour, de l’intégralité de l’usufruit constitué.
    • Selon M. Grimaldi nous ne sommes pas en présence « d’un unique usufruit qui passerait mortis causa d’un gratifié à l’autre» mais d’« usufruits successifs, distincts qui s’ouvriront tour à tour, chacun à l’extinction du précédent par la mort de son titulaire ».
    • La Cour de cassation a précisé que la clause de réversibilité de l’usufruit « s’analysait en une donation à terme de bien présent, le droit d’usufruit du bénéficiaire lui étant définitivement acquis dès le jour de l’acte» ( 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-19759).
    • Il en résulte que seul l’exercice du droit d’usufruit est différé, non sa constitution, ce qui évite de tomber sous le coup de la prohibition des pactes sur succession future.

II) L’usufruit à durée déterminée

Il est deux situations où l’usufruit n’est pas viager : lorsque, d’une part, il est assorti d’un terme stipulé par le constituant et lorsque, d’autre part, il est constitué à la faveur d’une personne morale

==> L’usufruit est assorti d’un terme stipulé par le constituant

Il est admis que le constituant assortisse l’usufruit d’un terme déterminé. Dans cette hypothèse, l’usufruit s’éteindra :

  • Soit à l’expiration du terme fixé par l’acte constitutif
  • Soit au décès de l’usufruitier qui peut potentiellement intervenir avant le terme fixé

La seule limite à la liberté des parties quant à la fixation du terme de l’usufruit, c’est l’impossibilité de transmettre l’usufruit à cause de mort.

==> L’usufruit est constitué au profit d’une personne morale

Dans l’hypothèse où l’usufruitier est une personne morale, il est susceptible d’être perpétuel. En effet, une personne morale vit aussi longtemps que ses associés réalisent son objet social. Or ces derniers sont susceptibles de se succéder éternellement, par le jeu, soit des transmissions à cause de mort, soit des cessions de droits sociaux.

Aussi, afin que la règle impérative qui assortit l’usufruit d’un caractère temporaire s’applique également aux personnes morales, l’article 619 du Code civil que « l’usufruit qui n’est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans. »

Cette règle est d’ordre public, de sorte que la durée ainsi posée ne saurait être allongée. Dans un arrêt du 7 mars 2007, la Cour de cassation n’a pas manqué de le rappeler, en jugeant que « l’usufruit accordé à une personne morale ne peut excéder trente ans » (Cass. 7 mars 2007, n°06-12568).

Qu’est-ce que l’usufruit? Notion, nature, caractères

==> Notion

L’usufruit est défini à l’article 578 du Code civil comme « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. »

L’usufruitier dispose ainsi d’un droit réel d’usage et de jouissance sur la chose d’autrui, par le jeu d’un démembrement de la propriété.

Ce démembrement s’opère comme suit :

  • L’usufruitier recueille temporairement dans son patrimoine l’usus et le fructus qui, à sa mort, en vocation à être restitués au nu-propriétaire sans pouvoir être transmis aux héritiers
  • Le nu-propriétaire conserve, pendant toute la durée de l’usufruit, l’abusus qui, à la mort de l’usufruitier, se verra restituer l’usus et le fructus, recouvrant alors la pleine propriété de son bien

L’usufruit est, de toute évidence, le droit de jouissance le plus complet, en ce sens qu’il confère à l’usufruitier le droit de jouir des choses « comme le propriétaire lui-même ».

Cela implique donc que l’usufruitier peut, non seulement tirer profit de l’utilisation de la chose, mais encore en percevoir les fruits, notamment en exploitant le bien à titre commercial.

C’est là une différence majeure entre l’usufruitier et le titulaire d’un droit d’usage et d’habitation, ce dernier ne disposant pas du pouvoir de louer le bien. Il est seulement autorisé à en faire usage pour ses besoins personnels et ceux de sa famille.

Seule limite pour l’usufruitier quant à la jouissance du bien : pèse sur lui une obligation de conservation de la chose. Il ne dispose donc pas du pouvoir de la détruire ou de la céder.

==> Nature

L’usufruit confère à l’usufruitier un droit réel sur la chose, de sorte qu’il exerce sur elle un droit direct et immédiat.

La qualification de droit réel de l’usufruit est parfois contestée par certains auteurs. D’aucuns avancent, en effet, que si la nature de droit réel se conçoit parfaitement lorsqu’il porte sur une chose corporelle, il n’en va pas de même lorsqu’il a pour objet une chose incorporelle. Il y a, selon eux, une incompatibilité entre l’intangibilité de la chose et l’exercice d’un pouvoir direct et immédiat sur elle.

Cette thèse est, toutefois, selon nous inopérante, dans la mesure où l’incorporalité d’une chose ne fait nullement obstacle à ce que son propriétaire exerce sur elle une emprise qui, certes, ne sera pas physique, mais qui consistera à contrôler son utilisation.

Aussi, partageons-nous l’idée que le droit exercé par l’usufruitier sur la chose, présente un caractère réel.

À cet égard, la nature de ce droit dont est investi l’usufruitier permet de le distinguer du locataire qui est titulaire, non pas d’un droit réel, mais d’un droit personnel qu’il exerce contre son bailleur.

Pour mémoire, le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier, d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation.

Il en résulte que le droit pour le preneur de jouir de la chose procède, non pas du pouvoir reconnu par la loi à l’usufruitier en application de l’article 578 du Code civil, mais de la conclusion du contrat de bail qui oblige le bailleur, conformément à l’article 1719 du Code civil, à délivrer au preneur la chose louée et lui assurer une jouissance paisible.

Le preneur est donc investi d’un droit qu’il exerce non pas directement sur le bien loué, mais contre le bailleur sur lequel pèse un certain nombre d’obligations en contrepartie du paiement d’un loyer.

À l’examen, la situation dans laquelle se trouvent l’usufruitier et le nu-propriétaire est radicalement différente.

Il n’existe entre l’usufruitier et le nu-propriétaire aucun lien contractuel, de sorte que, ni l’usufruitier, ni le nu-propriétaire n’ont d’obligations positives l’un envers l’autre.

La seule obligation qui pèse sur l’usufruitier est de conserver la substance de la chose, tandis que le nu-propriétaire doit s’abstenir de la détruire.

Aussi, l’usufruitier et le nu-propriétaire sont tous deux titulaires de droits réels qui sont indépendants l’un de l’autre.

François Terré et Philippe Simler ont écrit en ce sens que « le Code civil a conçu l’usufruit et la nue-propriété comme deux droits réels, coexistant sur la chose et juxtaposés, mais séparés : il n’y a pas communauté, mais bien séparation d’intérêts entre l’usufruitier et le nu-propriétaire ».

Il n’y a donc, entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, ni indivision, ni société. Tous deux exercent directement un pouvoir sur la chose sans avoir à se soucier des intérêts de l’autre.

Les seules limites à l’exercice indépendant de ces droits réels dont ils sont titulaires sont celles posées par la loi, laquelle met à la charge de l’usufruitier plusieurs obligations propter rem (art. 600 à 615 C. civ.)

==> Caractère temporaire

L’usufruit présente cette particularité d’être temporaire. C’est la raison pour laquelle un droit réel qui procéderait de la conclusion d’un contrat et qui ne serait assorti d’aucun terme extinctif ne pourrait pas être qualifié d’usufruit.

Aussi, en l’absence de stipulation particulière, l’usufruit est viager, soit s’éteint à cause de mort. Lorsqu’il est dévolu à une personne morale, sa durée est portée à 30 ans.

L’usufruit, a donc, en toute hypothèse, vocation à revenir au nu-propriétaire qui recouvra la pleine propriété de son bien.

À cet égard, c’est là le seul intérêt de la nue-propriété, le nu-propriétaire étant privé, pendant toute la durée de l’usufruitier de toutes les utilités de la chose (usus et fructus).

Les démembrements du droit de propriété: vue générale

==> Notion

On dit du droit de propriété qu’il est le plus complet des droits réels, dans la mesure où il confère à son titulaire toutes les prérogatives susceptibles d’être exercées sur une chose.

Paul Roubier a écrit en ce sens que « la notion du droit de propriété sur les choses corporelles, mobilières ou immobilières, peut être considérée comme la forme la plus complète de droit subjectif ».

Le propriétaire réunit ainsi en une seule main toutes les prérogatives qui sont susceptibles d’être exercées sur la chose. Le propriétaire peut en tirer toutes les utilités qu’elle a à lui donner. C’est cette particularité qui confère au droit de propriété son caractère absolu.

Cette plénitude du droit de propriété résulte directement de ses attributs que sont l’usus, le fructus et l’abusus.

Ces attributs fondent la souveraineté dont est investi le propriétaire qui exclut tout autre de la chose.

Peu importe que la propriété soit individuelle (un seul titulaire du droit) ou collective (plusieurs titulaires du droit), la propriété est toujours assortie des mêmes attributs. Est-ce à dire que ces attributs sont indissociables ? Il n’en est rien.

En effet, ainsi que l’observent des auteurs « le droit réel de propriété est divisible, non seulement en ce que son assiette physique peut être subdivisée en deux ou plusieurs parcelles, mais encore en ce que ses éléments constitutifs, dissociés suivant divers clivages peuvent être dévolus à des personnes différentes entre lesquelles les prérogatives du propriétaire se trouvent réparties »[1].

Rien n’interdit donc de répartir les utilités de la chose entre plusieurs titulaires, qui exerceront sur elles pouvoirs différents : c’est ce que l’on appelle le démembrement du droit de propriété.

Le démembrement consiste, en somme, en un partage des utilités de la chose entre un tiers et le propriétaire[2].

==> Des droits réels

À l’examen, les démembrements ont en commun d’être de même nature que le droit de propriété : tous confèrent à leur titulaire un droit réel sur la chose qui en est l’objet.

Pour mémoire, le droit réel octroie à son titulaire un pouvoir direct et immédiat sur une chose. Structurellement, le droit réel suppose un sujet, le propriétaire et un objet, la chose sur laquelle s’exerce le droit réel.

La nature de droits réels des démembrements du droit de propriété emporte plusieurs conséquences :

  • D’une part, ils sont opposables à tous dès lors que les formalités de publicité sont valablement accomplies
  • D’autre part, ils confèrent à leur titulaire un droit de préférence et un droit de suite sur le bien
  • Enfin, ils sont susceptibles, sous certaines conditions, de faire l’objet d’acte de disposition (constitution de sûretés ou cession)

==> Des droits temporaires

Pour Cyril Grimaldi, parce que « les démembrements de la propriété privent le propriétaire de la valeur d’usage de la chose […] un démembrement de la propriété ne peut être que temporaire : si la jouissance d’un bien était octroyée à perpétuité à un tiers, le droit de propriété aurait une valeur nulle ».

Ainsi, à l’exception des servitudes qui sont perpétuelles, les démembrements du droit de propriété sont tous assortis d’un terme extinctif. Le propriétaire a toujours vocation à recouvrer l’ensemble des utilités de son bien.

==> Une égalité imparfaite

En toute logique, la somme des démembrements du droit de propriété devrait être égale au tout que constitue la pleine propriété, soit rassemblée dans tous ses attributs.

Tel n’est pourtant pas le cas. Il suffit pour s’en convaincre d’observer que le démembrement du droit de propriété entre un usufruitier et un nu-propriétaire ne permet, ni à l’un, ni à l’autre de détruire le bien, alors même qu’il s’agit d’une prérogative dont est investi le plein propriétaire.

Ce constat a conduit des auteurs à relever que « quantitativement, l’usufruitier a moins de pouvoir que le propriétaire n’en perd… ; quant au nu-propriétaire, il a moins de pouvoir que ce qu’il aurait si son droit était ce qu’il reste de la propriété après ablation de l’usus et du fructus »[3].

La situation du nu-propriétaire et de l’usufruitier n’est pas isolée. Lorsque, en effet, un droit d’habitation est consenti à un tiers sur la chose, les droits de détruire ou de donner à bail le bien sont neutralisés par le démembrement du droit de propriété.

À l’examen, il apparaît que la pleine propriété est plus que la somme de ses démembrements, de sorte que les pouvoirs dont est investi le propriétaire sur la chose sont supérieurs à ceux réunis lorsque la propriété est démembrée.

==> Numerus clausus

À la différence des droits personnels dont la création procède de la volonté des personnes – pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs – il est classiquement admis que la création des droits réels relève du seul monopole du législateur.

Selon cette thèse, dite du numerus clausus, les droits réels seraient, en effet, limitativement énumérés par la loi, ce qui priverait les propriétaires de la possibilité d’en créer de nouveaux.

Au soutien de cette thèse, il est avancé que l’article 543 du Code civil, qui serait d’interprétation stricte, dresserait une liste limitative des droits réels susceptibles d’être exercés sur une chose.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « on peut avoir sur les biens, ou un droit de propriété, ou un simple droit de jouissance, ou seulement des services fonciers à prétendre. »

Est-ce à dire que la volonté des personnes est impuissance à créer de nouvelles prérogatives, en dehors de celles envisagées par le texte ?

Une partie des auteurs réfutent cette théorie en soutenant que l’article 543 ne pose aucune interdiction formelle quant à la création de nouveaux droits réels. Tout au plus il en dresse une liste qui n’est toutefois pas exhaustive.

Autre argument soulevé en opposition à la thèse du numerus clausus : la jurisprudence aurait admis la création d’un droit spécial de jouissance en dehors de tout texte.

Un premier pas aurait été franchi depuis l’arrêt « Caquelard » (Cass. req. 13 février 1834) qui avait énoncé que « ni [les articles 544, 546 et 552 du code civil], ni aucune autre loi n’excluent les diverses modifications et décompositions dont le droit ordinaire de propriété est susceptible ».

La Cour de cassation ne répondait toutefois pas explicitement à la question de savoir si l’on peut créer par convention d’autres droits réels que ceux qui sont prévus par la loi.

Il faut attendre 2012, pour que la haute juridiction se prononce sur cette question, les affaires qu’elle a eu à connaître jusqu’alors ne lui ayant jamais réellement permis de dire la règle.

Dans un arrêt vivement remarqué du 31 octobre 2012 et intitulé « Maison de Poésie », la Cour de cassation a effet jugé que la création d’un droit réel pouvait procéder de la libre volonté des parties.

  • Faits
    • La fondation « Maison de poésie », propriétaire à Paris d’un hôtel particulier édifié sur jardin et sans doute trop vaste pour ses activités, a vendu en 1932 ce bien à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD).
    • L’acte comportait toutefois deux clauses hors du commun :
      • La première précisait qu’étaient formellement exclues de la vente la jouissance ou l’occupation par la Maison de la poésie de certaines parties de la propriété qu’elle occupait
      • La seconde clause ajoutait que la SACD pourrait récupérer les locaux ainsi occupés, à charge de construire dans le jardin une construction de même importance qui serait mise à la disposition de la fondation pour toute la durée de son existence.
    • Le temps passant, les activités de la SACD croissant, celles de la fondation s’étiolant et les règlements d’urbanisme empêchant sans doute la construction envisagée dans le jardin, la SACD a souhaité récupérer les locaux occupés et a assigné la fondation.
  • Procédure
    • Un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 4 mars 2010 a fait droit à cette demande, estimant que ce qu’elle analysait comme un droit d’usage et d’habitation était expiré.
    • Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 10 février 2011 a confirmé ce jugement, précisant que le droit d’usage et d’habitation conféré à une personne morale était limité à trente ans, sans qu’il puisse y être dérogé par convention, en application des articles 619 et 625 du code civil.
  • Décision
    • Première décision (Cass. 3e 31 oct. 2012, n°11-16304)
      • Par arrêt du 31 octobre 2012, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel au visa des articles 544 et 1134 du Code civil
      • Au soutien de sa décision elle énonce, dans un premier temps « qu’il résulte de ces textes que le propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d’ordre public, un droit réel conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien»
      • Elle en déduit, dans un second temps, que les juges du fonds, « alors que les parties étaient convenues de conférer à La Maison de Poésie, pendant toute la durée de son existence, la jouissance ou l’occupation des locaux où elle était installée ou de locaux de remplacement, la cour d’appel, [ont] méconnu leur volonté de constituer un droit réel au profit de la fondation, a violé les textes susvisés».
      • La Cour de cassation admet ainsi expressément que, en application des règles qui consacrent le droit de propriété (544 C. civ.) et l’autonomie de la volonté (art. 1134 C. civ. – désormais 1103), les parties sont libres de créer un droit réel de jouissance spéciale.
    • Seconde décision : (Cass. 3e 8 sept. 2016, n°14-26.953)
      • Consécutivement à la décision rendue par la Cour de cassation en 2012, la cour d’appel de Paris, autrement composée, a, par un arrêt du 18 septembre 2014, infirmé le jugement rendu en première instance et jugé que la fondation était bien titulaire d’un droit réel exclusif pendant toute la durée de son existence.
      • Un nouveau pourvoi est néanmoins formé en cassation, les requérant reprochant à la Cour d’appel d’avoir dit que la Fondation était titulaire d’un droit réel lui conférant la jouissance spéciale des locaux pendant toute la durée de son existence.
      • Par un arrêt du 8 septembre 2016, la Cour de cassation rejette ce pourvoi.
      • La troisième chambre civile relève :
        • D’une part, que les parties avaient entendu instituer, par l’acte de vente des 7 avril et 30 juin 1932, un droit réel distinct du droit d’usage et d’habitation régi par le code civil et
        • D’autre part, que ce droit avait été concédé pour la durée de la Fondation, et non à perpétuité
      • Elle en déduit alors que ce droit, qui n’était pas régi par les dispositions des articles 619 et 625 du code civil, n’était pas expiré et qu’aucune disposition légale ne prévoyait qu’il soit limité à une durée de trente ans

Cass. 3e civ., 31 octobre 2012
Sur le deuxième moyen :

Vu les articles 544 et 1134 du code civil ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que le propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d'ordre public, un droit réel conférant le bénéfice d'une jouissance spéciale de son bien ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 février 2011), que par acte notarié des 7 avril et 30 juin 1932, la fondation La Maison de Poésie a vendu à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (la SACD), un hôtel particulier, l'acte mentionnant que "n'est toutefois pas comprise dans la présente vente et en est au contraire formellement exclue, la jouissance ou l'occupation par La Maison de Poésie et par elle seule des locaux où elle est installée actuellement et qui dépendent dudit immeuble" et "au cas où la SACD le jugerait nécessaire, elle aurait le droit de demander que le deuxième étage et autres locaux occupés par La Maison de Poésie soient mis à sa disposition, à charge par elle d'édifier dans la propriété présentement vendue et de mettre gratuitement à la disposition de La Maison de Poésie et pour toute la durée de la fondation, une construction de même importance, qualité, cube et surface pour surface" (...) "en conséquence de tout ce qui précède, La Maison de Poésie ne sera appelée à quitter les locaux qu'elle occupe actuellement que lorsque les locaux de remplacement seront complètement aménagés et prêts à recevoir les meubles, livres et objets d'art et tous accessoires utiles à son fonctionnement, nouveaux locaux qu'elle occupera gratuitement et pendant toute son existence" ; que, le 7 mai 2007, la SACD a assigné La Maison de Poésie en expulsion et en paiement d'une indemnité pour l'occupation sans droit ni titre des locaux ;

Attendu que pour accueillir la demande l'arrêt retient que le droit concédé dans l'acte de vente à La Maison de Poésie est un droit d'usage et d'habitation et que ce droit, qui s'établit et se perd de la même manière que l'usufruit et ne peut excéder une durée de trente ans lorsqu'il est accordé à une personne morale, est désormais expiré ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les parties étaient convenues de conférer à La Maison de Poésie, pendant toute la durée de son existence, la jouissance ou l'occupation des locaux où elle était installée ou de locaux de remplacement, la cour d'appel, qui a méconnu leur volonté de constituer un droit réel au profit de la fondation, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 février 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

De toute évidence, l’apport le plus important de ces deux arrêts, et que n’a pas manqué de remarquer la doctrine, réside sans aucun doute dans le premier d’entre eux, qui a admis que le droit réel créé par l’acte de vente de 1932 était distinct du droit d’usage et d’habitation (Cass. 3e civ., 31 octobre 2012, n°11-16.304).

De ce point de vue, le second de ces arrêts (Cass. 3e civ., 8 septembre 2016, n°14-26.953) ne fait que dire les choses d’une manière plus directe, la solution étant cependant déjà tout entière inscrite dans le premier.

Là réside à l’évidence l’audace qu’ont voulu percevoir certains de ses commentateurs : une longue tradition doctrinale tenait en effet, depuis Demolombe, à la thèse dite du numerus clausus des droits réels, selon laquelle le code civil fournissait une liste exhaustive des droits réels susceptibles d’être créés.

L’attendu de principe, qui vient coiffer l’arrêt de 2012, balaie d’un revers de main cette thèse qui, en vérité, tenait moins à la lettre de l’article 543 code civil, lequel ne dit pas que la liste des droits réels serait exhaustive, qu’à l’interprétation qu’en a donnée au XIXe siècle l’école de l’exégèse.

Ainsi, rien n’interdit, les propriétaires de consentir, sous réserve des règles d’ordre public, des droits réels conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de leur bien.

On doit en déduire que la catégorie des droits réels n’est désormais plus limitée par la liste qu’en donne le code et que les juristes peuvent donc imaginer des droits réels variés, adaptés à la situation des biens et de leurs propriétaires.

Dans un arrêt du 7 juin 2018, la Cour de cassation a réaffirmé sa position tout en précisant le sens de la règle.

  • Faits
    • Une SCI avait acquis, en 2004, divers lots à vocation commerciale, dont un à usage de piscine, faisant partie d’un immeuble en copropriété
    • Les vendeurs avaient signé, le 20 août 1970, une convention “valant additif” au règlement de copropriété par laquelle ils s’engageaient à assumer les frais de fonctionnement de la piscine et à autoriser son accès gratuit aux copropriétaires, au moins pendant la durée des vacances scolaires
    • Un arrêt devenu définitif, déclarant valable cette convention, avait condamné la SCI à procéder, dans les termes de celle-ci, à l’entretien et à l’exploitation de la piscine
    • La SCI a alors assigné le syndicat des copropriétaires en constatation de l’expiration des effets de la convention litigieuse à compter du 20 août 2000
  • Procédure
    • Par un arrêt du 21 mars 2017, la Cour d’appel de Chambéry déboute la SCI de sa demande en se situant, non pas sur le terrain contractuel, mais sur le terrain des droits réels.
    • Les juges du fonds considèrent, en effet, que « les droits litigieux, qui avaient été établis en faveur des autres lots de copropriété et constituaient une charge imposée à certains lots, pour l’usage et l’utilité des autres lots appartenant à d’autres propriétaires, étaient des droits réels sui generis trouvant leur source dans le règlement de copropriété et que les parties avaient ainsi exprimé leur volonté de créer des droits et obligations attachés aux lots des copropriétaires».
    • Pour la Cour d’appel, l’obligation d’entretien de la piscine ne tenait donc pas à la conclusion d’une convention, mais à la création d’un véritable droit réel.
    • Elle précise néanmoins que le droit réel sui generis ainsi constitué n’était pas perpétuel, puisqu’il ne s’exerçait qu’aussi longtemps que durerait la copropriété et les dispositions de son règlement.
  • Décision
    • Par un arrêt du 7 juin 2018, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la SCI.
    • À l’examen, si elle valide l’approche de la Cour d’appel dont le raisonnement s’inscrit dans le sillage de l’arrêt Maison de Poésie, elle s’en écarte néanmoins en affirmant « qu’est perpétuel un droit réel attaché à un lot de copropriété conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale d’un autre lot», d’où la substitution de motif ( 3e civ., 7 juin 2018, n°17-17240).
    • Plusieurs enseignements peuvent être retirés de cet arrêt :
      • Premier enseignement
        • Il s’infère de cette décision que les droits réels sui generis ne peuvent pas être rattachés à des catégories préexistantes, telles que l’usufruit ou les servitudes, ce qu’avait recherché à faire la Cour d’appel, sauf à en épouser tous les caractères.
        • Or en l’espèce, les droits dont était titulaire la SCI ne s’apparentaient, ni à un droit d’usufruit, ni à un droit d’usage, ni même à une servitude.
        • Il s’agissait donc bien de droits réels sui generis dont le régime était réglé par la seule convention dont ils étaient issus.
        • C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation a refusé qu’il leur soit appliqué le régime de l’usufruit et en particulier le terme extinctif dont est assorti ce droit réel.
      • Second enseignement
        • L’autre enseignement qui peut être retiré de l’arrêt rendu par la Cour de cassation en 2018 est que les parties ne disposent pas seulement de la faculté de créer des droits réels en dehors de ceux prévus par les textes, elles sont également libres d’en fixer la durée qui peut être perpétuelle.
        • Cette précision n’est pas sans importance, car en reconnaissant aux parties cette faculté, la Cour de cassation opère ici un revirement de jurisprudence.
        • Dans un arrêt du 28 janvier 2015, la Troisième chambre civile avait, en effet, retenu la solution inverse en jugeant que « lorsque le propriétaire consent un droit réel, conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien, ce droit, s’il n’est pas limité dans le temps par la volonté des parties, ne peut être perpétuel et s’éteint dans les conditions prévues par les articles 619 et 625 du code civil» ( 3e civ. 28 janv. 2015, n°14-10013).
        • Désormais, la Cour de cassation semble admettre qu’un droit réel sui generis puisse être perpétuel, dès lors que les parties ont conclu une convention en ce sens.
        • On assiste ainsi à une parallélisation du droit des biens avec le droit des contrats, la volonté des parties présidant, dans les deux cas, au régime applicable au droit subjectif créé.
        • Reste à savoir comment concilier cette faculté octroyée aux parties de créer un droit réel sui generis assorti d’une durée illimitée avec la règle énoncée à l’article 1210 du Code civil qui prohibe expressément la stipulation d’engagements perpétuels.
        • Au vrai, l’arrêt du 7 juin 2018 doit être relativisé, car le champ d’application de la règle énoncée semble limité aux seuls droits réels sui generis attachés à un lot de copropriété.
        • Lorsque le droit est attaché à une personne, la doctrine avance que la règle posée par l’arrêt du 28 janvier 2015 n’est nullement remise en cause.
        • Certains auteurs justifient d’ailleurs la solution dégagée par la Cour de cassation en 2018 par la nature du droit en cause qui serait constitutif moins d’un droit réel sui generis, que d’une servitude.
        • Il y a donc lieu d’être prudent avec cette décision qui n’est pas sans faire naître de nombreuses interrogations.

Cass. 3e civ., 7 juin 2018
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, après avis donné aux parties en application de l’article 1015 du code de procédure civile :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 21 mars 2017), que la SCI L’Aigle blanc (la SCI) a acquis, en 2004, divers lots à vocation commerciale, dont un à usage de piscine, faisant partie d’un immeuble en copropriété ; que les vendeurs avaient signé, le 20 août 1970, une convention "valant additif" au règlement de copropriété par laquelle ils s’engageaient à assumer les frais de fonctionnement de la piscine et à autoriser son accès gratuit aux copropriétaires, au moins pendant la durée des vacances scolaires ; qu’un arrêt devenu définitif, déclarant valable cette convention, a condamné la SCI à procéder, dans les termes de celle-ci, à l’entretien et à l’exploitation de la piscine ; que la SCI a alors assigné le syndicat des copropriétaires de l’ensemble immobilier Grand Roc en constatation de l’expiration des effets de cette convention à compter du 20 août 2000 ;

Attendu que la société fait grief à l’arrêt de rejeter cette demande, alors, selon le moyen que les engagements perpétuels sont prohibés, le caractère perpétuel s’appréciant in concreto, en la personne du débiteur de l’engagement ; que si le propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d’ordre public, un droit réel conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien, ce droit ne peut être perpétuel et s’éteint, s’il n’est pas limité dans le temps par la volonté des parties, dans les conditions prévues par les articles 619 et 625 du code civil ; qu’en retenant que les droits et obligations contenues dans la convention du 20 août 1970 n’étaient pas perpétuels, tout en constatant que ceux-ci s’exerceront tant que les copropriétaires n’auront pas modifié le règlement de copropriété et que l’immeuble demeurera soumis au statut de la copropriété, ce dont il résultait que ces droits et obligations avaient une durée indéterminée et présentaient donc, pour le propriétaire des lots grevés desdites obligations, un caractère perpétuel, la cour d’appel a violé l’article 1210 du code civil, ensemble les articles 619 et 625 du code civil ;

Mais attendu qu’est perpétuel un droit réel attaché à un lot de copropriété conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale d’un autre lot ; que la cour d’appel a retenu que les droits litigieux, qui avaient été établis en faveur des autres lots de copropriété et constituaient une charge imposée à certains lots, pour l’usage et l’utilité des autres lots appartenant à d’autres propriétaires, étaient des droits réels sui generis trouvant leur source dans le règlement de copropriété et que les parties avaient ainsi exprimé leur volonté de créer des droits et obligations attachés aux lots des copropriétaires ; qu’il en résulte que ces droits sont perpétuels ; que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, l’arrêt se trouve légalement justifié ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les autres branches du moyen qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi ;

Ce qu’il y a lieu de retenir des différents arrêts rendus par la Cour de cassation depuis 2012 ce que la création d’un droit réel peut parfaitement procéder de la libre volonté des parties, sous réserve, conformément à l’article 6 du Code civil, du respect des règles d’ordre public.

Cette faculté reconnue aux parties leur permet d’envisager la création d’un droit de jouissance spéciale selon une infinité de possibilités.

La spécialité de la jouissance du droit réel sui generis peut tenir, tantôt à son assiette (droit de jouissance d’une parcelle de terrain ou d’une maison), tantôt à ses attributs (droit de chasser, droit de récolter les fruits d’un arbre).

==> Variétés identifiées de démembrements

Initialement, les démembrements du droit de propriété, tels qu’envisagés par les rédacteurs du Code civil se limitaient à :

  • L’usufruit qui possède cette particularité de réunir l’usus et le fructus, tandis que l’abusus est conservé par le nu-propriétaire
  • Les droits d’usage et d’habitation qui ne sont autres que des diminutifs de l’usufruit, en ce sens qu’ils confèrent à leur titulaire un droit de jouissance réduit à l’utilisation du bien dans la limite de ses besoins et de ceux de sa famille
  • Les servitudes qui consistent en une charge imposée à un fonds (fonds servant) pour l’usage et l’utilité d’un fonds bénéficiaire (fonds dominant)

Aux côtés de ces démembrements historiques du droit de propriété, figurent d’autres droits réels qui ont été progressivement consacrés par le législateur. Au nombre de ces démembrements figurent notamment :

  • L’emphytéose qui consiste en un bail à long terme (compris entre 18 et 99 ans) et qui confère au preneur un droit réel susceptible d’hypothèque sur des biens immeubles et plus particulièrement des terres cultivables
  • Le bail à construction qui consiste en un bail à long terme (compris entre 18 et 99 ans) par lequel le preneur s’engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée du bail

La jurisprudence a ajouté à cette liste des démembrements du droit de propriété :

  • Le droit de superficie qui consiste en un droit réel consenti à une personne (le superficiaire) sur la surface d’un fonds dont le sol ou le tréfonds appartient à un autre propriétaire (tréfoncier), ce qui autorise son titulaire à jouir et disposer des ouvrages et plantations établis au-dessus et en dessous d’un fonds.

[1] F. Terré, Ph. Simler, Droit civil – Les biens, éd. Dalloz, 2006, coll. « précis », n°773, p. 683.

[2] W. Dross, Droit civil. Les choses, LGDJ, 2012, n° 81

[3] F. Zénati et Th. Revet, Les biens, éd. PUF, 2008, n°244

Troubles de voisinage: la responsabilité du propriétaire (maître d’ouvrage) du fait de l’entrepreneur de travaux

lors même qu’il n’est pas l’auteur du trouble, la jurisprudence a admis que le propriétaire du terrain dont ce trouble émane engage sa responsabilité.

Il s’agit là d’un cas spécifique de responsabilité du fait d’autrui qui ne repose, ni sur l’article 1240 du Code civil, ni sur l’article 1242, al. 1er, mais sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.

Ainsi que le résument Philippe Malaurie et Laurent Aynès « la victime peut agir directement contre l’auteur du trouble, même s’il n’est pas propriétaire : locataire ou entrepreneur ; ou contre le propriétaire, même s’il n’est pas l’auteur du trouble, car il répond du locataire ou de l’entrepreneur. Le propriétaire, le locataire et l’entrepreneur sont solidairement responsables ».

L’objectif ici visé par la jurisprudence est de faciliter l’exercice du droit à réparation en multipliant les débiteurs d’indemnisation.

Ainsi, le propriétaire du fonds engage sa responsabilité de plein droit à raison du trouble anormal causé par son locataire ou par l’entrepreneur de travaux qu’il a commis .

Nous nous focaliserons ici sur la responsabilité du propriétaire du fait de l’entrepreneur de travaux.

Plusieurs actions doivent être envisagées :

  • L’action de la victime des troubles contre le maître d’ouvrage
  • Le recours du maître d’ouvrage contre les entrepreneurs de travaux
  • Les recours des entrepreneurs de travaux entre eux

==> L’action de la victime des troubles contre le maître d’ouvrage

À l’instar de la responsabilité du propriétaire du fait de son locataire, lorsqu’il endosse la qualité de maître d’ouvrage il est pareillement responsable du fait de l’intervention de l’entrepreneur de travaux qu’il a commis.

Cette solution a d’abord été consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 février 1971.

La troisième chambre civile a estimé, dans cette décision, au visa des articles 544 et 1382 (nouvellement 1240) du Code civil que :

  • D’une part, si « aux termes du premier de ces textes, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements, le propriétaire voisin de celui qui construit légitimement sur son terrain est néanmoins tenu de subir les inconvénients normaux du voisinage»
  • D’autre part, « qu’en revanche, il est en droit d’exiger une réparation dès lors que ces inconvénients excédent cette limite»

Il ressort ainsi de cet arrêt que le maître d’ouvrage est responsable du fait de son constructeur dont l’intervention est à l’origine du trouble.

La Cour de cassation a statué, dans le même sens, d’un arrêt du 22 juin 2005, aux termes duquel elle a estimé que « le propriétaire de l’immeuble auteur des nuisances, et les constructeurs à l’origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels des propriétaires lésés » (Cass. 3e civ., 22 juin 2005, n° 03-20.068 et 03-20.991).

Le propriétaire engage également sa responsabilité du fait de l’entrepreneur (Cass. 3e civ., 11 mai 2000, n°98-18249) ou encore du maître d’œuvre (Cass. 3e civ., 20 déc. 2006, n°05-10.855)

À cet égard, il convient d’observer que, à la différence du maître d’ouvrage qui engage sa responsabilité de plein droit dès lors que le trouble anormal est caractérisé, celle de l’entrepreneur de travaux ne peut l’être qu’à la condition qu’il soit démontré que le trouble est en relation directe avec la mission qui lui a été confiée (V. en ce sens Cass. 3e civ. 9 févr. 2011, n°09-71.570 et 09-72.494).

==> Le recours du maître d’ouvrage contre les entrepreneurs de travaux

Lorsque le propriétaire a été condamné à indemniser la victime du trouble, alors même qu’il n’en était pas à l’origine, la jurisprudence admet qu’il dispose d’un recours contre l’entrepreneur de travaux.

Dans un arrêt du 2 juin 2015, la Cour de cassation a, par exemple, jugé « qu’un maître de l’ouvrage condamné pour avoir réalisé des travaux ayant causé à autrui un trouble anormal de voisinage et contre lequel n’est établi ni immixtion fautive ni acceptation délibérée des risques est, subrogé, après paiement de l’indemnité, dans les droits de la victime et est bien fondé, avec son assureur, à recourir contre les constructeurs qui par leur action ont été seuls à l’origine des troubles invoqués et leurs assureurs, sans avoir à prouver leur faute, pour obtenir leur garantie intégrale » (Cass. 3e civ., 2 juin 2015, n° 14-11149)

Ainsi, en cas de condamnation consécutivement à l’action engagée par la victime de troubles anormaux de voisinage, le propriétaire du fonds dont émanent ces troubles dispose d’un recours contre l’entrepreneur de travaux qu’il a commis.

Selon que l’auteur des troubles sera l’entrepreneur principal ou un sous-traitant le fondement du recours sera, tantôt de nature contractuelle, tantôt de nature délictuelle.

Il importe encore de distinguer selon que le recours du maître d’ouvrage est exercé, avant l’indemnisation de la victime du trouble ou après.

  • Le recours intervient avant l’indemnisation de la victime du trouble
    • Dans cette hypothèse, le maître d’ouvrage ne disposera que d’un seul recours, fondé sur la responsabilité contractuelle.
    • Aussi, pour mener à bien son action contre l’auteur des troubles devra-t-il établir une inexécution contractuelle.
    • Cette exigence a été affirmée par la Cour de cassation notamment dans un arrêt du 28 novembre 2001.
    • Elle a, en effet, jugé dans cette décision que « la responsabilité de l’entrepreneur vis-à-vis du maître de l’ouvrage condamné à réparer les dommages causés à un tiers sur le fondement des troubles anormaux du voisinage est de nature contractuelle, et que le maître de l’ouvrage ne peut invoquer une présomption de responsabilité à l’encontre de l’entrepreneur gardien du chantier» ( 3e civ. 28 nov. 2001, n°00-13559 00-14450).
    • Manifestement, lorsque le maître d’ouvrage est contraint d’agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle, sa situation n’est pas des plus confortables, dans la mesure où il est contraint de caractériser une faute.
    • Cette exigence a été rappelée dans un arrêt du 24 février 2003 aux termes duquel la 3e chambre civile a reproché à une Cour d’appel d’avoir condamné l’entrepreneur de travaux « sans caractériser les fautes éventuellement commises par la société Sade CGTH, sur le fondement de la responsabilité contractuelle régissant les rapports unissant le maître de l’ouvrage à l’entrepreneur ayant exécuté les travaux» ( 3e civ. 24 févr. 2003, n°01-18017).
    • Pour cette raison, le maître d’ouvrage a plutôt intérêt à indemniser la victime du trouble avant d’exercer son recours contre l’entrepreneur de travaux, ce afin de bénéficier du recours subrogatoire qui, en ce qu’il repose sur la théorie des troubles de voisinage, le dispense de rapporter la preuve de la faute.
  • Le recours intervient après l’indemnisation de la victime du trouble
    • Lorsque le recours exercé par le maître d’ouvrage intervient postérieurement à l’indemnisation de la victime du trouble, le maître d’ouvrage dispose de deux sortes de recours : un recours personnel et un recours personnel
      • S’agissant du recours personnel
        • Ce recours présente l’inconvénient d’exiger du maître d’ouvrage qu’il rapporte la preuve d’un manquement par l’entrepreneur de travaux à ses obligations contractuelles
        • Le succès de son action s’en trouve dès lors pour le moins incertain.
        • Il se retrouve, en effet, dans la même situation que si l’indemnisation de la victime du trouble était intervenue après l’exercice de son recours.
      • S’agissant du recours subrogatoire
        • Ce recours présente l’avantage de permettre au maître d’ouvrage de se subroger dans les droits de la victime du trouble et, par voie de conséquence, d’exercer son recours sur le fondement de la théorie des troubles de voisinage.
        • Dans ces conditions, il sera dispensé de rapporter la preuve d’une faute : la seule caractérisation du trouble suffit à obtenir gain de cause.
        • C’est ainsi que dans un arrêt du 21 juillet 1999, la Cour de cassation a censuré une Cour d’appel qui pour débouter un maître d’ouvrage et son assureur, de leur action récursoire, elle considère que « le maître de l’ouvrage, agissant contre l’entrepreneur général sur un fondement juridique qui n’est pas celui de l’article 1792 du Code civil doit démontrer l’existence d’une faute et que la preuve de cette faute n’est pas rapportée»
        • La troisième chambre civile juge néanmoins « qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé, par un motif non critiqué, que l’association Institut Curie était subrogée dans les droits et actions de ses voisins, victimes de troubles anormaux du voisinage, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le principe susvisé» ( 3e civ. 21 juill. 1999, n°96-22735).
        • Lorsque donc le maître d’ouvrage exerce un recours subrogatoire, il est dispensé de rapporter la preuve d’une faute.
        • La Cour de cassation a réitéré cette solution dans un arrêt du 24 septembre 2003 en jugeant « qu’ayant relevé qu’il était établi par les pièces produites que [le maître d’ouvrage] avait effectué des paiements au profit des voisins victimes des désordres, la cour d’appel a retenu à bon droit qu’étant subrogée dans les droits de ces derniers à hauteur de ces paiements, cette société était bien fondée à recourir contre les constructeurs et leurs assureurs sur le fondement du principe prohibant les troubles anormaux du voisinage, qui ne requiert pas la preuve d’une faute» ( 3e civ. 24 sept. 2003, n°02-12873).
        • Elle a encore précisé, dans un arrêt du 22 juin 2005, que le maître d’ouvrage était fondé à solliciter des entrepreneurs de travaux une indemnisation à hauteur de l’intégralité des sommes versées à l’auteur du trouble, nonobstant l’absence de faute commise par eux.
        • Ainsi, dans cet arrêt la troisième chambre civile juge « qu’ayant relevé que l’Hôtel George V avait exécuté le jugement et payé les dédommagements accordés aux voisins par le Tribunal, et retenu qu’il n’était pas démontré par les contrats, les correspondances échangées et le rapport des experts que le maître de l’ouvrage ait été pleinement informé des risques de troubles au voisinage, ait entendu décharger les entreprises de leurs responsabilités, et ait prescrit dans ces conditions la poursuite du chantier, la cour d’appel en a déduit à bon droit, sans dénaturation, que du fait de la subrogation dont elle était bénéficiaire dans les droits des victimes, la société George V était fondée à obtenir la garantie totale des locateurs d’ouvrage auteurs du trouble, dont la responsabilité vis-à-vis du maître de l’ouvrage n’exigeait pas la caractérisation d’une faute» ( 3e civ. 22 juin 2005, n°03-20068).
        • Il ressort de cet arrêt que si le maître d’ouvrage dispose d’un recours contre les sous-traitants, par exception, il peut être privé de ce recours dans l’hypothèse où pleinement informé des risques de troubles au voisinage, il aurait entendu décharger les entreprises de leurs responsabilités en leur prescrivant, nonobstant la situation, de poursuivre le chantier sans en tirer les conséquences qui s’imposent

==> Les recours des entrepreneurs de travaux entre eux

Le maître d’ouvrage n’est pas le seul à bénéficier d’une action récursoire en cas de condamnation à indemniser l’auteur des troubles, les entrepreneurs de travaux disposent également de recours entre eux.

À cet égard, dans un arrêt du 26 avril 2006, la Cour de cassation a précisé que « l’entrepreneur principal ne peut exercer de recours subrogatoire contre les sous-traitants que pour la fraction de la dette dont il ne doit pas assumer la charge définitive » (Cass. 3e civ. 26 avr. 2006, n°05-10100).

S’agissant, par ailleurs, de la contribution à la dette des entrepreneurs de travaux lorsqu’ils sont plusieurs à être intervenus sur le chantier, il y a lieu de distinguer deux situations

À cet égard, deux situations doivent être distinguées :

  • Des fautes peuvent être reprochées aux entrepreneurs de travaux
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a jugé dans l’arrêt du 26 avril 2006 que « dans les rapports entre le locateur d’ouvrage auteur du trouble anormal causé aux voisins et les autres professionnels dont la responsabilité peut être recherchée, la charge finale de la condamnation, formant contribution à la dette, se répartit en fonction de la gravité de leurs fautes respectives» ( 3e civ. 26 avr. 2006, n°05-10100).
    • Lorsque, de la sorte, le trouble de voisinage procède de fautes commises par les entrepreneurs de travaux, ils engagent leur responsabilité à concurrence de la gravité du manquement susceptible de leur être reproché
  • Aucune faute ne peut être reprochée aux entrepreneurs des travaux
    • Dans un arrêt du 20 décembre 2006, la Cour de cassation a considéré que « dans l’exercice du recours du maître de l’ouvrage ou de son assureur au titre d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, la contribution à la dette, en l’absence de faute, se répartit à parts égales entre les co-obligés» ( 3e civ. 20 déc. 2006, n°05-10855).
    • Dans cette situation, si plusieurs entrepreneurs de travaux ont concouru à la production du préjudice subi par la victime des troubles de voisinage, aucune faute ne peut leur être reproché.
    • C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation décide qu’il s’agit là d’un cas de partage de responsabilité.

Troubles de voisinage: la responsabilité du bailleur du fait de son locataire

Alors même qu’il n’est pas l’auteur du trouble, la jurisprudence a admis que le propriétaire du terrain dont ce trouble émane engage sa responsabilité.

Il s’agit là d’un cas spécifique de responsabilité du fait d’autrui qui ne repose, ni sur l’article 1240 du Code civil, ni sur l’article 1242, al. 1er, mais sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.

Ainsi que le résument Philippe Malaurie et Laurent Aynès « la victime peut agir directement contre l’auteur du trouble, même s’il n’est pas propriétaire : locataire ou entrepreneur ; ou contre le propriétaire, même s’il n’est pas l’auteur du trouble, car il répond du locataire ou de l’entrepreneur. Le propriétaire, le locataire et l’entrepreneur sont solidairement responsables ».

L’objectif ici visé par la jurisprudence est de faciliter l’exercice du droit à réparation en multipliant les débiteurs d’indemnisation.

Ainsi, le propriétaire du fonds engage sa responsabilité de plein droit à raison du trouble anormal causé par son locataire ou par l’entrepreneur de travaux qu’il a commis .

Nous nous focaliserons ici sur la responsabilité du bailleur du fait de son locataire.

Deux recours doivent ici être distingués :

  • Le recours de la victime des troubles de voisinage contre le propriétaire-bailleur
  • Le recours du propriétaire-bailleur contre le locataire

==> Le recours de la victime du trouble contre le propriétaire-bailleur

Dans un arrêt du 17 avril 1996, la Cour de cassation a jugé que « la victime d’un trouble de voisinage trouvant son origine dans l’immeuble donné en location, peut en demander réparation au propriétaire » (Cass. 3e civ., 17 avril 1996, n° 94-15.876)

Elle précise, en outre, que le bailleur ne pouvait pas, au cas particulier, se réfugier derrière l’envoi de mises en demeure à l’auteur du trouble, ce qui était insuffisant pour l’exonérer de sa responsabilité.

À cet égard, dans un arrêt du 31 mai 2000, la Cour de cassation ajoute que le seul fait de mentionner dans le contrat de bail que le propriétaire demandait la suppression des micros et musique était insuffisant pour démontrer qu’il avait mis en demeure son locataire de respecter la réglementation sur le bruit et qu’il ne justifiait pas de vérifications particulières pour s’assurer que son locataire respectait les obligations souscrites (Cass. 2e civ. 31 mai 2000, n°98-17532)

La deuxième chambre civile en déduit que l’existence de troubles anormaux du voisinage émanant de l’immeuble donné en location par le propriétaire justifiait que, indépendamment de toute faute de la part du bailleur, le propriétaire était tenu d’en réparer les conséquences dommageables subies par un tiers

Il en résulte que, pour pouvoir s’exonérer de sa responsabilité en cas de trouble causé par son locataire, le bailleur doit, non seulement le mettre en demeure de cesser les troubles dont il est l’origine, mais encore il est tenu d’obtenir la cessation définitive de ces troubles par tous moyens fût-il obligé de menacer le locataire de la résiliation du bail

==> Le recours du propriétaire-bailleur contre le locataire

S’il ne parvient pas à faire cesser le trouble et qu’il est condamné consécutivement à une action engagée contre lui par la victime des troubles de voisinage, tout n’est pas perdu pour le propriétaire.

En effet, lorsque le propriétaire a été condamné à indemniser la victime du trouble, alors même qu’il n’en était pas à l’origine, la jurisprudence admet qu’il dispose d’un recours contre son locataire.

Dans un arrêt du 8 juillet 1987, la Cour de cassation a considéré en ce sens que « lorsque le trouble de voisinage émane d’un immeuble donné en location, la victime de ce trouble peut en demander réparation au propriétaire, qui dispose d’un recours contre son locataire lorsque les nuisances résultent d’un abus de jouissance ou d’un manquement aux obligations nées du bail »

Pour que le bailleur soit fondé à exercer un recours contre son locataire il lui incombe ainsi de démontrer, soit un manquement au contrat de bail, soit un abus de jouissance du local loué.

Les conditions d’exercice de l’action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage

Pour que la responsabilité fondée sur les troubles anormaux de voisinage soit mise en œuvre, encore faut-il qu’il soit établi que la victime entretient une relation de voisinage avec l’auteur des troubles.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par relation de voisinage. Communément, cette notion renvoie à la situation d’une personne qui réside à faible distance d’une autre personne.

Quant au Code civil, il est silencieux sur ce point. Il n’aborde les relations de voisinage que sous l’angle des problématiques de mitoyenneté.

Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’est revenue la tâche :

  • D’une part, de définir la notion de voisin, afin de déterminer quelles étaient les personnes fondées à agir
  • D’autre part, d’identifier les personnes susceptibles d’engager leur responsabilité au titre d’un trouble anormal de voisinage

A) Le demandeur à l’action en responsabilité fondée sur les troubles de voisinage

Parce que seules les personnes qui ont intérêt et qualité à agir peuvent engager une action en responsabilité fondée sur la théorie des troubles de voisinage, la jurisprudence s’est employée à déterminer des critères permettant de délimiter la notion de voisin.

  • Proximité de la source du trouble
    • Le premier critère permettant de caractériser l’existence d’une relation de voisinage est la proximité.
    • Le voisin est nécessairement celui qui occupe un immeuble à proximité de la source du trouble.
    • Il est toutefois indifférent que le voisin occupe un fonds contigu
    • Par hypothèse, le trouble est susceptible de se communiquer d’un lieu à un autre, sans considération de bornage, de clôture ou de mitoyenneté.
    • Ainsi, la fumée ou le bruit qui émanent d’une usine peuvent affecter la jouissance de fonds voisins se situant dans un périmètre plus ou moins large selon l’intensité et la teneur du trouble
    • Il suffit donc d’être touché par le trouble pour endosser la qualification de voisin
  • Indifférence de la qualité de propriétaire
    • Il est de jurisprudence constante que la qualité de propriétaire est sans incidence sur la qualification de voisin.
    • Dans un arrêt du 17 mars 2005, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble de voisinage s’applique à tous les occupants d’un immeuble en copropriété quel que soit le titre de leur occupation» ( 2e civ. 17 mars 2005, n°04-11279)
    • À cet égard, il peut être observé que, si l’article 544 du Code civil ne peut pas servir de fondement à la théorie des troubles de voisinage, c’est, en particulier, parce qu’il est indifférent que le voisin ait la qualité de propriétaire.
    • Pour endosser la qualification de voisin, il emporte donc peu que la victime des troubles soit propriétaire, locataire ou encore usufruitier
    • Dans un arrêt du
  • Indifférence de l’occupation du fonds
    • Dans un arrêt du 28 juin 1995, la Cour de cassation a précisé « qu’un propriétaire, même s’il ne réside pas sur son fonds, est recevable à demander qu’il soit mis fin aux troubles anormaux de voisinage provenant d’un fonds voisin» ( 2e civ. 28 juin 1995, n°93-12681).
    • Dans son rapport annuel de 1995, la Cour de cassation commente cette décision en relevant qu’elle « règle une question qui n’avait pas encore été jugée : l’action pour trouble de voisinage peut-elle être intentée uniquement par les victimes directes, celles qui subissent le trouble quotidiennement, ou bien peut-elle être mise en mouvement par les propriétaires du bien où le trouble est subi, indépendamment du fait qu’ils ne résident plus dans les lieux ? Par la présente décision, la cour s’est orientée vers une solution qui permet au propriétaire d’agir même si l’immeuble est inoccupé et quand bien même la victime directe, locataire ou occupant à titre gratuit, s’abstiendrait de le faire. »
    • Ainsi il indifférait que le fonds soit occupé par le propriétaire, son intérêt à agir résidant, en définitive, dans la nécessité de protéger son bien.

B) Le défendeur à l’action en responsabilité fondée sur les troubles de voisinage

Il est admis en jurisprudence que le défendeur n’est pas nécessairement la personne qui a causé le trouble, il peut également s’agir du propriétaire du fonds dont émane le trouble, alors même qu’il n’en est pas à l’origine.

1. L’auteur du trouble

La personne qui est à l’origine du trouble engage sa responsabilité, sans qu’il soit besoin d’établir qu’elle a commis une faute. La seule constatation du trouble anormal suffit à engager sa responsabilité.

À cet égard, il est indifférent que l’auteur du trouble soit propriétaire, locataire ou usufruitier. Ce qui importe c’est qu’il occupe le fonds dont émane le trouble.

La question s’est néanmoins posée en jurisprudence de la responsabilité des entrepreneurs et des maîtres d’ouvrage dont l’intervention sur un fonds est à l’origine d’un trouble affectant la jouissance des fonds voisins.

Dans un arrêt du 30 juin 1998, la Cour de cassation a ainsi retenu, sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, la responsabilité d’un entrepreneur qui avait injecté du béton dans le sol avec une intensité telle que « ce matériau avait pénétré dans les locaux occupés par les [occupants] du fonds situés au-delà des limites du terrain de la construction ».

Relevant que la preuve était rapportée d’un lien de cause à effet entre ces travaux et les dommages constatés chez les voisins la troisième chambre civile valide la décision de la Cour d’appel « qui n’était pas tenue de caractériser la faute du constructeur » et qui a pu légitimement en déduire que l’entrepreneur « était responsable du trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage » subi par les occupants du fonds voisin (Cass. 3e civ. 30 juin 1998, n°96-13039).

Il ressort de cet arrêt que la Cour de cassation n’hésite pas à retenir la responsabilité de l’entrepreneur à l’origine du trouble, alors même que son intervention n’était que ponctuelle et, surtout qu’il n’entretenait aucune relation de voisinage, au sens commun du terme, avec la victime du trouble.

La Cour de cassation justifie néanmoins sa position dans son rapport annuel en arguant que « bien que celui-ci ne soit pas, normalement, le voisin de la victime, on peut retenir que c’est en travaillant chez un voisin qu’il a commis le trouble anormal et cet arrêt montre la volonté de la troisième chambre d’unifier la jurisprudence dans deux des côtés du triangle unissant entre eux les trois acteurs de l’opération de construction litigieuse ».

Dans un arrêt du 22 juin 2005, la Cour de cassation a précisé sa position en se référant à la notion de « voisins occasionnels ».

Elle a, en effet, confirmé l’arrêt d’une Cour d’appel qui a retenu « à bon droit que le propriétaire de l’immeuble auteur des nuisances, et les constructeurs à l’origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels des propriétaires lésés » (Cass. 3e civ. 22 juin 2005, n°03-20068).

Pour que la responsabilité du voisin occasionnel soit engagée sur le fondement des troubles de voisinage, encore faut-il, ajoute la Cour de cassation :

  • D’une part, que l’entrepreneur contre qui l’action est dirigée soit l’auteur du trouble, ce qui implique qu’en cas de sous-traitance, le sous-traitant engage seul sa responsabilité (V. en ce sens 3e civ. 21 mai 2008, n°07-13769)
  • D’une part, que les troubles subis soient en relation de cause directe avec la réalisation des missions confiées à l’auteur des troubles (V. en ce sens 3e civ. 9 févr. 2011, n°09-71.570 et 09-72.494)

2. Le propriétaire du fonds dont émane le trouble

Alors même qu’il n’est pas l’auteur du trouble, la jurisprudence a admis que le propriétaire du terrain dont ce trouble émane engage sa responsabilité.

Il s’agit là d’un cas spécifique de responsabilité du fait d’autrui qui ne repose, ni sur l’article 1240 du Code civil, ni sur l’article 1242, al. 1er, mais sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.

Ainsi que le résument Philippe Malaurie et Laurent Aynès « la victime peut agir directement contre l’auteur du trouble, même s’il n’est pas propriétaire : locataire ou entrepreneur ; ou contre le propriétaire, même s’il n’est pas l’auteur du trouble, car il répond du locataire ou de l’entrepreneur. Le propriétaire, le locataire et l’entrepreneur sont solidairement responsables ».

L’objectif ici visé par la jurisprudence est de faciliter l’exercice du droit à réparation en multipliant les débiteurs d’indemnisation.

Ainsi, le propriétaire du fonds engage sa responsabilité de plein droit à raison du trouble anormal causé par son locataire ou par l’entrepreneur de travaux qu’il a commis .

i) S’agissant de la responsabilité du propriétaire-bailleur du fait du locataire

Deux recours doivent ici être distingués :

  • Le recours de la victime des troubles de voisinage contre le propriétaire-bailleur
  • Le recours du propriétaire-bailleur contre le locataire

==> Le recours de la victime du trouble contre le propriétaire-bailleur

Dans un arrêt du 17 avril 1996, la Cour de cassation a jugé que « la victime d’un trouble de voisinage trouvant son origine dans l’immeuble donné en location, peut en demander réparation au propriétaire » (Cass. 3e civ., 17 avril 1996, n° 94-15.876)

Elle précise, en outre, que le bailleur ne pouvait pas, au cas particulier, se réfugier derrière l’envoi de mises en demeure à l’auteur du trouble, ce qui était insuffisant pour l’exonérer de sa responsabilité.

À cet égard, dans un arrêt du 31 mai 2000, la Cour de cassation ajoute que le seul fait de mentionner dans le contrat de bail que le propriétaire demandait la suppression des micros et musique était insuffisant pour démontrer qu’il avait mis en demeure son locataire de respecter la réglementation sur le bruit et qu’il ne justifiait pas de vérifications particulières pour s’assurer que son locataire respectait les obligations souscrites (Cass. 2e civ. 31 mai 2000, n°98-17532)

La deuxième chambre civile en déduit que l’existence de troubles anormaux du voisinage émanant de l’immeuble donné en location par le propriétaire justifiait que, indépendamment de toute faute de la part du bailleur, le propriétaire était tenu d’en réparer les conséquences dommageables subies par un tiers

Il en résulte que, pour pouvoir s’exonérer de sa responsabilité en cas de trouble causé par son locataire, le bailleur doit, non seulement le mettre en demeure de cesser les troubles dont il est l’origine, mais encore il est tenu d’obtenir la cessation définitive de ces troubles par tous moyens fût-il obligé de menacer le locataire de la résiliation du bail

==> Le recours du propriétaire-bailleur contre le locataire

S’il ne parvient pas à faire cesser le trouble et qu’il est condamné consécutivement à une action engagée contre lui par la victime des troubles de voisinage, tout n’est pas perdu pour le propriétaire.

En effet, lorsque le propriétaire a été condamné à indemniser la victime du trouble, alors même qu’il n’en était pas à l’origine, la jurisprudence admet qu’il dispose d’un recours contre son locataire.

Dans un arrêt du 8 juillet 1987, la Cour de cassation a considéré en ce sens que « lorsque le trouble de voisinage émane d’un immeuble donné en location, la victime de ce trouble peut en demander réparation au propriétaire, qui dispose d’un recours contre son locataire lorsque les nuisances résultent d’un abus de jouissance ou d’un manquement aux obligations nées du bail »

Pour que le bailleur soit fondé à exercer un recours contre son locataire il lui incombe ainsi de démontrer, soit un manquement au contrat de bail, soit un abus de jouissance du local loué.

ii) S’agissant de la responsabilité du propriétaire-maître d’ouvrage du fait de l’entrepreneur de travaux

Plusieurs actions doivent être envisagées :

  • L’action de la victime des troubles contre le maître d’ouvrage
  • Le recours du maître d’ouvrage contre les entrepreneurs de travaux
  • Les recours des entrepreneurs de travaux entre eux

==> L’action de la victime des troubles contre le maître d’ouvrage

À l’instar de la responsabilité du propriétaire du fait de son locataire, lorsqu’il endosse la qualité de maître d’ouvrage il est pareillement responsable du fait de l’intervention de l’entrepreneur de travaux qu’il a commis.

Cette solution a d’abord été consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 février 1971.

La troisième chambre civile a estimé, dans cette décision, au visa des articles 544 et 1382 (nouvellement 1240) du Code civil que :

  • D’une part, si « aux termes du premier de ces textes, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements, le propriétaire voisin de celui qui construit légitimement sur son terrain est néanmoins tenu de subir les inconvénients normaux du voisinage»
  • D’autre part, « qu’en revanche, il est en droit d’exiger une réparation dès lors que ces inconvénients excédent cette limite»

Il ressort ainsi de cet arrêt que le maître d’ouvrage est responsable du fait de son constructeur dont l’intervention est à l’origine du trouble.

La Cour de cassation a statué, dans le même sens, d’un arrêt du 22 juin 2005, aux termes duquel elle a estimé que « le propriétaire de l’immeuble auteur des nuisances, et les constructeurs à l’origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels des propriétaires lésés » (Cass. 3e civ., 22 juin 2005, n° 03-20.068 et 03-20.991).

Le propriétaire engage également sa responsabilité du fait de l’entrepreneur (Cass. 3e civ., 11 mai 2000, n°98-18249) ou encore du maître d’œuvre (Cass. 3e civ., 20 déc. 2006, n°05-10.855)

À cet égard, il convient d’observer que, à la différence du maître d’ouvrage qui engage sa responsabilité de plein droit dès lors que le trouble anormal est caractérisé, celle de l’entrepreneur de travaux ne peut l’être qu’à la condition qu’il soit démontré que le trouble est en relation directe avec la mission qui lui a été confiée (V. en ce sens Cass. 3e civ. 9 févr. 2011, n°09-71.570 et 09-72.494).

==> Le recours du maître d’ouvrage contre les entrepreneurs de travaux

Lorsque le propriétaire a été condamné à indemniser la victime du trouble, alors même qu’il n’en était pas à l’origine, la jurisprudence admet qu’il dispose d’un recours contre l’entrepreneur de travaux.

Dans un arrêt du 2 juin 2015, la Cour de cassation a, par exemple, jugé « qu’un maître de l’ouvrage condamné pour avoir réalisé des travaux ayant causé à autrui un trouble anormal de voisinage et contre lequel n’est établi ni immixtion fautive ni acceptation délibérée des risques est, subrogé, après paiement de l’indemnité, dans les droits de la victime et est bien fondé, avec son assureur, à recourir contre les constructeurs qui par leur action ont été seuls à l’origine des troubles invoqués et leurs assureurs, sans avoir à prouver leur faute, pour obtenir leur garantie intégrale » (Cass. 3e civ., 2 juin 2015, n° 14-11149)

Ainsi, en cas de condamnation consécutivement à l’action engagée par la victime de troubles anormaux de voisinage, le propriétaire du fonds dont émanent ces troubles dispose d’un recours contre l’entrepreneur de travaux qu’il a commis.

Selon que l’auteur des troubles sera l’entrepreneur principal ou un sous-traitant le fondement du recours sera, tantôt de nature contractuelle, tantôt de nature délictuelle.

Il importe encore de distinguer selon que le recours du maître d’ouvrage est exercé, avant l’indemnisation de la victime du trouble ou après.

  • Le recours intervient avant l’indemnisation de la victime du trouble
    • Dans cette hypothèse, le maître d’ouvrage ne disposera que d’un seul recours, fondé sur la responsabilité contractuelle.
    • Aussi, pour mener à bien son action contre l’auteur des troubles devra-t-il établir une inexécution contractuelle.
    • Cette exigence a été affirmée par la Cour de cassation notamment dans un arrêt du 28 novembre 2001.
    • Elle a, en effet, jugé dans cette décision que « la responsabilité de l’entrepreneur vis-à-vis du maître de l’ouvrage condamné à réparer les dommages causés à un tiers sur le fondement des troubles anormaux du voisinage est de nature contractuelle, et que le maître de l’ouvrage ne peut invoquer une présomption de responsabilité à l’encontre de l’entrepreneur gardien du chantier» ( 3e civ. 28 nov. 2001, n°00-13559 00-14450).
    • Manifestement, lorsque le maître d’ouvrage est contraint d’agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle, sa situation n’est pas des plus confortables, dans la mesure où il est contraint de caractériser une faute.
    • Cette exigence a été rappelée dans un arrêt du 24 février 2003 aux termes duquel la 3e chambre civile a reproché à une Cour d’appel d’avoir condamné l’entrepreneur de travaux « sans caractériser les fautes éventuellement commises par la société Sade CGTH, sur le fondement de la responsabilité contractuelle régissant les rapports unissant le maître de l’ouvrage à l’entrepreneur ayant exécuté les travaux» ( 3e civ. 24 févr. 2003, n°01-18017).
    • Pour cette raison, le maître d’ouvrage a plutôt intérêt à indemniser la victime du trouble avant d’exercer son recours contre l’entrepreneur de travaux, ce afin de bénéficier du recours subrogatoire qui, en ce qu’il repose sur la théorie des troubles de voisinage, le dispense de rapporter la preuve de la faute.
  • Le recours intervient après l’indemnisation de la victime du trouble
    • Lorsque le recours exercé par le maître d’ouvrage intervient postérieurement à l’indemnisation de la victime du trouble, le maître d’ouvrage dispose de deux sortes de recours : un recours personnel et un recours personnel
      • S’agissant du recours personnel
        • Ce recours présente l’inconvénient d’exiger du maître d’ouvrage qu’il rapporte la preuve d’un manquement par l’entrepreneur de travaux à ses obligations contractuelles
        • Le succès de son action s’en trouve dès lors pour le moins incertain.
        • Il se retrouve, en effet, dans la même situation que si l’indemnisation de la victime du trouble était intervenue après l’exercice de son recours.
      • S’agissant du recours subrogatoire
        • Ce recours présente l’avantage de permettre au maître d’ouvrage de se subroger dans les droits de la victime du trouble et, par voie de conséquence, d’exercer son recours sur le fondement de la théorie des troubles de voisinage.
        • Dans ces conditions, il sera dispensé de rapporter la preuve d’une faute : la seule caractérisation du trouble suffit à obtenir gain de cause.
        • C’est ainsi que dans un arrêt du 21 juillet 1999, la Cour de cassation a censuré une Cour d’appel qui pour débouter un maître d’ouvrage et son assureur, de leur action récursoire, elle considère que « le maître de l’ouvrage, agissant contre l’entrepreneur général sur un fondement juridique qui n’est pas celui de l’article 1792 du Code civil doit démontrer l’existence d’une faute et que la preuve de cette faute n’est pas rapportée»
        • La troisième chambre civile juge néanmoins « qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé, par un motif non critiqué, que l’association Institut Curie était subrogée dans les droits et actions de ses voisins, victimes de troubles anormaux du voisinage, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le principe susvisé» ( 3e civ. 21 juill. 1999, n°96-22735).
        • Lorsque donc le maître d’ouvrage exerce un recours subrogatoire, il est dispensé de rapporter la preuve d’une faute.
        • La Cour de cassation a réitéré cette solution dans un arrêt du 24 septembre 2003 en jugeant « qu’ayant relevé qu’il était établi par les pièces produites que [le maître d’ouvrage] avait effectué des paiements au profit des voisins victimes des désordres, la cour d’appel a retenu à bon droit qu’étant subrogée dans les droits de ces derniers à hauteur de ces paiements, cette société était bien fondée à recourir contre les constructeurs et leurs assureurs sur le fondement du principe prohibant les troubles anormaux du voisinage, qui ne requiert pas la preuve d’une faute» ( 3e civ. 24 sept. 2003, n°02-12873).
        • Elle a encore précisé, dans un arrêt du 22 juin 2005, que le maître d’ouvrage était fondé à solliciter des entrepreneurs de travaux une indemnisation à hauteur de l’intégralité des sommes versées à l’auteur du trouble, nonobstant l’absence de faute commise par eux.
        • Ainsi, dans cet arrêt la troisième chambre civile juge « qu’ayant relevé que l’Hôtel George V avait exécuté le jugement et payé les dédommagements accordés aux voisins par le Tribunal, et retenu qu’il n’était pas démontré par les contrats, les correspondances échangées et le rapport des experts que le maître de l’ouvrage ait été pleinement informé des risques de troubles au voisinage, ait entendu décharger les entreprises de leurs responsabilités, et ait prescrit dans ces conditions la poursuite du chantier, la cour d’appel en a déduit à bon droit, sans dénaturation, que du fait de la subrogation dont elle était bénéficiaire dans les droits des victimes, la société George V était fondée à obtenir la garantie totale des locateurs d’ouvrage auteurs du trouble, dont la responsabilité vis-à-vis du maître de l’ouvrage n’exigeait pas la caractérisation d’une faute» ( 3e civ. 22 juin 2005, n°03-20068).
        • Il ressort de cet arrêt que si le maître d’ouvrage dispose d’un recours contre les sous-traitants, par exception, il peut être privé de ce recours dans l’hypothèse où pleinement informé des risques de troubles au voisinage, il aurait entendu décharger les entreprises de leurs responsabilités en leur prescrivant, nonobstant la situation, de poursuivre le chantier sans en tirer les conséquences qui s’imposent

==> Les recours des entrepreneurs de travaux entre eux

Le maître d’ouvrage n’est pas le seul à bénéficier d’une action récursoire en cas de condamnation à indemniser l’auteur des troubles, les entrepreneurs de travaux disposent également de recours entre eux.

À cet égard, dans un arrêt du 26 avril 2006, la Cour de cassation a précisé que « l’entrepreneur principal ne peut exercer de recours subrogatoire contre les sous-traitants que pour la fraction de la dette dont il ne doit pas assumer la charge définitive » (Cass. 3e civ. 26 avr. 2006, n°05-10100).

S’agissant, par ailleurs, de la contribution à la dette des entrepreneurs de travaux lorsqu’ils sont plusieurs à être intervenus sur le chantier, il y a lieu de distinguer deux situations

À cet égard, deux situations doivent être distinguées :

  • Des fautes peuvent être reprochées aux entrepreneurs de travaux
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a jugé dans l’arrêt du 26 avril 2006 que « dans les rapports entre le locateur d’ouvrage auteur du trouble anormal causé aux voisins et les autres professionnels dont la responsabilité peut être recherchée, la charge finale de la condamnation, formant contribution à la dette, se répartit en fonction de la gravité de leurs fautes respectives» ( 3e civ. 26 avr. 2006, n°05-10100).
    • Lorsque, de la sorte, le trouble de voisinage procède de fautes commises par les entrepreneurs de travaux, ils engagent leur responsabilité à concurrence de la gravité du manquement susceptible de leur être reproché
  • Aucune faute ne peut être reprochée aux entrepreneurs des travaux
    • Dans un arrêt du 20 décembre 2006, la Cour de cassation a considéré que « dans l’exercice du recours du maître de l’ouvrage ou de son assureur au titre d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, la contribution à la dette, en l’absence de faute, se répartit à parts égales entre les co-obligés» ( 3e civ. 20 déc. 2006, n°05-10855).
    • Dans cette situation, si plusieurs entrepreneurs de travaux ont concouru à la production du préjudice subi par la victime des troubles de voisinage, aucune faute ne peut leur être reproché.
    • C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation décide qu’il s’agit là d’un cas de partage de responsabilité.