L’indignité successorale: régime juridique

La mort n’est pas la fin. Elle met seulement un terme à ce qui a commencé et à ce qui a vécu. Mais la vie se poursuit à travers ce qui reste et continue à exister.

Lorsque la Camarde vient frapper à la porte de celui dont l’heure est venue, le trépas emporte certes extinction de la personnalité juridique. Le défunt laisse néanmoins derrière lui un patrimoine, sans maître, qui a vocation à être immédiatement transmis à ceux qui lui survivent.

Cette transmission du patrimoine qui intervient concomitamment au moment du décès est exprimée par l’adage hérité de l’ancien droit « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».

Ce principe procède de l’idée que la personne du défunt survit à travers ses successeurs – héritiers et légataires – lesquels ont vocation à recueillir l’ensemble de ses biens, mais également la totalité de ses dettes.

Parce que l’ouverture d’une succession s’accompagne d’enjeux, en particulier financiers, souvent importants, elle est de nature à plonger la famille dans une crise qui sera parfois profonde, les successeurs se disputant le patrimoine du défunt.

Le droit ne peut bien évidemment pas rester indifférent à cette situation qui menace la paix sociale et dont l’Histoire a montré qu’elle pouvait conduire à l’effondrement de royaumes entiers. La succession de Charlemagne a profondément marqué l’Histoire de France.

Bien que les héritiers soient immédiatement saisis à la mort du défunt, ce qui, concrètement, signifie qu’ils entrent en possession de son patrimoine sans période intercalaire, la transmission qui s’opère n’échappe pas à l’emprise du droit.

À cet égard, les règles qui connaissent de la transmission à cause de mort forment ce que l’on appelle le droit des successions.

Il ressort de ce corpus normatif que la transmission par voie successorale peut être réglée :

  • Soit par l’effet de la loi
    • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) qui leur revient
  • Soit par l’effet de la volonté
    • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
    • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelées à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

Que la transmission à cause de mort s’opère par l’effet de la loi ou par l’effet d’un testament, elle requiert, dans les deux cas, et au préalable, l’ouverture de la succession du défunt.

Une fois la succession ouverte, seules pourront être appelées les personnes qui justifient des qualités requises pour hériter.

En effet, pour succéder au de cujus, deux conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, l’héritier doit exister au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’héritier ne doit pas être frappé d’une cause indignité successorale

Nous nous focaliserons ici sur la seconde condition.

Si l’aptitude à hériter est indépendante de la volonté de celui auquel elle est reconnue, il est en revanche certains agissements qui sont incompatibles avec la qualité d’héritier.

Certains comportements moralement répréhensibles, sinon délictueux, dont a fait montre l’héritier envers le de cujus sont, en effet, de nature à le priver de sa vocation successorale.

Ces comportements tombent sous le coup de ce que l’on appelle l’indignité.

==> Notion

Envisagée aux articles 726 à 729-1 du Code civil, l’indignité successorale est classiquement définie comme la déchéance du droit de succéder au défunt à raison d’atteintes graves portées à son encontre.

L’indignité produit sensiblement les mêmes effets qu’une exhérédation, à deux nuances près.

  • D’une part, l’indignité successorale se produit sous l’effet de la loi, alors que l’exhérédation ordinaire résulte de la volonté du de cujus.
  • D’autre part, alors que l’indignité successorale est susceptible de priver l’héritier de sa part réservataire, lorsqu’elle est le fait du de cujus, l’exhérédation ne pourra se limiter qu’à la quotité disponible.

Pour ces deux raisons, l’indignité successorale ne se confond pas avec l’exhérédation. Néanmoins, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001, il apparaît que les deux institutions se sont rapprochées.

En effet, l’indignité n’est plus, comme sous l’empire du droit en vigueur, un effet légal strictement attaché à une conduite incriminée, qu’aucune volonté contraire ne saurait écarter.

Désormais, l’indignité peut être neutralisée par le pardon accordé à l’indigne, soit par le de cujus lui-même, soit par ses cohéritiers.

==> Nature

S’agissant de la nature de l’indignité successorale, la doctrine est partagée entre deux approches :

  • Première approche : l’assimilation de l’indignité à une incapacité
    • D’aucuns soutiennent que l’indignité s’apparenterait à une incapacité de jouissance, celle-ci produisant finalement les mêmes effets : celui qui est reconnu indigne est inapte à recueillir le patrimoine du de cujus.
    • À cette analyse, il est objecté notamment qu’une incapacité serait toujours prononcée pour des raisons « indépendantes du mérite ou du démérite de la personne»[4].
    • Au surplus, les incapacités auraient une portée générale. Or l’indignité ne frappe l’indigne que pour la succession de la personne envers laquelle il s’est mal comporté.
    • Ainsi que l’observe néanmoins Michel Grimaldi, il existe « des incapacités relatives qui, précisément, ne concernent que les rapports entre deux personnes déterminées»[5].
    • Tel est notamment le cas du médecin qui est frappé d’une incapacité de jouissance spéciale quant à recevoir une libéralité émanant de son patient ( 909 C. civ.).
    • Il en va de même pour le tuteur auquel il est fait interdiction recevoir une libéralité provenant du mineur dont il assurait la représentation ( 907 C. civ.).
  • Seconde approche : l’assimilation de l’indignité à une peine privée
    • La doctrine majoritaire assimile l’indignité successorale à une peine privée, car elle jouerait le rôle de sanction.
    • Dans un arrêt du 18 décembre 1984, la Cour de cassation a statué en ce sens, en qualifiant expressément l’indignité de « peine civile de nature personnelle et d’interprétation stricte».
    • Elle en déduit qu’elle « ne peut être étendue au-delà des textes qui l’instituent » ( 1ère civ. 18 déc. 1984, n°83-16.028).

Selon que l’on assimile l’indignité successorale à une incapacité ou à une peine privée, elle ne sera pas soumise au même principe.

Si l’indignité s’analyse en une incapacité, alors elle ne peut frapper que les personnes expressément visées par la loi. Rien ne ferait en revanche obstacle à ce que les juges puissent se livrer à une interprétation extensive des textes aux fins d’appliquer l’indignité à des cas non expressément prévus par la loi.

Si l’indignité est assimilée à une peine privée, elle obéit alors au principe de légalité des délits et des peines, ce qui signifie qu’elle ne peut jouer que pour les cas expressément visés par un texte.

À l’examen, c’est plutôt la seconde approche qui semble avoir été adoptée par la jurisprudence, (Cass. 1ère civ. 18 déc. 1984, n°83-16.028). Elle doit donc être appréhendée comme une peine privée.

==> Domaine

Le domaine de l’indignité successoral est cantonné aux seules successions ab intestat, soit à celles qui s’opèrent en dehors de tout testament.

L’indignité ne joue pas :

  • Dans le cadre des libéralités
    • Pour mémoire, les libéralités recouvrent les donations et les testaments, soit les actes à titre gratuit qui procèdent de la volonté du disposant
    • Pour ces actes, en cas de mauvaise conduite du bénéficiaire envers leur auteur, la sanction est toute autre.
    • Il s’agit, en effet, de la révocation pour cause d’ingratitude.
    • En soi, l’ingratitude produit les mêmes effets que l’indignité successorale.
    • Elle s’en distingue toutefois en ce qu’elle sanctionne des agissements moins graves.
    • Aussi, les cas d’ingratitude et d’indignité ne coïncident pas totalement
  • Dans le cadre des avantages matrimoniaux
    • L’article 1527 du Code civil définit les avantages matrimoniaux comme ceux « que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes».
    • Il s’agit, autrement dit, de tout profit procuré à l’un des époux résultant des règles qui président au fonctionnement du régime matrimonial.
    • Les avantages matrimoniaux présentent la particularité d’échapper au régime des libéralités ; ils leur sont étrangers.
    • Est-ce à dire qu’ils sont susceptibles de relever du domaine de l’indignité, puisque ne pouvant donc pas être révoqués pour cause d’ingratitude ?
    • Dans un arrêt remarqué du 7 avril 1998, la Cour de cassation a répondu par la négative.
    • Dans cette décision, elle a estimé que l’indignité successorale était insusceptible de sanctionner le conjoint condamné à une peine de 10 ans de réclusion criminelle pour avoir mortellement frappé son épouse ( 1ère civ., 7 avr. 1998, n° 96-14.508).
    • La position prise par la Cour de cassation est sévère.
    • Aussi, marque-t-elle sa volonté de faire une application stricte des textes et de circonscrire le domaine de l’indignité aux seules successions ab intestat.

==> Réforme

Le régime de l’indignité successorale a été profondément réformé par la loi 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral.

Il était notamment reproché aux règles antérieures d’être trop étroites, trop rigides et quelquefois injustes.

La loi du 3 décembre 2001 a tenu compte des critiques, en créant de nouveaux cas d’indignité successorale, dont la plupart sont facultatifs pour le juge, afin d’apporter de la souplesse dans un dispositif.

Le texte met fin, par ailleurs, à l’injustice dont étaient victimes les enfants de l’indigne : ceux-ci, qui n’ont commis aucune faute, peuvent désormais représenter leur auteur dans la succession dont il est exclu (art. 729-1 C. civ.).

Bien qu’en règle générale on ne puisse représenter que des personnes mortes, cette représentation peut avoir lieu du vivant même de l’indigne.

L’appréhension de l’indignité successorale suppose d’envisager ses causes, après quoi il conviendra de se focaliser sur ses effets.

I) Les causes d’indignité successorale

Les rédacteurs du Code civil n’avaient envisagé que trois causes d’indignité successorale :

  • Avoir été condamnée pour meurtre ou tentative de meurtre à l’endroit du défunt
  • Avoir porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse, soit avoir cherché à le faire condamner à mort en l’accusant d’un crime qu’il n’avait pas commis
  • Avoir été instruit du meurtre du défunt et ne l’avoir pas dénoncé aux autorités judiciaires

Lors des travaux parlementaires dont est issue la loi du 3 décembre 2001, il est apparu que les cas d’indignité successorale prévus par le Code civil étaient pour le moins étroits, sinon désuets.

Aussi, a-t-il été jugé nécessaire de les revoir, ce qui a conduit, non seulement à les élargir, mais encore à les répartir en deux catégories :

  • Les cas d’indignité de plein droit
  • Les cas d’indignité facultative

Tandis que les premiers jouent automatiquement en cas de condamnation pénale de l’héritier présomptif, les seconds requièrent l’intervention du juge civile qui devra se prononcer sur leur bien-fondé.

A) Les cas d’indignité de plein droit

L’article 726 du Code civil prévoit deux cas d’indignité de plein droit :

  • Premier cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle de celui qui a volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt.
    • Ce cas d’indignité vise indistinctement le meurtre ( 221-1 et 221-4 C. pén.), l’assassinat (art. 221-3 C. pén.), l’empoisonnement (art. 221-5 C. pén.).
  • Second cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle de celui qui a volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
    • Ce cas d’indignité recouvre toutes les infractions sanctionnant les atteintes portées à l’intégrité physique du de cujus et qui ont conduit à son décès, sans pour autant que l’auteur de l’infraction ou son complice aient été animés d’une intention homicide.

Plusieurs enseignements peuvent être retirés des cas d’indignité de plein droit visés par l’article 726 du Code civil.

Tout d’abord, seule une condamnation à une peine criminelle est constitutive d’une cause d’indignité de plein droit.

Par peine criminelle, il faut entendre une condamnation pénale supérieure à 10 ans de réclusion.

Ensuite, il peut être observé que, désormais, le complice de l’auteur du crime est également susceptible d’être frappée par l’indignité successorale, ce qui n’était pas le cas sous l’empire du droit antérieur

Enfin, il n’est pas nécessaire que celui qui a porté atteinte à la vie du défunt, à tout le moins qui y a concouru volontairement, soit animé de la volonté de tuer, pour encourir l’indignité successorale.

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par la loi du 3 décembre 2001, le législateur ayant estimé qu’absence d’intention homicide n’excusait pas l’héritier qui, par ses agissements, porte la responsabilité de la mort du de cujus.

B) Les cas d’indignité facultative

L’article 727 du Code civil prévoit six cas d’indignité successorale :

  • Premier cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle, de celui qui a volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt.
    • Sont ici visées les mêmes infractions qu’au 1e de l’article 726 du Code civil, soit le meurtre, l’assassinat et l’empoisonnement.
    • La seule différence, c’est que l’auteur ou le complice de l’infraction a été condamné, non pas à une peine criminelle, mais à une peine correctionnelle.
    • Par peine correctionnelle, il faut entendre une peine d’emprisonnement qui n’excède pas dix ans.
    • Parce que la peine prononcée à son encontre est moins lourde, le législateur a estimé que l’indignité devait, pour cette situation, n’être que facultative.
    • Le dernier alinéa du texte précise néanmoins que « peuvent également être déclarés indignes de succéder ceux qui ont commis les actes mentionnés aux 1° et 2° et à l’égard desquels, en raison de leur décès, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte. »
    • Autrement dit, lorsque l’action publique n’a pas pu être mise en mouvement pour quelque raison que ce soit, l’indignité successorale pourra malgré tout être prononcée par un juge.
    • L’objectif recherché par cette règle est d’empêcher la famille de l’auteur ou du complice de l’infraction ne puisse hériter du patrimoine de la victime.
  • Deuxième cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle de celui qui a volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
    • Ce cas d’indignité participe de la même logique que le précédent, en ce que les infractions visées sont exactement les mêmes que celles énoncées au 2e de l’article 726 du Code civil.
    • La peine prononcée présente néanmoins un caractère correctionnel, de sorte que l’indignité encourue ne joue plus de plein droit ; elle est facultative.
    • Par ailleurs, l’absence de mise en mouvement de l’action publique est ici aussi sans incidence sur le risque encouru par l’auteur ou le complice de l’infraction d’être frappé d’une indignité successorale.
    • Le dernier alinéa du texte est également applicable à cette cause d’indignité facultative
  • Troisième cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle de celui qui a commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt.
    • Ce cas d’indignité facultative a été introduit par la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.
    • Cet ajout est motivé par la volonté du législateur de réprimer plus sévèrement les auteurs de violences conjugales.
    • Il est parti du constat que si la loi permettait de déclarer l’indignité successorale en cas de faux témoignage et de dénonciation calomnieuse contre le défunt, tel n’était pas le cas pour les violences sexuelles ou physiques dès lors qu’elles n’ont pas été mortelles.
    • Il y avait là, selon les parlementaires, un problème d’échelle de valeurs qu’il fallait corriger.
    • Pour cette raison, il a été décidé de créer un nouveau cas d’indignité successorale pour celui qui a été condamné à une peine criminelle pour avoir commis des violences volontaires ou un viol sur le défunt.
    • Le mari violent ne peut désormais donc plus hériter de son épouse si celle-ci décède avant lui.
    • Sur ce point, la commission des lois a souhaité viser, en plus des violences et du viol, les actes de torture et de barbarie et les agressions sexuelles, et prévoir que l’indignité pourrait être prononcée même si le conjoint a seulement été condamné à une peine correctionnelle.
  • Quatrième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui est à l’origine d’un témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle.
    • Il s’agit là d’une reprise d’un souhait formulé par une partie de la doctrine qui regrettait que cette infraction ne soit pas une cause d’indignité.
    • Pour mémoire, l’infraction de faux témoignage dans le cadre est envisagée à l’article 434-13 du Code pénale.
    • Cette disposition prévoit que « le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
    • Il s’agirait autrement dit, pour l’héritier présomptif, de témoigner contre le de cujus dans le cadre d’une procédure criminelle en alléguant des faits qu’il sait faux.
  • Cinquième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui s’est volontairement abstenu d’empêcher soit un crime soit un délit contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers.
    • Ce cas d’indignité successorale est une innovation de la loi du 3 décembre 2001.
    • Il vise à sanctionner celui qui savait qu’un crime ou un délit allait se commettre à l’endroit de la personne du défunt, mais n’a rien dit, ni rien fait.
    • Or s’il avait agi, il aurait pu empêcher la mort du de cujus.
    • Parce qu’il porte une part de responsabilité dans le drame qui s’est produit, il ne mérite pas d’hériter.
    • Son abstention est d’autant plus blâmable que le décès du de cujus lui a directement profité en ce que, sans l’indignité, il hériterait prématurément.
    • Au surplus, on est légitimement en droit de le soupçonner d’avoir laissé faire dans le seul dessein d’accélérer sa vocation successorale.
    • Reste que le domaine de ce cas d’indignité est pour le moins restreint.
    • Pour être retenu, il faudra établir :
      • D’une part, l’abstention volontaire de l’héritier volontaire
      • D’autre part, que l’atteinte portée au de cujus était constitutive d’un crime ou d’un délit
      • En outre, que cette atteinte consistait en une agression physique sur sa personne
      • Enfin, que l’héritier présomptif était en capacité d’agir sans risque pour lui ou pour les tiers
    • Au bilan, les conditions devant être remplies pour que ce cas d’indignité soit retenu sont si nombreuses que, en pratique, ne sera caractérisé que dans de très rares cas
  • Sixième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui est à l’origine d’une dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.
    • Ce cas d’indignité successorale n’est autre qu’une reprise de l’un des cas prévus par les rédacteurs du Code civil.
    • L’ancien article 727, 2e prévoyait en effet que l’indignité était encourue par « celui qui a porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse».
    • La seule différence, c’est que la dénonciation calomnieuse visée ici porte sur une infraction punie, non plus de peine de mort, mais par une peine criminelle.
    • L’esprit de ce cas d’indignité successorale n’en reste pas moins le même.
    • Il s’agit de sanctionner celui qui a portée contre le de cujus une accusation très grave, car portant sur des faits de nature criminelle, et, à ce titre, l’a exposé au risque d’être condamné à une lourde peine.
    • Certes, la motivation de l’auteur de la calomnie ne résidera pas dans la perspective d’hériter prématurément du de cujus, celui-ci ne risquant plus d’être condamné à mort.
    • Néanmoins, le préjudice personnel susceptible de lui être causé est si important que l’héritier présomptif doit être privé de sa vocation successorale.

II) La mise en œuvre de l’indignité successorale

Selon que l’indignité successorale joue de plein droit ou selon qu’elle est facultative, sa mise en œuvre diffère.

A) La mise en œuvre de l’indignité successorale de plein droit

Lorsque l’indignité successorale joue de plein droit, car résultant de l’une des causes visées par l’article 726 du Code civil, elle est automatique en ce sens que, pour produire ses effets, il n’est pas besoin de saisir le juge.

Aussi, est-elle attachée à la condamnation pénale dont, au fond, elle est une conséquence légale.

Encore faut-il néanmoins qu’elle soit invoquée, faute de quoi elle ne pourra pas jouer.

Les personnes admises à se prévaloir de l’indignité successorale de plein droit sont limitées.

On compte :

  • Les cohéritiers de l’indigne
  • Les ayants droit de l’indigne
  • Les légataires à titre universel et à titre particulier
  • Le ministère public en l’absence d’héritier

B) La mise en œuvre de l’indignité successorale facultative

Lorsque l’indignité est facultative, soit résulte de l’une des causes visées à l’article 727 du Code civil, sa mise œuvre requiert l’obtention d’une déclaration judiciaire d’indignité.

Aussi, cela suppose-t-il pour celui qui se prévaut de cette forme d’indignité successorale de saisir le juge civil.

À la différence de l’indignité de plein droit, l’indignité facultative n’est pas automatique ; elle doit être prononcée.

==> Compétence

En application de l’article 727-1 du Code civil, la juridiction compétente pour prononcer la déclaration d’indignité successorale est le Tribunal judiciaire.

Plus précisément, parce qu’il s’agit d’une demande qui intéresse les rapports entre héritiers, c’est la juridiction dans le ressort de laquelle est ouverte la succession jusqu’au partage qui est compétente (art. 45 CPC), étant précisé que la succession doit s’ouvrir au lieu du dernier domicile du défunt (art. 720 C. civ.).

==> Titulaires de l’action

L’article 727-1 du Code civil prévoit que « la déclaration d’indignité prévue à l’article 727 est prononcée après l’ouverture de la succession par le tribunal judiciaire à la demande d’un autre héritier. »

Il ressort de cette disposition que seuls les cohéritiers de l’indigne ont qualité pour saisir le juge aux fins de déclaration judiciaire d’indignité.

Aussi, sont privés de la possibilité d’exercer cette action, tant les héritiers testamentaires, que les légataires, alors même qu’ils auraient intérêt à agir.

En l’absence d’héritier, le second alinéa du texte précise que « la demande peut être formée par le ministère public. »

==> Moment d’exercice de l’action

L’article 727-1 du Code civil prévoit expressément que la demande visant à ce qu’un héritier soit déclaré indigne ne peut être formulée qu’après l’ouverture de la succession.

Aucune action ne pourra donc être exercée, tant que la victime de l’indignité n’est pas décédée.

==> Délai pour agir

L’article 727-1 du Code civil prévoit que « la demande doit être formée dans les six mois du décès si la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité est antérieure au décès, ou dans les six mois de cette décision si elle est postérieure au décès. »

Il s’infère de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer selon que la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient avant ou après le décès.

  • La décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient avant le décès de la victime de l’indignité
    • Dans cette hypothèse, l’action en déclaration d’indignité doit être exercée dans un délai de 6 mois à compter du décès du de cujus.
  • La décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient après le décès de la victime de l’indignité
    • Dans cette hypothèse, l’action en déclaration d’indignité doit être exercée dans un délai de 6 mois à compter du prononcé de la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité

==> Décision

Après avoir examiné les circonstances de la cause et vérifié que l’un des cas d’indignité facultative visé par l’article 727 du Code civil était caractérisé, le juge pourra prononce une déclaration d’indignité.

III) Les effets de l’indignité successorale

Lorsqu’elle est acquise, soit directement par l’effet d’une condamnation pénale, soit par l’effet d’une décision du juge civil, l’indignité emporte plusieurs effets.

A) Les effets de l’indignité à l’égard de l’indigne

L’indignité produit deux effets à l’égard de l’indigne :

  • Il est exclu de la succession du de cujus
  • Il doit restitution des fruits et revenus

1. Exclusion de la succession

==> Principe

L’indignité a pour effet principal d’exclure l’indigne de la succession : il est déchu de son droit à succéder au de cujus, il perd sa qualité d’héritier.

S’agissant des libéralités susceptibles d’avoir été consenties par ce dernier à l’indigne, il peut être observé qu’elles ne relèvent pas de l’indignité. Elles ne peuvent être révoquées que pour cause d’ingratitude.

Aussi, l’indignité n’a d’incidence que sur la seule succession ab intestat. L’indigne peut donc conserver le bénéfice des donations ou dispositions testamentaires dont il aurait été gratifié par le défunt.

L’effet attaché à l’indignité n’est, par ailleurs, que relatif en ce sens qu’elle ne prive l’indigne de son aptitude à hériter que dans ses seuls rapports avec le de cujus.

Aussi, conserve-t-il sa capacité à hériter d’une autre personne et notamment aux parents de la victime de l’indignité, soit par le jeu de transmissions successives, soit par le jeu de la représentation successorale.

==> Exception

L’article 728 du Code civil prévoit que « n’est pas exclu de la succession le successible frappé d’une cause d’indignité prévue aux articles 726 et 727, lorsque le défunt, postérieurement aux faits et à la connaissance qu’il en a eue, a précisé, par une déclaration expresse de volonté en la forme testamentaire, qu’il entend le maintenir dans ses droits héréditaires ou lui a fait une libéralité universelle ou à titre universel. »

Il ressort de cette disposition que le de cujus dispose de la faculté de maintenir l’indigne dans ses droits, malgré les fautes commises à son endroit.

Cette faculté de pardon reconnue au de cujus joue, tant en matière d’indignité de plein droit, qu’en matière d’indignité facultative.

C’est là une innovation de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001, le législateur ayant estimé qu’il y avait lieu de donner le dernier mot au défunt, sa volonté primant ainsi les effets de la loi.

Reste que pour que le pardon opère et déjoue les effets de l’indignité, trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  • D’une part, le de cujus doit avoir eu connaissance des faits commis à son encontre et frappés de l’une des causes d’indignité
  • D’autre part, il doit avoir exprimé sa volonté de maintenir l’indigne dans ses droits, nonobstant les faits dont il a eu connaissance
  • Enfin, le pardon accordé par le de cujus à l’indigne doit intervenir après la découverte des faits frappés d’indignité et prendre la forme :
    • Soit d’une disposition testamentaire, ce qui suppose donc que les faits pardonnés soient expressément mentionnés dans le testament
    • Soit d’une libéralité universelle ou à titre universel

2. Obligation de restitution des fruits et revenus

L’article 729 du Code civil prévoit que « l’héritier exclu de la succession pour cause d’indignité est tenu de rendre tous les fruits et tous les revenus dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession. »

Cette disposition marque le caractère rétroactif de l’indignité successorale. Cette situation se rencontrera lorsque l’indigne est entré en possession des biens du de cujus et que l’indignité n’a pas encore produit ses effets.

Tel sera le cas pour l’indignité facultative qui ne peut être déclaré que postérieurement au décès du défunt.

Pour ce qui est de l’indignité de plein droit, la rétroactivité ne concernera que l’hypothèse où la condamnation de l’indigne a été prononcée après le décès du de cujus et que l’indigne est entré en possession immédiatement après l’ouverture de la succession.

En tout état de cause, lorsque l’indignité – de plein droit ou facultative – produit ses effets, l’indigne est réputé n’avoir jamais hérité.

Il en résulte qu’il a l’obligation de restituer :

  • D’une part, les biens qu’il aurait recueillis dans son patrimoine
  • D’autre part, les fruits et les revenus qu’il a éventuellement retirés de ces biens

C’est parce que l’indigne est considéré comme un possesseur de mauvaise foi, qu’il est tenu de restituer intégralement les fruits et revenus provenant des biens dont il a eu la jouissance.

Quant aux tiers auxquels l’indigne aurait transférer la propriété des biens recueillis, leur situation est pour le moins précaire car endossant la qualité d’acquéreur a non domino, soit d’acquéreur sans titre valable.

S’agissant des immeubles, l’opération encourt la nullité en application de la règle nemo plus juris.

Seule la prescription acquisitive pourra consolider la situation du tiers, encore qu’il ne pourra pas se prévaloir de la prescription abrégée.

S’agissant des meubles, la remise en cause de l’opération dépendra de la bonne ou mauvaise foi du tiers.

S’il est de bonne foi, nonobstant sa qualité d’acquéreur a non domino, il conservera le bénéfice de son acquisition. Si, en revanche, il est de mauvaise foi, une action en revendication pourra être exercée, le délai de prescription étant porté à trente ans.

B) Les effets de l’indignité à l’égard des héritiers

Parce qu’il s’agit d’une peine personnelle, l’indignité ne produit ses effets qu’à l’encontre de l’indigne ; elle est sans incidence :

  • D’une part, sur les cohéritiers
  • D’autre part, sur les enfants

S’agissant des enfants, il s’agit là d’une autre innovation introduite par la loi du 3 décembre 2001.

L’article 729-1 du Code civil prévoit que « les enfants de l’indigne ne sont pas exclus par la faute de leur auteur, soit qu’ils viennent à la succession de leur chef, soit qu’ils y viennent par l’effet de la représentation […] ».

Il ressort de cette disposition que les enfants de l’indigne peuvent venir en représentation de celui-ci.

Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté »

Le législateur a ici voulu mettre fin à l’injustice dont étaient victimes les enfants de l’indigne : ceux-ci, qui n’ont commis aucune faute, doivent pouvoir représenter leur auteur dans la succession dont il est exclu.

L’article 729-1 précise néanmoins que « l’indigne ne peut, en aucun cas, réclamer, sur les biens de cette succession, la jouissance que la loi accorde aux père et mère sur les biens de leurs enfants. »

Cette précision vise à déroger à la règle posée à l’article 386-1 du Code civil qui confère aux parents d’un enfant mineur un droit de jouissance légale sur les biens qu’ils administrent.

Il ne faudrait pas que l’indigne puisse tirer profit des biens dont il a été privé par l’entremise de ses enfants qui l’ont représenté dans la succession du de cujus.

Afin d’illustrer la règle énoncée à l’article 729-1, prenons l’exemple de la succession de A qui laisse derrière lui deux enfants, B et C. B qui a deux enfants E et F, est frappé d’indignité.

Si les enfants de l’indigne ne pouvaient pas venir en représentation de celui-ci, alors c’est C qui recueillerait l’intégralité de la succession de A.

Si en revanche les enfants de l’indigne sont admis à le représenter, alors ils pourront se partager la moitié de la succession de A, tandis que C recueillera l’autre moitié.

[1] M. Grimaldi, Droit des successions, éd. LexisNexis, 2017, n°101, p. 77.

[2] Ph. Salvage, « La viabilité de l’enfant nouveau-né », RTD civ., 1976, p. 725

[3] G. Cornu, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, Domat Droit privé, 9ème éd., 1999, p. 186

[4] M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. III, LGDJ, 7e éd. 1918, n°1731.

[5] M. Grimaldi, Droit des successions, éd. Lexisnexis, 2017, n°105, p. 81.

Les conditions requises pour succéder ou l’aptitude à hériter: existence et absence d’indignité successorale

La mort n’est pas la fin. Elle met seulement un terme à ce qui a commencé et à ce qui a vécu. Mais la vie se poursuit à travers ce qui reste et continue à exister.

Lorsque la Camarde vient frapper à la porte de celui dont l’heure est venue, le trépas emporte certes extinction de la personnalité juridique. Le défunt laisse néanmoins derrière lui un patrimoine, sans maître, qui a vocation à être immédiatement transmis à ceux qui lui survivent.

Cette transmission du patrimoine qui intervient concomitamment au moment du décès est exprimée par l’adage hérité de l’ancien droit « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».

Ce principe procède de l’idée que la personne du défunt survit à travers ses successeurs – héritiers et légataires – lesquels ont vocation à recueillir l’ensemble de ses biens, mais également la totalité de ses dettes.

Parce que l’ouverture d’une succession s’accompagne d’enjeux, en particulier financiers, souvent importants, elle est de nature à plonger la famille dans une crise qui sera parfois profonde, les successeurs se disputant le patrimoine du défunt.

Le droit ne peut bien évidemment pas rester indifférent à cette situation qui menace la paix sociale et dont l’Histoire a montré qu’elle pouvait conduire à l’effondrement de royaumes entiers. La succession de Charlemagne a profondément marqué l’Histoire de France.

Bien que les héritiers soient immédiatement saisis à la mort du défunt, ce qui, concrètement, signifie qu’ils entrent en possession de son patrimoine sans période intercalaire, la transmission qui s’opère n’échappe pas à l’emprise du droit.

À cet égard, les règles qui connaissent de la transmission à cause de mort forment ce que l’on appelle le droit des successions.

Il ressort de ce corpus normatif que la transmission par voie successorale peut être réglée :

  • Soit par l’effet de la loi
    • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) qui leur revient
  • Soit par l’effet de la volonté
    • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
    • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelées à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

Que la transmission à cause de mort s’opère par l’effet de la loi ou par l’effet d’un testament, elle requiert, dans les deux cas, et au préalable, l’ouverture de la succession du défunt.

Une fois la succession ouverte, seules pourront être appelées les personnes qui justifient des qualités requises pour hériter.

En effet, pour succéder au de cujus, deux conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, l’héritier doit exister au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’héritier ne doit pas être frappé d’une cause indignité successorale

§1 : L’existence de l’héritier

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Il ressort de cette disposition que pour hériter, il convient d’exister, ce qui dès lors interroge sur la définition de ce verbe.

Dans le langage courant, on dit d’une personne qu’elle existe lorsqu’elle est en vie par opposition à une personne décédée qui n’existe plus.

Reste que, comme observé par Michel Grimaldi, « ce n’est pas de l’existence physique qu’il s’agit, mais de l’existence juridique, c’est-à-dire de la personnalité juridique, de l’aptitude à acquérir des droits »[1].

Aussi, l’existence telle qu’envisagée à l’article 725 du Code civil, ne correspond pas en tout point à celle définie en biologie.

Pour exemple, sous l’empire du droit antérieur, les personnes condamnées à une peine de mort civile étaient privées de leur capacité à hériter, alors même qu’elles étaient encore en vie.

En droit des successions, la notion d’existence s’est ainsi construite sur la base d’un certain nombre de fictions juridiques qui, tantôt conduisent à attribuer la qualité d’héritier à des personnes qui n’existent pas encore, tantôt à refuser la qualité d’héritier à des personnes auxquelles on reconnaît pourtant une existence juridique.

Afin d’appréhender la condition tenant à l’existence, il convient donc de déterminer qu’elles sont les personnes qui sont pour

I) Les personnes pourvues de l’aptitude à hériter

Deux enseignements peuvent être retirés de l’article 725 du Code civil qui pose l’existence comme première condition à l’octroi de la qualité d’héritier :

  • D’une part, le respect de la condition tenant à l’existence de la personne appelée à hériter doit être apprécié au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’existence commence au jour de la conception, pourvu que l’enfant naisse vivant et viable

A) Le moment de l’appréciation de l’existence

Conformément à l’article 725 du Code civil, les personnes auxquelles on reconnaît l’aptitude à hériter sont celles qui existent « à l’instant de l’ouverture de la succession ».

L’existence de la personne appelée à succéder doit ainsi être appréciée au moment où la succession s’ouvre, soit au jour où le de cujus est réputé mort.

La raison en est que, en application du principe de continuité de la personne du défunt, la transmission de son patrimoine doit intervenir concomitamment à son décès.

Aussi, est-ce pour éviter qu’une rupture ne vienne affecter cette transmission, qu’il a été décidé que seules les personnes qui existaient au jour de l’ouverture de la succession étaient aptes à hériter.

B) La conception comme point de départ de l’existence

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Aussi, est-ce au moment de la conception de l’enfant qu’il y a lieu de se placer pour déterminer si au jour de l’ouverture de la succession, il est apte à hériter. Encore faut-il que celui-ci naisse vivant et viable.

1. Principe

==> Énoncé du principe

Définir l’existence consiste, au fond, à déterminer là où elle commence et là où elle se termine.

S’agissant de la fin de l’existence, elle ne soulève pas de réelle difficulté dans la mesure où un seul événement peut servir de borne : la mort.

S’agissant, en revanche, du début de l’existence, la question est plus délicate : doit-on retenir comme date de commencement la naissance ou la conception de la personne ?

La difficulté a été tranchée dès l’entrée en vigueur du Code civil. Ses rédacteurs ont retenu la seconde option en reprenant le principe exprimé par l’adage « infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur ».

Pris dans son sens littéral, cet adage signifie que l’enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu’il y va de son intérêt.

Aussi, l’enfant posthume, soit celui qui naît postérieurement au décès de l’un ou l’autre de ses parents, serait apte à hériter, le principe dit de l’infans conceptus, faisant commencer l’existence humaine, non pas au jour de la naissance, mais au moment de la conception.

Il n’est donc pas nécessaire d’être né pour succéder, il suffit d’avoir été conçu au jour de l’ouverture de la succession.

À l’analyse, il y a quelque chose de contradictoire à, d’un côté, octroyer des droits à enfant dès sa conception et, d’un autre côté poser que la personnalité juridique ne s’acquiert qu’au jour de la naissance.

Pour être titulaire de droits, il faut être pourvu d’une capacité de jouissance. Or cette capacité est étroitement attachée à la personnalité juridique.

En toute rigueur, un enfant ne devrait donc être apte à recueillir des droits qu’au jour de sa naissance.

Aussi, est-ce pour surmonter cette difficulté que la règle infans conceptus fait rétroagir, par le jeu d’une fiction juridique, les effets de la naissance au moment de la conception.

==> Justification du principe

L’instauration de la règle « infans conceptus » se justifie essentiellement pour deux raisons :

  • Première raison
    • Il est scientifiquement établi que la vie commence dès le stade de la conception ; c’est à ce moment que l’on fixe le point de départ de l’existence
    • Indépendamment de l’argument scientifique qui est relativement récent, cette réalité a très tôt été admise chez les juristes.
    • La preuve en est les romains qui sont à l’origine de la règle, laquelle a, par suite, été reprise, dans les mêmes termes, par les rédacteurs du Code civil qui voyaient également dans la conception le commencement de l’existence
  • Seconde raison
    • Reconnaître à l’enfant, dès sa conception, l’aptitude à hériter participe d’une volonté d’instaurer une égalité successorale entre enfants.
    • L’égalité commande, en effet, d’octroyer à l’enfant seulement conçu les mêmes droits que ceux dont sont titulaires ses frères et sœurs déjà nés.
    • Pourquoi opérer une différence de traitement entre eux alors que tous existent au jour du décès de leur parent ? L’admettre reviendrait à créer une rupture d’égalité fondée sur la seule antériorité de la naissance.
    • Or cela s’est contraire à l’article 735 du Code civil qui dispose que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants, sans distinction de sexe, ni de primogéniture, même s’ils sont issus d’unions différentes.».

2. Conditions

Il ressort de l’article 725 du Code civil que deux conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’enfant seulement conçu soit apte à hériter :

  • D’une part, la conception doit être antérieure à l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’enfant doit être né vivant et viable

a. Première condition : l’exigence d’antériorité de la conception au décès

Si, en application de l’article 725 du Code civil, pour succéder il suffit que l’enfant ait « déjà été conçu », encore faut-il que sa conception soit antérieure à l’ouverture de la succession.

Dès lors que la conception est postérieure au décès, il est trop tard. La condition tenant à l’existence n’est, par hypothèse, plus remplie. Or pour recueillir des droits il faut, a minima, exister.

La question qui alors se pose est de savoir à quel moment l’enfant peut-il être réputé avoir été conçu.

Pour déterminer la date de conception, il y a lieu de faire jouer les deux présomptions légales à l’article 311 du Code civil.

  • Première présomption
    • L’article 311, al. 1er du Code civil prévoit que « la loi présume que l’enfant a été conçu pendant la période qui s’étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance»
    • Cette présomption étant de portée générale, elle peut être appliquée aux fins de déterminer si l’enfant conçu est apte à hériter.
    • En substance, la présomption posée par le texte répute la conception intervenir entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • On en déduit qu’un enfant né au plus tard 300 jours après le décès du de cujus sera apte à hériter.
    • Sous l’empire du droit antérieur, il s’agissait là d’une présomption irréfragable, qui ne pouvait donc pas être renversée.
    • Dans un arrêt du Ogez du 9 juin 1959, la Cour de cassation avait jugé en ce sens qu’« en fixant à 180 et 300 jours le minimum et le maximum de la durée de gestation, l’article 312 du Code civil a posé une présomption qui n’est pas susceptible de preuve contraire ; que doit, en conséquence, être déclaré illégitime sur l’action en contestation engagée par application de l’article 315 du même Code l’enfant né plus de 300 jours après la dissolution du mariage» ( 1ère civ. 9 juin 1959, n°58-10.038)
    • La loi n°72-3 du janvier 1972 est venue modifier cet état du droit en conférant un caractère simple à cette présomption qui a été transférée à l’article 311.
    • Il en résulte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Aussi, tout ne serait pas perdu pour un enfant qui naîtrait plus de trois cents jours après le décès du de cujus: s’il prouve que sa conception est intervenue antérieurement à l’ouverture de la succession, il pourra succéder.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 301 jours après le décès du de cujus.
    • En application de l’article 311, al. 1er du Code civil, il est a priori dépourvu de la qualité d’héritier.
    • Il lui est néanmoins possible de prouver qu’il a été conçu 304 jours avant sa naissance, de sorte qu’il était déjà conçu au moment du décès et que, par voie de conséquence, il était bien apte à succéder au défunt.
  • Seconde présomption
    • L’article 311, al. 2e du Code civil prévoit que « la conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l’intérêt de l’enfant. »
    • Il ressort de ce texte que la conception est réputée intervenir à n’importe quel moment entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • La date qu’il y a lieu de retenir est celle qui lui est la plus favorable, ce qui s’agissant d’acquérir la qualité à hériter sera celle qui précède le décès du de cujus.
    • Cette présomption dite omni meliore momento (au moment le plus favorable) est comme la précédente une présomption simple de sorte qu’elle souffre la preuve contraire.
    • Dans ces conditions, la qualité d’héritier d’un enfant né durant la période de conception légale pourra lui être contestée s’il est établi qu’en réalité il a été conçu postérieurement au décès du de cujus.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 298 jours après le décès du défunt
    • Dans cette hypothèse, il est présumé avoir été conçu entre le 298e et le 300e jour avant sa naissance.
    • Sa qualité d’héritier pourra toutefois lui être contestée s’il est établi qu’il a, en réalité, été conçu 297 jours avant sa naissance.
    • Si cette preuve est rapportée, l’enfant ne pourra alors pas être appelée à la succession de cujus.

b. Seconde condition : l’exigence de naissance d’un enfant vivant et viable

==> Notion de viabilité

Il ne suffit pas que l’enfant ait été conçu avant le décès du de cujus. Encore faut-il qu’il naisse vivant et viable.

Aussi, l’aptitude à succéder de l’enfant non encore né à est assortie d’une condition résolutoire qui ne sera levée que s’il répond à l’exigence de viabilité.

N’est donc pas apte à hériter l’enfant qui :

  • Soit est mort-né
  • Soit naît vivant, mais non viable

Toute la question est alors de savoir ce que recouvre la notion d’enfant né viable. Selon Philippe Salvage, la viabilité serait un « faisceau de critères relatifs s’articulant autour des idées de maturité et de conformation et se manifestant par l’autonomie végétative de l’être »[2].

Autrement dit, la viabilité suppose que :

  • D’une part, l’enfant soit doté d’une constitution en ordre de fonctionnement présentant un niveau de maturité suffisant pour lui permettre de vivre de façon autonome
  • D’autre part, il soit porteur de tous les organes essentiels à l’existence.

En substance, pour être considéré comme viable, l’enfant ne doit donc présenter aucune anomalie qui serait incompatible avec la vie.

Dans un arrêt du 8 février 1830, la Cour d’appel de Bordeaux a jugé en ce sens que « selon l’ancien droit, un enfant était viable quand il était né vivant, à terme, bien conformé et avec tous les organes nécessaires à la vie » (CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160).

L’exigence de viabilité procède d’une approche pragmatique. Pourquoi reconnaître la qualité d’héritier à un enfant qui est condamné à mourir avant d’avoir vécu ?

Il convient de ne pas perdre de vue le sens de l’institution qu’est la succession : transmettre un patrimoine aux personnes qui survivent au de cujus et qui participeront de la continuation de sa personne.

À quoi bon transmettre ce patrimoine à un enfant qui ne sera, par hypothèse, pas en capacité de jouer ce rôle ? Rien ne le justifie, raison pour laquelle le législateur subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à la viabilité de l’être non encore né.

S’agissant de l’approche juridique de la viabilité, elle est assise sur une présomption simple.

Autrement dit, l’enfant est présumé viable, dès lors que, d’une part, il naît et que, d’autre part, il est en vie au moment de la naissance.

==> L’abandon des critères de l’OMS

Reprenant les préconisations formulées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), une circulaire prise le 22 juillet 1993 par le ministère de la santé présume que l’enfant est viable lorsque deux critères alternatifs sont remplis :

  • La naissance de l’infant intervient à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère
  • L’enfant pèse au moins cinq cents grammes.

Cette circulaire visait à préciser les règles relatives à l’état civil issues de la loi du 8 janvier 1993 et, en particulier, l’article 79-1 du Code civil qui traite de l’inscription à l’état civil de l’enfant décédé avant son inscription à l’état civil.

En application de cette disposition, l’enfant bénéficie d’un état civil complet dès lors qu’un certificat médical indique qu’il est né vivant et viable et précise les jour et heure de naissance et de décès.

À défaut d’un tel certificat médical, l’officier de l’état civil doit établir un acte d’enfant sans vie.

Sous l’empire du droit antérieur, cet acte ne pouvait toutefois pas être dressé lorsque le fœtus ne répondait pas aux critères de viabilité de la circulaire.

Par trois arrêts du 6 février 2008, la Cour de cassation a sanctionné cette pratique en jugeant que « l’article 79-1, alinéa 2, du code civil ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse » (Cass. 1ère civ. 6 févr. 2008, n°06-16.498, n°06-16.499, n°06-16.500).

En exigeant que l’enfant soit né à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère ou qu’il pèse au moins cinq cents grammes, la première chambre civile estime que la circulaire du 22 juillet 1993 a ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoyait pas.

==> Présomption de viabilité

Afin de déterminer si un enfant est viable, il y a donc lieu de se départir des critères de viabilité posés par la circulaire du 22 juillet 1993 qui, d’ailleurs ont, consécutivement aux arrêts rendus par la Cour de cassation, été définitivement été écartés par le décret n°2008-800 du 20 août 2008 relatif à l’application du second alinéa de l’article 79-1 du code civil.

Désormais, il convient plutôt de raisonner sur la base de la présomption de viabilité qui s’infère de la jurisprudence (V. notamment CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160)

Il est, en effet, admis que la viabilité de l’enfant est présumée, dès lors qu’il naît en vie.

Gérard Cornu écrit en ce sens que tout « enfant né vivant est présumé viable, même s’il est mort rapidement après. Une présomption de viabilité s’attache au premier signe de vie »[3].

Cette présomption de viabilité n’est toutefois pas légale. Il s’agit d’une présomption simple qui donc souffre de la preuve contraire.

Afin d’établir que l’enfant n’est pas viable, il faudra démontrer :

  • D’une part, qu’il ne possède pas la maturité suffisante pour vivre
  • D’autre part, qu’il présente une anomalie physique incompatible avec la vie

II) Les personnes dépourvues de l’aptitude à hériter

Les personnes qui ne sont pas aptes à succéder se répartissent en cinq catégories :

  • Les personnes décédées
  • L’enfant mort-né ou né non viable
  • Les personnes absentes
  • Les personnes disparues
  • Les personnes morales

A) Les personnes décédées

1. Principe

==> La mort naturelle

Parce que le décès emporte extinction de la personnalité juridique, les personnes qui sont décédées ne sont pas aptes à hériter.

Seules les personnes vivantes « à l’instant de l’ouverture de la succession » sont pourvues de la qualité d’héritier.

Il peut être observé que, en 1804, les rédacteurs du Code civil avaient envisagé deux sortes de morts comme causes d’incapacité à succéder :

  • La mort naturelle, procédant d’une cessation des fonctions vitales
  • La mort civile, procédant d’une condamnation judiciaire

La mort civile ayant été abolie par la loi du 31 mai 1854, la mort ne présente désormais plus qu’une seule forme : elle ne peut être que naturelle.

==> Les critères de la mort

C’est le décret n°96-1041 du 2 décembre 1996 qui règle la procédure actuelle de détermination de la mort d’une personne.

Cette procédure est plus ou moins lourde selon que la personne décédée est ou non maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organes.

  • La procédure simplifiée de constat de la mort en l’absence de maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée n’est pas maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-1 du Code de la santé publique prévoit que si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :
      • Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;
      • Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
      • Absence totale de ventilation spontanée
    • Le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • L’article R. 1232-3 du Code de la santé publique précise que ce procès-verbal doit indiquer les résultats des constatations cliniques ainsi que la date et l’heure du constat de la mort.
    • Il doit, en outre, être établi et signé par un médecin appartenant à une unité fonctionnelle ou un service distinct de ceux dont relèvent les médecins qui effectuent un prélèvement d’organe ou une greffe.
  • La procédure renforcée de constat de la mort en présence d’un maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée est maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organe, l’article R. 1232-2 du Code de la santé publique prévoit que, en complément des trois critères cliniques mentionnés à l’article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :
      • Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d’enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l’interprétation ;
      • Soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait.
    • Dans ce cas de figure, le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • Le formalisme auquel ce procès-verbal doit répondre est, en revanche, plus lourd, compte tenu du maintien en vie artificiel du patient décédé.
    • L’article R. 1232-3, al. 3 du Code de la santé publique prévoit en ce sens que lorsque le constat de la mort est établi pour une personne assistée par ventilation mécanique et conservant une fonction hémodynamique, le procès-verbal de constat de la mort indique les résultats des constatations cliniques concordantes de deux médecins répondant à la condition mentionnée à l’article L. 1232-4.
    • Ce procès-verbal mentionne, en outre, le résultat des examens définis au 1° ou au 2° de l’article R. 1232-2, ainsi que la date et l’heure de ce constat.
    • Il doit être signé par les deux médecins susmentionnés.

Que la personne dont le décès est constaté soit ou non maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-4 du Code de la santé publique prévoit que « le procès-verbal du constat de la mort est signé concomitamment au certificat de décès prévu par arrêté du ministre chargé de la santé. »

==> La preuve de la mort

Pour qu’une personne décédée soit privée de sa capacité à hériter, encore faut-il que sa mort intervienne antérieurement à l’ouverture de la succession du de cujus.

Aussi, la date de la mort présente un enjeu majeur, ce qui, dès lors pose la question de sa preuve.

S’agissant de la charge de cette preuve, elle pèse sur les ayants droit de l’héritier présomptif.

La plupart de temps, cette preuve sera rapportée par la production de l’acte de décès sur lequel figure notamment le jour, l’heure et le lieu de décès (art. 79 C. civ.)

Parce que l’acte de décès appartient à la catégorie des actes d’état civil, il est réputé constater, « d’une manière authentique, un événement dont dépend l’état d’une ou de plusieurs personnes » (Cass. 1ère civ. 14 juin 1983, n°82-13.247).

L’acte de décès tire donc sa force probante de son caractère authentique. Il en résulte qu’il fait foi jusqu’à inscription de faux, à tout le moins s’agissant de l’existence matérielle des faits que l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s’étant passés en sa présence dans l’exercice de ses fonctions (Cass. 1ère civ. 26 mai 1964).

En effet, il y a lieu de distinguer deux sortes d’informations sur l’acte de décès :

  • Les informations qui résultent des propres constatations de l’officier d’état civil
    • Le caractère authentique de l’acte de décès confère à ces informations une force probante des plus efficaces, car elles font foi jusqu’à inscription en faux
    • Celui qui conteste la véracité de l’une d’elles devra donc engager des poursuites judiciaires, selon les règles de procédure énoncées aux articles 303 à 316 du Code de procédure civile.
  • Les informations qui résultent des déclarations que l’officier d’état civil reçoit de la personne qui a déclaré le décès
    • Ces informations font foi jusqu’à ce qu’il soit rapporté la preuve contraire.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si l’acte de décès n’établit, quant à l’heure du décès, qu’une simple présomption, il appartient à celui qui la conteste d’en établir l’exactitude» ( 1ère civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845).

S’agissant de la date et l’heure du décès, ces deux informations ne sont donc pas couvertes par le caractère authentique de l’acte de décès, faute pour l’officier d’état civil d’avoir pu les constater personnellement.

Dans ces conditions, elles pourront être remises en cause, ce qui supposera d’établir que, soit la date, soit l’heure, ou les deux, sont erronées

2. Tempérament

Par exception à la règle privant les personnes décédées de l’aptitude à hériter, les articles 752 et 752-2 du Code civil admettent que certains descendants de l’héritier prédécédé puissent lui succéder par le jeu de la représentation.

Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté »

Ce mécanisme interviendra, par exemple, lorsque, dans le cadre de la succession d’un grand-père, les petits enfants, viendront représenter leur parent décédé, de sorte qu’ils occuperont éventuellement le même rang que leur oncle.

S’agissant des personnes admises à représenter l’héritier présomptif prédécédé, il s’agit :

  • D’une part, en ligne directe des descendants à l’infini ( 752 C. civ.)
  • D’autre part, en ligne collatérale, des enfants et descendants de frères ou sœurs du défunt ( 752-2 C. civ.)

Ainsi, le décès de l’héritier présomptif ne prive ses descendants de la possibilité succéder en son lieu et place au de cujus.

B) L’enfant mort-né ou né non viable

Lorsqu’un enfant décède avant que n’ait pu être réalisée la déclaration de naissance, il y a lieu de distinguer selon qu’il est né vivant et viable ou seulement sans vie.

  • L’enfant né vivant et viable
    • L’article 79-1, al. 1er du Code civil prévoit que lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.
    • L’établissement d’un acte de naissance présente ici un enjeu majeur, car cette formalité conférera à l’enfant décédé la personnalité juridique et, par voie de conséquence, la capacité à hériter.
  • L’enfant né sans vie
    • L’article 79-1, al. 2e du Code civil prévoit que, lorsque l’enfant est mort-né ou naît vivant mais non viable, l’officier de l’état civil peut établir sur la demande des parents un acte d’enfant sans vie.
    • L’établissement de cet acte permettra d’inscrire cet enfant sur le livret de famille et d’organiser de funérailles.
    • En revanche, l’enfant ne se verra pas conférer la personnalité juridique, en conséquence de quoi il n’acquerra pas la qualité d’héritier.

C) Les personnes absentes

L’absence est définie à l’article 112 du Code civil comme la situation d’une personne qui « a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles ».

Il s’agit, autrement dit, de l’hypothèse où une personne ne s’est pas manifestée auprès de ses proches pendant une période prolongée, de sorte que l’on ignore si elle est encore en vie ou si elle est décédée.

Cette situation se rencontrera essentiellement à des époques troublées par la guerre, la révolution ou encore des catastrophes naturelles.

Quel que soit le motif de l’absence, faute de certitude sur la situation de la personne qui ne donne plus aucun signe de vie, la question se pose de savoir ce qu’il doit advenir de son patrimoine.

Doit-on désigner un administrateur aux fins d’administrer ses biens dans l’attente que l’absent réapparaisse ou doit-on ouvrir sa succession ?

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter aux articles 112 à 132 du Code civil qui règlent la situation de l’absence.

À l’analyse, le dispositif mis en place distingue deux périodes qui se succèdent :

  • La présomption d’absence qui fait primer la vie sur la mort
  • La déclaration d’absence qui fait primer la mort sur la vie

==> La personne présumée absente

L’article 112 du Code civil prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Il ressort de cette disposition que, lorsque les conditions de l’absence sont réunies, le juge rend une décision constatant la présomption d’absence.

Cette décision emporte deux effets majeurs :

  • Elle fixe le point de départ du délai au terme duquel la présomption d’absence sera convertie en déclaration d’absence, soit en un acte qui présumé l’absent mort
  • Elle instaure un système de représentation de l’absent qui fait l’objet des mêmes mesures de protection que celles prises à la faveur de l’incapable majeur

À cet égard, durant toute la période au cours de laquelle la présomption d’absence joue l’absent est présumé en vie, ce qui signifie que, à ce stade, non seulement sa succession ne saurait s’ouvrir, mais encore il conserve sa capacité à hériter comme précisé par l’article 725 du Code civil.

La présomption d’absence est, par ailleurs, sans incidence sur la situation matrimoniale de l’absent qui demeure marié ou pacsé.

Cette présomption emporte pour seule conséquence l’instauration d’une mesure de représentation de l’absent qui est traité comme un incapable, en ce qu’il fait l’objet des mêmes mesures de protection.

==> La personne déclarée absente

Lorsque la période de présomption d’absence arrive à son terme, s’amorce une seconde phase, celle de la déclaration d’absence qui conduit à présumer l’absent décédé.

Il ne s’agit donc plus ici d’assurer la protection de l’absent dont on présume qu’il est en vie, mais d’organiser la liquidation de ses intérêts, puisqu’on présume dorénavant qu’il est mort.

Le basculement de la présomption de vie vers une présomption de mort s’opère au bout d’un délai compris entre 10 et 20 ans selon le cas.

À l’analyse, ce délai varie selon que la présomption d’absence a ou non été judiciairement constatée

  • La présomption d’absence a été judiciairement constatée
    • L’article 122 du Code civil prévoit que « lorsqu’il se sera écoulé dix ans depuis le jugement qui a constaté la présomption d’absence, soit selon les modalités fixées par l’article 112, soit à l’occasion de l’une des procédures judiciaires prévues par les articles 217 et 219, 1426 et 1429, l’absence pourra être déclarée par le tribunal judiciaire à la requête de toute partie intéressée ou du ministère public».
    • Ainsi, dès lors que la présomption d’absence a été régulièrement constatée par le juge, la déclaration d’absence peut être prononcée.
    • Ce délai commence à courir à compter de la date fixée dans la décision qui a constaté la présomption d’absence
  • La présomption d’absence n’a pas été judiciairement constatée
    • L’absence de constatation judiciaire de la présomption d’absence n’est pas un obstacle au prononcé de la déclaration d’absence
    • L’article 122 du Code civil prévoit en ce sens que l’absence peut être déclarée lorsque « à défaut d’une telle constatation, la personne aura cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, sans que l’on en ait eu de nouvelles depuis plus de vingt ans. »
    • Cette hypothèse se rencontrera notamment, lorsque le patrimoine du présumé absent aura été administré par un mandataire, de sorte que le recours à la procédure visant à obtenir des mesures de protection était sans intérêt.
    • Aussi, s’il n’est pas nécessaire d’obtenir la constatation judiciaire de la présomption d’absence, le délai pour obtenir la déclaration d’absence est doublé.
    • La difficulté pour le demandeur consistera à rapporter la preuve de l’écoulement d’un délai de 20 ans.
    • Ainsi que l’observait Jean foyer l’objectif est ici « de protéger les intérêts d’un présumé absent contre des proches qui ne se sont pas montrés diligents pour la gestion de son patrimoine, ou dont on pourrait craindre qu’ils soient tentés de faire déclarer frauduleusement l’absence d’une personne vivante durablement éloignée de ses affaires».

L’article 128 du Code civil prévoit que « le jugement déclaratif d’absence emporte, à partir de la transcription, tous les effets que le décès établi de l’absent aurait eus. »

Ce jugement produit donc l’effet inverse que la présomption d’absence : l’absent bascule du statut de présumé en vie en présumé mort.

Il en résulte notamment que l’absent perd son aptitude à hériter, puisque sa personnalité juridique s’éteint.

D) Les personnes disparues

L’article 88 du Code civil prévoit que « peut être judiciairement déclaré, à la requête du procureur de la République ou des parties intéressées, le décès de tout Français disparu en France ou hors de France, dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’une personne a disparu dans des circonstances de nature à faire sérieusement douter de sa survie (naufrage, effondrement d’une mine, catastrophe naturelle, accident d’avion, incendie etc.), c’est le juge procédera à la constatation du décès pour cause de disparition.

La disparition se distingue de l’absence qui correspond à l’hypothèse où l’on ignore si la personne absente est morte ou encore en vie.

S’agissant de la disparition, il existe une probabilité très élevée que la personne soit décédée, en raison des circonstances violentes dans lesquelles elle a disparu.

Lorsque l’on a la certitude qu’une personne a été victime d’un naufrage ou d’un accident d’avion et que celle-ci ne réapparaît plus, il est vraisemblable, sinon certain qu’elle soit décédée.

S’agissant des effets de la disparition, il y a lieu de se reporter à l’article 91, al. 3e du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les jugements déclaratifs de décès tiennent lieu d’actes de décès et sont opposables aux tiers, qui peuvent seulement en obtenir la rectification ou l’annulation, conformément aux articles 99 et 99-1 du présent code. »

Ainsi, la personne qui est déclarée disparue est réputée décédée à l’instar de la personne qui est déclarée absente.

Il en résulte que sa personnalité juridique prend fin, ce qui emporte, par voie de conséquence, son aptitude à hériter.

S’agissant de la date à laquelle il y a lieu de faire jouer les effets de la disparition, il convient de retenir, non pas la date de prononcé du jugement, mais la date à laquelle le disparu est réputé mort, laquelle doit nécessairement être fixée par la décision.

C’est donc à cette date qu’il y aura lieu de se placer afin d’apprécier l’aptitude de la personne disparue à succéder au de cujus.

E) Les personnes morales

En application de l’article 725 du Code civil, pour succéder, il faut en principe exister. Si l’on s’en tient à la lettre du texte, devraient donc être aptes à hériter, tant les personnes physiques, que les personnes morales.

S’agissant de ces dernières, bien qu’elles n’aient pas de réalité tangible, elles existent bien juridiquement. Et pour cause, en leur reconnaissant la personnalité juridique, la loi leur confère la capacité à détenir un patrimoine.

Rien ne devrait donc s’opposer à ce que les personnes morales puissent recueillir les biens d’une personne physique dans le cadre d’une succession.

Tel n’est pour autant pas l’état du droit qui subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à l’existence d’un lien de parenté ou d’alliance entre le de cujus et ses successibles.

Pour cette raison, les personnes morales sont inaptes à hériter, à tout le moins dans le cadre d’une succession ab intestat, soit la succession qui s’opère sans testament.

La jurisprudence, puis le législateur, ont toutefois admis que les personnes morales pouvaient, à certaines conditions, bénéficier d’une libéralité par voie de donation ou par voie testamentaire.

À l’analyse, l’aptitude d’une personne morale à recueillir une libéralité dépend de sa nature juridique (société, association, fondation etc.).

S’agissant des sociétés civiles et commerciales, la jurisprudence leur a très tôt reconnu cette aptitude (V. en ce sens Cass. req. 23 févr. 1891).

À cet égard, l’exercice de leur droit à recueillir une libéralité n’est nullement subordonné à l’octroi d’une quelconque autorisation, ni à l’accomplissement d’une déclaration (Cass. req., 29 nov. 1897).

Tout au plus, en raison du principe de spécialité qui limite leur capacité de jouissance, l’objet social figurant dans les statuts de la société civile ou commerciale devra comprendre la possibilité de recueillir une libéralité.

S’agissant des fondations, des congrégations et des associations, non seulement elles ont la capacité de recevoir des libéralités entre vifs ou par testament, mais encore qu’elles peuvent les accepter librement (art. 910 C. civ.).

L’article 910 prévoit néanmoins que si le préfet constate que l’organisme légataire ou donataire ne satisfait pas aux conditions légales exigées pour avoir la capacité juridique à recevoir des libéralités ou qu’il n’est pas apte à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire, il peut former opposition à la libéralité.

Afin que ce contrôle puisse effectivement être exercé, le décret n° 2007-807 du 11 mai 2007 fait peser une obligation de déclaration sur les associations, fondations et congrégations recueillant la libéralité.

§2 : L’absence d’indignité successorale

Si l’aptitude à hériter est indépendante de la volonté de celui auquel elle est reconnue, il est en revanche certains agissements qui sont incompatibles avec la qualité d’héritier.

Certains comportements moralement répréhensibles, sinon délictueux, dont a fait montre l’héritier envers le de cujus sont, en effet, de nature à le priver de sa vocation successorale.

Ces comportements tombent sous le coup de ce que l’on appelle l’indignité.

==> Notion

Envisagée aux articles 726 à 729-1 du Code civil, l’indignité successorale est classiquement définie comme la déchéance du droit de succéder au défunt à raison d’atteintes graves portées à son encontre.

L’indignité produit sensiblement les mêmes effets qu’une exhérédation, à deux nuances près.

  • D’une part, l’indignité successorale se produit sous l’effet de la loi, alors que l’exhérédation ordinaire résulte de la volonté du de cujus.
  • D’autre part, alors que l’indignité successorale est susceptible de priver l’héritier de sa part réservataire, lorsqu’elle est le fait du de cujus, l’exhérédation ne pourra se limiter qu’à la quotité disponible.

Pour ces deux raisons, l’indignité successorale ne se confond pas avec l’exhérédation. Néanmoins, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001, il apparaît que les deux institutions se sont rapprochées.

En effet, l’indignité n’est plus, comme sous l’empire du droit en vigueur, un effet légal strictement attaché à une conduite incriminée, qu’aucune volonté contraire ne saurait écarter.

Désormais, l’indignité peut être neutralisée par le pardon accordé à l’indigne, soit par le de cujus lui-même, soit par ses cohéritiers.

==> Nature

S’agissant de la nature de l’indignité successorale, la doctrine est partagée entre deux approches :

  • Première approche : l’assimilation de l’indignité à une incapacité
    • D’aucuns soutiennent que l’indignité s’apparenterait à une incapacité de jouissance, celle-ci produisant finalement les mêmes effets : celui qui est reconnu indigne est inapte à recueillir le patrimoine du de cujus.
    • À cette analyse, il est objecté notamment qu’une incapacité serait toujours prononcée pour des raisons « indépendantes du mérite ou du démérite de la personne»[4].
    • Au surplus, les incapacités auraient une portée générale. Or l’indignité ne frappe l’indigne que pour la succession de la personne envers laquelle il s’est mal comporté.
    • Ainsi que l’observe néanmoins Michel Grimaldi, il existe « des incapacités relatives qui, précisément, ne concernent que les rapports entre deux personnes déterminées»[5].
    • Tel est notamment le cas du médecin qui est frappé d’une incapacité de jouissance spéciale quant à recevoir une libéralité émanant de son patient ( 909 C. civ.).
    • Il en va de même pour le tuteur auquel il est fait interdiction recevoir une libéralité provenant du mineur dont il assurait la représentation ( 907 C. civ.).
  • Seconde approche : l’assimilation de l’indignité à une peine privée
    • La doctrine majoritaire assimile l’indignité successorale à une peine privée, car elle jouerait le rôle de sanction.
    • Dans un arrêt du 18 décembre 1984, la Cour de cassation a statué en ce sens, en qualifiant expressément l’indignité de « peine civile de nature personnelle et d’interprétation stricte».
    • Elle en déduit qu’elle « ne peut être étendue au-delà des textes qui l’instituent » ( 1ère civ. 18 déc. 1984, n°83-16.028).

Selon que l’on assimile l’indignité successorale à une incapacité ou à une peine privée, elle ne sera pas soumise au même principe.

Si l’indignité s’analyse en une incapacité, alors elle ne peut frapper que les personnes expressément visées par la loi. Rien ne ferait en revanche obstacle à ce que les juges puissent se livrer à une interprétation extensive des textes aux fins d’appliquer l’indignité à des cas non expressément prévus par la loi.

Si l’indignité est assimilée à une peine privée, elle obéit alors au principe de légalité des délits et des peines, ce qui signifie qu’elle ne peut jouer que pour les cas expressément visés par un texte.

À l’examen, c’est plutôt la seconde approche qui semble avoir été adoptée par la jurisprudence, (Cass. 1ère civ. 18 déc. 1984, n°83-16.028). Elle doit donc être appréhendée comme une peine privée.

==> Domaine

Le domaine de l’indignité successoral est cantonné aux seules successions ab intestat, soit à celles qui s’opèrent en dehors de tout testament.

L’indignité ne joue pas :

  • Dans le cadre des libéralités
    • Pour mémoire, les libéralités recouvrent les donations et les testaments, soit les actes à titre gratuit qui procèdent de la volonté du disposant
    • Pour ces actes, en cas de mauvaise conduite du bénéficiaire envers leur auteur, la sanction est toute autre.
    • Il s’agit, en effet, de la révocation pour cause d’ingratitude.
    • En soi, l’ingratitude produit les mêmes effets que l’indignité successorale.
    • Elle s’en distingue toutefois en ce qu’elle sanctionne des agissements moins graves.
    • Aussi, les cas d’ingratitude et d’indignité ne coïncident pas totalement
  • Dans le cadre des avantages matrimoniaux
    • L’article 1527 du Code civil définit les avantages matrimoniaux comme ceux « que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes».
    • Il s’agit, autrement dit, de tout profit procuré à l’un des époux résultant des règles qui président au fonctionnement du régime matrimonial.
    • Les avantages matrimoniaux présentent la particularité d’échapper au régime des libéralités ; ils leur sont étrangers.
    • Est-ce à dire qu’ils sont susceptibles de relever du domaine de l’indignité, puisque ne pouvant donc pas être révoqués pour cause d’ingratitude ?
    • Dans un arrêt remarqué du 7 avril 1998, la Cour de cassation a répondu par la négative.
    • Dans cette décision, elle a estimé que l’indignité successorale était insusceptible de sanctionner le conjoint condamné à une peine de 10 ans de réclusion criminelle pour avoir mortellement frappé son épouse ( 1ère civ., 7 avr. 1998, n° 96-14.508).
    • La position prise par la Cour de cassation est sévère.
    • Aussi, marque-t-elle sa volonté de faire une application stricte des textes et de circonscrire le domaine de l’indignité aux seules successions ab intestat.

==> Réforme

Le régime de l’indignité successorale a été profondément réformé par la loi 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral.

Il était notamment reproché aux règles antérieures d’être trop étroites, trop rigides et quelquefois injustes.

La loi du 3 décembre 2001 a tenu compte des critiques, en créant de nouveaux cas d’indignité successorale, dont la plupart sont facultatifs pour le juge, afin d’apporter de la souplesse dans un dispositif.

Le texte met fin, par ailleurs, à l’injustice dont étaient victimes les enfants de l’indigne : ceux-ci, qui n’ont commis aucune faute, peuvent désormais représenter leur auteur dans la succession dont il est exclu (art. 729-1 C. civ.).

Bien qu’en règle générale on ne puisse représenter que des personnes mortes, cette représentation peut avoir lieu du vivant même de l’indigne.

L’appréhension de l’indignité successorale suppose d’envisager ses causes, après quoi il conviendra de se focaliser sur ses effets.

I) Les causes d’indignité successorale

Les rédacteurs du Code civil n’avaient envisagé que trois causes d’indignité successorale :

  • Avoir été condamnée pour meurtre ou tentative de meurtre à l’endroit du défunt
  • Avoir porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse, soit avoir cherché à le faire condamner à mort en l’accusant d’un crime qu’il n’avait pas commis
  • Avoir été instruit du meurtre du défunt et ne l’avoir pas dénoncé aux autorités judiciaires

Lors des travaux parlementaires dont est issue la loi du 3 décembre 2001, il est apparu que les cas d’indignité successorale prévus par le Code civil étaient pour le moins étroits, sinon désuets.

Aussi, a-t-il été jugé nécessaire de les revoir, ce qui a conduit, non seulement à les élargir, mais encore à les répartir en deux catégories :

  • Les cas d’indignité de plein droit
  • Les cas d’indignité facultative

Tandis que les premiers jouent automatiquement en cas de condamnation pénale de l’héritier présomptif, les seconds requièrent l’intervention du juge civile qui devra se prononcer sur leur bien-fondé.

A) Les cas d’indignité de plein droit

L’article 726 du Code civil prévoit deux cas d’indignité de plein droit :

  • Premier cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle de celui qui a volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt.
    • Ce cas d’indignité vise indistinctement le meurtre ( 221-1 et 221-4 C. pén.), l’assassinat (art. 221-3 C. pén.), l’empoisonnement (art. 221-5 C. pén.).
  • Second cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle de celui qui a volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
    • Ce cas d’indignité recouvre toutes les infractions sanctionnant les atteintes portées à l’intégrité physique du de cujus et qui ont conduit à son décès, sans pour autant que l’auteur de l’infraction ou son complice aient été animés d’une intention homicide.

Plusieurs enseignements peuvent être retirés des cas d’indignité de plein droit visés par l’article 726 du Code civil.

Tout d’abord, seule une condamnation à une peine criminelle est constitutive d’une cause d’indignité de plein droit.

Par peine criminelle, il faut entendre une condamnation pénale supérieure à 10 ans de réclusion.

Ensuite, il peut être observé que, désormais, le complice de l’auteur du crime est également susceptible d’être frappée par l’indignité successorale, ce qui n’était pas le cas sous l’empire du droit antérieur

Enfin, il n’est pas nécessaire que celui qui a porté atteinte à la vie du défunt, à tout le moins qui y a concouru volontairement, soit animé de la volonté de tuer, pour encourir l’indignité successorale.

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par la loi du 3 décembre 2001, le législateur ayant estimé qu’absence d’intention homicide n’excusait pas l’héritier qui, par ses agissements, porte la responsabilité de la mort du de cujus.

B) Les cas d’indignité facultative

L’article 727 du Code civil prévoit six cas d’indignité successorale :

  • Premier cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle, de celui qui a volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt.
    • Sont ici visées les mêmes infractions qu’au 1e de l’article 726 du Code civil, soit le meurtre, l’assassinat et l’empoisonnement.
    • La seule différence, c’est que l’auteur ou le complice de l’infraction a été condamné, non pas à une peine criminelle, mais à une peine correctionnelle.
    • Par peine correctionnelle, il faut entendre une peine d’emprisonnement qui n’excède pas dix ans.
    • Parce que la peine prononcée à son encontre est moins lourde, le législateur a estimé que l’indignité devait, pour cette situation, n’être que facultative.
    • Le dernier alinéa du texte précise néanmoins que « peuvent également être déclarés indignes de succéder ceux qui ont commis les actes mentionnés aux 1° et 2° et à l’égard desquels, en raison de leur décès, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte. »
    • Autrement dit, lorsque l’action publique n’a pas pu être mise en mouvement pour quelque raison que ce soit, l’indignité successorale pourra malgré tout être prononcée par un juge.
    • L’objectif recherché par cette règle est d’empêcher la famille de l’auteur ou du complice de l’infraction ne puisse hériter du patrimoine de la victime.
  • Deuxième cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle de celui qui a volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
    • Ce cas d’indignité participe de la même logique que le précédent, en ce que les infractions visées sont exactement les mêmes que celles énoncées au 2e de l’article 726 du Code civil.
    • La peine prononcée présente néanmoins un caractère correctionnel, de sorte que l’indignité encourue ne joue plus de plein droit ; elle est facultative.
    • Par ailleurs, l’absence de mise en mouvement de l’action publique est ici aussi sans incidence sur le risque encouru par l’auteur ou le complice de l’infraction d’être frappé d’une indignité successorale.
    • Le dernier alinéa du texte est également applicable à cette cause d’indignité facultative
  • Troisième cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle de celui qui a commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt.
    • Ce cas d’indignité facultative a été introduit par la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.
    • Cet ajout est motivé par la volonté du législateur de réprimer plus sévèrement les auteurs de violences conjugales.
    • Il est parti du constat que si la loi permettait de déclarer l’indignité successorale en cas de faux témoignage et de dénonciation calomnieuse contre le défunt, tel n’était pas le cas pour les violences sexuelles ou physiques dès lors qu’elles n’ont pas été mortelles.
    • Il y avait là, selon les parlementaires, un problème d’échelle de valeurs qu’il fallait corriger.
    • Pour cette raison, il a été décidé de créer un nouveau cas d’indignité successorale pour celui qui a été condamné à une peine criminelle pour avoir commis des violences volontaires ou un viol sur le défunt.
    • Le mari violent ne peut désormais donc plus hériter de son épouse si celle-ci décède avant lui.
    • Sur ce point, la commission des lois a souhaité viser, en plus des violences et du viol, les actes de torture et de barbarie et les agressions sexuelles, et prévoir que l’indignité pourrait être prononcée même si le conjoint a seulement été condamné à une peine correctionnelle.
  • Quatrième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui est à l’origine d’un témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle.
    • Il s’agit là d’une reprise d’un souhait formulé par une partie de la doctrine qui regrettait que cette infraction ne soit pas une cause d’indignité.
    • Pour mémoire, l’infraction de faux témoignage dans le cadre est envisagée à l’article 434-13 du Code pénale.
    • Cette disposition prévoit que « le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
    • Il s’agirait autrement dit, pour l’héritier présomptif, de témoigner contre le de cujus dans le cadre d’une procédure criminelle en alléguant des faits qu’il sait faux.
  • Cinquième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui s’est volontairement abstenu d’empêcher soit un crime soit un délit contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers.
    • Ce cas d’indignité successorale est une innovation de la loi du 3 décembre 2001.
    • Il vise à sanctionner celui qui savait qu’un crime ou un délit allait se commettre à l’endroit de la personne du défunt, mais n’a rien dit, ni rien fait.
    • Or s’il avait agi, il aurait pu empêcher la mort du de cujus.
    • Parce qu’il porte une part de responsabilité dans le drame qui s’est produit, il ne mérite pas d’hériter.
    • Son abstention est d’autant plus blâmable que le décès du de cujus lui a directement profité en ce que, sans l’indignité, il hériterait prématurément.
    • Au surplus, on est légitimement en droit de le soupçonner d’avoir laissé faire dans le seul dessein d’accélérer sa vocation successorale.
    • Reste que le domaine de ce cas d’indignité est pour le moins restreint.
    • Pour être retenu, il faudra établir :
      • D’une part, l’abstention volontaire de l’héritier volontaire
      • D’autre part, que l’atteinte portée au de cujus était constitutive d’un crime ou d’un délit
      • En outre, que cette atteinte consistait en une agression physique sur sa personne
      • Enfin, que l’héritier présomptif était en capacité d’agir sans risque pour lui ou pour les tiers
    • Au bilan, les conditions devant être remplies pour que ce cas d’indignité soit retenu sont si nombreuses que, en pratique, ne sera caractérisé que dans de très rares cas
  • Sixième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui est à l’origine d’une dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.
    • Ce cas d’indignité successorale n’est autre qu’une reprise de l’un des cas prévus par les rédacteurs du Code civil.
    • L’ancien article 727, 2e prévoyait en effet que l’indignité était encourue par « celui qui a porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse».
    • La seule différence, c’est que la dénonciation calomnieuse visée ici porte sur une infraction punie, non plus de peine de mort, mais par une peine criminelle.
    • L’esprit de ce cas d’indignité successorale n’en reste pas moins le même.
    • Il s’agit de sanctionner celui qui a portée contre le de cujus une accusation très grave, car portant sur des faits de nature criminelle, et, à ce titre, l’a exposé au risque d’être condamné à une lourde peine.
    • Certes, la motivation de l’auteur de la calomnie ne résidera pas dans la perspective d’hériter prématurément du de cujus, celui-ci ne risquant plus d’être condamné à mort.
    • Néanmoins, le préjudice personnel susceptible de lui être causé est si important que l’héritier présomptif doit être privé de sa vocation successorale.

II) La mise en œuvre de l’indignité successorale

Selon que l’indignité successorale joue de plein droit ou selon qu’elle est facultative, sa mise en œuvre diffère.

A) La mise en œuvre de l’indignité successorale de plein droit

Lorsque l’indignité successorale joue de plein droit, car résultant de l’une des causes visées par l’article 726 du Code civil, elle est automatique en ce sens que, pour produire ses effets, il n’est pas besoin de saisir le juge.

Aussi, est-elle attachée à la condamnation pénale dont, au fond, elle est une conséquence légale.

Encore faut-il néanmoins qu’elle soit invoquée, faute de quoi elle ne pourra pas jouer.

Les personnes admises à se prévaloir de l’indignité successorale de plein droit sont limitées.

On compte :

  • Les cohéritiers de l’indigne
  • Les ayants droit de l’indigne
  • Les légataires à titre universel et à titre particulier
  • Le ministère public en l’absence d’héritier

B) La mise en œuvre de l’indignité successorale facultative

Lorsque l’indignité est facultative, soit résulte de l’une des causes visées à l’article 727 du Code civil, sa mise œuvre requiert l’obtention d’une déclaration judiciaire d’indignité.

Aussi, cela suppose-t-il pour celui qui se prévaut de cette forme d’indignité successorale de saisir le juge civil.

À la différence de l’indignité de plein droit, l’indignité facultative n’est pas automatique ; elle doit être prononcée.

==> Compétence

En application de l’article 727-1 du Code civil, la juridiction compétente pour prononcer la déclaration d’indignité successorale est le Tribunal judiciaire.

Plus précisément, parce qu’il s’agit d’une demande qui intéresse les rapports entre héritiers, c’est la juridiction dans le ressort de laquelle est ouverte la succession jusqu’au partage qui est compétente (art. 45 CPC), étant précisé que la succession doit s’ouvrir au lieu du dernier domicile du défunt (art. 720 C. civ.).

==> Titulaires de l’action

L’article 727-1 du Code civil prévoit que « la déclaration d’indignité prévue à l’article 727 est prononcée après l’ouverture de la succession par le tribunal judiciaire à la demande d’un autre héritier. »

Il ressort de cette disposition que seuls les cohéritiers de l’indigne ont qualité pour saisir le juge aux fins de déclaration judiciaire d’indignité.

Aussi, sont privés de la possibilité d’exercer cette action, tant les héritiers testamentaires, que les légataires, alors même qu’ils auraient intérêt à agir.

En l’absence d’héritier, le second alinéa du texte précise que « la demande peut être formée par le ministère public. »

==> Moment d’exercice de l’action

L’article 727-1 du Code civil prévoit expressément que la demande visant à ce qu’un héritier soit déclaré indigne ne peut être formulée qu’après l’ouverture de la succession.

Aucune action ne pourra donc être exercée, tant que la victime de l’indignité n’est pas décédée.

==> Délai pour agir

L’article 727-1 du Code civil prévoit que « la demande doit être formée dans les six mois du décès si la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité est antérieure au décès, ou dans les six mois de cette décision si elle est postérieure au décès. »

Il s’infère de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer selon que la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient avant ou après le décès.

  • La décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient avant le décès de la victime de l’indignité
    • Dans cette hypothèse, l’action en déclaration d’indignité doit être exercée dans un délai de 6 mois à compter du décès du de cujus.
  • La décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient après le décès de la victime de l’indignité
    • Dans cette hypothèse, l’action en déclaration d’indignité doit être exercée dans un délai de 6 mois à compter du prononcé de la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité

==> Décision

Après avoir examiné les circonstances de la cause et vérifié que l’un des cas d’indignité facultative visé par l’article 727 du Code civil était caractérisé, le juge pourra prononce une déclaration d’indignité.

III) Les effets de l’indignité successorale

Lorsqu’elle est acquise, soit directement par l’effet d’une condamnation pénale, soit par l’effet d’une décision du juge civil, l’indignité emporte plusieurs effets.

A) Les effets de l’indignité à l’égard de l’indigne

L’indignité produit deux effets à l’égard de l’indigne :

  • Il est exclu de la succession du de cujus
  • Il doit restitution des fruits et revenus

1. Exclusion de la succession

==> Principe

L’indignité a pour effet principal d’exclure l’indigne de la succession : il est déchu de son droit à succéder au de cujus, il perd sa qualité d’héritier.

S’agissant des libéralités susceptibles d’avoir été consenties par ce dernier à l’indigne, il peut être observé qu’elles ne relèvent pas de l’indignité. Elles ne peuvent être révoquées que pour cause d’ingratitude.

Aussi, l’indignité n’a d’incidence que sur la seule succession ab intestat. L’indigne peut donc conserver le bénéfice des donations ou dispositions testamentaires dont il aurait été gratifié par le défunt.

L’effet attaché à l’indignité n’est, par ailleurs, que relatif en ce sens qu’elle ne prive l’indigne de son aptitude à hériter que dans ses seuls rapports avec le de cujus.

Aussi, conserve-t-il sa capacité à hériter d’une autre personne et notamment aux parents de la victime de l’indignité, soit par le jeu de transmissions successives, soit par le jeu de la représentation successorale.

==> Exception

L’article 728 du Code civil prévoit que « n’est pas exclu de la succession le successible frappé d’une cause d’indignité prévue aux articles 726 et 727, lorsque le défunt, postérieurement aux faits et à la connaissance qu’il en a eue, a précisé, par une déclaration expresse de volonté en la forme testamentaire, qu’il entend le maintenir dans ses droits héréditaires ou lui a fait une libéralité universelle ou à titre universel. »

Il ressort de cette disposition que le de cujus dispose de la faculté de maintenir l’indigne dans ses droits, malgré les fautes commises à son endroit.

Cette faculté de pardon reconnue au de cujus joue, tant en matière d’indignité de plein droit, qu’en matière d’indignité facultative.

C’est là une innovation de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001, le législateur ayant estimé qu’il y avait lieu de donner le dernier mot au défunt, sa volonté primant ainsi les effets de la loi.

Reste que pour que le pardon opère et déjoue les effets de l’indignité, trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  • D’une part, le de cujus doit avoir eu connaissance des faits commis à son encontre et frappés de l’une des causes d’indignité
  • D’autre part, il doit avoir exprimé sa volonté de maintenir l’indigne dans ses droits, nonobstant les faits dont il a eu connaissance
  • Enfin, le pardon accordé par le de cujus à l’indigne doit intervenir après la découverte des faits frappés d’indignité et prendre la forme :
    • Soit d’une disposition testamentaire, ce qui suppose donc que les faits pardonnés soient expressément mentionnés dans le testament
    • Soit d’une libéralité universelle ou à titre universel

2. Obligation de restitution des fruits et revenus

L’article 729 du Code civil prévoit que « l’héritier exclu de la succession pour cause d’indignité est tenu de rendre tous les fruits et tous les revenus dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession. »

Cette disposition marque le caractère rétroactif de l’indignité successorale. Cette situation se rencontrera lorsque l’indigne est entré en possession des biens du de cujus et que l’indignité n’a pas encore produit ses effets.

Tel sera le cas pour l’indignité facultative qui ne peut être déclaré que postérieurement au décès du défunt.

Pour ce qui est de l’indignité de plein droit, la rétroactivité ne concernera que l’hypothèse où la condamnation de l’indigne a été prononcée après le décès du de cujus et que l’indigne est entré en possession immédiatement après l’ouverture de la succession.

En tout état de cause, lorsque l’indignité – de plein droit ou facultative – produit ses effets, l’indigne est réputé n’avoir jamais hérité.

Il en résulte qu’il a l’obligation de restituer :

  • D’une part, les biens qu’il aurait recueillis dans son patrimoine
  • D’autre part, les fruits et les revenus qu’il a éventuellement retirés de ces biens

C’est parce que l’indigne est considéré comme un possesseur de mauvaise foi, qu’il est tenu de restituer intégralement les fruits et revenus provenant des biens dont il a eu la jouissance.

Quant aux tiers auxquels l’indigne aurait transférer la propriété des biens recueillis, leur situation est pour le moins précaire car endossant la qualité d’acquéreur a non domino, soit d’acquéreur sans titre valable.

S’agissant des immeubles, l’opération encourt la nullité en application de la règle nemo plus juris.

Seule la prescription acquisitive pourra consolider la situation du tiers, encore qu’il ne pourra pas se prévaloir de la prescription abrégée.

S’agissant des meubles, la remise en cause de l’opération dépendra de la bonne ou mauvaise foi du tiers.

S’il est de bonne foi, nonobstant sa qualité d’acquéreur a non domino, il conservera le bénéfice de son acquisition. Si, en revanche, il est de mauvaise foi, une action en revendication pourra être exercée, le délai de prescription étant porté à trente ans.

B) Les effets de l’indignité à l’égard des héritiers

Parce qu’il s’agit d’une peine personnelle, l’indignité ne produit ses effets qu’à l’encontre de l’indigne ; elle est sans incidence :

  • D’une part, sur les cohéritiers
  • D’autre part, sur les enfants

S’agissant des enfants, il s’agit là d’une autre innovation introduite par la loi du 3 décembre 2001.

L’article 729-1 du Code civil prévoit que « les enfants de l’indigne ne sont pas exclus par la faute de leur auteur, soit qu’ils viennent à la succession de leur chef, soit qu’ils y viennent par l’effet de la représentation […] ».

Il ressort de cette disposition que les enfants de l’indigne peuvent venir en représentation de celui-ci.

Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté »

Le législateur a ici voulu mettre fin à l’injustice dont étaient victimes les enfants de l’indigne : ceux-ci, qui n’ont commis aucune faute, doivent pouvoir représenter leur auteur dans la succession dont il est exclu.

L’article 729-1 précise néanmoins que « l’indigne ne peut, en aucun cas, réclamer, sur les biens de cette succession, la jouissance que la loi accorde aux père et mère sur les biens de leurs enfants. »

Cette précision vise à déroger à la règle posée à l’article 386-1 du Code civil qui confère aux parents d’un enfant mineur un droit de jouissance légale sur les biens qu’ils administrent.

Il ne faudrait pas que l’indigne puisse tirer profit des biens dont il a été privé par l’entremise de ses enfants qui l’ont représenté dans la succession du de cujus.

Afin d’illustrer la règle énoncée à l’article 729-1, prenons l’exemple de la succession de A qui laisse derrière lui deux enfants, B et C. B qui a deux enfants E et F, est frappé d’indignité.

Si les enfants de l’indigne ne pouvaient pas venir en représentation de celui-ci, alors c’est C qui recueillerait l’intégralité de la succession de A.

Si en revanche les enfants de l’indigne sont admis à le représenter, alors ils pourront se partager la moitié de la succession de A, tandis que C recueillera l’autre moitié.

 

 

[1] M. Grimaldi, Droit des successions, éd. LexisNexis, 2017, n°101, p. 77.

[2] Ph. Salvage, « La viabilité de l’enfant nouveau-né », RTD civ., 1976, p. 725

[3] G. Cornu, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, Domat Droit privé, 9ème éd., 1999, p. 186

[4] M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. III, LGDJ, 7e éd. 1918, n°1731.

[5] M. Grimaldi, Droit des successions, éd. Lexisnexis, 2017, n°105, p. 81.

L’acquisition de la qualité d’héritier: la condition tenant à l’existence (art. 725 C. civ.)

La mort n’est pas la fin. Elle met seulement un terme à ce qui a commencé et à ce qui a vécu. Mais la vie se poursuit à travers ce qui reste et continue à exister.

Lorsque la Camarde vient frapper à la porte de celui dont l’heure est venue, le trépas emporte certes extinction de la personnalité juridique. Le défunt laisse néanmoins derrière lui un patrimoine, sans maître, qui a vocation à être immédiatement transmis à ceux qui lui survivent.

Cette transmission du patrimoine qui intervient concomitamment au moment du décès est exprimée par l’adage hérité de l’ancien droit « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».

Ce principe procède de l’idée que la personne du défunt survit à travers ses successeurs – héritiers et légataires – lesquels ont vocation à recueillir l’ensemble de ses biens, mais également la totalité de ses dettes.

Parce que l’ouverture d’une succession s’accompagne d’enjeux, en particulier financiers, souvent importants, elle est de nature à plonger la famille dans une crise qui sera parfois profonde, les successeurs se disputant le patrimoine du défunt.

Le droit ne peut bien évidemment pas rester indifférent à cette situation qui menace la paix sociale et dont l’Histoire a montré qu’elle pouvait conduire à l’effondrement de royaumes entiers. La succession de Charlemagne a profondément marqué l’Histoire de France.

Bien que les héritiers soient immédiatement saisis à la mort du défunt, ce qui, concrètement, signifie qu’ils entrent en possession de son patrimoine sans période intercalaire, la transmission qui s’opère n’échappe pas à l’emprise du droit.

À cet égard, les règles qui connaissent de la transmission à cause de mort forment ce que l’on appelle le droit des successions.

Il ressort de ce corpus normatif que la transmission par voie successorale peut être réglée :

  • Soit par l’effet de la loi
    • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) qui leur revient
  • Soit par l’effet de la volonté
    • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
    • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelées à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

Que la transmission à cause de mort s’opère par l’effet de la loi ou par l’effet d’un testament, elle requiert, dans les deux cas, et au préalable, l’ouverture de la succession du défunt.

Une fois la succession ouverte, seules pourront être appelées les personnes qui justifient des qualités requises pour hériter.

En effet, pour succéder au de cujus, deux conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, l’héritier doit exister au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’héritier ne doit pas être frappé d’une cause indignité successorale

Nous nous focaliserons ici sur la condition tenant à l’existence. 

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Il ressort de cette disposition que pour hériter, il convient d’exister, ce qui dès lors interroge sur la définition de ce verbe.

Dans le langage courant, on dit d’une personne qu’elle existe lorsqu’elle est en vie par opposition à une personne décédée qui n’existe plus.

Reste que, comme observé par Michel Grimaldi, « ce n’est pas de l’existence physique qu’il s’agit, mais de l’existence juridique, c’est-à-dire de la personnalité juridique, de l’aptitude à acquérir des droits »[1].

Aussi, l’existence telle qu’envisagée à l’article 725 du Code civil, ne correspond pas en tout point à celle définie en biologie.

Pour exemple, sous l’empire du droit antérieur, les personnes condamnées à une peine de mort civile étaient privées de leur capacité à hériter, alors même qu’elles étaient encore en vie.

En droit des successions, la notion d’existence s’est ainsi construite sur la base d’un certain nombre de fictions juridiques qui, tantôt conduisent à attribuer la qualité d’héritier à des personnes qui n’existent pas encore, tantôt à refuser la qualité d’héritier à des personnes auxquelles on reconnaît pourtant une existence juridique.

Afin d’appréhender la condition tenant à l’existence, il convient donc de déterminer qu’elles sont les personnes qui sont pour

I) Les personnes pourvues de l’aptitude à hériter

Deux enseignements peuvent être retirés de l’article 725 du Code civil qui pose l’existence comme première condition à l’octroi de la qualité d’héritier :

  • D’une part, le respect de la condition tenant à l’existence de la personne appelée à hériter doit être apprécié au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’existence commence au jour de la conception, pourvu que l’enfant naisse vivant et viable

A) Le moment de l’appréciation de l’existence

Conformément à l’article 725 du Code civil, les personnes auxquelles on reconnaît l’aptitude à hériter sont celles qui existent « à l’instant de l’ouverture de la succession ».

L’existence de la personne appelée à succéder doit ainsi être appréciée au moment où la succession s’ouvre, soit au jour où le de cujus est réputé mort.

La raison en est que, en application du principe de continuité de la personne du défunt, la transmission de son patrimoine doit intervenir concomitamment à son décès.

Aussi, est-ce pour éviter qu’une rupture ne vienne affecter cette transmission, qu’il a été décidé que seules les personnes qui existaient au jour de l’ouverture de la succession étaient aptes à hériter.

B) La conception comme point de départ de l’existence

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Aussi, est-ce au moment de la conception de l’enfant qu’il y a lieu de se placer pour déterminer si au jour de l’ouverture de la succession, il est apte à hériter. Encore faut-il que celui-ci naisse vivant et viable.

1. Principe

==> Énoncé du principe

Définir l’existence consiste, au fond, à déterminer là où elle commence et là où elle se termine.

S’agissant de la fin de l’existence, elle ne soulève pas de réelle difficulté dans la mesure où un seul événement peut servir de borne : la mort.

S’agissant, en revanche, du début de l’existence, la question est plus délicate : doit-on retenir comme date de commencement la naissance ou la conception de la personne ?

La difficulté a été tranchée dès l’entrée en vigueur du Code civil. Ses rédacteurs ont retenu la seconde option en reprenant le principe exprimé par l’adage « infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur ».

Pris dans son sens littéral, cet adage signifie que l’enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu’il y va de son intérêt.

Aussi, l’enfant posthume, soit celui qui naît postérieurement au décès de l’un ou l’autre de ses parents, serait apte à hériter, le principe dit de l’infans conceptus, faisant commencer l’existence humaine, non pas au jour de la naissance, mais au moment de la conception.

Il n’est donc pas nécessaire d’être né pour succéder, il suffit d’avoir été conçu au jour de l’ouverture de la succession.

À l’analyse, il y a quelque chose de contradictoire à, d’un côté, octroyer des droits à enfant dès sa conception et, d’un autre côté poser que la personnalité juridique ne s’acquiert qu’au jour de la naissance.

Pour être titulaire de droits, il faut être pourvu d’une capacité de jouissance. Or cette capacité est étroitement attachée à la personnalité juridique.

En toute rigueur, un enfant ne devrait donc être apte à recueillir des droits qu’au jour de sa naissance.

Aussi, est-ce pour surmonter cette difficulté que la règle infans conceptus fait rétroagir, par le jeu d’une fiction juridique, les effets de la naissance au moment de la conception.

==> Justification du principe

L’instauration de la règle « infans conceptus » se justifie essentiellement pour deux raisons :

  • Première raison
    • Il est scientifiquement établi que la vie commence dès le stade de la conception ; c’est à ce moment que l’on fixe le point de départ de l’existence
    • Indépendamment de l’argument scientifique qui est relativement récent, cette réalité a très tôt été admise chez les juristes.
    • La preuve en est les romains qui sont à l’origine de la règle, laquelle a, par suite, été reprise, dans les mêmes termes, par les rédacteurs du Code civil qui voyaient également dans la conception le commencement de l’existence
  • Seconde raison
    • Reconnaître à l’enfant, dès sa conception, l’aptitude à hériter participe d’une volonté d’instaurer une égalité successorale entre enfants.
    • L’égalité commande, en effet, d’octroyer à l’enfant seulement conçu les mêmes droits que ceux dont sont titulaires ses frères et sœurs déjà nés.
    • Pourquoi opérer une différence de traitement entre eux alors que tous existent au jour du décès de leur parent ? L’admettre reviendrait à créer une rupture d’égalité fondée sur la seule antériorité de la naissance.
    • Or cela s’est contraire à l’article 735 du Code civil qui dispose que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants, sans distinction de sexe, ni de primogéniture, même s’ils sont issus d’unions différentes.».

2. Conditions

Il ressort de l’article 725 du Code civil que deux conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’enfant seulement conçu soit apte à hériter :

  • D’une part, la conception doit être antérieure à l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’enfant doit être né vivant et viable

a. Première condition : l’exigence d’antériorité de la conception au décès

Si, en application de l’article 725 du Code civil, pour succéder il suffit que l’enfant ait « déjà été conçu », encore faut-il que sa conception soit antérieure à l’ouverture de la succession.

Dès lors que la conception est postérieure au décès, il est trop tard. La condition tenant à l’existence n’est, par hypothèse, plus remplie. Or pour recueillir des droits il faut, a minima, exister.

La question qui alors se pose est de savoir à quel moment l’enfant peut-il être réputé avoir été conçu.

Pour déterminer la date de conception, il y a lieu de faire jouer les deux présomptions légales à l’article 311 du Code civil.

  • Première présomption
    • L’article 311, al. 1er du Code civil prévoit que « la loi présume que l’enfant a été conçu pendant la période qui s’étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance»
    • Cette présomption étant de portée générale, elle peut être appliquée aux fins de déterminer si l’enfant conçu est apte à hériter.
    • En substance, la présomption posée par le texte répute la conception intervenir entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • On en déduit qu’un enfant né au plus tard 300 jours après le décès du de cujus sera apte à hériter.
    • Sous l’empire du droit antérieur, il s’agissait là d’une présomption irréfragable, qui ne pouvait donc pas être renversée.
    • Dans un arrêt du Ogez du 9 juin 1959, la Cour de cassation avait jugé en ce sens qu’« en fixant à 180 et 300 jours le minimum et le maximum de la durée de gestation, l’article 312 du Code civil a posé une présomption qui n’est pas susceptible de preuve contraire ; que doit, en conséquence, être déclaré illégitime sur l’action en contestation engagée par application de l’article 315 du même Code l’enfant né plus de 300 jours après la dissolution du mariage» ( 1ère civ. 9 juin 1959, n°58-10.038)
    • La loi n°72-3 du janvier 1972 est venue modifier cet état du droit en conférant un caractère simple à cette présomption qui a été transférée à l’article 311.
    • Il en résulte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Aussi, tout ne serait pas perdu pour un enfant qui naîtrait plus de trois cents jours après le décès du de cujus: s’il prouve que sa conception est intervenue antérieurement à l’ouverture de la succession, il pourra succéder.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 301 jours après le décès du de cujus.
    • En application de l’article 311, al. 1er du Code civil, il est a priori dépourvu de la qualité d’héritier.
    • Il lui est néanmoins possible de prouver qu’il a été conçu 304 jours avant sa naissance, de sorte qu’il était déjà conçu au moment du décès et que, par voie de conséquence, il était bien apte à succéder au défunt.
  • Seconde présomption
    • L’article 311, al. 2e du Code civil prévoit que « la conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l’intérêt de l’enfant. »
    • Il ressort de ce texte que la conception est réputée intervenir à n’importe quel moment entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • La date qu’il y a lieu de retenir est celle qui lui est la plus favorable, ce qui s’agissant d’acquérir la qualité à hériter sera celle qui précède le décès du de cujus.
    • Cette présomption dite omni meliore momento (au moment le plus favorable) est comme la précédente une présomption simple de sorte qu’elle souffre la preuve contraire.
    • Dans ces conditions, la qualité d’héritier d’un enfant né durant la période de conception légale pourra lui être contestée s’il est établi qu’en réalité il a été conçu postérieurement au décès du de cujus.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 298 jours après le décès du défunt
    • Dans cette hypothèse, il est présumé avoir été conçu entre le 298e et le 300e jour avant sa naissance.
    • Sa qualité d’héritier pourra toutefois lui être contestée s’il est établi qu’il a, en réalité, été conçu 297 jours avant sa naissance.
    • Si cette preuve est rapportée, l’enfant ne pourra alors pas être appelée à la succession de cujus.

b. Seconde condition : l’exigence de naissance d’un enfant vivant et viable

==> Notion de viabilité

Il ne suffit pas que l’enfant ait été conçu avant le décès du de cujus. Encore faut-il qu’il naisse vivant et viable.

Aussi, l’aptitude à succéder de l’enfant non encore né à est assortie d’une condition résolutoire qui ne sera levée que s’il répond à l’exigence de viabilité.

N’est donc pas apte à hériter l’enfant qui :

  • Soit est mort-né
  • Soit naît vivant, mais non viable

Toute la question est alors de savoir ce que recouvre la notion d’enfant né viable. Selon Philippe Salvage, la viabilité serait un « faisceau de critères relatifs s’articulant autour des idées de maturité et de conformation et se manifestant par l’autonomie végétative de l’être »[2].

Autrement dit, la viabilité suppose que :

  • D’une part, l’enfant soit doté d’une constitution en ordre de fonctionnement présentant un niveau de maturité suffisant pour lui permettre de vivre de façon autonome
  • D’autre part, il soit porteur de tous les organes essentiels à l’existence.

En substance, pour être considéré comme viable, l’enfant ne doit donc présenter aucune anomalie qui serait incompatible avec la vie.

Dans un arrêt du 8 février 1830, la Cour d’appel de Bordeaux a jugé en ce sens que « selon l’ancien droit, un enfant était viable quand il était né vivant, à terme, bien conformé et avec tous les organes nécessaires à la vie » (CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160).

L’exigence de viabilité procède d’une approche pragmatique. Pourquoi reconnaître la qualité d’héritier à un enfant qui est condamné à mourir avant d’avoir vécu ?

Il convient de ne pas perdre de vue le sens de l’institution qu’est la succession : transmettre un patrimoine aux personnes qui survivent au de cujus et qui participeront de la continuation de sa personne.

À quoi bon transmettre ce patrimoine à un enfant qui ne sera, par hypothèse, pas en capacité de jouer ce rôle ? Rien ne le justifie, raison pour laquelle le législateur subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à la viabilité de l’être non encore né.

S’agissant de l’approche juridique de la viabilité, elle est assise sur une présomption simple.

Autrement dit, l’enfant est présumé viable, dès lors que, d’une part, il naît et que, d’autre part, il est en vie au moment de la naissance.

==> L’abandon des critères de l’OMS

Reprenant les préconisations formulées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), une circulaire prise le 22 juillet 1993 par le ministère de la santé présume que l’enfant est viable lorsque deux critères alternatifs sont remplis :

  • La naissance de l’infant intervient à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère
  • L’enfant pèse au moins cinq cents grammes.

Cette circulaire visait à préciser les règles relatives à l’état civil issues de la loi du 8 janvier 1993 et, en particulier, l’article 79-1 du Code civil qui traite de l’inscription à l’état civil de l’enfant décédé avant son inscription à l’état civil.

En application de cette disposition, l’enfant bénéficie d’un état civil complet dès lors qu’un certificat médical indique qu’il est né vivant et viable et précise les jour et heure de naissance et de décès.

À défaut d’un tel certificat médical, l’officier de l’état civil doit établir un acte d’enfant sans vie.

Sous l’empire du droit antérieur, cet acte ne pouvait toutefois pas être dressé lorsque le fœtus ne répondait pas aux critères de viabilité de la circulaire.

Par trois arrêts du 6 février 2008, la Cour de cassation a sanctionné cette pratique en jugeant que « l’article 79-1, alinéa 2, du code civil ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse » (Cass. 1ère civ. 6 févr. 2008, n°06-16.498, n°06-16.499, n°06-16.500).

En exigeant que l’enfant soit né à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère ou qu’il pèse au moins cinq cents grammes, la première chambre civile estime que la circulaire du 22 juillet 1993 a ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoyait pas.

==> Présomption de viabilité

Afin de déterminer si un enfant est viable, il y a donc lieu de se départir des critères de viabilité posés par la circulaire du 22 juillet 1993 qui, d’ailleurs ont, consécutivement aux arrêts rendus par la Cour de cassation, été définitivement été écartés par le décret n°2008-800 du 20 août 2008 relatif à l’application du second alinéa de l’article 79-1 du code civil.

Désormais, il convient plutôt de raisonner sur la base de la présomption de viabilité qui s’infère de la jurisprudence (V. notamment CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160)

Il est, en effet, admis que la viabilité de l’enfant est présumée, dès lors qu’il naît en vie.

Gérard Cornu écrit en ce sens que tout « enfant né vivant est présumé viable, même s’il est mort rapidement après. Une présomption de viabilité s’attache au premier signe de vie »[3].

Cette présomption de viabilité n’est toutefois pas légale. Il s’agit d’une présomption simple qui donc souffre de la preuve contraire.

Afin d’établir que l’enfant n’est pas viable, il faudra démontrer :

  • D’une part, qu’il ne possède pas la maturité suffisante pour vivre
  • D’autre part, qu’il présente une anomalie physique incompatible avec la vie

II) Les personnes dépourvues de l’aptitude à hériter

Les personnes qui ne sont pas aptes à succéder se répartissent en cinq catégories :

  • Les personnes décédées
  • L’enfant mort-né ou né non viable
  • Les personnes absentes
  • Les personnes disparues
  • Les personnes morales

A) Les personnes décédées

1. Principe

==> La mort naturelle

Parce que le décès emporte extinction de la personnalité juridique, les personnes qui sont décédées ne sont pas aptes à hériter.

Seules les personnes vivantes « à l’instant de l’ouverture de la succession » sont pourvues de la qualité d’héritier.

Il peut être observé que, en 1804, les rédacteurs du Code civil avaient envisagé deux sortes de morts comme causes d’incapacité à succéder :

  • La mort naturelle, procédant d’une cessation des fonctions vitales
  • La mort civile, procédant d’une condamnation judiciaire

La mort civile ayant été abolie par la loi du 31 mai 1854, la mort ne présente désormais plus qu’une seule forme : elle ne peut être que naturelle.

==> Les critères de la mort

C’est le décret n°96-1041 du 2 décembre 1996 qui règle la procédure actuelle de détermination de la mort d’une personne.

Cette procédure est plus ou moins lourde selon que la personne décédée est ou non maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organes.

  • La procédure simplifiée de constat de la mort en l’absence de maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée n’est pas maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-1 du Code de la santé publique prévoit que si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :
      • Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;
      • Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
      • Absence totale de ventilation spontanée
    • Le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • L’article R. 1232-3 du Code de la santé publique précise que ce procès-verbal doit indiquer les résultats des constatations cliniques ainsi que la date et l’heure du constat de la mort.
    • Il doit, en outre, être établi et signé par un médecin appartenant à une unité fonctionnelle ou un service distinct de ceux dont relèvent les médecins qui effectuent un prélèvement d’organe ou une greffe.
  • La procédure renforcée de constat de la mort en présence d’un maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée est maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organe, l’article R. 1232-2 du Code de la santé publique prévoit que, en complément des trois critères cliniques mentionnés à l’article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :
      • Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d’enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l’interprétation ;
      • Soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait.
    • Dans ce cas de figure, le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • Le formalisme auquel ce procès-verbal doit répondre est, en revanche, plus lourd, compte tenu du maintien en vie artificiel du patient décédé.
    • L’article R. 1232-3, al. 3 du Code de la santé publique prévoit en ce sens que lorsque le constat de la mort est établi pour une personne assistée par ventilation mécanique et conservant une fonction hémodynamique, le procès-verbal de constat de la mort indique les résultats des constatations cliniques concordantes de deux médecins répondant à la condition mentionnée à l’article L. 1232-4.
    • Ce procès-verbal mentionne, en outre, le résultat des examens définis au 1° ou au 2° de l’article R. 1232-2, ainsi que la date et l’heure de ce constat.
    • Il doit être signé par les deux médecins susmentionnés.

Que la personne dont le décès est constaté soit ou non maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-4 du Code de la santé publique prévoit que « le procès-verbal du constat de la mort est signé concomitamment au certificat de décès prévu par arrêté du ministre chargé de la santé. »

==> La preuve de la mort

Pour qu’une personne décédée soit privée de sa capacité à hériter, encore faut-il que sa mort intervienne antérieurement à l’ouverture de la succession du de cujus.

Aussi, la date de la mort présente un enjeu majeur, ce qui, dès lors pose la question de sa preuve.

S’agissant de la charge de cette preuve, elle pèse sur les ayants droit de l’héritier présomptif.

La plupart de temps, cette preuve sera rapportée par la production de l’acte de décès sur lequel figure notamment le jour, l’heure et le lieu de décès (art. 79 C. civ.)

Parce que l’acte de décès appartient à la catégorie des actes d’état civil, il est réputé constater, « d’une manière authentique, un événement dont dépend l’état d’une ou de plusieurs personnes » (Cass. 1ère civ. 14 juin 1983, n°82-13.247).

L’acte de décès tire donc sa force probante de son caractère authentique. Il en résulte qu’il fait foi jusqu’à inscription de faux, à tout le moins s’agissant de l’existence matérielle des faits que l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s’étant passés en sa présence dans l’exercice de ses fonctions (Cass. 1ère civ. 26 mai 1964).

En effet, il y a lieu de distinguer deux sortes d’informations sur l’acte de décès :

  • Les informations qui résultent des propres constatations de l’officier d’état civil
    • Le caractère authentique de l’acte de décès confère à ces informations une force probante des plus efficaces, car elles font foi jusqu’à inscription en faux
    • Celui qui conteste la véracité de l’une d’elles devra donc engager des poursuites judiciaires, selon les règles de procédure énoncées aux articles 303 à 316 du Code de procédure civile.
  • Les informations qui résultent des déclarations que l’officier d’état civil reçoit de la personne qui a déclaré le décès
    • Ces informations font foi jusqu’à ce qu’il soit rapporté la preuve contraire.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si l’acte de décès n’établit, quant à l’heure du décès, qu’une simple présomption, il appartient à celui qui la conteste d’en établir l’exactitude» ( 1ère civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845).

S’agissant de la date et l’heure du décès, ces deux informations ne sont donc pas couvertes par le caractère authentique de l’acte de décès, faute pour l’officier d’état civil d’avoir pu les constater personnellement.

Dans ces conditions, elles pourront être remises en cause, ce qui supposera d’établir que, soit la date, soit l’heure, ou les deux, sont erronées

2. Tempérament

Par exception à la règle privant les personnes décédées de l’aptitude à hériter, les articles 752 et 752-2 du Code civil admettent que certains descendants de l’héritier prédécédé puissent lui succéder par le jeu de la représentation.

Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté »

Ce mécanisme interviendra, par exemple, lorsque, dans le cadre de la succession d’un grand-père, les petits enfants, viendront représenter leur parent décédé, de sorte qu’ils occuperont éventuellement le même rang que leur oncle.

S’agissant des personnes admises à représenter l’héritier présomptif prédécédé, il s’agit :

  • D’une part, en ligne directe des descendants à l’infini ( 752 C. civ.)
  • D’autre part, en ligne collatérale, des enfants et descendants de frères ou sœurs du défunt ( 752-2 C. civ.)

Ainsi, le décès de l’héritier présomptif ne prive ses descendants de la possibilité succéder en son lieu et place au de cujus.

B) L’enfant mort-né ou né non viable

Lorsqu’un enfant décède avant que n’ait pu être réalisée la déclaration de naissance, il y a lieu de distinguer selon qu’il est né vivant et viable ou seulement sans vie.

  • L’enfant né vivant et viable
    • L’article 79-1, al. 1er du Code civil prévoit que lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.
    • L’établissement d’un acte de naissance présente ici un enjeu majeur, car cette formalité conférera à l’enfant décédé la personnalité juridique et, par voie de conséquence, la capacité à hériter.
  • L’enfant né sans vie
    • L’article 79-1, al. 2e du Code civil prévoit que, lorsque l’enfant est mort-né ou naît vivant mais non viable, l’officier de l’état civil peut établir sur la demande des parents un acte d’enfant sans vie.
    • L’établissement de cet acte permettra d’inscrire cet enfant sur le livret de famille et d’organiser de funérailles.
    • En revanche, l’enfant ne se verra pas conférer la personnalité juridique, en conséquence de quoi il n’acquerra pas la qualité d’héritier.

C) Les personnes absentes

L’absence est définie à l’article 112 du Code civil comme la situation d’une personne qui « a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles ».

Il s’agit, autrement dit, de l’hypothèse où une personne ne s’est pas manifestée auprès de ses proches pendant une période prolongée, de sorte que l’on ignore si elle est encore en vie ou si elle est décédée.

Cette situation se rencontrera essentiellement à des époques troublées par la guerre, la révolution ou encore des catastrophes naturelles.

Quel que soit le motif de l’absence, faute de certitude sur la situation de la personne qui ne donne plus aucun signe de vie, la question se pose de savoir ce qu’il doit advenir de son patrimoine.

Doit-on désigner un administrateur aux fins d’administrer ses biens dans l’attente que l’absent réapparaisse ou doit-on ouvrir sa succession ?

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter aux articles 112 à 132 du Code civil qui règlent la situation de l’absence.

À l’analyse, le dispositif mis en place distingue deux périodes qui se succèdent :

  • La présomption d’absence qui fait primer la vie sur la mort
  • La déclaration d’absence qui fait primer la mort sur la vie

==> La personne présumée absente

L’article 112 du Code civil prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Il ressort de cette disposition que, lorsque les conditions de l’absence sont réunies, le juge rend une décision constatant la présomption d’absence.

Cette décision emporte deux effets majeurs :

  • Elle fixe le point de départ du délai au terme duquel la présomption d’absence sera convertie en déclaration d’absence, soit en un acte qui présumé l’absent mort
  • Elle instaure un système de représentation de l’absent qui fait l’objet des mêmes mesures de protection que celles prises à la faveur de l’incapable majeur

À cet égard, durant toute la période au cours de laquelle la présomption d’absence joue l’absent est présumé en vie, ce qui signifie que, à ce stade, non seulement sa succession ne saurait s’ouvrir, mais encore il conserve sa capacité à hériter comme précisé par l’article 725 du Code civil.

La présomption d’absence est, par ailleurs, sans incidence sur la situation matrimoniale de l’absent qui demeure marié ou pacsé.

Cette présomption emporte pour seule conséquence l’instauration d’une mesure de représentation de l’absent qui est traité comme un incapable, en ce qu’il fait l’objet des mêmes mesures de protection.

==> La personne déclarée absente

Lorsque la période de présomption d’absence arrive à son terme, s’amorce une seconde phase, celle de la déclaration d’absence qui conduit à présumer l’absent décédé.

Il ne s’agit donc plus ici d’assurer la protection de l’absent dont on présume qu’il est en vie, mais d’organiser la liquidation de ses intérêts, puisqu’on présume dorénavant qu’il est mort.

Le basculement de la présomption de vie vers une présomption de mort s’opère au bout d’un délai compris entre 10 et 20 ans selon le cas.

À l’analyse, ce délai varie selon que la présomption d’absence a ou non été judiciairement constatée

  • La présomption d’absence a été judiciairement constatée
    • L’article 122 du Code civil prévoit que « lorsqu’il se sera écoulé dix ans depuis le jugement qui a constaté la présomption d’absence, soit selon les modalités fixées par l’article 112, soit à l’occasion de l’une des procédures judiciaires prévues par les articles 217 et 219, 1426 et 1429, l’absence pourra être déclarée par le tribunal judiciaire à la requête de toute partie intéressée ou du ministère public».
    • Ainsi, dès lors que la présomption d’absence a été régulièrement constatée par le juge, la déclaration d’absence peut être prononcée.
    • Ce délai commence à courir à compter de la date fixée dans la décision qui a constaté la présomption d’absence
  • La présomption d’absence n’a pas été judiciairement constatée
    • L’absence de constatation judiciaire de la présomption d’absence n’est pas un obstacle au prononcé de la déclaration d’absence
    • L’article 122 du Code civil prévoit en ce sens que l’absence peut être déclarée lorsque « à défaut d’une telle constatation, la personne aura cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, sans que l’on en ait eu de nouvelles depuis plus de vingt ans. »
    • Cette hypothèse se rencontrera notamment, lorsque le patrimoine du présumé absent aura été administré par un mandataire, de sorte que le recours à la procédure visant à obtenir des mesures de protection était sans intérêt.
    • Aussi, s’il n’est pas nécessaire d’obtenir la constatation judiciaire de la présomption d’absence, le délai pour obtenir la déclaration d’absence est doublé.
    • La difficulté pour le demandeur consistera à rapporter la preuve de l’écoulement d’un délai de 20 ans.
    • Ainsi que l’observait Jean foyer l’objectif est ici « de protéger les intérêts d’un présumé absent contre des proches qui ne se sont pas montrés diligents pour la gestion de son patrimoine, ou dont on pourrait craindre qu’ils soient tentés de faire déclarer frauduleusement l’absence d’une personne vivante durablement éloignée de ses affaires».

L’article 128 du Code civil prévoit que « le jugement déclaratif d’absence emporte, à partir de la transcription, tous les effets que le décès établi de l’absent aurait eus. »

Ce jugement produit donc l’effet inverse que la présomption d’absence : l’absent bascule du statut de présumé en vie en présumé mort.

Il en résulte notamment que l’absent perd son aptitude à hériter, puisque sa personnalité juridique s’éteint.

D) Les personnes disparues

L’article 88 du Code civil prévoit que « peut être judiciairement déclaré, à la requête du procureur de la République ou des parties intéressées, le décès de tout Français disparu en France ou hors de France, dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’une personne a disparu dans des circonstances de nature à faire sérieusement douter de sa survie (naufrage, effondrement d’une mine, catastrophe naturelle, accident d’avion, incendie etc.), c’est le juge procédera à la constatation du décès pour cause de disparition.

La disparition se distingue de l’absence qui correspond à l’hypothèse où l’on ignore si la personne absente est morte ou encore en vie.

S’agissant de la disparition, il existe une probabilité très élevée que la personne soit décédée, en raison des circonstances violentes dans lesquelles elle a disparu.

Lorsque l’on a la certitude qu’une personne a été victime d’un naufrage ou d’un accident d’avion et que celle-ci ne réapparaît plus, il est vraisemblable, sinon certain qu’elle soit décédée.

S’agissant des effets de la disparition, il y a lieu de se reporter à l’article 91, al. 3e du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les jugements déclaratifs de décès tiennent lieu d’actes de décès et sont opposables aux tiers, qui peuvent seulement en obtenir la rectification ou l’annulation, conformément aux articles 99 et 99-1 du présent code. »

Ainsi, la personne qui est déclarée disparue est réputée décédée à l’instar de la personne qui est déclarée absente.

Il en résulte que sa personnalité juridique prend fin, ce qui emporte, par voie de conséquence, son aptitude à hériter.

S’agissant de la date à laquelle il y a lieu de faire jouer les effets de la disparition, il convient de retenir, non pas la date de prononcé du jugement, mais la date à laquelle le disparu est réputé mort, laquelle doit nécessairement être fixée par la décision.

C’est donc à cette date qu’il y aura lieu de se placer afin d’apprécier l’aptitude de la personne disparue à succéder au de cujus.

E) Les personnes morales

En application de l’article 725 du Code civil, pour succéder, il faut en principe exister. Si l’on s’en tient à la lettre du texte, devraient donc être aptes à hériter, tant les personnes physiques, que les personnes morales.

S’agissant de ces dernières, bien qu’elles n’aient pas de réalité tangible, elles existent bien juridiquement. Et pour cause, en leur reconnaissant la personnalité juridique, la loi leur confère la capacité à détenir un patrimoine.

Rien ne devrait donc s’opposer à ce que les personnes morales puissent recueillir les biens d’une personne physique dans le cadre d’une succession.

Tel n’est pour autant pas l’état du droit qui subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à l’existence d’un lien de parenté ou d’alliance entre le de cujus et ses successibles.

Pour cette raison, les personnes morales sont inaptes à hériter, à tout le moins dans le cadre d’une succession ab intestat, soit la succession qui s’opère sans testament.

La jurisprudence, puis le législateur, ont toutefois admis que les personnes morales pouvaient, à certaines conditions, bénéficier d’une libéralité par voie de donation ou par voie testamentaire.

À l’analyse, l’aptitude d’une personne morale à recueillir une libéralité dépend de sa nature juridique (société, association, fondation etc.).

S’agissant des sociétés civiles et commerciales, la jurisprudence leur a très tôt reconnu cette aptitude (V. en ce sens Cass. req. 23 févr. 1891).

À cet égard, l’exercice de leur droit à recueillir une libéralité n’est nullement subordonné à l’octroi d’une quelconque autorisation, ni à l’accomplissement d’une déclaration (Cass. req., 29 nov. 1897).

Tout au plus, en raison du principe de spécialité qui limite leur capacité de jouissance, l’objet social figurant dans les statuts de la société civile ou commerciale devra comprendre la possibilité de recueillir une libéralité.

S’agissant des fondations, des congrégations et des associations, non seulement elles ont la capacité de recevoir des libéralités entre vifs ou par testament, mais encore qu’elles peuvent les accepter librement (art. 910 C. civ.).

L’article 910 prévoit néanmoins que si le préfet constate que l’organisme légataire ou donataire ne satisfait pas aux conditions légales exigées pour avoir la capacité juridique à recevoir des libéralités ou qu’il n’est pas apte à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire, il peut former opposition à la libéralité.

Afin que ce contrôle puisse effectivement être exercé, le décret n° 2007-807 du 11 mai 2007 fait peser une obligation de déclaration sur les associations, fondations et congrégations recueillant la libéralité.

 

 

[1] M. Grimaldi, Droit des successions, éd. LexisNexis, 2017, n°101, p. 77.

[2] Ph. Salvage, « La viabilité de l’enfant nouveau-né », RTD civ., 1976, p. 725

[3] G. Cornu, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, Domat Droit privé, 9ème éd., 1999, p. 186

La liquidation du régime de la séparation de biens: créances entre époux et partage des biens indivis

Lorsque des époux sont communs en biens, la dissolution de leur régime matrimonial requiert l’accomplissement d’opérations de liquidation.

Par liquidation, il faut entendre, « l’ensemble des opérations tendant, sinon à la réduction de la communauté dissoute à un solde en espèces de liquidités, du moins à l’établissement d’une situation nette susceptible d’un règlement par voie de partage »[10].

Il s’agira, autrement dit, pour les époux de déterminer la consistance de la masse partageable, à supposer qu’il y ait actif ou un passif à partager.

Si, sous le régime légal, il est rare que la masse partageable soit inexistante, sous le régime de la séparation de biens, cette situation se rencontrera systématiquement.

Et pour cause, sous ce régime, les patrimoines des époux sont, par hypothèse, restés séparés. Faute de constitution d’une communauté, lors de la dissolution du régime il y a, dès lors, rien à partager.

Est-ce à dire que la dissolution du régime de la séparation de biens ne donne lieu à aucune opération de liquidation ? Il n’en est rien.

En premier lieu, au cours du mariage, de très nombreux mouvements de valeurs interviendront entre les patrimoines respectifs des époux.

Tel est, par exemple, le cas lorsqu’un époux fournit, dans le cadre d’un prêt, des fonds propres à son conjoint aux fins que celui-ci règle une dette personnelle contractée auprès d’un tiers ou encore que l’un finance une construction édifiée sur un terrain appartenant en propre à l’autre.

En second lieu, l’absence de communauté sous le régime de la séparation de biens, ne signifie pas que les époux ne peuvent pas être propriétaire d’un élément d’actif en commun. Cette situation se rencontrera lorsqu’ils auront acquis un bien en indivision.

Pour ces deux raisons, la dissolution du régime de la séparation de biens est susceptible de donner lieu à des opérations de liquidation.

Ces opérations consisteront, en subsistant, à procéder :

  • D’une part, au règlement des créances entre époux
  • D’autre part, au partage des biens indivis

I) Le règlement des créances entre époux

Le dispositif des créances entre époux a donc en commun avec les récompenses de viser à rétablir un équilibre qui a été rompu entre deux masses de biens consécutivement à un mouvement de valeur.

Au fond, une créance entre époux n’est autre qu’un lien d’obligation créé entre deux époux au cours du mariage.

Ce lien d’obligation peut avoir pour cause le préjudice causé par un époux à l’autre ou encore le paiement par un époux de la dette de son conjoint.

Plus généralement, une créance entre époux naîtra toutes les fois qu’une dette relevant du passif définitif d’un époux a été supportée par l’autre et réciproquement.

S’agissant du régime juridique des créances entre époux, ces créances sont, en principe, soumises au droit commun des obligations.

En pratique, il apparaît néanmoins que leur règlement est le plus souvent différé dans le temps.

Plus précisément il interviendra, comme les récompenses, à l’issue de la dissolution du mariage.

La raison en est que, avant d’entretenir entre eux un rapport de créancier à débiteur, les époux sont unis par un lien conjugal ce qui constituera un obstacle – de fait – au règlement de la créance.

À cet égard, il peut être observé que l’article 2236 du Code civil dispose que la prescription « ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ».

Cette règle a été posée par souci de préservation de la paix des ménages. Lorsqu’ils sont encore dans les liens du mariage il peut, en effet, apparaître difficile pour un époux d’engager une action contentieuse à l’encontre de son conjoint, à tout le moins de lui réclamer le paiement de sa créance. Il y a là un empêchement d’ordre affectif.

Conscient de cette situation, le législateur en a tiré la conséquence, lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, qu’il y avait lieu, pour certaines créances entre époux, de tenir compte de la longue période susceptible de s’écouler entre leur fait générateur et leur règlement.

Aussi, a-t-il considéré que ces créances devaient faire l’objet d’une réévaluation selon les modalités applicables aux récompenses.

A) Principe : la soumission des créances entre époux au droit commun des obligations

Sous le régime de la séparation de biens, les créances entre époux sont envisagées par l’article 1543 du Code civil, lequel prévoit que « les règles de l’article 1479 sont applicables aux créances que l’un des époux peut avoir à exercer contre l’autre. »

Il ressort de cette disposition que les créances entre époux nées sous le régime de la séparation de biens sont soumises aux mêmes règles que celles qui s’appliquent sous le régime légal.

Aussi, est-ce à l’article 1479 du Code civil qu’il y a lieu de se reporter. Quel enseignement retirer de cette disposition ?

À l’analyse, par principe, c’est le droit commun des obligations qui préside à l’évaluation des créances entre époux, ce qui emporte plusieurs conséquences :

  • Première conséquence
    • Il est admis que le règlement des créances entre époux peut intervenir au cours du mariage
    • Leur exigibilité n’est aucunement liée à la dissolution du régime matrimonial, contrairement aux récompenses dont le règlement est fixé, par principe, au jour de la liquidation
    • L’article 1479, al. 1er du Code civil subordonne seulement cette exigibilité à une sommation.
    • À l’analyse, il s’agit là d’une reprise de la condition posée par l’article 1231 du Code civil qui prévoit que « à moins que l’inexécution soit définitive, les dommages et intérêts ne sont dus que si le débiteur a préalablement été mis en demeure de s’exécuter dans un délai raisonnable».
    • Cette exigence vise à constater l’exécution d’une obligation, alerter le débiteur sur sa défaillance et favoriser l’exécution volontaire
  • Deuxième conséquence
    • Le règlement des créances entre époux ne déroge nullement au droit commun, dans la mesure où il est insusceptible de s’opérer par voie de prélèvement, sauf accord exprès de son conjoint, ce que requiert la dation en paiement.
    • Faute d’accord, l’époux créancier, ne peut intervenir que par voie de paiement, ce qui implique que l’époux créancier n’est investi d’aucun droit de préférence sur les biens de son conjoint : il est placé sur un pied d’égalité avec les autres créanciers avec lesquels il est éventuellement en concours
    • Pour recouvrer sa créance, il devra donc emprunter les voies d’exécution ordinaires
  • Troisième conséquence
    • En application de l’article 1479, al. 1er du Code civil « les créances personnelles que les époux ont à exercer l’un contre l’autre ne donnent pas lieu à prélèvement et ne portent intérêt que du jour de la sommation.»
    • Là encore, il s’agit d’une reprise du droit commun et plus précisément de l’article 1231-6 du Code civil qui prévoit que « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. »
  • Quatrième conséquence
    • Pour mémoire, le règlement des récompenses ne peut se faire que par le truchement d’un compte
    • Selon que la récompense est due par la communauté ou à la communauté, elle sera inscrite au débit ou au crédit de ce compte ouvert par chaque époux,
    • Aussi, ce qui a vocation à être exigible et donc à être réglé, ce ne sont pas les récompenses prises séparément comme des créances individuelles, mais le solde du compte unique et indivisible dans lequel elles sont inscrites.
    • Tel n’est pas le cas des créances entre époux dont le règlement ne requiert nullement l’ouverture préalable d’un compte.
    • Conformément au droit commun, elles sont soumises au principe de paiement individuel, de sorte qu’elles peuvent faire l’objet d’un paiement séparé.
  • Cinquième conséquence
    • Les créances entre époux sont soumises au principe du nominalisme monétaire
    • Selon ce principe, le débiteur d’une obligation doit verser la somme correspondant au montant nominal de sa dette, même si la valeur de la monnaie a varié.
    • Concrètement, cela signifie qu’une dette dont la valeur nominale est 100 contractée en franc dans les années 1950, vaudra, selon le taux de conversion instituée en 1999, approximativement 15 euros aujourd’hui.
    • Cette égalité ne correspond pour autant pas à la réalité économique.
    • C’est la raison pour laquelle le principe du nominalisme monétaire n’est pas sans limite en matière de créances entre époux : la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 a assorti le principe d’un important tempérament

B) Tempérament : la réévaluation des créances entre époux selon les modalités applicables aux récompenses

Parce que les créances entre époux sont soumises au droit commun des obligations, elles devraient, en toute rigueur, être évaluées selon les règles du nominalisme monétaire.

Prenant conscience que l’application de ces règles était susceptible de donner lieu à des situations injustes, notamment en période de dépréciation monétaire, le législateur a, lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, fait le choix de soustraire certaines créances entre époux à l’application du droit commun.

Afin de bien comprendre ce qui a conduit ce dernier a modifié le système, arrêtons-nous un instant sur le système d’évaluation des créances entre époux avant qu’il ne soit réformé, étant précisé que ce système s’appliquait également aux récompenses avant que la loi du 13 juillet 1965 n’entre en vigueur.

1. Droit antérieur

==> Application des règles d’évaluation du droit commun

Sous l’empire du droit antérieur, pour déterminer le montant d’une créance entre époux, il y avait lieu de distinguer selon que la créance était due au titre d’une impense ou au titre d’une autre cause.

Pour mémoire, une impense consiste en une dépense de conservation ou d’amélioration d’un bien meuble ou d’un immeuble.

En substance, l’évaluation d’une créance entre époux s’opérait donc comme suit :

  • Lorsque la créance était due au titre d’une impense
    • Dans cette hypothèse, soit lorsque le patrimoine débiteur s’était enrichi au détriment du patrimoine qui a supporté la charge de l’impense, la créance était calculée selon les règles de l’enrichissement sans cause.
    • Selon ce dispositif qui relève du régime général des obligations, l’indemnité due à l’appauvri est égale « à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement» ( 1303 C. civ.).
    • Lorsque l’impense présentait un caractère nécessaire, il était admis que l’indemnité ne pouvait jamais être inférieure à la dépense faite.
    • En pratique, cela revenait à retenir presque systématiquement la dépense faite, soit parce que présentant un caractère nécessaire, soit parce que supérieure à la plus-value réalisée sur le bien.
  • Lorsque la créance n’était pas due au titre d’une impense
    • Dans cette configuration, faute de précision légale, il était admis que la créance devait correspondre au montant de la dépense faite, alors même qu’il en était résulté un enrichissement moindre pour le patrimoine débiteur
    • Il s’agissait là d’une stricte application du principe du nominalisme monétaire.

En période de stabilité monétaire, ce dispositif d’évaluation des créances entre époux et des récompenses a relativement bien fonctionné.

La valeur de la monnaie étant constante, il était indifférent que, en pratique, le montant de la créance due au patrimoine créancier soit la plupart du temps égal à la dépense supportée par le patrimoine débiteur, à tout le moins cela ne contrevenait pas à l’équité.

Ce système a toutefois commencé à montrer ses limites dès lors que la monnaie a fait l’objet de dépréciation au cours de périodes qui se sont multipliées.

Au cours du XXe siècle le franc a fait l’objet de pas moins de 17 dévaluations, dont la plupart au cours des années 1950.

Parce que le règlement des créances entre époux sera, en pratique, la plupart du temps différé à la dissolution du mariage pour les raisons exposées précédemment, il peut s’écouler un long délai entre leur fait générateur et ce règlement.

À l’instar des récompenses, on s’est aperçu que, elles aussi, pouvaient être touchées par l’instabilité monétaire.

Pour illustrer ce phénomène, prenons l’exemple de travaux d’amélioration d’un immeuble appartenant en propre à un époux entièrement financés par le patrimoine de son conjoint en 1950 à hauteur de 20.000 francs.

En période de stabilité monétaire, la plus-value réalisée sur ce bien est généralement inférieure au coût des travaux. Disons que, pour notre exemple, le montant de cette plus-value est de 10.000 francs, ce qui porterait la valeur de l’immeuble de 100.000 à 110.000 francs.

En cas de liquidation du régime matrimonial durant cette période, la créance due à l’époux qui a supporté le coût des travaux devrait, en toute rigueur, être égale au montant de la plus-value réalisée, soit de 10.000 francs, car représentant la plus faible des deux sommes en jeu (10.000 francs vs 20.000 francs).

Envisageons désormais que la dissolution du mariage intervienne trente ans plus tard et notamment après plusieurs périodes de dépréciation monétaire.

Dans cette hypothèse, la plus-value réalisée sur le bien devrait mécaniquement être incomparablement supérieure à la dépense initiale exposée par le patrimoine qui a financé l’opération, à tout le moins en valeur nominale. Si l’immeuble vaut désormais 1.000.000 francs, la plus-value réalisée est de 900.000 francs.

Pour autant, parce que la créance due est égale à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et l’enrichissement, son montant se limitera à la dépense faite, soit 20.000 francs, alors même que le patrimoine débiteur en a retiré un profit infiniment supérieur.

Manifestement, cette situation s’avère particulièrement inéquitable pour le patrimoine qui a supporté la dépense initiale et qui n’est pas indemnisé à hauteur de l’avantage économique que cette dépense a procuré au patrimoine auquel elle a profité.

Le législateur en a tiré la conséquence, en 1965, en instituant un système de revalorisation des récompenses à hauteur du profit subsistant.

Ce système ne concernait néanmoins pas les créances entre époux qui demeuraient soumises au principe du nominalisme monétaire.

==> Différence de traitement entre les créances entre époux et des récompenses

Cette différence de traitement entre les récompenses et les créances entre époux est apparue pour le moins injustifiée, compte tenu de ce que ces dernières font également l’objet, en pratique, d’un paiement différé et, par voie de conséquence, n’échappent pas aux fluctuations monétaires.

Pour illustrer l’absurdité du dispositif qui opérait sous l’empire du droit antérieur à la loi du 23 décembre 1985, prenons l’exemple d’une construction qui serait édifiée sur un terrain appartenant en propre à un époux et qui serait financé, tantôt par la communauté, tantôt par le conjoint.

  • Première hypothèse
    • Le coût de la construction est intégralement financé par la communauté
    • Dans cette hypothèse, le montant de l’indemnité due par le propriétaire du terrain devra être calculé selon les règles applicables aux récompenses et plus précisément selon le principe institué à l’article 1469, al. 3e du Code civil.
    • En application de cette disposition, le montant de la récompense ne peut donc être moindre que le profit subsistant
    • Supposons que :
      • Le coût de la construction s’élève à 200.000 €
      • La valeur du terrain s’élève à 100.000 €
      • La valeur du fonds s’élève, au jour de la liquidation de la communauté, à :
        • 300.000 € sans la construction
        • 600.000 € avec la construction
      • En l’espèce, le profit subsistant s’élève à 300.000 € (600.000 – 300.000)
      • Le montant de la récompense est donc de 300.000 € (300.000 > 200.000)
  • Seconde hypothèse
    • Le coût de la construction est ici intégralement financé par le patrimoine propre du conjoint
    • Dans cette hypothèse, le montant de l’indemnité due à ce dernier devra être calculé selon les règles du droit commun et plus précisément selon le principe d’évaluation de l’indemnité due au titre de la théorie de l’enrichissement sans cause.
    • Cette indemnité est donc égale à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit procuré au patrimoine débiteur
    • Si l’on reprend les données de l’hypothèse 1
      • La dépense faite = 200.000 €
      • L’enrichissement = 300.000 €
    • Le montant de l’indemnité due sera donc de 200.000 €, car (200.000 < 300.000)

Il ressort de ces deux hypothèses que selon que le coût de la construction est supporté par la communauté ou par le conjoint, l’indemnité due au patrimoine créancier est radicalement différente.

  • Lorsque l’on applique les règles applicables aux récompenses, l’indemnité due s’élève à 300.000 €
  • Lorsque l’on applique les règles applicables aux créances entre époux, l’indemnité due s’élève à 100.000 €

On observe ainsi une différence de 100.000 € entre les deux indemnités, alors même que le fait générateur est exactement le même, à la nuance près que, dans un cas, la construction a été financée par la communauté, dans l’autre, son coût a été supporté par un patrimoine propre.

Pourquoi cette différence de traitement ? D’aucuns ont avancé que, s’agissant des créances entre époux, il appartenait à ces derniers de prévoir des clauses d’indexation.

Reste que, en pratique, parce que les époux sont unis par un lien conjugal, il y a là un véritable empêchement moral pour eux à contractualiser l’opération intervenant entre leurs deux patrimoines.

L’argument est, dans ces conditions, difficilement recevable, raison pour laquelle, en 1985, plus rien ne retenait le législateur de franchir le pas et de réformer en profondeur les règles qui présidaient à l’évaluation des créances entre époux.

2. Droit positif

==> Une transposition de règles applicables aux récompenses

Conscient que la différence de traitement entre les récompenses et les créances entre époux n’étaient pas justifiée, à plus forte raison parce que les secondes sont comme les premières susceptibles d’être affectées par les épisodes de dépréciation monétaire, le législateur a, lors de l’adoption de la loi du 23 décembre 1985, cherché à rapprocher les deux régimes.

Pour ce faire, l’article 1479 du Code civil a été pourvu d’un second alinéa qui prévoit que « sauf convention contraire des parties, elles sont évaluées selon les règles de l’article 1469, troisième alinéa, dans les cas prévus par celui-ci ; les intérêts courent alors du jour de la liquidation. »

Deux premiers enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • Il peut tout d’abord être observé que pour fixer les modalités d’évaluation des créances entre époux, l’article 1479 du Code civil opère par renvoi à l’article 1469, al. 3e du Code civil, soit aux règles qui président à l’évaluation des récompenses
    • Ce renvoi marque ainsi le rapprochement textuel entre les deux régimes et plus précisément la volonté du législateur d’écarter le principe du nominalisme monétaire pour les créances entre époux en prévoyant qu’elles seraient réévaluées selon les modalités applicables aux récompenses.
  • Second enseignement
    • Le renvoi opéré par l’article 1479 du Code civil pour l’évaluation des créances entre époux est cantonné aux cas visés à l’alinéa 3e de l’article 1469.
    • Il en résulte que seules certaines créances entre époux pourront faire l’objet d’une réévaluation selon les règles applicables aux récompenses
    • À l’analyse, l’époux créancier ne pourra invoquer le bénéfice du troisième alinéa de l’article 1469 que lorsque la valeur empruntée aura permis à l’époux débiteur d’acquérir, de conserver ou d’améliorer un bien
    • Ainsi, le législateur a-t-il circonscrit la transposition des règles d’évaluation des récompenses à l’évaluation des créances entre époux uniquement pour les dépenses d’investissement.
    • Pour les autres dépenses, les créances entre époux demeurent soumises au principe du nominalisme monétaire, de sorte que leur évaluation s’opère selon les règles du droit commun.

Seules les dépenses d’investissement étant concernées par le renvoi opéré par l’article 1479 du Code civil, nous nous focaliserons ici sur l’évaluation des créances entre époux dues au titre de cette catégorie de dépense.

==> L’évaluation des créances entre époux dues au titre de dépenses d’investissement

S’agissant de l’évaluation des créances entre époux dues au titre de dépenses d’investissement, l’article 1479 renvoie donc au troisième alinéa de l’article 1479 du Code civil.

Ce texte prévoit que la récompense « ne peut être moindre que le profit subsistant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, le profit est évalué au jour de l’aliénation ; si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, le profit est évalué sur ce nouveau bien. »

L’application de cette disposition aux créances entre époux soulève une première interrogation.

Dans la mesure où la règle énoncée ne s’applique, par hypothèse, qu’aux récompenses dont l’évaluation intervient, après la dissolution de la communauté, est-ce à dire que seules les créances entre époux liquidées également après la dissolution du régime peuvent être évaluées selon cette règle ?

Si les travaux parlementaires sur la base desquels la loi du 23 décembre 1985 a été adoptée vont dans ce sens, cette interprétation conduirait néanmoins à opérer une distinction au sein de la catégorie des créances entre époux.

En effet, il conviendrait de distinguer parmi les créances entre époux dues au titre d’une dépense d’investissement celles liquidées avant la dissolution du régime et celle liquidées après.

Tandis que le montant des premières correspondrait à la valeur nominale de la dépense faite, par application du principe du nominalisme monétaire, le montant des secondes, ne pourrait être moindre que le profit subsistant.

Pour la doctrine, rien ne justifie que le montant d’une créance entre époux diffère selon qu’elle est évaluée avant ou après la dissolution du régime[11].

Pour cette raison, il y a lieu de soumettre toutes créances entre époux aux règles d’évaluation fixées par le troisième alinéa de l’article 1469 du Code civil, pourvu qu’elles soient dues au titre d’une dépense d’investissement.

Si l’on focalise désormais sur les règles d’évaluation énoncée par cette disposition, le texte prévoit que, pour les dépenses d’acquisition, de conservation ou d’amélioration qui ont profité au patrimoine emprunteur, le montant dû au patrimoine créancier ne peut jamais être moindre que le profit subsistant.

Pour mémoire, dans son sens général, le profit subsistant consiste en l’enrichissement dont a bénéficié le patrimoine débiteur de l’indemnité à raison de la dépense faite par le patrimoine créancier.

Dans un arrêt du 11 juin 1991 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le profit subsistant représente l’avantage réellement procuré au fonds emprunteur » (Cass. 1ère civ. 11 juin 1991, n°90-12.142).

C’est là une application de la théorie des dettes de valeur, de sorte que l’évaluation du profit subsistant, contrairement à l’évaluation de la dépense faite, est susceptible de donner lieu à revalorisation.

Pour illustrer la règle énoncée à l’article 1469, al. 3e du Code civil, prenons l’exemple de l’installation d’un système de climatisation, dans un immeuble appartenant en propre à l’épouse, qui aurait été intégralement financée au moyen de deniers appartenant en propre au conjoint.

Afin de déterminer le montant du profit subsistant, il y a lieu de procéder ici à une double évaluation.

Il convient, en effet, d’estimer ce que vaudrait l’immeuble au jour de la liquidation du régime sans la réalisation des travaux d’installation et ce qu’il vaut, à cette même date, en tenant compte de la réalisation des travaux.

La différence entre ces deux évaluations constitue le profit subsistant.

Soit un immeuble dont la valeur est estimée au jour de la liquidation du régime :

  • Sans les travaux, à 100.000 €
  • Avec les travaux, à 120.000 €

Le profit subsistant correspond donc à la différence entre ces deux montants, soit :

120.000 – 100.000 = 20.000 €

À l’analyse, l’application du troisième alinéa de l’article 1469 du Code civil ne soulèvera aucune difficulté lorsque le profit subsistant est supérieur à la dépense faite.

Plus délicate sera, en revanche, l’évaluation de la créance lorsqu’il sera inférieur à la valeur nominale de la valeur empruntée au patrimoine créancier.

Supposons, une dépense la réalisation de travaux d’installation d’un nouveau système de chauffage central dans un immeuble appartenant en propre à un époux et dont le coût est supporté par le patrimoine de son conjoint :

  • Coût des travaux : 50.000 €
  • Valeur empruntée (contribution du conjoint) : 50.000 €
  • Valeur de l’immeuble au jour de la liquidation :
    • Sans les travaux : 400.000 €
    • Avec les travaux : 430.000 €
  • Profit subsistant = 30.000 €

Au cas particulier, le profit subsistant (30.000 €) est inférieur à la dépense faite (50.000 €).

Deux approches sont envisageables pour évaluer le montant de la créance due :

  • Première approche
    • On peut considérer que le montant de la créance doit toujours correspondre au profit subsistant
    • Cette approche conduit néanmoins à faire supporter la moins-value sur le patrimoine créancier.
  • Seconde approche
    • On peut considérer qu’il n’est pas acceptable que le patrimoine créancier doive supporter la moins-value subie par le patrimoine emprunteur
    • Dans ces conditions, le montant de la créance doit être égal à la dépense faite

Lorsque cette situation se présente en matière de récompense, il est procédé par renvoi au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil qui prévoit que « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »

Aussi, la récompense serait égale au profit subsistant, soit 30.000 € (30.000 < 50.000), sauf à ce que la dépense d’amélioration présente un caractère nécessaire, auquel cas, il y aurait lieu de faire application de l’alinéa 2 de l’article 1469.

Dans cette hypothèse, ce qui est le cas en l’espèce, la récompense ne pourrait être moindre à la dépense faite, soit à 50.000 €.

Reste que, ni l’alinéa 1er, ni l’alinéa 2e de l’article 1469 du Code civil ne sont applicables aux créances entre époux, le renvoi opéré par l’article 1479 ne visant que l’alinéa 3e.

Dès lors, comment sortir de l’impasse ?

La Cour de cassation a offert une porte de sortie dans un arrêt du 24 septembre 2008.

Dans cette affaire, elle s’est prononcée sur une créance due à un époux séparé de biens, étant précisé que, au cas particulier, le profit subsistant était nul, tandis que la valeur empruntée s’élevait à 1.154.775 francs.

Il y avait donc un véritable enjeu pour l’époux qui sollicitait l’évaluation de sa créance due au titre de sa contribution au financement d’une construction édifiée sur un terrain appartenant en propre à sa conjointe.

Pour la Cour de cassation, « lorsque les fonds d’un époux séparé de biens ont servi à améliorer un bien personnel de l’autre, qui l’a aliéné avant la liquidation, sa créance ne peut être moindre que le profit subsistant au jour de l’aliénation ; qu’en l’absence de profit subsistant, la créance est égale au montant nominal de la dépense faite » (Cass. 1ère civ. 24 sept. 2008, n°07-19.710).

La solution retenue ici par la première chambre civile est des plus limpides : lorsque le profit subsistant est inférieur à la dépense faite, le montant de la créance entre époux doit être égal à cette dernière.

À l’analyse, cette solution est extrêmement favorable à l’époux créancier, dans la mesure où il est assuré de ne jamais subir les effets de la moins-value réalisée par le patrimoine emprunteur.

La Cour de cassation fait une application stricte du renvoi opéré par l’article 1479 au seul et l’alinéa 3 de l’article 1469.

L’alinéa 1er de cette disposition n’étant pas applicable aux créances entre époux, lorsque le profit subsistant est inférieur à la dépense faite, c’est le droit commun qui s’applique et plus précisément le principe du nominalisme monétaire.

Or l’application de ce principe conduit à retenir, pour calculer le montant de la créance entre époux, la valeur nominale de la dépense faite ; d’où la solution adoptée par la Cour de cassation.

Assez curieusement, cette solution est bien plus avantageuse que la règle qui s’applique aux récompenses et qui conduit à retenir la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant (art. 1469, al. 1er C. civ.)

II) Le partage des biens indivis

Sous le régime de la séparation de biens, il est deux catégories de biens susceptibles de faire l’objet d’un partage :

  • Les biens que les époux ont acquis ensemble
  • Les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive

Dans les deux cas, ces biens sous soumis au régime de l’indivision, de sorte que le partage peut être provoqué à tout moment (Cass. 1ère civ. 22 oct. 1985, n°84-11.468).

Il peut, par ailleurs, être sollicité tant par les époux, que par leurs créanciers respectifs (Cass. 1ère civ. 4 juill. 1978, n°76-15.253).

S’agissant des modalités du partage, l’article 1542 du Code civil prévoit que « après la dissolution du mariage par le décès de l’un des conjoints, le partage des biens indivis entre époux séparés de biens, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre ” Des successions ” pour les partages entre cohéritiers. »

Il ressort de cette disposition que, sous le régime de la séparation de biens, le partage des biens indivis est soumis aux règles du droit des successions.

Le second alinéa de l’article 1542 du Code civil précise néanmoins que, en cas de dissolution du régime pour cause de divorce ou de séparation de corps :

  • D’une part, l’attribution préférentielle d’un bien n’est jamais de droit contrairement à ce que prévoit le droit commun en certaines circonstances (V. en ce sens 832-1 C. civ.)
  • D’autre part, il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant

Bien que la lettre de l’article 1542 du Code civil suggère que ces dérogations au droit commun du partage n’opèrent que si celui-ci intervient postérieurement à la dissolution du régime, la Cour de cassation a adopté une interprétation extensive du texte.

Dans un arrêt du 9 octobre 1990, elle a, en effet, jugé, au visa des articles 832, 1476 et 1542 du Code civil, que « le conjoint séparé de biens peut demander l’attribution préférentielle du local servant à son habitation et dont il est propriétaire par indivis, même si cette indivision est partagée pendant le mariage » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1990, n°89-10.429).

Ainsi, pour la première chambre civile, la date de sollicitation du partage par les époux ou un créancier est indifférente : les dérogations prévues au second alinéa de l’article 1542 peuvent jouer à tant, si le partage est réalisé après la dissolution du régime que s’il intervient au cours du mariage.

[1] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°732, p. 684.

[2] V. en ce sens N. Frémeaux et M. Leturcq, Plus ou moins mariés : l’évolution du mariage et des régimes matrimoniaux en France, Etude accessible à partir du lien suivant :  file:///C:/Users/A020475/Downloads/ES462E%20(1).pdf

[3] Cet exemple nous est donné par Michel Hoguet, rapporteur de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, dans le cadre des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 28 décembre 1967

[4] V. en ce sens l’article 953 du Code civil

[5] F. terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°800, p. 647.

[6] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696

[7] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°82, p. 42.

[8] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[9] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[10] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, n°638, p. 495.

[11] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°680, p. 629.

Le régime de la séparation de biens: composition des patrimoines, gestion des biens et liquidation

==> Généralités

Classiquement on enseigne que la spécificité du mariage tient à l’association qu’il réalise entre une union des personnes et une union des biens.

Tandis que la première union se traduit par l’instauration d’une communauté de vie, la seconde donne lieu à la mise en commun par les époux de leurs ressources financières et matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.

S’agissant de la communauté de vie, il s’agit d’un principe incompressible, d’un invariant auquel les époux ne peuvent pas se soustraire, y compris par convention contraire.

Tout plus, lorsque les circonstances l’exigent, ils sont autorisés à vivre séparément. Néanmoins, il ne peut y avoir qu’une seule résidence familiale, laquelle est un prérequis à toute communauté de vie.

S’agissant de la mise en commun par les époux de leurs ressources respectives, la marge de manœuvre dont ils disposent est bien plus importante.

Ces derniers sont, en effet, libres d’aménager leurs rapports pécuniaires comme il leur plaît, sous réserve du respect des dispositions du régime primaire impératif. C’est d’ailleurs là l’objet d’étude du droit des régimes matrimoniaux.

À cet égard, le premier choix qui se présentera à eux, avant même la célébration du mariage, portera sur l’adoption d’un régime communautaire ou d’un régime séparatiste.

  • S’agissant des régimes communautaires, leur spécificité est de reposer sur la création d’une masse commune de biens qui s’interpose entre les masses de chaque époux composées de biens propres appartenant à chacun d’eux.
  • S’agissant des régimes séparatistes, ils se caractérisent par l’absence de création d’une masse commune de biens qui serait alimentée par les biens présents et futurs acquis par les époux.

Le choix d’un régime communautaire ou séparatiste est fondamental car il se répercutera sur tous les aspects de l’union matrimoniale des époux et notamment sur le plan de la répartition de l’actif et du passif, sur le plan de la gestion des patrimoines ou encore sur le plan de la liquidation du régime matrimonial.

Si l’adoption d’un régime communautaire s’inscrit dans le droit fil de l’esprit du mariage en ce qu’il répond à l’objectif de mutualisation des ressources, le choix d’un régime séparatiste apparaît, de prime abord, moins en phase avec cet objectif.

Reste que, au fond, comme l’écrivait Portalis, le mariage vise à instituer une « société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée ».

L’enseignement qui peut être retiré de cette réflexion, c’est que le mariage implique moins une communauté de biens qu’une communauté d’intérêts.

Il s’en déduit que, fondamentalement, le minimum d’association susceptible de faire naître l’union matrimoniale ne requiert pas nécessairement la création d’une masse commune de biens.

Et pour cause, le régime primaire impératif, qui se compose de l’ensemble des règles formant le statut patrimonial de base irréductible du couple marié, ne comporte aucune exigence en ce sens.

C’est la raison pour laquelle, il a toujours été admis que les époux puissent opter pour un régime matrimonial séparatiste, pourvu que ce régime ne contrevienne pas aux règles du régime primaire.

Tel était le cas du régime dotal qui était prépondérant sous l’ancien régime dans les Pays de droit écrit alors même qu’il s’agissait d’une variété de régime séparatiste.

À cet égard, lors de l’adoption du Code civil, la question s’est posée de l’instauration d’un régime de séparation de biens comme régime légal.

Si cette option a finalement été écartée par le législateur, le débat a resurgi à l’occasion des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965.

==> Évolution législative

Dès 1804, le régime de la séparation biens figurait parmi les régimes matrimoniaux conventionnels proposés par la loi.

Il était abordé aux articles 1536 à 1539 du code civil. La principale réforme ayant affecté ce régime n’est autre que celle opérée par la loi du 13 juillet 1965.

En effet, cette loi a instauré un régime primaire égalitaire applicable à l’ensemble des couples mariés, ce qui n’est pas sans avoir eu de répercussions sur la situation des couples mariés sous le régime de séparations de biens qui, désormais, y étaient assujettis.

L’élaboration de ce régime primaire impératif a été guidée par la volonté du législateur d’instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son mari.

Cette recherche d’égalité conjugale s’est traduite par l’instauration d’un savant équilibre entre, d’un côté l’édiction de règles visant à assurer une interdépendance entre les époux et, d’un autre côté, la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie.

Autre apport de la loi du 13 juillet 1965, la consécration de la présomption d’indivision pour les biens dont la preuve de la propriété ne peut pas être rapportée.

La loi n°75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce a, par suite, renforcé la communauté d’intérêts instituée entre époux séparés de biens :

  • D’une part, en étendant l’application du dispositif de maintien en indivision et d’attribution préférentielle prévu pour les partages de successions et de communautés aux biens indivis entre époux séparés de biens, lorsque le partage intervient après la dissolution du mariage
  • D’autre part, en admettant qu’une prestation compensatoire visant à compenser la disparité créée par la rupture de l’union matrimoniale puisse être accordée à l’un ou l’autre époux séparé de biens

La loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs est, quant à elle, venue parachever la réforme engagée par le législateur en 1965 qui avait cherché à instaurer une égalité dans les rapports conjugaux.

Plusieurs corrections ont notamment été apportées au régime primaire aux fins de gommer les dernières marques d’inégalité qui existaient encore entre la femme mariée et son époux.

S’agissant du régime de la séparation de biens lui-même, cette loi a, par ailleurs, étendu aux créances entre époux, le dispositif institué à l’article 1469, al. 3e du Code civil relatif aux dettes de valeur applicable aux calculs des récompenses opérés sous les régimes communautaires.

Il peut être observé que, nonobstant ces évolutions législatives, le statut matrimonial des couples qui ont opté pour le régime de la séparation de biens avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965 est, sauf déclaration contraire des époux, régi par le droit antérieur, outre les règles fixées par leur contrat de mariage.

Seul le régime primaire impératif et la présomption d’indivision sont d’application immédiate et, à ce titre, leur sont donc opposables.

==> Opportunité du choix d’un régime séparatiste

Le choix d’un régime séparatiste n’est pas neutre. Il présente tout autant des avantages que des inconvénients que les époux devront prendre le temps de peser avant de se déterminer.

  • Les avantages
    • Les deux principaux avantages que l’on prête classiquement au régime de la séparation de biens sont la simplicité, la séparation des patrimoines et l’indépendance conférée aux époux
      • S’agissant de la simplicité
        • En raison de l’absence de création d’une masse commune, les époux gèrent leurs intérêts pécuniaires séparément.
        • En particulier, il n’y a pas de gestion concurrente des biens du couple et donc pas d’entremêlement de leurs pouvoirs respectifs, ce qui n’est pas sans faciliter grandement la gestion du patrimoine familial.
        • À l’exception du logement familial, chaque époux exerce un pouvoir de gestion exclusif sur ses biens dont il assure la gestion en toute autonomie sans risque de discussion, voire de remise en cause des actes accomplis.
        • Quant à la liquidation du régime, tout d’abord, il n’y a pas, en principe, de partage de la masse commune, ce qui, pour les couples mariés sous un régime communautaire, est susceptible d’être source de nombreuses difficultés.
        • Ensuite, les opérations de liquidations ne donnent pas lieu au calcul de récompenses, lesquelles visent, dans les régimes communautaires, à rétablir l’équilibre entre la masse commune et les masses de propres, équilibre qui a pu être rompu en raison des mouvements de valeurs qui sont nécessairement intervenus entre ces différentes masses de biens.
        • Tout au plus, les époux devront établir un compte des créances entre époux et procéder à leur règlement.
      • S’agissant de la séparation des patrimoines
        • Le régime de la séparation de biens a pour effet, comme suggéré par son intitulé, d’instaurer une cloison étanche entre les patrimoines des époux, en ce sens qu’aucune jonction n’est créée entre eux, ce qui s’explique par l’absence de création d’une masse commune.
        • Il en résulte que, au cours du mariage, les époux conservent en propre tous les biens qu’ils acquièrent à titre onéreux ou à titre gratuit.
        • Par ailleurs, les dettes qu’ils contractent n’engagent que leur patrimoine personnel ; elles ne sont pas exécutoires sur le patrimoine du conjoint.
        • C’est là une différence majeure avec les régimes communautaires.
        • Sous le régime légal, par exemple, les dettes nées du chef d’un époux peuvent être poursuivies non seulement, sur les biens propres et les revenus du souscripteur, mais encore sur l’ensemble des biens communs à l’exclusion des gains et salaires du conjoint.
        • Aussi, le régime de la séparation de biens présente-t-il un intérêt particulier lorsque l’un des époux exerce une profession commerciale, artisanale ou libérale.
        • Le patrimoine du conjoint est, en effet, hors de portée des créanciers professionnels de ce dernier.
        • Il ne pourra, notamment, pas être menacé par l’ouverture d’une procédure collective.
        • Autre avantage de la séparation des patrimoines, lors de la liquidation du régime, chacun des époux conserve la propriété de ses biens sans qu’il y ait lieu de procéder à des opérations de partage, à tout le moins dès lors que ces biens ne font pas l’objet d’une indivision.
      • S’agissant de l’indépendance des époux
        • Le régime de la séparation de biens est sans aucun doute celui qui confère aux époux la plus grande indépendance.
        • Chacun gère son patrimoine en toute autonomie sans que l’accomplissement de certains actes soit subordonné à l’accord du conjoint, exception faite du logement familial.
        • Lorsqu’ainsi un époux exerce une profession commerciale, artisanale, libérale ou agricole séparée, il est totalement libre dans la gestion de son entreprise.
        • Seules limites à l’autonomie patrimoniale dont jouissent les époux séparés de biens : celles résultant des présomptions de pouvoirs permettant à un époux de participer, voire de s’immiscer dans la gestion des biens de son conjoint.
        • Tel est le cas des présomptions de pouvoirs en matière bancaire ( 221 C. civ.) ou mobilière (art. 222 C. civ.).
        • On peut également évoquer les présomptions instituées au profit du conjoint collaborateur en matière d’exploitation commerciale, artisanale et libérale ( L. 121-4 C. com.) ou encore en matière d’exploitation agricole (art. L. 321-1 C. rur.)
  • Les inconvénients
    • Les principaux inconvénients du régime de la séparation de biens tiennent, d’une part, au risque d’enrichissement d’un époux au détriment de l’autre et, d’autre part, à la difficulté pour les époux de rapporter la preuve de leurs biens mobiliers.
      • S’agissant du risque d’enrichissement d’un époux au détriment de l’autre
        • Sous le régime de la séparation de biens, les époux conservent la propriété des biens qu’ils acquièrent, qu’il s’agisse des revenus perçus, des économies réalisées, ou encore des biens acquis à titre onéreux ou à titre gratuit.
        • Les époux ne peuvent donc retirer aucun profit de l’enrichissement de leur conjoint.
        • Cette situation est particulièrement désavantageuse pour l’époux dont les ressources sont les plus faibles, voire qui n’exerce aucune activité professionnelle.
        • Certes, l’équilibre sera partiellement rétabli via l’obligation de contribution aux charges du mariage qui pèse sur chaque époux à proportion de leurs facultés respectives.
        • Néanmoins, l’époux dont l’activité est la moins lucrative, ne pourra, en aucune manière, solliciter lors de la dissolution du mariage un partage des richesses qui ont été acquises par son conjoint, y compris lorsque, par son industrie personnelle, il aura participé à la production de ces richesses.
        • Tout au plus, il sera fondé à demander l’octroi d’une prestation compensatoire.
        • Lorsque les conditions seront réunies, il pourra encore solliciter une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement injustifié.
        • Ces correctifs ne permettront toutefois jamais de compenser les disparités créées entre époux quant à l’accumulation des richesses captées au cours du mariage.
        • Et pour cause, comme souligné par un auteur « la séparation de biens n’est un régime juste que s’il existe une égalité économique entre les époux et même une égalité dans l’aisance voire la fortune»[1].
        • Au fond, vouloir rétablir un équilibre patrimonial entre époux, reviendrait à nier l’essence même du régime de la séparation de biens.
        • Or rien ne leur interdisait, lorsqu’ils se sont mariés, d’opter pour un régime communautaire ou un régime mixte, tel que le régime de la participation aux acquêts.
      • S’agissant des difficultés relatives à la preuve de la propriété des biens mobiliers
        • La vie conjugale implique que les époux mettent en commun leur mobilier.
        • Sous l’effet du temps, les meubles qui appartiennent à un époux sont susceptibles de se confondre avec ceux apportés et acquis par le conjoint.
        • Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution de la propriété des biens qui ont été confondus.
        • Sous le régime de la séparation de biens, il appartient à chaque époux de rapporter la preuve de la propriété de ses biens.
        • Si cette preuve ne soulève pas de difficulté pour les biens dont l’acquisition est soumise à publicité foncière ou qui font l’objet d’une immatriculation, elle sera plus délicate à rapporter pour les biens mobiliers ordinaires.
        • Aussi, lors de la liquidation du régime, cette situation ne sera pas sans être source de nombreuses difficultés, les époux se disputant la propriété de tel ou tel bien.
        • Afin de départager les époux qui ne parviennent pas à trouver un accord amiable, le législateur a institué une présomption d’indivision.
        • Aussi, en application de cette présomption, les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.
        • La liquidation du régime donnera ainsi lieu à un partage du bien présumé indivis, situation qui n’est, a priori, satisfaisante pour aucun des deux époux.

==> Sources de la séparation de biens

La séparation de biens peut avoir deux sources distinctes : le contrat ou la décision du juge

  • La séparation de biens judiciaire
    • L’article 1443 du Code civil prévoit que « si, par le désordre des affaires d’un époux, sa mauvaise administration ou son inconduite, il apparaît que le maintien de la communauté met en péril les intérêts de l’autre conjoint, celui-ci peut poursuivre la séparation de biens en justice.»
    • Cette disposition autorise ainsi un époux marié sous un régime de communautaire à solliciter la dissolution de la communauté à la faveur de l’instauration – contrainte – d’une séparation judiciaire de biens.
    • Pour que le juge fasse droit à cette demande, l’époux demandeur devra, en substance, établir l’existence d’une mise péril de ses intérêts pécuniaires par les agissements de son conjoint.
    • Lorsque les conditions sont réunies, le juge prononcera la dissolution de la communauté ; d’où il s’en suivra une liquidation du régime et un partage des biens communs.
    • À cet égard, la séparation de biens prononcée en justice a pour effet de placer les époux sous le régime des articles 1536 et suivants, soit de les soumettre aux mêmes règles que les couples qui ont opté, de leur plein gré, pour une séparation de biens conventionnelle.
  • La séparation de biens conventionnelle
    • L’article 1387du Code civil prévoit que « la loi ne régit l’association conjugale, quant aux biens, qu’à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu’elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent. »
    • Il ressort de cette disposition que, non seulement les époux sont libres de choisir le régime matrimonial qui leur convient parmi ceux proposés par la loi, mais encore ils disposent de la faculté d’aménager le régime pour lequel ils ont opté en y stipulant des clauses particulières sous réserve de ne pas contrevenir aux bonnes mœurs et de ne pas déroger aux règles impératives instituées par le régime primaire.
    • Faute de choix par les époux d’un régime matrimonial, c’est le régime légal qui leur sera appliqué, étant précisé que le couple marié peut toujours, au cours du mariage, revenir sur sa décision en sollicitant un changement de régime matrimonial.
    • S’agissant de l’adoption du régime de la séparation de biens, dans la mesure où ce régime n’a pas été institué comme régime légal, les époux devront nécessairement formaliser un contrat de mariage.
    • La conclusion de ce contrat peut intervenir
      • Soit avant la célébration du mariage, ce qui supposera notamment l’établissement d’un acte notarié
      • Soit dans au cours du mariage, ce qui supposera de suivre la procédure de changement de régime matrimonial
    • Une étude statistique de 2014, réalisée par Nicolas Frémeaux et Marion Leturcq[2], montre que la part des couples en séparation de biens est passée de 6,1 % du total des mariés en 1992 à 10 % en 2010 soit une hausse de 64 %
    • On y apprend également que les couples mariés en séparation de biens possèdent un patrimoine plus important et héritent davantage.
    • Cette étude révèle encore que Les couples mariés en séparation de biens sont des couples qui possédaient, dès la rencontre, du patrimoine, réparti de façon plus inégalitaire entre les conjoints que les autres couples.

Nous ne nous focaliserons ici que sur la séparation de biens conventionnelle, soit celle qui procède de la conclusion d’un contrat de mariage.

Quelle que soit la source de la séparation de biens instituée entre les époux, la spécificité de ce régime tient à :

  • D’une part, la composition active et passive des patrimoines
  • D’autre part, à la gestion des biens
  • Enfin, à la liquidation du régime.

Nous envisagerons successivement ces trois points.

§1 : La composition des patrimoines

I) La composition de l’actif

A) La détermination de la propriété

1. Principe : la séparation des patrimoines

a. Principe général

Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, le principe de séparation des patrimoines implique que chacun conserve la propriété de ses biens présents et futurs.

Le patrimoine de chaque époux est ainsi constitué :

  • D’une part, des biens acquis avant la célébration du mariage
  • D’autre part, des biens acquis au cours du mariage, tant à titre onéreux, qu’à titre gratuit

Parce que les époux sont seuls propriétaires des biens qu’ils ont acquis, avant ou au cours de l’union matrimoniale, ils conservent dans leur patrimoine tous les attributs du droit de propriété, ce qui comprend :

  • Le droit d’user de la chose (usus) qui confère au propriétaire la liberté de choisir l’usage de la chose, soit de s’en servir selon ses propres besoins, convictions et intérêts.
  • Le droit de jouir de la chose (fructus) qui confère au propriétaire le droit de percevoir les revenus que le bien lui procure.
  • Le droit de disposer de la chose (abusus) qui confère au propriétaire le droit d’accomplir tous les actes susceptibles de conduire à la perte totale ou partielle de son bien.

Manifestement, le principe de séparation des patrimoines auquel sont assujettis les époux séparés de biens marque une différence profonde avec le dispositif qui préside aux régimes communautaires.

Dès lors, en effet, qu’une communauté est instituée, elle a vocation à capter les richesses, apportées, produites et acquises par les époux.

À cet égard, le pouvoir d’attraction de cette communauté sera plus ou moins grand selon le type de régime communautaire auquel les époux sont soumis.

En schématisant à l’extrême, tandis que sous le régime légal, la communauté est réduite aux biens acquis à titre onéreux au cours du mariage (acquêts), sous le régime de la communauté universelle, outre les acquêts, elle s’étend aux biens présents et aux biens acquis à titre gratuit au cours du mariage.

Sous le régime de la séparation de biens, faute d’instauration d’une communauté, les éléments d’actif que les époux acquièrent séparément, à commencer par leurs revenus, n’ont, par hypothèse, pas vocation à alimenter une troisième masse de biens.

C’est la raison pour laquelle ils en conservent nécessairement la propriété à titre individuel, sans que l’enrichissement que leur procure l’acquisition faite ne puisse, par un transfert de valeur, profiter au patrimoine du conjoint.

Tel sera notamment le cas des gains et salaires, des revenus de propres et plus généralement de tous les biens acquis à titre onéreux ou à titre gratuit au cours du mariage.

Sur le plan purement patrimonial, les époux séparés de biens sont regardés comme des tiers l’un pour l’autre. Et les rapports pécuniaires qu’ils entretiennent entre eux sont, pour l’essentiel, régis par le droit commun.

b. Applications particulières

i. L’acquisition d’un bien par un époux financée par le conjoint

La plupart du temps, lorsqu’un époux se porte acquéreur d’un bien, il le fera au moyen de ses deniers personnels, de sorte que ce bien lui appartiendra en propre, sans qu’il lui soit besoin d’accomplir les formalités d’emploi ou de remploi requises sous le régime légal.

Sous le régime de la séparation de biens, chaque époux reste propriétaire, par principe, des biens qu’ils acquièrent au moyen de leurs deniers personnels.

Il est des cas néanmoins où l’époux qui réalisera l’acquisition ne sera pas nécessairement celui qui l’aura financée. Il peut, en effet, arriver que cette acquisition soit financée par le conjoint.

Lorsque cette situation se présente, la question alors se pose de la propriété du bien. Revient-elle à l’époux qui s’est porté acquéreur ou à celui qui a financé l’acquisition ?

Plusieurs situations doivent être distinguées :

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint en dehors de tout contrat

Le principe est que lorsqu’un bien est acquis par l’un ou l’autre époux, il appartient, non pas à l’époux qui a financé l’acquisition, mais, à celui au nom duquel cette acquisition a été faite.

Aussi, c’est le titre qui confère la qualité de propriétaire et non le financement qui ne confère aucun droit de propriété sur le bien.

Dans un arrêt du 9 octobre 1991, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « sous le régime de la séparation de biens, l’époux qui acquiert un bien pour son compte à l’aide de deniers provenant de son conjoint, devient seul propriétaire de ce bien » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1991, n°90-15.073).

Dans un arrêt du 31 mai 2005, la première chambre civile a encore jugé que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Tout au plus, l’époux qui a financé le bien pourra « obtenir le règlement d’une créance lors de la liquidation du régime matrimonial, s’il prouve avoir financé en tout ou partie l’acquisition » (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2007, n°05-14.311).

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de mandat

Dans cette hypothèse, l’époux qui se porte acquéreur endosse la qualité de mandataire ou, le cas échéant, de gérant d’affaires.

Pour déterminer à qui revient la propriété du bien objet de l’acquisition il y a lieu de faire application des règles du mandat.

Or ces règles désignent le mandant comme étant seul propriétaire du bien acquis.

L’époux qui a réalisé l’opération est, en effet, réputé avoir agi en représentation de son conjoint.

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de prêt

Dans cette hypothèse, quand bien même les deniers ont été fournis par le conjoint, le bien acquis demeure la propriété exclusive de l’époux qui s’est porté acquéreur.

La raison en est que la remise de fonds en exécution d’un contrat de prêt opère un transfert de propriété.

Aussi, parce que les fonds prêtés appartiennent en propre à l’époux emprunteur, le bien qu’il acquiert avec ces fonds subit le même sort, charge à lui de rembourser son conjoint selon les règles qui régissent les créances entre époux.

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’une donation

  • Droit antérieur
    • Lorsqu’un époux reçoit de son conjoint des fonds à titre gratuit et qu’il remploie ces fonds à l’acquisition d’un bien, ce bien devrait, par le jeu de la subrogation réelle, lui appartenir en propre.
    • Telle n’est pourtant pas la solution qui avait été retenue par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur.
    • Les juridictions regardaient plutôt cette opération comme une donation déguisée, le déguisement se caractérisant par le fait que la libéralité se dissimule sous les apparences d’un autre acte, notamment d’un acte à titre onéreux.
    • Il en était tiré conséquence que la donation portait non pas sur les fonds donnés, mais sur le bien acquis au moyen de ces fonds.
    • Il en résultait que, en cas d’annulation de la libéralité, ce qui, en application de l’ancien article 1099, al. 2e du Code civil, était le sort de toute donation déguisée, la propriété du bien retournait dans le patrimoine du conjoint qui en avait financé l’acquisition (le donateur) et non à l’époux acquéreur (le donataire).
    • Là n’était pas la seule conséquence de l’anéantissement de la donation.
    • Il en était une autre qui était particulièrement fâcheuse lorsque le donataire avait réalisé avec les fonds provenant de la donation irrégulière une opération immobilière à laquelle intervenaient des tiers.
    • Exemple[3]:
      • Un époux achète, avec les deniers donnés par l’autre, un immeuble, puis le revend à un tiers ou lui consent des droits sur cet immeuble.
      • Dans cette hypothèse, comme vu précédemment, la jurisprudence considérait que l’époux donateur était réputé « avoir toujours été le seul propriétaire de l’immeuble acquis de ses deniers» au motif qu’il s’agirait là d’une donation déguisée.
      • L’annulation de cette donation entraînait alors l’anéantissement de toutes les mutations intervenues subséquemment à l’acquisition de l’immeuble par le donataire, ce qui, par voie de conséquence, était de nature à léser gravement les droits des tiers de bonne foi qui donc voyaient l’opération qu’ils avaient conclue remise en cause.
    • Afin d’assurer la sécurité juridique des tiers, en prévenant notamment la survenance de nullités en cascade, le législateur est intervenu pour briser la jurisprudence de la Cour de cassation en introduisant, par la loi du 28 décembre 1967, un article 1099-1 dans le Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « quand un époux acquiert un bien avec des deniers qui lui ont été donnés par l’autre à cette fin, la donation n’est que des deniers et non du bien auquel ils sont employés. »
    • Ainsi, désormais, la donation est réputée avoir pour objet les fonds donnés par l’époux donateur et non le bien acquis au moyen de ces deniers.
    • En cas d’annulation d’une donation déguisée ou de simple révocation d’une donation ostensible, obligation était donc faite au donataire de restituer les fonds donnés.
    • En application du second alinéa de l’article 1099-1 du Code civil, la somme restituée devait toutefois correspondre, non pas à la valeur nominale des deniers remis, mais à la valeur actuelle du bien acquis avec ces deniers.
    • Quoi qu’il en soit, par l’instauration de ce système, le droit de propriété constitué par le donataire sur le bien s’en trouvait préservé, sauf à ce qu’il ne dispose pas des liquidités suffisantes pour régler la somme d’argent due à son conjoint au titre de l’obligation de restitution.
    • Dans cette hypothèse, il serait alors contraint, soit de céder le bien à un tiers et de remettre au donateur le produit de la vente, soit de s’’acquitter de sa dette en cédant directement à ce dernier la propriété de son bien.
    • Afin d’éviter que l’une ou l’autre situation ne se produise et ainsi préserver le droit de propriété du donateur sur son bien conformément à l’objectif recherché par le législateur lors de l’introduction de l’article 1099-1 dans le Code civil, la jurisprudence a cherché à cantonner le domaine des libéralités entre époux.
    • Plus précisément, les juridictions ont progressivement considéré que, en cas de collaboration d’un époux à l’activité professionnelle de son conjoint au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage, la remise d’une somme d’argent par le second au premier devait s’analyser, non pas en une libéralité, mais en une rémunération due au titre du travail fourni ( 1ère civ. 19 mai 1976, n°75-10.558)
    • La conséquence en était la requalification de l’opération en acte à titre onéreux ce qui dès lors faisait obstacle à tout anéantissement sur le fondement, soit du principe de révocabilité des libéralités, soit du principe de nullité des donations déguisées.
    • À cet égard, la Cour de cassation est allée plus loin en jugeant que la qualification de libéralité devait également être écartée lorsqu’il était établi que l’activité de l’époux bénéficiaire de la remise de fonds dans la gestion du ménage et la direction du foyer avait, de par son importance, été source d’économies pour le conjoint.
    • Cela lui permettait ainsi de refuser l’annulation ou la révocation de l’acte de remise de fonds, puisque s’analysant en une rétribution due en contrepartie de la fourniture d’un travail au foyer ( 1ère civ. 20 mai 1981, n°79-17.171).
    • Seule solution pour le demandeur à l’action en nullité ou en révocation de l’acte litigieux : rapporter la preuve de l’origine des deniers et de l’intention libérale du donateur.
    • À défaut, ni l’acquisition du bien, ni la fourniture des deniers ayant servi à son financement ne pouvaient être remises en cause.
  • Droit positif
    • Depuis l’adoption de la loi n°2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, les solutions dégagées par la jurisprudence s’agissant de l’anéantissement des donations entre époux n’opèrent plus.
    • En effet, cette loi a aboli :
      • D’une part, le principe de révocabilité des donations entre époux
      • D’autre part, le principe de nullité des donations déguisées
    • Ainsi, aujourd’hui, dans la mesure où les donations entre époux de biens présents ne peuvent plus être anéanties, sauf motifs graves[4], il est indifférent que l’époux qui a remis une somme d’argent à son conjoint ait été ou non animé d’une intention libérale.
    • Il importe peu également que le bénéficiaire de cette remise de fonds ait collaboré à l’activité professionnelle du conjoint ou qu’il ait assuré la gestion du ménage au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.
    • Dans les deux cas, la donation, qu’elle soit ostensible, indirecte ou déguisée, ne peut plus être remise en cause, de sorte que non seulement le donataire est consolidé dans ses droits de propriété du bien acquis au moyen des fonds remis en application de l’article 1099-1 du Code civil, mais encore le risque de devoir restituer ces fonds au donateur est écarté.
    • Ainsi que le relèvent les auteurs « cette modification revêt une importance considérable pour le régime de la séparation de biens»[5].
    • Le contentieux des donations indirectes et déguisées ne s’en trouve pas totalement épuisé pour autant : l’administration demeure en effet toujours intéressée au premier chef des libéralités qui n’ont fait l’objet d’aucune formalité de déclaration.

ii. L’acquisition d’un bien selon les règles de l’accession

L’accession est envisagée à l’article 712 du Code civil comme un mode d’acquisition originaire de la propriété, tant mobilière, qu’immobilière.

Plus précisément elle est l’expression du principe aux termes duquel « l’accessoire suit le principal » (accessorium sequitur principale).

Les règles qui régissent l’accession visent, en effet, à étendre l’assiette du droit de propriété aux accessoires de la chose qui en est l’objet.

L’article 546 du Code civil dispose en ce sens « la propriété d’une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement. »

La particularité du « droit d’accession » dont est investi le propriétaire est qu’il lui confère un droit de propriété sur les accessoires de la chose, sans qu’il lui soit besoin accomplir un acte de volonté ou une prise de possession du bien à l’instar de l’occupation.

Aussi, l’assiette de son droit de propriété a-t-elle vocation à s’étendre à tout ce que produit la chose, à tout ce qui s’unit à elle et à tout ce qui s’y incorpore.

Pour exemple, le propriétaire d’un fonds acquiert automatiquement la propriété de toutes les constructions élevées sur ce fonds, tout autant que lui reviennent les fruits produits par les arbres qui y sont plantés.

À cet égard, régulièrement, la Cour de cassation rappelle que les règles de l’accession sont pleinement applicables aux époux séparés de biens.

Dans un arrêt du 27 mars 2002, elle a, par exemple, affirmé, au visa des articles 551 et 555 du Code civil, que « tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose appartient au propriétaire ; que lorsque des constructions ont été faites par un tiers avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire a le droit d’en conserver la propriété, sauf à indemniser le tiers évincé » (Cass. 3e civ. 27 mars 2002, 00-18.201).

Elle en déduit que lorsqu’un époux finance avec ses propres fonds, la construction d’un immeuble sur le terrain de son conjoint, ce dernier acquerra, moyennant indemnisation, la propriété du tout, conformément à l’article 555 du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 15 mai 2008, la Cour de cassation est néanmoins venue préciser que « les dispositions de l’article 555, alinéas 2 et 3, du code civil relatives à l’indemnisation du tiers évincé ne sont pas applicables aux créances entre époux séparés de biens, qui sont exclusivement régies par l’article 1469, alinéa 3, du code civil lorsque la somme prêtée a servi à acquérir un bien qui se retrouve dans le patrimoine de l’époux emprunteur au jour de la liquidation » (Cass. 1ère civ. 15 mai 2008, n°06-16.939).

Autrement dit, l’indemnité due par l’époux propriétaire du terrain à l’époux constructeur doit être calculée selon les règles applicables en matière d’accession immobilière, mais de celles qui régissent l’évaluation des créances entre époux.

Par ailleurs, pour que les règles de l’accession s’appliquent aux époux séparés de biens, encore faut-il qu’aucune convention n’ait été conclue entre eux qui réglerait les conditions d’édification d’un immeuble financé par l’un, sur le terrain appartenant en propre à l’autre.

2. Tempérament : l’indivision

Le Code civil prévoit une exception au principe de séparation des patrimoines lorsque le bien appartient aux époux en indivision.

Cette indivision peut résulter :

  • Soit de l’acquisition conjointe d’un bien
  • Soit de présomptions d’indivision

2.1 L’acquisition conjointe d’un bien par les époux

Il n’est pas rare que les époux séparés de biens réalisent des acquisitions conjointement, en particulier lorsqu’il s’agit d’acquérir un bien pourvu d’une valeur patrimoniale importante, tel que le logement de famille ou une résidence secondaire.

Lorsqu’ils acquièrent un bien ensemble, il leur appartient en indivision, étant précisé que les quotes-parts attribuées à l’un et l’autre peuvent être déterminées dans l’acte constatant l’acquisition. À défaut, les époux sont réputés être propriétaires du bien indivis à parts égales.

Quoi qu’il en soit, les biens acquis conjointement par les époux séparés de biens ne composent, en aucune façon, une troisième masse de biens à l’instar de la communauté instaurée sous le régime légal.

Il s’agit de biens soumis au seul droit de l’indivision qui se compose de deux corps de règles :

  • Les règles générales énoncées aux articles 815 et suivants du Code civil qui s’appliquent en l’absence de convention contraire
  • Les règles spéciales énoncées aux articles 1873-1 et suivants du Code civil lorsqu’une convention relative à l’exercice des droits indivis a été conclue entre les époux.

Il peut être observé que, dès lors que l’acte d’acquisition constate que le bien a été acquis conjointement par les époux, il est réputé leur appartenir en copropriété, peu importe qu’il ait été financé par un seul des époux.

Dans un arrêt du 14 novembre 2007, la Cour de cassation validé en ce sens une décision de Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aux termes de l’acte de vente, le terrain avait été acquis indivisément chacun pour moitié par les époux séparés de biens, avait décidé que l’épouse, propriétaire pour moitié du terrain, « devait être présumée propriétaire pour moitié de l’immeuble qui y avait été édifié, les modalités de financement de la construction de cet immeuble n’étant pas, à elles seules, de nature à établir la preuve contraire » (Cass. 1ère civ. 14 nov. 2007, n°06-18.395).

2.2 Les présomptions d’indivision

Les présomptions d’indivision peuvent avoir deux sources différentes :

  • La loi
  • La volonté des époux

a. Les présomptions d’indivision légales

a.1 La présomption générale d’indivision

La vie conjugale implique que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Aussi, afin de faciliter la preuve de la propriété de ces biens, le législateur a institué une règle qui, lorsqu’existe une incertitude sur la propriété d’un bien, fait présumer ce bien appartenir aux époux en indivision.

Cette règle, qui est issue de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965, est énoncée à l’article 1538 du Code civil qui prévoit que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ».

Par le jeu de cette présomption est ainsi instituée une masse indivise de biens qui, à certains égards, se rapproche de la masse commune instituée sous les régimes communautaires.

Elle s’en distingue néanmoins en ce que les biens qui la composent sont soumis au seul droit de l’indivision.

Il en résulte que le sort de cette masse indivise n’est pas lié à la durée du mariage. Plus précisément, cette masse peut cesser d’exister avant la dissolution du mariage, ce qui n’est pas le cas de la communauté qui est instituée pour toute la durée de l’union matrimoniale.

En effet, l’article 815 du Code civil prévoit que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention. ». La situation d’indivision peut donc cesser à tout instant du mariage.

À l’analyse, la présomption d’indivision est un dispositif qui permet d’atténuer le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens.

Comme observé par Gulsen Yildirimn elle « permet d’introduire un facteur d’équité dans l’établissement de la composition des patrimoines des époux. »

D’autres auteurs soulignent qu’« il est significatif de voir ainsi s’établir une union des intérêts pécuniaires, subrepticement en quelque sorte, et à la faveur d’une absence de preuve. Cela autorise à penser qu’une certaine communauté de meubles est peut-être, elle aussi, dans la nature des choses »[6].

S’agissant des effets de cette présomption, elle opère, tant dans les rapports entre époux, que dans les rapports avec les tiers.

  • Dans les rapports entre époux
    • La présomption d’indivision conduira les époux à se partager le bien lors de la dissolution du mariage.
    • Le partage donnera lieu à réparation du bien en deux parts égales, celui-ci étant présumé appartenir conjointement aux époux pour moitié.
  • Dans les rapports avec les tiers
    • La présomption d’indivision leur est opposable, de sorte que s’applique l’article 817 du Code civil aux termes duquel il leur est fait interdiction de saisir la quote-part indivise de l’époux débiteur.
    • Ils n’ont d’autre choix que de provoquer le partage de l’indivision.

a.2 La présomption de cotitularité du bail

==> Vue générale

L’article 1751 du Code civil prévoit que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux est titulaire d’un bail qui assure le logement de la famille, la titularité de ce bail est étendue à son conjoint.

Ainsi que le relève un auteur, est ainsi instituée une sorte d’« indivision forcée atypique »[7]. Cette thèse semble avoir été consacrée par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 27 janvier 1993, a affirmé que l’article 1751 du Code civil « crée une indivision, conférant à chacun des époux des droits et obligations identiques, notamment l’obligation de payer des loyers et accessoires » (Cass. 3e civ. 27 janv. 1993, n°90-21.825).

Bien que logée dans la partie du Code civil dédiée aux baux des maisons et des biens ruraux, la règle énoncée à l’article 1751 relève du régime primaire impératif puisque, comme précisé par le texte, elle est applicable « quel que soit » le régime matrimonial des époux.

Il s’agit donc là d’une disposition à laquelle il ne saurait être dérogé par convention contraire et notamment par l’établissement d’un contrat de mariage. Et il est indifférent que les époux aient opté pour un régime de communauté ou un régime de séparation de biens. La règle de cotitularité du bail prévaut.

Reste que le domaine de cette règle demeure circonscrit tout autant que ses effets ainsi que sa durée.

i. Le domaine de la protection instituée pour les baux

Pour que la protection instituée par l’article 1751 du Code civil puisse opérer, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, la cotitularité ne joue que s’il est question d’un droit au bail
  • D’autre part, seuls les baux d’habitation ne sont visés par la protection
  • Enfin, le local doit servir effectivement à l’habitation des époux

==> S’agissant de l’exigence d’un bail

Comme précisé par l’article 1751 du Code civil, le dispositif de protection institué n’a vocation à s’appliquer qu’en présence d’un bail.

Par bail, il faut entendre, selon l’article 1709 du Code civil, le contrat par lequel l’une des parties s’oblige (le bailleur) à faire jouir l’autre (le preneur ou locataire) d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle refusé de faire application de l’article 1751 à une convention d’occupation gratuite d’un immeuble qui se distingue d’un bail en ce qu’elle confère au preneur un droit précaire sur le local auquel il peut être mis fin à tout moment.

Dans un arrêt du 13 mars 2002, la Troisième chambre civile affirme que « les dispositions de l’article 1751 du Code civil ne sont pas applicables à une convention d’occupation gratuite d’un local » (Cass. 3e civ. 13 mars 2002, n°00-17.707).

Aussi, est-il absolument nécessaire qu’un bail soit conclu pour que la règle énoncée à l’article 1751 du Code civil puisse jouer.

À cet égard, il est indifférent que le bail ait été conclu avant le mariage ou qu’il soit assujetti à un statut spécifique, encore qu’il doive consister, a minima, en un bail d’habitation.

==> S’agissant de l’exigence d’un bail d’habitation

L’article 1751 du Code civil prévoit que l’extension de la titularité du bail au conjoint ne peut opérer qu’à la condition que les locaux loués soient affectés à un usage d’habitation.

Cette disposition exclut, en effet, de son champ d’application les baux conclus aux fins d’usage professionnel, commercial, rural ou mixte.

Il s’agit là, manifestement d’une différence avec l’article 215, al. 3e du Code civil qui ne distingue pas selon la destination du local. La protection instituée par cette disposition opère, en effet, dès lors que le local constitue le lieu de vie effectif de la famille.

==> S’agissant de l’exigence d’habitation effective du local loué

L’article 1751 du Code civil vise le seul « droit au bail du local […] qui sert effectivement à l’habitation de deux époux ».

Il en résulte que la protection instituée par cette disposition ne pourra pas jouer pour le bail qui se rapporte à une résidence secondaire et plus généralement à un local dans lequel la famille ne vit pas à titre habituel (V. en ce sens CA Orléans, 20 févr. 1964).

Dans le même sens, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que la cotitularité du bail n’avait pas vocation à jouer lorsque les époux n’avaient pas cohabité dans le local (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-21.276).

Pour que l’article 1751 s’applique le local disputé doit nécessairement avoir servi à l’habitation des deux époux (Cass. 3e civ. 28 janv. 1971, n°69-13.314).

ii. Les effets de la protection spéciale instituée pour les baux

L’extension de la titularité du bail au conjoint par le jeu de l’article 1751 du Code civil emporte plusieurs effets :

  • Premier effet
    • Le principal effet de l’instauration d’une cotitularité du bail et dont découlent tous les autres est qu’il « est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux».
    • Autrement dit, quand bien même le bail aurait été conclu, lors de l’entrée en possession des lieux, pas un époux seul, le mariage a pour effet de conférer à son conjoint la qualité de partie au contrat.
    • Il s’agit là, manifestement, d’une règle exorbitante du droit commun et plus précisément une dérogation à l’effet relatif des conventions.
    • En principe, seules les personnes qui ont participé à la conclusion d’un contrat acquièrent la qualité de partie à l’acte.
    • L’article 1751 du Code civil vient ici déroger à la règle en octroyant au conjoint, peu important qu’il ait consenti ou non à l’acte, la qualité de partie au contrat.
    • Selon le texte, il est « réputé» (terme qui signale une fiction juridique) être cotitulaire du bail.
  • Deuxième effet
    • Conséquence de l’extension de la titularité du bail au conjoint, le contrat ne peut faire l’objet d’aucune résiliation du chef d’un seul époux.
    • La résiliation du bail requiert, autrement dit, le consentement des deux époux.
    • Dans un arrêt du 20 février 1969, la Cour de cassation a jugé en ce sens que le congé donné par le mari seul ne peut avoir effet à l’égard de la femme, cotitulaire du droit au bail ( 3e civ. 20 févr. 1969).
    • Plus généralement, un époux ne peut disposer seul du bail, en ce sens qu’il ne peut, ni le résilier, ni le modifier.
    • La violation de cette interdiction est sanctionnée par l’inopposabilité de l’acte (V. en ce sens 1ère civ. 1er avr. 2009, n°08-15.929).
    • La Troisième chambre civile a, par ailleurs, précisé dans un arrêt du 19 juin 2002 que « le congé donné par un seul des époux titulaires du bail n’est pas opposable à l’autre et que l’époux qui a donné congé reste solidairement tenu des loyers » ( 3e civ. 19 juin 2002, n°01-00.652).
  • Troisième effet
    • Autre effet de la cotitularité du bail, les obligations stipulées dans le contrat pèsent sur les deux époux, en particulier l’obligation solidaire de paiement des loyers.
    • Dans un arrêt du 7 mai 1969, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait décidé, en application de l’article 1751 du Code civil, « que l’épouse est réputée par l’effet du bail conclu au profit du mari et dès cette époque co-preneur avec celui-ci en vertu d’un droit distinct et qu’elle est tenue personnellement des obligations qui en résultent».
    • Elle en déduit qu’elle était tenue solidairement du paiement des loyers avec son époux ( 1er civ. 1 mai 1969).
    • À l’examen, cette solidarité du paiement des loyers tient tout autant à l’application de l’article 1751 du Code civil, qu’à la convocation de la règle énoncée à l’article 220 du Code civil qui prévoit une solidarité des époux pour les dépenses ménagères.
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser qu’il était indifférent que l’époux poursuivi en paiement des loyers ait quitté les lieux, le critère déterminant étant le maintien du lien matrimonial (V. en ce sens 2e civ. 3 oct. 1990, n°88-18.453).
    • Or tant que ce lien perdure, l’article 1751 du Code civil continue à produire ses effets.
  • Quatrième effet
    • La jurisprudence considère que pour opérer, le congé donné par le bailleur doit être notifié individuellement aux deux époux, faute de quoi ce congé est inopposable au conjoint qui n’a pas été touché par la notification ( 3e civ. 10 mai 1989, n°88-10.363).
    • La solution est sévère pour le bailleur, dans la mesure où il est susceptible de n’avoir pas eu connaissance de la situation matrimoniale du preneur notamment lorsqu’il n’était pas marié au jour de la conclusion du bail.
    • Reste que la jurisprudence est constante sur l’application de cette règle dont les effets ont toutefois été atténués par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
    • Cette loi comporte, en effet, un article 9-1 qui prévoit que « nonobstant les dispositions des articles 515-4 et 1751 du code civil, les notifications ou significations faites en application du présent titre par le bailleur sont de plein droit opposables au partenaire lié par un pacte civil de solidarité au locataire ou au conjoint du locataire si l’existence de ce partenaire ou de ce conjoint n’a pas été préalablement portée à la connaissance du bailleur. »
    • Autrement dit, toute évolution de la situation matrimoniale du preneur doit être portée à la connaissance du bailleur, faute de quoi en cas de délivrance d’un congé, le conjoint ne sera pas fondé à se prévaloir, auprès du bailleur, de la cotitularité du bail.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 2005, la Cour de cassation n’a pas manqué de rappeler cette exigence en affirmant, s’agissant d’un congé qui avait été délivré au seul mari, que « l’article 9-1 de la loi du 6 juillet 1989 faisait peser sur le locataire une obligation d’information de son lien matrimonial impliquant une démarche positive de sa part envers son bailleur et que la preuve que cette information avait bien été donnée incombait au preneur, la cour d’appel, qui a souverainement retenu que cette preuve n’était pas rapportée, en a exactement déduit que le congé notifié à M. Y… seul était opposable à son épouse» ( 3e civ. 19 oct. 2005, n°04-17.039).
    • La Cour de cassation a toutefois précisé dans un arrêt du 9 novembre 2011 que l’absence de notification au bailleur du changement de situation matrimoniale du preneur était sans incidence sur la cotitularité du bail, soit sur les rapports entre époux ( 3e civ. 9 nov. 2011, n°10-20.287).
  • Cinquième effet
    • Au même titre que l’époux qui a conclu le bail, le conjoint qui, par l’effet du mariage, devient cotitulaire de ce bail, se voit conférer, un droit de préemption qu’il peut exercer en cas de projet de cession du bien loué.
    • Pour la Cour de cassation « il résulte de l’article 11 de la loi du 22 juin 1982, rapproché des dispositions de l’article 1751 du Code civil, qu’en cas de vente d’un immeuble servant à l’habitation des deux époux, chacun d’eux bénéficie d’un droit de préemption aux conditions fixées par le propriétaire» ( 3e civ. 16 oct. 1996, n°89-20.260).

iii. La durée de la protection spéciale instituée pour les baux

L’article 1751 du Code civil envisage à ses alinéas 2 et 3 le sort du bail en cas, d’une part, de divorce ou de séparation de corps, et, d’autre part, de décès d’un des époux.

  • S’agissant du divorce ou de la séparation de corps
    • L’alinéa 2 de l’article 1751 du Code civil prévoit que « en cas de divorce ou de séparation de corps, ce droit pourra être attribué, en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause, par la juridiction saisie de la demande en divorce ou en séparation de corps, à l’un des époux, sous réserve des droits à récompense ou à indemnité au profit de l’autre époux.»
    • Ainsi, revient-il au juge de décider du sort du bail, sauf à ce que les époux s’entendent sur son attribution.
    • Lorsqu’aucun accord ne sera trouvé entre les époux, il appartiendra au juge de se déterminer en considération « des intérêts sociaux et familiaux en cause».
  • S’agissant du décès d’un des époux
    • L’alinéa 3 de l’article 1751 prévoit que « en cas de décès d’un des époux ou d’un des partenaires liés par un pacte civil de solidarité, le conjoint ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci sauf s’il y renonce expressément. »
    • Issue de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, cette disposition confère au conjoint survivant un droit exclusif sur le bail.
    • Cette loi a ainsi mis fin à une situation qui, par une application stricte de l’article 1751 du Code civil, conduisait à mettre le conjoint survivant en concurrence avec les ayants droit de l’époux décédé quant à la titularité du bail.
    • Désormais, il est protégé et dispose d’une option qui lui octroie la faculté de se maintenir dans les lieux ou de renoncer au bail.

b. Les présomptions d’indivision conventionnelles

En application du principe de liberté des conventions matrimoniales, les époux peuvent insérer dans leur contrat de mariage une clause qui institue une présomption d’indivision qui aura vocation s’appliquer à une ou plusieurs catégories de biens.

Depuis que la loi a institué une présomption d’indivision pourvue d’une portée générale, la stipulation d’une telle clause a grandement perdu de son intérêt.

Reste qu’il pourra être recouru à ce dispositif contractuel pour les meubles meublants qui garnissent le logement familial et plus généralement tous les lieux où les époux résident.

Sous l’empire du droit antérieur à la loi du 13 juillet 1965, on s’était demandé si les présomptions d’indivision conventionnelles étaient opposables aux tiers.

L’article 1538, al. 2e du Code civil tranche désormais cette question en prévoyant que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l’égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s’il n’en a été autrement convenu. »

La conséquence de l’opposabilité des présomptions d’indivision conventionnelles aux tiers est le renversement de la charge de la preuve.

Autrement dit, c’est au créancier saisissant d’établir que le bien sur lequel il exerce ses poursuites appartient exclusivement à l’époux débiteur.

Dans un arrêt du 29 janvier 1974, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la clause de présomption d’indivision figurant dans le contrat de mariage des époux séparés de biens est opposable au créancier, de sorte qu’il appartient à ce dernier d’administrer la preuve du droit de propriété exclusif de son débiteur sur les biens litigieux (Cass. 1ère civ. 29 janv. 1974, n°72-12.670).

B) La preuve de la propriété

La vie conjugale implique que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Pour cette raison, la preuve de la propriété présente un enjeu particulièrement important pour les époux mariés sous le régime de la séparation de biens.

Des conflits surviendront notamment à la dissolution du mariage, les époux se disputant, au moment du partage, la propriété de tel ou tel bien.

Afin de régler ces conflits, à tout le moins de les prévenir, le législateur a inséré dans le Code civil une disposition qui traite de la preuve de la propriété sous le régime de la séparation de biens.

Cette disposition instaure un dispositif qui distingue selon que les époux ont ou non stipulé dans leur contrat de mariage des présomptions de propriété.

1. La preuve de la propriété en l’absence de présomptions de propriété

==> La charge de la preuve

En l’absence de présomption conventionnelle de propriété, la charge de la preuve pèse sur l’époux qui revendique la propriété d’un bien.

L’article 1538, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « tant à l’égard de son conjoint que des tiers, un époux peut prouver par tous les moyens qu’il a la propriété exclusive d’un bien. »

Il peut être observé que si la règle énoncée par cette disposition ne vise que le cas où celui qui se prévaut de la propriété d’un bien est un époux, elle s’applique également à l’hypothèse où c’est un tiers qui cherchera à attribuer la propriété d’un bien à l’un ou l’autre époux.

Il y aura notamment intérêt lorsqu’il voudra exercer des poursuites sur ce bien, au titre d’une créance qu’il détient contre son débiteur.

==> Objet de la preuve

La preuve de la propriété n’est pas des plus aisée à rapporter. Pour y parvenir, il convient, en effet, d’établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien. Or cela suppose d’être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, ce qui, a priori, est impossible.

D’où la présentation de la preuve de la propriété comme la « probatio diabolica », car seul le diable serait en capacité de la rapporter.

Quoi qu’il en soit, cette preuve doit être rapportée par l’époux qui revendique la propriété d’un bien, faute de quoi, conformément au troisième alinéa de l’article 1538 du Code civil, le bien revendiqué sera réputé appartenir indivisément à chacun des époux pour moitié.

Cette preuve de la propriété est-elle insurmontable ? Il n’en est rien. Comme observé par le Professeur Revêt « la propriété se prouve par sa cause : l’acquisition ».

Aussi, la propriété d’un bien se prouvera différemment selon le mode d’acquisition de ce bien. Il convient, en particulier, de distinguer les modes d’acquisition originaires, des modes d’acquisition dérivés.

  • L’acquisition originaire
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété qu’il ne tient pas d’autrui
    • Le droit dont il est titulaire n’a été exercé par personne et résulte d’un fait juridique.
    • Tel est le cas de l’occupation, de la prescription, de la présomption de propriété ou encore de l’accession
    • Dans cette configuration, l’acquisition de la propriété n’exige pas que l’acquéreur noue un rapport juridique avec une autre personne.
    • L’acquisition n’intéresse que lui et la chose
    • La preuve de la propriété consistera donc ici à établir les circonstances de création de ce lien entre le propriétaire et la chose
      • En cas d’acquisition d’un bien par occupation, il s’agira de démontrer l’entrée en possession de la chose et la volonté d’en être le propriétaire
      • En cas d’acquisition par prescription, il s’agira de démontrer que la possession est caractérisée, tant dans ses éléments constitutifs, que dans ses caractères.
      • En cas d’acquisition par accession, il conviendra de rapporter la preuve du fait d’accroissement ou de production

  • L’acquisition dérivée
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété par voie de transfert du droit
    • Autrement dit, le bien appartenait, avant le transfert de sa propriété, à une autre personne, de sorte que l’acquéreur détient son droit d’autrui.
    • Ce mode d’acquisition de la propriété procède toujours de l’accomplissement d’un acte juridique, tels qu’un contrat, un échange, un testament, une donation etc.
    • Dans cette configuration, un rapport juridique doit nécessairement se créer pour que l’acquisition emporte transfert de la propriété
    • La preuve de la propriété consistera ici à établir l’existence d’un transfert de propriété et plus précisément à remonter le fil des transmissions, ce qui ne sera pas sans soulever des difficultés en matière mobilière.

==> Les modes de preuve

S’agissant des modes de preuves admis quant à établir la propriété d’un bien, l’article 1538 du Code civil prévoit que la preuve peut être rapportée « par tous moyens ».

Cela signifie que tous les modes de preuves sont admis. Est-ce à dire qu’ils se valent tous ? Il n’en est rien.

Le titre de propriété est, sans aucun doute, le mode de preuve qui est pourvu de la plus grande force probante.

Reste qu’il ne sera établi, en général, que pour les immeubles étant précisé que la jurisprudence considère que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Autrement dit, il est indifférent que le bien ait été financé par un époux en particulier : le titre prime en tout état de cause sur la finance. C’est donc l’époux titulaire du titre qui endosse la qualité de propriétaire du bien.

S’agissant des meubles, cette question ne se posera pas, à tout le moins qu’à titre exceptionnel, dans la mesure il est rare qu’un titre de propriété soit établi lors de l’acquisition de cette catégorie de biens.

Parfois, les meubles acquis avant le mariage feront l’objet d’une énumération dans le contrat de mariage, ce qui permettra d’éviter que les époux se disputent la propriété de ces biens lors de la liquidation de leur régime matrimoniale.

Pour les meubles acquis au cours du mariage, sauf à ce qu’ils aient été expressément visés dans une donation ou un testament, la possession devrait constituer le mode normal de preuve de la propriété.

Reste que pour produire ses effets, elle doit présenter les caractères requis par l’article 2261 du Code civil qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que pour être efficace, la possession ne doit être affectée d’aucun vice. Elle doit, autrement dit, être utile.

Par utile, il faut entendre susceptible de fonder une prescription acquisitive. On dit alors que la possession est utile ad usucapionem, soit par l’usucapion.

Si la situation des époux séparés de biens ne fait pas obstacle à la réunion des trois premiers caractères de la possession utile (continue, paisible et publique), il en va différemment de l’exigence tenant à l’absence d’équivoque.

Par hypothèse, les époux, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, partagent une communauté de vie, ce qui implique qu’ils mettent en commun leurs biens meubles.

Aussi, s’avérera-t-il délicat de déterminer si le possesseur détient la chose à titre exclusif ou si la possession est partagée.

Cette situation conduit, en pratique, à une confusion des biens meubles, ce qui est de nature à rendre la possession équivoque.

Compte tenu de la difficulté à établir l’absence d’équivoque de la possession pour les biens meules, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que « les règles de preuve de la propriété entre époux séparés de biens, édictées par l’article 1538 du Code civil, excluent l’application de l’article 2279 [nouvellement 2276] du même Code » (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-10.051).

Ainsi, pour la Première chambre civile, la règle énoncée à l’article 2276 du Code civil qui confère un titre de propriété à celui qui possède – de bonne foi – un meuble, est paralysée sous l’effet du régime de la séparation de biens.

Bien que vivement critiquée par les auteurs, cette position a été confirmée dans un arrêt du 27 novembre 2001 (Cass. 1ère civ. 27 nov. 2001, n°99-10.633).

Dans ces conditions, la preuve de la propriété devra se faire selon d’autres moyens, ce qui pourra consister à produire des témoignages et plus généralement toutes sortes d’indices.

Ces indices pourront notamment résulter de factures, bien qu’il ne s’agisse pas d’un écrit au sens du droit de la preuve.

Dans un arrêt du 10 mars 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1538 du Code civil, « qu’une facture, même non acquittée, est de nature à établir, sauf preuve contraire, l’acquisition d’un bien par celui au nom duquel elle est établie » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1993, n°91-13.923).

Elle ajoute, dans cette même décision, « que la propriété d’un bien appartient à celui qui l’a acquis sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont l’acquisition a été financée ».

Les factures ne sont pas les seuls indices susceptibles de prouver la propriété d’un bien acquis par un époux séparé de biens. La jurisprudence a également admis que la preuve puisse être rapportée au moyen de certificats de garantie ou d’origine (CA Versailles 12 déc. 1988).

Pour les véhicules immatriculés, la preuve de leur propriété pourra résulter de la carte grise qui a été établie au nom d’un époux (CA Paris, 4 févr. 1982).

Si, en droit commun de la preuve, on n’accorde aux documents qui ne remplissent pas les conditions d’un écrit qu’une faible valeur probante, car ne prouvant, tout au plus, que le paiement par celui au nom duquel ils sont établis, à l’analyse, il en va différemment lorsque la preuve est rapportée dans le cadre matrimonial.

La jurisprudence reconnaît, en effet, aux indices que sont les factures, les certificats et autres documents contractuels, la valeur d’une présomption simple, en ce sens qu’ils permettent d’établir la propriété du bien jusqu’à la preuve contraire.

C’est là une certaine faveur qui est consentie aux époux séparés de bien pour lesquels le fardeau de la preuve se trouve ainsi allégé.

2. La preuve de la propriété en présence de présomptions de propriété

Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, la principale difficulté soulevée par la composition des patrimoines réside dans la détermination de la propriété de tel ou tel bien.

Pour résoudre cette difficulté, les époux avaient pris l’habitude d’insérer systématiquement dans leur contrat de mariage une clause de style visant à instituer une présomption d’indivision en cas de doute qui surviendrait sur la propriété d’un bien.

Aujourd’hui, cette clause est devenue inutile. Elle a été intégrée à l’article 1538 du Code civil qui prévoit désormais que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié. »

Reste que, en cas de litige, cette issue sera, la plupart du temps, envisagée par les époux comme un dernier recours. Ces derniers chercheront toujours à prouver que le bien disputé leur appartient de manière exclusive.

Afin de faciliter cette preuve, ils disposent de la faculté d’aménager, en amont, leur régime matrimonial.

L’objectif recherché par les époux sera donc de prévenir toute difficulté de reconstitution des masses lors de la liquidation de leur régime matrimonial.

Pour ce faire, il est d’usage d’instituer conventionnellement des présomptions de propriété qui consistent à stipuler que telle catégorie de biens est réputée à partir à tel époux.

Ces présomptions seront le plus souvent stipulées pour les meubles corporels, les difficultés tenant à la preuve se concentrant, pour l’essentiel, sur cette catégorie de bien.

S’agissant des effets attachés aux présomptions de propriété, il n’est pas douteux qu’elles jouent dans les rapports entre époux, mais pas seulement.

L’article 1538, al. 2e du Code civil prévoit, en effet, que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l’égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s’il n’en a été autrement convenu ».

Il résulte de cette disposition que les clauses instituant une présomption de propriété sont opposables erga omnes, ce qui implique que les époux sont fondés à s’en prévaloir à l’égard des tiers.

Plus précisément, les présomptions de propriété joueront, tant à l’égard des créanciers de l’époux au profit duquel elles sont stipulées, qu’à l’égard des créanciers du conjoint.

La question qui alors se pose est de savoir s’il s’agit là de règles de propriété, ce qui aurait pour conséquence de conférer un caractère irréfragable aux présomptions de propriété ou si elles poursuivent une finalité seulement probatoire, de sorte qu’elles pourraient souffrir de la preuve contraire.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’alinéa 3 de l’article 1538 qui prévoit que « la preuve contraire sera de droit, et elle se fera par tous les moyens propres à établir que les biens n’appartiennent pas à l’époux que la présomption désigne, ou même, s’ils lui appartiennent, qu’il les a acquis par une libéralité de l’autre époux. »

Aussi, est-il fait interdiction aux époux de conférer un caractère irréfragable aux présomptions de propriété stipulées dans leur contrat de mariage. Il s’agit là d’une règle d’ordre public.

Ces présomptions doivent donc pouvoir être renversées, par tous moyens, par les tiers, ce qui fait d’elles des règles, non pas de propriété, mais de preuve.

Dans un arrêt du 19 juillet 1988, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1538, al. 2e du Code civil, « qu’il résulte de cet article que la preuve contraire des présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage est de droit et se fait par tous les moyens propres à établir que les biens n’appartiennent pas à l’époux que la présomption désigne ; que ce texte ne distingue pas entre la propriété privative et la propriété indivise ayant pu exister entre les époux » (Cass. 1ère civ. 19 juill. 1988, n°86-10.348).

Ainsi, non seulement une présomption de propriété doit, en tout état de cause, pouvoir être combattue par la preuve contraire, mais encore la preuve doit pouvoir être rapportée par tous moyens.

Il est donc fait interdiction aux époux, non seulement de conférer un caractère irréfragable aux présomptions de propriété stipulées dans leur contrat de mariage, mais encore de restreindre les modes de preuves légalement admis.

Au nombre de ces modes de preuves, la présomption de propriété pourra être combattue par la production de témoignages ou de simples indices établissant que le bien disputé n’appartient pas à l’époux au profit duquel cette présomption est stipulée.

Dans un arrêt du 30 juin 1993, la Cour de cassation a, par ailleurs, admis que la preuve puisse être rapportée au moyen d’une convention conclue entre époux aux termes de laquelle la propriété du bien est reconnu à l’un d’eux à titre exclusif.

Au soutien de sa décision, elle a affirmé que « sous le régime de la séparation de biens, un époux peut prouver, par tous moyens, qu’il a la propriété exclusive d’un bien et écarter par la preuve contraire les présomptions de propriété stipulées par le contrat de mariage ; qu’un acte établi au cours du mariage entre époux séparés de biens, pour reconnaître à l’un d’eux, la propriété personnelle de certains biens, ne constitue pas une convention modificative du régime matrimonial mais un simple moyen de preuve destiné à écarter ces présomptions » (Cass. 1ère civ. 30 juin 1993, n°90-17.602).

On peut enfin signaler un autre arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 21 juin 1983, aux termes duquel elle décide que la situation de confusion des patrimoines est de nature à tenir en échec la clause instituant une présomption de propriété sur un bien qui l’on ne pourrait plus identifier comme appartenant à l’un ou l’autre époux (Cass. 1ère civ. 21 juin 1983, n°82-13.542).

II) La répartition du passif

A) Principe

Le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens ne joue pas seulement pour l’actif du couple marié, il opère également pour le passif.

L’article 1536, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que chacun des époux « reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage, hors le cas de l’article 220. »

Il ressort de cette disposition que les époux séparés de biens sont tenus des dettes nées de leur propre chef, avant la célébration du mariage que postérieurement.

Pratiquement, cela signifie que les dettes contractées par un époux seul ne sont exécutoires que sur son patrimoine propre, à l’exclusion des biens personnels de son conjoint.

Sous le régime de la séparation de biens, en raison de l’absence de masse commune, la distinction entre l’obligation à la dette et la contribution à la dette est inopérante.

Seul peut être poursuivi par les créanciers l’époux auquel incombe la charge de la dette, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’établir un passif provisoire.

Aussi, la corrélation entre l’actif et le passif est ici parfaite : ce sont les biens de l’époux qui a personnellement contracté la dette qui répondent du passif, tant au plan de l’obligation à la dette, qu’au plan de la contribution.

À cet égard, dans l’hypothèse où un époux réglerait la dette de son conjoint, il dispose d’un recours contre celui-ci.

B) Exceptions

Le principe de séparation des patrimoines au plan du passif connaît de nombreuses exceptions qui intéressent notamment les obligations solidaires et conjointes auxquelles sont susceptibles d’être tenus les époux séparés de biens.

==> Les dettes solidaires

L’article 1536, al. 2e du Code civil assortit le principe de séparation des patrimoines quant au passif d’une exception : les dettes visées par l’article 220 du Code civil soit, les dettes souscrites pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants.

Ces dettes présentent la particularité d’être solidaires, pourvu qu’elles ne soient manifestement pas excessives (art. 220, al. 2e C. civ.), ni ne résultent d’un emprunt qui ne serait pas modeste ou d’un achat à tempérament (art. 220, al. 3e C. civ.)

À la vérité, le principe de séparation des patrimoines sera écarté toutes les fois que les époux auront contracté une dette solidaire.

Ainsi, lorsqu’une dette est frappée de solidarité, les deux époux sont engagés sur le même plan.

Chacun d’eux peut être actionné en paiement par le créancier pour le tout.

Il en résulte que, quand bien même la dette est née du chef d’un seul époux, elle est exécutoire sur l’ensemble des biens du couple soit :

  • Sur les biens propres de l’époux souscripteur
  • Sur les biens propres du conjoint
  • Sur les biens que les époux possèdent en indivision

À cet égard, en application de l’article 1310 du Code civil, « la solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas. »

Pour opérer, la solidarité doit donc être prévue :

  • Soit par la loi
  • Soir par un contrat

S’agissant de la solidarité légale, elle est énoncée notamment :

  • Par l’article 220 du Code civil pour les dépenses ménagères
  • Par l’article 1685 du Code général des impôts pour les dettes fiscales
  • Par l’article 1242, al. 4e du Code civil pour les dettes résultant de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants

S’agissant de la dette de loyer, il est également admis qu’elle soit frappée de solidarité en application de la combinaison des articles 220 et 1751 du Code civil.

Pour mémoire, cette seconde disposition prévoit que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »

Il ressort de ce texte que lorsqu’un époux est titulaire d’un bail qui assure le logement de la famille, la titularité de ce bail est étendue à son conjoint.

L’une des conséquences du principe ainsi posé est que les obligations stipulées dans le contrat de bail pèsent sur les deux époux, en particulier l’obligation solidaire de paiement des loyers.

Dans un arrêt du 7 mai 1969, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait décidé, en application de l’article 1751 du Code civil, « que l’épouse est réputée par l’effet du bail conclu au profit du mari et dès cette époque co-preneur avec celui-ci en vertu d’un droit distinct et qu’elle est tenue personnellement des obligations qui en résultent ».

Elle en déduit qu’elle était tenue solidairement du paiement des loyers avec son époux (Cass. 1er civ. 1 mai 1969).

À l’examen, cette solidarité du paiement des loyers tient tout autant à l’application de l’article 1751 du Code civil, qu’à la convocation de la règle énoncée à l’article 220 du Code civil qui prévoit une solidarité des époux pour les dépenses ménagères.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser qu’il était indifférent que l’époux poursuivi en paiement des loyers ait quitté les lieux, le critère déterminant étant le maintien du lien matrimonial (V. en ce sens Cass. 2e civ. 3 oct. 1990, n°88-18.453). Or tant que ce lien perdure, l’article 1751 du Code civil continue à produire ses effets.

Quoi qu’il en soit, en l’absence de solidarité légale ou conventionnelle, c’est au créancier qu’il appartient de prouver que la dette contractée est solidaire (Cass. com. 19 mai 1982, n°80-15.797).

Si l’obligation a été souscrite par les deux époux et que la preuve de la solidarité n’est pas rapportée, cette obligation est présumée être conjointe.

==> Les dettes conjointes

Lorsque les époux souscrivent ensemble un engagement, faute de solidarité prévue par la loi ou stipulée dans l’acte, l’obligation à laquelle ils sont tenus est conjointe.

C’est là une application du droit commun des obligations et plus précisément de l’article 1309 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « l’obligation qui lie plusieurs créanciers ou débiteurs se divise de plein droit entre eux ».

Autrement dit, dans l’hypothèse où une obligation comporte plusieurs sujets, le principe instauré par le législateur est la division de l’obligation en autant de rapports indépendants qu’il existe de créanciers ou de débiteurs.

La conséquence attachée par l’article 1309, al. 2 du Code civil à cette configuration de l’obligation est double :

  • Chacun des créanciers n’a droit qu’à sa part de la créance commune
    • Cela signifie que chaque créancier ne pourra réclamer au débiteur que la part de la dette due personnellement par celui-ci
    • Pour obtenir le paiement complet de sa créance, le créancier devra, en conséquence, diviser ses poursuites envers chaque débiteur pris individuellement
  • Chacun des débiteurs n’est tenu que de sa part de la dette commune
    • Cela signifie que chaque débiteur n’est obligé qu’à concurrence de sa part dans la dette
    • Le débiteur sera donc libéré de son obligation dès qu’il aura exécuté la part de son obligation

Appliqué au couple marié sous le régime de la séparation de biens, le principe énoncé par l’article 1309, s’il est sans incidence sur l’étendue du gage des créanciers, lequel s’étend aux biens propres des deux époux, il les contraint à diviser leurs poursuites.

En d’autres termes, chaque époux ne pourra être actionné en paiement sur ses biens propres que pour la moitié de la dette conjointe, alors que lorsque la solidarité joue, ils peuvent être actionnés en paiement pour le tout.

§2: La gestion des patrimoines

==> Vue générale

Dans sa rédaction initiale, le Code civil prévoyait que la femme mariée était frappée d’une incapacité d’exercice générale de sorte que pour aliéner ses biens propres elle devait obtenir le consentement de son mari.

Il a fallu attendre la loi du 13 février 1938 pour que l’incapacité civile de la femme mariée et que, par voie de conséquence, elle jouisse d’une certaine indépendance patrimoniale.

La loi du 13 juillet 1965 a franchi un pas supplémentaire vers l’émancipation de l’épouse de la tutelle de son mari.

Animé par la volonté d’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux, le législateur a reconnu à la femme mariée le droit de gérer ses biens personnels quel que soit le régime matrimonial applicable.

Cette règle a été formulée à l’ancien article 223 du Code civil qui disposait que « la femme a le droit d’exercer une profession sans le consentement de son mari, et elle peut toujours, pour les besoins de cette profession, aliéner et obliger seule ses biens personnels en pleine propriété. »

Vingt ans plus tard, le législateur a souhaité parachever la réforme qu’il avait engagée en 1965, l’objectif recherché était de supprimer les dernières marques d’inégalité dont étaient encore empreintes certaines dispositions.

Dans ce contexte, il a saisi l’occasion pour la toiletter la règle énoncée à l’article 223 qui reconnaissait à la femme mariée le pouvoir d’administrer et de disposer de ses biens propres sans le consentement de son mari.

Transférée à l’article 225 du Code civil, la nouvelle règle, toujours en vigueur aujourd’hui, prévoit que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels. »

Si, à l’analyse, la loi du 23 décembre 1985 n’a apporté aucune modification sur le fond du dispositif, sur la forme elle a « bilatéralisé » la règle.

Désormais, l’article 225 du Code civil confère à chaque époux un pouvoir de gestion exclusive de ses biens personnels, ce qui comprend, tant les actes d’administration, que les actes de disposition.

À cet égard, pour les époux séparés de biens, cette disposition est reprise en des termes similaires à l’article 1536, al. 1er du Code civil.

I) Principe

L’article 1536, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque les époux ont stipulé dans leur contrat de mariage qu’ils seraient séparés de biens, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels. »

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • Les biens propres des époux sous soumis à leur gestion exclusive, ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire pour eux d’obtenir le consentement pour les administrer ou en disposer.
    • Ils jouissent s’agissant de la gestion de leurs biens propres d’une autonomie des plus totales.
    • Surtout, cette autonomie est conférée aux deux époux, ces derniers étant placés sur un pied d’égalité.
    • Il n’est plus besoin pour la femme mariée d’obtenir le consentement de son mari pour disposer de ses biens propres, comme c’était le cas lorsqu’elle était frappée d’une incapacité d’exercice générale.
  • Second enseignement
    • Les époux sont investis sur leurs biens propres des pouvoirs les plus étendus.
    • En effet, ils sont autorisés à accomplir
      • D’une part, des actes d’administration
        • Pour mémoire, les actes d’administration se définissent comme les actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne dénués de risque anormal.
        • Il s’agit, autrement dit, de tout acte qui vise à assurer la gestion courante d’un ou plusieurs biens sans que le patrimoine de son propriétaire s’en trouve modifié de façon importante.
      • D’autre part, des actes de disposition
        • Par actes de disposition, il faut entendre les actes qui engagent le patrimoine de la personne, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire.
        • Autrement dit, les actes de disposition correspondent aux actes les plus graves qui ont pour effet de modifier le patrimoine du propriétaire du bien sur lequel porte l’acte considéré.
      • Enfin, des actes de jouissance
        • Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir conféré au propriétaire de percevoir les revenus, les fruits que le bien lui procure.
        • Pour le propriétaire d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers qui lui sont réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

À l’analyse, la règle énoncée par l’article 225 du Code civil apparaît pour le moins redondante avec les règles spécifiques propres à chaque régime matrimonial et notamment avec l’article 1536, al. 1er applicable aux époux séparés de biens.

Qu’il s’agisse, en effet, d’un régime communautaire ou d’un régime séparatiste, tous confèrent aux époux le droit d’administrer et de disposer seul de leurs biens propres.

Aussi, pour la doctrine, le principal intérêt de cette disposition réside dans son intégration dans le régime primaire ce qui en fait une règle d’ordre public.

Il en résulte que les époux ne peuvent pas y déroger par convention contraire. Il leur est donc fait interdiction de stipuler dans un contrat de mariage :

  • Soit qu’un époux renonce à la gestion de ses biens propres, hors les cas de mandat, ce qui reviendrait à faire revivre la clause d’unité d’administration définitivement abolie par la loi du 23 décembre 1985
  • Soit qu’un époux se réserve le droit d’engager les biens propres de son conjoint pour les dettes contractées à titre personnel

L’autonomie patrimoniale des époux repose ainsi sur un socle de droits irréductibles, ce qui permet, non seulement de leur garantir une certaine indépendance, mais encore de faire obstacle à toute tentative de remise en cause de l’égalité qui préside aux rapports conjugaux.

II) Tempéraments

Si les articles 1536, al. 1er et 225 du code civil reconnaissent, à chaque époux, le pouvoir de gérer seul ses biens propres, ce pouvoir est assorti de plusieurs limites :

A) Première limite : la protection du logement familial

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. ».

Il ressort de cet article que l’accomplissement d’actes de disposition sur la résidence familiale est soumis à codécision.

Aussi, quand bien même le logement de famille appartient en propre à un époux, celui-ci doit obtenir le consentement de son conjoint pour réaliser l’acte envisagé.

La violation de cette règle est sanctionnée par la nullité – relative – de l’acte accomplir par un époux en dépassement de ses pouvoirs.

L’article 215, al.3e prime ainsi les articles 225 et 1536, al. 1er du Code civil qui s’effacent donc lorsque le bien en présence est le logement familial.

Encore faudra-t-il qu’il endosse cette qualification, ce qui ne sera notamment pas le cas pour une résidence secondaire.

B) Deuxième limite : le jeu des présomptions de pouvoirs

Autre limite au principe de gestion exclusive des biens propres : les règles instituant des présomptions de pouvoirs conférant aux époux la faculté de disposer librement, à titre individuel, de certains biens.

Tel est notamment le cas des présomptions instituées en matière bancaire et mobilière ou encore en matière d’exploitation commune d’une entreprise commerciale, artisanale, libérale ou agricole :

  • S’agissant de la présomption de pouvoir instituée en matière bancaire
    • L’article 221, al. 2e du Code civil prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.
    • Pratiquement, cette présomption dispense le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.
    • Plus précisément, elle a pour effet de réputer l’époux titulaire du compte « avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
  • S’agissant de la présomption de pouvoir instituée en matière mobilière
    • L’article 222 du Code civil prévoit que « si l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir en matière mobilière, laquelle n’est autre que le corollaire de la présomption qui joue en matière bancaire.
    • Concrètement, cela signifie que la responsabilité du tiers ne saurait être recherchée au motif qu’il n’aurait pas exigé de l’époux avec lequel il a traité des justifications sur ses pouvoirs.
    • Les époux sont réputés, à l’égard des tiers, avoir tous pouvoirs pour accomplir les actes d’administration, de jouissance et de disposition sur les biens meubles qu’ils détiennent individuellement.
  • S’agissant de la présomption instituée en matière d’exploitation commerciale, artisanale et libérale
    • Lorsque le conjoint d’un commerçant ou d’un artisan a opté pour le statut de conjoint collaborateur au sens de l’article L. 121-4 du Code de commerce, la loi lui confère un pouvoir de représentation du chef de l’entreprise.
    • L’article L. 121-6 du Code de commerce prévoit en ce sens que « le conjoint collaborateur, lorsqu’il est mentionné au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou au registre des entreprises tenu par les chambres de métiers d’Alsace et de Moselle est réputé avoir reçu du chef d’entreprise le mandat d’accomplir au nom de ce dernier les actes d’administration concernant les besoins de l’entreprise. »
    • Le pouvoir de représentation conféré au conjoint collaborateur s’ajoute à ceux dont il est investi au titre de son régime matrimonial.
    • L’intérêt d’autoriser le conjoint du commerçant ou de l’artisan à accomplir des actes de gestion de l’entreprise est double :
      • D’une part, cela permet de protéger le patrimoine du conjoint qui n’est pas engagé par les actes qu’il accomplit dans le cadre de la gestion de l’entreprise, dans les mesures où ces actes sont réputés avoir été passés par l’exploitant lui-même
      • D’autre part, cela permet de protéger les tiers qui, lorsqu’ils traitent avec le conjoint du chef d’entreprise ont la garantie que les actes conclus avec ce dernier ne pourront pas être remis en cause
    • Ce sont ces deux raisons qui ont conduit le législateur à instituer, lors de l’adoption de la loi n° 82-596 du 10 juillet 1982, une présomption de mandat au profit du conjoint collaborateur.
  • S’agissant de la présomption instituée en matière d’exploitation agricole
    • L’article L. 321-1 du Code rural institue une présomption de mandat en cas de participation des époux à une même exploitation agricole, quand bien même cette exploitation appartient en propre à un seul époux.
    • Cette disposition prévoit en ce sens que le mandataire est réputé avoir reçu le pouvoir « d’accomplir les actes d’administration concernant les besoins de l’exploitation. »
    • Ainsi, l’époux mandataire est-il autorisé à accomplir des actes de gestion de l’entreprise pour le compte de son conjoint et s’il est coexploitant pour son propre compte.
    • Autrement dit, il ne lui est pas nécessaire, et c’est là une dérogation au droit commun, de justifier d’un mandat exprès ou tacite, pour agir dans les rapports avec les tiers.
    • À l’instar du mandataire social de l’entreprise, le pouvoir de représentation dont le mandataire est titulaire lui est directement conféré par la loi.

C) Troisième limite : l’aménagement judiciaire des pouvoirs

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[8] et plus encore, comme son « acte fondateur »[9], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

  • L’autorisation judiciaire
    • Cette mesure est envisagée à l’article 217 du Code civil.
    • Lorsqu’elle est prononcée, elle permet à un époux d’accomplir un acte en son nom personnel en se dispensant de recueillir le consentement de son conjoint.
    • Il peut être observé que cette mesure ne pourra être adoptée que dans des cas très exceptionnels lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens.
    • Elle n’intéresse, en effet, que les actes qui requièrent le consentement des deux époux.
    • Or sous le régime de la séparation de biens, les époux jouissent d’une autonomie de gestion des plus totales.
    • Seuls les actes de disposition portant sur le logement de famille sont soumis à cogestion, ainsi que ceux qui font l’objet d’une indivision.
  • La représentation judiciaire
    • La mesure de représentation judiciaire est envisagée à l’article 219 du Code civil.
    • Ce texte prévoit que « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • Il ressort de cette disposition qu’un époux peut donc se faire habiliter judiciairement à l’effet d’agir en représentation de son conjoint, soit d’accomplir des actes au nom et pour le compte de ce dernier sur ses biens propres
  • La sauvegarde judiciaire
    • L’article 220-1 du Code civil dispose, en effet, que « si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le président du tribunal de grande instance peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts. »
    • Aussi, dans l’hypothèse, où la gestion par un époux de ses biens propres serait de nature à mettre en péril les intérêts de la famille, le juge serait investi du pouvoir d’intervenir.
    • Reste que pour donner lieu à la prescription de mesures urgentes, la mise en péril des intérêts de la famille doit avoir pour cause, prévoit le texte, des manquements graves aux devoirs du mariage.
    • Or on voit mal comment la gestion des biens propres fût-ce-t-elle illégale serait constitutif d’une violation des devoirs du mariage.
    • À supposer que cela soit le cas, ce qui correspondra à des situations très marginales, le juge ne pourra prescrire que des mesures temporaires dont la durée ne peut pas excéder trois ans.

À l’analyse, tandis que les deux premières mesures (autorisation et représentation judiciaires) visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure (sauvegarde judiciaire) a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.

Dans tous les cas, les mesures susceptibles d’être prises affectent l’indépendance des époux séparés de biens.

S’agissant de la possibilité offerte à un époux sous le régime légal d’obtenir le dessaisissement des pouvoirs de son conjoint sur ses biens personnels (art. 1429 C. civ.), elle n’est pas envisagée pour le régime de la séparation de biens.

D) Quatrième limite : l’intervention d’un époux dans la gestion des biens de son conjoint

Bien que la loi confère à chaque époux un pouvoir de gestion exclusif sur ses biens propres, en pratique il n’est pas rare qu’un époux s’immisce dans les affaires de son conjoint.

Si, cette immixtion intervient, le plus souvent, dans le cadre de la relation de confiance qui s’est instaurée entre les deux, il est des cas où le conjoint ne sera pas animé d’une intention des plus nobles.

Aussi, se posera la question de la portée, sinon de la validité des actes qui, parfois, auront été accomplis sans l’accord, à tout le moins exprès, du conjoint.

Conscient de grande variété des pratiques conjugales susceptibles d’être adoptées dans la vie du ménage, dès 1965 le législateur s’est emparé du sujet en envisageant trois hypothèses :

  • Le mandat confié par un époux à l’autre quant à la gestion de ses biens propres ( 1539 C. civ.)
  • La prise en main par un époux de la gestion des biens propres de l’autre au su de celui-ci et sans opposition de sa part ( 1540 C. civ.)
  • L’ingérence d’un époux dans les opérations d’aliénation des biens propres de son conjoint et d’encaissement du prix de vente ( 1541 C. civ.)

1. L’intervention d’un époux dans le cadre d’un mandat dans les affaires de son conjoint

L’article 1539 du Code civil prévoit que « si, pendant le mariage, l’un des époux confie à l’autre l’administration de ses propres, les règles du mandat sont applicables. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux peut donner mandat à son conjoint quant à la gestion de ses biens propres.

Leurs rapports sont alors régis, précise le texte, par le droit commun du mandat que l’on retrouve aux articles 1984 à 2010 du Code civil.

==> Sur la forme du mandat

Si, conformément à l’article 1985 du Code civil, le mandat peut être donné par acte authentique ou par acte sous seing privé, voire par lettre, il est également admis qu’il puisse ne pas être exprès et donc être tacite.

Dans cette dernière hypothèse, il suffira d’établir la volonté de l’époux de confier la gestion de ses biens propres à son conjoint.

À cet égard, le mandat tacite pourra, dès lors qu’il est prouvé, porter tant sur des actes d’administration et de jouissance, que sur des actes de disposition.

Il pourra, en outre, être général ou spécial, c’est-à-dire avoir pour objet, tout autant la gestion de l’ensemble du patrimoine propre du mandant, que la gestion d’un ou plusieurs biens propres en particulier.

==> Sur les effets du mandat

  • Dans les rapports avec les tiers
    • Le mandant ne sera engagé personnellement que pour les actes accomplis par son conjoint que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés.
    • Lorsque cette condition est remplie, il est engagé comme s’il avait accompli l’acte en personne
    • Il en résulte que la dette ne sera exécutoire que sur ses seuls biens propres à l’exclusion des biens personnels du mandataire.
    • Lorsque, en revanche, le mandataire a agi en dépassement des limites du mandat qui lui a été confié, l’acte encourt la nullité, sauf à ce que les conditions du mandat apparent soient réunies ou que les présomptions de pouvoirs instituées par le régime primaire et le régime légal puissent jouer
  • Dans les rapports entre époux
    • Conformément à l’article 1991 du Code civil, l’époux mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.
    • Par ailleurs, il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure.
    • Si le mandataire répond des fautes de gestion à l’égard du mandant, cette responsabilité est tempérée en raison de la gratuité du mandat
    • Enfin, comme tout mandataire, l’époux qui agit en vertu d’un mandat, est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant.
    • L’article 1539 du Code civil précise néanmoins que cette obligation de rendre compte ne porte pas sur les fruits produits par la chose en gestion, lorsque la procuration n’oblige pas expressément l’époux mandataire.
    • Autrement dit, en cas de reddition des comptes, l’époux mandataire n’a pas à justifier auprès du mandant de l’utilisation qui a été faite des fruits, tant existants, que consommés.
    • C’est là une dérogation qui est portée au droit commun du mandat.

==> Sur l’extinction du mandat

L’une des causes d’extinction du mandat, c’est sa révocation par le mandant, étant précisé qu’il s’agit là d’une règle d’ordre public.

Cette règle est rappelée à l’article 218 du Code civil qui prévoit que l’époux qui a donné mandat à son conjoint « peut, dans tous les cas, révoquer librement ce mandat. »

Si dès lors la technique du mandat permet de réintroduire la clause d’unité d’administration qui était envisagée aux anciens articles 1505 à 1510 du Code civil, lesquels ont été abrogés par la loi du 13 juillet 1965, c’est sous la réserve que cette clause soit toujours révocable.

Ainsi, un époux peut parfaitement être investi du pouvoir de gérer l’intégralité des biens du ménage (actif propre et commun).

Néanmoins, son pouvoir sera nécessairement précaire dans la mesure où il pourra toujours être remis en cause par son conjoint.

2. L’intervention d’un époux en dehors d’un mandat au su et sans opposition du conjoint

L’article 1540 du Code civil prévoit que « quand l’un des époux prend en mains la gestion des biens propres de l’autre, au su de celui-ci, et néanmoins sans opposition de sa part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d’administration et de jouissance, mais non les actes de disposition. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux intervient au su de son conjoint, mais sans que celui-ci ne s’y soit opposé il est présumé avoir été investi du pouvoir de le représenter.

Plusieurs conditions doivent néanmoins être réunies pour que ce mandat présumé produise ses effets :

==> Conditions de validité du mandat présumé

  • L’absence d’opposition du conjoint
    • Pour que le mandat présumé puisse produire ses effets, l’article 1540 du Code civil exige que le conjoint ne s’y soit pas opposé.
    • Plus précisément, le texte pose, en son alinéa 3e, qu’il doit s’agir d’une « opposition constatée ».
      • Dans les rapports entre époux, cette opposition pourra se traduire par la réprobation exprimée par un époux quant à l’immixtion générale de son conjoint dans ses affaires
      • Dans les rapports avec les tiers, cette opposition devra porter spécifiquement sur l’acte que l’époux représenté entend contester.
    • Parce qu’il s’agit d’un fait juridique, la preuve pourra être rapportée par tous moyens.
    • À cet égard, il peut être observé que le défaut d’opposition du conjoint fait présumer, de façon irréfragable qu’il a donné mandat.
  • Le cantonnement aux actes d’administration et de jouissance
    • L’article 1540 du Code civil prévoit expressément que le mandat présumé n’autorise le mandataire qu’à accomplir, pour le compte de son conjoint, des actes d’administration et de jouissance.
    • Les actes de disposition sont donc exclus du périmètre de ce mandat.
    • C’est là une différence avec le mandat tacite consenti dans le cadre de l’article 1540 du Code civil qui, dès lors qu’il est établi, peut porter sur des actes de disposition.
    • Aussi, dans l’hypothèse où un acte serait accompli en dépassement des limites du mandat présumé, il encourt la nullité.
    • À cet égard, certaines décisions ont donné lieu à des débats sur la qualification d’acte de disposition de certaines opérations.
    • La question s’est notamment posée de savoir si la conclusion d’un bail rural était couverte par le mandat présumé reconnu au conjoint par l’article 1540 du Code civil.
    • Dans un arrêt du 16 septembre 2009, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question.
    • Elle a estimé, dans cette décision que « consentir un bail rural de neuf ans constitue un acte de disposition» ( 3e civ., 16 sept. 2009, n° 08-16.769).
    • La position adoptée ici par la Cour de cassation doit, sans aucune, doute être transposée au bail commercial, dans la mesure où comme pour le bail rural, le preneur est titulaire d’un droit au renouvellement, ce qui est de nature à diminuer significativement la valeur vénale du bien donné à bail.
    • En tout état de cause, Ii est admis par la jurisprudence que l’irrégularité de l’acte pourra toujours être couverte par une ratification a posteriori ( 3e civ., 29 avr. 1987, n°85-17.813).
    • Cette ratification peut être tout autant expresse, que tacite, pourvu qu’elle ne soit pas équivoque.

==> Effets du mandat présumé

Lorsque les conditions de validité du mandat présumé sont réunies, il produit les mêmes effets que n’importe quel mandat :

  • Dans les rapports avec les tiers
    • L’époux au su duquel le conjoint a agi et faute d’opposition de sa part sera personnellement engagé à l’acte
    • Autrement dit, il sera engagé comme s’il avait accompli l’acte en personne, à tout le moins pour les actes d’administration et de jouissance.
    • Lorsque le conjoint a accompli un acte de disposition, l’époux représenté ne sera pas engagé.
  • Dans les rapports entre époux
    • Conformément à l’article 1991 du Code civil, l’époux mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.
    • Par ailleurs, il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure.
    • Si le mandataire répond des fautes de gestion à l’égard du mandant, cette responsabilité est tempérée en raison de la gratuité du mandat
    • Quant à l’obligation de rendre compte, l’article 1540 prévoit que, s’agissant des fruits, l’objet de cette obligation se limite, en principe, aux seuls fruits existants.
    • Le texte précise que, par exception, « pour ceux qu’il aurait négligé de percevoir ou consommés frauduleusement, il ne peut être recherché que dans la limite des cinq dernières années. »
    • C’est là une différence majeure avec le mandat tacite envisagé par l’article 1540 du Code civil, qui est assorti d’une dispense totale de rendre compte des fruits procurés par la chose.
    • En effet, pour ce mandat, l’époux mandataire n’a pas à rendre compte auprès du mandant, ni des fruits existants, ni des fruits consommés.
    • Lorsque le mandat est seulement présumé, l’époux mandataire doit rendre compte des fruits existants.
    • Quant aux fruits consommés frauduleusement ou qu’il aurait négligé de percevoir, il en est comptable dans la limite des 5 dernières années, ce qui suppose que le mandant formule, pendant cette période, une demande e reddition des comptes.
    • À défaut, l’époux mandataire se trouvera libéré de son obligation.

==> Le sort des actes accomplis au mépris de l’opposition du conjoint

Lorsqu’un époux accomplit un acte sur un ou plusieurs biens propres de son conjoint au mépris de l’opposition formulée par celui-ci, cette situation emporte plusieurs conséquences.

  • Dans les rapports avec les tiers
    • L’acte accompli au mépris de l’opposition du conjoint lui est inopposable
    • Il en résulte que ce dernier n’est pas engagé personnellement à l’acte, lequel est susceptible d’être frappé de nullité
  • Dans les rapports entre époux
    • L’article 1540, al. 3e prévoit que « si c’est au mépris d’une opposition constatée que l’un des époux s’est immiscé dans la gestion des propres de l’autre, il est responsable de toutes les suites de son immixtion et comptable sans limitation de tous les fruits qu’il a perçus, négligé de percevoir ou consommés frauduleusement. »
    • Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :
      • Premier enseignement
        • L’époux qui a agi au mépris de l’opposition de son conjoint engage sa responsabilité auprès de ce dernier
        • Il pourra donc être tenu d’indemniser son conjoint pour les préjudices causés par l’acte acte contesté
      • Second enseignement
        • La dispense d’obligation de rendre compte des fruits autres que ceux existants, est privée d’effet.
        • Aussi, l’époux qui a agi au mépris de l’opposition de son conjoint devra rendre compte de tous les fruits procurés par la chose et en particulier de ceux qu’il a perçus, négligé de percevoir ou consommés frauduleusement au-delà du délai de 5 ans

==> Les remèdes à l’irrégularité de l’acte accompli au titre d’un mandat présumé

Lorsqu’un acte accompli par un époux sur les biens propres de son conjoint ne répond pas aux conditions de l’article 1540, cela ne signifie pas pour autant qu’il encourt la nullité.

D’autres dispositifs sont, en effet, susceptibles de prendre le relais et de couvrir l’irrégularité dont est frappé l’acte accompli au titre du mandat présumé.

  • La ratification a posteriori de l’acte
    • Il est admis par la jurisprudence que l’irrégularité de l’acte puisse être couverte par une ratification a posteriori ( 3e civ., 29 avr. 1987, n°85-17.813).
    • Cette ratification pourra être expresse ou tacite, pourvu qu’elle ne soit pas équivoque.
  • Le mandat apparent
    • Un acte irrégulier accompli au titre d’un mandat présumé pourra produire ses effets à l’égard des tiers sur le fondement du mandat apparent (V. en ce sens 3e civ. 18 mars 1998, n°96-14.840).
    • Le tiers devra néanmoins établir l’existence d’une croyance légitime dans les pouvoirs de son cocontractant, ce qui semble être exclu lorsqu’il aura eu connaissance de l’opposition formulée par le conjoint.
    • Le mandat apparent ne pourra donc être invoqué que pour couvrir une irrégularité résultant de l’accomplissement d’un acte de disposition.
  • La gestion d’affaires
    • La jurisprudence admet que l’irrégularité de l’acte accompli au titre d’un mandat présumé puisse être couverte par la gestion d’affaires (V. en ce sens 1ère civ. 15 mai 1974).
    • Toutefois, là non plus, elle ne pourra pas jouer, lorsque le conjoint se sera opposé à l’accomplissement de l’acte ( 1301 C. civ.)
    • La gestion d’affaires ne pourra donc trouver à s’appliquer que dans l’hypothèse où l’époux mandataire aura accompli un acte de disposition.
  • Les présomptions de pouvoirs
    • Les textes, et notamment ceux qui relèvent du régime primaire, instituent un certain nombre de présomptions qui ont pour effet de réputer les époux être investis de pouvoirs de gestion, tantôt sur le mobilier qu’ils détiennent individuellement ( 222 C. civ.), tantôt sur les fonds déposés sur leur compte bancaire personnel (art. 221 C. civ.).
    • Des présomptions de pouvoirs ont également été instituées à la faveur du conjoint du chef d’une entreprise commerciale, artisanale, libérale ( L. 121-6 C. com.) ou encore agricole (art. 321-1 C. rur.).

3. L’intervention d’un époux dans les opérations d’aliénation des biens propres de son conjoint et d’encaissement du prix de vente

Sous le régime de la séparation de biens, le remplacement d’un bien propre par un autre ne requiert par l’accomplissement de formalités d’emploi ou de remploi : la subrogation réelle opère, en toute hypothèse, de plein droit.

C’est la une différence avec le régime légal qui subordonne le renouvellement des patrimoines propres des époux à l’accomplissement de ces formalités, faute de quoi le bien acquis au mépris de la règle tombe en communauté.

L’absence d’exigence d’accomplissement de formalités d’emploi ou de remploi est exprimée à l’article 1541 du Code civil qui prévoit que « l’un des époux n’est point garant du défaut d’emploi ou de remploi des biens de l’autre ».

Cette disposition assortie néanmoins le principe d’une réserve : « à moins qu’il ne se soit ingéré dans les opérations d’aliénation ou d’encaissement, ou qu’il ne soit prouvé que les deniers ont été reçus par lui, ou ont tourné à son profit. »

Autrement dit, lorsqu’un époux séparé de biens s’est immiscé dans les affaires de son conjoint, il est garant du défaut d’emploi ou de remploi des biens de ce dernier.

Lorsque, notamment, il a perçu les derniers appartenant à l’autre et qu’il les a utilisés à son avantage personnel et non pour les dépenses relevant des charges du mariage, il devra les lui restituer, sauf à ce qu’il soit en mesure de prouver l’intention libérale de son conjoint.

§3: La liquidation du régime

Lorsque des époux sont communs en biens, la dissolution de leur régime matrimonial requiert l’accomplissement d’opérations de liquidation.

Par liquidation, il faut entendre, « l’ensemble des opérations tendant, sinon à la réduction de la communauté dissoute à un solde en espèces de liquidités, du moins à l’établissement d’une situation nette susceptible d’un règlement par voie de partage »[10].

Il s’agira, autrement dit, pour les époux de déterminer la consistance de la masse partageable, à supposer qu’il y ait actif ou un passif à partager.

Si, sous le régime légal, il est rare que la masse partageable soit inexistante, sous le régime de la séparation de biens, cette situation se rencontrera systématiquement.

Et pour cause, sous ce régime, les patrimoines des époux sont, par hypothèse, restés séparés. Faute de constitution d’une communauté, lors de la dissolution du régime il y a, dès lors, rien à partager.

Est-ce à dire que la dissolution du régime de la séparation de biens ne donne lieu à aucune opération de liquidation ? Il n’en est rien.

En premier lieu, au cours du mariage, de très nombreux mouvements de valeurs interviendront entre les patrimoines respectifs des époux.

Tel est, par exemple, le cas lorsqu’un époux fournit, dans le cadre d’un prêt, des fonds propres à son conjoint aux fins que celui-ci règle une dette personnelle contractée auprès d’un tiers ou encore que l’un finance une construction édifiée sur un terrain appartenant en propre à l’autre.

En second lieu, l’absence de communauté sous le régime de la séparation de biens, ne signifie pas que les époux ne peuvent pas être propriétaire d’un élément d’actif en commun. Cette situation se rencontrera lorsqu’ils auront acquis un bien en indivision.

Pour ces deux raisons, la dissolution du régime de la séparation de biens est susceptible de donner lieu à des opérations de liquidation.

Ces opérations consisteront, en subsistant, à procéder :

  • D’une part, au règlement des créances entre époux
  • D’autre part, au partage des biens indivis

I) Le règlement des créances entre époux

Le dispositif des créances entre époux a donc en commun avec les récompenses de viser à rétablir un équilibre qui a été rompu entre deux masses de biens consécutivement à un mouvement de valeur.

Au fond, une créance entre époux n’est autre qu’un lien d’obligation créé entre deux époux au cours du mariage.

Ce lien d’obligation peut avoir pour cause le préjudice causé par un époux à l’autre ou encore le paiement par un époux de la dette de son conjoint.

Plus généralement, une créance entre époux naîtra toutes les fois qu’une dette relevant du passif définitif d’un époux a été supportée par l’autre et réciproquement.

S’agissant du régime juridique des créances entre époux, ces créances sont, en principe, soumises au droit commun des obligations.

En pratique, il apparaît néanmoins que leur règlement est le plus souvent différé dans le temps.

Plus précisément il interviendra, comme les récompenses, à l’issue de la dissolution du mariage.

La raison en est que, avant d’entretenir entre eux un rapport de créancier à débiteur, les époux sont unis par un lien conjugal ce qui constituera un obstacle – de fait – au règlement de la créance.

À cet égard, il peut être observé que l’article 2236 du Code civil dispose que la prescription « ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ».

Cette règle a été posée par souci de préservation de la paix des ménages. Lorsqu’ils sont encore dans les liens du mariage il peut, en effet, apparaître difficile pour un époux d’engager une action contentieuse à l’encontre de son conjoint, à tout le moins de lui réclamer le paiement de sa créance. Il y a là un empêchement d’ordre affectif.

Conscient de cette situation, le législateur en a tiré la conséquence, lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, qu’il y avait lieu, pour certaines créances entre époux, de tenir compte de la longue période susceptible de s’écouler entre leur fait générateur et leur règlement.

Aussi, a-t-il considéré que ces créances devaient faire l’objet d’une réévaluation selon les modalités applicables aux récompenses.

A) Principe : la soumission des créances entre époux au droit commun des obligations

Sous le régime de la séparation de biens, les créances entre époux sont envisagées par l’article 1543 du Code civil, lequel prévoit que « les règles de l’article 1479 sont applicables aux créances que l’un des époux peut avoir à exercer contre l’autre. »

Il ressort de cette disposition que les créances entre époux nées sous le régime de la séparation de biens sont soumises aux mêmes règles que celles qui s’appliquent sous le régime légal.

Aussi, est-ce à l’article 1479 du Code civil qu’il y a lieu de se reporter. Quel enseignement retirer de cette disposition ?

À l’analyse, par principe, c’est le droit commun des obligations qui préside à l’évaluation des créances entre époux, ce qui emporte plusieurs conséquences :

  • Première conséquence
    • Il est admis que le règlement des créances entre époux peut intervenir au cours du mariage
    • Leur exigibilité n’est aucunement liée à la dissolution du régime matrimonial, contrairement aux récompenses dont le règlement est fixé, par principe, au jour de la liquidation
    • L’article 1479, al. 1er du Code civil subordonne seulement cette exigibilité à une sommation.
    • À l’analyse, il s’agit là d’une reprise de la condition posée par l’article 1231 du Code civil qui prévoit que « à moins que l’inexécution soit définitive, les dommages et intérêts ne sont dus que si le débiteur a préalablement été mis en demeure de s’exécuter dans un délai raisonnable».
    • Cette exigence vise à constater l’exécution d’une obligation, alerter le débiteur sur sa défaillance et favoriser l’exécution volontaire
  • Deuxième conséquence
    • Le règlement des créances entre époux ne déroge nullement au droit commun, dans la mesure où il est insusceptible de s’opérer par voie de prélèvement, sauf accord exprès de son conjoint, ce que requiert la dation en paiement.
    • Faute d’accord, l’époux créancier, ne peut intervenir que par voie de paiement, ce qui implique que l’époux créancier n’est investi d’aucun droit de préférence sur les biens de son conjoint : il est placé sur un pied d’égalité avec les autres créanciers avec lesquels il est éventuellement en concours
    • Pour recouvrer sa créance, il devra donc emprunter les voies d’exécution ordinaires
  • Troisième conséquence
    • En application de l’article 1479, al. 1er du Code civil « les créances personnelles que les époux ont à exercer l’un contre l’autre ne donnent pas lieu à prélèvement et ne portent intérêt que du jour de la sommation.»
    • Là encore, il s’agit d’une reprise du droit commun et plus précisément de l’article 1231-6 du Code civil qui prévoit que « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. »
  • Quatrième conséquence
    • Pour mémoire, le règlement des récompenses ne peut se faire que par le truchement d’un compte
    • Selon que la récompense est due par la communauté ou à la communauté, elle sera inscrite au débit ou au crédit de ce compte ouvert par chaque époux,
    • Aussi, ce qui a vocation à être exigible et donc à être réglé, ce ne sont pas les récompenses prises séparément comme des créances individuelles, mais le solde du compte unique et indivisible dans lequel elles sont inscrites.
    • Tel n’est pas le cas des créances entre époux dont le règlement ne requiert nullement l’ouverture préalable d’un compte.
    • Conformément au droit commun, elles sont soumises au principe de paiement individuel, de sorte qu’elles peuvent faire l’objet d’un paiement séparé.
  • Cinquième conséquence
    • Les créances entre époux sont soumises au principe du nominalisme monétaire
    • Selon ce principe, le débiteur d’une obligation doit verser la somme correspondant au montant nominal de sa dette, même si la valeur de la monnaie a varié.
    • Concrètement, cela signifie qu’une dette dont la valeur nominale est 100 contractée en franc dans les années 1950, vaudra, selon le taux de conversion instituée en 1999, approximativement 15 euros aujourd’hui.
    • Cette égalité ne correspond pour autant pas à la réalité économique.
    • C’est la raison pour laquelle le principe du nominalisme monétaire n’est pas sans limite en matière de créances entre époux : la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 a assorti le principe d’un important tempérament

B) Tempérament : la réévaluation des créances entre époux selon les modalités applicables aux récompenses

Parce que les créances entre époux sont soumises au droit commun des obligations, elles devraient, en toute rigueur, être évaluées selon les règles du nominalisme monétaire.

Prenant conscience que l’application de ces règles était susceptible de donner lieu à des situations injustes, notamment en période de dépréciation monétaire, le législateur a, lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, fait le choix de soustraire certaines créances entre époux à l’application du droit commun.

Afin de bien comprendre ce qui a conduit ce dernier a modifié le système, arrêtons-nous un instant sur le système d’évaluation des créances entre époux avant qu’il ne soit réformé, étant précisé que ce système s’appliquait également aux récompenses avant que la loi du 13 juillet 1965 n’entre en vigueur.

1. Droit antérieur

==> Application des règles d’évaluation du droit commun

Sous l’empire du droit antérieur, pour déterminer le montant d’une créance entre époux, il y avait lieu de distinguer selon que la créance était due au titre d’une impense ou au titre d’une autre cause.

Pour mémoire, une impense consiste en une dépense de conservation ou d’amélioration d’un bien meuble ou d’un immeuble.

En substance, l’évaluation d’une créance entre époux s’opérait donc comme suit :

  • Lorsque la créance était due au titre d’une impense
    • Dans cette hypothèse, soit lorsque le patrimoine débiteur s’était enrichi au détriment du patrimoine qui a supporté la charge de l’impense, la créance était calculée selon les règles de l’enrichissement sans cause.
    • Selon ce dispositif qui relève du régime général des obligations, l’indemnité due à l’appauvri est égale « à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement» ( 1303 C. civ.).
    • Lorsque l’impense présentait un caractère nécessaire, il était admis que l’indemnité ne pouvait jamais être inférieure à la dépense faite.
    • En pratique, cela revenait à retenir presque systématiquement la dépense faite, soit parce que présentant un caractère nécessaire, soit parce que supérieure à la plus-value réalisée sur le bien.
  • Lorsque la créance n’était pas due au titre d’une impense
    • Dans cette configuration, faute de précision légale, il était admis que la créance devait correspondre au montant de la dépense faite, alors même qu’il en était résulté un enrichissement moindre pour le patrimoine débiteur
    • Il s’agissait là d’une stricte application du principe du nominalisme monétaire.

En période de stabilité monétaire, ce dispositif d’évaluation des créances entre époux et des récompenses a relativement bien fonctionné.

La valeur de la monnaie étant constante, il était indifférent que, en pratique, le montant de la créance due au patrimoine créancier soit la plupart du temps égal à la dépense supportée par le patrimoine débiteur, à tout le moins cela ne contrevenait pas à l’équité.

Ce système a toutefois commencé à montrer ses limites dès lors que la monnaie a fait l’objet de dépréciation au cours de périodes qui se sont multipliées.

Au cours du XXe siècle le franc a fait l’objet de pas moins de 17 dévaluations, dont la plupart au cours des années 1950.

Parce que le règlement des créances entre époux sera, en pratique, la plupart du temps différé à la dissolution du mariage pour les raisons exposées précédemment, il peut s’écouler un long délai entre leur fait générateur et ce règlement.

À l’instar des récompenses, on s’est aperçu que, elles aussi, pouvaient être touchées par l’instabilité monétaire.

Pour illustrer ce phénomène, prenons l’exemple de travaux d’amélioration d’un immeuble appartenant en propre à un époux entièrement financés par le patrimoine de son conjoint en 1950 à hauteur de 20.000 francs.

En période de stabilité monétaire, la plus-value réalisée sur ce bien est généralement inférieure au coût des travaux. Disons que, pour notre exemple, le montant de cette plus-value est de 10.000 francs, ce qui porterait la valeur de l’immeuble de 100.000 à 110.000 francs.

En cas de liquidation du régime matrimonial durant cette période, la créance due à l’époux qui a supporté le coût des travaux devrait, en toute rigueur, être égale au montant de la plus-value réalisée, soit de 10.000 francs, car représentant la plus faible des deux sommes en jeu (10.000 francs vs 20.000 francs).

Envisageons désormais que la dissolution du mariage intervienne trente ans plus tard et notamment après plusieurs périodes de dépréciation monétaire.

Dans cette hypothèse, la plus-value réalisée sur le bien devrait mécaniquement être incomparablement supérieure à la dépense initiale exposée par le patrimoine qui a financé l’opération, à tout le moins en valeur nominale. Si l’immeuble vaut désormais 1.000.000 francs, la plus-value réalisée est de 900.000 francs.

Pour autant, parce que la créance due est égale à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et l’enrichissement, son montant se limitera à la dépense faite, soit 20.000 francs, alors même que le patrimoine débiteur en a retiré un profit infiniment supérieur.

Manifestement, cette situation s’avère particulièrement inéquitable pour le patrimoine qui a supporté la dépense initiale et qui n’est pas indemnisé à hauteur de l’avantage économique que cette dépense a procuré au patrimoine auquel elle a profité.

Le législateur en a tiré la conséquence, en 1965, en instituant un système de revalorisation des récompenses à hauteur du profit subsistant.

Ce système ne concernait néanmoins pas les créances entre époux qui demeuraient soumises au principe du nominalisme monétaire.

==> Différence de traitement entre les créances entre époux et des récompenses

Cette différence de traitement entre les récompenses et les créances entre époux est apparue pour le moins injustifiée, compte tenu de ce que ces dernières font également l’objet, en pratique, d’un paiement différé et, par voie de conséquence, n’échappent pas aux fluctuations monétaires.

Pour illustrer l’absurdité du dispositif qui opérait sous l’empire du droit antérieur à la loi du 23 décembre 1985, prenons l’exemple d’une construction qui serait édifiée sur un terrain appartenant en propre à un époux et qui serait financé, tantôt par la communauté, tantôt par le conjoint.

  • Première hypothèse
    • Le coût de la construction est intégralement financé par la communauté
    • Dans cette hypothèse, le montant de l’indemnité due par le propriétaire du terrain devra être calculé selon les règles applicables aux récompenses et plus précisément selon le principe institué à l’article 1469, al. 3e du Code civil.
    • En application de cette disposition, le montant de la récompense ne peut donc être moindre que le profit subsistant
    • Supposons que :
      • Le coût de la construction s’élève à 200.000 €
      • La valeur du terrain s’élève à 100.000 €
      • La valeur du fonds s’élève, au jour de la liquidation de la communauté, à :
        • 300.000 € sans la construction
        • 600.000 € avec la construction
      • En l’espèce, le profit subsistant s’élève à 300.000 € (600.000 – 300.000)
      • Le montant de la récompense est donc de 300.000 € (300.000 > 200.000)
  • Seconde hypothèse
    • Le coût de la construction est ici intégralement financé par le patrimoine propre du conjoint
    • Dans cette hypothèse, le montant de l’indemnité due à ce dernier devra être calculé selon les règles du droit commun et plus précisément selon le principe d’évaluation de l’indemnité due au titre de la théorie de l’enrichissement sans cause.
    • Cette indemnité est donc égale à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit procuré au patrimoine débiteur
    • Si l’on reprend les données de l’hypothèse 1
      • La dépense faite = 200.000 €
      • L’enrichissement = 300.000 €
    • Le montant de l’indemnité due sera donc de 200.000 €, car (200.000 < 300.000)

Il ressort de ces deux hypothèses que selon que le coût de la construction est supporté par la communauté ou par le conjoint, l’indemnité due au patrimoine créancier est radicalement différente.

  • Lorsque l’on applique les règles applicables aux récompenses, l’indemnité due s’élève à 300.000 €
  • Lorsque l’on applique les règles applicables aux créances entre époux, l’indemnité due s’élève à 100.000 €

On observe ainsi une différence de 100.000 € entre les deux indemnités, alors même que le fait générateur est exactement le même, à la nuance près que, dans un cas, la construction a été financée par la communauté, dans l’autre, son coût a été supporté par un patrimoine propre.

Pourquoi cette différence de traitement ? D’aucuns ont avancé que, s’agissant des créances entre époux, il appartenait à ces derniers de prévoir des clauses d’indexation.

Reste que, en pratique, parce que les époux sont unis par un lien conjugal, il y a là un véritable empêchement moral pour eux à contractualiser l’opération intervenant entre leurs deux patrimoines.

L’argument est, dans ces conditions, difficilement recevable, raison pour laquelle, en 1985, plus rien ne retenait le législateur de franchir le pas et de réformer en profondeur les règles qui présidaient à l’évaluation des créances entre époux.

2. Droit positif

==> Une transposition de règles applicables aux récompenses

Conscient que la différence de traitement entre les récompenses et les créances entre époux n’étaient pas justifiée, à plus forte raison parce que les secondes sont comme les premières susceptibles d’être affectées par les épisodes de dépréciation monétaire, le législateur a, lors de l’adoption de la loi du 23 décembre 1985, cherché à rapprocher les deux régimes.

Pour ce faire, l’article 1479 du Code civil a été pourvu d’un second alinéa qui prévoit que « sauf convention contraire des parties, elles sont évaluées selon les règles de l’article 1469, troisième alinéa, dans les cas prévus par celui-ci ; les intérêts courent alors du jour de la liquidation. »

Deux premiers enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • Il peut tout d’abord être observé que pour fixer les modalités d’évaluation des créances entre époux, l’article 1479 du Code civil opère par renvoi à l’article 1469, al. 3e du Code civil, soit aux règles qui président à l’évaluation des récompenses
    • Ce renvoi marque ainsi le rapprochement textuel entre les deux régimes et plus précisément la volonté du législateur d’écarter le principe du nominalisme monétaire pour les créances entre époux en prévoyant qu’elles seraient réévaluées selon les modalités applicables aux récompenses.
  • Second enseignement
    • Le renvoi opéré par l’article 1479 du Code civil pour l’évaluation des créances entre époux est cantonné aux cas visés à l’alinéa 3e de l’article 1469.
    • Il en résulte que seules certaines créances entre époux pourront faire l’objet d’une réévaluation selon les règles applicables aux récompenses
    • À l’analyse, l’époux créancier ne pourra invoquer le bénéfice du troisième alinéa de l’article 1469 que lorsque la valeur empruntée aura permis à l’époux débiteur d’acquérir, de conserver ou d’améliorer un bien
    • Ainsi, le législateur a-t-il circonscrit la transposition des règles d’évaluation des récompenses à l’évaluation des créances entre époux uniquement pour les dépenses d’investissement.
    • Pour les autres dépenses, les créances entre époux demeurent soumises au principe du nominalisme monétaire, de sorte que leur évaluation s’opère selon les règles du droit commun.

Seules les dépenses d’investissement étant concernées par le renvoi opéré par l’article 1479 du Code civil, nous nous focaliserons ici sur l’évaluation des créances entre époux dues au titre de cette catégorie de dépense.

==> L’évaluation des créances entre époux dues au titre de dépenses d’investissement

S’agissant de l’évaluation des créances entre époux dues au titre de dépenses d’investissement, l’article 1479 renvoie donc au troisième alinéa de l’article 1479 du Code civil.

Ce texte prévoit que la récompense « ne peut être moindre que le profit subsistant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, le profit est évalué au jour de l’aliénation ; si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, le profit est évalué sur ce nouveau bien. »

L’application de cette disposition aux créances entre époux soulève une première interrogation.

Dans la mesure où la règle énoncée ne s’applique, par hypothèse, qu’aux récompenses dont l’évaluation intervient, après la dissolution de la communauté, est-ce à dire que seules les créances entre époux liquidées également après la dissolution du régime peuvent être évaluées selon cette règle ?

Si les travaux parlementaires sur la base desquels la loi du 23 décembre 1985 a été adoptée vont dans ce sens, cette interprétation conduirait néanmoins à opérer une distinction au sein de la catégorie des créances entre époux.

En effet, il conviendrait de distinguer parmi les créances entre époux dues au titre d’une dépense d’investissement celles liquidées avant la dissolution du régime et celle liquidées après.

Tandis que le montant des premières correspondrait à la valeur nominale de la dépense faite, par application du principe du nominalisme monétaire, le montant des secondes, ne pourrait être moindre que le profit subsistant.

Pour la doctrine, rien ne justifie que le montant d’une créance entre époux diffère selon qu’elle est évaluée avant ou après la dissolution du régime[11].

Pour cette raison, il y a lieu de soumettre toutes créances entre époux aux règles d’évaluation fixées par le troisième alinéa de l’article 1469 du Code civil, pourvu qu’elles soient dues au titre d’une dépense d’investissement.

Si l’on focalise désormais sur les règles d’évaluation énoncée par cette disposition, le texte prévoit que, pour les dépenses d’acquisition, de conservation ou d’amélioration qui ont profité au patrimoine emprunteur, le montant dû au patrimoine créancier ne peut jamais être moindre que le profit subsistant.

Pour mémoire, dans son sens général, le profit subsistant consiste en l’enrichissement dont a bénéficié le patrimoine débiteur de l’indemnité à raison de la dépense faite par le patrimoine créancier.

Dans un arrêt du 11 juin 1991 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le profit subsistant représente l’avantage réellement procuré au fonds emprunteur » (Cass. 1ère civ. 11 juin 1991, n°90-12.142).

C’est là une application de la théorie des dettes de valeur, de sorte que l’évaluation du profit subsistant, contrairement à l’évaluation de la dépense faite, est susceptible de donner lieu à revalorisation.

Pour illustrer la règle énoncée à l’article 1469, al. 3e du Code civil, prenons l’exemple de l’installation d’un système de climatisation, dans un immeuble appartenant en propre à l’épouse, qui aurait été intégralement financée au moyen de deniers appartenant en propre au conjoint.

Afin de déterminer le montant du profit subsistant, il y a lieu de procéder ici à une double évaluation.

Il convient, en effet, d’estimer ce que vaudrait l’immeuble au jour de la liquidation du régime sans la réalisation des travaux d’installation et ce qu’il vaut, à cette même date, en tenant compte de la réalisation des travaux.

La différence entre ces deux évaluations constitue le profit subsistant.

Soit un immeuble dont la valeur est estimée au jour de la liquidation du régime :

  • Sans les travaux, à 100.000 €
  • Avec les travaux, à 120.000 €

Le profit subsistant correspond donc à la différence entre ces deux montants, soit :

120.000 – 100.000 = 20.000 €

À l’analyse, l’application du troisième alinéa de l’article 1469 du Code civil ne soulèvera aucune difficulté lorsque le profit subsistant est supérieur à la dépense faite.

Plus délicate sera, en revanche, l’évaluation de la créance lorsqu’il sera inférieur à la valeur nominale de la valeur empruntée au patrimoine créancier.

Supposons, une dépense la réalisation de travaux d’installation d’un nouveau système de chauffage central dans un immeuble appartenant en propre à un époux et dont le coût est supporté par le patrimoine de son conjoint :

  • Coût des travaux : 50.000 €
  • Valeur empruntée (contribution du conjoint) : 50.000 €
  • Valeur de l’immeuble au jour de la liquidation :
    • Sans les travaux : 400.000 €
    • Avec les travaux : 430.000 €
  • Profit subsistant = 30.000 €

Au cas particulier, le profit subsistant (30.000 €) est inférieur à la dépense faite (50.000 €).

Deux approches sont envisageables pour évaluer le montant de la créance due :

  • Première approche
    • On peut considérer que le montant de la créance doit toujours correspondre au profit subsistant
    • Cette approche conduit néanmoins à faire supporter la moins-value sur le patrimoine créancier.
  • Seconde approche
    • On peut considérer qu’il n’est pas acceptable que le patrimoine créancier doive supporter la moins-value subie par le patrimoine emprunteur
    • Dans ces conditions, le montant de la créance doit être égal à la dépense faite

Lorsque cette situation se présente en matière de récompense, il est procédé par renvoi au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil qui prévoit que « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »

Aussi, la récompense serait égale au profit subsistant, soit 30.000 € (30.000 < 50.000), sauf à ce que la dépense d’amélioration présente un caractère nécessaire, auquel cas, il y aurait lieu de faire application de l’alinéa 2 de l’article 1469.

Dans cette hypothèse, ce qui est le cas en l’espèce, la récompense ne pourrait être moindre à la dépense faite, soit à 50.000 €.

Reste que, ni l’alinéa 1er, ni l’alinéa 2e de l’article 1469 du Code civil ne sont applicables aux créances entre époux, le renvoi opéré par l’article 1479 ne visant que l’alinéa 3e.

Dès lors, comment sortir de l’impasse ?

La Cour de cassation a offert une porte de sortie dans un arrêt du 24 septembre 2008.

Dans cette affaire, elle s’est prononcée sur une créance due à un époux séparé de biens, étant précisé que, au cas particulier, le profit subsistant était nul, tandis que la valeur empruntée s’élevait à 1.154.775 francs.

Il y avait donc un véritable enjeu pour l’époux qui sollicitait l’évaluation de sa créance due au titre de sa contribution au financement d’une construction édifiée sur un terrain appartenant en propre à sa conjointe.

Pour la Cour de cassation, « lorsque les fonds d’un époux séparé de biens ont servi à améliorer un bien personnel de l’autre, qui l’a aliéné avant la liquidation, sa créance ne peut être moindre que le profit subsistant au jour de l’aliénation ; qu’en l’absence de profit subsistant, la créance est égale au montant nominal de la dépense faite » (Cass. 1ère civ. 24 sept. 2008, n°07-19.710).

La solution retenue ici par la première chambre civile est des plus limpides : lorsque le profit subsistant est inférieur à la dépense faite, le montant de la créance entre époux doit être égal à cette dernière.

À l’analyse, cette solution est extrêmement favorable à l’époux créancier, dans la mesure où il est assuré de ne jamais subir les effets de la moins-value réalisée par le patrimoine emprunteur.

La Cour de cassation fait une application stricte du renvoi opéré par l’article 1479 au seul et l’alinéa 3 de l’article 1469.

L’alinéa 1er de cette disposition n’étant pas applicable aux créances entre époux, lorsque le profit subsistant est inférieur à la dépense faite, c’est le droit commun qui s’applique et plus précisément le principe du nominalisme monétaire.

Or l’application de ce principe conduit à retenir, pour calculer le montant de la créance entre époux, la valeur nominale de la dépense faite ; d’où la solution adoptée par la Cour de cassation.

Assez curieusement, cette solution est bien plus avantageuse que la règle qui s’applique aux récompenses et qui conduit à retenir la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant (art. 1469, al. 1er C. civ.)

II) Le partage des biens indivis

Sous le régime de la séparation de biens, il est deux catégories de biens susceptibles de faire l’objet d’un partage :

  • Les biens que les époux ont acquis ensemble
  • Les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive

Dans les deux cas, ces biens sous soumis au régime de l’indivision, de sorte que le partage peut être provoqué à tout moment (Cass. 1ère civ. 22 oct. 1985, n°84-11.468).

Il peut, par ailleurs, être sollicité tant par les époux, que par leurs créanciers respectifs (Cass. 1ère civ. 4 juill. 1978, n°76-15.253).

S’agissant des modalités du partage, l’article 1542 du Code civil prévoit que « après la dissolution du mariage par le décès de l’un des conjoints, le partage des biens indivis entre époux séparés de biens, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre ” Des successions ” pour les partages entre cohéritiers. »

Il ressort de cette disposition que, sous le régime de la séparation de biens, le partage des biens indivis est soumis aux règles du droit des successions.

Le second alinéa de l’article 1542 du Code civil précise néanmoins que, en cas de dissolution du régime pour cause de divorce ou de séparation de corps :

  • D’une part, l’attribution préférentielle d’un bien n’est jamais de droit contrairement à ce que prévoit le droit commun en certaines circonstances (V. en ce sens 832-1 C. civ.)
  • D’autre part, il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant

Bien que la lettre de l’article 1542 du Code civil suggère que ces dérogations au droit commun du partage n’opèrent que si celui-ci intervient postérieurement à la dissolution du régime, la Cour de cassation a adopté une interprétation extensive du texte.

Dans un arrêt du 9 octobre 1990, elle a, en effet, jugé, au visa des articles 832, 1476 et 1542 du Code civil, que « le conjoint séparé de biens peut demander l’attribution préférentielle du local servant à son habitation et dont il est propriétaire par indivis, même si cette indivision est partagée pendant le mariage » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1990, n°89-10.429).

Ainsi, pour la première chambre civile, la date de sollicitation du partage par les époux ou un créancier est indifférente : les dérogations prévues au second alinéa de l’article 1542 peuvent jouer à tant, si le partage est réalisé après la dissolution du régime que s’il intervient au cours du mariage.

[1] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°732, p. 684.

[2] V. en ce sens N. Frémeaux et M. Leturcq, Plus ou moins mariés : l’évolution du mariage et des régimes matrimoniaux en France, Etude accessible à partir du lien suivant :  file:///C:/Users/A020475/Downloads/ES462E%20(1).pdf

[3] Cet exemple nous est donné par Michel Hoguet, rapporteur de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, dans le cadre des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 28 décembre 1967

[4] V. en ce sens l’article 953 du Code civil

[5] F. terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°800, p. 647.

[6] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696

[7] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°82, p. 42.

[8] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[9] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[10] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, n°638, p. 495.

[11] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°680, p. 629.

Les récompenses: régime juridique (inventaire, évaluation, preuve et règlement)

La dissolution du régime légal donne lieu à un état d’indivision post-communautaire d’où les époux doivent pouvoir sortir, cette situation ne devant être que temporaire.

Pour ce faire, ils devront procéder à ce que l’on appelle la liquidation de la communauté.

Par liquidation, il faut entendre « l’ensemble des opérations tendant, sinon à la réduction de la communauté dissoute à un solde en espèces de liquidités, du moins à l’établissement d’une situation nette susceptible d’un règlement par voie de partage »[1].

Il s’agira, autrement dit, pour les époux de déterminer la consistance de la masse partageable, laquelle n’est autre que celle composée des biens communs.

Si, la reconstitution de cette masse ne soulève, a priori, dans son principe, aucune difficulté particulière, l’exercice est, en réalité, bien plus complexe qu’il n’y paraît quant à sa mise en œuvre.

En premier lieu, la formation de la masse partageable suppose d’identifier les actifs qui ont vocation à être intégrés dans cette dernière.

Or parmi ces actifs, il en est certains, notamment les meubles, qui se retrouveront entremêlés avec des biens propres.

Il appartiendra donc aux époux d’opérer un tri, afin que chacun reprenne ses propres, l’objectif étant qu’ils reconstituent, en nature, leurs patrimoines respectifs.

C’est là une première opération qui, certes, est purement matérielle, mais qui est susceptible de se heurter à un obstacle de taille et qui parfois s’avérera insurmontable : la preuve du caractère personnel de certains biens.

Faute pour les époux d’établir leur qualité de propriétaire, le bien convoité est, en effet, réputé tomber en communauté, en application la présomption d’acquêt instituée à l’article 1402 du Code civil.

La conséquence en est l’intégration du bien dans la masse partageable, situation qui peut se révéler injuste pour l’époux qui en avait acquis la propriété, mais qui n’a pas été en mesure d’en rapporter la preuve.

Là ne s’arrête pas les difficultés de reconstitution des patrimoines propres et communs.

En second lieu, de très nombreux mouvements de valeurs interviendront au cours du mariage entre les différentes masses de biens.

Tantôt, un époux aura acquis un bien, qu’il conservera en propre, au moyen de deniers communs, tantôt, c’est la communauté qui s’enrichira de biens financés avec des fonds personnels.

Il est encore des cas où l’opération n’impliquera pas la communauté. Elle ne concernera que les masses de propres. Tel est le cas lorsqu’un époux fournit, dans le cadre d’un prêt, des fonds propres à son conjoint aux fins que celui-ci règle une dette personnelle contractée auprès d’un tiers.

À l’analyse, deux sortes de mouvements de valeurs sont susceptibles d’intervenir entre les masses de biens :

  • Des mouvements de valeurs entre les masses de propres et la masse commune
  • Des mouvements de valeurs entre les deux masses de propres

Dans les deux cas, la liquidation du régime matrimonial suppose de rétablir les équilibres qui ont été rompus par ces mouvements de valeurs.

Pratiquement, il s’agira de mettre à la charge du patrimoine qui s’est enrichi une indemnité qui devra être versée au patrimoine qui s’est appauvri.

Selon que le rétablissement de l’équilibre intéresse ou non la masse commune, le calcul de cette indemnité ne répondra toutefois pas aux mêmes règles :

  • Lorsque le mouvement de valeurs est intervenu entre la masse commune et une masse de propres, c’est le système des récompenses qu’il y aura lieu d’appliquer
  • Lorsque, en revanche, le mouvement de valeurs se produit entre l’une et l’autre masse de propre, c’est le dispositif des créances entre époux qu’il conviendra de mobiliser

Nous nous focaliserons ici sur les récompenses.

==> Notion

Au cours du mariage des mouvements de valeurs sont donc susceptibles de se produire entre la masse commune et les masses de biens propres de l’un et l’autre époux.

Un bien qui appartient en propre à un époux peut avoir été financé au moyen de deniers communs. Une dette personnelle à un époux peut encore avoir été prise en charge par la communauté.

À l’inverse un époux peut avoir financé avec ses fonds personnels l’acquisition ou l’amélioration d’un bien tombé en communauté ou encore réglé une dette commune.

Quel que soit le sens du mouvement de valeur dans les illustrations ci-dessus évoquées, un patrimoine s’est enrichi au détriment d’un autre qui s’est appauvri.

Aussi, lors de la liquidation du régime matrimoniale, l’équité commande de rétablir l’équilibre qui a été rompu et plus précisément de reconstituer, en valeur, les différentes masses de biens, théoriques, instituées sous le régime communautaire pour lequel les époux ont opté.

Pour ce faire, la pratique notariale, suivie par le législateur, a imaginé le mécanisme des récompenses.

Par récompense, il faut entendre une dette due par la communauté envers un patrimoine propre de l’un ou l’autre époux et inversement.

Plus précisément, selon le Professeur Didier R. Martin, « la récompense désigne justement la valeur comptable, exprimée en argent, qu’il y a lieu, dans les opérations liquidatives, de porter au débit ou au crédit d’une masse pour compenser le gain fait ou la perte éprouvée aux dépens ou au bénéfice d’une autre ».

S’il joue désormais en rôle primordial dans le cadre de la phase de liquidation de la communauté, le système des récompenses n’a pas toujours existé : il est le fruit d’une lente évolution, amorcée par la pratique, puis consacré par la loi.

==> Origine

À l’origine, la liquidation du régime matrimonial se limitait aux opérations de reprises, en nature, des biens propres et au partage de la masse commune dans l’état où elle se trouvait au jour de la dissolution du mariage, sans qu’aucune reconstitution des patrimoines en valeur ne soit réalisée.

En réaction à ce mode opératoire qui était de nature à préjudicier, selon les cas, tantôt à la communauté, tantôt au patrimoine propre de l’un des époux, les notaires ont introduit dans les contrats de mariage une clause dite de récompense.

Aux termes de cette clause, il était stipulé que, dans l’hypothèse où un bien propre serait aliéné sans que les formalités d’emploi ou de remploi ne soient accomplies, une récompense serait due par la communauté au patrimoine propre qui s’est appauvri.

Progressivement le dispositif des récompenses s’est imposé chez les praticiens. Puis, à partir du XVIe siècle, il s’est transformé en clause de style avant d’être élevé au rang de règle coutumière, si bien que l’octroi de récompenses était désormais admis en dehors de toute stipulation particulière.

Reconnaissant l’utilité du système des récompenses qui avait fait ses preuves, le législateur l’a consacré lors de l’adoption du Code civil en 1804.

L’application du dispositif n’était dès lors plus cantonnée au seul cas d’encaissement par la communauté du prix de vente d’un bien propre : il était dorénavant généralisé à tout mouvement de valeur intervenant entre la masse commune et une masse propre et inversement.

==> Fonction

Aujourd’hui, le système des récompenses constitue l’une des clés de voûte des régimes communautaires, car vise à corriger les mouvements de valeurs qui sont intervenus au cours du mariage entre les différentes masses de biens.

Ainsi que le relèvent les auteurs, fondamentalement, il répond à un principe d’équité[2], un époux ne devant pas se retrouver lésé par rapport à un autre lors du partage des biens communs.

Cette finalité a parfaitement été exprimée par un ancien arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 8 avril 1872.

Dans cette décision, la haute juridiction a, en effet, affirmé que « le régime de la communauté entre époux est soumis à cette règle fondamentale de droit et d’équité, que toutes les fois que l’un des époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté, ou la communauté un profit semblable des biens propres à l’un des époux, il est dû indemnité ou récompense, dans le premier cas à la communauté, et dans le second cas au conjoint ».

Parce que le système des récompenses a pour fonction de rétablir un équilibre qui a été rompu consécutivement à l’enrichissement d’un patrimoine au détriment d’un autre, il se rapproche très étroitement de la théorie de l’enrichissement sans cause.

De l’avis unanime de la doctrine, ils ne doivent toutefois pas être confondus pour essentiellement deux raisons :

  • Première raison
    • L’enrichissement sans cause a pour effet de créer un rapport d’obligation entre deux personnes : celle qui s’est enrichie et celle qui s’est appauvrie
    • Si ces deux éléments se retrouvent dans le système des récompenses, reste que la communauté est dépourvue de personnalité juridique.
    • Il en résulte que l’on ne saurait regarder les récompenses comme créant un lien d’obligation entre deux personnes
  • Seconde raison
    • Le système des récompenses vise à corriger un déséquilibre créé par des mouvements de valeur intervenu au cours du mariage, lesquels procèdent du fonctionnement du régime matrimonial.
    • Le déséquilibre ainsi créé n’est donc pas sans cause : il résulte de la communauté de vie des époux.
    • La théorie de l’enrichissement sans cause ne s’applique, quant à elle, que lorsqu’il est établi que l’appauvri a agi en dehors de tout rapport préexistant entre l’appauvri et celui qui s’est enrichi, d’où l’absence de cause

Au bilan, bien que les deux institutions poursuivent sensiblement le même objectif, le système des récompenses n’est pas une application particulière de la théorie de l’enrichissement sans cause.

Non seulement les conditions de mise en œuvre de ces deux dispositifs divergent, mais encore, comme souligné par Isabelle Dauriac, le mécanisme des récompenses « obéit à des préoccupations qui lui sont propres »[3].

La spécificité de ce dispositif réside notamment dans l’objectif qui lui est assigné tenant à la sauvegarde de l’intégrité patrimoniale des trois masses de biens instituées sous les régimes communautaires.

Le système des récompenses vise également, d’une part, à assurer l’immutabilité des conventions matrimoniales et, d’autre part, à empêcher les donations indirectes entre époux qui, comme telles, seraient irrévocables.

==> Absence de caractère impératif

Parce que la liquidation de la communauté intéresse exclusivement les intérêts privés des époux, la loi leur confère une grande liberté quant à aménager leur régime matrimonial sur ce point.

S’agissant spécifiquement des règles relatives aux récompenses, ils jouissent, en la matière, d’une liberté des plus étendues, puisqu’elles ne sont pas d’ordre public.

Aussi, les époux sont-ils autorisés à aménager :

  • D’une part, le principe même du droit à récompense qui peut être soit totalement écarté, soit envisagé pour seulement un ou plusieurs biens.
  • D’autre part, les modalités d’évaluation de la créance de récompense qui, faute de stipulations contraires, sont régies par l’article 1469 du Code civil (V. en ce sens 1ère civ. 28 juin 1983).
  • Enfin, les modalités de règlement des récompenses, ce qui pourra se traduire par une modification de l’ordre des prélèvements quant aux biens ou encore par la renonciation des époux à tout prélèvement subsidiaire sur les biens propres de l’autre.

==> Domaine

Parce que les récompenses visent à corriger un déséquilibre créé par un mouvement de valeurs entre la masse commune et une masse de propre, par hypothèse, elles ne sont dues que dans le cadre de rapport entre la communauté et le patrimoine personnel d’un époux.

L’article 1468 du Code civil prévoit en ce sens que « il est établi, au nom de chaque époux, un compte des récompenses que la communauté lui doit et des récompenses qu’il doit à la communauté, d’après les règles prescrites aux sections précédentes. »

Il ressort de cette disposition que pour que le système des récompenses puisse être mobilisé, une valeur doit nécessairement avoir transité par la communauté.

Il en résulte qu’aucun droit à récompense ne peut naître dans les deux situations suivantes :

  • Première situation
    • Lorsqu’un mouvement de valeurs intervient entre deux masses de propres, le déséquilibre créé par ce mouvement ne peut pas être corrigé par le dispositif des récompenses
    • Dans cette hypothèse, la communauté est étrangère à l’opération.
    • Seuls les patrimoines personnels des époux sont concernés.
    • Ce sont donc les règles spécifiques aux créances entre époux qui ont vocation à s’appliquer aux fins de rétablir l’équilibre qui a éventuellement été rompu.
    • Il peut néanmoins être observé que, par le jeu du renvoi opéré par l’article 1479 du Code civil, les créances entre époux sont évaluées, sauf convention contraire, selon les règles applicables aux récompenses.
    • Reste que, et c’est là une différence fondamentale entre les deux institutions, le règlement des créances entre époux peut être exigé au cours du mariage.
    • Par ailleurs, il ne constitue pas une opération de partage, de sorte que, d’une part, elles ne se règlent pas par voie de règlement et, d’autre part, elles ne portent intérêt que du jour de la sommation et non du jour de la dissolution de la communauté.
  • Seconde situation
    • Par hypothèse, le droit à récompense ne peut naître que si un mouvement de valeur intervient entre une masse de propres et la communauté.
    • Si toutefois cette dernière a été dissoute, le dispositif des récompenses devient sans objet, de sorte qu’il n’est plus applicable (V. en ce sens 1ère civ. 17 nov. 1971, n°70-11.606).
    • Aussi, durant la phase d’indivision post-communautaire, en cas de mouvements de valeurs entre le patrimoine personnel d’un indivisaire et la masse indivise, la reconstitution en valeur des patrimoines se fera selon les règles relatives, non pas aux récompenses, mais de l’indivision.
    • À cet égard, l’article 815-13 du Code civil prévoit que « lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l’aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés. »

==> Régime

Le régime des récompenses est abordé, pour l’essentiel, aux articles 1468 à 1474 du Code civil.

À ces dispositions il y a lieu d’adjoindre les articles 1433 et 1437 qui fondent le principe même du droit à récompense.

S’agissant de l’architecture juridique du dispositif, elle s’articule autour de trois corps de règles relatives :

  • D’une part, à l’établissement du compte des récompenses
  • D’autre part, au règlement des récompenses

I) L’établissement d’un compte de récompenses

L’article 1468 du Code civil prévoit qu’« il est établi, au nom de chaque époux, un compte des récompenses que la communauté lui doit et des récompenses qu’il doit à la communauté, d’après les règles prescrites aux sections précédentes. »

Il ressort de cette disposition que, lors de la liquidation du régime matrimonial, il appartient aux époux d’inscrire en compte les récompenses.

Selon que la récompense est due par la communauté ou à la communauté, elle sera inscrite au débit ou au crédit du compte ouvert par chaque époux, étant précisé que seul le solde de ce compte donnera lieu à règlement.

Dans le détail, l’établissement de ce compte des récompenses exigera l’observation de deux étapes bien distinctes :

  • La première étape consistera à répertorier les récompenses, soit à identifier les mouvements de valeur qui sont intervenus au cours de la communauté et qui donnent lieu à récompenses
  • La seconde étape consistera, quant à elle, à évaluer chacune des récompenses dues par la communauté ou à la communauté

En cas de contestation d’une récompense alléguée par un époux, il lui appartiendra de prouver ses prétentions, conformément aux règles de preuve – parfois spécifiques – qui joue en la matière.

A) L’inventaire des récompenses

L’inventaire des récompenses consistera donc pour les époux à retracer tous les mouvements de valeur qui sont intervenus entre la masse commune et les masses de propres depuis l’entrée en vigueur du régime et sa dissolution.

Plus la durée de la communauté sera longue et plus l’exercice sera fastidieux pour les époux.

Comme résumé par un auteur « c’est, en quelque sorte, l’histoire pécuniaire du ménage que le liquidateur doit a posteriori écrire, avec suffisamment de vigilance et de curiosité, pour ne pas laisser dans l’oubli des opérations importantes, et suffisamment de diplomatie, pour ne pas s’enliser dans un inventaire de détails mineurs, susceptibles d’éveiller d’inutiles contestations »[4].

Outre la difficulté d’identification des mouvements de valeurs ouvrant lieu à récompense, les époux se heurteront, parfois, à la preuve du droit à récompense dont la charge pèse sur celui qui se prévaut d’un droit de créance.

1. L’identification des récompenses

L’inventaire des récompenses conduira à inscrite en compte, d’un côté les récompenses dues par la communauté, et de l’autre côté les récompenses dues à la communauté.

1.1 Les récompenses dues par la communauté

a. Principe général

À l’origine, le code civil ne prévoyait que deux cas de récompenses dues par la communauté :

  • L’encaissement par la communauté du produit de la vente d’un bien propre, en l’absence d’accomplissement des formalités de remploi par l’époux vendeur
  • L’encaissement par la communauté du prix versé en contrepartie de la renonciation par un époux d’une servitude profitant à un immeuble lui appartenant en propre

Très vite, la jurisprudence a dégagé de ces deux cas particuliers un principe général mettant à la charge de la communauté une dette de récompense toutes les fois qu’elle s’est enrichie au détriment du patrimoine propre d’un époux.

Dans un arrêt rendu en date du 8 avril 1872, la Cour de cassation affirme en ce sens que « le régime de la communauté entre époux est soumis à cette règle fondamentale de droit et d’équité, que toutes les fois que l’un des époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté, ou la communauté un profit semblable des biens propres à l’un des époux, il est dû indemnité ou récompense, dans le premier cas à la communauté, et dans le second cas au conjoint ».

Ce principe général a formellement été repris par le législateur lors de l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

Le nouvel article 1433, al. 1er du Code civil prévoit que « la communauté doit récompense à l’époux propriétaire toutes les fois qu’elle a tiré profit de biens propres. »

Pour qu’une récompense soit due par la communauté, deux conditions cumulatives doivent ainsi être réunies : un profit pour la communauté et l’appauvrissement corrélatif d’une masse de propres.

  • S’agissant de la condition tenant au profit réalisé par la communauté
    • Cette condition est remplie dans deux hypothèses :
      • Soit la communauté a perçu une valeur provenant d’un propre
        • Il peut s’agir, par exemple, de l’acquisition d’un bien tombé en communauté au moyen de deniers propres.
        • Tel sera notamment le cas lorsque la communauté
        • Il peut encore s’agir de l’emploi de fonds personnels à l’amélioration ou à l’entretien d’un bien commun
      • Soit une dette commune a été supportée par le patrimoine propre d’un époux
        • Tel sera notamment le cas lorsqu’au titre de la contribution à la dette, le passif devait être définitivement supporté par la communauté et que celui-ci a été réglé au moyen de fonds propres
  • S’agissant de la condition tenant à l’appauvrissement d’une masse de propres
    • Cette condition sera remplie lorsqu’un transfert de valeur interviendra entre une masse de propre et la communauté.
    • Plus précisément, ce transfert de valeur doit conduire à un enrichissement de la communauté corrélativement à un appauvrissement d’une masse de propre
    • Faute d’appauvrissement corrélatif, aucune récompense ne sera due par la communauté.
    • Un époux ne pourra donc pas réclamer un droit à récompense si son patrimoine n’a éprouvé aucune perte, alors même que la communauté s’est enrichie.
    • Tel est le cas lorsque la communauté perçoit les revenus tirés de l’exploitation d’un propre.
    • Par nature, les revenus de propres sont communs ( 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-17212;
    • Aussi, l’époux propriétaire d’un bien propre frugifère ne saurait se prévaloir d’une quelconque perte résultant de la perception des fruits par la communauté.

b. Applications

i. L’encaissement par la communauté de deniers propres

Après énonciation du principe en son alinéa 1er, l’article 1433 fournit une application à l’alinéa suivant.

L’alinéa 2 prévoit que la communauté doit récompense « quand elle a encaissé des deniers propres ou provenant de la vente d’un propre, sans qu’il en ait été fait emploi ou remploi ».

Si, de prime abord, la règle ainsi énoncée se comprend bien, car s’inscrivant dans le droit fil du principe, général une lecture littérale du texte n’est toutefois pas sans soulever une difficulté d’interprétation.

La difficulté réside dans l’emploi du terme « encaissement », lequel laisse à penser qu’il suffit que la communauté perçoive des fonds propres pour que naisse un droit à récompense au profit de l’époux auquel ces fonds appartiennent.

Bien que cette interprétation ait été vigoureusement discutée en doctrine et donnée lieu à des décisions retenant des solutions parfois opposées, après plusieurs évolutions intervenues à partir du début des années 1980, la Cour de cassation a finalement affirmé, dans un arrêt du 8 février 2005, rendu au visa de l’article 1433 du Code civil, « qu’il incombe à celui qui demande récompense à la communauté d’établir que les deniers provenant de son patrimoine propre ont profité à celle-ci ; que, sauf preuve contraire, le profit résulte notamment de l’encaissement de deniers propres par la communauté, à défaut d’emploi ou de remploi » (Cass. 1ère civ. 8 févr. 2005, n°03-13.456).

Pour la première chambre civile, l’encaissement de deniers propres par la communauté fait donc présumer la réalisation d’un profit ouvrant droit à récompense.

C’est au conjoint qui conteste le bien-fondé de ce droit à récompense qu’il appartient de prouver que la communauté n’a retiré aucun profit de l’encaissement des deniers propres.

Une partie de la doctrine justifie cette solution en soulignant la difficulté qu’il y a pour l’époux qui se prévaut d’un droit à récompense, de prouver la réalisation d’un profit, notamment lorsqu’il s’est écoulé un long délai entre l’enrichissement de la communauté et la liquidation du régime.

À cet égard, il est rare que les époux songent à tenir une comptabilité détaillée des mouvements valeurs intervenus entre les masses propres et la communauté.

Aussi, afin de le délester l’époux qui allègue un droit à récompense résultant de l’encaissement par la communauté de deniers propres, la haute juridiction a estimé qu’il y avait lieu d’inverser la charge de la preuve.

Par suite, la Cour de cassation est venue préciser sa position en décidant que la présomption de profit tiré de l’encaissement par la communauté de deniers propres ne jouait pas lorsqu’ils ont été déposés sur le compte personnel d’un époux.

Dans un arrêt du 15 février 2012, elle a notamment jugé que « le profit tiré par la communauté résultant de l’encaissement, au sens de l’article 1433, alinéa 2, du code civil, des deniers propres d’un époux ne peut être déduit de la seule circonstance que ces deniers ont été versés, au cours du mariage, sur un compte bancaire ouvert au nom de cet époux » (Cass. 1ère civ., 15 février 2012, n°11-10.182).

Il ressort de cette décision que, selon que les deniers propres ont été déposés sur un compte commun ou le compte personnel d’un, la preuve qui doit être rapportée celui qui allègue d’un droit à récompense diffère d’une situation à l’autre :

  • Les deniers propres ont été déposés sur un compte commun
    • Dans cette hypothèse, on présume qu’ils ont été utilisés par les deux époux et affectés à la couverture de dépenses communes et, par conséquent, on en déduit une présomption de profit tiré par la communauté.
    • Parce qu’il s’agit d’une présomption simple, elle souffre la preuve contraire
  • Les deniers propres ont été déposés sur le compte personnel d’un époux
    • Dans cette hypothèse, la présomption de profit retiré par la communauté ne joue pas
    • Pour la Cour de cassation, on ne peut pas présumer que les fonds propres ont été utilisés par les deux époux pour être affectés à leurs dépenses communes.
    • Il en résulte qu’il appartient à celui qui se prévaut d’un droit à récompense d’établir la réalisation d’un profit par la communauté

Cette position a, par suite, été confirmée par la Cour de cassation, notamment dans un arrêt du 4 janvier 2017.

Dans cette décision, elle reproche à une Cour d’appel d’avoir débouté un époux de sa demande de droit à récompense alors qu’elle avait relevé que les deniers propres de cet époux avaient été déposés sur un compte joint, de sorte qu’ils avaient été encaissés par la communauté au sens de l’article 1433 du code civil.

La première chambre civile estime ici que les juges du fond n’ont pas tiré les conséquences de leurs propres constatations (Cass. 1ère civ. 4 janv. 2017, n°16-10.934).

ii. L’acquisition d’un bien en échange d’un propre

En application de l’article 1407 du Code civil, lorsqu’un bien est acquis en échange d’un propre il reste propre, sauf à ce que la soulte réglée par la communauté soit supérieure à la valeur du bien échangé.

L’article 1407, al.2e du Code civil prévoit en ce sens que « si la soulte mise à la charge de la communauté est supérieure à la valeur du bien cédé, le bien acquis en échange tombe dans la masse commune, sauf récompense au profit du cédant. »

Ainsi, par exception au principe posé à l’alinéa 1er, cette disposition fait-elle tomber en communauté le bien acquis en échange d’un bien propre lorsque deux conditions cumulatives sont réunies :

  • D’une part, le coût de la soulte due au cocontractant est supporté par la communauté
  • D’autre part, le montant de la soulte est supérieur à la valeur du bien échangé

C’est là une application de la règle Major pars trahit ad se minorem, qui signifie littéralement « la plus grande partie attire à elle la moindre ».

Le législateur a, en effet, considéré que dans l’hypothèse où le montant de la soulte réglée par la communauté était supérieur à la valeur du bien échangé, l’opération s’analysait moins comme un échange, que comme une acquisition.

Bien qu’assortie d’une dation en paiement, puisqu’incluant la délivrance d’un bien en guise de paiement d’une fraction du prix, cette acquisition transforme le bien échangé en acquêt.

En contrepartie de la perte de la propriété du bien qu’il a aliénée, l’article 1407, al. 2e prévoit que le cédant a droit à récompense.

iii. L’acquisition d’un bien au moyen de deniers propres

L’article 1436 du Code civil prévoit que « quand le prix et les frais de l’acquisition excèdent la somme dont il a été fait emploi ou remploi, la communauté a droit à récompense pour l’excédent. Si, toutefois, la contribution de la communauté est supérieure à celle de l’époux acquéreur, le bien acquis tombe en communauté, sauf la récompense due à l’époux. »

Il ressort de cette disposition que selon que lorsque la communauté a contribué au financement du bien acquis au moyen de deniers propres, le maintien de ce bien dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur dépend de la proportion dans laquelle cette contribution est intervenue.

Le texte distingue deux situations :

  • Le montant de la contribution de la communauté est inférieur ou égal à la valeur du bien acquis
  • Le montant de la contribution de la communauté est supérieur la valeur du bien acquis

Dans cette seconde hypothèse, par exception au principe de maintien des biens acquis par emploi ou remploi dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur, cette disposition l’article 1436 du Code civil fait tomber en communauté le bien dont l’acquisition a majoritairement été financée par la communauté.

Le législateur a, en effet, considéré que dans l’hypothèse où la part contributive de la communauté était supérieure à la valeur du bien acquis par emploi ou remploi, l’opération devait lui profiter.

La raison en est que l’opération s’analyse ici moins comme une substitution de biens dans le patrimoine propre de l’époux acquéreur, que comme l’acquisition d’une valeur nouvelle justifiant qu’on lui attribue la qualification d’acquêt.

En contrepartie de la perte de la propriété du bien qu’il a acquis au moyen de deniers propres, l’époux a droit à récompense.

1.2 Les récompenses dues à la communauté

a. Principe général

Par symétrie au principe posé par l’article 1433 du Code civil, l’article 1437 in fine du Code civil prévoit « toutes les fois que l’un des deux époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté, il en doit la récompense. »

Il ressort de cette disposition que tout enrichissement d’une masse de propres au détriment de la communauté ouvre droit à récompense en faveur de cette dernière, ce qui suppose que soit constaté :

  • D’un côté, un profit réalisé par le patrimoine propre d’un époux
  • D’un autre côté, un appauvrissement corrélatif de la masse commune

Par hypothèse, le mouvement de valeur intervenant entre la communauté et une masse de propres se produira plus fréquemment dans ce sens.

La raison en est que la communauté a, par principe, vocation à capter toutes les richesses acquises, perçues et créées par les époux au cours du mariage et notamment leurs revenus professionnels ce qui, la plupart du temps, constitue l’essentiel de leurs ressources.

b. Applications

L’article 1437 du Code civil fournit plusieurs illustrations de situations ouvrant droit à récompense au profit de la communauté. La liste fournie par cette disposition n’est toutefois pas exhaustive.

Elle doit être complétée par les situations visées par des textes épars qui, en certaines circonstances, octroient à la communauté un droit à récompense.

Aussi, notre analyse s’ouvrira aux situations les plus courantes au nombre desquelles figurent notamment :

  • L’acquittement d’une dette personnelle d’un époux au moyen de deniers communs
  • La réalisation de dépenses relatives à un bien propre acquittées au moyen de deniers communs
  • La donation de biens communs
  • La constitution d’un droit au profit d’un époux financée par des deniers communs
  • La négligence dans la perception des revenus tirés d’un propre
  • La fourniture de l’industrie personnelle d’un époux

i. L’acquittement d’une dette personnelle d’un époux au moyen de deniers communs

La première situation ouvrant droit à récompense au profit de la communauté visée par l’article 1437 du Code civil est l’acquittement d’une dette personnelle d’un époux au moyen de deniers communs.

Le texte prévoit en ce sens que « toutes les fois qu’il est pris sur la communauté une somme […] pour acquitter les dettes ou charges personnelles à l’un des époux […] il en doit la récompense. »

La question qui immédiatement se pose est de savoir qu’elles sont précisément les dettes contractées par les époux dont le règlement par la communauté lui ouvre droit à récompense.

À l’analyse, il s’agit de toutes les dettes qui répondent aux conditions suivantes :

  • D’une part, elles doivent avoir été acquittées au moyen de deniers de la communauté
  • D’autre part, il doit s’agir de dettes qui présentent un caractère personnel

?) Une dette acquittée au moyen de deniers communs

Pour que le règlement d’une dette ouvre droit à récompense au profit de la communauté, encore faut-il que cette dette ait été réglée au moyen de biens communs.

Par biens communs, il faut entendre, en substance, tous les biens acquis à titre onéreux par les époux au cours du mariage.

Plusieurs sources sont susceptibles d’alimenter la masse commune :

  • Les biens provenant d’une acquisition
  • Les biens provenant de l’industrie des époux
  • Les biens provenant des revenus des propres
  • Les biens provenant du jeu de l’accession
  • Les biens provenant du jeu de la subrogation
  • Les biens provenant d’un jeu de hasard ou d’un jeu-concours

Aussi, toutes les fois qu’un époux réglera une dette par prélèvement de ses gains et salaires ou des revenus de ses propres, une récompense sera due à la communauté.

Il en va de même lorsque les deniers employés seront prélevés sur les sommes d’argent déposées sur le compte personnel d’un époux et qui, parce qu’elles ont été économisées, sont devenues des acquêts de la communauté.

?) Une dette personnelle

La communauté a droit à récompense lorsque la dette acquittée au moyen de deniers communs présente un caractère personnel. L’article 1437 vise expressément les dettes personnelles, sans autre précision.

Aussi, est-il indifférent qu’il s’agisse d’une dette qui soit personnelle seulement au plan de la contribution ou qui soit personnelle sous le double rapport de l’obligation et de la contribution.

Pour mémoire :

  • Lorsqu’une dette est personnelle au plan de l’obligation, cela signifie que les créanciers peuvent exercer leurs poursuites sur les seuls biens propres de l’époux débiteur
  • Lorsqu’une dette est personnelle au plan de la contribution, cela signifie que, au stade de la liquidation du régime, elle devra être supportée par le patrimoine propre de l’époux débiteur, quand bien même elle a été acquittée par la communauté

Au fond, pour qu’une dette soit personnelle au sens de l’article 1437 du Code civil, la seule exigence fixée par ce texte est qu’elle doive être définitivement supportée par le patrimoine propre d’un époux.

À l’analyse, deux catégories de dettes répondent à cette exigence :

  • Les dettes communes quant à l’obligation et propres quant à la contribution
  • Les dettes propres sous le double rapport de l’obligation et de la contribution

==> Les dettes communes quant à l’obligation et propres quant à la contribution

L’article 1413 du Code civil prévoit que « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu. »

Il ressort de cette disposition que, au plan de l’obligation, sont communes toutes les dettes qui ont été contractées au cours du mariage, exceptions faites des dettes grevant les successions et libéralités qui, en application de l’article 1410 du Code civil, restent propres.

Pour être inscrite au passif provisoire de la communauté, il est donc indifférent :

  • D’une part, que la dette soit née du chef de l’un ou l’autre époux ou des deux
  • D’autre part, que la dette soit d’origine contractuelle, délictuelle ou encore légale
  • Enfin, que la dette ait été souscrite dans l’intérêt personnel d’un époux ou qu’elle ait été contractée à des fins professionnels

Reste que toutes les dettes communes au plan de l’obligation ne sont pas propres au plan de la contribution.

Or c’est là une condition qui doit être satisfaite pour qu’une récompense soit due à la communauté en cas de règlement de la dette au moyen de deniers communs.

Quelles sont les dettes qui remplissent cette condition ? On en compte trois catégories :

  • Les dettes contractées dans l’intérêt personnel d’un époux
    • L’article 1416 du Code civil prévoit que « la communauté qui a acquitté une dette pour laquelle elle pouvait être poursuivie en vertu des articles précédents a droit néanmoins à récompense, toutes les fois que cet engagement avait été contracté dans l’intérêt personnel de l’un des époux, ainsi pour l’acquisition, la conservation ou l’amélioration d’un bien propre. »
    • Il ressort de cette disposition que les dettes ont été contractées dans l’intérêt personnel d’un époux et qui ont été réglées avec des deniers communs ouvrent droit à récompense au profit de la communauté.
    • La raison en est que, pour la catégorie de dépenses visées ici, non seulement elles n’ont pas profité à la communauté, mais encore elles l’ont appauvrie.
    • Aussi, afin de rétablir l’équilibre entre la masse propre qui s’est enrichie et la masse commune, le mécanisme des récompenses à vocation à jouer.
  • Les dettes délictuelles et quasi-délictuelles
    • L’article 1417, al. 1er du Code civil prévoit que « la communauté a droit à récompense, déduction faite, le cas échéant, du profit retiré par elle, quand elle a payé les amendes encourues par un époux, en raison d’infractions pénales, ou les réparations et dépens auxquels il avait été condamné pour des délits ou quasi-délits civils».
    • Il ressort de cette disposition que les dettes résultant de la commission d’infractions pénales et plus généralement de faits illicites volontaires ou involontaires doivent être supportées, à titre définitif, par l’époux du chef duquel elles sont nées.
    • La raison en est que ces dettes sont présumées n’avoir pas été souscrites dans l’intérêt de la communauté. Et pour cause, elles ne sont, en principe, la contrepartie d’aucun avantage pour la communauté.
    • Elles ont pour fait générateur la réalisation d’un dommage qui est de nature à porter atteinte aux intérêts patrimoniaux et/ou extrapatrimoniaux de la victime.
    • C’est la raison pour laquelle le paiement par la communauté de dommages et intérêts versés en réparation d’un préjudice résultant d’un délit ou d’un quasi-délit, lui ouvre droit à récompense.
    • Si, au plan de la contribution, les dettes délictuelles et quasi-délictuelles doivent être supportées par l’époux qui les a contractées, au plan de l’obligation elles sont communes, de sorte qu’elles sont exécutoires sur les biens communs.
    • Cette asymétrie entre l’obligation à la dette et la contribution à la dette procède de la volonté du législateur de ne pas limiter le gage des victimes aux seuls biens propres et aux revenus de l’auteur du dommage.
  • Les dettes résultant d’un manquement aux devoirs du mariage
    • L’article 1417, al. 2e du Code civil prévoit que la communauté a droit à récompense « si la dette qu’elle a acquittée avait été contractée par l’un des époux au mépris des devoirs que lui imposait le mariage. »
    • Ainsi, dès lors qu’une dette résulte de la violation d’une obligation née du mariage, la communauté a droit à récompense si cette dette a été réglée au moyen de deniers communs.
    • Tel serait le cas, par exemple, d’une dette souscrite par un époux pour entretenir une relation adultérine ou encore pour vivre en dehors du logement familial au mépris de l’obligation de communauté de vie.
    • La doctrine estime qu’une récompense serait également due à la communauté, sur ce fondement, en cas de paiement d’une pension alimentaire par un époux à son enfant adultérin.

==> Les dettes propres sous le double rapport de l’obligation et de la contribution

Il s’agit des dettes qui sont exécutoires sur les seuls biens propres de l’époux débiteurs et qui sont définitivement supportées par son patrimoine personnel

Ces dettes qui sont personnelles sous le double rapport de l’obligation et de la contribution sont visées par l’article 1410 du Code civil qui prévoit que « les dettes dont les époux étaient tenus au jour de la célébration de leur mariage, ou dont se trouvent grevées les successions et libéralités qui leur échoient durant le mariage, leur demeurent personnelles, tant en capitaux qu’en arrérages ou intérêts. »

Il ressort de cette disposition que sont propres au plan de l’obligation et de la contribution :

  • Les dettes présentes au jour du mariage
    • En application de l’article 1410 du Code civil les dettes dont les époux étaient tenus au jour de la célébration de leur mariage leur sont propres.
    • Bien que ces dettes ne soient pas exécutoires sur les biens communs – exclusion faite des revenus de l’époux débiteur – elles sont susceptibles d’être acquittées par prélèvement de la masse commune.
    • Dans cette hypothèse, la communauté aura droit à récompense, conformément à l’article 14212 du Code civil.
  • Les dettes grevant les successions et libéralités
    • Envisagées par l’article 1410 du Code civil sur le même plan que les dettes présentes au jour du mariage, les dettes grevant les successions et libéralités demeurent également propres aux époux, tant au plan de l’obligation, qu’au plan de la contribution.
    • Le caractère propre de ces dettes tient ici, non pas à la date de leur fait générateur, mais à leur rattachement à une succession ou à une libéralité.
    • En tout état de cause, en cas d’acquittement d’une telle dette au moyen de deniers communs, une récompense sera due à la communauté ( 1412 C. civ.)

ii. La réalisation de dépenses relatives à un bien propre acquittées au moyen de deniers communs

L’article 1437 du Code civil prévoit expressément que lorsque la communauté a assumé des dépenses relatives à un bien propre elle a droit à récompense.

Il en est, en revanche certaines qui n’ouvrent pas droit à récompense.

?) Les dépenses se rapportant à un propre ouvrant droit à récompense

Au nombre des dépenses se rapportant à un propre ouvrant droit à récompense, on compte :

  • Les dépenses d’acquisition
  • Les dépenses de conservation et d’amélioration

==> Les dépenses d’acquisition

Sont ici visées toutes les dépenses réalisées par un époux qui ont permis à un époux d’acquérir un bien propre.

Plusieurs situations sont susceptibles de se présenter :

  • L’acquisition d’un bien propre dans le cadre d’un emploi ou d’un remploi
    • L’article 1436 du Code civil prévoit que « quand le prix et les frais de l’acquisition excèdent la somme dont il a été fait emploi ou remploi, la communauté a droit à récompense pour l’excédent. Si, toutefois, la contribution de la communauté est supérieure à celle de l’époux acquéreur, le bien acquis tombe en communauté, sauf la récompense due à l’époux. »
    • Il ressort de cette disposition que lorsque la communauté a contribué au financement du bien acquis au moyen de deniers propres, le maintien de ce bien dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur dépend de la proportion dans laquelle cette contribution est intervenue.
    • À cet égard, lorsque la part contributive de la communauté dans l’acquisition du bien acquis par un époux avec ses deniers propres est minoritaire, ce bien reste dans son patrimoine personnel.
    • La communauté aura néanmoins droit à récompense dont l’assiette correspond à la fraction du prix qu’elle a financé.
  • L’acquisition d’un bien en échange d’un propre
    • L’article 1407, al. 1er du Code civil prévoit que « le bien acquis en échange d’un bien qui appartenait en propre à l’un des époux est lui-même propre, sauf la récompense due à la communauté ou par elle, s’il y a soulte. »
    • Il ressort de cette disposition que, en cas d’échange d’un bien propre contre un autre bien, par l’effet de la subrogation réelle, le bien acquis reste propre.
    • Comme pour les créances et indemnités perçues en remplacement d’un propre, la subrogation réelle opère ici de plein droit. Il n’est donc pas besoin pour l’époux qui échange un bien propre, qu’il accomplisse une quelconque formalité aux fins de conserver dans son patrimoine le bien qui lui a été délivré.
    • Reste qu’il est rare que les deux biens échangés aient la même valeur. Aussi, l’échange est-il susceptible de donner lieu au paiement d’une soulte.
    • Par soulte, il faut entendre la somme d’argent qui vise à compenser la différence de valeur des biens échangés.
    • En cas de soulte due par l’époux partie à l’opération d’échange, l’article 1407, al. 1er in fine prévoit qu’une récompense sera due à la communauté dans l’hypothèse où cette soulte serait réglée au moyen de deniers communs.
    • Le bien acquis n’en conservera pas moins sa nature propre, sauf à ce que le montant de la soulte soit supérieur à la valeur du bien échangé.
  • L’acquisition de parts indivises
    • L’article 1408 du Code civil prévoit que « l’acquisition faite, à titre de licitation ou autrement, de portion d’un bien dont l’un des époux était propriétaire par indivis, ne forme point un acquêt, sauf la récompense due à la communauté pour la somme qu’elle a pu fournir.»
    • Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux est propriétaire de parts indivises sur un bien, en cas de rachat des parts d’un ou plusieurs coindivisaires, les parts acquises lui appartiennent en propre.
    • Cette règle se justifie par la nécessité d’éviter de créer une situation d’indivision dans l’indivision.
    • En effet, tandis que la part originaire serait un bien propre, les parts indivises nouvellement acquises seraient communes.
    • Animé par une volonté d’assurer l’unité de la propriété, le législateur a estimé qu’il y avait lieu de déroger au principe d’inscription à l’actif de la communauté des biens acquis à titre onéreux au cours du mariage.
    • En contrepartie, la communauté aura néanmoins droit à récompense
  • L’acquisition d’instruments de travail
    • L’article 1404, al. 2e du Code civil prévoit que « forment aussi des propres par leur nature, mais sauf récompense s’il y a lieu, les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux»
    • Il ressort de cette disposition que tous les biens affectés à l’exercice de l’activité professionnelle des époux constituent des biens propres.
    • Il s’agira notamment des outils et des machines de l’artisan ou encore de l’équipement et des appareils de mesure d’un géomètre, d’un architecte.
    • Il s’agit, autrement dit, de tout bien dont l’utilisation est indispensable à l’exercice de l’activité professionnelle d’un époux.
    • Cette exclusion de la masse commune des instruments de travail se justifie par la volonté du législateur d’assurer l’indépendance professionnelle des époux.
    • Il ne faudrait pas qu’un époux soit empêché de jouir de cette indépendance qui lui est expressément reconnue par l’article 223 du Code civil en raison du véto posé par son conjoint quant à l’accomplissement d’actes de disposition ou d’administration sur ses instruments de travail.
    • Pour cette raison, les instruments de travail sont des biens propres, ce qui confère à l’époux qui les a acquis un pouvoir de gestion exclusive de ces derniers.
    • Lorsque toutefois les biens affectés à l’exercice de l’activité professionnelle sont acquis avec des fonds communs, la communauté aura droit à récompense.
    • C’est là une différence majeure avec les biens propres par nature qui présentent un caractère personnel, leur acquisition ne donnant jamais lieu à récompense quand bien même le coût de cette acquisition est supporté par la communauté.
  • L’acquisition de biens à titre accessoire d’un propre
    • L’article 1406, al. 1er du Code civil prévoit que « forment des propres, sauf récompense s’il y a lieu, les biens acquis à titre d’accessoires d’un bien propre».
    • En ne précisant pas néanmoins si le lien de rattachement existant entre le bien acquis à titre onéreux et un bien propre devait être matériel, économique ou juridique, le législateur a entendu pourvoir la règle d’un domaine d’application pour le moins étendu.
    • Dès lors, en effet, qu’un bien entretient un rapport d’accessoire à principal avec un propre, il est susceptible d’intégrer le patrimoine personnel de l’époux acquéreur.
    • À l’analyse, ce rapport d’accessoire à principal est susceptible de se retrouver dans trois situations :
      • En cas d’acquisition d’un bien par voie d’accession
      • En cas d’acquisition d’un bien à titre de simple accessoire
      • En cas de réalisation d’une plus-value sur un bien propre
    • Tandis que, dans les deux premiers cas la communauté aura droit à récompense en cas de contribution au financement de l’acquisition du bien, il n’en va pas de même dans le dernier cas.
      • Acquisition d’un bien par voie d’accession ou à titre de simple accessoire
        • Dans cette hypothèse, la communauté peut avoir participé au financement de la construction d’un immeuble sur un fonds appartenant en propre à un époux ou à la commande de marchandises attachées à un fonds de commerce détenu personnellement par un époux.
        • Dans les deux cas, les biens acquis restent propres à l’époux en application du principe de l’accessoire.
        • Reste que parce qu’un patrimoine propre s’est enrichi au détriment de la communauté, il est admis que sa participation financière à l’acquisition, à titre accessoire, d’un propre lui ouvre droit à récompense
      • La réalisation d’une plus-value sur un propre
        • Autre accessoire susceptible de donner lieu à la qualification de bien propre par rattachement, les plus-values réalisées par un époux sur un bien lui appartenant à titre personnel.
        • S’il a toujours été admis que les plus-values qui ont pour cause le contexte économique et notamment la dépréciation monétaire devaient être exclues de la masse commune (V. en ce sens civ. 3 nov. 1954), un débat s’est ouvert sur celles résultant du travail fourni par un époux.
        • Deux approches sont envisageables :
          • Première approche
            • Ces plus-values peuvent être appréhendées comme constituant des biens provenant de l’industrie personnelle des époux au sens de l’article 1401 du Code civil
            • Dans cette hypothèse, elles devraient tomber en communauté
          • Seconde approche
            • Les plus-values résultant du travail d’un époux peuvent être appréhendées comme constituant des accessoires du bien propre dont elles augmentent la valeur.
            • Dans cette hypothèse, il y aurait lieu de faire application de l’article 1406, al. 1er du Code civil et donc de leur attribuer la qualification de bien propre
        • Non sans avoir hésité, la jurisprudence a finalement opté pour la seconde approche, considérant, au surplus, que la communauté n’avait pas droit à récompense.
        • Dans un arrêt du 5 avril 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la plus-value procurée par l’activité d’un époux ayant réalisé lui-même certains travaux sur un bien qui lui est propre, ne donne pas lieu à récompense au profit de la communauté» ( 1ère civ. 5 avr. 1993, n°91-15139).
        • Elle a réaffirmé sa position plus récemment sa position dans une décision rendue le 26 octobre 2011 ( 1ère civ. 26 oct. 2011, n°10-23994).
        • La raison en est que la reconnaissance d’un droit à récompense suppose l’existence d’un mouvement de valeur entre une masse propre et la communauté.
        • Or ce mouvement de valeur fait défait en cas de réalisation d’une plus-value.
        • D’où la position adoptée par la Cour de cassation.

==> Les dépenses de conservation et d’amélioration

L’article 1416 prévoit que lorsque la communauté a financé la conservation et l’amélioration d’un bien propre, elle a droit à récompense.

Ces dépenses sont toutes celles exposées pour la réalisation de travaux qui présentent une certaine importance et qui ne sont pas périodiques (travaux d’agrandissement, rénovation de la toiture, ravalement de la façade etc.). Ces travaux visent, soit à maintenir le bien en bon état (conservation), soit à lui apporter une plus-value (amélioration).

Les dépenses de conservation et d’amélioration s’opposent aux dépenses d’entretien, lesquelles se caractérisent par leur périodicité et leur moindre coût (impôts fonciers, primes d’assurance, charges de copropriété etc.).

Tandis que les premières sont réputées être acquittées par un prélèvement sur le capital, les secondes ont quant à elles vocation à être financées par les fruits que le bien procure à son propriétaire.

Aussi, seules les dépenses de conservation et d’amélioration ouvrent droit à récompense, à tout le moins lorsqu’elles sont réglées au moyen de deniers communs.

À cet égard, dans un arrêt du 20 février 2007 la Cour de cassation est venue préciser que « les fruits et revenus des biens propres ont le caractère de biens communs ; que, dès lors, donne droit à récompense au profit de la communauté l’emploi des revenus d’un bien propre à son amélioration » (Cass. 1ère civ. 20 févr. 2007, n°05-18.066).

Ainsi, lorsque la conservation ou l’amélioration d’un bien est financée par des revenus de propres, la communauté aura droit à récompense dans la mesure où ces revenus endossent la qualification de biens communs.

?) Les dépenses se rapportant à un propre n’ouvrant pas droit à récompense

Contrairement aux dépenses de conservation et d’amélioration, les dépenses d’entretien n’ouvrent pas droit à récompense lorsqu’elles sont acquittées au moyen de deniers communs.

Comme indiqué ci-dessus, les dépenses d’entretien ne sont autres que les dépenses courantes, lesquelles présentent une certaine périodicité, sont modestes et ne se rapportent pas à de grosses réparations.

Au nombre des dépenses d’entretien on compte les primes d’assurance, les impôts fonciers ou encore les charges de copropriété.

Les dépenses d’entretien doivent donc être supportées, à titre définitif, par la communauté et non par l’époux auquel le bien appartient un propre.

La raison en est que, ces dépenses sont réputées se rapporter à la jouissance de la chose. À ce titre, elles doivent être supportées par celui qui profite de cette jouissante.

Or ainsi qu’il l’a été relevé par la Cour de cassation dans un arrêt du Authier rendu en date du 31 mars 1992, c’est la communauté qui la jouissance du bien, les fruits générés par celui-ci lui revenant (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-17212).

Arrêt « Authier »
(Cass. 1ère civ. 31 mars 1992)
Attendu, qu'un jugement du 18 janvier 1981, confirmé par un arrêt du 2 février 1982 a prononcé le divorce de M. Y... et Mme X... en prescrivant la liquidation de la communauté conjugale existant entre eux ; que, statuant sur des difficultés afférentes à cette liquidation, l'arrêt attaqué a dit qu'au titre de l'acquisition d'un immeuble propre, à Ormesson, Mme X... était redevable de " récompenses " se montant à 109 980 francs pour la communauté conjugale et à 16 136 francs pour M. Y... ; que cet arrêt a rejeté la demande de Mme X... pour obtenir le paiement d'une récompense de 68 090,96 francs par la communauté et décidé que toutes les parts d'une société Wilson 30, qui dépendait de la communauté au jour de sa dissolution, devraient être comprises dans le partage, pour leur valeur à la date de celui-ci, malgré la cession d'une fraction d'entre elles, réalisée par Mme X... après la dissolution de la communauté par le divorce ;

Sur le deuxième moyen : (sans intérêt) ;

Mais sur le premier moyen :

Vu les articles 1401 et 1403, 1433 et 1437 du Code civil, ensemble les articles 1469 et 1479 du même Code ;

Attendu que la communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens ; que, dès lors, leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit de la communauté lorsqu'il a été fait avec des fonds communs ; qu'il s'ensuit que l'époux, qui aurait acquitté une telle dette avec des fonds propres, dispose d'une récompense contre la communauté ;

Attendu que pour chiffrer la récompense due par Mme X... à la communauté ayant existé entre elle-même et M. Y..., ainsi que l'indemnité qu'elle a cru devoir reconnaître à ce dernier, en raison des annuités servies par eux pour l'acquisition de l'immeuble d'Ormesson, la cour d'appel a retenu comme éléments de calcul, le prix d'acquisition du bien, sa valeur au jour du partage et les sommes versées par la communauté et le mari en capital et intérêts ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que pour déterminer la somme due par un époux, en cas de règlement des annuités afférentes à un emprunt souscrit pour l'acquisition d'un bien qui lui est propre, il y a lieu d'avoir égard à la fraction ainsi remboursée du capital, à l'exclusion des intérêts qui sont une charge de la jouissance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

[…]

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives à l'évaluation de la récompense due à la communauté par Mme X... et de la créance personnelle de M. Y... à l'encontre de cette dernière, ainsi qu'aux modalités de partage des parts de la société Wilson 30, l'arrêt rendu le 24 avril 1990, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens

  • Faits
    • Un couple marié sous le régime de la communauté d’acquêts a fait l’acquisition, en 1974, d’un immeuble financé par :
      • Des deniers appartenant en propre à l’épouse
      • Des fonds communs
      • Un emprunt contracté solidairement par les époux
    • Il a été convenu entre les époux que cet immeuble appartiendrait en propre à l’épouse.
    • Reste que son acquisition a, pour partie, été financée par des fonds communs.
    • Quant à l’emprunt son remboursement a été supporté par la communauté pendant trois ans.
    • Il en est résulté, lors de la liquidation du régime matrimonial, la naissance d’un droit à récompense au profit de la communauté.
    • Si les époux étaient d’accord sur le bien-fondé de ce droit à récompense, ils se sont en revanche disputés, entre autres points de discordances que nous n’aborderons pas ici, ses modalités de calcul.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 24 avril 1990, la Cour d’appel de Paris a octroyé une récompense à la communauté en retenant comme éléments de calcul, outre le prix d’acquisition du bien et sa valeur au jour du partage, les sommes versées par la communauté et le mari en capital augmenté des intérêts.
    • Ce qui retient l’attention ici c’est la prise en compte des intérêts dans le calcul de la récompense.
    • Tandis que le remboursement du capital de l’emprunt consiste en une dépense d’acquisition qui doit être supportée par le seul propriétaire du bien – au cas particulier l’épouse – il en va différemment des intérêts.
    • Ces derniers, que l’on peut qualifier de loyer de l’argent, se rapportent plutôt à la jouissance de la chose.
    • En l’espèce, le bien acquis servait de logement familial au couple marié, de sorte que c’est la communauté qui avait la jouissance de la chose.
    • En toute logique c’est donc à elle qu’il revenait de supporter la charge des intérêts.
    • Les juges du fond ne l’ont toutefois pas entendu ainsi.
    • À l’analyse, en intégrant dans l’assiette de calcul de la récompense les intérêts, cela revenait à les appréhender comme une dette personnelle.
    • Et si les intérêts constituent une dette personnelle, cela signifie que leur face opposée, soit les revenus tirés de la jouissance de la chose, sont des biens propres.
    • C’est donc une décision contraire à la solution adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 6 juillet 1982 ( 1ère civ. 6 juill. 1982, n°81-12680) qui a été prise ici par la Cour d’appel.
  • Décision
    • Dans l’arrêt rendu en date du 31 mars 1992, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel.
    • Au soutien de sa décision elle affirme que « la communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens ; que, dès lors, leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit de la communauté lorsqu’il a été fait avec des fonds communs ; qu’il s’ensuit que l’époux, qui aurait acquitté une telle dette avec des fonds propres, dispose d’une récompense contre la communauté».
    • Ainsi, pour la Première chambre civile, les intérêts de l’emprunt souscrit par les époux constituent « la charge de la jouissance» du bien propre acquis.
    • Or cette jouissance a profité à la communauté.
    • La Cour de cassation en déduit que le remboursement des intérêts d’emprunt devait être supporté, non pas par l’épouse comme affirmé par la Cour d’appel, mais par la communauté à laquelle il n’est donc pas dû récompense pour cette partie du financement du bien propre.

De façon générale, toutes les dépenses se rapportant à la jouissance de la chose doivent être supportées, à titre définitif, par la communauté, cette dernière ayant vocation à percevoir les fruits produits par les biens appartenant en propre aux époux.

Dans l’arrêt Authier, la Cour de cassation retient que ce sont les intérêts d’emprunt qui constituent la contrepartie de la jouissance du bien propre financé par la communauté et que, par voie de conséquence, elle n’a droit à récompense que pour le remboursement du capital.

Dans un arrêt du 7 novembre 2018, elle a admis qu’il en allait de même pour l’indemnité de remboursement anticipé d’un prêt (Cass. 1ère civ. 7 nov. 2018, n°17-25.965).

Tel est également le cas des impôts fonciers attachés à la jouissance d’un bien propre (Cass. 1ère civ. 7 mars 2000, n°97-11.524), et plus discutablement pour la rente viagère donnant une donation-partage (Cass. 1ère civ. 15 mai 2008, n°07-11.460).

iii. La donation de biens communs

==> Principe général

Exception faite de la donation de gains et salaires qui échappe au principe de cogestion (Cass. 1ère civ. 29 févr. 1984, n°82-15.712), lorsqu’une donation est accomplie sur des biens communs elle requiert le consentement des deux époux.

L’article 1422 du Code civil prévoit en ce sens que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté. »

Cette disposition soumet ainsi à la gestion conjointe des époux les donations portant sur un élément d’actif de la communauté.

Pour rappel, plusieurs éléments caractérisent une donation :

  • Un contrat
    • La donation s’analyse tout d’abord en un contrat, en ce que sa conclusion requiert un accord des volontés
    • Le donateur consent une libéralité à un donataire qui doit l’accepter
    • C’est là une distinction majeure avec le legs qui consiste en un acte unilatéral dont la validité est subordonnée à l’expression d’une volonté solitaire
  • Un contrat à titre gratuit
    • La donation constitue un acte à titre gratuit en ce que l’une des parties (le donateur) procure à l’autre (le donataire) un avantage sans attendre ni recevoir de contrepartie.
    • La donation forme ainsi avec le legs la catégorie des libéralités.
    • Par libéralité, il faut entendre l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne
  • Un contrat à titre gratuit entre vifs
    • La donation est un acte conclu entre vifs, car le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte.
    • La libéralité ainsi consentie produit ses effets du vivant du donateur.
    • C’est là une autre différence majeure avec le legs qui est un acte de disposition à cause de mort et qui donc ne produit ses effets qu’au décès du testateur.

Dès lors que ces éléments constitutifs de la donation sont réunis, l’acte de disposition qui porte sur des biens communs requiert le consentement des deux époux.

Lorsque cette condition est remplie, d’aucuns avancent que chaque époux doit une récompense à la communauté pour la moitié dans la mesure où elle s’est appauvrie.

D’autres soutiennent le contraire, considérant que l’octroi de ce droit à récompense est sans incidence sur les rapports réciproques des époux.

Si cette question n’est, pour l’heure, pas tranchée, les auteurs s’accordent en revanche sur le sort des donations de biens communs qui auraient été consenties par un seul époux au mépris du principe de gestion conjointe énoncé à l’article 1422 du Code civil.

En pareil cas, deux situations doivent être distinguées :

  • Première situation
    • L’époux dont le consentement n’a pas été sollicité peut exercer une action en nullité sur le fondement de l’article 1427 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « l’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté. »
    • Lorsque l’action est engagée dans les délais, le bien qui a fait l’objet de la donation annulée est réintégré dans la masse commune.
    • Faute d’appauvrissement de la communauté, aucune récompense ne lui est due
  • Seconde situation
    • L’action en nullité prévue par l’article 1427 du Code civil est prescrite.
    • Dans cette hypothèse, le bien qui a été aliéné à titre gratuit par un époux sans le consentement de son conjoint ne pourra donc pas être réintégré dans le patrimoine commun.
    • Parce que la communauté s’en trouve lésée, il est admis qu’une récompense lui est due

==> Cas particulier des donations consenties à des enfants communs

Certaines donations de biens communs qui relèvent de textes spéciaux. Il s’agit de celles consistant en la constitution de dots au profit d’enfants communs.

Il ressort des articles 1438 et 1439 du Code civil qu’il y a lieu de distinguer deux situations :

  • Première situation : la dot est constituée par un époux et autorisée par le conjoint
    • Dans cette hypothèse, le conjoint n’est donc pas partie à l’acte. Il a seulement autorisé la donation.
      • Principe
        • L’article 1439, al. 1er du Code civil prévoit que « la dot constituée à l’enfant commun, en biens de la communauté, est à la charge de celle-ci. »
        • Autrement dit, la communauté n’aura pas droit à récompense
      • Exception
        • Lorsque la donation est autorisée par le conjoint, l’époux donateur peut déclarer expressément qu’il entend supporter à titre personnel la charge de cette donation pour le tout ou pour une part supérieure à la moitié ( 1439, al. 2e C. civ.)
        • Dans cette hypothèse, la communauté aura droit à récompense pour la part excédant la moitié de la donation
  • Seconde situation : la dote est constituée conjointement par les deux époux
    • Dans cette hypothèse, les deux époux sont partie à l’acte de donation
    • Ils sont alors réputés avoir voulu supporter la charge de la donation chacun pour moitié
    • L’article 1438, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « si le père et la mère ont doté conjointement l’enfant commun sans exprimer la portion pour laquelle ils entendaient y contribuer, ils sont censés avoir doté chacun pour moitié, soit que la dot ait été fournie ou promise en biens de la communauté, soit qu’elle l’ait été en biens personnels à l’un des deux époux. »
    • S’agissant du droit à récompense de la communauté il convient de distinguer deux situations
      • La libéralité porte exclusivement sur des biens communs
        • Dans cette hypothèse, chaque époux doit récompense à la communauté à concurrence de la moitié de la donation
      • La libéralité porte pour plus de la moitié sur les propres d’un époux
        • Dans cette hypothèse, l’article 1438, al. 2e du Code civil prévoit que « l’époux dont le bien personnel a été constitué en dot, a, sur les biens de l’autre, une action en indemnité pour la moitié de ladite dot, eu égard à la valeur du bien donné au temps de la dotation»
        • Autrement dit, cet époux dispose d’un recours, non pas contre la communauté, mais contre son conjoint pour le trop payé

iv. La constitution d’un droit au profit d’un époux financée par des deniers communs

Dans cette hypothèse, un droit propre a été constitué par un époux au profit du conjoint survivant au moyen de deniers communs.

Cette situation se rencontre notamment en matière de souscription d’un contrat d’assurance vie ou d’une rente viagère assortie d’une clause de réversibilité.

À l’analyse, ces opérations donnent indéniablement lieu à des mouvements de valeur entre la masse commune qui supporte la dépense de souscription et le patrimoine propre de l’époux au profit duquel le droit est constitué.

La question qui s’est alors posée si, en pareille hypothèse, la communauté avait droit à récompense.

==> La souscription d’un contrat d’assurance vie

La question qui ici se pose est donc de savoir si la communauté a droit à récompense, lorsque les primes dues au titre d’un contrat d’assurance-vie ont été réglées au moyen de deniers communs.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article L. 132-16 du Code des assurances qui prévoit qu’aucune récompense n’est due à la communauté, en raison des primes payées par elle, sauf dans le cas énoncé à l’article L. 132-13, soit lorsque les sommes versées par le contractant à titre de primes ont été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

Encore faut-il néanmoins que le contrat d’assurance ait souscrit au bénéfice du conjoint.

S’il a été souscrit au profit d’un tiers, la communauté aura droit à récompense, la jurisprudence considérant que, en pareille hypothèse, le contrat est réputé avoir été conclu dans l’intérêt personnel de l’époux souscripteur (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 juill. 1996, n°94-18.733).

La Cour de cassation a retenu la même solution lorsque le conjoint bénéficiaire est décédé « sans avoir accepté le bénéfice des contrats d’assurance-vie » (Cass. 1ère civ. 22 mai 2007, n°05-18.516).

==> La constitution d’une rente viagère

Parmi les créances dont sont susceptibles d’être titulaires les époux, il y a les rentes viagères.

Ces créances se distinguent de celles expressément visées par l’article 1404 al. 1er du Code civil en ce que, d’une part, elles sont le plus souvent d’origine conventionnelle et, d’autre part, elles sont cessibles.

Pour cette raison, elles sont exclues du domaine d’application du texte, à tout le moins pris dans sa première partie. Est-ce à dire qu’elles tombent en communauté ?

C’est la question qui s’est posée en jurisprudence et qui a agité la doctrine avant l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.

Lorsqu’une rente viagère est contractée pour le bénéfice d’un époux elle présente indéniablement un caractère personnel.

Pour cette raison, il a très tôt été admis par les juridictions qu’il y avait lieu de faire application de l’article 1404, al. 1er in fine et donc de conférer aux rentes viagères la qualification de biens propres par nature.

Si cette solution se justifie pleinement lorsque la constitution de la rente est intervenue avant la célébration du mariage ou lorsqu’elle a été financée par des deniers propres, une difficulté survient lorsque ce sont des fonds communs qui ont été affectés à la souscription de la rente viagère.

Plus précisément en pareille circonstance la question se pose de savoir si la communauté n’aurait-elle pas droit à récompense ?

Plusieurs situations doivent être distinguées :

  • La rente viagère a été constituée par un époux au profit de son conjoint
    • Dans cette hypothèse, il y a lieu de distinguer selon que l’époux souscripteur est ou non animé d’une intention libérale
      • L’époux souscripteur est animé d’une intention libérale
        • La rente viagère est toujours exclue de la masse commune.
        • Aucune récompense n’est due à la communauté, quand bien même la rente a été financée par des fonds communs.
      • L’époux souscripteur n’est pas animé par une intention libérale
        • Dans cette hypothèse, la rente viagère constitue un bien propre
        • Néanmoins, lorsque le coût de sa constitution est supporté par la communauté, une récompense lui est due
  • La rente viagère a été constituée par les deux époux avec clause de réversibilité au profit du survivant
    • Dans cette hypothèse, la rente viagère constitue toujours un bien propre.
    • À cet égard, l’article 1973 du Code civil prévoit que « lorsque, constituée par des époux ou l’un d’eux, la rente est stipulée réversible au profit du conjoint survivant, la clause de réversibilité peut avoir les caractères d’une libéralité ou ceux d’un acte à titre onéreux»
    • Il ressort de cette disposition que lorsque la constitution d’une rente viagère a été financée avec des fonds communs, selon que la clause de réversibilité a été stipulée à titre onéreux ou à titre gratuit une récompense pourra ou non être due à la communauté.
    • Le texte précise que « sauf volonté contraire des époux, la réversion est présumée avoir été consentie à titre gratuit. »
    • Pratiquement, deux situations doivent donc être distinguées
      • La clause de réversibilité a été stipulée à titre gratuit
        • Tel sera le cas en l’absence de précision dans le contrat de souscription de la rente sur le caractère gratuit ou onéreux de la clause de réversibilité.
        • Aucune récompense n’est alors due à la communauté
      • La clause de réversibilité a été stipulée à titre onéreux
        • Pour que la clause de réversibilité présente un caractère onéreux, ce doit être expressément stipulé dans le contrat de souscription de la rente.
        • Ce n’est que si c’est condition est remplie qu’une récompense sera due à la communauté.
  • La rente viagère a été constituée par l’un des époux à son profit personnel
    • Lorsqu’une rente est constituée par un époux à son profit personnel, il est admis qu’il y a lieu de faire jouer l’article 1404 du Code civil, de sorte qu’elle constitue un bien propre par nature.
    • Lorsque, néanmoins, sa constitution est financée par des deniers communs, la communauté a droit à récompense.

v. La négligence dans la perception des revenus tirés d’un propre

==> Principe

L’article 1403, al. 2e du Code civil prévoit que « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés. »

Il ressort de cette disposition que c’est la perception qui fait tomber en communauté les revenus tirés d’un bien propre.

A contrario, cela signifie que les fruits non perçus sont insusceptibles d’être inscrits à l’actif commun.

C’est là une différence majeure avec les gains et salaires qui sont communs avant même leur perception.

Aussi, tant que les revenus de propres sont au stade de créance, ils échappent à la communauté.

Dès lors, en revanche, que la créance devient exigible, notamment en cas de survenance du terme de l’obligation, ils se transforment en revenus perceptibles et donc en biens communs.

La conséquence pratique de l’absence d’inscription à l’actif commun des créances de revenus de propres, c’est l’absence de droit à récompense au profit de la communauté, sauf à ce que soit établie une négligence fautive dans leur perception.

==> Exception

  • Le contenu du droit à récompense
    • L’article 1403 du Code civil prévoit qu’une récompense pourra être due à la communauté, lors de la liquidation du régime matrimonial, « pour les fruits que l’époux a négligé de percevoir».
    • Il s’agit là d’une exception au principe d’exclusion des créances de revenus de propres de la masse commune.
    • Cette exception se justifie par l’attitude de l’époux qui aurait dû percevoir les revenus de ses propres, mais qui ne l’a pas fait par négligence.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par négligence.
    • De l’avis général des auteurs, la négligence consiste à ne pas percevoir les fruits lors de l’arrivée à échéance de la créance, à tout le moins si l’époux reste passif, il sera réputé avoir été négligent.
    • Charge à lui de rapporter la preuve contraire en établissant une cause légitime. Il pourra s’agir :
      • De l’octroi d’un délai de grâce au débiteur par une juridiction en application de l’article 1343-5 du Code civil
      • De l’existence situation d’insolvabilité du débiteur qui se trouve dans l’incapacité de régler les revenus dus à l’époux
    • Quant à la remise de dette conventionnelle, qui donc serait consentie en dehors de toute procédure judiciaire, elle s’analyse en une libéralité.
    • En effet, comme relevé par des auteurs, « la remise de dette suppose l’acceptation du moins tacite du débiteur, ce qui signifie, pour le créancier, qu’il a disposé du bien, donc qu’avant d’en disposer il l’avait perçu, ne serait-ce qu’un instant de raison»[5].
    • Parce que l’acte de perception serait donc caractérisé, une remise de dette conventionnelle ouvrirait droit à récompense au profit de la communauté.
  • La mise en œuvre du droit à récompense
    • L’article 1403, al. 2e in fine du Code civil prévoit que, lorsque la communauté a droit à récompense au titre de la négligence imputable à un époux dans la perception des revenus de ses propres aucune recherche ne sera recevable au-delà des cinq dernières années.
    • Autrement dit, n’entreront dans l’assiette de calcul des récompenses que les revenus dont la perception a été négligée durant les cinq dernières années à compter de la dissolution de la communauté.
    • Si la dissolution est intervenue à l’année N, seules les créances de revenus jusqu’à N-5 pourront être intégrées dans le calcul de la récompense due à la communauté.

B) L’évaluation des récompenses

Les règles qui président à l’évaluation des récompenses ont connu une profonde modification lors de la réforme introduite par la loi n°65-570 du 13 juillet 1965.

La raison en est la prise de conscience du législateur qui a souhaité corriger un dispositif qui s’était révélé injuste lors des différentes périodes de dépréciation monétaire intervenues à partir de 1914.

Au cours du XXe siècle le franc a fait l’objet de pas moins de 17 dévaluations, dont la plupart au cours des années 1950.

Afin de bien comprendre pourquoi ces périodes de dépréciation de la monnaie ont conduit le législateur à réformer le système d’évaluation des récompenses, il y a lieu de s’arrêter un instant sur l’état du droit avant la réforme opérée par la loi du 13 juillet 1965.

Sous l’empire du droit antérieur, les récompenses étaient évaluées selon les règles du droit commun des obligations.

Plus précisément, on distinguait selon que la récompense était due au titre d’une impense ou au titre d’une autre cause.

Pour mémoire, une impense consiste en une dépense de conservation ou d’amélioration d’un bien meuble ou d’un immeuble.

En substance, l’évaluation des récompenses s’opérait donc comme suit :

  • Lorsque la récompense était due au titre d’une impense
    • Dans cette hypothèse, soit lorsque le patrimoine débiteur s’était enrichi au détriment du patrimoine qui a supporté la charge de l’impense, la récompense était calculée selon les règles de l’enrichissement sans cause.
    • Selon ce dispositif qui relève du régime général des obligations, l’indemnité due à l’appauvri est égale « à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement» ( 1303 C. civ.).
    • Lorsque l’impense présentait un caractère nécessaire, il était admis que l’indemnité ne pouvait jamais être inférieure à la dépense faite.
    • En pratique, cela revenait à retenir presque systématiquement la dépense faite, soit parce que présentant un caractère nécessaire, soit parce que supérieure à la plus-value réalisée sur le bien.
  • Lorsque la récompense n’était pas due au titre d’une impense
    • Dans cette configuration, faute de précision légale, il était admis que la récompense devait correspondre au montant de la dépense faite, alors même qu’il en était résulté un enrichissement moindre pour le patrimoine débiteur de la récompense.
    • Il s’agissait là d’une stricte application du principe du nominalisme monétaire.
    • Selon ce principe, le débiteur d’une obligation doit verser la somme correspondant au montant nominal de sa dette, même si la valeur de la monnaie a varié.
    • Concrètement, cela signifie qu’une dette dont la valeur nominale est 100 contractée en franc dans les années 1950, vaudra, selon le taux de conversion instituée en 1999, approximativement 15 euros aujourd’hui.
    • Cette égalité ne correspond pour autant pas à la réalité économique.

En période de stabilité monétaire, ce dispositif d’évaluation des récompenses a relativement bien fonctionné.

La valeur de la monnaie étant constante, il était indifférent que, en pratique, le montant de la récompense due au patrimoine créancier soit la plupart du temps égal à la dépense supportée par le patrimoine débiteur, à tout le moins cela ne contrevenait pas à l’équité.

Ce système a toutefois commencé à montrer ses limites dès lors que la monnaie a fait l’objet de dépréciation au cours de périodes qui se sont multipliées.

Parce que les récompenses consistent en des dettes dont le règlement est différé à la dissolution du mariage, de sorte qu’il peut s’écouler un long délai entre leur fait générateur et leur exigibilité, elles ont été particulièrement touchées par l’instabilité monétaire qui s’est installée à partir du début du XXe siècle.

Pour illustrer ce phénomène, prenons l’exemple de travaux d’amélioration d’un immeuble appartenant en propre à un époux entièrement financés par la communauté en 1920 à hauteur de 20.000 francs.

En période de stabilité monétaire, la plus-value réalisée sur ce bien est généralement inférieure au coût des travaux. Disons que, pour notre exemple, le montant de cette plus-value est de 10.000 francs, ce qui porterait la valeur de l’immeuble de 100.000 à 110.000 francs.

En cas de liquidation de la communauté durant cette période, la récompense due à la communauté devrait, en toute rigueur, être égale au montant de la plus-value réalisée, soit de 10.000 francs, car représentant la plus faible des deux sommes en jeu (10.000 francs vs 20.000 francs).

Envisageons désormais que la dissolution du mariage intervienne trente ans plus tard et notamment après plusieurs périodes de dépréciation monétaire.

Dans cette hypothèse, la plus-value réalisée sur le bien devrait mécaniquement être incomparablement supérieure à la dépense initiale exposée par la communauté, à tout le moins en valeur nominale. Si l’immeuble vaut désormais 1.000.000 francs, la plus-value réalisée est de 900.000 francs.

Pour autant, parce que la récompense due est égale à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et l’enrichissement, son montant se limitera à la dépense faite, soit 20.000 francs, alors même que le patrimoine débiteur en a retiré un profit infiniment supérieur.

Manifestement, cette situation s’avère particulièrement inéquitable pour le patrimoine qui a supporté la dépense initiale et qui n’est pas indemnisé à hauteur de l’avantage économique que cette dépense a procuré au patrimoine auquel elle a profité.

Bien que cette anomalie ait porté devant les juridictions, la Cour de cassation s’est refusé à y remédier en acceptant que le principe du nominalisme monétaire puisse, en certaines circonstances, être écartée (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 11 avr. 1964).

Cette inflexibilité de la jurisprudence n’a laissé d’autre choix au législateur que d’intervenir, ce qu’il a fait à l’occasion de l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.

Le système d’évaluation des récompenses, dont le siège est toujours l’article 1469 du Code civil, a été profondément remanié, étant précisé que cette réforme était d’application immédiate, y compris pour les communautés non encore liquidées au jour de l’entrée en vigueur de la loi.

Le dispositif institué par cette loi s’articule autour d’un principe et de deux exceptions. Bien que l’économie générale de ce dispositif s’inspire grandement de la théorie de l’enrichissement sans cause, il s’en distingue en ce qu’il comprend des correctifs permettant de déjouer certaines conséquences fâcheuses du principe du nominalisme monétaire.

1. Principe

L’article 1469, al. 1er du Code civil prévoit que « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »

Immédiatement, la première observation qui frappe l’esprit à la lecture de cette règle c’est sa proximité avec le principe qui préside à l’évaluation de l’indemnité due au titre de l’enrichissement sans cause.

Pour mémoire, l’article 1303 du Code civil dispose que « celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »

Cette proximité entre les deux textes s’explique par la finalité commune qu’il poursuive : rétablir un équilibre qui a été rompu entre deux patrimoines, dont l’un s’est enrichi, au détriment de l’autre qui s’est appauvri.

On ne saurait, en effet, perdre de vue la fonction assignée aux récompenses : corriger les mouvements de valeurs qui sont intervenus au cours du mariage entre les différentes masses de biens et notamment entre la communauté et l’une ou l’autre masse propre des époux.

Cette correction, qui interviendra seulement au jour de la liquidation du régime, consiste en l’octroi d’une indemnité au patrimoine qui s’est appauvri.

Selon la règle énoncée au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil, cette indemnité est égale à la plus faible des deux sommes entre :

  • Soit la valeur empruntée au patrimoine auquel la récompense est due : la dépense faite
  • Soit l’avantage qui a été retiré de ce mouvement de valeur par le patrimoine qui doit la récompense : le profit subsistant

C’est donc un double plafond qui a été institué par la jurisprudence, puis par le législateur.

Cette règle se justifie par des considérations d’équité qui président à l’esprit du principe même des récompenses.

  • Si l’enrichi, après avoir bénéficié d’un avantage injustifié, devait restituer plus que ce qu’il a obtenu, il subirait à son tour un préjudice
  • Si l’appauvri, à l’inverse, après avoir subi une perte injustifiée, percevait plus que ce qu’il a perdu, il profiterait à son tour d’un enrichissement injustifié

Afin d’éviter que l’une ou l’autre situation ne se présente, la solution qui s’est imposée a été de prévoir que l’indemnité due au titre d’une récompense ne pouvait excéder, ni l’enrichissement du patrimoine débiteur, ni l’appauvrissement du patrimoine créancier.

D’où la règle de la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant instituée à l’article 1469, al. 1er du Code civil.

1.1 Contenu du principe

Afin d’appliquer le principe énoncé au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil, encore faut-il que l’on s’entende, sur ce que recouvrent les notions de « dépense faite » et de « profit subsistant ».

a. La dépense faite

La dépense faite correspond à la valeur empruntée au patrimoine qui s’est appauvri et qui, à ce titre, est créancier d’une récompense.

Le plus souvent, cette dépense consistera en un prélèvement de somme d’argent, lorsqu’il s’agira, par exemple, de financer le coût de travaux.

Dans cette hypothèse, la dépense faite correspond donc aux deniers qui ont été fournis par une masse de biens aux fins de régler le prix d’une prestation.

Reste que la dépense faite, telle qu’envisagée par l’article 1469, al. 1er du Code civil, ne se limite pas aux sommes décaissées par un patrimoine ; la notion doit être interprétée plus largement que son sens usuel.

La dépense faite doit être regardée comme visant plus généralement toute perte de valeur subie par une masse de biens.

Aussi, peut-elle consister en un prélèvement en nature (aliénation ou échange d’un bien) ou simplement en un manque à gagner (défaut de perception de fruits).

Prenons plusieurs exemples pour illustrer la variété des situations couvertes par la notion de dépense faite :

  • Lorsqu’un époux a aliéné un bien propre et que le produit de la vente est finalement tombé en communauté, faute d’accomplissement des formalités de remploi, la dépense faite correspond au prix de vente du bien.
  • Un époux peut avoir échangé un bien propre contre un autre bien, moyennant le paiement d’une soulte financée par la communauté et dont le montant est supérieur à la valeur du bien échangé. Dans cette hypothèse le nouveau bien tombe en communauté. Une récompense sera alors due à l’époux partie à l’échange. Pour lui, la dépense faite correspond, non pas au montant de la soulte réglée par la communauté, mais au prix du bien dont son patrimoine s’est appauvri.
  • Un époux peut avoir négligé de percevoir les fruits tirés d’un propre. En application de l’article 1403, al. 2e du Code civil, récompense est alors due à la communauté. La dépense faite correspond ici au gain manqué, soit à la valeur des fruits non perçus.

S’agissant de l’évaluation de la dépense faite, il est admis qu’elle doit intervenir, soit au jour du prélèvement du patrimoine qui s’est appauvri, soit au jour du transfert de valeur, faute de prélèvement.

En toute hypothèse, son évaluation ne donnera jamais lieu à revalorisation, contrairement à l’avantage qui en a été retiré par le patrimoine débiteur.

Le montant retenu sera toujours la valeur nominale à la date à laquelle la dépense a eu lieu.

C’est là une application du principe de nominalisme monétaire auquel la jurisprudence a conféré une portée générale (art. 1895 C. civ.).

b. Le profit subsistant

i. Notion

À la différence de l’évaluation de la dépense faite qui ne soulève pas de réelle difficulté en raison de sa coïncidence avec le jour où est intervenu le fait générateur de la récompense, l’évaluation du profit subsistant est une opération qui peut s’avérer complexe.

La raison en est la difficulté qu’il y a à évaluer l’enrichissement procuré par la dépense faite au patrimoine débiteur, en particulier lorsqu’il s’est écoulé une longue période entre le fait générateur de la récompense et la liquidation du régime.

À cela s’ajoutent les fluctuations monétaires qui sont susceptibles d’avoir affecté la valeur économique du bien sur lequel porte la plus-value qui ne correspond plus à la valeur nominale qu’il possédait au jour où l’opération génératrice de récompense a été réalisée.

Si l’on se focalise désormais sur la notion de profit subsistant, dans son sens général elle se définit comme l’enrichissement dont a bénéficié

Dans son sens général, le profit subsistant consiste en l’enrichissement dont a bénéficié le patrimoine débiteur de la récompense à raison de la dépense faite par le patrimoine créancier.

Dans un arrêt du 11 juin 1991 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le profit subsistant représente l’avantage réellement procuré au fonds emprunteur » (Cass. 1ère civ. 11 juin 1991, n°90-12.142).

C’est là une application de la théorie des dettes de valeur, de sorte que l’évaluation du profit subsistant, contrairement à l’évaluation de la dépense faite, est susceptible de donner lieu à revalorisation.

ii. Date d’évaluation

Parce que le profit subsistant correspond à l’avantage réellement procuré au patrimoine débiteur, il ne peut, a priori, pas s’apprécier au jour du fait générateur de la récompense.

En cas de dépréciation monétaire, cela reviendrait à retomber dans les inconvénients qui avaient conduit le législateur, en 1965, à abandonner l’ancien dispositif d’évaluation des récompenses.

En toute logique, son évaluation ne devrait donc intervenir qu’à compter de la dissolution de la communauté.

Deux dates peuvent alors être retenues :

  • Le jour de la dissolution de la communauté, qui correspond à la date à compter de laquelle les époux doivent établir un compte de récompenses
  • Le jour de la liquidation de la communauté, qui correspond à la date à compter de laquelle les époux doivent procéder au règlement des récompenses

Initialement, l’article 1469, al. 3e du Code civil, tel qu’il était issu de la loi du 13 juillet 1965 visait la date de dissolution de la communauté.

Cette date n’était toutefois pas sans soulever des difficultés lorsque la période d’indivision post-communautaire s’est étirée dans le temps.

En cas de fluctuations monétaires durant cette période, il est un risque que la valeur nominale du profit subsistant calculée au jour de la dissolution de la communauté ne corresponde plus à sa valeur économique au jour du règlement de la récompense.

Afin de remédier à cette anomalie, la Cour de cassation a adopté une position à rebours de la loi en posant dans un arrêt du 16 juillet 1969 que « c’est par une exacte application de cette disposition que les juges d’appel ont adopté pour date d’évaluation le jour de la liquidation ou le jour le plus proche possible » et de poursuivre que « si l’article 1473 du Code civil édicte que les récompenses emportent les intérêts de plein droit du jour de la dissolution de la communauté, il ne saurait en être déduit que l’évaluation du profit doit avoir lieu à cette dernière date » (Cass. 1ère civ. 16 juill. 1969, n°67-11.456).

Cette solution a été confirmée par un arrêt du 24 octobre 1972 aux termes duquel la Cour de cassation a jugé que « le profit subsistant est, en application de l’article 1469, habituellement calculé au jour de la liquidation ou au jour le plus proche possible ».

Dans cette décision elle précise que, en cas d’anticipation par les époux du règlement (Cass. 1ère civ. 24 oct. 1972, n°71-11.883).

Cet ajustement opéré par la jurisprudence s’agissant de la date d’évaluation du profit subsistant a conduit le législateur à modifier l’article 1469 pris en son alinéa 3e. Au lieu de se référer à la date de dissolution de la communauté, le texte vise dorénavant le jour de la liquidation.

En retenant la date de la liquidation de la communauté pour calculer le profit subsistant, l’article 1469, rompt totalement avec le principe du nominalisme monétaire qui présidait à l’évaluation des récompenses sous l’empire du droit antérieur à la loi du 13 juillet 1965.

Désormais, l’évaluation du profit retiré de la dépense faite par le patrimoine débiteur implique de procéder à une revalorisation des plus précises de la dette de récompense, notamment en tenant compte des événements intervenus entre la date de dissolution du mariage et la date de liquidation de la communauté, lesquels événements sont susceptibles d’avoir affecté la valeur économique du bien auquel se rapporte le profit subsistant.

Comme observé par des auteurs, « ce système conçu pour corriger les effets des fluctuations économiques et monétaires, conduit à retarder au maximum le moment de l’évaluation, afin de faire coïncider celui-ci avec la date du paiement effectif de la dette »[6].

Dans un arrêt du 24 octobre 1972, la Cour de cassation est néanmoins venue préciser que l’évaluation du profit subsistant pouvait intervenir à une date antérieure au jour de la liquidation.

Si, en effet, il est habituellement procédé au règlement des récompenses concomitamment au partage, il est des cas où ces deux opérations sont dissociées et donc sont conduites dans des intervalles de temps distincts.

Aussi, en cas d’anticipation par les époux du règlement des récompenses sans attendre le partage, ce qui est parfaitement autorisé, c’est au jour de l’arrêté des comptes que le profit subsistant devra être évalué (Cass. 1ère civ. 24 oct. 1972, n°71-11.883).

iii. Méthodes d’évaluation

Pratiquement, l’évaluation du profit subsistant consiste donc à déterminer le montant de l’enrichissement procuré par la dépense faite qui a subsisté dans le patrimoine débiteur de la récompense au jour de la liquidation de la communauté.

À l’analyse, il n’est pas de méthode de calcul unique qui permette d’évaluer le profit subsistant. Les méthodes varient selon l’opération génératrice de la créance de récompense.

Aussi, plusieurs situations sont susceptibles de se présenter. Nous envisagerons les plus courantes.

==> Les récompenses dues au titre du paiement d’une dette

Cette situation se rencontre lorsque, par exemple, la communauté a réglé la dette personnelle d’un époux et réciproquement lorsqu’un époux a acquitté une dette commune.

Dans l’une ou l’autre hypothèse, le profit retiré par le patrimoine débiteur de la récompense consiste, non pas en un enrichissement au sens strict, mais plutôt en une économie.

Est-ce à dire que le profit subsistant est nul ? Il n’en est rien. On considère qu’il est strictement égal à la dépense faite, soit au montant de l’économie procuré au patrimoine créancier de la récompense.

==> Les récompenses dues au titre d’une libéralité portant sur des biens communs

Cette situation se rencontre lorsqu’une libéralité portant sur des biens communs a été consentie par un époux à un tiers au mépris de l’accord de son conjoint.

Dans cette hypothèse, il est admis qu’une récompense est due à la communauté. Reste que, au cas particulier, le patrimoine de l’époux débiteur de la récompense ne s’est pas enrichi, à tout le moins n’a reçu aucune contrepartie.

Dès lors, comment évaluer le profit subsistant ? Il y a lieu de transposer le même raisonnement que pour les récompenses dues au titre du paiement d’une dette.

Autrement dit, le profit subsistant correspond à la dépense faite, soit à la somme prélevée sur la masse commune et dont il a été disposé par voie de libéralité.

==> Les récompenses dues au titre du financement de travaux d’amélioration ou de conservation d’un bien

Cette situation se rencontre lorsque, par exemple, la communauté a supporté le coût de travaux d’amélioration ou de conservation d’un propre.

Prenons l’exemple de l’installation d’un système de climatisation, dans un immeuble appartenant en propre à l’épouse, qui aurait été intégralement financée au moyen de deniers communs.

Afin de déterminer le montant du profit subsistant, il y a lieu de procéder ici à une double évaluation.

Il convient, en effet, d’estimer ce que vaudrait l’immeuble au jour de la liquidation de la communauté sans la réalisation des travaux d’installation et ce qu’il vaut, à cette même date, en tenant compte de la réalisation des travaux.

La différence entre ces deux évaluations constitue le profit subsistant.

Soit un immeuble dont la valeur est estimée au jour de la liquidation de la communauté :

  • Sans les travaux, à 100.000 €
  • Avec les travaux, à 120.000 €

Le profit subsistant correspond donc à la différence entre ces deux montants, soit :

120.000 – 100.000 = 20.000 €

==> Les récompenses dues au titre de l’acquisition d’un bien

Cette situation se rencontre lorsque, par exemple, la communauté a financé l’acquisition des instruments de travail d’un époux qui, en application de l’article 1404, al. 2e du Code civil, constituent des biens propres par nature.

Dans cette hypothèse, le profit subsistant correspond à la valeur de ces instruments au jour de la liquidation de la communauté.

Soit, des instruments de travail acquis au prix de 2.000 € au moyen de deniers communs. Au jour de la liquidation, ils ne valent plus que 1.500 € en raison de leur état d’usage.

Tandis que la dépense faite correspond au prix d’achat du bien, soit 2.000 euros, le profit subsistant est égal, quant à lui, à la valeur du bien au jour de la liquidation de la communauté, soit 1.500 €.

==> Les récompenses dues au titre de la contribution à l’acquisition d’un bien

Cette situation se rencontre lorsqu’un patrimoine a apporté sa contribution à l’acquisition d’un bien appartenant à un autre patrimoine.

Tel est le cas, par exemple, lorsque des deniers communs sont utilisés par un époux aux fins d’acquérir un bien propre dans le cadre d’un remploi.

Supposons un bien dont le coût d’acquisition est de 500.000 euros, réparti entre la communauté et le patrimoine propre d’un époux

  • La communauté contribue à hauteur de 200.000 €
  • Le patrimoine propre contribution à hauteur de 300.000 €

Au jour de la liquidation, la valeur du bien est estimé à 800.000 €.

La question qui alors se pose est de savoir quel est le montant du profit subsistant ?

Pour le déterminer, il convient de déterminer la part contributive de la communauté exprimée en fraction et de reporter cette fraction à la valeur estimée du bien au jour de la liquidation de la communauté.

Au cas particulier, la part contributive de la communauté est , soit en simplifiant : 2/5e

Le profit subsistant est donc égale à : 2/5e X 800.000, soit 320.000 €

Parce que le patrimoine créancier de la récompense n’a fourni qu’une partie des fonds qui ont permis l’acquisition du bien, le profit subsistant ne saurait être égal à l’intégralité de l’enrichissement ayant bénéficié au patrimoine emprunteur.

Le profit qui subsiste au jour de la liquidation ne peut se rapporter qu’à une fraction de cet enrichissement.

Cette méthode de calcul qui s’applique en cas de contribution d’un patrimoine à l’acquisition d’un bien qui se retrouve dans le patrimoine emprunteur, peut être transposée à des cas analogues et notamment en cas d’échange d’un bien contre un autre moyennant le paiement d’une soulte.

==> Les récompenses dues au titre de la contribution au paiement d’une soulte réglée dans le cadre d’un échange

Cette situation se rencontre lorsqu’un bien relevant d’un patrimoine est échangé contre un autre moyennant le paiement d’une soulte dont le coût est supporté, pour partie, par un autre patrimoine.

Afin de déterminer le montant du profit subsistant, il y a lieu de procéder de la même façon que précédemment, soit d’exprimer en fraction la part contributive du patrimoine créancier de la récompense quant à l’opération globale d’acquisition, puis de reporter cette fraction à la valeur estimée du bien acquis au jour de la liquidation.

Supposons un immeuble propre valant 150.000 € échangé contre un autre immeuble valant 200.000 €.

La soulte à régler sera ici de 50.000 € dont le coût sera réparti comme suit :

  • 30.000 € réglés par la communauté
  • 20.000 € réglés par le patrimoine propre emprunteur

Supposons que l’opération globale est assortie de frais pris en charge par la communauté dont le montant s’élève à 10.000 €, de sorte que le coût global de l’opération est de :

  • 200.000 + 10.000 = 210.000 €.

S’agissant de la part contributive du patrimoine commun, elle est de :

  • 30.000 + 10.000 = 40.000 €

Exprimée en fraction, cette part contributive est de : 40.000/210.000, soit en simplifiant : 4/21e

A supposer que, au jour de la liquidation, l’immeuble acquis dans le cadre de l’opération d’échange vaille 500.000 euros, le profit subsistant est pour le patrimoine emprunteur de :

4/21e X 500.000 = 95.238 €

Une récompense est donc de à la communauté à hauteur de 95.238 €.

1.2 Application

Pour mémoire, le principe énoncé à l’article 1469 du Code civil dit que : « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »

Il ressort de ce principe que le montant de la récompense due est enfermé dans les limites d’un double maximum :

  • La dépense faite
  • Le profit subsistant

Afin de déterminer le montant de la récompense, il convient de retenir la plus faible de ces deux sommes.

Illustrons cette règle en prenant un exemple, étant précisé que les cas donnant lieu à son application sont rares, tant les exceptions dont cette règle est assortie couvrent les situations les plus fréquentes.

Supposons l’acquisition d’instruments de travail qui, en application de l’article 1404, al. 2e du Code civil sont des propres par nature, mais dont le coût est intégralement supporté par la communauté.

  • Le coût d’acquisition est de 25.000 €
  • La valeur des instruments de travail au jour de la liquidation est estimée à 7.000 €

Afin de déterminer le montant de la récompense, il convient ici de déterminer quelle est la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant.

Au cas particulier, il s’agit du profit subsistant qui est égal à la valeur du bien au jour de la liquidation, soit 7.000 €.

La récompense due à la communauté s’élève donc à 7.000 €.

2. Exceptions

Le principe énoncé au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil est assorti de deux exceptions envisagées successivement aux alinéas 2 et 3 de ce même texte.

2.1 L’exception tenant aux dépenses nécessaires : art. 1469, al. 2e civ.

a. Exposé de la règle

L’article 1426, al.2e du Code civil prévoit que la récompense ne peut « être moindre que la dépense faite quand celle-ci était nécessaire. »

Il ressort de cette disposition que, en cas de dépense nécessaire, le patrimoine qui a supporté, à titre temporaire, cette charge doit être intégralement remboursé.

Il s’agit là d’une stricte application de la théorie des impenses qui oblige le propriétaire d’un bien à indemniser celui qui a pris des mesures nécessaires à la conservation de ce bien à hauteur des frais exposés.

La règle énoncée au deuxième alinéa de l’article 1469 du Code civil se justifie par la situation dans laquelle se trouve le patrimoine emprunteur.

Si, en effet, la dépense n’avait pas été réglée par le patrimoine créancier de la récompense, il aurait été, compte tenu de la nécessité de la dépense, contraint de la supporter lui-même.

Pour cette raison, il est juste qu’il restitue, dans son intégralité, l’avantage qui lui a été procuré par la prise en charge de cette dépense, quand bien même le profit subsistant serait nul.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par dépense nécessaire, le principe posé à l’article 1469, al. 2e du Code civil ne s’appliquant qu’à cette seule catégorie de dépenses.

Deux approches sont envisageables :

  • Une approche restrictive
    • Selon cette approche, tirée de la théorie des impenses, les dépenses nécessaires correspondent à toutes celles qui visent à assurer la conservation du bien.
    • Plus précisément, il s’agit des dépenses qui ont pour finalité de prévenir le dépérissement du bien, voire sa disparition.
  • Une approche extensive
    • Selon cette approche, le domaine des dépenses nécessaires, au sens de l’article 1469, al. 2e du Code civil, déborderait le périmètre des simples impenses, soit des dépenses sans lesquelles le bien aurait dépéri.
    • Ici, les dépenses nécessaires couvriraient toutes celles qui sont économiquement utiles et qui, surtout, répondent à un besoin impérieux, soit de nature familiale, soit de nature professionnelle.

À la différence de l’approche restrictive qui appréhende la nécessité de la dépense au regard de son affectation à la conservation du bien, l’approche extensive envisage plutôt cette nécessité à l’aune des circonstances dans lesquelles la dépense a été exposée.

À l’analyse, la jurisprudence semble avoir plutôt opté pour la seconde approche, soit celle consistant à considérer que, dès lors que les circonstances rendent indispensable la dépense, le critère de nécessité est rempli.

Dans un arrêt du 14 novembre 2007, la Cour de cassation a jugé, en ce sens, que parce que « les instruments de travail étaient nécessaires à la profession » de l’époux bénéficiaire, leur financement par la communauté constituait une dépense nécessaire au sens de l’article 1469, al.2e du Code civil, en conséquence de quoi « le montant de la récompense ne pouvait être inférieur au montant de la dépense faite » (Cass. 1ère civ. 14 nov. 2007, n°05-18.570).

Dans un arrêt du 25 janvier 2000, la Première chambre civile a adopté une position similaire s’agissant de dépenses ayant été réalisées aux fins de rénovation et d’aménagement des pièces d’un immeuble à usage d’habitation.

Elle justifie sa solution en s’appuyant sur la constatation de la Cour d’appel qui avait relevé que les travaux litigieux « avaient été rendus nécessaires pour assurer l’habitabilité de l’immeuble » (Cass. 1ère civ. 25 janv. 2000, n°98-10.747).

b. Applications de la règle

Afin de bien en saisir le sens, illustrons la règle énoncée au deuxième alinéa de l’article 1469 par deux exemples :

==> Exemple 1 : la dépense faite est supérieure au profit subsistant

Supposons la réalisation de travaux de rénovation de la façade d’un immeuble appartenant en propre à un époux et dont le coût, supporté par la communauté, s’élève à 50.000 €, ce qui correspond à la dépense faite.

Pour mémoire, afin de déterminer le montant du profit subsistant, il y a lieu, ici, de procéder à une double évaluation.

Il convient, en effet, d’estimer ce que vaudrait l’immeuble au jour de la liquidation de la communauté sans la réalisation des travaux et ce qu’il vaut, à cette même date, en tenant compte de la réalisation des travaux.

La différence entre ces deux évaluations constitue le profit subsistant.

S’agissant de la valeur de l’immeuble, elle est estimée au jour de la liquidation de la communauté :

  • Sans les travaux, à 400.000 €
  • Avec les travaux, à 430.000 €

Le profit subsistant correspond donc à la différence entre ces deux montants, soit :

  • 430.000 – 400.000 = 30.000 €

Afin de déterminer le montant de la récompense, faisons désormais application de l’article 1469, al. 2e du Code civil qui prévoit qu’elle ne peut pas être moindre que la dépense faite.

En l’espèce :

  • La dépense faite est de 50.000 €
  • Le profit subsistant est de 30.000 €

On constate ici que la dépense faite est supérieure au profit subsistant. Dans cette configuration, l’équation ne comporte donc qu’une seule possibilité : la récompense ne peut qu’être égale à la dépense faite, soit 50.000 €

==> Exemple 2 : la dépense faite est inférieure au profit subsistant

Si, la détermination du montant de la récompense ne soulève aucune difficulté lorsque la dépense faite est supérieure au profit subsistant, plus délicate est la situation inverse.

Supposons, en effet, en repartant de l’exemple précédent, que, au jour de la liquidation de la communauté, la valeur de l’immeuble, en tenant compte des travaux, s’élève, non pas 430.000 €, mais à 500.000 euros.

Le profit subsistant sera alors égal à :

  • 500.000 – 400.000 = 100.000 €

Ici la dépense faite (50.000 €) serait donc inférieure au profit subsistant (100.000 €).

Manifestement, une application de la règle énoncée à l’article 1469, al. 2e du Code civil autoriserait à retenir indifféremment l’une ou l’autre somme.

Que la récompense corresponde à la dépense faite ou au profit subsistant, dans les deux cas elle ne pourra pas être moindre que la dépense faite, cette dernière constituant, au cas particulier, la plus faible des deux sommes.

En première intention, on pourrait être tenté de retenir la dépense faite comme montant de la récompense.

Reste que, comme indiqué par l’article 1469, al. 2e, elle constitue seulement un plancher en deçà duquel le montant de la récompense ne peut pas descendre.

À l’inverse, le texte ne dit pas que, pour déterminer le montant de la récompense, il convient de retenir la somme la plus élevée entre la dépense faite et le profit subsistant.

Comment, dans ces conditions, sortir de l’impasse ? Pour y parvenir, il y a lieu de se reporter au troisième alinéa de l’article 1469 du Code civil qui règle cette situation.

2.2 L’exception tenant aux dépenses exposées aux fins d’acquisition, de conservation ou d’amélioration d’un bien : art. 1469, al. 3e civ.

Le principe du double maximum énoncé au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil est assorti d’une seconde exception, abordée au troisième alinéa du texte.

À la différence de la première exception, cette seconde exception règle le sort, non pas des dépenses nécessaires, mais des dépenses d’investissement.

Plus précisément, elle vise à prescrire une méthode d’évaluation des récompenses dues au titre de dépenses d’acquisition, de conservation ou d’amélioration d’un bien.

La finalité poursuivie ici par la règle est de faire profiter le patrimoine qui a supporté la dépense d’investissement de la plus-value éventuellement réalisée par le patrimoine emprunteur.

Surtout, le législateur a entendu neutraliser les méfaits de la dépréciation monétaires qui avaient été unanimement dénoncés sous l’empire du droit antérieur.

Pour ce faire, l’article 1469, al. 3e prévoit que, la récompense « ne peut être moindre que le profit subsistant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien »

À l’examen, en retenant comme montant plancher de la récompense le profit subsistant, le texte procède à une véritable indexation de cette récompense sur la valeur des biens auxquelles se rapporte la dépense faite.

Comme souligné par André Colomer, pour les dépenses d’investissement, « la récompense constitue une dette de valeur, c’est-à-dire une obligation dont l’objet est une valeur incluse dans un bien et dont le montant sera déterminé seulement au jour du règlement »[7].

L’évaluation de la récompense repose, en d’autres termes, sur une incorporation de la valeur empruntée dans la valeur du bien, si bien que toute variation de la seconde, se répercute concomitamment sur la première.

Afin d’illustrer ce mécanisme, prenons l’exemple d’un bien appartenant en propre à un époux dont la valeur au jour de la liquidation est estimée à 10.000 €.

Au jour de son acquisition, sa valeur était de 5.000 €, étant précisé que La communauté a contribué à l’opération à hauteur de 2.000 €, les 3.000 € restants ayant été réglés par l’époux propriétaire au moyen de deniers propres.

Sous l’empire du droit antérieur, la valeur empruntée, soit la dépense faite par le patrimoine créancier de la récompense, était appréciée comme suit :

Immédiatement, il peut être observé que les sommes empruntées au patrimoine commun au jour de l’acquisition du bien sont appréciées, au jour de la liquidation, selon leur valeur nominale.

Il en résulte que lors de l’évaluation de la récompense, on retiendra une valeur empruntée qui ne correspondra pas à celle réellement fournie par la communauté lorsque l’opération d’acquisition a été réalisée.

Cette distorsion de valeurs se répercutera nécessairement sur le montant de la récompense, puisque déterminant le profit subsistant.

C’est pour éviter cette distorsion qu’il a été décidé de lier la valeur empruntée à la valeur du bien, ce qui conduit à un résultat radicalement différent :

Dans cette configuration, la valeur des sommes empruntées lors de l’opération génératrice de récompense n’est manifestement pas affectée par l’augmentation de la valeur du bien.

Aussi, la communauté profitera-t-elle, comme l’époux propriétaire, de la plus-value réalisée.

Il s’agit là d’une remarquable illustration de la technique des dettes de valeur. Sa mise en œuvre peut néanmoins s’avérer complexe, soit parce que le bien dans lequel la valeur empruntée a été incorporée a été aliéné, soit parce qu’il a été remplacé.

Pour cette raison, les méthodes d’évaluation des récompenses prescrites par l’article 1469, al. 3e du Code civil divergent sensiblement d’une situation à l’autre.

Au surplus, le domaine de la règle énoncée par ce texte, est circonscrit aux seules dépenses d’acquisition, de conservation ou d’amélioration d’un bien.

a. Domaine de la règle

L’article 1469, al. 3e du Code civil prévoit expressément que la seconde exception au principe du double maximum ne s’applique que lorsque « la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien ».

Trois catégories d’opérations sont ainsi visées par la règle.

==> Les dépenses d’acquisition

La notion de dépense d’acquisition doit être entendue largement. Elle vise, selon la doctrine[8], toute opération ayant permis l’accroissement du patrimoine emprunteur :

  • Soit par l’apport d’un bien ou d’un droit nouveau
  • Soit par l’augmentation de l’assiette d’un droit antérieur ou de la substance d’un bien préexistant

Il peut s’agir, tout autant du règlement d’une soulte (Cass. 1ère civ. 6 juin 1990, n°88-10.532), que du paiement de droits de mutation pour une acquisition à titre gratuit (Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995, n°93-12.347).

Si, de prime abord, la notion de dépense d’acquisition se laisse facilement appréhender, il est certaines dépenses qui ont malgré tout soulevé quelques difficultés de qualification.

Tel est notamment le cas des échéances de prêts. Lorsque ces échéances sont réglées par un patrimoine auquel ne profitera pas le financement du bien, la question se pose de la qualification de la dépense, tant s’agissant du remboursement du capital, que des intérêts.

De deux choses l’une :

  • Soit l’on appréhende cette dépense comme consistant en le paiement d’une dette auquel cas la récompense est égale au montant nominal de la valeur empruntée
  • Soit l’on appréhende cette dépense comme consistant en une dépense d’acquisition auquel cas la récompense ne peut être moindre que le profit subsistant

La Cour de cassation a opté pour la seconde approche en assimilant le remboursement d’une échéance de prêt au paiement du prix d’acquisition du bien financé (Cass. 1ère civ. 10 oct. 2012, n°11-20.585).

Au fond, il s’infère de cette solution que, comme indiqué par l’article 1469, al. 3e du Code civil, ce qui importe c’est que la valeur empruntée ait « servi à acquérir » un bien et donc ait concouru à l’enrichissement du patrimoine débiteur de la récompense.

Il est donc indifférent qu’un emprunt s’interpose entre la dépense faite et l’acquisition du bien. Cette interposition sera sans incidence sur la qualification de la dépense qui sera appréhendée comme une dépense d’acquisition.

Reste qu’il y a lieu néanmoins de distinguer selon que le remboursement porte sur le capital emprunté ou sur les intérêts.

S’agissant, en effet, de la prise en charge de ces derniers par la communauté, elle ne donne pas lieu à récompense.

La raison en est que, cette dépense est réputée se rapporter à la jouissance de la chose. À ce titre, elle doit être supportée par celui qui profite de cette jouissante.

Or ainsi qu’il l’a été relevé par la Cour de cassation dans un arrêt du Authier rendu en date du 31 mars 1992, c’est la communauté qui la jouissance du bien, les fruits générés par celui-ci lui revenant (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-17212).

Plus précisément, elle retient, dans cette décision, que ce sont les intérêts d’emprunt qui constituent la contrepartie de la jouissance du bien propre financé par la communauté et que, par voie de conséquence, elle n’a droit à récompense que pour le remboursement du capital.

Dans un arrêt du 7 novembre 2018, elle a admis qu’il en allait de même pour l’indemnité de remboursement anticipé d’un prêt (Cass. 1ère civ. 7 nov. 2018, n°17-25.965).

==> Les dépenses de conservation

Les dépenses de conservation telles qu’envisagées par l’article 1469, al. 3e du Code civil ne sont autres que les dépenses nécessaires visées au deuxième alinéa de ce même texte.

Il s’agit, autrement dit, de toutes celles qui s’analysent en des impenses, soit à des dépenses qui ont pour finalité de préserver le patrimoine ou de soustraire un bien à un péril imminent ou à une dépréciation inévitable.

Les actes conservatoires peuvent, tout autant consister, en des actes de conservation matérielle (réparations urgentes), qu’en des actes de conservation juridique (constitution d’une sûreté aux fins de garantir une créance, action en justice aux fins d’interruption d’une prescription).

La particularité des dépenses de conservation est qu’elles sont visées, et par l’alinéa 3e de l’article 1469 et par l’alinéa 2.

Il en résulte qu’il y a lieu de combiner les deux textes, ce qui conduit à appliquer le principe du double minimum.

La récompense due au titre d’une dépense de conservation ne peut :

  • D’une part, être moindre que la dépense faite ( 1469, al. 2e)

ET

  • D’autre part, être moindre au profit subsistant ( 1469, al. 3e)

Il s’agit là manifestement du principe opposé au principe du double maximum énoncé au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil : la récompense est toujours égale à la plus forte des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant.

Exemple :

Supposons la réalisation de travaux de rénovation de la façade d’un immeuble appartenant en propre à un époux et dont le coût, supporté par la communauté, s’élève à 50.000 €, ce qui correspond à la dépense faite.

Pour mémoire, afin de déterminer le montant du profit subsistant, il y a lieu, ici, de procéder à une double évaluation :

Il convient, en effet, d’estimer ce que vaudrait l’immeuble au jour de la liquidation de la communauté sans la réalisation des travaux et ce qu’il vaut, à cette même date, en tenant compte de la réalisation des travaux.

La différence entre ces deux évaluations constitue le profit subsistant.

S’agissant de la valeur de l’immeuble, elle est estimée au jour de la liquidation de la communauté :

  • Sans les travaux, à 400.000 €
  • Avec les travaux, à 430.000 €

Le profit subsistant correspond donc à la différence entre ces deux montants, soit :

  • 430.000 – 400.000 = 30.000 €

Afin de déterminer le montant de la récompense, combinons désormais les principes énoncés aux alinéas 2 et 3 de l’article 1469 du Code civil, ce qui produit la règle du double minimum :

La récompense ne peut pas être moindre que la dépense faite et que le profit subsistant, ce qui conduit à retenir la plus forte des deux sommes.

En l’espèce :

  • La dépense faite est de 50.000 €
  • Le profit subsistant est de 30.000 €

On constate ici que la dépense faite est supérieure au profit subsistant. La récompense est donc égale à la dépense faite, soit 50.000 €

Si c’est le profit subsistant qui avait été supérieur à la dépense faite, c’est la solution inverse qu’il y aurait alors eu lieu de retenir. La récompense aurait été égale au profit subsistant.

==> Les dépenses d’amélioration

Les dépenses d’améliorations s’analysent, selon les auteurs, aux impenses utiles.

Il s’agit, autrement dit, de toutes les dépenses qui visent à financer des travaux qui ne se justifient pas par la conservation du bien, mais qui visent, au contraire, à lui apporter une plus-value.

Concrètement, une dépense d’amélioration sera celle qui aura servi à perfectionner le système de chauffage d’un immeuble.

À cet égard, les dépenses d’amélioration, ne doivent pas être confondues avec les dépenses d’entretien qui n’ouvrent pas droit à récompense.

Tandis que les premières sont réputées être acquittées par un prélèvement sur le capital, les secondes ont quant à elles vocation à être financées par les fruits que le bien procure à son propriétaire.

Aussi, seules les dépenses de d’amélioration – ou de conservation – ouvrent droit à récompense, à tout le moins lorsqu’elles sont réglées au moyen de deniers communs.

S’agissant du calcul du montant des récompenses dues au titre des améliorations, deux cas de figure sont susceptibles de se présenter :

  • Premier cas de figure : le profit subsistant est supérieur à la dépense faite
    • Dans cette hypothèse, il y a lieu d’appliquer l’alinéa 3 de l’article 1469 du Code civil, la récompense ne pouvant être moindre que le profit subsistant.
    • Le montant de la récompense sera donc précisément égal à ce profit subsistant, alors même qu’il représente la plus élevé des deux sommes.
    • C’est là une solution qui déroge au principe énoncé à l’alinéa 1er de l’article 1469.
  • Second cas de figure : le profit subsistant est inférieur à la dépense faite
    • Dans ce cas de figure, il convient de revenir à l’alinéa 1er du Code civil qui prévoit que la récompense est égale à la plus faible des deux sommes entre le profit subsistant et la dépense faite.
    • Ici, la récompense sera donc égale au profit subsistant, sauf à ce que la dépense d’amélioration présente un caractère nécessaire, auquel cas, il y aura lieu de faire application de l’alinéa 2 de l’article 1469.
    • Lorsque, en effet, la dépense est nécessaire, soit est économiquement utile et, surtout, répond à un besoin impérieux de nature familiale ou professionnelle, la récompense ne peut être moindre que la défense faite.
    • Au cas particulier, elle sera donc égale à la valeur empruntée, ce par dérogation à la règle posée à l’alinéa 1er de l’article 1469.

b. Les méthodes d’évaluation des récompenses

Lorsqu’une récompense est due au titre d’une dépense d’acquisition, de conservation ou d’amélioration, elle ne peut être moindre, dit l’alinéa 3 de l’article 1469, que le profit subsistant.

Si, dans son principe, la règle énoncée ne soulève pas difficulté, sa mise en œuvre peut néanmoins s’avérer complexe, soit parce que le bien dans lequel la valeur empruntée a été incorporée a été aliéné, soit parce qu’il a été remplacé.

Pour cette raison, les méthodes d’évaluation des récompenses prescrites par l’article 1469, al. 3e du Code civil divergent sensiblement d’une situation à l’autre.

À cet égard, le texte distingue trois situations :

  • Le bien acquis, conservé ou amélioré se retrouve dans le patrimoine emprunteur au jour de la liquidation
  • Le bien acquis, conservé ou amélioré par la somme empruntée n’existe plus dans le patrimoine emprunteur au jour de la liquidation de la communauté car il a été aliéné avant la liquidation
  • Le bien acquis, conservé ou amélioré a été remplacé (subrogé) dans le patrimoine emprunteur par un autre bien

b.1 Le bien acquis, conservé ou amélioré se retrouve dans le patrimoine emprunteur au jour de la liquidation

L’article 1469, al. 3e du Code civil prévoit que lorsque le bien acquis, conservé ou amélioré se retrouve dans le patrimoine emprunteur au jour de la liquidation de la communauté, alors le profit subsistant est évalué sur la base de la valeur actuelle du bien à cette date.

Selon néanmoins que l’opération consiste en une acquisition, en un acte de conservation ou d’amélioration, le calcul du profit subsistant différera sensiblement d’une situation à l’autre, d’où la nécessité de les distinguer.

i. Les dépenses d’acquisition

?: Les acquisitions à titre onéreux

==> Le bien a été exclusivement acquis au moyen de fonds fournis par un patrimoine

  • Règles applicables
    • La récompense ne peut être moindre que le profit subsistant.
    • Le profit subsistant est égal à la valeur du bien au jour de la liquidation de la communauté.
    • Si le profit subsistant est inférieur à la dépense faite, il y a lieu de revenir au principe posé à l’alinéa 1er de l’article 1469 du Code civil selon lequel la récompense est égale à la plus faible des deux sommes entre le profit subsistant et la dépense faite.
  • Applications
    • Données
      • Acquisition d’instruments de travail appartenant en propre à un époux et intégralement financée par la communauté
      • Coût de l’acquisition au jour de l’opération : 2.000 €
      • Valeur empruntée (contribution de la communauté) : 2.000 €
      • Valeur des instruments de travail au jour de la liquidation :
        • Alternative 1 : 3.000 €
        • Alternative 2 : 1.500 €
    • Solution
      • Dépense faite: 2.000 €
      • Profit subsistant
        • Si valeur des instruments de travail au jour de la liquidation est de 3.000 €, alors le profit subsistant est de 3.000 €
        • Si valeur des instruments de travail au jour de la liquidation est de 1.500 €, alors le profit subsistant est de 1.500 €
      • Montant de la récompense
        • Première alternative
          • Si la valeur des instruments de travail au jour de la liquidation de la communauté est égale à 3.000 €, alors il y a lieu d’appliquer l’alinéa 3 de l’article 1469 du Code civil
          • Dans ce cas de figure, la récompense est donc égale à 3.000 €
        • Seconde alternative
          • Si la valeur des instruments de travail au jour de la liquidation de la communauté est égale à 1.500 €, alors il y a lieu d’appliquer l’alinéa 1er de l’article 1469 du Code civil
          • Dans ce cas de figure, la récompense est donc égale à 1.500 €

==> Le bien a été partiellement acquis au moyen de fonds fournis par un patrimoine

  • Règles applicables
    • La récompense ne peut être moindre que le profit subsistant.
    • Le calcul du profit subsistant suppose de déterminer la part contributive du patrimoine créancier de la récompense exprimée en fraction et de reporter cette fraction à la valeur estimée du bien au jour de la liquidation de la communauté
    • Si le profit subsistant est inférieur à la dépense faite, il y a lieu de revenir au principe posé à l’alinéa 1er de l’article 1469 du Code civil selon lequel la récompense est égale à la plus faible des deux sommes entre le profit subsistant et la dépense faite.
  • Applications
    • Données
      • Acquisition d’un immeuble appartenant en propre à un époux dans le cadre d’un remploi, partiellement financée par la communauté
      • Coût de l’acquisition au jour de l’opération : 500.000 €
      • Fonds fournis par le patrimoine propre : 300.000 €
      • Valeur empruntée (contribution de la communauté) : 200.000 €
      • Valeur de l’immeuble au jour de la liquidation :
        • Alternative 1 : 800.000 €
        • Alternative 2 : 180.000 €
    • Solution
      • Dépense faite: 200.000 €
      • Profit subsistant :
        • Si la valeur de l’immeuble au jour de la liquidation est de 800.000 €, alors le profit subsistant se calcule comme suit :
          • Part contributive de la communauté : 200.000/500.000 = 2/5e
          • Profit subsistant : 2/5e X 800.000 = 320.000 €
        • Si la valeur de l’immeuble au jour de la liquidation est de 180.000 €, alors le profit subsistant se calcule comme suit :
          • Part contributive de la communauté : 200.000/500.000 = 2/5e
          • Profit subsistant : 2/5e X 180.000 = 72.000 €
      • Montant de la récompense :
        • Première alternative
          • Si la valeur de l’immeuble au jour de la liquidation de la communauté est égale à 800.000 €, alors il y a lieu d’appliquer l’alinéa 3 de l’article 1469 du Code civil
          • Dans ce cas de figure, la récompense est donc égale à 320.000 €
        • Seconde alternative
          • Si la valeur de l’immeuble au jour de la liquidation de la communauté est égale à 180.000 €, alors il y a lieu d’appliquer l’alinéa 1er de l’article 1469 du Code civil
          • Dans ce cas de figure, la récompense est donc égale à 180.000 €

==> Le sort des frais et accessoires se rapportant à l’acquisition

L’acquisition d’un bien donne parfois lieu au paiement de frais accessoires, en particulier lorsque l’acquisition porte sur un bien immobilier (droits de mutation, honoraires notariaux, frais d’intermédiation, taxes etc.).

Lorsque ces frais sont supportés par le patrimoine créancier, une récompense est alors due à celui-ci.

Toute la question est alors de savoir comment évaluer le montant de cette récompense.

Plus précisément, la question se pose du sort des frais d’acquisition quant à l’évaluation du profit subsistant : doivent-ils être compris dans l’assiette de calcul ou retranchés ?

Deux thèses s’affrontent :

  • Première thèse
    • Il peut être avancé que ces frais n’enrichissent, en aucune manière, le patrimoine emprunteur, dans la mesure où, en soi, ils n’apportent aucune plus-value au bien acquis
    • Dans ces conditions, il conviendrait de les traiter comme une simple dette.
    • Le profit subsistant serait donc strictement égal à la dépense faite, soit au montant de l’économie procuré au patrimoine créancier de la récompense due au titre du paiement des frais d’acquisition.
  • Seconde thèse
    • Il peut être soutenu, à l’inverse, que la réalisation de l’acquisition est subordonnée au paiement de ces frais.
    • Ils représentent donc bien une composante, à part entière, du coût d’acquisition du bien.
    • Or l’article 1469, al. 3e du Code civil ne vise pas le prix d’acquisition, mais la valeur empruntée qui « a servi à acquérir» le bien.
    • Dans ces conditions, il n’y aurait aucune raison de les traiter séparément du prix d’acquisition financé intégralement ou partiellement par le patrimoine créancier de la récompense.
    • Parce que le règlement des frais d’acquisition était nécessaire à la réalisation de l’opération, le patrimoine créancier doit profiter de la plus-value réalisée grâce à leur acquittement

Entre ces deux thèses, les auteurs optent très majoritairement pour la seconde, étant précisé que la question de l’intégration des frais accessoires dans le coût de l’opération d’acquisition ne se pose réellement qu’en présence d’une double contribution.

Lorsque, dès lors, l’acquisition d’un bien est assortie du paiement de frais annexes, pour déterminer le profit subsistant, il y a lieu d’intégrer ces frais dans l’assiette de calcul.

Exemple :

?: Les acquisitions à titre gratuit

==> Énoncé de la règle

L’alinéa 3 de l’article 1469 du Code civil n’opère aucune distinction entre les acquisitions à titre onéreux et les acquisitions à titre onéreux.

En application du principe ubi lex non dinstinguit, il y a donc lieu de considérer que la règle énoncée par cette disposition s’applique indistinctement aux deux catégories d’opérations.

S’agissant spécifiquement d’une acquisition à titre gratuit, elle donne parfois lieu au règlement de droits de mutation.

Or ces droits de mutations peuvent être pris en charge, partiellement ou intégralement, par un patrimoine autre que celui qui a reçu le bien.

Dans cette hypothèse, ce patrimoine a droit à récompense. La question se pose alors dans les mêmes termes que pour les frais d’acquisition.

Les frais attachés à une opération à titre gratuit doivent-ils être traités comme une dette ou doivent-ils compris dans le coût d’acquisition du bien.

Dans un arrêt du 4 juillet 1995, la Cour de cassation a retenu la seconde solution en jugeant au visa de l’article 1469, al. 3e du Code civil que « ce texte ne distingue pas selon que l’acquisition est effectuée à titre onéreux ou à titre gratuit ; que les frais d’enregistrement d’un acte de donation, dont le paiement a permis la réalisation de cette donation et l’acquisition d’un bien à titre gratuit, donnent lieu, lorsque ces frais ont été réglés par la communauté et lorsque le bien se retrouve à la dissolution de celle-ci dans le patrimoine du donataire, à une récompense calculée selon les modalités de l’article 1469, alinéa 3, du Code civil » (Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995, n°93-12.347).

Il ressort de cette décision, que la récompense due au patrimoine qui a supporté les frais attachés à une acquisition à titre gratuit ne peut être moindre que le profit subsistant.

C’est là une stricte application du troisième alinéa de l’article 1469 du Code civil.

S’agissant du calcul de la récompense, il convient de raisonner sensiblement de la même manière que pour une acquisition à titre onéreux réalisée au moyen de deniers fournis par un patrimoine autre que le patrimoine acquéreur.

L’évaluation du profit subsistant se fait ainsi en deux temps :

  • Premier temps : détermination de la part contributive du patrimoine créancier
    • Pour déterminer la part contributive du patrimoine créancier, il convient de rapporter les frais d’acquisition réglés à la valeur du bien au jour de l’acquisition que ces frais ne doivent pas figurer au dénominateur.

  • Second temps : détermination du profit subsistant
    • Le calcul du profit subsistant suppose de déterminer la part contributive du patrimoine créancier de la récompense exprimée en fraction et de reporter cette fraction à la valeur estimée du bien au jour de la liquidation de la communauté, soit :

==> Application

Soit un immeuble reçu à titre gratuit par un époux dans le cadre d’une donation. La valeur de cet immeuble au jour de la donation est de 300.000 €.

La communauté règle les frais d’acquisition à hauteur de 30.000€. La valeur de l’immeuble au jour de la liquidation de la communauté est de 400.000 €

  • Dépense faite : 30.000 €
  • Part contributive de la communauté : 30.000 € / 300.000 € = 1/10e
  • Profit subsistant : 1/10e X 400.000 = 40.000 €

Le montant de la récompense est ici de 40.000 €

ii. Les dépenses de conservation

  • Règles applicables
    • Évaluation de la récompense
      • La récompense due au titre d’une dépense de conservation ne peut :
        • D’une part, être moindre que la dépense faite (art. 1469, al. 2e)
        • D’autre part, être moindre au profit subsistant (art. 1469, al. 3e)
      • La récompense est donc toujours égale à la plus forte des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant.
    • Évaluation du profit subsistant
      • Afin de déterminer le montant du profit subsistant, il y a lieu, ici, de procéder à une double évaluation
      • En effet, il convient d’estimer ce que vaudrait l’immeuble au jour de la liquidation de la communauté sans la réalisation des travaux et ce qu’il vaut, à cette même date, en tenant compte de la réalisation des travaux.
      • La différence entre ces deux évaluations constitue le profit subsistant.
  • Applications
    • Données
      • Réalisation de travaux de rénovation de la façade d’un immeuble appartenant en propre à un époux et dont le coût est supporté par la communauté
      • Coût des travaux : 50.000 €
      • Valeur empruntée (contribution de la communauté) : 50.000 €
      • Valeur de l’immeuble au jour de la liquidation :
        • Alternative 1
          • Sans les travaux : 400.000 €
          • Avec les travaux : 430.000 €
        • Alternative 2
          • Sans les travaux : 400.000 €
          • Avec les travaux : 500.000 €
    • Solution
      • Dépense faite: 50.000 €
      • Profit subsistant
        • Alternative 1
          • 430.000 – 400.000 = 30.000 €
        • Alternative 2
          • 500.000 – 400.000 = 100.000 €
      • Montant de la récompense
        • Première alternative
          • Si le profit subsistant s’élève à 100.000 €, soit est supérieur à la dépense faite (100.000 > 50.000), alors la récompense est égale au profit subsistant en application de l’alinéa 3 de l’article 1469
          • Dans ce cas de figure, la récompense est donc égale à 100.000 €
        • Seconde alternative
          • Si le profit subsistant s’élève à 30.000 €, soit est inférieur à la dépense faite (30.000 < 50.000), alors la récompense est égale à la dépense faite en application de l’alinéa 2 de l’article 1469
          • Dans ce cas de figure, la récompense est donc égale à 30.000 €

iii. Les dépenses d’amélioration

  • Règles applicables
    • Évaluation de la récompense
      • Premier cas de figure : le profit subsistant est supérieur à la dépense faite
        • Dans cette hypothèse, il y a lieu d’appliquer l’alinéa 3 de l’article 1469 du Code civil, la récompense ne pouvant être moindre que le profit subsistant.
        • Le montant de la récompense sera donc précisément égal à ce profit subsistant, alors même qu’il représente la plus élevé des deux sommes.
        • C’est là une solution qui déroge au principe énoncé à l’alinéa 1er de l’article 1469.
      • Second cas de figure : le profit subsistant est inférieur à la dépense faite
        • Dans ce cas de figure, il convient de revenir à l’alinéa 1er du Code civil qui prévoit que la récompense est égale à la plus faible des deux sommes entre le profit subsistant et la dépense faite.
        • Ici, la récompense sera donc égale au profit subsistant, sauf à ce que la dépense d’amélioration présente un caractère nécessaire, auquel cas, il y aura lieu de faire application de l’alinéa 2 de l’article 1469.
        • Lorsque, en effet, la dépense est nécessaire, soit est économiquement utile et, surtout, répond à un besoin impérieux de nature familiale ou professionnelle, la récompense ne peut être moindre que la défense faite.
        • Au cas particulier, elle sera donc égale à la valeur empruntée, ce par dérogation à la règle posée à l’alinéa 1er de l’article 1469.
    • Évaluation du profit subsistant
      • Afin de déterminer le montant du profit subsistant, il y a lieu, ici, de procéder à une double évaluation
      • En effet, il convient d’estimer ce que vaudrait le bien au jour de la liquidation de la communauté sans la réalisation des travaux et ce qu’il vaut, à cette même date, en tenant compte de la réalisation des travaux.
      • La différence entre ces deux évaluations constitue le profit subsistant.
  • Applications
    • Données
      • Réalisation de travaux d’installation d’un nouveau système de chauffage central dans un immeuble appartenant en propre à un époux et dont le coût est supporté par la communauté
      • Coût des travaux : 50.000 €
      • Valeur empruntée (contribution de la communauté) : 50.000 €
      • Valeur de l’immeuble au jour de la liquidation :
        • Alternative 1
          • Sans les travaux : 400.000 €
          • Avec les travaux : 430.000 €
        • Alternative 2
          • Sans les travaux : 400.000 €
          • Avec les travaux : 500.000 €
    • Solution
      • Dépense faite: 50.000 €
      • Profit subsistant
        • Alternative 1
          • 430.000 – 400.000 = 30.000 €
        • Alternative 2
          • 500.000 – 400.000 = 100.000 €
      • Montant de la récompense
        • Première alternative
          • Si le profit subsistant s’élève à 100.000 €, soit est supérieur à la dépense faite (100.000 > 50.000), alors la récompense est égale au profit subsistant en application de l’alinéa 3 de l’article 1469
          • Dans ce cas de figure, la récompense est donc égale à 100.000 €
        • Seconde alternative
          • Si le profit subsistant s’élève à 30.000 €, soit est inférieur à la dépense faite (30.000 < 50.000), alors il convient de revenir à l’alinéa 1er de l’article 1469 qui prévoit que la récompense est égale à la plus faible des deux sommes entre le profit subsistant et la dépense faite.
          • Ici, la récompense serait donc égale au profit subsistant, sauf à ce que la dépense d’amélioration présente un caractère nécessaire, auquel cas, il y aura lieu de faire application de l’alinéa 2 de l’article 1469.
          • Dans cette hypothèse, ce qui est le cas en l’espèce, la récompense ne peut être moindre à la dépense faite, soit à 50.000 €.
  • Cas particulier des constructions sur un terrain nu
    • Règle
      • Lorsqu’une construction est édifiée sur un terrain nu, elle devient la propriété du propriétaire du fonds par voie d’accession (art. 555 C. civ.).
      • La question s’est alors posée de l’évaluation de la récompense lorsque la construction est financée par un patrimoine qui n’est pas propriétaire du terrain.
      • Deux bases de calcul sont envisageables :
        • Retenir la valeur du bien construit
        • Retenir la plus-value procurée par la construction
      • Dans un arrêt du 6 juin 1990, la Cour de cassation a opté pour la seconde solution.
      • Elle a affirmé en ce sens, s’agissant d’une construction édifiée sur un terrain propre financée au moyen de deniers communs, que le patrimoine emprunteur devait à la communauté « une récompense égale non pas à la valeur du bien construit, mais à la plus-value procurée par la construction au fonds sur lequel celle-ci était implantée» ( 1ère civ. 6 juin 1990, n°88-10.532).
      • Aussi, afin de déterminer le montant du profit subsistant convient-il de procéder à une double évaluation
      • Il y a lieu, en effet, d’estimer ce que vaudrait le fonds au jour de la liquidation de la communauté sans la construction et ce qu’il vaut, à cette même date, en tenant compte de la construction.
      • La différence entre ces deux évaluations constitue le profit subsistant.
      • Quant à la récompense, en application de l’alinéa 3 de l’article 1469 du Code civil, elle ne peut être moindre que le profit subsistant.
    • Données
      • Édification d’une construction sur un terrain appartenant en propre à un époux et dont le coût est supporté par la communauté
      • Coût de la construction : 200.000 €
      • Valeur empruntée (contribution de la communauté) : 200.000 €
      • Valeur de l’ensemble immobilier au jour de la liquidation :
        • Alternative 1
          • Sans la construction : 100.000 €
          • Avec la construction : 350.000 €
        • Alternative 2
          • Sans les travaux : 100.000 €
          • Avec les travaux : 250.000 €
    • Solution
      • Dépense faite: 200.000 €
      • Profit subsistant
        • Alternative 1
          • 350.000 – 100.000 = 250.000 €
        • Alternative 2
          • 250.000 – 100.000 = 150.000 €
      • Montant de la récompense
        • Première alternative
          • Si le profit subsistant s’élève à 250.000 €, soit est supérieur à la dépense faite (250.000 > 200.000), alors la récompense est égale au profit subsistant en application de l’alinéa 3 de l’article 1469
          • Dans ce cas de figure, la récompense est donc égale à 250.000 €
        • Seconde alternative
          • Si le profit subsistant s’élève à 150.000 €, soit est inférieur à la dépense faite (150.000 < 200.000), alors il convient de revenir à l’alinéa 1er de l’article 1469 qui prévoit que la récompense est égale à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant
          • Dans ce cas de figure, la récompense serait donc égale au profit subsistant, soit à 150.000 €

b.2 Le bien acquis, conservé ou amélioré par la somme empruntée n’existe plus dans le patrimoine emprunteur au jour de la liquidation de la communauté car il a été aliéné avant la liquidation

Ici le bien qui a été acquis, conservé ou amélioré au moyen de fonds empruntés ne se retrouve plus dans le patrimoine débiteur de la récompense.

L’alinéa 3 de l’article 1469 du Code civil prévoit que, dans cette hypothèse, « le profit est évalué au jour de l’aliénation ».

Les règles applicables sont donc les mêmes que celles qui opèrent dans l’hypothèse où le bien se retrouve dans le patrimoine emprunteur au jour de la liquidation.

La seule différence tient à la base de calcul du profit subsistant : au lieu de retenir la valeur du bien au jour de la liquidation de la communauté, on retiendra la valeur du bien au jour de son aliénation.

La raison en est que, à compter de cette date, le patrimoine emprunteur ne bénéficie plus d’aucune plus-value, dans la mesure où, par hypothèse, le bien ne lui appartient plus.

Il n’y a donc aucune raison à ce que le patrimoine créancier soit indemnisé au-delà de l’avantage retiré par le patrimoine emprunteur.

b.3 Le bien acquis, conservé ou amélioré a été remplacé (subrogé) dans le patrimoine emprunteur par un autre bien

À la différence de la situation précédente, le bien acquis, conservé ou amélioré qui a été aliéné a été remplacé par un autre bien dans le patrimoine emprunteur.

L’opération comporte donc ici trois étapes :

  • Acquisition d’un bien au moyen de deniers fournis intégralement ou partiellement par le patrimoine créancier
  • Aliénation de ce bien qui sort du patrimoine emprunteur
  • Acquisition d’un nouveau bien qui se subroge au bien aliéné

Lorsque ces trois conditions sont réunies, l’article 1469, al. 3e du Code civil prévoit que « le profit est évalué sur ce nouveau bien. »

Là encore, les règles de calcul de la récompense ne changent pas. Il y a simplement lieu d’évaluer le profit subsistant en retenant la valeur, non pas de l’ancien bien au jour de son aliénation, mais du nouveau bien au jour de la liquidation de la communauté, à tout le moins dès lors qu’il se retrouve dans le patrimoine emprunteur à cette date.

Quant à la subrogation, lorsqu’elle a pour objet un bien propre, elle requiert, pour produire ses effets, l’accomplissement des formalités de remploi. Lorsque, en revanche, elle porte sur un bien commun, elle opère de plein droit.

Seule véritable difficulté à surmonter s’agissant du calcul de la récompense : déterminer le montant de la récompense, lorsque le bien subrogé a été financé avec le produit de la vente du bien aliéné et une contribution complémentaire du patrimoine créancier.

Deux situations doivent être distinguées :

==> Première situation : en l’absence d’une contribution complémentaire

Le bien subrogé a été financé au moyen du produit de la vente du bien aliéné sans que le patrimoine créancier n’ait eu à fournir une somme complémentaire.

Dans cette hypothèse, l’opération de subrogation est sans incidence sur la part contributive de la communauté.

Pour évaluer le profit subsistant, il suffira donc d’exprimer cette part contributive en fraction et de reporter cette fraction à la valeur estimée du bien subrogé au jour de la liquidation de la communauté.

Exemple :

  • Données
    • Acquisition d’un immeuble appartenant en propre à un époux dans le cadre d’un remploi, partiellement financée par la communauté
    • Coût de la première acquisition : 500.000 €
    • Fonds fournis par le patrimoine propre : 300.000 €
    • Valeur empruntée (contribution de la communauté) : 200.000 €
    • Le bien est aliéné au prix de 700.000 €
    • Acquisition d’un nouveau bien au prix du bien aliéné (700.000 €) financé par le produit de la vente
    • Valeur de l’immeuble subrogé au jour de la liquidation : 900.000 €
  • Solution
    • Dépense faite : 200.000 €
    • Profit subsistant :
      • Part contributive de la communauté : 200.000/500.000 = 2/5e
      • Profit subsistant : 2/5e X 900.000 = 360.000 €
    • Montant de la récompense : 360.000 €

==> Seconde situation : en présence d’une contribution complémentaire

Il se peut que le patrimoine créancier ait fourni une somme complémentaire aux fins de permettre l’acquisition du nouveau bien en remplacement du bien aliéné.

Dans cette hypothèse, il y a lieu de réévaluer la part contributive du patrimoine créancier avant de calculer le montant de la récompense.

Exemple :

  • Données
    • Acquisition d’un immeuble appartenant en propre à un époux dans le cadre d’un remploi, partiellement financée par la communauté
    • Coût de la première acquisition : 500.000 €
    • Fonds fournis par le patrimoine propre : 300.000 €
    • Valeur empruntée (contribution de la communauté) : 200.000 €
    • Le bien est aliéné au prix de 700.000 €
    • Acquisition d’un nouveau bien au prix de 800.000 € financé par le produit de la vente et par une contribution supplémentaire du patrimoine créancier à hauteur de 100.000 €.
    • Valeur de l’immeuble subrogé au jour de la liquidation : 900.000 €
  • Solution
    • Si l’on s’en tient à la dernière opération la part contributive de la communauté est de : 200.000/500.000 = 2/5e
    • Cette fraction est toutefois erronée, dans la mesure à la communauté a également contribué à l’acquisition du bien subrogé.
    • Il y a donc lieu de réévaluer la part contributive de la communauté :
      • Au jour de l’aliénation du bien aliéné elle était comprise dans le prix de vente de ce bien, soit 2/5e X 700.000 € = 280.000 €
      • Au jour de l’acquisition du bien subrogé, la contribution de la communauté est de 100.000 €
      • Au total, si l’on tient compte de la contribution antérieure et de la contribution complémentaire, la communauté a contribué à l’acquisition du bien subrogé à hauteur de 280.000 € + 100.000 € = 380.000 €
      • Rapporté au montant de la seconde acquisition, cela représente une contribution de 380.000/700.000, soit 19/35e
    • Reste à établir le profit subsistant en reportant cette fraction à la valeur estimée du bien subrogé au jour de la liquidation de la communauté.
    • Le profit subsistant est alors de 19/35e x 900.000 = 488.571 €
    • S’agissant du montant de la récompense, en application de l’alinéa 3 de l’article 1469 du Code civil, il ne peut être moindre que le profit subsistant
    • Au cas particulier
      • Valeur empruntée : 380.000 €
      • Profit subsistant = 488.571 €.
    • Le montant de la récompense s’élève donc à 488.571 €

C) La preuve des récompenses

En application du droit commun de la preuve, c’est à l’époux qui allègue un droit à récompense qu’il revient de prouver sa prétention.

En substance, ce dernier devra établir :

  • D’une part, l’existence d’un mouvement de valeur entre la communauté et un patrimoine propre, lequel mouvement constitue le fait générateur de la récompense.
  • D’autre part, les modalités de calcul retenues pour évaluer la récompense lesquelles dépendent des circonstances

Reste que, selon que la récompense est due à la communauté ou à un époux, les règles de preuve diffèrent, raison pour laquelle il y a lieu d’envisager les deux situations séparément.

1. La preuve des récompenses dues par la communauté

L’article 1433, al. 3e du Code civil prévoit que « si une contestation est élevée, la preuve que la communauté a tiré profit de biens propres peut être administrée par tous les moyens, même par témoignages et présomptions. »

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • Les époux ne doivent rapporter la preuve des récompenses dues par la communauté qu’à la condition qu’« une contestation soit élevée»
    • Autrement dit, faute de contestation par le conjoint du droit à récompense dont se prévaut un époux, celui-ci sera dispensé de rapporter la preuve de ses prétentions.
    • Aussi, lorsqu’un notaire est chargé d’assurer la liquidation du régime matrimonial, il ne pourra pas exiger que cette preuve soit rapportée
    • Il sera contraint d’inscrire en compte la récompense alléguée sur demande des époux
    • Quant au juge, en cas d’accord des époux sur une récompense due par la communauté, il ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation, il ne peut que prendre acte de leurs déclarations respectives sur lesquels il ne saurait revenir.
  • Second enseignement
    • En cas de contestation du droit à récompense, la preuve est libre, à tout le moins s’agissant d’établir que la « communauté a tiré profit de biens propres peut être administrée par tous les moyens»
    • La seule preuve de ce profit réalisé par la communauté, ne suffit pas néanmoins à établir le droit à récompense qui comporte plusieurs aspects.
    • Pour y parvenir, il y a lieu notamment de prouver l’existence d’un mouvement de valeur entre la communauté et un patrimoine propre
    • Or pour établir ce mouvement de valeur, encore faut-il démontrer que la valeur transférée était propre et que le patrimoine d’où est issue cette valeur s’est appauvri.

Au bilan, en cas de contestation élevée par un époux, plusieurs preuves devront donc être rapportées celui qui allègue un droit à récompense

Et contrairement à ce que suggère l’article 1433, al. 3e du Code civil son administration ne sera pas toujours libre. Selon l’objet de la preuve à rapporter, elle obéit à des règles qui diffèrent.

Aussi, afin d’appréhender la preuve des récompenses dues par la communauté, il y a lieu d’envisager séparément chacune des preuves qui devront être rapportées par l’époux qui se prévaut de ce droit.

À l’analyse, il devra établir :

  • D’une part, que la valeur dont aurait profité la communauté il appartenait en propre
  • D’autre part, que la communauté s’est enrichie au détriment de son patrimoine propre

Si la preuve de ces deux éléments permet d’établir le bien-fondé de la récompense due par la communauté, elle n’est pas toujours suffisante quant à déterminer son montant.

En effet, il est certains cas où le demandeur souhaitera faire jouer une règle dérogatoire au principe du double maximum qui gouverne l’évaluation des récompenses.

1.1 La preuve du principe de récompense

La preuve du principe de récompense se décompose en deux éléments :

  • La preuve de l’existence d’une valeur propre
  • La preuve de l’enrichissement de la communauté au détriment d’un patrimoine propre

a. La preuve de l’existence d’une valeur propre

L’époux auquel il échoit de prouver qu’un bien lui appartient propre, devra combattre la présomption de communauté instituée à l’article 1402 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi. »

Il ressort de ce texte que dès lors qu’une incertitude sur la propriété d’un bien existe, ce bien est réputé appartenir à la communauté.

Plus précisément, la présomption de communauté fait peser la charge de la preuve sur l’époux qui se prévaut de la propriété d’un bien.

Faute d’être en mesure de rapporter cette preuve, le bien est réputé commun. Il s’agit néanmoins d’une présomption simple, de sorte qu’elle souffre la preuve contraire.

À cet égard, la présomption de communauté ne règle pas seulement la charge de la preuve, elle organise également les modes d’établissement de la preuve.

Aussi, en application du second alinéa de l’article 1402 du Code civil, l’époux qui se prévaut de la propriété d’un bien à titre exclusif de rapporter cette preuve devra se conformer aux règles qui :

  • Pour certains cas, dispense de rapporter la preuve du caractère propre d’un bien
  • Pour d’autres cas, énonce les modes de preuve admis lorsque la preuve est exigée

i. La dispense de preuve

En application de l’article 1402, al. 2e du Code civil, il est deux cas où un époux peut se prévaloir d’une dispense de rapporter la preuve du caractère propre d’un bien :

  • La présence d’une preuve ou d’une marque de l’origine sur le bien
  • L’absence de contestation

==> La présence d’une preuve ou d’une marque de l’origine

Il ressort d’une lecture a contrario de l’article 1402, al. 2e du Code civil que lorsqu’un bien porte en lui-même la preuve ou la marque de son origine, l’époux qui prétend que ce bien lui appartient en propre est dispensé d’en rapporter la preuve.

La marque qui figure sur le bien suffit à prouver son caractère personnel. Tel est le cas d’un bien sur lequel seraient inscrites des armoiries ou des initiales ou sur lequel figurerait une dédicace personnalisée.

Qu’en est-il des biens qui forment des propres par nature au sens de l’article 1404 du Code civil ?

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne ».

La doctrine est divisée sur le sujet. Certains auteurs avancent qu’il y aurait lieu d’étendre la dispense énoncée à l’article 1402 du Code civil aux biens par nature dans la mesure où « qu’elles qu’aient été les conditions de leur acquisition, [ils] ne peuvent qu’être propres »[9]. L’autre argument est de dire que cette solution était admise sous l’empire du droit antérieur et que rien n’indique qu’elle a été remise en cause.

D’autres auteurs soutiennent néanmoins en sens contraire que les biens par nature se caractérisent par le seul lien étroit qu’ils entretiennent avec un époux.

Or l’article 1402, al. 2e du Code civil subordonne la dispense de preuve à la présence d’une marque sur le bien, ce qui donc exclurait les biens par nature du domaine de la dispense[10].

Pour ce qui nous concerne, nous nous rangeons à cette seconde analyse, plus conforme à la lettre du texte.

==> L’absence de contestation

L’article 1402, al. 2e du Code civil prévoit qu’il n’est pas besoin de rapporter la preuve de la propriété personnelle d’un bien lorsqu’elle n’est pas contestée.

Si cette précision relève de l’évidence, dans la mesure où en droit commun, ne doivent être prouvés que les faits contestés ou contestables, elle présente néanmoins un réel intérêt en cas de liquidation amiable de la communauté.

Lorsque le notaire procédera aux opérations de liquidation il ne pourra pas, en effet, exiger des époux qu’ils rapportent la preuve du caractère propre d’un bien pour l’exclure de l’actif commun dès lors que la propriété de ce bien ne fait l’objet d’aucune contestation.

ii. L’exigence de preuve

Lorsque la preuve du caractère propre d’un bien est exigée, faute pour l’époux revendiquant de justifier d’un cas de dispense, l’article 1402, al. 2e du Code civil pose le principe de la preuve par écrit. À titre exceptionnel, la preuve peut être rapportée par tous moyens.

==> Principe : l’exigence d’un écrit

L’article 1402, al. 2e du Code civil dispose que « si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l’époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit ».

Pour prouver le caractère propre d’un bien, c’est donc un écrit qui devra être produit. De quel écrit s’agit-il ?

Le texte précise que deux sortes d’écrits sont admises :

  • Les preuves préconstituées
    • Il s’agit ici des inventaires, des actes d’emploi ou de remploi, les actes constatant une libéralité ou encore l’acquisition d’un bien avant la célébration du mariage.
  • Les écrits de toutes natures
    • L’article 1402, al. 2e prévoit que faute de preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures.

À l’analyse, il ressort de l’article 1402 qu’il n’est nullement nécessaire de produire, comme exigé en droit commun de la preuve, un acte authentique ou un acte sous seing privé, pour établir le caractère propre d’un bien.

Les exigences posées par ce texte sont bien moindres que celles énoncées à l’article 1359 du Code civil.

Pour exemple, tandis que le commencement de preuve par écrit ne peut, en droit commun, émaner que de celui à qui on l’oppose, l’article 1402 admet qu’il puisse avoir été établi par l’époux qui s’en prévaut.

==> Exception : la preuve par tous moyens

L’exigence d’écrit posée par l’article 1402, al. 2e du Code civil souffre d’une exception. Le texte précise que, faute d’écrit, le juge « pourra même admettre la preuve par témoignage ou présomption, s’il constate qu’un époux a été dans l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit. »

Dans cette hypothèse, la preuve du caractère propre du bien disputé pourra être rapportée par tous moyens.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la formule « impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ». Quelles sont les situations visées par cette formule ?

Tout d’abord, il peut être observé qu’elle fait directement écho à la règle énoncée à l’article 1360 du Code civil qui prévoit que, pour la preuve des actes juridiques, l’exigence d’écrit reçoit exception « en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Ensuite, s’agissant de l’impossibilité matérielle ou morale pour un époux de se procurer un écrit elle correspond à deux situations qu’il convient de distinguer :

  • L’impossibilité matérielle de se procurer un écrit
    • Cette situation se rencontre lorsque l’opération juridique a été accomplie dans des circonstances exceptionnelles qui empêchaient qu’un écrit soit régularisé.
    • L’ancien article 1348 du Code civil donnait des exemples, tels que « les dépôts faits en cas d’incendie, tumulte ou naufrage» ou encore « les obligations contractées en cas d’accidents imprévus, où l’on ne pourrait pas avoir fait des actes par écrit »
    • L’idée qui préside à cette exception est que lorsque, en raison des circonstances particulières, l’acte juridique n’a pas pu être régularisé dans les formes requises, il y a lieu de dispenser les parties d’écrit et de les autoriser à rapporter la preuve par tout moyen
  • L’impossibilité morale de se procurer un écrit
    • Cette situation se rencontre lorsque l’impossibilité de régulariser un écrit tient soit aux usages, soit aux relations particulières entretenues entre les parties.
    • Il est, en effet, peu courant de rédiger un contrat entre époux, entre parents et enfants ou encore entre concubins.
    • Aussi, parce que certaines relations font obstacle à l’établissement d’un écrit, le législateur autorise que la preuve puisse être rapportée par écrit.

Enfin, pour faire jouer l’exception tenant à l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, l’époux revendiquant devra, au préalable, établir cette impossibilité. Parce qu’il s’agit d’un fait juridique, la preuve est libre.

Ce n’est que s’il y parvient que le juge pourra admettre que le caractère propre du bien dont l’époux revendique la propriété puisse être prouvé par témoignage ou par présomption.

S’agissant des tiers, la question s’est posée en doctrine de savoir s’ils pouvaient se prévaloir de l’exception tenant à l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit.

Si l’on s’en tient à une lecture littérale de l’article 1402, al. 2e in fine du Code civil, une réponse négative semble devoir être apportée à cette question.

Le texte prévoit en effet, que la preuve est libre que si le juge « constate qu’un époux a été dans l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ». Il n’est pas fait ici mention des tiers.

Reste que, à l’analyse, les tiers ne seront que très rarement en capacité de se procurer un écrit.

Surtout, conformément au droit commun, si la preuve par écrit peut être imposée aux parties d’un acte, elle ne peut jamais l’être aux tiers.

Par hypothèse, ils sont, en effet, dans l’impossibilité de se constituer un écrit puisqu’étrangers à l’opération.

Dans ces conditions, les tiers seront toujours autorisés à rapporter le caractère propre d’un bien par tous moyens.

b. La preuve de l’enrichissement de la communauté au détriment d’un patrimoine propre

Une fois rapportée la preuve du caractère propre de la valeur qui aurait été transférée dans la masse commune, l’époux doit démontrer que la communauté s’est enrichie au détriment de son patrimoine personnel.

À l’analyse, il s’agit là d’un fait juridique, raison pour laquelle l’article 1433, al. 3e du Code civil prévoit que la preuve est libre.

Reste que l’existence d’un mouvement de valeur n’est pas toujours simple à démontrer, en particulier lorsqu’il s’est écoulé un long délai entre l’enrichissement de la communauté et la liquidation du régime.

À cet égard, il est rare que les époux songent à tenir une comptabilité détaillée des mouvements valeurs intervenus entre les masses propres et la communauté.

Aussi, afin de le délester l’époux qui allègue un droit à récompense résultant de l’encaissement par la communauté de deniers propres, la haute juridiction a estimé qu’il y avait lieu d’alléger le fardeau de la preuve qui pèse sur l’époux qui allègue un droit à récompense.

Afin de comprendre la position actuelle adoptée par la Cour de cassation, revenons un instant sur l’alinéa 2e de l’article 1433 du Code civil.

Pour mémoire, cet alinéa fournit une application de la règle énoncée au premier alinéa qui prévoit que « la communauté doit récompense à l’époux propriétaire toutes les fois qu’elle a tiré profit de biens propres. »

L’exemple retenu par le législateur pour illustrer le principe se rapporte à l’encaissement par la communauté de deniers propres provenant de la vente d’un propre, sans qu’il en ait été fait emploi ou remploi.

Si, de prime abord, cet exemple se comprend bien, car s’inscrivant dans le droit fil du principe, général une lecture littérale du texte n’est toutefois pas sans soulever une difficulté d’interprétation,

La difficulté réside dans l’emploi du terme « encaissement », lequel laisse à penser qu’il suffit que la communauté perçoive des fonds propres pour que naisse un droit à récompense au profit de l’époux auquel ces fonds appartiennent.

Cette interprétation du texte a été vigoureusement discutée, à tout le moins depuis que la loi du 13 juillet 1965 a aboli le droit de jouissance dont était titulaire la communauté sur les biens propres.

Sous l’empire du droit antérieur, « la communauté devenait propriétaire sauf récompense de tous les deniers perçus par les époux ou pour leur compte pendant le mariage pour quelque cause que ce fût » (Cass. 1ère civ., 14 mars 1972, n° 70-12.138).

Il était donc admis que la communauté avait la jouissance des biens propres des époux. La perception du prix par le mari, administrateur de la communauté, des deniers provenus de la vente d’un bien propre pouvait valoir appauvrissement du patrimoine propre et enrichissement corrélatif de la communauté.

En établissant que les deniers provenant de la vente d’un immeuble propre avaient été versés entre les mains du mari, l’appréhension de ces deniers par la communauté, dont le mari était le chef, pouvait être par là même démontrée. Les termes de versement des deniers dans la communauté et d’enrichissement de celle-ci, fondement du droit à récompense, pouvaient donc être confondus.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965, conformément à l’article 1428 du Code civil, les époux conservent la jouissance de leurs propres.

Les deniers perçus par un époux à la suite de l’aliénation d’un bien propre ou qui lui sont échus par succession ou libéralité constituent des biens propres, leur dépôt sur un compte bancaire ouvert à son seul nom ou sur un compte joint ne leur faisant pas perdre cette qualification.

Il est donc apparu que, sous l’empire de la loi nouvelle, ce ne pouvait pas être l’encaissement des deniers propres qui pouvait engendrer le droit à récompense, mais l’usage fait des deniers au profit de la communauté.

En effet, le seul encaissement de fonds appartenant en propre à un époux par la communauté est sans incidence sur leur qualification. Tout au plus, ils seront présumés communs par le jeu de la présomption d’acquêts.

Il s’agit néanmoins là d’une présomption d’appartenance et non de consommation. Or pour que des deniers propres tombent en communauté, ils doivent, a minima, avoir été consommés et plus précisément avoir été affectés au service d’un intérêt commun.

C’est la raison pour laquelle, l’article 1433, al. 2e du Code civil subordonne l’ouverture d’un droit à récompense à la réalisation d’un profit par la communauté.

Ce profit pourra résulter de l’affectation de fonds propres :

  • Soit à l’acquisition, à l’entretien ou à l’amélioration d’un bien sans que les formalités d’emploi ou de remploi aient été accomplies
  • Soit au paiement d’une dette commune incombant définitivement à la communauté

Pour que l’époux, auquel appartiennent les fonds propres qui ont été encaissés par la communauté, puisse se prévaloir d’un droit à récompense, il devrait, en toute rigueur, être exigé qu’il établisse que la communauté a retiré un profit de l’utilisation de ses deniers.

Tel n’est pourtant pas l’exigence de la jurisprudence dont la position a connu plusieurs évolutions.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a jugé que « la récompense est fondée sur le simple fait qu’un patrimoine a reçu un certain prix qui constitue son profit » (Cass. 1ère civ. 5 févr. 1980, n°79-10.396).

Autrement dit, dans cette décision, elle admet que la preuve de l’encaissement de deniers propres par la communauté permet, à elle seule, de faire présumer la réalisation d’un profit ouvrant droit à récompense.

Cette position, pour le moins libérale adoptée par la première chambre civile, a fait l’objet de nombreuses critiques.

Au soutien de sa charge portée contre la haute juridiction, la doctrine a notamment souligné l’absence de relation entre l’acte de perception par la communauté de deniers propres et la réalisation par elle d’un profit. Ce sont là deux choses bien distinctes, la seconde ne s’inférant pas nécessairement de la première.

Dans un deuxième temps, la Cour de cassation est revenue sur sa position. Dans un arrêt du 26 juin 1990, elle a estimé qu’une épouse ne peut « prétendre à récompense en raison des paiements faits, au moyen de prélèvements opérés sur des capitaux propres, pour subvenir aux dépenses du ménage qui étaient supérieures aux revenus des époux, ces paiements n’ayant laissé subsister aucun profit pour le patrimoine commun » (Cass. 1ère civ. 26 juin 1990, n°88-18.721).

Il ressort de cette décision que le prélèvement par la communauté de deniers propres n’ouvre droit à récompense qu’à la condition qu’il soit établi la réalisation d’un profit par la communauté.

Or au cas particulier, les capitaux prélevés avaient été affectés au règlement des charges du mariage, ce qui, en soi, n’est pas récompensable. Au surplus, la communauté n’en avait retiré aucun profit, l’intégralité des fonds ayant été consommés pour les besoins du ménage.

Ce revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation a été confirmé dans un arrêt du 6 avril 1994, aux termes duquel elle précise « qu’il incombe à celui qui demande récompense à la communauté d’établir, par tous moyens laissés à l’appréciation souveraine des juges du fond, que les deniers provenant du patrimoine propre de l’un des époux ont profité à la communauté » (Cass.1ère civ. 6 avr. 1994, n°91-22.341).

Cette décision présente le mérite de la clarté : la preuve de l’encaissement de deniers propres par la communauté ne suffit pas à ouvrir droit à récompense. L’époux que se prévaut de ce droit doit démontrer que cet encaissement a profité à la communauté.

Faute d’établir cet enrichissement, aucune récompense ne sera mise à la charge de cette dernière.

Dans un troisième temps, la Cour de cassation a assoupli sa position. Dans un arrêt du 14 janvier 2003, elle a validé la décision d’une Cour d’appel qui, après avoir constaté que les deniers propres avaient été encaissés sur un compte commun et utilisés dans l’intérêt de la communauté, en a déduit que la preuve de la réalisation d’un profit ouvrant droit à récompense était rapportée (Cass. 1ère civ. 14 janvier 2003, n°00-21.108).

Il s’évince de cette décision que si l’encaissement de fonds personnels par la communauté ne permet pas de faire présumer la réalisation d’un profit, la preuve de l’affectation de ces fonds au service de l’intérêt commun suffit, en revanche, à ouvrir droit à récompense.

Comme relevé par certains auteurs[11], il y a là un infléchissement de position de la Cour de cassation qui exige désormais, non plus la preuve d’un profit, mais l’utilisation des fonds dans l’intérêt de la communauté. On observe ainsi une sorte de glissement sémantique qui sera suivi par un nouveau revirement de jurisprudence.

Dans un quatrième temps, la Cour de cassation est, contre toute attente, revenue à la solution qu’elle avait adoptée initialement.

Dans un arrêt du 8 février 2005, elle a affirmé, au visa de l’article 1433 du Code civil, « qu’il incombe à celui qui demande récompense à la communauté d’établir que les deniers provenant de son patrimoine propre ont profité à celle-ci ; que, sauf preuve contraire, le profit résulte notamment de l’encaissement de deniers propres par la communauté, à défaut d’emploi ou de remploi » (Cass. 1ère civ. 8 févr. 2005, n°03-13.456).

Pour la première chambre civile, l’encaissement de deniers propres par la communauté fait présumer la réalisation d’un profit ouvrant droit à récompense.

C’est donc au conjoint qui conteste le bien-fondé de ce droit à récompense qu’il appartient de prouver que la communauté n’a retiré aucun profit de l’encaissement des deniers propres.

Dans un cinquième temps, la Cour de cassation est venue préciser sa position en décidant que la présomption de profit tiré de l’encaissement par la communauté de deniers propres ne jouait pas lorsqu’ils ont été déposés sur le compte personnel d’un époux.

Dans un arrêt du 15 février 2012, elle a notamment jugé que « le profit tiré par la communauté résultant de l’encaissement, au sens de l’article 1433, alinéa 2, du code civil, des deniers propres d’un époux ne peut être déduit de la seule circonstance que ces deniers ont été versés, au cours du mariage, sur un compte bancaire ouvert au nom de cet époux » (Cass. 1ère civ., 15 février 2012, n°11-10.182).

Il ressort de cette décision que, selon que les deniers propres ont été déposés sur un compte commun ou le compte personnel d’un, la preuve qui doit être rapportée celui qui allègue d’un droit à récompense diffère d’une situation à l’autre :

  • Les deniers propres ont été déposés sur un compte commun
    • Dans cette hypothèse, on présume qu’ils ont été utilisés par les deux époux et affectés à la couverture de dépenses communes et, par conséquent, on en déduit une présomption de profit tiré par la communauté.
    • Parce qu’il s’agit d’une présomption simple, elle souffre la preuve contraire
  • Les deniers propres ont été déposés sur le compte personnel d’un époux
    • Dans cette hypothèse, la présomption de profit retiré par la communauté ne joue pas
    • Pour la Cour de cassation, on ne peut pas présumer que les fonds propres ont été utilisés par les deux époux pour être affectés à leurs dépenses communes.
    • Il en résulte qu’il appartient à celui qui se prévaut d’un droit à récompense d’établir la réalisation d’un profit par la communauté

Cette position a, par suite, été confirmée par la Cour de cassation, notamment dans un arrêt du 4 janvier 2017.

Dans cette décision, elle reproche à une Cour d’appel d’avoir débouté un époux de sa demande de droit à récompense alors qu’elle avait relevé que les deniers propres de cet époux avaient été déposés sur un compte joint, de sorte qu’ils avaient été encaissés par la communauté au sens de l’article 1433 du code civil.

La première chambre civile estime ici que les juges du fond n’ont pas tiré les conséquences de leurs propres constatations (Cass. 1ère civ. 4 janv. 2017, n°16-10.934).

1.2 La preuve du montant de la récompense

En application de l’article 1469, al. 1er du Code civil, l’évaluation des récompenses est gouvernée par le principe du double maximum.

Ce texte prévoit, en ce sens, que « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »

Parce que le mode de calcul des récompenses est déterminé par la loi, le créancier ne devrait pas à avoir à prouver leur montant.

Cela est néanmoins sans compter sur les exceptions dont est assorti le principe du double maximum.

Ces exceptions, qui sont au nombre de deux, sont énoncées aux alinéas 2 et 3 de l’article 1469 du Code civil

  • S’agissant de la première exception, elle prévoit que lorsqu’une récompense est due au titre d’une dépense qui présentait un caractère nécessaire, elle ne peut être moindre que la dépense faite.
  • S’agissant de la seconde exception, elle prévoit que lorsqu’une récompense est due au titre de l’acquisition, de la conservation ou de l’amélioration d’un bien elle ne peut être moindre que le profit subsistant

Lorsqu’une récompense est due à un patrimoine propre, il appartiendra au créancier, s’il souhaite bénéficier de l’une ou l’autre exception, de démontrer que leurs conditions d’application respectives sont remplies.

S’agissant de l’exception énoncée à l’alinéa 2 de l’article 1469, il devra être démontré que la dépense exposée présentait un caractère nécessaire.

Si le créancier y parvient, le montant de la récompense ne pourra pas être moindre que la dépense faite. S’il échoue, le montant de la récompense sera égal à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant.

S’agissant de l’exception énoncée à l’alinéa 3 de l’article 1469, l’époux qui se prévaut d’un droit à récompense devra prouver que des deniers propres ont été employés à l’acquisition, la conservation ou l’amélioration d’un bien commun.

Parce que, l’affectation de fonds à une opération constitue, en soi, un fait juridique, la preuve pourra ici être rapportée par tous moyens.

Est-ce à dire que cette preuve s’en trouvera facilitée ? Il n’en est rien, compte tenu de son objet.

En effet, si rapporter la preuve d’un acte d’acquisition, de conservation ou d’amélioration ne soulève pas de difficulté particulière, plus difficile est en revanche d’établir l’origine des fonds ayant financé l’opération.

La plupart du temps, l’origine de ces fonds ne sera pas mentionnée dans l’acte qui constate l’opération.

Dès lors, comment prouver que l’acquisition, la conservation ou l’amélioration d’un bien commun a été financée intégralement ou partiellement par des fonds propres ?

Des auteurs avancent que « pratiquement, il semble que la solution dépendra essentiellement de l’intervalle de temps qui aura séparé les deux opérations : celle qui, comme notamment la vente d’un propre, a mis des deniers propres à la disposition de la communauté ; celle qui a consisté pour elle à les investir ou dans une acquisition, ou dans des travaux d’amélioration ou de conservation d’une bien commun »[12].

Aussi, plus les dates entre les deux opérations seront rapprochées et plus le caractère propre des deniers qui ont financé l’opération sera probant.

À l’inverse, plus le délai entre l’encaissement par la communauté des deniers et la réalisation de l’opération sera long et plus il sera difficile d’établir l’emploi de fonds personnels, en raison, notamment de la fongibilité de l’argent.

L’enjeu de la preuve est la méthode de calcul applicable à l’évaluation de la récompense due par la communauté à l’époux créancier :

  • S’il est établi que l’acquisition, la conservation ou l’amélioration d’un bien commun a été financée par des fonds propres, il sera fait application de l’alinéa 3e de l’article 1469 du Code civil, de sorte que la récompense ne pourra pas être moindre que le profit subsistant.
  • S’il n’est pas établi que l’acquisition, la conservation ou l’amélioration d’un bien commun a été financée par des fonds propres, il sera fait application de l’alinéa 1er de l’article 1469 du Code civil, de sorte que la récompense sera égale à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant.

2. La preuve des récompenses dues à la communauté

En première intention, on pourrait penser que la preuve des récompenses dues à la communauté obéit aux mêmes règles que la preuve des récompenses dues par la communauté, à la nuance près qu’il s’agit de prouver un mouvement de valeur dans le sens inverse.

Autrement dit, il y aurait lieu d’établir :

  • D’une part, l’existence d’une valeur commune
  • D’autre part, l’enrichissement d’un patrimoine propre au détriment de la communauté

Cette démarche, bien que séduisante, fait néanmoins fi d’un élément qui bien bouleverser les termes de l’équation : la présomption de communauté.

Aussi, pour prouver que la communauté a droit à récompense, il n’est nullement besoin d’établir le caractère commun de la valeur transférée dans le patrimoine propre, puisqu’il est présumé en application de l’article 1402 du Code civil.

Dans un arrêt du 7 juin 1988, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1402 du Code civil qu’il résulte de ce texte que « la communauté qui prétend avoir droit à récompense n’a pas à établir le caractère commun des deniers qui ont servi à acquitter une dette personnelle à l’un des époux, lesdits deniers étant, en application de ce texte, réputés communs, sauf preuve contraire » (Cass. 1ère civ. 7 juin 1988, n°86-14.471).

La seule preuve qui devra dès lors être rapportée par l’époux qui allègue un droit à récompense au profit de la communauté, c’est l’utilisation par son conjoint de deniers dans son intérêt personnel.

Parce que ces deniers sont présumés communs, la preuve ne portera donc que sur l’affectation des deniers au profit d’un patrimoine propre.

Concrètement, il conviendra d’établir :

  • D’une part, le financement d’une dépense d’acquisition, de conservation, d’amélioration ou encore règlement d’une dette
  • D’autre part, que la dépense ainsi exposée a profité au patrimoine propre qui doit récompense à la communauté

Charge à l’époux qui conteste cette récompense, de démontrer que les deniers utilisés lui appartenaient en propre et/ou que leur emploi a été fait conformément à l’intérêt commun.

En tout état de cause, il s’agira ici de prouver un fait juridique. Dans ces conditions, la preuve est libre.

S’agissant de la preuve du montant de la récompense, il appartiendra au demandeur, s’il sollicite le bénéfice de l’une des exceptions au principe du double maximum énoncé à l’alinéa 1er de l’article 1469, de démontrer que leurs conditions d’application sont remplies.

S’agissant de la première exception, celle énoncée à l’alinéa 2 de l’article 1469, il lui faudra donc établir, pour que le montant de la récompense ne soit pas moindre que la dépense faite, que cette dépense présentait un caractère nécessaire.

S’agissant de la seconde exception énoncée à l’alinéa 3 de l’article 1469, il lui faudra seulement démontrer que des fonds ont été employés à l’acquisition, la conservation ou l’amélioration d’un propre.

Il n’aura pas, en effet, pas à démontrer l’origine des deniers employés, dans la mesure où, en application de la présomption d’acquêt, ils sont réputés communs.

Lorsqu’ainsi, un époux sollicite l’octroi d’une récompense revalorisée au profit de la communauté, la preuve sera plus facile à rapporter que lorsque c’est à un patrimoine propre que cette récompense est due.

II) Le dénouement des comptes de récompenses

L’article 1468 du Code civil prévoit qu’« il est établi, au nom de chaque époux, un compte des récompenses que la communauté lui doit et des récompenses qu’il doit à la communauté, d’après les règles prescrites aux sections précédentes. »

Il ressort de cette disposition que, lors de la liquidation du régime matrimonial, il appartient aux époux d’inscrire en compte les récompenses.

Selon que la récompense est due par la communauté ou à la communauté, elle sera inscrite au débit ou au crédit du compte ouvert par chaque époux, étant précisé que les récompenses ne peuvent être réglées que par le truchement de ce compte.

Il s’agit là une dérogation au principe de paiement individuel des créances. Les récompenses ne peuvent, en effet, pas faire l’objet d’un règlement séparé. Leur paiement requiert une inscription préalable dans un compte unique qui présente un caractère indivisible.

Dans un arrêt du 14 mars 1984, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les récompenses constituent les éléments d’un compte unique et indivisible, dont le reliquat après la dissolution du régime est seul à considérer » (Cass. 1ère civ. 14 mars 1984, n°82-16.638).

Il en résulte que pendant toute la durée de la communauté, les époux ne sont nullement obligés de régler les récompenses qu’ils doivent, puisque dès leur naissance elles entrent dans un compte unique et indivisible dont seul le solde sera dû.

Autrement dit, ce qui a vocation à être exigible et donc à être réglé, ce ne sont pas les récompenses prises séparément comme des créances individuelles, mais le solde du compte unique et indivisible dans lequel elles sont inscrites.

Aussi, ni les époux, ni les créanciers ne sont investis d’un quelconque droit sur les créances de récompenses, tant qu’il n’a pas été procédé au dénouement des comptes de récompenses, lequel n’interviendra qu’une fois l’inventaire et l’évaluation des récompenses achevés.

Ce dénouement consistera, d’abord, à clôturer les comptes de récompenses, puis à régler le solde résultant des opérations de clôture.

A) La clôture du compte de récompenses

La clôture du compte des récompenses comporte, en substance, deux opérations :

  • Détermination des intérêts produits par les récompenses
  • Réalisation de la balance des comptes

1. La production d’intérêts

L’article 1473, al. 1er du Code civil prévoit que « les récompenses dues par la communauté ou à la communauté portent intérêts de plein droit du jour de la dissolution. »

Il ressort de cette disposition que les récompenses produisent des intérêts, étant précisé qu’il y a lieu d’appliquer le taux d’intérêt légal tel que défini par l’article L. 313-2 du Code monétaire et financier.

Cette disposition prévoit que le taux légal « comprend un taux applicable lorsque le créancier est une personne physique n’agissant pas pour des besoins professionnels et un taux applicable dans tous les autres cas. »

Dans les deux cas, il est calculé semestriellement, en fonction du taux directeur de la Banque centrale européenne sur les opérations principales de refinancement et des taux pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement.

Toutefois, pour les particuliers, les taux pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pris en compte pour le calcul du taux applicable sont les taux effectifs moyens de crédits consentis aux particuliers.

S’agissant du point de départ du cours des intérêts légaux, il diffère selon que les récompenses sont égales à la dépense faite ou au profit subsistant.

  • La récompense est égale à la dépense faite
    • Dans cette hypothèse, les intérêts commencent à courir à compter de la date de dissolution de la communauté.
    • Ici, le calcul des intérêts ne soulève pas de difficulté dans la mesure où la date à compter de laquelle ils courent correspond au jour du prélèvement du patrimoine qui s’est appauvri, soit au jour du transfert de valeur, faute de prélèvement.
    • Concrètement, le montant retenu sera toujours la valeur nominale à la date à laquelle la dépense a eu lieu.
    • Aussi, l’évaluation de la dépense faite ne donnera jamais lieu à revalorisation, contrairement à l’avantage qui en a été retiré par le patrimoine débiteur, ce qui sera source de difficulté pour le calcul des intérêts
  • La récompense est égale au profit subsistant
    • Lorsque la récompense est égale au profit subsistant, le calcul des intérêts soulève une difficulté.
    • En effet, se pose la question de la date à compter de laquelle les intérêts commencent à courir.
    • Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1473 du Code civil, qui ne comportait qu’un seul alinéa, fixait comme point de départ la date de dissolution de la communauté.
    • L’inconvénient de cette règle est que cela revenait à faire courir des intérêts sur une valeur, le profit subsistant, susceptible de considérablement fluctuer.
    • En effet, entre la date de dissolution de la communauté et la date d’évaluation des récompenses, il peut s’écouler un particulièrement long délai.
    • Or pendant ce délai, la valeur du bien sur la base duquel est calculé le profit subsistant peut évoluer de façon significative.
    • Ajouté à cela, plus la période d’indivision post-communautaire est longue et plus, mécaniquement, le montant des intérêts est élevé.
    • Aussi, y avait-il un risque, en retenant la date de dissolution de la communauté comme point de départ du cours des intérêts, de faire supporter par le débiteur de la récompense une charge disproportionnée.
    • En réaction à ce risque pointé du doigt par la doctrine, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt rendu en date du 17 juillet 1984 que « si, aux termes de l’article 1473 du Code civil, les récompenses dues par la communauté ou à la communauté emportent les intérêts de plein droit du jour de la dissolution, il résulte de l’article 1469, alinéa 3, du Code civil que la masse dans laquelle est le bien doit récompense pour le profit qu’elle réalise au jour de l’indemnisation»
    • Elle en déduit « que les intérêts de cette récompense ne pouvaient courir de plein droit qu’à partir du jour où le profit qui la faisait naître était constaté par l’évaluation qui en était faite» ( 1ère civ. 17 juill. 1984, n°83-13.173).
    • Autrement dit, pour la Première chambre civile, lorsqu’une récompense est égale au profit subsistant, le point de départ du cours des intérêts est fixé au jour de l’arrêté des comptes de récompenses, soit à la date de la jouissance divise (date à laquelle les biens dépendant de la masse à partager sont estimés à leur valeur).
    • Considérant que la solution retenue par la Cour de cassation méritait l’approbation, le législateur l’a consacré lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985.
    • Cette consécration s’est traduite par l’ajout d’un alinéa 2 à l’article 1473 du Code civil qui prévoit que « lorsque la récompense est égale au profit subsistant, les intérêts courent du jour de la liquidation. »

À l’analyse, le nouveau dispositif instauré par la loi du 23 décembre 1985 emporte plusieurs conséquences sur la méthode de calcul des intérêts.

La méthode traditionnelle de calcul des récompenses conduisait, sous l’empire du droit antérieur, à appliquer les intérêts produits par les récompenses au seul solde du compte.

Il était, en effet, indifférent que la récompense soit égale à la dépense faite ou au profit subsistant.

Dans les deux cas, les intérêts commençaient à courir à compter de la date de dissolution de la communauté.

Désormais, l’article 1473 du Code civil prévoit que le point de départ des intérêts diffère selon que la récompense fait ou non l’objet d’une réévaluation :

  • Lorsque les récompenses correspondent à la dépense faite, les intérêts qu’elles produisent courent à compter de la date de dissolution de la communauté
  • Lorsque les récompenses correspondant au profit subsistant, les intérêts qu’elles produisent courent à compter du jour de la liquidation de la communauté

Concrètement, le calcul des intérêts pourra être effectué selon deux méthodes.

La première consiste à calculer les intérêts sur chaque récompense prise isolément, en fonction du régime qui lui est applicable.

La seconde méthode, consiste, quant à elle, à établir deux colonnes dans le compte des récompenses qui les répartiraient entre celles correspondant au profit subsistant et celles égales à la dépense faite.

Les intérêts seraient alors appliqués au solde de chaque colonne, étant précisé que, en pratique, il apparaît que seules les récompenses qui correspondent à la dépense faite donnent lieu à la production d’intérêts.

Lorsque, en effet, la récompense est égale au profit subsistant, les intérêts courent à compter de la liquidation de la communauté, soit au moment même où les époux procèdent au règlement.

2. La balance des comptes

a. Principe

L’inventaire des récompenses conduira la plus souvent les époux à constater l’existence, pour un même compte, de récompenses dues à la communauté et de récompenses dues par la communauté.

Lorsque cette situation se rencontre, l’article 1470 du Code civil commande aux époux de faire la balance des totaux obtenus, augmentés des intérêts ayant couru jusqu’à la clôture du compte.

Pratiquement, il s’agira pour eux de soustraire au montant le plus élevé, le total le plus faible, d’où il résultera un solde débiteur ou créditeur.

Le solde ainsi obtenu n’est autre que la traduction de la compensation qui s’opère entre ce qu’un époux doit à la communauté et ce que celle-ci lui doit.

Il s’agit là d’un mécanisme éminemment avantageux pour les époux, dans la mesure où seul le solde de chaque compte de récompenses doit être considéré dans le cadre des opérations de règlement.

Lorsqu’ainsi, après balance des totaux, un époux est redevable de la communauté, les créanciers de celle-ci (tiers ou conjoint) ne pourront poursuivre leur créance sur ses biens qu’à concurrence du montant du solde débiteur et non pour le cumul des dettes de récompenses.

Exemple :

Supposons un compte de récompenses dont les totaux obtenus sont les suivants :

  • Récompenses dues à la communauté 1.500
  • Récompenses dues par la communauté 1.000

Dans cette hypothèse, le compte présente un solde débiteur à hauteur de 1500 – 1000 soit 500.

Si l’on appliquait le droit commun du paiement des créances, les créanciers seraient fondés à se prévaloir du règlement d’une créance de 1.500.

Néanmoins, parce qu’il s’agit d’une créance de récompense, seul le solde du compte est exigible, de sorte que les créanciers ne sont autorisés à recouvrer leur créance que dans la limite de ce solde, soit 500.

À l’inverse, lorsque, après balance, un époux est créancier de la communauté, il n’entrera en concours avec les créanciers communs ou son conjoint que pour la partie du solde créditeur de son compte.

Exemple :

Supposons, cette fois-ci, un compte de récompenses dont les totaux obtenus sont les suivants :

  • Récompenses dues à la communauté 1.500
  • Récompenses dues par la communauté 2.000

Dans cette hypothèse, le compte présente un solde créditeur à hauteur de 2000 – 1500 soit 500.

Aussi, l’époux créancier pourra réclamer à la communauté, le règlement, non pas de l’intégralité de sa créance de récompense, mais seulement du solde disponible, lequel est seul exigible, 500.

b. Limite

S’il ressort de l’article 1470 du Code civil qu’une balance doit être effectuée entre les totaux obtenus au sein d’un même compte de récompenses, cette disposition ne prescrit nullement de réaliser une seconde balance – globale – entre les soldes obtenus pour chacun des comptes des époux.

En opérant de la sorte, cela conduirait à admettre qu’un seul époux puisse être débiteur ou créancier de la communauté.

Pour la doctrine, si cette modalité de règlement va bien au-delà des prévisions légales, rien ne s’oppose à ce qu’elle soit mise en œuvre dans le cadre d’un règlement amiable, à tout le moins dès lors que les créanciers communs ne s’en trouvent pas lésés.

B) Le règlement des récompenses

Lorsque la balance du compte des récompenses de chaque époux a été réalisée, il en résulte un solde.

Selon que ce solde est créditeur au profit de la communauté ou débiteur à sa charge les modalités de règlement diffèrent.

1. Le règlement du solde créditeur en faveur de la communauté

==> Le principe du rapport en moins prenant

Lorsque, le solde d’un compte de récompenses est créditeur en faveur de la communauté, son règlement peut être envisagé de deux façons :

  • Soit l’on exige que l’époux débiteur règle sa dette par prélèvement sur son patrimoine propre
  • Soit l’on admet que le règlement puisse s’opérer par déduction de ce qui est dû à l’époux débiteur au titre du partage de la masse commune

Manifestement, la première solution présente un inconvénient majeur. Elle est, en effet, susceptible de conduire l’époux débiteur qui ne disposerait pas des liquidités suffisantes, à vendre un ou plusieurs biens propres aux fins de s’acquitter de sa dette de récompense, alors même que, dans le même temps, il a vocation à percevoir la moitié des biens communs dans le cadre des opérations de partage.

Afin d’éviter que cette situation pour le moins baroque ne se produise, il a été fait le choix de retenir la seconde solution.

L’article 1470, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « si, balance faite, le compte présente un solde en faveur de la communauté, l’époux en rapporte le montant à la masse commune. »

Il ressort de cette disposition que, par imitation du rapport successoral, le règlement du solde se fera par voie de rapport en moins prenant.

Concrètement, cela signifie que, au lieu qu’un versement soit effectué par l’époux débiteur à la masse commune, la part qui lui revient au titre du partage soit réduite à concurrence de ce qu’il doit à la communauté.

Seule limite à ce système : l’hypothèse où le montant du solde créditeur en faveur de la communauté est supérieur à la part qui revient à l’époux débiteur.

Dans cette situation, le règlement du solde supposera que ce dernier s’acquitte de sa dette par l’apport à la masse commune de biens propres.

==> Les modalités du rapport en moins prenant

Le règlement par voie de rapport en moins prenant peut être réalisé selon deux méthodes différentes.

  • Première méthode : l’imputation
    • Cette méthode consiste à procéder au règlement par le jeu de simples écritures arithmétiques.
    • Autrement dit, il s’agira d’inscrire fictivement à l’actif commun la dette de récompense, puis d’attribuer cette même dette, lors de la composition des lots, à l’époux débiteur.
    • Cette dette qui pèse sur ce dernier s’imputera ainsi sur la part qui lui revient et qui, dès lors, s’en trouvera diminuée d’autant.
    • Cette méthode de règlement aboutira à un partage inégal de la masse commune.
  • Seconde méthode : les prélèvements
    • Cette autre méthode consiste à inviter le conjoint de l’époux débiteur à prélever sur la masse commune, avant qu’elle ne soit partagée, un lot correspondant au montant de la créance de récompense dont la communauté est titulaire.
    • Une fois ce prélèvement effectué, la masse commune peut être partagée en deux parts égales entre les époux.
    • Dans l’hypothèse où les deux époux seraient débiteurs, c’est celui dont la dette est la plus faible qui prélèvera sur l’actif commun le montant de la différence avec la dette la plus élevée.

À l’analyse, lorsqu’aucun désaccord n’oppose les époux sur le partage de la masse commune, il peut être recouru aux deux méthodes, bien que la pratique notariale privilégie usuellement la première.

Cette méthode devra néanmoins être écartée lorsque les époux ne s’entendent pas sur la constitution des lots.

En effet, en pareille circonstance, la répartition des biens ne peut s’opérer que par voie de tirage au sort.

Or cette modalité de répartition ne se conçoit que lorsque les lots à partager sont égaux, ce qui, par hypothèse, n’est pas le cas en présence de la méthode de l’imputation.

C’est donc vers la méthode des prélèvements que les époux devront se tourner afin de surmonter leur désaccord, cette méthode étant la seule à leur offrir une répartition égalitaire des lots, puisque le règlement de la créance de récompense se fait en amont.

2. Le règlement du solde débiteur à la charge de la communauté

Lorsque l’époux dont le compte de récompenses présente, après balance des totaux obtenus, un solde en sa faveur, l’article 1470 du Code civil lui offre une alternative quant au règlement de ce solde.

En effet, il peut :

  • Soit en exiger le paiement
  • Soit prélever des biens communs jusqu’à due concurrence

Il est admis que le choix de l’une ou l’autre modalité de règlement est discrétionnaire, de sorte que ce choix ne saurait, en aucune manière, être imposé aux époux.

Reste que, en pratique, il sera presque systématiquement opté pour la seconde méthode de règlement, soit celle consistant à régler le solde par voie de prélèvement.

Tandis que cette méthode s’analyse, au fond en en paiement en nature, l’autre méthode – non utilisée – s’apparente plutôt à un paiement en espèces.

Nous envisagerons successivement les deux méthodes de règlement.

a. Le règlement du solde par voie de paiement

Dans l’hypothèse – rare – où un époux opterait pour un règlement du solde en sa faveur par voie de paiement en espèces, il se retrouverait alors placé dans la même situation qu’un créancier ordinaire.

Aussi, deviendrait-il intéressé à l’actif commun, comme tous les autres créanciers et serait, à ce titre, autorisé à poursuivre sa créance sur l’ensemble des biens composant la masse commune.

À cet égard, il est admis que, en cas d’absence de liquidités suffisantes pour le désintéresser, il puisse provoquer la réalisation forcée de certains biens.

Cette faculté demeure néanmoins limitée par la règle posée à l’article 1471 du Code civil qui prévoit que l’époux qui réclame le règlement de son solde « ne saurait cependant préjudicier par son choix aux droits que peut avoir son conjoint de demander le maintien de l’indivision ou l’attribution préférentielle de certains biens. »

b. Le règlement du solde par voie de prélèvement

Le règlement par voie de prélèvement est l’alternative qui, de très loin, est la plus souvent retenue dans la pratique.

Concrètement, cette méthode de règlement consiste pour l’époux créancier à prélever, avant le partage, certains biens sur la masse commune pour une valeur correspondant au montant de sa créance.

Dans ce schéma, l’époux créancier cumule, tout à la fois, les qualités de créancier et de copartageant.

Cette double qualité dont il jouit, lui confère une position pour le moins privilégiée dans la mesure où il est autorisé à prélever, de son propre chef, des biens en nature sur la masse commune jusqu’à ce qu’il soit rempli de ses droits.

Or en droit commun des obligations ce mode de règlement, qui s’analyse en une dation en paiement, requiert toujours l’accord du débiteur.

À l’examen, le droit de prélèvement dont est investi l’époux créancier s’explique par sa qualité de copropriétaire des biens communs.

En pratiquant des prélèvements sur la masse commune, il ne s’approprie pas vraiment les biens d’autrui, puisque la moitié des biens qui composent cette masse ont vocation à lui revenir dans le cadre du partage.

Reste que cette modalité de règlement ne doit, ni porter atteinte aux droits du conjoint, ni aux intérêts des créanciers, ce qui conduit à s’interroger sur l’exercice du droit de prélèvement – qui est encadré – ainsi que sur sa nature dont il résulte plusieurs conséquences pratiques.

b.1. L’exercice du droit de prélèvement

i. Les modalités d’exercice du droit de prélèvement

Afin de prévenir les conflits susceptibles de naître, dans le cadre de l’exercice du droit de prélèvement, le législateur a institué deux directives auxquels il échoit à l’époux créancier de se soumettre.

Tandis que la première institue un ordre des prélèvements quant aux biens, la seconde vise à résoudre la situation de concours dans l’hypothèse où les deux époux seraient créanciers de la communauté.

==> L’ordre des prélèvements

Si l’époux créancier peut discrétionnairement opter pour un règlement du solde en sa faveur par voie de prélèvement, il n’est en revanche pas libre de prélever sur la masse commune les biens de son choix.

L’article 1471 du Code civil prévoit en ce sens que « les prélèvements s’exercent d’abord sur l’argent comptant, ensuite sur les meubles, et subsidiairement sur les immeubles de la communauté. »

Ainsi l’époux créancier ne pourra prélever des biens en nature sur la masse commune que dans l’ordre suivant :

  • Somme d’argent
  • Meubles
  • Immeubles

Ce n’est que lorsqu’il entend prélever des valeurs dans une même catégorie de biens que l’époux créancier recouvre sa liberté de choix, à tout le moins dans la limite de sa créance.

Le texte précise ainsi que « l’époux qui opère le prélèvement a le droit de choisir les meubles et les immeubles qu’il prélèvera. »

Dans l’hypothèse où la valeur du bien choisi excède le montant de la créance de l’époux, il pourra être procédé par voie de licitation, étant précisé que, en cas d’accord, les époux peuvent écarter l’ordre des prélèvements fixé par l’article 1471 du Code civil.

Ils pourraient notamment prévoir, dans leur contrat de mariage ou décider le jour du règlement du solde, que la créance de solde serait réglée par prélèvement d’un immeuble, alors même que la communauté dispose des fonds suffisants pour couvrir cette créance.

Il est admis que les dispositions de l’article 1471 du Code civil ne sont pas impératives. Il peut donc y être dérogé par convention contraire.

==> Le concours entre époux créanciers

Parfois, les comptes de récompenses des deux époux présenteront un solde créditeur.

Dans cette hypothèse, il est un risque que, faute de liquidités suffisantes pour les désintéresser, les époux entendent exercer leur droit de prélèvement sur un même bien meuble ou immeuble.

Afin de prévenir cette situation de concours, l’ancien article 1471 du Code civil institué par loi du 13 juillet 1965 n°65-570 prévoyait que « les prélèvements de la femme s’exercent avant ceux du mari. »

Le législateur avait ainsi opté pour l’octroi d’un privilège à la femme mariée, privilège qui était poussé jusqu’à l’autoriser, en cas d’insuffisance de la communauté, à exercer ses reprises sur les biens personnels de son mari.

Ce dispositif profondément inégalitaire n’a pas résisté à l’adoption de la loi n°85-1372 du 23 décembre 1985 qui visait à instituer une égalité dans les rapports conjugaux.

Aussi, le nouvel article 1471 du Code civil prévoit désormais que « si les époux veulent prélever le même bien, il est procédé par voie de tirage au sort. »

En cas de situation de concours entre époux, c’est donc le sort qui déterminera lequel des deux se verra attribuer le bien disputé.

Quant à l’hypothèse où la communauté ne disposerait pas des actifs suffisants pour désintéresser les deux époux, cette situation est réglée par l’article 1472, al. 1er du Code civil qui prévoit que « en cas d’insuffisance de la communauté, les prélèvements de chaque époux sont proportionnels au montant des récompenses qui lui sont dues. »

Autrement dit, il sera procédé à un règlement de leur créance au marc l’euro, soit au prorata de leur créance.

Le second alinéa de l’article 1472 du Code civil précise néanmoins que « si l’insuffisance de la communauté est imputable à la faute de l’un des époux, l’autre conjoint peut exercer ses prélèvements avant lui sur l’ensemble des biens communs ; il peut les exercer subsidiairement sur les biens propres de l’époux responsable. »

Autrement dit, en cas de responsabilité établie d’un époux dans l’insuffisance d’actif de la communauté, non seulement son conjoint pourra exercer son droit de prélèvement sur la masse commune en priorité, mais encore ce dernier sera autorisé à obtenir le règlement de sa créance en prélevant des biens directement dans le patrimoine propre de l’époux fautif.

L’ancien privilège qui était octroyé naguère à la femme mariée réapparaît ainsi, mais cette fois-ci sous la forme d’une règle bilatéralisée.

ii. Les limites à l’exercice du droit de prélèvement

L’exercice du droit de prélèvement n’est pas sans limite, il est assorti d’une restriction énoncée à l’article 1471, al. 1er in fine du Code civil.

Cette disposition prévoit que « il ne saurait cependant préjudicier par son choix aux droits que peut avoir son conjoint de demander le maintien de l’indivision ou l’attribution préférentielle de certains biens. »

Ainsi, dans l’hypothèse où le conjoint se prévaudrait d’un maintien de l’indivision ou d’une attribution préférentielle, il serait fait échec, au moins temporairement, à l’exercice du droit de prélèvement de l’époux créancier.

Le droit de solliciter le maintien de l’indivision, tout autant que le droit de solliciter l’attribution préférentielle de certains biens, sont des prérogatives spécifiques reconnues, en certaines circonstances, à l’indivisaire et au copartageant.

S’agissant du maintien de l’indivision, il pourra être sollicité notamment dans les hypothèses visées aux articles 820 à 824 du Code civil.

  • L’article 821 prévoit, par exemple, que « à défaut d’accord amiable, l’indivision de toute entreprise agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, dont l’exploitation était assurée par le défunt ou par son conjoint, peut être maintenue dans les conditions fixées par le tribunal à la demande des personnes mentionnées à l’article 822.»
  • L’article 821-1 prévoit encore que « l’indivision peut également être maintenue, à la demande des mêmes personnes et dans les conditions fixées par le tribunal, en ce qui concerne la propriété du local d’habitation ou à usage professionnel qui, à l’époque du décès, était effectivement utilisé pour cette habitation ou à cet usage par le défunt ou son conjoint. Il en est de même des objets mobiliers garnissant le local d’habitation ou servant à l’exercice de la profession. »
  • L’article 822 dispose, quant à lui, que « si le défunt laisse un ou plusieurs descendants mineurs, le maintien de l’indivision peut être demandé soit par le conjoint survivant, soit par tout héritier, soit par le représentant légal des mineurs. »

S’agissant de l’attribution préférentielle de certains biens, elle peut être sollicitée dans les hypothèses visées aux articles 831 à 834 du Code civil.

Cette faculté concerne, en particulier, le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire et peut avoir pour objet notamment :

  • Toute entreprise, ou partie d’entreprise agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ou quote-part indivise d’une telle entreprise, même formée pour une part de biens dont il était déjà propriétaire ou copropriétaire avant le décès, à l’exploitation de laquelle il participe ou a participé effectivement
  • Les droits sociaux, sans préjudice de l’application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d’une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers.
  • La propriété ou du droit au bail du local qui lui sert effectivement d’habitation, s’il y avait sa résidence à l’époque du décès, et du mobilier le garnissant, ainsi que du véhicule du défunt dès lors que ce véhicule lui est nécessaire pour les besoins de la vie courante ;
  • La propriété ou du droit au bail du local à usage professionnel servant effectivement à l’exercice de sa profession et des objets mobiliers nécessaires à l’exercice de sa profession ;
  • L’ensemble des éléments mobiliers nécessaires à l’exploitation d’un bien rural cultivé par le défunt à titre de fermier ou de métayer lorsque le bail continue au profit du demandeur ou lorsqu’un nouveau bail est consenti à ce dernier.

À l’analyse, il ressort de ces dispositions – nombreuses – qu’il est des cas où l’exercice de droit de prélèvement est susceptible de se heurter à d’autres droits :

  • Le droit au maintien dans l’indivision
  • Le droit à l’attribution préférentielle d’un bien spécifique

L’enseignement qu’il y a lieu de retenir de l’article 1471, al. 1er in fine du Code civil, c’est que, l’époux qui se prévaut de l’un ou l’autre de ces droits est susceptible de tenir en échec l’exercice du droit de prélèvement, à tout le moins tant qu’aucune juridiction n’a statué dans le sens contraire.

À cet égard, en cas de conflit, l’issue ne sera pas la même selon que les prétentions concurrentes au droit de prélèvement sont facultatives ou de droit.

  • Les prétentions concurrentes sont facultatives
    • Cette situation se rencontrera pour toutes les demandes de maintien de l’indivision et pour certaines demandes d’attribution préférentielles
    • Lorsque le maintien de l’indivision ou l’attribution préférentielle sont facultatifs, le juge statuera en considération des intérêts en présence, de sorte qu’il pourra parfaitement considérer que le droit de prélèvement doit l’emporter
  • Les prétentions concurrentes sont de droit
    • Cette situation se rencontrera exclusivement en matière d’attribution préférentielle.
    • Lorsqu’elle est le droit ( 832-1 C. civ.), elle primera, dans tous les cas, sur le droit de prélèvement

b.2. La nature du droit de prélèvement

i. La consécration d’une qualification mixte

Sous l’empire du droit antérieur à l’entrée en vigueur de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, l’article 1472 du Code civil envisageait le droit de prélèvement comme une faculté de « reprise » ce qui a donné lieu à un vif débat sur la nature du prélèvement.

Les auteurs se sont, en effet, opposés sur la qualité au titre de laquelle le titulaire de cette faculté était autorisé à prélever des biens sur la masse commune.

Dans un premier temps, la jurisprudence a considéré que l’époux qui exerçait ce droit agissait en qualité de propriétaire (Cass. civ. 1er août 1848)

Il en résultait qu’il échappait à tout concours avec les créanciers de la communauté, ce qui lui conférait une position pour le moins privilégiée.

Cette solution a été vivement critiquée par la doctrine. Il a notamment été avancé par les auteurs que l’époux titulaire du droit de prélèvement ne pouvait pas agir en qualité de propriétaire dans la mesure où l’exercice de ce droit visait précisément à lui conférer cette qualité.

Il y avait donc un vice de raisonnement à analyser le prélèvement comme l’exercice d’un droit réel, vice qui procédait d’une mauvaise interprétation de la notion de reprise.

Par reprise, il fallait entendre, non pas « reprises en valeur », lesquelles sont bien exercées à titre de propriétaire, mais « reprises en nature » qui ne peuvent être exercées qu’à titre de créancier.

Dans un deuxième temps, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence dans le célèbre arrêt Moinet rendu en date du 16 janvier 1858 aux termes duquel elle a jugé que « c’est à titre de créancier que chaque époux prélève soit le prix de ses propres aliénés, soit les indemnités qui lui sont dues par la communauté » (Cass. Ch réunies, 16 janv. 1858).

Cette solution avait pour conséquence de soumettre l’époux titulaire du droit de prélèvement au concours des créanciers, le prélèvement s’analysant, non pas comme l’exercice d’un droit réel, mais comme une modalité de paiement du solde de la créance de récompense.

Dans un troisième temps, la Cour de cassation est venue préciser, dans un arrêt du 13 avril 1891, que les époux réalisent leurs prélèvements « en la double qualité de créanciers et de copartageants et que les prélèvements qu’ils effectuent constituent une des opérations de partage » (Cass. civ. 13 avr. 1891).

Si la précision apportée sur la qualité de copartageant est heureuse, la référence à la qualité de créancier n’est pas sans avoir suscité la critique.

Certains auteurs ont notamment fait remarquer, à juste titre, l’absence de personnalité morale de la communauté, ce qui ne permet donc pas d’appréhender le droit de prélèvement dont est titulaire un époux contre la communauté comme un rapport de créancier à débiteur.

Finalement, il faudra attendre la loi du 13 juillet 1965 pour qu’il soit mis fin au débat.

Séduit par la position retenue par la jurisprudence, le législateur fera le choix de consacrer la thèse de la double qualité de l’époux titulaire du droit de prélèvement.

L’article 1474 du Code civil prévoit en ce sens que « les prélèvements en biens communs constituent une opération de partage. Ils ne confèrent à l’époux qui les exerce aucun droit d’être préféré aux créanciers de la communauté, sauf la préférence résultant, s’il y a lieu, de l’hypothèque légale. »

Trois enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • D’une part, le législateur n’a pas retenu la qualification de droit de créance s’agissant de la faculté de prélèvement, sans doute sous l’influence des critiques dont avait fait l’objet cette qualification
  • D’autre part, bien que techniquement, l’époux titulaire du droit de prélèvement n’endosse pas la qualité de créancier, il n’en demeure pas moins soumis au concours des créanciers
  • Enfin, la qualité de copartageant de l’époux titulaire du droit de prélèvement est confirmée, ce qui emporte plusieurs conséquences

ii. Les conséquences de la qualification mixte

==> Les conséquences tenant à l’absence de droit de préférence

Bien que le droit de prélèvement ne s’analyse pas en un droit de créance, l’article 1474 du Code civil soumet son titulaire au concours des créanciers.

Autrement dit, il n’est investi d’aucun droit de préférence sur les biens figurant dans la masse commune.

Concrètement, cela signifie que, en cas de concours avec d’autres créanciers, sauf à être muni d’une sûreté, et notamment d’une hypothèque légale, il ne pourra compter que sur son droit de gage général pour être rempli de ses droits.

Il devra donc faire preuve de diligence et de réactivité, afin de ne pas se heurter à la règle du premier saisissant.

==> Les conséquences tenant à la qualité de copartageant

La qualité de copartageant reconnue à l’époux titulaire du droit de prélèvement emporte plusieurs conséquences :

  • Première conséquence
    • L’exercice du droit de prélèvement n’opère pas un effet translatif, mais déclaratif
    • Il en résulte que les biens qui font l’objet du prélèvement sont réputés avoir appartenu au copartageant depuis la date de dissolution de la communauté
  • Deuxième conséquence
    • En matière de partage, l’évaluation des biens doit être réalisée à la date la plus proche du partage
  • Troisième conséquence
    • En application de l’article 889 du Code civil, lorsque le copartageant établit avoir subi une lésion de plus du quart, le complément de sa part lui est fourni, au choix du défendeur, soit en numéraire, soit en nature.
    • S’agissant de l’appréciation de la lésion, elle doit porter, non pas sur les prélèvements pris isolément, mais sur l’ensemble des biens attribués à l’époux titulaire du droit de prélèvement ( civ. 13 août 1883)
  • Quatrième conséquence
    • L’exercice du droit de prélèvement donne lieu au paiement du droit fiscal de partage et non de mutation
  • Cinquième conséquence
    • En cas d’insuffisance d’actif de la communauté, l’époux titulaire du droit de prélèvement ne peut jamais l’exercer sur le patrimoine propre de son conjoint, quand bien même celui-ci serait responsable de cette insuffisance d’actif.
    • La raison en est que l’article 1472, al. 2e du Code civil confère seulement à l’époux non fautif un droit de saisir les biens de son conjoint et non de les prélever.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, n°638, p. 495.

[2] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Amand colin, 2001, n°549, p. 513.

[3] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le PACS, éd. LGDJ, 2010, n°569, p. 349.

[4] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°651, p. 504.

[5] J. Monnet, « Communauté légale – actif commun », J.-Cl. Civ. code, art. 1400 à 1403, fasc. 20, n°66.

[6] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°574, n°532.

[7] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°973, p. 457.

[8] D. R. Martin, Communauté légale – Liquidation partage – Récompenses, fasc JurisClasseur

[9] A. Coloner, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°414, p. 200

[10] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°374, p. 295.

[11] V. en ce sens F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°653, p.505-506.

[12] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°603, p. 560

Les récompenses: la notion de profit subsistant

L’article 1469, al. 1er du Code civil prévoit que « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »

Immédiatement, la première observation qui frappe l’esprit à la lecture de cette règle c’est sa proximité avec le principe qui préside à l’évaluation de l’indemnité due au titre de l’enrichissement sans cause.

Pour mémoire, l’article 1303 du Code civil dispose que « celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »

Cette proximité entre les deux textes s’explique par la finalité commune qu’il poursuive : rétablir un équilibre qui a été rompu entre deux patrimoines, dont l’un s’est enrichi, au détriment de l’autre qui s’est appauvri.

On ne saurait, en effet, perdre de vue la fonction assignée aux récompenses : corriger les mouvements de valeurs qui sont intervenus au cours du mariage entre les différentes masses de biens et notamment entre la communauté et l’une ou l’autre masse propre des époux.

Cette correction, qui interviendra seulement au jour de la liquidation du régime, consiste en l’octroi d’une indemnité au patrimoine qui s’est appauvri.

Selon la règle énoncée au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil, cette indemnité est égale à la plus faible des deux sommes entre :

  • Soit la valeur empruntée au patrimoine auquel la récompense est due : la dépense faite
  • Soit l’avantage qui a été retiré de ce mouvement de valeur par le patrimoine qui doit la récompense : le profit subsistant

C’est donc un double plafond qui a été institué par la jurisprudence, puis par le législateur.

Cette règle se justifie par des considérations d’équité qui président à l’esprit du principe même des récompenses.

  • Si l’enrichi, après avoir bénéficié d’un avantage injustifié, devait restituer plus que ce qu’il a obtenu, il subirait à son tour un préjudice
  • Si l’appauvri, à l’inverse, après avoir subi une perte injustifiée, percevait plus que ce qu’il a perdu, il profiterait à son tour d’un enrichissement injustifié

Afin d’éviter que l’une ou l’autre situation ne se présente, la solution qui s’est imposée a été de prévoir que l’indemnité due au titre d’une récompense ne pouvait excéder, ni l’enrichissement du patrimoine débiteur, ni l’appauvrissement du patrimoine créancier.

D’où la règle de la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant instituée à l’article 1469, al. 1er du Code civil.

Afin d’appliquer le principe énoncé au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil, encore faut-il que l’on s’entende, sur ce que recouvrent les notions de « dépense faite » et de « profit subsistant ».

Nous nous focaliserons ici sur la seconde notion.

I) Notion

À la différence de l’évaluation de la dépense faite qui ne soulève pas de réelle difficulté en raison de sa coïncidence avec le jour où est intervenu le fait générateur de la récompense, l’évaluation du profit subsistant est une opération qui peut s’avérer complexe.

La raison en est la difficulté qu’il y a à évaluer l’enrichissement procuré par la dépense faite au patrimoine débiteur, en particulier lorsqu’il s’est écoulé une longue période entre le fait générateur de la récompense et la liquidation du régime.

À cela s’ajoutent les fluctuations monétaires qui sont susceptibles d’avoir affecté la valeur économique du bien sur lequel porte la plus-value qui ne correspond plus à la valeur nominale qu’il possédait au jour où l’opération génératrice de récompense a été réalisée.

Si l’on se focalise désormais sur la notion de profit subsistant, dans son sens général elle se définit comme l’enrichissement dont a bénéficié

Dans son sens général, le profit subsistant consiste en l’enrichissement dont a bénéficié le patrimoine débiteur de la récompense à raison de la dépense faite par le patrimoine créancier.

Dans un arrêt du 11 juin 1991 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le profit subsistant représente l’avantage réellement procuré au fonds emprunteur » (Cass. 1ère civ. 11 juin 1991, n°90-12.142).

C’est là une application de la théorie des dettes de valeur, de sorte que l’évaluation du profit subsistant, contrairement à l’évaluation de la dépense faite, est susceptible de donner lieu à revalorisation.

II) Date d’évaluation

Parce que le profit subsistant correspond à l’avantage réellement procuré au patrimoine débiteur, il ne peut, a priori, pas s’apprécier au jour du fait générateur de la récompense.

En cas de dépréciation monétaire, cela reviendrait à retomber dans les inconvénients qui avaient conduit le législateur, en 1965, à abandonner l’ancien dispositif d’évaluation des récompenses.

En toute logique, son évaluation ne devrait donc intervenir qu’à compter de la dissolution de la communauté.

Deux dates peuvent alors être retenues :

  • Le jour de la dissolution de la communauté, qui correspond à la date à compter de laquelle les époux doivent établir un compte de récompenses
  • Le jour de la liquidation de la communauté, qui correspond à la date à compter de laquelle les époux doivent procéder au règlement des récompenses

Initialement, l’article 1469, al. 3e du Code civil, tel qu’il était issu de la loi du 13 juillet 1965 visait la date de dissolution de la communauté.

Cette date n’était toutefois pas sans soulever des difficultés lorsque la période d’indivision post-communautaire s’est étirée dans le temps.

En cas de fluctuations monétaires durant cette période, il est un risque que la valeur nominale du profit subsistant calculée au jour de la dissolution de la communauté ne corresponde plus à sa valeur économique au jour du règlement de la récompense.

Afin de remédier à cette anomalie, la Cour de cassation a adopté une position à rebours de la loi en posant dans un arrêt du 16 juillet 1969 que « c’est par une exacte application de cette disposition que les juges d’appel ont adopté pour date d’évaluation le jour de la liquidation ou le jour le plus proche possible » et de poursuivre que « si l’article 1473 du Code civil édicte que les récompenses emportent les intérêts de plein droit du jour de la dissolution de la communauté, il ne saurait en être déduit que l’évaluation du profit doit avoir lieu à cette dernière date » (Cass. 1ère civ. 16 juill. 1969, n°67-11.456).

Cette solution a été confirmée par un arrêt du 24 octobre 1972 aux termes duquel la Cour de cassation a jugé que « le profit subsistant est, en application de l’article 1469, habituellement calculé au jour de la liquidation ou au jour le plus proche possible ».

Dans cette décision elle précise que, en cas d’anticipation par les époux du règlement (Cass. 1ère civ. 24 oct. 1972, n°71-11.883).

Cet ajustement opéré par la jurisprudence s’agissant de la date d’évaluation du profit subsistant a conduit le législateur à modifier l’article 1469 pris en son alinéa 3e. Au lieu de se référer à la date de dissolution de la communauté, le texte vise dorénavant le jour de la liquidation.

En retenant la date de la liquidation de la communauté pour calculer le profit subsistant, l’article 1469, rompt totalement avec le principe du nominalisme monétaire qui présidait à l’évaluation des récompenses sous l’empire du droit antérieur à la loi du 13 juillet 1965.

Désormais, l’évaluation du profit retiré de la dépense faite par le patrimoine débiteur implique de procéder à une revalorisation des plus précises de la dette de récompense, notamment en tenant compte des événements intervenus entre la date de dissolution du mariage et la date de liquidation de la communauté, lesquels événements sont susceptibles d’avoir affecté la valeur économique du bien auquel se rapporte le profit subsistant.

Comme observé par des auteurs, « ce système conçu pour corriger les effets des fluctuations économiques et monétaires, conduit à retarder au maximum le moment de l’évaluation, afin de faire coïncider celui-ci avec la date du paiement effectif de la dette »[6].

Dans un arrêt du 24 octobre 1972, la Cour de cassation est néanmoins venue préciser que l’évaluation du profit subsistant pouvait intervenir à une date antérieure au jour de la liquidation.

Si, en effet, il est habituellement procédé au règlement des récompenses concomitamment au partage, il est des cas où ces deux opérations sont dissociées et donc sont conduites dans des intervalles de temps distincts.

Aussi, en cas d’anticipation par les époux du règlement des récompenses sans attendre le partage, ce qui est parfaitement autorisé, c’est au jour de l’arrêté des comptes que le profit subsistant devra être évalué (Cass. 1ère civ. 24 oct. 1972, n°71-11.883).

III) Méthodes d’évaluation

Pratiquement, l’évaluation du profit subsistant consiste donc à déterminer le montant de l’enrichissement procuré par la dépense faite qui a subsisté dans le patrimoine débiteur de la récompense au jour de la liquidation de la communauté.

À l’analyse, il n’est pas de méthode de calcul unique qui permette d’évaluer le profit subsistant. Les méthodes varient selon l’opération génératrice de la créance de récompense.

Aussi, plusieurs situations sont susceptibles de se présenter. Nous envisagerons les plus courantes.

==> Les récompenses dues au titre du paiement d’une dette

Cette situation se rencontre lorsque, par exemple, la communauté a réglé la dette personnelle d’un époux et réciproquement lorsqu’un époux a acquitté une dette commune.

Dans l’une ou l’autre hypothèse, le profit retiré par le patrimoine débiteur de la récompense consiste, non pas en un enrichissement au sens strict, mais plutôt en une économie.

Est-ce à dire que le profit subsistant est nul ? Il n’en est rien. On considère qu’il est strictement égal à la dépense faite, soit au montant de l’économie procuré au patrimoine créancier de la récompense.

==> Les récompenses dues au titre d’une libéralité portant sur des biens communs

Cette situation se rencontre lorsqu’une libéralité portant sur des biens communs a été consentie par un époux à un tiers au mépris de l’accord de son conjoint.

Dans cette hypothèse, il est admis qu’une récompense est due à la communauté. Reste que, au cas particulier, le patrimoine de l’époux débiteur de la récompense ne s’est pas enrichi, à tout le moins n’a reçu aucune contrepartie.

Dès lors, comment évaluer le profit subsistant ? Il y a lieu de transposer le même raisonnement que pour les récompenses dues au titre du paiement d’une dette.

Autrement dit, le profit subsistant correspond à la dépense faite, soit à la somme prélevée sur la masse commune et dont il a été disposé par voie de libéralité.

==> Les récompenses dues au titre du financement de travaux d’amélioration ou de conservation d’un bien

Cette situation se rencontre lorsque, par exemple, la communauté a supporté le coût de travaux d’amélioration ou de conservation d’un propre.

Prenons l’exemple de l’installation d’un système de climatisation, dans un immeuble appartenant en propre à l’épouse, qui aurait été intégralement financée au moyen de deniers communs.

Afin de déterminer le montant du profit subsistant, il y a lieu de procéder ici à une double évaluation.

Il convient, en effet, d’estimer ce que vaudrait l’immeuble au jour de la liquidation de la communauté sans la réalisation des travaux d’installation et ce qu’il vaut, à cette même date, en tenant compte de la réalisation des travaux.

La différence entre ces deux évaluations constitue le profit subsistant.

Soit un immeuble dont la valeur est estimée au jour de la liquidation de la communauté :

  • Sans les travaux, à 100.000 €
  • Avec les travaux, à 120.000 €

Le profit subsistant correspond donc à la différence entre ces deux montants, soit :

120.000 – 100.000 = 20.000 €

==> Les récompenses dues au titre de l’acquisition d’un bien

Cette situation se rencontre lorsque, par exemple, la communauté a financé l’acquisition des instruments de travail d’un époux qui, en application de l’article 1404, al. 2e du Code civil, constituent des biens propres par nature.

Dans cette hypothèse, le profit subsistant correspond à la valeur de ces instruments au jour de la liquidation de la communauté.

Soit, des instruments de travail acquis au prix de 2.000 € au moyen de deniers communs. Au jour de la liquidation, ils ne valent plus que 1.500 € en raison de leur état d’usage.

Tandis que la dépense faite correspond au prix d’achat du bien, soit 2.000 euros, le profit subsistant est égal, quant à lui, à la valeur du bien au jour de la liquidation de la communauté, soit 1.500 €.

==> Les récompenses dues au titre de la contribution à l’acquisition d’un bien

Cette situation se rencontre lorsqu’un patrimoine a apporté sa contribution à l’acquisition d’un bien appartenant à un autre patrimoine.

Tel est le cas, par exemple, lorsque des deniers communs sont utilisés par un époux aux fins d’acquérir un bien propre dans le cadre d’un remploi.

Supposons un bien dont le coût d’acquisition est de 500.000 euros, réparti entre la communauté et le patrimoine propre d’un époux

  • La communauté contribue à hauteur de 200.000 €
  • Le patrimoine propre contribution à hauteur de 300.000 €

Au jour de la liquidation, la valeur du bien est estimé à 800.000 €.

La question qui alors se pose est de savoir quel est le montant du profit subsistant ?

Pour le déterminer, il convient de déterminer la part contributive de la communauté exprimée en fraction et de reporter cette fraction à la valeur estimée du bien au jour de la liquidation de la communauté.

Au cas particulier, la part contributive de la communauté est , soit en simplifiant : 2/5e

Le profit subsistant est donc égale à : 2/5e X 800.000, soit 320.000 €

Parce que le patrimoine créancier de la récompense n’a fourni qu’une partie des fonds qui ont permis l’acquisition du bien, le profit subsistant ne saurait être égal à l’intégralité de l’enrichissement ayant bénéficié au patrimoine emprunteur.

Le profit qui subsiste au jour de la liquidation ne peut se rapporter qu’à une fraction de cet enrichissement.

Cette méthode de calcul qui s’applique en cas de contribution d’un patrimoine à l’acquisition d’un bien qui se retrouve dans le patrimoine emprunteur, peut être transposée à des cas analogues et notamment en cas d’échange d’un bien contre un autre moyennant le paiement d’une soulte.

==> Les récompenses dues au titre de la contribution au paiement d’une soulte réglée dans le cadre d’un échange

Cette situation se rencontre lorsqu’un bien relevant d’un patrimoine est échangé contre un autre moyennant le paiement d’une soulte dont le coût est supporté, pour partie, par un autre patrimoine.

Afin de déterminer le montant du profit subsistant, il y a lieu de procéder de la même façon que précédemment, soit d’exprimer en fraction la part contributive du patrimoine créancier de la récompense quant à l’opération globale d’acquisition, puis de reporter cette fraction à la valeur estimée du bien acquis au jour de la liquidation.

Supposons un immeuble propre valant 150.000 € échangé contre un autre immeuble valant 200.000 €.

La soulte à régler sera ici de 50.000 € dont le coût sera réparti comme suit :

  • 30.000 € réglés par la communauté
  • 20.000 € réglés par le patrimoine propre emprunteur

Supposons que l’opération globale est assortie de frais pris en charge par la communauté dont le montant s’élève à 10.000 €, de sorte que le coût global de l’opération est de :

  • 200.000 + 10.000 = 210.000 €.

S’agissant de la part contributive du patrimoine commun, elle est de :

  • 30.000 + 10.000 = 40.000 €

Exprimée en fraction, cette part contributive est de : 40.000/210.000, soit en simplifiant : 4/21e

A supposer que, au jour de la liquidation, l’immeuble acquis dans le cadre de l’opération d’échange vaille 500.000 euros, le profit subsistant est pour le patrimoine emprunteur de :

4/21e X 500.000 = 95.238 €

Une récompense est donc de à la communauté à hauteur de 95.238 €.

Les récompenses: la notion de dépense faite

L’article 1469, al. 1er du Code civil prévoit que « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »

Immédiatement, la première observation qui frappe l’esprit à la lecture de cette règle c’est sa proximité avec le principe qui préside à l’évaluation de l’indemnité due au titre de l’enrichissement sans cause.

Pour mémoire, l’article 1303 du Code civil dispose que « celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »

Cette proximité entre les deux textes s’explique par la finalité commune qu’il poursuive : rétablir un équilibre qui a été rompu entre deux patrimoines, dont l’un s’est enrichi, au détriment de l’autre qui s’est appauvri.

On ne saurait, en effet, perdre de vue la fonction assignée aux récompenses : corriger les mouvements de valeurs qui sont intervenus au cours du mariage entre les différentes masses de biens et notamment entre la communauté et l’une ou l’autre masse propre des époux.

Cette correction, qui interviendra seulement au jour de la liquidation du régime, consiste en l’octroi d’une indemnité au patrimoine qui s’est appauvri.

Selon la règle énoncée au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil, cette indemnité est égale à la plus faible des deux sommes entre :

  • Soit la valeur empruntée au patrimoine auquel la récompense est due : la dépense faite
  • Soit l’avantage qui a été retiré de ce mouvement de valeur par le patrimoine qui doit la récompense : le profit subsistant

C’est donc un double plafond qui a été institué par la jurisprudence, puis par le législateur.

Cette règle se justifie par des considérations d’équité qui président à l’esprit du principe même des récompenses.

  • Si l’enrichi, après avoir bénéficié d’un avantage injustifié, devait restituer plus que ce qu’il a obtenu, il subirait à son tour un préjudice
  • Si l’appauvri, à l’inverse, après avoir subi une perte injustifiée, percevait plus que ce qu’il a perdu, il profiterait à son tour d’un enrichissement injustifié

Afin d’éviter que l’une ou l’autre situation ne se présente, la solution qui s’est imposée a été de prévoir que l’indemnité due au titre d’une récompense ne pouvait excéder, ni l’enrichissement du patrimoine débiteur, ni l’appauvrissement du patrimoine créancier.

D’où la règle de la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant instituée à l’article 1469, al. 1er du Code civil.

Afin d’appliquer le principe énoncé au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil, encore faut-il que l’on s’entende, sur ce que recouvrent les notions de « dépense faite » et de « profit subsistant ».

Nous nous focaliserons ici sur la première notion.

La dépense faite correspond à la valeur empruntée au patrimoine qui s’est appauvri et qui, à ce titre, est créancier d’une récompense.

Le plus souvent, cette dépense consistera en un prélèvement de somme d’argent, lorsqu’il s’agira, par exemple, de financer le coût de travaux.

Dans cette hypothèse, la dépense faite correspond donc aux deniers qui ont été fournis par une masse de biens aux fins de régler le prix d’une prestation.

Reste que la dépense faite, telle qu’envisagée par l’article 1469, al. 1er du Code civil, ne se limite pas aux sommes décaissées par un patrimoine ; la notion doit être interprétée plus largement que son sens usuel.

La dépense faite doit être regardée comme visant plus généralement toute perte de valeur subie par une masse de biens.

Aussi, peut-elle consister en un prélèvement en nature (aliénation ou échange d’un bien) ou simplement en un manque à gagner (défaut de perception de fruits).

Prenons plusieurs exemples pour illustrer la variété des situations couvertes par la notion de dépense faite :

  • Lorsqu’un époux a aliéné un bien propre et que le produit de la vente est finalement tombé en communauté, faute d’accomplissement des formalités de remploi, la dépense faite correspond au prix de vente du bien.
  • Un époux peut avoir échangé un bien propre contre un autre bien, moyennant le paiement d’une soulte financée par la communauté et dont le montant est supérieur à la valeur du bien échangé. Dans cette hypothèse le nouveau bien tombe en communauté. Une récompense sera alors due à l’époux partie à l’échange. Pour lui, la dépense faite correspond, non pas au montant de la soulte réglée par la communauté, mais au prix du bien dont son patrimoine s’est appauvri.
  • Un époux peut avoir négligé de percevoir les fruits tirés d’un propre. En application de l’article 1403, al. 2e du Code civil, récompense est alors due à la communauté. La dépense faite correspond ici au gain manqué, soit à la valeur des fruits non perçus.

S’agissant de l’évaluation de la dépense faite, il est admis qu’elle doit intervenir, soit au jour du prélèvement du patrimoine qui s’est appauvri, soit au jour du transfert de valeur, faute de prélèvement.

En toute hypothèse, son évaluation ne donnera jamais lieu à revalorisation, contrairement à l’avantage qui en a été retiré par le patrimoine débiteur.

Le montant retenu sera toujours la valeur nominale à la date à laquelle la dépense a eu lieu.

C’est là une application du principe de nominalisme monétaire auquel la jurisprudence a conféré une portée générale (art. 1895 C. civ.)

Les créances entre époux: régime juridique

La dissolution du régime légal donne lieu à un état d’indivision post-communautaire d’où les époux doivent pouvoir sortir, cette situation ne devant être que temporaire.

Pour ce faire, ils devront procéder à ce que l’on appelle la liquidation de la communauté.

Par liquidation, il faut entendre « l’ensemble des opérations tendant, sinon à la réduction de la communauté dissoute à un solde en espèces de liquidités, du moins à l’établissement d’une situation nette susceptible d’un règlement par voie de partage »[1].

Il s’agira, autrement dit, pour les époux de déterminer la consistance de la masse partageable, laquelle n’est autre que celle composée des biens communs.

Si, la reconstitution de cette masse ne soulève, a priori, dans son principe, aucune difficulté particulière, l’exercice est, en réalité, bien plus complexe qu’il n’y paraît quant à sa mise en œuvre.

En premier lieu, la formation de la masse partageable suppose d’identifier les actifs qui ont vocation à être intégrés dans cette dernière.

Or parmi ces actifs, il en est certains, notamment les meubles, qui se retrouveront entremêlés avec des biens propres.

Il appartiendra donc aux époux d’opérer un tri, afin que chacun reprenne ses propres, l’objectif étant qu’ils reconstituent, en nature, leurs patrimoines respectifs.

C’est là une première opération qui, certes, est purement matérielle, mais qui est susceptible de se heurter à un obstacle de taille et qui parfois s’avérera insurmontable : la preuve du caractère personnel de certains biens.

Faute pour les époux d’établir leur qualité de propriétaire, le bien convoité est, en effet, réputé tomber en communauté, en application la présomption d’acquêt instituée à l’article 1402 du Code civil.

La conséquence en est l’intégration du bien dans la masse partageable, situation qui peut se révéler injuste pour l’époux qui en avait acquis la propriété, mais qui n’a pas été en mesure d’en rapporter la preuve.

Là ne s’arrête pas les difficultés de reconstitution des patrimoines propres et communs.

En second lieu, de très nombreux mouvements de valeurs interviendront au cours du mariage entre les différentes masses de biens.

Tantôt, un époux aura acquis un bien, qu’il conservera en propre, au moyen de deniers communs, tantôt, c’est la communauté qui s’enrichira de biens financés avec des fonds personnels.

Il est encore des cas où l’opération n’impliquera pas la communauté. Elle ne concernera que les masses de propres. Tel est le cas lorsqu’un époux fournit, dans le cadre d’un prêt, des fonds propres à son conjoint aux fins que celui-ci règle une dette personnelle contractée auprès d’un tiers.

À l’analyse, deux sortes de mouvements de valeurs sont susceptibles d’intervenir entre les masses de biens :

  • Des mouvements de valeurs entre les masses de propres et la masse commune
  • Des mouvements de valeurs entre les deux masses de propres

Dans les deux cas, la liquidation du régime matrimonial suppose de rétablir les équilibres qui ont été rompus par ces mouvements de valeurs.

Pratiquement, il s’agira de mettre à la charge du patrimoine qui s’est enrichi une indemnité qui devra être versée au patrimoine qui s’est appauvri.

Selon que le rétablissement de l’équilibre intéresse ou non la masse commune, le calcul de cette indemnité ne répondra toutefois pas aux mêmes règles :

  • Lorsque le mouvement de valeurs est intervenu entre la masse commune et une masse de propres, c’est le système des récompenses qu’il y aura lieu d’appliquer
  • Lorsque, en revanche, le mouvement de valeurs se produit entre l’une et l’autre masse de propre, c’est le dispositif des créances entre époux qu’il conviendra de mobiliser

Nous nous focaliserons ici sur les créances entre époux.

Le dispositif des créances entre époux a donc en commun avec les récompenses de viser à rétablir un équilibre qui a été rompu entre deux masses de biens consécutivement à un mouvement de valeur.

Au fond, une créance entre époux n’est autre qu’un lien d’obligation créé entre deux époux au cours du mariage.

Ce lien d’obligation peut avoir pour cause le préjudice causé par un époux à l’autre ou encore le paiement par un époux de la dette de son conjoint.

Plus généralement, une créance entre époux naîtra toutes les fois qu’une dette relevant du passif définitif d’un époux a été supportée par l’autre et réciproquement.

S’agissant du régime juridique des créances entre époux, ces créances sont, en principe, soumises au droit commun des obligations.

En pratique, il apparaît néanmoins que leur règlement est le plus souvent différé dans le temps.

Plus précisément il interviendra, comme les récompenses, à l’issue de la dissolution du mariage.

La raison en est que, avant d’entretenir entre eux un rapport de créancier à débiteur, les époux sont unis par un lien conjugal ce qui constituera un obstacle – de fait – au règlement de la créance.

À cet égard, il peut être observé que l’article 2236 du Code civil dispose que la prescription « ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ».

Cette règle a été posée par souci de préservation de la paix des ménages. Lorsqu’ils sont encore dans les liens du mariage il peut, en effet, apparaître difficile pour un époux d’engager une action contentieuse à l’encontre de son conjoint, à tout le moins de lui réclamer le paiement de sa créance. Il y a là un empêchement d’ordre affectif.

Conscient de cette situation, le législateur en a tiré la conséquence, lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, qu’il y avait lieu, pour certaines créances entre époux, de tenir compte de la longue période susceptible de s’écouler entre leur fait générateur et leur règlement.

Aussi, a-t-il considéré que ces créances devaient faire l’objet d’une réévaluation selon les modalités applicables aux récompenses.

I) Principe : la soumission des créances entre époux au droit commun des obligations

Les créances entre époux sont régies, sous le régime légal, par les articles 1478 et 1479 du Code civil.

Il ressort de ces dispositions que c’est le droit commun qui s’applique, ce qui emporte plusieurs conséquences :

  • Première conséquence
    • Il est admis que le règlement des créances entre époux peut intervenir au cours du mariage
    • Leur exigibilité n’est aucunement liée à la dissolution du régime matrimonial, contrairement aux récompenses dont le règlement est fixé, par principe, au jour de la liquidation
    • L’article 1479, al. 1er du Code civil subordonne seulement cette exigibilité à une sommation.
    • À l’analyse, il s’agit là d’une reprise de la condition posée par l’article 1231 du Code civil qui prévoit que « à moins que l’inexécution soit définitive, les dommages et intérêts ne sont dus que si le débiteur a préalablement été mis en demeure de s’exécuter dans un délai raisonnable».
    • Cette exigence vise à constater l’exécution d’une obligation, alerter le débiteur sur sa défaillance et favoriser l’exécution volontaire
  • Deuxième conséquence
    • Le gage de l’époux créancier comprend, non seulement les biens personnels de l’époux débiteur, mais encore les biens communs qui lui reviennent au titre du partage.
    • L’article 1478 du Code civil dispose en ce sens que « après le partage consommé, si l’un des deux époux est créancier personnel de l’autre, comme lorsque le prix de son bien a été employé à payer une dette personnelle de son conjoint, ou pour toute autre cause, il exerce sa créance sur la part qui est échue à celui-ci dans la communauté ou sur ses biens personnels. »
  • Troisième conséquence
    • Le règlement des créances entre époux ne déroge nullement au droit commun, dans la mesure où il est insusceptible de s’opérer par voie de prélèvement, sauf accord exprès de son conjoint, ce que requiert la dation en paiement.
    • Faute d’accord, l’époux créancier, ne peut intervenir que par voie de paiement, ce qui implique que l’époux créancier n’est investi d’aucun droit de préférence sur les biens de son conjoint : il est placé sur un pied d’égalité avec les autres créanciers avec lesquels il est éventuellement en concours
    • Pour recouvrer sa créance, il devra donc emprunter les voies d’exécution ordinaires
  • Quatrième conséquence
    • En application de l’article 1479, al. 1er du Code civil « les créances personnelles que les époux ont à exercer l’un contre l’autre ne donnent pas lieu à prélèvement et ne portent intérêt que du jour de la sommation.»
    • Là encore, il s’agit d’une reprise du droit commun et plus précisément de l’article 1231-6 du Code civil qui prévoit que « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. »
  • Cinquième conséquence
    • Pour mémoire, le règlement des récompenses ne peut se faire que par le truchement d’un compte
    • Selon que la récompense est due par la communauté ou à la communauté, elle sera inscrite au débit ou au crédit de ce compte ouvert par chaque époux,
    • Aussi, ce qui a vocation à être exigible et donc à être réglé, ce ne sont pas les récompenses prises séparément comme des créances individuelles, mais le solde du compte unique et indivisible dans lequel elles sont inscrites.
    • Tel n’est pas le cas des créances entre époux dont le règlement ne requiert nullement l’ouverture préalable d’un compte.
    • Conformément au droit commun, elles sont soumises au principe de paiement individuel, de sorte qu’elles peuvent faire l’objet d’un paiement séparé.
  • Sixième conséquence
    • Les créances entre époux sont soumises au principe du nominalisme monétaire
    • Selon ce principe, le débiteur d’une obligation doit verser la somme correspondant au montant nominal de sa dette, même si la valeur de la monnaie a varié.
    • Concrètement, cela signifie qu’une dette dont la valeur nominale est 100 contractée en franc dans les années 1950, vaudra, selon le taux de conversion instituée en 1999, approximativement 15 euros aujourd’hui.
    • Cette égalité ne correspond pour autant pas à la réalité économique.
    • C’est la raison pour laquelle le principe du nominalisme monétaire n’est pas sans limite en matière de créances entre époux : la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 a assorti le principe d’un important tempérament

II) Tempérament : la réévaluation des créances entre époux selon les modalités applicables aux récompenses

Parce que les créances entre époux sont soumises au droit commun des obligations, elles devraient, en toute rigueur, être évaluées selon les règles du nominalisme monétaire.

Prenant conscience que l’application de ces règles était susceptible de donner lieu à des situations injustes, notamment en période de dépréciation monétaire, le législateur a, lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, fait le choix de soustraire certaines créances entre époux à l’application du droit commun.

Afin de bien comprendre ce qui a conduit ce dernier a modifié le système, arrêtons-nous un instant sur le système d’évaluation des créances entre époux avant qu’il ne soit réformé, étant précisé que ce système s’appliquait également aux récompenses avant que la loi du 13 juillet 1965 n’entre en vigueur.

A) Droit antérieur

==> Application des règles d’évaluation du droit commun

Sous l’empire du droit antérieur, pour déterminer le montant d’une créance entre époux, il y avait lieu de distinguer selon que la créance était due au titre d’une impense ou au titre d’une autre cause.

Pour mémoire, une impense consiste en une dépense de conservation ou d’amélioration d’un bien meuble ou d’un immeuble.

En substance, l’évaluation d’une créance entre époux s’opérait donc comme suit :

  • Lorsque la créance était due au titre d’une impense
    • Dans cette hypothèse, soit lorsque le patrimoine débiteur s’était enrichi au détriment du patrimoine qui a supporté la charge de l’impense, la créance était calculée selon les règles de l’enrichissement sans cause.
    • Selon ce dispositif qui relève du régime général des obligations, l’indemnité due à l’appauvri est égale « à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement» ( 1303 C. civ.).
    • Lorsque l’impense présentait un caractère nécessaire, il était admis que l’indemnité ne pouvait jamais être inférieure à la dépense faite.
    • En pratique, cela revenait à retenir presque systématiquement la dépense faite, soit parce que présentant un caractère nécessaire, soit parce que supérieure à la plus-value réalisée sur le bien.
  • Lorsque la créance n’était pas due au titre d’une impense
    • Dans cette configuration, faute de précision légale, il était admis que la créance devait correspondre au montant de la dépense faite, alors même qu’il en était résulté un enrichissement moindre pour le patrimoine débiteur
    • Il s’agissait là d’une stricte application du principe du nominalisme monétaire.

En période de stabilité monétaire, ce dispositif d’évaluation des créances entre époux et des récompenses a relativement bien fonctionné.

La valeur de la monnaie étant constante, il était indifférent que, en pratique, le montant de la créance due au patrimoine créancier soit la plupart du temps égal à la dépense supportée par le patrimoine débiteur, à tout le moins cela ne contrevenait pas à l’équité.

Ce système a toutefois commencé à montrer ses limites dès lors que la monnaie a fait l’objet de dépréciation au cours de périodes qui se sont multipliées.

Au cours du XXe siècle le franc a fait l’objet de pas moins de 17 dévaluations, dont la plupart au cours des années 1950.

Parce que le règlement des créances entre époux sera, en pratique, la plupart du temps différé à la dissolution du mariage pour les raisons exposées précédemment, il peut s’écouler un long délai entre leur fait générateur et ce règlement.

À l’instar des récompenses, on s’est aperçu que, elles aussi, pouvaient être touchées par l’instabilité monétaire.

Pour illustrer ce phénomène, prenons l’exemple de travaux d’amélioration d’un immeuble appartenant en propre à un époux entièrement financés par le patrimoine de son conjoint en 1950 à hauteur de 20.000 francs.

En période de stabilité monétaire, la plus-value réalisée sur ce bien est généralement inférieure au coût des travaux. Disons que, pour notre exemple, le montant de cette plus-value est de 10.000 francs, ce qui porterait la valeur de l’immeuble de 100.000 à 110.000 francs.

En cas de liquidation du régime matrimonial durant cette période, la créance due à l’époux qui a supporté le coût des travaux devrait, en toute rigueur, être égale au montant de la plus-value réalisée, soit de 10.000 francs, car représentant la plus faible des deux sommes en jeu (10.000 francs vs 20.000 francs).

Envisageons désormais que la dissolution du mariage intervienne trente ans plus tard et notamment après plusieurs périodes de dépréciation monétaire.

Dans cette hypothèse, la plus-value réalisée sur le bien devrait mécaniquement être incomparablement supérieure à la dépense initiale exposée par le patrimoine qui a financé l’opération, à tout le moins en valeur nominale. Si l’immeuble vaut désormais 1.000.000 francs, la plus-value réalisée est de 900.000 francs.

Pour autant, parce que la créance due est égale à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et l’enrichissement, son montant se limitera à la dépense faite, soit 20.000 francs, alors même que le patrimoine débiteur en a retiré un profit infiniment supérieur.

Manifestement, cette situation s’avère particulièrement inéquitable pour le patrimoine qui a supporté la dépense initiale et qui n’est pas indemnisé à hauteur de l’avantage économique que cette dépense a procuré au patrimoine auquel elle a profité.

Le législateur en a tiré la conséquence, en 1965, en instituant un système de revalorisation des récompenses à hauteur du profit subsistant.

Ce système ne concernait néanmoins pas les créances entre époux qui demeuraient soumises au principe du nominalisme monétaire.

==> Différence de traitement entre les créances entre époux et des récompenses

Cette différence de traitement entre les récompenses et les créances entre époux est apparue pour le moins injustifiée, compte tenu de ce que ces dernières font également l’objet, en pratique, d’un paiement différé et, par voie de conséquence, n’échappent pas aux fluctuations monétaires.

Pour illustrer l’absurdité du dispositif qui opérait sous l’empire du droit antérieur à la loi du 23 décembre 1985, prenons l’exemple d’une construction qui serait édifiée sur un terrain appartenant en propre à un époux et qui serait financé, tantôt par la communauté, tantôt par le conjoint.

  • Première hypothèse
    • Le coût de la construction est intégralement financé par la communauté
    • Dans cette hypothèse, le montant de l’indemnité due par le propriétaire du terrain devra être calculé selon les règles applicables aux récompenses et plus précisément selon le principe institué à l’article 1469, al. 3e du Code civil.
    • En application de cette disposition, le montant de la récompense ne peut donc être moindre que le profit subsistant
    • Supposons que :
      • Le coût de la construction s’élève à 200.000 €
      • La valeur du terrain s’élève à 100.000 €
      • La valeur du fonds s’élève, au jour de la liquidation de la communauté, à :
        • 300.000 € sans la construction
        • 600.000 € avec la construction
      • En l’espèce, le profit subsistant s’élève à 300.000 € (600.000 – 300.000)
      • Le montant de la récompense est donc de 300.000 € (300.000 > 200.000)
  • Seconde hypothèse
    • Le coût de la construction est ici intégralement financé par le patrimoine propre du conjoint
    • Dans cette hypothèse, le montant de l’indemnité due à ce dernier devra être calculé selon les règles du droit commun et plus précisément selon le principe d’évaluation de l’indemnité due au titre de la théorie de l’enrichissement sans cause.
    • Cette indemnité est donc égale à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit procuré au patrimoine débiteur
    • Si l’on reprend les données de l’hypothèse 1
      • La dépense faite = 200.000 €
      • L’enrichissement = 300.000 €
    • Le montant de l’indemnité due sera donc de 200.000 €, car (200.000 < 300.000)

Il ressort de ces deux hypothèses que selon que le coût de la construction est supporté par la communauté ou par le conjoint, l’indemnité due au patrimoine créancier est radicalement différente.

  • Lorsque l’on applique les règles applicables aux récompenses, l’indemnité due s’élève à 300.000 €
  • Lorsque l’on applique les règles applicables aux créances entre époux, l’indemnité due s’élève à 100.000 €

On observe ainsi une différence de 100.000 € entre les deux indemnités, alors même que le fait générateur est exactement le même, à la nuance près que, dans un cas, la construction a été financée par la communauté, dans l’autre, son coût a été supporté par un patrimoine propre.

Pourquoi cette différence de traitement ? D’aucuns ont avancé que, s’agissant des créances entre époux, il appartenait à ces derniers de prévoir des clauses d’indexation.

Reste que, en pratique, parce que les époux sont unis par un lien conjugal, il y a là un véritable empêchement moral pour eux à contractualiser l’opération intervenant entre leurs deux patrimoines.

L’argument est, dans ces conditions, difficilement recevable, raison pour laquelle, en 1985, plus rien ne retenait le législateur de franchir le pas et de réformer en profondeur les règles qui présidaient à l’évaluation des créances entre époux.

B) Droit positif

==> Une transposition de règles applicables aux récompenses

Conscient que la différence de traitement entre les récompenses et les créances entre époux n’étaient pas justifiée, à plus forte raison parce que les secondes sont comme les premières susceptibles d’être affectées par les épisodes de dépréciation monétaire, le législateur a, lors de l’adoption de la loi du 23 décembre 1985, cherché à rapprocher les deux régimes.

Pour ce faire, l’article 1479 du Code civil a été pourvu d’un second alinéa qui prévoit que « sauf convention contraire des parties, elles sont évaluées selon les règles de l’article 1469, troisième alinéa, dans les cas prévus par celui-ci ; les intérêts courent alors du jour de la liquidation. »

Deux premiers enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • Il peut tout d’abord être observé que pour fixer les modalités d’évaluation des créances entre époux, l’article 1479 du Code civil opère par renvoi à l’article 1469, al. 3e du Code civil, soit aux règles qui président à l’évaluation des récompenses
    • Ce renvoi marque ainsi le rapprochement textuel entre les deux régimes et plus précisément la volonté du législateur d’écarter le principe du nominalisme monétaire pour les créances entre époux en prévoyant qu’elles seraient réévaluées selon les modalités applicables aux récompenses.
  • Second enseignement
    • Le renvoi opéré par l’article 1479 du Code civil pour l’évaluation des créances entre époux est cantonné aux cas visés à l’alinéa 3e de l’article 1469.
    • Il en résulte que seules certaines créances entre époux pourront faire l’objet d’une réévaluation selon les règles applicables aux récompenses
    • À l’analyse, l’époux créancier ne pourra invoquer le bénéfice du troisième alinéa de l’article 1469 que lorsque la valeur empruntée aura permis à l’époux débiteur d’acquérir, de conserver ou d’améliorer un bien
    • Ainsi, le législateur a-t-il circonscrit la transposition des règles d’évaluation des récompenses à l’évaluation des créances entre époux uniquement pour les dépenses d’investissement.
    • Pour les autres dépenses, les créances entre époux demeurent soumises au principe du nominalisme monétaire, de sorte que leur évaluation s’opère selon les règles du droit commun.

Seules les dépenses d’investissement étant concernées par le renvoi opéré par l’article 1479 du Code civil, nous nous focaliserons ici sur l’évaluation des créances entre époux dues au titre de cette catégorie de dépense.

==> L’évaluation des créances entre époux dues au titre de dépenses d’investissement

S’agissant de l’évaluation des créances entre époux dues au titre de dépenses d’investissement, l’article 1479 renvoie donc au troisième alinéa de l’article 1479 du Code civil.

Ce texte prévoit que la récompense « ne peut être moindre que le profit subsistant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, le profit est évalué au jour de l’aliénation ; si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, le profit est évalué sur ce nouveau bien. »

L’application de cette disposition aux créances entre époux soulève une première interrogation.

Dans la mesure où la règle énoncée ne s’applique, par hypothèse, qu’aux récompenses dont l’évaluation intervient, après la dissolution de la communauté, est-ce à dire que seules les créances entre époux liquidées également après la dissolution du régime peuvent être évaluées selon cette règle ?

Si les travaux parlementaires sur la base desquels la loi du 23 décembre 1985 a été adoptée vont dans ce sens, cette interprétation conduirait néanmoins à opérer une distinction au sein de la catégorie des créances entre époux.

En effet, il conviendrait de distinguer parmi les créances entre époux dues au titre d’une dépense d’investissement celles liquidées avant la dissolution du régime et celle liquidées après.

Tandis que le montant des premières correspondrait à la valeur nominale de la dépense faite, par application du principe du nominalisme monétaire, le montant des secondes, ne pourrait être moindre que le profit subsistant.

Pour la doctrine, rien ne justifie que le montant d’une créance entre époux diffère selon qu’elle est évaluée avant ou après la dissolution du régime[2].

Pour cette raison, il y a lieu de soumettre toutes créances entre époux aux règles d’évaluation fixées par le troisième alinéa de l’article 1469 du Code civil, pourvu qu’elles soient dues au titre d’une dépense d’investissement.

Si l’on focalise désormais sur les règles d’évaluation énoncée par cette disposition, le texte prévoit que, pour les dépenses d’acquisition, de conservation ou d’amélioration qui ont profité au patrimoine emprunteur, le montant dû au patrimoine créancier ne peut jamais être moindre que le profit subsistant.

Pour mémoire, dans son sens général, le profit subsistant consiste en l’enrichissement dont a bénéficié le patrimoine débiteur de l’indemnité à raison de la dépense faite par le patrimoine créancier.

Dans un arrêt du 11 juin 1991 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le profit subsistant représente l’avantage réellement procuré au fonds emprunteur » (Cass. 1ère civ. 11 juin 1991, n°90-12.142).

C’est là une application de la théorie des dettes de valeur, de sorte que l’évaluation du profit subsistant, contrairement à l’évaluation de la dépense faite, est susceptible de donner lieu à revalorisation.

Pour illustrer la règle énoncée à l’article 1469, al. 3e du Code civil, prenons l’exemple de l’installation d’un système de climatisation, dans un immeuble appartenant en propre à l’épouse, qui aurait été intégralement financée au moyen de deniers communs.

Afin de déterminer le montant du profit subsistant, il y a lieu de procéder ici à une double évaluation.

Il convient, en effet, d’estimer ce que vaudrait l’immeuble au jour de la liquidation de la communauté sans la réalisation des travaux d’installation et ce qu’il vaut, à cette même date, en tenant compte de la réalisation des travaux.

La différence entre ces deux évaluations constitue le profit subsistant.

Soit un immeuble dont la valeur est estimée au jour de la liquidation de la communauté :

  • Sans les travaux, à 100.000 €
  • Avec les travaux, à 120.000 €

Le profit subsistant correspond donc à la différence entre ces deux montants, soit :

120.000 – 100.000 = 20.000 €

À l’analyse, l’application du troisième alinéa de l’article 1469 du Code civil ne soulèvera aucune difficulté lorsque le profit subsistant est supérieur à la dépense faite.

Plus délicate sera, en revanche, l’évaluation de la créance lorsqu’il sera inférieur à la valeur nominale de la valeur empruntée au patrimoine créancier.

Supposons, une dépense la réalisation de travaux d’installation d’un nouveau système de chauffage central dans un immeuble appartenant en propre à un époux et dont le coût est supporté par le patrimoine de son conjoint :

  • Coût des travaux : 50.000 €
  • Valeur empruntée (contribution du conjoint) : 50.000 €
  • Valeur de l’immeuble au jour de la liquidation :
    • Sans les travaux : 400.000 €
    • Avec les travaux : 430.000 €
  • Profit subsistant = 30.000 €

Au cas particulier, le profit subsistant (30.000 €) est inférieur à la dépense faite (50.000 €).

Deux approches sont envisageables pour évaluer le montant de la créance due :

  • Première approche
    • On peut considérer que le montant de la créance doit toujours correspondre au profit subsistant
    • Cette approche conduit néanmoins à faire supporter la moins-value sur le patrimoine créancier.
  • Seconde approche
    • On peut considérer qu’il n’est pas acceptable que le patrimoine créancier doive supporter la moins-value subie par le patrimoine emprunteur
    • Dans ces conditions, le montant de la créance doit être égal à la dépense faite

Lorsque cette situation se présente en matière de récompense, il est procédé par renvoi au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil qui prévoit que « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »

Aussi, la récompense serait égale au profit subsistant, soit 30.000 € (30.000 < 50.000), sauf à ce que la dépense d’amélioration présente un caractère nécessaire, auquel cas, il y aurait lieu de faire application de l’alinéa 2 de l’article 1469.

Dans cette hypothèse, ce qui est le cas en l’espèce, la récompense ne pourrait être moindre à la dépense faite, soit à 50.000 €.

Reste que, ni l’alinéa 1er, ni l’alinéa 2e de l’article 1469 du Code civil ne sont applicables aux créances entre époux, le renvoi opéré par l’article 1479 ne visant que l’alinéa 3e.

Dès lors, comment sortir de l’impasse ?

La Cour de cassation a offert une porte de sortie dans un arrêt du 24 septembre 2008.

Dans cette affaire, elle s’est prononcée sur une créance due à un époux séparé de biens, étant précisé que, au cas particulier, le profit subsistant était nul, tandis que la valeur empruntée s’élevait à 1.154.775 francs.

Il y avait donc un véritable enjeu pour l’époux qui sollicitait l’évaluation de sa créance due au titre de sa contribution au financement d’une construction édifiée sur un terrain appartenant en propre à sa conjointe.

Pour la Cour de cassation, « lorsque les fonds d’un époux séparé de biens ont servi à améliorer un bien personnel de l’autre, qui l’a aliéné avant la liquidation, sa créance ne peut être moindre que le profit subsistant au jour de l’aliénation ; qu’en l’absence de profit subsistant, la créance est égale au montant nominal de la dépense faite » (Cass. 1ère civ. 24 sept. 2008, n°07-19.710).

La solution retenue ici par la première chambre civile est des plus limpides : lorsque le profit subsistant est inférieur à la dépense faite, le montant de la créance entre époux doit être égal à cette dernière.

À l’analyse, cette solution est extrêmement favorable à l’époux créancier, dans la mesure où il est assuré de ne jamais subir les effets de la moins-value réalisée par le patrimoine emprunteur.

La Cour de cassation fait une application stricte du renvoi opéré par l’article 1479 au seul et l’alinéa 3 de l’article 1469.

L’alinéa 1er de cette disposition n’étant pas applicable aux créances entre époux, lorsque le profit subsistant est inférieur à la dépense faite, c’est le droit commun qui s’applique et plus précisément le principe du nominalisme monétaire.

Or l’application de ce principe conduit à retenir, pour calculer le montant de la créance entre époux, la valeur nominale de la dépense faite ; d’où la solution adoptée par la Cour de cassation.

Assez curieusement, cette solution est bien plus avantageuse que la règle qui s’applique aux récompenses et qui conduit à retenir la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant (art. 1469, al. 1er C. civ.).

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, n°638, p. 495.

[2] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°680, p. 629.

Le dénouement des comptes de récompenses: clôture et règlement

L’article 1468 du Code civil prévoit qu’« il est établi, au nom de chaque époux, un compte des récompenses que la communauté lui doit et des récompenses qu’il doit à la communauté, d’après les règles prescrites aux sections précédentes. »

Il ressort de cette disposition que, lors de la liquidation du régime matrimonial, il appartient aux époux d’inscrire en compte les récompenses.

Selon que la récompense est due par la communauté ou à la communauté, elle sera inscrite au débit ou au crédit du compte ouvert par chaque époux, étant précisé que les récompenses ne peuvent être réglées que par le truchement de ce compte.

Il s’agit là une dérogation au principe de paiement individuel des créances. Les récompenses ne peuvent, en effet, pas faire l’objet d’un règlement séparé. Leur paiement requiert une inscription préalable dans un compte unique qui présente un caractère indivisible.

Dans un arrêt du 14 mars 1984, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les récompenses constituent les éléments d’un compte unique et indivisible, dont le reliquat après la dissolution du régime est seul à considérer » (Cass. 1ère civ. 14 mars 1984, n°82-16.638).

Il en résulte que pendant toute la durée de la communauté, les époux ne sont nullement obligés de régler les récompenses qu’ils doivent, puisque dès leur naissance elles entrent dans un compte unique et indivisible dont seul le solde sera dû.

Autrement dit, ce qui a vocation à être exigible et donc à être réglé, ce ne sont pas les récompenses prises séparément comme des créances individuelles, mais le solde du compte unique et indivisible dans lequel elles sont inscrites.

Aussi, ni les époux, ni les créanciers ne sont investis d’un quelconque droit sur les créances de récompenses, tant qu’il n’a pas été procédé au dénouement des comptes de récompenses, lequel n’interviendra qu’une fois l’inventaire et l’évaluation des récompenses achevés.

Ce dénouement consistera, d’abord, à clôturer les comptes de récompenses, puis à régler le solde résultant des opérations de clôture.

I) La clôture du compte de récompenses

La clôture du compte des récompenses comporte, en substance, deux opérations :

  • Détermination des intérêts produits par les récompenses
  • Réalisation de la balance des comptes

A) La production d’intérêts

L’article 1473, al. 1er du Code civil prévoit que « les récompenses dues par la communauté ou à la communauté portent intérêts de plein droit du jour de la dissolution. »

Il ressort de cette disposition que les récompenses produisent des intérêts, étant précisé qu’il y a lieu d’appliquer le taux d’intérêt légal tel que défini par l’article L. 313-2 du Code monétaire et financier.

Cette disposition prévoit que le taux légal « comprend un taux applicable lorsque le créancier est une personne physique n’agissant pas pour des besoins professionnels et un taux applicable dans tous les autres cas. »

Dans les deux cas, il est calculé semestriellement, en fonction du taux directeur de la Banque centrale européenne sur les opérations principales de refinancement et des taux pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement.

Toutefois, pour les particuliers, les taux pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pris en compte pour le calcul du taux applicable sont les taux effectifs moyens de crédits consentis aux particuliers.

S’agissant du point de départ du cours des intérêts légaux, il diffère selon que les récompenses sont égales à la dépense faite ou au profit subsistant.

  • La récompense est égale à la dépense faite
    • Dans cette hypothèse, les intérêts commencent à courir à compter de la date de dissolution de la communauté.
    • Ici, le calcul des intérêts ne soulève pas de difficulté dans la mesure où la date à compter de laquelle ils courent correspond au jour du prélèvement du patrimoine qui s’est appauvri, soit au jour du transfert de valeur, faute de prélèvement.
    • Concrètement, le montant retenu sera toujours la valeur nominale à la date à laquelle la dépense a eu lieu.
    • Aussi, l’évaluation de la dépense faite ne donnera jamais lieu à revalorisation, contrairement à l’avantage qui en a été retiré par le patrimoine débiteur, ce qui sera source de difficulté pour le calcul des intérêts.
  • La récompense est égale au profit subsistant
    • Lorsque la récompense est égale au profit subsistant, le calcul des intérêts soulève une difficulté.
    • En effet, se pose la question de la date à compter de laquelle les intérêts commencent à courir.
    • Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1473 du Code civil, qui ne comportait qu’un seul alinéa, fixait comme point de départ la date de dissolution de la communauté.
    • L’inconvénient de cette règle est que cela revenait à faire courir des intérêts sur une valeur, le profit subsistant, susceptible de considérablement fluctuer.
    • En effet, entre la date de dissolution de la communauté et la date d’évaluation des récompenses, il peut s’écouler un particulièrement long délai.
    • Or pendant ce délai, la valeur du bien sur la base duquel est calculé le profit subsistant peut évoluer de façon significative.
    • Ajouté à cela, plus la période d’indivision post-communautaire est longue et plus, mécaniquement, le montant des intérêts est élevé.
    • Aussi, y avait-il un risque, en retenant la date de dissolution de la communauté comme point de départ du cours des intérêts, de faire supporter par le débiteur de la récompense une charge disproportionnée.
    • En réaction à ce risque pointé du doigt par la doctrine, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt rendu en date du 17 juillet 1984 que « si, aux termes de l’article 1473 du Code civil, les récompenses dues par la communauté ou à la communauté emportent les intérêts de plein droit du jour de la dissolution, il résulte de l’article 1469, alinéa 3, du Code civil que la masse dans laquelle est le bien doit récompense pour le profit qu’elle réalise au jour de l’indemnisation»
    • Elle en déduit « que les intérêts de cette récompense ne pouvaient courir de plein droit qu’à partir du jour où le profit qui la faisait naître était constaté par l’évaluation qui en était faite» ( 1ère civ. 17 juill. 1984, n°83-13.173).
    • Autrement dit, pour la Première chambre civile, lorsqu’une récompense est égale au profit subsistant, le point de départ du cours des intérêts est fixé au jour de l’arrêté des comptes de récompenses, soit à la date de la jouissance divise (date à laquelle les biens dépendant de la masse à partager sont estimés à leur valeur).
    • Considérant que la solution retenue par la Cour de cassation méritait l’approbation, le législateur l’a consacré lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985.
    • Cette consécration s’est traduite par l’ajout d’un alinéa 2 à l’article 1473 du Code civil qui prévoit que « lorsque la récompense est égale au profit subsistant, les intérêts courent du jour de la liquidation. »

À l’analyse, le nouveau dispositif instauré par la loi du 23 décembre 1985 emporte plusieurs conséquences sur la méthode de calcul des intérêts.

La méthode traditionnelle de calcul des récompenses conduisait, sous l’empire du droit antérieur, à appliquer les intérêts produits par les récompenses au seul solde du compte.

Il était, en effet, indifférent que la récompense soit égale à la dépense faite ou au profit subsistant.

Dans les deux cas, les intérêts commençaient à courir à compter de la date de dissolution de la communauté.

Désormais, l’article 1473 du Code civil prévoit que le point de départ des intérêts diffère selon que la récompense fait ou non l’objet d’une réévaluation :

  • Lorsque les récompenses correspondent à la dépense faite, les intérêts qu’elles produisent courent à compter de la date de dissolution de la communauté
  • Lorsque les récompenses correspondant au profit subsistant, les intérêts qu’elles produisent courent à compter du jour de la liquidation de la communauté

Concrètement, le calcul des intérêts pourra être effectué selon deux méthodes.

La première consiste à calculer les intérêts sur chaque récompense prise isolément, en fonction du régime qui lui est applicable.

La seconde méthode, consiste, quant à elle, à établir deux colonnes dans le compte des récompenses qui les répartiraient entre celles correspondant au profit subsistant et celles égales à la dépense faite.

Les intérêts seraient alors appliqués au solde de chaque colonne, étant précisé que, en pratique, il apparaît que seules les récompenses qui correspondent à la dépense faite donnent lieu à la production d’intérêts.

Lorsque, en effet, la récompense est égale au profit subsistant, les intérêts courent à compter de la liquidation de la communauté, soit au moment même où les époux procèdent au règlement.

B) La balance des comptes

1. Principe

L’inventaire des récompenses conduira la plus souvent les époux à constater l’existence, pour un même compte, de récompenses dues à la communauté et de récompenses dues par la communauté.

Lorsque cette situation se rencontre, l’article 1470 du Code civil commande aux époux de faire la balance des totaux obtenus, augmentés des intérêts ayant couru jusqu’à la clôture du compte.

Pratiquement, il s’agira pour eux de soustraire au montant le plus élevé, le total le plus faible, d’où il résultera un solde débiteur ou créditeur.

Le solde ainsi obtenu n’est autre que la traduction de la compensation qui s’opère entre ce qu’un époux doit à la communauté et ce que celle-ci lui doit.

Il s’agit là d’un mécanisme éminemment avantageux pour les époux, dans la mesure où seul le solde de chaque compte de récompenses doit être considéré dans le cadre des opérations de règlement.

Lorsqu’ainsi, après balance des totaux, un époux est redevable de la communauté, les créanciers de celle-ci (tiers ou conjoint) ne pourront poursuivre leur créance sur ses biens qu’à concurrence du montant du solde débiteur et non pour le cumul des dettes de récompenses.

Exemple :

Supposons un compte de récompenses dont les totaux obtenus sont les suivants :

  • Récompenses dues à la communauté 1.500
  • Récompenses dues par la communauté 1.000

Dans cette hypothèse, le compte présente un solde débiteur à hauteur de 1500 – 1000 soit 500.

Si l’on appliquait le droit commun du paiement des créances, les créanciers seraient fondés à se prévaloir du règlement d’une créance de 1.500.

Néanmoins, parce qu’il s’agit d’une créance de récompense, seul le solde du compte est exigible, de sorte que les créanciers ne sont autorisés à recouvrer leur créance que dans la limite de ce solde, soit 500.

À l’inverse, lorsque, après balance, un époux est créancier de la communauté, il n’entrera en concours avec les créanciers communs ou son conjoint que pour la partie du solde créditeur de son compte.

Exemple :

Supposons, cette fois-ci, un compte de récompenses dont les totaux obtenus sont les suivants :

  • Récompenses dues à la communauté 1.500
  • Récompenses dues par la communauté 2.000

Dans cette hypothèse, le compte présente un solde créditeur à hauteur de 2000 – 1500 soit 500.

Aussi, l’époux créancier pourra réclamer à la communauté, le règlement, non pas de l’intégralité de sa créance de récompense, mais seulement du solde disponible, lequel est seul exigible, 500.

2. Limite

S’il ressort de l’article 1470 du Code civil qu’une balance doit être effectuée entre les totaux obtenus au sein d’un même compte de récompenses, cette disposition ne prescrit nullement de réaliser une seconde balance – globale – entre les soldes obtenus pour chacun des comptes des époux.

En opérant de la sorte, cela conduirait à admettre qu’un seul époux puisse être débiteur ou créancier de la communauté.

Pour la doctrine, si cette modalité de règlement va bien au-delà des prévisions légales, rien ne s’oppose à ce qu’elle soit mise en œuvre dans le cadre d’un règlement amiable, à tout le moins dès lors que les créanciers communs ne s’en trouvent pas lésés.

II) Le règlement des récompenses

Lorsque la balance du compte des récompenses de chaque époux a été réalisée, il en résulte un solde.

Selon que ce solde est créditeur au profit de la communauté ou débiteur à sa charge les modalités de règlement diffèrent.

A) Le règlement du solde créditeur en faveur de la communauté

==> Le principe du rapport en moins prenant

Lorsque, le solde d’un compte de récompenses est créditeur en faveur de la communauté, son règlement peut être envisagé de deux façons :

  • Soit l’on exige que l’époux débiteur règle sa dette par prélèvement sur son patrimoine propre
  • Soit l’on admet que le règlement puisse s’opérer par déduction de ce qui est dû à l’époux débiteur au titre du partage de la masse commune

Manifestement, la première solution présente un inconvénient majeur. Elle est, en effet, susceptible de conduire l’époux débiteur qui ne disposerait pas des liquidités suffisantes, à vendre un ou plusieurs biens propres aux fins de s’acquitter de sa dette de récompense, alors même que, dans le même temps, il a vocation à percevoir la moitié des biens communs dans le cadre des opérations de partage.

Afin d’éviter que cette situation pour le moins baroque ne se produise, il a été fait le choix de retenir la seconde solution.

L’article 1470, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « si, balance faite, le compte présente un solde en faveur de la communauté, l’époux en rapporte le montant à la masse commune. »

Il ressort de cette disposition que, par imitation du rapport successoral, le règlement du solde se fera par voie de rapport en moins prenant.

Concrètement, cela signifie que, au lieu qu’un versement soit effectué par l’époux débiteur à la masse commune, la part qui lui revient au titre du partage soit réduite à concurrence de ce qu’il doit à la communauté.

Seule limite à ce système : l’hypothèse où le montant du solde créditeur en faveur de la communauté est supérieur à la part qui revient à l’époux débiteur.

Dans cette situation, le règlement du solde supposera que ce dernier s’acquitte de sa dette par l’apport à la masse commune de biens propres.

==> Les modalités du rapport en moins prenant

Le règlement par voie de rapport en moins prenant peut être réalisé selon deux méthodes différentes.

  • Première méthode : l’imputation
    • Cette méthode consiste à procéder au règlement par le jeu de simples écritures arithmétiques.
    • Autrement dit, il s’agira d’inscrire fictivement à l’actif commun la dette de récompense, puis d’attribuer cette même dette, lors de la composition des lots, à l’époux débiteur.
    • Cette dette qui pèse sur ce dernier s’imputera ainsi sur la part qui lui revient et qui, dès lors, s’en trouvera diminuée d’autant.
    • Cette méthode de règlement aboutira à un partage inégal de la masse commune.
  • Seconde méthode : les prélèvements
    • Cette autre méthode consiste à inviter le conjoint de l’époux débiteur à prélever sur la masse commune, avant qu’elle ne soit partagée, un lot correspondant au montant de la créance de récompense dont la communauté est titulaire.
    • Une fois ce prélèvement effectué, la masse commune peut être partagée en deux parts égales entre les époux.
    • Dans l’hypothèse où les deux époux seraient débiteurs, c’est celui dont la dette est la plus faible qui prélèvera sur l’actif commun le montant de la différence avec la dette la plus élevée.

À l’analyse, lorsqu’aucun désaccord n’oppose les époux sur le partage de la masse commune, il peut être recouru aux deux méthodes, bien que la pratique notariale privilégie usuellement la première.

Cette méthode devra néanmoins être écartée lorsque les époux ne s’entendent pas sur la constitution des lots.

En effet, en pareille circonstance, la répartition des biens ne peut s’opérer que par voie de tirage au sort.

Or cette modalité de répartition ne se conçoit que lorsque les lots à partager sont égaux, ce qui, par hypothèse, n’est pas le cas en présence de la méthode de l’imputation.

C’est donc vers la méthode des prélèvements que les époux devront se tourner afin de surmonter leur désaccord, cette méthode étant la seule à leur offrir une répartition égalitaire des lots, puisque le règlement de la créance de récompense se fait en amont.

B) Le règlement du solde débiteur à la charge de la communauté

Lorsque l’époux dont le compte de récompenses présente, après balance des totaux obtenus, un solde en sa faveur, l’article 1470 du Code civil lui offre une alternative quant au règlement de ce solde.

En effet, il peut :

  • Soit en exiger le paiement
  • Soit prélever des biens communs jusqu’à due concurrence

Il est admis que le choix de l’une ou l’autre modalité de règlement est discrétionnaire, de sorte que ce choix ne saurait, en aucune manière, être imposé aux époux.

Reste que, en pratique, il sera presque systématiquement opté pour la seconde méthode de règlement, soit celle consistant à régler le solde par voie de prélèvement.

Tandis que cette méthode s’analyse, au fond en en paiement en nature, l’autre méthode – non utilisée – s’apparente plutôt à un paiement en espèces.

Nous envisagerons successivement les deux méthodes de règlement.

1. Le règlement du solde par voie de paiement

Dans l’hypothèse – rare – où un époux opterait pour un règlement du solde en sa faveur par voie de paiement en espèces, il se retrouverait alors placé dans la même situation qu’un créancier ordinaire.

Aussi, deviendrait-il intéressé à l’actif commun, comme tous les autres créanciers et serait, à ce titre, autorisé à poursuivre sa créance sur l’ensemble des biens composant la masse commune.

À cet égard, il est admis que, en cas d’absence de liquidités suffisantes pour le désintéresser, il puisse provoquer la réalisation forcée de certains biens.

Cette faculté demeure néanmoins limitée par la règle posée à l’article 1471 du Code civil qui prévoit que l’époux qui réclame le règlement de son solde « ne saurait cependant préjudicier par son choix aux droits que peut avoir son conjoint de demander le maintien de l’indivision ou l’attribution préférentielle de certains biens. »

2. Le règlement du solde par voie de prélèvement

Le règlement par voie de prélèvement est l’alternative qui, de très loin, est la plus souvent retenue dans la pratique.

Concrètement, cette méthode de règlement consiste pour l’époux créancier à prélever, avant le partage, certains biens sur la masse commune pour une valeur correspondant au montant de sa créance.

Dans ce schéma, l’époux créancier cumule, tout à la fois, les qualités de créancier et de copartageant.

Cette double qualité dont il jouit, lui confère une position pour le moins privilégiée dans la mesure où il est autorisé à prélever, de son propre chef, des biens en nature sur la masse commune jusqu’à ce qu’il soit rempli de ses droits.

Or en droit commun des obligations ce mode de règlement, qui s’analyse en une dation en paiement, requiert toujours l’accord du débiteur.

À l’examen, le droit de prélèvement dont est investi l’époux créancier s’explique par sa qualité de copropriétaire des biens communs.

En pratiquant des prélèvements sur la masse commune, il ne s’approprie pas vraiment les biens d’autrui, puisque la moitié des biens qui composent cette masse ont vocation à lui revenir dans le cadre du partage.

Reste que cette modalité de règlement ne doit, ni porter atteinte aux droits du conjoint, ni aux intérêts des créanciers, ce qui conduit à s’interroger sur l’exercice du droit de prélèvement – qui est encadré – ainsi que sur sa nature dont il résulte plusieurs conséquences pratiques.

a. L’exercice du droit de prélèvement

i. Les modalités d’exercice du droit de prélèvement

Afin de prévenir les conflits susceptibles de naître, dans le cadre de l’exercice du droit de prélèvement, le législateur a institué deux directives auxquels il échoit à l’époux créancier de se soumettre.

Tandis que la première institue un ordre des prélèvements quant aux biens, la seconde vise à résoudre la situation de concours dans l’hypothèse où les deux époux seraient créanciers de la communauté.

==> L’ordre des prélèvements

Si l’époux créancier peut discrétionnairement opter pour un règlement du solde en sa faveur par voie de prélèvement, il n’est en revanche pas libre de prélever sur la masse commune les biens de son choix.

L’article 1471 du Code civil prévoit en ce sens que « les prélèvements s’exercent d’abord sur l’argent comptant, ensuite sur les meubles, et subsidiairement sur les immeubles de la communauté. »

Ainsi l’époux créancier ne pourra prélever des biens en nature sur la masse commune que dans l’ordre suivant :

  • Somme d’argent
  • Meubles
  • Immeubles

Ce n’est que lorsqu’il entend prélever des valeurs dans une même catégorie de biens que l’époux créancier recouvre sa liberté de choix, à tout le moins dans la limite de sa créance.

Le texte précise ainsi que « l’époux qui opère le prélèvement a le droit de choisir les meubles et les immeubles qu’il prélèvera. »

Dans l’hypothèse où la valeur du bien choisi excède le montant de la créance de l’époux, il pourra être procédé par voie de licitation, étant précisé que, en cas d’accord, les époux peuvent écarter l’ordre des prélèvements fixé par l’article 1471 du Code civil.

Ils pourraient notamment prévoir, dans leur contrat de mariage ou décider le jour du règlement du solde, que la créance de solde serait réglée par prélèvement d’un immeuble, alors même que la communauté dispose des fonds suffisants pour couvrir cette créance.

Il est admis que les dispositions de l’article 1471 du Code civil ne sont pas impératives. Il peut donc y être dérogé par convention contraire.

==> Le concours entre époux créanciers

Parfois, les comptes de récompenses des deux époux présenteront un solde créditeur.

Dans cette hypothèse, il est un risque que, faute de liquidités suffisantes pour les désintéresser, les époux entendent exercer leur droit de prélèvement sur un même bien meuble ou immeuble.

Afin de prévenir cette situation de concours, l’ancien article 1471 du Code civil institué par loi du 13 juillet 1965 n°65-570 prévoyait que « les prélèvements de la femme s’exercent avant ceux du mari. »

Le législateur avait ainsi opté pour l’octroi d’un privilège à la femme mariée, privilège qui était poussé jusqu’à l’autoriser, en cas d’insuffisance de la communauté, à exercer ses reprises sur les biens personnels de son mari.

Ce dispositif profondément inégalitaire n’a pas résisté à l’adoption de la loi n°85-1372 du 23 décembre 1985 qui visait à instituer une égalité dans les rapports conjugaux.

Aussi, le nouvel article 1471 du Code civil prévoit désormais que « si les époux veulent prélever le même bien, il est procédé par voie de tirage au sort. »

En cas de situation de concours entre époux, c’est donc le sort qui déterminera lequel des deux se verra attribuer le bien disputé.

Quant à l’hypothèse où la communauté ne disposerait pas des actifs suffisants pour désintéresser les deux époux, cette situation est réglée par l’article 1472, al. 1er du Code civil qui prévoit que « en cas d’insuffisance de la communauté, les prélèvements de chaque époux sont proportionnels au montant des récompenses qui lui sont dues. »

Autrement dit, il sera procédé à un règlement de leur créance au marc l’euro, soit au prorata de leur créance.

Le second alinéa de l’article 1472 du Code civil précise néanmoins que « si l’insuffisance de la communauté est imputable à la faute de l’un des époux, l’autre conjoint peut exercer ses prélèvements avant lui sur l’ensemble des biens communs ; il peut les exercer subsidiairement sur les biens propres de l’époux responsable. »

Autrement dit, en cas de responsabilité établie d’un époux dans l’insuffisance d’actif de la communauté, non seulement son conjoint pourra exercer son droit de prélèvement sur la masse commune en priorité, mais encore ce dernier sera autorisé à obtenir le règlement de sa créance en prélevant des biens directement dans le patrimoine propre de l’époux fautif.

L’ancien privilège qui était octroyé naguère à la femme mariée réapparaît ainsi, mais cette fois-ci sous la forme d’une règle bilatéralisée.

ii. Les limites à l’exercice du droit de prélèvement

L’exercice du droit de prélèvement n’est pas sans limite, il est assorti d’une restriction énoncée à l’article 1471, al. 1er in fine du Code civil.

Cette disposition prévoit que « il ne saurait cependant préjudicier par son choix aux droits que peut avoir son conjoint de demander le maintien de l’indivision ou l’attribution préférentielle de certains biens. »

Ainsi, dans l’hypothèse où le conjoint se prévaudrait d’un maintien de l’indivision ou d’une attribution préférentielle, il serait fait échec, au moins temporairement, à l’exercice du droit de prélèvement de l’époux créancier.

Le droit de solliciter le maintien de l’indivision, tout autant que le droit de solliciter l’attribution préférentielle de certains biens, sont des prérogatives spécifiques reconnues, en certaines circonstances, à l’indivisaire et au copartageant.

S’agissant du maintien de l’indivision, il pourra être sollicité notamment dans les hypothèses visées aux articles 820 à 824 du Code civil.

  • L’article 821 prévoit, par exemple, que « à défaut d’accord amiable, l’indivision de toute entreprise agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, dont l’exploitation était assurée par le défunt ou par son conjoint, peut être maintenue dans les conditions fixées par le tribunal à la demande des personnes mentionnées à l’article 822.»
  • L’article 821-1 prévoit encore que « l’indivision peut également être maintenue, à la demande des mêmes personnes et dans les conditions fixées par le tribunal, en ce qui concerne la propriété du local d’habitation ou à usage professionnel qui, à l’époque du décès, était effectivement utilisé pour cette habitation ou à cet usage par le défunt ou son conjoint. Il en est de même des objets mobiliers garnissant le local d’habitation ou servant à l’exercice de la profession. »
  • L’article 822 dispose, quant à lui, que « si le défunt laisse un ou plusieurs descendants mineurs, le maintien de l’indivision peut être demandé soit par le conjoint survivant, soit par tout héritier, soit par le représentant légal des mineurs. »

S’agissant de l’attribution préférentielle de certains biens, elle peut être sollicitée dans les hypothèses visées aux articles 831 à 834 du Code civil.

Cette faculté concerne, en particulier, le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire et peut avoir pour objet notamment :

  • Toute entreprise, ou partie d’entreprise agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ou quote-part indivise d’une telle entreprise, même formée pour une part de biens dont il était déjà propriétaire ou copropriétaire avant le décès, à l’exploitation de laquelle il participe ou a participé effectivement
  • Les droits sociaux, sans préjudice de l’application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d’une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers.
  • La propriété ou du droit au bail du local qui lui sert effectivement d’habitation, s’il y avait sa résidence à l’époque du décès, et du mobilier le garnissant, ainsi que du véhicule du défunt dès lors que ce véhicule lui est nécessaire pour les besoins de la vie courante ;
  • La propriété ou du droit au bail du local à usage professionnel servant effectivement à l’exercice de sa profession et des objets mobiliers nécessaires à l’exercice de sa profession ;
  • L’ensemble des éléments mobiliers nécessaires à l’exploitation d’un bien rural cultivé par le défunt à titre de fermier ou de métayer lorsque le bail continue au profit du demandeur ou lorsqu’un nouveau bail est consenti à ce dernier.

À l’analyse, il ressort de ces dispositions – nombreuses – qu’il est des cas où l’exercice de droit de prélèvement est susceptible de se heurter à d’autres droits :

  • Le droit au maintien dans l’indivision
  • Le droit à l’attribution préférentielle d’un bien spécifique

L’enseignement qu’il y a lieu de retenir de l’article 1471, al. 1er in fine du Code civil, c’est que, l’époux qui se prévaut de l’un ou l’autre de ces droits est susceptible de tenir en échec l’exercice du droit de prélèvement, à tout le moins tant qu’aucune juridiction n’a statué dans le sens contraire.

À cet égard, en cas de conflit, l’issue ne sera pas la même selon que les prétentions concurrentes au droit de prélèvement sont facultatives ou de droit.

  • Les prétentions concurrentes sont facultatives
    • Cette situation se rencontrera pour toutes les demandes de maintien de l’indivision et pour certaines demandes d’attribution préférentielles
    • Lorsque le maintien de l’indivision ou l’attribution préférentielle sont facultatifs, le juge statuera en considération des intérêts en présence, de sorte qu’il pourra parfaitement considérer que le droit de prélèvement doit l’emporter
  • Les prétentions concurrentes sont de droit
    • Cette situation se rencontrera exclusivement en matière d’attribution préférentielle.
    • Lorsqu’elle est le droit ( 832-1 C. civ.), elle primera, dans tous les cas, sur le droit de prélèvement

b. La nature du droit de prélèvement

i. La consécration d’une qualification mixte

Sous l’empire du droit antérieur à l’entrée en vigueur de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, l’article 1472 du Code civil envisageait le droit de prélèvement comme une faculté de « reprise » ce qui a donné lieu à un vif débat sur la nature du prélèvement.

Les auteurs se sont, en effet, opposés sur la qualité au titre de laquelle le titulaire de cette faculté était autorisé à prélever des biens sur la masse commune.

Dans un premier temps, la jurisprudence a considéré que l’époux qui exerçait ce droit agissait en qualité de propriétaire (Cass. civ. 1er août 1848).

Il en résultait qu’il échappait à tout concours avec les créanciers de la communauté, ce qui lui conférait une position pour le moins privilégiée.

Cette solution a été vivement critiquée par la doctrine. Il a notamment été avancé par les auteurs que l’époux titulaire du droit de prélèvement ne pouvait pas agir en qualité de propriétaire dans la mesure où l’exercice de ce droit visait précisément à lui conférer cette qualité.

Il y avait donc un vice de raisonnement à analyser le prélèvement comme l’exercice d’un droit réel, vice qui procédait d’une mauvaise interprétation de la notion de reprise.

Par reprise, il fallait entendre, non pas « reprises en valeur », lesquelles sont bien exercées à titre de propriétaire, mais « reprises en nature » qui ne peuvent être exercées qu’à titre de créancier.

Dans un deuxième temps, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence dans le célèbre arrêt Moinet rendu en date du 16 janvier 1858 aux termes duquel elle a jugé que « c’est à titre de créancier que chaque époux prélève soit le prix de ses propres aliénés, soit les indemnités qui lui sont dues par la communauté » (Cass. Ch réunies, 16 janv. 1858).

Cette solution avait pour conséquence de soumettre l’époux titulaire du droit de prélèvement au concours des créanciers, le prélèvement s’analysant, non pas comme l’exercice d’un droit réel, mais comme une modalité de paiement du solde de la créance de récompense.

Dans un troisième temps, la Cour de cassation est venue préciser, dans un arrêt du 13 avril 1891, que les époux réalisent leurs prélèvements « en la double qualité de créanciers et de copartageants et que les prélèvements qu’ils effectuent constituent une des opérations de partage » (Cass. civ. 13 avr. 1891).

Si la précision apportée sur la qualité de copartageant est heureuse, la référence à la qualité de créancier n’est pas sans avoir suscité la critique.

Certains auteurs ont notamment fait remarquer, à juste titre, l’absence de personnalité morale de la communauté, ce qui ne permet donc pas d’appréhender le droit de prélèvement dont est titulaire un époux contre la communauté comme un rapport de créancier à débiteur.

Finalement, il faudra attendre la loi du 13 juillet 1965 pour qu’il soit mis fin au débat.

Séduit par la position retenue par la jurisprudence, le législateur fera le choix de consacrer la thèse de la double qualité de l’époux titulaire du droit de prélèvement.

L’article 1474 du Code civil prévoit en ce sens que « les prélèvements en biens communs constituent une opération de partage. Ils ne confèrent à l’époux qui les exerce aucun droit d’être préféré aux créanciers de la communauté, sauf la préférence résultant, s’il y a lieu, de l’hypothèque légale. »

Trois enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • D’une part, le législateur n’a pas retenu la qualification de droit de créance s’agissant de la faculté de prélèvement, sans doute sous l’influence des critiques dont avait fait l’objet cette qualification
  • D’autre part, bien que techniquement, l’époux titulaire du droit de prélèvement n’endosse pas la qualité de créancier, il n’en demeure pas moins soumis au concours des créanciers
  • Enfin, la qualité de copartageant de l’époux titulaire du droit de prélèvement est confirmée, ce qui emporte plusieurs conséquences

ii. Les conséquences de la qualification mixte

==> Les conséquences tenant à l’absence de droit de préférence

Bien que le droit de prélèvement ne s’analyse pas en un droit de créance, l’article 1474 du Code civil soumet son titulaire au concours des créanciers.

Autrement dit, il n’est investi d’aucun droit de préférence sur les biens figurant dans la masse commune.

Concrètement, cela signifie que, en cas de concours avec d’autres créanciers, sauf à être muni d’une sûreté, et notamment d’une hypothèque légale, il ne pourra compter que sur son droit de gage général pour être rempli de ses droits.

Il devra donc faire preuve de diligence et de réactivité, afin de ne pas se heurter à la règle du premier saisissant.

==> Les conséquences tenant à la qualité de copartageant

La qualité de copartageant reconnue à l’époux titulaire du droit de prélèvement emporte plusieurs conséquences :

  • Première conséquence
    • L’exercice du droit de prélèvement n’opère pas un effet translatif, mais déclaratif
    • Il en résulte que les biens qui font l’objet du prélèvement sont réputés avoir appartenu au copartageant depuis la date de dissolution de la communauté
  • Deuxième conséquence
    • En matière de partage, l’évaluation des biens doit être réalisée à la date la plus proche du partage
  • Troisième conséquence
    • En application de l’article 889 du Code civil, lorsque le copartageant établit avoir subi une lésion de plus du quart, le complément de sa part lui est fourni, au choix du défendeur, soit en numéraire, soit en nature.
    • S’agissant de l’appréciation de la lésion, elle doit porter, non pas sur les prélèvements pris isolément, mais sur l’ensemble des biens attribués à l’époux titulaire du droit de prélèvement ( civ. 13 août 1883)
  • Quatrième conséquence
    • L’exercice du droit de prélèvement donne lieu au paiement du droit fiscal de partage et non de mutation
  • Cinquième conséquence
    • En cas d’insuffisance d’actif de la communauté, l’époux titulaire du droit de prélèvement ne peut jamais l’exercer sur le patrimoine propre de son conjoint, quand bien même celui-ci serait responsable de cette insuffisance d’actif.
    • La raison en est que l’article 1472, al. 2e du Code civil confère seulement à l’époux non fautif un droit de saisir les biens de son conjoint et non de les prélever.