Conflits de mobilisation de créances: Cessionnaire Dailly – Banquier réceptionnaire – Créancier saisissant

(SUITE)

II) Les conflits qui opposent un cessionnaire à des titulaires de droits concurrents

Les droits du cessionnaire Dailly peuvent être concurrencés par les droits dont sont susceptibles de se prévaloir les créanciers du cédant ou du débiteur cédé.

Plusieurs situations peuvent se présenter :

  • Le cessionnaire peut ainsi être concurrencé par le banquier réceptionnaire qui serait titulaire d’une créance contre le cédant.
  • Le cessionnaire peut encore être en concours avec un créancier du cédant procédant à la saisie de la créance concomitamment cédée par voir de bordereau Dailly
  • Le cessionnaire peut se heurter aux droits reconnus à un sous-traitant exerçant une action directe contre le débiteur cédé en sa qualité de maître d’ouvrage
  • Les droits du cessionnaire peuvent enfin encore entrer en conflit avec ceux reconnus au vendeur qui bénéficie d’une clause de réserve de propriété revendiquant, alors, la créance de prix de revente des marchandises.

A) Conflit opposant le cessionnaire Dailly au banquier réceptionnaire

Le banquier cessionnaire peut se trouver en conflit avec un établissement bancaire qui a reçu du débiteur cédé le paiement de la créance cédée.

Ce cas de figure se rencontre lorsque le cédant n’a pas orienté les paiements vers l’établissement bancaire auquel il a cédé ses créances.

En effet, il se peut que le débiteur cédé croie le cédant encore titulaire de la créance.

En parallèle, le banquier réceptionnaire est créancier du cédant :

  • Soit parce qu’il a dépassé son autorisation de découvert
  • Soit parce que le prêt qui lui a été consenti a fait l’objet d’une déchéance de terme (mensualités impayées)

Schéma 11

Le banquier cessionnaire est-il fondé à exercer un recours en paiement contre le banquier réceptionnaire des fonds « mal orientés »?

Au soutien de sa demande, le cessionnaire Dailly peut faire valoir que :

  • D’une part, il est seul titulaire de la créance cédée
  • D’autre part, la cession Dailly est opposable erga omnes
    • Pour mémoire, aux termes de l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier, la cession Dailly « devient opposable aux tiers à la date portée sur le bordereau»

À l’inverse, le banquier réceptionnaire ne peut justifier d’aucun droit sur les sommes reçues en paiement.

Cette analyse a-t-elle convaincu la jurisprudence ?

FICHE D’ARRÊT

Com. 12 oct. 1993, Bull. civ. IV, no 328

Faits :

  • La Société Labrechoire a cédé à la Banque populaire, par bordereau Dailly, une créance qu’elle détenait sur l’un de ses clients
  • Pour s’acquitter de sa dette, ledit client règle néanmoins entre les mains de la banque du cédant, la BNP
  • Ouverture d’une procédure collective à l’encontre du cédant
  • Le banquier réceptionnaire des fonds refuse de les restituer au cessionnaire Dailly, arguant que ces fonds les fonds doivent servir à couvrir la créance qu’il détient contre son client, le cédant.

Schéma 12

Demande :

 Action de la banque cessionnaire contre le banquier réceptionnaire, la BNP

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 5 avril 1991, la Cour d’appel de Paris accède à la requête de la banque cessionnaire et condamne le banquier réceptionnaire à restituer les fonds versés, à tort, par le débiteur cédé

Motivation des juges du fond:

  • Les juges du fond estiment que dans la mesure où la cession Dailly est opposable aux tiers à compter de la date apposée sur le bordereau, le banquier cessionnaire était bel et bien fondé à réclamer les sommes indument versées par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire
  • En l’espèce les juges du fond relèvent que la date qui figurait sur le bordereau était antérieure à l’ouverture de la procédure collective

Moyens des parties :

Premier argument :

  • Si la cession Dailly est bien opposable aux tiers à compter de la date figurant sur le bordereau, ne peuvent être considérés comme des tiers que ceux qui se disputent la titularité de la créance
    • Or en l’espèce, le banquier réceptionnaire ne disputait pas la titularité de la créance revendiqué par le banquier cessionnaire
    • Le banquier réceptionnaire faisait simplement valoir une autre créance

Deuxième argument :

  • La cession Dailly invoquée par le cessionnaire n’a pas été notifiée au débiteur cédé de sorte que le cédant restait mandataire quant à recouvrer les sommes dues au titre de la créance cédée
  • Le banquier réceptionnaire était donc bien fondé à recevoir les fonds versés par le débiteur cédé

Troisième argument :

  • Les fonds versés sont des choses fongibles. Ils sont donc insusceptibles de faire l’objet d’une revendication.

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce, était de savoir si le banquier cessionnaire était fondé à réclamer la restitution des fonds versée indument par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire.

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le banquier réceptionnaire

Sens de l’arrêt:

  • La Cour de cassation adopte sensiblement le même raisonnement que celui développé par les juges du fond :
    • La cession Dailly transfère au cessionnaire la titularité de la créance dès l’apposition de la date sur le bordereau
    • La cession est alors opposable erga omnes, de sorte que le banquier cessionnaire était donc bien fondé à réclamer les fonds indûment versés par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire

Valeur de l’arrêt

A priori, cette solution est conforme à l’esprit à la loi du 2 janvier 1981.

Sur le plan pratique, cette solution présente deux inconvénients majeurs :

  • D’une part, elle est source d’insécurité juridique puisque d’autres paiements, réalisés par le cédant sont susceptibles d’être remis en cause !
    • Le banquier réceptionnaire croit que le compte de son client est provisionné car reçoit des fonds du débiteur cédé et donc valide les paiements effectués par son client
  • D’autre part, cette solution oblige le banquier réceptionnaire à rechercher l’existence d’une cession « Dailly », ce qui n’est pas facile, en l’absence de publicité de l’opération.

Sur le plan juridique, cette solution n’est pas non plus à l’abri des critiques.

Le banquier réceptionnaire faisait valoir, à juste titre, dans son pourvoi qu’il ne pouvait pas être considéré comme un TIERS à la cession Dailly au sens de la loi du 2 janvier 1981.

Il est, en effet, possible de faire valoir que l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier, a simplement vocation à régler un conflit entre deux personnes qui revendiquent un droit sur la créance cédée.

Or tel n’est pas le cas de figure en l’espèce.

Le banquier réceptionnaire ne dispute en rien au banquier cessionnaire la titularité de la créance dont il se prévaut.

Par ailleurs, il peut être observé que, en versant les fonds au banquier réceptionnaire, le débiteur cédé a valablement éteint sa dette.

Son règlement auprès du banquier réceptionnaire est libératoire puisque la cession ne lui avait pas été notifiée.

Aussi, dans la mesure où la créance est éteinte le banquier réceptionnaire ne peut raisonnablement pas être considéré comme un tiers au sens de la loi du 2 janvier 1981.

La cession Dailly dont se prévaut l’établissement cessionnaire ne peut donc pas être opposable au banquier réceptionnaire.

La Cour de cassation a-t-elle maintenu sa solution par la suite ?

FICHE D’ARRÊT

Com. 4 juill. 1995, Bull. civ. IV, no 203

Faits :

  • La société MAT cède plusieurs créances par bordereau Dailly qu’elle détient sur :
    • le CHU Bichat
    • l’INA
    • la Marine nationale
  • Cette cession est réalisée au profit d’une banque, la SDBO
  • Ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre du cédant

Schéma 13

Demande :

Le banquier cessionnaire réclame auprès du banquier réceptionnaire la restitution du montant des sommes versées par les trois débiteurs cédés

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 20 novembre 1992, la Cour d’appel de Paris accueille favorablement la demande du banquier cessionnaire et condamne le banquier réceptionnaire à lui restituer les fonds versés par les trois débiteurs cédés

Motivation des juges du fond:

  • La motivation avancée dans cet arrêt par les juges ressemble ici très étroitement à celle développée dans l’arrêt de la Cour de cassation rendu en date du 12 octobre 1993
  • Les juges du fond estiment la cession Dailly est opposable aux tiers à compter de la date figurant sur le bordereau
  • Dès lors, le banquier réceptionnaire n’était pas fondé à opposer au banquier cessionnaire
    • le principe d’indivisibilité du compte courant
    • L’impossible revendication des choses fongibles

Problème de droit :

Là encore, la question qui se posait en l’espèce, était de savoir si le banquier cessionnaire était fondé à réclamer la restitution des fonds versés indûment par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire.

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel
    • Au visa des articles 1937 et 1993 du Code civil
      • Article 1937: « le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir. »
      • Article 1993: « tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant. »

Sens de l’arrêt:

  • Pour la Cour de cassation, le banquier réceptionnaire reçoit les sommes versées par le cédé en sa qualité de mandataire du cédant.
  • En inscrivant les sommes au compte du cédant, il devient, en conséquence, dépositaire des sommes encaissées.
  • Il n’est donc tenu qu’à l’égard du titulaire du compte.
  • Dès lors, le banquier réceptionnaire ne peut restituer les sommes encaissées à des personnes autres qu’à ses clients ou aux personnes que ces derniers ont désignées.
  • L’action en revendication ne peut donc être dirigée que contre le cédant et non contre le banquier réceptionnaire des fonds

Valeur de l’arrêt:

Il s’agit incontestablement, en l’espèce, d’un revirement de jurisprudence. La Cour de cassation adopte ici la solution contraire à celle retenue en 1993.

Doit-on s’en féliciter ?

Sans aucun doute !

La Cour de cassation opère ici un changement radical de perspective :

Elle abandonne l’angle de l’opposabilité de la cession pour se placer sous l’angle du contrat de dépôt.

Ce changement d’angle ne peut être que salué car comme cela a été souligné, comment le banquier réceptionnaire pouvait-il être considéré comme un tiers à la cession, alors qu’il ne disputait nullement au banquier cessionnaire la titularité de la créance ?

Or l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier ne vise qu’à régler un conflit entre les cessionnaires d’une même créance.

Dès lors, la solution retenue en l’espèce est parfaitement justifiée.

Le banquier réceptionnaire n’est qu’un mandataire du cédant. À ce titre, il ne peut restituer les sommes versées qu’à son seul client. À charge pour le banquier cessionnaire d’engager contre lui une action en revendication.

Cette action en revendication ne peut, toutefois, en aucun cas être dirigée contre le banquier réceptionnaire!

Cette solution a été confirmée par la suite, notamment dans un arrêt du 30 janvier 2001 (Com. 30 janv. 2001, Bull. civ. IV, no 26)

B) Le conflit opposant le cessionnaire Dailly à un créancier saisissant

Schéma 14

Dans ce cas de figure, la créance cédée par bordereau Dailly fait concomitamment l’objet d’une saisie-attribution par un créancier du cédant.

Comment résoudre ce conflit ?

  • Règle applicable:
    • Prior tempore potior jure ( com., 26 nov. 2003)
  • Dates à comparer
    • La date figurant sur le bordereau Dailly
    • La date de la saisie
  • Solution
    • Peu importe que la cession ait ou non été notifiée
    • La cession Dailly prime sur la saisie si elle est antérieure en date.
    • La créance cédée ne peut plus faire l’objet d’aucune saisie il est sorti du patrimoine du cédant.
    • À l’inverse, si la saisie est pratiquée avant que la créance ne soit cédée, ladite créance devient indisponible de sorte qu’elle ne peut plus faire l’objet d’un acte de disposition. Elle ne peut donc pas être valablement cédée
  • Recours
    • Si le débiteur cédé paie le créancier saisissant dans l’ignorance de la cession, conformément à l’article 1240 du Code civil, son paiement est valable
    • Le cessionnaire Dailly dispose néanmoins d’un recours contre le créancier saisissant

Conflits de mobilisation de créances: Cession Dailly-Affacturage

Il est des situations où une même créance peut être mobilisée plusieurs fois, soit parce que le cédant est en manque de trésorerie, soit parce que ses propres créanciers sont titulaires de droits concurrents.

Schéma 1

Il peut être observé que la mobilisation d’une même créance peut s’opérer par le recours à différents procédés : cession Dailly, émission d’un effet de commerce, endossement, subrogation etc.

Schéma 2

La question qui se pose est alors de savoir comment régler ce conflit de mobilisation de créances.

Pour trancher ce conflit le plus simple est, a priori, de faire application de la règle prior tempore potior jure, soit « le premier en date est préférable en droit ».

Ainsi pour déterminer lequel entre deux cessionnaires est fondé à se prévaloir de la titularité d’une créance mobilisée deux fois, il suffirait de comparer les dates d’opposabilités des opérations ayant réalisé le transfert de créance et accorder la priorité à l’opération la plus ancienne en date.

Cependant, il est des cas où la résolution du conflit n’est pas si simple, ne serait-ce que parce que l’un des cessionnaires est fondé à se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions ou parce qu’il jouit du privilège de l’action directe que la loi accorde au sous-traitant.

Dans de nombreux cas, l’application de la règle prior tempore potior jure ne permet donc pas de régler le conflit de mobilisation de créances.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle été conduite à régler les conflits de mobilisation au cas par cas :

Deux sortes de conflits doivent être distinguées :

  • Les conflits nés de la transmission concurrente de la même créance
    • Une même créance va être transférée plusieurs fois
  • Les conflits qui opposent un cessionnaire à des titulaires de droits concurrents
    • Il s’agit de l’hypothèse où les créanciers du cédant ou du débiteur cédé peuvent faire valoir des droits concurrents à ceux du cessionnaire

I) Les conflits nés de la transmission concurrente de la même créance

Il convient de distinguer ici deux sortes de conflits :

  • Les conflits nés de la cession de la même créance par cession ou subrogation
  • Les conflits opposant un cessionnaire Dailly au porteur d’une lettre de change

A) Les conflits nés de la cession de la même créance par cession ou subrogation

Quelle est l’hypothèse à envisager ?

Il s’agit de l’hypothèse où une même créance transmise par voie de bordereau Dailly a été mobilisée une deuxième fois :

  • Soit à nouveau par voie de bordereau Dailly

 Schéma 3

  • Soit par la technique de la subrogation dans le cadre de l’exécution d’un contrat d’affacturage

Schéma 4

Indépendamment du caractère « frauduleux » de ces doubles mobilisations de créances, elles sont à l’origine de deux sortes de difficultés

  • Premièrement, il s’agit de déterminer entre les mains de quel cessionnaire le débiteur cédé peut valablement se libérer de son obligation de paiement
  • Secondement, il convient de se demander si le cessionnaire à qui revient la priorité de paiement, dispose d’un recours contre le second dans l’hypothèse où il n’aurait pas été payé

Pour régler ce type de conflit, on pourrait être tenté de faire application de la règle qui se déduit de l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier, lequel prévoit que :

« La cession ou le nantissement prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de sa remise, quelle que soit la date de naissance, d’échéance ou d’exigibilité des créances, sans qu’il soit besoin d’autre formalité, et ce quelle que soit la loi applicable aux créances et la loi du pays de résidence des débiteurs. »

Autrement dit, dans la mesure où la cession devient opposable aux tiers à compter de la date qui figure sur le bordereau, conformément à l’adage prior tempore potior jure, le premier cessionnaire en date doit toujours être préféré au second.

Cependant, il est impossible de ne pas tenir compte des paiements effectués, de bonne foi, par le débiteur cédé.

Or, manifestement, ce dernier sera de bonne foi toutes les fois où il se libérera entre les mains du créancier qui, le premier, l’informera de la transmission intervenue à son profit.

Comment résoudre cette difficulté ?

Intéressons-nous successivement à la résolution

  • D’une part, du conflit né de la double cession de la même créance réalisée par la voie de bordereau Dailly
  • D’autre part, du conflit opposant l’établissement bancaire bénéficiaire d’une cession Dailly à un affactureur
  1. Résolution du conflit né de la double cession d’une même créance réalisée par voie de bordereau Dailly

Schéma 5

Il convient de distinguer deux hypothèses :

  • La cession par la voie du bordereau Dailly a été notifiée au débiteur cédé
  • La cession par la voie du bordereau Dailly n’a pas été notifiée au débiteur cédé

a) Résolution du conflit en l’absence de notification

  • Règle applicable: prior tempore potior jure
    • La première cession en date est la seule qui soit valable
  • Dates à comparer :
    • Il convient de comparer les dates figurant sur les bordereaux Dailly.
      • La cession Dailly est opposable aux tiers dès l’apposition de la date sur le bordereau.
      • Lorsque la seconde cession a été effectuée, le cédant n’était plus titulaire de la créance cédée
  • Solution :
    • Hypothèse 1: Le débiteur s’est libéré entre les mains du premier cessionnaire en date
      • Le premier cessionnaire en date prime le second cessionnaire
      • Le second cessionnaire ne dispose d’aucun recours
        • Ni contre le premier cessionnaire
        • Ni contre le débiteur cédé
    • Hypothèse 2: Le débiteur s’est libéré entre les mains du second cessionnaire en date
      • Le premier cessionnaire en date prime le second cessionnaire
      • Le second cessionnaire
        • dispose d’un recours contre le premier cessionnaire ( com., 5 juill. 1994: JCP G 1995, II, 3828, n° 16 ; Bull. civ. 1994, IV).
        • ne dispose d’aucun recours contre le débiteur cédé

b) Résolution du conflit en cas de notification

Deux cas de figure peuvent être envisagés :

  • Seul l’un des cessionnaires a notifié la cession au débiteur cédé
  • Les deux cessionnaires ont notifié la cession au débiteur cédé

Dans un arrêt du 12 janvier 1999, la chambre commerciale a apporté des solutions à ces deux cas de figure.

FICHE D’ARRÊT

Com. 12 janv. 1999, Bull. civ. IV, no 8

Faits :

  • Conclusion d’un contrat de travaux immobiliers entre la Société Merlin Gerin et la Société Asal
  • Dans le cadre de ce contrat il est stipulé que le règlement des factures est subordonné au contrôle de l’avancement des travaux par la Société Baudoin
  • La société Asal cède par la suite par bordereau Dailly plusieurs créances futures qu’elle détient contre son co-contractant, la Société Merlin Gerin, à
    • La Société Lyonnaise de banque
    • La banque populaire provençale et corse
  • Les deux cessionnaires notifient les cessions au débiteur cédé, la Société Merlin Gerin
  • Difficultés financières rencontrées par le cédant, la société Asal, qui ne peut achever la réalisation des travaux
  • Ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre du cédant

Schéma 6

Demande :

Action en paiement des cessionnaires contre la Société Schneider, ayant droit du débiteur cédé.

Toutefois, cette dernière ne se reconnaît débitrice que d’une somme très inférieure aux prétentions des demandeurs.

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 11 janvier 1996, la Cour d’appel de Grenoble déboute la Société Lyonnaise de sa demande en paiement

Motivation des juges du fond:

  • Tout d’abord, les juges du fond estiment que dans la mesure où les factures présentées au paiement par la société Lyonnaise, cessionnaire de la Société Asal, ne comportaient pas le visa de la Société Baudoin (contrôleuse de la réalisation des travaux), le débiteur cédé était fondé à en refuser le règlement conformément aux termes du contrat conclu avec le cédant, la société Asal.
  • Ensuite, pour justifier sa décision la Cour d’appel relève que :
  • la Société Lyonnaise était certes le premier cessionnaire de la créance litigieuse si l’on se rapporte à la date figurant sur le bordereau de sorte qu’il est bien le seul titulaire de la créance cédée
  • Toutefois, les juges du fond estiment que, dans la mesure où les deux cessions ont été notifiées par les deux cessionnaires, le débiteur en payant, certes à tort, le second cessionnaire s’est valablement libéré de son obligation.
    • Pour mémoire, à partir du moment où la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé il lui est interdit de régler sa dette entre les mains du cédant
    • Seul un paiement entre les mains du cessionnaire est libératoire
  • Pour la Cour d’appel, le débiteur était donc parfaitement fondé à refuser de régler le premier cessionnaire puisque son paiement entre les mains du second cessionnaire était libératoire.
  • Pour les juges du fond, il appartenait, en conséquence, au premier cessionnaire d’exercer un recours contre le second cessionnaire.

Problème de droit :

Lorsqu’une même créance est cédée à deux cessionnaires différents par voie de bordereau Dailly et que la cession est notifiée par lesdits cessionnaires au débiteur cédé, entre les mains de quel cessionnaire le débiteur doit-il payer ?

Solution de la Cour de cassation :

  • La Cour de cassation casse et annule la décision rendue par la Cour d’appel de Grenoble

Sens de l’arrêt :

  • Dans cet arrêt, la Cour de cassation dit deux choses :
  • Tout d’abord, elle relève que le débiteur cédé s’est reconnu débitrice dans le cadre de la procédure pendante devant les juridictions du fond, de sorte qu’elle n’était pas fondée à opposer au cessionnaire l’absence de visa de la société Baudoin sur les factures qui lui étaient présentées.
  • Ensuite, la Cour de cassation nous indique plusieurs choses très intéressantes dans cet arrêt :
  • Premier apport de la solution:
    • « le débiteur, ayant reçu notification d’une cession de créance de la part d’une banque doit lui en payer le montant, sans avoir à rechercher si un autre établissement n’a pas bénéficié d’une cession de créance antérieure»
      • La Cour de cassation pose ici très clairement une limite au principe prior tempore potior jure
        • En effet, lorsqu’il existe un conflit entre deux cessionnaires, en principe, c’est celui qui se prévaut de la cession la plus ancienne en date qui est seul fondé à en réclamer le paiement entre les mains du débiteur
        • La Cour de cassation pose toutefois une limite au principe : lorsque la cession a été notifiée par un seul des deux cessionnaires en concurrence, le débiteur cédé est alors en droit de se libérer entre les mains du SECOND CESSIONNAIRE qui a notifié la cession.
          • « sans avoir à rechercher si un autre établissement n’a pas bénéficié d’une cession de créance antérieure»
          • La formulation retenue par la Cour de cassation est tout ce qu’il y a de plus limpide !
  • Second apport de la solution:
    • « si avant d’exécuter le paiement, il a reçu, pour une même dette notifications de deux cessions de créances concurrentes de la part de deux banques, il ne peut, ensuite, en payer le montant qu’à l’établissement dont le titre est le plus ancien»
  • La Cour de cassation nous apporte ici une précision sur l’articulation de l’exception qu’elle vient de poser avec la règle prior tempore potior jure dans l’hypothèse où les deux cessionnaires auraient notifié la cession au débiteur cédé
  • Quelle issue en cas de conflit ?
  • RETOUR AU PRINCIPE :
    • Si les deux cessions ont été notifiées, alors c’est le cessionnaire qui est en mesure de se prévaloir de la cession la plus ancienne qui est privilégié.
    • Il appartient donc au débiteur de se libérer, dans cette hypothèse, entre les mains du seul premier cessionnaire en date.
    • Ainsi, la Cour de cassation reproche-t-elle en l’espèce aux juges du fond d’avoir jugé que le respect de la règle de la priorité du cessionnaire le plus ancien en date ne pouvait pas être assuré par le cédé mais par une action en répétition contre le banquier indûment payé
    • La Cour de cassation n’admet pas cette solution
  • Elle estime que c’est au débiteur qu’il revient de trancher le conflit, dans la mesure où l’on est, finalement, dans le même cas de figure que lorsque la cession n’a pas été notifiée
  • Il appartient au débiteur cédé de régler entre les mains du premier cessionnaire

Quels enseignements retenir de cet arrêt rendu par la Chambre commerciale en date du 12 janvier 1999

Tout d’abord, la solution retenue, en l’espèce, par la Cour de cassation doit sans aucun doute être approuvée.

En effet, en fonction de la date de réception des notifications qui lui sont adressées, le débiteur cédé est seul à même d’apprécier entre les mains de quel cessionnaire il peut valablement se libérer.

Ensuite, il convient de retenir deux enseignements de la solution dégagée par la Cour de cassation, laquelle apporte une solution pour les deux cas de figure susceptibles de se présenter:

1er cas de figure: le débiteur cédé reçoit concomitamment les deux notifications

  • Règle applicable :
    • prior tempore potior jure
  • Dates à comparer
    • Les dates qui figurent sur le bordereau Dailly
  • Solution
    • Le débiteur cédé doit régler le premier cessionnaire en date

2e cas de figure: le débiteur cédé reçoit les deux notifications dans un temps espacé

  • Règle applicable:
    • Exception au principe prior tempore potior jure 
    • Conformément à l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier, lorsque la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé, il ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire qui, le premier, a notifié la cession.
  • Dates à comparer
    • Les dates de notification de la cession
  • Solution
    • Le débiteur cédé peut valablement se libérer entre les mains du second cessionnaire en date s’il est le premier à avoir notifié la cession Dailly

Immédiatement, deux questions alors se posent :

  • Quid de la situation du débiteur qui se libère entre les mains du mauvais cessionnaire ?
  • Le débiteur qui paye le mauvais cessionnaire s’expose à payer deux fois la dette qui lui échoit (qui paie mal, paie deux fois)
  • Toutefois, il disposera d’un recours contre l’établissement bancaire qui a bénéficié, à tort, du paiement ( com., 5 juill. 1994)
  • Qui du recours du cessionnaire impayé ?
    • Le premier cessionnaire en date prend le risque, s’il ne notifie pas la cession au cédé, de se voir opposer par le débiteur cédé un paiement intervenu au profit d’un second cessionnaire.
  • Peut-il exercer un recours contre ce dernier ?
  • La doctrine est divisée
    • Pour refuser le recours, on peut faire valoir que le premier cessionnaire a pris un risque en ne notifiant pas la cession ou en la notifiant tardivement.
    • Il doit en subir les conséquences.
  • Qu’en est-il de la jurisprudence ?
    • La Cour de cassation semble admettre le recours du premier cessionnaire en date contre le second cessionnaire ( en ce sens Cass. com., 19 mai 1992)
      • C’est là une limite à l’exception posée par la Cour de cassation en cas de notification de la cession
    • Cette solution vaut-elle dans tous les cas de figure ?

La question se pose lorsque le premier cessionnaire est en conflit avec un second cessionnaire qui a pris la précaution de faire accepter la cession par le débiteur cédé

  • Pour mémoire, l’acceptation d’une cession Dailly par le débiteur cédé permet au cessionnaire de se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions

De deux choses l’une :

  • Soit l’on considère que l’acceptation d’une cession Dailly produit les mêmes effets que l’acceptation d’une lettre de change, auquel cas le bénéficiaire de l’acceptation doit toujours être privilégié au cessionnaire concurrent, quand bien même il serait premier en date.
  • Soit l’on considère que l’acceptation d’une cession Dailly ne produit les mêmes effets que l’acceptation d’une lettre de change, auquel cas le premier cessionnaire en date doit bénéficier d’un recours contre le second cessionnaire, nonobstant l’acceptation dont il bénéficie.

Quelle solution retenir ?

Pour l’heure, la Cour de cassation n’a pas encore tranché cette question.

2. Résolution du conflit opposant l’établissement bancaire bénéficiaire d’une cession Dailly à un affactureur

Schéma 7

La question qui, en l’espèce, se pose est de savoir qui du bénéficiaire d’un bordereau Dailly ou de l’affactureur qui se voit transmettre une créance par subrogation est fondée à se prévaloir de la titularité de la créance qui a été mobilisée deux fois ?

Trois hypothèses peuvent être envisagées :

Première hypothèse: Ni le cessionnaire Dailly, ni l’affactureur n’ont notifié le transfert de créance au débiteur cédé

  • Règle applicable
    • Prior tempore potior jure
  • Dates à comparer
    • La date qui figure sur le bordereau Dailly
    • La date du paiement subrogatoire qui figure sur la quittance subrogatoire
  • Solution
    • Celui qui se prévaut de la date la plus ancienne prime sur l’autre ( 3 janv. 1996, Bull civ. IV, no 2)

Deuxième hypothèse: Le cessionnaire Dailly et l’affactureur ont tous deux notifié le transfert de créance au débiteur cédé

  • 1er cas de figure: le débiteur cédé reçoit concomitamment les deux notifications
    • Règle applicable :
      • prior tempore potior jure
    • Dates à comparer
      • La date qui figure sur le bordereau Dailly
      • La date du paiement subrogatoire qui figure sur la quittance subrogative
    • Solution
      • Le débiteur cédé doit régler le premier cessionnaire en date
  • 2e cas de figure: le débiteur cédé reçoit les deux notifications dans un temps espacé
    • Règle applicable:
      • Exception au principe prior tempore potior jure
      • Conformément à l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier, lorsque la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé, il ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire qui, le premier, a notifié la cession.
    • Dates à comparer
      • Les dates de notification du transfert de créance
    • Solution
      • Le débiteur cédé peut valablement se libérer entre les mains du second bénéficiaire en date s’il est le premier à avoir notifié le transfert de créance
    • Recours
      • Bien que, en raison de la notification, le débiteur ne puisse valablement se libérer qu’entre les mains de celui qui a notifié, dans les rapports cessionnaire Dailly-affactureur, la règle Prior tempore potior jure s’applique toujours
      • Ainsi, le premier bénéficiaire du transfert de créance en date dispose-t-il d’un recours contre le second

Troisième hypothèse: Seul l’affactureur ou le cessionnaire Dailly a notifié le transfert de créance au débiteur cédé

  • Règle applicable:
    • Exception au principe prior tempore potior jure
    • Conformément à l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier, lorsque la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé, il ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire
    • com. 4 oct. 1982: après notification du paiement subrogatoire, le débiteur subrogataire ne peut valablement se libérer qu’entre les mains de l’affactureur subrogé
  • Dates à comparer
    • La date de notification de la cession Dailly ou du paiement subrogatoire
  • Solution
    • Le débiteur cédé peut valablement se libérer entre les mains du second bénéficiaire en date s’il a notifié le transfert de créance
  • Recours
    • Bien que, en raison de la notification, le débiteur ne puisse valablement se libérer qu’entre les mains de celui qui a notifié, dans les rapports cessionnaire Dailly-affactureur, la règle Prior tempore potior jure n’en a pas moins vocation à s’appliquer
    • Ainsi, le premier bénéficiaire du transfert de créance en date dispose-t-il d’un recours contre le second