L’enrichissement injustifié ou sans cause: notion, conditions et effets

?L’émergence du principe d’enrichissement sans cause

Avant l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, aucun texte ne sanctionnait l’enrichissement d’une personne au détriment d’autrui.

Si, l’accroissement d’un patrimoine implique nécessairement l’appauvrissement corrélatif d’un autre, ce mouvement de valeur peut parfaitement se justifier s’il repose sur une cause légitime.

Il peut, par exemple, procéder d’une vente ou d’une donation, ce qui, en pareille hypothèse, n’a rien d’injuste ou d’illégitime.

Il est toutefois des situations qu’un déplacement de valeur s’opère sans fondement juridique, sans cause légitime.

Afin de rétablir l’équilibre injustement rompu entre ces deux patrimoines, la question s’est très vite posée en jurisprudence de savoir s’il fallait octroyer à l’appauvri une créance contre l’enrichi.

Lors de sa rédaction initiale, le code civil ne comportait aucun article consacré à l’enrichissement injustifié, bien qu’il connaisse des applications de ce principe selon lequel nul ne peut s’enrichir injustement au détriment d’autrui.

  • L’article 555 du Code civil prévoit, par exemple, une indemnisation en cas de construction sur le terrain d’autrui
  • Les articles 1433 à 1438 prévoient, encore, que lors de la liquidation du régime matrimonial, la communauté doit récompense à l’époux qui s’est appauvri à son profit et inversement.
  • Les articles 1372 à 1375 instituaient quant à eux des quasi-contrats que sont la gestion d’affaires et la répétition de l’indu dont la finalité est de rétablir un équilibre qui a été injustement rompu.

Le champ d’application de ces textes est, toutefois cantonné à des situations bien spécifiques, de sorte que la théorie de l’enrichissement sans cause peut difficilement être rattachée à l’un d’eux.

Aussi, est-il rapidement apparu à la jurisprudence qu’il convenait d’ériger l’enrichissement sans cause comme une source autonome d’obligation.

?La reconnaissance jurisprudentielle de l’enrichissement sans cause

La théorie de l’enrichissement sans cause a, pour la première fois, été reconnue par la jurisprudence dans un arrêt Boudier rendu par la Cour de cassation le 15 juin 1892 (Cass. req. 15 juin 1892)

Aux termes de cette décision, la haute juridiction a jugé que, la théorie de l’enrichissement sans cause, qualifiée également d’action de in rem verso, « dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et n’ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée »

Elle en déduit « qu’il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit »

La théorie de l’enrichissement sans cause est ainsi instituée en principe général.

Cass. req. 15 juin 1892

Vu la connexité, joint les causes et statuant par un seul et même arrêt sur les deux pourvois :

Sur le premier moyen du premier pourvoi tiré de la violation de l’article 1165 du Code civil, de l’article 2102 du même code et de la fausse application des principes de l’action de in rem verso; Sur la première et la deuxième branches tirées de la violation des articles 1165 et 2102 du Code civil :

Attendu que s’il est de principe que les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes et ne nuisent point aux tiers, il est certain que ce principe n’a pas été méconnu par le jugement attaqué; qu’en effet, cette décision n’a point admis, comme le prétend le pourvoi, que le demandeur pouvait être obligé envers les défendeurs éventuels à raison d’une fourniture d’engrais chimiques faite par ces derniers à un tiers, mais seulement à raison du profit personnel et direct que ce même demandeur aurait retiré de l’emploi de ces engrais sur ses propres terres dans des circonstances déterminées; d’où il suit que, dans cette première branche, le moyen manque par le fait qui lui sert de base;

Attendu qu’il en est de même en ce qui concerne la seconde branche prise de la violation de l’article 2102 du Code civil;

Qu’en effet, la décision attaquée a eu soin de spécifier que la créance du vendeur d’engrais ne constituait qu’une simple créance chirographaire ne lui conférant aucun privilège sur le prix de la récolte, et que, dès lors, l’article susvisé n’a pas été violé; Sur la troisième branche, relative à la fausse application des principes de l’action de in rem verso :

Attendu que cette action dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et n’ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée; qu’il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit; que dès lors, en admettant les défendeurs éventuels à prouver par témoins que les engrais par eux fournis à la date indiquée par le jugement avaient bien été employés sur le domaine du demandeur pour servir aux ensemencements dont ce dernier a profité, le jugement attaqué (T. civ. de Châteauroux, 2 déc. 1890) n’a fait des principes de la matière qu’une exacte application; Sur le deuxième moyen pris de la violation des articles 1341 et 1348 du Code civil :

Attendu que le jugement attaqué déclare en fait qu’il n’a pas été possible aux défendeurs éventuels de se procurer une preuve écrite de l’engagement contracté à leur profit par le demandeur, devant les experts et à l’occasion du compte de sortie réglé par ces derniers entre le fermier et le propriétaire; qu’en admettant la preuve testimoniale dans ce cas excepté nommément par l’article 1348 du Code civil, ledit jugement a fait une juste application dudit article et, par suite, n’a pu violer l’article 1341 du même code; Sur le deuxième moyen pris de la violation et fausse application de l’article 548 du Code civil et des règles de l’action de in rem verso :

Attendu qu’il en est de même en ce qui concerne la première branche de ce deuxième moyen tirée de la violation et fausse application de l’article 548 du Code civil;

Attendu, en effet, que le jugement attaqué déclare formellement que le droit des défendeurs éventuels n’est pas fondé sur cet article, lequel n’est mentionné qu’à titre d’exemple et comme constituant une des applications du principe consacré virtuellement par le code que nul ne peut s’enrichir au détriment d’autrui; Sur la deuxième branche tirée de la fausse application des règles de l’action de in rem verso :

Attendu que la solution, précédemment donnée sur la troisième branche du premier moyen dans le premier pourvoi, rend inutile l’examen de celle-ci, qui n’en est que l’exacte reproduction; Sur le troisième moyen pris de la violation de l’article 1165 du Code civil et de la règle res inter alios acta aliis neque nocere, neque prodesse potest :

Attendu que, par une série de constatations et d’appréciations souveraines résultant des enquêtes et des documents de la cause, le jugement arrive à déclarer que le demandeur a pris l’engagement implicite mais formel de payer la dette contractée envers les défendeurs éventuels; qu’une semblable déclaration, qui ne saurait d’ailleurs être révisée par la cour, n’implique aucune violation de l’article ni de la règle susvisée; […]

Par ces motifs, rejette…

La solution adoptée dans l’arrêt Boudier a été réitéré dans une décision du 12 mai 1914.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a jugé « que l’action de in rem verso fondée sur le principe d’équité qui défend de s’enrichir aux dépens d’autrui doit être admise dans tous les cas où le patrimoine d’une personne se trouvant sans cause légitime enrichi au détriment de celui d’une autre personne, cette dernière ne jouirait, pour obtenir ce qui lui est dû, d’aucune autre action naissant d’un contrat, d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit » (Cass. civ. 12 mai 1914).

Postérieurement à cette décision, la haute juridiction visera régulièrement l’article 1371 du Code civil « et le principe de l’enrichissement sans cause », d’où il pourra se déduire sa volonté de rattacher l’action de in rem verso à la catégorie des quasi-contrats (Cass. 3e civ. 18 mai 1982, n°80-10.299 ; Cass. 1ère civ. 17 sept. 2003, n°01-15.306 ; Cass. 1ère civ. 11 mars 2014, n°12-29.304 ; Cass. 1ère civ. 31 janv. 2018, n°17-10.340)

?La consécration légale de l’enrichissement sans cause

Relevant que le code civil actuel ne comporte aucun article consacré à l’enrichissement injustifié, bien qu’il connaisse des applications de ce principe, selon lequel nul ne peut s’enrichir injustement au détriment d’autrui, le législateur en a tiré la conséquence qu’il convenait de lui donner une véritable assise légale.

C’est ce qu’il a fait en introduisant dans le Code civil une partie dédiée à « l’enrichissement injustifiée ».

Désormais envisagé comme un quasi-contrat, l’enrichissement sans cause, « rebaptisé « enrichissement injustifié », est régi aux articles 1303 à 1303-4 du Code civil.

Après avoir rappelé le caractère subsidiaire de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause par rapport aux autres quasi-contrats, l’article 1303 du Code civil en décrit l’objet : compenser un transfert de valeurs injustifié entre deux patrimoines, au moyen d’une indemnité que doit verser l’enrichi à l’appauvri.

Il consacre donc la jurisprudence bien établie aux termes de laquelle l’action ne tend à procurer à la personne appauvrie qu’une indemnité égale à la moins élevée des deux sommes représentatives, l’une de l’enrichissement, l’autre de l’appauvrissement.

Ainsi, l’appauvri ne peut-il s’enrichir, à son tour, au détriment d’autrui en obtenant plus que la somme dont il s’était appauvri, tout autant qu’il ne peut réclamer davantage que l’enrichissement car une telle action constituerait en réalité une action en responsabilité qui, par hypothèse, lui est fermée, conformément à l’article 1303-3 de l’ordonnance.

À l’examen, il apparaît que les conditions et les effets de l’enrichissement injustifiées sont, pour l’essentiel, directement inspirés de ce qui avait été établi par la jurisprudence.

I) Les conditions de l’enrichissement injustifié

La mise en œuvre de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause est subordonnée à la satisfaction de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à des considérations d’ordre économique
  • D’autre part, à des considérations d’ordre juridique

A) Les conditions économiques

Les conditions de mise en œuvre de l’action fondée sur l’enrichissement injustifiée sont au nombre de trois :

  • L’enrichissement du défendeur
  • L’appauvrissement du demandeur
  • La corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement

?L’enrichissement du défendeur

Il ressort de la jurisprudence que l’enrichissement s’entend comme tout avantage appréciable en argent.

Classiquement, la jurisprudence admet que l’enrichissement puisse résulter :

  • Soit d’un accroissement de l’actif
    • Acquisition d’un bien nouveau
    • Plus-value d’un bien existant
  • Soit d’une diminution du passif
    • Paiement de la dette d’autrui
  • Soit d’une dépense épargnée
    • Usage de la chose d’autrui
    • Bénéfice du travail non rémunéré d’autrui

?L’appauvrissement du demandeur

À l’inverse de l’enrichissement, l’appauvrissement s’entend comme toute perte évaluable en argent.

Cette perte peut consister :

  • Soit en une dépense exposée
    • Perte d’un élément du patrimoine
    • Paiement de la dette d’autrui
    • Moins-value d’un bien
  • Soit en un manque à gagner
    • Réalisation d’un travail non rémunéré pour autrui

?La corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement

L’action fondée sur l’enrichissement injustifié ne peut prospérer qu’à la condition qu’il soit démontré l’existence d’une corrélation entre l’enrichissement du défendeur et l’appauvrissement du demandeur.

Ce lien de connexité qui doit être établi entre les deux mouvements de valeurs peut prendre deux formes :

  • La corrélation peut être directe
    • Cette hypothèse se rencontre lorsqu’il n’y a pas de patrimoine interposé entre celui de l’appauvri et celui de l’enrichi.
    • Elle correspond aux situations telles que :
      • Le paiement de la dette d’autrui
      • Le travail non rémunéré accompli pour autrui
      • L’acquisition d’un bien pour autrui
    • Dans ces situations, il y a bien une personne qui s’est enrichie tandis que, corrélativement, une autre s’est directement appauvrie.
  • La corrélation peut être indirecte
    • Cette hypothèse se rencontre lorsque la valeur sortie du patrimoine du demandeur est entrée dans celui du défendeur par l’entremise du patrimoine d’une personne interposée
    • Tel est le cas lorsque par exemple :
      • Une personne aidante s’occupe, à titre bénévole, d’une personne âgée, ce qui évite aux membres de sa famille d’exposer des dépenses aux fins de pourvoir à sa prise en charge
      • Un marchand a vendu des engrais à un fermier qui les a utilisés sur des terres louées ; terres dont le propriétaire – en raison de la résiliation du bail – a recueilli la récolte. Dans cette hypothèse, le propriétaire foncier s’est enrichi aux dépens du marchand d’une valeur qui a transité dans le patrimoine du fermier

B) Les conditions juridiques

Trois conditions juridiques doivent être satisfaites pour que l’action fondée sur l’enrichissement injustifié puisse être mise en œuvre :

  • L’enrichissement du défendeur doit être injustifié
  • L’action de in rem verso ne peut être engagée qu’à titre subsidiaire

1. L’exigence d’un enrichissement injustifié

Aux termes de l’article 1303-1 du Code civil « l’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ni de son intention libérale. »

L’article 1303-2 précise que d’une part, « il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel » et, d’autre part, que « l’indemnisation peut être modérée par le juge si l’appauvrissement procède d’une faute de l’appauvri. »

Il ressort de ces deux dispositions, que le caractère injustifié de l’enrichissement doit s’entendre comme l’absence de cause, bien que cette terminologie n’ait pas été reprise par le législateur.

Comme exprimé par d’éminents auteurs « le mot cause désigne l’acte juridique et, de façon plus générale, le mode régulier d’acquisition d’un droit en conséquence duquel un avantage a pu être procuré à une personne »[1]

En d’autres termes, si l’enrichissement est la conséquence d’une disposition légale, réglementaire, conventionnelle et plus généralement de tout acte juridique accompli par l’enrichi, l’action de in rem versée ne saurait être engagée car pourvue d’une cause, soit d’une justification.

L’absence de cause doit concerner, tant l’enrichissement, que l’appauvrissement.

a. L’absence de cause de l’enrichissement

L’absence de cause de l’enrichissement est caractérisée dans deux cas

?L’enrichissement ne résulte pas de l’exécution d’une obligation par l’appauvri

Cette obligation peut être légale, conventionnelle ou judiciaire

Dès lors que l’enrichissement du défendeur est la conséquence de l’exécution de pareille obligation, il devient justifié.

  • Tel est le cas, par exemple, du débiteur qui, sans contester l’existence de sa dette envers le créancier, refuse de le payer en faisant valoir qu’il est libéré par le jeu de la prescription extinctive
  • Tel est encore le cas lorsque l’enrichissement d’un contractant procède de l’exécution d’une stipulation contractuelle

Dans un arrêt du 10 mai 1984, la Cour de cassation a considéré que, de manière générale, « n’est pas sans cause l’enrichissement qui a son origine dans l’un des modes légaux d’acquisition des droits » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1984, n°83-12.370).

La question s’est toutefois posée à la haute juridiction si l’existence d’une obligation morale incombant à l’appauvri conférait un caractère justifié à l’enrichissement.

Par un arrêt du 12 juillet 1994, elle a répondu par la négative à cette question en estimant que l’obligation morale ne s’apparentait pas à une obligation juridique (Cass. 1ère civ. 12 juill. 1994, n°92-18.639).

?L’enrichissement ne résulte pas de l’intention libérale de l’appauvri

Dès lors que l’enrichissement procède d’une intention libérale, soit de l’accomplissement d’une libéralité par l’appauvri à la faveur de l’enrichi, le mouvement valeur est justifié.

Toute la difficulté sera alors pour l’enrichi de prouver l’existence d’une intention libérale du demandeur à l’action.

C’est ainsi que la Cour de cassation se montre de plus en plus exigeante à l’égard des concubins estimant qu’il leur appartient de démontrer que lorsqu’une aide financière, professionnelle ou matérielle a été apporté à l’un, elle ne réside pas dans l’intention libérale de l’autre.

  • Participation financière à l’acquisition d’un bien
    • Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a estimé en ce sens que le concubin qui avait participé au remboursement contracté par sa concubine en vue d’acquérir son pavillon ainsi que des échéances du prêt destiné à financer les travaux sur cet immeuble n’était pas fondé à se prévaloir d’un enrichissement injustifié, dès lors que son concours financier trouvait sa contrepartie dans l’hébergement gratuit dont il avait bénéficié chez sa compagne.
    • La Cour de cassation en déduit que ces circonstances faisaient ressortir que le concubin avait agi dans une intention libérale et qu’il ne démontrait pas que ses paiements étaient dépourvus de cause (Cass. 1ère civ. 20 janv. 2010, n°08-16.105).
    • La Cour de cassation a statué également dans ce sens dans un arrêt du 2 avril 2014.
    • Dans cette affaire, il s’agissait d’un couple de concubins qui avaient acquis en indivision un immeuble dont partie du prix a été payée au moyen d’un prêt souscrit solidairement, mais dont les échéances ont été supportées par le seul concubin jusqu’à sa séparation avec sa concubine
    • Cette dernière assigne alors son concubin en liquidation et partage de l’indivision.
    • La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond qui avait accédé à la requête de la concubine, jugeant qu’il résultait « des circonstances de la cause l’intention de l’emprunteur de gratifier sa concubine » (Cass. 1ère civ. 2 avr. 2014, n°13-11.025).

Cass. 1ère civ. 2 avr. 2014

Sur le moyen unique du pourvoi principal, ci-après annexé :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… et Mme Y… ont acquis en indivision un immeuble dont partie du prix a été payée au moyen d’un prêt souscrit solidairement, mais dont les échéances ont été supportées par M. X… seul jusqu’à la séparation des concubins le 31 août 2005 ; que Mme Y… a assigné M. X… en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l’indivision et pour voir ordonner la licitation et dire qu’il est redevable d’une indemnité d’occupation ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt de dire qu’il avait gratifié Mme Y… d’une donation en ayant réglé seul les échéances du prêt jusqu’au 1er septembre 2005 ;

Attendu que la cour d’appel a retenu que l’acquisition indivise faite par moitié, alors que Mme Y… était, aux termes de l’acte de vente, sans profession, et que le couple avait eu ensemble deux enfants à l’époque de l’acquisition, établit l’intention libérale de M. X… en faveur de celle-ci, indépendamment de toute notion de rémunération ; qu’une telle donation emportait nécessairement renonciation de M. X… à se prétendre créancier de l’indivision au titre des remboursements du prêt effectués par lui seul, jusqu’à la séparation du couple, comme le réclame Mme Y… ; qu’elle a en conséquence fait droit à la demande tendant à voir juger que M. X… l’a gratifiée d’une donation en ayant réglé seul les échéances du prêt jusqu’au 1er septembre 2005 ;

Attendu que la cour d’appel a souverainement constaté dans les circonstances de la cause l’intention de l’emprunteur de gratifier sa concubine ; que par ailleurs, en privant le concubin de son droit de créance au titre de la part payée pour sa compagne, la cour d’appel n’a nullement porté atteinte au droit de propriété ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

  • En cas de contribution financière substantielle d’un concubin quant à l’acquisition d’un bien immobilier, tout n’est pas perdu pour lui s’il souhaite faire échec à l’action de in rem verso afin de conserver le bénéfice de son investissement.
  • Il ressort de la jurisprudence que, pour que l’absence d’intention libérale puisse être caractérisée, il est nécessaire de démontrer que les dépenses engagées sont sans lien avec celles engendrées par la vie en couple.
  • Dans un arrêt du 24 septembre 2008, la Cour de cassation a considéré dans le même que les travaux litigieux réalisés et les frais exceptionnels engagés par un concubin dans l’immeuble appartenant à sa concubine excédaient, par leur ampleur, sa participation normale aux dépenses de la vie courante et ne pouvaient pas être considérés comme une contrepartie des avantages dont sa compagne avait profité pendant la période du concubinage.
  • Aussi, la première chambre civile en conclue-t-elle que le concubin n’avait pas, sur ce point, agi dans une intention libérale (Cass. 1ère civ. 24 sept. 2008, n°06-11.294).

Cass. 1ère civ. 24 sept. 2008

Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :

Attendu que M. X… a vécu en concubinage avec Mme Y… de 1989 à 1999 ; qu’ils ont eu ensemble deux enfants nés en 1992 et 1997 ; qu’après leur rupture, M. X… a assigné Mme Y… en remboursement des sommes exposées pour financer les travaux de rénovation d’une maison appartenant à celle-ci ;

Attendu que Mme Y… fait grief à l’arrêt attaqué (Versailles, 28 octobre 2005) de l’avoir condamnée à payer une somme de 45 000 euros à M. X…, alors, selon le moyen :

1°/ que pour allouer à M. X…, sur le fondement de l’enrichissement sans cause, une somme de 45 000 euros, correspondant à la valeur de matériaux utilisés pour la réalisation de travaux dans la maison appartenant à Mme Y…, la cour d’appel a énoncé que ces travaux ne peuvent, par leur importance et leur qualité, être considérés comme des travaux ordinaires et que, par leur envergure, ils ne peuvent constituer une contrepartie équitable des avantages dont M. X… a profité pendant la période de concubinage ; qu’en statuant ainsi, tout en relevant que, pendant la période de concubinage, la maison dont la rénovation a été entreprise aux frais de M. X… constituait le logement du ménage, où vivaient les deux concubins et leurs deux enfants, ainsi que la domiciliation de la société dont M. X… assurait la gestion de fait, et en indiquant en outre que ces dépenses répondaient notamment au souci de ce dernier d’améliorer son propre cadre de vie pendant la poursuite de la vie commune, ce dont il résultait que l’appauvrissement lié à l’exécution et au financement des travaux litigieux n’était pas dépourvu de contrepartie, peu important à cet égard qu’elle fût ou non équivalente à la dépense engagée, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé, par fausse application, l’article 1371 du code civil ;

2°/ que l’aveu extrajudiciaire exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques. Ainsi, en l’espèce, en se bornant à énoncer qu’un projet de courrier émanant de Mme Y… s’analysait en un aveu extrajudiciaire en ce qu’elle y déclarait reconnaître devoir à M. X… un pourcentage équivalent à la moitié du prix de la maison lors de son acquisition et proposer que la maison lui appartienne par moitié, quand Mme Y… faisait valoir dans ses conclusions devant la cour d’appel (p. 9) que M. X… avait tenté de lui faire écrire cela “à son départ et sous des larmes de déception” et que “cet écrit n’est ni daté, ni enregistré et n’a aucune valeur probante”, la cour d’appel, en n’ayant aucun égard pour ces conclusions, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1354 du code civil ;

3°/ qu’en toute hypothèse, le projet de lettre de Mme Y… se borne, d’une part, à admettre l’existence de travaux d’amélioration de sa maison, financés par M. X…, et, d’autre part, à envisager au profit de ce dernier soit un don, soit un rachat de l’emprunt contracté pour l’achat de la maison ; qu’ainsi, par un tel écrit, Mme Y… n’a en aucune manière reconnue que ces travaux exécutés et financés par M. X… auraient été pour lui source d’un appauvrissement dépourvu de cause, aucune référence n’étant faite dans cet écrit au profit retiré par M. X… du fait de l’amélioration de son cadre de vie, de la domiciliation dans la maison de la société dans laquelle il exerçait son activité professionnelle et de l’hébergement dont il bénéficiait dans cette maison pour lui-même et les enfants du couple. Dès lors, en estimant que cet écrit constituait de la part de Mme Y… un aveu extrajudiciaire de ce que les travaux réalisés et financés par M. X… avaient entraîné pour elle un enrichissement et pour lui un appauvrissement qui étaient dépourvus de cause légitime, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet écrit, en violation de l’article 1134 du code civil ;

4°/ que l’aveu extrajudiciaire n’est admissible que s’il porte sur des points de fait et non sur des points de droit. En l’espèce, en considérant que le projet de lettre de Mme Y… s’analysait en un aveu extrajudiciaire de ce qu’il y aurait eu un enrichissement pour elle et un appauvrissement corrélatif de son concubin dépourvus de cause légitime, c’est-à-dire de ce que les conditions de l’action de in rem verso étaient réunies, la cour d’appel, qui a considéré qu’il y avait un aveu sur ce qui constituait un point de droit, a violé l’article 1354 du code civil ;

Mais attendu qu’après avoir justement retenu qu’aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune de sorte que chacun d’eux doit, en l’absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées, l’arrêt estime, par une appréciation souveraine, que les travaux litigieux réalisés et les frais exceptionnels engagés par M. X… dans l’immeuble appartenant à Mme Y… excédaient, par leur ampleur, sa participation normale à ces dépenses et ne pouvaient être considérés comme une contrepartie des avantages dont M. X… avait profité pendant la période du concubinage, de sorte qu’il n’avait pas, sur ce point, agi dans une intention libérale ; que la cour d’appel a pu en déduire que l’enrichissement de Mme Y… et l’appauvrissement corrélatif de M. X… étaient dépourvus de cause et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Collaboration non rémunérée à l’activité professionnelle
    • Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a estimé que la concubine qui avait apporté son assistance sur le plan administratif à la bonne marche de l’entreprise artisanale de maçonnerie qu’elle avait constituée avec son concubin, sans que cette assistance n’excède la simple entraide, n’était pas fondée à réclamer une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause (Cass. 1ère civ. 20 janv. 2010, n°08-16.105).
    • Il ressort de cette décision que pour que l’action de in rem verso engagée par un concubin puisse aboutir, il doit être en mesure de démontrer que l’aide apportée ne procède pas de la simple entraide inhérente à toute forme de vie conjugale.
    • Lorsque, toutefois, la participation de la concubine à l’exploitation de l’activité professionnelle de son concubin sera conséquente, soit lorsque, de par son ampleur, elle dépasse la contribution aux charges du ménage, la Cour de cassation retiendra l’enrichissement injustifié.
    • Tel a été le cas, par exemple, dans un arrêt du 15 octobre 1996, aux termes duquel la Cour de cassation a jugé que la collaboration d’une concubine à l’exploitation du fonds de commerce de son concubin sans que celle-ci ne perçoive de rétribution impliquait, par elle-même un appauvrissement et corrélativement un enrichissement injustifié (Cass. 1ère civ., 15 oct. 1996, n°94-20.472).
    • Pour la Cour de cassation, la contribution de la concubine à l’activité professionnelle de son concubin se distinguait d’une simple participation aux dépenses communes des concubins.

Cass. 1ère civ. 20 janv. 2010

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué (Aix-en-Provence, 22 janvier 2008) de l’avoir déboutée de sa demande tendant à la reconnaissance d’une société créée de fait constituée avec son concubin, Salvatore Y…, alors, selon le moyen :

1°/ qu’en retenant, pour débouter Mme X… de sa demande tendant à la reconnaissance d’une société créée de fait, qu’elle ne démontrait pas que sa participation dans l’entreprise excédait la seule entraide familiale quand, d’après ses propres constatations, elle avait pourtant exercé une activité dans l’entreprise et s’était inscrite au registre des métiers comme chef d’entreprise, la cour d’appel a violé l’article 1832 du code civil ;

2°/ que la cour d’appel, pour écarter l’existence d’une société créée de fait s’agissant de l’entreprise de maçonnerie, a considéré que Mme X… ne démontrait pas avoir exercé une activité excédant une simple entraide familiale, ni avoir investi des fonds personnels dans l’entreprise ; qu’en statuant à l’aune de ces seules constatations matérielles qui n’excluaient pourtant en rien l’existence d’un apport en industrie, fût-il limité, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1832 du code civil ;

3°/ qu’en retenant, pour écarter l’existence d’une société créée de fait s’agissant de l’entreprise de maçonnerie, que Mme X… ne démontrait pas avoir exercé une activité excédant une simple entraide familiale ni avoir investi des fonds personnels dans l’entreprise, sans rechercher si de tels éléments excluaient l’intention de Mme Y… et de Mme X… de collaborer ensemble sur un pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun ainsi que l’intention de participer aux bénéfices ou aux économies en résultant, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1832 du code civil ;

4°/ que Mme X… fait valoir dans ses conclusions, sans être contredite, qu’elle avait abandonné son activité salariée pour se consacrer à l’entreprise de maçonnerie et qu’elle administrait l’entreprise dans ses relations avec les administrations, les fournisseurs, les avocats et les clients, eu égard à l’illettrisme de son concubin ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a considéré que Mme X…, inscrite au registre des métiers en qualité de chef d’entreprise, avait par ailleurs exercé une activité de secrétaire de direction dans diverses sociétés, incompatible avec le plein exercice des responsabilités de chef d’entreprise quand il n’était pourtant pas contesté que Mme X… avait rapidement abandonné son activité salariée pour s’impliquer totalement dans l’entreprise, la cour d’appel a dénaturé les termes du litige en violation de l’article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu’après avoir relevé que si elle était inscrite au registre des métiers comme chef de l’entreprise de maçonnerie, Mme X… avait exercé, dans le même temps, une activité de secrétaire de direction, d’abord auprès de la société Corege du 24 août 1978 au 15 août 1981 puis de la parfumerie Pagnon du 1er février 1985 au 31 mai 1989, difficilement compatible avec les responsabilités d’un chef d’entreprise qui apparaissaient avoir été assumées en réalité par M. Y… et que celui-ci avait acquis seul, le 26 juillet 1979, un bien immobilier alors que le couple vivait en concubinage depuis 1964, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel, qui a procédé à la recherche invoquée et n’a pas méconnu l’objet du litige, a estimé que l’intention des concubins de collaborer sur un pied d’égalité à un projet commun n’était pas établie ; qu’elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen :

Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir déboutée de sa demande fondée sur l’enrichissement sans cause, alors, selon le moyen, qu’en relevant cependant, pour considérer que l’enrichissement sans cause de M. Y… au détriment du patrimoine de Mme X… n’était pas démontré, que rien n’établissait que les emprunts de faibles montants avaient été utilisés, non pour les besoins de la famille, mais dans le seul intérêt de son concubin et qu’elle avait été hébergée dans l’immeuble acquis par celui-ci, autant de circonstances insusceptibles d’exclure un appauvrissement sans cause de Mme X…, né de la seule implication dans l’entreprise sans rétribution, la cour d’appel a violé l’article 1371 du code civil ensemble les principes régissant l’enrichissement sans cause ;

Mais attendu qu’ayant souverainement estimé que l’assistance apportée sur le plan administratif par Mme X… à la bonne marche de l’entreprise artisanale de maçonnerie qu’elle avait constituée avec son concubin n’excédait pas une simple entraide, la cour d’appel a pu en déduire que celle-ci n’était pas fondée à réclamer une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause et a ainsi légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

b. L’absence de cause de l’appauvrissement

Pour que l’enrichissement puisse être considéré comme injustifié, il est nécessaire de démontrer, corrélativement, que l’appauvrissement l’est aussi, soit qu’il est « sans cause ».

Pour y parvenir, cela suppose de s’attacher au comportement de l’appauvri, lequel ne doit avoir, ni agi dans son intérêt personnel, ni commis de faute.

?L’absence d’intérêt personnel de l’appauvri

  • Principe
    • L’article 1303-2, al. 1 du Code civil prévoit que « il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel. »
    • Cela signifie, que l’appauvri ne peut invoquer l’action de in rem verso, alors même que son appauvrissement n’est la conséquence d’aucun contrat ou d’aucune disposition légale, s’il a agi en vue de se procurer en avantage personnel.
      • Tel est le cas de celui qui a construit ou entretenu une digue qui profite à d’autres riverains (Cass. req. 30 avr. 1828)
      • Tel est encore le cas du propriétaire d’un moulin qui par des travaux destinés à lui fournir un supplément d’eau, en procure également au moulin qui se situe en aval (Cass. req. 22 juin 1927)
      • Il en va également ainsi de celui qui, demandant le raccordement de son domicile au réseau électrique, en fait profiter son voisin (Cass.1ère civ. 19 oct. 1976, n°75-12.419).
  • Conditions
    • Bien que l’article 1303-2 du Code civil ne le mentionne pas, pour que l’appauvri qui a agi dans son intérêt personnel ne puisse pas se prévaloir de l’action de in rem perso, des conditions doivent être remplies.
    • Ces conditions résultent de la jurisprudence antérieure dont on a des raisons de penser qu’elle demeure applicable.
    • Dans un arrêt du 8 février 1972, la Cour de cassation a par exemple affirmé que « les conditions de l’enrichissement sans cause ne sont pas réunies lorsque les impenses ont été effectuées par le demandeur dans son intérêt, a ses risques et périls et en recueillant le profit » (Cass. 3e civ. 8 févr. 1972, n°70-13.359).
    • Plus récemment, la troisième chambre civile a jugé dans un arrêt du 20 mai 2009 que l’action fondée sur l’enrichissement sans cause ne peut être accueillie dès lors que l’appauvri a « agi de sa propre initiative et à ses risques et périls » (Cass. 3e civ. 20 mai 2009, n°08-10.910).
    • Il ressort de cette jurisprudence pour que l’application de l’action de in rem verso soit écartée, deux conditions cumulatives doivent être réunies :
      • L’appauvri doit avoir agi de sa propre initiative
      • L’appauvri doit avoir agi à ses risques et périls
    • Si donc, les prévisions de l’appauvri sont démenties et qu’il a subi une perte, le tiers qu’il a pu enrichir ne lui devra rien.

?La faute personnelle de l’appauvri

  • Le droit antérieur
    • La question s’est ici posée de savoir si, lorsque l’appauvrissement résulte d’une faute de l’appauvri, celui-ci ne serait dès lors pas pourvu d’une cause, sa propre faute, en conséquence de quoi l’action de in rem verso ne saurait être exercée.
    • Quid, par exemple, du garagiste qui entreprend de faire des travaux sur un véhicule qui n’avaient pas été commandés par ses clients ?
    • Dans un arrêt du 8 juin 1968, la Cour de cassation a estimé que, en pareille hypothèse, le garagiste ne saurait réclamer une quelconque indemnité à son client à raison de son enrichissement, dans la mesure où l’appauvrissement procède d’une faute (Cass. com. 8 juin 1968)
    • L’examen de la jurisprudence révèle toutefois que la Cour de cassation n’était pas aussi arrêtée.
    • Dans un arrêt du 3 juin 1997, la Cour de cassation a, par exemple, considéré que « le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause » (Cass. 1ère civ. 3 juin 1997, n°94-17.621).
    • Dans un arrêt du 27 novembre 2008, elle a statué dans le même sens en jugeant que « le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui » (Cass. 1ère civ. 27 nov. 2008, n°07-18.875).
    • Ainsi, ces arrêts invitaient-ils à opérer une distinction selon que la conduite de l’appauvri était constitutive d’une faute grave ou d’une simple négligence.
      • En cas de faute grave, l’action de in rem verso était écartée
      • En cas de faute de négligence, l’action de in rem verso pouvait toujours être exercée
    • Toutefois, dans une décision du 19 mars 2015 la Cour de cassation a estimé que « l’action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l’appauvrissement est dû à la faute de l’appauvri » (Cass. 1ère civ. 19 mars 2015, n°14-10.075).
    • De par la généralité de la formule utilisée, d’aucuns en ont déduit que la haute juridiction avait abandonné la distinction entre la faute grave et la faute de simple négligence.
    • Aussi, le législateur est-il intervenu afin de clarifier la situation.

Cass. 1ère civ. 3 juin 1997

Attendu que M. Maze Y… a acquis le 2 juin 1984, au cours d’une vente aux enchères publiques dirigée par Mme X…, commissaire-priseur à Dax, un bureau plat, appartenant à M. Z…, qu’elle a présenté comme étant d’époque Louis XV ; qu’ayant été informé lors de l’exécution de travaux de restauration en 1990 que ce meuble était un faux, M. Maze Y… a assigné Mme X… en réparation de son préjudice ; que l’arrêt attaqué (Pau, 30 novembre 1994) a condamné Mme X…, assurée par la compagnie Préservatrice foncière, à lui payer la somme de 250 000 francs à titre de dommages-intérêts, et, sur la demande de Mme X…, condamné M. Z… à payer à cette dernière celle de 148 000 francs ;

Sur le second moyen :

Attendu qu’il est reproché à l’arrêt d’avoir condamné M. Z… à payer à Mme X… la somme de 148 000 francs représentant la différence entre le prix d’adjudication et la valeur résiduelle du meuble litigieux alors que le demandeur à une action fondée sur l’enrichissement sans cause qui a commis une faute à l’origine de son propre appauvrissement ne peut obtenir le bénéfice de cette action ; qu’en l’espèce, il résulte des constatations de l’arrêt que Mme X… a engagé par imprudence sa responsabilité vis-à-vis de l’adjudicataire dont elle doit réparer le préjudice sans pouvoir être garantie par M. Z… qui n’a commis aucune faute à son égard, et qu’en déclarant néanmoins Mme X… bien fondée à exercer l’action, la cour d’appel a violé l’article 1371 du Code civil précité et les principes régissant l’enrichissement sans cause ;

Mais attendu que le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Cass. 1ère civ. 19 mars 2015

Vu l’article 1371 du code civil, ensemble les principes qui régissent l’enrichissement sans cause;

Attendu que l’action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l’appauvrissement est dû à la faute de l’appauvri ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… a émis au profit de M. Y…, sur son compte ouvert à la Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes (la banque), deux chèques qu’il a ensuite frappés d’opposition en prétendant qu’il les avait perdus ; qu’ayant honoré les deux chèques, et invoquant l’impossibilité d’obtenir remboursement par un débit du compte, faute de provision suffisante, la banque a assigné M. X… sur le fondement de l’enrichissement sans cause ;

Attendu que, pour accueillir les prétentions de la banque, l’arrêt retient que l’erreur qu’elle a commise ne lui interdit pas de solliciter un remboursement ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte et les principes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 juin 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble ;

  • La réforme des obligations
    • L’article 1303-2, al. 2 du Code civil prévoit que « l’indemnisation peut être modérée par le juge si l’appauvrissement procède d’une faute de l’appauvri. »
    • Si, de prime abord, le texte semble avoir abandonné la distinction qui avait été introduite par la jurisprudence entre la faute grave et la faute de négligence, elle resurgit si l’on se tourne vers la sanction qui est attachée à la faute de l’appauvri.
    • En effet, le législateur a prévu que, en cas de faute, le juge peut « modérer » l’indemnité octroyée à l’appauvri.
    • Or de toute évidence ce pouvoir de modération conféré au juge sera exercé par lui considération de la gravité de la faute commise par l’appauvri.
    • Le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise, d’ailleurs, que la faute de l’appauvri peut être sanctionnée par une suppression pure et simple de l’indemnité due au titre de l’action de in rem verso.
    • C’est donc un retour à la solution jurisprudentielle adoptée antérieurement à l’arrêt du 19 mars 2015 qui a été opéré par le législateur.

2. La subsidiarité de l’action fondée sur l’enrichissement injustifié

Aux termes de l’article 1303-3 du Code civil « l’appauvri n’a pas d’action sur ce fondement lorsqu’une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription. »

Cette disposition rappelle, conformément à la jurisprudence antérieure, le caractère subsidiaire de l’action de in rem verso.

Ainsi cette action ne peut :

  • Ni servir à contourner les règles d’une action contractuelle, extracontractuelle ou légale dont l’appauvri dispose
    • Dès lors que l’appauvri dispose d’une action sur l’un de ces fondements juridiques, il n’est pas autorisé à exercer l’action de in rem verso
    • Il lui appartient d’engager des poursuites sur le fondement de la règle dont les conditions d’application sont remplies.
    • Il est indifférent que cette action puisse être engagée à l’encontre de l’enrichi ou d’un tiers (V. en ce sens Cass. com. 10 oct. 2000, n°98-21.814).
  • Ni suppléer une autre action qu’il ne pourrait plus intenter suite à un obstacle de droit
    • Lorsque l’appauvri dispose d’une autre action qui se heurte à un obstacle de droit, l’action de in rem verso ne peut pas être exercée.
    • La Cour de cassation avait estimé en ce sens dans un arrêt du 29 avril 1971, que l’action de in rem verso ne pouvait pas être admise « notamment, pour suppléer à une autre action que le demandeur ne peut plus intenter par suite d’une prescription, d’une déchéance ou forclusion ou par l’effet de l’autorité de la chose jugée, ou parce qu’il ne peut apporter les preuves qu’elle exige, ou par suite de tout autre obstacle de droit » (Cass. 3e civ., 29 avr. 1971, n°70-10.415)
    • Dès lors que l’un de ces obstacles de droit est caractérisé, l’action de in rem verso est neutralisée.
    • Au nombre de ces obstacles de droit figurent notamment :
      • La prescription
      • La déchéance
      • La forclusion
      • L’autorité de chose jugée
    • Dans un arrêt du 12 janvier 2011, la Cour de cassation a, par exemple, considéré qu’un salarié ne saurait exercer l’action de in rem verso, pour contourner l’extinction de l’action en paiement de sommes de nature salariale par l’effet de la prescription (Cass. soc. 12 janv. 2011, n°09-69.348).
    • Dans un arrêt du 2 novembre 2005, la Cour de cassation a encore jugé que l’action de in rem verso ne saurait être exercée par une concubine du défunt dès lors qu’elle n’était pas en mesure d’apporter la preuve d’une obligation de remboursement contractée par celui-ci, ce qui était constitutif d’un obstacle de droit (Cass. 1ère civ. 9 déc. 2010, n°09-68.296).

II) Les effets de l’enrichissement injustifié

Lorsque toutes les conditions de l’action de in rem verso sont réunies, l’enrichi doit indemniser le demandeur.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer le montant de l’indemnisation due à l’appauvri.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1303-4 du Code civil qui prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. En cas de mauvaise foi de l’enrichi, l’indemnité due est égale à la plus forte de ces deux valeurs. »

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

A) Sur le principe de l’indemnisation

?Principe

Il est de jurisprudence constante que l’indemnité ne peut excéder, ni l’enrichissement du défendeur, ni l’appauvrissement du demandeur.

Cette règle est exprimée à l’article 1303 du Code civil qui prévoit que l’appauvri perçoit « une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »

C’est donc un double plafond qui a été institué par la jurisprudence, puis par le législateur.

Ainsi, lorsque des travaux ont été effectués par une personne sur l’immeuble d’autrui, l’indemnité est calculée :

  • Soit sur la base des dépenses exposées pour la réalisation des travaux
  • Soit sur la base de la plus-value qui découle des travaux

Cette règle se justifie par des considérations d’équité qui président à l’esprit de l’action de in rem verso.

  • Si l’enrichi, après avoir bénéficié d’un avantage injustifié, devait restituer plus que ce qu’il a obtenu, il subirait à son tour un préjudice
  • Si l’appauvri, à l’inverse, après avoir subi une perte injustifiée, percevait plus que ce qu’il a perdu, il profiterait à son tour d’un enrichissement injustifié

Le législateur a toujours assorti cette règle d’une exception en cas de mauvaise foi de l’enrichi.

?Exception

L’article 1303-4 du Code civil prévoit que « en cas de mauvaise foi de l’enrichi, l’indemnité due est égale à la plus forte de ces deux valeurs. »

Ainsi, cette disposition apporte-t-elle une exception aux modalités de détermination de l’indemnité de l’appauvri en cas de mauvaise foi de l’enrichi.

À titre de sanction, l’indemnité sera égale à la plus forte des deux valeurs entre l’enrichissement et l’appauvrissement.

B) La date d’appréciation du mouvement de valeur

Fixer un double plafond pour circonscrire le montant de l’indemnité due à l’appauvri ne suffit pas à résoudre toutes les difficultés

Il faut encore déterminer la date à laquelle il convient de se situer :

  • D’une part, pour vérifier l’existence de l’enrichissement et de l’appauvrissement
  • D’autre part, pour évaluer le montant des valeurs qui se sont déplacées d’un patrimoine à l’autre

À cet égard, l’article 1303-4 du Code civil prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. »

Ce sont donc à des dates différentes qu’il convient de se placer pour apprécier l’enrichissement et l’appauvrissement.

  • S’agissant de l’appauvrissement
    • Il doit être apprécié au jour de la dépense, soit à la date où le demandeur a subi une perte.
  • S’agissant de l’enrichissement
    • Son appréciation est somme toute différente dans la mesure où il est constaté « tel qu’il subsiste au jour de la demande »
    • Cela signifie que l’enrichissement va être apprécié au jour de l’exercice de l’action de in rem verso et non à la date où le mouvement de valeur s’opère entre le patrimoine de l’enrichi et celui de l’appauvri
    • Il en résulte que, l’enrichissement peut, entre-temps :
      • Soit avoir augmenté,
      • Soit avoir diminué
      • Soit avoir disparu
    • Sur ce point, le législateur a repris les solutions jurisprudentielles existantes (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 1re, 18 janv. 1960).

C) La date d’évaluation de l’enrichissement et de l’appauvrissement

?Problématique

La question n’est pas ici de savoir à quelle date constater le mouvement de valeur, mais de déterminer le jour auquel doit être appréciée l’évaluation de la consistance de l’appauvrissement et de l’enrichissement ?

Voilà une question qui n’est pas sans enjeu dans les périodes de dépréciation monétaire.

Faut-il évaluer l’enrichissement et l’appauvrissement aux dates où l’on apprécie leur existence respective ou convient-il plutôt de réévaluer ces sommes au jour de la décision qui fixe l’indemnité ?

?Jurisprudence

Dans un arrêt du 18 mai 1982, la Cour de cassation avait abondé dans le sens de la première option (Cass. 3e civ. 18 mai 1982, n°80-10.299).

Pour la haute juridiction, l’appauvrissement devait ainsi être évalué au jour où la dépense a été exposée.

Il en résultait que l’un des plafonds de l’indemnité correspondait à la somme nominale qui avait été dépensée ou à la valeur de la prestation au jour où elle avait été fournie.

Quant à l’évaluation de l’enrichissement, elle était bloquée au jour de l’exercice de l’action de in rem verso.

L’autre plafond de l’indemnité due à l’appauvri était en conséquence égale à la somme dont le patrimoine du défendeur s’était accru au jour de la demande.

Cette situation était, de toute évidence, fortement injuste pour l’appauvri, car en cas de dépréciation monétaire, il va percevoir une indemnité sans rapport avec la valeur actuelle de la perte qu’il a subie.

Aussi, de l’avis général des auteurs, l’appauvrissement et l’enrichissement devaient, impérativement, être évalués à la même date, soit au jour du calcul de l’indemnité.

Cass. 3e civ. 18 mai 1982

Mais sur le premier moyen : vu l’article 1371 du code civil, ensemble les principes qui régissent l’enrichissement sans cause ;

Attendu que l’enrichi n’est tenu que dans la limite de son enrichissement et de l’appauvrissement du créancier ;

Attendu que pour condamner les consorts e… à payer à Mme d…, aux droits de son mari, une somme de 50 000 francs au titre des améliorations utiles apportées par celui-ci en 1951, au bâtiment, l’arrêt, qui constate que l’expert x… chiffre les travaux a 750 000 anciens francs a l’époque ou ils ont été faits, énonce que selon les conclusions du rapport ces travaux de consolidation et d’amélioration utiles sont d’un montant actualise de 50 000 francs et ont apporté au fonds une plus-value de même montant ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’appauvrissement du possesseur évince a pour mesure le montant nominal de la dépense qu’il a exposée, la cour d’appel a violé le texte et les principes susvisés ;

Dans un arrêt du 26 octobre 1982, la Cour de cassation a pu faire montre de souplesse en admettant que l’appauvrissement puisse être évalué au jour de la demande en divorce de l’épouse

Toutefois, la première chambre civile précise que, si cette date est retenue, c’est uniquement en raison de « l’impossibilité morale [de l’épouse] d’agir antérieurement » (Cass. 1ère civ. 26 oct. 1982, n°81-14.824).

Ainsi, cette décision n’a-t-elle pas suffi à éteindre les critiques.

La solution antérieure semble, en effet, être maintenue.

Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles que la Cour de cassation est susceptible d’admettre qu’il puisse être dérogé au principe d’évaluation de l’appauvrissement au jour de la réalisation de la dépense.

Cass. 1ère civ. 26 oct. 1982

Sur le moyen unique : attendu, selon les énonciations des juges du fond, que Mme Marie-Rose c., qui avait été mariée, sous le régime de la séparation de biens, a m Georges p., chirurgien, a, après leur divorce, réclame a celui-ci une indemnité, au titre de l’enrichissement sans cause, pour les services d’infirmière anesthésiste qu’elle lui avait rendus, pendant dix années, sans être rémunérée ;

Attendu que m p. reproche à l’arrêt confirmatif attaque, qui a accueilli cette demande, d’avoir violé les règles gouvernant l’action de in rem verso, en vertu desquelles, selon le moyen, si l’enrichissement doit être évalué au jour de la demande d’indemnisation, l’appauvrissement doit, en revanche, l’être au jour de sa réalisation ;

Mais attendu que, comme l’ont retenu les juges du fond, c’est le travail fourni sans rémunération qui a été générateur, à la fois, de l’appauvrissement, par manque à gagner, de Mme c., et de l’enrichissement de m p., qui n’avait pas eu a rétribuer les services d’une infirmière anesthésiste ;

Que, pour évaluer l’appauvrissement de la demanderesse a l’indemnité de restitution et l’enrichissement du défendeur, la cour d’appel devait donc se placer, comme elle l’a fait, a la même date : celle de la demande en divorce, en raison de l’impossibilité morale pour la femme d’agir antérieurement contre son mari ;

Que le moyen n’est donc pas fonde ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 21 mai 1981 par la cour d’appel de Dijon

?La réforme des obligations

Afin de mettre un terme au débat jurisprudentiel portant sur la date d’évaluation du mouvement de valeur, le législateur n’a eu d’autre choix que de trancher la question.

C’est ce qu’il a fait à l’occasion de la réforme des obligations.

Manifestement, la doctrine a été entendue puisque l’article 1303-4 du Code civil prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement ».

Cette solution, qui fait de l’indemnité de restitution une dette de valeur, prend de la sorte le contre-pied de la jurisprudence.

Par ailleurs, comme relevé dans le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, elle est conforme à la solution retenue par le code civil dans les cas d’enrichissement injustifiés qu’il régit spécialement aux articles 549, 555, 566, 570, 571, 572, 574 et 576.

  1. V. RIPERT et BOULANGER, Traité de droit civil, t. 2, 1957, LGDJ, n° 1280 ?

Qu’est-ce que la réserve héréditaire?

La compréhension du concept juridique de réserve héréditaire suppose de remonter aux règles qui gouvernent la dévolution successorale, soit, en somme, celles qui déterminent, d’une part, les conditions d’éligibilité au rang de successible et, d’autre part, l’ordre des héritiers.

Ce corpus normatif s’articule autour d’un principe, d’une exception et, en bout de chaîne, d’une exception à l’exception laquelle n’est autre que la réserve héréditaire.

I) Principe : la dévolution légale

Aux termes de l’article 721, al. 1er du Code civil « les successions sont dévolues selon la loi lorsque le défunt n’a pas disposé de ses biens par des libéralités »

Il ressort de cette disposition que la dévolution successorale, soit la détermination des successibles, est réalisée conformément aux règles édictée par le législateur

Ces règles sont énoncées aux articles 731 à 755 du Code civil.

Pour déterminer l’ordre des successibles il convient donc de se reporter à ces dispositions.

L’article 734 prévoit notamment que, en l’absence de conjoint successible, les parents sont appelés à succéder ainsi qu’il suit :

  • Les enfants et leurs descendants ;
  • Les père et mère ; les frères et sœurs et les descendants de ces derniers ;
  • Les ascendants autres que les père et mère ;
  • Les collatéraux autres que les frères et sœurs et les descendants de ces derniers.
  • Chacune de ces quatre catégories constitue un ordre d’héritiers qui exclut les suivants.

L’article 735 précise que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants, sans distinction de sexe, ni de primogéniture, même s’ils sont issus d’unions différentes. »

Il n’y a donc pas lieu de distinguer selon que les enfants sont légitimes, naturels, adultérins ou encore issus d’une adoption simple ou plénière.

En toute hypothèse, dès lors qu’un lien de filiation est établi entre le de cujus et un enfant, celui-ci endosse la qualité de successible.

II) Exception : la dévolution testamentaire

En prévoyant que « les successions sont dévolues selon la loi lorsque le défunt n’a pas disposé de ses biens par des libéralités », cela signifie que, en cas de volonté contraire, dont la principale manifestation est le testament, cet acte prime sur les règles de dévolution successorale prévues par la loi.

Ainsi, cela confère-t-il au défunt la faculté de déroger à l’ordre des héritiers, voire de désigner comme successible une personne non désignée par la loi.

L’article 721 pris en son alinéa 2 précise néanmoins que les successions « peuvent être dévolues par les libéralités du défunt dans la mesure compatible avec la réserve héréditaire. »

Cette précision n’est pas sans importance.

Elle signifie que le testateur ne peut librement disposer de ses biens par voie de testament qu’autant qu’il ne porte pas atteinte à la réserve héréditaire.

La question qui alors se pose est de savoir en quoi consiste cette réserve héréditaire.

III) Exception à l’exception : la réserve héréditaire

A) Notion

Afin de comprendre la notion de réserve héréditaire il convient de se reporter à l’article 912 du Code civil.

Cette disposition définit la réserve héréditaire comme « la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent. »

Il s’agit, autrement dit, de la portion de biens dont le défunt ne peut pas disposer à sa guise, la réserve héréditaire présentant un caractère d’ordre public (Cass. req., 26 juin 1882).

Dans un arrêt du 9 novembre 1959, la Cour de cassation a affirmé en ce sens, au visa de l’article 913, « qu’il résulte de ce texte que l’héritier réservataire a, dans tous les cas, droit à sa réserve intégrale, et que le testateur ne peut, en le réduisant à sa seule part de réserve, lui imposer des obligations dont l’effet porterait indirectement atteinte aux droits successoraux que lui accorde la loi » (Cass. 1ère civ., 9 nov. 1959).

Ainsi, la réserve s’impose-t-elle impérativement au testateur qui ne pourra déroger aux règles de dévolution légale qu’en ce qui concerne ce que l’on appelle la quotité disponible.

L’alinéa 2 de l’article 912 définit la quotité disponible comme « la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités. »

Ces observations d’ordre notionnel étant faites, quid des bénéficiaires de la réserve héréditaire et de la proportion de cette réserve.

B) Les héritiers réservataires

Pour le déterminer qui endosse la qualité d’héritier réservataire, il convient de se reporter aux articles 913, 913-1 et 914-1 du Code civil.

Il ressort de ces deux dispositions que jouissent du statut d’héritier réservataire :

  • Les enfants
    • Par enfants, il faut entendre les descendants en quelque degré que ce soit, encore qu’ils ne doivent être comptés que pour l’enfant dont ils tiennent la place dans la succession du disposant ( 913-1 C. civ.)
  • Le conjoint survivant
    • Pour endosser la qualité de conjoint survivant, il convient d’être marié avec le défunt et non divorcé ( 914-1 C. civ.)

C) L’assiette de la réserve

Il ressort de l’article 913 du Code civil que la réserve héréditaire comprend deux masses distinctes de biens :

  • Les biens transmis par voie de testament
  • Les biens transmis par voie de donation

Ainsi, afin de reconstituer la réserve conviendra-t-il de procéder à un inventaire des différentes libéralités consenties par le défunt, puis de d’opérer leur réunion fictive en une seule masse de biens.

Cette masse servira alors de base de calcul pour déterminer l’assiette de la réserve.

 D) La quotité disponible

Une fois identifié les bénéficiaires de la réserve héréditaire et son assiette, reste à déterminer la quotité disponible, soit la portion de biens dont le défunt peut disposer librement par voie testamentaire.

Deux hypothèses doivent être envisagées :

  1.  En présence de descendants

L’article 913 distingue 3 situations :

  • En présence d’un enfant, la quotité disponible s’élève à la moitié des biens du disposant
  • En présence de deux enfants, la quotité disponible s’élève au tiers des biens du disposant
  • En présence de trois enfants et plus, la quotité disponible s’élève au quart des biens du disposant

 A contrario, cela signifie que :

  • En présence d’un enfant, la réserve héréditaire comprend la moitié des biens du disposant
  • En présence de deux enfants, la réserve héréditaire comprend le tiers des biens du disposant
  • En présence de trois enfants et plus, la réserve héréditaire comprend le quart des biens du disposant

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2. En l’absence de descendants

Deux situations doivent être distinguées :

==> En présence d’un conjoint survivant

  • La réserve ordinaire
    • L’article 914-1 du Code civil prévoit que, « les libéralités, par actes entre vifs ou par testament, ne pourront excéder les trois quarts des biens si, à défaut de descendant, le défunt laisse un conjoint survivant, non divorcé»
    • Cela signifie que, en l’absence de descendants, le conjoint survivant – non divorcé – bénéficie d’une réserve héréditaire qui s’élève à un quart des biens du disposant

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  • La réserve spéciale
    • Aux termes de l’article 1094-1 du Code civil « pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement.»
    • Il ressort de ce texte que le défunt est autorisé à disposer à la faveur du conjoint survivant d’une quotité disponible dite « spéciale », car supérieure à celle qu’il lui est permis d’octroyer à des tiers.
    • Cette faculté est, toutefois, rigoureusement encadrée par la loi
    • Aussi, le défunt dispose-t-il de trois options :
      • Soit il octroie au conjoint survivant la quotité disponible spéciale à hauteur de la quotité disponible ordinaire en pleine propriété
        • Dans cette hypothèse, la quotité disponible dont il peut disposer à la faveur de son conjoint dépend du nombre d’enfants
        • Aussi, peut-elle être égale à
          • la moitié des biens du disposant si un enfant
          • le tiers des biens du disposant si deux enfants
          • le quart des biens du disposant si trois enfants et plus
      • Soit il octroie au conjoint survivant la quotité disponible à hauteur d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit
        • Dans cette hypothèse, la quotité disponible spéciale est invariable
        • Elle demeure la même quel que soit le nombre d’enfants laissés par le disposant
      • Soit il octroie au conjoint survivant la totalité de ses biens en usufruit seulement
        • Cette option a pour conséquence de réduire la portion de biens qui revient aux enfants à la nue-propriété
        • Elle ne redeviendra pleine propriété qu’au décès du conjoint survivant.

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==> En l’absence d’un conjoint survivant

L’article 916 dispose que « à défaut de descendant et de conjoint survivant non divorcé, les libéralités par actes entre vifs ou testamentaires pourront épuiser la totalité des biens. »

Il en résulte que, dans cette seule hypothèse, le défunt peut librement disposer de l’intégralité de son patrimoine par voie de libéralités.

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Précisions sur la suspension de la prescription entre époux (Cass. com. 30 nov. 2017)

Par un arrêt du 30 novembre 2017, la Cour de cassation a considéré que la suspension de la prescription entre époux avait vocation à s’appliquer à l’action en nullité d’une cession de parts intervenue entre des époux associés d’une société.

  • Faits
    • Des époux mariés sous le régime de la séparation de biens, sont les associés d’une société civile immobilière
    • Par acte du 25 septembre 2000, le mari cède à sa femme quatre-vingt-dix-neuf des cent parts dont il était propriétaire
    • Puis, par acte du 18 août 2004, l’épouse rétrocède ces mêmes quatre-vingt-dix-neuf parts à son Mari
  • Demande
    • L’épouse cédante assigne son mari en annulation de l’acte conclu le 18 août 2004 pour vileté du prix
    • Par jugement du 14 septembre 2012, rectifié le 27 septembre 2012, leur divorce est prononcé
  • Procédure
    • Par un arrêt du 21 mai 2015, la Cour d’appel de Nîmes fait droit à la demande de l’épouse et écarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action soulevé par le défendeur.
      • Sur la demande de l’épouse
        • Les juges du fond relèvent :
          • D’une part, que le feuillet en photocopie non signé, auquel se référait le cédant pour justifier de la cession ne pouvait pas démontrer la réalité de la rétrocession, en 2004, des actions de la société au profit de son épouse
          • D’autre part, que le prix de la cession des parts de la SCI consentie, le 18 août 2004, au cédant ne correspondait pas à la valeur réelle de la totalité des parts de la SCI, définie dans un bilan établi au 31 décembre 2004 à la somme de 86 533 euros
        • La Cour d’appel en a déduit que, les cessions croisées et réciproques des actions de la SCI n’ayant pas eu lieu, l’équilibre contractuel voulu par les parties en 2000 a été rompu, de sorte que la cession devait être annulée pour vil prix.
      • Sur la prescription de l’action
        • Les juges du fond considèrent que la suspension légale de la prescription entre époux prévue par l’ancien article 2253 du code civil s’appliquait pleinement à l’action en nullité pour vil prix d’une cession de parts sociales intervenue entre deux époux associés dans la société
        • Le cédant n’était, en conséquence, pas fondé à se prévaloir de la prescription de l’action, celle-ci étant suspendue durant toute la durée du mariage.
  • Solution
    • Par un arrêt du 30 novembre 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le cédant.
    • Elle abonde dans le sens de la Cour d’appel en estimant que « les dispositions de l’article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, prévoyant la suspension de la prescription entre époux, s’appliquent à l’action en nullité d’une cession de parts intervenue entre des époux associés d’une société civile immobilière».
    • Ainsi, la chambre commerciale n’est-elle pas convaincue par l’argument soulevé par le cédant qui soutenait que la nullité d’un contrat de vente conclu pour un prix dérisoire ou vil pour absence de cause serait relative, car fondée sur l’intérêt privé du vendeur, en conséquence de quoi la suspension légale de la prescription entre époux prévue par l’ancien article 2253 du code civil ne s’appliquerait pas.
    • Pour la Cour de cassation, l’action en nullité d’une cession de parts sociales n’échappe à la règle de suspension de la prescription entre époux
  • Analyse
    • La chambre commerciale fait ici une stricte application de l’ancien article 2253 du Code civil devenu l’article 2236.
    • Cette disposition prévoyait que la prescription acquisitive et extinctive « ne court point entre époux».
    • Dorénavant, l’article 2236 dispose que la prescription « ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité.»
    • Cette règle a été posée par souci de préservation de la paix des ménages.
    • Lorsqu’ils sont encore dans les liens du mariage il peut, en effet, apparaître difficile pour un époux d’engager une action contentieuse à l’encontre de son conjoint.
    • Toutefois, il ne faudrait pas que le mariage fasse obstacle à l’exercice d’une action dont est légitimement en droit d’exercer en époux.
    • Il ne faudrait pas non plus qu’un couple détourne la prescription pour couvrir des entachés d’irrégularités.
    • D’où l’idée du législateur de suspension de la prescription pendant toute la durée du mariage.
    • Dans un arrêt du 25 mars 2009, la Cour de cassation a affirmé en ce sens qu’« il résulte de l’ancien article 2253 que la prescription ne court pas entre époux et qu’elle se trouve suspendue jusqu’à la dissolution du mariage» ( 1ère civ. 25 mars 2009).
    • Il peut être observé que le délai butoir de l’article 2232 du Code civil qui porte à 20 ans le délai au-delà duquel le point de départ de la prescription ne peut pas être reporté, est inapplicable à la suspension de la prescription qui court entre époux.
    • La règle édictée à l’article 2236 a eu portée des plus étendues puisqu’elle concerne tant la prescription acquisitive que la prescription extinctive.
    • Qui plus est, cette disposition n’opère aucune distinction entre les causes de suspensions, de sorte que toutes les prescriptions extinctives sont visées.
    • L’apport de l’arrêt rendu en l’espèce réside précisément dans le rappel de cette règle.
    • Il importe peu que la prescription dont se prévaut l’époux porte sur une action fondée sur une nullité relative.
    • Dès lors qu’il s’agit d’une prescription et, non d’un délai préfixe, et que ladite prescription concerne les rapports entre époux, la suspension joue.

Cass. com. 30 nov. 2017
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nîmes, 21 mai 2015), que M. X... et Mme Y..., mariés sous le régime de la séparation de biens, sont les associés de la société civile immobilière Yvelga (la SCI) ; que, par acte du 25 septembre 2000, M. X... a cédé à Mme Y... quatre-vingt-dix-neuf des cent parts dont il était propriétaire ; que, par acte du 18 août 2004, Mme Y... a rétrocédé quatre-vingt-dix-neuf parts à M. X... ; que Mme Y... a assigné M. X... en annulation de l’acte du 18 août 2004 pour vileté du prix ; qu’un jugement du 14 septembre 2012, rectifié le 27 septembre 2012, a prononcé leur divorce ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt d’écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action, alors, selon le moyen, qu’un contrat de vente conclu pour un prix dérisoire ou vil est nul pour absence de cause, cette nullité, fondée sur l’intérêt privé du vendeur, est une nullité relative soumise au délai de prescription de cinq ans et la suspension légale de la prescription entre époux prévue par l’ancien article 2253 du code civil ne s’applique pas à l’action en nullité pour vil prix d’une cession de parts sociales intervenue entre deux époux associés dans la société ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article 2253 du code civil, ensemble l’article 1304 du code civil, par refus d’application ;

Mais attendu que la cour d’appel a retenu à bon droit que les dispositions de l’article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, prévoyant la suspension de la prescription entre époux, s’appliquent à l’action en nullité d’une cession de parts intervenue entre des époux associés d’une société civile immobilière ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen, ci-après annexé :

Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt d’annuler l’acte de cession des parts de la SCI en date du 18 août 2004 ;

Mais attendu qu’ayant souverainement retenu que le feuillet en photocopie non signé, auquel se référait M. X..., ne pouvait pas démontrer la réalité de la rétrocession, en 2004, des actions de la société Wellocom au profit de Mme Y... et que le prix de la cession des parts de la SCI consentie, le 18 août 2004, à M. X... ne correspondait pas à la valeur réelle de la totalité des parts de la SCI, définie dans un bilan établi au 31 décembre 2004 à la somme de 86 533 euros, la cour d’appel, qui en a déduit, sans dénaturation ni violation du principe de la contradiction, que, les cessions croisées et réciproques des actions de la SCI et de la société Wellocom n’ayant pas eu lieu, l’équilibre contractuel voulu par les parties en 2000 avait été rompu, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision d’annuler pour vil prix la cession des parts de la SCI ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

TEXTES

Code civil

Article 2232

Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.

Le premier alinéa n’est pas applicable dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2226-1, 2227, 2233 et 2236, au premier alinéa de l’article 2241 et à l’article 2244. Il ne s’applique pas non plus aux actions relatives à l’état des personnes.

Article 2233

La prescription ne court pas :

1° À l’égard d’une créance qui dépend d’une condition, jusqu’à ce que la condition arrive;

2° À l’égard d’une action en garantie, jusqu’à ce que l’éviction ait lieu ;

3° À l’égard d’une créance à terme, jusqu’à ce que ce terme soit arrivé.

Article 2234

La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

Article 2235

Elle ne court pas ou est suspendue contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle, sauf pour les actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, les actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts.

Article 2236

Elle ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité.

Article 2237

Elle ne court pas ou est suspendue contre l’héritier acceptant à concurrence de l’actif net, à l’égard des créances qu’il a contre la succession.

Article 2238

La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation. La prescription est également suspendue à compter de la conclusion d’une convention de procédure participative ou à compter de l’accord du débiteur constaté par l’huissier de justice pour participer à la procédure prévue à l’article L. 125-1 du code des procédures civiles d’exécution.

Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle soit l’une des parties ou les deux, soit le médiateur ou le conciliateur déclarent que la médiation ou la conciliation est terminée. En cas de convention de procédure participative, le délai de prescription recommence à courir à compter du terme de la convention, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois. En cas d’échec de la procédure prévue au même article, le délai de prescription recommence à courir à compter de la date du refus du débiteur, constaté par l’huissier, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois.

Article 2239

La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès.

Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.

Point d’orgue de l’évolution de la jurisprudence en matière de gestation pour autrui? (Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017)

Le 5 juillet 2017, la Cour de cassation a rendu 4 arrêts majeurs par lesquels elle revient sur sa position, s’agissant de l’adoption par le conjoint du père biologique d’un enfant conçu au moyen d’une mère porteuse. Dans le même temps, elle refuse  de transcrire un acte faisant mention de la mère d’intention.

Ces quatre arrêts ont été accompagnés par un communiqué de presse à l’occasion duquel la Cour de cassation indique que :

==> D’une part, en cas de GPA réalisée à l’étranger, l’acte de naissance peut être transcrit sur les registres de l’état civil français en ce qu’il désigne le père, mais pas en ce qu’il désigne la mère d’intention, qui n’a pas accouché

==> D’autre part, une GPA réalisée à l’étranger ne fait pas obstacle, à elle seule, à l’adoption de l’enfant par l’époux de son père

La Première chambre civile rappelle ensuite la problématique relative à la gestion pour autrui qui résulte de deux situations bien distinctes qui tendent à se multiplier, mais auxquelles la loi apporte toujours la même réponse : la GPA est prohibée conformément à l’article 16-7 du Code civil qui prévoit que toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle.

==> Situation n°1 : Conformément à la loi du pays étranger, l’acte de naissance de l’enfant mentionne comme père et mère l’homme et la femme ayant eu recours à la GPA. La paternité de l’homme n’est pas contestée, mais la femme n’est pas celle qui a accouché.

 Question :  Le couple peut-il obtenir la transcription à l’état civil français de l’acte de naissance établi à l’étranger alors que la femme qui s’y trouve désignée comme mère n’a pas accouché de l’enfant

==> Situation n°2 : Le père biologique reconnaît l’enfant puis se marie à un homme.

Question : Le recours à la GPA fait-il obstacle à ce que l’époux du père demande l’adoption simple de l’enfant ?

L’examen de la jurisprudence révèle que la position de la Cour de cassation sur ces deux questions a considérablement évolué.

I) Rejet de la gestion pour autrui

La Cour de cassation refuse à un couple qui avait recouru à une mère porteuse la validation d’une procédure plénière (Cass. ass. pl., 31 mai 1991)

Elle affirme en ce sens que « l’adoption n’était que l’ultime phase d’un processus destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer de l’enfant, conçu en exécution d’un contrat tendant à l’abandon à sa naissance par sa mère,…ce processus constituait un détournement de l’institution »

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II) Refus de transcription de la filiation sur les registres d’état civil

==> Arrêts du le 6 avril 2011

La Cour de cassation a rendu trois arrêts concernant le recours à la gestation pour autrui pratiquée par des Français à l’étranger (Cass. 1re civ ,. 6 avr. 2011)

Dans ces décisions, elle approuve les juges du fond qui avaient refusé, à la demande du ministère public, de transcrire sur les registres de l’état civil les actes de naissance dressés aux États-Unis qui, validant le contrat de gestation, avait désigné, dans chacune de ces espèces, comme père et mère, le couple français commanditaire.

Ce refus, fondé sur le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, a été justifié par l’ordre public international français ou par la fraude à la loi française

La Cour de cassation affirme en ce sens que « lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du Code civil »

Il en résulte selon la haute juridiction que la filiation établie à l’étranger ne peut être inscrite sur les registres français de l’état civil.

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==> Arrêts du 19 mars 2014

La Cour confirme, dans un des deux arrêts précités, l’annulation pour fraude à la loi de la reconnaissance effectuée en France par le père biologique (Cass. 1re civ., 19 mars 2014)

III) Condamnation par la CEDH

La Cour européenne des droits de l’homme condamne la France au motif que son refus de reconnaître la filiation des enfants nés à l’étranger avec l’assistance d’une mère porteuse et l’impossibilité pour l’enfant d’établir en France cette filiation, alors même que celle-ci est conforme à la réalité biologique, « sont contraires au droit de tout individu au respect de son identité, partie intégrante du droit au respect de la vie privée » (26 juin 2014 : Labassée et Mennesson)

Elle précise que le respect de ce texte exige que « chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain », dont la filiation est un aspect essentiel

IV) Revirement de jurisprudence

==> Arrêts du 3 juillet 2015

Dans deux arrêts d’assemblée plénière la Cour de cassation prend en compte la condamnation de la France (Cass. ass. plén., 3 juill. 2015)

Elle admet, pour la première fois, que la gestation pour autrui ne fait pas, en elle-même, obstacle à la transcription de l’acte de naissance étranger sur les actes d’état civil français.

Les deux affaires concernaient un homme ayant conclu une convention de GPA avec une mère porteuse en Russie et qui sollicitaient la transcription de l’acte de naissance qui les mentionnait l’un et l’autre comme parents de l’enfant.

Les arrêts du 3 juillet 2015 laissent en suspens la question de la filiation des parents d’intention, comme le précise d’ailleurs le communiqué de presse selon lequel « les espèces soumises à la Cour de cassation ne soulevaient pas la question de la transcription de la filiation établie à l’étranger à l’égard de parents d’intention : la Cour ne s’est donc pas prononcée sur ce cas de figure ».

Schéma 3

==> Arrêt de la CA de Rennes du 28 septembre 2015

Dans deux décisions rendues le 28 septembre 2015, la cour d’appel de Rennes confirme l’annulation des actes de naissance de deux enfants nés de mères porteuses à l’étranger, l’un en Inde, l’autre aux États-Unis (CA Rennes, 6e ch. A, 28 sept. 2015)

Les actes de naissance litigieux sont annulés, en application de l’article 47 du Code civil, en ce qu’ils ne reflètent pas la vérité quant à la filiation maternelle des enfants.

Chaque acte désigne comme mère de l’enfant l’épouse du père biologique, alors même que celle-ci n’a pas accouché de l’enfant.

La cour d’appel de Rennes réitère sa position, dans deux arrêts rendus le 7 mars 2016 (CA Rennes, 7 mars 2016) :

  • en ordonnant dans une affaire la transcription de la filiation paternelle biologique à l’état civil d’un enfant né de gestation pour autrui à l’étranger
  • en refusant dans l’autre de transcrire sur les registres français de l’état civil un acte de naissance dans lequel est indiquée en qualité de mère une femme qui n’a pas accouché.

La question de la maternité d’intention demeure pour l’instant non résolue.

V) Nouvelle condamnation de la France par la CEDH

La Cour européenne des droits de l’homme vient de condamner à nouveau la France pour refus de transcription à l’état civil du lien de filiation biologique d’un enfant né sous gestation pour autrui (21 juill. 2016, nos 9063/14 et 10410/14, Foulon et Bouvet c. France)

Dans les deux affaires, les requérants se voyaient dans l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance en droit français du lien de filiation biologique établi entre eux en Inde.

Les autorités françaises, suspectant le recours à des conventions de GPA illicites, refusaient donc la transcription des actes de naissance indiens.

Sans surprise, la CEDH accueille le grief de violation du droit à la vie privée (Conv. EDH, art. 8), par référence aux arrêts Mennesson et Labassée (CEDH, 26 juin 2014)

VI) Revirement partielle de jurisprudence

 Trois enseignements peuvent être tirés des quatre arrêts rendus par la Cour de cassation le 5 juillet 2017 : (Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017)

==> Première enseignement: L’acte de naissance étranger d’un enfant né d’une GPA peut être transcrit partiellement à l’état civil français, en ce qu’il désigne le père

 La Cour de cassation affirme en ce sens que dès lors que les actes de naissance ne sont, ni irréguliers, ni falsifiés et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité, s’agissant de la désignation du père, la convention de gestation pour autrui conclue ne fait pas obstacle à la transcription desdits actes.

Deuxième espèce : Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’aux termes de leurs actes de naissance, établis par les autorités ukrainiennes, V... et K... X... sont nées le ... à Kiev (Ukraine) de M. X... et de Mme Y..., son épouse, tous deux de nationalité française ; que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes s’est opposé à la transcription des actes de naissance sur les registres de l’état civil consulaire français, au motif que les enfants étaient nées à la suite d’une convention de gestation pour autrui ; que, le 25 mars 2013, un certificat de nationalité française leur a été délivré ;

Sur les premier et second moyens réunis du pourvoi n° F 16-50.025, qui est recevable :

Attendu que le procureur général près la cour d’appel de Rennes fait grief à l’arrêt d’ordonner la transcription sur les registres de l’état civil consulaire français à Kiev et les registres du service central d’état civil à Nantes, des actes de naissance de V... et K... X..., nées de M. X..., époux de Mme Y..., alors, selon le moyen :

1°/ que l’article 47 du code civil accorde foi à tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait dans un pays étranger, sauf si notamment, les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; que la réalité citée par l’article 47 du code civil correspond nécessairement à la conformité des énonciations de l’acte d’état civil par rapport aux faits qu’il relate ; que Mme Y... étant citée comme mère alors qu’elle n’a pas accouché, les actes de naissance de K... et V... X... ne peuvent être déclarés conformes aux exigences de l’article 47 du code civil ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 47 du code civil ;

2°/ que l’article 312 du code civil énonce que l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ; que la présomption de paternité qui s’applique au père pendant le mariage nécessite que l’épouse du mari soit bien la mère ; que si l’épouse n’est pas reconnue comme mère, le mari ne peut se voir appliquer une présomption de paternité ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 312 du code civil ;

Mais attendu que, l’arrêt n’ayant ordonné la transcription des actes de naissance des enfants V... et K... qu’en ce qu’elles sont nées de M. X..., sans désignation de Mme Y... en qualité de mère, le moyen est inopérant en sa première branche ;

Et attendu que la cour d’appel, qui était saisie d’une action aux fins de transcription d’actes de l’état civil étrangers et non d’une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, a constaté que les actes de naissance n’étaient ni irréguliers ni falsifiés et que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité, s’agissant de la désignation du père ; qu’elle en a déduit, à bon droit, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la seconde branche, que la convention de gestation pour autrui conclue ne faisait pas obstacle à la transcription desdits actes ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi n° B 16-16.901 :

Attendu que M. X... et Mme Y... font grief à l’arrêt de n’ordonner la transcription, sur les registres de l’état civil consulaire français à Kiev et les registres du service central d’état civil à Nantes, des actes de naissance de V... et K... qu’en ce qu’elles seraient nées le ..., à Kiev, de M. X..., époux de Mme Y..., et non de Mme Y..., alors, selon le moyen :

1°/ que les actes d’état civil dressés à l’étranger par l’autorité compétente conformément au droit étranger dont relève cette autorité doivent être reconnus en France dès lors qu’ils ne sont pas contraires à l’ordre public international français, lequel ne s’oppose pas à l’établissement de la filiation d’un enfant né à l’étranger dans le cadre d’une convention de gestation pour autrui ; qu’en considérant que l’établissement de la filiation maternelle de la mère d’intention en application de la loi compétente selon la règle de conflit serait impossible en l’état du droit français, pour rejeter la demande de transcription de la filiation de K... et V... X... à l’égard de Mme Y..., après avoir constaté la régularité des actes d’état civil des enfants dressés à l’étranger, la cour d’appel a violé par fausse application les articles 3 et 311-14 du code civil ;

2°/ que les circonstances de la conception d’un enfant ne peuvent être opposées à l’établissement de sa filiation ; qu’en considérant que la norme selon laquelle l’établissement de la filiation maternelle de la mère d’intention serait impossible en l’état du droit français ferait obstacle à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre les enfants à l’égard de Mme Y... qui n’est pas leur mère biologique, la cour d’appel a violé le droit au respect de la vie privée et à une vie familiale normale garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu’en considérant que la norme selon laquelle l’établissement de la filiation maternelle de la mère d’intention serait impossible en l’état du droit français ferait obstacle à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre les enfants à l’égard de Mme Y... qui n’est pas leur mère biologique, après avoir retenu que le droit ukrainien reconnaît la filiation maternelle des enfants K... et V... à l’égard de Mme Y..., la cour d’appel a méconnu les principes d’harmonie internationale des solutions, de continuité du statut personnel et de primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, en violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble de l’article 3-1 de la Convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant ;

4°/ qu’en se bornant à considérer que l’absence de transcription n’empêche pas les enfants de vivre avec leur père et mère et que K... et V... X... s’étaient vu reconnaître les prérogatives attachées à la nationalité française et au titre des droits successoraux, sans s’assurer de la pérennité de leur lien avec Mme Y... qui les élève et leur prodigue ses soins et de la responsabilité de cette dernière à leur endroit, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article-3-1 de la Convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant ;

5°/ que le droit au respect de la vie privée et familiale doit être reconnu sans distinction selon la naissance ; qu’un lien de filiation peut être établi à l’égard d’une mère d’intention dès lors que l’acte de naissance d’un enfant porte le nom de la femme qui a accouché ou ne donne aucune indication sur la femme qui a accouché ; qu’en considérant que la norme selon laquelle l’établissement de la filiation maternelle de la mère d’intention serait impossible en l’état du droit français ferait obstacle à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre les enfants à l’égard de Mme Y... qui n’est pas leur mère biologique, au prétexte que les actes de naissance des enfants K... et V... X... indiquent que Mme Y... est leur mère, la cour d’appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que, selon l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ;

Que, concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l’accouchement ;

Qu’ayant constaté que Mme X... n’avait pas accouché des enfants, la cour d’appel en a exactement déduit que les actes de naissance étrangers n’étaient pas conformes à la réalité en ce qu’ils la désignaient comme mère, de sorte qu’ils ne pouvaient, s’agissant de cette désignation, être transcrits sur les registres de l’état civil français ;

Attendu qu’aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ;

Attendu que le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil ;

Et attendu que ce refus de transcription ne crée pas de discrimination injustifiée en raison de la naissance et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, au regard du but légitime poursuivi ; qu’en effet, d’abord, l’accueil des enfants au sein du foyer constitué par leur père et son épouse n’est pas remis en cause par les autorités françaises, qui délivrent des certificats de nationalité aux enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger ; qu’ensuite, en considération de l’intérêt supérieur des enfants déjà nés, le recours à la gestation pour autrui ne fait plus obstacle à la transcription d’un acte de naissance étranger, lorsque les conditions de l’article 47 du code civil sont remplies, ni à l’établissement de la filiation paternelle ; qu’enfin, l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur père ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° B 16-16.901, pris en sa troisième branche :

Vu l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que, pour déclarer l’association Juristes pour l’enfance recevable en son intervention volontaire accessoire, l’arrêt retient que le moyen pris de la violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est inopérant, s’agissant d’une procédure où les débats sont publics ;

Qu’en statuant ainsi, alors que, nonobstant le caractère public des débats, le droit au respect de la vie privée et familiale de M. et Mme Y... et des enfants V... et K... s’opposait à l’immixtion de l’association dans une instance qui revêtait un caractère strictement personnel, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Vu les articles L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen du pourvoi n° B 16-16.901 :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il reçoit l’association Juristes pour l’enfance en son intervention volontaire accessoire et la déclare en partie bien fondée, l’arrêt rendu le 7 mars 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;

==> Deuxième enseignement: L’acte de naissance étranger d’un enfant né d’une GPA ne peut être transcrit à l’état civil français, en ce qu’il désigne le père en ce qu’il désigne la mère d’intention

 Deux arguments sont avancés par la Cour de cassation au soutien de sa position :

  • Premier argument
    • Selon l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité
    • Aussi, selon elle, la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l’accouchement
    • Elle en conclut que, dans l’hypothèse où la mère qui se prévaut de cette qualité n’a pas accouché de l’enfant, les actes de naissance étrangers ne sont pas conformes à la réalité en ce qu’ils la désignaient comme mère, de sorte qu’ils ne pouvaient, s’agissant de cette désignation, être transcrits sur les registres de l’état civil français
  • Second argument
    • La première chambre civile rappelle que, conformément à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
      • D’une part, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance
      • D’autre part, il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui
    • En application de ces principes, la Cour de cassation considère alors que
      • En premier lieu, le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil
      • En second lieux, ce refus de transcription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, au regard du but légitime poursuivi
      • La Cour de cassation justifie cette position en affirmant que :
        • D’abord, l’accueil des enfants au sein du foyer constitué par leur père et son épouse n’est pas remis en cause par les autorités françaises, qui délivrent des certificats de nationalité française aux enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger
        • Ensuite, en considération de l’intérêt supérieur des enfants déjà nés, le recours à la gestation pour autrui ne fait plus obstacle à la transcription d’un acte de naissance étranger, lorsque les conditions de l’article 47 du code civil sont remplies, ni à l’établissement de la filiation paternelle
        • Enfin, l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur père

Première espèce : Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’aux termes de leurs actes de naissance américains, dressés conformément à un jugement de la cour supérieure de l’Etat de Californie du 17 septembre 2010, P... et P... X... sont nés le 4 novembre 2010 à Whittier (Californie, Etats-Unis d’Amérique) de M. X... et de Mme Y..., son épouse, tous deux de nationalité française ; que, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes s’étant opposé à leur demande de transcription de ces actes de naissance sur les registres de l’état civil consulaire et du service central d’état civil du ministère des affaires étrangères, en invoquant l’existence d’une convention de gestation pour autrui, M. et Mme X... l’ont assigné à cette fin ;

Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième et neuvième branches :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l’arrêt de rejeter leur demande, en ce qui concerne la désignation de Mme X... en qualité de mère, alors selon le moyen :

1°/ que les actes d’état civil établis dans un pays étrangers et rédigés dans les formes usitées dans ce pays font foi sauf s’ils sont irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; que seule la réalité juridique et non la réalité biologique doit être prise en compte pour vérifier la valeur probante d’un acte d’état civil établi à l’étranger ; qu’il résultait des termes du jugement de la Cour supérieure de Californie du 17 septembre 2010, qui servait de fondement aux actes de naissance dont la transcription était demandée, que M. et Mme X... étaient déclarés parents légaux des deux enfants et que la mère biologique avait renoncé à tous droits sur eux ; qu’en retenant que les faits déclarés par les intéressés lors de l’établissement des actes de naissance par le service de l’état civil californien sur la filiation maternelle des enfants ne correspondaient pas à la réalité, cependant que ces actes avaient été établis sur la foi d’une décision de justice rendue légalement en Californie et donnant force exécutoire à un contrat de gestation pour autrui qui attribuait la paternité et la maternité juridiques à M. et Mme X..., de sorte que le fait que la mère juridique ne soit pas la femme ayant accouché ne caractérisait pas une fausse information, la cour d’appel a violé l’article 47 du code civil ;

2°/ que le ministère public n’avait contesté ni l’opposabilité en France du jugement américain ni la foi à accorder aux actes dressés en Californie et s’était borné à justifier le refus de transcription de l’acte en invoquant l’existence d’un processus contraire à l’ordre public international français impliquant le recours à un contrat de gestation pour autrui ; qu’en refusant de prendre en compte les énonciations du jugement étranger du 17 septembre 2010 en ce qu’il mentionnait Mme X... comme étant la mère des enfants, après avoir pourtant rappelé que la théorie de la fraude soutenue par le ministère public n’était pas pertinente dès lors que la convention de gestation pour autrui conclue entre un parent d’intention et une mère porteuse ne faisait plus obstacle à la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger issu d’une telle convention, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l’article 47 du code civil ;

3°/ que le procureur de la République ne peut refuser une demande de transcription d’un acte d’état civil dressé à l’étranger qu’en établissant qu’il serait « irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité » au regard des formes usitées dans ce pays ; que les actes de naissance des enfants concernés avaient été établis sur la base d’un jugement de la Cour supérieure de Californie du 17 septembre 2010, lui-même conforme au code de la famille californien, déclarant M. et Mme X... parents légaux des enfants à naître par gestation pour autrui ; qu’ils avaient donc été rédigés dans les formes usitées dans l’Etat de Californie ; qu’en retenant que le procureur de la République pouvait refuser de transcrire les actes de naissance établis dans ces conditions, la cour d’appel a violé l’article 47 du code civil ;

4°/ qu’en examinant la force probatoire des actes de naissance en litige, non pas au regard des dispositions édictées en vue de leur transcription par l’article 47 du code civil, mais par application de la loi désignée par la règle de conflit pour l’établissement de la filiation de l’enfant, la cour d’appel a violé l’article 47 du code civil ;

5°/ que le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation et sa nationalité ; que la juridiction européenne a retenu que la non-reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants conçus par gestation pour autrui et les parents d’intention portait atteinte au respect de leur vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation ; qu’en limitant l’effet utile du droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant et son droit à l’identité qui inclut la filiation et la nationalité au seul cas où la filiation paternelle est conforme à la vérité biologique, la cour d’appel a violé l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

6°/ que l’intérêt supérieur de l’enfant exige que soit transcrit sur les registres d’état civil français l’acte de naissance régulièrement établi à l’étranger et indiquant la filiation paternelle et maternelle ; qu’en retenant que l’intérêt supérieur de l’enfant ne pouvait être utilement invoqué que si la filiation paternelle était conforme à la vérité biologique, la cour d’appel a violé l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant ;

7°/ qu’ils faisaient valoir que la filiation de leurs enfants était établie par la possession d’état à leur égard depuis quatre années, ce qui justifiait la transcription des actes de naissance, sauf à porter atteinte au respect de la vie privée et familiale et à l’intérêt supérieur de l’enfant ; qu’en refusant la transcription demandée sans répondre à ce moyen, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que, selon l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ;

Que, concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l’accouchement ;

Qu’ayant constaté que Mme X... n’avait pas accouché des enfants, la cour d’appel en a exactement déduit que les actes de naissance étrangers n’étaient pas conformes à la réalité en ce qu’ils la désignaient comme mère, de sorte qu’ils ne pouvaient, s’agissant de cette désignation, être transcrits sur les registres de l’état civil français ;

Attendu qu’aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ;

Attendu que le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil ;

Attendu que ce refus de transcription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, au regard du but légitime poursuivi ; qu’en effet, d’abord, l’accueil des enfants au sein du foyer constitué par leur père et son épouse n’est pas remis en cause par les autorités françaises, qui délivrent des certificats de nationalité française aux enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger ; qu’ensuite, en considération de l’intérêt supérieur des enfants déjà nés, le recours à la gestation pour autrui ne fait plus obstacle à la transcription d’un acte de naissance étranger, lorsque les conditions de l’article 47 du code civil sont remplies, ni à l’établissement de la filiation paternelle ; qu’enfin, l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur père ;

Et attendu que la cour d’appel, qui était saisie d’une action aux fins de transcription d’actes de l’état civil étrangers et non d’une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, n’avait pas à répondre aux conclusions inopérantes relatives à la possession d’état des enfants ;

D’où il suit que le moyen, qui critique un motif surabondant en sa quatrième branche, ne peut être accueilli ;

Mais sur la huitième branche du moyen :

Vu l’article 47 du code civil, ensemble l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que, pour refuser la transcription des actes de naissance étrangers en ce qu’ils désignent M. X... en qualité de père, l’arrêt retient qu’en l’absence de certificat médical délivré dans le pays de naissance attestant de la filiation biologique paternelle, d’expertise biologique judiciaire et d’éléments médicaux sur la fécondation artificielle pratiquée, la décision rendue le 17 septembre 2010 par une juridiction californienne le déclarant parent légal des enfants à naître, est insuffisante à démontrer qu’il est le père biologique ;

Qu’en statuant ainsi, alors, d’une part, que la transcription des actes de naissance sur les registres de l’état civil français n’était pas subordonnée à une expertise judiciaire, d’autre part, qu’elle constatait que le jugement californien énonçait que le patrimoine génétique de M. X... avait été utilisé, sans relever l’existence d’éléments de preuve contraire, de sorte que ce jugement avait, à cet égard, un effet de fait et que la désignation de M. X... dans les actes comme père des enfants était conforme à la réalité, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Vu les articles L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la septième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de M. et Mme X... de transcription, sur les registres de l’état civil consulaire et du service central d’état civil du ministère des affaires étrangères, des actes de naissance de P... et P... X..., nés le... à Whittier (Etats-Unis), en ce qu’ils sont nés de M. Jean-François X..., né le..., l’arrêt rendu le 28 septembre 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

Quatrième espèce : Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rennes, 28 septembre 2015), que l’officier de l’état civil du consulat de France à Bombay (Inde) a dressé, le 22 février 2010, sur ses registres de l’état civil, l’acte de naissance de l’enfant E. X..., comme étant née le [...] à l’hôpital [...], de M. X... et de Mme Y..., son épouse, tous deux de nationalité française ; que, le 26 mars 2012, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes a assigné M. et Mme X..., tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leur fille mineure E. , en annulation de l’acte de naissance, en raison d’une suspicion de recours à une gestation pour autrui ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu que ce moyen n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l’arrêt d’annuler l’acte de naissance consulaire d’E. , née le [...], alors, selon le moyen :

1°/ que lorsque la filiation d’un enfant né à l’étranger par gestation pour autrui est établie envers ses parents d’intention par l’acte de naissance étranger, le refus de transcription de cet acte de naissance dans les registres de l’état civil ou l’annulation judiciaire de la transcription si celle-ci a été effectuée, viole le droit de l’enfant au respect de sa vie privée et familiale, peu important qu’il ne soit pas établi que le père d’intention est en outre le père biologique ; qu’en annulant l’acte de naissance d’E. X... établi par le consulat de France à Bombay après avoir relevé que l’acte de naissance indien indiquait la filiation de l’enfant envers M. et Mme X..., et sans même avoir constaté que la preuve aurait été rapportée que M. X... n’eût pas été le père biologique d’E. , la cour d’appel a violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 48 du code civil ;

2°/ que pour annuler l’acte de naissance d’E. X... établi par le consulat de France à Bombay, l’arrêt attaqué a retenu que l’acte de naissance indien était vicié en ce qu’il mentionnait que la mère était Mme X... bien qu’elle n’a pas accouché de l’enfant, les pièces médicales s’étant révélées fausses, de sorte qu’aucune foi ne pouvait être accordée à l’acte de naissance français ; qu’en statuant ainsi, sans constater que selon la loi indienne la désignation de la mère d’intention dans un acte de naissance ne serait pas valable, la cour d’appel a violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 47 et 48 du code civil ;

3°/ qu’il appartient au ministère public agissant en annulation d’un acte de naissance de prouver, le cas échéant, que le nom du père indiqué dans l’acte ne correspond pas à la réalité biologique ; qu’en faisant peser la preuve contraire sur M. X..., la cour d’appel a violé l’article 9 du code de procédure civile ;

4°/ que lorsque la filiation d’un enfant né à l’étranger par gestation pour autrui est établie envers ses parents d’intention par l’acte de naissance étranger conforté par la possession d’état d’enfant, le refus de transcription de cet acte de naissance dans les registres de l’état civil ou l’annulation judiciaire de la transcription lorsque cette dernière a été effectuée, viole le droit de l’enfant au respect de sa vie privée et familiale ; qu’en annulant l’acte de naissance d’E. X... établi par le consulat de France à Bombay sans rechercher, comme elle y était invitée, si E. X... ne bénéficiait pas de la possession d’état d’enfant de M. et Mme X..., la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 311-1 et 330 du code civil ;

Mais attendu que, saisie d’une demande d’annulation d’un acte dressé par l’officier de l’état civil consulaire français dans ses registres, sur le fondement de l’article 48 du code civil, la cour d’appel a constaté que M. et Mme X... avaient produit au consulat de France de faux documents de grossesse et un faux certificat d’accouchement, les échographies et examens médicaux de la mère porteuse ayant été modifiés afin qu’ils confirment une grossesse de l’épouse ; qu’elle en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante relative à la possession d’état de l’enfant ou à la réalité de la filiation biologique paternelle, que l’acte de naissance dressé sur les registres consulaires était entaché de nullité ;

Et attendu qu’il ne résulte pas des énonciations de l’arrêt que M. et Mme X... aient sollicité, en application de l’article 47 du code civil, la transcription de l’acte de l’état civil indien dont dispose l’enfant ; que dès lors, ils ne sont pas fondés à invoquer la violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> Troisième enseignement: Une GPA réalisée à l’étranger ne fait pas obstacle, à elle seule, à l’adoption de l’enfant par l’époux du père

En adoptant cette solution, la Cour de cassation opère manifestement un changement radical de sa position.

Comme exprimé dans son communiqué de presse, la haute juridiction tire ici les conséquences:

  • D’une part, de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Ce texte a pour effet de permettre, par l’adoption, l’établissement d’un lien de filiation entre un enfant et deux personnes de même sexe, sans aucune restriction relative au mode de procréation (cf. infra « Repères »)
  • D’autre part, de ses arrêts du 3 juillet 2015, selon lesquels le recours à une GPA à l’étranger ne constitue pas, à lui seul, un obstacle à la transcription de la filiation paternelle (cf. infra « Repères »).

Aussi considère-t-elle que :

  • En premier lieu, le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant
  • En second lieu, ce qui importe c’est que les juges du fond constatent l’existence, la sincérité et l’absence de rétractation du consentement à l’adoption donné par la mère de l’enfant,

Troisième espèce : Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que l’enfant M... Y... est né le ..., à Victorville (Californie, Etats-Unis d’Amérique) de Mme Z..., de nationalité américaine, qui avait conclu avec M. Y..., de nationalité française, une convention de gestation pour autrui ; qu’il a été reconnu par Mme Z... et M. Y... ; que, le 1er novembre 2013, ce dernier a épousé M. X..., de nationalité française, auquel il était lié par un pacte civil de solidarité depuis 2004 ; que, par requête du 3 juillet 2014, M. X... a saisi le tribunal de grande instance d’une demande d’adoption simple de l’enfant M...

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Vu les articles 353 et 361 du code civil, ensemble les articles 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, l’adoption est prononcée à la requête de l’adoptant par le tribunal qui vérifie si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant ; que, selon les deux derniers, l’enfant a droit au respect de sa vie privée et familiale et, dans toutes les décisions qui le concernent, son intérêt supérieur doit être une considération primordiale ;

Attendu que, pour rejeter la demande d’adoption simple, l’arrêt retient que la naissance de l’enfant résulte d’une violation, par M. Y..., des dispositions de l’article 16-7 du code civil, aux termes duquel toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle d’une nullité d’ordre public ; Qu’en statuant ainsi, alors que le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles 348 et 361 du code civil ;

Attendu, selon le premier de ces textes, que lorsque la filiation de l’enfant est établie à l’égard de son père et de sa mère, ceux-ci doivent consentir l’un et l’autre à l’adoption ;

Attendu que, pour rejeter la demande d’adoption, l’arrêt retient encore que le consentement initial de Mme Z..., dépourvu de toute dimension maternelle subjective ou psychique, prive de portée juridique son consentement ultérieur à l’adoption de l’enfant dont elle a accouché, un tel consentement ne pouvant s’entendre que comme celui d’une mère à renoncer symboliquement et juridiquement à sa maternité dans toutes ses composantes et, en particulier, dans sa dimension subjective ou psychique ;

Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu’elle constatait l’existence, la sincérité et l’absence de rétractation du consentement à l’adoption donné par la mère de l’enfant, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 24 mars 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Dijon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;

Tableau récapitulatif des délais de prescription en matière civile et commerciale

DELAI DE PRESCRIPTION DE DROIT COMMUN
5 ansActions personnelles et mobilièresLe jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Art. 2224 C. civ.
DELAIS DE PRESCRIPTION SPECIAUX
DomaineDélaisDomainePoint de départTexte
Droit des biens99 ansLe droit de propriété est imprescriptibleArt. 2227 C. civ.
30 ansactions réelles immobilièresLe jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.Art. 2227
C. civ.
L'usufruitPar le non usage à compter du jour où il est acquisArt. 617
C. civ.
Les droits d'usage et d'habitationPar le non-usage à compter du jour où ils sont acquisArt. 625
C. civ
Les servitudesPar le non-usage à compter du jour où elles sont acquisesArt. 706
C. civ.
3 ansAction en revendication d'un meuble perdu ou volé acquis par un tiers de bonne foi Le jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient.Art. 2276
C. civ.
1 ansSi un cours d'eau, domanial ou non, enlève par une force subite une partie considérable et reconnaissable d'un champ riverain, et la porte vers un champ inférieur ou sur la rive opposée, le propriétaire de la partie enlevée peut réclamer sa propriété Le jour oùl a propriété d'une partie d'un champ a été emporté par le cours d'eau Art. 559
C. civ.
Droit de l'indivision5 ansAction relative aux fruits et revenus de l'indivisionLa date à laquelle ils ont été perçus ou auraient pu l'être.Art. 815-10, al. 3
C. civ.
5 ansAction en nullité d'une cession ou d'une licitation de droits indivis opérée en violation du droit de préemption ou de substitution des indivisairesLa date de la cession ou de la licitationArt. 815-16
C. civ.
1 moisL'exercice du droit de préemption ou de substitution de l'indivisaireLa notification par l'indivisaire cédant de son projet de cessionArt. 815-14
C. civ.
Droit des contrats5 ansL'action en nullité d'un contrat pour vice du consentement> Le jour où l'erreur ou le dot ont été découverts
> En cas de violence, que du jour où elle a cessé.
Art. 1144
C. civ.
Droit des contrats spéciaux2 ansAction résultant des vices rédhibitoires > Le jour de la découverte du vice
> En cas de vice affectant un immeuble à construire, l'action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l'année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents.
Art. 1648
C. civ.
Action en garantie de bon fonctionnement de certains éléments d'équipement d'un ouvrage réalisé au titre d'un contrat d'entrepriseLa date de réception de l'ouvrageArt. 1792-3
C. civ.
1 ansAction en supplément de prix de la part du vendeur, et celle en diminution de prix ou en résiliation du contrat de la part de l'acquéreur,La date de conclusion du contratArt. 1622
C. civ.
Action relative aux vices de construction ou défauts de conformité apparents contre le vendeur d'un immeuble à construireLa date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents.Art. 1648, al. 2
C. civ.
La garantie de parfait achèvement pesant sur l'entrepreneurLa date de réception de l'ouvrageArt. 1792-6, al. 2
C. civ.
Droit de la consommation2 ansAction des professionnels pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateursLa date de fourniture du bien ou serviceArt. L. 218-2
C. conso
Droit des sûretés10 ansL'inscription de privilèges ou hypothèques lorsque l'échéance ou la dernière échéance est antérieure ou concomitante à l'inscription,Le jour de l'accomplissement de la formalitéArt. 2434
C. civ.
3 ansL'inscription de l'hypothèse légale des épouxLe jour de l'inscription de l'hypothèqueArt. 2403
C. civ.
1 ansAction tendant à l'inscription ou au complément d'inscription de l'hypothèque légale du pupille et des personnes sous tutelle devenues capables> Après la majorité du pupille ou son émancipation
> Après après la mainlevée de la tutelle du majeur
Art. 2410
C. civ.
Droit de la responsabilité30 ansObligations financières liées à la réparation de certains dommages à l'environnementLe jour de la réalisation du fait domageableArt. L. 152-1
C. env.
20 ansAction en réparation d'un préjudice causé par des tortures ou des actes de barbarie, ou par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur,La date de la consolidation du dommage initial ou aggravéArt. 2226, al. 2
C. civ.
10 ansL'action en responsabilité du fait des produits défectueuxLa mise en circulation du produitArt. 1245-15
C. civ.
L'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultentLa date de la consolidation du dommage initial ou aggravéArt. 2226, al. 1
C. civ.
5 ansAction en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiéesLa fin de mission des personnes ayant représenté ou assisté les parties en justiceArt. 2225
C. civ.
3 ansAction en réparation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueuxla date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur. Art. 1245-16
C. civ.
2 ansAction en responsabilité dirigée contre les huissiers de justice pour la perte ou la destruction des pièces qui leur sont confiées dans l'exécution d'une commission ou la signification d'un acteLa réalisation du fait dommageableArt. 2 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers
1 ansAction du fournisseur d'un produit défectueux contre le producteur de celui-ciLa date de la citation en justice du fournisseur Art. 1245-6
C. civ.
3 moisLa faculté, pour le fournisseur attrait sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, de désigner son propre fournisseur ou le producteurLa date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée. Art. 1245-6
C. civ.
Droit des personnes5 ansAction en nullité d'un acte accompli par une personne frappée d'insanité d'esprit Le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.Art. 414-2, al. 3
C. civ.
Action en responsabilité contre la personne en charge d'un mineurLa majorité de l'intéressé, alors même que la gestion aurait continué au-delà, ou de la fin de la mesure si elle cesse avant.Art. 413
C. civ.
Action en responsabilité contre la personne en charge d'un majeur protégé> La fin de la mesure de protection alors même que la gestion aurait continué au-delà.
> Toutefois, lorsque la curatelle a cessé par l'ouverture d'une mesure de tutelle, le délai ne court qu'à compter de l'expiration de cette dernière.
Art. 423
C. civ.
Action en L'action en nullité, en rescision ou en réduction d'un acte accompli par une personne faisant l'objet mesure de sauvegarde de justiceLe jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Art. 435
C. civ.
Action en nullité, en rescision ou en réduction d'un acte accompli par une personne faisant l'objet d'une mesure de curatelle ou de tutelleLe jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Art. 465 et 1152
C. civ.
Action en rescision ou en réduction d'un acte accompli par une personne faisant l'objet d'un mandat de protection futureLe jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Art. 488
C. civ.
Action en reddition de comptes, en revendication ou en paiement diligentée par la personne protégée ou ayant été protégée ou par ses héritiers relativement aux faits de la tutelle La fin de la mesure, alors même que la gestion aurait continué au-delà.Art. 515
C. civ.
2 ansAction en nullité des délibérations du Conseil de famille lorsqu'elles ont été surprises par dol ou fraude ou que des formalités substantielles ont été omises. > Le jour de la délibération ainsi que par le mineur devenu majeur ou émancipé dans les deux années de sa majorité ou de son émancipation.
La prescription ne court pas s'il y a eu dol ou fraude tant que le fait qui en est à l'origine n'est pas découvert.
Art. 402, al. 3
C. civ.
Action en nullité des actes accomplis en vertu d'une délibération annulée Le délai court de l'acte et non de la délibération.Art. 402, al. 4
C. civ.
Droit de la nationalité2 ansLe Gouvernement peut s'opposer par décret en Conseil d'Etat, pour indignité ou défaut d'assimilation, autre que linguistique, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger > La date du récépissé prévu au deuxième alinéa de l'article 26
> si l'enregistrement a été refusé, à compter du jour où la décision judiciaire admettant la régularité de la déclaration est passée en force de chose jugée.
Art. 21-4
C. civ.
2 ansLa contestation par le ministère public de la déclaration de nationalitéDate de la déclarationArt. 26-4
C. civ.
2 ansLes décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat> La publication du décret au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales > si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude.Art. 27-2
C. civ.
1 ansLa faculté de renoncer à la nationalité française.La date d'acquisition d'une nationalité étrangèreArt. 23-1
C. civ.
Droit de la filiation10 ansLes actions relatives à la filiation> Le jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame, ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté.
> A l'égard de l'enfant, ce délai est suspendu pendant sa minorité.
Art. 321
C. civ
10 ansL'action aux fins de subsidesLa majorité de l'enfantArt. 342
C. civ
5 ansAction en contestation de la filiation en présence d'un titre corroboré par une possession d'étatLe jour où la possession d'état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté. Art. 333
C. civ.
Droit de la famille30 ansAction en nullité absolue du mariageLe jour de la célébration du mariageArt. 184
C. civ
5 ansAction en nullité relative du mariageLa célébration du mariageArt. 181
C. civ.
Action en délivrance d'un acte de notoriété aux fins d'établir une possession d'étatLa cessation de la possession d'état alléguée ou à compter du décès du parent prétendu, y compris lorsque celui-ci est décédé avant la déclaration de naissanceArt. 317
C. civ.
2 ansAction en nullité contre les actes accomplis en violation d'une ordonnance du JAF, s'ils ont été passés avec un tiers de mauvaise foi, ou même s'agissant d'un bien dont l'aliénation est sujette à publicité, s'ils sont simplement postérieurs à la publication prévue par l'article précédent.> Le jour où l'époux a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée
> si cet acte est sujet à publicité, plus de deux ans après sa publication.
Art. 220-3
C. civ.
1 ansAction en nullité des actes de disposition portant sur le logement familial et les meubles qui le garnissentLe jour où l'époux qui agit a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d'un an après que le régime matrimonial s'est dissous.Art. 215, al. 3
C. civ.
2 moisLa faculté de rétracter le consentement à l'adoption plénièreLe jour d'expression du consentement à l'adoption plénièreArt. 348-3, al. 2
C. civ.
Droit des successions et des libéralités10 ansLa faculté d'option successoraleL'ouverture de la successionArt. 780
C. civ.
L'action en révision des conditions et charges grevant une libéralitéLa mort du disposantArt. 900-5
C. civ.
L'action en réduction d'une libéralité excessiveL'ouverture de la successionArt. 921
C. civ.
5 ansAction en nullité de l'option exercée par un héritier pour erreur, dol ou violence est une cause de nullité de l'option exercée par l'héritier.Le jour où l'erreur ou le dol a été découvert ou du jour où la violence a cessé.Art. 777
C. civ.
Action en réduction d'une libéralité entre vifsL'ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès.Art. 921
C. civ.
Action en révocation d'une donation pour cause de survenance d'enfantLa naissance ou de l'adoption du dernier enfant. Art. 966
C. civ.
Action en réduction d'une donation-partage Le décès du donateurArt. 1077-2
C. civ.
2 ansLe droit de préférence mobilier des créanciers successoraux ou des créanciers personnels de l'héritier>A l'égard des meubles, le jour de l'ouverture de la succession.
> A l'égard des immeubles, l'action peut être exercée tant qu'ils demeurent entre les mains de l'héritier.
Art. 881
C. civ
Action en garantie dans le cadre du partage d'une successionLe jour de l'éviction ou de la découverte du trouble.Art. 886
C. civ.
Action en complément de part du copartageant léséLe jour du partage.Art. 889
C. civ.
Action en réduction d'une libéralité excessiveLe délai de prescription de l'action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l'ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès.Art. 921
C. civ.
Dans le cadre de l'acceptation d'une succession à concurrence de l'actif net, Les créanciers de la succession doivent déclarer leurs créances dans un délai de quinze mois > la publicité prévue à l'article 788
> les créances non assorties de sûretés sur les biens de la succession sont éteintes à l'égard de celle-ci. Cette disposition bénéficie également aux cautions et coobligés, ainsi qu'aux personnes ayant consenti une garantie autonome portant sur la créance ainsi éteinte.
Art. 792
C. civ.
1 ansLa créance d'aliments due par le conjoint survivant aux ascendantsle jour du décès ou du moment à partir duquel les héritiers cessent d'acquitter les prestations qu'ils fournissaient auparavant aux ascendants. Le délai se prolonge, en cas d'indivision, jusqu'à l'achèvement du partage. Art. 758
C. civ.
Le droit au logement temporaire et du droit viager au logement ouvert au conjoint survivantLe jour du décès de l'épouxArt. 765-1
C. civ.
Le droit à pension ouvert au conjoint survivant à l'encontre de la successionLe jour du décès de l'épouxArt. 767
C. civ.
Action en révocation d'une renonciation à l'action en réduction> La demande en révocation est formée dans l'année, à compter du jour de l'ouverture de la succession, si elle est fondée sur l'état de besoin
> Elle est formée dans l'année, à compter du jour du fait imputé par le renonçant ou du jour où le fait a pu être connu par ses héritiers, si elle est fondée sur le manquement aux obligations alimentaires ou sur l'un des faits visés au 3° de l'article 930-3.
Art. 930-4
C. civ.
La demande en révocation d'une libéralité entre vifs pour cause d'ingratitudeLe jour du délit imputé par le donateur au donataire, ou du jour que le délit aura pu être connu par le donateur.Art. 957
C. civ.
Action en révocation d'une disposition testamentaire pour injure grave à la mémoire du testateurLe jour du délitArt. 1047
C. civ.
Action aux fins de libérer la part de réserve du légataire de la charge découlant d'une libéralité graduelleLe jour où le légataire a eu connaissance du testamentArt. 1054
C. civ.
6 moisAction en déclaration d'indignité successoraleLe jour du décès si la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité est antérieure au décès, ou dans les six mois de cette décision si elle est postérieure au décès. Art. 727-1
C. civ.
5 mois Action de l'héritier acceptant pur et simple aux fins d'être déchargé de tout ou partie de son obligation à une dette successoraleLe jour où il a eu connaissance de l'existence et de l'importance de la detteArt. 786
C. civ.
3 moisL'exercice du droit d'accession relativement aux choses immobilièresLa notification qui leur sera faite par l'autorité compétenteArt. 563
C. civ.
L'option du conjoint survivant invité à choisir entre l'usufruit et la pleine propriétéLa date d'interpélation du conjoint survivantArt. 758-3
C. civ.
Action en contestation portant sur la conservation ou l'aliénation d'un bien relevant d'une succession acceptée à concurrence de l'actif netLa date de publicité effectuée par le TribunalArt. 794, al. 2
C. civ.
Action en réclamation d'une succession vacante ayant fait l'objet d'un projet de réalisation d'actif notifié aux héritiers connusLa notification du projet de réalisationArt. 810-8
C. civ.
La faculté d'exécuter la réduction d'une libéralité en nature ouverte au bénéficiaire mis en demeure de prendre partiLa date à laquelle un héritier réservataire l'a mis en demeure de prendre parti.Art. 924-1
C. civ.
2 moisLa faculté d'option de l'héritier sommé de prendre partiLa date de sommation de l'héritierArt. 772, al. 1
C. civ.
1 moisAction en contestation d'un projet de règlement du passif d'une succession vacanteLa date de publicité du projetArt. 810-5
C. civ.
La faculté de s'opposer au paiement d'une soulte par dationLa date de proposition du paiement d'une soulte par dationArt. 832-1, al. 5
C. civ.
Droit des régimes matrimoniaux5 ansAction en responsabilité engagée contre un époux commun en biens, bénéficiaire d'un mandat tacite de gérer les biens propres de l'autre, à raison des fruits qu'il a négligé de percevoir ou qu'il a consommés frauduleusementLe jour où la perception des fruits des biens propres de l'époux mandant a été négligée ou à compter du jour où ils ont été consommés frauduleusementArt. 1432
C. civ.
3 ansAction en liquidation du régime de participation aux acquêts se prescrit par trois ans à compter de la dissolution du régime matrimonial. la dissolution du régime matrimonial.art. 1578
C. civ.
2 ansAction en nullité d'un acte accompli par un époux qui a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communsLe jour où l'autre époux a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté.Art. 1427
C. civ.
Les actions ouvertes contre les tiers en vertu de l'article 1341-2 s dans le cadre de la liquidation d'un régime de participation aux acquêtsLa clôture de la liquidation.Article 1578
C. civ.
3 moisL'opposition à la modification d'un régime matrimonialLa date de publication de la modification du régime matrimonialArt. 1397, al. 3
C. civ.
1 moisLa faculté d'acquisition ou d'attribution ouverte au conjoint survivantLe jour où les héritiers ont mis en demeure le survivant de prendre parti.Art. 1392, al. 1
C. civ.
La faculté de prélèvement ouverte au conjoint survivantLe jour où les héritiers ont mis en demeure le conjoint survivant de prendre partiArt. 1513
C. civ.
Droit du travail3 ansL'action en paiement ou en répétition du salaireLe jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Article L3245-1
C. trav.
Droit commercial5 ansLes obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçantsNaissance de la créanceArt. L. 110-4
C. com.
Actions en responsabilité civile engagées à l'occasion des prisées et des ventes volontaires et judiciaires de meuble aux enchères publiquesl'adjudication ou de la prisée.Art. L. 321-17
C. com.
Droit des instruments de paiement et de crédit3 ansActions résultant de la lettre de change contre l'accepteurLa date d'échéance de la traiteArt. L. 511-78, al. 1
C. com.
Actions résultant d'un billet à ordreLa date d'échéance de l'effetArt. L. 512-3
C. com.
1 ansLes actions du porteur contre les endosseurs et contre le tireur se prescrivent par un an à partir de la date du protêt dressé en temps utile ou de celle de l'échéance, en cas de clause de retour sans frais.La date du protêt dressé en temps utile ou de celle de l'échéance, en cas de clause de retour sans frais.Art. L. 511-78, al. 2
C. com.
L'action du porteur du chèque contre le tiré se prescrit par un an à partir de l'expiration du délai de présentation.Le jour où l'endosseur a remboursé la lettre ou du jour où il a été lui-même actionné.Art. L. 511-78, al. 3
C. com.
6 moisLes actions des endosseurs les uns contre les autres et contre le tireur se prescrivent par six mois à partir du jour où l'endosseur a remboursé la lettre ou du jour où il a été lui-même actionné.Le jour où l'endosseur a remboursé la lettre ou du jour où il a été lui-même actionné.Art. L. 511-78, al. 3
C. com.
Les actions en recours du porteur contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés se prescrivent par six mois à partir de l'expiration du délai de présentation.La date d'expiration du délai de présentation.Article L131-59
CMF
Les actions en recours des divers obligés au paiement d'un chèque les uns contre les autres se prescrivent par six mois à partir du jour où l'obligé a remboursé le chèque ou du jour où il a été lui-même actionné. Le jour de la dernière poursuite judiciaireArticle L131-60
CMF
Droit des sociétés10 ansL'action en responsabilité contre les fondateurs d'une sociétéLe jour où l'une ou l'autre, selon le cas, des formalités visées à l'alinéa 3 de l'article 1839 a été accomplie, soit l'immatriculation de la société ou de la publication de l'acte modifiant les statutsArt. 1840
C. civ.
5 ans Actions contre les associés non liquidateurs ou leurs héritiers et ayants causeLa publication de la dissolution de la sociétéArt. 1859
C. civ.
3 ansAction aux fins de régularisation d'une sociétél'immatriculation de la société ou de la publication de l'acte modifiant les statuts.Art. 1839
C. civ.
Action en responsabilité fondée sur l'annulation de la société ou des actes et délibérations postérieurs à la constitutionLe jour où la décision d'annulation est passée en force de chose jugée.Art. 1844-17, al. 1
C. civ.
Action en dommages-intérêts tendant à la réparation du préjudice causé par le vice dont la société, l'acte ou la délibération était entachéLe jour où la nullité a été couverte.Art. 1844-17, al. 2
C. civ.
1 moisLa faculté ouverte au cédant de parts sociales d'une société civile de s'opposer à la dissolution anticipée de celle-ci en cas de défaut d'agrémentLa décision du cédant faisant connaître qu'il renonce à la cession Art. 1863, al. 2
C. civ.
Droit des voies d'exécution10 ansL'exécution des titres exécutoiresLe jour de la délivrance du titre exécutoireArt. L. 111-4
C. proc. Exe.

Le silence en droit de la famille

Je le confesse : quelle curieuse idée que de vouloir traiter, conjointement, dans un même sujet, le silence et le droit. Dans son acception première, le silence désigne le « fait de ne pas parler, de se taire»[1]. Il s’apparente, autrement dit, à une abstention. Aussi, comment le droit pourrait-il entretenir quelques accointances avec le silence alors qu’il est le pur produit d’une action : l’« acte de volonté »[2] qui le pose. Sans qu’il soit besoin d’entrer dans des considérations de théorie générale, nombreux sont les éléments qui, intuitivement, laissent à penser que le droit se tiendrait loin du silence. Il apparaît en ce sens peu aisé, même pour le juriste, de dissocier la règle juridique du vacarme parlementaire que suscite, parfois, son adoption, des passions qu’elle a vocation à contenir ou de l’expression nationale dont elle est l’émanation. Nombreux sont les auteurs qui associent le droit à ces différentes manifestations bruyantes de l’expression humaine. Montaigne a, par exemple, écrit qu’« il n’est rien sujet à plus continuelle agitation que les lois »[3]. Pour Rousseau encore, la loi « est une déclaration publique et solennelle de la volonté générale »[4]. Parce que le droit appartiendrait au monde de l’action, tout l’opposerait donc au silence, à supposer qu’on le considère comme indissociable de l’abstention.

Un détour rapide par la littérature tend, cependant, à montrer qu’il n’en est rien. Le vide et le néant n’ont pas le monopole du silence. Pour Jean-Paul Sartre, la liberté, qu’il définit dans l’un de ses premiers essais philosophiques[5], comme la capacité à s’engager, à agir, à faire des choix, soit tout le contraire de s’abstenir, n’est jamais autant exaltée que lorsque l’homme est réduit, par la contrainte, au silence. Cette thèse le conduira, plus tard, à affirmer, dans La République du silence, le paradoxe suivant : « jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande»[6]. Sartre n’est pas le seul à soutenir que le silence est bavard. Déjà au XVIIe siècle Pascal écrivait qu’« il y a une grande éloquence du silence qui pénètre plus que la langue ne saurait faire »[7]. Encore avant lui, les pères du bouddhisme ont fait du silence la plus haute expression de la communication avec soi-même et le divin. Si, dès lors, le silence est roi au royaume du vide et du néant, il peut également être regardé comme une forme d’expression de l’action humaine. Or n’est-ce pas là, la fonction première du droit, que de se trouver là où se développe cette action. C’est ce qu’exprime l’adage ubi societas, ibi jus. D’où l’inévitable rencontre entre le silence et le droit.

Cette rencontre est à double sens. Tantôt c’est la règle juridique que l’on va conduire vers le silence afin de lui faire produire des effets de droit. Cette situation se présente notamment lorsque la jurisprudence décide, qu’en matière contractuelle, le silence peut valoir, lorsque certaines conditions sont réunies, offre[8] ou acceptation[9]. De la même manière, l’article 22 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations[10] dispose que le silence opposé par une autorité publique pendant plus de deux mois à un administré peut signifier, dans certains cas, qu’il a été accédé à sa requête. Parfois le silence ne sera pas seulement traité comme générateur d’effets de droit, il sera érigé en véritable droit subjectif comme c’est le cas en matière pénale. La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de rappeler, dans un arrêt du 14 octobre 2010 où elle condamne la France, que « le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable»[11]. Ce droit au silence bénéficie également aux journalistes qui, dans l’exercice de leur fonction, ne sont pas tenus de révéler leurs sources à l’autorité judiciaire[12]. Force est de constater que, dans toutes ces hypothèses, c’est le droit qui, par l’entremise du juge ou du législateur, va exercer une action sur le silence.

Tantôt, il est, toutefois, des situations où c’est le silence qui exercera une action sur le droit. Il en va ainsi, lorsque le silence préside à la création de la règle juridique. Si l’on adhère à l’idée que la norme n’est pas une chose, mais « la signification d’une proposition prescriptive indiquant un modèle de conduite»[13], il doit corrélativement être admis que la création de la norme procède d’un acte d’interprétation[14]. Dans la mesure où, tout ce qui est susceptible de faire sens peut faire l’objet d’une interprétation, il peut être conféré au silence, au même titre qu’un texte législatif ou règlementaire, une signification normative. C’est ce que fait le juge lorsqu’il découvre des principes généraux du droit dont la production est moins issue de l’interprétation d’un texte précis, que d’une « généralisation des solutions convergentes portées par des règles particulières »[15]. Cette rencontre entre le silence et le droit est bien plus fréquente qu’on ne le pense. Toutes les branches de l’arbre juridique sont concernées et, tout particulièrement, celle du droit de la famille.

Pourquoi la relation de cette ramification du droit avec le silence serait-elle marquée du sceau de la singularité ? Deux raisons peuvent être avancées. En premier lieu, c’est dans le cadre de la structuration des rapports entretenus entre les membres du groupe que constitue la famille que le droit serait sorti du silence pour connaître ses premiers balbutiements. Pour Norbert Rouland la « précoce organisation de la famille autour des rapports de parenté»[16] qui, selon lui, sont « d’essence juridique »[17], sont le « berceau du droit »[18]. L’apparition des premières règles juridiques remonterait donc au paléolithique. Ces dernières auraient été créées dans le dessein de déterminer « l’orientation des alliances matrimoniales, le choix des critères de filiation et la fixation du lieu de résidence des époux ». Partant, la formation du droit de la famille peut être regardée comme mettant fin au silence normatif dans lequel était plongée la société humaine[19]. Là n’est pas la seule raison pour laquelle cette branche du droit, plus qu’une autre, entretient un rapport privilégié avec le silence.

En second lieu, si la famille est le groupe au sein duquel l’être humain a vocation à naître, grandir, s’épanouir, soit se construire en tant qu’individu doué de la faculté de s’exprimer socialement, elle est aussi l’endroit où les agents vivent de profonds silences. Le décès d’un parent, d’un enfant, d’un frère ; la séparation d’un couple, le divorce ; l’absence ou la disparition d’un conjoint sont autant d’évènements propres à générer les plus grands silences que l’homme est amené à connaître au cours de son existence. Or, comme le font observer des auteurs, c’est, surtout, dans ces « heures sombres de la vie» que le droit de la famille s’impose[20]. Le reste du temps, celui-ci est éclipsé par d’autres normes – non-juridiques – que sont les règles morales, religieuses et coutumières ; mais nous y reviendrons.

Ce qu’il importe, pour l’heure, de noter, c’est que le silence, lorsqu’il s’insinue dans la famille, constitue un élément déclencheur du droit. Inversement, le droit peut, se révéler être source de nombreux silences. C’est, notamment le cas, lorsque le législateur estime qu’une situation, bien que présentant un caractère familial, tel le concubinage, n’a pas vocation à être régie spécifiquement par le droit, ou qu’il condamne au silence certaines pratiques se déroulant au sein de la famille, en raison de leur contrariété à l’ordre publique. Tous ces silences dont est susceptible d’être porteuse la règle juridique, sont autant d’éléments à partir desquels il est possible de dresser une esquisse de ce que, juridiquement, n’est pas la famille et donc, a contrario, d’identifier précisément quels sont les traits du modèle de famille prescrit par le droit. Au total, il apparaît que les rapports qu’entretiennent le silence et le droit de la famille dépassent le simple cadre de la relation syllogistique qui peut exister entre la règle juridique et un fait quelconque.

Car le silence n’est pas un fait ordinaire : en plus d’être potentiellement générateur d’effets juridiques, il peut également s’immiscer, tant dans la création de la règle de droit, que dans son contenu. D’où l’existence d’une relation bilatérale entre le droit de la famille et le silence. La question qui dès lors se pose est de savoir comment interagissent-ils, l’enjeu étant, à partir de l’étude de cette interaction, d’appréhender la conception que le droit se fait de la famille, tant dans ses composantes, que dans son fonctionnement, sous un angle radicalement différent de celui adopté habituellement. Pour ce faire, cela suppose de se demander d’une part, dans quelle mesure le droit est-il susceptible d’être saisi par le silence (I) après quoi il conviendra de s’interroger, d’autre part, sur la manière dont le droit se saisit du silence (II).

I) Le droit de la famille saisi par le silence

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la famille fait partie de ces entités pour lesquelles le droit accorde une place de choix dans son giron, sans pour autant lui conférer de définition. La notion de famille n’est, en effet, définie nulle part, ni dans les textes de droit interne, ni dans les conventions internationales[21]. Tout au plus, on trouve, dans les travaux préparatoires du Code civil, une définition du mariage que nous livre Portalis[22]. Bien qu’apportant un éclairage fort intéressant sur la conception que le législateur se faisait, en 1804, de la famille, cette définition n’en revêt pas moins qu’une valeur purement symbolique.

En outre, depuis l’adoption de la loi sur le pacs, la famille ne se limite plus à l’union conjugale. À cela s’ajoute le fait qu’il s’agit d’un concept dont le contenu est étroitement lié à la traduction culturelle d’une société et à l’évolution des mœurs ; d’où le grand nombre de significations qu’il comporte. Cela a conduit un auteur à affirmer que « la définition de la famille apparaît comme la première difficulté que celle-ci propose au droit»[23]. Est-ce à dire qu’il est impossible d’en délimiter les pourtours ? Manifestement non. Il est un moyen de mener à bien cette entreprise. À bien y réfléchir, si le droit ne donne aucune définition de la famille, il nous dit, en revanche, ce qu’elle n’est pas. Il le fait toutes les fois, soit qu’il garde le silence (A), soit qu’il l’impose (B), dans le cadre de l’appréhension de rapports familiaux.

A) Le silence gardé par le droit

 Si, comme le fait observer Pierre Delvolvé la règle juridique, lorsqu’elle est adoptée, rompt le silence[24], elle ne saurait, cependant tout dire, sur la conduite qu’elle a vocation régir, si bien qu’il est de nombreux cas où le juge est confronté au silence du droit (1). Ce silence ne tient, toutefois pas toujours au contenu de la norme ; il est des cas où il vient de ce que le droit peine à s’appliquer (2).

  1. Le silence dans le contenu du droit

 Dans Le curé de village, Balzac a écrit que « la famille sera toujours la base des sociétés»[25]. Force est de constater que, pour l’heure, rien n’est venu contrarier cette prévision. Nombreux, voire unanimes, sont les auteurs qui, aujourd’hui, abondent en ce sens. Pour Carbonnier, la famille constitue le principal pilier de l’ordre social[26]. Gérard Cornu considère, quant à lui, que la famille est « porteuse de civilisation »[27]. De ce constat, certains auteurs en déduisent qu’« une société sans famille ou sans familles fécondes est impitoyablement condamnée à disparaître »[28]. S’il est, par conséquent, une structure humaine vis-à-vis de laquelle le droit ne saurait rester silencieux, c’est bien la famille. Le législateur ne s’y est d’ailleurs jamais trompé. Que ce soit à l’époque de la Rome antique, au Moyen Âge ou encore à l’ère industrielle, le droit s’est toujours montré très bavard concernant l’organisation de la famille. L’existence d’un droit de la famille relève de l’évidence[29], encore qu’il est certains auteurs qui ont pu se demander s’il s’agissait bien d’un droit[30]. La question qui, conséquemment, se pose est moins de savoir si le droit connaît de la famille, que de se demander si toutes les formes de familles intéressent le droit.

La famille n’est pas une, mais multiple. Parce qu’elle est un phénomène sociologique[31], elle a vocation à évoluer à mesure que la société se transforme. De la famille totémique, on est passé à la famille patriarcale, puis à la famille conjugale. De nos jours, la famille n’est plus seulement conjugale, elle repose, de plus en plus, sur le concubinage[32]. Mais elle peut, également, être recomposée, monoparentale ou unilinéaire. Le droit opère-t-il une distinction entre ces différentes formes qu’est susceptible de revêtir la famille ? Indubitablement oui. Si, jadis, cela se traduisait par une réprobation, voire une sanction pénale, des couples qui ne répondaient pas au schéma préétabli par le droit canon[33], aujourd’hui, cette différence de traitement se traduit par le silence que le droit oppose aux familles qui n’adopteraient pas l’un des modèles prescrit par lui.

Quoi de plus explicite pour appuyer cette idée que la célèbre formule de Napoléon, qui déclara, lors de l’élaboration du Code civil, que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux». Cette phrase, qui sonne comme un avertissement à l’endroit des couples qui ont choisi de vivre en union libre, est encore valable. La famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage. Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[34] et plus encore, comme son « acte fondateur »[35]. Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où le silence de la loi sur le statut des concubins.

Il y a bien un texte les concernant s’ils viennent à rompre ; mais, celui-ci est tourné vers le mariage, puisque réglant la question de la restitution de la bague de fiançailles[36]. En outre, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civile de solidarité (pacs) a, certes, inséré à l’article 515-8 du Code civil une définition du concubinage[37]. Toutefois, cette définition n’est que symbolique : elle n’est assortie d’aucun droit, ni d’aucune obligation qui échoirait aux concubins[38]. Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage[39]. Excepté quelques cas marginaux[40], leur situation n’est réglée que par le seul droit commun. Pour les couples qui choisissent de se tenir à l’écart de l’union conjugale, c’est donc un silence juridique qui les attend.

Depuis l’adoption de la loi sur le pacs, ce silence n’est, cependant, plus aussi assourdissant qu’il a pu l’être. En proposant aux concubins un statut légal, un « quasi-mariage» diront certains[41], qui règle les rapports tant personnels, que patrimoniaux entre les partenaires, la démarche du législateur témoigne de sa volonté de ne plus faire fi d’une situation de fait qui, au fil des années, s’est imposée comme un modèle à partir duquel se sont construites de nombreuses familles. En contrepartie d’en engagement contractuel[42] qu’ils doivent prendre dans l’enceinte, non pas de la mairie, mais du greffe du Tribunal de grande instance[43], les concubins, quelle que soit leur orientation sexuelle, peuvent de la sorte voir leur union hors mariage, se transformer en une situation juridique. C’est là une profonde mutation que connaît le droit de la famille. Cette mutation ne se traduit pas seulement par un recul du silence de la loi sur des situations qui, jusque récemment, étaient ignorées du législateur, elle peut également être observée à travers l’application même de la règle de droit qui, de plus en plus, tend à devenir silencieuse.

2. Le silence dans l’application du droit

Certains auteurs l’avancent : la famille, malgré toutes les règles dont elle fait l’objet, est un endroit privilégié du non-droit. Pour Carbonnier la famille connaîtrait « de longs jours de non-droit, pour quelques instants de droit »[44]. Bien qu’applicable, la règle juridique serait, dans ces conditions, réduite au silence, soit parce que les agents l’ignorent et, de ce fait, ne sauraient l’observer, soit parce qu’ils préfèrent suivre leurs propres règles de conduite, issues du milieu socio-culturel auquel ils appartiennent ou de leur tradition familiale[45]. Ce silence auquel est contraint la règle de droit lorsque son champ d’application rencontre le cercle calfeutré de la famille, ne signifie donc pas absence de normes. Bien au contraire, la famille est un terrain fertile pour l’internormativité, car se trouvant au « carrefour de la religion, de la morale et des mœurs »[46]. Parmi ces normes, on trouve évidemment la coutume, auquel le droit se réfère, parfois, directement[47] ou indirectement[48]. Surtout, les normes au profit desquelles la règle juridique se retire dans le silence, sont de plus en plus de nature contractuelle. La doctrine a qualifié ce mouvement de contractualisation de la famille. En quoi consiste-t-il exactement ?

Il procède d’un recul de l’ordre public familial combiné à un changement de nature de celui-ci. Alors que cet ordre public familial, qui prend racine dans les nombreuses règles impératives qui composent le droit de la famille[49], était tourné, traditionnellement, vers « la défense de la famille légitime hiérarchisée »[50], aujourd’hui il est plutôt orienté vers la préservation de l’autonomie des membres de cette dernière. Autrement dit, désormais ce n’est plus l’intérêt du groupe que constitue la famille qui prévaut sur celui de ses composantes, mais les intérêts particuliers qui priment l’intérêt collectif de sorte que d’un ordre public familial de direction, on est passé, bien que celui-ci n’ait pas totalement disparu[51], à un ordre public de protection. Il s’ensuit, que l’« on peut y renoncer à l’occasion d’un rapport de type contractuel »[52], ce dont se privent de en moins les époux, en raison d’un accroissement de l’autonomie de leur volonté. Et si, comme le remarquent certains, le fait « que les époux soient libres d’organiser les effets de leur union peut sembler plus anachronique au regard de l’idée selon laquelle le mariage est avant tout un statut légal »[53], ce mouvement n’en est pas moins à l’origine d’une « véritable refondation du droit de la famille au début du XXIe siècle »[54].

Nombreux sont les exemples qui peuvent être pris pour illustrer cette contractualisation de la famille. Ainsi, les couples mariés, sont-ils libres, à condition de ne pas violer les règles impératives qui composent le régime primaire, de conclure « des conventions spéciales […] comme ils le jugent à propos»[55]. De la même manière, il leur est possible d’aménager contractuellement la transmission successorale par le jeu des libéralités faites entre vifs[56]. On peut également évoquer la possibilité offerte aux époux de changer de régime matrimonial, le principe d’immutabilité ayant considérablement été assoupli par les réformes successives dont a fait l’objet le droit patrimonial de la famille[57]. Une contractualisation peut encore être observée dans les rapports personnels qu’entretiennent les membres de la famille entre eux. La loi du 4 juin 1970 a, de la sorte, permis l’aménagement, par convention homologuée judiciairement, de l’exercice de l’autorité parentale[58]. Les effets, tant personnels que patrimoniaux, du divorce peuvent tout autant être contractualisés depuis la loi du 11 juillet 1975 instituant le divorce par consentement mutuel. De toute évidence, cette contractualisation de la famille, participe à « l’éviction progressive de la loi »[59]. Il est, néanmoins, encore des cas où, parce que l’ordre public le commande, non-seulement celle-ci sort de son silence, mais encore il peut arriver qu’elle l’impose, à son tour, aux agents.

B) Le silence imposé par le droit

Parce qu’il est, pour une large part, d’ordre public, nombreux sont les silences que le droit familial impose aux membres de la famille. Depuis que les mœurs se sont libérées, l’étendue de ce silence (1), tend cependant à reculer (2).

  1. L’étendue du silence imposé par le droit

La famille est, nous venons de le voir, une zone privilégiée du non-droit. Est-ce à dire que la règle juridique n’a pas vocation à s’y appliquer ? Certainement pas, ce, en raison de l’existence de règles impératives auxquelles il ne saurait être dérogé par contrat. À l’inverse de ce qui a été fait précédemment, il convient, dès lors, de déterminer jusqu’où l’ordre public qu’elles forment s’insinue dans les rapports familiaux. Quelle démarche doit-on adopter ? Manifestement, il n’existe aucune règle précise qui fixe le périmètre de cet ordre public familial. Il se signale, toutefois, de lui-même par le silence qu’il impose, chaque fois qu’il est présent, aux agents.

Dans cette configuration-là, le silence doit être entendu dans le sens d’abstention. La prescription de pareille abstention se rencontre, concrètement, lorsque le législateur dénie la possibilité à des agents d’entrer ou de sortir du périmètre de la famille, reconnue comme telle par lui, ou lorsqu’il interdit l’accomplissement d’un acte qu’il considère comme portant atteinte au fonctionnement de cette dernière. Aussi, à partir de la détermination de l’étendue du silence que le droit commande aux justiciables d’observer, devient-il possible de délimiter les contours de l’ordre public familial.

Comme composante de celui-ci, on peut commencer par évoquer les empêchements à mariage qui s’apparentent à des silences imposés aux couples qui ont entrepris de s’unir devant le maire. Doivent s’abstenir de former une union conjugale, ceux ne remplissant pas les conditions liées à l’âge[60], à la parenté[61] ou encore au consentement[62]. La réunion de conditions relatives à la publicité[63], à la production de pièces administratives[64] et à la célébration du mariage[65], est aussi nécessaire. Le non-respect de certaines de ces conditions[66] constitue, dans une moindre mesure, un obstacle à la conclusion d’un pacs. Sont également concernés par cette abstention, que le droit impose aux couples désireux de fonder une famille, les personnes à qui il refuse l’adoption ou le recours à la procréation médicalement assistée.

Dans un autre ordre d’idée, il est des cas où ce sont ceux qui veulent entrer dans le périmètre de la famille – au sens juridique du terme – qui sont réduits au silence. Cela se produit quand, par exemple, un parent ou un enfant qui manifeste l’envie de faire établir sa filiation, se voit opposer l’écoulement du délai de prescription de l’action en justice dont il dispose, lequel délai est, selon les cas prévus par la loi, compris entre cinq[67] et dix ans[68]. Pareillement, sont enfermés dans un tel silence les agents à qui le droit interdit de sortir du cercle de la famille juridique, soit parce que l’action en contestation de filiation est prescrite, soit en raison de leur impossibilité d’invoquer l’un des quatre cas de divorce prévus par la loi[69].

Enfin, il est une dernière hypothèse où les membres d’une famille peuvent être réduits au silence : l’accomplissement d’actes contraires à la manière dont le droit commande à la famille de fonctionner. Il en va ainsi d’un testament qui exhéréderait les enfants du de cujus au-delà de la quotité disponible ou qui instituerait un légataire frappé d’une incapacité de recevoir[70]. On peut, en outre, prendre l’exemple de l’acte consistant à effectuer à un changement de régime matrimonial qui ne serait pas conforme à l’intérêt de la famille[71]. L’interdiction faite à l’époux propriétaire du domicile conjugal de procéder, seul, à un acte de disposition de son bien peut, tout autant, être regardée comme une abstention que le droit lui impose.

Au total, il apparaît que l’étendue du silence que les agents doivent observer dans le cadre de rapports familiaux, témoigne de l’insinuation de l’ordre public familial dans de nombreux compartiments de la famille, de sa formation, à sa dissolution, en passant par son fonctionnement. Cela confirme le grand intérêt que le droit lui porte. Il peut d’ailleurs être relevé que, à mesure que les mœurs se libèrent, les silences imposés à ses membres, reculent, ce qui a pour effet de libérer la famille de la conception restrictive que le droit s’en faisait.

2. Le recul du silence imposé par le droit

Pourquoi le droit de la famille est-il, comme a pu le remarquer Carbonnier, un domaine où, globalement, « la part de l’autonomie de la volonté [y est] réduite, l’ordre public plus développé»[72] ? C’est, à l’époque de l’Ancien Régime, qu’il faut remonter pour trouver une explication à cette situation. À cette période, comme le fait observer un auteur, la famille est utilisée comme métaphore pour légitimer la monarchie. Celle-ci est érigée en modèle de société afin qu’il soit possible de déduire la nature des liens qui unissent le Roi et ses sujets. Cela se traduit, par exemple, par le statut que la législation royale confère au père de famille, statut qui fait de lui une personne à l’image du Roi : un être tout puissant. Cette utilisation de la famille, comme d’un instrument pour assurer l’assise du pouvoir en place, s’est poursuivie après la Révolution.

C’est de cette manière que Napoléon voyait la famille. Lorsque les rédacteurs du Code civil se sont employés à la tâche, ils percevaient cette dernière comme « la cellule de base de la société»[73]. Leur ambition était « de s’appuyer sur la famille pour en faire le relais et garantir l’ordre politique, économique et social »[74] qu’ils entendraient instaurer. Les règles qui structurent la famille ont donc été pensées comme ayant vocation à structurer la société toute entière. La famille à laquelle fait référence le Code civil en 1804 apparaît de la sorte, comme le montre Pierre Bréchon, comme une structure donnée d’avance qui ne saurait faire l’objet d’aucune contestation : l’attaquer serait de nature à mettre en péril la Nation[75]. D’où la forte proportion de règles d’ordre public en droit de la famille. À partir du début des années soixante, l’ordre public familial – de direction – tend, cependant, à s’estomper et, corrélativement, le silence imposé aux agents, dans le cadre de rapports familiaux, à reculer.

Ce mouvement est certes, comme nous l’avons vu[76], très étroitement lié à la contractualisation de la famille ; surtout, il procède du pouvoir d’attraction grandissant qu’ont sur elle les Droits de l’homme. On assisterait, en ce sens, selon Gérard Cornu, à une « subjectivisation du droit familial». Ce phénomène « consiste à réduire le droit de la famille à une collection de droits subjectifs établis sur la tête de chacun de ses membres, homme, femme, enfant »[77]. De l’avis général de la doctrine, la famille serait appréhendée par le droit, moins par rapport à l’institution juridique qu’elle constitue, que par rapport aux droits individuels qui, notamment sous l’impulsion de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, sont de plus en plus nombreux à échoir à ses membres[78]. Dès lors, à partir du moment où le législateur admet que l’intérêt du groupe familial puisse s’effacer, lorsqu’il est porté atteinte à un droit subjectif, il s’en suit, mécaniquement, une libération de l’individu du silence dans lequel il était enfermé naguère, au nom de l’intérêt collectif[79].

L’exemple topique de ce mouvement est le droit, récent, reconnu à tout un chacun de voir sa filiation légalement établie. Jusqu’à l’adoption de la loi du 3 janvier 1972, ce droit était, en effet, dénié à l’enfant adultérin auquel le droit sommait de taire sa filiation, l’intérêt supérieur étant l’exclusivité de la filiation légitime, et la préservation de la paix des familles. Désormais, peuvent s’en prévaloir, tant les enfants issus d’une union conjugale, que ceux nés d’une relation adultérine[80], conformément à l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui proscrit toute discrimination fondée sur la naissance. S’il existe, encore aujourd’hui, des restrictions au droit d’établir sa filiation[81], il apparaît néanmoins que, sous la pression de la Cour européenne des droits de l’homme, leurs jours sont, pour certaines, dorénavant comptés[82].

Bien que, comme le souligne Carbonnier, il est un risque pour le droit de la famille que « l’exaltation des droits individuels ne désagrège les institutions»[83], celle-ci n’en demeure pas moins à l’origine d’un bannissement des discriminations dont faisaient l’objet de nombreux membres de la famille biologique, tant en matière d’état des personnes, que sur le plan successoral pour les enfants naturels, adultérins et adoptés, ou encore en matière matrimoniale, pour la femme mariée qui, jusqu’en 1938 était enfermée dans le même silence que celui imposé à l’incapable et qui a dû attendre l’adoption de la loi du 13 juillet 1965 pour jouir du droit d’ouvrir un compte bancaire personnel. La libération de la famille s’est donc traduite par un recul significatif du silence auquel étaient réduits tous ceux qui, soit entretenaient une relation en dehors du cadre du mariage, soit qui, au sein de l’union conjugale, ne revêtaient pas la qualité de mari. Cela ne signifie pas pour autant que le silence se soit totalement retiré de la famille. La preuve en est l’intérêt que lui porte, en tant que fait, le droit.

II) Le silence saisi par le droit de la famille

S’il est incontestable que la famille constitue le groupe au sein duquel s’expriment les passions les plus vives, naissent les sentiments les plus profonds et où se tissent les liens les plus forts, elle est aussi l’endroit où ses membres sont amenés à rencontrer de nombreux silences dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux, à commencer par la mort, le mensonge ou encore le secret. Comment le droit appréhende-t-il le silence qui s’insinue dans les rapports familiaux ? Autrement dit, quels effets juridiques lui fait-il produire ? Deux situations doivent être distinguées : tantôt le droit organise le silence (A), tantôt il le sanctionne (B).

A) L’organisation du silence par le droit

L’organisation du silence par le droit est réalisée à une fin bien précise : assurer l’autonomie des époux sans laquelle le couple ne saurait fonctionner correctement. Cette autonomie dont ils disposent, tient à la répartition des pouvoirs dont ils sont investis d’une part (1) et à l’existence de présomption de pouvoirs, d’autre part (2).

  1. La répartition des pouvoirs

 S’il n’est, désormais, plus besoin de revenir sur l’existence, depuis le début du siècle dernier, d’un mouvement de « libération continuelle»[84] de la famille du modèle étriquée dans lequel elle était enfermée, jadis, par le droit, il nous faut, en revanche, nous arrêter sur l’une des facettes de ce mouvement en particulier : l’instauration d’une égalité parfaite entre époux ou, dit autrement, d’un l’alignement progressif du statut de la femme sur celui du mari[85]. Pour mener à bien cette réforme, qui est venue bouleverser une conception de la famille datant du fond des âges, il a, en effet, fallu que le législateur repense intégralement le fonctionnement du couple quant à la répartition des pouvoirs. Car dès lors qu’est inoculé dans les rapports conjugaux le germe de l’égalité, survient le risque de l’adoption, par les époux, de décisions contraires. Or pareille situation est susceptible de nuire grandement à l’intérêt de la famille toute entière. Comment, dans ces conditions, faire en sorte d’assurer son bon fonctionnement ?

Si l’on soumet l’accomplissement des actes qui intéressent la communauté à l’aval des deux conjoints, non seulement il est un risque de blocage dans la prise de décision du couple, mais encore que le traitement des impératifs et autres contingences de la vie quotidienne ne soit rendu impossible. Pour l’éviter, le législateur n’a, par conséquent, eu d’autre choix que de concéder aux époux une dose d’autonomie quant aux décisions se rapportant au couple. Comment s’y est-il pris ? Tout simplement en organisant le silence dans les rapports de pouvoir entre conjoints. Le silence doit, ici, être entendu comme celui d’un époux qui, bien que son consentement n’ait pas été sollicité par l’autre pour l’accomplissement d’un acte, ne fait pas obstacle à l’engagement des biens de la communauté. Le droit fait, en d’autres termes, produire à ce silence les effets d’une acceptation. Dans quelles circonstances pareille situation est-elle susceptible de se produire ?

On pense aussitôt à l’article 220 du Code civil qui dispose, en substance, que le silence d’un époux vaut, quel que soit le régime matrimonial applicable, acceptation lorsque le conjoint effectue une dépense ménagère, celle-ci faisant jouer, de plein droit, le mécanisme de la solidarité. Sont concernées toutes les dépenses de fonctionnement du ménage que sont les loyers du domicile conjugal, les frais médicaux, les dépenses courantes en tous genres (eau, électricité, accès à l’internet) ou encore les frais de scolarité des enfants. Il peut, par ailleurs, être souligné que, en vertu de l’article 515-4 alinéa 2, le principe de la solidarité ménagère s’applique, dans les mêmes termes, aux pacsés.

Là n’est pas la seule hypothèse où le membre d’un couple peut être considéré comme ayant consenti à l’accomplissement d’un acte, nonobstant son silence. Cette situation se rencontre, également, lorsque le Code pose pour certains biens qui composent, dans le cadre d’un mariage, la masse commune – si tant est que l’on ne soit pas dans un régime de séparation de biens – le principe de gestion concurrente. Au titre de l’article 1421 alinéa 1er « chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer […]». En outre, on peut évoquer l’article 219 qui prévoit que, « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter », soit à faire produire à son silence – contraint – les effets d’une acceptation, quant à l’accomplissement de certains actes graves qui supposent la réunion des deux consentements, tels que la vente du logement familial. En définitive, il apparaît que le droit organise le silence dans les rapports entre époux dans de nombreuses situations. Si, la plupart du temps, le pouvoir qu’ils détiennent quant à agir, seuls, au nom du couple, repose sur un droit qui leur échoit, il arrive néanmoins, parfois, que ce pouvoir soit précaire, celui-ci ne tenant qu’à l’existence d’une simple présomption.

2. Les présomptions de pouvoir

Afin de libérer encore un peu plus l’action des époux à qui les tiers pourraient, dans le dessein de se protéger d’un dépassement de leurs prérogatives respectives, être tentés de refuser à l’un, l’accomplissement d’un acte, en raison du silence de l’autre, le droit patrimonial de la famille instaure un certain nombre de présomptions de pouvoir. La plus première dont on peut faire état, est celle relative aux meubles – non meublants – dont est en possession un époux. Au titre de l’article 222 du Code civil, celui-ci est, pour « un acte d’administration, de jouissance ou de disposition […], réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte». Peu importe que le meuble en question appartienne, en propre à l’autre époux et que donc le conjoint qui a agi, ne se soit vu conférer par son régime matrimonial, aucun pouvoir dessus. La présomption qui pèse sur lui a pour effet d’assimiler le silence de l’époux propriétaire à une acceptation, de sorte que pour le tiers de bonne foi, l’acte accompli est inattaquable.

Pareille présomption existe également pour les actes concernant l’ouverture et le fonctionnement d’un compte bancaire. En vertu de l’article 221 « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres de dépôt». Ainsi, même si l’époux à qui les fonds ou titres appartiennent, n’a pas donné son consentement quant à leur dépôt sur le compte de son conjoint, son silence vaut acceptation, si bien qu’il ne saurait engager la responsabilité du banquier. Cette volonté que manifeste le législateur de protéger les tiers de l’acte accompli par un époux, en violation des règles du régime matrimonial qui lui est applicable, transparait, tout autant, de la présomption de mandat d’administration qui bénéficie à l’époux collaborant à l’activité professionnelle de son conjoint[86]. La présomption de pouvoir se révèle, de la sorte, comme un instrument très efficace pour faire produire des effets juridiques au silence, lequel silence peut, d’ailleurs, ne pas seulement faire l’objet d’une organisation dans les rapports entre époux, mais aussi d’une sanction.

B) La sanction du silence par le droit

Quand il se produit, le silence est un évènement, selon la forme qu’il empreinte, susceptible d’avoir des répercussions considérables sur la famille. C’est la raison pour laquelle, afin de préserver la pérennité du groupe familial et l’intérêt de ses membres, il est de nombreux cas où le droit le sanctionne, qu’il consiste (1) ou non (2), en une faute.

  1. La sanction du silence fautif

Cela n’est désormais plus à démontrer : la famille est le groupe social où la pression normative qui s’exerce sur ses membres est la plus forte. Cela fait-il de ces derniers des êtres vertueux ne se livrant à aucune forfaiture en son sein ? Naturellement non. Comme n’importe quel autre ensemble humain, la famille est susceptible de voir les agents qui la composent adopter des conduites déviantes, qui, pour certaines, peuvent consister en un silence. Quelles sont les silences malveillants, et donc fautifs, que le droit sanctionne-t-il ? Il en existe deux sortes. Il y a les silences dont la réalisation est de nature à nuire à un ou plusieurs membres de la famille, voire à des tiers et ceux qui, lorsqu’ils sont constatés, peuvent conduire, ni plus, ni moins, à la dissolution de la famille.

S’agissant de la première catégorie de silence, en fait partie, notamment, l’acte consistant, de la part d’un héritier, à s’approprier, frauduleusement, un bien de la masse successorale, en violation des règles de partage, de sorte que les cohéritiers s’en trouvent lésés. C’est ce que l’on appelle le recel successoral[87]. Celui-ci s’opère, le plus souvent, par dissimulation et, parfois, par omission, soit dans le silence ; un silence fautif sanctionné par une déchéance du receleur de ses droits sur les biens recélés. Ce silence qui entoure le recel successoral, caractérise une autre sorte d’acte frauduleux accompli dans le cadre de la transmission de biens familiaux : les donations déguisées[88].

La manœuvre consiste ici à simuler la conclusion d’un acte à titre gratuit, alors qu’il s’agit, en réalité, d’un acte à titre onéreux. La donation déguisée peut revêtir la forme, par exemple, d’une vente dont le prix est fictif ou encore d’une reconnaissance de dette qui n’a jamais existé. La sanction d’une telle simulation sera, non pas l’annulation de l’acte, mais sa disqualification afin de lui faire produire ses véritables effets, notamment sur le plan fiscal. Cette sanction témoigne du souci qu’a le droit de préserver l’intérêt de la famille – en reconnaissant la validité de l’acte – tout en protégeant l’ordre public, ce qui se traduit par l’application, aux parties à l’acte, des règles contournées. Il est cependant des fois, où l’atteinte portée à l’ordre public est telle que le droit n’a d’autre choix que de prescrire une dissolution pure et simple de la famille.

Les silences appartenant à la seconde catégorie conduisent, lorsqu’ils sont constatés, à cette extrémité. Tel est le cas, lorsque les futurs époux cachent à l’officier d’état civil leur défaut d’intention conjugale, condition indispensable à la formation du mariage. Cette hypothèse se rencontre, comme il l’a été précisé dans le célèbre arrêt Apietto, lorsque « les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu’en vue d’atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale »[89], soit de bénéficier des seuls effets secondaires du mariage, comme peut l’être l’obtention d’un titre de séjour, ou d’un avantage fiscal[90]. Le silence frauduleux auquel se sont livrés les conjoints sera sanctionné par la nullité du mariage, laquelle est encourue, plus généralement, toutes les fois qu’un époux, ou les deux, taisent l’existence d’un empêchement dirimant entachant la formation de leur mariage. Nul n’est cependant besoin d’un silence malveillant pour que soit prononcée, en guise de sanction, la dissolution de la famille. Il est des cas où le silence ne constitue aucune faute, mais à qui le droit fait produire les effets de pareille sanction.

2. La sanction du silence non-fautif

L’hypothèse à laquelle on songe en premier est évidemment la mort, qui n’est autre que le plus grand des silences susceptible de venir frapper la famille. En vertu des articles 227 et 515-7 du Code civil, elle met définitivement un terme au mariage et au pacs. Il en va de même de l’absence et de la disparition qui, dès lors que sont prononcés les jugements déclaratifs de décès ou d’absence, entraînent la dissolution de l’union conjugale. Là ne sont pas les seules situations où un silence non-fautif, peut conduire à la fin du couple. On peut encore évoquer l’hypothèse du silence gardé par un époux qui, en ce qu’il refuse opiniâtrement de répondre à la demande de son conjoint de se défaire des liens du mariage alors qu’existe entre eux, pendant plus de deux ans, une cessation de la vie commune, constitue un cas de divorce[91]. Même non-fautif, le silence peut donc être sanctionné par le droit d’une dissolution de la famille.

Fort naturellement, ce n’est pas, toutefois, la sanction la plus courante. À la vérité, le droit sanctionne le silence qui s’insinue dans les rapports familiaux de bien d’autres manières, l’objectif étant toujours la préservation de l’intérêt de la famille. Ainsi, par le jeu de la présomption pater is es quem nuptiæ demonstrant, érigée à l’article 312 du Code civil, le silence du mari de la mère est-il sanctionné par l’établissement de sa filiation avec l’enfant. Le seul moyen pour lui de ne pas voir sa paternité reconnue, c’est d’agir en justice pour que, en quelque sorte, son silence ne vaille pas acceptation. Ce silence qui produit les effets d’une acceptation, se retrouve également en matière successorale lorsqu’un héritier, soit se comporte comme acceptant la succession, en se livrant, par exemple, à des actes de disposition sur un bien de la masse successorale, soit ne procède pas à l’exercice de son option deux mois après avoir été sommé de le faire par un créancier[92]. Dans les deux cas, le droit sanctionne le silence du successible par une acceptation.

La sanction du silence – non fautif – connaît une autre sanction : la révocation. C’est ce dont est susceptible de faire l’objet le testament sur lequel est revenu tacitement son auteur en en rédigeant un nouveau ou en aliénant tout bonnement la chose léguée. Lorsqu’il correspond à l’une de ces situations envisagées aux articles 1036 et 1038 du Code, le silence de l’auteur d’un testament vaut révocation de celui-ci. Au total, il apparaît que, fautif ou non, le silence est sanctionné, selon la forme qu’il revêt, de très différentes manières, dans le cadre de l’appréhension des rapports familiaux par le droit. Cela témoigne, une fois encore, de l’étroitesse des rapports qui existent entre le droit de la famille et le silence, lesquels sont décidemment amenés à se rencontrer en de nombreuses occasions.

[1] A. Rey (dir.), Dictionnaire Le Grand Robert, Robert, 2001, t. 6, p. 448.

[2] H. Kelsen, Théorie pure du droit, LGDJ, coll. « La pensée juridique », 1999, p. 14.

[3] Montaigne, Les Essais, Gallimard, coll. « La pléiade », 2007, II, 12.

[4] J.-J. Rousseau, Lettres écrites à la montagne, P. I, Lettre VI.

[5] V. en ce sens J.-P. Sartre, L’Être et le Néant, Gallimard, coll. « Folio », 1976.

[6] J.-P. Sartre, Situations, III. Lendemain de guerre, Gallimard, coll. « Blanche », 2003, p. 11.

[7] B. Pascal, Discours sur les passions de l’amour, Mille et une nuits, 1998.

[8] Par exemple, conformément à l’article 1738 du Code civil, le locataire qui, en restant dans les locaux qu’il loue à l’échéance du bail, offre tacitement à son bailleur de reconduire le contrat qui les lie.

[9] L’acceptation tacite est valide, notamment dans les contrats à exécution successive, ou lorsque le comportement de l’acceptant laisse transparaître, sans équivoque, sa volonté de contracter.

[10] Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, JORF n°88 du 13 avril 2000, p. 5646.

[11] CEDH, 14 oct. 2010, n° 1466/07, Brusco c/ France : JCP G 2010, act. 1064, F. Sudre. V. également sur cette question des décisions plus anciennes CEDH, 25 févr. 1993, Funke c/ France, série A, n° 256 : Juris-Data n° 1993-605005 ; JCP G 1993, II, 22073, note Renucci ; Rev. sc. crim. 1993, p. 581, chron. Pettiti ; CEDH, 17 déc. 1996, Saunders c/ Royaume-Uni : Rec. CEDH 1996, VI.

[12] L’article 109 alinéa 2 du Code pénal dispose en ce sens que « tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine ».

[13] D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, Odile Jacob, Paris, 1997, p. 171.

[14] V. en ce sens M. Troper, « Une théorie réaliste de l’interprétation », in La théorie du droit, le droit, l’État, PUF, coll. « Leviathan », 2001, pp. 68 et s.

[15] P. Deumier, Introduction générale au droit, LGDJ, coll. « Manuel », 2011, n°15, p. 24.

[16] N. Rouland, Aux confins du droit, Odile Jacob, coll. « sciences humaines », 1991, p. 40.

[17] Ibid., p. 39.

[18]  Ibid., p. 40.

[19] Norbert Rouland n’hésite pas à affirmer en ce sens que le droit de la famille « paraît avoir contribué à la naissance de l’Homme, peut-être même avant la religion » (ibid., p. 39).

[20] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[21] On pense notamment à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. En son article 8, celle-ci ne fait, d’ailleurs, pas référence à la famille en tant que groupe humain, mais à la « vie familiale ».

[22] Pour cet auteur, le mariage n’est autre que « la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et à partager leur commune destinée ».

[23] P. Vouin, préface de l’ouvrage de M. Delmas Marty, Le droit de la famille, PUF, 1972, coll. « Que sais-je ? », p. 6.

[24] P. Delvolvé, « Le silence en droit public », RDP, juil. 2012, n°4, p. 1171.

[25] H. de Balzac, Le curé du village. Œuvres complètes, Gallimard, coll. « La Pléiade », vol. IX, 1975.

[26] J. Carbonnier, « Les trois piliers du droit », Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 2001, pp. 257 et s.

[27] G. Cornu, Droit civil. La famille, Montchrestien, coll. « Domat droit privé », 2007, n°1, p. 7.

[28] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°1, p. 5.

[29] Pour Claude Colombet, « la famille ne se passe pas de droit ; mieux elle en abonde » (C. Colombet, La famille, PUF, coll. « Droit fondamental », 1999, p. 13).

[30] Pour Cabonnier, « le doute vient de ce que [le droit de la famille] est fortement pénétré de morale et de mœurs » (J. Carbonnier, Droit civil. Introduction. Les personnes. La famille, l’enfant, le couple, PUF, coll. « Quadrige », n°390, p. 771).

[31] V. en ce sens, notamment F. De Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Armand Colin, 2010 ; J.-H. Déchaux, Sociologie de la famille, La Découverte, 2009 ; B. Bawin-Legros, Sociologie de la famille. Le lien familial sous questions, De Boeck, 1996.

[32] Il suffit d’observer la diminution, depuis la fin des années soixante, du nombre de mariages pour s’en convaincre. Selon les chiffres de l’INSEE, alors qu’en 1965 346300 mariages ont été célébrés, ils ne sont plus que 24100 à l’avoir été en 2012, étant entendu qu’en l’espace de trente ans la population a substantiellement augmentée.

[33] Le concile de Trente prévoit, par exemple, l’excommunication des concubins qui ne régulariseraient pas leur situation, mais encore, après trois avertissements, l’exil.

[34] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[35] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

[36] En vertu de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas ».

[37] L’article 515-8 du Code civil dispose que « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

[38] Si, le législateur a inséré une définition du concubinage dans le Code civil c’est surtout pour mettre fin à la position de la Cour de cassation qui, de façon constante, refusait de qualifier l’union de deux personnes de même sexe de concubinage (Cass. soc., 11 juill. 1989, deux arrêts : Gaz. Pal. 1990, 1, p. 217, concl. Dorwling-Carter ; JCP G 1990, II, 21553, note Meunier ; Cass. Civ. 3e, 17 décembre 1997 : D. 1998, jurispr. p. 111, concl. J.-F. Weber et note J.-L. Aubert ; JCP G 1998, II, 10093, note A. Djigo).

[39] Cass. 1re civ., 19 mars 1991 : Defrénois 1991, p. 942, obs. J. Massip ; Cass. 1re civ., 17 oct. 2000 : Dr. famille 2000, comm. 139, note B. Beignier.

[40] En matière fiscale, pour ce qui concerne l’assiette de l’ISF, les concubins sont assimilés à des époux. Il en va de même en matière de protection sociale où le concubin est considéré comme un ayant du droit de celui qui bénéficie de l’affiliation à la sécurité sociale.

[41] P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161.

[42] Article 515-1.

[43] Article 515-3.

[44] J. Carbonnier, « L’hypothèse du non-droit », in Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, op. préc., p. 34.

[45] Pour Carbonnier « dans le déroulement quotidien d’une institution familiale, les individus […] ne pratiquent le droit que de loin en loin quand ils ne peuvent pas faire autrement […] : dans l’intervalle, ils vivent comme si le droit n’existait pas » (Ibid.).

[46] C. Colombet, op. préc., p. 16.

[47] Article 372-2.

[48] Les notions de « charges du mariage » ou de « dépenses ménagères » que l’on trouve respectivement aux articles 214 et 220 du Code civil sont des notions dont l’appréciation commande au juge de faire appel à la coutume.

[49] V. en ce sens A. Benabent, « L’ordre public en droit de la famille », in T. Revet (dir.), L’ordre public à la fin du XXème siècle, Dalloz, 1996, pp. 27-31.

[50] Ch. Ropers, « Reste-t-il un ordre public familial », in Ch. Pigache (dir.), Les évolutions du droit : contractualisation et procéduralisation, Publications de l’Université de Rouen et du Havre, 2004, p. 90.

[51] V. en ce sens la thèse défendue par Frédérique Niboyet (F. Niboyet, l’ordre public matrimonial, LGDJ, 2008).

[52] D. Boulanger, « Droit patrimonial du couple et contractualisation », LPA, 20 déc. 2007, n°254, pp. 34 et s.

[53] J.-J. Lemouland, « Le couple en droit civil », Droit de la famille, juil. 2003, n°7, chron. 22.

[54] A. Bénabent, Droit civil. Droit de la famille. Montchrestien, coll. « Domat droit privé », 2010, p. 10.

[55] Article 1387.

[56] V. en ce sens P.-M. Reverdy, « La contractualisation de la transmission successorale », LPA, 14 fév. 2007, n°33, pp. 4 et s.

[57] Sur cette question v. notamment N. Pétroni-Maudière, Le déclin du principe de l’immutabilité des régimes matrimoniaux, Presses Universitaires de Limoges, 2004.

[58] En vertu de l’article 373-2-7 « les parents peuvent saisir le juge aux affaires familiales afin de faire homologuer la convention par laquelle ils organisent les modalités d’exercice de l’autorité parentale […] ».

[59] J.-J. Lemouland, « Le pluralisme et le droit de la famille, post-modernité ou pré-déclin ? », D. 1997, chron., pp. 133 et s.

[60] Article 144.

[61] Articles 161,162 et 163.

[62] Article 146.

[63] Article 63.

[64] Articles 63 et 70.

[65] Articles 75 et 165.

[66] Article 515-2.

[67] Article 333 al. 1er.

[68] Article 321.

[69] Article 229.

[70] Sont frappés d’une telle incapacité du tuteur qui ne peut rien recevoir, dans le cadre d’une succession, de son pupille (article 907 al. 1er) ou du médecin qui ne saurait être le légataire de son patient (article 909 al. 1er).

[71] Article 1397.

[72] J. Carbonnier, La famille, l’enfant, le couple, PUF, coll. « Quadrige », 2004, p. 771.

[73] S. Minvielle, La famille en France à l’époque moderne, Armand Colin, 2010, p. 21.

[74] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. cit. p. 18.

[75] P. Bréchon, La famille. Idées traditionnelles et idées nouvelles, Le centurion, 1976.

[76] V. supra, n°15-16.

[77] G. Cornu, op. cit., p. 20.

[78] V. notamment sur cette question F. Vasseur-Lambry, La famille et la convention européenne des droits de l’homme,, L’Harmattan, 2000 ; F. Krenc et M. Puéchavy, Le droit de la famille à l’épreuve de la Convention européenne des droits de l’homme, Anthemis, 2008 ; S. Lagoutte, Le droit au respect de la vie familiale dans la jurisprudence conventionnelle européenne, thèse: Paris 2, 2002.

[79] Ainsi pour Carbonnier « maintenant, le droit civil ayant décidément épousé les Droits de l’homme, c’est la valeur de la personne qui prend le dessus » (J. Carbonnier, op. cit., p. 750).

[80] L’ancien article 334 du Code civil introduit par la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation disposait que « l’enfant naturel a en général les mêmes droits et les mêmes devoirs que l’enfant légitime dans ses rapports avec ses père et mère ».

[81] On pense, notamment, à la possibilité pour la femme d’accoucher anonymement au titre de l’article 326 du Code civil, ou encore à la prohibition édictée à l’article 310-2 d’établir la filiation de l’enfant à l’égard de l’un de ses parents biologiques, s’il est issu d’une relation incestueuse. Peut également être évoquée la situation des enfants qui font l’objet d’une adoption plénière dont le placement définitif fait, au titre de l’article 352, « échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance ».

[82] C’est ainsi que, de peur d’être condamné par les juges strasbourgeois, sur le fondement de la discrimination, dans la mesure où il n’existe aucune fin de non-recevoir à l’action en recherche de paternité alors qu’il en existe une pour l’action en recherche de maternité, le législateur a adopté la loi du 16 janvier 2009 qui est venue supprimer la fin de non-recevoir qui bénéficiait à la mère ayant accouché anonymement, laquelle ne pouvait, jusqu’alors, voir sa filiation établie dans le cadre d’une action en recherche de maternité. Cela ne l’empêche pas, pour autant, de revendiquer le droit d’accoucher dans l’anonymat, la difficulté étant pour l’enfant s’il souhaite, plus tard, établir sa filiation, de retrouver l’identité de sa mère.

[83] J. Carbonnier, La famille, l’enfant, le couple, op. cit., p. 768.

[84] J. Carbonnier, « Terre et ciel dans le droit français du mariage », in Mélanges Ripert, Dalloz, 1950, p. 328.

[85] Sur cette question v. notamment P. Catala, « Rapport de synthèse », Travaux de l’Association Capitant, 1988, t. XXXIX, Aspects de l’évolution récente du droit de la famille, pp. 1 et s.

[86] L’article 321-1 alinéa 1er du Code rural dispose que « lorsque des époux exploitent ensemble et pour leur compte une même exploitation agricole, ils sont présumés s’être donné réciproquement mandat d’accomplir les actes d’administration concernant les besoins de l’exploitation ».

[87] Le recel successoral est régi à l’article 778 du Code civil.

[88] Sur cette question v. notamment H. Meau-Latour, La donation déguisée en droit civil français. Contribution à la théorie générale de la donation, LGDJ, 1985.

[89] Cass. 1ère Civ., 20 nov. 1963 : D. 1963, note Raymond ; JCP G 1964, II, 13498, note J. Mazeaud..

[90] Cass. 1ère Civ., 28 oct. 2003, D. 2004.21, note Gridel ; RTD civ. 2004.66, obs. J. Hauser.

[91] Article 238.

[92] Article 772.

Pour une approche renouvelée du statut des droits sociaux en régime de communauté

Les qualités d’époux et d’associé peuvent-elles cohabiter ? Telle est la question que l’on est inévitablement conduit à se poser lorsque l’on s’interroge sur le statut des droits sociaux en régime de communauté. Tandis que le droit des régimes matrimoniaux commande à l’époux marié sous le régime légal de collaborer avec son conjoint sur un pied d’égalité pour toutes les décisions qui intéressent la communauté, le droit des affaires répugne à admettre que les « acteurs périphériques » d’une société, puissent, quelle que soit leur qualité (commissaire aux comptes, administration fiscale, juge), s’immiscer dans la gestion de l’entreprise[1].

Lorsque des droits sociaux sont acquis avant le mariage, ou en cours d’union à titre gratuit, ou encore par le biais d’un acte d’emploi ou de remploi, cette situation ne soulève guère de difficultés. Ils endossent la qualification de biens propres, de sorte que, conformément à l’article 1428 du Code civil, l’époux associé est seul investi du pouvoir d’en disposer et, à plus forte raison, d’en jouir et de les administrer. Une immixtion du conjoint dans la gestion de la société s’avère donc impossible, à tout le moins par l’entremise d’une voie de droit. Il en va de même lorsque les époux sont mariés sous un régime séparatiste, les patrimoines de chacun étant strictement cloisonnés[2].

Lorsque, en revanche, les titres sociaux, dont s’est porté acquéreur un époux, répondent à la qualification de biens communs, le droit des régimes matrimoniaux et le droit des sociétés ne peuvent plus s’ignorer. La raison en est l’existence d’interactions fortes entre la qualité d’époux et celle d’associé. Dans cette configuration, d’une part, l’article 1424 du Code civil impose à l’époux associé de se conformer au principe de cogestion s’agissant des actes de dispositions portant sur des droits sociaux non négociables. D’autre part, en vertu de l’article 1832-2, alinéa 1er, obligation lui est faite, lors de l’acquisition de parts sociales au moyen de biens communs, d’en informer son conjoint et de justifier, dans l’acte de souscription, l’accomplissement de cette démarche[3].

Ainsi, lorsque les droits sociaux constituent des acquêts, le droit des régimes matrimoniaux permet-il au conjoint de l’époux associé de s’ingérer dans la gestion de la société. Plus encore, au titre de l’article 1832-2, alinéa 3, ce dernier est fondé à revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts sociales souscrites en contrepartie de l’apport d’actifs communs[4].

Bien que les prérogatives dont est investi le conjoint de l’époux associé soient une projection fidèle de l’idée selon laquelle « la vocation communautaire du régime [légal] justifie le droit de regard du conjoint de l’associé sur les conséquences patrimoniales des prérogatives personnelles de celui-ci »[5], l’exercice desdites prérogatives n’en porte pas moins atteinte au principe général de non-immixtion qui gouverne le droit des sociétés. De surcroît, la possibilité pour le conjoint de l’époux titulaire des droits sociaux de revendiquer la qualité d’associé, vient heurter l’intuitu personae dont sont particulièrement empreintes les sociétés de personnes[6] et les sociétés à responsabilité limitée, alors mêmes que ces groupements sont censés constituer un « univers […] clos, rebelle à toute ingérence étrangère »[7].

Immédiatement, se pose alors la question de l’articulation entre le droit des régimes matrimoniaux et le droit des sociétés. Pendant longtemps, les auteurs ont considéré ces deux corpus normatifs comme étant, par essence, peu compatibles en raison de l’opposition frontale qui existerait entre les modes de fonctionnement de la structure sociétaire et du couple marié sous le régime de communauté[8]. Françoise Dekeuwer-Défossez résume parfaitement cette idée en observant qu’il s’agit là « de deux structures antagonistes [qui] coexistent », mais dont « les règles qui gouvernement chacune d’entre elles tendent à intervenir dans le fonctionnement de l’autre »[9]. Est-ce à dire que ces règles qui, tantôt modifient les rapports entre associés, tantôt modifient les rapports entre époux, sont inconciliables ?

On ne saurait être aussi catégorique ne serait-ce que parce que le droit des régimes matrimoniaux a, depuis l’adoption du Code civil, considérablement évolué. La hiérarchie conjugale qui était difficilement compatible avec le principe d’égalité entre associés a, de la sorte, été abolie par la loi du 23 décembre 1985 instituant l’égalité entre époux. Le principe d’immutabilité des conventions matrimoniales qui contrevenait à la possibilité pour les époux de constituer une société entre eux[10] a subi le même sort, celui-ci ayant été considérablement assoupli[11]. Qu’en est-il de la problématique née de la possibilité pour le conjoint de l’époux associé de s’immiscer dans la gestion de la société ?

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que le statut des parts d’intérêts émises par les sociétés de capitaux n’a jamais réellement été discuté dans la mesure où ces groupements sont dépourvus d’intuitu personae. Il s’ensuit que la titularité de la qualité d’associé est indifférente[12]. Aussi, le débat s’est-il exclusivement focalisé sur les droits sociaux que l’on qualifie de non-négociables[13]. Par droits sociaux non négociables, il faut entendre les parts d’intérêt qui représentent un droit dont la titularité est étroitement attachée à la personne de son détenteur. Selon Estelle Naudin, leur singularité réside dans l’impossibilité pour ces titres sociaux de faire l’objet d’une quelconque « transmission sur un marché financier »[14].

Pour appréhender cette catégorie de droits sociaux lorsqu’ils sont détenus par des époux mariés sous un régime communautaire, pendant longtemps, la jurisprudence leur a appliqué la distinction du titre et de la finance[15], mise au point au XIXe siècle, afin de surmonter le problème de patrimonialité qui se posait pour les offices ministériels[16].

À plusieurs reprises, le législateur a, de son côté, tenté de résoudre cette problématique notamment en cherchant à préciser le statut des droits sociaux[17] ainsi qu’en clarifiant l’attribution de la qualité d’associé[18]. Toutefois, de l’avis général des auteurs, par ses interventions successives, il a moins contribué à éclairer le débat qu’à l’obscurcir[19], « à tel point que les divergences doctrinales s’accrurent »[20]. Deux textes sont à l’origine de l’embrasement du débat : l’article 1404 et l’article 1424 du Code civil.

Relevant que le premier de ces textes confère la qualification de bien propre à « tous les droits exclusivement attachés à la personne », certains auteurs en ont déduit que les droits sociaux non négociables répondaient à cette qualification en raison du fort intuitu personae dont ils sont marqués[21].

À l’inverse, d’autres auteurs ont avancé qu’il convenait plutôt de retenir la qualification d’acquêts de communauté, l’article 1424 rangeant très explicitement les droits sociaux non négociables dans la catégorie des biens communs dont un époux ne peut disposer seul[22].

Rejetant les thèses monistes, une partie de la doctrine a plaidé pour un maintien de la distinction du titre et de la finance[23]. Les tenants de cette opinion ont argué que seule la conception dualiste permettrait d’opérer une conciliation entre les articles 1404 et 1424 du Code civil.

D’autres auteurs ont enfin proposé de renouveler la distinction du titre et de la finance qui, selon eux, serait « inutile et dépassée »[24]. Reprochant à cette distinction d’opposer les droits sociaux à leur valeur patrimoniale, ces auteurs préconisent de faire entrer les parts sociales dans la communauté, non seulement pour leur valeur, mais également en nature[25]. L’objectif poursuivi est de préserver aux mieux les intérêts de la communauté, tout en garantissant au titulaire des parts le monopole de la qualité d’associé.

Alors que la jurisprudence n’a jamais adopté de position suffisamment convaincante pour mettre en terme définitif au débat[26], le législateur est intervenu le 10 juillet 1982 dans le dessein de clarifier le statut du conjoint de l’époux associé. Aux termes de l’article 1832-2, celui-ci est désormais fondé à revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites, à condition qu’elles aient été acquises au moyen d’actifs communs.

Bien que cette disposition ne tranche pas directement la question de la qualification des droits sociaux non négociables, certains auteurs y ont vu néanmoins une consécration de la thèse dualiste. André Colomer n’hésite pas à affirmer que « l’article 1832-2 du Code civil […] consacre implicitement la doctrine de la distinction de la qualité d’associé (qui reste personnelle) et des parts sociales (qui sont des biens commun en nature) »[27]. Cet auteur est rejoint par Gérard Champenois pour qui il ne fait aucun doute que la loi du 10 juillet 1982 retient cette analyse. Pour lui, on saurait tout à la fois offrir la possibilité de revendiquer la qualité d’associé et admettre que les parts d’intérêt puissent endosser la qualification de biens propres, sauf à reconnaître au conjoint un droit à « expropriation »[28].

Qu’en est-il aujourd’hui ? La jurisprudence semble s’être prononcée en faveur du maintien de la distinction du titre et de la finance. Dans un arrêt remarqué du 9 juillet 1991, la Cour de cassation a décidé que seule la valeur patrimoniale des parts sociales d’un groupement agricole d’exploitation (GAEC) était commune, les parts en elles-mêmes ne rentrant pas dans l’indivision post-communautaire[29]. Pour la haute juridiction, la qualité d’associé demeure propre au mari. Cette dernière a réitéré cette solution quelques années plus tard en considérant que la valeur des parts sociales d’une SCP constituait un bien dépendant de la communauté. Elle en a déduit que les fruits et revenus tirés de l’exercice des droits sociaux tombaient alors dans l’indivision post-communautaire[30]. Plus récemment, elle a affirmé de façon très explicite « qu’à la dissolution de la communauté matrimoniale, la qualité d’associé attaché à des parts sociales non négociables dépendant de celle-ci ne tombe pas dans l’indivision post-communautaire qui n’en recueille que leur valeur »[31]. Ainsi, la Cour de cassation apparaît-elle toujours très attachée à la distinction du titre et de la finance, malgré les difficultés pratiques que cette position soulève[32]. Selon Isabelle Dauriac néanmoins, « l’hésitation est toujours permise »[33].

Plus précisément, les auteurs ne s’entendent toujours pas sur la qualification à donner aux parts sociales acquises au moyen de deniers communs, l’intérêt pratique du débat résidant – il n’est pas inutile de le rappeler – dans la résolution des difficultés soulevées par le fonctionnement parallèle d’une société et d’un régime communautaire. Au vrai, le sentiment nous est laissé, au regard de l’abondante littérature consacrée au sujet, que le problème est peut-être insoluble. Face à ce constat, deux attitudes peuvent être adoptées.

On peut tout d’abord considérer que les deux branches du droit que l’on cherche à articuler sont fondamentalement si différentes l’une de l’autre qu’aucune conciliation n’est possible, si bien que la solution retenue in fine, ne pourra être qu’un pis-aller. On peut également refuser cette fatalité et se demander si l’insolubilité du problème ne viendrait pas de ce que la doctrine raisonne à partir d’un postulat erroné. Toutes les thèses avancées par les auteurs reposent sur l’idée que les droits sociaux sont des biens. Partant, la seule conséquence que l’on peut tirer de ce postulat, c’est que les parts d’intérêt viennent nécessairement alimenter, tantôt la masse commune, tantôt la masse propre de l’époux associé, tantôt simultanément les deux masses si l’on adhère à la thèse dualiste du titre et de la finance. C’est alors que l’on se retrouve dans une impasse dont la seule issue conduit, selon Jean Derruppé, « à ce qu’il y a de plus regrettable pour la pratique : l’incertitude du droit »[34].

Pour sortir de cette impasse, ne pourrait-on pas envisager que les droits sociaux puissent ne pas être rangés dans la catégorie des biens ? Une frange ancienne de la doctrine soutient, en effet, que les prérogatives dont est investi l’associé s’apparentent, non pas à des droits réels, mais à des droits de créance contre la société[35]. Plus récemment, reprochant à cette thèse de réduire l’associé à un simple créancier, alors que le droit de créance est insusceptible de rendre compte de toutes les prérogatives dont l’associé est titulaire[36], des auteurs ont avancé que les droits sociaux seraient, en réalité, « de nature hybride », en ce sens qu’ils traduiraient « la position contractuelle de l’associé, composée d’obligations actives et passives »[37]. Une appréhension des droits sociaux de l’époux associé comme résultante de la position sociétaire, serait donc possible (II). Cette approche permettrait ainsi d’abandonner le postulat consistant à assimiler systématiquement les parts d’intérêt à des biens, postulat qui est à l’origine de nombreuses difficultés quant à l’articulation entre le droit des régimes matrimoniaux et le droit des sociétés (I).

I) La difficile appréhension des droits sociaux comme objet de droit de propriété

Le classement des droits sociaux dans la catégorie des biens soulève, tant des difficultés théoriques en droit des sociétés (A), que des difficultés pratiques en droit des régimes matrimoniaux (B).

A) Les difficultés théoriques soulevées par la qualification de bien en droit des sociétés

S’il est acquis en droit des régimes matrimoniaux que les droits sociaux doivent être classés dans la catégorie des biens, cette vision est loin de faire l’unanimité en droit des sociétés. L’admission de ce postulat suppose de considérer que les associés exerceraient un droit de propriété sur les titres auxquels ils ont souscrits et, corrélativement, de rejeter l’idée qu’ils puissent être regardés comme les titulaires d’une créance contre la société. L’adoption de l’une ou l’autre thèse demeure pourtant très discutée en doctrine. Cette question touche, en effet, au débat relatif à la nature de la société. Or indépendamment du caractère fondamental de la problématique à laquelle ce débat se rapporte, il connaît un fort regain d’intérêt depuis quelques années, notamment sous l’impulsion du « renouveau de la thèse contractuelle »[38] que l’on oppose, classiquement, à la conception institutionnelle[39].

Selon la première conception, directement héritée du droit romain[40], la société s’apparenterait à un contrat. Défendue par Pothier[41] et Domat[42], cette thèse a été consacrée par le Code Napoléon, qui naguère disposait, en son article 1832, que « la société est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre en commun dans la vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter ». Des stigmates de cette définition se retrouvent, encore aujourd’hui, dans le Code civil. Le nouvel article 1832 convoque toujours la figure du contrat pour définir la notion de société. De nombreux autres arguments ont, par ailleurs, été avancés au soutien de la thèse contractuelle.

Tout d’abord, semblablement à un contrat, la société n’est autre que le produit d’une manifestation de volontés. Sa constitution ne s’impose donc pas aux associés. Aucune obligation ne leur commande de conclure un pacte social ou d’y adhérer. Ensuite, la validité de l’acte juridique que constitue la société est subordonnée au respect des conditions générales de formation exigées en matière de contrat. Enfin, l’autonomie de la volonté préside, pour une large part, à l’élaboration du pacte social, en ce sens que les associés sont libres d’adopter la forme sociale qui leur sied et de déterminer le contenu des statuts.

Bien qu’il soit incontestable que la société trouve sa source dans un acte juridique, de nombreuses critiques ont été adressées à la thèse contractuelle. Les auteurs relèvent notamment que la constitution d’une société peut résulter de l’accomplissement d’un acte unilatéral. Depuis 1985, le législateur reconnaît la possibilité d’instituer une société « par l’acte de volonté d’une seule personne »[43]. Par ailleurs, Philippe Merle observe que « la société n’accède à la vie juridique que par une formalité administrative, l’immatriculation et non par la volonté des associés »[44]. Il a encore été objecté que c’est la loi de la majorité qui régit l’adoption des délibérations sociales alors que la modification d’un contrat requiert l’unanimité des parties[45]. En outre, de nombreuses règles d’origine légale et réglementaire gouvernent le fonctionnement des sociétés, sans qu’il puisse y être dérogé dans les statuts, ce qui, pour certains, est de nature à disqualifier la thèse contractuelle. Finalement, le reproche général formulé par les contradicteurs de cette thèse est que le recours au concept de contrat ne permet pas d’appréhender dans sa globalité la notion de société[46].

C’est la raison pour laquelle, pour certains auteurs, la société s’apparenterait moins à un contrat qu’à une institution[47]. Par institution, il faut entendre, selon le doyen Hauriou, « une idée d’œuvre ou d’entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social; pour la réalisation de cette idée, un pouvoir s’organise qui lui procure des organes; d’autre part, entre les membres du groupe social intéressés à la réalisation de l’idée, il se produit des manifestations de communion dirigées par les organes du pouvoir et réglées par des procédures »[48]. La thèse institutionnelle revient alors à appréhender la société comme un ensemble de règles impératives qui organisent de façon durable le fonctionnement du groupement qu’elle constitue en vue de la réalisation d’un but social déterminé, distinct des intérêts privés poursuivis par chacun de ses membres. Aussi, cela expliquerait-il pourquoi la société est pourvue de la personnalité juridique et d’un patrimoine propre. Cette thèse permet également de justifier la loi de la majorité qui préside à l’adoption des décisions sociales ainsi que l’important corpus normatif d’ordre public qui s’impose aux associés.

Bien qu’elle présente un certain nombre d’avantages, la conception institutionnelle n’échappe pas non plus à la critique, au premier rang desquelles figure le reproche consistant à dire qu’elle « s’apparente davantage à une idée ou à une image qu’à une véritable théorie car elle ne détermine aucun régime juridique précis »[49]. Qui plus est, elle néglige l’acte constitutif du groupement. Or cet élément est consubstantiel de la notion de société, spécialement lorsqu’il s’agit d’appréhender les sociétés dépourvues de personnalité morale où l’aspect contractuel est prépondérant. Au total, pour la doctrine majoritaire[50], ni la thèse institutionnelle, ni la thèse contractuelle ne semblent être en mesure de rendre compte du concept de société. Pour certains auteurs, une troisième voie serait néanmoins possible en revisitant la classification traditionnelle des contrats, soit en introduisant la distinction entre le contrat-échange et le contrat-organisation[51].

Selon Paul Didier« le premier type de contrat établit entre les parties un jeu à somme nulle en ceci que l’un des contractants gagne nécessairement ce que l’autre perd, et les intérêts des parties y sont donc largement divergents, même s’ils peuvent ponctuellement converger. Le deuxième type de contrat, au contraire crée entre les parties les conditions d’un jeu de coopération où les deux parties peuvent gagner et perdre conjointement et leurs intérêts sont donc structurellement convergents même s’ils peuvent ponctuellement diverger »[52]. Autrement dit, tandis que le contrat-échange « réalise une permutation de biens ou de services », le contrat-organisation aménage « une agrégation de bien ou de services »[53]. Patrice Hoang définit en ce sens le contrat-organisation comme l’« acte juridique qui a pour objet d’établir dans la durée des règles susceptibles d’organiser une collectivité de personnes et d’ordonner leur activité autour du but qu’elle s’est proposée d’atteindre »[54].

Aussi, le recours au concept de contrat-organisation permet-il de réussir là où l’approche restrictive du contrat de société échoue : expliquer l’existence d’une communauté d’intérêts qui prime sur les intérêts particuliers de chacun des associés. Cela justifie, dès lors, la soumission de ces derniers à la loi de la majorité. Plus généralement, cela permet d’appréhender la dimension institutionnelle de la société, soit les règles de fonctionnement et de représentation du groupement. Au fond, comme le souligne Nicolas Mathey, le concept de contrat-organisation « est certainement la formulation la plus exacte de ce qu’est réellement cet acte qui se trouve si souvent au fondement des personnes morales »[55]. Cette nouvelle approche de la notion de société a d’ailleurs récemment inspiré certains civilistes qui y ont vu un moyen d’envisager le droit des obligations sous un nouvel angle[56]. Appliquée en droit des régimes matrimoniaux, cela permettrait d’appréhender l’époux associé comme une véritable partie à un contrat et non plus comme un propriétaire, ce qui n’est pas sans soulever un certain nombre de difficultés pratiques.

B) Les difficultés pratiques soulevées par la qualification de bien en droit des régimes matrimoniaux

S’il est indéniable que chacune des qualifications préconisées par la doctrine à la faveur des droits sociaux non négociables présentent de réels avantages, à l’examen, aucune d’elles ne permet de concilier pleinement le droit des régimes matrimoniaux avec le droit des sociétés, ce, en raison des nombreuses difficultés pratiques que soulèvent ces qualifications. Sans qu’il soit besoin de nous livrer à une analyse exhaustive de ces difficultés – l’exercice mériterait qu’on lui consacre une étude entière – arrêtons-nous sur certaines d’entre elles – les plus saillantes – afin de mieux cerner l’impasse à laquelle conduit inexorablement l’assimilation des droits sociaux à des biens.

S’agissant, tout d’abord, de la qualification de biens communs, cette thèse s’imbrique certes parfaitement dans le système communautaire mis en place par le régime légal. Toutefois, elle fait fi du caractère personnel des droits sociaux non-négociables. Comme le relèvent les auteurs, la qualité d’associé n’est pas un bien[57]. Il s’agit d’une « prérogative attachée à une personne »[58]. Il en résulte qu’elle ne saurait tomber en communauté, sauf à reconnaître à cette dernière la personnalité morale. Or la doctrine n’y est majoritairement pas favorable[59]. Dans ces conditions, l’application du statut communautaire aux droits sociaux apparaît difficilement envisageable. L’argument tendant à invoquer au soutien de cette thèse l’article 1424 du Code civil, lequel impose la cogestion pour certains biens communs parmi lesquels figurent les droits sociaux non négociables, n’y change rien. Cette disposition instaure une règle pouvoir et non de propriété, de sorte qu’on ne saurait en tirer une quelconque conséquence quant à la qualification des parts d’intérêt.

Concernant, ensuite, la qualification de biens propres, cette thèse a manifestement reçu un bien meilleur accueil que la précédente par la doctrine, notamment en ce qu’elle « rend inutile la distinction artificielle et dépassée du titre et de la finance »[60]. Cependant, elle n’échappe pas non plus à la critique. Le premier grief que l’on peut formuler à l’encontre de cette théorie est que la qualification de bien propre conduit à priver la communauté d’actifs économiques importants alors qu’ils ont été acquis au moyen de biens communs. En somme, comme le souligne Jean Derruppé « la communauté réduite aux acquêts devient une communauté réduite aux récompenses »[61], ce qui est contraire à l’esprit communautaire dont est animé le régime légal. La seconde critique – la principale – que l’on peut adresser à la qualification de bien propre est que, conformément à l’article 1404 du Code civil, elle repose exclusivement sur l’intuitu personae dont est susceptible d’être marquée la qualité d’associé. Or l’existence de cette intuitu personae est déterminée, soit par la forme sociale de la société, soit par l’insertion d’une clause d’agrément dans les statuts. Aussi, cela revient-il à faire dépendre le statut des droits sociaux non pas de la loi, mais, pour une large part, de la volonté de l’époux associé. Celui-ci peut, de la sorte, trouver dans l’écran de la personne morale un excellent moyen de soustraire certains biens de la communauté.

S’agissant, enfin, de la thèse qui préconise le maintien de la distinction du titre et de la finance, bien que, appliquée de façon constante par la jurisprudence, et défendue par la doctrine majoritaire[62], elle n’est pas sans faille. La théorie dualiste repose, tout d’abord, sur une distinction purement « arbitraire »[63], en ce sens qu’elle opère une dissociation du titre et de la finance, alors que la part sociale est une : la qualité d’associé est indissociable de la valeur du titre. La conséquence en est l’application de règles juridiques différentes – parfois contraires – à un même bien. D’où les difficultés que la doctrine rencontre à les concilier. Il en va ainsi du conflit qui naît, par exemple, à l’occasion d’une cession de parts sociales, entre l’article 1424 qui requiert le consentement du conjoint pour tout acte de disposition portant sur des droits sociaux non négociables, et les articles 225 qui confèrent aux époux une pleine indépendance quant à la gestion des biens qui revêtent un caractère personnel. Là ne s’arrêtent pas les difficultés pratiques que soulève la théorie dualiste. Cette théorie conduit à l’application de l’article 1424, soit à instaurer une cogestion pour les titres sociaux non négociables, alors que la qualité d’associé est exclusivement attachée à la personne du titulaire des titres. Cela a pour effet pervers de permettre au conjoint de s’ingérer dans le fonctionnement d’une société pourtant empreinte d’intuitu personae.

Surtout, dans le droit fil de cette critique, la mise en œuvre de la distinction du titre et de la finance est susceptible de porter grandement atteinte à l’autonomie professionnelle de l’époux titulaire des droits sociaux. Un époux peut, en effet, jouir de la qualité d’associé pour les besoins de son activité professionnelle. Dans cette hypothèse, les articles 223 et 1421, al. 2 devraient en toute logique lui garantir une pleine et entière indépendance quant à l’exercice de ses droits sociaux[64]. Tel n’est cependant pas le cas si l’on adhère à la thèse dualiste. En cours de régime, l’adoption de cette thèse conduit à soumettre l’époux associé à la cogestion, par application de l’article 1424[65]. De surcroît, lors de la dissolution de la communauté, il est un risque que sa participation même dans la société soit menacée. Si l’on estime que les parts sociales entrent seulement pour leur valeur en communauté, l’époux associé sera contraint, lors du partage de l’indivision post-communautaire, d’indemniser son conjoint à concurrence de la moitié de la valeur des titres qu’il détient, ce qui peut avoir pour conséquence fâcheuse de l’obliger, s’il ne dispose pas de liquidités suffisantes, de céder tout ou partie sa participation dans la société[66]. Si au contraire, l’on considère que les parts sociales intègrent la communauté en nature[67], l’époux associé se retrouvera dans une situation encore plus inconfortable : le partage des parts devra s’effectuer non pas en valeur, mais en nature, ce qui mécaniquement fera perdre à l’époux titulaire des titres la moitié de sa participation dans la société. Ainsi, que les parts d’intérêt entrent en communauté pour leur valeur ou en nature, dans les deux cas, la liberté d’exercice professionnel de l’époux associé s’en trouve entravée. C’est là, de toute évidence, une sérieuse critique que l’on peut formuler à l’encontre de la thèse dualiste.

Tout bien pesé, il apparaît qu’aucune des thèses suggérées quant à la qualification des droits sociaux n’est à l’abri des critiques. Toutes soulèvent des difficultés pratiques qui font obstacle à la conciliation entre le droit des régimes matrimoniaux et le droit des sociétés. Au vrai, des objectifs radicalement différents président au développement de ces deux branches du droit. Tandis que le droit des régimes matrimoniaux encadre l’autonomie des époux en considération de l’obligation à la dette qui leur échoit, le droit des sociétés est hermétique à toute ingérence des tiers dans le fonctionnement de l’entreprise. D’où la difficulté de les concilier. Le problème vient de ce que le statut de bien endossé par les droits sociaux ne permet pas la cohabitation de la qualité d’époux avec celle d’associé. Cela devient néanmoins possible si l’on envisage les droits sociaux, non plus comme des biens, mais comme le produit d’un contrat.

II) La possible appréhension des droits sociaux comme effet du contrat de société

La qualification de bien ne constitue, en aucune manière, l’alpha et l’oméga de la problématique relative au statut des droits sociaux. Non seulement une appréhension de ces derniers sous l’angle du contrat est envisageable (A), mais encore, elle est préférable à maints égards (B).

A) L’endossement par l’époux associé de la qualité de contractant substituable à la qualité de propriétaire

Afin de sortir du postulat selon lequel la titularité de droits sociaux conférerait nécessairement à l’époux associé la qualité de propriétaire, il convient de s’interroger sur la question de savoir si, véritablement, les droits sociaux sont appropriables. Cela revient à se demander s’ils peuvent être qualifiés de biens. Le Code civil ne donne aucune définition des biens. Il se contente d’en dresser une classification. C’est à la doctrine qu’est revenue la tâche de les définir. Si, pour certains auteurs, une définition s’avère impossible[68], tous s’accordent néanmoins à voir dans les biens des choses appropriables qui possèdent une valeur patrimoniale[69]. Un bien s’apparente, en d’autres termes, à une richesse économique susceptible de faire l’objet d’une circulation juridique. Est-ce à dire que tout ce qui est évaluable en argent revêt nécessairement la qualification de bien ?

Pour le déterminer, reportons-nous à la summa divisio établie par Code civil à l’article 516 entre les immeubles et les meubles. Tandis que les premiers sont les biens qui adhèrent au sol, en ce sens qu’ils sont inséparables de celui-ci, les seconds peuvent être physiquement déplacés. Les meubles se distinguent, par ailleurs, des immeubles en ce que, conformément à l’article 527, une entité peut être qualifiée de meuble « par la détermination de la loi », soit en dehors de toute application du critère de mobilité. Cette catégorie particulière de meubles est traitée à l’article 529 qui prévoit notamment que doivent être classés dans la catégorie des meubles « les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou d’industrie ». Les droits sociaux, qu’ils émanent de sociétés de personnes ou de capitaux, sont de la sorte appréhendés par la loi comme des meubles. Si cette assimilation – légale – des droits sociaux à des biens ne souffre, en apparence, d’aucune contestation possible, elle peine pourtant à convaincre.

Il ressort, en effet, de l’article 1832 du Code civil que les droits sociaux conférés à l’associé ne sont autres que la contrepartie de l’apport qu’il effectue lors de la conclusion du pacte social ou de son entrée dans la société. Les droits sociaux représentent, dans cette perspective, le rapport que l’associé entretient avec la société. Or il s’agit là d’un rapport entre une personne physique et une personne morale. Conséquemment, le droit que l’associé exerce sur la société devrait, en toute logique, être qualifié de personnel et non de réel comme c’est le cas dans le cadre d’une relation entre le propriétaire et son bien[70]. C’est pourquoi, pour Jean Dabin, les droits sociaux sont assimilables à des créances[71]. Cette qualification de créance est certes contestée – à juste titre – par certains auteurs pour qui « l’originalité de la part sociale est qu’elle confère à l’associé ce qu’un créancier n’a jamais : un droit d’intervention, c’est-à-dire une vocation à la vie sociale, dans la personnalité interne de la société »[72]. Techniquement, les droits sociaux ne peuvent donc pas être qualifiés de droits de créances. L’adoption de cette qualification est trop réductrice[73]. En tout état de cause, bien que la qualification de créance ne permette pas de rendre totalement compte des droits et obligations que confère la qualité d’associé, le constat n’en demeure pas moins inchangé : les droits sociaux sont le produit de la relation contractuelle que leur titulaire entretient avec une personne morale. L’associé s’apparente, dans ces conditions, moins à un propriétaire de titres qu’à une partie à un contrat. D’où l’inopportunité de qualifier les droits sociaux de biens. Ils représentent, en réalité, « la position contractuelle »[74] de l’associé.

Immédiatement, une nouvelle question se pose : si les titres sociaux que l’associé détient ne lui confèrent pas la qualité de propriétaire de la société, lesdits titres peuvent-ils, malgré tout, faire l’objet d’un droit de propriété ? Il convient, en effet, de distinguer les droits sociaux que les parts d’intérêt ou les valeurs mobilières constatent, des droits dont les titres sociaux sont, en eux-mêmes, susceptibles de faire l’objet. C’est ainsi qu’un auteur a pu soutenir que « la position contractuelle de l’associé […] peut être qualifiée de bien »[75]. D’autres encore estiment que « la créance se matérialise dans le titre qui la constate, lequel, étant une chose corporelle, est susceptible de propriété »[76]. Indépendamment de la théorie de l’incorporation qui a fait l’objet de nombreuses critiques[77], des auteurs plaident, plus généralement, pour une reconnaissance de la propriété des créances[78]. En somme, pour les défendeurs de cette thèse, dans la mesure où les créances possèdent une valeur patrimoniale et que, au même titre que les biens, elles sont cessibles, transmissibles, saisissables et peuvent être données en garantie, pourquoi ne pas envisager qu’elles puissent faire l’objet d’un droit de propriété ? Qui plus est, la Cour européenne des droits de l’Homme[79] et, dans une moindre mesure, le Conseil constitutionnel[80] ont admis la propriété des créances. Pour séduisante que soit cette théorie, elle n’est cependant pas satisfaisante[81].

Comme le relèvent très justement d’éminents auteurs « un droit personnel ne peut être rationnellement l’objet d’un droit réel. En effet, puisque le droit réel s’analyse comme un pouvoir exercé directement sur une chose, un tel droit ne peut s’exercer sur une personne qui ne peut devenir objet de propriété »[82]. De surcroît, pour Gabriel Marty et Pierre Raynaud « la notion de propriété ainsi appliquée à tous les droits patrimoniaux (pourquoi pas les autres droits ?) perd toute signification précise : en réalité, elle se réduit à l’élément d’appartenance, de titularité, que l’on retrouve dans tout droit subjectif, voire dans toute compétence. À généraliser ainsi le concept de propriété, on le fait disparaître »[83]. Surtout, et c’est là, selon nous, l’argument décisif, la reconnaissance de la propriété des créances est difficilement admissible en théorie du droit.

À supposer que l’on puisse exercer un droit réel sur une créance, cela suppose que son titulaire soit fondé à en abuser. Cela signifie qu’il doit, notamment, pouvoir accomplir librement tous les actes qui en affectent la substance. Le créancier ne dispose cependant pas de pareille prérogative. Comme l’a démontré Kelsen, une créance s’apparente à une norme[84]. Or pour que la modification d’une norme soit valide, elle doit avoir été faite conformément à une norme d’habilitation supérieure. Cela implique, autrement dit, que le créancier ait été investi par la loi du pouvoir de redéfinir le contenu de la créance. En droit commun, les parties à un contrat ne sont, toutefois, jamais habilitées, sauf exception, à accomplir un tel acte[85]. La loi exige, tout au contraire, que les contractants satisfassent à l’exigence du mutuus dissensus. Aussi, dans la mesure où le créancier n’a pas le pouvoir de modifier, à sa guise, les stipulations du contrat auquel il est partie par une déclaration unilatérale de volonté, on ne saurait adhérer à l’idée qu’il exerce un droit de propriété sur la créance qu’il détient.

On peut en déduire, in fine, que l’époux associé ne saurait endosser la qualité de propriétaire. Au vrai, il s’agit d’une illusion qui conduit à faire abstraction de la position contractuelle dans laquelle le titulaire de droits sociaux est placé et qui, par bien des aspects, est préférable à celle de propriétaire.

B) L’endossement par l’époux associé de la qualité de contractant préférable à la qualité de propriétaire

Appréhender le statut des droits sociaux en s’émancipant de la qualification de biens présente de nombreux avantages. Le premier réside dans l’opportunité qu’offre cette démarche de sortir d’un débat qui n’a jamais été clos, nonobstant les nombreuses réformes législatives qui ont jalonné l’évolution du droit des régimes matrimoniaux et du droit des sociétés. Si l’on regarde l’époux associé, non plus comme un propriétaire, mais comme un contractant, il n’est plus besoin de se demander à quelle masse de biens les droits sociaux appartiennent. Leur titularité devient indissociable des prérogatives attachées à la qualité d’associé de sorte que la distinction entre le titre et la finance n’est plus envisageable. La question qui, néanmoins, est susceptible de se poser est de savoir à qui échoit la qualité de partie au contrat de société.

L’hésitation est difficilement permise. Si l’on se réfère au principe de relativité des conventions combiné à l’autonomie dont jouit le contractant marié, le champ des possibles se réduit : l’époux qui contracte a seul, par principe, la qualité de partie au contrat[86]. La qualité d’associé ne peut donc être attribuée qu’à l’époux qui a adhéré au contrat de société. Le conjoint de l’époux associé ne lui emprunte pas, de plein droit, cette qualité. Tout au plus, il lui est possible, conformément à l’article 1832-2, de revendiquer la qualité d’associé à concurrence de la moitié des droits sociaux dont l’acquisition a été réalisée au moyen de biens communs. Le succès de cette revendication est néanmoins susceptible de se heurter à l’existence d’une clause d’agrément, d’où il s’ensuit que la qualité d’associé est loin d’être acquise pour le conjoint revendiquant. À supposer qu’il mène son action à bien, la question de la titularité des droits sociaux ne soulève, là encore, guère de difficultés. Comme le relève André Colomer « faute d’être dotée de personnalité, la communauté n’est pas sujet de droit à proprement parler »[87]. Il en résulte que l’on peut d’emblée l’exclure du rang des prétendants. La qualité d’associé ne peut, en conséquence, être endossée que par l’un des époux, ou éventuellement les deux en cas de succès de l’action en revendication. La question de savoir si les parts sociales tombent en valeur ou en nature dans la communauté devient, en tout état de cause, caduque.

Le deuxième avantage que l’on peut retirer de l’appréhension de l’époux associé, non plus comme un propriétaire, mais comme un contractant, découle du premier. L’adhésion à cette idée revient, en effet, à écarter l’éventualité que les droits sociaux puissent être qualifiés de biens communs. Leur exercice n’est donc plus susceptible d’être régi par le principe de gestion concurrente ou de cogestion. Il n’est dès lors plus aucun risque que le conjoint de l’époux associé s’immisce dans la gestion de la société par le jeu des articles 1421 ou 1424 du Code civil. La question qui, de la sorte, s’était posée en jurisprudence de savoir si l’époux associé devait ou non obtenir l’autorisation de son conjoint pour céder sa participation dans une société n’a, elle aussi, plus lieu d’être[88]. Il est libre d’accomplir tous les actes d’administration et de disposition des parts d’intérêt dont il est titulaire. D’aucuns objecteront qu’il s’agit là d’une atteinte manifeste portée à l’esprit communautaire du régime légal, compte tenu de la grande valeur patrimoniale que les droits sociaux sont susceptibles de représenter, ce qui justifierait l’existence d’« un contrôle minimum » de la part du conjoint de l’époux associé[89]. Toutefois, comme le relève Gilles Plaisant on ne saurait « faire de l’importance économique du bien le seul critère de la cogestion »[90]. Surtout, on ne saurait occulter les effets négatifs de l’article 1424 dont l’application conduit, au même titre que l’article 1832-2, à introduire « un grain de sable dans les rouages de l’indépendance pourtant érigée en principe »[91] à l’article 223, composante essentielle du régime primaire impératif, lequel prime, en cas de conflit de règles, sur le statut matrimonial. L’approche strictement contractuelle des droits sociaux permet alors de préserver l’autonomie professionnelle de l’époux associé. Là ne s’arrête pas l’avantage d’abandonner la qualification de biens.

Cela permet également se sortir de la distinction « arbitraire »[92] entre les titres négociables et les titres non négociables, à tout le moins en partie. En l’état du droit positif, la non-négociabilité d’un titre est érigée par la loi en critère d’application de la cogestion (article 1424) et du régime de l’action en revendication de la qualité d’associé. La jurisprudence et la doctrine y ont également recours pour déterminer à quelle masse de biens appartiennent les droits sociaux acquis au moyen d’actifs communs. Dans l’hypothèse où ils sont négociables, la doctrine est unanime : ils tombent en communauté[93]. Dans le cas contraire, tandis que pour certains auteurs ils endossent la qualification de biens propres, pour d’autres il convient d’opérer une distinction entre le titre et la finance. Si, immédiatement, le critère de la négociabilité des titres renvoie à la distinction entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux, comment appréhender les parts d’intérêt qui émanent de sociétés placées dans une situation intermédiaire ? La question s’est un temps posée pour la SARL qui est une société « de nature hybride »[94] : fallait-il appliquer aux parts sociales le régime juridique des titres non-négociables, soit une qualification mixte ou leur refuser cette qualification ? Si la jurisprudence s’est incontestablement prononcée en faveur de la première option, malgré quelques hésitations[95], l’interrogation est toujours permise s’agissant des sociétés de capitaux dont les statuts comportent une clause d’agrément[96]. Ainsi, la soustraction des droits sociaux à la catégorie des biens permettrait-elle de se départir de la distinction entre les titres négociables et non négociables comme le réclament certains auteurs pour qui « rien ne justifie une différence de traitement entre l’époux associé d’une société à responsabilité limitée et l’époux actionnaire d’une société par actions simplifiées »[97].

En conclusion, nombreux sont les avantages que présente l’adoption d’une approche purement contractuelle des droits sociaux. Le seul dommage notable que ce changement de paradigme occasionnerait est la neutralisation de l’article 1424 dont l’application repose exclusivement sur le critère de négociabilité des titres sociaux. Cette neutralisation aurait toutefois comme vertu salvatrice de désamorcer, pour une large part, la menace que l’article 1424 fait peser sur l’exercice de la liberté professionnelle de l’époux associé. Qui plus est, la mise à l’écart de cette disposition, dont certains réclament d’ailleurs une redéfinition[98], ne se ferait pas au détriment des intérêts de la communauté. Celle-ci conserverait son droit à récompense en cas d’acquisition de parts d’intérêts au moyen de biens communs[99], tout autant qu’elle serait toujours fondée à percevoir les revenus générés par l’exercice des droits sociaux. L’esprit communautaire du régime légal est sauf.

[1] C. Gerschel, « Le principe de la non-immixtion en droit des affaires », LPA 30 août 1995 ; V. également sur cette question M. Clet-Desdevises, L’immixion dans la gestion d’une société, Éco. et compta. 1980, p. 17.

[2] Les articles 1536 et 1569 du Code civil prévoient en ce sens, dans les mêmes termes, que lorsque les époux se sont mariés sous le régime de la séparation de biens ou de la participation aux acquêts, « chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels. ».

[3] Le non-respect de cette exigence est sanctionné par la nullité prescrite à l’article 1427 du Code civil. V. en ce sens CA Paris, 28 nov. 1995 : JCP G 1996, I, 3962, n° 10, obs. Ph. Simler ; Dr. sociétés 1996, comm. 75, obs. Y. Chaput.

[4] Il lui suffit, pour ce faire, de notifier à son conjoint son intention de devenir associé.

[5] J. revel, « Droit des sociétés et régime matrimonial : préséance et discrétion », D. 1993, chron. p. 35.

[6] On pense notamment aux sociétés en nom collectif, aux sociétés en commandite simple ou encore aux sociétés civiles.

[7] A. Colomer, Droit cvil : Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, coll. « Manuel », n°769, p. 348.

[8] V. en ce sens notamment R. Roblot, Traité de droit commercial, t. I, 17e éd., par M. Germain et L. Vogel, LGDJ, 1998, n° 1035 ; Ph. Malaurie et L. Aynès, Droit civil, t. VII, Les régimes matrimoniaux, 3e éd., Cujas, 1994, n° 106.

[9] F. Dekeuwer-Défossez, « Mariage et sociétés », Études dédiées à René Roblot, Aspects actuels du droit commercial français, LGDJ 1984, p. 271.

[10] V. en ce sens Cass. crim., 9 août 1851 : DP 1852, 1, p. 160 ; S. 1852, 1, p. 281 ; Cass. civ., 7 mars 1888 : DP 1888, 1, p. 349 ; S. 1888, 1, p. 305.

[11] La loi du 13 juillet 1965 a mis fin au principe absolu de l’immutabilité des conventions matrimoniaux. Puis, la loi du 23 juin 2006 a modifié les articles 1396, alinéa 3, et 1397 du Code civil, lesquels n’exigent plus, lors d’un changement de régime matrimonial que ce changement soit soumis au juge pour être homologué.

[12] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, Armand Colin, 2e éd. 2001, n°323.

[13] V. notamment M. Nast, « Des parts d’intérêt sous le régime de la communauté d’acquêts », Defrénois 1933, art. 23.584 ; R. Savatier, « Le statut en communauté des parts de sociétés de personnes », Defrénois 1960, art. 27.920 ; G. Chauveau, « La jurisprudence devant le conflit entre le droit matrimonial et le droit des sociétés », Gaz. Pal. 1958, I, Doct. 65.

[14] E. Naudin, « L’époux associé et le régime légal de la communauté réduite aux acquêts », in Mélanges Champenois, Defrénois, 2012, p. 617.

[15] Cass. Com. 19 mars 1957, D. 1958. 170, note Le Galcher-Baron ; JCP 1958.II.10517, note Bastian ; Cass. com., 23 déc. 1957, D. 1958, p. 267, note M. Le Galcher-Baron ; JCP G 1958, II, 10516, note J.R. ; Cass. 1re civ., 22 déc. 1969, D. 1970, p. 668, note G. Morin ; JCP G 1970, II, 16473, note J. Patarin.

[16] Cass. civ., 4 janv. 1853, DP 1853, I, p. 73 ; S. 1853, 1, p. 568.; Cass. req., 6 janv. 1880, DP 1880, I, p. 361 ; S. 1881, 1, p. 49, note Labbé. Cass. 1re civ., 27 avr. 1982, Bull. civ. 1982, I, n° 145 ; JCP G 1982, IV, 236.

[17] La loi du 13 juillet 1965 a de sorte modifié l’article 1404 du Code civil, laissant alors entrevoir l’idée que les droits sociaux non négociables pouvaient être qualifiés de biens propres par nature. Cette même loi précise, en parallèle, à l’article 1424, qu’un époux ne pouvait pas en disposer seul, ce qui fera dire à certains qu’ils doivent être rangés parmi les biens communs.

[18] Loi n° 82-596 du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d’artisans et de commerçants travaillant dans l’entreprise familiale.

[19] V. en ce sens J. Derruppé, « Régimes de communauté et Droit des sociétés », JCP 1971, I, 2403 ; E. Naudin, « L’époux associé et le régime légal de la communauté réduite aux acquêts », in Mélanges Champenois, Defrénois, 2012, p. 617 ; F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les régimes matrimoniaux, Précis Dalloz, 6e éd. 2011, n° 330, p.261.

[20] A. Colomer, « Les problèmes de gestion soulevés par le fonctionnement parallèle d’une société et d’un régime matrimonial », Defrénois 1983, art. 33102, p. 865.

[21] A. Ponsard, Les régimes matrimoniaux, in Ch. Aubry et Ch. Rau, Droit civil français, t. VIII, 7e éd. 1973, n° 167 ; G. Marty et P. Raynaud, Droit civil. Les régimes matrimoniaux, Sirey, 2e éd. 1985, n° 181 et s.; G. Paisant, Des actions et parts de sociétés dans le droit patrimonial de la famille : thèse, Poitiers, 1978, p. 146 et s.

[22] J. Patarin et G. Morin, La réforme des régimes matrimoniaux, t. 1, 4e éd., 1977, Defrénois, n° 152 ; R. Savatier, « Le statut, en communauté, des parts de sociétés de personnes », Defrénois 1968, art. 29097, p. 421.

[23] H., L., et J. Mazeaud et de Juglart, Les régimes matrimoniaux, 5e éd. 1982, n° 156 ; G. Morin, D. 1970. 668, note sous Civ. 1ère, 22 déc. 1969.

[24] J. Derruppé, « Régime de communauté et droit des sociétés », JCP G 1971, I, 2403 ; du même auteur V. également « Les droits sociaux acquis avec des biens communs selon la loi du 10 juillet 1982 », Defrénois 1983, art. 33053, p. 521 et s.

[25]A. Colomer, « La nature juridique des parts de société au regard du régime matrimonial », Defrénois 1979, art. 32020, p. 817 et s. ; J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, Armand Colin, 2001, n°323, p. 315.

[26] V. en ce sens Cass. 1re civ., 8 janv. 1980, n° 78-15.902 : D. 1980, inf. rap. p. 397, obs. D. Martin ; Defrénois 1980, art. 32503, n° 118, p. 1555, obs. G. Champenois.

[27] A. Colomer, op. cit., n°780, p. 353-354.

[28] G. Champenois, op. cit., n°323, p. 315.

[29] Cass. 1re civ., 9 juill. 1991 : Bull. civ. 1991, I, n° 232 ; JCP N 1992, II, 378, n° 11, obs. Ph. Simler.

[30] Cass. 1re civ., 10 févr. 1998 : Bull. civ. 1998, I, n° 47 ; Defrénois 1998, art. 1119, note Milhac ; Gaz. Pal. 1999, 1, somm. p. 124, obs. S. Piedelièvre.

[31] Cass. 1re civ., 12 juin 2014, n° 13-16.309 : JCP G 2014, 1265, Ph. Simler ; D. 2014, p. 1908, obs. V. Brémond ; dans le même sens V. Cass. 1re civ., 4 juill. 2012, n° 11-13.384 : JurisData n° 2012-014917 ; JCP G 2012, 1104, note Paisant ; JCP N 2012, 1382, note J.-D. Azincourt ; Dr. famille 2012, comm. 158, obs. Paisant.

[32] V. en ce sens Cass. 1re civ., 9 juill. 1991, n° 90-12.503 : Bull. civ. 1991, I, n° 232 ; JCP G 1992, I, 3614, n° 8 ; Defrénois 1992, art. 35202, p. 236, obs. X. Savatier ; Cass. 1re civ., 12 juin 2014, n° 13-16.309 : D. 2014, p. 1908, obs. V. Brémond ; JCP G 2014, 1265, Ph. Simler ; Cass. 1re civ., 22 oct. 2014, n° 12-29.265 : JCP G 2014, act. 1137, P. Hilt ; JCP G 2014, 1265, Ph. Simler.

[33] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le PACS, LGDJ-Lextenso éditions, 2e éd., 2010, coll. « Manuel », n°376, p. 229.

[34] J. Derruppé, art. précit.

[35]V. en ce sens J. Dabin, Le droit subjectif, Dalloz, 1952, p.209 ; G. Ripert, Traité élémentaire de droit commercial, 3e éd., 1954, n°665, p. 297 ; F.-X. Lucas, Les transferts temporaires de valeurs mobilières, Pour une fiducie de valeurs mobilières, préf. de L. Lorvellec, L.G.D.J., 1997, n°411 ; F. Nizard, Les titres négociables, préf. de H. Synvet, Economica, 2003, n°30, p. 17 ; A. Galla-Beauchesne, « Les clauses de garantie de passif dans les cessions d’actions et de parts sociales », Rev. sociétés 1980, p. 30-31.

[36] V. en ce sens R. Mortier, Le rachat par la société de ses droits sociaux, préf. de J.-J. Daigre, Dalloz, 2003, n°302.

[37] S. Lacroix-De Sousa, La cession de droits sociaux à la lumière de la cession de contrat, préf. M.-É. Ancel, LGDJ, 2010, n°101, p. 103.

[38] J.-P. Bertel, « Liberté contractuelle et sociétés, Essai d’une théorie du juste milieu en droit des sociétés », RTD com. 1996, p. 595.

[39] Pour une étude approfondie sur l’évolution de la notion de société V. C. Champaud, « Le contrat de société existe-t-il encore ? », in Le droit contemporain des contrats, Travaux de la faculté des sciences juridiques de Rennes, Economica, 1987, p. 125 et s.

[40] J.Ph. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, éd. Dalloz, 2002, coll. « précis », n°474, p. 703 et s.

[41] R.-J. Pothier, Traité du contrat de société, éd. 1807.

[42] J. Domat, Lois civiles, Civ. 1ère, Titre VIII, in principio.

[43] Loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée.

[44] Ph. Merle, Sociétés commerciales, Dalloz, 19e éd. 2016, coll. « précis », n°31, p. 44.

[45] V. en ce sens M. Buchberger, Le contrat d’apport – Essai sur la relation entre la société et son associé, éd. Panthéon-Assas, 2011, préf. M. Germain, n° 193, p. 169.

[46] J.-P. Bertel, art. préc.

[47] V. en ce sens A. Gaillard, La société anonyme de demain, la théorie institutionnelle et le fonctionnement de la société anonyme, Sirey, 2e éd., 1933.

[48] M. Hauriou, « La théorie de l’institution et de la fondation (essai de vitalisme social) », in Aux sources du droit, le pouvoir, l’ordre et la liberté, Les Cahiers de la nouvelle journée, n°23, p. 89-128.

[49] M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, 29e éd., 2016, p. 5.

[50] V. en ce sens Ph. Merle, op. cit. n°33, p. 45 ; M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, op. cit., p. 5.

[51] V. notamment en ce sens P. Didier, « Le consentement avec l’échange : le contrat de société », RJ com. nov. 1995, n° spéc., « L’échange des consentements », p. 74 ; K. Peglow, Le contrat de société en droit allemand et en droit français comparés, préf. de J.-B. Blaise, L.G.D.J., 2003, p. 403 et s. ; S. Lacroix-De Sousa, thèse préc., p. 149 et s.

[52] P. Didier, « Brèves notes sur le contrat-organisation », in L’avenir du droit – Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz-PUF-Juris-classeur, 1999, p. 636.

[53] P. Didier, « Le consentement avec l’échange : le contrat de société », art. préc., p. 75.

[54] P. Hoang, La protection des tiers face aux associations. Contribution à la notion de « contrat-organisation », préf. P. Didier, L.G.D.J., 2002, introduction.

[55] N. Mathey, Recherche sur la personnalité morale en droit privé, thèse Paris II, 2001, p. 212.

[56] F. Chénedé, Les commutations en droit privé – Contribution à la théorie générale des obligations, préf. A. Ghozi, Economica, 2008 ; V. également J.-F. Hamelin, Le contrat alliance, thèse dactyl. Paris II, 2010 ; S. Lequette, Le contrat-coopération – Contribution à la théorie générale du contrat, préf. C. Brenner, Economica, 2012.

[57] J. Derruppé, « Régimes de communauté et droit des sociétés », art. préc. ; G. Plaisant, « Peut-on abandonner la distinction du titre et de la finance en régime de communauté ? », JCP N 1984, I, p. 19» ; E. Naudin, « L’époux associé et le régime légal de la communauté réduite aux acquêts », art. préc.

[58] J. Derruppé, art. préc.

[59] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, op. cit., n°249, p. 240 ; A. Colomer, op. cit., n°403, p. 195.

[60] J. Derruppé, « La nécessaire distinction de la qualité d’associé et des droits sociaux », JCP N 1984, I, p. 251.

[61] J. Derruppé, « L’altération du régime de communauté avec l’extension des propres par nature », in Mélanges Colomer, Litec, 1993, p. 161.

[62] V. notamment J. Derruppé, « Régimes de communauté et droit des sociétés », art. préc. ; J. Flour et G. Champenois, op. cit., n°323, p. 314-315.

[63] G. Plaisant, art. préc.

[64] V. en ce sens F. Vialla, « Autonomie professionnelle en régime communautaire et droit des sociétés : des conflits d’intérêts ? », RTD civ. 1996, p. 864, n° 105.

[65] Cass. 1re civ., 9 nov. 2011, n° 10-12.123 : JCP N 2012, note 1107, D. Boulanger ; JCP G 2012, 131, note G. Paisant ;  JCP N 2012, 1376, obs. Ph. Simler.

[66] V. en ce sens L. Nurit-Pontier, « Conjoint d’associé : être ou ne pas être associé », in Mélanges R. Le Guidec, LexisNexis, 2014, p. 229 et s.

[67] V. notamment J. Derruppé, « Régime de communauté et droit des sociétés », art. préc.

[68] C. Grzegorczyk, « Le concept de bien juridique : l’impossible définition ? », in Les biens et les choses, Arch. phil. dr., Sirey 1979, t. 24, p. 259.

[69] V. en ce sens F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens, PUF, 3e éd. 2008, p. 15 et s. ; Ch. Atias, Droit civil, Les biens, LexisNexis, 2015, n°36, p. 21 et s.

[70] V. en ce sens F. Zenati-Castaing et Th. Revet, op. cit., n°88, p.113.

[71] J. Dabin, op. cit., p. 209.

[72] R. Mortier, op. cit., n°302.

[73] V. en ce sens R.T. Troplong, Le droit civil expliqué – Du contrat de société civile et commerciale, Paris 1843, n°140, p. 154, cité in M. Caffin-Moi, Cession de droits sociaux et droit des contrats, préf. de D. Bureau, Economica, 2009, n°398.

[74] S. Lacroix, op. cit., n°142, p. 124.

[75] P. Berlioz, La notion de bien, préf. de L. Aynès, L.G.D.J., 2007, n°1100.

[76] F. Chabas, H.-L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, t. II, vol. II, Biens, droit de propriété et ses démembrements, Montchrétien, 8e éd., 1994, n°1301, p. 13.

[77] V. en ce sens H. Le Nabasque, « Les actions sont des droits de créance négociables », Aspects actuels de droit des affaires, in Mélanges en l’honneur de Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 673.

[78] V. en ce sens S. Ginosar, Droit réel, propriété et créance. Élaboration d’un système rationnel des droits patrimoniaux, thèse : Paris, 1960, n°12 ; F. Zenati, « Pour une rénovation de la théorie de la propriété », RTD civ. 1993, p. 316 ; Y. EMERICH, La propriété des créances, approche comparative, préface F. Zenati-Castaing, L.G.D.J., t. 469, 2007 ; W. Dross, « Une approche structurale de la propriété », RTD civ., 2012, p. 419.

[79] CEDH, 9 déc. 1994, Raffineries grecques Stran et Stratis andreadis c/ Grèce, n° 13427/87, RTD civ. 1995. 652, obs. F. Zenati; CEDH, 14 févr. 2006, n° 67847/01, Lecarpentier, D. 2006. 717, obs. C. RondeyDocument InterRevues ; RDI 2006. 458, obs. H. Heugas-Darraspen Document InterRevues ; RTD civ. 2006. 261, obs. J.-P. Marguénaud.

[80] Cons. const. 10 juin 2010, n° 2010-607 DC, Loi relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, cons. 7-10, D. 2010. 2553, note S. MoutonDocument InterRevues ; ibid. 2011. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin.

[81] Pour une critique de la propriété des créances V. notamment J. Dabin, « Une nouvelle définition du droit réel », RTD civ., 1962, p. 20.

[82] J. Ghestin, M. Billau et G. Loiseau, Traité de droit civil, Le régime des créances et des dettes, L.G.D.J., 2005.

[83] G. Marty et P. Raynaud, Droit civil, t. 2, Les biens, Sirey, 1980, p. 5, n° 6.

[84] H. Kelsen, Théorie pure du droit, éd. Bruylant-LGDJ, 1999, trad. Ch. Eisenmann, p. 257 ; V. également en ce sens G. Forest, Essai sur la notion d’obligation en droit privé, Préf. F. Leduc, Dalloz, coll. « Bibl. Thèses », 2012.

[85] On peut notamment penser à l’admission de la théorie de l’imprévision consacrée en droit civil par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

[86] Sur cette question V. notamment C. Bourdaire-Mignot, Le Contractant marié, préf. J. Revel, Defrénois, coll. « Doctorat & Notariat », 2009.

[87] A. Colomer, « les problèmes de gestion soulevés par le fonctionnement parallèle d’une société et d’un régime matrimonial », art. préc., p. 867.

[88] Sur cette question V. notamment Cass. 1re civ., 9 nov. 2011, n° 10-12.123 : JCP N 2012, note 1107, D. Boulanger ; JCP G 2012, 131, note G. Paisant ; D. 2012, p. 483, note V. Barabé-Bouchard ; contra V. Cass. 1re civ., 9 juill. 1991, n° 90-12.503 : Bull. civ. 1991, I, n° 232 ; JCP G 1992, I, 3614, n° 8 ; Defrénois 1991, art. 35152, p. 1333, note P. Le Cannu ; Cass. 1re civ., 12 juin 2014, n° 13-16.309 : D. 2014, p. 1908, obs. V. Brémond ; JCP G 2014, 1265, Ph. Simler ; Cass. 1re civ., 22 oct. 2014, n° 12-29.265 : JCP G 2014, act. 1137, P. Hilt ; JCP N 2014, n° 45-46, act. 1154 ; JCP G 2014, 1265, Ph. Simler.

[89] J. Revel, art. préc.

[90] G. Plaisant, art. préc.

[91] F. Vialla, art. préc.

[92] J. Derruppé, « L’altération du régime de communauté avec l’extension des propres par nature », art. préc.

[93] G. Champenois, op. cit., n°323, p. 313 ; A. Colomer, op. cit., n°769, p.348.

[94] Ph. Merle, Sociétés commerciales, Dalloz, 19e éd. 2016, coll. « précis », n°209, p. 208.

[95] V. en ce sens Cass. com., 19 mars 1957 : JCP G 1958, 10517, note D. Bastian ; D. 1958, jurispr. p. 170, note M. Le Galcher Baron; Cass. 1re civ, 22 déc. 1969 : JCP 1970, II, 16473, note J. Patarin ; Bull. civ. 1969, I, n° 400; Cass. com., 20 janv. 1971 : JCP G 1971, II, 16795.

[96] Sur ce débat V. notamment E. Naudin, « L’époux associé et le régime légal de la communauté réduite aux acquêts », art. préc.

[97] Ibid.

[98] Ibid.

[99] L’article 1468 dispose en ce sens que : « il est établi, au nom de chaque époux, un compte des récompenses que la communauté lui doit et des récompenses qu’il doit à la communauté, d’après les règles prescrites aux sections précédentes ».

Le couple: un obstacle à l’exécution?

Il est une idée curieusement répandue selon laquelle justice serait faite dès lors qu’une partie a obtenu gain de cause à un procès. Autrement dit, le prononcé d’une décision de justice suffirait à faire disparaître le désordre créé par la situation litigieuse. Évidemment il est illusoire de penser que le désordre né d’un conflit entre deux parties se dissiperait sous le seul effet de la formule exécutoire apposée par le juge sur sa décision. Comme le font remarquer certains auteurs « il faut se départir de l’idée […] que le jugement est une fin en soi qui pour les magistrats et les avocats constituerait l’ultime aboutissement de leurs fonctions »[1]. S’il est une chose qu’une décision soit rendue en application de règles posées par la loi, la réalisation du droit en est une autre. Il ne suffit pas qu’une norme juridique soit dite pour que justice soit faite, il faut encore que son application soit effective. Le Professeur Pierre Hebraud affirmait en ce sens que « la réalisation effective du droit doit être son but final »[2]. Cela suppose que le système juridique dont on souhaite l’effectivité – et dont dépend d’ailleurs, selon Kelsen, sa validité[3] – soit doté d’un dispositif efficace assurant l’exécution des décisions et des actes juridiques. Bien que, comme le souligne Denys de Béchillon, « le destin du droit, c’est de demeurer partiellement ineffectif »[4], il doit néanmoins être fait en sorte que le décalage entre le droit et les faits soit réduit autant que faire se peut. Cela s’est traduit, dans notre système juridique, par l’émergence, ancienne, d’un droit des procédures civiles d’exécution ; encore que pour certains son existence en tant que branche autonome du droit est très discutable[5]. Quoi qu’il en soit, un corpus normatif tourné vers la réalisation du droit existe. Ce corpus vise, plus concrètement, à garantir et à régir l’exercice du droit fondamental[6], et constitutionnel[7], à l’exécution qui échoit au créancier porteur d’un titre.

Assez paradoxalement, les modalités d’exécution auxquelles pouvaient recourir, naguère, les créanciers étaient bien plus contraignantes que celles qui leur sont ouvertes aujourd’hui alors que le droit – subjectif – à l’exécution n’avait fait l’objet d’aucune consécration particulière. Ainsi, n’est-il plus possible de recourir à la contrainte par corps pour obtenir le règlement d’une dette civile ou commerciale depuis l’adoption de la loi du 22 juillet 1867. Dans le même esprit, de nombreux garde-fous ont été introduits par la loi du 9 juillet 1991 en vue de protéger les débiteurs contre les saisies abusives et de garantir le respect de leur dignité et la protection de leur intimité. Cette humanisation du droit des procédures civiles d’exécution procède de la volonté du législateur de parvenir à « instaurer un équilibre entre les intérêts des créanciers qui attendent ce qui leur est dû, et ceux des débiteurs qui ne peuvent pas être en proie de n’importe qui, dans n’importe quelles conditions »[8]. La fin ne doit pas justifier les moyens. D’où l’adoption de mesures de plus en plus nombreuses visant à protéger les débiteurs, mais qui, du point de vue des créanciers, constituent autant d’obstacles à l’exécution. On enseigne, traditionnellement, que ces obstacles à l’exécution sont de deux sortes. Ils tiennent, soit à l’insaisissabilité de tout ou partie de biens en raison de leur nature ou de la qualité du débiteur. On dit qu’il existe une immunité d’exécution. Soit, ils tiennent à la suspension du droit de poursuite individuel, laquelle se justifie par la survenance d’une procédure collective, de la recevabilité d’une demande de rétablissement personnel, de l’octroi d’un délai de grâce ou encore de l’ouverture d’une succession.

Nonobstant leur variété, ces obstacles à l’exécution ont un point en commun : tous sont d’origine légale. En d’autres termes, c’est le législateur qui, souverainement, a estimé que certaines circonstances, très précises, pouvaient justifier qu’il soit fait échec, momentanément ou définitivement, à l’exercice du droit à l’exécution quand bien même son titulaire serait porteur d’un titre exécutoire. Le monopole du législateur en la matière est une absolue nécessité. Si l’on admettait que le juge, l’administration voire les parties à un contrat soient libres d’instaurer ou d’aménager des obstacles à l’exécution forcée, c’est l’effectivité même du droit qui s’en trouverait menacée et, par voie de conséquence, sa raison d’être. C’est pourquoi, les clauses de voie parée sont, par principe, prohibées[9]. Il apparaît pourtant que d’autres obstacles à l’exécution que ceux prévus par la loi existent[10]. Le premier d’entre eux est l’insolvabilité du débiteur, l’exécution forcée ne pouvant plus s’effectuer que sur ses biens. Pareillement, l’action de l’huissier de justice chargé de recouvrer une créance est matériellement entravée toutes les fois qu’il ne dispose pas d’informations suffisantes pour localiser le débiteur ou ses avoirs[11]. De la même manière, les possibilités de diligenter une exécution forcée sont extrêmement limitées en pratique, lorsque le débiteur réside à l’étranger malgré l’adoption de conventions internationales afin de surmonter cette difficulté[12]. Enfin, il est une dernière situation qui mérite de retenir tout particulièrement l’attention, même si peu souvent évoquée en droit de l’exécution, à tout le moins pas suffisamment dans sa globalité. Pourtant, cette situation est le lot de la plupart des débiteurs. Qui plus est, elle est de nature à obstruer de façon significative la mise en œuvre de l’exécution forcée. Il s’agit du débiteur qui vit en couple.

Cette situation se caractérise par l’union, de fait ou de droit, entre deux personnes et dont les patrimoines ont vocation à entretenir une plus ou moins étroite proximité. Ainsi, il est un risque pour le créancier que le débiteur qu’il poursuit organise son insolvabilité par le jeu d’un transfert fictif de patrimoine au profit de la personne avec qui il partage sa vie. Inversement, il peut être objecté que cette situation est favorable au créancier dans la mesure où l’assiette de son gage ne se limiterait pas au patrimoine de son débiteur mais s’étendrait au patrimoine de son complice en raison de la grande porosité entre ces derniers. La première question qui immédiatement se pose est alors de savoir si l’on doit voir dans le couple un obstacle à l’exécution forcée, comme peuvent l’être l’ouverture d’une procédure collective ou l’octroi d’un délai de paiement, ou si, au contraire, le couple s’apparente à un vecteur d’extension du gage du créancier. Pour répondre cela suppose de s’interroger sur l’ambivalence de la fonction remplie par le couple face à l’exécution forcée (I). La seconde question qui, ensuite, mérite d’être soulevée tient à la multiplicité des régimes juridiques auxquels est soumis le couple. Selon que le couple est marié ou non, quelle est l’incidence sur la mise en œuvre des procédures civiles d’exécution ? Y a-t-il un régime juridique dont l’application est plus protectrice qu’un autre ? Il conviendra, dans cette perspective, de se questionner sur l’existence de la protection qu’offre le couple au débiteur à l’épreuve de l’exécution (II).

I) L’ambivalence de la fonction remplie par le couple face à l’exécution

Dans les rapports que les époux, les partenaires ou les concubins entretiennent avec les tiers, le couple revêt un certain côté janusien : tantôt il constitue une aubaine pour les créanciers (A), tantôt il s’apparente à un refuge pour le débiteur (B)

A) Le couple : une aubaine pour les créanciers

Lorsqu’un créancier poursuit un débiteur défaillant en recouvrement de sa créance, les options qui s’offrent à lui pour obtenir satisfaction sont, classiquement, au nombre de trois. Tout d’abord, il peut demander le paiement de sa créance sur l’ensemble des éléments d’actif qui composent le patrimoine de son débiteur. L’exercice de cette faculté, plus communément appelée droit de gage général, est prévu à l’article 2284 du Code civil. Elle bénéficie à tout créancier qui justifie de l’existence d’une créance certaine, liquide et exigible. Ensuite, s’il s’est montré précautionneux, le créancier poursuivant peut demander la réalisation de la sûreté réelle constituée sur certains biens du patrimoine de son débiteur lors de la conclusion du contrat. Cela lui permet de bénéficier sur lesdits biens d’un droit de préférence exclusif du concours des créanciers chirographaires, voire de ceux titulaires d’une sûreté personnelle. C’est d’ailleurs là, la troisième option qui s’offre au créancier. Dans l’hypothèse où il se serait ménagé un droit de poursuite contre une ou plusieurs personnes autres que le principal obligé, au moyen d’une sûreté personnelle, il sera fondé à réclamer le paiement de sa créance sur le patrimoine du garant de son débiteur. Les sûretés présentent, certes, de nombreux avantages. Leur recours n’est, toutefois, pas sans inconvénient : le créancier doit anticiper le défaut de paiement du débiteur. Autrement dit, cela suppose que le créancier ait accompli des formalités en vue de constituer une garantie. Dans bien des cas, aucune démarche n’aura cependant été effectuée en ce sens, de sorte que l’assiette du gage du créancier se limitera au seul patrimoine de son débiteur, à tout le moins s’il est célibataire. Car, s’il vit en couple, cette situation ouvre de nouvelles perspectives au créancier.

La première d’entre elles, c’est l’existence d’une solidarité entre le débiteur et la personne avec qui il partage sa vie. Dans l’hypothèse où le débiteur est marié, ou pacsé, ce qui est de loin la situation la plus répandue, les articles 220 et 515-4 du Code civil prévoient, sensiblement dans les mêmes termes, que les époux et les partenaires sont tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un d’entre eux[13]. En d’autres termes, le créancier peut poursuivre le conjoint ou le partenaire de son débiteur pour la totalité de la dette, sans que celui-ci puisse lui opposer qu’il n’a pas la qualité de partie au contrat. Mécaniquement, cette solidarité instituée par le Code civil entre contractants d’un pacs ou d’un mariage vient doubler l’assiette du gage des créanciers, sans qu’il leur soit besoin de recourir à une sûreté. Plusieurs limites à cette solidarité sont néanmoins posées par les textes. D’une part, la solidarité entre partenaires et conjoints n’existe que pour les dettes ménagères[14], soit pour les dépenses courantes nécessaires au fonctionnement du foyer[15]. D’autre part, la solidarité est écartée si la dette contractée revêt un caractère manifestement excessif ou si elle porte sur un emprunt non modeste ou sur un achat à tempérament. En dehors de ces exceptions, le créancier muni d’un titre exécutoire peut mandater un huissier de justice pour diligenter une mesure d’exécution forcée à l’encontre du conjoint ou du partenaire de son débiteur. Dans cette configuration-là le couple joue indéniablement le rôle de vecteur d’extension du gage des créanciers.

La solidarité n’est pas la seule perspective heureuse que le couple offre aux créanciers confrontés à un défaut de paiement. Si la dette est contractée par un débiteur marié sous un régime de communauté, les créanciers peuvent envisager de réclamer le paiement de leur créance sur une masse de biens autre que les biens propres de leur débiteur : les biens communs. Par biens communs il faut entendre, pour ce qui concerne le régime légal, tous les biens acquis par les époux, à titre onéreux, pendant le mariage, ce qui comprend notamment les gains et salaires, les revenus de leurs biens propres et plus généralement tous les biens provenant de leur industrie personnelle. De la nature de l’engagement contracté par le débiteur dépend l’étendue du gage du créancier sur les biens communs. En vertu des articles 1413 et 1414 du Code civil, toute dette née du chef d’un époux est exécutoire, par principe, sur ses biens propres et sur l’ensemble des biens communs, à l’exclusion des gains et salaires de son conjoint[16]. Dans l’hypothèse où la dette serait solidaire, le gage des créanciers s’étendra alors sur les trois masses de biens qui composent le patrimoine du ménage, y compris les gains et salaires et les biens propres du conjoint du débiteur. Si, en revanche, la dette est née d’un cautionnement ou d’un emprunt souscrits sans le consentement du conjoint, conformément à l’article 1415 du Code civil les créanciers ne pourront exercer leurs poursuites que sur les biens propres de leur obligé et sur ses revenus. Il en va de même, au titre des articles 1410 et 1411 alinéa 1er du Code civil, si la dette est antérieure au mariage ou grevant les successions et libéralités reçues par le débiteur. Bien que réduit en apparence dans ces deux cas de figure, le gage des créanciers ne s’en trouve pas moins augmenté, dans la mesure où les revenus d’un époux constituent des biens communs. En outre, l’alinéa 2 de l’article 1411 précise que les créanciers personnels d’un époux peuvent saisir l’ensemble des biens mobiliers du ménage lorsqu’il est impossible de distinguer les biens propres du débiteur des biens communs. Là encore, cette règle n’est pas sans accroître le gage des créanciers qui peut encore voir son étendue grandir par le jeu des présomptions de propriété instaurées par le Code civil.

Parmi ces présomptions, on peut citer la présomption d’acquêt édictée à l’article 1402 du Code civil. En vertu de cette présomption, pour les couples mariés sous le régime de la communauté légale, tout bien dont les époux ne parviennent pas à établir l’origine est réputé enrichir l’actif de la communauté. Dès lors, à supposer qu’en réalité, le bien convoitée par un créancier appartienne, au moment de son acquisition, en propre au conjoint du débiteur, si les époux ne parviennent pas à en rapporter la preuve, ledit bien sera susceptible de faire l’objet d’une saisie pour toutes les dettes rentrant dans le champ d’application de l’article 1413 du Code civil. Autre présomption de propriété dont les créanciers d’un débiteur vivant en couple peuvent tirer profit : la présomption d’indivision qui existe entre époux séparés de biens[17], entre partenaires[18] et parfois entre les concubins[19]. Cette présomption a vocation à s’appliquer toutes les fois que celui qui revendique la propriété d’un bien est dans l’incapacité d’en rapporter la preuve. Quand cette situation se présente, le bien est réputé indivis pour moitié. Partant, s’il s’agit d’un bien qui appartient en propre au conjoint, au partenaire ou au concubin du débiteur, le gage du créancier s’étendra sur la moitié indivise de ce bien[20]. Le créancier sera néanmoins contraint de provoquer le partage de l’indivision par voie oblique conformément aux articles 815-17 alinéa 3 et 1166 du Code civil. Indépendamment de la question de la présomption d’indivision, il est utile de préciser que, si une contestation relative à la nature d’un bien survient, en vertu de l’article R 221-49 du Code des procédures civiles d’exécution, cette contestation ne fait pas obstacle à la saisie du bien litigieux. Toutefois, jusqu’à ce que le juge de l’exécution se prononce, cela n’aura pour seul effet que de rendre le bien saisi indisponible. L’issue de la procédure d’exécution est suspendue à la décision du juge. Au total, il apparaît que le créancier qui poursuit un débiteur vivant un couple est susceptible d’étendre l’assiette de son gage bien au-delà des limites définies par le droit de gage général. Le couple constitue, de la sorte, une véritable aubaine pour les créanciers. Elle n’est cependant pas sans contrepartie.

B) Le couple : un refuge pour les débiteurs

Le couple apparaît certes, à maints égards, pour les créanciers comme une garantie de solvabilité de leurs débiteurs ; mais cette situation peut également représenter un véritable danger pour eux. Ce danger vient, tout d’abord, de ce que l’union des personnes n’entraîne jamais totalement l’union des biens. Lorsqu’un couple se forme, ses composantes, même mariées sous un régime communautaire, demeurent à la tête de patrimoines propres. Or, excepté les cas où la solidarité entre époux ou partenaires, voire concubins si elle est conventionnelle s’applique, il existe une cloison étanche entre les masses de biens propres. Autrement dit, les dettes nées du chef d’un seul membre du couple ne sont jamais exécutoires sur les biens propres de l’autre. Tout au plus, elles le seront sur les biens communs s’ils sont mariés sous un régime de communauté. Un débiteur mal intentionné peut, dans ces conditions, échapper aux poursuites de ses créanciers en mettant ses biens à l’abri dans le patrimoine propre de son complice sans en perdre la jouissance. Ce transfert d’actifs peut s’en trouver facilité par l’autonomie bancaire dont jouissent les membres du couple, lesquels n’ont pas à justifier auprès de leur banquier la provenance des fonds qu’ils entendent déposer sur les comptes ouverts à leur nom. Pour les couples mariés, cette autonomie bancaire est garantie par la présomption de pouvoir posée à l’article 221 du Code civil. Selon cette disposition, les époux sont réputés avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt à l’égard du dépositaire. Ce dernier ne peut, en conséquence, demander à l’époux déposant aucune justification sur son régime matrimonial ou sur l’origine des fonds ou des titres déposés. Une fois leur dépôt effectué sur le compte du conjoint, du partenaire ou de la concubine du débiteur, ils seront hors de portée du créancier, sauf à ce qu’il démontre, conformément à l’article 1167 du Code civil, que l’opération a été réalisée en fraude de ses droits. Il en résultera, si son action aboutit, une inopposabilité de l’acte frauduleux, ce qui l’autorisa à diligenter une saisie directement entre les mains du tiers bénéficiaire[21], soit, concrètement, sur le compte bancaire de celui ou celle avec qui le débiteur est en collusion.

Dans l’hypothèse où les fonds convoités seraient déposés sur un compte joint, une autre difficulté se présentera au créancier saisissant. À supposer, pour commencer, que le débiteur soit pacsé ou marié sous un régime séparatiste, depuis un arrêt du 20 mai 2009 rendu par la Première chambre civile de la Cour de cassation, le créancier doit démontrer que les fonds qu’il entend saisir sont personnels au débiteur[22]. Comme le souligne un auteur, la preuve de ce fait étant quasiment impossible à rapporter, cela revient à « opposer au créancier personnel d’un époux séparé de biens une interdiction de toute saisie sur un compte joint »[23]. Antérieurement, la solution était somme toute différente. Il appartenait au co-titulaire du compte saisi de prouver que celui-ci était exclusivement ou partiellement alimenté par ses deniers propres. A défaut, les fonds étaient réputés indivis[24]. La saisie du compte était alors cantonnée à la moitié du solde[25]. Dorénavant, c’est au créancier d’identifier les fonds propres du débiteur. S’il n’y parvient pas, la même conséquence que celle tirée traditionnellement par la Cour de cassation doit être retenue : les effets de la saisie sont limités à la moitié indivise des fonds déposés sur le compte joint. Qu’en est-il si le débiteur vit en concubinage ? Dans la mesure où c’est le droit commun qui s’applique, les concubins peuvent difficilement se prévaloir d’une présomption d’indivision semblable à celles édictées aux articles 515-5 alinéa 2 et 1538 alinéa 3 du Code civil. Est-ce à dire que, si le créancier saisissant ne parvient pas à identifier les fonds du débiteur, comme l’y invite la Cour de cassation depuis 2009, la saisie est dépourvue d’effet ? Pour certains auteurs, une obligation de communication des relevés de comptes pèserait sur le débiteur. S’il ne s’y conforme pas la saisie devrait être efficace pour le tout[26].

Reste à s’interroger sur la situation du débiteur marié sous un régime de communauté. Le principe est, selon l’article 1413 du Code civil, que les dettes nées du chef d’un époux sont exécutoires sur ses biens propres et sur les biens communs. Les fonds déposés sur un compte joint devraient donc être saisissables en vertu de la présomption d’acquêt posée à l’article 1402 du Code civil. Ils le seront à la condition néanmoins que la dette contractée ne consiste, ni en un cautionnement, ni en un emprunt. Si tel est le cas, l’article 1415 du Code civil réduit le gage des créanciers aux biens propres et aux revenus de l’époux souscripteur. Aussi, dans un souci de protection de la communauté, la Cour de cassation estime-t-elle que, faute pour le créancier de démontrer que le compte joint est exclusivement alimenté par les revenus propres de l’époux caution ou emprunteur, ledit compte n’est pas saisissable[27]. A cet obstacle s’ajoute, pour le créancier, la difficulté relative à l’insaisissabilité des gains et salaires du conjoint du débiteur pour les dettes qu’il a contractées seul. Lorsque le compte joint est en partie alimenté par cette catégorie de biens, doit-on appliquer la même solution que celle retenue par la Cour de cassation en matière de cautionnement et d’emprunt ? L’insaisissabilité des gains et salaires est-elle susceptible de s’étendre à l’ensemble des fonds déposés sur le compte joint ? La lecture de l’alinéa 2 de l’article 1414 du Code civil appelle une réponse négative à cette question. Selon cette disposition, « lorsque les gains et salaires sont versés à un compte courant ou de dépôt, ceux-ci ne peuvent être saisis que dans les conditions définies par décret ». Cela nous renvoie au décret du 31 juillet 1992 qui prévoit, en son article 48 codifié à l’article R. 162-9 du Code des procédures civiles d’exécution, que lorsqu’un compte joint ou personnel alimenté par les gains et salaires du conjoint du débiteur fait l’objet d’une mesure d’exécution forcée, il doit être laissé à la disposition de ce dernier « une somme équivalant, à son choix, au montant des gains et salaires versés au cours du mois précédant la saisie ou au montant moyen mensuel des gains et salaires versés dans les douze mois précédant la saisie »[28]. Cette règle témoigne de la volonté du législateur de concilier, tant les intérêts du conjoint du débiteur en ne portant pas atteinte au principe d’insaisissabilité de ses gains et salaires, que les intérêts des créanciers à qui l’on autorise de saisir la portion des fonds qui excèdent le plafond forfaitaire fixé par le décret de 1992.

Immédiatement une nouvelle question se pose : la règle édictée à l’article 1414 alinéa 2 du Code civil est-elle applicable dans l’hypothèse où le compte que le créancier envisage de saisir est exclusivement alimenté par les revenus du débiteur ? En effet, pour mémoire, lorsqu’un époux contracte une dette personnelle ou souscrit, sans le consentement de son conjoint, un cautionnement ou un emprunt, il engage ses biens propres et ses revenus. Or les seconds sont susceptibles d’être thésaurisés, soit de se transformer en acquêts de la communauté. Partant, compte tenu de la fongibilité de la monnaie, il n’est plus possible de distinguer les revenus, saisissables par les créanciers au titre des articles 1411 et 1415 du Code civil, des acquêts ordinaires, lesquels sont exclus du gage des créanciers. Dans ces conditions, doit-on appliquer, par analogie, le dispositif prévu à l’article 1414 du Code civil et cantonner la saisie selon les modalités fixées à l’article R. 162-9 du Code des procédures civiles d’exécution ? Certains éminents auteurs le soutiennent[29]. La Cour de cassation n’a, toutefois, pas abondé en sens. Elle a, au contraire, estimé que « le cantonnement prévu à l’art. 1414, al. 2, c.civ., qui protège les gains et salaires d’un époux commun en biens […] n’est pas applicable en cas de saisie, sur le fondement de l’art. 1415 qui protège la communauté […] »[30]. Là encore, pour pratiquer une saisie-attribution sur le compte personnel de son débiteur le créancier devra démontrer que celui-ci est exclusivement alimenté par ses revenus[31]. S’il y parvient, ledit compte sera saisissable intégralement. C’est le principe du « tout ou rien »[32] qui est ici appliqué par la Cour de cassation. Finalement, nombreux sont les cas où le créancier se heurtera à l’insaisissabilité de tout ou partie des fonds déposés sur les comptes de son débiteur ; surtout s’il est marié.

En plus des difficultés liées à l’insaisissabilité des fonds déposés sur les comptes bancaires d’autres obstacles à l’exécution peuvent s’ajouter. Si le débiteur est marié sous un régime de communauté et que son conjoint fait l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, dans l’hypothèse où la dette est exécutoire sur les biens communs, ses créanciers devront se soumettre aux règles du droit des procédures collectives. En d’autres termes, les créanciers de l’époux in bonis sont assujettis à la règle de la suspension des poursuites individuelles. Ils doivent, en conséquence, déclarer leur créance dans le cadre de la procédure collective engagée contre le conjoint visé par la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Malgré les critiques[33], c’est ce qui a été décidé à plusieurs reprises par la Cour de cassation[34]. Si les créanciers de l’époux in bonis ne le font pas, aucune forclusion ne saurait leur être opposée, dans la mesure où ils ne sont pas informés de l’ouverture d’une procédure collective[35]. Toutefois, ils seront payés en dernier sur les biens communs. Autre obstacle susceptible se dresser sur le chemin des créanciers d’un débiteur vivant un couple : en raison du statut juridique de certains biens, les mesures d’exécution forcées ne permettent pas d’anticiper sur leur qualification à venir. L’acquisition par un couple d’un bien avec clause d’accroissement ou clause de tontine a pour effet de rendre ce bien insaisissable tant que la condition suspensive de survie ne s’est pas réalisée[36]. De la même manière, si le débiteur est marié sous le régime légal, ses créanciers devront attendre la liquidation du régime matrimonial pour envisager de se faire payer sur les récompenses qui lui sont dues par la communauté. Au total, il apparaît que dans de nombreuses situations le couple s’apparente pour le débiteur à un refuge, un refuge dans lequel il est à l’abri, temporairement, voire définitivement, des poursuites de ses créanciers.

II) L’existence de la protection assurée par le couple à l’épreuve de l’exécution

Lorsque le couple tient lieu de refuge au débiteur, la question se pose de l’efficacité de la protection qu’il lui confère d’une part (A). D’autre part, les effets de cette protection ne sont-ils pas de nature à porter atteinte au droit à l’exécution qui échoit aux créanciers porteurs d’un titre exécutoire ? (B).

A) L’efficacité variable de la protection assurée par le couple

Depuis toujours, les couples qui embrassent le choix du mariage pour concrétiser leur union et fonder une famille ont les faveurs du droit. La raison en est que le mariage est perçu, encore aujourd’hui par beaucoup, comme « la norme fondamentale qui règle l’union de l’homme et de la femme »[37]. On rappellera la définition donnée par Portalis de l’union conjugale pour qui il s’agit de « la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager une commune destinée ». Parce que les rédacteurs du Code civil voyaient dans le mariage l’acte fondateur de « la cellule de base de la société »[38], il leur est apparu nécessaire d’encourager, de protéger et de favoriser les couples qui adhéreraient à ce cadre légal. A l’inverse, le concubinage, sans être prohibé, a, jusqu’en 1999, totalement été ignoré par le législateur, l’objectif étant que les seuls effets produits par cette situation de fait soient défavorables aux concubins. La célèbre formule du Premier Consul résume parfaitement cet état d’esprit : « puisque les concubins se désintéressent du droit, alors le droit se désintéressera d’eux ». Est-ce à dire que « hors mariage, pas de salut »[39] ? Si, depuis la loi sur le pacs, cela n’est plus tout à fait vrai, il n’en demeure pas moins que, comme le souligne un auteur, lorsqu’ils se marient « les époux souhaitent, pour organiser une communauté de vie qu’ils envisagent dans la durée, obtenir un statut privilégié »[40]. La question qui se pose alors est, pour ce qui nous concerne, de savoir si le mariage constitue un meilleur refuge pour le débiteur qui se trouve sous la menace d’une mesure d’exécution forcée que le pacs ou le concubinage ? Pour le déterminer, cela suppose de se demander si les facteurs dont dépend la protection que confère le couple au débiteur répondent à la même logique que la hiérarchie instituée par le Code civil entre les différents modes de conjugalité.

S’agissant du premier facteur, il tient à la solidarité entre les membres du couple ; ou plutôt à l’absence de solidarité. Lorsque la dette contractée par un débiteur n’est exécutoire que sur ses biens propres, voire sur les biens communs s’il est marié, la possibilité s’offre à lui pour échapper à ses créanciers de transférer ses actifs dans le patrimoine propre de la personne avec qui il partage sa vie. Ses biens seront de cette façon à l’abri de toute mesure d’exécution forcée, sauf à ce qu’une action paulienne soit engagée par son créancier. Entre le moment où l’action aura été introduite et le moment où le juge rendra sa décision, il est néanmoins un risque que le débiteur, de mauvaise foi, fasse sortir ses biens du patrimoine de son complice pour les faire purement et simplement disparaître. Une mesure d’exécution s’avérera alors, in fine, vaine. On peut en déduire que moins le domaine de la solidarité est restreint, plus le niveau de protection susceptible d’être assurée par le couple à l’endroit de ses membres est élevé. Conséquemment, le concubinage apparaît être, sur ce point, la modalité de conjugalité qui confère au débiteur la meilleure protection. Contrairement aux partenaires et aux époux pour qui le Code civil instaure aux articles 515-4 et 220 une solidarité limitée aux dettes ménagères, les dettes nées du chef d’un concubin, même ménagères, n’obligent pas solidairement l’autre. Régulièrement, la Cour de cassation rappelle que le statut matrimonial n’a pas vocation à s’appliquer aux concubins[41]. C’est le droit commun qui s’applique. Or en vertu de l’article 1202 du Code civil, « La solidarité ne se présume point ; il faut qu’elle soit expressément stipulée ». Aucune solidarité légale n’existe donc entre les concubins, à tout le moins pour les dettes les plus modiques. Car, en pratique, pour les engagements les plus importants, comme par exemple l’acquisition ou la location d’un bien immobilier, les créanciers (la banque ou le bailleur) exigeront que les concubins soient solidaires. Il en va de même pour les partenaires et les époux. Dès lors que la solidarité s’applique, la protection que le couple procure au débiteur est totalement anéantie. Inversement, lorsque la solidarité est écartée, le niveau de cette protection est susceptible de s’accroître par le jeu d’un deuxième facteur : l’existence d’une porosité entre les patrimoines respectifs des membres du couple.

Cette porosité peut résulter de situations différentes. Tout d’abord, le couple peut avoir choisi, par souci de commodité, de se doter d’un compte joint. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation estime que, en raison de la fongibilité de la monnaie, il appartient au créancier d’identifier les fonds sur lesquels la dette est exécutoire. S’il n’y parvient pas, le compte joint est insaisissable pour le tout. La Cour de cassation entend, de la sorte, protéger les fonds sur lesquels le créancier est privé de l’exercice de son droit de gage. D’aucuns suggèrent que cette jurisprudence constitue une incitation pour les débiteurs vivant en couple à clôturer leurs comptes personnels pour n’ouvrir que des comptes joints. L’ouverture de pareil compte n’est cependant pas la seule situation dont il résulte une porosité entre les patrimoines des membres d’un couple. Une porosité peut également se créer lorsqu’ils sont mariés sous un régime de communauté. La troisième masse de biens, celle des biens communs, joue, en effet, le rôle d’interface entre les patrimoines propres des époux. Qui plus est, leurs revenus respectifs ont vocation à devenir des acquêts ordinaires. Il en résulte que lorsqu’un époux contracte une dette personnelle, un emprunt ou un cautionnement, son créancier, s’il souhaite saisir les fonds déposés sur son compte personnel, se heurtera à la même difficulté que s’il s’agissait d’un compte joint : il lui faudra prouver que le compte de son débiteur est exclusivement alimenté par des revenus propres. A défaut, la Cour de cassation considère que les fonds sont insaisissables.

Enfin, une dernière situation peut être signalée comme génératrice de porosité entre les patrimoines des membres d’un couple : l’acquisition d’un bien en commun. Qu’elle se fasse en indivision ou en tontine, dans les deux cas cette situation est de nature à obstruer l’action des créanciers poursuivants. S’il s’agit d’une acquisition en indivision, l’article 815-17 alinéa 2 du Code civil pose le principe que « les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis, meubles ou immeubles ». Pour se faire payer sur la quote-part qui revient au débiteur, les créanciers n’auront d’autre choix que de provoquer le partage. Dans cette attente, le bien indivis demeurera insaisissable. Pareillement, s’il s’agit d’une acquisition en tontine, les créanciers devront faire preuve de patience. Non seulement il leur faudra attendre que la condition suspensive de survie se réalise pour engager leurs poursuites ; mais encore il leur faudra espérer que leur débiteur décède en premier. Dans le cas contraire, ils ne pourront faire valoir aucun droit sur le bien convoité.

Assez paradoxalement, tandis que la porosité entre les patrimoines des membres du couple – qui, comme nous l’avons vu, accroît dans de nombreuses situations l’étendue du gage des créanciers – devrait faciliter leur action en recouvrement de leur créance, il s’avère que, notamment en raison des dernières positions prises par la Cour de cassation, elle concourt plutôt au renforcement de la protection que le couple offre au débiteur à l’encontre des mesures d’exécution qui le menacent. Plus la porosité entre les patrimoines est grande et plus la protection assurée par couple est accrue. Sur ce point-là, le débiteur marié sous un régime de communauté bénéficie d’une meilleure protection que les concubins, les partenaires ou encore les époux séparés de biens. Est-ce également le cas s’agissant du dernier facteur dont dépend la protection que le couple prodigue à ses membres ?

Ce facteur n’est autre que l’existence d’une corrélation entre l’actif et le passif. Autrement dit, lorsqu’un membre du couple contracte une dette personnelle son actif répond-il seul de son passif ou engage-t-il plus que ses biens propres ? Dans l’hypothèse où il existe une symétrie parfaite entre l’actif et le passif, le débiteur peut relativement facilement se servir de son couple comme d’un bouclier pour échapper aux poursuites de ses créanciers. Il lui suffit, pour ce faire, de s’arranger pour n’avoir aucun bien sous son nom propre. Dans l’hypothèse, en revanche, où il existe une dissymétrie entre l’actif et le passif, les créanciers auront un gage plus étendu sur les biens du couple. Il sera alors plus difficile pour le débiteur d’organiser son insolvabilité. Conformément à l’article 1413 du Code civil, toute dette née du chef d’un époux engage la communauté. Or, la plupart du temps, les biens communs sont ceux qui concentrent l’essentielle de la valeur des biens du couple. Cette absence de corrélation entre l’actif et le passif est due à l’existence d’une troisième masse de biens. Elle se rencontre donc exclusivement chez les couples mariés sous un régime de communauté. Pour les couples de concubins, de partenaires ou d’époux séparés de biens, la symétrie entre l’actif et le passif est parfaite. Les dettes nées du chef de l’un ne sont exécutoires que sur ses biens propres. Ces modes de conjugalité offrent, dans ces conditions, une meilleure protection pour les débiteurs que le mariage contracté sous l’empire du régime légal. Quelle conclusion générale tirer de tout ce précède ?

Il peut tout d’abord être relevé que la protection que le couple est susceptible de procurer au débiteur est d’efficacité très variable. Elle dépend de plusieurs facteurs que sont l’absence de solidarité entre les membres du couple, la porosité entre leurs patrimoines respectifs et l’existence d’une corrélation entre l’actif et le passif. Au regard, ensuite, de ces trois facteurs, le concubinage et le pacs apparaissent, globalement, plus protecteurs que le mariage. S’agit-il d’une anomalie si l’on met ce constat en perspective avec la volonté des rédacteurs du Code civil de conférer aux époux un statut privilégié ? On ne saurait raisonnablement soutenir cette thèse. Le régime juridique qui s’applique aux époux a, certes, été élaboré dans un souci de protection. Cette protection n’a cependant pas été instituée dans le dessein de les protéger contre les poursuites des créanciers. Cela n’aurait pas grand sens. Au contraire, le législateur a toujours cherché, par la conjugaison des règles de pouvoir et de passif, à inciter les créanciers à contracter avec les couples mariés. Cela supposait donc d’étendre leur droit de gage et de conférer aux époux des pouvoirs étendus quant à l’administration et la disposition de leurs biens propres et communs. Le fait que le mariage constitue un moins grand obstacle à l’exécution forcée que le concubinage ou le pacs ne saurait, en conséquence, être perçu comme une anomalie. Ce qui, en revanche, en est une ce sont les effets indésirables générés par la protection assurée par le couple au débiteur.

B) Les effets indésirables de la protection assurée par le couple

Bien que ponctuelle, d’efficacité variable d’un mode de conjugalité à l’autre et, la plupart du temps, temporaire, la protection que le couple confère au débiteur conduit inévitablement à s’interroger sur sa raison d’être. Est-il acceptable qu’une situation de fait ou de droit, puisse faire obstacle à la mise en œuvre d’une mesure d’exécution forcée, alors que le législateur ne l’a pas expressément envisagée ? La question est d’importance. L’enjeu est de déterminer comment concilier le droit de la famille avec le droit des procédures civiles d’exécution. Lorsque le couple tient lieu de refuge au débiteur qui tente d’échapper à ses créanciers, non seulement cela se fait parfois au prix de malmener le droit substantiel, mais encore cela porte atteinte au droit subjectif à l’exécution. Deux exemples peuvent être évoqués pour mettre en lumière les effets indésirables, que la protection que le couple offre au débiteur, est susceptible d’engendrer.

Arrêtons-nous, pour commencer, sur le cas somme toute banal d’un époux marié sous un régime de communauté qui contracte une dette qui n’est exécutoire que sur ses biens propres et ses revenus. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation juge, depuis 2001, qu’il appartient au créancier d’identifier les fonds propres et les revenus de son débiteur, faute de quoi le compte joint ou personnel de celui-ci est insaisissable pour le tout. Dans un premier temps, le fondement sur lequel reposait ce renversement de la charge de la preuve était pour le moins nébuleux. Par un arrêt du 17 janvier 2006 la Cour de cassation a cependant éclairci ce point d’ombre en affirmant que cette solution se justifiait en raison de la présomption de communauté instituée par l’article 1402 du Code civil[42]. Les juges du Quai de l’Horloge estiment que, dans la mesure où les biens appartenant aux époux sont présumés communs, c’est à celui qui prétend le contraire d’en rapporter la preuve. Si, de prime abord, cette position peut se comprendre en raison du souci de protection dont fait montre la Cour de cassation à l’endroit, tant de l’actif de la communauté, que des biens propres du conjoint du débiteur, elle n’est toutefois pas exempte de tout reproche.

En effet, l’article 1402 du Code civil institue une présomption simple d’acquêts. Renverser cette présomption suppose, dans ces conditions, de démontrer que les biens litigieux sont propres, ce que ne sont pas les revenus des époux. Aussi est-ce là, nous semble-t-il, que le raisonnement de la Cour de cassation est erroné. En faisant supporter aux créanciers la charge d’identifier les revenus du débiteur sur le compte objet de la saisie, la Cour de cassation ne leur impose pas de prouver qu’il s’agit de biens propres, mais qu’ils constituent des biens communs saisissables. Elle modifie donc le sens de la présomption posée à l’article 1402 du Code civil, laquelle n’opère aucune distinction entre les biens communs ordinaires et les revenus des époux : tous sont des acquêts. Son renversement ne peut, autrement dit, consister qu’à prouver que les fonds déposés en compte sont propres et non qu’ils ne sont pas des acquêts ordinaires. Comme le relève très justement un auteur, la Cour de cassation se livre ici à « une sorte d’amalgame curieux, en considérant que la présomption de communauté entraîne une présomption d’insaisissabilité »[43]. La protection que le couple procure incidemment au débiteur repose alors sur un dévoiement de la présomption posée à l’article 1402 du Code civil. Cette présomption ne s’apparente en aucune manière à une règle de passif ; elle a seulement vocation à résoudre une question de propriété.

Là n’est pas la seule critique qui peut être formulée à l’encontre de la position adoptée par la Cour de cassation. En contraignant le créancier à identifier les revenus de son débiteur sur le compte objet de la saisie, il en résulte par là même une interdiction faite au banquier de procéder au prélèvement des fonds tant qu’il n’en connaît pas la provenance. Cela revient, en somme, à écarter la présomption de pouvoir instituée à l’article 221 du Code civil qui, pourtant, le dispense de rechercher la propriété des fonds déposés ou prélevés. Dans l’hypothèse, en outre, où la dette consisterait en un emprunt ou un cautionnement contracté sans le consentement du conjoint, la solution de la Cour de cassation conduit à confronter une règle de passif, l’article 1415, avec une règle de pouvoir, ce qui n’est pas sans poser certain un problème de cohérence[44]. Pis, l’article 221, composante du régime primaire impératif, s’efface au profit d’une règle propre au régime légal. Or on le sait : le régime primaire est censé primer sur toutes les règles qui relèvent d’un régime matrimonial spécifique.

Le second exemple qui témoigne de l’inopportunité de la protection que le couple est susceptible d’offrir au débiteur repose sur une situation différente de la précédente. Le débiteur est toujours marié sous un régime de communauté. Seulement, son conjoint fait l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation décide, comme nous l’avons vu, que si le droit de gage des créanciers de l’époux in bonis s’étend aux biens communs, leur droit de poursuite individuelle est suspendu[45]. Comme les créanciers de l’époux qui fait l’objet d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, ils doivent déclarer leurs créances auprès du mandataire chargé de mener à bien la procédure. S’ils ne le font pas, ou trop tard, ils ne pourront se faire payer qu’après les créanciers chirographaires[46], quand bien même leur créance serait garantie par une sûreté réelle grevant les biens communs. Une fois encore, la solution adoptée par la Cour de cassation se fait au prix de malmener le droit substantiel. Comment concevoir juridiquement que les créanciers de l’époux in bonis soient dans l’obligation de déclarer leur créance contre une personne qui n’est pas leur débiteur[47] ? Pis, comment admettre que des créanciers susceptibles d’être titulaires d’une hypothèque régulièrement inscrite puissent être payés après de simples créanciers chirographaires ? Pour Philippe Simler, non seulement la position de la Cour de cassation « n’est ni juste ni justifiable en droit, ni même, cohérente », mais encore elle « méconnaît gravement la nature et des effets du droit réel »[48].

Indépendamment de la problématique juridique que soulève cet exemple, celui-ci met en exergue, comme le précédent, le fait que lorsque le couple se dresse en obstacle à l’exécution forcée cela se fait, parfois, au détriment de la cohérence du droit substantielle. Surtout, et c’est cela qui doit retenir toute notre attention, il s’ensuivra toujours, au-delà des cas particuliers qui viennent d’être évoqués, une atteinte, aussi minime soit-elle, au droit à l’exécution des créanciers et, corrélativement, à la réalisation du droit. Certes, aucun droit subjectif ne saurait être absolu. On est cependant légitimement en droit de s’interroger sur la délimitation de leur exercice. La protection de quel intérêt justifie qu’un droit subjectif puisse faire l’objet d’une limitation ? À bien y réfléchir, lorsque le couple constitue un obstacle à l’exécution forcée l’atteinte que subit le droit à l’exécution est toujours une conséquence indirecte de la situation litigieuse.

Lorsque, en effet, la Cour de cassation impose au créancier d’identifier les fonds qu’il entend saisir sur un compte joint, son intention n’est nullement de permettre au débiteur d’échapper aux poursuites de ses créanciers. Elle est uniquement animée par le souci de protéger les intérêts du co-titulaire du compte, voire ceux de la communauté, si le débiteur est marié sous le régime légal. De la même manière, lorsque l’on contraint les créanciers de l’époux in bonis à déclarer leur créance dans le cadre de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dont fait l’objet son conjoint, cette obligation n’est instaurée que dans le dessein de préserver les droits des créanciers de ce dernier. Lorsque, encore, l’article 815-17 fait obstacle à la saisie, par des créanciers, de la quote-part du bien indivis qui revient à leur débiteur, cette interdiction se justifie par l’exigence de protection du droit de propriété qui échoit à chaque co-indivisaire.

Ainsi, toutes les fois où le couple tient lieu de refuge au débiteur, la protection qu’il lui offre n’est toujours qu’incidente : elle est une conséquence indirecte de l’application d’une règle qui vise à protéger les intérêts d’une personne autre que le débiteur. Et pour cause, le couple n’a nullement été envisagé, ni par le législateur, ni par le juge comme un moyen pour les débiteurs de se soustraire aux poursuites de leurs créanciers. En témoignent les régimes juridiques du pacs et du mariage qui, au contraire, ont été élaborés en vue de préserver les intérêts des tiers. Lorsque, dès lors, le couple fait obstacle à l’action des créanciers, la limitation du droit à l’exécution ne fait jamais partie de l’objet des règles de pouvoir, de passif ou de propriété. Dans bien des cas, il s’agira plutôt d’un détournement de leur finalité par le débiteur qui cherche à se rendre insolvable. Cette insolvabilité sera d’autant plus facile à organiser s’il vit en concubinage.

Aussi, afin de limiter l’atteinte portée au droit à l’exécution, sans doute est-ce sur cette union de fait que le législateur pourrait agir. Comment admettre que, lorsqu’un débiteur vit en concubinage, il bénéficie d’une meilleure protection que s’il était marié ou pacsé ? Non seulement cette situation est de nature à faire perdre en attractivité le mariage et le pacs. Surtout, elle entre en contradiction avec la volonté toujours plus forte, tant des juges, que du législateur de préserver les intérêts des tiers dans les rapports qu’ils entretiennent avec le couple, quel que soit le mode de conjugalité en question. La preuve en est l’application régulière par la jurisprudence aux concubins des théories de l’apparence et du mandat tacite qui conduisent, au même titre que les articles 220 et 515-4 du Code civil, à étendre l’assiette du droit de gage des créanciers à l’ensemble des biens du couple[49]. Cela est cependant loin d’être suffisant ; d’où la nécessité que le législateur intervienne en instaurant, comme le suggèrent certains, un droit commun du couple[50] avec comme socle de base une solidarité pour les dépenses ménagères. L’intérêt serait double : accroître le crédit du couple tout en renforçant le droit de poursuite des créanciers.

[1] R. Perrot et Ph. Thery, Procédures civiles d’exécution, 3e éd., Dalloz, 2013, n°6, p. 6.

[2] P. Hebraud, « L’exécution des jugements civils », RID comp. 1957, p. 170, cité in N. Cayrol, Droit de l’exécution, éd. LGDJ, coll. « Domat droit privé », 2013, n°2, p. 10.

[3] H. Kelsen, Théorie pure du droit, éd. Bruylan – LGDJ, 1999, trad. Ch. Eisenmann, p. 54.

[4] D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, éd. Odile Jacob, 1997, p. 61.

[5] N. Cayrol, op. prec., n°12, p. 15.

[6] CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c. Grèce, JCP 1997, II, 22949, note Dugrip et Sudre ; D. 1998, p. 74, note Fricero ; AJDA 1997, p. 986, obs. Flauss.

[7] Cons. Const., 29 juill. 1998, déc. n°98-403 DC, cons. N°47, RDP 1999, p. 79, obs D. Rousseau.

[8] A. Leborgne, Droit de l’exécution, 2e éd., dalloz, coll. « precis », 2014, n°28, p. 19.

[9] L’article L. 521-3 du Code de commerce pose une exception à la prohibition des clauses de voie parée en matière de gage commercial. Il dispose en ce sens que le bénéficiaire d’un gage commercial peut faire procéder à la vente du bien gagé en dehors des modalités prévues par les procédures civiles d’exécution.

[10] V. en ce sens A. Leborgne, « rapport introductif » in A. Leborgne et E. Putman, Les obstacles à l’exécution forcée : permanence et évolution, éd. EJT, coll. « Droit et procédures », 2009, p.4.

[11] Cette situation est très fréquente dans la mesure où sans la date et le lieu de naissance de ce dernier, il sera dans l’huissier instrumentaire serait dans l’impossibilité de diligenter une enquête FICOBA, SIV ou loi Béteille.

[12] On pense notamment à l’instauration d’un titre exécutoire européen par le règlement du 21 avril 2004 qui permet, pour certains types de créances, à un créancier de demander l’exécution d’une décision dans n’importe quel état membre de l’Union européenne, à l’exception du Dannemark, sans qu’il soit besoin d’introduire une demande d’exequatur.

[13] Sur cette question V. notamment I. Dauriac, « Les couples à l’épreuve de la solidarité ménagère », Gaz. Pal., 2008, 10-11 déc., p. 18-22.

[14] Il est à noter qu’il existe, à la marge, une solidarité spéciale pour les dettes fiscales conformément aux articles 1685-2 et 1723 ter-OOB du Code général des impôts, les dettes de responsabilité pour les pères et mères en raison du dommage causé par leur enfant mineur selon l’article 1384 alinéa 4 du Code civil.

[15] Pour une étude approfondie de la notion de dette ménagère V. A. Ponsard, « L’étendue de la solidarité ménagère des époux », in Indépendance financière et communauté de vie, Colloque du Laboratoire d’études et de recherches appliquées au droit privé, Univ. de Lille II, éd. 1989, p. 21 et s.

[16] Pour une étude approfondie de la question V. Ph. Simler, « La mesure de l’indépendance des époux dans la gestion de leurs gains et salaires » : JCP G 1989, I, 3398.

[17] Article 1538 alinéa 2.

[18] Article 515-5 alinéa 2.

[19] Cass. com., 27 juin 1961 : Bull. civ. 1961, III, n° 297 ; Cass. 1re civ., 7 déc. 1977.

[20] Cass. 2e civ., 10 juill. 1996, RTD civ. 1996, p. 990, obs. R. Perrot.

[21] Cass. 1re civ., 30 mai 2006, n° 02-13.495; Bull. civ. 2006, I, n° 268 ; JCP G 2006, II, 10150, note R. Desgorces.

[22] Cass. 1re civ., 20 mai 2009, n° 08-12.922; Dr. famille 2009, comm. 93, obs. Beignier ; AJF 2009, p. 356, obs. Hilt ; Dr. et proc. 2009, p. 278, obs. F. Winckel.

[23] A. Leborgne, op. cit., n°167, p. 104.

[24] Il était fait application de la présomption d’indivision posée à l’article 1538 pour les couples séparés de biens. Quant aux couples pacsés ou de concubins, aucune affaire notoire n’a été portée devant les juridictions. La doctrine s’accorde cependant à dire que la même solution leur aurait été appliquée.

[25] Cass. 2e civ., 10 juill. 1996; RTD civ. 1996, p. 990, obs. R. Perrot.

[26] V. en ce sens D. Gibirila, « La saisie des sommes déposées sur le compte joint d’époux séparés de biens », LPA, 27 janvier 2010 n° 19, P. 9.

[27] Cass. 1re civ., 3 avr. 2001, n° 99-13.733 : D. 2001, p. 1365 ; Cass. 1re civ., 17 févr. 2004 : Dr. famille 2004, comm. 84, obs. B. Beignier.

[28] Sur le décret V. M. Weyland, « L’indispensable dissociation des alinéas 1 et 2 de l’article 1414 du Code civil », JCP G 1993, I, 3712.

[29] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, 2 éd. Armand Colin, 2001, n°431, p. 413 ; Ph. Simler, Commentaire de la loi du 23 décembre 1985, éd. Techniques, n°spécial 3 des Juris-classeurs, Droit civil, 1986, n°50, M. Grimaldi, « Commentaire de la loi de 1985… », Gaz. Pal., 1986, II, n°49.

[30] Cass. 1re civ., 17 févr. 2004 : Defrénois 2004, p. 1476, obs. G. Champenois.

[31] Cass. 1re civ., 14 janv. 2003 : Dr. famille 2003, comm. 48, obs. B. Beignier.

[32] Ph. Simler, « De quelques lacunes du dispositif législatif relativement à la saisissabilité des revenus des époux en régime de communauté », in Mélanges Béguin, Litec, 2005, p. 689.

[33] Ph. Simler, « Les interférences des régimes matrimoniaux et des procédures collectives », LPA, n°72, 1998, p. 28.

[34] Cass. com., 14 mai 1996 : RTD civ. 1996, p. 666, obs. Crocq; Cass. com., 16 mars 1999 : Defrénois 1999, p. 856, obs. Sénéchal.

[35] Cass. com., 19 janv. 1993 : D. 1993, p. 331, note A. Honorat et J. Patarin ; RTD com. 1993, p. 377, obs. Martin-Serf.

[36] Cass. 1re civ., 8 janv. 2002, n° 99-15.547 : JCP G 2002, II, 10 036, note Y. Chartier.

[37] G. Cornu, Droit civil : La famille, 9e éd., Montchrestien, coll. « Domat droit privé », 2006, n°155, p. 274.

[38] S. Minvielle, La famille en France à l’époque moderne, Armand Colin, 2010, p. 21.

[39] X. Labbée, Le droit commun du couple, Presses Univ. Septentrion, 2012, p. 17.

[40] M. Lamarche, « Que restera-t-il du mariage? », Revue Droit de la famille, n°11, Nov. 2010, alerte 72.

[41] Cass. 1re civ., 28 nov. 2006, n° 04-15.480 : Dr. famille 2007, comm. 32, note V. Larribau-Terneyre ; AJF 2007, p. 33, obs. F. Chénédé.

[42] Cass. 1re civ., 17 janv. 2006, n° 02-20.636 : D. 2006, p. 321 ; Dr. et proc. 2006, p. 276, note Hoonakker.

[43] V. Bonnet, « La présomption de communauté au secours de l’insaisissabilité des comptes d’un époux caution », Dalloz, 2006, p. 1277.

[44] V. en ce sens G. Boucris-Maitral, « L’autonomie bancaire : entre protection et collusion des époux », Dalloz, 2006, p. 820.

[45] Cass. Ass. plén., 23 décembre 1994 : D. 1995, p. 145, rapport Chartier, note Derrida.

[46] Cass. Com. 14 mai 1996 : Bull. civ. IV, no 129 ; Petites affiches du 19 juillet 1996, note Soinne.

[47] M. Storck, « l’exécution sur les biens des époux », LPA, 12 janvier 2000 n° 8, P. 12.

[48] Ph. Simler, « Les interférences des régimes matrimoniaux et des procédures collectives », LPA, 17 juin 1998 n° 72, P. 28.

[49] Sur cette question V. notamment A. Prothais, « Dettes ménagères des concubins : solidaires », in solidum, indivisibles ou conjointes ?, D. 1987, 237 ;

[50] V. notamment X. Labbée, Le droit commun du couple, 2e éd., PUS, 2012, 245 p.