La césure du procès civil

?Généralités

Depuis le milieu des années 1990, les modes alternatifs de règlement des conflits (MARC) connaissent un essor considérable en France, le législateur ayant adopté une succession de mesures tendant à en assurer le développement auprès des justiciables jusqu’à, dans certains cas, les rendre obligatoires.

Aujourd’hui, il existe une grande variété de MARC : arbitrage, conciliation, médiation, convention de procédure participative, transaction…

Les dernières réformes en date qui ont favorisé le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits ne sont autres que :

  • La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle qui a notamment introduit l’obligation de réaliser une tentative amiable de résolution du litige préalablement à la saisine de l’ancien Juge d’instance
  • La loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a renforcé les obligations de recours à la conciliation ou à la médiation en conférant notamment au juge le pouvoir d’enjoindre les parties de rencontrer un médiateur

Plus récemment encore, le décret n°2023-686 du 29 juillet 2023 a créé deux nouveaux outils procéduraux visant à favoriser la résolution amiable des litiges devant le Tribunal judiciaire : l’audience de règlement amiable et la césure du procès civil.

Nous nous focaliserons ici sur la césure du procès civil.

Ce dispositif octroie la faculté aux parties de solliciter un jugement tranchant les points nodaux du litige afin de leur permettre ensuite de résoudre les points subséquents en recourant aux modes amiables de résolution des différends de droit commun et, à défaut, de limiter de façon optimale le champ du débat judiciaire.

Ainsi, au lieu de statuer sur l’ensemble des prétentions dont il est saisi, le juge ne tranchera, dans un premier temps, que certains aspects du différend, tandis que les parties tenteront de trouver un accord amiable pour le surplus.

Ce nouvel instrument procédural, qui est régi aux articles 807-1 à 807-3 du CPC, ne peut être utilisé que dans le cadre de la procédure écrite ordinaire applicable devant le Tribunal judiciaire.

1. L’initiative de la césure

Conformément à l’article 807-1, al. 1er du CPC, la césure du procès est laissée à l’initiative exclusive des parties.

Cette faculté peut être exercée, précise le texte, « à tout moment » de la mise en état.

2. La demande d’ouverture d’une césure

?La forme de la demande

L’article 807-1, al. 2e du CPC prévoit que la demande d’ouverture d’une césure se fait au moyen d’un acte contresigné par avocats qui mentionne les prétentions à l’égard desquelles l’ensemble des parties constituées sollicitent un jugement partiel.

?L’objet de la demande

La demande doit porter sur une ou plusieurs prétentions pour lesquelles les parties se sont entendues pour solliciter un jugement partiel.

Aussi, sont-ce les parties qui déterminent le périmètre de la césure demandée sans que le juge ne puisse le modifier.

Il peut être observé que pour être recevable, la demande d’ouverture d’une césure doit porter sur des prétentions sécables.

Autrement dit, ces prétentions doivent pouvoir donner lieu à des jugements partiels indépendants du reste de la matière litigieuse.

Dans le cas contraire, le juge est autorisé à rejeter la demande d’ouverture d’une césure ainsi que le prévoit le troisième alinéa de l’article 807-1 du CPC.

Dans cette hypothèse, l’affaire reprend son cours.

3. La clôture partielle aux fins de césure

?Le prononcé de l’ordonnance de clôture partielle

L’article 807-1 du CPC prévoit que « s’il fait droit à la demande, le juge ordonne la clôture partielle de l’instruction et renvoie l’affaire devant le tribunal pour qu’il statue au fond sur la ou les prétentions déterminées par les parties. »

Si donc les conditions d’ouverture de la césure sont réunies, le juge rend une ordonnance de clôture partielle de l’instruction. L’acte contresigné par avocats exprimant la demande d’ouverture d’une césure doit être annexé à l’ordonnance.

Cette clôture se limite aux prétentions visées dans la demande d’ouverture d’une césure. Comme souligné par l’ordonnance du 17 octobre 2023, « la décision du juge de la mise en état d’ordonner ou non la clôture partielle de l’affaire est prise en opportunité eu égard aux considérations de bonne administration de la justice ».

S’agissant de la date de la clôture partielle, en application de l’article 807-1, al. 4e du CPC, elle doit être aussi proche que possible de celle fixée pour les plaidoiries.

?La révocation de l’ordonnance de clôture partielle

Il est admis que l’ordonnance de clôture partielle aux fins de césure puisse faire l’objet d’une révocation dans les conditions énoncées à l’article 803 du CPC.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que la révocation d’une ordonnance de clôture peut être prononcée :

  • Soit s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue
  • Soit si une demande en intervention volontaire est formée après la clôture de l’instruction

La révocation de l’ordonnance de clôture a pour effet de rouvrir la phase d’instruction de l’affaire, de sorte que les parties sont autorisées à déposer de nouvelles conclusions et pièces.

4. Le jugement partiel

?Prononcé du jugement partiel

La reconnaissance d’une clôture partielle de l’instruction a conduit le législateur a créé une nouvelle catégorie de jugement : le jugement partiel.

Celui-ci interviendra postérieurement à l’audience de plaidoiries, sauf à ce qu’il soit recouru à une procédure sans audience.

En tout état de cause et comme énoncé par l’article 807-2 du CPC « le jugement partiel tranche dans son dispositif les seules prétentions faisant l’objet de la clôture partielle ».

S’agissant de l’exécution provisoire attachée au jugement partiel, il s’infère de l’article 807-2, al. 2e du CPC qu’elle n’est pas de droit. Le juge peut néanmoins l’ordonner dans les conditions des articles 515 à 517-4 du CPC.

?Voies de recours contre le jugement partiel

En application de l’article 544 du CPC modifié par le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 portant mesures favorisant le règlement amiable des litiges devant le tribunal judiciaire, le jugement partiel est susceptible d’être immédiatement frappé d’appel, à l’instar des jugements qui tranchent tout le principal.

La circulaire du 17 octobre 2023 précise que, afin d’éviter un allongement des délais à raison de l’appel immédiat formé à l’encontre du jugement partiel, l’appel devra être traité selon la procédure à bref délai au sens de l’article 905 du CPC.

5. La poursuite de la mise en état

S’il est définitivement mis fin au litige s’agissant des prétentions tranchées par le jugement partiel, tel n’est pas le cas pour celles qui n’entraient pas dans le périmètre de la césure.

Aussi, pour ces dernières, la mise en état se poursuit jusqu’à ce que le débat soit épuisé ou que les parties parviennent à trouver un accord amiable, lequel pourra être soumis à l’homologation du juge.

L’article 807-3 du CPC précisé toutefois que la clôture de l’instruction ne pourra pas intervenir « avant l’expiration du délai d’appel à l’encontre du jugement partiel ou, lorsqu’un appel a été interjeté, avant le prononcé de la décision statuant sur ce recours. »

Autrement dit, la mise en état portant sur les prétentions résiduelles des parties qui n’étaient pas visées dans la demande d’ouverture de césure, ne pourra pas être clôturée tant que toutes les voies de recours contre le jugement partiel n’auront pas été épuisées.

L’objectif recherché ici est de prévenir le risque de contradiction entre les décisions rendues dans le cadre de la même instance.

Le recours en omission de statuer (art. 463 CPC)

L’un des principaux attributs d’un jugement est le dessaisissement du juge. Cet attribut est exprimé par l’adage lata sententia judex desinit esse judex : une fois la sentence rendue, le juge cesse d’être juge.

La règle est énoncée à l’article 481 du CPC qui dispose que « le jugement, dès son prononcé, dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche ». En substance, le dessaisissement du juge signifie que le prononcé du jugement épuise son pouvoir juridictionnel.

Non seulement, au titre de l’autorité de la chose jugée dont est assorti le jugement rendu, il est privé de la possibilité de revenir sur ce qui a été tranché, mais encore il lui est interdit, sous l’effet de son dessaisissement, d’exercer son pouvoir juridictionnel sur le litige.

Le principe du dessaisissement du juge n’est toutefois pas sans limites. Ces limites tiennent, d’une part, à la nature de la décision rendue et, d’autre part, à certains vices susceptibles d’en affecter le sens, la portée ou encore le contenu.

  • S’agissant des limites qui tiennent à la nature de la décision rendue
    • Il peut être observé que toutes les décisions rendues n’opèrent pas dessaisissement du juge.
    • Il est classiquement admis que seules les décisions contentieuses qui possèdent l’autorité absolue de la chose jugée sont assorties de cet attribut.
    • Aussi, le dessaisissement du juge n’opère pas pour :
      • Les décisions rendues en matière gracieuses
      • Les jugements avants dire-droit
      • Les décisions provisoires (ordonnances de référé et ordonnances sur requête)
  • S’agissant des limites qui tiennent aux vices affectant la décision rendue
    • Il est certains vices susceptibles d’affecter la décision rendue qui justifient un retour devant le juge alors même qu’il a été dessaisi.
    • La raison en est qu’il s’agit d’anomalies tellement mineures (une erreur de calcul, une faute de frappe, une phrase incomplète etc.) qu’il serait excessif d’obliger les parties à exercer une voie de recours tel qu’un appel ou un pourvoi en cassation.
    • Non seulement, cela les contraindrait à exposer des frais substantiels, mais encore cela conduirait la juridiction saisie à procéder à un réexamen général de l’affaire : autant dire que ni les justiciables, ni la justice ne s’y retrouveraient.
    • Fort de ce constat, comme l’observe un auteur, « le législateur a estimé que pour les malfaçons mineures qui peuvent affecter les jugements, il était préférable de permettre au juge qui a déjà statué de revoir sa décision »[1].
    • Ainsi, les parties sont-elles autorisées à revenir devant le juge qui a rendu une décision aux fins de lui demander de l’interpréter en cas d’ambiguïté, de la rectifier en cas d’erreurs ou d’omissions purement matérielles, de la compléter en cas d’omission de statuer ou d’en retrancher une partie dans l’hypothèse où il aurait statué ultra petita, soit au-delà de ce qui lui était demandé.
    • À cette fin, des petites voies de recours sont prévues par le Code de procédure civile, voies de recours dont l’objet est rigoureusement limité.

C’est sur ces petites voies de recours que nous nous focaliserons ici. Elles sont envisagées aux articles 461 à 464 du Code de procédure civile.

Au nombre de ces voies de recours, qui donc vise à obtenir du juge qui a statué qu’il revienne sur sa décision, figurent :

  • Le recours en interprétation
  • Le recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle
  • Le recours en retranchement
  • Le recours aux fins de remédier à une omission de statuer

Nous nous focaliserons ici sur le recours en omission de statuer.

L’article 5 du CPC prévoit que « le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. »

Parce que le litige est la chose des parties, par cette disposition, il est :

  • D’une part, fait interdiction au juge de se prononcer sur ce qui ne lui a pas été demandé par les parties
  • D’autre part, fait obligation au juge de se prononcer sur ce tout ce qui lui est demandé par les parties

Il est néanmoins des cas ou le juge va omettre de statuer sur une prétention qui lui est soumise. On dit qu’il statue infra petita. Et il est des cas où il va statuer au-delà de ce qui lui est demandé. Il statue alors ultra petita.

Afin de remédier à ces anomalies susceptibles d’affecter la décision du juge, le législateur a institué des recours permettant aux parties de les rectifier.

Comme l’observe un auteur bien que l’ultra et l’infra petita constituent des vices plus graves que l’erreur et l’omission matérielle, le législateur a admis qu’ils puissent être réparés au moyen d’un procédé simplifié et spécifique énoncés aux articles 463 et 464 du CPC[2].

Il s’agira, tantôt de retrancher à la décision rendue ce qui n’aurait pas dû être prononcé, tantôt de compléter la décision par ce qui a été omis.

I) Conditions de recevabilité du recours

Plusieurs conditions doivent être réunies pour que l’omission de statuer soit caractérisée :

  • Une demande omise
    • Il ressort de l’article 463 du CPC que l’omission de statuer consiste pour le juge à ne pas s’être prononcé sur un chef de demande formulé par une partie.
    • Autrement dit, il n’a pas tranché dans la décision rendue une ou plusieurs prétentions qui lui étaient pourtant soumises par les parties.
    • Pour déterminer s’il y a omission de statuer et quelle est son étendue, il y aura lieu de se reporter aux demandes formulées dans l’acte introductif d’instance ainsi que dans les conclusions prises ultérieurement par les parties et de les comparer avec le dispositif du jugement.
    • À cet égard, l’omission de statuer n’est pas caractérisée lorsque le juge ne répond pas directement à une demande précise formuler par une partie mais qu’il tranche la question dans le cadre d’une réponse qu’il apporte à un autre chef de demande (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 mai 2016, n°15-17.317).
    • Pour exemple, l’omission de statuer a été retenue dans les cas suivants :
      • Le juge ne se prononce pas sur l’octroi d’un article 700 (Cass. 2e civ. 19 févr. 1992)
      • Le juge omet de trancher la question de la validité d’un acte juridique (Cass. soc. 16 juin 1976)
      • Le juge omet de se prononcer sur l’octroi de dommages et intérêts (Cass. com. 21 févr. 1978).
      • Le juge omet de se prononcer sur sa compétence (Cass. 1ère civ. 5 janv. 1962)
      • Le juge omet de se prononcer sur la date de départ du versement d’une prestation compensatoire (Cass. 2e civ. 2 déc. 1992).
  • Une demande régulièrement formée
    • Le juge n’est tenu de se prononcer que sur les demandes dont il a été régulièrement saisi.
    • Lorsque dès lors, la demande a été formulée dans des conclusions frappées d’irrecevabilité car déposées hors délai, l’omission de statuer ne saurait être soulevée (Cass. 2e civ. 25 oct. 1978).
    • L’omission de statuer n’a pas vocation à réparer une irrégularité imputable aux parties.
    • Il est en revanche indifférent que la demande soit formulée dans le dispositif des écritures prises, dans leurs motifs ou encore qu’elle soit formée à titre subsidiaire ou incidente (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 1er juin 1983).
  • Une omission relative à une demande
    • L’omission du juge doit nécessairement porter sur un chef demande et non sur un moyen.
    • Pour mémoire :
      • Une demande est l’acte par lequel le juge soumet une prétention au juge,
      • Un moyen est quant à lui l’argument dont se prévaut une partie pour fonder sa demande ou assurer sa défense.
    • Selon que le juge omet de statuer sur une demande ou un moyen, la sanction n’est pas la même :
      • Lorsque le juge omet de statuer sur un moyen, le vice qui affecte la décision consiste en un défaut de réponse à conclusion sanctionné par la nullité du jugement (art. 455 CPC).
      • Lorsque le juge omet de statuer sur une demande, le vice consiste en un infra petita sanctionné par une simple rectification de l’omission sans que cela ait d’incidence sur la validité du jugement
    • Comme souligné par des auteurs « l’omission de statuer sur un chef de demande est sans influence sur la valeur des autres dispositions du jugement ; le jugement est incomplet et il convient seulement de le compléter. En revanche, lorsque le juge a omis d’examiner un moyen, c’est la valeur du dispositif du jugement qui se trouve atteinte : l’examen du moyen aurait pu modifier la décision et dès lors la Cour de cassation ne peut laisser subsister le chef du jugement qui se trouve affecté par le défaut de réponse à conclusions »[3].
    • Le défaut de réponse à conclusion pourrait consister, par exemple, en l’absence de réponse à un moyen de défense soulevé par une partie, tel qu’une fin de non-recevoir (Cass. 2e civ. 21 oct. 2004, n°02-20.286).
    • Une difficulté est née s’agissant du traitement à réserver à la formule de style régulièrement utilisée par les juges consistant à indiquer dans le jugement qu’une partie est déboutée de « toutes ses demandes » ou du « surplus de ses demandes ».
    • L’emploi de cette formule tombe-t-il sous le coup du défaut de réponse à conclusion, contraignant alors les plaideurs à se pourvoir en cassation, ou peut-on seulement y voir une omission de statuer lorsque le juge ne s’est pas prononcé sur un chef de demande ?
    • Dans un arrêt du 2 novembre 1999, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a opté pour la qualification d’omission de statuer (Cass. ass. Plen. 2 nov. 1999, n° 97-17.107).
    • Au soutien de sa décision, elle affirme que la Cour d’appel, en recourant à la formule générale « déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires » dans le dispositif de son arrêt, elle « n’a pas statué sur le chef de demande relatif aux intérêts, dès lors qu’il ne résulte pas des motifs de la décision, qu’elle l’ait examiné.
    • Autrement dit, l’emploi de cette formule de style ne caractérise une omission de statuer qu’à la condition que les motifs ne confirment pas le rejet des prétentions.
    • Si, en revanche, le rejet est justifié dans la motivation de la décision, l’omission de statuer ne sera pas caractérisée (Cass. 3e civ. 27 févr. 1985).

II) Pouvoirs du juge

?Interdiction de toute atteinte à l’autorité de la chose jugée

Qu’il s’agisse d’un recours en omission de statuer ou d’un recours en retranchement, en application de l’article 463 du CPC il est fait interdiction au juge dans sa décision rectificative de « porter atteinte à la chose jugée quant aux autres chefs, sauf à rétablir, s’il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens. »

Ainsi sont fixées les limites du pouvoir du juge lorsqu’il est saisi d’un tel recours : il ne peut pas porter atteinte à l’autorité de la chose jugée.

Concrètement cela signifie que :

  • S’agissant d’un recours en omission de statuer, il ne peut modifier une disposition de sa décision ou en ajouter une nouvelle se rapportant à un point qu’il a déjà tranché
  • S’agissant d’un recours en retranchement, il ne peut réduire ou supprimer des dispositions de sa décision que dans la limite de ce qui lui avait initialement été demandé

Plus généralement, son intervention ne saurait conduire à conduire à modifier le sens ou la portée de la décision rectifiée.

Il en résulte qu’il ne peut, ni revenir sur les droits et obligations reconnues aux parties, ni modifier les mesures ou sanctions prononcées, ce pouvoir étant dévolu aux seules juridictions de réformation.

?Rétablissement de l’exposé des prétentions et des moyens

Tout au plus, le juge est autorisé à « rétablir, s’il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens. »

Il s’agira, autrement dit, pour lui, s’il complète une omission de statuer ou s’il retranche une disposition du jugement de modifier dans un sens ou dans l’autre l’exposé des prétentions et des moyens des parties.

Cette exigence procède de l’article 455 du CPC qui prévoit que « le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. »

III) Procédure

A) Compétence

?Principe

En application de l’article 463 du CPC, le juge compétent pour connaître d’un recours en omission de statuer ou en retranchement est celui-là même qui a rendu la décision à rectifier.

Cette règle s’applique à toutes les juridictions y compris à la Cour de cassation qui peut se saisir d’office.

Il n’est toutefois nullement exigé qu’il s’agisse de la même personne physique. Ce qui importe c’est qu’il y ait identité de juridiction et non de personne.

?Tempéraments

Il est plusieurs cas où une autre juridiction que celle qui a rendu la décision à rectifier aura compétence pour statuer :

  • L’introduction d’une nouvelle instance
    • Dans un arrêt du 23 mars 1994, la Cour de cassation a jugé que la procédure prévue à l’article 463 du CPC « n’exclut pas que le chef de demande sur lequel le juge ne s’est pas prononcé soit l’objet d’une nouvelle instance introduite selon la procédure de droit commun » (Cass. 2e civ. 23 mars 1994, n°92-15.802).
    • Ainsi, en cas d’omission de statuer les parties disposent d’une option leur permettant :
      • Soit de saisir le juge qui a rendu la décision contestée aux fins de rectification
      • Soit d’introduire une nouvelle instance selon la procédure de droit commun
    • Cette seconde option se justifie par l’absence d’autorité de la chose jugée qui, par hypothèse, ne peut pas être attachée à ce qui n’a pas été tranché.
    • C’est la raison pour laquelle la possibilité d’introduire une nouvelle instance est limitée à la seule omission de statuer, à l’exclusion donc de la situation d’ultra ou d’extra petita.
    • À cet égard, la Cour de cassation a précisé que, en cas d’introduction d’une nouvelle instance, les parties n’étaient pas assujetties au délai d’un an qui subordonne l’exercice d’un recours en omission de statuer (Cass. 2e civ. 25 juin 1997, n°95-14.173).
  • Appel
    • En cas d’appel, il y a lieu de distinguer selon que la juridiction du second degré est saisie uniquement aux fins de rectifier l’omission ou selon qu’elle est également saisie pour statuer sur des chefs de demande qui ont été tranchés
      • La Cour d’appel est saisie pour statuer sur des chefs de demande qui ont été tranchés
        • Dans cette hypothèse, l’effet dévolutif de l’appel l’autorise à se prononcer sur l’omission de statuer.
        • Les parties ne se verront donc pas imposer d’exercer un recours en omission de statuer sur le fondement de l’article 463 du CPC (Cass. 2e civ. 29 mai 1979).
      • La Cour d’appel est saisie uniquement pour statuer sur l’omission de statuer
        • Dans cette hypothèse, la doctrine estime que l’exigence d’un double degré de juridiction fait obstacle à ce que la Cour d’appel se saisisse d’une question qui n’a pas été tranchée en première instance.
        • Cette solution semble avoir été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 22 octobre 1997 aux termes duquel elle a jugé que « dès lors que l’appel n’a pas été exclusivement formé pour réparer une omission de statuer, il appartient à la cour d’appel, en raison de l’effet dévolutif, de statuer sur la demande de réparation qui lui est faite » (Cass. 2e civ. 22 oct. 1997, n°95-18.923).
  • Pourvoi en cassation
    • La Cour de cassation considère qu’une omission de statuer ainsi que l’ultra petita ne peuvent être réparés que selon la procédure des articles 463 et 464 du CPC (Cass. 2e civ. 15 nov. 1978).
    • La raison en est que la Cour de cassation est juge du droit. Elle n’a donc pas vocation à réparer une omission de statuer qui suppose d’une appréciation en droit et en fait.
    • Dans un arrêt du 26 mars 1985, la Cour de cassation a néanmoins précisé que « le fait de statuer sur choses non demandées, s’il ne s’accompagne pas d’une autre violation de la loi, ne peut donner lieu qu’à la procédure prévue par les articles 463 et 464 du nouveau code de procédure civile et n’ouvre pas la voie de la cassation » (Cass. 1ère civ. 26 mars 1985).
    • Autrement dit, lorsque l’omission est doublée d’une irrégularité éligible à l’exercice d’un pourvoi, la Cour de cassation redevient compétente.

B) Saisine du juge

1. Délai pour agir

?Principe

L’article 463 du CPC prévoit que « la demande doit être présentée un an au plus tard après que la décision est passée en force de chose jugée ou, en cas de pourvoi en cassation de ce chef, à compter de l’arrêt d’irrecevabilité. »

Ainsi à la différence du recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle qui n’est enfermé dans aucun délai, le recours en omission de statuer et en retranchement doit être exercé dans le délai d’un an après que la décision à rectifier est passée en force de chose jugée.

Pour rappel, l’article 500 du CPC prévoit que « a force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution ».

À cet égard, il conviendra de se placer à la date d’exercice du recours en rectification pour déterminer si la décision à rectifier est passée en force de chose jugée.

?Exceptions

  • Introduction d’une nouvelle instance
    • En matière d’omission de statuer, l’expiration du délai d’un an ferme seulement la voie du recours fondé sur l’article 463 du CPC.
    • La Cour de cassation a néanmoins admis qu’une nouvelle instance puisse être introduite selon les règles du droit commun (Cass. 2e civ. 23 mars 1994, n°92-15.802).
    • Cette solution se justifie par l’absence d’autorité de la chose jugée qui, par hypothèse, ne peut pas être attachée à ce qui n’a pas été tranché.
    • C’est la raison pour laquelle la possibilité d’introduire une nouvelle instance est limitée à la seule omission de statuer, à l’exclusion donc de la situation d’ultra ou d’extra petita.
    • Aussi, en cas d’introduction d’une nouvelle instance, la Cour de cassation considère que les parties ne sont pas assujetties au délai d’un an (Cass. 2e civ. 25 juin 1997, n°95-14.173).
  • Recours introduit par Pôle emploi
    • La jurisprudence a jugé que lorsqu’un recours en omission de statuer est exercé par les ASSEDIC (désormais pôle emploi) consécutivement à une décision ayant statué sur le remboursement des indemnités de chômage (art. L. 1235-4 C. trav.), le délai d’un an court à compter, non pas du jour où la décision à rectifier est passée en force de chose jugée, mais du jour à l’organisme a eu connaissance de cette décision (Cass. soc. 7 janv. 1992)

2. Auteur de la saisine

À la différence de la procédure en rectification d’erreur ou d’omission matérielle qui peut être initiée par le juge qui dispose d’un pouvoir de se saisir d’office, les procédures d’omission de statuer et en retranchement ne peuvent être engagées que par les parties elles-mêmes.

Il est fait interdiction au juge de se saisir d’office.

3. Modes de saisine

?Principe

Lorsque le juge est saisi par les parties, l’acte introductif d’instance prend la forme d’une requête.

  • Une requête
    • L’article 463 du CPC prévoit que « le juge est saisi par simple requête de l’une des parties, ou par requête commune. »
    • Les recours en omission de statuer et en retranchement doivent ainsi être exercés par voie de requête unilatérale ou conjointe.
    • Pour rappel :
      • La requête unilatérale est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.
      • La requête conjointe est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte commun par lequel les parties soumettent au juge leurs prétentions respectives, les points sur lesquels elles sont en désaccord ainsi que leurs moyens respectifs.
  • Forme de la requête
    • À l’instar de l’assignation, la requête doit comporter un certain nombre de mentions prescrites à peine de nullité par le Code de procédure civile.
    • Ces mentions sont énoncées aux articles 54, 57 et 757 du CPC.
  • Dépôt de la requête
    • La requête doit être déposée au greffe de la juridiction saisie en deux exemplaires.
    • La remise au greffe de la copie de la requête est constatée par la mention de la date de remise et le visa du greffier sur la copie ainsi que sur l’original, qui est immédiatement restitué au déposant afin qu’il conserve une preuve du dépôt.
    • En cas de dépôt d’une requête unilatérale, il y a lieu de la notifier à la partie adverse.
    • Il appartient au juge de provoquer le débat contradictoire entre les parties.

?Exceptions

Il est admis en jurisprudence que la saisine du juge puisse s’opérer au moyen d’un autre mode de saisine que la requête.

Cette saisine peut notamment intervenir par voie d’assignation devant la juridiction compétente (CA Paris, 14 mars 1985).

C) Convocation des parties

L’article 463, al. 3e du CPC prévoit que le juge « statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées. »

Ainsi, afin d’adopter sa décision de rectification, le juge a l’obligation d’auditionner et d’entendre les parties, étant précisé que, en l’absence de délai de comparution, le juge doit leur laisser un temps suffisant pour préparer leur défense.

Il s’agit ici pour le juge de faire respecter le principe du contradictoire conformément aux articles 15 et 16 du CPC.

Aussi, bien que l’instance soit introduite par voie de requête, il y a lieu d’aviser la partie adverse de la demande de rectification.

Quant au juge, il lui est fait obligation de s’assurer que les moyens soulevés ont pu être débattus contradictoirement par les parties (V. en ce sens Cass. 2e civ. 3 janv. 1980).

D) Représentation

S’agissant de la représentation des parties, la procédure d’omission de statuer ou en retranchement répond aux mêmes règles que celles ayant donné lieu à la décision rendue.

Aussi, selon les cas, la représentation par avocat sera obligatoire ou facultative. En cas de représentation facultative, la requête pourra, dans ces conditions, être déposée par les parties elles-mêmes.

E) Régime de la décision rectificative

?Incorporation dans la décision initiale

L’article 463, al. 4e di CPC prévoit que « la décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. »

Ainsi, la décision rectificative vient-elle s’incorporer à la décision initiale. Il en résulte qu’elle est assujettie aux mêmes règles que le jugement sur lequel elle porte. Plus précisément elle en emprunte tous les caractères.

?Notification de la décision rectificative

L’article 463, al. 4e du CPC prévoit que la décision rectificative doit être notifiée comme le jugement. À défaut, elle ne sera pas opposable à la partie adverse.

À cet égard, la date de la notification tiendra lieu de point de départ au délai d’exercice des voies de recours. Elle devra, par ailleurs, être réalisée selon les mêmes modalités que la décision initiale.

Le texte précise que « la décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. »

Cette mention ne figurera néanmoins que sur les décisions rectifiées, celle-ci étant sans objet en cas de rejet du recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle.

?Voies de recours

En application de l’article 463, al. 4e du COC, la décision rendue donne lieu aux mêmes voies de recours que la décision rectifiée (Cass. 3e civ. 27 mai 1971). Si cette dernière est rendue en dernier ressort, il en ira de même pour le jugement rectificatif.

Surtout, en cas d’exercice d’une voie de recours contre la décision initiale, la décision rectificative subira le même sort, y compris s’agissant de l’issue de la procédure d’appel ou de cassation, dans la limite de ce qui a été réformé.

Autrement dit, en cas de réformation totale de la décision initiale, la décision rectificative s’en trouvera également anéantie (Cass. 2e civ. 15 nov. 1978).

En revanche, lorsque la décision initiale n’est que partiellement réformée, la décision rectification ne sera anéantie que si elle porte sur des points remis en cause.

  1. J. Heron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé ?
  2. J. Héron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, éd. , n°382, p. 316. ?
  3. J. Héron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, éd. , n°383, p. 317. ?

Procédure orale devant le Tribunal judiciaire: le délibéré du jugement

I) L’identité des juges qui ont assisté aux débats et qui participent au délibéré

==> Principe

L’article 447 du CPC dispose que « il appartient aux juges devant lesquels l’affaire a été débattue d’en délibérer. »

Ainsi, ce sont les mêmes juges qui ont assisté à la tenue des débats qui doivent statuer sur le litige qui leur est soumis.

Dans un arrêt du 12 octobre 2006, la Cour de cassation a précisé que « les magistrats mentionnés dans le jugement comme ayant délibéré sont présumés être ceux-là même qui ont assisté aux débats » (Cass. 2e civ. 12 oct. 2006, n°04-18727).

Cette obligation de communication du nom des juges participant au délibéré a été posée afin de permettre aux parties d’exercer leur droit de récusation.

En tout état de cause l’exigence d’identité des juges qui ont assisté aux débats et qui participent au délibéré est sanctionnée par la nullité du jugement.

II) L’impartialité des juges participant au délibéré

Fondement de tout système judiciaire, l’exigence d’impartialité du juge est de l’essence même de la justice et constitue le fondement de sa légitimité dans un état démocratique.

À cette conception éthique de l’impartialité du juge, qui fait appel à sa conscience et à sa vertu, le droit ajoute une impartialité plus positive susceptible d’une appréhension et d’une sanction procédurale.

C’est ainsi, alors que se multipliaient, au soutien des pourvois, les moyens fondés sur la violation du droit à être jugé par un tribunal indépendant et impartial, conformément aux dispositions de l’article 6-1 de la Convention européenne, que le juge de cassation, et plus particulièrement dans un premier temps la chambre criminelle, a énoncé que cette règle interdisait à un magistrat d’examiner une nouvelle fois ce qu’il avait déjà tranché.

Tout en affirmant le principe la chambre criminelle en a également fixé les limites en jugeant, par un arrêt du 20 décembre 1984, que l’arrêt d’une chambre correctionnelle n’était pas atteint de nullité pour la seule raison que l’un de ses membres avait antérieurement connu d’une procédure pénale distincte mais intéressant le même prévenu.

C’est la 3ème chambre civile qui a été conduite à faire application de cette doctrine à la matière civile en énonçant, par un arrêt du 11 juin 1987, que le magistrat qui a connu une première fois d’une affaire ne peut ensuite siéger dans la formation statuant sur le recours formé contre la décision à laquelle il a été associé.

La 2ème chambre civile, le 16 mars 1988, a jugé qu’il n’existait d’incompatibilité qu’autant que la cause débattue en appel était la même que celle ayant donné lieu à la première décision.

En l’espèce il s’agissait d’un conseiller de cour d’appel siégeant au sein d’une formation saisie d’un contentieux civil et qui, précédemment juge d’instruction, avait rendu une ordonnance de non-lieu sur la plainte de l’une des parties qui s’était alors constituée partie civile pour des faits distincts de ceux faisant l’objet du contentieux civil.

La chambre criminelle a jugé, dans le même esprit, le 26 avril 1990, qu’un magistrat du parquet ayant eu la charge de l’accusation à l’audience où la cause avait été débattue ne pouvait participer ensuite, en tant que conseiller, au jugement de la même affaire et la 1ère chambre civile, le 16 juillet 1991, qu’avait violé l’article 6-1 de la Convention la cour d’appel qui, statuant sur le recours formé contre une décision de l’assemblée générale qui avait prononcé la sanction disciplinaire de radiation de la liste des experts pour faute professionnelle grave, comprenait dans sa composition un magistrat qui avait déjà porté une appréciation sur les faits reprochés à l’occasion de cette procédure disciplinaire.

En revanche un même magistrat peut parfaitement siéger dans une juridiction pénale appelée à juger une personne qu’il a déjà condamnée pour d’autres faits (Cass. crim, 13 juin 1991).

Ne viole pas non plus le principe d’impartialité le fait qu’un magistrat siège à la cour d’assises qui juge une personne dont elle a prononcé le divorce dès lors que les faits reprochés à l’accusé sont différents de ceux qui ont motivé le renvoi devant la cour d’assises (Cass. crim. 24 nov. 1993).

À l’inverse, le magistrat qui a prononcé un divorce en se fondant sur des faits pour lesquels des poursuites pénales sont ensuite engagées ne peut participer à la formation criminelle (Cass. crim. 30 nov 1994)

En matière civile la deuxième chambre civile a jugé, le 3 novembre 1993, qu’un magistrat ayant composé le tribunal de grande instance ne pouvait, ensuite, siéger en appel et la première chambre civile a dit que ne violait pas le principe d’impartialité le fait, pour une juridiction statuant en matière disciplinaire, d’être composée de magistrats qui, pour des faits différents, avaient antérieurement prononcé des peines disciplinaires contre la même personne (Cass. 1ère civ. 7 mars 1995).

Confirmant encore cette doctrine, deux chambres civiles ont également considéré que la participation de mêmes magistrats à des formations ayant jugé l’une du divorce et l’autre de la liquidation de la communauté ayant existé entre les époux divorcés ne portait pas atteinte à l’exigence d’impartialité (Cass. 2e civ. 12 janv. 1994 ; Cass.1ère civ., 19 nov. 1996).

Ainsi, dans la cohérence des arrêts civils de 1987 et 1988, ci-dessus évoqués, s’affirme clairement, à travers les arrêts de la Cour, la règle qui interdit, au nom du respect de l’impartialité, qu’un juge puisse examiner ce qu’il a déjà tranché, que ce soit en tant que juge unique ou au sein d’une collégialité et au pénal comme au civil.

Outre la garantie pour le justiciable, cette règle offre aussi l’avantage d’éviter au juge d’avoir à se désavouer et, ainsi, de perdre sa crédibilité.

De l’analyse de cette jurisprudence il se déduit donc que la doctrine de la cour de cassation est désormais bien établie. Déjà le rapport annuel de la Cour de cassation, pour l’année 1993, dans sa partie relative à l’analyse de la jurisprudence (page 348), relève qu’un magistrat qui, en première instance, a connu sur le plan civil, et à quelque stade que ce soit, d’une affaire qui a abouti à une décision frappée d’appel, ne peut pas faire partie, ensuite, de la composition de la formation de la juridiction d’appel.

Depuis, la Cour de cassation a eu l’occasion de faire application à de nombreuses reprises de cette doctrine et l’a affinée, notamment à propos du juge des référés, par deux décisions d’assemblée plénière du 6 novembre 1998.

III) Le vote des juges

L’article 449 du CPC prévoit que « la décision est rendue à la majorité des voix », étant précisé que l’article L. 121-2 du COJ prévoit que les juges qui participent au délibéré doivent être en nombre impair.

Par exception, devant le Conseil de prud’homme un partage de voix est possible en raison de la parité de sa composition.

Aussi, l’article L. 1454-2 du Code du travail prévoit que, en cas de partage, l’affaire est renvoyée devant le même bureau de jugement ou la même formation de référé, présidé par un juge du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est situé le siège du conseil de prud’hommes.

IV) Le secret du délibéré

==> Origines

Le principe du secret du délibéré est une règle traditionnelle en droit français. Ce principe est apparu dès le Moyen-Âge en réaction à l’usage selon lequel le juge opinait en public et devait défendre ensuite l’arrêt auquel il avait participé les armes à la main face à la partie appelante.

Il fut énoncé formellement dès le XIVème siècle dans une ordonnance prise par Philippe V le Long et ensuite rappelé dans de nombreuses ordonnances royales.

Si la loi des 16 et 28 septembre 1791 relative à la « police de sûreté, la justice criminelle et l’établissement du jury » a suspendu l’application de ce principe en imposant aux juges d’« opiner à haute voix à l’audience, en public », celui-ci a été rétabli lors du vote de la Constitution du cinq fructidor an III et n’a plus été remis en cause depuis.

==> Jurisprudence

La jurisprudence constante des deux cours suprêmes lui reconnaît une portée générale. Depuis un arrêt du 9 juin 1843, la Cour de cassation a jugé que ce secret est un « principe général du droit public français », ce qu’elle rappelle par exemple dans un arrêt du 15 février 1995(Cass. 3e civ., 15 févr. 1995) et le Conseil d’État, depuis une décision du 17 novembre 1922, qu’il s’agit d’un principe général du droit s’imposant à toutes les juridictions (CE, 17 nov. 1922, Legillon).

==> Textes

Par ailleurs, des dispositions législatives et réglementaires prévoient aujourd’hui son application devant les juridictions.

Ainsi, aux termes de l’article 448 du CPC « les délibérations des juges sont secrètes » et aux termes de l’article L. 8 du code de justice administrative « le délibéré des juges est secret ».

En matière pénale, l’article 304 du CPP impose aux jurés de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de leurs fonctions.

Parallèlement à ces dispositions, en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1270 du 27 décembre 1958, les magistrats de l’ordre judiciaire prêtent également serment de « garder religieusement le secret des délibérations ».

Il en est de même des juges consulaires et des conseillers prud’homaux en application des articles L. 722-7 du Code de commerce et D. 1442-13 du Code du travail.

Enfin, sur un plan répressif, outre les dispositions pénales réprimant la violation du secret professionnel, l’article 39 de la loi du 29 juillet 1881 sanctionne d’une amende de 18 000 euros le fait de « rendre compte des délibérations intérieures, soit des jurys, soit des cours et tribunaux ».

==> Portée

Si le principe du secret du délibéré a ainsi été continuellement rappelé, c’est qu’il doit permettre de garantir l’indépendance et l’impartialité des juges.

Couplé avec le principe de collégialité, il garantit ainsi l’impossibilité de connaître le sens du vote d’un juge et le met à l’abri d’éventuelles pressions avant le jugement et de possibles représailles après celui-ci. Le jugement est l’œuvre du tribunal tout entier.

Ce lien entre le secret du délibéré et le principe d’indépendance est largement admis par la doctrine.

Le secret du délibéré est aussi considéré comme assurant l’autorité des décisions des juges, dans la mesure où les éventuelles dissensions internes à la juridiction demeurent ainsi secrètes.

Qu’elle soit rendue à l’unanimité ou à une simple majorité, toute décision est ainsi revêtue du même poids et de la même crédibilité.

==> Conséquences

Le principe du secret du délibéré emporte deux conséquences :

  • Première conséquence
    • Il fait obstacle à ce que soient connus les modalités d’adoption de la décision et le sens du vote des juges.
    • La Cour de cassation casse systématiquement pour violation de l’article 448 du CPC les décisions qui ne respectent pas le secret des délibérations.
    • Par ailleurs, elle a pu juger qu’une décision judiciaire ne doit pas indiquer si elle a été prise à l’unanimité ( soc. 9 nov. 1945), que seuls les juges peuvent participer au délibéré et que les personnes y assistant doivent y avoir été autorisées par la loi.
    • Le Conseil d’État juge également qu’un jugement ne peut mentionner s’il a été adopté à la majorité des voix, sauf si un texte le prévoit (CE 26 mars 2003, Worou), et que la révélation du sens et des motifs d’un jugement avant sa lecture entraîne son irrégularité (CE, 30 déc. 1996, Élect. mun. Chantilly).
  • Seconde conséquence
    • Le secret du délibéré a également des conséquences sur les devoirs et obligations des magistrats.
    • En application de ce même principe, un magistrat a le devoir de refuser de témoigner sur ce qui peut toucher au secret des délibérations auxquelles il a participé ( Crim, 25 janv. 1968).
    • En revanche, tant la Cour de cassation que le Conseil d’État jugent que ce secret s’oppose à ce qu’il puisse être reproché à un magistrat sa participation à une décision juridictionnelle (CE, 11 juin 1948, Poulhies ; crim., 19 nov. 1981).

==> Les documents couverts par le secret

En ce qui concerne les documents couverts par le secret du délibéré, il faut tout d’abord relever que le Conseil constitutionnel lui-même a eu à se prononcer sur cette question.

Instruisant sur des faits de manœuvres frauduleuses de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin dans le cadre des élections municipales de 1995 et des élections législatives de 1997 dans la 2ème circonscription de Paris, un juge d’instruction avait saisi le Conseil constitutionnel le 20 octobre 1998 d’une demande de communication portant, d’une part, sur le rapport présenté devant la section d’instruction par le rapporteur adjoint dans le cadre de l’examen d’une requête électorale, d’autre part, sur les pièces et mémoires figurant dans les requêtes.

Par une décision n° 97-2113 AN du 10 novembre 1998, le Conseil constitutionnel a jugé : « considérant qu’il résulte du caractère contradictoire de la procédure suivie devant le juge électoral que l’ensemble des mémoires déposés par les parties et les pièces versées au dossier dans le cadre de la contestation de l’élection d’un député sont communiqués aux parties ; que par suite rien ne fait obstacle à ce qu’ils soient également communiqués au juge chargé d’une instruction pénale pour les besoins de son information ; qu’en revanche le rapport présenté devant la section d’instruction du Conseil constitutionnel est couvert par le secret qui s’attache aux délibérations du Conseil constitutionnel ; qu’il ne peut être regardé comme une pièce détachable de ces délibérations ; qu’il ne peut par suite en être donné communication » (Décision n° 97-2113 AN du 10 novembre 1998)

Afin de renforcer la portée de cette décision, le Conseil a indiqué ensuite « qu’en application de l’article 62 de la Constitution la présente décision rendue par le Conseil constitutionnel s’impose aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

La Cour européenne des droits de l’homme a indirectement abordé la question des documents couverts par le secret du délibéré, indiquant dans les décisions Marc Antoine c/ France (4 juin 2013, req 54984/09), Reinhardt et Slimane-Kaïd c/ France (31 mars 1998, req 22921/93 et 39594/98) et Menet c/ France (14 juin 2005, req 39552/02) que le projet de décision du rapporteur au Conseil d’État et la seconde partie du rapport du rapporteur à la Cour de cassation sont couverts par le secret, pour le premier, par le secret du délibéré, pour le second.

V) Les notes en délibéré

==> Principe

L’article 445 du CPC prévoit que « après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l’appui de leurs observations »

Ainsi, cette disposition prohibe-t-elle, par principe, la production d’une note à l’attention des juges qui se retirent pour délibérer.

Cette interdiction des notes en délibéré vise à garantir le respect du principe du contradictoire qui, si de telles notes étaient admises, risquerait d’être mis à mal, car privant la possibilité pour la partie adverse d’y répondre, voire d’en prendre connaissance.

Aussi, afin d’éviter qu’une partie ne cherche à influer, de manière déloyale, sur la solution du litige, alors même que les débats sont clos, le législateur a interdit la production des notes en délibéré

Dans un arrêt du 15 octobre 1996, la Cour de cassation a précisé que quels que soient les moyens contenus dans une note en délibéré après clôture des débats, par application des dispositions de l’article 445 du CPC, non contraires à celles de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, dès lors qu’elle n’est pas déposée en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public ou à la demande du président, ladite note doit être écartée (Cass. com. 15 oct. 1996, n°93-13844)

==> Exceptions

Deux exceptions au principe d’interdiction des notes en délibéré sont posées par l’article 445 du CPC :

  • Première exception : répondre aux conclusions du ministère public
    • Lorsque le ministère public est partie jointe au procès, il est de principe qu’il prenne la parole en dernier.
    • La jurisprudence considère que cette règle est d’ordre public, de sorte que les parties ne peuvent pas s’exprimer après lui, sauf à envisager une réouverture des débats.
    • Aussi, afin de permettre aux parties de répondre aux conclusions du ministère public et dans la perspective de ne pas méconnaître le principe du contradictoire, ces dernières sont autorisées à produire au Tribunal une note en délibéré.
    • Cette note ne saurait néanmoins comporter de nouvelles prétentions : elle doit avoir pour seul objet d’apporter la contradiction au ministère public.
  • Seconde exception : invitation par le Président des parties à fournir des explications
    • L’article 445 du CPC admet encore les notes en délibéré lorsqu’elles sont produites « à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444.»
    • Il ressort de cette disposition que dans trois cas, les parties sont ainsi recevables à adresser au Tribunal une note en délibéré
      • Premier cas
        • Il s’agira, en application de l’article 442 du CPC, de fournir au Président de la juridiction « les explications de droit ou de fait qu’ils estiment nécessaires ou à préciser ce qui paraît obscur. »
        • Dans cette hypothèse la note en délibéré visera à éclairer le juge sur des points du litige qui doivent être précisés ou expliqués, le cas échéant au moyen de pièces.
      • Deuxième cas
        • Il s’agira pour une partie de provoquer une réouverture des débats sur le fondement de l’article 444 du CPC qui confère ce pouvoir au Président du tribunal.
        • Cette disposition prévoit, en effet, que « le président peut ordonner la réouverture des débats. Il doit le faire chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés. »
        • La note en délibéré vise donc à obtenir du Président qu’il procède à la réouverture des débats
      • Troisième cas
        • Dans certains cas, le Tribunal décidera de soulever d’office un moyen de droit.
        • Or en application de l’article 16 du CPC, il doit nécessairement inviter les parties à présenter leurs observations sur le moyen ainsi soulevé (V. en ce sens ch. mixte, 10 juill. 1981)
        • Pour ce faire, il pourra solliciter la production d’une note en délibéré
        • Dans l’hypothèse où la contradiction aura pu s’instaurer, le Tribunal pour statuer sans qu’il y ait lieu de procéder à la réouverture des débats

==> Sanction

Lorsqu’une décision a été rendue par le Tribunal alors qu’une note en délibéré irrecevable a été produite, cette dernière encourt la nullité, quand bien même la note a régulièrement été communiquée à la partie adverse.

La rédaction des jugements: forme, mentions obligatoires, motivation, dispositif et force probante

I) La forme du jugement

?Un écrit

Bien qu’aucun texte ne prévoit expressément que les jugements soient établis par écrit, cette exigence se déduit des articles 450 à 466 du CPC qui prescrivent un certain nombre de mentions qui doivent être reproduites.

Un jugement ne peut donc pas prendre une forme orale. L’original qui constate par écrit la décision des juges est qualifié de minute. Cette minute alors est conservée par le greffier, ce qui permet d’assurer la publicité du jugement et son exécution.

À cet égard, l’article R. 123-5 du COJ prévoit que le greffier « est dépositaire, sous le contrôle des chefs de juridiction, des minutes et archives dont il assure la conservation ; il délivre les expéditions et copies et a la garde des scellés et de toutes sommes et pièces déposées au greffe. »

?Un écrit papier ou électronique

Depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2012-1515 du 28 décembre 2012, il est indifférent que le jugement soit établi sous forme papier ou électronique.

L’article 456 du CPC prévoit en ce sens que « le jugement peut être établi sur support papier ou électronique. »

Cette disposition précise néanmoins que « lorsque le jugement est établi sur support électronique, les procédés utilisés doivent en garantir l’intégrité et la conservation. Le jugement établi sur support électronique est signé au moyen d’un procédé de signature électronique sécurisée répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique. »

?Le registre d’audience

L’établissement du jugement donne lieu à l’actualisation du registre d’audience dont la tenue est assurée par le greffier.

À cet égard, l’article 728 du CPC prévoit que le greffier de la formation de jugement tient un registre où sont portés, pour chaque audience :

  • La date de l’audience ;
  • Le nom des juges et du greffier ;
  • Le nom des parties et la nature de l’affaire ;
  • L’indication des parties qui comparaissent elles-mêmes dans les matières où la représentation n’est pas obligatoire ;
  • Le nom des personnes qui représentent ou assistent les parties à l’audience.

Le greffier y mentionne également le caractère public ou non de l’audience, les incidents d’audience et les décisions prises sur ces incidents.

L’indication des jugements prononcés est portée sur le registre qui est signé, après chaque audience, par le président et le greffier, ce qui lui confère la force probante d’un acte authentique au même titre que le jugement.

La fonction du registre d’audience est éminemment importante dans la mesure où, en application de l’article 459 du CPC, sa consultation permet de régulariser les omissions ou inexactitudes de mentions que comporte le jugement.

II) Le contenu du jugement

Les jugements rendus par le Tribunal judiciaire doivent comporter un certain nombre de mentions nécessaires. En outre, ils doivent être motivés.

La décision proprement dite en constitue le dispositif. Enfin, l’expédition du jugement doit être revêtue de la formule exécutoire.

A) Les mentions obligatoires

Le code de procédure civile prescrit que le jugement doit comporter des indications relatives à sa régularité formelle ainsi que l’exposé des prétentions respectives des parties et leurs moyens.

Enfin le jugement doit être signé.

?Mentions relatives à la régularité formelle du jugement

L’article 454 du CPC prévoit que le jugement doit contenir l’indication :

  • Rendu au nom du peuple français
  • De la juridiction dont il émane ;
  • Du nom des juges qui en ont délibéré, ou du juge s’il y a eu juge unique ;
  • De sa date, qui est celle de son prononcé ;
  • Du nom du représentant du ministère public s’il a assisté aux débats ;
  • Du nom du secrétaire ;
  • De l’identité ainsi que du domicile ou du siège social des parties et, le cas échéant, du nom des avocats ou de toute personne ayant représenté ou assisté les parties.

?Énonciations relatives aux prétentions respectives des parties

L’article 455 du CPC prévoit que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens.

Cet exposé succinct exigé par l’article 455 du CPC, outre qu’il peut être utile pour le rédacteur de la décision dans la mesure où il lui rappelle les points sur lesquels il doit se prononcer, est nécessaire, d’une part pour permettre aux parties de vérifier que le Tribunal a bien statué sur l’objet de la demande après avoir examiné les moyens qui la fondent, d’autre part pour permettre à la Cour d’appel, le cas échéant, de s’assurer que le Tribunal de première instance :

  • D’une part, n’a pas modifié l’objet du litige ou n’est pas sortie de ses limites, ce qui entraînerait une réformation du jugement au visa de l’article 4 du CPC.
    • Modifier l’objet du litige, c’est altérer les prétentions des parties, par exemple en déformant leurs demandes, en retenant pour principal ce qui n’était que subsidiaire.
    • Toutefois les juges ne modifient pas l’objet du litige lorsque, après avertissement préalable donné aux parties pour respecter le principe de la contradiction, ils se bornent à donner leur exacte qualification aux faits et aux actes, ou bien lorsqu’ils ne font que changer le fondement juridique invoqué par les parties, ou encore lorsque les conclusions présentées étaient confuses, ambiguës ou inintelligibles, de telle sorte que le Tribunal s’est trouvé dans la nécessité de les interpréter (Cass. com., 17 déc. 1996, n° 94-17.901).
    • Les prétentions sont fixées dans les conclusions en demande ou en défense, peu important que les prétentions soient exprimées dans les motifs et non dans le dispositif des écritures (Cass. com., 11 déc. 1990, n°89-17.454 ; Cass. 3e Civ., 26 mai 1992).
  • D’autre part, a répondu aux moyens présentés par les parties, car, à défaut, le jugement encourt la censure, au visa de l’article 455 du CPC, pour absence de réponse à conclusions, qui constitue un défaut de motifs.
    • Il convient donc que le jugement apporte une réponse aux moyens
    • À cet égard, dans les procédures soumises à la représentation obligatoire, les moyens à prendre en considération sont seulement ceux qui sont exprimés dans les « dernières conclusions déposées ».
    • Il n’y a donc pas lieu de tenir compte, pour leur apporter une réponse, des moyens présentés dans les conclusions antérieures et non repris dans les dernières, étant observé que les parties ne peuvent pas procéder par voie de renvoi ou de référence à leurs précédentes écritures (Cass. 2e civ., 10 mai 2001, n° 99-19.898 ; Cass. 2e civ., 28 juin 2001, n° 00-10.124).
    • La Cour de cassation, si elle exige qu’il soit répondu aux moyens, n’oblige pas les juges du fond à suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
    • Telle est également la doctrine de la Cour européenne des droits de l’homme qui considère que « l’article 6.1 de la Convention oblige les tribunaux à motiver leur décision, mais il ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à “chaque argument » (CEDH, 19 avril 1994, X…c/ Pays-Bas, requête n° 16034/90).
    • Le moyen peut être décrit comme un raisonnement qui, partant d’un fait, d’un acte ou d’un texte, aboutit à une conclusion juridique propre à justifier une prétention (en demande ou en défense).
    • S’il n’est évidemment pas demandé aux juges de s’expliquer sur chacun des faits allégués, sur chacun des documents produits, ils doivent prendre en considération ceux de ces éléments qui, dans la mesure où ils sont constants et constatés, et ayant un caractère déterminant sur la solution du litige, sont de nature à fonder la déduction juridique envisagée.
    • La frontière entre le moyen et l’argument est cependant imprécise.
    • Si un doute existe sur le point de savoir si une allégation n’est qu’un simple argument, il convient de se prononcer sur elle.
    • Une attention particulière doit être apportée au rapport à justice.
      • Si une partie s’en rapporte à justice, elle élève une contestation.
      • La Cour considère en ce sens que « le fait, pour une partie, de s’en rapporter à justice sur le mérite d’une demande implique de sa part, non un acquiescement à cette demande, mais la contestation de celle-ci » (Cass. 2e Civ., 10 nov. 1999, n° 98-13.957 ; Cass. 1ère civ., 24 oct. 2000, n° 98-19.606).
      • Par suite, d’une part le Tribunal ne peut pas accueillir la prétention au motif qu’elle n’est pas contestée ; d’autre part la partie reste recevable à relever appel, bien qu’elle s’en fût rapportée à justice en première instance : elle élève à nouveau la contestation.
      • Mais, à l’appui d’un pourvoi en cassation, la partie ne sera pas recevable à contester la solution retenue, car s’étant rapportée, le moyen de cassation serait nouveau et irrecevable (Cass. 2e civ., 3 mai 2001, n° 98-23.347).

L’exposé succinct des prétentions respectives des parties et de leurs moyens peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date sans qu’il soit nécessaire d’annexer à la décision une copie de ces écritures.

?Omission ou inexactitude d’une mention

Le code de procédure civile précise les cas dans lesquels il y a lieu à nullité du fait de l’omission ou de l’inexactitude d’une des mentions.

Ainsi doivent être observées à peine de nullité les prescriptions concernant :

  • La mention du nom des juges ;
  • L’exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens ;
  • La signature par le président et par le secrétaire ainsi que, le cas échéant, la mention de l’empêchement (art. 458 CPC).

Toutefois, l’omission ou l’inexactitude d’une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s’il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d’audience, ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été en fait observées (art. 459 CPC).

B) La motivation du jugement

?Enjeux

Les enjeux de la motivation d’une décision sont cruciaux. Moralement la motivation est censée garantir de l’arbitraire, mais ses vertus sont aussi d’ordre rationnel, intellectuel, car motiver sa décision impose à celui qui la prend la rigueur d’un raisonnement, la pertinence de motifs dont il doit pouvoir rendre compte.

Le cas échéant, la motivation donnera l’appui nécessaire pour contester de façon rationnelle la décision. C’est rappeler ainsi que la motivation, en ce qu’elle livre à autrui les raisons qui expliquent la décision, constitue également une information.

Comme l’observe Michel Grimaldi, « ce peut être une simple information : la motivation vise à renseigner, mais n’appelle pas la discussion. […]. Ce peut être aussi une motivation en vue d’un contrôle. Souvent, le plus souvent même, l’obligation de motiver se prolonge par la soumission à un contrôle. Et l’on rejoint ici la première observation : le droit à la motivation, s’il existe, ce n’est pas seulement le droit de savoir, c’est aussi l’amorce du droit de contester ».

?Finalité

En matière civile, l’obligation de motivation des jugements répond à une triple finalité.

  • En premier lieu, elle oblige le juge au raisonnement juridique, c’est-à-dire à la confrontation du droit et des faits.
  • En deuxième lieu, elle constitue pour le justiciable la garantie que ses prétentions et ses moyens ont été sérieusement et équitablement examinés. En cela, elle est aussi un rempart contre l’arbitraire du juge ou sa partialité.
  • En dernier lieu, elle permet à la Cour de cassation d’exercer son contrôle et d’expliquer sa jurisprudence. En motivant sa décision, le juge s’explique, justifie sa décision, étymologiquement la met en mouvement en direction des parties et des juridictions supérieures pour la soumettre à leur critique et à leur contrôle. Il ne s’agit donc pas d’une exigence purement formelle mais d’une règle essentielle qui permet de vérifier que le juge a fait une correcte application de la loi dans le respect des principes directeurs du procès.

?Textes

En droit positif, l’exigence de motivation résulte de l’article 455 du CPC qui énonce, on ne peut plus simplement, que « le jugement doit être motivé ».

Bien qu’issue d’un texte de nature réglementaire , l’obligation de motivation a sans aucun doute une valeur supérieure puisque, aussi bien, le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme, en ont consacré le principe.

Ainsi le Conseil a-t-il reconnu à l’exigence de motivation des jugements la valeur d’un principe fondamental en considérant notamment, en matière d’expropriation, que cette exigence relevait du domaine de la loi (Cons. const., décision du 3 novembre 1977, no 77-101 L.)

La jurisprudence de la Cour de Strasbourg est plus fournie, puisque, alors que l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne fait pas expressément référence à la nécessité de motiver le jugement, la Cour a posé pour principe que l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions et que la motivation ne peut être totalement absente (CEDH, Higgins et autres c. France, 19 février 1998, requête no 20124/92), même si ce texte n’exige pas une réponse détaillée à chaque argument (CEDH, Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, requête no 16034/90) et si l’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce.

On signalera aussi que, pour la première chambre civile de la Cour de cassation, la reconnaissance d’une décision étrangère non motivée est contraire à la conception française de l’ordre public international de procédure, lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d’équivalent à la motivation défaillante (Cass. 1ère civ., 28 nov. 2006, n°04-19.031 ; Cass. 1ère civ., 22 oct. 2008, n° 06-15.577).

?Domaine

  • Principe
    • Le domaine de la motivation est général. L’obligation s’applique indistinctement et, sauf exceptions, à toutes les décisions de justice.
    • Doivent ainsi être motivés les jugements contentieux comme les décisions rendues en matière gracieuse, les jugements avant dire droit et les jugements statuant au fond, les jugements en premier ressort comme ceux rendus en dernier ressort.
    • Aucune distinction n’est opérée selon que le jugement est contradictoire ou réputé contradictoire ou qu’il a été prononcé par défaut. La comparution des parties est sans incidence sur l’exigence de motivation et la Cour de cassation censure régulièrement, au visa de l’article 472 du CPC, les jugements qui déduisent de l’absence du défendeur un acquiescement aux prétentions du demandeur, la solution valant aussi bien en première instance (Cass. 2e civ., 8 juillet 2010, n°09-16.074), qu’en cause d’appel (Cass. 2e civ., 30 avril 2003, n°01-12.289).
    • On entend par motifs d’un jugement ce qui détermine chacune des dispositions dont il se compose ou encore les raisons données par le juge à l’appui de sa décision.
    • Les motifs doivent être particuliers à chaque affaire et suffisamment précis et développés pour permettre leur contrôle, dans le cadre d’un éventuel recours.
  • Exceptions
    • Les exceptions prévues par les textes
      • Les exceptions légales à l’obligation de motivation sont peu nombreuses.
      • On cite souvent le jugement d’adoption (art. 353 C. civ.) ou certaines décisions rendues en matière de divorce, comme le jugement sans énonciation des torts et griefs à la demande des parties (art. 245-1 C. civ. et art. 1128 CPC).
      • On signalera aussi les dispositions de l’article 955 du CPC, selon lesquelles lorsqu’elle confirme un jugement, la cour d’appel est réputée avoir confirmé les motifs de ce jugement qui ne sont pas contraires aux siens.
      • Ce texte, qui renferme une présomption de motivation, permet à la Cour de cassation de s’emparer des motifs des premiers juges pour suppléer une motivation insuffisante ou défaillante d’un arrêt faisant l’objet d’un pourvoi (Cass. 2e civ., 1er juill. 2010, n°09-66.712 et 09-68.869).
      • Il ne doit néanmoins pas être compris comme instituant une dispense de motivation, c’est-à-dire de réexamen de l’affaire, qui est le propre de l’appel.
    • Les exceptions prévues par la jurisprudence

?Contenu de l’exigence de motivation

Motiver, c’est, pour le juge, fonder sa décision en fait et en droit. Cette obligation de motivation comporte deux aspects : quantitatif et qualitatif :

  • Sur le plan quantitatif
    • Il appartient au juge d’analyser, même de façon sommaire, les éléments de preuve produits.
    • Il ne peut statuer par des considérations générales (Cass. 1ère civ., 17 févr. 2004, n°02-10.755), ni se déterminer sur la seule allégation d’une partie ou sur des pièces qu’il n’analyse pas (Cass. soc., 1er févr. 1996, n°94-15.354), même si le juge n’est pas tenu de s’expliquer spécialement sur les éléments de preuve qu’il décide d’écarter (Cass. 1ère civ., 3 juin 1998, n°96-15.833 ; Cass. com., 9 févr. 2010, n°08-18.067).
    • La motivation doit porter sur chacun des chefs de demande et sur chacun des moyens invoqués au soutien des conclusions.
    • Le défaut de réponse à conclusions, qu’il importe de ne pas confondre avec l’omission de statuer, est sanctionné au titre d’une méconnaissance des exigences de l’article 455 du code de procédure civile.
    • Enfin, on sait que la motivation doit être intrinsèque et que la jurisprudence proscrit toute motivation par référence aux motifs d’une décision rendue dans une autre instance (Cass. 3e civ., 26 oct. 1983, n°81-14.861 ; Cass. 2e civ., 2 avril 1997, n 95-17.937), sauf naturellement lorsque cette motivation procède d’une adoption des motifs des premiers juges.
    • La Cour de cassation ne fait ici que mettre en œuvre le principe de la prohibition des arrêts de règlement.
  • Sur le plan qualitatif
    • La motivation implique pour le juge l’obligation d’expliquer clairement les raisons qui le conduisent à se déterminer.
    • Il importe donc que ses motifs soient rigoureux et pertinents.
    • La rigueur commande d’abord au juge de se prononcer par des motifs intelligibles, de se garder de formuler des hypothèses, d’émettre des doutes ou d’éviter de se contredire.
    • Les arrêts de cassation ne sont pas rares qui censurent l’énoncé de motifs contradictoires, dubitatifs, hypothétiques, voire incompréhensibles.
    • La motivation du jugement sera ensuite pertinente si elle est opérante, c’est-à-dire si elle est propre à justifier la réponse apportée par le juge aux moyens et prétentions des parties.
    • Cette exigence s’impose chaque fois que la Cour de cassation exerce un contrôle de la qualification des faits mais aussi, de façon plus inattendue, lorsque l’appréciation des éléments du litige est abandonnée aux juges du fond.
    • En effet, même dans les matières où la jurisprudence consacre l’existence d’un pouvoir souverain, la Cour de cassation s’assure que les motifs des juges sont de nature à justifier la décision prise, qu’ils sont propres à démontrer la solution retenue.

?Sanction de l’exigence de motivation

Selon l’alinéa 1er de l’article 458 du CPC, ce qui est prescrit à l’article 455, en particulier l’obligation de motiver le jugement, doit être observé à peine de nullité.

Né de la décision attaquée, le vice de motivation n’est jamais un grief nouveau devant la Cour de cassation.

Le défaut de motif ou l’insuffisance des motifs se différencient du défaut de base légale, qui sanctionne un vice de fond, à savoir une motivation qui ne met pas la Cour en mesure d’exercer son contrôle sur les conditions de fond d’application de la loi. Le vice de motivation est pour sa part un vice de forme du jugement.

C’est pourquoi le contrôle de la Cour de cassation présente en ce domaine un caractère essentiellement disciplinaire.

C) Le dispositif du jugement

1. Limitation du champ de l’autorité de la chose jugée au dispositif formel

Le dispositif est la partie du jugement qui énonce la décision du tribunal (art. 455 CPC). Elle est la partie la plus importante de la décision, en ce qu’elle contient la solution du litige à laquelle est attachée l’autorité de la chose jugée.

L’article 455, al. 3e du CPC prévoit en ce sens que le jugement « énonce la décision sous forme de dispositif. »

Le dispositif des jugements varie avec chaque litige ; il doit répondre à tous les chefs de demande, mais il ne doit pas aller au-delà de ce qui a été demandé (ultra petita).

En outre, il ne peut apporter de modification, ni à l’objet, ni à la cause de la demande : le juge est en effet lié par le cadre du procès tracé par les parties.

L’autorité de la chose jugée, même positive, est limitée aux seules énonciations du dispositif (Cass. 3e civ., 4 janv. 1991, n°89-14.624 ; Cass. 1ère civ. 8 juill. 1994, n°91-17.250, Cass. com. 6 févr. 2001, n°98-15.671).

C’est donc à cette composante du jugement qu’il convient de se reporter pour déterminer l’étendue de l’autorité de la chose jugée.

Reste que des maladresses dans la rédaction de la décision peuvent conduire le juge à placer dans les motifs des dispositions relatives à la solution du litige, et la question se pose alors de savoir si ces motifs peuvent avoir autorité de la chose jugée.

2. Exclusion du champ de l’autorité de la chose jugée des motifs décisoires et décisifs

Classiquement on distingue les motifs décisoires des motifs décisifs :

  • Les motifs décisoires
    • Il s’agit des motifs qui statuent sur l’un des chefs des prétentions litigieuses, mais, par suite d’une erreur rédactionnelle, la décision n’est pas reprise dans le dispositif.
    • Ce sont des éléments du dispositif qui se sont égarés dans les motifs.
    • Ils résultent d’une rédaction défectueuse du jugement dont un élément n’est pas à sa place.
  • Les motifs décisifs
    • Ils sont le soutien nécessaire du dispositif, ou de certains des chefs de décision que l’on retrouve dans ce dernier.
    • Un motif est dit décisif, lorsqu’il est un élément nécessaire du raisonnement qui a abouti à la décision.

En principe seules les questions litigieuses effectivement tranchées par le juge, qui ont donné lieu à un débat entre les parties et contenues dans le dispositif ont autorité de la chose jugée.

La conséquence de ce principe est favorable au plaideur victime de l’oubli. Le jugement qui contient une omission de statuer sur un chef de demande n’ayant logiquement aucune autorité de la chose jugée sur le chef omis, l’intéressé peut saisir une nouvelle fois le juge sur ce chef.

La lecture de la jurisprudence qui s’est développée au sujet des jugements mixtes ou avant dire droit notamment, révèle que seul le dispositif stricto sensu de la décision concernée est pris en considération pour déterminer si l’autorité de la chose jugée s’y attache (Cass. 3e civ., 1er oct. 2008, n°07-17.051).

Désormais, motifs décisoires et motifs décisifs sont dépourvus de l’autorité de la chose jugée, laquelle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui est tranché dans le dispositif.

Pour bien comprendre la position actuelle remémorons-nous l’évolution de la jurisprudence.

Trois périodes peuvent être distinguées : avant le nouveau code de procédure civile de 1975, entre le nouveau code de procédure civile et 1991, et depuis 1991.

?Avant le nouveau code de procédure civile de 1975 : la conception non formaliste

Pendant très longtemps, et en l’absence de dispositions contraires, le parti a été implicitement retenu de considérer que le jugement était un acte de volonté du juge et qu’indépendamment de la forme, il fallait rechercher, en scrutant l’ensemble des éléments de sa décision, ce qu’il avait voulu décider et ce sur quoi il s’était fondé.

Peu importait donc que les chefs de décision aient été insérés dans les motifs ou dans le dispositif.

Ainsi, la jurisprudence a longtemps reconnu l’autorité de chose jugée des motifs décisoires pour la raison qu’il convenait de s’en tenir à ce que le juge avait effectivement jugé, sans s’arrêter à l’apparence formelle du jugement (V. en ce sens Cass. com., 29 oct. 1964).

Au demeurant, les constats de fait qui avaient été réalisés dans un procès, de même que les qualifications qui avaient été données à ces faits, pouvaient être repris, dans un autre procès opposant les mêmes parties et considérés comme couverts par l’autorité de la chose jugée, dès lors du moins que ces éléments, puisés dans les motifs de la précédente décision, constituaient le soutien nécessaire de celle-ci.

Les décisions anciennes qui reconnaissaient aux motifs décisifs l’autorité de chose jugée sont innombrables (Cass. 2e civ., 17 nov. 1971 ; Cass. 3e civ., 28 oct. 1974).

Ainsi, le dispositif est doté de l’autorité de la chose jugée, parce que c’est lui qui contient les décisions du juge ; mais l’autorité s’étend à la motivation dans la mesure où celle-ci contient les éléments nécessaires à ces décisions ; les motifs ont également autorité de chose jugée si, en raison éventuellement d’un vice de rédaction du jugement, des décisions du juge y figurent.

En outre, la jurisprudence étendait l’autorité de chose jugée à des points non expressément jugés, en considérant qu’ils avaient été implicitement ou virtuellement jugés (Cass. soc., 24 mars 1971).

Le critère substantiel, qui s’attache à la volonté du juge, avait pour mérite de « tenir exactement compte de la réalité » et de ne pas faire dépendre l’autorité de la décision de sa forme.

Les maladresses rédactionnelles du juge étaient ainsi sans incidence. L’inconvénient était cependant, selon Jacques Normand, qu’« on ne pouvait toujours savoir au premier examen ce qui avait été effectivement décidé, déterminer sans hésitation la nature (avant dire droit ou mixte) de la décision rendue. Il fallait se livrer à une recherche délicate, aléatoire. Cette imprécision était source de contestations, de retards, elle était génératrice de manœuvres dilatoires ».

?Entre le nouveau code de procédure civile et 1991

Le nouveau code de procédure civile a substitué à ces solutions une conception beaucoup plus formaliste : les décisions prises par le juge n’ont l’autorité de chose jugée que si elles figurent dans le dispositif (V. art. 455, 480, 482, 544 et 606 CPC).

Ainsi, seul le dispositif du jugement devait renseigner sur ce qui avait été jugé. Seules ses énonciations avaient autorité de la chose jugée (art. 480 CPC). Seules elles permettaient de savoir si la décision contenant un avant dire droit était susceptible d’appel ou de pourvoi immédiat (art. 544 et 606 CPC).

Ce nouveau système « imposait au juge une très grande discipline dans la formulation de sa décision ».

C’est la raison pour laquelle comme le relevait Jean-Pierre Dintilhac, « Malgré la clarté de cette rédaction, la jurisprudence, confrontée à l’épreuve des situations concrètes souvent difficiles à enfermer dans une formulation juridique forcément abstraite et réductrice, a opéré une distinction entre les motifs décisoires et les motifs décisifs ».

En effet, la jurisprudence a eu quelque mal à se soumettre à ce formalisme. Longtemps, les textes du nouveau code de procédure civile n’ont guère été respectés en la matière. S’ensuivit alors « une longue période d’incertitude, marquée par les jurisprudences divergentes des différentes chambres de la Cour de cassation (…) un premier courant dont participaient la deuxième chambre civile et la chambre commerciale, appliquait strictement l’article 480 et déniait toute autorité aux motifs soutien nécessaire »[1]. Un courant contraire réunissait la première et la troisième chambre civile lesquelles continuaient à reconnaître l’autorité des motifs décisifs (Cass. 3e civ., 27 avr. 1982).

La jurisprudence semble s’être ralliée pour ce qui concerne les motifs décisoires, avec moins de résistance que pour les motifs décisifs, à la solution imposée par les dispositions du nouveau code de procédure civile.

Elle dénie l’autorité de chose jugée aux décisions qui ne figurent pas dans le dispositif, mais seulement dans les motifs (V. Cass. 2e civ. 16 nov. 1983).

?Depuis 1991 : la consécration du critère formel

À partir de 1991, la jurisprudence de toutes les chambres de la Cour de cassation s’en tient strictement au seul critère formel de la distinction entre motifs et dispositif pour refuser toute autorité de la chose jugée aux premiers. Comme le souligne Jacques Normand « une harmonisation des jurisprudences s’est réalisée, les première et troisième chambres ayant rejoint la deuxième chambre et la chambre commerciale dans une application stricte de l’article 480 ».

À l’origine de la jurisprudence nouvelle, se situerait selon Jacques Ghestin, un article publié par Jacques Normand en 1988 en faveur du refus de l’autorité de la chose jugée des motifs.

Après avoir montré les conflits de jurisprudence opposant, deux par deux, la 2e chambre civile et la chambre commerciale refusant toute autorité aux motifs, d’une part, aux première et troisième chambre civile de la Cour de cassation qui admettaient l’autorité des motifs, d’autre part, J. Normand « à la recherche d’une issue » écrivait : « Deux chambres contre deux, et aucune n’ayant voix prépondérante…On ne saurait admettre longtemps une telle confusion. Elle discrédite l’institution judiciaire. Elle fonde chez le justiciable le sentiment d’être le jouet du hasard ».

La jurisprudence actuelle, par une interprétation plus littérale de l’article 480 du code de procédure civile, a donc abandonné les solutions qui avaient pu être dégagées antérieurement, à partir des années 1970/80.

Tout ce qui ne figure pas dans le dispositif n’a pas autorité de la chose jugée, même s’il s’agit de motifs « inséparables du dispositif » (Cass. 2e civ., 5 avril 1991).

Cette dernière position a le mérite de lever toute incertitude quant à l’étendue de l’autorité de la chose jugée, et devrait être préférée pour cette raison.

Dès lors, les arrêts rendus à partir de 1991 doivent être interprétés comme s’opposant à la reconnaissance d’une autorité positive de chose jugée, même s’il y a parfois, selon Jacques Normand, quelques « accrocs dans l’unanimité qu’on croyait restaurée ».

Désormais, les motifs, dits décisoires, qui se prononcent sur une question litigieuse sont, dans le silence du dispositif, clairement dépourvus de l’autorité de la chose jugée (Cass. 1ère civ., 7 oct. 1998, n°97-10.548 ; Cass. 2e civ., 8 juin 2000, n°98-19.038) et il en est de même des motifs décisifs définis classiquement comme constituant le soutien nécessaire du dispositif (Cass. 2e civ., 10 juill. 2003 ; Cass. 1ère civ., 13 déc. 2005 ; Cass. 2e civ., 6 avr. 2006, n° 04-17.503).

Dans sa jurisprudence la plus récente, la Cour de cassation, au sujet de motifs décisoires, rappelle que seul le dispositif est doté de l’autorité de la chose jugée, mais en prenant le soin de préciser qu’il en est ainsi même lorsque la motivation constitue le soutien nécessaire du dispositif, formule qui marque, par la même occasion, l’abandon de la thèse des motifs décisifs (Cass. 2e civ., 10 juillet 2003 ; Cass. 2e civ., 22 janv. 2004).

Néanmoins, Jacques Normand soulignait en 2004 que « des disparités subsistent entre les chambres de la Cour de cassation, des réticences se manifestent chez les juges du fond (ce dont témoigne en particulier le nombre des arrêts de cassation). Tout ceci est pour le moins le signe d’un malaise ».

3. Exclusion du champ de l’autorité de la chose jugée du dispositif virtuel ou implicite

Pour interdire à la partie adverse de remettre en cause une question qui a été invoquée incidemment au cours d’une instance précédente, et pour s’assurer ainsi une position inattaquable, l’un des plaideurs peut chercher à étendre l’autorité de la chose jugée en s’efforçant d’établir que le tribunal a implicitement tranché cette question incidente.

Se pose alors la question de savoir dans quelle mesure il est permis d’étendre la chose jugée aux décisions implicites.

La problématique des décisions implicites doit être distinguée de celle des motifs décisoires ou décisifs.

En effet, il s’agit, non d’accorder une quelconque autorité aux motifs de la décision, mais de rechercher dans le dispositif ce qui est virtuellement compris, afin d’étendre l’autorité de la chose jugée à toutes les questions nécessairement engagées dans le litige. Tantôt il s’agit d’un préalable nécessaire de la décision.

Dans d’autres cas, la chose non exprimée est implicitement jugée parce qu’elle est une suite inéluctable de ce qui a été jugé.

Aux termes de la jurisprudence, seul ce qui est expressément jugé dans le dispositif a autorité de la chose jugée.

Il avait parfois été admis que l’autorité de la chose jugée devait être attachée, non seulement aux points litigieux qui ont été expressément résolus dans le dispositif, mais aussi qu’elle devait être reconnue aux questions implicitement résolues dans le dispositif, que le juge a dû obligatoirement trancher pour prendre sa décision, parce qu’elles constituent les antécédents nécessaires de cette décision.

Si ces questions implicitement résolues venaient à être démenties, le jugement serait privé de tout fondement logique : il faut donc éviter une remise en question de ces éléments, et leur conférer l’autorité de la chose jugée.

Cette solution, au demeurant peu rigoureuse et difficilement compatible avec le dispositif de rectification des omissions de statuer, présentait l’inconvénient majeur de heurter bien souvent le principe de la contradiction, considéré comme un des principes directeurs du procès civil, lorsque l’implicitement jugé n’a pas été débattu entre les parties.

En effet, comme l’a rappelé Jean-Pierre Dintilhac « la chose jugée ne peut traduire la vérité qu’autant que les parties en litige, sous le contrôle actif du juge, se sont attachées, tout au long du procès, à respecter avec loyauté le principe de la contradiction qui constitue l’élément fondamental du procès équitable ».

Pour l’ensemble de ces considérations, la thèse du dispositif virtuel ou implicite est désormais condamnée par la jurisprudence dominante (Cass. 1ère civ., 16 juill. 1997 ; Cass. 2e civ., 19 févr. 2004, n° 03-10.167).

Cette jurisprudence a été entérinée par un arrêt de la chambre mixte rendu en date du 13 mars 2009 (Cass. ch. mixte, 13 mars 2009, n° 07-17.670).

Une conclusion s’impose donc, seul le dispositif exprès est doté de l’autorité de la chose jugée.

Cette affirmation a pour corollaire un devoir pour le juge, lequel doit veiller à soigner la rédaction du dispositif de sa décision pour y inclure l’ensemble des questions tranchées.

4. Exclusion du champ de l’autorité de la chose jugée du dispositif réservé

Le dispositif qui comporte des réserves, même implicites, n’a pas, sur le point concerné, autorité de la chose jugée (Cass 3e civ., 9 octobre 1974).

Toutefois, l’expression « déboute en l’état », parfois utilisée pour permettre un réexamen de l’affaire en cas d’évolution de la situation ou après constitution d’un nouveau dossier plus étayé, est sans portée.

La décision ainsi rendue sur le fond dessaisit le juge et acquiert l’autorité de la chose jugée (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 16 mai 2006, n° 02-14.488). La formule est donc à proscrire.

À cet égard, selon Jean-Pierre Dintilhac « ce refus d’admettre une nouvelle action en cas de découverte de nouveaux éléments de preuve, au nom de la sécurité juridique, de la paix sociale et pour prévenir la saturation de l’institution judiciaire déjà passablement encombrée, illustre combien cette “vérité de la chose jugée” est une vérité bien particulière qui tient non à une certitude quant au caractère véridique des éléments sur lesquels repose la décision, mais à la volonté de mettre un terme à la contestation et au refus d’ouvrir à nouveau des débats à partir d’éléments qui existeraient lors de l’examen qui précédait la décision, alors même que l’une des parties n’en aurait pas eu connaissance »

D) La signature du jugement

L’article 456 du CPC prévoit que le jugement doit être « signé par le président et par le greffier ». À défaut, le jugement encourt la nullité.

  • S’agissant du Président
    • Selon une jurisprudence constante, seul le Président ayant assisté aux débats est habilité à signer le jugement (V. en ce sens Cass. 2e civ., 9 juill. 1997).
    • À défaut, le jugement encourt la nullité
    • Dans un arrêt du 18 juin 2003, la troisième chambre civile a précisé que « s’il résulte des mentions de l’arrêt que le magistrat qui l’a régulièrement prononcé était conseiller lors des débats et du délibéré, il est présumé, à défaut de preuve contraire et de mention d’un empêchement, que la signature qui y figure sous la mention de président est celle du magistrat ayant présidé l’audience et participé au délibéré en cette qualité » (Cass. 3e civ. 18 juin 2003, n°01-12.886).
    • L’article 456 du CPC précise encore « en cas d’empêchement du président, mention en est faite sur la minute qui est signée par l’un des juges qui en ont délibéré »
    • Seul un juge qui donc a participé au délibéré peut signer le jugement.
  • S’agissant du Greffier
    • Dans un arrêt du 6 octobre 2009, la Cour de cassation a jugé « qu’est seul qualifié pour signer le jugement le greffier qui a assisté à son prononcé » (Cass. com., 6 oct. 2009, n°08-12.478).
    • Afin de limiter les actions en nullité, la deuxième chambre civile a précisé, dans un arrêt du 10 juin 2004 « qu’il y a présomption que le greffier qui a signé la décision est celui qui a assisté à son prononcé » (Cass. 2e civ. 10 juin 2004, n°03-13.172).

III) La force probante du jugement

?Principe

L’article 457 du CPC prévoit que « le jugement a la force probante d’un acte authentique ». Le caractère authentique dont est pourvu le jugement tient à la qualité d’officier public du juge signataire.

Une telle authenticité oblige à tenir pour vrai, sauf inscription de faux, ce que le jugement énonce comme ayant été personnellement constaté par ses deux signataires, président et greffier.

Et ce que constate le greffier signataire n’est autre que le prononcé de la décision et son contenu. Au nombre des conditions d’établissement de tout acte authentique figure d’évidence l’intervention, par sa signature, d’un agent public légalement compétent et habilité, tel pour un jugement, outre le président, le greffier assistant au prononcé.

L’absence ou l’insuffisance d’une telle intervention (ici elle doit être double) est incompatible avec l’authenticité. C’est donc la double signature qui donne au jugement la force probante d’un acte authentique.

?Tempéraments

Bien que le jugement possède la force probante d’un acte authentique, trois tempéraments sont apportés à cette règle :

  • Premier tempérament
    • La force probante du jugement n’est attachée qu’aux seuls éléments que le juge a pu vérifier, soit qu’ils se sont produits en sa présence, soit parce qu’il en est à l’origine
    • Les mentions relatives à la notification de la décision au ministère public ne bénéficient donc pas de la force probante du jugement
  • Deuxième tempérament
    • L’article 459 du CPC prévoit que « l’omission ou l’inexactitude d’une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s’il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d’audience ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été, en fait, observées. »
    • Certaines irrégularités peuvent ainsi être réparées lorsqu’il est établi, notamment au moyen du registre légale, que les prescriptions légales ont été respectées.
  • Troisième tempérament
    • L’article 462 du CPC dispose que « les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande. »
    • Les parties disposent ainsi toujours d’une action en rectification d’erreur matérielle.
    • Le juge est saisi par simple requête de l’une des parties, ou par requête commune ; il peut aussi se saisir d’office.
    • La décision rectificative est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. Elle est notifiée comme le jugement.
  1. J. Normand, La chose jugée -L’étendue de la chose jugée au regard des motifs et du dispositif, Rencontres Université- Cour de cassation, 23 janvier 2004. ?

Procédure écrite devant le Tribunal judiciaire: le délibéré du jugement

I) L’identité des juges qui ont assisté aux débats et qui participent au délibéré

?Principe

L’article 447 du CPC dispose que « il appartient aux juges devant lesquels l’affaire a été débattue d’en délibérer. »

Ainsi, ce sont les mêmes juges qui ont assisté à la tenue des débats qui doivent statuer sur le litige qui leur est soumis.

Dans un arrêt du 12 octobre 2006, la Cour de cassation a précisé que « les magistrats mentionnés dans le jugement comme ayant délibéré sont présumés être ceux-là même qui ont assisté aux débats » (Cass. 2e civ. 12 oct. 2006, n°04-18.727).

Par ailleurs, l’article 806 du CPC prévoit que « lorsqu’il a été fait application des dispositions du troisième alinéa de l’article 799, le président de la chambre, à l’expiration du délai prévu pour la remise des dossiers, informe les parties du nom des juges de la chambre qui seront amenés à délibérer et de la date à laquelle le jugement sera rendu. »

Cette obligation de communication du nom des juges participant au délibéré a été posée afin de permettre aux parties d’exercer leur droit de récusation.

En tout état de cause l’exigence d’identité des juges qui ont assisté aux débats et qui participent au délibéré est sanctionnée par la nullité du jugement.

?Exception

L’article 805 du CPC prévoit que « le juge de la mise en état ou le magistrat chargé du rapport peut, si les avocats ne s’y opposent pas, tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries. Il en rend compte au tribunal dans son délibéré. »

Ainsi, l’audience des plaidoiries peut se tenir devant un juge unique, à la condition que les avocats ne s’y opposent pas.

Si donc l’audience peut être assurée par un juge unique, le délibéré doit être conduit par la formation ordinaire de la juridiction. Il appartiendra alors au magistrat qui a dirigé les débats d’en rendre compte au Tribunal.

Il s’agit là, de toute évidence, d’une exception au principe posé par l’article 447 du CPC qui exige que seuls les juges qui ont assisté aux débats puissent participer au délibéré.

II) L’impartialité des juges participant au délibéré

Fondement de tout système judiciaire, l’exigence d’impartialité du juge est de l’essence même de la justice et constitue le fondement de sa légitimité dans un état démocratique.

À cette conception éthique de l’impartialité du juge, qui fait appel à sa conscience et à sa vertu, le droit ajoute une impartialité plus positive susceptible d’une appréhension et d’une sanction procédurale.

C’est ainsi, alors que se multipliaient, au soutien des pourvois, les moyens fondés sur la violation du droit à être jugé par un tribunal indépendant et impartial, conformément aux dispositions de l’article 6-1 de la Convention européenne, que le juge de cassation, et plus particulièrement dans un premier temps la chambre criminelle, a énoncé que cette règle interdisait à un magistrat d’examiner une nouvelle fois ce qu’il avait déjà tranché.

Tout en affirmant le principe la chambre criminelle en a également fixé les limites en jugeant, par un arrêt du 20 décembre 1984, que l’arrêt d’une chambre correctionnelle n’était pas atteint de nullité pour la seule raison que l’un de ses membres avait antérieurement connu d’une procédure pénale distincte mais intéressant le même prévenu.

C’est la 3ème chambre civile qui a été conduite à faire application de cette doctrine à la matière civile en énonçant, par un arrêt du 11 juin 1987, que le magistrat qui a connu une première fois d’une affaire ne peut ensuite siéger dans la formation statuant sur le recours formé contre la décision à laquelle il a été associé.

La 2ème chambre civile, le 16 mars 1988, a jugé qu’il n’existait d’incompatibilité qu’autant que la cause débattue en appel était la même que celle ayant donné lieu à la première décision.

En l’espèce il s’agissait d’un conseiller de cour d’appel siégeant au sein d’une formation saisie d’un contentieux civil et qui, précédemment juge d’instruction, avait rendu une ordonnance de non-lieu sur la plainte de l’une des parties qui s’était alors constituée partie civile pour des faits distincts de ceux faisant l’objet du contentieux civil.

La chambre criminelle a jugé, dans le même esprit, le 26 avril 1990, qu’un magistrat du parquet ayant eu la charge de l’accusation à l’audience où la cause avait été débattue ne pouvait participer ensuite, en tant que conseiller, au jugement de la même affaire et la 1ère chambre civile, le 16 juillet 1991, qu’avait violé l’article 6-1 de la Convention la cour d’appel qui, statuant sur le recours formé contre une décision de l’assemblée générale qui avait prononcé la sanction disciplinaire de radiation de la liste des experts pour faute professionnelle grave, comprenait dans sa composition un magistrat qui avait déjà porté une appréciation sur les faits reprochés à l’occasion de cette procédure disciplinaire.

En revanche un même magistrat peut parfaitement siéger dans une juridiction pénale appelée à juger une personne qu’il a déjà condamnée pour d’autres faits (Cass. crim, 13 juin 1991).

Ne viole pas non plus le principe d’impartialité le fait qu’un magistrat siège à la cour d’assises qui juge une personne dont elle a prononcé le divorce dès lors que les faits reprochés à l’accusé sont différents de ceux qui ont motivé le renvoi devant la cour d’assises (Cass. crim. 24 nov. 1993).

À l’inverse, le magistrat qui a prononcé un divorce en se fondant sur des faits pour lesquels des poursuites pénales sont ensuite engagées ne peut participer à la formation criminelle (Cass. crim. 30 nov 1994)

En matière civile la deuxième chambre civile a jugé, le 3 novembre 1993, qu’un magistrat ayant composé le tribunal de grande instance ne pouvait, ensuite, siéger en appel et la première chambre civile a dit que ne violait pas le principe d’impartialité le fait, pour une juridiction statuant en matière disciplinaire, d’être composée de magistrats qui, pour des faits différents, avaient antérieurement prononcé des peines disciplinaires contre la même personne (Cass. 1ère civ. 7 mars 1995).

Confirmant encore cette doctrine, deux chambres civiles ont également considéré que la participation de mêmes magistrats à des formations ayant jugé l’une du divorce et l’autre de la liquidation de la communauté ayant existé entre les époux divorcés ne portait pas atteinte à l’exigence d’impartialité (Cass. 2e civ. 12 janv. 1994 ; Cass.1ère civ., 19 nov. 1996).

Ainsi, dans la cohérence des arrêts civils de 1987 et 1988, ci-dessus évoqués, s’affirme clairement, à travers les arrêts de la Cour, la règle qui interdit, au nom du respect de l’impartialité, qu’un juge puisse examiner ce qu’il a déjà tranché, que ce soit en tant que juge unique ou au sein d’une collégialité et au pénal comme au civil.

Outre la garantie pour le justiciable, cette règle offre aussi l’avantage d’éviter au juge d’avoir à se désavouer et, ainsi, de perdre sa crédibilité.

De l’analyse de cette jurisprudence il se déduit donc que la doctrine de la Cour de cassation est désormais bien établie. Déjà le rapport annuel de la Cour de cassation, pour l’année 1993, dans sa partie relative à l’analyse de la jurisprudence (page 348), relève qu’un magistrat qui, en première instance, a connu sur le plan civil, et à quelque stade que ce soit, d’une affaire qui a abouti à une décision frappée d’appel, ne peut pas faire partie, ensuite, de la composition de la formation de la juridiction d’appel.

Depuis, la Cour de cassation a eu l’occasion de faire application à de nombreuses reprises de cette doctrine et l’a affinée, notamment à propos du juge des référés, par deux décisions d’assemblée plénière du 6 novembre 1998.

III) Le vote des juges

L’article 449 du CPC prévoit que « la décision est rendue à la majorité des voix », étant précisé que l’article L. 121-2 du COJ prévoit que les juges qui participent au délibéré doivent être en nombre impair.

Par exception, devant le Conseil de prud’homme un partage de voix est possible en raison de la parité de sa composition.

Aussi, l’article L. 1454-2 du Code du travail prévoit que, en cas de partage, l’affaire est renvoyée devant le même bureau de jugement ou la même formation de référé, présidé par un juge du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est situé le siège du conseil de prud’hommes.

IV) Le secret du délibéré

?Origines

Le principe du secret du délibéré est une règle traditionnelle en droit français. Ce principe est apparu dès le Moyen-Âge en réaction à l’usage selon lequel le juge opinait en public et devait défendre ensuite l’arrêt auquel il avait participé les armes à la main face à la partie appelante.

Il fut énoncé formellement dès le XIVème siècle dans une ordonnance prise par Philippe V le Long et ensuite rappelé dans de nombreuses ordonnances royales.

Si la loi des 16 et 28 septembre 1791 relative à la « police de sûreté, la justice criminelle et l’établissement du jury » a suspendu l’application de ce principe en imposant aux juges d’« opiner à haute voix à l’audience, en public », celui-ci a été rétabli lors du vote de la Constitution du cinq fructidor an III et n’a plus été remis en cause depuis.

?Jurisprudence

La jurisprudence constante des deux cours suprêmes lui reconnaît une portée générale. Depuis un arrêt du 9 juin 1843, la Cour de cassation a jugé que ce secret est un « principe général du droit public français », ce qu’elle rappelle par exemple dans un arrêt du 15 février 1995 (Cass. 3e civ., 15 févr. 1995) et le Conseil d’État, depuis une décision du 17 novembre 1922, qu’il s’agit d’un principe général du droit s’imposant à toutes les juridictions (CE, 17 nov. 1922, Legillon).

?Textes

Par ailleurs, des dispositions législatives et réglementaires prévoient aujourd’hui son application devant les juridictions.

Ainsi, aux termes de l’article 448 du CPC « les délibérations des juges sont secrètes » et aux termes de l’article L. 8 du code de justice administrative « le délibéré des juges est secret ».

En matière pénale, l’article 304 du CPP impose aux jurés de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de leurs fonctions.

Parallèlement à ces dispositions, en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1270 du 27 décembre 1958, les magistrats de l’ordre judiciaire prêtent également serment de « garder religieusement le secret des délibérations ».

Il en est de même des juges consulaires et des conseillers prud’homaux en application des articles L. 722-7 du Code de commerce et D. 1442-13 du Code du travail.

Enfin, sur un plan répressif, outre les dispositions pénales réprimant la violation du secret professionnel, l’article 39 de la loi du 29 juillet 1881 sanctionne d’une amende de 18 000 euros le fait de « rendre compte des délibérations intérieures, soit des jurys, soit des cours et tribunaux ».

?Portée

Si le principe du secret du délibéré a ainsi été continuellement rappelé, c’est qu’il doit permettre de garantir l’indépendance et l’impartialité des juges.

Couplé avec le principe de collégialité, il garantit ainsi l’impossibilité de connaître le sens du vote d’un juge et le met à l’abri d’éventuelles pressions avant le jugement et de possibles représailles après celui-ci. Le jugement est l’œuvre du tribunal tout entier.

Ce lien entre le secret du délibéré et le principe d’indépendance est largement admis par la doctrine.

Le secret du délibéré est aussi considéré comme assurant l’autorité des décisions des juges, dans la mesure où les éventuelles dissensions internes à la juridiction demeurent ainsi secrètes.

Qu’elle soit rendue à l’unanimité ou à une simple majorité, toute décision est ainsi revêtue du même poids et de la même crédibilité.

?Conséquences

Le principe du secret du délibéré emporte deux conséquences :

  • Première conséquence
    • Il fait obstacle à ce que soient connus les modalités d’adoption de la décision et le sens du vote des juges.
    • La Cour de cassation casse systématiquement pour violation de l’article 448 du CPC les décisions qui ne respectent pas le secret des délibérations.
    • Par ailleurs, elle a pu juger qu’une décision judiciaire ne doit pas indiquer si elle a été prise à l’unanimité (Cass. soc. 9 nov. 1945), que seuls les juges peuvent participer au délibéré et que les personnes y assistant doivent y avoir été autorisées par la loi.
    • Le Conseil d’État juge également qu’un jugement ne peut mentionner s’il a été adopté à la majorité des voix, sauf si un texte le prévoit (CE 26 mars 2003, Worou), et que la révélation du sens et des motifs d’un jugement avant sa lecture entraîne son irrégularité (CE, 30 déc. 1996, Élect. mun. Chantilly).
  • Seconde conséquence
    • Le secret du délibéré a également des conséquences sur les devoirs et obligations des magistrats.
    • En application de ce même principe, un magistrat a le devoir de refuser de témoigner sur ce qui peut toucher au secret des délibérations auxquelles il a participé (Cass. Crim, 25 janv. 1968).
    • En revanche, tant la Cour de cassation que le Conseil d’État jugent que ce secret s’oppose à ce qu’il puisse être reproché à un magistrat sa participation à une décision juridictionnelle (CE, 11 juin 1948, Poulhies ; Cass. crim., 19 nov. 1981).

?Les documents couverts par le secret

En ce qui concerne les documents couverts par le secret du délibéré, il faut tout d’abord relever que le Conseil constitutionnel lui-même a eu à se prononcer sur cette question.

Instruisant sur des faits de manœuvres frauduleuses de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin dans le cadre des élections municipales de 1995 et des élections législatives de 1997 dans la 2ème circonscription de Paris, un juge d’instruction avait saisi le Conseil constitutionnel le 20 octobre 1998 d’une demande de communication portant, d’une part, sur le rapport présenté devant la section d’instruction par le rapporteur adjoint dans le cadre de l’examen d’une requête électorale, d’autre part, sur les pièces et mémoires figurant dans les requêtes.

Par une décision n° 97-2113 AN du 10 novembre 1998, le Conseil constitutionnel a jugé : « considérant qu’il résulte du caractère contradictoire de la procédure suivie devant le juge électoral que l’ensemble des mémoires déposés par les parties et les pièces versées au dossier dans le cadre de la contestation de l’élection d’un député sont communiqués aux parties ; que par suite rien ne fait obstacle à ce qu’ils soient également communiqués au juge chargé d’une instruction pénale pour les besoins de son information ; qu’en revanche le rapport présenté devant la section d’instruction du Conseil constitutionnel est couvert par le secret qui s’attache aux délibérations du Conseil constitutionnel ; qu’il ne peut être regardé comme une pièce détachable de ces délibérations ; qu’il ne peut par suite en être donné communication » (Décision n° 97-2113 AN du 10 novembre 1998)

Afin de renforcer la portée de cette décision, le Conseil a indiqué ensuite « qu’en application de l’article 62 de la Constitution la présente décision rendue par le Conseil constitutionnel s’impose aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

La Cour européenne des droits de l’homme a indirectement abordé la question des documents couverts par le secret du délibéré, indiquant dans les décisions Marc Antoine c/ France (CEDH 4 juin 2013, req 54984/09), Reinhardt et Slimane-Kaïd c/ France (CEDH31 mars 1998, req 22921/93 et 39594/98) et Menet c/ France (CEDH, 14 juin 2005, req 39552/02) que le projet de décision du rapporteur au Conseil d’État et la seconde partie du rapport du rapporteur à la Cour de cassation sont couverts par le secret, pour le premier, par le secret du délibéré, pour le second.

V) Les notes en délibéré

?Principe

L’article 445 du CPC prévoit que « après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l’appui de leurs observations »

Ainsi, cette disposition prohibe-t-elle, par principe, la production d’une note à l’attention des juges qui se retirent pour délibérer.

Cette interdiction des notes en délibéré vise à garantir le respect du principe du contradictoire qui, si de telles notes étaient admises, risquerait d’être mis à mal, car privant la possibilité pour la partie adverse d’y répondre, voire d’en prendre connaissance.

Aussi, afin d’éviter qu’une partie ne cherche à influer, de manière déloyale, sur la solution du litige, alors même que les débats sont clos, le législateur a interdit la production des notes en délibéré

Dans un arrêt du 15 octobre 1996, la Cour de cassation a précisé que quels que soient les moyens contenus dans une note en délibéré après clôture des débats, par application des dispositions de l’article 445 du CPC, non contraires à celles de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, dès lors qu’elle n’est pas déposée en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public ou à la demande du président, ladite note doit être écartée (Cass. com. 15 oct. 1996, n°93-13.844).

?Exceptions

Deux exceptions au principe d’interdiction des notes en délibéré sont posées par l’article 445 du CPC :

  • Première exception : répondre aux conclusions du ministère public
    • Lorsque le ministère public est partie jointe au procès, il est de principe qu’il prenne la parole en dernier.
    • La jurisprudence considère que cette règle est d’ordre public, de sorte que les parties ne peuvent pas s’exprimer après lui, sauf à envisager une réouverture des débats.
    • Aussi, afin de permettre aux parties de répondre aux conclusions du ministère public et dans la perspective de ne pas méconnaître le principe du contradictoire, ces dernières sont autorisées à produire au Tribunal une note en délibéré.
    • Cette note ne saurait néanmoins comporter de nouvelles prétentions : elle doit avoir pour seul objet d’apporter la contradiction au ministère public.
  • Seconde exception : invitation par le Président des parties à fournir des explications
    • L’article 445 du CPC admet encore les notes en délibéré lorsqu’elles sont produites « à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444. »
    • Il ressort de cette disposition que dans trois cas, les parties sont ainsi recevables à adresser au Tribunal une note en délibéré
      • Premier cas
        • Il s’agira, en application de l’article 442 du CPC, de fournir au Président de la juridiction « les explications de droit ou de fait qu’ils estiment nécessaires ou à préciser ce qui paraît obscur. »
        • Dans cette hypothèse la note en délibéré visera à éclairer le juge sur des points du litige qui doivent être précisés ou expliqués, le cas échéant au moyen de pièces.
      • Deuxième cas
        • Il s’agira pour une partie de provoquer une réouverture des débats sur le fondement de l’article 444 du CPC qui confère ce pouvoir au Président du tribunal.
        • Cette disposition prévoit, en effet, que « le président peut ordonner la réouverture des débats. Il doit le faire chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés. »
        • La note en délibéré vise donc à obtenir du Président qu’il procède à la réouverture des débats
      • Troisième cas
        • Dans certains cas, le Tribunal décidera de soulever d’office un moyen de droit.
        • Or en application de l’article 16 du CPC, il doit nécessairement inviter les parties à présenter leurs observations sur le moyen ainsi soulevé (V. en ce sens Cass. ch. mixte, 10 juill. 1981, n°78-10.425).
        • Pour ce faire, il pourra solliciter la production d’une note en délibéré
        • Dans l’hypothèse où la contradiction aura pu s’instaurer, le Tribunal pour statuer sans qu’il y ait lieu de procéder à la réouverture des débats

?Sanction

Lorsqu’une décision a été rendue par le Tribunal alors qu’une note en délibéré irrecevable a été produite, cette dernière encourt la nullité, quand bien même la note a régulièrement été communiquée à la partie adverse.

La procédure à jour fixe

En certaines circonstances, il y a urgence pour les parties d’obtenir une décision au fond afin de faire trancher un litige qui relève de la compétence du Tribunal judiciaire.

Si la procédure de référé permet à répondre au besoin d’urgence, elle ne permet pas d’obtenir une décision assortie de l’autorité de la chose jugée au principal.

C’est la raison pour laquelle une procédure – jour fixe – a été envisagée par le législateur afin de pallier cette carence.

La justice civile doit, en effet, démontrer son aptitude à trancher dans les délais les plus brefs des litiges dont le traitement relève à la fois du juge des référés et du juge du fond.

À titre d’exemple, la contrefaçon de modèles alléguée avant l’ouverture d’un salon professionnel nécessite à la fois des mesures d’investigation ou conservatoires (référé) et une décision sur le fond du litige (interprétation de contrats, appréciation des droits des parties).

S’il paraît excessif de marier systématiquement justice provisoire et justice définitive, il semble judicieux de permettre, de manière souple, au magistrat, une fois les mesures de référé prises, de « prendre la toque » du juge du fond pour trancher le litige par une décision ayant

autorité de la chose jugée.

C’est précisément ce qu’autorise la procédure à jour fixe régie aux articles 840 à 844 du Code de procédure civile.

Reste que l’urgence ne doit pas se faire au préjudice des principes directeurs du procès, dont le principe du contradictoire.

Aussi, est-elle rigoureusement encadrée et circonscrite afin d’éviter les abus et détournements de procédure.

Le demandeur ne doit pas se voir imposer une orientation vers le jour fixe, procédure orale suivie à ses risques et périls.

Réciproquement le justiciable ne doit pas être en mesure de porter à la connaissance du juge saisi dans un premier temps en référé, des chefs de demande qui n’auraient aucun lien avec les mesures provisoires sollicitées.

À cet égard, la procédure à jour fixe est soumise à la représentation obligatoire, ce qui a pour objectif de dissuader de tout détournement de procédure.

Par ailleurs, le juge doit veiller au respect du principe du contradictoire à l’audience, et si nécessaire renvoyer la cause à la procédure de la mise en état (art. 844 CPC), conformément à la philosophie générale du jour fixe.

La procédure à jour fixe comporte plusieurs étapes :

  • L’autorisation d’assigner à jour fixe
  • La saisine du Tribunal
  • L’instance

I) L’autorisation d’assigner à jour fixe

L’article 840 du CPC dispose que « dans les litiges relevant de la procédure écrite ordinaire, le président du tribunal peut, en cas d’urgence, autoriser le demandeur, sur sa requête, à assigner le défendeur à jour fixe. Il désigne, s’il y a lieu, la chambre à laquelle l’affaire est distribuée. »

Tout d’abord, il convient d’observer que le domaine d’application de la procédure à jour fixe est cantonné à la procédure écrite ordinaire.

Ensuite, il ressort du texte que la mise en œuvre de la procédure à jour fixe est subordonnée à la réunion de conditions de fond et de forme.

Lorsque ces deux conditions sont réunies, le Président du Tribunal rend une ordonnance qui autorise le demandeur à assigner la partie adverse sous le régime de la procédure à jour fixe.

A) Les conditions d’obtention de l’autorisation

1. Les conditions de fond

?L’urgence

Il ressort de l’article 840 du CPC qu’il ne peut être recouru à la procédure à jour fixe qu’« en cas d’urgence ».

En l’absence de précisions supplémentaires sur la notion d’urgence, elle doit être entendue de la même manière qu’en matière de référé.

Classiquement, on dit qu’il y a urgence lorsque « qu’un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur » (R. Perrot, Cours de droit judiciaire privé, 1976-1977, p. 432).

Il appartient de la sorte au juge de mettre en balance les intérêts du requérant qui, en cas de retard, sont susceptibles d’être mis en péril et les intérêts du défendeur qui pourraient être négligés en cas de décision trop hâtive à tout le moins mal-fondée.

En toute hypothèse, l’urgence est appréciée in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.

Son appréciation relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. L’urgence de l’article 834 du code de procédure civile ne fait, en effet, pas l’objet d’un contrôle de la part de la Cour de cassation, en raison de son caractère factuel, ce qui donne aux arrêts rendus sur cette question la valeur de simples exemples, qui se bornent à constater que les juges l’ont caractérisée (V. en ce sens Cass. 2e civ., 3 mai 2006, pourvoi n° 04-11.121).

?Une affaire en état d’être jugée

Bien que non prévue par l’article 840 du CPC, il est une condition de fond qui doit être remplie pour que le Président du Tribunal autorise le demandeur à assigner à jour fixe : l’affaire qui lui est soumise doit être en état d’être jugée.

Cela signifie qu’il est absolument nécessaire que la requête soit particulièrement motivée en droit et en fait et qu’elles soient assorties de suffisamment de pièces pour que l’affaire puisse être débattue dans le cadre d’une audience.

Autrement dit, il est nécessaire que les circonstances n’appellent pas d’instruction complémentaire, à défaut de quoi le Président du Tribunal sera contrat de renvoyer l’affaire pour une mise en état.

2. Les conditions de forme

Les conditions de forme auxquelles la requête aux fins d’obtention d’une autorisation à assigner à jour fixe sont énoncées aux alinéas 2 et 3 de l’article 840 du CPC.

a. Sur le contenu de la requête

?Sur les mentions de droit commun

En application des articles 54, 57, 494 et 757 du CPC, la requête doit comporter les mentions obligatoires suivantes :

Mentions de droit commun
Art. 54• A peine de nullité, la demande initiale mentionne :

1° L'indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;

2° L'objet de la demande ;

3° a) Pour les personnes physiques, les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des demandeurs ;

b) Pour les personnes morales, leur forme, leur dénomination, leur siège social et l'organe qui les représente légalement ;

4° Le cas échéant, les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier ;

5° Lorsqu'elle doit être précédée d'une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, les diligences entreprises en vue d'une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d'une telle tentative.
Art. 57• Elle contient, outre les mentions énoncées à l'article 54, également à peine de nullité :

-lorsqu'elle est formée par une seule partie, l'indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée ou s'il s'agit d'une personne morale, de sa dénomination et de son siège social

-dans tous les cas, l'indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée.

•Elle est datée et signée.
Art. 757• Outre les mentions prescrites par les articles 54 et 57, la requête doit contenir, à peine de nullité, un exposé sommaire des motifs de la demande.

• Les pièces que le requérant souhaite invoquer à l'appui de ses prétentions sont jointes à sa requête en autant de copies que de personnes dont la convocation est demandée.

• Le cas échéant, la requête mentionne l'accord du requérant pour que la procédure se déroule sans audience en application de l'article L. 212-5-1 du code de l'organisation judiciaire.

• Lorsque la requête est formée par voie électronique, les pièces sont jointes en un seul exemplaire.

• Lorsque chaque partie est représentée par un avocat, la requête contient, à peine de nullité, la constitution de l'avocat ou des avocats des parties.

• Elle est signée par les avocats constitués.
Mentions spécifiques
Ordonnance sur
requête

(Art. 494)
• La requête est présentée en double exemplaire.

• Elle doit être motivée.

• Elle doit comporter l'indication précise des pièces invoquées.

• Si elle est présentée à l'occasion d'une instance, elle doit indiquer la juridiction saisie.

• En cas d'urgence, la requête peut être présentée au domicile du juge.
Requête en
injonction
de payer

(Art. 1407)
• Outre les mentions prescrites par l'article 57, la requête contient l'indication précise du montant de la somme réclamée avec le décompte des différents éléments de la créance ainsi que le fondement de celle-ci.

• Elle est accompagnée des documents justificatifs.
Requête en
injonction
de faire

(Art. 1425-2)
• Outre les mentions prescrites par l'article 57, la requête contient :

1° L'indication précise de la nature de l'obligation dont l'exécution est poursuivie ainsi que le fondement de celle-ci ;

2° Eventuellement, les dommages et intérêts qui seront réclamés en cas d'inexécution de l'injonction de faire.

• Elle est accompagnée des documents justificatifs.

?Sur les mentions propres à la procédure à jour fixe

La requête doit :

  • D’une part, exposer les motifs de l’urgence
  • D’autre part, contenir les conclusions du demandeur
  • Enfin, viser les pièces justificatives

?Sur la présentation de la requête

L’alinéa 3 de l’article 840 dispose que « copie de la requête et des pièces doit être remise au président pour être versée au dossier du tribunal. »

B) La décision du Président du Tribunal

S’il estime la requête fondée, le Président du Tribunal autorise le demandeur à assigner à jour fixe. Il s’ensuit la désignation de « la chambre à laquelle l’affaire est distribuée » (art. 840 CPC).

En cas de rejet de la requête, la Cour de cassation considère que l’ordonnance prise par le Président est insusceptible d’une voie de recours, considérant qu’il s’agit d’une mesure d’administration judiciaire.

Dans un arrêt du 24 juin 2004, la deuxième chambre civile a jugé en ce sens que « l’ordonnance sur requête rendue en application de l’article 788 du nouveau Code de procédure civile constitue une mesure d’administration judiciaire qui, comme telle, est insusceptible de tout recours et ne peut donner lieu à référé à fin de rétractation » (Cass. 2e civ. 24 juin 2004, n°02-14.886).

En cas d’autorisation d’assigner à jour fixe, l’ordonnance doit indiquer le jour et l’heure de l’audience à laquelle l’affaire sera appelée et, s’il y a lieu, la chambre à laquelle elle a été distribuée.

À réception de l’ordonnance, le demandeur va pouvoir assigner à jour fixe son contradicteur et saisir, consécutivement, le Tribunal judiciaire.

II) La saisine du Tribunal

?Mode de saisine : l’assignation

Lorsqu’une procédure à jour fixe est engagée, l’article 843, al. 1er du CPC prévoit que la saisine du Tribunal s’opère par voie d’assignation.

Cette disposition prévoit en ce sens que « le tribunal est saisi par la remise d’une copie de l’assignation au greffe. »

L’alinéa 2 de l’article 843 précise que « cette remise doit être faite avant la date fixée pour l’audience faute de quoi l’assignation sera caduque. »

?Mentions obligatoires de l’assignation

L’article 841 du CPC prévoit que, outre les mentions communes à toutes les assignations et spécifiquement à celles relatives à la saisine du Tribunal judiciaire, dans le cadre de la procédure à jour fixe :

  • D’une part, l’assignation indique à peine de nullité les jour et heure fixés par le président auxquels l’affaire sera appelée ainsi que la chambre à laquelle elle est distribuée.
  • D’autre part, l’assignation informe le défendeur qu’il peut prendre connaissance au greffe de la copie des pièces visées dans la requête et lui fait sommation de communiquer avant la date de l’audience celles dont il entend faire état.

Dans un arrêt du 10 novembre 2016, la Cour de cassation a affirmé que « le non-respect du délai fixé par le premier président dans l’ordonnance autorisant l’assignation à jour fixe pour la délivrance des assignations ne peut être sanctionné par la caducité de l’ordonnance et partant de l’assignation à jour fixe qu’elle autorise et est sans incidence sur la recevabilité de l’appel » (Cass. 2e civ. 10 nov. 2016, n°15-11.407).

De manière générale, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 9 décembre 1980 que les irrégularités dont est affectée l’assignation n’encourent la nullité qu’à la condition que soit établi l’existence d’un grief (Cass. com. 9 déc. 1980, n°79-10.877).

?Notification de l’assignation

La notification de l’assignation à la partie adverse doit intervenir dans un délai raisonnable avant la tenue de l’audience, soit le plus rapidement possible compte tenu des délais rapprochés inhérents à la procédure à jour fixe.

En outre, l’article 841, al. 1er in fine exige qu’une copie de la requête soit jointe à l’assignation, laquelle requête doit être assortie de l’ordonnance rendue par le Président aux termes de laquelle il a autorisé le demandeur à assigner à jour fixe.

Quant au placement de l’assignation, en application de l’article 843 du CPC, il doit intervenir « avant la date fixée pour l’audience faute de quoi l’assignation sera caduque. »

La caducité est constatée d’office par ordonnance du président de la chambre à laquelle l’affaire est distribuée.

?Constitution d’avocat

L’article 842 précise que « le défendeur est tenu de constituer avocat avant la date de l’audience » et non dans les quinze jours à compter de la délivrance l’assignation comme ce qui est prévu pour la procédure ordinaire.

III) L’instance

La procédure à jour fixe ne comporte aucune phase d’instruction. Et pour cause, elle a été créée afin de permettre qu’il soit statué sur un litige sans mise en état préalable.

La conséquence en est que le renvoi à l’audience n’est nullement subordonné au prononcé d’une ordonnance de clôture qui, par hypothèse, ne relève pas de la procédure à jour fixe.

Afin de préserver les droits de la défense qui sont susceptibles d’être affectés par l’absence de mise en état de l’affaire, le législateur a posé plusieurs garde-fous.

  • L’observation du principe du contradictoire
    • L’article 844 du CPC dispose que, avant toute chose, le jour de l’audience, le président doit s’assurer qu’il s’est écoulé un temps suffisant depuis l’assignation pour que la partie assignée ait pu préparer sa défense.
    • Cette vérification répond à l’exigence d’observation du principe du contradictoire.
    • Il ne serait pas acceptable que la partie attrait à une procédure à jour fixe ne soit pas en mesure de répondre à son contradicteur.
    • Aussi, le Président du Tribunal a-t-il l’obligation de vérifier que le principe du contradictoire a bien été respecté.
    • Dans le cas contraire, il dispose de la faculté de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure à l’instar de la procédure de référé.
  • La constitution d’avocat par le défendeur
    • L’article 844 envisage les deux situations :
      • Le défendeur a constitué avocat
        • Dans cette hypothèse, l’affaire est plaidée sur-le-champ en l’état où elle se trouve, même en l’absence de conclusions du défendeur ou sur simples conclusions verbales.
        • Ainsi, dès lors qu’un avocat est constitué, le Président peut considérer que les droits de la défense sont préservés de sorte que l’affaire peut, dans ces conditions, être jugée
        • Le Tribunal pourra se déterminer, tant au vu des conclusions écrites, qu’au vu des conclusions orales.
      • Le défendeur n’a pas constitué avocat
        • Dans cette hypothèse, l’article 844, al. 4 du CPC prévoit qu’il est procédé selon les règles prévues à l’article 778.
        • Cette disposition autorise le Président à renvoyer à l’audience les affaires dans lesquelles le défendeur ne comparaît pas si elles sont en état d’être jugées sur le fond, à moins qu’il n’ordonne la réassignation du défendeur.
        • Si, en revanche, l’affaire n’est pas en état d’être jugée, il la renvoie devant le Juge de la mise en état.
  • L’affaire n’est pas en état d’être jugée
    • L’article 844, al. 3 du CPC dispose que « en cas de nécessité, le président de la chambre peut user des pouvoirs prévus à l’article 779 ou renvoyer l’affaire devant le juge de la mise en état. »
    • Ainsi, en cas de nécessité, soit au regard des circonstances de la cause, le Président dispose de deux options :
      • Soit renvoyer l’affaire à une audience ultérieure
        • Cette option vise à conférer une dernière fois de l’affaire, s’il estime qu’un ultime échange de conclusions ou une ultime communication de pièces suffit à la mettre en état ou que les conclusions des parties doivent être mises en conformité avec les dispositions de l’article 768, soit celles qui régissent leur rédaction
        • Le président impartit alors à chacun des avocats le délai nécessaire à la signification des conclusions et, s’il y a lieu, à la communication des pièces.
      • Soit renvoyer l’affaire devant le juge de la mise en état
        • Le Président du Tribunal optera pour cette solution lorsqu’il constatera que l’affaire n’est pas en état d’être jugée et qu’un renvoi à une audience ultérieure ne sera pas suffisant pour qu’elle le soit.
        • Cette situation s’appréciera au cas par cas, l’article 844 du CPC se limitant à conditionner cette option à l’existence d’une « nécessité ».
  • La procédure sans audience
    • L’article 843 al. 2 prévoit que, à tout moment de la procédure, les parties peuvent donner expressément leur accord pour que la procédure se déroule sans audience conformément aux dispositions de l’article L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire.
    • Dans ce cas, le président de la chambre organise les échanges entre les parties.
    • Celles-ci formulent leurs prétentions et leurs moyens par écrit.
    • La communication entre elles est faite par notification entre avocats et il en est justifié auprès du président de la chambre dans les délais qu’il impartit.
    • Il peut faire application des dispositions prévues au cinquième alinéa de l’article 446-2

L’exécution provisoire des décisions de justice (jugements, ordonnances): régime juridique

🡺Vue générale

L’exécution provisoire se définit comme la faculté accordée à la partie gagnante (créancier) de poursuivre immédiatement à l’encontre de la partie perdante (débiteur) l’exécution de la décision judiciaire qui en est assortie.

À cet égard, l’exécution provisoire constitue une exception à l’effet suspensif de l’appel – c’est de fait cette voie de recours qui retient l’attention, l’opposition étant rarement exercée -, en permettant au créancier d’exécuter par provision la décision rendue.

Elle lui permet ainsi d’éviter que le débiteur ne forme appel qu’à des fins dilatoires, pour retarder l’exécution de la décision ou organiser son insolvabilité, mais aussi, « même si les voies de recours sont exercées en toute loyauté, sans esprit de chicane ou d’abus, (…) d’éviter les inconvénients pouvant résulter pour lui de la lenteur de la justice, spécialement lorsqu’elles sont portées devant des juridictions dont le rôle est encombré » (P. Julien, N. Fricero, Droit judiciaire privé, lgdj, 2001).

Un avantage aussi décisif accordé à la partie gagnante implique, en contrepartie, l’octroi d’une protection plus forte à la partie perdante en ce qui concerne la responsabilité du dommage causé par l’exécution.

Cela apparaît encore plus justifié depuis le nouveau décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 qui, renforçant l’exigence d’effectivité des décisions de première instance, a institué, à l’article 526 du CPC, une possibilité de radiation du rôle par le premier président de la cour d’appel lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision exécutoire à titre provisoire qui a été frappée d’appel.

Surtout, dans le droit fil de ce renforcement de l’effectivité des décisions de première instance, le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, pris en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a opéré une modification substantielle du droit positif en consacrant le principe de l’exécution provisoire de droit des décisions de justice.

Aussi, désormais, toutes les décisions rendues par les juridictions civiles bénéficient de l’exécution provisoire de droit, sauf exceptions tenant à la matière considérée, ce qui est le cas par exemple, devant le tribunal judiciaire, des décisions en matière de nationalité, de rectification et d’annulation judiciaire des actes d’état civil, de déclaration d’absence, de prénom, de modification de la mention du sexe dans les actes de l’état civil, de déclaration d’absence, de filiation, d’adoption, des décisions du juge aux affaires familiales en matière de divorce, de séparation de corps, de liquidation des régimes matrimoniaux et des indivisions entre personnes liées par un PACS ou entre concubins, ou des décisions rendues en matière de sécurité sociale.

🡺Distinction entre exécution provisoire et exécution inconditionnelle ou définitive

L’exécution provisoire constitue donc une dérogation à l’effet suspensif des voies de recours ordinaires.

Dans son principe, elle n’anéantit pas totalement cet effet suspensif, mais tend seulement à le neutraliser.

En revanche, l’exécution provisoire n’a vocation à s’appliquer que pour autant que la décision n’est pas exécutoire de manière inconditionnelle ou à titre définitif.

Est ainsi exécutoire à titre définitif le jugement rendu par un Tribunal judiciaire qui est passé en force de chose jugée au sens de l’article 500 du CPC.

Tel est, par exemple, le cas d’un jugement auquel la partie perdante a acquiescé, l’acquiescement emportant renonciation aux voies de recours (Cass 2e, 9 octobre 1985 n° 84-12.441).

Devient exécutoire de manière inconditionnelle le jugement frappé d’appel, lorsque, après avoir existé, l’effet suspensif du recours a ultérieurement disparu.

Ainsi lorsque l’affaire est radiée du rôle de la cour d’appel faute pour l’avoué de l’appelant d’avoir déposé ses conclusions au greffe dans les quatre mois de la déclaration d’appel (art. 915 CPC), le jugement dont il est interjeté appel devient exécutoire de manière immédiate et inconditionnelle

Il s’ensuit qu’est dès lors irrecevable comme dépourvue d’objet la demande d’arrêt de l’exécution provisoire. De même, l’ordonnance suspendant l’exécution provisoire prise avant la radiation de l’affaire est privée de tout effet à compter de la date de la radiation.

Toutefois, bien que l’article 539 du code de procédure civile précise que n’est suspensif de l’exécution du jugement que le recours « exercé dans le délai », la formalisation d’un appel manifestement tardif produit néanmoins, en droit commun, un effet suspensif dès lors qu’il n’appartient qu’au seul juge du fond (formation de jugement de la cour d’appel ou conseiller de la mise en état (art. 911 CPC) et non au greffe ou au premier président, de déclarer l’appel irrecevable comme tardif.

Il s’ensuit qu’en cas d’appel, même tardif, le jugement déféré n’est susceptible que d’une exécution provisoire.

Tel est notamment le cas lorsque l’extinction prématurée de l’instance d’appel par suite de la péremption de l’instance (art. 386 CPC) est suivie d’un nouvel appel, même formalisé hors délai.

Mais cette exécution devient définitive lorsque la cour ou le conseiller de la mise en état constate l’irrecevabilité du recours.

Cela étant, l’exercice d’un appel manifestement tardif dans le seul but d’écarter le caractère définitif de l’exécution de la décision des premiers juges, voire aux fins de saisine du premier président d’une demande d’arrêt ou d’aménagement de l’exécution du jugement, pourrait, pour ce motif, être qualifié d’abusif ou dilatoire, et ainsi exposer son auteur à une amende civile, sans préjudice des dommages et intérêts qui pourraient lui être réclamés par ailleurs (art. 559 CPC).

🡺Distinction entre exécution provisoire et exécution immédiate ordinaire

Il convient encore de distinguer l’exécution provisoire de l’exécution immédiate. Sont ainsi immédiatement exécutoires les jugements avant-dire droit, notamment ceux prescrivant une expertise, dès lors que l’article 545 du code de procédure civile fait défense d’interjeter appel à leur encontre indépendamment du jugement sur le fond.

Aucun effet suspensif lié à l’ouverture du délai d’appel n’est donc attaché à de telles décisions.

Un jugement décidant une expertise ou un sursis à statuer n’entrerait dans le champ de l’exécution provisoire de droit qu’en cas d’autorisation d’un appel immédiat par le premier président de la cour dans les conditions fixées aux articles 272 et 380 du CPC.

Sauf cette dernière hypothèse, qui devrait demeurer marginale dans le cadre du contentieux des droits d’enregistrement et assimilés, les parties ne peuvent donc pas solliciter une mesure d’arrêt ou d’aménagement de l’exécution immédiate d’un jugement décidant une mesure d’expertise.

🡺Distinction entre exécution provisoire de droit et exécution provisoire ordonnée

Le code de procédure civile distingue traditionnellement l’exécution provisoire de droit de l’exécution provisoire ordonnée.

La distinction opérée par le CPC emporte pour conséquence que n’a pas à ordonner l’exécution provisoire pour que celle-ci produise tous ses effets (art. 514 CPC).

Par ailleurs, les effets de l’exécution provisoire s’étendent, lorsque celle-ci est de droit, à tous les chefs du jugement qui en bénéficie, y compris ceux concernant la charge des dépens et l’allocation d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile (Cass 2e civ. 24 juin 1998 n° 96-22.851).

I) L’octroi de l’exécution provisoire par la juridiction de première instance

A) L’exécution provisoire de droit

1. Les décisions assorties de l’exécution provisoire de droit

Les décisions rendues en première instance sont, par principe, assorties de l’exécution provisoire.

C’est là une nouveauté – importante sinon marquante – de la réforme opérée par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile pris en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Sous l’empire du droit antérieur, le principe était que, pour bénéficier de l’exécution provisoire, les parties devaient en faire la demande au juge, faute de quoi l’effet suspensif de l’appel faisait obstacle à toute exécution de la décision rendue.

Désormais, le principe est inversé : la décision rendue en première instance doit être exécutée par la partie qui succombe.

a. Le droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur l’article 514, al. 2 du CPC prévoyait que sont exécutoires de droit à titre provisoire :

  • Les ordonnances de référé
  • Les décisions qui prescrivent des mesures provisoires pour le cours de l’instance
  • Les décisions qui ordonnent des mesures conservatoires
  • Les ordonnances du juge de la mise en état qui accordent une provision au créancier.

La question qui se posait était alors de savoir si la liste énoncée par cette disposition était ou non exhaustive.

À cette interrogation, il convenait de répondre négativement, l’adverbe notamment signalant la possibilité pour le législateur et la jurisprudence d’étendre la liste.

🡺l’extension de la liste par la loi

Plusieurs textes prévoient une exécution provisoire de droit, justifiée par l’urgence de la mise en œuvre des décisions prononcées :

  • Décisions statuant sur l’exercice de l’autorité parentale
    • L’article 1074-1 du CPC prévoit, par exemple, que « les mesures portant sur l’exercice de l’autorité parentale, la pension alimentaire, la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant et la contribution aux charges du mariage, ainsi que toutes les mesures prises en application de l’article 255 du Code civil, sont exécutoires de droit à titre provisoire. »
  • Décisions statuant en matière de procédures collectives
    • L’article R. 661-1 du Code de commerce prévoit que « les jugements et ordonnances rendus en matière de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire sont exécutoires de plein droit à titre provisoire. »
  • Décisions statuant en matière fiscale
    • L’article R. 205-5 du Livre des procédures fiscales dispose que « le jugement du tribunal est exécutoire de droit à titre provisoire. »
  • Décisions statuant en droit du travail
    • L’article R. 1454-28 du Code du travail dispose que sont de droit exécutoires à titre provisoire
      • Le jugement qui n’est susceptible d’appel que par suite d’une demande reconventionnelle ;
      • Le jugement qui ordonne la remise d’un certificat de travail, de bulletins de paie ou de toutes pièces que l’employeur est tenu de délivrer ;
      • Le jugement qui ordonne le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l’article R. 1454-14, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire. Cette moyenne est mentionnée dans le jugement.
  • Décisions statuant sur une demande de mesures de protection des victimes de violences
    • L’article 1136-7 du CPC prévoit que l’ordonnance rendue par le Juge aux affaires familiales qui statue sur la demande de mesures de protection des victimes de violences est exécutoire à titre provisoire à moins que le juge en dispose autrement.

🡺L’extension de la liste par la jurisprudence

Dans un arrêt du 13 janvier 2000 la Cour de cassation a jugé que les condamnations au paiement d’une provision par les juges du fond sont exécutoires de droit à titre provisoire (Cass. 2e civ., 13 janv. 2000, n° 99-13.265).

Dans cette affaire, un premier président avait été saisi en référé pour arrêter l’exécution provisoire dont la condamnation à provision était assortie et avait accueilli cette demande en retenant que le jugement frappé d’appel n’était pas exécutoire de droit. Sa décision a été cassée au visa des articles 514 et 524 du nouveau Code de procédure civile.

La deuxième chambre civile avait déjà énoncé la règle dans un arrêt du 18 novembre 1999, dans un contexte toutefois différent, puisque la conséquence qui en avait été tirée était que le paiement, même sans réserve, de la provision fixée par les premiers juges, ne pouvait valoir acquiescement (Cass. 2e civ., 18 nov. 1999, n° 97-12.709).

b. La réforme de la procédure civile

🡺Ratio legis

L’article 514 du CPC prévoit que « les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. »

Le décret du 11 décembre 2019 a ainsi consacré le principe de l’exécution de droit des décisions de justice.

Cette modification substantielle du droit positif procède de la consécration de la proposition 30 formulée dans le rapport sur l’amélioration et la simplification de la procédure civile.

Ce rapport, issu d’un groupe de travail dirigé par Frédéric Agostini, Présidente du Tribunal de grande instance de Melun et par Nicolas Molfessis, Professeur de droit, comportait 30 propositions « pour une justice civile de première instance modernisée ».

Au nombre de ces propositions figurait celle consistant à « généraliser l’exécution provisoire

de droit de la décision ». À cet égard, cette proposition repose sur plusieurs constats :

  • Tout d’abord, le Groupe de travail relève que de nombreuses décisions, provisoires mais également au fond, touchant des domaines essentiels à la vie du justiciable, bénéficient déjà de l’exécution provisoire de droit.
  • Ensuite, il est souligné que le contentieux de l’exécution provisoire devant le premier président de la cour d’appel est très faible au regard du nombre de décisions assorties de l’exécution provisoire rendues par les juridictions.
  • Enfin, le Groupe de travail ajoute que le Juge disposerait d’ores et déjà des outils lui permettant d’assurer les restitutions qui seraient éventuellement nécessaires en cas d’infirmation de la décision par le juge d’appel.

Il en conclut que « la revalorisation de la décision civile de première instance doit s’accompagner de la consécration du principe de l’exécution provisoire de droit pour les décisions de première instance. »

Reste que l’on ne saurait se méprendre sur la véritable intention du législateur qui se cache derrière ces arguments qui peinent à convaincre : l’inversion du principe et de l’exception est moins guidée par la volonté de renforcer la décision civile de première instance que par l’objectif de dissuader les justiciables d’interjeter appel.

Surtout, comme relevé par les concluants qui, dans le cadre de l’action en référé-suspension, engagée à l’encontre du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, celui-ci « modifie, de manière insidieuse, des équilibres subtils établis, sur le fondement de l’œuvre du professeur Motulsky, dans les années soixante-dix. »[1].

Ils poursuivent, en avançant que dans le système actuel, l’appel est indispensable à la bonne administration de la justice, puisqu’il permet de rectifier le nombre considérable d’erreurs commises en première instance.

Or les (maigres) moyens alloués à la justice de première instance ne permettent pas de rendre des décisions d’une qualité suffisante ; ce pourquoi la France a choisi, comme la plupart des pays d’Europe continentale, de ne pas doter les jugements de première instance de l’exécution provisoire de droit.

Le décret du 11 décembre 2019 institue pourtant cette exécution provisoire de droit. Aussi, la difficulté est que cette réforme, si elle est maintenue, conduira à cristalliser la décision de première instance, à décourager l’appel, un appel qui demeure pourtant, en l’absence de redéploiement des moyens de la justice en faveur de la première instance, indispensable.

Ce « détricotage » ou cette « désactivation » rampante de l’appel, maintenu facialement, pose d’évidents problèmes d’accès au juge.

À cela s’ajoutent les risques auxquels est exposée la partie perdante en première instance, à qui il appartiendra de recouvrer les sommes versées dans le cadre de l’exécution provisoire, et qui donc est susceptible de se heurter à l’insolvabilité de son contradicteur.

i. Principe

En application de l’article 514 du CPC le principe est donc que « les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire »

Les décisions rendues en première instance bénéficient ainsi de l’exécution provisoire de droit, ce qui implique qu’il n’est pas nécessaire pour les parties de la solliciter.

Autrement dit, le Juge n’a pas à ordonner l’exécution provisoire pour que celle-ci produise tous ses effets (art. 514 CPC).

Les effets de l’exécution provisoire s’étendent, lorsque celle-ci est de droit, à tous les chefs du jugement qui en bénéficie, y compris ceux concernant la charge des dépens et l’allocation d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile (Cass 2e civ. 24 juin 1998 n° 96-22851).

Lorsque l’exécution provisoire est de droit la question se pose de savoir si la partie à la faveur de laquelle elle opère peut y renoncer dans l’attente que le jugement rendu passe en force de chose jugée, en particulier lorsqu’un appel a été interjeté.

Pour répondre à cette question, il convient de se tourner vers l’article 524 du CPC qui prévoit que « lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d’appel, décider, à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision. »

Ainsi, en cas d’absence d’exécution de la décision rendue en première instance, l’appelant qui bénéficie de l’exécution provisoire, s’expose à ce que l’affaire soit radiée du rôle.

Il ne pourra s’abstenir que dans deux cas :

  • Soit l’exécution de la décision serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives
  • Soit l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision

ii. Exceptions

Si le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a posé le principe de l’exécution de droit des décisions de justice, cette dernière peut néanmoins être écartée dans certains cas, tantôt par la loi, tantôt par le Juge

🡺L’exécution provisoire est écartée par la loi

L’article 514 du CPC prévoit que « les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. »

À l’examen, la loi en dispose autrement dans plusieurs cas :

  • Devant le Tribunal judiciaire l’exécution provisoire n’est pas de droit pour les décisions rendues en matière :
    • de nationalité (art. 1045 CPC)
    • de rectification et d’annulation judiciaire des actes d’état civil (art. 1054-1 CPC)
    • de déclaration de naissance et de changement de prénom (art. 1055-3 CPC)
    • de modification de la mention du sexe dans les actes de l’état civil (art. 1055-10 CPC)
    • de déclaration d’absence (art. 1067-1 CPC)
    • de filiation et de subsides (art. 1149 CPC)
    • d’adoption (art. 1178-1 CPC)
  • Devant le Conseil de prud’hommes, l’exécution provisoire n’est pas de droit (art. R. 1454-28 C. trav.)
  • Devant le tribunal de commerce et le tribunal judiciaire, l’exécution provisoire n’est pas étendue aux décisions par lesquelles le tribunal prononce la faillite personnelle ou l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci (art. L. 653-11 C. com).

🡺L’exécution provisoire est écartée par le juge

L’exécution provisoire de droit dont sont désormais assorties, par principe, les décisions rendues en première instance est susceptible d’être écartée pour tout ou partie par le Juge lorsque, conformément à l’article 514-1 du CPC, il « estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire ».

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par incompatibilité de l’exécution provisoire avec la nature de l’affaire

Si l’on se reporte à la jurisprudence rendue sous l’empire du droit antérieur, il apparaît que cette incompatibilité doit s’apprécier au regard du caractère irréversible du dommage susceptible d’être causé à la partie bénéficiaire de la décision ou au caractère irrémédiable de la solution rendue

Ainsi, lorsque le juge écarte l’exécution provisoire il doit se demander si l’exécution de la décision qu’il rend ne risque pas de rendre impossible un retour un arrière en cas de réformation de sa décision en appel.

Si tel est le cas, alors l’exécution provisoire doit être écartée, ce par souci de protection de la partie contre laquelle elle joue

À titre d’exemple, on peut penser que l’exécution immédiate d’une décision ordonnant la destruction d’un bien immobilier peut être considérée comme incompatible avec la nature de l’affaire.

Il en va de même en matière de décision statuant sur l’état des personnes (divorce, établissement d’un lien de filiation etc.)

Si le juge dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier l’opportunité d’écarter l’exécution provisoire, l’alinéa 3 de l’article 514-1 vient néanmoins tempérer ce pouvoir.

Cette disposition prévoit, en effet, que « par exception, le juge ne peut écarter l’exécution provisoire de droit lorsqu’il statue en référé, qu’il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l’instance, qu’il ordonne des mesures conservatoires ainsi que lorsqu’il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état. »

À l’inverse, pour les décisions qui ne correspondent à aucune de ces situations, le Juge pourra écarter l’exécution provisoire à la condition toutefois qu’il soit établi qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire

À cet égard, il pourra statuer sur le maintien de l’exécution provisoire, soit d’office, soit à la demande d’une partie par décision spécialement motivée (art. 514-1, al.2 CPC).

2. L’arrêt de l’exécution provisoire de droit

a. Principe

L’article 514-3 du CPC prévoit que « en cas d’appel, le premier président peut être saisi afin d’arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives. »

Cette disposition, issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, reprend, en substance, l’ancien article 524 du CPC qui envisageait l’arrêt de l’exécution provisoire de droit.

Ainsi, lorsque l’exécution provisoire est de droit, elle peut être neutralisée, mais seulement lorsque la demande est formulée auprès du Premier président de la Cour d’appel .

Autrefois, la Cour de cassation considérait que l’arrêt de l’exécution provisoire de droit était interdit, dans la mesure où l’ancien article 524 du CPC n’envisageait cette mesure que pour l’exécution provisoire ordonnée (V. en ce sens Cass. 2e civ., 13 janv. 2000, n° 99-13.265).

Toutefois, certains Premiers présidents de Cour d’appel s’étaient reconnu le pouvoir d’arrêter l’exécution provisoire attachée de plein droit à diverses décisions de première instance (et il faut préciser ici que si l’exécution provisoire ordonnée peut être arrêtée par le premier président lorsqu’elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives, la solution était totalement contraire en présence d’une exécution provisoire de droit, attachée de manière automatique à la décision de premier degré).

Certains premiers présidents s’étaient néanmoins octroyé ce pouvoir lorsqu’ils étaient en présence d’une violation flagrante de la loi et, plus particulièrement, d’une règle fondamentale de procédure.

Le plus souvent d’ailleurs, il s’était agi de la violation des droits de la défense. Cette solution prônée par les chefs de Cour portait le sceau du bon sens, car comment ne pas tenir pour excessif la poursuite de l’exécution immédiate de tels jugements ?

Reste que le bon sens et les bons sentiments ne suffisent pas à justifier une mesure contra legem. Aussi, a-t-il fallu attendre le décret n° 2004-836 du 20 août 2004 pour trouver à cette extension de l’intervention possible du premier président une assise juridique certaine.

Ainsi, l’article 514-3 confère désormais au Premier président de la Cour d’appel le pouvoir d’arrêter l’exécution provisoire de droit. Plusieurs conditions doivent néanmoins être réunies.

b. Conditions d’application

Sous l’empire du droit antérieur, la suspension de l’exécution provisoire de droit était subordonnée à la réunion des conditions cumulatives que sont :

  • La violation du principe du contradictoire ou de l’article 12 du CPC
  • L’existence d’un risque de conséquences manifestement excessives

Le décret du 11 décembre 2019 a manifestement réformé ses conditions qui, si elles sont toujours cumulatives et au nombre de deux, consistent désormais en :

  • L’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision rendue en première instance
  • L’existence d’un risque que l’exécution entraîne des conséquences manifestement excessives

La violation du principe du contradictoire ou de l’article 12 du CPC a ainsi disparu de la liste des conditions de suspension de l’exécution provisoire.

Sous l’empire du droit antérieur, pour que le Premier président de la Cour d’appel puisse exercer son pouvoir d’arrêter l’exécution provisoire de droit dont est assortie la décision qui lui est déférée, il appartenait, en effet, au demandeur de démontrer, alternativement, soit la violation du principe du principe du contradictoire, soit la violation de l’article 12 du CPC.

  • La condition tenant à la violation du principe du contradictoire impliquait pour le demandeur de démontrer en quoi cette violation a consisté et d’établir qu’elle était injustifiée.
  • La condition tenant à la violation de l’article 12 supposait, quant à elle, que le demandeur établisse que le Juge de première instance avait omis de relever d’office un moyen de pur droit ou de redonner aux faits litigieux leur véritable qualification

Désormais, cette condition est remplacée par l’obligation qui est faite au demandeur de justifier de l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision rendue en première instance.

Outre l’exigence tenant à ces conditions tenant à la suspension de l’exécution provisoire dont la réunion doit être démontrée par le demandeur, le texte ajoute une condition de recevabilité de la demande qui tient à la formulation, en première instance, sur l’exécution provisoire.

🡺Les conditions tenant à l’arrêt de l’exécution provisoire

Les conditions tenant à l’arrêt de l’exécution provisoire sont donc au nombre de deux

  • L’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision rendue en première instance
    • Pour que le demandeur soit fondé à solliciter la suspension de l’exécution provisoire de droit il doit donc justifier l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision rendue en première instance
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision »
    • Tout d’abord, il peut être relevé que cette condition est une reprise de l’article R. 121-22 du Code des procédures civiles d’exécution qui autorise le Premier président de la Cour d’appel à prononcer un sursis à l’exécution des décisions prises par le juge de l’exécution.
    • Ce sursis à exécution ne peut, toutefois, être accordé, selon le texte, que s’il existe « des moyens sérieux d’annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour. »
    • La formulation de l’article 514-3 du CPC est ainsi empruntée à l’article R. 121-22 du CPCE
    • Reste que, aucun de ces deux textes ne fournit de clé de lecture de la condition posée.
    • En dépit d’indications, il peut tout d’abord être relevé que l’article 514-3 du CPC ne distingue pas selon que les moyens soulevés par le demandeur intéressent le fond du litige ou la procédure.
    • Ensuite, l’emploi de la formulation « moyen sérieux » invite le Premier président de la Cour d’appel à se livrer à une appréciation du bien-fondé de l’appel.
    • Il lui faudra, autrement dit, déterminer si la décision rendue en première instance comporte des erreurs de droit, à tout le moins si les critiques encourues sont suffisamment pertinentes pour justifier une réformation de la décision.
    • En la matière, le Premier président disposera d’un pouvoir souverain d’appréciation, de sorte que sa décision devrait, sur ce point, échapper au contrôle exercé par la Cour de cassation.
  • L’existence d’un risque que l’exécution entraîne des conséquences manifestement excessives
    • La seconde condition – reprise du droit antérieur – tenant à l’arrêt de l’exécution provisoire de droit exige du demandeur qu’il démontre que l’exécution de la décision déférée au Premier président de la Cour d’appel « risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives. »
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « conséquences manifestement excessives ».
    • La Cour de cassation a défini les critères de qualification de la notion de conséquences manifestement excessives, notamment dans un arrêt d’assemblée plénière du 2 novembre 1990 (Cass., ass. plén., 2 nov. 1990, n°90-12.698).
    • Dans cette décision, elle a considéré que le caractère manifestement excessif des conséquences de l’exécution provisoire devait s’apprécier, quel que soit le montant de la condamnation, exclusivement, au regard de la situation du débiteur, compte tenu de ses facultés, ou des facultés de remboursement du créancier (V. également en ce sens Cass. 2e civ, 12 nov. 1997, n° 95-20.280).
    • La doctrine tend à analyser très restrictivement le contenu de la notion ainsi définie par la Haute juridiction, n’y admettant que les situations dans lesquelles l’exécution provisoire risque de laisser des traces indélébiles d’une gravité suffisante, c’est-à-dire de causer un dommage irréparable, ou quasi irréparable.
    • Ainsi, l’importance de la condamnation n’est pas, en elle-même, un motif suffisant pour justifier l’arrêt ou l’aménagement de l’exécution provisoire, encore faut-il que les facultés du débiteur ne lui permettent pas d’exécuter le jugement sans encourir de graves conséquences, susceptibles de rompre de manière irréversible son équilibre financier ou, à l’inverse, que le risque d’insolvabilité, l’absence ou la faiblesse des facultés de restitution chez le créancier, voire son comportement ou sa situation particulière, soient de nature à compromettre le remboursement en cas d’infirmation du jugement.
    • Il résulte en outre de l’arrêt du 2 novembre 1990, ainsi que de très nombreuses autres décisions de la Cour de cassation, que ne saurait être arrêtée ou aménagée l’exécution provisoire bénéficiant à un jugement, motif pris des chances de succès ou du bien-fondé de l’appel (Cass 3e civ., 4 nov. 1987, n° 86-13.189), de l’irrégularité du jugement (Cass 2e civ., 25 mars 1992, n°90-21.962), voire de la méconnaissance des droits de la défense (Cass 2e civ., 13 mars 1996, n°95-16.325).
    • Cela étant, dans la limite et le respect des critères établis par la jurisprudence de la Cour de cassation, la mesure d’arrêt de l’exécution provisoire relève néanmoins du pouvoir souverain d’appréciation, par le juge qui examine la demande, du risque de conséquences manifestement excessives (Cass. soc., 11 déc. 1990, n°86-45.377, Cass. 2e civ. 5 février 1997, n° 94-21.070).
    • Il n’est donc pas possible, s’agissant de questions de fait, de déterminer de manière générale les cas dans lesquels sera ou non caractérisée l’existence de conséquences manifestement excessives.
    • Il convient en conséquence, dans chaque espèce, de déterminer si la poursuite de l’exécution provisoire de droit est susceptible d’entraîner, non pas seulement des difficultés financières chez le débiteur – insuffisantes à caractériser l’existence de conséquences manifestement excessives – mais également des dommages irréversibles dépassant très largement les risques normaux inhérents à toute exécution provisoire.
    • De même, l’appréciation du risque de non-restitution par le bénéficiaire de l’exécution provisoire doit tenir compte de tous les éléments, tant actuels, que raisonnablement envisageables dans l’avenir, permettant d’apprécier la capacité réelle, ou la volonté objective, du créancier de rembourser les sommes versées en cas d’infirmation de la décision des premiers juges (ordonnance suspendant l’exécution provisoire d’une condamnation de l’État au versement d’une somme importante à un particulier, dès lors que ce dernier, non-résident, ne possédait en France aucun bien propre à répondre d’une restitution éventuelle et n’avait fourni aucun engagement de caution).

🡺La condition tenant à la recevabilité de la demande d’arrêt de l’exécution provisoire

L’alinéa 2 de l’article 514-3 du CPC prévoit que « la demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d’observations sur l’exécution provisoire n’est recevable que si, outre l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation, l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance. »

La demande d’arrêt de l’exécution provisoire est ainsi subordonnée à la satisfaction d’une condition de recevabilité.

À cet égard deux situations doivent être distinguées :

  • Première situation : l’appelant a fait valoir des observations en première instance sur l’exécution provisoire
    • Dans cette hypothèse, la demande d’arrêt de l’exécution provisoire est recevable en tout état de cause dès lors qu’est établie l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision rendue en première instance et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.
  • Seconde situation : l’appelant n’a pas fait valoir des observations en première instance sur l’exécution provisoire
    • Dans cette hypothèse en revanche, la demande d’arrêt de l’exécution provisoire ne sera recevable que si l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision rendue en première instance et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives sont révélées postérieurement à la décision de première instance
    • À défaut, l’appelant ne sera pas recevable à solliciter la suspension de l’exécution provisoire
    • Afin de se préserver cette faculté, les parties auront ainsi tout intérêt à toujours discuter, en première instance, du bien-fondé de l’exécution provisoire de droit

c. Procédure

🡺L’appel

La demande tendant à l’arrêt de l’exécution provisoire ou au sursis à l’exécution est subordonnée à l’existence d’un appel et non au dépôt des conclusions d’appel (V. en ce sens Cass. 2e civ., 20 déc. 2001, n° 00-17.029).

Elle est introduite selon les règles de droit commun du référé, par voie d’assignation, soit à une audience habituelle soit, en cas d’urgence, d’heure à heure (art. 514-6 CPC).

L’ordonnance du Premier président de la cour d’appel qui statue en référé, en vertu des pouvoirs propres que lui confère l’article 514-3 du CPC, sur une demande tendant à voir ordonner ou arrêter l’exécution provisoire du jugement frappé d’appel, met fin à l’instance autonome introduite devant ce magistrat, de sorte que sa décision est susceptible d’un pourvoi immédiat (Cass. Ass. plén., 2 nov. 1990, n° 90-12.698).

Il en résulte également que le Premier président doit statuer sur les dépens de cette instance, sans pouvoir énoncer que les dépens du référé suivront ceux de l’instance principale (Cass. 2e civ., 29 oct. 1990, n° 89-14.925).

Le caractère abusif de la demande d’arrêt de l’exécution provisoire peut être sanctionné par l’octroi de dommages-intérêts : le premier président qui relève que cette demande a été introduite avec légèreté et mauvaise foi, et dans le seul but de faire échec au jugement sans démontrer que l’exécution de celui-ci provoquerait des conséquences manifestement excessives sur la situation du demandeur et constate que cette procédure a causé un préjudice au bénéficiaire du jugement, peut décider que la procédure est abusive et dilatoire et allouer des dommages-intérêts (Cass. 2e civ., 12 nov. 1997, n° 95-20.280).

Le premier président ne peut remettre en cause les effets des actes d’exécution accomplis ou les paiements effectués antérieurement à sa décision (Cass. 2e civ., 31 janv. 2002, n° 00-11.881).

Cependant, lorsqu’une saisie-attribution a été pratiquée sur le fondement d’un jugement assorti de l’exécution provisoire, le premier président statuant en référé, saisi d’une demande tendant à l’arrêt de l’exécution provisoire, ne peut déclarer cette demande irrecevable en retenant que l’exécution provisoire du jugement a été consommée par la saisie-attribution, sans constater que le paiement n’était pas différé (Cass. 2e civ., 23 oct. 1996, n° 95-22.269).

🡺L’opposition

L’article 514-3, al. 3 du CPC prévoit que lorsque la voie de recours exercée contre la décision rendue en première instance consiste en une opposition, le Juge compétent pour connaître de l’arrêt de l’exécution provisoire c’est, non pas le Premier président de la Cour d’appel, mais le juge qui a rendu la décision.

À cet égard, il peut prononcer l’arrêt de l’exécution provisoire soit d’office, soit à la demande d’une partie, à la condition néanmoins qu’il existe un risque que l’exécution entraîne des conséquences manifestement excessives au préjudice de la partie qui la subit.

La condition tenant à l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision rendue en première instance a, dans cette configuration disparue.

La raison en est que c’est le juge de première instance qui a rendu la décision assortie de l’exécution provisoire de droit qui va statuer. Il n’est dès lors pas compétent pour se prononcer sur le risque de réformation de sa propre décision.

3. Le rétablissement de l’exécution provisoire de droit

L’article 514-4 du CPC prévoit que « lorsque l’exécution provisoire de droit a été écartée en tout ou partie, son rétablissement ne peut être demandé, en cas d’appel, qu’au premier président ou, dès lors qu’il est saisi, au magistrat chargé de la mise en état et à condition qu’il y ait urgence, que ce rétablissement soit compatible avec la nature de l’affaire et qu’il ne risque pas d’entraîner des conséquences manifestement excessives. »

Cette disposition envisage ainsi la possibilité d’un rétablissement de l’exécution provisoire de droit qui aurait été écartée par le Juge de première instance.

La demande doit alors être formée, soit auprès du Premier président de la Cour d’appel, soit au Juge de la mise en état s’il est saisi.

En tout état de cause, le rétablissement de l’exécution provisoire est subordonné à la réunion de trois conditions cumulatives :

  • L’existence d’un cas d’urgence
    • Classiquement, on dit qu’il y a urgence lorsque « qu’un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur » (R. Perrot, Cours de droit judiciaire privé, 1976-1977, p. 432).
    • Il appartient de la sorte au juge de mettre en balance les intérêts du requérant qui, en cas de retard, sont susceptibles d’être mis en péril et les intérêts du défendeur qui pourraient être négligés en cas de décision trop hâtive à tout le moins mal-fondée.
    • En toute hypothèse, l’urgence est appréciée in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.
  • La compatibilité du rétablissement de l’exécution provisoire avec la nature de l’affaire
    • À l’examen, la jurisprudence considère que la compatibilité s’apprécie au regard du caractère irréversible du dommage susceptible d’être causé à la partie bénéficiaire de la décision ou au caractère irrémédiable de la solution rendue
    • Ainsi, lorsque le juge se prononce sur le rétablissement de l’exécution provisoire il doit se demander si un retour en arrière est possible en cas de réformation de sa décision en appel.
    • Si tel est le cas, alors l’exécution provisoire peut être rétablie.
    • À titre d’exemple, on peut penser que l’exécution immédiate d’une décision ordonnant la destruction d’un bien immobilier peut être considérée comme incompatible avec la nature de l’affaire.
    • Il en va de même en matière de décision statuant sur l’état des personnes (divorce, établissement d’un lien de filiation etc.).
  • L’absence de risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives
    • Pour mémoire, la Cour de cassation a défini les critères de qualification de la notion de conséquences manifestement excessives, notamment dans un arrêt d’assemblée plénière du 2 novembre 1990 (Cass., ass. plén., 2 nov. 1990, n°90-12.698).
    • Dans cette décision, elle a considéré que le caractère manifestement excessif des conséquences de l’exécution provisoire devait s’apprécier, quel que soit le montant de la condamnation, exclusivement, au regard de la situation du débiteur, compte tenu de ses facultés, ou des facultés de remboursement du créancier (V. également en ce sens Cass. 2e civ, 12 nov. 1997, n° 95-20.280).
    • La doctrine tend à analyser très restrictivement le contenu de la notion ainsi définie par la Haute juridiction, n’y admettant que les situations dans lesquelles l’exécution provisoire risque de laisser des traces indélébiles d’une gravité suffisante, c’est-à-dire de causer un dommage irréparable, ou quasi irréparable.

Ce n’est seulement que si ces trois conditions sont réunies que l’exécution provisoire de droit qui avait été écartée en première instance peut être rétablie.

4. Aménagement de l’exécution provisoire de droit

Le Premier président de la Cour d’appel dispose toujours de la faculté d’aménager l’exécution provisoire de droit en ordonnant l’une des mesures prévues aux articles 521 et 522 du CPC.

L’aménagement de l’exécution provisoire de droit relève du pouvoir discrétionnaire du Premier président qui peut, en tout état de cause, adopter deux sortes de mesures :

  • Première mesure : consignation des fonds dus au titre de la condamnation
    • L’article 521, al. 1er du CPC dispose que « la partie condamnée au paiement de sommes autres que des aliments, des rentes indemnitaires ou des provisions peut éviter que l’exécution provisoire soit poursuivie en consignant, sur autorisation du juge, les espèces ou les valeurs suffisantes pour garantir, en principal, intérêts et frais, le montant de la condamnation. »
    • Il ressort de cette disposition que la partie qui a succombé en première instance, peut être contrainte par le juge de consigner le montant de la somme qu’il a été condamné à verser.
    • Il ne s’agit pas ici de conditionner l’exécution provisoire dont bénéficie le créancier, mais de permettre au débiteur d’éviter qu’elle soit poursuivie à son encontre.
    • Si, cette mesure présente l’avantage de prémunir la partie perdante de l’insolvabilité de son contradicteur en cas de réformation de la décision rendue, l’inconvénient est qu’elle ne permet pas à ce dernier de percevoir immédiatement le montant de la condamnation, ce qui peut lui être fort préjudiciable en cas de fragilité de sa situation financière.
    • C’est la raison pour laquelle le législateur a écarté cette mesure en matière de condamnation relative au paiement de sommes qui correspondent à des aliments, des rentes indemnitaires ou des provisions.
    • À cet égard, l’article 521, al. 2 du CPC précise que « en cas de condamnation au versement d’un capital en réparation d’un dommage corporel, le juge peut aussi ordonner que ce capital sera confié à un séquestre à charge d’en verser périodiquement à la victime la part que le juge détermine. »
    • Dans un arrêt du 12 juillet 1992, la Cour de cassation a précisé que cette mesure n’était pas limitée au cas de condamnation du chef de la réparation d’un dommage corporel
    • La deuxième chambre civile a, en effet, considéré que « lorsque l’exécution provisoire est de droit, le premier président peut, en vertu de l’article 524 du nouveau Code de procédure civile, prendre la mesure prévue à l’article 521, alinéa 2, du même Code pour toute condamnation au versement d’un capital, sans avoir à rechercher si l’exécution aurait des conséquences manifestement excessives » (Cass. 2e civ. 12 juill. 1992, n°91-11.280).
  • Seconde mesure : substitution à la garantie primitive d’une garantie équivalente
    • L’article 522 du CPC dispose que « le juge peut, à tout moment, autoriser la substitution à la garantie primitive d’une garantie équivalente. »
    • Pratiquement ce pouvoir est en réalité limité puisqu’il suppose qu’une garantie ait été initialement et régulièrement constituée.
    • L’exécution provisoire étant de droit, la faculté conférer au juge de substituer la garantie n’aura d’intérêt que le juge subordonne l’exécution provisoire à la constitution d’une garantie.

5. Les mesures accessoires à l’exécution provisoire de droit

L’article 514-5 du CPC prévoit que « le rejet de la demande tendant à voir écarter ou arrêter l’exécution provisoire de droit et le rétablissement de l’exécution provisoire de droit peuvent être subordonnés, à la demande d’une partie ou d’office, à la constitution d’une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations. »

Cette faculté dont dispose le juge d’exiger la constitution d’une garantie vise à éviter que la restitution ou la réparation soit impossible en cas de réformation de la décision contestée.

  • La nature de la garantie
    • La garantie exigée par le juge peut consister, tant en un cautionnement bancaire qu’en une hypothèque, un nantissement ou un gage.
    • À cet égard, l’article 518 du CPC précise que la nature, l’étendue et les modalités de la garantie prévue aux articles 514-5 et 517 doivent être précisées par la décision qui en prescrit la constitution.
    • En toute hypothèse, le jugement ne deviendra alors exécutoire qu’à la condition que la garantie soit constituée.
  • Détermination de la valeur de la garantie
    • L’article 520 du CPC dispose que si la valeur de la garantie ne peut être immédiatement appréciée, le juge invite les parties à se présenter devant lui à la date qu’il fixe, avec leurs justifications.
    • Il est alors statué sans recours.
    • La décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement.
  • Modalités de constitution de la garantie
    • En application de l’article 519 du CPC, lorsque la garantie consiste en une somme d’argent, celle-ci peut être déposée
      • Soit, par défaut, à la Caisse des dépôts et consignations
      • Soit, à la demande de l’une des parties, entre les mains d’un tiers commis à cet effet
    • Dans ce dernier cas, le juge, s’il fait droit à cette demande, doit constater dans sa décision les modalités du dépôt.
    • L’article 519 du CPC précise que si le tiers refuse le dépôt, la somme est déposée, sans nouvelle décision, à la Caisse des dépôts et consignations.

B) L’exécution provisoire facultative

L’exécution provisoire facultative est régie par les articles 515 à 517-4 du CPC.

À l’examen, le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile pris en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a maintenu le droit en vigueur sous réserve de deux modifications apportées à l’article 517-1 du CPC, qui reprend partiellement les quatre premiers alinéas de l’ancien article 524 du CPC.

1. L’octroi de l’exécution provisoire

a. Conditions d’octroi

L’article 515 du CPC dispose que « lorsqu’il est prévu par la loi que l’exécution provisoire est facultative, elle peut être ordonnée, d’office ou à la demande d’une partie, chaque fois que le juge l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire. »

Il ressort de cette disposition que l’exécution provisoire peut être ordonnée par le Juge lorsqu’elle n’est pas de droit et qu’elle n’est pas interdite par la loi.

Son octroi est toutefois subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives. L’exécution provisoire doit, en effet, être, d’une part, nécessaire et, d’autre part, compatible avec la nature de l’affaire.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par compatibilité et nécessité :

  • Sur la compatibilité de l’exécution provisoire avec la nature l’affaire
    • À l’examen, la jurisprudence considère que la compatibilité s’apprécie au regard du caractère irréversible du dommage susceptible d’être causé à la partie bénéficiaire de la décision ou au caractère irrémédiable de la solution rendue
    • Ainsi, lorsque le juge octroie l’exécution provisoire il doit se demander si un retour en arrière est possible en cas de réformation de sa décision en appel.
    • Si tel est le cas, alors l’exécution provisoire peut être ordonnée.
    • À titre d’exemple, on peut penser que l’exécution immédiate d’une décision ordonnant la destruction d’un bien immobilier peut être considérée comme incompatible avec la nature de l’affaire.
    • Il en va de même en matière de décision statuant sur l’état des personnes (divorce, établissement d’un lien de filiation etc.)
  • Sur la nécessité de l’exécution provisoire
    • Le caractère nécessaire de l’exécution provisoire s’apprécie au regard des intérêts du bénéficiaire de la décision.
    • Il convient donc pour le juge de tenir compte de l’ancienneté de la créance, de la situation financière du créancier ou encore son état de fragilité.

b. Compétence

Selon le stade de la procédure et le sens de la décision rendue, les règles de compétence désigneront, tantôt le juge de première instance, tantôt le Premier président de la Cour d’appel pour statuer sur l’octroi de l’exécution provisoire

  • Au stade de la première instance
    • Principe
      • Le juge compétent pour statuer sur l’octroi de l’exécution provisoire est le Juge de première instance qui peut :
        • Soit accéder à la demande formulée par les parties par voie de conclusions écrites orales
        • Soit accorder l’exécution provisoire d’office, de sa propre initiative
    • Exception
      • L’article 517-2 du CPC dispose que « lorsque l’exécution provisoire a été refusée, elle ne peut être demandée, en cas d’appel, qu’au premier président ou, dès lors qu’il est saisi, au magistrat chargé de la mise en état et à condition qu’il y ait urgence »
      • Il ressort de cette disposition que, en cas de refus d’octroi de l’exécution provisoire par le Juge de première instance, tout n’est pas perdu par la partie déboutée de sa demande : elle peut formuler une nouvelle demande auprès :
        • Soit du Premier président de la Cour d’appel
        • Soit du Conseiller de la mise en état
      • Pour qu’il soit fait droit à sa demande, il devra néanmoins établir l’urgence, ce qui consistera à démontrer que, l’absence d’exécution provisoire, pourrait avoir des conséquences irréversibles.
  • Au stade de l’appel
    • L’article 517-3 du CPC prévoit que « lorsque l’exécution provisoire n’a pas été demandée, ou si, l’ayant été, le juge a omis de statuer, elle ne peut être demandée, en cas d’appel, qu’au premier président ou, dès lors qu’il est saisi, au magistrat chargé de la mise en état. »
    • Dans l’hypothèse où le juge de première instance a omis de statuer sur l’exécution provisoire ou qu’elle n’a pas été demandée, elle peut être octroyée au stade de l’appel
      • Soit par le Premier président tant qu’aucun Conseiller de mise en état n’est saisi
      • Soit par le Conseiller de la mise en état lorsque la procédure d’appel est engagée
    • En tout état de cause, contrairement à l’hypothèse où l’exécution provisoire a été refusée en première instance, il n’est pas nécessaire ici de justifier d’une urgence.
    • Aussi, l’octroi de l’exécution provisoire sera déterminé en considération de sa compatibilité avec l’affaire ou de sa nécessité.

2. L’arrêt de l’exécution provisoire facultative

a. Compétence

La compétence de la juridiction qui est investie du pouvoir d’arrêter l’exécution provisoire ordonnée dépend de la voie de recours exercée par le demandeur (art. 517-1 CPC) :

  • En cas d’appel, c’est le Premier président de la Cour d’appel qui est compétent pour statuer sur l’arrêt de l’exécution provisoire ordonnée
  • En cas d’opposition, c’est le juge qui a rendu la décision qui est compétent pour statuer sur l’arrêt de l’exécution provisoire dont elle est assortie

b. Causes de l’arrêt de l’exécution provisoire

L’article 517-1 du CPC dispose que lorsque l’exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée en cas d’appel, que par le premier président :

  • Soit si elle est interdite par la loi
  • Soit lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives

α: S’agissant des cas où l’exécution provisoire est interdite par loi

Les cas d’interdiction d’exécution provisoire sont exceptionnels. On peut citer la prestation compensatoire fixée par la décision qui prononce le divorce (art. 1079 CPC), le jugement qui déclare le faux (art. 310 CPC).

Faisant application de l’article 178 du décret du 27 novembre 1991, la Cour de cassation juge que les décisions rendues par le bâtonnier en matière de contestation d’honoraires ne peuvent être assorties de l’exécution provisoire par celui-ci (Cass. 1ère civ., 9 avr. 2002, n° 99-19.761).

Il faut souligner que l’article 46 du décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005, entré en vigueur le 1er mars 2006 et applicable aux procédures en cours, a abrogé l’alinéa 2 de l’article 515 du Code de procédure civile interdisant d’ordonner l’exécution provisoire pour les dépens.

β: S’agissant des cas où il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives

Lorsque l’exécution provisoire a été ordonnée, au fond, conformément à l’article 515 du CPC, son arrêt est subordonné :

  • D’une part, à l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision
  • D’autre part, à l’existence d’un risque que l’exécution provisoire entraîne des conséquences manifestement excessives

🡺Sur l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision

Pour que le demandeur soit fondé à solliciter la suspension de l’exécution provisoire lorsqu’elle a été ordonnée, il doit donc justifier l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision rendue en première instance

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision »

Tout d’abord, il peut être relevé que cette condition est une reprise de l’article R. 121-22 du Code des procédures civiles d’exécution qui autorise le Premier président de la Cour d’appel à prononcer un sursis à l’exécution des décisions prises par le juge de l’exécution.

Ce sursis à exécution ne peut, toutefois, être accordé, selon le texte, que s’il existe « des moyens sérieux d’annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour. »

La formulation de l’article 514-3 du CPC est ainsi empruntée à l’article R. 121-22 du CPCE.

Reste que, aucun de ces deux textes ne fournit de clé de lecture de la condition posée.

En dépit d’indications, il peut tout d’abord être relevé que l’article 514-3 du CPC ne distingue pas selon que les moyens soulevés par le demandeur intéressent le fond du litige ou la procédure.

Ensuite, l’emploi de la formulation « moyen sérieux » invite le Premier président de la Cour d’appel à se livrer à une appréciation du bien-fondé de l’appel.

Il lui faudra, autrement dit, déterminer si la décision rendue en première instance comporte des erreurs de droit, à tout le moins si les critiques encourues sont suffisamment pertinentes pour justifier une réformation de la décision.

En la matière, le Premier président disposera d’un pouvoir souverain d’appréciation, de sorte que sa décision devrait, sur ce point, échapper au contrôle exercé par la Cour de cassation.

🡺Sur l’existence d’un risque que l’exécution provisoire entraîne des conséquences manifestement excessives

La question qui se pose ici est de savoir ce que l’on doit entendre par « conséquences manifestement excessives ».

La Cour de cassation a défini les critères de qualification de la notion de conséquences manifestement excessives, notamment dans un arrêt d’assemblée plénière du 2 novembre 1990 (Cass., ass. plén., 2 nov. 1990, n°90-12.698).

Dans cette décision, elle a considéré que le caractère manifestement excessif des conséquences de l’exécution provisoire devait s’apprécier, quel que soit le montant de la condamnation, exclusivement, au regard de la situation du débiteur, compte tenu de ses facultés, ou des facultés de remboursement du créancier (V. également en ce sens Cass. 2e civ, 12 nov. 1997, n° 95-20.280).

La doctrine tend à analyser très restrictivement le contenu de la notion ainsi définie par la Haute juridiction, n’y admettant que les situations dans lesquelles l’exécution provisoire risque de laisser des traces indélébiles d’une gravité suffisante, c’est-à-dire de causer un dommage irréparable, ou quasi irréparable .

Ainsi, l’importance de la condamnation n’est pas, en elle-même, un motif suffisant pour justifier l’arrêt ou l’aménagement de l’exécution provisoire, encore faut-il que les facultés du débiteur ne lui permettent pas d’exécuter le jugement sans encourir de graves conséquences, susceptibles de rompre de manière irréversible son équilibre financier ou, à l’inverse, que le risque d’insolvabilité, l’absence ou la faiblesse des facultés de restitution chez le créancier, voire son comportement ou sa situation particulière, soient de nature à compromettre le remboursement en cas d’infirmation du jugement.

Il résulte en outre de l’arrêt du 2 novembre 1990, ainsi que de très nombreuses autres décisions de la Cour de cassation, que ne saurait être arrêtée ou aménagée l’exécution provisoire bénéficiant à un jugement, motif pris des chances de succès ou du bien-fondé de l’appel (Cass 3e civ., 4 nov. 1987, n° 86-13.189), de l’irrégularité du jugement (Cass 2e civ., 25 mars 1992, n°90-21.962), voire de la méconnaissance des droits de la défense (Cass 2e civ., 13 mars 1996, n°95-16.325).

Cela étant, dans la limite et le respect des critères établis par la jurisprudence de la Cour de cassation, la mesure d’arrêt de l’exécution provisoire relève néanmoins du pouvoir souverain d’appréciation, par le juge qui examine la demande, du risque de conséquences manifestement excessives (Cass. soc., 11 déc. 1990, n°86-45.377, Cass. 2e civ. 5 février 1997, n° 94-21.070).

Il n’est donc pas possible, s’agissant de questions de fait, de déterminer de manière générale les cas dans lesquels sera ou non caractérisée l’existence de conséquences manifestement excessives.

Il convient en conséquence, dans chaque espèce, de déterminer si la poursuite de l’exécution provisoire de droit est susceptible d’entraîner, non pas seulement des difficultés financières chez le débiteur – insuffisantes à caractériser l’existence de conséquences manifestement excessives – mais également des dommages irréversibles dépassant très largement les risques normaux inhérents à toute exécution provisoire.

De même, l’appréciation du risque de non-restitution par le bénéficiaire de l’exécution provisoire doit tenir compte de tous les éléments, tant actuels, que raisonnablement envisageables dans l’avenir, permettant d’apprécier la capacité réelle, ou la volonté objective, du créancier de rembourser les sommes versées en cas d’infirmation de la décision des premiers juges (ordonnance suspendant l’exécution provisoire d’une condamnation de l’État au versement d’une somme importante à un particulier, dès lors que ce dernier, non-résident, ne possédait en France aucun bien propre à répondre d’une restitution éventuelle et n’avait fourni aucun engagement de caution).

3. L’aménagement de l’exécution provisoire ordonnée

L’article 517-1 du CPC autorise l’aménagement de l’exécution provisoire lorsqu’elle a été ordonnée, selon les modalités prévues aux articles 517 et 518 à 522 du CPC.

Cette possibilité d’aménagement de l’exécution provisoire facultative n’est ouverte qu’à la condition qu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives

Le législateur est ainsi revenu sur la position de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 23 janvier 1991 avait estimé que la possibilité d’aménager l’exécution provisoire ordonnée par le juge n’était pas subordonnée à la condition que cette exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives (Cass. 2e civ., 23 janv. 1991, n° 89-18.925)

Désormais, lorsque la double condition énoncée à l’article 517-1 du CPC est remplie, trois sortes de mesures d’aménagement de l’exécution provisoire sont susceptibles d’être prises par le Juge :

  • La constitution d’une garantie
  • La consignation d’une somme d’argent
  • La substitution de la garantie initiale par une garantie équivalente

La possibilité d’aménager l’exécution provisoire relève du pouvoir discrétionnaire du premier président (Cass., 2e civ., 26 oct. 2006, n° 04-18.722).

🡺S’agissant de la constitution d’une garantie

  • Principe de constitution de la garantie
    • L’article 517 du CPC dispose que « l’exécution provisoire peut être subordonnée à la constitution d’une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations. »
    • Cette faculté dont dispose le juge d’exiger la constitution d’une garantie vise à éviter que la restitution ou la réparation soit impossible en cas de réformation de la décision contestée.
    • La garantie exigée par le juge peut consister, tant en un cautionnement bancaire qu’en une hypothèque, un nantissement ou un gage.
    • À cet égard, l’article 518 du CPC précise que la nature, l’étendue et les modalités de la garantie sont précisées par la décision qui en prescrit la constitution.
    • En toute hypothèse, le jugement ne deviendra alors exécutoire qu’à la condition que la garantie soit constituée.
  • Détermination de la valeur de la garantie
    • L’article 520 du CPC dispose que si la valeur de la garantie ne peut être immédiatement appréciée, le juge invite les parties à se présenter devant lui à la date qu’il fixe, avec leurs justifications.
    • Il est alors statué sans recours.
    • La décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement.
  • Modalités de constitution de la garantie
    • En application de l’article 519 du CPC, lorsque la garantie consiste en une somme d’argent, celle-ci peut être déposée
      • Soit, par défaut, à la Caisse des dépôts et consignations
      • Soit, à la demande de l’une des parties, entre les mains d’un tiers commis à cet effet
    • Dans ce dernier cas, le juge, s’il fait droit à cette demande, doit constater dans sa décision les modalités du dépôt.
    • L’article 519 du CPC précise que si le tiers refuse le dépôt, la somme est déposée, sans nouvelle décision, à la Caisse des dépôts et consignations.

🡺S’agissant de la consignation d’une somme d’argent

L’article 521 du CPC prévoit que « la partie condamnée au paiement de sommes autres que des aliments, des rentes indemnitaires ou des provisions peut éviter que l’exécution provisoire soit poursuivie en consignant, sur autorisation du juge, les espèces ou les valeurs suffisantes pour garantir, en principal, intérêts et frais, le montant de la condamnation. »

Il ressort de cette disposition que la partie qui a succombé en première instance, peut être contrainte par le juge de consigner le montant de la somme qu’il a été condamné à verser.

Il ne s’agit pas ici de conditionner l’exécution provisoire dont bénéficie le créancier, mais de permettre au débiteur d’éviter qu’elle soit poursuivie à son encontre.

Si, cette mesure présente l’avantage de prémunir la partie perdante de l’insolvabilité de son contradicteur en cas de réformation de la décision rendue, l’inconvénient est qu’elle ne permet pas à ce dernier de percevoir immédiatement le montant de la condamnation, ce qui peut lui être fort préjudiciable en cas de fragilité de sa situation financière.

C’est la raison pour laquelle le législateur a écarté cette mesure en matière de condamnation relative au paiement de sommes qui correspondent à des aliments, des rentes indemnitaires ou des provisions.

À cet égard, l’article 521, al. 2 du CPC précise que « en cas de condamnation au versement d’un capital en réparation d’un dommage corporel, le juge peut aussi ordonner que ce capital sera confié à un séquestre à charge d’en verser périodiquement à la victime la part que le juge détermine. »

🡺S’agissant de la substitution de la garantie initiale par une garantie équivalente

L’article 522 du CPC dispose que « le juge peut, à tout moment, autoriser la substitution à la garantie primitive d’une garantie équivalente. »

Pratiquement ce pouvoir est en réalité limité puisqu’il suppose qu’une garantie ait été initialement et régulièrement constituée.

II) Le sort de l’exécution provisoire à l’issue de la procédure d’appel ou d’opposition

A) En cas de confirmation de la décision de première instance

En cas de confirmation de la décision rendue en première instance, l’exécution provisoire devient définitive, de sorte qu’il n’est plus possible de la remettre en cause, sauf cassation de l’arrêt d’appel.

Il en résulte que les garanties qui ont pu être exigées sont levées et les sommes consignées versées à la partie gagnante.

B) En cas d’infirmation de la décision de première instance

L’article L. 111-10 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que si l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme en vertu d’un titre exécutoire à titre provisoire, elle se fait « aux risques du créancier ».

Dès lors, le débiteur devra être rétabli dans ses droits en nature ou par équivalent si le titre exécutoire est ultérieurement modifié par réformation de la décision adoptée en première instance.

Ce rétablissement du débiteur dans ses droits se traduira par des restitutions et/ou des réparations.

1. Les restitutions

En application de l’article L. 111-10 du Code des procédures civiles d’exécution, la jurisprudence considère que, en cas d’exécution provisoire, d’une décision réformée en appel, il y a lieu à restitution.

Cette disposition prévoit, plus précisément, que celui qui a fait exécuter la décision infirmée doit rétablir « le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent ».

Cette obligation de restitution qui pèse sur le créancier finalement débouté par la cour d’appel soulève immédiatement deux interrogations

  • Quid du point de départ de l’obligation de restitution
  • Quid de l’étendue de l’obligation de restitution

🡺Sur le point de départ de l’obligation de restitution

Le point de départ de l’obligation de restitution est constitué par la notification de la décision ouvrant droit à restitution.

Dans un arrêt du 3 mars 1995, l’assemblée plénière a jugé en ce sens, au visa de l’ancien article 1153, al. 3 du Code civil, que « la partie qui doit restituer une somme qu’elle détenait en vertu d’une décision de justice exécutoire n’en doit les intérêts au taux légal qu’à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution » (Cass. ass. plén. 3 mars 1995, 91-19.497).

L’obligation de restitution ne fait aucun doute lorsque la décision d’appel, annulant ou infirmant la décision des premiers juges, porte expressément condamnation à restituer.

La question s’est en revanche posée de savoir si la notification de la décision d’appel permet d’exiger la restitution de ce qui a été versé au titre de l’exécution provisoire, lorsque l’arrêt est silencieux sur ce point.

Depuis longtemps, la jurisprudence considère que la décision d’infirmation ou d’annulation constitue un titre exécutoire permettant de poursuivre les restitutions sans que le juge d’appel ne l’ordonne expressément (V. en ce sens Cass. soc., 27 févr. 1991 ; Cass. 3e civ., 19 février 2002).

De l’avis des auteurs, cette solution est pleinement justifiée dans la mesure où l’appel est une voie de réformation.

La décision d’appel venant modifier la décision de première instance et se substituant à celle-ci, elle met nécessairement à néant les dispositions contraires du jugement, de sorte que le simple rapprochement des deux décisions permet de déterminer les dispositions qui n’ont plus lieu d’être et, en conséquence, de justifier la restitution.

Cette solution a en outre le mérite d’éviter de multiplier inutilement les procédures judiciaires.

🡺Sur l’étendue de l’obligation de restitution

L’étendue de l’obligation de restitution diffère selon que celle-ci est effectuée en nature ou par équivalent.

Lorsqu’elle est possible, la restitution en nature ne pose pas de difficulté particulière.

L’intimé doit restituer tout ce que l’appelant lui avait remis et en cas d’infirmation partielle, les restitutions ne doivent intervenir qu’à due concurrence.

Dans l’hypothèse où la restitution en nature est impossible, la restitution est effectuée par équivalent sous forme de dommages-intérêts puisque l’exécution a été poursuivie aux risques du créancier.

S’agissant de l’hypothèse la plus courante, qui est celle de la restitution d’une somme d’argent, s’est posée la question de savoir laquelle des deux parties devaient bénéficier des intérêts produits entre la date à laquelle le paiement a été effectué au titre de l’exécution provisoire et celle de la restitution.

Jusqu’en 1987, la Cour de cassation décidait que dans la mesure où l’intimé n’aurait en définitive jamais dû être mis en possession de la somme d’argent, puisque la cour d’appel a refusé de le déclarer créancier, il était tenu à restituer les intérêts qu’il avait perçus au cours de l’instance d’appel (V. en ce sens Cass. soc., 28 oct. 1981).

La Cour de cassation a néanmoins opéré, sur ce point, un revirement de jurisprudence en 1987, initié par un arrêt de la chambre sociale le 16 juillet (Cass. soc., 16 juill. 1987).

Les autres Chambres de la Cour de cassation ont à leur tour consacré cette solution, en considérant que le créancier ne pouvait être tenu, considérant que son titre n’a « disparu, qu’à la restitution selon les principes de l’article 1153, alinéa 2, du Code civil » (Cass. 1ère civ., 3 janv. 1991 ; Cass. 2e civ., 9 décembre 1999).

Cette règle a, enfin, été consacrée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt du 3 mars 1995 (Cass. Ass. Plén., 3 mars 1995).

Les intérêts légaux ne courent donc qu’à compter de la signification, portant sommation de restituer, de l’arrêt de la cour d’appel infirmant ou annulant le jugement assorti de l’exécution provisoire.

Cette solution n’est pas, selon la doctrine, à l’abri de toute critique. En effet, la somme versée au titre de l’exécution provisoire a produit des intérêts durant l’instance d’appel.

Il s’agit donc de déterminer si la partie qui doit bénéficier de ces intérêts est celle qui était en droit de percevoir la somme, puisque disposant d’un titre exécutoire, ou celle qui a eu en définitive gain de cause.

Dans la mesure où la restitution doit être intégrale, il serait donc préférable de considérer qu’elle doit également porter sur les fruits, c’est-à-dire les intérêts.

En effet, il résulte de l’infirmation de la décision de première instance que l’intimé n’aurait, en principe, jamais dû percevoir cette somme.

En d’autres termes, la jurisprudence actuelle fait bénéficier l’une des parties des intérêts d’une somme qu’elle n’aurait jamais dû percevoir.

En conséquence, il serait préférable de considérer que la restitution doit également porter sur les intérêts.

Reste que dans un arrêt du 15 mai 2003, la Cour de cassation a réitéré sa solution en affirmant que « la partie qui doit restituer une somme qu’elle détenait en vertu d’une décision de justice exécutoire n’en doit les intérêts au taux légal qu’à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution » (Cass. 2e civ. 15 mai 2003, n°99-21.657).

2. Les réparations

Parce que l’article L. 111-10 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que l’exécution provisoire est poursuivie aux risques et périls du créancier.

En cas de modification du titre dont il se prévaut, la jurisprudence a toujours considéré que, par principe, pesait sur ce dernier une obligation de réparer les dommages causés par l’exécution provisoire de la décision de première instance, ultérieurement annulée ou infirmée.

Ce principe doit néanmoins être tempéré par la règle énoncée à l’article L. 111-11 du même Code qui dispose que si « le pourvoi en cassation en matière civile n’empêche pas l’exécution de la décision attaquée, […] cette exécution ne peut donner lieu qu’à restitution ; elle ne peut en aucun cas être imputée à faute. »

Aussi, ressort-il de la combinaison de ces deux dispositions que le régime de l’obligation de réparation diffère selon que le recours exercé est ou non suspensif.

🡺S’agissant d’un recours suspensif

Lorsque le recours exercé par l’appelant est suspensif, c’est l’article L. 111-10 du Code des procédures civiles d’exécution qui a vocation à s’appliquer de sorte qu’une obligation de réparation pèse sur l’intimé du seul fait de l’accomplissement d’un acte d’exécution forcée.

En la matière, la jurisprudence fait application des principes généraux de la responsabilité civile.

Aussi conviendra-t-il de rapporter la preuve que l’acte d’exécution a causé un préjudice à la partie contre laquelle l’exécution provisoire a été engagée.

Pour donner droit à indemnisation, encore faut-il que ce préjudice soit réparable. Le plus souvent, il s’agira de la perte de jouissance d’un bien et des conséquences qui en ont découlé (V. en ce sens Cass. com., 12 février 1973).

Le préjudice pourra encore consister en une perte de gain résultant de ce qu’un investissement n’a pu être effectué ou même des conséquences d’un état de cessation des paiements provoqué par le fait de n’avoir pas eu la somme en cause à disposition.

S’agissant du fait générateur du préjudice, il est constitué par l’acte d’exécution forcée qui a été pratiqué par l’intimé à l’encontre de l’appelant.

La jurisprudence exige en effet que l’intimé ait fait pratiquer des actes d’exécution forcée (Cass. 1ère civ., 6 juin 1990).

Une exécution spontanée de la part de l’appelant ne saurait donc lui permettre d’obtenir réparation du préjudice qu’il a subi en raison de cette exécution (V. en ce sens Cass. 3e civ, 26 mars 1997).

Dans un arrêt du 1er juillet 1998, la Cour de cassation a précisé qu’il n’est nullement besoin pour la partie qui sollicite la réparation de son préjudice de démontrer que l’intimé a commis une faute en exigeant l’exécution de la décision de première instance (Cass. 3e civ., 1er juill. 1998, n° 96-18.930).

Il en résulte que la réparation s’impose du seul fait de l’exécution forcée.

🡺S’agissant d’un recours non-suspensif

Lorsque le recours exercé par l’appelant est suspensif, c’est l’article L. 111-11 du Code des procédures civiles d’exécution qui a vocation à s’appliquer.

Pour rappel, cette disposition prévoit que si « le pourvoi en cassation en matière civile n’empêche pas l’exécution de la décision attaquée, […] cette exécution ne peut donner lieu qu’à restitution ; elle ne peut en aucun cas être imputée à faute. »

Il en résulte que l’accomplissement d’un acte d’exécution forcée ne saurait constituer, en lui-même, une faute. Pour obtenir réparation du préjudice causé par l’exécution provisoire, l’appelant devra prouver le caractère fautif de la mise en œuvre de l’exécution provisoire.

Par un arrêt du 9 novembre 2000, la Cour de cassation avait déjà ouvert : après avoir affirmé que « le recours par une voie extraordinaire et le délai ouvert pour l’exercer ne sont pas suspensifs d’exécution si la loi n’en dispose autrement », la deuxième chambre civile en a déduit « qu’en matière de tierce opposition et de recours en révision, seule une exécution fautive peut donner lieu à réparation » (Cass. civ. 2ème, 9 nov. 2000).

La Cour de cassation a certes précisé que la voie de recours qui était exercée en l’occurrence était une voie de recours extraordinaire. Mais elle s’est fondée sur le caractère non suspensif d’une telle voie de recours, pour en déduire que seule une exécution fautive peut donner lieu à réparation.

  1. Conclusions prises par la SCP Nicolay – de Lanouvelle – Honnotin

Le délai de notification/signification d’un jugement ou d’un arrêt

I) Principe : le délai de 10 ans

L’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que « l’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long ».

Il se déduit de cette disposition que le délai de principe pour notifier les décisions de justice est de 10 ans.

Ce délai peut être prorogé pour les créances qui se prescrivent par un délai plus long. Tel est le cas, par exemple, de la créance née de la survenance d’un dommage corporel causé par des tortures ou des actes de barbarie ou par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur qui n’est prescrite qu’au bout de vingt ans conformément à l’article 2226, al. 2e, du code civil.

Dans cette hypothèse, le délai de signification de la décision rendue est identique à celui attaché à la prescription de l’action, soit 20 ans.

II) Tempérament : le délai de 2 ans

L’article 528-1 du CPC dispose que « si le jugement n’a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l’expiration dudit délai. »

Cette disposition pose ainsi une limite à la possibilité pour les parties d’interjeter appel, à l’expiration d’un délai de deux ans.

Dans un arrêt du 9 avril 2015, la Cour de cassation a précisé que « si le jugement, qui tranche tout le principal ou qui, statuant sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident, met fin à l’instance, n’est pas notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l’expiration du dit délai » (Cass. 2e civ. 9 avr. 2015, n°14-15789).

Il ressort de cette disposition que le délai de forclusion ainsi institué pour interjeter appel fixé à deux ans est applicable pour :

  • Les jugements qui tranchent tout le principal
  • Les jugements qui statuent sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident mettant fin à l’instance

A contrario, si la décision ne tranche qu’une partie du principal, tel un jugement mixte, l’article 528-1 du CPC n’est pas applicable.

Dans un arrêt du 30 janvier 2003, la deuxième chambre civile a encore considéré que « les principes de sécurité juridique et de bonne administration de la justice qui fondent les dispositions de l’article 528-1 du nouveau Code de procédure civile constituaient des impératifs qui n’étaient pas contraires aux dispositions de l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (Cass. 2e civ. 30 janv. 2003, n°99-19488).

Pour la Cour de cassation il est indifférent que la partie susceptible d’exercer le recours, dans la mesure où « les dispositions de l’article 528-1 du nouveau Code de procédure civile ne fixent pas le point de départ d’un délai de recours, mais le terme au-delà duquel aucun recours ne peut plus être exercé par la partie qui a comparu, peu important la date à laquelle cette partie a eu une connaissance effective de la décision ; » (Cass. 2e civ., 11 mars 1998, n°96-12749).

III) Exception : le délai de 6 mois

L’article 478 du CPC dispose que « le jugement rendu par défaut ou le jugement réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel est non avenu s’il n’a pas été notifié dans les six mois de sa date ».

Ainsi, lorsque le jugement est rendu par défaut ou est réputé contradictoire, le délai de notification est de 6 mois sous peine de caducité de la décision.

La question qui alors se pose est de savoir ce qu’est un jugement rendu par défaut et un jugement réputé contradictoire.

Pour rappel, un jugement est susceptible d’endosser trois qualifications différentes. Aussi, distingue-t-on :

  • Le jugement contradictoire
    • Aux termes de l’article 467du Code de procédure civile « le jugement est contradictoire dès lors que les parties comparaissent en personne ou par mandataire, selon les modalités propres à la juridiction devant laquelle la demande est portée.»
    • Ainsi, le jugement est contradictoire dès lors que chacun des plaideurs a eu connaissance du procès, à tout le moins a été en mesure de présenter ses arguments.
  • Le jugement réputé contradictoire
    • La décision est réputée contradictoire lorsque :
      • Le défendeur n’a pas comparu
        • ET
      • La décision qui sera prononcée est susceptible d’appel
        • OU
      • La citation a été délivrée à personne
  • Le jugement par défaut
    • L’absence de comparution du défendeur ne doit pas faire obstacle au cours de la justice.
    • Aussi, l’article 468du Code de procédure autorise-t-il le juge à statuer lorsque trois conditions cumulatives sont réunies :
      • Le défendeur ne doit pas avoir comparu personnellement ou ne doit pas être représenté
      • L’assignation ne doit pas avoir été délivrée à personne
      • L’appel n’est pas ouvert contre l’acte introductif d’instance
    • La rigueur de ces conditions, s’explique par la volonté du législateur de restreindre les jugements rendus par défaut.

Le délai de 6 mois dont disposent les parties pour notifier la décision sous peine de caducité ne s’applique donc :

  • Au jugement rendu par défaut
  • Au jugement réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel

Il en résulte que pour les jugements réputés contradictoires au motif que nonobstant l’absence de comparution du défendeur, la citation a été délivrée à personne, le délai de 6 mois n’est pas applicable.

La signification d’avocat à avocat

==> Principe

L’article 678 du CPC dispose que « lorsque la représentation est obligatoire, le jugement doit en outre être préalablement notifié aux représentants dans la forme des notifications entre avocats, faute de quoi la notification à la partie est nulle ».

Ainsi, pour les procédures qui exigent la constitution d’un avocat par les parties, la notification de la décision doit, au préalable, être effectuée auprès du représentant ad litem.

Cette règle procède de l’idée que l’avocat, en tant qu’auxiliaire de justice, et professionnel du droit, est le plus à même :

  • D’une part, de comprendre les termes et la portée du jugement rendu
  • D’autre part, de conseiller la personne contre qui la décision est rendue quant à l’opportunité d’exercer une voie de recours

==> Domaine de l’exigence de notification

L’article 678 du CPC exige que la décision soit notifiée aux avocats que dans l’hypothèse où la représentation est obligatoire, soit dans les procédures pendantes devant le Tribunal de grande instance et la Cour d’appel.

Lorsque la représentation par avocat est facultative (Tribunal d’instance ou Tribunal de commerce), la notification au représentant ad litem n’est pas nécessaire. La notification peut, dans ces conditions, être effectuée directement à partie.

==> Représentation de plusieurs parties

Dans un arrêt remarqué du 6 novembre 2008, la Cour de cassation a jugé que lorsque les parties qui ont procédé à la signification du jugement sont représentées par le même avocat que le destinataire de cette signification, la signification du jugement à partie n’a pas à être précédée d’une notification au représentant (Cass. 2e civ., 6 nov. 2008, n° 07-16812).

Dans un arrêt du 25 mars 1987, la Cour de cassation a également considéré que lorsque l’avocat représente plusieurs parties ayant des intérêts distincts et que la signification du jugement à avocat fait courir le délai d’appel, cette signification doit être faite en autant de copies que de parties représentées (Cass. 2e civ., 25 mars 1987).

==> Caractère préalable de la notification

Il ressort de l’article 678 du CPC que l’exigence de notification de la décision aux avocats n’est remplie qu’à la condition que cette notification soit intervenue préalablement à la notification aux parties elles-mêmes.

Aucun délai n’est exigé entre la notification à avocat et la notification à partie, de sorte qu’elles peuvent intervenir dans un intervalle extrêmement rapproché.

À cet égard, dans un arrêt du 28 mai 2008, la Cour de cassation a jugé que la satisfaction de l’exigence tenant au caractère préalable de la notification à avocat pouvait se déduire de la seule mention sur l’acte de signification, peu important que cette signification ait effectuée le même jour (Cass. 1er civ. 28 mai 2008, n°06-17313).

==> Modalités de la notification

L’article 671 du CPC prévoit que la notification des actes entre avocats « se fait par signification ou par notification directe ».

Deux modalités sont donc envisagées par le CPC s’agissant de la notification du jugement à avocat : la signification et la notification directe

  • S’agissant de la signification, l’article 672 du CPC prévoit qu’elle « est constatée par l’apposition du cachet et de la signature de l’huissier de justice sur l’acte et sa copie avec l’indication de la date et du nom de l’avocat destinataire.»
  • S’agissant de la notification directe, l’article 673 prévoit qu’elle « s’opère par la remise de l’acte en double exemplaire à l’avocat destinataire, lequel restitue aussitôt à son confrère l’un des exemplaires après l’avoir daté et visé.»

Une fois, l’une ou l’autre forme de notification accomplie, l’article 678 du CPC dispose que la « mention de l’accomplissement de la notification préalable au représentant doit être portée dans l’acte de notification destiné à la partie »

À défaut, il appartiendra à la partie pour le compte de laquelle la notification est intervenue de rapporter la preuve de son accomplissement.

A contrario, la Cour de cassation a considéré dans un arrêt du 23 février 2012 que la notification à avocat, ainsi que son caractère préalable, peut se déduire de la seule mention qui figure sur la signification à partie aux termes de laquelle le jugement a été notifié à avocat (Cass. 1ère civ. 23 févr. 2012, n°10-26117).

La notification ou signification des décisions de justice (jugements, arrêts et ordonnances)

Pour produire des effets juridiques, les actes de procédure doivent être portés à la connaissance des intéressés par voie de notification.

À cet égard, le bénéficiaire d’une décision de justice ne peut en poursuivre l’exécution forcée qu’après l’avoir notifiée à la partie perdante, cette notification faisant courir le délai d’appel contre la décision.

Si, la notification par acte d’huissier, appelée signification, constitue aujourd’hui le principe, la notification en la forme ordinaire, c’est-à-dire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, demeure l’exception.

Reste que quand bien même une autre forme aurait été prévue, la notification peut toujours être entreprise par voie de signification.

I) L’exigence de notification

A) Principe

L’article 503 du CPC dispose que « les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés »

Ainsi, la notification du jugement est une condition préalable nécessaire à son exécution. Cette règle procède de l’idée qu’il est impératif que la partie contre laquelle la décision est exécutée en est connaissance.

Plus précisément, elle doit connaître les termes du jugement rendu afin d’être en mesure de s’exécuter spontanément. Elle doit également être informée sur ses droits dans la perspective éventuelle de l’exercice d’une voie de recours.

La notification de la décision s’impose en toutes circonstances, y compris dans l’hypothèse où la partie perdante interjette appel.

Si, en effet, la décision de première instance est assortie de l’exécution provisoire, cette mesure ne pourra être mise en œuvre qu’à la condition que la décision ait été notifiée.

B) Exceptions

En application de l’article 503 du CPC, il est fait exception à l’exigence de notification de la décision rendue dans deux cas :

?L’exécution volontaire

Lorsque la partie perdante s’exécute spontanément, sans que la décision rendue à son encontre ne lui ait été notifiée, la partie gagnante est dispensée de l’accomplissement de toute formalité de notification.

Cette dispense de notification procède de l’idée que si l’exécution est volontaire, cela signifie que la partie perdante a eu connaissance de la décision.

Il n’est donc pas nécessaire de lui notifier, à plus forte raison parce que cela engendrerait, pour cette dernière, un coût de procédure inutile.

Dans un arrêt du 16 juin 2005, la Cour de cassation a rappelé cette règle de bon sens en jugeant, au visa de l’article 503 du CPC, que « les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire » (Cass. 2e civ. 16 juin 2005, n°03-18.982)

?L’exécution au seul vu de la minute

L’article 503, al. 2 du CPC prévoit que « en cas d’exécution au seul vu de la minute, la présentation de celle-ci vaut notification. »

Cette hypothèse où une décision est exécutoire au seul vu de la minute se rencontre dans trois cas :

  • Premier cas : les ordonnances sur requête
    • En application de l’article 495 du CPC les ordonnances sur requête sont, de plein droit, exécutoires au seul vu de la minute
    • La seule présentation de l’ordonnance à la personne contre qui est rendue l’ordonnance autorise l’huissier de justice instrumentaire à procéder à l’exécution de la décision
  • Deuxième cas : les ordonnances de référé
    • L’article 489 du CPC dispose s’agissant des ordonnances de référé que « en cas de nécessité, le juge peut ordonner que l’exécution de l’ordonnance de référé aura lieu au seul vu de la minute. »
    • Ainsi, si l’ordonnance de référé est, de plein droit, assortie de l’exécution provisoire, elle n’est pas exécutoire au seul vu de la minute.
    • Par principe, elle doit donc être notifiée.
    • C’est seulement si le Président de la juridiction saisie le prévoit expressément dans son ordonnance de référé que son bénéficiaire sera dispensé de la notifier.
  • Troisième cas : les décisions statuant sur l’obtention de pièces détenues par un tiers
    • L’article 140 prévoit, s’agissant des décisions statuant sur l’obtention de pièces détenues par un tiers que « la décision du juge est exécutoire à titre provisoire, sur minute s’il y a lieu. »
    • Ce n’est donc qu’à la condition que l’ordonnance le prévoit expressément dans son dispositif qu’elle peut être exécutoire au seul vu de la minute.
  • Quatrième cas : les mesures d’instruction
    • L’article 154 du CPC prévoit que « les mesures d’instruction sont mises à exécution, à l’initiative du juge ou de l’une des parties selon les règles propres à chaque matière, au vu d’un extrait ou d’une copie certifiée conforme du jugement. »
    • Dans un arrêt du 22 juillet 1992, la Cour de cassation a interprété cette disposition comme dispensant le bénéficiaire d’une mesure d’instruction de notification de l’ordonnance qui la prévoit.

Il peut être observé que dans un arrêt du 1er février 2005, la Cour de cassation a considéré que l’exécution d’une ordonnance exécutoire sur minute ne pouvait, en aucune façon, constituer pas une faute, de sorte que le notaire qui s’est dessaisi de fonds dont il était séquestre au vu de l’ordonnance n’engageait pas sa responsabilité (Cass. 2e civ. 1er févr. 2005, n°03-10.018).

Reste que, comme jugé par la Cour de cassation, « l’exécution d’une décision de justice préparatoire ou provisoire n’a lieu qu’aux risques et périls de celui qui la poursuit, à charge par lui d’en réparer les conséquences dommageables » (Cass. 2e civ., 9 janv. 2003, n°00-22.188).

Lorsque l’ordonnance est exécutée, en application de l’article 495, al. 3 du CPC, une copie de la requête et de l’ordonnance doit être laissée à la personne à laquelle elle est opposée (V. en ce sens Cass. 2e civ. 4 juin 2015, n°14-16.647).

Cette exigence se justifie par la nécessité de laisser la possibilité à cette dernière d’exercer une voie de recours (Cass. 2e civ., 4 sept. 2014, n°13-22.971).

Le double de l’ordonnance est, par ailleurs, conservé au greffe de la juridiction saisie (art. 498 CPC).

II) Les destinataires de la notification

La notification du jugement doit être effectuée auprès de deux sortes de destinataires :

  • Les parties elles-mêmes en tout état de cause
  • Les avocats des parties lorsque la représentation est obligatoire

A) La notification aux parties elles-mêmes

L’article 677 du CPC dispose que « les jugements sont notifiés aux parties elles-mêmes. »

Par parties, il faut entendre toutes les personnes mises en cause dans le jugement. Il est indifférent qu’il s’agisse de personnes physiques ou de personnes morales.

S’agissant des personnes physiques, la notification doit est faite à la personne elle-même du destinataire au lieu où elle demeure.

S’agissant des personnes morales, la notification du jugement doit être effectuée auprès de leur représentant légal ou à toute autre personne habilitée à cet effet.

Pour les personnes faisant l’objet d’une mesure de protection (curatelle ou tutelle), la notification doit être effectuée auprès du curateur ou du tuteur

Lorsqu’une même personne est concernée par un jugement à deux titres différents, par exemple en qualité de représentant de la personne morale et à titre personnel, la Cour de cassation a précisé que la notification doit indiquer clairement à quel titre elle est faite (Cass. 2e civ., 1er mars 1995, n°93-12.690).

Par ailleurs, lorsque plusieurs personnes physiques sont mises en cause, la décision doit être notifiée séparément à chacune d’elles.

À cet égard, l’article 529 du CPC précise que

  • D’une part, en cas de condamnation solidaire ou indivisible de plusieurs parties, la notification faite à l’une d’elles ne fait courir le délai qu’à son égard.
  • D’autre part, dans les cas où un jugement profite solidairement ou indivisiblement à plusieurs parties, chacune peut se prévaloir de la notification faite par l’une d’elles.

B) La notification aux avocats des parties lorsque la représentation est obligatoire

?Principe

L’article 678 du CPC dispose que « lorsque la représentation est obligatoire, le jugement doit en outre être préalablement notifié aux représentants dans la forme des notifications entre avocats, faute de quoi la notification à la partie est nulle ».

Ainsi, pour les procédures qui exigent la constitution d’un avocat par les parties, la notification de la décision doit, au préalable, être effectuée auprès du représentant ad litem.

Cette règle procède de l’idée que l’avocat, en tant qu’auxiliaire de justice, et professionnel du droit, est le plus à même :

  • D’une part, de comprendre les termes et la portée du jugement rendu
  • D’autre part, de conseiller la personne contre qui la décision est rendue quant à l’opportunité d’exercer une voie de recours

?Domaine de l’exigence de notification

L’article 678 du CPC exige que la décision soit notifiée aux avocats que dans l’hypothèse où la représentation est obligatoire.

Lorsque la représentation par avocat est facultative, la notification au représentant ad litem n’est pas nécessaire. La notification peut, dans ces conditions, être effectuée directement à partie.

?Représentation de plusieurs parties

Dans un arrêt remarqué du 6 novembre 2008, la Cour de cassation a jugé que lorsque les parties qui ont procédé à la signification du jugement sont représentées par le même avocat que le destinataire de cette signification, la signification du jugement à partie n’a pas à être précédée d’une notification au représentant (Cass. 2e civ., 6 nov. 2008, n° 07-16.812).

Dans un arrêt du 25 mars 1987, la Cour de cassation a également considéré que lorsque l’avocat représente plusieurs parties ayant des intérêts distincts et que la signification du jugement à avocat fait courir le délai d’appel, cette signification doit être faite en autant de copies que de parties représentées (Cass. 2e civ., 25 mars 1987, n°85-12.318).

?Caractère préalable de la notification

Il ressort de l’article 678 du CPC que l’exigence de notification de la décision aux avocats n’est remplie qu’à la condition que cette notification soit intervenue préalablement à la notification aux parties elles-mêmes.

Aucun délai n’est exigé entre la notification à avocat et la notification à partie, de sorte qu’elles peuvent intervenir dans un intervalle extrêmement rapproché.

À cet égard, dans un arrêt du 28 mai 2008, la Cour de cassation a jugé que la satisfaction de l’exigence tenant au caractère préalable de la notification à avocat pouvait se déduire de la seule mention sur l’acte de signification, peu important que cette signification ait effectuée le même jour (Cass. 1er civ. 28 mai 2008, n°06-17.313).

?Modalités de la notification

L’article 671 du CPC prévoit que la notification des actes entre avocats « se fait par signification ou par notification directe ».

Deux modalités sont donc envisagées par le CPC s’agissant de la notification du jugement à avocat : la signification et la notification directe

  • S’agissant de la signification, l’article 672 du CPC prévoit qu’elle « est constatée par l’apposition du cachet et de la signature de l’huissier de justice sur l’acte et sa copie avec l’indication de la date et du nom de l’avocat destinataire. »
  • S’agissant de la notification directe, l’article 673 prévoit qu’elle « s’opère par la remise de l’acte en double exemplaire à l’avocat destinataire, lequel restitue aussitôt à son confrère l’un des exemplaires après l’avoir daté et visé. »

Une fois, l’une ou l’autre forme de notification accomplie, l’article 678 du CPC dispose que la « mention de l’accomplissement de la notification préalable au représentant doit être portée dans l’acte de notification destiné à la partie »

À défaut, il appartiendra à la partie pour le compte de laquelle la notification est intervenue de rapporter la preuve de son accomplissement.

A contrario, la Cour de cassation a considéré dans un arrêt du 23 février 2012 que la notification à avocat, ainsi que son caractère préalable, peut se déduire de la seule mention qui figure sur la signification à partie aux termes de laquelle le jugement a été notifié à avocat (Cass. 1ère civ. 23 févr. 2012, n°10-26.117)

III) La forme de la notification

?Principe

L’article 675, al. 1er du CPC dispose que « les jugements sont notifiés par voie de signification à moins que la loi n’en dispose autrement. »

La définition de la signification est énoncée à l’article 651 du CPC qui prévoit que « la notification faite par acte d’huissier de justice est une signification. »

La notification des jugements est ainsi assujettie au régime juridique applicable à la signification des actes de procédure édicté aux articles 653 et suivants du CPC.

?Exceptions

Par exception et lorsque la loi le prévoit, les décisions de justice peuvent faire l’objet d’une notification par voie ordinaire. Cette forme de notification est régie aux articles 665 à 682 du CPC.

Lorsque la notification est effectuée par voie ordinaire, la charge incombe au greffe de la juridiction qui a rendu la décision. La notification se fait alors au moyen de l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception au destinataire.

Au nombre des décisions qui peuvent être notifiées par voie ordinaire figurent :

  • Les décisions rendues en matière gracieuse
  • Les décisions rendues par le Conseil de prud’hommes
  • Les décisions rendues par le Tribunal paritaire des baux ruraux
  • Les décisions rendues par les tribunaux des affaires de sécurité sociale
  • Les décisions rendues par le Juge de l’exécution

Bien que, pour ces décisions, la loi autorise la notification par voie ordinaire, l’article 651 du CPC dispose que « la notification peut toujours être faite par voie de signification alors même que la loi l’aurait prévue sous une autre forme. »

La jurisprudence en déduit que, en cas de carence du greffe, il appartient aux parties de procéder à la notification de la décision rendue.

IV) Le contenu de la notification

En matière de notification, il convient de bien distinguer l’acte qui constate la notification (l’exploit d’huissier pour la signification) de l’acte notifié (l’acte de procédure tel que la décision rendue ou l’assignation).

A) L’acte objet de la notification

Pour que la notification d’une décision de justice soit valable, la jurisprudence considère qu’une copie intégrale de la décision rendue doit être remise entre les mains du destinataire.

L’article 676 du CPC précise que « les jugements peuvent être notifiés par la remise d’une simple expédition. »

Il n’est donc pas nécessaire que la copie de la décision notifiée soit revêtue de la formule exécutoire.

B) L’acte constatant la notification

1. Les règles communes à la notification des décisions

?Mentions obligatoires

L’article 680 du CPC prévoit que « l’acte de notification d’un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d’opposition, d’appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l’une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ; il indique, en outre, que l’auteur d’un recours abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile et au paiement d’une indemnité à l’autre partie. »

Il ressort de cette disposition que plusieurs mentions obligatoires doivent figurer sur l’acte de notification :

  • Le délai d’opposition, d’appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l’une de ces voies de recours est ouverte
    • L’information communiquée doit être précise, soit porter sur la voie de recours pertinente susceptible d’être exercée par le destinataire de la décision
    • L’information communiquée ne doit pas être erronée, soit indiquer une voie de recours non ouverte par la loi au défendeur.
  • Les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé
  • La possibilité pour l’auteur d’un recours abusif ou dilatoire d’être condamné à une amende civile et au paiement d’une indemnité à l’autre partie
    • Le destinataire de la notification doit ainsi être informé des conséquences auxquelles il s’expose en cas d’abus dans l’exercice d’une voie de recours

?Sanction

L’article 693 du CPC dispose que ce qui est prescrit à l’article 680 doit être observé à peine de nullité.

À cet égard, la jurisprudence considère que le défaut de mention ou l’indication erronée sur l’acte de signification est constitutif d’un vice de forme.

Aussi, convient-il d’appliquer les articles 112 à 116 du CPC, en particulier l’article 114, al. 1er aux termes duquel « aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme, si la nullité n’est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public ».

L’alinéa 2 ajoute que « la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public. »

Pour que la nullité pour vice de forme produise ses effets, ce texte exige ainsi que la partie qui s’en prévaut justifie d’un grief.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par grief.

Le grief est constitué par le tort causé à la partie qui invoque le vice et qui a été empêché ou limité dans ses possibilités de défense.

Dès lors que le vice de forme a pour incidence de nuire ou de désorganiser la défense de la partie qui s’en prévaut, le grief est constitué.

En somme, le grief sera caractérisé toutes les fois qu’il sera démontré que l’irrégularité a perturbé le cours du procès.

Comme tout fait juridique, le grief doit pouvoir être établi par tous moyens. En général le grief est apprécié par les juridictions in concreto, soit compte tenu des circonstances et conditions particulières, tenant à la cause, aux parties, à la nature de l’irrégularité, à ses incidences (Cass. 2e civ., 27 juin 2013, n° 12-20.929).

2. Les règles propres à la notification par voie de signification et par voie ordinaire

?Les mentions propres à la notification par voie de signification

Les mentions propres à la notification par voie de signification sont énoncées à l’article 448 du CPC qui prévoit que tout acte d’huissier de justice indique, indépendamment des mentions prescrites par ailleurs :

  • Sa date ;
  • Si le requérant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;
  • Si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement.
  • Les nom, prénoms, demeure et signature de l’huissier de justice ;
  • Si l’acte doit être signifié, les nom et domicile du destinataire, ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social.

Ces mentions sont prescrites à peine de nullité.

?Les mentions propres à la notification ordinaires

Les mentions propres à la notification par voie de signification sont énoncées aux articles 665 et 665-1 du CPC :

  • Les mentions exigées en tout état de cause (art. 665 CPC)
    • La notification doit
      • Contenir toutes indications relatives aux nom et prénoms ou à la dénomination ou raison sociale de la personne dont elle émane et au domicile ou siège social de cette personne.
      • Désigner de la même manière la personne du destinataire.
  • Les mentions exigées en cas de notification par le greffe (art. 665-1 CPC)
    • Lorsqu’elle est effectuée à la diligence du greffe, la notification au défendeur d’un acte introductif d’instance comprend, de manière très apparente :
      • Sa date ;
      • L’indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;
      • L’indication que, faute pour le défendeur de comparaître, il s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire ;
      • Le cas échéant, la date de l’audience à laquelle le défendeur est convoqué ainsi que les conditions dans lesquelles il peut se faire assister ou représenter.

V) Les modalités de la notification

A) Les modalités de la notification par voie de signification

Il ressort de la combinaison des articles 654, 655, 656 et 659 du CPC que le législateur a institué une hiérarchisation des modalités de signification.

En effet, l’article 654 du CPC pose un impératif en exigeant que la signification soit faite à personne, impératif destiné à protéger les droits de la défense et à assurer le respect du principe de la contradiction.

Si une telle signification s’avère impossible, les textes suivants établissent une hiérarchie des modes subsidiaires, allant de la signification à domicile (art. 655 CPC) à la signification par la remise de l’acte à l’étude de l’huissier de justice instrumentaire, qui correspond à l’ancienne signification à domicile avec remise de l’acte en mairie (art. 656 CPC) et, enfin, à la signification par procès-verbal de recherches infructueuses (art. 659 CPC).

Ces textes imposent des formalités et des exigences très précises qui ont pour objet de démontrer que l’huissier de justice a vainement tenté d’utiliser, l’un après l’autre, les différents modes de signification.

1. La signification à personne

a. Primauté de la signification à personne

L’article 654, al. 1er du CPC exige que la signification soit faite à personne, ce qui constitue un objectif qui doit être atteint par l’huissier.

Ainsi, lui appartient-il d’accomplir un certain nombre de diligences afin de justifier qu’il a satisfait à cette exigence.

À l’inverse, pèse sur le requérant une obligation de loyauté, en ce sens qu’il doit concourir à la recherche de l’impératif fixé.

?Les diligences qui incombent à l’huissier de justice

Afin de justifier les diligences effectuées en vue de remplir l’impératif de signification à personne, en application de l’article 655 du CPC l’huissier de justice est tenu de mentionner dans l’acte :

  • D’une part, les diligences qu’il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire
  • D’autre part, les circonstances caractérisant l’impossibilité d’une telle signification

À cet égard, la jurisprudence se montre exigeante quant aux diligences de l’huissier de justice pour trouver le destinataire de l’acte.

L’huissier de justice doit, en effet, démontrer que la signification à personne était impossible et ses diligences doivent être mentionnées dans les originaux de l’acte.

En somme, l’huissier de justice est tenu de procéder à des recherches élémentaires imposées par le bon sens.

En pratique, il résulte de l’examen de la jurisprudence qu’il incombe à l’huissier de justice, préalablement à la délivrance de l’acte, de s’enquérir auprès du requérant :

En principe, l’impossibilité d’une signification à personne doit être constatée dans l’acte lui-même (Cass. 2e civ., 30 juin 1993, n° 91-21.216).

Toutefois, la seule circonstance que l’huissier de justice a mentionnée dans l’acte que la signification à personne s’est avérée impossible est insuffisante à caractériser une telle impossibilité.

L’huissier de justice doit mentionner non seulement les investigations concrètes qu’il a effectuées pour retrouver le destinataire, mais également les raisons qui ont empêché la signification à personne.

Il est admis que l’absence de son domicile du destinataire d’un acte rend impossible la signification à personne et qu’aucune disposition légale n’impose à l’huissier de justice de se présenter à nouveau au domicile de l’intéressé, ou au siège social de la personne morale, pour parvenir à une signification à personne (Cass. 2e civ., 28 mars 1984, n° 82-16.779), ce qui ne dispense pas l’huissier de justice, lorsqu’il connaît le lieu de travail de l’intéressé, de tenter la signification à personne en ce lieu.

Reste que l’huissier de justice n’est pas tenu de procéder à une nouvelle signification au vu d’éléments parvenus à sa connaissance ou à celle du requérant postérieurement à l’acte (Cass. 2e civ., 20 novembre 1991, n° 90-16.577) ou survenus postérieurement (Cass. 2e civ., 13 janv. 2000, n° 98-17.883).

?L’obligation de loyauté qui pèse sur le requérant

En exécution d’un devoir de loyauté élémentaire, il incombe au requérant de faire signifier l’acte au lieu où il sait que le destinataire demeure ou réside ou même au lieu où il travaille.

Ainsi, la Cour de cassation a pu considérer que, est nulle la citation délivrée à une adresse où le destinataire n’est plus domicilié, et alors que celui-ci n’ayant plus de domicile, il réside chez ses parents, dont le requérant connaît l’adresse (Cass. 2e civ., 26 févr. 1992, n° 90-19.981).

De même, est nulle la signification d’un acte dès lors que le requérant a volontairement laissé l’huissier de justice dans l’ignorance de la véritable adresse du destinataire et a, de manière malicieuse, fait signifier cet acte en un lieu dont il sait que le destinataire est propriétaire mais où il ne réside pas (Cass. 2e civ., 21 déc. 2000, n° 99-13.218).

b. Mise en œuvre de la signification à personne

Il ressort de l’article 654 du CPC que la signification à personne doit être appréhendée différemment selon que le destinataire est une personne physique ou une personne morale

?La signification aux personnes physiques

En application de l’article 689 du CPC, la signification d’un acte destiné à une personne physique peut être effectuée à trois endroits différents :

  • Au lieu où demeure le destinataire de l’acte, soit son domicile ou à défaut sa résidence (art. 689 al. 1er)
  • En tout autre lieu, notamment sur le lieu de travail de l’intéressé (art. 689, al. 2e)
  • Au domicile élu lorsque la loi l’admet ou l’impose (art. 689, al. 3e)

La signification à personne étant la règle, il appartient à l’huissier de justice de tenter de localiser le destinataire pour lui remettre l’acte.

Si la signification d’un acte à une personne physique peut être faite à domicile, il n’en demeure pas moins que la signification d’un acte doit être faite à personne et que l’acte ne peut être signifié selon une autre modalité que si une signification à personne s’avère impossible (Cass. 2e civ., 16 juin 1993, n° 90-18.256).

?La signification aux personnes morales

Pour que la signification à une personne morale soit valable, un certain nombre de conditions doivent être remplies :

  • Le lieu de la signification
    • L’article 689 du CPC dispose que la notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial est faite au lieu de son établissement et à défaut d’un tel lieu, elle l’est en la personne de l’un de ses membres habilités à la recevoir.
    • Le terme d’établissement ne doit pas être confondu avec celui du siège social, de sorte que la notification peut être effectuée en dehors de celui-ci (V. en ce sens Cass. 2e civ., 20 janv. 2005, n°03-12.267).
    • En effet, la notification d’un acte à une personne morale peut être effectuée :
      • Soit au lieu de son siège social
      • Soit au lieu de l’un de ses établissements secondaires ou complémentaires
      • Soit, à défaut, au lieu où se trouve la personne habilitée à recevoir la notification
    • Ainsi, l’agence de province d’une compagnie d’assurances ayant son siège social à Paris peut constituer l’établissement de cette compagnie au sens de l’article 690 (Cass. 2e civ., 27 nov. 1985, n° 84-13.740).
    • Reste que la jurisprudence considère que la signification destinée à une personne morale de droit privé étant faite au lieu de son établissement, l’huissier de justice n’a l’obligation de tenter la signification qu’au lieu du siège social dont l’existence n’est pas contestée (Cass. 2e civ., 23 oct. 1996, n° 94-15.194), sans être tenu, en ce cas, de demander un extrait K bis (Cass. 2e civ., 7 oct. 1992, Bull. 1992, n° 91-12.499), ou de son principal établissement s’il est situé ailleurs qu’au siège social (Cass. 2e civ., 20 nov. 1991, n° 90-14.723).
    • En particulier, dès lors que la personne morale a un siège social, l’huissier instrumentaire n’a pas à tenter de délivrer l’acte à la personne du gérant dont l’adresse est connue de lui-même ou du requérant (Cass. 2e civ., 21 févr. 1990, n° 88-17.230).
    • Il doit être noté que, s’agissant des personnes morales de droit privé, aucun texte n’autorise la signification des actes à domicile élu.
  • La personne habilitée à réceptionner la signification
    • L’article 654 du CPC prévoit que « la signification à une personne morale est faite à personne lorsque l’acte est délivré à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet. »
    • Ainsi, pour être valable, la signification ne peut être effectuée qu’auprès du représentant légal de la personne morale ou d’une personne spécialement habilitée à cet effet.
    • Lorsque, dès lors, l’acte destiné à une personne morale est délivré à un employé dont il n’est pas mentionné dans cet acte qu’il est habilité à le recevoir, il ne vaut pas comme signification à personne (Cass. soc., 26 juin 1975, n° 74-40.669).
    • À cet égard, il peut être observé que lorsque l’huissier de justice remet, au siège social, la copie de l’acte à un employé de la société non habilité à le recevoir, mais qui accepte sa remise, il y a signification à personne présente au domicile
    • Il en résulte que l’huissier de justice doit alors constater et mentionner dans l’acte qu’il s’est trouvé dans l’impossibilité de délivrer l’acte à la personne d’un représentant légal, d’un fondé de pouvoir ou de toute autre personne habilitée à cet effet.
    • Enfin, lorsqu’une société est en liquidation, la signification doit être faite en la personne de son liquidateur et c’est seulement si cette signification s’avère impossible que l’acte peut être délivré à domicile ou à mairie, dès lors que la signification d’un acte à une personne morale doit être faite à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de celui-ci ou à toute autre personne habilitée à cet effet (Cass. 2e civ., 3 avril 1979, n° 77-15.446).
  • Formalités complémentaires
    • L’article 658, al. 2 du CPC prévoit que lorsque la signification est faite à une personne morale, « l’huissier de justice doit aviser l’intéressé de la signification, le jour même ou au plus tard le premier jour ouvrable, par lettre simple comportant les mêmes mentions que l’avis de passage et rappelant, si la copie de l’acte a été déposée en son étude, les dispositions du dernier alinéa de l’article 656 ».
    • La lettre contient en outre une copie de l’acte de signification

2. Les modalités subsidiaires de signification

Lorsque la signification à personne est impossible, la loi prévoit trois modalités subsidiaires de signification hiérarchisées dans l’ordre suivant :

  • La signification à domicile ou à résident
  • La signification par remise de l’acte en l’étude de l’huissier de justice
  • La signification par procès-verbal de recherches infructueuses

?La signification à domicile ou à résident

  • Une modalité subsidiaire de signification
    • L’article 655 du CPC dispose que « si la signification à personne s’avère impossible, l’acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence. »
    • Ainsi, la signification à domicile de la personne ne peut être accomplie qu’à titre subsidiaire, soit dans l’hypothèse où l’huissier de justice est dans la possibilité de la rencontrer.
  • Condition de la signification à domicile
    • En application de l’article 655, la signification à domicile n’est permise qu’à la condition que la personne présente au domicile et qui l’accepte déclare ses nom, prénoms et qualité.
  • Les personnes autorisées à réceptionner l’acte signifié
    • Principe
      • L’alinéa 3 de l’article 655 du CPC dispose que « la copie peut être remise à toute personne présente au domicile ou à la résidence du destinataire. »
    • Exception
      • La jurisprudence considère que, par exception, la seule personne présente au domicile à laquelle copie de l’acte ne peut pas être remise est le requérant (Cass. 2e civ., 19 décembre 1973, n° 72-13.183).
      • L’hypothèse se rencontrera notamment en matière de divorce
  • Formalités
    • Plusieurs formalités doivent être accomplies en cas de signification au domicile :
      • Première formalité : justification des diligences accomplies
        • L’huissier de justice doit relater dans l’acte les diligences qu’il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l’impossibilité d’une telle signification.
      • Deuxième formalité : le dépôt d’un avis de passage
        • L’huissier de justice doit laisser, dans tous ces cas, au domicile ou à la résidence du destinataire, un avis de passage daté l’avertissant de la remise de la copie et mentionnant la nature de l’acte, le nom du requérant ainsi que les indications relatives à la personne à laquelle la copie a été remise.
      • Troisième formalité : indication des modalités de remise de l’acte
        • L’article 657 du CPC prévoit que lorsque l’acte n’est pas délivré à personne, l’huissier de justice mentionne sur la copie les conditions dans lesquelles la remise a été effectuée.
        • La copie de l’acte signifié doit être placée sous enveloppe fermée ne portant que l’indication des nom et adresse du destinataire de l’acte et le cachet de l’huissier apposé sur la fermeture du pli.
      • Quatrième formalité : l’envoi d’une lettre simple
        • L’huissier de justice doit aviser l’intéressé de la signification, le jour même ou au plus tard le premier jour ouvrable, par lettre simple comportant les mêmes mentions que l’avis de passage et rappelant, si la copie de l’acte a été déposée en son étude, les dispositions du dernier alinéa de l’article 656.
        • La lettre contient en outre une copie de l’acte de signification.
        • Par ailleurs, le cachet de l’huissier doit être apposé sur l’enveloppe.
        • Dans un arrêt du 6 octobre 2006, la Cour de cassation a précisé que la mention dans l’acte aux termes de laquelle il est indiqué que la lettre prévue par l’article 658 du CPC était envoyée “dans les délais légaux prévus par l’article susvisé” fait foi jusqu’à inscription de faux (Cass. ch. Mixte 6 octobre 2006, n° 04-17.070).

?La signification par remise de l’acte en l’étude de l’huissier de justice

  • Modalité subsidiaire de signification
    • Il ressort de l’article 656 du CPC que lorsque la signification à personne et à domicile sont impossibles, l’huissier de justice peut conserver l’acte en son étude aux fins de remise ultérieure à son destinataire.
    • À cet égard, l’huissier de justice devra justifier des diligences accomplies s’il opte pour cette modalité de signification.
    • Plus précisément il doit mentionner dans l’acte de signification les vérifications accomplies qui établissent que le destinataire de l’acte ne pouvait ou ne voulait pas le recevoir.
    • La Cour de cassation a précisé que l’huissier de justice doit non seulement préciser comment il a vérifié l’exactitude du domicile ou de la résidence, mais encore la raison pour laquelle il n’a pas pu signifier à personne ou indiquer que personne n’a pu ou voulu recevoir l’acte (Cass. 2e civ., 23 nov. 2000, n° 99-11.943).
  • Formalités
    • Mentions obligatoires
      • L’huissier doit mentionner dans l’acte de signification les vérifications accomplies qui établissent que le destinataire de l’acte ne pouvait ou ne voulait pas le recevoir
      • L’absence de cette mention ou l’insuffisance de vérifications accomplies par l’huissier sont sanctionnées par la nullité de l’acte.
    • L’avis de passage
      • En cas de conservation de l’acte pour signification en étude, l’huissier doit laisser au domicile ou à la résidence du destinataire un avis de passage daté l’avertissant de la remise de la copie et mentionnant la nature de l’acte, le nom du requérant
      • Cet avis mentionne, en outre, que la copie de l’acte doit être retirée dans le plus bref délai à l’étude de l’huissier de justice, contre récépissé ou émargement, par l’intéressé ou par toute personne spécialement mandatée.
    • Dépôt étude
      • L’acte qui n’a pas pu être signifié à personne ou à domicile est conservé en l’étude de l’huissier
      • Il appartient alors à son destinataire de se rendre à l’étude de ce dernier pour que la copie de l’acte lui soit délivrée.
      • L’huissier de justice peut, à la demande du destinataire, transmettre la copie de l’acte à une autre étude où celui-ci pourra le retirer dans les mêmes conditions.
    • Envoi d’une lettre simple
      • Comme pour la signification à domicile, l’huissier de justice doit aviser l’intéressé de la signification, le jour même ou au plus tard le premier jour ouvrable, par lettre simple comportant les mêmes mentions que l’avis de passage et rappelant, si la copie de l’acte a été déposée en son étude, les dispositions du dernier alinéa de l’article 656.
      • La lettre contient en outre une copie de l’acte de signification.
      • Par ailleurs, le cachet de l’huissier doit être apposé sur l’enveloppe.
    • Délai de conservation de l’acte
      • La copie de l’acte est conservée à l’étude pendant trois mois.
      • Passé ce délai, l’huissier de justice en est déchargé, de sorte qu’il est autorisé à le détruire, étant précisé que l’acte original sera conservé au rang des minutes

?La signification par procès-verbal de recherches infructueuses

  • L’absence de domicile, de résidence ou de lieu de travail connus
    • L’article 659 du CPC dispose que « lorsque la personne à qui l’acte doit être signifié n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l’huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu’il a accomplies pour rechercher le destinataire de l’acte. »
    • Il ressort de cette disposition que la signification par voie de procès-verbal de recherches infructueuses (qualifié également de PV 659) ne peut être effectuée que dans l’hypothèse où l’huissier de justice ignore où réside le destinataire de l’acte : son domicile, sa résidence et son lieu de travail sont inconnus.
    • Cette situation ne doit néanmoins pas faire obstacle à la signification de l’acte, à défaut de quoi elle encouragerait la personne visée à rester cachée aux fins d’échapper à toutes poursuites judiciaires et à l’exécution des décisions rendues contre elle.
    • Le législateur a donc institué un système qui consiste à signifier les actes de procédure à la dernière adresse connue du destinataire.
    • À cet égard, dans un arrêt du 2 mai 2001, la Cour de cassation a considéré que « la signification d’un jugement réputé contradictoire par voie de procès-verbal de recherches infructueuses fait courir le délai d’appel sans être contraire à l’exigence d’un procès équitable, dès lors que la régularité de cette signification, soumise par la loi à des conditions et modalités précises et à des investigations complètes de l’huissier de justice, peut être contestée, et que son destinataire dispose d’une procédure de relevé de la forclusion encourue » (Cass. com. 2 mai 2001, n°98-12.037).
    • Reste que pour recourir à la signification par voie de PV 659, l’huissier de justice doit avoir épuisé tous les moyens mis à sa disposition pour tenter de procéder à une signification selon les voies normales.
  • Justification des diligences accomplies
    • L’article 659 du CPC pose l’obligation pour l’huissier de justice de relater avec précision les diligences qu’il a accomplies pour rechercher le destinataire de l’acte.
    • Pour que cette modalité de signification soit valable, l’huissier de justice ne saurait se contenter de se rendre à la dernière adresse connue du destinataire, ni de contacter la mairie.
    • Il lui appartient d’accomplir plusieurs diligences qui doivent conduire à une recherche infructueuse quant à la domiciliation du destinataire de l’acte.
    • Ainsi, l’huissier de justice doit-il s’efforcer d’interroger le voisinage, de consulter l’annuaire téléphonique, d’interpeller la mairie, d’interroger les administrations auxquelles le destinataire de l’acte est susceptible d’être rattaché
    • Classiquement on admet que les diligences accomplies par l’huissier sont satisfaisantes, à partir de trois vérifications.
    • À cet égard, pour invoquer la nullité de la signification, le destinataire doit faire état d’éléments de faits concrets qui permettent de considérer qu’il aurait pu être retrouvé par l’huissier à la date de la signification de l’acte (Cass. 2e civ., 21 déc. 2000, n° 99-11.148).
  • Formalités
    • En cas de signification par voie de PV 659, l’huissier de justice doit accomplir un certain nombre de formalités
      • Envoi d’une lettre recommandée
        • L’article 659, al. 2 du CPC prévoit que le même jour que celui où il dresse le procès-verbal de recherches infructueuses ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l’huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l’acte objet de la signification.
      • Envoi d’une lettre simple
        • L’article 659, al. 3 du CPC prévoit que, en parallèle de l’envoi d’une lettre recommandée, Le jour même, l’huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l’accomplissement de cette formalité.
      • Personnes morales
        • L’article 659, al. 4 du CPC précise que la signification par voie de PV 659 est valable pour les personnes morales qui n’ont plus d’établissement connu au lieu indiqué comme siège social par le registre du commerce et des sociétés.
        • Dans un arrêt du 14 octobre 2004 la Cour de cassation a néanmoins rappelé que :
          • D’une part, la notification destinée à une personne morale de droit privé est faite au lieu de son établissement, et qu’à défaut d’un tel lieu, elle l’est en la personne de l’un des membres habilité à la recevoir
          • D’autre part, que dès lors que l’huissier de justice avait précisé dans le procès-verbal de recherches infructueuses que la société n’avait plus d’activité et de lieu d’établissement, il ne pouvait pas se borner à mentionner l’identité et le domicile de son représentant sans autre diligence en vue de lui signifier l’acte (Cass. 2e civ., 14 octobre 2004, n° 02-18.540).
          • Dans ce cas, en effet, il reste possible de signifier l’acte au représentant de la personne morale à la condition que l’acte soit remis à sa personne.

B) Les modalités de la notification par voie ordinaire

L’article 667 du CPC prévoit que la notification par voie ordinaire peut être effectuée selon deux modalités distinctes :

  • Première modalité : l’envoi d’un pli postal
    • La notification peut être faite par voie postale et plus précisément au moyen de l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception
    • L’article 670 du CPC précise que la notification est réputée faite :
      • Soit à personne lorsque l’avis de réception est signé par son destinataire.
      • Soit à domicile ou à résidence lorsque l’avis de réception est signé par une personne munie d’un pouvoir à cet effet
    • Par ailleurs, l’article 670-1 du CPC prévoit que, en cas de retour au greffe de la juridiction d’une lettre de notification dont l’avis de réception n’a pas été signé dans les conditions prévues à l’article 670, le greffier invite la partie à procéder par voie de signification.
  • Seconde modalité : la remise en mains propres
    • L’article 667 du CPC prévoit que la notification peut être également effectuée par la remise de l’acte au destinataire contre émargement ou récépissé.
    • L’alinéa 2 précise que « la notification en la forme ordinaire peut toujours être faite par remise contre émargement ou récépissé alors même que la loi n’aurait prévu que la notification par la voie postale. »

VI) Date de la notification

?La notification par voie de signification

L’article 664-1 du CPC prévoit que :

  • Pour la signification en la forme ordinaire, la date de la signification d’un acte d’huissier de justice est celle du jour où elle est faite à personne, à domicile, à résidence ou, dans le cas mentionné à l’article 659, celle de l’établissement du procès-verbal.
  • Pour la signification par voie électronique, la date et l’heure de la signification par voie électronique sont celles de l’envoi de l’acte à son destinataire.

À cet égard, l’article 664 du CPC précise que « aucune signification ne peut être faite avant six heures et après vingt et une heures, non plus que les dimanches, les jours fériés ou chômés, si ce n’est en vertu de la permission du juge en cas de nécessité. »

Lorsque l’huissier de justice se déplace au domicile du destinataire de l’acte, il ne pourra donc le faire qu’à des jours ouvrables et dans les créneaux horaires autorisés par la loi.

?La notification en la forme ordinaire

L’article 668 du CPC prévoit que la date de la notification par voie postale est :

  • À l’égard de celui qui y procède, celle de l’expédition
  • À l’égard de celui à qui elle est faite, la date de la réception de la lettre.

L’article 669 précise que :

  • D’une part, la date de l’expédition d’une notification faite par la voie postale est celle qui figure sur le cachet du bureau d’émission
  • D’autre part, la date de la remise, lorsque la notification est faite en mains propres, est celle du récépissé ou de l’émargement
  • Enfin, la date de réception d’une notification faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception est celle qui est apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire.

VII) Le délai de notification

A) Principe : le délai de 10 ans

L’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que « l’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long ».

Il se déduit de cette disposition que le délai de principe pour notifier les décisions de justice est de 10 ans.

Ce délai peut être prorogé pour les créances qui se prescrivent par un délai plus long. Tel est le cas, par exemple, de la créance née de la survenance d’un dommage corporel causé par des tortures ou des actes de barbarie ou par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur qui n’est prescrite qu’au bout de vingt ans conformément à l’article 2226, al. 2e, du Code civil.

Dans cette hypothèse, le délai de signification de la décision rendue est identique à celui attaché à la prescription de l’action, soit 20 ans.

B) Tempérament : le délai de 2 ans

L’article 528-1 du CPC dispose que « si le jugement n’a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l’expiration dudit délai. »

Cette disposition pose ainsi une limite à la possibilité pour les parties d’interjeter appel, à l’expiration d’un délai de deux ans.

Dans un arrêt du 9 avril 2015, la Cour de cassation a précisé que « si le jugement, qui tranche tout le principal ou qui, statuant sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident, met fin à l’instance, n’est pas notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l’expiration dudit délai » (Cass. 2e civ. 9 avr. 2015, n°14-15.789).

Il ressort de cette disposition que le délai de forclusion ainsi institué pour interjeter appel fixé à deux ans est applicable pour :

  • Les jugements qui tranchent tout le principal
  • Les jugements qui statuent sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident mettant fin à l’instance

A contrario, si la décision ne tranche qu’une partie du principal, tel un jugement mixte, l’article 528-1 du CPC n’est pas applicable.

Dans un arrêt du 30 janvier 2003, la deuxième chambre civile a encore considéré que « les principes de sécurité juridique et de bonne administration de la justice qui fondent les dispositions de l’article 528-1 du nouveau Code de procédure civile constituaient des impératifs qui n’étaient pas contraires aux dispositions de l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (Cass. 2e civ. 30 janv. 2003, n°99-19.488).

Pour la Cour de cassation il est indifférent que la partie susceptible d’exercer le recours, dans la mesure où « les dispositions de l’article 528-1 du nouveau Code de procédure civile ne fixent pas le point de départ d’un délai de recours, mais le terme au-delà duquel aucun recours ne peut plus être exercé par la partie qui a comparu, peu important la date à laquelle cette partie a eu une connaissance effective de la décision » (Cass. 2e civ., 11 mars 1998, n°96-12.749).

C) Exception : le délai de 6 mois

L’article 478 du CPC dispose que « le jugement rendu par défaut ou le jugement réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel est non avenu s’il n’a pas été notifié dans les six mois de sa date ».

Ainsi, lorsque le jugement est rendu par défaut ou est réputé contradictoire, le délai de notification est de 6 mois sous peine de caducité de la décision.

La question qui alors se pose est de savoir ce que sont un jugement rendu par défaut et un jugement réputé contradictoire.

Pour rappel, un jugement est susceptible d’endosser trois qualifications différentes. Aussi, distingue-t-on :

  • Le jugement contradictoire
    • Aux termes de l’article 467 du Code de procédure civile « le jugement est contradictoire dès lors que les parties comparaissent en personne ou par mandataire, selon les modalités propres à la juridiction devant laquelle la demande est portée.»
    • Ainsi, le jugement est contradictoire dès lors que chacun des plaideurs a eu connaissance du procès, à tout le moins a été en mesure de présenter ses arguments.
  • Le jugement réputé contradictoire
    • La décision est réputée contradictoire lorsque :
      • Le défendeur n’a pas comparu
          • ET
      • La décision qui sera prononcée est susceptible d’appel
          • OU
      • La citation a été délivrée à personne
  • Le jugement par défaut
    • L’absence de comparution du défendeur ne doit pas faire obstacle au cours de la justice.
    • Aussi, l’article 468 du Code de procédure autorise-t-il le juge à statuer lorsque trois conditions cumulatives sont réunies :
      • Le défendeur ne doit pas avoir comparu personnellement ou ne doit pas être représenté
      • L’assignation ne doit pas avoir été délivrée à personne
      • L’appel n’est pas ouvert contre l’acte introductif d’instance
    • La rigueur de ces conditions, s’explique par la volonté du législateur de restreindre les jugements rendus par défaut.

Le délai de 6 mois dont disposent les parties pour notifier la décision sous peine de caducité ne s’applique donc :

  • Au jugement rendu par défaut
  • Au jugement réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel

Il en résulte que pour les jugements réputés contradictoires au motif que nonobstant l’absence de comparution du défendeur, la citation a été délivrée à personne, le délai de 6 mois n’est pas applicable.

VIII) Les effets de la notification

La notification de la décision rendue produit trois effets :

  • Premier effet : efficacité des dispositions adoptées par le Tribunal
    • La notification autorise la partie gagnante à s’en prévaloir, soit à tirer avantage ce qui a été décidé par le juge
    • Dans un arrêt du 16 décembre 2005, la chambre mixte a jugé en ce sens que « la force de chose jugée attachée à une décision judiciaire dès son prononcé ne peut avoir pour effet de priver une partie d’un droit tant que cette décision ne lui a pas été notifiée » (Cass. ch. Mixte 16 déc. 2005, n°03-12.206).
  • Deuxième effet : exécution du jugement
    • Principe
      • L’article 503 du CPC dispose que « les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés »
      • Ainsi, la notification du jugement est une condition préalable nécessaire à son exécution.
      • Cette règle procède de l’idée qu’il est impératif que la partie contre laquelle la décision est exécutée en est connaissance.
    • Exceptions
      • En application de l’article 503 du CPC, il est fait exception à l’exigence de notification de la décision rendue dans deux cas :
        • L’exécution volontaire
          • Lorsque la partie perdante s’exécute spontanément, sans que la décision rendue à son encontre ne lui ait été notifiée, la partie gagnante est dispensée de l’accomplissement de toute formalité de notification.
          • Cette dispense de notification procède de l’idée que si l’exécution est volontaire, cela signifie que la partie perdante a eu connaissance de la décision.
          • Il n’est donc pas nécessaire de lui notifier, à plus forte raison parce que cela engendrerait, pour cette dernière, un coût de procédure inutile.
        • L’exécution au seul vu de la minute
          • L’article 503, al. 2 du CPC prévoit que « en cas d’exécution au seul vu de la minute, la présentation de celle-ci vaut notification. »
          • Cette hypothèse où une décision est exécutoire au seul vu de la minute se rencontre dans trois cas :
            • les ordonnances sur requête
            • les ordonnances de référé
            • les décisions statuant sur l’obtention de pièces détenues par un tiers
            • les mesures d’instruction
  • Troisième effet : point de départ du délai d’exercice des voies de recours
    • L’article 678 CPC prévoit que « le délai pour exercer le recours part de la notification à la partie elle-même. »
    • L’article 528-1 précise que « si le jugement n’a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l’expiration dudit délai. »
    • Il ressort de ces deux dispositions que le délai d’exercice des voies de recours ne commence à courir qu’à compter de la notification de la décision.
    • À défaut, le délai ne court pas, à tout le moins dans la limite du délai butoir du délai butoir énoncé par l’article 528-1 du CPC.