La responsabilité pénale des dirigeants : le transfert de la responsabilité et la délégation de pouvoirs

Par Vincent Roulet, Maître de conférences Hdr à l’Université de Tours, Avocat au barreau de Paris, Edgar Avocats

L’éloignement du chef d’entreprise ou des dirigeants de l’association par rapport à l’activité quotidienne exercée par la personne morale a justifié l’aménagement de leur responsabilité pénale par l’article 121-3, al. 4. Elle a également justifié la reconnaissance par le droit pénal de la délégation de pouvoirs. Celle-ci est possible, et paraît même obligatoire[1].

Définition. La délégation de pouvoirs est l’acte juridique par lequel une personne (le délégant) se dessaisit d’une fraction de ses pouvoirs au profit d’une autre personne (le délégataire), le plus souvent l’un de ses subordonnés. Disposant désormais des pouvoirs du délégant, le délégataire encourt les mêmes responsabilités à l’occasion de leur exercice.

Présentation générale. Le mécanisme de la délégation de pouvoirs – et du transfert de responsabilité qu’il implique – est ancien. Il fut accueilli par la jurisprudence au début du XXème siècle[2], à propos de la sécurité au travail. Un salarié fut victime d’un accident du travail à la suite, notamment, d’une violation par l’employeur de ses obligations afférentes à la sécurité des salariés. L’employeur, en raison de son éloignement et de l’objet réel de son activité, était dans l’impossibilité de prévenir la violation des dispositions relatives à la sécurité et d’empêcher la réalisation du dommage. Il fut poursuivi mais prétendit échapper à sa responsabilité en reportant celle-ci sur le responsable du site où eut lieu l’accident.

Le transfert de responsabilité n’est pas évident à apprécier moralement. D’une part, la condamnation du chef d’entreprise semble inopportune ; celui-ci est étranger à l’accident. De l’autre, retenir la responsabilité du chef d’établissement revient à faire supporter par un salarié, subordonné, la responsabilité du dirigeant. La jurisprudence s’est peu à peu fixée de manière pragmatique sur une idée simple : la responsabilité pénale pèse sur celui qui est en mesure d’éviter la réalisation du dommage, pourvu qu’il soit effectivement en mesure d’observer la loi pénale. Le chef d’entreprise est donc responsable, sauf s’il a consenti une délégation de pouvoirs à une personne disposant des moyens intellectuels, juridiques et matériels propres à éviter la commission des infractions. La délégation de pouvoirs est licite mais strictement encadrée[3].

Le domaine de la délégation de pouvoirs

La délégation de pouvoirs ne produit ses effets qu’en matière de responsabilité pénale, mais s’applique à tous types d’infractions, pourvu que le dirigeant n’ait pas personnellement pris part à la commission de celles-ci et pourvu que les pouvoirs délégués ne relèvent pas de l’essence de la qualité de dirigeant.

Un domaine cantonné à la responsabilité pénale.

La délégation de pouvoirs n’a d’efficacité qu’en matière de responsabilité pénale, à l’exclusion de la responsabilité civile. Elle ne saurait avoir pour effet transférer la responsabilité civile du délégant sur la personne et le patrimoine du délégataire. La règle est de peu de portée pratique à l’égard du dirigeant puisque celui-ci n’est pas personnellement responsable civilement à l’égard de la victime, du moins lorsqu’il n’a pas causé lui-même directement le dommage[4].

Un domaine ouvert à tous types d’infractions.

Principe. La délégation de pouvoirs produit principalement ses effets à propos de la responsabilité pénale encourue à l’occasion d’un dommage corporel subi par un salarié. Rien n’interdit cependant qu’elle protège le dirigeant dans d’autres circonstances. Depuis 1993, elle s’étend à tous les domaines du droit pénal : « sauf si la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires »[5]. Aussi la délégation de pouvoirs – donc la délégation de responsabilité pénale – joue-t-elle par exemple en matière de publicité trompeuse[6] ou de vente à perte[7].

Exceptions. Il est cependant certaines situations dans lesquelles la délégation de pouvoirs ne peut être consentie ou, plus exactement, si elle est consentie, n’aura pas pour effet d’évincer la responsabilité pénale du dirigeant. Ces exceptions tiennent au comportement observé par le dirigeant après qu’a été donnée la délégation, ou à certaines compétences inhérentes à la fonction de dirigeant.

Quant au comportement du dirigeant, il convient de distinguer deux hypothèses : la délégation de pouvoirs n’emporte pas de transfert de responsabilité pénale lorsque le dirigeant a personnellement et directement participé à la commission de l’infraction, ou lorsque, sans commettre le fait délictueux, il a érigé celui-ci en politique d’entreprise.

Le premier cas de figure est simple. L’efficacité pénale de la délégation de pouvoirs est subordonnée à la condition que, une fois consentie la délégation, le délégant (le dirigeant) se désintéresse parfaitement de la matière déléguée. N’est pas de nature à exclure la responsabilité pénale du président-directeur général des chefs d’abus de faiblesse et d’escroquerie la délégation de pouvoirs consentie à un salarié de mener les campagnes publicitaires dès lors que le dirigeant « participait directement à la mise au point des campagnes publicitaires dont le lancement n’avait lieu qu’avec son accord et qu’il agissait directement sur leur organisation » et qu’il « revendique lui-même les concepts et les méthodes de la politique commerciale agressive mise en œuvre, sur ces directives, par des commerciaux encouragés par lui et motivés par un système d’intéressement »[8]. Le second est tout aussi limpide. Le dirigeant ne peut s’abriter derrière le transfert de sa responsabilité pénale organisé par une délégation dès lors qu’il a incité la commission, par le délégataire, de l’infraction pénale. Le président du directoire est personnellement coupable du délit de travail dissimulé, en dépit de la délégation de pouvoirs consentie à un salarié directeur régional, dès lors qu’il est établi que « ces pratiques illicites généralisées procèdent d’un « choix de stratégie (…) n’étant pas limité à la direction régionale [en cause] »[9].

Ces cas particuliers mis à part, il faut rappeler que la fonction de dirigeant ne peut être intégralement déléguée. Un noyau de compétences – et de responsabilités – demeure accolé au dirigeant en dépit de toute délégation de pouvoirs. Sont concernées à titre quasi-exclusif les relations du dirigeant avec les instances représentatives du personnel : « même s’il confie à un représentant le soin de présider le comité central d’entreprise, le chef d’entreprise engage sa responsabilité à l’égard de cet organisme, s’agissant des mesures ressortissant à son pouvoir propre de direction sans pouvoir opposer l’argumentation prise d’une délégation de pouvoirs »[10]. Il ne faut cependant pas tirer la conclusion que le dirigeant est, par principe, responsable, du délit d’entrave commis à l’endroit des représentants du personnel, sans qu’il puisse s’exonérer au moyen d’une délégation de pouvoirs. Il convient, en réalité, de distinguer selon le fait précis qui a constitué l’entrave. Ou bien le délit est constitué par des agissements directement rattachables à la direction générale de l’employeur (communication des informations sociales, octroi des moyens que la loi ou une convention collective accorde au comité d’entreprise, organisation des élections professionnelles[11]…) : alors le dirigeant ne peut se prévaloir de la délégation de pouvoirs. Ou bien le délit est constitué par la violation d’obligations purement procédurales ou formelles (établissement de l’ordre du jour, communication tardive d’informations…), alors la délégation de pouvoirs produit ses effets[12].

  Le délégataire peut-il être un tiers à la société dirigée par le délégant ?   Assez curieusement, le mécanisme de la délégation de pouvoirs ne parvient pas à se détacher de la notion de subordination qui, traditionnellement, unit le chef d’entreprise à ses salariés. La finalité qu’elle poursuivait originellement – assurer des « relais fonctionnels dans le respect d’une unité de direction » (A. Coeuret, La délégation de pouvoirs, in Le pouvoir du chef d’entreprise, Dalloz 2001, p. 32) – comme le contrôle que doit conserver le délégant sur le délégataire (et la faculté, voire l’obligation, pesant sur celui-ci de révoquer la délégation consentie devant l’impuissance du délégataire) s’opposent à ce que la délégation de pouvoirs soit consentie efficacement à un tiers à l’entreprise : « peut-on concevoir que l’employeur transmette à un tiers suffisamment d’autorité, de compétences et de moyens pour qu’un juge reconnaisse que le tiers disposait d’une délégation de pouvoirs ? » (E. Dreyer, ouv. préc., n° 984). Ce classicisme devrait pouvoir être dépassé, et la Cour de cassation distingue.   D’une part, l’employeur ne peut se prévaloir des relations contractuelles nouées avec un tiers parfaitement étranger à l’entreprise pour établir l’existence d’une délégation de pouvoir. Il s’agissait, en l’espèce, de savoir si le contrat d’entretien des pneumatiques des véhicules de la flotte automobile de l’entreprise valait délégation de pouvoirs emportant transfert de la responsabilité pénale en ce qui concerne les contraventions aux règles techniques de mise en circulation des véhicules. La Cour refuse ce transfert de responsabilité (Crim., 6 mai 1964, D. 1964.II.562).   D’autre part, la Cour admet l’efficacité des délégations de pouvoirs consenties au sein d’un groupe de sociétés : « rien n’interdit au chef d’un groupe de sociétés, président de la société donneur d’ordre et dirigeant de la société sous-traitante, de déléguer ses pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité à un salarié d’une autre société du groupe, sur lequel il exerce un pouvoir hiérarchique » (Crim., 26 mai 1994, n° 93-83.213).

Les conditions d’efficacité de la délégation de pouvoirs

L’efficacité pénale de la délégation de pouvoirs est subordonnée à plusieurs conditions tenant au contenu de la délégation, à la qualité du délégataire et aux circonstances de fait dans lesquelles le délégataire exerce les pouvoirs du délégant.

Les conditions tenant au contenu de la délégation de pouvoirs

À l’exclusion d’un noyau de prérogatives qui ne sauraient être déléguées par le chef d’entreprise, la délégation que consent ce dernier doit être précise, quant à son objet et quant aux pouvoirs qui sont transférés au délégataire.

Pouvoirs ne pouvant être délégués. Il est exclu, d’abord, que le chef d’entreprise délègue l’intégralité de ses pouvoirs au délégataire. Ainsi qu’il l’a déjà été indiqué, une fraction du pouvoir du chef d’entreprise relative aux compétences inhérentes à cette qualité, ne saurait être déléguée (à tout le moins la délégation serait-elle inefficace pénalement). Tel est le cas en ce qui concerne les relations institutionnelles avec les représentants du personnel[13]. Par le passé, les juges avaient pu se prononcer dans le même sens à chaque fois que l’évitement de la commission de l’infraction nécessitait une décision (celle d’engager des fonds) relevant de la seule compétence du chef d’entreprise[14]. Il ne s’agit, au demeurant, que du prolongement de l’idée selon laquelle la responsabilité pénale ne peut être déléguée qu’à la condition que soient donnés au délégataire les moyens d’exercer l’activité déléguée en conformité avec les dispositions légales et règlementaires. Il convient ensuite de préciser que la délégation de pouvoirs ne saurait dispenser le chef d’entreprise de toute obligation. Lui incombe en effet celle de contrôler les agissements du délégataire ; et les juges sanctionnent le délégant qui se métamorphose en autruche. Engage sa responsabilité pénale du chef de délit d’entrave le dirigeant qui, en dépit de la délégation de pouvoirs consentie, « n’a pu ignorer le caractère chronique des infractions commises » par le délégataire et n’a pas réagi en révoquant ce dernier : « par de telles omissions, commises volontairement, [le dirigeant] a engagé sa responsabilité pénale »[15].

Définition des pouvoirs délégués. La délégation de pouvoirs fixe de manière précise les pouvoirs remis au délégataire – et donc le domaine de la responsabilité. Les juges privent d’efficacité la délégation « en l’absence d’instructions précises données » au délégataire[16]. Demeure responsable du chef de l’infraction fiscale afférente, le président du conseil d’administration qui a consenti au directeur général une « délégation de ses pouvoirs afin de veiller au respect du Code du travail, de la législation et de la règlementation applicables aux transports » sans préciser si cette « délégation de pouvoirs […] s’étendait à la matière des contributions indirectes et de la circulation des alcools »[17]. Pour produire ses effets, la délimitation doit être réalisée en amont de la commission de l’infraction ; pour le dirigeant, il est vain d’espérer régulariser une délégation de pouvoirs trop vague, comme il est vain d’espérer que le juge prenne en considération a posteriori l’ « aveu » du délégataire[18].

Les conditions tenant à la qualité du délégataire

La délégation n’exonère le dirigeant de sa responsabilité pénale que si le délégataire est en mesure de supporter cette responsabilité. La capacité du délégataire est établie par la réunion de trois éléments : la compétence, l’autorité et l’indépendance.

Compétences. L’idée de compétence est double. Il s’agit, bien sûr, d’éviter que le dirigeant ne s’exonère de sa responsabilité au détriment d’un salarié qui, de toute évidence, n’est pas en mesure d’assurer le strict respect de la loi pénale car il ne maîtrise ni celle-ci, ni les normes techniques – notamment de sécurité – que son observation implique. Les juges rejettent la délégation « fantoche ». Mais il s’agit également d’inciter les dirigeants à choisir comme délégataire une personne parfaitement apte à remplir cet office. Le moment venu, les juges vérifient immanquablement la compétence du délégataire, c’est-à-dire à la fois sa maîtrise technique[19] et ses connaissances juridiques. Quant à la maîtrise technique, ils la contrôlent minutieusement. Il ne suffit pas que, en raison de sa qualification, le délégataire ait pu connaître les règles qu’il était chargé de faire respecter ; il faut encore qu’il soit établi qu’il connaissait précisément les modalités de mise en œuvre de ces règles[20]. Quant à la compréhension des règles juridiques, elle doit être certaine : est inefficace la délégation de pouvoirs consentie à un salarié dont les auditions, postérieures à la réalisation du dommage, révèlent « qu’il apprécie les travaux dangereux et les mesures de sécurité à prendre selon sa propre expérience et non par référence à la lettre ou à l’esprit desdites dispositions »[21].

Autorité. La condition d’autorité est satisfaite lorsque, d’une part, le délégataire est chargé par la délégation de donner les ordres nécessaires à l’accomplissement de la mission. Ceci implique que le délégataire ne soit pas uniquement affecté à l’exécution d’un travail technique[22]. Il importe, d’autre part, que le délégataire dispose du pouvoir de donner les ordres nécessaires, non seulement à ses éventuels subordonnés, mais encore à toute personne de l’entreprise susceptible d’interférer dans l’exécution des tâches déléguées. Est donc dépourvue d’effet la délégation de pouvoirs consentie en matière de règlementation économique au chef de secteur des produits frais dès lors que l’établissement des factures relevait du service comptable sur lequel il n’avait pas autorité[23]. Il n’en va pas différemment, en matière de sécurité, lorsque le délégataire, qui ne dispose pas du pouvoir de contraindre les salariés à cesser leur activité ou de celui de les sanctionner, est uniquement autorisé à rappeler aux salariés enfreignant les consignes de sécurité qu’ils s’exposent à un licenciement pour faute grave[24].

Indépendance. La condition tenant à l’indépendance du délégataire fait écho à l’impossibilité pour le dirigeant de se prévaloir d’une délégation de pouvoirs s’il a lui-même participé à la commission de l’infraction : le dirigeant qui s’immisce dans l’activité du délégataire est, au même titre que celui-ci, auteur des faits réprimés. La délégation de pouvoirs est privée d’effet lorsque le délégant se substitue au délégataire, privant celui-ci de ses pouvoirs[25]. Il en va de même si le délégataire est astreint à demander l’approbation de sa hiérarchie lorsqu’il exerce la délégation. Ne saurait échapper à sa responsabilité pénale découlant d’une fraude fiscale le dirigeant qui, après avoir délégué ses pouvoirs en la matière au directeur financier, s’était réservé la signature des chèques et exigeait un compte rendu hebdomadaire[26]. L’indépendance doit être entendue plus largement encore. Elle implique que la délégation de pouvoirs soit consentie à titre exclusif au délégataire et prive d’effet la délégation consentie, dans un même domaine, à plusieurs personnes. Le dirigeant « ne peut déléguer ses pouvoirs à plusieurs personnes pour l’exécution d’un même travail, un tel cumul étant de nature à restreindre l’autorité et à entraver les initiatives de chacun des prétendus délégataires »[27].

Enfin, la délégation n’est licite qu’à la condition que le délégataire l’ait préalablement acceptée. L’acceptation peut être formulée de manière expresse mais, dans la mesure où les juges n’exigent pas que la délégation de pouvoirs soit nécessairement constatée par écrit[28], ils tolèrent que l’acceptation soit inhérente à l’acceptation de ses fonctions générales par le délégataire (salarié qui accepte un poste de cadre-dirigeant) ou qu’elle soit constatée au regard du comportement adopté par ce dernier à la suite de l’information sur la délégation que lui a procurée le délégant.

Les conditions tenant aux circonstances de fait dans lesquelles le délégataire exerce les pouvoirs du délégant.

Moyens mis à la disposition du délégataire. L’autorité et l’indépendance du délégataire trouvent leur prolongement dans une ultime condition. La Cour de cassation réaffirme périodiquement que la mise à disposition des « moyens nécessaires » à l’accomplissement de sa mission est une condition d’efficacité de la délégation de pouvoirs[29]. Ce qui implique, notamment, que le délégataire puisse engager des dépenses à cette fin[30].

La subdélégation de pouvoirs

Admission des subdélégations. Après quelques hésitations, fut admise la validité des subdélégations par lesquelles le délégataire transfère à un subdélégataire les pouvoirs (et la responsabilité) qu’il tient du délégant.

La validité de la subdélégation n’est subordonnée à aucune condition particulière, mais il convient d’appliquer strictement les conditions inhérentes à toute délégation. D’une part, « l’autorisation du chef d’entreprise, dont émane la délégation de pouvoirs initiale, n’est pas nécessaire à la validité des subdélégations de pouvoirs »[31]. Mais, d’autre part, il est vraisemblable, en fait, que le subdélégataire pressenti ne disposera pas de toutes les qualités ni de toutes les prérogatives dont disposait le délégataire initial. Il convient donc d’apprécier à part, en tenant compte de la situation particulière du subdélégataire, les conditions d’efficacité de la subdélégation[32].

La preuve de la délégation de pouvoirs

En ce qui concerne la preuve de la délégation de pouvoirs, deux questions doivent être traitées. La première est celle de savoir s’il incombe au ministère public qui poursuit le dirigeant de prouver l’absence de délégation de pouvoirs ou, si à l’inverse, c’est au dirigeant poursuivi qu’il incombe d’établir l’existence d’une telle délégation. La seconde question – qui suppose la première résolue – est celle de savoir quels éléments de preuve apporter au soutien de l’existence de la délégation.

La charge de la preuve

Dirigeant. Il appartient au chef d’entreprise poursuivi d’établir l’existence et la perfection de la délégation de pouvoirs : « pour exonérer l’employeur [le dirigeant] de sa responsabilité personnelle, une délégation de pouvoirs […] doit être prouvée par celui qui en invoque l’existence »[33]. La preuve concerne à la fois la délégation de pouvoirs elle-même et l’ensemble des conditions d’efficacité de celle-ci.

Les moyens de preuve

Écrit non nécessaire et non suffisant. La preuve de la délégation de pouvoirs est « libre ». Celui qui s’en prévaut n’est pas tenu de rapporter un écrit au soutien de son affirmation : la délégation de pouvoirs peut être prouvée par tout moyen[34], et  l’écrit, fut-il signé de la main du délégataire, ne suffit pas à établir l’existence de la délégation. Pour forger sa conviction, le juge recourt à la technique du « faisceau d’indices ». Les indices sont l’éventuel écrit passé entre le délégant et le délégataire, les fonctions occupées par ce dernier, l’autonomie et les pouvoirs (hiérarchiques et à l’égard des tiers) dont il jouissait. Réunis, ils caractérisent les éléments nécessaires à la délégation de pouvoirs. Il est donc vain d’espérer faire reconnaître cette dernière au seul moyen d’un organigramme[35], d’un règlement intérieur[36] ou de tout autre document d’ordre général[37].

Écrit utile. Aussi faut-il conseiller de prendre la précaution de traduire par écrit la délégation de pouvoirs. L’écrit sera aussi complet que possible. Il mentionnera non seulement l’identité et la qualité du délégant et du délégataire mais encore :

  • Les raisons pour lesquelles la délégation est consentie,
  • Le champ, précisément délimité, de la délégation,
  • Les moyens hiérarchiques, juridiques et financiers octroyés au délégataire en vue de l’exécution de la délégation,
  • La date d’effet de la délégation,
  • L’acceptation de la délégation par le délégataire.

Dans la mesure où l’écrit, seul, ne suffit pas à prouver l’efficacité de la délégation, il faut encore conseiller au délégataire, au cours de l’exécution de celle-ci, de conserver les preuves de la mise en œuvre effective des moyens visés dans la délégation écrite.

Les effets de la délégation de pouvoirs

Lorsqu’elle produit ses effets, la délégation de pouvoirs emporte le transfert de la responsabilité pénale du dirigeant délégant vers le délégataire. Le principe est cependant limité.

Principes. La responsabilité pénale du délégant et du délégataire est alternative, non cumulative. Ou bien la délégation produit ses effets : alors le délégant est déchargé du risque pénal et le délégataire est la seule personne physique responsable pénalement. Ou bien la délégation de pouvoirs est imparfaite : le délégant seul est responsable[38]. Il est donc exclu de voir ensemble condamnés le délégant et le délégataire[39].

Limites. D’abord, le transfert de responsabilité est écarté lorsque le délégant s’est immiscé dans la gestion de l’activité déléguée (la délégation, initialement licite perd son efficacité) ou lorsqu’il a participé, en tant que co-auteur ou complice, aux fautes pénales commises par le délégataire[40]. Ensuite, le transfert de responsabilité n’impacte que la situation des personnes physiques. Le délégant comme le délégataire étant considérés comme des « représentants » de la personne morale qu’ils dirigent ou qui les emploie, celle-ci est tenue pénalement du comportement de l’un et de l’autre ; à ses yeux donc, l’efficacité de la délégation[41], voire de la subdélégation[42], est indifférente. Enfin, la délégation de pouvoirs joue un rôle modéré en matière de responsabilité civile. Son existence n’affecte pas la responsabilité civile de la société ou de l’association ; en revanche, elle transfère la responsabilité civile pesant sur le délégant vers le délégataire. D’une part, le délégant – notamment lorsqu’il est dirigeant – n’est pas tenu civilement de la faute commise par le délégataire[43], et d’autre part, le délégataire condamné pénalement à raison d’une faute qualifiée au sens de l’article 121-3 du Code pénal engage sa propre responsabilité civile à l’endroit de la victime[44].


[1] Crim., 7 juin 2006, n° 05-86.804. En l’espèce, la Cour de cassation reconnait la responsabilité pénale du dirigeant, pourtant hospitalisé lors de la commission de l’infraction, qui n’avait pas délégué ses pouvoirs.

[2] Crim., 28 juin 2002, Bull. crim. n° 237, p. 425.

[3] Le MEDEF a publié en décembre 2004, un « vade-mecum » sur la délégation de pouvoirs qui, pour l’essentiel, est toujours d’actualité. Il est en accès libre sur internet à l’adresse : http://www.ssa974.com/IMG/pdf/la_delegation_de_pouvoir_vademecum_.pdf

[4] Lorsque le dirigeant (déléguant) n’a pas lui-même causé le dommage, il n’a vraisemblablement pas commis une faute séparable des fonctions (v. supra) susceptible d’engager sa propre responsabilité. C’est à la personne morale, société ou association (voire aux organismes sociaux telle l’assurance accident du travail) qu’il incombera d’indemniser la victime.

[5] Crim., 11 mars 1993, 5 décisions, Bull. crim. n° 112.

[6] Crim., 11 mars 1993, n° 91-83.655 : la décision rejette cependant, en l’espèce, l’existence d’une délégation de pouvoir, non par principe, mais à raison de l’absence de preuve de cette délégation (sur la preuve de la délégation, v. infra).

[7] Crim., 11 mars 1993, n° 92-80.773.

[8] Crim., 17 septembre 2002, n° 01-85.891.

[9] Crim., 17 juin 2003, n° 02-84.244.

[10] Crim., 15 mai 2007, n° 06-84.318. Condamnation du président du directoire ayant délégué cette mission au salarié directeur adjoint des affaires sociales.

[11] Crim. ; 6 novembre 2007 n° 06-86.027.

[12] A. Coeuret, E. Fortis, Droit pénal du travail, LexisNexis 2012, n° 300.

[13] Crim. ; 6 novembre 2007 n° 06-86.027.

[14] M. Dreyer cite deux décisions anciennes mais toujours d’actualité : Crim., 21 janvier 1911, bull. crim. n° 54 : « il ne dépend pas du directeur spécial de l’atelier (délégataire) que les lavabos répondent aux prescriptions légales, le directeur gérant de la société pouvant seul ordonner la dépense et faire dresser les plans et installations exigés par la loi » ; CA Paris 4 mars 1963, JCP 1963.II.13259, note H. Guérin : où est retenue la responsabilité du chef d’entreprise, en dépit de la délégation consentie, dès lors que « la fixation de l’indemnité de congé [litigieuse] due aux salariés de l’entreprise à l’occasion des congés de 1959 était une décision d’ordre général concernant l’ensemble du personnel salarié et qu’il appartenait au seul PDG de prendre ».

[15] Crim., 15 février 1982. En l’espèce l’abstention du dirigeant était particulièrement grave : la violation répétée de l’obligation d’information et de consultation du comité d’entreprise avait préalablement été portée à sa connaissance par l’inspecteur du travail.

[16] Crim., 28 janvier 1975, n° 74-91.495.

[17] Crim., 7 novembre 1994, n° 93-85.286.

[18] Crim., 2 février 1993, n° 92-80.672 : où la Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui « énonce notamment que le document en vigueur au moment des faits, (…), est trop général pour constituer une délégation de pouvoirs certaine et dépourvue d’ambiguïté ; que la délégation établie postérieurement à l’accident entre les mêmes parties, qui ne comporte aucune référence au document précédent, ne peut être considérée comme sa régularisation ; [et] que la reconnaissance de cette délégation, faite par le préposé au cours de l’enquête, “n’est pas déterminante comme émanant d’un salarié soumis à un lien de subordination ” ». 

[19] Crim., 30 octobre 1996, 95-84.842 : où est déclarée inefficace la délégation de pouvoirs consentie à un salarié qui « n’avait pas les compétences techniques nécessaires ».

[20] Crim., 26 novembre 1991, n° 90-87.310 : est inefficace la délégation de pouvoirs consentie à un salarié « couvreur », certes habitué des chantiers, mais qui n’a jamais exercé les fonctions de conducteur de travaux et qui n’a pas bénéficié de la formation essentielle alors que, embauché en qualité de « commis de chantier », il n’est en poste que depuis onze jours dans l’entreprise.

[21] Crim., 8 février 1983, n° 82-92.644.

[22] Crim., 21 février 1968, n° 67-92.381.

[23] Crim., 6 mai 1996, n° 95-83.340.

[24] Crim., 15 octobre 1991, n° 89-86.633.

[25] Crim., 7 juin 2011, n° 10-84.283, où un dirigeant exerce lui-même, de manière répétée, le pouvoir disciplinaire à l’encontre de chauffeurs salariés, en dépit de la délégation de pouvoirs préalablement consentie.

[26] Crim., 19 août 1997, n° 96-83.944.

[27] Crim., 6 juin 1989, n° 88-82.266.

[28] V. infra.

[29] Crim., 7 novembre 1994, n° 93-85.286.

[30] CA. Grenoble, 29 avril 1999 où le délégataire ne disposait pas d’un pouvoir autonome dans la commande de matériel de sécurité ; Crim., 25 janvier 2000, n° 97-86.355 où le délégataire ne pouvait régler seul les factures d’entretien.

[31] Crim., 30 octobre 1996, n° 94-83.650.

[32] V., p. ex. : Crim : 2 février 2010, n° 09-84.250.

[33] Crim., 5 juillet 1983, Aspertti-Boursin.

[34] Crim., 17 février 1979, bull. crim. 1979, n° 88.

[35] Crim., 15 janvier 1980, Hiard.

[36] Crim., 11 janvier 1955, bull. crim. 1955, n° 21.

[37] V., pour d’autres exemples, A. Coeuret, E. Fortis, Droit pénal du travail, préc., n° 339.

[38] Sous la réserve de la responsabilité pénale de la personne morale.

[39] Crim., 23 janvier 1975, n° 73-92.615.

[40] Crim., 9 novembre 2010, n° 10-81.074.

[41] Crim., 9 novembre 1999, n° 98-81.746.

[42] Crim., 26 juin 2001, n° 00-83.466 : « ont la qualité de représentants, au sens de [l’article 121-1 du Code pénal], les personnes pourvues de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires, ayant reçu une délégation de pouvoirs de la part des organes de la personne morale ou une subdélégation des pouvoirs d’une personne ainsi déléguée ».

[43] Ce qui n’exclut pas que puisse être reproché au délégant une faute personnelle consistant dans le défaut de surveillance ou de contrôle de l’activité du délégataire.

[44] Crim., 28 mars 2006, n° 05-82.975. En principe, les salariés, comme les dirigeants à l’égard des tiers, n’engagent pas leur propre responsabilité à raison des fautes qu’ils commettent dans l’exercice de leurs fonctions (C. civ., art. 1384, al. 5). Ce principe connaît une exception, comparable à celle appliquée aux dirigeants, lorsque les salariés ont commis une faute étrangère à l’exercice de leurs fonctions. Tel est le cas des fautes pénales intentionnelles : « le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l’ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci » (Plén., 14 décembre 2001, n° 00-82-066). Cette solution est déclinée pour les délégataires, le plus souvent salariés, à propos des fautes visées à l’article 121-3 du Code pénal (v. supra).

Complémentaires santé : généralisation et demie

Inventaire.- Esquisser un bilan de la « généralisation » de la complémentaire santé des salariés, c’est faire un inventaire des vices et vertus de la couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident. C’est, pour le dire autrement, porter un jugement critique sur le dispositif inventé par les partenaires sociaux et consacré dans la foulée par le législateur.

Le bilan à proprement parler ne saurait être fait. Il ne s’agira tout au plus que d’un bilan à n+1. Plusieurs raisons président à ce choix. D’abord, l’article L. 911-7 du Code de la sécurité sociale, qui fait obligation aux entreprises dont les salariés ne bénéficient pas encore d’une « complémentaire santé » de procéder par décision unilatérale de l’employeur, n’est entré en vigueur qu’au 1er janvier 2016 dernier. Il est donc un peu tôt pour se prononcer franchement. Ensuite, au vu des projets défendus par des candidats à l’élection présidentielle, qui ont en ligne de mire la protection sociale et le déremboursement des frais courants, il y a fort à parier que la matière connaisse quelques aménagements dans les mois à venir. Pour cause : le reste à charge étant mécaniquement plus grand, il s’agira pour le législateur de préciser le rôle qu’il entend faire jouer aux organismes d’assurance complémentaire.

Le vocable « généralisation » devrait être assorti de guillemets. Car, l’extension de la « complémentaire santé » à la plupart des salariés est pour ainsi dire manquée. La genèse attestait pourtant l’utilité et la justice du dispositif.

Genèse.- Au commencement, les partenaires sociaux créèrent la généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé[1]. Le législateur vit que cela était bon. Le deuxième jour, il créa un nouveau droit pour la sécurisation des parcours et permit à tous les salariés de bénéficier d’une couverture collective à adhésion obligatoire[2]. Et le législateur dit : que « l’employeur  assure au minimum la moitié du financement de cette couverture » (C. sécu. soc., art. L. 911-7)[3].

Les employeurs, qui ont lu le livre de la genèse, qui renferme les dispositions générales relatives à la protection sociale complémentaire des salariés (à savoir le livre 9 du Code de la sécurité sociale), ont cru être en mesure de s’acquitter de cette nouvelle exigence sociale au 1er janvier 2016. À l’expérience, il n’en fut rien pour nombre d’entre eux.

L’incitation cédant le gros de sa place à une obligation assortie (pour les besoins de la cause) de toute une série d’aménagements, le législateur a fait germer mille et une difficultés d’application que les conseils, les juges et les professeurs s’échinent depuis lors à résoudre.

Chausse-trappes.- L’analyse et la prévention du risque juridique ont été complexifiées. Il faut bien voir que, fondamentalement, la législation, qui demeure incitative à la marge, se superpose désormais à une législation impérative, qui est faite de dispositions tous azimuts et de toute nature dont le sens et la portée peuvent volontiers échapper.

Syncrétisme.- Le dispositif semble fonctionner au sein du système juridique tout entier et du droit de la protection sociale en particulier à la manière d’un mouvement perpétuel. Les faits sont têtus. Le nombre de normes applicables dans le cas particulier et le nombre de signes par texte n’ont de cesse d’aller crescendo. C’est qu’il en faut des règles de droit et des lignes de codes pour déporter les engagements des organismes de sécurité sociale et transférer la charge des remboursements des frais de soins de santé sur les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM), qu’ils soient à but non lucratifs ou pas du reste, en faisant mine de ne rien abandonner aux marchés. Penser la protection sociale d’entreprise comme un « outil facilitateur » (pour employer une expression à la mode), qui participe très certainement à la réduction du déficit des comptes sociaux, est une chose. Inventer un système qui s’avère être d’une complexité inouïe, qui rebuterait tout amateur quelque éclairé qu’il soit, en est une autre.

Division.- Dresser un bilan dans ces conditions de la généralisation de la complémentaire santé des salariés pourrait passer pour un tantinet audacieux. Ce n’est pas à dire, à tout le moins, qu’il ne peut être esquissé. C’est qu’il est dans le cas particulier des écueils de méthode et de perspective, rédhibitoires à certains égards, qui ont été commis. Et alors que le législateur est disposé à généraliser la prévoyance lourde, il serait des plus fâcheux, au regard des sommes considérables qui se jouent, qu’on procédât semblablement.

Il sera soutenu en ce sens, en premier lieu, que la généralisation de la complémentaire santé des salariés est singulièrement compliquée (1) et, en second lieu, qu’elle est manifestement ratée (2).

1.- Une généralisation singulièrement compliquée de la complémentaire santé des salariés

Raisons.- La généralisation de la complémentaire santé des salariés est singulièrement compliquée. C’est dire que les coûts d’entrée dans la matière sont parmi les plus élevés qui soient. Il faut bien voir qu’à raison de l’indétermination du langage normatif, les effets de droit ne peuvent être valablement déployés sans l’interprétation de l’énoncé législatif par l’administration ou le juge. Ceci est vrai en tout état de cause. Cela se vérifie plus encore dans le cas particulier. Vu de l’extérieur, le droit de la protection sociale complémentaire pourrait passer pour impénétrable ou presque. Pour s’en convaincre, on réservera notre attention, d’une part, aux sources de complication (A), d’autre part, au remède qui a été trouvé à la complication (B).

A.- Les sources de la complication

Les sources de complication sont nombreuses et intriquées. La généralisation de la complémentaire santé des salariés a été compliquée d’abord par le contexte dans lequel elle a été engagée (1) ensuite par les textes qui ont été rédigés (2).

1.- Le contexte

Légistique.- Les traités de légistique sont formels[4]. Le contexte d’une réforme importe tout autant que le texte en gestation. Relativement à la généralisation de la complémentaire santé des salariés, il est regrettable que lesdits traités n’aient pas été lus, à tout le moins pas in extenso. La reconnaissance d’un nouveau droit subjectif à la complémentaire santé et au remboursement des frais de soins de santé supposait que les employeurs, qui sont les pivots de l’opération d’assurance, soient en capacité de se mettre au diapason. Quant aux organismes d’assurance, qui sont les leviers de ladite opération, il eut été pertinent de veiller à ce qu’ils soient en capacité de procéder.

Tournis.- Or, le Parlement a concomitamment voté, à un rythme effréné, des lois dans toutes les directions qui ont modifié des pans entiers du droit de la protection sociale complémentaire. On peut lister pêle-mêle entre autres réformes et chronologiquement : la sélection des contrats d’assurance santé éligibles à l’aide à la complémentaire santé (C. sécu. soc., art. L. 863-6)[5], la reconfiguration du contrat solidaire et responsable (C. sécu. soc., art. L. 871-1 et R. 871-1)[6], la fusion de la taxe de solidarité additionnelle et la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (C. sécu. soc., art. L. 862-4)[7], l’invention de la déclaration sociale nominative (C. sécu. soc. art. L. 133-5-3-I)[8], la transposition de la directive sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (Solvabilité 2)[9]. On pourrait encore dire un mot de la création de la protection universelle maladie (C. sécu. soc. art. L. 160-1)[10] ou du tiers payant généralisé… En bref, employeurs et assureurs ont été purement et simplement pris dans un tournis législatif et réglementaire proprement invraisemblable à telle enseigne qu’il a fallu étendre a maxima le champ du rescrit social pour palier la complexité et l’instabilité de la norme[11].

Rescrit.- Il faut bien voir que 96 % des entreprises sont des microentreprises. C’est à dire que ce sont des firmes qui emploient moins de 10 personnes et dont le chiffre d’affaires ou le total de bilan ne dépasse pas 2 millions d’euros. C’est l’Insee qui le dit[12]. Ce sont donc des personnes qui, par hypothèse, sont dans l’incapacité de déférer spontanément à l’ordre de pareilles lois. Ces très petites entreprises ne comptent pour ainsi dire aucun juriste dans leur rang respectif. Cela ne signifie pas nécessairement qu’elles ne sont pas conseillées ni assistées. Mais elles ne le sont qu’à rebours. En revanche, elles sont contraintes de s’agréger un expert comptable. En pratique, autant dire que c’est lui qui est en responsabilité sur ces questions de complémentaire santé et de leur généralisation. Les agents chargés du recouvrement des cotisations le savent trop. On comprendra mieux pourquoi le législateur a étendu le spectre du rescrit social en autorisant les professionnels du chiffre à saisir les organismes collecteurs[13].

Il faut bien voir que non seulement la quantité de la production normative de ces trois dernières années donne à voir que le contexte de la généralisation de la complémentaire santé des salariés n’était pas des plus propices à sa réception, mais la piètre qualité des textes applicables a participé à compliquer un peu plus encore la réforme.

2.- Les textes

Temps.- Les textes propres à l’application de la loi dans le temps sont probablement parmi les plus insondables. Ce n’est toutefois pas imputable complètement au législateur, mais au droit des relations collectives du travail et à l’éventualité qu’il ait fallu renégocier qui un accord de branche, qui un accord d’entreprise ou bien, et à défaut, qu’il se soit agi de procéder à l’instauration de la couverture minimale obligatoire par décision unilatérale de l’employeur. Mais il y a plus fâcheux. C’est que l’insuffisante préparation des textes applicables à la cause, tant en droit qu’en économie, a interdit les employeurs et les assureurs de dérouler le dispositif, ce qui a pour le moins compliqué la généralisation de la complémentaire santé.

Argent.- Le législateur a ainsi réussi le tour de force, à seulement quelques jours de l’entrée en vigueur de la réforme, de procéder à des modifications substantielles relativement au montant du financement patronal de la garantie frais de soins de santé à telle enseigne qu’elle n’aura jamais été appliquée dans sa version d’origine[14]. L’article 34 de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016 a été l’occasion de réécrire l’article L. 911-7 du Code de la sécurité sociale. La première mouture du texte laissait à penser que les employeurs n’étaient tenus qu’au financement des garanties bénéficiant aux seuls salariés (à l’exclusion des ayants droit) et dans la limite de 50% du panier de soins (à l’exclusion des garanties supérieures possiblement accordées). Inspiré par une interprétation in favorem de la Direction de la sécurité sociale[15], le législateur décide que « l’employeur assure au minimum la moitié du financement de la couverture collective à adhésion obligatoire des salariés en matière de remboursement complémentaire des frais soins de santé » (art. L. 911-7, III C. sécu. soc.). Soutenir dans ces conditions que la généralisation a été compliquée, c’est un doux euphémisme. Car il faut bien se représenter les coûts en temps et en argent que de tels soubresauts de la législation ont pu nécessiter pour toutes les parties intéressées.

Et ils ne sont pas prêts de se tarir[16]. Il y aurait beaucoup à (re)dire, entre autres sujets, sur les heurts et malheurs des clauses de désignation[17], des clauses de recommandation, des modalités de révision des contrats responsables[18]… Tout à fait averti des risques qu’une pareille législation fait courir aux opérateurs, autrement dit, tout à fait avisé des sources de complication de la réforme, le législateur s’est appliqué à déployer un remède à la complication.

B.- Le remède à la complication

Le remède à la complication est à double détente. Il est pour le moins original. Il consiste, d’une part, à refuser de réglementer pour l’avenir (1) et, d’autre part, à effacer ce qui a pu être réglé par le passé (2).

1.- La non écriture de l’avenir

Report.- Le remède à la complication pour l’avenir est plutôt fruste. Il a purement et simplement été décidé ne pas ajouter à la complication en n’engageant pas la réforme qui comptait vraiment au regard de son importance pour les travailleurs concernés, à savoir la généralisation de la prévoyance – i.e. la couverture des risques dits lourds, à savoir l’incapacité de travail, l’invalidité et le décès. – En ce sens, loi de sécurisation de l’emploi (qui fait au passage le départ entre le remboursement des frais de santé et la prévoyance) priait pourtant, et ce avant le 1er janvier 2016, « les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels (d’engager) une négociation en vue de permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d’une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de prévoyance au niveau de leur branche ou de leur entreprise d’accéder à une telle couverture »[19]. Le législateur a cru pouvoir s’aventurer. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 était trop belle. Mais c’était sans compter la saisine du Conseil constitutionnel. Dans une décision n° 2016-742 du 22 décembre 2016, le Conseil décidait qu’il s’agissait là d’un cavalier social (cons. 32).

Au vu des modalités de la réforme, qui sapent en définitive la généralisation de la complémentaire santé, il ne sera pas regretté outre mesure que la généralisation de la prévoyance n’ait pas été engagée dans la foulée et qu’on ait préféré ne pas écrire tout de suite l’avenir. S’agissant du passé, le remède a consisté à inventer au profit de l’employeur un principe de tolérance tant la généralisation de la complémentaire santé des salariés est apparue compliquée.

2.- L’effacement du passé

Sévérité.- Il était de règle que les inspecteurs du recouvrement soient tenus d’appliquer strictement le droit applicable à la cause : principe d’égalité de traitement obligeait. Dit autrement, les agents chargés du contrôle de l’application des législations de sécurité sociale n’ayant pas le pouvoir d’apprécier les manquements de l’employeur, ils n’étaient pas fondés à moduler le redressement au regard du critère tiré de la bonne ou mauvaise fois du cotisant. Égalité certes, mais sévérité. Le droit aux exemptions d’assiette étant des plus exigeants[20], si d’aventure un système de garantie ne remplissait pas toutes les conditions requises, les organismes chargés du contrôle étaient tenus de considérer que l’ensemble du financement patronal constituait une rémunération. Les contrevenants étaient aussitôt assujettis à l’ensemble des prélèvements sociaux pour une faute allant du simple défaut de fourniture de pièces justificatives à l’erreur de droit manifeste.

Tolérance.- L’article L. 133-4-8, II nouveau du Code de la sécurité sociale, qui est un texte d’exception, dispose désormais : « l’agent chargé du contrôle réduit le redressement à hauteur d’un montant calculé sur la seule base des sommes faisant défaut ou excédant les contributions nécessaires pour que la couverture du régime revête un caractère obligatoire et collectif (…) ». Et la loi de réduire concrètement ledit redressement au regard de la faute commise[21]. Ainsi, la commission d’une faute très légère (culpa levissima : absence de production de dispense ou de tout document ou justificatif) permet une réduction du redressement à hauteur d’une fois et demie les sommes concernées. La commission d’une faute légère (culpa levis : manquement non constitutif d’une méconnaissance d’une particulière gravité des règles idoines) assure une réduction à hauteur de trois fois ces sommes. Tandis que la faute lourde (culpa lata : octroi d’avantage personnel, discrimination, travail dissimulé, obstacle à contrôle, abus de droit) interdit purement et simplement la réduction du redressement (C. sécu. soc., art. L. 133-4-8, III).

D’apparence anodine, « la gammes des fautes » (Lalou, DH 1940.17) prête en réalité à conséquences. Bien que cela ait déjà été écrit[22], il importe de faire remarquer derechef, en premier lieu, que la définition de la faute légère étant laissée à l’appréciation souveraine des inspecteurs chargés du recouvrement, il existe un risque qu’à situation semblable, les Urssaf considérées réservent un sort différent aux employeurs concernés[23]. La sévérité d’antan présentait, entre autres avantages, de préserver tout un chacun, d’une part, des affres de l’interprétation, d’autre part, des heurts et malheurs de la proportionnalité. Mais pareille sévérité supposait que le droit fût encore accessible et intelligible pour les opérateurs. Or, faute pour le droit de la protection sociale d’entreprise de satisfaire pleinement cet objectif à valeur constitutionnelle[24], il a été décidé de donner le pouvoir à des organismes de droit privé, investis certes d’une mission de service public, de définir les conditions d’application de la loi… Où l’on n’est plus à un renversement des facteurs en la matière. Il y a plus. L’article L. 133-4-8 nouveau du Code de la sécurité sociale aménageant l’intensité de la sanction (l’importance du redressement en l’occurrence) au regard de la faute commise, d’aucuns pourraient dénoncer l’invention d’une règle pour le moins exorbitante, à savoir qu’il serait désormais nécessaire mais suffisant que l’employeur fasse montre de la meilleure des diligences dans l’application de la loi. En bref, qu’il se contente de faire en sorte d’appliquer le droit. À hauteur de principe, il pourrait être regretté que l’obligation de déférer à l’ordre de la loi soit ravalée de la sorte au rang d’obligation de moyens. Il reste, et c’est l’important, qu’à l’impossible nul n’a jamais été tenu. Au fond, et les praticiens le savent trop, si le droit de la protection sociale d’entreprise a été méconnu, « ce n’est pas tant faute pour (l’employeur) de l’avoir cherché, c’est faute pour le droit lui-même de ne pas avoir été accessible à sa connaissance, puisque les démarches les plus sérieuses n’ont pas permis sa découverte »[25].

Il importe de dire aussi que l’aménagement légal de la rigueur de l’adage « Nul n’est censé ignoré la loi » – car c’est ce dont il est question – ne peut être excipé à tous coups. L’article L. 133-4-8, III nouveau du Code de la sécurité sociale prive l’employeur du régime de faveur lorsque l’irrégularité en cause a déjà fait l’objet d’une observation lors d’un précédent contrôle ou lorsqu’est reprochée une faute lourde (not. l’abus de droit). Le rapport parlementaire (v. supra) était du reste en ce sens, qui recommandait d’accorder un droit d’alerte – voire d’erreur – consécutivement au seul premier contrôle.

D’aucuns opposeront qu’il ne s’agit rien d’autres que de quelques impondérables. Des questions complexes, des intérêts divergents, des intentions ambitieuses font rarement des règles de droit simples à écrire, de sorte que le caractère singulièrement compliqué de la généralisation de la complémentaire santé des salariés était inévitable. Peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse pourrait-on se dire.

Dans un tout récent rapport sur la complémentaire santé, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress, avr. 2016) indique qu’avec 95 % de personnes couvertes, la France est le pays de l’OCDE où la couverture privée est la plus répandue. Il y a mieux. Selon la Dress, les contrats collectifs sont généralement moins coûteux pour les salariés (déductions fiscales et participation patronales) et offrent possiblement plus de garanties[26]. Aussi bien et de prime abord, la réforme semble réussie. Ceci étant, à la réflexion, et parce que après tout on ne gouverne pas par les nombres[27], il sera défendu (à titre conservatoire peut-être) que la généralisation de la complémentaire santé des salariés est manifestement ratée.

2.- Une généralisation manifestement ratée de la complémentaire santé des salariés

Soutenir que la généralisation de la complémentaire santé des salariés apparaît manifestement ratée suppose qu’on s’entende bien sur les mots. L’action de généraliser consiste à rendre commun à beaucoup (Littré). Dit autrement, la généralisation est l’extension à la plupart des salariés de la complémentaire santé. Ainsi comprise, d’aucuns soutiendront à raison que la généralisation est plutôt réussie. Seulement, le diable se cache dans les détails. La loi a une toute autre ambition. Sa lettre ne souffre pas la discussion. L’article L. 911-7 du Code de la sécurité sociale entend que les salariés, non pas une majorité d’entre eux, profitent d’une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires des frais de soins de santé. Or, force est de constater qu’il subsiste, d’une part, des assurés sociaux non couverts (A) et, d’autre part, qu’il est encore des assurés sociaux mal couverts (B).

A.- L’existence d’assurés sociaux non couverts

L’article L. 911-7 du Code de la sécurité sociale est censé avoir garanti à tout un chacun un nouveau droit subjectif à la complémentaire santé. Les programmatiques articles premiers de l’accord national interprofessionnel et de la loi de sécurisation de l’emploi sont en ce sens. À l’expérience, il s’avère qu’il existe deux catégories d’assurés sociaux qui ne sont pas couverts par une complémentaire santé. La première catégorie est faite de ceux qui ne le sont pas par détermination de la loi (1). La seconde de ceux qui s’y sont opposés par choix (2).

1.- Les assurés sociaux non couverts par détermination de la loi

Loi.- L’article L. 911-7 du Code de la sécurité sociale est exclusif. Seuls les salariés sont titulaires du droit subjectif à la complémentaire santé. Sont nécessairement exclus du champ de la généralisation, au sein de la population active, les agents publics et les travailleurs non-salariés. Concernant les agents, ce n’est pas à dire toutefois que l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ne participent pas au financement de garanties complémentaire en matière de santé[28]. Quant aux indigents, à savoir pour ce qui nous occupe, les chômeurs (qui ne bénéficient plus de la portabilité) et les retraités, ils sont invités pour leur part à souscrire des contrats d’assurance à adhésion individuelle techniquement plus chers que les contrats collectifs et/ou sont renvoyés à la CMU-C pour autant qu’ils en connaissent l’existence ou qu’ils parviennent à en comprendre les arcanes (i.e. le taux de recours n’est que de 70 % soit 4,5 millions de bénéficiaires. Comprenons bien : 30 % des bénéficiaires potentiels n’en font pas la demande)[29]. En bref, et c’est ce qui importe, ni les uns ni les autres ne sont fondés à opposer un quelconque droit à la complémentaire santé comme tout un chacun. Ce qui, s’agissant de cette seconde catégorie de personnes, est d’autant plus fâcheux que leur situation respective peut être l’occasion d’une consommation de soins plus grande. Ce qui, au vu des propositions de réforme du système de protection sociale, est plus ennuyeux encore.

Contrat. La loi des parties peut aussi être l’occasion d’un trou de couverture. Le premier cas de figure est anecdotique. Il arrive le plus souvent que le contrat d’assurance collectif garantisse le remboursement des dépenses de santé de l’assuré et des membres de sa famille. Le régime général définit cette dernière notion. Le contrat peut substituer la sienne propre. Auquel cas, les ayants droit peuvent ne pas nécessairement être ceux que l’on croit. La police d’assurance peut même réserver la garantie au seul assuré[30]. La généralisation de la complémentaire santé ne profitera donc qu’au seul salarié. Mais peut-être est-ce trop demander à la loi.

Le second cas de figure est possiblement plus ennuyeux en revanche. Aux termes de l’article R. 242-1-2 du Code de la sécurité sociale, le fait de prévoir que l’accès aux garanties est réservé aux salariés de plus de quelques mois dans l’entreprise ne remet pas en cause le caractère collectif des garanties. C’est dire que l’exclusion plafonnée de l’assiette des cotisations de sécurité sociale joue quand même. Par voie de conséquence, si une clause d’ancienneté est stipulée, peu importe la raison au fond, le salarié concerné ne verra pas ses dépenses de santé surnuméraires prises en charge par une complémentaire santé. En droit, la contradiction entre l’article R. 242-1-2 et L. 911-7 C. sécu. soc. n’est qu’apparente[31]. Il reste que concrètement le salarié est exposé à un défaut de couverture et l’employeur à un risque prud’homal.

Certes, il se peut que les assurés non couverts par détermination de la loi soient en petit nombre[32]. Il reste que, à hauteur de principe, il n’est pas correct de parler de généralisation. Et ceci d’autant moins que la multiplication des cas de dispense, qui ouvrent aux salariés concernés la faculté d’échapper à la complémentaire santé à adhésion en principe obligatoire, fait douter qu’il y ait jamais eu généralisation. Il était décidément prudent de mettre le mot du sujet  « généralisation » entre guillemets. C’est qu’il est des assurés sociaux qui ne sont pas couverts par choix.

  1. Les assurés sociaux non couverts par expression d’un choix

Dispenses.- Il y aurait beaucoup à dire sur les dispenses d’adhésion au dispositif, entre autres qu’un pareil relâchement de la rigueur du droit s’inscrit en faux avec les intentions des promoteurs de la réforme. On opposera sûrement qu’il importe de ne pas verser dans le juridisme à outrance et, au contraire, de faire preuve de réalisme. C’est qu’il ne s’agirait pas de pécher par excès d’assurance… Seulement, il faut avoir à l’esprit qu’un salarié sur trois s’est fait dispenser[33]. Et la tendance ne devrait pas s’inverser. Pourquoi cela ? Parce qu’aucun salarié employé dans une entreprise avant la mise en place d’un système de garanties collectives (contre le risque décès, les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d’incapacité de travail ou d’invalidité) ne peut être contraint de cotiser contre son gré à ce système lorsqu’il a été décidé unilatéralement par l’employeur. Or, c’est précisément par DUE que bon nombre d’employeurs vont en définitive déployer le dispositif de couverture frais de soins de santé. On pourrait se demander en quoi cette manifestation de volonté est de nature à fonder le jugement qui est fait de la généralisation de la complémentaire santé. C’est qu’il est question d’antisélection.

Antisélection.- En économie de la santé et en assurance, l’antisélection reflète le comportement d’individus en bonne santé qui considèrent que les cotisations qu’ils paient sont beaucoup trop élevées au regards des prestations qu’ils peuvent espérer. Aussi préfèrent-ils ne pas s’assurer[34]. Le financement du risque maladie est alors reporté sur des individus en mauvaise santé[35] et en nombre restreint. En conséquence, que disent les actuaires ? Eh bien qu’il importe de commercialiser des contrats d’assurance à garanties moindres ou à options pour attirer tous les risques. Ce faisant, le système est théoriquement moins bien financé et les assurés sociaux sont pratiquement moins bien couverts.

B.- L’existence d’assurés sociaux mal couverts

C’est au contrat responsable et plus précisément au panier de soins minimum qu’il importe à présent de réserver l’attention. Menée tambour battant, la réforme a pour objet de garantir qualitativement le niveau de couverture des assurés sociaux et de réduire quantitativement le niveau des prestations servies par l’assurance maladie. Un nouveau mot d’ordre : entraver pour économiser. À l’analyse, l’invention du panier de soins est comme l’enfer : pavée de bonnes intentions. En apparence, le dispositif est des plus heureux. En réalité, il est douteux.

1.- L’apparence

En apparence, il est heureux que le législateur ait imposé non seulement qu’une couverture minimale soit garantie au salarié (C. sécu. soc., art. L. 911-7, II) mais que, à défaut d’être éligibles, les salariés précaires (en contrat à durée déterminée, en contrat de mission ou à temps partiel) puissent désormais profiter du versement santé (C. sécu. soc., art. L. 911-7-1). De ce strict point de vue la généralisation de la complémentaire santé des salariés présente peu ou prou les avantages escomptés.

2.- La réalité

Principe.- En réalité, et exception faite (peut-être) du régime local d’assurance maladie d’Alsace-Moselle[36], le panier de soins minimum tire vers le bas le niveau des garanties frais de soins de santé. L’employeur étant tenu d’assurer au moins la moitié du financement de la couverture, la loi pousse à une application minimaliste de ses dispositions[37]. À l’expérience, les 4 millions de personnes assurées en contrat individuel qui se sont retrouvées assurées sur la base d’un contrat collectif à adhésion obligatoire[38] se sont avérées moins bien couvertes : panier de soins minimum et contrat responsable obligent. L’histoire est ainsi écrite que l’économie et le droit ont fini par convaincre l’employeur de souscrire une couverture possiblement plus fruste que celle jusqu’alors proposée[39], à peine d’encourir un risque de redressement.

C’est peu dire que la généralisation de la complémentaire des salariés a manifestement déclenché des effets de bord en série.

Effets. Pêle-mêle, et pour ne prendre que trois exemples, la réforme rend la souscription d’une protection sociale surcomplémentaire à adhésion facultative pour ainsi dire nécessaire. Et pour réduire mieux encore le reste à charge, elle laisse entrevoir tout l’intérêt qu’il y aurait à souscrire une surcomplémentaire individuelle de second rang… Tout ceci est des plus coûteux. Partant, c’est discriminant. Il y a plus fâcheux encore. La réforme ayant modifié la prise en charge complémentaire des frais de soins de santé onéreux, les organismes d’assurance se sont appliqués à formuler des offres de contrats non responsables assortis de toute une série d’options au nombre desquelles on trouve le remboursement des dépassements d’honoraires peu important que le professionnel de santé soit ou non adhérent au contrat d’accès aux soins[40]. Les contrats sont certes plus taxés (C. sécu. soc., art. L. 871-1), mais ils sont autrement plus attractifs. Ceci vaut bien cela. Mais c’est écarter poliment et nécessairement la prévention des pratiques tarifaires excessives. En définitive, c’est le parcours de soins et la responsabilisation des assurés sociaux voulus par la loi n° 2014-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie dite Douste-Blazy qui se retrouvent malmenés[41].

On peut relever un deuxième effet de bord. Il s’avère que le basculement, qui fait passer des assurés plutôt jeunes d’une couverture à adhésion individuelle à une couverture collective, pourrait augmenter l’âge moyen des souscripteurs de contrats individuels, c’est-à-dire leur profil de risque, et accroître ainsi l’écart de coût moyen entre contrat individuel et contrat collectif. C’est la raison pour laquelle la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a prévu à cet égard la mise en œuvre d’une procédure de labellisation des contrats d’assurance complémentaire individuels pour les personnes de 65 ans et plus afin d’atténuer les incidences de la généralisation sur le niveau des cotisations et primes supportées par les assurés les plus âgés[42]. Elle vise donc à diminuer les incidences financières possibles sur cette population de la généralisation de la complémentaire santé d’entreprise.

Last but not least, il y aurait beaucoup à dire sur l’empiétement de la solidarité obligatoire portée par des opérateurs privés à la prière des partenaires sociaux et du législateur sur la solidarité territoriale obligatoire déployée par le régime alsacien-Mosellan qui s’avère autrement plus généreux[43].

En guise de conclusion, soutenir que la généralisation de la complémentaire santé des salariés aurait pu être de bien meilleure facture est une lapalissade. Il y aurait encore tant à redire[44]… Puisse le législateur être mieux inspiré lorsque le temps sera venu de généraliser la prévoyance lourde.

J.B.

[1]Accord national interprofessionnel, 11 janv. 2013, art. 1er. À noter au passage que l’article L. 1 du Code du travail (in Chap. préliminaire : Le dialogue social) ne semblait pourtant pas autoriser les intéressés à « légiférer » en droit de la protection sociale.

[2]Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Cons. const., décision n° 2013-672 DC 13 juin 2013. J.O. 16 juin 2013.

[3]Exception faite du régime local, qui prévaut dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle). V. en ce sens F. Kessler, Complémentaire frais de santé obligatoire d’Alsace et de Moselle : reste-t-il une place pour du droit national d’application territoriale ?,Revue Regards, EN3S, juin 2016, p. 81.

[4]D. Rémy, Légistique, L’art de faire les lois, Romillat, 1994, p. 72. Voy aussi : www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Guide-de-legistique.

[5]Loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014 (art. 56).

[6]D. n° 2014-1374 du 18 nov. 2014 rel. au contenu des contrats d’assurance maladie complémentaire bénéficiant d’aides fiscales et sociales. J. Bourdoiseau, Nouveau contrat responsable et iatrogénèse, Gaz. pal. 2015 n° 258, p. 5. À noter que l’article L. 871-1 CSS a été récemment modifié (loi n° 2016-1827 du 23 déc. 20016, art. 77).

[7]Loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015 (art. 22). Circ. n° DSS/SD5D/2015/380 du 28 décembre 2015 relative à la taxe de solidarité additionnelle de l’article L. 862-4 du code de la sécurité sociale.

[8]Ord. n° 2015-682 du 18 juin 2015 rel. à la simplification des déclarations sociales des employeurs.

[9]Ord. n° 2015-378 du 2 avr. 2015 transposant la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (Solvabilité II).

[10]Loi n° 2015-1702 du 10 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016 (art.

[11]Ord. n° 2015-1628 du 10 déc. 2015, décret n° 2016-1435 du 25 oct. 2016. J. Venel, Rescrit social. Une ordonnance prometteuse, un décret mesuré, JCP S. 2016.1390.

[12]Insee, Les entreprises en France, éditions 2016, p. 78 (www.insee.fr/fr/statistiques/2497086?sommaire=2497179).

[13]À noter que les organisations professionnelles d’employeurs ou les organisations syndicales ont à présent la possibilité de formuler une demande de rescrit à charge dans ce dernier cas pour l’Acoss de se prononcer (art. L. 243-3-6 C. sécu. soc.).

[14]V. égal. à ce sujet J. Bourdoiseau et V. Roulet, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Aspects critiques, Gaz. pal. 2016.

[15]Circ. DSS du 29 décembre 2000, Q/R n° 7 : « Lorsque l’employeur impose la couverture obligatoire des ayants droit et que ces derniers sont couverts dans le contrat collectif et obligatoire de l’entreprise, la cotisation obligatoire à la charge du salarié est bien la cotisation famille et donc l’employeur doit s’engager à hauteur de 50% de cette cotisation ».

[16]B. Serizay et Ph. Coursier, Protection sociale : trop c’est trop !, JCP S. 2014.1413.

[17]Voy. not. J. Bourdoiseau, Modulation dans le temps de la jurisprudence constitutionnelle, contrat en cours et clause de désignation, note sous Cass. soc., 11 févr. 2015, n° 14-13.538, Lexbase éd. sociale, 12 mars 2015 ; V. Roulet, La clause de désignation : un phoenix qui ne dit pas son nom, Gaz pal.  2015, n° 111 ; L. Mayaux, Clause de désignation : quand la chambre sociale interprète mal la notion de contrats en cours, RGDA 2015.04, p. 206 ; V. Roulet, Encore et toujours les clauses de désignation, note sous Cass. soc. 1er juin 2016, nos 15-12.276 et 15-12.796, Gaz. pal. 2016, n° 35.

[18]J. Bourdoiseau, Contrat responsable et iatrogénèse, op. cit.

[19]Art. 1er, V in Section 1 – De nouveaux droits individuels pour la sécurisation des parcours.

[20]V. en ce sens les articles L. 242-1, al. 6-9 C. sécu. soc. (D. 242-1, R. 242-1-1, R. 242-1-6) et L. 871-1 C. sécu. soc.

[21]À noter que la loi n’autorise pas l’employeur à recourir contre les salariés aux fins de remboursement des cotisations salariales dues qui n’auront pas été précomptées sur la rémunération (C. sécu. soc., art. L. 133-4-8, IV nouv.).

[22]J. Bourdoiseau et V. Roulet, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Analyse critique, Gaz. pal. 2016.

[23]À ce jour, aucune lettre circulaire de l’ACOSS n’a été publiée sur la question.

[24]Cons. const., décision n° 99-421 DC du 16 déc. 1999 ; CE ass., 24 mars 2006, KPMG, Gaja, n° 117.

[25]P. Deumier, Introduction générale au droit, 3ème éd., L.G.D.J., 2015, n° 249.

[26]Dress, études et résultats, n° 789, février 2012.

[27]A. Supiot, La gouvernance par les nombres, Cours au Collège de France, Fayard, 2015.

[28]À noter que 98 % des fonctionnaires sont couverts par une complémentaire santé. Le référencement des organismes d’assurance a d’ailleurs le vent en poupe au sein de la fonction publique d’État (voy. en ce sens, L’argus de l’assurance, 20 janv. 2017, p. 13). À noter encore que la couverture assurantielle est toujours facultative dans le cas particulier. Voy. en ce sens : D. 2011-1474 du 08 nov. 2011 rel. à la participation des collectivités territoriales et de leurs établissements publics au financement de la protection sociale complémentaire de leurs agents, art. 3. Voy. également : D. Leroy, Les effets du décret n° 2011-1474 sur l’accès à la protection sociale complémentaire dans la Fonction publique territoriale, Sénat, rapp. du 29 mars 2017, p. 29.

[29]Cour des comptes, rapport sur la CMU-C, 2015. Voy. également en ce sens : R. Verniolle, L’accès à la complémentaire santé pour les personnes disposant de faibles ressources : la CMU-C et l’ACS, EN3S, Regards, 2016, n° 49, p. 121.

[30]Dans ce cas, il peut être prévu que d’autres membres de la famille pourront en bénéficier, moyennant le versement d’une cotisation supplémentaire pour chacun d’entre eux.

[31]Sans solliciter la hiérarchie des normes, il peut être rappelé d’abord que l’article L. 911-7 C. sécu. soc. déclare que la complémentaire santé doit profiter à tout salarié et noter ensuite que les organismes de sécurité sociale sont d’avis qu’aucun salarié ne peut être exclu d’une couverture santé au titre d’une clause d’ancienneté d’un contrat » (circ. Mutex n° 2015/47 du 12 août 2015, p. 3. Circ. Acoss du 29 déc. 2015).

[32]Il se pourrait même – c’est une hypothèse qu’il s’agirait de vérifier chiffres à l’appui – qu’il n’y ait pour ainsi dire jamais eu de salariés non couverts absolument. Un tel cas de figure supposerait que l’assuré social ne soit couvert par aucun contrat d’assurance complémentaire individuel ou collectif et qu’il ne soit éligible ni à la CMU-C ni à l’ACS.

[33]Source : art. L. 911-7 et R. 242-1-6 C. sécu. soc. ensemble art. 11 de la loi n° 89-1009 du 31 déc. 1989. D. n° 2014-1025 du 08 sept 2014.

[34]Voy. not. sur la notion, H. Groutel, F. Leduc et Ph. Pierre, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec 2008, n° 143.

[35]Irdes, Bulletin d’information en économie de la santé, n° 115, nov. 2006 (http://www.irdes.fr/Publications/Qes/Qes115.pdf).

[36]F. Kessler, Complémentaire frais de santé obligatoire d’Alsace et de Moselle : reste-t-il une place pour du droit national d’application territoriale ?, op. cit.

[37]P. Morvan, Droit de la protection sociale, op. cit., n° 1038.

[38]D. Libault et V. Reymond, Rapport sur la solidarité et la protection sociale complémentaire collective, La documentation française, sept. 2015, p. 10.

[39]V. en ce sens, J. Bourdoiseau, Nouveau contrat responsable et iatrogénèse, Gaz. pal. 2015, n° 258.

[40]Le contrat ACS a été remplacé par l’Option pratique tarifaire maîtrisée (OPTAM). Voy. not. sur le sujet, J. Bourdoiseau et V. Roulet, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2017. Analyse critique, Gaz. pal. 2017, n° 10, p. 50.

[41]C. sécu. soc., art. L. 162-5. Arr. du 20 oct. 2016 portant approbation de la convention médicale nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie signée le 25 août 2016, p. 24.

[42]Voy. également D. 2017-372 du 21 mars 2017 rel. à l’application de l’article 4 de la loi Évin, qui corrige les modalités de plafonnement de la majoration des tarifs applicables aux anciens salariés.

[43]F. Kessler, Complémentaire frais de santé obligatoire d’Alsace et de Moselle : reste-t-il une place pour du droit national d’application territoriale ?, op. cit.

[44]G. Perrin, Généralisation de la complémentaire santé, tout est loin d’être fini, L’argus de l’assurance, avr. 2016, p. 18.

Qu’est-ce qu’un commerçant?

I) Définition de la qualité de commerçant

Aux termes de l’article L. 121-1 du Code de commerce, « sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle ».

Trois enseignements peuvent être tirés de cette définition du commerçant :

  • Le commerçant tient sa qualité de l’accomplissement d’actes de commerce.
    • C’est donc l’activité commerciale qui confère à son auteur la qualité de commerçant et non l’inverse
  • L’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ne confère nullement à son auteur la qualité de commerçant.
    • Il s’agit seulement d’un mode de preuve de la qualité de commerçant
  • La reconnaissance de la qualité de commerçant suppose la réunion de trois conditions cumulatives:
    • L’accomplissement d’actes de commerce
    • À titre de profession habituelle
    • De manière indépendante

II) Les éléments constitutifs de la qualité de commerçant

A) L’accomplissement d’actes de commerce

  • Principe
    • Seuls les actes de commerce par nature confèrent à leur auteur la qualité de commerçant
  • Exclusion
    • Les actes de commerce par accessoire sont exclus dans la mesure où pour être qualifiés d’actes de commerce, cela suppose que leur auteur revête la qualité de commerçant
    • Les actes de commerce par la forme ne sont pas non plus susceptibles de conférer à leur auteur la qualité de commerçant dans la mesure où ils sont précisément accomplis indépendamment de la qualité de commerçant
      • Ainsi, le fait d’émettre de façon régulière des lettres de change, ne saurait conférer au tireur la qualité de commerçant, nonobstant le caractère commercial de cet acte
  • Exception
    • Par exception, la qualité de commerçant peut être conférée à certaines personnes, indépendamment de l’activité qu’elles exercent
    • Il s’agit :
      • Des sociétés visées à l’article L. 210-1 du Code de commerce auxquelles on confère la qualité de commerçant indépendamment de leur activité, soit :
        • Les sociétés en nom collectif
        • Les sociétés en commandite simple
        • Les sociétés à responsabilité limitée
        • Les sociétés par actions
      • Des associés en nom collectif ( L. 221-1 du Code de commerce)
      • Des associés commandités ( L. 222-1 du Code de commerce)

B) L’accomplissement d’actes de commerce à titre de profession habituelle

  • Principe
    • L’accomplissement isolé d’actes de commerce est insuffisant quant à conférer la qualité de commerçant.
    • Il est nécessaire que celui qui accomplit des actes de commerce par nature se livre à une certaine répétition et qu’il accomplisse lesdits actes dans le cadre de l’exercice d’une profession
  • Conditions
    • L’exigence de répétition
      • Aucun seuil n’a été fixé par la jurisprudence pour déterminer à partir de quand il y a répétition
      • À, ce qui compte, c’est moins le nombre d’actes de commerce accomplis que le dessein de leur auteur[1], soit la spéculation
      • Il en résulte que l’accomplissement d’un seul acte de commerce peut suffire à conférer à son auteur la qualité de commerçant
        • Exemple : l’acquisition d’un fonds de commerce
    • L’exercice d’une profession
      • Pour que l’accomplissement d’actes de commerce de façon répétée confère à leur auteur la qualité de commerçant, encore faut-il que l’exercice de son activité commerciale constitue une profession
      • Par profession, il faut entendre selon le doyen Riper « le fait de consacrer d’une façon principale et habituelle son activité à l’accomplissement d’une tâche dans le dessein d’en tirer profit »
      • Autrement dit, pour que l’activité commerciale constitue une profession, cela suppose que, pour son auteur, elle soit sa principale source de revenus et lui permette d’assurer la pérennité de son entreprise
      • Dès lors, celui qui accomplirait de façon habituelle des actes de commerce sans aucune intention d’en tirer profit, ne saurait se voir conférer la qualité de commerçant ( en ce sens Cass. com., 13 mai 1970 : D. 1970, jurispr. p. 644).
    • Non-exclusivité de l’activité commerciale
      • Il n’est nullement besoin que l’activité commerciale soit exclusive de toute autre activité pour que la qualité de commerçant soit conférée à son auteur
      • L’activité commerciale peut parfaitement se cumuler avec une activité civile

C) L’accomplissement d’actes de commerce de façon indépendante

  • Principe
    • La jurisprudence a posé une troisième condition quant à la reconnaissance de la qualité de commerçant à celui qui accomplit des actes de commerce à titre de profession habituelle ( en ce sens Cass. com., 30 mars 1993: Bull. civ. 1993, IV n° 126, p. 86).
    • Leur auteur doit les accomplir de façon indépendante, soit en son nom et pour son compte.
    • Il en résulte que celui qui accomplit des actes de commerce de façon répété pour le compte d’autrui ne saurait se voir conférer la qualité de commerçant.
  • Notion d’indépendance
    • L’indépendance dont il s’agit est juridique et non économique.
      • Il en résulte que les membres d’un réseau de distribution ou un franchisé peuvent parfaitement être qualifiés de commerçants.
  • Personnes exclues de la qualité de commerçant
    • Les salariés qui agissent pour le compte de leur employeur.
    • Les dirigeants sociaux qui agissent au nom et pour le compte d’une société.
    • Les mandataires, tels que les agents commerciaux qui représentent un commerçant.

III) L’établissement de la qualité de commerçant

A) La présomption de la qualité de commerçant

  • Présomption simple
    • Principe
      • Aux termes de l’article L. 123-7 du Code de commerce « l’immatriculation d’une personne physique emporte présomption de la qualité de commerçant».
      • Ainsi, l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés fait présumer la qualité de commerçant
      • Il s’agit là d’une présomption simple
    • Exception
      • L’article 123-7 du Code de commerce prévoit néanmoins que « cette présomption n’est pas opposable aux tiers et administrations qui apportent la preuve contraire. Les tiers et administrations ne sont pas admis à se prévaloir de la présomption s’ils savaient que la personne immatriculée n’était pas commerçante.»
  • Présomption irréfragable
    • Le commerçant qui cesse son activité doit formuler une demande de radiation du RCS dans les deux mois qui suivent sa cessation d’activité.
    • À défaut, il est irréfragablement présumé commerçant en cas de vente ou de location-gérance de son fonds de commerce ( en ce sens Cass. com., 9 févr. 1971 : D. 1972, jurispr. p. 600, note A. Jauffret)

B) La preuve de la qualité de commerçant

Dans l’hypothèse où aucune immatriculation au registre du commerce et des sociétés n’a été effectuée, la qualité de commerçant se prouve par tous moyens.

Il conviendra de démontrer la satisfaction des conditions exigées à l’article L. 121-1 du Code de commerce.

Parfois, la seule démonstration de l’exploitation d’une entreprise commerciale suffira (V. en ce sens Cass. com., 11 févr. 2004 : JurisData n° 2004-022278)

IV) Distinction entre le commerçant, l’artisan et les professions libérales

  • Artisans / Commerçants
    • S’il n’existe aucune véritable définition juridique des artisans, la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 fait obligation aux personnes qui exercent une activité professionnelle indépendante de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services, à l’exclusion de l’agriculture et de la pêche et qui ont moins de dix salariés de s’immatriculer au répertoire des métiers spécifique aux artisans.
    • Quatre grands secteurs d’activité sont ainsi distingués ( en ce sens : http://www.artisanat.fr/Default.aspx?tabid=292):
      • les métiers de service (cordonnier, esthéticienne, coiffeur, fleuriste, photographe etc.)
      • les métiers de production (menuisier, couturier, ébéniste, tapissier)
      • les métiers du bâtiment (maçon, couvreur, plombier, chauffagiste, électricien etc.)
      • les métiers de l’alimentation (charcutier, chocolatier, boulanger traiteur etc.)
    • Les artisans se distinguent des commerçants en ce qu’ils ne spéculent, ni sur les marchandises qu’ils fournissent, ni sur le travail d’autrui
      • Pour bénéficier du statut d’artisan, cela suppose que le travail effectué soit plus cher que les matériaux fournis au client final.
  • Professions libérales / Commerçants
    • La loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification des démarches administratives prise en son article 29 définit les professions libérales comme « les personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité de nature généralement civile ayant pour objet d’assurer, dans l’intérêt du client ou du public, des prestations principalement intellectuelles, techniques ou de soins mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées et dans le respect de principes éthiques ou d’une déontologie professionnelle, sans préjudice des dispositions législatives applicables aux autres formes de travail indépendant».
    • Les professions libérales se distinguent des commerçants en ce que la prestation qu’ils fournissent est de nature purement intellectuelle.
    • L’idée sous-jacente est que les travaux purement intellectuels ne s’apparentent pas à des marchandises évaluables en argent.
    • La rémunération d’un, avocat, d’un notaire, d’un médecin ou d’un architecte (honoraires) ne correspond donc pas à la valeur réelle du service rendu.
    • Qui plus est, la vocation première d’une profession libérale n’est pas de faire du profit.
    • C’est la raison pour laquelle les professions libérales ne sont pas comptées parmi les commerçants, au point que l’on voit d’un œil suspect leur rapprochement avec toute forme de négoce.

[1] P. Didier, Droit commercial, éd. Economica, 2004, t.1, p. 67.