L’occupation des choses sans maître

==>Notion

Alors qu’elle n’est pas envisagée par l’article 712 du Code civil, l’occupation est selon des auteurs « le prototype de l’acquisition originaire »[1].

Elle consiste pour une personne à appréhender une chose sans maître, abandonnée ou perdue avec la volonté d’en devenir propriétaire.

De toute évidence, l’occupation se rapproche étroitement du mécanisme de la possession à laquelle la loi attache un effet acquisitif, tantôt immédiat, tantôt différé dans le temps.

En effet, l’occupation comporte deux éléments :

  • Un élément matériel: l’appréhension matérielle de la chose, sa maîtrise physique, qui correspond au corpus
  • Un élément psychologique: la volonté de se comporter comme le propriétaire de la chose qui correspond à l’animus

==> Occupation et possession

Si, en un sens, l’occupation est une forme de possession de la chose, elle s’en distingue en ce qu’elle s’exerce sur une chose non appropriée, alors que la possession porte sur une chose qui fait d’ores et déjà l’objet d’une appropriation.

L’occupant, par l’effet de l’occupation, premier propriétaire si la chose n’a jamais été appropriée, nouveau propriétaire si la chose a été abandonnée ou perdue, ne tient son droit de personne : il n’a donc pas à souffrir des limites du droit de son prédécesseur.

Pour que l’occupation puisse opérer, encore faut-il donc qu’elle porte sur :

  • Soit sur une chose sans maître
  • Soit sur une épave ou un trésor

Nous nous focaliserons ici sur l’occupation des choses sans maître.

I) Notion

Appelés indistinctement biens « vacants » ou « choses non appropriées », les choses sans maître présentent la caractéristique d’être des choses qui, par leur nature, sont susceptibles de propriété privée mais qui n’ont jamais fait l’objet d’un rapport juridique parce que personne n’a jamais songé à se les approprier ou qui ont cessé d’en faire l’objet parce que celui qui avait un droit de propriété l’a perdu.

À la différence des choses communes, les choses sans maître sont appropriables, bien que non appropriées. À cet égard, on en distingue classiquement deux sortes :

  • Les res nullius: il s’agit de choses mobilières non encore appropriées, mais susceptibles de l’être par occupation
  • Les res derelictae: il s’agit de choses mobilières qui ont déjà été appropriées mais qui ont ensuite été abandonnées par leur ancien maître. Ces choses peuvent faire l’objet d’une nouvelle appropriation

Les choses sans maître présentent ainsi la caractéristique d’être des biens en puissance, en ce sens qu’il leur suffit d’être appropriées par une personne privée ou publique pour accéder à ce statut.

À l’examen, les choses qui relèvent de cette catégorie sont peu nombreuses, en raison du régime juridique particulier appliqué aux immeubles vacants et aux successions en déshérence.

II) Domaine

  1. Les choses sans maître susceptibles d’occupation

a) Les choses abandonnées

Les choses abandonnées ou res dereliacte sont celles qui ont fait l’objet d’un renoncement par le propriétaire à son droit de propriété.

Ce renoncement, que l’on qualifie également de déguerpissement, est un acte unilatéral qui consiste pour le propriétaire à se dessaisir du bien et à cesser d’exercer sur lui les prérogatives dont il était investi.

Le droit de propriété s’en trouve alors éteint ainsi que toutes les charges réelles attachées à lui. C’est d’ailleurs là l’une des raisons susceptibles d’expliquer l’abandon de la chose.

Le code civil envisage plusieurs cas où le titulaire de droits réels est autorisé à renoncer à son droit.

  • Servitude
    • Dans l’hypothèse où le propriétaire du fonds servant jugerait que la charge qui pèse sur son terrain est trop lourde, il dispose de la faculté de déguerpir, soit de l’abandonner unilatéralement sans que le titulaire de la servitude ne puisse s’y opposer.
    • L’article 699 du Code civil dispose en ce sens que « dans le cas même où le propriétaire du fonds assujetti est chargé par le titre de faire à ses frais les ouvrages nécessaires pour l’usage ou la conservation de la servitude, il peut toujours s’affranchir de la charge, en abandonnant le fonds assujetti au propriétaire du fonds auquel la servitude est due. »
    • Conformément à l’article 28-1 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955, le déguerpissement devra néanmoins être notifié au propriétaire du fonds dominant et faire l’objet de formalités de publicité.
    • Le droit de déguerpissement étant d’ordre public, toute clause aux termes de laquelle le propriétaire du fonds servant y renoncerait serait frappée de nullité.
  • Hypothèque
    • La faculté de déguerpir est également ouverte à l’acquéreur d’un immeuble grevé d’une hypothèque au profit des créanciers hypothécaires.
    • L’article 2467 du Code civil dispose en ce sens que « quant au délaissement par hypothèque, il peut être fait par tous les tiers détenteurs qui ne sont pas personnellement obligés à la dette, et qui ont la capacité d’aliéner. »
  • Mitoyenneté
    • On peut encore évoquer le propriétaire d’un mur mitoyen qui, afin d’échapper aux charges d’entretiens ou aux frais de reconstruction de la clôture est autorisé à renoncer à la mitoyenneté conformément à l’article 656 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « tout copropriétaire d’un mur mitoyen peut se dispenser de contribuer aux réparations et reconstructions en abandonnant le droit de mitoyenneté, pourvu que le mur mitoyen ne soutienne pas un bâtiment qui lui appartienne. »

La question qui immédiatement se pose est de savoir si pour exercer le droit de déguerpir le propriétaire doit être autorisé par un texte ou s’il s’agit d’un droit inhérent à la qualité de propriétaire ?

À l’examen, le droit de déguerpir dépend de la nature du bien objet de l’abandon. De nombreuses règles ont, en effet, été adoptées aux fins d’encadrer le droit de déguerpir, l’objectif visé par le législateur étant la protection de l’environnement et de la santé.

  • L’article L. 541-1 du Code de l’environnement régit l’abandon des déchets ordinaires
  • L’article L. 542-1 du Code de l’environnement régit l’abandon des déchets radioactifs
  • L’article L. 325-1 du Code de la route régit l’abandon des véhicules automobiles
  • L’article L. 5141-1 du Code des transports régit l’abandon des navires

En dehors de ces textes, la jurisprudence semble admettre que le droit de déguerpir soit une expression du droit de propriété (V. en ce sens Cass. 3e civ. 18 juin 2003).

Pour être constitué, le déguerpissement suppose s’établir que le propriétaire a renoncé :

  • D’une part, au corpus, soit à la maîtrise physique de la chose
  • D’autre part, à l’animus, soit à l’intention de se l’approprier

De toute évidence, le plus difficile sera de rapporter la preuve de la volonté du propriétaire de renoncer à son droit de propriétaire.

Aussi, les juges n’auront d’autres choix que de s’en remettre aux circonstances afin de déterminer s’il y a véritablement eu abandon de la chose ou si elle a seulement été égarée ou délaissée par contrainte (période de guerre).

En tout état de cause, lorsqu’il est démontré que le propriétaire a renoncé à son droit de propriété sur la chose, celle-ci sera soumise au régime juridique des res nullius.

Il en résulte qu’elle pourra faire l’objet d’une occupation conférant à l’occupant un droit de propriété sur le bien, un droit totalement indépendant de celui qui a pu être exercé par l’ancien propriétaire.

b) Les produits de la chasse et de la pêche

L’article 715 du Code civil dispose que « la faculté de chasser ou de pêcher est également réglée par des lois particulières. »

Il ressort de ce texte qu’il y a lieu de se reporter à des dispositions spéciales s’agissant du droit de chasser et de pêcher.

Ces dispositions se retrouvent essentiellement dans le Code de l’environnement ainsi que dans le Code rural et de la pêche maritime.

Indépendamment de la réglementation propre à la chasse et la pêche, le principe général est que le gibier et les poissons sont, dès lors qu’ils vivent à l’état sauvage, des res nullius. Dans ces conditions, ils sont un domaine d’élection privilégié de l’occupation.

Celui qui capture l’un de ces animaux en devient instantanément le propriétaire. À cet égard, l’appropriation se réalise avant même que le chasseur ou le pêcheur ne se saisisse de sa proie. Dès lors que le piège, la balle ou encore l’hameçon frappe l’animal il est réputé appartenir au propriétaire de l’instrument qui a permis sa capture.

Reste que, les activités de chasse et de pêche font l’objet d’une réglementation qui restreint considérablement le domaine de l’occupation.

Outre les autorisations administratives qu’il y a lieu d’obtenir pour exercer ces activités (permis de chasse ou permis de pêche), elles sont enfermées dans un calendrier déterminé et ne peuvent être exercées que dans des zones prédéfinies.

c) Cas particulier des choses communes

?: Notion

==> Origines

L’article 714 du Code civil prévoit que « il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous. »

Ce texte est inspiré des Institutes de Justinien qui, dès le VIe siècle, envisageaient les res communis du droit romain comme « des choses qui sont par la loi de la nature communes au genre humain : l’air, l’eau des rivières, la mer et par conséquent le littoral des mers »[2]

Domat écrivait dans le même sens que « les cieux, les astres, la lumière, l’air et la mer sont des biens tellement communs à toute la société des hommes, qu’aucun ne peut s’en rendre le maître, ni en priver les autres ; et aussi la nature de la situation de toutes ces choses est toute proportionnée à cet usage commun pour tous ».

Ainsi est-il des choses qui, parce qu’elles servent à l’usage de tous, ne peuvent, par principe, être appropriées individuellement et exclusivement. Ce sont les choses communes.

À l’examen, la notion de choses commune instituée par le Code civil se caractérise par deux critères : la non-appropriation et l’usage ouvert à tous, en libre accès, sans cibler le bénéfice d’une communauté strictement délimitée.

Certains juristes du XIXème siècle, comme Proudhon[3] ou Duranton[4] évoquaient, à cet égard, l’institution de communautés « négatives » par refus de la propriété privée, permettant à tous d’avoir accès à la chose.

La description des choses communes étant posée, se pose ensuite la question de leur identification.

==> Les choses naturelles

D’aucuns considèrent que la qualification de chose commune tiendrait à leur nature. Plus précisément, relèveraient de cette qualification toutes les choses naturelles constitutives de l’environnement de l’homme : l’air, l’eau, la chaleur, la lumière du soleil, le gibier sauvage, les poissons de la mer etc.

Reste que le caractère commun de certaines choses, ne fait pas obstacle à leur appropriation individuelle par occupation.

Tel est le cas de l’air qui peut être comprimé dans une bouteille, de l’eau qui peut être versée dans un récipient ou encore des rayons du soleil qui peuvent être captés par des panneaux photovoltaïques.

Ainsi certaines choses communes peuvent parfaitement faire l’objet d’une occupation privative.

Cette occupation demeure néanmoins limitée : une fois utilisée la chose commune a vocation à être restituée à l’ensemble dont elle est issue. Sa réservation individuelle est donc toujours temporaire.

==> Les ressources numériques

Pour certains auteurs, si l’article 714 du Code civil a initialement été créé au vu de ces choses communes naturelles, rien n’empêche cependant, en adoptant une lecture normative, d’en élargir l’application non seulement aux choses communes par nature mais aussi aux choses communes par destination ou par affectation, telles que certains communs numériques

Un auteur a avancé en ce sens que « selon une approche renouvelée de la notion de choses communes, l’article 714 est interprété comme ayant une valeur normative et non simplement descriptive d’un état des choses. Autrement dit, c’est parce qu’il y a une réelle volonté de laisser à l’usage commun certaines choses qu’elles sont qualifiées de choses communes et non en raison de leur nature. Celles-ci n’appartiennent à personne car il faut que l’usage soit commun à tous »[5].

Dans ces conditions, il est soutenu qu’il serait parfaitement envisageable de reconnaître à certaines ressources numériques le statut de choses communes au sens de l’article 714 du Code civil.

À cet égard, plusieurs types de communs numériques peuvent être distingués :

  • Les biens communs structurels ou vecteurs de communication: il peut s’agir par exemple des logiciels libres ou des infrastructures d’internet – sa structure et son architecture, à l’instar des noms de domaine ou des logiciels de transport des données selon les normes TCP/IP qui lui permettent d’exister, font d’internet un bien commun inappropriable, même si l’ensemble des « couches » qui en constituent l’essence ne présentent pas toutes le même « potentiel de commun »
  • Les biens communs informationnels qui visent, non pas les vecteurs de communication, mais les contenus et connaissances partagées, au sein desquels on peut trouver de nouvelles formes de médias et de contenus propres ou adaptés à la culture numérique (blog, conversations numériques, wikis, œuvres protégées dont les auteurs ont choisi des modèles volontaires de partage, notamment à travers les licences libres, éléments du domaine public informationnel, données relevant de l’open data …).

Dans le droit fil de cette réflexion un rapport du Conseil national du numérique avait conclu que l’internet devait être regardé comme une « ressource essentielle au développement de nos sociétés tant du point de vue économique que culturel ou social […] doit être considéré comme un bien commun, ou commun, qui ne peut être préempté par les intérêts de certains acteurs, publics ou privés, mais doit bénéficier à la communauté mondiale des utilisateurs ».

Ce rapport estime néanmoins qu’internet n’inclut pas les infrastructures physiques des réseaux ou des serveurs, qui sont soumises à? des régimes de propriété privée ou, plus rarement aujourd’hui, publique, ce qui montre la difficulté d’aménager un régime commun à l’ensemble garantissant un accès universel au réseau.

==> L’information

 Depuis que l’information a remplacé le charbon comme « ressource stratégique essentielle »[6] dont a besoin, pour se développer, l’industrie des biens et services d’aujourd’hui, elle est devenue l’objet de toutes les convoitises.

Par information, il faut comprendre, ainsi que le suggère Jérôme Passa, « une notion générique, sous laquelle l’opinion commune range des éléments aussi variés qu’une donnée brute, un savoir-faire, une invention végétale, un secret industriel, une idée, une découverte, une création de forme, un événement d’actualité, une donnée à caractère personnel, ect. : autant de concepts plus précis que celui d’information […] »[7].

Rapidement, la question s’est posée de savoir si l’information pouvait ou non faire l’objet d’une appropriation. Dans un premier temps, les auteurs ont plutôt répondu par l’affirmative à cette question. Les tenants de cette position, sont partis du constat suivant : l’information aurait pour « vocation naturelle […] de posséder, sauf exception, une valeur patrimoniale »[8].

Elle serait, par ailleurs, « devenue le dénominateur commun de tous les nouveaux droits qui apparaissent, des différentes tentatives de réservation de tel ou tel nouveau produit de l’industrie humaine »[9]. Aussi, est-ce la valeur économique que possède l’information qui justifierait son inclusion dans la catégorie des biens juridiques.

Pour Pierre Catala, par exemple, « la valeur marchande de l’information établit sa réalité patrimoniale » et de poursuivre « l’information en elle-même […] devrait être l’objet de droit »[10]. Bien qu’ayant le mérite d’avoir été l’une des premières à être proposée, la théorie des biens informationnels est loin d’avoir fait l’unanimité au sein de la doctrine.

Comme le souligne André Lucas, « il ne saurait y avoir une corrélation parfaite entre les valeurs économiques et les biens qui en sont la traduction juridique »[11]. Cela se justifie par le fait que ce n’est pas à la loi du marché de déterminer l’existence d’une telle corrélation, mais au juriste[12].

Plus précisément, c’est au législateur qu’il revient de dire ce qui peut ou non faire l’objet d’un droit de propriété. Il s’y est de la sorte employé ponctuellement pour répondre à un besoin social particulier.

Ainsi, a-t-il été reconnu, par deux décrets successifs, adoptés les 13 et 19 janvier 1791 et les 19 et 24 juillet 1793, un droit de propriété intellectuel à l’auteur, sur son œuvre[13]. Puis, par la loi du 5 juillet 1844, c’est l’inventeur qui s’est vu investir d’une prérogative semblable[14]. Peut encore être mentionnée la directive du 11 mars 1996, transposée par la loi du 1er juillet 1998 qui confère au producteur d’une base de données un droit réel sur le contenu de celle-ci[15].

En accordant, spécifiquement, aux auteurs de certaines créations immatérielles des droits de propriété intellectuelle, n’est-ce pas là la preuve que le législateur se refuse à reconnaître un droit privatif général sur l’information en elle-même ?

S’il le faisait, cela retirerait « à l’évidence tout intérêt aux droits privatifs existants. Qui demandera un brevet, qui invoquera le bénéfice du droit d’auteur s’il a l’assurance d’être titulaire en toute hypothèse d’un droit de propriété sur l’information dont il a la maîtrise ? »[16].

Autre indice permettant d’affirmer que l’information, lorsqu’elle ne revêt pas de forme particulière visée par la loi, ne fait l’objet d’aucune protection : la jurisprudence considère qu’elle ne peut pas être volée[17]. L’information n’est pas une chose ordinaire, si tant est que l’on puisse la qualifier de chose[18]. À la différence d’une chaise, d’un bijou ou d’un tableau, lorsque l’on s’en saisit, cela ne prive pas son détenteur de sa possession.

Au contraire, cela a pour effet de la dupliquer. Il s’ensuit que l’information ne peut faire l’objet d’aucune soustraction. C’est pourquoi, les juridictions pénales considèrent que l’acte qui consiste à s’en emparer frauduleusement, ne saurait être qualifié de vol.

Au bilan, il apparaît que l’information est tout à la fois insusceptible d’appropriation et laissée à la libre disposition de tous ce qui, ces deux critères combinés, en fait une chose commune au sens de l’article 714 du Code civil.

==> Les idées

Dans son entreprise d’appréhension des choses qui composent le monde de l’immatériel, il y a une ligne que le droit s’est toujours refusé à franchir : admettre que les idées puissent faire l’objet d’une appropriation individuelle.

Par idées il faut entendre une pensée de l’esprit non encore exprimée dans une forme perceptible par les sens. Pourquoi ces dernières ne peuvent-elles pas être réservées à titre privatif ?

Plusieurs raisons président au principe de libre circulation des idées :

Tout d’abord, ce principe reposerait sur la liberté d’expression qui est consacrée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Selon un auteur « ce serait […] une entrave au développement de [cette] liberté » si les idées faisaient l’objet d’une protection[19].

Ensuite, le deuxième argument soutenu par les tenants de cette thèse consiste à dire que les idées appartiennent au fonds commun de l’humanité, de sorte qu’elles entreraient dans la catégorie juridique des choses communes[20].

Pour Henri Desbois, « quelle qu’en soit l’ingéniosité et même si elles sont marquées au coin du génie, la propagation et l’exploitation des idées exprimées par autrui ne peut être contrariée par les servitudes inhérentes aux droits d’auteur : elles sont par essence et par destination de libre parcours »[21].

Dans le droit fil de cette pensée, Augustin-Charles Renouard n’hésite pas à affirmer qu’il serait insensé « d’introduire dans le monde des idées l’institution de parts exclusivement réservées à certains esprits et interdites à certains autres. Le communisme intellectuel est la loi de l’humanité ; et il n’est pas, pour notre espèce, de plus noble apanage »[22].

Enfin, il est un autre argument avancé par les défenseurs du principe de libre circulation des idées. Pour eux, rares sont les fois où l’idée à partir de laquelle l’auteur ou l’inventeur sera le pur produit de leur pensée ; « il arrivera le plus souvent, sinon toujours, qu’il ne fera […] que marquer de son empreinte personnelle une idée ancienne, déjà exploitée par d’autres et sur laquelle, parût-elle-même absolument originale et neuve, il ne saurait prétendre exercer un monopole »[23].

Pour toutes ces raisons, tant le législateur, que le juge ont toujours dénié aux idées la qualité de chose susceptible de faire l’objet d’une réservation privative[24]. De libre parcours, les idées ne peuvent ainsi que relever de la catégorie des choses communes.

?: Régime

À l’examen, l’article 714 du Code civil ne fait que poser la définition des choses commune, sans véritablement assortir cette définition d’un régime juridique.

Ce texte ne formule, en effet, aucune prescription, ni aucune interdiction à endroit des personnes, ce qui n’est pas sans interroger sur l’existence de limites à l’utilisation des choses communes.

Aussi, d’aucuns reprochent à l’article 714 son caractère potentiellement anarchique, lié à l’inorganisation des relations s’établissant sur la chose commune et ne permettant pas la gestion optimale de la ressource dans l’intérêt commun, ou encore les possibilités indirectes de réappropriation (par exemple par le dépôt d’une marque sur une œuvre qui ne serait plus protégée par le droit d’auteur).

Cette absence de gouvernance serait également contraire à la qualification de communs au sens usuellement retenu pour ce terme, car le propre des communs serait précisément l’existence de cette gouvernance à même de faire respecter l’usage partagé de la communauté.

Reste que les choses communes peuvent faire l’objet d’une régulation spontanée par des mécanismes de gouvernance communautaire d’une part, et que le second alinéa de l’article 714 du code civil prévoit expressément que « des lois de police » sont adoptées pour déterminer la manière de jouir de la chose commune d’autre part.

Aubry et Rau écrivaient en ce sens que « quoique non susceptibles de propriété, les choses de cette nature n’en tombent pas moins sous l’empire du droit pour le règlement de leur usage qui n’est pas d’une manière absolue abandonné à la discrétion de tous »[25].

Ainsi, rien n’empêche le législateur d’organiser les modalités de cette gouvernance et de se porter ainsi garant de la protection des communs. C’est d’ailleurs ce à quoi il s’emploie au cas par cas.

Pour exemple :

  • L’eau et les milieux aquatiques et marins sont régis par les articles L. 210-1 à 219-18 du Code de l’environnement
    • L’article L. 210-1 prévoit notamment que :
      • D’une part, l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général.
      • D’autre part, dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous.
  • L’air et l’atmosphère sont régis aux articles sont régis aux articles L. 220-1 à 229-54 du Code de l’environnement
    • L’article L. 220-1 prévoit notamment que :
      • D’une part, l’État et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l’objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé.
      • D’autre part, cette action d’intérêt général consiste à prévenir, à surveiller, à réduire ou à supprimer les pollutions atmosphériques, à préserver la qualité de l’air et, à ces fins, à économiser et à utiliser rationnellement l’énergie. La protection de l’atmosphère intègre la prévention de la pollution de l’air et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

2. Les choses sans maître insusceptibles d’occupation

L’article L. 1123-1 du Code général de la propriété des personnes publiques dispose que sont considérés comme n’ayant pas de maître les biens autres que ceux relevant de l’article L. 1122-1 et qui :

  • Soit font partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté ;
  • Soit sont des immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans la taxe foncière sur les propriétés bâties n’a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers. Ces dispositions ne font pas obstacle à l’application des règles de droit civil relatives à la prescription ;
  • Soit sont des immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu, qui ne sont pas assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties et pour lesquels, depuis plus de trois ans, la taxe foncière sur les propriétés non bâties n’a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers. Le présent 3° ne fait pas obstacle à l’application des règles de droit civil relatives à la prescription.

Il ressort de cette disposition que, tant les immeubles vacants, que les choses provenant de successions en déshérence échappent au statut de chose sans maître.

==> S’agissant des immeubles vacants

L’article 713 du Code civil dispose que « les biens qui n’ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés. Par délibération du conseil municipal, la commune peut renoncer à exercer ses droits, sur tout ou partie de son territoire, au profit de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elle est membre. Les biens sans maître sont alors réputés appartenir à l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. »

En dépit de sa formulation générale, l’article 713 du code civil ne s’applique qu’aux immeubles. Dès qu’un immeuble n’a plus de maître, sa propriété est attribuée à la Commune et, le cas échéant, si elle y renonce, à l’État.

Le fondement de cette règle est, en général, recherché dans le droit souverain de l’État. Celui-ci disposerait sur tous les biens situés sur son territoire, d’une sorte de droit éminent qui se réaliserait uniquement lorsque ces biens sont abandonnés ou en déshérence.

Le Doyen Jean Carbonnier a parfaitement résumé cette conception en justifiant la règle de la dévolution des biens vacants à l’État par le fait que les immeubles « sont une portion du territoire national. »

Cette dévolution ne s’opère néanmoins pas de plein droit : une procédure d’appropriation est organisée aux articles L. 1123-2 et suivants du Code général de la propriété des personnes publiques.

  • S’agissant des immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans la taxe foncière sur les propriétés bâties n’a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers, l’article L. 1123-3 prévoit que :
    • Un arrêté du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre pris dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État constate que l’immeuble satisfait aux conditions mentionnées au 2° de l’article L. 1123-1. Il est procédé par les soins du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre à une publication et à un affichage de cet arrêté et, s’il y a lieu, à une notification aux derniers domicile et résidence du dernier propriétaire connu. Une notification est également adressée, si l’immeuble est habité ou exploité, à l’habitant ou à l’exploitant ainsi qu’au tiers qui aurait acquitté les taxes foncières. Cet arrêté est, dans tous les cas, notifié au représentant de l’État dans le département.
    • Dans le cas où un propriétaire ne s’est pas fait connaître dans un délai de six mois à dater de l’accomplissement de la dernière des mesures de publicité mentionnées au deuxième alinéa, l’immeuble est présumé sans maître. La commune ou l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre peut, par délibération de son organe délibérant, l’incorporer dans son domaine. Cette incorporation est constatée par arrêté du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.
    • À défaut de délibération prise dans un délai de six mois à compter de la vacance présumée du bien, la propriété de celui-ci est attribuée à l’État. Toutefois, lorsque le bien est situé dans l’une des zones définies à l’article L. 322-1 du code de l’environnement, la propriété est transférée au Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres lorsqu’il en fait la demande ou, à défaut, au conservatoire régional d’espaces naturels agréé au titre de l’article L. 414-11 du même code lorsqu’il en fait la demande. Le transfert du bien est constaté par un acte administratif.
  • S’agissant des immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu, qui ne sont pas assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties et pour lesquels, depuis plus de trois ans, la taxe foncière sur les propriétés non bâties n’a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers, l’article L. 1123-4 prévoit que :
    • Au 1er mars de chaque année, les centres des impôts fonciers signalent au représentant de l’État dans le département les immeubles satisfaisant aux conditions prévues au même 3°. Au plus tard le 1er juin de chaque année, le représentant de l’État dans le département arrête la liste de ces immeubles par commune et la transmet au maire de chaque commune concernée. Le représentant de l’État dans le département et le maire de chaque commune concernée procèdent à une publication et à un affichage de cet arrêté ainsi que, s’il y a lieu, à une notification aux derniers domicile et résidence du dernier propriétaire connu. Une notification est également adressée, si l’immeuble est habité ou exploité, à l’habitant ou à l’exploitant ainsi qu’au tiers qui a acquitté les taxes foncières.
    • Dans le cas où un propriétaire ne s’est pas fait connaître dans un délai de six mois à compter de l’accomplissement de la dernière des mesures de publicité mentionnées au deuxième alinéa du présent article, l’immeuble est présumé sans maître. Le représentant de l’État dans le département notifie cette présomption au maire de la commune dans laquelle est situé le bien.
    • La commune dans laquelle est situé ce bien peut, par délibération du conseil municipal, l’incorporer dans le domaine communal. Cette incorporation est constatée par arrêté du maire. À défaut de délibération prise dans un délai de six mois à compter de la notification de la vacance présumée du bien, la propriété de celui-ci est attribuée à l’État. Toutefois, lorsque le bien est situé dans l’une des zones définies à l’article L. 322-1 du code de l’environnement, la propriété est transférée au Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres lorsqu’il en fait la demande ou, à défaut, au conservatoire régional d’espaces naturels agréé au titre de l’article L. 414-11 du même code lorsqu’il en fait la demande. Le transfert du bien est constaté par un acte administratif.

Enfin, il est prévu à l’article L. 2220-20 du même Code que « lorsque la propriété d’un immeuble a été attribuée, dans les conditions fixées à l’article L. 1123-3, à une commune, à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou, à défaut, à l’État, le propriétaire ou ses ayants droit sont en droit d’en exiger la restitution ».

==> S’agissant des successions en déshérence

La règle de dévolution des biens vacants à l’État trouve sa pleine expression en matière de succession.

L’article 539 du Code civil dispose en ce sens que « les biens des personnes qui décèdent sans héritiers ou dont les successions sont abandonnées appartiennent à l’État. »

La règle ainsi posée se justifierait par la nécessité de prévenir les désordres que ne manqueraient pas de provoquer les prétentions concurrentes de ceux qui chercheraient à être les premiers occupants des successions vacantes.

Portalis analysait en ces termes le pouvoir souverain reconnu à l’État dans ce domaine : « sur des biens vacants par la mort du propriétaire, on ne voit d’abord d’autre droit proprement dit que le droit même de l’État. Mais que l’on ne s’y méprenne pas, ce droit n’est pas et ne peut pas être un droit d’hérédité, c’est un simple droit d’administration et de gouvernement. Jamais le droit de succéder aux fortunes privées n’a fait partie des prérogatives attachées à la puissance publique (…). L’État ne succède pas. »

Dans un arrêt remarqué rendu en date du 6 avril 1994, la Cour de cassation a clairement établi dans ce sens la nature des droits de l’État qui reçoit une succession en déshérence.

Elle a, en effet, jugé que « l’article 539 du code civil n’établit aucune distinction entre les biens vacants et sans maître et ceux des personnes qui décèdent sans héritiers ou dont les successions sont abandonnées, ces deux catégories de biens appartenant au domaine public ; que c’est en vertu de sa souveraineté que l’État recueille les biens d’une succession en déshérence, l’envoi en possession qu’il est tenu de demander ayant pour effet de lui conférer la saisine, mais non la qualité d’héritier » (Cass. 1ère civ. 6 avr. 1994, n°92-13462).

À la différence des immeubles vacants, les choses issues d’une succession en déshérence sont dévolues, de plein droit, à l’État.

Dans un arrêt du 14 novembre 2006, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « les biens des personnes qui décèdent sans héritiers ou dont les successions sont abandonnées appartiennent à l’État, que l’acquisition par l’État des biens visés aux articles 539 et 713 du code civil se produit de plein droit » (Cass. 1ère civ. 14 nov. 2006, n°03-13473).

S’agissant des modalités de la dévolution, l’article 811 du Code civil dispose que « lorsque l’État prétend à la succession d’une personne qui décède sans héritier ou à une succession abandonnée, il doit en demander l’envoi en possession au tribunal. »

III) Appropriation

Le mode d’appropriation des choses sans maîtres est donc l’occupation. De toute évidence, elle se rapproche de l’appropriation par l’État des immeubles vacants ou des successions en déshérence, dans la mesure où ce dernier il ne tient pas son droit de propriété du précédent propriétaire.

À cet égard, si l’article 713 du Code civil avait été interprété dans son sens le plus large, soit sans distinguer les meubles des immeubles, le mode originaire d’acquisition de la propriété qu’est l’occupation n’aurait pas eu de place pour prospérer : toutes les res nullius, toutes les res derelictae, appartiendraient à l’état.

C’est la raison pour laquelle, l’article 713 du Code civil a été interprété de manière restrictive : il n’a vocation à s’appliquer qu’aux seuls immeubles. Réciproquement, l’occupation ne peut produire ses effets que sur les meubles.

L’occupation: régime juridique

==>Notion

Alors qu’elle n’est pas envisagée par l’article 712 du Code civil, l’occupation est selon des auteurs « le prototype de l’acquisition originaire »[1].

Elle consiste pour une personne à appréhender une chose sans maître, abandonnée ou perdue avec la volonté d’en devenir propriétaire.

De toute évidence, l’occupation se rapproche étroitement du mécanisme de la possession à laquelle la loi attache un effet acquisitif, tantôt immédiat, tantôt différé dans le temps.

En effet, l’occupation comporte deux éléments :

  • Un élément matériel: l’appréhension matérielle de la chose, sa maîtrise physique, qui correspond au corpus
  • Un élément psychologique: la volonté de se comporter comme le propriétaire de la chose qui correspond à l’animus

==> Occupation et possession

Si, en un sens, l’occupation est une forme de possession de la chose, elle s’en distingue en ce qu’elle s’exerce sur une chose non appropriée, alors que la possession porte sur une chose qui fait d’ores et déjà l’objet d’une appropriation.

L’occupant, par l’effet de l’occupation, premier propriétaire si la chose n’a jamais été appropriée, nouveau propriétaire si la chose a été abandonnée ou perdue, ne tient son droit de personne : il n’a donc pas à souffrir des limites du droit de son prédécesseur.

Pour que l’occupation puisse opérer, encore faut-il donc qu’elle porte sur :

  • Soit sur une chose sans maître
  • Soit sur une épave ou un trésor

I) L’occupation des choses sans maître

A) Notion

Appelés indistinctement biens « vacants » ou « choses non appropriées », les choses sans maître présentent la caractéristique d’être des choses qui, par leur nature, sont susceptibles de propriété privée mais qui n’ont jamais fait l’objet d’un rapport juridique parce que personne n’a jamais songé à se les approprier ou qui ont cessé d’en faire l’objet parce que celui qui avait un droit de propriété l’a perdu.

À la différence des choses communes, les choses sans maître sont appropriables, bien que non appropriées. À cet égard, on en distingue classiquement deux sortes :

  • Les res nullius: il s’agit de choses mobilières non encore appropriées, mais susceptibles de l’être par occupation
  • Les res derelictae: il s’agit de choses mobilières qui ont déjà été appropriées mais qui ont ensuite été abandonnées par leur ancien maître. Ces choses peuvent faire l’objet d’une nouvelle appropriation

Les choses sans maître présentent ainsi la caractéristique d’être des biens en puissance, en ce sens qu’il leur suffit d’être appropriées par une personne privée ou publique pour accéder à ce statut.

À l’examen, les choses qui relèvent de cette catégorie sont peu nombreuses, en raison du régime juridique particulier appliqué aux immeubles vacants et aux successions en déshérence.

B) Domaine

  1. Les choses sans maître susceptibles d’occupation

a) Les choses abandonnées

Les choses abandonnées ou res dereliacte sont celles qui ont fait l’objet d’un renoncement par le propriétaire à son droit de propriété.

Ce renoncement, que l’on qualifie également de déguerpissement, est un acte unilatéral qui consiste pour le propriétaire à se dessaisir du bien et à cesser d’exercer sur lui les prérogatives dont il était investi.

Le droit de propriété s’en trouve alors éteint ainsi que toutes les charges réelles attachées à lui. C’est d’ailleurs là l’une des raisons susceptibles d’expliquer l’abandon de la chose.

Le code civil envisage plusieurs cas où le titulaire de droits réels est autorisé à renoncer à son droit.

  • Servitude
    • Dans l’hypothèse où le propriétaire du fonds servant jugerait que la charge qui pèse sur son terrain est trop lourde, il dispose de la faculté de déguerpir, soit de l’abandonner unilatéralement sans que le titulaire de la servitude ne puisse s’y opposer.
    • L’article 699 du Code civil dispose en ce sens que « dans le cas même où le propriétaire du fonds assujetti est chargé par le titre de faire à ses frais les ouvrages nécessaires pour l’usage ou la conservation de la servitude, il peut toujours s’affranchir de la charge, en abandonnant le fonds assujetti au propriétaire du fonds auquel la servitude est due. »
    • Conformément à l’article 28-1 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955, le déguerpissement devra néanmoins être notifié au propriétaire du fonds dominant et faire l’objet de formalités de publicité.
    • Le droit de déguerpissement étant d’ordre public, toute clause aux termes de laquelle le propriétaire du fonds servant y renoncerait serait frappée de nullité.
  • Hypothèque
    • La faculté de déguerpir est également ouverte à l’acquéreur d’un immeuble grevé d’une hypothèque au profit des créanciers hypothécaires.
    • L’article 2467 du Code civil dispose en ce sens que « quant au délaissement par hypothèque, il peut être fait par tous les tiers détenteurs qui ne sont pas personnellement obligés à la dette, et qui ont la capacité d’aliéner. »
  • Mitoyenneté
    • On peut encore évoquer le propriétaire d’un mur mitoyen qui, afin d’échapper aux charges d’entretiens ou aux frais de reconstruction de la clôture est autorisé à renoncer à la mitoyenneté conformément à l’article 656 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « tout copropriétaire d’un mur mitoyen peut se dispenser de contribuer aux réparations et reconstructions en abandonnant le droit de mitoyenneté, pourvu que le mur mitoyen ne soutienne pas un bâtiment qui lui appartienne. »

La question qui immédiatement se pose est de savoir si pour exercer le droit de déguerpir le propriétaire doit être autorisé par un texte ou s’il s’agit d’un droit inhérent à la qualité de propriétaire ?

À l’examen, le droit de déguerpir dépend de la nature du bien objet de l’abandon. De nombreuses règles ont, en effet, été adoptées aux fins d’encadrer le droit de déguerpir, l’objectif visé par le législateur étant la protection de l’environnement et de la santé.

  • L’article L. 541-1 du Code de l’environnement régit l’abandon des déchets ordinaires
  • L’article L. 542-1 du Code de l’environnement régit l’abandon des déchets radioactifs
  • L’article L. 325-1 du Code de la route régit l’abandon des véhicules automobiles
  • L’article L. 5141-1 du Code des transports régit l’abandon des navires

En dehors de ces textes, la jurisprudence semble admettre que le droit de déguerpir soit une expression du droit de propriété (V. en ce sens Cass. 3e civ. 18 juin 2003).

Pour être constitué, le déguerpissement suppose s’établir que le propriétaire a renoncé :

  • D’une part, au corpus, soit à la maîtrise physique de la chose
  • D’autre part, à l’animus, soit à l’intention de se l’approprier

De toute évidence, le plus difficile sera de rapporter la preuve de la volonté du propriétaire de renoncer à son droit de propriétaire.

Aussi, les juges n’auront d’autres choix que de s’en remettre aux circonstances afin de déterminer s’il y a véritablement eu abandon de la chose ou si elle a seulement été égarée ou délaissée par contrainte (période de guerre).

En tout état de cause, lorsqu’il est démontré que le propriétaire a renoncé à son droit de propriété sur la chose, celle-ci sera soumise au régime juridique des res nullius.

Il en résulte qu’elle pourra faire l’objet d’une occupation conférant à l’occupant un droit de propriété sur le bien, un droit totalement indépendant de celui qui a pu être exercé par l’ancien propriétaire.

b) Les produits de la chasse et de la pêche

L’article 715 du Code civil dispose que « la faculté de chasser ou de pêcher est également réglée par des lois particulières. »

Il ressort de ce texte qu’il y a lieu de se reporter à des dispositions spéciales s’agissant du droit de chasser et de pêcher.

Ces dispositions se retrouvent essentiellement dans le Code de l’environnement ainsi que dans le Code rural et de la pêche maritime.

Indépendamment de la réglementation propre à la chasse et la pêche, le principe général est que le gibier et les poissons sont, dès lors qu’ils vivent à l’état sauvage, des res nullius. Dans ces conditions, ils sont un domaine d’élection privilégié de l’occupation.

Celui qui capture l’un de ces animaux en devient instantanément le propriétaire. À cet égard, l’appropriation se réalise avant même que le chasseur ou le pêcheur ne se saisisse de sa proie. Dès lors que le piège, la balle ou encore l’hameçon frappe l’animal il est réputé appartenir au propriétaire de l’instrument qui a permis sa capture.

Reste que, les activités de chasse et de pêche font l’objet d’une réglementation qui restreint considérablement le domaine de l’occupation.

Outre les autorisations administratives qu’il y a lieu d’obtenir pour exercer ces activités (permis de chasse ou permis de pêche), elles sont enfermées dans un calendrier déterminé et ne peuvent être exercées que dans des zones prédéfinies.

c) Cas particulier des choses communes

?: Notion

==> Origines

L’article 714 du Code civil prévoit que « il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous. »

Ce texte est inspiré des Institutes de Justinien qui, dès le VIe siècle, envisageaient les res communis du droit romain comme « des choses qui sont par la loi de la nature communes au genre humain : l’air, l’eau des rivières, la mer et par conséquent le littoral des mers »[2]

Domat écrivait dans le même sens que « les cieux, les astres, la lumière, l’air et la mer sont des biens tellement communs à toute la société des hommes, qu’aucun ne peut s’en rendre le maître, ni en priver les autres ; et aussi la nature de la situation de toutes ces choses est toute proportionnée à cet usage commun pour tous ».

Ainsi est-il des choses qui, parce qu’elles servent à l’usage de tous, ne peuvent, par principe, être appropriées individuellement et exclusivement. Ce sont les choses communes.

À l’examen, la notion de choses commune instituée par le Code civil se caractérise par deux critères : la non-appropriation et l’usage ouvert à tous, en libre accès, sans cibler le bénéfice d’une communauté strictement délimitée.

Certains juristes du XIXème siècle, comme Proudhon[3] ou Duranton[4] évoquaient, à cet égard, l’institution de communautés « négatives » par refus de la propriété privée, permettant à tous d’avoir accès à la chose.

La description des choses communes étant posée, se pose ensuite la question de leur identification.

==> Les choses naturelles

D’aucuns considèrent que la qualification de chose commune tiendrait à leur nature. Plus précisément, relèveraient de cette qualification toutes les choses naturelles constitutives de l’environnement de l’homme : l’air, l’eau, la chaleur, la lumière du soleil, le gibier sauvage, les poissons de la mer etc.

Reste que le caractère commun de certaines choses, ne fait pas obstacle à leur appropriation individuelle par occupation.

Tel est le cas de l’air qui peut être comprimé dans une bouteille, de l’eau qui peut être versée dans un récipient ou encore des rayons du soleil qui peuvent être captés par des panneaux photovoltaïques.

Ainsi certaines choses communes peuvent parfaitement faire l’objet d’une occupation privative.

Cette occupation demeure néanmoins limitée : une fois utilisée la chose commune a vocation à être restituée à l’ensemble dont elle est issue. Sa réservation individuelle est donc toujours temporaire.

==> Les ressources numériques

Pour certains auteurs, si l’article 714 du Code civil a initialement été créé au vu de ces choses communes naturelles, rien n’empêche cependant, en adoptant une lecture normative, d’en élargir l’application non seulement aux choses communes par nature mais aussi aux choses communes par destination ou par affectation, telles que certains communs numériques

Un auteur a avancé en ce sens que « selon une approche renouvelée de la notion de choses communes, l’article 714 est interprété comme ayant une valeur normative et non simplement descriptive d’un état des choses. Autrement dit, c’est parce qu’il y a une réelle volonté de laisser à l’usage commun certaines choses qu’elles sont qualifiées de choses communes et non en raison de leur nature. Celles-ci n’appartiennent à personne car il faut que l’usage soit commun à tous »[5].

Dans ces conditions, il est soutenu qu’il serait parfaitement envisageable de reconnaître à certaines ressources numériques le statut de choses communes au sens de l’article 714 du Code civil.

À cet égard, plusieurs types de communs numériques peuvent être distingués :

  • Les biens communs structurels ou vecteurs de communication: il peut s’agir par exemple des logiciels libres ou des infrastructures d’internet – sa structure et son architecture, à l’instar des noms de domaine ou des logiciels de transport des données selon les normes TCP/IP qui lui permettent d’exister, font d’internet un bien commun inappropriable, même si l’ensemble des « couches » qui en constituent l’essence ne présentent pas toutes le même « potentiel de commun »
  • Les biens communs informationnels qui visent, non pas les vecteurs de communication, mais les contenus et connaissances partagées, au sein desquels on peut trouver de nouvelles formes de médias et de contenus propres ou adaptés à la culture numérique (blog, conversations numériques, wikis, œuvres protégées dont les auteurs ont choisi des modèles volontaires de partage, notamment à travers les licences libres, éléments du domaine public informationnel, données relevant de l’open data …).

Dans le droit fil de cette réflexion un rapport du Conseil national du numérique avait conclu que l’internet devait être regardé comme une « ressource essentielle au développement de nos sociétés tant du point de vue économique que culturel ou social […] doit être considéré comme un bien commun, ou commun, qui ne peut être préempté par les intérêts de certains acteurs, publics ou privés, mais doit bénéficier à la communauté mondiale des utilisateurs ».

Ce rapport estime néanmoins qu’internet n’inclut pas les infrastructures physiques des réseaux ou des serveurs, qui sont soumises à? des régimes de propriété privée ou, plus rarement aujourd’hui, publique, ce qui montre la difficulté d’aménager un régime commun à l’ensemble garantissant un accès universel au réseau.

==> L’information

 Depuis que l’information a remplacé le charbon comme « ressource stratégique essentielle »[6] dont a besoin, pour se développer, l’industrie des biens et services d’aujourd’hui, elle est devenue l’objet de toutes les convoitises.

Par information, il faut comprendre, ainsi que le suggère Jérôme Passa, « une notion générique, sous laquelle l’opinion commune range des éléments aussi variés qu’une donnée brute, un savoir-faire, une invention végétale, un secret industriel, une idée, une découverte, une création de forme, un événement d’actualité, une donnée à caractère personnel, ect. : autant de concepts plus précis que celui d’information […] »[7].

Rapidement, la question s’est posée de savoir si l’information pouvait ou non faire l’objet d’une appropriation. Dans un premier temps, les auteurs ont plutôt répondu par l’affirmative à cette question. Les tenants de cette position, sont partis du constat suivant : l’information aurait pour « vocation naturelle […] de posséder, sauf exception, une valeur patrimoniale »[8].

Elle serait, par ailleurs, « devenue le dénominateur commun de tous les nouveaux droits qui apparaissent, des différentes tentatives de réservation de tel ou tel nouveau produit de l’industrie humaine »[9]. Aussi, est-ce la valeur économique que possède l’information qui justifierait son inclusion dans la catégorie des biens juridiques.

Pour Pierre Catala, par exemple, « la valeur marchande de l’information établit sa réalité patrimoniale » et de poursuivre « l’information en elle-même […] devrait être l’objet de droit »[10]. Bien qu’ayant le mérite d’avoir été l’une des premières à être proposée, la théorie des biens informationnels est loin d’avoir fait l’unanimité au sein de la doctrine.

Comme le souligne André Lucas, « il ne saurait y avoir une corrélation parfaite entre les valeurs économiques et les biens qui en sont la traduction juridique »[11]. Cela se justifie par le fait que ce n’est pas à la loi du marché de déterminer l’existence d’une telle corrélation, mais au juriste[12].

Plus précisément, c’est au législateur qu’il revient de dire ce qui peut ou non faire l’objet d’un droit de propriété. Il s’y est de la sorte employé ponctuellement pour répondre à un besoin social particulier.

Ainsi, a-t-il été reconnu, par deux décrets successifs, adoptés les 13 et 19 janvier 1791 et les 19 et 24 juillet 1793, un droit de propriété intellectuel à l’auteur, sur son œuvre[13]. Puis, par la loi du 5 juillet 1844, c’est l’inventeur qui s’est vu investir d’une prérogative semblable[14]. Peut encore être mentionnée la directive du 11 mars 1996, transposée par la loi du 1er juillet 1998 qui confère au producteur d’une base de données un droit réel sur le contenu de celle-ci[15].

En accordant, spécifiquement, aux auteurs de certaines créations immatérielles des droits de propriété intellectuelle, n’est-ce pas là la preuve que le législateur se refuse à reconnaître un droit privatif général sur l’information en elle-même ?

S’il le faisait, cela retirerait « à l’évidence tout intérêt aux droits privatifs existants. Qui demandera un brevet, qui invoquera le bénéfice du droit d’auteur s’il a l’assurance d’être titulaire en toute hypothèse d’un droit de propriété sur l’information dont il a la maîtrise ? »[16].

Autre indice permettant d’affirmer que l’information, lorsqu’elle ne revêt pas de forme particulière visée par la loi, ne fait l’objet d’aucune protection : la jurisprudence considère qu’elle ne peut pas être volée[17]. L’information n’est pas une chose ordinaire, si tant est que l’on puisse la qualifier de chose[18]. À la différence d’une chaise, d’un bijou ou d’un tableau, lorsque l’on s’en saisit, cela ne prive pas son détenteur de sa possession.

Au contraire, cela a pour effet de la dupliquer. Il s’ensuit que l’information ne peut faire l’objet d’aucune soustraction. C’est pourquoi, les juridictions pénales considèrent que l’acte qui consiste à s’en emparer frauduleusement, ne saurait être qualifié de vol.

Au bilan, il apparaît que l’information est tout à la fois insusceptible d’appropriation et laissée à la libre disposition de tous ce qui, ces deux critères combinés, en fait une chose commune au sens de l’article 714 du Code civil.

==> Les idées

Dans son entreprise d’appréhension des choses qui composent le monde de l’immatériel, il y a une ligne que le droit s’est toujours refusé à franchir : admettre que les idées puissent faire l’objet d’une appropriation individuelle.

Par idées il faut entendre une pensée de l’esprit non encore exprimée dans une forme perceptible par les sens. Pourquoi ces dernières ne peuvent-elles pas être réservées à titre privatif ?

Plusieurs raisons président au principe de libre circulation des idées :

Tout d’abord, ce principe reposerait sur la liberté d’expression qui est consacrée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Selon un auteur « ce serait […] une entrave au développement de [cette] liberté » si les idées faisaient l’objet d’une protection[19].

Ensuite, le deuxième argument soutenu par les tenants de cette thèse consiste à dire que les idées appartiennent au fonds commun de l’humanité, de sorte qu’elles entreraient dans la catégorie juridique des choses communes[20].

Pour Henri Desbois, « quelle qu’en soit l’ingéniosité et même si elles sont marquées au coin du génie, la propagation et l’exploitation des idées exprimées par autrui ne peut être contrariée par les servitudes inhérentes aux droits d’auteur : elles sont par essence et par destination de libre parcours »[21].

Dans le droit fil de cette pensée, Augustin-Charles Renouard n’hésite pas à affirmer qu’il serait insensé « d’introduire dans le monde des idées l’institution de parts exclusivement réservées à certains esprits et interdites à certains autres. Le communisme intellectuel est la loi de l’humanité ; et il n’est pas, pour notre espèce, de plus noble apanage »[22].

Enfin, il est un autre argument avancé par les défenseurs du principe de libre circulation des idées. Pour eux, rares sont les fois où l’idée à partir de laquelle l’auteur ou l’inventeur sera le pur produit de leur pensée ; « il arrivera le plus souvent, sinon toujours, qu’il ne fera […] que marquer de son empreinte personnelle une idée ancienne, déjà exploitée par d’autres et sur laquelle, parût-elle-même absolument originale et neuve, il ne saurait prétendre exercer un monopole »[23].

Pour toutes ces raisons, tant le législateur, que le juge ont toujours dénié aux idées la qualité de chose susceptible de faire l’objet d’une réservation privative[24]. De libre parcours, les idées ne peuvent ainsi que relever de la catégorie des choses communes.

?: Régime

À l’examen, l’article 714 du Code civil ne fait que poser la définition des choses commune, sans véritablement assortir cette définition d’un régime juridique.

Ce texte ne formule, en effet, aucune prescription, ni aucune interdiction à endroit des personnes, ce qui n’est pas sans interroger sur l’existence de limites à l’utilisation des choses communes.

Aussi, d’aucuns reprochent à l’article 714 son caractère potentiellement anarchique, lié à l’inorganisation des relations s’établissant sur la chose commune et ne permettant pas la gestion optimale de la ressource dans l’intérêt commun, ou encore les possibilités indirectes de réappropriation (par exemple par le dépôt d’une marque sur une œuvre qui ne serait plus protégée par le droit d’auteur).

Cette absence de gouvernance serait également contraire à la qualification de communs au sens usuellement retenu pour ce terme, car le propre des communs serait précisément l’existence de cette gouvernance à même de faire respecter l’usage partagé de la communauté.

Reste que les choses communes peuvent faire l’objet d’une régulation spontanée par des mécanismes de gouvernance communautaire d’une part, et que le second alinéa de l’article 714 du code civil prévoit expressément que « des lois de police » sont adoptées pour déterminer la manière de jouir de la chose commune d’autre part.

Aubry et Rau écrivaient en ce sens que « quoique non susceptibles de propriété, les choses de cette nature n’en tombent pas moins sous l’empire du droit pour le règlement de leur usage qui n’est pas d’une manière absolue abandonné à la discrétion de tous »[25].

Ainsi, rien n’empêche le législateur d’organiser les modalités de cette gouvernance et de se porter ainsi garant de la protection des communs. C’est d’ailleurs ce à quoi il s’emploie au cas par cas.

Pour exemple :

  • L’eau et les milieux aquatiques et marins sont régis par les articles L. 210-1 à 219-18 du Code de l’environnement
    • L’article L. 210-1 prévoit notamment que :
      • D’une part, l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général.
      • D’autre part, dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous.
  • L’air et l’atmosphère sont régis aux articles sont régis aux articles L. 220-1 à 229-54 du Code de l’environnement
    • L’article L. 220-1 prévoit notamment que :
      • D’une part, l’État et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l’objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé.
      • D’autre part, cette action d’intérêt général consiste à prévenir, à surveiller, à réduire ou à supprimer les pollutions atmosphériques, à préserver la qualité de l’air et, à ces fins, à économiser et à utiliser rationnellement l’énergie. La protection de l’atmosphère intègre la prévention de la pollution de l’air et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

2. Les choses sans maître insusceptibles d’occupation

L’article L. 1123-1 du Code général de la propriété des personnes publiques dispose que sont considérés comme n’ayant pas de maître les biens autres que ceux relevant de l’article L. 1122-1 et qui :

  • Soit font partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté ;
  • Soit sont des immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans la taxe foncière sur les propriétés bâties n’a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers. Ces dispositions ne font pas obstacle à l’application des règles de droit civil relatives à la prescription ;
  • Soit sont des immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu, qui ne sont pas assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties et pour lesquels, depuis plus de trois ans, la taxe foncière sur les propriétés non bâties n’a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers. Le présent 3° ne fait pas obstacle à l’application des règles de droit civil relatives à la prescription.

Il ressort de cette disposition que, tant les immeubles vacants, que les choses provenant de successions en déshérence échappent au statut de chose sans maître.

==> S’agissant des immeubles vacants

L’article 713 du Code civil dispose que « les biens qui n’ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés. Par délibération du conseil municipal, la commune peut renoncer à exercer ses droits, sur tout ou partie de son territoire, au profit de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elle est membre. Les biens sans maître sont alors réputés appartenir à l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. »

En dépit de sa formulation générale, l’article 713 du code civil ne s’applique qu’aux immeubles. Dès qu’un immeuble n’a plus de maître, sa propriété est attribuée à la Commune et, le cas échéant, si elle y renonce, à l’État.

Le fondement de cette règle est, en général, recherché dans le droit souverain de l’État. Celui-ci disposerait sur tous les biens situés sur son territoire, d’une sorte de droit éminent qui se réaliserait uniquement lorsque ces biens sont abandonnés ou en déshérence.

Le Doyen Jean Carbonnier a parfaitement résumé cette conception en justifiant la règle de la dévolution des biens vacants à l’État par le fait que les immeubles « sont une portion du territoire national. »

Cette dévolution ne s’opère néanmoins pas de plein droit : une procédure d’appropriation est organisée aux articles L. 1123-2 et suivants du Code général de la propriété des personnes publiques.

  • S’agissant des immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans la taxe foncière sur les propriétés bâties n’a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers, l’article L. 1123-3 prévoit que :
    • Un arrêté du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre pris dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État constate que l’immeuble satisfait aux conditions mentionnées au 2° de l’article L. 1123-1. Il est procédé par les soins du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre à une publication et à un affichage de cet arrêté et, s’il y a lieu, à une notification aux derniers domicile et résidence du dernier propriétaire connu. Une notification est également adressée, si l’immeuble est habité ou exploité, à l’habitant ou à l’exploitant ainsi qu’au tiers qui aurait acquitté les taxes foncières. Cet arrêté est, dans tous les cas, notifié au représentant de l’État dans le département.
    • Dans le cas où un propriétaire ne s’est pas fait connaître dans un délai de six mois à dater de l’accomplissement de la dernière des mesures de publicité mentionnées au deuxième alinéa, l’immeuble est présumé sans maître. La commune ou l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre peut, par délibération de son organe délibérant, l’incorporer dans son domaine. Cette incorporation est constatée par arrêté du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.
    • À défaut de délibération prise dans un délai de six mois à compter de la vacance présumée du bien, la propriété de celui-ci est attribuée à l’État. Toutefois, lorsque le bien est situé dans l’une des zones définies à l’article L. 322-1 du code de l’environnement, la propriété est transférée au Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres lorsqu’il en fait la demande ou, à défaut, au conservatoire régional d’espaces naturels agréé au titre de l’article L. 414-11 du même code lorsqu’il en fait la demande. Le transfert du bien est constaté par un acte administratif.
  • S’agissant des immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu, qui ne sont pas assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties et pour lesquels, depuis plus de trois ans, la taxe foncière sur les propriétés non bâties n’a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers, l’article L. 1123-4 prévoit que :
    • Au 1er mars de chaque année, les centres des impôts fonciers signalent au représentant de l’État dans le département les immeubles satisfaisant aux conditions prévues au même 3°. Au plus tard le 1er juin de chaque année, le représentant de l’État dans le département arrête la liste de ces immeubles par commune et la transmet au maire de chaque commune concernée. Le représentant de l’État dans le département et le maire de chaque commune concernée procèdent à une publication et à un affichage de cet arrêté ainsi que, s’il y a lieu, à une notification aux derniers domicile et résidence du dernier propriétaire connu. Une notification est également adressée, si l’immeuble est habité ou exploité, à l’habitant ou à l’exploitant ainsi qu’au tiers qui a acquitté les taxes foncières.
    • Dans le cas où un propriétaire ne s’est pas fait connaître dans un délai de six mois à compter de l’accomplissement de la dernière des mesures de publicité mentionnées au deuxième alinéa du présent article, l’immeuble est présumé sans maître. Le représentant de l’État dans le département notifie cette présomption au maire de la commune dans laquelle est situé le bien.
    • La commune dans laquelle est situé ce bien peut, par délibération du conseil municipal, l’incorporer dans le domaine communal. Cette incorporation est constatée par arrêté du maire. À défaut de délibération prise dans un délai de six mois à compter de la notification de la vacance présumée du bien, la propriété de celui-ci est attribuée à l’État. Toutefois, lorsque le bien est situé dans l’une des zones définies à l’article L. 322-1 du code de l’environnement, la propriété est transférée au Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres lorsqu’il en fait la demande ou, à défaut, au conservatoire régional d’espaces naturels agréé au titre de l’article L. 414-11 du même code lorsqu’il en fait la demande. Le transfert du bien est constaté par un acte administratif.

Enfin, il est prévu à l’article L. 2220-20 du même Code que « lorsque la propriété d’un immeuble a été attribuée, dans les conditions fixées à l’article L. 1123-3, à une commune, à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou, à défaut, à l’État, le propriétaire ou ses ayants droit sont en droit d’en exiger la restitution ».

==> S’agissant des successions en déshérence

La règle de dévolution des biens vacants à l’État trouve sa pleine expression en matière de succession.

L’article 539 du Code civil dispose en ce sens que « les biens des personnes qui décèdent sans héritiers ou dont les successions sont abandonnées appartiennent à l’État. »

La règle ainsi posée se justifierait par la nécessité de prévenir les désordres que ne manqueraient pas de provoquer les prétentions concurrentes de ceux qui chercheraient à être les premiers occupants des successions vacantes.

Portalis analysait en ces termes le pouvoir souverain reconnu à l’État dans ce domaine : « sur des biens vacants par la mort du propriétaire, on ne voit d’abord d’autre droit proprement dit que le droit même de l’État. Mais que l’on ne s’y méprenne pas, ce droit n’est pas et ne peut pas être un droit d’hérédité, c’est un simple droit d’administration et de gouvernement. Jamais le droit de succéder aux fortunes privées n’a fait partie des prérogatives attachées à la puissance publique (…). L’État ne succède pas. »

Dans un arrêt remarqué rendu en date du 6 avril 1994, la Cour de cassation a clairement établi dans ce sens la nature des droits de l’État qui reçoit une succession en déshérence.

Elle a, en effet, jugé que « l’article 539 du code civil n’établit aucune distinction entre les biens vacants et sans maître et ceux des personnes qui décèdent sans héritiers ou dont les successions sont abandonnées, ces deux catégories de biens appartenant au domaine public ; que c’est en vertu de sa souveraineté que l’État recueille les biens d’une succession en déshérence, l’envoi en possession qu’il est tenu de demander ayant pour effet de lui conférer la saisine, mais non la qualité d’héritier » (Cass. 1ère civ. 6 avr. 1994, n°92-13462).

À la différence des immeubles vacants, les choses issues d’une succession en déshérence sont dévolues, de plein droit, à l’État.

Dans un arrêt du 14 novembre 2006, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « les biens des personnes qui décèdent sans héritiers ou dont les successions sont abandonnées appartiennent à l’État, que l’acquisition par l’État des biens visés aux articles 539 et 713 du code civil se produit de plein droit » (Cass. 1ère civ. 14 nov. 2006, n°03-13473).

S’agissant des modalités de la dévolution, l’article 811 du Code civil dispose que « lorsque l’État prétend à la succession d’une personne qui décède sans héritier ou à une succession abandonnée, il doit en demander l’envoi en possession au tribunal. »

C) Appropriation

Le mode d’appropriation des choses sans maîtres est donc l’occupation. De toute évidence, elle se rapproche de l’appropriation par l’État des immeubles vacants ou des successions en déshérence, dans la mesure où ce dernier il ne tient pas son droit de propriété du précédent propriétaire.

À cet égard, si l’article 713 du Code civil avait été interprété dans son sens le plus large, soit sans distinguer les meubles des immeubles, le mode originaire d’acquisition de la propriété qu’est l’occupation n’aurait pas eu de place pour prospérer : toutes les res nullius, toutes les res derelictae, appartiendraient à l’état.

C’est la raison pour laquelle, l’article 713 du Code civil a été interprété de manière restrictive : il n’a vocation à s’appliquer qu’aux seuls immeubles. Réciproquement, l’occupation ne peut produire ses effets que sur les meubles.

II) L’occupation des épaves et des trésors

Il est des choses pour lesquelles existe une incertitude quant à leur appropriation, en ce sens qu’il est difficile de déterminé si elles ont été abandonnées ou si leur propriétaire n’a jamais renoncé à en conserver la propriété : ce sont les trésors et les épaves.

A) Les trésors

Bien qu’ils présentent l’apparence de choses sans maîtres, les trésors s’en distinguent en ce qu’ils sont réputés être appropriés, mais par une personne dont on ignore l’identité.

  1. Éléments constitutifs

L’article 716 du Code civil définit les trésors comme « toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard ».

Il ressort de cette disposition que la notion de trésor comporte plusieurs éléments constitutifs :

  • Un bien meuble
    • Parce que l’article 716 du Code civil vise les choses, le trésor ne peut consister qu’un en bien meuble, ce qui donc exclut de cette catégorie les immeubles.
    • Peu importe qu’il s’agisse d’un immeuble par nature ou par destination, la jurisprudence leur a toujours refusé la qualification de trésor (V. en ce sens req. 13 août 1881)
  • Une chose cachée ou enfouie
    • Le trésor se caractérise également par son enfouissement ou sa dissimulation en un lieu ou dans un objet.
    • Ce qui importe, c’est qu’il ne soit pas déposé sur le sol ou qu’il soit entreposé à la vue de tous.
    • Le trésor doit être dissimulé de telle sorte qu’il se rend difficilement trouvable.
    • Il est indifférent qu’il soit enfermé dans un meuble, tels une boîte, une armoire ou encore un coffre, voire même égaré dans la cavité d’un immeuble.
  • Une chose dissociable du fonds dans lequel elle a été trouvée
    • Dans un arrêt du 5 juillet 2017, la Cour de cassation a précisé que « seules peuvent recevoir cette qualification les choses corporelles matériellement dissociables du fonds dans lequel elles ont été trouvées et, comme telles, susceptibles d’appropriation» ( 1ère civ. 5 juill. 2017, n°16-19340).
    • Ainsi, le trésor ne se conçoit qu’à la condition qu’il se distingue du fonds dans lequel il est enfoui.
    • Exemple: un minerai incorporé dans le sol n’est pas un trésor, dans la mesure où il est indissociable du terrain. À l’inverse, un coffre enterré dans un jardin se distingue du terrain où il est enterré.
  • Une chose découverte fortuitement
    • Pour endosser la qualification de trésor la chose doit avoir été découverte fortuitement soit, selon l’article 716, « par le pur effet du hasard».
    • Tel ne sera pas le cas lorsque la chose aura été trouvée après que le propriétaire d’un terrain a chargé une personne de diligenter des fouilles.
    • Dans un arrêt du 20 novembre 1990, la Cour de cassation a néanmoins précisé que « l’inventeur d’un trésor s’entend de celui qui, par le seul effet du hasard, met le trésor à découvert, serait-il au service d’une entreprise, dès lors que les travaux ayant conduit à la découverte n’ont pas été effectués à cette fin» ( crim. 20 nov. 1990, n°89-80529).
  • L’impossibilité de justifier la propriété de la chose
    • Dernière condition pour qu’une chose trouvée puisse être qualifiée de trésor, il ne doit être possible pour personne de justifier de sa propriété.
    • C’est là une différence fondamentale entre le trésor dont la propriété ne peut pas être prouvée et l’épave dont le propriétaire est susceptible d’être retrouvé.
    • Si le véritable propriétaire de la chose découverte est en mesure de rapporter la preuve de son droit, il pourra agir en revendication et pourra alors solliciter la restitution de la chose sans que l’inventeur ne puisse solliciter aucun dédommagement.
    • Dans un arrêt du 19 novembre 2002 la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui après avoir énoncé que d’une part qu’un trésor est une chose cachée sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété et d’autre part que la preuve de la propriété de biens mobiliers est libre, a retenu souverainement que les vendeurs d’une cuisinière avaient établi la preuve qu’ils étaient propriétaires des lingots d’or se trouvant à l’intérieur et que dès lors ces biens, dont ils justifiaient être propriétaires, ne pouvaient constituer un trésor ( 1ère civ. 19 nov. 2002, n°00-22471).
    • En revanche, dans un arrêt du 25 octobre 1955 la première chambre civile a estimé que le fait que le vendeur d’un immeuble où ont été découvertes des pièces d’or est l’héritier des anciens propriétaires de cet immeuble ne peut, à lui seul, avoir une influence sur la détermination de la propriété des pièces ( 1ère civ. 25 oct. 1955).

2. Attribution du trésor

Une fois que la chose trouvée a endossé la qualification de trésor, il y a lieu de déterminer à qui elle appartient, en particulier si elle était enfouie sur le fonds d’autrui.

==> Identification de l’inventeur

L’inventeur, soit celui qui a vocation à devenir le propriétaire du trésor par occupation, est celui qui est à l’origine de la découverte de la chose enfouie ou dissimulée.

Autrement dit, seul celui qui révèle le trésor peut prétendre endosser la qualité d’inventeur et non celui qui a seulement exécuté des travaux de recherche pour le compte du propriétaire du fonds.

Dans un arrêt du 9 novembre 1948, la Cour d’appel de paris a jugé en ce sens que des ouvriers qui ont découvert des pièces d’or en travaillant au déblaiement des décombres d’un immeuble sinistré peuvent se voir attribuer la qualité d’inventeur, sauf si le propriétaire de la maison peut démontrer avoir lui-même ordonné et dirigé les recherches en vue de la découverte d’un trésor, auquel cas il serait lui-même, à l’exclusion des ouvriers employés au déblaiement, l’inventeur de ce trésor (CA Paris, 9 nov. 1948).

Pour que l’ouvrier puisse revendiquer sa part du trésor, il doit ainsi l’avoir découvert par « pur hasard », soit sans que la découverte procède de fouilles intentionnelles commandées par le propriétaire du fonds, faute de quoi seul ce dernier peut se prévaloir de la qualité d’inventeur.

Par ailleurs, l’acte qui constitue la découverte est, non pas l’appréhension du contenu d’un coffre, mais la mise à jour de ce coffre.

==> Partage du trésor

Une application stricte des règles qui président à l’occupation devrait conduire à conférer la qualité de propriétaire au seul inventeur du trésor à l’exclusion de toute autre personne.

Une solution radicalement opposée pourrait consister à dire que le trésor doit être attribué au propriétaire du fonds dans lequel il était enfoui est fondé à revendiquer dans la mesure où, aux termes du principe de l’accession, « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous. »

À l’examen, aucune de ces deux solutions n’a été retenue par les rédacteurs du Code civil qui ont opté pour une solution intermédiaire.

Il ressort du premier alinéa de l’article 716 du Code civil qu’il y a lieu de distinguer deux situations :

  • Soit l’inventeur du trésor est le propriétaire du terrain dans lequel il était enfoui auquel cas il lui appartient pour la totalité,
  • Soit l’inventeur du trésor est un tiers, auquel cas il devra partager son butin, pour moitié, avec le propriétaire du terrain dans lequel il était enfoui

Reste que le véritable propriétaire du trésor pourra, s’il parvient à rapporter la preuve de son droit, revendiquer la propriété du trésor.

À cet égard, l’article 2227 du Code civil dispose que « le droit de propriété est imprescriptible ».

Cette disposition a conduit la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 6 juin 2018 que « celui qui découvre, par le pur effet du hasard, une chose cachée ou enfouie a nécessairement conscience, au moment de la découverte, qu’il n’est pas le propriétaire de cette chose, et ne peut être considéré comme un possesseur de bonne foi ; que, par suite, il ne saurait se prévaloir des dispositions de l’article 2276 du code civil pour faire échec à l’action en revendication d’une chose ainsi découverte, dont il prétend qu’elle constitue un trésor au sens de l’article 716, alinéa 2, du même code ; que, conformément à l’article 2227 de ce code, une telle action n’est pas susceptible de prescription » (Cass. 1ère civ. 6 juin 2018, n°17-16091).

Il ressort de cette décision que l’action en revendication d’un trésor ne se prescrit jamais, de sorte qu’elle pourra être exercée plusieurs siècles après son enfouissement (V. en ce sens T. civ. Seine, 1er juin 1949 : D. 1949, jurispr. p. 350, note G. Ripert ; JCP G 1949, II, 5211).

==> Cas particulier des trésors archéologiques

L’article L. 531-14 du Code du patrimoine prévoit que « lorsque, par suite de travaux ou d’un fait quelconque, des monuments, des ruines, substructions, mosaïques, éléments de canalisation antique, vestiges d’habitation ou de sépulture anciennes, des inscriptions ou généralement des objets pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art, l’archéologie ou la numismatique sont mis au jour, l’inventeur de ces vestiges ou objets et le propriétaire de l’immeuble où ils ont été découverts sont tenus d’en faire la déclaration immédiate au maire de la commune, qui doit la transmettre sans délai au préfet. »

Ainsi, l’inventeur d’un trésor archéologique doit en informer immédiatement le maire de la commune, lequel en réfère au préfet qui devra saisir l’autorité administrative compétente.

Cette obligation de déclaration est sans préjudice sur les droits du propriétaire du fonds auquel il est attribué la moitié du trésor.

Dans l’attente, le texte prescrit que le propriétaire de l’immeuble est responsable de la conservation provisoire des monuments, substructions ou vestiges de caractère immobilier découverts sur ses terrains. Le dépositaire des objets assume à leur égard la même responsabilité.

L’autorité administrative peut faire visiter les lieux où les découvertes ont été faites ainsi que les locaux où les objets ont été déposés et prescrire toutes les mesures utiles pour leur conservation.

S’agissant des biens culturels maritimes, l’article L. 532-2 du Code du patrimoine pose que lorsqu’ils sont situés dans le domaine public maritime et lorsque le propriétaire n’est pas susceptible d’être retrouvé ils appartiennent à l’État.

À cet égard, constituent des biens culturels maritimes les gisements, épaves, vestiges ou généralement tout bien présentant un intérêt préhistorique, archéologique ou historique qui sont situés dans le domaine public maritime ou au fond de la mer dans la zone contiguë.

En contrepartie de la découverte d’un bien culturel maritime l’inventeur peut bénéficier d’une récompense (art. L. 532-6 C. patr.)

Le montant de la récompense est fixé par le ministre chargé de la culture, après avis du Conseil national de la recherche archéologique, en fonction de l’intérêt du bien, dans la limite de plafonds définis par arrêté conjoint des ministres chargés du budget et de la culture (art. R. 532-4 C. patr.)

B) Les épaves

==> Notion

Selon la définition de Gérard Cornu une épave est un « objet perdu ; tout objet mobilier égaré par son propriétaire ».

Plus précisément, deux éléments caractérisent l’épave :

  • Premier élément :
    • L’épave est une chose mobilière qui a été, non pas abandonnée, mais égarée, ce qui n’emporte pas la même conséquence juridique.
    • En effet, le propriétaire d’une épave n’a pas renoncé à son droit de propriété : il a seulement perdu la maîtrise physique de son bien par inadvertance ou par inadvertance (cas fortuit) ou par contrainte (vol)
    • En tout état de cause la dépossession du propriétaire n’est nullement motivée par l’abandon de la chose.
    • Il en résulte que l’épave peut, en principe, faire l’objet d’une revendication
    • A contrario, elle ne peut pas être appropriée par voie d’occupation.
    • L’épave a donc vocation à revenir à son propriétaire, lequel n’est nullement déchu de son droit de propriété, à tout le moins pendant une certaine durée.
    • Si la situation perdure, il conviendra d’y mettre un terme en attribuant la propriété de l’épave à son inventeur.
    • Son acquisition se fera alors par voie d’invention. Il s’agit là d’un mode d’acquisition qui manifestement se rapproche de l’occupation.
  • Second élément
    • Le second élément qui caractérise la qualification d’épave est l’impossibilité de remonter jusqu’à son propriétaire, faute d’élément d’identification.
    • Aussi, lorsqu’il est possible de rattacher un bien à une personne, il ne s’agit pas d’une épave, mais seulement d’une chose perdue.
    • Tel sera le cas d’un navire ou d’un véhicule terrestre à moteur qui arborent une immatriculation.
    • L’alinéa 2 de l’article 717 précise que ce critère n’est pas nécessairement déterminant.
    • Le statut d’épave peut également être endossé par les choses perdues « dont le maître ne se représente pas».
    • Autrement dit, dans l’hypothèse où le propriétaire a pu être identifié, mais qu’il ne s’est pas manifesté après avoir été informé de la découverte de son bien, celui-ci sera assujetti au régime juridique des épaves.

A l’examen, il ressort des éléments constitutifs qui caractérisent l’épave que cette notion se distingue, d’un part, des res derelictae, et, d’autre part, des trésors.

  • Épave et res derelictae
    • Parce que l’épave est seulement perdue, égarée, il ne s’agit pas d’une chose abandonnée (res derelictae) en ce sens que son propriétaire, qui demeure inconnu, n’a pas renoncé à son droit de propriété.
    • Il ne s’agit donc pas d’une chose sans maître (res nullius).
    • Par voie de conséquence, l’épave ne peut pas faire l’objet d’une acquisition par voie d’occupation
  • Épave et trésor
    • Si l’épave a en commun avec le trésor de n’avoir pas de propriétaire connu, elle s’en distingue en deux points :
      • D’une part, l’épave n’est ni enfouie, ni cachée : elle est accessible à la vue de tous
      • D’autre part, le propriétaire qui demeure inconnu, est susceptible de se manifester et de justifier d’un titre de propriété

Parce que l’épave n’est, ni une res nullius, ni un trésor, elle ne peut pas être appropriée par voie d’occupation. Son propriétaire n’a nullement renoncé à son droit de propriété. Il a seulement égaré son bien, de sorte qu’il est susceptible de le revendiquer.

Encore faut-il néanmoins pour ce faire qu’il s’en aperçoive, ce qui ne sera pas toujours le cas. C’est la raison pour laquelle le droit envisage la possibilité pour l’inventeur d’une épave d’en devenir le propriétaire selon un mode d’acquisition assez proche de l’occupation.

==> Régime

Le régime juridique applicable aux épaves diffère selon que le bien est une épave terrestre, maritime ou fluviale.

  • Les épaves terrestres
    • L’article 717, al. 2e du Code civil prévoit que le sort des épaves terrestres est réglé par les lois particulières. A défaut, c’est le droit commun qui s’applique.
      • Droit commun
        • Lorsqu’aucun texte n’encadre le sort d’un bien qui endosse le statut d’épave terrestre, c’est le droit commun qui s’applique.
        • Aussi, une telle épave ne peut faire l’objet d’aucune appropriation par voie d’occupation tant que la prescription acquisitive n’a pu valablement jouer.
        • A cet égard, celui qui trouve un bien dont on ignore qui est le propriétaire doit, conformément aux règlements établis par la plupart des communes, le déposer auprès du service administratif compétent (mairie, commissariat ou bureau dédié).
        • A l’expiration d’un délai d’un an et d’un jour, l’objet a vocation à être restitué à son inventeur qui en deviendra, d’abord, le possesseur, puis à l’expiration du délai d’usucapion le propriétaire.
        • Pendant ce délai, l’épave peut toujours faire l’objet d’une action en revendication exercée par son véritable propriétaire.
        • Il convient d’observer que, ici, à la différence de l’invention d’un trésor, l’invention d’une épave ne produit aucun effet acquisitif.
        • Seul le jeu de la prescription permet à l’inventeur d’acquérir le bien trouvé, étant précisé qu’il est nécessairement regardé comme un possesseur de mauvaise foi, dans la mesure où il sait qu’il s’approprie une chose qui appartient à autrui.
        • Il en résulte que le délai de prescription pour acquérir une épave terrestre est de trente ans.
        • Par exception, lorsqu’il s’agit de revendiquer le bien auprès du sous-acquéreur, lequel est susceptible d’être de bonne foi, car ignorant l’origine de l’épave, le délai de la prescription acquisitive est ramené à trois ans.
        • L’article 2276, al. 2e du Code civil dispose en ce sens que « celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient. »
        • Reste que la mise en œuvre de cette action en revendication contre le sous-acquéreur de bonne foi est subordonnée au remboursement du bien par le verus dominus.
        • C’est le sens de l’article 2277 du Code civil qui dispose que « si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l’a achetée dans une foire ou dans un marché, ou dans une vente publique, ou d’un marchand vendant des choses pareilles, le propriétaire originaire ne peut se la faire rendre qu’en remboursant au possesseur le prix qu’elle lui a coûté».
  • Lois particulières
    • Le sort de certaines épaves terrestres est réglé par des lois particulières.
    • Il en va ainsi :
      • Des effets laissés dans les greffes civils et criminels qui ne sont pas réclamés et qui, à l’expiration d’un certain délai, sont vendu dans le cadre d’une vente aux enchères au profit de l’État.
      • Des effets mobiliers apportés par le voyageur ayant logé chez un aubergiste, hôtelier ou logeur et par lui laissés en gage pour sûreté de sa dette, ou abandonnés au moment de son départ, peuvent être vendus à l’expiration d’un délai de six mois après le départ constaté du voyageur.
      • Des chiens et les chats accueillis dans la fourrière qui après avoir été identifiés par le port d’un collier où figurent le nom et l’adresse de leur maître, doivent être réclamés par leur propriétaire dans un délai franc de huit jours ouvrés, faute de quoi il est considéré comme abandonné et devient la propriété du gestionnaire de la fourrière, qui peut en disposer.
  • Les épaves maritimes
    • L’article 717 du Code civil prévoit que « les droits sur les effets jetés à la mer, sur les objets que la mer rejette, de quelque nature qu’ils puissent être, sur les plantes et herbages qui croissent sur les rivages de la mer, sont aussi réglés par des lois particulières.»
    • Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :
      • D’une part, par épave maritime il faut entendre tout ce qui provient des naufrages ou de jets de marchandises à la mer lorsque le navire est en péril.
      • D’autre part, le sort des épaves maritimes est, à l’instar des épaves terrestres, réglé par les lois particulières.
    • C’est alors vers la loi du 24 novembre 1961 et le décret d’application du 26 décembre 1961 qu’il y a lieu de se tourner, étant précisé que ces textes ont été codifiés dans le Code des transports.
    • L’article L. 542-1 de ce Code prévoit, tout d’abord, que « l’état d’épave résulte de la non-flottabilité, de l’absence d’équipage à bord et de l’inexistence de mesures de garde et de manœuvre, sauf si cet état résulte d’un abandon volontaire en vue de soustraire frauduleusement le navire, l’engin flottant, les marchandises et cargaisons, l’aéronef ou l’objet à la réglementation douanière.»
    • Ensuite, l’article R. 5142-1 dispose que toute personne qui découvre une épave est tenue, dans la mesure du possible, de la mettre en sûreté, notamment en la plaçant hors des atteintes de la mer.
    • Elle doit, en outre, en faire, dans les quarante-huit heures de la découverte ou de l’arrivée au premier port si l’épave a été trouvée en mer, la déclaration au préfet ou à son représentant.
    • Les épaves sont placées sous la protection et la sauvegarde du préfet qui prend toutes les mesures utiles pour le sauvetage et veille à la conservation des objets sauvés.
    • Par ailleurs, la découverte d’une épave dont le propriétaire est inconnu fait l’objet, par le préfet, d’une publicité sous forme d’affiches ou d’insertion dans la presse.
    • L’article L. 5143-2 du Code des transports précise que lorsque le propriétaire a été mis en demeure de réaliser des opérations de sauvetage ou lorsque l’existence de l’épave remonte à plus de cinq ans, la déchéance des droits du propriétaire peut être prononcée par décision de l’autorité administrative compétente.
    • En tout état de cause, il peut être procédé à la vente de l’épave au profit de l’Etat, soit lorsque le propriétaire ne l’a pas réclamée, soit lorsque le propriétaire a été déchu de ses droits.
    • Le propriétaire dispose d’un délai de trois mois, à compter de la date de publication ou de la notification de la découverte ou du sauvetage de l’épave, pour revendiquer son bien et, si le sauvetage n’a pu être fait, pour déclarer qu’il entend y procéder.
  • Les épaves fluviales
    • Les épaves fluviales sont les biens trouvés ou rejetés dans les cours d’eau navigables.
    • Dans un arrêt du 17 février 1976, la Cour de cassation a affirmé que leur sort était réglé par les dispositions des articles 16 et 17 du titre 31 de l’ordonnance des eaux et forêts d’août 1669.
    • La raison en est précise la première chambre civile que « les cours d’eaux navigables et flottables dont la propriété a été transférée a la nation avec le domaine de la couronne se trouvent intégrés au domaine public de l’État et que le régime des épaves issues de ces cours d’eaux n’a pas été aboli par le décret du 4 aout 1789 et reste en vigueur, l’arrêté du 28 messidor an VI étant relatif au seul régime de la pêche» ( 1ère civ. 17 févr. 1976, n°74-12508).
    • Aussi, en application de cette ordonnance qui est donc toujours en vigueur, les épaves fluviales sont vendues dans le mois de leur découverte.
    • Quant au prix de la vente, il revient à l’État dans le moins de la vente à moins qu’il ne soit réclamé, dans ce délai, par le propriétaire de l’épave.

[1] F. Zenati et Th. Revêt, Les biens, éd. PUF, 2008.

[2] Titre I du livre deuxième des Institutes de Justinien.

[3] J.B.V. Proudhon, Traité du domaine de propriété et de la distinction des biens, Bruxelles, 1842, p. 6

[4] A. DurantonCours de droit civil français suivant le code civil, tome IV, Paris, 1844, p. 195.

[5] M. Clément-Fontaine, « Le renouveau des biens communs : des biens matériels aux biens immatériels »

[6] E. Daragon, art. préc., p. 63.

[7] J. Passa, « La propriété de l’information : un malentendu » ?, Droit et Patrimoine, Mars 2001, n°91, p. 65.

[8] P. Catala, art. préc., p.97

[9] J.-C. Galloux, art. préc., p. 229

[10] P. Catala, art. préc., p. 97.

[11] A. Lucas, J. Devèze, et J. Frayssinet, op. cit. note 216, n°471, p. 272.

[12] Ibid.

[13] Par une formule que l’on ne se lasse pas d’entendre, Le chappelier justifie l’adoption de ces textes qui consacrent le droit d’auteur, en affirmant que « la plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable et […] la plus personnelle de toutes les propriétés, est l’ouvrage, fruit de la pensée de l’écrivain » (Rapport sur la pétition des auteurs dramatiques, Assemblée constituante, séance du 13 jan. 1791).

[14] En vérité c’est la loi du 7 janvier 1791 qui constitue le premier texte consacrant le droit des brevets. L’esprit ayant animé ses auteurs est comparable à celui dont sont empreints les décrets révolutionnaires portant sur le droit d’auteur. Ainsi, la première loi sur les brevets d’invention l’affirme-t-elle : « ce serait attaquer les droits de l’Homme dans leur essence que de ne pas regarder une découverte industrielle comme la propriété de son auteur » (cité in M. Ch. Comte, Traité de la propriété, Librairie de jurisprudence de H. Tarlier, 1835, p. 189).

[15] Loi n° 98-536 du 1er juillet 1998 portant transposition dans le code de la propriété intellectuelle de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données, JORF n°151 du 2 juillet 1998, p. 10075. Au titre de l’article L. 341-1 du Code de la propriété intellectuelle le producteur d’une base de données « entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants » bénéficie « d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel. Cette protection est indépendante et s’exerce sans préjudice de celles résultant du droit d’auteur ou d’autre droit sur la base de données ou un de ces éléments constitutifs ».

[16] A. Lucas, Le droit de l’informatique, PUF, coll. « Thémis », 1987, n°306.

[17] On a pu penser le contraire dans deux décision rendues par la chambre criminelle de la Cour de cassasion les 12 janvier et 1er mars 1989 (Cass. crim., 12 janv. 1989 : Bull. crim. 1989, n° 14 ; Cass. crim., 1er mars 1989 : Bull. crim. 1989, n° 100). Les commentateurs s’accordent cependant à dire, qu’il s’agissait de vol portant sur l’information et leur support, de sorte que si l’acte de soustraction avait porté sur la seule information, la Cour de cassation n’aurait pas retenu la qualification de vol. Cette thèse a d’ailleurs été confirmée dans un arrêt rendu le 3 avril 1995 la chambre criminelle estimant que « une information quelle qu’en soit la nature ou l’origine échappe aux prévisions » des articles dans lesquels sont érigées les infractions de vol et de recel (Cass. crim., 3 avr. 1995 : Juris-Data n° 1995-000928 ; Bull. crim. 1995, n° 142 ; JCP G 1995, II, 22429, note Deneux ; Rev. sc. crim. 1995, p. 599, obs. Francillon et 821, obs. Ottenhof). Cette décision a été confirmée le 26 octobre 1995 (Cass. crim., 26 oct. 1995 : Bull. crim. 1995, n° 324 ; Rev. soc. 1996, p. 326, note Bouloc).

[18] Si, de nombreux auteurs doutent de la possibilité de pouvoir qualifier l’information de chose, pour Thiébaut Devergranne, « le concept de chose n’est que le produit d’une démarche intellectuelle, qui conduit le sujet à individualiser et désigner un élément pour lui permettre de l’appréhender. Peu importe, donc, que la chose ait une existence matérielle, dès lors que le sujet lui s’accorde, sans trop contrarier l’ordre social, à lui conférer, une réalité substantielle. Si la chose est le produit d’un processus intellectuel, alors tout ce qui peut être intellectualisé peut être chose : l’information, les droits, le bien le fait, le sujet… » (Th. Devergranne, La propriété informatique, thèse : Paris 2, 2007, p. 181).

[19] D. Cohen, « La liberté de créer », in Libertés et droits fondamentaux, sous la dir. De R. Cabrillac, M.-A. Frison-Roche, Th. Revet, Dalloz, 10e éd., 2004, p. 407, spéc. n°553, p. 415.

[20] V. en ce sens M.-A. Chardeaux, Les choses communes, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2006, p. 150 et s.

[21] H. Desbois, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 1978, n°17, p. 22.

[22] A.-Ch. Renouard, Du droit industriel dans ses rapports avec les principes du droit civil sur les personnes et sur les choses, Paris, Guillaumin, 1860, n°212.

[23] Paris, 12 mai 1909 et 10 nov. 1909, D.P. 1910.2.81, note Ch. Caro.

[24] V. en ce sens notamment Cass. com., 29 nov. 1960, comm. C. Fruteau ; RTD com. 1961, p. 607, obs. H. Desbois ; in M. Vivant (dir.), Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz, 2003, n°6 ; CA Paris, 8 juill. 1972 : JCP G 1973, II, 17509, note J.-M. Leloup ; RTD com. 1974, p. 91, obs. H. Desbois ; Civ. 1ère, 17 juin 2003, CCE, 2003, comm. 80, obs. Caron ; Cass. 1re civ., 23 mars 1983 : Bull. civ. 1983, IV, n° 108 ; Cass. 1re civ., 5 juill. 2006, n° 05-12.193 : JurisData n° 2006-034428 ; Bull. civ. 2006, I, n° 360 ; Propr. intell. 2006, p. 501, obs. J. Passa.

[25] Aubry et Rau, Cours de droit civil français, 4e éd., 1869

Les conflits portant sur la propriété des meubles et des immeubles (art. 1198 C. civ.)

Le Code civil n’organise pas seulement le transfert de propriété des biens aliénés par voie de convention, il règle également les cas où plusieurs personnes se disputeraient la qualité de propriétaire d’un bien acquis auprès du même auteur.

Ce conflit de propriétés susceptibles de survenir consécutivement à l’aliénation conventionnelle d’un bien est réglé à l’article 1198 du Code civil.

Cette disposition envisage le conflit des droits d’acquéreurs successifs d’un même meuble en son alinéa 1er, reprenant ainsi l’ancien article 1141, et étend cette règle aux immeubles dans son alinéa second.

==> Le conflit des droits d’acquéreurs concurrents d’un même meuble

L’article 1198, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque deux acquéreurs successifs d’un même meuble corporel tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a pris possession de ce meuble en premier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi. »

Il ressort de cette disposition que, en cas de conflits de propriétés entre plusieurs acquéreurs, ce n’est pas nécessairement celui qui, le premier en date, a régularisé le contrat translatif de propriété avec le cédant qui est réputé sortir vainqueur de ce conflit.

Le texte désigne plutôt celui qui, le premier, est entré en possession de la chose aliénée. Bien que cette solution puisse apparaître surprenante en ce qu’elle permet de désigner comme acquéreur une personne qui tient son droit d’un cédant qui avait déjà cédé son droit à une autre personne, elle se justifie par l’effet acquisitif de la possession qui, en matière de meuble, est immédiat.

Ainsi, en cas de conflit de propriétés portant sur un bien meuble, c’est le possesseur qui est préféré à tous les autres acquéreurs.

Encore faut-il néanmoins qu’il remplisse deux conditions cumulatives :

  • Première condition : une possession utile
    • Pour se prévaloir de la qualité de possesseur encore faut-il que la possession
      • D’une part, soit caractérisée dans tous ses éléments constitutifs que sont le corpus et l’animus
      • D’autre part, qu’elle ne soit affectée d’aucun vice, ce qui implique qu’elle soit continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque
  • Seconde condition : la bonne foi
    • Pour que la possession d’un bien meuble produise son effet acquisitif, le possesseur doit être de bonne foi
    • Dans la mesure où, en application de l’article 2274, la bonne foi est toujours présumée c’est à ceux qui revendiquent la propriété de la chose de prouver que le possesseur est de mauvaise foi.
    • Pour mémoire, l’article 550 du Code civil dispose que le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.
    • La bonne foi s’apprécie ainsi non pas au moment de l’entrée en possession, mais au moment l’acquisition qui procède de l’obtention d’un titre, tel qu’un contrat par exemple.
    • Il appartiendra au demandeur d’établir que le possesseur connaissait, au jour de l’acquisition du bien, les causes d’inefficacité du titre en vertu duquel il est entré en possession.
    • Plus précisément l’auteur de l’action en revendication devra démontrer que le possesseur savait qu’il acquérait le bien a non domino, soit que la personne avec laquelle il traitait n’était pas le verus dominus.

==> Le conflit des droits d’acquéreurs concurrents d’un même immeuble

L’article 1198, al. 2e du Code civil prévoit que « lorsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a, le premier, publié son titre d’acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi. »

Il ressort de cette disposition que lorsque plusieurs acquéreurs se disputent la propriété d’un même bien immeuble, c’est la date de publication de l’acte translatif de propriété qui permettra de les départager.

La publicité foncière joue ainsi un rôle d’importance dans la mesure où elle est susceptible de faire échec à l’effet translatif d’un contrat de vente nonobstant sa régularisation antérieure à l’acte publié, en premier, à la conservation des hypothèques.

Ainsi, afin de résoudre un conflit de propriétés entre acquéreurs d’un même bien immobilier, il convient de se reporter, non pas à la date de régularisation de l’acte de vente, mais à sa date de publication aux services de la publicité foncière.

C’est donc celui qui a publié le premier qui sort victorieux de ce conflit, sauf à établir, ainsi que le prévoit l’article 1198, al. 2e du Code civil qu’il était de mauvaise foi au moment de la publication.

Cette précision quant à l’exigence de bonne foi de l’acquéreur a été introduite par le législateur à l’occasion de la réforme du droit des obligations afin de mettre un terme à une jurisprudence de la Cour de cassation qui conférait à la publicité une valeur que de nombreux auteurs jugeaient excessive.

  • Position initiale
    • Dans un arrêt Vallet du 22 mars 1968 la Cour de cassation avait jugé que dans l’hypothèse où le second acquéreur d’un bien immobilier avait connaissance de la régularisation antérieure d’un premier acte de vente portant sur le même bien, il lui était fait défense de se prévaloir des règles de la publicité foncière afin de faire primer son droit ( 3e civ. 22 mars 1968).
    • Autrement dit, en cas de mauvaise foi de l’acquéreur qui, le premier, avait accompli les formalités de publicité foncière, ces formalités étaient inopposables au premier acquéreur.

Cass. 3e civ. 22 mars 1968
Sur le moyen unique pris en ses divers griefs : vu l'article 1382 du code civil, attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt confirmatif attaque que Vallet a acquis un terrain des consorts de x... selon acte sous seing privé du 4 avril 1944, par l'intermédiaire de la société anonyme pétreaux ;
Que, tandis que Vallet réclamait la réitération de la vente par acte authentique, Roncari, administrateur de la société anonyme Patreaux, qui n'ignorait pas la première aliénation, a, par acte notarié du 9 février 1946, transcrit le 4 mai, acquis, pour lui, l'immeuble litigieux ;

Que Vallet, se voyant opposer cette transcription, a demandé qu'il soit dit que la seconde aliénation et sa transcription ayant été le résultat d'un concert frauduleux entre Roncari et le mandataire des vendeurs, lui soient déclarées inopposables ;

Attendu que les juges du fond ont rejeté cette demande, en précisant que si Roncari, qui connaissait les obligations contractées par le vendeur a l'égard de Vallet, parait avoir commis une faute de nature à engager sa responsabilité - il n'en résulte pas pour autant qu'il y ait lieu de prononcer la nullité de la vente de 1946 ;

Qu’en statuant ainsi, sans s'expliquer sur les motifs pour lesquels, constatant la faute de Roncari, et l'immeuble se trouvant encore entre ses mains, elle a écarté le mode d'exécution que constituait l'inopposabilité au premier acquéreur de la seconde vente et qui était réclamé par Vallet, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la seconde branche du moyen ;

Casse et annule l'arrêt rendu entre les parties par la cour d'appel de paris, le 27 janvier 1966 ;

  • Revirement de jurisprudence
    • Dans un arrêt du 12 janvier 2011 la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en affirmant qu’il était indifférent que le second acquéreur ait connaissance de la régularisation antérieure d’un premier acte de vente ( 3e civ. 12 janv. 2011, n°10-10667).
    • Pour la troisième chambre civile, le seul critère permettant de résoudre le conflit de propriétés entre acquéreurs se disputant la propriété d’un même bien, c’est la date de publication de l’acte.
    • Au soutien de sa position elle affirmait « qu’aux termes de l’article 30-1 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, les actes et décisions judiciaires portant ou constatant entre vifs mutation ou constitution de droits réels immobiliers sont, s’ils n’ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble ont acquis du même auteur des droits concurrents en vertu d’actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés»
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, quand bien même le second acquéreur connaissait l’existence du premier acte de vente, seule compte la date d’accomplissement des formalités de publicité foncière.

Cass. 3e civ. 12 janv. 2011
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 29 octobre 2009) que suivant promesse sous seing privé du 22 avril 2002, la société civile immobilière Lacanau Clemenceau (la SCI) a vendu un immeuble à Mme X... ; que la réitération de l'acte authentique prévue au plus tard le 30 septembre 2002 n'est pas intervenue et que par assignation du 27 février 2003 Mme X... a fait assigner la venderesse en perfection de la vente ; que par acte authentique du 13 mars 2003, publié à la conservation des hypothèques de Bordeaux le 18 mars 2003, la SCI a vendu le bien aux époux Y... ; que par arrêt du 24 septembre 2007 la cour d'appel de Bordeaux, infirmant le jugement, a dit la vente parfaite au profit de Mme X... ; que le 30 octobre 2007 les époux Y... ont formé tierce opposition à l'arrêt du 24 septembre 2007 contre lequel aucun pourvoi en cassation n'a été formé et que par arrêt du 29 octobre 2009 la cour d'appel de Bordeaux a déclaré les époux Y... recevables en leur tierce opposition et constaté que l'immeuble litigieux était leur propriété ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de déclarer la tierce opposition des époux Y... recevable, alors, selon le moyen :

1°/ que l'ayant cause à titre particulier est représenté par son auteur, pour tous les actes accomplis antérieurement à l'accomplissement de la formalité de la publicité foncière ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé que la tierce opposition formée par M. et Mme Y... était recevable, car leur acte authentique avait été publié le 18 mars 2003, quand l'assignation en régularisation forcée de vente avait été délivrée dès le 27 février 2003, par Mme X... à la société civile immobilière Lacanau Clemenceau, ce dont il résultait que celle-ci avait représenté ses ayants-cause à titre particulier à la procédure, peut important que celle-ci ait abouti à un arrêt du 24 septembre 2007, a violé l'article 583 du code de procédure civile ;

2°/ qu'une tierce opposition n'est recevable que si le tiers concerné s'est trouvé dans l'impossibilité de faire valoir ses droits ; qu'en l'espèce, la cour qui a déclaré recevable la tierce opposition de M. et Mme Y..., sans rechercher si ceux-ci n'étaient pas, depuis le jour de la seconde vente dont ils avaient bénéficié, parfaitement informés de la vente précédemment consentie à Mme X... par la SCI Lacaneau Clemenceau, ainsi que de la procédure judiciaire les opposant et à laquelle ils avaient délibérément choisi de ne pas intervenir, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 583 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel retient à bon droit que si les ayants cause à titre particulier sont considérés comme représentés par leur auteur pour les actes accomplis par celui-ci avant la naissance de leurs droits, lorsqu'un acte est soumis à publicité foncière, la représentation prend fin à compter de l'accomplissement des formalités de publicité foncière ; qu'ayant constaté que les époux Y... avaient publié leur titre à la conservation des hypothèques le 18 mars 2003 et exactement retenu qu'ils n'étaient plus représentés à la date de l'arrêt, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a justement déduit que la tierce opposition formée par les époux Y... était recevable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rétracter l'arrêt rendu le 24 septembre 2007, alors, selon le moyen, "que la connaissance, par un second acquéreur, de l'existence d'une première cession constatée par acte sous seing privé non soumis à publicité foncière, lui interdit de tirer avantage des règles de la publicité foncière, que la cour d'appel, qui a rétracté l'arrêt du 24 septembre 2007 constatant le caractère parfait de la vente consentie sous seing privé à Mme X..., en se fondant sur le simple fait que M. et Mme Y... avaient acquis le même immeuble de la société civile immobilière Lacanau Clémenceau par acte authentique du 13 mars 2003, publié dès le 18 mars suivant, sans rechercher si ces seconds acquéreurs n'avaient pas signé leur acte en toute connaissance de l'existence de la première vente intervenue au profit de Mme X..., ce qui les privait du bénéfice des règles de la publicité foncière, a privé sa décision de base légale au regard des articles 28 et 30 du décret du 4 janvier 1955,ensemble l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu à bon droit qu'aux termes de l'article 30-1 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, les actes et décisions judiciaires portant ou constatant entre vifs mutation ou constitution de droits réels immobiliers sont, s'ils n' ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble ont acquis du même auteur des droits concurrents en vertu d'actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés et constaté que Mme X..., dont les droits étaient nés d'une promesse de vente sous seing privé, ne pouvait justifier d'une publication, la cour d'appel, en rétractant l'arrêt du 24 septembre 2007, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Manifestement, en exigeant que l’acquéreur qui, le premier, a publié l’acte translatif de propriété du bien aliéné soit de bonne foi, le législateur a entendu briser la jurisprudence adoptée par la Cour de cassation en 2011 et renouer avec sa position initiale dégagée dans l’arrêt Vallet.

Aussi, le second acquéreur d’un bien immobilier ne pourra sortir vainqueur d’un conflit de propriétés qu’à la condition qu’il soit de bonne foi, et plus précisément qu’il ignorait la régularisation a antérieure à l’accomplissement des formalités de publicité d’un premier acte de vente.

L’acquisition de la propriété: vue générale

==> Modes d’acquisition

Ainsi que l’a écrit Christian Atias, « le régime des biens n’est pas seulement une gamme de techniques qui organisent à l’état statique, au repos, la répartition de l’utilité des choses entre les personnes. Il ménage aussi des déplacements de valeur : il connaît des phénomènes de passage ».[1]

L’acquisition de la propriété est traitée dans un livre III consacré intitulé « Des différentes manières dont on acquiert la propriété ».

Ce livre est introduit par des dispositions générales qui énoncent les différentes modes d’acquisition.

Il ressort des articles 711 et 712 du Code civil que la propriété des biens s’acquiert et se transmet :

  • Par succession
  • Par donation entre vifs ou testamentaire
  • Par l’effet des obligations.
  • Par accession ou incorporation
  • Par prescription acquisitive

À ces modes d’acquisition de la propriété, il convient d’ajouter :

  • L’occupation
  • Les modes d’acquisition spéciaux (création intellectuelle, mitoyenneté etc.)

==> Classification

À partir de ces dispositions, les auteurs ont élaboré des classifications qui visent à rendre compte de l’articulation qui existe entre les différents modes d’acquisition de la propriété.

La plus répandue est celle qui oppose les modes d’acquisition originaires aux modes d’acquisition dérivés :

  • Présentation de la classification
    • Selon cette classification, il y a lieu de distinguer selon que l’acquisition d’un bien procède d’un transfert de propriété ou selon qu’elle ne résulte d’aucune cession de droits
      • L’acquisition originaire
        • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété qu’il ne tient pas d’autrui
        • Le droit dont il est titulaire n’a été exercé par personne et résulte d’un fait juridique.
        • Tel est le cas de l’occupation, de la prescription, de la présomption de propriété ou encore de l’accession
        • Dans cette configuration, l’acquisition de la propriété n’exige pas que l’acquéreur noue un rapport juridique avec une autre personne.
        • L’acquisition n’intéresse que lui et la chose
      • L’acquisition dérivée
        • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété par voie de transfert du droit
        • Autrement dit, le bien appartenait, avant le transfert de sa propriété, à une autre personne, de sorte que l’acquéreur détient son droit d’autrui.
        • Ce mode d’acquisition de la propriété procède toujours de l’accomplissement d’un acte juridique, tels qu’un contrat, un échange, un testament, une donation etc.
        • Dans cette configuration, un rapport juridique doit nécessairement se créer pour que l’acquisition emporte transfert de la propriété
  • Intérêt de la classification
    • La classification qui oppose les modes d’acquisition originaires de la propriété aux modes d’acquisition dérivés présente un double intérêt.
      • Premier intérêt
        • Cette classification permet de rendre compte des différents modes de preuve de la propriété
        • Tandis que la propriété acquise selon un mode originaire suppose d’établir un fait juridique (occupation, possession etc.), la propriété acquise selon un mode dérivé implique de rapporter la preuve du titre, voire, en cas de contestation, la chaîne des acquisitions
        • C’est la raison pour laquelle la preuve de la propriété est classiquement présentée comme la probatio diabolica.
        • Cette qualification de preuve du diable vient de ce que pour établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien, il faudrait être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, preuve que « seul le diable pourrait rapporter».
      • Second intérêt
        • L’autre intérêt présenté par la classification qui oppose les modes d’acquisition originaires à ceux dérivés est qu’elle permet de rendre compte de la situation de dépendance dans laquelle se trouve l’acquéreur à titre dérivé.
        • En effet, celui-ci tient son droit de propriétaires antérieurs, de sorte que s’il est établi que dans la chaîne des acquisitions l’un des transferts de propriété était irrégulier, cette irrégularité est susceptible d’anéantir les transferts de propriété subséquents.
        • L’acquéreur à titre origine n’est, quant à lui, pas exposé à ce risque dans la mesure où il ne tient son droit de propriété de personne.
        • Il ne situe donc pas au bout d’une chaîne d’acquisition qui est susceptible d’être anéantie sous l’effet de la nullité ou de la résolution d’un acte translatif.

[1] Ch. Atias, Droit civil – Les biens, éd. Litec, 2009, n°283, p. 199.

La protection de la servitude: les actions pétitoires et possessoires

I) Les actions pétitoires

Les actions pétitoires sont celles qui visent à établir un droit de propriété ou à nier son existence. Pour les autres droits réels, sont les servitudes, deux types d’actions peuvent être exercées :

  • L’action confessoire qui vise à faire reconnaître l’existence d’une servitude
  • L’action négatoire qui vise à contester l’établissement d’une servitude

==> L’action confessoire

L’action confesseur qui donc vise à obtenir la reconnaissance d’un droit réel, elle appartient, en matière de servitude, au propriétaire du fonds dominant.

Ainsi, celui-ci peut-il saisir le juge aux fins de se voir reconnaître un droit de passage ou encore une servitude non aedificandi (de ne pas bâtir).

En cas de violation de son droit, le titulaire de la servitude est fondé à solliciter la remise en état des lieux qui ne pourra pas lui être refusé par le juge qui dispose, en pareil cas, d’aucune marge de manœuvre.

Il n’aura, dès lors, d’autre choix que d’ordonner la démolition de l’ouvrage irrégulier, sans pouvoir exiger que le propriétaire du fonds dominant ait à justifier d’un quelconque préjudice. La seule constatation de la violation de son droit suffit à déclencher le prononcé de la sanction.

==> L’action négatoire

L’action négatoire est celle qui vise à contester un droit réel et plus précisément, pour les servitudes, à nier, soit leur existence, soit leur assiette ou les modalités d’exercice.

Aussi, appartient-elle au propriétaire du fonds servant qui devra prouver que la servitude qu’il conteste n’est fondée sur aucun titre ou encore que la prescription n’a pas pu jouer.

II) Les actions possessoires

L’article 2278 du Code civil prévoit que « la possession est protégée, sans avoir égard au fond du droit, contre le trouble qui l’affecte ou la menace. »

Si la possession est une situation de fait, elle produit des effets de droits qui justifient que le possesseur bénéficie d’une protection juridique en cas d’atteinte à son droit.

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, la protection de la possession était assurée par les actions possessoires dont était titulaire, en application de l’ancien article 2279 du Code civil, celui qui possédait utilement et le détendeur précaire de la chose.

Cette disposition prévoyait en ce sens que « les actions possessoires sont ouvertes dans les conditions prévues par le code de procédure civile à ceux qui possèdent ou détiennent paisiblement. »

Au nombre des actions possessoires figuraient :

  • La complainte
    • Il s’agit de l’action de droit commun du possessoire, de sorte que tout trouble subi par le possesseur pouvait justifier l’exercice de cette action, à l’exception des troubles sanctionnés par les deux autres actions possessoires.
    • L’exercice de la complainte était conditionné par la caractérisation d’un trouble, par la paisibilité de la possession et par sa durée qui devait être supérieure à un an.
    • Ainsi, les conditions d’exercice de cette action possessoire étaient plutôt souples puisqu’il n’était pas nécessaire de justifier de tous les autres caractères de la possession (continue, publique, non équivoque)
  • La dénonciation de nouvel œuvre
    • Tandis que la complainte avait vocation à mettre fin au trouble subi par le possesseur, la dénonciation de nouvel œuvre visait à prévenir un trouble futur.
    • La décision rendue consistait ainsi à enjoindre l’auteur du trouble de cesser son activité en prévision de l’atteinte à venir à la possession du demandeur
  • L’action en réintégration
    • Cette action était pour le moins particulière dans la mesure où elle permettait d’assurer la protection de la possession qui avait duré moins d’un an.
    • La raison en est que cette action visait à sanctionner les troubles d’une extrême gravité
    • Il s’agit, en effet, de protéger une personne qui a été dépossédée du bien qu’elle occupait paisiblement, soit par violence (expulsion par la force du possesseur), soit par voie de fait (appropriation du bien sans recours à la force)
    • Afin de prévenir la vengeance du possesseur dépouillé, le droit l’autorisait à exercer une action en justice quand bien même il était en possession de la chose depuis moins d’un an

Bien que profondément ancrées dans le droit des biens, depuis 2015, les actions possessoires ne sont plus : elles ont été supprimées par le législateur pour plusieurs raisons :

Tout d’abord, il peut être observé que la protection possessoire ne concernait que les immeubles, ce qui n’était pas sans restreindre son champ d’application.

Par ailleurs, les actions possessoires soulevaient des difficultés, notamment quant à leur distinction avec les actions pétitoires, soit les actions qui visent à établir, non pas la possession ou la détention d’un bien, mais le fond du droit de propriété.

En effet, il était toujours difficile d’exiger du juge qu’il ignore le fond du droit lorsqu’il est saisi au possessoire.

À cela s’ajoutait la règle énoncée à l’ancien article 1265 du Code civil qui posait le principe de non-cumul de l’action possessoire avec l’action pétitoire. Celui qui agissait au fond n’était pas recevable à agir au possessoire et le défendeur au possessoire ne peut agir au fond qu’après avoir mis fin au trouble.

En outre, il est apparu au législateur que les actions en référé étaient préférées aux actions possessoires, rendues trop complexes en raison notamment de ce principe du non-cumul du possessoire et du pétitoire.

Aussi, le groupe de travail sur la réforme du droit des biens, présidé par le professeur Périnet-Marquet, sous l’égide de l’association Henri Capitant, a « dans un but de simplification souhaité la suppression pure et simple des actions possessoires figurant dans le code de procédure civile »

Cette idée a été reprise une première fois par la Cour de cassation, dans son rapport d’activité de 2009. Selon ce rapport « les multiples difficultés nées de l’application de ce principe et de l’efficacité des procédures de référé actuelles permettent légitimement de justifier la suppression suggérée, la protection du trouble causé par une voie de fait relevant des attributions du juge des référés et le tribunal de grande instance statuant au fond sur le litige de propriété proprement dit ».

Un premier pas vers un rapprochement des actions possessoires et pétitoires avait été fait en 2005, lorsque le décret n°2005-460 du 13 mai 2005 relatif aux compétences des juridictions civiles, à la procédure civile et à l’organisation judiciaire a transféré la compétence du juge d’instance en matière d’action possessoire au juge du Tribunal de grande instance qui était déjà investi d’une compétence exclusive en matière d’action pétitoire.

Le législateur a finalement décidé de supprimer les actions possessoires en 2015 du dispositif de protection de la possession.

==> Droit positif

La loi n°2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a donc abrogé l’ancien article 2279 du Code civil qui envisageait les actions possessoires.

Aussi, désormais, la seule action qui vise à assurer la protection du possesseur contre les troubles dont il est susceptible de faire l’objet est l’action en référé.

En matière de servitude, cette procédure n’est toutefois ouverte qu’aux seules servitudes apparentes et continues, ainsi qu’à celles qui reposent sur un titre.

La raison en est que les servitudes discontinues et non-apparentes ne peuvent pas s’acquérir par prescription, de sorte que leur possession est insusceptible de protection.

Lorsque, en revanche, le possesseur dispose d’un titre, il y a une présomption de titularité de la servitude qui justifie la protection de la possession.

Reste que l’action engagée devra remplir les conditions de recevabilité de l’action en référé qui ne vise pas à trancher le litige au fond, mais seulement à prononcer des mesures provisoires.

Cette procédure est confiée à un juge unique, généralement le président de la juridiction qui rend une ordonnance de référé.

L’article 484 du Code de procédure civile définit l’ordonnance de référé comme « une décision provisoire rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires. »

Il ressort de cette disposition que la procédure de référé présente trois caractéristiques :

  • D’une part, elle conduit au prononcé d’une décision provisoire, en ce sens que le juge des référés ne se prononce pas sur le fond du litige. L’ordonnance rendue en référé n’est donc pas définitive
  • D’autre part, la procédure de référé offre la possibilité à un requérant d’obtenir du Juge toute mesure utile afin de préserver ses droits et intérêts
  • Enfin, la procédure de référé est, à la différence de la procédure sur requête, placée sous le signe du contradictoire, le Juge ne pouvant statuer qu’après avoir entendu les arguments du défendeur

Le juge des référés, juge de l’urgence, juge de l’évidence, juge de l’incontestable, paradoxalement si complexes à saisir, est un juge au sens le plus complet du terme.

Il remplit une fonction sociale essentielle, et sa responsabilité propre est à la mesure du pouvoir qu’il exerce.

Selon les termes de Pierre DRAI, ancien Premier Président de la Cour de cassation « toujours présent et toujours disponible (…) (il fait) en sorte que l’illicite ne s’installe et ne perdure par le seul effet du temps qui s’écoule ou de la procédure qui s’éternise ».

Le référé ne doit cependant pas faire oublier l’intérêt de la procédure à jour fixe qui répond au même souci, mais avec un tout autre aboutissement : le référé a autorité provisoire de chose jugée alors que dans la procédure à jour fixe, le juge rend des décisions dotées de l’autorité de la chose jugée au fond.

En toute hypothèse, avant d’être une technique de traitement rapide aussi bien de l’urgence que de plusieurs cas d’évidence, les référés ont aussi été le moyen de traiter l’urgence née du retard d’une justice lente.

Reste que les fonctions des référés se sont profondément diversifiées. Dans bien des cas, l’ordonnance de référé est rendue en l’absence même d’urgence.

Mieux encore, lorsqu’elle satisfait pleinement le demandeur, il arrive que, provisoire en droit, elle devienne définitive en fait – en l’absence d’instance ultérieure au fond.

En outre, la Cour européenne des droits de l’homme applique désormais au juge du provisoire les garanties du procès équitable de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, gde ch., arrêt du 15 octobre 2009, Micallef c. Malte, no 17056/06). S’affirme ainsi une véritable juridiction du provisoire.

Le juge des référés est saisi par voie d’assignation. Il instruit l’affaire de manière contradictoire lors d’une audience publique, et rend une décision sous forme d’ordonnance, dont la valeur n’est que provisoire et qui n’est pas dotée au fond de l’autorité de la chose jugée.

L’ordonnance de référé ne tranche donc pas l’entier litige. Elle est cependant exécutoire à titre provisoire.

Le recours au juge des référés, qui n’est qu’un juge du provisoire et de l’urgence, n’est possible que dans un nombre limité de cas :

  • Le référé d’urgence
    • Dans les cas d’urgence, le juge peut prononcer toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence du litige en question. On dit à cette occasion que le juge des référés est le juge de l’évidence, de l’incontestable.
  • Le référé conservatoire
    • Le juge des référés peut également prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite (il peut ainsi, par exemple, suspendre la diffusion d’une publication portant manifestement atteinte à la vie privée d’un individu).
  • Le référé provision
    • Le juge des référés est compétent pour accorder une provision sur une créance qui n’est pas sérieusement contestable.
  • Le référé injonction
    • Le juge des référés peut enjoindre une partie d’exécuter une obligation, même s’il s’agit d’une obligation de faire
  • Le référé probatoire
    • Lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de certains faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, le juge peut ordonner des mesures d’instruction, par exemple une expertise.

S’agissant de la protection de la possession, pour exercer une action en référé il conviendra de remplir les conditions de recevabilité propres à chaque action.

S’agissant du référé urgence, l’article 834 du CPC) prévoit que « dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend » (Pour plus de détails V. Fiche sur le référé d’urgence).

S’agissant du référé conservatoire ou remise en état, l’article 835, al. 1er prévoit que « le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite » (Pour plus de détails V. Fiches sur le référé conservatoire et sur le référé remise en état).

Exercice des servitudes: le principe de fixité

En principe, sauf accord entre les propriétaires du fonds dominant et du fonds servant, la servitude ne saurait être modifiée dans son assiette et dans ses modes d’exercice.

Ce principe est énoncé aux articles 701 et 702 du Code civil qui envisageant les conséquences de ce principe, le premier sur la situation du propriétaire servant et le second sur la situation du propriétaire du fonds dominant.

I) La situation du propriétaire du fonds servant

A) Principe

L’article 701, al. 1er du code civil que « le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l’usage, ou à le rendre plus incommode. »

L’alinéa 2 illustre la règle ainsi posée en prévoyant que ce dernier « ne peut changer l’état des lieux, ni transporter l’exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée. »

Il ressort de ce texte qu’il est fait interdiction au propriétaire du fonds servant de modifier l’assiette de la servitude ainsi que ses modes d’exercice.

Est-ce à dire que ce dernier ne peut entreprendre aucune modification de la servitude ? À l’examen, l’interdiction n’est nullement absolue.

La modification de la servitude n’est prohibée que pour les cas où :

  • Soit, elle en restreint l’usage
  • Soit, elle la rend plus incommode

En dehors de ces cas, le propriétaire à toute latitude pour aménager la servitude, cette faculté correspondant à l’exercice des attributs de son droit de propriété dont il n’est nullement privé.

Lorsque dès lors, l’aménagement réalisé améliore l’exercice de la servitude, le propriétaire du fonds dominant ne saurait le lui reprocher (Cass. civ. 20 févr. 1884).

La question qui alors se pose est de savoir comment apprécier la gêne, l’incommodité susceptible d’être occasionnées au bénéficiaire de la servitude ? À partir de quand peut-on considérer que la modification affecte son usage normal ?

À l’examen, la jurisprudence a tendance à considérer que seule une gêne sérieuse, significative est susceptible d’engager la responsabilité du propriétaire du fonds servant (Cass. 3e civ., 16 mai 1990, n° 88-17.474). Cette appréciation est toutefois laissée au pouvoir souverain des juges du fond.

B) Exceptions

Par exception, la modification de l’assiette de la servitude est permise dans un cas envisagé à l’article 701, al. 3e du Code civil.

Cette disposition prévoit que si l’assignation primitive de la servitude « était devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l’empêchait d’y faire des réparations avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de l’autre fonds un endroit aussi commode pour l’exercice de ses droits, et celui-ci ne pourrait pas le refuser. »

Autrement dit, lorsque le maintien de la servitude devient particulièrement préjudiciable pour le propriétaire du fonds servant, celui-ci dispose de la faculté de solliciter la modification de son assiette.

L’exercice de cette faculté est toutefois subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • D’une part, le maintien de la servitude doit diminuer l’utilité du fonds servant, soit causer une gêne sérieuse à son propriétaire
  • D’autre part, la modification de l’assiette de la servitude ne doit pas être préjudiciable au propriétaire du fonds dominant

Tel sera le cas lorsque l’absence de modification de l’assiette de la servitude sera de nature à priver le fonds d’un avantage que pourrait lui procurer une construction (édification d’une maison) ou un aménagement (installation d’une clôture).

Il en va de même lorsque le maintien de la servitude dans son état initial a pour effet de diminuer l’utilité du fonds qui, par exemple, ne pourrait pas être affecté à l’exploitation d’un commerce.

Lorsque les deux conditions énoncées par l’article 701, al. 3e sont réunies, le titulaire de la servitude ne peut pas refuser la demande qui lui est adressée : elle s’impose à lui.

La raison en est qu’il s’agit d’une faculté légale unilatérale, de sorte que le consentement du titulaire de la servitude n’est pas requis (Cass. 3e civ., 10 mars 1993, n° 91-17910).

À cet égard, cette faculté conférée par l’article 703, al. 3e du Code civil au propriétaire du fonds servant peut être exercée pour toutes les servitudes.

Il est donc indifférent que la servitude ait été établie par titre, par prescription ou par destination du père de famille.

La Cour de cassation a, par ailleurs reconnu que la règle était applicable y compris pour les servitudes légales (Cass. 3e civ., 21 juill. 1981).

C) Sanction

En cas de violation de la règle qui interdit au propriétaire du fonds servant de modifier l’assiette de la servitude, ainsi que ses modes d’exercice, la sanction encourue c’est la démolition.

Dans un arrêt du 4 octobre 1989 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la démolition est la sanction d’un droit réel transgressé » (Cass. 4 oct. 1989, n°87-14837).

Ainsi, seule la remise en état du fonds peut être prononcée à l’exclusion de l’octroi de dommages et intérêts, les juges du fond (Cass. 3e civ., 17 déc. 2003, n° 02-10300).

À cet égard, il est indifférent que cette remise en état soit disproportionnée eu égard le préjudice causé au fonds dominant (Cass. 3e civ., 31 janv. 1995, n° 93-12490) ou qu’elle occasionne pour le propriétaire du fonds servant des dépenses considérables (Cass. 1ère civ., 30 nov. 1965).

Dès lors que la violation de l’article 701 est constatée, le juge n’a d’autre alternative que d’ordonner la démolition, ce qui n’est pas le cas lorsque la violation est commise par le propriétaire du fonds dominant.

II) La situation du propriétaire du fonds dominant

A) Principe

L’article 702 du Code civil dispose que « de son côté, celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire, ni dans le fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier. »

Il s’évince de cette disposition, applicable à toutes les servitudes, y compris légales, qu’il est fait interdiction au propriétaire du fonds dominant de modifier l’assiette et les modes d’exercice de la servitude dont il est titulaire.

Dans un arrêt du 13 novembre 1970, la Cour de cassation a précisé que « le propriétaire du fonds dominant est soumis à la règle de la fixité de la servitude, qui lui interdit d’apporter à l’état des lieux des modifications entrainant une aggravation de la charge grevant le fonds servant » (Cass. 3e civ. 13 nov. 1970, n°68-14247).

Aussi, ce dernier ne doit accomplir aucun acte qui aggraverait la charge qui pèse sur le fonds servant, ce qui implique qu’il doit en faire un usage normal de la servitude conformément à la destination de son fonds.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer s’il y a aggravation de la servitude. À l’analyse, il convient de prendre pour référence l’assiette de la servitude fixée initialement lors de son établissement.

Aussi, lorsque la servitude est conventionnelle, c’est l’acte constitutif qui, en principe, en fixe l’assiette et ses modes d’exercice.

Lorsque toutefois, le titre est silencieux, à tout le moins trop évasif, la jurisprudence admet que le propriétaire du fonds servant puisse modifier, à sa guise, les modalités d’exercice de la servitude, sans que cette modification ne puisse être qualifiée d’aggravation de la charge (V. en ce sens Cass. civ. 30 avr. 1929).

L’absence de précision dans le titre sur l’assiette de la servitude octroie donc une latitude très large à son titulaire, la jurisprudence interprétant ce silence comme une renonciation des parties à limiter les modifications à intervenir sur la servitude (Cass. 1re civ., 4 juill. 1962).

Quid lorsqu’aucun titre écrit n’a été régularisé ? Tel est le cas pour la servitude établie par prescription et pour la servitude par destination du père de famille.

Faute de jugement qui fixerait le périmètre de la servitude, il conviendra pour le propriétaire du fonds servant de démontrer que la modification dénoncée, soit déborde l’assiette de la possession s’il s’agit d’une servitude établie par prescription, soit ne correspond pas à l’aménagement réalisé sur le fonds avant la division s’il s’agit d’une servitude par destination du père de famille.

En tout état de cause, il devra être prouvé, quelle que soit la nature de la servitude, que la modification dont elle fait l’objet excède les limites du droit dont est titulaire le propriétaire du fonds dominant.

Tel est notamment le cas lorsque le titulaire d’un droit de passage réalise des aménagements sur le chemin qui débordent l’assiette de la servitude (V. en ce sens Cass.  3e civ., 1ère avr. 2009, no 08-11.079).

B) Conditions

Conformément à l’article 702 du Code civil, seules les modifications qui aggravent la charge qui pèse sur le fonds servant seraient prohibées. Est-ce à dire que le titulaire de la servitude serait autorisé à agir en dehors des limites de son droit, dès lors que ses actes n’occasionnent aucune aggravation ?

À l’examen, afin de déterminer si la modification de la servitude est licite, la jurisprudence fonde moins sa position sur l’existence d’une aggravation de la charge que sur le préjudice causé par cette aggravation.

Plus précisément, les juridictions ont tendance à considérer que la modification de la servitude emporte, en elle-même, présomption d’aggravation de la servitude (Cass. 3e civ., 12 mai 1975), mais que pour être sanctionnée cette aggravation doit être préjudiciable au propriétaire du fonds servant (V. en ce sens Cass. req., 20 janv. 1904 ; Cass. 3e civ., 12 mai 1975).

En tout état de cause, l’appréciation de la licéité de la modification de la servitude relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 3e civ., 8 janv. 1992).

Il peut être observé, s’agissant des servitudes de passage, que la modification de l’assiette de la servitude par le propriétaire du fonds dominant est permise dans un cas très spécifique.

La jurisprudence admet, en effet, que lorsque cette modification se justifie par un changement de la destination du fonds dominant qui rend la servitude initiale inadaptée à l’exploitation normale du fonds, elle peut être imposée au propriétaire du fonds servant (Cass. 3e civ. 4 oct. 2000, n°98-12284).

Il devra néanmoins être démontré que la nouvelle exploitation correspond à une utilisation normale et légitime du fonds dominant (CA Chambéry, 6 févr. 1951).

C)  Sanction

À l’instar de l’obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds servant de ne pas diminuer l’usage de la servitude ni de le rendre plus incommode, l’obligation pour le propriétaire du fonds dominant de ne pas aggraver la charge est une obligation propter rem, soit attachée à la chose.

Est-ce à dire qu’en cas de violation de la règle posée à l’article 702 du Code civil, la sanction encourue est la démolition de l’ouvrage ?

Parce qu’il s’agit de sanctionner une obligation réelle, la remise en état des lieux devrait systématiquement être ordonnée par les juges dès lors qu’est constatée une aggravation de la charge qui pèse sur le fonds servant.

Tel n’est toutefois pas la position adoptée par la Cour de cassation qui considère que le choix de la sanction relève du seul pouvoir d’appréciation des juges du fond (Cass. 2e civ. 6 mai 1976).

La doctrine justifie cette différence de traitement en avançant que la violation d’un droit (cas du propriétaire du fonds servant) ne peut pas être mise sur le même plan que le mauvais usage d’un droit (cas du propriétaire du fonds dominant).

L’argument ne convainc pas, car dans les deux cas, il y a violation d’une obligation réelle. Elle devra, dans ces conditions, être sanctionnée de la même manière.

En tout état de cause, il y a bien différence de traitement par la jurisprudence qui admet que la violation de la règle énoncée par l’article 702 puisse être seulement sanctionnée par l’octroi de dommage et intérêts et non pas la remise en état des lieux (Cass. 3e civ., 11 juin 1974).

À cet égard, il peut être observé que lorsque la sanction consiste en une condamnation à des dommages et intérêts, elle n’est pas transmissible aux propriétaires successifs (Cass. 3e civ., 18 févr. 1987, n° 85-12867), alors qu’elle le devient lorsqu’il s’agit d’ordonner la remise en état des lieux (Cass. civ., 7 févr. 1949).

La raison en est que la dette de responsabilité est une obligation personnelle et donc intransmissible, alors que la sanction de la remise en état est une obligation réelle (propter rem) ce qui implique qu’elle suit le sort de la chose à laquelle elle est attachée.

Exercice des servitudes: l’indivisibilité de la servitude

L’article 700, al. 1er du Code civil dispose que « si l’héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du fonds assujetti soit aggravée. »

L’alinéa 2 du texte illustre la règle énoncée en prévoyant que « par exemple, s’il s’agit d’un droit de passage, tous les copropriétaires seront obligés de l’exercer par le même endroit. »

Il ressort de la règle ainsi posée que, en cas de division du fonds dominant en plusieurs parcelles, cette opération est sans incidence sur la servitude dont l’assiette ne s’en trouvera pas modifiée.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que la division devait nécessairement intervenir postérieurement à la constitution de la servitude pour que la règle s’applique, position qui n’est pas sans relever du bon sens (Cass. ass. plén., 23 mars 2001, n° 98-19018).

À cet égard, l’indivisibilité de la servitude a pour effet d’autoriser chaque titulaire, devenus multiples consécutivement à la division, à exercer la servitude, non pas à proportion de la portion de fonds grevé dont ils sont devenus propriétaire, mais dans sa plénitude.

Il en résultera un partage des frais d’entretien et d’aménagement de la servitude entre tous ses titulaires. Ces derniers sont d’ailleurs libres de régler conventionnellement l’exercice de la servitude, en en réservant l’usage, par exemple, à certains moyennant l’octroi d’une contrepartie.

Reste que, conformément à l’article 702, al. 1er in fine les titulaires de la servitude ne doivent accomplir aucun acte qui aurait pour effet d’aggraver la charge qui pèse sur le fonds servant.

Il leur est donc interdit, par exemple, de modifier l’assiette d’un chemin sur lequel s’exerce un droit de passage (Cass. 3e civ., 8 mai 1969).

Dans un arrêt du 29 mai 1963, la Cour de cassation a encore jugé que « si, par application de l’article 700 du code civil, lorsque l’héritage à la charge duquel la servitude a été établie vient à être divisé, elle reste due par chaque portion, cette indivisibilité ne saurait avoir pour conséquence de faire supporter la servitude, par voie d’extension, a des fonds que le propriétaire de l’héritage assujetti y aurait ultérieurement réunis » (Cass. 1ère civ. 29 mai 1963).

Dans un arrêt du 21 juillet 1998, la troisième chambre civile a jugé dans le même sens que « la règle de l’indivisibilité de la servitude, édictée par l’article 700 du Code civil, ne [peut] avoir pour effet de faire bénéficier de la servitude de passage des fonds qui n’étaient pas visés dans l’acte constitutif » (Cass. 3e civ., 21 juill. 1998, n° 96-17504)

Enfin, il convient d’observer que si l’indivisibilité de la servitude s’impose au fonds servant, elle profite, dans les mêmes termes au fonds dominant.

Aussi, en cas de division du fonds grevé, la servitude s’impose aux nouveaux propriétaires qui, en quelque sorte, héritent de la charge, laquelle consiste en une obligation propter rem.

Lorsque, toutefois, la servitude est établie sur une partie seulement du fonds servant, elle subsistera pour cette portion du fonds et disparaîtra pour le surplus non grevé.

Les servitudes relatives aux égouts des toits

L’article 639 du Code civil distingue trois modes de constitution des servitudes :

  • Les servitudes qui dérivent de la situation des lieux
  • Les servitudes qui sont établies par la loi
  • Les servitudes qui sont établies par le fait de l’homme

S’agissant des premières, elles se justifient par la configuration de certains fonds qui les rend nécessaires. Ces servitudes intéressent principalement l’écoulement des eaux, le drainage et l’irrigation ainsi que les égouts des toits. Nous nous focaliserons ici sur ces dernières.

L’article 681 du Code civil dispose que « tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s’écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin. »

Il ressort de cette disposition que tout propriétaire doit construire le toit qui couvre l’immeuble situé sur son fonds de telle manière que les eaux pluviales ne se déversent pas sur le fonds voisin.

Par eaux pluviales, il faut entendre toutes celles qui n’ont pas été altérées par le fait de l’homme, telles que les eaux industrielles, usées, fétides ou insalubres (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1963).

Une fois tombées au sol, les eaux pluviales pourront néanmoins, en application de l’article 641 du Code civil, s’écouler sur les fonds inférieurs, dès lors que cet écoulement est le résultat naturel de la configuration des lieux (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 nov. 1972).

En tout état de cause, il appartient au propriétaire de bâtir son toit de telle manière que l’eau de pluie se déverse :

  • Soit sur son propre fonds
  • Soit sur la voie publique

Cette obligation qui pèse sur les propriétaires s’applique quelle que soit la localisation du fonds et de l’usage qui est fait du bâtiment.

Il peut être observé que le déversement des eaux pluviales sur la voie publique est susceptible d’être encadrée par la commune, des règles d’urbanisme pouvant notamment imposer des raccordements au réseau communal.

Par ailleurs, il a été admis que, lorsqu’une partie d’un fonds est détenue en indivision par plusieurs propriétaires, le déversement des eaux pluviales puisse s’effectuer sur une bande de terrain indivis, dès lors que cet écoulement est conforme à la destination des lieux et n’est pas incompatible avec le droit d’un coindivisaire (Cass. 3e civ. 9 janv. 1985, n°83-14000).

Les servitudes relatives à l’écoulement des eaux (naturel et aggravé)

L’article 639 du Code civil distingue trois modes de constitution des servitudes :

  • Les servitudes qui dérivent de la situation des lieux
  • Les servitudes qui sont établies par la loi
  • Les servitudes qui sont établies par le fait de l’homme

S’agissant des premières, elles se justifient par la configuration de certains fonds qui les rend nécessaires. Ces servitudes intéressent principalement l’écoulement des eaux, le drainage et l’irrigation.

Nous nous focaliserons ici sur celles relatives à l’écoulement des eaux, lesquelles se divisent en deux catégories :

  • Les servitudes relatives à l’écoulement naturel des eaux
  • Les servitudes relatives à l’écoulement aggravé des eaux

I) La servitude relative à l’écoulement naturel des eaux

  • Principe
    • L’article 640 du Code civil dispose que « les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué. »
    • Il ressort de cette disposition que le propriétaire d’un fonds situé en aval d’un fonds situé en amont ne peut pas faire obstacle à l’écoulement des eaux, dès lors que celui-ci est le résultat naturel de la situation des lieux et non celui du fait de l’homme.
  • Domaine
    • La servitude relative à l’écoulement naturel des eaux pèse tant sur les fonds privés que sur les fonds relevant du domaine public.
    • À cet égard, il est indifférent que le fonds servant et le fonds dominant soient séparés par une voie publique.
    • Cette servitude s’applique encore aux eaux d’infiltration, et de source, aussi bien qu’aux eaux pluviales et à celles qui proviennent de la fonte des neiges
  • Condition
    • Le bénéfice de la servitude d’écoulement naturel des eaux est subordonné à l’absence d’intervention de la main de l’homme.
    • Autrement dit, l’écoulement de l’eau doit être le résultat naturel de la configuration des lieux.
    • Cette servitude n’a donc pas vocation à s’appliquer aux eaux usées, aux eaux ménagères ou encore aux eaux industrielles
  • Obligations
    • La servitude d’écoulement naturel des eaux emporte deux conséquences pour les propriétaires des fonds servants et dominants
      • Création d’une obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds servant
        • L’article 663, al.2e prévoit que « le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement. »
        • Ainsi est-il fait défense au propriétaire du fonds servant d’empêcher l’écoulement des eaux et édifiant quelque obstacle que ce soit.
        • Le manquement à cette obligation engage sa responsabilité délictuelle (V. en ce sens 3e civ. 3 avr. 2012, n°11-14328)
      • Création d’une obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds dominant
        • L’article 663, al. 3e dispose que « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur. »
        • Cette obligation mise à la charge du propriétaire du fonds dominant doit être comprise comme lui interdisant d’affecter l’écoulement naturel des eaux en déversant, par exemple, des eaux usées ou ménagères.
        • Dès lors que l’intervention du propriétaire du fonds dominant modifie l’écoulement des eaux, il y a aggravation de la charge qui pèse sur le fonds servant.
        • Or cette aggravation est constitutive d’une faute susceptible de donner lieu à une indemnisation du préjudice causé.
        • Le propriétaire du fonds servant peut encore contraindre, sous astreinte, le propriétaire du fonds supérieur à réaliser des travaux afin que cesse l’écoulement anormal des eaux.

II) La servitude relative à l’écoulement aggravé des eaux

Si, en application de l’article 663, al. 3e du Code civil « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur », la loi du 8 avril 1898 est venue assortir ce principe d’exceptions.

Ces exceptions ne sont autres que des applications du principe général posé à l’article 641, al. 1er du Code civil qui prévoit que « tout propriétaire a le droit d’user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds. »

Aussi, est-il certains cas où le propriétaire du fonds dominant est en droit d’aggraver la charge qui pèse sur le fonds servant, cette aggravation n’étant permise que dans le cadre d’une utilisation des eaux à des fins agricoles ou industrielles.

  • Les cas d’aggravation de la servitude d’écoulement des eaux
    • Premier cas
      • L’aggravation est permise lorsque le propriétaire du fonds dominant fait usage des eaux pluviales ou en affecte la direction de leur écoulement ( 641, al. 2e C. civ.).
      • Il en va également pour les eaux de sources nées sur un fonds ( 641, al. 3 C. civ.)
      • En contrepartie, l’article 641 prévoit qu’une indemnité est due au propriétaire du fonds inférieur.
    • Second cas
      • L’aggravation est encore permise lorsque, par des sondages ou des travaux souterrains, un propriétaire fait surgir des eaux dans son fonds, les propriétaires des fonds inférieurs doivent les recevoir ( 641, al. 4e C. civ.)
      • Le propriétaire du fonds servant aura alors droit à une indemnité en cas de dommages résultant de l’écoulement des eaux
  • Exceptions
    • L’article 641, al. 5 du Code civil prévoit que « les maisons, cours, jardins, parcs et enclos attenant aux habitations ne peuvent être assujettis à aucune aggravation de la servitude d’écoulement dans les cas prévus par les paragraphes précédents.»
    • Dans les hypothèses visées par cet alinéa, l’aggravation de la servitude d’écoulement naturel des eaux est ainsi prohibée.
  • Procédure
    • L’article 641, al. 6 du Code civil précise que les contestations auxquelles peuvent donner lieu l’établissement et l’exercice des servitudes prévues par ces paragraphes et le règlement, s’il y a lieu, des indemnités dues aux propriétaires des fonds inférieurs sont portées, en premier ressort, devant le juge du tribunal judiciaire du canton qui, en prononçant, doit concilier les intérêts de l’agriculture et de l’industrie avec le respect dû à la propriété.
    • En outre, s’il y a lieu à expertise, il peut n’être nommé qu’un seul expert ( 641, al. 7e C. civ.)

Les servitudes naturelles: régime juridique

L’article 639 du Code civil distingue trois modes de constitution des servitudes :

  • Les servitudes qui dérivent de la situation des lieux
  • Les servitudes qui sont établies par la loi
  • Les servitudes qui sont établies par le fait de l’homme

S’agissant des premières, elles se justifient par la configuration de certains fonds qui les rend nécessaires. Ces servitudes intéressent principalement l’écoulement des eaux, le drainage et l’irrigation.

Si les rédacteurs du Code civil ont également rangé dans cette catégorie les opérations de bornage et de clôture d’un fonds, il est admis que ces opérations ne s’apparentent nullement en des servitudes, raison pour laquelle elles sont traitées dans un fascicule séparé.

I) Les servitudes relatives à l’écoulement des eaux

==> La servitude relative à l’écoulement naturel des eaux

  • Principe
    • L’article 640 du Code civil dispose que « les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué. »
    • Il ressort de cette disposition que le propriétaire d’un fonds situé en aval d’un fonds situé en amont ne peut pas faire obstacle à l’écoulement des eaux, dès lors que celui-ci est le résultat naturel de la situation des lieux et non celui du fait de l’homme.
  • Domaine
    • La servitude relative à l’écoulement naturel des eaux pèse tant sur les fonds privés que sur les fonds relevant du domaine public.
    • À cet égard, il est indifférent que le fonds servant et le fonds dominant soient séparés par une voie publique.
    • Cette servitude s’applique encore aux eaux d’infiltration, et de source, aussi bien qu’aux eaux pluviales et à celles qui proviennent de la fonte des neiges
  • Condition
    • Le bénéfice de la servitude d’écoulement naturel des eaux est subordonné à l’absence d’intervention de la main de l’homme.
    • Autrement dit, l’écoulement de l’eau doit être le résultat naturel de la configuration des lieux.
    • Cette servitude n’a donc pas vocation à s’appliquer aux eaux usées, aux eaux ménagères ou encore aux eaux industrielles
  • Obligations
    • La servitude d’écoulement naturel des eaux emporte deux conséquences pour les propriétaires des fonds servants et dominants
      • Création d’une obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds servant
        • L’article 663, al.2e prévoit que « le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement. »
        • Ainsi est-il fait défense au propriétaire du fonds servant d’empêcher l’écoulement des eaux et édifiant quelque obstacle que ce soit.
        • Le manquement à cette obligation engage sa responsabilité délictuelle (V. en ce sens 3e civ. 3 avr. 2012, n°11-14328)
      • Création d’une obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds dominant
        • L’article 663, al. 3e dispose que « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur. »
        • Cette obligation mise à la charge du propriétaire du fonds dominant doit être comprise comme lui interdisant d’affecter l’écoulement naturel des eaux en déversant, par exemple, des eaux usées ou ménagères.
        • Dès lors que l’intervention du propriétaire du fonds dominant modifie l’écoulement des eaux, il y a aggravation de la charge qui pèse sur le fonds servant.
        • Or cette aggravation est constitutive d’une faute susceptible de donner lieu à une indemnisation du préjudice causé.
        • Le propriétaire du fonds servant peut encore contraindre, sous astreinte, le propriétaire du fonds supérieur à réaliser des travaux afin que cesse l’écoulement anormal des eaux.

==> La servitude relative à l’écoulement aggravé des eaux

Si, en application de l’article 663, al. 3e du Code civil « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur », la loi du 8 avril 1898 est venue assortir ce principe d’exceptions.

Ces exceptions ne sont autres que des applications du principe général posé à l’article 641, al. 1er du Code civil qui prévoit que « tout propriétaire a le droit d’user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds. »

Aussi, est-il certains cas où le propriétaire du fonds dominant est en droit d’aggraver la charge qui pèse sur le fonds servant, cette aggravation n’étant permise que dans le cadre d’une utilisation des eaux à des fins agricoles ou industrielles.

  • Les cas d’aggravation de la servitude d’écoulement des eaux
    • Premier cas
      • L’aggravation est permise lorsque le propriétaire du fonds dominant fait usage des eaux pluviales ou en affecte la direction de leur écoulement ( 641, al. 2e C. civ.).
      • Il en va également pour les eaux de sources nées sur un fonds ( 641, al. 3 C. civ.)
      • En contrepartie, l’article 641 prévoit qu’une indemnité est due au propriétaire du fonds inférieur.
    • Second cas
      • L’aggravation est encore permise lorsque, par des sondages ou des travaux souterrains, un propriétaire fait surgir des eaux dans son fonds, les propriétaires des fonds inférieurs doivent les recevoir ( 641, al. 4e C. civ.)
      • Le propriétaire du fonds servant aura alors droit à une indemnité en cas de dommages résultant de l’écoulement des eaux
  • Exceptions
    • L’article 641, al. 5 du Code civil prévoit que « les maisons, cours, jardins, parcs et enclos attenant aux habitations ne peuvent être assujettis à aucune aggravation de la servitude d’écoulement dans les cas prévus par les paragraphes précédents.»
    • Dans les hypothèses visées par cet alinéa, l’aggravation de la servitude d’écoulement naturel des eaux est ainsi prohibée.
  • Procédure
    • L’article 641, al. 6 du Code civil précise que les contestations auxquelles peuvent donner lieu l’établissement et l’exercice des servitudes prévues par ces paragraphes et le règlement, s’il y a lieu, des indemnités dues aux propriétaires des fonds inférieurs sont portées, en premier ressort, devant le juge du tribunal judiciaire du canton qui, en prononçant, doit concilier les intérêts de l’agriculture et de l’industrie avec le respect dû à la propriété.
    • En outre, s’il y a lieu à expertise, il peut n’être nommé qu’un seul expert ( 641, al. 7e C. civ.)

II) Les servitudes relatives à l’irrigation et au drainage

Le code rural et de la pêche maritime envisage des servitudes spécifiques qui visent à permettre l’irrigation et le drainage des sols.

  • La Servitude pour l’établissement de canalisations publiques d’eau ou d’assainissement
    • Cette servitude est régie aux articles L. 152-1 à L. 152-2 du Code rural
    • L’article L. 152-1 prévoit que, « il est institué au profit des collectivités publiques, des établissements publics ou des concessionnaires de services publics qui entreprennent des travaux d’établissement de canalisations d’eau potable ou d’évacuation d’eaux usées ou pluviales une servitude leur conférant le droit d’établir à demeure des canalisations souterraines dans les terrains privés non bâtis, excepté les cours et jardins attenant aux habitations. »
    • L’établissement de cette servitude ouvre droit à indemnité.
    • Il fait l’objet d’une enquête publique réalisée selon les modalités prévues au livre Ier du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
    • Les contestations relatives à l’indemnité prévue au deuxième alinéa de l’article L. 152-1 sont jugées comme en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique.
  • La Servitude de passage des conduites d’irrigation
    • Cette servitude est régie aux articles L. 152-3 à L. 152-6 du Code rural
    • L’article L. 152-3 prévoit que « il est institué, au profit de collectivités publiques et de leurs concessionnaires ainsi qu’au profit des établissements publics, une servitude leur conférant le droit d’établir à demeure, dans les conditions les plus rationnelles et les moins dommageables à l’exploitation présente et future, en vue de l’irrigation, des canalisations souterraines dans les terrains privés non bâtis, excepté les cours et jardins attenant aux habitations. »
    • L’établissement de cette servitude ouvre droit à indemnité.
    • Les contestations relatives à cette indemnité sont jugées comme en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique.
  • La servitude de passage des engins mécaniques et de dépôt pour l’entretien des canaux d’irrigation
    • Cette servitude est régie aux articles L. 152-7 à L. 152-12 du Code rural
    • L’article L. 152-7 prévoit que les riverains de celles des sections de canaux d’irrigation pour lesquelles l’application des dispositions du présent article aura été déclarée d’utilité publique sont tenus de permettre le libre passage et l’emploi sur leurs propriétés, dans la limite d’une largeur de quatre mètres à partir de la rive, des engins mécaniques servant aux opérations d’entretien.
    • Ils doivent également permettre en certains endroits le dépôt des produits de curage et de faucardement.
    • À ces endroits, la zone grevée de servitude peut atteindre le double de la largeur existant entre les berges opposées du canal reprofilé.
    • En outre, les terrains bâtis ou clos de murs, les cours et jardins attenants aux habitations à la date de publication de l’acte prescrivant l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique sont exonérés des servitudes de passage et de dépôt.
    • Si le propriétaire le requiert, l’expropriation des terrains grevés de la servitude de dépôt est obligatoire.
    • L’établissement des servitudes donne droit à indemnité.
  • La servitude de passage des engins mécaniques et de dépôt pour l’entretien de certains canaux d’assainissement
    • Cette servitude est régie par l’article L. 152-13 du Code rural
    • Ce texte prévoit que les dispositions des articles L. 152-7 à L. 152-11 relatifs à une servitude de passage des engins mécaniques sur les terrains bordant certains canaux d’irrigation et à une servitude de dépôts sont applicables à ceux des émissaires d’assainissement qui, n’ayant pas le caractère de cours d’eau naturels, sont exclus du bénéfice des dispositions relatives aux servitudes de passage sur les berges des cours d’eau non domaniaux.
  • La servitude dite d’aqueduc
    • Cette servitude est régie par les articles L. 152-14 à L. 152-16 du Code rural
    • L’article L. 152-14 prévoit que toute personne physique ou morale, qui veut user pour l’alimentation en eau potable, pour l’irrigation ou, plus généralement, pour les besoins de son exploitation, des eaux dont elle a le droit de disposer, peut obtenir le passage par conduite souterraine de ces eaux sur les fonds intermédiaires, dans les conditions les plus rationnelles et les moins dommageables à l’exploitation présente et future de ces fonds, à charge d’une juste et préalable indemnité.
    • Sont exceptés de cette servitude les habitations et les cours et jardins y attenant.
    • Cette servitude s’applique également en zone de montagne pour obtenir le passage des eaux destinées à l’irrigation par aqueduc ou à ciel ouvert dans les mêmes conditions que celles prévues au premier alinéa.
    • L’article L. 152-15 du Code rural précise que les propriétaires des fonds inférieurs doivent recevoir les eaux qui s’écoulent des terrains ainsi arrosés, sauf l’indemnité qui peut leur être due.
    • Sont exceptés de cette servitude les habitations et les cours, jardins, parcs et enclos y attenant.
    • Les eaux usées, provenant des habitations alimentées et des exploitations desservies en application de l’article L. 152-14, peuvent être acheminées par canalisation souterraine vers des ouvrages de collecte et d’épuration sous les mêmes conditions et réserves énoncées à l’article L. 152-14, concernant l’amenée de ces eaux.
    • Enfin, les contestations auxquelles peut donner lieu l’établissement de la servitude, la fixation du parcours de la conduite d’eau, de ses dimensions et de sa forme, et les indemnités dues soit au propriétaire du fonds traversé, soit à celui du fonds qui reçoit l’écoulement des eaux sont portées devant les tribunaux de l’ordre judiciaire qui, en prononçant, doivent concilier l’intérêt de l’opération avec le respect dû à la propriété.
  • La servitude d’appui
    • Cette servitude est régie par les articles L. 152-17 à L. 152-19 du Code rural
    • L’article L. 152-17 prévoit que tout propriétaire qui veut se servir, pour l’irrigation de ses propriétés, des eaux naturelles ou artificielles dont il a le droit de disposer, peut obtenir la faculté d’appuyer sur la propriété du riverain opposé les ouvrages d’art nécessaires à sa prise d’eau, à la charge d’une juste et préalable indemnité.
    • Sont exceptés de cette servitude les bâtiments, cours et jardins attenants aux habitations.
    • L’article L. 152-18 précise que le riverain sur les fonds duquel l’appui est réclamé peut toujours demander l’usage commun du barrage, en contribuant pour moitié aux frais d’établissement et d’entretien ; aucune indemnité n’est respectivement due dans ce cas, et celle qui aurait été payée doit être rendue.
    • Lorsque cet usage commun n’est réclamé qu’après le commencement ou la confection des travaux, celui qui le demande doit supporter seul l’excédent auquel donnent lieu les changements à faire au barrage pour le rendre propre à l’irrigation des deux rives.
    • Enfin, les contestations auxquelles peut donner lieu l’application de cette servitude sont portées devant les tribunaux de l’ordre judiciaire.
  • La servitude d’écoulement
    • Cette servitude est régie par les articles L. 152-20 à L. 152-23 du Code rural
    • L’article L. 152-20 prévoit que tout propriétaire qui veut assainir son fonds par le drainage ou un autre mode d’assèchement peut, moyennant une juste et préalable indemnité, en conduire les eaux souterrainement ou à ciel ouvert à travers les propriétés qui séparent ce fonds d’un cours d’eau ou de toute autre voie d’écoulement.
    • Sont exceptés de cette servitude les habitations et les cours, jardins, parcs et enclos y attenant.
    • L’article L. 152-21 du Code rural précise que
    • Les propriétaires de fonds voisins ou traversés ont la faculté de se servir des travaux faits en vertu de l’article L. 152-20, pour l’écoulement des eaux et de leurs fonds.
    • Ils supportent dans ce cas :
      • Une part proportionnelle dans la valeur des travaux dont ils profitent ;
      • Les dépenses résultant des modifications que l’exercice de cette faculté peut rendre nécessaires ;
      • Pour l’avenir, une part contributive dans l’entretien des travaux devenus communs.
    • À cet égard, les associations syndicales, pour l’assainissement des terres par le drainage et par tout autre mode d’assèchement, et l’État, pour le dessèchement de marais ou la mise en valeur de terres incultes appartenant aux communes ou sections de communes, jouissent des mêmes droits et supportent les mêmes obligations.
    • Enfin, les contestations auxquelles peuvent donner lieu l’établissement et l’exercice de la servitude, la fixation du parcours des eaux, l’exécution des travaux de drainage ou d’assèchement, les indemnités et les frais d’entretien sont portées devant les tribunaux de l’ordre judiciaire qui, en prononçant, doivent concilier les intérêts de l’opération avec le respect dû à la propriété.

III) Les servitudes relatives aux égouts des toits

L’article 681 du Code civil dispose que « tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s’écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin. »

Il ressort de cette disposition que tout propriétaire doit construire le toit qui couvre l’immeuble situé sur son fonds de telle manière que les eaux pluviales ne se déversent pas sur le fonds voisin.

Par eaux pluviales, il faut entendre toutes celles qui n’ont pas été altérées par le fait de l’homme, telles que les eaux industrielles, usées, fétides ou insalubres (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1963).

Une fois tombées au sol, les eaux pluviales pourront néanmoins, en application de l’article 641 du Code civil, s’écouler sur les fonds inférieurs, dès lors que cet écoulement est le résultat naturel de la configuration des lieux (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 nov. 1972).

En tout état de cause, il appartient au propriétaire de bâtir son toit de telle manière que l’eau de pluie se déverse :

  • Soit sur son propre fonds
  • Soit sur la voie publique

Cette obligation qui pèse sur les propriétaires s’applique quelle que soit la localisation du fonds et de l’usage qui est fait du bâtiment.

Il peut être observé que le déversement des eaux pluviales sur la voie publique est susceptible d’être encadrée par la commune, des règles d’urbanisme pouvant notamment imposer des raccordements au réseau communal.

Par ailleurs, il a été admis que, lorsqu’une partie d’un fonds est détenue en indivision par plusieurs propriétaires, le déversement des eaux pluviales puisse s’effectuer sur une bande de terrain indivis, dès lors que cet écoulement est conforme à la destination des lieux et n’est pas incompatible avec le droit d’un coindivisaire (Cass. 3e civ. 9 janv. 1985, n°83-14000).