(SUITE)
II) Les conflits qui opposent un cessionnaire à des titulaires de droits concurrents
Les droits du cessionnaire Dailly peuvent être concurrencés par les droits dont sont susceptibles de se prévaloir les créanciers du cédant ou du débiteur cédé.
Plusieurs situations peuvent se présenter :
- Le cessionnaire peut ainsi être concurrencé par le banquier réceptionnaire qui serait titulaire d’une créance contre le cédant.
- Le cessionnaire peut encore être en concours avec un créancier du cédant procédant à la saisie de la créance concomitamment cédée par voir de bordereau Dailly
- Le cessionnaire peut se heurter aux droits reconnus à un sous-traitant exerçant une action directe contre le débiteur cédé en sa qualité de maître d’ouvrage
- Les droits du cessionnaire peuvent enfin encore entrer en conflit avec ceux reconnus au vendeur qui bénéficie d’une clause de réserve de propriété revendiquant, alors, la créance de prix de revente des marchandises.
A) Conflit opposant le cessionnaire Dailly au banquier réceptionnaire
Le banquier cessionnaire peut se trouver en conflit avec un établissement bancaire qui a reçu du débiteur cédé le paiement de la créance cédée.
Ce cas de figure se rencontre lorsque le cédant n’a pas orienté les paiements vers l’établissement bancaire auquel il a cédé ses créances.
En effet, il se peut que le débiteur cédé croie le cédant encore titulaire de la créance.
En parallèle, le banquier réceptionnaire est créancier du cédant :
- Soit parce qu’il a dépassé son autorisation de découvert
- Soit parce que le prêt qui lui a été consenti a fait l’objet d’une déchéance de terme (mensualités impayées)
Le banquier cessionnaire est-il fondé à exercer un recours en paiement contre le banquier réceptionnaire des fonds « mal orientés »?
Au soutien de sa demande, le cessionnaire Dailly peut faire valoir que :
- D’une part, il est seul titulaire de la créance cédée
- D’autre part, la cession Dailly est opposable erga omnes
- Pour mémoire, aux termes de l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier, la cession Dailly « devient opposable aux tiers à la date portée sur le bordereau»
À l’inverse, le banquier réceptionnaire ne peut justifier d’aucun droit sur les sommes reçues en paiement.
Cette analyse a-t-elle convaincu la jurisprudence ?
FICHE D’ARRÊT
Com. 12 oct. 1993, Bull. civ. IV, no 328
Faits :
- La Société Labrechoire a cédé à la Banque populaire, par bordereau Dailly, une créance qu’elle détenait sur l’un de ses clients
- Pour s’acquitter de sa dette, ledit client règle néanmoins entre les mains de la banque du cédant, la BNP
- Ouverture d’une procédure collective à l’encontre du cédant
- Le banquier réceptionnaire des fonds refuse de les restituer au cessionnaire Dailly, arguant que ces fonds les fonds doivent servir à couvrir la créance qu’il détient contre son client, le cédant.
Demande :
Action de la banque cessionnaire contre le banquier réceptionnaire, la BNP
Procédure :
Dispositif de la décision rendue au fond:
- Par un arrêt du 5 avril 1991, la Cour d’appel de Paris accède à la requête de la banque cessionnaire et condamne le banquier réceptionnaire à restituer les fonds versés, à tort, par le débiteur cédé
Motivation des juges du fond:
- Les juges du fond estiment que dans la mesure où la cession Dailly est opposable aux tiers à compter de la date apposée sur le bordereau, le banquier cessionnaire était bel et bien fondé à réclamer les sommes indument versées par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire
- En l’espèce les juges du fond relèvent que la date qui figurait sur le bordereau était antérieure à l’ouverture de la procédure collective
Moyens des parties :
Premier argument :
- Si la cession Dailly est bien opposable aux tiers à compter de la date figurant sur le bordereau, ne peuvent être considérés comme des tiers que ceux qui se disputent la titularité de la créance
- Or en l’espèce, le banquier réceptionnaire ne disputait pas la titularité de la créance revendiqué par le banquier cessionnaire
- Le banquier réceptionnaire faisait simplement valoir une autre créance
Deuxième argument :
- La cession Dailly invoquée par le cessionnaire n’a pas été notifiée au débiteur cédé de sorte que le cédant restait mandataire quant à recouvrer les sommes dues au titre de la créance cédée
- Le banquier réceptionnaire était donc bien fondé à recevoir les fonds versés par le débiteur cédé
Troisième argument :
- Les fonds versés sont des choses fongibles. Ils sont donc insusceptibles de faire l’objet d’une revendication.
Problème de droit :
La question qui se posait en l’espèce, était de savoir si le banquier cessionnaire était fondé à réclamer la restitution des fonds versée indument par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire.
Solution de la Cour de cassation :
Dispositif de l’arrêt:
- La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le banquier réceptionnaire
Sens de l’arrêt:
- La Cour de cassation adopte sensiblement le même raisonnement que celui développé par les juges du fond :
- La cession Dailly transfère au cessionnaire la titularité de la créance dès l’apposition de la date sur le bordereau
- La cession est alors opposable erga omnes, de sorte que le banquier cessionnaire était donc bien fondé à réclamer les fonds indûment versés par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire
Valeur de l’arrêt
A priori, cette solution est conforme à l’esprit à la loi du 2 janvier 1981.
Sur le plan pratique, cette solution présente deux inconvénients majeurs :
- D’une part, elle est source d’insécurité juridique puisque d’autres paiements, réalisés par le cédant sont susceptibles d’être remis en cause !
- Le banquier réceptionnaire croit que le compte de son client est provisionné car reçoit des fonds du débiteur cédé et donc valide les paiements effectués par son client
- D’autre part, cette solution oblige le banquier réceptionnaire à rechercher l’existence d’une cession « Dailly », ce qui n’est pas facile, en l’absence de publicité de l’opération.
Sur le plan juridique, cette solution n’est pas non plus à l’abri des critiques.
Le banquier réceptionnaire faisait valoir, à juste titre, dans son pourvoi qu’il ne pouvait pas être considéré comme un TIERS à la cession Dailly au sens de la loi du 2 janvier 1981.
Il est, en effet, possible de faire valoir que l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier, a simplement vocation à régler un conflit entre deux personnes qui revendiquent un droit sur la créance cédée.
Or tel n’est pas le cas de figure en l’espèce.
Le banquier réceptionnaire ne dispute en rien au banquier cessionnaire la titularité de la créance dont il se prévaut.
Par ailleurs, il peut être observé que, en versant les fonds au banquier réceptionnaire, le débiteur cédé a valablement éteint sa dette.
Son règlement auprès du banquier réceptionnaire est libératoire puisque la cession ne lui avait pas été notifiée.
Aussi, dans la mesure où la créance est éteinte le banquier réceptionnaire ne peut raisonnablement pas être considéré comme un tiers au sens de la loi du 2 janvier 1981.
La cession Dailly dont se prévaut l’établissement cessionnaire ne peut donc pas être opposable au banquier réceptionnaire.
La Cour de cassation a-t-elle maintenu sa solution par la suite ?
FICHE D’ARRÊT
Com. 4 juill. 1995, Bull. civ. IV, no 203
Faits :
- La société MAT cède plusieurs créances par bordereau Dailly qu’elle détient sur :
- le CHU Bichat
- l’INA
- la Marine nationale
- Cette cession est réalisée au profit d’une banque, la SDBO
- Ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre du cédant
Demande :
Le banquier cessionnaire réclame auprès du banquier réceptionnaire la restitution du montant des sommes versées par les trois débiteurs cédés
Procédure :
Dispositif de la décision rendue au fond:
- Par un arrêt du 20 novembre 1992, la Cour d’appel de Paris accueille favorablement la demande du banquier cessionnaire et condamne le banquier réceptionnaire à lui restituer les fonds versés par les trois débiteurs cédés
Motivation des juges du fond:
- La motivation avancée dans cet arrêt par les juges ressemble ici très étroitement à celle développée dans l’arrêt de la Cour de cassation rendu en date du 12 octobre 1993
- Les juges du fond estiment la cession Dailly est opposable aux tiers à compter de la date figurant sur le bordereau
- Dès lors, le banquier réceptionnaire n’était pas fondé à opposer au banquier cessionnaire
- le principe d’indivisibilité du compte courant
- L’impossible revendication des choses fongibles
Problème de droit :
Là encore, la question qui se posait en l’espèce, était de savoir si le banquier cessionnaire était fondé à réclamer la restitution des fonds versés indûment par le débiteur cédé au banquier réceptionnaire.
Solution de la Cour de cassation :
Dispositif de l’arrêt:
- La Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel
- Au visa des articles 1937 et 1993 du Code civil
- Article 1937: « le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir. »
- Article 1993: « tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant. »
- Au visa des articles 1937 et 1993 du Code civil
Sens de l’arrêt:
- Pour la Cour de cassation, le banquier réceptionnaire reçoit les sommes versées par le cédé en sa qualité de mandataire du cédant.
- En inscrivant les sommes au compte du cédant, il devient, en conséquence, dépositaire des sommes encaissées.
- Il n’est donc tenu qu’à l’égard du titulaire du compte.
- Dès lors, le banquier réceptionnaire ne peut restituer les sommes encaissées à des personnes autres qu’à ses clients ou aux personnes que ces derniers ont désignées.
- L’action en revendication ne peut donc être dirigée que contre le cédant et non contre le banquier réceptionnaire des fonds
Valeur de l’arrêt:
Il s’agit incontestablement, en l’espèce, d’un revirement de jurisprudence. La Cour de cassation adopte ici la solution contraire à celle retenue en 1993.
Doit-on s’en féliciter ?
Sans aucun doute !
La Cour de cassation opère ici un changement radical de perspective :
Elle abandonne l’angle de l’opposabilité de la cession pour se placer sous l’angle du contrat de dépôt.
Ce changement d’angle ne peut être que salué car comme cela a été souligné, comment le banquier réceptionnaire pouvait-il être considéré comme un tiers à la cession, alors qu’il ne disputait nullement au banquier cessionnaire la titularité de la créance ?
Or l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier ne vise qu’à régler un conflit entre les cessionnaires d’une même créance.
Dès lors, la solution retenue en l’espèce est parfaitement justifiée.
Le banquier réceptionnaire n’est qu’un mandataire du cédant. À ce titre, il ne peut restituer les sommes versées qu’à son seul client. À charge pour le banquier cessionnaire d’engager contre lui une action en revendication.
Cette action en revendication ne peut, toutefois, en aucun cas être dirigée contre le banquier réceptionnaire!
Cette solution a été confirmée par la suite, notamment dans un arrêt du 30 janvier 2001 (Com. 30 janv. 2001, Bull. civ. IV, no 26)
B) Le conflit opposant le cessionnaire Dailly à un créancier saisissant
Dans ce cas de figure, la créance cédée par bordereau Dailly fait concomitamment l’objet d’une saisie-attribution par un créancier du cédant.
Comment résoudre ce conflit ?
- Règle applicable:
- Prior tempore potior jure ( com., 26 nov. 2003)
- Dates à comparer
- La date figurant sur le bordereau Dailly
- La date de la saisie
- Solution
- Peu importe que la cession ait ou non été notifiée
- La cession Dailly prime sur la saisie si elle est antérieure en date.
- La créance cédée ne peut plus faire l’objet d’aucune saisie il est sorti du patrimoine du cédant.
- À l’inverse, si la saisie est pratiquée avant que la créance ne soit cédée, ladite créance devient indisponible de sorte qu’elle ne peut plus faire l’objet d’un acte de disposition. Elle ne peut donc pas être valablement cédée
- Recours
- Si le débiteur cédé paie le créancier saisissant dans l’ignorance de la cession, conformément à l’article 1240 du Code civil, son paiement est valable
- Le cessionnaire Dailly dispose néanmoins d’un recours contre le créancier saisissant