Les conditions de formation de la transaction

Parce que la transaction s’analyse en un contrat, elle est soumise aux conditions de validité de droit commun applicables à tous les contrats.

Aussi, pour être valable, elle doit satisfaire à plusieurs des conditions de fond qui tiennent :

  • À la capacité des parties
  • Au pouvoir des parties
  • Au consentement des parties
  • À l’objet de l’accord

La transaction n’est en revanche soumise à aucune condition de forme, à tout le moins à un formalisme qui serait exigée ad validitatem.

I) Les conditions de fond

A) La capacité des parties

L’article 2045 du Code civil prévoit que « pour transiger, il faut avoir la capacité de disposer des objets compris dans la transaction. »

Ainsi, pour être autorisées à conclure une transaction les parties doivent justifier de la capacité à contracter et plus précisément de la capacité de disposer des droits objets de la transaction.

La raison en est que l’action de transiger consiste à renoncer à des prétentions, ce qui constitue un acte grave ; d’où sa reconnaissance parmi les actes de disposition.

Pour mémoire, dans son acception générale, la capacité juridique se définit comme la faculté pour une personne physique ou morale à être titulaire de droits et à les exercer.

Classiquement on distingue la capacité de jouissance de la capacité d’exercice :

  • La capacité de jouissance : il s’agit de l’aptitude d’une personne à être titulaire de droits subjectifs (droits réels et personnels)
  • La capacité d’exercice : il s’agit de l’aptitude pour une personne physique ou morale à exercer les droits dont elle est titulaire au titre de sa capacité de jouissance

Si toutes les personnes sont pourvues de la capacité de jouissance, il n’en va pas de même pour la capacité d’exercice.

Or c’est précisément à cette capacité d’exercice que sont rattachées les capacités de contracter et de disposer exigées pour pouvoir conclure une transaction.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quelles sont les personnes qui sont douées de la capacité d’exercice.

Pour le déterminer, il convient de distinguer les personnes capables des personnes incapables.

1. Les personnes capables

Les personnes dites capables sont celles qui jouissent d’une capacité d’exercice générale.

Aussi, ont-elles la faculté d’exercer tous les droits dont elles sont titulaires, sans limitation, sinon celle, le cas échéant, de l’abus de droit.

Il s’en déduit que les personnes capables sont toutes autorisées à contracter et à disposer de leurs droits et, par voie de conséquence, à conclure une transaction.

Classiquement, on distingue trois catégories de personnes capables :

  • Les personnes physiques majeures
    • Il s’agit de toutes les personnes qui ont atteint l’âge de dix-huit ans révolus.
    • Les personnes physiques majeures qui ne sont frappées d’aucune incapacité d’exercice ont la capacité de conclure une transaction par elles-mêmes, c’est-à-dire sans qu’il leur soit besoin d’être représentées
  • Les personnes morales
    • Il s’agit des groupements, tels que les sociétés, les associations ou encore les syndicats, qui sont dotés d’une personnalité juridique, laquelle s’acquiert sous certaines conditions.
    • Si les personnes morales sont pourvues d’une capacité juridique, elles ne peuvent, en revanche, exercer leurs droits que par l’entremise d’un représentant.
    • Aussi, la validité d’une transaction conclue au nom et pour le compte d’une personne morale est subordonnée moins à sa capacité de transiger, ce qui sera toujours le cas, qu’au pouvoir de son représentant.
  • Les personnes mineures émancipées
    • Il s’agit des personnes qui n’ont pas atteint l’âge de dix-huit ans révolus, et qui donc ne sont pas majeures, mais qui ont été émancipées, soit par mariage, soit par décision judiciaire.
    • L’article 413-6 du Code civil prévoit que le mineur émancipé est capable, comme un majeur, de tous les actes de la vie civile.
    • Il en résulte qu’il est autorisé à conclure une transaction comme n’importe quelle personne majeure douée de sa capacité de contracter.

2. Les personnes incapables

Les personnes incapables se divisent en deux catégories :

  • Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice générale
  • Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice spéciale

a. S’agissant des personnes frappées d’une incapacité d’exercice générale

Deux catégories de personnes sont frappées d’une incapacité d’exercice générale

  • Les mineurs non émancipés
  • Les majeurs faisant l’objet d’une mesure de tutelle

Lorsqu’une personne est frappée d’une incapacité d’exercice générale, cela ne signifie pas qu’elle ne dispose pas de la faculté à être titulaires de droits.

Tant le mineur, que la personne placée sous tutelle jouissent d’une capacité de jouissance générale.

Ces personnes n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont elles sont titulaires. Il leur faut nécessairement être représentées pour l’accomplissement des actes de la vie civile.

a.1. S’agissant du mineur non émancipé

?Dispositions générales

Frappé d’une incapacité d’exercice générale, le mineur non émancipé n’est, par principe, pas autorisé à contracter seul et, par voie de conséquence, à conclure une transaction.

Pour ce faire, il doit nécessairement se faire représenter, soit par ses administrateurs légaux que sont ses parents, soit le cas échéant, par son tuteur s’il ne bénéficie pas du système de l’administration légale en raison de sa situation de famille.

En tout état de cause, quel que soit le mode de représentation du mineur, l’étendue des pouvoirs confiés à ses représentants diffère selon la gravité des actes à accomplir dans l’intérêt de celui-ci.

En effet, tandis qu’il est certains actes – la plupart – qui peuvent être accomplis par le représentant du mineur en toute autonomie, il en est d’autres – les plus graves – dont l’accomplissement est subordonné, tantôt à l’autorisation du juge des tutelles, tantôt au conseil de famille.

Afin de déterminer à quelle catégorie d’actes appartient la transaction, il y a lieu, au préalable, de distinguer selon que le mineur est soumis au dispositif de l’administration légale (représentation par ses parents) ou au dispositif de la tutelle.

  • Le mineur est soumis au dispositif de l’administration légale
    • Dans cette hypothèse, l’article 387-1 du Code civil prévoit que « l’administrateur légal ne peut, sans l’autorisation préalable du juge des tutelles […] renoncer pour le mineur à un droit, transiger ou compromettre en son nom ».
    • Il ressort de cette disposition que les administrateurs légaux du mineur ne peuvent pas conclure seuls une transaction au nom de ce dernier.
    • Aussi, doivent-ils nécessairement solliciter l’accord du juge des tutelles avant de transiger.
  • Le mineur est soumis au dispositif de la tutelle
    • Dans cette hypothèse, l’article 505 du Code civil prévoit que « le tuteur ne peut, sans y être autorisé par le conseil de famille ou, à défaut, le juge, faire des actes de disposition au nom de la personne protégée. »
    • La question qui alors se pose est de savoir si la transaction relève de la catégorie des actes de disposition auquel cas l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille est requise.
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter au décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 qui dresse une liste des actes de disposition.
    • Or il ressort de cette liste que la transaction est bien regardée comme un acte de disposition.
    • Il en résulte que le tuteur devra nécessairement obtenir l’accord préalable du conseil de famille ou, à défaut, du juge des tutelles pour conclure une transaction dans l’intérêt du mineur.
    • À cet égard, l’article 2045, al. 2e du Code civil prévoit que « le tuteur ne peut transiger pour le mineur ou le majeur en tutelle que conformément à l’article 467 ».
    • Si l’on se reporte à l’article 467, il se déduit de cette disposition que l’autorisation du juge des tutelles ou du Conseil de famille est requise préalablement à la conclusion d’une transaction.

En tout état de cause, quel que soit le mode de représentation dont bénéficie le mineur, en cas de non-sollicitation de l’accord du juge des tutelles ou du conseil de famille préalablement à la conclusion d’une transaction, l’opération est susceptible d’être frappée d’une nullité relative (Cass. 1ère civ. 26 juin 1974, n°72-11.524).

Cela signifie notamment que cette nullité ne pourra être soulevée que par les personnes représentant les intérêts du mineur ou par le mineur lui-même devenu majeur (Cass. 1ère civ. 10 mars 1998, n°95-22.111). Elle pourra, par ailleurs, faire l’objet d’une confirmation.

?Dispositions spéciales

En cas de dommage causé à la victime d’un accident de la circulation, obligation est faite à l’assureur de lui proposer une indemnité en réparation de son préjudice.

L’article L. 211-9 du Code des assurances prévoit en ce sens que, « quelle que soit la nature du dommage, dans le cas où la responsabilité n’est pas contestée et où le dommage a été entièrement quantifié, l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d’un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d’indemnité motivée dans le délai de trois mois à compter de la demande d’indemnisation qui lui est présentée. »

Lorsque la victime d’un accident de l’accident de la circulation est une personne mineure, le législateur a entendu encadrer l’offre d’indemnité qu’est tenu de formuler l’assureur.

En effet, l’article L. 211-15 du Code des assurances prévoit que « l’assureur doit soumettre au juge des tutelles ou au conseil de famille, compétents suivant les cas pour l’autoriser, tout projet de transaction concernant un mineur ou un majeur en tutelle »

Ainsi, l’assureur a-t-il l’obligation de soumettre au juge des tutelles ou au conseil de famille l’offre d’indemnisation qu’il entend proposer aux représentants du mineur.

Il en va de même pour le représentant du mineur qui ne peut négocier seul le projet de transaction qui lui a été adressé par l’assureur.

Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a ainsi jugé que « le tuteur ne peut transiger au nom de la personne protégée qu’après avoir fait approuver par le conseil de famille ou le juge des tutelles les clauses de la transaction » (Cass. 1ère civ. 20 janv. 2010, n°08-19.627).

Là ne s’arrête pas les obligations instituées par le législateur aux fins de protéger les intérêts du mineur.

L’article L. 211-15, al. 2e du Code des assurances précise que l’assureur doit également « donner avis sans formalité au juge des tutelles, quinze jours au moins à l’avance, du paiement du premier arrérage d’une rente ou de toute somme devant être versée à titre d’indemnité au représentant légal de la personne protégée ».

S’agissant de la sanction du non-respect de ces exigences, l’article L. 211-15, al. du Code des assurances dispose que « le paiement qui n’a pas été précédé de l’avis requis ou la transaction qui n’a pas été autorisée peut être annulé à la demande de tout intéressé ou du ministère public à l’exception de l’assureur. »

a.2. S’agissant de la personne faisant l’objet d’une mesure de tutelle

i. Dispositions générales

?Régime

À l’instar du mineur, une personne faisant l’objet d’une mesure de tutelle est frappée d’une incapacité d’exercice générale.

Il en résulte qu’elle n’est pas autorisée à contracter seule. Elle ne peut conclure une transaction que par l’entreprise d’un représentant : son tuteur.

L’article 473 du Code civil prévoit en ce sens que « sous réserve des cas où la loi ou l’usage autorise la personne en tutelle à agir elle-même, le tuteur la représente dans tous les actes de la vie civile. »

Les pouvoirs de représentation conférés au tuteur ne sont toutefois pas illimités. Certains actes sont subordonnés à l’autorisation du juge des tutelles.

Pour déterminer si la transaction conclue au nom et pour le compte d’une personne placée sous tutelle est soumise à une telle autorisation, il y a lieu de se reporter à l’article 506 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « le tuteur ne peut transiger ou compromettre au nom de la personne protégée qu’après avoir fait approuver par le conseil de famille ou, à défaut, par le juge les clauses de la transaction ou du compromis et, le cas échéant, la clause compromissoire. »

Il ressort de ce texte que le tuteur ne dispose pas du pouvoir de conclure une transaction ou négocier les termes d’une transaction sans avoir obtenu, au préalable, l’accord du juge des tutelles.

Cette règle est rappelée par l’article 2045 du Code civil qui prévoit que « le tuteur ne peut transiger pour le mineur ou le majeur en tutelle que conformément à l’article 467 ».

Or si l’on se reporte à l’article 467, il se déduit de cette disposition que l’autorisation du juge des tutelles ou du Conseil de famille est requise préalablement à la conclusion d’une transaction.

?Sanctions

Les sanctions attachées à la conclusion d’une transaction en violation des règles encadrant la tutelle diffèrent selon que l’opération est intervenue avant ou après le jugement d’ouverture de la mesure de protection :

  • La transaction a été conclue antérieurement à la date du jugement d’ouverture de la tutelle
    • Dans cette hypothèse, l’article 464, al. 1er du Code civil prévoit que les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés.
    • Ainsi, toutes les transactions accomplies par le majeur placé sous tutelle moins de deux ans avant la date du jugement d’ouverture peuvent être remises en cause.
    • Plus précisément, les obligations stipulées dans l’acte pourront faire l’objet d’une réduction.
    • L’alinéa 2 du texte précise que, en cas de préjudice subi par la personne protégée, la transaction n’encourt pas seulement la réduction, elle est également susceptible d’être frappée de nullité.
    • S’agissant de la prescription de l’action, l’alinéa 3 prévoit qu’elle doit être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la mesure.
  • La transaction a été conclue postérieurement à la date du jugement d’ouverture de la curatelle
    • La transaction a été conclue par la personne protégée seule sans qu’elle ait été représentée par son tuteur
      • Dans cette hypothèse l’article 465, 3° prévoit que l’acte est nul de plein droit sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un préjudice ;
      • L’action en nullité se prescrit par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
      • Par ailleurs, le tuteur peut, avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, engager seul l’action en nullité.
    • La transaction a été conclue par le tuteur seul sans qu’il ait obtenu au préalable l’autorisation du juge des tutelles
      • Dans cette hypothèse, l’article 465, 4° prévoit que l’acte est nul de plein droit sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un préjudice.
      • L’action en nullité se prescrit par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

?Dispositions spéciales

Comme pour les mineurs, lorsque la victime d’un accident de l’accident de la circulation est une personne placée sous un régime de tutelle, le législateur a entendu encadrer l’offre d’indemnité qu’est tenu de formuler l’assureur.

En effet, l’article L. 211-15 du Code des assurances prévoit que « l’assureur doit soumettre au juge des tutelles ou au conseil de famille, compétents suivant les cas pour l’autoriser, tout projet de transaction concernant un mineur ou un majeur en tutelle »

Ainsi, l’assureur a-t-il l’obligation de soumettre au juge des tutelles ou au conseil de famille l’offre d’indemnisation qu’il entend proposer au représentant du majeur sous tutelle.

Il en va de même pour le tuteur qui ne peut négocier seul le projet de transaction qui lui a été adressé par l’assureur.

Par ailleurs, le juge des tutelles doit être prévenu au moins 15 jours à l’avance de toute somme versée à titre d’indemnité au tuteur (art. L. 211-15 C. assur.).

b. S’agissant des personnes frappées d’une incapacité d’exercice spéciale

Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice spéciale sont les personnes qui font l’objet :

  • Soit d’une sauvegarde de justice
  • Soit d’une curatelle
  • Soit d’un mandat de protection future

En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.

Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire, tantôt assister, tantôt représenter.

À cet égard, l’étendue de leur capacité d’exercice dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

i. Les majeurs protégés placés sous sauvegarde de justice

  • Principe
    • La personne sous sauvegarde de justice conserve sa pleine de capacité juridique (art. 435, al. 1er C. civ.)
    • Il en résulte qu’elle est, par principe, autorisée à conclure seule une transaction.
    • L’alinéa 2 de l’article 435 précise toutefois que les actes que la personne placée sous sauvegarde de justice a passés et les engagements qu’elle a contractés pendant la durée de la mesure peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès.
    • À cet égard, le juge devra notamment prendre en considération l’utilité ou l’inutilité de l’opération, l’importance ou la consistance du patrimoine de la personne protégée et la bonne ou mauvaise foi de ceux avec qui elle a contracté.
    • L’article 435, al. 3e du Code civil précise que l’action en rescision pour lésion n’appartient qu’à la personne protégée et, après sa mort, à ses héritiers.
    • Elle s’éteint par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
  • Exception
    • La personne placée sous sauvegarde de justice ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial a été désigné (art. 435 C. civ.).
    • Lorsque, dès lors, la conclusion d’une transaction relève des actes pour lesquels le juge a exigé une représentation, la personne placée sous sauvegarde de justice n’est pas autorisée à transiger seule.
    • Elle doit, dans ce cas de figure, nécessairement se faire représenter par le mandataire désigné dans la décision rendue.
    • La violation de cette règle est sanctionnée par la nullité de l’acte accompli.
    • En application de l’article 435, al. 3e du Code civil, l’action en nullité, n’appartient qu’à la personne protégée et, après sa mort, à ses héritiers.
    • Elle s’éteint par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

ii. Les majeurs protégés placés sous curatelle

?Régime

En application de l’article 467, al. 1er du Code civil, une personne placée sous un régime de curatelle ne peut, sans l’assistance de son curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille.

Il ressort de cette disposition que la personne sous curatelle ne peut accomplir seule une transaction dans la mesure où il s’agit là d’une opération dont l’accomplissement est, sous le régime de la tutelle, subordonné à l’intervention du juge des tutelles.

Pour mémoire, l’article 506 du Code civil prévoit que « « le tuteur ne peut transiger ou compromettre au nom de la personne protégée qu’après avoir fait approuver par le conseil de famille ou, à défaut, par le juge les clauses de la transaction ou du compromis et, le cas échéant, la clause compromissoire. »

La transaction ne peut donc être réalisée par une personne placée sous curatelle qu’avec l’assistance du curateur.

À cet égard, l’alinéa 2 de l’article 467 du Code civil prévoit que lors de la conclusion d’un acte écrit, l’assistance du curateur se manifeste par l’apposition de sa signature à côté de celle de la personne protégée.

?Sanctions

Les sanctions attachées à la conclusion d’une transaction en violation des règles encadrant la curatelle diffèrent selon que l’opération est intervenue avant ou après le jugement d’ouverture de la mesure de protection :

  • La transaction a été conclue antérieurement à la date du jugement d’ouverture de la curatelle
    • Dans cette hypothèse, l’article 464, al. 1er du Code civil prévoit que les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés.
    • Ainsi, toutes les transactions accomplies par le majeur placé sous curatelle moins de deux ans avant la date du jugement d’ouverture peuvent être remises en cause.
    • Plus précisément, les obligations stipulées dans l’acte pourront faire l’objet d’une réduction.
    • L’alinéa 2 du texte précise que, en cas de préjudice subi par la personne protégée, la transaction n’encourt pas seulement la réduction, elle est également susceptible d’être frappée de nullité.
    • S’agissant de la prescription de l’action, l’alinéa 3 prévoit qu’elle doit être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la mesure.
  • La transaction a été conclue postérieurement à la date du jugement d’ouverture de la curatelle
    • La transaction a été conclue par la personne protégée sans l’assistance du curateur
      • Dans cette hypothèse, l’article 465, 2° prévoit que l’acte encourt la nullité, à la condition toutefois que la personne protégée ait subi un préjudice.
      • L’action en nullité se prescrit par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
    • La transaction a été conclue par le curateur seul alors qu’elle aurait dû être conclue par la personne protégée avec son assistance
      • Dans cette hypothèse, l’article 465, 4° prévoit que l’acte est nul de plein droit sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un préjudice.
      • L’action en nullité se prescrit par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

iii. Les majeurs protégés placés sous mandat de protection future

Toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle ou d’une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter lorsqu’elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté (art. 477 C. civ.)

Il appartient donc au mandant de déterminer les actes pour lesquelles elle entend se faire représenter lorsqu’elle la mesure de protection sera activée.

La conclusion d’une transaction peut parfaitement figurer au nombre de ces actes, à la condition néanmoins que cette opération soit expressément visée dans le mandat, lequel doit nécessairement être établi par écrit (par acte notarié ou par acte sous seing privé).

B) Le pouvoir de transiger

Le pouvoir se définit comme l’aptitude pour celui qui en est investi à représenter une personne.

Il s’agit, autrement dit, de la faculté d’agir au nom et pour le compte d’autrui, soit d’être son représentant.

Ainsi, tandis que la capacité correspond à l’aptitude à être titulaire de droits ou à les exercer, le pouvoir est attaché à la notion de représentation.

Le représentant est celui qui a le pouvoir d’exercer les droits dont est titulaire le représenté. Celui qui est investi d’un pouvoir de représentation ne devient pas titulaire des droits du représenté.

Le représentant est seulement habilité à les exercer, étant précisé que cela n’ôte pas au représenté, sa capacité d’exercice.

Au fond, le pouvoir de représentation est une modalité d’exercice d’un droit. Il est conféré au représentant, soit par la loi, soit par décision de justice, soit par convention, le pouvoir d’exercer le droit dont est seul titulaire le représenté.

1. La représentation légale

La représentation est donc dite légale lorsque le représentant tient son pouvoir de représentation de la loi.

Selon les cas, le législateur a conféré des pouvoirs plus ou moins étendus au représentant.

C’est la raison pour laquelle le pouvoir de conclure ou de ne pas conclure une transaction peut différer selon les cas de représentation légale. Nous nous limiterons à aborder les principaux.

a. Les mineurs non émancipés

Frappé d’une incapacité d’exercice générale, le mineur non émancipé doit être représenté pour tous les actes de la vie civile.

Or cette représentation est assurée de plein droit, lorsque la situation du mineur s’y prête, par ses parents lesquels sont investis de pouvoirs étendus pour administrer ses biens, voire en disposer.

Reste que pour les actes les plus graves, les parents ne sont pas investis du pouvoir de représentation du mineur ; ils doivent solliciter l’autorisation du juge des tutelles.

Tel est notamment le cas, s’agissant de la conclusion d’une transaction.

Pour mémoire, l’article 387-1 du Code civil prévoit que « l’administrateur légal ne peut, sans l’autorisation préalable du juge des tutelles […] renoncer pour le mineur à un droit, transiger ou compromettre en son nom ».

b. Les sociétés

À l’instar des personnes physiques, les personnes morales sont dotées de la capacité juridique.

Il en résulte qu’elles sont aptes à être titulaire de droits et à les exercer, ce qui les autorise notamment à contracter.

À ce titre, il est admis que les personnes morales puissent conclure une transaction. Reste qu’elles ne pourront agir que par l’entremise d’un représentant.

La représentation des personnes morales est assurée par les dirigeants sociaux, lesquels ne doivent pas être confondus avec les associés.

  • Les dirigeants sociaux sont investis du pouvoir d’agir au nom et pour le compte de la personne morale.
  • Les associés sont quant à eux investis du pouvoir, non pas de représenter la personne morale, mais d’exprimer directement sa volonté au moyen de leur droit vote

Ainsi, tandis que les associés expriment en assemblée la volonté de la personne morale, les dirigeants sociaux représentent cette volonté qui a été exprimée par les associés.

Selon la forme de la société, le représentant de la société pour être notamment :

  • Un gérant
  • Un président
  • Un directeur général
  • Un directeur général délégué

Bien que les dirigeants sociaux soient investis d’un pouvoir d’agir au nom et pour le compte de la société qu’ils représentent, ce pouvoir est limité en raison du principe de spécialité qui préside à l’exercice de l’objet social.

En effet, la capacité juridique que l’on reconnaît aux sociétés est limitée en ce sens qu’elles ne peuvent exercer que les seules activités comprises dans leur objet social.

Cette règle a été consacrée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Le nouvel article 1145, al. 2e du Code civil issu de cette ordonnance prévoit que « la capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles ».

Aussi est-il fait interdiction aux personnes morales d’accomplir des actes qui seraient étrangers à leur objet.

Cette limitation de la capacité de jouissance des personnes morales se répercute sur les pouvoirs dont sont investis leurs représentants légaux qui ne peuvent agir que dans la limite de l’objet défini dans les statuts.

Appliqué à l’opération de transaction, ce principe dit de spécialité signifie qu’un représentant légal ne peut valablement conclure un accord transactionnel au nom et pour le compte de la personne morale qu’à la condition que cet acte entre directement ou indirectement dans l’objet social de cette dernière.

La sanction encourue diffère toutefois selon que la personne morale représentée est une société à responsabilité limitée ou illimitée.

Tandis que dans le premier cas l’irrégularité de l’acte sera inopposable au tiers, dans le second cas la transaction sera frappée de nullité.

Il en résulte une différence de régime, s’agissant de l’exigence de conformité de la transaction à l’objet social, entre les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés à responsabilité illimitée

i. Les sociétés à responsabilité limitée

?Principe

Dans les sociétés à responsabilité limitée, bien que, en application du principe de spécialité, les actes accomplis par le dirigeant doivent être conformes à l’objet social de la personne morale, la violation de cette règle n’a de conséquence que dans l’ordre interne.

En effet, en cas d’accomplissement d’un acte en dépassement de l’objet social, la société demeure engagée à l’égard du tiers contractant.

Cette règle est exprimée pour les SARL à l’article L. 223-18 du Code de commerce qui prévoit que « la société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve. »

Les articles L. 225-56 et L. 225-64 instituent le même principe pour les Sociétés anonymes avec Conseil d’administration et Conseil de surveillance.

Ce principe est énoncé dans les mêmes termes pour les SAS à l’article L. 227-6 du Code de commerce.

Les actes accomplis en dépassement de l’objet social d’une société à responsabilité limitée lui sont donc opposables, sauf à démontrer que le tiers avait connaissance de l’irrégularité.

S’agissant d’une transaction, il n’est pas dérogé pas à la règle, ce qui conduit à admettre que la non-conformité d’une transaction à l’objet social de la société est sans incidence sur sa validité.

Tout au plus, l’acte accompli en méconnaissance de l’objet social engagera la responsabilité de son auteur. Reste que la société demeurera tenue d’exécuter l’engagement pris à l’égard du tiers.

?Tempérament

Par exception au principe d’opposabilité de la transaction en dépassement de l’objet social d’une société à responsabilité limitée, il est admis que l’acte puisse être annulé dans l’hypothèse où il serait démontré que le créancier bénéficiaire était de mauvaise foi.

La mauvaise foi du tiers fait néanmoins l’objet d’une appréciation restrictive, le législateur ayant notamment interdit qu’elle puisse se déduire de la publication des statuts.

Lorsqu’elle est établie, la mauvaise foi est sanctionnée par la nullité de l’acte accompli en dépassement de l’objet social.

ii. Les sociétés à responsabilité illimitée

?Principe

En application du principe de spécialité, lorsque le représentant légal d’une société à responsabilité illimitée agit en dépassement de l’objet social, il n’engage pas la société.

L’article 1849 du Code civil prévoit en ce sens, pour les sociétés civiles, que « dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social. »

La même règle est énoncée pour les sociétés en nom collectif à l’article L. 221-5 du Code de commerce. Cette disposition s’applique également aux sociétés en commandite.

Cette limitation des pouvoirs du représentant légal dans l’ordre externe s’explique par le souci de protection des associés qui prime les intérêts des tiers.

En effet, dans ce type de groupement, la responsabilité des associés, parce qu’illimitée, peut être recherchée – conjointement ou solidairement selon la forme sociale retenue – au-delà de leurs apports respectifs.

Pratiquement cela signifie que les associés peuvent être poursuivis par les créanciers de la société pour toutes les dettes souscrites au cours de la vie sociale.

À ce titre, ils sont tenus à l’obligation à la dette, outre leur contribution aux pertes qui interviendra au jour de la dissolution de la personne morale.

Aussi, afin de prévenir les agissements intempestifs de dirigeants susceptibles de faire peser sur les associés d’importants risques financiers, il a été décidé par la jurisprudence que les sociétés à responsabilité illimitée ne devaient pas être engagées par des actes accomplis en dépassement de leur objet social et que, par voie de conséquence, de tels actes devaient être frappés de nullité.

Il en résulte qu’une transaction qui serait conclue par le représentant légal d’une société à responsabilité illimitée en dépassement de son objet social serait nul.

Afin d’apprécier la validité de l’acte litigieux, il sera donc procédé à un contrôle systématique de son objet social, lequel doit comprendre l’opération faisant l’objet de la transaction.

?Tempérament

Il est désormais admis que lorsqu’un acte accompli au nom et pour le compte d’une société à responsabilité illimitée est étranger à son objet social, il peut être sauvé s’il répond à l’un des deux critères suivants :

  • Il existe une communauté d’intérêts entre la personne morale et le bénéficiaire de l’acte conclu en dépassement de l’objet social
  • La conclusion de l’acte litigieux procède d’une décision unanime des associés

Lorsque l’un ou l’autre situation se présente, la transaction conclue en dépassement de l’objet social sera pleinement valable et n’encourra donc pas la nullité.

c. Les époux

Le mariage n’est pas seulement une union des personnes, il consiste également en une union des biens.

Cette particularité du mariage a conduit le législateur à conférer aux époux des pouvoirs de représentation mutuelle quant à l’administration et à la disposition de leurs biens.

La question qui alors se pose est de savoir dans quelle mesure les époux sont-ils autorisés à conclure une transaction qui engagerait les biens du ménage. Un tel acte requiert-il le consentement des deux époux ou peut-il être accompli en toute autonomie par chacun d’eux ?

À l’analyse, tout dépend :

  • D’une part, du statut du bien concerné par la transaction
  • D’autre part, du régime matrimonial applicable aux époux

?Le pouvoir de transiger au regard du statut du bien concerné

S’il est des biens du ménage qui jouissent d’un statut très particulier, ce sont le logement de famille et les meubles meublants attachés.

La spécificité de ce statut tient à son caractère dérogatoire en ce sens qu’il soustrait la résidence familiale au jeu du droit commun des biens.

Le législateur a été guidé par cette idée que l’intérêt de la famille devait primer sur les considérations d’ordre patrimonial, ce qui, en certaines circonstances, justifie qu’il puisse être porté atteinte au droit de propriété individuel d’un époux.

Ainsi, l’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux ne peut disposer seul de la résidence familiale ainsi que des meubles qui y sont attachés. Il ne peut le faire qu’avec le consentement de son conjoint, ce qui, lorsqu’il s’agit de biens propres n’est pas sans porter atteinte à son droit de propriété.

Il résulte de cette règle que toute transaction qui aurait pour effet de priver le ménage de la jouissance de la résidence familiale requiert le consentement des deux époux, quand bien même cette dernière appartiendrait en propre à l’un d’eux.

Cette règle de cogestion relève du régime primaire, de sorte qu’elle s’applique quel que soit le régime matrimonial pour lequel les époux ont opté.

La violation de l’article 215, al. 3e du Code civil est sanctionnée par la nullité de l’acte accompli en dépassement des pouvoirs de l’époux qui a agi.

Cette disposition précise que l’action en nullité est ouverte au conjoint lésé « dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

?Le pouvoir de transiger au regard du régime matrimonial applicable

Les pouvoirs de représentation mutuelle des époux diffèrent selon le régime matrimonial qui leur est applicable.

Lorsqu’ils sont mariés sous le régime de la séparation de biens, l’article 1536, al. 1er du Code civil prévoit que « chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels. »

Il en résulte que, en dehors du logement de famille, chaque époux est autorisé à transiger seul sur tous les biens qui lui appartiennent en propre sans qu’il lui soit besoin d’obtenir le consentement de son conjoint.

Lorsque, en revanche, les époux ont opté pour le régime de la communauté réduite aux acquêts (régime légal), il leur faudra nécessairement solliciter l’accord du conjoint pour la conclusion d’une transaction portant sur certains biens relevant de la masse commune.

Tel sera notamment le cas pour les biens visés aux articles 1422 et 1424 du Code civil :

  • L’article 1422 prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté »
  • L’article 1424 prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations. »

En cas de conclusion d’une transaction en violation de l’une ou l’autre règle de cogestion, l’article 1427, al. 1er du Code civil prévoit que « si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation. »

2. La représentation conventionnelle

a. Principe

?L’exigence d’un pouvoir spécial

Le pouvoir de représentation dont est investi un représentant peut lui avoir été conféré au titre d’un contrat.

Le pouvoir de représentation sera ainsi le produit d’un accord de volontés. Cette hypothèse correspond à la conclusion d’un contrat de mandat.

L’article 1984 du Code civil prévoit en ce sens que « le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. »

Ainsi, tous les actes conclus par le mandataire sont réputés avoir été accomplis par le mandant en la personne de qui ils produisent directement leurs effets.

S’agissant de la transaction conclue par un mandataire investi d’un pouvoir de représentation conventionnelle, la question se pose du type de mandat admis à conférer le pouvoir d’accomplissement d’un tel acte :

En effet, l’article 1987 du Code civil distingue de sortes de mandats :

  • Le mandat général qui confère au mandataire le pouvoir de gérer toutes les affaires du mandant
  • Le mandat spécial qui confère au mandataire le pouvoir de gérer certaines affaires seulement

Aussi, un mandat rédigé en des termes généraux suffit-il à conférer au mandataire le pouvoir de transiger au nom et pour le compte du mandant ou ce pouvoir doit-il, au contraire, avoir été expressément et spécialement stipulé dans l’acte ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1988 du Code civil qui prévoit que « le mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration. »

Dans le même sens, le nouvel article 1155 du Code civil énonce le principe général, qui s’applique à tous les actes de représentation au-delà du mandat, selon lequel « lorsque le pouvoir du représentant est défini en termes généraux, il ne couvre que les actes conservatoires et d’administration. »

Il s’en déduit que pour les actes de disposition, le pouvoir conféré au représentant doit nécessairement être spécial, soit avoir été expressément stipulé dans l’acte.

S’agissant de la transaction, compte tenu de ce qu’elle a pour effet de renoncer à un droit, elle s’analyse en un acte de disposition.

C’est la raison pour laquelle elle requiert que le représentant ait été investi d’un pouvoir spécial qui devra avoir été expressément stipulé dans le mandat reçu.

Le pouvoir de transiger ne peut, dans ces conditions, jamais être tacite. Le représentant doit justifier d’un pouvoir exprès pour être admis à conclure une transaction au nom et pour le compte de la personne qu’il représente.

?Sanctions

En cas de défaut ou de dépassement de pouvoir, l’article 1156 du Code civil envisage deux sanctions :

  • L’inopposabilité de l’acte
    • Principe
      • Aux termes de l’article 1156, al. 1er « l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté »
      • Par inopposable, il faut entendre que, tout en conservant sa validité, l’acte ne produira aucun effet à l’égard du représentant
      • Cela signifie donc, concrètement, qu’il ne pourra pas être considéré comme partie à l’acte.
      • En cas d’inexécution du contrat, la responsabilité du représenté ne pourra donc pas être recherchée.
      • Seul le représentant qui a agi en dépassement de son pouvoir de représentation sera donc tenu à l’acte.
      • Il endossera donc seul la qualité de débiteur ou créancier.
    • Exception
      • L’article 1156 pose une exception au principe d’inopposabilité de l’acte en cas de défaut ou de dépassement apparent : le mandat apparent
      • L’alinéa 1 in fine de cette disposition prévoit, en effet, que si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.
      • Aussi, dans cette hypothèse l’acte accompli par le représentant, en dépassement de ses pouvoirs, demeura opposable au représenté.
      • Le tiers contractant sera alors fondé à exiger de ce dernier qu’il exécute la prestation convenue.
  • La nullité de l’acte
    • L’article 1156, al. 2e prévoit que « lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité. »
    • Cela signifie donc que le tiers contractant dispose d’un choix
      • Soit il opte pour l’inopposabilité de l’acte, car il souhaite que le contrat conclu reçoive une exécution
      • Soit il opte pour la nullité de l’acte, car préfère son anéantissement
    • Cette option est laissée à la seule discrétion du tiers contractant, lequel a seul qualité à agir en nullité

En cas de ratification de l’acte par le représenté, l’article 1156, al. 3 prévoit que, tant l’inopposabilité que la nullité ne peuvent être invoquées. Ainsi, la ratification vient-elle couvrir l’irrégularité dont l’acte est entaché.

À cet égard, l’article 1158 du Code civil précise que le tiers qui doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure, peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte.

À défaut de réponse dans le délai fixé, le représentant est réputé habilité à conclure l’acte litigieux.

b. Exception

Aux termes de l’article 411 du CPC, la constitution d’avocat emporte mandat de représentation en justice : l’avocat reçoit ainsi pouvoir et devoir d’accomplir pour son mandant et en son nom, les actes de la procédure. On parle alors traditionnellement de mandat « ad litem », en vue du procès.

Il ressort de cette disposition que l’avocat est donc investi du pouvoir de représentation de son client pour tous les actes de procédure.

Parmi ces actes, faut-il inclure la transaction ? C’est là l’épineuse question soulevée par le mandat ad litem. L’avocat est-il habilité de plein droit par ce seul mandat à représenter son client pour transiger ou doit-il doit avoir reçu un mandat spécial, comme exigé par le droit commun ?

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter à l’article 417 du Code de procédure civile qui prévoit que « la personne investie d’un mandat de représentation en justice est réputée, à l’égard du juge et de la partie adverse, avoir reçu pouvoir spécial de faire ou accepter un désistement, d’acquiescer, de faire, accepter ou donner des offres, un aveu ou un consentement. »

À l’analyse, cette disposition ne vise pas expressément la transaction. Est-ce à dire qu’elle ne relève pas du domaine du mandat ad litem ?

Dans un arrêt du 7 juillet 1987, la Cour de cassation a répondu par la négative en jugeant, au visa de l’article 417 du Code de procédure civile, que « il résulte de ce texte que la personne investie d’un mandat de représentation en justice est réputée à l’égard du juge et de la partie adverse avoir reçu pouvoir spécial de transiger » (Cass. 1ère civ. 7 juill. 1987, n°85-18.769).

Le mandat ad litem dont est investi l’avocat comprend donc bien le pouvoir de transiger au nom et pour le compte de son client.

La jurisprudence a toutefois apporté un tempérament à cette règle en affirmant qu’elle ne s’appliquait que dans l’hypothèse où l’avocat était investi d’un pouvoir de représentation de son client.

Lorsque la mission qui lui est confiée se limite, en revanche, à l’assistance et au conseil de son client, il n’est pas investi du pouvoir de transiger. Pour ce faire, il devra avoir reçu un mandat spécial (V. en ce sens CA Paris, 17 mars 1980).

3. La représentation judiciaire

Elle correspond à l’hypothèse où le pouvoir de représentation est conféré à une personne par le juge.

Cette situation peut intervenir dans plusieurs cas :

  • Représentation d’une personne incapable
    • Lorsqu’une personne est frappée d’une incapacité d’exercice générale ou spéciale, l’expression de sa volonté ne peut s’opérer que par l’entremise d’un représentant.
    • Aussi, concomitamment à l’institution d’une mesure juridique de protection, le juge désignera, selon la mesure choisie (sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle), un représentant chargé d’agir au nom et pour le compte de la personne protégée.
    • Le pouvoir de transiger dépend ici de la nature de la mesure mise en place.
    • Comme vu précédemment, s’il s’agit d’une tutelle, le tuteur devra solliciter l’accord du juge des tutelles.
    • S’il s’agit d’une curatelle, pour être valable, la transaction devra être contresignée par le curateur.
    • Enfin, s’il s’agit d’une mesure de sauvegarde de justice, la personne protégée pourra conclure seule une transaction, sauf à ce que le juge ait décidé que pour ce type d’acte elle devait être représentée.
  • La représentation de l’époux hors d’état de manifester sa volonté
    • Aux termes de l’article 219 du Code civil « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • Cette disposition vise l’hypothèse où un époux qui, sans être frappé d’incapacité, est inapte à exprimer sa volonté.
    • C’est donc son conjoint qui est investi par le juge d’accomplir un certain nombre d’actes déterminés par ce dernier.
    • À cet égard, le conjoint représentant l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourra conclure une condition qu’à la condition d’avoir été expressément autorisé par le juge.
  • La représentation d’un indivisaire hors d’état de manifester sa volonté
    • L’article 815-4 du Code civil prévoit que « si l’un des indivisaires se trouve hors d’état de manifester sa volonté, un autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale ou pour certains actes particuliers, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • La règle est ici la même que celle énoncée à l’article 219 appliquée aux indivisaires.
    • Elle permet ainsi aux coindivisaires de prendre les mesures nécessaires à l’administration du bien indivis.
    • Là encore, les coindivisaires ne pourront transiger en représentation de l’indivisaire hors d’état de manifester sa volonté qu’à la condition que le juge leur ait conféré un pouvoir spécial à cet effet.
  • La représentation d’une personne présumée absente
    • Aux termes de l’article 113 du Code civil « le juge peut désigner un ou plusieurs parents ou alliés, ou, le cas échéant, toutes autres personnes pour représenter la personne présumée absente dans l’exercice de ses droits ou dans tout acte auquel elle serait intéressée, ainsi que pour administrer tout ou partie de ses biens ; la représentation du présumé absent et l’administration de ses biens sont alors soumises aux règles applicables à la tutelle des majeurs sans conseil de famille, et en outre sous les modifications qui suivent. »
    • Il se déduit de cette disposition que la conclusion d’une transaction par le représentant d’une personne absence sera soumise aux mêmes règles que celles applicables à la tutelle.
    • Aussi, l’accord transactionnel devra être soumis préalablement à sa conclusion à l’autorisation du juge des tutelles.

C) La rencontre des volontés

a. Les pourparlers

La conclusion d’une transaction est généralement précédée par une phase dite de pourparlers.

Ces pourparlers comprennent :

  • Une phase d’entrée en négociation
  • Une phase de conduite des négociations

Parfois, lorsque les parties ne trouvent pas d’accord, les pourparlers peuvent se solder par une rupture des négociations.

i. L’entrée en négociations

Aux termes de l’article 1112 du Code civil « l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres ».

Ainsi, le législateur a-t-il institué un principe de liberté des négociations. Négativement, cela signifie que les agents sont libres de décliner une invitation à entrer en pourparlers.

Autrement dit, un refus de négocier ne saurait, en lui-même, engager la responsabilité de son auteur.

Immédiatement une question alors se pose : que doit-on entendre par « négociations » ?

?Définition

François Terré définit la négociation contractuelle comme « la période exploratoire durant laquelle les futurs contractants échangent leurs points de vue, formulent et discutent les propositions qu’ils font mutuellement afin de déterminer le contenu du contrat, sans être pour autant assurés de le conclure »[1].

Il s’agit, en d’autres termes, de la phase au cours de laquelle les agents vont chercher à trouver un accord quant à la détermination des termes du contrat.

À défaut d’accord, la rencontre des volontés ne se réalisera pas, de sorte que le contrat ne pourra pas former. Aucune obligation ne sera donc créée.

?Invitation à entrer en pourparlers et offre de contracter

  • Exposé de la distinction
    • L’invitation à entrer en pourparlers doit être distinguée de l’offre de contracter :
      • L’offre doit être ferme et précise en ce sens qu’elle doit comporter tous les éléments essentiels du contrat, lesquels traduisent la volonté de l’offrant de s’engager dans le processus contractuel
        • Pour mémoire, l’article 1114 C. civ prévoit que « l’offre faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation »
      • L’invitation à entrer en pourparlers porte seulement, soit sur le principe même de conclure un contrat, soit sur certains de ses éléments dont la teneur n’est pas suffisante pour traduire la volonté de l’auteur de contracter en l’état.
  • Intérêt de la distinction
    • L’intérêt de distinguer l’offre de contracter de l’invitation à entrer en pourparlers réside dans la détermination du seuil à partir duquel le contrat est réputé conclu :
      • En cas d’acceptation de l’offre de contracter, le contrat est formé
        • La conséquence en est que l’offrant ne peut plus se rétracter
        • Il est tenu d’exécuter les obligations nées de la rencontre des volontés qui a pu se réaliser, les contractants étant tombés d’accord sur les éléments essentiels du contrat
        • À défaut, sa responsabilité contractuelle est susceptible d’être engagée
      • En cas d’acceptation de l’invitation à entrer en pourparlers, le contrat n’est pas pour autant conclu.
        • L’auteur de l’invitation à entrer en négociation a simplement exprimé sa volonté de discuter des termes du contrat
        • Or pour que le contrat soit conclu, soit pour que la rencontre des volontés se réalise, cela suppose que les parties soient d’accord sur tous les éléments essentiels du contrat
        • Aussi longtemps qu’ils ne parviennent pas à tomber d’accord, les parties sont toujours libres de poursuivre les négociations

ii. Le déroulement des négociations

Lors du déroulement des négociations, plusieurs obligations échoient aux futurs contractants ce qui témoigne de la volonté du législateur d’encadrer cette situation de fait qui précède la formation du contrat.

Ainsi, nonobstant la liberté de négociations dont jouissent les parties n’est-elle pas absolue. Elle trouve sa limite dans l’observation de deux obligations générales qui président à la formation du contrat :

  • L’obligation de bonne foi
  • L’obligation précontractuelle d’information

?Sur l’obligation de bonne foi

Il peut être observé qu’il est désormais fait référence à l’obligation de bonne foi à deux reprises dans le sous-titre du Code civil consacré au contrat

  • L’article 1104 du code civil prévoit dans le chapitre consacré aux principes cardinaux qui régissent le droit des contrats que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. »
  • L’article 1112, situé, quant à lui, dans la section relative à la conclusion du contrat que « l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles […] doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. »

Cette double référence à l’obligation de bonne foi révèle la place que le législateur a entendu donner à l’obligation de bonne foi en droit des contrats : centrale.

Ainsi, tout autant les parties doivent observer l’obligation de bonne foi au moment de l’exécution de la transaction, ils devront s’y plier en amont, soit durant toute la phase de négociation.

Lors du déroulement des négociations, l’exigence de bonne foi signifie que les parties doivent être véritablement animées par la volonté de contracter. Autrement dit, elles doivent être sincères dans leur démarche de négocier et ne pas délibérément laisser croire à l’autre que les pourparlers ont une chance d’aboutir, alors qu’il n’en est rien.

Dans un arrêt du 20 mars 1972 la Cour de cassation considère en ce sens qu’une partie a manqué « aux règles de la bonne foi dans les relations commerciales » en maintenant « dans une incertitude prolongée » son cocontractant alors qu’elle n’avait nullement l’intention de contracter (Cass. com. 20 mars 1972, n°70-14.154).

La même solution a été retenue dans un arrêt du 18 juin 2002 (Cass. com. 18 juin 2002, n°99-16.488)

?Sur l’obligation précontractuelle d’information

L’obligation précontractuelle d’information qui pèse sur les futurs contractants est expressément formulée à l’article 1112-1 du Code civil.

Cette disposition prévoit notamment que « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Ainsi, lorsque dans le cadre de négociations portant sur une transaction à intervenir l’une des parties détient une information dont l’importance est déterminante du consentement de son cocontractant elle doit la lui communiquer.

Que doit-on entendre par « importance déterminante de l’information » ?

L’alinéa 3 de l’article 1112-1 du Code civil précise que « ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. »

Il ne peut donc s’agir que des informations pertinentes, soit celles qui ont un rapport avec l’objet ou la cause des obligations nées de la transaction ou encore la qualité des cocontractants.

L’information communiquée doit, en d’autres termes, permettre au cocontractant de s’engager en toute connaissance de cause, soit de mesurer la portée de son engagement.

Aussi, l’obligation d’information garantit-elle l’expression d’un consentement libre et éclairé.

En cas de manquement à l’obligation générale d’information, l’article 1112-1, al. 6 du Code civil prévoit que « outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »

Deux catégories de sanctions sont donc envisagées par cette disposition :

  • La mise en œuvre de la responsabilité du débiteur de l’obligation d’information
  • La nullité du contrat

iii. La rupture des négociations

?Principe : la liberté de rupture des pourparlers

Aux termes de l’article 1112, al. 1 « la rupture des négociations précontractuelles […] libres ».

Ainsi, cette règle n’est autre que le corollaire de la liberté contractuelle : dans la mesure où les futures parties sont libres de contracter, elles sont tout autant libres de ne pas s’engager dans les liens contractuels

Il en résulte que la rupture unilatérale des pourparlers ne saurait constituer, en soi, un fait générateur de responsabilité. La rupture ne peut, en elle-même, être fautive, quand bien même elle causerait un préjudice au partenaire.

Admettre le contraire reviendrait à porter atteinte à la liberté individuelle et à la sécurité commerciale.

C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation aime à rappeler dans certains arrêts l’existence d’un « droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels » (Cass. 3e civ., 28 juin 2006, n°04-20.040).

Une question immédiatement se pose : le droit de rupture des pourparlers constitue-t-il un droit discrétionnaire, en ce sens que son exercice dommageable ne donnera jamais lieu à réparation ou s’agit-il d’un droit relatif, soit d’un droit dont l’exercice abusif est sanctionné ?

?Exception : l’exercice abusif du droit de rupture des pourparlers

L’examen de la jurisprudence révèle que l’exercice du droit de rupture des pourparlers est susceptible d’engager la responsabilité de titulaire lorsqu’un abus est caractérisé.

Aussi, dans un arrêt du 3 octobre 1972, la Cour de cassation a-t-elle eu l’occasion de préciser qu’en cas de rupture abusive des négociations « la responsabilité délictuelle prévue aux articles susvisés du code civil peut être retenue en l’absence d’intention de nuire » (Cass. 3e civ. 3 oct. 1972, n°71-12.993).

Ainsi, le droit de rompre unilatéralement les pourparlers n’est-il pas sans limite. Il s’agit d’un droit, non pas discrétionnaire, mais relatif dont l’exercice abusif est sanctionné.

b. La rencontre de l’offre et de l’acceptation

Parce que la transaction appartient à la catégorie des contrats consensuels, sa formation procède d’une rencontre des volontés laquelle s’opère, en simplifiant à l’extrême, selon le processus suivant :

  • Premier temps : une personne, le pollicitant, émet une offre de contracter
  • Second temps : l’offre fait l’objet d’une acceptation par le destinataire

Si, pris séparément, l’offre et l’acceptation ne sont que des manifestations unilatérales de volontés, soit dépourvues d’effet obligatoire, lorsqu’elles se rencontrent, cela conduit à la création d’un contrat, lui-même générateur d’obligations.

Tous les contrats, dont la transaction, sont le fruit d’une rencontre de l’offre et de l’acceptation, peu importe que leur formation soit instantanée où s’opère dans la durée.

L’article 1113 prévoit en ce sens que « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. ».

Il ressort de cette disposition que la formation d’une transaction requiert :

  • D’un côté, l’émission d’une offre de transaction
  • D’un autre côté, l’acceptation de cette offre de transaction

b.1. S’agissant de l’émission de l’offre

i. Droit commun

Aux termes de l’article 1114 du Code civil, « l’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation ».

Bien que, étonnamment, cette disposition n’en fasse pas directement mention, il en ressort que, pour être valide, à tout le moins pour être efficace, l’offre doit être ferme et précise.

  • La fermeté de l’offre
    • L’absence de réserve
      • L’offre doit être ferme
      • Par ferme, il faut entendre que le pollicitant a exprimé sa volonté « d’être lié en cas d’acceptation ».
      • Autrement dit, l’offre doit révéler la volonté irrévocable de son auteur de conclure le contrat proposé.
      • Plus concrètement, l’offre ne doit être assortie d’aucune réserve, ce qui aurait pour conséquence de permettre au pollicitant de faire échec à la formation du contrat en cas d’acceptation
      • Cela lui permettrait, en effet, de garder la possibilité de choisir son cocontractant parmi tous ceux qui ont répondu favorablement à l’offre
      • Or au regard de la théorie de l’offre et de l’acceptation, cela est inconcevable.
      • L’auteur de l’offre ne saurait disposer de la faculté d’émettre des réserves, dans la mesure où il est de l’essence de l’offre, une fois acceptée, d’entraîner instantanément la conclusion du contrat
      • Elle ne saurait, par conséquent, être assortie d’une condition, faute de quoi elle s’apparenterait à une simple invitation à entrer en pourparlers.
      • Dans un arrêt du 10 janvier 2012, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une Cour d’appel pour avoir estimé qu’une offre de prêt qui était assortie de « réserves d’usage » était valide (Cass. com. 10 janv. 2012).
      • Au soutien de sa décision la chambre commerciale avance que « un accord de principe donné par une banque ‘sous les réserves d’usage’ implique nécessairement que les conditions définitives de l’octroi de son concours restent à définir et oblige seulement celle-ci à poursuivre, de bonne foi, les négociations en cours ».
    • Tempérament
      • Il est un cas où, malgré l’émission d’une réserve, l’offre n’est pas déchue de sa fermeté : il s’agit de l’hypothèse où la réserve concerne un événement extérieur à la volonté du pollicitant.
        • Exemples :
          • L’offre de vente de marchandises peut être conditionnée au non-épuisement des stocks
          • L’offre de prêt peut être conditionnée à l’obtention, par le destinataire, d’une garantie du prêt (Cass. 3e civ., 23 juin 2010)
      • Ce qui compte c’est que la réalisation de la réserve ne dépende pas de la volonté du pollicitant.
  • La précision de l’offre
    • Dans la mesure où aussitôt qu’elle sera acceptée, l’offre suffira à former le contrat, elle doit être suffisamment précise, faute de quoi la rencontre des volontés ne saurait se réaliser.
    • L’article 1114 du Code civil prévoit en ce sens que « l’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé »
    • Par éléments essentiels, il faut entendre, selon Philippe Delebecque, « les éléments centraux, spécifiques, qui traduisent l’opération juridique et économique que les parties veulent réaliser »[2].
    • Autrement dit, il s’agit des éléments dont la détermination constitue une condition de validité de la transaction.
    • A contrario, l’offre pourra être considérée comme précise, bien que les modalités d’exécution du contrat n’aient pas été exprimées par le pollicitant (Cass. 3e civ., 28 oct. 2009), sauf à ce qu’il soit d’usage qu’elles soient tenues pour essentielles par les parties.
    • Rien n’interdit, par ailleurs, à l’offrant de conférer un caractère essentiel à un élément du contrat qui, d’ordinaire, est regardé comme accessoire.
    • Il lui appartiendra, néanmoins, d’exprimer clairement dans son offre que cet élément est déterminant de son consentement (V en ce sens Cass. com., 16 avr. 1991), faute de quoi les juridictions estimeront qu’il n’est pas entré dans le champ contractuel.
  • Sanction
    • L’article 1114 du Code civil prévoit que la sanction du défaut de précision et de fermeté de l’offre n’est autre que la requalification en « invitation à entrer en négociation ».
    • Cela signifie dès lors que, en cas d’acceptation, le contrat ne pourra pas être considéré comme formé, la rencontre des volontés n’ayant pas pu se réaliser.
    • Ni l’offrant, ni le destinataire de l’offre ne pourront, par conséquent, exiger l’exécution du contrat.
    • Deux options vont alors s’offrir à eux
      • Soit poursuivre les négociations jusqu’à l’obtention d’un accord
      • Soit renoncer à la conclusion du contrat
    • En toute hypothèse, tant que les partenaires ne se sont pas entendus sur les éléments essentiels du contrat, la seule obligation qui leur échoit est de faire preuve de loyauté de bonne foi lors du déroulement des négociations et en cas de rupture des pourparlers.

?Droit spécial

Lorsque la transaction porte sur l’indemnisation d’une personne victime d’un dommage corporel résultant d’un accident de la circulation, d’un acte de terrorisme ou d’un accident médical, l’offre est encadrée par des règles spécifiques.

Nous nous limiterons ici à aborder la procédure d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation laquelle est régie par les articles L. 211-8 à L. 211-25 du Code des assurances et qui a servi de modèle aux autres procédures d’indemnisation (loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 pour les victimes d’actes de terrorisme et loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 pour les victimes d’accidents médicaux).

  • Obligation pesant sur l’assureur de formuler une offre
    • L’article L. 211-9 du Code des assurances prévoit que l’assureur a l’obligation d’adresser une offre d’indemnisation à la victime qui a subi une atteinte à sa personne
    • En cas de décès de la victime, cette offre doit être adressée à ses héritiers et, s’il y a lieu, à son conjoint.
    • Cette disposition déroge manifestement au droit commun dans la mesure où, en principe, la conclusion d’une transaction est subordonnée à l’existence d’un litige né ou à naître.
    • Or tel n’est pas le cas ici, puisque la seule survenance d’un accident de la circulation ayant causé un dommage corporel autorise la conclusion d’une transaction, sans qu’il soit besoin qu’un litige naisse entre la victime et le responsable du dommage.
  • Obligation pesant sur l’assureur d’observer certains délais
    • Principe
      • L’offre d’indemnisation doit être formulée par l’assureur dans un délai de huit mois à compter de l’accident.
      • Il s’agit là d’un délai impératif qui donc s’impose à l’assureur.
    • Tempérament
      • L’article L. 221-9, al. 3 du Code des assurances prévoit que l’offre d’indemnisation peut avoir un caractère provisionnel lorsque l’assureur n’a pas, dans les trois mois de l’accident, été informé de la consolidation de l’état de la victime.
      • Dans cette hypothèse, l’offre définitive d’indemnisation doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l’assureur a été informé de cette consolidation.
      • L’alinéa 4 précise que, en tout état de cause, le délai le plus favorable à la victime s’applique.
      • L’article L. 211-13 ajoute que lorsque l’offre n’a pas été faite dans les délais impartis, le montant de l’indemnité offerte par l’assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux de l’intérêt légal à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif.
      • Cette pénalité peut toutefois être réduite par le juge en raison de circonstances non imputables à l’assureur.
  • Obligation pesant sur l’assureur de formuler une offre couvrant tous les chefs de préjudice
    • L’article L. 221-9 du Code des assurances prévoit que l’offre d’indemnisation formulée par l’assureur doit comprendre tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux dommages aux biens lorsqu’ils n’ont pas fait l’objet d’un règlement préalable.
  • Obligation pesant sur l’assureur de formuler une offre portant sur un montant suffisant
    • L’offre d’indemnisation formulée par l’assureur à la victime doit être sérieuse, en ce sens qu’elle doit couvrir les préjudices subis.
    • Si l’assureur ne satisfait pas à cette exigence, il s’expose à une sanction qui sera prononcée par le juge dans le cadre de l’action en réparation dont il sera saisi.
    • L’article, L. 211-14 du Code des assurances dispose en ce sens que « si le juge qui fixe l’indemnité estime que l’offre proposée par l’assureur était manifestement insuffisante, il condamne d’office l’assureur à verser au fonds de garantie prévu par l’article L. 421-1 une somme au plus égale à 15 % de l’indemnité allouée, sans préjudice des dommages et intérêts dus de ce fait à la victime. »

b.2. S’agissant de l’acceptation de l’offre

L’acceptation est définie à l’article 1118 du Code civil comme « la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre. »

Pour mémoire, l’article 1114 du Code civil définit l’offre comme « la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation ».

Ainsi l’acceptation apparaît-elle comme le miroir de l’offre. Et pour cause, dans la mesure où elle est censée venir à sa rencontre. L’acceptation est, en ce sens l’acte unilatéral par lequel l’acceptant signifie au pollicitant qu’il entend consentir au contrat.

À la différence, néanmoins, de l’offre, l’acceptation, lorsqu’elle est exprimée, a pour effet de parfaire le contrat.

Quand, en d’autres termes, l’offre rencontre l’acceptation, le contrat est, en principe, réputé formé. Le pollicitant et l’acceptant deviennent immédiatement liés contractuellement. L’acceptation ne réalisera, toutefois, la rencontre des volontés qu’à certaines conditions

i. Conditions de l’acceptation

Afin d’être efficace, l’acceptation de la transaction doit répondre à 2 conditions cumulatives qui tiennent :

  • D’une part, au moment de son expression
  • D’autre part, à ses caractères

?Le moment de l’acceptation

L’acceptation doit nécessairement intervenir avant que l’offre ne soit caduque

Aussi, cela signifie-t-il que l’acceptation doit avoir été émise :

  • Soit pendant le délai stipulé par le pollicitant
  • Soit, à défaut, dans un délai raisonnable, c’est-à-dire, selon la jurisprudence, pendant « le temps nécessaire pour que celui à qui [l’offre] a été adressée examine la proposition et y réponde » (Cass. req., 28 févr. 1870)

Lorsque l’acceptation intervient en dehors de l’un de ces délais, elle ne saurait rencontrer l’offre qui est devenue caduque.

L’acceptation est alors privée d’efficacité, en conséquence de quoi le contrat ne peut pas être formé.

?Les caractères de l’acceptation

  • L’acceptation pure et simple
    • Pour être efficace, l’acceptation doit être pure et simple.
    • En d’autres termes, il n’existe véritablement d’acceptation propre à former le contrat qu’à la condition que la volonté de l’acceptant se manifeste de façon identique à la volonté du pollicitant.
    • La Cour de cassation a estimé en ce sens que le contrat « ne se forme qu’autant que les deux parties s’obligent dans les mêmes termes » (Cass. 2e civ., 16 mai 1990, n°89-13.941).
    • Par pure et simple, il faut donc entendre, conformément à l’article 1118, al. 1er, que l’acceptation doit avoir été formulée par le destinataire de l’offre de telle sorte qu’il a exprimé sa volonté claire et non équivoque « d’être lié dans les termes de l’offre. »
  • La modification de l’offre
    • L’article 1118, al. 3 du Code civil prévoit que « l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet, sauf à constituer une offre nouvelle. »
    • Lorsque, dès lors, l’acceptant émet une réserve à l’offre sur un ou plusieurs de ses éléments ou propose une modification, l’acceptation s’apparente à une contre-proposition insusceptible de réaliser la formation du contrat.
    • Au fond, l’acceptation se transforme en une nouvelle offre que le pollicitant initial peut ou non accepter.
    • En toutes hypothèses, le contrat n’est pas formé
    • Le pollicitant et le destinataire de l’offre doivent, en somme, être regardés comme des partenaires dont la rencontre des volontés n’est qu’au stade des pourparlers.
    • Aussi, la conclusion définitive du contrat est-elle subordonnée à la concordance parfaite entre l’offre et l’acceptation.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par une « acceptation non conforme à l’offre ».
      • La jurisprudence
        • La jurisprudence considère que le contrat n’est réputé formé qu’à la condition que l’offre et l’acceptation se rencontrent sur les éléments essentiels du contrat (V. en ce sens Cass. req., 1er déc. 1885).
        • Dans un arrêt du 28 février 2006, la Cour de cassation a ainsi reconnu la conformité d’une acceptation à l’offre en relevant « qu’un accord de volontés était intervenu entre les parties sur les éléments qu’elle-même tenait pour essentiels même si des discussions se poursuivaient par ailleurs pour parfaire le contrat sur des points secondaires et admis s’être engagée » (Cass. com. 28 févr. 2006, n°04-14.719)
        • Il résulte de cette décision que, dès lors que l’acceptation a porté sur les éléments essentiels du contrat, elle est réputée conforme à l’offre
        • A contrario, cela signifie que lorsque la réserve émise par le destinataire de l’offre porte sur des éléments accessoires au contrat, elle ne fait pas obstacle à la rencontre de l’acceptation et de l’offre.
        • Toutefois, dans l’hypothèse où la réserve exprimée par le destinataire de l’offre porte sur un élément accessoire tenu pour essentiel par l’une des parties, elle s’apparente à une simple contre-proposition, soit à une nouvelle offre et non à acceptation pure et simple de nature à parfaire le contrat (Cass. 3e civ. 27 mai 1998).
      • L’ordonnance du 10 février 2016
        • Si l’article 1118, al. 3 du Code civil prévoit que « l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet », cette disposition se garde bien de préciser ce que l’on doit entendre par « acceptation non conforme à l’offre. »
        • Toutefois, la formule « sauf à constituer une offre nouvelle », laisse à penser que le législateur a entendu consentir une certaine latitude au juge quant à l’appréciation de la conformité de l’acceptation à l’offre.
        • Est-ce à dire que la distinction établie par la jurisprudence entre les réserves qui portent sur des éléments essentiels du contrat et les réserves relatives à des éléments contractuels accessoires a été reconduite ?
        • On peut raisonnablement le penser, étant précisé que pour apprécier la conformité de l’acceptation à l’offre le juge se référera toujours à la commune intention des parties.

ii. Effets

À la différence de l’offre, l’acceptation, lorsqu’elle est exprimée, a pour effet de parfaire le contrat.

En vertu du principe du consensualisme, le contrat est donc formé, de sorte que le pollicitant devient immédiatement lié contractuellement à l’acceptant.

Dans un arrêt du 14 janvier 1987, la Cour de cassation affirme en ce sens que s’agissant d’un contrat de vente que « la vente est parfaite entre les parties dès qu’on est convenu de la chose et du prix et que le défaut d’accord définitif sur les éléments accessoires de la vente ne peut empêcher le caractère parfait de la vente à moins que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la fixation de ces modalités » (Cass. 3e civ. 14 janv. 1987, n°85-16.306).

D) Le consentement des parties

Là encore, parce qu’elle est un contrat, la transaction est soumise aux règles encadrant le consentement des parties.

Aussi, pour qu’un accord transactionnel soit valable, le consentement doit :

  • D’une part, exister
  • D’autre part, avoir été donné librement et de façon éclairée

1. L’existence du consentement

L’article 1129 du Code civil prévoit que « conformément à l’article 414-1, il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat. ».

Il ressort de cette disposition que pour pouvoir contracter et donc transiger il ne faut pas être atteint d’un trouble mental, à défaut de quoi on ne saurait valablement consentir à l’acte.

Il peut être observé que cette règle existait déjà à l’article 414-1 du Code civil qui prévoit que « pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. »

Cette disposition est, de surcroît d’application générale, à la différence, par exemple de l’article 901 du Code civil qui fait également référence à l’insanité d’esprit mais qui ne se rapporte qu’aux libéralités.

L’article 1129 fait donc doublon avec l’article 414-1. Il ne fait que rappeler une règle déjà existante qui s’applique à tous les actes juridiques en général.

?Insanité d’esprit et incapacité juridique

L’insanité d’esprit doit impérativement être distinguée de l’incapacité juridique :

  • L’incapacité dont est frappée une personne a pour cause :
    • Soit la loi
      • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice général dont sont frappés les mineurs non émancipés.
    • Soit une décision du juge
      • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice dont sont frappées les personnes majeures qui font l’objet d’une tutelle, d’une curatelle, d’une sauvegarde de justice ou encore d’un mandat de protection future.
  • L’insanité d’esprit n’a pour cause la loi ou la décision d’un juge : son fait générateur réside dans le trouble mental dont est atteinte une personne.

Aussi, il peut être observé que toutes les personnes frappées d’insanité d’esprit ne sont pas nécessairement privées de leur capacité juridique.

Réciproquement, toutes les personnes incapables (majeures ou mineures) ne sont pas nécessairement frappées d’insanité d’esprit.

À la vérité, la règle qui exige d’être sain d’esprit pour contracter a été instaurée aux fins de protéger les personnes qui seraient frappées d’insanité d’esprit, mais qui jouiraient toujours de la capacité juridique de contracter.

En effet, les personnes placées sous curatelle ou sous mandat de protection future sont seulement frappées d’une incapacité d’exercice spécial, soit pour l’accomplissement de certains actes (les plus graves).

L’article 1129 du Code civil jouit donc d’une autonomie totale par rapport aux dispositions qui régissent les incapacités juridiques.

Il en résulte qu’une action en nullité fondée sur l’insanité d’esprit pourrait indifféremment être engagée à l’encontre d’une personne capable ou incapable.

?Notion d’insanité d’esprit

Le Code civil ne définit pas l’insanité d’esprit.

Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue cette tâche

Dans un arrêt du 4 février 1941, la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’insanité d’esprit doit être regardée comme comprenant « toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée » (Cass. civ. 4 févr. 1941).

Ainsi, l’insanité d’esprit s’apparente au trouble mental dont souffre une personne qui a pour effet de la priver de sa faculté de discernement.

Il peut être observé que la Cour de cassation n’exerce aucun contrôle sur la notion d’insanité d’esprit, de sorte que son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond (V. notamment en ce sens Cass. 1re civ., 24 oct. 2000, n°98-17.341).

?Sanction de l’insanité d’esprit

En ce que l’insanité d’esprit prive le contractant de son consentement, elle est sanctionnée par la nullité du contrat.

Autrement dit, le contrat est réputé n’avoir jamais été conclu.

Il est anéanti rétroactivement, soit tant pour ses effets passés, que pour ses effets futurs.

Il peut être rappelé, par ailleurs, qu’une action en nullité sur le fondement de l’insanité d’esprit, peut être engagée quand bien même la personne concernée n’était pas frappée d’une incapacité d’exercice.

L’action en nullité pour incapacité et l’action en nullité pour insanité d’esprit sont deux actions bien distinctes.

La question enfin se pose du régime de la nullité en cas d’insanité d’esprit.

S’il ne fait guère de doute qu’il s’agit d’une nullité relative, dans la mesure où l’article 1129 vise à protéger un intérêt particulier quid de l’application du régime juridique attaché à l’article 414-1 ?

La nullité prévue à cet article est, en effet, régie par l’article 414-2 qui pose des conditions pour le moins restrictives lorsque l’action en nullité est introduite par les héritiers de la personne personnes protégée.

Cette disposition prévoit en ce sens que « après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d’esprit, que dans les cas suivants :

  • 1° Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental ;
  • 2° S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
  • 3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future. »

La question alors se pose si cette disposition est ou non applicable en matière contractuelle. En l’absence de dispositions contraires, il semble que oui.

2. L’intégrité du consentement

Il ne suffit pas que les cocontractants soient sains d’esprit pour que la condition tenant au consentement soit remplie.

Il faut encore que ledit consentement ne soit pas vicié, ce qui signifie qu’il doit être libre et éclairé :

  • Libre signifie que le consentement ne doit pas avoir été sous la contrainte
  • Éclairé signifie que le consentement doit avoir été donné en connaissance de cause

Manifestement, le Code civil fait une large place aux vices du consentement. Cela se justifie par le principe d’autonomie de la volonté qui préside à la formation du contrat.

Dès lors, en effet, que l’on fait de la volonté le seul fait générateur du contrat, il est nécessaire qu’elle présente certaines qualités.

Pour autant, les rédacteurs du Code civil ont eu conscience de ce que la prise en considération de la seule psychologie des contractants aurait conduit à une trop grande insécurité juridique.

Car en tenant compte de tout ce qui est susceptible d’altérer le consentement, cela aurait permis aux parties d’invoquer le moindre vice en vue d’obtenir l’annulation du contrat.

C’est la raison pour laquelle, tout en réservant une place importante aux vices du consentement, tant les rédacteurs du Code civil, que le législateur contemporain n’ont admis qu’ils puissent entraîner la nullité du contrat qu’à des conditions très précises.

Aux termes de l’article 1130, al. 1 du Code civil « l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».

Les vices du consentement énoncés par cette disposition sont susceptibles de se rencontrer dans le cadre d’une transaction. Aussi, convient-il de s’arrêter un instant sur chacun d’eux.

a. L’erreur

?Notion

L’erreur peut se définir comme le fait pour une personne de se méprendre sur la réalité. Cette représentation inexacte de la réalité vient de ce que l’errans considère, soit comme vrai ce qui est faux, soit comme faux ce qui est vrai.

L’erreur consiste, en d’autres termes, en la discordance, le décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la réalité.

Lorsqu’elle est commise à l’occasion de la conclusion d’un contrat, l’erreur consiste ainsi dans l’idée fausse que se fait le contractant sur tel ou tel autre élément du contrat.

Il peut donc exister de multiples erreurs :

  • L’erreur sur la valeur des prestations : j’acquiers un tableau en pensant qu’il s’agit d’une toile de maître, alors que, en réalité, il n’en est rien. Je m’aperçois peu de temps après que le tableau a été mal expertisé.
  • L’erreur sur la personne : je crois solliciter les services d’un avocat célèbre, alors qu’il est inconnu de tous
  • Erreur sur les motifs de l’engagement : j’acquiers un appartement dans le VIe arrondissement de Paris car je crois y être muté. En réalité, je suis affecté dans la ville de Bordeaux

Manifestement, ces hypothèses ont toutes en commun de se rapporter à une représentation fausse que l’errans se fait de la réalité.

Cela justifie-t-il, pour autant, qu’elles entraînent la nullité du contrat ? Les rédacteurs du Code civil ont estimé que non.

Afin de concilier l’impératif de protection du consentement des parties au contrat avec la nécessité d’assurer la sécurité des transactions juridiques, le législateur, tant en 1804, qu’à l’occasion de la réforme du droit des obligations, a décidé que toutes les erreurs ne constituaient pas des causes de nullité.

Aussi, certaines erreurs sont-elles sans incidence sur la validité du contrat. D’où la distinction qu’il convient d’opérer entre les erreurs sanctionnées et les erreurs indifférentes.

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur la transaction était soumise à des règles spécifiques s’agissant de l’erreur.

Alors qu’elle pouvait être rescindée pour lésion en cas d’erreur dans la personne ou sur l’objet de la contestation (art. 2053, al. 1er C civ.), l’ancien article 2052, al. 2e prévoyait que la transaction ne pouvait en revanche pas être attaquée « pour cause d’erreur de droit ».

Par erreur de droit on entend, traditionnellement, la fausse croyance de l’errans sur l’existence ou les conditions de mise en œuvre de la règle en considération de laquelle il s’est engagé.

Lorsqu’elle est commise dans le cadre d’une transaction, l’erreur de droit consiste donc pour l’errans à se méprendre :

  • Soit sur la teneur du droit auquel il a renoncé
  • Soit sur le bien-fondé du droit dont s’est prévalu la partie adverse

Si, pour la transaction, les rédacteurs du Code civil ont entendu exclure l’erreur de droit du domaine des erreurs sanctionnées, c’est en raison de l’objet de cette opération.

En effet, la transaction a pour objet de mettre fin à un litige né ou à naître, ce qui suppose pour les parties de trouver un compromis. Or la recherche de ce compromis implique précisément pour ces dernières à faire fi de leurs chances de succès respectives si l’affaire était portée devant un juge.

En transigeant les parties acceptent, en d’autres termes, l’aléa, en ce sens qu’elles prennent le risque de renoncer à une prétention qui aurait été peut-être accueillie favorablement par un juge.

Aussi, est-ce parce que les parties choisissent d’écarter les règles de droit applicables à leur litige à la faveur de la recherche d’une solution amiable, que l’ancien article 2052 n’admettait pas qu’elles puissent, par suite, se prévaloir d’une erreur de droit.

Si l’exclusion de l’erreur de droit par les rédacteurs du Code civil était parfaitement justifiée au regard de la particularité de la transaction, on a toutefois assisté, à compter de la fin des années 1990, à un mouvement jurisprudentiel tendant à neutraliser cette exclusion.

Nombreuses sont, en effet, les juridictions qui ont été animées par la volonté d’octroyer une plus grande protection aux parties les plus faibles poussées à transiger, ce qui impliquait de cantonner le domaine de l’erreur de droit afin qu’elle ne fasse pas obstacle à l’annulation des transactions qui leur étaient soumises.

En dépit des termes de l’article 2052 alinéa 2, la Cour de cassation a ainsi progressivement admis l’erreur de droit dans la transaction, soit sous couvert d’une autre qualification, soit en retenant l’existence d’une erreur sur l’objet de la contestation.

Dans un arrêt du 22 mai 2008, elle a par exemple jugé que « l’erreur, fût-elle de droit, qui affecte l’objet de la contestation défini par la transaction » justifie la rescision de ladite transaction (Cass. 1ère civ. 22 mai 2008, n°06-19.643).

En tout état de cause, comme relevé par la doctrine majoritaire, aucun motif convaincant ne justifiait aujourd’hui d’exclure la nullité de la transaction pour erreur de droit.

D’où la proposition doctrinale de supprimer l’exclusion de l’erreur de droit en matière de transaction formulée à l’occasion de l’adoption de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

?Réforme

La loi du 18 novembre 2016 a donc abrogé les anciens articles 2052 et 2053 du Code civil qui opérait une distinction entre l’erreur de droit, non sanctionnée, et les erreurs dans la personne ou sur l’objet de la contestation définie dans la transaction qui, elles, étaient sanctionnées.

Désormais, la transaction ne fait dès lors l’objet de plus aucune disposition spécifique s’agissant de l’erreur. Elle peut donc être attaquée pour cause d’erreur dans les mêmes conditions que celles applicables à n’importe quel contrat relevant du droit commun.

i. Les conditions de l’erreur

Aussi, pour constituer une cause de nullité l’erreur doit, en toutes hypothèses, être :

  • Déterminante
  • Excusable

Il peut être ajouté qu’il importe peu que l’erreur soit de fait ou de droit.

?Une erreur déterminante

  • Principe
    • L’article1130 du Code civil prévoit que l’erreur vicie le consentement lorsque sans elle « l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes »
    • Autrement dit, l’erreur est une cause de consentement lorsqu’elle a été déterminante du consentement de l’errans.
    • Cette exigence est conforme à la position de la Cour de cassation.
    • Dans un arrêt du 21 septembre 2010, la troisième chambre civile a, par exemple, rejeté le pourvoi formé par la partie à une promesse synallagmatique de vente estimant que cette dernière « ne justifiait pas du caractère déterminant pour son consentement de l’erreur qu’il prétendait avoir commise » (Cass. 3e civ., 21 sept. 2010, n°09-66.297).
  • Appréciation du caractère déterminant
    • L’article 1130, al. 2 précise que le caractère déterminant de l’erreur « s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné »
    • Le juge est ainsi invité à se livrer à une appréciation in concreto du caractère déterminant de l’erreur

?Une erreur excusable

  • Principe
    • Il ressort de l’article 1132 du Code civil que, pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit être excusable
    • Par excusable, il faut entendre l’erreur commise une partie au contrat qui, malgré la diligence raisonnable dont elle a fait preuve, n’a pas pu l’éviter.
    • Cette règle se justifie par le fait que l’erreur ne doit pas être la conséquence d’une faute de l’errans.
    • Celui qui s’est trompé ne saurait, en d’autres termes, tirer profit de son erreur lorsqu’elle est grossière.
    • C’est la raison pour laquelle la jurisprudence refuse systématiquement de sanctionner l’erreur inexcusable (V. en ce sens par exemple Cass. 3civ., 13 sept. 2005, n°04-16.144).
  • Domaine
    • Le caractère excusable n’est exigé qu’en matière d’erreur sur les qualités essentielles de la prestation ou de la personne.
    • En matière de dol, l’erreur commise par le cocontractant sera toujours sanctionnée par la nullité, quand bien même ladite erreur serait grossière.
    • Dans un arrêt du 21 février 2001, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que la « réticence dolosive à la supposer établie, rend toujours excusable l’erreur provoquée » (Cass. 3e civ., 21 févr. 2001, n°98-20.817).
  • Appréciation
    • L’examen de la jurisprudence révèle que les juges se livrent à une appréciation in concreto de l’erreur pour déterminer si elle est ou non inexcusable.
    • Lorsque, de la sorte, l’erreur est commise par un professionnel, il sera tenu compte des compétences de l’errans (V. en ce sens Cass. soc., 3 juill. 1990, n°87-40.349).
    • Les juges feront également preuve d’une plus grande sévérité lorsque l’erreur porte sur sa propre prestation.

?L’indifférence de l’erreur de droit ou de fait

Il ressort de l’article 1130 du Code civil que l’erreur peut indifféremment être de fait ou de droit.

Dans un arrêt du 4 novembre 1975, la Cour de cassation a ainsi décidé que « si l’erreur de droit peut justifier l’annulation d’un acte juridique pour vice du consentement ou défaut de cause, elle ne prive pas d’efficacité les dispositions légales qui produisent leurs effets en dehors de toute manifestation de volonté de la part de celui qui se prévaut de leur ignorance » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 1975, n°73-13.701).

L’erreur de droit n’est ainsi plus exclue du domaine des erreurs sanctionnées en matière de transaction.

ii. Les variétés d’erreurs

?Les erreurs sanctionnées

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat : l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due et l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

  • L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
    • Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due »
    • L’article 1133 précise que les qualités essentielles sont celles « qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ».
    • Autrement dit, pour être qualifiées d’essentielles, les qualités de la prestation sur lesquelles porte l’erreur doivent être entrées dans le champ contractuel.
    • C’est donc à l’aune de la commune intention des parties que le juge décidera si tel, ou tel autre élément du contrat revêt un caractère essentiel.
    • À défaut de stipulations contractuelles, il appartiendra à l’errans d’établir que son cocontractant savait que la qualité de la prestation sur laquelle a porté son erreur était déterminante de son consentement.
    • S’agissant de la transaction, les qualités essentielles pourront correspondre à l’existence ou à la teneur des droits auxquels les parties entendent renoncer, étant précisé qu’il est indifférent que l’erreur porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie (art. 1133, al. 2e C. civ.).
  • L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant
    • Au même titre que l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation, le législateur a entendu faire de l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant une cause de nullité (art. 1133, al. 1 C. civ.).
    • Le législateur a ainsi reconduit la solution retenue en 1804 à la nuance près toutefois qu’il a inversé le principe et l’exception.
    • L’ancien article 1110 prévoyait, en effet, que l’erreur « n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention. »
    • Ainsi, l’erreur sur les qualités essentielles de la personne n’était, par principe, pas sanctionnée.
    • Elle ne constituait une cause de nullité qu’à la condition que le contrat ait été conclu intuitu personae, soit en considération de la personne du cocontractant.
    • Aujourd’hui, le nouvel article 1134 du Code civil prévoit que « l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne. »
    • L’exception instaurée en 1804 est, de la sorte, devenue le principe en 2016.
    • Cette inversion n’a cependant aucune incidence sur le contenu de la règle dans la mesure où, in fine, l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité qu’en matière de contrats conclus intuitu personae.
    • En pratique, l’erreur sur la personne ne se rencontrera que très rarement en matière de transaction, le caractère intuitu personae de cette opération n’étant pas suffisamment marqué.

?Les erreurs indifférentes

Les erreurs indifférences sont l’erreur sur les motifs et l’erreur sur la valeur :

  • S’agissant de l’erreur sur les motifs
    • Principe
      • L’article 1135 du Code civil prévoit que « l’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement ».
      • Ainsi, lorsque l’erreur porte sur les motifs, soit sur les raisons qui ont déterminé les parties à contracter, elle ne constitue pas une cause de nullité.
      • Les motifs qui ont conduit les parties à transiger sont donc indifférents ; ils ne sauraient fonder une action en nullité de la transaction.
      • L’article 1135 précise qu’il importe peu que le motif sur lequel porte l’erreur ait été déterminant du consentement de l’errans, elle demeure indifférente.
    • Tempérament
      • Si l’indifférence de l’erreur sur les motifs se justifie par le caractère extérieur au contrat des circonstances qui ont conduit l’errans à contracter, dans l’hypothèse où lesdites circonstances seraient connues du cocontractant, l’erreur sur les motifs devrait alors en toute logique affecter la validité du contrat.
      • Tel est le sens de l’article 1135 du Code civil qui après avoir exclu, par principe, des causes de nullité l’erreur sur les motifs, précise qu’elle est toujours susceptible de le devenir lorsque les parties ont en fait un élément de leur consentement, soit lorsque le motif du contrat est entré dans le champ contractuel.
  • S’agissant de l’erreur sur la valeur
    • L’article 1136 du Code civil prévoit que « l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité. »
    • L’erreur sur la valeur doit donc être entendue comme l’erreur sur l’évaluation économique de l’objet du contrat
    • En matière de transaction, elle porterait sur la valeur des concessions réciproques et plus généralement des engagements pris par les parties
    • Bien que l’erreur sur la valeur consiste en un décalage entre la croyance de l’errans et la réalité, ce déséquilibre objectif des prestations ne constitue cependant pas une cause de nullité du contrat.

b. Le dol

La transaction n’est soumise à aucun régime particulier s’agissant du dol. Ce sont les dispositions relevant du droit commun des contrats qui lui sont applicables.

Classiquement, le dol est défini comme le comportement malhonnête d’une partie qui vise à provoquer une erreur déterminante du consentement de son cocontractant.

Si, de la sorte, le dol est de nature à vicier le consentement d’une partie au contrat, il constitue, pour son auteur, un délit civil susceptible d’engager sa responsabilité.

Il est régi aux articles 1137 à 1139 du Code civil. Il ressort de ces dispositions que la caractérisation du dol suppose toujours la réunion de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à ses éléments constitutifs
  • D’autre part, à son auteur
  • Enfin, à la victime

i. Les conditions du dol

?: Les conditions relatives aux éléments constitutifs du dol

Aux termes de l’article 1137, alinéa 1er du Code civil « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ».

L’alinéa 2 ajoute que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. ».

La lecture de cette disposition nous révèle que le dol est constitué de deux éléments cumulatifs :

  • Un élément matériel
  • Un élément intentionnel

?L’élément matériel

L’article 1137 alinéa 1, du Code civil prévoit que « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ».

L’alinéa 2 ajoute que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »

Ainsi, le dol est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :

  • des manœuvres
  • un mensonge
  • un silence

Si, les deux premières formes de dol ne soulèvent guère de difficultés, il n’en va pas de même pour la réticence dolosive qui, si elle est consacrée par le législateur, n’en suscite pas moins des interrogations quant à la teneur de son élément matériel.

Pour rappel, il ressort de la jurisprudence que le silence constitue une cause de nullité du contrat :

  • soit parce qu’une obligation d’information pesait sur celui qui s’est tu
  • soit parce que ce dernier a manqué à son obligation de bonne foi

Ainsi les juridictions ont-elles assimilé la réticence dolosive à la violation de deux obligations distinctes, encore que, depuis les arrêts Vilgrain (Cass. com., 27 févr. 1996, n°94-11.241) et Baldus (Cass. 1ère civ. 3 mai 2000, n°98-11.381) les obligations de bonne foi et d’information ne semblent pas devoir être placées sur le même plan.

La première ne serait autre que le fondement de la seconde, de sorte que l’élément matériel de la réticence dolosive résiderait, en réalité, dans la seule violation de l’obligation d’information.

Est-ce cette solution qui a été retenue par le législateur lors de la réforme des obligations ?

Pour mémoire, une obligation générale d’information a été consacrée par le législateur à l’article 1112-1 du Code civil, de sorte que cette obligation dispose d’un fondement textuel qui lui est propre.

Aussi, est-elle désormais totalement déconnectée des autres fondements juridiques auxquels elle était traditionnellement rattachée.

Il en résulte qu’il n’y a plus lieu de s’interroger sur l’opportunité de reconnaître une obligation d’information lors de la formation du contrat ou à l’occasion de son exécution.

Elle ne peut donc plus être regardée comme une obligation d’appoint de la théorie des vices du consentement.

Dorénavant, l’obligation d’information s’impose en toutes circonstances : elle est érigée en principe cardinal du droit des contrats.

Dans le cadre des négociations d’une transaction, chaque partie a donc l’obligation de communiquer à l’autre les informations dont elle sait le caractère déterminant pour son cocontractant.

L’article 1137 du Code civil apporte toutefois une limite à cette règle en précisant que « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. »

?L’élément intentionnel

Le dol suppose la volonté de tromper son cocontractant. C’est en cela qu’il constitue un délit civil, soit une faute susceptible d’engager la responsabilité extracontractuelle de son auteur.

Aussi, est-ce sur ce point que le dol se distingue de l’erreur, laquelle ne peut jamais être provoquée. Elle est nécessairement spontanée.

  • En matière de sol simple
    • Dans un arrêt du 12 novembre 1987 la Cour de cassation reproche en ce sens à une Cour d’appel d’avoir retenu un dol à l’encontre du vendeur d’un camion qui ne répondait pas aux attentes de l’acquéreur « sans rechercher si le défaut de communication des factures de réparation et d’indication de réparations restant à effectuer avait été fait intentionnellement pour tromper le contractant et le déterminer à conclure la vente » (Cass. 1ère civ. 12 nov. 1987, n°85-18.350)
    • Plus récemment, la Cour de cassation a encore approuvé une Cour d’appel qui avait retenu un dol à l’encontre du vendeur d’un fonds de commerce, celle-ci ayant parfaitement « fait ressortir l’intention de tromper du cédant » (Cass. com. 11 juin 2013, n°12-22.014).
  • En matière de réticence dolosive
    • Dans un arrêt du 28 juin 2005 rendu en matière de réticence dolosive, la haute juridiction a adopté une solution identique en affirmant que « le manquement à une obligation précontractuelle d’information, à le supposer établi, ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s’y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d’une erreur déterminante provoquée par celui-ci » (Cass. com. 28 juin 2005, n°03-16.794)

?: Les conditions relatives à l’auteur du dol

?Principe

Pour être cause de nullité, le dol doit émaner, en principe, d’une partie au contrat.

L’article 1137 du Code civil formule expressément cette exigence en disposant que « le dol est le fait pour un contractant ».

Ainsi, le dol se distingue-t-il de la violence sur ce point, l’origine de cette dernière étant indifférente.

L’article 1142 du Code civil prévoit, en effet, que « la violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers »

?Exclusion

Il résulte de l’exigence posée à l’article 1137, que le dol ne peut jamais avoir pour origine un tiers au contrat.

Dans un arrêt du 27 novembre 2001, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler cette règle en décidant que « le dol n’est une cause de nullité que s’il émane de la partie envers laquelle l’obligation est contractée » (Cass. com. 27 nov. 2001, n°99-17.568).

Si donc le dol émane d’un tiers, le contrat auquel est partie la victime n’encourt pas la nullité.

?Correctif

La jurisprudence a apporté un correctif à l’exclusion du tiers de la catégorie des personnes dont doit nécessairement le dol, en admettant que la victime puisse agir sur le fondement de l’erreur.

Si cette dernière parvient ainsi à établir que les manœuvres d’un tiers l’ont induite en erreur, soit sur les qualités essentielles de la prestation, soit sur les qualités essentielles de son cocontractant, le contrat pourra être annulé.

Dans un arrêt du 3 juillet 1996, la première chambre civile a affirmé en ce sens que « l’erreur provoquée par le dol d’un tiers à la convention peut entraîner la nullité du contrat lorsqu’elle porte sur la substance même de ce contrat » (Cass. 1ère civ. 3 juill. 1996, n°94-15.729).

Si toutefois, l’erreur commise par la victime du dol causé par un tiers n’était pas sanctionnée, car portant soit sur la valeur, soit sur les motifs, elle disposerait, en toute hypothèse, d’un recours contre ce dernier sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

?Exceptions

Il ressort de l’article 1138 du Code civil que, par exception, le dol peut émaner :

  • Soit du représentant, gérant d’affaires, préposé ou porte-fort du contractant
  • Soit d’un tiers de connivence

?: Les conditions relatives à la victime du dol

Pour que le dol constitue une cause de nullité,

  • D’une part, le consentement de la victime doit avoir été donné par erreur
  • D’autre part, l’erreur provoquée par l’auteur du dol doit avoir été déterminante

?L’exigence d’une erreur

Pour que le dol puisse être retenu à l’encontre de l’auteur d’agissements trompeurs, encore faut-il qu’une erreur ait été commise par la victime. À défaut, le contrat ne saurait encourir la nullité.

Cette sanction ne se justifie, en effet, que s’il y a vice du consentement. Or lorsque les manœuvres d’une partie n’ont provoqué aucune erreur chez son cocontractant, le consentement de celle-ci n’a, par définition, pas été vicié.

Parce que le dol vient sanctionner un comportement malhonnête de son auteur, il constitue une cause de nullité quand bien même l’erreur qu’il provoque chez le cocontractant est indifférente.

Une erreur qui donc serait insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat si elle avait été commise de manière spontanée, peut avoir l’effet opposé dès lors qu’elle a été provoquée.

Dans un arrêt du 2 octobre 1974, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « dès lors qu’elle a déterminé le consentement du cocontractant, l’erreur provoquée par le dol peut être prise en considération, même si elle ne porte pas sur la substance de la chose qui fait l’objet du contrat. » (Cass. 3e civ. 2 oct. 1974, n°73-11.901).

Cette solution a manifestement été consacrée à l’article 1139 du Code civil par l’ordonnance du 10 février 2016 qui prévoit que « l’erreur […] est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ».

Il en résulte que, en matière de dol, l’erreur de la victime peut indifféremment porter :

  • Sur la valeur de la prestation due ou fournie
  • Sur les motifs de l’engagement

Par ailleursl’article 1139 du Code civil précise que lorsqu’elle est provoquée par un dol, l’erreur qui devrait être considérée comme inexcusable, quand elle est commise spontanément, devient excusable et donc une cause de nullité du contrat.

Le caractère excusable ou inexcusable de l’erreur est, de la sorte, indifférent.

?L’exigence d’une erreur déterminante

Pour que la nullité d’un contrat puisse être prononcée sur le fondement du dol, encore faut-il que l’erreur provoquée ait été déterminante du consentement du cocontractant.

Cette règle est désormais énoncée à l’article 1130 du Code civil qui prévoit que le dol constitue une cause de nullité lorsque sans lui l’une des parties n’aurait pas contracté (dol principal) ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes (dol incident).

Ainsi, le législateur a-t-il choisi de ne pas distinguer selon que le dol dont est victime l’une des parties au contrat est principal ou incident, conformément à la position adoptée par la jurisprudence.

ii. La sanction du dol

Lorsqu’un contrat a été conclu au moyen d’un dol, deux sanctions sont encourues :

  • La nullité du contrat
  • L’allocation de dommages et intérêts

?Sur la nullité du contrat

Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat »

Aussi, cela signifie-t-il que seule la victime du dol, soit la partie dont le consentement a été vicié a qualité à agir en nullité du contrat

Cette solution, consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, est conforme à la jurisprudence antérieure (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995, n°93-15.005).

?Sur l’allocation de dommages et intérêts

Parce que le dol constitue un délit civil, la responsabilité extracontractuelle de son auteur est toujours susceptible d’être recherchée.

Dans la mesure où, en effet, le dol a été commis antérieurement à la formation du contrat, la victime ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Dans un arrêt du 15 février 2002, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la victime de manœuvres dolosives peut exercer, outre une action en annulation du contrat, une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du dommage qu’elle a subi » (Cass. com. 15 janv. 2002, n°99-18.774).

c. La violence

La transaction n’est soumise à aucun régime particulier s’agissant de la violence. Ce sont les dispositions relevant du droit commun des contrats qui lui sont applicables.

Classiquement, la violence est définie comme la pression exercée sur un contractant aux fins de le contraindre à consentir au contrat.

Le nouvel article 1140 traduit cette idée en prévoyant qu’« il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. ».

i. Les conditions de la violence

Il ressort des articles 1140 à 1143 du Code civil que la caractérisation de la violence suppose toujours la réunion de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à ses éléments constitutifs
  • D’autre part, à son origine

? : Les conditions relatives aux éléments constitutifs de la violence

En application de l’article 1140 du Code civil, la violence est une cause de nullité lorsque deux éléments constitutifs sont réunis :

  • L’exercice d’une contrainte
  • L’inspiration d’une crainte

?Une contrainte

  • L’objet de la contrainte : la volonté du contractant
    • Tout d’abord, il peut être observé que la violence envisagée à l’article 1140 du Code civil n’est autre que la violence morale, soit une contrainte exercée par la menace sur la volonté du contractant.
    • La contrainte exercée par l’auteur de la violence doit donc avoir pour seul effet que d’atteindre le consentement de la victime, à défaut de quoi, par hypothèse, on ne saurait parler de vice du consentement.
  • La consistance de la contrainte : une menace
    • La contrainte visée à l’article 1140 s’apparente, en réalité, à une menace qui peut prendre différentes formes.
    • Cette menace peut consister en tout ce qui est susceptible de susciter un sentiment de crainte chez la victime.
    • Ainsi, peut-il s’agir, indifféremment, d’un geste, de coups, d’une parole, d’un écrit, d’un contexte, soit tout ce qui est porteur de sens
    • La conclusion d’une transaction obtenue sous la menace physique ou morale tombera nécessairement sous le coup de la violence et pourra donc faire l’objet d’une annulation.
  • Le caractère de la contrainte : une menace illégitime
    • La menace dont fait l’objet le contractant doit être illégitime, en ce sens que l’acte constitutif de la contrainte ne doit pas être autorisé par le droit positif.
    • A contrario, lorsque la pression exercée sur le contractant est légitime, quand bien même elle aurait pour effet de faire plier la volonté de ce dernier, elle sera insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat.
    • La question alors se pose de savoir quelles sont les circonstances qui justifient qu’une contrainte puisse être exercée sur un contractant.
    • En quoi consiste, autrement dit, une menace légitime ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1141 qui prévoit que « la menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif. »
    • Cette disposition est, manifestement, directement inspirée de la position de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 17 janvier 1984 avait estimé que « la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du code civil que s’il y a abus de cette voie de droit soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement primitif » (Cass. 3e civ. 17 janv. 1984, n°82-15.753).
    • Quel enseignement retenir de la règle énoncée par la jurisprudence, puis reprise sensiblement dans les mêmes termes par le législateur ?
    • Un principe assorti d’une limite.
      • Principe
        • La menace exercée à l’encontre d’un contractant est toujours légitime lorsqu’elle consiste en l’exercice d’une voie de droit
        • Ainsi, la menace d’une poursuite judiciaire ou de la mise en œuvre d’une mesure d’exécution forcée ne saurait constituer, en elle-même, une contrainte illégitime.
        • Une partie qui donc consentirait à conclure une transaction en réaction à ce type de menace ne saurait se prévaloir de la violence afin d’obtenir son annulation.
        • La menace d’exercice d’une voie de droit est, en effet, par principe toujours légitime.
      • Limites
        • La légitimité de la menace cesse, dit l’article 1141, lorsque la voie de droit est :
          • Soit détournée de son but
            • Il en va ainsi lorsque l’avantage procuré par l’exercice d’une voie de droit à l’auteur de la menace est sans rapport avec le droit dont il se prévaut.
            • La Cour de cassation a, de la sorte, approuvé une Cour d’appel pour avoir prononcé la nullité d’une reconnaissance de dette qui avait été « obtenue sous la menace d’une saisie immobilière relative au recouvrement d’une autre créance » (Cass. 1ère civ. 25 mars 2003, n°99-21.348).
          • Soit invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif
            • La menace sera ainsi considérée comme illégitime lorsqu’elle est exercée en vue d’obtenir un avantage hors de proportion avec l’engagement primitif ou le droit invoqué.
            • La Cour de cassation a ainsi estimé que la contrainte consistant à menacer son cocontractant d’une procédure de faillite était illégitime, dans la mesure où elle avait conduit le créancier à obtenir de son débiteur des avantages manifestement excessifs (Cass. com. 28 avr. 1953).

?Une crainte

La menace exercée à l’encontre d’un contractant ne sera constitutive d’une cause de nullité que si, conformément à l’article 1140, elle inspire chez la victime « la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. »

  • L’exposition à un mal considérable
    • L’exigence tenant à l’établissement d’une crainte d’un mal considérable a été reprise de l’ancien article 1112 du Code civil qui prévoyait déjà cette condition.
    • Que doit-on entendre par l’exposition à un mal considérable ?
    • Cette exigence signifie simplement que le mal en question doit être suffisamment grave pour que la violence dont est victime le contractant soit déterminante de son consentement.
    • Autrement dit, sans cette violence, la victime n’aurait, soit pas contracté, soit conclu l’acte à des conditions différentes.
    • Le caractère déterminant de la violence sera apprécié in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.
    • La Cour de cassation prendra, en d’autres termes, en compte l’âge, les aptitudes, ou encore la qualité de la victime.
  • L’objet de la crainte
    • Pour mémoire, l’ancien article 1113 du Code civil prévoyait que « la violence est une cause de nullité du contrat, non seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants. »
    • Dorénavant, la violence est caractérisée dès lors que la crainte qu’elle inspire chez la victime expose à un mal considérable :
      • soit sa personne
      • soit sa fortune
      • soit celles de ses proches

? : Les conditions relatives à l’origine de la violence

Il ressort des articles 1142 et 1143 du Code civil que la violence est sanctionnée quel que soit son auteur.

Contrairement au dol, elle peut émaner :

  • Soit d’un tiers
  • Soit de circonstances particulières

?La violence émanant d’un tiers

L’article 1142 du Code civil prévoit expressément que « la violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers. »

Pour mémoire, l’ancien article 1111 disposait que la violence est une cause de nullité quand bien même elle est « exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite. »

Les auteurs justifient cette règle par le fait que la violence n’a pas seulement pour effet de vicier le consentement de la victime : elle porte atteinte à sa liberté de contracter.

Le contractant qui fait l’objet de violences est donc privé de tout consentement, d’où la sévérité du législateur à son endroit.

?La violence émanant de circonstances

S’il ne fait aucun doute que la violence peut émaner d’une personne, qu’il s’agisse du contractant lui-même ou d’un tiers, la question s’est rapidement posée de savoir si elle ne pouvait pas dériver de circonstances extérieures au contrat.

Plus précisément, les auteurs se sont interrogés sur l’assimilation de ce que l’on appelle l’état de nécessité à la violence.

En matière contractuelle, l’état de nécessité se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, en raison de circonstances économiques, naturelles ou politiques est contrainte, par la force des choses, de contracter à des conditions qu’elle n’aurait jamais acceptées si les circonstances qui la placent dans cette situation ne s’étaient pas produites.

De toute évidence, cette situation est susceptible de se rencontrer en matière de transaction, une partie, la plus faible, pouvant être conduite à transiger, non pas parce qu’elle le veut, mais parce qu’elle y est obligée en raison de l’état de dépendance économique dans lequel elle se trouve par rapport à son cocontractant.

C’est d’ailleurs un litige né de la conclusion d’une transaction qui a donné lieu à la reconnaissance par la Cour de cassation de la violence économique comme cause de nullité du contrat.

Dans un arrêt du 30 mai 2000, la première chambre civile a en effet admis l’assimilation de l’état de nécessité à la violence en jugeant que « la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion » (Cass. 1er civ. 30 mai 2000, n°98-15.242).

Cass. 1ère civ. 30 mai 2000

Attendu que M. X…, assuré par les Assurances mutuelles de France ” Groupe azur ” (le Groupe Azur) a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait ; que, le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs ;

Sur le premier moyen : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu les articles 2052 et 2053 du Code civil, ensemble l’article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation de l’acte du 10 septembre 1991, l’arrêt attaqué retient que, la transaction ne pouvant être attaquée pour cause de lésion, la contrainte économique dont fait état M. X… ne saurait entraîner la nullité de l’accord ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la transaction peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion, la cour d’appel a violé les textes susvisés

  • Faits
    • Un particulier a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait
    • Le 10 septembre 1991, il a signé un accord transactionnel sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs
  • Demande
    • L’assuré engage une action en nullité de la transaction conclue, en invoquant la violence dont il aurait fait l’objet
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 18 mars 1998, la Cour d’appel de Paris rejette la demande formulée par l’assuré
    • Elle estime que la transaction litigieuse ne pouvait pas être attaquée pour cause de lésion, celle-ci ne constituant pas une cause de nullité en droit français.
  • Solution
    • Dans son arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel estimant que la transaction en l’espèce pouvait parfaitement faire l’objet d’une action en nullité, dans la mesure où la contrainte économique à laquelle était soumis l’assuré lors de la conclusion de l’acte litigieux était constitutive du vice de violence et non d’une lésion.
  • Analysé
    • Ainsi, pour la première fois, la Cour de cassation admet-elle que la contrainte économique puisse constituer un cas de violence en dehors du contexte maritime.

Dans un célèbre arrêt Bordas du 3 avril 2002, la Cour de cassation a, par suite, estimé que « seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement » (Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002, n°00-12.932).

Aussi, pour la Première chambre civile, la seule situation de dépendance économique ne suffit pas à caractériser la violence cause de nullité contractuelle.

Pour elle, le vice de violence ne peut être caractérisé que s’il existe une exploitation de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouve la personne placée sous cette dépendance.

La solution dégagée dans l’arrêt Bordas a été confirmée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats qui a inséré un article 1143 dans le Code civil.

Cette disposition prévoit que « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

Il ressort de ce texte que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’abus de l’état de dépendance soit caractérisé :

  • Une situation de dépendance
    • Le texte ne précisant pas de quel type de dépendance il doit s’agir, on peut en déduire qu’il ne vise pas seulement l’état de dépendance économique.
    • Est-ce à dire que l’état de dépendance affective serait également visé ?
    • Rien ne permet d’exclure, en l’état du droit positif, cette éventualité.
  • Un abus de la situation de dépendance
    • Il ne suffit pas de démontrer qu’une partie au contrat se trouve dans un état de dépendance par rapport à une autre pour établir le vice de violence.
    • Encore faut-il que la partie en position de supériorité ait abusé de la situation.
    • Aussi, l’existence d’une situation de dépendance n’est pas propre à faire peser une présomption de violence.
    • Pour qu’une transaction soit annulée sur le fondement de la violence, il faudra démontrer un abus de la situation de dépendance.
  • L’octroi d’un avantage manifestement excessif
    • Pour que l’abus de dépendance soit caractérisé, cela suppose que l’auteur de la violence ait obtenu un avantage manifestement excessif que son cocontractant ne lui aurait jamais consenti s’il ne s’était pas retrouvé en situation de dépendance
    • Cette condition a, manifestement, été reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dès l’arrêt Bordas, faisait de cette exigence un élément constitutif de la violence économique (V. notamment Cass. 3e civ. 22 mai 2012, n°11-16.826).

ii. La sanction de la violence

Lorsqu’un contrat a été conclu au moyen d’un acte de violence, deux sanctions sont encourues :

  • La nullité du contrat
  • L’allocation de dommages et intérêts

?Sur la nullité du contrat

Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat »

Aussi, cela signifie-t-il que seule la victime de la violence, soit la partie dont le consentement a été vicié a qualité à agir en nullité du contrat

Cette solution, consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, est conforme à la jurisprudence antérieure (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995).

?Sur l’allocation de dommages et intérêts

Parce que la violence constitue un délit civil, la responsabilité extracontractuelle de son auteur est toujours susceptible d’être recherchée.

Dans la mesure où, en effet, la violence a été commise antérieurement à la formation du contrat, la victime ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité délictuelle (V. notamment Cass. com. 18 février 1997, n°94-19.272).

E) Le contenu de la transaction

Le nouvel article 1128 du Code civil subordonne la validité du contrat à l’existence d’un « contenu licite et certain ».

La notion de « contenu » du contrat est une nouveauté introduite par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.

Le législateur a entendu regrouper sous une même notion les concepts d’objet et de cause qui, antérieurement à la réforme, étaient traités dans des sections distinctes du Titre III.

Aussi, désormais, les différentes fonctions qui étaient autrefois dévolues à l’objet et à la cause sont exercées par une seule et même figure juridique : la notion de contenu du contrat.

En ce qu’elle est soumise aux conditions générales de validité des contrats, la transaction doit répondre aux exigences de licéité et de détermination du contenu.

a. La licéité du contenu de la transaction

?Principe

Aux termes de l’article 1162 du Code civil « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »

Il ressort de cette disposition que la licéité du contrat est subordonnée au respect d’une double exigence : tant les stipulations du contrat, que le but poursuivi par les parties doivent être conformes à l’ordre public.

Une transaction ne peut, dès lors, être valable que si elle ne contrevient pas à l’ordre public.

Pour mémoire, l’ordre public fait partie de ces notions qui échappent à l’emprise de toute définition. Il s’agit là d’un concept dont les contours sont flous et le contenu difficile à déterminer.

Après avoir listé près d’une vingtaine de définitions, Philippe Malaurie dira de l’ordre public que, en définitive, « c’est le bon fonctionnement des institutions indispensables à la collectivité »[3]

Quant au Code civil, lui non plus ne donne aucune définition de l’ordre public.

Tout au plus, il peut être déduit de l’article 6 que l’ordre public vise l’ensemble des règles auxquelles on ne saurait déroger « par conventions particulières ».

Ainsi, l’ordre public consisterait-il en un corpus de normes impératives, soit un cadre juridique en dehors duquel la volonté des parties serait inopérante quant à la création d’obligations.

Conformément au principe d’autonomie de la volonté, les parties devraient pourtant être libres de contracter et plus encore de déterminer le contenu du contrat.

À la vérité, bien que la volonté des contractants constitue une source d’obligations aux côtés de la loi, elle n’a jamais été considérée, pas même par les rédacteurs du Code civil, comme toute puissante en matière contractuelle.

La marge de manœuvre des parties comporte une limite : celle fixée par les règles qui protègent des intérêts supérieurs placés hors d’atteinte des conventions particulières.

Pour Jean Carbonnier « l’idée générale est celle d’une suprématie de la collectivité sur l’individu. L’ordre public exprime le vouloir-vivre de la nation que menaceraient certaines initiatives individuelles en forme de contrats »[4]

Cet auteur ajoute que, finalement, l’ordre public n’est autre qu’un rappel à l’ordre adressé par l’État « aux contractants s’ils veulent toucher à des règles qu’il regarde comme essentielles »[5]

Dans cette perspective, le nouvel article 1102 du Code civil prévoit que « la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public. »

Lorsque dès lors des parties transigent, elles doivent toujours veiller à ne pas contrevenir à des règles d’ordre public. La question qui alors se pose est de savoir comment identifier une règle d’ordre public.

Comme le fait observer Philippe Malinvaud « l’ordre public est la marque de certaines règles légales ou réglementaires qui tirent leur suprématie de leur objet : la défense d’un intérêt général devant lequel doivent s’incliner les intérêts particuliers et les contrats qui les expriment »[6].

Ainsi, l’ordre public vise-t-il toujours à protéger des intérêts qui, s’ils sont de natures diverses et variées, ont tous pour point commun de se situer au sommet de la hiérarchie des valeurs.

Dans cette perspective, classiquement on distingue deux sortes de règles d’ordre public : celles qui relèvent de l’ordre public politique et celles qui relèvent de l’ordre public économique.

  • S’agissant de l’ordre public politique
    • Il est composé de toutes les règles qui assurent la protection des intérêts relatifs à l’État, à la famille et à la morale.
      • La défense de l’État
        • Toutes les règles qui régissent l’organisation et le fonctionnement de l’État sont d’ordre public
        • Il en résulte que les transactions qui, par exemple, porteraient sur le droit de vote ou qui viseraient à restreindre l’exercice du pouvoir politique seraient nulles.
        • Dès lors sont impératives les lois constitutionnelles, les lois fiscales ou encore les lois pénales
      • La défense de la famille
        • La plupart des règles qui touchent à l’organisation et à la structuration de la famille sont d’ordre public.
        • L’article 1388 du Code civil prévoit en ce sens que « les époux ne peuvent déroger ni aux devoirs ni aux droits qui résultent pour eux du mariage, ni aux règles de l’autorité parentale, de l’administration légale et de la tutelle. »
        • Toutefois, il convient de distinguer les règles qui régissent les rapports personnels entre les membres de la famille, de celles qui gouvernent les rapports patrimoniaux.
        • Tandis que les premières constituent presque toujours des dispositions impératives, les secondes sont le plus souvent supplétives.
      • La défense de la morale
        • Si, jusqu’à récemment, la défense de la morale se traduisait essentiellement par l’exigence de conformité des conventions aux bonnes mœurs cette exigence s’est peu à peu déportée à la faveur d’une protection de l’ordre moral qui postule désormais le respect de la personne humaine et de la liberté individuelle.
  • S’agissant de l’ordre public économique
    • il est composé de règles qui régissent les échanges de biens et services
    • Cet ordre public est constitué de deux composantes :
      • L’ordre public économique de direction
        • L’ordre public économique de direction vise à assurer la protection d’un intérêt économique général.
        • Il s’agit là, autrement dit, de règles qui ont été édictées en vue de protéger l’économie de marché et plus généralement de servir le développement des échanges de biens et de services.
        • L’ordre public de direction est de la sorte très présent en droit de la concurrence.
        • Dans un arrêt du 26 mai 1992 la Cour de cassation a, de la sorte, affirmé que « sont nulles les conventions sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence » (Cass. com. 26 mai 1992, n°90-13.499)
      • L’ordre public économique de protection
        • L’ordre public économique de protection vise à préserver les droits de la partie jugée faible au contrat
        • Le terrain d’élection privilégié de cet ordre public est le droit du travail, le droit de la consommation ou encore le droit des locataires.
        • La présence de cet ordre public de protection se traduit, le plus souvent, par la réglementation stricte d’un certain nombre de contrats.

?Tempéraments

L’interdiction de déroger par convention contraire à une règle d’ordre public devrait conduire à considérer qu’une transaction ne saurait contrevenir à une telle règle.

Pourtant, il est des cas où les parties seront autorisées à transiger alors même que la règle en jeu présente un caractère d’ordre public.

  • Cas des transactions portant sur une nullité
    • Alors que les règles instituant la nullité d’un acte sont d’ordre public, il est admis qu’une transaction puisse avoir pour l’objet la renonciation par une partie à se prévaloir d’une nullité.
    • Toutes les nullités ne peuvent néanmoins pas faire l’objet d’une transaction.
    • Une partie ne peut renoncer à soulever une nullité dans le cadre d’une transaction que s’il s’agit d’une nullité relative.
    • La raison en est que la règle qui institue une nullité relative relève de l’ordre public de protection.
    • Il s’agit, autrement dit, d’une règle qui vise à protéger un intérêt particulier, l’intérêt de la partie au profit de laquelle la nullité est instituée.
    • Or, en application de l’article 1181 du Code civile, elle seule peut se prévaloir de cette nullité.
    • Il est dans ces conditions cohérent d’admettre que la partie que la loi entend protéger puisse renoncer à se prévaloir d’une nullité relative.
    • Tel n’est, en revanche, pas le cas, lorsque la transaction porte sur une nullité absolue.
    • Cette nullité est, en effet, instituée par une règle qui vise à protéger l’ordre public de direction, soit l’intérêt général.
    • À ce titre, elle peut être soulevée par quiconque justifie d’un intérêt à agir (art. 1180 C. civ.).
    • Aussi, très tôt la jurisprudence a jugé qu’on ne pouvait pas transiger sur une nullité absolue (Cass. civ. 18 déc. 1893).
  • Cas des transactions portant sur des droits acquis
    • S’il est a priori interdit de transiger sur un droit subjectif qui présente un caractère d’ordre public, la jurisprudence opère toutefois une distinction entre les droits acquis et les droits non acquis.
    • Dans un arrêt du 16 novembre 1960, la Cour de cassation a, en effet, jugé qu’« il est loisible au plaideur de transiger sur les modalités d’application d’un droit acquis, d’ordre public » (Cass. soc., 16 nov. 1960).
    • Il ressort de cette décision que la transaction qui porte sur un droit acquis est parfaitement valable, peu importe que ce droit soit d’ordre public.
    • Par acquis, il faut entendre un droit qui est né, par opposition au droit non acquis dont le fait générateur n’est pas encore survenu.
    • Cette solution a été réitérée à plusieurs reprises par la Cour de cassation et notamment dans un arrêt du 17 mars 1998.
    • Aux termes de cette décision, la Première chambre civile a ainsi affirmé que « s’il est interdit de renoncer par avance aux règles de protection établies par une loi d’ordre public, il est en revanche permis de renoncer aux effets acquis de telles règles » (Cass. 1ère civ., 17 mars 1998, n°96-13.972).
    • Afin de mieux appréhender cette jurisprudence, prenons l’exemple de la prestation compensatoire.
    • S’il est fait interdiction à un époux de renoncer, dans le cadre d’une transaction, à toute prestation compensatoire en prévision d’un éventuel divorce, celui-ci sera en revanche admis à renoncer à cet effet du divorce lorsque la procédure sera engagée (Cass. 2e civ. 10 mai 1991, n°90-11.008).
    • La solution est la même pour un salarié qui renoncerait à engager la responsabilité de son employeur en cas d’accident de travail futur : il ne pourra renoncer à une telle action dans le cadre d’une transaction qu’en cas de naissance d’un droit à indemnisation, soit en cas de survenance d’un accident de travail.
    • En somme, s’il est interdit de transiger à l’avance sur un droit présentant un caractère d’ordre public, il est en revanche admis qu’il y soit renoncé lorsque ce droit est né.
    • La chambre commerciale a statué en ce sens dans un arrêt du 16 décembre 2014 aux termes duquel elle a jugé, au visa de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, que « si [ce] texte institue une responsabilité d’ordre public à laquelle les parties ne peuvent renoncer par anticipation, il ne leur interdit pas de convenir des modalités de la rupture de leur relation commerciale, ou de transiger sur l’indemnisation du préjudice subi par suite de la brutalité de cette rupture » (Cass. com. 16 déc. 2014, n°13-21.363).

b. La détermination du contenu de la transaction

i. Le domaine de l’objet de la transaction

Peut-on transiger en tous domaines ? Le Code civil est silencieux sur cette question. L’article 2046 précise tout au plus qu’« on peut transiger sur l’intérêt civil qui résulte d’un délit ».

Parce que la transaction est un contrat, au titre de la liberté contractuelle, les parties devraient a priori être autorisées à transiger en toutes matières, pourvu que la convention conclue ne porte pas atteinte à l’ordre public, ni par ses stipulations, ni par son but.

Reste que la transaction constitue un acte grave en ce qu’elle emporte renonciation pour les parties d’agir en justice. Or pour pouvoir renoncer à un droit, encore faut-il être libre d’en disposer.

Aussi, cela suppose-t-il que ce droit soit :

  • D’une part disponible
  • D’autre part, aliénable

?Un droit disponible

Il est donc admis que pour pouvoir faire l’objet d’une transaction, le droit concerné doit être disponible.

Par disponible, il faut entendre positivement un droit dont on peut disposer. Cette définition n’est toutefois pas suffisante car elle ne permet pas de cerner avec précision les contours de la notion, laquelle recouvre, en réalité, un périmètre plus restreint.

Car en effet, un droit peut, dans son état primitif, être disponible, mais être inaliénable et donc non cessible, en raison, par exemple, d’une clause spécifique qui aurait été stipulée dans le cadre d’une convention ou encore de son statut de bien public.

Aussi, pour comprendre ce qu’est un droit disponible, il faut envisager la notion négativement. Sous cet angle, un droit disponible est un droit qui ne relève pas de la catégorie des droits qui sont dits « hors du commerce ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir comment reconnaître les droits « hors du commerce » et ceux qui ne le sont pas.

Par hypothèse, la ligne de démarcation serait celle qui distingue les droits patrimoniaux des droits extra-patrimoniaux.

Tandis que les premiers sont des droits appréciables en argent et, à ce titre, peuvent faire l’objet d’opérations translatives, les seconds n’ont pas de valeur pécuniaire, raison pour laquelle on dit qu’ils sont hors du commerce ou encore indisponibles.

Ainsi, selon cette distinction, on ne pourrait transiger que sur les seuls droits patrimoniaux. Pour mémoire, ils se scindent en deux catégories :

  • Les droits réels (le droit de propriété est l’archétype du droit réel)
  • Les droits personnels (le droit de créance : obligation de donner, faire ou ne pas faire)

Quant aux droits extrapatrimoniaux, qui donc ne peuvent faire l’objet d’aucune transaction, on en distingue classiquement trois sortes :

  • Les droits de la personnalité (droit à la vie privée, droit à l’image, droit à la dignité, droit au nom, droit à la nationalité)
  • Les droits familiaux (l’autorité parentale, droit au mariage, droit à la filiation, droit au respect de la vie familiale)
  • Les droits civiques et politiques (droit de vote, droit de se présenter à une élection etc.)

Bien que la ligne de démarcation entre les droits extrapatrimoniaux et les droits patrimoniaux soit particulièrement marquée, les droits sur lesquels les parties sont libres de transiger sont parfois difficiles à identifier. Ce sera notamment le cas en présence d’intérêts pécuniaires.

Aussi, afin d’appréhender les droits susceptibles de faire l’objet d’une transaction et ceux qui ne le peuvent pas convient-il, non pas de raisonner par domaine, mais d’opérer des distinctions au sein de chacun d’eux.

  • État des personnes
    • L’état des personnes est le terrain d’élection privilégié des droits extrapatrimoniaux.
    • Il se définit comme « l’ensemble des éléments caractérisant la situation juridique d’une personne au plan individuel (date et lieu de naissance, nom, prénom, sexe, capacité, domicile), au plan familial (filiation, mariage) et au plan politique (qualité de français ou d’étranger), de nature à permettre d’individualiser cette personne dans la société dans laquelle elle vit »[7].
    • Par principe, l’état des personnes est indisponible, cela qui signifie que l’on ne peut pas céder ou renoncer à un élément de son état.
    • En matière de filiation cette interdiction est expressément formulée à l’article 323 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet de renonciation. »
    • Une transaction qui, dès lors, aurait pour objet la renonciation par une partie d’un ou plusieurs éléments de son état serait nulle.
    • Dans un arrêt du 20 janvier 1981 la Cour de cassation a, par exemple, validé l’annulation d’une transaction aux termes de laquelle une mère avait renoncé à son droit d’agir en recherche de paternité (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1981, n°79-12.605).
    • Si les droits résultant de l’état des personnes sont par principe indisponible, tous ne le sont pas.
    • Il est, en effet, admis qu’une transaction puisse porter sur les conséquences pécuniaires de l’état des personnes.
    • Si donc il est interdit de transiger sur la filiation, il est en revanche permis de conclure une transaction qui aurait pour objet la pension alimentaire résultant de l’établissement d’un lien de filiation.
  • Mariage et divorce
    • En application du principe d’indisponibilité de l’état des personnes, des époux ne sauraient conclure une transaction aux fins de déroger aux règles du mariage ou du divorce.
    • Ainsi des époux ne sauraient transiger sur le devoir de fidélité, l’obligation de communauté de vie ou encore sur le droit de demander le divorce dans les cas ouverts par la loi.
    • Il en va de même pour une transaction aux termes de laquelle un époux renoncerait au bénéfice d’une règle gouvernant son régime matrimonial (Cass., 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-15945).
    • À l’instar de l’état des personnes, s’il n’est pas possible de conclure une transaction qui dérogerait aux règles du mariage et du divorce, il est en revanche permis de transiger sur les conséquences pécuniaires de l’un et l’autre.
    • Dans le cadre d’un divorce, les époux sont, par exemple, autorisés à conclure une transaction qui viserait à réduire le montant de la prestation compensatoire fixé par le juge (Cass. 1ère, 8 févr. 2005, n°03-17.923).
    • La Cour de cassation a statué dans le même sens dans un arrêt du 9 mars 1994 s’agissant du partage de la communauté consécutivement au prononcé du divorce.
    • Aux termes de cette décision elle a jugé que « après la dissolution de leur mariage par le divorce, les ex-époux sont libres de liquider leur régime matrimonial comme ils l’entendent et de passer, à cet effet, toutes conventions transactionnelles, sous réserve des droits des créanciers tels que fixés par l’article 882 du Code civil » (Cass. 1ère civ. 9 mars 1994, n°92-13.455).
  • Obligations alimentaires
    • La loi a institué des obligations dites « alimentaires » qui contraignent leur débiteur à fournir une aide matérielle ou en nature à certains membres de leur famille qui se trouveraient dans le besoin.
    • Ces obligations jouent notamment dans les rapports entre :
      • Parents et enfants
      • Grands-parents et petits-enfants
      • Gendres ou belles-filles et beaux-parents
    • Parce qu’elles présentent un caractère d’ordre public, les obligations alimentaires sont incessibles et insaisissables.
    • Il en résulte qu’elles ne sauraient, en principe, faire l’objet d’une transaction : le créancier d’une obligation alimentaire ne peut, ni y renoncer, ni la céder.
    • Cette interdiction n’est toutefois pas absolue ; la jurisprudence l’a assortie d’un tempérament.
    • Dans un arrêt du 29 mai 1985, la Cour de cassation a, en effet, opéré une distinction entre les créances d’aliments actuelles (les créances nées) et les créances d’aliments éventuelles (les créances à naître).
    • Dans cette affaire, des parents avaient conclu un accord transactionnel aux termes duquel la mère, en contrepartie d’une somme d’argent, se déclarait être remplie de tous ses droits et renoncer à toute action en justice s’agissant de la pension alimentaire due par le père au bénéfice de ses enfants mineurs.
    • Quelque temps plus tard la mère remet en cause l’accord conclu en faisant notamment valoir que la renonciation à une action alimentaire était contraire à l’ordre public.
    • La première chambre civile rejette le pourvoi formé par la requérante en reconnaissant la validité de la transaction conclue à tout le moins pour ses effets passés.
    • Elle affirme en, effet, que si la transaction dénoncée en l’espèce ne pouvait valoir renonciation pour l’avenir à obtenir le versement d’une pension alimentaires pour les enfants, elle n’en était pas moins licite pour le passé, des parents étant parfaitement libres de transiger quant au remboursement de frais déjà été engagés par l’un d’eux pour l’entretien et l’éducation des enfants.
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, l’interdiction de transiger en matière d’obligation alimentaire ne vise que les seuls droits éventuels, soit ceux qui ne sont pas encore nés.
    • Pour les droits actuels, c’est-à-dire ceux déjà nés, ils peuvent au contraire faire l’objet d’une transaction (Cass. 1ère civ. 29 mai 1985, n°84-11.626).
    • En somme, s’il est interdit de renoncer à son droit à aliments pour l’avenir, il est en revanche possible de transiger sur ce même droit dès lors qu’il est devenu échu.
  • Poursuites pénales
    • Principe
      • Lorsqu’une infraction pénale est constatée, le ministère public est libre d’engager des poursuites pénales.
      • Ces poursuites prennent la forme de ce que l’on appelle une action publique, laquelle est exercée aux fins de défendre les intérêts de la collectivité.
      • Parce que cette action est d’ordre public, elle est indisponible et, par voie de conséquence, ne peut faire l’objet d’aucune transaction.
      • L’article 2046 du Code civil prévoit en ce sens que « la transaction n’empêche pas la poursuite du ministère public. »
      • Ainsi, l’auteur d’une infraction ne saurait transiger avec le ministère public et réclamer, par exemple, l’abandon des poursuites engagées moyennant le versement d’une somme d’argent.
    • Tempéraments
      • S’il est interdit de transiger sur l’action publique, ce principe est assorti de deux tempéraments
        • Premier tempérament
          • L’article 6, al. 3e du Code de procédure pénale prévoit que l’action publique peut « s’éteindre par transaction lorsque la loi en dispose expressément ou par l’exécution d’une composition pénale ; il en est de même en cas de retrait de plainte, lorsque celle-ci est une condition nécessaire de la poursuite. »
          • Ainsi est-il admis que l’auteur d’une infraction puisse transiger sur les poursuites pénales engagées à son endroit lorsque les conditions énoncées par ce texte sont réunies.
          • La transaction est, par exemple, admise dans de nombreux cas en matière fiscale et douanière (V. en ce sens Cass. crim. 18 avr. 1983, n°82-90.081 et 81-92.517).
          • Le procureur est, par ailleurs, autorisé par de nombreux textes à conclure avec la personne poursuivie une convention qui présente toutes les caractéristiques d’une transaction.
          • On peut notamment évoquer l’article 41-2 du Code de procédure pénale qui prévoit que le procureur de la République peut, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, proposer une composition pénale à une personne physique qui reconnaît avoir commis un ou plusieurs délits punis à titre de peine principale d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans, ainsi que, le cas échéant, une ou plusieurs contraventions connexes qui consiste en une ou plusieurs des mesures limitativement énumérées, telles que le versement d’une amende, le suivi d’un stage de formation ou encore l’accomplissement d’un stage de citoyenneté.
        • Second tempérament
          • Si l’action publique est indisponible, il est en revanche permis de transiger sur l’action civile née d’une infraction pénale.
          • Cette règle est énoncée par l’article 2046, al. 1er du Code civil qui prévoit que « on peut transiger sur l’intérêt civil qui résulte d’un délit. »
          • Cette règle se justifie par la nature de l’action civile : elle n’est autre que l’exercice du droit à réparation dont est titulaire toute victime d’un dommage.
          • Or le droit à réparation est un droit patrimonial ; il est dès lors susceptible de faire l’objet d’une transaction.
          • Pour que la transaction conclue sur l’action civile soit opérante, encore faut-il qu’elle porte sur les faits à l’origine des poursuites pénales (Cass. crim. 6 oct. 1964, n°64-90.560).
          • Par ailleurs, pour être valable, la transaction doit avoir été conclue entre la victime et l’auteur de l’infraction et non entre les coauteurs ou complices (Cass. req., 7 nov. 1865).
  • Procédures collectives
    • On présente généralement les procédures collectives comme remplissant plusieurs objectifs au nombre desquels figurent notamment le redressement économique de l’entreprise, l’apurement de son passif et le maintien de l’emploi tout en assurant l’égalité des créanciers.
    • Aussi, les procédures collectives poursuivent-elles des objectifs qui vont bien au-delà de la préservation des intérêts particuliers du débiteur ; elles visent, en premier lieu, à servir des intérêts communs.
    • C’est pour cette raison que le droit des procédures collectives recèle de très nombreuses règles qui présentent un caractère d’ordre public.
    • Il en résulte que la possibilité de transiger dans le cadre d’une procédure collective est pour le moins limitée.
    • En application des articles L. 632-1 et suivants du Code de commerce il est, par exemple, fait interdiction au débiteur de transiger sur les actes susceptibles d’être frappés de nullité en cas d’accomplissement au cours de la période suspecte (Cass. com., 20 sept. 2005, n°04-11.789).
    • Dans un arrêt du 24 mars 2009, la Cour de cassation a, par ailleurs, décidé que les condamnations au paiement des dettes sociales à l’encontre du dirigeant d’entreprise ne peuvent faire l’objet d’une transaction (Cass. com., 24 mars 2009, n°07-20.383).
    • Il a encore été jugé que « aux termes d’une transaction, des créanciers n’ayant aucune garantie ne peuvent se voir accorder plus de droits qu’un créancier nanti » (Cass. com. 10 déc. 2002, n°99-21.411).

?Un droit inaliénable

Si une transaction peut porter sur un droit disponible, encore faut-il que ce droit ne soit pas frappé d’inaliénabilité.

Quels sont les droits inaliénables ? Il s’agit des droits qui notamment :

  • Soit sont attachés à des biens qui possèdent un statut particulier, tels que les biens relevant du domaine public ou les biens appartenant à la catégorie des souvenirs de famille
  • Soit sont grevés par une stipulation d’inaliénabilité, pourvu que cette stipulation produise des effets limités dans le temps et qu’elle soit justifiée par un intérêt sérieux et légitime

Parce qu’un droit frappé d’inaliénabilité ne peut pas être cédé, il ne peut, par voie de conséquence, pas faire l’objet d’une transaction.

ii. L’interprétation de l’objet de la transaction

?Principe

La transaction a pour fonction de mettre fin à un litige né ou à naitre. Pour atteindre son but, encore faut-il que les termes du litige soient définis avec suffisamment de précision dans l’acte, faute de quoi les parties pourraient être portées à saisir le juge afin de lui soumettre une question qui n’aurait pas été abordée dans la transaction conclue.

La question qui alors se pose est de savoir comment une transaction doit-elle être interprétée ?

Doit-on considérer que la transaction couvre le litige constaté dans l’acte ainsi que toutes les ramifications que ce litige est susceptible de comporter ou doit-on estimer que les effets de la transaction sont cantonnés au périmètre du différent décrit dans l’acte ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 2048 du Code civil qui prévoit que « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu. »

Il ressort de cette disposition que l’objet de la transaction doit être interprété restrictivement.

Selon cette approche, il y a lieu de considérer que la transaction ne règle que ce qui est expressément énoncé dans l’acte. Si dès lors un différend comporte plusieurs chefs, la transaction ne règle que ceux qu’elle vise spécifiquement.

S’agissant des autres chefs du litige qui ne seraient pas abordés dans la transaction, ils pourront dès lors être portés devant le juge.

Pour cette raison, lorsque des parties décident de transiger il leur faudra bien veiller, au stade de la rédaction, à énoncer dans l’acte l’ensemble des chefs de litige et plus généralement tout « ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».

?Tempérament

Le principe d’interprétation restrictive des termes d’une transaction est assorti d’un tempérament énoncé à l’article 2049 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les transactions ne règlent que les différends qui s’y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l’on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé. »

À l’analyse, ce texte ne fait que reprendre la règle de droit commun énoncée à l’article 1194 du Code civil qui prévoit que « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi. »

Cette règle vise à autoriser le juge à aller au-delà de ce qui est énoncé dans la transaction lorsque les stipulations de l’acte sont obscures ou trop générales.

En cas de lacunes et de silence d’un contrat, il est, en effet, illusoire de rechercher la commune intention des parties qui, par définition, n’a probablement pas été exprimée par elles.

Aussi, le juge n’aura-t-il d’autre choix que d’adopter la méthode objective d’interprétation, soit pour combler le vide contractuel, de se rapporter à des valeurs extérieures à l’acte, telles que l’équité ou la bonne foi.

En somme, l’article 2049 autorise le juge à découvrir des obligations qui s’imposent aux parties alors mêmes qu’elles n’avaient pas été envisagées lors de la conclusion du contrat : c’est ce que l’on appelle le forçage du contrat.

Une illustration de cette méthode d’interprétation appliquée en matière de transaction peut être trouvée dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 octobre 2019.

Aux termes de cette décision, elle a admis que « la renonciation du salarié à ses droits nés ou à naître et à toute instance relative à l’exécution du contrat de travail ne [rendait] pas irrecevable une demande portant sur des faits survenus pendant la période d’exécution du contrat de travail postérieure à la transaction et dont le fondement est né postérieurement à la transaction » (Cass. soc. 16 oct. 2019, n°18-18.287).

Dans un arrêt du 28 novembre 2006, la Chambre sociale a encore admis, s’agissant d’une transaction qui avait pour objet le règlement des conséquences d’un licenciement économique que le droit de lever l’option de souscription d’actions qui avait été réservé aux seules personnes ayant la qualité de salarié au moment de l’opération se rattachait bien à l’exécution du contrat de travail et était, comme tel, soumis au champ d’application de la transaction (Cass. soc. 28 nov. 2006, n°05-41.684).

II) Les conditions de forme

A) Exigence d’un écrit

Une disposition est consacrée dans le code civil au formalisme de la transaction. L’article 2044 prévoit, en effet, que « ce contrat doit être rédigé par écrit. »

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si cet écrit est exigé ad validitatem ou seulement ad probationem.

Parce que la transaction est un contrat consensuel, il a très tôt été admis que l’établissement d’un écrit n’était, en aucune façon, une condition de validité de la transaction (Cass. req., 2 août 1927).

Dans un arrêt du 18 mars 1986, la Cour de cassation a notamment affirmé que « l’écrit prévu par l’article 2044 du Code civil n’est pas exigé pour la validité du contrat de transaction dont l’existence peut être établie selon les modes de preuve prévus en matière de contrats par les articles 1341 et suivants du Code civil ».

Ainsi, l’exigence d’écrit formulée à l’article 2044 du Code civil est seulement une règle de preuve et non une règle de fond.

Cette solution a été réitérée récemment par la Deuxième chambre civile dans un arrêt du 21 janvier 2021 aux termes duquel elle a affirmé que « l’écrit prévu par l’article 2044 du Code civil n’étant pas exigé pour la validité du contrat de transaction, mais seulement à des fins probatoires » (Cass. 2e civ., 21 janv. 2021, n°19-20.724).

La conséquence en est que l’absence d’écrit au sens de l’article 1364 du Code civil n’entachera pas la transaction de nullité. Celle-ci pourra par exemple se déduire d’un échange de lettres missives (Cass. 1ère civ., 18 févr. 2015, n° 13-27.465).

En revanche, la conclusion d’une transaction ne pourra pas se déduire du comportement des parties, de sorte qu’elle ne pourra pas être présumée.

B) Preuve de la transaction

Si la validité d’une transaction n’est pas subordonnée à l’établissement d’un écrit, l’écrit n’en est pas moins exigé à titre de preuve.

Aussi, la transaction est-elle soumise aux règles générales de preuve applicables aux actes juridiques.

À cet égard, il y a lieu de distinguer selon que la transaction présente un caractère civil ou commercial, les règles d’admissibilité des modes de preuve n’étant pas les mêmes dans l’un ou l’autre cas.

1. La transaction présente un caractère civil

Bien que pour les actes juridiques, l’exigence de preuve littérale vaille tant s’agissant d’établir l’existence de l’acte que son contenu, la jurisprudence a apporté une dérogation à cette règle pour les transactions.

a. Preuve de l’existence de la transaction

a.1. Principe

L’article 1359 du Code civil prévoit que « l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique. »

Il ressort de cette disposition que la preuve d’un acte juridique suppose nécessairement la production d’un écrit.

Lorsqu’il s’agit d’établir l’existence d’une transaction, la production d’un écrit est exigée quel que soit le montant de l’objet de cette dernière, l’article 2044 du Code civil ne reprenant pas l’exigence de seuil énoncé par l’article 1359 (1500 euros).

La jurisprudence en a déduit qu’il était indifférent que la transaction porte sur un montant supérieur ou inférieur à ce seuil (V. en ce sens Cass. civ. 9 juin 1947).

Aussi, l’existence d’une transaction ne peut être prouvée, en toute hypothèse, qu’au moyen d’une preuve littérale.

Cette exigence n’est toutefois pas absolue. Le législateur a prévu des dérogations à l’exigence de preuve littérale.

a.2. Dérogations

Si l’existence d’une transaction ne peut, en principe, être prouvée qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit

i. L’impossibilité de se procurer un écrit

L’article 1360 du Code civil prévoit que l’exigence de production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique reçoit « exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Lorsque cette impossibilité de se procurer un écrit est établie, la partie qui se prévaut de la transaction litigieuse serait admise à faire la preuve de son existence par tous moyens de preuve.

À cet égard, il pourra s’agir d’une impossibilité de rédiger un écrit résultant d’un empêchement moral ou matériel survenu au moment de la conclusion de la transaction.

Mais il pourra également s’agir d’une impossibilité de produire un écrit au cours de l’instance en raison de la survenance d’un cas de force de force majeure.

Dans les deux cas, la partie qui se prévaut de l’impossibilité de se procurer un écrit devra démontrer que les conditions énoncées par l’article 1360 du Code civil sont remplies.

ii. Le recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

?S’agissant du commencement preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Par commencement de preuve par écrit il faut entendre, selon la définition qui en est donnée par l’article 1362 du Code civil, « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il ressort de cette disposition, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

L’alinéa 2 de l’article 1362 du Code civil précise, par ailleurs, que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Une fois la condition tenant à la production d’un commencement de preuve par écrit remplie, pour que celui-ci soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Dans un arrêt du 6 février 1973, la Cour de cassation a jugé en ce sens, s’agissant de la preuve d’une transaction, que, en ce que « la transaction est un contrat et est, à ce titre, soumise aux règles édictées par l’article 1347 du code civil, que la preuve peut en être rapportée par témoins ou présomptions lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit » (Cass. 3e civ. 6 févr. 1973, n°71-12.511).

De façon plus générale, les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il présente un caractère extrinsèque.

Autrement dit, il doit s’agit d’un élément de preuve qui n’émane pas de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit.

?S’agissant des modes de preuve parfaits

En application de l’article 1361 du Code civil, il peut être suppléé à l’écrit :

  • Soit par l’aveu judiciaire
  • Soit par le serment décisoire

Ces deux moyens de preuve appartiennent à la catégorie des modes de preuve parfaits.

Aussi, présentent-ils une double spécificité :

  • En premier lieu, ils sont admis en toutes matières, soit pour faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques peu importe le montant de ces deniers
  • En second lieu, ils s’imposent au juge en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonnera à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

En l’absence d’écrit pour faire la preuve d’une transaction, les plaideurs ont ainsi la faculté de recourir à un mode de preuve parfait, étant précisé qu’il n’existe aucune hiérarchie entre ces derniers (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 28 janv. 1981, 79-17.501).

Sous réserve que les conditions d’admission du mode de preuve parfait soient réunies, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve de l’acte juridique litigieux soit rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

b. Preuve du contenu de la transaction

L’exigence de preuve littérale vaut en principe, tant s’agissant d’établir l’existence de l’acte, que son contenu.

Bien que de portée générale, cette règle a fait l’objet d’un assouplissement par la jurisprudence en matière de transaction.

La Cour de cassation admet, en effet, que la preuve du contenu d’une transaction est libre (V. en ce sens Cass. soc. 22 juin 1960).

2. La transaction présente un caractère commercial

Bien que l’article 2044 du Code civil exige l’établissement d’un écrit pour faire la preuve d’une transaction, il est admis que cette règle ne joue pas en matière commerciale V. en ce sens Cass. civ. 26 déc. 1950).

Aussi, est-ce, dans cette matière, l’article L. 110-3 du Code de commerce qui s’applique.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi ».

Ainsi, en matière commerciale, la preuve est libre, de sorte qu’une transaction pourrait être prouvée par présomptions ou par témoins.

Pour que la preuve soit libre encore faut-il que deux conditions cumulatives soient remplies :

  • Première condition
    • La transaction litigieuse doit présenter un caractère commercial.
    • Pour mémoire, il existe trois sortes d’actes de commerce :
      • Les actes de commerce par nature, soit ceux portant sur les opérations visées aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce et qui, pour présenter un caractère commercial, doivent nécessairement être accomplis de façon répétée et à des fins spéculatives
      • Les actes de commerce par la forme, soit ceux dont la commercialité ne dépend ni de la qualité de la personne qui les accomplit, ni de leur finalité ou de leur répétition
      • Les actes de commerce par accessoire, soit ceux, quelle que soit leur nature, dont l’accomplissement se rattache à une opération commerciale principale.
  • Seconde condition
    • Pour que le plaideur auquel il appartient de prouver la transaction ne soit pas soumis à l’exigence d’écrit, le défendeur doit endosser la qualité de commerçant.
    • En effet, si l’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que les actes de commerce peuvent être prouvés par tous moyens, le texte précise que la règle ne joue que pour les seuls actes accomplis « à l’égard des commerçants ».
    • Aussi, dans l’hypothèse où le défendeur n’endosserait pas la qualité de commerçant, la preuve de la transaction requerra la production d’un écrit, à tout le moins pour le demandeur.
    • On parlera alors d’acte de mixte.
    • Un acte est dit mixte, lorsqu’il présente un caractère commercial à l’égard d’une partie et un caractère civil à l’égard de l’autre partie.
    • Dans cette hypothèse, le régime probatoire applicable est asymétrique :

 

  1. F. Terré, Ph. Simpler et Y. Lequette, Droit civil – Les obligations, Dalloz, 9e éd., 2005, coll. « précis », n°184, p. 185. ?
  2. Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations : thèse, Aix, 1981, p. 198, n° 164 ?
  3. Ph. Malaurie, L’ordre public et le contrat, th., 1953, p. 69, n°99. ?
  4. J. Carbonnier, Droit civil : les biens, les obligations, PUF, 2004, n°984, p. 2037. ?
  5. Ibid. ?
  6. Ph. Malinvaud et D. Fenouillet, Droit des obligations, LexisNexis, 2012, n°267, p. 207-208. ?
  7. Lexique des termes juridiques, 30e éd. Dalloz ?
  8. V. en ce sens L. Thibierge, La transaction, Rép Dalloz. n°156. ?

La transaction: régime juridique

Lorsque survient un différend entre justiciables, la saisine du juge constitue toujours un échec pour ces derniers.

Car en effet, porter son litige devant une juridiction c’est renoncer à son pouvoir de décision à la faveur d’une tierce personne.

Plus précisément, c’est accepter de faire dépendre son sort d’un aléa judiciaire, lequel est susceptible de faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.

Certes, le juge tranche le litige qui lui est soumis en fonction des éléments de preuve produits par les parties. Ces éléments doivent néanmoins être appréciés par lui, sans compter qu’il tranchera, en définitive, selon son intime conviction.

Or cette intime conviction du juge est difficilement sondable. Il y a donc bien un aléa qui est inhérent à toute action en justice, ce qui est de nature à placer les parties dans une situation précaire dont elles n’ont pas la maîtrise.

Au surplus, quelle que soit la décision entreprise par le juge – le plus souvent après plusieurs années de procédure – il est un risque qu’elle ne satisfasse aucune des parties pour la raison simple que cette décision n’aura, par hypothèse, pas été voulue par ces dernières.

Est-ce à dire que la survenance d’un litige condamne nécessairement les parties à une relégation au rang de spectateur, compte tenu de ce qu’elles n’auraient d’autre choix que de subir une solution qui leur aura été imposée ?

À l’analyse, la conduite d’un procès n’est pas la seule solution qui existe pour éteindre un litige ; il est une autre voie susceptible d’être empruntée.

Cette voie réside dans le choix de ce que l’on appelle les modes alternatifs de règlement des conflits désignés couramment sous l’appellation générique de MARC.

Les MARC désignent tous les modes de règlement des conflits autres que le mode contentieux judiciaire traditionnel. Ils offrent la possibilité aux parties, seules ou avec l’aide d’un tiers, assistées ou non d’un avocat, d’être acteurs de leur propre litige.

Depuis le milieu des années 1990, les MARC connaissent un essor considérable en France, le législateur ayant adopté une succession de mesures tendant à en assurer le développement auprès des justiciables jusqu’à, dans certains cas, les rendre obligatoires.

Aujourd’hui, il existe une grande variété de MARC : arbitrage, conciliation, médiation, convention de procédure participative, transaction…

Les dernières réformes en date qui ont favorisé le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits ne sont autres que :

  • La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle qui a notamment introduit l’obligation de réaliser une tentative amiable de résolution du litige préalablement à la saisine de l’ancien Juge d’instance
  • La loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a renforcé les obligations de recours à la conciliation ou à la médiation en conférant notamment au juge le pouvoir d’enjoindre les parties de rencontrer un médiateur

Plus récemment encore, le décret n°2023-686 du 29 juillet 2023 a créé deux nouveaux outils procéduraux visant à favoriser la résolution amiable des litiges devant le Tribunal judiciaire : l’audience de règlement amiable et la césure du procès civil.

Dans sa décision rendue le 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a affirmé que la démarche du législateur visant à réduire le nombre des litiges soumis au juge participe de la poursuite de l’objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice.

Parmi ces techniques, qui constituent autant d’alternatives au procès, il en est une qui offre la possibilité aux parties de régler elles-mêmes leur différend sans l’intervention d’un tiers : c’est la transaction.

🡺Notion

Le terme transaction résulte de la combinaison des mots latins « trans » (au-delà) et « agere » (pousser). Étymologiquement, la transaction exprime ainsi l’idée d’une technique visant à dépasser un conflit.

À cet égard, la transaction est une institution des plus anciennes qui était connue des romains. Ces derniers l’envisageaient comme un accord conclu entre les parties permettant de prévenir ou de mettre fin à un procès.

Elle avait également les faveurs de l’un des rédacteurs du Code civil, Bigot de Préameneu, qui, dans les travaux préparatoires, écrivaient que « de tous les moyens de mettre fin aux différents que font naître entre les hommes leurs rapports variés et multipliés à l’infini, le plus heureux dans tous ses effets est la transaction, ce contrat par lequel sont terminées les contestations existantes, ou par lequel on prévient les contestations à naître ».

Assez curieusement, il n’avait pourtant pas été prévu, à l’origine, de consacrer à la transaction des dispositions spécifiques dans le Code civil. Ce n’est qu’à la toute fin du parcours législatif que des articles portant sur la transaction ont été intégrés dans le Code Napoléonien.

Aujourd’hui, la définition que l’on retrouve de la transaction dans le Code civil n’est pas très éloignée de celle retenue par le droit romain.

L’article 2044 du Code civil définit, en effet, la transaction comme « un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ».

Il ressort de cette disposition que la transaction s’analyse comme un contrat et plus précisément comme un contrat nommé.

À la vérité, elle est plus qu’un contrat dans la mesure où elle emprunte également au droit judiciaire privé, en raison de ses fonctions.

🡺Fonctions

La transaction, telle qu’envisagée par le Code civil, remplit les mêmes fonctions que la technique issue du droit romain :

  • Première fonction : prévenir une contestation à naître
    • Lorsque les parties optent pour la conclusion d’un accord transactionnel, elles font le choix de renoncer à faire trancher leur différend par un juge.
    • Transiger c’est donc éviter de s’engager dans une procédure judiciaire qui promet d’être longue, coûteuse et surtout incertaine.
    • La transaction permet ainsi aux parties de conserver la maîtrise de leur sort et, par voie de conséquence, de mieux accepter le compromis qui en résultera.
  • Seconde fonction : terminer une contestation née
    • La transaction n’a pas seulement pour fonction de prévenir un éventuel procès ; elle met fin à la contestation des parties.
    • Cette technique a, en effet, pour effet d’éteindre le droit d’agir en justice, en ce sens que, une fois conclue et sous réserve de valable, elle fait obstacle à la saisine du juge.
    • En transigeant, les parties vident le litige de sa substance. Or un litige qui perd son objet emporte extinction de l’intérêt à agir des parties.
    • Si une partie saisissait le juge, nonobstant la conclusion d’une transaction, elle se verrait opposer une fin de non-recevoir pour cause de chose transigée.

🡺Intérêt

L’intérêt de la transaction est triple pour les parties :

  • D’une part, la transaction confère aux parties la faculté de mettre définitivement fin à leur litige au moyen d’un compromis et donc d’éviter de subir une décision dont les termes seraient déterminés par le juge. Une solution négociée par les parties a, en effet, bien plus de chance d’être acceptée par elles et donc d’être exécutée, qu’une solution qui leur serait imposée.
  • D’autre part, la transaction est pourvue, à l’instar de n’importe quel contrat, de la force obligatoire, de sorte qu’elle ne peut pas être remise en cause, sauf irrégularité affectant la validité de l’accord transactionnel. Lorsqu’elle est homologuée, la transaction pourra, en outre, être dotée de la force exécutoire, ce qui signifie qu’elle s’élèvera au rang de titre exécutoire autorisant alors la partie créancière à solliciter une exécution forcée de l’accord conclu avec son cocontractant.
  • Enfin, la transaction permet de chasser l’incertitude quant à la mise en œuvre d’une procédure judiciaire. En transigeant, les parties acquièrent, en effet, la certitude que leur litige ne pourra pas être porté, dans le futur, devant une juridiction.

Ce triple intérêt que recèle la transaction est résumé par l’adage : « mieux vaut un mauvais arrangement qu’un bon procès ».

🡺Règles applicables

La transaction, en ce qu’elle consiste en un contrat, est régie par le droit commun des contrats, de sorte que s’appliquent notamment à elle les règles relatives à la formation, aux effets et à l’exécution des conventions.

Par ailleurs, parce qu’elle relève de la catégorie des contrats nommés, la transaction est également soumise à des règles spéciales. Ces règles sont énoncées aux articles 2044 à 2052 du Code civil.

Là ne sont pas les seules règles applicables à la transaction, il faut aussi compter sur les dispositions que l’on retrouve dans des matières très spécifiques, telles que le droit du travail ou encore le droit des accidents de la circulation.

On retrouve, en effet, dans ces matières des règles qui intéressent la transaction et qui dérogent au droit commun.

La Cour de cassation a, par exemple, décidé s’agissant d’une transaction ayant pour objet de mettre fin à un litige résultant d’un licenciement, qu’elle ne pouvait être valablement conclue qu’une fois la rupture du contrat de travail intervenue et définitive (Cass. soc. 29 mai 1996, n°92-45.115).

En matière d’indemnisation des accidents de la circulation, l’article 211-16 du Code des assurances atténue la force obligatoire de la transaction en prévoyant que « la victime peut, par lettre recommandée, ou par envoi recommandé électronique avec demande d’avis de réception, dénoncer la transaction dans les quinze jours de sa conclusion. »

I) Les éléments constitutifs de la transaction

Il s’infère de la définition de la transaction énoncée à l’article 2044 du Code civil que ses éléments constitutifs sont au nombre de trois :

  • L’existence d’une contestation née ou à naître
  • L’existence de concessions réciproques entre les parties
  • L’existence d’une intention de mettre fin à un différend

A) L’existence d’une contestation née ou à naître

La conclusion d’un accord transactionnel est subordonnée, dit l’article 2044 du Code civil, à l’existence d’une contestation née ou à naître.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre :

  • D’une part, par « contestation »
  • D’autre part, par « contestation née ou à naître »

🡺La notion de contestation

La notion de contestation n’est définie par aucun texte. Dans une acception large, comme souligné par le Professeur Louis THIBIERGE, elle désigne une « incertitude ».

Est-ce à dire que des parties qui seraient prises d’un doute sur l’un des éléments de la situation qui les lie seraient fondées à conclure une transaction afin de mettre fin à ce doute ?

C’est ce que prévoit le droit allemand, lequel admet qu’une transaction puisse être régularisée aux fins de mettre un terme à une incertitude.

Tel n’est toutefois pas la conception retenue en droit français de la notion de contestation.

Les auteurs s’accordent à dire que la seule existence d’un doute n’autorise pas des parties à conclure une transaction. Pour justifier la conclusion d’un accord transactionnel, ce doute doit dégénérer en litige.

La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 3 avril 2007 en jugeant qu’aucune transaction ne pouvait être valablement constatée faute par la partie qui s’en prévalait d’établir l’existence d’une « situation litigieuse » (Cass. 1ère civ. 3 avr. 2007, n°06-12.494).

Ainsi, la conclusion d’une transaction requiert nécessairement l’existence d’un désaccord susceptible d’être porté par les parties devant un juge. Il faut, en d’autres termes, que le différend qui oppose les parties leur ouvre le droit d’agir en justice.

La raison en est que la transaction n’est pas un simple contrat ; elle présente une dimension juridictionnelle puisqu’admise au rang des modes alternatifs de règlement des litiges.

Or sans litige, une transaction devient sans objet ; raison pour laquelle un accord qui viserait à mettre fin à une incertitude ou à une opposition d’intérêts ne pourrait pas être qualifié de transaction.

🡺La notion de contestation née ou à naître

L’article 2044 du Code civil envisage deux sortes de contestation : celle qui est déjà née et celle qui est à naître.

  • La contestation née
    • Une contestation née est celle qui a déjà été portée devant une juridiction, soit qui a donné lieu à un procès.
    • À ce stade, la contestation est donc en voie d’être tranchée par le juge.
    • La conclusion d’une transaction permet aux parties de trouver une issue amiable à leur litige avant que le juge ne rende sa décision.
    • Lorsqu’une transaction intervient dans ce cadre, elle est qualifiée de judiciaire.
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir si une transaction peut intervenir à n’importe quel stade de la procédure.
    • Dans le silence des textes sur ce point, il est admis qu’une transaction puisse être conclue à tout moment dans le procès à l’instar de la conciliation (art. 128 CPC).
    • Qu’en est-il lorsque le juge a rendu sa décision ?
    • Dans cette hypothèse, il y a lieu de distinguer les décisions rendues avant-dire droit et les décisions rendues au fond
      • Les décisions rendues avant dire droit
        • L’article 482 du Code de procédure civile prévoit que « le jugement qui se borne, dans son dispositif, à ordonner une mesure d’instruction ou une mesure provisoire n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée »
        • Il ressort de cette disposition que la décision rendue avant dire droit est celle qui se borne à ordonner une mesure d’instruction (désignation d’un expert) ou une mesure provisoire (mise d’un bien sous séquestre) avant que le litige principal ne soit tranché par le juge saisi au fond.
        • Lorsqu’un jugement avant dire droit a été rendu, il ne fait aucun doute qu’une transaction peut être conclue dans la mesure où le litige principal n’a pas encore été tranché et que donc, par hypothèse, il existe toujours
      • Les décisions rendues au fond
        • Lorsqu’une décision est rendue au fond, elle est pourvue de l’autorité de la chose jugée au principal, ce qui signifie qu’il n’est plus possible pour les parties de revenir judiciairement sur ce qui a été jugé, sauf exercice de voies de recours.
        • À la question de savoir si une transaction peut être conclue entre les parties postérieurement à une décision rendue au fond, les auteurs sont partagés.
        • D’aucuns soutiennent que cette pratique ne devrait pas être admise.
        • Pour les tenants de cette thèse, dans la mesure où la contestation portée devant le juge a été tranchée, le litige s’en trouve, par voie de conséquence, éteint.
        • Or parce que le litige est éteint, une transaction ne devrait pas pouvoir intervenir faute d’objet.
        • D’autres auteurs, auxquels nous nous rallions, soutiennent le contraire en avançant que des désaccords susceptibles d’être portés devant un juge peuvent subsister entre les parties postérieurement à la décision rendue au fond.
        • On pense, en premier lieu, au désaccord initial qui, bien que tranché par un juge, peut donner lieu à l’exercice d’une voie de recours.
        • La transaction permettra alors d’éviter que la partie succombante n’interjette appel ou se pourvoit en cassation.
        • Des désaccords peuvent également survenir au stade de l’exécution de la décision rendue au fond.
        • Afin de prévenir ces désaccords, on voit mal pourquoi on interdirait aux parties de conclure une transaction.
        • Dans un arrêt du 28 mars 1973, la Cour de cassation l’a d’ailleurs admis (Cass. 2e civ. 28 mars 1973, 72-10.317).
        • Aussi parce que postérieurement à la décision rendue au fond des désaccords susceptibles d’être portés devant le juge peuvent encore survenir, il y a lieu, selon nous d’admettre, que des transactions puissent être conclues par les parties.
  • La contestation à naître
    • La contestation à naître est celle qui intervient avant qu’une action justice n’ait été engagée par une partie.
    • À ce stade, le juge n’a donc pas été saisi ; la contestation, si elle perdure, est toutefois susceptible de conduire une partie à exercer son droit d’agir en justice.
    • Aussi, dans cette hypothèse, la conclusion d’une transaction a-t-elle pour but d’éviter que la contestation ne soit portée devant une juridiction.
    • Lorsqu’elle intervient dans ce cadre, la transaction est qualifiée d’extrajudiciaire.
    • S’agissant de l’objet de la contestation à naître, elle ne peut donner lieu à la conclusion d’une transaction que si celle porte sur un droit actuel.
    • Si donc la contestation porte sur un droit futur, elle ne pourra pas être éteinte au moyen d’un protocole transactionnel.
    • Par droit futur, il faut entendre le droit qui n’est pas encore né, faute de survenance de son fait générateur.
    • Dans un arrêt du 21 mars 1988, la Cour de cassation a, par exemple jugé, s’agissant d’une transaction portant sur l’octroi d’une prestation compensatoire, « qu’aucune procédure de divorce n’étant engagée, les époux ne pouvaient valablement transiger sur leur droit futur à une prestation compensatoire » (Cass. 2e civ. 21 mars 1988, n°86-16.598).
    • S’agissant de la caractérisation d’une contestation à naître, il y a lieu de distinguer selon qu’elle porte sur un fait juridique ou sur un acte juridique.
      • En présence d’un fait juridique
        • La contestation consistera ici en tout désaccord sur l’existence ou l’exercice d’un droit.
        • Ce désaccord pourra notamment porter sur le droit à indemnisation né du préjudice causé à autrui.
      • En présence d’un acte juridique
        • Il y a lieu ici de distinguer selon que l’on situe au stade de la phase précontractuelle ou au stade de l’exécution du contrat.
          • Au stade de la phase précontractuelle
            • À ce stade, les parties négocient les termes du contrat.
            • Aussi, les désaccords susceptibles d’intervenir dans le cadre des négociations ne peuvent pas donner lieu à une transaction.
            • Il est, en effet, tout à fait normal que des désaccords surviennent pendant la phase de négociation.
            • De même qu’il n’appartient pas aux juges de trancher ces désaccords, les parties ne sont pas fondées à les régler par voie de transaction.
            • Si, en effet, elles trouvent un compromis, celui-ci donnera lieu à l’établissement, non pas d’une transaction au sens de l’article 2044 du Code civil, mais du contrat dont elles ont négocié les termes.
          • Au stade de l’exécution du contrat
            • Dès lors que le contrat a été conclu, tout désaccord qui surviendrait entre les parties au cours de l’exécution du contrat peut donner lieu à la régularisation d’une transaction.

B) L’existence de concessions réciproques entre les parties

1. Principe

1.1. Origine

De longue date, il est admis que la validité d’une transaction est subordonnée à l’existence de concessions réciproques entre les parties.

Cette exigence, qui ne figurait pas dans la version initiale du Code civil, a d’abord été formulée par la jurisprudence.

À cet égard, on la retrouvait déjà dans le Code Justinien qui énonçait : transactio nullo dato, vel retento, seu promisso, minime procedit. Cela signifie littéralement qu’il ne peut y avoir de transaction sans que rien ne soit donné, retenu ou promis

Très tôt, l’exigence de concessions réciproques est devenue l’une des pierres angulaires du régime de la transaction en droit français.

Il a toutefois fallu attendre l’adoption de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle pour qu’elle soit consacrée par le législateur.

C’est désormais chose faite ; l’exigence de concessions réciproques est énoncée à l’article 2044 du Code civil.

1.2. Contenu de l’exigence

Le Code civil ne donne aucune définition de la notion de « concessions réciproques », l’article 2044 se bornant à en formuler l’exigence.

Aussi, est-ce vers la jurisprudence qu’il y a lieu de se tourner afin de mieux cerner le contenu de cette exigence.

L’analyse des décisions rendues révèle que les juges exigent tant, l’existence de concessions entre les parties, que l’existence de réciprocité de ces concessions.

a. L’exigence de concessions entre les parties

🡺La notion de concession

Dans son acception courante, une concession se définit, selon le dictionnaire de l’Académie française, comme l’action consistant à accorder quelque chose à quelqu’un dans le cadre d’un différend.

Appliquée à la transaction, immédiatement cette définition interroge : que faut-il, en effet, attendre par « accorder » ?

Par « accorder », faut-il entendre renoncer à un droit et/ou souscrire une obligation nouvelle ?

La jurisprudence admet les deux, de sorte qu’une concession peut tout autant consister en la renonciation en droit (Cass. com. 23 mai 1989, n°87-19.552), qu’en la souscription d’une obligation nouvelle (Cass. ass. plén., 24 févr. 2006, n°04-20.525).

Il pourra ainsi s’agir pour une partie, victime d’un dommage, de renoncer à son droit d’agir en justice en contrepartie de quoi l’auteur du dommage s’engage à verser une indemnité de réparation.

Il pourra encore s’agir pour un employeur de renoncer à licencier un salarié sur le fondement de la faute grave, en contrepartie de l’abandon par ce dernier au droit éventuel de réclamer des dommages et intérêts.

🡺L’appréciation de la concession

Très tôt, la question s’est posée en jurisprudence de savoir comment apprécier les concessions consenties par les parties.

Plus précisément, doit-on considérer que pour être qualifiée de concession, la prétention à laquelle renonce une partie doit être légitime ou doit-on seulement tenir compte de la prétention formulée par elle initialement indépendamment de son bien-fondé en droit ?

Supposons, par exemple, une victime qui réclame à l’auteur de son dommage le versement d’une indemnité de 100.000 euros.

Finalement, elle accepte de transiger à hauteur de 50.000 euros, alors même que le juge l’aurait débouté de son action en responsabilité.

Si l’on apprécie la renonciation faite en l’espèce par la victime à sa prétention au regard de sa légitimité, alors on doit considérer qu’il ne s’agit pas d’une concession dans la mesure où elle n’aurait pas obtenu gain de cause si elle avait agi en justice.

Si, en revanche, on apprécie la renonciation consentie par la victime au regard de la prétention faite initialement, alors il y a bien concession dans la mesure où la victime accepte de recevoir une indemnité moins élevée que celle réclamée initialement.

Pour la Cour de cassation, afin d’apprécier si la renonciation par une partie à une prétention consiste en une concession, il y a lieu de tenir compte de la seule prétention initiale.

Il est donc indifférent que cette prétention ne soit pas légitime, car non fondée en droit ; ce qui importe c’est que la prétention initiale fasse l’objet d’une renonciation.

Dans un arrêt du 27 mars 1996, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’existence de concessions réciproques, qui conditionne la validité d’une transaction, doit s’apprécier en fonction des prétentions des parties au moment de la signature de l’acte » (Cass. soc., 27 mars 1996, n°92-40.448).

Afin de déterminer si la transaction qui lui est soumise repose bien sur des concessions, il n’appartient donc pas au juge de vérifier si les prétentions formulées par les parties étaient légitimes ; il doit s’en tenir à celles formulées initialement.

b. L’exigence de réciprocité des concessions

🡺Énoncé de l’exigence de réciprocité

Il ne suffit pas pour être valable qu’une transaction constate des concessions, il faut encore que les concessions consenties soient réciproques.

Par réciproques, il faut entendre que les concessions faites doivent profiter à l’ensemble des parties à l’acte.

Dans un arrêt du 24 février 2006, la Cour de cassation est allée encore plus loin en exigeant l’existence d’« engagements réciproques interdépendants » (Cass. ass. plén., 24 févr. 2006, n°04-20.525).

Il ressort de cette décision que la seule existence de concessions mutuelles entre les parties ne suffit pas à remplir l’exigence de réciprocité.

Cette exigence suppose également une interdépendance entre les engagements pris par les parties.

Or pour que des engagements soient interdépendants, ils doivent se servir mutuellement de cause, soit avoir été envisagés par les parties comme la contrepartie de l’un à l’autre.

🡺L’appréciation de la réciprocité

L’appréciation de la réciprocité soulève principalement deux difficultés qui tiennent, d’une part au bénéficiaire des concessions constatées dans la transaction et, d’autre part, à l’équivalence des concessions.

  • Le bénéficiaire des concessions
    • L’exigence de réciprocité des concessions suppose qu’elles profitent à toutes les parties.
    • La question s’est toutefois posée de savoir si ce bénéfice devait être direct ou s’il pouvait être indirect.
    • Autrement dit, dans l’hypothèse où la concession serait consentie, non pas à une partie, mais à un tiers, remplirait-elle l’exigence de réciprocité ?
    • Dans un arrêt du 4 octobre 1966, la Cour de cassation a d’abord jugé que, pour être valables, les concessions devaient bénéficier directement aux parties et non à un tiers (Cass. com. 4 oct. 1966).
    • Puis, dans un arrêt du 25 octobre 2011, elle a opéré un revirement de jurisprudence en admettant que les concessions puissent bénéficier à un tiers (Cass. com. 25 oct. 2011, n°10-23.538).
    • Il n’est donc pas exigé que la concession faite profite directement à une partie, ce qui importe c’est qu’elle lui bénéficie au moins indirectement.
  • L’équivalence des concessions
    • Principe
      • Si l’article 2044 du Code civil exige que les concessions constatées dans la transaction soient réciproques, il ne dit pas qu’elles doivent être équivalentes.
      • Est-ce à dire que l’absence d’équivalence entre les concessions est sans effet sur la validité de la transaction ?
      • C’est ce qui a, très tôt, été admis par la jurisprudence.
      • Dans un arrêt du 5 janvier 1994, la Cour de cassation a, par exemple, affirmé que « constitue une transaction l’accord qui a pour objet de mettre fin à un différend s’étant élevé entre les parties et qui comporte des concessions réciproques, quelle que soit leur importance relative » (Cass. soc. 5 janv. 1994, n°89-40.961).
      • Il est donc indifférent que les concessions consenties entre les parties soient dépourvues d’équivalence.
      • Cette indifférence se confirme si l’on se reporte à la règle énoncée par l’ancien article 2052 du Code civil qui disposait qu’une transaction ne pouvait pas être attaquée « pour cause de lésion ».
      • Aujourd’hui, la seule règle qui aborde l’équivalence des engagements pris par les parties et qui serait applicable à la transaction relève du droit commun.
      • Elle a pour siège l’article 1168 du Code civil qui prévoit que « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement ».
      • Or dans la partie du Code civil dédiée aux transactions il n’est aucune disposition qui prévoit le contraire.
      • Aussi, la seule exigence qui valle dans le cadre d’une transaction s’agissant de la valeur des concessions faites entre les parties est qu’elles soient réelles et non fictives.
    • Limite
      • L’article 1169 du Code civil prévoit que « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ».
      • Cette disposition, qui relève du droit commun des contrats, s’applique à la transaction.
      • Il en résulte que l’indifférence d’équivalence des concessions entre les parties dans le cadre d’une transaction n’est pas sans limite.
      • Pour être valables, les concessions consenties ne doivent pas être illusoires ou dérisoires.
      • Par illusoires ou dérisoires, il faut comprendre des concessions qui seraient tellement faibles ou insignifiantes que cela revient à l’absence de concessions faite par son auteur.
      • Or la validité d’une transaction est subordonnée à la réciprocité des concessions, ce qui implique que toutes les parties doivent justifier de concessions réelles et non fictives.
      • Dans un arrêt du 18 septembre 2002, la Cour de cassation a ainsi jugé qu’une transaction était nulle en raison du caractère dérisoire de l’indemnité versée par un assureur à la victime d’un accident de la circulation.
      • Au cas particulier, la concession se limitait au paiement des frais d’obsèques ce qui était sans commune mesure par rapport au préjudice économique subi par l’épouse de la victime décédée (Cass. 1ère civ. 18 sept. 2002, n°00-14.773).
      • Dans un arrêt du 23 avril 1997, la Chambre sociale a encore décidé que « le seul fait pour un employeur de dispenser le salarié qu’il licencie de l’exécution d’un préavis, sans pour autant lui verser d’indemnité compensatrice, ne constitue pas, de sa part et à lui seul, une concession de nature à rendre valable la transaction » (Cass. soc. 23 avr. 1997, n°94-40.349).
      • La Haute juridiction a retenu la même solution dans un arrêt du 28 novembre 2000 s’agissant du versement par un employeur d’une indemnité forfaitaire de 5000 francs à son salarié en réparation du préjudice résultant de son licenciement pour inaptitude (Cass. soc. 28 nov. 2000, n°98-43.635).

1.3. Sanction de l’inobservation de l’exigence

En cas d’absence de concessions réciproques entre les parties, deux sanctions sont encourues :

  • La requalification de la transaction
  • La nullité de la transaction

🡺La requalification de la transaction

Dans la mesure où comme souligné par la jurisprudence « l’existence de concessions réciproques […] conditionne la validité d’une transaction » (Cass. soc. 27 mars 1996, n°92-40.448), la sanction en cas de non-respect de cette exigence devrait être la nullité de l’opération.

Telle n’est pourtant pas la voie empruntée par la Cour de cassation qui privilégie la requalification de la transaction.

Dans un arrêt du 24 octobre 2006, la Cour de cassation a, par exemple, requalifié la transaction dont la validité était contestée en remise de dette (Cass. 1ère civ. 24 oct. 2006, n°05-19.792).

Elle a encore admis qu’une transaction puisse être requalifiée en donation-partage dans un arrêt du 4 mai 1976 (Cass. 1ère civ. 4 mai 1976, n°74-12.526).

On peut enfin citer un arrêt du rendu le 25 mars 2003 aux termes duquel la Première chambre civile a estimé qu’un accord conclu entre des concubins faisait ressortir un apurement de comptes mais non des concessions réciproques, de sorte que cet accord ne pouvait pas être qualifié de transaction (Cass. 1ère civ. 25 mars 2003, n°00-20.772).

🡺La nullité de la transaction

S’il est de principe que l’absence de concessions réciproques soit sanctionnée par la requalification de la transaction il arrive, par exception, que la sanction prononcée soit finalement la nullité de l’opération.

La Cour de cassation a, par exemple, statué en ce sens dans un arrêt du 9 juillet 2003 (Cass. 9 juill. 2003, n°01-11.963).

À l’analyse, il peut être observé que la sanction de la nullité sera surtout, sinon systématiquement, encourue lorsque la transaction est conclue dans le cadre d’un litige qui oppose un salarié à son employeur (Cass. soc. 2 déc. 1997, n°95-42.981 ; Cass. soc. 28 nov. 2000, n°98-635 ; Cass. soc. 29 nov. 2006, n°04-47.787).

2. Exception

Par exception, l’existence de concessions réciproques n’est pas exigée lorsque la transaction intervient dans le cadre de l’indemnisation d’une victime d’un accident de la circulation par un assureur.

Dans un arrêt remarqué du 16 novembre 2006, la Cour de cassation a jugé que « la loi du 5 juillet 1985 instituant un régime d’indemnisation en faveur des victimes d’accident de la circulation, d’ordre public, dérogatoire au droit commun, qualifie de transaction la convention qui se forme lors de l’acceptation par la victime de l’offre de l’assureur et que cette transaction ne peut être remise en cause à raison de l’absence de concessions réciproques » (Cass. 2e civ. 16 nov. 2006, n°05-18.631).

C) L’existence d’une intention de mettre fin à un différend

La validité d’une transaction est subordonnée à l’existence d’une intention des parties de mettre fin au litige.

Cette exigence est expressément énoncée par l’article 2044 du Code civil. Elle signifie que les parties doivent avoir la volonté en optant pour la transaction :

  • Soit de mettre un terme à l’instance si elle est déjà engagée
  • Soit de renoncer à l’introduction postérieure d’une action en justice

Compte tenu de l’exigence de cette intention des parties de mettre fin à leur litige, la question s’est posée de savoir si une transaction conclue sous condition suspensive était valable.

Si, en effet, les parties subordonnent la conclusion d’un accord transactionnel à la réalisation d’une condition, peut-on réellement considérer qu’elles sont animées de l’intention ferme de régler leur différend ?

Pour la Cour de cassation, la conclusion d’une transaction sous condition suspensive est pleinement valable. Elle a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 26 mars 2003 (Cass. 3e civ. 26 mars 2003, n°01-02.410).

II) Conditions de formation de la transaction

Parce que la transaction s’analyse en un contrat, elle est soumise aux conditions de validité de droit commun applicables à tous les contrats.

Aussi, pour être valable, elle doit satisfaire à plusieurs des conditions de fond qui tiennent :

  • À la capacité des parties
  • Au pouvoir des parties
  • Au consentement des parties
  • À l’objet de l’accord

La transaction n’est en revanche soumise à aucune condition de forme, à tout le moins à un formalisme qui serait exigée ad validitatem.

A) Les conditions de fond

1. La capacité des parties

L’article 2045 du Code civil prévoit que « pour transiger, il faut avoir la capacité de disposer des objets compris dans la transaction. »

Ainsi, pour être autorisées à conclure une transaction les parties doivent justifier de la capacité à contracter et plus précisément de la capacité de disposer des droits objets de la transaction.

La raison en est que l’action de transiger consiste à renoncer à des prétentions, ce qui constitue un acte grave ; d’où sa reconnaissance parmi les actes de disposition.

Pour mémoire, dans son acception générale, la capacité juridique se définit comme la faculté pour une personne physique ou morale à être titulaire de droits et à les exercer.

Classiquement on distingue la capacité de jouissance de la capacité d’exercice :

  • La capacité de jouissance : il s’agit de l’aptitude d’une personne à être titulaire de droits subjectifs (droits réels et personnels)
  • La capacité d’exercice : il s’agit de l’aptitude pour une personne physique ou morale à exercer les droits dont elle est titulaire au titre de sa capacité de jouissance

Si toutes les personnes sont pourvues de la capacité de jouissance, il n’en va pas de même pour la capacité d’exercice.

Or c’est précisément à cette capacité d’exercice que sont rattachées les capacités de contracter et de disposer exigées pour pouvoir conclure une transaction.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quelles sont les personnes qui sont douées de la capacité d’exercice.

Pour le déterminer, il convient de distinguer les personnes capables des personnes incapables.

1.1 Les personnes capables

Les personnes dites capables sont celles qui jouissent d’une capacité d’exercice générale.

Aussi, ont-elles la faculté d’exercer tous les droits dont elles sont titulaires, sans limitation, sinon celle, le cas échéant, de l’abus de droit.

Il s’en déduit que les personnes capables sont toutes autorisées à contracter et à disposer de leurs droits et, par voie de conséquence, à conclure une transaction.

Classiquement, on distingue trois catégories de personnes capables :

  • Les personnes physiques majeures
    • Il s’agit de toutes les personnes qui ont atteint l’âge de dix-huit ans révolus.
    • Les personnes physiques majeures qui ne sont frappées d’aucune incapacité d’exercice ont la capacité de conclure une transaction par elles-mêmes, c’est-à-dire sans qu’il leur soit besoin d’être représentées
  • Les personnes morales
    • Il s’agit des groupements, tels que les sociétés, les associations ou encore les syndicats, qui sont dotés d’une personnalité juridique, laquelle s’acquiert sous certaines conditions.
    • Si les personnes morales sont pourvues d’une capacité juridique, elles ne peuvent, en revanche, exercer leurs droits que par l’entremise d’un représentant.
    • Aussi, la validité d’une transaction conclue au nom et pour le compte d’une personne morale est subordonnée moins à sa capacité de transiger, ce qui sera toujours le cas, qu’au pouvoir de son représentant.
  • Les personnes mineures émancipées
    • Il s’agit des personnes qui n’ont pas atteint l’âge de dix-huit ans révolus, et qui donc ne sont pas majeures, mais qui ont été émancipées, soit par mariage, soit par décision judiciaire.
    • L’article 413-6 du Code civil prévoit que le mineur émancipé est capable, comme un majeur, de tous les actes de la vie civile.
    • Il en résulte qu’il est autorisé à conclure une transaction comme n’importe quelle personne majeure douée de sa capacité de contracter.

1.2 Les personnes incapables

Les personnes incapables se divisent en deux catégories :

  • Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice générale
  • Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice spéciale

a. S’agissant des personnes frappées d’une incapacité d’exercice générale

Deux catégories de personnes sont frappées d’une incapacité d’exercice générale

  • Les mineurs non émancipés
  • Les majeurs faisant l’objet d’une mesure de tutelle

Lorsqu’une personne est frappée d’une incapacité d’exercice générale, cela ne signifie pas qu’elle ne dispose pas de la faculté à être titulaires de droits.

Tant le mineur, que la personne placée sous tutelle jouissent d’une capacité de jouissance générale.

Ces personnes n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont elles sont titulaires. Il leur faut nécessairement être représentées pour l’accomplissement des actes de la vie civile.

a.1. S’agissant du mineur non émancipé

🡺Dispositions générales

Frappé d’une incapacité d’exercice générale, le mineur non émancipé n’est, par principe, pas autorisé à contracter seul et, par voie de conséquence, à conclure une transaction.

Pour ce faire, il doit nécessairement se faire représenter, soit par ses administrateurs légaux que sont ses parents, soit le cas échéant, par son tuteur s’il ne bénéficie pas du système de l’administration légale en raison de sa situation de famille.

En tout état de cause, quel que soit le mode de représentation du mineur, l’étendue des pouvoirs confiés à ses représentants diffère selon la gravité des actes à accomplir dans l’intérêt de celui-ci.

En effet, tandis qu’il est certains actes – la plupart – qui peuvent être accomplis par le représentant du mineur en toute autonomie, il en est d’autres – les plus graves – dont l’accomplissement est subordonné, tantôt à l’autorisation du juge des tutelles, tantôt au conseil de famille.

Afin de déterminer à quelle catégorie d’actes appartient la transaction, il y a lieu, au préalable, de distinguer selon que le mineur est soumis au dispositif de l’administration légale (représentation par ses parents) ou au dispositif de la tutelle.

  • Le mineur est soumis au dispositif de l’administration légale
    • Dans cette hypothèse, l’article 387-1 du Code civil prévoit que « l’administrateur légal ne peut, sans l’autorisation préalable du juge des tutelles […] renoncer pour le mineur à un droit, transiger ou compromettre en son nom ».
    • Il ressort de cette disposition que les administrateurs légaux du mineur ne peuvent pas conclure seuls une transaction au nom de ce dernier.
    • Aussi, doivent-ils nécessairement solliciter l’accord du juge des tutelles avant de transiger.
  • Le mineur est soumis au dispositif de la tutelle
    • Dans cette hypothèse, l’article 505 du Code civil prévoit que « le tuteur ne peut, sans y être autorisé par le conseil de famille ou, à défaut, le juge, faire des actes de disposition au nom de la personne protégée. »
    • La question qui alors se pose est de savoir si la transaction relève de la catégorie des actes de disposition auquel cas l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille est requise.
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter au décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 qui dresse une liste des actes de disposition.
    • Or il ressort de cette liste que la transaction est bien regardée comme un acte de disposition.
    • Il en résulte que le tuteur devra nécessairement obtenir l’accord préalable du conseil de famille ou, à défaut, du juge des tutelles pour conclure une transaction dans l’intérêt du mineur.
    • À cet égard, l’article 2045, al. 2e du Code civil prévoit que « le tuteur ne peut transiger pour le mineur ou le majeur en tutelle que conformément à l’article 467 ».
    • Si l’on se reporte à l’article 467, il se déduit de cette disposition que l’autorisation du juge des tutelles ou du Conseil de famille est requise préalablement à la conclusion d’une transaction.

En tout état de cause, quel que soit le mode de représentation dont bénéficie le mineur, en cas de non-sollicitation de l’accord du juge des tutelles ou du conseil de famille préalablement à la conclusion d’une transaction, l’opération est susceptible d’être frappée d’une nullité relative (Cass. 1ère civ. 26 juin 1974, n°72-11.524).

Cela signifie notamment que cette nullité ne pourra être soulevée que par les personnes représentant les intérêts du mineur ou par le mineur lui-même devenu majeur (Cass. 1ère civ. 10 mars 1998, n°95-22.111). Elle pourra, par ailleurs, faire l’objet d’une confirmation.

🡺Dispositions spéciales

En cas de dommage causé à la victime d’un accident de la circulation, obligation est faite à l’assureur de lui proposer une indemnité en réparation de son préjudice.

L’article L. 211-9 du Code des assurances prévoit en ce sens que, « quelle que soit la nature du dommage, dans le cas où la responsabilité n’est pas contestée et où le dommage a été entièrement quantifié, l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d’un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d’indemnité motivée dans le délai de trois mois à compter de la demande d’indemnisation qui lui est présentée. »

Lorsque la victime d’un accident de l’accident de la circulation est une personne mineure, le législateur a entendu encadrer l’offre d’indemnité qu’est tenu de formuler l’assureur.

En effet, l’article L. 211-15 du Code des assurances prévoit que « l’assureur doit soumettre au juge des tutelles ou au conseil de famille, compétents suivant les cas pour l’autoriser, tout projet de transaction concernant un mineur ou un majeur en tutelle »

Ainsi, l’assureur a-t-il l’obligation de soumettre au juge des tutelles ou au conseil de famille l’offre d’indemnisation qu’il entend proposer aux représentants du mineur.

Il en va de même pour le représentant du mineur qui ne peut négocier seul le projet de transaction qui lui a été adressé par l’assureur.

Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a ainsi jugé que « le tuteur ne peut transiger au nom de la personne protégée qu’après avoir fait approuver par le conseil de famille ou le juge des tutelles les clauses de la transaction » (Cass. 1ère civ. 20 janv. 2010, n°08-19.627).

Là ne s’arrête pas les obligations instituées par le législateur aux fins de protéger les intérêts du mineur.

L’article L. 211-15, al. 2e du Code des assurances précise que l’assureur doit également « donner avis sans formalité au juge des tutelles, quinze jours au moins à l’avance, du paiement du premier arrérage d’une rente ou de toute somme devant être versée à titre d’indemnité au représentant légal de la personne protégée ».

S’agissant de la sanction du non-respect de ces exigences, l’article L. 211-15, al. du Code des assurances dispose que « le paiement qui n’a pas été précédé de l’avis requis ou la transaction qui n’a pas été autorisée peut être annulé à la demande de tout intéressé ou du ministère public à l’exception de l’assureur. »

a.2. S’agissant de la personne faisant l’objet d’une mesure de tutelle

i. Dispositions générales

🡺Régime

À l’instar du mineur, une personne faisant l’objet d’une mesure de tutelle est frappée d’une incapacité d’exercice générale.

Il en résulte qu’elle n’est pas autorisée à contracter seule. Elle ne peut conclure une transaction que par l’entreprise d’un représentant : son tuteur.

L’article 473 du Code civil prévoit en ce sens que « sous réserve des cas où la loi ou l’usage autorise la personne en tutelle à agir elle-même, le tuteur la représente dans tous les actes de la vie civile. »

Les pouvoirs de représentation conférés au tuteur ne sont toutefois pas illimités. Certains actes sont subordonnés à l’autorisation du juge des tutelles.

Pour déterminer si la transaction conclue au nom et pour le compte d’une personne placée sous tutelle est soumise à une telle autorisation, il y a lieu de se reporter à l’article 506 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « le tuteur ne peut transiger ou compromettre au nom de la personne protégée qu’après avoir fait approuver par le conseil de famille ou, à défaut, par le juge les clauses de la transaction ou du compromis et, le cas échéant, la clause compromissoire. »

Il ressort de ce texte que le tuteur ne dispose pas du pouvoir de conclure une transaction ou négocier les termes d’une transaction sans avoir obtenu, au préalable, l’accord du juge des tutelles.

Cette règle est rappelée par l’article 2045 du Code civil qui prévoit que « le tuteur ne peut transiger pour le mineur ou le majeur en tutelle que conformément à l’article 467 ».

Or si l’on se reporte à l’article 467, il se déduit de cette disposition que l’autorisation du juge des tutelles ou du Conseil de famille est requise préalablement à la conclusion d’une transaction.

🡺Sanctions

Les sanctions attachées à la conclusion d’une transaction en violation des règles encadrant la tutelle diffèrent selon que l’opération est intervenue avant ou après le jugement d’ouverture de la mesure de protection :

  • La transaction a été conclue antérieurement à la date du jugement d’ouverture de la tutelle
    • Dans cette hypothèse, l’article 464, al. 1er du Code civil prévoit que les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés.
    • Ainsi, toutes les transactions accomplies par le majeur placé sous tutelle moins de deux ans avant la date du jugement d’ouverture peuvent être remises en cause.
    • Plus précisément, les obligations stipulées dans l’acte pourront faire l’objet d’une réduction.
    • L’alinéa 2 du texte précise que, en cas de préjudice subi par la personne protégée, la transaction n’encourt pas seulement la réduction, elle est également susceptible d’être frappée de nullité.
    • S’agissant de la prescription de l’action, l’alinéa 3 prévoit qu’elle doit être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la mesure.
  • La transaction a été conclue postérieurement à la date du jugement d’ouverture de la curatelle
    • La transaction a été conclue par la personne protégée seule sans qu’elle ait été représentée par son tuteur
      • Dans cette hypothèse l’article 465, 3° prévoit que l’acte est nul de plein droit sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un préjudice ;
      • L’action en nullité se prescrit par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
      • Par ailleurs, le tuteur peut, avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, engager seul l’action en nullité.
    • La transaction a été conclue par le tuteur seul sans qu’il ait obtenu au préalable l’autorisation du juge des tutelles
      • Dans cette hypothèse, l’article 465, 4° prévoit que l’acte est nul de plein droit sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un préjudice.
      • L’action en nullité se prescrit par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

🡺Dispositions spéciales

Comme pour les mineurs, lorsque la victime d’un accident de l’accident de la circulation est une personne placée sous un régime de tutelle, le législateur a entendu encadrer l’offre d’indemnité qu’est tenu de formuler l’assureur.

En effet, l’article L. 211-15 du Code des assurances prévoit que « l’assureur doit soumettre au juge des tutelles ou au conseil de famille, compétents suivant les cas pour l’autoriser, tout projet de transaction concernant un mineur ou un majeur en tutelle »

Ainsi, l’assureur a-t-il l’obligation de soumettre au juge des tutelles ou au conseil de famille l’offre d’indemnisation qu’il entend proposer au représentant du majeur sous tutelle.

Il en va de même pour le tuteur qui ne peut négocier seul le projet de transaction qui lui a été adressé par l’assureur.

Par ailleurs, le juge des tutelles doit être prévenu au moins 15 jours à l’avance de toute somme versée à titre d’indemnité au tuteur (art. L. 211-15 C. assur.).

b. S’agissant des personnes frappées d’une incapacité d’exercice spéciale

Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice spéciale sont les personnes qui font l’objet :

  • Soit d’une sauvegarde de justice
  • Soit d’une curatelle
  • Soit d’un mandat de protection future

En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.

Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire, tantôt assister, tantôt représenter.

À cet égard, l’étendue de leur capacité d’exercice dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

i. Les majeurs protégés placés sous sauvegarde de justice

  • Principe
    • La personne sous sauvegarde de justice conserve sa pleine de capacité juridique (art. 435, al. 1er C. civ.)
    • Il en résulte qu’elle est, par principe, autorisée à conclure seule une transaction.
    • L’alinéa 2 de l’article 435 précise toutefois que les actes que la personne placée sous sauvegarde de justice a passés et les engagements qu’elle a contractés pendant la durée de la mesure peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès.
    • À cet égard, le juge devra notamment prendre en considération l’utilité ou l’inutilité de l’opération, l’importance ou la consistance du patrimoine de la personne protégée et la bonne ou mauvaise foi de ceux avec qui elle a contracté.
    • L’article 435, al. 3e du Code civil précise que l’action en rescision pour lésion n’appartient qu’à la personne protégée et, après sa mort, à ses héritiers.
    • Elle s’éteint par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
  • Exception
    • La personne placée sous sauvegarde de justice ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial a été désigné (art. 435 C. civ.).
    • Lorsque, dès lors, la conclusion d’une transaction relève des actes pour lesquels le juge a exigé une représentation, la personne placée sous sauvegarde de justice n’est pas autorisée à transiger seule.
    • Elle doit, dans ce cas de figure, nécessairement se faire représenter par le mandataire désigné dans la décision rendue.
    • La violation de cette règle est sanctionnée par la nullité de l’acte accompli.
    • En application de l’article 435, al. 3e du Code civil, l’action en nullité, n’appartient qu’à la personne protégée et, après sa mort, à ses héritiers.
    • Elle s’éteint par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

ii. Les majeurs protégés placés sous curatelle

🡺Régime

En application de l’article 467, al. 1er du Code civil, une personne placée sous un régime de curatelle ne peut, sans l’assistance de son curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille.

Il ressort de cette disposition que la personne sous curatelle ne peut accomplir seule une transaction dans la mesure où il s’agit là d’une opération dont l’accomplissement est, sous le régime de la tutelle, subordonné à l’intervention du juge des tutelles.

Pour mémoire, l’article 506 du Code civil prévoit que « « le tuteur ne peut transiger ou compromettre au nom de la personne protégée qu’après avoir fait approuver par le conseil de famille ou, à défaut, par le juge les clauses de la transaction ou du compromis et, le cas échéant, la clause compromissoire. »

La transaction ne peut donc être réalisée par une personne placée sous curatelle qu’avec l’assistance du curateur.

À cet égard, l’alinéa 2 de l’article 467 du Code civil prévoit que lors de la conclusion d’un acte écrit, l’assistance du curateur se manifeste par l’apposition de sa signature à côté de celle de la personne protégée.

🡺Sanctions

Les sanctions attachées à la conclusion d’une transaction en violation des règles encadrant la curatelle diffèrent selon que l’opération est intervenue avant ou après le jugement d’ouverture de la mesure de protection :

  • La transaction a été conclue antérieurement à la date du jugement d’ouverture de la curatelle
    • Dans cette hypothèse, l’article 464, al. 1er du Code civil prévoit que les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés.
    • Ainsi, toutes les transactions accomplies par le majeur placé sous curatelle moins de deux ans avant la date du jugement d’ouverture peuvent être remises en cause.
    • Plus précisément, les obligations stipulées dans l’acte pourront faire l’objet d’une réduction.
    • L’alinéa 2 du texte précise que, en cas de préjudice subi par la personne protégée, la transaction n’encourt pas seulement la réduction, elle est également susceptible d’être frappée de nullité.
    • S’agissant de la prescription de l’action, l’alinéa 3 prévoit qu’elle doit être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la mesure.
  • La transaction a été conclue postérieurement à la date du jugement d’ouverture de la curatelle
    • La transaction a été conclue par la personne protégée sans l’assistance du curateur
      • Dans cette hypothèse, l’article 465, 2° prévoit que l’acte encourt la nullité, à la condition toutefois que la personne protégée ait subi un préjudice.
      • L’action en nullité se prescrit par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
    • La transaction a été conclue par le curateur seul alors qu’elle aurait dû être conclue par la personne protégée avec son assistance
      • Dans cette hypothèse, l’article 465, 4° prévoit que l’acte est nul de plein droit sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un préjudice.
      • L’action en nullité se prescrit par le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

iii. Les majeurs protégés placés sous mandat de protection future

Toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle ou d’une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter lorsqu’elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté (art. 477 C. civ.)

Il appartient donc au mandant de déterminer les actes pour lesquelles elle entend se faire représenter lorsqu’elle la mesure de protection sera activée.

La conclusion d’une transaction peut parfaitement figurer au nombre de ces actes, à la condition néanmoins que cette opération soit expressément visée dans le mandat, lequel doit nécessairement être établi par écrit (par acte notarié ou par acte sous seing privé).

2. Le pouvoir de transiger

Le pouvoir se définit comme l’aptitude pour celui qui en est investi à représenter une personne.

Il s’agit, autrement dit, de la faculté d’agir au nom et pour le compte d’autrui, soit d’être son représentant.

Ainsi, tandis que la capacité correspond à l’aptitude à être titulaire de droits ou à les exercer, le pouvoir est attaché à la notion de représentation.

Le représentant est celui qui a le pouvoir d’exercer les droits dont est titulaire le représenté. Celui qui est investi d’un pouvoir de représentation ne devient pas titulaire des droits du représenté.

Le représentant est seulement habilité à les exercer, étant précisé que cela n’ôte pas au représenté, sa capacité d’exercice.

Au fond, le pouvoir de représentation est une modalité d’exercice d’un droit. Il est conféré au représentant, soit par la loi, soit par décision de justice, soit par convention, le pouvoir d’exercer le droit dont est seul titulaire le représenté.

2.1 La représentation légale

La représentation est donc dite légale lorsque le représentant tient son pouvoir de représentation de la loi.

Selon les cas, le législateur a conféré des pouvoirs plus ou moins étendus au représentant.

C’est la raison pour laquelle le pouvoir de conclure ou de ne pas conclure une transaction peut différer selon les cas de représentation légale. Nous nous limiterons à aborder les principaux.

a. Les mineurs non émancipés

Frappé d’une incapacité d’exercice générale, le mineur non émancipé doit être représenté pour tous les actes de la vie civile.

Or cette représentation est assurée de plein droit, lorsque la situation du mineur s’y prête, par ses parents lesquels sont investis de pouvoirs étendus pour administrer ses biens, voire en disposer.

Reste que pour les actes les plus graves, les parents ne sont pas investis du pouvoir de représentation du mineur ; ils doivent solliciter l’autorisation du juge des tutelles.

Tel est notamment le cas, s’agissant de la conclusion d’une transaction.

Pour mémoire, l’article 387-1 du Code civil prévoit que « l’administrateur légal ne peut, sans l’autorisation préalable du juge des tutelles […] renoncer pour le mineur à un droit, transiger ou compromettre en son nom ».

b. Les sociétés

À l’instar des personnes physiques, les personnes morales sont dotées de la capacité juridique.

Il en résulte qu’elles sont aptes à être titulaire de droits et à les exercer, ce qui les autorise notamment à contracter.

À ce titre, il est admis que les personnes morales puissent conclure une transaction. Reste qu’elles ne pourront agir que par l’entremise d’un représentant.

La représentation des personnes morales est assurée par les dirigeants sociaux, lesquels ne doivent pas être confondus avec les associés.

  • Les dirigeants sociaux sont investis du pouvoir d’agir au nom et pour le compte de la personne morale.
  • Les associés sont quant à eux investis du pouvoir, non pas de représenter la personne morale, mais d’exprimer directement sa volonté au moyen de leur droit vote

Ainsi, tandis que les associés expriment en assemblée la volonté de la personne morale, les dirigeants sociaux représentent cette volonté qui a été exprimée par les associés.

Selon la forme de la société, le représentant de la société pour être notamment :

  • Un gérant
  • Un président
  • Un directeur général
  • Un directeur général délégué

Bien que les dirigeants sociaux soient investis d’un pouvoir d’agir au nom et pour le compte de la société qu’ils représentent, ce pouvoir est limité en raison du principe de spécialité qui préside à l’exercice de l’objet social.

En effet, la capacité juridique que l’on reconnaît aux sociétés est limitée en ce sens qu’elles ne peuvent exercer que les seules activités comprises dans leur objet social.

Cette règle a été consacrée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Le nouvel article 1145, al. 2e du Code civil issu de cette ordonnance prévoit que « la capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles ».

Aussi est-il fait interdiction aux personnes morales d’accomplir des actes qui seraient étrangers à leur objet.

Cette limitation de la capacité de jouissance des personnes morales se répercute sur les pouvoirs dont sont investis leurs représentants légaux qui ne peuvent agir que dans la limite de l’objet défini dans les statuts.

Appliqué à l’opération de transaction, ce principe dit de spécialité signifie qu’un représentant légal ne peut valablement conclure un accord transactionnel au nom et pour le compte de la personne morale qu’à la condition que cet acte entre directement ou indirectement dans l’objet social de cette dernière.

La sanction encourue diffère toutefois selon que la personne morale représentée est une société à responsabilité limitée ou illimitée.

Tandis que dans le premier cas l’irrégularité de l’acte sera inopposable au tiers, dans le second cas la transaction sera frappée de nullité.

Il en résulte une différence de régime, s’agissant de l’exigence de conformité de la transaction à l’objet social, entre les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés à responsabilité illimitée

i. Les sociétés à responsabilité limitée

🡺Principe

Dans les sociétés à responsabilité limitée, bien que, en application du principe de spécialité, les actes accomplis par le dirigeant doivent être conformes à l’objet social de la personne morale, la violation de cette règle n’a de conséquence que dans l’ordre interne.

En effet, en cas d’accomplissement d’un acte en dépassement de l’objet social, la société demeure engagée à l’égard du tiers contractant.

Cette règle est exprimée pour les SARL à l’article L. 223-18 du Code de commerce qui prévoit que « la société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve. »

Les articles L. 225-56 et L. 225-64 instituent le même principe pour les Sociétés anonymes avec Conseil d’administration et Conseil de surveillance.

Ce principe est énoncé dans les mêmes termes pour les SAS à l’article L. 227-6 du Code de commerce.

Les actes accomplis en dépassement de l’objet social d’une société à responsabilité limitée lui sont donc opposables, sauf à démontrer que le tiers avait connaissance de l’irrégularité.

S’agissant d’une transaction, il n’est pas dérogé pas à la règle, ce qui conduit à admettre que la non-conformité d’une transaction à l’objet social de la société est sans incidence sur sa validité.

Tout au plus, l’acte accompli en méconnaissance de l’objet social engagera la responsabilité de son auteur. Reste que la société demeurera tenue d’exécuter l’engagement pris à l’égard du tiers.

🡺Tempérament

Par exception au principe d’opposabilité de la transaction en dépassement de l’objet social d’une société à responsabilité limitée, il est admis que l’acte puisse être annulé dans l’hypothèse où il serait démontré que le créancier bénéficiaire était de mauvaise foi.

La mauvaise foi du tiers fait néanmoins l’objet d’une appréciation restrictive, le législateur ayant notamment interdit qu’elle puisse se déduire de la publication des statuts.

Lorsqu’elle est établie, la mauvaise foi est sanctionnée par la nullité de l’acte accompli en dépassement de l’objet social.

ii. Les sociétés à responsabilité illimitée

🡺Principe

En application du principe de spécialité, lorsque le représentant légal d’une société à responsabilité illimitée agit en dépassement de l’objet social, il n’engage pas la société.

L’article 1849 du Code civil prévoit en ce sens, pour les sociétés civiles, que « dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social. »

La même règle est énoncée pour les sociétés en nom collectif à l’article L. 221-5 du Code de commerce. Cette disposition s’applique également aux sociétés en commandite.

Cette limitation des pouvoirs du représentant légal dans l’ordre externe s’explique par le souci de protection des associés qui prime les intérêts des tiers.

En effet, dans ce type de groupement, la responsabilité des associés, parce qu’illimitée, peut être recherchée – conjointement ou solidairement selon la forme sociale retenue – au-delà de leurs apports respectifs.

Pratiquement cela signifie que les associés peuvent être poursuivis par les créanciers de la société pour toutes les dettes souscrites au cours de la vie sociale.

À ce titre, ils sont tenus à l’obligation à la dette, outre leur contribution aux pertes qui interviendra au jour de la dissolution de la personne morale.

Aussi, afin de prévenir les agissements intempestifs de dirigeants susceptibles de faire peser sur les associés d’importants risques financiers, il a été décidé par la jurisprudence que les sociétés à responsabilité illimitée ne devaient pas être engagées par des actes accomplis en dépassement de leur objet social et que, par voie de conséquence, de tels actes devaient être frappés de nullité.

Il en résulte qu’une transaction qui serait conclue par le représentant légal d’une société à responsabilité illimitée en dépassement de son objet social serait nul.

Afin d’apprécier la validité de l’acte litigieux, il sera donc procédé à un contrôle systématique de son objet social, lequel doit comprendre l’opération faisant l’objet de la transaction.

🡺Tempérament

Il est désormais admis que lorsqu’un acte accompli au nom et pour le compte d’une société à responsabilité illimitée est étranger à son objet social, il peut être sauvé s’il répond à l’un des deux critères suivants :

  • Il existe une communauté d’intérêts entre la personne morale et le bénéficiaire de l’acte conclu en dépassement de l’objet social
  • La conclusion de l’acte litigieux procède d’une décision unanime des associés

Lorsque l’un ou l’autre situation se présente, la transaction conclue en dépassement de l’objet social sera pleinement valable et n’encourra donc pas la nullité.

c. Les époux

Le mariage n’est pas seulement une union des personnes, il consiste également en une union des biens.

Cette particularité du mariage a conduit le législateur à conférer aux époux des pouvoirs de représentation mutuelle quant à l’administration et à la disposition de leurs biens.

La question qui alors se pose est de savoir dans quelle mesure les époux sont-ils autorisés à conclure une transaction qui engagerait les biens du ménage. Un tel acte requiert-il le consentement des deux époux ou peut-il être accompli en toute autonomie par chacun d’eux ?

À l’analyse, tout dépend :

  • D’une part, du statut du bien concerné par la transaction
  • D’autre part, du régime matrimonial applicable aux époux

🡺Le pouvoir de transiger au regard du statut du bien concerné

S’il est des biens du ménage qui jouissent d’un statut très particulier, ce sont le logement de famille et les meubles meublants attachés.

La spécificité de ce statut tient à son caractère dérogatoire en ce sens qu’il soustrait la résidence familiale au jeu du droit commun des biens.

Le législateur a été guidé par cette idée que l’intérêt de la famille devait primer sur les considérations d’ordre patrimonial, ce qui, en certaines circonstances, justifie qu’il puisse être porté atteinte au droit de propriété individuel d’un époux.

Ainsi, l’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux ne peut disposer seul de la résidence familiale ainsi que des meubles qui y sont attachés. Il ne peut le faire qu’avec le consentement de son conjoint, ce qui, lorsqu’il s’agit de biens propres n’est pas sans porter atteinte à son droit de propriété.

Il résulte de cette règle que toute transaction qui aurait pour effet de priver le ménage de la jouissance de la résidence familiale requiert le consentement des deux époux, quand bien même cette dernière appartiendrait en propre à l’un d’eux.

Cette règle de cogestion relève du régime primaire, de sorte qu’elle s’applique quel que soit le régime matrimonial pour lequel les époux ont opté.

La violation de l’article 215, al. 3e du Code civil est sanctionnée par la nullité de l’acte accompli en dépassement des pouvoirs de l’époux qui a agi.

Cette disposition précise que l’action en nullité est ouverte au conjoint lésé « dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

🡺Le pouvoir de transiger au regard du régime matrimonial applicable

Les pouvoirs de représentation mutuelle des époux diffèrent selon le régime matrimonial qui leur est applicable.

Lorsqu’ils sont mariés sous le régime de la séparation de biens, l’article 1536, al. 1er du Code civil prévoit que « chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels. »

Il en résulte que, en dehors du logement de famille, chaque époux est autorisé à transiger seul sur tous les biens qui lui appartiennent en propre sans qu’il lui soit besoin d’obtenir le consentement de son conjoint.

Lorsque, en revanche, les époux ont opté pour le régime de la communauté réduite aux acquêts (régime légal), il leur faudra nécessairement solliciter l’accord du conjoint pour la conclusion d’une transaction portant sur certains biens relevant de la masse commune.

Tel sera notamment le cas pour les biens visés aux articles 1422 et 1424 du Code civil :

  • L’article 1422 prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté »
  • L’article 1424 prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations. »

En cas de conclusion d’une transaction en violation de l’une ou l’autre règle de cogestion, l’article 1427, al. 1er du Code civil prévoit que « si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation. »

2.2 La représentation conventionnelle

a. Principe

🡺L’exigence d’un pouvoir spécial

Le pouvoir de représentation dont est investi un représentant peut lui avoir été conféré au titre d’un contrat.

Le pouvoir de représentation sera ainsi le produit d’un accord de volontés. Cette hypothèse correspond à la conclusion d’un contrat de mandat.

L’article 1984 du Code civil prévoit en ce sens que « le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. »

Ainsi, tous les actes conclus par le mandataire sont réputés avoir été accomplis par le mandant en la personne de qui ils produisent directement leurs effets.

S’agissant de la transaction conclue par un mandataire investi d’un pouvoir de représentation conventionnelle, la question se pose du type de mandat admis à conférer le pouvoir d’accomplissement d’un tel acte :

En effet, l’article 1987 du Code civil distingue de sortes de mandats :

  • Le mandat général qui confère au mandataire le pouvoir de gérer toutes les affaires du mandant
  • Le mandat spécial qui confère au mandataire le pouvoir de gérer certaines affaires seulement

Aussi, un mandat rédigé en des termes généraux suffit-il à conférer au mandataire le pouvoir de transiger au nom et pour le compte du mandant ou ce pouvoir doit-il, au contraire, avoir été expressément et spécialement stipulé dans l’acte ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1988 du Code civil qui prévoit que « le mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration. »

Dans le même sens, le nouvel article 1155 du Code civil énonce le principe général, qui s’applique à tous les actes de représentation au-delà du mandat, selon lequel « lorsque le pouvoir du représentant est défini en termes généraux, il ne couvre que les actes conservatoires et d’administration. »

Il s’en déduit que pour les actes de disposition, le pouvoir conféré au représentant doit nécessairement être spécial, soit avoir été expressément stipulé dans l’acte.

S’agissant de la transaction, compte tenu de ce qu’elle a pour effet de renoncer à un droit, elle s’analyse en un acte de disposition.

C’est la raison pour laquelle elle requiert que le représentant ait été investi d’un pouvoir spécial qui devra avoir été expressément stipulé dans le mandat reçu.

Le pouvoir de transiger ne peut, dans ces conditions, jamais être tacite. Le représentant doit justifier d’un pouvoir exprès pour être admis à conclure une transaction au nom et pour le compte de la personne qu’il représente.

🡺Sanctions

En cas de défaut ou de dépassement de pouvoir, l’article 1156 du Code civil envisage deux sanctions :

  • L’inopposabilité de l’acte
    • Principe
      • Aux termes de l’article 1156, al. 1er « l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté »
      • Par inopposable, il faut entendre que, tout en conservant sa validité, l’acte ne produira aucun effet à l’égard du représentant
      • Cela signifie donc, concrètement, qu’il ne pourra pas être considéré comme partie à l’acte.
      • En cas d’inexécution du contrat, la responsabilité du représenté ne pourra donc pas être recherchée.
      • Seul le représentant qui a agi en dépassement de son pouvoir de représentation sera donc tenu à l’acte.
      • Il endossera donc seul la qualité de débiteur ou créancier.
    • Exception
      • L’article 1156 pose une exception au principe d’inopposabilité de l’acte en cas de défaut ou de dépassement apparent : le mandat apparent
      • L’alinéa 1 in fine de cette disposition prévoit, en effet, que si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.
      • Aussi, dans cette hypothèse l’acte accompli par le représentant, en dépassement de ses pouvoirs, demeura opposable au représenté.
      • Le tiers contractant sera alors fondé à exiger de ce dernier qu’il exécute la prestation convenue.
  • La nullité de l’acte
    • L’article 1156, al. 2e prévoit que « lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité. »
    • Cela signifie donc que le tiers contractant dispose d’un choix
      • Soit il opte pour l’inopposabilité de l’acte, car il souhaite que le contrat conclu reçoive une exécution
      • Soit il opte pour la nullité de l’acte, car préfère son anéantissement
    • Cette option est laissée à la seule discrétion du tiers contractant, lequel a seul qualité à agir en nullité

En cas de ratification de l’acte par le représenté, l’article 1156, al. 3 prévoit que, tant l’inopposabilité que la nullité ne peuvent être invoquées. Ainsi, la ratification vient-elle couvrir l’irrégularité dont l’acte est entaché.

À cet égard, l’article 1158 du Code civil précise que le tiers qui doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure, peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte.

À défaut de réponse dans le délai fixé, le représentant est réputé habilité à conclure l’acte litigieux.

b. Exception

Aux termes de l’article 411 du CPC, la constitution d’avocat emporte mandat de représentation en justice : l’avocat reçoit ainsi pouvoir et devoir d’accomplir pour son mandant et en son nom, les actes de la procédure. On parle alors traditionnellement de mandat « ad litem », en vue du procès.

Il ressort de cette disposition que l’avocat est donc investi du pouvoir de représentation de son client pour tous les actes de procédure.

Parmi ces actes, faut-il inclure la transaction ? C’est là l’épineuse question soulevée par le mandat ad litem. L’avocat est-il habilité de plein droit par ce seul mandat à représenter son client pour transiger ou doit-il doit avoir reçu un mandat spécial, comme exigé par le droit commun ?

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter à l’article 417 du Code de procédure civile qui prévoit que « la personne investie d’un mandat de représentation en justice est réputée, à l’égard du juge et de la partie adverse, avoir reçu pouvoir spécial de faire ou accepter un désistement, d’acquiescer, de faire, accepter ou donner des offres, un aveu ou un consentement. »

À l’analyse, cette disposition ne vise pas expressément la transaction. Est-ce à dire qu’elle ne relève pas du domaine du mandat ad litem ?

Dans un arrêt du 7 juillet 1987, la Cour de cassation a répondu par la négative en jugeant, au visa de l’article 417 du Code de procédure civile, que « il résulte de ce texte que la personne investie d’un mandat de représentation en justice est réputée à l’égard du juge et de la partie adverse avoir reçu pouvoir spécial de transiger » (Cass. 1ère civ. 7 juill. 1987, n°85-18.769).

Le mandat ad litem dont est investi l’avocat comprend donc bien le pouvoir de transiger au nom et pour le compte de son client.

La jurisprudence a toutefois apporté un tempérament à cette règle en affirmant qu’elle ne s’appliquait que dans l’hypothèse où l’avocat était investi d’un pouvoir de représentation de son client.

Lorsque la mission qui lui est confiée se limite, en revanche, à l’assistance et au conseil de son client, il n’est pas investi du pouvoir de transiger. Pour ce faire, il devra avoir reçu un mandat spécial (V. en ce sens CA Paris, 17 mars 1980).

2.3 La représentation judiciaire

Elle correspond à l’hypothèse où le pouvoir de représentation est conféré à une personne par le juge.

Cette situation peut intervenir dans plusieurs cas :

  • Représentation d’une personne incapable
    • Lorsqu’une personne est frappée d’une incapacité d’exercice générale ou spéciale, l’expression de sa volonté ne peut s’opérer que par l’entremise d’un représentant.
    • Aussi, concomitamment à l’institution d’une mesure juridique de protection, le juge désignera, selon la mesure choisie (sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle), un représentant chargé d’agir au nom et pour le compte de la personne protégée.
    • Le pouvoir de transiger dépend ici de la nature de la mesure mise en place.
    • Comme vu précédemment, s’il s’agit d’une tutelle, le tuteur devra solliciter l’accord du juge des tutelles.
    • S’il s’agit d’une curatelle, pour être valable, la transaction devra être contresignée par le curateur.
    • Enfin, s’il s’agit d’une mesure de sauvegarde de justice, la personne protégée pourra conclure seule une transaction, sauf à ce que le juge ait décidé que pour ce type d’acte elle devait être représentée.
  • La représentation de l’époux hors d’état de manifester sa volonté
    • Aux termes de l’article 219 du Code civil « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • Cette disposition vise l’hypothèse où un époux qui, sans être frappé d’incapacité, est inapte à exprimer sa volonté.
    • C’est donc son conjoint qui est investi par le juge d’accomplir un certain nombre d’actes déterminés par ce dernier.
    • À cet égard, le conjoint représentant l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourra conclure une condition qu’à la condition d’avoir été expressément autorisé par le juge.
  • La représentation d’un indivisaire hors d’état de manifester sa volonté
    • L’article 815-4 du Code civil prévoit que « si l’un des indivisaires se trouve hors d’état de manifester sa volonté, un autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale ou pour certains actes particuliers, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • La règle est ici la même que celle énoncée à l’article 219 appliquée aux indivisaires.
    • Elle permet ainsi aux coindivisaires de prendre les mesures nécessaires à l’administration du bien indivis.
    • Là encore, les coindivisaires ne pourront transiger en représentation de l’indivisaire hors d’état de manifester sa volonté qu’à la condition que le juge leur ait conféré un pouvoir spécial à cet effet.
  • La représentation d’une personne présumée absente
    • Aux termes de l’article 113 du Code civil « le juge peut désigner un ou plusieurs parents ou alliés, ou, le cas échéant, toutes autres personnes pour représenter la personne présumée absente dans l’exercice de ses droits ou dans tout acte auquel elle serait intéressée, ainsi que pour administrer tout ou partie de ses biens ; la représentation du présumé absent et l’administration de ses biens sont alors soumises aux règles applicables à la tutelle des majeurs sans conseil de famille, et en outre sous les modifications qui suivent. »
    • Il se déduit de cette disposition que la conclusion d’une transaction par le représentant d’une personne absence sera soumise aux mêmes règles que celles applicables à la tutelle.
    • Aussi, l’accord transactionnel devra être soumis préalablement à sa conclusion à l’autorisation du juge des tutelles.

3. La rencontre des volontés

a. Les pourparlers

La conclusion d’une transaction est généralement précédée par une phase dite de pourparlers.

Ces pourparlers comprennent :

  • Une phase d’entrée en négociation
  • Une phase de conduite des négociations

Parfois, lorsque les parties ne trouvent pas d’accord, les pourparlers peuvent se solder par une rupture des négociations.

i. L’entrée en négociations

Aux termes de l’article 1112 du Code civil « l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres ».

Ainsi, le législateur a-t-il institué un principe de liberté des négociations. Négativement, cela signifie que les agents sont libres de décliner une invitation à entrer en pourparlers.

Autrement dit, un refus de négocier ne saurait, en lui-même, engager la responsabilité de son auteur.

Immédiatement une question alors se pose : que doit-on entendre par « négociations » ?

🡺Définition

François Terré définit la négociation contractuelle comme « la période exploratoire durant laquelle les futurs contractants échangent leurs points de vue, formulent et discutent les propositions qu’ils font mutuellement afin de déterminer le contenu du contrat, sans être pour autant assurés de le conclure »[1].

Il s’agit, en d’autres termes, de la phase au cours de laquelle les agents vont chercher à trouver un accord quant à la détermination des termes du contrat.

À défaut d’accord, la rencontre des volontés ne se réalisera pas, de sorte que le contrat ne pourra pas former. Aucune obligation ne sera donc créée.

🡺Invitation à entrer en pourparlers et offre de contracter

  • Exposé de la distinction
    • L’invitation à entrer en pourparlers doit être distinguée de l’offre de contracter :
      • L’offre doit être ferme et précise en ce sens qu’elle doit comporter tous les éléments essentiels du contrat, lesquels traduisent la volonté de l’offrant de s’engager dans le processus contractuel
        • Pour mémoire, l’article 1114 C. civ prévoit que « l’offre faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation »
      • L’invitation à entrer en pourparlers porte seulement, soit sur le principe même de conclure un contrat, soit sur certains de ses éléments dont la teneur n’est pas suffisante pour traduire la volonté de l’auteur de contracter en l’état.
  • Intérêt de la distinction
    • L’intérêt de distinguer l’offre de contracter de l’invitation à entrer en pourparlers réside dans la détermination du seuil à partir duquel le contrat est réputé conclu :
      • En cas d’acceptation de l’offre de contracter, le contrat est formé
        • La conséquence en est que l’offrant ne peut plus se rétracter
        • Il est tenu d’exécuter les obligations nées de la rencontre des volontés qui a pu se réaliser, les contractants étant tombés d’accord sur les éléments essentiels du contrat
        • À défaut, sa responsabilité contractuelle est susceptible d’être engagée
      • En cas d’acceptation de l’invitation à entrer en pourparlers, le contrat n’est pas pour autant conclu.
        • L’auteur de l’invitation à entrer en négociation a simplement exprimé sa volonté de discuter des termes du contrat
        • Or pour que le contrat soit conclu, soit pour que la rencontre des volontés se réalise, cela suppose que les parties soient d’accord sur tous les éléments essentiels du contrat
        • Aussi longtemps qu’ils ne parviennent pas à tomber d’accord, les parties sont toujours libres de poursuivre les négociations

ii. Le déroulement des négociations

Lors du déroulement des négociations, plusieurs obligations échoient aux futurs contractants ce qui témoigne de la volonté du législateur d’encadrer cette situation de fait qui précède la formation du contrat.

Ainsi, nonobstant la liberté de négociations dont jouissent les parties n’est-elle pas absolue. Elle trouve sa limite dans l’observation de deux obligations générales qui président à la formation du contrat :

  • L’obligation de bonne foi
  • L’obligation précontractuelle d’information

🡺Sur l’obligation de bonne foi

Il peut être observé qu’il est désormais fait référence à l’obligation de bonne foi à deux reprises dans le sous-titre du Code civil consacré au contrat

  • L’article 1104 du code civil prévoit dans le chapitre consacré aux principes cardinaux qui régissent le droit des contrats que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. »
  • L’article 1112, situé, quant à lui, dans la section relative à la conclusion du contrat que « l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles […] doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. »

Cette double référence à l’obligation de bonne foi révèle la place que le législateur a entendu donner à l’obligation de bonne foi en droit des contrats : centrale.

Ainsi, tout autant les parties doivent observer l’obligation de bonne foi au moment de l’exécution de la transaction, ils devront s’y plier en amont, soit durant toute la phase de négociation.

Lors du déroulement des négociations, l’exigence de bonne foi signifie que les parties doivent être véritablement animées par la volonté de contracter. Autrement dit, elles doivent être sincères dans leur démarche de négocier et ne pas délibérément laisser croire à l’autre que les pourparlers ont une chance d’aboutir, alors qu’il n’en est rien.

Dans un arrêt du 20 mars 1972 la Cour de cassation considère en ce sens qu’une partie a manqué « aux règles de la bonne foi dans les relations commerciales » en maintenant « dans une incertitude prolongée » son cocontractant alors qu’elle n’avait nullement l’intention de contracter (Cass. com. 20 mars 1972, n°70-14.154).

La même solution a été retenue dans un arrêt du 18 juin 2002 (Cass. com. 18 juin 2002, n°99-16.488)

🡺Sur l’obligation précontractuelle d’information

L’obligation précontractuelle d’information qui pèse sur les futurs contractants est expressément formulée à l’article 1112-1 du Code civil.

Cette disposition prévoit notamment que « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Ainsi, lorsque dans le cadre de négociations portant sur une transaction à intervenir l’une des parties détient une information dont l’importance est déterminante du consentement de son cocontractant elle doit la lui communiquer.

Que doit-on entendre par « importance déterminante de l’information » ?

L’alinéa 3 de l’article 1112-1 du Code civil précise que « ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. »

Il ne peut donc s’agir que des informations pertinentes, soit celles qui ont un rapport avec l’objet ou la cause des obligations nées de la transaction ou encore la qualité des cocontractants.

L’information communiquée doit, en d’autres termes, permettre au cocontractant de s’engager en toute connaissance de cause, soit de mesurer la portée de son engagement.

Aussi, l’obligation d’information garantit-elle l’expression d’un consentement libre et éclairé.

En cas de manquement à l’obligation générale d’information, l’article 1112-1, al. 6 du Code civil prévoit que « outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »

Deux catégories de sanctions sont donc envisagées par cette disposition :

  • La mise en œuvre de la responsabilité du débiteur de l’obligation d’information
  • La nullité du contrat

iii. La rupture des négociations

🡺Principe : la liberté de rupture des pourparlers

Aux termes de l’article 1112, al. 1 « la rupture des négociations précontractuelles […] libres ».

Ainsi, cette règle n’est autre que le corollaire de la liberté contractuelle : dans la mesure où les futures parties sont libres de contracter, elles sont tout autant libres de ne pas s’engager dans les liens contractuels

Il en résulte que la rupture unilatérale des pourparlers ne saurait constituer, en soi, un fait générateur de responsabilité. La rupture ne peut, en elle-même, être fautive, quand bien même elle causerait un préjudice au partenaire.

Admettre le contraire reviendrait à porter atteinte à la liberté individuelle et à la sécurité commerciale.

C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation aime à rappeler dans certains arrêts l’existence d’un « droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels » (Cass. 3e civ., 28 juin 2006, n°04-20.040).

Une question immédiatement se pose : le droit de rupture des pourparlers constitue-t-il un droit discrétionnaire, en ce sens que son exercice dommageable ne donnera jamais lieu à réparation ou s’agit-il d’un droit relatif, soit d’un droit dont l’exercice abusif est sanctionné ?

🡺Exception : l’exercice abusif du droit de rupture des pourparlers

L’examen de la jurisprudence révèle que l’exercice du droit de rupture des pourparlers est susceptible d’engager la responsabilité de titulaire lorsqu’un abus est caractérisé.

Aussi, dans un arrêt du 3 octobre 1972, la Cour de cassation a-t-elle eu l’occasion de préciser qu’en cas de rupture abusive des négociations « la responsabilité délictuelle prévue aux articles susvisés du code civil peut être retenue en l’absence d’intention de nuire » (Cass. 3e civ. 3 oct. 1972, n°71-12.993).

Ainsi, le droit de rompre unilatéralement les pourparlers n’est-il pas sans limite. Il s’agit d’un droit, non pas discrétionnaire, mais relatif dont l’exercice abusif est sanctionné.

b. La rencontre de l’offre et de l’acceptation

Parce que la transaction appartient à la catégorie des contrats consensuels, sa formation procède d’une rencontre des volontés laquelle s’opère, en simplifiant à l’extrême, selon le processus suivant :

  • Premier temps : une personne, le pollicitant, émet une offre de contracter
  • Second temps : l’offre fait l’objet d’une acceptation par le destinataire

Si, pris séparément, l’offre et l’acceptation ne sont que des manifestations unilatérales de volontés, soit dépourvues d’effet obligatoire, lorsqu’elles se rencontrent, cela conduit à la création d’un contrat, lui-même générateur d’obligations.

Tous les contrats, dont la transaction, sont le fruit d’une rencontre de l’offre et de l’acceptation, peu importe que leur formation soit instantanée où s’opère dans la durée.

L’article 1113 prévoit en ce sens que « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. ».

Il ressort de cette disposition que la formation d’une transaction requiert :

  • D’un côté, l’émission d’une offre de transaction
  • D’un autre côté, l’acceptation de cette offre de transaction

b.1. S’agissant de l’émission de l’offre

i. Droit commun

Aux termes de l’article 1114 du Code civil, « l’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation ».

Bien que, étonnamment, cette disposition n’en fasse pas directement mention, il en ressort que, pour être valide, à tout le moins pour être efficace, l’offre doit être ferme et précise.

  • La fermeté de l’offre
    • L’absence de réserve
      • L’offre doit être ferme
      • Par ferme, il faut entendre que le pollicitant a exprimé sa volonté « d’être lié en cas d’acceptation ».
      • Autrement dit, l’offre doit révéler la volonté irrévocable de son auteur de conclure le contrat proposé.
      • Plus concrètement, l’offre ne doit être assortie d’aucune réserve, ce qui aurait pour conséquence de permettre au pollicitant de faire échec à la formation du contrat en cas d’acceptation
      • Cela lui permettrait, en effet, de garder la possibilité de choisir son cocontractant parmi tous ceux qui ont répondu favorablement à l’offre
      • Or au regard de la théorie de l’offre et de l’acceptation, cela est inconcevable.
      • L’auteur de l’offre ne saurait disposer de la faculté d’émettre des réserves, dans la mesure où il est de l’essence de l’offre, une fois acceptée, d’entraîner instantanément la conclusion du contrat
      • Elle ne saurait, par conséquent, être assortie d’une condition, faute de quoi elle s’apparenterait à une simple invitation à entrer en pourparlers.
      • Dans un arrêt du 10 janvier 2012, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une Cour d’appel pour avoir estimé qu’une offre de prêt qui était assortie de « réserves d’usage » était valide (Cass. com. 10 janv. 2012).
      • Au soutien de sa décision la chambre commerciale avance que « un accord de principe donné par une banque ‘sous les réserves d’usage’ implique nécessairement que les conditions définitives de l’octroi de son concours restent à définir et oblige seulement celle-ci à poursuivre, de bonne foi, les négociations en cours ».
    • Tempérament
      • Il est un cas où, malgré l’émission d’une réserve, l’offre n’est pas déchue de sa fermeté : il s’agit de l’hypothèse où la réserve concerne un événement extérieur à la volonté du pollicitant.
        • Exemples :
          • L’offre de vente de marchandises peut être conditionnée au non-épuisement des stocks
          • L’offre de prêt peut être conditionnée à l’obtention, par le destinataire, d’une garantie du prêt (Cass. 3e civ., 23 juin 2010)
      • Ce qui compte c’est que la réalisation de la réserve ne dépende pas de la volonté du pollicitant.
  • La précision de l’offre
    • Dans la mesure où aussitôt qu’elle sera acceptée, l’offre suffira à former le contrat, elle doit être suffisamment précise, faute de quoi la rencontre des volontés ne saurait se réaliser.
    • L’article 1114 du Code civil prévoit en ce sens que « l’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé »
    • Par éléments essentiels, il faut entendre, selon Philippe Delebecque, « les éléments centraux, spécifiques, qui traduisent l’opération juridique et économique que les parties veulent réaliser »[2].
    • Autrement dit, il s’agit des éléments dont la détermination constitue une condition de validité de la transaction.
    • A contrario, l’offre pourra être considérée comme précise, bien que les modalités d’exécution du contrat n’aient pas été exprimées par le pollicitant (Cass. 3e civ., 28 oct. 2009), sauf à ce qu’il soit d’usage qu’elles soient tenues pour essentielles par les parties.
    • Rien n’interdit, par ailleurs, à l’offrant de conférer un caractère essentiel à un élément du contrat qui, d’ordinaire, est regardé comme accessoire.
    • Il lui appartiendra, néanmoins, d’exprimer clairement dans son offre que cet élément est déterminant de son consentement (V en ce sens Cass. com., 16 avr. 1991), faute de quoi les juridictions estimeront qu’il n’est pas entré dans le champ contractuel.
  • Sanction
    • L’article 1114 du Code civil prévoit que la sanction du défaut de précision et de fermeté de l’offre n’est autre que la requalification en « invitation à entrer en négociation ».
    • Cela signifie dès lors que, en cas d’acceptation, le contrat ne pourra pas être considéré comme formé, la rencontre des volontés n’ayant pas pu se réaliser.
    • Ni l’offrant, ni le destinataire de l’offre ne pourront, par conséquent, exiger l’exécution du contrat.
    • Deux options vont alors s’offrir à eux
      • Soit poursuivre les négociations jusqu’à l’obtention d’un accord
      • Soit renoncer à la conclusion du contrat
    • En toute hypothèse, tant que les partenaires ne se sont pas entendus sur les éléments essentiels du contrat, la seule obligation qui leur échoit est de faire preuve de loyauté de bonne foi lors du déroulement des négociations et en cas de rupture des pourparlers.

🡺Droit spécial

Lorsque la transaction porte sur l’indemnisation d’une personne victime d’un dommage corporel résultant d’un accident de la circulation, d’un acte de terrorisme ou d’un accident médical, l’offre est encadrée par des règles spécifiques.

Nous nous limiterons ici à aborder la procédure d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation laquelle est régie par les articles L. 211-8 à L. 211-25 du Code des assurances et qui a servi de modèle aux autres procédures d’indemnisation (loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 pour les victimes d’actes de terrorisme et loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 pour les victimes d’accidents médicaux).

  • Obligation pesant sur l’assureur de formuler une offre
    • L’article L. 211-9 du Code des assurances prévoit que l’assureur a l’obligation d’adresser une offre d’indemnisation à la victime qui a subi une atteinte à sa personne
    • En cas de décès de la victime, cette offre doit être adressée à ses héritiers et, s’il y a lieu, à son conjoint.
    • Cette disposition déroge manifestement au droit commun dans la mesure où, en principe, la conclusion d’une transaction est subordonnée à l’existence d’un litige né ou à naître.
    • Or tel n’est pas le cas ici, puisque la seule survenance d’un accident de la circulation ayant causé un dommage corporel autorise la conclusion d’une transaction, sans qu’il soit besoin qu’un litige naisse entre la victime et le responsable du dommage.
  • Obligation pesant sur l’assureur d’observer certains délais
    • Principe
      • L’offre d’indemnisation doit être formulée par l’assureur dans un délai de huit mois à compter de l’accident.
      • Il s’agit là d’un délai impératif qui donc s’impose à l’assureur.
    • Tempérament
      • L’article L. 221-9, al. 3 du Code des assurances prévoit que l’offre d’indemnisation peut avoir un caractère provisionnel lorsque l’assureur n’a pas, dans les trois mois de l’accident, été informé de la consolidation de l’état de la victime.
      • Dans cette hypothèse, l’offre définitive d’indemnisation doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l’assureur a été informé de cette consolidation.
      • L’alinéa 4 précise que, en tout état de cause, le délai le plus favorable à la victime s’applique.
      • L’article L. 211-13 ajoute que lorsque l’offre n’a pas été faite dans les délais impartis, le montant de l’indemnité offerte par l’assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux de l’intérêt légal à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif.
      • Cette pénalité peut toutefois être réduite par le juge en raison de circonstances non imputables à l’assureur.
  • Obligation pesant sur l’assureur de formuler une offre couvrant tous les chefs de préjudice
    • L’article L. 221-9 du Code des assurances prévoit que l’offre d’indemnisation formulée par l’assureur doit comprendre tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux dommages aux biens lorsqu’ils n’ont pas fait l’objet d’un règlement préalable.
  • Obligation pesant sur l’assureur de formuler une offre portant sur un montant suffisant
    • L’offre d’indemnisation formulée par l’assureur à la victime doit être sérieuse, en ce sens qu’elle doit couvrir les préjudices subis.
    • Si l’assureur ne satisfait pas à cette exigence, il s’expose à une sanction qui sera prononcée par le juge dans le cadre de l’action en réparation dont il sera saisi.
    • L’article, L. 211-14 du Code des assurances dispose en ce sens que « si le juge qui fixe l’indemnité estime que l’offre proposée par l’assureur était manifestement insuffisante, il condamne d’office l’assureur à verser au fonds de garantie prévu par l’article L. 421-1 une somme au plus égale à 15 % de l’indemnité allouée, sans préjudice des dommages et intérêts dus de ce fait à la victime. »

b.2. S’agissant de l’acceptation de l’offre

L’acceptation est définie à l’article 1118 du Code civil comme « la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre. »

Pour mémoire, l’article 1114 du Code civil définit l’offre comme « la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation ».

Ainsi l’acceptation apparaît-elle comme le miroir de l’offre. Et pour cause, dans la mesure où elle est censée venir à sa rencontre. L’acceptation est, en ce sens l’acte unilatéral par lequel l’acceptant signifie au pollicitant qu’il entend consentir au contrat.

À la différence, néanmoins, de l’offre, l’acceptation, lorsqu’elle est exprimée, a pour effet de parfaire le contrat.

Quand, en d’autres termes, l’offre rencontre l’acceptation, le contrat est, en principe, réputé formé. Le pollicitant et l’acceptant deviennent immédiatement liés contractuellement. L’acceptation ne réalisera, toutefois, la rencontre des volontés qu’à certaines conditions

i. Conditions de l’acceptation

Afin d’être efficace, l’acceptation de la transaction doit répondre à 2 conditions cumulatives qui tiennent :

  • D’une part, au moment de son expression
  • D’autre part, à ses caractères

🡺Le moment de l’acceptation

L’acceptation doit nécessairement intervenir avant que l’offre ne soit caduque

Aussi, cela signifie-t-il que l’acceptation doit avoir été émise :

  • Soit pendant le délai stipulé par le pollicitant
  • Soit, à défaut, dans un délai raisonnable, c’est-à-dire, selon la jurisprudence, pendant « le temps nécessaire pour que celui à qui [l’offre] a été adressée examine la proposition et y réponde » (Cass. req., 28 févr. 1870)

Lorsque l’acceptation intervient en dehors de l’un de ces délais, elle ne saurait rencontrer l’offre qui est devenue caduque.

L’acceptation est alors privée d’efficacité, en conséquence de quoi le contrat ne peut pas être formé.

🡺Les caractères de l’acceptation

  • L’acceptation pure et simple
    • Pour être efficace, l’acceptation doit être pure et simple.
    • En d’autres termes, il n’existe véritablement d’acceptation propre à former le contrat qu’à la condition que la volonté de l’acceptant se manifeste de façon identique à la volonté du pollicitant.
    • La Cour de cassation a estimé en ce sens que le contrat « ne se forme qu’autant que les deux parties s’obligent dans les mêmes termes » (Cass. 2e civ., 16 mai 1990, n°89-13.941).
    • Par pure et simple, il faut donc entendre, conformément à l’article 1118, al. 1er, que l’acceptation doit avoir été formulée par le destinataire de l’offre de telle sorte qu’il a exprimé sa volonté claire et non équivoque « d’être lié dans les termes de l’offre. »
  • La modification de l’offre
    • L’article 1118, al. 3 du Code civil prévoit que « l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet, sauf à constituer une offre nouvelle. »
    • Lorsque, dès lors, l’acceptant émet une réserve à l’offre sur un ou plusieurs de ses éléments ou propose une modification, l’acceptation s’apparente à une contre-proposition insusceptible de réaliser la formation du contrat.
    • Au fond, l’acceptation se transforme en une nouvelle offre que le pollicitant initial peut ou non accepter.
    • En toutes hypothèses, le contrat n’est pas formé
    • Le pollicitant et le destinataire de l’offre doivent, en somme, être regardés comme des partenaires dont la rencontre des volontés n’est qu’au stade des pourparlers.
    • Aussi, la conclusion définitive du contrat est-elle subordonnée à la concordance parfaite entre l’offre et l’acceptation.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par une « acceptation non conforme à l’offre ».
      • La jurisprudence
        • La jurisprudence considère que le contrat n’est réputé formé qu’à la condition que l’offre et l’acceptation se rencontrent sur les éléments essentiels du contrat (V. en ce sens Cass. req., 1er déc. 1885).
        • Dans un arrêt du 28 février 2006, la Cour de cassation a ainsi reconnu la conformité d’une acceptation à l’offre en relevant « qu’un accord de volontés était intervenu entre les parties sur les éléments qu’elle-même tenait pour essentiels même si des discussions se poursuivaient par ailleurs pour parfaire le contrat sur des points secondaires et admis s’être engagée » (Cass. com. 28 févr. 2006, n°04-14.719)
        • Il résulte de cette décision que, dès lors que l’acceptation a porté sur les éléments essentiels du contrat, elle est réputée conforme à l’offre
        • A contrario, cela signifie que lorsque la réserve émise par le destinataire de l’offre porte sur des éléments accessoires au contrat, elle ne fait pas obstacle à la rencontre de l’acceptation et de l’offre.
        • Toutefois, dans l’hypothèse où la réserve exprimée par le destinataire de l’offre porte sur un élément accessoire tenu pour essentiel par l’une des parties, elle s’apparente à une simple contre-proposition, soit à une nouvelle offre et non à acceptation pure et simple de nature à parfaire le contrat (Cass. 3e civ. 27 mai 1998).
      • L’ordonnance du 10 février 2016
        • Si l’article 1118, al. 3 du Code civil prévoit que « l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet », cette disposition se garde bien de préciser ce que l’on doit entendre par « acceptation non conforme à l’offre. »
        • Toutefois, la formule « sauf à constituer une offre nouvelle », laisse à penser que le législateur a entendu consentir une certaine latitude au juge quant à l’appréciation de la conformité de l’acceptation à l’offre.
        • Est-ce à dire que la distinction établie par la jurisprudence entre les réserves qui portent sur des éléments essentiels du contrat et les réserves relatives à des éléments contractuels accessoires a été reconduite ?
        • On peut raisonnablement le penser, étant précisé que pour apprécier la conformité de l’acceptation à l’offre le juge se référera toujours à la commune intention des parties.

ii. Effets

À la différence de l’offre, l’acceptation, lorsqu’elle est exprimée, a pour effet de parfaire le contrat.

En vertu du principe du consensualisme, le contrat est donc formé, de sorte que le pollicitant devient immédiatement lié contractuellement à l’acceptant.

Dans un arrêt du 14 janvier 1987, la Cour de cassation affirme en ce sens que s’agissant d’un contrat de vente que « la vente est parfaite entre les parties dès qu’on est convenu de la chose et du prix et que le défaut d’accord définitif sur les éléments accessoires de la vente ne peut empêcher le caractère parfait de la vente à moins que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la fixation de ces modalités » (Cass. 3e civ. 14 janv. 1987, n°85-16.306).

4. Le consentement des parties

Là encore, parce qu’elle est un contrat, la transaction est soumise aux règles encadrant le consentement des parties.

Aussi, pour qu’un accord transactionnel soit valable, le consentement doit :

  • D’une part, exister
  • D’autre part, avoir été donné librement et de façon éclairée

a. L’existence du consentement

L’article 1129 du Code civil prévoit que « conformément à l’article 414-1, il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat. ».

Il ressort de cette disposition que pour pouvoir contracter et donc transiger il ne faut pas être atteint d’un trouble mental, à défaut de quoi on ne saurait valablement consentir à l’acte.

Il peut être observé que cette règle existait déjà à l’article 414-1 du Code civil qui prévoit que « pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. »

Cette disposition est, de surcroît d’application générale, à la différence, par exemple de l’article 901 du Code civil qui fait également référence à l’insanité d’esprit mais qui ne se rapporte qu’aux libéralités.

L’article 1129 fait donc doublon avec l’article 414-1. Il ne fait que rappeler une règle déjà existante qui s’applique à tous les actes juridiques en général.

🡺Insanité d’esprit et incapacité juridique

L’insanité d’esprit doit impérativement être distinguée de l’incapacité juridique :

  • L’incapacité dont est frappée une personne a pour cause :
    • Soit la loi
      • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice général dont sont frappés les mineurs non émancipés.
    • Soit une décision du juge
      • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice dont sont frappées les personnes majeures qui font l’objet d’une tutelle, d’une curatelle, d’une sauvegarde de justice ou encore d’un mandat de protection future.
  • L’insanité d’esprit n’a pour cause la loi ou la décision d’un juge : son fait générateur réside dans le trouble mental dont est atteinte une personne.

Aussi, il peut être observé que toutes les personnes frappées d’insanité d’esprit ne sont pas nécessairement privées de leur capacité juridique.

Réciproquement, toutes les personnes incapables (majeures ou mineures) ne sont pas nécessairement frappées d’insanité d’esprit.

À la vérité, la règle qui exige d’être sain d’esprit pour contracter a été instaurée aux fins de protéger les personnes qui seraient frappées d’insanité d’esprit, mais qui jouiraient toujours de la capacité juridique de contracter.

En effet, les personnes placées sous curatelle ou sous mandat de protection future sont seulement frappées d’une incapacité d’exercice spécial, soit pour l’accomplissement de certains actes (les plus graves).

L’article 1129 du Code civil jouit donc d’une autonomie totale par rapport aux dispositions qui régissent les incapacités juridiques.

Il en résulte qu’une action en nullité fondée sur l’insanité d’esprit pourrait indifféremment être engagée à l’encontre d’une personne capable ou incapable.

🡺Notion d’insanité d’esprit

Le Code civil ne définit pas l’insanité d’esprit.

Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue cette tâche

Dans un arrêt du 4 février 1941, la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’insanité d’esprit doit être regardée comme comprenant « toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée » (Cass. civ. 4 févr. 1941).

Ainsi, l’insanité d’esprit s’apparente au trouble mental dont souffre une personne qui a pour effet de la priver de sa faculté de discernement.

Il peut être observé que la Cour de cassation n’exerce aucun contrôle sur la notion d’insanité d’esprit, de sorte que son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond (V. notamment en ce sens Cass. 1re civ., 24 oct. 2000, n°98-17.341).

🡺Sanction de l’insanité d’esprit

En ce que l’insanité d’esprit prive le contractant de son consentement, elle est sanctionnée par la nullité du contrat.

Autrement dit, le contrat est réputé n’avoir jamais été conclu.

Il est anéanti rétroactivement, soit tant pour ses effets passés, que pour ses effets futurs.

Il peut être rappelé, par ailleurs, qu’une action en nullité sur le fondement de l’insanité d’esprit, peut être engagée quand bien même la personne concernée n’était pas frappée d’une incapacité d’exercice.

L’action en nullité pour incapacité et l’action en nullité pour insanité d’esprit sont deux actions bien distinctes.

La question enfin se pose du régime de la nullité en cas d’insanité d’esprit.

S’il ne fait guère de doute qu’il s’agit d’une nullité relative, dans la mesure où l’article 1129 vise à protéger un intérêt particulier quid de l’application du régime juridique attaché à l’article 414-1 ?

La nullité prévue à cet article est, en effet, régie par l’article 414-2 qui pose des conditions pour le moins restrictives lorsque l’action en nullité est introduite par les héritiers de la personne personnes protégée.

Cette disposition prévoit en ce sens que « après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d’esprit, que dans les cas suivants :

  • 1° Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental ;
  • 2° S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
  • 3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future. »

La question alors se pose si cette disposition est ou non applicable en matière contractuelle. En l’absence de dispositions contraires, il semble que oui.

b. L’intégrité du consentement

Il ne suffit pas que les cocontractants soient sains d’esprit pour que la condition tenant au consentement soit remplie.

Il faut encore que ledit consentement ne soit pas vicié, ce qui signifie qu’il doit être libre et éclairé :

  • Libre signifie que le consentement ne doit pas avoir été sous la contrainte
  • Éclairé signifie que le consentement doit avoir été donné en connaissance de cause

Manifestement, le Code civil fait une large place aux vices du consentement. Cela se justifie par le principe d’autonomie de la volonté qui préside à la formation du contrat.

Dès lors, en effet, que l’on fait de la volonté le seul fait générateur du contrat, il est nécessaire qu’elle présente certaines qualités.

Pour autant, les rédacteurs du Code civil ont eu conscience de ce que la prise en considération de la seule psychologie des contractants aurait conduit à une trop grande insécurité juridique.

Car en tenant compte de tout ce qui est susceptible d’altérer le consentement, cela aurait permis aux parties d’invoquer le moindre vice en vue d’obtenir l’annulation du contrat.

C’est la raison pour laquelle, tout en réservant une place importante aux vices du consentement, tant les rédacteurs du Code civil, que le législateur contemporain n’ont admis qu’ils puissent entraîner la nullité du contrat qu’à des conditions très précises.

Aux termes de l’article 1130, al. 1 du Code civil « l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».

Les vices du consentement énoncés par cette disposition sont susceptibles de se rencontrer dans le cadre d’une transaction. Aussi, convient-il de s’arrêter un instant sur chacun d’eux.

b.1. L’erreur

🡺Notion

L’erreur peut se définir comme le fait pour une personne de se méprendre sur la réalité. Cette représentation inexacte de la réalité vient de ce que l’errans considère, soit comme vrai ce qui est faux, soit comme faux ce qui est vrai.

L’erreur consiste, en d’autres termes, en la discordance, le décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la réalité.

Lorsqu’elle est commise à l’occasion de la conclusion d’un contrat, l’erreur consiste ainsi dans l’idée fausse que se fait le contractant sur tel ou tel autre élément du contrat.

Il peut donc exister de multiples erreurs :

  • L’erreur sur la valeur des prestations : j’acquiers un tableau en pensant qu’il s’agit d’une toile de maître, alors que, en réalité, il n’en est rien. Je m’aperçois peu de temps après que le tableau a été mal expertisé.
  • L’erreur sur la personne : je crois solliciter les services d’un avocat célèbre, alors qu’il est inconnu de tous
  • Erreur sur les motifs de l’engagement : j’acquiers un appartement dans le VIe arrondissement de Paris car je crois y être muté. En réalité, je suis affecté dans la ville de Bordeaux

Manifestement, ces hypothèses ont toutes en commun de se rapporter à une représentation fausse que l’errans se fait de la réalité.

Cela justifie-t-il, pour autant, qu’elles entraînent la nullité du contrat ? Les rédacteurs du Code civil ont estimé que non.

Afin de concilier l’impératif de protection du consentement des parties au contrat avec la nécessité d’assurer la sécurité des transactions juridiques, le législateur, tant en 1804, qu’à l’occasion de la réforme du droit des obligations, a décidé que toutes les erreurs ne constituaient pas des causes de nullité.

Aussi, certaines erreurs sont-elles sans incidence sur la validité du contrat. D’où la distinction qu’il convient d’opérer entre les erreurs sanctionnées et les erreurs indifférentes.

🡺Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur la transaction était soumise à des règles spécifiques s’agissant de l’erreur.

Alors qu’elle pouvait être rescindée pour lésion en cas d’erreur dans la personne ou sur l’objet de la contestation (art. 2053, al. 1er C civ.), l’ancien article 2052, al. 2e prévoyait que la transaction ne pouvait en revanche pas être attaquée « pour cause d’erreur de droit ».

Par erreur de droit on entend, traditionnellement, la fausse croyance de l’errans sur l’existence ou les conditions de mise en œuvre de la règle en considération de laquelle il s’est engagé.

Lorsqu’elle est commise dans le cadre d’une transaction, l’erreur de droit consiste donc pour l’errans à se méprendre :

  • Soit sur la teneur du droit auquel il a renoncé
  • Soit sur le bien-fondé du droit dont s’est prévalu la partie adverse

Si, pour la transaction, les rédacteurs du Code civil ont entendu exclure l’erreur de droit du domaine des erreurs sanctionnées, c’est en raison de l’objet de cette opération.

En effet, la transaction a pour objet de mettre fin à un litige né ou à naître, ce qui suppose pour les parties de trouver un compromis. Or la recherche de ce compromis implique précisément pour ces dernières à faire fi de leurs chances de succès respectives si l’affaire était portée devant un juge.

En transigeant les parties acceptent, en d’autres termes, l’aléa, en ce sens qu’elles prennent le risque de renoncer à une prétention qui aurait été peut-être accueillie favorablement par un juge.

Aussi, est-ce parce que les parties choisissent d’écarter les règles de droit applicables à leur litige à la faveur de la recherche d’une solution amiable, que l’ancien article 2052 n’admettait pas qu’elles puissent, par suite, se prévaloir d’une erreur de droit.

Si l’exclusion de l’erreur de droit par les rédacteurs du Code civil était parfaitement justifiée au regard de la particularité de la transaction, on a toutefois assisté, à compter de la fin des années 1990, à un mouvement jurisprudentiel tendant à neutraliser cette exclusion.

Nombreuses sont, en effet, les juridictions qui ont été animées par la volonté d’octroyer une plus grande protection aux parties les plus faibles poussées à transiger, ce qui impliquait de cantonner le domaine de l’erreur de droit afin qu’elle ne fasse pas obstacle à l’annulation des transactions qui leur étaient soumises.

En dépit des termes de l’article 2052 alinéa 2, la Cour de cassation a ainsi progressivement admis l’erreur de droit dans la transaction, soit sous couvert d’une autre qualification, soit en retenant l’existence d’une erreur sur l’objet de la contestation.

Dans un arrêt du 22 mai 2008, elle a par exemple jugé que « l’erreur, fût-elle de droit, qui affecte l’objet de la contestation défini par la transaction » justifie la rescision de ladite transaction (Cass. 1ère civ. 22 mai 2008, n°06-19.643).

En tout état de cause, comme relevé par la doctrine majoritaire, aucun motif convaincant ne justifiait aujourd’hui d’exclure la nullité de la transaction pour erreur de droit.

D’où la proposition doctrinale de supprimer l’exclusion de l’erreur de droit en matière de transaction formulée à l’occasion de l’adoption de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

🡺Réforme

La loi du 18 novembre 2016 a donc abrogé les anciens articles 2052 et 2053 du Code civil qui opérait une distinction entre l’erreur de droit, non sanctionnée, et les erreurs dans la personne ou sur l’objet de la contestation définie dans la transaction qui, elles, étaient sanctionnées.

Désormais, la transaction ne fait dès lors l’objet de plus aucune disposition spécifique s’agissant de l’erreur. Elle peut donc être attaquée pour cause d’erreur dans les mêmes conditions que celles applicables à n’importe quel contrat relevant du droit commun.

i. Les conditions de l’erreur

Aussi, pour constituer une cause de nullité l’erreur doit, en toutes hypothèses, être :

  • Déterminante
  • Excusable

Il peut être ajouté qu’il importe peu que l’erreur soit de fait ou de droit.

🡺Une erreur déterminante

  • Principe
    • L’article1130 du Code civil prévoit que l’erreur vicie le consentement lorsque sans elle « l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes »
    • Autrement dit, l’erreur est une cause de consentement lorsqu’elle a été déterminante du consentement de l’errans.
    • Cette exigence est conforme à la position de la Cour de cassation.
    • Dans un arrêt du 21 septembre 2010, la troisième chambre civile a, par exemple, rejeté le pourvoi formé par la partie à une promesse synallagmatique de vente estimant que cette dernière « ne justifiait pas du caractère déterminant pour son consentement de l’erreur qu’il prétendait avoir commise » (Cass. 3e civ., 21 sept. 2010, n°09-66.297).
  • Appréciation du caractère déterminant
    • L’article 1130, al. 2 précise que le caractère déterminant de l’erreur « s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné »
    • Le juge est ainsi invité à se livrer à une appréciation in concreto du caractère déterminant de l’erreur

🡺Une erreur excusable

  • Principe
    • Il ressort de l’article 1132 du Code civil que, pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit être excusable
    • Par excusable, il faut entendre l’erreur commise une partie au contrat qui, malgré la diligence raisonnable dont elle a fait preuve, n’a pas pu l’éviter.
    • Cette règle se justifie par le fait que l’erreur ne doit pas être la conséquence d’une faute de l’errans.
    • Celui qui s’est trompé ne saurait, en d’autres termes, tirer profit de son erreur lorsqu’elle est grossière.
    • C’est la raison pour laquelle la jurisprudence refuse systématiquement de sanctionner l’erreur inexcusable (V. en ce sens par exemple Cass. 3e civ., 13 sept. 2005, n°04-16.144).
  • Domaine
    • Le caractère excusable n’est exigé qu’en matière d’erreur sur les qualités essentielles de la prestation ou de la personne.
    • En matière de dol, l’erreur commise par le cocontractant sera toujours sanctionnée par la nullité, quand bien même ladite erreur serait grossière.
    • Dans un arrêt du 21 février 2001, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que la « réticence dolosive à la supposer établie, rend toujours excusable l’erreur provoquée » (Cass. 3e civ., 21 févr. 2001, n°98-20.817).
  • Appréciation
    • L’examen de la jurisprudence révèle que les juges se livrent à une appréciation in concreto de l’erreur pour déterminer si elle est ou non inexcusable.
    • Lorsque, de la sorte, l’erreur est commise par un professionnel, il sera tenu compte des compétences de l’errans (V. en ce sens Cass. soc., 3 juill. 1990, n°87-40.349).
    • Les juges feront également preuve d’une plus grande sévérité lorsque l’erreur porte sur sa propre prestation.

🡺L’indifférence de l’erreur de droit ou de fait

Il ressort de l’article 1130 du Code civil que l’erreur peut indifféremment être de fait ou de droit.

Dans un arrêt du 4 novembre 1975, la Cour de cassation a ainsi décidé que « si l’erreur de droit peut justifier l’annulation d’un acte juridique pour vice du consentement ou défaut de cause, elle ne prive pas d’efficacité les dispositions légales qui produisent leurs effets en dehors de toute manifestation de volonté de la part de celui qui se prévaut de leur ignorance » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 1975, n°73-13.701).

L’erreur de droit n’est ainsi plus exclue du domaine des erreurs sanctionnées en matière de transaction.

ii. Les variétés d’erreurs

🡺Les erreurs sanctionnées

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat : l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due et l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

  • L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
    • Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due »
    • L’article 1133 précise que les qualités essentielles sont celles « qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ».
    • Autrement dit, pour être qualifiées d’essentielles, les qualités de la prestation sur lesquelles porte l’erreur doivent être entrées dans le champ contractuel.
    • C’est donc à l’aune de la commune intention des parties que le juge décidera si tel, ou tel autre élément du contrat revêt un caractère essentiel.
    • À défaut de stipulations contractuelles, il appartiendra à l’errans d’établir que son cocontractant savait que la qualité de la prestation sur laquelle a porté son erreur était déterminante de son consentement.
    • S’agissant de la transaction, les qualités essentielles pourront correspondre à l’existence ou à la teneur des droits auxquels les parties entendent renoncer, étant précisé qu’il est indifférent que l’erreur porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie (art. 1133, al. 2e C. civ.).
  • L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant
    • Au même titre que l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation, le législateur a entendu faire de l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant une cause de nullité (art. 1133, al. 1 C. civ.).
    • Le législateur a ainsi reconduit la solution retenue en 1804 à la nuance près toutefois qu’il a inversé le principe et l’exception.
    • L’ancien article 1110 prévoyait, en effet, que l’erreur « n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention. »
    • Ainsi, l’erreur sur les qualités essentielles de la personne n’était, par principe, pas sanctionnée.
    • Elle ne constituait une cause de nullité qu’à la condition que le contrat ait été conclu intuitu personae, soit en considération de la personne du cocontractant.
    • Aujourd’hui, le nouvel article 1134 du Code civil prévoit que « l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne. »
    • L’exception instaurée en 1804 est, de la sorte, devenue le principe en 2016.
    • Cette inversion n’a cependant aucune incidence sur le contenu de la règle dans la mesure où, in fine, l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité qu’en matière de contrats conclus intuitu personae.
    • En pratique, l’erreur sur la personne ne se rencontrera que très rarement en matière de transaction, le caractère intuitu personae de cette opération n’étant pas suffisamment marqué.

🡺Les erreurs indifférentes

Les erreurs indifférences sont l’erreur sur les motifs et l’erreur sur la valeur :

  • S’agissant de l’erreur sur les motifs
    • Principe
      • L’article 1135 du Code civil prévoit que « l’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement ».
      • Ainsi, lorsque l’erreur porte sur les motifs, soit sur les raisons qui ont déterminé les parties à contracter, elle ne constitue pas une cause de nullité.
      • Les motifs qui ont conduit les parties à transiger sont donc indifférents ; ils ne sauraient fonder une action en nullité de la transaction.
      • L’article 1135 précise qu’il importe peu que le motif sur lequel porte l’erreur ait été déterminant du consentement de l’errans, elle demeure indifférente.
    • Tempérament
      • Si l’indifférence de l’erreur sur les motifs se justifie par le caractère extérieur au contrat des circonstances qui ont conduit l’errans à contracter, dans l’hypothèse où lesdites circonstances seraient connues du cocontractant, l’erreur sur les motifs devrait alors en toute logique affecter la validité du contrat.
      • Tel est le sens de l’article 1135 du Code civil qui après avoir exclu, par principe, des causes de nullité l’erreur sur les motifs, précise qu’elle est toujours susceptible de le devenir lorsque les parties ont en fait un élément de leur consentement, soit lorsque le motif du contrat est entré dans le champ contractuel.
  • S’agissant de l’erreur sur la valeur
    • L’article 1136 du Code civil prévoit que « l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité. »
    • L’erreur sur la valeur doit donc être entendue comme l’erreur sur l’évaluation économique de l’objet du contrat
    • En matière de transaction, elle porterait sur la valeur des concessions réciproques et plus généralement des engagements pris par les parties
    • Bien que l’erreur sur la valeur consiste en un décalage entre la croyance de l’errans et la réalité, ce déséquilibre objectif des prestations ne constitue cependant pas une cause de nullité du contrat.

b.2. Le dol

La transaction n’est soumise à aucun régime particulier s’agissant du dol. Ce sont les dispositions relevant du droit commun des contrats qui lui sont applicables.

Classiquement, le dol est défini comme le comportement malhonnête d’une partie qui vise à provoquer une erreur déterminante du consentement de son cocontractant.

Si, de la sorte, le dol est de nature à vicier le consentement d’une partie au contrat, il constitue, pour son auteur, un délit civil susceptible d’engager sa responsabilité.

Il est régi aux articles 1137 à 1139 du Code civil. Il ressort de ces dispositions que la caractérisation du dol suppose toujours la réunion de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à ses éléments constitutifs
  • D’autre part, à son auteur
  • Enfin, à la victime

i. Les conditions du dol

α: Les conditions relatives aux éléments constitutifs du dol

Aux termes de l’article 1137, alinéa 1er du Code civil « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ».

L’alinéa 2 ajoute que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. ».

La lecture de cette disposition nous révèle que le dol est constitué de deux éléments cumulatifs :

  • Un élément matériel
  • Un élément intentionnel

🡺L’élément matériel

L’article 1137 alinéa 1, du Code civil prévoit que « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ».

L’alinéa 2 ajoute que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »

Ainsi, le dol est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :

  • des manœuvres
  • un mensonge
  • un silence

Si, les deux premières formes de dol ne soulèvent guère de difficultés, il n’en va pas de même pour la réticence dolosive qui, si elle est consacrée par le législateur, n’en suscite pas moins des interrogations quant à la teneur de son élément matériel.

Pour rappel, il ressort de la jurisprudence que le silence constitue une cause de nullité du contrat :

  • soit parce qu’une obligation d’information pesait sur celui qui s’est tu
  • soit parce que ce dernier a manqué à son obligation de bonne foi

Ainsi les juridictions ont-elles assimilé la réticence dolosive à la violation de deux obligations distinctes, encore que, depuis les arrêts Vilgrain (Cass. com., 27 févr. 1996, n°94-11.241) et Baldus (Cass. 1ère civ. 3 mai 2000, n°98-11.381) les obligations de bonne foi et d’information ne semblent pas devoir être placées sur le même plan.

La première ne serait autre que le fondement de la seconde, de sorte que l’élément matériel de la réticence dolosive résiderait, en réalité, dans la seule violation de l’obligation d’information.

Est-ce cette solution qui a été retenue par le législateur lors de la réforme des obligations ?

Pour mémoire, une obligation générale d’information a été consacrée par le législateur à l’article 1112-1 du Code civil, de sorte que cette obligation dispose d’un fondement textuel qui lui est propre.

Aussi, est-elle désormais totalement déconnectée des autres fondements juridiques auxquels elle était traditionnellement rattachée.

Il en résulte qu’il n’y a plus lieu de s’interroger sur l’opportunité de reconnaître une obligation d’information lors de la formation du contrat ou à l’occasion de son exécution.

Elle ne peut donc plus être regardée comme une obligation d’appoint de la théorie des vices du consentement.

Dorénavant, l’obligation d’information s’impose en toutes circonstances : elle est érigée en principe cardinal du droit des contrats.

Dans le cadre des négociations d’une transaction, chaque partie a donc l’obligation de communiquer à l’autre les informations dont elle sait le caractère déterminant pour son cocontractant.

L’article 1137 du Code civil apporte toutefois une limite à cette règle en précisant que « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. »

🡺L’élément intentionnel

Le dol suppose la volonté de tromper son cocontractant. C’est en cela qu’il constitue un délit civil, soit une faute susceptible d’engager la responsabilité extracontractuelle de son auteur.

Aussi, est-ce sur ce point que le dol se distingue de l’erreur, laquelle ne peut jamais être provoquée. Elle est nécessairement spontanée.

  • En matière de sol simple
    • Dans un arrêt du 12 novembre 1987 la Cour de cassation reproche en ce sens à une Cour d’appel d’avoir retenu un dol à l’encontre du vendeur d’un camion qui ne répondait pas aux attentes de l’acquéreur « sans rechercher si le défaut de communication des factures de réparation et d’indication de réparations restant à effectuer avait été fait intentionnellement pour tromper le contractant et le déterminer à conclure la vente » (Cass. 1ère civ. 12 nov. 1987, n°85-18.350)
    • Plus récemment, la Cour de cassation a encore approuvé une Cour d’appel qui avait retenu un dol à l’encontre du vendeur d’un fonds de commerce, celle-ci ayant parfaitement « fait ressortir l’intention de tromper du cédant » (Cass. com. 11 juin 2013, n°12-22.014).
  • En matière de réticence dolosive
    • Dans un arrêt du 28 juin 2005 rendu en matière de réticence dolosive, la haute juridiction a adopté une solution identique en affirmant que « le manquement à une obligation précontractuelle d’information, à le supposer établi, ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s’y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d’une erreur déterminante provoquée par celui-ci » (Cass. com. 28 juin 2005, n°03-16.794)

β: Les conditions relatives à l’auteur du dol

🡺Principe

Pour être cause de nullité, le dol doit émaner, en principe, d’une partie au contrat.

L’article 1137 du Code civil formule expressément cette exigence en disposant que « le dol est le fait pour un contractant ».

Ainsi, le dol se distingue-t-il de la violence sur ce point, l’origine de cette dernière étant indifférente.

L’article 1142 du Code civil prévoit, en effet, que « la violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers »

🡺Exclusion

Il résulte de l’exigence posée à l’article 1137, que le dol ne peut jamais avoir pour origine un tiers au contrat.

Dans un arrêt du 27 novembre 2001, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler cette règle en décidant que « le dol n’est une cause de nullité que s’il émane de la partie envers laquelle l’obligation est contractée » (Cass. com. 27 nov. 2001, n°99-17.568).

Si donc le dol émane d’un tiers, le contrat auquel est partie la victime n’encourt pas la nullité.

🡺Correctif

La jurisprudence a apporté un correctif à l’exclusion du tiers de la catégorie des personnes dont doit nécessairement le dol, en admettant que la victime puisse agir sur le fondement de l’erreur.

Si cette dernière parvient ainsi à établir que les manœuvres d’un tiers l’ont induite en erreur, soit sur les qualités essentielles de la prestation, soit sur les qualités essentielles de son cocontractant, le contrat pourra être annulé.

Dans un arrêt du 3 juillet 1996, la première chambre civile a affirmé en ce sens que « l’erreur provoquée par le dol d’un tiers à la convention peut entraîner la nullité du contrat lorsqu’elle porte sur la substance même de ce contrat » (Cass. 1ère civ. 3 juill. 1996, n°94-15.729).

Si toutefois, l’erreur commise par la victime du dol causé par un tiers n’était pas sanctionnée, car portant soit sur la valeur, soit sur les motifs, elle disposerait, en toute hypothèse, d’un recours contre ce dernier sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

🡺Exceptions

Il ressort de l’article 1138 du Code civil que, par exception, le dol peut émaner :

  • Soit du représentant, gérant d’affaires, préposé ou porte-fort du contractant
  • Soit d’un tiers de connivence

γ: Les conditions relatives à la victime du dol

Pour que le dol constitue une cause de nullité,

  • D’une part, le consentement de la victime doit avoir été donné par erreur
  • D’autre part, l’erreur provoquée par l’auteur du dol doit avoir été déterminante

🡺L’exigence d’une erreur

Pour que le dol puisse être retenu à l’encontre de l’auteur d’agissements trompeurs, encore faut-il qu’une erreur ait été commise par la victime. À défaut, le contrat ne saurait encourir la nullité.

Cette sanction ne se justifie, en effet, que s’il y a vice du consentement. Or lorsque les manœuvres d’une partie n’ont provoqué aucune erreur chez son cocontractant, le consentement de celle-ci n’a, par définition, pas été vicié.

Parce que le dol vient sanctionner un comportement malhonnête de son auteur, il constitue une cause de nullité quand bien même l’erreur qu’il provoque chez le cocontractant est indifférente.

Une erreur qui donc serait insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat si elle avait été commise de manière spontanée, peut avoir l’effet opposé dès lors qu’elle a été provoquée.

Dans un arrêt du 2 octobre 1974, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « dès lors qu’elle a déterminé le consentement du cocontractant, l’erreur provoquée par le dol peut être prise en considération, même si elle ne porte pas sur la substance de la chose qui fait l’objet du contrat. » (Cass. 3e civ. 2 oct. 1974, n°73-11.901).

Cette solution a manifestement été consacrée à l’article 1139 du Code civil par l’ordonnance du 10 février 2016 qui prévoit que « l’erreur […] est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ».

Il en résulte que, en matière de dol, l’erreur de la victime peut indifféremment porter :

  • Sur la valeur de la prestation due ou fournie
  • Sur les motifs de l’engagement

Par ailleurs, l’article 1139 du Code civil précise que lorsqu’elle est provoquée par un dol, l’erreur qui devrait être considérée comme inexcusable, quand elle est commise spontanément, devient excusable et donc une cause de nullité du contrat.

Le caractère excusable ou inexcusable de l’erreur est, de la sorte, indifférent.

🡺L’exigence d’une erreur déterminante

Pour que la nullité d’un contrat puisse être prononcée sur le fondement du dol, encore faut-il que l’erreur provoquée ait été déterminante du consentement du cocontractant.

Cette règle est désormais énoncée à l’article 1130 du Code civil qui prévoit que le dol constitue une cause de nullité lorsque sans lui l’une des parties n’aurait pas contracté (dol principal) ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes (dol incident).

Ainsi, le législateur a-t-il choisi de ne pas distinguer selon que le dol dont est victime l’une des parties au contrat est principal ou incident, conformément à la position adoptée par la jurisprudence.

ii. La sanction du dol

Lorsqu’un contrat a été conclu au moyen d’un dol, deux sanctions sont encourues :

  • La nullité du contrat
  • L’allocation de dommages et intérêts

🡺Sur la nullité du contrat

Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat »

Aussi, cela signifie-t-il que seule la victime du dol, soit la partie dont le consentement a été vicié a qualité à agir en nullité du contrat

Cette solution, consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, est conforme à la jurisprudence antérieure (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995, n°93-15.005).

🡺Sur l’allocation de dommages et intérêts

Parce que le dol constitue un délit civil, la responsabilité extracontractuelle de son auteur est toujours susceptible d’être recherchée.

Dans la mesure où, en effet, le dol a été commis antérieurement à la formation du contrat, la victime ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Dans un arrêt du 15 février 2002, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la victime de manœuvres dolosives peut exercer, outre une action en annulation du contrat, une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du dommage qu’elle a subi » (Cass. com. 15 janv. 2002, n°99-18.774).

b.3. La violence

La transaction n’est soumise à aucun régime particulier s’agissant de la violence. Ce sont les dispositions relevant du droit commun des contrats qui lui sont applicables.

Classiquement, la violence est définie comme la pression exercée sur un contractant aux fins de le contraindre à consentir au contrat.

Le nouvel article 1140 traduit cette idée en prévoyant qu’« il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. ».

i. Les conditions de la violence

Il ressort des articles 1140 à 1143 du Code civil que la caractérisation de la violence suppose toujours la réunion de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à ses éléments constitutifs
  • D’autre part, à son origine

α : Les conditions relatives aux éléments constitutifs de la violence

En application de l’article 1140 du Code civil, la violence est une cause de nullité lorsque deux éléments constitutifs sont réunis :

  • L’exercice d’une contrainte
  • L’inspiration d’une crainte

🡺Une contrainte

  • L’objet de la contrainte : la volonté du contractant
    • Tout d’abord, il peut être observé que la violence envisagée à l’article 1140 du Code civil n’est autre que la violence morale, soit une contrainte exercée par la menace sur la volonté du contractant.
    • La contrainte exercée par l’auteur de la violence doit donc avoir pour seul effet que d’atteindre le consentement de la victime, à défaut de quoi, par hypothèse, on ne saurait parler de vice du consentement.
  • La consistance de la contrainte : une menace
    • La contrainte visée à l’article 1140 s’apparente, en réalité, à une menace qui peut prendre différentes formes.
    • Cette menace peut consister en tout ce qui est susceptible de susciter un sentiment de crainte chez la victime.
    • Ainsi, peut-il s’agir, indifféremment, d’un geste, de coups, d’une parole, d’un écrit, d’un contexte, soit tout ce qui est porteur de sens
    • La conclusion d’une transaction obtenue sous la menace physique ou morale tombera nécessairement sous le coup de la violence et pourra donc faire l’objet d’une annulation.
  • Le caractère de la contrainte : une menace illégitime
    • La menace dont fait l’objet le contractant doit être illégitime, en ce sens que l’acte constitutif de la contrainte ne doit pas être autorisé par le droit positif.
    • A contrario, lorsque la pression exercée sur le contractant est légitime, quand bien même elle aurait pour effet de faire plier la volonté de ce dernier, elle sera insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat.
    • La question alors se pose de savoir quelles sont les circonstances qui justifient qu’une contrainte puisse être exercée sur un contractant.
    • En quoi consiste, autrement dit, une menace légitime ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1141 qui prévoit que « la menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif. »
    • Cette disposition est, manifestement, directement inspirée de la position de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 17 janvier 1984 avait estimé que « la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du code civil que s’il y a abus de cette voie de droit soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement primitif » (Cass. 3e civ. 17 janv. 1984, n°82-15.753).
    • Quel enseignement retenir de la règle énoncée par la jurisprudence, puis reprise sensiblement dans les mêmes termes par le législateur ?
    • Un principe assorti d’une limite.
      • Principe
        • La menace exercée à l’encontre d’un contractant est toujours légitime lorsqu’elle consiste en l’exercice d’une voie de droit
        • Ainsi, la menace d’une poursuite judiciaire ou de la mise en œuvre d’une mesure d’exécution forcée ne saurait constituer, en elle-même, une contrainte illégitime.
        • Une partie qui donc consentirait à conclure une transaction en réaction à ce type de menace ne saurait se prévaloir de la violence afin d’obtenir son annulation.
        • La menace d’exercice d’une voie de droit est, en effet, par principe toujours légitime.
      • Limites
        • La légitimité de la menace cesse, dit l’article 1141, lorsque la voie de droit est :
          • Soit détournée de son but
            • Il en va ainsi lorsque l’avantage procuré par l’exercice d’une voie de droit à l’auteur de la menace est sans rapport avec le droit dont il se prévaut.
            • La Cour de cassation a, de la sorte, approuvé une Cour d’appel pour avoir prononcé la nullité d’une reconnaissance de dette qui avait été « obtenue sous la menace d’une saisie immobilière relative au recouvrement d’une autre créance » (Cass. 1ère civ. 25 mars 2003, n°99-21.348).
          • Soit invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif
            • La menace sera ainsi considérée comme illégitime lorsqu’elle est exercée en vue d’obtenir un avantage hors de proportion avec l’engagement primitif ou le droit invoqué.
            • La Cour de cassation a ainsi estimé que la contrainte consistant à menacer son cocontractant d’une procédure de faillite était illégitime, dans la mesure où elle avait conduit le créancier à obtenir de son débiteur des avantages manifestement excessifs (Cass. com. 28 avr. 1953).

🡺Une crainte

La menace exercée à l’encontre d’un contractant ne sera constitutive d’une cause de nullité que si, conformément à l’article 1140, elle inspire chez la victime « la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. »

  • L’exposition à un mal considérable
    • L’exigence tenant à l’établissement d’une crainte d’un mal considérable a été reprise de l’ancien article 1112 du Code civil qui prévoyait déjà cette condition.
    • Que doit-on entendre par l’exposition à un mal considérable ?
    • Cette exigence signifie simplement que le mal en question doit être suffisamment grave pour que la violence dont est victime le contractant soit déterminante de son consentement.
    • Autrement dit, sans cette violence, la victime n’aurait, soit pas contracté, soit conclu l’acte à des conditions différentes.
    • Le caractère déterminant de la violence sera apprécié in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.
    • La Cour de cassation prendra, en d’autres termes, en compte l’âge, les aptitudes, ou encore la qualité de la victime.
  • L’objet de la crainte
    • Pour mémoire, l’ancien article 1113 du Code civil prévoyait que « la violence est une cause de nullité du contrat, non seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants. »
    • Dorénavant, la violence est caractérisée dès lors que la crainte qu’elle inspire chez la victime expose à un mal considérable :
      • soit sa personne
      • soit sa fortune
      • soit celles de ses proches

β : Les conditions relatives à l’origine de la violence

Il ressort des articles 1142 et 1143 du Code civil que la violence est sanctionnée quel que soit son auteur.

Contrairement au dol, elle peut émaner :

  • Soit d’un tiers
  • Soit de circonstances particulières

🡺La violence émanant d’un tiers

L’article 1142 du Code civil prévoit expressément que « la violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers. »

Pour mémoire, l’ancien article 1111 disposait que la violence est une cause de nullité quand bien même elle est « exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite. »

Les auteurs justifient cette règle par le fait que la violence n’a pas seulement pour effet de vicier le consentement de la victime : elle porte atteinte à sa liberté de contracter.

Le contractant qui fait l’objet de violences est donc privé de tout consentement, d’où la sévérité du législateur à son endroit.

🡺La violence émanant de circonstances

S’il ne fait aucun doute que la violence peut émaner d’une personne, qu’il s’agisse du contractant lui-même ou d’un tiers, la question s’est rapidement posée de savoir si elle ne pouvait pas dériver de circonstances extérieures au contrat.

Plus précisément, les auteurs se sont interrogés sur l’assimilation de ce que l’on appelle l’état de nécessité à la violence.

En matière contractuelle, l’état de nécessité se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, en raison de circonstances économiques, naturelles ou politiques est contrainte, par la force des choses, de contracter à des conditions qu’elle n’aurait jamais acceptées si les circonstances qui la placent dans cette situation ne s’étaient pas produites.

De toute évidence, cette situation est susceptible de se rencontrer en matière de transaction, une partie, la plus faible, pouvant être conduite à transiger, non pas parce qu’elle le veut, mais parce qu’elle y est obligée en raison de l’état de dépendance économique dans lequel elle se trouve par rapport à son cocontractant.

C’est d’ailleurs un litige né de la conclusion d’une transaction qui a donné lieu à la reconnaissance par la Cour de cassation de la violence économique comme cause de nullité du contrat.

Dans un arrêt du 30 mai 2000, la première chambre civile a en effet admis l’assimilation de l’état de nécessité à la violence en jugeant que « la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion » (Cass. 1er civ. 30 mai 2000, n°98-15.242).

Cass. 1ère civ. 30 mai 2000

Attendu que M. X…, assuré par les Assurances mutuelles de France ” Groupe azur ” (le Groupe Azur) a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait ; que, le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs ;

Sur le premier moyen : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu les articles 2052 et 2053 du Code civil, ensemble l’article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation de l’acte du 10 septembre 1991, l’arrêt attaqué retient que, la transaction ne pouvant être attaquée pour cause de lésion, la contrainte économique dont fait état M. X… ne saurait entraîner la nullité de l’accord ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la transaction peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion, la cour d’appel a violé les textes susvisés

  • Faits
    • Un particulier a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait
    • Le 10 septembre 1991, il a signé un accord transactionnel sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs
  • Demande
    • L’assuré engage une action en nullité de la transaction conclue, en invoquant la violence dont il aurait fait l’objet
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 18 mars 1998, la Cour d’appel de Paris rejette la demande formulée par l’assuré
    • Elle estime que la transaction litigieuse ne pouvait pas être attaquée pour cause de lésion, celle-ci ne constituant pas une cause de nullité en droit français.
  • Solution
    • Dans son arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel estimant que la transaction en l’espèce pouvait parfaitement faire l’objet d’une action en nullité, dans la mesure où la contrainte économique à laquelle était soumis l’assuré lors de la conclusion de l’acte litigieux était constitutive du vice de violence et non d’une lésion.
  • Analysé
    • Ainsi, pour la première fois, la Cour de cassation admet-elle que la contrainte économique puisse constituer un cas de violence en dehors du contexte maritime.

Dans un célèbre arrêt Bordas du 3 avril 2002, la Cour de cassation a, par suite, estimé que « seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement » (Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002, n°00-12.932).

Aussi, pour la Première chambre civile, la seule situation de dépendance économique ne suffit pas à caractériser la violence cause de nullité contractuelle.

Pour elle, le vice de violence ne peut être caractérisé que s’il existe une exploitation de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouve la personne placée sous cette dépendance.

La solution dégagée dans l’arrêt Bordas a été confirmée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats qui a inséré un article 1143 dans le Code civil.

Cette disposition prévoit que « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

Il ressort de ce texte que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’abus de l’état de dépendance soit caractérisé :

  • Une situation de dépendance
    • Le texte ne précisant pas de quel type de dépendance il doit s’agir, on peut en déduire qu’il ne vise pas seulement l’état de dépendance économique.
    • Est-ce à dire que l’état de dépendance affective serait également visé ?
    • Rien ne permet d’exclure, en l’état du droit positif, cette éventualité.
  • Un abus de la situation de dépendance
    • Il ne suffit pas de démontrer qu’une partie au contrat se trouve dans un état de dépendance par rapport à une autre pour établir le vice de violence.
    • Encore faut-il que la partie en position de supériorité ait abusé de la situation.
    • Aussi, l’existence d’une situation de dépendance n’est pas propre à faire peser une présomption de violence.
    • Pour qu’une transaction soit annulée sur le fondement de la violence, il faudra démontrer un abus de la situation de dépendance.
  • L’octroi d’un avantage manifestement excessif
    • Pour que l’abus de dépendance soit caractérisé, cela suppose que l’auteur de la violence ait obtenu un avantage manifestement excessif que son cocontractant ne lui aurait jamais consenti s’il ne s’était pas retrouvé en situation de dépendance
    • Cette condition a, manifestement, été reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dès l’arrêt Bordas, faisait de cette exigence un élément constitutif de la violence économique (V. notamment Cass. 3e civ. 22 mai 2012, n°11-16.826).

ii. La sanction de la violence

Lorsqu’un contrat a été conclu au moyen d’un acte de violence, deux sanctions sont encourues :

  • La nullité du contrat
  • L’allocation de dommages et intérêts

🡺Sur la nullité du contrat

Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat »

Aussi, cela signifie-t-il que seule la victime de la violence, soit la partie dont le consentement a été vicié a qualité à agir en nullité du contrat

Cette solution, consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, est conforme à la jurisprudence antérieure (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995).

🡺Sur l’allocation de dommages et intérêts

Parce que la violence constitue un délit civil, la responsabilité extracontractuelle de son auteur est toujours susceptible d’être recherchée.

Dans la mesure où, en effet, la violence a été commise antérieurement à la formation du contrat, la victime ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité délictuelle (V. notamment Cass. com. 18 février 1997, n°94-19.272).

5. Le contenu de la transaction

Le nouvel article 1128 du Code civil subordonne la validité du contrat à l’existence d’un « contenu licite et certain ».

La notion de « contenu » du contrat est une nouveauté introduite par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.

Le législateur a entendu regrouper sous une même notion les concepts d’objet et de cause qui, antérieurement à la réforme, étaient traités dans des sections distinctes du Titre III.

Aussi, désormais, les différentes fonctions qui étaient autrefois dévolues à l’objet et à la cause sont exercées par une seule et même figure juridique : la notion de contenu du contrat.

En ce qu’elle est soumise aux conditions générales de validité des contrats, la transaction doit répondre aux exigences de licéité et de détermination du contenu.

a. La licéité du contenu de la transaction

🡺Principe

Aux termes de l’article 1162 du Code civil « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »

Il ressort de cette disposition que la licéité du contrat est subordonnée au respect d’une double exigence : tant les stipulations du contrat, que le but poursuivi par les parties doivent être conformes à l’ordre public.

Une transaction ne peut, dès lors, être valable que si elle ne contrevient pas à l’ordre public.

Pour mémoire, l’ordre public fait partie de ces notions qui échappent à l’emprise de toute définition. Il s’agit là d’un concept dont les contours sont flous et le contenu difficile à déterminer.

Après avoir listé près d’une vingtaine de définitions, Philippe Malaurie dira de l’ordre public que, en définitive, « c’est le bon fonctionnement des institutions indispensables à la collectivité »[3]

Quant au Code civil, lui non plus ne donne aucune définition de l’ordre public.

Tout au plus, il peut être déduit de l’article 6 que l’ordre public vise l’ensemble des règles auxquelles on ne saurait déroger « par conventions particulières ».

Ainsi, l’ordre public consisterait-il en un corpus de normes impératives, soit un cadre juridique en dehors duquel la volonté des parties serait inopérante quant à la création d’obligations.

Conformément au principe d’autonomie de la volonté, les parties devraient pourtant être libres de contracter et plus encore de déterminer le contenu du contrat.

À la vérité, bien que la volonté des contractants constitue une source d’obligations aux côtés de la loi, elle n’a jamais été considérée, pas même par les rédacteurs du Code civil, comme toute puissante en matière contractuelle.

La marge de manœuvre des parties comporte une limite : celle fixée par les règles qui protègent des intérêts supérieurs placés hors d’atteinte des conventions particulières.

Pour Jean Carbonnier « l’idée générale est celle d’une suprématie de la collectivité sur l’individu. L’ordre public exprime le vouloir-vivre de la nation que menaceraient certaines initiatives individuelles en forme de contrats »[4]

Cet auteur ajoute que, finalement, l’ordre public n’est autre qu’un rappel à l’ordre adressé par l’État « aux contractants s’ils veulent toucher à des règles qu’il regarde comme essentielles »[5]

Dans cette perspective, le nouvel article 1102 du Code civil prévoit que « la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public. »

Lorsque dès lors des parties transigent, elles doivent toujours veiller à ne pas contrevenir à des règles d’ordre public. La question qui alors se pose est de savoir comment identifier une règle d’ordre public.

Comme le fait observer Philippe Malinvaud « l’ordre public est la marque de certaines règles légales ou réglementaires qui tirent leur suprématie de leur objet : la défense d’un intérêt général devant lequel doivent s’incliner les intérêts particuliers et les contrats qui les expriment »[6].

Ainsi, l’ordre public vise-t-il toujours à protéger des intérêts qui, s’ils sont de natures diverses et variées, ont tous pour point commun de se situer au sommet de la hiérarchie des valeurs.

Dans cette perspective, classiquement on distingue deux sortes de règles d’ordre public : celles qui relèvent de l’ordre public politique et celles qui relèvent de l’ordre public économique.

  • S’agissant de l’ordre public politique
    • Il est composé de toutes les règles qui assurent la protection des intérêts relatifs à l’État, à la famille et à la morale.
      • La défense de l’État
        • Toutes les règles qui régissent l’organisation et le fonctionnement de l’État sont d’ordre public
        • Il en résulte que les transactions qui, par exemple, porteraient sur le droit de vote ou qui viseraient à restreindre l’exercice du pouvoir politique seraient nulles.
        • Dès lors sont impératives les lois constitutionnelles, les lois fiscales ou encore les lois pénales
      • La défense de la famille
        • La plupart des règles qui touchent à l’organisation et à la structuration de la famille sont d’ordre public.
        • L’article 1388 du Code civil prévoit en ce sens que « les époux ne peuvent déroger ni aux devoirs ni aux droits qui résultent pour eux du mariage, ni aux règles de l’autorité parentale, de l’administration légale et de la tutelle. »
        • Toutefois, il convient de distinguer les règles qui régissent les rapports personnels entre les membres de la famille, de celles qui gouvernent les rapports patrimoniaux.
        • Tandis que les premières constituent presque toujours des dispositions impératives, les secondes sont le plus souvent supplétives.
      • La défense de la morale
        • Si, jusqu’à récemment, la défense de la morale se traduisait essentiellement par l’exigence de conformité des conventions aux bonnes mœurs cette exigence s’est peu à peu déportée à la faveur d’une protection de l’ordre moral qui postule désormais le respect de la personne humaine et de la liberté individuelle.
  • S’agissant de l’ordre public économique
    • il est composé de règles qui régissent les échanges de biens et services
    • Cet ordre public est constitué de deux composantes :
      • L’ordre public économique de direction
        • L’ordre public économique de direction vise à assurer la protection d’un intérêt économique général.
        • Il s’agit là, autrement dit, de règles qui ont été édictées en vue de protéger l’économie de marché et plus généralement de servir le développement des échanges de biens et de services.
        • L’ordre public de direction est de la sorte très présent en droit de la concurrence.
        • Dans un arrêt du 26 mai 1992 la Cour de cassation a, de la sorte, affirmé que « sont nulles les conventions sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence » (Cass. com. 26 mai 1992, n°90-13.499)
      • L’ordre public économique de protection
        • L’ordre public économique de protection vise à préserver les droits de la partie jugée faible au contrat
        • Le terrain d’élection privilégié de cet ordre public est le droit du travail, le droit de la consommation ou encore le droit des locataires.
        • La présence de cet ordre public de protection se traduit, le plus souvent, par la réglementation stricte d’un certain nombre de contrats.

🡺Tempéraments

L’interdiction de déroger par convention contraire à une règle d’ordre public devrait conduire à considérer qu’une transaction ne saurait contrevenir à une telle règle.

Pourtant, il est des cas où les parties seront autorisées à transiger alors même que la règle en jeu présente un caractère d’ordre public.

  • Cas des transactions portant sur une nullité
    • Alors que les règles instituant la nullité d’un acte sont d’ordre public, il est admis qu’une transaction puisse avoir pour l’objet la renonciation par une partie à se prévaloir d’une nullité.
    • Toutes les nullités ne peuvent néanmoins pas faire l’objet d’une transaction.
    • Une partie ne peut renoncer à soulever une nullité dans le cadre d’une transaction que s’il s’agit d’une nullité relative.
    • La raison en est que la règle qui institue une nullité relative relève de l’ordre public de protection.
    • Il s’agit, autrement dit, d’une règle qui vise à protéger un intérêt particulier, l’intérêt de la partie au profit de laquelle la nullité est instituée.
    • Or, en application de l’article 1181 du Code civile, elle seule peut se prévaloir de cette nullité.
    • Il est dans ces conditions cohérent d’admettre que la partie que la loi entend protéger puisse renoncer à se prévaloir d’une nullité relative.
    • Tel n’est, en revanche, pas le cas, lorsque la transaction porte sur une nullité absolue.
    • Cette nullité est, en effet, instituée par une règle qui vise à protéger l’ordre public de direction, soit l’intérêt général.
    • À ce titre, elle peut être soulevée par quiconque justifie d’un intérêt à agir (art. 1180 C. civ.).
    • Aussi, très tôt la jurisprudence a jugé qu’on ne pouvait pas transiger sur une nullité absolue (Cass. civ. 18 déc. 1893).
  • Cas des transactions portant sur des droits acquis
    • S’il est a priori interdit de transiger sur un droit subjectif qui présente un caractère d’ordre public, la jurisprudence opère toutefois une distinction entre les droits acquis et les droits non acquis.
    • Dans un arrêt du 16 novembre 1960, la Cour de cassation a, en effet, jugé qu’« il est loisible au plaideur de transiger sur les modalités d’application d’un droit acquis, d’ordre public » (Cass. soc., 16 nov. 1960).
    • Il ressort de cette décision que la transaction qui porte sur un droit acquis est parfaitement valable, peu importe que ce droit soit d’ordre public.
    • Par acquis, il faut entendre un droit qui est né, par opposition au droit non acquis dont le fait générateur n’est pas encore survenu.
    • Cette solution a été réitérée à plusieurs reprises par la Cour de cassation et notamment dans un arrêt du 17 mars 1998.
    • Aux termes de cette décision, la Première chambre civile a ainsi affirmé que « s’il est interdit de renoncer par avance aux règles de protection établies par une loi d’ordre public, il est en revanche permis de renoncer aux effets acquis de telles règles » (Cass. 1ère civ., 17 mars 1998, n°96-13.972).
    • Afin de mieux appréhender cette jurisprudence, prenons l’exemple de la prestation compensatoire.
    • S’il est fait interdiction à un époux de renoncer, dans le cadre d’une transaction, à toute prestation compensatoire en prévision d’un éventuel divorce, celui-ci sera en revanche admis à renoncer à cet effet du divorce lorsque la procédure sera engagée (Cass. 2e civ. 10 mai 1991, n°90-11.008).
    • La solution est la même pour un salarié qui renoncerait à engager la responsabilité de son employeur en cas d’accident de travail futur : il ne pourra renoncer à une telle action dans le cadre d’une transaction qu’en cas de naissance d’un droit à indemnisation, soit en cas de survenance d’un accident de travail.
    • En somme, s’il est interdit de transiger à l’avance sur un droit présentant un caractère d’ordre public, il est en revanche admis qu’il y soit renoncé lorsque ce droit est né.
    • La chambre commerciale a statué en ce sens dans un arrêt du 16 décembre 2014 aux termes duquel elle a jugé, au visa de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, que « si [ce] texte institue une responsabilité d’ordre public à laquelle les parties ne peuvent renoncer par anticipation, il ne leur interdit pas de convenir des modalités de la rupture de leur relation commerciale, ou de transiger sur l’indemnisation du préjudice subi par suite de la brutalité de cette rupture » (Cass. com. 16 déc. 2014, n°13-21.363).

b. La détermination du contenu de la transaction

i. Le domaine de l’objet de la transaction

Peut-on transiger en tous domaines ? Le Code civil est silencieux sur cette question. L’article 2046 précise tout au plus qu’« on peut transiger sur l’intérêt civil qui résulte d’un délit ».

Parce que la transaction est un contrat, au titre de la liberté contractuelle, les parties devraient a priori être autorisées à transiger en toutes matières, pourvu que la convention conclue ne porte pas atteinte à l’ordre public, ni par ses stipulations, ni par son but.

Reste que la transaction constitue un acte grave en ce qu’elle emporte renonciation pour les parties d’agir en justice. Or pour pouvoir renoncer à un droit, encore faut-il être libre d’en disposer.

Aussi, cela suppose-t-il que ce droit soit :

  • D’une part disponible
  • D’autre part, aliénable

🡺Un droit disponible

Il est donc admis que pour pouvoir faire l’objet d’une transaction, le droit concerné doit être disponible.

Par disponible, il faut entendre positivement un droit dont on peut disposer. Cette définition n’est toutefois pas suffisante car elle ne permet pas de cerner avec précision les contours de la notion, laquelle recouvre, en réalité, un périmètre plus restreint.

Car en effet, un droit peut, dans son état primitif, être disponible, mais être inaliénable et donc non cessible, en raison, par exemple, d’une clause spécifique qui aurait été stipulée dans le cadre d’une convention ou encore de son statut de bien public.

Aussi, pour comprendre ce qu’est un droit disponible, il faut envisager la notion négativement. Sous cet angle, un droit disponible est un droit qui ne relève pas de la catégorie des droits qui sont dits « hors du commerce ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir comment reconnaître les droits « hors du commerce » et ceux qui ne le sont pas.

Par hypothèse, la ligne de démarcation serait celle qui distingue les droits patrimoniaux des droits extra-patrimoniaux.

Tandis que les premiers sont des droits appréciables en argent et, à ce titre, peuvent faire l’objet d’opérations translatives, les seconds n’ont pas de valeur pécuniaire, raison pour laquelle on dit qu’ils sont hors du commerce ou encore indisponibles.

Ainsi, selon cette distinction, on ne pourrait transiger que sur les seuls droits patrimoniaux. Pour mémoire, ils se scindent en deux catégories :

  • Les droits réels (le droit de propriété est l’archétype du droit réel)
  • Les droits personnels (le droit de créance : obligation de donner, faire ou ne pas faire)

Quant aux droits extrapatrimoniaux, qui donc ne peuvent faire l’objet d’aucune transaction, on en distingue classiquement trois sortes :

  • Les droits de la personnalité (droit à la vie privée, droit à l’image, droit à la dignité, droit au nom, droit à la nationalité)
  • Les droits familiaux (l’autorité parentale, droit au mariage, droit à la filiation, droit au respect de la vie familiale)
  • Les droits civiques et politiques (droit de vote, droit de se présenter à une élection etc.)

Bien que la ligne de démarcation entre les droits extrapatrimoniaux et les droits patrimoniaux soit particulièrement marquée, les droits sur lesquels les parties sont libres de transiger sont parfois difficiles à identifier. Ce sera notamment le cas en présence d’intérêts pécuniaires.

Aussi, afin d’appréhender les droits susceptibles de faire l’objet d’une transaction et ceux qui ne le peuvent pas convient-il, non pas de raisonner par domaine, mais d’opérer des distinctions au sein de chacun d’eux.

  • État des personnes
    • L’état des personnes est le terrain d’élection privilégié des droits extrapatrimoniaux.
    • Il se définit comme « l’ensemble des éléments caractérisant la situation juridique d’une personne au plan individuel (date et lieu de naissance, nom, prénom, sexe, capacité, domicile), au plan familial (filiation, mariage) et au plan politique (qualité de français ou d’étranger), de nature à permettre d’individualiser cette personne dans la société dans laquelle elle vit »[7].
    • Par principe, l’état des personnes est indisponible, cela qui signifie que l’on ne peut pas céder ou renoncer à un élément de son état.
    • En matière de filiation cette interdiction est expressément formulée à l’article 323 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet de renonciation. »
    • Une transaction qui, dès lors, aurait pour objet la renonciation par une partie d’un ou plusieurs éléments de son état serait nulle.
    • Dans un arrêt du 20 janvier 1981 la Cour de cassation a, par exemple, validé l’annulation d’une transaction aux termes de laquelle une mère avait renoncé à son droit d’agir en recherche de paternité (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1981, n°79-12.605).
    • Si les droits résultant de l’état des personnes sont par principe indisponible, tous ne le sont pas.
    • Il est, en effet, admis qu’une transaction puisse porter sur les conséquences pécuniaires de l’état des personnes.
    • Si donc il est interdit de transiger sur la filiation, il est en revanche permis de conclure une transaction qui aurait pour objet la pension alimentaire résultant de l’établissement d’un lien de filiation.
  • Mariage et divorce
    • En application du principe d’indisponibilité de l’état des personnes, des époux ne sauraient conclure une transaction aux fins de déroger aux règles du mariage ou du divorce.
    • Ainsi des époux ne sauraient transiger sur le devoir de fidélité, l’obligation de communauté de vie ou encore sur le droit de demander le divorce dans les cas ouverts par la loi.
    • Il en va de même pour une transaction aux termes de laquelle un époux renoncerait au bénéfice d’une règle gouvernant son régime matrimonial (Cass., 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-15945).
    • À l’instar de l’état des personnes, s’il n’est pas possible de conclure une transaction qui dérogerait aux règles du mariage et du divorce, il est en revanche permis de transiger sur les conséquences pécuniaires de l’un et l’autre.
    • Dans le cadre d’un divorce, les époux sont, par exemple, autorisés à conclure une transaction qui viserait à réduire le montant de la prestation compensatoire fixé par le juge (Cass. 1ère, 8 févr. 2005, n°03-17.923).
    • La Cour de cassation a statué dans le même sens dans un arrêt du 9 mars 1994 s’agissant du partage de la communauté consécutivement au prononcé du divorce.
    • Aux termes de cette décision elle a jugé que « après la dissolution de leur mariage par le divorce, les ex-époux sont libres de liquider leur régime matrimonial comme ils l’entendent et de passer, à cet effet, toutes conventions transactionnelles, sous réserve des droits des créanciers tels que fixés par l’article 882 du Code civil » (Cass. 1ère civ. 9 mars 1994, n°92-13.455).
  • Obligations alimentaires
    • La loi a institué des obligations dites « alimentaires » qui contraignent leur débiteur à fournir une aide matérielle ou en nature à certains membres de leur famille qui se trouveraient dans le besoin.
    • Ces obligations jouent notamment dans les rapports entre :
      • Parents et enfants
      • Grands-parents et petits-enfants
      • Gendres ou belles-filles et beaux-parents
    • Parce qu’elles présentent un caractère d’ordre public, les obligations alimentaires sont incessibles et insaisissables.
    • Il en résulte qu’elles ne sauraient, en principe, faire l’objet d’une transaction : le créancier d’une obligation alimentaire ne peut, ni y renoncer, ni la céder.
    • Cette interdiction n’est toutefois pas absolue ; la jurisprudence l’a assortie d’un tempérament.
    • Dans un arrêt du 29 mai 1985, la Cour de cassation a, en effet, opéré une distinction entre les créances d’aliments actuelles (les créances nées) et les créances d’aliments éventuelles (les créances à naître).
    • Dans cette affaire, des parents avaient conclu un accord transactionnel aux termes duquel la mère, en contrepartie d’une somme d’argent, se déclarait être remplie de tous ses droits et renoncer à toute action en justice s’agissant de la pension alimentaire due par le père au bénéfice de ses enfants mineurs.
    • Quelque temps plus tard la mère remet en cause l’accord conclu en faisant notamment valoir que la renonciation à une action alimentaire était contraire à l’ordre public.
    • La première chambre civile rejette le pourvoi formé par la requérante en reconnaissant la validité de la transaction conclue à tout le moins pour ses effets passés.
    • Elle affirme en, effet, que si la transaction dénoncée en l’espèce ne pouvait valoir renonciation pour l’avenir à obtenir le versement d’une pension alimentaires pour les enfants, elle n’en était pas moins licite pour le passé, des parents étant parfaitement libres de transiger quant au remboursement de frais déjà été engagés par l’un d’eux pour l’entretien et l’éducation des enfants.
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, l’interdiction de transiger en matière d’obligation alimentaire ne vise que les seuls droits éventuels, soit ceux qui ne sont pas encore nés.
    • Pour les droits actuels, c’est-à-dire ceux déjà nés, ils peuvent au contraire faire l’objet d’une transaction (Cass. 1ère civ. 29 mai 1985, n°84-11.626).
    • En somme, s’il est interdit de renoncer à son droit à aliments pour l’avenir, il est en revanche possible de transiger sur ce même droit dès lors qu’il est devenu échu.
  • Poursuites pénales
    • Principe
      • Lorsqu’une infraction pénale est constatée, le ministère public est libre d’engager des poursuites pénales.
      • Ces poursuites prennent la forme de ce que l’on appelle une action publique, laquelle est exercée aux fins de défendre les intérêts de la collectivité.
      • Parce que cette action est d’ordre public, elle est indisponible et, par voie de conséquence, ne peut faire l’objet d’aucune transaction.
      • L’article 2046 du Code civil prévoit en ce sens que « la transaction n’empêche pas la poursuite du ministère public. »
      • Ainsi, l’auteur d’une infraction ne saurait transiger avec le ministère public et réclamer, par exemple, l’abandon des poursuites engagées moyennant le versement d’une somme d’argent.
    • Tempéraments
      • S’il est interdit de transiger sur l’action publique, ce principe est assorti de deux tempéraments
        • Premier tempérament
          • L’article 6, al. 3e du Code de procédure pénale prévoit que l’action publique peut « s’éteindre par transaction lorsque la loi en dispose expressément ou par l’exécution d’une composition pénale ; il en est de même en cas de retrait de plainte, lorsque celle-ci est une condition nécessaire de la poursuite. »
          • Ainsi est-il admis que l’auteur d’une infraction puisse transiger sur les poursuites pénales engagées à son endroit lorsque les conditions énoncées par ce texte sont réunies.
          • La transaction est, par exemple, admise dans de nombreux cas en matière fiscale et douanière (V. en ce sens Cass. crim. 18 avr. 1983, n°82-90.081 et 81-92.517).
          • Le procureur est, par ailleurs, autorisé par de nombreux textes à conclure avec la personne poursuivie une convention qui présente toutes les caractéristiques d’une transaction.
          • On peut notamment évoquer l’article 41-2 du Code de procédure pénale qui prévoit que le procureur de la République peut, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, proposer une composition pénale à une personne physique qui reconnaît avoir commis un ou plusieurs délits punis à titre de peine principale d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans, ainsi que, le cas échéant, une ou plusieurs contraventions connexes qui consiste en une ou plusieurs des mesures limitativement énumérées, telles que le versement d’une amende, le suivi d’un stage de formation ou encore l’accomplissement d’un stage de citoyenneté.
        • Second tempérament
          • Si l’action publique est indisponible, il est en revanche permis de transiger sur l’action civile née d’une infraction pénale.
          • Cette règle est énoncée par l’article 2046, al. 1er du Code civil qui prévoit que « on peut transiger sur l’intérêt civil qui résulte d’un délit. »
          • Cette règle se justifie par la nature de l’action civile : elle n’est autre que l’exercice du droit à réparation dont est titulaire toute victime d’un dommage.
          • Or le droit à réparation est un droit patrimonial ; il est dès lors susceptible de faire l’objet d’une transaction.
          • Pour que la transaction conclue sur l’action civile soit opérante, encore faut-il qu’elle porte sur les faits à l’origine des poursuites pénales (Cass. crim. 6 oct. 1964, n°64-90.560).
          • Par ailleurs, pour être valable, la transaction doit avoir été conclue entre la victime et l’auteur de l’infraction et non entre les coauteurs ou complices (Cass. req., 7 nov. 1865).
  • Procédures collectives
    • On présente généralement les procédures collectives comme remplissant plusieurs objectifs au nombre desquels figurent notamment le redressement économique de l’entreprise, l’apurement de son passif et le maintien de l’emploi tout en assurant l’égalité des créanciers.
    • Aussi, les procédures collectives poursuivent-elles des objectifs qui vont bien au-delà de la préservation des intérêts particuliers du débiteur ; elles visent, en premier lieu, à servir des intérêts communs.
    • C’est pour cette raison que le droit des procédures collectives recèle de très nombreuses règles qui présentent un caractère d’ordre public.
    • Il en résulte que la possibilité de transiger dans le cadre d’une procédure collective est pour le moins limitée.
    • En application des articles L. 632-1 et suivants du Code de commerce il est, par exemple, fait interdiction au débiteur de transiger sur les actes susceptibles d’être frappés de nullité en cas d’accomplissement au cours de la période suspecte (Cass. com., 20 sept. 2005, n°04-11.789).
    • Dans un arrêt du 24 mars 2009, la Cour de cassation a, par ailleurs, décidé que les condamnations au paiement des dettes sociales à l’encontre du dirigeant d’entreprise ne peuvent faire l’objet d’une transaction (Cass. com., 24 mars 2009, n°07-20.383).
    • Il a encore été jugé que « aux termes d’une transaction, des créanciers n’ayant aucune garantie ne peuvent se voir accorder plus de droits qu’un créancier nanti » (Cass. com. 10 déc. 2002, n°99-21.411).

🡺Un droit inaliénable

Si une transaction peut porter sur un droit disponible, encore faut-il que ce droit ne soit pas frappé d’inaliénabilité.

Quels sont les droits inaliénables ? Il s’agit des droits qui notamment :

  • Soit sont attachés à des biens qui possèdent un statut particulier, tels que les biens relevant du domaine public ou les biens appartenant à la catégorie des souvenirs de famille
  • Soit sont grevés par une stipulation d’inaliénabilité, pourvu que cette stipulation produise des effets limités dans le temps et qu’elle soit justifiée par un intérêt sérieux et légitime

Parce qu’un droit frappé d’inaliénabilité ne peut pas être cédé, il ne peut, par voie de conséquence, pas faire l’objet d’une transaction.

ii. L’interprétation de l’objet de la transaction

🡺Principe

La transaction a pour fonction de mettre fin à un litige né ou à naitre. Pour atteindre son but, encore faut-il que les termes du litige soient définis avec suffisamment de précision dans l’acte, faute de quoi les parties pourraient être portées à saisir le juge afin de lui soumettre une question qui n’aurait pas été abordée dans la transaction conclue.

La question qui alors se pose est de savoir comment une transaction doit-elle être interprétée ?

Doit-on considérer que la transaction couvre le litige constaté dans l’acte ainsi que toutes les ramifications que ce litige est susceptible de comporter ou doit-on estimer que les effets de la transaction sont cantonnés au périmètre du différent décrit dans l’acte ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 2048 du Code civil qui prévoit que « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu. »

Il ressort de cette disposition que l’objet de la transaction doit être interprété restrictivement.

Selon cette approche, il y a lieu de considérer que la transaction ne règle que ce qui est expressément énoncé dans l’acte. Si dès lors un différend comporte plusieurs chefs, la transaction ne règle que ceux qu’elle vise spécifiquement.

S’agissant des autres chefs du litige qui ne seraient pas abordés dans la transaction, ils pourront dès lors être portés devant le juge.

Pour cette raison, lorsque des parties décident de transiger il leur faudra bien veiller, au stade de la rédaction, à énoncer dans l’acte l’ensemble des chefs de litige et plus généralement tout « ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».

🡺Tempérament

Le principe d’interprétation restrictive des termes d’une transaction est assorti d’un tempérament énoncé à l’article 2049 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les transactions ne règlent que les différends qui s’y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l’on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé. »

À l’analyse, ce texte ne fait que reprendre la règle de droit commun énoncée à l’article 1194 du Code civil qui prévoit que « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi. »

Cette règle vise à autoriser le juge à aller au-delà de ce qui est énoncé dans la transaction lorsque les stipulations de l’acte sont obscures ou trop générales.

En cas de lacunes et de silence d’un contrat, il est, en effet, illusoire de rechercher la commune intention des parties qui, par définition, n’a probablement pas été exprimée par elles.

Aussi, le juge n’aura-t-il d’autre choix que d’adopter la méthode objective d’interprétation, soit pour combler le vide contractuel, de se rapporter à des valeurs extérieures à l’acte, telles que l’équité ou la bonne foi.

En somme, l’article 2049 autorise le juge à découvrir des obligations qui s’imposent aux parties alors mêmes qu’elles n’avaient pas été envisagées lors de la conclusion du contrat : c’est ce que l’on appelle le forçage du contrat.

Une illustration de cette méthode d’interprétation appliquée en matière de transaction peut être trouvée dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 octobre 2019.

Aux termes de cette décision, elle a admis que « la renonciation du salarié à ses droits nés ou à naître et à toute instance relative à l’exécution du contrat de travail ne [rendait] pas irrecevable une demande portant sur des faits survenus pendant la période d’exécution du contrat de travail postérieure à la transaction et dont le fondement est né postérieurement à la transaction » (Cass. soc. 16 oct. 2019, n°18-18.287).

Dans un arrêt du 28 novembre 2006, la Chambre sociale a encore admis, s’agissant d’une transaction qui avait pour objet le règlement des conséquences d’un licenciement économique que le droit de lever l’option de souscription d’actions qui avait été réservé aux seules personnes ayant la qualité de salarié au moment de l’opération se rattachait bien à l’exécution du contrat de travail et était, comme tel, soumis au champ d’application de la transaction (Cass. soc. 28 nov. 2006, n°05-41.684).

B) Les conditions de forme

1. Exigence d’un écrit

Une disposition est consacrée dans le code civil au formalisme de la transaction. L’article 2044 prévoit, en effet, que « ce contrat doit être rédigé par écrit. »

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si cet écrit est exigé ad validitatem ou seulement ad probationem.

Parce que la transaction est un contrat consensuel, il a très tôt été admis que l’établissement d’un écrit n’était, en aucune façon, une condition de validité de la transaction (Cass. req., 2 août 1927).

Dans un arrêt du 18 mars 1986, la Cour de cassation a notamment affirmé que « l’écrit prévu par l’article 2044 du Code civil n’est pas exigé pour la validité du contrat de transaction dont l’existence peut être établie selon les modes de preuve prévus en matière de contrats par les articles 1341 et suivants du Code civil ».

Ainsi, l’exigence d’écrit formulée à l’article 2044 du Code civil est seulement une règle de preuve et non une règle de fond.

Cette solution a été réitérée récemment par la Deuxième chambre civile dans un arrêt du 21 janvier 2021 aux termes duquel elle a affirmé que « l’écrit prévu par l’article 2044 du Code civil n’étant pas exigé pour la validité du contrat de transaction, mais seulement à des fins probatoires » (Cass. 2e civ., 21 janv. 2021, n°19-20.724).

La conséquence en est que l’absence d’écrit au sens de l’article 1364 du Code civil n’entachera pas la transaction de nullité. Celle-ci pourra par exemple se déduire d’un échange de lettres missives (Cass. 1ère civ., 18 févr. 2015, n° 13-27.465).

En revanche, la conclusion d’une transaction ne pourra pas se déduire du comportement des parties, de sorte qu’elle ne pourra pas être présumée.

2. Preuve de la transaction

Si la validité d’une transaction n’est pas subordonnée à l’établissement d’un écrit, l’écrit n’en est pas moins exigé à titre de preuve.

Aussi, la transaction est-elle soumise aux règles générales de preuve applicables aux actes juridiques.

À cet égard, il y a lieu de distinguer selon que la transaction présente un caractère civil ou commercial, les règles d’admissibilité des modes de preuve n’étant pas les mêmes dans l’un ou l’autre cas.

2.1 La transaction présente un caractère civil

Bien que pour les actes juridiques, l’exigence de preuve littérale vaille tant s’agissant d’établir l’existence de l’acte que son contenu, la jurisprudence a apporté une dérogation à cette règle pour les transactions.

a. Preuve de l’existence de la transaction

a.1. Principe

L’article 1359 du Code civil prévoit que « l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique. »

Il ressort de cette disposition que la preuve d’un acte juridique suppose nécessairement la production d’un écrit.

Lorsqu’il s’agit d’établir l’existence d’une transaction, la production d’un écrit est exigée quel que soit le montant de l’objet de cette dernière, l’article 2044 du Code civil ne reprenant pas l’exigence de seuil énoncé par l’article 1359 (1500 euros).

La jurisprudence en a déduit qu’il était indifférent que la transaction porte sur un montant supérieur ou inférieur à ce seuil (V. en ce sens Cass. civ. 9 juin 1947).

Aussi, l’existence d’une transaction ne peut être prouvée, en toute hypothèse, qu’au moyen d’une preuve littérale.

Cette exigence n’est toutefois pas absolue. Le législateur a prévu des dérogations à l’exigence de preuve littérale.

a.2. Dérogations

Si l’existence d’une transaction ne peut, en principe, être prouvée qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit

i. L’impossibilité de se procurer un écrit

L’article 1360 du Code civil prévoit que l’exigence de production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique reçoit « exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Lorsque cette impossibilité de se procurer un écrit est établie, la partie qui se prévaut de la transaction litigieuse serait admise à faire la preuve de son existence par tous moyens de preuve.

À cet égard, il pourra s’agir d’une impossibilité de rédiger un écrit résultant d’un empêchement moral ou matériel survenu au moment de la conclusion de la transaction.

Mais il pourra également s’agir d’une impossibilité de produire un écrit au cours de l’instance en raison de la survenance d’un cas de force de force majeure.

Dans les deux cas, la partie qui se prévaut de l’impossibilité de se procurer un écrit devra démontrer que les conditions énoncées par l’article 1360 du Code civil sont remplies.

ii. Le recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

🡺S’agissant du commencement preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Par commencement de preuve par écrit il faut entendre, selon la définition qui en est donnée par l’article 1362 du Code civil, « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il ressort de cette disposition, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

L’alinéa 2 de l’article 1362 du Code civil précise, par ailleurs, que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Une fois la condition tenant à la production d’un commencement de preuve par écrit remplie, pour que celui-ci soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Dans un arrêt du 6 février 1973, la Cour de cassation a jugé en ce sens, s’agissant de la preuve d’une transaction, que, en ce que « la transaction est un contrat et est, à ce titre, soumise aux règles édictées par l’article 1347 du code civil, que la preuve peut en être rapportée par témoins ou présomptions lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit » (Cass. 3e civ. 6 févr. 1973, n°71-12.511).

De façon plus générale, les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il présente un caractère extrinsèque.

Autrement dit, il doit s’agit d’un élément de preuve qui n’émane pas de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit.

🡺S’agissant des modes de preuve parfaits

En application de l’article 1361 du Code civil, il peut être suppléé à l’écrit :

  • Soit par l’aveu judiciaire
  • Soit par le serment décisoire

Ces deux moyens de preuve appartiennent à la catégorie des modes de preuve parfaits.

Aussi, présentent-ils une double spécificité :

  • En premier lieu, ils sont admis en toutes matières, soit pour faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques peu importe le montant de ces deniers
  • En second lieu, ils s’imposent au juge en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonnera à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

En l’absence d’écrit pour faire la preuve d’une transaction, les plaideurs ont ainsi la faculté de recourir à un mode de preuve parfait, étant précisé qu’il n’existe aucune hiérarchie entre ces derniers (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 28 janv. 1981, 79-17.501).

Sous réserve que les conditions d’admission du mode de preuve parfait soient réunies, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve de l’acte juridique litigieux soit rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

b. Preuve du contenu de la transaction

L’exigence de preuve littérale vaut en principe, tant s’agissant d’établir l’existence de l’acte, que son contenu.

Bien que de portée générale, cette règle a fait l’objet d’un assouplissement par la jurisprudence en matière de transaction.

La Cour de cassation admet, en effet, que la preuve du contenu d’une transaction est libre (V. en ce sens Cass. soc. 22 juin 1960).

2.2 La transaction présente un caractère commercial

Bien que l’article 2044 du Code civil exige l’établissement d’un écrit pour faire la preuve d’une transaction, il est admis que cette règle ne joue pas en matière commerciale V. en ce sens Cass. civ. 26 déc. 1950).

Aussi, est-ce, dans cette matière, l’article L. 110-3 du Code de commerce qui s’applique.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi ».

Ainsi, en matière commerciale, la preuve est libre, de sorte qu’une transaction pourrait être prouvée par présomptions ou par témoins.

Pour que la preuve soit libre encore faut-il que deux conditions cumulatives soient remplies :

  • Première condition
    • La transaction litigieuse doit présenter un caractère commercial.
    • Pour mémoire, il existe trois sortes d’actes de commerce :
      • Les actes de commerce par nature, soit ceux portant sur les opérations visées aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce et qui, pour présenter un caractère commercial, doivent nécessairement être accomplis de façon répétée et à des fins spéculatives
      • Les actes de commerce par la forme, soit ceux dont la commercialité ne dépend ni de la qualité de la personne qui les accomplit, ni de leur finalité ou de leur répétition
      • Les actes de commerce par accessoire, soit ceux, quelle que soit leur nature, dont l’accomplissement se rattache à une opération commerciale principale.
  • Seconde condition
    • Pour que le plaideur auquel il appartient de prouver la transaction ne soit pas soumis à l’exigence d’écrit, le défendeur doit endosser la qualité de commerçant.
    • En effet, si l’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que les actes de commerce peuvent être prouvés par tous moyens, le texte précise que la règle ne joue que pour les seuls actes accomplis « à l’égard des commerçants ».
    • Aussi, dans l’hypothèse où le défendeur n’endosserait pas la qualité de commerçant, la preuve de la transaction requerra la production d’un écrit, à tout le moins pour le demandeur.
    • On parlera alors d’acte de mixte.
    • Un acte est dit mixte, lorsqu’il présente un caractère commercial à l’égard d’une partie et un caractère civil à l’égard de l’autre partie.
    • Dans cette hypothèse, le régime probatoire applicable est asymétrique :

III) Les effets de la transaction

La transaction présente, pour mémoire, une double dimension :

  • Une dimension contractuelle, en ce que sa formation procède d’un échange des volontés entre les parties
  • Une dimension juridictionnelle, en ce qu’elle est admise au rang des modes alternatifs de règlement des litiges

Aussi, les effets de la transaction se rapportent à chacune de ces deux dimensions.

A) Les effets attachés à la dimension contractuelle de la transaction

1. Les effets entre les parties

1.1 La force obligatoire de la transaction

a. La force obligatoire à l’égard des parties

i. Le principe de force obligatoire de la transaction

🡺Énoncé du principe

Parce que la transaction est un contrat elle est pourvue de ce que l’on appelle la force obligatoire.

Cet effet que l’on reconnaît à tout contrat est énoncé à l’article 1103 du Code civil qui prévoit que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

Que doit-on par cette formule directement issue de l’ancien article 1134 ?

Il faut comprendre cette disposition comme posant la règle fondamentale selon laquelle, dès lors que le contrat est valablement conclu, il est créateur de normes.

Or la principale caractéristique d’une norme est qu’elle est obligatoire, de sorte qu’elle prescrit aux parties l’adoption d’une certaine conduite sous peine de sanctions.

Parce que la transaction est pourvue de la force obligatoire, elle s’impose donc aux parties qui n’ont d’autre choix que de l’exécuter et notamment de tenir leurs engagements s’agissant des concessions consenties l’une à l’autre.

À défaut, le créancier de l’engagement qui n’aurait pas été exécuté est fondé à saisir le juge afin, d’une part, qu’il constate l’inexécution et, d’autre part, qu’il commande au débiteur de s’exécuter, si besoin sous la contrainte.

🡺Modification / révocation

Autre conséquence de la force obligatoire d’une transaction, sa modification ou sa révocation requièrent l’accord de toutes les parties.

L’article 1193 du Code civil prévoit en ce sens que « les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise. »

Lorsqu’ainsi une partie souhaite réviser ou mettre fin à la transaction conclue, elle ne peut le faire qu’en accord avec l’autre partie.

Dès lors que les deux parties sont consentantes, il est en revanche admis, soit qu’il soit procédé à la révocation conjointe de la transaction (Cass. civ., 26 févr. 1884), soit qu’un nouvel accord transactionnel se substitue à la transaction anciennement conclue (Cass. 2e civ. 14 févr. 1974).

À cet égard, en cas d’accord des parties sur le principe d’une révision de la transaction, elles devront le faire en observant l’exigence de forme énoncée à l’article 2044 du Code civil, lequel requiert l’établissement d’un écrit.

Cet écrit n’est certes pas reconnu comme une condition de validité de la modification de la transaction ; il est toutefois exigé à titre de preuve.

S’agissant de la renonciation à une transaction, la Cour de cassation a jugé qu’elle pouvait se déduire de la poursuite du procès en cours par les parties (Cass. civ. 27 juin 1888).

ii. Les sanctions de l’inexécution de la transaction

Parce que le contrat est pourvu de la force obligatoire qui, en application de l’article 1103 du Code civil, lui est conférée par la loi, il a vocation à être exécuté.

Reste que cette exécution ne saurait dépendre de la seule volonté des parties, ne serait-ce que parce que, de bonne foi ou de mauvaise foi, ces dernières sont susceptibles d’être défaillantes.

Aussi, afin de contraindre les parties à satisfaire à leurs obligations le législateur, secondé par la jurisprudence, a-t-il prévu un certain nombre de sanctions, lesquelles sanctions vont de l’exécution forcée à la résolution du contrat, en passant par l’octroi de dommages et intérêts.

Au fond, ces sanctions visent à assurer l’efficacité des conventions et à en garantir la bonne exécution.

À cet égard, l’article 1217, al. 1er du Code civil dispose que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

  • Soit refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
  • Soit la poursuite de l’exécution forcée en nature
  • Soit obtenir une réduction du prix ;
  • Soit provoquer la résolution du contrat ;
  • Soit demander réparation des conséquences de l’inexécution.

L’ensemble de ces sanctions sont a priori susceptibles d’être mises en œuvre en cas d’inexécution d’une transaction ; raison pour laquelle il y a lieu d’envisager chacune d’elles individuellement.

🡺S’agissant de l’exception d’inexécution

L’exception d’inexécution, ou « exceptio non adimpleti contractus », est définie classiquement comme le droit, pour une partie, de suspendre l’exécution de ses obligations tant que son cocontractant n’a pas exécuté les siennes.

Il ressort des articles 1219 et 1220 du Code civil que cette exception d’inexécution peut être exercée :

  • Soit consécutivement à une inexécution avérée
  • Soit par anticipation d’une inexécution à venir

Appliquée à la transaction, cette règle autorise donc une partie à ne pas exécuter ses engagements en cas d’inexécution par son cocontractant de ses propres obligations.

Lorsque les conditions de l’exception d’inexécution sont remplies, le contrat n’est nullement anéanti : l’exigibilité des obligations de l’excipiens est seulement suspendue temporairement, étant précisé que cette suspension est unilatérale.

Dès lors que le débiteur aura régularisé sa situation, il incombera au créancier de lever la suspension exercée et d’exécuter ses obligations.

En tout état de cause, l’exercice de l’exception d’inexécution n’autorise pas le créancier à rompre le contrat (V. en ce sens Cass. com. 1er déc. 1992, n° 91-10930).

Pour sortir de la relation contractuelle, il n’aura d’autre choix que de solliciter la résolution du contrat, selon l’une des modalités énoncées à l’article 1224 du Code civil.

En l’absence de réaction du débiteur, le créancier peut également saisir le juge aux fins de solliciter l’exécution forcée du contrat.

À l’inverse, dès lors que l’exercice de l’exception d’inexécution est justifié, le débiteur est irrecevable à solliciter l’exécution forcée du contrat ou sa résolution. Le créancier est par ailleurs à l’abri d’une condamnation au paiement de dommages et intérêts.

🡺S’agissant de la poursuite de l’exécution forcée de la transaction en nature

Parce que les contrats sont pourvus de la force obligatoire (art. 1103 C. civ), lorsqu’une partie, qui s’est engagée à fournir une prestation ou une chose, ne s’exécute pas, elle devrait, en toute logique, pouvoir y être contrainte. C’est la raison pour laquelle la loi le lui permet.

Cette possibilité, pour le créancier, de contraindre le débiteur défaillant à honorer ses obligations vise à obtenir ce que l’on appelle l’exécution forcée.

Pratiquement, l’exécution forcée peut prendre deux formes :

  • Elle peut avoir lieu en nature : le débiteur est contraint de fournir ce à quoi il s’est engagé
  • Elle peut avoir lieu par équivalent : le débiteur verse au créancier une somme d’argent qui correspond à la valeur de la prestation promise initialement

Tandis que les rédacteurs du Code civil avaient fait de l’exécution par équivalent le principe, pour les obligations de faire et de ne pas faire, l’ordonnance du 10 février 2016 a inversé ce principe en généralisant l’exécution forcée en nature dont le recours n’est plus limité, en simplifiant à l’extrême, aux obligations de donner.

Aussi, l’article 1221 du Code civil dispose désormais que le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature.

Ainsi, ce texte rompt avec la lettre de l’ancien article 1142 du code civil, dont la Cour de cassation avait déjà retenu une interprétation contraire au texte et qui était également contredit par la procédure d’injonction de faire prévue par les articles 1425-1 à 1425-9 du code de procédure civile.

Le principe est donc dorénavant inversé. Il est indifférent que l’engagement souscrit consiste en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire, le créancier est fondé, par principe, à solliciter l’exécution forcée en nature de son débiteur, sauf à ce que :

  • Soit l’exécution est impossible
  • Soit il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier.

À cet égard, le créancier dispose toujours d’une alternative prévue à l’article 1222 du Code civil qui consiste, « au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire ».

🡺S’agissant de l’obtention d’une réduction du prix

Issu de la réforme du droit des obligations, l’article 1223 du Code civil dispose que « en cas d’exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en demeure et s’il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d’en réduire de manière proportionnelle le prix ».

Ainsi, au nombre des sanctions susceptibles d’être invoquées par le créancier en cas de défaillance du débiteur, figure la faculté de solliciter la réduction du prix initialement convenu dans la transaction.

Il s’agit là d’une sanction intermédiaire entre l’exception d’inexécution et la résolution, qui permet de procéder à une révision du contrat à hauteur de ce à quoi il a réellement été exécuté en lieu et place de ce qui était contractuellement prévu.

En somme, l’article 1223 du Code civil offre la possibilité au créancier d’une obligation imparfaitement exécutée d’accepter cette réduction sans devoir saisir le juge en diminution du prix. C’est là la véritable nouveauté introduite par l’ordonnance du 10 février 2016.

Il peut être observé que les conditions de mise en œuvre de cette sanction diffèrent selon que la réduction du prix intervient :

  • Avant le paiement du prix (art. 1223, al. 1er c. civ.)
    • Le créancier de l’obligation imparfaitement exécutée qui n’aurait pas encore payé de tout ou partie du prix doit notamment notifier au débiteur sa décision unilatérale de réduire le prix proportionnellement à l’inexécution constatée, dans les meilleurs délais.
  • Après le paiement du prix (art. 1223, al. 2e civ.)
    • Le créancier de la prestation qui aurait déjà payé l’intégralité du prix ne pourra que demander au juge d’ordonner au débiteur un remboursement des sommes versées proportionnel à l’inexécution constatée.

🡺S’agissant de la résolution de la transaction

La résolution est classiquement définie comme l’anéantissement rétroactif d’un contrat en réaction à l’inexécution d’une obligation. En ce qu’elle a pour effet de rompre le lien contractuel, la résolution est la plus radicale des sanctions de l’inexécution.

Elle est envisagée aux articles 1224 à 1230 du Code civil qui instaurent un dispositif articulé autour des trois modes de résolution du contrat que sont :

  • La clause résolutoire
  • La résolution unilatérale
  • La résolution judiciaire

Selon le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016, il est apparu essentiel de traiter de la résolution du contrat parmi les différents remèdes à l’inexécution, et non pas seulement à l’occasion des articles relatifs à la condition résolutoire qui serait toujours sous-entendue dans les contrats selon l’ancien article 1184.

Ainsi l’article 1224 énonce les trois modes de résolution du contrat précités, la résolution unilatérale et la résolution judiciaire étant soumises à une condition de gravité suffisante de l’inexécution, par opposition à la clause résolutoire dont l’effet est automatique dès lors que les conditions prévues au contrat sont réunies.

Surtout, fait marquant de la réforme, l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit la résolution unilatérale du contrat, alors qu’elle n’était admise jusqu’alors par la Cour de cassation que comme une exception à notre traditionnelle résolution judiciaire.

Aussi, dans les textes, le contractant, victime d’une inexécution suffisamment grave, a désormais de plusieurs options :

  • Soit il peut demander la résolution du contrat au juge
  • Soit il peut la notifier au débiteur sa décision de mettre fin au contrat
  • Soit il peut se prévaloir de la clause résolutoire si elle est stipulée dans le contrat

La résolution unilatérale est donc érigée au rang de principe concurrent de la résolution judiciaire ou de la clause résolutoire.

Néanmoins, son régime est plus rigoureusement encadré qu’en droit positif, puisque le créancier qui choisit la voie de la résolution unilatérale est tenu de mettre en demeure son débiteur de s’exécuter, et si celle-ci est infructueuse, d’une obligation de motivation (article 1226).

En outre, il semble résulter de l’article 1228 que le juge peut, si la résolution unilatérale est infondée, ordonner la poursuite de l’exécution du contrat.

Sous l’empire du droit antérieur, l’application de la résolution à la transaction a fait l’objet d’un vif débat en doctrine.

Certains auteurs estimaient, que le caractère juridictionnel de la transaction faisait obstacle à la résolution. Pour eux, en effet, dans la mesure où la transaction a pour finalité de mettre fin à un litige, admettre qu’elle puisse être anéantie rétroactivement reviendrait à contrevenir à la volonté des parties.

Cette thèse n’a toutefois pas prospéré, de sorte qu’une transaction peut parfaitement faire l’objet d’une résolution en cas d’inexécution d’une ou plusieurs obligations.

L’inexécution soulevée doit toutefois présenter un certain niveau de gravité (V. en ce sens Cass. soc. 7 juin 1989, n°86-43-012).

Afin de prévenir un débat judiciaire sur la notion « d’inexécution suffisamment grave », les parties peuvent stipuler dans la transaction une clause résolutoire.

La stipulation d’une telle clause présente un triple intérêt :

  • Premier intérêt
    • La stipulation d’une clause résolutoire présente l’avantage, pour le créancier, de disposer d’un moyen de pression sur le débiteur.
    • Un cas d’inexécution de l’une de ses obligations visées par la clause, il s’expose à la résolution de la transaction.
    • La stipulation d’une clause résolutoire apparaît ainsi comme un excellent moyen de garantir l’efficacité du contrat.
    • Ajoutée à cela, cette clause ne fait nullement obstacle à la mise en œuvre des autres sanctions contractuelles qui restent à la disposition du créancier.
    • Rien n’empêche, en effet, ce dernier de solliciter l’exécution forcée de la transaction, de se prévaloir de l’exception d’inexécution ou de saisir le juge aux fins d’obtenir la résolution judiciaire.
    • La liberté du créancier quant au choix des sanctions demeure la plus totale, nonobstant la stipulation d’une clause résolutoire.
  • Deuxième intérêt
    • Tout d’abord, la mise en œuvre de la clause résolutoire n’est pas subordonnée à la démonstration « d’une inexécution suffisamment grave » du contrat.
    • Dès lors qu’un manquement contractuel est visé par la clause résolutoire, le créancier est fondé à mettre automatiquement fin au contrat, peu importe la gravité du manquement dénoncé.
    • Mieux, dans un arrêt du 24 septembre 2003, la Cour de cassation a jugé que la bonne foi du débiteur « est sans incidence sur l’acquisition de la clause résolutoire » (Cass. 3e civ. 24 sept. 2003).
    • À l’examen, seuls comptent les termes de la clause qui doivent être suffisamment précis pour couvrir le manquement contractuel dont se prévaut le créancier pour engager la résolution du contrat.
  • Troisième intérêt
    • La clause résolutoire a pour effet de limiter les pouvoirs du juge dont l’appréciation se limite au contrôle des conditions de mise en œuvre de la clause (Cass. com. 14 déc. 2004, n°03-14380).
    • Lorsque la résolution est judiciaire ou unilatérale, il appartient au juge d’apprécier la gravité de l’inexécution contractuelle.
    • Tel n’est pas le cas lorsqu’une clause résolutoire est stipulée, ce qui n’est pas sans protéger les parties de l’ingérence du juge.
    • La stipulation d’une clause résolutoire est ainsi source de sécurité contractuelle.
    • D’où l’enjeu de la rédaction de la clause qui doit être suffisamment large et précise pour rendre compte de l’intention des parties et plus précisément leur permettre de mettre fin au contrat chaque fois que le manquement contractuel en cause le justifie.

🡺S’agissant de la réparation des conséquences de l’inexécution

L’article 1231-1 du Code civil dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »

Il ressort de cette disposition que, en cas de manquement par une partie à une ou plusieurs de ses obligations, le cocontractant peut solliciter l’octroi de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Le préjudice réparable ne peut toutefois être que celui qui était prévisible au moment de la conclusion de la transaction.

L’article 1231-3 du Code civil prévoit en ce sens que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive. »

Pour être réparable, le préjudice qui résulte d’une inexécution contractuelle doit ainsi être prévisible, soit avoir été envisagé contractuellement par les parties.

Lorsque, toutefois, une faute lourde ou dolosive est susceptible d’être reprochée au débiteur, le son cocontractant sera fondé à réclamer une réparation intégrale de son préjudice, soit au-delà de ce qui avait été prévu au contrat.

S’agissant de la stipulation d’une clause pénale dans une transaction, elle est admise nonobstant l’abrogation de l’ancien article 2047 du Code civil qui prévoyait que « on peut ajouter à une transaction la stipulation d’une peine contre celui qui manquera de l’exécuter. »

Le législateur a jugé cette disposition surabondante compte tenu de ce que la liberté contractuelle dont jouissent les parties à un contrat suffit, à elle seule, à fonder le droit de stipuler une clause pénale dans une transaction.

Ainsi, l’article 1231-5 du Code civil est-il pleinement applicable à la transaction. Pour mémoire, cette disposition prévoit que « lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre. »

Il s’infère de ce texte que la clause pénale présente un caractère forfaitaire, en ce sens que, en cas d’inexécution contractuelle, elle fera office d’indemnité de réparation indépendamment du montant du préjudice subi par le créancier.

L’enjeu pour les parties sera alors de fixer un montant de la clause pénale qui, d’une part, ne risque pas d’être révisé par le juge, parce qu’excessif, d’autre part, qui soit suffisamment élevé pour correspondre au préjudice qu’elle vise à réparer.

En tout état de cause, l’inexécution donnant lieu à la mise en œuvre de la clause pénale doit avoir été définie contractuellement pas les parties.

Autrement dit, il doit avoir été prévu, dans le contrat, le fait générateur qui ouvrira le droit au paiement de pénalités.

À cet égard, il est indifférent que l’inexécution sanctionnée porte ou non sur une obligation essentielle : ce qui importe c’est que l’obligation en cause soit expressément visée par la clause pénale.

En cas de survenance d’une cause étrangère ayant pour effet d’empêcher le débiteur d’exécuter son obligation, la jurisprudence admet que le jeu de la clause pénale est neutralisé, sauf stipulation contraire (V. en ce sens Cass. req. 3 déc. 1890)

Ainsi, pour que les pénalités soient dues, l’inexécution contractuelle doit être imputable au débiteur.

Enfin, il convient d’observer que l’inexécution du contrat est une condition suffisante à la mise en œuvre de la clause pénale. Des pénalités pourront, dans ces conditions, être dues au créancier même en l’absence de préjudice (V. en ce sens Cass. 3e civ., 12 janv. 1994, no 91-19540).

C’est là tout l’intérêt de la clause pénale, elle ne remplit pas seulement une fonction réparatrice : elle vise également à sanctionner une inexécution contractuelle.

1.2 La force exécutoire de la transaction

Si les modalités de formalisation d’une transaction sont a priori sans incidence sur sa validité ; il n’en va pas de même pour la force exécutoire susceptible de lui être attachée.

Car en effet, selon que la transaction est conclue par voie d’acte sous signature privée ou par voie d’acte notarié, les conditions de reconnaissance de cette force obligatoire diffèrent.

a. La transaction conclue par voie d’acte sous signature privée

Afin de déterminer les conditions dans lesquelles une transaction conclue par voie d’acte sous signature privée est susceptible d’être pourvue de la force exécutoire, il y a lieu de distinguer selon qu’elle intervient ou non dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends.

a.1. La transaction est conclue dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends

Il est des cas où la transaction sera conclue consécutivement à la mise en œuvre d’une procédure de résolution amiable des différends au nombre desquels figurent :

  • La procédure de médiation
  • La procédure de conciliation
  • La procédure participative

Dans le cadre de ces procédures, deux options s’offrent aux parties pour conférer à la transaction en résultant une force exécutoire :

  • Saisir le juge aux fins d’homologation de la transaction
  • Faire contresigner la transaction par les avocats en présence

i. L’homologation judiciaire

🡺Principe

L’article 1565 du CPC prévoit donc que « l’accord auquel sont parvenues les parties à une médiation, une conciliation ou une procédure participative peut être soumis, aux fins de le rendre exécutoire, à l’homologation du juge compétent pour connaître du contentieux dans la matière considérée. »

Lorsqu’ainsi des parties ont emprunté la voie de la résolution amiable de leur différend en se soumettant à une procédure de médiation, de conciliation ou à une procédure participative et que leur démarche aboutit à la conclusion d’une transaction, elles peuvent solliciter son homologation en justice.

À cet égard, l’homologation de la transaction par un juge a pour effet, dit le texte, de la rendre exécutoire. Une fois homologuée, elle pourra dès lors donner lieu à la mise en œuvre de mesures d’exécution forcée par un commissaire de justice.

🡺Procédure

S’agissant de la procédure d’homologation judiciaire, elle est régie aux articles 1565 à 1566 du CPC.

  • Compétence
    • Le juge compétent pour homologuer une transaction est, selon l’article 1565 du CPC, celui-là même qui est compétent « pour connaître du contentieux dans la matière considérée. »
  • Saisine du juge
    • L’article 1567, al. 2e du CPC prévoit que le juge peut être saisi par la partie la plus diligente ou l’ensemble des parties à la transaction.
    • En tout état de cause, la saisine s’opère nécessairement au moyen d’une requête qui est présentée au juge sans débat.
    • Pour mémoire, la requête est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.
    • À la différence de l’assignation, la requête est donc adressée, non pas à la partie adverse, mais à la juridiction auprès de laquelle est formulée la demande en justice.
    • Reste qu’elle produit le même effet, en ce qu’elle est un acte introductif d’instance.
    • L’article 1566 du CPC précise que le juge peut entendre les parties s’il l’estime nécessaire.
  • Pouvoirs du juge
    • L’article 1565 du CPC prévoit que « le juge à qui est soumis l’accord ne peut en modifier les termes. »
    • Ainsi, est-il fait interdiction au juge de modifier la transaction qui lui est soumise.
    • Son pouvoir se limite à soit homologuer la transaction, soit à rejeter la demande d’homologation qui lui est adressée, s’il considère que l’accord conclu entre les parties ne répond pas aux exigences légales.
  • Décision du juge
    • Le juge dispose donc de deux options :
      • Première option : le juge accès à la demande d’homologation de la transaction
        • Dans cette hypothèse, le juge rend une ordonnance d’homologation qui confère à la transaction une force exécutoire.
        • L’article 1566, al. 2e du CPC précise toutefois que « s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu la décision. »
        • Cela signifie que dans l’hypothèse où la transaction porterait atteinte aux droits de tiers, ils disposent d’un recours aux fins d’obtenir la rétractation de l’ordonnance d’homologation rendue par le juge.
      • Seconde option : le juge rejette la demande d’homologation de la transaction
        • Le juge peut refuser d’homologuer la transaction qui lui est soumise s’il estime qu’elle ne répond pas aux exigences légales ou qu’elle porte atteinte à l’ordre public.
        • En tout état de cause, dans cette hypothèse, la transaction demeurera dépourvue de toute force exécutoire.
        • L’article 1566, al. 3e du CPC précise que la décision qui refuse d’homologuer l’accord peut faire l’objet d’un appel.
        • Cet appel doit alors être formé par déclaration au greffe de la cour d’appel.
        • La Cour d’appel statuera selon la procédure gracieuse.

ii. La contresignature d’avocats

🡺Principe

Depuis l’adoption de la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, la saisine du juge aux fins d’homologation de la transaction conclue dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends n’est plus la seule voie possible pour lui conférer une force exécutoire.

Ce texte a, en effet, créé une nouvelle voie qui consiste pour les parties à faire contresigner la transaction par leurs avocats respectifs, ce qui lui confère la valeur de titre exécutoire.

L’article L. 111-3, 7° du Code des procédures civiles d’exécution prévoit en ce sens que « les transactions et les actes constatant un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente. »

Selon le législateur, l’objectif poursuivi par la création de ce nouveau titre exécutoire vise à favoriser le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges, en renforçant l’efficacité des accords conclus par les parties.

À cet égard, l’acte contresigné par les avocats de chacune des parties apporte un certain nombre de garanties quant à la réalité et à la régularité de l’accord auquel elles sont parvenues.

En effet, pour mémoire, l’article 1374 du Code civil prévoit que « l’acte sous signature privée contresigné par les avocats de chacune des parties ou par l’avocat de toutes les parties fait foi de l’écriture et de la signature des parties, tant à leur égard qu’à celui de leurs héritiers ou ayants cause ».

En apposant leur contresignature à l’acte, les avocats des parties confèrent ainsi une valeur probante à l’origine de l’accord. Plus précisément, en contresignant, ils attestent l’identité des parties dont ils sont les conseils ainsi que l’authenticité de leur écriture et de leur signature.

L’autre garantie apportée par la contresignature de l’acte par les avocats est qu’elle permet d’opérer une partie du contrôle formel qui est habituellement réalisé par le juge de l’homologation.

🡺Domaine

Pour qu’une transaction conclue dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends puisse se voir reconnaître la valeur de titre exécutoire en dehors de l’intervention du juge de l’homologation, elle doit avoir été contresignée, dit l’article L.111-3 du Code des procédures civiles d’exécution, par les avocats de chacune des parties.

Cela signifie donc que cette voie, qui permet de conférer à une transaction une force exécutoire sans qu’il soit besoin de saisir le juge, ne peut être empruntée que si toutes les parties sont représentées par un avocat.

Cette obligation, qui existe déjà par exemple dans le cadre du divorce par consentement mutuel sous signature privée prévu à l’article 229-1 du Code civil, est de nature à éviter tout conflit d’intérêts.

Aussi, dans l’hypothèse où les parties seraient représentées par un seul avocat, la contresignature ne conférera pas à l’acte la valeur de titre exécutoire.

Elles conservent toutefois la possibilité de recourir à l’homologation par le juge sur le fondement de l’article 1565 du CPC.

🡺Insuffisance de la contresignature d’avocats

S’il est désormais plus facile pour les parties de rendre exécutoire la transaction qu’elles ont conclue dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends, le caractère de titre exécutoire n’est pas conféré directement à l’acte contresigné par les avocats, mais nécessite, en outre, l’apposition de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente.

L’article L. 111-3, 7° du Code des procédures civiles d’exécution prévoit en ce sens que la transaction ne peut valoir titre exécutoire qu’à la double condition qu’elle soit :

  • D’une part, contresignée par les avocats de chacune des parties
  • D’autre part, revêtue de la formule exécutoire apposée par le greffe de la juridiction compétente

Il ressort des travaux parlementaires que cette intervention du greffe vise à écarter le risque d’inconstitutionnalité pesant sur un dispositif qui aurait placé l’avocat comme seul acteur du contrôle de l’acte.

En effet, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conditions dans lesquelles le législateur peut autoriser une personne morale de droit privé à délivrer des titres exécutoires.

Dans sa décision n°99-416 DC du 23 juillet 1999, le Conseil constitutionnel a notamment jugé que « si le législateur peut conférer un effet exécutoire à certains titres délivrés par des personnes morales de droit public et, le cas échéant, par des personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public, et permettre ainsi la mise en œuvre de mesures d’exécution forcée, il doit garantir au débiteur le droit à un recours effectif en ce qui concerne tant le bien-fondé desdits titres et l’obligation de payer que le déroulement de la procédure d’exécution forcée ».

Il ressort notamment de cette décision que si une personne de droit privé peut être habilitée par le législateur à émettre des titres exécutoires, c’est à la condition qu’elle soit chargée d’une mission de service public.

La question qui alors se pose est de savoir comment identifier une personne de droit privé chargé d’une mission de service public.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à un arrêt APREI rendu par le Conseil d’État le 22 février 2007, aux termes duquel il a été jugé qu’« une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public » (CE, 22 févr. 2007, n°26541).

À l’analyse, l’avocat contresignant un acte sous seing privé ne satisfait pas aux critères d’identification de la personne privée chargée d’une mission de service public énoncés dans cette décision.

D’une part, l’avocat n’exerce pas une mission de service public en tant que telle mais agit en tant que représentant de son client dont il cherche à préserver les intérêts.

La Cour de cassation a d’ailleurs qualifié l’avocat de « conseil représentant ou assistant l’une des parties en litige » et exclut de ce fait sa qualité de collaborateur occasionnel du service public de la justice (Cass. 1ère civ. 13 oct. 1998, n°96-13.862).

D’autre part, le critère du contrôle de l’administration ne saurait davantage être retenu à l’égard d’une profession libérale qui, contrairement aux notaires ou aux commissaires de justice dont certains actes ont valeur de titre exécutoire en application de l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution, sont des officiers publics ministériels.

C’est donc pour écarter le risque d’inconstitutionnalité d’un dispositif centré sur le seul acte contresigné par avocats qu’a été ajoutée la condition d’apposition par le greffe de la formule exécutoire.

🡺Procédure d’apposition de la formule exécutoire par le greffe

La procédure d’apposition de la formule exécutoire par le greffe sur un acte contresigné par des avocats est régie par les articles 1568 à 1571 du Code de procédure civile.

  • Auteur de la demande d’apposition de la formule exécutoire
    • L’article 1568 du CPC prévoit que la demande d’apposition de la formule exécutoire sur une transaction contresignée par des avocats peut être formulée par l’une ou l’autre partie.
  • Forme de la demande d’apposition de la formule exécutoire
    • La demande d’apposition de la formule exécutoire doit être formée par écrit et en double exemplaire, auprès du greffe de la juridiction du domicile du demandeur matériellement compétente pour connaître du contentieux de la matière dont relève l’accord.
  • Instruction de la demande d’apposition de la formule exécutoire
    • L’article 1568, al. 3e du CPC prévoit que le greffier n’appose la formule exécutoire qu’après avoir vérifié :
      • Sa compétence
      • La nature de l’acte qui lui est soumis
  • Communication et conservation de la décision du greffier
    • Le greffier accède à la demande d’apposition de la formule exécutoire
      • L’acte contresigné par avocats et revêtu de la formule exécutoire, est alors remis ou adressé au demandeur par lettre simple.
      • Le double de la demande ainsi que la copie de l’acte sont conservés au greffe.
    • Le greffier n’accède pas à la demande d’apposition de la formule exécutoire
      • La décision de refus du greffier d’apposer la formule exécutoire est notifiée par lettre simple au demandeur
      • Elle est conservée au greffe avec le double de la demande ainsi que la copie de l’acte
  • Contestation de l’apposition de la formule exécutoire
    • L’article 1570 du CPC prévoit que toute personne intéressée peut former une demande aux fins de suppression de la formule exécutoire devant la juridiction dont le greffe a apposé cette formule.
    • La demande est alors formée, instruite et jugée selon les règles de la procédure accélérée au fond.

a.2. La transaction est conclue en dehors d’une procédure de résolution amiable des différends

i. Principe : l’absence de force exécutoire

L’article 502 du Code de procédure civile prévoit que « nul jugement, nul acte ne peut être mis à exécution que sur présentation d’une expédition revêtue de la formule exécutoire, à moins que la loi n’en dispose autrement. »

Il ressort de cette disposition que pour que des obligations puissent faire l’objet d’une exécution forcée, l’acte constatant ces obligations doit revêtir ce que l’on appelle la « formule exécutoire ».

Cette formule est ce qui confère à l’acte ou à la décision de justice sur laquelle elle est apposée sa valeur de titre exécutoire.

À cet égard, conformément à l’article L. 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution, seul le créancier muni d’un tel titre peut poursuivre l’exécution forcée de sa créance sur les biens de son débiteur.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir comment se procurer un titre exécutoire.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution qui dresse une liste limitative des titres exécutoires. L’examen de cette liste révèle que les actes sous signature privée n’en font pas partie.

Il s’en déduit qu’une transaction conclue par voie d’acte sous signature privée est dépourvue de toute force exécutoire.

Autrement dit, en cas d’inexécution d’une obligation, le créancier n’aura d’autre choix que d’entreprendre des démarches auprès d’un juge aux fins d’obtenir un titre exécutoire.

La seule présentation d’un acte sous signature privée à un commissaire de justice, est donc impuissante à déclencher la mise en œuvre de mesures d’exécution forcée. Le commissaire de justice ne peut intervenir que s’il est en possession d’un titre exécutoire.

ii. Exception : l’homologation judiciaire

Si, par principe, une transaction conclue sous signature privée est dépourvue de toute force exécutoire, il est fait exception à la règle en cas d’homologation judiciaire de celle-ci.

En effet, l’article 1567, al. 1er du CPC prévoit que « les dispositions des articles 1565 et 1566 sont applicables à la transaction conclue sans qu’il ait été recouru à une médiation, une conciliation ou une procédure participative »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’une transaction a été conclue en dehors d’une procédure de résolution amiable des différends, la faculté est ouverte aux parties de saisir le juge aux fins de faire homologuer leur accord.

Cette possibilité d’homologation, qui n’est ouverte que pour les seules transactions, présente l’avantage pour les parties de conférer immédiatement à leur accord une force exécutoire sans qu’il leur soit besoin d’attendre la survenance d’une éventuelle inexécution, ce qui les contraindrait dès lors à devoir engager une procédure au fond.

La procédure d’homologation est quant à elle bien moins lourde et bien moins coûteuse à mettre en œuvre. Il s’agit en effet, comme vu précédemment, d’une procédure sur requête, soit une procédure non contradictoire.

S’agissant des dispositions encadrant la procédure d’homologation d’une transaction conclue en dehors d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, l’article 1567 du CPC renvoie aux articles 1565 à 1566 du même Code.

Aussi, se déroule-t-elle selon les mêmes règles procédurales que celles applicables à l’homologation judiciaire intervenant consécutivement à la mise en œuvre d’une procédure de résolution amiable des différends.

b. La transaction conclue par voie d’acte notarié

Une transaction peut être conclue par voie d’acte notarié, ce qui donc suppose l’intervention d’un notaire.

La particularité de l’acte notarié est qu’il est revêtu de la formule exécutoire ce qui présente l’immense avantage de conférer à l’accord constaté dans l’acte une force exécutoire.

L’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit en effet que les actes notariés revêtus de la formule exécutoire constituent des titres exécutoires.

Aussi, en cas d’inexécution de la transaction, la partie créancière de l’obligation inexécutée sera dispensée de saisir le juge de l’homologation.

Elle pourra, sans qu’il lui soit besoin d’accomplir aucune démarche auprès d’un juge ou du greffier, poursuivre, par l’entremise d’un commissaire de justice, l’exécution forcée de la transaction sur les biens de son débiteur

À cet égard, dans un arrêt du 21 octobre 2010, la Cour de cassation a précisé que « les dispositions de l’article 1441-4 du code de procédure civile [article 1567 aujourd’hui] ne font pas obstacle à ce qu’une transaction soit reçue par un notaire et que celui-ci lui confère force exécutoire » (Cass. 2e civ. 21 oct. 2010, n009-12.378).

2. Les effets à l’égard du juge

La force obligatoire attachée à la convention ne produit pas seulement des effets à l’égard des parties, elle a également des conséquences pour le juge qui tiennent :

  • d’une part, à l’interprétation de la transaction
  • d’autre part, à la révision de la transaction

🡺S’agissant de l’interprétation de la transaction

Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, l’article 2048 du Code civil prévoit que « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu. »

Il ressort de cette disposition que le juge a pour obligation d’interpréter de façon restrictive l’objet des transactions qui lui seraient déférées.

Selon cette approche, il y a lieu de considérer que la transaction ne règle que ce qui est expressément énoncé dans l’acte. Si dès lors un différend comporte plusieurs chefs, la transaction ne règle que ceux qu’elle vise spécifiquement.

S’agissant des autres chefs du litige qui ne seraient pas abordés dans la transaction, ils pourront dès lors être portés devant le juge.

Pour cette raison, lorsque des parties décident de transiger il leur faudra bien veiller, au stade de la rédaction, à énoncer dans l’acte l’ensemble des chefs de litige et plus généralement tout « ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».

Le principe d’interprétation restrictive des termes d’une transaction est toutefois assorti d’un tempérament énoncé à l’article 2049 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les transactions ne règlent que les différends qui s’y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l’on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé. »

Cette règle vise à autoriser le juge à aller au-delà de ce qui est énoncé dans la transaction lorsque les stipulations de l’acte sont obscures ou trop générales.

En cas de lacunes et de silence d’un contrat, il est, en effet, illusoire de rechercher la commune intention des parties qui, par définition, n’a probablement pas été exprimée par elles.

Aussi, le juge n’aura-t-il d’autre choix que d’adopter la méthode objective d’interprétation, soit pour combler le vide contractuel, de se rapporter à des valeurs extérieures à l’acte, telles que l’équité ou la bonne foi.

En somme, l’article 2049 autorise le juge à découvrir des obligations qui s’imposent aux parties alors mêmes qu’elles n’avaient pas été envisagées lors de la conclusion du contrat : c’est ce que l’on appelle le forçage du contrat.

🡺S’agissant de la révision de la transaction

Issu de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, l’article 1195 du Code civil prévoit que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant »

Il ressort de cette disposition que, dans l’hypothèse où l’équilibre d’un contrat se trouve considérablement bouleversé par une ou plusieurs circonstances indépendantes de la volonté des parties, alors celle qui subit un préjudice est fondée à réclamer une renégociation des termes de l’accord conclu.

À cet égard, l’alinéa 2 de l’article 1195 du Code civil précise que, « en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation ».

Le texte ajoute que « à défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Si donc le cocontractant de la partie pour laquelle le changement des circonstances économiques rend l’exécution de ses obligations excessivement onéreuses, refuse de renégocier le contrat en cours, elle s’expose à ce que le juge, soit en modifie les termes, soit y mette fin.

La question qui alors se pose est de savoir si ce dispositif s’applique à la transaction. L’interrogation est permise compte tenu de la dimension juridictionnelle de la transaction[8].

Bien que, pour l’heure, la Cour de cassation ne se soit pas encore prononcée sur cette question, la doctrine est plutôt favorable à l’application de la théorie de l’imprévision à la transaction. Nous nous rangeons derrière cette opinion.

Aussi, n’est-il pas exclu qu’une partie puisse solliciter la renégociation d’une transaction dans l’hypothèse où son exécution serait devenue trop onéreuse pour cette dernière.

L’article 1195 du Code civil est toutefois une disposition supplétive. Afin d’écarter toute faculté de renégociation de la transaction conclue, les parties sont donc libres d’écarter le jeu de la théorie de l’imprévision.

3. Les effets à l’égard des tiers

a. L’effet relatif de la transaction

Parce que la transaction est un contrat, elle est soumise au principe général de l’effet relatif.

Ce principe est énoncé à l’article 1199 du Code civil qui prévoit que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. ».

Il ressort de cette disposition que nul ne peut devenir créancier ou débiteur d’une obligation s’il n’est pas partie au contrat.

Le principe de l’effet relatif, qui était perçu comme une évidence par les rédacteurs du Code civil dans la lignée de Pothier, n’est autre que la conséquence du principe de l’autonomie de la volonté couplé à la liberté contractuelle.

Le tiers qui, par définition, n’a pas consenti à l’acte ne saurait se voir imposer des obligations ou en bénéficier.

Le principe de l’effet relatif est rappelé pour la transaction à l’article 2051 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la transaction faite par l’un des intéressés ne lie point les autres intéressés et ne peut être opposée par eux. »

Une illustration de ce principe peut être trouvée dans un arrêt rendu le 17 décembre 1996 par la Cour de cassation.

Dans cette affaire, un syndicat de copropriété avait assigné un voisin de la résidence en démolition d’une construction ayant privé de la vue sur la mer certains copropriétaires de cette résidence.

Une transaction a alors été conclue entre le syndicat et le voisin stipulant le paiement au syndicat d’une indemnité contre renonciation à la demande de démolition.

Nonobstant la conclusion de cette transaction, un couple de propriétaires a engagé une action à l’encontre du voisin de la résidence visant à obtenir réparation de leur préjudice résultant de la perte de vue sur mer.

Par un arrêt du 14 février 1995, la Cour d’appel de Montpellier les déboute de leur demande au motif que l’indemnité versée au syndicat incluait la réparation du préjudice subi par ces copropriétaires et que l’autorité de la chose jugée s’attachant à la transaction ne les autorisait plus à engager une action personnelle contre le voisin signataire de cette transaction.

Par un arrêt du 17 décembre 1996, la Cour de cassation casse et annule la décision rendue par les juges du fond, considérant que dans la mesure où les demandeurs n’étaient pas partie à titre personnel à la transaction conclue avec le voisin de la résidence, elle n’avait produit aucun effet à leur encontre, ce, conformément au principe de l’effet relatif (Cass. 3e civ., 17 déc. 1996, n°95-13.903).

L’enseignement qu’il y a lieu de retirer de cette décision, c’est qu’une transaction ne saurait créer aucune obligation à l’encontre des tiers.

Si donc la conclusion d’une transaction ne saurait rendre des tiers, débiteurs d’une quelconque obligation à laquelle ils n’ont, par hypothèse, pas consenti, est-ce à dire qu’elle ne produit aucun effet à leur endroit ? C’est là toute la question de l’opposabilité de la transaction.

b. L’opposabilité de la transaction

Si, en application du principe de l’effet relatif, est admis que les tiers ne sauraient être obligés par une transaction, ni réclamer son exécution, elle leur est, en revanche, opposable.

L’article 1200 du Code civil prévoit, en effet, que :

  • D’une part, « les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat »
  • D’autre part, « ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait. »

Il ressort de cette disposition que, opposable aux tiers par les parties, la situation juridique née du contrat l’est aussi par les tiers aux parties.

b.1. L’opposabilité de la transaction aux tiers

🡺Principe général

L’article 1200, al. 1er énonce le principe selon lequel les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat

Cela signifie que les parties peuvent se prévaloir de la convention à l’encontre de personnes qui, par définition, ne l’ont pas conclue.

Dans un arrêt du 31 mars 2009, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si en principe les conventions n’ont d’effet qu’à l’égard des parties, elles constituent des faits juridiques dont peuvent être déduites des conséquences de droit à l’égard des tiers » (Cass. com., 31 mars 2009, n°08-15.655).

Aussi, une transaction existe à l’égard des tiers en tant que fait juridique opposable. Ils ne peuvent donc pas se comporter que si elle n’existait pas.

À cet égard, un tiers qui ferait obstacle à l’exécution d’une transaction engagerait sa responsabilité, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

🡺Cas particuliers

  • Opposabilité de la transaction à l’assureur
    • L’article L. 124-2 du Code des assurances prévoit que « l’assureur peut stipuler qu’aucune reconnaissance de responsabilité, aucune transaction, intervenues en dehors de lui, ne lui sont opposables. »
    • Cette disposition autorise ainsi l’assureur à stipuler dans la police qu’une transaction qui interviendrait entre l’assuré et la victime d’un dommage sans qu’il ait, au préalable, donné son accord, lui serait inopposable (V. en ce sens Cass. civ. 1ère 4 avr. 2001, n°98-11.841).
    • Dans un arrêt du 16 mars 2022, la Cour de cassation a précisé qu’il ne pouvait pas se déduire du fait qu’un assureur a été informé de l’existence de négociations entre l’assuré et la victime qu’il avait pris part à ces négociations (Cass. 1ère civ. 16 mars 2022, n°20-13.552).
  • Opposabilité de la transaction à la sécurité sociale
    • L’article L. 376-3 du Code de la sécurité sociale prévoit que « le règlement amiable pouvant intervenir entre le tiers et l’assuré ne peut être opposé à la caisse de sécurité sociale qu’autant que celle-ci a été invitée à y participer par lettre recommandée et ne devient définitif que quinze jours après l’envoi de cette lettre. »
    • Dans un arrêt du 16 décembre 1976, la Cour de cassation a précisé que le simple fait que la Sécurité sociale ait eu connaissance du règlement amiable entre l’assuré social et le responsable du dommage ne suffisait pas à rendre opposable à son endroit la transaction qui en résulterait.
    • Pour que cette transaction lui soit opposable, la sécurité sociale doit avoir été invitée à participer au règlement amiable dans les formes et délais prévus par l’article L. 376-3 du Code de la sécurité sociale (Cass. soc. 16 déc. 1976, n°75-15.133).
    • La Cour de cassation a statué dans le même sens dans un arrêt du rendu le 27 mars 2014.
    • Aux termes de cette décision, elle a censuré une Cour d’appel qui avait admis l’opposabilité d’une transaction à la sécurité sociale alors que cette dernière avait seulement été avisée de l’existence de négociations en cours. Elle n’avait en revanche, ni participé au règlement amiable ni été invitée à le faire par lettre recommandée, tel que prévu par la loi (Cass. 2e civ. 27 mars 2014, n°13-10.059).

b.2. L’opposabilité de la transaction par les tiers

Dès lors qu’il est admis que la transaction est opposable aux tiers, il serait injuste de dénier une application de ce principe en sens inverse.

C’est la raison pour laquelle l’article 1200 du Code civil autorise les tiers à se prévaloir de l’acte conclu à l’encontre des parties.

L’exercice de cette prérogative conférée aux tiers se rencontrera dans deux situations distinctes :

  • Afin de rapporter la preuve d’un fait
  • Afin d’engager la responsabilité des parties

i. L’invocation de l’acte aux fins de rapporter la preuve d’un fait

L’invocation du contrat contre une partie par un tiers afin de rapporter la preuve d’un fait est expressément envisagée par l’article 1200 du Code civil. La Cour de cassation avait notamment exprimé cette règle dans un arrêt du 22 octobre 1991.

Dans cette décision elle considère que « s’ils ne peuvent être constitués ni débiteurs ni créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat » (Cass. com. 22 oct. 1991, n°89-20.490).

Cette règle est parfaitement applicable à la transaction.

Dans un arrêt du 14 mai 2008, la Cour de cassation a, par exemple jugé que « si l’effet relatif des contrats interdit aux tiers de se prévaloir de l’autorité d’une transaction à laquelle ils ne sont pas intervenus, ces mêmes tiers peuvent néanmoins invoquer la renonciation à un droit que renferme cette transaction » (Cass. soc., 14 mai 2008, n° 07-40.946 à 07-41.061)

En défense, la partie contre qui l’acte est invoqué peut toutefois opposer au tiers sa nullité.

La Première chambre civile a affirmé en ce sens dans un arrêt du 21 février 1995 que « la victime d’un dol est en droit d’invoquer la nullité du contrat vicié contre le tiers qui se prévaut de celui-ci » (Cass. 1ère civ. 21 févr. 1995, n°92-17.814).

ii. L’invocation de l’acte aux fins d’engager la responsabilité des parties

En application de l’article 1200 du Code civil, l’opposabilité du contrat, en tant que situation de fait, induit la faculté pour les tiers, dans l’hypothèse de la méconnaissance de cette situation par ceux qui l’ont créée, d’en obtenir la sanction juridique en se plaçant sur le terrain délictuel.

Très tôt, la jurisprudence a ainsi admis que le tiers peut invoquer un contrat pour rechercher la responsabilité d’une partie, lorsqu’il subit un préjudice du fait de la mauvaise exécution du contrat.

Dans un arrêt du 22 juillet 1931, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si dans les rapports des parties entre elles, les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil ne peuvent en principe être invoquées pour le règlement de la faute commise dans l’exécution d’une obligation résultant d’un engagement contractuel, elles reprennent leur empire au regard des tiers étrangers au contrat » (Cass. civ. 22 juill. 1931)

Un tiers pourrait dès lors engager la responsabilité des parties à une transaction dans l’hypothèse où l’exécution de celle-ci lui causerait un préjudice.

À cet égard, si le bien-fondé de l’action en responsabilité délictuelle dont est titulaire le tiers à l’encontre de la partie au contrat auteur du dommage n’a jamais été discuté, il n’en a pas été de même pour ses conditions de mise en œuvre.

Un débat est né autour de la question de savoir si, en cas de préjudice occasionné aux tiers, la seule inexécution contractuelle suffisait à engager la responsabilité du contractant fautif où s’il fallait, en outre, que caractériser de manière distinction l’existence d’une faute délictuelle.

Ce débat a été tranché par l’assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt du 6 octobre 2006.

Aux termes de cette décision, elle a estimé que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Cass. ass. plén. 6 oct. 2006, n°05-13.255).

Ainsi, la seule inexécution contractuelle suffit, selon la Haute juridiction, à fonder l’action en responsabilité délictuelle engagée par le tiers victime à l’encontre du contractant fautif.

Nul n’est dès lors besoin de rapporter la preuve d’une faute délictuelle distincte de la faute contractuelle. Les deux fautes font ici l’objet d’une assimilation.

L’inexécution du contrat est, autrement dit, regardée comme une faute délictuelle, ce qui justifie que la responsabilité du contractant fautif puisse être recherchée.

La solution adoptée par l’assemblée plénière en 2006 a, par la suite, été confirmée à plusieurs reprises, tant par la première chambre civile (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 2007 ; Cass. 1ère civ. 30 sept. 2010, n°09-69.129), que par la chambre commerciale.

Dans un arrêt du 2 mars 2007, cette dernière a ainsi considéré que « le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Cass. com. 2 mars 2007, n°04-13.689).

Elle reprend ici mot pour mot la solution dégagée par l’assemblée plénière ce qui marque l’abandon de sa position antérieure.

La position de la Cour de cassation a, manifestement, été accueillie pour le moins froidement par une frange de la doctrine, certains auteurs estimant qu’elle était bien trop favorable aux tiers.

Cette solution leur permet, en effet, de s’émanciper de la rigueur contractuelle à laquelle se sont astreintes les parties notamment par le jeu des obligations de résultat ou des clauses limitatives de responsabilité.

Aussi, peut-on regretter que le législateur soit resté silencieux sur ce point. L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile laisse toutefois augurer une modification de ce point de droit.

Les auteurs de cet avant-projet envisagent d’introduire un nouvel article 1234 qui disposerait que :

  • « Lorsque l’inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, celui-ci ne peut demander réparation de ses conséquences au débiteur que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, à charge pour lui de rapporter la preuve de l’un des faits générateurs visés à la section II du chapitre II.
  • Toutefois, le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat peut également invoquer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables. Toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite. »

B) Les effets attachés à la dimension juridictionnelle de la transaction

En tant que contrat présentant un caractère juridictionnel, la transaction produit deux effets spécifiques :

  • Un effet extinctif
  • Un effet déclaratif

1. L’effet extinctif

a. Principe de l’effet extinctif

🡺Énoncé du principe de l’effet extinctif

On dit que la transaction produit un effet extinctif, parce qu’il est de son essence, comme suggéré par l’article 2044 du Code civil, de terminer une contestation née, ou prévenir une contestation à naître.

Autrement dit, une transaction a pour fonction première d’éteindre le droit pour les parties d’agir en justice.

Cette fonction de la transaction est expressément énoncée à l’article 2052 du Code civil qui prévoit que « la transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet. »

Aussi, une partie qui agirait en justice nonobstant la conclusion d’une transaction s’exposerait à se voir opposer par la partie adverse une fin de non-recevoir, laquelle s’impose au juge.

🡺Effet extinctif et autorité de la chose jugée

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 2052, al. 1er du Code civil prévoyait que « les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée au dernier ressort »

La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a supprimé la référence à « l’autorité de la chose jugée ».

Désormais, le nouvel article 2052 énonce que transaction fait seulement « obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet ».

Pourquoi cette modification ? Le législateur a exaucé les vœux de la doctrine qui contestait cette référence à « l’autorité de la chose jugée » que l’on attache plutôt aux jugements.

À cet égard, à la différence d’un jugement, une transaction ne se limite pas à mettre fin à une contestation née ; elle peut également être conclue en vue de prévenir une contestation à naître.

Or la notion d’autorité de la chose jugée ne se conçoit que dans le cadre d’un litige en cours. Aussi, cette notion était-elle trop courte pour couvrir la portée de l’effet extinctif de la transaction ; d’où sa suppression de l’article 2052 du Code civil à la faveur d’une formulation qui embrasse tout le périmètre de la transaction.

Si désormais, la transaction n’a plus l’autorité de la chose jugée entre les parties au dernier ressort, elle en emprunte néanmoins les effets en ce qu’elle éteint le droit d’agir en justice des parties.

b. Conditions de l’effet extinctif

Pour qu’une transaction produise son effet extinctif, plusieurs conditions doivent être remplies.

Ces conditions tiennent :

  • D’une part, à la bonne exécution de la transaction
  • D’autre part, à l’identité de parties et d’objet de la transaction

i. La condition tenant à la bonne exécution de la transaction

L’effet extinctif de la transaction est subordonné à sa bonne exécution. Cette exigence a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt remarqué rendu en date du 12 juillet 2012.

Aux termes de cette décision, la Première chambre civile a jugé que « la transaction, qui ne met fin au litige que sous réserve de son exécution, ne peut être opposée par l’une des parties que si celle-ci en a respecté les conditions » (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2012, n°09-11.582).

Une transaction qui dès lors n’aurait pas été exécutée par les parties ne produirait aucun effet extinctif, de sorte qu’il serait permis à ces dernières de saisir le juge.

ii. La condition tenant à l’identité de parties et d’objet

🡺Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, on reconnaissait à la transaction l’autorité de la chose jugée.

Il en résultait que l’on exigeait, pour qu’elle produise son effet extinctif, qu’elle satisfasse aux mêmes conditions, soit celles relatives à l’identité d’objet, de cause et de parties.

Pour mémoire, l’article 1355 du CPC dispose que « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »

Il s’infère de cette disposition que l’autorité de la chose jugée fait obstacle à l’examen d’une nouvelle demande en justice dès lors qu’il y a :

  • Identité de parties
    • Il y a identité de parties, lorsque les parties qui saisissent le juge sont les mêmes que celles qui s’étaient opposées dans le cadre de l’instance précédente.
  • Identité de cause
    • Il y a identité de cause, lorsque le fondement juridique dont les parties se prévalent aux fins qu’il soit fait droit à leurs demandes respectives est le même.
  • Identité d’objet
    • Il y a identité d’objet lorsque les prétentions des parties qui s’opposent sont identiques (obtention de dommages et intérêts, annulation d’un acte, etc.)

Cette triple exigence attachée à l’autorité de la chose jugée était ainsi appliquée à la transaction.

Cela signifiait donc que son effet extinctif ne pouvait jouer qu’entre les parties qui avaient transigé ainsi que pour les seuls prétentions et fondements juridiques en jeu dans l’accord conclu.

🡺Droit positif

En ayant supprimé toute référence à l’autorité de la chose jugée, la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 n’a pas pour autant supprimé toutes les conditions relatives à l’effet extinctif de la transaction.

En effet, pour faire obstacle à l’introduction ou à la poursuite d’une action en justice, la transaction doit être intervenue entre les mêmes parties et avoir le même objet.

  • S’agissant de l’identité de parties
    • La transaction ne produira donc son effet extinctif qu’entre les seules parties qui ont transigé.
    • L’article 2050 du Code civil apporte toutefois un tempérament à cette règle en énonçant que « si celui qui avait transigé sur un droit qu’il avait de son chef acquiert ensuite un droit semblable du chef d’une autre personne, il n’est point, quant au droit nouvellement acquis, lié par la transaction antérieure. »
    • Il faut comprendre ici que si la transaction a pour effet d’éteindre le droit d’agir en justice des parties, cela ne vaut que pour le rapport d’obligation qui les liait lors de la conclusion de l’acte.
    • Aussi, n’est-il pas interdit à une partie de formuler une prétention, quoique semblable, différente auprès de l’autre partie, dès lors qu’elle agit en vertu d’une qualité ou d’un titre différent.
    • L’exemple peut être pris dans la transaction qui serait conclue entre la victime d’un accident et un assureur qui n’interdit pas les héritiers de solliciter une indemnisation au titre du préjudice personnel qu’ils auraient subi.
  • S’agissant de l’identité d’objet
    • L’effet extinctif de la transaction ne joue que s’agissant des droits en jeu dans le cadre de la conclusion de l’accord, soit de ceux sur lesquels les parties ont transigé.
    • La délimitation de l’objet de la transaction est donc déterminante : l’effet extinctif ne porte que sur ce qui est expressément énoncé dans l’acte.
    • Si dès lors un différend comporte plusieurs chefs, l’effet extinctif ne portera que sur ceux visés spécifiquement par la transaction.
    • S’agissant des autres chefs du litige qui ne seraient pas abordés dans la transaction, ils pourront dès lors être portés devant le juge.
    • Pour cette raison, lorsque des parties décident de transiger il leur faudra bien veiller, au stade de la rédaction, à énoncer dans l’acte l’ensemble des chefs de litige et plus généralement tout « ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».
    • Quid dans l’hypothèse où un fait nouveau se rattachant aux faits abordés dans la transaction se manifesterait ?
    • On peut penser, par exemple, à la survenance postérieure à la conclusion de la transaction d’un préjudice qui serait la conséquence de l’accident ayant donné lieu à la conclusion de l’accord.
    • La transaction ferait-elle obstacle à la formulation d’une nouvelle demande ?
    • Tout dépend de l’objet de la transaction :
      • Si l’accord conclu vise à régler les seuls rapports déjà nés entre les parties, alors la transaction ne fait pas obstacle à la formulation d’une nouvelle demande (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 30 mai 1985, n°84-12.619).
      • Si, en revanche, l’accord conclu vise à régler, tant les rapports passés entre les parties, que les rapports à naître, alors aucune nouvelle demande ne pourra être formulée nonobstant la survenance d’un fait nouveau (V. en ce sens Cass., ass. plén., 4 juill. 1997, n°93-43.375)

c. Manifestations de l’effet extinctif

Les manifestations de l’effet extinctif attaché à la transaction diffèrent selon que l’accord des parties intervient en cours d’instance en cours ou avant l’introduction d’une instance

i. La transaction intervient en cours d’instance

🡺Principe

Dans l’hypothèse où la transaction intervient en cours d’instance, elle a pour effet de dessaisir le juge

Cette règle est expressément énoncée à l’article 384 du Code de procédure civile qui prévoit que « en dehors des cas où cet effet résulte du jugement, l’instance s’éteint accessoirement à l’action par l’effet de la transaction […] ».

Ainsi, la transaction interdit-elle au juge de trancher le litige qui lui a été soumis. Il n’a d’autre choix que de prendre acte de la transaction, laquelle s’impose à lui.

Réciproquement, la transaction interdit les parties d’exiger du juge qu’il statue sur les demandes qu’elles lui ont soumises.

Dans un arrêt du 21 octobre 2010, la Cour de cassation a précisé que lorsque la transaction est intervenue « quelques jours avant le prononcé du jugement », elle doit être interprétée comme une renonciation par anticipation par les parties aux effets de la décision à intervenir (Cass. 2e civ. 21 oct. 2010, n°09-12.378).

Il en résulte que cette décision ne pourra faire l’objet d’aucune exécution forcée. Par ailleurs, la transaction a pour effet de priver les parties de leur faculté d’interjeter appel (Cass. civ. 2e, 18 juin 1969) ou de former un pourvoi (Cass. 1ère civ. 18 juill. 1977).

De façon générale, une transaction fait obstacle à toute voie de recours, peu importe qu’elle ait été exercée avant la conclusion de l’accord (Cass. 1ère civ. 1er oct. 1980).

À cet égard, l’exercice d’une voie de recours au mépris d’une transaction est susceptible de justifier une demande de dommages et intérêts sur le fondement de la procédure abusive (Cass. soc. 16 nov. 1960).

🡺Tempéraments

Si la conclusion d’une transaction en cours d’instance interdit le juge de trancher le litige qui lui a été soumis par les parties, elle n’emporte pas radiation automatique de l’affaire du rôle.

Aussi, tant que l’affaire demeure inscrite au rôle, le juge peut encore être sollicité sur certaines demandes formulées par les parties, au nombre desquelles figurent celles relatives à :

  • L’exécution de la transaction
    • Dans un arrêt du 12 juin 1991, la Cour de cassation a ainsi jugé que « lorsque, en cours d’instance, les parties mettent fin au litige par une transaction, la juridiction saisie est compétente pour en ordonner l’exécution » (Cass. 2e civ. 12 juin 1991, n°90-14.841).
  • L’interprétation de la transaction
    • Il est admis que le juge demeure compétent pour interpréter la transaction.
  • La résolution ou l’annulation de la transaction
    • Le juge est également compétent pour connaître de la résolution de la transaction ou de son annulation (Cass. com., 14 oct. 1953).

ii. La transaction intervient avant l’introduction d’une instance

La conclusion d’une transaction fait obstacle à l’introduction d’une instance. Aussi constitue-t-elle ce que l’on appelle une fin de non-recevoir.

Par fin de non-recevoir, il faut entendre, selon l’article 122 du Code de procédure civile, L’article 122 du Code de procédure civile définit la fin de non-recevoir comme « tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. ».

Lorsque, dès lors, une partie engage agit en justice au mépris d’une transaction, son action est susceptible d’être jugée irrecevable.

À cet égard, cette irrecevabilité peut être soulevée en tout état de cause, soit à n’importe quel stade de l’instance (Cass. 2e civ. 24 mai 1971, n°70-11.087).

L’article 123 du CPC réserve toutefois au juge la possibilité de condamner à des dommages-intérêts la partie qui se serait abstenue, dans une intention dilatoire, de soulever plus tôt la fin de non-recevoir invoquée tardivement.

Dans un arrêt du 30 juin 1976, la Deuxième chambre civile a, par ailleurs, précisé que si l’exception de transaction pouvait, pour la première fois, être soulevée en appel, elle ne peut, en revanche, pas être invoquée dans le cadre d’un pourvoi en cassation (Cass. 2e civ. 30 juin 1976, n°75-10-033).

L’article 124 prévoit encore que les fins de non-recevoir doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d’un grief et alors même que l’irrecevabilité ne résulterait d’aucune disposition expresse.

En revanche, il est admis que le juge n’est pas investi du pouvoir de relever d’office une exception de transaction.

La raison en est que cette fin de non-recevoir ne présente plus de caractère d’ordre public depuis que l’on a rompu le lien entre la transaction et l’autorité de la chose jugée.

Or conformément à l’article 125 du CPC, c’est là une condition d’exercice de la faculté pour le juge de relever d’office une fin de non-recevoir.

2. L’effet déclaratif

🡺Principe

On reconnaît à la transaction un effet déclaratif, en ce sens qu’elle ne crée pas de situation juridique nouvelle.

Autrement dit, la transaction ne fait que constater des droits préexistants, lesquels ne constituent donc pas le produit de l’accord conclu entre les parties.

Pour être précis, l’effet déclaratif se borne aux seuls droits litigieux sur lesquels les parties ont transigé.

Il est, en effet, admis que les concessions réciproques consenties par les parties puissent donner lieu à la constitution ou à un transfert de droits.

🡺Conséquences

La reconnaissance d’un effet déclaratif à la transaction emporte plusieurs conséquences :

  • L’absence d’effet novatoire
    • Parce que la transaction ne crée pas de situation juridique nouvelle, elle ne produit aucun effet novatoire.
    • Cour de cassation rappelle régulièrement en ce sens que « sauf intention contraire des parties, la transaction n’emporte pas novation » (Cass. 1ère civ. 25 févr. 1976, n°73-13.191).
    • Pour mémoire, la novation consiste en un « contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée » (art. 1329 C. civ.)
    • Il s’agit, autrement dit, d’une modalité d’extinction d’une obligation préexistante par la substitution d’une obligation nouvelle.
    • S’agissant de la transaction, elle est donc dépourvue de tout effet novatoire, dans la mesure où elle n’a pas vocation à éteindre une obligation pour en créer une nouvelle : elle constate seulement une situation juridique qui préexiste.
    • Autrement dit, les droits constatés dans la transaction sont supposés avoir toujours existé et conservent donc la nature qui leur avait été reconnue au jour de leur création par l’acte originel.
    • Les parties peuvent toutefois décider du contraire en conférer à la transaction un effet novatoire ; il leur faudra alors le stipuler expressément dans l’acte, la novation ne se présumant pas.
  • L’absence d’effet recognitif
    • Si on reconnaît à la transaction un effet déclaratif, on ne produit pas pour autant un effet recognitif.
    • Aussi, se limite-t-elle à constater une situation préexistante ; elle ne vise pas à reconnaître les droits de l’une et l’autre partie.
    • Dans un arrêt du 10 novembre 1971, la Cour de cassation a jugé en ce sens qu’une transaction n’emporte pas reconnaissance du bien-fondé des prétentions des parties (Cass. 3e civ. 10 nov. 1971, n°70-12.911).
  • L’absence de garanties
    • Faute pour la transaction de produire un effet translatif, il est admis qu’elle ne saurait procurer aux parties des garanties.
    • En cas de renonciation d’une partie à un droit réel, l’autre partie ne saurait, dans ces conditions, se prévaloir de la garantie des vices cachés ou encore de la garantie d’éviction.
  • Formalités de publicité
    • Parce que la transaction produit un effet déclaratif, il en résulte une conséquence en matière de publicité foncière.
    • L’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière prévoit, en effet, que « sont obligatoirement publiés au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles : […] es actes et décisions déclaratifs ».
    • Toute transaction qui dès lors porte sur un bien immobilier doit faire l’objet de formalités de publicité foncière.
  1. F. Terré, Ph. Simpler et Y. Lequette, Droit civil – Les obligations, Dalloz, 9e éd., 2005, coll. « précis », n°184, p. 185.
  2. Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations : thèse, Aix, 1981, p. 198, n° 164
  3. Ph. Malaurie, L’ordre public et le contrat, th., 1953, p. 69, n°99.
  4. J. Carbonnier, Droit civil : les biens, les obligations, PUF, 2004, n°984, p. 2037.
  5. Ibid.
  6. Ph. Malinvaud et D. Fenouillet, Droit des obligations, LexisNexis, 2012, n°267, p. 207-208.
  7. Lexique des termes juridiques, 30e éd. Dalloz
  8. V. en ce sens L. Thibierge, La transaction, Rép Dalloz. n°156.

Rédiger l’accord de médiation ?

Article rédigé par Martin Oudin, Maître de conférences hdr – directeur honoraire du Master Juriste d’entreprise – Université de Tours

Au plan purement théorique, il est possible de conclure oralement un accord de médiation[1]. Accord de volontés destiné à créer des effets de droit, l’accord de médiation est avant tout un contrat[2]. Or, en matière de contrats, l’écrit est l’exception. Lorsqu’aucune règle spéciale ne l’impose, les parties sont libres d’y recourir ou non. Comme tout contrat de droit commun, l’accord de médiation peut donc être purement verbal.
Cependant, dans une relation qui, par hypothèse, a été par le passé source de conflit, il est prudent de constater par écrit l’accord de médiation. En pratique, la forme écrite est fréquente. Certaines législations nationales l’imposent[3]. D’autres font de l’écrit une condition sans laquelle l’accord ne peut produire certains effets. Ainsi, en droit français, l’homologation de l’accord de médiation est impossible si aucun écrit n’existe. L’article 131-12 du code de procédure civile est sans ambiguïté pour ce qui concerne la médiation judiciaire, puisqu’il énonce que « les parties peuvent soumettre à l’homologation du juge le constat d’accord établi par le médiateur de justice. » L’article 1565 al. 1er est moins clair pour l’accord de médiation conventionnelle[4], mais on voit mal comment un accord non écrit pourrait être soumis au juge. On peut enfin souligner que si les parties veulent conférer à l’accord de médiation la valeur d’une transaction, elles devront le rédiger par écrit, conformément à l’article 2044 du code civil[5].
Compte tenu de sa nature très particulière, l’accord de médiation doit être rédigé avec prudence. De nombreuses précautions doivent être prises, dès avant que les premiers mots soient couchés sur le papier.

1.- Les rédacteurs

La question même de savoir qui va rédiger l’accord soulève des interrogations. Bien souvent, les parties n’ont pas la compétence technique nécessaire. Quand bien même elles auraient cette compétence, le risque est grand de voir le conflit ressurgir dans la phase rédactionnelle, soit que les parties ne s’entendent pas sur la façon de transcrire leurs échanges, soit que l’une d’elles saisisse cette occasion pour revenir sur les propos qu’elle a tenus. L’accompagnement d’un tiers paraît donc indispensable, sous peine de compromettre tout le processus.
Ce tiers est parfois tout désigné par l’objet même du litige. Ainsi, si celui-ci porte sur des droits immobiliers, la nécessité de recourir à la forme authentique imposera la sollicitation d’un notaire. Rien de tel en matière de conflits individuels de travail : aucune règle ou contrainte particulière ne désigne un rédacteur spécifique.

1.1.- Rédaction par le médiateur ?

Il est naturel de songer que le tiers rédacteur peut – ou doit – être le médiateur qui a aidé les parties à parvenir à un accord. La solution est pourtant loin d’être évidente pour les médiateurs eux-mêmes.
Certains doutent tout d’abord que le médiateur soit habilité à rédiger l’accord. Il n’existe pourtant aucune prohibition expresse en ce sens. On cite souvent l’article 60 de la loi du 31 décembre 1971[6]. Selon ce texte, « Les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d’une qualification reconnue par l’Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l’accessoire nécessaire de cette activité. » Il est vrai que tous les médiateurs ne sont pas tenus de justifier d’une « qualification » au sens de l’article 60 de la loi de 1971[7]. Mais nombreux sont ceux qui sont titulaires d’un diplôme universitaire ou délivré par un organisme de formation agréé. Ne s’agit-il pas alors d’une qualification « attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé » ? Par ailleurs, ne peut-on pas considérer que l’accord de médiation constitue « l’accessoire nécessaire » de l’activité de médiation ?
Quoi qu’il en soit, l’obstacle majeur à la rédaction de l’accord par le médiateur est d’une autre nature. Il tient à la crainte, pour les médiateurs, de voir leur responsabilité engagée en leur qualité de rédacteurs d’acte. Les rédacteurs d’actes sont tenus d’une obligation de conseil envers les parties en présence et doivent s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’ils confectionnent, comme l’affirment certains textes[8] et une jurisprudence constante. C’est surtout à propos des professionnels du droit – notaires[9], avocats[10] et huissiers de justice[11] – que la Cour de cassation a régulièrement l’occasion de rappeler ce principe[12]. Mais elle l’a également étendu à d’autres professionnels, tels les agents immobiliers[13] ou les experts comptables[14]. Il semble qu’en fait le principe puisse être généralisé à tous les professionnels rédacteurs d’acte, comme le suggèrent certaines formules utilisées par la Cour de cassation : « les rédacteurs d’actes sont tenus d’une obligation de conseil envers toutes les parties en présence et doivent s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’ils confectionnent »[15] ; « les rédacteurs d’actes doivent s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’ils confectionnent ; à défaut, ils engagent leur responsabilité envers toutes les parties en présence »[16]. On ne voit pas pour quelle raison cette responsabilité ne devrait pas être appliquée au médiateur. Bien sûr, il n’est pas a priori un spécialiste de la rédaction d’actes. Mais il est un professionnel rémunéré pour sa prestation de médiation. S’il décide d’étendre celle-ci à la rédaction d’un accord, il doit s’acquitter de cette tâche en bon professionnel. Ce qui implique, nous semble-t-il, qu’il prenne connaissance a minima des conditions de validité et d’efficacité de l’accord. Si par exemple il acceptait de rédiger un accord par lequel les parties renonceraient à des droits indisponibles, il est probable que celles-ci pourraient ensuite mettre en cause sa responsabilité.
La loi de 1971 exige que les rédacteurs d’acte soient couverts par une assurance souscrite personnellement ou collectivement et qu’ils justifient d’une garantie financière[17]. Or, les assurances souscrites par les médiateurs ne couvrent pas toujours ce type de risques. C’est pourquoi, en pratique, de nombreux médiateurs s’abstiennent purement et simplement de rédiger eux-mêmes des accords de médiation. D’autres ont recours à des stratégies de contournement : ils se limitent à rédiger de simples « projets d’accord » ou indiquent expressément que la rédaction a été faite sous la dictée des parties. Il n’est pas certain que ces expédients leur permettent d’échapper à une éventuelle responsabilité. Deux affaires portées devant la Cour de cassation témoignent en effet de la sévérité de celle-ci.
Dans la première, un avocat avait établi un projet d’acte de cession de fonds de commerce à la demande du propriétaire du fonds, l’acte de vente n’étant dressé que quelques jours plus tard hors la présence de l’avocat. Un litige était ensuite survenu avec le propriétaire du local dans lequel le fonds était exploité, au sujet d’une clause du contrat de bail que l’acte de vente n’avait pas prise en considération. Pour retenir la responsabilité de l’avocat, les juges relèvent que le projet d’acte établi par lui « était si complet et si détaillé [qu’il] ne pouvait ignorer qu’il serait utilisé comme modèle par les parties »[18].
La seconde affaire concerne un acte de cession de parts sociales établi, à la demande du cédant, par un avocat et signé hors la présence de ce dernier. Le cessionnaire ayant été poursuivi en paiement de dettes de la société dont il avait acquis des parts, il se retourna contre l’avocat. Pour la Cour de cassation, dès lors que l’avocat « avait remis [au cédant], non un simple modèle, mais un projet finalisé entièrement rédigé par ses soins, la cour d’appel en a exactement déduit qu’en qualité d’unique rédacteur d’un acte sous seing privé, l’avocat était tenu de veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence et de prendre l’initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d’autre, peu important le fait que l’acte a été signé en son absence après avoir été établi à la demande d’un seul des contractants »[19].
Il n’est pas certain que la jurisprudence se montrerait aussi sévère à l’encontre du médiateur qu’elle l’est avec l’avocat, professionnel du droit. La prudence devrait néanmoins inciter le médiateur, sinon à renoncer à tout acte rédactionnel, du moins à souscrire une solide assurance s’il souhaitait prêter son concours à la rédaction de l’accord final.

1.2.- Rédaction par les avocats ?

Les choses se présentent différemment lorsque les parties sont assistées par des avocats au cours de la médiation. En ce cas, les avocats peuvent prendre en charge la rédaction de l’accord. Ils sont rompus à la rédaction d’actes. Celle-ci constitue une part importante de leur activité et elle est à ce titre couverte par leurs assurances de responsabilité civile. De deux choses l’une :
Soit les avocats ont assisté à l’ensemble du processus de médiation. Il leur est alors aisé de transcrire l’accord auquel sont parvenues les parties en un document que celles-ci seront disposées à signer. Ce cas de figure n’est sans doute pas le plus fréquent, au moins parmi les médiations conventionnelles.
Soit les avocats n’ont pas assisté aux échanges entre les parties. Le risque est alors que leur intervention marque une rupture dans le processus ; que les parties, spontanément ou sous l’impulsion de leurs avocats, revoient leurs positions et reviennent sur des concessions faites.
La meilleure solution réside sans doute dans une collaboration entre médiateur et avocats des parties. Le médiateur, qui a tenu la plume pour les parties tout au long de leurs échanges, peut fournir aux avocats la matière brute de l’accord (un simple relevé de décisions). Il peut ensuite assister ces derniers dans leur travail rédactionnel, mais seulement dans la mesure nécessaire au respect des intentions formulées par les parties.

1.3.- Signature

Reste la délicate question de la signature de l’accord par le médiateur. Certains droits nationaux l’imposent, à l’instar du droit belge[20]. La signature du médiateur peut alors apparaître comme la garantie que l’accord est issu d’un processus de médiation conduit par un médiateur accrédité ou assermenté[21]. Mais en France, où l’accréditation n’est pas une condition d’exercice, quel sens aurait cette signature ? Serait-elle de nature à rassurer les parties sur la solidité de l’accord ? Encouragerait-elle le médiateur à faire preuve de plus de diligence dans la conduite du processus (voire dans la relecture de l’accord) ? Cela reste à démontrer. Il existe en revanche un danger : celui que cette signature soit analysée (notamment par les tribunaux) comme la marque d’une approbation par le médiateur de la licéité de l’accord, voire de l’équilibre des dispositions qu’il recèle. En ce cas, le médiateur s’exposerait à nouveau à un risque élevé de responsabilité. En tout état de cause, de nombreux médiateurs évitent de signer l’accord de médiation, essentiellement par crainte de voir leur responsabilité engagée. En l’absence de certitude à cet égard, cette posture paraît sage.

2.- Le contenu de l’accord

Parce qu’il est un contrat, l’accord de médiation est gouverné par un principe général de liberté : liberté de contracter ou non, mais aussi de « déterminer le contenu et la forme du contrat », ainsi que l’affirme l’article 1102 du code civil. Cette liberté n’est toutefois pas sans limite, comme l’annonce le second alinéa du même article[22], ainsi que, de façon plus précise, l’article 1162[23]. Ces textes énoncent tous deux une même limite à la liberté contractuelle : le respect de l’ordre public. Les accords de médiation n’y échappent pas. Comment, pour ce qui les concerne, ce principe général de respect de l’ordre public se traduit-il ?

2.1.- Médiation, ordre public et droits indisponibles

En matière de modes alternatifs de règlement des conflits, l’ordre public est surtout sollicité pour préserver les prérogatives de la justice étatique ; plus exactement, pour encadrer la liberté de renoncer à la justice étatique et à la protection que celle-ci assure aux justiciables.
En ce sens, l’article 2060 du code civil énonce, s’agissant de l’arbitrage : « On ne peut compromettre sur les questions d’état et de capacité des personnes, sur celles relatives au divorce et à la séparation de corps ou sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l’ordre public. » La formulation est malheureuse, car elle donne à croire qu’il est interdit de compromettre dès lors que le litige touche à l’ordre public. En réalité, il est permis de compromettre, mais dans le respect de l’ordre public[24]. L’article 2060 vise l’ordre public juridictionnel, en ce sens qu’il interdit de porter atteinte aux règles qui attribuent compétence aux juridictions étatiques[25]. Cet ordre public juridictionnel se double parfois d’un ordre public de protection, destiné à préserver les droits subjectifs des parties au litige lorsque celles-ci renoncent à la protection du juge étatique.[26] C’est souvent à travers la notion de droits indisponibles que s’exprime cet ordre public de protection : les parties ne peuvent se soustraire à la protection du juge étatique que pour les droits dont elles ont la libre disposition. C’est ce qu’énonce l’article 2059 du code civil[27].
La réaction de l’ordre public à l’arbitrage s’explique par le fait que celui-ci substitue une justice privée à la justice étatique. Cette question est particulièrement sensible en droit du travail[28] et passablement compliquée par la compétence exclusive attribuée aux conseils de prud’hommes par l’article 1411-4 du code du travail[29]. La médiation, quant à elle, n’opère aucune substitution ; elle complète volontiers la justice étatique et peut être préconisée par le juge lui-même. L’ordre public juridictionnel n’a donc pas lieu d’être sollicité. En revanche, si les parties parviennent à un accord à l’issue de la médiation, le juge ne sera pas à leurs côtés pour veiller à la préservation de leurs droits. Cette affirmation doit bien sûr être nuancée, car le juge pourra toujours contrôler a posteriori le respect des droits indisponibles si une demande d’homologation lui est présentée[30]. Il n’en reste pas moins que l’accord se formera hors la présence du juge et qu’il échappera parfois totalement à son contrôle. L’ordre public de protection doit donc pleinement jouer son rôle. Voilà pourquoi la loi du 8 février 1995, tandis qu’elle est silencieuse sur « l’ordre public » (judiciaire), énonce à l’article 21-4 que « l’accord auquel parviennent les parties ne peut porter atteinte à des droits dont elles n’ont pas la libre disposition »[31]. De façon similaire et pour les mêmes raisons, on retrouvera la réserve des droits indisponibles, sans référence plus générale à l’ordre public, en matière de transaction[32] ou de procédure participative.[33]

2.2.- Contenu des droits disponibles

Quels sont les droits dont les parties peuvent disposer par un accord de médiation ? Il n’est pas simple de répondre à cette question, qui justifie pour partie la réticence des médiateurs à rédiger eux-mêmes les accords de médiation. La doctrine approfondit peu la question, qui n’est guère alimentée par la jurisprudence. On cherchera en vain des décisions de la Cour de cassation interprétant l’article 21-4 de la loi de 1995. On trouvera en revanche des éléments de réponse ou de réflexion dans les sources relatives à d’autres modes alternatifs : arbitrage et transaction, voire procédure participative.
Il apparaît tout d’abord que les droits extrapatrimoniaux, dont les droits de la personnalité, sont frappés d’une indisponibilité permanente.[34] Ces droits sont exclus de tout commerce juridique et ne peuvent faire l’objet d’aucune convention, ce qui inclut les accords de médiation. Mais en réalité, ne sont prohibés que les accords remettant en cause le droit lui-même, dans son principe ou son étendue. Il est possible en revanche de conclure des contrats portant sur certains usages de ces droits – par exemple sur l’utilisation de l’image ou du nom d’un salarié. Dans les cas où cette patrimonialisation est admise, il n’y a pas de raison que les droits en cause ne puissent faire l’objet d’un accord de médiation.[35] Mais peut-être la question est-elle assez théorique : il est peu probable que les droits de la personnalité soient l’enjeu d’une médiation en entreprise.
La question des droits patrimoniaux est plus délicate. Il est admis qu’en principe, ils sont indisponibles tant qu’ils ne sont pas acquis. Des droits à venir ne peuvent faire l’objet ni d’un arbitrage[36] ni d’une transaction[37]. A nouveau, il n’y a pas de raison de traiter différemment les accords de médiation. Mais suffit-il qu’un droit soit acquis pour que l’on puisse en disposer ? C’est avec cette question que commencent les difficultés. Il faut ici distinguer entre les droits du salarié à l’égard de son employeur et les droits du salarié à l’égard d’autres salariés.
Dans la relation entre le salarié et son employeur, il est certain que les droits relevant de l’ordre public absolu – qui regroupe les règles insusceptibles de quelque dérogation que ce soit, même en faveur des salariés[38] – sont indisponibles. S’agissant des droits relevant de l’ordre public social – règles protectrices du salarié et auxquelles il ne peut être dérogé qu’en faveur de celui-ci – il est souvent admis que le lien de subordination fait obstacle à leur libre disposition. Pour de nombreux auteurs, la situation d’infériorité du salarié justifie une protection particulière pendant toute la durée du contrat. En conséquence, les droits spécifiquement protégés par le code du travail seraient temporairement insusceptibles de renonciation, donc indisponibles[39]. Il en va sans doute de même des droits protégés par une convention collective. Cette indisponibilité cesserait au jour de l’extinction du lien contractuel. Le droit de l’arbitrage évoque parfois une inarbitrabilité temporaire liée à la subordination[40]. Au sujet de la transaction, on a surtout discuté de la validité de principe d’une transaction antérieure à la rupture (dans les faits, la grande majorité des transactions sont postérieures à la rupture et portent sur les conséquences de celle-ci). Certains ont affirmé que le lien de subordination l’interdisait, mais la Cour de cassation les a démentis à plusieurs reprises[41]. Dès lors qu’elle a pour objet de mettre fin à un différend portant sur l’exécution du contrat, la transaction survenue pendant la durée du contrat est donc admise. On ignore en revanche quels sont les droits dont on peut disposer, la Cour de cassation n’ayant eu que trop rarement l’occasion de se prononcer[42].
Qu’en est-il de la médiation ? Il faut d’abord souligner que le médiateur, du fait de sa neutralité, n’a pas pour mission ou objectif de veiller à la protection des droits du salarié. Un accord de médiation conclu avant la rupture n’apporterait donc aucune garantie particulière quant à la préservation de ces droits. Ceci explique d’ailleurs que la médiation soit parfois présentée comme dangereuse pour les salariés[43]. Faut-il pour autant être plus suspicieux envers l’accord de médiation qu’à l’égard de la transaction[44] ? Rien ne le justifie. Au contraire, la présence d’un médiateur garantit que les parties ne s’engagent pas à la légère. Certes, il n’est pas leur conseil juridique, mais il les aide par sa posture éthique et le cadre dont il est le garant à évaluer pleinement leur situation, dans son entièreté. La protection de leur consentement est donc renforcée – plus encore si l’accord est ensuite constaté par écrit, ce qui devrait être la norme. Il nous semble donc qu’à tout le moins, l’accord de médiation peut porter sur les mêmes droits qu’une transaction.
Par ailleurs, avant comme après la rupture, il n’y pas d’obstacle à ce que le salarié dispose de droits qui n’auraient pas leur origine dans les dispositions protectrices du code du travail ou d’une convention collective. Il peut s’agir en particulier de conditions ou d’avantages particuliers prévus au contrat. Plus généralement, le conflit porté en médiation porte très souvent sur des propos, des comportements, qui ne font pas l’objet de dispositions contractuelles ou légales. Peut-être ne relèvent-ils même pas du droit et il est probable qu’ils ne pourraient pas faire l’objet d’une action en justice, faute d’intérêt sérieux et légitime à agir[45]. La question de leur disponibilité ne se pose pas.
Il en va de même, bien souvent, des conflits entre salariés. Le droit s’en désintéresse largement, aussi longtemps du moins qu’aucune infraction n’est commise. Mais c’est alors le droit pénal du travail qui entre en scène. Quant au droit du travail, « droit du pouvoir »[46], il est tout entier tourné vers la situation de subordination. Un conflit horizontal, opposant deux salariés sans lien de subordination, ne se règlera pas par le recours au code du travail. Partant, l’accord de médiation est peu susceptible de porter atteinte aux droits indisponibles consacrés par ce code.

2.3.- Contrôle du respect de l’ordre public et des droits indisponibles

La question est importante pour le médiateur : doit-il, au cours de la médiation puis lors de l’établissement de l’accord, veiller au respect de l’ordre public et des droits indisponibles ? La loi ne l’y oblige pas expressément. Certains en déduisent que « si l’accord conclu comporte des dispositions illégales ou contraires à l’ordre public, on ne peut le reprocher au médiateur puisqu’il ne participe pas à l’accord final qui est trouvé par les parties elles-mêmes »[47]. Mais cette affirmation ne se justifie que si l’on admet que le médiateur, lorsqu’il accepte de mettre en forme l’accord des parties, n’en devient pas rédacteur d’acte pour autant, avec la responsabilité qui en découle[48]. Or, cela ne paraît pas évident à la lumière de la jurisprudence précitée de la Cour de cassation[49]. La prudence devrait conduire le médiateur à refuser de prêter concours à la rédaction d’un accord en cas de doute sur le respect des droits indisponibles des parties, d’autant que ceux-ci restent très mal délimités. On a pu écrire que l’ordonnance de 2011 lui faisait même obligation de s’abstenir[50].
Selon le Code national de déontologie des médiateurs, si le médiateur « a un doute sur la faisabilité et/ou l’équité d’un accord, connaissance d’un risque d’une atteinte à l’ordre public… il invite expressément les personnes à prendre conseil auprès du professionnel compétent avant tout engagement ». C’est dire qu’il ne lui appartient pas de déterminer lui-même s’il y a ou non atteinte à l’ordre public. Quelle est la valeur de cette sage recommandation, contenue dans une codification privée ? Peut-être les juges accepteraient-ils, si cette recommandation n’était pas respectée, d’y voir l’indice d’un comportement fautif, comme ils le font volontiers lorsqu’un professionnel n’a pas respecté un code d’éthique ou de déontologie[51].


Article initialement publié dans « La médiation en entreprise, affirmation d’un modèle », ouvrage collectif dirigé par F. et M. Oudin, paru en septembre 2022 aux éditions Médias & Médiations

[1] Je tiens à remercier chaleureusement Bertrand Delcourt pour son aimable et bienveillante relecture.
[2] V. N. Fricero, « Médiation et contrat », AJ contrat 2017, p. 356.
[3] Par exemple, l’article 1732 du Code judiciaire belge énonce que « Lorsque les parties parviennent à un accord de médiation, celui-ci fait l’objet d’un écrit daté et signé par elles et le médiateur. »
[4] « L’accord auquel sont parvenues les parties à une médiation, une conciliation ou une procédure participative peut être soumis, aux fins de le rendre exécutoire, à l’homologation du juge compétent pour connaître du contentieux dans la matière considérée ».
[5] L’écrit n’est toutefois pas dans ce cas une condition de validité du contrat, mais une simple exigence de preuve : Cass. 1ère civ., 18 mars 1986, n° 84-16817, Bull. civ. I, n° 74, p. 71.
[6] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
[7] Le code de procédure civile est assez contraignant pour les médiateurs judiciaires, qui doivent posséder « la qualification requise eu égard à la nature du litige » et « justifier, selon le cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation » (art. 131-5). Il l’est moins à l’égard des médiateurs conventionnels, qui doivent posséder « la qualification requise eu égard à la nature du différend » ou « justifier, selon le cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation » (art. 1533).
[8] V. p. ex. art. 7.2 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat.
[9] V. p. ex. Cass. 1ère civ., 7 févr. 1989, °86-18559 ; Cass. 1ère civ., 9 nov. 1999, n° 97-14521 ; Cass. 1ère civ., 12 févr. 2002, n° 99-11106 ; Cass. 1ère civ., 11 juill. 2006, n° 03-18.528.
[10] V. p. ex. Cass. 1ère civ., 12 janv. 1982, n° 80-16456 ; Cass. 1ère civ., 14 janv. 1997, n° 94-16769 ; Cass. 1ère civ., 27 nov. 2008, n° 07-18142.
[11] V. Civ. 1ère, 15 décembre 1998, n° 96-15321.
[12] V. P. Cassuto-Teytaud, « La responsabilité des professions juridiques devant la première chambre civile », in Rapport de la Cour de cassation 2002.
[13] Cass. 1ère civ., 25 nov. 1997, n° 96-12325.
[14] Cass. com., 4 déc. 2012, n° 11-27454.
[15] Civ. 1ère, 14 janvier 1997, précité, arrêt rendu au visa des articles 1991 et 1992 du code civil relatifs aux obligations du mandataire.
[16] Cass. com., 16 nov. 1999, n° 97-14280.
[17] Art. 55.
[18] Cass. 1ère civ., 12 janv. 1982, n° 80-16456.
[19] Cass. 1re civ., 27 nov. 2008, n° 07-18142.
[20] Code judiciaire, art. 1732 : « Lorsque les parties parviennent à un accord de médiation, celui-ci fait l’objet d’un écrit daté et signé par elles et le médiateur. »
[21] J. Mirimanoff et alii, Dictionnaire de la médiation et d’autres modes amiables, Bruylant, 2019, p. 44.
[22] « La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public ».
[23] « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »
[24]  Sur le sens aujourd’hui donné à cette disposition, v. E. Loquin, « Arbitrage. Conventions d’arbitrage. Conditions de fond. Litige arbitrable », JCl. Procédure civile, Fasc. 1024.
[25] E. Loquin, op. cit. n° 8 et s.
[26] Op. cit., n° 24.
[27] « Toutes personnes peuvent compromettre sur les droits dont elles ont la libre disposition. »
[28] V. J.-F. Cesaro, « Contentieux du travail – Les alternatives aux contentieux », JCP S 2019-164.
[29] V. sur cette délicate question et les hésitations de la Cour de cassation G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail, 33ème éd., Dalloz, 2019, p. 151. Pour une lecture très favorable à l’arbitrabilité, v. T. Clay, « L’arbitrage des conflits du travail », Bull. Joly Travail 2019/2, p. 35.
[30] Sur ce contrôle, v. notamment X. Vuitton, « Quelques réflexions sur l’office du juge de l’homologation dans le livre V du code de procédure civile », RTD Civ. 2019 p.771 ; B. Gorchs, « Le contrôle judiciaire des accords de règlement amiable », Revue de l’arbitrage 2008-1, p. 33.
[31] Loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative. La référence aux droits indisponibles a été introduite par l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011, transposant la directive européenne du 21 mai 2008.
[32] C. civ., art. 2045.
[33] C. civ., art. 2064.
[34] V. L.-F. Pignarre, Rép. de droit civil, Convention d’arbitrage, n° 65.
[35] Sur l’arbitrabilité de ces questions, v. E. Loquin, op. cit., n° 87.
[36] V. p. ex. E Loquin, op. cit., n° 89.
[37] V. p. ex. F. Julienne, J.-Cl. Civil Code, Art. 2044 à 2052, Fasc. 20 : Transaction, n° 57 ; P. Chauvel, Rép. de droit civil, Transaction – Domaine de la transaction, n° 173.
[38] Relèvent par exemple de l’ordre public absolu les règles relatives à la compétence de la juridiction prud’homale ou les incriminations pénales. Sur cette notion et sa distinction d’avec l’ordre public social, v. A. Pinson et D. Soukpraseuth, « Retour sur l’ordre public en droit du travail et son application par la Cour de cassation », BICC n° 740, avr. 2011, p. 6.
[39] V. F. Guiomard, « Que faire de la médiation conventionnelle et de la procédure participative en droit du travail ? », Revue du travail 2015, p. 628.
[40] E. Loquin, op. cit., n° 89 et n° 106 s. ; L.-F. Pignarre, op. cit., n° 68.
[41] V. Cass. soc., 10 mars 1998, n° 95-43094 ; Cass. Soc., 16 oct. 2019, n° 18-18287.
[42] V. toutefois Cass. soc., 10 mars 1998, précité : « la cour d’appel, qui a répondu aux conclusions invoquées, a exactement décidé que la transaction n’emportait pas renonciation aux dispositions d’un accord collectif et, que, partant, elle avait été valablement conclue » ; l’arrêt précité du 16 octobre 2019 ne traite pour sa part que de la portée d’une transaction relative à l’exécution du contrat de travail.
[43] V. G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail, op. cit., n°103 et références citées en note 3 p. 129.
[44] Cette question n’a de sens que pour les accords de médiation auxquels les parties n’ont pas voulu conférer la valeur d’une transaction.
[45] Soit que la prétention soit jugée dérisoire, soit qu’elle apparaisse insuffisamment juridique. Sur les prétentions indignes d’un examen au fond, v. N. Cayrol, Rép. de procédure civile, V° Action en justice – Intérêt sérieux et légitime, n° 241 s.
[46] G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail, op. cit., n° 3.
[47] B. Gorchs, « La responsabilité civile du médiateur civil », Droit et procédures, 2014, p. 194.
[48] Id.
[49] Supra, 1.1.
[50] N. Nevejans, « L’ordonnance du 16 novembre 2011 – Un encouragement au développement de la médiation ? », JCP G 2012.148.

[51] V. L. Maurin, « Le droit souple de la responsabilité civile », RTD civ. 2015, p. 517.

Recours des tiers payeurs : sanction du défaut de participation de la caisse à la transaction – Civ. 1, 21 avr. 2022, n° 20-17.185, FS-B

Solution. – Si la victime transige avec le tiers responsable sans avoir invité la caisse de sécurité sociale à participer à l’accord, le règlement amiable ne peut lui être opposé pas plus que la prescription de son action en remboursement. La Cour de cassation d’ajouter qu’il incombe aux juges du fond saisis du recours subrogatoire de la caisse d’enjoindre aux parties de produire la transaction pour s’assurer de son contenu et déterminer les sommes dues au tiers payeur.

Impact. – Précisant les modalités de l’action en paiement de la créance subrogatoire de la caisse et l’office du juge, la Cour de cassation dit, par prétérition, qu’il n’appartient pas au tiers payeur de rapporter la preuve des conditions de la responsabilité du tiers responsable, ce qu’avaient pourtant considéré à tort les juges du fond successivement saisis (CA Versailles 30 avr. 2020, n° 19/00574).

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Cet arrêt s’inscrit dans la liste des décisions rendues en droit du recours des tiers payeurs. Formellement, le lecteur est accompagné dans la compréhension des règles renfermées aux articles L. 376-1, L. 376-3 et L. 376-4 du Code la sécurité sociale par le nouveau mode de rédaction des décisions de la Cour de cassation et la motivation en forme développée. C’est à tout le moins l’intention.

Tandis que les faits sont des plus simples à comprendre, le problème de droit a été compliqué à l’envie. Au résultat, l’accès au droit n’est pas plus précis ni informé que par le passé. Mais il était sûrement bien peu aisé de motiver une telle décision en raison de l’enchevêtrement dans le cas particulier de règles techniques. Quant aux moyens annexés, dans la mesure où la cassation (partielle) n’est prononcée qu’au vu du seul second moyen, le lecteur peine spontanément à comprendre pour quelle raison le premier moyen de cassation de la caisse, qui conclut à la responsabilité du tiers responsable, dont rien n’est dit franchement dans la décision, est reproduit in extenso.

Reprenons. En l’espèce, un laboratoire est assigné en responsabilité civile à raison de la valvulotoxicité du principe actif du médicament mis en circulation ; la caisse de sécurité sociale est appelée en déclaration de jugement commun. Une transaction est conclue entre la victime et le tiers responsable. La caisse n’ayant pas été invitée à y participer et le règlement amiable lui étant inopposable par voie de conséquence (art. L. 376-3 css), l’instance se poursuit.

La caisse demande le remboursement des prestations versées (art. L. 371-1 css) et le paiement d’une indemnité forfaitaire en raison des frais qu’elle a dû engager pour être remplie de ses droits (art. L. 376-1, al. 9 css). Le tribunal et la cour d’appel la déboutent de ses prétentions faute d’avoir démontré que les conditions de la responsabilité du laboratoire étaient réunies.

La solution a quelque chose de singulier. C’est que la caisse n’intente pas une action en responsabilité mais une action en paiement. Elle ne réclame pas des dommages et intérêts compensatoires. La caisse demande au tiers responsable le remboursement des prestations sociales servies à titre conservatoire (1er motif de remboursement : compensation de l’appauvrissement non justifié de la solidarité nationale) qui auront du reste et nécessairement été soustraites de l’indemnisation accordée à la victime (2e motif de remboursement : prévention d’un enrichissement injustifié du tiers responsable) (V. déjà en ce sens, Cass. 2e civ., 7 juill. 2011, n° 09-16.616 : JurisData n° 2011-013593 ; Resp. civ. et assur. 2011, comm. 355, par H. Groutel). Le tout sur autorisation de la loi. Libre alors au débiteur putatif d’opposer les exceptions de nature à paralyser en toute ou partie l’action en paiement. Comment cela ? Eh bien par le truchement de l’opposabilité à la caisse du règlement amiable. C’est que la caisse subrogée n’a pas plus de droits que la victime subrogeante (art. 1346-4 c.civ.). En bref, les juges du fond nous paraissent avoir inversé l’ordre des facteurs.

Le redressement par la Cour de cassation s’imposait. Le modus operandi se veut pédagogique tant le sujet est des moins évidents en pratique. L’occasion est du reste saisie par la deuxième chambre civile de rappeler les modalités de détermination de l’assiette du recours, à savoir qu’« il incombe aux juges du fond, saisis d’un recours subrogatoire de la caisse qui n’a pas été invitée à participer à la transaction, d’enjoindre aux parties de la produire ». Charge ensuite au tribunal de « s’assurer du contenu et, le cas échéant, déterminer les sommes dues à la caisse, en évaluant les préjudices de la victime, en précisant quels postes de préjudice ont été pris en charge par les prestations servies et en procédant aux imputations correspondantes » (V. déjà en ce sens, Cass. 2e civ., 11 juin 2009, n° 08-11.510 : publié au Bulletin ; JurisData n° 2009-048476 ; JCP S 2009, D. Asquinazi-Bailleux).

Une hésitation perdure toutefois au vu d’un arrêt (certes inédit) rendu il y a quelques mois aux termes duquel la Cour de cassation semblait dire que les juges du fond n’avaient pas à tenir compte du règlement amiable intervenu dans un cas approchant (Cass. 2e civ., 26 nov. 2020, n° 19-19.950 : JurisData n° 2020-019390 ; RD rur. 2021, comm. 64, Th. Tauran). En l’espèce, la Cour semblait recommander au juge de ne tenir aucun compte de la transaction, la caisse pouvant alors recouvrer l’intégralité des sommes versées à son assuré social dans la limite naturellement de la dette de responsabilité du tiers responsable et de la part du préjudice soumise à recours (Cass. 2e civ., 14 mars 1989, n° 88-81.210 : JurisData n° 1989-701439. – Cass. 2e civ., 7 juill. 2011, n° 09-16.616 : JurisData n° 2011-013593). Solution plus sévère s’il en est. C’est que, en transigeant, et ce sans que la caisse n’ait été invitée à y participer, la victime a possiblement réduit les droits au remboursement de la solidarité nationale (comp. C. assur., art. L. 124- c.assur.).

Dans l’arrêt sous étude, les juges du fond sont invités à s’assurer du contenu de la transaction. Il semble bien qu’il faille par voie de conséquence tenir compte de la transaction sans que l’on sache très bien si l’intérêt manifeste pour la caisse a été complètement écarté.

Note publiée : Resp. civ. et assur. juin 2022

Le service public de la réparation du dommage corporel

1. – Mission de service public au singulier ?. –  À notre connaissance, le service public de la réparation du dommage corporel sous étude, dont l’Office est une incarnation tout à fait remarquable, ne s’est jamais donné complètement à voir tant d’un point de vue conceptuel que fonctionnel. Aussi nous limiterons-nous dans cette première contribution à poser quelques premiers jalons.La question de savoir ce qu’est l’Oniam ne pose guère de difficulté. Institué par la loi, l’Office est un établissement public à caractère administratif de l’État, placé sous la tutelle du ministre chargé de la Santé (CSP, art. L. 1142-22, al. 1er). À la question de savoir ce qui est attendu par la puissance publique de sa création, on répondra avec un éminent auteur : la réalisation d’« une mission […] définie, organisée et contrôlée par une personne publique en vue de délivrer des prestations d’intérêt général à tous ceux qui en ont besoin »Note 1. C’est limpide. Mais au fait : de quelle mission s’agit-il précisément ? C’est qu’il n’y a rien de très commun a priori entre la réparation des dommages corporels causés sans faute par un professionnel ou un établissement de santé et la compensation des atteintes cardio-pulmonaires causées par la faute d’un fabricant de médicaments, pour ne prendre que ces deux hypothèses de travail. Mais peut-être n’y a-t-il pas matière à commenter. Que dit le plan d’exposition systématique du Code de la santé publique ? Eh bien qu’il s’agit dans les deux cas de figure de compenser des risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé qui se sont malheureusement réalisés (CSP, art. L. 1142-1 et s.). Ce dernier système profitant à tout un chacun, c’est d’intérêt général dont il est question au fond. Il y a donc bien service publicNote 2. C’est ce que nous enseigne la science administrative. Il ne s’agirait pourtant pas qu’on cofondît réalisation d’un risque et commission d’une faute. Où l’on voit – en poussant d’un cran le problème – que la nature manifestement hybride de l’Office pourrait fort bien compliquer son régime juridique ; qu’il y a donc à craindre quelques contradictions internes.

2. – Lois du service public et gratuité. –  Quelles que soient nos hésitations, il reste que le fonctionnement de l’Office obéit à quelques grandes lois du service public : continuité, mutabilité, égalitéNote 3. Lois auxquelles on pourrait ajouter dans le cas particulier « gratuité », laquelle n’est pas sans interroger. C’est que ce dernier principe de fonctionnement interdit à l’Office de recourir contre les éventuels débiteurs finaux de la réparation aux fins de remboursement des frais engagés tous azimuts. Que les personnes mises en cause soient fautives ou non : le sort réservé à l’Office par la loi est égal en pratique. Ce qui a fait écrire justement à un auteur qu’on privatise les profits ici mais qu’on socialise les pertes làNote 4

3. – Maintien de la paix sociale. –  On ne saurait discuter qu’en inventant collèges et commissions chargés d’instruire les demandes en réparation, le législateur ait été mû par la volonté de bien faire : opérations de maintien de la paix sociale obligeaient sûrement. Force d’intervention dont le déploiement, à l’expérience, est malheureusement à géométrie très variable. Tandis que la foule s’émouvait légitimement du sort de ces milliers de victimes du Médiator, elle réclamait peu dans le scandale des prothèses PIP. Dans les deux cas, la visée esthétique de la démarche (entre autres indications) n’était pourtant pas douteuse. Et de bien peu manifester son émotion du reste dans le scandale des pilules de troisième et quatrième génération (pour ne prendre que ces quelques exemples). En bref, il semble qu’il y ait matière à se demander si ce qu’a fait l’État l’a bien été.

4. – Efficience. –  Service public de la réparation du dommage corporel, établissement public administratif, puissance publique, ces mots ont partie liée avec ce qu’on appelle l’étatisation. Dans son rapport d’activité pour 2005, le Conseil d’État écrit « notre société […] se caractérise par une exigence croissante de sécurité [qui] engendre la conviction que tout risque doit être couvert, que la réparation de tout dommage doit être rapide et intégrale et que la société doit, à cet effet, pourvoir, non seulement à une indemnisation des dommages qu’elle a elle-même provoqués, mais encore de ceux qu’elle n’a pas été en mesure d’empêcher, ou dont elle n’a pas su prévoir l’occurrence. » Voilà l’intention. C’est ce par quoi nous vous proposons de commencer, à savoir une approche conceptuelle de la notion de service public de la réparation du dommage corporel. Une fois que cette première approche aura été terminée, après que l’intention aura été explicitée, nous opterons pour une approche fonctionnelle de la notion sous étude. Le temps sera alors venu d’entamer la critique des règles de droit que l’Administration est priée d’observer pour réaliser l’étatisation de la réparation du dommage corporel.

1.  La conceptualisation du service public de la réparation du dommage corporel (l’étatisation de la réparation)

5. – En première approche, plus volontiers conceptuelle du service public de la réparation du dommage corporel, l’étatisation est tout à la fois providence et stratégie.

A. –  La providence

6. – Apaisement de la société. –  Le développement de l’État providence s’est fait par la voie d’un transfert progressif, sous l’empire de la nécessité, mais aussi sous la pression d’une demande sociale de plus en plus insistante, de l’ensemble des problèmes que le jeu normal des mécanismes sociaux ne permettait plus de résoudre. Apaiser des tensions les plus vives : voilà quel était l’enjeu du transfert. Quant à la méthode, elle nous est familière en ce sens qu’elle a consisté pour l’État à prendre les mesures correctives et compensatoires indispensables pour préserver la cohésion sociale. Au fond, c’est vers un État protecteur (de chacun) que la société française a fini par se tourner en général. C’est donc assez naturellement que les victimes de dommages corporels sériels ou d’accidents collectifsNote 5 se sont tournées vers ce dernier, qui a été prié de les assister dans le cas particulier : garantie de la paix et de la cohésion sociales oblige.

7. – Volontarisme social. –  Il faut se souvenir de l’émotion collective qui a été provoquée par les scandales sanitaires qui se sont succédé depuis les années 1990 et qui a commandé que des règles spéciales soient édictées pour organiser la juste compensation des blessures infligées au corps des victimes et à l’âme de nos concitoyens plus généralement. Il faut encore avoir à l’esprit qu’« on a assisté tout au long du XXe siècle à l’avènement patrimonial et juridique du corps humain, qui a porté en exécration toutes les atteintes à l’intégrité corporelle. La propriété n’a plus été seulement le pouvoir juridique d’un individu sur les biens, celle-là qui lui donne la mesure de l’exclusion des autres »Note 6. Elle est également devenue le pouvoir d’un individu sur sa personne, celle-là qui impose la correction des atteintes illicites portées par les autres, et ce quoi qu’il en coûte. C’est dans ce contexte très particulier que l’Office a été créé en 2002 et que (entre autres personnes intéressés) nos concitoyens, réunis en associations de patients et d’usagersNote 7, ont prié le législateur d’élargir son domaine d’applicationNote 8 à un point tel qu’on se prend à hésiter relativement à la mission de service public dévolue à cet établissement.En résumé : l’invention du service public de la réparation du dommage corporel est très certainement affaire de volontarisme social. Mais peut-être est-ce aussi (et surtout) de responsabilité politique dont il est question. L’État, qui est providence, nous l’avons dit, est aussi stratégieNote 9.

B. –  La stratégie

8. – Scandales sanitaires. –  Il faut bien voir que si des producteurs et fabricants de produits de santé ont manqué à leur obligation de vigilance et s’ils ont été priés de compenser les conséquences préjudiciables de leur manque de diligence, l’État a toujours eu sa part de responsabilité dans les scandales sanitairesNote 10. La vaccination contre la grippe A et la commercialisation du valproate de sodium ont été assurées avec le concours de la puissance publique. Dans le premier cas, la production a été vivement encouragée. Dans le second, elle n’a pas été suffisamment contrôléeNote 11.Conceptuellement donc, l’étatisation de la réparation du dommage corporel a commandé l’invention d’un nouveau service public répondant à un besoin d’intérêt général, qui a en horreur le risque et l’atteinte à l’intégrité physiqueNote 12 tandis qu’en toile de fond il était soutenu que la juridictionnalisation était inadaptée ou inopportuneNote 13.

9. – Force gouvernante. –  Mais alors, relativement à notre objet d’étude, serait-ce qu’en dehors de l’intervention de l’Administration il n’y aurait point de salut pour les victimes ? De prime abord, la question a quelque chose de saugrenu. La saisine du juge de la réparation par des professionnels du droit rompus à l’exercice est de nature à assurer le rétablissement de l’équilibre détruit par le dommage. Ce n’est pourtant pas vers le service public de la justice, dont on dit pis que pendre, qu’on s’est tournéNote 14. L’étatisation sous étude donnerait donc à penser avec Duguit que la puissance publique serait la seule à même de remplir cette mission de réparation ; que, par voie de conséquence, « son accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale, et qu’elle est de telle nature qu’elle ne peut être réalisée complétement que par l’intervention de la force gouvernante »Note 15.

10. – Protection universelle maladie et accident. –  Au fond, le service public sous étude ne serait-il pas la manifestation d’une nouvelle solidarité ? La protection universelle qui a été inventée pour la maladie – Puma – (C. assur., art. L. 160-1), et qui a détourné notre système de protection sociale de la logique strictement assurantielle qui l’a longtemps caractérisé, ne vaudrait-elle pas également pour l’accident ? Aussi anecdotique que cela puisse paraître, l’acronyme « Puma » fonctionnerait : « Protection universelle maladie et accidents ». Des risques de l’existence primaire ont été couverts hier par le Gouvernement provisoire de la république française. Le temps n’est-il pas venu de couvrir aujourd’hui des risques plus complexesNote 16 ? Ceci posé, et réflexion faite, ne serait-ce déjà pas le cas ? Si l’on doit à l’Office d’assurer la rémunération de nombreux collaborateurs, d’une foule d’experts médecins et juristes et d’assumer la gestion de leur activité respective ; si on lui doit mille et une avances sur recours et garanties ; c’est pour autant que son activité est financée. Or, ce sont précisément les cotisants et les contribuables qui, en fin de compte, et en première intention, solvabilisent l’action de ce dernier établissement public administratif. Pour mémoire, l’office est financé au principal par une dotation des régimes obligatoires d’assurance maladie (et non par les créateurs de risques) (CSP, art. L. 1142-23)Note 17.

11. – En guise de conclusion intermédiaire , ne serions-nous pas sur la voie de la synthèse des modèles archétypaux bismarkien et beveridgien qui sont bien connus en droit de la sécurité sociale ? Au premier, nous emprunterions l’intention. Ne pourrait-on pas considérer avec Bismark que « l’État a pour mission de promouvoir positivement par des institutions appropriées et en utilisant les moyens de la collectivité dont il dispose, le bien-être de tous ses membres […] »Note 18 ? Au second, Beveridge, nous prendrions la réalisation. Optant avec ce dernier pour une approche assistancielle ou universelle, la couverture sociale sous étude ne serait plus offerte aux seules personnes assurées mais à toutes les victimes pour la seule raison qu’elles ont été atteintes dans leur intégrité corporelle.Partant, la protection proposée par le service public de la réparation du dommage corporel serait tout à la fois universalité, unité et uniformité : universalité de la protection sociale en quelque sorte par la couverture de toutes les victimes concernées, uniformité des règles de la réparation construites petit à petit par des aréopages d’experts médecins et juristes (le tout en dehors du juge par hypothèse), unité de gestion administrative de l’ensemble du processus d’indemnisation. La fusion du Fiva et de l’Oniam, imaginée un temps par le ministère de la Santé, s’inscrivait, nous semble-t-il dans ce mouvementNote 19.Aussi stimulant pour l’esprit et nécessaire à la concorde soient l’invention du service public de la réparation du dommage corporel et l’étatisation sous étude, aussi importantes soient les considérations qui ont présidé à la construction de l’ensemble, il y a tout de même matière à douter méthodiquement qu’on ait bien fait. C’est qu’il est loin d’être indifférent de remplacer des juges par des administrateurs. C’est pourtant ce à quoi on aboutitNote 20. Loin de nous de soutenir que la puissance publique ait jamais été désireuse d’organiser un remplacement quelconque. Douter dans le cas particulier que l’étatisation soit la voie qu’il importait de choisir c’est vérifier si le fonctionnement du service public de la réparation du dommage corporel – ou, pour le dire autrement, l’administrativisation de la réparation – est gage d’une organisation optimale de notre État de droit.

2.  Le fonctionnement du service public de la réparation du dommage corporel (l’administrativisation de la réparation)

12. – De prime abord, le fonctionnement du service public de la réparation du dommage corporel est plein de vertus. Elles seront mises en exergue pour commencer. Place sera laissée ensuite aux vices dont il n’est pas certain qu’on ait bien vu, nous semble-t-il, que nombre d’entre eux étaient tout bonnement rédhibitoires, ce qui par voie de conséquence interroge quant à la conceptualisation qu’il nous a été donné d’exposer à grands traits, qu’il s’agirait donc de reprendre le moment venu.

A. –  Les vertus

13. – Théorie. –  Le service public de la réparation du dommage corporel est vertueux entre autres raisons parce qu’il obéit à quelques principes organisationnels, qui ne souffrent pas la critique, qui imposent à l’Administration de répondre effectivement aux besoins collectifs. À l’aune de ces derniers, qui ont été rappelés, on peut défendre que l’existant est notablement amélioré en ce sens que la victime est épargnée des tracas (assez ordinaires du reste mais qui sont loin d’être négligeables) que supporte tout litigant dans un procès.Il est suffisant de renseigner un « formulaire de demande d’indemnisation », qui peut être téléchargé sur le site internet de l’Office, et d’adresser la série de pièces justificatives de son état (V. par ex. CSP, art. L. 1142-24-2) voire de compléter sa demande des pièces manquantes qui auront été réclamées par les « instructeurs gestionnaires indemnisation » (CSP, art. R. 1142-63-8), qui apportent une assistance tout à fait remarquable aux demandeurs. Ce n’est pas tout.Tandis que le procès civil est de type accusatoire en ce sens que la loi abandonne l’instruction de l’affaire à la diligence des parties, la procédure amiable est plus volontiers inquisitoire. Les commissions et les collèges placés auprès de l’Office procèdent à toute investigation utile à l’instruction dit le Code de santé publique. À ce titre, une expertise, dont le coût au passage est supporté par l’office (CSP, art. R. 1142-63-12), peut tout à fait être diligentée sans que le secret professionnel ou industriel ne puisse être opposé (CSP, art. L. 1142-24-4 et R. 1142-63-9, al. 4)Note 21. Il y a plus.Dans le cas particulier, l’étatisation de la réparation épargne la victime des affres du dualisme juridictionnel et simplifie par voie de conséquence son parcours indemnitaire. Le Conseil constitutionnel de relever pour sa part un triple avantage à cette modalité de la réparation : automaticité, rapidité et sécurité de la réparationNote 22.

Technique. –  Sur un plan plus technique à présent, et qui prête tout autant à conséquence, l’étatisation de la réparation du dommage corporel est de nature à normaliser les suites de l’instruction. Les critères d’imputation des atteintes renseignées sont affinés au fur et à mesure des séances de travail, de l’évolution des connaissances médicales et de la conviction des uns et des autres qui se forge. Emporté dans son élan, le législateur s’est même aventuré à réformer le dispositif benfluorex en cours de route pour autoriser une auto-saisine du collège d’experts pour le cas où (entre autres cas de figure) des éléments nouveaux seraient susceptibles de justifier une modification d’un précédent avis (ou bien si les dommages constatés sont susceptibles, au regard de l’évolution des connaissances scientifiques, d’être imputés au procédé actif du médicament incriminé) (CSP, art. L. 1142-45-5, al. 4)Note 23. Il y aurait beaucoup à dire sur cette saisine proprio moutu entre autres qu’il n’est pas certain du tout qu’elle résiste à un contrôle de constitutionnalité a posteriori de la loi qui l’a instituéeNote 24. Il reste que la quantification des atteintes objectivées est plus fine (que ce qui est renseigné dans les barémisations indicatives pratiquées) en raison de l’hyper-connaissance des lésions typiques acquise petit à petit par les experts au gré de l’analyse de centaines voire de milliers de dossiers (focus)Note 25. Pour preuve, tandis que le Code de la santé publique dispose qu’il importe d’avoir recours au barème indicatif du concours médical (CSP, art. L. 1142-1, II, al. 2 et D. 1142-2)Note 26 et que l’on pourrait craindre une application mécaniqueNote 27, à l’expérience les experts ont su se démarquer pour inventer autant que de besoin une barémisation indicative nettement plus aboutie par comparaison. Ce n’est pas tout : une telle concentration des demandes est de nature à recommander quelques inventions et/ou corrections du droit positifNote 28, l’effet loupe en quelque sorte étant de nature à mettre en évidence les silences et insuffisances de la loi tandis qu’il aurait très certainement fallu des années au service public de la justice pour prendre la mesure des nécessités impérieuses de modifier l’existant.Où l’on constate pour résumer que l’étatisation de la réparation du dommage corporel présente des vertus tout à fait remarquables. Une question reste en suspens : les quelques vertus renseignées compensent-elles les quelques vices sur lesquels il importe à présent de réserver l’attention ?

B. –  Les vices

14. – La divergence des intérêts. –  Au nombre des critiques que l’on peut faire dans le temps imparti, il n’est jamais de bonne méthode de donner à croire que l’on peut valablement formuler des demandes sans le ministère d’un avocat-conseil. Peu important au fond que les agents du service public de la réparation du dommage corporel soient les plus diligents. Là n’est pas la question. Car toute amiable que soit la procédure, elle se change inévitablement en combat. C’est que les intérêts finissent toujours par diverger. Il faut bien voir que l’intérêt de la victime – qui espère invariablement le paiement de dommages-intérêts compensatoires les plus grands – n’est pas nécessairement celui du régleur (l’Office en l’occurrence) – qui est comptable inévitablement des deniers publicsNote 29. D’aucuns répondront que l’Office n’est pas nécessairement le débiteur final de la réparation. Il suffit pourtant que la personne mise en cause dans un avis d’indemnisation ne formule aucune offre ou bien que cette offre soit rejetée en raison de sa petitesse et l’Office sera substitué. Ce dernier peut donc être peu disant à l’heure de formuler à son tour une offre d’indemnisation, le budget de fonctionnement alloué étant contraint et la créance de remboursement pouvant être douteuse. Le ministère d’un avocat prend donc tout son sens. Ceci dit, que l’assistance et la représentation soient rendues obligatoires et ce premier vice devrait tomber de lui-même.Il y a en revanche autrement plus compliqué ou fâcheux, c’est selon. C’est de la co-saisine des juges et des administrateurs dont il est question.

15. – L’articulation des procédures. –  Le législateur n’a édicté aucune règle aux fins d’articulation des procédures judiciaire et amiableNote 30 qui auraient été engagées en parallèle. C’est regrettable, car l’invention de deux ordres de règlements des litiges exclusifs l’un l’autre est de nature, par hypothèse, à créer de sacrées divergences, partant de bien regrettables ruptures d’égalité de traitement. On nous opposera qu’il n’y a rien là que de très commun, le principe d’organisation territoriale des juridictions causant le même tracas. Certes, mais la concentration du contentieux en cause d’appel est de nature à lisser ces contingences. Or, le travail à visée indemnitaire de l’Office est réalisé en premier et dernier ressort en quelque sorte. Ceci mis à part, le problème reste entier. En bref : comment régler la contradiction éventuelle entre un jugement qui déboute la victime de ses prétentions et un avis qui fonde cette dernière à être indemnisée ?De prime abord, on n’a jamais vu que le judiciaire devait tenir l’administratif en l’état. Se pose alors la question de savoir à l’ordre de quel juge l’Office, en cas de substitution pour les raisons prescrites par la loi, devra déférer ? À l’ordre de celui qui préside la formation de jugement (incarnation du pouvoir judiciaire) ou bien à l’ordre de celui qui préside le collège ou la commission qui a rendu un avis d’indemnisation (incarnation du pouvoir exécutif) ? Pour mémoire, ces derniers aréopages sont présidés par des magistrats.Si le rejet de la demande d’indemnisation est le fait du juge administratif, on imagine mal que l’Administration ne se range pas sous sa bannière : tropisme obligerait. Mais si le rejet des prétentions du demandeur a été prononcé par un juge judiciaire, qu’il soit civil ou pénal, le problème pourrait rester entier. Aussi bien s’agirait-il d’imaginer une articulation entre les procédures judiciaire et amiable pour lever l’injonction contradictoire dans laquelle se trouve la direction de l’établissement et, ce qui n’est pas la moindre des considérations, garantir une cohérence décisionnelle.Pour ce faire, aussitôt l’Office informé de la saisine d’un juge, la procédure amiable gagnerait à être suspendue. Il faut voir dans cette règle une mesure purement conservatoire qui participe d’une bonne administration du service pendant que les moyens (limités de l’office) sont immédiatement remployés au profit de celles et ceux qui sont désireux que leurs différends soient réglés à l’amiable. Qu’on se rassure toutefois : le droit subjectif à la réparation amiable du demandeur ne saurait jamais être violé. C’est son exercice qui serait tout simplement différé dans le temps. À front renversé, il s’agirait que le législateur inventât une nouvelle cause de sursis à statuer à la manière de ce qui a été fait avec la création de la question prioritaire de constitutionnalitéNote 31. Le demandeur renseignant sa volonté d’entrer en voie de transaction, c’est l’extinction de l’instance dont il sera possiblement question en définitive. Quant au risque d’atteinte au droit au juge au sens de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui est connu, il importera de veiller à ce que les délais d’instruction restent raisonnables.Ce n’est pas tout. Il s’agirait aussi de s’interroger sur la loyauté des rapports noués entre toutes les personnes intéressées.

16. – La loyauté des rapports. –  En l’état de la législation, les commissions et collèges d’experts placés auprès de l’Oniam instruisent les demandes d’indemnisation et les mises en cause des professionnels de santé et fabricants sans que ces derniers n’en soient immédiatement avertis. Et d’avancer dans l’instruction ou la phase d’information préalable sans aviser plus avant les parties intéresséesNote 32. Ce n’est qu’une fois que le travail a été entamé et qu’un projet d’avis a été rédigé que les commissions et collèges informent les intéressés en les exhortant de conclure en réponse dans des délais extrêmement brefs (qui sont prorogés en pratique). Étude à visée conservatoire à la manière d’une consultation réalisée en cabinet d’avocat, nous rétorquera-t-on. Rien que de très ordinaire en somme à la différence près tout de même qu’en procédure civile il importe de formuler une demande introductive d’instance en bonne et due forme, laquelle une fois faite commande l’observance de toute une série de principes qui garantissent la loyauté des débats : celui de la contradiction et de l’égalité des justiciables dans le procès, qui ne souffrent aucun aménagement. Mais il y a autrement plus ennuyeux de notre point de vue. C’est que l’instruction est menée au vu de la documentation que le demandeur aura bien voulu communiquer à l’Office. Sans jamais faire aucune offense aux usagers du service public de la réparation du dommage corporel, la tentation de la sélection (voire d’une supposition) des pièces probantes est grande. Si donc l’Office ne demande pas qu’il lui soit communiqué tout le dossier médical (peu important dans les mains de quel professionnel il se trouve), le risque existe que l’information du collège ou de la commission soit en tout ou partie tronquée.Où l’on mesure les différences qui restent notables entre les deux services publics sous étude. Mais il est un dernier vice sur lequel nous souhaiterions attirer l’attention. Il a trait au défaut d’homologation de l’accord transactionnel, qu’il s’agirait pourtant de systématiser.

17. – L’homologation. –  Tant que les intérêts du demandeur constitué en victime sont protégés, soit par le ministère d’avocat, soit par un régime tutélaire, au fond c’est un accord de bon aloi. L’ennui, c’est qu’il pourrait fort bien arriver que des protocoles transactionnels soient signés alors que la victime est juridiquement incapable pendant qu’elle n’est pas utilement représentée. Et si, par extraordinaire, le procureur de la république n’est pas averti par l’Office – éventuellement substitué – afin qu’une mesure de protection soit prise, l’acte juridique encourra la nullité. Quand sera-t-elle découverte ? Eh bien lorsque la gestion des dommages-intérêts (possiblement capitalisés) aura été si calamiteuse que la victime se retrouvera sans un sou. Alors, la nullité de la transaction ne manquera pas d’être excipée. Le retour au statut quo ante ne pouvant être fait au préjudice de l’incapable, à la fin de l’histoire, celui qui aura payé bien imprudemment sera prié de payer une seconde fois. On accordera toutefois que le risque est de moindre intensité depuis la réforme du droit commun des contrats, le nouvel article 1151 du Code civil renfermant un obstacle – non plus aux seules restitutions comme c’était le cas sous l’empire du droit ancien encore qu’il n’était que relatif(V. également C. civ., art. 1352-4 [art. 1312 ancien]) – mais bien à l’action en nullité. Il reste que, pour bien faire, l’homologation judiciaire nous semble-t-elle de nature à palier ce vice et refréner les velléités de contestation : service public n’obligerait-il pas ?

18. – Interrogation et ouverture. –  On écrit que le système judiciaire français serait incapable de répondre aux besoins des victimes de sinistres sérielsNote 33 ; que les dommages de masse ne sauraient être son affaire. Qu’il nous soit tout même permis de rappeler que le service public de la justice, lorsqu’il a été saisi, n’a pas été ni moins vite ni plus lentement que le service public de la réparation du dommage corporel ; que le juge a su rendre à chacun de qui était dû dans des affaires qui ont échappé à l’Office.Aussi, pour conclure, et faute d’avoir épuisé le sujet, permettez-nous de poser une question. N’a-t-on jamais objectivé une carence si considérable du service public de la justice qu’il ait fallu prendre pour une habitude de substituer des administrateurs aux juges et, ce faisant, inventer une concurrence qui ne dit pas son nom et ne rend pas complètement justice à toutes les personnes concernées ?Une exhortation poétique pour terminer : vingt fois sur le métier remettez l’ouvrage. Polissez-le sans cesse et le repolissez. Ajoutez quelques fois et souvent effacez. Vingt années se sont écoulées depuis que l’Office a été créé. Le temps de la réforme de l’existant ne serait-il pas venu ??

Note : Article qui est le fruit d’une participation au colloque organisé par l’Université de Paris et le professeur Guégan le 04 mars 2022 à la Sorbonne intitulé : “Responsabilité médicale – 2002-2022 :Vingt ans de coexistence de la responsabilité et de la solidarité en matière médicale” publié à la revue Responsabilité civile et assurance (avr. 2022).

Note 1 D. Truchet, Droit administratif : PUF, 9e éd., 2021, p. 50 et s.

Note 2 P.-L. Frier et J. Petit, Droit administratif : LGDJ, 15e éd., 2021, n° 375 et s.

Note 3 J. Morand-Devilier, P. Bourdon et F. Poulet, Droit administratif : 17e éd., 2021, p. 509. – Comp. D. Truchet, Droit administratif : PUF, 9e éd., 2021, p. 371, n° 1066 (solidarité, équité, efficacité).

Note 4 L. Bloch, Interrogation autour de la réforme du système d’indemnisation des victimes du valproate de sodium : Resp. civ. et assur. 2019, alerte 23. – Sur la dialectique justice corrective vs justice distributive aux fins de description du droit de la responsabilité civile français, V. Rivollier, Les fonctions de la responsabilité civile face à la socialisation des risques en matière de dommages corporels, mél. P. Ancel : Larcier, 2021, p. 541. Il importerait qu’on s’interrogeât aussi sur l’effet d’aubaine créé par le dispositif amiable, qui autorise les personnes contre lesquelles un avis d’indemnisation a été rendu de transiger à l’aune des pratiques et bases de couverture du risque de l’Office.

Note 5 A. Guégan, Dommage de masse et responsabilité civile, préf. P. Jourdain, t. 472 : LGDJ, 2006. – F. Bibal et Cl. Bernfeld, Les dommages sériels causés par des produits de santé : Gaz. Pal. 19 janv. 2021, p. 77.

Note 6 A.-M. Patault, Dictionnaire de la culture juridique : PUF, 2003, v° propriété.

Note 7 Ch. Saout, La démocratie sanitaire à travers l’action des associations de patients et d’usagers (entretien) : RJSP 2021.6, n° 21.

Note 8 V. not. E. Terrier et J. Penneau, Médecine : réparation des conséquences des risques sanitaires – organes de la procédure : Rép. civ. Dalloz, 2020, n° 415.

Note 9 J. Chevallier, Les configurations de l’État stratège : RFFP nov. 2020, p. 27.

Note 10 Igas, Enquête sur le Médiator, janv. 2011 (www.igas.gouv.fr/spip.php ? article162). – Igas, Enquête relative aux spécificités contenant du valproate de sodium, févr. 2016 (www.igas.gouv.fr/spip.php ? article522). – CE, 1re et 6e ch. réunies, 9 nov. 2016, n° 393902 et 393926 : Lebon. – J. Sorin, Médiator : partage des responsabilités entre l’État et Servier : AJDA 2017, p. 2140. – R. Pellet, La défiance, du sanitaire au social : RDSS 2021, p. 143. – O. Gout, L’Oniam, un établissement à multiples facettes : Gaz. Pal. 16 juin 2012, p. 37.

Note 11 Le législateur s’est d’ailleurs appliqué par la suite à améliorer l’existant (L. n° 2011-2012, 29 déc. 2011, relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé) tandis que le juge n’a pas manqué de sanctionner tous les protagonistes de l’affaire, l’agence nationale de santé et de sécurité du médicament comprise (T. corr. Paris, 31e ch., 29 mars 2021 : condamnation des laboratoires Servier des chefs de tromperie aggravée, d’homicides et blessures involontaires ; 180 millions de dommages et intérêts et plus de 2,7 millions d’ euros d’amende. Condamnation de l’agence – ex Afssaps à 303 000 € d’amende pour avoir tardé à suspendre l’autorisation de mise sur le marché).

Note 12 F. Ewald emploie pour sa part la notion de « services publics de responsabilité ». C’était il y a 35 ans. Et l’auteur d’esquisser « le schéma général du nouveau droit de la responsabilité articulé sur le principe d’un droit de l’accident [qui] ne met plus face à face deux sujets que sont l’auteur et la victime du dommage, mais trois acteurs : la victime, le responsable et une collectivité, représentée par un ou plusieurs organismes d’assurance » (Histoire de l’État providence. Les origines de la solidarité, Grasset, 1996). En bref, et pour présenter les choses autrement, préférez la socialisation du risque et l’Office à l’assurantialisation ; nous devrions alors rejoindre assez facilement la thèse de l’auteur. V. également G. Viney, Le déclin de la responsabilité individuelle, préf. R. Rodière : LGDJ, 1965.

Note 13 F. Leduc, Solidarité et indemnisation in La solidarité, Travaux de l’association Henri Capitant, t. LXIX : Bruylant, 2019.

Note 14 V. not. S. Jouslin de Norray et Ch. Joseph-Oudin, Le dispositif spécifique d’instruction des demandes d’indemnisation concernant les préjudices imputables au valproate de sodium : un avantage pour les droits des victimes ? : RLDC 2017, n° 146.

Note 15 L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, t. 2 : 3e éd., 1928, p. 61. – Cité par J. Petit et P.-L. Frier, Droit administratif : LGDJ, 13e éd., 2019, n° 363.

Note 16 F. Kessler, Complément ou substitution à la sécurité sociale ? Essai sur l’indemnisation sociale comme technique de protection sociale : Dr. soc. 2006, p. 191.

Note 17 Comp. le financement du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques qui est intéressant à cet égard (C. rur., art. L. 253-8-2).

Note 18 Reichstag, discours, 17 nov. 1881.

Note 19 V. Th. Leleu, Oniam. Vers la création d’un géant de l’indemnisation, à propos du rapport de l’Igas proposant la fusion de l’Oniam et du Fiva : Resp. civ. et assur. 2021, étude 12.

Note 20 V. également en ce sens, J. Knetsch, Le nouveau dispositif d’indemnisation des victimes du Médiator issu de la loi du 29 juill. 2011 : Resp. civ. et assur. 2011, étude 14, spéc. n° 9.

Note 21 V. not. J. Knetsch, Le nouveau dispositif d’indemnisation des victimes du Médiator issu de la loi du 29 juill. 2011 : Resp. civ. et assur. 2011, étude 14, spéc. n° 5 et s.

Note 22 Cons. const., 18 juin 2010, n° 2010-8 QPC, cons. 16.

Note 23 Créé par la L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, art. 187. – V. également CSP, art. L. 1142-24-12, al. 6 (saisine du collège valproate de sodium).

Note 24 V. not. et par comparaison : J. Bourdoiseau note ss Cons. const., 15 nov. 2013, n° 2013-352 QPC : LPA 30 mai 2014.

Note 25 V. également en ce sens, L. Bloch, Scandale de la dépakine : le « fonds » de la discorde : Resp. civ. et assur. 2016, alerte 24. – A. Guégan, Les nouvelles conditions d’expertise au sein du dispositif pour l’indemnisation des victimes du valproate de sodium : Gal. Pal. 19 janv. 2021, p. 83. – L. Friant, L’indemnisation extrajuridictionnelle des victimes du valproate de sodium ou de ses dérivés : bilan et perspectives : RLDC 2020, n° 183.

Note 26 Barème annexé au D. n° 2003-314, 4 avr. 2003, ann. 11-2.

Note 27 J. Bourdoiseau, La réparation algorithmique du dommage corporel : binaire ou ternaire ? : Resp. civ. et assur. 2021, étude 7.

Note 28 Il pourrait être soutenu qu’une telle initiative est douteuse faute pour les administrateurs, aussi experts soient-ils, d’être fondés à se départir des règles de droit applicable dans le cas particulier. Il se pourrait même qu’il y ait plus à dire encore. C’est qu’il n’est pas acquis du tout que lesdits administrateurs aient jamais été priés par le législateur de trancher en droit. C’est pourtant à l’aune du droit positif que les demandes sont appréciées : tropisme oblige (qui gagnerait à être interrogé).

Note 29 V. not. sur cette problématique à propos du Fiva, Ph. Brun, Droit de la responsabilité extracontractuelle : LexisNexis, 2018. À noter encore que la présence éventuelle du chef des services benfluorex et valproate de sodium dans les séances des collèges éponymes, ce dernier ayant la responsabilité de formuler une offre transactionnelle en cas de substitution de l’Office, donne-t-elle à penser : ordonner la dépense (à tout le moins participer même sans voix délibérative à la délibération) et payer ne font pas bon ménage en général.

Note 30 Le législateur a toutefois cherché à prévenir l’enrichissement injustifié du demandeur par une information circonstanciée (V. art. Knetsch, Le droit de la responsabilité et les fonds d’indemnisation : th. Paris 2, 2011, n° 338).

Note 31 Ord. n° 58-1067, 7 nov. 1958, art. 23-2.

Note 32 F. Bibal, La contradiction n’est pas respectée devant les CCI : Gaz. Pal. 15 févr. 2022.

Note 33 S. Jouslin de Noray et Ch. Joseph-Oudin, Le dispositif spécifique d’instruction des demandes d’indemnisation concernant les préjudices imputables au valproate de sodium : un avantage pour les droits des victimes ? : RLDC 2017, n° 146.

L’intelligence artificielle, la réparation du dommage corporel et l’assurance

Interface homme-machine.- Qui consomme des biens et des services sur le web a dû, à un moment ou un autre, avoir été prié par un système d’informations d’attester qu’il n’était pas une machine… Voilà une bien singulière révolution. C’est dire combien la fameuse IHM – interface homme-machine – est pleine de virtualités potentielles qui échappent encore à beaucoup de gens, juristes compris dont la production de droit est encore (et pour l’essentiel) artisanale tandis qu’elle aspire pourtant ici et là à l’industrialisation.

Algorithmisation.- La question des rapports qu’entretiennent intelligence artificielle, réparation du dommage corporel et assurance se pose plus particulièrement depuis que la nouvelle économie (celle de la  startup nation, du big data,de l’open data, de la data science et des legaltechs) rend possible l’algorithmisation du droit. En résumé, il se pourrait fort bien que les affaires des hommes puissent être gouvernées par une intelligence artificielle et que, pour ce qui nous concerne plus particulièrement, la liquidation des chefs de préjudices corporels puisse être plutôt bien dite à l’aide d’outils de modélisation scientifique et ce par anticipation.

Clef de voûte.- Anticipation. Voilà la clef de voûte, qui ne saurait exclusivement avoir partie liée avec la cinématographie, la météorologie ou bien encore la cartomancie. C’est que le désir de connaître est irrépressible, toutes les parties intéressées recherchant le montant des dommages et intérêts compensatoires en jeu. Quant à l’assureur du risque de responsabilité civile, le calcul de la provision technique ne souffre pas le doute (pas plus que le calcul de la dotation générale de fonctionnement des fonds d’indemnisation et de garantie). Seulement voilà, la variance du risque de responsabilité est telle que son assurabilité est structurellement précaire. Aussi, et à titre très conservatoire à ce stade, peut-on inférer de l’intelligence artificielle une baisse significative de ladite variance pour les uns et une augmentation remarquable de la prévoyance pour les autres.

Ternaire.- À la question posée de savoir quel apport au singulier est-on en droit d’attendre de l’intelligence artificielle à la réparation du dommage corporel, toute une série de mots peut être convoquée, lesquels mots, une fois regroupés, forment un ternaire : prévisibilité, facilité, sécurité et qui participent, plus fondamentalement de l’égalité de tout un chacun devant la connaissance.

C’est ce qui sera montré en premier lieu, à savoir combien, et c’est heureux au fond, l’égalité apportée par l’algorithmisation du droit de la réparation du dommage corporel est profitable I). Chose faite, une fois le projecteur braqué sur les tenants de l’intelligence artificielle, il importera, en second lieu, d’attirer l’attention sur les zones d’ombres et les aboutissants de l’algorithmisation de la matière pour dire combien ladite égalité est trompeuse en ce sens qu’elle n’est que nominale (II).

I.- Heureuse et profitable égalité apportée par l’algorithmisation de la réparation du dommage corporel

La connaissance par toutes les parties intéressées du quantum des dommages et intérêts susceptibles d’être grosso modo alloués dans un cas particulier participe d’une heureuse et profitable égalité. La data science et l’algorithmisation de la réparation du dommage corporel autorisent à croire, d’une part, que l’égalité sous étude est faisable techniquement et donnent à penser, d’autre part, qu’elle est opportune politiquement.

A.- Faisabilité technique

Réservation.- Le recours à l’intelligence artificielle dans le dessein de garantir à tout un chacun un égal accès à la connaissance est faisable techniquement bien que la liquidation des chefs de préjudices corporels soit un exercice relativement complexe, qui est l’affaire de personnes sachantes qui ne sont pas très nombreuses ni pas toujours très faciles à identifier.

Rares sont les justiciables qui savent que la maîtrise du droit du dommage corporel est une spécialité que peuvent renseigner quelques avocats-conseils[1] et un contentieux exclusivement confié aux tribunaux judiciaires à défaut de transaction[2]. Rares sont encore les juristes ou les personnes instruites qui peuvent sans trop de difficultés s’aventurer. Ce n’est pas à dire qu’aucune formation ne soit proposée ni qu’aucune source doctrinale ou jurisprudentielle ne soit accessible en la matière. Bien au contraire. Seulement voilà, la connaissance élémentaire du droit de la réparation du dommage corporel se monnaye (formation, abonnement, honoraires) tandis que, dans le même temps, toutes les règles qui organisent le paiement des dommages et intérêts compensatoires sont désormais en libre accès. Cela a été bien vu par les faiseurs de systèmes algorithmiques qui sont très désireux de proposer à la vente quelques nouveaux services, considérant à raison que la connaissance pure est à présent libre de droits. Nous y reviendrons.

Invention.- Pour l’heure, faute de traitement automatisé des données ni de référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels 2.0, toutes les personnes intéressées sont laissées à leur imagination fertile et leurs ressources techniques respectives pour gagner en efficacité. Il faut bien voir que le dommage causé est irréversible et le retour au statu quo ante illusoire. Aussi bien les opérateurs économiques ont-ils toujours recherché un moyen de procéder méthodiquement tantôt pour informer, tantôt pour conseiller, tantôt pour transiger, tantôt pour juger : toujours, et invariablement, pour économiser du temps (à tout le moins)[3]. L’élaboration d’étalonnages s’est donc nécessairement faite de façon manuelle mais confidentielle pour l’essentiel par chacun des acteurs de la réparation : maximisation de l’allocation des ressources oblige.

Disruption.- Les algorithmiciens ont trouvé dans le droit un terrain fructueux d’expérimentation. Les juristes ont d’abord résisté. Ils sont nombreux à continuer du reste en repoussant l’algorithmisation. Et de soutenir que le droit est affaire des seuls femmes et hommes passés grands maîtres dans l’art de liquider les chefs de préjudices corporels et de garantir le principe de la réparation intégrale. Mais aussi vertueuse soit la démarche, qui est animée par le désir de protéger au mieux les victimes, n’est-il pas douteux qu’on puisse continuer de s’opposer à toute invention qui participerait d’un égal accès à la connaissance ? Car, c’est ce dont il semble bien être question en vérité.

D’ingénieux informaticiens accompagnés par d’audacieux juristes ont fait le pari que l’algorithmisation du droit n’était pas une lubie de chercheurs désœuvrés et par trop aventureux mais une remarquable innovation de rupture. Innovation qui se caractérise précisément par la modification d’un marché en l’ouvrant au plus grand nombre.

Il faut bien voir que le droit aspire (naturellement pourrait-on dire) à l’algorithmisation. On l’a montré ailleurs[4]. La structuration de la règle juridique est de type binaire (qualification juridique/régime, conditions/effets, principe/exception…). Quant à sa révélation, elle est mathématique (ou presque) en ce sens qu’elle suppose employées quelques méthodes éprouvées d’exploration et de résolution des problèmes. Ainsi présenté, le droit ressemble assez au langage des microprocesseurs des ordinateurs, au code qui est utilisé dans les technologies de l’information et de la communication. Le juriste et l’informaticien, le législateur et l’ingénieur, ne parleraient-ils pas le même langage en fin de compte ou, à tout le moins, un langage plus commun qu’il n’y paraît de prime abord ?

En résumé, l’algorithmisation sous étude participe très certainement d’un égal accès à la connaissance. Non seulement, il est techniquement faisable de le garantir mais, plus encore, il est politiquement opportun de procéder.

B.- Opportunité politique

Open data.- Les industriels n’ont pas manqué de relever le caractère assez artisanal de nombreux pans ou chaînes de production du droit. Dans le même temps, jamais le volume de données disponibles en France et mises à disposition pour une utilisation gratuite n’a été si grand[5]. Tout Legifrance, tous les arrêts de la Cour de cassation, toutes les décisions du Conseil d’État sont en open data (https://www.data.gouv.fr). Il en sera de même sous peu de tous les arrêts rendus par les cours judiciaires d’appel.

Datajust.- Sur cette pente, le Gouvernement a publié un décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 Datajust ayant pour finalité le développement d’un algorithme destiné précisément à permettre l’élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels. Peu important les critiques qui ont pu être formulées quant au déploiement du dispositif, l’intention était des plus intéressantes[6]. Saisi, le Conseil d’État considérait du reste le 30 décembre dernier qu’il n’y avait aucune raison d’annuler ledit décret[7]. Le 13 janvier dernier, le ministère de la justice faisait pourtant machine arrière et renonçait (pour l’instant) à l’expérimentation.

Justice algorithmique.- Que l’algorithmisation de la réparation du dommage corporel fasse naître quelques craintes, et que la méthode employée soit critiquable, personne n’en disconviendra. Il faut bien voir que pratiquer une intelligence artificielle dans notre cas particulier, c’est une sacrée entreprise, à savoir : renseigner la créance de réparation de la victime et la dette de dommages et intérêts du responsable. En bref, c’est dire du droit assisté par ordinateur et possiblement faire justice. Que l’IA participe du règlement amiable des différends, chacun étant peu ou prou avisé de ses droits et obligations respectifs, que, partant, le référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels désengorge les tribunaux, c’est chose. Seulement voilà, toute cette ingénierie n’est acceptable que pour autant que l’algorithmisation de la réparation n’est pas l’affaire des seuls opérateurs économiques, privés s’entend[8].

Service public.- Il serait des plus opportuns que l’État s’applique à développer un algorithme et/ou à réguler les modèles mathématiques existants : service public du droit et de la  justice oblige. La nature est ainsi faite qu’elle exècre le vide. Les systèmes algorithmiques à visée indemnitaire ne sont plus du tout underground pendant qu’ils sont autrement plus fructueux que les publications (sans préjudice de leur qualité naturellement) qui consistent à renseigner les pratiques des juridictions (pour l’essentiel), des barémisations, des nomenclatures, des référentiels.  Seulement, en l’état, lesdits systèmes ne sont pas régulés du tout. Or c’est d’aide à la décision juridique et juridictionnelle dont il est question. Sous couvert de participer à la défense d’un égal accès à la connaissance de tout un chacun, ces legal startups pourraient donner à penser aux victimes et à celles et ceux qui pratiquent leurs algorithmes que le droit serait une suite sans discontinuité ni rupture de données élémentaires que rien ne ferait plus mentir. Chose faite, seul le fort, à savoir celui qui a la connaissance du droit et la puissance rhétorique de se disputer, saurait déjouer la vérité algorithmique. La prudence est donc de mise.

C’est ce qu’il importe à présent d’aborder à savoir qu’à la différence de l’ordre juridique, l’ordre numérique ne promeut qu’une bien trompeuse égalité nominale.

II.- Trompeuse et nominale égalité apportée par l’algorithmisation de la réparation du dommage corporel

L’égalité nominale d’accès à la connaissance est trompeuse pour deux séries de raisons. D’une part, l’accaparement de l’algorithmisation par les juristes et plus généralement par toutes les personnes intéressées est vraisemblablement tronquée (A). D’autre part, le chiffrement des règles de droit réalisé par les algorithmiciens est possiblement biaisé (B).

A.- Accaparement tronqué

Efficience.- L’accaparement par tout un chacun des référentiels indicatifs d’indemnisation des préjudices corporels peut être tronqué en ce sens que si la réparation algorithmique lève l’asymétrie d’information et facilite la liquidation des chefs de préjudices réparables, le trait qui sépare simplification et simplisme n’est pas épais. Prenons garde à ce que sous couvert de facilitation, il ne s’agisse pas bien plutôt de supplantation.

La réparation algorithmique a un mérite : elle simplifie très notablement la recherche de la vérité pendant qu’elle réduit les coûts de production. Mais à la manière d’un code juridique imprimé par un éditeur dont le maniement des notes sous articles est des plus commodes pour le spécialiste mais se révèle être un faux ami pour celui qui s’y aventure à l’occasion, le code informatique pourrait tromper ses utilisateurs les moins avertis, qu’ils soient juristes ou bien profanes.

Performativité.- On écrit, comme pour nous rassurer, que les référentiels d’indemnisation quels qu’ils soient ne sont qu’indicatifs, qu’ils ne seraient tout au plus que des vade-mecum. Seulement, il est bien su que le savoir algorithmique est performatif (normatif)[9]. Qu’on le veuille ou non, et les faits sont têtus, l’utilisation de ces outils finit toujours par être mécanique. L’expérience de l’évaluation barémisée du dommage corporel prouve trop. Les experts médicaux se départissent mal des gradations des atteintes renseignées dans leurs livres de travail. Aussi le juriste expert pourrait-il ne pas faire bien mieux à l’heure de monétiser les chefs de préjudices objectivés à l’aide de l’algorithme. Et la personnalisation nécessaire des dommages et intérêts d’être alors reléguée.

Mais il y a plus fâcheux encore car ce premier risque est connu. C’est que le chiffrement des règles juridiques est possiblement biaisé tandis que les intelligences artificielles destinées à suggérer le droit sont des systèmes à haut risque au sens de la proposition de règlement du 21 avril 2021 de la commission européenne sur l’usage de l’IA. Un pareil effet ciseau est aussi remarquable qu’il prête à discussion.

B.- Chiffrement biaisé

Implémentation.- Tant que les machines ne penseront pas par elles-mêmes (machine learning), l’implémentation des données sera encore la responsabilité de femmes et d’hommes rompus à l’exercice. L’interface homme-machine suppose donc l’association de professionnels avisés des systèmes complexes qu’ils soient juridiques ou numériques. Il importe donc que leur qualité respective soit connue de tous les utilisateurs, que la représentativité (qui des avocats de victimes de dommages corporels, qui des fonds d’indemnisation et de garantie, qui des assureurs) ne souffre pas la discussion. C’est d’explicabilité dont il est question ou, pour le dire autrement, d’éthique de la décision.

Pourquoi cela ? Eh bien parce qu’il faut avoir à l’esprit que les informations renseignées par un système d’information quel qu’il soit (output) sont nécessairement corrélées aux données qui sont entrées (input). C’est très précisément là que réside le biais méthodologique et le risque que représente la réparation algorithmique du dommage corporel, biais et risque qui font dire que l’égalité d’accès à la connaissance n’est que nominale ou apparente, c’est selon.

Indexation.- En bref, il importe de toujours rechercher qui a la responsabilité de sélectionner puis de rentrer la donnée pertinente et aux termes de quel protocole. C’est d’indexation dont il est question techniquement. Les données primitives exploitées par l’algorithme doivent être connues des utilisateurs, une révision des contenus doit être programmée, des évaluations et crash-tests doivent être faits…entre autres conditions. C’est ce qu’il est désormais courant d’appeler « gouvernance des algorithmes »[10]. Il ne faut jamais perdre de vue la puissance normative de la modélisation mathématico-juridique ainsi que les biais algorithmiques.

En bref, la logique mathématique ne saurait jamais être complètement neutre. C’est le sens des théorèmes d’incomplétude formulés par Kurt Gödel (1931).

En guise de conclusion, à la question de savoir quel est l’apport de l’IA en droit de la réparation du dommage corporel, l’égalité d’accès à la connaissance est une première réponse qui confine à une quasi certitude. En revanche, à la question de savoir si l’algorithmisation est de nature à faciliter le travail des sachants ou bien à les supplanter, le doute est de mise.

Certains soutiendront qu’il n’appartient pas à la raison mathématique de gouverner les affaires humaines ; que le droit est un art subtil qui échappe encore à la machine qui consiste à concilier deux impératifs antagonistes : la sécurité (pour permettre une prévisibilité suffisante de la solution) et la souplesse (pour permettre son adaptation à l’évolution sociale) ; que, partant, la mathématisation du droit est illusoire.  

D’autres défendront que l’algorithmisation, aussi imparfaite soit-elle en droit, n’est pas praticable en économie car elle est inflationniste : les parties intéressées considérant la donnée non pas comme un indicateur en-deçà duquel on peut raisonnablement travailler mais une jauge au-delà de laquelle on ne saurait que toujours aller.

Les arguments des uns et des autres renferment une part de vérité. Ceci étant, si l’on considère qu’il n’est pas déraisonnable du tout d’imaginer que le mouvement d’algorithmisation de la réparation des dommages continue de s’amplifier, une nouvelle question ne manquera pas alors de se poser. La voici : veut-on que du droit soit suggéré par des algorithmes (privés) faiseurs de loi ou bien par un législateur faiseur d’algorithmes (publics) ?


[1] Règlement intérieur national de la profession d’avocat, art. 11-2.

[2] Art. L. 211-4-1 c. org. jud.

[3] Voy. not. en ce sens, S. Merabet, La digitalisation pour une meilleure justice. A propos du plan d’action 2022-25 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, Jcp G. 2022.5.

[4] La réparation algorithmique du dommage corporel : binaire ou ternaire ?, Resp civ. et assur. mai 2021, étude 7 ; Intelligence artificielle et réparation des dommages in La responsabilité civile et l’intelligence artificielle, Bruylant 2022, à paraître.

[5] Arr. du 24 juin 2014 rel. à la gratuité de la réutilisation des bases de données juridiques de la direction de l’information légale et administrative.

[6] Voy. not. J. Bourdoiseau, Datajust ou la réforme du droit de la responsabilité à la découpe, Lexbase 23 avr. 2020, n° 821 ; R. Bigot, Datajust alias Themis IA, Lexbase 07 mai 2020.

[7] CE, 10e et 9e ch. réunies, 30 déc. 2021, n° 440376.

[8] Voy. par ex. J. Horn, Exemple d’utilisation d’une solution IA développée par une legaltech dans des contentieux PI – Utilisation de LitiMark, Dalloz IP/IT 2021.263.

[9] Voy. not. L. Viaut, L’évaluation des préjudices corporels par les algorithmes, Petites affiches 31 mai 2021, p. 10.

[10] Voy. not. L. Huttner et D. Merigoux, Traduire la loi en code grâce au langage de programmation Catala, Dr. fiscal févr. 2021.121. Voy. aussi Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, La transformation numérique dans le secteur français de l’assurance, analyses et synthèses n° 132, 2018 ; Institut Montaigne, Algorithmes : contrôle des biais, rapport, mars 2020 (https://www.institutmontaigne.org/publications/algorithmes-controle-des-biais-svp)

Article à paraître Dalloz IP/IT 2022

Intelligence artificielle et réparation des dommages

Groupe de recherche européen sur la responsabilité civile et l’assurance, Journées lyonnaises, 2021, Bruylant 2022, à paraître

Intelligence artificielle, réparation des dommages et arbitrage[1]. A la question de savoir quels rapports entretiennent « intelligence artificielle » et « réparation des dommages », deux positions extrêmes semblent se dessiner. Les rapports nationaux sont en ce sens.

La première position, conservatrice et prudente, consiste à défendre que peu importants soient les apports de la technologie à notre affaire, il n’est pas de bonne méthode de faire dire le droit en général et plus particulièrement le droit civil de la responsabilité par une intelligence artificielle. Le droit, mieux la justice (qui est un projet plus grand), est une affaire de femmes et d’hommes instruits et rompus à l’exercice qui, au nom du peuple français, départagent les parties à la cause et ramènent la paix sociale. En somme, c’est d’intelligence originelle partant humaine dont il doit être question.

La seconde position, novatrice mais aventureuse, consiste à soutenir que les facilités promises sont telles que l’algorithmisation du droit de la responsabilité à visée réparatrice est un must have ; que ce serait à se demander même pour quelle raison le travail de modélisation scientifique n’est pas encore abouti.

Tous les rapports nationaux renseignent le doute ou l’hésitation relativement à la question qui nous occupe. Cela étant, en Allemagne et en France, il se pourrait qu’on cédât franchement à la tentation tandis qu’en Belgique, en Italie (rapp. p. 1) ou encore en Roumanie, le rubicon ne saurait être résolument franchi à ce jour. Que la technologie ne soit pas au point ou bien que les techniciens ne soient pas d’accord, c’est égal.

Chaque thèse a ses partisans. Et c’est bien naturel. Ceci étant, choisir l’une ou bien l’autre sans procès c’est renoncer d’emblée et aller un peu vite en besogne. Or, celui qui ne doute pas ne peut être certain de rien (loi de Kepler).

Intelligence artificielle, réparation des dommages et doute. Formulée autrement, la question des rapports qu’entretiennent « intelligence artificielle » et « réparation des dommages » invite à se demander si le droit de la responsabilité peut frayer ou non avec la science toute naissante de la liquidation algorithmique des chefs de dommages. Peut-être même s’il le faut.

Ce n’est pas de droit positif dont il s’agit. Ce n’est pas un problème de technique juridique – à tout le moins pas en première intention – qui est ici formulé. Il ne s’agit pas de se demander comment articuler les facilités offertes par la Machine avec les règles de droit processuel. Il ne s’agit pas de se demander quoi faire des résultats proposés par un logiciel relativement au principe substantiel (matriciel) de la réparation intégrale. Il ne s’agit même pas de se demander si l’algorithmisation porterait atteinte à un droit ou liberté fondamentale que la constitution garantit. Les faiseurs de systèmes que nous sommes sauraient trouver un modus operandi. C’est une question plus fondamentale qui est posée dans le cas particulier, une question de philosophie du droit. S’interroger sur les rapports que pourraient entretenir « intelligence artificielle » et « réparation des dommages » ne consiste pas à se demander ce qu’est le droit de la responsabilité civile à l’heure de l’open data et de la data science mais bien plutôt ce que doit être le droit. C’est encore se demander collectivement ce qui est attendu de celles et ceux qui pratiquent le droit et façonnent à demande ses règles. C’est de science algorithmique et d’art juridique dont il est question en fin de compte. Voilà la tension dialectique qui a réunit tous les présents aux journées lyonnaises du Groupe de recherche européen sur la responsabilité civile et l’assurance et qui transparaît à la lecture de tous les rapports nationaux.

Pour résumer et se rassurer un peu, rien que de très ordinaire pour nous autres les juristes et le rapporteur de synthèse auquel il est demandé d’écrire une histoire, un récit d’anticipation.

Science algorithmique, art juridique et récit d’anticipation. Nous ne saurions naturellement procéder in extenso. La tâche serait trop grande. Qu’il nous soit permis de ne poser ici que quelques jalons avant que nous débattions pour qu’à la fin (il faut l’espérer) nous puissions y voir plus clair.

Le récit d’anticipation proposé, d’autres s’y sont attelés bien avant nous. En 1956, un romancier américain décrit un monde dans lequel un système prédictif est capable de désigner des criminels en puissance sur le point de commettre une infraction. Stoppés in extremis dans leur projet respectif, ils sont jugés sur le champ et écroués. Spielberg adaptera cette nouvelle en 2002. Minority report était créé. Il y sera question de prédiction mathématique, de justice algorithmisée et d’erreur judiciaire. C’est que, aussi ingénieux soit le système, il renfermait une faille. Nous y reviendrons. Plus récemment, et ce n’est pas de fiction dont il s’agit, une firme – Cambridge analytica – s’est aventurée à renseigner à l’aide d’un algorithme, alimenté de données personnelles extraites à la volée de comptes Facebook de dizaines de millions d’internautes, les soutiens d’un candidat à la magistrature suprême américaine. Ce faisant, l’équipe de campagne était en mesure de commander des contenus ciblés sur les réseaux sociaux pour orienter les votes.

Que nous apprennent ces deux premières illustrations. Eh bien qu’il y a matière à douter sérieusement qu’une intelligence artificielle puisse gouverner les affaires des hommes.

Preuve s’il en était besoin que les nombres n’ont pas forcément le pouvoir ordonnateur qu’on leur prête depuis Pythagore. Or (c’est ce qui doit retenir l’attention) s’il existe au moins deux façons de faire quelque chose et qu’au moins l’une de ces façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu’un quelque part pour emprunter cette voie (loi de Murphy).

Pouvoir ordonnateur des nombres, loi de Murphy et principe de réalité. Le risque étant connu, peu important que sa réalisation soit incertaine, nous devrions par voie de conséquence nous garder (à tout le moins en première intention) de prier qu’une pareille intelligence réparât les dommages de quelque nature qu’ils soient. Ceci étant, et relativement à la méthode proposée, doutons méthodiquement soit qu’il s’agisse, après mûre réflexion, de renforcer les résolutions des opposants à l’algorithmisation de la responsabilité civile, soit (et à l’inverse) qu’il s’agisse de soutenir les solutions des zélateurs du droit 2.0.

Car autant le dire tout de suite avec les rapporteurs nationaux, si la question des rapports qu’entretiennent « intelligence artificielle » et « réparation des dommages » se pose c’est que les outils de modélisation scientifique ne sont pas une vue de l’esprit. Les instruments d’aide à la décision médicale ou bien encore à la chirurgie (ex. le diagnostic algorithmique et, plus ambitieux encore le Health data hub[2]) sont le quotidien des professionnels de santé tandis que les outils d’aide à la décision judiciaire font florès. Des juges américains, sur le point d’accorder une libération sous caution, sont ainsi aider par un logiciel qui évalue le risque de défaut de comparution de l’intéressé (Compas)[3]. Tandis que de côté-ci de l’Atlantique des firmes proposent des systèmes d’aide à la décision juridique ou judiciaire supplantant (bien que ce ne soit pas la vocation affichée des legaltech) les quelques expériences de barémisation indicative bien connues des spécialistes de la réparation du dommage corporel.

Nous reviendrons bien entendu sur les tentatives de réparation algorithmique des dommages qu’on ne manquera pas d’évaluer (II). Mais pour commencer, il nous a semblé nécessaire de s’arrêter sur la tentation de la réparation algorithmique des dommages (I).

I.- La tentation de la réparation algorithmique des dommages

La réparation algorithmique des dommages est tentante pour de bonnes raisons qui tiennent plus particulièrement, d’une part, à la faisabilité technique qui est proposée (A) et, d’autre part, aux facilités juridiques qui sont inférées (B).

A.- Faisabilité technique

La faisabilité technique à laquelle on peut songer est à double détente. C’est d’abord une histoire de droit (1) avant d’être ensuite une affaire de nombres (2).

1.- Histoire de droit

Règle de droit, structuration binaire et révélation mathématique. Le droit aspire à l’algorithmisation car la structuration de la règle est binaire et sa révélation mathématique (ou presque).

La structuration de la règle juridique ressemble à s’y méprendre au langage des microprocesseurs des ordinateurs, au code qui est utilisé dans les technologies de l’information et de la communication. La règle est écrite de façon binaire : si/alors, qualification juridique/régime, conditions/effets, principe/exception. Le législateur et l’ingénieur parlent donc le même langage… Enfin c’est ce dont ce dernier est convaincu.

Quant à la révélation de la règle applicable aux faits de l’espèce, elle suppose de suivre une démarche logique, pour ne pas dire mathématique. Car le droit ne saurait être bien dit sans une pensée rationnelle, la formulation discursive des vérités, sans rigueur ni exactitude. En bref, l’hypothèse de la réparation algorithmique des dommages est plutôt familière au juriste. Pour preuve : le droit et ses méthodes d’exploration et de résolution des problèmes (qui sont des algorithmes en définitive) sont un puissant vecteur de correction de la réalité. Une personne est victime du comportement dommageable d’un individu (le donné) ? Juridiquement, cette dernière est titulaire d’un droit subjectif au paiement d’un contingent de dommages et intérêts compensatoires (le construit). Appréhendés en droit, les faits de l’espèce (la réalité) sont en quelque sorte réencodés.

En bref, les juristes sont invariablement des faiseurs de systèmes techniques et d’algorithmiques.

On ne s’étonnera donc pas que le droit et ses artisans aient vocation à être (r)attrapés par la science et ses industriels qui se jouent des nombres et font des affaires.

2.- Affaire de nombres

Digitalisation et données. Les rapports français et belge montrent plus particulièrement combien la croissance du volume de données disponibles sous forme numérique est exponentielle.

Par voie de conséquence, il existe désormais beaucoup de matière pour nourrir un algorithme quelconque, lui permettre de simuler un phénomène, une situation à l’aune des données qui auront été implémentées dans un programme informatique (qui est appelé « code »). Il est à noter au passage une différence notable entre les pays interrogés dans nos journées lyonnaises. Si les juristes italiens et roumains pratiquent autrement moins l’algorithmisation des règles de la réparation des dommages que leurs homologues allemands et français, c’est très précisément parce que la digitalisation des décisions de justice est moins avancée à ce jour. Quant à la Belgique, le rapport national renseigne l’existence d’un obstacle juridique à ladite digitalisation, qui vient tout récemment d’être levé. À terme, il devrait y avoir suffisamment de matière pour alimenter un algorithme. La Belgique se rapprocherait donc de très près de la France.

Il est remarquable qu’en France précisément des millions de données juridiques aient été mises à disposition pour une réutilisation gratuite[4] par le service public de la diffusion du droit en ligne – Legifrance pratique l’open data[5]. Ce n’est pas tout. Depuis quelques semaines à présent, toutes les décisions rendues par la Cour de cassation française sont aussi en open data. Il devrait en être de même au printemps 2022 des décisions des cours d’appel (hors matière pénale)[6]. Même chose du côté du Conseil d’État français.

La tentation de l’algorithmisation est donc grande car c’est tout à fait faisable techniquement, tout particulièrement en France qui se singularise très nettement dans le concert des droits nationaux continentaux interrogés. Mais il y a d’autres raisons qui président à l’algorithmisation sous étude : ce sont les facilités juridiques qui sont proposées par l’intelligence artificielle.

B.- Facilités juridiques

Égalité, intelligibilité et acceptabilité. Au titre des facilités qu’on peut inférer juridiquement parlant des algorithmes à visée réparatoire, on doit pouvoir compter une intelligibilité améliorée des règles applicables à la cause partant une égalité nominale des personnes intéressées et une acceptabilité possiblement renforcées du sort réservé en droit à la victime.

Il faut bien voir que les règles qui gouvernent la réparation des dommages, et plus particulièrement les atteintes à l’intégrité physique, ne sont pas d’un maniement aisé. La monétisation de toute une série de chefs de dommages tant patrimoniaux (futurs) qu’extrapatrimoniaux suppose acquise une compétence technique pointue. Un étalonnage mathématisé présenterait entre autres avantages de prévenir une asymétrie éventuelle d’information en plaçant toutes les personnes sur un pied d’égalité (à tout le moins nominale)[7] à savoir les victimes, leurs conseils, leurs contradicteurs légitimes et leurs juges.

Au fond, et ce strict point de vue, la réparation algorithmique des dommages participe d’une politique publique d’aide à l’accès au droit qui ne dit pas son nom. La notice du décret n° 2020- 356 du 27 mars 2020 Datajust élaborant un référentiel indicatif d’indemnisation des dommages corporels est en ce sens[8].

C’est encore dans le cas particulier l’acceptabilité de la décision qui se joue possiblement C’est que le statut de celui ou celle qui a procédé à l’indemnisation est nécessaire pour conférer son autorité à l’énoncé mais pas suffisant. Toutes les fois que le dommage subi est irréversible, que le retour au statu quo ante est proprement illusoire (et c’est très précisément le cas en droit de la réparation d’un certain nombre de chefs de dommages corporels) on peut inférer de l’algorithmisation de la réparation des dommages une prévention contre le sentiment d’arbitraire que la personne en charge de la liquidation des chefs de préjudice a pu faire naître dans l’esprit de la victime.

Voilà une première série de considérations qui participe de la tentation de la réparation algorithmique des dommages. Puisque selon la loi de Casanova, la meilleure façon d’y résister est d’y succomber, je vous propose de braquer à présent le projecteur sur les tentatives de réparation algorithmique des dommages.

II.- Les tentatives de réparation algorithmique des dommages

Opérateurs privés vs administration publique. Les tentatives de réparation algorithmique des dommages sont relativement nombreuses et plutôt récentes, à tout le moins en France car, une fois encore, et à ce jour, le recours à l’intelligence artificielle est plus anecdotique, réduit (en comparaison avec la France) – un état basal ou élémentaire – dans les autres droits internes sous étude.

Ces tentatives sont des plus intéressantes en ce sens qu’elles ont eu notamment pour objet et/ou effet de parachever un travail polymorphe entamé il y a plusieurs années à présent et accompli tous azimuts qui est fait (pour ne prendre que quelques exemples saillants rappelés par les rapporteurs nationaux) d’articles de doctrine renseignant les pratiques indemnitaires des tribunaux et des cours d’appel, de barèmes plus ou moins officiels, de guides ou vade-mecum, de nomenclatures et de référentiels. Les juristes belges et français les pratiquent volontiers pendant qu’avocats et juges ne manquent pas de rappeler que ces outils d’aide à la décision ne sauraient jamais être contraignants : principe de la réparation intégrale obligerait…

Depuis lors, ce sont positionnées sur le segment de marché de la digitalisation de la justice, de l’algorithmisation de la réparation des dommages, de nouveaux opérateurs – plus ou moins capés à en croire les rapporteurs – privés[9] et publics[10].

Une analyse critique de l’offre de services en termes d’intelligence artificielle ainsi formulée par les legaltechs sera faite d’abord (A). Un essai à visée plus prospective sera proposé ensuite (B).

A.- Analyse critique

Biais de raisonnement. L’analyse critique de l’algorithmisation de la réparation des dommages que nous proposons d’esquisser consiste à identifier quelques biais de raisonnement induits par l’intelligence artificielle et dont il importe qu’on se garde à tout prix. Nous nous sommes demandés en préparant ce rapport si ce n’était pas la crainte d’échouer dans cette entreprise d’évaluation critique et de contrôle systématique qui faisait douter qu’il faille pousser plus loin l’expérience.

Le problème de fond nous semble tenir au fait qu’un esprit mal avisé pourrait se convaincre qu’une suggestion algorithmique dite par une machine serait équipollente à la vérité juridique recherchée par une femme ou un homme de l’art.

L’embêtant dans cette affaire tient plus concrètement d’abord à la performativité du code (1) et à l’opacité de l’algorithme ensuite (2).

1.- Performativité du code

Suggestion algorithmique vs vérité juridique. La réparation algorithmique des dommages a un mérite : elle simplifie la recherche de la vérité, plus encore pour celles et ceux qui ne pratiqueraient la matière qu’occasionnellement ou bien qui seraient tout juste entrés en voie de spécialisation. Seulement voilà : la paroi est mince entre facilitation et supplantation. Il n’est pas assez d’écrire qu’un référentiel d’indemnisation est indicatif, qu’il ne saurait jamais être rangé dans les normes de droit dur. Le savoir algorithmique est performatif (voire impératif pour celui qui le pratiquerait sans prudence) et ce pour plein de raisons (recherche du temps perdu entre autres). Volens nolens, son utilisation finit toujours par être mécanique. Alors, le doute méthodique du juriste, qui est la condition sine qua non pour accéder à la vérité, est chassé par la certitude scientifique apparente de la machine. Pour le dire autrement, le savoir prédictif est normatif. Et il n’y a qu’un pas pour que la vérité censée être dite par personnes instruites et sachantes soit en définitive dite par une machine qui ordonne des 0 et des 1. C’est le delta qui existe si vous voulez entre les mathématiques de l’intelligibilité et les mathématiques que j’ai appelées ailleurs de contrôle[11].

Rien de bien grave nous dira peut-être le rapporteur allemand toutes les fois (à tout le moins) qu’il ne s’agit que de réparer des dommages de masse de faible valeur. Il reste que, dans tous les cas de figure, la suggestion algorithmique est le fruit de l’apprentissage de données tirées du passé. Au mieux, le code informatique peut dire ce qui est mais certainement pas (à tout le moins pas encore) ce qui doit être. L’intelligence artificielle que nous pratiquons (qualifiée de « faible ») n’est pas encore capable de le faire. C’est que cette dernière IA n’est qu’un programme qui n’est pas doté de sens et se concentre uniquement sur la tâche pour laquelle il a été programmé. En bref, les machines ne pensent pas encore par elles-mêmes (ce qu’on appelle le machine learning ou IA « forte »).

Alors, et cela pourrait prêter à sourire, aussi moderne soit ce code informatique là, il est porteur d’une obsolescence intrinsèque qu’on fait mine de ne pas voir. Que la binarité soit un trait caractéristique de la structuration de la règle de droit et que, par voie de conséquence, la modélisation mathématique soit séduisante est une chose. Il reste que dire le droit et rendre la justice impliquent la recherche d’un équilibre entre des intérêts concurrents dont le tiers-juge est le garant (en dernière intention). Droit et justice ne sont pas synonyme. Si la règle juridique aspire à la binarité, sa mise en œuvre se recommande d’un ternaire… En bref, on ne saurait jamais se passer d’un tiers neutre même pas dans une startup nation.

Qu’il soit juridique ou algorithmique, un code se discute. Seulement pour que chacun puisse se voir juridiquement et équitablement attribuer ce qui lui est dû, il importe de lever l’opacité de l’algorithme.

2.- Opacité de l’algorithme

Le code 2.0 doit retenir l’attention de tout un chacun. Aussi puissants soient les calculateurs, et peu important que l’algorithme soit programmé pour apprendre, les machines ne sont encore que le produit de la science humaine, la donnée est encore l’affaire de femmes et d’hommes. Ce n’est pas le moindre des biais méthodologiques. Il a ceci de commun avec celui qu’on vient de décrire qu’il est trompeur.

Biais méthodologiques. Les résultats qui sont renseignés par un système d’information (output) sont toujours corrélés aux données qui ont été collectées puis entrées (input). De quoi parle-t-on ? Eh bien de jugement de valeurs dans tous les sens du terme (juridique et technologique). Or un juge, quel qu’il soit, a une obligation : celle de motiver sa décision (art. 455 du Code de procédure civile). Et ce pour de justes et utiles raisons que nous connaissons bien : prévention de l’arbitraire et condition du contrôle de légalité. Quand on sait la puissance performative de la modélisation mathématique, ce serait commettre une erreur de ne pas rechercher à lever l’opacité algorithmique qui est bien connue des faiseurs de systèmes d’informations.

Clef de voûte. La transparence en la matière est la clef de voute. L’édification mathématique ne saurait valablement prospérer sans que la méthode analytique des décisions sélectionnées aux fins d’apprentissage de l’algorithme n’ait été explicitée, sans que la sélection des décisions de justice voire des transactions n’ait été présentée, sans que la qualité et le nombre des personnes qui ont procédé n’aient été renseignés. Seulement voilà, et ce qui suit n’augure rien de très bon : le code informatique est un secret industriel protégé en tant que tel que les legaltechs, qui sont en concurrence, n’ont aucun intérêt à révéler. Les initiatives publiques doivent donc être impérativement soutenues. L’accessibilité doit être garantie. En bref, Datajust, qui est un référentiel public relatif à l’indemnisation des victimes de dommages corporels, est la voie à suivre. Encore qu’il ne satisfasse pas complètement aux conditions de praticabilité et de démocratisation attendus. Et que, partant, sa performativité soit possiblement trop grande. Possiblement car l’essai n’a pas été encore transformé en raison des doutes que le décret a suscité.

Doutes que nous souhaiterions aborder à présent dans un essai prospectif pour lister quelques conditions qui nous semble devoir être satisfaites pour qu’ils soient levés.

B.- Essai prospectif

À titre de remarque liminaire, il faut dire (qu’on la redoute ou non) que l’algorithmisation de la réparation des dommages ne saurait prospérer sans que, au préalable, de la donnée soit mise à la disposition du public et des opérateurs. Or, open data et big data ne sont pas aussi répandus qu’on veut bien l’imaginer. En France, nous y sommes presque bien que, en l’état, le compte n’y soit pas tout à fait encore[12]. Ailleurs, la donnée est la propriété presque exclusive de firmes privées qui monnayent un accès amélioré aux décisions de justice sélectionnées par elles-mêmes (Belgique) ou bien la donnée ne peut tout bonnement pas être partagée (Italie).

Une fois cette condition remplie, l’algorithme est en mesure de travailler. Pour s’assurer que le travail soit bien fait, il importerait qu’on s’entende sur quelques spécifications techniques et politiques. C’est sur ces dernières que je souhaiterais conclure.

Régulation. En l’état, les systèmes d’information ne sont pas régulés du tout. On se souviendra qu’il aura fallu une exploitation abusive et sans précédent des données personnelles par les Gafam[13] pour qu’on se décide à élaborer un règlement général sur la protection desdites données. Seulement, et sans préjudice des dommages causés aux personnes concernées, il n’est pas ou plus question ici de l’accaparement de données par quelques firmes de marchands. L’affaire est d’un tout autre calibre. C’est d’assistance à la décision juridique ou judiciaire dont il est question. Que la justice ne soit plus tout à fait une fonction régalienne de l’État, admettons. Mais les responsabilistes ne sauraient prêter leur concours sans aucune prévention à l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la réparation des dommages. Pour le dire autrement, une gouvernance technique et scientifique nous semble devoir être mise en place. Cette exigence est présente dans les rapports tout particulièrement dans le rapport belge.

Règlementation. Le 21 avril 2021 a été diffusé une proposition de règlement européen établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle[14] dans laquelle les IA sont distinguées selon le risque qu’elles font courir. Et des intelligences artificielles, destinées à suggérer le droit pour faire bref, d’être qualifiées de « systèmes à haut risque »…

En résumé, le code doit être connu de ses utilisateurs, les données primitives exploitées par l’algorithme doivent être indexées, une révision des contenus doit être programmée, des évaluations et crash-test doivent être faits. Et nous sommes loin d’épuiser les conditions qu’il s’agirait qu’on respectât pour bien faire. C’est de « gouvernance des algorithmes » dont il est question au fond[15]. C’est qu’il ne faut jamais perdre de vue la puissance normative de la modélisation mathématico-juridique ainsi que les biais algorithmiques. En bref, la logique mathématique ne saurait jamais être complètement neutre. C’est le sens des théorèmes d’incomplétude formulés par Kurt Gödel (1931).

En conclusion et parce que nous sommes convaincus qu’on ne stoppera pas le mouvement d’algorithmisation de la réparation des dommages, permettez-nous de formuler une question qui transparaît des rapports nationaux : veut-on que du droit soit suggéré par des algorithmes (privés) faiseurs de loi ou bien par un législateur faiseur d’algorithmes (publics) ?


[1] La forme orale de ce rapport a été conservée.

[2] https://www.health-data-hub.fr/

[3] V. not. sur ce sujet, A. Jean, Les algorithmes sont-ils la loi ? Editions de l’observatoire,

[4] Arr. du 24 juin 2014 relatif à la gratuité de la réutilisation des bases de données juridiques de la direction de l’information légale et administrative.

[5] Plateforme ouverte des données publiques françaises https://www.data.gouv.fr. Service public de la diffusion du droit en ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/

[6][6] https://www.courdecassation.fr/la-cour-de-cassation/demain/lopen-data-des-decisions-judiciaires

[7] J. Bourdoiseau, Intelligence artificielle, réparation du dommage corporel et assurance, Dalloz IP/IT, 2022 (à paraître).

[8] Expérimentation dont la légalité a été vérifiée par le Conseil d’État français (CE, 10e et 9e ch. réunies, 30 déc. 2021, n° 440376) mais que le Gouvernement a décidé d’abandonner (Ministère de la justice, comm., 13 janv. 2022). Ch. Quézel-Ambrunaz, V. Rivollier et M. Viglino, Le retrait de Datajust ou la fausse défaite des barèmes, D. 2022.467.

[9] Allemagne : Actineo. Belgique : Grille corpus, Repair, Jaumain. France : Case law analytics, Predictice, Juridata analytics. Voy. par ex. J. Horn, Exemple d’utilisation d’une solution IA développée par une legaltech dans des contentieux PI – Utilisation de LitiMark, Dalloz IP/IT 2021.263.

[10] France : Datajust. Italie : legal analytics for italian law.

[11] J. Bourdoiseau, La réparation algorithmique du dommage corporel : binaire ou ternaire ?, Resp civ. et assur. mai 2021, étude 7.

[12] Il est à noter, pour ne prendre que cet exemple, que les juges administratifs français ont accès à la totalité des décisions rendues (quel que soit le degré de juridiction) à l’aide d’un outil qui n’est mis à disposition que pour partie aux justiciables (ce qui interroge), à tout le moins à ce jour (https://www.conseil-etat.fr/arianeweb/#/recherche).

[13] Google, Apple, Facebook (Meta), Amazon, Microsoft. Voy. aussi les géants chinois : BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi).

[14] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:52021PC0206

[15] Voy. not. L. Huttner et D. Merigoux, Traduire la loi en code grâce au langage de programmation Catala, Dr. fiscal févr. 2021.121. Voy. aussi Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, La transformation numérique dans le secteur français de l’assurance, analyses et synthèses n° 132, 2018 ; Institut Montaigne, Algorithmes : contrôle des biais, rapport, mars 2020,

(https://www.institutmontaigne.org/publications/algorithmes-controle-des-biais-svp)