La notification ou signification des décisions de justice (jugements, arrêts et ordonnances)

Pour produire des effets juridiques, les actes de procédure doivent être portés à la connaissance des intéressés par voie de notification.

À cet égard, le bénéficiaire d’une décision de justice ne peut en poursuivre l’exécution forcée qu’après l’avoir notifiée à la partie perdante, cette notification faisant courir le délai d’appel contre la décision.

Si, la notification par acte d’huissier, appelée signification, constitue aujourd’hui le principe, la notification en la forme ordinaire, c’est-à-dire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, demeure l’exception.

Reste que quand bien même une autre forme aurait été prévue, la notification peut toujours être entreprise par voie de signification.

I) L’exigence de notification

A) Principe

L’article 503 du CPC dispose que « les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés »

Ainsi, la notification du jugement est une condition préalable nécessaire à son exécution. Cette règle procède de l’idée qu’il est impératif que la partie contre laquelle la décision est exécutée en est connaissance.

Plus précisément, elle doit connaître les termes du jugement rendu afin d’être en mesure de s’exécuter spontanément. Elle doit également être informée sur ses droits dans la perspective éventuelle de l’exercice d’une voie de recours.

La notification de la décision s’impose en toutes circonstances, y compris dans l’hypothèse où la partie perdante interjette appel.

Si, en effet, la décision de première instance est assortie de l’exécution provisoire, cette mesure ne pourra être mise en œuvre qu’à la condition que la décision ait été notifiée.

B) Exceptions

En application de l’article 503 du CPC, il est fait exception à l’exigence de notification de la décision rendue dans deux cas :

?L’exécution volontaire

Lorsque la partie perdante s’exécute spontanément, sans que la décision rendue à son encontre ne lui ait été notifiée, la partie gagnante est dispensée de l’accomplissement de toute formalité de notification.

Cette dispense de notification procède de l’idée que si l’exécution est volontaire, cela signifie que la partie perdante a eu connaissance de la décision.

Il n’est donc pas nécessaire de lui notifier, à plus forte raison parce que cela engendrerait, pour cette dernière, un coût de procédure inutile.

Dans un arrêt du 16 juin 2005, la Cour de cassation a rappelé cette règle de bon sens en jugeant, au visa de l’article 503 du CPC, que « les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire » (Cass. 2e civ. 16 juin 2005, n°03-18.982)

?L’exécution au seul vu de la minute

L’article 503, al. 2 du CPC prévoit que « en cas d’exécution au seul vu de la minute, la présentation de celle-ci vaut notification. »

Cette hypothèse où une décision est exécutoire au seul vu de la minute se rencontre dans trois cas :

  • Premier cas : les ordonnances sur requête
    • En application de l’article 495 du CPC les ordonnances sur requête sont, de plein droit, exécutoires au seul vu de la minute
    • La seule présentation de l’ordonnance à la personne contre qui est rendue l’ordonnance autorise l’huissier de justice instrumentaire à procéder à l’exécution de la décision
  • Deuxième cas : les ordonnances de référé
    • L’article 489 du CPC dispose s’agissant des ordonnances de référé que « en cas de nécessité, le juge peut ordonner que l’exécution de l’ordonnance de référé aura lieu au seul vu de la minute. »
    • Ainsi, si l’ordonnance de référé est, de plein droit, assortie de l’exécution provisoire, elle n’est pas exécutoire au seul vu de la minute.
    • Par principe, elle doit donc être notifiée.
    • C’est seulement si le Président de la juridiction saisie le prévoit expressément dans son ordonnance de référé que son bénéficiaire sera dispensé de la notifier.
  • Troisième cas : les décisions statuant sur l’obtention de pièces détenues par un tiers
    • L’article 140 prévoit, s’agissant des décisions statuant sur l’obtention de pièces détenues par un tiers que « la décision du juge est exécutoire à titre provisoire, sur minute s’il y a lieu. »
    • Ce n’est donc qu’à la condition que l’ordonnance le prévoit expressément dans son dispositif qu’elle peut être exécutoire au seul vu de la minute.
  • Quatrième cas : les mesures d’instruction
    • L’article 154 du CPC prévoit que « les mesures d’instruction sont mises à exécution, à l’initiative du juge ou de l’une des parties selon les règles propres à chaque matière, au vu d’un extrait ou d’une copie certifiée conforme du jugement. »
    • Dans un arrêt du 22 juillet 1992, la Cour de cassation a interprété cette disposition comme dispensant le bénéficiaire d’une mesure d’instruction de notification de l’ordonnance qui la prévoit.

Il peut être observé que dans un arrêt du 1er février 2005, la Cour de cassation a considéré que l’exécution d’une ordonnance exécutoire sur minute ne pouvait, en aucune façon, constituer pas une faute, de sorte que le notaire qui s’est dessaisi de fonds dont il était séquestre au vu de l’ordonnance n’engageait pas sa responsabilité (Cass. 2e civ. 1er févr. 2005, n°03-10.018).

Reste que, comme jugé par la Cour de cassation, « l’exécution d’une décision de justice préparatoire ou provisoire n’a lieu qu’aux risques et périls de celui qui la poursuit, à charge par lui d’en réparer les conséquences dommageables » (Cass. 2e civ., 9 janv. 2003, n°00-22.188).

Lorsque l’ordonnance est exécutée, en application de l’article 495, al. 3 du CPC, une copie de la requête et de l’ordonnance doit être laissée à la personne à laquelle elle est opposée (V. en ce sens Cass. 2e civ. 4 juin 2015, n°14-16.647).

Cette exigence se justifie par la nécessité de laisser la possibilité à cette dernière d’exercer une voie de recours (Cass. 2e civ., 4 sept. 2014, n°13-22.971).

Le double de l’ordonnance est, par ailleurs, conservé au greffe de la juridiction saisie (art. 498 CPC).

II) Les destinataires de la notification

La notification du jugement doit être effectuée auprès de deux sortes de destinataires :

  • Les parties elles-mêmes en tout état de cause
  • Les avocats des parties lorsque la représentation est obligatoire

A) La notification aux parties elles-mêmes

L’article 677 du CPC dispose que « les jugements sont notifiés aux parties elles-mêmes. »

Par parties, il faut entendre toutes les personnes mises en cause dans le jugement. Il est indifférent qu’il s’agisse de personnes physiques ou de personnes morales.

S’agissant des personnes physiques, la notification doit est faite à la personne elle-même du destinataire au lieu où elle demeure.

S’agissant des personnes morales, la notification du jugement doit être effectuée auprès de leur représentant légal ou à toute autre personne habilitée à cet effet.

Pour les personnes faisant l’objet d’une mesure de protection (curatelle ou tutelle), la notification doit être effectuée auprès du curateur ou du tuteur

Lorsqu’une même personne est concernée par un jugement à deux titres différents, par exemple en qualité de représentant de la personne morale et à titre personnel, la Cour de cassation a précisé que la notification doit indiquer clairement à quel titre elle est faite (Cass. 2e civ., 1er mars 1995, n°93-12.690).

Par ailleurs, lorsque plusieurs personnes physiques sont mises en cause, la décision doit être notifiée séparément à chacune d’elles.

À cet égard, l’article 529 du CPC précise que

  • D’une part, en cas de condamnation solidaire ou indivisible de plusieurs parties, la notification faite à l’une d’elles ne fait courir le délai qu’à son égard.
  • D’autre part, dans les cas où un jugement profite solidairement ou indivisiblement à plusieurs parties, chacune peut se prévaloir de la notification faite par l’une d’elles.

B) La notification aux avocats des parties lorsque la représentation est obligatoire

?Principe

L’article 678 du CPC dispose que « lorsque la représentation est obligatoire, le jugement doit en outre être préalablement notifié aux représentants dans la forme des notifications entre avocats, faute de quoi la notification à la partie est nulle ».

Ainsi, pour les procédures qui exigent la constitution d’un avocat par les parties, la notification de la décision doit, au préalable, être effectuée auprès du représentant ad litem.

Cette règle procède de l’idée que l’avocat, en tant qu’auxiliaire de justice, et professionnel du droit, est le plus à même :

  • D’une part, de comprendre les termes et la portée du jugement rendu
  • D’autre part, de conseiller la personne contre qui la décision est rendue quant à l’opportunité d’exercer une voie de recours

?Domaine de l’exigence de notification

L’article 678 du CPC exige que la décision soit notifiée aux avocats que dans l’hypothèse où la représentation est obligatoire.

Lorsque la représentation par avocat est facultative, la notification au représentant ad litem n’est pas nécessaire. La notification peut, dans ces conditions, être effectuée directement à partie.

?Représentation de plusieurs parties

Dans un arrêt remarqué du 6 novembre 2008, la Cour de cassation a jugé que lorsque les parties qui ont procédé à la signification du jugement sont représentées par le même avocat que le destinataire de cette signification, la signification du jugement à partie n’a pas à être précédée d’une notification au représentant (Cass. 2e civ., 6 nov. 2008, n° 07-16.812).

Dans un arrêt du 25 mars 1987, la Cour de cassation a également considéré que lorsque l’avocat représente plusieurs parties ayant des intérêts distincts et que la signification du jugement à avocat fait courir le délai d’appel, cette signification doit être faite en autant de copies que de parties représentées (Cass. 2e civ., 25 mars 1987, n°85-12.318).

?Caractère préalable de la notification

Il ressort de l’article 678 du CPC que l’exigence de notification de la décision aux avocats n’est remplie qu’à la condition que cette notification soit intervenue préalablement à la notification aux parties elles-mêmes.

Aucun délai n’est exigé entre la notification à avocat et la notification à partie, de sorte qu’elles peuvent intervenir dans un intervalle extrêmement rapproché.

À cet égard, dans un arrêt du 28 mai 2008, la Cour de cassation a jugé que la satisfaction de l’exigence tenant au caractère préalable de la notification à avocat pouvait se déduire de la seule mention sur l’acte de signification, peu important que cette signification ait effectuée le même jour (Cass. 1er civ. 28 mai 2008, n°06-17.313).

?Modalités de la notification

L’article 671 du CPC prévoit que la notification des actes entre avocats « se fait par signification ou par notification directe ».

Deux modalités sont donc envisagées par le CPC s’agissant de la notification du jugement à avocat : la signification et la notification directe

  • S’agissant de la signification, l’article 672 du CPC prévoit qu’elle « est constatée par l’apposition du cachet et de la signature de l’huissier de justice sur l’acte et sa copie avec l’indication de la date et du nom de l’avocat destinataire. »
  • S’agissant de la notification directe, l’article 673 prévoit qu’elle « s’opère par la remise de l’acte en double exemplaire à l’avocat destinataire, lequel restitue aussitôt à son confrère l’un des exemplaires après l’avoir daté et visé. »

Une fois, l’une ou l’autre forme de notification accomplie, l’article 678 du CPC dispose que la « mention de l’accomplissement de la notification préalable au représentant doit être portée dans l’acte de notification destiné à la partie »

À défaut, il appartiendra à la partie pour le compte de laquelle la notification est intervenue de rapporter la preuve de son accomplissement.

A contrario, la Cour de cassation a considéré dans un arrêt du 23 février 2012 que la notification à avocat, ainsi que son caractère préalable, peut se déduire de la seule mention qui figure sur la signification à partie aux termes de laquelle le jugement a été notifié à avocat (Cass. 1ère civ. 23 févr. 2012, n°10-26.117)

III) La forme de la notification

?Principe

L’article 675, al. 1er du CPC dispose que « les jugements sont notifiés par voie de signification à moins que la loi n’en dispose autrement. »

La définition de la signification est énoncée à l’article 651 du CPC qui prévoit que « la notification faite par acte d’huissier de justice est une signification. »

La notification des jugements est ainsi assujettie au régime juridique applicable à la signification des actes de procédure édicté aux articles 653 et suivants du CPC.

?Exceptions

Par exception et lorsque la loi le prévoit, les décisions de justice peuvent faire l’objet d’une notification par voie ordinaire. Cette forme de notification est régie aux articles 665 à 682 du CPC.

Lorsque la notification est effectuée par voie ordinaire, la charge incombe au greffe de la juridiction qui a rendu la décision. La notification se fait alors au moyen de l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception au destinataire.

Au nombre des décisions qui peuvent être notifiées par voie ordinaire figurent :

  • Les décisions rendues en matière gracieuse
  • Les décisions rendues par le Conseil de prud’hommes
  • Les décisions rendues par le Tribunal paritaire des baux ruraux
  • Les décisions rendues par les tribunaux des affaires de sécurité sociale
  • Les décisions rendues par le Juge de l’exécution

Bien que, pour ces décisions, la loi autorise la notification par voie ordinaire, l’article 651 du CPC dispose que « la notification peut toujours être faite par voie de signification alors même que la loi l’aurait prévue sous une autre forme. »

La jurisprudence en déduit que, en cas de carence du greffe, il appartient aux parties de procéder à la notification de la décision rendue.

IV) Le contenu de la notification

En matière de notification, il convient de bien distinguer l’acte qui constate la notification (l’exploit d’huissier pour la signification) de l’acte notifié (l’acte de procédure tel que la décision rendue ou l’assignation).

A) L’acte objet de la notification

Pour que la notification d’une décision de justice soit valable, la jurisprudence considère qu’une copie intégrale de la décision rendue doit être remise entre les mains du destinataire.

L’article 676 du CPC précise que « les jugements peuvent être notifiés par la remise d’une simple expédition. »

Il n’est donc pas nécessaire que la copie de la décision notifiée soit revêtue de la formule exécutoire.

B) L’acte constatant la notification

1. Les règles communes à la notification des décisions

?Mentions obligatoires

L’article 680 du CPC prévoit que « l’acte de notification d’un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d’opposition, d’appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l’une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ; il indique, en outre, que l’auteur d’un recours abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile et au paiement d’une indemnité à l’autre partie. »

Il ressort de cette disposition que plusieurs mentions obligatoires doivent figurer sur l’acte de notification :

  • Le délai d’opposition, d’appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l’une de ces voies de recours est ouverte
    • L’information communiquée doit être précise, soit porter sur la voie de recours pertinente susceptible d’être exercée par le destinataire de la décision
    • L’information communiquée ne doit pas être erronée, soit indiquer une voie de recours non ouverte par la loi au défendeur.
  • Les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé
  • La possibilité pour l’auteur d’un recours abusif ou dilatoire d’être condamné à une amende civile et au paiement d’une indemnité à l’autre partie
    • Le destinataire de la notification doit ainsi être informé des conséquences auxquelles il s’expose en cas d’abus dans l’exercice d’une voie de recours

?Sanction

L’article 693 du CPC dispose que ce qui est prescrit à l’article 680 doit être observé à peine de nullité.

À cet égard, la jurisprudence considère que le défaut de mention ou l’indication erronée sur l’acte de signification est constitutif d’un vice de forme.

Aussi, convient-il d’appliquer les articles 112 à 116 du CPC, en particulier l’article 114, al. 1er aux termes duquel « aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme, si la nullité n’est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public ».

L’alinéa 2 ajoute que « la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public. »

Pour que la nullité pour vice de forme produise ses effets, ce texte exige ainsi que la partie qui s’en prévaut justifie d’un grief.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par grief.

Le grief est constitué par le tort causé à la partie qui invoque le vice et qui a été empêché ou limité dans ses possibilités de défense.

Dès lors que le vice de forme a pour incidence de nuire ou de désorganiser la défense de la partie qui s’en prévaut, le grief est constitué.

En somme, le grief sera caractérisé toutes les fois qu’il sera démontré que l’irrégularité a perturbé le cours du procès.

Comme tout fait juridique, le grief doit pouvoir être établi par tous moyens. En général le grief est apprécié par les juridictions in concreto, soit compte tenu des circonstances et conditions particulières, tenant à la cause, aux parties, à la nature de l’irrégularité, à ses incidences (Cass. 2e civ., 27 juin 2013, n° 12-20.929).

2. Les règles propres à la notification par voie de signification et par voie ordinaire

?Les mentions propres à la notification par voie de signification

Les mentions propres à la notification par voie de signification sont énoncées à l’article 448 du CPC qui prévoit que tout acte d’huissier de justice indique, indépendamment des mentions prescrites par ailleurs :

  • Sa date ;
  • Si le requérant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;
  • Si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement.
  • Les nom, prénoms, demeure et signature de l’huissier de justice ;
  • Si l’acte doit être signifié, les nom et domicile du destinataire, ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social.

Ces mentions sont prescrites à peine de nullité.

?Les mentions propres à la notification ordinaires

Les mentions propres à la notification par voie de signification sont énoncées aux articles 665 et 665-1 du CPC :

  • Les mentions exigées en tout état de cause (art. 665 CPC)
    • La notification doit
      • Contenir toutes indications relatives aux nom et prénoms ou à la dénomination ou raison sociale de la personne dont elle émane et au domicile ou siège social de cette personne.
      • Désigner de la même manière la personne du destinataire.
  • Les mentions exigées en cas de notification par le greffe (art. 665-1 CPC)
    • Lorsqu’elle est effectuée à la diligence du greffe, la notification au défendeur d’un acte introductif d’instance comprend, de manière très apparente :
      • Sa date ;
      • L’indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;
      • L’indication que, faute pour le défendeur de comparaître, il s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire ;
      • Le cas échéant, la date de l’audience à laquelle le défendeur est convoqué ainsi que les conditions dans lesquelles il peut se faire assister ou représenter.

V) Les modalités de la notification

A) Les modalités de la notification par voie de signification

Il ressort de la combinaison des articles 654, 655, 656 et 659 du CPC que le législateur a institué une hiérarchisation des modalités de signification.

En effet, l’article 654 du CPC pose un impératif en exigeant que la signification soit faite à personne, impératif destiné à protéger les droits de la défense et à assurer le respect du principe de la contradiction.

Si une telle signification s’avère impossible, les textes suivants établissent une hiérarchie des modes subsidiaires, allant de la signification à domicile (art. 655 CPC) à la signification par la remise de l’acte à l’étude de l’huissier de justice instrumentaire, qui correspond à l’ancienne signification à domicile avec remise de l’acte en mairie (art. 656 CPC) et, enfin, à la signification par procès-verbal de recherches infructueuses (art. 659 CPC).

Ces textes imposent des formalités et des exigences très précises qui ont pour objet de démontrer que l’huissier de justice a vainement tenté d’utiliser, l’un après l’autre, les différents modes de signification.

1. La signification à personne

a. Primauté de la signification à personne

L’article 654, al. 1er du CPC exige que la signification soit faite à personne, ce qui constitue un objectif qui doit être atteint par l’huissier.

Ainsi, lui appartient-il d’accomplir un certain nombre de diligences afin de justifier qu’il a satisfait à cette exigence.

À l’inverse, pèse sur le requérant une obligation de loyauté, en ce sens qu’il doit concourir à la recherche de l’impératif fixé.

?Les diligences qui incombent à l’huissier de justice

Afin de justifier les diligences effectuées en vue de remplir l’impératif de signification à personne, en application de l’article 655 du CPC l’huissier de justice est tenu de mentionner dans l’acte :

  • D’une part, les diligences qu’il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire
  • D’autre part, les circonstances caractérisant l’impossibilité d’une telle signification

À cet égard, la jurisprudence se montre exigeante quant aux diligences de l’huissier de justice pour trouver le destinataire de l’acte.

L’huissier de justice doit, en effet, démontrer que la signification à personne était impossible et ses diligences doivent être mentionnées dans les originaux de l’acte.

En somme, l’huissier de justice est tenu de procéder à des recherches élémentaires imposées par le bon sens.

En pratique, il résulte de l’examen de la jurisprudence qu’il incombe à l’huissier de justice, préalablement à la délivrance de l’acte, de s’enquérir auprès du requérant :

En principe, l’impossibilité d’une signification à personne doit être constatée dans l’acte lui-même (Cass. 2e civ., 30 juin 1993, n° 91-21.216).

Toutefois, la seule circonstance que l’huissier de justice a mentionnée dans l’acte que la signification à personne s’est avérée impossible est insuffisante à caractériser une telle impossibilité.

L’huissier de justice doit mentionner non seulement les investigations concrètes qu’il a effectuées pour retrouver le destinataire, mais également les raisons qui ont empêché la signification à personne.

Il est admis que l’absence de son domicile du destinataire d’un acte rend impossible la signification à personne et qu’aucune disposition légale n’impose à l’huissier de justice de se présenter à nouveau au domicile de l’intéressé, ou au siège social de la personne morale, pour parvenir à une signification à personne (Cass. 2e civ., 28 mars 1984, n° 82-16.779), ce qui ne dispense pas l’huissier de justice, lorsqu’il connaît le lieu de travail de l’intéressé, de tenter la signification à personne en ce lieu.

Reste que l’huissier de justice n’est pas tenu de procéder à une nouvelle signification au vu d’éléments parvenus à sa connaissance ou à celle du requérant postérieurement à l’acte (Cass. 2e civ., 20 novembre 1991, n° 90-16.577) ou survenus postérieurement (Cass. 2e civ., 13 janv. 2000, n° 98-17.883).

?L’obligation de loyauté qui pèse sur le requérant

En exécution d’un devoir de loyauté élémentaire, il incombe au requérant de faire signifier l’acte au lieu où il sait que le destinataire demeure ou réside ou même au lieu où il travaille.

Ainsi, la Cour de cassation a pu considérer que, est nulle la citation délivrée à une adresse où le destinataire n’est plus domicilié, et alors que celui-ci n’ayant plus de domicile, il réside chez ses parents, dont le requérant connaît l’adresse (Cass. 2e civ., 26 févr. 1992, n° 90-19.981).

De même, est nulle la signification d’un acte dès lors que le requérant a volontairement laissé l’huissier de justice dans l’ignorance de la véritable adresse du destinataire et a, de manière malicieuse, fait signifier cet acte en un lieu dont il sait que le destinataire est propriétaire mais où il ne réside pas (Cass. 2e civ., 21 déc. 2000, n° 99-13.218).

b. Mise en œuvre de la signification à personne

Il ressort de l’article 654 du CPC que la signification à personne doit être appréhendée différemment selon que le destinataire est une personne physique ou une personne morale

?La signification aux personnes physiques

En application de l’article 689 du CPC, la signification d’un acte destiné à une personne physique peut être effectuée à trois endroits différents :

  • Au lieu où demeure le destinataire de l’acte, soit son domicile ou à défaut sa résidence (art. 689 al. 1er)
  • En tout autre lieu, notamment sur le lieu de travail de l’intéressé (art. 689, al. 2e)
  • Au domicile élu lorsque la loi l’admet ou l’impose (art. 689, al. 3e)

La signification à personne étant la règle, il appartient à l’huissier de justice de tenter de localiser le destinataire pour lui remettre l’acte.

Si la signification d’un acte à une personne physique peut être faite à domicile, il n’en demeure pas moins que la signification d’un acte doit être faite à personne et que l’acte ne peut être signifié selon une autre modalité que si une signification à personne s’avère impossible (Cass. 2e civ., 16 juin 1993, n° 90-18.256).

?La signification aux personnes morales

Pour que la signification à une personne morale soit valable, un certain nombre de conditions doivent être remplies :

  • Le lieu de la signification
    • L’article 689 du CPC dispose que la notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial est faite au lieu de son établissement et à défaut d’un tel lieu, elle l’est en la personne de l’un de ses membres habilités à la recevoir.
    • Le terme d’établissement ne doit pas être confondu avec celui du siège social, de sorte que la notification peut être effectuée en dehors de celui-ci (V. en ce sens Cass. 2e civ., 20 janv. 2005, n°03-12.267).
    • En effet, la notification d’un acte à une personne morale peut être effectuée :
      • Soit au lieu de son siège social
      • Soit au lieu de l’un de ses établissements secondaires ou complémentaires
      • Soit, à défaut, au lieu où se trouve la personne habilitée à recevoir la notification
    • Ainsi, l’agence de province d’une compagnie d’assurances ayant son siège social à Paris peut constituer l’établissement de cette compagnie au sens de l’article 690 (Cass. 2e civ., 27 nov. 1985, n° 84-13.740).
    • Reste que la jurisprudence considère que la signification destinée à une personne morale de droit privé étant faite au lieu de son établissement, l’huissier de justice n’a l’obligation de tenter la signification qu’au lieu du siège social dont l’existence n’est pas contestée (Cass. 2e civ., 23 oct. 1996, n° 94-15.194), sans être tenu, en ce cas, de demander un extrait K bis (Cass. 2e civ., 7 oct. 1992, Bull. 1992, n° 91-12.499), ou de son principal établissement s’il est situé ailleurs qu’au siège social (Cass. 2e civ., 20 nov. 1991, n° 90-14.723).
    • En particulier, dès lors que la personne morale a un siège social, l’huissier instrumentaire n’a pas à tenter de délivrer l’acte à la personne du gérant dont l’adresse est connue de lui-même ou du requérant (Cass. 2e civ., 21 févr. 1990, n° 88-17.230).
    • Il doit être noté que, s’agissant des personnes morales de droit privé, aucun texte n’autorise la signification des actes à domicile élu.
  • La personne habilitée à réceptionner la signification
    • L’article 654 du CPC prévoit que « la signification à une personne morale est faite à personne lorsque l’acte est délivré à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet. »
    • Ainsi, pour être valable, la signification ne peut être effectuée qu’auprès du représentant légal de la personne morale ou d’une personne spécialement habilitée à cet effet.
    • Lorsque, dès lors, l’acte destiné à une personne morale est délivré à un employé dont il n’est pas mentionné dans cet acte qu’il est habilité à le recevoir, il ne vaut pas comme signification à personne (Cass. soc., 26 juin 1975, n° 74-40.669).
    • À cet égard, il peut être observé que lorsque l’huissier de justice remet, au siège social, la copie de l’acte à un employé de la société non habilité à le recevoir, mais qui accepte sa remise, il y a signification à personne présente au domicile
    • Il en résulte que l’huissier de justice doit alors constater et mentionner dans l’acte qu’il s’est trouvé dans l’impossibilité de délivrer l’acte à la personne d’un représentant légal, d’un fondé de pouvoir ou de toute autre personne habilitée à cet effet.
    • Enfin, lorsqu’une société est en liquidation, la signification doit être faite en la personne de son liquidateur et c’est seulement si cette signification s’avère impossible que l’acte peut être délivré à domicile ou à mairie, dès lors que la signification d’un acte à une personne morale doit être faite à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de celui-ci ou à toute autre personne habilitée à cet effet (Cass. 2e civ., 3 avril 1979, n° 77-15.446).
  • Formalités complémentaires
    • L’article 658, al. 2 du CPC prévoit que lorsque la signification est faite à une personne morale, « l’huissier de justice doit aviser l’intéressé de la signification, le jour même ou au plus tard le premier jour ouvrable, par lettre simple comportant les mêmes mentions que l’avis de passage et rappelant, si la copie de l’acte a été déposée en son étude, les dispositions du dernier alinéa de l’article 656 ».
    • La lettre contient en outre une copie de l’acte de signification

2. Les modalités subsidiaires de signification

Lorsque la signification à personne est impossible, la loi prévoit trois modalités subsidiaires de signification hiérarchisées dans l’ordre suivant :

  • La signification à domicile ou à résident
  • La signification par remise de l’acte en l’étude de l’huissier de justice
  • La signification par procès-verbal de recherches infructueuses

?La signification à domicile ou à résident

  • Une modalité subsidiaire de signification
    • L’article 655 du CPC dispose que « si la signification à personne s’avère impossible, l’acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence. »
    • Ainsi, la signification à domicile de la personne ne peut être accomplie qu’à titre subsidiaire, soit dans l’hypothèse où l’huissier de justice est dans la possibilité de la rencontrer.
  • Condition de la signification à domicile
    • En application de l’article 655, la signification à domicile n’est permise qu’à la condition que la personne présente au domicile et qui l’accepte déclare ses nom, prénoms et qualité.
  • Les personnes autorisées à réceptionner l’acte signifié
    • Principe
      • L’alinéa 3 de l’article 655 du CPC dispose que « la copie peut être remise à toute personne présente au domicile ou à la résidence du destinataire. »
    • Exception
      • La jurisprudence considère que, par exception, la seule personne présente au domicile à laquelle copie de l’acte ne peut pas être remise est le requérant (Cass. 2e civ., 19 décembre 1973, n° 72-13.183).
      • L’hypothèse se rencontrera notamment en matière de divorce
  • Formalités
    • Plusieurs formalités doivent être accomplies en cas de signification au domicile :
      • Première formalité : justification des diligences accomplies
        • L’huissier de justice doit relater dans l’acte les diligences qu’il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l’impossibilité d’une telle signification.
      • Deuxième formalité : le dépôt d’un avis de passage
        • L’huissier de justice doit laisser, dans tous ces cas, au domicile ou à la résidence du destinataire, un avis de passage daté l’avertissant de la remise de la copie et mentionnant la nature de l’acte, le nom du requérant ainsi que les indications relatives à la personne à laquelle la copie a été remise.
      • Troisième formalité : indication des modalités de remise de l’acte
        • L’article 657 du CPC prévoit que lorsque l’acte n’est pas délivré à personne, l’huissier de justice mentionne sur la copie les conditions dans lesquelles la remise a été effectuée.
        • La copie de l’acte signifié doit être placée sous enveloppe fermée ne portant que l’indication des nom et adresse du destinataire de l’acte et le cachet de l’huissier apposé sur la fermeture du pli.
      • Quatrième formalité : l’envoi d’une lettre simple
        • L’huissier de justice doit aviser l’intéressé de la signification, le jour même ou au plus tard le premier jour ouvrable, par lettre simple comportant les mêmes mentions que l’avis de passage et rappelant, si la copie de l’acte a été déposée en son étude, les dispositions du dernier alinéa de l’article 656.
        • La lettre contient en outre une copie de l’acte de signification.
        • Par ailleurs, le cachet de l’huissier doit être apposé sur l’enveloppe.
        • Dans un arrêt du 6 octobre 2006, la Cour de cassation a précisé que la mention dans l’acte aux termes de laquelle il est indiqué que la lettre prévue par l’article 658 du CPC était envoyée “dans les délais légaux prévus par l’article susvisé” fait foi jusqu’à inscription de faux (Cass. ch. Mixte 6 octobre 2006, n° 04-17.070).

?La signification par remise de l’acte en l’étude de l’huissier de justice

  • Modalité subsidiaire de signification
    • Il ressort de l’article 656 du CPC que lorsque la signification à personne et à domicile sont impossibles, l’huissier de justice peut conserver l’acte en son étude aux fins de remise ultérieure à son destinataire.
    • À cet égard, l’huissier de justice devra justifier des diligences accomplies s’il opte pour cette modalité de signification.
    • Plus précisément il doit mentionner dans l’acte de signification les vérifications accomplies qui établissent que le destinataire de l’acte ne pouvait ou ne voulait pas le recevoir.
    • La Cour de cassation a précisé que l’huissier de justice doit non seulement préciser comment il a vérifié l’exactitude du domicile ou de la résidence, mais encore la raison pour laquelle il n’a pas pu signifier à personne ou indiquer que personne n’a pu ou voulu recevoir l’acte (Cass. 2e civ., 23 nov. 2000, n° 99-11.943).
  • Formalités
    • Mentions obligatoires
      • L’huissier doit mentionner dans l’acte de signification les vérifications accomplies qui établissent que le destinataire de l’acte ne pouvait ou ne voulait pas le recevoir
      • L’absence de cette mention ou l’insuffisance de vérifications accomplies par l’huissier sont sanctionnées par la nullité de l’acte.
    • L’avis de passage
      • En cas de conservation de l’acte pour signification en étude, l’huissier doit laisser au domicile ou à la résidence du destinataire un avis de passage daté l’avertissant de la remise de la copie et mentionnant la nature de l’acte, le nom du requérant
      • Cet avis mentionne, en outre, que la copie de l’acte doit être retirée dans le plus bref délai à l’étude de l’huissier de justice, contre récépissé ou émargement, par l’intéressé ou par toute personne spécialement mandatée.
    • Dépôt étude
      • L’acte qui n’a pas pu être signifié à personne ou à domicile est conservé en l’étude de l’huissier
      • Il appartient alors à son destinataire de se rendre à l’étude de ce dernier pour que la copie de l’acte lui soit délivrée.
      • L’huissier de justice peut, à la demande du destinataire, transmettre la copie de l’acte à une autre étude où celui-ci pourra le retirer dans les mêmes conditions.
    • Envoi d’une lettre simple
      • Comme pour la signification à domicile, l’huissier de justice doit aviser l’intéressé de la signification, le jour même ou au plus tard le premier jour ouvrable, par lettre simple comportant les mêmes mentions que l’avis de passage et rappelant, si la copie de l’acte a été déposée en son étude, les dispositions du dernier alinéa de l’article 656.
      • La lettre contient en outre une copie de l’acte de signification.
      • Par ailleurs, le cachet de l’huissier doit être apposé sur l’enveloppe.
    • Délai de conservation de l’acte
      • La copie de l’acte est conservée à l’étude pendant trois mois.
      • Passé ce délai, l’huissier de justice en est déchargé, de sorte qu’il est autorisé à le détruire, étant précisé que l’acte original sera conservé au rang des minutes

?La signification par procès-verbal de recherches infructueuses

  • L’absence de domicile, de résidence ou de lieu de travail connus
    • L’article 659 du CPC dispose que « lorsque la personne à qui l’acte doit être signifié n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l’huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu’il a accomplies pour rechercher le destinataire de l’acte. »
    • Il ressort de cette disposition que la signification par voie de procès-verbal de recherches infructueuses (qualifié également de PV 659) ne peut être effectuée que dans l’hypothèse où l’huissier de justice ignore où réside le destinataire de l’acte : son domicile, sa résidence et son lieu de travail sont inconnus.
    • Cette situation ne doit néanmoins pas faire obstacle à la signification de l’acte, à défaut de quoi elle encouragerait la personne visée à rester cachée aux fins d’échapper à toutes poursuites judiciaires et à l’exécution des décisions rendues contre elle.
    • Le législateur a donc institué un système qui consiste à signifier les actes de procédure à la dernière adresse connue du destinataire.
    • À cet égard, dans un arrêt du 2 mai 2001, la Cour de cassation a considéré que « la signification d’un jugement réputé contradictoire par voie de procès-verbal de recherches infructueuses fait courir le délai d’appel sans être contraire à l’exigence d’un procès équitable, dès lors que la régularité de cette signification, soumise par la loi à des conditions et modalités précises et à des investigations complètes de l’huissier de justice, peut être contestée, et que son destinataire dispose d’une procédure de relevé de la forclusion encourue » (Cass. com. 2 mai 2001, n°98-12.037).
    • Reste que pour recourir à la signification par voie de PV 659, l’huissier de justice doit avoir épuisé tous les moyens mis à sa disposition pour tenter de procéder à une signification selon les voies normales.
  • Justification des diligences accomplies
    • L’article 659 du CPC pose l’obligation pour l’huissier de justice de relater avec précision les diligences qu’il a accomplies pour rechercher le destinataire de l’acte.
    • Pour que cette modalité de signification soit valable, l’huissier de justice ne saurait se contenter de se rendre à la dernière adresse connue du destinataire, ni de contacter la mairie.
    • Il lui appartient d’accomplir plusieurs diligences qui doivent conduire à une recherche infructueuse quant à la domiciliation du destinataire de l’acte.
    • Ainsi, l’huissier de justice doit-il s’efforcer d’interroger le voisinage, de consulter l’annuaire téléphonique, d’interpeller la mairie, d’interroger les administrations auxquelles le destinataire de l’acte est susceptible d’être rattaché
    • Classiquement on admet que les diligences accomplies par l’huissier sont satisfaisantes, à partir de trois vérifications.
    • À cet égard, pour invoquer la nullité de la signification, le destinataire doit faire état d’éléments de faits concrets qui permettent de considérer qu’il aurait pu être retrouvé par l’huissier à la date de la signification de l’acte (Cass. 2e civ., 21 déc. 2000, n° 99-11.148).
  • Formalités
    • En cas de signification par voie de PV 659, l’huissier de justice doit accomplir un certain nombre de formalités
      • Envoi d’une lettre recommandée
        • L’article 659, al. 2 du CPC prévoit que le même jour que celui où il dresse le procès-verbal de recherches infructueuses ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l’huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l’acte objet de la signification.
      • Envoi d’une lettre simple
        • L’article 659, al. 3 du CPC prévoit que, en parallèle de l’envoi d’une lettre recommandée, Le jour même, l’huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l’accomplissement de cette formalité.
      • Personnes morales
        • L’article 659, al. 4 du CPC précise que la signification par voie de PV 659 est valable pour les personnes morales qui n’ont plus d’établissement connu au lieu indiqué comme siège social par le registre du commerce et des sociétés.
        • Dans un arrêt du 14 octobre 2004 la Cour de cassation a néanmoins rappelé que :
          • D’une part, la notification destinée à une personne morale de droit privé est faite au lieu de son établissement, et qu’à défaut d’un tel lieu, elle l’est en la personne de l’un des membres habilité à la recevoir
          • D’autre part, que dès lors que l’huissier de justice avait précisé dans le procès-verbal de recherches infructueuses que la société n’avait plus d’activité et de lieu d’établissement, il ne pouvait pas se borner à mentionner l’identité et le domicile de son représentant sans autre diligence en vue de lui signifier l’acte (Cass. 2e civ., 14 octobre 2004, n° 02-18.540).
          • Dans ce cas, en effet, il reste possible de signifier l’acte au représentant de la personne morale à la condition que l’acte soit remis à sa personne.

B) Les modalités de la notification par voie ordinaire

L’article 667 du CPC prévoit que la notification par voie ordinaire peut être effectuée selon deux modalités distinctes :

  • Première modalité : l’envoi d’un pli postal
    • La notification peut être faite par voie postale et plus précisément au moyen de l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception
    • L’article 670 du CPC précise que la notification est réputée faite :
      • Soit à personne lorsque l’avis de réception est signé par son destinataire.
      • Soit à domicile ou à résidence lorsque l’avis de réception est signé par une personne munie d’un pouvoir à cet effet
    • Par ailleurs, l’article 670-1 du CPC prévoit que, en cas de retour au greffe de la juridiction d’une lettre de notification dont l’avis de réception n’a pas été signé dans les conditions prévues à l’article 670, le greffier invite la partie à procéder par voie de signification.
  • Seconde modalité : la remise en mains propres
    • L’article 667 du CPC prévoit que la notification peut être également effectuée par la remise de l’acte au destinataire contre émargement ou récépissé.
    • L’alinéa 2 précise que « la notification en la forme ordinaire peut toujours être faite par remise contre émargement ou récépissé alors même que la loi n’aurait prévu que la notification par la voie postale. »

VI) Date de la notification

?La notification par voie de signification

L’article 664-1 du CPC prévoit que :

  • Pour la signification en la forme ordinaire, la date de la signification d’un acte d’huissier de justice est celle du jour où elle est faite à personne, à domicile, à résidence ou, dans le cas mentionné à l’article 659, celle de l’établissement du procès-verbal.
  • Pour la signification par voie électronique, la date et l’heure de la signification par voie électronique sont celles de l’envoi de l’acte à son destinataire.

À cet égard, l’article 664 du CPC précise que « aucune signification ne peut être faite avant six heures et après vingt et une heures, non plus que les dimanches, les jours fériés ou chômés, si ce n’est en vertu de la permission du juge en cas de nécessité. »

Lorsque l’huissier de justice se déplace au domicile du destinataire de l’acte, il ne pourra donc le faire qu’à des jours ouvrables et dans les créneaux horaires autorisés par la loi.

?La notification en la forme ordinaire

L’article 668 du CPC prévoit que la date de la notification par voie postale est :

  • À l’égard de celui qui y procède, celle de l’expédition
  • À l’égard de celui à qui elle est faite, la date de la réception de la lettre.

L’article 669 précise que :

  • D’une part, la date de l’expédition d’une notification faite par la voie postale est celle qui figure sur le cachet du bureau d’émission
  • D’autre part, la date de la remise, lorsque la notification est faite en mains propres, est celle du récépissé ou de l’émargement
  • Enfin, la date de réception d’une notification faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception est celle qui est apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire.

VII) Le délai de notification

A) Principe : le délai de 10 ans

L’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que « l’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long ».

Il se déduit de cette disposition que le délai de principe pour notifier les décisions de justice est de 10 ans.

Ce délai peut être prorogé pour les créances qui se prescrivent par un délai plus long. Tel est le cas, par exemple, de la créance née de la survenance d’un dommage corporel causé par des tortures ou des actes de barbarie ou par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur qui n’est prescrite qu’au bout de vingt ans conformément à l’article 2226, al. 2e, du Code civil.

Dans cette hypothèse, le délai de signification de la décision rendue est identique à celui attaché à la prescription de l’action, soit 20 ans.

B) Tempérament : le délai de 2 ans

L’article 528-1 du CPC dispose que « si le jugement n’a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l’expiration dudit délai. »

Cette disposition pose ainsi une limite à la possibilité pour les parties d’interjeter appel, à l’expiration d’un délai de deux ans.

Dans un arrêt du 9 avril 2015, la Cour de cassation a précisé que « si le jugement, qui tranche tout le principal ou qui, statuant sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident, met fin à l’instance, n’est pas notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l’expiration dudit délai » (Cass. 2e civ. 9 avr. 2015, n°14-15.789).

Il ressort de cette disposition que le délai de forclusion ainsi institué pour interjeter appel fixé à deux ans est applicable pour :

  • Les jugements qui tranchent tout le principal
  • Les jugements qui statuent sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident mettant fin à l’instance

A contrario, si la décision ne tranche qu’une partie du principal, tel un jugement mixte, l’article 528-1 du CPC n’est pas applicable.

Dans un arrêt du 30 janvier 2003, la deuxième chambre civile a encore considéré que « les principes de sécurité juridique et de bonne administration de la justice qui fondent les dispositions de l’article 528-1 du nouveau Code de procédure civile constituaient des impératifs qui n’étaient pas contraires aux dispositions de l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (Cass. 2e civ. 30 janv. 2003, n°99-19.488).

Pour la Cour de cassation il est indifférent que la partie susceptible d’exercer le recours, dans la mesure où « les dispositions de l’article 528-1 du nouveau Code de procédure civile ne fixent pas le point de départ d’un délai de recours, mais le terme au-delà duquel aucun recours ne peut plus être exercé par la partie qui a comparu, peu important la date à laquelle cette partie a eu une connaissance effective de la décision » (Cass. 2e civ., 11 mars 1998, n°96-12.749).

C) Exception : le délai de 6 mois

L’article 478 du CPC dispose que « le jugement rendu par défaut ou le jugement réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel est non avenu s’il n’a pas été notifié dans les six mois de sa date ».

Ainsi, lorsque le jugement est rendu par défaut ou est réputé contradictoire, le délai de notification est de 6 mois sous peine de caducité de la décision.

La question qui alors se pose est de savoir ce que sont un jugement rendu par défaut et un jugement réputé contradictoire.

Pour rappel, un jugement est susceptible d’endosser trois qualifications différentes. Aussi, distingue-t-on :

  • Le jugement contradictoire
    • Aux termes de l’article 467 du Code de procédure civile « le jugement est contradictoire dès lors que les parties comparaissent en personne ou par mandataire, selon les modalités propres à la juridiction devant laquelle la demande est portée.»
    • Ainsi, le jugement est contradictoire dès lors que chacun des plaideurs a eu connaissance du procès, à tout le moins a été en mesure de présenter ses arguments.
  • Le jugement réputé contradictoire
    • La décision est réputée contradictoire lorsque :
      • Le défendeur n’a pas comparu
          • ET
      • La décision qui sera prononcée est susceptible d’appel
          • OU
      • La citation a été délivrée à personne
  • Le jugement par défaut
    • L’absence de comparution du défendeur ne doit pas faire obstacle au cours de la justice.
    • Aussi, l’article 468 du Code de procédure autorise-t-il le juge à statuer lorsque trois conditions cumulatives sont réunies :
      • Le défendeur ne doit pas avoir comparu personnellement ou ne doit pas être représenté
      • L’assignation ne doit pas avoir été délivrée à personne
      • L’appel n’est pas ouvert contre l’acte introductif d’instance
    • La rigueur de ces conditions, s’explique par la volonté du législateur de restreindre les jugements rendus par défaut.

Le délai de 6 mois dont disposent les parties pour notifier la décision sous peine de caducité ne s’applique donc :

  • Au jugement rendu par défaut
  • Au jugement réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel

Il en résulte que pour les jugements réputés contradictoires au motif que nonobstant l’absence de comparution du défendeur, la citation a été délivrée à personne, le délai de 6 mois n’est pas applicable.

VIII) Les effets de la notification

La notification de la décision rendue produit trois effets :

  • Premier effet : efficacité des dispositions adoptées par le Tribunal
    • La notification autorise la partie gagnante à s’en prévaloir, soit à tirer avantage ce qui a été décidé par le juge
    • Dans un arrêt du 16 décembre 2005, la chambre mixte a jugé en ce sens que « la force de chose jugée attachée à une décision judiciaire dès son prononcé ne peut avoir pour effet de priver une partie d’un droit tant que cette décision ne lui a pas été notifiée » (Cass. ch. Mixte 16 déc. 2005, n°03-12.206).
  • Deuxième effet : exécution du jugement
    • Principe
      • L’article 503 du CPC dispose que « les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés »
      • Ainsi, la notification du jugement est une condition préalable nécessaire à son exécution.
      • Cette règle procède de l’idée qu’il est impératif que la partie contre laquelle la décision est exécutée en est connaissance.
    • Exceptions
      • En application de l’article 503 du CPC, il est fait exception à l’exigence de notification de la décision rendue dans deux cas :
        • L’exécution volontaire
          • Lorsque la partie perdante s’exécute spontanément, sans que la décision rendue à son encontre ne lui ait été notifiée, la partie gagnante est dispensée de l’accomplissement de toute formalité de notification.
          • Cette dispense de notification procède de l’idée que si l’exécution est volontaire, cela signifie que la partie perdante a eu connaissance de la décision.
          • Il n’est donc pas nécessaire de lui notifier, à plus forte raison parce que cela engendrerait, pour cette dernière, un coût de procédure inutile.
        • L’exécution au seul vu de la minute
          • L’article 503, al. 2 du CPC prévoit que « en cas d’exécution au seul vu de la minute, la présentation de celle-ci vaut notification. »
          • Cette hypothèse où une décision est exécutoire au seul vu de la minute se rencontre dans trois cas :
            • les ordonnances sur requête
            • les ordonnances de référé
            • les décisions statuant sur l’obtention de pièces détenues par un tiers
            • les mesures d’instruction
  • Troisième effet : point de départ du délai d’exercice des voies de recours
    • L’article 678 CPC prévoit que « le délai pour exercer le recours part de la notification à la partie elle-même. »
    • L’article 528-1 précise que « si le jugement n’a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l’expiration dudit délai. »
    • Il ressort de ces deux dispositions que le délai d’exercice des voies de recours ne commence à courir qu’à compter de la notification de la décision.
    • À défaut, le délai ne court pas, à tout le moins dans la limite du délai butoir du délai butoir énoncé par l’article 528-1 du CPC.

La notion de consommateur

Jusqu’à l’adoption de la loi Hamon du 14 mars 2016, le Code de la consommation ne comportait aucune définition de la notion de consommateur, exceptée, depuis la loi du 1er juillet 2010, en matière de crédit à la consommation.

Le nouvel article L. 311-1, 2° du Code de la consommation prévoit en ce sens que « sont considérés comme […] emprunteur ou consommateur, toute personne physique qui est en relation avec un prêteur, dans le cadre d’une opération de crédit réalisée ou envisagée dans un but étranger à son activité commerciale ou professionnelle ».

Le dispositif légal relatif aux clauses abusives est demeuré quant à lui dépourvu de définition. Le législateur a fait le choix de ne pas reprendre celle prévue à l’article 2, b de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 qui définit le consommateur comme « toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle »[1].

Cette absence de définition légale n’a, manifestement, pas été sans soulever de nombreuses difficultés.

Aussi, la loi Hamon du 14 mars 2016 est-elle venue mettre un terme à cette carence en introduisant une définition restrictive de la notion de consommateur.

I) Les difficultés soulevées par l’absence de définition légale de la notion de consommateur

Les deux principales difficultés soulevées par l’absence de définition de la notion de consommateur ont été de savoir :

  • Si, d’une part, les professionnels agissant en dehors de leur spécialité pouvaient être regardés comme des consommateurs.
  • Si, d’autre part, les personnes morales agissant à des fins non-professionnelles pouvaient également être assimilées à des consommateurs.

A) Sur l’assimilation des professionnels agissant en dehors de leur activité à des consommateurs

1. Problématique

Jusqu’à l’adoption de la loi Hamon du 14 mars 2016, la notion de consommateur n’était définie par aucun texte, bien qu’elle soit visée par plusieurs articles du Code de la consommation, en particulier par les dispositions relatives aux clauses abusives.

Classiquement, on enseigne que la notion de consommateur peut être prise dans deux sens différents : un sens économique et un sens juridique.

  • Au sens économique, le consommateur est celui qui intervient au dernier stade du processus de circulation des biens, soit après la production et la distribution.
  • Au sens juridique, le consommateur n’est plus regardé comme un maillon de la chaîne économique : il est appréhendé comme une partie faible au contrat qu’il convient de protéger.

Si l’on se focalise sur cette seconde acception de la notion de consommateur, une question immédiatement alors se pose : que doit-on entendre par partie faible au contrat.

Plus précisément, à qui le dispositif relatif aux clauses abusives doit-il bénéficier ? Qui le législateur a-t-il voulu protéger ?

2. Les approches envisageables

Deux approches de la notion de consommateur, au sens juridique du terme, peuvent être retenues.

  • L’approche restrictive
    • Le consommateur n’est autre que le profane qui agit exclusivement pour ses besoins personnels et familiaux, soit en dehors de l’exercice de toute activité professionnelle.
    • Cette approche repose, de la sorte, sur la qualité du consommateur, lequel serait nécessairement un non-professionnel.
    • Bien qu’elle présente l’immense avantage de reposer sur un critère simple, cette vision s’est heurtée à la lettre de l’ancien article 132-1 du Code de la consommation.
    • Cette disposition prévoyait, en effet, que le dispositif relatif aux clauses abusives bénéficiait, tant au consommateur qu’au non-professionnel, ce qui, dès lors, est susceptible de disqualifier l’approche restrictive.
    • En effet, de deux choses l’une :
      • Soit l’on tient les termes « consommateur » et « non-professionnel » pour synonymes auquel cas on exclut d’emblée l’idée que le professionnel puisse bénéficier de la protection instaurée par le législateur, peu importe qu’il agisse en dehors de sa sphère de compétence lorsqu’il agit.
      • Soit l’on considère qu’il n’existe aucune synonymie entre les deux termes, auquel cas rien n’empêche que les personnes qui contractent dans le cadre de l’exercice de leur profession, mais en dehors de leur domaine de spécialité puissent bénéficier de la même protection que les consommateurs.
    • D’où le débat qui s’en est suivi sur l’opportunité d’adopter une approche extensive de la notion de consommateur.
  • L’approche extensive
    • Selon cette approche, la notion de consommateur doit être appréhendée, non pas au regard du critère de la qualité de professionnel de celui qui conclut un contrat de biens ou de services, mais en considération du critère de sa compétence.
    • Le consommateur s’apparenterait ainsi à toute personne qui agit en dehors de sa sphère de compétence habituelle, car dans cette hypothèse, elle est placée dans la même situation que le profane.
    • Cette conception permet ainsi d’attraire dans la catégorie des consommateurs celui qui, dans le cadre de l’exercice de sa profession, agit en dehors de son domaine de compétence.
  • Si donc on récapitule, tandis que l’approche restrictive de la notion de consommateur repose sur le critère de la qualité de celui qui contracte, l’approche extensive repose quant à elle sur le critère de la compétence.
  • Quelle approche a été retenue par la jurisprudence ?
  • Il ressort des nombreuses décisions rendues sur cette question par la Cour de cassation que sa position a connu une véritable évolution.

3. L’évolution jurisprudentielle

?Première étape : adoption de l’approche extensive

Dans un arrêt du 15 avril 1982, la Cour de cassation a estimé que le dispositif relatif aux clauses abusives était parfaitement applicable à un professionnel agissant en dehors de son domaine de compétence (Cass. 1ère civ. 15 avr. 1982, n°80-14.757).

Cass. 1ère civ. 15 avr. 1982

juges du fond, m x…, agriculteur, a reçu, le 30 juin 1978, à la suite d’un incendie dans son exploitation au cours de la nuit du 29 au 30 juin 1978, la visite d’un démarcheur de la société générale d’expertise roux sa, qui lui a proposé les services de cette société pour procéder à l’expertise du sinistre ; Que m x… a accepte de confier la mission d’expertise a la société roux, moyennant une rémunération de 3 % des estimations, selon un contrat signe le même jour ; Que, cependant, le cabinet d’expertise Guillet et sauret ayant, ce même jour, propose a m x… les mêmes services, pour une rémunération de 2 % , m x… a adresse à la société roux une lettre par laquelle il déclarait renoncer au contrat, en faisant référence aux dispositions de la loi du 22 décembre 1972 relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile ; Que, sur une demande de la société roux pour que soit reconnue la validité de la convention conclue avec m x…, la cour d’appel a prononcé la nullité du contrat pour inobservation des prescriptions de l’article 2 du texte précité ;

Attendu que la société roux fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir, pour statuer ainsi, décide que les dispositions de la loi du 22 décembre 1972 étaient applicables, en écartant l’article 8-1-e de ce texte, selon lequel sont exclues du domaine d’application de la loi les prestations de services lorsqu’elles sont proposées pour les besoins d’une exploitation agricole, industrielle ou commerciale ou d’une activité professionnelle, ce qui serait le cas en l’espèce ; Qu’ainsi, la cour d’appel aurait abusivement restreint l’application de cette disposition, qui doit, selon le pourvoi, s’appliquer aux contrats de toute nature en rapport avec l’exploitation, et pas seulement à ceux relevant de l’exercice de sa profession par le client ;

Mais attendu que le régime institue par la loi du 22 décembre 1972 tend à la protection du contractant sollicite à domicile, en tant que consommateur présume inexpérimenté ; Que l’exception a ce régime de protection, prévue par l’article 8-1-e de ce texte, ne s’applique qu’à celui qui contracte non en qualité de consommateur, mais dans l’exercice de son activité professionnelle ; Que, dès lors, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu qu’en l’espèce, le contrat litigieux, qui concernait l’expertise d’un sinistre, échappait a la compétence professionnelle de m x…, agriculteur, et devait en conséquence, être soumis aux dispositions de la loi du 22 décembre 1972 ;

Qu’elle a ainsi légalement justifie sa décision ;

Que le moyen n’est donc pas fonde ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 10 juin 1980 par la cour d’appel de bourges.

  • Faits
    • Un agriculteur, a reçu, le 30 juin 1978, à la suite d’un incendie dans son exploitation, la visite d’une société qui lui a proposé ses services aux fins de procéder à l’expertise du sinistre
    • Alors qu’il avait accepté de confier la mission d’expertise à la société, moyennant une rémunération de 3 % des estimations, l’agriculteur est sollicité le même jour par une autre société qui lui propose, le même jour, les mêmes services pour une rémunération de seulement 2 %.
    • Aussi, décide-t-il de renoncer au premier contrat, en se prévalant des dispositions de la loi du 22 décembre 1972 relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile.
  • Demande
    • La société assigne l’agriculteur aux fins de faire constater en justice la validité du contrat.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 10 juin 1980, la Cour d’appel de Bourges déboute la société requérante de sa demande et prononce la nullité du contrat
    • Les juges du fond justifient leur décision en avançant que l’agriculteur était parfaitement fondé à se prévaloir des dispositions de la loi du 22 décembre 1972 qui offrent au consommateur un droit de rétractation en cas de démarchage à domicile.
    • Plus précisément, ils estiment que l’article l’article 8-1-e de ce texte, selon lequel sont exclues du domaine d’application de la loi les prestations de services lorsqu’elles sont proposées pour les besoins d’une exploitation agricole, industrielle ou commerciale ou d’une activité professionnelle, ne seraient pas applicables en l’espèce, compte tenu de l’état d’ignorance dans lequel se trouvait l’agriculteur.
  • Solution
    • Dans son arrêt du 15 avril 1982, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société requérante.
    • Pour valider la décision des juges du fond, elle considère que si « le régime institué par la loi du 22 décembre 1972 tend à la protection du contractant sollicité à domicile, en tant que consommateur présume inexpérimenté […], l’exception à ce régime de protection, prévue par l’article 8-1-e de ce texte, ne s’applique qu’à celui qui contracte non en qualité de consommateur, mais dans l’exercice de son activité professionnelle »
    • La haute juridiction en déduit que, en l’espèce, « le contrat litigieux, qui concernait l’expertise d’un sinistre, échappait a la compétence professionnelle l’agriculteur, et devait en conséquence, être soumis aux dispositions de la loi du 22 décembre 1972 »
    • La première chambre civile assimile donc le professionnel qui agit en dehors de son domaine de compétence à un consommateur.
    • Ce qui compte, ce n’est donc pas que la personne qui contracte endosse ou non la qualité de professionnel, ce qui importe c’est de savoir si elle agit dans le cadre de sa sphère de compétence habituelle.
    • Cela revient dès lors à considérer que les termes « consommateur » et « non-professionnel » auxquels la loi fait référence, ne sont pas synonymes.
    • La catégorie des « non-professionnels » peut, en effet, selon cette vision, parfaitement accueillir les personnes qui agissent dans le cadre de leur profession, mais en dehors de leur domaine d’activité.
    • Ainsi, la Cour de cassation s’est-elle manifestement livrée, dans cet arrêt, à une approche extensive de la notion de consommateur.

?Deuxième étape : adoption d’une approche restrictive

Dans un arrêt du 15 avril 1986, la Cour de cassation a opéré de revirement de jurisprudence radical en adoptant une interprétation restrictive de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978 (Cass. 1ère civ. 15 avr. 1986, n°84-15.801).

Elle affirme en ce sens que « la protection qu’il institue ne peut être invoquée qu’à l’occasion de contrats passés entre professionnels et non professionnels ou consommateurs ».

Aussi, cela conduit-il la Cour de cassation à exclure du champ d’application du dispositif relative aux clauses abusives les professionnels qui agissent en dehors domaine de compétence.

Cass. 1ère civ., 15 avr. 1986

Sur le premier moyen :

Vu l’article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l’information des consommateurs de produits et de services ;

Attendu qu’il résulte de ce texte que la protection qu’il institue ne peut être invoquée qu’à l’occasion de contrats passés entre professionnels et non professionnels ou consommateurs ;

Attendu que M.Jean-François Bodier, agent d’assurances, a souscrit le 6 janvier 1983 auprès d’un représentant de la société Rayconile un ordre de publicité en vue de l’impression et de l’expédition par voie postale d’une housse d’annuaires téléphoniques comportant un encart publicitaire, à mille abonnés pendant trois ans à raison d’une diffusion par an, en versant à titre d’avance la somme de 360 francs ; que six jours après, le 12 janvier 1983, il adressait une lettre recommandée à la société Rayconile pour lui dire qu’en fonction de probabilité d’un futur déménagement, il demandait à rompre l’engagement qu’il venait de contracter ;

Attendu que, passant outre à cette demande, la société Rayconile a adressé le 21 janvier 1983 à M.Bodier une confirmation de la commande en précisant qu’elle faisait imprimer et diffuser les housses publicitaires ; que M.Bodier ayant refusé de régler les sommes réclamées, cette société l’a assigné devant le tribunal d’instance ; qu’elle a été déboutée de son action au motif que M.Bodier n’était qu’un ” consommateur ” dans ses relations avec elle et que certaines stipulations du contrat auraient été contraires aux dispositions de la loi du 10 janvier 1978 ” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que M.Bodier avait traité en qualité de professionnel de l’assurance et pour la publicité de son cabinet, circonstances d’où il résultait qu’en l’espèce cette loi n’était pas applicable, le tribunal d’instance a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen,

CASSE et ANNULE, en son entier, le jugement rendu le 5 juin 1984, entre les parties, par le Tribunal d’instance de Chateaudun ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le Tribunal d’instance de Chartres,

  • Faits
    • Un agent d’assurances, a souscrit le 6 janvier 1983 auprès d’un représentant de la société Rayconile un ordre de publicité en vue de l’impression et de l’expédition par voie postale d’une housse d’annuaires téléphoniques comportant un encart publicitaire, à mille abonnés pendant trois ans à raison d’une diffusion par an, en versant à titre d’avance la somme de 360 francs
    • Six jours après la conclusion du contrat, l’agent d’assurances souhaite se rétracter en faisant valoir auprès de son cocontractant qu’il était probable qu’il soit amené à déménager.
    • Ce dernier refuse et adresse à son client une confirmation de la commande en précisant qu’elle lui fournirait, malgré tout, la prestation initialement convenue.
    • L’agent d’assurances refuse alors de régler les sommes réclamées.
  • Demande
    • La société prestataire assigne en paiement son client à qui elle avait refusé la rupture unilatérale du contrat.
  • Procédure
    • Par jugement du 5 juin 1984, le Tribunal d’instance de Châteaudun déboute la société requérante au motif que l’agent d’assurances n’était qu’un ” consommateur ” dans ses relations avec elle et que certaines stipulations du contrat auraient été contraires aux dispositions de la loi du 10 janvier 1978.
  • Solution
    • Par un arrêt du 15 avril 1986, la première chambre civile casse et annule le jugement rendu en premier et dernier ressort par le Tribunal d’instance de Châteaudun.
    • La Cour de cassation estime, en effet, que la protection instituée par la loi du 10 janvier 1978 « ne peut être invoquée qu’à l’occasion de contrats passés entre professionnels et non professionnels ou consommateurs ».
    • Or en l’espèce, elle relève que l’agent d’assurances était un professionnel.
    • Ainsi, pour la Cour de cassation adopte-t-elle une conception restrictive de la notion de consommateur.
    • Dans la mesure où l’assureur agit dans le cadre de sa profession, il ne saurait être rangé dans la catégorie des non-professionnels et, par voie de conséquence, bénéficier de la protection instaurée par la loi du 10 janvier 1978.
    • Cette conception revient dès lors à tenir pour synonyme les termes « consommateur » et « non-professionnel » visés par la loi.
    • Bien que cette solution ait été rendue en conformité avec l’avis de la Commission de refonte du droit de la consommation qui « n’a pas voulu assimiler aux consommateurs les personnes qui, agissant dans l’exercice d’une profession, contractent avec des professionnels de spécialité différente », de nombreux auteurs critiquèrent cette position de la Cour de cassation.
    • Certains firent, en effet, remarquer que cela conduisait à priver à une personne, parce qu’elle agit dans le cadre de l’exercice de sa profession, du bénéfice de protection instaurée par le législateur, alors même que lorsqu’elle agit en dehors de sa sphère de compétence habituelle, elle est placée dans la même situation que le consommateur.
    • Comme l’a fait remarquer Georges Berlioz, « comment admettre, par exemple, qu’un passager aérien qui voyage pour ses besoins professionnels soit exclu de la protection contre les clauses abusives, alors que son voisin qui a contracté avec le transporteur dans un but privé soit admis à s’en prévaloir » ?
    • Cette situation est absurde. D’où la raison, sans doute, du nouveau revirement opéré par la Cour de cassation un an plus tard.

?Troisième étape : le retour à une approche extensive

Dans un arrêt du 28 avril 1987, la Cour de cassation est revenue à une approche extensive de la notion de consommateur (Cass. 1ère civ. 28 avr. 1987, n°85-13.674).

Cass. 1ère civ., 28 avr. 1987

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Abonnement téléphonique a installé un système d’alarme contre le vol dans un immeuble appartenant à la société Pigranel et que celle-ci a dénoncé le contrat en se prévalant du caractère abusif de certaines de ses stipulations et en faisant valoir que l’alarme se déclenchait fréquemment sans aucune raison ; que, sur son assignation, la cour d’appel a déclaré nulle la clause du contrat suivant laquelle Abonnement téléphonique ne contractait dans tous les cas qu’une obligation de moyens et non de résultat, celle qui prévoyait que les dérangements, quelle qu’en fût la cause, ne pourraient ouvrir droit à indemnité ni à résiliation du contrat, enfin celle qui attribuait au contraire à Abonnement téléphonique diverses indemnités quel que fût le motif invoqué pour mettre fin audit contrat ; qu’elle a en conséquence décidé que la société Pigranel avait eu le droit de résilier ;

Attendu qu’Abonnement téléphonique reproche aux juges du second degré d’avoir ainsi statué, aux motifs que la loi du 10 janvier 1978 et le décret du 24 mars 1978 sont applicables en la cause, la société Pigranel se trouvant dans la situation de n’importe quel individu non commerçant, de sorte qu’il ne s’agit pas d’une opération commerciale entre professionnels, à but lucratif pour l’une comme pour l’autre des parties, alors que, d’une part, selon le moyen, la loi du 10 janvier 1978 relative à la protection des consommateurs ne s’applique pas aux contrats souscrits par des commerçants ou professionnels, lesquels sont en mesure de déceler et de négocier les clauses qu’ils jugent abusives, en particulier dans le cas de l’espèce puisque la société Pigranel est spécialisée dans la rédaction de contrats, de sorte que la cour d’appel a violé l’article 35 de ladite loi, les articles 1er à 5 du décret précité et l’article 1134 du Code civil ; qu’il est affirmé, d’autre part, qu’Abonnement téléphonique ne pouvait en aucun cas souscrire une obligation de résultat au regard des dommages prétendument subis et des mauvais fonctionnements de l’installation ; que, de troisième part, selon le moyen, la clause refusant à la société Pigranel tout droit à résiliation ou à dommages-intérêts en cas de dérangement n’était pas interdite par le décret, dont l’article 2 a donc été violé en même temps que l’article 1134 du Code civil ; qu’il est enfin prétendu que l’arrêt attaqué a encore violé les mêmes textes en annulant la clause attribuant diverses indemnités à Abonnement téléphonique en cas de cessation du contrat quel qu’en soit le motif ;

Mais attendu, sur le premier point, que les juges d’appel ont estimé que le contrat conclu entre Abonnement téléphonique et la société Pigranel échappait à la compétence professionnelle de celle-ci, dont l’activité d’agent immobilier était étrangère à la technique très spéciale des systèmes d’alarme et qui, relativement au contenu du contrat en cause, était donc dans le même état d’ignorance que n’importe quel autre consommateur ; qu’ils en ont déduit à bon droit que la loi du 10 janvier 1978 était applicable ;

Et attendu, sur les trois autres points, que le vendeur étant tenu de délivrer une chose apte à rendre le service que l’acquéreur peut légitimement en attendre, la cour d’appel, qui a relevé que l’installation n’a pas fonctionné de manière satisfaisante, dès sa mise en service jusqu’à la décision de résiliation, et qu’elle a provoqué pendant ces deux années de nombreuses alertes intempestives, a ainsi légalement justifié, au regard de l’article 2 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978, le chef de son arrêt décidant de tenir pour abusives et donc non écrites, dans ces limites, les trois clauses ci-avant analysées ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

  • Faits
    • La société Abonnement téléphonique a installé un système d’alarme contre le vol dans un immeuble appartenant à la société Pigranel.
    • Cette dernière a, par la suite, dénoncé le contrat en se prévalant du caractère abusif de certaines de ses stipulations et en faisant valoir que l’alarme se déclenchait fréquemment sans aucune raison.
    • Contre cette demande, la société d’Abonnement téléphonique invoquait plusieurs clauses selon lesquelles elle n’était tenue que d’une obligation de moyens et qu’aucune indemnité, aucune résiliation n’était possible du fait des dérangements mais que des indemnités lui étaient dues en cas de rupture du contrat.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 19 mars 1985, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a prononcé la nullité de plusieurs clauses du contrat :
      • D’abord la stipulation suivant laquelle Abonnement téléphonique ne contractait dans tous les cas qu’une obligation de moyens et non de résultat
      • Ensuite, celle qui prévoyait que les dérangements, quelle qu’en fût la cause, ne pourraient ouvrir droit à indemnité ni à résiliation du contrat
      • Enfin celle qui attribuait au contraire à Abonnement téléphonique diverses indemnités quel que fût le motif invoqué pour mettre fin audit contrat ; qu’elle a en conséquence décidé que la société Pigranel avait eu le droit de résilier.
  • Solution
    • Par un arrêt du 28 avril 1987, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le fournisseur de l’alarme.
    • Elle justifie sa décision en validant l’application par les juges du fond de la loi du 10 janvier 1978 après avoir relevé que « le contrat conclu entre Abonnement téléphonique et la société Pigranel échappait à la compétence professionnelle de celle-ci, dont l’activité d’agent immobilier était étrangère à la technique très spéciale des systèmes d’alarme et qui, relativement au contenu du contrat en cause, était donc dans le même état d’ignorance que n’importe quel autre consommateur ».
    • Ainsi, la Cour de cassation considère-t-elle que nonobstant sa qualité de professionnel, la société acquéreur pouvait bénéficier du mécanisme de protection des clauses abusives dans la mesure où elle avait agi en dehors de son domaine de spécialité.
    • Le principe posé par la haute juridiction est donc clair : la loi du 10 janvier 1978 s’applique au professionnel, fût-ce une personne morale, dès lors qu’il est placé relativement au contenu du contrat en cause, dans le même état d’ignorance que n’importe quel autre consommateur.
    • Au sens de la loi du 10 janvier 1978, la personne qui agit dans le cadre de sa profession mais en dehors de sa sphère de compétence habituelle est assimilée au non-professionnel, ce qui présente l’avantage de fournir un fondement textuel à cette solution.

?Quatrième étape : l’apparition du critère légal du lien direct

La loi Doubin du 31 décembre 1989 relatif au démarchage à domicile est venue réformer l’article L. 121-22, 4° du Code de la consommation en posant une exception à l’application du dispositif protecteur pour « les ventes, locations ventes de biens ou de prestations de service lorsqu’elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d’une exploitation agricole, industrielle, commerciale ou artisanale ou de toute autre profession ».

On pouvait alors légitimement en déduire, a contrario, que lorsque l’un des contrats visés par cette exception était conclu sans « rapport direct » avec les activités d’un professionnel, celui-ci était fondé à revendiquer le bénéfice de la législation relative au démarchage à domicile.

Surtout, cette réforme alors fournir un nouveau support textuel à la Cour de cassation pour justifier l’application du dispositif relatif aux clauses abusives professionnel agissant en dehors de son domaine de spécialité.

?Cinquième étape : retour à une conception stricte de la notion de consommateur

Bien que l’on ait pu légitimement penser que la Cour de cassation ferait une application extensive de la loi Doubin du 31 décembre 1989 relatif au démarchage à domicile aux clauses abusives, tel ne fut pas le cas.

Au contraire, dans une décision du 24 novembre 1993, la première chambre civile est revenue à une approche restrictive de la notion de consommateur en considérant, à propos du contrat qui lui était soumis que « le caractère prétendument abusif de la clause litigieuse ne peut, aux termes des articles 35, alinéa 3 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, devenu 132-1 de la loi n° 93-949 du 26 juillet 1993, relative au Code de la consommation et 2 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978, être invoquée à propos d’un contrat de vente conclu entre des professionnels » (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1993, n°91-17.753).

Ainsi, pour la Cour de cassation la qualité de professionnel du requérant fait obstacle à ce qu’il se prévale du dispositif relatif aux clauses abusives quand bien même il aurait agi en dehors de son domaine de spécialité.

Il peut être observé que cette solution était manifestement conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui, dans un arrêt du 19 janvier 1993 avait estimé que « l’article 13 de la convention doit être interprété en ce sens que le demandeur, qui agit dans l’ exercice de son activité professionnelle et qui n’ est, dès lors, pas lui-même le consommateur, partie à l’ un des contrats énumérés par le premier alinéa de cette disposition, ne peut pas bénéficier des règles de compétence spéciales prévues par la convention en matière de contrats conclus par les consommateurs. »

Et d’ajouter qu’il résulte du libellé et de la fonction des dispositions de la directive « que celles-ci ne visent que le consommateur final privé, non engagé dans des activités commerciales ou professionnelles qui est lié par un des contrats énumérés à l’article 13 et qui est partie à l’action en justice, conformément à l’article 14 ».

Cass. 1ère civ. 24 nov. 1993

Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :

Attendu que M. X…, arboriculteur, a acheté à M. Y…, pépinièriste, 6 008 plants de pommiers Starkrimson S 106 premier choix, qu’il a plantés en janvier 1981 ; qu’à la première floraison des arbres, il s’est aperçu que ces pommiers n’appartenaient pas à la même variété ; qu’une expertise judiciaire à établi que 68 % des plants n’étaient pas conformes à la commande ; que M. X… a alors réclamé à M. Y… une somme de 600 000 francs en réparation de son préjudice ; que l’arrêt attaqué (Montpellier, 29 mai 1991) faisant application d’une clause conventionnelle limitant la garantie de l’authenticité des variétés au remboursement du prix facturé, a condamné M. Y… à payer à M. X… la somme de 50 048,12 francs ;

Attendu que M. X… reproche à l’arrêt attaqué d’avoir ainsi statué, alors que la non-conformité constitue un vice caché lorsqu’elle n’a pu apparaître que plus de deux ans après la livraison, alors que, la cour d’appel ne s’est pas expliquée sur la notion d’authenticité des variétés pour appliquer la clause limitative de responsabilité, et n’a pas non plus précisé en quoi la qualité de professionnel de M. X… devait lui permettre de s’apercevoir d’un vice indécelable lors de la livraison, et alors, enfin, que la clause litigieuse serait abusive ;

Mais attendu que, devant les juges du fond, l’acquéreur des plants n’a pas fondé son action en indemnité sur l’existence du prétendu vice caché d’hétérogénéité dont serait atteint la variété Starkrimson, mais sur un manquement du vendeur à son obligation de livrer exclusivement, conformément à la commande, des plants appartenant à cette variété et que la cour d’appel n’était pas tenue de modifier le fondement juridique de la demande qui lui était présentée ;

Attendu ensuite, qu’ayant constaté que dans la proportion de 68 % les plants livrés par M. Y… n’appartenaient pas à la variété Starkrimson mais à la variété standard Red Delicious, la cour d’appel a, par une interprétation implicite des termes de la convention, retenu que ce manquement à son obligation de délivrance entraînait pour le vendeur celle de garantir “l’authenticité” de la variété des plants livrés, au sens de la clause limitative de responsabilité, qu’elle a, dès lors, appliquée à bon droit ;

Attendu, encore, que cette clause limitant la responsabilité de M. Y… à raison non des vices cachés de la chose vendue, mais des défauts de conformité de la marchandise livrée, la cour d’appel n’avait pas à rechercher, pour déclarer la clause opposable à M. X…, si ce dernier était un professionnel de même spécialité que le vendeur ;

Attendu, enfin, que le caractère prétendument abusif de la clause litigieuse ne peut, aux termes des articles 35, alinéa 3 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, devenu 132-1 de la loi n° 93-949 du 26 juillet 1993, relative au Code de la consommation et 2 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978, être invoquée à propos d’un contrat de vente conclu entre des professionnels ;

D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

?Sixième étape : le recours au critère du rapport direct

Il fallut attendre un arrêt du 24 janvier 1995 pour que la Cour de cassation subordonne l’application du dispositif relatif aux clauses abusives à l’absence de rapport direct entre le contrat conclu et l’activité professionnelle de celui qui se prévaut de la protection (Cass. 1ère civ. 24 janv. 1995, n°92-18.227).

Cass. 1ère civ., 24 janv. 1995

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que le 18 novembre 1982, la société Héliogravure Jean Didier a conclu avec l’établissement public Electricité de France (EDF) un contrat de fourniture d’énergie électrique haute tension ; que, se plaignant de coupures de courant survenues au cours du mois de janvier 1987 et de l’année 1988, elle a assigné EDF aux fins d’obtenir le paiement de la somme de 784 230 francs en réparation du préjudice causé par ces interruptions ; qu’EDF a opposé que celles-ci étaient la conséquence d’une grève menée par une partie de son personnel, revêtant le caractère de force majeure ; qu’elle a demandé reconventionnellement le paiement de la somme de 567 084,49 francs représentant le montant de sa facture du mois de janvier 1987 ; que l’arrêt attaqué (Douai, 14 mai 1992) a écarté la demande d’indemnisation formée au titre des interruptions survenues en janvier 1987 en retenant que la situation conflictuelle avait fait naître pour EDF un état de contrainte caractérisant le cas de force majeure ; qu’ayant, pour les coupures survenues en 1988, considéré qu’EDF ne rapportait pas la preuve qu’il s’agissait d’interruptions entrant dans la définition de l’article XII, alinéa 5, du contrat et assimilables à des cas de force majeure, il a procédé au calcul de l’indemnisation conformément à la clause de l’alinéa 3 du même article, limitant, à moins de faute lourde établie, le montant de la somme destinée à réparer le dommage causé à l’usager, écartant en cela les prétentions de la société Héliogravure Jean Didier selon lesquelles cette clause devait être réputée non écrite en application des articles 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 et 2 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978 ; qu’enfin, procédant à la compensation entre l’indemnité ainsi calculée et la somme de 70 891,72 francs, dette non contestée par la société Héliogravure Jean Didier, il a condamné cette dernière au paiement de la somme de 496 192,77 francs outre intérêts à compter du 7 juin 1990 ;

Sur le second moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Héliogravure Jean Didier fait aussi grief à l’arrêt de s’être prononcé ainsi qu’il l’a fait alors, selon le moyen, d’une part, qu’en se fondant sur le fait que ladite société disposait d’un personnel d’encadrement compétent dans le domaine juridique, ce que n’avait nullement soutenu EDF, la cour d’appel a violé l’article 7 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d’autre part, qu’est un consommateur celui qui contracte hors de sa sphère habituelle d’activité et de sa spécialité ; que les contrats souscrits auprès de EDF sont des contrats types qui ne peuvent être négociés en raison du monopole de ce service public, ce qui place les commerçants, quand ils contractent, dans la même situation qu’un simple particulier ; qu’en estimant que la société Héliogravure Jean Didier, entreprise d’imprimerie, était un utilisateur professionnel de l’énergie électrique qui ne pouvait bénéficier des dispositions de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, la cour d’appel a violé l’article 35 de cette loi, ainsi que l’article 2 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978 ;

Mais attendu que les dispositions de l’article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, devenu les articles L. 132-1 et L. 133-1 du Code de la consommation et l’article 2 du décret du 24 mars 1978 ne s’appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant ; que, par ces motifs substitués, la décision se trouve légalement justifiée ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

  • Faits
    • Le 18 novembre 1982, la société Héliogravure Jean Didier a conclu avec l’établissement public Electricité de France (EDF) un contrat de fourniture d’énergie électrique haute tension.
    • À la suite de coupures de courant survenues au cours du mois de janvier 1987 et de l’année 1988, elle a assigné EDF aux fins d’obtenir le paiement de la somme de 784 230 francs en réparation du préjudice causé par ces interruptions
    • EDF a alors opposé que celles-ci étaient la conséquence d’une grève menée par une partie de son personnel, revêtant le caractère de force majeure.
    • Aussi, a-t-elle demandé reconventionnellement le paiement de la somme de 567 084,49 francs représentant le montant de sa facture du mois de janvier 1987.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 14 mai 1992, la Cour d’appel de Douai a débouté le requérant de sa demande d’indemnisation au titre des interruptions survenues en janvier 1987.
    • Les juges du fond considèrent :
      • D’une part, que la situation conflictuelle avait fait naître pour EDF un état de contrainte caractérisant le cas de force majeure
      • D’autre part, s’agissant des coupures survenues au cours de l’année 1988, que la demande d’indemnisation était parfaitement fondée, dans la mesure où EDF ne rapportait pas la preuve qu’il s’agissait d’interruptions entrant dans la définition de l’article XII, alinéa 5, du contrat et assimilables à des cas de force majeure.
      • Toutefois, la Cour d’appel considère que le calcul de l’indemnisation doit s’opérer conformément à l’article 3 de la convention conclue entre les parties qui limitait, à moins de faute lourde établie, le montant de la somme destinée à réparer le dommage causé à l’usager.
      • Or l’application de cette clause limitative de responsabilité est contestée par le requérant qui soutient que cette clause devait être réputée non écrite en application des articles 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 et 2 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978.
  • Solution
    • Par un arrêt du 24 novembre 1993, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société requérante à l’encontre de l’arrêt d’appel.
    • La première chambre civile considère, en opérant par substitution de motif, que « les dispositions de l’article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, devenu les articles L. 132-1 et L. 133-1 du Code de la consommation et l’article 2 du décret du 24 mars 1978 ne s’appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant »
    • Or en l’espèce, le contrat conclu entre EDF et la société requérante avait un rapport direct avec l’activité de cette dernière.
    • D’où l’impossibilité pour elle d’invoquer le bénéfice du dispositif relatif aux clauses abusives.
    • La Cour de cassation abandonne ainsi le critère de l’incompétence à la faveur du critère du rapport direct.
    • On passe donc d’un critère subjectif à un critère objectif
    • Dès lors qu’existe un rapport direct entre le contrat conclu et l’activité professionnelle du contractant, le dispositif relatif aux clauses abusives est inapplicable.
    • A contrario, on pouvait en déduire que la protection instaurée par le législateur s’applique lorsque le contrat est sans rapport avec la profession de celui qui agit.
    • Restait alors à déterminer comment ce rapport direct devait-il être apprécié ? Que devait-on entendre par la formule utilisée par la Cour de cassation ?

?Septième étape : l’appréciation du rapport direct

Dans un arrêt du 17 juillet 1996, la Cour de cassation estime que l’appréciation du rapport direct relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 1ère civ., 17 juill. 1996, n°94-14.662).

Il ressort toutefois des décisions que pour apprécier l’existence d’un rapport, cela suppose de s’interroger sur la finalité de l’opération.

Plus précisément la question que le juge va se poser est de savoir si l’accomplissement de l’acte a servi l’exercice de l’activité professionnel.

Si le contrat a été conclu à la faveur exclusive de l’activité professionnelle, l’existence du lien direct sera établie.

Dans l’hypothèse où l’acte ne profitera que partiellement à l’exercice de l’activité professionnelle, plus délicate sera alors l’établissement du rapport direct.

La question centrale est : l’activité professionnelle a-t-elle tirée un quelconque bénéficie de l’accomplissement de l’acte.

C’est là, le principal critère utilisé par les juges.

Au total, il apparaît que, si l’adoption du critère du rapport direct s’est révélée favorable aux professionnels sollicités dans le cadre d’un démarchage à domicile, cela est moins vrai pour les ceux victimes de clauses abusives.

À la vérité, le recours au critère du rapport direct a permis au juge de trouver un juste équilibre entre l’exclusion totale des professionnels du bénéfice des dispositions de la loi du 10 janvier 1978 et une application trop souple de ces dispositions dont pouvait se prévaloir tout professionnel dès lors qu’il agissait en dehors de son domaine de spécialité.

B) Sur l’assimilation des personnes morales agissant à des fins non-professionnelles à des consommateurs

?Première étape : l’assimilation des personnes morales au consommateur

Dans son arrêt du 28 avril 1987, la Cour de cassation a d’abord estimé que les personnes morales n’étaient pas exclues du bénéfice de la loi du 10 janvier 1978 (Cass. 1ère civ., 28 avr. 1987, n°85-13.674).

Elle a considéré en ce sens que le contrat auquel était partie en l’espèce une personne morale « échappait à la compétence de professionnelle de celle-ci, dont l’activité d’agent immobilier était étrangère à la technique très spéciale des systèmes d’alarme et qui, relativement au contenu du contrat en cause ».

La première chambre civile en déduit que la personne morale « était donc dans le même état d’ignorance que n’importe quel autre consommateur »

Ainsi, se fonde-t-elle ici sur le critère de l’incompétence pour faire application de la loi du 10 janvier 1978 à une personne morale.

?Deuxième étape : le refus d’assimilation par la CJUE des personnes morales au consommateur

Dans un arrêt du 22 novembre 2001, la Cour de justice de l’Union européenne a retenu la solution inverse à celle adoptée par la Cour de cassation.

Dans cette décision, les juges luxembourgeois considèrent que « la notion de « consommateur », telle que définie à l’article 2, sous b), de la directive n° 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement les personnes physiques ».

Ainsi, pour la CJUE, une personne morale ne peut pas être assimilée à un consommateur.

?Troisième étape : la résistance de la Cour de cassation quant à l’assimilation des personnes morales à des consommateurs

Nonobstant la position de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour de cassation a maintenu sa jurisprudence en ayant recours à un subterfuge.

Celui-ci a consisté pour la première chambre civile à se fonder sur la lettre de l’article L. 132-1 du Code de la consommation qui visait tout à la fois le consommateur et le non-professionnel.

Aussi, a-t-elle décidé d’assimiler au non-professionnel les personnes morales qui agissaient en dehors de leur domaine d’activité habituel, cela permettait à la haute juridiction de leur accorder le bénéfice des dispositions consuméristes de la loi du 10 janvier 1978.

Dans un arrêt du 15 mars 2005, la première chambre civile a affirmé en ce sens que « si, par arrêt du 22 novembre 2001, la cour de Justice des communautés européennes a dit pour droit : “la notion de consommateur, telle que définie à l’article 2, sous b), de la directive n° 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement des personnes physiques”, la notion distincte de non professionnel, utilisée par le législateur français, n’exclut pas les personnes morales de la protection contre les clauses abusives » (Cass. 1ère civ. 15 mars 2005, n°02-13.285).

Cass. 1ère civ. 15 mars 2005

Sur le moyen relevé d’office, après avis donné aux parties, conformément aux dispositions de l’article 1015 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu que le Syndicat départemental de contrôle laitier de la Mayenne, syndicat professionnel constitué entre éleveurs, dont l’objet social est d’effectuer les opérations de contrôle de performance, d’état civil et d’identification des animaux, a conclu avec la société Europe computer systèmes (société ECS) un contrat de location de matériel informatique avec option d’achat, qui s’est trouvé tacitement reconduit à compter de février 1997 ; qu’il était stipulé : “à l’expiration de la période initiale de location, et à condition que le locataire ait exécuté l’intégralité de ses obligations au titre du présent contrat ou de tout autre conclu entre le loueur et lui, le locataire aura la faculté, avec un préavis de neuf mois, soit : A – d’acquérir l’équipement dans l’état où il se trouvera. Le prix de cette acquisition sera payable comptant, et égal à la valeur résiduelle de l’équipement à la date d’acquisition mentionnée aux conditions particulières, majoré de toutes taxes ou charges applicables au jour de la vente. La propriété de l’équipement ne sera transférée qu’à la date de complet paiement de la valeur résiduelle. En conséquence, jusqu’à cette date, le locataire restera tenu du respect de ses obligations au titre du présent contrat ; B – de restituer l’équipement au loueur ;

C – de demander le renouvellement de la location par la signature d’un nouveau contrat, auquel cas les conditions de la nouvelle location devront être déterminées d’un commun accord. Si le locataire omet d’aviser le loueur de son choix dans les formes et délais requis, la location se poursuivra par tacite reconduction et chacune des parties pourra y mettre fin à tout moment en respectant un préavis de neuf mois sauf si le loueur s’oppose à cette tacite reconduction en avisant le locataire par lettre recommandée avec accusé de réception postée un mois au moins avant la date d’expiration de la location. Les loyers afférents à une période de tacite reconduction seront identiques au dernier loyer échu.” ; que l’arrêt attaqué a condamné le syndicat à payer à la société ECS les loyers dûs au titre de la période de reconduction ;

Attendu que si, par arrêt du 22 novembre 2001, la cour de Justice des communautés européennes a dit pour droit : “la notion de consommateur, telle que définie à l’article 2, sous b), de la directive n° 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement des personnes physiques”, la notion distincte de non professionnel, utilisée par le législateur français, n’exclut pas les personnes morales de la protection contre les clauses abusives ; que cependant, dès lors qu’en l’espèce le contrat litigieux entre la société ECS et le Syndicat départemental de contrôle laitier de la Mayenne n’avait pu être conclu par ce dernier qu’en qualité de professionnel, les dispositions de l’article L. 132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 95-96 du 1er février 1995, ne sauraient trouver application ; que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, la décision déférée se trouve légalement justifiée ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

?Quatrième étape : l’abandon du critère du rapport direct pour les sociétés commerciales

Dans un arrêt du 11 décembre 2008, la Cour de cassation a refusé de faire application du critère du rapport direct à la faveur d’une société commerciale aux fins de lui faire bénéficier du dispositif relatif aux clauses abusives (Cass. 1ère civ. 11 déc. 2008, n°07-18.128).

Plus précisément elle considère que « les dispositions de l’article L. 132-1 du Code de la consommation, selon lesquelles sont réputées non écrites, parce qu’abusives, certaines clauses des contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, ne s’appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services conclus entre sociétés commerciales ».

La haute juridiction estime donc qu’une société commerciale ne peut jamais bénéficier du dispositif instauré par le législateur, peu importe qu’elle agisse ou non en dehors de son domaine d’activité.

Il est dès lors inutile de se demander si un rapport direct existe entre le contrat conclu et l’activité professionnelle de la personne morale.

La solution est logique, dans la mesure où conformément au principe de spécialité la capacité juridique des personnes morales est limitée à leur objet social.

Il en résulte qu’elles ne sauraient accomplir aucun acte en dehors dudit objet.

La solution adoptée par la Cour de cassation en 2008 a été réitérée dans une décision du 6 septembre 2011 (Cass. com. 6 sept. 2011).

Cass. 1ère civ. 11 déc. 2008

Sur le moyen relevé d’office, conformément aux modalités de l’article 1015 du code de procédure civile :

Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation ;

Attendu que la société Etablissements Jean Patouillet et la société Sonalp ont conclu, à titre gratuit, une convention, d’une durée de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction, par laquelle la seconde autorisait la première à installer, dans ses locaux, et à gérer un distributeur automatique de boissons chaudes, et qui comportait une clause d’exclusivité au profit de la société Etablissements Jean Patouillet ; que la société Sonalp ayant fait installer, dans ses locaux, un matériel concurrent, la société Etablissements Jean Patouillet l’a assignée aux fins de résiliation judiciaire du contrat et de réparation de son préjudice ;

Attendu que pour déclarer abusive et, en conséquence, non écrite la clause d’exclusivité et considérer que la rupture du contrat incombait à la société Etablissements Jean Patouillet, l’arrêt énonce que, dans le cadre de la conclusion du contrat de dépôt, la société Sonalp doit être considérée comme un simple consommateur, l’objet dudit contrat n’ayant strictement aucun rapport avec son activité ;

Qu’en se déterminant ainsi, alors que les dispositions du texte susvisé, selon lesquelles sont réputées non écrites, parce qu’abusives, certaines clauses des contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, ne s’appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services conclus entre sociétés commerciales, la cour d’appel a, par fausse application, violé ce texte ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 mai 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Dijon ;

II) L’adoption tardive d’une définition légale restrictive de la notion de consommateur

Il faut attendre la loi Hamon du 17 mars 2014 pour que le législateur se décide à adopter une définition du consommateur.

L’article 3 de cette loi a introduit un article liminaire dans le Code de la consommation qui définit le consommateur comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ».

Au vrai cette disposition n’est autre qu’une transposition de l’article 2 de la directive n° 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs.

Le principal enseignement que l’on peut tirer de cette définition est que le législateur a opté pour une conception stricte du consommateur.

Cette qualité est désormais subordonnée à la satisfaction de deux critères qui tiennent, d’une part, à la finalité de l’acte et, d’autre part, à la personne du contractant.

  • Sur le critère relatif à la finalité de l’acte
    • Le consommateur est celui qui agit en dehors de l’exercice d’une activité professionnelle.
    • Autrement dit, il contracte nécessairement à des fins personnelles.
    • Le texte ne règle pas, toutefois, la question de l’acte mixte, soit du contrat conclu à des fins toutes à la fois professionnelles et personnelles.
    • Dans pareille hypothèse, le 17e considérant de la directive du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 prévoit néanmoins qu’« en cas de contrats à double finalité, lorsque le contrat est conclu à des fins qui n’entrent qu’en partie dans le cadre de l’activité professionnelle de l’intéressé et lorsque la finalité professionnelle est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contexte global du contrat, cette personne devrait également être considérée comme un consommateur. »
  • Sur le critère relatif à la personne du contractant
    • L’article liminaire du Code de la consommation prévoit que seule une personne physique peut être qualifiée de consommateur.
    • Les personnes morales sont donc exclues du bénéfice de cette qualification.
    • Est-ce à dire que le droit de la consommation leur est inapplicable ?
    • Il ressort de la définition du non-professionnel que les personnes morales sont, à l’instar des personnes physiques, potentiellement éligibles à une application des dispositions consuméristes.
  1. Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A31993L0013. ?