Les attributs du droit de propriété: l’usus, le fructus et l’abusus

Le droit de propriété confère un spectre de prérogatives des plus large à son titulaire regroupées en trois attributs.

Au nombre de ces attributs figurent, l’usus, le fructus et l’abusus, lesquels permettent respectivement d’utiliser, de jouir, et de disposer de la chose.

§1: le droit d’user de la chose: l’usus

I) Fondement

L’article 544 du Code civil dispose que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses ». Ainsi sont résumées les prérogatives qui sont conférées au propriétaire d’un bien.

Alors que le texte investi ce dernier du pouvoir de disposer de la chose (abusus) et de tirer profit des fruits qu’elle lui procure (fructus), étonnement il n’est nullement fait référence à la possibilité d’en user.

Est-ce à dire que l’usage de la chose ne compte pas parmi les prérogatives qui échoient au propriétaire ? Certainement pas. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à la dernière partie de l’article 544 du Code civil qui précise « pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

La faculté d’user de la chose relève donc bien des prérogatives conférées au propriétaire au titre de son droit de propriété. La question qui alors se pose est de savoir ce que recouvre le droit « d’user de la chose ».

II) Signification

À l’examen, l’usus doit être envisagé sous ses deux aspects, positifs et négatifs :

==> Positivement

L’usus c’est d’abord le pouvoir de faire usage de la chose en exerçant sur elle une emprise matérielle.

Le Doyen Carbonnier définissait l’usus comme « cette sorte de jouissance qui consiste à retirer personnellement – individuellement ou par sa famille – l’utilité ou le plaisir que peut procurer par elle-même une chose non productive ou non exploitée (habiter sa maison, porter ses bijoux, c’est en user) ».

À cet égard, le droit d’user de la chose confère au propriétaire la liberté de choisir l’usage de la chose, soit de s’en servir selon ses propres besoins, convictions et intérêts.

Sous réserve de la réglementation applicable et des autorisations administratives requises, il est donc libre d’édifier un immeuble sur le terrain dont il est propriétaire, tout autant qu’il peut choisir d’affecter ce terrain à de la cultivation ou à l’exploitation d’un camping.

==> Négativement

L’usus c’est aussi le pouvoir de ne pas faire usage de la chose dont on est propriétaire, nonobstant les conséquences matérielles ou économiques que ce non-usage est susceptible d’occasionner.

Ainsi, l’automobiliste est-il libre de ne pas utiliser sa voiture, tout autant que le propriétaire d’une maison est libre de ne pas l’habiter, quand bien même il est un risque que l’un et l’autre de ces biens se détériorent en cas d’absence d’utilisation prolongée.

§2: Le droit de jouir de la chose: le fructus

I) Notion

Le droit de propriété ce n’est pas seulement le droit d’user de la chose, c’est également le droit d’en jouir (fructus).

Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir conféré au propriétaire de percevoir les revenus que le bien lui procure.

Pour le propriétaire d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers qui lui sont réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

À l’instar de l’usus, le fructus comporte également un aspect négatif, en ce qu’il autorise le propriétaire à ne pas percevoir les revenus de son bien, soit de le laisser inexploité.

Immédiatement, il convient d’observer que le bien est susceptible de procurer deux sortes de revenus au propriétaire : des fruits et des produits

II) Distinction en les fruits et les produits

L’une des exploitations d’un bien peut consister à tirer profit de la création, à partir de celui-ci, d’un nouveau bien. Ainsi, un arbre procure-t-il des fruits, un immeuble donné à bail des loyers et une carrière de pierres.

La question qui alors se pose est de savoir si tous ces nouveaux biens créés dont tire profit le propriétaire sont appréhendés par le droit de la même manière.

La réponse est non, en raison d’une différence physique qu’il y a lieu de relever entre les différents revenus qu’un bien est susceptible de procurer à son propriétaire.

En effet, il est des cas où la création de biens dérivés supposera de porter atteinte à la substance du bien originaire (extraction de pierre d’une carrière), tandis que dans d’autres cas la substance de ce bien ne sera nullement altérée par la production d’un nouveau bien.

Ce constat a conduit à distinguer les fruits que procure la chose au propriétaire des produits, l’intérêt de la distinction étant réel, notamment en cas de démembrement du droit de propriété.

  • Exposé de la distinction
    • Les fruits
      • Les fruits correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.
      • Tel est le cas des loyers produits par un immeuble loué, des fruits d’un arbre ou encore des bénéfices commerciaux tirés de l’exploitation d’une usine.
      • Classiquement, on distingue trois catégories de fruits :
        • Les fruits naturels
          • Il s’agit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
          • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
        • Les fruits industriels
          • Il s’agit des fruits que l’on obtient par la culture, soit dont la production procède du travail de l’homme
          • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
        • Les fruits civils
          • Il s’agit des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
          • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
      • Pour être un fruit, le bien créé à partir d’un bien originaire, il doit donc remplir deux critères : la périodicité (plus ou moins régulière) et la conservation de la substance de la chose dont ils dérivent.
      • Ainsi que l’exprimait le Doyen Carbonnier, « c’est parce qu’il [le fruit] revient périodiquement et qu’il ne diminue pas la substance du capital que le fruit se distingue du produit».
    • Les produits
      • Les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance
      • Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine
      • Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé»[1].
      • Lorsque la perception des revenus tirés de la chose ne procédera pas d’une altération de sa substance, il conviendra de déterminer si cette perception est périodique ou isolée.
      • Tandis que dans le premier, il s’agira de fruits, dans le second, on sera en présence de produits.
      • Ainsi, s’agissant d’une carrière exploitée sans discontinuité, les pierres extraites seront regardées comme des fruits et non comme des produits, la périodicité de la production couvrant l’altération de la substance.
      • Il en va de même pour une forêt qui aurait été aménagée en couples réglées : les arbres abattus quittent leur état de produits pour devenir des fruits.
  • Intérêt de la distinction
    • La distinction entre les fruits et les produits n’est pas sans intérêt sur le plan juridique.
    • En effet, alors que les fruits reviennent à celui qui a la jouissance de la chose, soit l’usufruitier, les produits, en ce qu’ils sont une composante du capital, appartiennent au nu-propriétaire.

III) Formes de la jouissance

En approfondissant l’analyse, il apparaît que le fructus peut se manifester sous deux formes différentes :

  • L’accomplissement d’actes matériels
    • La jouissance peut tout d’abord consister en la perception de revenus au moyen d’actes matériels
    • Dans cette hypothèse le propriétaire récolte lui-même les fruits naturels ou industriels
  • L’accomplissement d’actes juridiques
    • La jouissance peut ensuite consister en la perception de revenus aux moyens d’actes juridiques
    • Il s’agira ici d’accomplir des actes d’administration ou de disposition pour que le bien produise des fruits civils.
    • Tel est le cas du propriétaire d’un immeuble qui doit conclure un contrat de bail pour percevoir des loyers

IV) Cas particulier du droit à l’image sur les biens

Le droit de jouissance octroie, en principe, au propriétaire la liberté d’exploiter son bien, mais également de ne rien en faire.

L’utilité conférée par la jouissance au propriétaire est très vaste, à telle enseigne que rien ne s’oppose à ce qu’elle permette d’appréhender des utilités nouvelles des biens, en particulier des utilités qui jusqu’à maintenant avaient échappé à l’appréhension du droit, parce que l’intérêt qui s’y attachait était moindre.

Sous le prisme de la jouissance, on s’est alors posé la question du droit du propriétaire à l’image de son bien, par transposition au droit à l’image des personnes.

Ainsi que le relève le Professeur Zénati, « l’intervention de la photographie, du cinématographe, et de la communication audiovisuelle ont mis au jour une utilité qui, jusqu’alors, demeurait discrète : la reproduction picturale. Comme d’habitude, le droit réagit avec quelque retard, mais peu importe. Il est patent que la vertu qu’ont tous les objets matériels de pouvoir être mis en image est une utilité qui tombe sous le champ de la propriété à l’instar des utilités classiques que l’on connaît et qu’en conséquence cet avantage échappe à la jouissance d’autrui ».

Première illustration de ce phénomène, dans un arrêt du 10 mars 1999, la Cour de cassation a jugé, au visa de l’article 544 du Code civil, que « l’exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1999, n°96-18699).

Cass. 1ère civ. 10 mars 1999
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 544 du Code civil ;

Attendu que le propriétaire a seul le droit d'exploiter son bien, sous quelque forme que ce soit ;

Attendu que, pour rejeter la demande de Mme X..., épouse Y..., tendant à la saisie de cartes postales mises en vente par la société Editions Dubray, représentant le " Café Gondrée ", dont Mme Y... est propriétaire à Bénouville, l'arrêt attaqué énonce que la photographie, prise sans l'autorisation du propriétaire, d'un immeuble exposé à la vue du public et réalisée à partir du domaine public ainsi que sa reproduction, fût-ce à des fins commerciales, ne constituent pas une atteinte aux prérogatives reconnues au propriétaire ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, non plus que sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 juin 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

Il ressort de cet arrêt que le droit à l’image sur les biens relève du monopole de jouissance dont est investi le propriétaire.

Le professeur Cornu analyse ce rattachement du droit à l’image au fructus en soutenant que « c’est parce qu’il est investi, sur son bien, non pas d’un droit à l’image, de celui-ci, mais du droit exclusif de l’exploiter (partie de sa jouissance), que le propriétaire est fondé à interdire aux tiers l’exploitation photographique et lucrative de son bien qui est tout simplement une part de son utilité économique »

Selon cette thèse la reproduction d’un bien meuble ou immeuble sous la forme d’une image, que les techniques modernes permettent de commercialiser à grande échelle, constitue une utilités susceptible d’être source de profit.

Dans notre société qui repose très largement sur la propriété privée, il n’y aurait donc aucune raison que les propriétaires qui ont la charge de l’entretien de leurs biens soient dépossédés des potentialités de leur exploitation au prétexte qu’ils sont accessibles au regard du public.

Pour s’en convaincre, il suffit d’observer que le droit de se clore prévu par l’article 647 du Code civil n’est pas seulement un moyen de protéger le propriétaire contre les incursions des tiers mais est aussi le signe que la vue de son bien est une utilité qui lui appartient. En témoignent également les dispositions des articles 675 à 680 de ce Code qui imposent aux propriétaires d’immeubles d’éloigner de la limite séparative de leurs fonds les murs comportant des vues sur le fonds voisin.

En réaction à cette jurisprudence, des spécialistes du droit d’auteur ont soutenu que si le législateur a limité la durée des droits patrimoniaux des auteurs, spécialement du droit de reproduction que leur accorde à titre exclusif l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle, c’est parce que leurs œuvres doivent tomber dans le domaine public libres de toute entrave afin de développer la culture et la connaissance du patrimoine. En raison de son caractère perpétuel, le droit de propriété ferait obstacle à l’extension sans cesse régénérée du domaine public.

D’autres commentateurs ont avancé que la découverte de cette nouvelle utilité du bien (droit à l’image) au bénéfice de son propriétaire aboutirait à des solutions ingérables en pratique, trop contraignantes et trop coûteuses pour les professionnels de l’illustration. Ils ont encore dénoncé ainsi une “privatisation de l’espace public” au détriment de la liberté d’expression[2].

Attentive aux critiques à l’encontre de la position qu’elle avait adoptée en 1999, la Cour de cassation s’est à nouveau prononcée en 2001 en y apportant un tempérament.

Dans un arrêt du 2 mai 2001, la première chambre civile a, en effet, reproché aux juges de fond de n’avoir pas précisé « en quoi l’exploitation de la photographie par les titulaires du droit incorporel de son auteur portait un trouble certain au droit d’usage et de jouissance du propriétaire » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°99-10709).

L’exploitation de l’image d’un bien par un tiers ne serait ainsi sanctionnée qu’à la condition que soit établie l’existence d’un « trouble certain du droit d’usage et de jouissance du propriétaire ».

Cass. 1ère civ. 2 mai 2001
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le deuxième moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 544 du Code civil ;

Attendu que le Comité régional de tourisme de Bretagne (le CRT) a utilisé à des fins de publicité un cliché dont il avait acquis le droit de reproduction de M. X..., photographe professionnel ; que cette image représente l'estuaire du Trieux, avec, au premier plan, l'îlot de Roch Arhon, propriété de la société civile immobilière du même nom, et a été diffusée malgré l'opposition de celle-ci ;

Attendu que pour accueillir la demande de la SCI en interdiction de cette reproduction, l'arrêt attaqué énonce que les droits invoqués par le CRT et M. X... trouvent leurs limites dans la protection du droit de propriété de la SCI, à la mesure des abus inhérents à l'exploitation d'une représentation de son bien à des fins commerciales et avec une publicité importante, que l'île est le sujet essentiel de l'image, et que la photographie est utilisée sous la forme d'une affiche à grande diffusion, au titre d'une campagne publicitaire destinée à la promotion du tourisme ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l'exploitation de la photographie par les titulaires du droit incorporel de son auteur portait un trouble certain au droit d'usage ou de jouissance du propriétaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

[…]

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches des premier et deuxième moyens :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

À l’analyse, il ressort de cette décision que la Cour de cassation s’est mise en quête de la recherche d’un équilibre entre les intérêts du propriétaire et la liberté de circulation de l’image du bien.

L’exigence de démontrer un trouble certain dans la jouissance du propriétaire conduit à autoriser l’utilisation de l’image du bien d’autrui, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une exploitation directe de cette image.

Cette protection nouvelle du droit à l’image de son bien a pour fondement l’article 544 du Code civil, et plus précisément le droit de jouissance dont est investi le propriétaire.

Cette appréhension du droit à l’image sur les biens comme une expression de l’usus et du fructus n’a manifestement pas perduré.

Dans un arrêt du 7 mai 2004, la Cour de cassation réunie en assemblée plénière a, en effet, jugé que « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; qu’il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal » (Cass. ass. plen. 7 mai 2004, n°02-10450).

Par cette formule, haute juridiction déconnecte le droit à l’image sur le bien dont est titulaire le propriétaire de l’article 544 du Code civil pour le rattacher aux principes de la responsabilité civile.

Cass. ass. plen. 7 mai 2004
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 31 octobre 2001), que la Société de promotion immobilière SCIR Normandie (la société SCIR Normandie), a confié à la société Publicis Qualigraphie aux droits de laquelle se trouve la société Publicis Hourra (la société Publicis) la confection de dépliants publicitaires comportant, outre des informations relatives à l'implantation de la future résidence et à ses avantages, la reproduction de la façade d'un immeuble historique de Rouen, l'Hôtel de Girancourt ; que se prévalant de sa qualité de propriétaire de cet hôtel, la SCP Hôtel de Girancourt, dont l'autorisation n'avait pas été sollicitée, a demandé judiciairement à la société SCIR Normandie la réparation du préjudice qu'elle disait avoir subi du fait de l'utilisation de l'image de son bien ; que cette dernière a appelé la société Publicis en garantie ;

Attendu que la SCP Hôtel de Girancourt fait grief à l'arrêt du rejet de ses prétentions, alors, selon le moyen :

1 ) qu'aux termes de l'article 544 du Code civil, "la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements" ; que le droit de jouir emporte celui d'user de la chose dont on est propriétaire et de l'exploiter personnellement ou par le truchement d'un tiers qui rémunère le propriétaire, ce droit ayant un caractère absolu et conduisant à reconnaître au propriétaire un monopole d'exploitation de son bien, sauf s'il y renonce volontairement ; qu'en énonçant que "le droit de propriété n'est pas absolu et illimité et ne comporte pas un droit exclusif pour le propriétaire sur l'image de son bien" pour en déduire qu'il lui appartenait de démontrer l'existence d'un préjudice car la seule reproduction de son bien immeuble sans son consentement ne suffit pas à caractériser ce préjudice, la cour d'appel a violé l'article 544 du Code civil ;

2 ) qu'elle faisait valoir dans ses conclusions d'appel que l'utilisation à des fins commerciales de la reproduction de la façade de l'Hôtel de Girancourt sans aucune contrepartie financière pour elle, qui a supporté un effort financier considérable pour la restauration de l'hôtel particulier ainsi qu'en témoignent les photographies de l'immeuble avant et après les travaux, restauration qui a permis aux intimées de choisir une image de cet immeuble pour l'intégrer dans le dépliant publicitaire, est totalement abusive et lui cause un préjudice réel, le fait que les intimées aient acheté cette reproduction chez un photographe rouennais prouvant bien que la façade restaurée représente une valeur commerciale ; qu'en énonçant, sans répondre à ce moyen particulièrement pertinent qu'elle "ne démontre pas l'existence du préjudice invoqué par elle et d'une atteinte à son droit de propriété", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 544 du Code civil ;

3 ) qu'elle faisait également valoir dans ses conclusions d'appel en visant les cartes postales de la façade historique de l’Hôtel de Girancourt qu'elle édite et qu'elle avait régulièrement produites, que les mentions portées au verso de ces pièces confirment sa volonté de conserver à son usage exclusif le droit de reproduire la façade de l'hôtel ou de concéder une autorisation quand elle estime que les conditions sont réunies ; qu'en s'abstenant totalement de se prononcer sur la valeur de ces pièces qu'elle avait régulièrement versées aux débats à l'appui de ses prétentions, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1353 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci ; qu'il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal ;

Et attendu que les énonciations de l'arrêt font apparaître qu'un tel trouble n'était pas établi ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

C’est ainsi que la Cour de cassation nie désormais le pouvoir du propriétaire d’exercer un droit de propriété sur l’image de son bien. Il dispose seulement d’une action qui pourrait reposer, tant sur les principes du droit de la responsabilité, que sur le droit à la vie privée ou encore sur la diffamation envisagée par la loi du 29 juillet 1881.

La notion de trouble se retrouve dans de nombreux régimes de responsabilité, de sorte que cela offre une large palette d’actions au propriétaire incommodé.

Par trouble anormal, il faut entendre, selon un arrêt de la première chambre civile, une atteinte à la tranquillité ou à l’intimité de la personne (Cass. 1ère civ. 5 juil. 2005, n°02-21452).

Dans un arrêt du 31 mars 2015, la Chambre commerciale a précisé que l’exploitation commerciale en elle-même de l’image d’un bien n’est pas constitutive d’un trouble anormal (Cass. com. 31 mars 2015, n°13-21300).

§3: Le droit de disposer de la chose: l’abusus

==> Signification

L’article 544 du Code civil prévoit expressément que l’un des attributs du droit de propriété c’est le pouvoir de disposer de la chose (abusus).

Ce pouvoir dont est investi le propriétaire l’autorise à accomplir tous les actes susceptibles de conduire à la perte totale ou partielle de son bien.

À l’évidence, il s’agit là de l’expression du droit de propriété la plus extrême, celle qui emporte les conséquences les plus graves puisqu’il s’agit d’aliéner son droit sur la chose.

C’est la raison pour laquelle ce pouvoir n’appartient, ni à l’usufruitier (sauf exception du quasi usufruitier pour les choses consomptibles), ni au locataire.

Néanmoins, à l’instar de l’usus et du fructus, l’abusus comporte un aspect positif et négatif, en ce sens qu’il autorise le propriétaire à aliéner son bien, tout autant qu’il lui octroie la liberté de ne pas s’en déposséder.

Manifestement, le droit de disposer de la chose fait l’objet d’une protection particulièrement renforcée puisque, outre l’article 544 du Code civil qui le consacre, il est envisagé, et par l’article 545 du même Code et par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC).

  • S’agissant de l’article 545 du Code civil, il prévoit que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.»
  • S’agissant de l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, cette disposition prévoit que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Le droit de ne pas être exproprié est ainsi doublement protégé, et au niveau légal, et au niveau constitutionnel.

S’agissant du droit de disposer de son bien proprement dit son exercice peut se traduire de différentes manières. Reste que cet exercice n’est pas sans limite, en particulier lorsque le bien est frappé d’inaliénabilité

I) Les formes de disposition

Le droit de disposer de la chose peut se traduire, soit par l’accomplissement d’actes matériels, soit par l’accomplissement d’actes juridiques.

==> L’accomplissement d’actes matériels

L’exercice du droit de disposition peut, tout d’abord, se traduire par l’accomplissement d’actes matériels sur la chose tels que :

  • Sa modification
  • Sa destruction
  • Son amélioration
  • Son accroissement
  • Sa transformation
  • Sa consommation

En somme, le propriétaire est investi, au titre de l’abusus, d’un pouvoir d’affecter la substance de la chose.

Cette faculté d’accomplir des actes sur la substance de la chose qui est conférée par l’abusus est refusée aux autres droits réels, en ce que les droits de jouissance sur la chose d’autrui ne sont conférés à leur titulaire qu’à la charge d’en conserver la substance (art. 578 C. civ.).

==> L’accomplissement d’actes juridiques

L’exercice du droit de disposition peut, ensuite, se traduire par l’accomplissement d’actes juridiques qui auront pour effet de :

  • Transférer le droit de propriété, soit par un contrat (vente, donation, apport en société), soit par un acte unilatéral (testament, déguerpissement conduisant à un abandon)
  • Démembrer le droit de propriété, ce qui peut consister à constituer un droit réel d’usufruit, céder la nue-propriété, constituer une servitude sur le bien ou encore consentir une emphytéose
  • Affecter le bien à la garantie du paiement d’une dette au moyen d’une hypothèse, d’un nantissement, d’un gage ou encore d’une fiducie

À la différence de l’acte matériel de disposition, l’acte juridique porte, non pas sur la chose, mais sur le droit de propriété qui fait l’objet d’une opération économique.

En certaines circonstances, le propriétaire peut n’être pas autorisé à accomplir des actes de disposition sur son bien en raison de son caractère inaliénable.

II) Les limites au droit de disposer

Bien que le droit de disposer de son bien soit l’expression suprême de la maîtrise du bien qui n’est reconnue qu’au seul propriétaire, il est des cas où ce pouvoir dont il est investi est limité.

Tantôt, le propriétaire peut n’être pas autorisé à aliéner son bien, tantôt il sera, au contraire, obligé de le céder.

A) Les clauses d’inaliénabilité du bien

Le droit de disposer d’un bien l’autorise-t-il le propriétaire à insérer dans un acte translatif de propriété une clause interdisant à l’acquéreur d’aliéner le bien ?

Si une telle clause se justifie difficilement en cas d’acte à titre onéreux, quid lorsque le propriétaire accomplit un acte à titre gratuit, tel un testament ou une donation ?

Pendant longtemps, le Code civil  est resté silencieux sur cette question, ce type de clause n’ayant pas été envisagée par ses rédacteurs.

Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se positionner sur la validité des clauses d’inaliénabilité stipulées dans un testament ou une donation.

==> Évolution jurisprudentielle

Dans un premier temps, la jurisprudence a prohibé les clauses d’inaliénabilité perpétuelle, qu’elle considérait comme contraires à l’ordre public, car portant entrave à la circulation des biens et à leur libre disposition par le propriétaire (V. en ce sens Cass. 6 juin 1853 — D. 1853).

Les auteurs justifiaient cette position en interprétant les articles 537, 544 et 1598 du Code civil comme admettant les clauses d’inaliénabilité que dans les cas expressément prévus par la loi.

Dans un second temps, la Cour de cassation a considérablement assoupli sa position. Dans un arrêt du 20 avril 1858, elle a ainsi jugé que « cette interdiction temporaire, imposée dans l’intérêt du père donateur, ne peut être assimilée à une interdiction d’aliéner absolue et indéfinie qui aurait pour résultat de mettre les biens hors de circulation » (Cass. civ., 20 avr. 1858).

Cass. civ., 20 avr. 1858
LA COUR,

Ouï M. le conseiller Laborie, en son rapport; Maître Petit, avocat du demandeur, en ses observations, et M. l'avocat général Sévin, en ses conclusions ; le tout à l'audience publique, après en avoir immédiatement délibéré ;

Vu l'article 900 du X... Napoléon ;

Attendu que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ; qu'aucune loi ne défend au père de famille, qui fait donation de ses biens à ses enfants, de s'en réserver l'usufruit, et, soit dans l'intérêt de son droit comme usufruitier, soit pour assurer l'exercice du droit de retour qui peut un jour lui appartenir, d'imposer à ses enfants la condition de ne pas aliéner ou hypothéquer de son vivant les biens donnés ; que cette interdiction temporaire, imposée dans l'intérêt du père donateur, ne peut être assimilée à une interdiction d'aliéner, absolue et indéfinie, qui aurait pour résultat de mettre pendant un long temps les biens hors de la circulation ; qu'en déclarant valable l'hypothèque consentie par la femme de Pons à Z..., par le motif unique que la condition imposée par le père donateur à ladite femme de Pons était nulle comme contraire aux lois, l'arrêt dénoncé a faussement appliqué et, par suite, formellement violé la disposition ci-dessus visée :

Par ces motifs, donnant défaut contre les défendeurs, CASSE, Ainsi jugé et prononcé, Chambre civile.

Il ressort de cet arrêt que les clauses d’inaliénabilité sont admises dès lorsque deux critères sont remplis : la limitation dans le temps de l’inaliénabilité du bien et la justification d’un intérêt sérieux et légitime.

==> Consécration légale

Alors même que la jurisprudence était constante s’agissant des critères de validité des clauses d’inaliénabilité, il est apparu nécessaire au législateur d’intervenir aux fins de les graver dans le marbre de la loi.

Ainsi, à partir des deux critères posés par la jurisprudence le législateur est-il venu entériner, par la loi du 3 juillet 1971, les solutions adoptées en insérant dans le Code civil un article 900-1.

Cette disposition prévoit que « les clauses d’inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime.

La validité des clauses d’inaliénabilité est donc soumise à deux conditions :

  • S’agissant de la limitation dans le temps de l’inaliénabilité
    • Lorsqu’une clause d’inaliénabilité est stipulée dans un testament ou une donation, elle ne peut donc produire que des effets temporaires.
    • La perpétuité d’une telle clause serait, en effet, de nature à entraver la libre circulation des biens.
    • Aussi, l’interdiction d’aliéner doit être limitée dans le temps.
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par temporaire
    • Il a été jugé que la clause rendant inaliénable un bien durant toute la vie du donateur était temporaire.
    • À l’inverse, une clause stipulant une inaliénabilité du bien pour toute la vie du donataire n’est pas temporaire (V. en ce sens 1ère civ. 8 janv. 2002)
  • S’agissant de la justification d’un intérêt sérieux et légitime
    • L’article 900-1 du Code civil admet la validité des clauses d’inaliénabilité à la condition qu’elles soient justifiées par un intérêt sérieux et légitime.
    • Selon l’expression du Doyen Carbonnier, la jurisprudence a parfois admis la prise en considération de ce que l’on peut qualifier d’intérêt de confort.
    • Pour exemple, l’intérêt pour un usufruitier ou le titulaire d’un droit d’usage ou d’habitation de conserver comme nu-propriétaire son fils plutôt qu’un étranger.
    • À l’examen, cet intérêt exigé par l’article 900-1 du Code civil peut être soit celui du disposant, soit celui du bénéficiaire, soit celui d’un tiers.
      • Dans le cas du disposant, on conçoit aisément qu’il ait intérêt à stipuler une clause d’inaliénabilité lui permettant, en cas de prédécès du donataire, d’exercer son droit de retour légal, ce droit ne pouvant être exercé que si les biens se retrouvent en nature dans la succession ( civ. 22 juillet 1896).
      • Dans le cas du bénéficiaire, la clause d’inaliénabilité aura pour objet de le protéger contre son inexpérience ou sa prodigalité ( civ. 16 janvier 1923) .
      • Dans le cas du tiers, il peut avoir un intérêt à ce qu’un bien demeure dans le patrimoine du bénéficiaire : c’est le cas, par exemple, lorsque ce dernier est tenu à verser à une tierce personne une rente prélevée sur les revenus dudit bien ( civ. 16 mars 1903)
    • Il peut être observé que, dans l’hypothèse où l’intérêt disparaît, l’article 900-1 du Code civil prévoit que « le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l’intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s’il advient qu’un intérêt plus important l’exige. »

==> L’exception des personnes morales

L’alinéa 2 de l’article 900-1 dispose que « les dispositions du présent article ne préjudicient pas aux libéralités consenties à des personnes morales ou mêmes à des personnes physiques à charge de constituer des personnes morales. »

Ainsi si les conditions restrictives de stipulation d’une clause d’inaliénabilité ne sont pas applicables aux personnes morales où aux personnes physiques qui supportent l’obligation de constituer une personne morale.

Cela signifie donc qu’une clause d’inaliénabilité qui présenterait un caractère perpétuel est pleinement valide.

Cette exception au principe posé à l’article 900-1, al. 1er du Code civil était déjà admise par la jurisprudence antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1971.

La Chambre civile de la Cour de cassation avait de la sorte admis la validité d’une clause par laquelle le disposant affectait tout ou partie de ses biens à l’établissement d’une fondation présentant un caractère d’utilité générale, en l’occurrence un hôpital communal dont les frais d’entretien seraient assurés par le revenu de fermes déclarées inaliénables (Cass. civ. 1 . 19 oct. 1965).

Aussi, conformément aux termes de l’article 900-1 du Code civil seules les clauses d’inaliénabilité affectant des biens donnés ou légués à der personnes physiques sont assujetties à l’existence de limitation dans le temps.

==> Extension aux contrats à titre onéreux

Alors que l’article 900-1 du Code civil envisage les clauses d’inaliénabilité pour les seules libéralités, la jurisprudence a admis qu’elles puissent être stipulées dans un contrat à titre onéreux.

Dans un arrêt du 31 octobre 2007, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « dès lors qu’elle est limitée dans le temps et qu’elle est justifiée par un intérêt sérieux et légitime, une clause d’inaliénabilité peut être stipulée dans un acte à titre onéreux » (Cass. 1ère civ. 31 oct. 2007, n°05-14238).

==> Effets de la clause d’inaliénabilité

La stipulation d’une clause d’inaliénabilité produit plusieurs effets. En effet, elle fait obstacle :

  • D’une part, à l’aliénation du bien
  • D’autre part, à la constitution de sûretés réelles sur le bien, telles qu’une hypothèque, un gage ou encore un nantissement
  • Enfin, à la saisie du bien qui est alors isolé du patrimoine du gratifié (V. en ce sens req., 27 juill. 1863).

==> Sanction de la violation de la clause d’inaliénabilité

En cas de violation de la clause d’inaliénabilité, deux sanctions sont encourues par le gratifié :

  • La révocation de la libéralité pour ingratitude
    • En matière de donation entre vifs, l’article 953 du Code civil prévoit que la donation peut être révoquée « pour cause d’inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite.»
    • La stipulation d’une clause d’inaliénabilité s’analysant sans aucun doute en une condition d’exécution de la libéralité, la violation de la clause tombe sous le coup de la sanction énoncée par le texte : la révocation
    • La jurisprudence exige néanmoins que l’inexécution reprochée au donataire présente une particulière gravité.
    • Il est encore exigé que la stipulation de la clause ait été la cause impulsive et déterminante de la libéralité.
  • La nullité de la clause d’inaliénabilité
    • Très tôt la jurisprudence a amis que la violation de la clause d’inaliénabilité puisse être sanctionnée par la nullité, ce qui emporte réintégration du bien dans le patrimoine de l’auteur de la libéralité (V. en ce sens req., 9 mars 1868)
    • La nullité est ici relative, de sorte qu’elle ne peut être invoquée que par la personne dans l’intérêt de laquelle la clause a été stipulée, ce qui pourra varier selon les circonstances.

==> La mainlevée de la clause d’inaliénabilité

L’article 900-1 « le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l’intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s’il advient qu’un intérêt plus important l’exige. »

Il ressort de cette disposition que le bénéficiaire peut être autorisé à solliciter en justice la mainlevée de la clause d’inaliénabilité.

Pour ce faire, il lui faudra remplir deux conditions :

  • Première condition : obtention de l’autorisation du juge
    • Ainsi que le prévoit l’article 900-1 du Code civil, la mainlevée de la clause d’inaliénabilité ne peut être prononcée que par un juge
    • La juridiction compétence sera toujours le juge judiciaire, y compris dans les cas où le bénéficiaire de la libéralité est une personne de droit public (
  • Seconde condition : disparition de l’intérêt qui avait justifié la cause ou survenance d’un intérêt plus important
    • L’article 900-1 du Code civil conditionne la possibilité de solliciter la mainlevée de la clause d’inaliénabilité :
      • Soit à la disparition de l’intérêt qui avait justifié la clause
        • Dans cette hypothèse, la cause qui avait justifié la stipulation de la clause d’inaliénabilité a disparu, de sorte qu’elle est devenue sans objet ou n’est plus actuel
        • Tel est le cas par exemple, lorsque le bien a été donné à une personne aux fins qu’elle réalise un projet particulier et que sa réalisation devient impossible
      • Soit à la survenance d’un intérêt plus important
        • Dans cette hypothèse, l’objectif recherché est d’éviter que la clause d’inaliénabilité puisse avoir des conséquences particulièrement préjudiciables pour le bénéficiaire de la libéralité
        • Aussi, est-il permis au donataire ou légataire, personne physique, de se faire autoriser par le tribunal à disposer du bien s’il advient qu’un intérêt supérieur l’exige : notamment si le propriétaire ne peut plus entretenir le bien, ou s’il a impérieusement besoin de l’aliéner ou de l’hypothéquer, par exemple pour assurer le logement de sa famille et l’éducation de ses enfants, ou encore pour payer des droits de succession.
    • Il peut être observé que dans un arrêt du 23 janvier 2008, la Cour de cassation a exclu la possibilité pour les personnes morales bénéficiaires d’une libéralité de solliciter auprès du juge la mainlevée de clause d’inaliénabilité (V. en ce sens 1ère civ. 23 janv. 2008, n° 16-16120).
    • L’alinéa 1er in fine de l’article 900-1 du Code civil ne peut ainsi être invoqué que par les personnes physiques bénéficiaires d’une libéralité

Cass. 1ère civ. 23 janv. 2008
Attendu qu'aux termes de ce texte les dispositions du présent article ne préjudicient pas aux libéralités consenties à des personnes morales ou même à des personnes physiques à charge de constituer des personnes morales ;

Attendu que pour débouter M. X... de sa demande tendant à l'annulation des constitutions d'hypothèques et des quatre ventes immobilières intervenues du chef de l'association entre 1995 et 1999, le premier arrêt retient que celles-ci avaient permis à l'association de continuer à fonctionner et qu'elles correspondaient à un intérêt plus important que celui pour lequel la clause d'inaliénabilité avait été prévue ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par refus d'application, le texte susvisé ;

==> La prohibition des clauses pénales

Lors de l’adoption de la loi du 3 juillet 1971, s’est posée la question de la validité des clauses pénales  par lesquelles un disposant priverait d’une libéralité celui qui attaquerait la validité de tout ou partie de celle-ci.

Manifestement la stipulation d’une telle clause serait de nature à dissuader le bénéficiaire de la libéralité de contester sa validité devant le juge car, s’il triomphe en faisant reconnaître par le juge l’illicéité de la clause d’inaliénabilité, il risque de perdre le bien ayant fait l’objet de la stipulation.

C’est la raison pour laquelle, afin de neutraliser toute velléité de contournement de la loi, a été inséré dans le Code civil un article 900-8 qui prévoit que « est réputée non écrite toute clause par laquelle le disposant prive de la libéralité celui qui mettrait en cause la validité d’une clause d’inaliénabilité ou demanderait l’autorisation d’aliéner ».

B) L’obligation d’aliénation du bien

==> L’expropriation pour cause d’utilité publique

Si, en certaines circonstances, le propriétaire peut être privé de la faculté d’aliéner sont bien, il est un cas ou, à l’inverse, il peut être contraint de le céder. Cette situation se rencontre en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique.

L’article 545 du code civil dispose que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ».

Cette règle est également énoncée à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (le code civil ayant substitué la cause d’utilité publique à la nécessité publique évoquée par la Déclaration).

Il ressort de ces textes que l’expropriation permet  à une personne publique d’acquérir les biens qui lui sont nécessaires pour l’accomplissement de ses missions.

La raison en est que l’intérêt public prime sur l’intérêt privé du propriétaire du bien. C’est la raison pour laquelle le droit d’exproprier n’appartient qu’aux collectivités publiques, sous réserve du respect du principe de spécialité.

En pratique, dans l’immense majorité des cas, l’autorité expropriante est une collectivité locale, commune ou département. Il peut être mis en oeuvre par les établissements publics et par certaines personnes privées, concessionnaires qui exercent les droits de leur concédant.

L’objet en est au premier chef la réalisation d’équipements publics, mais aussi des opérations locales d’aménagement et la constitution de réserves foncières.

Il importe de préciser que seuls les immeubles et les droits réels les grevant, peuvent faire l’objet d’une expropriation. Les droits réels tels que l’usufruit peuvent être expropriés, indépendamment de l’immeuble. L’expropriation peut encore atteindre un droit personnel, celui de donner à bail.

==> Procédure

L’article 1 du Code de l’expropriation prévoit que « l’expropriation, en tout ou partie, d’immeubles ou de droits réels immobiliers ne peut être prononcée qu’à la condition qu’elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée à la suite d’une enquête et qu’il ait été procédé, contradictoirement, à la détermination des parcelles à exproprier ainsi qu’à la recherche des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres personnes intéressées. »

La procédure d’expropriation vise à déterminer les intérêts en présence et à garantir les intérêts pécuniaires des propriétaires expropriés.

Elle se décompose en deux phases :

  • Première phase
    • La première phase est administrative et conduit, à la suite d’une enquête, à une déclaration d’utilité publique.
    • Le préfet, par l’arrêté de cessibilité, dresse alors la lite des immeubles ou des droits réels immobiliers à exproprier.
  • Seconde phase
    • Il s’agit d’une phase judiciaire au cours de laquelle est transférée la propriété du bien et fixée l’indemnité due au propriétaire exproprié.
    • Mais on doit rappeler que 90 % des biens immobiliers faisant l’objet d’une déclaration d’utilité publique font l’objet d’une cession amiable et ne donnent pas lieu à un transfert de propriété par ordonnance d’expropriation.

L’ordonnance d’expropriation, à défaut d’accord amiable, opère le transfert de propriété et envoie l’expropriant en possession (art. L. 12-1 du code de l’expropriation).

==> Une juste et préalable indemnisation

L’expropriation fait naître un droit à indemnité au profit du propriétaire de l’immeuble et de tous les titulaires d’un droit réel ou personnel portant sur l’immeuble.

L’indemnité doit être juste, c’est-à-dire qu’elle doit couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par la privation du droit de propriété (art. L. 13-13 du code de l’expropriation).

Son montant est fixé par rapport à la consistance du bien au jour de l’ordonnance portant transfert de propriété, c’est-à-dire en fonction de la valeur réelle du bien exproprié (CEDH, 11 avril 2002, Lallemant c. France).

[1] H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Paris 1955, t.1, p. 253, n°228.

[2] M. Guérin et E. De Roux, “Pour le photographe, la rue n’est plus libre de droits”, Le Monde 27 mars 1999, p. 29 et M. Huet, Droit de l’architecture, Economica, 2001 3ème éd. p. 267.

La clause d’inaliénabilité d’un bien: régime juridique

Le droit de disposer d’un bien l’autorise-t-il le propriétaire à insérer dans un acte translatif de propriété une clause interdisant à l’acquéreur d’aliéner le bien ?

Si une telle clause se justifie difficilement en cas d’acte à titre onéreux, quid lorsque le propriétaire accomplit un acte à titre gratuit, tel un testament ou une donation ?

Pendant longtemps, le Code civil  est resté silencieux sur cette question, ce type de clause n’ayant pas été envisagée par ses rédacteurs.

Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se positionner sur la validité des clauses d’inaliénabilité stipulées dans un testament ou une donation.

==> Évolution jurisprudentielle

Dans un premier temps, la jurisprudence a prohibé les clauses d’inaliénabilité perpétuelle, qu’elle considérait comme contraires à l’ordre public, car portant entrave à la circulation des biens et à leur libre disposition par le propriétaire (V. en ce sens Cass. 6 juin 1853 — D. 1853).

Les auteurs justifiaient cette position en interprétant les articles 537, 544 et 1598 du Code civil comme admettant les clauses d’inaliénabilité que dans les cas expressément prévus par la loi.

Dans un second temps, la Cour de cassation a considérablement assoupli sa position. Dans un arrêt du 20 avril 1858, elle a ainsi jugé que « cette interdiction temporaire, imposée dans l’intérêt du père donateur, ne peut être assimilée à une interdiction d’aliéner absolue et indéfinie qui aurait pour résultat de mettre les biens hors de circulation » (Cass. civ., 20 avr. 1858).

Cass. civ., 20 avr. 1858
LA COUR,

Ouï M. le conseiller Laborie, en son rapport; Maître Petit, avocat du demandeur, en ses observations, et M. l'avocat général Sévin, en ses conclusions ; le tout à l'audience publique, après en avoir immédiatement délibéré ;

Vu l'article 900 du X... Napoléon ;

Attendu que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ; qu'aucune loi ne défend au père de famille, qui fait donation de ses biens à ses enfants, de s'en réserver l'usufruit, et, soit dans l'intérêt de son droit comme usufruitier, soit pour assurer l'exercice du droit de retour qui peut un jour lui appartenir, d'imposer à ses enfants la condition de ne pas aliéner ou hypothéquer de son vivant les biens donnés ; que cette interdiction temporaire, imposée dans l'intérêt du père donateur, ne peut être assimilée à une interdiction d'aliéner, absolue et indéfinie, qui aurait pour résultat de mettre pendant un long temps les biens hors de la circulation ; qu'en déclarant valable l'hypothèque consentie par la femme de Pons à Z..., par le motif unique que la condition imposée par le père donateur à ladite femme de Pons était nulle comme contraire aux lois, l'arrêt dénoncé a faussement appliqué et, par suite, formellement violé la disposition ci-dessus visée :

Par ces motifs, donnant défaut contre les défendeurs, CASSE, Ainsi jugé et prononcé, Chambre civile.

Il ressort de cet arrêt que les clauses d’inaliénabilité sont admises dès lorsque deux critères sont remplis : la limitation dans le temps de l’inaliénabilité du bien et la justification d’un intérêt sérieux et légitime.

==> Consécration légale

Alors même que la jurisprudence était constante s’agissant des critères de validité des clauses d’inaliénabilité, il est apparu nécessaire au législateur d’intervenir aux fins de les graver dans le marbre de la loi.

Ainsi, à partir des deux critères posés par la jurisprudence le législateur est-il venu entériner, par la loi du 3 juillet 1971, les solutions adoptées en insérant dans le Code civil un article 900-1.

Cette disposition prévoit que « les clauses d’inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime.

La validité des clauses d’inaliénabilité est donc soumise à deux conditions :

  • S’agissant de la limitation dans le temps de l’inaliénabilité
    • Lorsqu’une clause d’inaliénabilité est stipulée dans un testament ou une donation, elle ne peut donc produire que des effets temporaires.
    • La perpétuité d’une telle clause serait, en effet, de nature à entraver la libre circulation des biens.
    • Aussi, l’interdiction d’aliéner doit être limitée dans le temps.
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par temporaire
    • Il a été jugé que la clause rendant inaliénable un bien durant toute la vie du donateur était temporaire.
    • À l’inverse, une clause stipulant une inaliénabilité du bien pour toute la vie du donataire n’est pas temporaire (V. en ce sens 1ère civ. 8 janv. 2002)
  • S’agissant de la justification d’un intérêt sérieux et légitime
    • L’article 900-1 du Code civil admet la validité des clauses d’inaliénabilité à la condition qu’elles soient justifiées par un intérêt sérieux et légitime.
    • Selon l’expression du Doyen Carbonnier, la jurisprudence a parfois admis la prise en considération de ce que l’on peut qualifier d’intérêt de confort.
    • Pour exemple, l’intérêt pour un usufruitier ou le titulaire d’un droit d’usage ou d’habitation de conserver comme nu-propriétaire son fils plutôt qu’un étranger.
    • À l’examen, cet intérêt exigé par l’article 900-1 du Code civil peut être soit celui du disposant, soit celui du bénéficiaire, soit celui d’un tiers.
      • Dans le cas du disposant, on conçoit aisément qu’il ait intérêt à stipuler une clause d’inaliénabilité lui permettant, en cas de prédécès du donataire, d’exercer son droit de retour légal, ce droit ne pouvant être exercé que si les biens se retrouvent en nature dans la succession ( civ. 22 juillet 1896).
      • Dans le cas du bénéficiaire, la clause d’inaliénabilité aura pour objet de le protéger contre son inexpérience ou sa prodigalité ( civ. 16 janvier 1923) .
      • Dans le cas du tiers, il peut avoir un intérêt à ce qu’un bien demeure dans le patrimoine du bénéficiaire : c’est le cas, par exemple, lorsque ce dernier est tenu à verser à une tierce personne une rente prélevée sur les revenus dudit bien ( civ. 16 mars 1903)
    • Il peut être observé que, dans l’hypothèse où l’intérêt disparaît, l’article 900-1 du Code civil prévoit que « le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l’intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s’il advient qu’un intérêt plus important l’exige. »

==> L’exception des personnes morales

L’alinéa 2 de l’article 900-1 dispose que « les dispositions du présent article ne préjudicient pas aux libéralités consenties à des personnes morales ou mêmes à des personnes physiques à charge de constituer des personnes morales. »

Ainsi si les conditions restrictives de stipulation d’une clause d’inaliénabilité ne sont pas applicables aux personnes morales où aux personnes physiques qui supportent l’obligation de constituer une personne morale.

Cela signifie donc qu’une clause d’inaliénabilité qui présenterait un caractère perpétuel est pleinement valide.

Cette exception au principe posé à l’article 900-1, al. 1er du Code civil était déjà admise par la jurisprudence antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1971.

La Chambre civile de la Cour de cassation avait de la sorte admis la validité d’une clause par laquelle le disposant affectait tout ou partie de ses biens à l’établissement d’une fondation présentant un caractère d’utilité générale, en l’occurrence un hôpital communal dont les frais d’entretien seraient assurés par le revenu de fermes déclarées inaliénables (Cass. civ. 1 . 19 oct. 1965).

Aussi, conformément aux termes de l’article 900-1 du Code civil seules les clauses d’inaliénabilité affectant des biens donnés ou légués à der personnes physiques sont assujetties à l’existence de limitation dans le temps.

==> Extension aux contrats à titre onéreux

Alors que l’article 900-1 du Code civil envisage les clauses d’inaliénabilité pour les seules libéralités, la jurisprudence a admis qu’elles puissent être stipulées dans un contrat à titre onéreux.

Dans un arrêt du 31 octobre 2007, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « dès lors qu’elle est limitée dans le temps et qu’elle est justifiée par un intérêt sérieux et légitime, une clause d’inaliénabilité peut être stipulée dans un acte à titre onéreux » (Cass. 1ère civ. 31 oct. 2007, n°05-14238).

==> Effets de la clause d’inaliénabilité

La stipulation d’une clause d’inaliénabilité produit plusieurs effets. En effet, elle fait obstacle :

  • D’une part, à l’aliénation du bien
  • D’autre part, à la constitution de sûretés réelles sur le bien, telles qu’une hypothèque, un gage ou encore un nantissement
  • Enfin, à la saisie du bien qui est alors isolé du patrimoine du gratifié (V. en ce sens req., 27 juill. 1863).

==> Sanction de la violation de la clause d’inaliénabilité

En cas de violation de la clause d’inaliénabilité, deux sanctions sont encourues par le gratifié :

  • La révocation de la libéralité pour ingratitude
    • En matière de donation entre vifs, l’article 953 du Code civil prévoit que la donation peut être révoquée « pour cause d’inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite.»
    • La stipulation d’une clause d’inaliénabilité s’analysant sans aucun doute en une condition d’exécution de la libéralité, la violation de la clause tombe sous le coup de la sanction énoncée par le texte : la révocation
    • La jurisprudence exige néanmoins que l’inexécution reprochée au donataire présente une particulière gravité.
    • Il est encore exigé que la stipulation de la clause ait été la cause impulsive et déterminante de la libéralité.
  • La nullité de la clause d’inaliénabilité
    • Très tôt la jurisprudence a amis que la violation de la clause d’inaliénabilité puisse être sanctionnée par la nullité, ce qui emporte réintégration du bien dans le patrimoine de l’auteur de la libéralité (V. en ce sens req., 9 mars 1868)
    • La nullité est ici relative, de sorte qu’elle ne peut être invoquée que par la personne dans l’intérêt de laquelle la clause a été stipulée, ce qui pourra varier selon les circonstances.

==> La mainlevée de la clause d’inaliénabilité

L’article 900-1 « le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l’intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s’il advient qu’un intérêt plus important l’exige. »

Il ressort de cette disposition que le bénéficiaire peut être autorisé à solliciter en justice la mainlevée de la clause d’inaliénabilité.

Pour ce faire, il lui faudra remplir deux conditions :

  • Première condition : obtention de l’autorisation du juge
    • Ainsi que le prévoit l’article 900-1 du Code civil, la mainlevée de la clause d’inaliénabilité ne peut être prononcée que par un juge
    • La juridiction compétence sera toujours le juge judiciaire, y compris dans les cas où le bénéficiaire de la libéralité est une personne de droit public (
  • Seconde condition : disparition de l’intérêt qui avait justifié la cause ou survenance d’un intérêt plus important
    • L’article 900-1 du Code civil conditionne la possibilité de solliciter la mainlevée de la clause d’inaliénabilité :
      • Soit à la disparition de l’intérêt qui avait justifié la clause
        • Dans cette hypothèse, la cause qui avait justifié la stipulation de la clause d’inaliénabilité a disparu, de sorte qu’elle est devenue sans objet ou n’est plus actuel
        • Tel est le cas par exemple, lorsque le bien a été donné à une personne aux fins qu’elle réalise un projet particulier et que sa réalisation devient impossible
      • Soit à la survenance d’un intérêt plus important
        • Dans cette hypothèse, l’objectif recherché est d’éviter que la clause d’inaliénabilité puisse avoir des conséquences particulièrement préjudiciables pour le bénéficiaire de la libéralité
        • Aussi, est-il permis au donataire ou légataire, personne physique, de se faire autoriser par le tribunal à disposer du bien s’il advient qu’un intérêt supérieur l’exige : notamment si le propriétaire ne peut plus entretenir le bien, ou s’il a impérieusement besoin de l’aliéner ou de l’hypothéquer, par exemple pour assurer le logement de sa famille et l’éducation de ses enfants, ou encore pour payer des droits de succession.
    • Il peut être observé que dans un arrêt du 23 janvier 2008, la Cour de cassation a exclu la possibilité pour les personnes morales bénéficiaires d’une libéralité de solliciter auprès du juge la mainlevée de clause d’inaliénabilité (V. en ce sens 1ère civ. 23 janv. 2008, n° 16-16120).
    • L’alinéa 1er in fine de l’article 900-1 du Code civil ne peut ainsi être invoqué que par les personnes physiques bénéficiaires d’une libéralité

Cass. 1ère civ. 23 janv. 2008
Attendu qu'aux termes de ce texte les dispositions du présent article ne préjudicient pas aux libéralités consenties à des personnes morales ou même à des personnes physiques à charge de constituer des personnes morales ;

Attendu que pour débouter M. X... de sa demande tendant à l'annulation des constitutions d'hypothèques et des quatre ventes immobilières intervenues du chef de l'association entre 1995 et 1999, le premier arrêt retient que celles-ci avaient permis à l'association de continuer à fonctionner et qu'elles correspondaient à un intérêt plus important que celui pour lequel la clause d'inaliénabilité avait été prévue ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par refus d'application, le texte susvisé ;

==> La prohibition des clauses pénales

Lors de l’adoption de la loi du 3 juillet 1971, s’est posée la question de la validité des clauses pénales  par lesquelles un disposant priverait d’une libéralité celui qui attaquerait la validité de tout ou partie de celle-ci.

Manifestement la stipulation d’une telle clause serait de nature à dissuader le bénéficiaire de la libéralité de contester sa validité devant le juge car, s’il triomphe en faisant reconnaître par le juge l’illicéité de la clause d’inaliénabilité, il risque de perdre le bien ayant fait l’objet de la stipulation.

C’est la raison pour laquelle, afin de neutraliser toute velléité de contournement de la loi, a été inséré dans le Code civil un article 900-8 qui prévoit que « est réputée non écrite toute clause par laquelle le disposant prive de la libéralité celui qui mettrait en cause la validité d’une clause d’inaliénabilité ou demanderait l’autorisation d’aliéner ».

Le droit à l’image des biens

Le droit de jouissance octroie, en principe, au propriétaire la liberté d’exploiter son bien, mais également de ne rien en faire.

L’utilité conférée par la jouissance au propriétaire est très vaste, à telle enseigne que rien ne s’oppose à ce qu’elle permette d’appréhender des utilités nouvelles des biens, en particulier des utilités qui jusqu’à maintenant avaient échappé à l’appréhension du droit, parce que l’intérêt qui s’y attachait était moindre.

Sous le prisme de la jouissance, on s’est alors posé la question du droit du propriétaire à l’image de son bien, par transposition au droit à l’image des personnes.

Ainsi que le relève le Professeur Zénati, « l’intervention de la photographie, du cinématographe, et de la communication audiovisuelle ont mis au jour une utilité qui, jusqu’alors, demeurait discrète : la reproduction picturale. Comme d’habitude, le droit réagit avec quelque retard, mais peu importe. Il est patent que la vertu qu’ont tous les objets matériels de pouvoir être mis en image est une utilité qui tombe sous le champ de la propriété à l’instar des utilités classiques que l’on connaît et qu’en conséquence cet avantage échappe à la jouissance d’autrui ».

Première illustration de ce phénomène, dans un arrêt du 10 mars 1999, la Cour de cassation a jugé, au visa de l’article 544 du Code civil, que « l’exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1999, n°96-18699).

Cass. 1ère civ. 10 mars 1999
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 544 du Code civil ;

Attendu que le propriétaire a seul le droit d'exploiter son bien, sous quelque forme que ce soit ;

Attendu que, pour rejeter la demande de Mme X..., épouse Y..., tendant à la saisie de cartes postales mises en vente par la société Editions Dubray, représentant le " Café Gondrée ", dont Mme Y... est propriétaire à Bénouville, l'arrêt attaqué énonce que la photographie, prise sans l'autorisation du propriétaire, d'un immeuble exposé à la vue du public et réalisée à partir du domaine public ainsi que sa reproduction, fût-ce à des fins commerciales, ne constituent pas une atteinte aux prérogatives reconnues au propriétaire ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, non plus que sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 juin 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

Il ressort de cet arrêt que le droit à l’image sur les biens relève du monopole de jouissance dont est investi le propriétaire.

Le professeur Cornu analyse ce rattachement du droit à l’image au fructus en soutenant que « c’est parce qu’il est investi, sur son bien, non pas d’un droit à l’image de celui-ci mais du droit exclusif de l’exploiter (partie de sa jouissance), que le propriétaire est fondé à interdire aux tiers l’exploitation photographique et lucrative de son bien qui est tout simplement une part de son utilité économique »

Selon cette thèse la reproduction d’un bien meuble ou immeuble sous la forme d’une image, que les techniques modernes permettent de commercialiser à grande échelle, constitue une utilités susceptible d’être source de profit.

Dans notre société qui repose très largement sur la propriété privée, il n’y aurait donc aucune raison que les propriétaires qui ont la charge de l’entretien de leurs biens soient dépossédés des potentialités de leur exploitation au prétexte qu’ils sont accessibles au regard du public.

Pour s’en convaincre, il suffit d’observer que le droit de se clore prévu par l’article 647 du Code civil n’est pas seulement un moyen de protéger le propriétaire contre les incursions des tiers, mais est aussi le signe que la vue de son bien est une utilité qui lui appartient. En témoignent également les dispositions des articles 675 à 680 de ce Code qui imposent aux propriétaires d’immeubles d’éloigner de la limite séparative de leurs fonds les murs comportant des vues sur le fonds voisin.

En réaction à cette jurisprudence, des spécialistes du droit d’auteur ont soutenu que si le législateur a limité la durée des droits patrimoniaux des auteurs, spécialement du droit de reproduction que leur accorde à titre exclusif l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle, c’est parce que leurs œuvres doivent tomber dans le domaine public libres de toute entrave afin de développer la culture et la connaissance du patrimoine. En raison de son caractère perpétuel, le droit de propriété ferait obstacle à l’extension sans cesse régénérée du domaine public.

D’autres commentateurs ont avancé que la découverte de cette nouvelle utilité du bien (droit à l’image) au bénéfice de son propriétaire aboutirait à des solutions ingérables en pratique, trop contraignantes et trop coûteuses pour les professionnels de l’illustration. Ils ont encore dénoncé ainsi une “privatisation de l’espace public” au détriment de la liberté d’expression[2].

Attentive aux critiques à l’encontre de la position qu’elle avait adoptée en 1999, la Cour de cassation s’est à nouveau prononcée en 2001 en y apportant un tempérament.

Dans un arrêt du 2 mai 2001, la première chambre civile a, en effet, reproché aux juges de fond de n’avoir pas précisé « en quoi l’exploitation de la photographie par les titulaires du droit incorporel de son auteur portait un trouble certain au droit d’usage et de jouissance du propriétaire » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°99-10709).

L’exploitation de l’image d’un bien par un tiers ne serait ainsi sanctionnée qu’à la condition que soit établie l’existence d’un « trouble certain du droit d’usage et de jouissance du propriétaire ».

Cass. 1ère civ. 2 mai 2001
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le deuxième moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 544 du Code civil ;

Attendu que le Comité régional de tourisme de Bretagne (le CRT) a utilisé à des fins de publicité un cliché dont il avait acquis le droit de reproduction de M. X..., photographe professionnel ; que cette image représente l'estuaire du Trieux, avec, au premier plan, l'îlot de Roch Arhon, propriété de la société civile immobilière du même nom, et a été diffusée malgré l'opposition de celle-ci ;

Attendu que pour accueillir la demande de la SCI en interdiction de cette reproduction, l'arrêt attaqué énonce que les droits invoqués par le CRT et M. X... trouvent leurs limites dans la protection du droit de propriété de la SCI, à la mesure des abus inhérents à l'exploitation d'une représentation de son bien à des fins commerciales et avec une publicité importante, que l'île est le sujet essentiel de l'image, et que la photographie est utilisée sous la forme d'une affiche à grande diffusion, au titre d'une campagne publicitaire destinée à la promotion du tourisme ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l'exploitation de la photographie par les titulaires du droit incorporel de son auteur portait un trouble certain au droit d'usage ou de jouissance du propriétaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

[…]

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches des premier et deuxième moyens :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

À l’analyse, il ressort de cette décision que la Cour de cassation s’est mise en quête de la recherche d’un équilibre entre les intérêts du propriétaire et la liberté de circulation de l’image du bien.

L’exigence de démontrer un trouble certain dans la jouissance du propriétaire conduit à autoriser l’utilisation de l’image du bien d’autrui, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une exploitation directe de cette image.

Cette protection nouvelle du droit à l’image de son bien a pour fondement l’article 544 du Code civil, et plus précisément le droit de jouissance dont est investi le propriétaire.

Cette appréhension du droit à l’image sur les biens comme une expression de l’usus et du fructus n’a manifestement pas perduré.

Dans un arrêt du 7 mai 2004, la Cour de cassation réunie en assemblée plénière a, en effet, jugé que « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; qu’il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal » (Cass. ass. plen. 7 mai 2004, n°02-10450).

Par cette formule, haute juridiction déconnecte le droit à l’image sur le bien dont est titulaire le propriétaire de l’article 544 du Code civil pour le rattacher aux principes de la responsabilité civile.

Cass. ass. plen. 7 mai 2004
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 31 octobre 2001), que la Société de promotion immobilière SCIR Normandie (la société SCIR Normandie), a confié à la société Publicis Qualigraphie aux droits de laquelle se trouve la société Publicis Hourra (la société Publicis) la confection de dépliants publicitaires comportant, outre des informations relatives à l'implantation de la future résidence et à ses avantages, la reproduction de la façade d'un immeuble historique de Rouen, l'Hôtel de Girancourt ; que se prévalant de sa qualité de propriétaire de cet hôtel, la SCP Hôtel de Girancourt, dont l'autorisation n'avait pas été sollicitée, a demandé judiciairement à la société SCIR Normandie la réparation du préjudice qu'elle disait avoir subi du fait de l'utilisation de l'image de son bien ; que cette dernière a appelé la société Publicis en garantie ;

Attendu que la SCP Hôtel de Girancourt fait grief à l'arrêt du rejet de ses prétentions, alors, selon le moyen :

1 ) qu'aux termes de l'article 544 du Code civil, "la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements" ; que le droit de jouir emporte celui d'user de la chose dont on est propriétaire et de l'exploiter personnellement ou par le truchement d'un tiers qui rémunère le propriétaire, ce droit ayant un caractère absolu et conduisant à reconnaître au propriétaire un monopole d'exploitation de son bien, sauf s'il y renonce volontairement ; qu'en énonçant que "le droit de propriété n'est pas absolu et illimité et ne comporte pas un droit exclusif pour le propriétaire sur l'image de son bien" pour en déduire qu'il lui appartenait de démontrer l'existence d'un préjudice car la seule reproduction de son bien immeuble sans son consentement ne suffit pas à caractériser ce préjudice, la cour d'appel a violé l'article 544 du Code civil ;

2 ) qu'elle faisait valoir dans ses conclusions d'appel que l'utilisation à des fins commerciales de la reproduction de la façade de l'Hôtel de Girancourt sans aucune contrepartie financière pour elle, qui a supporté un effort financier considérable pour la restauration de l'hôtel particulier ainsi qu'en témoignent les photographies de l'immeuble avant et après les travaux, restauration qui a permis aux intimées de choisir une image de cet immeuble pour l'intégrer dans le dépliant publicitaire, est totalement abusive et lui cause un préjudice réel, le fait que les intimées aient acheté cette reproduction chez un photographe rouennais prouvant bien que la façade restaurée représente une valeur commerciale ; qu'en énonçant, sans répondre à ce moyen particulièrement pertinent qu'elle "ne démontre pas l'existence du préjudice invoqué par elle et d'une atteinte à son droit de propriété", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 544 du Code civil ;

3 ) qu'elle faisait également valoir dans ses conclusions d'appel en visant les cartes postales de la façade historique de l’Hôtel de Girancourt qu'elle édite et qu'elle avait régulièrement produites, que les mentions portées au verso de ces pièces confirment sa volonté de conserver à son usage exclusif le droit de reproduire la façade de l'hôtel ou de concéder une autorisation quand elle estime que les conditions sont réunies ; qu'en s'abstenant totalement de se prononcer sur la valeur de ces pièces qu'elle avait régulièrement versées aux débats à l'appui de ses prétentions, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1353 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci ; qu'il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal ;

Et attendu que les énonciations de l'arrêt font apparaître qu'un tel trouble n'était pas établi ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

C’est ainsi que la Cour de cassation nie désormais le pouvoir du propriétaire d’exercer un droit de propriété sur l’image de son bien. Il dispose seulement d’une action qui pourrait reposer, tant sur les principes du droit de la responsabilité, que sur le droit à la vie privée ou encore sur la diffamation envisagée par la loi du 29 juillet 1881.

La notion de trouble se retrouve dans de nombreux régimes de responsabilité, de sorte que cela offre une large palette d’actions au propriétaire incommodé.

Par trouble anormal, il faut entendre, selon un arrêt de la première chambre civile, une atteinte à la tranquillité ou à l’intimité de la personne (Cass. 1ère civ. 5 juil. 2005, n°02-21452).

Dans un arrêt du 31 mars 2015, la Chambre commerciale a précisé que l’exploitation commerciale en elle-même de l’image d’un bien n’est pas constitutive d’un trouble anormal (Cass. com. 31 mars 2015, n°13-21300).

De la distinction entre les fruits et les produits de la chose

L’une des exploitations d’un bien peut consister à tirer profit de la création, à partir de celui-ci, d’un nouveau bien. Ainsi, un arbre procure-t-il des fruits, un immeuble donné à bail des loyers et une carrière de pierres.

La question qui alors se pose est de savoir si tous ces nouveaux biens créés dont tire profit le propriétaire sont appréhendés par le droit de la même manière.

La réponse est non, en raison d’une différence physique qu’il y a lieu de relever entre les différents revenus qu’un bien est susceptible de procurer à son propriétaire.

En effet, il est des cas où la création de biens dérivés supposera de porter atteinte à la substance du bien originaire (extraction de pierre d’une carrière), tandis que dans d’autres cas la substance de ce bien ne sera nullement altérée par la production d’un nouveau bien.

Ce constat a conduit à distinguer les fruits que procure la chose au propriétaire des produits, l’intérêt de la distinction étant réel, notamment en cas de démembrement du droit de propriété.

==> Exposé de la distinction

  • Les fruits
    • Les fruits correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.
    • Tel est le cas des loyers produits par un immeuble loué, des fruits d’un arbre ou encore des bénéfices commerciaux tirés de l’exploitation d’une usine.
    • Classiquement, on distingue trois catégories de fruits :
      • Les fruits naturels
        • Il s’agit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
        • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
      • Les fruits industriels
        • Il s’agit des fruits que l’on obtient par la culture, soit dont la production procède du travail de l’homme
        • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
      • Les fruits civils
        • Il s’agit des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
        • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
    • Pour être un fruit, le bien créé à partir d’un bien originaire, il doit donc remplir deux critères : la périodicité (plus ou moins régulière) et la conservation de la substance de la chose dont ils dérivent.
    • Ainsi que l’exprimait le Doyen Carbonnier, « c’est parce qu’il [le fruit] revient périodiquement et qu’il ne diminue pas la substance du capital que le fruit se distingue du produit».
  • Les produits
    • Les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance
    • Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine
    • Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé»[1].
    • Lorsque la perception des revenus tirés de la chose ne procédera pas d’une altération de sa substance, il conviendra de déterminer si cette perception est périodique ou isolée.
    • Tandis que dans le premier, il s’agira de fruits, dans le second, on sera en présence de produits.
    • Ainsi, s’agissant d’une carrière exploitée sans discontinuité, les pierres extraites seront regardées comme des fruits et non comme des produits, la périodicité de la production couvrant l’altération de la substance.
    • Il en va de même pour une forêt qui aurait été aménagée en couples réglées : les arbres abattus quittent leur état de produits pour devenir des fruits.

==> Intérêt de la distinction

La distinction entre les fruits et les produits n’est pas sans intérêt sur le plan juridique.

En effet, alors que les fruits reviennent à celui qui a la jouissance de la chose, soit l’usufruitier, les produits, en ce qu’ils sont une composante du capital, appartiennent au nu-propriétaire.

Attributs du droit de propriété: le droit de jouir de la chose (le fructus)

Le droit de propriété confère un spectre de prérogatives des plus large à son titulaire regroupées en trois attributs.

Au nombre de ces attributs figurent, l’usus, le fructus et l’abusus, lesquels permettent respectivement d’utiliser, de jouir, et de disposer de la chose. Nous nous focaliserons ici sur le fructus.

I) Notion

Le droit de propriété ce n’est pas seulement le droit d’user de la chose, c’est également le droit d’en jouir (fructus).

Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir conféré au propriétaire de percevoir les revenus que le bien lui procure.

Pour le propriétaire d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers qui lui sont réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

À l’instar de l’usus, le fructus comporte également un aspect négatif, en ce qu’il autorise le propriétaire à ne pas percevoir les revenus de son bien, soit de le laisser inexploité.

Immédiatement, il convient d’observer que le bien est susceptible de procurer deux sortes de revenus au propriétaire : des fruits et des produits

II) Distinction en les fruits et les produits

L’une des exploitations d’un bien peut consister à tirer profit de la création, à partir de celui-ci, d’un nouveau bien. Ainsi, un arbre procure-t-il des fruits, un immeuble donné à bail des loyers et une carrière de pierres.

La question qui alors se pose est de savoir si tous ces nouveaux biens créés dont tire profit le propriétaire sont appréhendés par le droit de la même manière.

La réponse est non, en raison d’une différence physique qu’il y a lieu de relever entre les différents revenus qu’un bien est susceptible de procurer à son propriétaire.

En effet, il est des cas où la création de biens dérivés supposera de porter atteinte à la substance du bien originaire (extraction de pierre d’une carrière), tandis que dans d’autres cas la substance de ce bien ne sera nullement altérée par la production d’un nouveau bien.

Ce constat a conduit à distinguer les fruits que procure la chose au propriétaire des produits, l’intérêt de la distinction étant réel, notamment en cas de démembrement du droit de propriété.

  • Exposé de la distinction
    • Les fruits
      • Les fruits correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.
      • Tel est le cas des loyers produits par un immeuble loué, des fruits d’un arbre ou encore des bénéfices commerciaux tirés de l’exploitation d’une usine.
      • Classiquement, on distingue trois catégories de fruits :
        • Les fruits naturels
          • Il s’agit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
          • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
        • Les fruits industriels
          • Il s’agit des fruits que l’on obtient par la culture, soit dont la production procède du travail de l’homme
          • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
        • Les fruits civils
          • Il s’agit des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
          • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
      • Pour être un fruit, le bien créé à partir d’un bien originaire, il doit donc remplir deux critères : la périodicité (plus ou moins régulière) et la conservation de la substance de la chose dont ils dérivent.
      • Ainsi que l’exprimait le Doyen Carbonnier, « c’est parce qu’il [le fruit] revient périodiquement et qu’il ne diminue pas la substance du capital que le fruit se distingue du produit».
    • Les produits
      • Les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance
      • Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine
      • Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé»[1].
      • Lorsque la perception des revenus tirés de la chose ne procédera pas d’une altération de sa substance, il conviendra de déterminer si cette perception est périodique ou isolée.
      • Tandis que dans le premier, il s’agira de fruits, dans le second, on sera en présence de produits.
      • Ainsi, s’agissant d’une carrière exploitée sans discontinuité, les pierres extraites seront regardées comme des fruits et non comme des produits, la périodicité de la production couvrant l’altération de la substance.
      • Il en va de même pour une forêt qui aurait été aménagée en couples réglées : les arbres abattus quittent leur état de produits pour devenir des fruits.
  • Intérêt de la distinction
    • La distinction entre les fruits et les produits n’est pas sans intérêt sur le plan juridique.
    • En effet, alors que les fruits reviennent à celui qui a la jouissance de la chose, soit l’usufruitier, les produits, en ce qu’ils sont une composante du capital, appartiennent au nu-propriétaire.

III) Formes de la jouissance

En approfondissant l’analyse, il apparaît que le fructus peut se manifester sous deux formes différentes :

  • L’accomplissement d’actes matériels
    • La jouissance peut tout d’abord consister en la perception de revenus au moyen d’actes matériels
    • Dans cette hypothèse le propriétaire récolte lui-même les fruits naturels ou industriels
  • L’accomplissement d’actes juridiques
    • La jouissance peut ensuite consister en la perception de revenus aux moyens d’actes juridiques
    • Il s’agira ici d’accomplir des actes d’administration ou de disposition pour que le bien produise des fruits civils.
    • Tel est le cas du propriétaire d’un immeuble qui doit conclure un contrat de bail pour percevoir des loyers

IV) Cas particulier du droit à l’image sur les biens

Le droit de jouissance octroie, en principe, au propriétaire la liberté d’exploiter son bien, mais également de ne rien en faire.

L’utilité conférée par la jouissance au propriétaire est très vaste, à telle enseigne que rien ne s’oppose à ce qu’elle permette d’appréhender des utilités nouvelles des biens, en particulier des utilités qui jusqu’à maintenant avaient échappé à l’appréhension du droit, parce que l’intérêt qui s’y attachait était moindre.

Sous le prisme de la jouissance, on s’est alors posé la question du droit du propriétaire à l’image de son bien, par transposition au droit à l’image des personnes.

Ainsi que le relève le Professeur Zénati, « l’intervention de la photographie, du cinématographe, et de la communication audiovisuelle ont mis au jour une utilité qui, jusqu’alors, demeurait discrète : la reproduction picturale. Comme d’habitude, le droit réagit avec quelque retard, mais peu importe. Il est patent que la vertu qu’ont tous les objets matériels de pouvoir être mis en image est une utilité qui tombe sous le champ de la propriété à l’instar des utilités classiques que l’on connaît et qu’en conséquence cet avantage échappe à la jouissance d’autrui ».

Première illustration de ce phénomène, dans un arrêt du 10 mars 1999, la Cour de cassation a jugé, au visa de l’article 544 du Code civil, que « l’exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1999, n°96-18699).

Cass. 1ère civ. 10 mars 1999
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 544 du Code civil ;

Attendu que le propriétaire a seul le droit d'exploiter son bien, sous quelque forme que ce soit ;

Attendu que, pour rejeter la demande de Mme X..., épouse Y..., tendant à la saisie de cartes postales mises en vente par la société Editions Dubray, représentant le " Café Gondrée ", dont Mme Y... est propriétaire à Bénouville, l'arrêt attaqué énonce que la photographie, prise sans l'autorisation du propriétaire, d'un immeuble exposé à la vue du public et réalisée à partir du domaine public ainsi que sa reproduction, fût-ce à des fins commerciales, ne constituent pas une atteinte aux prérogatives reconnues au propriétaire ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, non plus que sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 juin 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

Il ressort de cet arrêt que le droit à l’image sur les biens relève du monopole de jouissance dont est investi le propriétaire.

Le professeur Cornu analyse ce rattachement du droit à l’image au fructus en soutenant que « c’est parce qu’il est investi, sur son bien, non pas d’un droit à l’image, de celui-ci mais du droit exclusif de l’exploiter (partie de sa jouissance), que le propriétaire est fondé à interdire aux tiers l’exploitation photographique et lucrative de son bien qui est tout simplement une part de son utilité économique »

Selon cette thèse la reproduction d’un bien meuble ou immeuble sous la forme d’une image, que les techniques modernes permettent de commercialiser à grande échelle, constitue une utilités susceptible d’être source de profit.

Dans notre société qui repose très largement sur la propriété privée, il n’y aurait donc aucune raison que les propriétaires qui ont la charge de l’entretien de leurs biens soient dépossédés des potentialités de leur exploitation au prétexte qu’ils sont accessibles au regard du public.

Pour s’en convaincre, il suffit d’observer que le droit de se clore prévu par l’article 647 du Code civil n’est pas seulement un moyen de protéger le propriétaire contre les incursions des tiers mais est aussi le signe que la vue de son bien est une utilité qui lui appartient. En témoignent également les dispositions des articles 675 à 680 de ce Code qui imposent aux propriétaires d’immeubles d’éloigner de la limite séparative de leurs fonds les murs comportant des vues sur le fonds voisin.

En réaction à cette jurisprudence, des spécialistes du droit d’auteur ont soutenu que si le législateur a limité la durée des droits patrimoniaux des auteurs, spécialement du droit de reproduction que leur accorde à titre exclusif l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle, c’est parce que leurs œuvres doivent tomber dans le domaine public libres de toute entrave afin de développer la culture et la connaissance du patrimoine. En raison de son caractère perpétuel, le droit de propriété ferait obstacle à l’extension sans cesse régénérée du domaine public.

D’autres commentateurs ont avancé que la découverte de cette nouvelle utilité du bien (droit à l’image) au bénéfice de son propriétaire aboutirait à des solutions ingérables en pratique, trop contraignantes et trop coûteuses pour les professionnels de l’illustration. Ils ont encore dénoncé ainsi une “privatisation de l’espace public” au détriment de la liberté d’expression[2].

Attentive aux critiques à l’encontre de la position qu’elle avait adoptée en 1999, la Cour de cassation s’est à nouveau prononcée en 2001 en y apportant un tempérament.

Dans un arrêt du 2 mai 2001, la première chambre civile a, en effet, reproché aux juges de fond de n’avoir pas précisé « en quoi l’exploitation de la photographie par les titulaires du droit incorporel de son auteur portait un trouble certain au droit d’usage et de jouissance du propriétaire » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°99-10709).

L’exploitation de l’image d’un bien par un tiers ne serait ainsi sanctionnée qu’à la condition que soit établie l’existence d’un « trouble certain du droit d’usage et de jouissance du propriétaire ».

Cass. 1ère civ. 2 mai 2001
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le deuxième moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 544 du Code civil ;

Attendu que le Comité régional de tourisme de Bretagne (le CRT) a utilisé à des fins de publicité un cliché dont il avait acquis le droit de reproduction de M. X..., photographe professionnel ; que cette image représente l'estuaire du Trieux, avec, au premier plan, l'îlot de Roch Arhon, propriété de la société civile immobilière du même nom, et a été diffusée malgré l'opposition de celle-ci ;

Attendu que pour accueillir la demande de la SCI en interdiction de cette reproduction, l'arrêt attaqué énonce que les droits invoqués par le CRT et M. X... trouvent leurs limites dans la protection du droit de propriété de la SCI, à la mesure des abus inhérents à l'exploitation d'une représentation de son bien à des fins commerciales et avec une publicité importante, que l'île est le sujet essentiel de l'image, et que la photographie est utilisée sous la forme d'une affiche à grande diffusion, au titre d'une campagne publicitaire destinée à la promotion du tourisme ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l'exploitation de la photographie par les titulaires du droit incorporel de son auteur portait un trouble certain au droit d'usage ou de jouissance du propriétaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

[…]

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches des premier et deuxième moyens :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

À l’analyse, il ressort de cette décision que la Cour de cassation s’est mise en quête de la recherche d’un équilibre entre les intérêts du propriétaire et la liberté de circulation de l’image du bien.

L’exigence de démontrer un trouble certain dans la jouissance du propriétaire conduit à autoriser l’utilisation de l’image du bien d’autrui, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une exploitation directe de cette image.

Cette protection nouvelle du droit à l’image de son bien a pour fondement l’article 544 du Code civil, et plus précisément le droit de jouissance dont est investi le propriétaire.

Cette appréhension du droit à l’image sur les biens comme une expression de l’usus et du fructus n’a manifestement pas perduré.

Dans un arrêt du 7 mai 2004, la Cour de cassation réunie en assemblée plénière a, en effet, jugé que « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; qu’il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal » (Cass. ass. plen. 7 mai 2004, n°02-10450).

Par cette formule, haute juridiction déconnecte le droit à l’image sur le bien dont est titulaire le propriétaire de l’article 544 du Code civil pour le rattacher aux principes de la responsabilité civile.

Cass. ass. plen. 7 mai 2004
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 31 octobre 2001), que la Société de promotion immobilière SCIR Normandie (la société SCIR Normandie), a confié à la société Publicis Qualigraphie aux droits de laquelle se trouve la société Publicis Hourra (la société Publicis) la confection de dépliants publicitaires comportant, outre des informations relatives à l'implantation de la future résidence et à ses avantages, la reproduction de la façade d'un immeuble historique de Rouen, l'Hôtel de Girancourt ; que se prévalant de sa qualité de propriétaire de cet hôtel, la SCP Hôtel de Girancourt, dont l'autorisation n'avait pas été sollicitée, a demandé judiciairement à la société SCIR Normandie la réparation du préjudice qu'elle disait avoir subi du fait de l'utilisation de l'image de son bien ; que cette dernière a appelé la société Publicis en garantie ;

Attendu que la SCP Hôtel de Girancourt fait grief à l'arrêt du rejet de ses prétentions, alors, selon le moyen :

1 ) qu'aux termes de l'article 544 du Code civil, "la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements" ; que le droit de jouir emporte celui d'user de la chose dont on est propriétaire et de l'exploiter personnellement ou par le truchement d'un tiers qui rémunère le propriétaire, ce droit ayant un caractère absolu et conduisant à reconnaître au propriétaire un monopole d'exploitation de son bien, sauf s'il y renonce volontairement ; qu'en énonçant que "le droit de propriété n'est pas absolu et illimité et ne comporte pas un droit exclusif pour le propriétaire sur l'image de son bien" pour en déduire qu'il lui appartenait de démontrer l'existence d'un préjudice car la seule reproduction de son bien immeuble sans son consentement ne suffit pas à caractériser ce préjudice, la cour d'appel a violé l'article 544 du Code civil ;

2 ) qu'elle faisait valoir dans ses conclusions d'appel que l'utilisation à des fins commerciales de la reproduction de la façade de l'Hôtel de Girancourt sans aucune contrepartie financière pour elle, qui a supporté un effort financier considérable pour la restauration de l'hôtel particulier ainsi qu'en témoignent les photographies de l'immeuble avant et après les travaux, restauration qui a permis aux intimées de choisir une image de cet immeuble pour l'intégrer dans le dépliant publicitaire, est totalement abusive et lui cause un préjudice réel, le fait que les intimées aient acheté cette reproduction chez un photographe rouennais prouvant bien que la façade restaurée représente une valeur commerciale ; qu'en énonçant, sans répondre à ce moyen particulièrement pertinent qu'elle "ne démontre pas l'existence du préjudice invoqué par elle et d'une atteinte à son droit de propriété", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 544 du Code civil ;

3 ) qu'elle faisait également valoir dans ses conclusions d'appel en visant les cartes postales de la façade historique de l’Hôtel de Girancourt qu'elle édite et qu'elle avait régulièrement produites, que les mentions portées au verso de ces pièces confirment sa volonté de conserver à son usage exclusif le droit de reproduire la façade de l'hôtel ou de concéder une autorisation quand elle estime que les conditions sont réunies ; qu'en s'abstenant totalement de se prononcer sur la valeur de ces pièces qu'elle avait régulièrement versées aux débats à l'appui de ses prétentions, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1353 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci ; qu'il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal ;

Et attendu que les énonciations de l'arrêt font apparaître qu'un tel trouble n'était pas établi ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

C’est ainsi que la Cour de cassation nie désormais le pouvoir du propriétaire d’exercer un droit de propriété sur l’image de son bien. Il dispose seulement d’une action qui pourrait reposer, tant sur les principes du droit de la responsabilité, que sur le droit à la vie privée ou encore sur la diffamation envisagée par la loi du 29 juillet 1881.

La notion de trouble se retrouve dans de nombreux régimes de responsabilité, de sorte que cela offre une large palette d’actions au propriétaire incommodé.

Par trouble anormal, il faut entendre, selon un arrêt de la première chambre civile, une atteinte à la tranquillité ou à l’intimité de la personne (Cass. 1ère civ. 5 juil. 2005, n°02-21452).

Dans un arrêt du 31 mars 2015, la Chambre commerciale a précisé que l’exploitation commerciale en elle-même de l’image d’un bien n’est pas constitutive d’un trouble anormal (Cass. com. 31 mars 2015, n°13-21300).

[1] H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Paris 1955, t.1, p. 253, n°228.

[2] M. Guérin et E. De Roux, “Pour le photographe, la rue n’est plus libre de droits”, Le Monde 27 mars 1999, p. 29 et M. Huet, Droit de l’architecture, Economica, 2001 3ème éd. p. 267.

Attributs du droit de propriété: le droit d’user de la chose (l’usus)

Le droit de propriété confère un spectre de prérogatives des plus large à son titulaire regroupées en trois attributs.

Au nombre de ces attributs figurent, l’usus, le fructus et l’abusus, lesquels permettent respectivement d’utiliser, de jouir, et de disposer de la chose. Nous nous focaliserons ici sur l’usus.

I) Fondement

L’article 544 du Code civil dispose que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses ». Ainsi sont résumées les prérogatives qui sont conférées au propriétaire d’un bien.

Alors que le texte investi ce dernier du pouvoir de disposer de la chose (abusus) et de tirer profit des fruits qu’elle lui procure (fructus), étonnement il n’est nullement fait référence à la possibilité d’en user.

Est-ce à dire que l’usage de la chose ne compte pas parmi les prérogatives qui échoient au propriétaire ? Certainement pas. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à la dernière partie de l’article 544 du Code civil qui précise « pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

La faculté d’user de la chose relève donc bien des prérogatives conférées au propriétaire au titre de son droit de propriété. La question qui alors se pose est de savoir ce que recouvre le droit « d’user de la chose ».

II) Signification

À l’examen, l’usus doit être envisagé sous ses deux aspects, positifs et négatifs :

==> Positivement

L’usus c’est d’abord le pouvoir de faire usage de la chose en exerçant sur elle une emprise matérielle.

Le Doyen Carbonnier définissait l’usus comme « cette sorte de jouissance qui consiste à retirer personnellement – individuellement ou par sa famille – l’utilité ou le plaisir que peut procurer par elle-même une chose non productive ou non exploitée (habiter sa maison, porter ses bijoux, c’est en user) ».

À cet égard, le droit d’user de la chose confère au propriétaire la liberté de choisir l’usage de la chose, soit de s’en servir selon ses propres besoins, convictions et intérêts.

Sous réserve de la réglementation applicable et des autorisations administratives requises, il est donc libre d’édifier un immeuble sur le terrain dont il est propriétaire, tout autant qu’il peut choisir d’affecter ce terrain à de la cultivation ou à l’exploitation d’un camping.

==> Négativement

L’usus c’est aussi le pouvoir de ne pas faire usage de la chose dont on est propriétaire, nonobstant les conséquences matérielles ou économiques que ce non-usage est susceptible d’occasionner.

Ainsi, l’automobiliste est-il libre de ne pas utiliser sa voiture, tout autant que le propriétaire d’une maison est libre de ne pas l’habiter, quand bien même il est un risque que l’un et l’autre de ces biens se détériorent en cas d’absence d’utilisation prolongée.

Les éléments constitutifs de la possession: corpus et animus

Ainsi que l’écrivait le Doyen Carbonnier « les biens n’ont de sens que par rapport à l’homme »[1]. Autrement dit, le droit n’a pas vocation à appréhender les choses en tant que telles, soit indépendamment de l’utilité qu’elles procurent à l’homme ; il les envisage, bien au contraire, dans leur rapport exclusif avec lui.

Plus précisément, c’est l’appropriation dont les choses sont susceptibles de faire l’objet qui intéresse le droit.

Si cette appropriation s’exprime toujours par l’exercice par l’homme d’un pouvoir sur la chose, ce pouvoir peut être de deux ordres :

  • D’une part, il peut s’agir d’un pouvoir de fait : on parle alors de possession de la chose
  • D’autre part, il peut s’agir d’un pouvoir de droit : on parle alors de propriété de la chose

==> Distinction entre la possession et la propriété

Possession et propriété peuvent, en quelque sorte, être regardés comme les deux faces d’une même pièce.

  • La possession : un pouvoir de fait sur la chose
    • La possession est le pouvoir physique exercé sur une chose, de sorte qu’elle confère au possesseur une emprise matérielle sur elle.
    • À cet égard, pour le Doyen Cornu « le possesseur a la maîtrise effective de la chose possédée. Il la détient matériellement. Elle est entre ses mains. En sa puissance».
    • Ainsi, la possession est un fait, par opposition à la propriété qui est le droit, ce qui a conduit le Doyen Carbonnier à dire de la possession qu’elle est l’ombre de la propriété.
    • La possession n’est, toutefois, pas n’importe quel fait : elle est un fait juridique, soit un agissement auquel la loi attache des effets de droit.
    • Et la situation juridique ainsi créée est protégée en elle-même.
  • La propriété : un pouvoir de droit sur la chose
    • À la différence de la possession qui relève du fait, la propriété est le pouvoir de droit exercé sur une chose.
    • Par pouvoir de droit, il faut entendre la faculté pour le propriétaire d’user, de jouir et de disposer de la chose.
    • Ainsi, la propriété confère une plénitude de pouvoirs sur la chose, lesquels pouvoirs s’incarnent dans ce que l’on appelle le droit réel (« réel » vient du latin « res» : la chose).
    • Ce droit réel dont est titulaire le propriétaire est le plus complet de tous.
    • La raison en est que la propriété, en ce qu’elle procure au propriétaire l’ensemble des utilités de la chose, fonde la souveraineté qu’il exerce sur elle à l’exclusion de toute autre personne.
    • À la différence de la possession qui est susceptible, à tout instant, d’être remise en cause par le véritable propriétaire de la chose, la propriété confère au à son titulaire un droit – réel – dont il ne peut être privé par personne, sauf à faire l’objet d’une procédure d’expropriation, laquelle procédure est strictement encadrée par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

La plupart du temps, la propriété coïncide avec la possession, de sorte que le propriétaire qui est titulaire d’un droit réel sur la chose, exerce également sur elle une emprise physique.

Réciproquement, l’immense majorité des possesseurs exercent un pouvoir de fait sur la chose qui est corroboré par un titre, si bien que le fait est couvert par le droit.

Il est néanmoins des cas où la possession ne correspond pas à la propriété : il y a celui qui  exerce un pouvoir de fait sur la chose que tout le monde croit être le propriétaire et il y a celui qui est titulaire d’un titre de propriété mais qui n’a pas la maîtrise physique de la chose.

Cette situation, qui est de nature à troubler la paix sociale, doit être réglée. Pour ce faire, le droit part du postulat que, en général, le possesseur se confond avec le propriétaire, raison pour laquelle il fait produire des effets juridiques à la situation de fait qu’est la possession.

Tantôt les effets attachés à la possession permettront de rapporter la preuve du droit, tantôt ils opéreront acquisition du droit.

Dans les deux cas, la possession confère au possesseur une protection lui permettant de faire échec à une action en revendication exercée par le propriétaire de la chose. Encore faut-il néanmoins que cette possession soit caractérisée.

==> Théories de la possession

Deux théories s’opposent sur la possession :

  • La théorie subjective
    • Cette théorie a été développée, en 1803, par Savigny pour qui la possession se caractérise avant tout par l’état d’esprit du possesseur (animus), soit par sa volonté de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose.
    • Pour cet auteur c’est cet élément psychologique, l’animo domini (l’esprit du maître), qui confère à celui qui exerce une emprise physique sur la chose la qualité de possesseur.
  • La théorie objective
    • Cette théorie a été pensée en 1865 par Jhering pour qui, l’état d’esprit est indifférent : ce qui importe c’est l’emprise matérielle exercée sur la chose (corpus).
    • Aussi, pour cet auteur la maîtrise physique de la chose suffit à établir la possession et donc à octroyer à celui qui détient le pouvoir de fait la protection possessoire
    • À cet égard, pour Jhering, cette protection possessoire emporte présomption de propriété, ce qui a pour conséquence de dispenser celui qui exerce son emprise sur la chose de prouver qu’elle est corroborée par un titre

À l’examen, le droit français a envisagé la possession en combinant ses deux théories : la qualité de possesseur tient tout autant à l’état d’esprit de celui qui se présente comme le propriétaire de la chose, qu’à l’emprise physique qu’il exerce sur la chose.

Cette conception se retrouve ainsi dans les éléments constitutifs de la possession que sont:

  • La maîtrise physique de la chose : le corpus
  • La volonté de se comporter comme le propriétaire de la chose : l’animus

I) L’élément matériel de la possession : le corpus

A) Les formes de la possession

Si le corpus de la possession consiste invariablement en l’accomplissement d’actes matériels sur la chose, il est admis que ces actes puissent être accomplis, tant par le possesseur lui-même, que par autrui.

  1. La possession par le possesseur lui-même

Le corpus de la possession s’analyse donc comme l’exercice d’une emprise physique sur la chose. L’article 2255 du Code civil précise en ce sens que « la possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit ».

Deux enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • D’une part, le corpus correspond toujours en l’accomplissement d’actes matériels
  • D’autre part, le corpus ne correspond jamais en l’accomplissement d’actes juridiques

==> L’accomplissent d’actes matériels détermine la constitution du corpus

Seuls des actes matériels accomplis sur la chose permettent de caractériser le corpus. Ces actes consistent, selon l’article 2255 du Code civil, soit en la détention, soit en la jouissance de la chose.

  • La détention
    • Il s’agit de l’acte matériel en lui-même accompli par le possesseur qui lui procure une emprise sur la chose, peu importe que cette emprise soit physique
    • La détention permet ainsi au possesseur de tenir la chose en son pouvoir
      • Exemple: tenir un stylo dans sa main ou occuper un immeuble
  • La jouissance
    • Il s’agit de tous les actes matériels d’utilisation et d’exploitation économique de la chose
    • La perception des fruits ou des produits de la chose participent de sa jouissance
      • Exemple: percevoir les loyers d’un immeuble

==> L’accomplissement d’actes juridiques est indifférent à la constitution du corpus

La jurisprudence n’admet pas à titre de corpus l’accomplissement d’actes juridiques. Les actes d’administration ou de disposition de la chose, tels que sa location, son entretien, sa réparation ou encore sa vente, sont indifférents (Cass. civ. 14 nov. 1910).

La raison en est qu’il n’est pas besoin d’être possesseur de la chose pour les accomplir : ces actes relèvent du droit et non du fait, de sorte que la conclusion d’un contrat portant sur la chose est à la portée de quiconque.

Il n’est, en effet, pas nécessaire de détenir matériellement la chose pour la céder ou la donner à bail.

Tout au plus, l’accomplissement d’actes juridiques sur la chose permettent d’étayer l’exercice d’un pouvoir de fait sur la chose. Si néanmoins ces actes ne sont pas corroborés par l’établissement d’actes matériels, la preuve de la possession ne sera pas rapportée (V. en ce sens Cass. 3e civ. 4 mai 2011, n°09-10.831).

2. La possession par l’entremise d’un tiers

L’article 2255 du Code civil prévoit que « la possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom. »

Il ressort de cette disposition qu’il n’est pas nécessaire que la possession soit exercée par le possesseur : elle peut également intervenir par l’entremise d’un tiers. C’est ce que l’on appelle la possession corpore alieno.

Dans cette hypothèse, ce n’est pas le possesseur qui exerce une emprise matérielle sur la chose, mais son représentant, soit celui qui agit pour son compte.

Pour que le corpus de la possession soit constitué, il est toujours nécessaire que soit accomplis sur la chose des actes matériels, seulement ces actes sont accomplis par autrui.

Tel est le cas, par exemple, du locataire qui occupe les locaux donnés à bail pour le compte du possesseur qui endossera le plus souvent la qualité, soit de propriétaire, soit d’usufruitier.

Tel est encore le cas du salarié qui accomplit les actes de détention ou de jouissance sur la chose pour le compte de son employeur, lequel bien qu’il ne la maîtrise pas physiquement, en est le possesseur.

En effet, pour être le possesseur de la chose, il ne suffit pas d’exercer une emprise matérielle sur elle, il faut encore vouloir se comporter comme son propriétaire.

C’est la raison pour laquelle la possession corpore alieno se conçoit relativement facilement. Au fond, elle n’est qu’une modalité d’exercice de la possession.

B) L’objet de la possession

Parce que la possession consiste avant tout en l’exercice d’une emprise physique sur une chose, elle ne se conçoit, a priori, qu’en présence de choses corporelles.

Est-ce à dire que la possession ne peut, en aucun, cas porter sur une chose incorporelle ? La lecture de l’article 2255 du Code civil suggère le contraire.

Cette disposition prévoit, en effet, que « la possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit ».

La possession peut donc avoir pour objet un droit, un droit subjectif, qui, par nature, est un bien incorporel.

La question qui alors se pose est de savoir quels sont les droits susceptibles de faire l’objet de possession :

  • Les droits réels
    • Il convient ici de distinguer selon que le droit réel porte sur une chose corporelle ou sur une chose incorporelle
      • Le droit réel porte sur une chose corporelle
        • Dans cette hypothèse, la possession est admise dans la mesure où la possession du droit réel pourra se traduire par l’accomplissement d’actes matériels sur le bien, tels que son utilisation ou la perception de ses fruits.
        • La possession pourra ainsi porter sur l’usufruit ou sur une servitude : elle consistera alors en l’exercice effectif de cet usufruit ou de cette servitude comme si le possesseur en avait régulièrement acquis le droit.
        • La possession du droit réel correspond donc à la situation de celui qui se comporte comme le véritable titulaire de ce droit
      • Le droit réel porte sur une chose incorporelle
        • Par principe, la possession d’un droit réel est exclue lorsque celui-ci porte sur une chose incorporelle
        • La raison en est que, par hypothèse, les choses incorporelles ne sont pas tangibles de sorte que le corpus, requis pour caractériser la possession, ne peut pas s’exercer sur elle.
        • Aussi, parce que les choses incorporelles sont seulement susceptibles de faire l’objet d’actes juridiques, et non d’actes matériels, la jurisprudence n’admet pas qu’elles puissent être possédées.
        • Dans un arrêt du 7 mars 2007, la Cour de cassation a jugé en ce « la licence d’exploitation d’un débit de boissons ayant la même nature de meuble incorporel que le fonds de commerce dont elle est l’un des éléments et ne se transmettant pas par simple tradition manuelle».
        • Elle en déduit qu’il y a lieu d’écarter, au cas particulier, les effets attachés à la possession qu’est la présomption légale de propriété énoncée à l’article 2279 du Code civil ( com., 7 mars 2006, n°04-13.569).
        • La même solution a été retenue s’agissant de l’application de cette présomption à la possession d’un fonds de commerce ( civ. 26 janv. 1914)
  • Les droits personnels
    • Pour les mêmes raisons que celles avancées pour refuser la possession des choses incorporelles, la possession d’une créance n’est pas admise.
    • Comment pourrait-il en être autrement dans la mesure où, par nature, une créance n’est pas une chose, mais un droit que l’on exerce contre une personne.
    • Elle est donc insusceptible de faire l’objet d’une emprise matérielle, sauf à être incorporée dans un titre.
    • Tel sera le cas lorsque la créance est, par exemple, constatée par un effet de commerce, tel qu’une lettre de change ou le billet à ordre.
    • Pour mémoire, un effet de commerce est un titre négociable qui constate, au profit du porteur, une créance de somme d’argent dont le paiement est fixé à une échéance déterminée (le plus souvent à court terme).
    • À cet égard, le titre c’est un droit de créance (droit personnel d’un créancier contre un débiteur), de sorte que qui détient, matériellement, le titre (exerce un droit réel sur le support papier) détient le droit de créance.
    • Il en résulte que les effets de commerce ne se cantonnent pas à constater une créance : ils l’incorporent.
    • Autrement dit, tout autant que l’effet de commerce remplit la fonction d’instrumentum (l’acte qui constate une opération juridique), il contient le négocium (l’opération en laquelle consiste l’acte juridique).
    • L’incorporation de la créance dans le titre permet alors à celui-ci de circuler très facilement de main et main, soit par tradition, soit par endossement.
    • C’est la raison pour laquelle la jurisprudence admet que la possession puisse avoir pour objet un titre incorporant une créance (V.en ce sens com. 30 nov. 2004, n°01-16737).

C) La disparition du corpus

Il est des situations où, tandis que le possesseur cesse d’accomplir des actes matériels sur la chose, il continue à se comporter comme le véritable propriétaire.

Dans la mesure où le corpus est une condition indispensable à la possession, la question se pose de sa régularité. Autrement dit, la possession peut-elle survivre à la disparition du corpus ?

À l’examen, tout dépend de l’aptitude du possesseur à accomplir des actes matériels sur la chose.

Si la chose a été perdue ou volée, l’impossibilité pour le possesseur de poursuivre l’exercice sur elle d’une emprise physique emporte disparition de la possession.

Si, en revanche, nonobstant l’absence d’accomplissement d’actes matériels sur la chose, cette possibilité est toujours à la portée du possesseur, la possession peut prospérer par sa seule intention de se comporter comme le propriétaire du bien. On dit qu’elle continue alors animo solo.

La Cour de cassation a précisé en ce sens, dans un arrêt du 20 février 2013, que « la possession légale utile pour prescrire ne peut s’établir à l’origine que par des actes matériels d’occupation réelle et se conserve tant que le cours n’en est pas interrompu ou suspendu » (Cass. 3e civ. 20 févr. 2013, n°11-25398).

Pour survivre animo solo, la possession ne doit, autrement dit, ne pas être remise en cause par un tiers.

II) L’élément intentionnel de la possession : l’animus

A) Notion

  1. Un élément psychologique

L’animus se définit comme la volonté du possesseur de se comporter à l’égard de la chose comme s’il en était le véritable propriétaire.

Il s’agit, autrement dit, de son état d’esprit, soit de l’élément psychologique de la possession. Il faut avoir l’intention de se comporter comme le titulaire du droit exercé pour être fondé à se prévaloir des effets attachés à la possession.

À cet égard, l’élément qu’est l’animus et qui doit être exercé par le possesseur permet de distinguer la possession de la détention

2. Possession et détention

Il est des situations où celui qui exerce une emprise physique sur la chose, n’a pas la volonté de se comporter comme son propriétaire.

Parce qu’il lui manque l’animus il ne peut donc pas être qualifié de possesseur  : il est seulement détenteur de la chose.

La détention se distingue ainsi de la possession en ce que le détenteur n’a pas la volonté d’être titulaire du droit réel en cause.

Reste qu’il exerce, comme le possesseur, une emprise matérielle sur la chose. La détention peut prendre deux formes :

  • Elle peut être précaire, soit résulter d’un titre
  • Elle peut être simple, soit résulter d’un fait

a) Possession et détention précaire

Le Code civil ne donne aucune définition de la détention, il se limite à en décrire les effets. L’article 2266, par exemple, prévoit que « ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit ».

Aussi, c’est vers la doctrine qu’il convient de se tourner pour identifier la notion et en comprendre les éléments constitutifs.

Le doyen Cornu définit la détention dans son vocabulaire juridique comme « le pouvoir de fait exercé sur la chose d’autrui en vertu d’un titre juridique qui rend la détention précaire en ce qu’il oblige toujours son détenteur à restituer la chose à son propriétaire et l’empêche de l’acquérir par la prescription (sauf interversion de titre), mais non de jouir de la protection possessoire, au moins à l’égard des tiers ».

Il ressort de cette définition que la distinction entre la possession et la détention précaire tient, d’une part, à leurs sources, d’autre part, à leurs éléments constitutifs et, enfin, à leurs effets.

==> Les sources

Si, possesseur et détenteur ont en commun d’exercer un pouvoir de fait sur la chose, ils se distinguent en ce que la possession résulte toujours d’une situation de fait, tandis que la détention précaire résulte d’une situation de droit.

  • La possession relève du fait
    • Si la possession se confond généralement avec la propriété, situation de droit, elle relève pourtant toujours du fait : l’acte de détention et de jouissance de la chose
    • Si le possesseur exerce un pouvoir de fait sur la chose, c’est parce qu’il en a la maîtrise physique.
    • Le point de départ de la possession consiste ainsi en une situation de pur fait, l’emprise matérielle exercée sur la chose, à la différence de la détention qui est assise sur une situation de droit
  • La détention relève du droit
    • Contrairement au possesseur, le détenteur précaire ne tient pas son pouvoir de l’emprise matérielle qu’il exerce sur la chose, mais du titre qui l’autorise à détenir la chose.
    • Ce titre est le plus souvent un contrat, tel qu’un bail, un prêt, un dépôt ou encore un mandat.
    • Ce titre peut encore résulter de la loi : il en va ainsi du tuteur qui est détenteur précaire des biens qu’il administre pour le compte de la personne protégée.
    • Tel est encore le cas de l’usufruitier dont le pouvoir, qu’il détient le plus souvent des règles de dévolution successorale, ne se confond pas avec le droit du propriétaire (V. en ce sens 2266 C. civ.)

==> Les éléments constitutifs

Ce qui distingue la possession de la détention ne tient pas seulement à leurs sources, mais également à leurs éléments constitutifs.

  • S’agissant de la possession
    • La possession requiert, pour être constituée, la caractérisation du corpus et de l’animus.
    • S’il est admis que la possession puisse perdurer en cas de disparition du corpus, sous réserve qu’elle ne soit pas contredite par un tiers, c’est à la condition que le possesseur ait l’intention de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose.
    • Surtout, la possession ne pourra produire ses effets que si elle ne résulte d’aucun titre, car le titre fonde la détention.
  • S’agissant de la détention
    • Comme la possession, la détention requiert le corpus: le détenteur doit exercer une emprise matérielle sur la chose.
    • La détention est ainsi, avant toute chose, un pouvoir de fait sur la chose.
    • Ce pouvoir dont est titulaire le détenteur ne s’accompagne pas néanmoins de l’animus
    • Ce dernier n’a, en effet, pas la volonté de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose
    • Ses agissements se limitent à exercer une emprise matérielle sur la chose, sans intention de se l’approprier
    • C’est là une différence fondamentale avec la possession qui se caractérise notamment par l’animus.
    • La conséquence en est que, en l’absence de l’animus, la détention ne peut emporter aucun des effets juridiques attachés à la possession, spécialement l’effet acquisitif.

==> Les effets

Dernière différence entre la détention et la possession : leurs effets respectifs. Tandis que la détention se caractérise par l’obligation de restitution qui pèse sur le détenteur, la possession permet au possesseur d’acquérir, sous certaines conditions, le bien possédé.

  • La restitution de la chose
    • Particularité de la détention, qui ne se retrouve pas dans la possession, le détenteur a vocation à restituer la chose à son propriétaire ; d’où la qualification de détention précaire
    • L’obligation de restitution résulte du titre qui fonde le pouvoir exercé sur la chose par le détenteur
    • Lorsque, en effet, la situation de droit cesse de produire ses effets, le détenteur doit restituer la chose
    • Ainsi, à l’échéance du contrat, le locataire doit quitter les lieux, le dépositaire doit rendre la chose au déposant et l’emprunteur doit rembourser la somme d’argent prêtée au prêteur
    • L’obligation de restitution rend certes la détention de la chose précaire
    • Cette précarité est toutefois somme toute relative, dans la mesure, le détenteur est protégé par un titre.
    • Si le contrat de bail exige que la chose louée soit restituée à l’échéance du terme, il oblige également le bailleur à assurer au preneur la jouissance paisible de la chose pendant toute la durée du bail.
    • Sur cet aspect la situation du détenteur précaire est bien moins favorable que celle du possesseur sur lequel ne pèse, certes, aucune obligation de restitution, mais dont le pouvoir qu’il exerce sur la chose peut être contesté par un tiers.
    • Le possesseur n’a, en effet, pas vocation, a priori, à restituer le bien puisque, par hypothèse, il a la volonté de se comporter comme le véritable propriétaire.
    • Reste que la possession peut être affectée par un certain nombre de vices de nature à la priver d’efficacité, voire à la remettre en cause.
    • Tel n’est pas le cas de la détention précaire qui résulte toujours d’une situation de droit et qui, par voie de conséquence, procure au détenteur une certaine sécurité juridique
  • L’acquisition de la chose
    • L’un des principaux effets attachés à la possession est de permettre au possesseur d’acquérir le bien par voie de prescription.
    • À cet égard, l’article 2258 du Code civil dispose que « la prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi.»
    • Autrement dit, le possesseur peut devenir le propriétaire, de droit, de la chose en cas de possession continue et prolongée dans le temps.
    • C’est là une différence fondamentale avec la détention qui, par principe, n’emporte aucun effet acquisitif.
    • Il est néanmoins des cas exceptionnels où ma loi lui attache cet effet.
      • Principe
        • À la différence de la possession, la détention ne produit pas d’effet acquisitif.
        • Ce principe est énoncé à plusieurs reprises dans le Code civil
        • Ainsi, l’article 2257 prévoit que « quand on a commencé à posséder pour autrui, on est toujours présumé posséder au même titre, s’il n’y a preuve du contraire»
        • L’article 2266 dispose encore que :
          • D’une part, « ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit. »
          • D’autre part, « ainsi, le locataire, le dépositaire, l’usufruitier et tous autres qui détiennent précairement le bien ou le droit du propriétaire ne peuvent le prescrire. »
        • La règle ainsi posée se justifie par l’absence d’animus chez le détenteur.
        • Celui-ci n’a, a priori, pas l’intention de se comporter comme le véritable propriétaire du bien avec lequel il entretient généralement une relation contractuelle.
        • À supposer que détenteur possède cet animus, il y a lieu de protéger le véritable propriétaire de la chose contre les manœuvres du possesseur.
        • Admettre que la détention puisse produire un effet acquisitif reviendrait à considérablement fragiliser le droit réel dont est titulaire le propriétaire toutes les fois qu’il consent à autrui la détention de la chose dans le cadre d’une relation contractuelle.
      • Exceptions
        • Le code civil pose plusieurs d’exceptions à l’impossibilité pour le détenteur d’acquérir le bien par voie de prescription
          • Première exception : la transmission du bien à un tiers
            • L’article 2269 du Code civil admet que lorsque le bien a été transmis par le détenteur précaire à un tiers, la prescription acquisitive peut jouer
              • En matière de meuble, si l’effet acquisitif est immédiat, le tiers doit être un possesseur de bonne foi ( 226 C. civ.)
              • En matière d’immeuble, le délai de la prescription acquisitive est de 10 ans si le tiers est de bonne foi et de trente ans s’il est de mauvaise foi
          • Seconde exception : l’interversion de titre
            • L’article 2268 du Code civil dispose que les détenteurs précaires « peuvent prescrire, si le titre de leur possession se trouve interverti, soit par une cause venant d’un tiers, soit par la contradiction qu’elles ont opposée au droit du propriétaire.»
            • Cette situation correspond à l’hypothèse où le détenteur précaire décide de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose
            • On parle alors d’interversion de titre : le détenteur qui est censé être dépourvu d’animus conteste au propriétaire son droit de propriété
            • Si ce dernier ne réagit pas, il s’expose à ce que le détenteur, en application de l’article 2268 du Code civil, se prévale de la prescription acquisitive
            • L’interversion de titre peut également intervenir du fait d’un tiers : c’est l’hypothèse où le détenteur a transmis la chose à un tiers de bonne foi.
            • Ce dernier est alors susceptible de se comporter comme le propriétaire de la chose

b) Détention précaire et acte de pure faculté ou de simple tolérance

Lorsque le pouvoir de fait exercé sur la chose ne correspond ni à une situation de possession, ni à une situation de détention précaire, on dit de l’agent qu’il est « occupant sans droit, ni titre ».

Tout au plus, lorsque l’emprise matérielle que l’occupant exerce sur le bien est consentie par le propriétaire, elle correspond à ce que l’on appelle un acte de pure faculté ou de simple tolérance.

L’acte de pure faculté ou de simple tolérance peut se définir comme la détention d’un bien  avec la permission tacite ou expresse du propriétaire.

À la différence de la détention précaire qui repose sur un titre, la détention résulte ici de la seule volonté du propriétaire de la chose.

Cette situation se rencontre notamment en matière de servitude qui est une charge établie sur un immeuble pour l’usage et l’utilité d’un fonds voisin appartenant à un autre propriétaire.

Il s’agit d’un démembrement de la propriété de l’immeuble que la servitude grève et d’un droit accessoire de la propriété du fonds auquel elle bénéficie. Comme un droit réel, la servitude peut parfois être acquise par prescription. Pour ce faire, elle doit faire l’objet d’une possession pendant une certaine durée.

Toutefois, ainsi que le prévoit l’article 2262 du Code civil « les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription. »

Ainsi, lorsque la détention ne résulte pas d’un titre et que le détenteur n’a pas la volonté de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose, elle ne produit aucun effet.

Cette règle a, par exemple, trouvé à s’appliquer dans un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 6 mai 2014. La troisième chambre civile a, en effet, validé la décision d’une Cour d’appel qui avait retenu « qu’un acte de pure faculté de simple tolérance ne pouvait fonder ni possession ni prescription » (Cass. 3e civ. 6 mai 2014, n°13-16790).

Dès lors, le fait pour le propriétaire d’un champ d’autoriser un voisin à faire paître son troupeau d’animaux sur ce champ ne fait pas du voisin le possesseur d’une servitude de passage et de pâturage.

Pareillement, le simple passage à pied sur le terrain d’autrui, toléré par le propriétaire, ne suffit pas à constituer possession, faute d’élément intentionnel.

Au fond, l’acte de pure faculté ou de simple tolérance consiste en l’exercice normal du droit de propriété qui, n’empiétant pas sur le fonds d’autrui, ne constitue pas un acte de possession capable de faire acquérir, par usucapion, un droit sur ce fonds.

Cet acte de pure faculté ou de simple tolérance est admis, soit parce que le propriétaire du fonds l’a expressément autorisé, soit parce qu’il y consent tacitement par souci d’amitié, de bon voisinage, d’obligeance ou encore altruisme.

==> Au bilan, les différents cas dans lesquels est susceptible de se trouver celui qui exerce un pouvoir de fait ou de droit sur la chose correspondent à quatre situations :

Possession - Corpus

B) Preuve

Par nature, l’animus, élément constitutif de la possession est difficile à établir. Il s’agit, en effet, de prouver un élément psychologique, lequel est, par nature, difficilement sondable, à tout le moins tangible.

Aussi, afin de faciliter la preuve de l’animus, le législateur a prévu deux présomptions :

  • La présomption de l’animus domini
  • La présomption de détention continue

==> La présomption d’animus domini

L’article 2256 du Code civil pose que « on est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s’il n’est prouvé qu’on a commencé à posséder pour un autre. »

Cette présomption signifie que celui qui exerce une emprise matérielle sur la chose est présumé être le possesseur de la chose, soit avoir l’intention de se comporter en propriétaire de la chose.

Cette présomption ne pourra être combattue qu’en rapportant la preuve que celui qui détient matériellement la chose, la possède pour autrui, de sorte qu’il n’est qu’un détenteur précaire.

Il pourrait ainsi s’agir, pour le véritable possesseur de la chose, d’établir que la chose est détenue au titre d’un contrat (bail, dépôt, mandat etc.).

==> La présomption de détention continue

L’article 2257 du Code civil prévoit que « quand on a commencé à posséder pour autrui, on est toujours présumé posséder au même titre, s’il n’y a preuve du contraire. »

La règle ainsi posée signifie que lorsque la maîtrise matérielle de la chose a commencé par une détention précaire, soit en vertu d’un titre, le détenteur est présumé pendant toute la durée de la détention être dépourvu d’animus.

En cas de changement d’état d’esprit, soit s’il décide de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose, c’est à lui qu’il appartient de prouver qu’il est devenu possesseur de la chose.

Pour ce faire, il lui faudra invoquer l’interversion de titre, situation envisagée à l’article 2268 du Code civil.

Cette disposition prévoit que les détenteurs précaires « peuvent prescrire, si le titre de leur possession se trouve interverti, soit par une cause venant d’un tiers, soit par la contradiction qu’elles ont opposée au droit du propriétaire. »

Cette situation correspond à deux hypothèses :

  • Première hypothèse
    • Le détenteur précaire décide de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose
    • On parle alors d’interversion de titre : le détenteur qui est censé être dépourvu d’animus conteste au propriétaire son droit de propriété
    • Si ce dernier ne réagit pas, il s’expose à ce que le détenteur, en application de l’article 2268 du Code civil, se prévale de la prescription acquisitive
  • Seconde hypothèse
    • Le détenteur précaire peut avoir transmis la chose à un tiers de bonne foi qui est susceptible de se comporter comme le propriétaire de la chose.
    • Tel est le cas dans l’hypothèse où le locataire vend le bien loué à un tiers qui ignore que son cocontractant n’en est pas le propriétaire
    • Il y aura ici interversion de titre entre le véritable propriétaire et le tiers de bonne foi

Les restitutions consécutives à l’anéantissement du contrat (nullité, résolution, caducité): régime juridique

Lorsqu’un contrat est anéanti, soit par voie de nullité, soit par voie de résolution, soit encore par voie de caducité, il y a lieu de liquider la situation contractuelle dans laquelle se trouvent les parties et à laquelle il a été mis fin.

Pour ce faire, a été mis en place le système des restitutions. Ces restitutions consistent, en somme, pour chaque partie à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition propre aux restitutions après anéantissement du contrat. Tout au plus, il ne contenait que quelques règles éparses sur la mise en œuvre de ce mécanisme, telles que les dispositions relatives à la répétition de l’indu, dont la jurisprudence s’est inspirée pour régler le sort des restitutions en matière contractuelle.

La réforme du droit des obligations a été l’occasion pour le législateur de combler ce vide en consacrant, dans le Code civil, un chapitre propre aux restitutions.

Surtout, le but recherché était d’unifier la matière en rassemblant les règles dans un même corpus normatif et que celui-ci s’applique à toutes formes de restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation, la résolution, la caducité ou encore la répétition de l’indu.

?Fondement des restitutions

La question s’est posée en doctrine du fondement des restitutions. Il ressort de la littérature produite sur le sujet que deux thèses s’affrontent :

  • Première thèse : la répétition de l’indu et l’enrichissement injustifié
    • Certains auteurs ont cherché à fonder le système des restitutions sur les règles qui régissent l’enrichissement injustifié et la répétition de l’indu.
    • Selon cette thèse, l’anéantissement de l’acte aurait pour effet de priver de cause les prestations fournies par les parties, de sorte que ce qui a été reçu par elles deviendrait injustifié ou indu ; d’où l’obligation – quasi contractuelle – de restituer, tantôt en nature, tantôt en valeur, ce qui est reçu.
    • Bien que cette thèse soit séduisante en ce qu’elle permet de justifier les restitutions, tant pour les cas de nullité, que pour les cas de résolution ou de caducité, elle a été rejetée par la Cour de cassation.
    • Dans un arrêt du 24 septembre 2002, la première chambre civile a, en effet, jugé que « les restitutions consécutives à une annulation ne relèvent pas de la répétition de l’indu mais seulement des règles de la nullité » (Cass. 1re civ., 24 sept. 2002, n° 00-21.278).
  • Seconde thèse : la rétroactivité attachée à la disparition de l’acte
    • La seconde thèse, soutenue par une partie de la doctrine, consiste à dire que le fondement des restitutions résiderait dans la rétroactivité attachée à l’anéantissement de l’acte.
    • Au fond, les restitutions ne seraient autres que la mise en œuvre de la fiction juridique qu’est la rétroactivité.
    • Dès lors que l’on considère que l’acte est réputé n’avoir jamais existé, il y a lieu de remettre les parties au statu quo ante, ce qui suppose qu’elles restituent ce qu’elles ont reçu.
    • Là aussi, bien que séduisant, l’argument n’emporte pas totalement la conviction, ne serait-ce que parce qu’il induit que les restitutions ne peuvent avoir lieu qu’en cas de rétroactivité.
    • Or certaines sanctions, telles que la caducité ou la résiliation ne sont assorties d’aucun effet rétroactif et pourtant pèse sur les parties l’obligation de restituer ce qu’elles ont reçu.

Un auteur a tenté de concilier les deux thèses en avançant fort opportunément que « à la différence de la nullité, qui tend à supprimer les effets juridiques attachés à l’acte s’il avait été valablement conclu, les restitutions tendent à supprimer les effets matériels produits par l’exécution de l’acte »[1]

Finalement, le législateur a mis un terme au débat en déconnectant les restitutions des parties du Code civil consacrées au contrat et aux quasi-contrats à la faveur d’un régime juridique autonome.

Désormais, les restitutions ont pour seul fondement juridique la loi, indépendamment des sanctions qu’elles ont vocation à accompagner.

?Nature des restitutions

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, la question s’est posée de la nature des restitutions.

Plus précisément on s’est interrogé sur leur nature indemnitaire : les restitutions, en particulier lorsqu’elles consistent en le versement d’une somme d’argent en raison de l’impossibilité de restituer la chose reçue, ne viseraient-elles pas, au fond, à compenser le préjudice résultant de l’anéantissement de l’acte ?

À plusieurs reprises, la Cour de cassation a répondu négativement à cette question, jugeant, par exemple, dans un arrêt du 25 octobre 2006 que « la restitution à laquelle le vendeur est condamné à la suite de la diminution du prix prévue par l’article 46, alinéa 7, de la loi du 10 juillet 1965 résultant de la délivrance d’une moindre mesure par rapport à la superficie convenue ne constituait pas un préjudice indemnisable » (Cass. 3e civ. 25 oct. 2006, n°05-17.427)

Dans un arrêt du 28 octobre 2015, elle a encore considéré que « la restitution du dépôt de garantie consécutive à la nullité d’un bail commercial ne constituant pas en soi un préjudice indemnisable » (Cass. 1ère 28 oct. 2015, n°14-17.518)

La Cour de cassation en tire la conséquence que, en cas de restitutions consécutives à l’anéantissement d’un acte, la responsabilité de son rédacteur (notaire ou avocat) ne peut pas être recherchée.

Dans un arrêt du 3 mai 2018, la troisième chambre civile a jugé en ce sens que « la restitution du prix perçu à laquelle le vendeur est condamné, en contrepartie de la restitution de la chose par l’acquéreur, ne constitue pas un préjudice indemnisable » raison pour laquelle il n’a y pas lieu de condamner le notaire instrumentaire de la vente annulée à garantir le remboursement du prix du bien objet de ladite vente (Cass. 1ère civ., 18 févr. 2016, n° 15-12.719).

?Domaine des restitutions

Le domaine des restitutions est défini par les nombreux renvois qui figurent dans le Code civil et qui intéressent :

  • Les nullités (art. 1178, al. 3 C. civ.)
  • La caducité (art. 1187, al. 2 C. civ.)
  • La résolution (art. 1229, al. 4 C. civ.)
  • Le paiement de l’indu (art. 1302-3, al. 1er C. civ.)

Cette liste est-elle limitative ? Peut-on envisager que des restitutions puissent jouer en dehors des cas visés par le Code civil ? D’aucuns le pensent, prenant l’exemple des clauses réputées non-écrites. Cette sanction, peut, il est vrai, en certaines circonstances, donner lieu à des restitutions.

?Articulation du régime juridique

À l’examen, le régime juridique attaché aux restitutions s’articule autour de trois axes déterminés par l’objet desdites restitutions.

À cet égard, les règles applicables diffèrent selon que, la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, sur une somme d’argent ou sur une prestation de service.

En substance, il ressort des textes que :

  • D’une part, la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent se fait, par principe, en nature et lorsque cela est impossible, par équivalent monétaire
  • D’autre part, la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées
  • Enfin, la restituons d’une prestation de service a lieu en valeur

En parallèle, les articles 1352-4 et 1352-9 posent des règles applicables à toutes les formes de restitutions.

§1 : Les règles propres à chaque restitution

I) La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent

?Textes

La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent est régie aux articles 1352 à 1352-3 du Code civil. L’article 1352-5 du Code civil en complète le régime.

?Domaine

Par chose, il faut entendre, tant les meubles que les immeubles, à l’exclusion des sommes d’argent.

La restitution de ces dernières fait l’objet d’un traitement spécifique à l’article 1352-6. Cette disposition a, en effet, vocation à s’appliquer lorsque l’exécution de l’obligation consiste en le paiement d’une valeur monétaire.

Quant aux contrats dont l’anéantissement conduit à la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent, il peut s’agir, tout aussi bien de contrats translatifs de propriété (contrat de vente, contrat d’entreprise, donation, échange etc.), que de contrats qui ne font que mettre à la disposition du débiteur une chose sans lui en transférer la propriété (contrat de bail, contrat de dépôt, contrat de prêt, etc.).

?Régime

Lorsque la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, le principe posé par l’article 1352 du Code civil, c’est la restitution en nature.

Par exception, soit lorsque la restitution en nature s’avère impossible, la restitution se fera en valeur, soit par équivalent monétaire.

A) Principe : la restitution en nature

1. Exposé du principe

L’article 1352 du Code civil pose donc le principe de restitution en nature des choses autres qu’une somme d’argent.

L’instauration de ce principe, d’abord reconnu par la jurisprudence, puis consacré par la loi, procède de l’objectif poursuivi par le législateur qui vise à remettre les parties dans la situation patrimoniale à laquelle elles se trouvaient au moment de la survenance de l’irrégularité entachant l’acte ou de son inexécution.

Aussi, le retour à ce statu quo ante suppose, avant toute chose, d’exiger des parties qu’elles restituent à l’autre ce qui se trouve encore entre dans leurs patrimoines respectifs.

Lorsqu’il s’agit de restituer en nature un corps certain, la partie qui le détient devra restituer à son cocontractant le même corps certain que celui qui lui a été remis lors de son entrée en possession.

Lorsque, en revanche, la restitution porte sur une chose de genre, la chose rendue devra être de même nature, être restituée dans la même quotité et présenter les mêmes qualités.

2. Mise en œuvre du principe

Si, en cas d’anéantissement d’un acte, la restitution, en nature, des choses qui se trouvaient dans les patrimoines respectifs des parties est une étape nécessaire vers un retour au statu quo ante, cette opération n’est, dans bien des cas, pas suffisante.

Entre le moment où la chose a été remise et la date de sa restitution, des événements sont, en effet, susceptibles d’avoir affecté l’état de la chose.

Elle peut, tout aussi bien avoir été détériorée ou s’être dégradée, qu’avoir fait l’objet d’améliorations ou de réparations.

Des dépenses auront, par ailleurs, pu être exposées pour assurer sa conservation. La chose peut encore avoir produit des fruits en même temps qu’il a été permis à son détenteur d’en jouir.

Aussi, afin de se rapprocher de la situation dans laquelle les parties se trouvaient au moment de la survenance de l’irrégularité ayant entaché l’acte ou de son inexécution, il est nécessaire de rétablir les équilibres qui ont pu être rompus en raison :

  • Soit des dépenses exposées par détenteur de la chose pour assurer sa conservation
  • Soit des circonstances qui ont affecté l’état de la chose (plus-values et moins-values)
  • Soit de la jouissance que la chose a procurée et des fruits dont le détenteur a tiré profit

Pour ce faire, les articles 1352-1, 1352-3 et 1352-5 du Code civil prévoient un certain nombre de règlements accessoires à la restitution, en principal, de la chose qui visent, selon la doctrine, à tenir compte de l’écoulement du temps.

Plus précisément, ces règlements accessoires à la restitution de la chose ont été institués pour traiter :

  • Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose
  • Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose
  • Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose

a. Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose

L’article 1352-1 du Code civil dispose que « celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute. »

Il ressort de cette disposition que la restitution en nature de la chose suppose qu’elle soit rendue au créancier dans le même état que celui dans lequel elle se trouvait au moment de sa remise.

Aussi, dans l’hypothèse où la chose objet de la restitution est dégradée ou détériorée, pèse sur la partie qui détient la chose une obligation d’indemnisation du créancier, ainsi que le suggère l’emploi du terme « répond ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par dégradation et détérioration.

Plus précisément, ces deux notions couvrent-elles seulement les altérations anormales affectant accidentellement ou intentionnellement l’état de la chose ou embrassent-elles également l’usure résultant de l’usure normale de la chose ?

Dans le silence des textes, les deux interprétations sont possibles. Reste que, par analogie avec les règles qui régissent le contrat de bail, il peut être postulé que l’usure normale de la chose restituée ne donne pas lieu à indemnisation, à l’instar du local restitué au bailleur en fin de bail.

À cet égard, dans un arrêt du 8 mars 2005 la Cour de cassation avait considéré que « l’effet rétroactif de la résolution d’une vente oblige l’acquéreur à indemniser le vendeur de la dépréciation subie par la chose à raison de l’utilisation qu’il en a faite, à l’exclusion de celle due à la vétusté » (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005, n° 02-11.594).

Lorsque, en revanche, l’altération de l’état de la chose ne résulte pas de son usure normale, alors le débiteur de l’obligation de restituer doit indemniser le créancier.

Cette indemnisation est toutefois subordonnée à la réunion de deux conditions alternatives :

  • Première condition : la mauvaise foi du débiteur de l’obligation de restituer
    • L’article 1352-1 du Code civil prévoit que l’indemnisation ne peut avoir lieu en cas de dégradation ou de détérioration de la chose qu’à la condition que le débiteur de l’obligation de restituer soit de mauvaise foi.
    • Ce dernier sera de mauvaise foi lorsqu’il connaissait la cause d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.
    • Autrement dit, le débiteur savait qu’il ne pouvait pas valablement détenir et jouir de la chose.
    • Il importe peu que la dégradation ou la détérioration de la chose soit de sa faute : dans les deux cas, dès lors que sa mauvaise foi est établie, il a l’obligation d’indemniser le créancier de la restitution.
  • Seconde condition : la faute du débiteur de l’obligation de restituer
    • Il s’infère de l’article 1352-1 du Code civil que, dans l’hypothèse où le débiteur serait de bonne foi, le créancier ne pourra solliciter une indemnisation que s’il démontre que les dégradations ou détériorations de la chose résultent de la faute du débiteur.
    • À défaut, aucune indemnisation ne sera due, sauf à ce que le débiteur de l’obligation de restitution soit de mauvaise foi, ce qui sera suffisant pour l’obliger à réparer le préjudice résultant de l’altération de l’état de la chose.

b. Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose

L’article 1352-3 du Code civil dispose que « la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée. »

La règle ainsi posée vise tenir compte de l’utilisation de la chose par le débiteur entre le moment où il est en entrée en possession de cette chose et la date à laquelle il doit la restituer.

Pendant cette période, ce dernier a, tout d’abord, pu en jouir, soit tirer profit de sa possession. Tel est le cas de l’acquéreur d’un véhicule qui dispose de la possibilité de le conduire ou de l’acquéreur d’un immeuble qui peut l’habiter.

La possession d’une chose peut ensuite permettre à son détenteur d’en percevoir les fruits. Selon la définition donnée par Gérard Cornu, les fruits, s’entendent « des biens de toute sorte (sommes d’argent, biens en nature) que fournissent et rapportent périodiquement les biens frugifères (sans que la substance de ceux-ci soit entamée comme elle l’est par les produits au sens strict) ; espèce de revenus issus des capitaux, à la différence des revenus du travail. Ex. : récoltes, intérêts des fonds prêtés, loyers des maisons ou des terres louées, arrérages des rentes. ».

Si les avantages que procure la jouissance de la chose et, éventuellement, la perception de ses fruits sont sans incidence sur sa substance, en ce sens que cela ne lui apporte aucune moins-value, ni plus-value, sa seule restitution au créancier, en cas d’anéantissement du contrat au titre duquel elle avait été transférée, ne permet pas d’obtenir les effets recherchés par cet anéantissement, soit le retour des parties au statu quo ante.

Tandis que le débiteur de l’obligation de restituer s’est enrichi en tirant profit de la jouissance de la chose et en percevant les fruits, le créancier a, quant à lui, été privé de son utilisation.

Aussi, afin de rétablir l’équilibre qui a été rompu consécutivement à la disparition de l’acte, très tôt la question s’est posée de l’indemnisation de ce dernier.

La question est alors double. Elle tient à l’indemnisation du créancier de l’obligation de restituer résultant :

  • D’une part, de la jouissance de la chose par le débiteur
  • D’autre part, de la perception des fruits par le débiteur

Mettant fin à une jurisprudence fournie qui n’est pas sans avoir tergiversé, en particulier sur l’indemnisation de la jouissance de la chose, l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit que, tant la valeur de la jouissance de la chose que les fruits procurés par elle au débiteur donnent lieu à restitution.

L’article 1352-7 précise toutefois que l’étendue de cette restitution varie selon que le débiteur de l’obligation de restituer était de bonne ou de mauvaise foi au moment où il a perçu les fruits ou a commencé à jouir de la chose.

b.1. Le principe de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

?) La restitution de la valeur de la jouissance de la chose

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence était fluctuante, s’agissant d’octroyer au créancier de l’obligation de restituer une indemnité visant à compenser la jouissance de la chose par le débiteur.

À l’analyse, deux positions s’affrontaient : celle de la première chambre civile qui refusait d’indemniser le créancier à raison de l’utilisation de la chose restituée par le débiteur et celle de la troisième chambre civile qui admettait que ce dernier puisse percevoir une indemnité.

Cette situation qui opposait les deux chambres a conduit la chambre mixte à se prononcer. Son intervention n’a toutefois pas suffi à mettre fin au débat.

  • La position de la première chambre civile : le refus d’indemniser
    • Dans un arrêt du 2 juin 1987, la première chambre civile a jugé que « dans le cas où un contrat nul a […] été exécuté, les parties doivent être remises dans l’état où elles étaient auparavant, en raison de la nullité dont la vente est entachée dès l’origine ».
    • Toutefois, elle a ajouté que « le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant au profit qu’a retiré l’acquéreur de l’utilisation de la machine » (Cass. 1ère civ. 1 juin 1987, n°84-16.624)
    • La première chambre civile a précisé sa position dans un arrêt du 11 mars 2003, aux termes duquel elle a affirmé que « en raison de l’effet rétroactif de la résolution de la vente, le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant à la seule utilisation du véhicule par l’acquéreur » (Cass. 1ère civ. 2003, 01-01.673)
    • La première chambre civile fait ici manifestement une application stricte du principe de l’anéantissement rétroactif du contrat : si l’acquéreur doit remettre la chose, abstraction faite de l’évolution de sa valeur, au même état que si les obligations nées du contrat n’avaient pas existé, le vendeur doit restituer le prix, le principe du nominalisme monétaire interdisant toute revalorisation.
    • Cette position n’était toutefois pas partagée par la troisième chambre civile.
  • La position de la troisième chambre civile : l’admission d’un droit à indemnisation
    • Dans un arrêt du 12 janvier 1988, la troisième chambre civile a adopté une position radicalement inverse à celle retenue par la première chambre civile.
    • Au visa de l’article 544 du Code civil, ensemble les articles 1644, 1645 et 1646 du même Code, elle a jugé que « lorsque la vente d’une chose est résolue par l’effet de l’action rédhibitoire, cette chose est remise au même état que si les obligations du contrat n’avaient pas existé »
    • Elle en a tiré la conséquence que « l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire, sauf si celui-ci connaissait les vices de l’immeuble » (Cass. 3e civ. 12 janv. 1988, n°86-15.722).
    • La troisième chambre civile a réitéré sa position dans un arrêt du 26 janvier 1994 aux termes duquel elle affirmait que « la résolution de la vente anéantit les stipulations du contrat et que l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1994, n° 91-20.934).
    • Elle a, à nouveau, retenu cette solution dans un arrêt du 12 mars 2003 (Cass. 3e civ. 12 mars 2003, n°01-17.207), soit le lendemain de l’arrêt rendu par la première chambre civile qui adoptait la position inverse (Cass. 1ère civ. 2003, n°01-01.673).
  • L’intervention de la chambre mixte
    • Dans un arrêt du 9 juillet 2004 la chambre mixte s’est finalement prononcée sur la question qui opposait la première civile à la troisième chambre civile.
    • Dans cette décision elle a jugé que « le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble » (Cass. ch. mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16.302i).
    • Ainsi la chambre mixte de la Cour de cassation a-t-elle opiné dans le sens de la position adoptée par la première chambre civile.
    • Dans un arrêt du 9 novembre 2007 elle a toutefois semblé opérer un revirement de jurisprudence en retenant la solution inverse.
    • Elle a, en effet, considéré dans cette décision que « c’est sans méconnaître les effets de l’annulation du contrat de bail et dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation que les juges du fond ont évalué le montant de l’indemnité d’occupation due par l’EURL en contrepartie de sa jouissance des lieux » (Cass. ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-19.508).
    • Les auteurs ont interprété cette décision comme opérant, non pas un revirement de jurisprudence, mais une distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail.
    • Tandis que pour les premiers aucune indemnité ne serait due au vendeur, pour les seconds, le bailleur serait fondé à réclamer une indemnisation au preneur.
    • Cette interprétation qui semblait avoir été validée par un arrêt rendu le 24 juin 2009 par la première chambre civile (Cass. 3e civ. 24 juin 2009, n° 08-12.251) a toutefois été remise en cause par une décision de la chambre commerciale du 3 décembre 2015.
    • Cette dernière a, en effet, jugé que « la remise des parties dans l’état antérieur à un contrat de location-gérance annulé exclut que le bailleur obtienne une indemnité correspondant au profit tiré par le locataire de l’exploitation du fonds de commerce dont il n’a pas la propriété » (Cass. com. 3 déc. 2015, n°14-22.692).

Au bilan, la jurisprudence était pour le moins incertaine quant au bien-fondé de l’octroi d’une indemnité au créancier correspondant à l’usage de la chose restituée.

Quant à la doctrine, les auteurs étaient partagés.

Planiol et Riper étaient favorable à la reconnaissance d’une indemnité de jouissance à la charge du débiteur de l’obligation de restituer. Pour eux « la liquidation comportera le paiement de la valeur de toute chose consommée, de toute jouissance, de tout service reçu, dont l’autre partie n’aurait pas eu, en exécution des conventions, la contrepartie effective »[2].

Dans le même sens, pour Marie Malaurie, dans certains cas, une indemnité de jouissance peut être versée. Les restitutions sont bilatérales et gouvernées par une « règle de corrélation », cette indemnité compensant l’utilisation du bien aurait pour « corollaire les intérêts légaux qui indemnisent forfaitairement la jouissance de l’argent à laquelle pourrait prétendre l’acheteur »[3].

Dans ces conditions une indemnité est due en l’absence de corrélation entre la jouissance du prix et celle de la chose. À ce titre, deux exemples d’indemnisation sont cités : la perception partielle ou la non-perception du prix par le vendeur et la jouissance de la chose conjuguée à la perception des fruits par l’acquéreur.

À l’inverse, pour Jean-Louis Aubert, « l’utilisation du bien faite par l’acheteur se situe indéniablement hors le champ des restitutions »[4].

Pour les tenants de cette thèse « seules sont restituables, en valeur, les prestations fournies en exécution du contrat annulé, c’est-à-dire mises, par le contrat, à la charge de celui qui les a exécutées »[5].Or, à la différence d’un bailleur tenu d’une obligation de faire, le vendeur n’a exécuté aucune obligation relative à la jouissance, il n’est donc tenu que d’une obligation de délivrance, en exécution de l’obligation de donner résultant du contrat de vente. Dès lors, l’octroi d’une indemnité d’utilisation « outrepasserait la restitution intégrale » puisque, dans un contrat de bail, l’indemnité d’occupation correspond à la restitution en valeur de la jouissance, tandis qu’en matière de vente, l’indemnité est réclamée en plus de la restitution en nature de la chose[6].

Si, à l’examen, la doctrine était plutôt défavorable au versement d’une indemnité de jouissance au créancier de l’obligation de restituer, le législateur a, lors de la réforme du droit des obligations, finalement tranché en faveur d’une indemnisation.

?Ordonnance du 10 février 2016

L’article 1352-3, al. 1re prévoit que la restitution de la chose donne lieu, corrélativement à la restitution de la valeur de la jouissance.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle renversé la position qui avait été adoptée antérieurement par la chambre mixte de la Cour de cassation en matière de contrat de vente.

Manifestement, le nouvel article 1352-3 du Code civil n’opère aucune distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail. On peut en déduire que cette disposition a vocation à s’appliquer à tous les contrats.

Quelle que soit la nature du contrat anéanti, le créancier de l’obligation de restituer sera donc fondé à réclamer au débiteur le versement d’une indemnité de jouissance.

L’alinéa 2 de l’article 1352-3 précise que « la valeur de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce. »

Quant à l’évaluation de la valeur en tant que telle de la jouissance, c’est vers le Rapport au Président de la République qu’il convient de se tourner pour comprendre ses modalités de calcul. Selon ce rapport, l’indemnité de jouissant doit être regardée « comme un équivalent économique des fruits que la chose aurait pu produire. »

En d’autres termes, si la chose objet de la restitution est un immeuble, la valeur de la jouissance doit être calculée sur la base des loyers qui auraient pu être perçus par le créancier de l’obligation de restituer.

L’application de cette méthode de calcul conduit immédiatement à s’interroger sur l’octroi d’une indemnité de jouissance en cas de restitution d’un bien non frugifère.

Le rapport au Président de la République semble s’y opposer. Toutefois, l’article 1352-3 du Code civil ne l’interdit pas, de sorte qu’il convient d’attendre que la jurisprudence se prononce avant de tirer des conséquences sur la portée de la règle.

?) La restitution des fruits produits par la chose

À l’instar de la valeur de la jouissance de la chose, le nouvel article 1352-3 du Code civil pose que les fruits qu’elle a procurés au débiteur ont vocation à être restitués au créancier en cas d’anéantissement du contrat.

Cette règle n’était toutefois pas d’application systématique ce qui a conduit le législateur lors de la réforme du droit des obligations à clarifier les choses.

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, pour déterminer si, en cas d’anéantissement d’un acte, il y avait lieu de restituer les fruits procurés par la chose, la jurisprudence distinguait selon que le débiteur était de bonne ou mauvaise foi.

Dans un arrêt du 5 juillet 1978, la Cour de cassation a jugé en ce sens, application de l’article 549 du Code civil, « le possesseur de bonne foi fait siens les fruits dans le cas où il possède de bonne foi » (Cass. 3e civ. 5 juill. 1978, n°77-11.157). Elle a eu l’occasion de préciser ensuite que le possesseur de bonne foi ne doit restituer les fruits au propriétaire qu’à compter de la demande qu’il en a fait (Cass. 3e civ. 28 juin 1983, n°81-14.889).

À l’inverse, la chambre commerciale a, dans un arrêt du 14 mai 2013, considéré que « la circonstance que la restitution consécutive à l’annulation d’une cession de droits sociaux a lieu en valeur ne fait pas obstacle à la restitution au cédant des fruits produits par les parts sociales litigieuses et perçus en connaissance du vice affectant l’acte annulé par celui qui est tenu à restitution » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17.637). Ainsi, lorsque le débiteur est de mauvaise foi, pèse sur lui une obligation de restitution des fruits.

L’ordonnance du 10 février 2016 a mis fin à cette jurisprudence qui subordonnait la restitution des fruits à la mauvaise foi du débiteur.

?Ordonnance du 10 février 2016

En application de l’article 1352-3 du Code civil, les fruits doivent être restitués sans que cette restitution dépende de la bonne ou mauvaise foi du débiteur de la restitution.

Il ressort du 3e alinéa de cette disposition que la restitution des fruits doit, par principe, avoir lieu en nature, ce qui n’est pas sans rappeler le principe général posé par l’article 1352 du Code civil qui impose cette modalité de restitution pour la chose elle-même.

Ce n’est que si la restitution des fruits en nature est impossible, qu’elle peut intervenir en valeur.

À cet égard, le texte précise que, en cas de restitution en valeur :

  • D’une part, l’estimation doit se faire « à la date du remboursement des fruits par le débiteur », soit plus précisément à la date du jugement
  • D’autre part, cette estimation doit être effectuée « suivant l’état de la chose au jour du paiement de l’obligation », ce qui signifie que le créancier ne peut réclamer la restitution que des seuls fruits que la chose était susceptible de produire dans l’état où elle se trouvait au moment de sa remise au débiteur. Le législateur a entendu ici consacrer la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 juin 1967 aux termes duquel elle avait jugé que « si le possesseur doit restituer les fruits au propriétaire, qui revendique la chose, à compter du jour de la demande, le propriétaire ne saurait prétendre qu’aux fruits qu’aurait produits la chose dans l’état où le possesseur en a pris possession » (Cass. 1ère civ., 20 juin 1967)

Il convient enfin de préciser que les règles qui gouvernent la restitution des fruits ne sont pas d’ordre public, ainsi que le prévoit le troisième alinéa de l’article 1352-3 du Code civil. Les parties peuvent y déroger par convention contraire, ce qui implique qu’elles sont libres de prévoir que l’anéantissement du contrat ne donnera pas lieu à restitution des fruits.

Les contractants peuvent encore stipuler des modalités d’évaluation de la valeur des fruits différentes de celles fixées par l’article 1352-3.

b.2. L’étendue de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

L’article 1352-7 du Code civil dispose que « celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande. »

Il ressort de cette disposition que, s’agissant de la restitution des fruits et de la valeur de la jouissance, l’étendue de cette restitution dépend de la bonne foi du débiteur.

Si, conformément à l’article 2268 du Code civil la bonne foi est toujours présumée, la mauvaise foi est, quant à elle, caractérisée lorsqu’il est établi que le débiteur de l’obligation de restituer avait connaissance et de la cause d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.

Deux situations sont donc susceptibles de se présenter :

  • Le débiteur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement, soit à compter de la date à laquelle il est entré en possession de la chose.
  • Le débiteur est de bonne foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du jour de la demande, ou de la date d’introduction de l’action en justice.

c. Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose

L’article 1352-5 du Code civil dispose que « pour fixer le montant des restitutions, il est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses nécessaires à la conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution. »

Il ressort de cette disposition que toutes les dépenses qui ont été exposées par le débiteur pour conserver ou pour améliorer à la chose donnent lieu à restitution.

Cette règle participe toujours de l’idée que si le débiteur ne doit pas s’être enrichi en jouissant de la chose ou en en percevant les fruits, il en va de même pour le créancier qui ne doit pas pouvoir tirer profit de la restitution de la chose lorsqu’elle a fait l’objet d’améliorations ou que des frais de conservation ont été exposés par son détenteur.

Pour cette raison, l’article 1352-5 du Code civil prévoit que les frais et dépenses exposées par le débiteur de l’obligation de restituer durant l’exécution du contrat doivent être supportés par le créancier.

À l’examen, l’évaluation de la restitution est envisagée différemment selon que les dépenses exposées concernent la conservation de la chose ou l’amélioration de la chose.

  • S’agissant des dépenses de conservation de la chose
    • L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses nécessaires à la conservation de la chose » doivent être supportées par le créancier de l’obligation de restituer
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir quelles sont les dépenses de conservation visées par cette disposition.
    • La lecture du texte révèle que seules les dépenses nécessaires à sa conservation donnent lieu à restituer.
    • Autrement dit, ces dépenses doivent être indispensables, ce qui exclut, par hypothèse, les dépenses somptuaires au sens de l’article
    • Concrètement, il s’agira ainsi des dépenses courantes, des frais d’entretien, ainsi que des frais attachés à la possession de la chose, tels que les impôts let autres taxes par exemple.
    • Contrairement à ce que suggère la lettre de l’article 1352-5 du Code civil, afin de déterminer le montant de la restitution, il n’y a pas lieu de plafonner les dépenses de conservation à hauteur de « la plus-value estimée au jour de la restitution. »
    • Et pour cause ce type de dépenses n’a pas vocation à apporter une plus-value à la chose, seulement à la maintenir dans son état initial.
    • L’indemnisation du débiteur doit donc couvrir l’intégralité des dépenses de conservation exposées, sans limite de montant.
    • Le plafonnement de l’indemnisation ne concerne, en réalité, que les dépenses d’amélioration.
  • S’agissant des dépenses d’amélioration de la chose
    • L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses qui ont augmenté la valeur de la chose » doivent être supportées par le créancier de l’obligation de restituer, ce « dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution ».
    • Il ressort de ce texte que l’indemnisation due au débiteur doit être calculée, non pas sur la plus-value intrinsèque apportée à la chose, mais sur la base des dépenses exposées.
    • Ainsi, dans l’hypothèse où la plus-value serait de 200 et que les dépenses exposées par le débiteur représenteraient un coût de 100, la restitution ne pourrait pas être supérieure à 100.
    • Seules les améliorations résultant de dépenses ne peuvent donc donner lieu à restitution.
    • L’article 1352-5 précise que le montant de l’indemnisation est, en toute hypothèse, plafonné à hauteur de « la plus-value estimée au jour de la restitution ».
    • Aussi, de deux choses l’une :
      • Soit le montant le montant des dépenses exposées est inférieur à la plus-value apportée à la chose auquel cas le débiteur pourra être intégralement indemnisé
      • Soit le montant des dépenses exposées est supérieur à la plus-value apportée à la chose auquel cas l’indemnisation du débiteur sera plafonnée à hauteur de cette plus-value.
    • À cet égard, tandis que le montant des dépenses s’apprécie au jour où elles ont été exposées, le montant de la plus-value est, quant à lui, apprécié à la date de la restitution, soit du jugement.

B) Exception : la restitution en valeur

L’article 1352 du Code civil prévoit que, par exception au principe de restitution en nature de la chose, lorsque cette restitution est impossible, elle a lieu en valeur.

Ce texte envisage ainsi l’hypothèse du débiteur qui n’est plus en possession de la chose au jour où naît l’obligation de la restituer.

Seule alternative pour surmonter l’obstacle : obliger le débiteur à restituer la chose par équivalent, soit en valeur.

Bien que simple en apparence, cette solution n’est toutefois pas sans soulever plusieurs difficultés.

Ces difficultés tiennent :

  • D’une part, à la délimitation du domaine de l’impossibilité
  • D’autre part, aux modalités d’estimation de la valeur restituée

1. Le domaine de l’impossibilité

?L’étendue du domaine de l’impossibilité

La première question qui se pose est de savoir à partir de quand peut-on considérer que la restitution de la chose est impossible.

Lorsque la chose a disparu ou a péri, l’impossibilité de la restituer s’impose d’elle-même. Il en va de même pour les choses consomptibles.

Plus délicate est, en revanche, la question pour les choses dont le débiteur est toujours en possession mais pour lesquelles la restitution représenterait pour lui un coût si élevé qu’il serait déconnecté de l’économie initiale du contrat.

Dans un arrêt du 18 février 1992, la Cour de cassation a répondu à cette question en censurant une Cour d’appel pour avoir mis à la charge d’un débiteur une obligation de restituer en nature consécutivement à l’anéantissement d’un contrat considérant, au cas particulier, que « l’obligation de restitution en nature du matériel impose des travaux coûteux au revendeur de carburant, non justifiés par des nécessités techniques en raison de la durée de vie des cuves, et qu’elle est susceptible de le dissuader de traiter avec un autre fournisseur ; qu’elle est ainsi disproportionnée avec la fonction qui lui a été fixée de faire respecter l’exclusivité d’achat du carburant et constitue un frein à la concurrence d’autres fournisseurs, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. com. 18 févr. 1992, n°87-12.844).

Ainsi, pour la Cour de cassation, lorsque la restitution en nature serait disproportionnée eu égard le résultat recherché par l’anéantissement de l’acte, soit un retour au statu quo, elle ne peut avoir lieu qu’en valeur.

Cette solution a été réaffirmée par la troisième chambre civile dans un arrêt du 15 octobre 2015 aux termes duquel elle a cassé la décision d’une Cour d’appel à laquelle elle reprochait de n’avoir pas recherché « si la démolition de l’ouvrage, à laquelle s’opposait la société Trecobat, constituait une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectaient » (Cass. 3e civ. 15 oct. 2015, n°14-23.612).

Dans le silence de l’article 1352 du Code civil sur la notion d’impossibilité, peut-on considérer que cette jurisprudence a été reconduite par le législateur ?

D’aucuns postulent que la réponse à cette question résiderait dans la comparaison de l’article 1352 avec l’article 1221.

En effet, cette dernière disposition exige expressément la réalisation d’un contrôle de proportionnalité pour déterminer s’il y a lieu d’exclure l’exécution forcée en nature d’une obligation en cas d’inexécution du contrat.

Tel n’est pas le cas de l’article 1352 qui est silencieux sur ce point s’agissant de l’exclusion de la restitution de la chose en nature.

Pour l’heure la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée, de sorte qu’il est difficile de tirer des conclusions sur le maintien de la jurisprudence antérieure.

?Cas particulier de la revente de la chose

L’article 1352-2 du Code civil envisage le cas particulier de la revente de la chose qui devait être restituée au vendeur en suite de l’anéantissement du contrat.

Cette disposition prévoit, plus précisément, que lorsque l’acquéreur revend la chose qui lui a été délivrée, la restitution s’opère en valeur.

Selon le texte, il y a néanmoins lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de bonne ou de mauvaise foi.

Si, de prime abord, l’on est tenté d’apprécier la bonne foi de l’acquéreur au moment de la délivrance de la chose, certains auteurs plaident pour que cette appréciation se fasse au stade de la revente[7].

Il peut, en effet, parfaitement être envisagé que l’acquéreur ignorât la cause d’anéantissement du contrat au moment de la délivrance de la chose, mais que, en revanche, il l’ait revendue en toute connaissance de cause.

L’objectif recherché par l’article 1352-2, al.2 étant de sanctionner l’acquéreur qui, sciemment, a cherché à tirer profit de la revente de la chose au préjudice du vendeur, il ne serait pas aberrant d’apprécier sa bonne foi au jour de la revente de la chose.

Dans le silence de l’article 1352-2, c’est à la jurisprudence qu’il reviendra de se prononcer sur cette question.

Reste que, en toute hypothèse, il y a lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de bonne ou de mauvaise foi.

  • L’acquéreur est de bonne foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 1352-2 prévoit qu’il ne doit restituer que le prix de la vente de la chose
    • Le prix à restituer est celui, non pas de l’acquisition initiale de la chose, mais celui de la revente.
    • L’acquéreur ne peut ainsi tirer profit de la revente, ni s’appauvrir, l’objectif recherché étant une opération à somme nulle.
  • L’acquéreur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 1352 dispose qu’il « en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix. »
    • Autrement dit, pour déterminer le montant de la somme à restituer, il convient de se placer non pas au moment de la revente de la chose, mais à la date de sa restitution qui, concrètement, correspond à celle du jugement.
    • À cet égard, le texte oblige l’acquéreur de mauvaise foi à restituer la plus forte des deux sommes entre le prix de revente de la chose et sa valeur au moment de la restitution
    • Aussi, de deux choses l’une :
      • Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est inférieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur ne devra restituer au vendeur que ce seul prix de revente
      • Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est supérieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur devra restituer au vendeur non seulement ce seul prix de revente, mais encore la plus-value réalisée au jour du jugement
    • Le sort réservé ici à l’acquéreur de mauvaise foi est manifestement pour le moins défavorable dans la mesure où il sera privé des profits réalisés en suite de la revente de la chose.

2. Les modalités d’estimation de la valeur restituée

Une fois admis que la restitution de la chose en nature est impossible, reste à estimer sa valeur afin que puisse être restituée au créancier une somme d’argent.

Deux questions alors se posent :

  • D’une part, à quelle date la valeur de la chose doit-elle être estimée ?
  • D’autre part, quel critère d’estimation retenir pour déterminer la valeur de la chose ?

?Sur la date d’estimation de la valeur de la chose

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du droit des obligations, la jurisprudence avait posé, en l’absence de texte, que pour estimer la valeur de la chose restituée il y avait lieu de se situer à la date de remise de la chose.

Dans un arrêt du 14 juin 2005, la chambre commerciale a jugé en ce sens, s’agissant d’une annulation de cession de titres sociaux, que « l’annulation de la cession litigieuse confère au vendeur, dans la mesure où la remise des actions en nature n’est plus possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur au jour de l’acte annulé » (Cass. com. 15 juin 2005, n°03-12.339).

Cette solution a été reconduite dans une décision rendue le 14 mai 2013 aux termes de laquelle la Cour de cassation a considéré que « l’annulation d’une cession de parts sociales confère au vendeur, dans la mesure où leur restitution en nature n’est pas possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur laquelle doit être appréciée au jour de l’acte annulé » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17.637).

Prenant le contre-pied de cette jurisprudence, l’ordonnance du 10 février 2016 a retenu la solution inverse en prévoyant que lorsque la restitution de la chose a lieu en valeur, cette valeur est « estimée au jour de la restitution. »

Ce n’est donc plus à la date de la remise de la chose au débiteur que sa valeur doit être estimée, mais au jour du jugement qui ordonne sa restitution.

L’objectif recherché par le législateur était de calquer la restitution en valeur sur la restitution en nature.

Autrement dit, il a voulu que les plus-values et moins-values réalisées par le débiteur soient prises en compte dans l’évaluation du montant de la restitution. Il ne faudrait pas qu’une partie s’enrichisse au préjudice de l’autre, à raison de la survenance de circonstances postérieures à la conclusion du contrat anéanti.

Il peut être observé que, contrairement à la restitution de la valeur de la jouissance ou des fruits procurés par la chose, il est indifférent, ici, que le débiteur soit de bonne ou mauvaise foi : dans les deux cas, l’estimation de la valeur à restituer doit être effectuée au jour de la restitution de la chose.

?Sur le critère d’estimation de la valeur de la chose

Autre question qui se pose lorsque la restitution de la chose a lieu en valeur : quid du critère de son évaluation ? En d’autres termes, doit-on retenir le prix stipulé par les parties dans le contrat ou doit-on se référer au prix du marché ?

L’article 1352 est silencieux sur ce point. Reste que dans un arrêt du 8 mars 2005, la Cour de cassation avait considéré, au visa de l’ancien article 1184 du Code civil, que « la créance de restitution en valeur d’un bien, est égale, non pas au prix convenu, mais à la valeur effective, au jour de la vente, de la chose remise » (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005, n° 02-11.594).

Ainsi, est-ce une approche objective qui avait été retenue par la première chambre civile, la position adoptée consistant à dire, en substance, que l’estimation de la chose doit être effectuée sur la base de sa valeur effective au moment de sa restitution et non en considération du prix initialement fixé par les parties.

Manifestement, cette solution se concilie parfaitement bien avec l’exigence d’estimation de la valeur de la chose au jour de sa restitution, de sorte qu’il est fort probable que la solution dégagée par la Cour de cassation en 2005 soit maintenue.

II) La restitution d’une somme d’argent

L’article 1352-6 du Code civil prévoit que « la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées entre les mains de celui qui l’a reçue. »

Ainsi, appartient-il à la partie qui a reçu une somme d’argent au titre d’un acte qui a été anéanti de la restituer, augmentée des intérêts et, éventuellement, des taxes y afférentes.

Deux questions ici se posent :

  • Quid de la valorisation de la somme d’argent à restituer ?
  • Quid des accessoires de la somme d’argent à restituer ?

?Sur la valorisation de la somme d’argent à restituer

La question qui ici se pose est de savoir si cette restitution est soumise au principe du nominalisme monétaire ou si elle obéit à la règle du valorisme.

  • Si l’on applique le principe du nominalisme monétaire, cela signifie que le débiteur doit restituer au créancier le montant nominal de la somme d’argent reçue
  • Si l’on applique le principe du valorisme monétaire, cela signifie, au contraire, que la somme d’argent restituée doit avoir été actualisée au jour de la restitution afin qu’il soit tenu compte des phénomènes d’inflation et de dépréciation monétaires

L’analyse de la jurisprudence antérieure révèle que la Cour de cassation avait retenu la première solution, puisque appliquant la règle du nominalisme monétaire.

Dans un arrêt du 7 avril 1998, elle a jugé en ce sens que « la résolution a pour effet d’anéantir rétroactivement le contrat et de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement ; que si, en cas de résolution d’un contrat de vente, le vendeur doit restituer le prix, ce prix ne peut s’entendre que de la somme qu’il a reçue, éventuellement augmentée des intérêts, et sauf au juge du fond à accorder en outre des dommages-intérêts ; que, dès lors, c’est sans se contredire et en faisant une exacte application du principe précité, que la cour d’appel, qui n’a pas fait échec à la règle de la réparation intégrale, et qui, pour une créance d’argent, n’avait pas à se référer à la notion de dette de valeur, a statué comme elle l’a fait » (Cass. 7 avr. 1998, n°96-18.790).

Qu’en est-il de l’ordonnance du 10 février 2016 ? Retiennent-ils également la règle du nominalisme monétaire ? Si, les nouvelles dispositions du Code civil consacrées aux restitutions sont silencieuses sur ce point, une règle s’infère de l’article 1343 de ce code.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal. »

C’est donc bien la règle du nominalisme qui est posée par ce texte. Tout indique qu’elle est pleinement applicable aux restitutions.

?Sur les accessoires de la somme d’argent à restituer

Il ressort de l’article 1352-6 du Code civil que, lorsque la restitution porte sur une somme d’argent, plusieurs éléments devront être restitués au créancier : le capital reçu, les intérêts produits par le capital et les taxes.

  • S’agissant du capital
    • Il s’agit de la somme d’argent reçu par le débiteur consécutivement à la conclusion du contrat.
    • Le montant du capital versé au créancier sera, en application de la règle du nominalisme monétaire, identique à celui reçu par le débiteur.
  • S’agissant des intérêts
    • Il s’agit des intérêts produits par le capital calculés au taux légal
    • Il peut être observé que, à la différence de l’article 1352-3, l’article 1352-6 n’inclut pas les fruits dans la restitution de la somme d’argent.
    • Il en résulte que dans l’hypothèse cette somme d’argent aurait rapporté au débiteur des intérêts au moyen d’un investissement financier, il ne sera tenu de restituer que le montant des intérêts légaux.
    • Il conservera donc le surplus d’intérêts produits par le capital.
  • S’agissant des taxes acquittées entre les mains du débiteur
    • Il s’agit de toutes les taxes susceptibles d’avoir été réglées par le débiteur au créancier lorsqu’il a reçu la somme d’argent.
    • Tel est le cas notamment de la TVA qui, par voie de conséquence, devra être restituée, peu importe que le débiteur ait pu la récupérer auprès de l’administration fiscale.
    • Cette solution avait déjà été retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 26 juin 1990 (Cass. com., 26 juin 1990, n° 88-17.892).

III) La restitution d’une prestation de service

L’article 1352-8 du Code civil dispose que « la restitution d’une prestation de service a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie. »

Par hypothèse, lorsque le contrat anéanti portait sur la fourniture d’une prestation de service, la restitution ne peut pas se faire en nature. Une prestation de service consiste, en effet, toujours en la mise à disposition d’une force de travail. Or cette force de travail, une fois fournie, ne peut être ni annulée, ni restituée.

Aussi, le législateur en a tiré la conséquence, en posant à l’article 1352-8 que la restitution d’une prestation de service devait nécessairement avoir lieu en valeur.

Cette disposition intéresse particulièrement le contrat d’entreprise et le contrat de mandat. S’agissant du contrat d’entreprise par exemple, tandis que le maître d’ouvrage restituera au maître d’œuvre le prix de la prestation payé, le maître d’œuvre restituera au maître d’ouvrage la valeur de la prestation fournie

Toute la question est alors de savoir comment évaluer la valeur de la prestation de service objet de la restitution.

À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que la restitution ne porte que sur la valeur de la prestation fournie en tant que telle et non sur la valeur des bénéfices procurés au débiteur.

Ainsi, dans un contrat d’entreprise, ce qui devra être restitué c’est le coût de la prestation fournie par le maître d’œuvre et non la valeur de l’ouvrage qui a été réalisé.

Dans un arrêt du 13 septembre 2006, la Cour de cassation avait considéré en ce sens que « dans le cas où un contrat nul a été exécuté, les parties doivent être remises dans l’état où elles se trouvaient avant cette exécution, que condamnée à réparer le préjudice subi par l’entrepreneur principal à la suite des désordres survenus sur les travaux sous-traités, la société CIFN était en droit d’obtenir la restitution par cet entrepreneur des sommes réellement déboursées, sans que soit prise en compte la valeur de l’ouvrage » (Cass. 3e civ. 13 sept. 2006, n°05-11.533).

Dans un arrêt du 10 décembre 2014 la haute juridiction a encore jugé que « pour remettre les parties d’un contrat d’intégration annulé dans leur état antérieur, seules doivent être prises en considération les prestations fournies par chacune d’elles en exécution de ce contrat, sans avoir égard aux bénéfices tirés de celui-ci par l’intégrateur » (Cass. 1ère 10 déc. 2014, n°13-23.903).

Une fois l’objet de la restitution identifiée lorsque celle-ci porte sur une prestation de service, reste à déterminer comment estimer sa valeur, ce qui conduit à s’interroger sur deux choses :

  • La date d’estimation de la valeur de la prestation de service
  • Le critère d’estimation de la valeur de la prestation de service

?Sur la date d’estimation de la valeur de la prestation de service

L’article 1352-8 du Code civil prévoit que la valeur de la prestation de service « est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie. »

La solution retenue ici par le législateur est conforme à la jurisprudence antérieure (V. en ce sens Cass. 3e civ. 18 nov. 2009, n°08-19.355).

Il peut être observé que la date ici prise en compte par le texte pour estimer la valeur de la prestation fournie est totalement différente de celle retenue en matière de restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent lorsque la restitution en nature est impossible.

En effet, dans cet autre cas de figure, la valeur de la chose doit être estimée, non pas au jour de l’entrée en possession du débiteur, mais au jour de sa restitution par équivalent monétaire.

Les auteurs justifient cette différence entre les deux textes en arguant que la règle posée à l’article 1352 du Code civil répond à la logique de la restitution en nature. Or cette forme de restitution ne se conçoit que si l’on se place à la date à laquelle elle intervient, soit au jour du jugement.

?Sur le critère d’estimation de la valeur de la prestation de service

L’article 1352-8 du Code civil est silencieux sur les critères auxquels le juge doit se référer pour estimer la valeur de la prestation de service objet de la restitution.

La question est pourtant d’importance. Doit-on retenir le prix initialement convenu par les parties dans le contrat ou doit-on se référer à un critère plus objectif, tel que le prix du marché ?

En la matière, la jurisprudence antérieure considérait que le juge était investi d’un pouvoir souverain d’appréciation, ce qui l’autorisait à faire montre de souplesse dans l’estimation de la valeur de la prestation de service (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2012, n° 11-17.587).

§2 : Les règles communes à toutes les restitutions

Deux séries de règles sont applicables à toutes les restitutions. Elles intéressent :

  • D’une part, les mineurs non émancipés et les majeurs protégés
  • D’autre part, les sûretés qui avaient été constituées pour le paiement de l’obligation

I) La teneur des restitutions effectuées à la faveur d’un mineur ou d’un majeur protégé

L’article 1352-4 du Code civil dispose que « les restitutions dues par un mineur non émancipé ou par un majeur protégé sont réduites à hauteur du profit qu’il a retiré de l’acte annulé. »

Cette disposition se veut être une reprise à droit constant de l’ancien article 1312 du Code civil qui prévoyait que « Lorsque les mineurs ou les majeurs en tutelle sont admis, en ces qualités, à se faire restituer contre leurs engagements, le remboursement de ce qui aurait été, en conséquence de ces engagements, payé pendant la minorité ou la tutelle des majeurs, ne peut en être exigé, à moins qu’il ne soit prouvé que ce qui a été payé a tourné à leur profit. »

La règle ainsi instituée vise à atténuer les effets habituels de l’anéantissement d’un acte en faveur des personnes protégées, en prenant en considération l’avantage économique qu’elles ont, en définitive, conservé.

En effet, alors que les restitutions visent à rétablir la situation patrimoniale des parties comme si l’acte anéanti n’avait jamais existé, l’article 1352-4 prévoit que lorsque de débiteur de l’obligation de restituer est un mineur non émancipé ou un majeur protégé il peut conserver le profit que lui a procuré ce qu’il a reçu.

Aussi, trois situations peuvent se présenter :

  • Ce qui a été reçu n’a pas été consommé, ni n’a disparu : la restitution sera totale
  • Ce qui a été reçu a été en partie consommé ou a été altéré : la restitution sera partielle
  • Ce qui a été reçu a été totalement consommé ou a disparu : aucune restitution ne pourra avoir lieu

À l’examen, le champ d’application de la règle posée à l’article 1352-4 est limité puisque le texte ne vise que les actes annulés.

Aussi, ce texte n’a-t-il pas vocation à s’appliquer en cas de résolution ou de caducité d’un contrat.

Reste que, à la différence de l’ancien article 1312 du Code civil, elle ne profite pas seulement aux majeurs sous tutelles. Elle intéresse également les majeurs qui font l’objet des mesures de protections que sont :

  • La sauvegarde de justice
  • La curatelle simple et renforcée
  • Le mandat de protection future

Enfin, en application de la jurisprudence antérieure qui devrait être reconduite, la règle posée à l’article 1352-4 du Code civil ne jouera que lorsque l’acte anéanti n’a pas été accompli par l’entremise du représentant légal du mineur ou du majeur protégé.

Dans un arrêt du 18 janvier 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « l’article 1312 du Code civil concerne les seuls paiements faits entre les mains d’un mineur ; que la cour d’appel n’avait pas à faire application de ce texte, s’agissant d’une restitution qui était la conséquence d’un paiement fait au père de la victime » (Cass. 1ère civ., 18 janv. 1989, n° 87-12.019).

À l’instar de l’ancien texte, l’article 1352-4 du Code civil ne devrait donc s’appliquer que dans l’hypothèse où c’est le mineur qui a directement contracté avec le créancier de l’obligation de restituer.

II) Le sort des sûretés constituées pour le paiement de l’obligation

L’article 1352-9 du Code civil dispose que « les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution soit privée du bénéfice du terme. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un acte est anéanti, le créancier de l’obligation de restituer continue de bénéficier de la sûreté qui avait été constituée pour garantir l’obligation souscrite initialement par le débiteur.

Pour exemple, lorsque c’est un contrat de vente qui est annulé, la sûreté qui avait été constituée par le vendeur pour garantir le paiement du prix de vente est maintenue en vue de garantir l’obligation de restitution de la chose délivrée qui pèse sur l’acquéreur.

La règle ainsi posée n’est qu’une généralisation la solution consacrée par la jurisprudence en matière de prêt d’argent.

Dans un arrêt du 17 novembre 1982 la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable, que dès lors le cautionnement en considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable n’est pas éteinte » (Cass. com. 17 nov. 1982, n° 81-10.757).

Désormais, le domaine d’application de la règle édictée à l’article 1352-9 n’est plus cantonné aux seuls contrats de prêts. Cette disposition s’applique à tous les contrats, la condition étant que les parties au contrat initial soient les mêmes que celles concernées par l’obligation de restitution.

Par ailleurs, peu importe la cause de l’anéantissement de l’acte. L’article 1352-9 n’opère aucune distinction entre la nullité, la résolution ou encore la caducité.

Enfin, la nature de la sûreté pouvant faire l’objet d’un report sur l’obligation de restitution est indifférente. Il peut s’agir, tant d’un cautionnement, que d’une hypothèque ou encore d’une garantie autonome.

L’article 1352-9 apporte néanmoins une précision pour le cautionnement en prévoyant que le report de la sûreté sur l’obligation de restitution est sans incidence sur « les droits de la caution, qui pourra invoquer le bénéfice du terme. »

Autrement dit, en cas de maintien du cautionnement aux fins de garantir l’obligation de restitution qui pèse sur le débiteur, la caution conserve le bénéfice du terme stipulé initialement dans le contrat anéanti. Il serait particulièrement injuste pour cette dernière d’être appelée en garantie de manière anticipée, alors qu’elle s’était engagée sur la base de conditions d’exigibilité différentes.

  1. C. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité, LGDJ, 1992, n° 927. ?
  2. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. 6, Les obligations, par P. Esmein, 2e éd., LGDJ, 1952, n° 433 ?
  3. M. Malaurie, Les restitutions en droit civil, thèse, Paris 2, Cujas, 1991, p. 283 et suivantes ?
  4. J.-L. Aubert, sous Com 11 mai 1976, Defrénois 1977, art. 31343, n° 8, p. 396 ?
  5. C. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilités, thèse, Paris, LGDJ, 1992, n° 818 et suivants ?
  6. J. Mestre, B. Fages, sous Civ.1, 11 mars 2003,Revue Trimestrielle de Droit Civil 2003 p. 501. ?
  7. G. Chantepie et M. Latina, La réforme du droit des obligations, 2e éd. Dalloz, n°1066, p.957 ?

La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent: régime juridique

Lorsqu’un contrat est anéanti, soit par voie de nullité, soit par voie de résolution, soit encore par voie de caducité, il y a lieu de liquider la situation contractuelle dans laquelle se trouvent les parties et à laquelle il a été mis fin.

Pour ce faire, a été mis en place le système des restitutions. Ces restitutions consistent, en somme, pour chaque partie à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition propre aux restitutions après anéantissement du contrat. Tout au plus, il ne contenait que quelques règles éparses sur la mise en œuvre de ce mécanisme, telles que les dispositions relatives à la répétition de l’indu, dont la jurisprudence s’est inspirée pour régler le sort des restitutions en matière contractuelle.

La réforme du droit des obligations a été l’occasion pour le législateur de combler ce vide en consacrant, dans le Code civil, un chapitre propre aux restitutions.

Surtout, le but recherché était d’unifier la matière en rassemblant les règles dans un même corpus normatif et que celui-ci s’applique à toutes formes de restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation, la résolution, la caducité ou encore la répétition de l’indu.

À l’examen, le régime juridique attaché aux restitutions s’articule autour de trois axes déterminés par l’objet desdites restitutions.

À cet égard, les règles applicables diffèrent selon que, la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, sur une somme d’argent ou sur une prestation de service.

En substance, il ressort des textes que :

  • D’une part, la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent se fait, par principe, en nature et lorsque cela est impossible, par équivalent monétaire
  • D’autre part, la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées
  • Enfin, la restituons d’une prestation de service a lieu en valeur

Nous nous focaliserons sur la première forme de restitutions.

?Textes

La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent est régie aux articles 1352 à 1352-3 du Code civil. L’article 1352-5 du Code civil en complète le régime.

?Domaine

Par chose, il faut entendre, tant les meubles que les immeubles, à l’exclusion des sommes d’argent.

La restitution de ces dernières fait l’objet d’un traitement spécifique à l’article 1352-6. Cette disposition a, en effet, vocation à s’appliquer lorsque l’exécution de l’obligation consiste en le paiement d’une valeur monétaire.

Quant aux contrats dont l’anéantissement conduit à la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent, il peut s’agir, tout aussi bien de contrats translatifs de propriété (contrat de vente, contrat d’entreprise, donation, échange etc.), que de contrats qui ne font que mettre à la disposition du débiteur une chose sans lui en transférer la propriété (contrat de bail, contrat de dépôt, contrat de prêt, etc.).

?Régime

Lorsque la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, le principe posé par l’article 1352 du Code civil, c’est la restitution en nature.

Par exception, soit lorsque la restitution en nature s’avère impossible, la restitution se fera en valeur, soit par équivalent monétaire.

I) Principe : la restitution en nature

A) Exposé du principe

L’article 1352 du Code civil pose donc le principe de restitution en nature des choses autres qu’une somme d’argent.

L’instauration de ce principe, d’abord reconnu par la jurisprudence, puis consacré par la loi, procède de l’objectif poursuivi par le législateur qui vise à remettre les parties dans la situation patrimoniale à laquelle elles se trouvaient au moment de la survenance de l’irrégularité entachant l’acte ou de son inexécution.

Aussi, le retour à ce statu quo ante suppose, avant toute chose, d’exiger des parties qu’elles restituent à l’autre ce qui se trouve encore entre dans leurs patrimoines respectifs.

Lorsqu’il s’agit de restituer en nature un corps certain, la partie qui le détient devra restituer à son cocontractant le même corps certain que celui qui lui a été remis lors de son entrée en possession.

Lorsque, en revanche, la restitution porte sur une chose de genre, la chose rendue devra être de même nature, être restituée dans la même quotité et présenter les mêmes qualités.

B) Mise en œuvre du principe

Si, en cas d’anéantissement d’un acte, la restitution, en nature, des choses qui se trouvaient dans les patrimoines respectifs des parties est une étape nécessaire vers un retour au statu quo ante, cette opération n’est, dans bien des cas, pas suffisante.

Entre le moment où la chose a été remise et la date de sa restitution, des événements sont, en effet, susceptibles d’avoir affecté l’état de la chose.

Elle peut, tout aussi bien avoir été détériorée ou s’être dégradée, qu’avoir fait l’objet d’améliorations ou de réparations.

Des dépenses auront, par ailleurs, pu être exposées pour assurer sa conservation. La chose peut encore avoir produit des fruits en même temps qu’il a été permis à son détenteur d’en jouir.

Aussi, afin de se rapprocher de la situation dans laquelle les parties se trouvaient au moment de la survenance de l’irrégularité ayant entaché l’acte ou de son inexécution, il est nécessaire de rétablir les équilibres qui ont pu être rompus en raison :

  • Soit des dépenses exposées par détenteur de la chose pour assurer sa conservation
  • Soit des circonstances qui ont affecté l’état de la chose (plus-values et moins-values)
  • Soit de la jouissance que la chose a procurée et des fruits dont le détenteur a tiré profit

Pour ce faire, les articles 1352-1, 1352-3 et 1352-5 du Code civil prévoient un certain nombre de règlements accessoires à la restitution, en principal, de la chose qui visent, selon la doctrine, à tenir compte de l’écoulement du temps.

Plus précisément, ces règlements accessoires à la restitution de la chose ont été institués pour traiter :

  • Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose
  • Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose
  • Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose

1. Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose

L’article 1352-1 du Code civil dispose que « celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute. »

Il ressort de cette disposition que la restitution en nature de la chose suppose qu’elle soit rendue au créancier dans le même état que celui dans lequel elle se trouvait au moment de sa remise.

Aussi, dans l’hypothèse où la chose objet de la restitution est dégradée ou détériorée, pèse sur la partie qui détient la chose une obligation d’indemnisation du créancier, ainsi que le suggère l’emploi du terme « répond ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par dégradation et détérioration.

Plus précisément, ces deux notions couvrent-elles seulement les altérations anormales affectant accidentellement ou intentionnellement l’état de la chose ou embrassent-elles également l’usure résultant de l’usure normale de la chose ?

Dans le silence des textes, les deux interprétations sont possibles. Reste que, par analogie avec les règles qui régissent le contrat de bail, il peut être postulé que l’usure normale de la chose restituée ne donne pas lieu à indemnisation, à l’instar du local restitué au bailleur en fin de bail.

À cet égard, dans un arrêt du 8 mars 2005 la Cour de cassation avait considéré que « l’effet rétroactif de la résolution d’une vente oblige l’acquéreur à indemniser le vendeur de la dépréciation subie par la chose à raison de l’utilisation qu’il en a faite, à l’exclusion de celle due à la vétusté » (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005, n° 02-11.594).

Lorsque, en revanche, l’altération de l’état de la chose ne résulte pas de son usure normale, alors le débiteur de l’obligation de restituer doit indemniser le créancier.

Cette indemnisation est toutefois subordonnée à la réunion de deux conditions alternatives :

  • Première condition : la mauvaise foi du débiteur de l’obligation de restituer
    • L’article 1352-1 du Code civil prévoit que l’indemnisation ne peut avoir lieu en cas de dégradation ou de détérioration de la chose qu’à la condition que le débiteur de l’obligation de restituer soit de mauvaise foi.
    • Ce dernier sera de mauvaise foi lorsqu’il connaissait la cause d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.
    • Autrement dit, le débiteur savait qu’il ne pouvait pas valablement détenir et jouir de la chose.
    • Il importe peu que la dégradation ou la détérioration de la chose soit de sa faute : dans les deux cas, dès lors que sa mauvaise foi est établie, il a l’obligation d’indemniser le créancier de la restitution.
  • Seconde condition : la faute du débiteur de l’obligation de restituer
    • Il s’infère de l’article 1352-1 du Code civil que, dans l’hypothèse où le débiteur serait de bonne foi, le créancier ne pourra solliciter une indemnisation que s’il démontre que les dégradations ou détériorations de la chose résultent de la faute du débiteur.
    • À défaut, aucune indemnisation ne sera due, sauf à ce que le débiteur de l’obligation de restitution soit de mauvaise foi, ce qui sera suffisant pour l’obliger à réparer le préjudice résultant de l’altération de l’état de la chose.

2. Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose

L’article 1352-3 du Code civil dispose que « la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée. »

La règle ainsi posée vise tenir compte de l’utilisation de la chose par le débiteur entre le moment où il est en entrée en possession de cette chose et la date à laquelle il doit la restituer.

Pendant cette période, ce dernier a, tout d’abord, pu en jouir, soit tirer profit de sa possession. Tel est le cas de l’acquéreur d’un véhicule qui dispose de la possibilité de le conduire ou de l’acquéreur d’un immeuble qui peut l’habiter.

La possession d’une chose peut ensuite permettre à son détenteur d’en percevoir les fruits. Selon la définition donnée par Gérard Cornu, les fruits, s’entendent « des biens de toute sorte (sommes d’argent, biens en nature) que fournissent et rapportent périodiquement les biens frugifères (sans que la substance de ceux-ci soit entamée comme elle l’est par les produits au sens strict) ; espèce de revenus issus des capitaux, à la différence des revenus du travail. Ex. : récoltes, intérêts des fonds prêtés, loyers des maisons ou des terres louées, arrérages des rentes. ».

Si les avantages que procure la jouissance de la chose et, éventuellement, la perception de ses fruits sont sans incidence sur sa substance, en ce sens que cela ne lui apporte aucune moins-value, ni plus-value, sa seule restitution au créancier, en cas d’anéantissement du contrat au titre duquel elle avait été transférée, ne permet pas d’obtenir les effets recherchés par cet anéantissement, soit le retour des parties au statu quo ante.

Tandis que le débiteur de l’obligation de restituer s’est enrichi en tirant profit de la jouissance de la chose et en percevant les fruits, le créancier a, quant à lui, été privé de son utilisation.

Aussi, afin de rétablir l’équilibre qui a été rompu consécutivement à la disparition de l’acte, très tôt la question s’est posée de l’indemnisation de ce dernier.

La question est alors double. Elle tient à l’indemnisation du créancier de l’obligation de restituer résultant :

  • D’une part, de la jouissance de la chose par le débiteur
  • D’autre part, de la perception des fruits par le débiteur

Mettant fin à une jurisprudence fournie qui n’est pas sans avoir tergiversé, en particulier sur l’indemnisation de la jouissance de la chose, l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit que, tant la valeur de la jouissance de la chose que les fruits procurés par elle au débiteur donnent lieu à restitution.

L’article 1352-7 précise toutefois que l’étendue de cette restitution varie selon que le débiteur de l’obligation de restituer était de bonne ou de mauvaise foi au moment où il a perçu les fruits ou a commencé à jouir de la chose.

a. Le principe de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

?) La restitution de la valeur de la jouissance de la chose

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence était fluctuante, s’agissant d’octroyer au créancier de l’obligation de restituer une indemnité visant à compenser la jouissance de la chose par le débiteur.

À l’analyse, deux positions s’affrontaient : celle de la première chambre civile qui refusait d’indemniser le créancier à raison de l’utilisation de la chose restituée par le débiteur et celle de la troisième chambre civile qui admettait que ce dernier puisse percevoir une indemnité.

Cette situation qui opposait les deux chambres a conduit la chambre mixte à se prononcer. Son intervention n’a toutefois pas suffi à mettre fin au débat.

  • La position de la première chambre civile : le refus d’indemniser
    • Dans un arrêt du 2 juin 1987, la première chambre civile a jugé que « dans le cas où un contrat nul a […] été exécuté, les parties doivent être remises dans l’état où elles étaient auparavant, en raison de la nullité dont la vente est entachée dès l’origine ».
    • Toutefois, elle a ajouté que « le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant au profit qu’a retiré l’acquéreur de l’utilisation de la machine » (Cass. 1ère civ. 1 juin 1987, n°84-16.624)
    • La première chambre civile a précisé sa position dans un arrêt du 11 mars 2003, aux termes duquel elle a affirmé que « en raison de l’effet rétroactif de la résolution de la vente, le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant à la seule utilisation du véhicule par l’acquéreur » (Cass. 1ère civ. 2003, 01-01.673)
    • La première chambre civile fait ici manifestement une application stricte du principe de l’anéantissement rétroactif du contrat : si l’acquéreur doit remettre la chose, abstraction faite de l’évolution de sa valeur, au même état que si les obligations nées du contrat n’avaient pas existé, le vendeur doit restituer le prix, le principe du nominalisme monétaire interdisant toute revalorisation.
    • Cette position n’était toutefois pas partagée par la troisième chambre civile.
  • La position de la troisième chambre civile : l’admission d’un droit à indemnisation
    • Dans un arrêt du 12 janvier 1988, la troisième chambre civile a adopté une position radicalement inverse à celle retenue par la première chambre civile.
    • Au visa de l’article 544 du Code civil, ensemble les articles 1644, 1645 et 1646 du même Code, elle a jugé que « lorsque la vente d’une chose est résolue par l’effet de l’action rédhibitoire, cette chose est remise au même état que si les obligations du contrat n’avaient pas existé »
    • Elle en a tiré la conséquence que « l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire, sauf si celui-ci connaissait les vices de l’immeuble » (Cass. 3e civ. 12 janv. 1988, n°86-15.722).
    • La troisième chambre civile a réitéré sa position dans un arrêt du 26 janvier 1994 aux termes duquel elle affirmait que « la résolution de la vente anéantit les stipulations du contrat et que l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1994, n° 91-20.934).
    • Elle a, à nouveau, retenu cette solution dans un arrêt du 12 mars 2003 (Cass. 3e civ. 12 mars 2003, n°01-17.207), soit le lendemain de l’arrêt rendu par la première chambre civile qui adoptait la position inverse (Cass. 1ère civ. 2003, n°01-01.673).
  • L’intervention de la chambre mixte
    • Dans un arrêt du 9 juillet 2004 la chambre mixte s’est finalement prononcée sur la question qui opposait la première civile à la troisième chambre civile.
    • Dans cette décision elle a jugé que « le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble » (Cass. ch. mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16.302i).
    • Ainsi la chambre mixte de la Cour de cassation a-t-elle opiné dans le sens de la position adoptée par la première chambre civile.
    • Dans un arrêt du 9 novembre 2007 elle a toutefois semblé opérer un revirement de jurisprudence en retenant la solution inverse.
    • Elle a, en effet, considéré dans cette décision que « c’est sans méconnaître les effets de l’annulation du contrat de bail et dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation que les juges du fond ont évalué le montant de l’indemnité d’occupation due par l’EURL en contrepartie de sa jouissance des lieux » (Cass. ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-19.508).
    • Les auteurs ont interprété cette décision comme opérant, non pas un revirement de jurisprudence, mais une distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail.
    • Tandis que pour les premiers aucune indemnité ne serait due au vendeur, pour les seconds, le bailleur serait fondé à réclamer une indemnisation au preneur.
    • Cette interprétation qui semblait avoir été validée par un arrêt rendu le 24 juin 2009 par la première chambre civile (Cass. 3e civ. 24 juin 2009, n° 08-12.251) a toutefois été remise en cause par une décision de la chambre commerciale du 3 décembre 2015.
    • Cette dernière a, en effet, jugé que « la remise des parties dans l’état antérieur à un contrat de location-gérance annulé exclut que le bailleur obtienne une indemnité correspondant au profit tiré par le locataire de l’exploitation du fonds de commerce dont il n’a pas la propriété » (Cass. com. 3 déc. 2015, n°14-22.692).

Au bilan, la jurisprudence était pour le moins incertaine quant au bien-fondé de l’octroi d’une indemnité au créancier correspondant à l’usage de la chose restituée.

Quant à la doctrine, les auteurs étaient partagés.

Planiol et Riper étaient favorable à la reconnaissance d’une indemnité de jouissance à la charge du débiteur de l’obligation de restituer. Pour eux « la liquidation comportera le paiement de la valeur de toute chose consommée, de toute jouissance, de tout service reçu, dont l’autre partie n’aurait pas eu, en exécution des conventions, la contrepartie effective »[2].

Dans le même sens, pour Marie Malaurie, dans certains cas, une indemnité de jouissance peut être versée. Les restitutions sont bilatérales et gouvernées par une « règle de corrélation », cette indemnité compensant l’utilisation du bien aurait pour « corollaire les intérêts légaux qui indemnisent forfaitairement la jouissance de l’argent à laquelle pourrait prétendre l’acheteur »[3].

Dans ces conditions une indemnité est due en l’absence de corrélation entre la jouissance du prix et celle de la chose. À ce titre, deux exemples d’indemnisation sont cités : la perception partielle ou la non-perception du prix par le vendeur et la jouissance de la chose conjuguée à la perception des fruits par l’acquéreur.

À l’inverse, pour Jean-Louis Aubert, « l’utilisation du bien faite par l’acheteur se situe indéniablement hors le champ des restitutions »[4].

Pour les tenants de cette thèse « seules sont restituables, en valeur, les prestations fournies en exécution du contrat annulé, c’est-à-dire mises, par le contrat, à la charge de celui qui les a exécutées »[5].Or, à la différence d’un bailleur tenu d’une obligation de faire, le vendeur n’a exécuté aucune obligation relative à la jouissance, il n’est donc tenu que d’une obligation de délivrance, en exécution de l’obligation de donner résultant du contrat de vente. Dès lors, l’octroi d’une indemnité d’utilisation « outrepasserait la restitution intégrale » puisque, dans un contrat de bail, l’indemnité d’occupation correspond à la restitution en valeur de la jouissance, tandis qu’en matière de vente, l’indemnité est réclamée en plus de la restitution en nature de la chose[6].

Si, à l’examen, la doctrine était plutôt défavorable au versement d’une indemnité de jouissance au créancier de l’obligation de restituer, le législateur a, lors de la réforme du droit des obligations, finalement tranché en faveur d’une indemnisation.

?Ordonnance du 10 février 2016

L’article 1352-3, al. 1re prévoit que la restitution de la chose donne lieu, corrélativement à la restitution de la valeur de la jouissance.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle renversé la position qui avait été adoptée antérieurement par la chambre mixte de la Cour de cassation en matière de contrat de vente.

Manifestement, le nouvel article 1352-3 du Code civil n’opère aucune distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail. On peut en déduire que cette disposition a vocation à s’appliquer à tous les contrats.

Quelle que soit la nature du contrat anéanti, le créancier de l’obligation de restituer sera donc fondé à réclamer au débiteur le versement d’une indemnité de jouissance.

L’alinéa 2 de l’article 1352-3 précise que « la valeur de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce. »

Quant à l’évaluation de la valeur en tant que telle de la jouissance, c’est vers le Rapport au Président de la République qu’il convient de se tourner pour comprendre ses modalités de calcul. Selon ce rapport, l’indemnité de jouissant doit être regardée « comme un équivalent économique des fruits que la chose aurait pu produire. »

En d’autres termes, si la chose objet de la restitution est un immeuble, la valeur de la jouissance doit être calculée sur la base des loyers qui auraient pu être perçus par le créancier de l’obligation de restituer.

L’application de cette méthode de calcul conduit immédiatement à s’interroger sur l’octroi d’une indemnité de jouissance en cas de restitution d’un bien non frugifère.

Le rapport au Président de la République semble s’y opposer. Toutefois, l’article 1352-3 du Code civil ne l’interdit pas, de sorte qu’il convient d’attendre que la jurisprudence se prononce avant de tirer des conséquences sur la portée de la règle.

?) La restitution des fruits produits par la chose

À l’instar de la valeur de la jouissance de la chose, le nouvel article 1352-3 du Code civil pose que les fruits qu’elle a procurés au débiteur ont vocation à être restitués au créancier en cas d’anéantissement du contrat.

Cette règle n’était toutefois pas d’application systématique ce qui a conduit le législateur lors de la réforme du droit des obligations à clarifier les choses.

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, pour déterminer si, en cas d’anéantissement d’un acte, il y avait lieu de restituer les fruits procurés par la chose, la jurisprudence distinguait selon que le débiteur était de bonne ou mauvaise foi.

Dans un arrêt du 5 juillet 1978, la Cour de cassation a jugé en ce sens, application de l’article 549 du Code civil, « le possesseur de bonne foi fait siens les fruits dans le cas où il possède de bonne foi » (Cass. 3e civ. 5 juill. 1978, n°77-11.157). Elle a eu l’occasion de préciser ensuite que le possesseur de bonne foi ne doit restituer les fruits au propriétaire qu’à compter de la demande qu’il en a fait (Cass. 3e civ. 28 juin 1983, n°81-14.889).

À l’inverse, la chambre commerciale a, dans un arrêt du 14 mai 2013, considéré que « la circonstance que la restitution consécutive à l’annulation d’une cession de droits sociaux a lieu en valeur ne fait pas obstacle à la restitution au cédant des fruits produits par les parts sociales litigieuses et perçus en connaissance du vice affectant l’acte annulé par celui qui est tenu à restitution » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17.637). Ainsi, lorsque le débiteur est de mauvaise foi, pèse sur lui une obligation de restitution des fruits.

L’ordonnance du 10 février 2016 a mis fin à cette jurisprudence qui subordonnait la restitution des fruits à la mauvaise foi du débiteur.

?Ordonnance du 10 février 2016

En application de l’article 1352-3 du Code civil, les fruits doivent être restitués sans que cette restitution dépende de la bonne ou mauvaise foi du débiteur de la restitution.

Il ressort du 3e alinéa de cette disposition que la restitution des fruits doit, par principe, avoir lieu en nature, ce qui n’est pas sans rappeler le principe général posé par l’article 1352 du Code civil qui impose cette modalité de restitution pour la chose elle-même.

Ce n’est que si la restitution des fruits en nature est impossible, qu’elle peut intervenir en valeur.

À cet égard, le texte précise que, en cas de restitution en valeur :

  • D’une part, l’estimation doit se faire « à la date du remboursement des fruits par le débiteur », soit plus précisément à la date du jugement
  • D’autre part, cette estimation doit être effectuée « suivant l’état de la chose au jour du paiement de l’obligation », ce qui signifie que le créancier ne peut réclamer la restitution que des seuls fruits que la chose était susceptible de produire dans l’état où elle se trouvait au moment de sa remise au débiteur. Le législateur a entendu ici consacrer la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 juin 1967 aux termes duquel elle avait jugé que « si le possesseur doit restituer les fruits au propriétaire, qui revendique la chose, à compter du jour de la demande, le propriétaire ne saurait prétendre qu’aux fruits qu’aurait produits la chose dans l’état où le possesseur en a pris possession » (Cass. 1ère civ., 20 juin 1967)

Il convient enfin de préciser que les règles qui gouvernent la restitution des fruits ne sont pas d’ordre public, ainsi que le prévoit le troisième alinéa de l’article 1352-3 du Code civil. Les parties peuvent y déroger par convention contraire, ce qui implique qu’elles sont libres de prévoir que l’anéantissement du contrat ne donnera pas lieu à restitution des fruits.

Les contractants peuvent encore stipuler des modalités d’évaluation de la valeur des fruits différentes de celles fixées par l’article 1352-3.

b. L’étendue de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

L’article 1352-7 du Code civil dispose que « celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande. »

Il ressort de cette disposition que, s’agissant de la restitution des fruits et de la valeur de la jouissance, l’étendue de cette restitution dépend de la bonne foi du débiteur.

Si, conformément à l’article 2268 du Code civil la bonne foi est toujours présumée, la mauvaise foi est, quant à elle, caractérisée lorsqu’il est établi que le débiteur de l’obligation de restituer avait connaissance et de la cause d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.

Deux situations sont donc susceptibles de se présenter :

  • Le débiteur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement, soit à compter de la date à laquelle il est entré en possession de la chose.
  • Le débiteur est de bonne foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du jour de la demande, ou de la date d’introduction de l’action en justice.

3. Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose

L’article 1352-5 du Code civil dispose que « pour fixer le montant des restitutions, il est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses nécessaires à la conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution. »

Il ressort de cette disposition que toutes les dépenses qui ont été exposées par le débiteur pour conserver ou pour améliorer à la chose donnent lieu à restitution.

Cette règle participe toujours de l’idée que si le débiteur ne doit pas s’être enrichi en jouissant de la chose ou en en percevant les fruits, il en va de même pour le créancier qui ne doit pas pouvoir tirer profit de la restitution de la chose lorsqu’elle a fait l’objet d’améliorations ou que des frais de conservation ont été exposés par son détenteur.

Pour cette raison, l’article 1352-5 du Code civil prévoit que les frais et dépenses exposées par le débiteur de l’obligation de restituer durant l’exécution du contrat doivent être supportés par le créancier.

À l’examen, l’évaluation de la restitution est envisagée différemment selon que les dépenses exposées concernent la conservation de la chose ou l’amélioration de la chose.

  • S’agissant des dépenses de conservation de la chose
    • L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses nécessaires à la conservation de la chose » doivent être supportées par le créancier de l’obligation de restituer
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir quelles sont les dépenses de conservation visées par cette disposition.
    • La lecture du texte révèle que seules les dépenses nécessaires à sa conservation donnent lieu à restituer.
    • Autrement dit, ces dépenses doivent être indispensables, ce qui exclut, par hypothèse, les dépenses somptuaires au sens de l’article
    • Concrètement, il s’agira ainsi des dépenses courantes, des frais d’entretien, ainsi que des frais attachés à la possession de la chose, tels que les impôts let autres taxes par exemple.
    • Contrairement à ce que suggère la lettre de l’article 1352-5 du Code civil, afin de déterminer le montant de la restitution, il n’y a pas lieu de plafonner les dépenses de conservation à hauteur de « la plus-value estimée au jour de la restitution. »
    • Et pour cause ce type de dépenses n’a pas vocation à apporter une plus-value à la chose, seulement à la maintenir dans son état initial.
    • L’indemnisation du débiteur doit donc couvrir l’intégralité des dépenses de conservation exposées, sans limite de montant.
    • Le plafonnement de l’indemnisation ne concerne, en réalité, que les dépenses d’amélioration.
  • S’agissant des dépenses d’amélioration de la chose
    • L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses qui ont augmenté la valeur de la chose » doivent être supportées par le créancier de l’obligation de restituer, ce « dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution ».
    • Il ressort de ce texte que l’indemnisation due au débiteur doit être calculée, non pas sur la plus-value intrinsèque apportée à la chose, mais sur la base des dépenses exposées.
    • Ainsi, dans l’hypothèse où la plus-value serait de 200 et que les dépenses exposées par le débiteur représenteraient un coût de 100, la restitution ne pourrait pas être supérieure à 100.
    • Seules les améliorations résultant de dépenses ne peuvent donc donner lieu à restitution.
    • L’article 1352-5 précise que le montant de l’indemnisation est, en toute hypothèse, plafonné à hauteur de « la plus-value estimée au jour de la restitution ».
    • Aussi, de deux choses l’une :
      • Soit le montant le montant des dépenses exposées est inférieur à la plus-value apportée à la chose auquel cas le débiteur pourra être intégralement indemnisé
      • Soit le montant des dépenses exposées est supérieur à la plus-value apportée à la chose auquel cas l’indemnisation du débiteur sera plafonnée à hauteur de cette plus-value.
    • À cet égard, tandis que le montant des dépenses s’apprécie au jour où elles ont été exposées, le montant de la plus-value est, quant à lui, apprécié à la date de la restitution, soit du jugement.

II) Exception : la restitution en valeur

L’article 1352 du Code civil prévoit que, par exception au principe de restitution en nature de la chose, lorsque cette restitution est impossible, elle a lieu en valeur.

Ce texte envisage ainsi l’hypothèse du débiteur qui n’est plus en possession de la chose au jour où naît l’obligation de la restituer.

Seule alternative pour surmonter l’obstacle : obliger le débiteur à restituer la chose par équivalent, soit en valeur.

Bien que simple en apparence, cette solution n’est toutefois pas sans soulever plusieurs difficultés.

Ces difficultés tiennent :

  • D’une part, à la délimitation du domaine de l’impossibilité
  • D’autre part, aux modalités d’estimation de la valeur restituée

A) Le domaine de l’impossibilité

?L’étendue du domaine de l’impossibilité

La première question qui se pose est de savoir à partir de quand peut-on considérer que la restitution de la chose est impossible.

Lorsque la chose a disparu ou a péri, l’impossibilité de la restituer s’impose d’elle-même. Il en va de même pour les choses consomptibles.

Plus délicate est, en revanche, la question pour les choses dont le débiteur est toujours en possession mais pour lesquelles la restitution représenterait pour lui un coût si élevé qu’il serait déconnecté de l’économie initiale du contrat.

Dans un arrêt du 18 février 1992, la Cour de cassation a répondu à cette question en censurant une Cour d’appel pour avoir mis à la charge d’un débiteur une obligation de restituer en nature consécutivement à l’anéantissement d’un contrat considérant, au cas particulier, que « l’obligation de restitution en nature du matériel impose des travaux coûteux au revendeur de carburant, non justifiés par des nécessités techniques en raison de la durée de vie des cuves, et qu’elle est susceptible de le dissuader de traiter avec un autre fournisseur ; qu’elle est ainsi disproportionnée avec la fonction qui lui a été fixée de faire respecter l’exclusivité d’achat du carburant et constitue un frein à la concurrence d’autres fournisseurs, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. com. 18 févr. 1992, n°87-12.844).

Ainsi, pour la Cour de cassation, lorsque la restitution en nature serait disproportionnée eu égard le résultat recherché par l’anéantissement de l’acte, soit un retour au statu quo, elle ne peut avoir lieu qu’en valeur.

Cette solution a été réaffirmée par la troisième chambre civile dans un arrêt du 15 octobre 2015 aux termes duquel elle a cassé la décision d’une Cour d’appel à laquelle elle reprochait de n’avoir pas recherché « si la démolition de l’ouvrage, à laquelle s’opposait la société Trecobat, constituait une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectaient » (Cass. 3e civ. 15 oct. 2015, n°14-23.612).

Dans le silence de l’article 1352 du Code civil sur la notion d’impossibilité, peut-on considérer que cette jurisprudence a été reconduite par le législateur ?

D’aucuns postulent que la réponse à cette question résiderait dans la comparaison de l’article 1352 avec l’article 1221.

En effet, cette dernière disposition exige expressément la réalisation d’un contrôle de proportionnalité pour déterminer s’il y a lieu d’exclure l’exécution forcée en nature d’une obligation en cas d’inexécution du contrat.

Tel n’est pas le cas de l’article 1352 qui est silencieux sur ce point s’agissant de l’exclusion de la restitution de la chose en nature.

Pour l’heure la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée, de sorte qu’il est difficile de tirer des conclusions sur le maintien de la jurisprudence antérieure.

?Cas particulier de la revente de la chose

L’article 1352-2 du Code civil envisage le cas particulier de la revente de la chose qui devait être restituée au vendeur en suite de l’anéantissement du contrat.

Cette disposition prévoit, plus précisément, que lorsque l’acquéreur revend la chose qui lui a été délivrée, la restitution s’opère en valeur.

Selon le texte, il y a néanmoins lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de bonne ou de mauvaise foi.

Si, de prime abord, l’on est tenté d’apprécier la bonne foi de l’acquéreur au moment de la délivrance de la chose, certains auteurs plaident pour que cette appréciation se fasse au stade de la revente[7].

Il peut, en effet, parfaitement être envisagé que l’acquéreur ignorât la cause d’anéantissement du contrat au moment de la délivrance de la chose, mais que, en revanche, il l’ait revendue en toute connaissance de cause.

L’objectif recherché par l’article 1352-2, al.2 étant de sanctionner l’acquéreur qui, sciemment, a cherché à tirer profit de la revente de la chose au préjudice du vendeur, il ne serait pas aberrant d’apprécier sa bonne foi au jour de la revente de la chose.

Dans le silence de l’article 1352-2, c’est à la jurisprudence qu’il reviendra de se prononcer sur cette question.

Reste que, en toute hypothèse, il y a lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de bonne ou de mauvaise foi.

  • L’acquéreur est de bonne foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 1352-2 prévoit qu’il ne doit restituer que le prix de la vente de la chose
    • Le prix à restituer est celui, non pas de l’acquisition initiale de la chose, mais celui de la revente.
    • L’acquéreur ne peut ainsi tirer profit de la revente, ni s’appauvrir, l’objectif recherché étant une opération à somme nulle.
  • L’acquéreur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 1352 dispose qu’il « en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix. »
    • Autrement dit, pour déterminer le montant de la somme à restituer, il convient de se placer non pas au moment de la revente de la chose, mais à la date de sa restitution qui, concrètement, correspond à celle du jugement.
    • À cet égard, le texte oblige l’acquéreur de mauvaise foi à restituer la plus forte des deux sommes entre le prix de revente de la chose et sa valeur au moment de la restitution
    • Aussi, de deux choses l’une :
      • Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est inférieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur ne devra restituer au vendeur que ce seul prix de revente
      • Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est supérieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur devra restituer au vendeur non seulement ce seul prix de revente, mais encore la plus-value réalisée au jour du jugement
    • Le sort réservé ici à l’acquéreur de mauvaise foi est manifestement pour le moins défavorable dans la mesure où il sera privé des profits réalisés en suite de la revente de la chose.

B) Les modalités d’estimation de la valeur restituée

Une fois admis que la restitution de la chose en nature est impossible, reste à estimer sa valeur afin que puisse être restituée au créancier une somme d’argent.

Deux questions alors se posent :

  • D’une part, à quelle date la valeur de la chose doit-elle être estimée ?
  • D’autre part, quel critère d’estimation retenir pour déterminer la valeur de la chose ?

?Sur la date d’estimation de la valeur de la chose

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du droit des obligations, la jurisprudence avait posé, en l’absence de texte, que pour estimer la valeur de la chose restituée il y avait lieu de se situer à la date de remise de la chose.

Dans un arrêt du 14 juin 2005, la chambre commerciale a jugé en ce sens, s’agissant d’une annulation de cession de titres sociaux, que « l’annulation de la cession litigieuse confère au vendeur, dans la mesure où la remise des actions en nature n’est plus possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur au jour de l’acte annulé » (Cass. com. 15 juin 2005, n°03-12.339).

Cette solution a été reconduite dans une décision rendue le 14 mai 2013 aux termes de laquelle la Cour de cassation a considéré que « l’annulation d’une cession de parts sociales confère au vendeur, dans la mesure où leur restitution en nature n’est pas possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur laquelle doit être appréciée au jour de l’acte annulé » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17.637).

Prenant le contre-pied de cette jurisprudence, l’ordonnance du 10 février 2016 a retenu la solution inverse en prévoyant que lorsque la restitution de la chose a lieu en valeur, cette valeur est « estimée au jour de la restitution. »

Ce n’est donc plus à la date de la remise de la chose au débiteur que sa valeur doit être estimée, mais au jour du jugement qui ordonne sa restitution.

L’objectif recherché par le législateur était de calquer la restitution en valeur sur la restitution en nature.

Autrement dit, il a voulu que les plus-values et moins-values réalisées par le débiteur soient prises en compte dans l’évaluation du montant de la restitution. Il ne faudrait pas qu’une partie s’enrichisse au préjudice de l’autre, à raison de la survenance de circonstances postérieures à la conclusion du contrat anéanti.

Il peut être observé que, contrairement à la restitution de la valeur de la jouissance ou des fruits procurés par la chose, il est indifférent, ici, que le débiteur soit de bonne ou mauvaise foi : dans les deux cas, l’estimation de la valeur à restituer doit être effectuée au jour de la restitution de la chose.

?Sur le critère d’estimation de la valeur de la chose

Autre question qui se pose lorsque la restitution de la chose a lieu en valeur : quid du critère de son évaluation ? En d’autres termes, doit-on retenir le prix stipulé par les parties dans le contrat ou doit-on se référer au prix du marché ?

L’article 1352 est silencieux sur ce point. Reste que dans un arrêt du 8 mars 2005, la Cour de cassation avait considéré, au visa de l’ancien article 1184 du Code civil, que « la créance de restitution en valeur d’un bien, est égale, non pas au prix convenu, mais à la valeur effective, au jour de la vente, de la chose remise » (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005, n° 02-11.594).

Ainsi, est-ce une approche objective qui avait été retenue par la première chambre civile, la position adoptée consistant à dire, en substance, que l’estimation de la chose doit être effectuée sur la base de sa valeur effective au moment de sa restitution et non en considération du prix initialement fixé par les parties.

Manifestement, cette solution se concilie parfaitement bien avec l’exigence d’estimation de la valeur de la chose au jour de sa restitution, de sorte qu’il est fort probable que la solution dégagée par la Cour de cassation en 2005 soit maintenue.

Le bail de droit commun : qualification juridique

L’objectif est ici de régler un problème de qualification : à quoi reconnaît-on un contrat de bail ? Une question aussi précise impose une réponse simple : il y a bail dès lors qu’il y a constitution, au profit d’un preneur, d’un droit temporaire de jouissance sur un bien appartenant au bailleur (section 1) en contrepartie d’un loyer (section 2).

Section 1.- Un droit temporaire de jouissance

Le bail confère au preneur un droit personnel de jouissance (§1) sur un bien, mais à charge de restitution ; c’est que cette jouissance est temporaire (§2).

§1.- Un droit de jouissance

Le bail confère au preneur le droit d’utiliser la chose (A). Ce droit est un droit personnel et non un droit réel (B).

A.- Le droit d’utiliser la chose

Utilisation de la chose d’autrui.- Le bail est un contrat d’usage. Le preneur a le droit de se servir de la chose. Rien n’oblige cependant à ce que cette jouissance soit exclusive : le bailleur peut très bien se réserver la possibilité d’utiliser conjointement tout ou partie de la chose (des lieux loués) (v. par ex. : Com., 22 nov. 1966, Bull. civ. IV, n° 446, pour une salle de spectacles). De même, rien n’impose que la jouissance soit continue : il est parfaitement possible, sans que la qualification de bail soit remise en cause, de louer un bien de manière intermittente (v. arrêt préc. : mise à disposition d’une salle de spectacles deux fois par semaine).

Distinction bail/dépôt.- L’existence au profit du preneur d’un droit d’utiliser la chose distingue le bail du dépôt ou du séquestre dans lesquels le dépositaire n’a pas le droit de se servir de la chose, à tout le moins en principe (v. article “Le dépôt”).

La distinction, claire en apparence, révèle parfois de redoutables problèmes de qualification.

Ex. : contrat de parking : le contrat par lequel on « loue » un emplacement de parking est-il un bail ou un dépôt ? Tout dépend de ce qui a été convenu par les parties. Si le contrat prévoit une obligation particulière de garde ou de surveillance de la voiture entreposée sur le parking, il s’agit d’un dépôt. Si le contrat ne prévoit pas de telles obligations, c’est un bail (v. par ex. : Civ. 1ère, 3 févr. 1982, RTD civ. 1982. 555, obs. Ph. Rémy).

Distinction bail/entreprise.- Mais réciproquement, le droit de jouissance est  le seul droit que le bail confère au preneur. En théorie, la distinction du bail et de l’entreprise est nette. Dans le louage de chose, le bailleur donne la jouissance de la chose (C.civ., art. 1709). Dans le louage d’ouvrage, le locateur sert une prestation de service (C.civ., art. 1710). Mais le monde juridique est moins simple qu’il n’y paraît. Il existe des contrats complexes. Il n’est pas rare que le preneur à bail profite de prestations surnuméraires. La qualification de bail s’impose alors moins facilement. La convention se rapproche du contrat d’entreprise dans lequel l’entrepreneur s’engage à faire quelque chose pour le maître d’ouvrage.

Dans ce cas de figure, il importe de regarder les proportions respectives de la jouissance et du service fourni. Si c’est équivalent, on peut envisager une qualification mixte distributive. Un autre critère peut parfois émerger : la maîtrise de l’objet support du contrat qui, si elle subsiste, rapproche le bail du contrat d’entreprise (ex. mise à disposition d’un cheval pour une randonnée organisée).

Ex. 1 : Hôtellerie : bien souvent, le service fourni par l’hôtelier ne se limite pas à la simple jouissance de la chambre ; il y a en plus le nettoyage de la chambre (les moquettes et les murs…), la blanchisserie, la restauration, voire même parfois la fourniture de soins.

Ex. 2 : Location de voiture avec chauffeur : ici, la mise à disposition de la voiture s’accompagne du service assuré par le chauffeur.

B.- La nature personnelle du droit d’utiliser la chose

1.- Principe

Une créance d’usage.- Le point a pu faire difficulté en doctrine, mais le principe demeure : le droit de jouissance conféré au preneur est un droit personnel et non un droit réel. C’est un droit contre une personne et non sur la chose. Dans le bail, le preneur est titulaire d’une simple créance de mise à disposition. C’est ce qu’énonce l’article 1709 c.civ. lorsqu’il dispose que le bailleur « s’oblige à faire jouir l’autre » de la chose. Il est important de bien le comprendre : le preneur ne possède pas sur la chose de droit assimilable au droit de propriété ou à l’un de ses démembrements. Il n’a pas de droit direct sur la chose. Il ne saurait en jouir et en disposer de la manière la plus absolue (art. 544 c.civ.) : foin d’aliénation. Il n’en dispose que par l’intermédiaire du bailleur. En raison du caractère temporaire de la jouissance de la chose, le preneur est débiteur d’une obligation de restitution, qui est ignorée de la vente. L’article 1730 cciv. dispose en ce sens : la jouissance du preneur ne peut altérer la substance de la chose qu’il doit restituer « telle qu’il l’a reçue ».

 Bail et usufruit.- En ceci réside la différence essentielle entre le bail et l’usufruit : le bail est un droit personnel tandis que l’usufruit est un droit réel. Pour mémoire, « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre à la propriété comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance » (art. 578 c.civ.). On sait que l’usufruit est un démembrement du droit de propriété, généralement viager, qui confère à son titulaire l’usus et le fructus d’un bien et laisse au nu-propriétaire l’abusus. Les différences avec le bail sont notables :

– l’usufruitier jouit du bien parce qu’il en a l’usus ; il n’a pas besoin que quelqu’un d’autre mette la chose à sa disposition. À la différence du preneur, qui ne jouit que par l’intermédiaire du bailleur, l’usufruitier jouit par lui-même.

– en vertu du fructus, l’usufruitier a le droit de percevoir les fruits de la chose. Or le loyer est un fruit de la chose. Autrement dit, l’usufruitier peut tout à fait donner à bail la chose pour en percevoir les fruits. Sauf convention contraire, l’usufruitier peut même vendre ou céder son droit à titre gratuit (art. 595, al. 1, c.civ.). Cette liberté de principe contraste avec le caractère restrictif en pratique de la sous-location, qui bien souvent est assez encadrée.

La différence avec un droit d’usage et d’habitation, qui est aussi un droit réel, est la même, à ceci près que le droit d’usage et d’habitation, strictement personnel, ne permet pas à son titulaire de donner la chose à bail.

2.- Éléments de complexité

Arguments de contestation.- Certains éléments de droit positif sont de nature à réveiller la controverse, donnant des arguments à la partie de la doctrine qui défend le caractère réel du droit du preneur à bail.

Certains statuts spéciaux confèrent au preneur un droit au renouvellement du bail particulièrement vigoureux (baux commerciaux et baux ruraux), si bien que l’intéressé a vocation à se maintenir dans les lieux de manière quasiment indéfinie. L’importance de ce droit au renouvellement est telle qu’on le baptise parfois « propriété commerciale » (droit commercial) ou « propriété culturale » (droit rural). Le renforcement du droit du preneur sur la jouissance du bien tend alors à rapprocher ce droit d’un droit réel.

Les baux de longue durée sont traités par le droit civil d’une manière assez proche de celle des droits réels.

Les baux de plus de douze ans doivent être publiés à la conservation des hypothèques (on dit depuis l’ordonnance n° 2010-638 du 10 juin 2010 portant suppression du régime des conservateurs des hypothèques « au service chargé de la publicité foncière ») comme le serait un droit réel sur un bien (D. n° 55-22 4 janv. 1955, portant réforme de la publicité foncière, art. 28, 1°, b). Autrement dit, ils sont soumis au régime d’opposabilité des actes translatifs de propriété.

Les baux de plus de neuf ans sortent de la catégorie des actes d’administration pour rentrer dans celle des actes de disposition (C. civ. art. 595 ; art. 1718) : l’usufruitier ne peut donc les passer seul, pas plus que le tuteur ; la règle vaut également pour les baux ruraux et commerciaux, considérés comme des actes de disposition.

Au reste, la jurisprudence applique au conflit entre deux locataires successifs les mêmes règles qu’aux conflits de droit réels : prior tempore, potior jure. Le droit accordé par la loi au preneur pourrait être présenté comme un droit réel de fait.

Il faut cependant comprendre qu’aucun de ces arguments n’est décisif aux yeux de la jurisprudence, qui continue de traiter à raison le droit du preneur comme un droit personnel. Encore une fois, le locataire n’est pas un propriétaire : c’est un créancier.

Vraies exceptions.- Ce principe s’accommode ceci étant de véritables exceptions : certains baux confèrent un droit réel au preneur.

Bail emphytéotique : le bail emphytéotique concerne les terrains agricoles. Il est régi par les articles L. 451-1 et suivants du code rural. L’idée est, pour le bailleur, de faire mettre en valeur son terrain par un autre. Pour ce faire, un bail est conclu pour une très longue durée (plus de 18 ans, mais moins de 99), moyennant un loyer – on parle de redevance ou de « canon emphytéotique » – symbolique. Pendant la durée du bail, le preneur doit mettre en valeur et procéder à des améliorations et constructions sur le terrain, ces améliorations restant la propriété du bailleur en fin de contrat.

Bail à construction : introduit par une loi du 16 décembre 1964, le bail à construction est en quelque sorte la version citadine de l’emphytéose. Sa réglementation procède des articles L. 251-1 et suivants du CCH. Ici, le bail est également conclu pour une très longue durée (18 à 99 ans), en contrepartie d’un loyer symbolique. Le preneur s’engage, pendant la durée du contrat « à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d’entretien » (CCH, art. L. 251-1). Ces constructions restent, sauf convention contraire, la propriété du bailleur en fin de contrat.

Ces deux baux particuliers génèrent au profit du preneur un droit réel susceptible d’hypothèque. Ils constituent une véritable exception au caractère par principe personnel du droit du preneur sur le bien.

§2.- Une jouissance temporaire

La mise à disposition du bien est temporaire : elle dure un certain temps (A) et se conclut par l’obligation de restituer le bien (B).

A.- Une certaine durée de jouissance

Le temps objet du contrat.- Le bail est un contrat à exécution successive. Ceci l’oppose aux contrats instantanés, telle la vente, qui s’exécutent en un trait de temps. Ici, le bailleur s’engage à procurer un certain temps de jouissance (art. 1709 : le bailleur s’oblige « à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps »). Ce temps de jouissance est, à part entière objet du contrat. Ceci signifie que le temps imparti par le contrat est une durée pendant laquelle le bailleur ne peut pas reprendre son bien ad nutum. Le bailleur, à l’inverse du déposant, ne peut pas reprendre sa chose à première demande. Il doit respecter la durée stipulée au contrat. Celle-ci peut d’ailleurs être aussi bien déterminée qu’indéterminée. Dans le second cas, le bailleur devra résilier le bail (et donc renoncer aux loyers futurs) pour reprendre son bien.

Mais qui dit durée dit nécessairement durée limitée. Le bail doit s’arrêter un jour. Et dans cette optique, le Code civil prohibe les baux perpétuels, c’est à dire les baux qui, de durée supérieure à celle de la vie humaine, reviendraient à assujettir la personne même. Autrement dit, la limitation dans le temps est impérative. Elle n’est cependant pas excessivement contraignante puisque, on vient de le voir, on peut s’engager valablement pour 99 ans.

Bail et convention d’occupation précaire.- Au-delà, et dans le sens opposé, la présence d’une durée permet de distinguer le bail de la convention d’occupation précaire. Cette dernière figure juridique est bien connue en droit commercial : la convention d’occupation précaire est un contrat soumis au droit commun par lequel les parties contractantes reconnaissent à l’occupant un droit de jouissance précaire, révocable « à la prière du propriétaire »[1] mais rémunéré par une contrepartie financière modique. Le caractère modeste de la rémunération de la jouissance précaire est un critère commode distinction, bien que ce ne soit pas le principal.

Le critère de distinction est la fragilité de la situation de l’occupant, auquel nulle durée de jouissance n’est garantie, pour peu que des circonstances particulières indépendantes de la volonté des parties le justifient. La jurisprudence interdit en effet que la situation précaire du preneur résulte de la seule volonté des parties (v. par ex. Cass. 3ème civ., 29 avr. 2009, Bull civ. n° 90, visa : art. 2 loi 6 juill. 1989 (bail d’habitation)[2] ; Bull. civ. 89 (bail commercial). Les parties qui seraient désireuses d’échapper au droit au renouvellement, qui est l’alpha et l’omega du bail commercial, doivent justifier la précarité que subit l’occupant par des critères objectifs (par ex. un projet de démolition, de construction ou d’urbanisme, une décision d’expropriation pendante). En somme, la volonté des parties est sûrement nécessairement mais absolument pas suffisante. Le droit craint que la convention ne soit conclue que dans le dessein de frauder les statuts légaux impératifs. Or, il est acquis que la fraude corrompt tout : « sur un plan théorique, elle désigne ce point où l’ordre juridique, pour assurer sa défense et sa primauté, ne se borne plus à sanctionner la contrariété franche et directe à la loi mais atteint aussi l’ensemble des procédés individuels qui, faisant mine de respecter la loi, sont en réalité destinés à la tourner »[3]. Pareil resserrement de la volonté des parties est topique de l’influence de l’ordre public économique et social. La législation sur le louage de chose, spécialement immobilière, est préoccupée par la stabilité du locataire. La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 rel. à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises dite Pinel a justement grossi le Code de commerce d’un article L. 145-5-1, qui énonce : « n’est pas soumise au présent chapitre la convention d’occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties. » (v. récemment Cass. 3ème civ., 19 nov. 2014, n° 13-20089, RDC 2015, p. 277, note R. Boffa. Convention sur le domaine public typique de ces circonstances particulières justifiant la précarité de la situation car insusceptible de faire l’objet d’un bail commercial consenti par France télécom à la Poste avant que la 1ère ne devienne une personne morale de droit privé).

B.- La charge d’une restitution

Rendre à l’identique.- Le bail est un contrat de restitution : il oblige le preneur à rendre la chose louée au terme du contrat. Cette restitution doit s’effectuer à l’identique. L’article 1730 c.civ. dispose « s’il a été fait un état des lieux entre le bailleur et le preneur, celui-ci doit la rendre la chose telle qu’il l’a reçue, suivant cet état ». Et l’article 1731 de préciser « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparation locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire ». La question ne fait en général aucune difficulté. Elle en fait d’autant moins en droit spécial du bail d’habitation, car la loi exige, sous peine de priver le bailleur de la présomption de l’article 1731 c.civ. (pour autant que cette carence soit de son fait), de procéder à un état des lieux (art. 3, al. 2 loi 6 juill. 1989).

Une conséquence importante doit être tirée de ce principe quant à la nature des choses que l’on peut donner à bail. Il ne peut s’agir en effet d’une chose consomptible, qui se consomme par l’usage qu’on en fait. On ne peut pas louer une cigarette, car le preneur tient du bail le droit de s’en servir et que cet usage lui interdit matériellement de la restituer à l’identique. Un tel contrat n’est pas un bail, mais un prêt de consommation (la restitution d’une cigarette sera bien due, mais ce ne sera jamais celle même qui a été fumée par l’emprunteur).

La restitution de la chose telle qu’elle a été reçue donne encore à penser. Il n’est pas rare que le preneur ait fait quelques réparations, améliorations ou constructions. Il est acquis qu’il peut les récupérer, à charge de ne pas détériorer la chose louée. De même, le propriétaire peut le contraindre à remettre la chose dans son état initial. Mais que dit le droit si ces aménagements sont abandonnés par le preneur ? Peut-il exiger d’en être remboursé ? S’agissant des améliorations en tout genre, la jurisprudence refuse que le bailleur soit condamné à indemniser le preneur : exit l’actio de in rem verso. S’agissant en revanche des plantations, constructions et ouvrages, l’article 555, al. 3 c.civ. s’applique. À défaut de convention réglant le sort de ces travaux, le bailleur doit dans ce cas de figure rembourser le preneur des dépenses faites.

Bail et vente.- C’est d’ailleurs ce qui permet de distinguer le bail et la vente. Les deux organisent la transmission d’une chose contre un prix, mais le preneur doit restituer pendant que l’acheteur, qui devient propriétaire de la chose, peut la garder. On en a donné l’explication juridique plus haut : la vente transfère la propriété de la chose tandis que le bail constitue sur elle un droit personnel et temporaire de jouissance.

Conflits de qualification.- Ces règles simples peuvent toutefois être à l’origine de conflits de qualification. Comment qualifier, par exemple, certaines ventes de fruits ou le contrat de concession de l’exploitation d’une carrière ou d’une mine ? S’agit-il d’un bail portant sur la chose, pour lequel la jurisprudence estime que le preneur a le droit de percevoir les fruits (Cass. ch. Réunies, 17 mars 1904), dans la mesure où il profite de la chose, ou bien s’agit-il d’une vente portant sur les seules productions de la chose ?

Vente de fruits : Le contrat par lequel on vent les fruits de la terre (par ex. l’herbe de laquelle se nourrira un troupeau) est-il un bail ou une vente ? Tout dépend du point de savoir si le bénéficiaire des fruits cultive ou non la terre pour les produire. S’il cultive, il y a une mise à disposition caractéristique d’un bail ; s’il ne cultive pas, il y a simple vente de fruits (v. pour un contrat finalement qualifié de vente d’herbe : Civ. 3ème, 11 juin 1986, RTD civ. 1987. 112, obs. Rémy).

Concession de l’exploitation d’une carrière ou d’une mine : Il y a lieu de soigneusement distinguer ici la notion de fruit de celle de produit. Les fruits n’altèrent pas la substance de la chose dont ils sont issus (ex. un pommier reste toujours un pommier une fois qu’on a récolté les pommes) tandis que la perception des produits la consomment progressivement (ex. forêt de pommiers pour faire des planches : les planches sont les produits des pommiers ; si l’on coupe 1000 planches, il y a moins de pommiers dans la forêt qu’avant la récolte). Ici, l’exploitation d’une carrière ou d’une mine altère la substance de la chose – il faut creuser – et cette altération est incompatible avec l’obligation de restitution à l’identique qui pèse sur le preneur. Il s’agit donc d’une vente de meubles par anticipation et non d’un bail (v. dernièrement : Civ. 3ème, 12 janv. 2005, CCC 2005, comm. 105).

Section 2.- Le paiement d’un loyer

Un contrat à titre onéreux.- Le bail est fondamentalement un contrat à titre onéreux. L’article 1709 c.civ. exige une contrepartie. La stipulation d’un loyer permet de distinguer le bail du prêt à usage ou commodat (mise à disposition gratuite) (c.civ., art. 1875). Des conflits de frontière peuvent apparaître quand le loyer est très modique. Les qualifications juridiques suivantes sont de prime abord praticables : contrat de louage, convention d’occupation précaire, contrat de prêt à usage. Étant donné que le droit exclut dans le prêt à usage toute contrepartie, même symbolique (v. infra), on qualifie alors, de manière pragmatique, la convention de bail.

Un loyer en nature ?.- L’une des questions intéressantes est celle de savoir si le loyer du bail doit forcément être stipulé en argent. Certaines conventions prévoient par exemple que le loyer sera stipulé soit pour partie en argent et pour partie en nature, soit exclusivement en nature. C’est le cas par exemple lorsqu’à un loyer modique s’associe l’obligation de prodiguer des soins au bailleur ou à un membre de sa famille. C’est le cas également lorsque le contrat ne prévoit pas du tout de loyer en argent, mais une obligation pour le preneur de loger, nourrir, entretenir et soigner l’autre partie. Les deux situations doivent être distinguées.

Loyer en argent et en nature : La jurisprudence admet sans trop de problèmes qu’une partie du loyer soit stipulée en nature sans pour autant que la qualification de bail du contrat soit remise en cause. Ex. location d’habitation prévoyant un loyer + une obligation de soins, la convention évaluant en argent le coût des soins et son imputation sur le loyer.

Loyer uniquement en nature : ex. du bail à nourriture : contrat sui generis pour la jurisprudence, exit le bail ; ex. de l’apport en jouissance : jouissance de la chose accordée par l’apporteur contre parts sociales ou actions, exit le bail bien que le régime juridique calqué sur le louage de chose ; ex. du bail à construction dont la loi prévoit que le loyer peut consister en totalité dans l’obligation de construire mise à la charge du preneur = là, c’est un bail, mais c’est la loi qui le dit (C. constr. hab., art. L. 251-1, al. 1er).

En toute hypothèse, toutes les fois que la loi n’a pas expressément qualifié la convention litigieuse de louage de chose, il importe de rechercher ce qui a été dans la commune intention des parties la prestation caractéristique.

[1] F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 8ème éd., Dalloz, 2007, n° 361.

[2] Vu l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 ; Attendu que les dispositions du titre premier de la loi sont d’ordre public ; qu’elles s’appliquent aux locations de locaux à usage d’habitation principale ou à usage mixte professionnel et d’habitation principale ainsi qu’aux garages, places de stationnement, jardins et autres locaux, loués accessoirement au local principal par le même bailleur ; que toutefois, elles ne s’appliquent ni aux locations à caractère saisonnier, à l’exception de l’article 3-1, ni aux logements foyers, à l’exception des deux premiers alinéas de l’article 6 et de l’article 20-1 ; qu’elles ne s’appliquent pas non plus, à l’exception de l’article 3-1, des deux premiers alinéas de l’article 6 et de l’article 20-1, aux locaux meublés, aux logements attribués ou loués à raison de l’exercice d’une fonction ou de l’occupation d’un emploi, aux locations consenties aux travailleurs saisonniers ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 23 janvier 2007), que par convention du 5 août 1995, M. X… a consenti à M. Y… le droit d’occuper à titre précaire et pour une durée de 18 mois moyennant une indemnité de loyer d’un certain montant, un local d’habitation lui appartenant, M. Y… s’engageant à quitter les lieux ou à acquérir l’immeuble à l’issue de cette période ; que M. X… a assigné en expulsion et paiement d’une indemnité d’occupation les époux Y…, qui ont sollicité la requalification de la convention en bail soumis à la loi du 6 juillet 1989 ;

Attendu que pour accueillir la demande d’expulsion, l’arrêt retient que les époux Y… ne sont demeurés dans les lieux à l’expiration de la période de 18 mois initialement convenue que pour l’exécution de leur engagement de se porter acquéreurs de l’immeuble, qu’ils ne s’y sont ensuite maintenus que contre le gré de M. X… et qu’ils ne peuvent donc se prévaloir des dispositions de la loi du 6 juillet 1989 ;

Qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser, s’agissant d’un local d’habitation, l’existence au moment de la signature de la convention, de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties justifiant le recours à une convention d’occupation précaire, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen : CASSE.

[3] C. Pérès, La sanction de la fraude à la loi, note sous Cass. 3ème civ., 1er avr. 2009, pourvoi n° 07-21833, RDC 2009/4, p. 1317, à paraître au bulletin.