Le régime juridique de la cession de créance: fonctions, conditions, effets, opposabilité

I) Définitions

A) Notion

La cession de créance est définie à l’article 1321 du Code civil comme le « contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé à un tiers appelé le cessionnaire. »

Cette opération consiste, autrement dit, à transférer la titularité d’une créance d’un créancier à un cessionnaire, avec cette particularité que le débiteur de l’obligation cédée ne participe pas à la formation de la convention de cession, son consentement n’étant pas requis.

La cession de créance constitue ainsi un mode conventionnel de transmission des créances. Le cessionnaire prend la place du cédant, en tant que créancier du débiteur cédé.

La singularité de la cession de créance résulte du double aspect de cette opération :

  • D’un côté, la convention de cession de créance est bipartite, en ce sens que le débiteur cédé endosse la qualité de tiers à l’opération : la validité du contrat n’est nullement subordonnée à l’obtention de son consentement.
  • D’un autre côté, l’opération est tripartite dans la mesure où la cession a pour effet d’obliger le débiteur envers le cessionnaire sur le fondement du même rapport juridique qui le liait au cédant : le débiteur cédé n’est donc, en réalité, pas un tiers à l’opération, son dénouement reposant sur son paiement.

B) Distinctions

?Cession de créance et cession de dette

Plusieurs différences opposent radicalement la cession de créance de la cession de dette

  • Définition
    • La cession de créance consiste en une substitution de créancier
      • Dans cette hypothèse, le débiteur demeure inchangé
    • La cession de dette consiste en une substitution de débiteur
      • Dans cette hypothèse, c’est le créancier qui ne change pas.
  • Objet de l’opération
    • Contrairement à la cession de créance qui porte sur la dimension active de l’obligation, la cession de dette intéresse sa dimension passive.
    • Pour le comprendre, revenons un instant sur la notion d’obligation
    • Fondamentalement, l’obligation s’apparente à lien de droit entre deux personnes en vertu duquel, l’une d’elle, le créancier, peut exiger de l’autre, le débiteur, de donner, faire ou ne pas faire quelque chose.
    • Aussi, ce lien de droit que constitue l’obligation se distingue-t-il des autres rapports humains, en ce que lors de sa création il produit des effets juridiques.
    • Ces effets juridiques sont :
      • Tantôt actifs, lorsqu’ils confèrent un droit subjectif : on parle de créance
      • Tantôt passifs, lorsqu’ils exigent l’exécution d’une prestation : on parle de dette
    • Schématiquement, tandis que la cession de créance opère la transmission d’un droit, la cession de créance opère la transmission d’un devoir
    • L’objet de la cession est de la sorte radicalement inversé selon que l’on envisage l’une ou l’autre opération.
  • Consentement du tiers
    • À l’inverse de la cession de créance, en matière de cession de dette le débiteur est partie à part entière à l’opération
    • Aussi, techniquement c’est le créancier qui est ici tiers à la convention, encore qu’il ne s’agit pas vraiment d’un tiers dans la mesure où l’obtention de son consentement est une condition de validité de l’opération.
    • L’article 1327 du Code civil qui autorise la cession de dette prévoit, en effet, qu’un débiteur ne peut céder sa dette qu’« avec l’accord du créancier ».
    • Il s’agit là d’une différence majeure avec la cession de créance qui ne suppose pas l’obtention du consentement du débiteur.

?Cession de créance et délégation de paiement

  • Objet de l’opération
    • Définie à l’article 1336 du Code civil la délégation est une opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur.
    • À la différence de la cession de créance, la délégation n’opère pas de transfert de créance : elle a seulement pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
    • Il en résulte que :
      • En matière de délégation, le délégataire dispose de deux débiteurs, cette opération n’opérant pas extinction du rapport d’obligation entre le délégant et le délégué
      • En matière de cession de créance, le cessionnaire ne dispose que d’un seul débiteur, la cession ayant pour effet de désintéresser le cédant dans son rapport avec le débiteur cédé.
  • Inopposabilité des exceptions
    • La cession de créance
      • Le débiteur cédé est autorisé à opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au créancier cédant.
      • Il s’agit tant des exceptions inhérentes à la dette (exception d’inexécutions) que des exceptions qui lui sont extérieures (compensation légale).
      • La raison en est que la créance qui entre dans le patrimoine du cessionnaire par l’effet de la cession, est exactement la même que celle dont était titulaire le créancier cédant.
    • La délégation
      • Contrairement à la cession de créance, il n’y pas ici de transfert de la créance dont est titulaire le délégant contre le délégué.
      • La délégation a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire qui dispose alors de deux débiteurs.
      • Il en résulte que le délégué, en consentant à la délégation, renonce à se prévaloir des exceptions tirées du rapport qui le lie au délégant.
      • Il y a un principe d’inopposabilité des exceptions.
      • L’article 1336, al. 2 du Code civil dispose en ce sens que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire. »
  • Consentement
    • Contrairement à la cession de créance qui ne suppose pas le consentement du débiteur cédé, tiers à l’opération, la délégation exige toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur.
    • En cela, la délégation se rapproche de la cession de dette.
    • Toutefois, elle s’en distingue dans la mesure où la dette du délégant envers le délégataire n’est nullement transférée au délégué
    • La délégation opère seulement la création d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.

?Cession de créance et indication de paiement

L’article 1340 du Code civil prévoit que « la simple indication faite par le débiteur d’une personne désignée pour payer à sa place n’emporte ni novation, ni délégation. Il en est de même de la simple indication faite, par le créancier, d’une personne désignée pour recevoir le paiement pour lui. »

L’indication de paiement consiste ainsi pour un débiteur ou un créancier à désigner une tierce personne quant à effectuer le paiement de la dette.

Contrairement à la cession de créance, l’indication de paiement n’opère aucun transfère de créance à la faveur de la personne désignée.

Cette dernière assure simplement le règlement de la dette du débiteur.

L’indication de paiement se rapproche ainsi du mandat de payer qui peut prendre la forme, par exemple, d’une autorisation de prélèvement.

L’indication adressée au créancier ou au débiteur vaut seulement information de ce que la dette sera payée par un tiers désigné.

Elle n’emporte en rien opposabilité, ni novation de l’obligation.

?Cession de créance et subrogation personnelle

  • Définition
    • Contrairement à la cession de créance qui a pour objet un transfert de droits, la subrogation réalise une substitution de personne ou de chose.
    • Lorsqu’elle est personnelle, la subrogation produit certes les mêmes effets que la cession de créance : le créancier subrogé devient titulaire de la même créance que le créancier subrogeant ce qui revient à réaliser un transfert de ladite créance de l’un à l’autre.
    • Toutefois, elle s’en distingue sur un point majeur
      • En matière de subrogation personnelle, le transfert de créance intervient à titre accessoire à un paiement.
      • En matière de cession de créance, le transfert de créance constitue l’objet principal de l’opération.
    • Ainsi, la subrogation consiste-t-elle en un paiement par une personne autre que le débiteur de sa dette qui, du fait de ce paiement, devient titulaire dans la limite de ce qu’il a payé, de la créance et ses accessoires.
    • L’intention des parties est donc ici d’éteindre, par le paiement, un rapport d’obligation.
    • Tel n’est pas le cas en matière de cession de créance : les parties ont seulement pour intention de transférer un rapport d’obligation moyennant le paiement d’un prix.

  • Effet de l’opération
    • Particularité de la subrogation personnelle, elle n’opère qu’à concurrence de ce qui a été payé par le subrogé. Et pour cause : elle est une modalité de paiement.
    • Ainsi, la subrogation se distingue-t-elle de la cession de créances qui autorise le cessionnaire à actionner le débiteur en paiement pour le montant nominal de la créance, alors même que le prix de cession aurait été stipulé pour un prix inférieur.
    • Tel est le cas, lorsque le cessionnaire s’engage à garantir le cédant du risque d’insolvabilité du débiteur cédé.
    • L’intérêt de la cession de créance réside, dans cette hypothèse, dans la possibilité pour le cessionnaire d’exiger le montant de la totalité de la créance, indépendamment du prix de cession convenu par les parties.
    • Le subrogé ne peut, quant à lui, recouvrer sa créance que dans la limite de ce qu’il a payé et non au regard du montant nominal de la créance.
  • Consentement
    • À la différence de la cession de créance qui requiert le consentement du créancier cédant, la subrogation peut, tantôt exiger le consentement du débiteur, tantôt l’accord du créancier.
    • Tout dépend du type de subrogation (légale ou conventionnelle).

?Cession de créance et novation

  • Définition
    • Définie à l’article 1329 du Code civil, la novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée.
    • Elle peut avoir lieu par substitution d’obligation entre les mêmes parties, par changement de débiteur ou par changement de créancier.
    • Contrairement à la cession de créance, la novation n’opère pas de transfert de créance, elle a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le débiteur et le cocontractant du créancier.
    • Ainsi, le nouveau créancier est-il titulaire d’une nouvelle créance qui se distingue de l’ancienne, éteinte, par l’effet de la novation.
    • L’extinction de l’obligation ancienne s’étend à tous ses accessoires.
  • Consentement
    • Tandis que la cession de créance n’exige pas l’accord du débiteur, la novation par changement de créancier requiert son consentement.
    • Celui-ci peut, par avance, accepter que le nouveau créancier soit désigné par le premier.

II) Fonctions de la cession de créance

La cession de créance est susceptible de remplir plusieurs fonctions selon qu’elle est consentie à titre gratuit ou à titre onéreux.

A) La cession de créance consentie à titre gratuit

Deux hypothèses doivent alors être distinguées :

  • Le cédant est animé d’une intention libérale
    • Dans ce cas de figure, la cession de créance s’apparente à une donation indirecte.
    • Elle est donc subordonnée à la volonté de gratifier le cessionnaire.
  • Le cédant n’est pas animé d’une intention libérale
    • Dans ce cas de figure, la cession de créance s’apparente à un prêt gratuit
    • Le cessionnaire disposera, en effet, d’un actif économique qu’il pourra mobiliser en contrepartie d’un financement.

B) La cession de créance consentie à titre onéreux

Dans cette hypothèse, la cession de créance est susceptible trois fonctions, selon qu’elle est consentie ou non en contrepartie d’une somme d’argent

?La cession consentie en contrepartie d’une somme d’argent

Dans ce cas de figure la cession de créance peut être réalisée :

  • Soit aux fins d’octroi d’un crédit
    • La cession apparaît ici comme la contrepartie de l’octroi d’un crédit.
    • Le cessionnaire acquiert la créance du cédant moyennant le paiement de son montant nominal diminué du prélèvement d’une commission.
    • Lorsque la créance cédée est de nature professionnelle, la figure juridique qui se prête le mieux à l’opération est la cession Dailly.
  • Soit aux fins de règlement d’un prix
    • La cession ne s’analysant plus comme une vente de bien incorporel
    • Il s’ensuit que sa validité n’est plus subordonnée à la détermination d’un prix.
    • À tout le moins, conformément à l’article 1163, al. 2e du Code civil, son prix doit être déterminé ou déterminable.
    • Qui plus est, rien n’interdit que le prix fixé soit inférieur au montant nominal de la créance.
    • C’est là tout l’intérêt de la cession de créance, comparativement, par exemple, à la subrogation personnelle.

?La cession consentie sans contrepartie d’une somme d’argent

Dans ce cas de figure, la cession de créance peut être réalisée :

  • Soit aux fins de règlement d’une dette
    • Sa validité doit être appréciée à l’aune des règles qui gouvernent les procédures collectives (période suspecte et interdiction des paiements).
  • Soit aux fins de constitution d’une garantie
    • Bien que le Code monétaire et financier prévoie qu’il puisse être recouru à la cession de créance aux fins de garantie, ses dispositions ne visent que les cessions réalisées par bordereau Dailly, soit les cessions qui portent sur des créances professionnelles.
    • S’agissant de la cession de créance de droit commun, le Code civil ne comporte aucune disposition en ce sens qui n’est pas sans avoir fait couler beaucoup d’encre.
    • Le principal argument avancé contre l’admission de la cession de créance à titre de garantie consistait à dire que la reconnaissance de cette fonction reviendrait à contourner la prohibition des pactes commissoires.
    • Pour rappel, le pacte commissoire est, selon Gérard Cornu, le contrat par lequel le créancier se fait consentir le droit de s’approprier de lui-même (sans avoir à le demander au juge) la chose remise en gage faute de paiement à l’échéance.
    • Dans un arrêt du 19 décembre 2006 la Cour de cassation semble s’être ralliée à la position des opposants à l’admission de la cession de créance à titre de garantie.
    • La chambre commerciale a, en effet, estimé que, « en dehors des cas prévus par la loi, l’acte par lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un° nantissement de créance » (Cass. com. 19 déc. 2006, n°05-16.395).
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, dès lors que la cession de créance est réalisée sans contrepartie financière elle n’opère pas de transfert des droits.
    • Elle s’apparente à un simple nantissement, de sorte que le « cédant » demeure titulaire de la créance « cédée ».
    • Cette décision a été lourdement critiquée par la doctrine, notamment en raison de la réforme des sûretés dont la Cour de cassation n’a, semble-t-il, pas voulu tenir compte.
    • Le nouvel article 2348 du Code civil reconnaît désormais la licéité du pacte commissoire en prévoyant que, « il peut être convenu, lors de la constitution du gage ou postérieurement, qu’à défaut d’exécution de l’obligation garantie le créancier deviendra propriétaire du bien gagé. »
    • La chambre commerciale n’a manifestement pas jugé utile de tenir compte de cette réforme.
    • Aussi, lorsqu’elle est consentie sans contrepartie financière, la cession de créance de droit commun opère seulement nantissement et non transfert de propriété.

Cass. com. 19 déc. 2006

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 2075 et 2078 du code civil dans leur rédaction alors applicable ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que par acte du 7 janvier 1992, la Foncière forum 20 a acquis la propriété d’un centre commercial, au moyen d’un prêt de la banque CGER, à la sûreté duquel, en garantie de toutes les sommes pouvant lui être dues, avait été consentie, par l’emprunteur, une cession des loyers dus par les locataires, parmi lesquels figurait la société Pills Music, et aux droits de laquelle est venue la société DIVA ; que la Caisse fédérale du crédit mutuel du Nord de Paris (la caisse), se prévalant d’une cession à son profit, le 30 mai 1997, de la créance résultant du prêt accordé par la banque CGER, a signifié la cession au débiteur cédé, la Foncière forum 20 ; que la caisse ayant assigné en paiement la société DIVA, en sa qualité de débiteur cédé de la cession des loyers, celle-ci a soutenu que la cession n’étant stipulée qu’à titre de garantie, n’avait pas eu pour effet de faire sortir les créances locatives litigieuses du patrimoine de la société Foncière forum avant la mise en redressement judiciaire de celle-ci, intervenue le 27 juin 1995 et qu’ainsi, la caisse était dépourvue de droit envers elle ;

Attendu que pour condamner la société DIVA à payer à la caisse la somme de 125 049,47 euros majorée des intérêts, l’arrêt retient qu’il résultait de l’acte du 7 janvier 1992 que la cession de créance de loyers au profit de la banque CGER, étant stipulée à titre de sûreté complémentaire en garantie de toutes les sommes qui pourraient lui être dues, il en résultait que la banque CGER avait acquis la propriété de cette créance dès cette date et que cette créance pouvait être transmise à la caisse par acte du 30 mai 1997 ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’en dehors des cas prévus par la loi, l’acte par lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un° nantissement de créance, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 2 mars 2005, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

III) Conditions de la cession de créance

A) Les conditions de fond

1. Les conditions de fond ordinaires

À l’instar de n’importe quel acte juridique, la cession de créance, qui est un contrat, est soumise aux conditions ordinaires de validité des conventions.

Aussi, doit-elle satisfaire les conditions énoncées à l’article 1128 du Code civil qui prévoit que sont nécessaires à la validité d’un contrat :

  • Le consentement des parties
  • Leur capacité de contracter
  • Un contenu licite et certain

2. Les conditions de fond spécifiques

?Objet de la créance

Il ressort de l’article 1321 du Code civil que la cession peut porter sur toutes sortes de créances :

  • Une créance présente ou future
    • Tandis que la créance présente est celle dont le fait générateur est déjà intervenu, la créance future est celle qui existe seulement dans son principe sans que l’obligation à laquelle elle est attachée soit née.
    • Aussi, lorsque la créance est future rien n’interdit qu’elle puisse faire l’objet d’une cession, à la condition néanmoins, précise l’article 1321, que ladite créance soit identifiable (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 20 mars 2001, n°99-14.982).
  • Une créance déterminée ou déterminable
    • En visant les créances déterminées ou déterminables, l’article 1321 autorise que la cession porte sur une créance à terme, échue, à exécution successive ou encore conditionnelle.
    • Ce qui importe c’est que la créance soit identifiable, c’est-à-dire qu’elle soit au moins déterminée dans son objet et dans son montant (Cass. com. 22 janv. 2002, n°99-15.047).
  • Une créance totale ou partielle
    • En prévoyant que la cession de créance « est un contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé », l’article 1321 envisage que cette opération puisse porter sur une créance partielle.
    • Cela ne sera toutefois possible qu’à la condition que la créance soit divisible, ce qui sera toujours le cas d’une somme d’argent.

?Cessibilité de la créance

  • Principe
    • Classiquement on enseigne que les créances sont par principe librement cessibles, quel que soit leur objet.
    • Aussi, peu importe que la cession porte sur une somme d’argent ou sur une prestation de faire ou de ne pas faire.
    • On peut ajouter que dans la mesure où il n’est pas nécessaire que le débiteur consente à l’opération, la liberté des parties à l’acte s’en trouve augmentée.
    • Le caractère intuitu personae d’une créance ne constitue aucunement un obstacle à la cession, sauf à ce que la créance soit stipulée par les parties incessible.
  • Limites
    • Par dérogation au principe, un certain nombre de créances sont frappées d’incessibilité le plus souvent pour des raisons d’ordre public.
    • Il en va ainsi de la créance de prestation compensatoire, de pension alimentaire, de salaire ou encore de prestation sociale.
    • L’article 1321, al. 4 in fine prévoit en outre que les parties ont la faculté de stipuler une créance incessible, ce qui ouvre le champ à l’autonomie de la volonté.

B) Les conditions de forme

Aux termes de l’article 1322 du Code civil « la cession de créance doit être constatée par écrit, à peine de nullité. ».

La cession de créance s’analyse, de la sorte, en un acte solennel. Aucune mention n’est toutefois exigée, ce qui sur ce point la distingue de la cession Dailly.

Il peut être observé que l’établissement d’un écrit est également exigé en matière de nantissement de créance (art. 2356, al. 1er C. civ.).

IV) Effets de la cession de créance

A) Les effets à l’égard des parties

La cession de créance produit deux effets à l’égard des parties :

  • Transmission de la créance
  • Garantie de l’existence de la créance

?La transmission de la créance

  • Principe de la transmission
    • La cession de créance a pour principal effet la transmission de la créance détenue par le cédant au cessionnaire qui en devient le titulaire.
    • Ainsi, la créance est transportée d’un patrimoine à un autre.
    • La conséquence en est que, une fois l’acte conclu, le cédant n’exerce plus aucun droit sur la créance cédée.
    • Il ne dispose donc plus d’aucun droit sur le débiteur qu’il ne peut pas actionner en paiement.
  • Étendue de la transmission
    • À la différence de la subrogation personnelle, la cession portera toujours sur le montant nominal de la créance quand bien même elle serait stipulée pour un prix inférieur.
    • Par ailleurs, la cession peut porter sur une fraction de la créance lorsqu’elle est divisible.
    • L’article 1321, al. 2e précise que la cession s’étend aux accessoires de la créance.
    • Par accessoires il faut notamment entendre les sûretés constituées à la faveur du cédant.
    • On peut ajouter à cela, les actions en justice attachées à la créance ainsi que les titres exécutoires obtenus par le cédant.
    • Le cessionnaire est investi de plein droit dans tous les droits du cédant.
  • Moment de la transmission
    • L’article 1323, al. 1er prévoit que « entre les parties, le transfert de la créance s’opère à la date de l’acte. ».
    • Cela signifie donc que la créance quitte le patrimoine du cédant au moment de la formalisation de la cession par écrit.
    • Corrélativement, ladite créance intègre le patrimoine du cessionnaire au moment.
    • Est-ce à dire que, dès la réalisation de la cession, le cessionnaire peut réclamer le paiement de la créance au débiteur cédé ?
    • On ne saurait être aussi catégorique.
    • L’article 1324 du, al. 1er dispose, en effet, que « la cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte. »
    • Aussi, cela signifie-t-il que tant que la cession n’a pas été notifiée au débiteur cédé, celui-ci demeure libre de refuser de se libérer entre les mains du cessionnaire.
    • Du point de vue du débiteur, le seul titulaire de la créance c’est la cédant, à tout le moins tant que la cession ne lui a pas été notifiée.
    • Pour cette raison, il est douteux que l’effet translatif de la cession se produise au moment de la conclusion de l’acte.
    • Techniquement, c’est plutôt la notification de la cession au débiteur cédé qui opère le transfert de la créance.

?La garantie de l’existence de la créance

  • La garantie légale
    • Principe
      • L’article 1326 prévoit que « celui qui cède une créance à titre onéreux garantit l’existence de la créance et de ses accessoires ».
      • Cela signifie que si, au jour de la cession, la créance est susceptible d’être frappée par une cause d’annulation ou d’extinction, le cessionnaire doit être garanti contre cette éviction.
      • Cette garantie porte, tant sur la créance en elle-même, que sur ses accessoires (inexistence ou inefficacité d’une sûreté en raison, par exemple, d’un défaut d’inscription).
    • Exception
      • Le cédant n’est pas tenu de garantir l’existence de la créance lorsque le cessionnaire
        • Soit l’a acquise à ses risques et périls
        • Soit connaissait son caractère incertain
      • Ainsi, dès lors que l’un de ces deux éléments est entré dans le champ contractuel, le cédant n’est pas tenu de garantir l’existence de la créance.
      • Cela suppose que le cessionnaire en ait été préalablement informé par le cédant.
  • La garantie de la solvabilité du débiteur
    • Principe
      • Si, le cédant garantit l’existence de la créance, il ne garantit en aucun cas la solvabilité du débiteur cédé.
      • Autrement dit, dans l’hypothèse où le débiteur est dans l’incapacité financière de régler le cessionnaire, ce dernier ne disposera d’aucun recours contre le cédant.
      • C’est là une différence majeure entre la cession de créance de droit commun et la cession Dailly.
    • Exception
      • L’article 1326, al. 2 prévoit que les parties sont libres de déroger au principe d’absence de garantie de la solvabilité du débiteur cédé.
      • Lorsque, toutefois, le cédant s’y engage, sa garantie n’est due que dans la limite du prix qu’il a pu retirer de la cession de sa créance.
      • Autrement dit, le cessionnaire ne saurait réclamer au cédant le paiement du montant nominal de la créance.
      • L’article 1326, al. 3 précise en outre que « lorsque le cédant a garanti la solvabilité du débiteur, cette garantie ne s’entend que de la solvabilité actuelle ; elle peut toutefois s’étendre à la solvabilité à l’échéance, mais à la condition que le cédant l’ait expressément spécifié. »
      • Deux enseignements peuvent être tirés de cette disposition
        • D’une part, lorsque le cédant garantit la solvabilité du débiteur, il s’agit de celle dont il fait montre au jour de la conclusion de l’acte, soit de solvabilité actuelle.
        • D’autre part, les parties peuvent prévoir que la garantie portera sur la solvabilité future du débiteur, soit à l’échéance de la créance, mais à la condition de le stipuler dans l’acte de cession.

B) Les effets à l’égard du débiteur

?Opposabilité de la cession

Aux termes de l’article 1324 du Code civil « la cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte. »

Cela signifie, autrement dit, que tant que la cession ne lui a pas été notifiée il peut valablement se libérer entre les mains du cédant.

Une lecture approfondie de cette disposition révèle toutefois que deux situations doivent être distinguées :

  • Le débiteur cédé a consenti à la cession
    • Dans cette hypothèse, la cession est opposable au débiteur dès la conclusion de l’acte, sans qu’il soit besoin que la cession lui soit notifiée.
    • Dans la mesure où il est intervenu à l’acte de concert avec le cédant et le cessionnaire, la cession produira ses effets à leur égard au même moment, soit lors de la formalisation de l’opération par écrit.
  • Le débiteur cédé n’a pas consenti à la cession
    • Dans cette hypothèse, la cession doit impérativement être notifiée au débiteur faute de quoi elle lui sera inopposable.
    • Aussi, deux situations doivent être distinguées
      • La cession est notifiée au débiteur
        • La cession est pleinement opposable au débiteur
        • Si, en conséquence, il est actionné en paiement par le cessionnaire, il n’a d’autre choix que de régler le montant nominal de la créance.
        • Qui plus est, s’il se libère entre les mains du cédant, son paiement ne sera pas libératoire, de sorte qu’il s’expose à payer deux fois
      • La cession n’est pas notifiée au débiteur
        • Tant que la cession n’est pas notifiée au débiteur, elle lui est inopposable.
        • Concrètement, cela signifie que le débiteur peut valablement se libérer entre les mains du cédant.
        • Son paiement sera libératoire, à charge pour le cessionnaire de se retourner contre le cédant, avec ce risque de se retrouver en concurrence avec d’autres créanciers, notamment en cas d’ouverture d’une procédure collective.

?Opposabilité des exceptions

Selon l’adage nemo plus juris, nul ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en a reçus.

Il en résulte que si le cédant transmet sa créance au cessionnaire avec tous ses accessoires, il la lui transmet également avec toutes les exceptions qu’elle comporte.

Autrement dit, la créance est transmise au cessionnaire tant avec ses avantages qu’avec ses faiblesses.

D’où la possibilité ouverte au débiteur d’opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au cédant.

Par exception, il faut entendre un moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité (causes de nullité, prescription, inexécution, cause d’extinction de la créance etc…)

L’article 1324, al. 2e du Code civil prévoit ainsi que « le débiteur peut opposer au cessionnaire les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution ou la compensation des dettes connexes. Il peut également opposer les exceptions nées de ses rapports avec le cédant avant que la cession lui soit devenue opposable, telles que l’octroi d’un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes. »

Il ressort de cette disposition que deux catégories d’exceptions doivent être distinguées :

  • Les exceptions inhérentes à la dette
    • Il s’agit des exceptions attachées à la créance en elle-même, de sorte qu’elles suivent la créance quel que soit son titulaire.
    • Aussi, ces exceptions sont celles qui, en toute hypothèse, peuvent être opposées au cessionnaire, peu importe que la cession ait ou non été notifiée au débiteur.
    • À titre d’exemple d’exceptions inhérentes à la dette, l’article 1324 vise, la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution et la compensation des dettes connexes
    • Cette liste n’est pas limitative.
  • Les exceptions extérieures à la dette
    • Il s’agit plus précisément des exceptions tirées du rapport personnel entre le cédant et le débiteur
    • Il ressort de l’article 1324 du Code civil que ces exceptions ne peuvent être opposées au cessionnaire, qu’à la condition qu’elles soient nées avant la notification de la cession au débiteur.
    • On peut en déduire, que tant que la cession ne lui a pas été notifiée, celui-ci entretient toujours un lien avec le cédant, quand bien même la créance est sortie de son patrimoine.
    • Aussi, pourrait-on parfaitement envisager que le débiteur puisse valablement se prévaloir d’une remise de dette que lui aurait consentie le cédant postérieurement à la formalisation de la cession.

C) Les effets à l’égard des tiers

?Opposabilité de la cession

L’article 1323 du Code civil prévoit que la cession est opposable aux tiers à compter de la date de l’acte.

C’est là une grande nouveauté introduite par l’ordonnance du 10 février 2016.

Sous l’empire du droit antérieur, la cession n’était opposable aux tiers qu’à compter de l’accomplissement des formalités exigées par l’ancien article 1690.

L’article 1323 précise que « en cas de contestation, la preuve de la date de la cession incombe au cessionnaire, qui peut la rapporter par tout moyen. »

?Concours de cessionnaires

  • La primauté du cessionnaire premier en date
    • Quid dans l’hypothèse où un créancier cède une même créance successivement à plusieurs cessionnaires ?
    • Afin de résoudre ce concours de cessionnaires, l’article 1325 du Code civil prévoit que « le concours entre cessionnaires successifs d’une créance se résout en faveur du premier en date »
    • Ainsi, conviendra-t-il de comparer les dates qui figurent sur les actes de cession pour déterminer à quel cessionnaire revient la titularité de la créance disputée.
  • Les recours du cessionnaire premier en date
    • Une fois la question de la titularité de la créance résolue, une autre difficulté est susceptible de se faire jour.
    • Le débiteur peut, en effet, s’être libéré entre les mains du « mauvais cessionnaire ».
    • Aussi, de quels recours dispose le cessionnaire premier en date pour se faire payer ?
    • Plusieurs situations doivent être distinguées
      • La cession n’a pas été notifiée au débiteur
        • Dans cette hypothèse, le débiteur pouvait valablement se libérer entre les mains d’un autre cessionnaire, à plus forte raison si ce dernier avait procédé à la notification.
        • Le paiement du débiteur est conséquence libératoire.
        • En application de l’article 1325 du Code civil le cessionnaire premier en date ne disposera que d’un recours contre « celui auquel le débiteur aurait fait un paiement. »
      • La cession a été notifiée au débiteur
        • Dans cette hypothèse, le paiement du débiteur entre les mains du mauvais cessionnaire n’était pas libératoire.
        • Il en résulte que le cessionnaire premier en date dispose de deux recours :
          • contre le débiteur
          • contre le cessionnaire qui a été réglé

Cession de créance, cession de dette, délégation, subrogation et novation: distinctions

I) Notion

La cession de créance est définie à l’article 1321 du Code civil comme le « contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé à un tiers appelé le cessionnaire. »

Cette opération consiste, autrement dit, à transférer la titularité d’une créance d’un créancier à un cessionnaire, avec cette particularité que le débiteur de l’obligation cédée ne participe pas à la formation de la convention de cession, son consentement n’étant pas requis.

Schéma 1.JPG

La cession de créance constitue ainsi un mode conventionnel de transmission des créances. Le cessionnaire prend la place du cédant, en tant que créancier du débiteur cédé.

La singularité de la cession de créance résulte du double aspect de cette opération :

  • D’un côté, la convention de cession de créance est bipartite, en ce sens que le débiteur cédé endosse la qualité de tiers à l’opération : la validité du contrat n’est nullement subordonnée à l’obtention de son consentement.
  • D’un autre côté, l’opération est tripartite dans la mesure où la cession a pour effet d’obliger le débiteur envers le cessionnaire sur le fondement du même rapport juridique qui le liait au cédant : le débiteur cédé n’est donc, en réalité, pas un tiers à l’opération, son dénouement reposant sur son paiement.

II) Distinctions

==> Cession de créance et cession de dette

Plusieurs différences opposent radicalement la cession de créance de la cession de dette

  • Définition
    • La cession de créance consiste en une substitution de créancier
      • Dans cette hypothèse, le débiteur demeure inchangé
    • La cession de dette consiste en une substitution de débiteur
      • Dans cette hypothèse, c’est le créancier qui ne change pas
  • Objet de l’opération
    • Contrairement à la cession de créance qui porte sur la dimension active de l’obligation, la cession de dette intéresse sa dimension passive.
    • Pour le comprendre, revenons un instant sur la notion d’obligation
    • Fondamentalement, l’obligation s’apparente à lien de droit entre deux personnes en vertu duquel, l’une d’elle, le créancier, peut exiger de l’autre, le débiteur, de donner, faire ou ne pas faire quelque chose.
    • Aussi, ce lien de droit que constitue l’obligation se distingue-t-il des autres rapports humains, en ce que lors de sa création il produit des effets juridiques.
    • Ces effets juridiques sont :
      • Tantôt actifs, lorsqu’ils confèrent un droit subjectif : on parle de créance
      • Tantôt passifs, lorsqu’ils exigent l’exécution d’une prestation : on parle de dette
    • Schématiquement, tandis que la cession de créance opère la transmission d’un droit, la cession de créance opère la transmission d’un devoir
    • L’objet de la cession est de la sorte radicalement inversé selon que l’on envisage l’une ou l’autre opération.
  • Consentement du tiers
    • À l’inverse de la cession de créance, en matière de cession de dette le débiteur est partie à part entière à l’opération
    • Aussi, techniquement c’est le créancier qui est ici tiers à la convention, encore qu’il ne s’agit pas vraiment d’un tiers dans la mesure où l’obtention de son consentement est une condition de validité de l’opération.
    • L’article 1327 du Code civil qui autorise la cession de dette prévoit, en effet, qu’un débiteur ne peut céder sa dette qu’« avec l’accord du créancier».
    • Il s’agit là d’une différence majeure avec la cession de créance qui ne suppose pas l’obtention du consentement du débiteur.

Schéma 2.JPG

==> Cession de créance et délégation de paiement

  • Objet de l’opération
    • Définie à l’article 1336 du Code civil la délégation est une opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur.
    • À la différence de la cession de créance, la délégation n’opère pas de transfert de créance : elle a seulement pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
    • Il en résulte que :
      • En matière de délégation, le délégataire dispose de deux débiteurs, cette opération n’opérant pas extinction du rapport d’obligation entre le délégant et le délégué
      • En matière de cession de créance, le cessionnaire ne dispose que d’un seul débiteur, la cession ayant pour effet de désintéresser le cédant dans son rapport avec le débiteur cédé.
  • Inopposabilité des exceptions
    • La cession de créance
      • Le débiteur cédé est autorisé à opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au créancier cédant.
      • Il s’agit tant des exceptions inhérentes à la dette (exception d’inexécutions) que des exceptions qui lui sont extérieures (compensation légale).
      • La raison en est que la créance qui entre dans le patrimoine du cessionnaire par l’effet de la cession, est exactement la même que celle dont était titulaire le créancier cédant.
    • La délégation
      • Contrairement à la cession de créance, il n’y pas ici de transfert de la créance dont est titulaire le délégant contre le délégué.
      • La délégation a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire qui dispose alors de deux débiteurs.
      • Il en résulte que le délégué, en consentant à la délégation, renonce à se prévaloir des exceptions tirées du rapport qui le lie au délégant.
      • Il y a un principe d’inopposabilité des exceptions.
      • L’article 1336, al. 2 du Code civil dispose en ce sens que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire.»
  • Consentement
    • Contrairement à la cession de créance qui ne suppose pas le consentement du débiteur cédé, tiers à l’opération, la délégation exige toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur.
    • En cela, la délégation se rapproche de la cession de dette.
    • Toutefois, elle s’en distingue dans la mesure où la dette du délégant envers le délégataire n’est nullement transférée au délégué
    • La délégation opère seulement la création d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.

Schéma 3.JPG

==> Cession de créance et indication de paiement

L’article 1340 du Code civil prévoit que « la simple indication faite par le débiteur d’une personne désignée pour payer à sa place n’emporte ni novation, ni délégation. Il en est de même de la simple indication faite, par le créancier, d’une personne désignée pour recevoir le paiement pour lui. »

L’indication de paiement consiste ainsi pour un débiteur ou un créancier à désigner une tierce personne quant à effectuer le paiement de la dette.

Contrairement à la cession de créance, l’indication de paiement n’opère aucun transfère de créance à la faveur de la personne désignée.

Cette dernière assure simplement le règlement de la dette du débiteur.

L’indication de paiement se rapproche ainsi du mandat de payer qui peut prendre la forme, par exemple, d’une autorisation de prélèvement.

L’indication adressée au créancier ou au débiteur vaut seulement information de ce que la dette sera payée par un tiers désigné.

Elle n’emporte en rien opposabilité, ni novation de l’obligation.

Schéma 4.JPG

==> Cession de créance et subrogation personnelle

  • Définition
    • Contrairement à la cession de créance qui a pour objet un transfert de droits, la subrogation réalise une substitution de personne ou de chose.
    • Lorsqu’elle est personnelle, la subrogation produit certes les mêmes effets que la cession de créance : le créancier subrogé devient titulaire de la même créance que le créancier subrogeant ce qui revient à réaliser un transfert de ladite créance de l’un à l’autre.
    • Toutefois, elle s’en distingue sur un point majeur
      • En matière de subrogation personnelle, le transfert de créance intervient à titre accessoire à un paiement.
      • En matière de cession de créance, le transfert de créance constitue l’objet principal de l’opération.
    • Ainsi, la subrogation consiste-t-elle en un paiement par une personne autre que le débiteur de sa dette qui, du fait de ce paiement, devient titulaire dans la limite de ce qu’il a payé, de la créance et ses accessoires.
    • L’intention des parties est donc ici d’éteindre, par le paiement, un rapport d’obligation.
    • Tel n’est pas le cas en matière de cession de créance : les parties ont seulement pour intention de transférer un rapport d’obligation moyennant le paiement d’un prix.

Schéma 5.JPG

  • Effet de l’opération
    • Particularité de la subrogation personnelle, elle n’opère qu’à concurrence de ce qui a été payé par le subrogé. Et pour cause : elle est une modalité de paiement.
    • Ainsi, la subrogation se distingue-t-elle de la cession de créances qui autorise le cessionnaire à actionner le débiteur en paiement pour le montant nominal de la créance, alors même que le prix de cession aurait été stipulé pour un prix inférieur.
    • Tel est le cas, lorsque le cessionnaire s’engage à garantir le cédant du risque d’insolvabilité du débiteur cédé.
    • L’intérêt de la cession de créance réside, dans cette hypothèse, dans la possibilité pour le cessionnaire d’exiger le montant de la totalité de la créance, indépendamment du prix de cession convenu par les parties.
    • Le subrogé ne peut, quant à lui, recouvrer sa créance que dans la limite de ce qu’il a payé et non au regard du montant nominal de la créance.
  • Consentement
    • À la différence de la cession de créance qui requiert le consentement du créancier cédant, la subrogation peut, tantôt exiger le consentement du débiteur, tantôt l’accord du créancier.
    • Tout dépend du type de subrogation (légale ou conventionnelle).

==> Cession de créance et novation

  • Définition
    • Définie à l’article 1329 du Code civil, la novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée.
    • Elle peut avoir lieu par substitution d’obligation entre les mêmes parties, par changement de débiteur ou par changement de créancier.
    • Contrairement à la cession de créance, la novation n’opère pas de transfert de créance, elle a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le débiteur et le cocontractant du créancier.
    • Ainsi, le nouveau créancier est-il titulaire d’une nouvelle créance qui se distingue de l’ancienne, éteinte, par l’effet de la novation.
    • L’extinction de l’obligation ancienne s’étend à tous ses accessoires.
  • Consentement
    • Tandis que la cession de créance n’exige pas l’accord du débiteur, la novation par changement de créancier requiert son consentement.
    • Celui-ci peut, par avance, accepter que le nouveau créancier soit désigné par le premier.

Schéma 6.JPG

La protection juridique du logiciel créé au sein d’une entreprise

Si, depuis près d’un siècle, le pouvoir de direction de l’employeur n’a, globalement, eu de  cesse de se réduire au profit d’une extension des droits de l’employé, le régime de la protection juridique du logiciel créé au sein de l’entreprise s’est inscrit dans une logique inverse.

Sous la pression des grands industriels de l’informatique outre atlantique la réforme entreprise par la loi du 3 juillet 1985 a sonné le glas pour le salarié informaticien, lequel s’est vu soustrait du « pays des merveilles » [1].

La loi de 1985, qui a été confirmée par la directive du 14 mai 1991, puis reformulée par la loi de transposition du 10 mai 1994, dispose désormais à l’article L 113-9 du CPI, que « sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer ».

Par cette disposition, « le droit d’auteur échappe à son auteur »[2], quittant sa « pureté »[3] pour devenir un droit d’entreprise. Ainsi, le logiciel qui est appréhendé par le droit comme une œuvre, au même titre qu’un tableau de Picasso ou qu’une fresque de Michel Ange, sans hiérarchie de valeur, se voit reléguer au second plan, au mépris du principe d’équivalence.

Pour A. Lucas, « la situation n’est pas saine »[4]. Celle-ci recouvre, néanmoins, tout son sens, à la lumière des impératifs économiques des employeurs pour qui la prohibition des cessions globales d’œuvres futures se concilie mal avec les intérêts supérieurs de l’entreprise[5].

Toutefois, sans cette disposition, l’article L 131-3 du CPI se trouverait vidé de sa substance, puisqu’il est destiné à protéger la partie faible qu’est l’auteur. Le critère économique l’a donc emporté sur le critère juridique, légitimant comme juste la cession automatique des droits du salarié à l’employeur.

Pourtant, Aristote professait en son temps, que « le juste et l’équitable sont la même chose et, quoique tous les deux soient bons, l’équité est néanmoins préférable »[6]. Aussi, eût-il été préférable, pour la cohésion du droit d’auteur et pour le droit en général, de privilégier l’équité, afin que soit évité un retour au temps des privilèges.

Aujourd’hui, l’employeur demeure plus que jamais le « maître » des droits sur le logiciel créé par l’un de ses salariés. Si la loi de 1994 a su effacer les nombreuses incertitudes qui ont pris racine dans loi de 1985, elle en a malgré tout fait naître des nouvelles.

 I) La portée du principe

Principe désormais bien ancré dans le droit spécifique du logiciel, la dévolution automatique des droits d’auteur du salarié à l’employeur induit, d’une part, des effets positifs (1) et, d’autre part, des effets négatifs (2).

 A) Les effets positifs de la dévolution

Les effets positifs entraînés par la dévolution automatique des droits à l’employeur sont au nombre de deux. Le premier concerne le transfert de la titularité des droits (a). Quant au second, il a trait au transfert des droits stricto sensu (b).

  1. Le transfert de la titularité des droits

Aussi bien dans sa version initiale, que dans sa version actuelle, on peut observer l’existence d’une anomalie dans le vocable utilisé par la loi du 10 mai 1994, en ce qu’il est fait référence au concept de dévolution : « sont dévolus à l’employeur ». Or à l’époque médiévale, la dévolution consistait en un passage de droits héréditaires au degré subséquent par renonciation au degré précédent ou à une ligne par extinction.

La notion de dévolution implique nécessairement l’idée de continuité dans le patrimoine du de cujus qui se poursuit à travers celui des héritiers ab in intestat. A l’opposé, une cession évoque l’idée d’un transfert de propriété de droits, d’un patrimoine à un autre.

En recourant à cette terminologie, le législateur laisse entrevoir un paradoxe entre, d’une part, sa volonté de traiter le logiciel différemment des autres œuvres de l’article L 112-1 du CPI et, d’autre part, la difficulté qu’il rencontre à détacher de la personne de son auteur l’œuvre qu’est le logiciel, plaçant alors ce dernier au même niveau que toutes les œuvres protégées par le droit d’auteur.

Cette incohérence se poursuit d’ailleurs lorsque dans les débats parlementaires, il est fait référence à l’idée de cession des droits du salarié à l’employeur. Comment peut-on parler de cession, qui on le rappelle, renvoie à l’idée de transfert de propriété d’un droit, alors que le salarié ne sera jamais en mesure d’en exercer les attributs ?

En témoigne la formulation de la loi de 1985 qui dispose que « le logiciel (…) appartient à l’employeur ». Il s’agit là d’un lapsus révélateur, faisant ressortir l’esprit de la loi. Si le logiciel appartient à l’employeur, alors celui-ci en « est par nature propriétaire » et par conséquent n’a nullement besoin de transmettre des droits qui sont déjà inscrits dans son patrimoine[7].

 C’est pourquoi, sous les vives critiques des commentateurs, le législateur a tenté de rectifier le tir, en reprenant les termes de la directive[8], afin de remplacer le verbe « appartenir », qui provient du langage économique, par le verbe « habilité », lequel appartient quant à lui au langage juridique. Pourtant, même avec cette modification, cela n’a pas eu le résultat escompté.

L’employeur est désormais « seul habilité » à exercer les droits du salarié sur le logiciel, sans que l’on sache[9] s’il les exerce en son nom ou pour le compte de l’auteur.

Il peut être ajouté que « l’employeur est seul habilité à exercer les droits parce qu’ils lui sont dévolus », de sorte que « l’on retourne à la case départ »[10]. L’employeur s’affiche bel et bien comme le propriétaire du logiciel créé dans les conditions de l’article L 113-9 du CPI.

Cette pirouette juridique, qui n’échappera à personne, met ainsi parfaitement en évidence, les tiraillements entre la logique du droit d’auteur, pour qui chaque œuvre se vaut, et la logique économique qui se satisfait peu du formalisme que requiert la cession de droits d’auteur.

 2. Le transfert des droits

Pour ce qui est des droits cédés, la pseudo cession des droits à l’employeur englobe la totalité des droits patrimoniaux, précision qui n’était pas mentionnée dans la loi de 1985.

En effet, dans sa version initiale, il était question de « tous les droits reconnus aux auteurs », ce qui, dans une certaine mesure, laissait planer une incertitude quant à la situation des droits moraux. Fallait-il interpréter cette disposition à la lumière des principes généraux du droit d’auteur, lesquels tendent à considérer le droit moral comme étant inaliénable[11], ou fallait-il interpréter celle-ci à la lumière de l’esprit général de la loi qui tend à considérer le logiciel comme une œuvre de l’esprit marginale ?

Pour la doctrine, seule la première interprétation aurait du être conservée, tant aux vues des travaux préparatoires, qu’au regard de l’article 6 bis de la convention de Berne, qui ne permet, en aucun cas, de priver un auteur de toute prérogative d’ordre morale.

Tel n’a pourtant pas été le chemin emprunté par bon nombre de législations nationales, au premier rang desquelles pouvait-on compter la France, aux cotés du Japon[12] ou de l’Allemagne[13]. Aux termes de ces différentes législations, les droits du salarié sont transférés, sans préalable, directement à l’employeur. La règle devient alors : « au salarié la gloire, à l’employeur l’argent »[14], ce qui n’est pas sans rappeler une certaine époque.

Sans doute, une certaine consolation pourrait-être trouvée dans le fait que seuls les droits patrimoniaux sont dévolus à l’employeur, ce qui implique dans une certaine mesure que le salarié est toujours titulaire des droits moraux, ce qui fait de lui, à titre symbolique, le véritable propriétaire du logiciel, contrairement à ce que l’on aurait pu avancer.

Cependant, peut-on réellement se considérer propriétaire d’une œuvre, au regard de la consistance des droits moraux en matière de logiciel ? Comme nous l’évoquions précédemment, un droit de propriété dont on ne peut exercer les attributs se trouve vidé de sa substance. Or, peut-on raisonnablement admettre que le droit de paternité et le droit de divulgation sont d’une nature telle qu’ils sont à même de donner à leur titulaire la pleine jouissance de la propriété ?

Il semble qu’il faille répondre par la négative à cette interrogation, dont la réponse est une fois de plus guidée par un critère économique.

En outre, il peut être ajouté à la faveur de la cession des droits à l’employeur, que l’article L 113-9 du CPI n’est pas d’ordre public, puisqu’il précise en son alinéa premier qu’il peut y être dérogé dans le contrat de travail par « des dispositions statutaires ou stipulations contraires ».

Ainsi, selon la maxime nocent, non expressa non nocent, ce qui est exprimé peut nuire, mais non ce qui ne l’est pas. On peut en déduire que seules des stipulations plus favorables au salarié pourraient être utilisées afin qu’un retour vers le droit commun soit envisagé.

Cependant, en pratique, il est fort probable que le salarié se trouver dans un état de dépendance économique vis à vis de son employeur. Or, comment dans une telle situation ce dernier pourrait-il négocier d’égale à égale une telle clause, ce d’autant plus s’il s’agit de l’objet même de son contrat de travail ?

Serait-ce un nouveau tour de passe-passe du législateur, ou serait-ce le renouveau de l’autonomie de la volonté dans les contrats informatiques ?

Assurément, il serait téméraire, voire illusoire, de penser à cette exception au droit d’auteur, puisse de quelque manière que ce soit se muer en principe[15]. Dans pareil cas, cela aurait au moins le mérite de ne pas être l’un des nombreux effets négatifs de la dévolution des droits à l’employeur.

B) Les effets négatifs de la dévolution

Michel-Ange confessa un jour de ses œuvres, que « si les gens savaient à quel point j’ai travaillé pour développer ce talent, ils ne s’étonneraient plus de rien »[16]. Cette modeste pensée corrobore pleinement les dires de Le Pelletier en son temps, pour qui « c’est le travail qui fait naître le prodigue et non le prodigue qui fait naître le chef-d’œuvre dont il en est résulté ».

Ainsi, le fruit de la pensée ne tombe-t-il jamais d’un arbre sans avoir préalablement été mûri par l’esprit et mis en forme par le génie. Comme tout labeur, une œuvre ne peut prendre vie que par l’existence « d’un effort intellectuel »[17], qui, à ce titre, mérite une juste et proportionnelle rémunération.

C’est d’ailleurs ce qui a formellement été consacré et élevé au rang de principe général dans le Code de la propriété intellectuelle, dont le siège réside à l’article L 131-4[18].

Tel n’a pourtant pas été le cas pour les logiciels créés sous l’égide d’un employeur. Ils se voient dénier une fois de plus le bénéfice du principe d’équivalence.

S’il est indéniable que tout analyste-programmeur qu’il se doit parlerait en des termes poétiques de son code source, il n’en demeure pas moins que l’article L 113-9 du CPI ne prévoit aucune rémunération spécifique quant à la création de celui-ci.

Quand bien même le code source serait écrit en alexandrin, il ne bénéficierait en aucune façon des dispositions générales du code de la propriété intellectuelle ayant trait à la rémunération des auteurs, sauf à en disposer autrement contractuellement entre les parties. Serait-ce un oubli de la part du législateur, ou serait-ce un reversement du principe ?

Indéniablement, l’esprit de l’article L 113-9 du CPI nous guide vers la seconde solution, laquelle trouva d’ailleurs application dans un arrêt du 26 septembre 1997 par la Cour d’Appel de Lyon[19].

Sans doute, serait-il permis de penser, compte tenu de la logique du droit d’auteur, et, plus généralement, de la théorie générale du contrat (car nous sommes dans une cession nous dit le législateur), que la cause du transfert des droits patrimoniaux sur le logiciel à l’employeur, réside dans une rémunération spécifique versée à son auteur, qui en l’occurrence est le salarié.

En effet, la cause de l’obligation d’une partie est l’objet de l’obligation de l’autre [20], sans quoi le contrat est nul[21]. Se pose ainsi la question de savoir quelle est la cause du transfert de propriété dans la cession prévue à l’article L 113-9 du CPI.

En toute logique la cause de cette obligation devrait résider dans le salaire versé au titre du contrat de travail du salarié. Cet argument a pourtant été réfuté par la jurisprudence[22].

Celle-ci considère pour le reste, qu’en vertu de l’article L 111-1 alinéa 3 du CPI, l’existence d’un tel contrat, ne saurait emporter le transfert des droits d’auteur du salarié. En réalité, l’article L 113-9 du CPI nie toute contrepartie au salarié, son salaire ayant pour cause l’exécution de son travail et non de la cession de ses droits en tant qu’auteur.

Toutefois, en vertu de l’adage juridique « Specialia generalibus derogant, non generalia specialibus », seule cette disposition a vocation à s’appliquer en matière de logiciel, exhortant par la même toute incertitude, quant à la validité d’une telle cession.

Le second effet négatif de la dévolution des droits sur le logiciel à l’employeur, trouve sa source dans l’inaliénabilité du droit moral de l’auteur[23], lequel, en matière de logiciel, est quelque peu mis à mal. Effectivement, l’article L 121-7 du CPI restreint considérablement le droit moral de l’auteur du logiciel au droit de divulgation et au droit de paternité qui, s’ils ne sauraient être aliénés à l’employeur (bien qu’une incertitude pesait lors de la loi de 1985), ne permettent, en aucun cas, à son titulaire de jouir pleinement de sa propriété.

Aussi, quand bien même il est précisé, que seuls « les droits patrimoniaux » peuvent faire l’objet d’une cession, en réalité ces derniers constituent la quasi-totalité des droits sur le logiciel. De manière générale, le mécanisme juridique de cession des droits à l’employeur conforte bel et bien la tendance actuelle selon laquelle la propriété intellectuelle tend à se métamorphoser en un droit de l’entreprise.

Ab initio la propriété intellectuelle était destinée à protéger, tant les auteurs, que leurs œuvres en leur reconnaissant un statut juridique. Aujourd’hui, on a le sentiment que celle-ci passe d’un droit d’auteur à un droit du promoteur. On ne cherche plus à protéger l’auteur en tant que tel, mais un investissement financier.

En témoigne l’agencement du Code de la propriété intellectuelle dont la première partie qui a trait au droit d’auteur est grignotée petit à petit par la seconde, consacrée à la propriété industrielle et qui contient désormais plus des deux tiers des dispositions[24].

Cette métamorphose rejaillit directement sur les conditions de forme de la cession des droits dont jouit le salariée sur sa création.

 II) Le contenu du principe

Le principe de dévolution automatique des droits du salarié à l’employeur est soumis et encadré dans la loi par des conditions très restrictives, tant sur le fond (A) que sur la forme (B).

A) Les conditions de fond

La doctrine a dégagé deux conditions principales quant à l’application de l’article L 113-9 du CPI. La première a trait à la qualité de l’auteur du logiciel (1), la seconde à l’exercice de ses fonctions (2).

1. Un logiciel créé par un employé

La loi prévoit que le logiciel doit être développé « par un ou plusieurs employés »[25], ce qui, dès lors, suppose de s’interroger sur la notion d’employé. A l’origine, la proposition sénatoriale[26] ne visait que les logiciels créés dans le cadre d’un contrat de travail. Cela explique la terminologie utilisée qui n’est absolument pas le fruit du hasard.

Quand bien même les termes de « salarié » et d’« employé » sont considérés comme des synonymes[27], il n’en demeure pas moins, selon Monsieur Cottereau[28], que le second est destiné à étendre le champ d’application de l’article L 113-9 du CPI. En effet, « si un salarié est nécessairement employé, l’inverse n’est pas vrai ».

En ce sens, on peut rappeler le principe selon lequel, le contrat de travail se caractérise par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné »[29], en contrepartie d’une rémunération.

Dès lors, la détermination de l’employeur s’opère conformément aux règles du droit social, ce qui, dans une certaine mesure, permettrait, comme le souligne Monsieur Lucas, d’englober les œuvres de commande dans la catégorie des créations salariées. De la sorte, pourrait être évité le prêt de main-d’œuvre illicite qui n’est pas étranger au domaine de l’informatique[30].

Enfin, on peut ajouter que le dispositif légal prévu par le Code de la propriété intellectuelle n’a vocation à s’appliquer que si l’auteur du logiciel a la qualité d’employé au moment de la création[31]. Qui plus est, le salarié doit oeuvrer dans l’exercice de ses fonctions, soit sous les instructions de son employeur.

2. Création dans l’exercice des fonctions ou d’après les instructions de l’employeur

Inséré par la loi du 10 mai 1994, l’article L113-9 alinéa 1er  du CPI n’est applicable désormais, qu’aux logiciels développés dans «l’exercice des fonctions » d’un employé ou selon « les instructions de son employeur ».

Dans sa première rédaction, la loi du 3 juillet 1985 ne mentionnait pas la précision selon laquelle le logiciel devait être élaboré « d’après les instructions de l’employeur ». Seul était exigée la condition tenant à la réalisation du logiciel « dans l’exercice des fonctions » du salarié. Or, de ces deux expressions, résulte le fondement de la distinction en droit des brevets, entre les inventions dites « de mission » attribuable à l’employeur, les inventions dites « hors mission » attribuable à l’employé et les inventions dites « hors mission » non attribuables au salarié, ce qui, en pratique, permet de couvrir tous les cas.

En matière de logiciel, le choix offert par le législateur est restreint à deux branches. Soit, le salarié se trouve dans l’exercice de ses fonctions, auquel cas ses droits seront dévolus à l’employeur, soit il ne l’est pas et restera propriétaire des droits sur sa création. Cela n’est pas sans occasionner quelques difficultés.

En effet, on pourrait se demander si un logiciel créé avec le matériel de l’entreprise par un salarié, sans aucun rapport avec la nature de ses fonctions, serait dévolu à son employeur, comme cela l’est rendu possible en matière de propriété industrielle.

Aussi, cela revient-il à se demander si la distinction connue du droit des brevets est compatible avec les dispositions de l’article 2.3 de la directive de 1991, transposées dans l’article L 113-9 du CPI . La réponse fut formellement énoncée lors des débats parlementaires où il n’a jamais été question d’appliquer le régime du droit des brevets au droit des logiciels et ce à la grande déception de M. Vivant qui a fait valoir à juste titre que la formulation était « bien frustre et bien pauvre » comparée à celle de l’article L 611-7 du CPI.

Il convient donc de se tourner vers une interprétation exégétique du texte afin d’en saisir la teneur. Pour M. Cottereau, l’exercice des fonctions se définit, comme « toute création exécutée sur son lieu et pendant son temps de travail, même si elle est sans rapport avec la nature de sa prestation contractuelle de travail ; en dehors de son lieu et de son temps de travail, dès l’instant où elle n’a pu être réalisée qu’avec les moyens informatiques appartenant à l’entreprise »[32].

Autrement dit, il résulte de cette définition, que l’expression « dans l’exercice des fonctions » conduit à attribuer à l’employeur les droits sur un logiciel créé par un salarié, dès lors que celui-ci a été élaboré avec les moyens de l’entreprise. C’est une approche extensive de la loi qui a d’ailleurs déjà été adoptée par la Cour d’Appel de Nancy. Les juges du fond ont considéré que le logiciel « transcrit » à l’aide du matériel de l’employeur devient la propriété de celui-ci comme ayant été élaboré avec le concours de ce dernier[33].

Une large portée a donc été donnée par la loi à l’exécution des fonctions du salarié, portée qui se trouve étendue par la seconde alternative. De l’expression des « instructions de l’employeur », il se peut, selon le rapporteur de l’assemblée nationale, que l’ajout de ce vocable permet de « couvrir le cas d’un salarié qui, sans exercer la fonction d’informaticien, participe à la réalisation d’un logiciel, par exemple un comptable participant à la réalisation d’un programme de comptabilité »[34].

Toutefois, est-il raisonnable d’attribuer à un comptable la qualité d’auteur d’un code source ? Le fait pour un mannequin de poser pour un tableau justifie t-il pour autant que lui soit attribué la qualité de coauteur au même titre que le peintre ?

Véritablement, il semble que la réponse donnée par le législateur est bien moins guidée par le droit d’auteur, que par le droit des brevets.

Cette terminologie nous rapproche finalement de l’article L 611-7.2 du CPI, qui dispose que l’invention réalisée par un salarié résultant « d’études et de recherches », sera explicitement confiée à l’employeur. L’esprit de la loi fait ainsi preuve d’un grand impérialisme en tentant d’appréhender l’ensemble des créations qui sont liées directement ou indirectement à l’activité de l’entreprise de sorte que son champ d’application en devient très étendu. La jurisprudence n’a d’ailleurs pas hésité dans certaines décisions à y voir une présomption générale de cession des droits à l’employeur[35].

Cependant, des limites à une telle présomption s’avèrent exister dans les conditions de forme qui découlent de l’article L 113-9 du CPI.

 2. Les conditions de forme

L’employeur étant automatiquement investi des droits patrimoniaux de son salarié sur son œuvre, force est de constater que le formalisme imposée en droit commun par l’article L. 131-3 du CPI est inopérant en matière de logiciel. Seul le contrat de travail suffit à faire présumer la cession automatique des droits, sous réserve du respect des dispositions imposées par l’article L 113-9 du CPI.

[1] M.Vivant, « Le logiciel au Pays des Merveilles », JCP, 1984, éd. G., I, 3169.

[2] M. Vivant et C. Le Stanc, Lamy. Droit de l’informatique et des réseaux, 2005, n°179.

[3] Ibid.

[4] A. Lucas, Propriété littéraire et artistique, Dalloz, Connaissance du droit 2e éd.

[5] Article L 131-1 du CPI.

[6] Aristote, Morale à Nicomaque, Ive siècle avant Jésus-Christ, traduction Barthélémy-Saint-Hilaire, Ladrange, 1856, tome II, livre V.

[7] Cottereau, « Le logiciel d’employé », Semaine sociale Lamy 1987, n°343.

[8] Directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur.

[9] Rapport de M. Jérôme Bignon, au nom de la commission des lois, no 724.

[10] M. Vivant., « Logiciel 94 : Tout un programme ? », JCP éd. G 1994, I, n°3792, n°10.

[11] Article L 121-1 du CPI.

[12] Loi du 14 juin 1985.

[13] Loi du 24 juin 1985.

[14] M. Vivant, Le logiciel au Pays des Merveilles, JCP, 1984, éd. G., I, 3169.

[15]Cottereau, « Le logiciel d’employé », Semaine sociale Lamy 1987, n°343.

[16] Michelangelo Buaonarroti 1475-1584.

[17] Cass. Ass. Plén., 7 mars 1986 : JCP G 1986, II, 20631, note Mousseron, Teyssié et Vivant ; D. 1986, p. 405, note Edelman ; RIDA 3/1986, p. 136.

[18] Article L131-4 du CPI : « La cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre peut être totale ou partielle. Elle doit comporter au profit de l’auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation (…) ».

[19] CA Lyon 26 septembre 1997, JCP éd. E 1999, p909, n°3, obs. Vivant et Le Stanc, Juris-data, n°056028.

[20] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil , les obligations, Dalloz, 2001, n°313.

[21] Article 1131 du code civil.

[22] Civ. 1re 16 décembre. 1992, RIDA, avril. 1993. 193, note P. Sirinelli.

[23] Article L 121-1 alinéa 3 : « Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible ».

[24] Cour de Monsieur le Professeur P-Y Gautier.

[25] Article L 113-9 du CPI.

[26] Projet de loi modifié par le Sénat, Rapport A.N., n°2597, procès-verbal du 9 avril 1985, art. 38 quiquies.

[27] TGI Versailles, 1re ch.,19 novembre. 1991, Expertises, 1992, p. 188, confirmé par la CA Versailles, 14e ch, 15 juin 1992, Expertises, 1992, p. 350.

[28] Ibid.

[29] Soc, 16 novembre 1996, affaire Société Générale,. Dr. Soc. 1996. 1067, note J.-J. Dupeyroux ; JCP 1997, éd. E, II. 911, note Barthélémy.

[30] L’article L. 125-1 du Code du travail dispose que « Toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail, ou “marchandage”, est interdite. 

Les associations d’ouvriers qui n’ont pas pour objet l’exploitation des ouvriers les uns par les autres ne sont pas considérées comme marchandage ».

[31] CA Paris, 13e Ch., 20 décembre. 1991, Expertises, 1998, p. 197, obs. Lucas.

[32] Cottereau, « Le logiciel d’employé », Semaine sociale Lamy 1987, n°343.

[33] CA Nancy, 1er ch., 13 septembre 1994, JCP éd E 1996 ; I n°559, n°2, obs. Vivant et Le stanc.

[34] Rapport Bignon, JO rapp. AN, n°724, p 18.

[35] CA Versailles, 1er ch., 8 octobre 1990, Juris-Data,, n°049184 ; CA Lyon, 3e ch., 26 septembre 1997 JCP, E, 1999, p 909, n°3, obs Vivant et Le Stanc.