L’obligation civile et l’obligation naturelle

La classification des obligations d’après leur nature renvoie à la distinction entre l’obligation civile et l’obligation naturelle

1. Exposé de la distinction entre obligation civile et obligation naturelle

  • L’obligation civile
    • L’obligation civile est celle qui, en cas d’inexécution de la part du débiteur, est susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée
    • L’obligation civile est donc contraignante : son titulaire peut solliciter en justice, s’il prouve le bien-fondé de son droit, le concours de la force publique aux fins d’exécution de l’obligation dont il est créancier
  • L’obligation naturelle
    • L’obligation naturelle, à la différence de l’obligation civile, n’est pas susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée.
    • Elle ne peut faire l’objet que d’une exécution volontaire
    • L’obligation naturelle n’est donc pas contraignante : son exécution repose sur la seule volonté du débiteur.
    • Ainsi, le créancier d’une obligation naturelle n’est-il pas fondé à introduire une action en justice pour en réclamer l’exécution

2. Fondement textuel de l’obligation naturelle

L’obligation naturelle est évoquée à l’ancien 1235, al. 2 du Code civil (nouvellement art. 1302 C. civ).

Cet article prévoit en ce sens que « tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition. La répétition n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées. »

3. Domaine d’application de l’obligation naturelle

L’obligation naturelle se rencontre dans deux hypothèses :

  • En présence d’une obligation civile imparfaite
    • L’obligation civile imparfaite est celle qui
      • Soit est nulle en raison de la défaillance d’une condition de validité de l’acte juridique dont elle émane
      • Soit est éteinte en raison de l’acquisition de prescription extinctive de la dette
    • Dans les deux cas, le débiteur est libéré de son obligation sans avoir eu besoin d’exécuter la prestation initialement promise
    • Le débiteur peut néanmoins se sentir tenu, moralement, de satisfaire son engagement pris envers le créancier : l’obligation civile qui « a dégénéré » se transforme alors en obligation naturelle
  • En présence d’un devoir moral
    • Il est des situations où l’engagement d’une personne envers une autre sera dicté par sa seule conscience, sans que la loi ou qu’un acte juridique ne l’y oblige
    • Le respect de principes moraux peut ainsi conduire
      • un mari à apporter une aide financière à son ex-épouse
      • une sœur à loger gratuitement son frère sans abri
      • un concubin à porter assistance à sa concubine
      • l’auteur d’un dommage qui ne remplit pas les conditions de la responsabilité civile à indemniser malgré tout la victime.
    • Dans toutes ces hypothèses, celui qui s’engage s’exécute en considération d’un devoir purement moral, de sorte que se crée une obligation naturelle

4. Transformation de l’obligation naturelle en obligation civile

La qualification d’obligation naturelle pour une obligation civile imparfaite ou un devoir moral, ne revêt pas un intérêt seulement théorique. Cela présente un intérêt très pratique.

La raison en est que l’obligation naturelle est susceptible de transformer en obligation civile

Il en résulte qu’elle pourra emprunter à l’obligation civile certains traits, voire donner lieu à l’exécution forcée

La transformation de l’obligation naturelle en obligation civile se produira dans deux cas distincts :

  • Le débiteur a exécuté l’obligation naturelle
  • Le débiteur s’est engagé à exécuter l’obligation naturelle

?Le débiteur a exécuté l’obligation naturelle

C’est l’hypothèse – la seule – visée à l’article 1302 C. civ (ancien art. 1235, al.2)

Pour mémoire cette disposition prévoit que « la répétition n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées. »

Lorsque le débiteur a effectué un paiement à la faveur du créancier d’une obligation naturelle, la répétition de la somme versée est ainsi impossible.

?Le débiteur s’est engagé à exécuter l’obligation naturelle

Lorsque le débiteur d’une obligation naturelle promet d’assurer son exécution, cette obligation se transforme alors aussitôt en obligation civile.

La Cour de cassation justifie cette transformation en se fondant sur l’existence d’un engagement unilatérale de volonté.

Ainsi a-t-elle jugé dans un arrêt du 10 octobre 1995 que « la transformation improprement qualifiée novation d’une obligation naturelle en obligation civile, laquelle repose sur un engagement unilatéral d’exécuter l’obligation naturelle, n’exige pas qu’une obligation civile ait elle-même préexisté à celle-ci » (Cass. 1re civ. 10 oct. 1995, n°93-20.300).

Cela suppose, en conséquence, pour le créancier de rapporter la preuve de l’engagement volontaire du débiteur d’exécuter l’obligation naturelle qui lui échoit

5. Consécration légale de l’obligation naturelle

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, consacre, sans la nommer, l’obligation naturelle à l’article 1100 du Code civil.

Cette disposition, prise en son alinéa 2, prévoit que les obligations « peuvent naître de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui ».

De la distinction entre le contrat, le quasi-contrat, le délit et le quasi-délit

==>Actes juridiques et faits juridiques

Schématiquement, l’univers juridique se compose de deux domaines bien distincts :

  • Les actes juridiques
  • Les faits juridiques

Antérieurement à l’ordonnance du 10 février 2016 le Code civil ne définissait pas ces deux notions.

Dorénavant, les actes et les faits juridiques sont respectivement définis aux articles 1100-1 et 1100-2 du Code civil :

  • L’article 1100-1 C.civ définit les actes juridiques comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit ».
  • L’article 1100-2 C. civ définit les faits juridiques comme « des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit ».

==>Intérêt de la distinction

L’intérêt de la distinction entre les actes et les faits juridiques est triple :

  • L’étendue des effets des faits juridiques est strictement délimitée par la loi, alors que les effets des actes juridiques sont déterminés par les parties à l’acte, la seule limite étant la contrariété à l’ordre public et aux bonnes mœurs (art. 6 C. civ.)
  • Tandis que la preuve des actes juridiques suppose la production d’un écrit (art. 1359 C. civ.), la preuve des faits juridiques est libre (art. 1358 C. civ.)
  • Le Code civil appréhende les différentes sources d’obligations autour de la distinction entre les faits et les actes juridiques, lesquels sont précisément les deux grandes catégories de sources d’obligations avec la loi.

Classiquement on dénombre cinq sources d’obligations, auxquelles il faut en ajouter une sixième, l’engagement unilatéral, qui fait débat :

 

I) Le contrat

==>Définition

Aux termes de l’article 1101 C. civ « le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations »

Ainsi, les obligations contractuelles sont celles qui naissent d’un acte juridique, soit de la manifestation de volontés en vue de produire des effets de droit.

==>Prépondérances des obligations contractuelles

Le contrat est, sans aucun doute, la principale source d’obligations, à tout le moins, dans le Code civil ; elle y occupe une place centrale.

La raison en est l’influence – partielle – de la théorie de l’autonomie de la volonté sur les rédacteurs du Code civil qui se sont notamment inspirés des réflexions amorcées par Grotius, Rousseau et Kant sur la liberté individuelle et le pouvoir de la volonté.

==>Théorie de l’autonomie de la volonté

Selon cette théorie, l’homme étant libre par nature, il ne peut s’obliger que par sa propre volonté.

Il en résulte, selon les tenants de cette théorie, que seule la volonté est susceptible de créer des obligations et d’en déterminer le contenu.

D’où la grande place faite au contrat dans le Code civil.

II) Le quasi-contrat

==>Définition

Les quasi-contrats sont définis à l’article 1300 C. civ (ancien art 1371 C. civ.) comme « des faits purement volontaires dont il résulte un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui ».

Il s’agit autrement dit, du fait spontané d’une personne, d’où il résulte un avantage pour un tiers et un appauvrissement de celui qui agit.

Au nom de l’équité, la loi décide de rétablir l’équilibre injustement rompu en obligeant le tiers à indemniser celui qui, par son intervention, s’est appauvri.

==>Différence avec le contrat

Tandis que le contrat est le produit d’un accord de volontés, le quasi-contrat naît d’un fait volontaire licite.

Ainsi la formation d’un quasi-contrat, ne suppose pas la rencontre des volontés entre les deux « parties », comme c’est le cas en matière de contrat.

Les obligations qui naissent d’un quasi-contrat sont un effet de la loi et non un produit de la volonté.

==>Différence avec le délit et le quasi-délit

Contrairement au délit ou au quasi-délit, le quasi-contrat est un fait volontaire non pas illicite mais licite, en ce sens qu’il ne constitue pas une faute civile.

==>Détermination des quasi-contrats

  • L’enrichissement injustifié ou sans cause
    • Principe (Art. 1303 à 1303-4 C. civ.)
      • Lorsque l’enrichissement d’une personne au détriment d’une autre personne est sans cause (juridique), celui qui s’est appauvri est fondé à réclamer « une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement ».
      • Il s’agit de l’action de in rem verso
    • Exemple :
      • Un concubin finance la rénovation de la maison dont est propriétaire sa concubine sans aucune contrepartie.
  • La gestion d’affaires
    • Principe (Art. 1301 à 1301-5 C. civ.)
      • La gestion d’affaire est caractérisée lorsque « celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire, est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire »
      • L’obligation quasi-contractuelle se crée ainsi lorsqu’une personne, le gérant d’affaires, intervient de sa propre initiative, sans en avoir reçu l’ordre, dans les affaires d’une autre, le maître de l’affaire, pour y accomplir un acte utile.
    • Exemple :
      • Le cas de figure classique est celui d’une personne qui, voulant rendre service à un ami absent, effectue une réparation urgente sur l’un de ses biens
      • Il sera alors fondé à lui réclamer le remboursement des dépenses exposées pour a gestion de ses biens, pourvu que l’affaire ait été utile et bien gérée.
  • Le paiement de l’indu
    • Principe (Art. 1302 à 1302-3 C. civ.)
      • Le paiement de l’indu suppose qu’une personne ait accompli au profit d’une autre une prestation que celle-ci n’était pas en droit d’exiger d’elle.
      • Aussi, cette situation se rencontre lorsqu’une prestation a été exécutée « sans être due ».
      • Ce qui dès lors a été indûment reçu doit, sous certaines conditions, être restitué.
    • Exemple :
      • Un assureur verse une indemnité en ignorant que le dommage subi par l’assuré n’est pas couvert par le contrat d’assurance
      • Un héritier paie une dette du défunt en ignorant qu’elle a déjà été payée

III) Le délit

==>Définition

Le délit est un fait illicite intentionnel auquel la loi attache une obligation de réparer

Ainsi, l’obligation délictuelle naît-elle de la production d’un dommage causé, intentionnellement, à autrui.

L’article 1240 C.civ, (anciennement 1382 C.civ) prévoit en ce sens que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

==>Délit civil / Délit pénal

Le délit civil ne doit pas être confondu avec le délit pénal :

  • Le délit pénal est une catégorie d’infractions (le vol, l’escroquerie, l’abus de confiance, la consommation de stupéfiants sont des délits pénaux).
  • Le délit civil ne constitue pas nécessairement un délit pénal.

Pour qu’un comportement fautif soit sanctionné pénalement, cela suppose que soit prévue une incrimination, conformément au principe de légalité des délits et des peines.

==>Conditions

Pour que la responsabilité délictuelle de l’auteur d’un dommage puisse être engagée, cela suppose rapporter la preuve de trois éléments cumulatifs (Art. 1240 C. civ) :

  • Une faute
  • Un préjudice
  • Un lien de causalité entre la faute et le préjudice

IV) Le quasi-délit

==>Définition

Le délit est un fait illicite non intentionnel auquel la loi attache une obligation de réparer

==>Distinction délit / quasi-délit

La différence entre quasi-délit et délit tient au caractère intentionnel (délit) ou non intentionnel (quasi-délit) du fait illicite dommageable.

L’obligation quasi-délictuelle naît donc de la production d’un dommage causé, non intentionnellement à autrui

L’article 1241 C.civ, (anciennement 1383 C.civ) prévoit en ce sens que « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

==>Conditions

La responsabilité quasi-délictuelle suppose la satisfaction des trois mêmes conditions que la responsabilité délictuelle à savoir :

  • Une faute
  • Un préjudice
  • Un lien de causalité entre la faute et le préjudice

L’engagement unilatéral de volonté

I) Définition

L’engagement unilatéral de volonté se définit comme l’acte juridique par lequel une personne s’oblige seule envers une autre

II) Distinction engagement unilatéral / acte unilatéral / contrat unilatéral

L’engagement unilatéral de volonté se distingue, tant de l’acte juridique unilatéral, que du contrat unilatéral :

  • L’acte juridique unilatéral n’est jamais générateur d’obligations
    • Il ne produit que quatre sortes d’effets de droit :
      • Un effet déclaratif : la reconnaissance
      • Un effet translatif : le testament
      • Un effet abdicatif : la renonciation, la démission
      • Un effet extinctif : la résiliation
  • Le contrat unilatéral est quant à lui générateur d’obligations.
    • Dans le contrat unilatéral une seule partie s’oblige
    • Toutefois, comme n’importe quel contrat, sa validité est subordonnée à la rencontre des volontés.
    • Il en résulte que pour être valablement formé, la prestation à laquelle s’oblige le débiteur doit être acceptée par le bénéficiaire de l’obligation ainsi créée.
    • Exemple : la donation
  • L’engagement unilatéral de volonté
    • À la différence de l’acte juridique unilatéral, l’engagement unilatéral de volonté est générateur d’obligation
    • À la différence du contrat unilatéral, la validité de l’engagement unilatéral de volonté n’est pas subordonnée à l’acceptation du créancier de l’obligation

III) Position du problème

La question qui se pose est de savoir si une personne peut, par l’effet de sa seule volonté, s’obliger envers une autre, sans qu’aucune rencontre des volontés ne se réalise

Ainsi, une obligation peut-elle naître en dehors de la loi et de tout concours de volontés ?

Au fond, la question qui se pose est de savoir, si une promesse peut obliger son auteur envers son bénéficiaire ? Si oui, dans quelle mesure ?

Deux thèses s’affrontent :

  • Arguments contre l’admission de l’engagement unilatéral de volonté comme source d’obligation
    • Silence du Code civil
      • Le Code civil ne reconnaît pas l’engagement unilatéral de volonté comme source obligation, alors qu’il vise expressément la loi, les contrats et quasi-contrats ainsi que les délits et quasi-délits
    • Absence de créancier
      • Adhérer à la thèse de l’engagement unilatéral de volonté revient à admettre qu’une obligation puisse naître en l’absence de créancier
    • Caractère non obligatoire de l’engagement unilatéral
      • L’engagement unilatéral de volonté ne peut pas être source d’obligation, car cela supposerait que le promettant puisse, corrélativement, par le seul effet de sa volonté se dédire.
      • Or si on l’admettait, cela reviendrait, in fine, à priver l’engagement unilatéral de tout caractère obligatoire.
      • L’effet recherché serait donc neutralisé
  • Arguments pour l’admission de l’engagement unilatéral de volonté comme source d’obligation
    • Cas particuliers reconnus par la loi
      • Le silence du Code civil n’est en rien un argument décisif, dans la mesure où, dans certaines hypothèses, la loi reconnaît que la seule volonté de celui qui s’engage puisse être source d’obligation :
        • L’émission de titres au porteur engage le signataire par l’effet de sa seule volonté envers tous les porteurs subséquents
        • L’offrant a l’obligation de maintenir son offre :
          • pendant une durée raisonnable si elle n’est assortie d’aucun délai
          • jusqu’à l’échéance du délai éventuellement fixé
        • En acceptant la succession, l’héritier s’oblige seul au passif successoral
        • Le gérant d’affaires doit satisfaire à certaines obligations, lorsque, sans en avoir reçu l’ordre, il agit pour le compte du maître de l’affaire
        • Possibilité pour un entrepreneur d’instituer par l’effet de sa seule volonté une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL).
    • Existence d’un créancier potentiel
      • L’obligation créée par l’engagement unilatéral n’est pas dépourvue de créancier : il s’agit du bénéficiaire de l’engagement, lequel est susceptible de se prévaloir de dudit engagement auquel s’est obligé le promettant
    • Caractère non obligatoire de l’engagement unilatéral
      • Si l’accord qui résulte de la rencontre des volontés revêt un caractère obligatoire, c’est grâce à la loi qui lui confère cette force par l’entremise de l’article 1103 C. civ (ancien article 1134, al. 1er C. civ)
      • Ainsi, rien n’empêche que la loi confère à l’engagement unilatéral pareille force obligatoire, le rendant alors irrévocable, au même titre qu’un engagement contractuel.

IV) Reconnaissance jurisprudentielle

La jurisprudence ne répugne pas à admettre que par l’effet de sa seule volonté, celui qui s’engage puisse s’obliger.

==>Transformation d’une obligation naturelle en obligation civile

Si, par principe, l’obligation naturelle n’est pas susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée, il n’en va pas de même lorsque son débiteur s’engage volontairement à exécuter ladite obligation.

Ainsi la jurisprudence considère-t-elle que celui qui promet d’exécuter une obligation naturelle s’engage irrévocablement envers le bénéficiaire, sans qu’il soit besoin qu’il accepte l’engagement.

La Cour de cassation considère en ce sens que : « la transformation improprement qualifiée novation d’une obligation naturelle en obligation civile, laquelle repose sur un engagement unilatéral d’exécuter l’obligation naturelle, n’exige pas qu’une obligation civile ait elle-même préexisté à celle-ci » (Cass. 1ère civ. 10 oct. 1995, n°93-20.300).

Elle a, par suite, réaffirmé sa position dans un arrêt du 21 novembre 2006 aux termes duquel elle a jugé que la « manifestation expresse de volonté » d’un chirurgien de restituer des honoraires à son associé, suivie de plusieurs remboursements des honoraires perçus pendant la période d’association de cinq ans, l’obligeait dans la mesure où l’engagement pris s’analysait en « une obligation naturelle qui s’est muée en obligation civile » (Cass. 1re civ., 21 nov. 2006, n°04-16.370).

==>Les engagements pris par l’employeur envers ses salariés

La Cour de cassation a estimé dans une décision remarquée que l’engagement unilatéral pris par un employeur envers ses salariés l’obligeait (Cass. soc., 25 nov. 2003, n° 01-17.501).

==>Les engagements pris par le cessionnaire d’une entreprise en difficulté

La Cour de cassation considère que la cessionnaire d’une société dans le cadre d’une procédure collective doit satisfaire à ses engagements pris unilatéralement (Cass. com., 28 mars 2000, n°98-12.074)

==>Les promesses de gains faites dans le cadre de loteries publicitaires

  • Exposé du cas de figure
    • Une personne reçoit d’une société de vente par correspondance un avis lui laissant croire qu’il a gagné un lot qui, le plus souvent, sera une somme d’argent.
    • Lorsque toutefois, cette personne réclame son gain auprès de l’organisateur de la loterie publicitaire, elle se heurte à son refus.
    • Il lui est opposé qu’elle ne répond pas aux conditions – sibyllines – figurant sur le document qui accompagnant le courrier.
  • Évolution de la position de la Cour de cassation
    • Première étape
      • La Cour de cassation retient la responsabilité de l’organisateur de la loterie publicitaire sur le fondement de la responsabilité délictuelle (Cass. 2e civ. 3 mars 1988, n°86-17.550)
        • Critique :
          • Préjudice difficile à caractériser (si le consommateur ne gagne pas, il ne perd pas non plus)
    • Deuxième étape
      • La Cour de cassation reconnaîtra ensuite l’existence d’un engagement unilatéral de volonté pour condamner l’organisateur de la loterie (Cass. 1ère civ., 28 mars 1995, n°93-12.678)
        • Critique :
          • La fermeté de la volonté de s’engager fait ici clairement défaut
    • Troisième étape
      • La Cour de cassation s’appuie plus tard sur les principes de la responsabilité contractuelle afin d’indemniser la victime (Cass. 2e civ. 11 févr. 1998, n°96-12.075)
        • Critique :
          • Volonté de s’engager de l’organisateur de la loterie difficilement justifiable
    • Quatrième étape
      • Pour mettre un terme au débat, la Cour de cassation a finalement estimé, dans un arrêt du 6 septembre 2002, au visa de l’article 1371 C. civ (ancien) que, dans la mesure où « les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l’homme dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers », il en résulte que « l’organisateur d’une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l’existence d’un aléa s’oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer » (Cass., ch. mixte, 6 sept. 2002, 98-22.981)
        • Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cet arrêt :
          • La promesse de gain faite à une personne oblige son auteur, par le jeu d’un quasi-contrat, à exécuter son engagement, dès lors que n’est pas mise en évidence l’existence d’un aléa
          • La promesse de gain ne constitue pas, en soi, un engagement unilatéral de volonté. À tout le moins, la figure de l’engagement unilatéral ne permet pas de rendre compte de cette manœuvre.
          • La promesse de gain s’apparente, en réalité, à un quasi-contrat
          • Reconnaissance d’une nouvelle catégorie de quasi-contrat
        • Critiques
          • Classiquement, le quasi-contrat s’apparente à un fait licite. Or les promesses fallacieuses de gain sont des faits illicites.
          • Les quasi-contrats ont pour finalité de restaurer un équilibre patrimonial injustement rompu. Or tel n’est pas le cas, s’agissant d’une promesse de gain. L’organisateur de la loterie ne reçoit aucun avantage indu de la part du consommateur. Aucun équilibre patrimonial n’a été rompu.
          • Cette jurisprudence a pour effet de porter atteinte à la cohérence de la catégorie des quasi-contrats

V) Consécration légale

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations introduit l’engagement unilatéral de volonté dans le nouvel article 1100-1 du Code civil.

Cette disposition prévoit désormais que « Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux. »

Le rapport du Président de la République dont est assortie l’ordonnance du 10 février 2010 nous indique que « en précisant que l’acte juridique peut être conventionnel ou unilatéral, [cela] inclut l’engagement unilatéral de volonté, catégorie d’acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui-ci. »

Ainsi, l’engagement unilatéral de volonté peut-il, désormais, être pleinement rangé parmi les sources générales d’obligations, aux côtés de la loi, du contrat, du quasi-contrat, du délit et du quasi-délit.

Toutefois, une question demeure : quel régime juridique appliquer à l’engagement unilatéral de volonté ?

L’ordonnance du 10 février 2016 ne prévoit rien, de sorte qu’il convient de se tourner vers les principes fixés par la jurisprudence

VI) Conditions d’application

Pour que l’engagement unilatéral de volonté soit générateur d’obligations cela suppose la satisfaction de trois conditions cumulatives :

  • La reconnaissance d’une force obligatoire à l’engagement unilatéral de volonté ne peut se faire qu’à titre subsidiaire
    • Autrement dit, il ne faut pas que puisse être identifiée une autre source d’obligations, telle un contrat, un quasi-contrat ou un délit.
  • L’engagement unilatéral de volonté n’est qu’une source « d’appoint »[1].
  • Pour être source d’obligation, l’engagement unilatéral doit être le fruit d’une volonté ferme, précise et éclairée. Il doit être dépourvu de toute ambiguïté quant à la volonté de son auteur de s’obliger.

La notion d’obligation

I) Définition de l’obligation

A) Absence de définition dans le Code civil

Le Code civil ne définit pas la notion d’obligation alors qu’elle y est omniprésente.

Il se limite à donner une définition du contrat. Aux termes de l’article 1101 C. civ. le contrat est « la convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ».

Le nouvel article 1101 C. civ. définit le contrat comme « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».

Le contrat ne se confond pas avec l’obligation, laquelle n’est autre qu’un effet du contrat.

Le contrat est, en ce sens, créateur d’obligations.

Il n’en est cependant pas la seule source : la loi, les délits, les quasi-délits sont également générateurs d’obligations.

Quant à l’ordonnance du n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, elle se contente :

  • D’énumérer les sources d’obligations (art. 1100 C. civ.)
  • De donner une définition :
    • Des faits juridiques (art. 1101C. civ.)
    • Des actes juridiques (art. 1102C. civ.)

Cela est cependant très insuffisant pour esquisser une définition de la notion d’obligation.

C’est donc vers doctrine qu’il convient de se tourner.

B) Définition doctrinale

Classiquement, l’obligation se définit comme le lien de droit entre deux personnes en vertu duquel, l’une d’elle, le créancier, peut exiger de l’autre, le débiteur, de donner, faire ou ne pas faire quelque chose.

Quatre éléments ressortent de cette définition :

1. Un lien

L’obligation s’apparente à un lien, en ce sens que :

    • D’une part, elle unit, elle met en relation, elle crée un rapport entre deux personnes
    • D’autre part, elle comporte, de part et d’autre de ses extrémités, deux versants :
      • La créance dont est titulaire le créancier d’un côté
      • La dette à laquelle est tenu le débiteur de l’autre côté

Schématiquement, ces deux versants constituent les deux faces d’une même pièce.

L’obligation se distingue en cela des choses et des biens, lesquels n’ont nullement vocation à contraindre, mais seulement à être appropriés.

Bien qu’évaluable en argent, l’obligation ne peut donc pas faire l’objet d’un droit de propriété.

L’obligation constitue, certes, un élément du patrimoine (rangée à l’actif du créancier et au passif du débiteur) au même titre que les biens, mais elle ne se confond pas avec eux.

Il en résulte que l’obligation ne se possède pas.

On peut seulement en être titulaire :

  • Soit en qualité de créancier
  • Soit en qualité de débiteur

Pour résumer :

  • Le droit de propriété ne peut s’exercer que sur une chose.
  • Le droit de créance s’exerce, quant à lui, contre une personne.

Droit de créance et droit de propriété n’ont donc pas le même objet.

2. Un lien de droit

L’obligation s’apparente à lien de droit, par opposition à un lien affectif ou amical, lesquels relèvent du pur fait.

Le lien de droit se distingue des autres rapports humains, en ce que lors de sa création il produit des effets juridiques

Ces effets juridiques sont :

  • Tantôt actifs, lorsqu’ils confèrent un droit subjectif : on parle de créance
  • Tantôt passifs, lorsqu’ils exigent l’exécution d’une prestation : on parle de dette

3. Un lien de droit entre deux personnes

a. Lien entre les personnes et les choses et liens entres les personnes entre elles

Le rapport d’obligation est un lien, non pas entre une personne et une chose – comme c’est le cas en matière de propriété – mais entre deux personnes.

Pour exemple :

Lors de la conclusion d’un contrat de bail un lien se noue, non pas entre le locataire et la chose louée, mais entre le locataire et le bailleur.

Il existe donc un intermédiaire entre le locataire et la chose louée : le bailleur.

Il en va de même lors de la conclusion d’un contrat de vente : le vendeur s’interpose entre l’acheteur et la chose vendue.

Ainsi, est-ce seulement l’exercice du droit personnel dont est titulaire l’acheteur contre le vendeur qui va opérer le transfert de propriété de la chose

L’acheteur ne pourra exercer un droit réel sur ladite chose que parce que le contrat de vente aura été valablement conclu

Parce que le lien d’obligation se crée nécessairement entre deux personnes, on dit que le créancier d’une obligation est titulaire d’un droit personnel contre le débiteur, par opposition au droit réel exercé par le propriétaire sur son bien.

b. Droits personnels / Droits réels

Les droits patrimoniaux sont les droits subjectifs appréciables en argent. Ils possèdent une valeur pécuniaire. Ils sont, en conséquence, disponibles, ce qui signifie qu’ils peuvent faire notamment l’objet d’opérations translatives.

Les droits patrimoniaux forment le patrimoine de leur titulaire

Ce patrimoine rassemble deux composantes qui constituent les deux faces d’une même pièce :

  • Un actif
  • Un passif

Les droits patrimoniaux se scindent en deux catégories :

  • Les droits réels (le droit de propriété est l’archétype du droit réel)
  • Les droits personnels (le droit de créance : obligation de donner, faire ou ne pas faire)

Ainsi, les droits réels et les droits personnels ont pour point commun d’être des droits patrimoniaux et donc d’être appréciables en argent.

b.1 Points communs

  • Des droits subjectifs, soit des prérogatives reconnues aux sujets de droit dont l’atteinte peut être sanctionnée en justice.
  • Des droits patrimoniaux, soit des droits subjectifs évaluables en argent, par opposition aux droits extrapatrimoniaux dont l’exercice est autre que la satisfaction d’un intérêt pécuniaire (nationalité, filiation, état des personnes etc.).

b. 2 Différences

==>Objet du droit

  • Le droit réel s’exerce sur une chose (« réel » vient du latin « res » : la chose)
    • L’étude des droits réels relève du droit des biens
  • Le droit personnel s’exerce contre une personne (« personnel » vient du latin « persona » : la personne)
    • L’étude des droits personnels relève du droit des obligations

Illustration : un locataire et un propriétaire habitent la même maison

  • Le propriétaire exerce un droit direct sur l’immeuble : il peut en user, en abuser et en percevoir les fruits (les loyers)
  • Le locataire exerce un droit personnel, non pas sur la chose, mais contre le bailleur : il peut exiger de lui, qu’il lui assure la jouissance paisible de l’immeuble loué

==>Contenu du droit

  • Les parties à un contrat peuvent créer des droits personnels en dehors de ceux déjà prévus par le législateur, pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs (art. 6 et 1102, al. 2 C. civ).
    • En matière de création de droits personnels règne ainsi le principe de la liberté contractuelle (art. 1102, al. 1 C. civ.)
  • La création de droits réels relève de la compétence du seul législateur, contrairement aux droits personnels
    • Autrement dit, la loi peut seule déterminer l’étendue des pouvoirs que détient une personne sur une chose.
    • Les droits réels sont donc en nombre limité

==>Portée du droit

Les droits réels sont absolus en ce sens qu’ils peuvent être invoqués par leur titulaire à l’égard de toute autre personne

Les droits personnels sont relatifs, en ce sens qu’ils ne créent un rapport qu’entre le créancier et le débiteur.

Certains auteurs soutiennent que la distinction entre droits réels et droits personnels tiendrait à leur opposabilité.

  • Les droits réels seraient opposables erga omnes
  • Les droits personnels ne seraient opposables qu’au seul débiteur

Bien que séduisante en apparence, cette analyse est en réalité erronée. Il ne faut pas confondre l’opposabilité et l’effet relatif :

  • Tant les droits personnels que les droits réels sont opposables au tiers, en ce sens que le titulaire du droit est fondé à exiger des tiers qu’ils ne portent pas atteinte à son droit
  • Le droit personnel n’a, en revanche, qu’une portée relative, en ce sens que son titulaire, le créancier, ne peut exiger que du seul débiteur l’exécution de la prestation qui lui est due.

==>Nature du droit

Le droit réel est toujours un droit actif, en ce sens qu’il n’a jamais pour effet de constituer une dette dans le patrimoine de son titulaire

Le droit personnel est tantôt actif (lorsqu’il est exercé par le créancier contre le débiteur : la créance), tantôt passif (lorsqu’il commande au débiteur d’exécuter une prestation : la dette)

==>Vigueur du droit

  • L’exercice d’un droit réel est garanti par le bénéfice de son titulaire d’un droit de suite et de préférence
    • Droit de suite : le titulaire d’un droit réel pourra revendiquer la propriété de son bien en quelque main qu’il se trouve
    • Droit de préférence : le titulaire d’un droit réel sera toujours préféré aux autres créanciers dans l’hypothèse où le bien convoité est détenu par le débiteur.
  • L’exécution du droit personnel dépend de la solvabilité du débiteur
    • Le créancier ne jouit que d’un droit de gage général sur le patrimoine du débiteur (art. 1285 C. civ)
    • Il n’exerce aucun pouvoir sur un bien en particulier, sauf à être bénéficiaire d’une sûreté réelle

==>La transmission du droit

La transmission de droits réels s’opère sans qu’il soit besoin d’accomplir de formalités particulières, exception faite de la vente de la transmission d’un bien immobilier

La transmission de droits personnels suppose de satisfaire répondre aux exigences de la cession de créance, conformément aux articles 1321 et s. C. civ.

4. Un lien de droit entre deux personnes en vertu duquel le créancier peut exiger du débiteur, de donner, faire ou ne pas faire quelque chose

Le droit de créance ne confère pas à son titulaire un pouvoir direct sur une chose, mais seulement la faculté d’exiger d’une personne, le débiteur de l’obligation, de donner, faire ou ne pas faire quelque chose.

C’est là, toute la différence avec le droit réel.

En somme, tandis que le droit de créance est le droit obtenir une certaine prestation de la part d’une personne, le droit réel s’apparente à la faculté d’user, de disposer et de tirer les fruits de la chose, objet du droit de propriété.

II) Les sources d’obligations

==>Actes juridiques et faits juridiques

Schématiquement, l’univers juridique se compose de deux domaines bien distincts :

  • Les actes juridiques
  • Les faits juridiques

Antérieurement à l’ordonnance du 10 février 2016 le Code civil ne définissait pas ces deux notions.

Dorénavant, les actes et les faits juridiques sont respectivement définis aux articles 1100-1 et 1100-2 du Code civil :

  • L’article 1100-1 C.civ définit les actes juridiques comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit ».
  • L’article 1100-2 C. civ définit les faits juridiques comme « des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit ».

==>Intérêt de la distinction

L’intérêt de la distinction entre les actes et les faits juridiques est triple :

  • L’étendue des effets des faits juridiques est strictement délimitée par la loi, alors que les effets des actes juridiques sont déterminés par les parties à l’acte, la seule limite étant la contrariété à l’ordre public et aux bonnes mœurs (art. 6 C. civ.)
  • Tandis que la preuve des actes juridiques suppose la production d’un écrit (art. 1359 C. civ.), la preuve des faits juridiques est libre (art. 1358 C. civ.)
  • Le Code civil appréhende les différentes sources d’obligations autour de la distinction entre les faits et les actes juridiques, lesquels sont précisément les deux grandes catégories de sources d’obligations avec la loi.

Classiquement on dénombre cinq sources d’obligations, auxquelles il faut en ajouter une sixième, l’engagement unilatéral, qui fait débat :

A) Le contrat

==>Définition

Aux termes de l’article 1101 C. civ « le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations »

Ainsi, les obligations contractuelles sont celles qui naissent d’un acte juridique, soit de la manifestation de volontés en vue de produire des effets de droit.

==>Prépondérances des obligations contractuelles

Le contrat est, sans aucun doute, la principale source d’obligations, à tout le moins, dans le Code civil ; elle y occupe une place centrale.

La raison en est l’influence – partielle – de la théorie de l’autonomie de la volonté sur les rédacteurs du Code civil qui se sont notamment inspirés des réflexions amorcées par Grotius, Rousseau et Kant sur la liberté individuelle et le pouvoir de la volonté.

==>Théorie de l’autonomie de la volonté

Selon cette théorie, l’homme étant libre par nature, il ne peut s’obliger que par sa propre volonté.

Il en résulte, selon les tenants de cette théorie, que seule la volonté est susceptible de créer des obligations et d’en déterminer le contenu.

D’où la grande place faite au contrat dans le Code civil.

B) Le quasi-contrat

==>Définition

Les quasi-contrats sont définis à l’article 1300 C. civ (ancien art 1371 C. civ.) comme « des faits purement volontaires dont il résulte un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui ».

Il s’agit autrement dit, du fait spontané d’une personne, d’où il résulte un avantage pour un tiers et un appauvrissement de celui qui agit.

Au nom de l’équité, la loi décide de rétablir l’équilibre injustement rompu en obligeant le tiers à indemniser celui qui, par son intervention, s’est appauvri.

==>Différence avec le contrat

Tandis que le contrat est le produit d’un accord de volontés, le quasi-contrat naît d’un fait volontaire licite.

Ainsi la formation d’un quasi-contrat, ne suppose pas la rencontre des volontés entre les deux « parties », comme c’est le cas en matière de contrat.

Les obligations qui naissent d’un quasi-contrat sont un effet de la loi et non un produit de la volonté.

==>Différence avec le délit et le quasi-délit

Contrairement au délit ou au quasi-délit, le quasi-contrat est un fait volontaire non pas illicite mais licite, en ce sens qu’il ne constitue pas une faute civile.

==>Détermination des quasi-contrats

  • L’enrichissement injustifié ou sans cause
    • Principe (Art. 1303 à 1303-4 C. civ.)
      • Lorsque l’enrichissement d’une personne au détriment d’une autre personne est sans cause (juridique), celui qui s’est appauvri est fondé à réclamer « une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement ».
      • Il s’agit de l’action de in rem verso
    • Exemple :
      • Un concubin finance la rénovation de la maison dont est propriétaire sa concubine sans aucune contrepartie.
  • La gestion d’affaires
    • Principe (Art. 1301 à 1301-5 C. civ.)
      • La gestion d’affaire est caractérisée lorsque « celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire, est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire »
      • L’obligation quasi-contractuelle se crée ainsi lorsqu’une personne, le gérant d’affaires, intervient de sa propre initiative, sans en avoir reçu l’ordre, dans les affaires d’une autre, le maître de l’affaire, pour y accomplir un acte utile.
    • Exemple :
      • Le cas de figure classique est celui d’une personne qui, voulant rendre service à un ami absent, effectue une réparation urgente sur l’un de ses biens
      • Il sera alors fondé à lui réclamer le remboursement des dépenses exposées pour a gestion de ses biens, pourvu que l’affaire ait été utile et bien gérée.
  • Le paiement de l’indu
    • Principe (Art. 1302 à 1302-3 C. civ.)
      • Le paiement de l’indu suppose qu’une personne ait accompli au profit d’une autre une prestation que celle-ci n’était pas en droit d’exiger d’elle.
      • Aussi, cette situation se rencontre lorsqu’une prestation a été exécutée « sans être due ».
      • Ce qui dès lors a été indûment reçu doit, sous certaines conditions, être restitué.
    • Exemple :
      • Un assureur verse une indemnité en ignorant que le dommage subi par l’assuré n’est pas couvert par le contrat d’assurance
      • Un héritier paie une dette du défunt en ignorant qu’elle a déjà été payée

C) Le délit

==>Définition

Le délit est un fait illicite intentionnel auquel la loi attache une obligation de réparer

Ainsi, l’obligation délictuelle naît-elle de la production d’un dommage causé, intentionnellement, à autrui.

L’article 1240 C.civ, (anciennement 1382 C.civ) prévoit en ce sens que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

==>Délit civil / Délit pénal

Le délit civil ne doit pas être confondu avec le délit pénal :

  • Le délit pénal est une catégorie d’infractions (le vol, l’escroquerie, l’abus de confiance, la consommation de stupéfiants sont des délits pénaux).
  • Le délit civil ne constitue pas nécessairement un délit pénal.

Pour qu’un comportement fautif soit sanctionné pénalement, cela suppose que soit prévue une incrimination, conformément au principe de légalité des délits et des peines.

==>Conditions

Pour que la responsabilité délictuelle de l’auteur d’un dommage puisse être engagée, cela suppose rapporter la preuve de trois éléments cumulatifs (Art. 1240 C. civ) :

  • Une faute
  • Un préjudice
  • Un lien de causalité entre la faute et le préjudice

D) Le quasi-délit

==>Définition

Le délit est un fait illicite non intentionnel auquel la loi attache une obligation de réparer

==>Distinction délit / quasi-délit

La différence entre quasi-délit et délit tient au caractère intentionnel (délit) ou non intentionnel (quasi-délit) du fait illicite dommageable.

L’obligation quasi-délictuelle naît donc de la production d’un dommage causé, non intentionnellement à autrui

L’article 1241 C.civ, (anciennement 1383 C.civ) prévoit en ce sens que « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

==>Conditions

La responsabilité quasi-délictuelle suppose la satisfaction des trois mêmes conditions que la responsabilité délictuelle à savoir :

  • Une faute
  • Un préjudice
  • Un lien de causalité entre la faute et le préjudice

E) La loi

==>Source résiduelle d’obligations

L’article 34 de la constitution dispose que seuls « les principes fondamentaux du régime des obligations civiles et commerciales » relèvent de la loi.

Il en est résulté deux conséquences :

  • Le Conseil constitutionnel a, en s’appuyant sur cette disposition, eu l’occasion d’ériger au rang des principes fondamentaux du droit des obligations :
    • Le principe d’autonomie de la volonté
    • La liberté contractuelle
    • L’immutabilité des conventions
  • La loi n’est qu’une source résiduelle d’obligations. Et pour cause : elle est, en quelque sorte, à l’origine de toutes les obligations.
    • La conclusion d’un contrat n’oblige les parties, parce que la loi le prévoit
    • De la même manière, l’auteur d’un dommage n’engage sa responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle que parce que la loi attache des effets de droit au fait illicite dommageable.

==>Inflation des obligations légales

Bien que le Code civil n’accorde pas à la loi une place importante en matière de création d’obligations, elle n’en constitue pas moins une source à part entière.

Le nouvel article 1100 C. civ. (anciennement 1370 C. civ) prévoit en ce sens que, « les obligations naissent d’actes juridiques, de faits juridiques ou de l’autorité seule de la loi ».

Ainsi, le législateur est-il pleinement investi du pouvoir de créer des obligations indépendamment de tout acte ou de tout fait juridique.

Qui plus est, on observe une véritable inflation des obligations purement légales qui, de plus en plus, viennent encadrer la conduite des acteurs des différents secteurs de l’activité économique (obligation d’information, de sécurité, de loyauté, etc.).

F) L’engagement unilatéral de volonté

==>Définition

L’engagement unilatéral de volonté se définit comme l’acte juridique par lequel une personne s’oblige seule envers une autre

==>Distinction engagement unilatéral / acte unilatéral / contrat unilatéral

L’engagement unilatéral de volonté se distingue, tant de l’acte juridique unilatéral, que du contrat unilatéral :

  • L’acte juridique unilatéral n’est jamais générateur d’obligations
    • Il ne produit que quatre sortes d’effets de droit :
      • Un effet déclaratif : la reconnaissance
      • Un effet translatif : le testament
      • Un effet abdicatif : la renonciation, la démission
      • Un effet extinctif : la résiliation
  • Le contrat unilatéral est quant à lui générateur d’obligations.
    • Dans le contrat unilatéral une seule partie s’oblige
    • Toutefois, comme n’importe quel contrat, sa validité est subordonnée à la rencontre des volontés.
    • Il en résulte que pour être valablement formé, la prestation à laquelle s’oblige le débiteur doit être acceptée par le bénéficiaire de l’obligation ainsi créée.
    • Exemple : la donation
  • L’engagement unilatéral de volonté
    • À la différence de l’acte juridique unilatéral, l’engagement unilatéral de volonté est générateur d’obligation
    • À la différence du contrat unilatéral, la validité de l’engagement unilatéral de volonté n’est pas subordonnée à l’acceptation du créancier de l’obligation

==>Position du problème

La question qui se pose est de savoir si une personne peut, par l’effet de sa seule volonté, s’obliger envers une autre, sans qu’aucune rencontre des volontés ne se réalise

Ainsi, une obligation peut-elle naître en dehors de la loi et de tout concours de volontés ?

Au fond, la question qui se pose est de savoir, si une promesse peut obliger son auteur envers son bénéficiaire ? Si oui, dans quelle mesure ?

Deux thèses s’affrontent :

  • Arguments contre l’admission de l’engagement unilatéral de volonté comme source d’obligation
    • Silence du Code civil
      • Le Code civil ne reconnaît pas l’engagement unilatéral de volonté comme source obligation, alors qu’il vise expressément la loi, les contrats et quasi-contrats ainsi que les délits et quasi-délits
    • Absence de créancier
      • Adhérer à la thèse de l’engagement unilatéral de volonté revient à admettre qu’une obligation puisse naître en l’absence de créancier
    • Caractère non obligatoire de l’engagement unilatéral
      • L’engagement unilatéral de volonté ne peut pas être source d’obligation, car cela supposerait que le promettant puisse, corrélativement, par le seul effet de sa volonté se dédire.
      • Or si on l’admettait, cela reviendrait, in fine, à priver l’engagement unilatéral de tout caractère obligatoire.
      • L’effet recherché serait donc neutralisé
  • Arguments pour l’admission de l’engagement unilatéral de volonté comme source d’obligation
    • Cas particuliers reconnus par la loi
      • Le silence du Code civil n’est en rien un argument décisif, dans la mesure où, dans certaines hypothèses, la loi reconnaît que la seule volonté de celui qui s’engage puisse être source d’obligation :
        • L’émission de titres au porteur engage le signataire par l’effet de sa seule volonté envers tous les porteurs subséquents
        • L’offrant a l’obligation de maintenir son offre :
          • pendant une durée raisonnable si elle n’est assortie d’aucun délai
          • jusqu’à l’échéance du délai éventuellement fixé
        • En acceptant la succession, l’héritier s’oblige seul au passif successoral
        • Le gérant d’affaires doit satisfaire à certaines obligations, lorsque, sans en avoir reçu l’ordre, il agit pour le compte du maître de l’affaire
        • Possibilité pour un entrepreneur d’instituer par l’effet de sa seule volonté une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL).
    • Existence d’un créancier potentiel
      • L’obligation créée par l’engagement unilatéral n’est pas dépourvue de créancier : il s’agit du bénéficiaire de l’engagement, lequel est susceptible de se prévaloir de dudit engagement auquel s’est obligé le promettant
    • Caractère non obligatoire de l’engagement unilatéral
      • Si l’accord qui résulte de la rencontre des volontés revêt un caractère obligatoire, c’est grâce à la loi qui lui confère cette force par l’entremise de l’article 1103 C. civ (ancien article 1134, al. 1er C. civ)
      • Ainsi, rien n’empêche que la loi confère à l’engagement unilatéral pareille force obligatoire, le rendant alors irrévocable, au même titre qu’un engagement contractuel.

1. Reconnaissance jurisprudentielle

La jurisprudence ne répugne pas à admettre que par l’effet de sa seule volonté, celui qui s’engage puisse s’obliger.

==>Transformation d’une obligation naturelle en obligation civile

Si, par principe, l’obligation naturelle n’est pas susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée, il n’en va pas de même lorsque son débiteur s’engage volontairement à exécuter ladite obligation.

Ainsi la jurisprudence considère-t-elle que celui qui promet d’exécuter une obligation naturelle s’engage irrévocablement envers le bénéficiaire, sans qu’il soit besoin qu’il accepte l’engagement.

La Cour de cassation considère en ce sens que : « la transformation improprement qualifiée novation d’une obligation naturelle en obligation civile, laquelle repose sur un engagement unilatéral d’exécuter l’obligation naturelle, n’exige pas qu’une obligation civile ait elle-même préexisté à celle-ci » (Cass. 1ère civ. 10 oct. 1995, n°93-20.300).

Elle a, par suite, réaffirmé sa position dans un arrêt du 21 novembre 2006 aux termes duquel elle a jugé que la « manifestation expresse de volonté » d’un chirurgien de restituer des honoraires à son associé, suivie de plusieurs remboursements des honoraires perçus pendant la période d’association de cinq ans, l’obligeait dans la mesure où l’engagement pris s’analysait en « une obligation naturelle qui s’est muée en obligation civile » (Cass. 1re civ., 21 nov. 2006, n°04-16.370).

==>Les engagements pris par l’employeur envers ses salariés

La Cour de cassation a estimé dans une décision remarquée que l’engagement unilatéral pris par un employeur envers ses salariés l’obligeait (Cass. soc., 25 nov. 2003, n° 01-17.501).

==>Les engagements pris par le cessionnaire d’une entreprise en difficulté

La Cour de cassation considère que la cessionnaire d’une société dans le cadre d’une procédure collective doit satisfaire à ses engagements pris unilatéralement (Cass. com., 28 mars 2000, n°98-12.074)

==>Les promesses de gains faites dans le cadre de loteries publicitaires

  • Exposé du cas de figure
    • Une personne reçoit d’une société de vente par correspondance un avis lui laissant croire qu’il a gagné un lot qui, le plus souvent, sera une somme d’argent.
    • Lorsque toutefois, cette personne réclame son gain auprès de l’organisateur de la loterie publicitaire, elle se heurte à son refus.
    • Il lui est opposé qu’elle ne répond pas aux conditions – sibyllines – figurant sur le document qui accompagnant le courrier.
  • Évolution de la position de la Cour de cassation
    • Première étape
      • La Cour de cassation retient la responsabilité de l’organisateur de la loterie publicitaire sur le fondement de la responsabilité délictuelle (Cass. 2e civ. 3 mars 1988, n°86-17.550)
        • Critique :
          • Préjudice difficile à caractériser (si le consommateur ne gagne pas, il ne perd pas non plus)
    • Deuxième étape
      • La Cour de cassation reconnaîtra ensuite l’existence d’un engagement unilatéral de volonté pour condamner l’organisateur de la loterie (Cass. 1ère civ., 28 mars 1995, n°93-12.678)
        • Critique :
          • La fermeté de la volonté de s’engager fait ici clairement défaut
    • Troisième étape
      • La Cour de cassation s’appuie plus tard sur les principes de la responsabilité contractuelle afin d’indemniser la victime (Cass. 2e civ. 11 févr. 1998, n°96-12.075)
        • Critique :
          • Volonté de s’engager de l’organisateur de la loterie difficilement justifiable
    • Quatrième étape
      • Pour mettre un terme au débat, la Cour de cassation a finalement estimé, dans un arrêt du 6 septembre 2002, au visa de l’article 1371 C. civ (ancien) que, dans la mesure où « les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l’homme dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers », il en résulte que « l’organisateur d’une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l’existence d’un aléa s’oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer » (Cass., ch. mixte, 6 sept. 2002, 98-22.981)
        • Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cet arrêt :
          • La promesse de gain faite à une personne oblige son auteur, par le jeu d’un quasi-contrat, à exécuter son engagement, dès lors que n’est pas mise en évidence l’existence d’un aléa
          • La promesse de gain ne constitue pas, en soi, un engagement unilatéral de volonté. À tout le moins, la figure de l’engagement unilatéral ne permet pas de rendre compte de cette manœuvre.
          • La promesse de gain s’apparente, en réalité, à un quasi-contrat
          • Reconnaissance d’une nouvelle catégorie de quasi-contrat
        • Critiques
          • Classiquement, le quasi-contrat s’apparente à un fait licite. Or les promesses fallacieuses de gain sont des faits illicites.
          • Les quasi-contrats ont pour finalité de restaurer un équilibre patrimonial injustement rompu. Or tel n’est pas le cas, s’agissant d’une promesse de gain. L’organisateur de la loterie ne reçoit aucun avantage indu de la part du consommateur. Aucun équilibre patrimonial n’a été rompu.
          • Cette jurisprudence a pour effet de porter atteinte à la cohérence de la catégorie des quasi-contrats

2. Consécration légale

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations introduit l’engagement unilatéral de volonté dans le nouvel article 1100-1 du Code civil.

Cette disposition prévoit désormais que « Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux. »

Le rapport du Président de la République dont est assortie l’ordonnance du 10 février 2010 nous indique que « en précisant que l’acte juridique peut être conventionnel ou unilatéral, [cela] inclut l’engagement unilatéral de volonté, catégorie d’acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui-ci. »

Ainsi, l’engagement unilatéral de volonté peut-il, désormais, être pleinement rangé parmi les sources générales d’obligations, aux côtés de la loi, du contrat, du quasi-contrat, du délit et du quasi-délit.

Toutefois, une question demeure : quel régime juridique appliquer à l’engagement unilatéral de volonté ?

L’ordonnance du 10 février 2016 ne prévoit rien, de sorte qu’il convient de se tourner vers les principes fixés par la jurisprudence

3. Conditions d’application

Pour que l’engagement unilatéral de volonté soit générateur d’obligations cela suppose la satisfaction de trois conditions cumulatives :

  • La reconnaissance d’une force obligatoire à l’engagement unilatéral de volonté ne peut se faire qu’à titre subsidiaire
    • Autrement dit, il ne faut pas que puisse être identifiée une autre source d’obligations, telle un contrat, un quasi-contrat ou un délit.
  • L’engagement unilatéral de volonté n’est qu’une source « d’appoint »[1].
  • Pour être source d’obligation, l’engagement unilatéral doit être le fruit d’une volonté ferme, précise et éclairée. Il doit être dépourvu de toute ambiguïté quant à la volonté de son auteur de s’obliger.

III) La classification des obligations

Les obligations peuvent faire l’objet de trois classifications différentes :

  • La classification des obligations d’après leur source
  • La classification des obligations d’après leur nature
  • La classification des obligations d’après leur objet

Ayant déjà fait état des différentes sources obligations, nous ne nous focaliserons que sur leur nature et leur objet

A) La classification des obligations d’après leur nature

La classification des obligations d’après leur nature renvoie à la distinction entre l’obligation civile et l’obligation naturelle

1. Exposé de la distinction entre obligation civile et obligation naturelle

  • L’obligation civile
    • L’obligation civile est celle qui, en cas d’inexécution de la part du débiteur, est susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée
    • L’obligation civile est donc contraignante : son titulaire peut solliciter en justice, s’il prouve le bien-fondé de son droit, le concours de la force publique aux fins d’exécution de l’obligation dont il est créancier
  • L’obligation naturelle
    • L’obligation naturelle, à la différence de l’obligation civile, n’est pas susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée.
    • Elle ne peut faire l’objet que d’une exécution volontaire
    • L’obligation naturelle n’est donc pas contraignante : son exécution repose sur la seule volonté du débiteur.
    • Ainsi, le créancier d’une obligation naturelle n’est-il pas fondé à introduire une action en justice pour en réclamer l’exécution

2. Fondement textuel de l’obligation naturelle

L’obligation naturelle est évoquée à l’ancien 1235, al. 2 du Code civil (nouvellement art. 1302 C. civ).

Cet article prévoit en ce sens que « tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition. La répétition n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées. »

3. Domaine d’application de l’obligation naturelle

L’obligation naturelle se rencontre dans deux hypothèses :

  • En présence d’une obligation civile imparfaite
    • L’obligation civile imparfaite est celle qui
      • Soit est nulle en raison de la défaillance d’une condition de validité de l’acte juridique dont elle émane
      • Soit est éteinte en raison de l’acquisition de prescription extinctive de la dette
    • Dans les deux cas, le débiteur est libéré de son obligation sans avoir eu besoin d’exécuter la prestation initialement promise
    • Le débiteur peut néanmoins se sentir tenu, moralement, de satisfaire son engagement pris envers le créancier : l’obligation civile qui « a dégénéré » se transforme alors en obligation naturelle
  • En présence d’un devoir moral
    • Il est des situations où l’engagement d’une personne envers une autre sera dicté par sa seule conscience, sans que la loi ou qu’un acte juridique ne l’y oblige
    • Le respect de principes moraux peut ainsi conduire
      • un mari à apporter une aide financière à son ex-épouse
      • une sœur à loger gratuitement son frère sans abri
      • un concubin à porter assistance à sa concubine
      • l’auteur d’un dommage qui ne remplit pas les conditions de la responsabilité civile à indemniser malgré tout la victime.
    • Dans toutes ces hypothèses, celui qui s’engage s’exécute en considération d’un devoir purement moral, de sorte que se crée une obligation naturelle

4. Transformation de l’obligation naturelle en obligation civile

La qualification d’obligation naturelle pour une obligation civile imparfaite ou un devoir moral, ne revêt pas un intérêt seulement théorique. Cela présente un intérêt très pratique.

La raison en est que l’obligation naturelle est susceptible de transformer en obligation civile

Il en résulte qu’elle pourra emprunter à l’obligation civile certains traits, voire donner lieu à l’exécution forcée

La transformation de l’obligation naturelle en obligation civile se produira dans deux cas distincts :

  • Le débiteur a exécuté l’obligation naturelle
  • Le débiteur s’est engagé à exécuter l’obligation naturelle

==>Le débiteur a exécuté l’obligation naturelle

C’est l’hypothèse – la seule – visée à l’article 1302 C. civ (ancien art. 1235, al.2)

Pour mémoire cette disposition prévoit que « la répétition n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées. »

Lorsque le débiteur a effectué un paiement à la faveur du créancier d’une obligation naturelle, la répétition de la somme versée est ainsi impossible.

==>Le débiteur s’est engagé à exécuter l’obligation naturelle

Lorsque le débiteur d’une obligation naturelle promet d’assurer son exécution, cette obligation se transforme alors aussitôt en obligation civile.

La Cour de cassation justifie cette transformation en se fondant sur l’existence d’un engagement unilatérale de volonté.

Ainsi a-t-elle jugé dans un arrêt du 10 octobre 1995 que « la transformation improprement qualifiée novation d’une obligation naturelle en obligation civile, laquelle repose sur un engagement unilatéral d’exécuter l’obligation naturelle, n’exige pas qu’une obligation civile ait elle-même préexisté à celle-ci » (Cass. 1re civ. 10 oct. 1995, n°93-20.300).

Cela suppose, en conséquence, pour le créancier de rapporter la preuve de l’engagement volontaire du débiteur d’exécuter l’obligation naturelle qui lui échoit

5. Consécration légale de l’obligation naturelle

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, consacre, sans la nommer, l’obligation naturelle à l’article 1100 du Code civil.

Cette disposition, prise en son alinéa 2, prévoit que les obligations « peuvent naître de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui ».

B) Le classement des obligations d’après leur objet

Deux grandes distinctions peuvent être effectuées si l’on cherche à opérer une classification des obligations d’après leur objet :

  • Les obligations de donner, de faire et de ne pas faire
  • Les obligations de moyens et les obligations de résultat

1. Les obligations de donner, de faire et de ne pas faire

==>Exposé de la distinction

  • L’obligation de donner
    • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
      • Exemple : dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
  • L’obligation de faire
    • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
      • Exemple : le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
  • L’obligation de ne pas faire
    • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
      • Exemple : le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé

==>Intérêt – révolu – de la distinction

Le principal intérêt de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire résidait dans les modalités de l’exécution forcée de ces types d’obligations.

  • L’ancien article 1142 C. civ. prévoyait en effet que :
    • « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »
  • L’ancien article 1143 C. civ. prévoyait quant à lui que :
    • « Néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu. »
  • L’ancien article 1145 C. civ disposait enfin que :
    • « Si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention. »

Il ressortait de ces dispositions que les modalités de l’exécution forcée étaient différentes, selon que l’on était en présence d’une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire :

  • S’agissant de l’obligation de donner, son exécution forcée se traduisait par une exécution forcée en nature
  • S’agissant de l’obligation de faire, son exécution forcée se traduisait par l’octroi de dommages et intérêt
  • S’agissant de l’obligation de ne pas faire, son exécution forcée se traduisait :
    • Soit par la destruction de ce qui ne devait pas être fait (art. 1143 C. civ)
    • Soit par l’octroi de dommages et intérêts (art. 1145 C. civ)

==>Abandon de la distinction

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a abandonné la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire, à tout le moins elle n’y fait plus référence.

Ainsi érige-t-elle désormais en principe, l’exécution forcée en nature, alors que, avant la réforme, cette modalité d’exécution n’était qu’une exception.

Le nouvel article 1221 C. civ prévoit en ce sens que « le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. »

L’exécution forcée en nature s’impose ainsi pour toutes les obligations, y compris en matière de promesse de vente ou de pacte de préférence.

Ce n’est que par exception, si l’exécution en nature n’est pas possible, que l’octroi de dommage et intérêt pourra être envisagé par le juge.

Qui plus est, le nouvel article 1222 du Code civil offre la possibilité au juge de permettre au créancier de faire exécuter la prestation due par un tiers ou de détruire ce qui a été fait :

  • « Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.
  • « Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction. »

2. Les obligations de moyens et les obligations de résultat

==>Exposé de la distinction

Demogue soutenait ainsi que la conciliation entre les anciens articles 1137 et 1147 du Code civil tenait à la distinction entre les obligations de résultat et les obligations de moyens :

  • L’obligation est de résultat lorsque le débiteur est contraint d’atteindre un résultat déterminé
    • Exemple : Dans le cadre d’un contrat de vente, pèse sur le vendeur une obligation de résultat : celle livrer la chose promise. L’obligation est également de résultat pour l’acheteur qui s’engage à payer le prix convenu.
    • Il suffira donc au créancier de démontrer que le résultat n’a pas été atteint pour établir un manquement contractuel, source de responsabilité pour le débiteur
  • L’obligation est de moyens lorsque le débiteur s’engage à mobiliser toutes les ressources dont il dispose pour accomplir la prestation promise, sans garantie du résultat
    • Exemple : le médecin a l’obligation de soigner son patient, mais n’a nullement l’obligation de le guérir.
    • Dans cette configuration, le débiteur ne promet pas un résultat : il s’engage seulement à mettre en œuvre tous les moyens que mettrait en œuvre un bon père de famille pour atteindre le résultat

La distinction entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat rappelle immédiatement la contradiction entre les anciens articles 1137 et 1147 du Code civil.

  • En matière d’obligation de moyens
    • Pour que la responsabilité du débiteur puisse être recherchée, il doit être établi que celui-ci a commis une faute, soit que, en raison de sa négligence ou de son imprudence, il n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat promis.
    • Cette règle n’est autre que celle posée à l’ancien article 1137 du Code civil.
  • En matière d’obligation de résultat
    • Il est indifférent que le débiteur ait commis une faute, sa responsabilité pouvant être recherchée du seul fait de l’inexécution du contrat.
    • On retrouve ici la règle édictée à l’ancien article 1147 du Code civil.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer si une obligation est de moyens ou de résultat.

==>Critères de la distinction

En l’absence d’indications textuelles, il convient de se reporter à la jurisprudence qui se détermine au moyen d’un faisceau d’indices.

Plusieurs critères – non cumulatifs – sont, en effet, retenus par le juge pour déterminer si l’on est en présence d’une obligation de résultat ou de moyens :

  • La volonté des parties
    • La distinction entre obligation de résultat et de moyens repose sur l’intensité de l’engagement pris par le débiteur envers le créancier.
    • La qualification de l’obligation doit donc être appréhendée à la lumière des clauses du contrat et, le cas échéant, des prescriptions de la loi.
    • En cas de silence de contrat, le juge peut se reporter à la loi qui, parfois, détermine si l’obligation est de moyens ou de résultat.
    • En matière de mandat, par exemple, l’article 1991 du Code civil dispose que « le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution ».
    • C’est donc une obligation de résultat qui pèse sur le mandataire.
  • Le contrôle de l’exécution
    • L’obligation est de résultat lorsque le débiteur a la pleine maîtrise de l’exécution de la prestation due.
    • Inversement, l’obligation est plutôt de moyens, lorsqu’il existe un aléa quant à l’obtention du résultat promis
    • En pratique, les obligations qui impliquent une action matérielle sur une chose sont plutôt qualifiées de résultat.
    • À l’inverse, le médecin, n’est pas tenu à une obligation de guérir (qui serait une obligation de résultat) mais de soigner (obligation de moyens).
    • La raison en est que le médecin n’a pas l’entière maîtrise de la prestation éminemment complexe qu’il fournit.
  • Rôle actif/passif du créancier
    • L’obligation est de moyens lorsque le créancier joue un rôle actif dans l’exécution de l’obligation qui échoit au débiteur
    • En revanche, l’obligation est plutôt de résultat, si le créancier n’intervient pas

==>Mise en œuvre de la distinction

Le recours à la technique du faisceau d’indices a conduit la jurisprudence à ventiler les principales obligations selon qu’elles sont de moyens ou de résultat.

L’examen de la jurisprudence révèle néanmoins que cette dichotomie entre les obligations de moyens et les obligations de résultat n’est pas toujours aussi marquée.

Il est, en effet, certaines obligations qui peuvent être à cheval sur les deux catégories, la jurisprudence admettant, parfois, que le débiteur d’une obligation de résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve qu’il n’a commis aucune faute.

Pour ces obligations on parle d’obligations de résultat atténué ou d’obligation de moyens renforcée : c’est selon. Trois variétés d’obligations doivent donc, en réalité, être distinguées.

  • Les obligations de résultat
    • Au nombre des obligations de résultat on compte notamment :
      • L’obligation de payer un prix, laquelle se retrouve dans la plupart des contrats (vente, louage d’ouvrage, bail etc.)
      • L’obligation de délivrer la chose en matière de contrat de vente
      • L’obligation de fabriquer la chose convenue dans le contrat de louage d’ouvrage
      • L’obligation de restituer la chose en matière de contrat de dépôt, de gage ou encore de prêt
      • L’obligation de mettre à disposition la chose et d’en assurer la jouissance paisible en matière de contrat de bail
      • L’obligation d’acheminer des marchandises ou des personnes en matière de contrat de transport
      • L’obligation de sécurité lorsqu’elle est attachée au contrat de transport de personnes (V. en ce sens Cass. ch. mixte, 28 nov. 2008, n° 06-12.307).
  • Les obligations de résultat atténuées ou de moyens renforcées
    • Parfois la jurisprudence admet donc que le débiteur d’une obligation de résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité.
    • Pour ce faire, il devra renverser la présomption de responsabilité en démontrant qu’il a exécuté son obligation sans commettre de faute.
    • Tel est le cas pour :
      • L’obligation de conservation de la chose en matière de contrat de dépôt
      • L’obligation qui pèse sur le preneur en matière de louage d’immeuble qui, en application de l’article 1732 du Code civil, « répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute ».
      • L’obligation de réparation qui échoit au garagiste et plus généralement à tout professionnel qui fournit une prestation de réparation de biens (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 2 févr. 1994, n°91-18764).
      • L’obligation qui échoit sur le transporteur, en matière de transport maritime, qui « est responsable de la mort ou des blessures des voyageurs causées par naufrage, abordage, échouement, explosion, incendie ou tout sinistre majeur, sauf preuve, à sa charge, que l’accident n’est imputable ni à sa faute ni à celle de ses préposés » (art. L. 5421-4 du code des transports)
      • L’obligation de conseil que la jurisprudence appréhende parfois en matière de contrats informatiques comme une obligation de moyen renforcée.
  • Les obligations de moyens
    • À l’analyse les obligations de moyens sont surtout présentes, soit dans les contrats qui portent sur la fourniture de prestations intellectuelles, soit lorsque le résultat convenu entre les parties est soumis à un certain aléa
    • Aussi, au nombre des obligations de moyens figurent :
      • L’obligation qui pèse sur le médecin de soigner son patient, qui donc n’a nullement l’obligation de guérir (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 4 janv. 2005, n°03-13.579).
        • Par exception, l’obligation qui échoit au médecin est de résultat lorsqu’il vend à son patient du matériel médical qui est légitimement en droit d’attendre que ce matériel fonctionne (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 23 nov. 2004, n°03-12.146).
        • Il en va de même s’agissant de l’obligation d’information qui pèse sur le médecin, la preuve de l’exécution de cette obligation étant à sa charge et pouvant se faire par tous moyens.
      • L’obligation qui pèse sur la partie qui fournit une prestation intellectuelle, tel que l’expert, l’avocat (réserve faite de la rédaction des actes), l’enseignant,
      • L’obligation qui pèse sur le mandataire qui, en application de l’article 1992 du Code civil « répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion. »
      • L’obligation de surveillance qui pèse sur les structures qui accueillent des enfants ou des majeurs protégés (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 11 mars 1997, n°95-12.891).

==>Sort de la distinction après la réforme du droit des obligations

La lecture de l’ordonnance du 10 février 2016 révèle que la distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat n’a pas été reprise par le législateur, à tout le moins formellement.

Est-ce à dire que cette distinction a été abandonnée, de sorte qu’il n’a désormais plus lieu d’envisager la responsabilité du débiteur selon que le manquement contractuel porte sur une obligation de résultat ou de moyens ?

Pour la doctrine rien n’est joué. Il n’est, en effet, pas à exclure que la Cour de cassation maintienne la distinction en s’appuyant sur les nouveaux articles 1231-1 et 1197 du Code civil, lesquels reprennent respectivement les anciens articles 1147 et 1137.

Pour s’en convaincre il suffit de les comparer :

  • S’agissant des articles 1231-1 et 1147
    • L’ancien article 1147 prévoyait que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
    • Le nouvel article 1231-1 prévoit que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.»
  • S’agissant des articles 1197 et 1137
    • L’ancien article 1137 prévoyait que « l’obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins raisonnables ».
    • Le nouvel article 1197 prévoit que « l’obligation de délivrer la chose emporte obligation de la conserver jusqu’à la délivrance, en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable. »

Une analyse rapide de ces dispositions révèle que, au fond, la contradiction qui existait entre les anciens articles 1137 et 1147 a survécu à la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 et la loi de ratification du 21 avril 2018, de sorte qu’il y a tout lieu de penser que la Cour de cassation ne manquera pas de se saisir de ce constat pour confirmer la jurisprudence antérieure.

  1. François Terré, Philippe Simler, Yves Lequette, Droit civil : les obligations, Dalloz, 2009, coll. « Précis », n°54, p. 64

Qu’est-ce qu’un commerçant?

I) Définition de la qualité de commerçant

Aux termes de l’article L. 121-1 du Code de commerce, « sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle ».

Trois enseignements peuvent être tirés de cette définition du commerçant :

  • Le commerçant tient sa qualité de l’accomplissement d’actes de commerce.
    • C’est donc l’activité commerciale qui confère à son auteur la qualité de commerçant et non l’inverse
  • L’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ne confère nullement à son auteur la qualité de commerçant.
    • Il s’agit seulement d’un mode de preuve de la qualité de commerçant
  • La reconnaissance de la qualité de commerçant suppose la réunion de trois conditions cumulatives:
    • L’accomplissement d’actes de commerce
    • À titre de profession habituelle
    • De manière indépendante

II) Les éléments constitutifs de la qualité de commerçant

A) L’accomplissement d’actes de commerce

  • Principe
    • Seuls les actes de commerce par nature confèrent à leur auteur la qualité de commerçant
  • Exclusion
    • Les actes de commerce par accessoire sont exclus dans la mesure où pour être qualifiés d’actes de commerce, cela suppose que leur auteur revête la qualité de commerçant
    • Les actes de commerce par la forme ne sont pas non plus susceptibles de conférer à leur auteur la qualité de commerçant dans la mesure où ils sont précisément accomplis indépendamment de la qualité de commerçant
      • Ainsi, le fait d’émettre de façon régulière des lettres de change, ne saurait conférer au tireur la qualité de commerçant, nonobstant le caractère commercial de cet acte
  • Exception
    • Par exception, la qualité de commerçant peut être conférée à certaines personnes, indépendamment de l’activité qu’elles exercent
    • Il s’agit :
      • Des sociétés visées à l’article L. 210-1 du Code de commerce auxquelles on confère la qualité de commerçant indépendamment de leur activité, soit :
        • Les sociétés en nom collectif
        • Les sociétés en commandite simple
        • Les sociétés à responsabilité limitée
        • Les sociétés par actions
      • Des associés en nom collectif ( L. 221-1 du Code de commerce)
      • Des associés commandités ( L. 222-1 du Code de commerce)

B) L’accomplissement d’actes de commerce à titre de profession habituelle

  • Principe
    • L’accomplissement isolé d’actes de commerce est insuffisant quant à conférer la qualité de commerçant.
    • Il est nécessaire que celui qui accomplit des actes de commerce par nature se livre à une certaine répétition et qu’il accomplisse lesdits actes dans le cadre de l’exercice d’une profession
  • Conditions
    • L’exigence de répétition
      • Aucun seuil n’a été fixé par la jurisprudence pour déterminer à partir de quand il y a répétition
      • À, ce qui compte, c’est moins le nombre d’actes de commerce accomplis que le dessein de leur auteur[1], soit la spéculation
      • Il en résulte que l’accomplissement d’un seul acte de commerce peut suffire à conférer à son auteur la qualité de commerçant
        • Exemple : l’acquisition d’un fonds de commerce
    • L’exercice d’une profession
      • Pour que l’accomplissement d’actes de commerce de façon répétée confère à leur auteur la qualité de commerçant, encore faut-il que l’exercice de son activité commerciale constitue une profession
      • Par profession, il faut entendre selon le doyen Riper « le fait de consacrer d’une façon principale et habituelle son activité à l’accomplissement d’une tâche dans le dessein d’en tirer profit »
      • Autrement dit, pour que l’activité commerciale constitue une profession, cela suppose que, pour son auteur, elle soit sa principale source de revenus et lui permette d’assurer la pérennité de son entreprise
      • Dès lors, celui qui accomplirait de façon habituelle des actes de commerce sans aucune intention d’en tirer profit, ne saurait se voir conférer la qualité de commerçant ( en ce sens Cass. com., 13 mai 1970 : D. 1970, jurispr. p. 644).
    • Non-exclusivité de l’activité commerciale
      • Il n’est nullement besoin que l’activité commerciale soit exclusive de toute autre activité pour que la qualité de commerçant soit conférée à son auteur
      • L’activité commerciale peut parfaitement se cumuler avec une activité civile

C) L’accomplissement d’actes de commerce de façon indépendante

  • Principe
    • La jurisprudence a posé une troisième condition quant à la reconnaissance de la qualité de commerçant à celui qui accomplit des actes de commerce à titre de profession habituelle ( en ce sens Cass. com., 30 mars 1993: Bull. civ. 1993, IV n° 126, p. 86).
    • Leur auteur doit les accomplir de façon indépendante, soit en son nom et pour son compte.
    • Il en résulte que celui qui accomplit des actes de commerce de façon répété pour le compte d’autrui ne saurait se voir conférer la qualité de commerçant.
  • Notion d’indépendance
    • L’indépendance dont il s’agit est juridique et non économique.
      • Il en résulte que les membres d’un réseau de distribution ou un franchisé peuvent parfaitement être qualifiés de commerçants.
  • Personnes exclues de la qualité de commerçant
    • Les salariés qui agissent pour le compte de leur employeur.
    • Les dirigeants sociaux qui agissent au nom et pour le compte d’une société.
    • Les mandataires, tels que les agents commerciaux qui représentent un commerçant.

III) L’établissement de la qualité de commerçant

A) La présomption de la qualité de commerçant

  • Présomption simple
    • Principe
      • Aux termes de l’article L. 123-7 du Code de commerce « l’immatriculation d’une personne physique emporte présomption de la qualité de commerçant».
      • Ainsi, l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés fait présumer la qualité de commerçant
      • Il s’agit là d’une présomption simple
    • Exception
      • L’article 123-7 du Code de commerce prévoit néanmoins que « cette présomption n’est pas opposable aux tiers et administrations qui apportent la preuve contraire. Les tiers et administrations ne sont pas admis à se prévaloir de la présomption s’ils savaient que la personne immatriculée n’était pas commerçante.»
  • Présomption irréfragable
    • Le commerçant qui cesse son activité doit formuler une demande de radiation du RCS dans les deux mois qui suivent sa cessation d’activité.
    • À défaut, il est irréfragablement présumé commerçant en cas de vente ou de location-gérance de son fonds de commerce ( en ce sens Cass. com., 9 févr. 1971 : D. 1972, jurispr. p. 600, note A. Jauffret)

B) La preuve de la qualité de commerçant

Dans l’hypothèse où aucune immatriculation au registre du commerce et des sociétés n’a été effectuée, la qualité de commerçant se prouve par tous moyens.

Il conviendra de démontrer la satisfaction des conditions exigées à l’article L. 121-1 du Code de commerce.

Parfois, la seule démonstration de l’exploitation d’une entreprise commerciale suffira (V. en ce sens Cass. com., 11 févr. 2004 : JurisData n° 2004-022278)

IV) Distinction entre le commerçant, l’artisan et les professions libérales

  • Artisans / Commerçants
    • S’il n’existe aucune véritable définition juridique des artisans, la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 fait obligation aux personnes qui exercent une activité professionnelle indépendante de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services, à l’exclusion de l’agriculture et de la pêche et qui ont moins de dix salariés de s’immatriculer au répertoire des métiers spécifique aux artisans.
    • Quatre grands secteurs d’activité sont ainsi distingués ( en ce sens : http://www.artisanat.fr/Default.aspx?tabid=292):
      • les métiers de service (cordonnier, esthéticienne, coiffeur, fleuriste, photographe etc.)
      • les métiers de production (menuisier, couturier, ébéniste, tapissier)
      • les métiers du bâtiment (maçon, couvreur, plombier, chauffagiste, électricien etc.)
      • les métiers de l’alimentation (charcutier, chocolatier, boulanger traiteur etc.)
    • Les artisans se distinguent des commerçants en ce qu’ils ne spéculent, ni sur les marchandises qu’ils fournissent, ni sur le travail d’autrui
      • Pour bénéficier du statut d’artisan, cela suppose que le travail effectué soit plus cher que les matériaux fournis au client final.
  • Professions libérales / Commerçants
    • La loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification des démarches administratives prise en son article 29 définit les professions libérales comme « les personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité de nature généralement civile ayant pour objet d’assurer, dans l’intérêt du client ou du public, des prestations principalement intellectuelles, techniques ou de soins mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées et dans le respect de principes éthiques ou d’une déontologie professionnelle, sans préjudice des dispositions législatives applicables aux autres formes de travail indépendant».
    • Les professions libérales se distinguent des commerçants en ce que la prestation qu’ils fournissent est de nature purement intellectuelle.
    • L’idée sous-jacente est que les travaux purement intellectuels ne s’apparentent pas à des marchandises évaluables en argent.
    • La rémunération d’un, avocat, d’un notaire, d’un médecin ou d’un architecte (honoraires) ne correspond donc pas à la valeur réelle du service rendu.
    • Qui plus est, la vocation première d’une profession libérale n’est pas de faire du profit.
    • C’est la raison pour laquelle les professions libérales ne sont pas comptées parmi les commerçants, au point que l’on voit d’un œil suspect leur rapprochement avec toute forme de négoce.

[1] P. Didier, Droit commercial, éd. Economica, 2004, t.1, p. 67.

Qu’est-ce qu’un acte de commerce?

I) L’acte de commerce : objet exclusif du droit commercial ?

 ==> Conception subjective du droit commercial

Sous l’ancien régime, seuls les commerçants étaient autorisés à accomplir des actes de commerce.

Ainsi, le droit commercial était-il attaché à la qualité de commerçant.

Cette conception du droit commercial a néanmoins été remise en cause à la Révolution.

 ==> Conception objective du droit commercial

En proclamant la liberté du commerce et de l’industrie, la loi Le Chapelier des 14 et 15 juin 1791 a aboli les corporations, notamment celles des commerçants.

Quiconque le désirait était dorénavant libre d’accomplir des actes de commerce.

Lors de l’élaboration du Code de commerce de 1807, ses rédacteurs se sont alors demandé si le périmètre du droit commercial ne devait pas être déterminé en considération de la seule nature de l’acte accompli.

Cette conception objective du droit commercial n’a cependant pas obtenu les faveurs de Napoléon qui y était opposé.

Ainsi, le Code de commerce de 1807 prévoyait-il que la compétence des juridictions consulaires serait déterminée « soit par la nature de l’acte sur lequel il y aurait contestation, soit par la qualité de la personne ».

C’est donc une conception dualiste du droit commercial qui, in fine, a été retenue.

==> Conception dualiste du droit commercial

Classiquement on enseigne que le législateur français retient, encore aujourd’hui, une conception dualiste du droit commercial.

Autrement dit, le droit commercial s’attacherait, tant à la personne qui exerce une activité commerciale, le commerçant, qu’aux actes accomplis dans le cadre de l’activité commerciale, les actes de commerce.

Au soutien de cette conception dualiste, il peut être avancé que tous les actes accomplis par les commerçants ne sont pas nécessairement, par nature ou par la forme, des actes de commerce.

Inversement, les actes de commerce, par nature ou par la forme, ne sont pas nécessairement accomplis par des commerçants.

Dans les deux cas de figure pourtant, le droit commercial a vocation à s’appliquer.

Bien que le droit positif soit le produit de la conception dualiste du droit commercial, l’acte de commerce n’en demeure pas moins au centre. Il est, en quelque sorte, son « centre de gravité »[1]

La raison en est que le Code de commerce définit le commerçant à l’article L. 121-1 comme celui qui exerce « des actes de commerce ».

Pour déterminer qui est fondé à se prévaloir de la qualité de commerçant, cela suppose donc inévitablement de se tourner vers la notion d’acte de commerce.

II) Définition de l’acte de commerce

Aucune définition de l’acte de commerce n’a été donnée par le législateur.

Celui-ci s’est contenté de dresser une liste des actes de commerce à l’article L. 110-1 du Code de commerce.

Cette disposition prévoit que :

« La loi répute actes de commerce :

1° Tout achat de biens meubles pour les revendre, soit en nature, soit après les avoir travaillés et mis en oeuvre ;

2° Tout achat de biens immeubles aux fins de les revendre, à moins que l’acquéreur n’ait agi en vue d’édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre en bloc ou par locaux ;

3° Toutes opérations d’intermédiaire pour l’achat, la souscription ou la vente d’immeubles, de fonds de commerce, d’actions ou parts de sociétés immobilières ;

4° Toute entreprise de location de meubles ;

5° Toute entreprise de manufactures, de commission, de transport par terre ou par eau ;

6° Toute entreprise de fournitures, d’agence, bureaux d’affaires, établissements de ventes à l’encan, de spectacles publics ;

7° Toute opération de change, banque, courtage, activité d’émission et de gestion de monnaie électronique et tout service de paiement ;

8° Toutes les opérations de banques publiques ;

9° Toutes obligations entre négociants, marchands et banquiers ;

10° Entre toutes personnes, les lettres de change. »

Trois enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • Non-exhaustivité de la liste édictée à l’article L. 110-1 du Code de commerce
    • Dans la mesure où les règles du droit commercial dérogent au droit commun, il eût été légitime de penser que l’article L. 110-1 du Code de commerce dût être interprété strictement, conformément à l’adage Exceptio est strictissimae interpretationis.
    • Tel n’est cependant pas la position retenue par la Cour de cassation.
      • La haute juridiction n’a de cesse d’étendre le champ d’application du droit commercial, ce bien au-delà de la liste dressée à l’article L. 110-1 du Code de commerce
        • Ainsi, a-t-elle estimé que l’expert en diagnostic immobilier exerçait une activité commerciale (V. en ce sens com., 5 déc. 2006 : JurisData n° 2006-036343 ; Contrats, conc. consom. 2007, comm. 87, obs. L. Leveneur), alors même que cette activité était antérieurement rangée dans la catégorie des professions libérales (Cass. 3e civ., 5 mars 1971 : JCP G 1971, IV, 97).
        • Même solution s’agissant d’un expert exerçant dans le domaine maritime ( com., 21 mars 1995 : JCP G 1995, IV, 1323).
  • Présomption de commercialité
    • L’article L. 110-1 du Code de commerce pose une présomption de commercialité pour les actes qu’il énumère
      • Cela signifie que l’accomplissement d’actes de commerce peut, dans certains cas, ne pas donner lieu à l’application du droit commercial
        • Deux hypothèses peuvent être envisagées:
          • L’acte de commerce a été accompli de façon isolée par une personne non-commerçante exerçant une activité civile
          • L’acte de commerce a été accompli à une fin autre que spéculative
  • La présomption de commercialité est, tantôt simple, tantôt irréfragable selon l’acte visé à l’article L. 110-1 du Code de commerce
    • La présomption de commercialité est simple pour les actes de commerce par nature
    • La présomption de commercialité est irréfragable pour les actes de commerce par la forme
  • Actes de commerce par nature, par la forme, par accessoire
    • Il ressort de l’article L. 110-1 du Code de commerce que les actes de commerce peuvent être rangés dans trois catégories différentes :
      • Les actes de commerce par nature
      • Les actes de commerce par la forme
      • Les actes de commerce par accessoire

III) Classification des actes de commerce

A) Les actes de commerce par nature

  • Caractéristiques
    • Énumération non-exhaustive des actes de commerce par nature à l’article L. 110-1 du Code de commerce.
      • Les actes de commerce par nature sont visés du 1° au 8° de cette disposition.
    • Présomption simple de commercialité des actes de commerce par nature indépendamment de leur forme
      • S’il est établi que l’acte a été accompli de façon isolée par une personne non-commerçante exerçant une activité civile ou à une fin autre que spéculative la présomption de commercialité sera écartée.
      • L’acte sera donc qualifié de civil
    • Les actes de commerce par nature confèrent la qualité de commerçant à celui qui les accomplit de façon habituelle, professionnelle et indépendante.
  • Conditions
    • Pour être qualifié de commercial, l’acte de commerce par nature doit satisfaire deux conditions cumulatives, faute de quoi il encourra une requalification en acte civil, bien que visé à l’article L. 110-1 du Code de commerce :
      • L’acte doit être accompli à une fin spéculative
        • Son auteur doit chercher à réaliser du profit et des bénéfices
        • C’est là un critère de distinction entre les activités commerciales et civiles
      • L’acte doit être accompli de façon répétée
        • L’acte de commerce par nature accomplie à titre isolé, sera systématiquement requalifié en acte civil
  • Détermination des actes de commerce par nature
  • Actes d’achat de meubles en vue de la revente ( 110-1, 1°)
    • Exclusion :
      • de l’activité agricole qui est réputée civile, conformément à l’article L. 311-1 al. 1er du Code rural
      • des activités intellectuelles (professions libérales, enseignement etc.)
      • des activités d’extraction de matières premières
        • Exception: l’article L. 23 du Code minier prévoit que « l’exploitation de mine est considérée comme un acte de commerce »
  • Actes d’achat d’immeubles en vue de la revente ( 110-1, 2°)
    • Exclusion :
      • Achat d’immeuble en vue de la revente si l’acquéreur a « agi en vue d’édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre en bloc ou par locaux»
  • Les opérations d’intermédiaire ( 110-1, 3°)
    • Intermédiaires visés :
      • Les courtiers
      • Les commissionnaires
      • Les agents d’affaire
      • Les agents commerciaux
    • Intermédiaires exclus :
      • Les mandataires
  • L’entreprise de location de meubles ( 110-1, 4°)
  • L’entreprise de ( 110-1, 5°) :
    • Manufacture
      • Par entreprise de manufacture, il faut entendre l’activité de transformation
    • Transports
    • Vente à l’encan
      • Il s’agit des ventes aux enchères – dont les commissaires-priseurs ont perdu le monopole – dans un lieu autre qu’une salle publique
  • L’entreprise de fournitures ( 110-1, 6°)
    • De biens
    • De services
    • De loisirs
      • Spectacles
      • Agences de voyages
      • Hôtellerie
  • Les opérations financières ( 110-1, 7 et 8°)
    • Opérations de banque
    • Opérations de change
    • Opérations de courtage
    • Opérations d’émission et de gestion de monnaie électronique
    • Opérations de bourse
    • L’assurance

B) Les actes de commerce par la forme

  • Caractéristiques
    • Énumération exhaustive des actes de commerce par nature aux articles L. 110-1, 10° et L. 210-1 du Code de commerce
    • Présomption irréfragable de commercialité des actes de commerce par la forme
    • Les actes de commerce par la forme ne confèrent jamais la qualité de commerçant à celui qui les accomplit
      • Ils sont soumis au droit commercial, aussi bien lorsqu’ils sont accomplis professionnellement par un commerçant, que lorsqu’ils sont accomplis à titre isolé par un non-commerçant
  • Détermination des actes de commerce par la forme
    • Il existe seulement deux types d’actes de commerce par la forme :
      • La lettre de change (article L. 110-1, 10° du Code de commerce)
        • La lettre de change se définit comme l’écrit par lequel une personne appelée tireur, donne l’ordre à une deuxième personne, appelée tiré, de payer à une troisième personne, appelée porteur ou bénéficiaire, de payer à une certaine échéance une somme déterminée.
        • Contrairement à la lettre de change, le chèque n’est assujetti au droit commercial que si l’opération à laquelle il est rattaché est commerciale
      • Les sociétés commerciales (article L. 210-1 du Code de commerce)
        • Si une société s’apparente certes à une personne morale, elle n’en est pas moins un acte juridique, en ce sens qu’elle naît de la conclusion d’un contrat conclu entre un ou plusieurs associés.
        • Il s’agit donc bien d’un acte juridique
        • Toutefois, seules les sociétés visées à l’article L. 210-1 du Code de commerce sont soumises au droit commercial, à savoir :
          • les sociétés en nom collectif
          • les sociétés en commandite simple
          • les sociétés à responsabilité limitée
          • les sociétés par actions
        • Tempéraments :
          • Le droit des entreprises en difficulté a vocation à s’appliquer à toutes les personnes morales, sans distinctions
          • Compétence des juridictions civiles pour l’acquisition ou le transfert de la propriété commerciale
          • La cession de droits sociaux demeure une opération civile, sauf s’il s’agit d’un transfert de contrôle
          • Compétence des juridictions civiles pour les sociétés d’exercice libérale commerciales par la forme
          • Les sociétés commerciales par la forme dont l’objet est civil sont exclues du bénéfice de la propriété commerciale (fonds de commerce)
        • Exception :
          • Peuvent être qualifiées de commerciales, les sociétés civiles exerçant une activité commerciale

C) Les actes de commerce par accessoire

  • Principe
    • Selon l’adage latin Accessorium sequitur principal, devenu principe général du droit, l’accessoire suit le principal
    • Cela signifie que l’on va regrouper différents actes ou faits juridiques autour d’un principal en leur appliquant à tous les régimes juridiques applicables à l’élément prépondérant.
  • Fondement juridique
    • La jurisprudence fonde la théorie de l’accessoire sur trois principaux textes :
      • L’article L. 110-1, al. 9 du Code de commerce prévoit que
        • « la loi répute actes de commerce […] toutes obligations entre négociants, marchands et banquiers»
      • L’article L. 721-3 du Code de commerce dispose quant à lui que
        • « les tribunaux de commerce connaissent […] des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux»
      • L’article L. 721-6 du Code de commerce prévoit enfin que
        • « ne sont pas de la compétence des tribunaux de commerce les actions intentées contre un propriétaire, cultivateur ou vigneron, pour vente de denrées provenant de son cru, ni les actions intentées contre un commerçant, pour paiement de denrées et marchandises achetées pour son usage particulier. »
  • Domaine d’application de la théorie de l’accessoire
    • La théorie de l’accessoire a vocation à s’appliquer dans deux cas :
      • Les actes de commerce subjectifs accessoires
        • Principe
          • L’acte civil peut devenir commercial en raison de la qualité de la personne
        • Conditions (cumulatives) :
          • L’auteur de l’acte doit être commerçant
          • L’acte doit être accompli dans le cadre de l’activité commerciale
      • Les actes de commerce objectifs accessoires
        • Principe
          • L’acte civil devient commercial car il se rattache à une opération commerciale principale
        • Conditions (cumulatives)
          • L’auteur de l’acte doit être non-commerçant
            • Dans le cas contraire, il s’agirait d’un acte subjectif accessoire
          • L’élément principal peut être
            • Soit un objet commercial
              • Actes portant sur un fonds de commerce
              • Actes portant sur l’organisation d’une société commerciale
                • Souscription de parts sociales, lorsque les souscripteurs ne sont pas encore associés
                • Action en responsabilité contre les dirigeants sociaux
                • Cession de parts sociales lorsque l’opération emporte un transfert de contrôle de la société
            • Soit une opération commerciale
              • Le billet à ordre et le chèque empruntent le caractère commercial de la dette au titre de laquelle ils ont été émis
              • Le gage emprunte à la dette qu’il garantit son caractère commercial
              • Le cautionnement peut emprunter à la dette qu’il garantit son caractère commercial s’il a été souscrit dans un but intéressé
  • Effets secondaires de la théorie de l’accessoire :
    • Principe
      • L’application de la théorie de l’accessoire est susceptible de produire l’effet inverse de celui recherché en droit commercial
      • Autrement dit, un acte commercial visé à l’article L. 110-1 du Code de commerce peut être qualifié d’acte civil par accessoire, s’il se rattache à une opération civile principale
      • Tel est le cas pour les actes de commerce par nature qui seraient accomplis par un non-commerçant dans le cadre de l’exercice de son activité civile
    • Conditions (cumulatives)
      • L’auteur de l’acte doit être non-commerçant
      • L’acte concerné doit être accompli de façon isolée, faute de quoi il conserverait son caractère commercial

[1] Dekeuwer-Défossez et E. Blary-Clément, Droit commercial : activités commerciales, commerçants, fonds de commerce, concurrence, consommation, éd. Montchrestien, coll. « Domat », 9e éd. 2007, p. 29

Conflits de mobilisation de créances: Cessionnaire Dailly – Sous-traitant – Clause de réserve de propriété

(SUITE)

C) Conflit opposant le cessionnaire Dailly à sous-traitant exerçant une action directe

Schéma 15

Aux termes de l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975, modifiée par la loi du 10 juin 1994

« Le sous-traitant a une action directe contre le maître de l’ouvrage si l’entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance ; copie de cette mise en demeure est adressée au maître de l’ouvrage »

Ainsi, dans l’hypothèse, où l’entrepreneur principal ne règle pas les factures qui lui sont présentées par son sous-traitant, celui-ci dispose d’un recours contre le maître d’ouvrage.

Que faire, néanmoins, dans l’hypothèse où Maître d’ouvrage a cédé la créance qu’il détient contre le maître d’ouvrage à un établissement bancaire ?

Le sous-traitant n’est, en effet, fondé à exercer une action directe contre le maître d’ouvrage qu’à la condition que l’entrepreneur principal soit créancier de ce dernier.

Dans le cas contraire, le sous-traitant ne devrait, a priori, disposer d’aucun recours.

Dans l’hypothèse où l’entrepreneur principal a cédé la créance qu’il détient contre le maître d’ouvrage, le sous-traitant se retrouve dès lors en conflit avec le cessionnaire.

Comment résoudre ce conflit ?

Plusieurs cas de figure peuvent se présenter :

  • La cession Dailly est notifiée avant l’exercice de l’action directe
  • La cession Dailly intervient avant l’exercice de l’action directe
  • La cession Dailly est acceptée avant l’exercice de l’action directe
  • L’action directe du sous-traitant est concurrencée par les droits du porteur d’un effet de commerce
  1. La cession Dailly est notifiée avant l’exercice de l’action directe

FICHE D’ARRÊT

Com. 22 nov. 1988, Bull. civ. IV, no 317

Faits :

  • Livraison de marchandises par la Société Fenwick à la Société Littorale
  • Cession de la créance de prix par la Société Fenwick au Crédit Lyonnais
  • Notification de la banque au débiteur cédé le 12 décembre 1984
  • La société Exocat, sous-traitant de la société Fenwick, cédant, n’est pas réglée de sa facture
  • Elle adresse alors une mise en demeure à la société La Littorale, Maître d’ouvrage

Schéma 16

Demande :

Assignation en paiement par le sous-traitant de la Société La Littorale, Maître d’ouvrage, laquelle a appelé à l’instance la banque cessionnaire et la société Fenwick, entrepreneur principal

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 24 avril 1986, la Cour d’appel de Montpellier accède à la requête de la société sous-traitante

Motivation des juges du fond:

  • Pour les juges du fond, au titre de l’article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975, l’entrepreneur principal ne peut céder les créances résultant du marché conclu avec le maître d’ouvrage qu’à concurrence des sommes dues au titre des travaux qu’il effectue personnellement.
  • Interdiction était faite à l’entrepreneur principal, le cédant de céder à une banque cessionnaire la créance relative à la partie du marché sous-traité
  • La cession Dailly réalisée ainsi en violation de la loi de 1975 était donc inopposable au sous-traitant

Moyens des parties :

  • L’entrepreneur principal est en droit de céder sa créance tant que le sous-traitant n’a pas exercé son action directe.
  • Or la notification de la cession a été effectuée avant que ladite action soit exercée par le sous-traitant.
  • La cession lui était donc parfaitement opposable au sous-traitant.

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était de savoir si le sous-traitant était fondé à revendiquer la titularité de la créance qu’il détenait contre le maître d’ouvrage, alors même que la créance détenue contre ce dernier par l’entrepreneur principal a été cédée et notifiée antérieurement à un établissement bancaire par voie de bordereau Dailly.

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’établissement cessionnaire

Sens de l’arrêt:

  • La Cour de cassation estime que dans la mesure où l’entrepreneur principal ne pouvait pas céder la partie de la créance qu’il détenait contre le maître d’ouvrage correspondant à la fraction du marché sous-traité, la cession était inopposable au banquier cessionnaire, quand bien même ladite cession a été notifiée avant l’exercice de l’action directe.
  • Ainsi, pour la Cour de cassation peu importe la date de naissance de l’action directe du sous-traitant.
  • Le conflit doit être réglé à l’aune de l’interdiction posée à l’article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975
  • Ainsi, la Cour de cassation déroge-t-elle ici au principe Prior tempore potior jure

La solution est-elle la même dans l’hypothèse où la cession est intervenue avant la conclusion du contrat de sous-traitance ?

2. La cession Dailly intervient avant l’exercice de l’action directe

FICHE D’ARRÊT

Com. 26 avril 1994, Bull. civ. IV, no 152

Faits :

Schéma 17

À la différence du litige précédemment étudié, la cession Dailly est intervenue antérieurement à la conclusion du contrat de sous-traitance

Demande :

À la suite du défaut de paiement de la société Merifer, entrepreneur principal, faisant l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, une action directe est exercée par le sous-traitant à l’encontre de la société Sollac, Maître d’ouvrage

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 26 février 1992, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence accueille l’action directe exercée par le sous-traitant contre le maître d’ouvrage

Motivation des juges du fond:

  • Les juges du fond estiment que la cession de créance effectuée par l’entrepreneur principal était subordonnée à la souscription, par ce dernier, d’un cautionnement, dans la mesure où il envisageait de sous-traiter, par la suite, la fraction du marché obtenu correspondant à la créance cédée
  • Pour la Cour d’appel, quand bien même le contrat de sous-traitance est conclu postérieurement à la cession, le principe de prohibition des cessions de créances résultant du contrat passé avec le maître de l’ouvrage s’applique, sauf à ce que l’entrepreneur principal ait souscrit une garantie à la faveur du sous-traitant, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Moyens des parties :

  • Le banquier cessionnaire soutient que la cession est parfaitement opposable au sous-traitant dans la mesure où elle a été effectuée antérieurement à la conclusion du contrat de sous-traitance
  • Pour lui la cession n’était donc aucunement visée par l’article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 lorsqu’elle a été effectuée

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était de savoir si une cession effectuée par voie de bordereau Dailly par un entrepreneur principal au profit d’un établissement bancaire antérieurement à la conclusion d’un contrat de sous-traitance, est susceptible de faire échec à l’exercice de l’action directe dont dispose le sous-traitant contre le maître d’ouvrage

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le banquier cessionnaire sur la première branche du moyen
  • Elle casse et annule l’arrêt d’appel s’agissant de la deuxième branche du moyen

Sens de l’arrêt:

Sur la première branche du moyen :

La Cour de cassation estime que, en l’espèce, que, quand bien même la cession est antérieure à la conclusion du contrat de sous-traitance, l’article 13-1 de la loi de 1975 a vocation à s’appliquer

Autrement dit, la cession est inopposable au sous-traitant qui est fondé à exercer une action directe contre le Maître d’ouvrage.

Pourquoi cette solution ?

Il convient de se tourner vers l’article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 qui prévoit que :

« L’entrepreneur principal ne peut céder ou nantir les créances résultant du marché ou du contrat passé avec le maître de l’ouvrage qu’à concurrence des sommes qui lui sont dues au titre des travaux qu’il effectue personnellement.

Il peut, toutefois, céder ou nantir l’intégralité de ces créances sous réserve d’obtenir, préalablement et par écrit, le cautionnement personnel et solidaire visé à l’article 14 de la présente loi, vis-à-vis des sous-traitants. »

À l’examen, il apparaît que cette disposition pose un principe, assorti d’une exception :

  • Le principe
    • Il est interdit pour l’entrepreneur principal de céder les créances qui correspondent à la partie du marché conclu avec le maître d’ouvrage qu’il entend sous-traiter.
  • Exception
    • L’entrepreneur principal peut céder les créances qui correspondent à la partie du marché conclu avec le maître d’ouvrage qu’il entend sous-traiter à la condition qu’il souscrive une garantie à la faveur du sous-traitant.

D’où la solution adoptée par la Cour de cassation !

En l’espèce, l’entrepreneur principal n’avait souscrit aucune garantie à la faveur du sous-traitant.

Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle estimé que, quand bien même la cession est intervenue antérieurement à la conclusion du contrat de sous-traitance, elle n’était pas opposable au sous-traitant.

Sur la deuxième branche du moyen :

La Cour de cassation estime, contrairement à la Cour d’appel, que l’absence de souscription par le cédant d’une garantie n’affecte pas la validité de la cession !

Trois arguments justifient cette solution :

  • La souscription d’une garantie par le cédant n’est nullement une condition de validité de la cession par voie de bordereau Dailly
    • En décidant du contraire, la Cour d’appel a donc ajouté au texte.
  • Si la cession est nulle, alors retour au statu quo des parties
    • La conséquence en est que le cédant doit restituer au cessionnaire le prix de la cession, ce qui revient à produire le résultat inverse de celui voulu par la Cour de cassation !
  • Si la cession n’est pas nulle, cela va permettre au cessionnaire, dans l’hypothèse où le montant de la créance cédée est supérieur au montant dû au sous-traitant, de revendiquer le surplus

La solution retenue en l’espèce serait-elle la même en cas d’acceptation de la cession par le débiteur cédé ?

 

3. La cession Dailly est acceptée avant l’exercice de l’action directe

Pour mémoire, en cas d’acceptation de la cession par le débiteur cédé, le cessionnaire Dailly peut se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions.

Dans ces conditions, l’établissement cessionnaire sera parfaitement fondé à opposer la cession au sous-traitant, à supposer que l’acceptation soit antérieure à l’exercice de l’action directe.

Toutefois, en cas de recours du sous-traitant, l’établissement de crédit sera tenu de restituer la somme reçue.

À la différence de l’acceptation d’un effet de commerce, l’acceptation d’une cession Dailly  ne fait pas naître un engagement autonome.

L’établissement de crédit cessionnaire est ainsi dans une position moins favorable que le porteur d’une lettre de change qui l’emportera sur le sous-traitant dès lors que la provision est immobilisée à son profit avant l’exercice de l’action directe

4. L’action directe du sous-traitant est concurrencée par les droits du porteur d’un effet de commerce

FICHE D’ARRÊT

Com. 18 nov. 1997, Bull. civ. IV, no 295 (arrêt Worms)

Faits:

  • La société Germain, entrepreneur principal, cède par voie de bordereau Dailly une fraction de la créance correspondant au marché sous-traité à la société Samco
  • Cession de l’autre fraction de la créance correspondant au marché sous-traité par tirage d’une lettre de change endossé au profit d’un cessionnaire
  • Paiement du débiteur cédé entre les mains du porteur de la traite, la banque Worms

Schéma 18

Demande :

Action directe exercée par le sous-traitant contre le Maître d’ouvrage en raison du défaut de paiement de l’entrepreneur principal

Le sous-traitant réclame ensuite à la banque les sommes versées entre ses mains en paiement de la lettre de change

Procédure :

  • Dans un arrêt du 9 août 1995, la Cour d’appel accueille favorablement la demande du sous-traitant
  • Les juges du fond estiment que conformément à l’article 13-1 de la loi de 1975, l’entrepreneur principal avait interdiction de céder la fraction de la créance correspondant au prix du marché sous-traité, ce sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que la cession a été effectuée par bordereau Dailly ou par le tirage d’une lettre de change
  • Ainsi, pour la Cour d’appel les deux cessions litigieuses étaient inopposables au sous-traitant

Solution :

La Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel.

Elle estime en effet que « l’inopposabilité de la transmission de créance énoncée par l’article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 ne s’applique pas aux endossements d’effets de commerce acceptés par le tiré, ou payés par lui »

Ainsi pour la Cour de cassation, le tirage d’une lettre de change ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 13-1 de la loi de 1975.

Le paiement de la lettre de change dont était porteur le cessionnaire était donc bien opposable au sous-traitant.

Le droit cambiaire prime donc en l’espèce sur l’exercice de l’action directe du sous-traitant.

D) Conflit opposant le cessionnaire au créancier bénéficiaire d’une réserve de propriété

 Schéma 19

Il est des cas où le vendeur bénéficiaire d’une clause de propriété est fondé à revendiquer la créance de prix du bien revendu par son débiteur qui ne l’a pas réglé, par le biais du mécanisme de la subrogation réelle.

Toutefois, il se peut que cette créance de prix de revente ait été cédée par voie de bordereau Dailly à un établissement bancaire

Dès lors, comment résoudre ce conflit ?

FICHE D’ARRÊT

 Com. 20 juin 1989, Bull. civ. IV, no 197

Faits :

  • Suite à la procédure collective ouverte à l’encontre d’une société, défaut de paiement de marchandises acquises auprès d’un fournisseur
  • Avant l’ouverture de la procédure collective, le débiteur a revendu une partie du matériel informatique à un sous-acquéreur et a cédé, en parallèle, la créance de prix de revente à une banque par voie de bordereau Dailly
  • Le vendeur se prévaut alors de la clause de réserve de propriété afin de faire échec aux droits du cessionnaire

 Schéma 20

Demande :

Action en paiement du cessionnaire, la BNP, contre le sous-acquéreur du matériel informatique qui lui avait été revendu par le cédant, acquéreur initial du matériel.

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 3 février 1988, la Cour d’appel de Paris déboute le cessionnaire de sa demande et fait droit à la revendication du vendeur de matériel informatique

 Motivation des juges du fond:

  • Les juges du fond relèvent que le vendeur de matériel informatique est devenu titulaire de la créance du prix de revente par le jeu du mécanisme de la subrogation réelle.
  • Or cette subrogation réelle a eu lieu dès la revente du bien de sorte que la créance invoquée par le vendeur initial est antérieure au droit de créance dont se prévaut le cessionnaire

Moyens des parties :

  • Le vendeur de marchandises grevées d’une clause de réserve propriété n’est pas fondé à revendiquer lesdites marchandises dès lors qu’une procédure collective est ouverte à l’encontre du débiteur
    • L’argument est-il convaincant ?
    • Clairement pas, dans la mesure où l’article 624-18 du Code de commerce prévoit tout l’inverse !
      • « Peut-être revendiqué le prix ou la partie du prix des biens visés à l’article L. 624-16 qui n’a été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé entre le débiteur et l’acheteur à la date du jugement ouvrant la procédure. Peut-être revendiquée dans les mêmes conditions l’indemnité d’assurance subrogée au bien».
  • Quand bien même il serait fondé à exercer son droit à revendiquer la créance de prix du bien revendu auprès du liquidateur, ladite créance n’existe plus dans le patrimoine du débiteur puisqu’elle a été préalablement cédée par voie de bordereau Dailly au banquier
    • Dès lors le vendeur initial ne pouvait pas revendiquer la titularité d’une créance qui était d’ores et déjà sortie du patrimoine du débiteur

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était donc de savoir qui, dans l’hypothèse où des marchandises grevées par une clause de réserve de propriété ont été revendues par un acquéreur faisant l’objet d’une procédure collective, du vendeur initiale des marchandises ou du banquier cessionnaire de la créance du prix de revente par bordereau Dailly est fondé à se prévaloir de la titularité de ladite créance ?

Solution de la Cour de cassation :

 Dispositif de l’arrêt:

  • Par un arrêt du 20 juin 1989, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la banque cessionnaire

Sens de l’arrêt:

  • Pour la Cour de cassation, le mécanisme de subrogation réelle intervient, non pas lorsque l’action en revendication est exercée par le vendeur initial, soit après l’ouverture de la procédure collective, mais concomitamment à la revente du bien.
  • Ainsi, pour la Cour de cassation, le vendeur initial est devenu titulaire de la créance du prix de revente antérieurement à la cession de ladite créance par voie de bordereau Dailly, ce quand bien même cette cession est intervenue dans un temps très proche
  • La Cour de cassation fait ici application de la règle « prior tempore, potior jure » !
  • Autrement dit, la Cour de cassation revient au droit commun et estime que la cession par voie de bordereau Dailly n’accorde aucun privilège particulier au cessionnaire

Comment cette solution se justifie-t-elle ?

En l’espèce, dans la mesure où la subrogation réelle opère au moment même de la revente du bien, la créance du prix de revente sort immédiatement du patrimoine du débiteur pour aller dans celui du vendeur initial

La cession Dailly est donc privée de cause, puisque le débiteur a cédé une créance dont il n’était plus titulaire.

La solution serait-elle la même dans l’hypothèse où le prix de revente des marchandises a été réglé par les sous-acquéreurs ?

FICHE D’ARRÊT

Com. 11 déc. 1990, Bull. civ. IV, no 322

 Faits :

  • Placement en liquidation judiciaire d’une société
  • Avant l’ouverture de la procédure collective, revente de marchandises par le débiteur à un sous-acquéreur
  • Le débiteur est, par suite, réglé du prix des marchandises revendues par une société d’affacturage dont il était adhérent
  • La société d’affacturage est alors subrogée dans les droits du débiteur par le jeu du mécanisme de la subrogation personnelle
  • Le vendeur initial des marchandises revendique néanmoins la titularité de la créance de prix de revente en invoquant le jeu de la subrogation réelle
  • Pour résumer, nous nous trouvons, en l’espèce, en présence d’un conflit qui met aux prises deux mécanismes juridiques différents que sont :
    • La subrogation personnelle au titre de laquelle la société d’affacturage a été investie de la titularité de la créance de prix de revente
    • La subrogation réelle au titre de laquelle le vendeur initiale revendique la titularité de la créance du prix de revente

 Schéma 22

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 12 mai 1989, la Cour d’appel d’Angers déboute le vendeur initial bénéficiaire de la clause de réserve de propriété de sa demande

Motivation des juges du fond:

  • Pour les juges du fond, la cession par le débiteur de sa créance de prix à un tiers faisait obstacle à l’action en revendication du vendeur initial
  • Pour la Cour d’appel, en effet, la clause de réserve de propriété de propriété était inopposable au subrogeant.

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était de savoir qui du vendeur initial ou de la société subrogé dans les droits du débiteur était fondé à revendiquer la titularité de la créance de prix de revente de marchandises dont le paiement a été effectué par le sous-acquéreur

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • Par un arrêt du 11 décembre 1990, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le vendeur initial

Sens de l’arrêt:

  • Pour mémoire, la Cour d’appel justifie le rejet de la demande du vendeur initial en considérant que la cession de la créance de prix de revente à l’affactureur faisait obstacle à l’action en revendication exercée par le vendeur initial
  • La Cour de cassation conteste formellement cette justification
  • Certes, le vendeur ne pouvait plus revendiquer le prix de revente des marchandises mais pour une autre raison.
  • En effet, pour la Cour de cassation, le vendeur initial ne pouvait plus exercer son action en revendication « dès lors qu’au jour de l’exercice de la revendication, le prix de revente des marchandises avait été payé par les sous-acquéreurs entre les mains du tiers subrogé dans les droits de la Fonderie»
  • En substance, la Cour de cassation estime que le jeu de la subrogation réelle est anéanti par le paiement pas le sous-acquéreur du prix de revente des marchandises
  • Pour comprendre le raisonnement de la Cour de cassation il convient de se remémorer en quoi consiste le mécanisme de la subrogation réelle.
  • La subrogation réelle consiste à remplacer une chose par une autre
    • En l’espèce, on substitue aux marchandises vendues, la créance de prix de revente !
  • Pourquoi la Cour de cassation estime-t-elle que l’application du jeu de la subrogation réelle doit être écartée en l’espèce ?
  • La Cour de cassation tient le raisonnement suivant :
    • Pour la haute juridiction, si le sous-acquéreur s’acquitte du prix de revente des marchandises, la subrogation ne peut plus opérer, car la créance est éteinte !
    • La subrogation réelle n’a dès lors plus d’objet.
    • Car, comment envisager que le vendeur initial puisse revendiquer quelque chose qui n’existe plus ?
    • Ce quelque chose qui n’existe plus n’est autre qu’une créance éteinte !
    • Si donc la créance de prix de revente est éteinte, le jeu de la subrogation réelle ne peut plus opérer.
  • C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation estime que le vendeur initial n’est pas fondé à revendiquer la titularité de la créance de prix de revente
  • En conséquence, seul le subrogé peut se prévaloir de la titularité de cette créance, alors même que le vendeur initial bénéficiait d’une clause de réserve de propriété
  • Si cette solution apparaît manifestement sévère pour le vendeur initial qui bénéficiait d’une clause de réserve de propriété, elle se justifie pleinement sur le plan du droit.

Conflits de mobilisation de créances: Cessionnaire Dailly – Banquier réceptionnaire – Créancier saisissant

(SUITE)

II) Les conflits qui opposent un cessionnaire à des titulaires de droits concurrents

Les droits du cessionnaire Dailly peuvent être concurrencés par les droits dont sont susceptibles de se prévaloir les créanciers du cédant ou du débiteur cédé.

Plusieurs situations peuvent se présenter :

  • Le cessionnaire peut ainsi être concurrencé par le banquier réceptionnaire qui serait titulaire d’une créance contre le cédant.
  • Le cessionnaire peut encore être en concours avec un créancier du cédant procédant à la saisie de la créance concomitamment cédée par voir de bordereau Dailly
  • Le cessionnaire peut se heurter aux droits reconnus à un sous-traitant exerçant une action directe contre le débiteur cédé en sa qualité de maître d’ouvrage
  • Les droits du cessionnaire peuvent enfin encore entrer en conflit avec ceux reconnus au vendeur qui bénéficie d’une clause de réserve de propriété revendiquant, alors, la créance de prix de revente des marchandises.

A) Conflit opposant le cessionnaire Dailly au banquier réceptionnaire

Le banquier cessionnaire peut se trouver en conflit avec un établissement bancaire qui a reçu du débiteur cédé le paiement de la créance cédée.

Ce cas de figure se rencontre lorsque le cédant n’a pas orienté les paiements vers l’établissement bancaire auquel il a cédé ses créances.

En effet, il se peut que le débiteur cédé croie le cédant encore titulaire de la créance.

En parallèle, le banquier réceptionnaire est créancier du cédant :

  • Soit parce qu’il a dépassé son autorisation de découvert
  • Soit parce que le prêt qui lui a été consenti a fait l’objet d’une déchéance de terme (mensualités impayées)

Schéma 11

Le banquier cessionnaire est-il fondé à exercer un recours en paiement contre le banquier réceptionnaire des fonds « mal orientés »?

Au soutien de sa demande, le cessionnaire Dailly peut faire valoir que :

  • D’une part, il est seul titulaire de la créance cédée
  • D’autre part, la cession Dailly est opposable erga omnes
    • Pour mémoire, aux termes de l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier, la cession Dailly « devient opposable aux tiers à la date portée sur le bordereau»

À l’inverse, le banquier réceptionnaire ne peut justifier d’aucun droit sur les sommes reçues en paiement.

Cette analyse a-t-elle convaincu la jurisprudence ?

FICHE D’ARRÊT

Com. 12 oct. 1993, Bull. civ. IV, no 328

Faits :

  • La Société Labrechoire a cédé à la Banque populaire, par bordereau Dailly, une créance qu’elle détenait sur l’un de ses clients
  • Pour s’acquitter de sa dette, ledit client règle néanmoins entre les mains de la banque du cédant, la BNP
  • Ouverture d’une procédure collective à l’encontre du cédant
  • Le banquier réceptionnaire des fonds refuse de les restituer au cessionnaire Dailly, arguant que ces fonds les fonds doivent servir à couvrir la créance qu’il détient contre son client, le cédant.

Schéma 12

Demande :

 Action de la banque cessionnaire contre le banquier réceptionnaire, la BNP

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 5 avril 1991, la Cour d’appel de Paris accède à la requête de la banque cessionnaire et condamne le banquier réceptionnaire à restituer les fonds versés, à tort, par le débiteur cédé

Motivation des juges du fond:

  • Les juges du fond estiment que dans la mesure où la cession Dailly est opposable aux tiers à compter de la date apposée sur le bordereau, le banquier cessionnaire était bel et bien fondé à réclamer les sommes indument versées par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire
  • En l’espèce les juges du fond relèvent que la date qui figurait sur le bordereau était antérieure à l’ouverture de la procédure collective

Moyens des parties :

Premier argument :

  • Si la cession Dailly est bien opposable aux tiers à compter de la date figurant sur le bordereau, ne peuvent être considérés comme des tiers que ceux qui se disputent la titularité de la créance
    • Or en l’espèce, le banquier réceptionnaire ne disputait pas la titularité de la créance revendiqué par le banquier cessionnaire
    • Le banquier réceptionnaire faisait simplement valoir une autre créance

Deuxième argument :

  • La cession Dailly invoquée par le cessionnaire n’a pas été notifiée au débiteur cédé de sorte que le cédant restait mandataire quant à recouvrer les sommes dues au titre de la créance cédée
  • Le banquier réceptionnaire était donc bien fondé à recevoir les fonds versés par le débiteur cédé

Troisième argument :

  • Les fonds versés sont des choses fongibles. Ils sont donc insusceptibles de faire l’objet d’une revendication.

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce, était de savoir si le banquier cessionnaire était fondé à réclamer la restitution des fonds versée indument par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire.

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le banquier réceptionnaire

Sens de l’arrêt:

  • La Cour de cassation adopte sensiblement le même raisonnement que celui développé par les juges du fond :
    • La cession Dailly transfère au cessionnaire la titularité de la créance dès l’apposition de la date sur le bordereau
    • La cession est alors opposable erga omnes, de sorte que le banquier cessionnaire était donc bien fondé à réclamer les fonds indûment versés par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire

Valeur de l’arrêt

A priori, cette solution est conforme à l’esprit à la loi du 2 janvier 1981.

Sur le plan pratique, cette solution présente deux inconvénients majeurs :

  • D’une part, elle est source d’insécurité juridique puisque d’autres paiements, réalisés par le cédant sont susceptibles d’être remis en cause !
    • Le banquier réceptionnaire croit que le compte de son client est provisionné car reçoit des fonds du débiteur cédé et donc valide les paiements effectués par son client
  • D’autre part, cette solution oblige le banquier réceptionnaire à rechercher l’existence d’une cession « Dailly », ce qui n’est pas facile, en l’absence de publicité de l’opération.

Sur le plan juridique, cette solution n’est pas non plus à l’abri des critiques.

Le banquier réceptionnaire faisait valoir, à juste titre, dans son pourvoi qu’il ne pouvait pas être considéré comme un TIERS à la cession Dailly au sens de la loi du 2 janvier 1981.

Il est, en effet, possible de faire valoir que l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier, a simplement vocation à régler un conflit entre deux personnes qui revendiquent un droit sur la créance cédée.

Or tel n’est pas le cas de figure en l’espèce.

Le banquier réceptionnaire ne dispute en rien au banquier cessionnaire la titularité de la créance dont il se prévaut.

Par ailleurs, il peut être observé que, en versant les fonds au banquier réceptionnaire, le débiteur cédé a valablement éteint sa dette.

Son règlement auprès du banquier réceptionnaire est libératoire puisque la cession ne lui avait pas été notifiée.

Aussi, dans la mesure où la créance est éteinte le banquier réceptionnaire ne peut raisonnablement pas être considéré comme un tiers au sens de la loi du 2 janvier 1981.

La cession Dailly dont se prévaut l’établissement cessionnaire ne peut donc pas être opposable au banquier réceptionnaire.

La Cour de cassation a-t-elle maintenu sa solution par la suite ?

FICHE D’ARRÊT

Com. 4 juill. 1995, Bull. civ. IV, no 203

Faits :

  • La société MAT cède plusieurs créances par bordereau Dailly qu’elle détient sur :
    • le CHU Bichat
    • l’INA
    • la Marine nationale
  • Cette cession est réalisée au profit d’une banque, la SDBO
  • Ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre du cédant

Schéma 13

Demande :

Le banquier cessionnaire réclame auprès du banquier réceptionnaire la restitution du montant des sommes versées par les trois débiteurs cédés

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 20 novembre 1992, la Cour d’appel de Paris accueille favorablement la demande du banquier cessionnaire et condamne le banquier réceptionnaire à lui restituer les fonds versés par les trois débiteurs cédés

Motivation des juges du fond:

  • La motivation avancée dans cet arrêt par les juges ressemble ici très étroitement à celle développée dans l’arrêt de la Cour de cassation rendu en date du 12 octobre 1993
  • Les juges du fond estiment la cession Dailly est opposable aux tiers à compter de la date figurant sur le bordereau
  • Dès lors, le banquier réceptionnaire n’était pas fondé à opposer au banquier cessionnaire
    • le principe d’indivisibilité du compte courant
    • L’impossible revendication des choses fongibles

Problème de droit :

Là encore, la question qui se posait en l’espèce, était de savoir si le banquier cessionnaire était fondé à réclamer la restitution des fonds versés indûment par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire.

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel
    • Au visa des articles 1937 et 1993 du Code civil
      • Article 1937: « le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir. »
      • Article 1993: « tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant. »

Sens de l’arrêt:

  • Pour la Cour de cassation, le banquier réceptionnaire reçoit les sommes versées par le cédé en sa qualité de mandataire du cédant.
  • En inscrivant les sommes au compte du cédant, il devient, en conséquence, dépositaire des sommes encaissées.
  • Il n’est donc tenu qu’à l’égard du titulaire du compte.
  • Dès lors, le banquier réceptionnaire ne peut restituer les sommes encaissées à des personnes autres qu’à ses clients ou aux personnes que ces derniers ont désignées.
  • L’action en revendication ne peut donc être dirigée que contre le cédant et non contre le banquier réceptionnaire des fonds

Valeur de l’arrêt:

Il s’agit incontestablement, en l’espèce, d’un revirement de jurisprudence. La Cour de cassation adopte ici la solution contraire à celle retenue en 1993.

Doit-on s’en féliciter ?

Sans aucun doute !

La Cour de cassation opère ici un changement radical de perspective :

Elle abandonne l’angle de l’opposabilité de la cession pour se placer sous l’angle du contrat de dépôt.

Ce changement d’angle ne peut être que salué car comme cela a été souligné, comment le banquier réceptionnaire pouvait-il être considéré comme un tiers à la cession, alors qu’il ne disputait nullement au banquier cessionnaire la titularité de la créance ?

Or l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier ne vise qu’à régler un conflit entre les cessionnaires d’une même créance.

Dès lors, la solution retenue en l’espèce est parfaitement justifiée.

Le banquier réceptionnaire n’est qu’un mandataire du cédant. À ce titre, il ne peut restituer les sommes versées qu’à son seul client. À charge pour le banquier cessionnaire d’engager contre lui une action en revendication.

Cette action en revendication ne peut, toutefois, en aucun cas être dirigée contre le banquier réceptionnaire!

Cette solution a été confirmée par la suite, notamment dans un arrêt du 30 janvier 2001 (Com. 30 janv. 2001, Bull. civ. IV, no 26)

B) Le conflit opposant le cessionnaire Dailly à un créancier saisissant

Schéma 14

Dans ce cas de figure, la créance cédée par bordereau Dailly fait concomitamment l’objet d’une saisie-attribution par un créancier du cédant.

Comment résoudre ce conflit ?

  • Règle applicable:
    • Prior tempore potior jure ( com., 26 nov. 2003)
  • Dates à comparer
    • La date figurant sur le bordereau Dailly
    • La date de la saisie
  • Solution
    • Peu importe que la cession ait ou non été notifiée
    • La cession Dailly prime sur la saisie si elle est antérieure en date.
    • La créance cédée ne peut plus faire l’objet d’aucune saisie il est sorti du patrimoine du cédant.
    • À l’inverse, si la saisie est pratiquée avant que la créance ne soit cédée, ladite créance devient indisponible de sorte qu’elle ne peut plus faire l’objet d’un acte de disposition. Elle ne peut donc pas être valablement cédée
  • Recours
    • Si le débiteur cédé paie le créancier saisissant dans l’ignorance de la cession, conformément à l’article 1240 du Code civil, son paiement est valable
    • Le cessionnaire Dailly dispose néanmoins d’un recours contre le créancier saisissant

Conflits de mobilisation de créances: Cession Dailly-Lettre de change

(SUITE)

B) Conflits opposant un cessionnaire Dailly au porteur d’une lettre de change

Schéma 8

Entre le porteur d’une lettre de change et un cessionnaire Dailly, entre les mains duquel créancier le débiteur actionné en paiement peut-il valablement se libérer ?

Deux hypothèses doivent, au préalable, être distinguées :

  • Le conflit opposant le cessionnaire Dailly au porteur d’une traite non acceptée
  • Le conflit opposant le cessionnaire Dailly au porteur d’une traite acceptée
  1. Le conflit opposant le cessionnaire Dailly au porteur d’une traite non acceptée

Là encore, il faut envisager deux situations :

  • Le cessionnaire Dailly n’a pas notifié la cession au débiteur cédé
  • Le cessionnaire Dailly a notifié la cession au débiteur cédé

a) Le cessionnaire Dailly n’a pas notifié la cession au débiteur cédé

Deux hypothèses doivent encore être envisagées :

  • La cession est antérieure à l’émission de la lettre de change
  • La cession est postérieure à l’émission de la lettre de change

 ==> La cession Dailly est antérieure à l’émission de la lettre de change

  • Règle applicable:
    • Prior tempore potior jure 
  • Dates à comparer
    • La date qui figure sur le bordereau Dailly
    • La date d’émission de la lettre de change
  • Solution
    • Le cessionnaire Dailly l’emporte sur le porteur de la lettre de change
  • Recours
    • Absence de recours contre le débiteur cédé
      • Dans la mesure où la cession n’a pas été notifiée au débiteur cédé, celui-ci peut valablement se libérer entre les mains du porteur de la lettre de change
      • Le cessionnaire ne dispose donc d’aucun recours contre lui
    • Recours théorique contre le porteur de la traite
      • Théoriquement, le cessionnaire Dailly peut exercer un recours contre le porteur de la lettre de change qui a été payé
      • Toutefois, le porteur de la traite peut, s’il est de bonne foi, se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions
      • C’est là le grand avantage que procure le droit cambiaire au porteur d’un effet de commerce

 ==> La cession Dailly est postérieure à l’émission de la lettre de change

  • Règle applicable:
    • Prior tempore potior jure 
  • Dates à comparer
    • La date qui figure sur le bordereau Dailly
    • La date d’émission de la lettre de change
  • Solution
    • Le droit du porteur de la lettre de change prime sur le droit du cessionnaire Dailly
  • Recours
    • Absence de recours contre le tiré
      • Dans la mesure où, jusqu’à l’échéance de la traite, la créance de provision demeure disponible, le paiement effectué par le tiré entre les mains du cessionnaire Dailly est libératoire alors même que le tiré aurait eu connaissance de l’émission de l’effet ( com., 24 avr. 1972).
      • Le porteur perd ainsi son droit d’agir contre le tiré sur le fondement de la provision
    • Recours contre le cessionnaire Dailly
      • Rien n’empêche le porteur de la traite d’exercer un recours contre le cessionnaire Dailly
      • Toutefois, dans l’hypothèse où le cessionnaire Dailly bénéficie de l’acceptation du débiteur cédé, il pourra se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Recours contre le tireur
      • Dans la mesure où le tireur de la traite est garant du paiement, le porteur pourra toujours exercer une action cambiaire contre ce dernier

b) Le cessionnaire Dailly a notifié la cession au débiteur cédé

Deux cas de figure :

==> La notification est antérieure à l’échéance de la lettre de change

  • Règle applicable:
    • Conformément à l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier, lorsque la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé, il ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire
  • Dates à comparer
    • La date de notification de la cession Dailly
    • La date d’émission de la lettre de change
  • Solution
    • Le cessionnaire Dailly doit être privilégié, dans la mesure où le débiteur cédé a interdiction de se libérer entre les mains de toute autre personne que le cessionnaire
  • Recours
    • Absence de recours contre le débiteur cédé
      • En raison de la notification, le débiteur cédé ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire
      • Le porteur de la traite ne dispose donc d’aucun recours contre lui
      • Si le débiteur se libère, malgré tout, entre les mains du porteur, il s’expose à payer deux fois.
    • Recours contre le cessionnaire Dailly
      • Bien que, en raison de la notification, le débiteur ne puisse valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire, dans les rapports cessionnaire-porteur, la règle Prior tempore potior jure n’en a pas moins vocation à s’appliquer
      • Ainsi, le porteur de la traite dispose-t-il d’un recours contre le cessionnaire Dailly
      • Toutefois, dans l’hypothèse où le cessionnaire Dailly bénéficie de l’acceptation du débiteur cédé, il pourra se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Recours contre le tireur
      • Dans la mesure où le tireur de la traite est garant du paiement, le porteur pourra toujours exercer une action cambiaire contre ce dernier

 ==> La notification est postérieure à l’échéance de la lettre de change

  • Règle applicable:
    • Conformément à l’article L. 511-7 du Code de commerce, la créance de provision est irrévocablement acquise au porteur de la traite à l’échéance
  • Dates à comparer
    • La date d’échéance de la traite
    • La date de notification de la cession Dailly
  • Solution
    • Le porteur doit être privilégié, dans la mesure où la créance de provision est devenue indisponible à l’échéance de la lettre de change
    • Le tiré ne peut donc valablement se libérer qu’entre les mains du bénéficiaire de la traite
    • La notification de la cession Dailly est donc sans effet
  • Recours
    • Absence de recours contre le tiré
      • En raison la survenance de l’échéance de la lettre de change, le tiré ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du porteur de la traite
      • Le cessionnaire Dailly ne dispose donc d’aucun recours contre lui
      • Si le débiteur se libère, malgré tout, entre les mains du cessionnaire Dailly, il s’expose à payer deux fois.
    • Recours contre le porteur
      • Bien que, en raison de la survenance de l’échéance, le débiteur ne puisse valablement se libérer qu’entre les mains du porteur, dans les rapports cessionnaire-porteur, la règle Prior tempore potior jure n’en a pas moins vocation à s’appliquer.
      • Ainsi, le cessionnaire de la traite, s’il est premier en date, dispose-t-il d’un recours contre le porteur de la traite
      • Toutefois, ce recours n’est que théorique dans la mesure où le porteur de la lettre de change est fondé à se prévaloir, s’il est de bonne foi, du principe d’inopposabilité des exceptions

2. Le conflit opposant le cessionnaire Dailly au porteur d’une traite acceptée

Lorsqu’une lettre de change est acceptée, le porteur de bonne foi acquiert son droit à la date de l’acceptation.

Cette date est donc prise en compte pour régler le conflit entre les deux établissements de crédit.

Cette date peut cependant être comparée

  • soit à la date qui figure sur le bordereau Dailly
  • soit à la date qui figure sur la notification

Quelle date retenir, pour la comparer à la date de l’acceptation ?

Dans la mesure où le transfert de la créance s’opère à la date figurant sur le bordereau, il serait logique de comparer cette date avec celle de l’acceptation

Cependant, c’est à la date de notification que la cession Dailly est opposable aux tiers.

Ainsi, c’est seulement lorsque la cession lui est notifiée que le débiteur cédé est en mesure de savoir si la traite présentée à l’acceptation est déjà transmise par bordereau.

Dès lors, c’est la date de notification qui doit être prise en compte pour être comparée avec la date d’acceptation de la lettre de change.

Il faut donc rechercher si la date d’acceptation de la traite est ou non antérieure à la date de notification.

Deux hypothèses doivent donc être envisagées :

  • L’acceptation de la traite est antérieure à la notification de la cession Dailly
  • L’acceptation de la traite est postérieure à la notification de la cession Dailly

a) L’acceptation de la traite est antérieure à la notification de la cession Dailly

Pour résoudre ce conflit, c’est vers la jurisprudence qu’il convient de se tourner.

FICHE D’ARRÊT

Com. 19 déc. 2000, Bull. civ. IV, no 200

Faits :

  • Emission d’une lettre de change le 29 janvier 1993 par la Société A Plus M sur la Société FNAC qui a accepté l’effet
  • Le tireur escompte par suite la traite auprès du Crédit Agricole
  • Néanmoins, 3 jours avant l’émission de la traite et donc de son escompte, le tireur avait cédé la même créance au Crédit Lyonnais par voie de bordereau Dailly
  • Cette cession a été notifiée au débiteur cédé quinze jours après l’acceptation de la traite
  • Un paiement est effectué entre temps par le tiré auprès du banquier escompteur
  • Par suite le tireur-cédant est placé en redressement judiciaire

Schéma 9

Demande :

Déclaration de créance du cessionnaire Dailly auprès du mandataire judiciaire

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond :

  • Par un arrêt du 12 février 1997, la Cour d’appel de Paris fait droit à la demande du cessionnaire et condamne le Crédit Agricole à lui payer le montant de la créance cédée par voie de bordereau Dailly

Motivation des juges du fond :

  • Pour les juges du fond, afin de déterminer qui du banquier escompteur ou du banquier cessionnaire est fondé à réclamer le paiement de la créance, il convient de se rapporter à la date d’acquisition de la créance
  • Or en l’espèce, la cession par bordereau Dailly a été effectuée le 26 janvier 1993, soit 3 jours avant la conclusion du contrat d’escompte (1er février)
  • Il en résulte, pour les juges du fond, que le cédant ne pouvait pas émettre une traite sur une créance dont il n’était plus titulaire

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était de savoir qui du banquier-escompteur ou du banquier-cessionnaire pouvait se prévaloir de la titularité d’une créance qui a été escomptée postérieurement à sa transmission par voie de bordereau Dailly ?

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt :

  • La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 511-19 du Code de commerce, siège du droit cambiaire, ce qui, d’emblée, laisse augurer l’issue du litige.

Sens de l’arrêt :

  • En l’espèce, la Cour de cassation estime que dans la mesure où le banquier escompteur était porteur de bonne foi d’une lettre de change acceptée par le TIRÉ, il était fondé à en réclamer le paiement
  • La Cour de cassation fait donc ici primer le droit cambiaire sur le droit de la cession Dailly

Valeur de l’arrêt :

Deux observations peuvent être faites concernant la solution retenue par la Cour de cassation :

  • Première observation:
    • La solution est, sur le plan purement juridique, extrêmement sévère pour le banquier cessionnaire
      • Lorsque le tireur émet la lettre de change, il n’est plus titulaire de la créance !
      • C’est le banquier cessionnaire qui est devenu seul titulaire de la créance cédée par bordereau Dailly
      • La situation est donc absurde
      • Le tireur transmet une créance au porteur une créance dont il n’est plus titulaire
        • La solution retenue par la Cour de cassation est donc contraire à l’adage : nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet
      • La Cour de cassation décide malgré tout de faire primer le droit cambiaire, ce qui nous conduit à la seconde observation
  • Seconde observation:
    • Pourquoi, en l’espèce, la Cour de cassation considère-t-elle que, quand bien même le tireur a émis une lettre de change sur une créance dont il n’était plus titulaire, le porteur – de bonne foi – de la traite était malgré tout fondé à en réclamer le paiement ?
      • En l’espèce, il faut avoir à l’esprit que le tiré a accepté la traite avant même que la cession Dailly ne lui ait été notifiée !
      • Deux conséquences :
        • D’une part, il ne lui était pas interdit de se libérer entre les mains d’une autre personne que le cessionnaire
        • D’autre part, lorsque le tiré accepté une lettre de change, il s’engage IRREVOCABLEMENT à régler tous les PORTEURS de bonne foi qui présenteront la traite au paiement !
      • Ainsi, le banquier escompteur tient-il son droit au paiement contre le tiré, moins de la créance de provision (qui n’existe pas en réalité), que de l’acceptation
      • Ce dont le porteur de la traite se prévalait ici, c’était uniquement de sa créance cambiaire, dont le bénéfice ne pouvait lui être refusé, dès lors qu’il était de bonne foi et, par conséquent, protégé par la règle de l’inopposabilité des exceptions

La solution du conflit tranché au profit du banquier escompteur repose donc entièrement sur l’acceptation de la lettre de change.

Qu’en serait-il si la traite n’avait pas été acceptée ?

Le raisonnement mené par la Cour de cassation nous porte à croire que la solution serait différente dans ce second cas de figure.

Dans l’hypothèse où la traite n’aurait pas été acceptée, le banquier escompteur de la lettre de change ne peut agir que sur le fondement de la créance de la provision.

Or, en application de la règle prior tempore potior jure, le banquier cessionnaire a acquis, en premier, un droit sur la créance disputée.

Dès lors, quand bien même le débiteur-tiré se libérerait entre les mains du banquier escompteur, le cessionnaire Dailly serait fondé à demander au porteur de la traire, la restitution du montant versé !

Quid dans l’hypothèse où le porteur de la traite serait aussi le tireur ?

La solution retenue pour résoudre le conflit de mobilisation de créance serait-elle la même ?

FICHE D’ARRÊT

Com. 21 mars 1995, Bull. civ. IV, no 96

Faits :

  • Double mobilisation d’une même créance par :
    • cession Dailly
    • émission d’une lettre de change
  • Lorsque le Banquier cessionnaire réclame au débiteur cédé le paiement de sa créance, ce dernier lui oppose son acceptation antérieure à la notification de la cession de deux lettres de change
  • Il peut être noté que, en l’espèce, la notification est intervenue après l’acceptation, mais avant la présentation au paiement ce qui, pour comprendre l’issue du litige, n’est sans intérêt.

Schéma 10

Demande :

Action en paiement de la banque contre le débiteur cédé

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 25 mars 1993, la Cour d’appel de Versailles déboute le cessionnaire de sa demande en paiement

Motivation des juges du fond:

  • Les juges du fond estiment que le débiteur cédé était fondé à opposer au cessionnaire son acceptation antérieure à la notification de la cession des lettres de change

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel

Sens de l’arrêt:

  • La Cour de cassation considère, en l’espèce, que le débiteur devait régler le cessionnaire bien que la lettre de change ait été acceptée !
  • Pourquoi cette solution ?
    • A priori, cette solution est contraire à celle dégagée dans l’arrêt du 19 décembre 2000.
  • En 2000, la Cour de cassation a en effet estimé que dès lors que la traite a été acceptée la cession Dailly est inopposable au porteur, nonobstant la notification.
  • De toute évidence, telle n’est pas la solution retenue en l’espèce.
  • La Cour de cassation juge dans cet arrêt que le tiré devait opposer au porteur de l’effet la cession de créance Dailly qui lui avait été notifiée préalablement à l’acceptation.
  • Comment cette solution se justifie-t-elle ?
  • Il faut avoir à l’esprit que, en l’espèce, le porteur de la lettre était aussi le tireur !!
  • Or si les exceptions ne sont jamais opposables au porteur de bonne foi, ce principe supporte toutefois des exceptions, dont une nous intéresse au premier chef :
  • Sont toujours opposables au porteur les exceptions issues de ses rapports personnels avec la personne contre laquelle il agit.
  • En l’espèce, nous étions précisément dans ce cas de figure puisque le porteur était, certes bénéficiaire d’une lettre de change acceptée.
  • Néanmoins, il en était également le tireur.
  • Par conséquent, le tiré pouvait valablement lui opposer les exceptions issues de leurs rapports personnels, comme, par exemple, la notification d’une cession Dailly.
  • Ainsi, la Cour de cassation estime-t-il que dans la mesure où la notification a eu lieu, certes APRES l’acceptation mais AVANT la présentation au paiement de la traite, le débiteur devait opposer la cession au porteur
  • Tel n’aurait cependant pas été le cas nous dit la Cour de cassation si le porteur était un tiers, soit une personne autre que le tireur.

Au total, cet arrêt de la Cour de cassation n’est nullement en contradiction avec la jurisprudence postérieure.

Une solution identique a été adoptée pour un billet à ordre (Cass. com., 10 mars 1998).

Quid des recours du banquier cessionnaire Dailly contre le banquier escompteur ?

Autrement dit, le tiré accepteur étant bien fondé à se libérer entre les mains du banquier escompteur, le cessionnaire Dailly dispose-t-il d’un recours contre le porteur de la traite ?

Dans un arrêt du 29 juin 1999, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question.

Ainsi, a-t-elle estimé que « un établissement de crédit prenant à l’escompte un effet de commerce bénéficiant de l’inopposabilité des exceptions en raison de l’engagement de payer pris par le débiteur n’a pas le devoir de s’assurer que la créance résultant du rapport fondamental n’a pas déjà été transférée à un tiers ».

EN RÉSUMÉ : lorsque l’acceptation intervient antérieurement à la notification

  • Règle applicable:
    • Conformément à l’article L. 511-19 du Code de commerce, à compter de l’acceptation, le tiré ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du seul porteur de la traite
    • Par son acceptation, le tiré-accepteur s’engage cambiairement envers le porteur de la lettre de change (articles L. 511-9 et L. 511-10 du Code de commerce)
    • Dans l’hypothèse où le tireur est également porteur de la traite, conformément à l’article L. 511-12 (a contrario) du Code de commerce, le tiré est fondé à opposer au bénéficiaire de l’effet les exceptions issues de leurs rapports personnels et, notamment, la notification d’une cession Dailly
  • Dates à comparer
    • La date d’acceptation de la traite
    • La date de notification de la cession Dailly
  • Solution
    • Principe:
      • Le porteur de la traite doit être privilégié au cessionnaire Dailly pour plusieurs raisons :
        • Dans la mesure où la traite a été acceptée, le tiré ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du porteur
        • Par ailleurs, en raison de la nature cambiaire de l’engagement du tiré-accepteur envers le porteur, il importe peu que la traite ait été émise avant ou après la réalisation de la cession Dailly
        • Dès lors que la lettre de change a été acceptée, le droit dont est titulaire le porteur de la traite en vertu du rapport cambiaire qui le lie au tiré, prime sur le droit du cessionnaire Dailly
  • Recours
    • Absence de recours contre le tiré
      • Conformément à l’article L. 511-19 du Code de commerce, lorsqu’il accepte la traite, le tiré ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du seul porteur
      • Qui plus est, dans la mesure où la cession lui est notifiée postérieurement à l’acceptation, il y a de fortes chances qu’il ignore que la créance de provision a déjà été cédée
      • Il en résulte que le cessionnaire Dailly ne dispose d’aucun recours contre le tiré
  • Recours contre le porteur
    • Le porteur d’une lettre de change est fondé à se prévaloir du bénéfice du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Par conséquent, il ne saurait être tenu de restituer au cessionnaire Dailly, la somme qui lui aurait été indûment versée par le tiré, quand bien même la notification est intervenue avant l’acceptation de l’effet

b) L’acceptation de la traite est postérieure à la notification de la cession Dailly

Règle applicable:

  • Conformément à l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier, lorsque la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé, il ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire
  • Le débiteur ne saurait en conséquence accepter une lettre de change alors qu’il sait que la créance de provision a déjà été cédée
  • Cependant, par son acceptation, le tiré-accepteur s’engage cambiairement envers le porteur de la lettre de change (articles L. 511-9 et L. 511-10 du Code de commerce)
  • Le porteur peut, en conséquence, se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions
  • Toutefois, dans l’hypothèse où le tireur est également porteur de la traite, conformément à l’article L. 511-12 (a contrario) du Code de commerce, le tiré est fondé à opposer au bénéficiaire de l’effet les exceptions issues de leurs rapports personnels et, notamment, la notification d’une cession Dailly

Dates à comparer

  • La date d’acceptation de la traite
  • La date de notification de la cession Dailly

Solution

  • Le cessionnaire Dally doit être privilégié

Recours

  • Recours contre le tiré
    • La notification a pour effet d’interdire au débiteur de se libérer entre les mains d’une autre personne que le cessionnaire Dailly
    • Dès lors, en acceptant une lettre de change, il s’expose à devoir payer deux fois la dette qui lui échoit ( com., 7 mars 1995)
    • Le cessionnaire Dailly dispose donc d’un recours contre le tiré-accepteur
  • Recours contre le porteur
    • Principe
      • Le porteur d’une lettre de change est fondé à se prévaloir du bénéfice du principe d’inopposabilité des exceptions
      • Par conséquent, il ne saurait être tenu de restituer au cessionnaire Dailly, la somme qui lui aurait été indument versée par le tiré, quand bien même la notification est intervenue avant l’acceptation de l’effet.
    • Exception
      • Le porteur de mauvaise foi ne saurait se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions
      • Les exceptions issues du rapport personnel entre le tiré et le tireur sont toujours opposables à ce dernier.
      • Si, dès lors, le porteur est également porteur de la traite, le cessionnaire Dailly est fondé à recourir contre lui et demander la restitution des sommes indument versées.

Conflits de mobilisation de créances: Cession Dailly-Affacturage

Il est des situations où une même créance peut être mobilisée plusieurs fois, soit parce que le cédant est en manque de trésorerie, soit parce que ses propres créanciers sont titulaires de droits concurrents.

Schéma 1

Il peut être observé que la mobilisation d’une même créance peut s’opérer par le recours à différents procédés : cession Dailly, émission d’un effet de commerce, endossement, subrogation etc.

Schéma 2

La question qui se pose est alors de savoir comment régler ce conflit de mobilisation de créances.

Pour trancher ce conflit le plus simple est, a priori, de faire application de la règle prior tempore potior jure, soit « le premier en date est préférable en droit ».

Ainsi pour déterminer lequel entre deux cessionnaires est fondé à se prévaloir de la titularité d’une créance mobilisée deux fois, il suffirait de comparer les dates d’opposabilités des opérations ayant réalisé le transfert de créance et accorder la priorité à l’opération la plus ancienne en date.

Cependant, il est des cas où la résolution du conflit n’est pas si simple, ne serait-ce que parce que l’un des cessionnaires est fondé à se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions ou parce qu’il jouit du privilège de l’action directe que la loi accorde au sous-traitant.

Dans de nombreux cas, l’application de la règle prior tempore potior jure ne permet donc pas de régler le conflit de mobilisation de créances.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle été conduite à régler les conflits de mobilisation au cas par cas :

Deux sortes de conflits doivent être distinguées :

  • Les conflits nés de la transmission concurrente de la même créance
    • Une même créance va être transférée plusieurs fois
  • Les conflits qui opposent un cessionnaire à des titulaires de droits concurrents
    • Il s’agit de l’hypothèse où les créanciers du cédant ou du débiteur cédé peuvent faire valoir des droits concurrents à ceux du cessionnaire

I) Les conflits nés de la transmission concurrente de la même créance

Il convient de distinguer ici deux sortes de conflits :

  • Les conflits nés de la cession de la même créance par cession ou subrogation
  • Les conflits opposant un cessionnaire Dailly au porteur d’une lettre de change

A) Les conflits nés de la cession de la même créance par cession ou subrogation

Quelle est l’hypothèse à envisager ?

Il s’agit de l’hypothèse où une même créance transmise par voie de bordereau Dailly a été mobilisée une deuxième fois :

  • Soit à nouveau par voie de bordereau Dailly

 Schéma 3

  • Soit par la technique de la subrogation dans le cadre de l’exécution d’un contrat d’affacturage

Schéma 4

Indépendamment du caractère « frauduleux » de ces doubles mobilisations de créances, elles sont à l’origine de deux sortes de difficultés

  • Premièrement, il s’agit de déterminer entre les mains de quel cessionnaire le débiteur cédé peut valablement se libérer de son obligation de paiement
  • Secondement, il convient de se demander si le cessionnaire à qui revient la priorité de paiement, dispose d’un recours contre le second dans l’hypothèse où il n’aurait pas été payé

Pour régler ce type de conflit, on pourrait être tenté de faire application de la règle qui se déduit de l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier, lequel prévoit que :

« La cession ou le nantissement prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de sa remise, quelle que soit la date de naissance, d’échéance ou d’exigibilité des créances, sans qu’il soit besoin d’autre formalité, et ce quelle que soit la loi applicable aux créances et la loi du pays de résidence des débiteurs. »

Autrement dit, dans la mesure où la cession devient opposable aux tiers à compter de la date qui figure sur le bordereau, conformément à l’adage prior tempore potior jure, le premier cessionnaire en date doit toujours être préféré au second.

Cependant, il est impossible de ne pas tenir compte des paiements effectués, de bonne foi, par le débiteur cédé.

Or, manifestement, ce dernier sera de bonne foi toutes les fois où il se libérera entre les mains du créancier qui, le premier, l’informera de la transmission intervenue à son profit.

Comment résoudre cette difficulté ?

Intéressons-nous successivement à la résolution

  • D’une part, du conflit né de la double cession de la même créance réalisée par la voie de bordereau Dailly
  • D’autre part, du conflit opposant l’établissement bancaire bénéficiaire d’une cession Dailly à un affactureur
  1. Résolution du conflit né de la double cession d’une même créance réalisée par voie de bordereau Dailly

Schéma 5

Il convient de distinguer deux hypothèses :

  • La cession par la voie du bordereau Dailly a été notifiée au débiteur cédé
  • La cession par la voie du bordereau Dailly n’a pas été notifiée au débiteur cédé

a) Résolution du conflit en l’absence de notification

  • Règle applicable: prior tempore potior jure
    • La première cession en date est la seule qui soit valable
  • Dates à comparer :
    • Il convient de comparer les dates figurant sur les bordereaux Dailly.
      • La cession Dailly est opposable aux tiers dès l’apposition de la date sur le bordereau.
      • Lorsque la seconde cession a été effectuée, le cédant n’était plus titulaire de la créance cédée
  • Solution :
    • Hypothèse 1: Le débiteur s’est libéré entre les mains du premier cessionnaire en date
      • Le premier cessionnaire en date prime le second cessionnaire
      • Le second cessionnaire ne dispose d’aucun recours
        • Ni contre le premier cessionnaire
        • Ni contre le débiteur cédé
    • Hypothèse 2: Le débiteur s’est libéré entre les mains du second cessionnaire en date
      • Le premier cessionnaire en date prime le second cessionnaire
      • Le second cessionnaire
        • dispose d’un recours contre le premier cessionnaire ( com., 5 juill. 1994: JCP G 1995, II, 3828, n° 16 ; Bull. civ. 1994, IV).
        • ne dispose d’aucun recours contre le débiteur cédé

b) Résolution du conflit en cas de notification

Deux cas de figure peuvent être envisagés :

  • Seul l’un des cessionnaires a notifié la cession au débiteur cédé
  • Les deux cessionnaires ont notifié la cession au débiteur cédé

Dans un arrêt du 12 janvier 1999, la chambre commerciale a apporté des solutions à ces deux cas de figure.

FICHE D’ARRÊT

Com. 12 janv. 1999, Bull. civ. IV, no 8

Faits :

  • Conclusion d’un contrat de travaux immobiliers entre la Société Merlin Gerin et la Société Asal
  • Dans le cadre de ce contrat il est stipulé que le règlement des factures est subordonné au contrôle de l’avancement des travaux par la Société Baudoin
  • La société Asal cède par la suite par bordereau Dailly plusieurs créances futures qu’elle détient contre son co-contractant, la Société Merlin Gerin, à
    • La Société Lyonnaise de banque
    • La banque populaire provençale et corse
  • Les deux cessionnaires notifient les cessions au débiteur cédé, la Société Merlin Gerin
  • Difficultés financières rencontrées par le cédant, la société Asal, qui ne peut achever la réalisation des travaux
  • Ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre du cédant

Schéma 6

Demande :

Action en paiement des cessionnaires contre la Société Schneider, ayant droit du débiteur cédé.

Toutefois, cette dernière ne se reconnaît débitrice que d’une somme très inférieure aux prétentions des demandeurs.

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 11 janvier 1996, la Cour d’appel de Grenoble déboute la Société Lyonnaise de sa demande en paiement

Motivation des juges du fond:

  • Tout d’abord, les juges du fond estiment que dans la mesure où les factures présentées au paiement par la société Lyonnaise, cessionnaire de la Société Asal, ne comportaient pas le visa de la Société Baudoin (contrôleuse de la réalisation des travaux), le débiteur cédé était fondé à en refuser le règlement conformément aux termes du contrat conclu avec le cédant, la société Asal.
  • Ensuite, pour justifier sa décision la Cour d’appel relève que :
  • la Société Lyonnaise était certes le premier cessionnaire de la créance litigieuse si l’on se rapporte à la date figurant sur le bordereau de sorte qu’il est bien le seul titulaire de la créance cédée
  • Toutefois, les juges du fond estiment que, dans la mesure où les deux cessions ont été notifiées par les deux cessionnaires, le débiteur en payant, certes à tort, le second cessionnaire s’est valablement libéré de son obligation.
    • Pour mémoire, à partir du moment où la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé il lui est interdit de régler sa dette entre les mains du cédant
    • Seul un paiement entre les mains du cessionnaire est libératoire
  • Pour la Cour d’appel, le débiteur était donc parfaitement fondé à refuser de régler le premier cessionnaire puisque son paiement entre les mains du second cessionnaire était libératoire.
  • Pour les juges du fond, il appartenait, en conséquence, au premier cessionnaire d’exercer un recours contre le second cessionnaire.

Problème de droit :

Lorsqu’une même créance est cédée à deux cessionnaires différents par voie de bordereau Dailly et que la cession est notifiée par lesdits cessionnaires au débiteur cédé, entre les mains de quel cessionnaire le débiteur doit-il payer ?

Solution de la Cour de cassation :

  • La Cour de cassation casse et annule la décision rendue par la Cour d’appel de Grenoble

Sens de l’arrêt :

  • Dans cet arrêt, la Cour de cassation dit deux choses :
  • Tout d’abord, elle relève que le débiteur cédé s’est reconnu débitrice dans le cadre de la procédure pendante devant les juridictions du fond, de sorte qu’elle n’était pas fondée à opposer au cessionnaire l’absence de visa de la société Baudoin sur les factures qui lui étaient présentées.
  • Ensuite, la Cour de cassation nous indique plusieurs choses très intéressantes dans cet arrêt :
  • Premier apport de la solution:
    • « le débiteur, ayant reçu notification d’une cession de créance de la part d’une banque doit lui en payer le montant, sans avoir à rechercher si un autre établissement n’a pas bénéficié d’une cession de créance antérieure»
      • La Cour de cassation pose ici très clairement une limite au principe prior tempore potior jure
        • En effet, lorsqu’il existe un conflit entre deux cessionnaires, en principe, c’est celui qui se prévaut de la cession la plus ancienne en date qui est seul fondé à en réclamer le paiement entre les mains du débiteur
        • La Cour de cassation pose toutefois une limite au principe : lorsque la cession a été notifiée par un seul des deux cessionnaires en concurrence, le débiteur cédé est alors en droit de se libérer entre les mains du SECOND CESSIONNAIRE qui a notifié la cession.
          • « sans avoir à rechercher si un autre établissement n’a pas bénéficié d’une cession de créance antérieure»
          • La formulation retenue par la Cour de cassation est tout ce qu’il y a de plus limpide !
  • Second apport de la solution:
    • « si avant d’exécuter le paiement, il a reçu, pour une même dette notifications de deux cessions de créances concurrentes de la part de deux banques, il ne peut, ensuite, en payer le montant qu’à l’établissement dont le titre est le plus ancien»
  • La Cour de cassation nous apporte ici une précision sur l’articulation de l’exception qu’elle vient de poser avec la règle prior tempore potior jure dans l’hypothèse où les deux cessionnaires auraient notifié la cession au débiteur cédé
  • Quelle issue en cas de conflit ?
  • RETOUR AU PRINCIPE :
    • Si les deux cessions ont été notifiées, alors c’est le cessionnaire qui est en mesure de se prévaloir de la cession la plus ancienne qui est privilégié.
    • Il appartient donc au débiteur de se libérer, dans cette hypothèse, entre les mains du seul premier cessionnaire en date.
    • Ainsi, la Cour de cassation reproche-t-elle en l’espèce aux juges du fond d’avoir jugé que le respect de la règle de la priorité du cessionnaire le plus ancien en date ne pouvait pas être assuré par le cédé mais par une action en répétition contre le banquier indûment payé
    • La Cour de cassation n’admet pas cette solution
  • Elle estime que c’est au débiteur qu’il revient de trancher le conflit, dans la mesure où l’on est, finalement, dans le même cas de figure que lorsque la cession n’a pas été notifiée
  • Il appartient au débiteur cédé de régler entre les mains du premier cessionnaire

Quels enseignements retenir de cet arrêt rendu par la Chambre commerciale en date du 12 janvier 1999

Tout d’abord, la solution retenue, en l’espèce, par la Cour de cassation doit sans aucun doute être approuvée.

En effet, en fonction de la date de réception des notifications qui lui sont adressées, le débiteur cédé est seul à même d’apprécier entre les mains de quel cessionnaire il peut valablement se libérer.

Ensuite, il convient de retenir deux enseignements de la solution dégagée par la Cour de cassation, laquelle apporte une solution pour les deux cas de figure susceptibles de se présenter:

1er cas de figure: le débiteur cédé reçoit concomitamment les deux notifications

  • Règle applicable :
    • prior tempore potior jure
  • Dates à comparer
    • Les dates qui figurent sur le bordereau Dailly
  • Solution
    • Le débiteur cédé doit régler le premier cessionnaire en date

2e cas de figure: le débiteur cédé reçoit les deux notifications dans un temps espacé

  • Règle applicable:
    • Exception au principe prior tempore potior jure 
    • Conformément à l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier, lorsque la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé, il ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire qui, le premier, a notifié la cession.
  • Dates à comparer
    • Les dates de notification de la cession
  • Solution
    • Le débiteur cédé peut valablement se libérer entre les mains du second cessionnaire en date s’il est le premier à avoir notifié la cession Dailly

Immédiatement, deux questions alors se posent :

  • Quid de la situation du débiteur qui se libère entre les mains du mauvais cessionnaire ?
  • Le débiteur qui paye le mauvais cessionnaire s’expose à payer deux fois la dette qui lui échoit (qui paie mal, paie deux fois)
  • Toutefois, il disposera d’un recours contre l’établissement bancaire qui a bénéficié, à tort, du paiement ( com., 5 juill. 1994)
  • Qui du recours du cessionnaire impayé ?
    • Le premier cessionnaire en date prend le risque, s’il ne notifie pas la cession au cédé, de se voir opposer par le débiteur cédé un paiement intervenu au profit d’un second cessionnaire.
  • Peut-il exercer un recours contre ce dernier ?
  • La doctrine est divisée
    • Pour refuser le recours, on peut faire valoir que le premier cessionnaire a pris un risque en ne notifiant pas la cession ou en la notifiant tardivement.
    • Il doit en subir les conséquences.
  • Qu’en est-il de la jurisprudence ?
    • La Cour de cassation semble admettre le recours du premier cessionnaire en date contre le second cessionnaire ( en ce sens Cass. com., 19 mai 1992)
      • C’est là une limite à l’exception posée par la Cour de cassation en cas de notification de la cession
    • Cette solution vaut-elle dans tous les cas de figure ?

La question se pose lorsque le premier cessionnaire est en conflit avec un second cessionnaire qui a pris la précaution de faire accepter la cession par le débiteur cédé

  • Pour mémoire, l’acceptation d’une cession Dailly par le débiteur cédé permet au cessionnaire de se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions

De deux choses l’une :

  • Soit l’on considère que l’acceptation d’une cession Dailly produit les mêmes effets que l’acceptation d’une lettre de change, auquel cas le bénéficiaire de l’acceptation doit toujours être privilégié au cessionnaire concurrent, quand bien même il serait premier en date.
  • Soit l’on considère que l’acceptation d’une cession Dailly ne produit les mêmes effets que l’acceptation d’une lettre de change, auquel cas le premier cessionnaire en date doit bénéficier d’un recours contre le second cessionnaire, nonobstant l’acceptation dont il bénéficie.

Quelle solution retenir ?

Pour l’heure, la Cour de cassation n’a pas encore tranché cette question.

2. Résolution du conflit opposant l’établissement bancaire bénéficiaire d’une cession Dailly à un affactureur

Schéma 7

La question qui, en l’espèce, se pose est de savoir qui du bénéficiaire d’un bordereau Dailly ou de l’affactureur qui se voit transmettre une créance par subrogation est fondée à se prévaloir de la titularité de la créance qui a été mobilisée deux fois ?

Trois hypothèses peuvent être envisagées :

Première hypothèse: Ni le cessionnaire Dailly, ni l’affactureur n’ont notifié le transfert de créance au débiteur cédé

  • Règle applicable
    • Prior tempore potior jure
  • Dates à comparer
    • La date qui figure sur le bordereau Dailly
    • La date du paiement subrogatoire qui figure sur la quittance subrogatoire
  • Solution
    • Celui qui se prévaut de la date la plus ancienne prime sur l’autre ( 3 janv. 1996, Bull civ. IV, no 2)

Deuxième hypothèse: Le cessionnaire Dailly et l’affactureur ont tous deux notifié le transfert de créance au débiteur cédé

  • 1er cas de figure: le débiteur cédé reçoit concomitamment les deux notifications
    • Règle applicable :
      • prior tempore potior jure
    • Dates à comparer
      • La date qui figure sur le bordereau Dailly
      • La date du paiement subrogatoire qui figure sur la quittance subrogative
    • Solution
      • Le débiteur cédé doit régler le premier cessionnaire en date
  • 2e cas de figure: le débiteur cédé reçoit les deux notifications dans un temps espacé
    • Règle applicable:
      • Exception au principe prior tempore potior jure
      • Conformément à l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier, lorsque la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé, il ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire qui, le premier, a notifié la cession.
    • Dates à comparer
      • Les dates de notification du transfert de créance
    • Solution
      • Le débiteur cédé peut valablement se libérer entre les mains du second bénéficiaire en date s’il est le premier à avoir notifié le transfert de créance
    • Recours
      • Bien que, en raison de la notification, le débiteur ne puisse valablement se libérer qu’entre les mains de celui qui a notifié, dans les rapports cessionnaire Dailly-affactureur, la règle Prior tempore potior jure s’applique toujours
      • Ainsi, le premier bénéficiaire du transfert de créance en date dispose-t-il d’un recours contre le second

Troisième hypothèse: Seul l’affactureur ou le cessionnaire Dailly a notifié le transfert de créance au débiteur cédé

  • Règle applicable:
    • Exception au principe prior tempore potior jure
    • Conformément à l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier, lorsque la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé, il ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire
    • com. 4 oct. 1982: après notification du paiement subrogatoire, le débiteur subrogataire ne peut valablement se libérer qu’entre les mains de l’affactureur subrogé
  • Dates à comparer
    • La date de notification de la cession Dailly ou du paiement subrogatoire
  • Solution
    • Le débiteur cédé peut valablement se libérer entre les mains du second bénéficiaire en date s’il a notifié le transfert de créance
  • Recours
    • Bien que, en raison de la notification, le débiteur ne puisse valablement se libérer qu’entre les mains de celui qui a notifié, dans les rapports cessionnaire Dailly-affactureur, la règle Prior tempore potior jure n’en a pas moins vocation à s’appliquer
    • Ainsi, le premier bénéficiaire du transfert de créance en date dispose-t-il d’un recours contre le second