L’enrichissement injustifié ou sans cause: notion, conditions et effets

?L’émergence du principe d’enrichissement sans cause

Avant l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, aucun texte ne sanctionnait l’enrichissement d’une personne au détriment d’autrui.

Si, l’accroissement d’un patrimoine implique nécessairement l’appauvrissement corrélatif d’un autre, ce mouvement de valeur peut parfaitement se justifier s’il repose sur une cause légitime.

Il peut, par exemple, procéder d’une vente ou d’une donation, ce qui, en pareille hypothèse, n’a rien d’injuste ou d’illégitime.

Il est toutefois des situations qu’un déplacement de valeur s’opère sans fondement juridique, sans cause légitime.

Afin de rétablir l’équilibre injustement rompu entre ces deux patrimoines, la question s’est très vite posée en jurisprudence de savoir s’il fallait octroyer à l’appauvri une créance contre l’enrichi.

Lors de sa rédaction initiale, le code civil ne comportait aucun article consacré à l’enrichissement injustifié, bien qu’il connaisse des applications de ce principe selon lequel nul ne peut s’enrichir injustement au détriment d’autrui.

  • L’article 555 du Code civil prévoit, par exemple, une indemnisation en cas de construction sur le terrain d’autrui
  • Les articles 1433 à 1438 prévoient, encore, que lors de la liquidation du régime matrimonial, la communauté doit récompense à l’époux qui s’est appauvri à son profit et inversement.
  • Les articles 1372 à 1375 instituaient quant à eux des quasi-contrats que sont la gestion d’affaires et la répétition de l’indu dont la finalité est de rétablir un équilibre qui a été injustement rompu.

Le champ d’application de ces textes est, toutefois cantonné à des situations bien spécifiques, de sorte que la théorie de l’enrichissement sans cause peut difficilement être rattachée à l’un d’eux.

Aussi, est-il rapidement apparu à la jurisprudence qu’il convenait d’ériger l’enrichissement sans cause comme une source autonome d’obligation.

?La reconnaissance jurisprudentielle de l’enrichissement sans cause

La théorie de l’enrichissement sans cause a, pour la première fois, été reconnue par la jurisprudence dans un arrêt Boudier rendu par la Cour de cassation le 15 juin 1892 (Cass. req. 15 juin 1892)

Aux termes de cette décision, la haute juridiction a jugé que, la théorie de l’enrichissement sans cause, qualifiée également d’action de in rem verso, « dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et n’ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée »

Elle en déduit « qu’il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit »

La théorie de l’enrichissement sans cause est ainsi instituée en principe général.

Cass. req. 15 juin 1892

Vu la connexité, joint les causes et statuant par un seul et même arrêt sur les deux pourvois :

Sur le premier moyen du premier pourvoi tiré de la violation de l’article 1165 du Code civil, de l’article 2102 du même code et de la fausse application des principes de l’action de in rem verso; Sur la première et la deuxième branches tirées de la violation des articles 1165 et 2102 du Code civil :

Attendu que s’il est de principe que les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes et ne nuisent point aux tiers, il est certain que ce principe n’a pas été méconnu par le jugement attaqué; qu’en effet, cette décision n’a point admis, comme le prétend le pourvoi, que le demandeur pouvait être obligé envers les défendeurs éventuels à raison d’une fourniture d’engrais chimiques faite par ces derniers à un tiers, mais seulement à raison du profit personnel et direct que ce même demandeur aurait retiré de l’emploi de ces engrais sur ses propres terres dans des circonstances déterminées; d’où il suit que, dans cette première branche, le moyen manque par le fait qui lui sert de base;

Attendu qu’il en est de même en ce qui concerne la seconde branche prise de la violation de l’article 2102 du Code civil;

Qu’en effet, la décision attaquée a eu soin de spécifier que la créance du vendeur d’engrais ne constituait qu’une simple créance chirographaire ne lui conférant aucun privilège sur le prix de la récolte, et que, dès lors, l’article susvisé n’a pas été violé; Sur la troisième branche, relative à la fausse application des principes de l’action de in rem verso :

Attendu que cette action dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et n’ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée; qu’il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit; que dès lors, en admettant les défendeurs éventuels à prouver par témoins que les engrais par eux fournis à la date indiquée par le jugement avaient bien été employés sur le domaine du demandeur pour servir aux ensemencements dont ce dernier a profité, le jugement attaqué (T. civ. de Châteauroux, 2 déc. 1890) n’a fait des principes de la matière qu’une exacte application; Sur le deuxième moyen pris de la violation des articles 1341 et 1348 du Code civil :

Attendu que le jugement attaqué déclare en fait qu’il n’a pas été possible aux défendeurs éventuels de se procurer une preuve écrite de l’engagement contracté à leur profit par le demandeur, devant les experts et à l’occasion du compte de sortie réglé par ces derniers entre le fermier et le propriétaire; qu’en admettant la preuve testimoniale dans ce cas excepté nommément par l’article 1348 du Code civil, ledit jugement a fait une juste application dudit article et, par suite, n’a pu violer l’article 1341 du même code; Sur le deuxième moyen pris de la violation et fausse application de l’article 548 du Code civil et des règles de l’action de in rem verso :

Attendu qu’il en est de même en ce qui concerne la première branche de ce deuxième moyen tirée de la violation et fausse application de l’article 548 du Code civil;

Attendu, en effet, que le jugement attaqué déclare formellement que le droit des défendeurs éventuels n’est pas fondé sur cet article, lequel n’est mentionné qu’à titre d’exemple et comme constituant une des applications du principe consacré virtuellement par le code que nul ne peut s’enrichir au détriment d’autrui; Sur la deuxième branche tirée de la fausse application des règles de l’action de in rem verso :

Attendu que la solution, précédemment donnée sur la troisième branche du premier moyen dans le premier pourvoi, rend inutile l’examen de celle-ci, qui n’en est que l’exacte reproduction; Sur le troisième moyen pris de la violation de l’article 1165 du Code civil et de la règle res inter alios acta aliis neque nocere, neque prodesse potest :

Attendu que, par une série de constatations et d’appréciations souveraines résultant des enquêtes et des documents de la cause, le jugement arrive à déclarer que le demandeur a pris l’engagement implicite mais formel de payer la dette contractée envers les défendeurs éventuels; qu’une semblable déclaration, qui ne saurait d’ailleurs être révisée par la cour, n’implique aucune violation de l’article ni de la règle susvisée; […]

Par ces motifs, rejette…

La solution adoptée dans l’arrêt Boudier a été réitéré dans une décision du 12 mai 1914.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a jugé « que l’action de in rem verso fondée sur le principe d’équité qui défend de s’enrichir aux dépens d’autrui doit être admise dans tous les cas où le patrimoine d’une personne se trouvant sans cause légitime enrichi au détriment de celui d’une autre personne, cette dernière ne jouirait, pour obtenir ce qui lui est dû, d’aucune autre action naissant d’un contrat, d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit » (Cass. civ. 12 mai 1914).

Postérieurement à cette décision, la haute juridiction visera régulièrement l’article 1371 du Code civil « et le principe de l’enrichissement sans cause », d’où il pourra se déduire sa volonté de rattacher l’action de in rem verso à la catégorie des quasi-contrats (Cass. 3e civ. 18 mai 1982, n°80-10.299 ; Cass. 1ère civ. 17 sept. 2003, n°01-15.306 ; Cass. 1ère civ. 11 mars 2014, n°12-29.304 ; Cass. 1ère civ. 31 janv. 2018, n°17-10.340)

?La consécration légale de l’enrichissement sans cause

Relevant que le code civil actuel ne comporte aucun article consacré à l’enrichissement injustifié, bien qu’il connaisse des applications de ce principe, selon lequel nul ne peut s’enrichir injustement au détriment d’autrui, le législateur en a tiré la conséquence qu’il convenait de lui donner une véritable assise légale.

C’est ce qu’il a fait en introduisant dans le Code civil une partie dédiée à « l’enrichissement injustifiée ».

Désormais envisagé comme un quasi-contrat, l’enrichissement sans cause, « rebaptisé « enrichissement injustifié », est régi aux articles 1303 à 1303-4 du Code civil.

Après avoir rappelé le caractère subsidiaire de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause par rapport aux autres quasi-contrats, l’article 1303 du Code civil en décrit l’objet : compenser un transfert de valeurs injustifié entre deux patrimoines, au moyen d’une indemnité que doit verser l’enrichi à l’appauvri.

Il consacre donc la jurisprudence bien établie aux termes de laquelle l’action ne tend à procurer à la personne appauvrie qu’une indemnité égale à la moins élevée des deux sommes représentatives, l’une de l’enrichissement, l’autre de l’appauvrissement.

Ainsi, l’appauvri ne peut-il s’enrichir, à son tour, au détriment d’autrui en obtenant plus que la somme dont il s’était appauvri, tout autant qu’il ne peut réclamer davantage que l’enrichissement car une telle action constituerait en réalité une action en responsabilité qui, par hypothèse, lui est fermée, conformément à l’article 1303-3 de l’ordonnance.

À l’examen, il apparaît que les conditions et les effets de l’enrichissement injustifiées sont, pour l’essentiel, directement inspirés de ce qui avait été établi par la jurisprudence.

I) Les conditions de l’enrichissement injustifié

La mise en œuvre de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause est subordonnée à la satisfaction de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à des considérations d’ordre économique
  • D’autre part, à des considérations d’ordre juridique

A) Les conditions économiques

Les conditions de mise en œuvre de l’action fondée sur l’enrichissement injustifiée sont au nombre de trois :

  • L’enrichissement du défendeur
  • L’appauvrissement du demandeur
  • La corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement

?L’enrichissement du défendeur

Il ressort de la jurisprudence que l’enrichissement s’entend comme tout avantage appréciable en argent.

Classiquement, la jurisprudence admet que l’enrichissement puisse résulter :

  • Soit d’un accroissement de l’actif
    • Acquisition d’un bien nouveau
    • Plus-value d’un bien existant
  • Soit d’une diminution du passif
    • Paiement de la dette d’autrui
  • Soit d’une dépense épargnée
    • Usage de la chose d’autrui
    • Bénéfice du travail non rémunéré d’autrui

?L’appauvrissement du demandeur

À l’inverse de l’enrichissement, l’appauvrissement s’entend comme toute perte évaluable en argent.

Cette perte peut consister :

  • Soit en une dépense exposée
    • Perte d’un élément du patrimoine
    • Paiement de la dette d’autrui
    • Moins-value d’un bien
  • Soit en un manque à gagner
    • Réalisation d’un travail non rémunéré pour autrui

?La corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement

L’action fondée sur l’enrichissement injustifié ne peut prospérer qu’à la condition qu’il soit démontré l’existence d’une corrélation entre l’enrichissement du défendeur et l’appauvrissement du demandeur.

Ce lien de connexité qui doit être établi entre les deux mouvements de valeurs peut prendre deux formes :

  • La corrélation peut être directe
    • Cette hypothèse se rencontre lorsqu’il n’y a pas de patrimoine interposé entre celui de l’appauvri et celui de l’enrichi.
    • Elle correspond aux situations telles que :
      • Le paiement de la dette d’autrui
      • Le travail non rémunéré accompli pour autrui
      • L’acquisition d’un bien pour autrui
    • Dans ces situations, il y a bien une personne qui s’est enrichie tandis que, corrélativement, une autre s’est directement appauvrie.
  • La corrélation peut être indirecte
    • Cette hypothèse se rencontre lorsque la valeur sortie du patrimoine du demandeur est entrée dans celui du défendeur par l’entremise du patrimoine d’une personne interposée
    • Tel est le cas lorsque par exemple :
      • Une personne aidante s’occupe, à titre bénévole, d’une personne âgée, ce qui évite aux membres de sa famille d’exposer des dépenses aux fins de pourvoir à sa prise en charge
      • Un marchand a vendu des engrais à un fermier qui les a utilisés sur des terres louées ; terres dont le propriétaire – en raison de la résiliation du bail – a recueilli la récolte. Dans cette hypothèse, le propriétaire foncier s’est enrichi aux dépens du marchand d’une valeur qui a transité dans le patrimoine du fermier

B) Les conditions juridiques

Trois conditions juridiques doivent être satisfaites pour que l’action fondée sur l’enrichissement injustifié puisse être mise en œuvre :

  • L’enrichissement du défendeur doit être injustifié
  • L’action de in rem verso ne peut être engagée qu’à titre subsidiaire

1. L’exigence d’un enrichissement injustifié

Aux termes de l’article 1303-1 du Code civil « l’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ni de son intention libérale. »

L’article 1303-2 précise que d’une part, « il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel » et, d’autre part, que « l’indemnisation peut être modérée par le juge si l’appauvrissement procède d’une faute de l’appauvri. »

Il ressort de ces deux dispositions, que le caractère injustifié de l’enrichissement doit s’entendre comme l’absence de cause, bien que cette terminologie n’ait pas été reprise par le législateur.

Comme exprimé par d’éminents auteurs « le mot cause désigne l’acte juridique et, de façon plus générale, le mode régulier d’acquisition d’un droit en conséquence duquel un avantage a pu être procuré à une personne »[1]

En d’autres termes, si l’enrichissement est la conséquence d’une disposition légale, réglementaire, conventionnelle et plus généralement de tout acte juridique accompli par l’enrichi, l’action de in rem versée ne saurait être engagée car pourvue d’une cause, soit d’une justification.

L’absence de cause doit concerner, tant l’enrichissement, que l’appauvrissement.

a. L’absence de cause de l’enrichissement

L’absence de cause de l’enrichissement est caractérisée dans deux cas

?L’enrichissement ne résulte pas de l’exécution d’une obligation par l’appauvri

Cette obligation peut être légale, conventionnelle ou judiciaire

Dès lors que l’enrichissement du défendeur est la conséquence de l’exécution de pareille obligation, il devient justifié.

  • Tel est le cas, par exemple, du débiteur qui, sans contester l’existence de sa dette envers le créancier, refuse de le payer en faisant valoir qu’il est libéré par le jeu de la prescription extinctive
  • Tel est encore le cas lorsque l’enrichissement d’un contractant procède de l’exécution d’une stipulation contractuelle

Dans un arrêt du 10 mai 1984, la Cour de cassation a considéré que, de manière générale, « n’est pas sans cause l’enrichissement qui a son origine dans l’un des modes légaux d’acquisition des droits » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1984, n°83-12.370).

La question s’est toutefois posée à la haute juridiction si l’existence d’une obligation morale incombant à l’appauvri conférait un caractère justifié à l’enrichissement.

Par un arrêt du 12 juillet 1994, elle a répondu par la négative à cette question en estimant que l’obligation morale ne s’apparentait pas à une obligation juridique (Cass. 1ère civ. 12 juill. 1994, n°92-18.639).

?L’enrichissement ne résulte pas de l’intention libérale de l’appauvri

Dès lors que l’enrichissement procède d’une intention libérale, soit de l’accomplissement d’une libéralité par l’appauvri à la faveur de l’enrichi, le mouvement valeur est justifié.

Toute la difficulté sera alors pour l’enrichi de prouver l’existence d’une intention libérale du demandeur à l’action.

C’est ainsi que la Cour de cassation se montre de plus en plus exigeante à l’égard des concubins estimant qu’il leur appartient de démontrer que lorsqu’une aide financière, professionnelle ou matérielle a été apporté à l’un, elle ne réside pas dans l’intention libérale de l’autre.

  • Participation financière à l’acquisition d’un bien
    • Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a estimé en ce sens que le concubin qui avait participé au remboursement contracté par sa concubine en vue d’acquérir son pavillon ainsi que des échéances du prêt destiné à financer les travaux sur cet immeuble n’était pas fondé à se prévaloir d’un enrichissement injustifié, dès lors que son concours financier trouvait sa contrepartie dans l’hébergement gratuit dont il avait bénéficié chez sa compagne.
    • La Cour de cassation en déduit que ces circonstances faisaient ressortir que le concubin avait agi dans une intention libérale et qu’il ne démontrait pas que ses paiements étaient dépourvus de cause (Cass. 1ère civ. 20 janv. 2010, n°08-16.105).
    • La Cour de cassation a statué également dans ce sens dans un arrêt du 2 avril 2014.
    • Dans cette affaire, il s’agissait d’un couple de concubins qui avaient acquis en indivision un immeuble dont partie du prix a été payée au moyen d’un prêt souscrit solidairement, mais dont les échéances ont été supportées par le seul concubin jusqu’à sa séparation avec sa concubine
    • Cette dernière assigne alors son concubin en liquidation et partage de l’indivision.
    • La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond qui avait accédé à la requête de la concubine, jugeant qu’il résultait « des circonstances de la cause l’intention de l’emprunteur de gratifier sa concubine » (Cass. 1ère civ. 2 avr. 2014, n°13-11.025).

Cass. 1ère civ. 2 avr. 2014

Sur le moyen unique du pourvoi principal, ci-après annexé :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… et Mme Y… ont acquis en indivision un immeuble dont partie du prix a été payée au moyen d’un prêt souscrit solidairement, mais dont les échéances ont été supportées par M. X… seul jusqu’à la séparation des concubins le 31 août 2005 ; que Mme Y… a assigné M. X… en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l’indivision et pour voir ordonner la licitation et dire qu’il est redevable d’une indemnité d’occupation ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt de dire qu’il avait gratifié Mme Y… d’une donation en ayant réglé seul les échéances du prêt jusqu’au 1er septembre 2005 ;

Attendu que la cour d’appel a retenu que l’acquisition indivise faite par moitié, alors que Mme Y… était, aux termes de l’acte de vente, sans profession, et que le couple avait eu ensemble deux enfants à l’époque de l’acquisition, établit l’intention libérale de M. X… en faveur de celle-ci, indépendamment de toute notion de rémunération ; qu’une telle donation emportait nécessairement renonciation de M. X… à se prétendre créancier de l’indivision au titre des remboursements du prêt effectués par lui seul, jusqu’à la séparation du couple, comme le réclame Mme Y… ; qu’elle a en conséquence fait droit à la demande tendant à voir juger que M. X… l’a gratifiée d’une donation en ayant réglé seul les échéances du prêt jusqu’au 1er septembre 2005 ;

Attendu que la cour d’appel a souverainement constaté dans les circonstances de la cause l’intention de l’emprunteur de gratifier sa concubine ; que par ailleurs, en privant le concubin de son droit de créance au titre de la part payée pour sa compagne, la cour d’appel n’a nullement porté atteinte au droit de propriété ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

  • En cas de contribution financière substantielle d’un concubin quant à l’acquisition d’un bien immobilier, tout n’est pas perdu pour lui s’il souhaite faire échec à l’action de in rem verso afin de conserver le bénéfice de son investissement.
  • Il ressort de la jurisprudence que, pour que l’absence d’intention libérale puisse être caractérisée, il est nécessaire de démontrer que les dépenses engagées sont sans lien avec celles engendrées par la vie en couple.
  • Dans un arrêt du 24 septembre 2008, la Cour de cassation a considéré dans le même que les travaux litigieux réalisés et les frais exceptionnels engagés par un concubin dans l’immeuble appartenant à sa concubine excédaient, par leur ampleur, sa participation normale aux dépenses de la vie courante et ne pouvaient pas être considérés comme une contrepartie des avantages dont sa compagne avait profité pendant la période du concubinage.
  • Aussi, la première chambre civile en conclue-t-elle que le concubin n’avait pas, sur ce point, agi dans une intention libérale (Cass. 1ère civ. 24 sept. 2008, n°06-11.294).

Cass. 1ère civ. 24 sept. 2008

Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :

Attendu que M. X… a vécu en concubinage avec Mme Y… de 1989 à 1999 ; qu’ils ont eu ensemble deux enfants nés en 1992 et 1997 ; qu’après leur rupture, M. X… a assigné Mme Y… en remboursement des sommes exposées pour financer les travaux de rénovation d’une maison appartenant à celle-ci ;

Attendu que Mme Y… fait grief à l’arrêt attaqué (Versailles, 28 octobre 2005) de l’avoir condamnée à payer une somme de 45 000 euros à M. X…, alors, selon le moyen :

1°/ que pour allouer à M. X…, sur le fondement de l’enrichissement sans cause, une somme de 45 000 euros, correspondant à la valeur de matériaux utilisés pour la réalisation de travaux dans la maison appartenant à Mme Y…, la cour d’appel a énoncé que ces travaux ne peuvent, par leur importance et leur qualité, être considérés comme des travaux ordinaires et que, par leur envergure, ils ne peuvent constituer une contrepartie équitable des avantages dont M. X… a profité pendant la période de concubinage ; qu’en statuant ainsi, tout en relevant que, pendant la période de concubinage, la maison dont la rénovation a été entreprise aux frais de M. X… constituait le logement du ménage, où vivaient les deux concubins et leurs deux enfants, ainsi que la domiciliation de la société dont M. X… assurait la gestion de fait, et en indiquant en outre que ces dépenses répondaient notamment au souci de ce dernier d’améliorer son propre cadre de vie pendant la poursuite de la vie commune, ce dont il résultait que l’appauvrissement lié à l’exécution et au financement des travaux litigieux n’était pas dépourvu de contrepartie, peu important à cet égard qu’elle fût ou non équivalente à la dépense engagée, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé, par fausse application, l’article 1371 du code civil ;

2°/ que l’aveu extrajudiciaire exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques. Ainsi, en l’espèce, en se bornant à énoncer qu’un projet de courrier émanant de Mme Y… s’analysait en un aveu extrajudiciaire en ce qu’elle y déclarait reconnaître devoir à M. X… un pourcentage équivalent à la moitié du prix de la maison lors de son acquisition et proposer que la maison lui appartienne par moitié, quand Mme Y… faisait valoir dans ses conclusions devant la cour d’appel (p. 9) que M. X… avait tenté de lui faire écrire cela “à son départ et sous des larmes de déception” et que “cet écrit n’est ni daté, ni enregistré et n’a aucune valeur probante”, la cour d’appel, en n’ayant aucun égard pour ces conclusions, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1354 du code civil ;

3°/ qu’en toute hypothèse, le projet de lettre de Mme Y… se borne, d’une part, à admettre l’existence de travaux d’amélioration de sa maison, financés par M. X…, et, d’autre part, à envisager au profit de ce dernier soit un don, soit un rachat de l’emprunt contracté pour l’achat de la maison ; qu’ainsi, par un tel écrit, Mme Y… n’a en aucune manière reconnue que ces travaux exécutés et financés par M. X… auraient été pour lui source d’un appauvrissement dépourvu de cause, aucune référence n’étant faite dans cet écrit au profit retiré par M. X… du fait de l’amélioration de son cadre de vie, de la domiciliation dans la maison de la société dans laquelle il exerçait son activité professionnelle et de l’hébergement dont il bénéficiait dans cette maison pour lui-même et les enfants du couple. Dès lors, en estimant que cet écrit constituait de la part de Mme Y… un aveu extrajudiciaire de ce que les travaux réalisés et financés par M. X… avaient entraîné pour elle un enrichissement et pour lui un appauvrissement qui étaient dépourvus de cause légitime, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet écrit, en violation de l’article 1134 du code civil ;

4°/ que l’aveu extrajudiciaire n’est admissible que s’il porte sur des points de fait et non sur des points de droit. En l’espèce, en considérant que le projet de lettre de Mme Y… s’analysait en un aveu extrajudiciaire de ce qu’il y aurait eu un enrichissement pour elle et un appauvrissement corrélatif de son concubin dépourvus de cause légitime, c’est-à-dire de ce que les conditions de l’action de in rem verso étaient réunies, la cour d’appel, qui a considéré qu’il y avait un aveu sur ce qui constituait un point de droit, a violé l’article 1354 du code civil ;

Mais attendu qu’après avoir justement retenu qu’aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune de sorte que chacun d’eux doit, en l’absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées, l’arrêt estime, par une appréciation souveraine, que les travaux litigieux réalisés et les frais exceptionnels engagés par M. X… dans l’immeuble appartenant à Mme Y… excédaient, par leur ampleur, sa participation normale à ces dépenses et ne pouvaient être considérés comme une contrepartie des avantages dont M. X… avait profité pendant la période du concubinage, de sorte qu’il n’avait pas, sur ce point, agi dans une intention libérale ; que la cour d’appel a pu en déduire que l’enrichissement de Mme Y… et l’appauvrissement corrélatif de M. X… étaient dépourvus de cause et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Collaboration non rémunérée à l’activité professionnelle
    • Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a estimé que la concubine qui avait apporté son assistance sur le plan administratif à la bonne marche de l’entreprise artisanale de maçonnerie qu’elle avait constituée avec son concubin, sans que cette assistance n’excède la simple entraide, n’était pas fondée à réclamer une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause (Cass. 1ère civ. 20 janv. 2010, n°08-16.105).
    • Il ressort de cette décision que pour que l’action de in rem verso engagée par un concubin puisse aboutir, il doit être en mesure de démontrer que l’aide apportée ne procède pas de la simple entraide inhérente à toute forme de vie conjugale.
    • Lorsque, toutefois, la participation de la concubine à l’exploitation de l’activité professionnelle de son concubin sera conséquente, soit lorsque, de par son ampleur, elle dépasse la contribution aux charges du ménage, la Cour de cassation retiendra l’enrichissement injustifié.
    • Tel a été le cas, par exemple, dans un arrêt du 15 octobre 1996, aux termes duquel la Cour de cassation a jugé que la collaboration d’une concubine à l’exploitation du fonds de commerce de son concubin sans que celle-ci ne perçoive de rétribution impliquait, par elle-même un appauvrissement et corrélativement un enrichissement injustifié (Cass. 1ère civ., 15 oct. 1996, n°94-20.472).
    • Pour la Cour de cassation, la contribution de la concubine à l’activité professionnelle de son concubin se distinguait d’une simple participation aux dépenses communes des concubins.

Cass. 1ère civ. 20 janv. 2010

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué (Aix-en-Provence, 22 janvier 2008) de l’avoir déboutée de sa demande tendant à la reconnaissance d’une société créée de fait constituée avec son concubin, Salvatore Y…, alors, selon le moyen :

1°/ qu’en retenant, pour débouter Mme X… de sa demande tendant à la reconnaissance d’une société créée de fait, qu’elle ne démontrait pas que sa participation dans l’entreprise excédait la seule entraide familiale quand, d’après ses propres constatations, elle avait pourtant exercé une activité dans l’entreprise et s’était inscrite au registre des métiers comme chef d’entreprise, la cour d’appel a violé l’article 1832 du code civil ;

2°/ que la cour d’appel, pour écarter l’existence d’une société créée de fait s’agissant de l’entreprise de maçonnerie, a considéré que Mme X… ne démontrait pas avoir exercé une activité excédant une simple entraide familiale, ni avoir investi des fonds personnels dans l’entreprise ; qu’en statuant à l’aune de ces seules constatations matérielles qui n’excluaient pourtant en rien l’existence d’un apport en industrie, fût-il limité, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1832 du code civil ;

3°/ qu’en retenant, pour écarter l’existence d’une société créée de fait s’agissant de l’entreprise de maçonnerie, que Mme X… ne démontrait pas avoir exercé une activité excédant une simple entraide familiale ni avoir investi des fonds personnels dans l’entreprise, sans rechercher si de tels éléments excluaient l’intention de Mme Y… et de Mme X… de collaborer ensemble sur un pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun ainsi que l’intention de participer aux bénéfices ou aux économies en résultant, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1832 du code civil ;

4°/ que Mme X… fait valoir dans ses conclusions, sans être contredite, qu’elle avait abandonné son activité salariée pour se consacrer à l’entreprise de maçonnerie et qu’elle administrait l’entreprise dans ses relations avec les administrations, les fournisseurs, les avocats et les clients, eu égard à l’illettrisme de son concubin ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a considéré que Mme X…, inscrite au registre des métiers en qualité de chef d’entreprise, avait par ailleurs exercé une activité de secrétaire de direction dans diverses sociétés, incompatible avec le plein exercice des responsabilités de chef d’entreprise quand il n’était pourtant pas contesté que Mme X… avait rapidement abandonné son activité salariée pour s’impliquer totalement dans l’entreprise, la cour d’appel a dénaturé les termes du litige en violation de l’article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu’après avoir relevé que si elle était inscrite au registre des métiers comme chef de l’entreprise de maçonnerie, Mme X… avait exercé, dans le même temps, une activité de secrétaire de direction, d’abord auprès de la société Corege du 24 août 1978 au 15 août 1981 puis de la parfumerie Pagnon du 1er février 1985 au 31 mai 1989, difficilement compatible avec les responsabilités d’un chef d’entreprise qui apparaissaient avoir été assumées en réalité par M. Y… et que celui-ci avait acquis seul, le 26 juillet 1979, un bien immobilier alors que le couple vivait en concubinage depuis 1964, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel, qui a procédé à la recherche invoquée et n’a pas méconnu l’objet du litige, a estimé que l’intention des concubins de collaborer sur un pied d’égalité à un projet commun n’était pas établie ; qu’elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen :

Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir déboutée de sa demande fondée sur l’enrichissement sans cause, alors, selon le moyen, qu’en relevant cependant, pour considérer que l’enrichissement sans cause de M. Y… au détriment du patrimoine de Mme X… n’était pas démontré, que rien n’établissait que les emprunts de faibles montants avaient été utilisés, non pour les besoins de la famille, mais dans le seul intérêt de son concubin et qu’elle avait été hébergée dans l’immeuble acquis par celui-ci, autant de circonstances insusceptibles d’exclure un appauvrissement sans cause de Mme X…, né de la seule implication dans l’entreprise sans rétribution, la cour d’appel a violé l’article 1371 du code civil ensemble les principes régissant l’enrichissement sans cause ;

Mais attendu qu’ayant souverainement estimé que l’assistance apportée sur le plan administratif par Mme X… à la bonne marche de l’entreprise artisanale de maçonnerie qu’elle avait constituée avec son concubin n’excédait pas une simple entraide, la cour d’appel a pu en déduire que celle-ci n’était pas fondée à réclamer une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause et a ainsi légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

b. L’absence de cause de l’appauvrissement

Pour que l’enrichissement puisse être considéré comme injustifié, il est nécessaire de démontrer, corrélativement, que l’appauvrissement l’est aussi, soit qu’il est « sans cause ».

Pour y parvenir, cela suppose de s’attacher au comportement de l’appauvri, lequel ne doit avoir, ni agi dans son intérêt personnel, ni commis de faute.

?L’absence d’intérêt personnel de l’appauvri

  • Principe
    • L’article 1303-2, al. 1 du Code civil prévoit que « il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel. »
    • Cela signifie, que l’appauvri ne peut invoquer l’action de in rem verso, alors même que son appauvrissement n’est la conséquence d’aucun contrat ou d’aucune disposition légale, s’il a agi en vue de se procurer en avantage personnel.
      • Tel est le cas de celui qui a construit ou entretenu une digue qui profite à d’autres riverains (Cass. req. 30 avr. 1828)
      • Tel est encore le cas du propriétaire d’un moulin qui par des travaux destinés à lui fournir un supplément d’eau, en procure également au moulin qui se situe en aval (Cass. req. 22 juin 1927)
      • Il en va également ainsi de celui qui, demandant le raccordement de son domicile au réseau électrique, en fait profiter son voisin (Cass.1ère civ. 19 oct. 1976, n°75-12.419).
  • Conditions
    • Bien que l’article 1303-2 du Code civil ne le mentionne pas, pour que l’appauvri qui a agi dans son intérêt personnel ne puisse pas se prévaloir de l’action de in rem perso, des conditions doivent être remplies.
    • Ces conditions résultent de la jurisprudence antérieure dont on a des raisons de penser qu’elle demeure applicable.
    • Dans un arrêt du 8 février 1972, la Cour de cassation a par exemple affirmé que « les conditions de l’enrichissement sans cause ne sont pas réunies lorsque les impenses ont été effectuées par le demandeur dans son intérêt, a ses risques et périls et en recueillant le profit » (Cass. 3e civ. 8 févr. 1972, n°70-13.359).
    • Plus récemment, la troisième chambre civile a jugé dans un arrêt du 20 mai 2009 que l’action fondée sur l’enrichissement sans cause ne peut être accueillie dès lors que l’appauvri a « agi de sa propre initiative et à ses risques et périls » (Cass. 3e civ. 20 mai 2009, n°08-10.910).
    • Il ressort de cette jurisprudence pour que l’application de l’action de in rem verso soit écartée, deux conditions cumulatives doivent être réunies :
      • L’appauvri doit avoir agi de sa propre initiative
      • L’appauvri doit avoir agi à ses risques et périls
    • Si donc, les prévisions de l’appauvri sont démenties et qu’il a subi une perte, le tiers qu’il a pu enrichir ne lui devra rien.

?La faute personnelle de l’appauvri

  • Le droit antérieur
    • La question s’est ici posée de savoir si, lorsque l’appauvrissement résulte d’une faute de l’appauvri, celui-ci ne serait dès lors pas pourvu d’une cause, sa propre faute, en conséquence de quoi l’action de in rem verso ne saurait être exercée.
    • Quid, par exemple, du garagiste qui entreprend de faire des travaux sur un véhicule qui n’avaient pas été commandés par ses clients ?
    • Dans un arrêt du 8 juin 1968, la Cour de cassation a estimé que, en pareille hypothèse, le garagiste ne saurait réclamer une quelconque indemnité à son client à raison de son enrichissement, dans la mesure où l’appauvrissement procède d’une faute (Cass. com. 8 juin 1968)
    • L’examen de la jurisprudence révèle toutefois que la Cour de cassation n’était pas aussi arrêtée.
    • Dans un arrêt du 3 juin 1997, la Cour de cassation a, par exemple, considéré que « le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause » (Cass. 1ère civ. 3 juin 1997, n°94-17.621).
    • Dans un arrêt du 27 novembre 2008, elle a statué dans le même sens en jugeant que « le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui » (Cass. 1ère civ. 27 nov. 2008, n°07-18.875).
    • Ainsi, ces arrêts invitaient-ils à opérer une distinction selon que la conduite de l’appauvri était constitutive d’une faute grave ou d’une simple négligence.
      • En cas de faute grave, l’action de in rem verso était écartée
      • En cas de faute de négligence, l’action de in rem verso pouvait toujours être exercée
    • Toutefois, dans une décision du 19 mars 2015 la Cour de cassation a estimé que « l’action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l’appauvrissement est dû à la faute de l’appauvri » (Cass. 1ère civ. 19 mars 2015, n°14-10.075).
    • De par la généralité de la formule utilisée, d’aucuns en ont déduit que la haute juridiction avait abandonné la distinction entre la faute grave et la faute de simple négligence.
    • Aussi, le législateur est-il intervenu afin de clarifier la situation.

Cass. 1ère civ. 3 juin 1997

Attendu que M. Maze Y… a acquis le 2 juin 1984, au cours d’une vente aux enchères publiques dirigée par Mme X…, commissaire-priseur à Dax, un bureau plat, appartenant à M. Z…, qu’elle a présenté comme étant d’époque Louis XV ; qu’ayant été informé lors de l’exécution de travaux de restauration en 1990 que ce meuble était un faux, M. Maze Y… a assigné Mme X… en réparation de son préjudice ; que l’arrêt attaqué (Pau, 30 novembre 1994) a condamné Mme X…, assurée par la compagnie Préservatrice foncière, à lui payer la somme de 250 000 francs à titre de dommages-intérêts, et, sur la demande de Mme X…, condamné M. Z… à payer à cette dernière celle de 148 000 francs ;

Sur le second moyen :

Attendu qu’il est reproché à l’arrêt d’avoir condamné M. Z… à payer à Mme X… la somme de 148 000 francs représentant la différence entre le prix d’adjudication et la valeur résiduelle du meuble litigieux alors que le demandeur à une action fondée sur l’enrichissement sans cause qui a commis une faute à l’origine de son propre appauvrissement ne peut obtenir le bénéfice de cette action ; qu’en l’espèce, il résulte des constatations de l’arrêt que Mme X… a engagé par imprudence sa responsabilité vis-à-vis de l’adjudicataire dont elle doit réparer le préjudice sans pouvoir être garantie par M. Z… qui n’a commis aucune faute à son égard, et qu’en déclarant néanmoins Mme X… bien fondée à exercer l’action, la cour d’appel a violé l’article 1371 du Code civil précité et les principes régissant l’enrichissement sans cause ;

Mais attendu que le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Cass. 1ère civ. 19 mars 2015

Vu l’article 1371 du code civil, ensemble les principes qui régissent l’enrichissement sans cause;

Attendu que l’action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l’appauvrissement est dû à la faute de l’appauvri ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… a émis au profit de M. Y…, sur son compte ouvert à la Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes (la banque), deux chèques qu’il a ensuite frappés d’opposition en prétendant qu’il les avait perdus ; qu’ayant honoré les deux chèques, et invoquant l’impossibilité d’obtenir remboursement par un débit du compte, faute de provision suffisante, la banque a assigné M. X… sur le fondement de l’enrichissement sans cause ;

Attendu que, pour accueillir les prétentions de la banque, l’arrêt retient que l’erreur qu’elle a commise ne lui interdit pas de solliciter un remboursement ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte et les principes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 juin 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble ;

  • La réforme des obligations
    • L’article 1303-2, al. 2 du Code civil prévoit que « l’indemnisation peut être modérée par le juge si l’appauvrissement procède d’une faute de l’appauvri. »
    • Si, de prime abord, le texte semble avoir abandonné la distinction qui avait été introduite par la jurisprudence entre la faute grave et la faute de négligence, elle resurgit si l’on se tourne vers la sanction qui est attachée à la faute de l’appauvri.
    • En effet, le législateur a prévu que, en cas de faute, le juge peut « modérer » l’indemnité octroyée à l’appauvri.
    • Or de toute évidence ce pouvoir de modération conféré au juge sera exercé par lui considération de la gravité de la faute commise par l’appauvri.
    • Le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise, d’ailleurs, que la faute de l’appauvri peut être sanctionnée par une suppression pure et simple de l’indemnité due au titre de l’action de in rem verso.
    • C’est donc un retour à la solution jurisprudentielle adoptée antérieurement à l’arrêt du 19 mars 2015 qui a été opéré par le législateur.

2. La subsidiarité de l’action fondée sur l’enrichissement injustifié

Aux termes de l’article 1303-3 du Code civil « l’appauvri n’a pas d’action sur ce fondement lorsqu’une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription. »

Cette disposition rappelle, conformément à la jurisprudence antérieure, le caractère subsidiaire de l’action de in rem verso.

Ainsi cette action ne peut :

  • Ni servir à contourner les règles d’une action contractuelle, extracontractuelle ou légale dont l’appauvri dispose
    • Dès lors que l’appauvri dispose d’une action sur l’un de ces fondements juridiques, il n’est pas autorisé à exercer l’action de in rem verso
    • Il lui appartient d’engager des poursuites sur le fondement de la règle dont les conditions d’application sont remplies.
    • Il est indifférent que cette action puisse être engagée à l’encontre de l’enrichi ou d’un tiers (V. en ce sens Cass. com. 10 oct. 2000, n°98-21.814).
  • Ni suppléer une autre action qu’il ne pourrait plus intenter suite à un obstacle de droit
    • Lorsque l’appauvri dispose d’une autre action qui se heurte à un obstacle de droit, l’action de in rem verso ne peut pas être exercée.
    • La Cour de cassation avait estimé en ce sens dans un arrêt du 29 avril 1971, que l’action de in rem verso ne pouvait pas être admise « notamment, pour suppléer à une autre action que le demandeur ne peut plus intenter par suite d’une prescription, d’une déchéance ou forclusion ou par l’effet de l’autorité de la chose jugée, ou parce qu’il ne peut apporter les preuves qu’elle exige, ou par suite de tout autre obstacle de droit » (Cass. 3e civ., 29 avr. 1971, n°70-10.415)
    • Dès lors que l’un de ces obstacles de droit est caractérisé, l’action de in rem verso est neutralisée.
    • Au nombre de ces obstacles de droit figurent notamment :
      • La prescription
      • La déchéance
      • La forclusion
      • L’autorité de chose jugée
    • Dans un arrêt du 12 janvier 2011, la Cour de cassation a, par exemple, considéré qu’un salarié ne saurait exercer l’action de in rem verso, pour contourner l’extinction de l’action en paiement de sommes de nature salariale par l’effet de la prescription (Cass. soc. 12 janv. 2011, n°09-69.348).
    • Dans un arrêt du 2 novembre 2005, la Cour de cassation a encore jugé que l’action de in rem verso ne saurait être exercée par une concubine du défunt dès lors qu’elle n’était pas en mesure d’apporter la preuve d’une obligation de remboursement contractée par celui-ci, ce qui était constitutif d’un obstacle de droit (Cass. 1ère civ. 9 déc. 2010, n°09-68.296).

II) Les effets de l’enrichissement injustifié

Lorsque toutes les conditions de l’action de in rem verso sont réunies, l’enrichi doit indemniser le demandeur.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer le montant de l’indemnisation due à l’appauvri.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1303-4 du Code civil qui prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. En cas de mauvaise foi de l’enrichi, l’indemnité due est égale à la plus forte de ces deux valeurs. »

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

A) Sur le principe de l’indemnisation

?Principe

Il est de jurisprudence constante que l’indemnité ne peut excéder, ni l’enrichissement du défendeur, ni l’appauvrissement du demandeur.

Cette règle est exprimée à l’article 1303 du Code civil qui prévoit que l’appauvri perçoit « une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »

C’est donc un double plafond qui a été institué par la jurisprudence, puis par le législateur.

Ainsi, lorsque des travaux ont été effectués par une personne sur l’immeuble d’autrui, l’indemnité est calculée :

  • Soit sur la base des dépenses exposées pour la réalisation des travaux
  • Soit sur la base de la plus-value qui découle des travaux

Cette règle se justifie par des considérations d’équité qui président à l’esprit de l’action de in rem verso.

  • Si l’enrichi, après avoir bénéficié d’un avantage injustifié, devait restituer plus que ce qu’il a obtenu, il subirait à son tour un préjudice
  • Si l’appauvri, à l’inverse, après avoir subi une perte injustifiée, percevait plus que ce qu’il a perdu, il profiterait à son tour d’un enrichissement injustifié

Le législateur a toujours assorti cette règle d’une exception en cas de mauvaise foi de l’enrichi.

?Exception

L’article 1303-4 du Code civil prévoit que « en cas de mauvaise foi de l’enrichi, l’indemnité due est égale à la plus forte de ces deux valeurs. »

Ainsi, cette disposition apporte-t-elle une exception aux modalités de détermination de l’indemnité de l’appauvri en cas de mauvaise foi de l’enrichi.

À titre de sanction, l’indemnité sera égale à la plus forte des deux valeurs entre l’enrichissement et l’appauvrissement.

B) La date d’appréciation du mouvement de valeur

Fixer un double plafond pour circonscrire le montant de l’indemnité due à l’appauvri ne suffit pas à résoudre toutes les difficultés

Il faut encore déterminer la date à laquelle il convient de se situer :

  • D’une part, pour vérifier l’existence de l’enrichissement et de l’appauvrissement
  • D’autre part, pour évaluer le montant des valeurs qui se sont déplacées d’un patrimoine à l’autre

À cet égard, l’article 1303-4 du Code civil prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. »

Ce sont donc à des dates différentes qu’il convient de se placer pour apprécier l’enrichissement et l’appauvrissement.

  • S’agissant de l’appauvrissement
    • Il doit être apprécié au jour de la dépense, soit à la date où le demandeur a subi une perte.
  • S’agissant de l’enrichissement
    • Son appréciation est somme toute différente dans la mesure où il est constaté « tel qu’il subsiste au jour de la demande »
    • Cela signifie que l’enrichissement va être apprécié au jour de l’exercice de l’action de in rem verso et non à la date où le mouvement de valeur s’opère entre le patrimoine de l’enrichi et celui de l’appauvri
    • Il en résulte que, l’enrichissement peut, entre-temps :
      • Soit avoir augmenté,
      • Soit avoir diminué
      • Soit avoir disparu
    • Sur ce point, le législateur a repris les solutions jurisprudentielles existantes (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 1re, 18 janv. 1960).

C) La date d’évaluation de l’enrichissement et de l’appauvrissement

?Problématique

La question n’est pas ici de savoir à quelle date constater le mouvement de valeur, mais de déterminer le jour auquel doit être appréciée l’évaluation de la consistance de l’appauvrissement et de l’enrichissement ?

Voilà une question qui n’est pas sans enjeu dans les périodes de dépréciation monétaire.

Faut-il évaluer l’enrichissement et l’appauvrissement aux dates où l’on apprécie leur existence respective ou convient-il plutôt de réévaluer ces sommes au jour de la décision qui fixe l’indemnité ?

?Jurisprudence

Dans un arrêt du 18 mai 1982, la Cour de cassation avait abondé dans le sens de la première option (Cass. 3e civ. 18 mai 1982, n°80-10.299).

Pour la haute juridiction, l’appauvrissement devait ainsi être évalué au jour où la dépense a été exposée.

Il en résultait que l’un des plafonds de l’indemnité correspondait à la somme nominale qui avait été dépensée ou à la valeur de la prestation au jour où elle avait été fournie.

Quant à l’évaluation de l’enrichissement, elle était bloquée au jour de l’exercice de l’action de in rem verso.

L’autre plafond de l’indemnité due à l’appauvri était en conséquence égale à la somme dont le patrimoine du défendeur s’était accru au jour de la demande.

Cette situation était, de toute évidence, fortement injuste pour l’appauvri, car en cas de dépréciation monétaire, il va percevoir une indemnité sans rapport avec la valeur actuelle de la perte qu’il a subie.

Aussi, de l’avis général des auteurs, l’appauvrissement et l’enrichissement devaient, impérativement, être évalués à la même date, soit au jour du calcul de l’indemnité.

Cass. 3e civ. 18 mai 1982

Mais sur le premier moyen : vu l’article 1371 du code civil, ensemble les principes qui régissent l’enrichissement sans cause ;

Attendu que l’enrichi n’est tenu que dans la limite de son enrichissement et de l’appauvrissement du créancier ;

Attendu que pour condamner les consorts e… à payer à Mme d…, aux droits de son mari, une somme de 50 000 francs au titre des améliorations utiles apportées par celui-ci en 1951, au bâtiment, l’arrêt, qui constate que l’expert x… chiffre les travaux a 750 000 anciens francs a l’époque ou ils ont été faits, énonce que selon les conclusions du rapport ces travaux de consolidation et d’amélioration utiles sont d’un montant actualise de 50 000 francs et ont apporté au fonds une plus-value de même montant ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’appauvrissement du possesseur évince a pour mesure le montant nominal de la dépense qu’il a exposée, la cour d’appel a violé le texte et les principes susvisés ;

Dans un arrêt du 26 octobre 1982, la Cour de cassation a pu faire montre de souplesse en admettant que l’appauvrissement puisse être évalué au jour de la demande en divorce de l’épouse

Toutefois, la première chambre civile précise que, si cette date est retenue, c’est uniquement en raison de « l’impossibilité morale [de l’épouse] d’agir antérieurement » (Cass. 1ère civ. 26 oct. 1982, n°81-14.824).

Ainsi, cette décision n’a-t-elle pas suffi à éteindre les critiques.

La solution antérieure semble, en effet, être maintenue.

Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles que la Cour de cassation est susceptible d’admettre qu’il puisse être dérogé au principe d’évaluation de l’appauvrissement au jour de la réalisation de la dépense.

Cass. 1ère civ. 26 oct. 1982

Sur le moyen unique : attendu, selon les énonciations des juges du fond, que Mme Marie-Rose c., qui avait été mariée, sous le régime de la séparation de biens, a m Georges p., chirurgien, a, après leur divorce, réclame a celui-ci une indemnité, au titre de l’enrichissement sans cause, pour les services d’infirmière anesthésiste qu’elle lui avait rendus, pendant dix années, sans être rémunérée ;

Attendu que m p. reproche à l’arrêt confirmatif attaque, qui a accueilli cette demande, d’avoir violé les règles gouvernant l’action de in rem verso, en vertu desquelles, selon le moyen, si l’enrichissement doit être évalué au jour de la demande d’indemnisation, l’appauvrissement doit, en revanche, l’être au jour de sa réalisation ;

Mais attendu que, comme l’ont retenu les juges du fond, c’est le travail fourni sans rémunération qui a été générateur, à la fois, de l’appauvrissement, par manque à gagner, de Mme c., et de l’enrichissement de m p., qui n’avait pas eu a rétribuer les services d’une infirmière anesthésiste ;

Que, pour évaluer l’appauvrissement de la demanderesse a l’indemnité de restitution et l’enrichissement du défendeur, la cour d’appel devait donc se placer, comme elle l’a fait, a la même date : celle de la demande en divorce, en raison de l’impossibilité morale pour la femme d’agir antérieurement contre son mari ;

Que le moyen n’est donc pas fonde ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 21 mai 1981 par la cour d’appel de Dijon

?La réforme des obligations

Afin de mettre un terme au débat jurisprudentiel portant sur la date d’évaluation du mouvement de valeur, le législateur n’a eu d’autre choix que de trancher la question.

C’est ce qu’il a fait à l’occasion de la réforme des obligations.

Manifestement, la doctrine a été entendue puisque l’article 1303-4 du Code civil prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement ».

Cette solution, qui fait de l’indemnité de restitution une dette de valeur, prend de la sorte le contre-pied de la jurisprudence.

Par ailleurs, comme relevé dans le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, elle est conforme à la solution retenue par le code civil dans les cas d’enrichissement injustifiés qu’il régit spécialement aux articles 549, 555, 566, 570, 571, 572, 574 et 576.

  1. V. RIPERT et BOULANGER, Traité de droit civil, t. 2, 1957, LGDJ, n° 1280 ?

La responsabilité du fait personnel

Pour que la responsabilité civile de l’auteur d’un dommage puisse être recherchée, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

  • L’existence d’un dommage
  • La caractérisation d’un fait générateur
  • L’établissement d’un lien de causalité entre le dommage et le fait générateur

Tandis que le dommage et le lien de causalité sont les deux constantes de la responsabilité civile, le fait générateur en constitue la variable.

La responsabilité du débiteur de l’obligation de réparation peut, en effet, avoir pour fait générateur :

  • Le fait personnel de l’auteur du dommage
  • Le fait d’une chose que le responsable avait sous sa garde
  • Le fait d’une tierce personne sur laquelle le responsable exerçait un pouvoir

La responsabilité du fait personnel se distingue de la responsabilité du fait des choses et du fait d’autrui sur deux points principaux :

  • Tout d’abord, alors que, en matière de responsabilité du fait personnel, le débiteur de l’obligation de réparation est, tout à la fois, l’auteur et le responsable du dommage, tel n’est pas le cas lorsque le fait générateur de la responsabilité réside dans le fait d’une chose ou dans le fait d’autrui.
  • Ensuite, tandis que la responsabilité du fait personnel est fondée sur la faute, les responsabilités du fait des choses et du fait d’autrui sont des responsabilités purement objectives en ce sens qu’elles ne supposent pas la caractérisation d’une faute pour que naisse l’obligation de réparation.

?Le fondement de la responsabilité du fait personnel

Lorsque le fait générateur de la responsabilité réside dans le fait personnel de l’auteur du dommage, celui-ci ne peut consister qu’en une faute.

Cette exigence de la faute est formulée :

  • D’une part, à l’article 1240 aux termes duquel « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »
  • D’autre part, à l’article 1241 qui prévoit que « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

Bien que le terme faute ne figure pas explicitement à l’article 1241 du Code civil, on ne saurait pour autant en déduire que cette disposition pose un cas de responsabilité du fait personnel « sans faute ».

À la vérité, la négligence et l’imprudence constituent une variété particulière de faute : la faute involontaire, que l’on qualifie également de quasi-délit.

Immédiatement, deux enseignements peuvent être tirés de la lecture des articles 1240 et 1241 du Code civil :

  • La responsabilité du fait personnel suppose toujours l’établissement d’une faute.
    • Peu importe la gravité de la faute
    • Ce qui compte, c’est que la faute soit caractérisée dans tous ses éléments
  • La distinction entre les articles 1240 et 1241 du Code civil n’a qu’une portée très faible.
    • L’article 1240 vise les délits, soit les faits illicites volontaires
    • L’article 1241 vise les quasi-délits, soit les faits illicites involontaires

?Le recul de l’exigence de faute

Initialement, les règles qui régissaient la responsabilité du fait personnel constituaient le droit commun de la responsabilité civile.

Aussi, l’exigence de la faute présidait à chacun des cas de responsabilité énumérés par le Code civil, de sorte que la responsabilité du fait des choses et la responsabilité du fait d’autrui n’étaient que des applications particulières de la responsabilité du fait personnel.

Le droit de la responsabilité était articulé de la manière suivante :

  • Principe général de responsabilité
    • Responsabilité du fait personnel
      • Les articles 1240 et 1241 (anciennement art. 1382 et 1383 C. civ. ) du Code civil posaient le principe général de responsabilité du fait personnel
      • Fondement : la faute
  • Cas particuliers de responsabilité
    • Responsabilité du fait d’autrui
      • L’article 1242 (anciennement 1384) énumérait, de façon exhaustive, les cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui
        • Responsabilité des parents du fait de leurs enfants
        • Responsabilité des maîtres et commettants du fait de leurs domestiques et préposés
        • Responsabilité des instituteurs et artisans du fait de leurs élèves et apprentis
      • Fondement : la faute
    • Responsabilité du fait des choses
      • Les articles 1243 à 1244 (anciennement 1385 à 1386) énuméraient, là encore limitativement, les cas particuliers de responsabilité du fait des choses
        • La responsabilité du fait des animaux
        • La responsabilité du fait des bâtiments en ruine
      • Fondement : la faute

Dès la fin du XIXe siècle, la jurisprudence se met à découvrir à l’alinéa 1er de l’ancien article 1384 du Code civil un principe général de responsabilité du fait des choses et de responsabilité du fait des autrui.

Cette découverte s’est accompagnée d’un mouvement d’objectivation de la responsabilité, en ce sens que les juges ont progressivement abandonné l’exigence de faute en matière de responsabilité du fait des choses et de responsabilité du fait d’autrui.

Nonobstant le recul de l’exigence de faute, comme le relève Philippe Brun, « le totem » de la responsabilité du fait personnel, n’en demeure pas moins toujours debout[1].

Ainsi, le principe responsabilité du fait personnel n’a nullement été entamé par le mouvement d’objectivation de la responsabilité, bien que la notion de faute ait, elle aussi, connu une profonde évolution.

I) La notion de faute

Le Code civil ne comporte aucune définition de la faute, bien que, en 1804, cette notion ait été envisagée comme l’élément central du droit de la responsabilité civile.

?Une notion de droit

La faute n’en demeure pas moins une notion de droit, en ce sens que la Cour de cassation exerce son contrôle sur sa qualification.

Ainsi, dans un arrêt de principe du 15 avril 1873, la haute juridiction a-t-elle estimé que « s’il appartient aux juges du fond de constater souverainement les faits d’où ils déduisent l’existence ou l’absence d’une faute délictuelle ou quasi délictuelle, la qualification juridique de la faute relève du contrôle de la cour de cassation » (Cass. 2e civ. 7 mars 1973, n°71-14.769)

Le contrôle opéré par la Cour de cassation sur la notion de faute se traduit :

  • D’une part, par la vérification que les juges du fond ont caractérisé la faute qu’ils entendent ou non retenir contre le défendeur indépendamment, de la constatation d’un dommage et de l’établissement du rapport de causalité
    • Autrement dit, les juges du fond ne sauraient déduire de la constatation d’un préjudice l’existence d’une faute
  • D’autre part, par la vérification que les juges du fond ont caractérisé la faute dans tous ses éléments à partir des circonstances de fait qu’ils ont souverainement appréciées.

?Définition

Certes, la Cour de cassation exerce son contrôle sur la notion de faute. Pour autant, elle n’a jamais jugé utile d’en donner une définition.

C’est donc à la doctrine qu’est revenue la tâche de définir la notion de faute.

La définition la plus célèbre nous est donnée par Planiol pour qui la faute consiste en « un manquement à une obligation préexistante »[2].

Ainsi, la faute s’apparente-t-elle, à une erreur de conduite, une défaillance.

Selon cette approche, le comportement de l’agent est fautif :

  • soit parce qu’il a fait ce qu’il n’aurait pas dû faire
  • soit parce qu’il n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire.

Manifestement, la définition proposée par le projet de réforme du droit de la responsabilité n’est pas très éloignée de cette conception.

La faute y est définie à l’article 1242 comme « la violation d’une règle de conduite imposée par la loi ou le manquement au devoir général de prudence ou de diligence ».

Immédiatement une question alors se pose : comment déterminer quels sont les règles et les devoirs dont la violation constitue une faute ?

Autrement dit, quel modèle de conduite doit-il servir de référence au juge pour que celui-ci détermine s’il y a eu ou non écart de comportement ?

Voilà une question à laquelle il est difficile de répondre, la notion de devoir général étant, par essence, relative.

À la vérité, comme le relève Philippe Brun, « définir la faute revient à répondre à la question par une question ».

Aussi, la faute se laisse-t-elle moins facilement définir qu’on ne peut la décrire, d’où la nécessité pour les juges de l’appréhender par l’entreprise de ses éléments constitutifs.

II) Éléments constitutifs de la faute

Traditionnellement, on présente la faute comme étant constituée de trois éléments :

  • Un élément matériel
  • Un élément légal
  • Un élément moral

A) L’élément matériel

Pour obtenir réparation du préjudice subi, cela suppose, pour la victime, de démontrer en quoi le comportement de l’auteur du dommage est répréhensible.

Aussi, ce comportement peut-il consister :

  • Soit en un acte positif : le défendeur a fait ce qu’il n’aurait pas dû faire
  • Soit en un acte négatif : le défendeur n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire

Lorsque le comportement reproché à l’auteur du dommage consiste en un acte négatif, soit à une abstention, la question s’est alors posée de savoir s’il ne convenait pas de distinguer l’abstention dans l’action de l’abstention pure et simple.

  • L’abstention dans l’action est celle qui consiste pour son auteur à n’être pas suffisamment précautionneux dans l’exercice de son activité
    • Exemple : un journaliste qui ne vérifierait pas suffisamment une information avant de la diffuser ou encore le notaire qui n’informerait pas ses clients sur les points importants de l’opération qu’ils souhaitent réaliser
    • L’abstention de l’auteur du dommage se confondrait avec la faute par commission. Elle devrait, en conséquence, être appréhendée de la même manière.
  • L’abstention pure et simple est celle qui ne se rattache à aucune activité déterminée. Le défendeur adopte une attitude totalement passive face à la survenance du dommage
    • Tandis que certains auteurs plaident pour que l’abstention pure et simple ne soit qualifiée de faute que dans l’hypothèse où le défendeur avait l’obligation formelle d’agir (obligation de porter secours, non dénonciation de crimes ou délits, l’omission de témoigner en faveur d’un innocent etc.)
    • Pour d’autres, il importe peu qu’une obligation formelle d’agir pèse sur le défendeur, dans la mesure où il serait, en soi, fautif pour un agent d’adopter un comportement passif, alors qu’il aurait pu éviter la survenance d’un dommage.

?La jurisprudence

Dans un arrêt Branly du 27 février 1951, la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que « la faute prévue par les articles 1382 et 1383 peut consister aussi bien dans une abstention que dans un acte positif » (Cass. civ., 27 févr. 1951).

Dans cette décision, la Cour de cassation ne semble pas distinguer l’abstention dans l’action de l’abstention pure et simple.

Arrêt Branly

(Cass. civ., 27 févr. 1951)

Toutefois, dans un arrêt du 18 avril 2000, tout porte à croire, selon la doctrine, qu’elle aurait finalement adopté cette distinction (Cass. 1ère civ., 18 avr. 2000, n°98-15.770).

La première chambre civile a, en effet, reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « comme il lui était demandé, quelle disposition légale ou réglementaire imposait » au propriétaire d’un immeuble de jeter des cendres ou du sable sur la chaussée en cas de verglas afin d’éviter que les passants ne glissent sur le trottoir.

Cass. 1re civ., 18 avr. 2000

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1382 du Code civil, ensemble l’article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que M. X…, blessé après avoir glissé sur le verglas recouvrant un trottoir à Suresnes, au droit de l’immeuble occupé par la société Télétota (la société), a fait assigner cette dernière en réparation de son dommage, ainsi que son assureur, la Mutuelle générale d’assurances (MGA), au motif qu’elle n’avait pas procédé au sablage ou au salage de la portion de trottoir dont l’entretien lui incombait ;

Attendu que pour déclarer la société responsable de l’accident, l’arrêt attaqué relève que la Ville de Suresnes apposait régulièrement une affiche rappelant aux riverains l’obligation, en cas de verglas, de jeter des cendres ou du sable sur la chaussée ;

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, quelle disposition légale ou réglementaire imposait de telles mesures, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 mars 1998, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Reims.

B) L’élément légal

Pour être fautif, encore faut-il que le comportement que l’on reproche à l’auteur du dommage consiste en un fait illicite.

Aussi, le comportement illicite peut-il consister :

  • Soit en la violation d’une norme
  • Soit en l’exercice abusif d’un droit

1. La violation d’une norme

Quels sont les obligations et devoirs dont la violation constitue un comportement illicite ?

Pour le déterminer, il convient, au préalable, de distinguer la faute pénale de la faute civile :

  • En droit pénal, conformément au principe de légalité posé aux articles 8 de la DDHC et 111-3 du Code pénal, la faute ne peut s’entendre que comme la violation d’un texte légale ou règlementaire (nullum crimen sine lege)
    • Autrement dit, la faute pénale ne saurait consister en une conduite qui ne serait incriminée par aucun texte.
  • En droit civil, le principe de légalité ne préside pas à l’appréciation de la faute, de sorte qu’il n’est pas nécessaire que l’obligation qui a fait l’objet d’une violation soit prévue par un texte.

L’étude de la jurisprudence révèle que les obligations dont la violation constitue une faute civile peuvent avoir plusieurs sources.

Il peut s’agir de :

  • La loi
  • Le règlement
  • La coutume
  • Les usages
  • Les bonnes mœurs
  • L’équité

Indépendamment de ces sources auxquelles la jurisprudence se réfère en permanence, il existerait, selon certains auteurs, un devoir général de ne pas nuire à autrui.

Ce devoir prendrait directement sa source dans l’article 1240 du Code civil.

2. L’exercice abusif d’un droit

La faute civile ne s’apparente pas seulement en la violation d’une obligation, elle peut également consister en l’exercice d’un droit. On dit alors qu’il y a abus de droit.

À partir de quand l’exercice d’un droit devient-il abusif ?

Pour la jurisprudence il convient de distinguer les droits discrétionnaires des droits relatifs.

?Les droits discrétionnaires

Il s’agit des droits subjectifs dont l’exercice ne connaît aucune limite.

Ils peuvent, autrement dit, être exercés sans que l’on puisse, en aucune façon, reprocher à leur titulaire un abus.

L’exercice d’un droit discrétionnaire ne peut, en conséquence, jamais donner lieu à réparation, pas même lorsque cela cause à autrui un dommage.

On justifie l’immunité accordée aux titulaires de droits discrétionnaire par le fait que, si on en limitait l’exercice, cela reviendrait à priver ces droits de leur effectivité.

Exemple :

  • Le droit moral dont jouit un auteur sur son œuvre
  • Le droit d’exhéréder ses successibles
  • Le droit d’acquérir la mitoyenneté d’un mur
  • Le droit des ascendants de faire opposition au mariage

?Les droits relatifs

Parmi les droits relatifs, il convient de distinguer les droits dont l’exercice connaît pour seule limite l’intention de nuire de leur titulaire de ceux dont le seul exercice excessif suffit à caractériser l’abus :

  • Les droits dont l’exercice est limité par l’intention de nuire
    • Lorsque certains droits subjectifs sont exercés dans le seul dessein de nuire, la jurisprudence estime que l’abus est susceptible d’être caractérisé.
    • La victime est alors fondée à obtenir réparation de son préjudice.
  • Les droits dont la limite réside dans le seul exercice excessif
    • La jurisprudence estime que l’exercice de certains droits subjectifs n’est pas seulement limité par l’intention de nuire.
    • Ces droits sont susceptibles de dégénérer en abus dès lors que leur exercice est jugé déraisonnable
      • Exemples :
        • L’abus d’ester en justice (Cass. crim. 13 nov. 1969)
        • L’abus de majorité dans le cadre d’une délibération sociale (Cass. 3e civ., 18 avr. 1961, n°59-11.394)
        • L’abus de rompre les pourparlers dans le cadre de la négociation d’un contrat (Cass. 3e civ., 3 oct. 1972, n°71-12.993)

Arrêt Clément-Bayard

(Cass. req. 3 août 1915)

Sur le moyen de pourvoi pris de la violation des articles 544 et suivants, 552 et suivants du code civil, des règles du droit de propriété et plus spécialement du droit de clore, violation par fausse application des articles 1388 et suivants du code civil, violation de l’article 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et de base légale.

Attendu qu’il ressort de l’arrêt attaqué que Coquerel a installé sur son terrain attenant à celui de Clément-Bayard, des carcasses en bois de seize mètres de hauteur surmontées de tiges de fer pointues ; que le dispositif ne présentait pour l’exploitation du terrain de Coquerel aucune utilité et n’avait été érigée que dans l’unique but de nuire à Clément-Bayard, sans d’ailleurs, à la hauteur à laquelle il avait été élevé, constituer au sens de l’article 647 du code civil, la clôture que le propriétaire est autorisé à construire pour la protection de ses intérêts légitimes ; que, dans cette situation des faits, l’arrêt a pu apprécier qu’il y avait eu par Coquerel abus de son droit et, d’une part, le condamner à la réparation du dommage causé à un ballon dirigeable de Clément-Bayard, d’autre part, ordonner l’enlèvement des tiges de fer surmontant les carcasses en bois.

Attendu que, sans contradiction, l’arrêt a pu refuser la destruction du surplus du dispositif dont la suppression était également réclamée, par le motif qu’il n’était pas démontré que ce dispositif eût jusqu’à présent causé du dommage à Clément-Bayard et dût nécessairement lui en causer dans l’avenir.

Attendu que l’arrêt trouve une base légale dans ces constatations ; que, dûment motivé, il n’a point, en statuant ainsi qu’il l’a fait, violé ou faussement appliqué les règles de droit ou les textes visés au moyen.

Par ces motifs, rejette la requête, condamne le demandeur à l’amende.

C) L’élément moral

L’exigence qui tient à l’élément moral de la faute renvoie à deux problématiques qu’il convient de bien distinguer :

  • La faute doit-elle être intentionnelle pour engager la responsabilité de son auteur ?
  • La faute doit-elle être imputable à l’auteur du dommage ?

1. L’indifférence quant au caractère intentionnel de la faute

Contrairement à la faute pénale qui, dans de nombreux cas, exige une intention de son auteur, la faute civile n’est pas nécessairement intentionnelle.

Cette indifférence quant au caractère intentionnel de la faute civile se déduit des articles 1240 et 1241 du Code civil, lesquels n’exigent pas que le défendeur ait voulu le dommage.

Aussi, la faute intentionnelle se distingue-t-elle d’une faute volontaire quelconque en ce sens que l’auteur n’a pas seulement voulu l’acte fautif, il a également voulu la production du dommage.

À la vérité, en droit de la responsabilité civile, peu importe la gravité de la faute.

Qu’il s’agisse d’une simple faute, d’une faute lourde ou bien encore d’une faute intentionnelle, elles sont sanctionnées de la même manière, en ce sens que la victime devra être indemnisée conformément au principe de réparation intégrale.

Il en résulte que le juge ne saurait évaluer le montant des dommages et intérêts alloués à la victime en considération de la gravité de la faute.

Seul le principe de réparation intégrale doit présider à l’évaluation effectuée par le juge et non la gravité de la faute commise par l’auteur du dommage.

Si l’existence d’une faute intentionnelle ne saurait conduire à l’octroi de dommages et intérêts supplémentaires à la faveur de la victime, elle n’est, toutefois, pas sans conséquence pour l’auteur du dommage.

?Droit des assurances

  • Exclusion de garantie
    • Aux termes de l’article L. 113-1 du Code des assurances « l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ».
    • La qualification ou non de faute intentionnelle revêt ainsi une importance particulière pour l’auteur du dommage.
    • Dans l’hypothèse où une faute intentionnelle serait retenue contre ce dernier, il ne sera pas assuré, si bien que la réparation du dommage sera à sa charge.
  • Définition jurisprudentielle
    • Dans un arrêt du 27 mai 2003, la Cour de cassation a estimé que « la faute intentionnelle implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu » (Cass. 1re civ., 27 mai 2003, n°01-10.478 et 01-10.747).
    • Il ressort de cette jurisprudence une conception pour le moins restrictive de la faute intentionnelle
    • La faute intentionnelle n’est caractérisée que :
      • Lorsque l’auteur de la faute a eu conscience des risques occasionnés par sa conduite
      • Lorsque l’auteur de la faute a eu la volonté de produire le dommage
    • Ces deux critères sont cumulatifs
  • Contrôle de la Cour de cassation
    • Compte tenu des conséquences juridiques que la qualification de faute intentionnelle implique en droit des assurances, on était légitimement en droit d’attendre que la Cour de cassation exerce un contrôle sur cette qualification.
    • Toutefois, elle s’y est refusée dans un arrêt du 4 juillet 2000 estimant que « l’appréciation par les juges du fond du caractère intentionnel d’une faute, au sens de l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances, est souveraine et échappe au contrôle de la Cour de cassation » (Cass. 1re civ., 4 juill. 2000, n°98-10.744).
    • Dans un arrêt du 23 septembre 2004 elle semble néanmoins avoir rétabli son contrôle en rappelant aux juges du fond la définition à laquelle ils devaient se référer quant à qualifier une conduite de faute intentionnelle (Cass. 2e civ., 23 sept. 2004, n°03-14.389)
    • Dans cette décision la Cour de cassation reproche à une Cour d’appel de n’avoir pas précisé « en quoi la faute qu’elle retenait à l’encontre de l’assuré supposait la volonté de commettre le dommage tel qu’il s’est réalisé ».
    • Ainsi, la Cour de cassation peut-elle empêcher que les juges du fond, guidés par un souci d’équité et surtout de sanction, ne privent les victimes de dommages et intérêt, sans rechercher si l’auteur de la faute avait bien recherché la production du dommage.

Cass. 2e civ., 23 sept. 2004

Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 113-1 du Code des assurances, ensemble l’article 1134 du Code civil ;

Attendu que pour refuser aux ayants-droits de Manuel X… Y… Z…, artisan-maçon, le bénéfice de la garantie décès prévue par le contrat d’assurance de groupe souscrit auprès de la compagnie Norwitch Union life insurance, aux droits de laquelle succède la SA Aviva courtage, l’arrêt attaqué relève que le jour de son décès accidentel sur un chantier, Manuel Y… Z… était en arrêt de travail ;

qu’il rappelle que selon l’article 1134 du Code civil, les conventions doivent être exécutées de bonne foi et énonce que Manuel Y… Z…, en continuant à assumer son activité professionnelle au cours de laquelle, il a été victime d’un accident dont il est décédé, alors qu’il était en incapacité totale de travail, a commis une faute dolosive, ce qui exclut toute bonne foi de sa part dans l’exécution du contrat puisque, percevant des indemnités pour arrêt de travail, il s’exposait, dans la poursuite de son activité rémunérée, à un accident pouvant entraîner son décès ; que dès lors les consorts Y… Z… se trouvent déchus de tout droit à perception du capital décès souscrit par Manuel Y… Z… ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi la faute qu’elle retenait à l’encontre de l’assuré supposait la volonté de commettre le dommage tel qu’il s’est réalisé, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 février 2003, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée

2. L’abandon de l’exigence d’imputabilité de la faute

?Notion d’imputabilité

Traditionnellement, on estime qu’il ne suffit pas qu’une faute ait été commise pour que la responsabilité de son auteur soit engagée, encore faut-il qu’elle lui soit imputable.

Aussi, l’imputabilité implique que l’auteur du dommage soit doué de discernement. Autrement dit, il doit avoir conscience de ses actes, soit être capable de savoir s’il commet ou non un écart de conduite.

L’auteur du dommage doit, en somme, être en mesure de distinguer le bien du mal.

?Situation en 1804

En 1804, la faute devait nécessairement être imputable à l’auteur du dommage pour que sa responsabilité puisse être engagée.

La faute ne se concevait pas en dehors de son élément psychologique. Pour les rédacteurs du Code civil, la responsabilité civile avait essentiellement une fonction punitive. Or une punition ne peut avoir de sens que si son destinataire a conscience de la faute commise.

Aussi, tant la jurisprudence, que la doctrine n’envisageaient pas qu’une faute puisse être reprochée à l’auteur d’un dommage sans qu’il soit doué de discernement.

Pour établir la faute, la victime devait dès lors rapporter la preuve de deux éléments :

  • Un fait illicite
  • La faculté de discernement de l’auteur du dommage

L’exigence d’imputabilité excluait, dès lors, du champ d’application de l’ancien article 1382 du Code civil les personnes qui, par définition, ne sont pas douées de discernement :

  • Les aliénés mentaux (Cass. crim., 10 mai 1843)
  • Les enfants en bas âges (Cass. 2e civ., 30 mai 1956)

Il en résultait que chaque fois qu’un dommage était causé par un aliéné mental ou un enfant en bas âge, la victime était privée d’indemnisation.

Guidé par un souci d’indemnisation des victimes, il a fallu attendre la fin des années soixante pour que l’exigence d’imputabilité de la faute soit progressivement abandonnée.

Ce mouvement a concerné :

  • D’abord, les déments
  • Ensuite, les enfants en bas âge

?L’abandon de l’exigence d’imputabilité de la faute pour les déments

  • Intervention du législateur
    • Une première étape tendant à l’abandon de l’exigence d’imputabilité a été franchie par la loi du 2 janvier 1968 qui a introduit un article 489-2 dans le Code civil, devenu aujourd’hui l’article 414-3.
    • Aux termes de cette disposition, « celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation ».
    • Ainsi, la loi admet-elle qu’il n’est plus nécessaire que la faute soit imputable à l’auteur du dommage lorsqu’il s’agit d’une personne atteinte d’un trouble mental.
  • Réception par la jurisprudence
    • Bien que le législateur ait signifié, par l’adoption de la loi du 2 janvier 1968, son intention de rompre avec la conception classique de la faute, la jurisprudence s’est, dans un premier temps, livrée à une interprétation pour le moins restrictive de l’ancien article 489-2 du Code civil.
    • Deux questions se sont en effet immédiatement posées à la jurisprudence :
      • La notion de trouble mental à laquelle fait référence le texte comprend-elle également les troubles physiques ?
      • Le trouble mental peut-il être assimilé à l’absence de discernement dont est frappé l’enfant en bas âge ?
    • S’agissant de l’assimilation du trouble physique à un trouble mental
      • Dans un arrêt du 4 février 1981, la Cour de cassation a reproché à une Cour d’appel d’avoir estimé que le « bref passage de la connaissance à l’inconscience constituait un trouble mental » (Cass. 2e civ., 4 févr. 1981, n°79-11.243).
      • Ainsi, ressort-il de cet arrêt que lorsque le trouble dont a été victime l’auteur du dommage est de nature seulement physique, sans incidence mentale, il faille exclure l’application de l’article 414-3 du Code civil, bien que la portée de cette jurisprudence demeure, pour certains auteurs, incertaine.

Cass. 2e civ., 4 févr. 1981

Vu l’article 489-2 du code civil,

Attendu qu’il est nécessaire que, pour être oblige à réparation en vertu de ce texte, celui qui a causé un dommage à autrui ait été sous l’emprise d’un trouble mental; attendu, selon l’arrêt attaqué, que Vaujany, victime d’un malaise cardiaque, perdit connaissance et tomba sur dame x… qu’il entraina dans sa chute; que dame x…, blessée, l’a assigne en paiement de dommages-intérêts;

Attendu que, pour déclarer Vaujany responsable du dommage en application de l’article 489-2 du code civil, l’arrêt énonce que son bref passage de la connaissance à l’inconscience constituait un trouble mental; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé;

Par ces motifs :

Casse et annule l’arrêt rendu entre les parties le 4 décembre 1978 par la cour d’appel de Grenoble; remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Chambéry.

    • S’agissant de l’assimilation du trouble mental à l’absence de discernement de l’enfant en bas âge
      • Dans un premier temps, la Cour de cassation a refusé d’assimiler l’absence de discernement de l’enfant en bas âge à un trouble mental
      • Ainsi dans un arrêt du 7 décembre 1977, la deuxième chambre civile a-t-elle réaffirmé le principe d’irresponsabilité des enfants en bas âges (Cass. 2e civ., 7 déc. 1977, n°76-12.046).
      • En d’autres termes, dans l’hypothèse où le mineur est privé de discernement uniquement en raison de son âge, pour la Cour de cassation l’exigence d’imputabilité est toujours requise, à défaut de quoi sa responsabilité ne saurait être engagée.
      • Dans une décision du 20 juillet 1976, la Cour de cassation a néanmoins précisé que l’ancien article 489-2 du Code civil avait vocation à s’appliquer aux mineurs, à condition que l’existence d’un trouble mental soit établie (Cass. 1re civ., 20 juill. 1976, n°74-10.238).

Cass. 1re civ., 20 juill. 1976

Sur le moyen unique : attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt confirmatif attaque que, le 11 juin 1970, j – c – ,alors âge de 17 ans, a donné la mort à la mineure Annick x… ;

Que l’information pénale ouverte contre lui, du chef d’homicide volontaire, à été clôturée par une ordonnance de non-lieu, en raison de son état de démence au moment des faits ;

Que la cour d’appel a retenu sa responsabilité civile, sur le fondement de l’article 489-2 du code civil, et a condamné in solidum son père, es qualités d’administrateur légal, et la compagnie la Winterthur, assureur de celui-ci, à payer des dommages-intérêts a dame y…, mère de la victime ;

Attendu qu’il est fait grief aux juges du fond d’avoir ainsi statue, alors que le texte précité résulte de la loi du 3 janvier 1968, portant réforme du droit des incapables majeurs, et figure dans une rubrique intitulée de la majorité et des majeurs qui sont protèges par la loi ;

Que, puisque a la différence des articles 1382 et 1383, qui n’ont pas été abrogés ou modifiés, il n’exige plus la constatation d’une faute imputable a l’auteur du dommage, pour que la responsabilité de celui-ci soit engagée, il est nécessairement d’interprétation restrictive ;

Que, des lors, il ne saurait recevoir application dans le cas d’un mineur en état de démence ;

Mais attendu que la cour d’appel retient, a bon droit, que l’obligation a réparation prévue a l’article 489-2 du code civil concerne tous ceux – majeurs ou mineurs – qui, sous l’empire d’un trouble mental, ont causé un dommage à autrui ;

Que le moyen n’est donc pas fonde ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 16 novembre 1973 par la cour d’appel de Caen

Faits :

  • Un adolescent donne la mort à une mineure à la suite de quoi sa culpabilité pénale ne sera pas retenue en raison de son état de démence

Demande :

Assignation des ayants droit de la victime en responsabilité

Procédure :

  • Dispositif de la décision rendue au fond :
    • Par un arrêt du 16 novembre 1976 la Cour d’appel de Caen fait droit à la demande des ayants droit de la victime et condamne in solidum le père et l’assureur de l’auteur du dommage
  • Motivation des juges du fond :
    • Les juges du fond estiment que l’obligation de réparation prévue à l’article 489-2 du Code civil s’appliquerait tant aux majeurs qu’aux mineurs
    • Or, en l’espèce, la Cour d’appel relève que l’auteur du dommage était sous l’emprise d’un trouble mental celui-ci ayant bénéficié d’un non-lieu en raison de son état de démence
    • Elle fait dès lors application de l’article 489-2 du Code civil

Moyens des parties :

Le représentant de l’auteur du dommage soutient que l’article 489-2 du Code civil ne s’appliquerait qu’aux majeurs souffrant d’un trouble mental puisqu’il a été inséré dans la partie du Code relative aux majeurs protégés.

Il en résulte que l’article 489-2 du Code civil n’aurait pas vocation à s’appliquer aux mineurs souffrant d’un trouble mental.

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était de savoir si l’article 489-2 du Code civil avait vocation à s’appliquer à un mineur atteint d’un trouble mental.

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt :
    • Par un arrêt du 20 juillet 1976, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le représentant légal de l’auteur du dommage
  • Sens de l’arrêt :
    • La Cour de cassation estime que l’article 489-2 du Code civil a vocation à s’appliquer, sans distinction, tant aux majeurs qu’aux mineurs, dès lors qu’il est établi qu’ils souffrent d’un trouble mental
  • Analyse de l’arrêt
    • Comme le relève très finement le pourvoi, l’article 489-2 du Code civil apporte une exception à l’article 1382, dans la mesure où il vient supprimer l’exigence d’imputabilité de la faute, soit son élément subjectif pour les personnes souffrant d’un trouble mental
    • Or il est traditionnellement admis en droit que les exceptions sont d’interprétation stricte.
    • Dès lors, dans la mesure où l’article 489-2 a été intégré dans le corpus juridique relatif à la protection des majeurs protégés, une interprétation stricte de cette disposition aurait supposé de limiter son application aux seuls majeurs.
    • C’est la raison pour laquelle la décision de la Cour d’appel est pour le moins audacieuse, car elle a fait une interprétation large de l’article 489-2 en l’appliquant au-delà du champ des majeurs protégés, soit aux mineurs souffrant d’un trouble mental.
    • La Cour de cassation recourt à la formule « à bon droit » afin de valider cette position audacieuse qui n’allait pas de soi.

?L’abandon de l’exigence d’imputabilité de la faute pour les enfants en bas âge

Guidée par un souci de généraliser la conception objective de la faute, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a décidé, dans une série d’arrêts rendus le 9 mai 1984, d’abandonner définitivement l’exigence d’imputabilité.

Pour y parvenir, bien que la haute juridiction, aurait pu se fonder sur une interprétation extensive de l’ancien article 489-2 du Code civil, telle n’est pas la voie qu’elle a choisi d’emprunter.

Dans l’arrêt Derguini du 9 mai 1984, elle a, en effet, affirmé, sans référence au texte applicable aux déments qu’il n’y avait pas lieu de vérifier si le mineur, auteur du dommage, était capable de discerner les conséquences de ses actes (Cass. ass. plén., 9 mai 1984, n°80-93.481)

Ainsi, l’exigence d’imputabilité disparaît-elle, laissant place à une conception purement objective de la faute.

Cass. ass. plén., 9 mai 1984

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nancy, 9 juillet 1980), statuant sur renvoi après cassation, que la jeune Fatiha X…, alors âgée de 5 ans, a été heurtée le 10 avril 1976 sur un passage protégé et a été mortellement blessée par une voiture conduite par M. Z… ; que, tout en déclarant celui-ci coupable d’homicide involontaire, la Cour d’appel a partagé par moitié la responsabilité des conséquences dommageables de l’accident ;

Attendu que les époux X… Y… font grief à l’arrêt d’avoir procédé à un tel partage alors, selon le moyen, que, d’une part, le défaut de discernement exclut toute responsabilité de la victime, que les époux X… soulignaient dans leurs conclusions produites devant la Cour d’appel de Metz et reprises devant la Cour de renvoi que la victime, âgée de 5 ans et 9 mois à l’époque de l’accident, était beaucoup trop jeune pour apprécier les conséquences de ses actes ; qu’en ne répondant pas à ce chef péremptoire des conclusions, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ; alors, d’autre part, et en tout état de cause, que la Cour d’appel n’a pu, sans contradiction, relever, d’un côté, l’existence d’une faute de la victime et, d’un autre côté, faire état de l’irruption inconsciente de la victime ; alors, enfin, que la Cour d’appel relève que l’automobiliste a commis une faute d’attention à l’approche d’un passage pour piétons sur une section de route où la possibilité de la présence d’enfants est signalée par des panneaux routiers, qu’ayant remarqué de loin les deux fillettes sur le trottoir, il n’a pas mobilisé son attention sur leur comportement ; qu’en ne déduisant pas de ces énonciations l’entière responsabilité de M. Z…, la Cour d’appel n’a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s’en évinçaient nécessairement ;

Mais attendu qu’après avoir retenu le défaut d’attention de M. Z… et constaté que la jeune Fatiha, s’élançant sur la chaussée, l’avait soudainement traversée malgré le danger immédiat de l’arrivée de la voiture de M. Z… et avait fait aussitôt demi-tour pour revenir sur le trottoir, l’arrêt énonce que cette irruption intempestive avait rendu impossible toute manoeuvre de sauvetage de l’automobiliste ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la Cour d’appel, qui n’était pas tenue de vérifier si la mineure était capable de discerner les conséquences de tels actes, a pu, sans se contredire, retenir, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, que la victime avait commis une faute qui avait concouru, avec celle de M. Z…, à la réalisation du dommage dans une proportion souverainement appréciée ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé

Faits :

Une petite fille décède après avoir été violemment heurtée par une voiture dont le chauffeur n’a pas pu éviter l’accident, en raison de la soudaineté de l’engagement de la victime sur la chaussée.

Demande :

Les parents de la petite fille décédée demandent réparation du préjudice occasionné.

Procédure :

  • Dispositif de la Cour d’appel :
    • Par un arrêt de la Cour d’appel de Nancy rendu en date du 9 juillet 1980, les juges du fond décident d’un partage de responsabilité entre l’auteur du dommage et la victime.
  • Motivation de la Cour d’appel :
    • Les juges du fond estiment que, quand bien même la victime était privée de discernement en raison de son jeune âge, elle n’en a pas moins commis une faute en s’engageant précipitamment sur la chaussée.

Moyens des parties :

  • Contenu du moyen :
    • L’existence d’une faute civile suppose la caractérisation d’un élément moral.
    • Or en l’espèce la victime était privée de discernement en raison de son jeune âge. Elle n’a donc pas pu commettre aucune faute.
    • La faute commise par le conducteur du véhicule est seule génératrice du dommage occasionné à la victime

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt :
    • Par un arrêt du 9 mai 1984, l’assemblée plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les parents de la victime.
  • Sens de l’arrêt :
    • Les juges de la Cour de cassation estiment que, quand bien même la victime était privée de discernement compte tenu de son jeune âge, sa conduite n’en était pas moins fautive
    • La décision de la Cour d’appel de partager la responsabilité entre l’auteur du dommage et la victime était donc justifiée.

Analyse de l’arrêt :

Pour mémoire, traditionnellement, il était admis que la responsabilité pour faute poursuivait une double fonction :

  • Réparatrice
  • Punitive

Eu égard à cette double finalité de la responsabilité pour faute, on ne pouvait donc engager la responsabilité d’un mineur dépourvu de discernement, c’est-à-dire d’un infans ou d’un dément pour faute dans la mesure où il n’y aurait alors poursuite que d’une seule des finalités de la responsabilité pour faute : la réparation.

Engager la responsabilité pour faute d’un infans ou d’un dément n’aurait donc eu aucun sens car aucun effet normatif : on ne peut reprocher moralement ses actes à un homme que s’il a été capable de vouloir son comportement, s’il a eu la possibilité d’en adopter un autre.

Dans cette conception morale de la faute civile, la faute réside précisément dans le fait de ne pas avoir usé de cette possibilité.

Ainsi cette conception traditionnelle de la faute exigeait-elle la réunion de deux éléments cumulatifs pour que la faute civile soit caractérisée :

  • Un élément objectif : un fait illicite
  • Un élément subjectif : la capacité de discernement de l’auteur de la faute.

C’est cette exigence d’imputabilité de la faute qui est précisément remise en cause par la Cour de cassation dans l’arrêt Derguini.

Dorénavant, il n’est plus besoin que la faute soit IMPUTABLE à son auteur pour être caractérisée.

Autrement dit, depuis cette jurisprudence posée par l’assemblée plénière en 1984, la faute civile ne suppose plus que l’établissement d’un fait illicite, soit d’un écart de conduite.

Que penser de cette décision ?

  • Positivement
    • Dans une logique favorable à ce que de plus en plus de dommages donnent lieu à réparation, cette solution doit être défendue.
      • Si l’on se place du côté de la victime : peu importe que l’acte ayant causé le dommage soit le fait
        • d’un adulte
        • d’un dément
        • d’un enfant
      • Dès lors, qu’est établi un fait illicite, le dommage doit être réparé.
      • Aussi, en n’exigeant plus l’imputabilité de la faute, on assouplit considérablement les conditions de la responsabilité.
      • Les juges de la Cour de cassation s’inscrivent clairement dans le mouvement qui tend à vouloir toujours plus indemniser les victimes.
      • Objectivation de la responsabilité.
  • Négativement
    • Dans les arrêts rendus par l’assemblée plénière (notamment Derguini et Lemaire), il ne s’agit nullement d’indemniser une victime du fait d’un enfant, mais au contraire de limiter l’indemnisation due à l’enfant en lui opposant sa faute laquelle a concouru à la production de son propre dommage
      • Il y a donc là un paradoxe : la reconnaissance de la faute objective qui doit permettre de poursuivre un objectif de réparation a pour effet, non pas d’indemniser plus mais d’indemniser moins.
      • Car la participation du mineur au dommage par sa faute réduira son droit à réparation.
      • En retenant une approche objective de la faute, la Cour de cassation va permettre à l’auteur du dommage de s’exonérer plus facilement de sa responsabilité
      • Cela s’explique par le fait que la caractérisation de la faute permet certes de retenir la responsabilité de l’auteur d’un dommage, mais elle permet également de l’en exonérer si cette faute est commise par la victime de ce dommage
    • Autre point négatif de cette jurisprudence : le sens commun des termes semble s’opposer à ce que l’on parle de faute d’un dément ou d’un enfant de trois ans ou 5 ans comme c’était le cas dans l’arrêt Derguini.
      • Peut-on raisonnablement penser que l’enfant en bas âge qui traverse la route précipitamment commet une faute ?

En tout état de cause, la jurisprudence a adopté une définition objective de la faute : on peut être fautif sans pour autant avoir conscience de la portée de ses actes.

Désormais, tant pour les majeurs que pour les mineurs, le doute n’était plus permis : leur absence de discernement, soit l’impossibilité de pouvoir établir à leur encontre une faute imputable, n’est plus un obstacle à l’indemnisation de la victime, sitôt rapportée par cette dernière la preuve d’un écart de conduite.

Débarrassée de l’exigence d’imputabilité, la faute ne repose plus que sur le comportement déviant de l’agent. C’est la raison pour laquelle on la qualifie de faute objective

?Avant-projet de réforme

Il peut être observé que l’article 1255 de l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité extracontractuelle prévoit que « La faute de la victime privée de discernement n’a pas d’effet exonératoire. »

III) L’appréciation de la faute

La reconnaissance d’une faute à l’encontre de l’auteur d’un dommage suppose pour la victime d’établir l’existence d’un écart de conduite.

Or pour y parvenir, encore faut-il savoir à quel modèle de comportement doit-on se référer afin de déterminer s’il y a eu ou non écart de conduite.

Deux méthodes d’appréciation sont envisageables :

  • La méthode d’appréciation in concreto,
    • Selon cette méthode, il convient de tenir compte des seules circonstances de la cause pour apprécier la faute de l’auteur du dommage
    • Autrement dit, selon l’appréciation in concreto, l’écart de conduite sera apprécié en considération des seules aptitudes propres de la personne mise en cause.
    • Cela revient à comparer la conduite de l’auteur du dommage à celle que l’on était légitimement en droit d’attendre de sa part, eu égard à ce dont il est usuellement capable.
    • L’appréciation in concreto conduit à apprécier la faute subjectivement.
  • La méthode d’appréciation in abstracto
    • Selon cette méthode, il convient de faire abstraction des circonstances de la cause
    • En d’autres termes, selon l’appréciation in abstracto, l’écart de conduite est apprécié en se référant à un modèle de conduite objectif, soit le comportement qu’aurait adopté le bon père de famille.
    • Ainsi, le modèle de comportement auquel l’appréciation in abstracto conduit à se référer est invariable d’un cas d’espèce à l’autre. Il aura vocation à s’appliquer à n’importe quelle cause, peu importent les aptitudes de la personne mise en cause.
    • Cela revient donc à comparer la conduite de l’auteur du dommage à la conduite que l’on était légitimement en droit d’attendre d’un bon père de famille.
    • L’appréciation in abstracto conduit à apprécier la faute objectivement, indépendamment de la prise en compte de critères subjectifs.
    • Le bon père de famille ne s’apparente pas à un homme parfait. Il s’agit seulement d’un homme raisonnable, qui n’est pas à l’abri de toute erreur

?Méthode d’appréciation retenue par la jurisprudence

  • Principe
    • C’est, sans aucun doute, la méthode d’appréciation in abstracto que la jurisprudence retient pour apprécier la faute civile de l’auteur d’un dommage.
    • Aussi, cela signifie-t-il que les juges vont se référer au modèle du bon père de famille afin d’apprécier l’écart de conduite de la personne mise en cause.
    • Est-ce à dire que le modèle de conduite auquel va être comparé le comportement de l’auteur du dommage est invariable, sans possibilité de tenir compte de certaines circonstances de la cause ?
  • Atténuation
    • Afin de ne pas risquer qu’une application trop rigide de la méthode d’appréciation in abstracto ne conduise les juges à être, tantôt trop exigeants (si l’on est en présence d’une personne pourvue d’aptitudes inférieures à la moyenne), tantôt trop laxistes (si l’on est en présence d’une personne dotée d’aptitudes particulières), la Cour de cassation admet que certaines circonstances de la cause soient susceptibles d’être prises en compte afin d’apprécier l’écart de conduite de l’auteur du dommage (aptitude professionnelle, condition physique, voire même parfois l’âge de la personne)

?Appréciation de la faute de l’infans

Comme cela a été évoqué précédemment, une fois que l’on a admis que le discernement n’était pas nécessaire pour que la faute civile soit caractérisée, reste à déterminer le modèle de conduite auquel on doit comparer le comportement de l’enfant pour savoir si son comportement est normal ou non.

La faute – en particulier non-intentionnelle – peut en effet se définir de manière très large comme un écart de comportement, un comportement anormal, ce qui exige la détermination d’un modèle de référence auquel comparer le comportement de l’auteur du dommage.

Concernant l’aliéné, la question relativement facile à trancher : l’aliénation mentale est une pathologie.

Aussi, dès lors que l’on estime que le discernement n’est pas n’est pas un élément constitutif de la faute, il suffit de se référer au modèle de conduite d’une personne similaire mais non atteinte d’une telle pathologie.

On enlève le pathologique et on retrouve une situation normale qui permet de porter un jugement de valeur sur le comportement de l’aliéné.

La situation du mineur est, quant à elle, pour le moins différente.

Et pour cause, son absence de discernement n’est pas une pathologie : c’est la situation normale de l’enfant.

Une fois admis que l’absence de discernement n’exclut pas la reconnaissance de la culpabilité civile, il convient de se demander à quel modèle confronter le comportement de l’infans.

Si l’on raisonne comme pour l’aliéné, on sera alors tenté de le comparer au comportement du bon enfant de son âge, c’est-à-dire de l’enfant normal.

Le problème, c’est que l’enfant de 5 ans normal est dépourvu de discernement. Il n’a pas parfaitement conscience de la portée de ses actes.

Il est donc normal qu’il ait des comportements imprudents et qu’il traverse la route sans regarder.

Il n’est également pas anormal, qu’un enfant de huit ans qui joue à cache-cache sous une table, puis surgisse de sous cette table en hurlant gagné et en renversant, par là même, une casserole d’eau bouillante sur l’un de ses camarades.

Dans ces conditions, comment apprécier la faute de l’enfant ? Doit-on adopter la méthode de l’appréciation in abstracto et se référer au modèle de conduite du bon père de famille ?

Dans un arrêt du 28 février 1996 la Cour de cassation a répondu par la positive à cette question (Cass. 2e civ., 28 févr. 1996, n°94-13.084).

Ainsi a-t-elle reproché à une Cour d’appel d’avoir décidé que « le comportement de l’enfant, compte tenu de son jeune âge, ne peut être considéré comme constituant une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage puisqu’il était parfaitement prévisible et naturel dans le contexte au cours duquel il s’est produit ».

Cass. 2e civ., 28 févr. 1996

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu que la faute d’un mineur peut être retenue à son encontre même s’il n’est pas capable de discerner les conséquences de son acte ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que Sonia Y…, âgée de 8 ans, confiée pour une soirée à M. Bernard X…, et qui jouait sous une table, s’est brusquement relevée, s’est mise à courir et, ayant heurté David X…, fils mineur de Bernard X…, qui transportait une casserole d’eau bouillante, a subi des brûlures ; qu’en son nom Mme Y… a demandé réparation de son préjudice à M. Bernard X… et à son assureur, le Groupe des populaires d’assurances ;

Attendu que, pour retenir la responsabilité entière de M. Bernard X… et exclure toute faute de la victime, l’arrêt, par motifs adoptés, énonce que le comportement de l’enfant, compte tenu de son jeune âge, ne peut être considéré comme constituant une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage puisqu’il était parfaitement prévisible et naturel dans le contexte au cours duquel il s’est produit ;

Qu’en statuant par de tels motifs, alors qu’un tel comportement constituait une faute ayant concouru à la réalisation du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 janvier 1994, entre les parties, par la cour d’appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Dijon

Faits :

Partie de cache-cache entre enfants. L’un d’eux caché sous une table surgit et bouscule l’un de ses camarades, lequel lui renverse dessus une casserole d’eau bouillante.

Demande :

Action en réparation du préjudice

Procédure :

  • Dispositif de la Cour d’appel :
    • Par un arrêt du 27 janvier 1994, la Cour d’appel de Besançon condamne le représentant légal de l’auteur du dommage à réparer intégralement le préjudice.
  • Motivation de la Cour d’appel :
    • Les juges du fond estiment qu’aucune faute n’a été commise par la victime de sorte que l’auteur du dommage ne saurait s’exonérer de sa responsabilité.

Solution de la Cour de cassation :

Par un arrêt du 28 février 1996, la Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel

Deux enseignements peuvent être retirés de cette décision :

  • Premier point
    • La cour de cassation estime dans cet arrêt qu’une faute civile peut être retenue à l’encontre d’un enfant en bas âge quand bien même il est privé de discernement
    • Autrement dit, il s’agit là d’une confirmation de la jurisprudence Derguini et Lemaire de 1984
    • La Cour de cassation réitère sa volonté d’abandonner l’exigence d’imputabilité de la faute
    • Elle affirme en ce sens dans un attendu de principe explicite que « la faute d’un mineur peut être retenue à son encontre même s’il n’est pas capable de discerner les conséquences de son acte ».
  • Second point
    • La Cour de cassation nous renseigne dans l’arrêt en l’espèce sur la méthode d’appréciation de la faute de l’infans.
    • Les juges du fond avaient, en effet, refusé de retenir une faute à l’encontre de l’enfant, estimant que « le comportement de l’enfant, compte tenu de son jeune âge, ne peut être considéré comme constituant une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage puisqu’il était parfaitement prévisible et naturel dans le contexte au cours duquel il s’est produit ».
    • La Cour d’appel s’était ainsi livrée à une appréciation in concreto de la faute de l’enfant, à tout le moins elle avait pris en considération son bas âge.
    • Autrement dit, elle apprécie le comportement de l’enfant « défaillant » par rapport à un enfant normal
    • De cette comparaison, elle en déduit que le comportement de l’infans mis en cause était bel et bien normal, car, selon ses termes, « parfaitement prévisible et naturel ».
    • De toute évidence, la solution retenue par les juges du fond est contraire à l’esprit de la jurisprudence Derguini et Lemaire, car elle conduit à rétablir l’irresponsabilité de l’enfant !
    • En effet, si l’on compare la conduire d’un infans à un modèle non discernant, cela revient à reconnaître un principe général d’irresponsabilité des enfants en bas âge, car il ne saurait être anormal pour un enfant privé de discernement d’avoir un comportement imprudent.
    • C’est la raison pour laquelle, la Cour d’appel refuse de retenir la faute de la victime.
    • En résumé, on a dit que l’on pouvait engager la responsabilité de l’infans pour faute malgré l’absence de discernement, mais de facto si on retient comme modèle l’enfant « normal » du même âge, on ne parviendra pas à dire qu’il y a eu faute : ce serait un coup d’épée dans l’eau !
    • D’où la décision de la Cour de cassation dans l’arrêt de 1996
    • L’intérêt principal de cet arrêt réside dans le fait que la Cour de cassation nous dit que le comportement de l’infans sera jugé non pas par rapport à un enfant du même âge, mais par rapport à celui du bon père de famille !
    • Ici, la Cour de cassation se réfère donc à un modèle in abstracto pour apprécier de l’enfant !
    • Ainsi, en comparant la conduite de l’enfant par rapport au bon père de famille on va pouvoir retenir à son encontre une faute, car le bon père de famille ne joue pas à cache-cache sous la table.

Finalement avec cette jurisprudence une question se pose : est-ce que la notion de faute existe toujours s’agissant de la responsabilité du fait personnel ?

De toute évidence, plus l’enfant sera jeune, moins les comportements qu’il adoptera se rapprocheront de la conduite du bon père de famille.

On pourra donc très facilement retenir sa responsabilité.

Cependant, théoriquement, le simple fait dommageable ne suffit pas, car il faudra quand même caractériser une faute pour retenir sa responsabilité.

Exemple : une épidémie de grippe.

  • L’enfant est bien source de dommage
  • Cependant sa conduite ne s’écarte pas de celle du bon père de famille
  • Pas de caractérisation de faute

Il existera néanmoins un moyen de réparer le préjudice causé à la victime : la responsabilité des parents du fait de leurs enfants, fondée sur l’article 1243 al.4, car il s’agit là d’une responsabilité de plein droit.

?Appréciation de la faute intentionnelle

Dans la mesure où la caractérisation de la faute intentionnelle suppose d’établir la volonté de l’auteur qui a causé le dommage, la méthode d’appréciation in abstracto ne saurait s’appliquer.

La dimension psychologique de cette variété de faute suppose de tenir compte des circonstances de la cause et plus particulièrement de l’état d’esprit dans lequel se trouvait l’auteur du dommage lors de sa production.

Aussi, les auteurs estiment-ils que la faute intentionnelle doit être appréciée in concreto.

IV) La neutralisation de la faute

?Notion de fait justificatif

Contrairement à la règle posée à l’article 1240 du Code civil, un acte dommageable illicite peut être accompli dans des circonstances que le droit prend en compte pour lui retirer tout caractère délictueux. L’acte dommageable se trouve alors “justifié” a posteriori.

Ainsi, l’auteur du dommage peut-il, dans certains cas, se prévaloir de ce que l’on appelle un fait justificatif, lequel a pour effet de retirer son caractère fautif au comportement dommageable.

Le fait justificatif neutraliste, en quelque sorte, la faute commise par l’agent en raison de circonstances très particulières déterminées par la loi et la jurisprudence.

Il s’agit là d’une cause d’irresponsabilité objective.

?Les faits justificatifs admis par la loi et la jurisprudence

  • Ordre de la loi
    • Lorsque la loi prescrit aux agents une conduite délictuelle, aucune faute ne saurait être reprochée à celui qui s’est conformé à cette injonction
  • Commandement de l’autorité légitime
    • L’ordre donné par un supérieur hiérarchique est une cause de justification au même titre que l’ordre provenant directement de la loi.
  • Permission de la loi ou de la coutume
    • Dans certains cas, la loi ou la coutume autorisent certaines conduites qui ordinairement seraient illicites.
      • Violation du secret professionnel lorsqu’elle est justifiée par l’autorisation de témoigner en faveur d’un innocent
      • Les membres des professions médicales bénéficient d’une autorisation coutumière de porter atteinte, dans un but curatif, à l’intégrité physique de leurs patients, sous réserve toutefois que cette atteinte soit médicalement nécessaire
  • Légitime défense
    • La légitime défense est considérée comme une cause de justification en matière civile, comme en matière pénale
  • État de nécessité
    • L’état de nécessité est la situation de la personne pour laquelle le seul moyen d’éviter un mal est d’en causer un autre de moindre gravité.
    • L’acte dommageable est justifié par la nécessité lorsque le bien sauvegardé est de valeur supérieure au bien ou à la valeur sacrifiée.
  • Consentement de la victime et acceptation des risques
    • Notion
      • L’acceptation des risques peut se définir comme l’acceptation par la victime de s’exposer à l’éventualité de subir un dommage qui pourrait lui être causé accidentellement par un tiers.
        • Exemple : participation de la victime à un match de boxe
      • Le consentement de la victime s’apparente à l’acceptation ou la sollicitation d’une atteinte volontaire à un droit ou à un intérêt que la loi protège ou en la renonciation au droit de demander réparation du dommage causé.
        • Exemple : amputation d’un membre de la victime dans le cadre d’une opération chirurgicale
      • Il peut être observé que, tant l’acception des risques que le consentement des risques ne constituent pas un fait justificatif autonome, en ce sens, qu’ils ne font pas disparaître la faute.
      • L’acceptation des risques, par exemple, impose une appréciation particulière de la faute.
    • La faute sportive
      • L’acceptation des risques comme fait justificatif n’a manifestement été admise qu’en matière de faute sportive
      • Ainsi la question s’est-elle posée à la jurisprudence de savoir si la victime qui participe à une activité sportive de nature à l’exposer à certains risques, est-elle fondée à demander réparation en cas de survenance d’un dommage dans le cadre de cette activité
      • Pour que l’acceptation des risques produise l’effet d’un fait justificatif, la jurisprudence exige le respect de certaines conditions pour le moins restrictives :

Cass. 2e civ., 4 nov. 2010

Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du code civil ;

Attendu que la victime d’un dommage causé par une chose peut invoquer la responsabilité résultant de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil, à l’encontre du gardien de la chose, instrument du dommage, sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 4 janvier 2006, Bull. 2006, II, n° 1) que M. X…, alors qu’il pilotait une motocyclette au cours d’une séance d’entraînement sur un circuit fermé, a été heurté par la motocyclette conduite par M. Y…, dont le moteur appartenait à la société Suzuki France et les autres éléments à la société Bug’Moto ; que, blessé, il a assigné M. Y…, la société Suzuki France, la société Bug’Moto, le GIAT Team 72, préparateur de la moto de M. Y…, en indemnisation, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie de Paris et de la caisse régionale d’assurance maladie d’Ile-de-France, tiers payeurs ;

Attendu que pour débouter M. X… de ses demandes, l’arrêt retient que l’accident est survenu entre des concurrents à l’entraînement, évoluant sur un circuit fermé exclusivement dédié à l’activité sportive où les règles du code de la route ne s’appliquent pas, et qui avait pour but d’évaluer et d’améliorer les performances des coureurs ; que la participation à cet entraînement impliquait une acceptation des risques inhérents à une telle pratique sportive ;

Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CONSTATE la déchéance partielle du pourvoi, en ce qu’il est dirigé contre le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages ;

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 17 mars 2008, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles

  1. Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, éd. Litec, 2005, n°337, p. 173. ?
  2. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, T. II, 3e éd., n°947. ?

De la distinction entre le contrat, le quasi-contrat, le délit et le quasi-délit

==>Actes juridiques et faits juridiques

Schématiquement, l’univers juridique se compose de deux domaines bien distincts :

  • Les actes juridiques
  • Les faits juridiques

Antérieurement à l’ordonnance du 10 février 2016 le Code civil ne définissait pas ces deux notions.

Dorénavant, les actes et les faits juridiques sont respectivement définis aux articles 1100-1 et 1100-2 du Code civil :

  • L’article 1100-1 C.civ définit les actes juridiques comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit ».
  • L’article 1100-2 C. civ définit les faits juridiques comme « des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit ».

==>Intérêt de la distinction

L’intérêt de la distinction entre les actes et les faits juridiques est triple :

  • L’étendue des effets des faits juridiques est strictement délimitée par la loi, alors que les effets des actes juridiques sont déterminés par les parties à l’acte, la seule limite étant la contrariété à l’ordre public et aux bonnes mœurs (art. 6 C. civ.)
  • Tandis que la preuve des actes juridiques suppose la production d’un écrit (art. 1359 C. civ.), la preuve des faits juridiques est libre (art. 1358 C. civ.)
  • Le Code civil appréhende les différentes sources d’obligations autour de la distinction entre les faits et les actes juridiques, lesquels sont précisément les deux grandes catégories de sources d’obligations avec la loi.

Classiquement on dénombre cinq sources d’obligations, auxquelles il faut en ajouter une sixième, l’engagement unilatéral, qui fait débat :

 

I) Le contrat

==>Définition

Aux termes de l’article 1101 C. civ « le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations »

Ainsi, les obligations contractuelles sont celles qui naissent d’un acte juridique, soit de la manifestation de volontés en vue de produire des effets de droit.

==>Prépondérances des obligations contractuelles

Le contrat est, sans aucun doute, la principale source d’obligations, à tout le moins, dans le Code civil ; elle y occupe une place centrale.

La raison en est l’influence – partielle – de la théorie de l’autonomie de la volonté sur les rédacteurs du Code civil qui se sont notamment inspirés des réflexions amorcées par Grotius, Rousseau et Kant sur la liberté individuelle et le pouvoir de la volonté.

==>Théorie de l’autonomie de la volonté

Selon cette théorie, l’homme étant libre par nature, il ne peut s’obliger que par sa propre volonté.

Il en résulte, selon les tenants de cette théorie, que seule la volonté est susceptible de créer des obligations et d’en déterminer le contenu.

D’où la grande place faite au contrat dans le Code civil.

II) Le quasi-contrat

==>Définition

Les quasi-contrats sont définis à l’article 1300 C. civ (ancien art 1371 C. civ.) comme « des faits purement volontaires dont il résulte un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui ».

Il s’agit autrement dit, du fait spontané d’une personne, d’où il résulte un avantage pour un tiers et un appauvrissement de celui qui agit.

Au nom de l’équité, la loi décide de rétablir l’équilibre injustement rompu en obligeant le tiers à indemniser celui qui, par son intervention, s’est appauvri.

==>Différence avec le contrat

Tandis que le contrat est le produit d’un accord de volontés, le quasi-contrat naît d’un fait volontaire licite.

Ainsi la formation d’un quasi-contrat, ne suppose pas la rencontre des volontés entre les deux « parties », comme c’est le cas en matière de contrat.

Les obligations qui naissent d’un quasi-contrat sont un effet de la loi et non un produit de la volonté.

==>Différence avec le délit et le quasi-délit

Contrairement au délit ou au quasi-délit, le quasi-contrat est un fait volontaire non pas illicite mais licite, en ce sens qu’il ne constitue pas une faute civile.

==>Détermination des quasi-contrats

  • L’enrichissement injustifié ou sans cause
    • Principe (Art. 1303 à 1303-4 C. civ.)
      • Lorsque l’enrichissement d’une personne au détriment d’une autre personne est sans cause (juridique), celui qui s’est appauvri est fondé à réclamer « une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement ».
      • Il s’agit de l’action de in rem verso
    • Exemple :
      • Un concubin finance la rénovation de la maison dont est propriétaire sa concubine sans aucune contrepartie.
  • La gestion d’affaires
    • Principe (Art. 1301 à 1301-5 C. civ.)
      • La gestion d’affaire est caractérisée lorsque « celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire, est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire »
      • L’obligation quasi-contractuelle se crée ainsi lorsqu’une personne, le gérant d’affaires, intervient de sa propre initiative, sans en avoir reçu l’ordre, dans les affaires d’une autre, le maître de l’affaire, pour y accomplir un acte utile.
    • Exemple :
      • Le cas de figure classique est celui d’une personne qui, voulant rendre service à un ami absent, effectue une réparation urgente sur l’un de ses biens
      • Il sera alors fondé à lui réclamer le remboursement des dépenses exposées pour a gestion de ses biens, pourvu que l’affaire ait été utile et bien gérée.
  • Le paiement de l’indu
    • Principe (Art. 1302 à 1302-3 C. civ.)
      • Le paiement de l’indu suppose qu’une personne ait accompli au profit d’une autre une prestation que celle-ci n’était pas en droit d’exiger d’elle.
      • Aussi, cette situation se rencontre lorsqu’une prestation a été exécutée « sans être due ».
      • Ce qui dès lors a été indûment reçu doit, sous certaines conditions, être restitué.
    • Exemple :
      • Un assureur verse une indemnité en ignorant que le dommage subi par l’assuré n’est pas couvert par le contrat d’assurance
      • Un héritier paie une dette du défunt en ignorant qu’elle a déjà été payée

III) Le délit

==>Définition

Le délit est un fait illicite intentionnel auquel la loi attache une obligation de réparer

Ainsi, l’obligation délictuelle naît-elle de la production d’un dommage causé, intentionnellement, à autrui.

L’article 1240 C.civ, (anciennement 1382 C.civ) prévoit en ce sens que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

==>Délit civil / Délit pénal

Le délit civil ne doit pas être confondu avec le délit pénal :

  • Le délit pénal est une catégorie d’infractions (le vol, l’escroquerie, l’abus de confiance, la consommation de stupéfiants sont des délits pénaux).
  • Le délit civil ne constitue pas nécessairement un délit pénal.

Pour qu’un comportement fautif soit sanctionné pénalement, cela suppose que soit prévue une incrimination, conformément au principe de légalité des délits et des peines.

==>Conditions

Pour que la responsabilité délictuelle de l’auteur d’un dommage puisse être engagée, cela suppose rapporter la preuve de trois éléments cumulatifs (Art. 1240 C. civ) :

  • Une faute
  • Un préjudice
  • Un lien de causalité entre la faute et le préjudice

IV) Le quasi-délit

==>Définition

Le délit est un fait illicite non intentionnel auquel la loi attache une obligation de réparer

==>Distinction délit / quasi-délit

La différence entre quasi-délit et délit tient au caractère intentionnel (délit) ou non intentionnel (quasi-délit) du fait illicite dommageable.

L’obligation quasi-délictuelle naît donc de la production d’un dommage causé, non intentionnellement à autrui

L’article 1241 C.civ, (anciennement 1383 C.civ) prévoit en ce sens que « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

==>Conditions

La responsabilité quasi-délictuelle suppose la satisfaction des trois mêmes conditions que la responsabilité délictuelle à savoir :

  • Une faute
  • Un préjudice
  • Un lien de causalité entre la faute et le préjudice