Conflits de mobilisation de créances: Cessionnaire Dailly – Banquier réceptionnaire – Créancier saisissant

(SUITE)

II) Les conflits qui opposent un cessionnaire à des titulaires de droits concurrents

Les droits du cessionnaire Dailly peuvent être concurrencés par les droits dont sont susceptibles de se prévaloir les créanciers du cédant ou du débiteur cédé.

Plusieurs situations peuvent se présenter :

  • Le cessionnaire peut ainsi être concurrencé par le banquier réceptionnaire qui serait titulaire d’une créance contre le cédant.
  • Le cessionnaire peut encore être en concours avec un créancier du cédant procédant à la saisie de la créance concomitamment cédée par voir de bordereau Dailly
  • Le cessionnaire peut se heurter aux droits reconnus à un sous-traitant exerçant une action directe contre le débiteur cédé en sa qualité de maître d’ouvrage
  • Les droits du cessionnaire peuvent enfin encore entrer en conflit avec ceux reconnus au vendeur qui bénéficie d’une clause de réserve de propriété revendiquant, alors, la créance de prix de revente des marchandises.

A) Conflit opposant le cessionnaire Dailly au banquier réceptionnaire

Le banquier cessionnaire peut se trouver en conflit avec un établissement bancaire qui a reçu du débiteur cédé le paiement de la créance cédée.

Ce cas de figure se rencontre lorsque le cédant n’a pas orienté les paiements vers l’établissement bancaire auquel il a cédé ses créances.

En effet, il se peut que le débiteur cédé croie le cédant encore titulaire de la créance.

En parallèle, le banquier réceptionnaire est créancier du cédant :

  • Soit parce qu’il a dépassé son autorisation de découvert
  • Soit parce que le prêt qui lui a été consenti a fait l’objet d’une déchéance de terme (mensualités impayées)

Schéma 11

Le banquier cessionnaire est-il fondé à exercer un recours en paiement contre le banquier réceptionnaire des fonds « mal orientés »?

Au soutien de sa demande, le cessionnaire Dailly peut faire valoir que :

  • D’une part, il est seul titulaire de la créance cédée
  • D’autre part, la cession Dailly est opposable erga omnes
    • Pour mémoire, aux termes de l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier, la cession Dailly « devient opposable aux tiers à la date portée sur le bordereau»

À l’inverse, le banquier réceptionnaire ne peut justifier d’aucun droit sur les sommes reçues en paiement.

Cette analyse a-t-elle convaincu la jurisprudence ?

FICHE D’ARRÊT

Com. 12 oct. 1993, Bull. civ. IV, no 328

Faits :

  • La Société Labrechoire a cédé à la Banque populaire, par bordereau Dailly, une créance qu’elle détenait sur l’un de ses clients
  • Pour s’acquitter de sa dette, ledit client règle néanmoins entre les mains de la banque du cédant, la BNP
  • Ouverture d’une procédure collective à l’encontre du cédant
  • Le banquier réceptionnaire des fonds refuse de les restituer au cessionnaire Dailly, arguant que ces fonds les fonds doivent servir à couvrir la créance qu’il détient contre son client, le cédant.

Schéma 12

Demande :

 Action de la banque cessionnaire contre le banquier réceptionnaire, la BNP

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 5 avril 1991, la Cour d’appel de Paris accède à la requête de la banque cessionnaire et condamne le banquier réceptionnaire à restituer les fonds versés, à tort, par le débiteur cédé

Motivation des juges du fond:

  • Les juges du fond estiment que dans la mesure où la cession Dailly est opposable aux tiers à compter de la date apposée sur le bordereau, le banquier cessionnaire était bel et bien fondé à réclamer les sommes indument versées par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire
  • En l’espèce les juges du fond relèvent que la date qui figurait sur le bordereau était antérieure à l’ouverture de la procédure collective

Moyens des parties :

Premier argument :

  • Si la cession Dailly est bien opposable aux tiers à compter de la date figurant sur le bordereau, ne peuvent être considérés comme des tiers que ceux qui se disputent la titularité de la créance
    • Or en l’espèce, le banquier réceptionnaire ne disputait pas la titularité de la créance revendiqué par le banquier cessionnaire
    • Le banquier réceptionnaire faisait simplement valoir une autre créance

Deuxième argument :

  • La cession Dailly invoquée par le cessionnaire n’a pas été notifiée au débiteur cédé de sorte que le cédant restait mandataire quant à recouvrer les sommes dues au titre de la créance cédée
  • Le banquier réceptionnaire était donc bien fondé à recevoir les fonds versés par le débiteur cédé

Troisième argument :

  • Les fonds versés sont des choses fongibles. Ils sont donc insusceptibles de faire l’objet d’une revendication.

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce, était de savoir si le banquier cessionnaire était fondé à réclamer la restitution des fonds versée indument par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire.

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le banquier réceptionnaire

Sens de l’arrêt:

  • La Cour de cassation adopte sensiblement le même raisonnement que celui développé par les juges du fond :
    • La cession Dailly transfère au cessionnaire la titularité de la créance dès l’apposition de la date sur le bordereau
    • La cession est alors opposable erga omnes, de sorte que le banquier cessionnaire était donc bien fondé à réclamer les fonds indûment versés par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire

Valeur de l’arrêt

A priori, cette solution est conforme à l’esprit à la loi du 2 janvier 1981.

Sur le plan pratique, cette solution présente deux inconvénients majeurs :

  • D’une part, elle est source d’insécurité juridique puisque d’autres paiements, réalisés par le cédant sont susceptibles d’être remis en cause !
    • Le banquier réceptionnaire croit que le compte de son client est provisionné car reçoit des fonds du débiteur cédé et donc valide les paiements effectués par son client
  • D’autre part, cette solution oblige le banquier réceptionnaire à rechercher l’existence d’une cession « Dailly », ce qui n’est pas facile, en l’absence de publicité de l’opération.

Sur le plan juridique, cette solution n’est pas non plus à l’abri des critiques.

Le banquier réceptionnaire faisait valoir, à juste titre, dans son pourvoi qu’il ne pouvait pas être considéré comme un TIERS à la cession Dailly au sens de la loi du 2 janvier 1981.

Il est, en effet, possible de faire valoir que l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier, a simplement vocation à régler un conflit entre deux personnes qui revendiquent un droit sur la créance cédée.

Or tel n’est pas le cas de figure en l’espèce.

Le banquier réceptionnaire ne dispute en rien au banquier cessionnaire la titularité de la créance dont il se prévaut.

Par ailleurs, il peut être observé que, en versant les fonds au banquier réceptionnaire, le débiteur cédé a valablement éteint sa dette.

Son règlement auprès du banquier réceptionnaire est libératoire puisque la cession ne lui avait pas été notifiée.

Aussi, dans la mesure où la créance est éteinte le banquier réceptionnaire ne peut raisonnablement pas être considéré comme un tiers au sens de la loi du 2 janvier 1981.

La cession Dailly dont se prévaut l’établissement cessionnaire ne peut donc pas être opposable au banquier réceptionnaire.

La Cour de cassation a-t-elle maintenu sa solution par la suite ?

FICHE D’ARRÊT

Com. 4 juill. 1995, Bull. civ. IV, no 203

Faits :

  • La société MAT cède plusieurs créances par bordereau Dailly qu’elle détient sur :
    • le CHU Bichat
    • l’INA
    • la Marine nationale
  • Cette cession est réalisée au profit d’une banque, la SDBO
  • Ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre du cédant

Schéma 13

Demande :

Le banquier cessionnaire réclame auprès du banquier réceptionnaire la restitution du montant des sommes versées par les trois débiteurs cédés

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 20 novembre 1992, la Cour d’appel de Paris accueille favorablement la demande du banquier cessionnaire et condamne le banquier réceptionnaire à lui restituer les fonds versés par les trois débiteurs cédés

Motivation des juges du fond:

  • La motivation avancée dans cet arrêt par les juges ressemble ici très étroitement à celle développée dans l’arrêt de la Cour de cassation rendu en date du 12 octobre 1993
  • Les juges du fond estiment la cession Dailly est opposable aux tiers à compter de la date figurant sur le bordereau
  • Dès lors, le banquier réceptionnaire n’était pas fondé à opposer au banquier cessionnaire
    • le principe d’indivisibilité du compte courant
    • L’impossible revendication des choses fongibles

Problème de droit :

Là encore, la question qui se posait en l’espèce, était de savoir si le banquier cessionnaire était fondé à réclamer la restitution des fonds versés indûment par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire.

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel
    • Au visa des articles 1937 et 1993 du Code civil
      • Article 1937: « le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir. »
      • Article 1993: « tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant. »

Sens de l’arrêt:

  • Pour la Cour de cassation, le banquier réceptionnaire reçoit les sommes versées par le cédé en sa qualité de mandataire du cédant.
  • En inscrivant les sommes au compte du cédant, il devient, en conséquence, dépositaire des sommes encaissées.
  • Il n’est donc tenu qu’à l’égard du titulaire du compte.
  • Dès lors, le banquier réceptionnaire ne peut restituer les sommes encaissées à des personnes autres qu’à ses clients ou aux personnes que ces derniers ont désignées.
  • L’action en revendication ne peut donc être dirigée que contre le cédant et non contre le banquier réceptionnaire des fonds

Valeur de l’arrêt:

Il s’agit incontestablement, en l’espèce, d’un revirement de jurisprudence. La Cour de cassation adopte ici la solution contraire à celle retenue en 1993.

Doit-on s’en féliciter ?

Sans aucun doute !

La Cour de cassation opère ici un changement radical de perspective :

Elle abandonne l’angle de l’opposabilité de la cession pour se placer sous l’angle du contrat de dépôt.

Ce changement d’angle ne peut être que salué car comme cela a été souligné, comment le banquier réceptionnaire pouvait-il être considéré comme un tiers à la cession, alors qu’il ne disputait nullement au banquier cessionnaire la titularité de la créance ?

Or l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier ne vise qu’à régler un conflit entre les cessionnaires d’une même créance.

Dès lors, la solution retenue en l’espèce est parfaitement justifiée.

Le banquier réceptionnaire n’est qu’un mandataire du cédant. À ce titre, il ne peut restituer les sommes versées qu’à son seul client. À charge pour le banquier cessionnaire d’engager contre lui une action en revendication.

Cette action en revendication ne peut, toutefois, en aucun cas être dirigée contre le banquier réceptionnaire!

Cette solution a été confirmée par la suite, notamment dans un arrêt du 30 janvier 2001 (Com. 30 janv. 2001, Bull. civ. IV, no 26)

B) Le conflit opposant le cessionnaire Dailly à un créancier saisissant

Schéma 14

Dans ce cas de figure, la créance cédée par bordereau Dailly fait concomitamment l’objet d’une saisie-attribution par un créancier du cédant.

Comment résoudre ce conflit ?

  • Règle applicable:
    • Prior tempore potior jure ( com., 26 nov. 2003)
  • Dates à comparer
    • La date figurant sur le bordereau Dailly
    • La date de la saisie
  • Solution
    • Peu importe que la cession ait ou non été notifiée
    • La cession Dailly prime sur la saisie si elle est antérieure en date.
    • La créance cédée ne peut plus faire l’objet d’aucune saisie il est sorti du patrimoine du cédant.
    • À l’inverse, si la saisie est pratiquée avant que la créance ne soit cédée, ladite créance devient indisponible de sorte qu’elle ne peut plus faire l’objet d’un acte de disposition. Elle ne peut donc pas être valablement cédée
  • Recours
    • Si le débiteur cédé paie le créancier saisissant dans l’ignorance de la cession, conformément à l’article 1240 du Code civil, son paiement est valable
    • Le cessionnaire Dailly dispose néanmoins d’un recours contre le créancier saisissant

Conflits de mobilisation de créances: Cession Dailly-Lettre de change

(SUITE)

B) Conflits opposant un cessionnaire Dailly au porteur d’une lettre de change

Schéma 8

Entre le porteur d’une lettre de change et un cessionnaire Dailly, entre les mains duquel créancier le débiteur actionné en paiement peut-il valablement se libérer ?

Deux hypothèses doivent, au préalable, être distinguées :

  • Le conflit opposant le cessionnaire Dailly au porteur d’une traite non acceptée
  • Le conflit opposant le cessionnaire Dailly au porteur d’une traite acceptée
  1. Le conflit opposant le cessionnaire Dailly au porteur d’une traite non acceptée

Là encore, il faut envisager deux situations :

  • Le cessionnaire Dailly n’a pas notifié la cession au débiteur cédé
  • Le cessionnaire Dailly a notifié la cession au débiteur cédé

a) Le cessionnaire Dailly n’a pas notifié la cession au débiteur cédé

Deux hypothèses doivent encore être envisagées :

  • La cession est antérieure à l’émission de la lettre de change
  • La cession est postérieure à l’émission de la lettre de change

 ==> La cession Dailly est antérieure à l’émission de la lettre de change

  • Règle applicable:
    • Prior tempore potior jure 
  • Dates à comparer
    • La date qui figure sur le bordereau Dailly
    • La date d’émission de la lettre de change
  • Solution
    • Le cessionnaire Dailly l’emporte sur le porteur de la lettre de change
  • Recours
    • Absence de recours contre le débiteur cédé
      • Dans la mesure où la cession n’a pas été notifiée au débiteur cédé, celui-ci peut valablement se libérer entre les mains du porteur de la lettre de change
      • Le cessionnaire ne dispose donc d’aucun recours contre lui
    • Recours théorique contre le porteur de la traite
      • Théoriquement, le cessionnaire Dailly peut exercer un recours contre le porteur de la lettre de change qui a été payé
      • Toutefois, le porteur de la traite peut, s’il est de bonne foi, se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions
      • C’est là le grand avantage que procure le droit cambiaire au porteur d’un effet de commerce

 ==> La cession Dailly est postérieure à l’émission de la lettre de change

  • Règle applicable:
    • Prior tempore potior jure 
  • Dates à comparer
    • La date qui figure sur le bordereau Dailly
    • La date d’émission de la lettre de change
  • Solution
    • Le droit du porteur de la lettre de change prime sur le droit du cessionnaire Dailly
  • Recours
    • Absence de recours contre le tiré
      • Dans la mesure où, jusqu’à l’échéance de la traite, la créance de provision demeure disponible, le paiement effectué par le tiré entre les mains du cessionnaire Dailly est libératoire alors même que le tiré aurait eu connaissance de l’émission de l’effet ( com., 24 avr. 1972).
      • Le porteur perd ainsi son droit d’agir contre le tiré sur le fondement de la provision
    • Recours contre le cessionnaire Dailly
      • Rien n’empêche le porteur de la traite d’exercer un recours contre le cessionnaire Dailly
      • Toutefois, dans l’hypothèse où le cessionnaire Dailly bénéficie de l’acceptation du débiteur cédé, il pourra se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Recours contre le tireur
      • Dans la mesure où le tireur de la traite est garant du paiement, le porteur pourra toujours exercer une action cambiaire contre ce dernier

b) Le cessionnaire Dailly a notifié la cession au débiteur cédé

Deux cas de figure :

==> La notification est antérieure à l’échéance de la lettre de change

  • Règle applicable:
    • Conformément à l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier, lorsque la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé, il ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire
  • Dates à comparer
    • La date de notification de la cession Dailly
    • La date d’émission de la lettre de change
  • Solution
    • Le cessionnaire Dailly doit être privilégié, dans la mesure où le débiteur cédé a interdiction de se libérer entre les mains de toute autre personne que le cessionnaire
  • Recours
    • Absence de recours contre le débiteur cédé
      • En raison de la notification, le débiteur cédé ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire
      • Le porteur de la traite ne dispose donc d’aucun recours contre lui
      • Si le débiteur se libère, malgré tout, entre les mains du porteur, il s’expose à payer deux fois.
    • Recours contre le cessionnaire Dailly
      • Bien que, en raison de la notification, le débiteur ne puisse valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire, dans les rapports cessionnaire-porteur, la règle Prior tempore potior jure n’en a pas moins vocation à s’appliquer
      • Ainsi, le porteur de la traite dispose-t-il d’un recours contre le cessionnaire Dailly
      • Toutefois, dans l’hypothèse où le cessionnaire Dailly bénéficie de l’acceptation du débiteur cédé, il pourra se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Recours contre le tireur
      • Dans la mesure où le tireur de la traite est garant du paiement, le porteur pourra toujours exercer une action cambiaire contre ce dernier

 ==> La notification est postérieure à l’échéance de la lettre de change

  • Règle applicable:
    • Conformément à l’article L. 511-7 du Code de commerce, la créance de provision est irrévocablement acquise au porteur de la traite à l’échéance
  • Dates à comparer
    • La date d’échéance de la traite
    • La date de notification de la cession Dailly
  • Solution
    • Le porteur doit être privilégié, dans la mesure où la créance de provision est devenue indisponible à l’échéance de la lettre de change
    • Le tiré ne peut donc valablement se libérer qu’entre les mains du bénéficiaire de la traite
    • La notification de la cession Dailly est donc sans effet
  • Recours
    • Absence de recours contre le tiré
      • En raison la survenance de l’échéance de la lettre de change, le tiré ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du porteur de la traite
      • Le cessionnaire Dailly ne dispose donc d’aucun recours contre lui
      • Si le débiteur se libère, malgré tout, entre les mains du cessionnaire Dailly, il s’expose à payer deux fois.
    • Recours contre le porteur
      • Bien que, en raison de la survenance de l’échéance, le débiteur ne puisse valablement se libérer qu’entre les mains du porteur, dans les rapports cessionnaire-porteur, la règle Prior tempore potior jure n’en a pas moins vocation à s’appliquer.
      • Ainsi, le cessionnaire de la traite, s’il est premier en date, dispose-t-il d’un recours contre le porteur de la traite
      • Toutefois, ce recours n’est que théorique dans la mesure où le porteur de la lettre de change est fondé à se prévaloir, s’il est de bonne foi, du principe d’inopposabilité des exceptions

2. Le conflit opposant le cessionnaire Dailly au porteur d’une traite acceptée

Lorsqu’une lettre de change est acceptée, le porteur de bonne foi acquiert son droit à la date de l’acceptation.

Cette date est donc prise en compte pour régler le conflit entre les deux établissements de crédit.

Cette date peut cependant être comparée

  • soit à la date qui figure sur le bordereau Dailly
  • soit à la date qui figure sur la notification

Quelle date retenir, pour la comparer à la date de l’acceptation ?

Dans la mesure où le transfert de la créance s’opère à la date figurant sur le bordereau, il serait logique de comparer cette date avec celle de l’acceptation

Cependant, c’est à la date de notification que la cession Dailly est opposable aux tiers.

Ainsi, c’est seulement lorsque la cession lui est notifiée que le débiteur cédé est en mesure de savoir si la traite présentée à l’acceptation est déjà transmise par bordereau.

Dès lors, c’est la date de notification qui doit être prise en compte pour être comparée avec la date d’acceptation de la lettre de change.

Il faut donc rechercher si la date d’acceptation de la traite est ou non antérieure à la date de notification.

Deux hypothèses doivent donc être envisagées :

  • L’acceptation de la traite est antérieure à la notification de la cession Dailly
  • L’acceptation de la traite est postérieure à la notification de la cession Dailly

a) L’acceptation de la traite est antérieure à la notification de la cession Dailly

Pour résoudre ce conflit, c’est vers la jurisprudence qu’il convient de se tourner.

FICHE D’ARRÊT

Com. 19 déc. 2000, Bull. civ. IV, no 200

Faits :

  • Emission d’une lettre de change le 29 janvier 1993 par la Société A Plus M sur la Société FNAC qui a accepté l’effet
  • Le tireur escompte par suite la traite auprès du Crédit Agricole
  • Néanmoins, 3 jours avant l’émission de la traite et donc de son escompte, le tireur avait cédé la même créance au Crédit Lyonnais par voie de bordereau Dailly
  • Cette cession a été notifiée au débiteur cédé quinze jours après l’acceptation de la traite
  • Un paiement est effectué entre temps par le tiré auprès du banquier escompteur
  • Par suite le tireur-cédant est placé en redressement judiciaire

Schéma 9

Demande :

Déclaration de créance du cessionnaire Dailly auprès du mandataire judiciaire

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond :

  • Par un arrêt du 12 février 1997, la Cour d’appel de Paris fait droit à la demande du cessionnaire et condamne le Crédit Agricole à lui payer le montant de la créance cédée par voie de bordereau Dailly

Motivation des juges du fond :

  • Pour les juges du fond, afin de déterminer qui du banquier escompteur ou du banquier cessionnaire est fondé à réclamer le paiement de la créance, il convient de se rapporter à la date d’acquisition de la créance
  • Or en l’espèce, la cession par bordereau Dailly a été effectuée le 26 janvier 1993, soit 3 jours avant la conclusion du contrat d’escompte (1er février)
  • Il en résulte, pour les juges du fond, que le cédant ne pouvait pas émettre une traite sur une créance dont il n’était plus titulaire

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était de savoir qui du banquier-escompteur ou du banquier-cessionnaire pouvait se prévaloir de la titularité d’une créance qui a été escomptée postérieurement à sa transmission par voie de bordereau Dailly ?

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt :

  • La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 511-19 du Code de commerce, siège du droit cambiaire, ce qui, d’emblée, laisse augurer l’issue du litige.

Sens de l’arrêt :

  • En l’espèce, la Cour de cassation estime que dans la mesure où le banquier escompteur était porteur de bonne foi d’une lettre de change acceptée par le TIRÉ, il était fondé à en réclamer le paiement
  • La Cour de cassation fait donc ici primer le droit cambiaire sur le droit de la cession Dailly

Valeur de l’arrêt :

Deux observations peuvent être faites concernant la solution retenue par la Cour de cassation :

  • Première observation:
    • La solution est, sur le plan purement juridique, extrêmement sévère pour le banquier cessionnaire
      • Lorsque le tireur émet la lettre de change, il n’est plus titulaire de la créance !
      • C’est le banquier cessionnaire qui est devenu seul titulaire de la créance cédée par bordereau Dailly
      • La situation est donc absurde
      • Le tireur transmet une créance au porteur une créance dont il n’est plus titulaire
        • La solution retenue par la Cour de cassation est donc contraire à l’adage : nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet
      • La Cour de cassation décide malgré tout de faire primer le droit cambiaire, ce qui nous conduit à la seconde observation
  • Seconde observation:
    • Pourquoi, en l’espèce, la Cour de cassation considère-t-elle que, quand bien même le tireur a émis une lettre de change sur une créance dont il n’était plus titulaire, le porteur – de bonne foi – de la traite était malgré tout fondé à en réclamer le paiement ?
      • En l’espèce, il faut avoir à l’esprit que le tiré a accepté la traite avant même que la cession Dailly ne lui ait été notifiée !
      • Deux conséquences :
        • D’une part, il ne lui était pas interdit de se libérer entre les mains d’une autre personne que le cessionnaire
        • D’autre part, lorsque le tiré accepté une lettre de change, il s’engage IRREVOCABLEMENT à régler tous les PORTEURS de bonne foi qui présenteront la traite au paiement !
      • Ainsi, le banquier escompteur tient-il son droit au paiement contre le tiré, moins de la créance de provision (qui n’existe pas en réalité), que de l’acceptation
      • Ce dont le porteur de la traite se prévalait ici, c’était uniquement de sa créance cambiaire, dont le bénéfice ne pouvait lui être refusé, dès lors qu’il était de bonne foi et, par conséquent, protégé par la règle de l’inopposabilité des exceptions

La solution du conflit tranché au profit du banquier escompteur repose donc entièrement sur l’acceptation de la lettre de change.

Qu’en serait-il si la traite n’avait pas été acceptée ?

Le raisonnement mené par la Cour de cassation nous porte à croire que la solution serait différente dans ce second cas de figure.

Dans l’hypothèse où la traite n’aurait pas été acceptée, le banquier escompteur de la lettre de change ne peut agir que sur le fondement de la créance de la provision.

Or, en application de la règle prior tempore potior jure, le banquier cessionnaire a acquis, en premier, un droit sur la créance disputée.

Dès lors, quand bien même le débiteur-tiré se libérerait entre les mains du banquier escompteur, le cessionnaire Dailly serait fondé à demander au porteur de la traire, la restitution du montant versé !

Quid dans l’hypothèse où le porteur de la traite serait aussi le tireur ?

La solution retenue pour résoudre le conflit de mobilisation de créance serait-elle la même ?

FICHE D’ARRÊT

Com. 21 mars 1995, Bull. civ. IV, no 96

Faits :

  • Double mobilisation d’une même créance par :
    • cession Dailly
    • émission d’une lettre de change
  • Lorsque le Banquier cessionnaire réclame au débiteur cédé le paiement de sa créance, ce dernier lui oppose son acceptation antérieure à la notification de la cession de deux lettres de change
  • Il peut être noté que, en l’espèce, la notification est intervenue après l’acceptation, mais avant la présentation au paiement ce qui, pour comprendre l’issue du litige, n’est sans intérêt.

Schéma 10

Demande :

Action en paiement de la banque contre le débiteur cédé

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 25 mars 1993, la Cour d’appel de Versailles déboute le cessionnaire de sa demande en paiement

Motivation des juges du fond:

  • Les juges du fond estiment que le débiteur cédé était fondé à opposer au cessionnaire son acceptation antérieure à la notification de la cession des lettres de change

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel

Sens de l’arrêt:

  • La Cour de cassation considère, en l’espèce, que le débiteur devait régler le cessionnaire bien que la lettre de change ait été acceptée !
  • Pourquoi cette solution ?
    • A priori, cette solution est contraire à celle dégagée dans l’arrêt du 19 décembre 2000.
  • En 2000, la Cour de cassation a en effet estimé que dès lors que la traite a été acceptée la cession Dailly est inopposable au porteur, nonobstant la notification.
  • De toute évidence, telle n’est pas la solution retenue en l’espèce.
  • La Cour de cassation juge dans cet arrêt que le tiré devait opposer au porteur de l’effet la cession de créance Dailly qui lui avait été notifiée préalablement à l’acceptation.
  • Comment cette solution se justifie-t-elle ?
  • Il faut avoir à l’esprit que, en l’espèce, le porteur de la lettre était aussi le tireur !!
  • Or si les exceptions ne sont jamais opposables au porteur de bonne foi, ce principe supporte toutefois des exceptions, dont une nous intéresse au premier chef :
  • Sont toujours opposables au porteur les exceptions issues de ses rapports personnels avec la personne contre laquelle il agit.
  • En l’espèce, nous étions précisément dans ce cas de figure puisque le porteur était, certes bénéficiaire d’une lettre de change acceptée.
  • Néanmoins, il en était également le tireur.
  • Par conséquent, le tiré pouvait valablement lui opposer les exceptions issues de leurs rapports personnels, comme, par exemple, la notification d’une cession Dailly.
  • Ainsi, la Cour de cassation estime-t-il que dans la mesure où la notification a eu lieu, certes APRES l’acceptation mais AVANT la présentation au paiement de la traite, le débiteur devait opposer la cession au porteur
  • Tel n’aurait cependant pas été le cas nous dit la Cour de cassation si le porteur était un tiers, soit une personne autre que le tireur.

Au total, cet arrêt de la Cour de cassation n’est nullement en contradiction avec la jurisprudence postérieure.

Une solution identique a été adoptée pour un billet à ordre (Cass. com., 10 mars 1998).

Quid des recours du banquier cessionnaire Dailly contre le banquier escompteur ?

Autrement dit, le tiré accepteur étant bien fondé à se libérer entre les mains du banquier escompteur, le cessionnaire Dailly dispose-t-il d’un recours contre le porteur de la traite ?

Dans un arrêt du 29 juin 1999, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question.

Ainsi, a-t-elle estimé que « un établissement de crédit prenant à l’escompte un effet de commerce bénéficiant de l’inopposabilité des exceptions en raison de l’engagement de payer pris par le débiteur n’a pas le devoir de s’assurer que la créance résultant du rapport fondamental n’a pas déjà été transférée à un tiers ».

EN RÉSUMÉ : lorsque l’acceptation intervient antérieurement à la notification

  • Règle applicable:
    • Conformément à l’article L. 511-19 du Code de commerce, à compter de l’acceptation, le tiré ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du seul porteur de la traite
    • Par son acceptation, le tiré-accepteur s’engage cambiairement envers le porteur de la lettre de change (articles L. 511-9 et L. 511-10 du Code de commerce)
    • Dans l’hypothèse où le tireur est également porteur de la traite, conformément à l’article L. 511-12 (a contrario) du Code de commerce, le tiré est fondé à opposer au bénéficiaire de l’effet les exceptions issues de leurs rapports personnels et, notamment, la notification d’une cession Dailly
  • Dates à comparer
    • La date d’acceptation de la traite
    • La date de notification de la cession Dailly
  • Solution
    • Principe:
      • Le porteur de la traite doit être privilégié au cessionnaire Dailly pour plusieurs raisons :
        • Dans la mesure où la traite a été acceptée, le tiré ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du porteur
        • Par ailleurs, en raison de la nature cambiaire de l’engagement du tiré-accepteur envers le porteur, il importe peu que la traite ait été émise avant ou après la réalisation de la cession Dailly
        • Dès lors que la lettre de change a été acceptée, le droit dont est titulaire le porteur de la traite en vertu du rapport cambiaire qui le lie au tiré, prime sur le droit du cessionnaire Dailly
  • Recours
    • Absence de recours contre le tiré
      • Conformément à l’article L. 511-19 du Code de commerce, lorsqu’il accepte la traite, le tiré ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du seul porteur
      • Qui plus est, dans la mesure où la cession lui est notifiée postérieurement à l’acceptation, il y a de fortes chances qu’il ignore que la créance de provision a déjà été cédée
      • Il en résulte que le cessionnaire Dailly ne dispose d’aucun recours contre le tiré
  • Recours contre le porteur
    • Le porteur d’une lettre de change est fondé à se prévaloir du bénéfice du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Par conséquent, il ne saurait être tenu de restituer au cessionnaire Dailly, la somme qui lui aurait été indûment versée par le tiré, quand bien même la notification est intervenue avant l’acceptation de l’effet

b) L’acceptation de la traite est postérieure à la notification de la cession Dailly

Règle applicable:

  • Conformément à l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier, lorsque la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé, il ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire
  • Le débiteur ne saurait en conséquence accepter une lettre de change alors qu’il sait que la créance de provision a déjà été cédée
  • Cependant, par son acceptation, le tiré-accepteur s’engage cambiairement envers le porteur de la lettre de change (articles L. 511-9 et L. 511-10 du Code de commerce)
  • Le porteur peut, en conséquence, se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions
  • Toutefois, dans l’hypothèse où le tireur est également porteur de la traite, conformément à l’article L. 511-12 (a contrario) du Code de commerce, le tiré est fondé à opposer au bénéficiaire de l’effet les exceptions issues de leurs rapports personnels et, notamment, la notification d’une cession Dailly

Dates à comparer

  • La date d’acceptation de la traite
  • La date de notification de la cession Dailly

Solution

  • Le cessionnaire Dally doit être privilégié

Recours

  • Recours contre le tiré
    • La notification a pour effet d’interdire au débiteur de se libérer entre les mains d’une autre personne que le cessionnaire Dailly
    • Dès lors, en acceptant une lettre de change, il s’expose à devoir payer deux fois la dette qui lui échoit ( com., 7 mars 1995)
    • Le cessionnaire Dailly dispose donc d’un recours contre le tiré-accepteur
  • Recours contre le porteur
    • Principe
      • Le porteur d’une lettre de change est fondé à se prévaloir du bénéfice du principe d’inopposabilité des exceptions
      • Par conséquent, il ne saurait être tenu de restituer au cessionnaire Dailly, la somme qui lui aurait été indument versée par le tiré, quand bien même la notification est intervenue avant l’acceptation de l’effet.
    • Exception
      • Le porteur de mauvaise foi ne saurait se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions
      • Les exceptions issues du rapport personnel entre le tiré et le tireur sont toujours opposables à ce dernier.
      • Si, dès lors, le porteur est également porteur de la traite, le cessionnaire Dailly est fondé à recourir contre lui et demander la restitution des sommes indument versées.