Classification des servitudes

Les servitudes peuvent être classées selon plusieurs critères qui tiennent :

  • À leur mode de constitution
  • À leur mode d’exercice
  • À leur finalité

I) Les servitudes selon leur mode de constitution

L’article 639 du Code civil distingue trois modes de constitution des servitudes :

==> Les servitudes qui dérivent de la situation naturelle des lieux

Ces servitudes se justifient par la configuration des fonds qui les rend nécessaires. Elles intéressent l’écoulement des eaux ainsi que le bornage et la clôture des fonds.

  • L’écoulement des eaux
    • L’article 640 du Code civil dispose en ce sens que « les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué. »
    • Cette servitude d’écoulement des eaux emporte deux conséquences :
      • D’une part, le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement.
      • D’autre part, le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur
    • Autre servitude relative à l’écoulement des eaux, l’article 644 prévoit que « celui dont la propriété borde une eau courante, autre que celle qui est déclarée dépendance du domaine public par l’article 538 au titre ” De la distinction des biens “, peut s’en servir à son passage pour l’irrigation de ses propriétés. »
    • Le texte précise alors que « celui dont cette eau traverse l’héritage peut même en user dans l’intervalle qu’elle y parcourt, mais à la charge de la rendre, à la sortie de ses fonds, à son cours ordinaire.»
  • Le bornage et la clôture des fonds
    • Au nombre des servitudes naturelles, figurent celles relatives au bornage et à la clôture
      • Sur le bornage
        • L’article 647 du Code civil prévoit que « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs. »
      • Sur la clôture
        • L’article 647 prévoit que tout propriétaire peut clore son héritage, sauf à ce que l’installation de cette clôture empêche le propriétaire d’un fonds enclavé à y accéder dans les conditions fixées à l’article 682.

==> Les servitudes établies par la loi

Les servitudes établies par la loi sont envisagées aux articles 649 et suivant du Code civil.

L’article 649 les introduit en disposant que « les servitudes établies par la loi ont pour objet l’utilité publique ou communale, ou l’utilité des particuliers. »

Surtout, ainsi que l’indique l’article 651, la singularité des servitudes légales est que « la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l’un à l’égard de l’autre, indépendamment de toute convention. »

Au nombre de ces servitudes légales figurent celles qui intéressent :

  • La mitoyenneté
  • La distance et des ouvrages intermédiaires requis pour certaines constructions
  • Les vues sur la propriété de son voisin
  • L’égout des toits

Les servitudes légales sont ainsi diverses et variées.

==> Les servitudes établies par le fait de l’homme

L’article 686 du Code civil dispose que « il est permis aux propriétaires d’établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n’aient d’ailleurs rien de contraire à l’ordre public. »

Il ressort de cette disposition que la constitution d’une servitude ne procède pas nécessairement de la loi ; elle peut résulter de la volonté des propriétaires de fonds, pourvu que la servitude soit imposée, non pas à une personne, mais à un fonds par un autre fonds.

À l’examen, les servitudes du fait de l’homme peuvent être établies de trois manières différentes :

  • Soit par convention
  • Soit par testament
  • Soit par le jeu de la prescription acquisitive
  • Soit par « destination du père de famille»

==> Les servitudes établies par le juge

Ces servitudes sont issues du décret du 4 décembre 1958 relatif à la création de « servitudes de cours communes ».

Les règles qui encadrent la création de ces servitudes ont été codifiées aux articles 471-1 et suivants du Code de l’urbanisme.

À cet égard, l’article 471-1 prévoit que « lorsqu’en application des dispositions d’urbanisme la délivrance du permis de construire est subordonnée, en ce qui concerne les distances qui doivent séparer les constructions, à la création, sur un terrain voisin, de servitudes de ne pas bâtir ou de ne pas dépasser une certaine hauteur en construisant, ces servitudes, dites “de cours communes”, peuvent, à défaut d’accord amiable entre les propriétaires intéressés, être imposées par la voie judiciaire dans des conditions définies par décret. »

Les servitudes de cour commune ont donc pour finalité de maintenir une certaine distance entre les constructions.

Plus précisément, il s’agit d’interdire aux propriétaires de fonds voisins de construire au-delà d’une certaine hauteur

Si, dès lors, le propriétaire du fonds grevé venait à édifier un bâtiment, ou une construction d’une hauteur au-delà de celle imposée, cette construction serait irrégulière et sa démolition pourrait être exigée.

II) Les servitudes selon leur mode d’exercice

A) Servitudes continues et servitudes discontinues

==> Présentation de la distinction

L’article 688 du Code civil distingue selon que les servitudes sont continues ou discontinues.

  • Les servitudes continues
    • Ce sont celles dont l’usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du fait actuel de l’homme : tels sont les conduites d’eau, les égouts, les vues et autres de cette espèce.
    • Il s’agit, autrement dit, des servitudes dont l’exercice ne suppose pas une action du propriétaire du fonds dominant
    • Il n’est pas nécessaire que l’utilité de cette servitude soit permanente ; elle peut seulement être intermittente, tel que l’écoulement des eaux.
  • Les servitudes discontinues
    • Notion
      • Ce sont celles qui ont besoin du fait actuel de l’homme pour être exercées : tels sont les droits de passage, puisage, pacage et autres semblables.
      • Leur usage n’est continuel ni en actes, ni en puissance et le caractère d’apparence qu’elles pourraient avoir n’en changerait point la nature, pas plus que l’existence d’un ouvrage permanent, dès lors que l’exercice de la servitude ne se conçoit pas sans l’action de l’homme.
      • Il s’agit donc des servitudes dont l’exercice requiert nécessairement l’action humaine
      • Ce critère a priori très simple n’est pas sans avoir soulever des difficultés de mise en œuvre.
    • Incidence de la mécanisation
      • Certaines servitudes qui, depuis le développement de la mécanisation, ne requièrent plus d’action humaine, à tout le moins pour leur exercice.
      • Est-ce à dire que parce que cet exercice peut désormais être assuré mécaniquement elles ne constituent plus des servitudes discontinues ?
      • Dans un arrêt du 19 mai 2004, la Cour de cassation a refusé que l’évolution des techniques puisse avoir une incidence sur la nature de la servitude ( 3e civ. 19 mai 2004, n°03-12451).
      • Dans cet arrêt la Cour de cassation a jugé « qu’une servitude est discontinue lorsqu’elle ne peut s’exercer qu’avec une intervention renouvelée de l’homme et qu’elle reste telle quand bien même elle serait rendue artificiellement permanente au moyen d’un outillage approprié dès lors que cet outillage ne peut fonctionner que sous le contrôle de l’homme».
      • Pour la troisième chambre civile, il est donc indifférent que la servitude soit exercée mécaniquement, ce qui importe c’est que la mise en place du dispositif technique suppose une intervention humaine.

Cass. 3e civ. 19 mai 2004
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 9 janvier 2003), que Mlle X..., a assigné les époux Y... en revendication d'une servitude de puisage et d'un droit de passage pour l'exercer ;

Attendu que Mlle X... fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors, selon le moyen :

1 / qu'une servitude n'est discontinue que lorsque c'est dans le fait même de l'homme que réside son exercice ; que, lorsqu'elle s'exerce au moyen d'ouvrages permanents aménagés à cet effet, encore que l'usage n'en soit qu'intermittent et comporte pour sa suspension ou sa reprise l'intervention de l'homme, elle est continue ; que les juges du fond, qui ont constaté l'existence d'un ouvrage permanent aménagé pour cet exercice et constitué par une crépine et une canalisation partant du puits et aboutissant dans la maison de Mlle X... à une installation de pompage, ont violé les articles 688 et 691 du Code civil, par leur décision qui déboute Mlle X... de sa demande aux fins de voir juger qu'elle bénéficiait d'un droit de puisage sur la propriété des époux Y... ;

2 / que l'existence d'ouvrages permanents pour l'exercice d'une servitude de passage confère à celle-ci le caractère d'une servitude continue et, partant, d'une possession utile à titre de propriétaire pour l'acquisition de l'ouvrage par prescription trentenaire ; qu'ainsi, l'arrêt a violé l'article 2229 du Code civil ;

Mais attendu qu'une servitude est discontinue lorsqu'elle ne peut s'exercer qu'avec une intervention renouvelée de l'homme et qu'elle reste telle quand bien même elle serait rendue artificiellement permanente au moyen d'un outillage approprié dès lors que cet outillage ne peut fonctionner que sous le contrôle de l'homme ; que la cour d'appel, qui a constaté que la servitude de puisage revendiquée ne reposait sur aucun titre afférent au fonds servant, en a justement déduit que Mlle X... devait être déboutée de sa demande ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Les servitudes polyformes
    • Il est des servitudes qui sont susceptibles d’endosser les deux qualifications selon les circonstances.
    • Il en va ainsi de la servitude d’égout qui, alors même qu’elle est envisagée par l’article 688, al. 1er du Code civil comme une servitude continue a été qualifiée par la Cour de cassation de servitude discontinue dans un arrêt du 8 décembre 2004.
    • Dans cette décision, la troisième chambre civile a considéré « qu’une servitude d’égout d’eaux usées, dont l’exercice exige le fait de l’homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription» ( 3e civ. 8 déc. 2004, n°03-17225).
    • Bien que la solution retenue ici puisse surprendre, elle se justifie pourtant pleinement.
    • Alors que la servitude d’écoulement des eaux pluviales est continue, la servitude d’écoulement des eaux usées est discontinue, parce que son exercice ne se conçoit pas sans l’intervention renouvelée de l’homme.
    • En effet, s’agissant des eaux pluviales, soit celles qui proviennent du toit de l’immeuble voisin, leur origine est purement naturelle puisque l’homme n’y est pour rien.
    • Leur écoulement ne peut donc donner lieu qu’à l’établissement d’une servitude continue.
    • S’agissant, en revanche des eaux usées, elles sont collectées au moyen de canalisations qui ont été construites par la main de l’homme.
    • Aussi, l’aménagement de leur écoulement relève bien des servitudes discontinues, la Cour de cassation refusant de faire dépendre leur qualification de la technique. D’où la solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt du 8 décembre 2004.

Cass. 3e civ. 8 déc. 2004
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 12 décembre 2002), que les époux X..., propriétaires d'une parcelle n° 28 en bordure de laquelle M. Y... revendique, pour sa parcelle n° 26, une servitude de passage "à talons" et, sur la même assiette, une servitude de tout-à-l'égout, l'ont assigné pour qu'il soit dit que ces servitudes exercées sur leur fonds étaient éteintes par prescription ;

Sur le moyen, relevé d'office, après avis donné aux parties :

Vu les articles 688 et 691 du Code civil ;

Attendu que les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l'homme pour être exercées et que les servitudes discontinues ne peuvent s'établir que par titres ;

Attendu que, pour dire que la parcelle de M. Y... bénéficie d'une servitude d'égout sur la parcelle des époux X..., l'arrêt retient, par motifs adoptés, que les servitudes apparentes sont celles qui s'annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu'une porte, une fenêtre, un aqueduc ; qu'une installation d'égout d'eaux usées sur un fonds étranger correspond donc en fait à une servitude continue et apparente, et que les servitudes continues apparentes s'acquièrent par titre ou par possession trentenaire ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'une servitude d'égout d'eaux usées, dont l'exercice exige le fait de l'homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le premier moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la parcelle n° 26, propriété de M. Y..., bénéficie d'une servitude d'égout sur la parcelle n° 28, propriété des époux X..., l'arrêt rendu le 12 décembre 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

==> Intérêt de la distinction

Le principal intérêt de la distinction entre les servitudes continues et discontinues résident dans leur établissement et dans leur extinction.

  • D’une part, seules les servitudes continues peuvent s’acquérir par le jeu de la prescription acquisitive, soit par la possession
  • D’autre part, seules les servitudes continues ne s’éteignent pas par le non-usage
  • Enfin, la destination du père de famille vaut titre pour les servitudes continues

B) Servitudes apparentes et servitudes non apparentes

==> Présentation de la distinction

L’article 689 distingue selon que les servitudes sont apparentes ou non apparentes.

  • Les servitudes apparentes
    • Ce sont celles qui s’annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu’une porte, une fenêtre, un aqueduc.
    • Autrement dit, pour être qualifiée d’apparente une servitude doit exprimer des signes extérieurs leur permettant d’être vues.
    • Elle doit, autrement dit, être suffisamment visible pour être connues du propriétaire du fonds servant.
    • Au vrai, l’apparence d’une servitude dépend des circonstances que le juge devra analyser en cas de contentieux.
    • Une voie d’accès conduisant à un fonds enclavé peut tout aussi bien être balisée, tout autant qu’elle peut ne faire l’objet d’aucun aménagement
  • Les servitudes non apparentes
    • Ce sont celles qui n’ont pas de signe extérieur de leur existence, comme, par exemple, la prohibition de bâtir sur un fonds, ou de ne bâtir qu’à une hauteur déterminée.
    • La servitude non apparente est ainsi celle qui est tellement discrète ou cachée qu’elle ne se révèle pas ostensiblement au propriétaire du fonds servant.
    • Il peut s’agir, par exemple, de canalisations enfouies sous un fonds

==> Intérêt de la distinction

À l’instar des servitudes continues et discontinues, le principal intérêt de la distinction entre les servitudes continues et discontinues résident dans leur établissement et dans leur extinction.

  • D’une part, seules les servitudes apparentes peuvent s’acquérir par le jeu de la prescription acquisitive, soit par la possession
  • D’autre part, seules les servitudes apparentes ne s’éteignent pas par le non-usage
  • Enfin, la destination du père de famille vaut titre pour les servitudes apparentes

C) Servitudes positives et servitudes négatives

  • Les servitudes positives
    • Ce sont elles qui autorisent le propriétaire du fonds dominant d’accomplir un acte sur le fonds servant (passage, puisage etc.)
    • Si cet acte n’était pas couvert par la servitude il serait constitutif d’un empiétement sur le terrain d’autrui
  • Les Servitudes négatives
    • Ce sont elles qui exigent du propriétaire du fonds servant une abstention, telle que l’interdiction de ne pas bâtir, à tout le moins dans la limite d’une certaine hauteur (servitude de cour commune)
    • Ces servitudes présentent la particularité d’être toujours continues et non apparentes

III) Les servitudes selon leur finalité

L’article 649 du Code civil dispose que « les servitudes établies par la loi ont pour objet l’utilité publique ou communale, ou l’utilité des particuliers. »

Il ressort de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer selon que les servitudes répondent à une utilité publique ou selon qu’elles satisfont à un intérêt privé.

  • Les servitudes d’utilité publique
    • Les servitudes d’utilité publique sont envisagées à l’article 650, al. 1er du Code civil comme celles qui « ont pour objet le marchepied le long des cours d’eau domaniaux, la construction ou réparation des chemins et autres ouvrages publics ou communaux. »
    • Il s’agit là, moins d’une définition, que d’une liste qui est loin d’être exhaustive.
    • Aussi, la doctrine définit les servitudes d’utilité publique comme « des charges d’origine légale pesant sur des fonds privés et caractérisées par leur but d’intérêt général. Ce sont des servitudes administratives imposées à des immeubles en raison de leur position géographique et comportant des interdictions ou des limitations à l’exercice du droit d’occuper ou d’utiliser le sol, des obligations de supporter l’exécution de travaux ou l’installation d’ouvrages, voire des obligations de faire».[1].
    • La particularité de ces servitudes est qu’elles sont soumises au droit administratif
    • À cet égard, le développement des techniques (électricité, eau courante, écoulement des eaux etc.) combiné à la multiplication des normes en droit de l’urbanisme a conduit à un développement considérable des servitudes d’utilité publique (déploiement des réseaux de télécommunication, protection de l’environnement etc.)
  • Les servitudes d’utilité privée
    • Les servitudes d’intérêt privé sont, par hypothèse, toutes celles qui sont établies à la faveur d’un fonds privé et non du domaine public.
    • Elles relèvent du droit privé et, à l’examen, n’ont pas beaucoup changé depuis 1804.
    • À cet égard, elles se distinguent des servitudes d’utilité publique en ce que leur établissement ne procède pas nécessairement de la loi ou du règlement (V. en ce sens l’article 650, al. 2e du Code civil).
    • Les servitudes d’utilité privées peuvent également être établies par le fait de l’homme (convention, testament, prescription, destination du père de famille).

[1] J.-L. Bergel, M. Bruschi, S. Cimamonti, Les biens, LGDJ, 2e éd. 2010., n° 389, p. 442.

La classification des servitudes

Les servitudes peuvent être classées selon plusieurs critères qui tiennent :

  • À leur mode de constitution
  • À leur mode d’exercice
  • À leur finalité

I) Les servitudes selon leur mode de constitution

L’article 639 du Code civil distingue trois modes de constitution des servitudes :

==> Les servitudes qui dérivent de la situation naturelle des lieux

Ces servitudes se justifient par la configuration des fonds qui les rend nécessairement. Elles intéressent l’écoulement des eaux ainsi que le bornage et la clôture des fonds.

  • L’écoulement des eaux
    • L’article 640 du Code civil dispose en ce sens que « les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué. »
    • Cette servitude d’écoulement des eaux emporte deux conséquences :
      • D’une part, le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement.
      • D’autre part, le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur
    • Autre servitude relative à l’écoulement des eaux, l’article 644 prévoit que « celui dont la propriété borde une eau courante, autre que celle qui est déclarée dépendance du domaine public par l’article 538 au titre ” De la distinction des biens “, peut s’en servir à son passage pour l’irrigation de ses propriétés. »
    • Le texte précise alors que « celui dont cette eau traverse l’héritage peut même en user dans l’intervalle qu’elle y parcourt, mais à la charge de la rendre, à la sortie de ses fonds, à son cours ordinaire.»
  • Le bornage et la clôture des fonds
    • Au nombre des servitudes naturelles, figurent celles relatives au bornage et à la clôture
      • Sur le bornage
        • L’article 647 du Code civil prévoit que « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs. »
      • Sur la clôture
        • L’article 647 prévoit que tout propriétaire peut clore son héritage, sauf à ce que l’installation de cette clôture empêche le propriétaire d’un fonds enclavé à y accéder dans les conditions fixées à l’article 682.

==> Les servitudes établies par la loi

Les servitudes établies par la loi sont envisagées aux articles 649 et suivant du Code civil.

L’article 649 les introduit en disposant que « les servitudes établies par la loi ont pour objet l’utilité publique ou communale, ou l’utilité des particuliers. »

Surtout, ainsi que l’indique l’article 651, la singularité des servitudes légales est que « la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l’un à l’égard de l’autre, indépendamment de toute convention. »

Au nombre de ces servitudes légales figurent celles qui intéressent :

  • La mitoyenneté
  • La distance et des ouvrages intermédiaires requis pour certaines constructions
  • Les vues sur la propriété de son voisin
  • L’égout des toits

Les servitudes légales sont ainsi diverses et variées.

==> Les servitudes établies par le fait de l’homme

L’article 686 du Code civil dispose que « il est permis aux propriétaires d’établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n’aient d’ailleurs rien de contraire à l’ordre public. »

Il ressort de cette disposition que la constitution d’une servitude ne procède pas nécessairement de la loi ; elle peut résulter de la volonté des propriétaires de fonds, pourvu que la servitude soit imposée, non pas à une personne, mais à un fonds par un autre fonds.

À l’examen, les servitudes du fait de l’homme peuvent être établies de trois manières différentes :

  • Soit par convention
  • Soit par testament
  • Soit par le jeu de la prescription acquisitive
  • Soit par « destination du père de famille»

==> Les servitudes établies par le juge

Ces servitudes sont issues du décret du 4 décembre 1958 relatif à la création de « servitudes de cours communes ».

Les règles qui encadrent la création de ces servitudes ont été codifiées aux articles 471-1 et suivants du Code de l’urbanisme.

À cet égard, l’article 471-1 prévoit que « lorsqu’en application des dispositions d’urbanisme la délivrance du permis de construire est subordonnée, en ce qui concerne les distances qui doivent séparer les constructions, à la création, sur un terrain voisin, de servitudes de ne pas bâtir ou de ne pas dépasser une certaine hauteur en construisant, ces servitudes, dites “de cours communes”, peuvent, à défaut d’accord amiable entre les propriétaires intéressés, être imposées par la voie judiciaire dans des conditions définies par décret. »

Les servitudes de cour commune ont donc pour finalité de maintenir une certaine distance entre les constructions.

Plus précisément, il s’agit d’interdire aux propriétaires de fonds voisins de construire au-delà d’une certaine hauteur

Si, dès lors, le propriétaire du fonds grevé venait à édifier un bâtiment, ou une construction d’une hauteur au-delà de celle imposée, cette construction serait irrégulière et sa démolition pourrait être exigée.

II) Les servitudes selon leur mode d’exercice

A) Servitudes continues et servitudes discontinues

==> Présentation de la distinction

L’article 688 du Code civil distingue selon que les servitudes sont continues ou discontinues.

  • Les servitudes continues
    • Ce sont celles dont l’usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du fait actuel de l’homme : tels sont les conduites d’eau, les égouts, les vues et autres de cette espèce.
    • Il s’agit, autrement dit, des servitudes dont l’exercice ne suppose pas une action du propriétaire du fonds dominant
    • Il n’est pas nécessaire que l’utilité de cette servitude soit permanente ; elle peut seulement être intermittente, tel que l’écoulement des eaux.
  • Les servitudes discontinues
    • Notion
      • Ce sont celles qui ont besoin du fait actuel de l’homme pour être exercées : tels sont les droits de passage, puisage, pacage et autres semblables.
      • Leur usage n’est continuel ni en actes, ni en puissance et le caractère d’apparence qu’elles pourraient avoir n’en changerait point la nature, pas plus que l’existence d’un ouvrage permanent, dès lors que l’exercice de la servitude ne se conçoit pas sans l’action de l’homme.
      • Il s’agit donc des servitudes dont l’exercice requiert nécessairement l’action humaine
      • Ce critère a priori très simple n’est pas sans avoir soulever des difficultés de mise en œuvre.
    • Incidence de la mécanisation
      • Certaines servitudes qui, depuis le développement de la mécanisation, ne requièrent plus d’action humaine, à tout le moins pour leur exercice.
      • Est-ce à dire que parce que cet exercice peut désormais être assuré mécaniquement elles ne constituent plus des servitudes discontinues ?
      • Dans un arrêt du 19 mai 2004, la Cour de cassation a refusé que l’évolution des techniques puisse avoir une incidence sur la nature de la servitude ( 3e civ. 19 mai 2004, n°03-12451).
      • Dans cet arrêt la Cour de cassation a jugé « qu’une servitude est discontinue lorsqu’elle ne peut s’exercer qu’avec une intervention renouvelée de l’homme et qu’elle reste telle quand bien même elle serait rendue artificiellement permanente au moyen d’un outillage approprié dès lors que cet outillage ne peut fonctionner que sous le contrôle de l’homme».
      • Pour la troisième chambre civile, il est donc indifférent que la servitude soit exercée mécaniquement, ce qui importe c’est que la mise en place du dispositif technique suppose une intervention humaine.

Cass. 3e civ. 19 mai 2004
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 9 janvier 2003), que Mlle X..., a assigné les époux Y... en revendication d'une servitude de puisage et d'un droit de passage pour l'exercer ;

Attendu que Mlle X... fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors, selon le moyen :

1 / qu'une servitude n'est discontinue que lorsque c'est dans le fait même de l'homme que réside son exercice ; que, lorsqu'elle s'exerce au moyen d'ouvrages permanents aménagés à cet effet, encore que l'usage n'en soit qu'intermittent et comporte pour sa suspension ou sa reprise l'intervention de l'homme, elle est continue ; que les juges du fond, qui ont constaté l'existence d'un ouvrage permanent aménagé pour cet exercice et constitué par une crépine et une canalisation partant du puits et aboutissant dans la maison de Mlle X... à une installation de pompage, ont violé les articles 688 et 691 du Code civil, par leur décision qui déboute Mlle X... de sa demande aux fins de voir juger qu'elle bénéficiait d'un droit de puisage sur la propriété des époux Y... ;

2 / que l'existence d'ouvrages permanents pour l'exercice d'une servitude de passage confère à celle-ci le caractère d'une servitude continue et, partant, d'une possession utile à titre de propriétaire pour l'acquisition de l'ouvrage par prescription trentenaire ; qu'ainsi, l'arrêt a violé l'article 2229 du Code civil ;

Mais attendu qu'une servitude est discontinue lorsqu'elle ne peut s'exercer qu'avec une intervention renouvelée de l'homme et qu'elle reste telle quand bien même elle serait rendue artificiellement permanente au moyen d'un outillage approprié dès lors que cet outillage ne peut fonctionner que sous le contrôle de l'homme ; que la cour d'appel, qui a constaté que la servitude de puisage revendiquée ne reposait sur aucun titre afférent au fonds servant, en a justement déduit que Mlle X... devait être déboutée de sa demande ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Les servitudes polyformes
    • Il est des servitudes qui sont susceptibles d’endosser les deux qualifications selon les circonstances.
    • Il en va ainsi de la servitude d’égout qui, alors même qu’elle est envisagée par l’article 688, al. 1er du Code civil comme une servitude continue a été qualifiée par la Cour de cassation de servitude discontinue dans un arrêt du 8 décembre 2004.
    • Dans cette décision, la troisième chambre civile a considéré « qu’une servitude d’égout d’eaux usées, dont l’exercice exige le fait de l’homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription» ( 3e civ. 8 déc. 2004, n°03-17225).
    • Bien que la solution retenue ici puisse surprendre, elle se justifie pourtant pleinement.
    • Alors que la servitude d’écoulement des eaux pluviales est continue, la servitude d’écoulement des eaux usées est discontinue, parce que son exercice ne se conçoit pas sans l’intervention renouvelée de l’homme.
    • En effet, s’agissant des eaux pluviales, soit celles qui proviennent du toit de l’immeuble voisin, leur origine est purement naturelle puisque l’homme n’y est pour rien.
    • Leur écoulement ne peut donc donner lieu qu’à l’établissement d’une servitude continue.
    • S’agissant, en revanche des eaux usées, elles sont collectées au moyen de canalisations qui ont été construites par la main de l’homme.
    • Aussi, l’aménagement de leur écoulement relève bien des servitudes discontinues, la Cour de cassation refusant de faire dépendre leur qualification de la technique. D’où la solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt du 8 décembre 2004.

Cass. 3e civ. 8 déc. 2004
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 12 décembre 2002), que les époux X..., propriétaires d'une parcelle n° 28 en bordure de laquelle M. Y... revendique, pour sa parcelle n° 26, une servitude de passage "à talons" et, sur la même assiette, une servitude de tout-à-l'égout, l'ont assigné pour qu'il soit dit que ces servitudes exercées sur leur fonds étaient éteintes par prescription ;

Sur le moyen, relevé d'office, après avis donné aux parties :

Vu les articles 688 et 691 du Code civil ;

Attendu que les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l'homme pour être exercées et que les servitudes discontinues ne peuvent s'établir que par titres ;

Attendu que, pour dire que la parcelle de M. Y... bénéficie d'une servitude d'égout sur la parcelle des époux X..., l'arrêt retient, par motifs adoptés, que les servitudes apparentes sont celles qui s'annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu'une porte, une fenêtre, un aqueduc ; qu'une installation d'égout d'eaux usées sur un fonds étranger correspond donc en fait à une servitude continue et apparente, et que les servitudes continues apparentes s'acquièrent par titre ou par possession trentenaire ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'une servitude d'égout d'eaux usées, dont l'exercice exige le fait de l'homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le premier moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la parcelle n° 26, propriété de M. Y..., bénéficie d'une servitude d'égout sur la parcelle n° 28, propriété des époux X..., l'arrêt rendu le 12 décembre 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

==> Intérêt de la distinction

Le principal intérêt de la distinction entre les servitudes continues et discontinues résident dans leur établissement et dans leur extinction.

  • D’une part, seules les servitudes continues peuvent s’acquérir par le jeu de la prescription acquisitive, soit par la possession
  • D’autre part, seules les servitudes continues ne s’éteignent pas par le non-usage
  • Enfin, la destination du père de famille vaut titre pour les servitudes continues

B) Servitudes apparentes et servitudes non apparentes

==> Présentation de la distinction

L’article 689 distingue selon que les servitudes sont apparentes ou non apparentes.

  • Les servitudes apparentes
    • Ce sont celles qui s’annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu’une porte, une fenêtre, un aqueduc.
    • Autrement dit, pour être qualifiée d’apparente une servitude doit exprimer des signes extérieurs leur permettant d’être vues.
    • Elle doit, autrement dit, être suffisamment visible pour être connues du propriétaire du fonds servant.
    • Au vrai, l’apparence d’une servitude dépend des circonstances que le juge devra analyser en cas de contentieux.
    • Une voie d’accès conduisant à un fonds enclavé peut tout aussi bien être balisée, tout autant qu’elle peut ne faire l’objet d’aucun aménagement
  • Les servitudes non apparentes
    • Ce sont celles qui n’ont pas de signe extérieur de leur existence, comme, par exemple, la prohibition de bâtir sur un fonds, ou de ne bâtir qu’à une hauteur déterminée.
    • La servitude non apparente est ainsi celle qui est tellement discrète ou cachée qu’elle ne se révèle pas ostensiblement au propriétaire du fonds servant.
    • Il peut s’agir, par exemple, de canalisations enfouies sous un fonds

===> Intérêt de la distinction

À l’instar des servitudes continues et discontinues, le principal intérêt de la distinction entre les servitudes continues et discontinues résident dans leur établissement et dans leur extinction.

  • D’une part, seules les servitudes apparentes peuvent s’acquérir par le jeu de la prescription acquisitive, soit par la possession
  • D’autre part, seules les servitudes apparentes ne s’éteignent pas par le non-usage
  • Enfin, la destination du père de famille vaut titre pour les servitudes apparentes

C) Servitudes positives et servitudes négatives

  • Les servitudes positives
    • Ce sont elles qui autorisent le propriétaire du fonds dominant d’accomplir un acte sur le fonds servant (passage, puisage etc.)
    • Si cet acte n’était pas couvert par la servitude il serait constitutif d’un empiétement sur le terrain d’autrui
  • Les Servitudes négatives
    • Ce sont elles qui exigent du propriétaire du fonds servant une abstention, telle que l’interdiction de ne pas bâtir, à tout le moins dans la limite d’une certaine hauteur (servitude de cour commune)
    • Ces servitudes présentent la particularité d’être toujours continues et non apparentes

III) Les servitudes selon leur finalité

L’article 649 du Code civil dispose que « les servitudes établies par la loi ont pour objet l’utilité publique ou communale, ou l’utilité des particuliers. »

Il ressort de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer selon que les servitudes répondent à une utilité publique ou selon qu’elles satisfont à un intérêt privé.

  • Les servitudes d’utilité publique
    • Les servitudes d’utilité publique sont envisagées à l’article 650, al. 1er du Code civil comme celles qui « ont pour objet le marchepied le long des cours d’eau domaniaux, la construction ou réparation des chemins et autres ouvrages publics ou communaux. »
    • Il s’agit là moins d’une définition que d’une liste qui est loin d’être exhaustive.
    • Aussi, la doctrine définit les servitudes d’utilité publique comme « des charges d’origine légale pesant sur des fonds privés et caractérisées par leur but d’intérêt général. Ce sont des servitudes administratives imposées à des immeubles en raison de leur position géographique et comportant des interdictions ou des limitations à l’exercice du droit d’occuper ou d’utiliser le sol, des obligations de supporter l’exécution de travaux ou l’installation d’ouvrages, voire des obligations de faire».[1].
    • La particularité de ces servitudes est qu’elles sont soumises au droit administratif
    • À cet égard, le développement des techniques (électricité, eau courante, écoulement des eaux etc.) combiné à la multiplication des normes en droit de l’urbanisme a conduit à un développement considérable des servitudes d’utilité publique (déploiement des réseaux de télécommunication, protection de l’environnement etc.)
  • Les servitudes d’utilité privée
    • Les servitudes d’intérêt privé sont, par hypothèse, toutes celles qui sont établies à la faveur d’un fonds privé et non du domaine public.
    • Elles relèvent du droit privé et, à l’examen, n’ont pas beaucoup changé depuis 1804.
    • À cet égard, elles se distinguent des servitudes d’utilité publique en ce que leur établissement ne procède pas nécessairement de la loi ou du règlement (V. en ce sens l’article 650, al. 2e du Code civil).
    • Les servitudes d’utilité privées peuvent également être établies par le fait de l’homme (convention, testament, prescription, destination du père de famille)

 

 

[1] J.-L. Bergel, M. Bruschi, S. Cimamonti, Les biens, LGDJ, 2e éd. 2010., n° 389, p. 442.

Les servitudes: notion, éléments constitutifs et caractères

I) Notion

Classiquement on définit les servitudes comme des droits réels en vertu desquels une personne est autorisée à tirer de la chose d’autrui une certaine utilité.

Autrefois, on opposait les servitudes personnelles aux servitudes réelles :

  • Les servitudes personnelles
    • Elles étaient celles qui étaient établies pour l’avantage individuel d’une personne déterminée et constituaient un droit temporaire ou viager.
    • Elles pouvaient être de deux ordres :
      • Les servitudes mixtes désignaient les démembrements du droit de propriété, tel que le droit de jouissance conféré à l’usufruitier ou le droit d’usage et d’habitation
      • Les servitudes purement personnelles désignaient le pouvoir conféré à une personne d’assujettir une autre personne en la mettant dans une situation de dépendance servile (l’esclavage, la taille, la corvée etc…
    • Tandis que les servitudes purement personnelles ont été abolies, d’abord partiellement à la Révolution, puis totalement lorsqu’il a été mis fin à l’esclavage, les servitudes mixtes perdurent toujours, mais plus sous le même nom.
    • La raison en est que l’usufruit, le droit d’usage, de jouissance ou encore d’habitation sont envisagés par le Code civil comme des droits réels spécifiques et non comme des servitudes.
    • À cet égard, à la différence des servitudes qui sont perpétuelles, ces droits réels spécifiques présentent un caractère nécessairement temporaire.
    • Il y a donc désormais une différence de nature entre les servitudes et les différentes variantes du droit – réel – de jouissance
  • Les servitudes réelles
    • Anciennement désignées sous le nom de servitudes prédiales (du latin praedium mot qui signifie « héritage »), elles sont définies comme celles qui assujettissent un héritage à certaines choses envers un autre héritage.
    • Par héritage, il faut comprendre un immeuble, un fonds.
    • La servitude est donc une charge instituée entre biens immeubles exclusivement.
    • C’est parce que la servitude s’exerce sur une chose et non sur une personne qu’elle est qualifiée de réelle (réel vient du latin res, la chose)
    • L’héritage auquel la servitude est due s’appelle fonds dominant, celui qui la doit fonds servant.

Désormais, la notion de servitude que l’on retrouve dans le Code civil ne désigne plus que les servitudes réelles et plus précisément celles qui portent sur des immeubles par nature (fonds).

Sans doute animé par souci de chasser toute ambiguïté quant à la nature du droit conféré au bénéficiaire d’une servitude et pour prévenir d’éventuelles dérives qui tendraient à exhumer des pratiques de la féodalité, le législateur a précisé à l’article 686 du Code civil que « il est permis aux propriétaires d’établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n’aient d’ailleurs rien de contraire à l’ordre public. »

Il est donc absolument exclu, même par convention contraire, qu’une servitude puisse consister à créer une charge sur la personne d’autrui.

Aussi, les servitudes présentent-elles nécessairement un caractère réel et foncier, ce qui n’est pas sans conséquence sur le régime juridique auquel elles sont assujetties.

II) Éléments constitutifs

L’article 637 du Code civil dispose que « une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que la constitution d’une servitude suppose la réunion de trois éléments constitutifs :

  • Un fonds
  • Des propriétés distinctes
  • Un fonds affecté au service d’un autre fonds

A) Un fonds

==> Domaine

Une servitude est une charge imposée sur un « héritage ». Par héritage il faut entendre un immeuble par nature.

La question qui alors se pose est alors de savoir ce que recouvre la notion d’immeuble par nature. Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 518 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature. »

La catégorie des immeubles par nature, qui repose sur le critère physique, comprend donc le sol et tout ce qui est fixé au sol :

  • Le sol: par sol il faut entendre le fonds de terre, ce qui comprend, tant la surface du sol, que le sous-sol
  • Tout ce qui est fixé au sol: il s’agit de :
    • D’une part, toutes les constructions qui sont édifiées sur le sol ou dans le sous-sol (bâtiments, canalisations, les piliers ou poteaux fixés par du béton, ponts, barrage etc.)
    • D’autre part, tous les végétaux (arbres, plantes, fleurs etc), avec cette précision que s’ils sont détachés du sol ils deviennent des meubles (art 520 C. civ.)

La jurisprudence a eu l’occasion de préciser qu’il est indifférent que la chose soit fixée au sol à titre provisoire ou définitif. En tout état de cause, dès lors qu’elle adhère au sol elle est constitutive d’un immeuble par nature.

Au bilan, une servitude peut ainsi tout aussi bien grever le sol que ce qui est fixé au sol, pourvu qu’il s’agisse d’un immeuble par nature.

==> Exclusion

Les servitudes ne pouvant porter que sur des immeubles par nature, il faut en déduire que sont exclus de leur champ d’application :

  • Les biens meubles
    • Classiquement on définit les meubles comme toutes les choses qui sont mobiles et qui, donc ne sont ni fixées, ni incorporées au sol.
    • Tout ce qui donc n’est pas attaché au sol, est un bien meuble. Le code civil inclut notamment dans cette catégorie qui embrasse une grande variété de choses :
      • Les bateaux, bacs, navires, moulins et bains sur bateaux, et généralement toutes usines non fixées par des piliers, et ne faisant point partie de la maison ( 531 C. civ.)
      • Les matériaux provenant de la démolition d’un édifice, ceux assemblés pour en construire un nouveau jusqu’à ce qu’ils soient employés par l’ouvrier dans une construction ( 532 C. civ.)
      • Les meubles meublants qui comprennent :
        • Les biens destinés à l’usage et à l’ornement des appartements, comme tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature.
        • Les tableaux et les statues qui font partie du meuble d’un appartement y sont aussi compris, mais non les collections de tableaux qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières.
        • Il en est de même des porcelaines : celles seulement qui font partie de la décoration d’un appartement sont comprises sous la dénomination de “meubles meublants”.
      • Les meubles immatriculés, tels que les aéronefs ou les navires. L’immatriculation de ces biens leur confère un statut particulier qui les rapproche des immeubles, notamment s’agissant des actes de disposition dont ils sont susceptibles de faire l’objet.
    • Ne peuvent pas non plus faire l’objet de servitudes :
      • Les meubles par anticipation, soit les biens qui sont des immeubles par nature, mais qui, dans un futur proche, ont vocation à être détachés du sol
      • Les meubles par détermination de la loi, soit les choses incorporelles qui peuvent faire l’objet d’un droit de propriété (les valeurs mobilières, les droits personnels, les droits réels mobiliers, les œuvres de l’esprit, les brevets, les marques etc.)
  • Les immeubles par destination
    • À la différence des immeubles par nature qui sont déterminés par un critère physique, les immeubles par destination reposent sur la volonté du propriétaire.
    • Il s’agit, plus précisément, de biens qui, par nature, sont des meubles, mais qui sont qualifiés fictivement d’immeubles en raison du lien étroit qui les unit à un immeuble par nature dont ils constituent l’accessoire.
    • Tel est le cas, par exemple, du bétail affecté à un fonds agricole et qui donc, par le jeu d’une fiction juridique, est qualifié d’immeuble par destination.
    • L’objectif recherché ici est de lier le sort juridique de deux biens dont les utilités qu’ils procurent sont interdépendantes.
    • Par la création de ce lien, il sera, dès lors, beaucoup plus difficile de les séparer ce qui pourrait être fortement préjudiciable pour leur propriétaire.
    • Ainsi, des biens affectés au service d’un fonds, devenus immeubles, ne pourront pas faire l’objet d’une saisie par un tiers indépendamment du fonds lui-même.

Au total, il apparaît que le domaine des servitudes est quelque peu restreint puisqu’il se limite aux seuls immeubles par nature.

B) Des propriétés distinctes

==> Principe

La constitution d’une servitude suppose l’existence de deux fonds appartenant à des propriétaires différents.

Cette règle s’infère de l’article 705 du Code civil qui prévoit que « toute servitude est éteinte lorsque le fonds à qui elle est due, et celui qui la doit, sont réunis dans la même main. »

Cette disposition n’est autre que la traduction de l’adage nemini res sua servit qui signifie : « nul n’a de servitude sur sa propre chose ».

Aussi, une servitude confère un droit qui ne peut être exercée que sur un fonds appartenant à autrui. Selon l’expression du Doyen Cornu, « l’autoservitude » n’existe pas.

À supposer qu’une même personne soit propriétaire de deux fonds distincts, tous les aménagements qu’elle est susceptible de réaliser, notamment ceux tenant à l’écoulement des eaux ou encore au passage, ne peuvent être regardés que comme des expressions de l’exercice du droit de propriété et non comme la création de servitudes du fait de l’homme.

Par ailleurs, il peut être observé que l’établissement d’une servitude ne suppose pas que les deux fonds soient contigus (qui se touchent). Il est néanmoins nécessaire qu’ils soient voisins, car les services qui peuvent être imposés à un fonds n’ont de sens qu’entre propriétés voisines.

Enfin, comme relevé par des auteurs « si la notion de servitude implique la dualité de fonds et de propriétaires, cette dualité, constitutive d’un minimum, n’exclut pas la pluralité. Un même fonds peut être servant au bénéfice de plusieurs fonds dominants ou réciproquement »[1].

Cette situation se rencontrera notamment dans les lotissements ou les ensembles d’immeubles formant une copropriété.

==> Cas particulier de la copropriété

La question s’est posée en jurisprudence de savoir si la règle exigeant la présence de deux propriétés distinctes avait vocation à s’appliquer lorsque les deux fonds concernés relèvent d’une copropriété.

Autrement dit, un lot privatif peut-il être grevé par une servitude à la faveur d’un autre lot privatif, alors même qu’ils sont les composantes d’un même bien ?

Dans un premier temps, la Cour de cassation a refusé d’admettre la possibilité de constituer une servitude entre des parties privatives d’un lot de copropriété.

Dans un arrêt du 6 mars 1991 elle a jugé en ce sens « qu’il existe une incompatibilité entre la division d’un immeuble en lots de copropriété et la création, au profit de la partie privative d’un lot, d’une servitude sur la partie privative d’un autre lot » (Cass. 3e civ. 6 mars 1991, n°89-14374).

Elle a précisé sa position un an plus tard en affirmant « qu’une servitude n’existe que si le fonds servant et le fonds dominant constituent des propriétés indépendantes appartenant à des propriétaires différents et que tel n’est pas le cas d’un immeuble en copropriété » (Cass. 3e civ. 30 juin 1992, n°91-10116 91)

La Cour de cassation a, par la suite, réaffirmé cette position toujours au visa de l’article 637 du Code civil (V. en ce sens Cass. 3e civ. 21 mars 2001, n°98-21668).

Elle justifiait cette solution en soutenant qu’un immeuble soumis au régime de la copropriété constituait un héritage unique, alors que l’établissement d’une servitude suppose l’existence de deux fonds distincts.

Dans un second temps, alors que la doctrine faisait feu de tout bois contre cette position à laquelle s’accrochait la Cour de cassation, cette dernière a fini par céder.

Dans un arrêt du 30 juin 2004, elle a opéré un revirement de jurisprudence magistral en affirmant que « le titulaire d’un lot de copropriété disposant d’une propriété exclusive sur la partie privative de son lot et d’une propriété indivise sur la quote-part de partie commune attachée à ce lot, la division d’un immeuble en lots de copropriété n’est pas incompatible avec l’établissement de servitudes entre les parties privatives de deux lots, ces héritages appartenant à des propriétaires distincts » (Cass. 3e civ. 30 juin 2004, n°03-11562).

La troisième chambre civile est venue préciser 10 ans plus tard, dans un arrêt du 11 mars 2014 que « dans un immeuble en copropriété, des servitudes ne sont susceptibles de s’établir qu’entre des parties privatives » (Cass. 3e civ. 11 mars 2014, n°12-29734).

En revanche, lorsqu’il s’agit non pas de parties privatives relevant d’une copropriété, mais de parties d’une indivision, la Cour de cassation refuse l’établissement de servitudes (Cass. 3e civ. 27 mai 2009, n°08-14376).

C) Un fonds affecté au service d’un autre fonds

L’établissement d’une servitude ne se conçoit que s’il existe un rapport entre deux fonds, un rapport asymétrique puisqu’il institue une charge pour l’un et une utilité pour l’autre.

  1. L’établissement d’une utilité au profit du fonds dominant

==> Une utilité

Pour être qualifiée de servitude, celle-ci doit conférer une utilité au fonds dominant. L’article 637 prévoit en ce sens que la charge imposée au fonds servant doit être établie « pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire ».

Que faut-il entendre par utilité ? La jurisprudence a adopté une interprétation plutôt extensive cette notion. Aussi, admet-elle qu’un simple avantage, une commodité procurée au fonds dominant suffit à la justifier la constitution d’une servitude.

Entre d’autres termes, il n’est pas exigé que l’utilité procurée soit indispensable et nécessaire ; elle doit seulement être de nature à augmenter la valeur du fonds qui en bénéficie (V. en ce sens Cass. 3e civ., 9 juill. 1980, n° 79-12867)

Tel est le cas, lorsque l’utilité permet d’accéder à un fond en passant par un autre fonds. Il en va de même pour la servitude de puisage qui autorise à prélever de l’eau sur le terrain d’autrui ou la servitude d’égout qui permet de verser les eaux pluviales de son toit sur le fonds voisin.

En revanche, lorsque l’utilité procure seulement un agrément au fonds dominant, la jurisprudence refuse de la qualifier de servitude.

Pour illustration, dans le cadre d’une affaire pendante devant la Cour d’appel de Metz un requérant réclamait un droit de passage sur le fond voisin pour gagner sa place de parking située le long du mur délimitant la propriété de ce dernier et éviter ainsi d’avoir à effectuer le tour du pâté de maison pour rejoindre son véhicule.

Les juges le déboutent de sa demande au motif qu’il est constant qu’un simple souci de commodité ou de convenance ne permet pas de caractériser l’absence ou l’insuffisance d’issue sur la voie publique et alors que cette notion de convenance personnelle est évoquée par l’un des témoignages produits par le requérant au soutien de ses prétentions (CA Metz, 13 oc. 2016, n° 16/00366, RG 15/00398).

Pour déterminer si l’établissement d’une servitude est justifié, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 16 mai 1952, affirmé qu’il convenait de se demander si le droit envisagé procure une plus-value au fonds, à tout le moins une commodité réelle.

==> Une utilité au profit d’un fonds

Il ne suffit pas que le service procure une utilité pour être qualifiée de servitude, il faut encore qu’il soit utile au fonds dominant et non au propriétaire du fonds.

C’est là une exigence qui résulte de l’article 637 du Code civil et qui constitue une limite importante aux objets possibles des servitudes.

Les droits de promenade, de chasse, de pêche, de cueillette ou encore d’utilisation d’un four sont octroyés en considération, non pas des besoins du fonds dominant, mais de la personne de son propriétaire (V. en ce sens Cass. 3e civ., 22 juin 1976, n° 74-14148).

2. La création d’une charge qui pèse sur le fonds servant

L’établissement d’une servitude suppose, corrélativement à l’octroi d’une utilité au fonds dominant, la création d’une charge imposée au fonds servant.

Toutefois, ainsi que le prévoit l’article 638 du Code civil « la servitude n’établit aucune prééminence d’un héritage sur l’autre ». Le rapport créé entre les deux fonds n’est donc pas d’ordre hiérarchique, en ce sens qu’il n’existe aucun lien de vassalité entre eux.

Il s’agit seulement d’un rapport d’utilité. La servitude grève, elle assujettit un fonds dont elle attend un service : elle lui imprime la fonction de fonds servant.

La création de cette charge sur le fonds servant emporte trois conséquences principales :

  • Première conséquence
    • La charge imposée sur le fonds servant consiste à restreindre les prérogatives du propriétaire sur le fonds grevé.
    • Par nature, la servitude a pour effet de porter atteinte au droit de propriété.
    • Ces atteintes peuvent être tantôt positives, tantôt négatives.
      • La servitude sera qualifiée de positive lorsqu’elle consistera à entamer certains attributs du droit de propriété qui seront accordés au bénéfice du fonds dominant : le propriétaire perd l’exclusivité de la chose en devant souffrir la présence d’un autre, qui passe sur son fonds, qui prélève de l’eau
      • La servitude sera qualifiée de négative lorsqu’elle consistera à neutraliser le caractère absolu du droit de propriété en l’empêchant de faire quelque chose que son droit de propriété l’autorise normalement à faire, tel que, édifier un ouvrage sur son fonds, cultiver des plantations, créer une ouverture etc.
  • Deuxième conséquence
    • La charge créée par la servitude est strictement attachée au fonds servant, de sorte qu’elle se transmet avec la propriété
    • Parce qu’elle est l’accessoire du fonds qu’elle grève, elle est perpétuelle et ne peut être cédée indépendamment de ce fonds
    • Seule solution pour le propriétaire du fonds grevé de s’affranchir de la servitude en dehors de sa cession, l’abandon de la partie qui sert d’assiette à cette servitude
  • Troisième conséquence
    • Dans la mesure où la servitude est attachée à un fonds, elle n’oblige pas personnellement le propriétaire du fonds servant.
    • Aussi n’est-elle pas constitutive d’une dette qui grèverait son patrimoine
    • La conséquence en est qu’elle ne peut jamais obliger le propriétaire à accomplir une action positive.
    • Selon l’adage servitus in faciendo non potest, une servitude ne peut pas consister en une obligation de faire: il ne peut y avoir de servitude qu’in patiendo (à supporter quelque chose).
    • Autrement dit, la servitude ne peut avoir pour effet que d’imposer une abstention : le propriétaire doit souffrir sur son fonds les actes d’usage accomplis par le propriétaire du fonds dominant.

III) Caractères

Il est classiquement admis que les servitudes présentent quatre traits de caractère qui permettent de les distinguer des autres droits réels et notamment des droits de jouissance tels que l’usufruit ou le droit d’usage et d’habitation.

A) Caractère réel immobilier

==> Un droit réel

Les servitudes consistent, tout d’abord, en des droits réels. Il en résulte qu’elles confèrent au propriétaire du fonds dominant un pouvoir direct et immédiat sur le fond grevé.

 Structurellement, le droit réel suppose un sujet, le titulaire du droit et un objet, la chose sur laquelle s’exerce le droit réel. Le droit réel établit, en d’autres termes, une relation entre une personne et une chose

Le droit réel s’exerce ainsi sans qu’il soit besoin d’actionner une personne. Il s’exerce sans l’entremise d’un tiers.

C’est pour cette raison que les servitudes sont toujours attachées, non pas à une personne, mais directement au fonds qu’elles grèvent.

C’est également parce qu’elles sont constitutives de droits réels que l’exercice des servitudes n’est subordonné au paiement d’aucune redevance.

Tout au plus, une indemnité peut être octroyée au propriétaire du fonds servant lors de la constitution de la servitude.

Cette indemnité n’a toutefois pas pour cause la stipulation d’une quelconque obligation de ne pas faire qui s’imposerait à ce dernier. Elle seulement la contrepartie de la diminution de son droit de propriété.

À cet égard, en cas de non-respect de la servitude par le propriétaire du fonds servant, celui-ci engage sa responsabilité délictuelle et non contractuelle.

==> Un droit réel immobilier

Il ressort de l’article 637 du Code civil qu’une servitude ne peut être imposée que sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un autre héritage.

Une servitude a donc nécessairement pour objet un immeuble par nature, ce qui leur confère un caractère immobilier. Elles ont ainsi pour assiette, soit le sol, soit ce qui est fixé au sol, telles que des constructions.

Parce que les servitudes consistent en des droits réels immobiliers, lorsqu’elles sont constituées au moyen d’un titre elles ne sont opposables aux tiers que si elles font l’objet de formalités de publicité foncières (V. en ce sens Cass. 3e civ., 27 oct. 1993, n° 91-19.874)

B) Caractère accessoire

La servitude présente un caractère accessoire en ce qu’elle est indissociable du fonds dominant qu’elle grève. Il en résulte qu’elle ne peut pas être « cédée, saisie ou hypothéquée » indépendamment de ce fonds[2].

Plus précisément, la servitude a vocation à suivre le sort du fonds auquel elle est attachée. Elle est transmise de plein droit aux acquéreurs du fonds dominant.

Corrélativement, dès lors qu’elle a valablement été publiée, la servitude s’imposera aux propriétaires successifs du fonds servant.

Enfin, si la servitude profite à l’usufruitier du fonds dominant, elle ne bénéficie pas au locataire dans la mesure où celui-ci n’exerce aucun droit réel sur le fonds, il est seulement investi d’un droit personnel contre le propriétaire.

C) Caractère perpétuel

Parce que les servitudes sont l’accessoire du fonds qu’elles grèvent, elles durent aussi longtemps qu’il est un droit de propriété qui s’exerce sur lui.

Or la propriété présente un caractère perpétuel. Cette perpétuité s’insuffle donc aux servitudes qui ne peuvent donc pas s’éteindre sous l’effet du temps.

Seules les causes d’extinction énoncées aux articles 703 et suivants du Code civil sont susceptibles de mettre fin aux servitudes soit :

  • Lorsque la chose se trouve en tel état qu’on ne peut plus en user
  • Lorsque le fonds à qui elle est due, et celui qui la doit, sont réunis dans la même main.
  • Par le non-usage pendant trente ans.
  • Par la volonté des propriétaires du fonds dominant et du fonds servant

Il peut encore être observé qu’il est admis que la constitution de servitudes puisse être temporaire. Il peut notamment être convenu que la servitude s’éteindra au décès du propriétaire du fonds dominant.

Dans un arrêt du 22 mars 1989 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la stipulation d’une servitude temporaire est licite » (Cass. 3e civ. 22 mars 1989, n°87-17454).

Cass. 3e civ. 22 mars 1989
Sur le moyen unique :

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt attaqué (Douai, 17 juin 1987) d'avoir décidé que leur fonds ne disposaient pas d'une servitude par destination du père de famille sur une partie du fonds acquis par les époux Z... en 1981, alors, selon le moyen, " que la clause susceptible de tenir en échec la servitude par destination du père de famille qui résulte de la division du fonds ne peut être la clause de style de l'acte de division aux termes de laquelle les parties déclarent qu'elles n'ont conféré aucune servitude et qu'à leur connaissance, il n'en existe pas ; qu'ainsi la cour d'appel, en statuant comme elle l'a fait, a violé les articles 694 et 1134 du Code civil et alors que, seule une clause de l'acte opérant division du fonds peut tenir en échec la servitude par destination du père de famille résultant de cette division ; qu'ainsi en se fondant pour déclarer éteinte la servitude de passage sur la clause d'une promesse sous seing privé non reproduite dans l'acte d'échange notarié mais incluse dans un acte de vente ultérieur du fonds servant auquel n'étaient pas partie les propriétaires du fonds dominant, la cour d'appel a violé l'article 694 du Code civil " ;

Mais attendu que la stipulation d'une servitude temporaire est licite ; qu'après avoir relevé que lors de la vente du fonds servant aux auteurs des époux Z..., les parties avaient inséré dans l'acte la clause selon laquelle tant que Mme Y... restera propriétaire du fonds dominant et à condition qu'il soit occupé par elle-même ou son mari ou l'un de ses enfants, l'exploitant aura le droit de passage sur la parcelle A 1541, la cour d'appel a exactement retenu que Mme Y... étant décédée le 9 juin 1980, l'une des deux conditions nécessaires et cumulatives prévues dans la clause avait disparu et que les consorts X... ne pouvaient plus se prévaloir du bénéfice de la servitude de passage ;

Que par ce seul motif, l'arrêt est légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

D) Caractère indivisible

Une servitude est indivisible en ce qu’elle grève nécessairement le fonds servant pour le tout et profite au fonds dominant dans son entier.

Tout d’abord, lorsque le fonds servant ou dominant fait l’objet d’une indivision ou est soumis à une copropriété, l’indivisibilité de la servitude emporte plusieurs conséquences :

  • Elle profite à tous les propriétaires du fonds dominant qui ont un droit entier sur elle, tout autant qu’elle s’impose à tous les propriétaires du fonds servant qui doivent la respecter
  • Elle ne peut être constituée sur un fonds ou établie à son profit qu’à la condition que tous les propriétaires y consentent, cette unanimité étant également exigée pour qu’il y soit mis fin

Ensuite, l’article 700, al. 1er du Code civil prévoit que « si l’héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du fonds assujetti soit aggravée. »

L’alinéa 2 ajoute que « s’il s’agit d’un droit de passage, tous les copropriétaires seront obligés de l’exercer par le même endroit. »

Ainsi, en cas de division d’un fonds en plusieurs parcelles, chacune d’elles continuant à supporter la charge de la servitude dans son entier

Dans un arrêt du 23 mars 2001, la Cour de cassation réunie en assemblée plénière a néanmoins précisé que la règle énoncée à l’article 700 du Code civil « postule que la servitude préexiste à la division de l’héritage » (Cass. ass. plen. 23 mars 2001, 98-19018).

Cass. ass. plen. 23 mars 2001
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 2 juillet 1998), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 11 décembre 1996, Bull. 1996, III, n° 238, p. 155), que par acte du 21 février 1900, M. Y... a vendu la partie centrale d'un terrain lui appartenant et l'a grevé de deux zones non aedificandi sur une distance de deux mètres à partir des lignes divisoires intérieures Est et Ouest ; que M. Z..., devenu propriétaire de ce lot, a édifié une construction de la ligne divisoire Est à la ligne divisoire Ouest ; que M. A..., propriétaire du lot contigu, situé à l'est de celui de M. Z..., a, par acte du 11 mars 1991, assigné M. Z... en démolition des ouvrages édifiés sur les zones non aedificandi Est et Ouest, sous peine d'astreinte ; que M. Z... a invoqué l'extinction de la servitude du fait d'un acte contraire, consistant dans l'édification d'un garage sur la zone non aedificandi Ouest, avant 1960 ; que M. A... étant décédé en cours d'instance, celle-ci a été reprise par Mme A..., MM. Pierre-Marie et Yves-Marie A... (les consorts A...) ; que le Tribunal a accueilli la demande des consorts A... ; que M. Z... a fait appel du jugement ; que par arrêt du 13 décembre 1994, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé le jugement ; qu'après cassation de cet arrêt, devant la cour d'appel de renvoi, les consorts A... ont seulement demandé la démolition des ouvrages édifiés sur la zone non aedificandi Est ; que M. Z... a demandé la condamnation des consorts A... à lui restituer la somme qu'il leur avait réglée en exécution de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. Z... reproche à l'arrêt de lui avoir ordonné de démolir les ouvrages édifiés sur la zone non aedificandi, en limite divisoire Est, sous peine d'une astreinte de 1 000 francs par jour de retard à compter de la signification de cette décision, alors, selon le moyen :

1° que, si l'héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du fonds assujetti soit aggravée ; que dès lors, l'existence d'une construction, pendant trente ans, sur la zone non aedificandi entraînait l'extinction de la servitude dans son ensemble ; qu'en refusant néanmoins de constater l'extinction de la servitude, motif pris de ce que la construction invoquée par M. Z... avait été édifiée à l'Ouest, et que la propriété des consorts A... était située à l'est, les juges du fond ont violé les articles 700, 706 et 707 du Code civil ;

2° que, dès lors que l'absence d'aggravation postule que la servitude puisse s'éteindre à raison de l'édification d'une construction sur un point de la zone non aedificandi, il importe peu qu'un autre point de cette zone soit matériellement distinct de l'assiette de la construction ; qu'en se fondant sur un motif inopérant, les juges du fond ont de nouveau violé les articles 700, 706 et 707 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate que M. Y... avait divisé son fonds en trois parcelles antérieurement à la création de l'interdiction de construire le long des lignes divisoires entre la parcelle centrale et les parcelles voisines ; que, dès lors, le moyen pris de la violation des articles 700 et suivants du Code civil qui postule que la servitude préexiste à la division de l'héritage, n'est fondé en aucune de ses branches ;

Enfin, dans un arrêt du 29 mai 1963 a posé une limite à l’indivisibilité de la servitude en posant que lorsque l’héritage à la charge duquel la servitude a été établie vient à être divisé, elle reste due par chaque portion, cette indivisibilité ne saurait avoir pour conséquence de faire supporter la servitude, par voie d’extension, a des fonds que le propriétaire de l’héritage assujetti y aurait ultérieurement réunis (Cass. 1ère civ. 29 mai 1963).

Enfin, lorsque l’exercice de la servitude est circonscrit à une partie seulement du fonds servant, tel que cela peut être le cas pour un droit de passage, en cas de division du fonds, la servitude ne sera maintenue que sur la partie qui constitue l’assiette de la servitude.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les biens, éd. Dalloz, 2004, n°870, p. 753.

[2] F. Terré et Ph. Simler, op. cit., n°873, p. 754.