La notion d’implication dans la loi du 5 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des accidents de la circulation

Si la loi du 5 juillet 1985 devait être résumée en un seul mot, c’est sans aucun doute celui d’implication qu’il conviendrait de choisir.

La notion d’implication est l’élément central du système d’indemnisation mis en place par la loi Badinter à la faveur des victimes d’accidents de la circulation.

Sont débiteurs de l’obligation d’indemnisation les conducteurs ou gardiens d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par implication.

1. Notion d’implication

Dans un arrêt du 18 mai 2000, la Cour de cassation considère qu’il y a implication dès lors qu’un véhicule terrestre à moteur que « est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident » (Cass. 2e civ. 18 mai 2000, n°98-10.190).

Deux enseignements peuvent immédiatement être retirés de cette définition :

  • L’exigence d’un rapport d’imputation entre le VTM et le dommage
    • L’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 n’exige pas que le VTM soit impliqué dans le dommage.
    • Le VTM doit, en effet, être seulement impliqué dans l’accident
    • Il ne s’agit donc pas de savoir si le VTM A a causé un dommage à la victime B, mais uniquement de constater que :
      • Le VTM A est impliqué dans un accident de la circulation
      • La victime B souffre d’un dommage résultant de l’accident de la circulation dans lequel est impliqué le VTM A
    • Ainsi, l’accident fait-il écran entre le VTM et le dommage, ce qui signifie qu’il appartiendra à la victime d’établir que le dommage peut être rattaché à l’accident.
  • L’exigence d’un rapport d’éventualité entre le VTM et l’accident de la circulation
    • L’examen de la jurisprudence révèle que la notion d’implication est plus large que la notion de causalité, en ce sens que la loi n’exige pas l’établissement d’un rapport causal entre le VTM et l’accident pour que la condition d’implication soit remplie.
    • Deux théories se sont opposées quant à l’intensité du rattachement que suppose la notion d’implication :
      • Rapport de nécessité : il faut que le véhicule ait été nécessaire à la production de l’accident.
        • L’exigence d’implication se rapprocherait alors de la théorie de l’équivalent des conditions.
        • Selon cette théorie, tous les faits qui ont concouru à la production du dommage doivent être retenus, de manière équivalente, comme les causes juridiques dudit dommage, sans qu’il y ait lieu de les distinguer, ni de les hiérarchiser.
      • Rapport d’éventualité : il suffit que le véhicule ait pu jouer un rôle dans la survenance de l’accident.
        • L’exigence d’implication se rapprocherait alors d’une causalité hypothétique.
        • En d’autres termes, cela reviendrait à admettre que l’on puisse rechercher la responsabilité de l’auteur d’un dommage, sans que soit établi le rapport causal entre le VTM et l’accident.

2. L’appréciation de la notion d’implication par la jurisprudence

L’examen de la jurisprudence révèle que la notion d’implication est appréciée différemment selon qu’il a eu implication du VTM par contact matériel ou non dans l’accident.

Deux situations doivent être distinguées :

?En présence d’une implication du VTM dans l’accident par contact matériel

  • Première étape : critère du rôle perturbateur
    • Dans trois arrêts du 21 juillet 1986 la Cour de cassation a d’abord estimé que dès lors qu’il y a eu contact et que le VTM a joué un rôle perturbateur il est impliqué dans l’accident, peu importe qu’il ait été en mouvement, à l’arrêt, ou en stationnement.
      • Les faits :
        • Un piéton est contraint de traverser en dehors du passage protégé en raison de la présence d’un autobus qui était en stationnement sur ledit passage qu’il obstruait totalement.
        • Il est heurté par un cyclomoteur.
        • Une action est engagée contre a compagnie d’autobus sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985.
    • Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation estime que « le véhicule de la R.A.T.V.M., dans les conditions où il stationnait, avait perturbé la circulation de Mme De Bono et s’était ainsi trouvé également impliqué dans l’accident » (Cass. 2e civ., 21 juill. 1986, n°84-10.393).
    • Le critère du rôle perturbateur a fait l’objet de nombreuses critiques, certains auteurs reprochant à la Cour de cassation d’avoir restreint le champ d’application de la loi du 5 juillet 1985.
    • La solution retenue par la Cour de cassation revenait, en effet, à envisager qu’un VTM puisse ne pas être impliqué dans l’accident dès lors qu’il n’avait pas joué de rôle perturbateur, alors même qu’un contact matériel était établi.
  • Deuxième étape : le critère du contact matériel
    • Dans un arrêt du 23 mars 1994 la Cour de cassation abandonne le critère du rôle perturbateur à la faveur du critère du contact matériel
      • Les faits
        • Un cyclomoteur a heurté à l’arrière la camionnette arrêtée momentanément pour une livraison, à cheval sur la chaussée et l’accotement.
        • Blessée, la victime engage la responsabilité du conducteur de la camionnette sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985.
    • La haute juridiction affirme en ce sens que « le fait qu’un véhicule terrestre à moteur soit en stationnement sans perturber la circulation n’exclut pas son implication dans un accident, au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 » (Cass. 2e civ., 23 mars 1994, n°92-14.296).
    • Il résulte de cet arrêt que le seul contact matériel suffit à établir l’implication du VTM dans l’accident.
  • Troisième étape : l’instauration d’une présomption irréfragable
    • Dans un arrêt du 25 janvier 1995, la Cour de cassation instaure une présomption irréfragable d’implication du VTM dans l’accident dès lors qu’il y a eu contact matériel
      • Les faits
        • Un mineur qui circulait à bicyclette sur l’accotement bitumé d’une route à grande circulation, a heurté la ridelle arrière gauche d’un camion tombé en panne
        • Il est mortellement blessé.
      • Procédure
        • Par un arrêt du 15 mai 1992, la Cour d’appel de Colmar déboute les ayants droit de la victime de leur demande
        • Les juges du fond estiment que dans la mesure où le camion était régulièrement stationné, il n’a pas pu entraîner de perturbation dans la circulation du cycliste, de sorte qu’il n’était pas impliqué dan l’accident.
    • La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel. Pour justifier sa solution, elle affirme « qu’est nécessairement impliqué dans l’accident, au sens de ce texte, tout véhicule terrestre à moteur qui a été heurté, qu’il soit à l’arrêt ou en mouvement » (Cass. 2e civ. 25 janv. 1995, n°92-17.164).

Cass. 2e civ., 25 janv. 1995

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;

Attendu qu’est nécessairement impliqué dans l’accident, au sens de ce texte, tout véhicule terrestre à moteur qui a été heurté, qu’il soit à l’arrêt ou en mouvement ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par temps de pluie, le mineur Frédéric X…, qui circulait à bicyclette sur l’accotement bitumé d’une route à grande circulation, a heurté la ridelle arrière gauche d’un camion de la société DSB Poussier tombé en panne ; que, le cycliste ayant été mortellement blessé, ses parents ont demandé à M. Y…, à son employeur et à l’assureur, la Société d’assurance moderne des agriculteurs (SAMDA), la réparation de leur dommage ;

Attendu que, pour débouter les époux X… de leurs demandes, l’arrêt retient que le stationnement du camion sur l’accotement bitumé était régulier, que les conditions de ce stationnement n’ont pu entraîner une perturbation dans la circulation du cycliste et que, dès lors, le camion n’était pas impliqué dans l’accident ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 mai 1992, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz.

    • De toute évidence, l’évolution jurisprudentielle de l’appréciation de la notion d’implication constitue une rupture avec la causalité telle qu’elle est comprise dans le cadre de la responsabilité du fait des choses.
    • Lorsque la responsabilité de l’auteur d’un dommage est recherchée sur le fondement de l’article 1242, al. 1er, cela suppose pour la victime d’établir le rôle actif de la chose dans la production du dommage.
    • Lorsqu’il y a eu contact entre la chose et le siège du dommage, deux situations doivent être distinguées :
      • Si contact + chose en mouvement alors présomption de rôle actif
      • Si contact + chose inerte alors rôle actif si anormalité établie
    • En matière de responsabilité du fait des choses, lorsqu’il y a eu contact, le gardien est susceptible de s’exonérer de sa responsabilité en démontrant que la chose n’a pas joué un rôle actif dans la production du dommage.
    • Sous l’empire de la loi du 5 juillet 1985, cette possibilité n’est pas offerte au conducteur ou gardien du véhicule : « est nécessairement impliqué dans l’accident, au sens de ce texte, tout véhicule terrestre à moteur qui a été heurté, qu’il soit à l’arrêt ou en mouvement ».
    • Deux conséquences peuvent être tirées de cette règle posée par la Cour de cassation :
      • Dès lors qu’il y a eu contact, le véhicule est impliqué dans l’accident, peu importe qu’il ait été en mouvement, à l’arrêt ou en stationnement
        • Tout contact signifie donc implication.
      • Le conducteur ou gardien du véhicule ne peut pas combattre la présomption d’implication en rapportant la preuve contraire.
        • Dans l’arrêt du 25 janvier 1995, la Cour de cassation emploie l’adverbe « nécessairement », ce qui signifie qu’il s’agit là d’une présomption irréfragable.

?En présence d’une implication du VTM dans l’accident sans contact matériel

Il ressort de la jurisprudence que l’implication n’exige pas nécessairement l’établissement d’un contact au moment de l’accident, peu importe que le véhicule ait été ou non en mouvement.

La Cour de cassation considère en ce sens qu’il y a implication dès lors qu’un véhicule terrestre à moteur « est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident » (Cass. 2e civ. 18 mai 2000, n°98-10.190).

Dès lors, l’absence de contact ne postule pas l’absence d’implication. Il suffit que le véhicule soit intervenu « à quelque titre que ce soit » pour être impliqué dans l’accident.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si, pour établir l’implication du VTM, il appartiendra à la victime de démontrer le rôle perturbateur de ce dernier où si cette circonstance est indifférente.

  • Première étape : l’exigence du rôle perturbateur
    • Comme dans l’hypothèse où il y a eu contact, la jurisprudence a d’abord exigé de la victime qu’elle démontre que le VTM a pu constituer une gêne susceptible d’avoir joué en rôle dans la survenance de l’accident.
    • Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle estimé qu’il y avait implication :
    • Dans tous ces cas de figure, la haute juridiction a considéré que le véhicule impliqué avait joué un rôle perturbateur, de sorte qu’il n’était pas étranger à la survenance de l’accident.
    • À la vérité, l’exigence du rôle perturbateur quant à l’établissement du VTM dans l’accident rappelle très étrangement la condition de rôle actif exigée en matière de responsabilité du fait des choses.
  • Seconde étape : abandon du critère du rôle perturbateur
    • Dans un arrêt du 4 juillet 2007, la Cour de cassation semble avoir abandonné l’exigence du rôle perturbateur quant à établir l’implication du VTM dans l’accident (Cass. 2e civ., 4 juill. 2007, n°06-14.484).

Cass. 2e civ., 4 juill. 2007

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, le 17 février 1999, circulant de nuit, le véhicule de police de marque Renault conduit par M. X…, gardien de la paix, a engagé derrière un véhicule volé de marque Subaru une poursuite au cours de laquelle il a heurté le muret d’une autoroute et s’est retourné ; que M. X… a été blessé, tandis que des deux passagers gardiens de la paix, l’un, Jean Y…, a été tué, l’autre, Benoît Z…, a été blessé et est décédé le 27 mars 2002 des suites de ses blessures ; que la société MACIF, assureur du véhicule poursuivi, ayant refusé la garantie de l’indemnisation des dommages, Mme A…, veuve Z…, en son nom personnel et en qualité d’administratrice légale des biens de son fils mineur Francis Z…, Mme Annie B…, épouse Z… et Mme Cécile Z…, mère et soeur du défunt (les consorts Z…), ont assigné l’agent judiciaire du Trésor public (l’AJT) et la Société mutualiste du personnel de la police nationale (la SMPPN) en réparation de leurs préjudices ; que l’AJT a assigné la MACIF en garantie ; que les instances ont été jointes ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la MACIF fait grief à l’arrêt d’avoir jugé que le véhicule assuré par la MACIF était impliqué dans l’accident de la circulation ayant causé des blessures et le décès de Benoît Z…, alors, selon le moyen, que l’implication d’un véhicule dans un accident de la circulation suppose qu’il ait objectivement eu une influence sur le comportement de la victime ou du conducteur d’un autre véhicule, qu’il l’ait heurté, gêné ou surpris ; qu’il ne suffit pas que le conducteur d’un véhicule ait eu l’intention d’en poursuivre ou d’en rejoindre un autre pour que ce dernier véhicule puisse être déclaré impliqué dans l’accident dans lequel est impliqué le premier véhicule ; qu’en se fondant sur la seule circonstance que “c’est dans le cadre d’une course-poursuite du véhicule des malfaiteurs que le policier a perdu le contrôle du véhicule de service” pour déclarer que le véhicule Subaru était impliqué dans l’accident du véhicule de police, sans constater l’existence d’une manoeuvre perturbatrice imputable à son conducteur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;

Mais attendu que l’arrêt retient exactement qu’est impliqué au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, tout véhicule qui est intervenu à un titre quelconque dans la survenance de l’accident et qu’en l’espèce, la MACIF ne saurait valablement contester l’implication du véhicule Subaru, dès lors que, malgré l’absence de contact, l’accident s’est produit durant la poursuite du véhicule des malfaiteurs ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé

Faits

  • Un véhicule de police a engagé derrière un véhicule volé une poursuite au cours de laquelle il a heurté le muret d’une autoroute et s’est retourné
  • Un gardien de la paix est tué

Procédure

Par un arrêt du 9 mars 2006 la cour d’appel de Lyon retient la responsabilité du conducteur du véhicule poursuivi au motif qu’il était impliqué dans l’accident.

Moyen

  • L’auteur du pourvoi reproche notamment à l’arrêt rendu par les juges du fond d’avoir fait droit à la demande de la victime alors que « l’implication d’un véhicule dans un accident de la circulation suppose qu’il ait objectivement eu une influence sur le comportement de la victime ou du conducteur d’un autre véhicule, qu’il l’ait heurté, gêné ou surpris ».

Solution

La Cour de cassation de cassation rejette le pourvoi formé par le défendeur considérant que « est impliqué au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, tout véhicule qui est intervenu à un titre quelconque dans la survenance de l’accident ».

Manifestement, il apparaît que la formule utilisée ici par la Cour de cassation rappelle étrangement la motivation adoptée dans les arrêts précédents.

Pour mémoire, dans l’arrêt du 18 mai 2000, elle considère qu’il y a implication dès lors qu’un véhicule terrestre à moteur « est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident » (Cass. 2e civ. 18 mai 2000, n°98-10.190).

Bien que les deux solutions retenues dans les deux arrêts semblent similaires, celle adoptée dans le présent arrêt se démarque de la jurisprudence antérieure dans la mesure où le véhicule impliqué dans l’accident n’avait joué, en l’espèce, aucun rôle perturbateur. Et pour cause, il ne poursuivait aucunement la victime au moment de la survenance du dommage : il était tout au contraire poursuivi par cette dernière.

Aussi, plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • L’abandon du critère du rôle perturbateur
    • En abandonnant le critère du rôle perturbateur, la Cour de cassation n’exige plus que le véhicule ait joué un rôle actif dans la survenance de l’accident.
    • Il en résulte que, même en l’absence de contact, le non-établissement du rôle perturbateur du véhicule ne fait pas obstacle à son implication dans l’accident.
  • L’abandon de l’exigence d’une causalité certaine
    • Avec cette décision, la Cour de cassation achève la rupture déjà consommée avec l’exigence de causalité, en ce sens qu’il n’est plus nécessaire que soit établi un rapport causal entre le VTM et l’accident.
    • Il suffit que le VTM ait pu jouer un rôle dans la survenance de l’accident pour que la condition tenant à l’implication soit remplie
    • Autrement dit, pour savoir si le VTM est impliqué, cela suppose simplement de se demander si, sans la présence du véhicule, l’accident serait ou non survenu sans pour autant que ce véhicule ait eu un rôle perturbateur.
    • Ainsi, dans l’arrêt en l’espèce, le raisonnement tenu par la Cour de cassation est le suivant :
      • si les voleurs n’avaient ne s’étaient pas enfuis, les policiers ne l’auraient pas poursuivi
      • Dès lors, l’accident ne serait pas survenu
      • Le VTM des voleurs est donc bien intervenu à un titre quelconque dans la survenance de l’accident
    • De toute évidence, il n’est pas certain, en l’espèce, que l’existence du véhicule poursuivi ait et la moindre incidence sur la réalisation de l’accident.
    • Pour autant, la haute juridiction estime qu’il a pu jouer un rôle, ce qui suffit à établir son implication.
    • La Cour de cassation raisonne ici en termes de causalité hypothétique, ce qui constitue une véritable rupture avec le droit commun de la responsabilité.
    • La deuxième chambre civile a néanmoins précisé dans un arrêt du 13 décembre 2012 que « la seule présence d’un véhicule sur les lieux d’un accident de la circulation ne suffit pas à caractériser son implication au sens » de la loi du 5 juillet 1985 (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n°11-19.696).
    • Il échoit donc à la victime d’établir que le VTM a pu jouer un rôle, même hypothétique, dans la réalisation du fait dommageable.

Cass. 2e civ., 13 déc. 2012

Vu l’article 1er de la loi n° 85 – 677 du 5 juillet 1985;

Attendu que la seule présence d’un véhicule sur les lieux d’un accident de la circulation ne suffit pas à caractériser son implication au sens du texte susvisé;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que le véhicule conduit par M. C…, non assuré, a, au cours d’une manoeuvre de dépassement, successivement percuté la motocyclette pilotée par M. D…, le véhicule de M. E… et celui conduit par Franck Y…, circulant tous en sens inverse ; que ce dernier et son fils Francis Y… sont décédés, tandis que leur épouse et mère, Mme X…, a été blessée dans l’accident ; que Mme X… veuve Y…, en son nom et en sa qualité de représentante légale de son fils mineur Fabien, ainsi que Mme Reinette, F… veuve Y…, M. Charles, Denis Y…, Mme Muriel Y… épouse G…, Mme Marie-Paule, F… épouse A… et M. Max, Léandre, F… (les consorts Y…), ont assigné en indemnisation de leurs préjudices la société L’Equité assurances, assureur du véhicule de Franck Y… ; qu’ont été appelés en la cause le GFA Caraïbes, assureur du véhicule de M. D…, la Mutuelle des Provinces de France, (MPF), assureur du véhicule de M. E…, ainsi que la Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF), assureur du véhicule de M. H… circulant dans la file de véhicules dépassée par celui de M. I… ; que la société Areas dommages, venant aux droits de la société MPF, est intervenue volontairement à l’instance ;

Attendu que, pour dire impliqué dans l’accident le véhicule conduit par M. H…, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, qu’il se déduit du courrier adressé par M. H… à son assureur qu’il suivait une file de voitures quand il a été dépassé par le véhicule de M. I…, qui a heurté de plein fouet un véhicule circulant en sens inverse ; que le choc a projeté du liquide corrosif sur le capot et la calandre de la voiture de M. H… ; qu’il était donc dans la file des véhicules concernés par la manoeuvre de dépassement ; qu’ainsi M. H… a été directement victime d’un dommage matériel immédiatement consécutif aux collisions successives intervenues dans un même laps de temps entre les véhicules impliqués ; que dès lors, victime de cet accident, M. H… est nécessairement impliqué au sens des dispositions de la loi du 5 juillet 1985 ;

Qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’implication de ce véhicule, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen :

CASSE ET ANNULE

Loi Badinter du 5 juillet 1985: la responsabilité du fait des accidents de la circulation

C’est essentiellement à propos des accidents de la circulation que s’est développée la jurisprudence relative à la reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses.

?Dans un premier temps, la Cour de cassation s’est montrée plutôt hostile à l’application de l’article 1384, al. 1er aux accidents de la circulation, considérant que la voiture est une chose actionnée par la main du conducteur, de sorte que le dommage est dû, en réalité, au seul fait de l’homme. Elle en déduit alors que la responsabilité du conducteur ne peut être recherchée que le fondement de l’article 1382, ce qui suppose, pour la victime, de rapporter la preuve d’une faute (Req., 22 mars 1911).

?Dans un second temps, la Cour de cassation admet l’application du principe général de responsabilité du fait des choses aux accidents de la circulation, estimant qu’il n’y avait pas lieu de distinguer selon que la chose est actionnée ou non par la main de l’homme, ou selon qu’elle est ou non dangereuse (Civ., 21 févr. 1927).

L’indemnisation de la victime ne s’en trouvait pas moins subordonnée à la satisfaction des conditions d’application :

  • Soit de l’article 1382
    • Il appartenait donc à la victime d’établir l’existence d’une faute du conducteur, soit, concrètement, la violation d’une règle du Code de la route
  • Soit de l’article 1384, al. 1er
    • Pour être indemnisée la victime devait démontrer le rôle actif du véhicule dans la production de son dommage, ce qui supposait de distinguer deux situations :
      • Dans l’hypothèse où le véhicule était en mouvement et était entré en contact avec le siège du dommage, la victime bénéficiait d’une présomption de rôle actif
      • Dans l’hypothèse où le véhicule était inerte au moment de la survenance du dommage, c’est alors à la victime qu’il revenait d’établir le rôle actif du véhicule
        • Il lui fallait, autrement dit, démontrer, que le véhicule se trouvait dans une position anormale

En tout état de cause, quel que soit le fondement sur lequel la victime agissait, le conducteur du véhicule pouvait s’exonérer de sa responsabilité en établissant la survenance d’une cause étrangère telle que la faute de la victime, quand bien même elle n’était ni irrésistible, ni imprévisible.

Dans un arrêt du 19 juin 1981, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « celui dont la faute a causé un dommage, même si cette faute a constitué une infraction pénale, est déchargé en partie de la responsabilité mise à sa charge s’il prouve qu’une faute de la victime a concouru à la production du dommage » (Cass. ass. plén. 19 juin 1981, n°78-91.827).

Cass., ass. plén., 19 juin 1981

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1382 du Code civil,

Attendu que celui dont la faute a causé un dommage, même si cette faute a constitué une infraction pénale, est déchargé en partie de la responsabilité mise à sa charge s’il prouve qu’une faute de la victime a concouru à la production du dommage ; qu’il en est ainsi, non seulement lorsque la demande d’indemnité est formée par la victime elle-même, mais encore lorsqu’elle l’est par un tiers qui, agissant de son propre chef, demande réparation du préjudice personnel dont il a souffert du fait du décès de la victime ou de l’atteinte corporelle subie par celle-ci ; que, si l’action de ce tiers est distincte par son objet, même lorsque ce tiers est aussi l’héritier de la victime, de celle que ladite victime aurait pu exercer, elle n’en procède pas moins du même fait originaire considéré dans toutes ses circonstances.

Attendu que Maurice Y… est décédé à la suite d’une collision entre la voiture qu’il conduisait et dans laquelle avaient pris place son épouse et sa fille Florence, et un camion appartenant à la Société des Transports Rochais-Bonnet et conduit par Luc Z… ; que, statuant sur la constitution de partie civile de Mme Y…, veuve de la victime, agissant tant en son nom personnel qu’au nom de sa fille mineure Florence, qui demandait réparation du préjudice résultant tant des blessures reçues lors de l’accident que du décès de leur mari et père, et sur celle de Didier Y…, fils majeur de la victime, qui demandait réparation du préjudice moral résultant du décès de son père, l’arrêt attaqué a décidé qu’en l’absence de faute des parties civiles, aucun partage de responsabilité ne pouvait leur être opposé en raison de la faute éventuellement commise par Maurice Y…;

Attendu que, si cette décision est justifiée en ce qui concerne la réparation du préjudice subi par Mme Y… et Florence Y… du fait des blessures reçues par elles, préjudice dont elles pouvaient demander réparation pour le tout à chacun des responsables, il en est autrement en ce qui concerne le préjudice résultant, tant pour elles que pour Didier Y…, du décès de Maurice Y… ; qu’en faisant abstraction de la faute éventuellement commise par ce dernier, alors que les parties civiles demandaient réparation d’un préjudice qui résultait pour elles du décès de Maurice X…, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE,

?Annonciation d’une réforme législative : l’arrêt Desmares

Afin de cantonner à la portion congrue la possibilité pour le conducteur du véhicule ayant causé un dommage de s’exonérer de sa responsabilité, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt Desmares du 21 juillet 1982, que seule la faute de la victime revêtant les caractères de la force majeure pouvait exonérer l’auteur du dommage de sa responsabilité (Cass. 2e civ., 21 juill. 1982, n°81-12.850).

Ainsi, pour la Cour de cassation, dès lors que la faute de la victime n’a pas totalement rompu le rapport de causalité, le conducteur n’est pas fondé à se prévaloir d’une exonération, même partielle de sa responsabilité. La Cour de cassation instaure alors le système du tout ou rien.

Arrêt Desmares

(Cass. 2e civ., 21 juill. 1982)

Sur le moyen unique pris en ses quatre premières branches, telles qu’énoncées au mémoire ampliatif :

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué, qu’à la tombée de la nuit, dans une agglomération, la voiture automobile de Z… heurta et blessa les époux X… qui traversaient la chaussée à pied ; que lesdits époux ont réclamé à Z… et à son assureur “La Mutualité Industrielle”, la réparation de leur préjudice ; que la S.N.C.F., agissant comme caisse autonome de Sécurité sociale et la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des Ardennes sont intervenues ;

Sur le moyen pris en ses deux dernières branches :

Attendu qu’il est reproché à l’arrêt d’avoir statué comme il l’a fait, alors, d’une part, que la cour d’appel n’aurait pas répondu aux conclusions soutenant que les victimes ne s’étaient pas conformées à l’article R. 219 du Code de la route qui les obligeait à ne traverser la chaussée qu’après s’être assurées qu’elles pouvaient le faire sans danger immédiat, et alors, d’autre part, que la Cour d’appel aurait omis de réfuter les motifs des premiers juges selon lesquels les époux X… avaient commis une seconde imprudence en entreprenant la traversée de la chaussée sans s’assurer qu’ils pouvaient le faire sans danger et sans tenir compte de la vitesse et de la distance du véhicule circulant ce moment, et également selon lesquels la distance à laquelle se trouvait la voiture de Z… était insuffisante pour permettre aux piétons de traverser sans danger et que ceux-ci n’auraient donc pu s’engager sur la chaussée dans de telles conditions d’autant que leur présence avait été masquée aux yeux de Z… par la voiture se trouvant à droite de celui-ci ;

Mais attendu que seul un événement constituant un cas de force majeure exonère le gardien de la chose, instrument du dommage, de la responsabilité par lui encourue par application de l’article 1384, alinéa 1, du Code civil ; que, dès lors, le comportement de la victime, s’il n’a pas été pour le gardien imprévisible et irrésistible, ne peut l’en exonérer, même partiellement ;

Et attendu qu’après avoir relevé que l’accident s’était produit à une heure d’affluence, dans un passage réservé aux piétons ou à proximité de celui-ci, sur une avenue qui, dotée d’un éclairage public fonctionnant normalement, comprenait quatre voies de circulation, deux dans chaque sens, l’arrêt retient que, circulant sur la voie de gauche, la voiture de Z… avait heurté les époux X…, lesquels traversaient la chaussée de droite à gauche par rapport au sens de marche de l’automobiliste ;

Que, par ces énonciations d’où il résulte qu’à la supposer établie, la faute imputée aux victimes n’avait pas pour Z… le caractère d’un événement imprévisible et insurmontable, la cour d’appel, qui, par suite, n’était pas tenue de rechercher, en vue d’une exonération partielle du gardien, l’existence de ladite faute, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 15 janvier 1981 par la Cour d’appel de Reims ;

De toute évidence, cette jurisprudence était annonciatrice de l’intervention du législateur dont l’intervention a été mue par la volonté d’améliorer le sort des victimes d’accidents de la circulation.

?Adoption de la loi du 5 juillet 1985

La loi du 5 juillet 1985, dite loi Badinter du nom du célèbre Garde des sceaux, a été adoptée dans le dessin, comme indiqué dans son intitulé, de tendre « à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation ».

Ainsi, le législateur a-t-il fait le choix d’un système d’indemnisation plus simple, plus souple et automatique à la faveur des victimes d’accident de la circulation.

L’idée sous-jacente était qu’il fallait déconnecter le droit à indemnisation du droit commun de la responsabilité, lequel demeurait très marqué, malgré les évolutions jurisprudentielles, par le fondement de la faute.

À la vérité, l’économie de la loi du 5 juillet 1985 est le résultat d’un compromis entre :

  • D’une part, la poursuite d’un objectif d’indemnisation des victimes, ce qui s’est traduit par deux choses :
    • Un assouplissement des conditions de mise en œuvre de la responsabilité
    • Un durcissement des conditions d’exonération de la responsabilité
  • D’autre part, le maintien du rôle de la faute de la victime, laquelle faute est susceptible de réduire, en certaines circonstances, son droit à indemnisation.

?Exclusivité de la loi du 5 juillet 1985

Immédiatement après l’adoption de la loi du 5 juillet 1985, une question s’est posée au sujet de son articulation avec l’article 1384, al. 1er du Code civil.

La loi Badinter n’a, en effet, pas été accompagnée par une abrogation de l’article 1384, al. 1er du Code civil, de sorte que cette disposition demeurait toujours en vigueur.

Aussi, certains auteurs se sont demandé si un cumul entre le principe général de responsabilité du fait des choses et le régime spécial instauré par le nouveau texte était envisageable.

Les victimes d’accident de la circulation pouvaient-elles agir en responsabilité sur les deux fondements textuels ?

Autrement dit, le régime spécial institué par la loi du 5 juillet 1985 était-il exclusif de tout autre régime de responsabilité et notamment du régime de responsabilité du fait des choses ou pouvait-il se cumuler avec lui ?

Rapidement saisie de la question, la Cour de cassation a affirmé, sans ambiguïté, par deux arrêts, que « le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, victime d’un accident de la circulation, ne saurait invoquer la loi du 5 juillet 1985 lorsque seul son véhicule est impliqué dans l’accident » (Cass. 2e civ., 19 nov. 1986, n°85-13.760).

Cass. 2e civ., 19 nov. 1986

Sur les deux moyens réunis ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que M. X…, circulant en agglomération sur son cyclomoteur, a fait une chute et s’est blessé ; qu’imputant cet accident à la présence d’une tranchée mal remblayée creusée dans la chaussée par l’entreprise Rabineau pour le compte de M. Y…, il a assigné ceux-ci en réparation de ses dommages ; que les compagnies d’assurances Mutuelle Générale Française Accidents (MGFA) et la Zurich sont intervenues à l’instance ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir débouté M. X… et la MGFA de leurs demandes, alors que, d’une part, le mauvais état de la tranchée étant établi, il n’était pas nécessaire de prouver un contact entre celle-ci et la victime, alors que, d’autre part, la cour d’appel n’aurait pas recherché si cette tranchée n’avait pas joué un rôle actif dans l’accident, et alors, enfin, que l’arrêt se serait contredit en déclarant le point de choc inconnu après avoir admis la présence de sang à côté de la tranchée ; qu’il est encore soutenu que M. X…, victime d’un accident de la circulation dans lequel était impliqué son véhicule terrestre à moteur, n’aurait pu voir limiter son indemnisation qu’en considération de sa faute, et qu’en ne recherchant pas s’il avait commis une faute, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard des articles 1er et 4 de la loi du 5 juillet 1985 ;

Mais attendu que le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, victime d’un accident de la circulation, ne saurait invoquer la loi du 5 juillet 1985 lorsque seul son véhicule est impliqué dans l’accident ; que le moyen procède donc de ce chef d’une fausse interprétation des textes prétendument violés ;

Et attendu que la cour d’appel, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation et hors de toute contradiction, relève que l’accident n’a eu aucun témoin et n’a donné lieu à aucun constat, que le point de chute de M. X… et les circonstances de l’accident sont demeurés inconnus, et qu’il n’est établi, ni que la victime ait heurté la tranchée, ni que sa chute ait été imputable au mauvais état de celle-ci ;

Qu’ayant ainsi admis que M. X… n’apportait pas la preuve, à sa charge, que la tranchée eût été de quelque manière l’instrument des dommages, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Un an plus tard, la Cour de cassation précise que « l’indemnisation d’une victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 à l’exclusion de celles des articles 1382 et suivants du Code civil » (Cass. 2e civ., 4 mai 1987, n°85-17.051).

Bien que le système instauré par loi du 5 juillet 1985 tende à améliorer le sort des victimes d’accidents de la circulation, elle ne dispense cependant pas ces dernières de remplir un certain nombre de conditions en plus du préjudice dont elles devront, avant toute chose, conformément au droit commun, établir le caractère réparable.

Aussi, l’étude du régime de la responsabilité du fait des accidents de la circulation suppose-elle d’examiner, dans un premier temps, les conditions d’indemnisation qui doivent être satisfaites par les victimes (I), après quoi il conviendra de s’intéresser aux causes susceptibles de bénéficier aux personnes désignées comme responsables (II).

I) Les conditions d’indemnisation

Aux termes de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 « les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres. »

Aussi, l’application de ce texte suppose-elle la satisfaction de cinq conditions cumulatives :

  • Un véhicule terrestre à moteur (VTM)
  • Un accident
  • Un accident de la circulation
  • L’implication du véhicule terrestre à moteur dans l’accident
  • L’imputation du dommage à l’accident

A) Un véhicule terrestre à moteur

L’article L. 110-1 du Code de la route définit le véhicule terrestre à moteur comme le véhicule « pourvu d’un moteur de propulsion, y compris les trolleybus, et circulant sur route par ses moyens propres, à l’exception des véhicules qui se déplacent sur des rails ».

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette définition :

  • Principe
    • Tout véhicule qui circule sur le sol et qui est mû par une force motrice quelconque entre dans le champ d’application de la loi du 5 juillet 1985.
    • Ainsi, le véhicule doit-il répondre à deux critères cumulatifs :
      • Circuler par voie terrestre
      • Être pourvu d’un moteur à propulsion
        • La Cour de cassation a précisé que « peu importe que le moteur du véhicule fonctionne ou non » (Cass. 2e civ., 21 juill. 1986)
        • Ce qui compte, c’est que le véhicule soit muni d’un moteur, même de faible puissance
  • Les catégories de véhicules concernées
    • Les automobiles
    • Les camions
    • Les autobus
    • Les motocyclettes
    • Les cyclomoteurs
    • Les engins agricoles
    • Les véhicules de chantier
    • Les remorques et semi-remorques
    • Les trolleybus
  • Les catégories de véhicules exclues
    • Les chemins de fer
    • Les tramways
      • Principe
        • La loi du 5 juillet 1985 n’est pas applicable aux tramways, lesquels sont présumés circuler sur une voie qui leur est propre
        • Dans un arrêt du 18 octobre 1995, la Cour de cassation a précisé que l’application de la loi du 5 juillet 1985 est exclue, lorsque le tramway circule « sur une voie ferrée implantée sur la chaussée, dans un couloir de circulation qui lui est réservé et délimité d’un côté par le trottoir et de l’autre par une ligne blanche continue » (Cass. 2e civ., 18 oct. 1995, n°93-19.146).
      • Exception
        • La Cour de cassation estime qu’un « tramway qui traverse un carrefour ouvert aux autres usagers de la route ne circule pas sur une voie qui lui est propre » (Cass. 2e civ., 16 juin 2011, n°10-19.491)
        • Autrement dit, dès lors que le tramway croise une voie de circulation ouverte aux véhicules terrestre à moteur, la loi du 5 juillet 1985 redevient applicable.
    • Les jouets
      • Dans un premier temps, la Cour de cassation a estimé que les véhicules miniatures destinés à l’usage des enfants étaient exclus du champ d’application de la loi du 5 juillet 1985, car « non soumis à l’assurance automobile obligatoire » (Cass. 2e civ., 4 mars 1998, n°96-12.242).
      • Dans un second temps, la Cour de cassation a néanmoins adopté la position radicalement inverse en considérant que la loi du 5 juillet 1985 était applicable dès lors que, au moment de l’accident, le véhicule « se déplaçait sur route au moyen d’un moteur à propulsion, avec faculté d’accélération » de sorte qu’il « ne pouvait être considérée comme un simple jouet » (Cass. 2e civ., 22 oct. 2015, n°14-13.994).

B) Un accident

?La notion d’accident

L’accident doit être compris comme tout événement fortuit ou imprévu. Aussi, cela suppose-t-il l’existence d’un aléa quant à la réalisation du fait dommageable.

A contrario, cela signifie que lorsque l’accident est le résultat d’une faute intentionnelle, la loi du 5 juillet 1985 n’est pas applicable.

?La notion de faute intentionnelle

Que faut-il entendre par faute intentionnelle ?

Deux conceptions sont envisageables :

  • Dans une conception stricte, la faute intentionnelle s’entend comme la volonté de causer l’accident et de produire le dommage
  • Dans une conception large, la faute intentionnelle suppose seulement la volonté de causer l’accident.

À l’examen, il apparaît que la jurisprudence est plutôt encline à retenir une conception large de la faute intentionnelle, de sorte qu’elle écartera l’application de la loi du 5 juillet 1985, dès lors qu’est établie la seule volonté de causer l’accident (V. en ce sens Cass. 2e civ., 22 janv. 2004, n°01-11.665 ; Cass. 2e civ., 14 avr. 2005, n°03-13.792)

C) Un accident de la circulation

?Notion de circulation

La loi du 5 juillet 1985 n’est applicable qu’aux accidents de la circulation.

La notion de circulation est entendue largement par la jurisprudence, en ce sens qu’elle n’exige pas que le véhicule, instrument du dommage, soit en mouvement.

Peu importe que le véhicule soit :

  • En position de stationnement (Cass. 2e civ., 22 nov. 1995, n°93-21.221)
    • La Cour de cassation estime que « le stationnement d’une automobile sur la voie publique est un fait de circulation au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 »

?Critère de la circulation

Le critère auquel la jurisprudence se référer pour déterminer si l’accident est susceptible d’être rattaché à la circulation du véhicule est un critère fonctionnel.

Autrement dit, pour que la loi du 5 juillet 1985 ait vocation à s’appliquer, le véhicule doit, être dans sa fonction de déplacement.

Dès lors que le dommage est étranger à la fonction de déplacement du véhicule, l’application de la loi est exclue.

L’application du régime spécial des accidents de la circulation est ainsi exclue lorsque le véhicule est utilisé :

  • comme d’un outil (engin de chantier ou agricole)
  • comme un instrument de travail (camion-restaurant, baraque à pizza, bibliobus).

Dans un arrêt du 13 janvier la Cour de cassation subordonne l’exclusion de l’application de la loi du 5 juillet 1985 au respect de deux conditions (Cass. 2e civ. 13 janv. 1988, n°86-16.234 et n°84-16.561) :

  • le véhicule soit immobilisé
  • seul l’usage étranger à la fonction de déplacement doit être à l’origine du dommage

La Cour de cassation a néanmoins précisé dans un arrêt du 21 novembre 2013 concernant un engin de chantier que l’article L. 211-1 du Code des assurances ne limitait pas « son champ d’application aux seuls véhicules en mouvement », et qu’il se déduit de l’article R. 211-5 du même code, « que les accidents causés par les accessoires ou la chute d’objets sont, depuis l’intervention du décret de 1986, garantis même si le véhicule ne circule pas et si l’accident ne constitue pas un accident de la circulation au sens de la loi du 5 juillet 1985 » (Cass. 2e civ., 21 nov. 2013, n°2-14.714)

Quid de l’application de la loi Badinter lorsque l’accident survient dans le cadre d’une opération de chargement ou de déchargement ?

Peut-on estimer que, dans pareille situation, l’usage du véhicule est étranger à sa fonction de déplacement ?

Telle est la question qu’a eue à trancher la Cour de cassation dans un arrêt du 25 janvier 2001 (Cass. 2e civ. 25 janv. 2001, n°99-12.506).

Cass. 2e civ., 25 janv. 2001

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X…, passager transporté dans un autobus du Service de transport de l’agglomération rennaise (STAR), a fait une chute en se déplaçant à l’intérieur du véhicule en arrêt prolongé dans une station du centre de la ville ; qu’ayant été blessée, elle a fait assigner devant le tribunal de grande instance, en réparation de son préjudice, le STAR et son assureur, la société CPA assurances, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine ;

Sur le second moyen, qui est préalable : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;

Attendu que la loi du 5 juillet 1985 est applicable à tout accident de la circulation dans la survenance duquel un véhicule terrestre à moteur est intervenu, à quelque titre que ce soit ;

Attendu que, pour rejeter la demande de Mme X…, l’arrêt énonce que l’autobus était, au moment de l’accident, arrêté, non pour un arrêt momentané, mais pour une station d’une certaine durée, sur un emplacement spécialement aménagé au parking Rennes-République, assimilable à un terminus et qu’il était dépourvu de chauffeur ; qu’il ne s’agit donc pas d’un accident de la circulation ; que Mme X…, qui se borne à indiquer qu’elle est tombée à l’intérieur de l’autobus, ne rapporte pas la preuve que sa chute est la conséquence de sa présence dans le véhicule, ni d’une perturbation quelconque due au fait qu’elle se trouvait dans l’autobus au moment de sa chute ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’autobus, même en arrêt prolongé sur la ligne qu’il desservait, était en circulation, et que la chute d’une passagère à l’intérieur de ce véhicule constituait un accident de la circulation dans lequel le véhicule était impliqué, la victime ayant été blessée en raison de sa présence dans ce véhicule, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 3 septembre 1997, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers.

?Faits

Alors qu’un autobus est à l’arrêt sur un emplacement spécialement aménagé à cet effet, une passagère, qui souhaitait se déplacer à l’intérieur du bus, chute et se blesse.

?Procédure

Dans un arrêt du 3 septembre 1997, la Cour d’appel de Rennes refuse d’appliquer la loi du 5 juillet 1985, estimant que « l’autobus était, au moment de l’accident, arrêté, non pour un arrêt momentané, mais pour une station d’une certaine durée, sur un emplacement spécialement aménagé au parking Rennes-République, assimilable à un terminus et qu’il était dépourvu de chauffeur ; qu’il ne s’agit donc pas d’un accident de la circulation »

?Solution

La Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel en affirmant que « L’autobus même en arrêt prolongé sur la ligne qu’il desservait était en circulation. Ainsi, la chute d’une passagère à l’intérieur de ce véhicule constituait un accident de la circulation dans lequel le véhicule était impliqué ».

?Analyse

Ainsi, ressort-il de cette décision que la Cour de cassation retient une conception relativement large de la notion déplacement.

Au total, peu importe que le véhicule ne se déplace pas au moment de l’accident. Pour que la loi du 5 juillet 1985 s’applique, il suffit qu’existe un lien entre l’accident et la fonction de déplacement du véhicule.

La Cour de cassation a estimé en ce sens que la loi Badinter avait vocation à s’appliquer s’agissant d’un dommage causé par la projection d’un tendeur et d’une plaque de contreplaqué arrimée au toit d’un véhicule pourtant régulièrement stationné (Cass. 2e civ., 20 oct. 2005, n°04-15.418).

La haute juridiction a estimé que dans la mesure où « les blessures avaient été provoquées par la projection d’un objet transporté et d’un tendeur élastique, accessoire nécessaire au transport autorisé sur le toit d’un véhicule terrestre à moteur, fût-il en stationnement sur la voie publique, moteur arrêté, ce dont il résultait que M. X… avait été victime d’un accident de la circulation et que la garantie de l’assureur du véhicule était due ».

D) L’implication du véhicule terrestre à moteur dans l’accident

Si la loi du 5 juillet 1985 devait être résumée en un seul mot, c’est sans aucun doute celui d’implication qu’il conviendrait de choisir.

La notion d’implication est l’élément central du système d’indemnisation mis en place par la loi Badinter à la faveur des victimes d’accidents de la circulation.

Sont débiteurs de l’obligation d’indemnisation les conducteurs ou gardiens d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par implication.

1. Notion d’implication

Dans un arrêt du 18 mai 2000, la Cour de cassation considère qu’il y a implication dès lors qu’un véhicule terrestre à moteur que « est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident » (Cass. 2e civ. 18 mai 2000, n°98-10.190).

Deux enseignements peuvent immédiatement être retirés de cette définition :

  • L’exigence d’un rapport d’imputation entre le VTM et le dommage
    • L’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 n’exige pas que le VTM soit impliqué dans le dommage.
    • Le VTM doit, en effet, être seulement impliqué dans l’accident
    • Il ne s’agit donc pas de savoir si le VTM A a causé un dommage à la victime B, mais uniquement de constater que :
      • Le VTM A est impliqué dans un accident de la circulation
      • La victime B souffre d’un dommage résultant de l’accident de la circulation dans lequel est impliqué le VTM A
    • Ainsi, l’accident fait-il écran entre le VTM et le dommage, ce qui signifie qu’il appartiendra à la victime d’établir que le dommage peut être rattaché à l’accident.
  • L’exigence d’un rapport d’éventualité entre le VTM et l’accident de la circulation
    • L’examen de la jurisprudence révèle que la notion d’implication est plus large que la notion de causalité, en ce sens que la loi n’exige pas l’établissement d’un rapport causal entre le VTM et l’accident pour que la condition d’implication soit remplie.
    • Deux théories se sont opposées quant à l’intensité du rattachement que suppose la notion d’implication :
      • Rapport de nécessité : il faut que le véhicule ait été nécessaire à la production de l’accident.
        • L’exigence d’implication se rapprocherait alors de la théorie de l’équivalent des conditions.
        • Selon cette théorie, tous les faits qui ont concouru à la production du dommage doivent être retenus, de manière équivalente, comme les causes juridiques dudit dommage, sans qu’il y ait lieu de les distinguer, ni de les hiérarchiser.
      • Rapport d’éventualité : il suffit que le véhicule ait pu jouer un rôle dans la survenance de l’accident.
        • L’exigence d’implication se rapprocherait alors d’une causalité hypothétique.
        • En d’autres termes, cela reviendrait à admettre que l’on puisse rechercher la responsabilité de l’auteur d’un dommage, sans que soit établi le rapport causal entre le VTM et l’accident.

2. L’appréciation de la notion d’implication par la jurisprudence

L’examen de la jurisprudence révèle que la notion d’implication est appréciée différemment selon qu’il a eu implication du VTM par contact matériel ou non dans l’accident.

Deux situations doivent être distinguées :

?En présence d’une implication du VTM dans l’accident par contact matériel

  • Première étape : critère du rôle perturbateur
    • Dans trois arrêts du 21 juillet 1986 la Cour de cassation a d’abord estimé que dès lors qu’il y a eu contact et que le VTM a joué un rôle perturbateur il est impliqué dans l’accident, peu importe qu’il ait été en mouvement, à l’arrêt, ou en stationnement.
      • Les faits :
        • Un piéton est contraint de traverser en dehors du passage protégé en raison de la présence d’un autobus qui était en stationnement sur ledit passage qu’il obstruait totalement.
        • Il est heurté par un cyclomoteur.
        • Une action est engagée contre a compagnie d’autobus sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985.
    • Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation estime que « le véhicule de la R.A.T.V.M., dans les conditions où il stationnait, avait perturbé la circulation de Mme De Bono et s’était ainsi trouvé également impliqué dans l’accident » (Cass. 2e civ., 21 juill. 1986, n°84-10.393).
    • Le critère du rôle perturbateur a fait l’objet de nombreuses critiques, certains auteurs reprochant à la Cour de cassation d’avoir restreint le champ d’application de la loi du 5 juillet 1985.
    • La solution retenue par la Cour de cassation revenait, en effet, à envisager qu’un VTM puisse ne pas être impliqué dans l’accident dès lors qu’il n’avait pas joué de rôle perturbateur, alors même qu’un contact matériel était établi.
  • Deuxième étape : le critère du contact matériel
    • Dans un arrêt du 23 mars 1994 la Cour de cassation abandonne le critère du rôle perturbateur à la faveur du critère du contact matériel
      • Les faits
        • Un cyclomoteur a heurté à l’arrière la camionnette arrêtée momentanément pour une livraison, à cheval sur la chaussée et l’accotement.
        • Blessée, la victime engage la responsabilité du conducteur de la camionnette sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985.
    • La haute juridiction affirme en ce sens que « le fait qu’un véhicule terrestre à moteur soit en stationnement sans perturber la circulation n’exclut pas son implication dans un accident, au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 » (Cass. 2e civ., 23 mars 1994, n°92-14.296).
    • Il résulte de cet arrêt que le seul contact matériel suffit à établir l’implication du VTM dans l’accident.
  • Troisième étape : l’instauration d’une présomption irréfragable
    • Dans un arrêt du 25 janvier 1995, la Cour de cassation instaure une présomption irréfragable d’implication du VTM dans l’accident dès lors qu’il y a eu contact matériel
      • Les faits
        • Un mineur qui circulait à bicyclette sur l’accotement bitumé d’une route à grande circulation, a heurté la ridelle arrière gauche d’un camion tombé en panne
        • Il est mortellement blessé.
      • Procédure
        • Par un arrêt du 15 mai 1992, la Cour d’appel de Colmar déboute les ayants droit de la victime de leur demande
        • Les juges du fond estiment que dans la mesure où le camion était régulièrement stationné, il n’a pas pu entraîner de perturbation dans la circulation du cycliste, de sorte qu’il n’était pas impliqué dan l’accident.
    • La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel. Pour justifier sa solution, elle affirme « qu’est nécessairement impliqué dans l’accident, au sens de ce texte, tout véhicule terrestre à moteur qui a été heurté, qu’il soit à l’arrêt ou en mouvement » (Cass. 2e civ. 25 janv. 1995, n°92-17.164).

Cass. 2e civ., 25 janv. 1995

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;

Attendu qu’est nécessairement impliqué dans l’accident, au sens de ce texte, tout véhicule terrestre à moteur qui a été heurté, qu’il soit à l’arrêt ou en mouvement ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par temps de pluie, le mineur Frédéric X…, qui circulait à bicyclette sur l’accotement bitumé d’une route à grande circulation, a heurté la ridelle arrière gauche d’un camion de la société DSB Poussier tombé en panne ; que, le cycliste ayant été mortellement blessé, ses parents ont demandé à M. Y…, à son employeur et à l’assureur, la Société d’assurance moderne des agriculteurs (SAMDA), la réparation de leur dommage ;

Attendu que, pour débouter les époux X… de leurs demandes, l’arrêt retient que le stationnement du camion sur l’accotement bitumé était régulier, que les conditions de ce stationnement n’ont pu entraîner une perturbation dans la circulation du cycliste et que, dès lors, le camion n’était pas impliqué dans l’accident ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 mai 1992, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz.

    • De toute évidence, l’évolution jurisprudentielle de l’appréciation de la notion d’implication constitue une rupture avec la causalité telle qu’elle est comprise dans le cadre de la responsabilité du fait des choses.
    • Lorsque la responsabilité de l’auteur d’un dommage est recherchée sur le fondement de l’article 1242, al. 1er, cela suppose pour la victime d’établir le rôle actif de la chose dans la production du dommage.
    • Lorsqu’il y a eu contact entre la chose et le siège du dommage, deux situations doivent être distinguées :
      • Si contact + chose en mouvement alors présomption de rôle actif
      • Si contact + chose inerte alors rôle actif si anormalité établie
    • En matière de responsabilité du fait des choses, lorsqu’il y a eu contact, le gardien est susceptible de s’exonérer de sa responsabilité en démontrant que la chose n’a pas joué un rôle actif dans la production du dommage.
    • Sous l’empire de la loi du 5 juillet 1985, cette possibilité n’est pas offerte au conducteur ou gardien du véhicule : « est nécessairement impliqué dans l’accident, au sens de ce texte, tout véhicule terrestre à moteur qui a été heurté, qu’il soit à l’arrêt ou en mouvement ».
    • Deux conséquences peuvent être tirées de cette règle posée par la Cour de cassation :
      • Dès lors qu’il y a eu contact, le véhicule est impliqué dans l’accident, peu importe qu’il ait été en mouvement, à l’arrêt ou en stationnement
        • Tout contact signifie donc implication.
      • Le conducteur ou gardien du véhicule ne peut pas combattre la présomption d’implication en rapportant la preuve contraire.
        • Dans l’arrêt du 25 janvier 1995, la Cour de cassation emploie l’adverbe « nécessairement », ce qui signifie qu’il s’agit là d’une présomption irréfragable.

?En présence d’une implication du VTM dans l’accident sans contact matériel

Il ressort de la jurisprudence que l’implication n’exige pas nécessairement l’établissement d’un contact au moment de l’accident, peu importe que le véhicule ait été ou non en mouvement.

La Cour de cassation considère en ce sens qu’il y a implication dès lors qu’un véhicule terrestre à moteur « est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident » (Cass. 2e civ. 18 mai 2000, n°98-10.190).

Dès lors, l’absence de contact ne postule pas l’absence d’implication. Il suffit que le véhicule soit intervenu « à quelque titre que ce soit » pour être impliqué dans l’accident.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si, pour établir l’implication du VTM, il appartiendra à la victime de démontrer le rôle perturbateur de ce dernier où si cette circonstance est indifférente.

  • Première étape : l’exigence du rôle perturbateur
    • Comme dans l’hypothèse où il y a eu contact, la jurisprudence a d’abord exigé de la victime qu’elle démontre que le VTM a pu constituer une gêne susceptible d’avoir joué en rôle dans la survenance de l’accident.
    • Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle estimé qu’il y avait implication :
    • Dans tous ces cas de figure, la haute juridiction a considéré que le véhicule impliqué avait joué un rôle perturbateur, de sorte qu’il n’était pas étranger à la survenance de l’accident.
    • À la vérité, l’exigence du rôle perturbateur quant à l’établissement du VTM dans l’accident rappelle très étrangement la condition de rôle actif exigée en matière de responsabilité du fait des choses.
  • Seconde étape : abandon du critère du rôle perturbateur
    • Dans un arrêt du 4 juillet 2007, la Cour de cassation semble avoir abandonné l’exigence du rôle perturbateur quant à établir l’implication du VTM dans l’accident (Cass. 2e civ., 4 juill. 2007, n°06-14.484).

Cass. 2e civ., 4 juill. 2007

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, le 17 février 1999, circulant de nuit, le véhicule de police de marque Renault conduit par M. X…, gardien de la paix, a engagé derrière un véhicule volé de marque Subaru une poursuite au cours de laquelle il a heurté le muret d’une autoroute et s’est retourné ; que M. X… a été blessé, tandis que des deux passagers gardiens de la paix, l’un, Jean Y…, a été tué, l’autre, Benoît Z…, a été blessé et est décédé le 27 mars 2002 des suites de ses blessures ; que la société MACIF, assureur du véhicule poursuivi, ayant refusé la garantie de l’indemnisation des dommages, Mme A…, veuve Z…, en son nom personnel et en qualité d’administratrice légale des biens de son fils mineur Francis Z…, Mme Annie B…, épouse Z… et Mme Cécile Z…, mère et soeur du défunt (les consorts Z…), ont assigné l’agent judiciaire du Trésor public (l’AJT) et la Société mutualiste du personnel de la police nationale (la SMPPN) en réparation de leurs préjudices ; que l’AJT a assigné la MACIF en garantie ; que les instances ont été jointes ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la MACIF fait grief à l’arrêt d’avoir jugé que le véhicule assuré par la MACIF était impliqué dans l’accident de la circulation ayant causé des blessures et le décès de Benoît Z…, alors, selon le moyen, que l’implication d’un véhicule dans un accident de la circulation suppose qu’il ait objectivement eu une influence sur le comportement de la victime ou du conducteur d’un autre véhicule, qu’il l’ait heurté, gêné ou surpris ; qu’il ne suffit pas que le conducteur d’un véhicule ait eu l’intention d’en poursuivre ou d’en rejoindre un autre pour que ce dernier véhicule puisse être déclaré impliqué dans l’accident dans lequel est impliqué le premier véhicule ; qu’en se fondant sur la seule circonstance que “c’est dans le cadre d’une course-poursuite du véhicule des malfaiteurs que le policier a perdu le contrôle du véhicule de service” pour déclarer que le véhicule Subaru était impliqué dans l’accident du véhicule de police, sans constater l’existence d’une manoeuvre perturbatrice imputable à son conducteur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;

Mais attendu que l’arrêt retient exactement qu’est impliqué au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, tout véhicule qui est intervenu à un titre quelconque dans la survenance de l’accident et qu’en l’espèce, la MACIF ne saurait valablement contester l’implication du véhicule Subaru, dès lors que, malgré l’absence de contact, l’accident s’est produit durant la poursuite du véhicule des malfaiteurs ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé

Faits

  • Un véhicule de police a engagé derrière un véhicule volé une poursuite au cours de laquelle il a heurté le muret d’une autoroute et s’est retourné
  • Un gardien de la paix est tué

Procédure

Par un arrêt du 9 mars 2006 la cour d’appel de Lyon retient la responsabilité du conducteur du véhicule poursuivi au motif qu’il était impliqué dans l’accident.

Moyen

  • L’auteur du pourvoi reproche notamment à l’arrêt rendu par les juges du fond d’avoir fait droit à la demande de la victime alors que « l’implication d’un véhicule dans un accident de la circulation suppose qu’il ait objectivement eu une influence sur le comportement de la victime ou du conducteur d’un autre véhicule, qu’il l’ait heurté, gêné ou surpris ».

Solution

La Cour de cassation de cassation rejette le pourvoi formé par le défendeur considérant que « est impliqué au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, tout véhicule qui est intervenu à un titre quelconque dans la survenance de l’accident ».

Manifestement, il apparaît que la formule utilisée ici par la Cour de cassation rappelle étrangement la motivation adoptée dans les arrêts précédents.

Pour mémoire, dans l’arrêt du 18 mai 2000, elle considère qu’il y a implication dès lors qu’un véhicule terrestre à moteur « est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident » (Cass. 2e civ. 18 mai 2000, n°98-10.190).

Bien que les deux solutions retenues dans les deux arrêts semblent similaires, celle adoptée dans le présent arrêt se démarque de la jurisprudence antérieure dans la mesure où le véhicule impliqué dans l’accident n’avait joué, en l’espèce, aucun rôle perturbateur. Et pour cause, il ne poursuivait aucunement la victime au moment de la survenance du dommage : il était tout au contraire poursuivi par cette dernière.

Aussi, plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • L’abandon du critère du rôle perturbateur
    • En abandonnant le critère du rôle perturbateur, la Cour de cassation n’exige plus que le véhicule ait joué un rôle actif dans la survenance de l’accident.
    • Il en résulte que, même en l’absence de contact, le non-établissement du rôle perturbateur du véhicule ne fait pas obstacle à son implication dans l’accident.
  • L’abandon de l’exigence d’une causalité certaine
    • Avec cette décision, la Cour de cassation achève la rupture déjà consommée avec l’exigence de causalité, en ce sens qu’il n’est plus nécessaire que soit établi un rapport causal entre le VTM et l’accident.
    • Il suffit que le VTM ait pu jouer un rôle dans la survenance de l’accident pour que la condition tenant à l’implication soit remplie
    • Autrement dit, pour savoir si le VTM est impliqué, cela suppose simplement de se demander si, sans la présence du véhicule, l’accident serait ou non survenu sans pour autant que ce véhicule ait eu un rôle perturbateur.
    • Ainsi, dans l’arrêt en l’espèce, le raisonnement tenu par la Cour de cassation est le suivant :
      • si les voleurs n’avaient ne s’étaient pas enfuis, les policiers ne l’auraient pas poursuivi
      • Dès lors, l’accident ne serait pas survenu
      • Le VTM des voleurs est donc bien intervenu à un titre quelconque dans la survenance de l’accident
    • De toute évidence, il n’est pas certain, en l’espèce, que l’existence du véhicule poursuivi ait et la moindre incidence sur la réalisation de l’accident.
    • Pour autant, la haute juridiction estime qu’il a pu jouer un rôle, ce qui suffit à établir son implication.
    • La Cour de cassation raisonne ici en termes de causalité hypothétique, ce qui constitue une véritable rupture avec le droit commun de la responsabilité.
    • La deuxième chambre civile a néanmoins précisé dans un arrêt du 13 décembre 2012 que « la seule présence d’un véhicule sur les lieux d’un accident de la circulation ne suffit pas à caractériser son implication au sens » de la loi du 5 juillet 1985 (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n°11-19.696).
    • Il échoit donc à la victime d’établir que le VTM a pu jouer un rôle, même hypothétique, dans la réalisation du fait dommageable.

Cass. 2e civ., 13 déc. 2012

Vu l’article 1er de la loi n° 85 – 677 du 5 juillet 1985;

Attendu que la seule présence d’un véhicule sur les lieux d’un accident de la circulation ne suffit pas à caractériser son implication au sens du texte susvisé;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que le véhicule conduit par M. C…, non assuré, a, au cours d’une manoeuvre de dépassement, successivement percuté la motocyclette pilotée par M. D…, le véhicule de M. E… et celui conduit par Franck Y…, circulant tous en sens inverse ; que ce dernier et son fils Francis Y… sont décédés, tandis que leur épouse et mère, Mme X…, a été blessée dans l’accident ; que Mme X… veuve Y…, en son nom et en sa qualité de représentante légale de son fils mineur Fabien, ainsi que Mme Reinette, F… veuve Y…, M. Charles, Denis Y…, Mme Muriel Y… épouse G…, Mme Marie-Paule, F… épouse A… et M. Max, Léandre, F… (les consorts Y…), ont assigné en indemnisation de leurs préjudices la société L’Equité assurances, assureur du véhicule de Franck Y… ; qu’ont été appelés en la cause le GFA Caraïbes, assureur du véhicule de M. D…, la Mutuelle des Provinces de France, (MPF), assureur du véhicule de M. E…, ainsi que la Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF), assureur du véhicule de M. H… circulant dans la file de véhicules dépassée par celui de M. I… ; que la société Areas dommages, venant aux droits de la société MPF, est intervenue volontairement à l’instance ;

Attendu que, pour dire impliqué dans l’accident le véhicule conduit par M. H…, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, qu’il se déduit du courrier adressé par M. H… à son assureur qu’il suivait une file de voitures quand il a été dépassé par le véhicule de M. I…, qui a heurté de plein fouet un véhicule circulant en sens inverse ; que le choc a projeté du liquide corrosif sur le capot et la calandre de la voiture de M. H… ; qu’il était donc dans la file des véhicules concernés par la manoeuvre de dépassement ; qu’ainsi M. H… a été directement victime d’un dommage matériel immédiatement consécutif aux collisions successives intervenues dans un même laps de temps entre les véhicules impliqués ; que dès lors, victime de cet accident, M. H… est nécessairement impliqué au sens des dispositions de la loi du 5 juillet 1985 ;

Qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’implication de ce véhicule, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen :

CASSE ET ANNULE

E) L’imputation du dommage à l’accident

L’implication d’un VTM dans l’accident ne suffit pas à engager la responsabilité de son conducteur ou de son gardien sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 : encore faut-il que le dommage puisse être rattaché à l’accident.

Cela signifie, autrement dit, que le conducteur ou le gardien du VTM impliqué n’est tenu d’indemniser la victime que pour les dommages que cette dernière est en mesure d’imputer à l’accident.

Cette condition se déduit de l’article 1er de la loi Badinter qui vise « les victimes d’un accident de la circulation ».

Le dommage causé par un événement autre que l’accident dans lequel est impliqué le VTM n’est donc pas indemnisable sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985.

De prime abord, si cette affirmation peut paraître relever du truisme, la règle dont elle et porteuse n’en est pas moins source de quelques difficultés :

  • Tout d’abord, rien exclut que le préjudice dont se plaint la victime soit imputable à un autre fait dommageable.
    • Or si tel est le cas, il ne saurait être réparé sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985.
  • Ensuite, quid dans l’hypothèse où le dommage subi par la victime ne se révèle que postérieurement à l’accident ?
    • Plus le préjudice se révélera tard, plus la question de son imputation à l’accident se posera.
    • Or la loi du 5 juillet 1985 exige un lien de causalité certain en la matière et non seulement hypothétique

Au regard de ces deux hypothèses, la condition d’imputabilité du dommage à l’accident prend alors tout son sens.

Cela conduit, en effet, à réintroduire l’exigence d’un rapport causal quant à l’appréciation de l’indemnisation de la victime.

Tandis que l’implication a remplacé la causalité quant au rapport entre le VTM et l’accident, l’exigence d’un lien de causalité reprend tous ses droits quant à l’appréciation du rapport entre le dommage et l’accident.

Est-ce à dire que l’on revient au point de départ en ce sens que la loi du 5 juillet 1985 ne parviendrait pas, in fine, à remplir son objectif premier, soit l’amélioration de l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation ?

Dans la mesure où la notion d’implication est une notion centrale dans le dispositif mis en place par le législateur en 1985, on est légitimement en droit de s’interroger.

Aussi, afin de ne pas priver la loi Badinter de son efficacité, la Cour de cassation est venue en aide aux victimes en instituant une présomption d’imputation du dommage à l’accident.

?La reconnaissance d’une présomption d’imputation du dommage à l’accident

Dans un arrêt du 16 octobre 1991, la Cour de cassation a affirmé que « le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation ne peut se dégager de son obligation d’indemnisation que s’il établit que cet accident est sans relation avec le dommage » (Cass. 2e civ. 16 oct. 1991, n°90-11.880).

Cass. 2e civ. 16 oct. 1991

Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :

Vu les articles 5 de la loi du 5 juillet 1985 et 1315 du Code civil ;

Attendu que le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation ne peut se dégager de son obligation d’indemnisation que s’il établit que cet accident est sans relation avec le dommage ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, qu’après la collision de la voiture de M. Z… et de celle de Mlle Y…, une passagère de celle-ci, Mlle Nathalie X…, étant décédée, les consorts X… ont demandé aux deux conducteurs et aux Assurances générales de France, assureur de Mlle Y…, la réparation de leur dommage ; que le Fonds de garantie est intervenu à l’instance ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt, après avoir relevé que le décès était directement en relation avec l’inhalation d’un produit stupéfiant antérieurement à l’accident, retient qu’il n’est pas établi par les consorts X… que la jeune fille ait été victime de celui-ci ;

Qu’en statuant ainsi, bien qu’il résultât de ses propres constatations et énonciations qu’il n’était pas exclu que l’émotion provoquée par la collision eût joué un rôle dans le processus mortel, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 16 mai 1989, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Caen

?Faits

  • La passagère d’un VTM est mortellement blessée à la suite d’une collision
  • Ses ayants droit engagent la responsabilité du conducteur du VTM impliqué

?Procédure

Par un arrêt du 16 mai 1989, la Cour d’appel de Rennes déboute les requérant de leur demande estimant que « le décès était directement en relation avec l’inhalation d’un produit stupéfiant antérieurement à l’accident », de sorte que le préjudice de la victime était sans lien avec ledit accident.

?Solution

La Cour de cassation censure les juges du fond, estimant « qu’il n’était pas exclu que l’émotion provoquée par la collision eût joué un rôle dans le processus mortel ».

Autrement dit, pour la Cour de cassation, il appartenait au conducteur du véhicule impliqué d’établir que le décès de la victime n’était pas imputable à l’accident, ce qu’il n’avait pas démontré en l’espèce.

Ainsi, la Cour de cassation institue-t-elle, dans cette décision, une présomption d’imputation du dommage à l’accident que le conducteur du véhicule impliqué pourra combattre en rapportant la preuve contraire.

Dans un arrêt du 19 février 1997 la deuxième chambre civile a maintenu cette solution en reprenant mot pour mot la formule qu’elle avait employée dans son arrêt du 16 octobre 1991 : « le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation ne peut se dégager de son obligation d’indemnisation que s’il établit que cet accident est sans relation avec le dommage » (Cass. 2e civ. 19 févr. 1997, n°95-14.034)

Il s’agissait en l’espèce du conducteur d’un VTM blessé à la jambe lors d’une collision qui quelque temps après décède d’une crise cardiaque.

?Le domaine de la présomption d’imputation du dommage à l’accident

L’examen de la jurisprudence révèle que la présomption d’imputation du dommage à l’accident ne jouera que dans deux hypothèses :

  • Première hypothèse
    • Le préjudice subi par la victime survient dans un temps voisin de l’accident.
    • Si le dommage n’apparaît que dans un temps éloigné de l’accident, aucune présomption ne pourra jouer
    • C’est donc à la victime qu’il appartiendra de prouver que le dommage trouve sa cause dans l’accident.
    • Tel sera notamment le cas lorsque le dommage survient près de deux ans après l’accident (Cass. 2e civ. 24 janv. 1996, n°94-10.923).
  • Seconde hypothèse
    • Le préjudice subi par la victime est une suite prévisible de l’accident
    • Dans le cas contraire, la présomption d’imputation du dommage à l’accident sera écartée.
    • Tel sera le cas, par exemple, lorsqu’une victime se suicide plus de deux mois après l’accident, alors qu’elle n’avait, sur le moment, subi aucun dommage (Cass. 2e civ. 13 nov. 1991, n°90-15.472).

Civ. 2e, 24 janv. 1996

Sur le premier moyen, pris en sa première et deuxième branche :

Vu l’article 1315 du Code civil, ensemble l’article 1382 du même Code ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’en mars 1982, l’automobile de M. X… étant entrée en collision avec celle de Mlle A…, sa passagère à l’avant droit, Mme Y…, a été blessée ; qu’en octobre 1984, Mme Y… a assigné M. X… et son assureur la compagnie AXA assurances IARD, en réparation de son préjudice corporel résultant d’une polyarthrite rhumatoïde, consécutive, selon elle, au traumatisme cervical subi lors de l’accident ;

Attendu que pour accueillir cette demande, l’arrêt, après avoir énoncé que la loi du 5 juillet 1985 a établi au profit des victimes d’un accident de la circulation une présomption d’imputabilité du dommage à l’accident, retient que la dégradation de l’état de santé de Mme Y… a commencé peu de temps après l’accident et que Mme Y… est fondée à se prévaloir de la présomption d’imputabilité de son dommage à l’accident ;

Qu’en faisant ainsi supporter à M. X… la preuve de la non-imputabilité du dommage invoqué par Mlle A… à l’accident, alors que ce dommage s’était révélé postérieurement, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 25 février 1994, entre les parties, par la cour d’appel de Reims ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens.

?Cas particulier des accidents complexes

Si la mise en œuvre de la condition tenant à l’imputation du dommage à l’accident ne soulève guère de difficulté lorsqu’un seul véhicule est impliqué, la problématique se complique considérablement lorsque l’on est en présence d’un accident complexe, soit de collisions en chaîne.

Exemple :

  • Un carambolage se produit dans lequel sont impliqués une dizaine de VTM
  • Comment appréhender la condition tenant l’imputation du dommage à l’accident lorsque le décès de la victime résulte du 2e choc ?
    • Doit-on estimer que seuls les conducteurs des deux premiers chocs engagent leur responsabilité ?
    • Doit-on considérer, au contraire, que la loi du 5 juillet 1985 s’applique au-delà du 2e choc, soit que l’obligation d’indemnisation pèse, indifféremment, sur tous les conducteurs des VTM y compris ceux impliqués dans les 3e et 4e chocs ?

Pour résoudre cette problématique, deux solutions sont envisageables :

  • Soit l’on considère que l’accident complexe doit être découpé en plusieurs sous-accidents
    • Il appartient dans ces conditions à la victime de déterminer à quel sous-accident son dommage est imputable.
    • Cela revient à interpréter strictement de lettre de la loi du 5 juillet 1985.
  • Soit l’on considère que l’accident complexe doit être apprécié dans sa globalité
    • Il suffit alors à la victime d’établir que son dommage est imputable à l’accident complexe, pris dans son ensemble, sans qu’il lui soit besoin d’opérer un tri parmi les sous-accidents.
    • Cela revient à adopter une interprétation audacieuse de la loi Badinter, dont l’objectif est de faciliter l’indemnisation des victimes.

Quelle solution a été retenue par la jurisprudence ? La position adoptée aujourd’hui par la Cour de cassation est le fruit d’une évolution jalonnée par de nombreuses hésitations.

  • Première étape
    • Dans un arrêt du 26 novembre 1986, la Cour de cassation a semblé se satisfaire de l’établissement de l’implication du VTM dans l’accident complexe, sans exiger de la victime qu’elle rapporte la preuve de l’imputation de son dommage à un choc en particulier (Cass. 2e civ. 26 nov. 1986, n°85-13.760).
      • Autrement dit, selon la haute juridiction, dès lors que le VTM est impliqué, l’application de la loi du 5 juillet 1985 ne suppose pas pour la victime qu’elle établisse le rôle joué par chacune des collisions dans la réalisation de son dommage.
  • Deuxième étape
    • Dans un arrêt du 24 octobre 1990, la Cour de cassation a, par suite, admis que le conducteur du VTM impliqué dans un accident complexe puisse s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve que le dommage subi par la victime n’était pas imputable au fait de son véhicule (Cass. 2e civ., 24 oct. 1990, n°89-13.306).
    • Aussi, cette solution revient-elle à abandonner l’approche globale de l’accident complexe, celui-ci devant être découpé en autant de sous-accidents qu’il y a eus de chocs, à charge pour le conducteur dont on engage la responsabilité de démontrer que le dommage subi par la victime n’est pas imputable à la collision dans laquelle son véhicule est impliqué.
  • Troisième étape
    • Dans un arrêt du 24 juin 1998, la Cour de cassation s’est, sous le feu des critiques, finalement ravisée en adoptant une approche globale de l’accident complexe (Cass. 2e civ., 24 juin 1998, n°96-20.575).
    • Dans cette décision, elle rappelle tout d’abord que « est impliqué au sens de l’article 1er de la loi de 1985 tout véhicule qui est intervenu à quelque titre que ce soit dans la survenance de l’accident », après quoi elle en déduit que « les trois véhicules étant impliqués dans l’accident […] les trois conducteurs et leurs assureurs sont tenus à réparation »
    • Ainsi, la Cour de cassation estime-t-elle que dès lors qu’un conducteur est impliqué dans un accident complexe, il est tenu à réparation sans qu’il soit besoin pour la victime d’établir l’imputation de son dommage à une ou plusieurs collisions en particulier.
    • Le dommage est imputé à l’accident complexe, pris dans son ensemble si bien que tous les conducteurs impliqués sont tenus à réparation envers elle in solidum. Nul n’est besoin de déterminer leur degré d’implication dans le dommage.

Cass. 2e civ., 24 juin 1998

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 27 février 1996), et les productions, qu’un véhicule étant en panne sur une route nationale à 4 voies, en agglomération, de nuit, à un endroit où l’éclairage public ne fonctionnait pas, des fonctionnaires de police ont sollicité l’intervention d’un dépanneur ; que M. A…, préposé de la société Sada, est arrivé sur les lieux en sens inverse, et a entrepris de faire demi-tour, pour rejoindre le véhicule en panne ; que la dépanneuse immobilisée en travers de la chaussée a été heurtée par une voiture Peugeot 305 conduite par M. Y…, assuré par l’UAP ; que M. A… étant sorti de son véhicule pour constater les dégâts matériels a été heurté par une voiture Renault 4 de la société Brossolette automobile, assurée par la compagnie Nationale Suisse, et conduite par M. X… ; que M. A… gisait blessé sous la dépanneuse quand celle-ci a été heurtée, à l’arrière, par le véhicule Volkswagen de M. Z…, assuré par la Mutuelle générale d’assurances ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir condamné M. Z… et son assureur, in solidum avec MM. Y…, X…, la société Brossolette automobiles et leurs assureurs, à réparer les dommages occasionnés à M. A… par l’accident, alors, selon le moyen, que la cour d’appel reconnaît dans l’exposé des faits que trois collisions successives et distinctes se sont produites, la première entre le camion et le véhicule Peugeot 305 conduit par M. Y… et entraînant des dégâts matériels, la deuxième entre M. A… descendu de son camion et le véhicule piloté par M. X… ayant notamment pour conséquence de projeter M. A… sous la dépanneuse et enfin la troisième au cours de laquelle M. Z…, au volant de son véhicule Volkswagen, a percuté légèrement l’arrière du camion de dépannage ; qu’en refusant au regard de ces constatations, et comme elle y était pourtant invitée, de rechercher si le véhicule de M. Z… avait pu jouer un rôle dans la réalisation des dégâts matériels résultant des deux premières collisions et des dommages corporels subis par M. A…, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;

Mais attendu qu’est impliqué, au sens de ce texte, tout véhicule qui est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident ;

Et attendu qu’ayant retenu que 3 véhicules étaient impliqués dans l’accident dont M. A… a été victime, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que ces trois conducteurs et leurs assureurs étaient tenus à réparation ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Confirmation jurisprudentielle et approbation doctrinale

Dans son dernier état, la Cour de cassation a confirmé sa position tendant à appréhender les accidents complexes de façon globale, sans opérer de tri parmi les collisions.

Ainsi, pour la haute juridiction, dès lors que plusieurs VTM sont impliqués dans un accident complexe unique, l’obligation de réparation pèse sur tous les conducteurs ou gardien des véhicules impliqués, sans distinctions.

Dans un arrêt du 11 juillet 2002, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « dans la survenance d’un accident complexe, sont impliqués au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, tous les véhicules qui sont intervenus à quelque titre que ce soit » (Cass. 2e civ. 11 juill. 2002, n°01-01.666 V. également en ce sens Cass. 2e civ., 25 oct. 2007, n°05-21.807; Cass. 2e civ., 7 juill. 2011, n°10-19.960)

En d’autres termes, l’accident complexe ne doit plus être appréhendé comme une série de petites collisions successives qu’il convient d’isoler afin de déterminer à quel choc le dommage de la victime est imputable.

Désormais, l’accident complexe doit être envisagé globalement, ce qui revient à l’appréhender comme un accident unique.

Il en résulte que la victime peut engager la responsabilité de n’importe lequel des conducteurs ou gardiens dont le véhicule est impliqué, sans avoir à justifier ou identifier lequel des véhicules est directement la cause de son dommage

L’indemnisation des victimes s’en trouve alors facilitée et l’objectif de la loi du 5 juillet 1985 atteint. D’où l’approbation de cette jurisprudence par la doctrine, qui se félicite de la solution retenue.

II) Les causes d’exonérations

Dès lors que les conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985 sont satisfaites, la victime est fondée à réclamer l’indemnisation de son préjudice.

La question qui alors se pose est de savoir si le conducteur ou le gardien du VTM impliqué peut s’exonérer de sa responsabilité ?

Deux enseignements peuvent être tirés de la lecture des articles 2 à 6 de la loi Badinter :

  • Tout d’abord, il ressort de l’article 2 de cette loi que, contrairement au droit commun de la responsabilité du fait des choses, le conducteur ou le gardien du VTM impliqué dans l’accident ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en invoquant les causes étrangères que sont « la force majeure ou le fait d’un tiers »
    • Bien que cette exclusion de la force majeure et du fait d’un tiers comme cause d’exonération puisse apparaître sévère pour le responsable du dommage, elle doit être comprise à la lumière de l’obligation d’assurance qui pèse sur tout propriétaire d’un VTM.
  • Ensuite, les articles 3 à 6 de la loi du 5 juillet 1985 nous révèlent que la faute de la victime conserve une place dans le système d’indemnisation mis en place, dans la mesure où elle va avoir une incidence sur l’évaluation du montant de l’indemnisation voire sur le bien-fondé de l’obligation de réparation.
    • L’établissement d’une faute de la victime ne conduira cependant pas à exonérer la responsabilité du conducteur ou du gardien du VTM en toute hypothèse.
    • La loi distingue :
      • Selon que le dommage à réparer est un dommage aux biens ou à la personne
      • Selon la personne de la victime

A) L’exonération du responsable selon que le dommage à réparer est un dommage aux biens ou à la personne

?Concernant les dommages aux biens

Aux termes de l’article 5, al. 1 de la loi du 5 juillet 1985, « la faute, commise par la victime a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages aux biens qu’elle a subis »

La solution retenue ici par la loi Badinter, ne déroge pas aux solutions classiques.

La faute de la victime, quelle que soit la victime, et sans que la faute ait à revêtir des caractères particuliers (force majeure), a pour effet de limiter ou d’exclure le droit à réparation.

Le choix d’une exonération totale ou partielle relève du pouvoir souverain des juges du fond.

?Concernant les dommages aux personnes

La loi du 5 juillet 1985 a introduit des règles très spécifiques tendant, au moins s’agissant des victimes non-conducteurs, à restreindre les possibilités d’exonération par la preuve de la faute de la victime.

On remarque donc que le législateur, a opéré un jugement de valeur très clair :

  • Pour les dommages aux biens, toute faute de la victime peut venir limiter son droit à indemnisation
  • Pour les dommages aux personnes, seule une faute qualifiée de la victime peut exclure ou réduire son droit à indemnisation

Le législateur a opéré néanmoins une distinction entre les victimes conductrices et les victimes non-conductrices quant à leur droit à indemnisation.

L’esprit de la loi est animé par une certaine bienveillance à l’égard des non-conducteurs et une volonté de responsabilisation des conducteurs.

B) L’exonération du responsable selon la personne de la victime

Il peut être observé que la Cour de cassation a refusé de saisir le Conseil constitutionnel quant à la question de savoir si la différence de traitement réservée par la loi du 5 juillet 1985 aux victimes conductrices et non conductrices était ou non contraire à la Constitution.

La deuxième chambre civile a, en effet, estimé que « la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que l’article 4 répond à une situation objective particulière dans laquelle se trouvent toutes les victimes conductrices fautives d’accidents de la circulation, et ne permet, en rapport avec l’objet de la loi qui poursuit notamment un but d’intérêt général, de limiter ou d’exclure leur indemnisation que lorsque le juge constate l’existence d’une faute de leur part » (Cass. 2e civ., 9 sept. 2010, n°10-12.732)

1. L’indemnisation des dommages à la personne : la faute de la victime non-conductrice

?Notion

Les victimes non-conductrices sont toutes les victimes directes de l’accident ainsi que les victimes par ricochet.

Parmi ces deux catégories de victimes, les victimes non-conductrices sont toutes celles qui n’avaient pas, au moment de l’accident, la qualité de conducteur, soit qui n’exerçaient pas sur le véhicule impliqué un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle.

Il peut donc s’agit d’un piéton, d’un cycliste ou d’un passager y compris du véhicule du conducteur fautif

?Régime

Aux termes de l’article 3, al. 1 de la loi les victimes non-conducteurs sont insusceptibles de se voir opposer leur propre faute.

?Exception

La faute de la victime non-conducteur peut, par exception, être prise en compte.

Toutefois, les conditions d’invocation de cette exception sont plus en plus restrictives selon la qualité de la victime :

S’agissant des victimes non-conducteurs âgées de plus de 16 ans et de moins de 70 ans, sans incapacité permanente ou invalidité de plus de 80%, elles peuvent se voir opposer deux types de fautes :

  • leur faute inexcusable
  • leur faute intentionnelle.

S’agissant des victimes non-conducteurs âgées de moins de 16 ans et de plus de 70 ans, sans incapacité permanente ou invalidité de plus de 80%, elles ne peuvent se voir opposer que leur faute intentionnelle.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir comment se définissent les fautes inexcusables et intentionnelles :

  • La faute inexcusable
    • Définition
      • Dans une série d’arrêts rendus en date du 20 juillet 1987, la cour de cassation a défini la faute inexcusable comme « la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » (Cass. 2e civ., 20 juill. 1987, n°86-11.582).
      • Cette définition de la faute inexcusable a été confirmée par l’assemblée plénière dans un arrêt du 10 novembre 1995 où elle réaffirme, mot pour mot, la solution dégagée en 1987 (Cass. ass. plén., 10 nov. 1995, n°94-13.912).
      • Depuis lors, la définition de la faute inexcusable est régulièrement reprise par la haute juridiction (V. en ce sens Cass. 2e civ. 10 mars 2016, n°15-10.824).
    • Conditions
      • La caractérisation de la faute inexcusable suppose la satisfaction de quatre conditions cumulatives :
        • Une faute volontaire
        • D’une exceptionnelle gravité
        • Absence de justification du comportement fautif
        • Conscience du danger de la victime

Cass. ass. plén., 10 nov. 1995

Sur le moyen unique :

Vu l’article 3, alinéa 1er, de la loi du 5 juillet 1985 ;

Attendu que seule est inexcusable au sens de ce texte la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation, que M. X…, qui se trouvait sur la chaussée d’un chemin départemental, a été heurté par une voiture automobile conduite par M. Y…, laquelle a été elle-même percutée à l’arrière par une camionnette appartenant à la société Harscoat ; que, blessé, M. X… a assigné en réparation de son préjudice M. Y…, qui a appelé en garantie cette société ; que M. X… étant décédé, ses héritiers ont repris la procédure ;

Attendu que, pour retenir à la charge de M. X… une faute inexcusable et débouter ses ayants droit de leur demande, l’arrêt retient que M. X… a traversé la chaussée et s’est maintenu sensiblement au milieu de cette voie afin d’arrêter un automobiliste et de se faire prendre à son bord pour regagner son domicile, élément qui caractérise une démarche volontaire, qu’il a ainsi agi, hors agglomération, sur une route dépourvue d’éclairage, à une heure de fréquentation importante, habillé de sombre, de nuit et par temps pluvieux, élément qui caractérise l’exceptionnelle gravité de son comportement, sans raison valable, par simple commodité, et s’est exposé par son maintien sur l’axe médian de la chaussée à un danger dont il aurait dû avoir conscience, alors qu’il venait déjà précédemment d’éviter d’être renversé par un autocar, et que son imprégnation alcoolique n’était pas telle qu’elle ait pu le priver de tout discernement ;

Qu’en l’état de ces énonciations, d’où ne résulte pas l’existence d’une faute inexcusable, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 16 mars 1994, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles.

  • La faute intentionnelle
    • Définition
      • Aux termes de l’article 3, al. 3 de la loi du 5 juillet 1985, « dans les cas visés aux deux alinéas précédents, la victime n’est pas indemnisée par l’auteur de l’accident des dommages résultant des atteintes à sa personne lorsqu’elle a volontairement recherché le dommage qu’elle a subi ».
      • Ainsi, la faute intentionnelle se distingue de la faute inexcusable en ce qu’elle suppose chez son auteur la volonté de produire le dommage.
      • Il ne suffit donc pas que la victime se mette délibérément en danger, il faut qu’elle ait intentionnellement recherché le dommage (Cass. 2e civ. 31 mai 2000, n°98-16.707)

Cass. 2e civ. 31 mai 2000

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Amiens, 31 mars 1998), que le 21 novembre 1992, vers 19 heures 30 sur une route nationale, hors agglomération, M. Y…, piéton, a été heurté par le véhicule automobile conduit par M. X…, appartenant à son employeur la société SFPI ; que la victime étant décédée, Mme Y… agissant en son nom personnel et ès qualités d’administratice légale de ses enfants mineurs, a assigné devant le tribunal de grande instance M. X… et l’Union des assurances de Paris, assureur du véhicule, aux droits de laquelle se trouve désormais la société Axa assurances, en réparation de leurs préjudices ; que la Caisse des dépôts et consignations et la caisse primaire d’assurance maladie de Beauvais ont été appelées dans l’instance ;

Attendu que Mme Y… fait grief à l’arrêt de l’avoir déboutée de ses demandes alors, selon le moyen, 1° que, seule la faute volontaire exclut toute indemnisation pour les victimes autres que les conducteurs ; qu’en l’espèce, en se bornant à relever que M. Y… titubait, marchait comme s’il était ivre, doucement vers la voiture sans réagir, circonstances insusceptibles à elles seules de traduire un comportement suicidaire, la cour d’appel n’a pas caractérisé la recherche volontaire de son dommage par la victime et, partant, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 3, alinéa 3, de la loi du 5 juillet 1985 ; 2° que, en toute hypothèse, la recherche volontaire du dommage doit traduire un comportement conscient, une volonté réfléchie ; qu’en retenant que le piéton titubait, marchait comme s’il avait bu, les bras ballants et avançait sans aucune réaction ” comme une personne qui n’était dans son état normal “, sans rechercher si ce comportement ne révélait pas l’absence de toute faculté de discernement de sorte que l’acte de M. Y… ne pouvait être retenu pour volontaire, la cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l’article 3, alinéa 3, de la loi du 5 juillet 1985 ;

Mais attendu que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve que la cour d’appel, ayant analysé les déclarations de la veuve de la victime et des témoins et relevé qu’après une tentative de suicide la veille de l’accident, M. Y…, se trouvant sur le couloir de circulation du véhicule qui arrivait, continuait d’avancer tout en regardant la voiture jusqu’à l’impact, a retenu, justifiant légalement sa décision, que M. Y… avait volontairement recherché le dommage qu’il avait subi ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

2. L’indemnisation des dommages à la personne : la faute de la victime conductrice

?Notion

Le conducteur est celui qui exerce le pouvoir d’usage, de direction et de contrôle sur le VTM impliqué dans l’accident

Autrement dit, il s’agit de celui qui accomplit les gestes nécessaires à la conduite du VTM

?Régime

Aux termes de l’article 4 de la loi de 1985 « la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis ».

Il ressort de cette disposition qu’une faute quelconque peut être opposée à la victime conductrice pour limiter voire exclure son droit à indemnisation.

Par ailleurs, il peut être observé que l’on peut opposer à la victime conductrice :

  • D’une part la faute à l’origine de l’accident
  • D’autre part la faute à l’origine de son propre dommage

?Indemnisation

Sur ce point, la jurisprudence de la Cour de cassation a manifestement quelque peu évolué :

  • Première étape
    • Dans un arrêt du 24 novembre 1993, la Cour de cassation a d’abord estimé que « le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation qui a commis une faute n’a pas d’action contre un autre conducteur qui n’a pas commis de faute »
    • Autrement dit, la victime conductrice fautive serait déchue de son droit à indemnisation, dans l’hypothèse où le défendeur n’aurait commis aucune faute (Cass. 2e civ., 24 nov. 1993, n°92-12.350).
      • Faits
        • Collision frontale entre deux VTM, dont l’un d’eux s’apprêtait à tourner à gauche
        • Les deux conducteurs sont blessés
        • La victime fautive agit en réparation de son préjudice contre le conducteur non-fautif
      • Procédure
        • La Cour d’appel fait droit à la demande du conducteur fautif
      • Solution
        • La Cour de cassation censure les juges du fond estimant que le conducteur fautif est dépourvu d’action en réparation contre le conducteur non fautif.

Cass. 2e civ., 24 nov. 1993

Sur le moyen unique :

Vu l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985 ;

Attendu que le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation qui a commis une faute n’a pas d’action contre un autre conducteur qui n’a pas commis de faute ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que, dans une agglomération, une collision s’est produite entre l’automobile de Mme X… et celle de Mme Y… venant en sens inverse et s’apprêtant à tourner sur sa gauche ; que les deux conductrices ont été blessées ; que Mme Y… a demandé à Mme X… et à son assureur, la compagnie Elvia assurances, la réparation de son préjudice ;

Attendu que, pour condamner Mme X… et son assureur à réparer pour partie le dommage de Mme Y…, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que l’empiétement du véhicule de Mme Y… sur la voie réservée aux véhicules venant en sens inverse constitue une faute à la charge de celle-ci et qu’aucun excès de vitesse n’était établi contre Mme X… qui n’avait pas commis de faute ;

En quoi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a condamné Mme X… à indemniser Mme Y…, l’arrêt rendu le 14 janvier 1992, entre les parties, par la cour d’appel de Besançon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Chambéry

  • Deuxième étape
    • Dans un arrêt du 22 mai 1996, la Chambre criminelle prend le contre-pied de la deuxième chambre civile en considérant que qu’il résulte de la loi du 5 juillet 1985 « que chaque conducteur, même non fautif, est tenu d’indemniser l’autre, sauf limitation ou exclusion de cette indemnisation par suite de la faute commise par ce dernier ; qu’une telle faute, qui ne s’apprécie qu’en la personne du conducteur auquel on l’oppose, ne revêt un caractère exclusif que lorsqu’elle est seule à l’origine de son dommage » (Cass. crim., 22 mai 1996, n°94-85.607).
    • Ainsi pour la chambre criminelle l’indemnisation de la victime conductrice fautive ne dépend pas de l’établissement d’une faute du défendeur mais seulement de l’existence d’un lien de causalité entre son préjudice et sa faute, conformément à l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985.
    • La solution adoptée par la chambre criminelle est donc radicalement opposée à celle dégagée par la deuxième chambre civile

Cass. crim., 22 mai 1996

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’une collision s’est produite entre l’automobile de Claudette Y… et la motocyclette pilotée par Guillaume Z…, qui l’a heurtée à l’arrière ; que, ce dernier ayant été blessé dans l’accident, l’automobiliste a été poursuivie, notamment, pour blessures involontaires, et définitivement relaxée de ce chef ;

Attendu que, saisie d’une demande de Guillaume Z…, constitué partie civile, tendant à ce qu’il soit fait application des dispositions de l’article 470-1, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, la cour d’appel énonce qu’il convient, en l’état de la procédure, de rechercher si la victime a commis une faute de nature à limiter ou à exclure son indemnisation ;

Attendu que, pour écarter l’argumentation de Claudette Y…, qui soutenait que le motocycliste avait, en circulant à une allure excessive, par temps de pluie, commis une faute exclusive de toute indemnisation, les juges relèvent que son véhicule a, du fait d’un ralentissement inopiné, joué un rôle dans la survenance de l’accident ; qu’ils ajoutent que la faute du conducteur de la motocyclette, qui n’a pu maîtriser sa vitesse compte tenu des conditions climatiques, justifie qu’il soit ” privé à concurrence d’un quart de la réparation de son préjudice ” ;

Attendu qu’en l’état de ces seuls motifs, exempts de tout caractère hypothétique et caractérisant l’implication du véhicule de la demanderesse dans l’accident, la cour d’appel, qui a souverainement apprécié dans quelle mesure la faute de la victime avait contribué à la réalisation de son dommage, a fait l’exacte application de l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985 ;

Qu’en effet, il résulte de ce texte, seul applicable en cas de collision de véhicules terrestres à moteur, que chaque conducteur, même non fautif, est tenu d’indemniser l’autre, sauf limitation ou exclusion de cette indemnisation par suite de la faute commise par ce dernier ; qu’une telle faute, qui ne s’apprécie qu’en la personne du conducteur auquel on l’oppose, ne revêt un caractère exclusif que lorsqu’elle est seule à l’origine de son dommage ;

Que le moyen n’est, dès lors, pas fondé ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.

  • Troisième étape
    • Saisie de la question qui oppose les deux chambres de la Cour de cassation, la chambre mixte tranchera dans un arrêt du 28 mars 1997 en faveur de la chambre criminelle (Cass. ch. mixte, 28 mars 1997, n°93-11.078)
    • Elle affirme en ce sens que « lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l’indemnisation des dommages qu’il a subis, directement ou par ricochet, sauf s’il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice ; qu’il appartient alors au juge d’apprécier souverainement si cette faute a pour effet de limiter l’indemnisation ou de l’exclure ».
    • Ainsi, seule la faute de la victime conductrice n’est susceptible de limiter ou d’exclure son indemnisation qu’à la seule condition qu’existe un lien de causalité entre sa faute et son préjudice.
    • Le comportement non-fautif du défendeur est donc indifférent : les juges du fond doivent focaliser leur appréciation sur les circonstances qui ont concouru à la production du dommage de la victime conducteur.

Cass. ch. mixte, 28 mars 1997

Mais sur le premier moyen, pris en ses trois dernières branches, et sur le second moyen réunis :

Vu les articles 1 et 4 de la loi du 5 juillet 1985 ;

Attendu que lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l’indemnisation des dommages qu’il a subis, directement ou par ricochet, sauf s’il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice ; qu’il appartient alors au juge d’apprécier souverainement si cette faute a pour effet de limiter l’indemnisation ou de l’exclure ;

Attendu que, pour rejeter les demandes de M. De Meyer tendant à l’indemnisation des dommages qu’il avait subis personnellement et du fait du décès de son fils, l’arrêt retient qu’il a commis la contravention prévue à l’article R. 4 du Code de la route, que M. Yatimi Y… X… n’a commis aucune faute, et que, si la faute de M. De Meyer n’a pas été la cause exclusive de l’accident, qui ne se serait pas produit en l’absence de la manoeuvre intempestive du véhicule non identifié, elle a présenté pour M. Yatimi Y… X… un caractère imprévisible et irrésistible ;

En quoi la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 novembre 1992, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Reims.

?Le sort de la victime par ricochet

Aux termes de l’article 6 de la loi du 5 juillet 1985, « le préjudice subi par un tiers du fait des dommages causés à la victime directe d’un accident de la circulation est réparé en tenant compte des limitations ou exclusions applicables à l’indemnisation de ces dommages »

Il ressort de cette disposition que lorsque la victime principale se voit opposer une faute de nature à limiter voire exclure son indemnisation, la victime par ricochet verra son indemnisation verra son droit à réparation réduit dans les mêmes proportions.

Dans un arrêt du 15 mars 1995, la Cour de cassation a affirmé en ce sens « qu’il résulte de la combinaison des articles 4 et 6 de la loi précitée que, si le préjudice subi par un tiers du fait des dommages causés à la victime directe d’un accident de la circulation doit être, en principe, intégralement réparé lorsqu’aucune limitation ou exclusion n’est applicable à l’indemnisation de ces dommages, il en est autrement lorsque ce tiers, lui-même conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans l’accident, est convaincu d’une faute en relation avec celui-ci » (Cass. crim., 15 mars 1995, n°93-80.695).

Cass. crim., 15 mars 1995

Les moyens étant réunis ;

Vu lesdits articles, ensemble les articles 4 et 6 de la loi du 5 juillet 1985 ;

Attendu qu’il résulte de la combinaison des articles 4 et 6 de la loi précitée que, si le préjudice subi par un tiers du fait des dommages causés à la victime directe d’un accident de la circulation doit être, en principe, intégralement réparé lorsqu’aucune limitation ou exclusion n’est applicable à l’indemnisation de ces dommages, il en est autrement lorsque ce tiers, lui-même conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans l’accident, est convaincu d’une faute en relation avec celui-ci ;

Attendu qu’une collision entre deux véhicules automobiles, conduits respectivement par Sylvie Z… et Patrick X…, a provoqué la mort de l’épouse de ce dernier ; que, sur les poursuites exercées par le ministère public contre la première pour homicide involontaire et refus de priorité, et contre le second pour excès de vitesse, le tribunal correctionnel les a condamnés de ces chefs et a alloué à Patrick X…l’indemnisation de son préjudice moral et de celui de son fils mineur Gian-Carlo, outre le remboursement des frais d’obsèques ; que par le même jugement Patrick X…, cité directement par Sylvie Z… pour homicide involontaire, a été relaxé de ce chef au motif que son excès de vitesse était sans relation avec l’accident ;

Attendu que, saisie des seuls intérêts civils par les appels de Sylvie Z… et de Patrick X…, la juridiction du second degré limite à la moitié l’indemnisation de ce dernier et de son enfant, en relevant que sa vitesse excessive ” est à l’origine ” de leurs dommages ;

Attendu, certes, que la décision par laquelle le tribunal a, à tort, statué sur le bien-fondé de la citation délivrée à la requête de Sylvie Z… laquelle était sans qualité pour agir comme partie civile du chef d’homicide involontaire sur l’épouse de son coprévenu est devenue définitive quant à l’action publique ; que l’appel de l’intéressée était néanmoins recevable en ce qu’il tendait à faire juger que la contravention retenue à la charge de Patrick X…, constituait une faute de nature à limiter l’indemnisation de celui-ci ;

Mais attendu que si, après avoir souverainement estimé que la faute de ce dernier avait contribué à la réalisation de l’accident, les juges d’appel ont, à bon droit, limité son indemnisation, ils ont, en revanche, en appliquant cette limitation à son enfant Gian-Carlo, ayant droit de la victime, passagère transportée, méconnu les textes susvisés et le principe susénoncé ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, du 4 décembre 1992, mais en ses seules dispositions limitant à la moitié l’indemnisation de Gian-Carlo X…, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Fait de la chose et rôle actif

Que doit-on entendre par fait de la chose ? De quel fait parle-t-on ?

Faut-il un rôle actif de la chose dans la production du dommage ou une simple participation causale suffit ?

Autrement dit, est-il seulement nécessaire que la chose intervienne dans la réalisation du dommage ou faut-il qu’elle en soit la véritable cause ?

Manifestement, la nature du rapport entre le fait de la chose et le dommage a été source, pour la jurisprudence et la doctrine, de nombreuses interrogations.

Aussi, afin de dresser un état du droit positif en la matière, convient-il d’exposer les solutions traditionnelles rendues par la Cour de cassation, puis de s’interroger sur la possible remise en cause de ces solutions au regard de la jurisprudence récente.

1. Les solutions jurisprudentielles traditionnelles

Selon la jurisprudence classique, il est nécessaire que la chose ait été l’instrument du dommage pour que son gardien engage sa responsabilité.

Ainsi, estime-t-on qu’une chose parfaitement inerte, qui n’est pas dans une position anormale, dont le fonctionnement n’est pas anormal, dont l’état n’est pas non plus anormal ou qui n’est pas dans une position anormale, ne peut être considérée comme l’instrument du dommage.

?Exigence d’un rôle actif de la chose

Pour être l’instrument du dommage, il faut donc que la chose ait joué un rôle actif dans la production du dommage.

Telle est l’exigence posée par la Cour de cassation dans un célèbre arrêt Dame Cadé du 19 février 1941 (Cass. civ., 19 févr. 1941).

Arrêt Dame Cadé

(Cass. civ., 19 févr. 1941)

La Cour; — Sur le moyen additionnel, lequel est préalable… — (sans intérêt); — Et sur le premier moyen : — Attendu que la dame Cadé, prise d’un malaise dans une cabine de l’établissement de bains municipal de la ville de Colmar, s’est affaissée sur le sol et a été brûlée au bras par le contact prolongé d’un tuyau du chauffage central; que les époux Cadé ont assigné la Ville de Colmar en se fondant notamment tant sur la faute de la surveillante des bains, préposée de la ville, qui, appelée par la malade, aurait eu le tort de ne pas demeurer un temps suffisant auprès d’elle, que sur l’article 1384, § 1er, du Code civil, en raison du dommage causé par la tuyauterie dont la ville avait la garde, ainsi que sur la responsabilité contractuelle de la ville; qu’ils ont été déboutés par la cour d’appel de Colmar (arrêt du 23 janv. 1937), motif pris, d’une part, de ce que la préposée n’avait commis aucune faute, d’autre part, de ce que l’accident a eu pour cause le malaise de la dame Cadé, qui a provoqué sa chute au contact d’un tuyau du chauffage central, et non ce tuyau, qui n’a joué qu’un rôle purement inerte, et enfin de ce que, si le contrat intervenu entre l’établissement de bains et la dame Cadé comportait l’obligation de ne pas mettre en danger la santé ou la sécurité de sa cliente, il n’impliquait pas celle de la garantir contre un état de santé défectueux que l’établissement ignorait; — Attendu que le pourvoi, abandonnant le terrain de la responsabilité contractuelle, fait en premier lieu grief à cette décision d’avoir écarté la présomption de responsabilité qui, en vertu de l’article 1384, § 1er, du Code civil, pesait sur la ville de Colmar, sans établir soit la force majeure, soit la faute exclusive de la victime; — Mais attendu que, pour l’application de l’article 1384, § 1er, du Code civil, la chose incriminée doit être la cause du dommage; que si elle est présumée en être la cause génératrice dès lors qu’inerte ou non elle est intervenue dans sa réalisation, le gardien peut détruire cette présomption en prouvant que la chose n’a joué qu’un rôle purement passif, qu’elle a seulement subi l’action étrangère génératrice du dommage; qu’il résulte des constatations des juges du fond que tel a été le cas en l’espèce, la tuyauterie contre laquelle la dame Cadé s’est affaissée se trouvant installée dans des conditions normales et la cause génératrice du dommage résidant tout entière dans la syncope qui a fait tomber la dame Cadé de la chaise où elle était assise, et a permis qu’elle demeurât inanimée en contact avec un tube chaud assez longtemps pour être brûlée; — Attendu que les demandeurs reprochent encore à l’arrêt attaqué d’avoir méconnu le caractère fautif des agissements de la surveillante de l’établissement de bains, préposée de la ville, mais que cette critique n’est pas mieux fondée que la première; qu’en effet, l’absence de faute de la femme de service résulte des constatations mêmes de la cour d’appel, qui relève qu’appelée par la dame Cadé, elle lui est venue en aide dans la mesure où cette dernière le lui a demandé; — Attendu qu’il suit de là que, loin de violer les textes visés au moyen, l’arrêt attaqué, qui est suffisamment motivé, en a fait une exacte application; — Par ces motifs, rejette…

  • Faits
    • La cliente d’un établissement municipal de bains est prise d’un malaise.
    • Il s’ensuit une chute
    • La cliente se brûle alors au bras par le contact prolongé d’un tuyau du chauffage central.
    • Elle engage une action en responsabilité contre l’établissement.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 23 janvier 1937, la Cour d’appel de Colmar déboute la victime de sa demande de réparation.
    • Les juges du fond estiment que « l’accident a eu pour cause le malaise de la dame Cadé, qui a provoqué sa chute au contact d’un tuyau du chauffage central, et non ce tuyau, qui n’a joué qu’un rôle purement inerte »
    • Ils estiment, en d’autres termes, que ce n’est pas le fait de la chose qui a été l’instrument du dommage.
    • Pour la Cour d’appel, seule la chute en est la cause
  • Solution
    • La Cour de cassation valide la solution retenue par les juges du fond.
    • Elle estime en ce sens que « pour l’application de l’article 1384, § 1er, du Code civil, la chose incriminée doit être la cause du dommage; que si elle est présumée en être la cause génératrice dès lors qu’inerte ou non elle est intervenue dans sa réalisation, le gardien peut détruire cette présomption en prouvant que la chose n’a joué qu’un rôle purement passif, qu’elle a seulement subi l’action étrangère génératrice du dommage ».
    • Autrement dit, la haute juridiction estime que pour que l’on puisse considérer que la chose est intervenue dans la réalisation du dommage, il est nécessaire qu’elle ait joué un rôle actif.
    • La Cour de cassation précise qu’il importe peu que la chose ait été inerte ou en mouvement
    • Ce qui compte c’est le rôle actif de la chose dans la production du dommage.
    • Or en l’espèce, le tuyau ne présentait aucune anormalité, ni dans sa position, ni dans son fonctionnement, ni dans son état.
    • Le tuyau était parfaitement à sa place, d’où l’absence de rôle actif de la chose.

?Confirmation de l’exigence de rôle actif

Dans un arrêt du 11 janvier 1995, la Cour de cassation à réaffirmer l’exigence de rôle actif de la chose (Cass. 2e civ., 11 janv. 1995, n°92-20.162).

Cass. 2e civ., 11 janv. 1995

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu qu’une chose inerte ne peut être l’instrument d’un dommage si la preuve qu’elle occupait une position anormale ou qu’elle était en mauvais état n’est pas rapportée ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. Y…, monté, à l’occasion d’une expertise, sur la toiture de l’immeuble de M. X…, constituée de tôles ondulées, a posé le pied sur une plaque d’éclairement, en matériau translucide, qui s’est brisée sous son poids ; qu’ayant été blessé dans sa chute, M. Y… a demandé réparation de son préjudice à M. X… et à son assureur la compagnie Groupama ;

Attendu que pour accueillir cette demande, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, qu’en se rompant sous le poids de la victime, cette plaque a été l’instrument du dommage, même si, par ailleurs, elle se trouvait à sa place normale, était inerte et en bon état ;

Qu’en statuant ainsi la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 septembre 1992, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Besançon.

  • Faits
    • Une plaque d’éclairement, en matériau translucide positionné sur la toiture d’un immeuble se prise sous le poids d’un ouvrier qui se blesse en chutant
    • La victime engage une action en responsabilité contre le propriétaire de l’immeuble
  • Procédure
    • Par un arrêt du 15 septembre 1992, la Cour d’appel de Nancy fait droit à la demande d’indemnisation de la victime
    • Les juges du fond estiment que « en se rompant sous le poids de la victime, cette plaque a été l’instrument du dommage, même si, par ailleurs, elle se trouvait à sa place normale, était inerte et en bon état »
  • Solution
    • La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel en rappelant que pour que la chose puisse être considérée comme l’instrument du dommage, il est nécessaire qu’elle ait joué un rôle actif.
    • Aussi, cela suppose-t-il que la victime démontre que la chose qui était inerte présentait une anormalité, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
    • Dès lors, la responsabilité du gardien ne saurait être recherchée.

Bilan:

Il ressort de la jurisprudence que pour qu’il y ait rôle actif de la chose, il faut donc qu’elle soit la cause réelle du dommage et non qu’elle y ait simplement contribué.

La jurisprudence raisonne ici en termes de causalité adéquate :

  • Si l’on retient l’équivalence des conditions :
    • sans le tuyau pas de dommage
    • sans la plaque de Plexiglas pas de dommage non plus.
  • Si l’on retient la causalité adéquate
    • On doit se demander si la chose a joué un rôle majeur dans la production du dommage
    • Pour le déterminer cela suppose d’établir que la chose présentait une anormalité :
      • Soit dans sa structure
      • Soit dans son fonctionnement
      • Soit dans sa position
      • Soit dans son état

?Présomption de rôle actif

  • Instauration d’une présomption de rôle actif
    • Afin de faciliter la preuve du rôle actif de la chose pour la victime, la Cour de cassation a instauré une présomption de rôle actif dans un arrêt du 28 novembre 1984 (Cass. 2e civ., 28 nov. 1984, n°83-14.718)
    • La haute juridiction a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir débouté une victime de sa demande d’indemnisation, celle-ci n’étant pas parvenue à établir le rôle actif de la chose alors que, selon la Cour de cassation, il y avait en l’espèce présomption de rôle actif.
    • Pour la Cour de cassation, la charge de la preuve reposait donc, non pas sur la victime, mais sur le gardien de la chose.
  • Domaine limité de la présomption de rôle actif
    • Bien que la Cour de cassation instaure dans cette décision une présomption de rôle actif à la faveur de la victime, elle en délimite cependant le domaine d’application de façon restrictive.
    • En effet, la présomption de rôle actif n’a vocation à s’appliquer que si la chose était en mouvement et est entrée en contact avec la victime.
    • Dans le cas contraire il appartiendra à la victime d’établir le rôle actif de la chose.

Cass. 2e civ., 28 nov. 1984

Sur le moyen relevé d’office après observation des formalités prévues à l’article 1015 du nouveau code de procédure civile ;

Vu l’article 1384, alinéa 1er du code civil ;

Attendu que pour l’application de cette disposition il suffit que la preuve soit rapportée pour la victime que la chose a été et ne fut-ce que pour partie l’instrument du dommage ;

Attendu selon l’arrêt infirmatif attaque, que sur une voie d’autoroute m. x… qui circulait a motocyclette heurta l’automobile de m. y… z… au moment où il entreprenait de la dépasser ;

que blesse il a assigné en réparation, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du code civil, m. y… z… et son assureur la compagnie u.a.p. ;

attendu que pour débouter m. x… de sa demande, l’arrêt après avoir relevé que ce motocycliste disposait d’un espace suffisant pour effectuer sa manœuvre de dépassement et que le changement de direction à gauche qu’il reprochait a m. y… z… n’était pas établi, retient que l’automobile de celui-ci avait joué un rôle passif dans la réalisation du dommage ;

Qu’en se déterminant par un tel motif tout en constatant qu’au moment de la collision l’automobile de m. y… z… était en mouvement, d’où il résultait quelle avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs : casse et annule l’arrêt rendu le 2 juin 1983 entre les parties, par la cour d’appel de paris ;

En résumé:

Pour la victime, afin d’établir le rôle actif de la chose, deux situations doivent être distinguées :

  • La chose en mouvement
    • MOUVEMENT + CONTACT = PRÉSOMPTION DE RÔLE ACTIF
    • Dans l’hypothèse, très rare, d’absence de contact entre la chose et le siège du dommage, la présomption de rôle actif est écartée
      • Il appartiendra donc à la victime de prouver que la chose est la cause de son dommage
      • Exemple : le skieur qui chute en étant surpris par un autre skieur qui lui coupe la route sans le heurter doit établir le rôle actif de la chose (Cass. 2e civ., 3 avr. 1978, n°76-14.819)
        • Pour ce faire, il devra démontrer l’anormalité de la chose, soit dans sa structure ou son état, soit dans son positionnement, soit dans son comportement.
  • La chose inerte
    • Dès lors que la chose est inerte, il apparaît difficile de présumer le lien de causalité : il est vraisemblable que le dommage est dû plutôt à l’activité de la victime qu’à l’intervention de la chose.
    • Aussi, afin d’engager la responsabilité du gardien, il reviendra à la victime de rapporter la preuve du rôle actif de la chose en démontrant qu’elle présentait une anormalité
      • Soit dans sa structure
      • Soit dans son fonctionnement
      • Soit dans sa position
      • Soit dans son état

2. La possible remise en cause des solutions jurisprudentielles traditionnelles

Afin, d’apprécier la possible remise en cause des solutions jurisprudentielles traditionnelles, il convient de se tourner vers plusieurs arrêts qui concernaient tous des accidents dans lesquels étaient impliqués, tantôt des parois vitrées, tantôt une boîte aux lettres, tantôt un plot de signalisation.

?Le cas des parois vitrées

  • Les faits
    • Une victime se blesse en heurtant à une paroi vitrée qu’elle n’avait pas vue, laquelle paroi se brise.

Cass. 2e civ., 15 juin 2000

Sur le moyen unique pris en sa première branche :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué que M. X…, qui pénétrait dans le centre commercial du GIE Chamnord (le GIE) en passant par un sas, a heurté une paroi latérale en verre, qui s’est brisée et l’a blessé ; qu’il a assigné en responsabilité et indemnisation de son préjudice le GIE et son assureur, Axa assurances ; que l’Etat néerlandais, qui lui avait versé des prestations, en a demandé le remboursement ;

Attendu que pour rejeter les demandes au motif que la victime ne démontrait pas que la chose avait été l’instrument du dommage, l’arrêt retient que la paroi vitrée était fixe, que M. X… n’établissait pas qu’elle avait un caractère anormal ou que sa finition présentait ce caractère, ou encore qu’elle était

affectée d’un vice ou d’un défaut d’entretien, aucune méconnaissance du document technique unifié (DTU), des usages professionnels et des préconisations de ” Tecmaver ” n’ayant été relevée ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’intervention de la paroi vitrée dans la réalisation du dommage ressortait de ses propres constatations, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 29 juin 1998, entre les parties, par la cour d’appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble

Cass. 2e civ., 19 févr. 2004

Sur le moyen unique du pourvoi :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 30 avril 2002), rendu sur renvoi après cassation (CIV .2, 15 juin 2000, Bull. n° 103, P. 70), que M. X…, alors qu’il pénétrait dans le centre commercial du GIE Chamnord (le GIE) en passant par un sas, a heurté une paroi latérale en verre, qui s’est brisée et l’a blessé ; qu’il a assigné en responsabilité et indemnisation de son préjudice le GIE et son assureur, la compagnie Axa assurances venant aux droits de la compagnie Les Mutuelles unies ; que l’Etat néerlandais, qui lui avait versé des prestations, en a demandé le remboursement ; que la Cour de cassation a annulé la décision rendue le 29 juin 1998 par la cour d’appel de Chambéry qui avait rejeté les demandes de M. X… et de l’Etat néerlandais au motif que la victime ne démontrait pas que la paroi vitrée avait été l’instrument du dommage ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir décidé que le GIE et son assureur n’étaient solidairement responsables du dommage qu’il avait subi que dans la proportion de deux tiers, alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que la cour d’appel, en retenant souverainement que M. X… avait connaissance des lieux, qu’il venait de quitter pour y pénétrer à nouveau, a par ce seul motif caractérisé la faute d’inattention commise par celui-ci en venant se heurter à la paroi vitrée, dont elle a pu décider qu’elle avait concouru à la réalisation de son dommage ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Le cas de la boîte aux lettres

  • Faits
    • Un piéton se blesse en heurtant une boîte aux lettres qui débordait sur le trottoir de 40 cm et à une hauteur de 1m43
  • Solution
    • Dans un arrêt du 25 octobre 2001, la Cour de cassation casse la décision rendue par la Cour d’appel qui avait refusé de faire droit à la demande d’indemnisation de la victime, estimant que « la boîte aux lettres, répondant aux prescriptions de ” l’administration des PTT “, qui occupait une position normale et ne présentait aucun débordement excessif susceptible de causer une gêne, n’a pu jouer un rôle causal dans la réalisation de l’accident »
      • Autrement dit, pour les juges du fond, le rôle actif de la chose n’était pas établi.
    • Tel n’est pas la solution retenue par la Cour de cassation qui, au contraire, considère que « la boîte aux lettres avait été, de par sa position, l’instrument du dommage » (Cass. 2e civ. 25 oct. 2001, n°99-21.616).

Cass. 2e civ., 25 oct. 2001

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon le jugement attaqué rendu en dernier ressort, que Mme X… s’est blessée en heurtant la boîte aux lettres de M. Y… qui débordait de 40 centimètres et à une hauteur de 1 mètre 43 sur un trottoir de 1 mètre 46 de large ; qu’elle a demandé à M. Y… réparation de son préjudice ;

Attendu que, pour rejeter la demande, le jugement énonce que la boîte aux lettres, répondant aux prescriptions de ” l’administration des PTT “, qui occupait une position normale et ne présentait aucun débordement excessif susceptible de causer une gêne, n’a pu jouer un rôle causal dans la réalisation de l’accident ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations, que la boîte aux lettres avait été, de par sa position, l’instrument du dommage, le Tribunal a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 8 octobre 1999, entre les parties, par le tribunal d’instance de Nogent-sur-Seine ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d’instance de Troyes

?Le cas du plot de signalisation

  • Faits
    • Le client d’une grande surface se blesse en heurtant un plot de ciment situé sur le côté du passage piéton
  • Solution
    • Comme dans les arrêts précédents, contrairement aux juges du fond qui avaient refusé de faire droit à la demande d’indemnisation de la victime, celle-ci ne démontrant pas le rôle actif de la chose, la Cour de cassation considère que le plot était bien l’instrument du dommage.
    • La demande d’indemnisation de la victime était donc fondée.

Cass. 2e civ., 18 sept. 2003, n°02-14.204

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’en sortant d’un magasin à grande surface à Soustons, Mme X… a heurté un plot en ciment situé sur le côté d’un passage pour piétons ; qu’elle a été blessée ; qu’elle a assigné la société Aquipyrdis, exploitante du magasin, ainsi que le cabinet Fillet-Allard, courtier en assurances, en responsabilité et indemnisation de ses divers préjudices, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie des Landes ;

Attendu que pour la débouter de sa demande, l’arrêt retient que la présence des deux blocs de ciment peints en rouge et délimitant un passage pour piétons peint en blanc ne constitue ni un obstacle ni un danger particulier pour les usagers et qu’elle ne peut être considérée comme anormale et que l’enlèvement de ces plots après l’accident n’est pas en soi signe d’une dangerosité particulière, ni la démonstration de leur rôle causal ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il ressortait de ses propres constatations que l’un des plots en ciment délimitant le passage pour piétons avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 14 février 2001, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ;

?Analyse des solutions

Comment interpréter les solutions adoptées par la Cour de cassation dans les décisions sus-exposées ?

Dans toutes ces décisions, la chose impliquée dans le dommage était inerte et ne présentait, a priori, aucune anormalité.

Pourtant, la Cour de cassation considère que la chose a été l’instrument du dommage, alors que telle n’était pas sa position antérieurement.

Dès lors, comment comprendre ces différents arrêts ?

  • Première explication.
    • La Cour de cassation fait ce qu’elle veut, sans suivre aucune règle, ni aucun critère.
    • Autrement dit, elle engage la responsabilité de qui elle veut en s’appuyant, tantôt sur la théorie de la causalité adéquate (jurisprudence traditionnelle), tantôt sur la théorie de l’équivalence des conditions (jurisprudence récente)
  • Deuxième explication
    • Désormais, la seule intervention causale de la chose dans le dommage suffirait à engager la responsabilité du gardien.
    • Il n’y aurait donc plus besoin de rapporter la preuve du rôle actif de la chose, car un rôle tout court de la chose dans la production du dommage suffirait.
    • Le critère du rôle actif serait donc remplacé par le critère de la simple participation causale au dommage.
    • On passerait alors d’une causalité adéquate à une équivalence des conditions.
    • Cependant, la réduction du fait des choses à une simple intervention causale ne se vérifie pas dans des arrêts plus récents
      • Civ. 2ème, 25 novembre 2004 : le gardien de l’escalier est mis hors de cause faute d’anormalité
      • Civ. 2ème, 24 février 2004 : même solution pour le gardien d’un tremplin
  • Troisième explication
    • Il y aurait présomption de rôle actif non seulement en cas de mouvement + contact mais également en cas de simple contact avec la chose.
    • La présomption de rôle actif aurait donc été étendue.
    • L’idée serait que, si dommage il y a eu,
      • c’est nécessairement que la paroi du verre avait un vice car sinon elle n’aurait pas cédé.
      • C’est nécessairement que la boîte aux lettres était mal placée sinon personne ne se serait cogné dedans.
    • Cela impliquerait donc que l’on puisse rapporter la preuve contraire, car il ne s’agirait là que d’une simple présomption de rôle actif.
      • Dès lors dans ces affaires, le gardien de la boîte aux lettres ou de la vitre en verre ne serait pas parvenu à démontrer la normalité de la chose
  • Quatrième explication
    • L’explication selon laquelle on assisterait à un assouplissement probatoire dans le domaine de la responsabilité du fait des choses ne saurait tenir si l’on se réfère à un arrêt rendu le 24 février 2005 (Cass. 2e civ., 24 févr. 2005)
      • Dans cet arrêt il s’agissait là encore d’une paroi vitrée dans laquelle une victime se heurte
      • La Cour de cassation retient la responsabilité du gardien de la vitre en faisant référence à l’anormalité de la chose
      • Aussi, cela signifierait que le gardien de la baie vitrée aurait pu s’exonérer de sa responsabilité en démontrant l’absence d’anormalité de la chose, ce qu’il n’est pas parvenu à faire.
      • Pour la Cour de cassation on était donc en présence d’une chose, certes inertes, mais comportant une anormalité.
      • D’où la responsabilité du gardien
    • C’est donc, finalement, une solution somme toute classique car quand chose inerte + contact la présomption de rôle actif ne joue pas.
      • Mais s’il y a anormalité alors on considère que le rôle actif de la chose est établi, ce qui était le cas en l’espèce.

Cass. 2e civ., 24 févr. 2005, n°03-13.536

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mlle X… a heurté une baie vitrée coulissante qui ouvrait, de l’intérieur d’un appartement, sur une terrasse ; que la vitre s’est brisée et a blessé Mlle X… ; que cette dernière a assigné Mme Y…, propriétaire de l’appartement et son assureur, la compagnie GAN, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Garonne, en réparation de son préjudice, sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu que pour débouter Mlle X… de ses demandes, l’arrêt retient que cette dernière s’est levée, a pivoté à 90 , s’est dirigée vers la terrasse, sans s’apercevoir que la porte vitrée coulissante était pratiquement fermée, qu’elle a percuté la porte vitrée qui s’est brisée ;

que la victime indique qu’elle avait pu croire que la baie vitrée était ouverte compte tenu de sa transparence et du fait qu’elle donnait sur une terrasse, alors que c’était l’été ; qu’il n’est pas allégué un mauvais état de la baie vitrée, que, par ailleurs, le fait qu’elle ait été fermée, même si l’on se trouvait en période estivale, ne peut être assimilé à une position anormale ; que la chose n’a eu aucun rôle actif dans la production du dommage et que celui-ci trouve sa cause exclusive dans le mouvement inconsidéré de la victime ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que la porte vitrée, qui s’était brisée, était fragile, ce dont il résultait que la chose, en raison de son anormalité, avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 25 juin 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse

?Confirmation de l’exigence d’anormalité

Après une période de flottement jurisprudentielle où l’on était légitimement en droit de se demander si l’exigence d’anormalité n’avait pas été abandonnée à la faveur de l’établissement d’une simple intervention causale de la chose dans la production du dommage, les derniers arrêts de la Cour de cassation révèlent que cette dernière semble être revenue à une position plus traditionnelle.

En effet, la haute juridiction fait, de nouveau, explicitement référence à l’exigence d’anormalité afin d’apprécier le rôle ou non actif de la chose inerte.

Dans un arrêt du 10 novembre 2009 elle a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait débouté une victime de sa demande d’indemnisation estimant qu’elle n’avait pas établi l’anormalité de la chose inerte impliquée dans le dommage (Cass. 2e civ., 10 nov. 2009, n°08-18.781)

La même solution a été retenue dans un arrêt du 13 décembre 2012 (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n°11-22.582).

Cass. 2e civ., 10 nov. 2009, 08-18.781

Sur le moyen unique, pris en première et deuxième branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix en Provence, 20 mai 2008), que le 7 août 1999 M. X…, invité chez M. et Mme Y…, en compagnie de son épouse et de ses enfants, a été blessé après avoir glissé sur la margelle de la piscine, alors qu’il effectuait des plongeons ; que le 15 février 2002, les époux X…, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom de leurs enfants mineurs (les consorts X…) ont assigné Mme Marie Antoinette Y…, Joseph et Christophe Y…, ayants droits de M. Y… (les consorts Y…) à la suite du décès de ce dernier, devant le tribunal de grande instance en responsabilité et indemnisation sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil ;

Attendu que les consorts X… font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que l’arrêt retient que, selon ses conclusions, M. X… effectuait un plongeon dans le bassin déserté par les autres convives lorsqu’il a perdu l’équilibre sur le bord de la piscine et ayant mal atterri dans l’eau s’est trouvé dans l’impossibilité de nager et de remonter à la surface ; qu’il est exclu, au vu des documents médicaux, que M. X… ait heurté la margelle mais qu’il est constant que M. X… a perdu l’équilibre ; que la charge de la preuve du caractère anormalement glissant de la margelle incombe à la victime ; que les projections d’eau des baigneurs sur une margelle qui entoure le bassin sont normales et de par sa fonction antidérapante, une margelle de piscine composée d’un matériau poreux ne revêt normalement aucun caractère dangereux ; qu’il n’est justifié par aucun élément que la margelle était composée d’un matériau non conforme et inadapté à sa fonction, dans des conditions d’utilisation normales ; que s’agissant de l’hypothèse selon laquelle la margelle était glissante car saturée d’eau, il résulte des attestations des personnes ayant assisté au plongeon malencontreux que M. X… a perdu l’équilibre ou glissé sur la margelle sans qu’il en ressorte que la margelle était composée d’un matériau inadapté, était saturée d’eau et anormalement glissante ; que la description de l’état de la margelle sur les photos produites ne révèle nullement sa dangerosité ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations procédant de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits devant elle, la cour d’appel a pu déduire que la margelle mouillée de la piscine ne présentait aucun caractère d’anormalité et n’avait pas été l’instrument du dommage ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les troisième et quatrième branches du moyen unique qui ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Cass. 2e civ., 13 déc. 2012

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Nîmes, 10 mai 2011), qu’invité par les enfants des époux X… à se baigner dans la piscine de leur propriété, Rolland Y…, alors âgé de 17 ans, a escaladé un muret pour atteindre la toiture de l’abri de piscine, d’où il voulait plonger ; qu’ il s’est empalé sur une tige de fer à béton plantée au milieu d’un bosquet situé au pied du muret ; qu’il est décédé des suites de ses blessures ; que ses père et mère, M. et Mme Y… ainsi que ses frères M. Simon Y…, M. Nathaniel Y… et M. Timothée Y… (les consorts Y…) ont assigné les époux X… en responsabilité et réparation de leurs préjudices ;

Attendu que les consorts Y… font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la tige de fer sur laquelle la victime s’est empalée a été installée pour servir de tuteur à un arbuste au milieu duquel elle était implantée ; qu’il résulte de l’enquête de gendarmerie que celle-ci était rigide, enfoncée dans le sol de 20 cm, laissant émerger 1,06 mètre, d’une hauteur inférieure à celle de l’arbuste ; que par ses propriétés de solidité et de rectitude, comme par ses dimensions et par son emplacement au pied d’une plante à soutenir, elle remplissait comme tuteur l’office attendu d’une tige métallique, ou en quelqu’autre matière rigide que ce soit, implantée dans un jardin ;

Que de ces constatations et énonciations, procédant de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel, répondant aux conclusions par une décision motivée, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu déduire que la tige métallique plantée verticalement dans le sol pour servir de tuteur n’était pas en position anormale et n’avait pas été l’instrument du dommage ;

D’où il suit que le moyen, qui s’attaque à des motifs surabondants en sa quatrième branche, n’est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

  1. Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 2005, n°414, p. 211. ?

La garde commune de la chose

On enseigne traditionnellement que deux personnes ne sauraient, en principe, être qualifiées de gardiens dès lors qu’elles exercent des pouvoirs sur la chose à des titres différents.

Toutefois, comment faire lorsque des personnes auront une maîtrise commune de la chose, exerçant sur elle un pouvoir au même titre. Tel sera le cas des copropriétaires ou des coemprunteurs.

Dans cette situation, on parle de garde commue ou collective. Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Un groupe composé de personnes exerçant les mêmes pouvoirs sur la chose
  • Plusieurs groupes investis tantôt des mêmes pouvoirs, tantôt de pouvoirs différents

1. Première hypothèse : Un groupe composé de personnes exerçant les mêmes pouvoirs sur la chose

?Admission de l’exercice d’une garde commune des membres d’un même groupe

Dans un arrêt du 20 novembre 1968, la Cour de cassation a admis que la garde pouvait être exercée en commun par les membres d’un même groupe (Cass. 2e civ. 20 nov. 1968).

  • Faits
    • Il s’agissait en l’espèce d’un joueur de tennis qui, dans le cadre d’une compétition, sert deux balles d’essai dont la seconde atteint l’œil droit de l’autre joueur
    • Action en réparation engagée à l’encontre de l’auteur du dommage.
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 26 mai 1966, la Cour d’appel de Besançon déboute le demandeur de son action en responsabilité estimant que la victime avait accepté les risques inhérents au jeu.
  • Solution
    • Si la Cour de cassation valide la décision des juges du fond, elle justifie sa solution sur un fondement différent
    • La deuxième chambre civile estime, en effet que :
      • La Cour d’appel « ayant constaté qu’au moment de l’accident, chaque joueur exerçait sur la balle les mêmes pouvoirs de direction et de contrôle, la cour d’appel a pu déduire que cet usage commun de l’instrument du dommage ne permettait pas à Forestier Marechal de fonder son action sur l’article 1384, 1er alinéa ».
  • Analyse de l’arrêt
    • Deux enseignements peuvent être retirés de la décision rendue par la Cour de cassation
      • Définition de la garde
        • L’intérêt de cet arrêt réside essentiellement dans la définition que la Cour de cassation donne de la garde commune.
        • Pour la Cour de cassation il y a garde commune lorsque les mêmes du groupe exercent les mêmes pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur la chose
        • En l’espèce, on pouvait estimer qu’il y avait garde commune, dans la mesure où les joueurs de tennis jouent l’un avec l’autre : ils ont donc le même pouvoir sur la chose
      • Incompatibilité entre les qualités de victimes et de gardien en cas de garde commune
        • Il ressort de cette décision que dès lors que la victime exerçait une garde commune avec l’auteur du dommage, elle ne saurait obtenir réparation
        • On ne peut donc pas cumuler, dans l’hypothèse de la garde commune, les qualités de victime et de gardien.
  • Portée de l’arrêt
    • La solution dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 20 novembre 1968 a été confirmée à plusieurs reprises.
    • Ainsi, la responsabilité commune des membres d’un même groupe a été retenue dans plusieurs situations :
      • Partie de chasse où le tireur ayant blessé l’un de ses partenaires n’a pas pu être identifié (Cass. 2e civ., 15 déc. 1980, n°79-11.314)
      • Réunion de d’un groupe de fumeurs dont l’un d’eux a provoqué un incendie un jetant sur le sol son mégot de cigarette non consumé (Cass. 2e civ., 14 juin 1984)

Cass. 2e civ. 20 nov. 1968

Sur le premier moyen : attendu que selon l’arrêt infirmatif attaque, sur un court de tennis, ou débutait une Competition sportive, le jeune Saugier, servit deux balles d’essai dont la seconde atteignit à l’œil droit Forestier Marechal, l’un des joueurs adverses ;

Que celui-ci a demandé la réparation du dommage subi a Saugier père, représentant légal de son fils mineur, sur le fondement des articles 1382 et 1384, 1er alinéa, du code civil ;

Que la caisse primaire de sécurité sociale du Jura est intervenue a l’instance ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté la demande, alors qu’il résulterait de ses propres constatations que Saugier aurait commis une maladresse, en envoyant sa seconde balle d’essai, non pas dans la direction diagonale comme l’aurait commande la règle du jeu, mais du cote oppose ;

Mais attendu que l’arrêt, s’il a constaté que la balle litigieuse avait été envoyée non pas dans la direction du carré de service du relanceur mais dans celle du carré de son partenaire, observe qu’il s’agirait là tout au plus même si la balle n’avait pas été qu’une balle d’essai, d’une irrégularité de service, mais non d’une maladresse entrainant la responsabilité civile du joueur ;

Qu’il ajoute qu’aucun renseignement n’avait été donne sur la façon dont la balle avait été lancée ;

Qu’en déduisant de ces énonciations que la preuve n’avait pas été faite d’une faute du jeune Saugier et que celui-ci n’était pas responsable sur le fondement de l’article 1382, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen : attendu que le demandeur au pourvoi soutient que la responsabilité de Saugier, fondée sur l’article 1384, 1er alinéa, aurait été écartée à tort, au motif que la victime avait accepté le risque inhérent au jeu, alors que cette acceptation ne pourrait constituer pour l’auteur du dommage, une cause d’exonération, que si elle avait été fautive ;

Mais attendu que l’arrêt constate que le service des balles d’essai autorise par l’arbitre et fait alors que les joueurs étaient tenus d’être à leur place, s’était inséré dans le match dont il avait constitué le préliminaire, destine à permettre aux joueurs d’étudier le jeu de leurs adversaires ;

Attendu qu’ayant constaté qu’au moment de l’accident, chaque joueur exerçait sur la balle les mêmes pouvoirs de direction et de contrôle, la cour d’appel a pu déduire que cet usage commun de l’instrument du dommage ne permettait pas a Forestier Marechal de fonder son action sur l’article 1384, 1er alinéa, et sans encourir les critiques du pourvoi a donné une base légale a sa décision ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 26 mai 1966 par la cour d’appel de Besançon.

2. Seconde hypothèse : plusieurs groupes investis tantôt des mêmes pouvoirs dans chaque groupe, tantôt de pouvoirs différents

?Admission de l’exercice d’une garde commune entre les membres de plusieurs groupes investis des mêmes pouvoirs dans chaque groupe

Dans un arrêt du 7 novembre 1988 la Cour de cassation a retenu la qualification de garde commune dans l’hypothèse où deux groupes différents étaient investis des mêmes pouvoirs dans chaque groupe (Cass. 2e civ., 7 nov. 1988, n°87-11.008 et 87-17.552).

  • Faits
    • Au cours d’un jeu collectif entre deux groupes d’enfants jouant aux Indiens, l’un d’eux qui appartenait au groupe des assiégeants est blessé à l’œil par une flèche de l’un des assiégés
    • L’auteur du dommage n’ayant pas pu être identifié, action des parents à l’encontre du père de l’un des enfants de l’autre groupe.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 5 décembre 1986, la Cour d’appel de Colmar déboute les parents de la victime de leur action en réparation.
    • Les juges du fond estiment que la garde appartenait au groupe des assiégés, de sorte que « sur le fondement d’une responsabilité collective, la responsabilité d’un seul membre du groupe ne pouvait être retenue sans provoquer la mise en cause des autres ».
  • Solution
    • La Cour de cassation censure la décision des juges du fond considérant que « lorsque la garde d’une chose instrument d’un dommage est exercée en commun par plusieurs personnes, chacun des cogardiens est tenu, vis-à-vis de la victime, à la réparation intégrale du dommage ».
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation les membres du groupe assiégé ont exercé une garde commune de la chose, de sorte que chacun d’eux engage sa responsabilité.
  • Analyse de l’arrêt
    • L’intérêt de l’arrêt est double
      • Celui qui lance décoche une flèche n’a pas le même pouvoir que celui qui la reçoit
        • Il ne saurait donc y avoir garde commune dans l’hypothèse où l’archer serait identifié (situation différente de la balle de tennis)
      • Chaque membre du groupe-gardien pris isolément engage sa responsabilité à l’égard de la victime lorsque l’auteur du dommage n’est pas identifié

Cass. 2e civ., 7 nov. 1988

Sur le moyen unique du pourvoi n° 87-11. 008, pris en sa première branche, et le moyen unique du pourvoi n° 87-17.552 :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, ensemble l’article 1203 de ce Code ;

Attendu que lorsque la garde d’une chose instrument d’un dommage est exercée en commun par plusieurs personnes, chacun des cogardiens est tenu, vis-à-vis de la victime, à la réparation intégrale du dommage;

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué, qu’au cours d’un jeu collectif, le mineur X… qui, avec plusieurs enfants, attaquait une baraque défendue par un autre groupe, a été blessé à l’oeil par l’un des ” assiégés “, tous armés de flèches ; que l’auteur du jet de flèche n’ayant pu être identifié, les consorts X… ont demandé la réparation de leur préjudice à M. Y…, père d’un des ” assiégés “, et à son assureur, la Mutuelle de la ville de Thann ; que la caisse primaire d’assurance maladie de Mulhouse est intervenue à l’instance ;

Attendu que pour débouter les consorts X… de leurs demandes, l’arrêt, après avoir retenu que la garde de l’instrument du dommage appartenait au groupe des assiégés, énonce que, sur le fondement d’une responsabilité collective, la responsabilité d’un seul membre du groupe ne pouvait être retenue sans provoquer la mise en cause des autres ;

En quoi la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 décembre 1986, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz

?Rejet de l’exercice d’une garde commune entre les membres de plusieurs groupes investis de pouvoirs différents dans chaque groupe

Dans un arrêt du 28 mars 2002, la Cour de cassation n’a pas retenu la qualification de garde commune dans l’hypothèse où les membres de deux groupes étaient investis de pouvoirs différents dans chaque groupe (Cass. 2e civ., 28 mars 2002, n°00-10.628).

  • Faits
    • Une jeune fille participant à une partie de base-ball improvisée est blessée à l’œil droit par une balle de tennis relancée en sa direction au moyen d’une raquette de tennis au lieu d’une batte de base-ball
    • Action en réparation engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des choses
  • Procédure
    • Par un arrêt du 11 janvier 1999, la Cour d’appel d’Orléans déboute la victime de sa demande de réparation
    • Les juges du fond estiment que la victime exerçait la garde commune de la chose, instrument du dommage, de sorte qu’elle n’était pas fondée à obtenir réparation de son préjudice
  • Solution
    • La Cour de cassation rejette la qualification de garde commune, considérant que la chose, instrument du dommage, n’était pas la balle, comme soutenu par la Cour d’appel, mais la raquette.
    • Or seul l’auteur du dommage exerçait sur elle un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle
    • La Cour de cassation affirme en ce sens que « la balle de tennis avait été projetée vers la victime par le moyen d’une raquette de tennis dont le jeune Mohamed Y… avait alors l’usage, la direction et le contrôle, ce dont il résultait que la raquette avait été l’instrument du dommage »
  • Analyse de l’arrêt
    • De toute évidence, la solution retenue par la Cour de cassation en l’espèce apparaît pour le moins surprenante si on la rapproche de l’arrêt du 20 novembre 1968 où la Cour de cassation avait retenu la qualification de garde commune s’agissant d’une partie de tennis (Cass. 2e civ. 20 nov. 1968).
    • Est-ce à dire que la deuxième chambre civile a entendu revenir sur cette solution ?
    • Deux analyses sont possibles :
      • Première analyse
        • Au tennis, chaque joueur est gardien de sa raquette, de sorte que l’on pourrait envisager de retenir la responsabilité des joueurs pris individuellement sur le fondement de l’article 1384, al. 1er
        • Ils ne pourraient donc plus être considérés comme exerçant une garde commune.
      • Seconde analyse
        • Il ressort de la jurisprudence que pour qu’il y ait garde commune, il est nécessaire que chaque agent exerce les mêmes pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur l’instrument du dommage.
        • Or en l’espèce, les joueurs n’exercent pas le même pouvoir sur la balle, car l’un l’utilise à main nue alors que l’autre a en sa possession une raquette de tennis
        • Dès lors, parce qu’ils n’utilisent pas le même type d’instrument, ils n’exercent pas les mêmes pouvoirs sur la balle
        • Et comme ils n’exercent pas les mêmes pouvoirs sur la balle, il ne saurait y avoir de garde commune
        • La solution adoptée dans l’arrêt du 20 novembre 1968 ne serait donc pas caduque.

Cass. 2e civ., 28 mars 2002

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la mineure Dounia X…, participant à un jeu collectif improvisé inspiré du base-ball, a été blessée à l’oeil droit par une balle de tennis relancée en sa direction par le jeune Mohamed Y… au moyen d’une raquette de tennis tenant lieu de batte de base-ball ;

Attendu que pour rejeter l’action en réparation de M. Omar X…, ès qualités d’administrateur légal des biens de sa fille Dounia, la cour d’appel a, par motifs propres et adoptés, retenu que l’usage commun de la balle de tennis, instrument du dommage, n’autorisait pas la joueuse blessée à réclamer réparation sur le fondement du texte susvisé ;

Qu’en statuant ainsi, tout en constatant que la balle de tennis avait été projetée vers la victime par le moyen d’une raquette de tennis dont le jeune Mohamed Y… avait alors l’usage, la direction et le contrôle, ce dont il résultait que la raquette avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 11 janvier 1999, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers

?Remise en cause de l’appréciation de la notion de garde commune ?

Dans un arrêt du 13 janvier 2005, la Cour de cassation a adopté une solution que certains auteurs ont interprétée comme annonciatrice d’un changement d’appréciation de la notion de garde commune (Cass. 2e civ., 13 janv. 2005, n°03-12.884).

  • Faits
    • Au cours d’une partie de football, un joueur est blessé par le choc contre sa tête du ballon frappé du pied par le gardien de but de l’équipe adverse
    • Action en réparation engagée contre l’auteur du dommage sur le fondement de la responsabilité du fait des choses.
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 13 janvier 2003, la Cour d’appel d’Angers déboute la victime de sa demande de réparation estimant que « lors d’un jeu collectif comme un match de football… les joueurs ont dans leur ensemble la garde collective du ballon et l’un des joueurs ne peut avoir au cours de l’action la qualité de gardien de la balle par rapport à un autre joueur” et que “celui qui le détient (le ballon)… est contraint de le renvoyer immédiatement ou de subir les attaques de ses adversaires… (de sorte) qu’au cours d’un match de football, tous les joueurs ont l’usage du ballon mais nul n’en a individuellement le contrôle et la direction »
    • Ainsi, pour les juges du fond, dans la mesure où les joueurs exerçaient une garde commune du ballon, la victime ne pouvait, obtenir réparation de son préjudice, en raison de l’incompatibilité qui existe entre les qualités de victime et de gardien.
  • Solution
    • La Cour de cassation valide la décision de la Cour d’appel, considérant qu’il y avait bien garde commun du ballon
    • Elle affirme en ce sens que « au cours du jeu collectif comme le football, qu’il soit amical ou pratiqué dans une compétition officielle, tous les joueurs ont l’usage du ballon mais nul n’en a individuellement le contrôle et la direction ; que l’action qui consiste à taper dans le ballon pour le renvoyer à un autre joueur ou dans le but ne fait pas du joueur qui détient le ballon un très bref instant le gardien de celui-ci ; que le joueur qui a le ballon est contraint en effet de le renvoyer immédiatement ou de subir les attaques de ses adversaires qui tentent de l’empêcher de le contrôler et de le diriger, en sorte qu’il ne dispose que d’un temps de détention très bref pour exercer sur le ballon un pouvoir sans cesse disputé »
    • Si de prime abord, la solution retenue par la Cour de cassation ne paraît pas contestable, dans la mesure où tous les joueurs exercent bien les mêmes pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur le ballon, la motivation de l’arrêt est pour le moins étonnante.
    • Pour justifier l’absence d’indemnisation de la victime la Cour de cassation tient le raisonnement suivant :
      • Tous les joueurs de football exercent les mêmes de pouvoir d’usage, de direction et de contrôle sur la chose, de sorte qu’il y a garde collective
      • Comme il y a garde collective, aucun des joueurs ne donc être désigné comme gardien individuellement
      • Dès lors, il n’y a pas de responsable ce qui prive la victime de toute action en réparation
    • Tel n’est cependant pas le raisonnement qu’elle tient habituellement.
    • Dans la jurisprudence antérieure, pour refuser à la victime son droit à indemnisation, elle raisonnait de la manière suivante :
      • Tous les joueurs de football exercent les mêmes de pouvoir d’usage, de direction et de contrôle sur la chose, de sorte qu’il y a garde collective
      • Dès lors qu’il y a garde collectif, alors tous les membres du groupe doivent être désignés comme gardiens
      • Le joueur ayant subi le dommage ne pouvant pas cumuler les qualités de victime et de gardien, il ne peut donc prétendre à indemnisation.
    • En résumé :
      • Dans la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation considère que garde collective implique que chacun des membres du groupe est gardien
      • Dans l’arrêt en l’espèce, la haute juridiction estime que la garde collective implique que personne n’est gardien.
  • Critiques
    • Dans l’hypothèse où le groupe dont les membres exercent une garde commune de la chose, instrument du dommage, est une personne morale, la solution retenue en l’espèce permettrait éventuellement de rechercher la responsabilité du groupement
    • Toutefois, dans l’hypothèse où le groupe n’est pas une personne morale, la victime ne peut se retourner contre personne, elle est sans débiteur, dans la mesure où aucun des membres des groupes n’est gardien.
    • Cette hypothèse se rencontrera notamment lorsque la victime sera un spectateur, soit une personne étrangère au groupe et qui donc échappe à la qualification de gardien.

Cass. 2e civ., 13 janv. 2005

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Angers, 15 janvier 2003), que M. X…, alors qu’il participait à une rencontre amicale de football, a été blessé par le choc contre sa tête du ballon frappé du pied par M. Y…, gardien de but de l’équipe adverse ; qu’il a assigné en responsabilité et indemnisation M. Y… et la Ligue du Maine de football, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne (la CPAM) ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° A 03-18.918 et sur les trois autres branches du moyen unique du pourvoi n° S 03-12.884, réunis :

Attendu que M. X… et la CPAM font à l’arrêt le même grief, alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu’au cours du jeu collectif comme le football, qu’il soit amical ou pratiqué dans une compétition officielle, tous les joueurs ont l’usage du ballon mais nul n’en a individuellement le contrôle et la direction ; que l’action qui consiste à taper dans le ballon pour le renvoyer à un autre joueur ou dans le but ne fait pas du joueur qui détient le ballon un très bref instant le gardien de celui-ci ; que le joueur qui a le ballon est contraint en effet de le renvoyer immédiatement ou de subir les attaques de ses adversaires qui tentent de l’empêcher de le contrôler et de le diriger, en sorte qu’il ne dispose que d’un temps de détention très bref pour exercer sur le ballon un pouvoir sans cesse disputé ; qu’en l’espèce, M. Y… a dû sortir de la surface de réparation et ne pouvait donc se saisir du ballon sans commettre une faute ; que, sous la menace de M. X…, il a choisi de renvoyer immédiatement le ballon qu’il n’a pu contrôler et qu’il a frappé en “demie volée” ;

Que de ces constatations et énonciations, découlant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis au débat, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a déduit à bon droit qu’au moment de l’accident, M. Y… ne disposait pas sur le ballon des pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle caractérisant la garde de la chose instrument du dommage ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

La reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses

?La situation en 1804

Aux termes de l’article 1242, al. 1er du Code civil « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

Lors de l’adoption du Code civil en 1804, ses rédacteurs n’avaient pour seule intention, en insérant cet alinéa, que d’annoncer les cas particuliers de responsabilité du fait des choses prévus aux articles 1243 (responsabilité du fait des animaux) et 1244 (responsabilité du fait des bâtiments en ruine).

Il s’agissait, en d’autres termes, d’un texte de transition entre la responsabilité du fait personnel des articles 1240 et 1241 et les cas spéciaux de responsabilité énumérés aux dispositions suivantes. L’article 1242, al. 1er était en ce sens dépourvu de toute valeur normative.

Pendant près d’un siècle, nul n’a envisagé l’existence d’un principe général de responsabilité du fait des choses, pas plus d’ailleurs qu’un principe général de responsabilité du fait d’autrui.

Les seules choses dont l’intervention dans la production d’un dommage était susceptible d’engager la responsabilité du gardien, ne pouvaient être, selon la jurisprudence, que celles énumérées aux articles 1243 et 1244 du Code civil.

Dans l’hypothèse où la chose à l’origine d’un dommage n’était, ni un animal, ni un bâtiment en ruine, on estimait, dès lors, qu’elle devait être appréhendée comme un simple instrument de l’action humaine, de sorte qu’il appartenait à la victime de rechercher la responsabilité du gardien sur le fondement de la responsabilité du fait personnel.

Cela supposait donc de rapporter la preuve d’une faute en relation avec le dommage (V. en ce sens Cass. civ., 19 juill. 1870 )

La liste des cas de responsabilité du fait des choses est demeurée limitative jusqu’à l’avènement de la Révolution industrielle.

Comme le souligne Philippe Brun, « si dans la société agraire du début du XIXe siècle, les animaux et les bâtiments ont pu apparaître comme les principales sources de dommages parmi les choses, ce schéma a volé en éclat avec la Révolution industrielle »[1].

Cette révolution a, en effet, été accompagnée par un accroissement considérable des accidents de personnes provoqués par l’explosion des techniques encore mal maîtrisées, liées notamment à l’exploitation des machines à vapeur.

La victime se retrouvait le plus souvent dans l’impossibilité de déterminer la cause exacte du dommage et, surtout, d’établir une faute à l’encontre du gardien.

Cela aboutissait alors à une situation particulièrement injuste. Les victimes étaient privées d’indemnisation en raison des conditions restrictives de mise en œuvre de la responsabilité du fait personnel : en l’absence de faute, la responsabilité du propriétaire de machine ne pouvait pas être engagée, quand bien même l’accident survenait dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail.

Aussi, faut-il attendre la fin du XIXe siècle pour que naisse une prise de conscience de la nécessité d’améliorer le sort des victimes du machinisme en jurisprudence.

À la vérité, deux étapes ont été nécessaires à la reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses :

?Première étape vers la reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses : l’arrêt Teffaine

Dans un arrêt du 16 juin 1896, la Cour de cassation reconnaît pour la première fois le caractère non limitatif de l’ancien article 1384, alinéa 1er du Code civil.

Arrêt Teffaine

(Cass. civ, 16 juin 1896)

La Cour ; […]

Et statuant tant sur le moyen unique du pourvoi formé par Guissez et Cousin que sur le premier

moyen du pourvoi d’Oriolle:

Attendu que l’arrêt attaqué constate souverainement que l’explosion de la machine du remorqueur à vapeur Marie, qui a causé la mort de Teffaine, est due à un vice de construction ; qu’aux termes de l’art.1384 c. civ., cette constatation, qui exclut le cas fortuit et la force majeure, établit, vis-à-vis de la victime de l’accident, la responsabilité du propriétaire du remorqueur sans qu’il puisse s’y soustraire en prouvant soit la faute du constructeur de la machine, soit le caractère occulte du vice incriminé ; D’où il suit qu’en condamnant Guissez et Cousin, propriétaires du Remorqueur Marie, à payer des dommages et intérêts à la veuve et aux enfants Teffaine, ledit arrêt, d’ailleurs motivé, n’a violé aucun des articles visés au pourvoi ;

Par ces motifs,

Rejette

Faits :

Explosion de la chaudière du remorqueur à vapeur « Marie », qui cause la mort de Monsieur Teffaine.

Procédure :

En l’espèce, comme le releva la Cour d’appel, aucune faute ne pouvait être imputée, ni à Monsieur Teffaine, ni à son employeur.

Aussi, les juges du fond ont-ils considéré que l’explosion était due à un défaut de soudure de la chaudière, de sorte qu’il s’agissait d’un vice de construction.

Guidée par un souci d’indemnisation de la veuve de la victime, la Cour d’appel n’en a pas moins condamné le propriétaire du remorqueur au paiement de dommages et intérêt en se fondant sur le cas spécial de responsabilité du fait des bâtiments en ruine.

Solution :

Malgré l’interprétation pour le moins extensive, sinon contestable de l’ancien article 1386 du Code civil à laquelle s’était livrée la Cour d’appel et dont on était légitimement en droit d’attendre, au regard de la jurisprudence antérieure, qu’elle encourt la cassation, la Chambre civile rejette le pourvoi formé par l’employeur de Monsieur Teffaine.

La Cour de cassation considère, en effet, que si l’article 1386 du Code civil n’avait certes pas vocation à s’appliquer en l’espèce, la responsabilité du propriétaire du remorqueur n’en pouvait pas moins être recherchée sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er du Code civil.

La Chambre civile affirme en ce sens que « aux termes de l’art.1384 c. civ., [l’explosion résultant d’un vice de construction de la chaudière ], qui exclut le cas fortuit et la force majeure, établit, vis-à-vis de la victime de l’accident, la responsabilité du propriétaire du remorqueur sans qu’il puisse s’y soustraire en prouvant soit la faute du constructeur de la machine, soit le caractère occulte du vice incriminé ».

Pour la matière fois elle confère donc à l’article 1384 al. 1er une valeur normative, sans considération de la simple fonction introductive que lui avaient assignée les rédacteurs du Code civil.

À partir de cette décision, l’article 1384 al. 1er va connaître un essor particulièrement important, en dépit d’une période de flottement jurisprudentiel, les tribunaux étant pour le moins hésitant quant à l’application du principe général de responsabilité du fait des choses qui venait d’être découvert.

?Période de flottement jurisprudentiel

Plusieurs incertitudes ont entouré l’arrêt Teffaine. La doctrine et la jurisprudence se sont, en effet, interrogées sur la question de savoir s’il ne convenait pas de réduire le domaine d’application du principe général de responsabilité du fait des choses.

Pour y parvenir, deux solutions ont été envisagées :

  • L’adoption d’une conception restrictive de la notion de chose
    • À la suite de l’arrêt Teffaine, il a été préconisé de limiter l’application de l’article 1384, al. 1er :
      • aux meubles
      • aux choses dangereuses
      • aux choses présentant un vice interne
      • aux choses non actionnées par la main de l’homme
        • Dans un arrêt du 22 mars 1911, la Cour de cassation a, par exemple, estimé que dans l’hypothèse où la chose qui a causé le dommage est une automobile, l’article 1384, al. 1er n’a pas vocation à s’appliquer dans la mesure où il s’agit d’une chose actionnée par la main du conducteur, de sorte que le dommage est dû, en réalité, au seul fait de l’homme (Cass. req., 22 mars 1911).
        • Elle en déduit alors que la responsabilité du conducteur ne peut être recherchée que le fondement de l’article 1382, ce qui suppose, pour la victime, de rapporter la preuve d’une faute.
  • L’admission d’une présomption de faute
    • Alors que dans l’arrêt Teffaine, la Cour de cassation avait, a priori, exclu que le gardien de la chose qui a causé un dommage puisse s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’a pas commis de faute, elle revint toutefois sur sa position dans un arrêt du 30 mars 1897.
      • La chambre des requêtes considère, en effet, que l’article 1384, al. 1er du Code civil édicte une simple présomption de faute, laquelle peut, dès lors, être combattue par la preuve contraire (Cass. req., 30 mars 1897)
    • Par la suite, la Cour de cassation renforça la présomption, en exigeant du gardien qu’il rapporte la preuve positive d’un fait extérieur générateur de dommage et pas seulement la preuve négative de l’absence d’imprudence ou de négligence.
      • Aussi, cela revenait-il à instaurer une présomption quasi-irréfragable de responsabilité à l’encontre du gardien.
      • Dans un arrêt du 16 décembre 1920, la chambre civile affirma en ce sens que « la présomption de faute édictée par l’article 1384, alinéa 1, à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé le dommage ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure, ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable. Il ne suffit pas de prouver qu’il n’a commis aucune faute, ni que la cause du dommage est demeurée inconnue » (Cass. civ., 16 déc. 1920).

Cass. civ., 16 déc. 1920

LA COUR:

– Sur le moyen unique : – Vu l’art. 1384, § 1er, C.civ.; – Attendu que la présomption de faute édictée par cet article à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé le dommage ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable; qu’il ne suffit pas de prouver qu’il n’a commis aucune faute, ni que la cause du dommage est demeurée inconnue; qu’il n’est pas nécessaire que la chose ait un vice inhérent à sa nature, susceptible de causer le dommage, l’article rattachant la responsabilité à la garde de la chose, et non à la chose elle-même; – Attendu que, le 2 juill. 1906, un incendie a éclaté à Bordeaux dans la gare maritime de Brienne, dont la Compagnie des chemins de fer du Midi est concessionnaire; qu’alimenté par de nombreux fûts de résine (ou brai), entreposés dans cette gare, le feu gagna la voie publique contiguë et détruisit les rails, poteaux et appareils de transmission de la Comp. française des tramways électriques et omnibus de Bordeaux; – Attendu que l’arrêt attaqué reconnaît que les fûts de résine étaient sous la garde de la Comp. des chemins de fer du Midi, mais déclare que la cause du dommage doit résider dans la chose qu’on a sous garde, lui être intrinsèque, que le brai n’est pas susceptible de s’enflammer par suite d’un vice inhérent à sa nature, et, en conséquence, par confirmation du jugement, rejette la demande en dommages-intérêts formée par la Comp. des tramways; qu’en statuant ainsi, il a violé le texte susvisé; Par ces motifs : Casse et annule.

En réaction à ce flottement jurisprudentiel née à la suite de l’arrêt Teffaine, la Cour de cassation n’a eu d’autre choix que de préciser sa position.

?Seconde étape vers la reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses : l’arrêt Jand’heur

Dans un arrêt Jand’heur du 13 février 1930, non seulement la Cour de cassation va réitérer la solution qu’elle avait adoptée dans l’arrêt Teffaine, mais encore elle va mettre fin aux incertitudes qui entouraient la découverte, en 1896, d’un principe général de responsabilité du fait des choses.

Arrêt Jand’heur

(Cass. Ch. réun., 13 févr. 1930)

Statuant sur le moyen du pourvoi :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu que la présomption de responsabilité établie par cet article à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable ; qu’il ne suffit pas de prouver qu’il n’a commis aucune faute ou que la cause du fait dommageable est demeurée inconnue ;

Attendu que, le 22 avril 1926, un camion automobile appartenant à la Société “Aux Galeries Belfortaises” a renversé et blessé la mineure Lise X… ; que l’arrêt attaqué a refusé d’appliquer le texte susvisé par le motif que l’accident causé par une automobile en mouvement sous l’impulsion et la direction de l’homme ne constituait pas, alors qu’aucune preuve n’existe qu’il soit dû à un vice propre de la voiture, le fait de la chose que l’on a sous sa garde dans les termes de l’article 1384, alinéa 1er, et que, dès lors, la victime était tenue, pour obtenir réparation du préjudice, d’établir à la charge du conducteur une faute qui lui fût imputable ;

Mais attendu que la loi, pour l’application de la présomption qu’elle édicte, ne distingue pas suivant que la chose qui a causé le dommage était ou non actionnée par la main de l’homme ; qu’il n’est pas nécessaire qu’elle ait un vice inhérent à sa nature et susceptible de causer le dommage, l’article 1384 rattachant la responsabilité à la garde de la chose, non à la chose elle-même ;

D’où il suit qu’en statuant comme il l’a fait l’arrêt attaqué a interverti l’ordre légal de la preuve et violé le texte de loi susvisé ;

Par ces motifs,

CASSE,

Fait :

Une adolescente, Lise Jand’heur, est renversée et blessée par un camion alors qu’elle traverse la chaussée.

Procédure :

Plusieurs étapes procédurales doivent être distinguées dans l’affaire Jand’heur afin de bien en saisir l’enjeu.

  • Première étape
    • Dans un arrêt du 29 décembre 1925, la Cour d’appel de Besançon refuse d’indemniser la victime.
    • Les juges du fond estiment que, dans la mesure où la chose qui a causé le dommage (le camion) était actionnée par la main de l’homme, le dommage était imputable, non pas au fait d’une chose, mais au fait de l’homme.
    • Aussi, pour la Cour d’appel, la responsabilité du conducteur du camion ne pouvait être recherchée que sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
    • Il appartenait donc à la victime de rapporter la preuve d’une faute.
  • Deuxième étape
    • Dans un premier arrêt du 21 février 1927, la Cour de cassation censure la décision rendue par la juge du fond, estimant que l’article 1384, al. 1er avait bien vocation à s’appliquer, peu importe que la chose à l’origine du dommage ait été ou non actionnée par la main de l’homme (Cass. civ., 21 févr. 1927)
    • La haute juridiction précisa néanmoins que « le gardien n’est responsable que s’il s’agit d’une chose soumise à la nécessité d’une garde en raison des dangers qu’elle peut faire courir à autrui ».
    • Critique
      • Bien que, par cette décision, la Cour de cassation soit revenue sur son refus de faire application de l’article 1384, al. 1er aux accidents de la circulation, sa position n’en a pas moins fait l’objet de critiques.
      • Il a, en effet, été reproché à la haute juridiction d’avoir substitué à la distinction entre les choses actionnées par la main de l’homme et celles qui ne le sont pas une autre distinction : la distinction entre les choses dangereuses et les choses non dangereuses.
      • Or il s’agit là d’une distinction qui, comme la précédente, n’est pas très heureuse pour plusieurs raisons :
        • Quel critère retenir pour distinguer les choses dangereuses des choses non dangereuses ?
        • La distinction opérée par la Cour de cassation apparaît ici pour le moins arbitraire.
        • Qui plus est, le fait qu’une chose ait commis un dommage n’établit-il pas d’emblée qu’elle est dangereuse ?
        • Par ailleurs, l’instauration d’une distinction entre les choses dangereuses et les choses non dangereuses conduit à restreindre le domaine d’application de l’article 1384 al. 1er, alors que si l’on se rapporte à la lettre du texte, la loi n’opère aucune distinction parmi les choses.
        • Enfin, la solution retenue par la Cour de cassation traduit un retour au système de la faute pourtant abandonné dans l’arrêt Teffaine, puis dans l’arrêt du 16 décembre 1920, en ce sens que la Cour de cassation considère, en creux, que lorsque le dommage est causé par une chose non dangereuse, seul l’établissement d’un comportement fautif du gardien est susceptible d’engager sa responsabilité.
  • Troisième étape
    • La Cour d’appel de renvoi refuse de s’incliner devant la décision adoptée par la Chambre civile le 21 février 1927
    • Les juges du fond considèrent que la responsabilité du conducteur du camion ne peut être recherchée que sur le fondement de la responsabilité du fait personnel, la chose à l’origine du dommage ayant été actionnée par la main de l’homme.
  • Quatrième étape
    • Dans un arrêt du 13 février 1930 qui fera date, les chambres réunies de Cour de cassation censurent une nouvelle fois la décision des juges du fond.
    • La haute juridiction formule, dans cette décision, deux affirmations sur lesquelles est assis le droit positif de la responsabilité du fait des choses :
      • En premier lieu, elle considère que « la présomption de responsabilité établie par cet article à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable ; qu’il ne suffit pas de prouver qu’il n’a commis aucune faute ou que la cause du fait dommageable est demeurée inconnue »
      • En second lieu, la Cour de cassation décide que « la loi, pour l’application de la présomption qu’elle édicte, ne distingue pas suivant que la chose qui a causé le dommage était ou non actionnée par la main de l’homme ; qu’il n’est pas nécessaire qu’elle ait un vice inhérent à sa nature et susceptible de causer le dommage, l’article 1384 rattachant la responsabilité à la garde de la chose, non à la chose elle-même ».

?Analyse de l’arrêt Jand’heur

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de l’arrêt Jand’heur :

  • Réaffirmation du principe général de responsabilité du fait des choses
    • La Cour de cassation ne manque pas de réaffirmer le principe général de responsabilité du fait des choses en retenant comme visa de sa décision l’article 1384, alinéa 1er du Code civil.
  • Consécration d’une présomption de responsabilité
    • Dans l’arrêt Jand’heur, la Cour de cassation utilise l’expression « présomption de responsabilité » et non « présomption de faute ».
    • Aussi, par cette expression, la haute juridiction entend-elle édicter la règle le gardien de la chose ayant causé un dommage ne saurait s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’a pas commis de faute ou que la cause du fait dommageable est demeurée inconnue.
    • La preuve de l’absence de faute est inopérante, de sorte que le seul moyen pour le gardien de s’exonérer de sa responsabilité est d’établir la survenance d’une cause étrangère dans la production du dommage (cas fortuit ou force majeure).
    • En édictant, pour la première fois, une présomption de responsabilité, la Cour de cassation abandonne dès lors la faute comme fondement de la responsabilité du fait des choses.
    • Il ne s’agit donc plus d’une responsabilité subjective, mais objective, dite encore responsabilité de plein droit.
  • Extension du domaine d’application du principe général de responsabilité du fait des choses
    • La volonté de la Cour de cassation d’étendre le domaine d’application du principe général de responsabilité du fait des choses s’est traduite par :
      • Le rejet de la distinction entre les choses dangereuses et les choses non dangereuses
      • Le rejet de la distinction entre les meubles et les immeubles
      • Le rejet de la distinction entre les choses actionnées ou non par la main de l’homme
      • Le rejet de l’exigence d’un vice inhérent à la nature de la chose.
  • Mise en avant du critère de la garde, comme condition de mise en œuvre du principe général de responsabilité du fait des choses
    • Dans l’arrêt Jand’heur, la Cour de cassation insiste particulièrement sur le fait que la mise en œuvre de l’article 1384, al. 1er est liée, pour l’essentiel, à la garde de la chose et non à sa nature.
    • Autrement dit, pour que la responsabilité du gardien puisse être recherchée, seul compte que la chose à l’origine du dommage ait été placée sous sa garde, peu importe qu’il s’agisse ou non d’une chose dangereuse ou qu’elle présente un vice interne.

Au total, il ressort de l’arrêt Jand’heur que, par une construction purement prétorienne, la responsabilité du fait des choses est devenue une responsabilité de plein droit ou objective, en ce sens que l’obligation de réparation naît, désormais, indépendamment de l’établissement d’une faute.

Autrement dit, le gardien engage sa responsabilité, dès lors que la chose qu’il avait sous sa garde a concouru à la production du dommage.

Pour faire échec à l’action en réparation diligentée contre lui, il ne disposera que de deux options :

  • Rapporter la preuve d’une cause étrangère dont la survenance a rompu le lien de causalité entre le dommage et le fait de la chose
  • Démontrer que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité du fait des choses ne sont pas réunies

La responsabilité du fait des choses

Le régime juridique de la responsabilité du fait des choses tel qu’on le connaît aujourd’hui est le fruit d’une longue construction jurisprudentielle dont il convient de rappeler les grandes lignes, avant de s’intéresser à ses conditions de mise en œuvre.

I) La lente reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses

?La situation en 1804

Aux termes de l’article 1242, al. 1er du Code civil « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

Lors de l’adoption du Code civil en 1804, ses rédacteurs n’avaient pour seule intention, en insérant cet alinéa, que d’annoncer les cas particuliers de responsabilité du fait des choses prévus aux articles 1243 (responsabilité du fait des animaux) et 1244 (responsabilité du fait des bâtiments en ruine).

Il s’agissait, en d’autres termes, d’un texte de transition entre la responsabilité du fait personnel des articles 1240 et 1241 et les cas spéciaux de responsabilité énumérés aux dispositions suivantes. L’article 1242, al. 1er était en ce sens dépourvu de toute valeur normative.

Pendant près d’un siècle, nul n’a envisagé l’existence d’un principe général de responsabilité du fait des choses, pas plus d’ailleurs qu’un principe général de responsabilité du fait d’autrui.

Les seules choses dont l’intervention dans la production d’un dommage était susceptible d’engager la responsabilité du gardien, ne pouvaient être, selon la jurisprudence, que celles énumérées aux articles 1243 et 1244 du Code civil.

Dans l’hypothèse où la chose à l’origine d’un dommage n’était, ni un animal, ni un bâtiment en ruine, on estimait, dès lors, qu’elle devait être appréhendée comme un simple instrument de l’action humaine, de sorte qu’il appartenait à la victime de rechercher la responsabilité du gardien sur le fondement de la responsabilité du fait personnel.

Cela supposait donc de rapporter la preuve d’une faute en relation avec le dommage (V. en ce sens Cass. civ., 19 juill. 1870 )

La liste des cas de responsabilité du fait des choses est demeurée limitative jusqu’à l’avènement de la Révolution industrielle.

Comme le souligne Philippe Brun, « si dans la société agraire du début du XIXe siècle, les animaux et les bâtiments ont pu apparaître comme les principales sources de dommages parmi les choses, ce schéma a volé en éclat avec la Révolution industrielle »[1].

Cette révolution a, en effet, été accompagnée par un accroissement considérable des accidents de personnes provoqués par l’explosion des techniques encore mal maîtrisées, liées notamment à l’exploitation des machines à vapeur.

La victime se retrouvait le plus souvent dans l’impossibilité de déterminer la cause exacte du dommage et, surtout, d’établir une faute à l’encontre du gardien.

Cela aboutissait alors à une situation particulièrement injuste. Les victimes étaient privées d’indemnisation en raison des conditions restrictives de mise en œuvre de la responsabilité du fait personnel : en l’absence de faute, la responsabilité du propriétaire de machine ne pouvait pas être engagée, quand bien même l’accident survenait dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail.

Aussi, faut-il attendre la fin du XIXe siècle pour que naisse une prise de conscience de la nécessité d’améliorer le sort des victimes du machinisme en jurisprudence.

À la vérité, deux étapes ont été nécessaires à la reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses :

?Première étape vers la reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses : l’arrêt Teffaine

Dans un arrêt du 16 juin 1896, la Cour de cassation reconnaît pour la première fois le caractère non limitatif de l’ancien article 1384, alinéa 1er du Code civil.

Arrêt Teffaine

(Cass. civ, 16 juin 1896)

La Cour ; […]

Et statuant tant sur le moyen unique du pourvoi formé par Guissez et Cousin que sur le premier

moyen du pourvoi d’Oriolle:

Attendu que l’arrêt attaqué constate souverainement que l’explosion de la machine du remorqueur à vapeur Marie, qui a causé la mort de Teffaine, est due à un vice de construction ; qu’aux termes de l’art.1384 c. civ., cette constatation, qui exclut le cas fortuit et la force majeure, établit, vis-à-vis de la victime de l’accident, la responsabilité du propriétaire du remorqueur sans qu’il puisse s’y soustraire en prouvant soit la faute du constructeur de la machine, soit le caractère occulte du vice incriminé ; D’où il suit qu’en condamnant Guissez et Cousin, propriétaires du Remorqueur Marie, à payer des dommages et intérêts à la veuve et aux enfants Teffaine, ledit arrêt, d’ailleurs motivé, n’a violé aucun des articles visés au pourvoi ;

Par ces motifs,

Rejette

Faits :

Explosion de la chaudière du remorqueur à vapeur « Marie », qui cause la mort de Monsieur Teffaine.

Procédure :

En l’espèce, comme le releva la Cour d’appel, aucune faute ne pouvait être imputée, ni à Monsieur Teffaine, ni à son employeur.

Aussi, les juges du fond ont-ils considéré que l’explosion était due à un défaut de soudure de la chaudière, de sorte qu’il s’agissait d’un vice de construction.

Guidée par un souci d’indemnisation de la veuve de la victime, la Cour d’appel n’en a pas moins condamné le propriétaire du remorqueur au paiement de dommages et intérêt en se fondant sur le cas spécial de responsabilité du fait des bâtiments en ruine.

Solution :

Malgré l’interprétation pour le moins extensive, sinon contestable de l’ancien article 1386 du Code civil à laquelle s’était livrée la Cour d’appel et dont on était légitimement en droit d’attendre, au regard de la jurisprudence antérieure, qu’elle encourt la cassation, la Chambre civile rejette le pourvoi formé par l’employeur de Monsieur Teffaine.

La Cour de cassation considère, en effet, que si l’article 1386 du Code civil n’avait certes pas vocation à s’appliquer en l’espèce, la responsabilité du propriétaire du remorqueur n’en pouvait pas moins être recherchée sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er du Code civil.

La Chambre civile affirme en ce sens que « aux termes de l’art.1384 c. civ., [l’explosion résultant d’un vice de construction de la chaudière ], qui exclut le cas fortuit et la force majeure, établit, vis-à-vis de la victime de l’accident, la responsabilité du propriétaire du remorqueur sans qu’il puisse s’y soustraire en prouvant soit la faute du constructeur de la machine, soit le caractère occulte du vice incriminé ».

Pour la matière fois elle confère donc à l’article 1384 al. 1er une valeur normative, sans considération de la simple fonction introductive que lui avaient assignée les rédacteurs du Code civil.

À partir de cette décision, l’article 1384 al. 1er va connaître un essor particulièrement important, en dépit d’une période de flottement jurisprudentiel, les tribunaux étant pour le moins hésitant quant à l’application du principe général de responsabilité du fait des choses qui venait d’être découvert.

?Période de flottement jurisprudentiel

Plusieurs incertitudes ont entouré l’arrêt Teffaine. La doctrine et la jurisprudence se sont, en effet, interrogées sur la question de savoir s’il ne convenait pas de réduire le domaine d’application du principe général de responsabilité du fait des choses.

Pour y parvenir, deux solutions ont été envisagées :

  • L’adoption d’une conception restrictive de la notion de chose
    • À la suite de l’arrêt Teffaine, il a été préconisé de limiter l’application de l’article 1384, al. 1er :
      • aux meubles
      • aux choses dangereuses
      • aux choses présentant un vice interne
      • aux choses non actionnées par la main de l’homme
        • Dans un arrêt du 22 mars 1911, la Cour de cassation a, par exemple, estimé que dans l’hypothèse où la chose qui a causé le dommage est une automobile, l’article 1384, al. 1er n’a pas vocation à s’appliquer dans la mesure où il s’agit d’une chose actionnée par la main du conducteur, de sorte que le dommage est dû, en réalité, au seul fait de l’homme (Cass. req., 22 mars 1911).
        • Elle en déduit alors que la responsabilité du conducteur ne peut être recherchée que le fondement de l’article 1382, ce qui suppose, pour la victime, de rapporter la preuve d’une faute.
  • L’admission d’une présomption de faute
    • Alors que dans l’arrêt Teffaine, la Cour de cassation avait, a priori, exclu que le gardien de la chose qui a causé un dommage puisse s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’a pas commis de faute, elle revint toutefois sur sa position dans un arrêt du 30 mars 1897.
      • La chambre des requêtes considère, en effet, que l’article 1384, al. 1er du Code civil édicte une simple présomption de faute, laquelle peut, dès lors, être combattue par la preuve contraire (Cass. req., 30 mars 1897)
    • Par la suite, la Cour de cassation renforça la présomption, en exigeant du gardien qu’il rapporte la preuve positive d’un fait extérieur générateur de dommage et pas seulement la preuve négative de l’absence d’imprudence ou de négligence.
      • Aussi, cela revenait-il à instaurer une présomption quasi-irréfragable de responsabilité à l’encontre du gardien.
      • Dans un arrêt du 16 décembre 1920, la chambre civile affirma en ce sens que « la présomption de faute édictée par l’article 1384, alinéa 1, à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé le dommage ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure, ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable. Il ne suffit pas de prouver qu’il n’a commis aucune faute, ni que la cause du dommage est demeurée inconnue » (Cass. civ., 16 déc. 1920).

Cass. civ., 16 déc. 1920

LA COUR:

– Sur le moyen unique : – Vu l’art. 1384, § 1er, C.civ.; – Attendu que la présomption de faute édictée par cet article à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé le dommage ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable; qu’il ne suffit pas de prouver qu’il n’a commis aucune faute, ni que la cause du dommage est demeurée inconnue; qu’il n’est pas nécessaire que la chose ait un vice inhérent à sa nature, susceptible de causer le dommage, l’article rattachant la responsabilité à la garde de la chose, et non à la chose elle-même; – Attendu que, le 2 juill. 1906, un incendie a éclaté à Bordeaux dans la gare maritime de Brienne, dont la Compagnie des chemins de fer du Midi est concessionnaire; qu’alimenté par de nombreux fûts de résine (ou brai), entreposés dans cette gare, le feu gagna la voie publique contiguë et détruisit les rails, poteaux et appareils de transmission de la Comp. française des tramways électriques et omnibus de Bordeaux; – Attendu que l’arrêt attaqué reconnaît que les fûts de résine étaient sous la garde de la Comp. des chemins de fer du Midi, mais déclare que la cause du dommage doit résider dans la chose qu’on a sous garde, lui être intrinsèque, que le brai n’est pas susceptible de s’enflammer par suite d’un vice inhérent à sa nature, et, en conséquence, par confirmation du jugement, rejette la demande en dommages-intérêts formée par la Comp. des tramways; qu’en statuant ainsi, il a violé le texte susvisé; Par ces motifs : Casse et annule.

En réaction à ce flottement jurisprudentiel née à la suite de l’arrêt Teffaine, la Cour de cassation n’a eu d’autre choix que de préciser sa position.

?Seconde étape vers la reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses : l’arrêt Jand’heur

Dans un arrêt Jand’heur du 13 février 1930, non seulement la Cour de cassation va réitérer la solution qu’elle avait adoptée dans l’arrêt Teffaine, mais encore elle va mettre fin aux incertitudes qui entouraient la découverte, en 1896, d’un principe général de responsabilité du fait des choses.

Arrêt Jand’heur

(Cass. Ch. réun., 13 févr. 1930)

Statuant sur le moyen du pourvoi :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu que la présomption de responsabilité établie par cet article à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable ; qu’il ne suffit pas de prouver qu’il n’a commis aucune faute ou que la cause du fait dommageable est demeurée inconnue ;

Attendu que, le 22 avril 1926, un camion automobile appartenant à la Société “Aux Galeries Belfortaises” a renversé et blessé la mineure Lise X… ; que l’arrêt attaqué a refusé d’appliquer le texte susvisé par le motif que l’accident causé par une automobile en mouvement sous l’impulsion et la direction de l’homme ne constituait pas, alors qu’aucune preuve n’existe qu’il soit dû à un vice propre de la voiture, le fait de la chose que l’on a sous sa garde dans les termes de l’article 1384, alinéa 1er, et que, dès lors, la victime était tenue, pour obtenir réparation du préjudice, d’établir à la charge du conducteur une faute qui lui fût imputable ;

Mais attendu que la loi, pour l’application de la présomption qu’elle édicte, ne distingue pas suivant que la chose qui a causé le dommage était ou non actionnée par la main de l’homme ; qu’il n’est pas nécessaire qu’elle ait un vice inhérent à sa nature et susceptible de causer le dommage, l’article 1384 rattachant la responsabilité à la garde de la chose, non à la chose elle-même ;

D’où il suit qu’en statuant comme il l’a fait l’arrêt attaqué a interverti l’ordre légal de la preuve et violé le texte de loi susvisé ;

Par ces motifs,

CASSE,

Fait :

Une adolescente, Lise Jand’heur, est renversée et blessée par un camion alors qu’elle traverse la chaussée.

Procédure :

Plusieurs étapes procédurales doivent être distinguées dans l’affaire Jand’heur afin de bien en saisir l’enjeu.

  • Première étape
    • Dans un arrêt du 29 décembre 1925, la Cour d’appel de Besançon refuse d’indemniser la victime.
    • Les juges du fond estiment que, dans la mesure où la chose qui a causé le dommage (le camion) était actionnée par la main de l’homme, le dommage était imputable, non pas au fait d’une chose, mais au fait de l’homme.
    • Aussi, pour la Cour d’appel, la responsabilité du conducteur du camion ne pouvait être recherchée que sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
    • Il appartenait donc à la victime de rapporter la preuve d’une faute.
  • Deuxième étape
    • Dans un premier arrêt du 21 février 1927, la Cour de cassation censure la décision rendue par la juge du fond, estimant que l’article 1384, al. 1er avait bien vocation à s’appliquer, peu importe que la chose à l’origine du dommage ait été ou non actionnée par la main de l’homme (Cass. civ., 21 févr. 1927)
    • La haute juridiction précisa néanmoins que « le gardien n’est responsable que s’il s’agit d’une chose soumise à la nécessité d’une garde en raison des dangers qu’elle peut faire courir à autrui ».
    • Critique
      • Bien que, par cette décision, la Cour de cassation soit revenue sur son refus de faire application de l’article 1384, al. 1er aux accidents de la circulation, sa position n’en a pas moins fait l’objet de critiques.
      • Il a, en effet, été reproché à la haute juridiction d’avoir substitué à la distinction entre les choses actionnées par la main de l’homme et celles qui ne le sont pas une autre distinction : la distinction entre les choses dangereuses et les choses non dangereuses.
      • Or il s’agit là d’une distinction qui, comme la précédente, n’est pas très heureuse pour plusieurs raisons :
        • Quel critère retenir pour distinguer les choses dangereuses des choses non dangereuses ?
        • La distinction opérée par la Cour de cassation apparaît ici pour le moins arbitraire.
        • Qui plus est, le fait qu’une chose ait commis un dommage n’établit-il pas d’emblée qu’elle est dangereuse ?
        • Par ailleurs, l’instauration d’une distinction entre les choses dangereuses et les choses non dangereuses conduit à restreindre le domaine d’application de l’article 1384 al. 1er, alors que si l’on se rapporte à la lettre du texte, la loi n’opère aucune distinction parmi les choses.
        • Enfin, la solution retenue par la Cour de cassation traduit un retour au système de la faute pourtant abandonné dans l’arrêt Teffaine, puis dans l’arrêt du 16 décembre 1920, en ce sens que la Cour de cassation considère, en creux, que lorsque le dommage est causé par une chose non dangereuse, seul l’établissement d’un comportement fautif du gardien est susceptible d’engager sa responsabilité.
  • Troisième étape
    • La Cour d’appel de renvoi refuse de s’incliner devant la décision adoptée par la Chambre civile le 21 février 1927
    • Les juges du fond considèrent que la responsabilité du conducteur du camion ne peut être recherchée que sur le fondement de la responsabilité du fait personnel, la chose à l’origine du dommage ayant été actionnée par la main de l’homme.
  • Quatrième étape
    • Dans un arrêt du 13 février 1930 qui fera date, les chambres réunies de Cour de cassation censurent une nouvelle fois la décision des juges du fond.
    • La haute juridiction formule, dans cette décision, deux affirmations sur lesquelles est assis le droit positif de la responsabilité du fait des choses :
      • En premier lieu, elle considère que « la présomption de responsabilité établie par cet article à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable ; qu’il ne suffit pas de prouver qu’il n’a commis aucune faute ou que la cause du fait dommageable est demeurée inconnue »
      • En second lieu, la Cour de cassation décide que « la loi, pour l’application de la présomption qu’elle édicte, ne distingue pas suivant que la chose qui a causé le dommage était ou non actionnée par la main de l’homme ; qu’il n’est pas nécessaire qu’elle ait un vice inhérent à sa nature et susceptible de causer le dommage, l’article 1384 rattachant la responsabilité à la garde de la chose, non à la chose elle-même ».

?Analyse de l’arrêt Jand’heur

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de l’arrêt Jand’heur :

  • Réaffirmation du principe général de responsabilité du fait des choses
    • La Cour de cassation ne manque pas de réaffirmer le principe général de responsabilité du fait des choses en retenant comme visa de sa décision l’article 1384, alinéa 1er du Code civil.
  • Consécration d’une présomption de responsabilité
    • Dans l’arrêt Jand’heur, la Cour de cassation utilise l’expression « présomption de responsabilité » et non « présomption de faute ».
    • Aussi, par cette expression, la haute juridiction entend-elle édicter la règle le gardien de la chose ayant causé un dommage ne saurait s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’a pas commis de faute ou que la cause du fait dommageable est demeurée inconnue.
    • La preuve de l’absence de faute est inopérante, de sorte que le seul moyen pour le gardien de s’exonérer de sa responsabilité est d’établir la survenance d’une cause étrangère dans la production du dommage (cas fortuit ou force majeure).
    • En édictant, pour la première fois, une présomption de responsabilité, la Cour de cassation abandonne dès lors la faute comme fondement de la responsabilité du fait des choses.
    • Il ne s’agit donc plus d’une responsabilité subjective, mais objective, dite encore responsabilité de plein droit.
  • Extension du domaine d’application du principe général de responsabilité du fait des choses
    • La volonté de la Cour de cassation d’étendre le domaine d’application du principe général de responsabilité du fait des choses s’est traduite par :
      • Le rejet de la distinction entre les choses dangereuses et les choses non dangereuses
      • Le rejet de la distinction entre les meubles et les immeubles
      • Le rejet de la distinction entre les choses actionnées ou non par la main de l’homme
      • Le rejet de l’exigence d’un vice inhérent à la nature de la chose.
  • Mise en avant du critère de la garde, comme condition de mise en œuvre du principe général de responsabilité du fait des choses
    • Dans l’arrêt Jand’heur, la Cour de cassation insiste particulièrement sur le fait que la mise en œuvre de l’article 1384, al. 1er est liée, pour l’essentiel, à la garde de la chose et non à sa nature.
    • Autrement dit, pour que la responsabilité du gardien puisse être recherchée, seul compte que la chose à l’origine du dommage ait été placée sous sa garde, peu importe qu’il s’agisse ou non d’une chose dangereuse ou qu’elle présente un vice interne.

Au total, il ressort de l’arrêt Jand’heur que, par une construction purement prétorienne, la responsabilité du fait des choses est devenue une responsabilité de plein droit ou objective, en ce sens que l’obligation de réparation naît, désormais, indépendamment de l’établissement d’une faute.

Autrement dit, le gardien engage sa responsabilité, dès lors que la chose qu’il avait sous sa garde a concouru à la production du dommage.

Pour faire échec à l’action en réparation diligentée contre lui, il ne disposera que de deux options :

  • Rapporter la preuve d’une cause étrangère dont la survenance a rompu le lien de causalité entre le dommage et le fait de la chose
  • Démontrer que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité du fait des choses ne sont pas réunies

II) Les conditions de mise en œuvre du principe général de responsabilité du fait des choses

Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité du fait des choses sont au nombre de quatre, parmi lesquels on dénombre deux constantes et deux conditions spéciales :

  • Les constantes
    • Le dommage
    • Le lien de causalité
  • Les conditions spéciales
    • La garde de la chose
    • Le fait de la chose

Les constantes ayant fait l’objet d’une étude dans des fiches séparées, nous ne nous focaliserons que sur les conditions spéciales de mise en œuvre de la responsabilité du fait des choses.

A) La garde de la chose

1. La définition de la garde

Que doit-on entendre par la notion de garde ?

A priori, seul le gardien de la chose est susceptible d’engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1242 du Code civil.

Le plus souvent, la condition relative à la garde ne soulèvera guère de difficultés dans la mesure où le gardien sera tout à la fois le propriétaire et le détenteur de la chose lors de la production du dommage.

Quid néanmoins, dans l’hypothèse où le propriétaire et le détenteur de la chose sont deux personnes distinctes ?

Cette situation se rencontrera notamment lorsque la chose à l’origine du dommage aura été empruntée ou volée.

Dans pareille circonstance, qui doit être désigné gardien et supporter la charge de l’obligation de réparation ? Est-ce le propriétaire ou le détenteur de la chose ?

Deux théories sont envisageables :

  • La théorie de la garde juridique de la chose : la garde incomberait à celui qui est propriétaire de la chose, car lui seul posséderait un véritable pouvoir sur la chose
  • La théorie de la garde matérielle de la chose : La garde supposerait une maîtrise concrète et effective de la chose, de sorte que seul son détenteur effectif, qu’il en soit ou non le propriétaire, pourrait être qualifié de gardien

La question de la notion de garde a été tranchée dans un célèbre arrêt Franck du 2 décembre 1941, lequel vient clore une affaire dans le cadre de laquelle la Cour de cassation a été amenée à se prononcer par deux fois.

Affaire Franck

?Les faits

Le Docteur Franck prête sa voiture à son fils. Dans la nuit du 24 au 25 décembre 1929, la voiture est volée.

Le voleur, dont l’identité est demeurée inconnue, percute et blesse mortellement le facteur Connot.

Une action en responsabilité est alors engagée à l’encontre du propriétaire du véhicule.

?Enjeux

Dans l’affaire Franck le choix de la conception la garde n’était pas sans enjeux :

  • Dans l’hypothèse, où les juges retiendraient une conception matérielle de la garde, ils priveraient, de facto, la victime du dommage d’indemnisation dans la mesure où elle ne pourrait obtenir réparation qu’en engageant une action en responsabilité contre le voleur de la voiture. Or celui-ci n’a pas été interpellé, si bien que son identité est demeurée inconnue.
  • Dans l’hypothèse où les juges adopteraient la théorie de la garde juridique, cela reviendrait à engager la responsabilité du propriétaire du véhicule, alors qu’il n’en était pourtant pas le détenteur au moment de la production du dommage. Cette solution serait néanmoins favorable à la victime, puisqu’elle serait alors en mesure de diligenter des poursuites contre un débiteur identifié.

?Premier arrêt : l’adoption de la conception juridique de la garde

Dans un premier arrêt du 3 mars 1936, la Cour de cassation considère que le propriétaire de la voiture, instrument du dommage, en a conservé la garde, malgré le vol (Cass. civ., 3 mars 1936).

Ainsi, retient-elle une conception juridique de la garde : peu importe le pouvoir de fait sur la chose, seul compte le pouvoir de droit.

Bien que cette solution soit contraire à la jurisprudence des juges du fond qui s’étaient majoritairement prononcés en faveur de la théorie de la garde matérielle, elle s’inscrivait néanmoins dans le droit fil du mouvement d’objectivation de la responsabilité du fait des choses amorcée quarante ans plus tôt par l’arrêt Teffaine.

Résistance des juges du fond

L’objectif poursuivi par la Cour de cassation n’est, malgré tout, pas partagé par la Cour d’appel de renvoi qui résiste et déboute la victime de sa demande de réparation (CA Besançon, 25 févr. 1937).

Les juges du fond estiment que la responsabilité du propriétaire de la voiture ne saurait être engagée, la garde de la voiture ayant été transféré au conducteur par l’effet du vol.

Qui plus est, la Cour d’appel relève que, en raison des circonstances, aucune faute de surveillance ne saurait être reprochée au propriétaire de la voiture.

?Second arrêt : l’adoption de la conception matérielle de la garde

Dans un arrêt Franck du 2 décembre 1941, la Cour de cassation se range finalement derrière la position des juges du fond en adoptant la théorie de la garde matérielle.

Arrêt Franck

(Cass. ch. réunies, 2 déc. 1941)

Sur le moyen unique pris en sa première branche :

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1929, une voiture automobile, appartenant au docteur Y…, et que celui-ci avait confiée à son fils Claude, alors mineur, a été soustraite frauduleusement par un individu demeuré inconnu, dans une rue de Nancy où Claude Y… l’avait laissée en stationnement ;

Qu’au cours de la même nuit, cette voiture, sous la conduite du voleur, a, dans les environs de Nancy, renversé et blessé mortellement le facteur X… ;

Que les consorts X…, se fondant sur les dispositions de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, ont demandé au docteur Y… réparation du préjudice résultant pour eux de la mort de X… ;

Attendu que, pour rejeter la demande des consorts X…, l’arrêt déclare qu’au moment où l’accident s’est produit, Y…, dépossédé de sa voiture par l’effet du vol, se trouvait dans l’impossibilité d’exercer sur ladite voiture aucune surveillance ;

Qu’en l’état de cette constatation, de laquelle il résulte que Y…, privé de l’usage, de la direction et du contrôle de sa voiture, n’en avait plus la garde et n’était plus dès lors soumis à la présomption de responsabilité édictée par l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, la cour d’appel, en statuant ainsi qu’elle l’a fait, n’a point violé le texte précité

Dans l’arrêt Franck, la Cour de cassation estime que dès lors que le propriétaire est privé de l’usage, de la direction et du contrôle de la chose, il n’en a plus la garde, de sorte que la présomption de responsabilité édictée à l’article 1384, al. 1er du Code civil doit être écartée.

Autrement dit, le propriétaire de la chose peut combattre la présomption de responsabilité qui pèse sur lui en démontrant qu’il n’en était pas le gardien lors de la production du dommage, ce qui donc suppose qu’il établisse avoir perdu les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle de la chose.

La garde comporte ainsi trois éléments constitutifs qui déterminent la qualité de gardien :

  • L’usage : maîtrise de la chose dans son propre intérêt
  • La direction : décider de la finalité de l’usage
  • Contrôle : capacité à prévenir le fonctionnement anormal de la chose

?Analyse de l’arrêt

La solution adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt Franck appelle deux observations :

  • Abandon de la conception juridique de la garde
    • En validant la décision des juges du fond qui ont refusé de retenir la responsabilité du propriétaire du véhicule, la Cour de cassation abandonne la théorie de la garde juridique au profit d’une conception matérielle de la garde.
    • La haute juridiction a, manifestement, entendu faire prédominer l’exercice effectif des pouvoirs sur la chose au moment du dommage
  • Résurgence de la faute
    • L’adoption de la théorie de la garde matérielle par la Cour de cassation repose sur l’idée qu’il serait inconcevable que l’on condamne le propriétaire de la chose, alors qu’il n’avait aucun moyen d’empêcher la production du dommage.
    • Autrement dit, celui à qui l’on vole sa chose n’est pour rien dans le fait que celle-ci ait causé un dommage
    • Aussi, l’idée sous-jacente est que le propriétaire de la chose ne saurait engager sa responsabilité si sa conduite est totalement étrangère à la production du dommage.
    • Dans la mesure où, il n’y est pour rien, il ne doit pas être condamné à payer
    • Avec l’arrêt Franck, on assiste alors à une résurgence de la faute, dont on devine qu’elle justifie ici l’adoption par la Cour de cassation de la conception matérielle de la garde.
    • La responsabilité aurait été beaucoup plus objective si elle avait fait application de la théorie de la garde juridique.

Au total, il apparaît que la solution adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt Franck est à contre-courant du mouvement d’objectivation de la responsabilité engagé par l’arrêt Teffaine d’abord, puis par l’arrêt Jand’heur.

?Confirmation de l’arrêt Franck

Malgré les critiques dont il a fait l’objet, l’arrêt Franck a été confirmé à de nombreuses reprises par la Cour de cassation, laquelle conserve, encore aujourd’hui, la même définition de la notion de garde.

  • Dans un arrêt du 26 mars 1971, la chambre mixte a insisté sur le fait que « la responsabilité du dommage cause par le fait d’une chose inanimée est liée à l’usage qui en est fait ainsi qu’aux pouvoirs de direction et de contrôle exercés sur elle, qui caractérisent la garde » (Cass. ch. mixte, 26 mars 1971, n°68-11.171).
  • Dans un arrêt du 17 mars 2011, la Cour de cassation a, de nouveau, martelé la définition de la garde, en affirmant que « est déclaré gardien celui qui exerce sur la chose les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle au moment où celle-ci a été l’instrument du dommage » (Cass. 2e civ., 17 mars 2011, n°10-10.232).

2. L’aptitude du gardien

Comme en matière de responsabilité du fait personnel, la Cour de cassation a, pendant longtemps, refusé que le gardien privé de discernement (aliéné mental et enfant en bas âge) puisse engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1384, al. 1er.

Dans un arrêt du 28 avril 1947, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « l’usage et les pouvoirs de direction et de contrôle, fondement de l’obligation de garde au sens de l’article 1384, alinéa 1er (…) impliquent la faculté de discernement ».

La Cour de cassation justifie sa solution en considérant que dès lors que le gardien est privé de discernement, il ne saurait, par définition, exercer un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle de la chose.

Or il s’agit là d’une condition de mise en œuvre de la responsabilité du fait des choses. D’où l’impossibilité de retenir la responsabilité des enfants en bas âge et des déments sur le fondement de l’article 1384, al. 1er.

Cass. civ., 28 avr. 1947

La Cour; — Donne défaut contre les défendeurs; — Sur le moyen unique : — Attendu que l’arrêt attaqué (Lyon, 28 juill. 1941) déclare qu’il est constant que Girel était en état de démence au moment où la balle du revolver qu’il tenait à la main a atteint et mortellement blessé Escoffier, et que cet état n’est pas la conséquence d’une faute antérieure de sa part; — Attendu que de ces constatations souveraines la cour d’appel a pu déduire que la présomption de responsabilité édictée par l’article 1384, alinéa 1er du Code civil, dont se prévalaient les ayants droit d’Escoffier, ne saurait être retenue à l’encontre de Girel; — Attendu, en effet, que tant l’usage et les pouvoirs de direction et de contrôle, fondement de l’obligation de garde au sens de l’article précité, que l’imputation d’une responsabilité présumée, impliquent la faculté de discernement; — D’où il suit que l’arrêt attaqué a légalement justifié sa décision; — Par ces motifs, rejette…

?Première évolution : admission jurisprudentielle de la responsabilité du dément

Dans un arrêt Trichard du 18 décembre 1964, la Cour de cassation a estimé que « qu’une obnubilation passagère des facultés intellectuelles, qu’elle soit qualifiée de démence au sens de l’article 64 du Code pénal (C. pén., art. 122-1) ou qu’elle procède d’un quelconque malaise physique, n’est pas un événement susceptible de constituer une cause de dommage extérieure ou étrangère au gardien ».

Ainsi, la haute juridiction reconnaît-elle, pour la première fois, que la privation de discernement du gardien ne faisait pas obstacle à l’engagement de sa responsabilité sur le fondement de l’article 1384, al. 1er du Code civil lorsque la chose qu’il avait sous sa garde a causé un dommage (Cass. 2e civ., 18 déc. 1964).

Arrêt Trichard

(Cass. 2e civ., 18 déc. 1964)

Sur le moyen unique : attendu qu’il résulte de l’arrêt attaque, rendu après renvoi de cassation le 11 février 1959 d’un arrêt de la cour d’appel d’Aix du 20 novembre 1956, que Trichard, conduisant sa voiture automobile, heurta, en la dépassant, une charrette menée par Piccino;

Que, projeté a terre et blesse, ce dernier assigna en réparation de son préjudice sur le fondement de l’article 1384, paragraphe 1, du code civil, Trichard, qui, sur le plan pénal, avait bénéficié d’une décision de relaxe au motif que, victime d’une crise d’épilepsie, il se trouvait, au moment des faits, en état de démence au sens de l’article 64 du code pénal;

Attendu que le pourvoi reproche à l’arrêt d’avoir retenu la responsabilité de Trichard en sa qualité de gardien du véhicule ayant causé l’accident, alors que le dément se trouverait exonère de la présomption de responsabilité édictée par l’article 1384, alinéa 1, du code civil;

Mais attendu que, pour décider que Trichard devrait, par application du texte susvisé, réparer l’intégralité du préjudice souffert par Piccino, l’arrêt relevé, à bon droit, qu’une obnubilation passagère des facultés intellectuelles, qu’elle soit qualifiée de démence au sens de l’article 64 du code pénal, ou qu’elle procède d’un quelconque malaise physique, n’est pas un événement susceptible de constituer une cause de dommage extérieure ou étrangère au gardien;

Attendu que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a justement déduit que l’absence épileptique au cours de laquelle s’était produit l’accident, n’avait pas pour effet d’exonérer Trichard de la responsabilité qui pesait sur lui en sa qualité de gardien;

D’où il suit que le moyen n’est pas fonde;

Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 13 mars 1961 par la cour d’appel de Nîmes.

La cour de cassation va réitérer plus nettement la solution retenue dans l’arrêt Trichard dans une décision du 1er mars 1967 où elle affirme, sans ambiguïté, que « celui qui exerce sur une chose les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle, conserve la qualité de gardien, même s’il n’est pas en mesure d’exercer correctement lesdits pouvoirs » (Cass. 2e civ., 1er mars 1967)

?Deuxième évolution : admission légale de la responsabilité du dément

L’évolution jurisprudentielle engagée par l’arrêt Trichard fut consacrée par la loi du 3 janvier 1968 qui introduit un article 489-2 dans le Code civil, devenu aujourd’hui l’article 414-3.

Cette disposition prévoit que « celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation. »

?Troisième évolution : admission jurisprudentielle de la responsabilité de l’infans

Tout comme en matière de responsabilité du fait personnel, le sort de l’infans a suivi celui du dément, ce, indépendamment de l’intervention du législateur.

Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle décidé dans un arrêt Gabillet du 9 mai 1984, soit le même jour que les arrêts Fullenwarth, Lemaire et Derguini que les juges du fond n’avaient pas à rechercher si le gardien de la chose ayant causé un dommage, un infans en l’occurrence dans l’arrêt en l’espèce, était doué de discernement.

Arrêt Gabillet

(Cass. ass. plén., 9 mai 1984)

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Agen, 12 mai 1980), que le 30 juin 1975, l’enfant Eric X…, alors âgé de 3 ans, en tombant d’une balançoire improvisée constituée par une planche qui se rompit, éborgna son camarade Philippe Y… avec un bâton qu’il tenait à la main ; que M. Lucien Y…, agissant en qualité d’administrateur légal des biens de son fils, assigna ses parents, les époux X…, en tant qu’exerçant leur droit de garde, en responsabilité de l’accident ainsi survenu ; Attendu que les époux X… font grief à l’arrêt d’avoir déclaré Eric X… responsable sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, alors, selon le moyen, que l’imputation d’une responsabilité présumée implique la faculté de discernement ; que la Cour d’appel a donc violé par fausse application l’alinéa 1er de l’article 1384 du Code civil ; Mais attendu qu’en retenant que le jeune Eric avait l’usage, la direction et le contrôle du bâton, la Cour d’appel qui n’avait pas, malgré le très jeune âge de ce mineur, à rechercher si celui-ci avait un discernement, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 12 mai 1980 par la Cour d’appel d’Agen

Par cet arrêt, la Cour de cassation abandonne donc définitivement l’exigence de discernement du gardien.

La Cour de cassation n’opère plus aucune distinction entre le dément et l’enfant : les deux sont susceptibles d’engager leur responsabilité sur le fondement de l’article 1384, al. 1er dès lors qu’est établie leur qualité de gardien.

?Observations

Si, cette solution est parfaitement cohérente avec l’évolution de la notion de faute, elle l’est moins avec le maintien par la Cour de cassation du recours à la théorie de la garde matérielle.

En effet, comment la Cour de cassation peut-elle justifier le fait qu’elle dénie au propriétaire d’une chose qui a causé un dommage la qualité de gardien dès lors qu’il n’avait pas sur elle un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle alors qu’elle admet, en parallèle, qu’un infans puisse posséder pareil pouvoir ?

Lorsqu’une personne est privée de discernement, peut-on raisonnablement affirmer qu’elle possède un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle sur les choses qu’elle détient ? On est légitimement en droit d’en douter.

C’est la raison pour laquelle on peut reprocher à la Cour de cassation le manque de cohérence de sa jurisprudence

Si donc elle voulait être cohérente, il faudrait qu’elle abandonne l’application de la théorie de la garde matérielle, pour consacrer la théorie de la garde juridique.

Car si le dément ou l’enfant en bas âge peut sans aucune difficulté endosser la qualité de propriétaire, on peut difficilement concevoir qu’il exerce un pouvoir d’usage de direction et de contrôle sur une chose et donc être désigné comme gardien de la chose qui a causé un dommage.

3. La désignation du gardien

a. La présomption de garde

Bien que ce soit la définition matérielle de la garde qui ait cours, les rapports de droit qu’entretiennent les agents entre eux ne sont pas ignorés dans le cadre de la responsabilité du fait des choses.

C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation ne rejette pas totalement la théorie de la garde juridique, ce pour une raison simple : elle fait peser sur le propriétaire de la chose qui a causé un dommage une présomption de garde.

Le propriétaire est présumé gardien dans deux hypothèses distinctes :

  • Lorsqu’il exerce un pouvoir direct sur la chose
    • Il s’agit de l’hypothèse où le propriétaire est aussi le détenteur de la chose
    • Les trois éléments constitutifs de la garde sont ici réunis, de sorte que cette situation ne soulève, a priori, guère de difficulté
  • Lorsqu’il exerce un pouvoir indirect sur la chose
    • Il s’agit de l’hypothèse où la chose est détenue par un préposé
    • En raison du lien de subordination, si le préposé à l’usage de la chose, le propriétaire conserve le pouvoir de direction et de contrôle.
    • Ainsi, existe-t-il une incompatibilité entre les qualités de gardien et de préposé.

b. Le renversement de la présomption

La présomption de garde posée par la jurisprudence est une présomption simple, de sorte que le propriétaire de la chose qui a causé un dommage peut s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’avait pas de pouvoir d’usage de direction et de contrôle sur la chose au moment de la réalisation du dommage.

Il doit, en d’autres termes, prouver que la garde de la chose a été transférée à un autre gardien !

Toutefois, le combat de cette présomption pourra s’avérer difficile, celle-ci relevant, en certains cas, de la pure fiction.

Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle pu estimer que l’on pouvait être gardien de la chose qui a causé un dommage, sans le savoir.

Dans un arrêt rendu en date du 23 janvier 2003 où la haute juridiction a condamné en ce sens le propriétaire d’un immeuble sur le fondement de l’article 1384, al. 1er alors que celui-ci ignorait la présence d’un détonateur dans son immeuble qui avait installé pour extraire des pierres de construction et dont le déclenchement a occasionné de nombreuses lésions à un ouvrier qui se trouvait sur le chantier (Cass. 2e civ., 23 janv. 2003 n°01-11.043).

La cour de cassation a, en effet, considéré que « la seule présence du détonateur, quelqu’en fût l’origine, sur la propriété de Mme Z… la constituait gardienne de cette chose, et [de sorte] que le transfert de la garde du détonateur à l’entreprise de carrelage n’était pas établi et que la victime n’avait pas commis de faute ».

Cass. 2e civ., 23 janv. 2003

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Bordeaux, 13 mars 2001), que M. Gérard X…, ouvrier carreleur de l’entreprise Sagne chargé d’exécuter des travaux de carrelage dans la maison appartenant à Mme Y… épouse Z…, alors en cours de rénovation, a été blessé par une explosion survenue après qu’il y eut jeté une chute de carrelage dans un tas de gravats ; que la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de la Dordogne ayant versé à la victime des indemnités journalières et une rente d’invalidité d’accident du travail, a assigné Mme Z… et son assureur, le Groupama, en responsabilité et remboursement, en présence de M. X… ; qu’une expertise a établi que l’explosion provenait d’un détonateur de type ancien placé dans les gravats ;

Attendu que Mme Z… et son assureur font grief à l’arrêt d’avoir déclaré Mme Z… responsable de l’accident et de l’avoir condamnée in solidum avec le Groupama à verser des provisions à la CPAM et M. X…, alors, selon le moyen : […]

Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l’arrêt relève que le détonateur, qui avait été transmis à Mme A… avec la propriété de l’immeuble par son père, appartenait à celle-ci ; qu’elle a reconnu que son père, ancien employé de la Manufacture d’armes de Tulle en 1936, utilisait, selon une pratique locale alors répandue, des détonateurs pour extraire des pierres de construction ; que Mme Z… ne démontrait pas que la garde de cet objet avait été transférée à l’entreprise, dès lors qu’il se trouvait dans les gravats entreposés dans la cour de son immeuble et provenant de la démolition récente d’un mur de la maison ; qu’enfin, l’expert ayant admis qu’un jet de carreau sur les gravats avait pu suffire au déclenchement de l’explosion, Mme Z… ne démontrait pas que M. X… eût commis une faute, alors que, s’agissant d’un matériel spécifique de type ancien, cet ouvrier, qui travaillait dans des conditions normales ne pouvait imaginer qu’il pût s’agir d’un détonateur dangereux ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, procédant d’une appréciation souveraine des éléments de preuve, la cour d’appel a pu retenir que la seule présence du détonateur, quelqu’en fût l’origine, sur la propriété de Mme Z… la constituait gardienne de cette chose, et a pu décider que le transfert de la garde du détonateur à l’entreprise de carrelage n’était pas établi et que la victime n’avait pas commis de faute ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

c. Le transfert de la garde

Dans la mesure où le propriétaire de la chose est présumé être le gardien, cela signifie qu’on l’autorise à renverser cette présomption, ce qui suppose qu’il démontre qu’une autre personne que lui exerçait un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle sur la chose au moment du dommage.

Autrement dit, le propriétaire devra démontrer qu’il y a eu un transfert de la garde dans tous ses éléments constitutifs.

Deux situations doivent être distinguées :

?Le transfert de la garde est involontaire

L’examen de la jurisprudence révèle que le transfert involontaire de la garde fera toujours tomber la présomption de garde qui pèse sur le propriétaire de la chose.

Il appartient, néanmoins, au propriétaire de démontrer que le transfert de la garde était bien involontaire.

?Le transfert de la garde est volontaire

  • Effets variables
    • Dans l’hypothèse où le propriétaire a exprimé la volonté de se déposséder de la chose qui a causé un dommage le transfert de la garde ne fera pas toujours tomber la présomption de garde
    • Le propriétaire devra démontrer qu’il y a eu transfert de la garde dans tous ses éléments constitutifs (pouvoir de d’usage, de direction et de contrôle).
  • Critères d’appréciation
    • Pour renverser la présomption de garde, le propriétaire doit établir qu’il a transféré :
      • le pouvoir d’usage de la chose
      • la maîtrise intellectuelle de la chose (direction et contrôle)
    • Une illustration de cette exigence peut être trouvée dans un arrêt du 19 juin 2003.
    • La Cour de cassation a estimé dans cette décision qu’il n’y avait pas transfert de garde dans le cadre d’une relation de courtoisie (Cass. 2e civ., 19 juin 2003, n°01-17.575)
    • Il s’agissait en l’espèce du prêt d’une tondeuse entre voisins.
    • La Cour de cassation valide la décision des juges du fonds qui ont refusé de reconnaître le transfert de garde, estimant que le propriétaire de la chose « n’avait confié sa tondeuse à M. X… que pour un court laps de temps et pour un usage déterminé dans son propre intérêt, que M. X… n’avait pas été autorisé à se servir de la tondeuse pour son usage personnel, ni à la sortir de la propriété »
    • Ainsi, ressort-il de cet arrêt que le prêt d’une chose n’entraîne pas le transfert de garde lorsque l’usage est :
      • Circonscrit dans le temps
      • Circonscrit dans l’espace
      • Effectué dans l’intérêt exclusif du propriétaire

Cass. 2e civ., 19 juin 2003

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Amiens, 14 septembre 2001), que, le 16 avril 1998, M. X…, tondant la pelouse de M. Y…, s’est blessé aux doigts en voulant dégager de l’herbe coincée sous la lame de la tondeuse appartenant à ce dernier ; que M. X… a assigné M. Y… en réparation de son préjudice, sur le fondement de l’article 1384 du Code civil ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. Y… fait grief à l’arrêt de l’avoir déclaré entièrement responsable du dommage subi par M. X… et de l’avoir condamné à réparer l’intégralité de son préjudice, alors, selon le moyen, qu’est gardien de la chose son utilisateur qui, en dehors de tout lien de subordination envers le propriétaire, en a l’usage, la direction et le contrôle ; qu’en se fondant pour considérer que M. X…, qui selon ses propres constatations tondait la pelouse de M. Y… avec la tondeuse de ce dernier, n’était pas gardien de la tondeuse, sur la circonstance exclusive de tout lien de subordination qu’il n’avait pas été autorisé à se servir de la tondeuse pour son usage personnel, ni à la sortir de la propriété, la cour d’appel a violé l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Mais attendu que l’arrêt, après avoir énoncé que le propriétaire d’une chose est réputé en avoir la garde, que, bien que la confiant à un tiers, il ne cesse d’en être responsable que s’il est établi que ce tiers a reçu corrélativement les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle de la chose, retient que M. Y… n’avait confié sa tondeuse à M. X… que pour un court laps de temps et pour un usage déterminé dans son propre intérêt, que M. X… n’avait pas été autorisé à se servir de la tondeuse pour son usage personnel, ni à la sortir de la propriété ;

Que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire que M. Y… était demeuré gardien de la tondeuse ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Au total, il apparaît que la garde est alternative, en ce sens que deux personnes ne sauraient être qualifiées de gardiens dès lors qu’elles exercent des pouvoirs sur la chose à des titres différents.

Toutefois, comment faire lorsque des personnes auront une maîtrise commune de la chose, exerçant sur elle un pouvoir au même titre. Tel sera le cas des copropriétaires ou des coemprunteurs.

Dans cette situation, on parle de garde commue ou collective.

d. La garde collective

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Un groupe composé de personnes exerçant les mêmes pouvoirs sur la chose
  • Plusieurs groupes investis tantôt des mêmes pouvoirs, tantôt de pouvoirs différents

i. Première hypothèse : Un groupe composé de personnes exerçant les mêmes pouvoirs sur la chose

?Admission de l’exercice d’une garde commune des membres d’un même groupe

Dans un arrêt du 20 novembre 1968, la Cour de cassation a admis que la garde pouvait être exercée en commun par les membres d’un même groupe (Cass. 2e civ. 20 nov. 1968).

  • Faits
    • Il s’agissait en l’espèce d’un joueur de tennis qui, dans le cadre d’une compétition, sert deux balles d’essai dont la seconde atteint l’œil droit de l’autre joueur
    • Action en réparation engagée à l’encontre de l’auteur du dommage.
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 26 mai 1966, la Cour d’appel de Besançon déboute le demandeur de son action en responsabilité estimant que la victime avait accepté les risques inhérents au jeu.
  • Solution
    • Si la Cour de cassation valide la décision des juges du fond, elle justifie sa solution sur un fondement différent
    • La deuxième chambre civile estime, en effet que :
      • La Cour d’appel « ayant constaté qu’au moment de l’accident, chaque joueur exerçait sur la balle les mêmes pouvoirs de direction et de contrôle, la cour d’appel a pu déduire que cet usage commun de l’instrument du dommage ne permettait pas à Forestier Marechal de fonder son action sur l’article 1384, 1er alinéa ».
  • Analyse de l’arrêt
    • Deux enseignements peuvent être retirés de la décision rendue par la Cour de cassation
      • Définition de la garde
        • L’intérêt de cet arrêt réside essentiellement dans la définition que la Cour de cassation donne de la garde commune.
        • Pour la Cour de cassation il y a garde commune lorsque les mêmes du groupe exercent les mêmes pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur la chose
        • En l’espèce, on pouvait estimer qu’il y avait garde commune, dans la mesure où les joueurs de tennis jouent l’un avec l’autre : ils ont donc le même pouvoir sur la chose
      • Incompatibilité entre les qualités de victimes et de gardien en cas de garde commune
        • Il ressort de cette décision que dès lors que la victime exerçait une garde commune avec l’auteur du dommage, elle ne saurait obtenir réparation
        • On ne peut donc pas cumuler, dans l’hypothèse de la garde commune, les qualités de victime et de gardien.
  • Portée de l’arrêt
    • La solution dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 20 novembre 1968 a été confirmée à plusieurs reprises.
    • Ainsi, la responsabilité commune des membres d’un même groupe a été retenue dans plusieurs situations :
      • Partie de chasse où le tireur ayant blessé l’un de ses partenaires n’a pas pu être identifié (Cass. 2e civ., 15 déc. 1980, n°79-11.314)
      • Réunion de d’un groupe de fumeurs dont l’un d’eux a provoqué un incendie un jetant sur le sol son mégot de cigarette non consumé (Cass. 2e civ., 14 juin 1984)

Cass. 2e civ. 20 nov. 1968

Sur le premier moyen : attendu que selon l’arrêt infirmatif attaque, sur un court de tennis, ou débutait une Competition sportive, le jeune Saugier, servit deux balles d’essai dont la seconde atteignit à l’œil droit Forestier Marechal, l’un des joueurs adverses ;

Que celui-ci a demandé la réparation du dommage subi a Saugier père, représentant légal de son fils mineur, sur le fondement des articles 1382 et 1384, 1er alinéa, du code civil ;

Que la caisse primaire de sécurité sociale du Jura est intervenue a l’instance ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté la demande, alors qu’il résulterait de ses propres constatations que Saugier aurait commis une maladresse, en envoyant sa seconde balle d’essai, non pas dans la direction diagonale comme l’aurait commande la règle du jeu, mais du cote oppose ;

Mais attendu que l’arrêt, s’il a constaté que la balle litigieuse avait été envoyée non pas dans la direction du carré de service du relanceur mais dans celle du carré de son partenaire, observe qu’il s’agirait là tout au plus même si la balle n’avait pas été qu’une balle d’essai, d’une irrégularité de service, mais non d’une maladresse entrainant la responsabilité civile du joueur ;

Qu’il ajoute qu’aucun renseignement n’avait été donne sur la façon dont la balle avait été lancée ;

Qu’en déduisant de ces énonciations que la preuve n’avait pas été faite d’une faute du jeune Saugier et que celui-ci n’était pas responsable sur le fondement de l’article 1382, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen : attendu que le demandeur au pourvoi soutient que la responsabilité de Saugier, fondée sur l’article 1384, 1er alinéa, aurait été écartée à tort, au motif que la victime avait accepté le risque inhérent au jeu, alors que cette acceptation ne pourrait constituer pour l’auteur du dommage, une cause d’exonération, que si elle avait été fautive ;

Mais attendu que l’arrêt constate que le service des balles d’essai autorise par l’arbitre et fait alors que les joueurs étaient tenus d’être à leur place, s’était inséré dans le match dont il avait constitué le préliminaire, destine à permettre aux joueurs d’étudier le jeu de leurs adversaires ;

Attendu qu’ayant constaté qu’au moment de l’accident, chaque joueur exerçait sur la balle les mêmes pouvoirs de direction et de contrôle, la cour d’appel a pu déduire que cet usage commun de l’instrument du dommage ne permettait pas a Forestier Marechal de fonder son action sur l’article 1384, 1er alinéa, et sans encourir les critiques du pourvoi a donné une base légale a sa décision ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 26 mai 1966 par la cour d’appel de Besançon.

ii. Seconde hypothèse : plusieurs groupes investis tantôt des mêmes pouvoirs dans chaque groupe, tantôt de pouvoirs différents

?Admission de l’exercice d’une garde commune entre les membres de plusieurs groupes investis des mêmes pouvoirs dans chaque groupe

Dans un arrêt du 7 novembre 1988 la Cour de cassation a retenu la qualification de garde commune dans l’hypothèse où deux groupes différents étaient investis des mêmes pouvoirs dans chaque groupe (Cass. 2e civ., 7 nov. 1988, n°87-11.008 et 87-17.552).

  • Faits
    • Au cours d’un jeu collectif entre deux groupes d’enfants jouant aux Indiens, l’un d’eux qui appartenait au groupe des assiégeants est blessé à l’œil par une flèche de l’un des assiégés
    • L’auteur du dommage n’ayant pas pu être identifié, action des parents à l’encontre du père de l’un des enfants de l’autre groupe.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 5 décembre 1986, la Cour d’appel de Colmar déboute les parents de la victime de leur action en réparation.
    • Les juges du fond estiment que la garde appartenait au groupe des assiégés, de sorte que « sur le fondement d’une responsabilité collective, la responsabilité d’un seul membre du groupe ne pouvait être retenue sans provoquer la mise en cause des autres ».
  • Solution
    • La Cour de cassation censure la décision des juges du fond considérant que « lorsque la garde d’une chose instrument d’un dommage est exercée en commun par plusieurs personnes, chacun des cogardiens est tenu, vis-à-vis de la victime, à la réparation intégrale du dommage ».
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation les membres du groupe assiégé ont exercé une garde commune de la chose, de sorte que chacun d’eux engage sa responsabilité.
  • Analyse de l’arrêt
    • L’intérêt de l’arrêt est double
      • Celui qui lance décoche une flèche n’a pas le même pouvoir que celui qui la reçoit
        • Il ne saurait donc y avoir garde commune dans l’hypothèse où l’archer serait identifié (situation différente de la balle de tennis)
      • Chaque membre du groupe-gardien pris isolément engage sa responsabilité à l’égard de la victime lorsque l’auteur du dommage n’est pas identifié

Cass. 2e civ., 7 nov. 1988

Sur le moyen unique du pourvoi n° 87-11. 008, pris en sa première branche, et le moyen unique du pourvoi n° 87-17.552 :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, ensemble l’article 1203 de ce Code ;

Attendu que lorsque la garde d’une chose instrument d’un dommage est exercée en commun par plusieurs personnes, chacun des cogardiens est tenu, vis-à-vis de la victime, à la réparation intégrale du dommage;

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué, qu’au cours d’un jeu collectif, le mineur X… qui, avec plusieurs enfants, attaquait une baraque défendue par un autre groupe, a été blessé à l’oeil par l’un des ” assiégés “, tous armés de flèches ; que l’auteur du jet de flèche n’ayant pu être identifié, les consorts X… ont demandé la réparation de leur préjudice à M. Y…, père d’un des ” assiégés “, et à son assureur, la Mutuelle de la ville de Thann ; que la caisse primaire d’assurance maladie de Mulhouse est intervenue à l’instance ;

Attendu que pour débouter les consorts X… de leurs demandes, l’arrêt, après avoir retenu que la garde de l’instrument du dommage appartenait au groupe des assiégés, énonce que, sur le fondement d’une responsabilité collective, la responsabilité d’un seul membre du groupe ne pouvait être retenue sans provoquer la mise en cause des autres ;

En quoi la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 décembre 1986, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz

?Rejet de l’exercice d’une garde commune entre les membres de plusieurs groupes investis de pouvoirs différents dans chaque groupe

Dans un arrêt du 28 mars 2002, la Cour de cassation n’a pas retenu la qualification de garde commune dans l’hypothèse où les membres de deux groupes étaient investis de pouvoirs différents dans chaque groupe (Cass. 2e civ., 28 mars 2002, n°00-10.628).

  • Faits
    • Une jeune fille participant à une partie de base-ball improvisée est blessée à l’œil droit par une balle de tennis relancée en sa direction au moyen d’une raquette de tennis au lieu d’une batte de base-ball
    • Action en réparation engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des choses
  • Procédure
    • Par un arrêt du 11 janvier 1999, la Cour d’appel d’Orléans déboute la victime de sa demande de réparation
    • Les juges du fond estiment que la victime exerçait la garde commune de la chose, instrument du dommage, de sorte qu’elle n’était pas fondée à obtenir réparation de son préjudice
  • Solution
    • La Cour de cassation rejette la qualification de garde commune, considérant que la chose, instrument du dommage, n’était pas la balle, comme soutenu par la Cour d’appel, mais la raquette.
    • Or seul l’auteur du dommage exerçait sur elle un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle
    • La Cour de cassation affirme en ce sens que « la balle de tennis avait été projetée vers la victime par le moyen d’une raquette de tennis dont le jeune Mohamed Y… avait alors l’usage, la direction et le contrôle, ce dont il résultait que la raquette avait été l’instrument du dommage »
  • Analyse de l’arrêt
    • De toute évidence, la solution retenue par la Cour de cassation en l’espèce apparaît pour le moins surprenante si on la rapproche de l’arrêt du 20 novembre 1968 où la Cour de cassation avait retenu la qualification de garde commune s’agissant d’une partie de tennis (Cass. 2e civ. 20 nov. 1968).
    • Est-ce à dire que la deuxième chambre civile a entendu revenir sur cette solution ?
    • Deux analyses sont possibles :
      • Première analyse
        • Au tennis, chaque joueur est gardien de sa raquette, de sorte que l’on pourrait envisager de retenir la responsabilité des joueurs pris individuellement sur le fondement de l’article 1384, al. 1er
        • Ils ne pourraient donc plus être considérés comme exerçant une garde commune.
      • Seconde analyse
        • Il ressort de la jurisprudence que pour qu’il y ait garde commune, il est nécessaire que chaque agent exerce les mêmes pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur l’instrument du dommage.
        • Or en l’espèce, les joueurs n’exercent pas le même pouvoir sur la balle, car l’un l’utilise à main nue alors que l’autre a en sa possession une raquette de tennis
        • Dès lors, parce qu’ils n’utilisent pas le même type d’instrument, ils n’exercent pas les mêmes pouvoirs sur la balle
        • Et comme ils n’exercent pas les mêmes pouvoirs sur la balle, il ne saurait y avoir de garde commune
        • La solution adoptée dans l’arrêt du 20 novembre 1968 ne serait donc pas caduque.

Cass. 2e civ., 28 mars 2002

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la mineure Dounia X…, participant à un jeu collectif improvisé inspiré du base-ball, a été blessée à l’oeil droit par une balle de tennis relancée en sa direction par le jeune Mohamed Y… au moyen d’une raquette de tennis tenant lieu de batte de base-ball ;

Attendu que pour rejeter l’action en réparation de M. Omar X…, ès qualités d’administrateur légal des biens de sa fille Dounia, la cour d’appel a, par motifs propres et adoptés, retenu que l’usage commun de la balle de tennis, instrument du dommage, n’autorisait pas la joueuse blessée à réclamer réparation sur le fondement du texte susvisé ;

Qu’en statuant ainsi, tout en constatant que la balle de tennis avait été projetée vers la victime par le moyen d’une raquette de tennis dont le jeune Mohamed Y… avait alors l’usage, la direction et le contrôle, ce dont il résultait que la raquette avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 11 janvier 1999, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers

?Remise en cause de l’appréciation de la notion de garde commune ?

Dans un arrêt du 13 janvier 2005, la Cour de cassation a adopté une solution que certains auteurs ont interprétée comme annonciatrice d’un changement d’appréciation de la notion de garde commune (Cass. 2e civ., 13 janv. 2005, n°03-12.884).

  • Faits
    • Au cours d’une partie de football, un joueur est blessé par le choc contre sa tête du ballon frappé du pied par le gardien de but de l’équipe adverse
    • Action en réparation engagée contre l’auteur du dommage sur le fondement de la responsabilité du fait des choses.
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 13 janvier 2003, la Cour d’appel d’Angers déboute la victime de sa demande de réparation estimant que « lors d’un jeu collectif comme un match de football… les joueurs ont dans leur ensemble la garde collective du ballon et l’un des joueurs ne peut avoir au cours de l’action la qualité de gardien de la balle par rapport à un autre joueur” et que “celui qui le détient (le ballon)… est contraint de le renvoyer immédiatement ou de subir les attaques de ses adversaires… (de sorte) qu’au cours d’un match de football, tous les joueurs ont l’usage du ballon mais nul n’en a individuellement le contrôle et la direction »
    • Ainsi, pour les juges du fond, dans la mesure où les joueurs exerçaient une garde commune du ballon, la victime ne pouvait, obtenir réparation de son préjudice, en raison de l’incompatibilité qui existe entre les qualités de victime et de gardien.
  • Solution
    • La Cour de cassation valide la décision de la Cour d’appel, considérant qu’il y avait bien garde commun du ballon
    • Elle affirme en ce sens que « au cours du jeu collectif comme le football, qu’il soit amical ou pratiqué dans une compétition officielle, tous les joueurs ont l’usage du ballon mais nul n’en a individuellement le contrôle et la direction ; que l’action qui consiste à taper dans le ballon pour le renvoyer à un autre joueur ou dans le but ne fait pas du joueur qui détient le ballon un très bref instant le gardien de celui-ci ; que le joueur qui a le ballon est contraint en effet de le renvoyer immédiatement ou de subir les attaques de ses adversaires qui tentent de l’empêcher de le contrôler et de le diriger, en sorte qu’il ne dispose que d’un temps de détention très bref pour exercer sur le ballon un pouvoir sans cesse disputé »
    • Si de prime abord, la solution retenue par la Cour de cassation ne paraît pas contestable, dans la mesure où tous les joueurs exercent bien les mêmes pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur le ballon, la motivation de l’arrêt est pour le moins étonnante.
    • Pour justifier l’absence d’indemnisation de la victime la Cour de cassation tient le raisonnement suivant :
      • Tous les joueurs de football exercent les mêmes de pouvoir d’usage, de direction et de contrôle sur la chose, de sorte qu’il y a garde collective
      • Comme il y a garde collective, aucun des joueurs ne donc être désigné comme gardien individuellement
      • Dès lors, il n’y a pas de responsable ce qui prive la victime de toute action en réparation
    • Tel n’est cependant pas le raisonnement qu’elle tient habituellement.
    • Dans la jurisprudence antérieure, pour refuser à la victime son droit à indemnisation, elle raisonnait de la manière suivante :
      • Tous les joueurs de football exercent les mêmes de pouvoir d’usage, de direction et de contrôle sur la chose, de sorte qu’il y a garde collective
      • Dès lors qu’il y a garde collectif, alors tous les membres du groupe doivent être désignés comme gardiens
      • Le joueur ayant subi le dommage ne pouvant pas cumuler les qualités de victime et de gardien, il ne peut donc prétendre à indemnisation.
    • En résumé :
      • Dans la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation considère que garde collective implique que chacun des membres du groupe est gardien
      • Dans l’arrêt en l’espèce, la haute juridiction estime que la garde collective implique que personne n’est gardien.
  • Critiques
    • Dans l’hypothèse où le groupe dont les membres exercent une garde commune de la chose, instrument du dommage, est une personne morale, la solution retenue en l’espèce permettrait éventuellement de rechercher la responsabilité du groupement
    • Toutefois, dans l’hypothèse où le groupe n’est pas une personne morale, la victime ne peut se retourner contre personne, elle est sans débiteur, dans la mesure où aucun des membres des groupes n’est gardien.
    • Cette hypothèse se rencontrera notamment lorsque la victime sera un spectateur, soit une personne étrangère au groupe et qui donc échappe à la qualification de gardien.

Cass. 2e civ., 13 janv. 2005

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Angers, 15 janvier 2003), que M. X…, alors qu’il participait à une rencontre amicale de football, a été blessé par le choc contre sa tête du ballon frappé du pied par M. Y…, gardien de but de l’équipe adverse ; qu’il a assigné en responsabilité et indemnisation M. Y… et la Ligue du Maine de football, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne (la CPAM) ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° A 03-18.918 et sur les trois autres branches du moyen unique du pourvoi n° S 03-12.884, réunis :

Attendu que M. X… et la CPAM font à l’arrêt le même grief, alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu’au cours du jeu collectif comme le football, qu’il soit amical ou pratiqué dans une compétition officielle, tous les joueurs ont l’usage du ballon mais nul n’en a individuellement le contrôle et la direction ; que l’action qui consiste à taper dans le ballon pour le renvoyer à un autre joueur ou dans le but ne fait pas du joueur qui détient le ballon un très bref instant le gardien de celui-ci ; que le joueur qui a le ballon est contraint en effet de le renvoyer immédiatement ou de subir les attaques de ses adversaires qui tentent de l’empêcher de le contrôler et de le diriger, en sorte qu’il ne dispose que d’un temps de détention très bref pour exercer sur le ballon un pouvoir sans cesse disputé ; qu’en l’espèce, M. Y… a dû sortir de la surface de réparation et ne pouvait donc se saisir du ballon sans commettre une faute ; que, sous la menace de M. X…, il a choisi de renvoyer immédiatement le ballon qu’il n’a pu contrôler et qu’il a frappé en “demie volée” ;

Que de ces constatations et énonciations, découlant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis au débat, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a déduit à bon droit qu’au moment de l’accident, M. Y… ne disposait pas sur le ballon des pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle caractérisant la garde de la chose instrument du dommage ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

B) Le fait de la chose

Que doit-on entendre par fait de la chose ? De quel fait parle-t-on ?

Faut-il un rôle actif de la chose dans la production du dommage ou une simple participation causale suffit ?

Autrement dit, est-il seulement nécessaire que la chose intervienne dans la réalisation du dommage ou faut-il qu’elle en soit la véritable cause ?

Manifestement, la nature du rapport entre le fait de la chose et le dommage a été source, pour la jurisprudence et la doctrine, de nombreuses interrogations.

Aussi, afin de dresser un état du droit positif en la matière, convient-il d’exposer les solutions traditionnelles rendues par la Cour de cassation, puis de s’interroger sur la possible remise en cause de ces solutions au regard de la jurisprudence récente.

1. Les solutions jurisprudentielles traditionnelles

Selon la jurisprudence classique, il est nécessaire que la chose ait été l’instrument du dommage pour que son gardien engage sa responsabilité.

Ainsi, estime-t-on qu’une chose parfaitement inerte, qui n’est pas dans une position anormale, dont le fonctionnement n’est pas anormal, dont l’état n’est pas non plus anormal ou qui n’est pas dans une position anormale, ne peut être considérée comme l’instrument du dommage.

?Exigence d’un rôle actif de la chose

Pour être l’instrument du dommage, il faut donc que la chose ait joué un rôle actif dans la production du dommage.

Telle est l’exigence posée par la Cour de cassation dans un célèbre arrêt Dame Cadé du 19 février 1941 (Cass. civ., 19 févr. 1941).

Arrêt Dame Cadé

(Cass. civ., 19 févr. 1941)

La Cour; — Sur le moyen additionnel, lequel est préalable… — (sans intérêt); — Et sur le premier moyen : — Attendu que la dame Cadé, prise d’un malaise dans une cabine de l’établissement de bains municipal de la ville de Colmar, s’est affaissée sur le sol et a été brûlée au bras par le contact prolongé d’un tuyau du chauffage central; que les époux Cadé ont assigné la Ville de Colmar en se fondant notamment tant sur la faute de la surveillante des bains, préposée de la ville, qui, appelée par la malade, aurait eu le tort de ne pas demeurer un temps suffisant auprès d’elle, que sur l’article 1384, § 1er, du Code civil, en raison du dommage causé par la tuyauterie dont la ville avait la garde, ainsi que sur la responsabilité contractuelle de la ville; qu’ils ont été déboutés par la cour d’appel de Colmar (arrêt du 23 janv. 1937), motif pris, d’une part, de ce que la préposée n’avait commis aucune faute, d’autre part, de ce que l’accident a eu pour cause le malaise de la dame Cadé, qui a provoqué sa chute au contact d’un tuyau du chauffage central, et non ce tuyau, qui n’a joué qu’un rôle purement inerte, et enfin de ce que, si le contrat intervenu entre l’établissement de bains et la dame Cadé comportait l’obligation de ne pas mettre en danger la santé ou la sécurité de sa cliente, il n’impliquait pas celle de la garantir contre un état de santé défectueux que l’établissement ignorait; — Attendu que le pourvoi, abandonnant le terrain de la responsabilité contractuelle, fait en premier lieu grief à cette décision d’avoir écarté la présomption de responsabilité qui, en vertu de l’article 1384, § 1er, du Code civil, pesait sur la ville de Colmar, sans établir soit la force majeure, soit la faute exclusive de la victime; — Mais attendu que, pour l’application de l’article 1384, § 1er, du Code civil, la chose incriminée doit être la cause du dommage; que si elle est présumée en être la cause génératrice dès lors qu’inerte ou non elle est intervenue dans sa réalisation, le gardien peut détruire cette présomption en prouvant que la chose n’a joué qu’un rôle purement passif, qu’elle a seulement subi l’action étrangère génératrice du dommage; qu’il résulte des constatations des juges du fond que tel a été le cas en l’espèce, la tuyauterie contre laquelle la dame Cadé s’est affaissée se trouvant installée dans des conditions normales et la cause génératrice du dommage résidant tout entière dans la syncope qui a fait tomber la dame Cadé de la chaise où elle était assise, et a permis qu’elle demeurât inanimée en contact avec un tube chaud assez longtemps pour être brûlée; — Attendu que les demandeurs reprochent encore à l’arrêt attaqué d’avoir méconnu le caractère fautif des agissements de la surveillante de l’établissement de bains, préposée de la ville, mais que cette critique n’est pas mieux fondée que la première; qu’en effet, l’absence de faute de la femme de service résulte des constatations mêmes de la cour d’appel, qui relève qu’appelée par la dame Cadé, elle lui est venue en aide dans la mesure où cette dernière le lui a demandé; — Attendu qu’il suit de là que, loin de violer les textes visés au moyen, l’arrêt attaqué, qui est suffisamment motivé, en a fait une exacte application; — Par ces motifs, rejette…

  • Faits
    • La cliente d’un établissement municipal de bains est prise d’un malaise.
    • Il s’ensuit une chute
    • La cliente se brûle alors au bras par le contact prolongé d’un tuyau du chauffage central.
    • Elle engage une action en responsabilité contre l’établissement.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 23 janvier 1937, la Cour d’appel de Colmar déboute la victime de sa demande de réparation.
    • Les juges du fond estiment que « l’accident a eu pour cause le malaise de la dame Cadé, qui a provoqué sa chute au contact d’un tuyau du chauffage central, et non ce tuyau, qui n’a joué qu’un rôle purement inerte »
    • Ils estiment, en d’autres termes, que ce n’est pas le fait de la chose qui a été l’instrument du dommage.
    • Pour la Cour d’appel, seule la chute en est la cause
  • Solution
    • La Cour de cassation valide la solution retenue par les juges du fond.
    • Elle estime en ce sens que « pour l’application de l’article 1384, § 1er, du Code civil, la chose incriminée doit être la cause du dommage; que si elle est présumée en être la cause génératrice dès lors qu’inerte ou non elle est intervenue dans sa réalisation, le gardien peut détruire cette présomption en prouvant que la chose n’a joué qu’un rôle purement passif, qu’elle a seulement subi l’action étrangère génératrice du dommage ».
    • Autrement dit, la haute juridiction estime que pour que l’on puisse considérer que la chose est intervenue dans la réalisation du dommage, il est nécessaire qu’elle ait joué un rôle actif.
    • La Cour de cassation précise qu’il importe peu que la chose ait été inerte ou en mouvement
    • Ce qui compte c’est le rôle actif de la chose dans la production du dommage.
    • Or en l’espèce, le tuyau ne présentait aucune anormalité, ni dans sa position, ni dans son fonctionnement, ni dans son état.
    • Le tuyau était parfaitement à sa place, d’où l’absence de rôle actif de la chose.

?Confirmation de l’exigence de rôle actif

Dans un arrêt du 11 janvier 1995, la Cour de cassation à réaffirmer l’exigence de rôle actif de la chose (Cass. 2e civ., 11 janv. 1995, n°92-20.162).

Cass. 2e civ., 11 janv. 1995

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu qu’une chose inerte ne peut être l’instrument d’un dommage si la preuve qu’elle occupait une position anormale ou qu’elle était en mauvais état n’est pas rapportée ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. Y…, monté, à l’occasion d’une expertise, sur la toiture de l’immeuble de M. X…, constituée de tôles ondulées, a posé le pied sur une plaque d’éclairement, en matériau translucide, qui s’est brisée sous son poids ; qu’ayant été blessé dans sa chute, M. Y… a demandé réparation de son préjudice à M. X… et à son assureur la compagnie Groupama ;

Attendu que pour accueillir cette demande, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, qu’en se rompant sous le poids de la victime, cette plaque a été l’instrument du dommage, même si, par ailleurs, elle se trouvait à sa place normale, était inerte et en bon état ;

Qu’en statuant ainsi la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 septembre 1992, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Besançon.

  • Faits
    • Une plaque d’éclairement, en matériau translucide positionné sur la toiture d’un immeuble se prise sous le poids d’un ouvrier qui se blesse en chutant
    • La victime engage une action en responsabilité contre le propriétaire de l’immeuble
  • Procédure
    • Par un arrêt du 15 septembre 1992, la Cour d’appel de Nancy fait droit à la demande d’indemnisation de la victime
    • Les juges du fond estiment que « en se rompant sous le poids de la victime, cette plaque a été l’instrument du dommage, même si, par ailleurs, elle se trouvait à sa place normale, était inerte et en bon état »
  • Solution
    • La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel en rappelant que pour que la chose puisse être considérée comme l’instrument du dommage, il est nécessaire qu’elle ait joué un rôle actif.
    • Aussi, cela suppose-t-il que la victime démontre que la chose qui était inerte présentait une anormalité, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
    • Dès lors, la responsabilité du gardien ne saurait être recherchée.

Bilan:

Il ressort de la jurisprudence que pour qu’il y ait rôle actif de la chose, il faut donc qu’elle soit la cause réelle du dommage et non qu’elle y ait simplement contribué.

La jurisprudence raisonne ici en termes de causalité adéquate :

  • Si l’on retient l’équivalence des conditions :
    • sans le tuyau pas de dommage
    • sans la plaque de Plexiglas pas de dommage non plus.
  • Si l’on retient la causalité adéquate
    • On doit se demander si la chose a joué un rôle majeur dans la production du dommage
    • Pour le déterminer cela suppose d’établir que la chose présentait une anormalité :
      • Soit dans sa structure
      • Soit dans son fonctionnement
      • Soit dans sa position
      • Soit dans son état

?Présomption de rôle actif

  • Instauration d’une présomption de rôle actif
    • Afin de faciliter la preuve du rôle actif de la chose pour la victime, la Cour de cassation a instauré une présomption de rôle actif dans un arrêt du 28 novembre 1984 (Cass. 2e civ., 28 nov. 1984, n°83-14.718)
    • La haute juridiction a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir débouté une victime de sa demande d’indemnisation, celle-ci n’étant pas parvenue à établir le rôle actif de la chose alors que, selon la Cour de cassation, il y avait en l’espèce présomption de rôle actif.
    • Pour la Cour de cassation, la charge de la preuve reposait donc, non pas sur la victime, mais sur le gardien de la chose.
  • Domaine limité de la présomption de rôle actif
    • Bien que la Cour de cassation instaure dans cette décision une présomption de rôle actif à la faveur de la victime, elle en délimite cependant le domaine d’application de façon restrictive.
    • En effet, la présomption de rôle actif n’a vocation à s’appliquer que si la chose était en mouvement et est entrée en contact avec la victime.
    • Dans le cas contraire il appartiendra à la victime d’établir le rôle actif de la chose.

Cass. 2e civ., 28 nov. 1984

Sur le moyen relevé d’office après observation des formalités prévues à l’article 1015 du nouveau code de procédure civile ;

Vu l’article 1384, alinéa 1er du code civil ;

Attendu que pour l’application de cette disposition il suffit que la preuve soit rapportée pour la victime que la chose a été et ne fut-ce que pour partie l’instrument du dommage ;

Attendu selon l’arrêt infirmatif attaque, que sur une voie d’autoroute m. x… qui circulait a motocyclette heurta l’automobile de m. y… z… au moment où il entreprenait de la dépasser ;

que blesse il a assigné en réparation, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du code civil, m. y… z… et son assureur la compagnie u.a.p. ;

attendu que pour débouter m. x… de sa demande, l’arrêt après avoir relevé que ce motocycliste disposait d’un espace suffisant pour effectuer sa manœuvre de dépassement et que le changement de direction à gauche qu’il reprochait a m. y… z… n’était pas établi, retient que l’automobile de celui-ci avait joué un rôle passif dans la réalisation du dommage ;

Qu’en se déterminant par un tel motif tout en constatant qu’au moment de la collision l’automobile de m. y… z… était en mouvement, d’où il résultait quelle avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs : casse et annule l’arrêt rendu le 2 juin 1983 entre les parties, par la cour d’appel de paris ;

En résumé:

Pour la victime, afin d’établir le rôle actif de la chose, deux situations doivent être distinguées :

  • La chose en mouvement
    • MOUVEMENT + CONTACT = PRÉSOMPTION DE RÔLE ACTIF
    • Dans l’hypothèse, très rare, d’absence de contact entre la chose et le siège du dommage, la présomption de rôle actif est écartée
      • Il appartiendra donc à la victime de prouver que la chose est la cause de son dommage
      • Exemple : le skieur qui chute en étant surpris par un autre skieur qui lui coupe la route sans le heurter doit établir le rôle actif de la chose (Cass. 2e civ., 3 avr. 1978, n°76-14.819)
        • Pour ce faire, il devra démontrer l’anormalité de la chose, soit dans sa structure ou son état, soit dans son positionnement, soit dans son comportement.
  • La chose inerte
    • Dès lors que la chose est inerte, il apparaît difficile de présumer le lien de causalité : il est vraisemblable que le dommage est dû plutôt à l’activité de la victime qu’à l’intervention de la chose.
    • Aussi, afin d’engager la responsabilité du gardien, il reviendra à la victime de rapporter la preuve du rôle actif de la chose en démontrant qu’elle présentait une anormalité
      • Soit dans sa structure
      • Soit dans son fonctionnement
      • Soit dans sa position
      • Soit dans son état

2. La possible remise en cause des solutions jurisprudentielles traditionnelles

Afin, d’apprécier la possible remise en cause des solutions jurisprudentielles traditionnelles, il convient de se tourner vers plusieurs arrêts qui concernaient tous des accidents dans lesquels étaient impliqués, tantôt des parois vitrées, tantôt une boîte aux lettres, tantôt un plot de signalisation.

?Le cas des parois vitrées

  • Les faits
    • Une victime se blesse en heurtant à une paroi vitrée qu’elle n’avait pas vue, laquelle paroi se brise.

Cass. 2e civ., 15 juin 2000

Sur le moyen unique pris en sa première branche :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué que M. X…, qui pénétrait dans le centre commercial du GIE Chamnord (le GIE) en passant par un sas, a heurté une paroi latérale en verre, qui s’est brisée et l’a blessé ; qu’il a assigné en responsabilité et indemnisation de son préjudice le GIE et son assureur, Axa assurances ; que l’Etat néerlandais, qui lui avait versé des prestations, en a demandé le remboursement ;

Attendu que pour rejeter les demandes au motif que la victime ne démontrait pas que la chose avait été l’instrument du dommage, l’arrêt retient que la paroi vitrée était fixe, que M. X… n’établissait pas qu’elle avait un caractère anormal ou que sa finition présentait ce caractère, ou encore qu’elle était

affectée d’un vice ou d’un défaut d’entretien, aucune méconnaissance du document technique unifié (DTU), des usages professionnels et des préconisations de ” Tecmaver ” n’ayant été relevée ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’intervention de la paroi vitrée dans la réalisation du dommage ressortait de ses propres constatations, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 29 juin 1998, entre les parties, par la cour d’appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble

Cass. 2e civ., 19 févr. 2004

Sur le moyen unique du pourvoi :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 30 avril 2002), rendu sur renvoi après cassation (CIV .2, 15 juin 2000, Bull. n° 103, P. 70), que M. X…, alors qu’il pénétrait dans le centre commercial du GIE Chamnord (le GIE) en passant par un sas, a heurté une paroi latérale en verre, qui s’est brisée et l’a blessé ; qu’il a assigné en responsabilité et indemnisation de son préjudice le GIE et son assureur, la compagnie Axa assurances venant aux droits de la compagnie Les Mutuelles unies ; que l’Etat néerlandais, qui lui avait versé des prestations, en a demandé le remboursement ; que la Cour de cassation a annulé la décision rendue le 29 juin 1998 par la cour d’appel de Chambéry qui avait rejeté les demandes de M. X… et de l’Etat néerlandais au motif que la victime ne démontrait pas que la paroi vitrée avait été l’instrument du dommage ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir décidé que le GIE et son assureur n’étaient solidairement responsables du dommage qu’il avait subi que dans la proportion de deux tiers, alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que la cour d’appel, en retenant souverainement que M. X… avait connaissance des lieux, qu’il venait de quitter pour y pénétrer à nouveau, a par ce seul motif caractérisé la faute d’inattention commise par celui-ci en venant se heurter à la paroi vitrée, dont elle a pu décider qu’elle avait concouru à la réalisation de son dommage ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Le cas de la boîte aux lettres

  • Faits
    • Un piéton se blesse en heurtant une boîte aux lettres qui débordait sur le trottoir de 40 cm et à une hauteur de 1m43
  • Solution
    • Dans un arrêt du 25 octobre 2001, la Cour de cassation casse la décision rendue par la Cour d’appel qui avait refusé de faire droit à la demande d’indemnisation de la victime, estimant que « la boîte aux lettres, répondant aux prescriptions de ” l’administration des PTT “, qui occupait une position normale et ne présentait aucun débordement excessif susceptible de causer une gêne, n’a pu jouer un rôle causal dans la réalisation de l’accident »
      • Autrement dit, pour les juges du fond, le rôle actif de la chose n’était pas établi.
    • Tel n’est pas la solution retenue par la Cour de cassation qui, au contraire, considère que « la boîte aux lettres avait été, de par sa position, l’instrument du dommage » (Cass. 2e civ. 25 oct. 2001, n°99-21.616).

Cass. 2e civ., 25 oct. 2001

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon le jugement attaqué rendu en dernier ressort, que Mme X… s’est blessée en heurtant la boîte aux lettres de M. Y… qui débordait de 40 centimètres et à une hauteur de 1 mètre 43 sur un trottoir de 1 mètre 46 de large ; qu’elle a demandé à M. Y… réparation de son préjudice ;

Attendu que, pour rejeter la demande, le jugement énonce que la boîte aux lettres, répondant aux prescriptions de ” l’administration des PTT “, qui occupait une position normale et ne présentait aucun débordement excessif susceptible de causer une gêne, n’a pu jouer un rôle causal dans la réalisation de l’accident ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations, que la boîte aux lettres avait été, de par sa position, l’instrument du dommage, le Tribunal a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 8 octobre 1999, entre les parties, par le tribunal d’instance de Nogent-sur-Seine ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d’instance de Troyes

?Le cas du plot de signalisation

  • Faits
    • Le client d’une grande surface se blesse en heurtant un plot de ciment situé sur le côté du passage piéton
  • Solution
    • Comme dans les arrêts précédents, contrairement aux juges du fond qui avaient refusé de faire droit à la demande d’indemnisation de la victime, celle-ci ne démontrant pas le rôle actif de la chose, la Cour de cassation considère que le plot était bien l’instrument du dommage.
    • La demande d’indemnisation de la victime était donc fondée.

Cass. 2e civ., 18 sept. 2003, n°02-14.204

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’en sortant d’un magasin à grande surface à Soustons, Mme X… a heurté un plot en ciment situé sur le côté d’un passage pour piétons ; qu’elle a été blessée ; qu’elle a assigné la société Aquipyrdis, exploitante du magasin, ainsi que le cabinet Fillet-Allard, courtier en assurances, en responsabilité et indemnisation de ses divers préjudices, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie des Landes ;

Attendu que pour la débouter de sa demande, l’arrêt retient que la présence des deux blocs de ciment peints en rouge et délimitant un passage pour piétons peint en blanc ne constitue ni un obstacle ni un danger particulier pour les usagers et qu’elle ne peut être considérée comme anormale et que l’enlèvement de ces plots après l’accident n’est pas en soi signe d’une dangerosité particulière, ni la démonstration de leur rôle causal ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il ressortait de ses propres constatations que l’un des plots en ciment délimitant le passage pour piétons avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 14 février 2001, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ;

?Analyse des solutions

Comment interpréter les solutions adoptées par la Cour de cassation dans les décisions sus-exposées ?

Dans toutes ces décisions, la chose impliquée dans le dommage était inerte et ne présentait, a priori, aucune anormalité.

Pourtant, la Cour de cassation considère que la chose a été l’instrument du dommage, alors que telle n’était pas sa position antérieurement.

Dès lors, comment comprendre ces différents arrêts ?

  • Première explication.
    • La Cour de cassation fait ce qu’elle veut, sans suivre aucune règle, ni aucun critère.
    • Autrement dit, elle engage la responsabilité de qui elle veut en s’appuyant, tantôt sur la théorie de la causalité adéquate (jurisprudence traditionnelle), tantôt sur la théorie de l’équivalence des conditions (jurisprudence récente)
  • Deuxième explication
    • Désormais, la seule intervention causale de la chose dans le dommage suffirait à engager la responsabilité du gardien.
    • Il n’y aurait donc plus besoin de rapporter la preuve du rôle actif de la chose, car un rôle tout court de la chose dans la production du dommage suffirait.
    • Le critère du rôle actif serait donc remplacé par le critère de la simple participation causale au dommage.
    • On passerait alors d’une causalité adéquate à une équivalence des conditions.
    • Cependant, la réduction du fait des choses à une simple intervention causale ne se vérifie pas dans des arrêts plus récents
      • Civ. 2ème, 25 novembre 2004 : le gardien de l’escalier est mis hors de cause faute d’anormalité
      • Civ. 2ème, 24 février 2004 : même solution pour le gardien d’un tremplin
  • Troisième explication
    • Il y aurait présomption de rôle actif non seulement en cas de mouvement + contact mais également en cas de simple contact avec la chose.
    • La présomption de rôle actif aurait donc été étendue.
    • L’idée serait que, si dommage il y a eu,
      • c’est nécessairement que la paroi du verre avait un vice car sinon elle n’aurait pas cédé.
      • C’est nécessairement que la boîte aux lettres était mal placée sinon personne ne se serait cogné dedans.
    • Cela impliquerait donc que l’on puisse rapporter la preuve contraire, car il ne s’agirait là que d’une simple présomption de rôle actif.
      • Dès lors dans ces affaires, le gardien de la boîte aux lettres ou de la vitre en verre ne serait pas parvenu à démontrer la normalité de la chose
  • Quatrième explication
    • L’explication selon laquelle on assisterait à un assouplissement probatoire dans le domaine de la responsabilité du fait des choses ne saurait tenir si l’on se réfère à un arrêt rendu le 24 février 2005 (Cass. 2e civ., 24 févr. 2005)
      • Dans cet arrêt il s’agissait là encore d’une paroi vitrée dans laquelle une victime se heurte
      • La Cour de cassation retient la responsabilité du gardien de la vitre en faisant référence à l’anormalité de la chose
      • Aussi, cela signifierait que le gardien de la baie vitrée aurait pu s’exonérer de sa responsabilité en démontrant l’absence d’anormalité de la chose, ce qu’il n’est pas parvenu à faire.
      • Pour la Cour de cassation on était donc en présence d’une chose, certes inertes, mais comportant une anormalité.
      • D’où la responsabilité du gardien
    • C’est donc, finalement, une solution somme toute classique car quand chose inerte + contact la présomption de rôle actif ne joue pas.
      • Mais s’il y a anormalité alors on considère que le rôle actif de la chose est établi, ce qui était le cas en l’espèce.

Cass. 2e civ., 24 févr. 2005, n°03-13.536

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mlle X… a heurté une baie vitrée coulissante qui ouvrait, de l’intérieur d’un appartement, sur une terrasse ; que la vitre s’est brisée et a blessé Mlle X… ; que cette dernière a assigné Mme Y…, propriétaire de l’appartement et son assureur, la compagnie GAN, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Garonne, en réparation de son préjudice, sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu que pour débouter Mlle X… de ses demandes, l’arrêt retient que cette dernière s’est levée, a pivoté à 90 , s’est dirigée vers la terrasse, sans s’apercevoir que la porte vitrée coulissante était pratiquement fermée, qu’elle a percuté la porte vitrée qui s’est brisée ;

que la victime indique qu’elle avait pu croire que la baie vitrée était ouverte compte tenu de sa transparence et du fait qu’elle donnait sur une terrasse, alors que c’était l’été ; qu’il n’est pas allégué un mauvais état de la baie vitrée, que, par ailleurs, le fait qu’elle ait été fermée, même si l’on se trouvait en période estivale, ne peut être assimilé à une position anormale ; que la chose n’a eu aucun rôle actif dans la production du dommage et que celui-ci trouve sa cause exclusive dans le mouvement inconsidéré de la victime ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que la porte vitrée, qui s’était brisée, était fragile, ce dont il résultait que la chose, en raison de son anormalité, avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 25 juin 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse

?Confirmation de l’exigence d’anormalité

Après une période de flottement jurisprudentielle où l’on était légitimement en droit de se demander si l’exigence d’anormalité n’avait pas été abandonnée à la faveur de l’établissement d’une simple intervention causale de la chose dans la production du dommage, les derniers arrêts de la Cour de cassation révèlent que cette dernière semble être revenue à une position plus traditionnelle.

En effet, la haute juridiction fait, de nouveau, explicitement référence à l’exigence d’anormalité afin d’apprécier le rôle ou non actif de la chose inerte.

Dans un arrêt du 10 novembre 2009 elle a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait débouté une victime de sa demande d’indemnisation estimant qu’elle n’avait pas établi l’anormalité de la chose inerte impliquée dans le dommage (Cass. 2e civ., 10 nov. 2009, n°08-18.781)

La même solution a été retenue dans un arrêt du 13 décembre 2012 (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n°11-22.582).

Cass. 2e civ., 10 nov. 2009, 08-18.781

Sur le moyen unique, pris en première et deuxième branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix en Provence, 20 mai 2008), que le 7 août 1999 M. X…, invité chez M. et Mme Y…, en compagnie de son épouse et de ses enfants, a été blessé après avoir glissé sur la margelle de la piscine, alors qu’il effectuait des plongeons ; que le 15 février 2002, les époux X…, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom de leurs enfants mineurs (les consorts X…) ont assigné Mme Marie Antoinette Y…, Joseph et Christophe Y…, ayants droits de M. Y… (les consorts Y…) à la suite du décès de ce dernier, devant le tribunal de grande instance en responsabilité et indemnisation sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil ;

Attendu que les consorts X… font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que l’arrêt retient que, selon ses conclusions, M. X… effectuait un plongeon dans le bassin déserté par les autres convives lorsqu’il a perdu l’équilibre sur le bord de la piscine et ayant mal atterri dans l’eau s’est trouvé dans l’impossibilité de nager et de remonter à la surface ; qu’il est exclu, au vu des documents médicaux, que M. X… ait heurté la margelle mais qu’il est constant que M. X… a perdu l’équilibre ; que la charge de la preuve du caractère anormalement glissant de la margelle incombe à la victime ; que les projections d’eau des baigneurs sur une margelle qui entoure le bassin sont normales et de par sa fonction antidérapante, une margelle de piscine composée d’un matériau poreux ne revêt normalement aucun caractère dangereux ; qu’il n’est justifié par aucun élément que la margelle était composée d’un matériau non conforme et inadapté à sa fonction, dans des conditions d’utilisation normales ; que s’agissant de l’hypothèse selon laquelle la margelle était glissante car saturée d’eau, il résulte des attestations des personnes ayant assisté au plongeon malencontreux que M. X… a perdu l’équilibre ou glissé sur la margelle sans qu’il en ressorte que la margelle était composée d’un matériau inadapté, était saturée d’eau et anormalement glissante ; que la description de l’état de la margelle sur les photos produites ne révèle nullement sa dangerosité ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations procédant de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits devant elle, la cour d’appel a pu déduire que la margelle mouillée de la piscine ne présentait aucun caractère d’anormalité et n’avait pas été l’instrument du dommage ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les troisième et quatrième branches du moyen unique qui ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Cass. 2e civ., 13 déc. 2012

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Nîmes, 10 mai 2011), qu’invité par les enfants des époux X… à se baigner dans la piscine de leur propriété, Rolland Y…, alors âgé de 17 ans, a escaladé un muret pour atteindre la toiture de l’abri de piscine, d’où il voulait plonger ; qu’ il s’est empalé sur une tige de fer à béton plantée au milieu d’un bosquet situé au pied du muret ; qu’il est décédé des suites de ses blessures ; que ses père et mère, M. et Mme Y… ainsi que ses frères M. Simon Y…, M. Nathaniel Y… et M. Timothée Y… (les consorts Y…) ont assigné les époux X… en responsabilité et réparation de leurs préjudices ;

Attendu que les consorts Y… font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la tige de fer sur laquelle la victime s’est empalée a été installée pour servir de tuteur à un arbuste au milieu duquel elle était implantée ; qu’il résulte de l’enquête de gendarmerie que celle-ci était rigide, enfoncée dans le sol de 20 cm, laissant émerger 1,06 mètre, d’une hauteur inférieure à celle de l’arbuste ; que par ses propriétés de solidité et de rectitude, comme par ses dimensions et par son emplacement au pied d’une plante à soutenir, elle remplissait comme tuteur l’office attendu d’une tige métallique, ou en quelqu’autre matière rigide que ce soit, implantée dans un jardin ;

Que de ces constatations et énonciations, procédant de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel, répondant aux conclusions par une décision motivée, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu déduire que la tige métallique plantée verticalement dans le sol pour servir de tuteur n’était pas en position anormale et n’avait pas été l’instrument du dommage ;

D’où il suit que le moyen, qui s’attaque à des motifs surabondants en sa quatrième branche, n’est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

  1. Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 2005, n°414, p. 211. ?

De la distinction entre l’appréciation in abstracto et l’appréciation in concreto

La reconnaissance d’une faute à l’encontre de l’auteur d’un dommage suppose pour la victime d’établir l’existence d’un écart de conduite.

Or pour y parvenir, encore faut-il savoir à quel modèle de comportement doit-on se référer afin de déterminer s’il y a eu ou non écart de conduite.

Deux méthodes d’appréciation sont envisageables :

  • La méthode d’appréciation in concreto,
    • Selon cette méthode, il convient de tenir compte des seules circonstances de la cause pour apprécier la faute de l’auteur du dommage
    • Autrement dit, selon l’appréciation in concreto, l’écart de conduite sera apprécié en considération des seules aptitudes propres de la personne mise en cause.
    • Cela revient à comparer la conduite de l’auteur du dommage à celle que l’on était légitimement en droit d’attendre de sa part, eu égard à ce dont il est usuellement capable.
    • L’appréciation in concreto conduit à apprécier la faute subjectivement.
  • La méthode d’appréciation in abstracto
    • Selon cette méthode, il convient de faire abstraction des circonstances de la cause
    • En d’autres termes, selon l’appréciation in abstracto, l’écart de conduite est apprécié en se référant à un modèle de conduite objectif, soit le comportement qu’aurait adopté le bon père de famille.
    • Ainsi, le modèle de comportement auquel l’appréciation in abstracto conduit à se référer est invariable d’un cas d’espèce à l’autre. Il aura vocation à s’appliquer à n’importe quelle cause, peu importent les aptitudes de la personne mise en cause.
    • Cela revient donc à comparer la conduite de l’auteur du dommage à la conduite que l’on était légitimement en droit d’attendre d’un bon père de famille.
    • L’appréciation in abstracto conduit à apprécier la faute objectivement, indépendamment de la prise en compte de critères subjectifs.
    • Le bon père de famille ne s’apparente pas à un homme parfait. Il s’agit seulement d’un homme raisonnable, qui n’est pas à l’abri de toute erreur

?Méthode d’appréciation retenue par la jurisprudence

  • Principe
    • C’est, sans aucun doute, la méthode d’appréciation in abstracto que la jurisprudence retient pour apprécier la faute civile de l’auteur d’un dommage.
    • Aussi, cela signifie-t-il que les juges vont se référer au modèle du bon père de famille afin d’apprécier l’écart de conduite de la personne mise en cause.
    • Est-ce à dire que le modèle de conduite auquel va être comparé le comportement de l’auteur du dommage est invariable, sans possibilité de tenir compte de certaines circonstances de la cause ?
  • Atténuation
    • Afin de ne pas risquer qu’une application trop rigide de la méthode d’appréciation in abstracto ne conduise les juges à être, tantôt trop exigeants (si l’on est en présence d’une personne pourvue d’aptitudes inférieures à la moyenne), tantôt trop laxistes (si l’on est en présence d’une personne dotée d’aptitudes particulières), la Cour de cassation admet que certaines circonstances de la cause soient susceptibles d’être prises en compte afin d’apprécier l’écart de conduite de l’auteur du dommage (aptitude professionnelle, condition physique, voire même parfois l’âge de la personne)

?Appréciation de la faute de l’infans

Comme cela a été évoqué précédemment, une fois que l’on a admis que le discernement n’était pas nécessaire pour que la faute civile soit caractérisée, reste à déterminer le modèle de conduite auquel on doit comparer le comportement de l’enfant pour savoir si son comportement est normal ou non.

La faute – en particulier non-intentionnelle – peut en effet se définir de manière très large comme un écart de comportement, un comportement anormal, ce qui exige la détermination d’un modèle de référence auquel comparer le comportement de l’auteur du dommage.

Concernant l’aliéné, la question relativement facile à trancher : l’aliénation mentale est une pathologie.

Aussi, dès lors que l’on estime que le discernement n’est pas n’est pas un élément constitutif de la faute, il suffit de se référer au modèle de conduite d’une personne similaire mais non atteinte d’une telle pathologie.

On enlève le pathologique et on retrouve une situation normale qui permet de porter un jugement de valeur sur le comportement de l’aliéné.

La situation du mineur est, quant à elle, pour le moins différente.

Et pour cause, son absence de discernement n’est pas une pathologie : c’est la situation normale de l’enfant.

Une fois admis que l’absence de discernement n’exclut pas la reconnaissance de la culpabilité civile, il convient de se demander à quel modèle confronter le comportement de l’infans.

Si l’on raisonne comme pour l’aliéné, on sera alors tenté de le comparer au comportement du bon enfant de son âge, c’est-à-dire de l’enfant normal.

Le problème, c’est que l’enfant de 5 ans normal est dépourvu de discernement. Il n’a pas parfaitement conscience de la portée de ses actes.

Il est donc normal qu’il ait des comportements imprudents et qu’il traverse la route sans regarder.

Il n’est également pas anormal, qu’un enfant de huit ans qui joue à cache-cache sous une table, puis surgisse de sous cette table en hurlant gagné et en renversant, par là même, une casserole d’eau bouillante sur l’un de ses camarades.

Dans ces conditions, comment apprécier la faute de l’enfant ? Doit-on adopter la méthode de l’appréciation in abstracto et se référer au modèle de conduite du bon père de famille ?

Dans un arrêt du 28 février 1996 la Cour de cassation a répondu par la positive à cette question (Cass. 2e civ., 28 févr. 1996, n°94-13.084).

Ainsi a-t-elle reproché à une Cour d’appel d’avoir décidé que « le comportement de l’enfant, compte tenu de son jeune âge, ne peut être considéré comme constituant une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage puisqu’il était parfaitement prévisible et naturel dans le contexte au cours duquel il s’est produit ».

Cass. 2e civ., 28 févr. 1996

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu que la faute d’un mineur peut être retenue à son encontre même s’il n’est pas capable de discerner les conséquences de son acte ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que Sonia Y…, âgée de 8 ans, confiée pour une soirée à M. Bernard X…, et qui jouait sous une table, s’est brusquement relevée, s’est mise à courir et, ayant heurté David X…, fils mineur de Bernard X…, qui transportait une casserole d’eau bouillante, a subi des brûlures ; qu’en son nom Mme Y… a demandé réparation de son préjudice à M. Bernard X… et à son assureur, le Groupe des populaires d’assurances ;

Attendu que, pour retenir la responsabilité entière de M. Bernard X… et exclure toute faute de la victime, l’arrêt, par motifs adoptés, énonce que le comportement de l’enfant, compte tenu de son jeune âge, ne peut être considéré comme constituant une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage puisqu’il était parfaitement prévisible et naturel dans le contexte au cours duquel il s’est produit ;

Qu’en statuant par de tels motifs, alors qu’un tel comportement constituait une faute ayant concouru à la réalisation du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 janvier 1994, entre les parties, par la cour d’appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Dijon

Faits :

Partie de cache-cache entre enfants. L’un d’eux caché sous une table surgit et bouscule l’un de ses camarades, lequel lui renverse dessus une casserole d’eau bouillante.

Demande :

Action en réparation du préjudice

Procédure :

  • Dispositif de la Cour d’appel :
    • Par un arrêt du 27 janvier 1994, la Cour d’appel de Besançon condamne le représentant légal de l’auteur du dommage à réparer intégralement le préjudice.
  • Motivation de la Cour d’appel :
    • Les juges du fond estiment qu’aucune faute n’a été commise par la victime de sorte que l’auteur du dommage ne saurait s’exonérer de sa responsabilité.

Solution de la Cour de cassation :

Par un arrêt du 28 février 1996, la Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel

Deux enseignements peuvent être retirés de cette décision :

  • Premier point
    • La cour de cassation estime dans cet arrêt qu’une faute civile peut être retenue à l’encontre d’un enfant en bas âge quand bien même il est privé de discernement
    • Autrement dit, il s’agit là d’une confirmation de la jurisprudence Derguini et Lemaire de 1984
    • La Cour de cassation réitère sa volonté d’abandonner l’exigence d’imputabilité de la faute
    • Elle affirme en ce sens dans un attendu de principe explicite que « la faute d’un mineur peut être retenue à son encontre même s’il n’est pas capable de discerner les conséquences de son acte ».
  • Second point
    • La Cour de cassation nous renseigne dans l’arrêt en l’espèce sur la méthode d’appréciation de la faute de l’infans.
    • Les juges du fond avaient, en effet, refusé de retenir une faute à l’encontre de l’enfant, estimant que « le comportement de l’enfant, compte tenu de son jeune âge, ne peut être considéré comme constituant une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage puisqu’il était parfaitement prévisible et naturel dans le contexte au cours duquel il s’est produit ».
    • La Cour d’appel s’était ainsi livrée à une appréciation in concreto de la faute de l’enfant, à tout le moins elle avait pris en considération son bas âge.
    • Autrement dit, elle apprécie le comportement de l’enfant « défaillant » par rapport à un enfant normal
    • De cette comparaison, elle en déduit que le comportement de l’infans mis en cause était bel et bien normal, car, selon ses termes, « parfaitement prévisible et naturel ».
    • De toute évidence, la solution retenue par les juges du fond est contraire à l’esprit de la jurisprudence Derguini et Lemaire, car elle conduit à rétablir l’irresponsabilité de l’enfant !
    • En effet, si l’on compare la conduire d’un infans à un modèle non discernant, cela revient à reconnaître un principe général d’irresponsabilité des enfants en bas âge, car il ne saurait être anormal pour un enfant privé de discernement d’avoir un comportement imprudent.
    • C’est la raison pour laquelle, la Cour d’appel refuse de retenir la faute de la victime.
    • En résumé, on a dit que l’on pouvait engager la responsabilité de l’infans pour faute malgré l’absence de discernement, mais de facto si on retient comme modèle l’enfant « normal » du même âge, on ne parviendra pas à dire qu’il y a eu faute : ce serait un coup d’épée dans l’eau !
    • D’où la décision de la Cour de cassation dans l’arrêt de 1996
    • L’intérêt principal de cet arrêt réside dans le fait que la Cour de cassation nous dit que le comportement de l’infans sera jugé non pas par rapport à un enfant du même âge, mais par rapport à celui du bon père de famille !
    • Ici, la Cour de cassation se réfère donc à un modèle in abstracto pour apprécier de l’enfant !
    • Ainsi, en comparant la conduite de l’enfant par rapport au bon père de famille on va pouvoir retenir à son encontre une faute, car le bon père de famille ne joue pas à cache-cache sous la table.

Finalement avec cette jurisprudence une question se pose : est-ce que la notion de faute existe toujours s’agissant de la responsabilité du fait personnel ?

De toute évidence, plus l’enfant sera jeune, moins les comportements qu’il adoptera se rapprocheront de la conduite du bon père de famille.

On pourra donc très facilement retenir sa responsabilité.

Cependant, théoriquement, le simple fait dommageable ne suffit pas, car il faudra quand même caractériser une faute pour retenir sa responsabilité.

Exemple : une épidémie de grippe.

  • L’enfant est bien source de dommage
  • Cependant sa conduite ne s’écarte pas de celle du bon père de famille
  • Pas de caractérisation de faute

Il existera néanmoins un moyen de réparer le préjudice causé à la victime : la responsabilité des parents du fait de leurs enfants, fondée sur l’article 1243 al.4, car il s’agit là d’une responsabilité de plein droit.

?Appréciation de la faute intentionnelle

Dans la mesure où la caractérisation de la faute intentionnelle suppose d’établir la volonté de l’auteur qui a causé le dommage, la méthode d’appréciation in abstracto ne saurait s’appliquer.

La dimension psychologique de cette variété de faute suppose de tenir compte des circonstances de la cause et plus particulièrement de l’état d’esprit dans lequel se trouvait l’auteur du dommage lors de sa production.

Aussi, les auteurs estiment-ils que la faute intentionnelle doit être appréciée in concreto.

La faute civile

Le Code civil ne comporte aucune définition de la faute, bien que, en 1804, cette notion ait été envisagée comme l’élément central du droit de la responsabilité civile.

?Une notion de droit

La faute n’en demeure pas moins une notion de droit, en ce sens que la Cour de cassation exerce son contrôle sur sa qualification.

Ainsi, dans un arrêt de principe du 15 avril 1873, la haute juridiction a-t-elle estimé que « s’il appartient aux juges du fond de constater souverainement les faits d’où ils déduisent l’existence ou l’absence d’une faute délictuelle ou quasi délictuelle, la qualification juridique de la faute relève du contrôle de la cour de cassation » (Cass. 2e civ. 7 mars 1973, n°71-14.769)

Le contrôle opéré par la Cour de cassation sur la notion de faute se traduit :

  • D’une part, par la vérification que les juges du fond ont caractérisé la faute qu’ils entendent ou non retenir contre le défendeur indépendamment, de la constatation d’un dommage et de l’établissement du rapport de causalité
    • Autrement dit, les juges du fond ne sauraient déduire de la constatation d’un préjudice l’existence d’une faute
  • D’autre part, par la vérification que les juges du fond ont caractérisé la faute dans tous ses éléments à partir des circonstances de fait qu’ils ont souverainement appréciées.

I) Définition

Certes, la Cour de cassation exerce son contrôle sur la notion de faute. Pour autant, elle n’a jamais jugé utile d’en donner une définition.

C’est donc à la doctrine qu’est revenue la tâche de définir la notion de faute.

La définition la plus célèbre nous est donnée par Planiol pour qui la faute consiste en « un manquement à une obligation préexistante »[2].

Ainsi, la faute s’apparente-t-elle, à une erreur de conduite, une défaillance.

Selon cette approche, le comportement de l’agent est fautif :

  • soit parce qu’il a fait ce qu’il n’aurait pas dû faire
  • soit parce qu’il n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire.

Manifestement, la définition proposée par le projet de réforme du droit de la responsabilité n’est pas très éloignée de cette conception.

La faute y est définie à l’article 1242 comme « la violation d’une règle de conduite imposée par la loi ou le manquement au devoir général de prudence ou de diligence ».

Immédiatement une question alors se pose : comment déterminer quels sont les règles et les devoirs dont la violation constitue une faute ?

Autrement dit, quel modèle de conduite doit-il servir de référence au juge pour que celui-ci détermine s’il y a eu ou non écart de comportement ?

Voilà une question à laquelle il est difficile de répondre, la notion de devoir général étant, par essence, relative.

À la vérité, comme le relève Philippe Brun, « définir la faute revient à répondre à la question par une question ».

Aussi, la faute se laisse-t-elle moins facilement définir qu’on ne peut la décrire, d’où la nécessité pour les juges de l’appréhender par l’entreprise de ses éléments constitutifs.

II) Éléments constitutifs de la faute

Traditionnellement, on présente la faute comme étant constituée de trois éléments :

  • Un élément matériel
  • Un élément légal
  • Un élément moral

A) L’élément matériel

Pour obtenir réparation du préjudice subi, cela suppose, pour la victime, de démontrer en quoi le comportement de l’auteur du dommage est répréhensible.

Aussi, ce comportement peut-il consister :

  • Soit en un acte positif : le défendeur a fait ce qu’il n’aurait pas dû faire
  • Soit en un acte négatif : le défendeur n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire

Lorsque le comportement reproché à l’auteur du dommage consiste en un acte négatif, soit à une abstention, la question s’est alors posée de savoir s’il ne convenait pas de distinguer l’abstention dans l’action de l’abstention pure et simple.

  • L’abstention dans l’action est celle qui consiste pour son auteur à n’être pas suffisamment précautionneux dans l’exercice de son activité
    • Exemple : un journaliste qui ne vérifierait pas suffisamment une information avant de la diffuser ou encore le notaire qui n’informerait pas ses clients sur les points importants de l’opération qu’ils souhaitent réaliser
    • L’abstention de l’auteur du dommage se confondrait avec la faute par commission. Elle devrait, en conséquence, être appréhendée de la même manière.
  • L’abstention pure et simple est celle qui ne se rattache à aucune activité déterminée. Le défendeur adopte une attitude totalement passive face à la survenance du dommage
    • Tandis que certains auteurs plaident pour que l’abstention pure et simple ne soit qualifiée de faute que dans l’hypothèse où le défendeur avait l’obligation formelle d’agir (obligation de porter secours, non dénonciation de crimes ou délits, l’omission de témoigner en faveur d’un innocent etc.)
    • Pour d’autres, il importe peu qu’une obligation formelle d’agir pèse sur le défendeur, dans la mesure où il serait, en soi, fautif pour un agent d’adopter un comportement passif, alors qu’il aurait pu éviter la survenance d’un dommage.

?La jurisprudence

Dans un arrêt Branly du 27 février 1951, la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que « la faute prévue par les articles 1382 et 1383 peut consister aussi bien dans une abstention que dans un acte positif » (Cass. civ., 27 févr. 1951).

Dans cette décision, la Cour de cassation ne semble pas distinguer l’abstention dans l’action de l’abstention pure et simple.

Arrêt Branly

(Cass. civ., 27 févr. 1951)

Toutefois, dans un arrêt du 18 avril 2000, tout porte à croire, selon la doctrine, qu’elle aurait finalement adopté cette distinction (Cass. 1ère civ., 18 avr. 2000, n°98-15.770).

La première chambre civile a, en effet, reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « comme il lui était demandé, quelle disposition légale ou réglementaire imposait » au propriétaire d’un immeuble de jeter des cendres ou du sable sur la chaussée en cas de verglas afin d’éviter que les passants ne glissent sur le trottoir.

Cass. 1re civ., 18 avr. 2000

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1382 du Code civil, ensemble l’article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que M. X…, blessé après avoir glissé sur le verglas recouvrant un trottoir à Suresnes, au droit de l’immeuble occupé par la société Télétota (la société), a fait assigner cette dernière en réparation de son dommage, ainsi que son assureur, la Mutuelle générale d’assurances (MGA), au motif qu’elle n’avait pas procédé au sablage ou au salage de la portion de trottoir dont l’entretien lui incombait ;

Attendu que pour déclarer la société responsable de l’accident, l’arrêt attaqué relève que la Ville de Suresnes apposait régulièrement une affiche rappelant aux riverains l’obligation, en cas de verglas, de jeter des cendres ou du sable sur la chaussée ;

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, quelle disposition légale ou réglementaire imposait de telles mesures, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 mars 1998, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Reims.

B) L’élément légal

Pour être fautif, encore faut-il que le comportement que l’on reproche à l’auteur du dommage consiste en un fait illicite.

Aussi, le comportement illicite peut-il consister :

  • Soit en la violation d’une norme
  • Soit en l’exercice abusif d’un droit

1. La violation d’une norme

Quels sont les obligations et devoirs dont la violation constitue un comportement illicite ?

Pour le déterminer, il convient, au préalable, de distinguer la faute pénale de la faute civile :

  • En droit pénal, conformément au principe de légalité posé aux articles 8 de la DDHC et 111-3 du Code pénal, la faute ne peut s’entendre que comme la violation d’un texte légale ou règlementaire (nullum crimen sine lege)
    • Autrement dit, la faute pénale ne saurait consister en une conduite qui ne serait incriminée par aucun texte.
  • En droit civil, le principe de légalité ne préside pas à l’appréciation de la faute, de sorte qu’il n’est pas nécessaire que l’obligation qui a fait l’objet d’une violation soit prévue par un texte.

L’étude de la jurisprudence révèle que les obligations dont la violation constitue une faute civile peuvent avoir plusieurs sources.

Il peut s’agir de :

  • La loi
  • Le règlement
  • La coutume
  • Les usages
  • Les bonnes mœurs
  • L’équité

Indépendamment de ces sources auxquelles la jurisprudence se réfère en permanence, il existerait, selon certains auteurs, un devoir général de ne pas nuire à autrui.

Ce devoir prendrait directement sa source dans l’article 1240 du Code civil.

2. L’exercice abusif d’un droit

La faute civile ne s’apparente pas seulement en la violation d’une obligation, elle peut également consister en l’exercice d’un droit. On dit alors qu’il y a abus de droit.

À partir de quand l’exercice d’un droit devient-il abusif ?

Pour la jurisprudence il convient de distinguer les droits discrétionnaires des droits relatifs.

?Les droits discrétionnaires

Il s’agit des droits subjectifs dont l’exercice ne connaît aucune limite.

Ils peuvent, autrement dit, être exercés sans que l’on puisse, en aucune façon, reprocher à leur titulaire un abus.

L’exercice d’un droit discrétionnaire ne peut, en conséquence, jamais donner lieu à réparation, pas même lorsque cela cause à autrui un dommage.

On justifie l’immunité accordée aux titulaires de droits discrétionnaire par le fait que, si on en limitait l’exercice, cela reviendrait à priver ces droits de leur effectivité.

Exemple :

  • Le droit moral dont jouit un auteur sur son œuvre
  • Le droit d’exhéréder ses successibles
  • Le droit d’acquérir la mitoyenneté d’un mur
  • Le droit des ascendants de faire opposition au mariage

?Les droits relatifs

Parmi les droits relatifs, il convient de distinguer les droits dont l’exercice connaît pour seule limite l’intention de nuire de leur titulaire de ceux dont le seul exercice excessif suffit à caractériser l’abus :

  • Les droits dont l’exercice est limité par l’intention de nuire
    • Lorsque certains droits subjectifs sont exercés dans le seul dessein de nuire, la jurisprudence estime que l’abus est susceptible d’être caractérisé.
    • La victime est alors fondée à obtenir réparation de son préjudice.
  • Les droits dont la limite réside dans le seul exercice excessif
    • La jurisprudence estime que l’exercice de certains droits subjectifs n’est pas seulement limité par l’intention de nuire.
    • Ces droits sont susceptibles de dégénérer en abus dès lors que leur exercice est jugé déraisonnable
      • Exemples :
        • L’abus d’ester en justice (Cass. crim. 13 nov. 1969)
        • L’abus de majorité dans le cadre d’une délibération sociale (Cass. 3e civ., 18 avr. 1961, n°59-11.394)
        • L’abus de rompre les pourparlers dans le cadre de la négociation d’un contrat (Cass. 3e civ., 3 oct. 1972, n°71-12.993)

Arrêt Clément-Bayard

(Cass. req. 3 août 1915)

Sur le moyen de pourvoi pris de la violation des articles 544 et suivants, 552 et suivants du code civil, des règles du droit de propriété et plus spécialement du droit de clore, violation par fausse application des articles 1388 et suivants du code civil, violation de l’article 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et de base légale.

Attendu qu’il ressort de l’arrêt attaqué que Coquerel a installé sur son terrain attenant à celui de Clément-Bayard, des carcasses en bois de seize mètres de hauteur surmontées de tiges de fer pointues ; que le dispositif ne présentait pour l’exploitation du terrain de Coquerel aucune utilité et n’avait été érigée que dans l’unique but de nuire à Clément-Bayard, sans d’ailleurs, à la hauteur à laquelle il avait été élevé, constituer au sens de l’article 647 du code civil, la clôture que le propriétaire est autorisé à construire pour la protection de ses intérêts légitimes ; que, dans cette situation des faits, l’arrêt a pu apprécier qu’il y avait eu par Coquerel abus de son droit et, d’une part, le condamner à la réparation du dommage causé à un ballon dirigeable de Clément-Bayard, d’autre part, ordonner l’enlèvement des tiges de fer surmontant les carcasses en bois.

Attendu que, sans contradiction, l’arrêt a pu refuser la destruction du surplus du dispositif dont la suppression était également réclamée, par le motif qu’il n’était pas démontré que ce dispositif eût jusqu’à présent causé du dommage à Clément-Bayard et dût nécessairement lui en causer dans l’avenir.

Attendu que l’arrêt trouve une base légale dans ces constatations ; que, dûment motivé, il n’a point, en statuant ainsi qu’il l’a fait, violé ou faussement appliqué les règles de droit ou les textes visés au moyen.

Par ces motifs, rejette la requête, condamne le demandeur à l’amende.

C) L’élément moral

L’exigence qui tient à l’élément moral de la faute renvoie à deux problématiques qu’il convient de bien distinguer :

  • La faute doit-elle être intentionnelle pour engager la responsabilité de son auteur ?
  • La faute doit-elle être imputable à l’auteur du dommage ?

1. L’indifférence quant au caractère intentionnel de la faute

Contrairement à la faute pénale qui, dans de nombreux cas, exige une intention de son auteur, la faute civile n’est pas nécessairement intentionnelle.

Cette indifférence quant au caractère intentionnel de la faute civile se déduit des articles 1240 et 1241 du Code civil, lesquels n’exigent pas que le défendeur ait voulu le dommage.

Aussi, la faute intentionnelle se distingue-t-elle d’une faute volontaire quelconque en ce sens que l’auteur n’a pas seulement voulu l’acte fautif, il a également voulu la production du dommage.

À la vérité, en droit de la responsabilité civile, peu importe la gravité de la faute.

Qu’il s’agisse d’une simple faute, d’une faute lourde ou bien encore d’une faute intentionnelle, elles sont sanctionnées de la même manière, en ce sens que la victime devra être indemnisée conformément au principe de réparation intégrale.

Il en résulte que le juge ne saurait évaluer le montant des dommages et intérêts alloués à la victime en considération de la gravité de la faute.

Seul le principe de réparation intégrale doit présider à l’évaluation effectuée par le juge et non la gravité de la faute commise par l’auteur du dommage.

Si l’existence d’une faute intentionnelle ne saurait conduire à l’octroi de dommages et intérêts supplémentaires à la faveur de la victime, elle n’est, toutefois, pas sans conséquence pour l’auteur du dommage.

?Droit des assurances

  • Exclusion de garantie
    • Aux termes de l’article L. 113-1 du Code des assurances « l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ».
    • La qualification ou non de faute intentionnelle revêt ainsi une importance particulière pour l’auteur du dommage.
    • Dans l’hypothèse où une faute intentionnelle serait retenue contre ce dernier, il ne sera pas assuré, si bien que la réparation du dommage sera à sa charge.
  • Définition jurisprudentielle
    • Dans un arrêt du 27 mai 2003, la Cour de cassation a estimé que « la faute intentionnelle implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu » (Cass. 1re civ., 27 mai 2003, n°01-10.478 et 01-10.747).
    • Il ressort de cette jurisprudence une conception pour le moins restrictive de la faute intentionnelle
    • La faute intentionnelle n’est caractérisée que :
      • Lorsque l’auteur de la faute a eu conscience des risques occasionnés par sa conduite
      • Lorsque l’auteur de la faute a eu la volonté de produire le dommage
    • Ces deux critères sont cumulatifs
  • Contrôle de la Cour de cassation
    • Compte tenu des conséquences juridiques que la qualification de faute intentionnelle implique en droit des assurances, on était légitimement en droit d’attendre que la Cour de cassation exerce un contrôle sur cette qualification.
    • Toutefois, elle s’y est refusée dans un arrêt du 4 juillet 2000 estimant que « l’appréciation par les juges du fond du caractère intentionnel d’une faute, au sens de l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances, est souveraine et échappe au contrôle de la Cour de cassation » (Cass. 1re civ., 4 juill. 2000, n°98-10.744).
    • Dans un arrêt du 23 septembre 2004 elle semble néanmoins avoir rétabli son contrôle en rappelant aux juges du fond la définition à laquelle ils devaient se référer quant à qualifier une conduite de faute intentionnelle (Cass. 2e civ., 23 sept. 2004, n°03-14.389)
    • Dans cette décision la Cour de cassation reproche à une Cour d’appel de n’avoir pas précisé « en quoi la faute qu’elle retenait à l’encontre de l’assuré supposait la volonté de commettre le dommage tel qu’il s’est réalisé ».
    • Ainsi, la Cour de cassation peut-elle empêcher que les juges du fond, guidés par un souci d’équité et surtout de sanction, ne privent les victimes de dommages et intérêt, sans rechercher si l’auteur de la faute avait bien recherché la production du dommage.

Cass. 2e civ., 23 sept. 2004

Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 113-1 du Code des assurances, ensemble l’article 1134 du Code civil ;

Attendu que pour refuser aux ayants-droits de Manuel X… Y… Z…, artisan-maçon, le bénéfice de la garantie décès prévue par le contrat d’assurance de groupe souscrit auprès de la compagnie Norwitch Union life insurance, aux droits de laquelle succède la SA Aviva courtage, l’arrêt attaqué relève que le jour de son décès accidentel sur un chantier, Manuel Y… Z… était en arrêt de travail ;

qu’il rappelle que selon l’article 1134 du Code civil, les conventions doivent être exécutées de bonne foi et énonce que Manuel Y… Z…, en continuant à assumer son activité professionnelle au cours de laquelle, il a été victime d’un accident dont il est décédé, alors qu’il était en incapacité totale de travail, a commis une faute dolosive, ce qui exclut toute bonne foi de sa part dans l’exécution du contrat puisque, percevant des indemnités pour arrêt de travail, il s’exposait, dans la poursuite de son activité rémunérée, à un accident pouvant entraîner son décès ; que dès lors les consorts Y… Z… se trouvent déchus de tout droit à perception du capital décès souscrit par Manuel Y… Z… ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi la faute qu’elle retenait à l’encontre de l’assuré supposait la volonté de commettre le dommage tel qu’il s’est réalisé, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 février 2003, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée

2. L’abandon de l’exigence d’imputabilité de la faute

?Notion d’imputabilité

Traditionnellement, on estime qu’il ne suffit pas qu’une faute ait été commise pour que la responsabilité de son auteur soit engagée, encore faut-il qu’elle lui soit imputable.

Aussi, l’imputabilité implique que l’auteur du dommage soit doué de discernement. Autrement dit, il doit avoir conscience de ses actes, soit être capable de savoir s’il commet ou non un écart de conduite.

L’auteur du dommage doit, en somme, être en mesure de distinguer le bien du mal.

?Situation en 1804

En 1804, la faute devait nécessairement être imputable à l’auteur du dommage pour que sa responsabilité puisse être engagée.

La faute ne se concevait pas en dehors de son élément psychologique. Pour les rédacteurs du Code civil, la responsabilité civile avait essentiellement une fonction punitive. Or une punition ne peut avoir de sens que si son destinataire a conscience de la faute commise.

Aussi, tant la jurisprudence, que la doctrine n’envisageaient pas qu’une faute puisse être reprochée à l’auteur d’un dommage sans qu’il soit doué de discernement.

Pour établir la faute, la victime devait dès lors rapporter la preuve de deux éléments :

  • Un fait illicite
  • La faculté de discernement de l’auteur du dommage

L’exigence d’imputabilité excluait, dès lors, du champ d’application de l’ancien article 1382 du Code civil les personnes qui, par définition, ne sont pas douées de discernement :

  • Les aliénés mentaux (Cass. crim., 10 mai 1843)
  • Les enfants en bas âges (Cass. 2e civ., 30 mai 1956)

Il en résultait que chaque fois qu’un dommage était causé par un aliéné mental ou un enfant en bas âge, la victime était privée d’indemnisation.

Guidé par un souci d’indemnisation des victimes, il a fallu attendre la fin des années soixante pour que l’exigence d’imputabilité de la faute soit progressivement abandonnée.

Ce mouvement a concerné :

  • D’abord, les déments
  • Ensuite, les enfants en bas âge

?L’abandon de l’exigence d’imputabilité de la faute pour les déments

  • Intervention du législateur
    • Une première étape tendant à l’abandon de l’exigence d’imputabilité a été franchie par la loi du 2 janvier 1968 qui a introduit un article 489-2 dans le Code civil, devenu aujourd’hui l’article 414-3.
    • Aux termes de cette disposition, « celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation ».
    • Ainsi, la loi admet-elle qu’il n’est plus nécessaire que la faute soit imputable à l’auteur du dommage lorsqu’il s’agit d’une personne atteinte d’un trouble mental.
  • Réception par la jurisprudence
    • Bien que le législateur ait signifié, par l’adoption de la loi du 2 janvier 1968, son intention de rompre avec la conception classique de la faute, la jurisprudence s’est, dans un premier temps, livrée à une interprétation pour le moins restrictive de l’ancien article 489-2 du Code civil.
    • Deux questions se sont en effet immédiatement posées à la jurisprudence :
      • La notion de trouble mental à laquelle fait référence le texte comprend-elle également les troubles physiques ?
      • Le trouble mental peut-il être assimilé à l’absence de discernement dont est frappé l’enfant en bas âge ?
    • S’agissant de l’assimilation du trouble physique à un trouble mental
      • Dans un arrêt du 4 février 1981, la Cour de cassation a reproché à une Cour d’appel d’avoir estimé que le « bref passage de la connaissance à l’inconscience constituait un trouble mental » (Cass. 2e civ., 4 févr. 1981, n°79-11.243).
      • Ainsi, ressort-il de cet arrêt que lorsque le trouble dont a été victime l’auteur du dommage est de nature seulement physique, sans incidence mentale, il faille exclure l’application de l’article 414-3 du Code civil, bien que la portée de cette jurisprudence demeure, pour certains auteurs, incertaine.

Cass. 2e civ., 4 févr. 1981

Vu l’article 489-2 du code civil,

Attendu qu’il est nécessaire que, pour être oblige à réparation en vertu de ce texte, celui qui a causé un dommage à autrui ait été sous l’emprise d’un trouble mental; attendu, selon l’arrêt attaqué, que Vaujany, victime d’un malaise cardiaque, perdit connaissance et tomba sur dame x… qu’il entraina dans sa chute; que dame x…, blessée, l’a assigne en paiement de dommages-intérêts;

Attendu que, pour déclarer Vaujany responsable du dommage en application de l’article 489-2 du code civil, l’arrêt énonce que son bref passage de la connaissance à l’inconscience constituait un trouble mental; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé;

Par ces motifs :

Casse et annule l’arrêt rendu entre les parties le 4 décembre 1978 par la cour d’appel de Grenoble; remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Chambéry.

    • S’agissant de l’assimilation du trouble mental à l’absence de discernement de l’enfant en bas âge
      • Dans un premier temps, la Cour de cassation a refusé d’assimiler l’absence de discernement de l’enfant en bas âge à un trouble mental
      • Ainsi dans un arrêt du 7 décembre 1977, la deuxième chambre civile a-t-elle réaffirmé le principe d’irresponsabilité des enfants en bas âges (Cass. 2e civ., 7 déc. 1977, n°76-12.046).
      • En d’autres termes, dans l’hypothèse où le mineur est privé de discernement uniquement en raison de son âge, pour la Cour de cassation l’exigence d’imputabilité est toujours requise, à défaut de quoi sa responsabilité ne saurait être engagée.
      • Dans une décision du 20 juillet 1976, la Cour de cassation a néanmoins précisé que l’ancien article 489-2 du Code civil avait vocation à s’appliquer aux mineurs, à condition que l’existence d’un trouble mental soit établie (Cass. 1re civ., 20 juill. 1976, n°74-10.238).

Cass. 1re civ., 20 juill. 1976

Sur le moyen unique : attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt confirmatif attaque que, le 11 juin 1970, j – c – ,alors âge de 17 ans, a donné la mort à la mineure Annick x… ;

Que l’information pénale ouverte contre lui, du chef d’homicide volontaire, à été clôturée par une ordonnance de non-lieu, en raison de son état de démence au moment des faits ;

Que la cour d’appel a retenu sa responsabilité civile, sur le fondement de l’article 489-2 du code civil, et a condamné in solidum son père, es qualités d’administrateur légal, et la compagnie la Winterthur, assureur de celui-ci, à payer des dommages-intérêts a dame y…, mère de la victime ;

Attendu qu’il est fait grief aux juges du fond d’avoir ainsi statue, alors que le texte précité résulte de la loi du 3 janvier 1968, portant réforme du droit des incapables majeurs, et figure dans une rubrique intitulée de la majorité et des majeurs qui sont protèges par la loi ;

Que, puisque a la différence des articles 1382 et 1383, qui n’ont pas été abrogés ou modifiés, il n’exige plus la constatation d’une faute imputable a l’auteur du dommage, pour que la responsabilité de celui-ci soit engagée, il est nécessairement d’interprétation restrictive ;

Que, des lors, il ne saurait recevoir application dans le cas d’un mineur en état de démence ;

Mais attendu que la cour d’appel retient, a bon droit, que l’obligation a réparation prévue a l’article 489-2 du code civil concerne tous ceux – majeurs ou mineurs – qui, sous l’empire d’un trouble mental, ont causé un dommage à autrui ;

Que le moyen n’est donc pas fonde ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 16 novembre 1973 par la cour d’appel de Caen

Faits :

  • Un adolescent donne la mort à une mineure à la suite de quoi sa culpabilité pénale ne sera pas retenue en raison de son état de démence

Demande :

Assignation des ayants droit de la victime en responsabilité

Procédure :

  • Dispositif de la décision rendue au fond :
    • Par un arrêt du 16 novembre 1976 la Cour d’appel de Caen fait droit à la demande des ayants droit de la victime et condamne in solidum le père et l’assureur de l’auteur du dommage
  • Motivation des juges du fond :
    • Les juges du fond estiment que l’obligation de réparation prévue à l’article 489-2 du Code civil s’appliquerait tant aux majeurs qu’aux mineurs
    • Or, en l’espèce, la Cour d’appel relève que l’auteur du dommage était sous l’emprise d’un trouble mental celui-ci ayant bénéficié d’un non-lieu en raison de son état de démence
    • Elle fait dès lors application de l’article 489-2 du Code civil

Moyens des parties :

Le représentant de l’auteur du dommage soutient que l’article 489-2 du Code civil ne s’appliquerait qu’aux majeurs souffrant d’un trouble mental puisqu’il a été inséré dans la partie du Code relative aux majeurs protégés.

Il en résulte que l’article 489-2 du Code civil n’aurait pas vocation à s’appliquer aux mineurs souffrant d’un trouble mental.

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était de savoir si l’article 489-2 du Code civil avait vocation à s’appliquer à un mineur atteint d’un trouble mental.

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt :
    • Par un arrêt du 20 juillet 1976, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le représentant légal de l’auteur du dommage
  • Sens de l’arrêt :
    • La Cour de cassation estime que l’article 489-2 du Code civil a vocation à s’appliquer, sans distinction, tant aux majeurs qu’aux mineurs, dès lors qu’il est établi qu’ils souffrent d’un trouble mental
  • Analyse de l’arrêt
    • Comme le relève très finement le pourvoi, l’article 489-2 du Code civil apporte une exception à l’article 1382, dans la mesure où il vient supprimer l’exigence d’imputabilité de la faute, soit son élément subjectif pour les personnes souffrant d’un trouble mental
    • Or il est traditionnellement admis en droit que les exceptions sont d’interprétation stricte.
    • Dès lors, dans la mesure où l’article 489-2 a été intégré dans le corpus juridique relatif à la protection des majeurs protégés, une interprétation stricte de cette disposition aurait supposé de limiter son application aux seuls majeurs.
    • C’est la raison pour laquelle la décision de la Cour d’appel est pour le moins audacieuse, car elle a fait une interprétation large de l’article 489-2 en l’appliquant au-delà du champ des majeurs protégés, soit aux mineurs souffrant d’un trouble mental.
    • La Cour de cassation recourt à la formule « à bon droit » afin de valider cette position audacieuse qui n’allait pas de soi.

?L’abandon de l’exigence d’imputabilité de la faute pour les enfants en bas âge

Guidée par un souci de généraliser la conception objective de la faute, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a décidé, dans une série d’arrêts rendus le 9 mai 1984, d’abandonner définitivement l’exigence d’imputabilité.

Pour y parvenir, bien que la haute juridiction, aurait pu se fonder sur une interprétation extensive de l’ancien article 489-2 du Code civil, telle n’est pas la voie qu’elle a choisi d’emprunter.

Dans l’arrêt Derguini du 9 mai 1984, elle a, en effet, affirmé, sans référence au texte applicable aux déments qu’il n’y avait pas lieu de vérifier si le mineur, auteur du dommage, était capable de discerner les conséquences de ses actes (Cass. ass. plén., 9 mai 1984, n°80-93.481)

Ainsi, l’exigence d’imputabilité disparaît-elle, laissant place à une conception purement objective de la faute.

Cass. ass. plén., 9 mai 1984

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nancy, 9 juillet 1980), statuant sur renvoi après cassation, que la jeune Fatiha X…, alors âgée de 5 ans, a été heurtée le 10 avril 1976 sur un passage protégé et a été mortellement blessée par une voiture conduite par M. Z… ; que, tout en déclarant celui-ci coupable d’homicide involontaire, la Cour d’appel a partagé par moitié la responsabilité des conséquences dommageables de l’accident ;

Attendu que les époux X… Y… font grief à l’arrêt d’avoir procédé à un tel partage alors, selon le moyen, que, d’une part, le défaut de discernement exclut toute responsabilité de la victime, que les époux X… soulignaient dans leurs conclusions produites devant la Cour d’appel de Metz et reprises devant la Cour de renvoi que la victime, âgée de 5 ans et 9 mois à l’époque de l’accident, était beaucoup trop jeune pour apprécier les conséquences de ses actes ; qu’en ne répondant pas à ce chef péremptoire des conclusions, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ; alors, d’autre part, et en tout état de cause, que la Cour d’appel n’a pu, sans contradiction, relever, d’un côté, l’existence d’une faute de la victime et, d’un autre côté, faire état de l’irruption inconsciente de la victime ; alors, enfin, que la Cour d’appel relève que l’automobiliste a commis une faute d’attention à l’approche d’un passage pour piétons sur une section de route où la possibilité de la présence d’enfants est signalée par des panneaux routiers, qu’ayant remarqué de loin les deux fillettes sur le trottoir, il n’a pas mobilisé son attention sur leur comportement ; qu’en ne déduisant pas de ces énonciations l’entière responsabilité de M. Z…, la Cour d’appel n’a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s’en évinçaient nécessairement ;

Mais attendu qu’après avoir retenu le défaut d’attention de M. Z… et constaté que la jeune Fatiha, s’élançant sur la chaussée, l’avait soudainement traversée malgré le danger immédiat de l’arrivée de la voiture de M. Z… et avait fait aussitôt demi-tour pour revenir sur le trottoir, l’arrêt énonce que cette irruption intempestive avait rendu impossible toute manoeuvre de sauvetage de l’automobiliste ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la Cour d’appel, qui n’était pas tenue de vérifier si la mineure était capable de discerner les conséquences de tels actes, a pu, sans se contredire, retenir, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, que la victime avait commis une faute qui avait concouru, avec celle de M. Z…, à la réalisation du dommage dans une proportion souverainement appréciée ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé

Faits :

Une petite fille décède après avoir été violemment heurtée par une voiture dont le chauffeur n’a pas pu éviter l’accident, en raison de la soudaineté de l’engagement de la victime sur la chaussée.

Demande :

Les parents de la petite fille décédée demandent réparation du préjudice occasionné.

Procédure :

  • Dispositif de la Cour d’appel :
    • Par un arrêt de la Cour d’appel de Nancy rendu en date du 9 juillet 1980, les juges du fond décident d’un partage de responsabilité entre l’auteur du dommage et la victime.
  • Motivation de la Cour d’appel :
    • Les juges du fond estiment que, quand bien même la victime était privée de discernement en raison de son jeune âge, elle n’en a pas moins commis une faute en s’engageant précipitamment sur la chaussée.

Moyens des parties :

  • Contenu du moyen :
    • L’existence d’une faute civile suppose la caractérisation d’un élément moral.
    • Or en l’espèce la victime était privée de discernement en raison de son jeune âge. Elle n’a donc pas pu commettre aucune faute.
    • La faute commise par le conducteur du véhicule est seule génératrice du dommage occasionné à la victime

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt :
    • Par un arrêt du 9 mai 1984, l’assemblée plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les parents de la victime.
  • Sens de l’arrêt :
    • Les juges de la Cour de cassation estiment que, quand bien même la victime était privée de discernement compte tenu de son jeune âge, sa conduite n’en était pas moins fautive
    • La décision de la Cour d’appel de partager la responsabilité entre l’auteur du dommage et la victime était donc justifiée.

Analyse de l’arrêt :

Pour mémoire, traditionnellement, il était admis que la responsabilité pour faute poursuivait une double fonction :

  • Réparatrice
  • Punitive

Eu égard à cette double finalité de la responsabilité pour faute, on ne pouvait donc engager la responsabilité d’un mineur dépourvu de discernement, c’est-à-dire d’un infans ou d’un dément pour faute dans la mesure où il n’y aurait alors poursuite que d’une seule des finalités de la responsabilité pour faute : la réparation.

Engager la responsabilité pour faute d’un infans ou d’un dément n’aurait donc eu aucun sens car aucun effet normatif : on ne peut reprocher moralement ses actes à un homme que s’il a été capable de vouloir son comportement, s’il a eu la possibilité d’en adopter un autre.

Dans cette conception morale de la faute civile, la faute réside précisément dans le fait de ne pas avoir usé de cette possibilité.

Ainsi cette conception traditionnelle de la faute exigeait-elle la réunion de deux éléments cumulatifs pour que la faute civile soit caractérisée :

  • Un élément objectif : un fait illicite
  • Un élément subjectif : la capacité de discernement de l’auteur de la faute.

C’est cette exigence d’imputabilité de la faute qui est précisément remise en cause par la Cour de cassation dans l’arrêt Derguini.

Dorénavant, il n’est plus besoin que la faute soit IMPUTABLE à son auteur pour être caractérisée.

Autrement dit, depuis cette jurisprudence posée par l’assemblée plénière en 1984, la faute civile ne suppose plus que l’établissement d’un fait illicite, soit d’un écart de conduite.

Que penser de cette décision ?

  • Positivement
    • Dans une logique favorable à ce que de plus en plus de dommages donnent lieu à réparation, cette solution doit être défendue.
      • Si l’on se place du côté de la victime : peu importe que l’acte ayant causé le dommage soit le fait
        • d’un adulte
        • d’un dément
        • d’un enfant
      • Dès lors, qu’est établi un fait illicite, le dommage doit être réparé.
      • Aussi, en n’exigeant plus l’imputabilité de la faute, on assouplit considérablement les conditions de la responsabilité.
      • Les juges de la Cour de cassation s’inscrivent clairement dans le mouvement qui tend à vouloir toujours plus indemniser les victimes.
      • Objectivation de la responsabilité.
  • Négativement
    • Dans les arrêts rendus par l’assemblée plénière (notamment Derguini et Lemaire), il ne s’agit nullement d’indemniser une victime du fait d’un enfant, mais au contraire de limiter l’indemnisation due à l’enfant en lui opposant sa faute laquelle a concouru à la production de son propre dommage
      • Il y a donc là un paradoxe : la reconnaissance de la faute objective qui doit permettre de poursuivre un objectif de réparation a pour effet, non pas d’indemniser plus mais d’indemniser moins.
      • Car la participation du mineur au dommage par sa faute réduira son droit à réparation.
      • En retenant une approche objective de la faute, la Cour de cassation va permettre à l’auteur du dommage de s’exonérer plus facilement de sa responsabilité
      • Cela s’explique par le fait que la caractérisation de la faute permet certes de retenir la responsabilité de l’auteur d’un dommage, mais elle permet également de l’en exonérer si cette faute est commise par la victime de ce dommage
    • Autre point négatif de cette jurisprudence : le sens commun des termes semble s’opposer à ce que l’on parle de faute d’un dément ou d’un enfant de trois ans ou 5 ans comme c’était le cas dans l’arrêt Derguini.
      • Peut-on raisonnablement penser que l’enfant en bas âge qui traverse la route précipitamment commet une faute ?

En tout état de cause, la jurisprudence a adopté une définition objective de la faute : on peut être fautif sans pour autant avoir conscience de la portée de ses actes.

Désormais, tant pour les majeurs que pour les mineurs, le doute n’était plus permis : leur absence de discernement, soit l’impossibilité de pouvoir établir à leur encontre une faute imputable, n’est plus un obstacle à l’indemnisation de la victime, sitôt rapportée par cette dernière la preuve d’un écart de conduite.

Débarrassée de l’exigence d’imputabilité, la faute ne repose plus que sur le comportement déviant de l’agent. C’est la raison pour laquelle on la qualifie de faute objective

?Avant-projet de réforme

Il peut être observé que l’article 1255 de l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité extracontractuelle prévoit que « La faute de la victime privée de discernement n’a pas d’effet exonératoire. »

  1. Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, éd. Litec, 2005, n°337, p. 173. ?
  2. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, T. II, 3e éd., n°947. ?

La responsabilité du fait personnel

Pour que la responsabilité civile de l’auteur d’un dommage puisse être recherchée, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

  • L’existence d’un dommage
  • La caractérisation d’un fait générateur
  • L’établissement d’un lien de causalité entre le dommage et le fait générateur

Tandis que le dommage et le lien de causalité sont les deux constantes de la responsabilité civile, le fait générateur en constitue la variable.

La responsabilité du débiteur de l’obligation de réparation peut, en effet, avoir pour fait générateur :

  • Le fait personnel de l’auteur du dommage
  • Le fait d’une chose que le responsable avait sous sa garde
  • Le fait d’une tierce personne sur laquelle le responsable exerçait un pouvoir

La responsabilité du fait personnel se distingue de la responsabilité du fait des choses et du fait d’autrui sur deux points principaux :

  • Tout d’abord, alors que, en matière de responsabilité du fait personnel, le débiteur de l’obligation de réparation est, tout à la fois, l’auteur et le responsable du dommage, tel n’est pas le cas lorsque le fait générateur de la responsabilité réside dans le fait d’une chose ou dans le fait d’autrui.
  • Ensuite, tandis que la responsabilité du fait personnel est fondée sur la faute, les responsabilités du fait des choses et du fait d’autrui sont des responsabilités purement objectives en ce sens qu’elles ne supposent pas la caractérisation d’une faute pour que naisse l’obligation de réparation.

?Le fondement de la responsabilité du fait personnel

Lorsque le fait générateur de la responsabilité réside dans le fait personnel de l’auteur du dommage, celui-ci ne peut consister qu’en une faute.

Cette exigence de la faute est formulée :

  • D’une part, à l’article 1240 aux termes duquel « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »
  • D’autre part, à l’article 1241 qui prévoit que « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

Bien que le terme faute ne figure pas explicitement à l’article 1241 du Code civil, on ne saurait pour autant en déduire que cette disposition pose un cas de responsabilité du fait personnel « sans faute ».

À la vérité, la négligence et l’imprudence constituent une variété particulière de faute : la faute involontaire, que l’on qualifie également de quasi-délit.

Immédiatement, deux enseignements peuvent être tirés de la lecture des articles 1240 et 1241 du Code civil :

  • La responsabilité du fait personnel suppose toujours l’établissement d’une faute.
    • Peu importe la gravité de la faute
    • Ce qui compte, c’est que la faute soit caractérisée dans tous ses éléments
  • La distinction entre les articles 1240 et 1241 du Code civil n’a qu’une portée très faible.
    • L’article 1240 vise les délits, soit les faits illicites volontaires
    • L’article 1241 vise les quasi-délits, soit les faits illicites involontaires

?Le recul de l’exigence de faute

Initialement, les règles qui régissaient la responsabilité du fait personnel constituaient le droit commun de la responsabilité civile.

Aussi, l’exigence de la faute présidait à chacun des cas de responsabilité énumérés par le Code civil, de sorte que la responsabilité du fait des choses et la responsabilité du fait d’autrui n’étaient que des applications particulières de la responsabilité du fait personnel.

Le droit de la responsabilité était articulé de la manière suivante :

  • Principe général de responsabilité
    • Responsabilité du fait personnel
      • Les articles 1240 et 1241 (anciennement art. 1382 et 1383 C. civ. ) du Code civil posaient le principe général de responsabilité du fait personnel
      • Fondement : la faute
  • Cas particuliers de responsabilité
    • Responsabilité du fait d’autrui
      • L’article 1242 (anciennement 1384) énumérait, de façon exhaustive, les cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui
        • Responsabilité des parents du fait de leurs enfants
        • Responsabilité des maîtres et commettants du fait de leurs domestiques et préposés
        • Responsabilité des instituteurs et artisans du fait de leurs élèves et apprentis
      • Fondement : la faute
    • Responsabilité du fait des choses
      • Les articles 1243 à 1244 (anciennement 1385 à 1386) énuméraient, là encore limitativement, les cas particuliers de responsabilité du fait des choses
        • La responsabilité du fait des animaux
        • La responsabilité du fait des bâtiments en ruine
      • Fondement : la faute

Dès la fin du XIXe siècle, la jurisprudence se met à découvrir à l’alinéa 1er de l’ancien article 1384 du Code civil un principe général de responsabilité du fait des choses et de responsabilité du fait des autrui.

Cette découverte s’est accompagnée d’un mouvement d’objectivation de la responsabilité, en ce sens que les juges ont progressivement abandonné l’exigence de faute en matière de responsabilité du fait des choses et de responsabilité du fait d’autrui.

Nonobstant le recul de l’exigence de faute, comme le relève Philippe Brun, « le totem » de la responsabilité du fait personnel, n’en demeure pas moins toujours debout[1].

Ainsi, le principe responsabilité du fait personnel n’a nullement été entamé par le mouvement d’objectivation de la responsabilité, bien que la notion de faute ait, elle aussi, connu une profonde évolution.

I) La notion de faute

Le Code civil ne comporte aucune définition de la faute, bien que, en 1804, cette notion ait été envisagée comme l’élément central du droit de la responsabilité civile.

?Une notion de droit

La faute n’en demeure pas moins une notion de droit, en ce sens que la Cour de cassation exerce son contrôle sur sa qualification.

Ainsi, dans un arrêt de principe du 15 avril 1873, la haute juridiction a-t-elle estimé que « s’il appartient aux juges du fond de constater souverainement les faits d’où ils déduisent l’existence ou l’absence d’une faute délictuelle ou quasi délictuelle, la qualification juridique de la faute relève du contrôle de la cour de cassation » (Cass. 2e civ. 7 mars 1973, n°71-14.769)

Le contrôle opéré par la Cour de cassation sur la notion de faute se traduit :

  • D’une part, par la vérification que les juges du fond ont caractérisé la faute qu’ils entendent ou non retenir contre le défendeur indépendamment, de la constatation d’un dommage et de l’établissement du rapport de causalité
    • Autrement dit, les juges du fond ne sauraient déduire de la constatation d’un préjudice l’existence d’une faute
  • D’autre part, par la vérification que les juges du fond ont caractérisé la faute dans tous ses éléments à partir des circonstances de fait qu’ils ont souverainement appréciées.

?Définition

Certes, la Cour de cassation exerce son contrôle sur la notion de faute. Pour autant, elle n’a jamais jugé utile d’en donner une définition.

C’est donc à la doctrine qu’est revenue la tâche de définir la notion de faute.

La définition la plus célèbre nous est donnée par Planiol pour qui la faute consiste en « un manquement à une obligation préexistante »[2].

Ainsi, la faute s’apparente-t-elle, à une erreur de conduite, une défaillance.

Selon cette approche, le comportement de l’agent est fautif :

  • soit parce qu’il a fait ce qu’il n’aurait pas dû faire
  • soit parce qu’il n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire.

Manifestement, la définition proposée par le projet de réforme du droit de la responsabilité n’est pas très éloignée de cette conception.

La faute y est définie à l’article 1242 comme « la violation d’une règle de conduite imposée par la loi ou le manquement au devoir général de prudence ou de diligence ».

Immédiatement une question alors se pose : comment déterminer quels sont les règles et les devoirs dont la violation constitue une faute ?

Autrement dit, quel modèle de conduite doit-il servir de référence au juge pour que celui-ci détermine s’il y a eu ou non écart de comportement ?

Voilà une question à laquelle il est difficile de répondre, la notion de devoir général étant, par essence, relative.

À la vérité, comme le relève Philippe Brun, « définir la faute revient à répondre à la question par une question ».

Aussi, la faute se laisse-t-elle moins facilement définir qu’on ne peut la décrire, d’où la nécessité pour les juges de l’appréhender par l’entreprise de ses éléments constitutifs.

II) Éléments constitutifs de la faute

Traditionnellement, on présente la faute comme étant constituée de trois éléments :

  • Un élément matériel
  • Un élément légal
  • Un élément moral

A) L’élément matériel

Pour obtenir réparation du préjudice subi, cela suppose, pour la victime, de démontrer en quoi le comportement de l’auteur du dommage est répréhensible.

Aussi, ce comportement peut-il consister :

  • Soit en un acte positif : le défendeur a fait ce qu’il n’aurait pas dû faire
  • Soit en un acte négatif : le défendeur n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire

Lorsque le comportement reproché à l’auteur du dommage consiste en un acte négatif, soit à une abstention, la question s’est alors posée de savoir s’il ne convenait pas de distinguer l’abstention dans l’action de l’abstention pure et simple.

  • L’abstention dans l’action est celle qui consiste pour son auteur à n’être pas suffisamment précautionneux dans l’exercice de son activité
    • Exemple : un journaliste qui ne vérifierait pas suffisamment une information avant de la diffuser ou encore le notaire qui n’informerait pas ses clients sur les points importants de l’opération qu’ils souhaitent réaliser
    • L’abstention de l’auteur du dommage se confondrait avec la faute par commission. Elle devrait, en conséquence, être appréhendée de la même manière.
  • L’abstention pure et simple est celle qui ne se rattache à aucune activité déterminée. Le défendeur adopte une attitude totalement passive face à la survenance du dommage
    • Tandis que certains auteurs plaident pour que l’abstention pure et simple ne soit qualifiée de faute que dans l’hypothèse où le défendeur avait l’obligation formelle d’agir (obligation de porter secours, non dénonciation de crimes ou délits, l’omission de témoigner en faveur d’un innocent etc.)
    • Pour d’autres, il importe peu qu’une obligation formelle d’agir pèse sur le défendeur, dans la mesure où il serait, en soi, fautif pour un agent d’adopter un comportement passif, alors qu’il aurait pu éviter la survenance d’un dommage.

?La jurisprudence

Dans un arrêt Branly du 27 février 1951, la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que « la faute prévue par les articles 1382 et 1383 peut consister aussi bien dans une abstention que dans un acte positif » (Cass. civ., 27 févr. 1951).

Dans cette décision, la Cour de cassation ne semble pas distinguer l’abstention dans l’action de l’abstention pure et simple.

Arrêt Branly

(Cass. civ., 27 févr. 1951)

Toutefois, dans un arrêt du 18 avril 2000, tout porte à croire, selon la doctrine, qu’elle aurait finalement adopté cette distinction (Cass. 1ère civ., 18 avr. 2000, n°98-15.770).

La première chambre civile a, en effet, reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « comme il lui était demandé, quelle disposition légale ou réglementaire imposait » au propriétaire d’un immeuble de jeter des cendres ou du sable sur la chaussée en cas de verglas afin d’éviter que les passants ne glissent sur le trottoir.

Cass. 1re civ., 18 avr. 2000

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1382 du Code civil, ensemble l’article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que M. X…, blessé après avoir glissé sur le verglas recouvrant un trottoir à Suresnes, au droit de l’immeuble occupé par la société Télétota (la société), a fait assigner cette dernière en réparation de son dommage, ainsi que son assureur, la Mutuelle générale d’assurances (MGA), au motif qu’elle n’avait pas procédé au sablage ou au salage de la portion de trottoir dont l’entretien lui incombait ;

Attendu que pour déclarer la société responsable de l’accident, l’arrêt attaqué relève que la Ville de Suresnes apposait régulièrement une affiche rappelant aux riverains l’obligation, en cas de verglas, de jeter des cendres ou du sable sur la chaussée ;

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, quelle disposition légale ou réglementaire imposait de telles mesures, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 mars 1998, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Reims.

B) L’élément légal

Pour être fautif, encore faut-il que le comportement que l’on reproche à l’auteur du dommage consiste en un fait illicite.

Aussi, le comportement illicite peut-il consister :

  • Soit en la violation d’une norme
  • Soit en l’exercice abusif d’un droit

1. La violation d’une norme

Quels sont les obligations et devoirs dont la violation constitue un comportement illicite ?

Pour le déterminer, il convient, au préalable, de distinguer la faute pénale de la faute civile :

  • En droit pénal, conformément au principe de légalité posé aux articles 8 de la DDHC et 111-3 du Code pénal, la faute ne peut s’entendre que comme la violation d’un texte légale ou règlementaire (nullum crimen sine lege)
    • Autrement dit, la faute pénale ne saurait consister en une conduite qui ne serait incriminée par aucun texte.
  • En droit civil, le principe de légalité ne préside pas à l’appréciation de la faute, de sorte qu’il n’est pas nécessaire que l’obligation qui a fait l’objet d’une violation soit prévue par un texte.

L’étude de la jurisprudence révèle que les obligations dont la violation constitue une faute civile peuvent avoir plusieurs sources.

Il peut s’agir de :

  • La loi
  • Le règlement
  • La coutume
  • Les usages
  • Les bonnes mœurs
  • L’équité

Indépendamment de ces sources auxquelles la jurisprudence se réfère en permanence, il existerait, selon certains auteurs, un devoir général de ne pas nuire à autrui.

Ce devoir prendrait directement sa source dans l’article 1240 du Code civil.

2. L’exercice abusif d’un droit

La faute civile ne s’apparente pas seulement en la violation d’une obligation, elle peut également consister en l’exercice d’un droit. On dit alors qu’il y a abus de droit.

À partir de quand l’exercice d’un droit devient-il abusif ?

Pour la jurisprudence il convient de distinguer les droits discrétionnaires des droits relatifs.

?Les droits discrétionnaires

Il s’agit des droits subjectifs dont l’exercice ne connaît aucune limite.

Ils peuvent, autrement dit, être exercés sans que l’on puisse, en aucune façon, reprocher à leur titulaire un abus.

L’exercice d’un droit discrétionnaire ne peut, en conséquence, jamais donner lieu à réparation, pas même lorsque cela cause à autrui un dommage.

On justifie l’immunité accordée aux titulaires de droits discrétionnaire par le fait que, si on en limitait l’exercice, cela reviendrait à priver ces droits de leur effectivité.

Exemple :

  • Le droit moral dont jouit un auteur sur son œuvre
  • Le droit d’exhéréder ses successibles
  • Le droit d’acquérir la mitoyenneté d’un mur
  • Le droit des ascendants de faire opposition au mariage

?Les droits relatifs

Parmi les droits relatifs, il convient de distinguer les droits dont l’exercice connaît pour seule limite l’intention de nuire de leur titulaire de ceux dont le seul exercice excessif suffit à caractériser l’abus :

  • Les droits dont l’exercice est limité par l’intention de nuire
    • Lorsque certains droits subjectifs sont exercés dans le seul dessein de nuire, la jurisprudence estime que l’abus est susceptible d’être caractérisé.
    • La victime est alors fondée à obtenir réparation de son préjudice.
  • Les droits dont la limite réside dans le seul exercice excessif
    • La jurisprudence estime que l’exercice de certains droits subjectifs n’est pas seulement limité par l’intention de nuire.
    • Ces droits sont susceptibles de dégénérer en abus dès lors que leur exercice est jugé déraisonnable
      • Exemples :
        • L’abus d’ester en justice (Cass. crim. 13 nov. 1969)
        • L’abus de majorité dans le cadre d’une délibération sociale (Cass. 3e civ., 18 avr. 1961, n°59-11.394)
        • L’abus de rompre les pourparlers dans le cadre de la négociation d’un contrat (Cass. 3e civ., 3 oct. 1972, n°71-12.993)

Arrêt Clément-Bayard

(Cass. req. 3 août 1915)

Sur le moyen de pourvoi pris de la violation des articles 544 et suivants, 552 et suivants du code civil, des règles du droit de propriété et plus spécialement du droit de clore, violation par fausse application des articles 1388 et suivants du code civil, violation de l’article 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et de base légale.

Attendu qu’il ressort de l’arrêt attaqué que Coquerel a installé sur son terrain attenant à celui de Clément-Bayard, des carcasses en bois de seize mètres de hauteur surmontées de tiges de fer pointues ; que le dispositif ne présentait pour l’exploitation du terrain de Coquerel aucune utilité et n’avait été érigée que dans l’unique but de nuire à Clément-Bayard, sans d’ailleurs, à la hauteur à laquelle il avait été élevé, constituer au sens de l’article 647 du code civil, la clôture que le propriétaire est autorisé à construire pour la protection de ses intérêts légitimes ; que, dans cette situation des faits, l’arrêt a pu apprécier qu’il y avait eu par Coquerel abus de son droit et, d’une part, le condamner à la réparation du dommage causé à un ballon dirigeable de Clément-Bayard, d’autre part, ordonner l’enlèvement des tiges de fer surmontant les carcasses en bois.

Attendu que, sans contradiction, l’arrêt a pu refuser la destruction du surplus du dispositif dont la suppression était également réclamée, par le motif qu’il n’était pas démontré que ce dispositif eût jusqu’à présent causé du dommage à Clément-Bayard et dût nécessairement lui en causer dans l’avenir.

Attendu que l’arrêt trouve une base légale dans ces constatations ; que, dûment motivé, il n’a point, en statuant ainsi qu’il l’a fait, violé ou faussement appliqué les règles de droit ou les textes visés au moyen.

Par ces motifs, rejette la requête, condamne le demandeur à l’amende.

C) L’élément moral

L’exigence qui tient à l’élément moral de la faute renvoie à deux problématiques qu’il convient de bien distinguer :

  • La faute doit-elle être intentionnelle pour engager la responsabilité de son auteur ?
  • La faute doit-elle être imputable à l’auteur du dommage ?

1. L’indifférence quant au caractère intentionnel de la faute

Contrairement à la faute pénale qui, dans de nombreux cas, exige une intention de son auteur, la faute civile n’est pas nécessairement intentionnelle.

Cette indifférence quant au caractère intentionnel de la faute civile se déduit des articles 1240 et 1241 du Code civil, lesquels n’exigent pas que le défendeur ait voulu le dommage.

Aussi, la faute intentionnelle se distingue-t-elle d’une faute volontaire quelconque en ce sens que l’auteur n’a pas seulement voulu l’acte fautif, il a également voulu la production du dommage.

À la vérité, en droit de la responsabilité civile, peu importe la gravité de la faute.

Qu’il s’agisse d’une simple faute, d’une faute lourde ou bien encore d’une faute intentionnelle, elles sont sanctionnées de la même manière, en ce sens que la victime devra être indemnisée conformément au principe de réparation intégrale.

Il en résulte que le juge ne saurait évaluer le montant des dommages et intérêts alloués à la victime en considération de la gravité de la faute.

Seul le principe de réparation intégrale doit présider à l’évaluation effectuée par le juge et non la gravité de la faute commise par l’auteur du dommage.

Si l’existence d’une faute intentionnelle ne saurait conduire à l’octroi de dommages et intérêts supplémentaires à la faveur de la victime, elle n’est, toutefois, pas sans conséquence pour l’auteur du dommage.

?Droit des assurances

  • Exclusion de garantie
    • Aux termes de l’article L. 113-1 du Code des assurances « l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ».
    • La qualification ou non de faute intentionnelle revêt ainsi une importance particulière pour l’auteur du dommage.
    • Dans l’hypothèse où une faute intentionnelle serait retenue contre ce dernier, il ne sera pas assuré, si bien que la réparation du dommage sera à sa charge.
  • Définition jurisprudentielle
    • Dans un arrêt du 27 mai 2003, la Cour de cassation a estimé que « la faute intentionnelle implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu » (Cass. 1re civ., 27 mai 2003, n°01-10.478 et 01-10.747).
    • Il ressort de cette jurisprudence une conception pour le moins restrictive de la faute intentionnelle
    • La faute intentionnelle n’est caractérisée que :
      • Lorsque l’auteur de la faute a eu conscience des risques occasionnés par sa conduite
      • Lorsque l’auteur de la faute a eu la volonté de produire le dommage
    • Ces deux critères sont cumulatifs
  • Contrôle de la Cour de cassation
    • Compte tenu des conséquences juridiques que la qualification de faute intentionnelle implique en droit des assurances, on était légitimement en droit d’attendre que la Cour de cassation exerce un contrôle sur cette qualification.
    • Toutefois, elle s’y est refusée dans un arrêt du 4 juillet 2000 estimant que « l’appréciation par les juges du fond du caractère intentionnel d’une faute, au sens de l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances, est souveraine et échappe au contrôle de la Cour de cassation » (Cass. 1re civ., 4 juill. 2000, n°98-10.744).
    • Dans un arrêt du 23 septembre 2004 elle semble néanmoins avoir rétabli son contrôle en rappelant aux juges du fond la définition à laquelle ils devaient se référer quant à qualifier une conduite de faute intentionnelle (Cass. 2e civ., 23 sept. 2004, n°03-14.389)
    • Dans cette décision la Cour de cassation reproche à une Cour d’appel de n’avoir pas précisé « en quoi la faute qu’elle retenait à l’encontre de l’assuré supposait la volonté de commettre le dommage tel qu’il s’est réalisé ».
    • Ainsi, la Cour de cassation peut-elle empêcher que les juges du fond, guidés par un souci d’équité et surtout de sanction, ne privent les victimes de dommages et intérêt, sans rechercher si l’auteur de la faute avait bien recherché la production du dommage.

Cass. 2e civ., 23 sept. 2004

Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 113-1 du Code des assurances, ensemble l’article 1134 du Code civil ;

Attendu que pour refuser aux ayants-droits de Manuel X… Y… Z…, artisan-maçon, le bénéfice de la garantie décès prévue par le contrat d’assurance de groupe souscrit auprès de la compagnie Norwitch Union life insurance, aux droits de laquelle succède la SA Aviva courtage, l’arrêt attaqué relève que le jour de son décès accidentel sur un chantier, Manuel Y… Z… était en arrêt de travail ;

qu’il rappelle que selon l’article 1134 du Code civil, les conventions doivent être exécutées de bonne foi et énonce que Manuel Y… Z…, en continuant à assumer son activité professionnelle au cours de laquelle, il a été victime d’un accident dont il est décédé, alors qu’il était en incapacité totale de travail, a commis une faute dolosive, ce qui exclut toute bonne foi de sa part dans l’exécution du contrat puisque, percevant des indemnités pour arrêt de travail, il s’exposait, dans la poursuite de son activité rémunérée, à un accident pouvant entraîner son décès ; que dès lors les consorts Y… Z… se trouvent déchus de tout droit à perception du capital décès souscrit par Manuel Y… Z… ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi la faute qu’elle retenait à l’encontre de l’assuré supposait la volonté de commettre le dommage tel qu’il s’est réalisé, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 février 2003, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée

2. L’abandon de l’exigence d’imputabilité de la faute

?Notion d’imputabilité

Traditionnellement, on estime qu’il ne suffit pas qu’une faute ait été commise pour que la responsabilité de son auteur soit engagée, encore faut-il qu’elle lui soit imputable.

Aussi, l’imputabilité implique que l’auteur du dommage soit doué de discernement. Autrement dit, il doit avoir conscience de ses actes, soit être capable de savoir s’il commet ou non un écart de conduite.

L’auteur du dommage doit, en somme, être en mesure de distinguer le bien du mal.

?Situation en 1804

En 1804, la faute devait nécessairement être imputable à l’auteur du dommage pour que sa responsabilité puisse être engagée.

La faute ne se concevait pas en dehors de son élément psychologique. Pour les rédacteurs du Code civil, la responsabilité civile avait essentiellement une fonction punitive. Or une punition ne peut avoir de sens que si son destinataire a conscience de la faute commise.

Aussi, tant la jurisprudence, que la doctrine n’envisageaient pas qu’une faute puisse être reprochée à l’auteur d’un dommage sans qu’il soit doué de discernement.

Pour établir la faute, la victime devait dès lors rapporter la preuve de deux éléments :

  • Un fait illicite
  • La faculté de discernement de l’auteur du dommage

L’exigence d’imputabilité excluait, dès lors, du champ d’application de l’ancien article 1382 du Code civil les personnes qui, par définition, ne sont pas douées de discernement :

  • Les aliénés mentaux (Cass. crim., 10 mai 1843)
  • Les enfants en bas âges (Cass. 2e civ., 30 mai 1956)

Il en résultait que chaque fois qu’un dommage était causé par un aliéné mental ou un enfant en bas âge, la victime était privée d’indemnisation.

Guidé par un souci d’indemnisation des victimes, il a fallu attendre la fin des années soixante pour que l’exigence d’imputabilité de la faute soit progressivement abandonnée.

Ce mouvement a concerné :

  • D’abord, les déments
  • Ensuite, les enfants en bas âge

?L’abandon de l’exigence d’imputabilité de la faute pour les déments

  • Intervention du législateur
    • Une première étape tendant à l’abandon de l’exigence d’imputabilité a été franchie par la loi du 2 janvier 1968 qui a introduit un article 489-2 dans le Code civil, devenu aujourd’hui l’article 414-3.
    • Aux termes de cette disposition, « celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation ».
    • Ainsi, la loi admet-elle qu’il n’est plus nécessaire que la faute soit imputable à l’auteur du dommage lorsqu’il s’agit d’une personne atteinte d’un trouble mental.
  • Réception par la jurisprudence
    • Bien que le législateur ait signifié, par l’adoption de la loi du 2 janvier 1968, son intention de rompre avec la conception classique de la faute, la jurisprudence s’est, dans un premier temps, livrée à une interprétation pour le moins restrictive de l’ancien article 489-2 du Code civil.
    • Deux questions se sont en effet immédiatement posées à la jurisprudence :
      • La notion de trouble mental à laquelle fait référence le texte comprend-elle également les troubles physiques ?
      • Le trouble mental peut-il être assimilé à l’absence de discernement dont est frappé l’enfant en bas âge ?
    • S’agissant de l’assimilation du trouble physique à un trouble mental
      • Dans un arrêt du 4 février 1981, la Cour de cassation a reproché à une Cour d’appel d’avoir estimé que le « bref passage de la connaissance à l’inconscience constituait un trouble mental » (Cass. 2e civ., 4 févr. 1981, n°79-11.243).
      • Ainsi, ressort-il de cet arrêt que lorsque le trouble dont a été victime l’auteur du dommage est de nature seulement physique, sans incidence mentale, il faille exclure l’application de l’article 414-3 du Code civil, bien que la portée de cette jurisprudence demeure, pour certains auteurs, incertaine.

Cass. 2e civ., 4 févr. 1981

Vu l’article 489-2 du code civil,

Attendu qu’il est nécessaire que, pour être oblige à réparation en vertu de ce texte, celui qui a causé un dommage à autrui ait été sous l’emprise d’un trouble mental; attendu, selon l’arrêt attaqué, que Vaujany, victime d’un malaise cardiaque, perdit connaissance et tomba sur dame x… qu’il entraina dans sa chute; que dame x…, blessée, l’a assigne en paiement de dommages-intérêts;

Attendu que, pour déclarer Vaujany responsable du dommage en application de l’article 489-2 du code civil, l’arrêt énonce que son bref passage de la connaissance à l’inconscience constituait un trouble mental; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé;

Par ces motifs :

Casse et annule l’arrêt rendu entre les parties le 4 décembre 1978 par la cour d’appel de Grenoble; remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Chambéry.

    • S’agissant de l’assimilation du trouble mental à l’absence de discernement de l’enfant en bas âge
      • Dans un premier temps, la Cour de cassation a refusé d’assimiler l’absence de discernement de l’enfant en bas âge à un trouble mental
      • Ainsi dans un arrêt du 7 décembre 1977, la deuxième chambre civile a-t-elle réaffirmé le principe d’irresponsabilité des enfants en bas âges (Cass. 2e civ., 7 déc. 1977, n°76-12.046).
      • En d’autres termes, dans l’hypothèse où le mineur est privé de discernement uniquement en raison de son âge, pour la Cour de cassation l’exigence d’imputabilité est toujours requise, à défaut de quoi sa responsabilité ne saurait être engagée.
      • Dans une décision du 20 juillet 1976, la Cour de cassation a néanmoins précisé que l’ancien article 489-2 du Code civil avait vocation à s’appliquer aux mineurs, à condition que l’existence d’un trouble mental soit établie (Cass. 1re civ., 20 juill. 1976, n°74-10.238).

Cass. 1re civ., 20 juill. 1976

Sur le moyen unique : attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt confirmatif attaque que, le 11 juin 1970, j – c – ,alors âge de 17 ans, a donné la mort à la mineure Annick x… ;

Que l’information pénale ouverte contre lui, du chef d’homicide volontaire, à été clôturée par une ordonnance de non-lieu, en raison de son état de démence au moment des faits ;

Que la cour d’appel a retenu sa responsabilité civile, sur le fondement de l’article 489-2 du code civil, et a condamné in solidum son père, es qualités d’administrateur légal, et la compagnie la Winterthur, assureur de celui-ci, à payer des dommages-intérêts a dame y…, mère de la victime ;

Attendu qu’il est fait grief aux juges du fond d’avoir ainsi statue, alors que le texte précité résulte de la loi du 3 janvier 1968, portant réforme du droit des incapables majeurs, et figure dans une rubrique intitulée de la majorité et des majeurs qui sont protèges par la loi ;

Que, puisque a la différence des articles 1382 et 1383, qui n’ont pas été abrogés ou modifiés, il n’exige plus la constatation d’une faute imputable a l’auteur du dommage, pour que la responsabilité de celui-ci soit engagée, il est nécessairement d’interprétation restrictive ;

Que, des lors, il ne saurait recevoir application dans le cas d’un mineur en état de démence ;

Mais attendu que la cour d’appel retient, a bon droit, que l’obligation a réparation prévue a l’article 489-2 du code civil concerne tous ceux – majeurs ou mineurs – qui, sous l’empire d’un trouble mental, ont causé un dommage à autrui ;

Que le moyen n’est donc pas fonde ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 16 novembre 1973 par la cour d’appel de Caen

Faits :

  • Un adolescent donne la mort à une mineure à la suite de quoi sa culpabilité pénale ne sera pas retenue en raison de son état de démence

Demande :

Assignation des ayants droit de la victime en responsabilité

Procédure :

  • Dispositif de la décision rendue au fond :
    • Par un arrêt du 16 novembre 1976 la Cour d’appel de Caen fait droit à la demande des ayants droit de la victime et condamne in solidum le père et l’assureur de l’auteur du dommage
  • Motivation des juges du fond :
    • Les juges du fond estiment que l’obligation de réparation prévue à l’article 489-2 du Code civil s’appliquerait tant aux majeurs qu’aux mineurs
    • Or, en l’espèce, la Cour d’appel relève que l’auteur du dommage était sous l’emprise d’un trouble mental celui-ci ayant bénéficié d’un non-lieu en raison de son état de démence
    • Elle fait dès lors application de l’article 489-2 du Code civil

Moyens des parties :

Le représentant de l’auteur du dommage soutient que l’article 489-2 du Code civil ne s’appliquerait qu’aux majeurs souffrant d’un trouble mental puisqu’il a été inséré dans la partie du Code relative aux majeurs protégés.

Il en résulte que l’article 489-2 du Code civil n’aurait pas vocation à s’appliquer aux mineurs souffrant d’un trouble mental.

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était de savoir si l’article 489-2 du Code civil avait vocation à s’appliquer à un mineur atteint d’un trouble mental.

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt :
    • Par un arrêt du 20 juillet 1976, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le représentant légal de l’auteur du dommage
  • Sens de l’arrêt :
    • La Cour de cassation estime que l’article 489-2 du Code civil a vocation à s’appliquer, sans distinction, tant aux majeurs qu’aux mineurs, dès lors qu’il est établi qu’ils souffrent d’un trouble mental
  • Analyse de l’arrêt
    • Comme le relève très finement le pourvoi, l’article 489-2 du Code civil apporte une exception à l’article 1382, dans la mesure où il vient supprimer l’exigence d’imputabilité de la faute, soit son élément subjectif pour les personnes souffrant d’un trouble mental
    • Or il est traditionnellement admis en droit que les exceptions sont d’interprétation stricte.
    • Dès lors, dans la mesure où l’article 489-2 a été intégré dans le corpus juridique relatif à la protection des majeurs protégés, une interprétation stricte de cette disposition aurait supposé de limiter son application aux seuls majeurs.
    • C’est la raison pour laquelle la décision de la Cour d’appel est pour le moins audacieuse, car elle a fait une interprétation large de l’article 489-2 en l’appliquant au-delà du champ des majeurs protégés, soit aux mineurs souffrant d’un trouble mental.
    • La Cour de cassation recourt à la formule « à bon droit » afin de valider cette position audacieuse qui n’allait pas de soi.

?L’abandon de l’exigence d’imputabilité de la faute pour les enfants en bas âge

Guidée par un souci de généraliser la conception objective de la faute, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a décidé, dans une série d’arrêts rendus le 9 mai 1984, d’abandonner définitivement l’exigence d’imputabilité.

Pour y parvenir, bien que la haute juridiction, aurait pu se fonder sur une interprétation extensive de l’ancien article 489-2 du Code civil, telle n’est pas la voie qu’elle a choisi d’emprunter.

Dans l’arrêt Derguini du 9 mai 1984, elle a, en effet, affirmé, sans référence au texte applicable aux déments qu’il n’y avait pas lieu de vérifier si le mineur, auteur du dommage, était capable de discerner les conséquences de ses actes (Cass. ass. plén., 9 mai 1984, n°80-93.481)

Ainsi, l’exigence d’imputabilité disparaît-elle, laissant place à une conception purement objective de la faute.

Cass. ass. plén., 9 mai 1984

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nancy, 9 juillet 1980), statuant sur renvoi après cassation, que la jeune Fatiha X…, alors âgée de 5 ans, a été heurtée le 10 avril 1976 sur un passage protégé et a été mortellement blessée par une voiture conduite par M. Z… ; que, tout en déclarant celui-ci coupable d’homicide involontaire, la Cour d’appel a partagé par moitié la responsabilité des conséquences dommageables de l’accident ;

Attendu que les époux X… Y… font grief à l’arrêt d’avoir procédé à un tel partage alors, selon le moyen, que, d’une part, le défaut de discernement exclut toute responsabilité de la victime, que les époux X… soulignaient dans leurs conclusions produites devant la Cour d’appel de Metz et reprises devant la Cour de renvoi que la victime, âgée de 5 ans et 9 mois à l’époque de l’accident, était beaucoup trop jeune pour apprécier les conséquences de ses actes ; qu’en ne répondant pas à ce chef péremptoire des conclusions, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ; alors, d’autre part, et en tout état de cause, que la Cour d’appel n’a pu, sans contradiction, relever, d’un côté, l’existence d’une faute de la victime et, d’un autre côté, faire état de l’irruption inconsciente de la victime ; alors, enfin, que la Cour d’appel relève que l’automobiliste a commis une faute d’attention à l’approche d’un passage pour piétons sur une section de route où la possibilité de la présence d’enfants est signalée par des panneaux routiers, qu’ayant remarqué de loin les deux fillettes sur le trottoir, il n’a pas mobilisé son attention sur leur comportement ; qu’en ne déduisant pas de ces énonciations l’entière responsabilité de M. Z…, la Cour d’appel n’a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s’en évinçaient nécessairement ;

Mais attendu qu’après avoir retenu le défaut d’attention de M. Z… et constaté que la jeune Fatiha, s’élançant sur la chaussée, l’avait soudainement traversée malgré le danger immédiat de l’arrivée de la voiture de M. Z… et avait fait aussitôt demi-tour pour revenir sur le trottoir, l’arrêt énonce que cette irruption intempestive avait rendu impossible toute manoeuvre de sauvetage de l’automobiliste ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la Cour d’appel, qui n’était pas tenue de vérifier si la mineure était capable de discerner les conséquences de tels actes, a pu, sans se contredire, retenir, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, que la victime avait commis une faute qui avait concouru, avec celle de M. Z…, à la réalisation du dommage dans une proportion souverainement appréciée ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé

Faits :

Une petite fille décède après avoir été violemment heurtée par une voiture dont le chauffeur n’a pas pu éviter l’accident, en raison de la soudaineté de l’engagement de la victime sur la chaussée.

Demande :

Les parents de la petite fille décédée demandent réparation du préjudice occasionné.

Procédure :

  • Dispositif de la Cour d’appel :
    • Par un arrêt de la Cour d’appel de Nancy rendu en date du 9 juillet 1980, les juges du fond décident d’un partage de responsabilité entre l’auteur du dommage et la victime.
  • Motivation de la Cour d’appel :
    • Les juges du fond estiment que, quand bien même la victime était privée de discernement en raison de son jeune âge, elle n’en a pas moins commis une faute en s’engageant précipitamment sur la chaussée.

Moyens des parties :

  • Contenu du moyen :
    • L’existence d’une faute civile suppose la caractérisation d’un élément moral.
    • Or en l’espèce la victime était privée de discernement en raison de son jeune âge. Elle n’a donc pas pu commettre aucune faute.
    • La faute commise par le conducteur du véhicule est seule génératrice du dommage occasionné à la victime

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt :
    • Par un arrêt du 9 mai 1984, l’assemblée plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les parents de la victime.
  • Sens de l’arrêt :
    • Les juges de la Cour de cassation estiment que, quand bien même la victime était privée de discernement compte tenu de son jeune âge, sa conduite n’en était pas moins fautive
    • La décision de la Cour d’appel de partager la responsabilité entre l’auteur du dommage et la victime était donc justifiée.

Analyse de l’arrêt :

Pour mémoire, traditionnellement, il était admis que la responsabilité pour faute poursuivait une double fonction :

  • Réparatrice
  • Punitive

Eu égard à cette double finalité de la responsabilité pour faute, on ne pouvait donc engager la responsabilité d’un mineur dépourvu de discernement, c’est-à-dire d’un infans ou d’un dément pour faute dans la mesure où il n’y aurait alors poursuite que d’une seule des finalités de la responsabilité pour faute : la réparation.

Engager la responsabilité pour faute d’un infans ou d’un dément n’aurait donc eu aucun sens car aucun effet normatif : on ne peut reprocher moralement ses actes à un homme que s’il a été capable de vouloir son comportement, s’il a eu la possibilité d’en adopter un autre.

Dans cette conception morale de la faute civile, la faute réside précisément dans le fait de ne pas avoir usé de cette possibilité.

Ainsi cette conception traditionnelle de la faute exigeait-elle la réunion de deux éléments cumulatifs pour que la faute civile soit caractérisée :

  • Un élément objectif : un fait illicite
  • Un élément subjectif : la capacité de discernement de l’auteur de la faute.

C’est cette exigence d’imputabilité de la faute qui est précisément remise en cause par la Cour de cassation dans l’arrêt Derguini.

Dorénavant, il n’est plus besoin que la faute soit IMPUTABLE à son auteur pour être caractérisée.

Autrement dit, depuis cette jurisprudence posée par l’assemblée plénière en 1984, la faute civile ne suppose plus que l’établissement d’un fait illicite, soit d’un écart de conduite.

Que penser de cette décision ?

  • Positivement
    • Dans une logique favorable à ce que de plus en plus de dommages donnent lieu à réparation, cette solution doit être défendue.
      • Si l’on se place du côté de la victime : peu importe que l’acte ayant causé le dommage soit le fait
        • d’un adulte
        • d’un dément
        • d’un enfant
      • Dès lors, qu’est établi un fait illicite, le dommage doit être réparé.
      • Aussi, en n’exigeant plus l’imputabilité de la faute, on assouplit considérablement les conditions de la responsabilité.
      • Les juges de la Cour de cassation s’inscrivent clairement dans le mouvement qui tend à vouloir toujours plus indemniser les victimes.
      • Objectivation de la responsabilité.
  • Négativement
    • Dans les arrêts rendus par l’assemblée plénière (notamment Derguini et Lemaire), il ne s’agit nullement d’indemniser une victime du fait d’un enfant, mais au contraire de limiter l’indemnisation due à l’enfant en lui opposant sa faute laquelle a concouru à la production de son propre dommage
      • Il y a donc là un paradoxe : la reconnaissance de la faute objective qui doit permettre de poursuivre un objectif de réparation a pour effet, non pas d’indemniser plus mais d’indemniser moins.
      • Car la participation du mineur au dommage par sa faute réduira son droit à réparation.
      • En retenant une approche objective de la faute, la Cour de cassation va permettre à l’auteur du dommage de s’exonérer plus facilement de sa responsabilité
      • Cela s’explique par le fait que la caractérisation de la faute permet certes de retenir la responsabilité de l’auteur d’un dommage, mais elle permet également de l’en exonérer si cette faute est commise par la victime de ce dommage
    • Autre point négatif de cette jurisprudence : le sens commun des termes semble s’opposer à ce que l’on parle de faute d’un dément ou d’un enfant de trois ans ou 5 ans comme c’était le cas dans l’arrêt Derguini.
      • Peut-on raisonnablement penser que l’enfant en bas âge qui traverse la route précipitamment commet une faute ?

En tout état de cause, la jurisprudence a adopté une définition objective de la faute : on peut être fautif sans pour autant avoir conscience de la portée de ses actes.

Désormais, tant pour les majeurs que pour les mineurs, le doute n’était plus permis : leur absence de discernement, soit l’impossibilité de pouvoir établir à leur encontre une faute imputable, n’est plus un obstacle à l’indemnisation de la victime, sitôt rapportée par cette dernière la preuve d’un écart de conduite.

Débarrassée de l’exigence d’imputabilité, la faute ne repose plus que sur le comportement déviant de l’agent. C’est la raison pour laquelle on la qualifie de faute objective

?Avant-projet de réforme

Il peut être observé que l’article 1255 de l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité extracontractuelle prévoit que « La faute de la victime privée de discernement n’a pas d’effet exonératoire. »

III) L’appréciation de la faute

La reconnaissance d’une faute à l’encontre de l’auteur d’un dommage suppose pour la victime d’établir l’existence d’un écart de conduite.

Or pour y parvenir, encore faut-il savoir à quel modèle de comportement doit-on se référer afin de déterminer s’il y a eu ou non écart de conduite.

Deux méthodes d’appréciation sont envisageables :

  • La méthode d’appréciation in concreto,
    • Selon cette méthode, il convient de tenir compte des seules circonstances de la cause pour apprécier la faute de l’auteur du dommage
    • Autrement dit, selon l’appréciation in concreto, l’écart de conduite sera apprécié en considération des seules aptitudes propres de la personne mise en cause.
    • Cela revient à comparer la conduite de l’auteur du dommage à celle que l’on était légitimement en droit d’attendre de sa part, eu égard à ce dont il est usuellement capable.
    • L’appréciation in concreto conduit à apprécier la faute subjectivement.
  • La méthode d’appréciation in abstracto
    • Selon cette méthode, il convient de faire abstraction des circonstances de la cause
    • En d’autres termes, selon l’appréciation in abstracto, l’écart de conduite est apprécié en se référant à un modèle de conduite objectif, soit le comportement qu’aurait adopté le bon père de famille.
    • Ainsi, le modèle de comportement auquel l’appréciation in abstracto conduit à se référer est invariable d’un cas d’espèce à l’autre. Il aura vocation à s’appliquer à n’importe quelle cause, peu importent les aptitudes de la personne mise en cause.
    • Cela revient donc à comparer la conduite de l’auteur du dommage à la conduite que l’on était légitimement en droit d’attendre d’un bon père de famille.
    • L’appréciation in abstracto conduit à apprécier la faute objectivement, indépendamment de la prise en compte de critères subjectifs.
    • Le bon père de famille ne s’apparente pas à un homme parfait. Il s’agit seulement d’un homme raisonnable, qui n’est pas à l’abri de toute erreur

?Méthode d’appréciation retenue par la jurisprudence

  • Principe
    • C’est, sans aucun doute, la méthode d’appréciation in abstracto que la jurisprudence retient pour apprécier la faute civile de l’auteur d’un dommage.
    • Aussi, cela signifie-t-il que les juges vont se référer au modèle du bon père de famille afin d’apprécier l’écart de conduite de la personne mise en cause.
    • Est-ce à dire que le modèle de conduite auquel va être comparé le comportement de l’auteur du dommage est invariable, sans possibilité de tenir compte de certaines circonstances de la cause ?
  • Atténuation
    • Afin de ne pas risquer qu’une application trop rigide de la méthode d’appréciation in abstracto ne conduise les juges à être, tantôt trop exigeants (si l’on est en présence d’une personne pourvue d’aptitudes inférieures à la moyenne), tantôt trop laxistes (si l’on est en présence d’une personne dotée d’aptitudes particulières), la Cour de cassation admet que certaines circonstances de la cause soient susceptibles d’être prises en compte afin d’apprécier l’écart de conduite de l’auteur du dommage (aptitude professionnelle, condition physique, voire même parfois l’âge de la personne)

?Appréciation de la faute de l’infans

Comme cela a été évoqué précédemment, une fois que l’on a admis que le discernement n’était pas nécessaire pour que la faute civile soit caractérisée, reste à déterminer le modèle de conduite auquel on doit comparer le comportement de l’enfant pour savoir si son comportement est normal ou non.

La faute – en particulier non-intentionnelle – peut en effet se définir de manière très large comme un écart de comportement, un comportement anormal, ce qui exige la détermination d’un modèle de référence auquel comparer le comportement de l’auteur du dommage.

Concernant l’aliéné, la question relativement facile à trancher : l’aliénation mentale est une pathologie.

Aussi, dès lors que l’on estime que le discernement n’est pas n’est pas un élément constitutif de la faute, il suffit de se référer au modèle de conduite d’une personne similaire mais non atteinte d’une telle pathologie.

On enlève le pathologique et on retrouve une situation normale qui permet de porter un jugement de valeur sur le comportement de l’aliéné.

La situation du mineur est, quant à elle, pour le moins différente.

Et pour cause, son absence de discernement n’est pas une pathologie : c’est la situation normale de l’enfant.

Une fois admis que l’absence de discernement n’exclut pas la reconnaissance de la culpabilité civile, il convient de se demander à quel modèle confronter le comportement de l’infans.

Si l’on raisonne comme pour l’aliéné, on sera alors tenté de le comparer au comportement du bon enfant de son âge, c’est-à-dire de l’enfant normal.

Le problème, c’est que l’enfant de 5 ans normal est dépourvu de discernement. Il n’a pas parfaitement conscience de la portée de ses actes.

Il est donc normal qu’il ait des comportements imprudents et qu’il traverse la route sans regarder.

Il n’est également pas anormal, qu’un enfant de huit ans qui joue à cache-cache sous une table, puis surgisse de sous cette table en hurlant gagné et en renversant, par là même, une casserole d’eau bouillante sur l’un de ses camarades.

Dans ces conditions, comment apprécier la faute de l’enfant ? Doit-on adopter la méthode de l’appréciation in abstracto et se référer au modèle de conduite du bon père de famille ?

Dans un arrêt du 28 février 1996 la Cour de cassation a répondu par la positive à cette question (Cass. 2e civ., 28 févr. 1996, n°94-13.084).

Ainsi a-t-elle reproché à une Cour d’appel d’avoir décidé que « le comportement de l’enfant, compte tenu de son jeune âge, ne peut être considéré comme constituant une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage puisqu’il était parfaitement prévisible et naturel dans le contexte au cours duquel il s’est produit ».

Cass. 2e civ., 28 févr. 1996

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu que la faute d’un mineur peut être retenue à son encontre même s’il n’est pas capable de discerner les conséquences de son acte ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que Sonia Y…, âgée de 8 ans, confiée pour une soirée à M. Bernard X…, et qui jouait sous une table, s’est brusquement relevée, s’est mise à courir et, ayant heurté David X…, fils mineur de Bernard X…, qui transportait une casserole d’eau bouillante, a subi des brûlures ; qu’en son nom Mme Y… a demandé réparation de son préjudice à M. Bernard X… et à son assureur, le Groupe des populaires d’assurances ;

Attendu que, pour retenir la responsabilité entière de M. Bernard X… et exclure toute faute de la victime, l’arrêt, par motifs adoptés, énonce que le comportement de l’enfant, compte tenu de son jeune âge, ne peut être considéré comme constituant une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage puisqu’il était parfaitement prévisible et naturel dans le contexte au cours duquel il s’est produit ;

Qu’en statuant par de tels motifs, alors qu’un tel comportement constituait une faute ayant concouru à la réalisation du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 janvier 1994, entre les parties, par la cour d’appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Dijon

Faits :

Partie de cache-cache entre enfants. L’un d’eux caché sous une table surgit et bouscule l’un de ses camarades, lequel lui renverse dessus une casserole d’eau bouillante.

Demande :

Action en réparation du préjudice

Procédure :

  • Dispositif de la Cour d’appel :
    • Par un arrêt du 27 janvier 1994, la Cour d’appel de Besançon condamne le représentant légal de l’auteur du dommage à réparer intégralement le préjudice.
  • Motivation de la Cour d’appel :
    • Les juges du fond estiment qu’aucune faute n’a été commise par la victime de sorte que l’auteur du dommage ne saurait s’exonérer de sa responsabilité.

Solution de la Cour de cassation :

Par un arrêt du 28 février 1996, la Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel

Deux enseignements peuvent être retirés de cette décision :

  • Premier point
    • La cour de cassation estime dans cet arrêt qu’une faute civile peut être retenue à l’encontre d’un enfant en bas âge quand bien même il est privé de discernement
    • Autrement dit, il s’agit là d’une confirmation de la jurisprudence Derguini et Lemaire de 1984
    • La Cour de cassation réitère sa volonté d’abandonner l’exigence d’imputabilité de la faute
    • Elle affirme en ce sens dans un attendu de principe explicite que « la faute d’un mineur peut être retenue à son encontre même s’il n’est pas capable de discerner les conséquences de son acte ».
  • Second point
    • La Cour de cassation nous renseigne dans l’arrêt en l’espèce sur la méthode d’appréciation de la faute de l’infans.
    • Les juges du fond avaient, en effet, refusé de retenir une faute à l’encontre de l’enfant, estimant que « le comportement de l’enfant, compte tenu de son jeune âge, ne peut être considéré comme constituant une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage puisqu’il était parfaitement prévisible et naturel dans le contexte au cours duquel il s’est produit ».
    • La Cour d’appel s’était ainsi livrée à une appréciation in concreto de la faute de l’enfant, à tout le moins elle avait pris en considération son bas âge.
    • Autrement dit, elle apprécie le comportement de l’enfant « défaillant » par rapport à un enfant normal
    • De cette comparaison, elle en déduit que le comportement de l’infans mis en cause était bel et bien normal, car, selon ses termes, « parfaitement prévisible et naturel ».
    • De toute évidence, la solution retenue par les juges du fond est contraire à l’esprit de la jurisprudence Derguini et Lemaire, car elle conduit à rétablir l’irresponsabilité de l’enfant !
    • En effet, si l’on compare la conduire d’un infans à un modèle non discernant, cela revient à reconnaître un principe général d’irresponsabilité des enfants en bas âge, car il ne saurait être anormal pour un enfant privé de discernement d’avoir un comportement imprudent.
    • C’est la raison pour laquelle, la Cour d’appel refuse de retenir la faute de la victime.
    • En résumé, on a dit que l’on pouvait engager la responsabilité de l’infans pour faute malgré l’absence de discernement, mais de facto si on retient comme modèle l’enfant « normal » du même âge, on ne parviendra pas à dire qu’il y a eu faute : ce serait un coup d’épée dans l’eau !
    • D’où la décision de la Cour de cassation dans l’arrêt de 1996
    • L’intérêt principal de cet arrêt réside dans le fait que la Cour de cassation nous dit que le comportement de l’infans sera jugé non pas par rapport à un enfant du même âge, mais par rapport à celui du bon père de famille !
    • Ici, la Cour de cassation se réfère donc à un modèle in abstracto pour apprécier de l’enfant !
    • Ainsi, en comparant la conduite de l’enfant par rapport au bon père de famille on va pouvoir retenir à son encontre une faute, car le bon père de famille ne joue pas à cache-cache sous la table.

Finalement avec cette jurisprudence une question se pose : est-ce que la notion de faute existe toujours s’agissant de la responsabilité du fait personnel ?

De toute évidence, plus l’enfant sera jeune, moins les comportements qu’il adoptera se rapprocheront de la conduite du bon père de famille.

On pourra donc très facilement retenir sa responsabilité.

Cependant, théoriquement, le simple fait dommageable ne suffit pas, car il faudra quand même caractériser une faute pour retenir sa responsabilité.

Exemple : une épidémie de grippe.

  • L’enfant est bien source de dommage
  • Cependant sa conduite ne s’écarte pas de celle du bon père de famille
  • Pas de caractérisation de faute

Il existera néanmoins un moyen de réparer le préjudice causé à la victime : la responsabilité des parents du fait de leurs enfants, fondée sur l’article 1243 al.4, car il s’agit là d’une responsabilité de plein droit.

?Appréciation de la faute intentionnelle

Dans la mesure où la caractérisation de la faute intentionnelle suppose d’établir la volonté de l’auteur qui a causé le dommage, la méthode d’appréciation in abstracto ne saurait s’appliquer.

La dimension psychologique de cette variété de faute suppose de tenir compte des circonstances de la cause et plus particulièrement de l’état d’esprit dans lequel se trouvait l’auteur du dommage lors de sa production.

Aussi, les auteurs estiment-ils que la faute intentionnelle doit être appréciée in concreto.

IV) La neutralisation de la faute

?Notion de fait justificatif

Contrairement à la règle posée à l’article 1240 du Code civil, un acte dommageable illicite peut être accompli dans des circonstances que le droit prend en compte pour lui retirer tout caractère délictueux. L’acte dommageable se trouve alors “justifié” a posteriori.

Ainsi, l’auteur du dommage peut-il, dans certains cas, se prévaloir de ce que l’on appelle un fait justificatif, lequel a pour effet de retirer son caractère fautif au comportement dommageable.

Le fait justificatif neutraliste, en quelque sorte, la faute commise par l’agent en raison de circonstances très particulières déterminées par la loi et la jurisprudence.

Il s’agit là d’une cause d’irresponsabilité objective.

?Les faits justificatifs admis par la loi et la jurisprudence

  • Ordre de la loi
    • Lorsque la loi prescrit aux agents une conduite délictuelle, aucune faute ne saurait être reprochée à celui qui s’est conformé à cette injonction
  • Commandement de l’autorité légitime
    • L’ordre donné par un supérieur hiérarchique est une cause de justification au même titre que l’ordre provenant directement de la loi.
  • Permission de la loi ou de la coutume
    • Dans certains cas, la loi ou la coutume autorisent certaines conduites qui ordinairement seraient illicites.
      • Violation du secret professionnel lorsqu’elle est justifiée par l’autorisation de témoigner en faveur d’un innocent
      • Les membres des professions médicales bénéficient d’une autorisation coutumière de porter atteinte, dans un but curatif, à l’intégrité physique de leurs patients, sous réserve toutefois que cette atteinte soit médicalement nécessaire
  • Légitime défense
    • La légitime défense est considérée comme une cause de justification en matière civile, comme en matière pénale
  • État de nécessité
    • L’état de nécessité est la situation de la personne pour laquelle le seul moyen d’éviter un mal est d’en causer un autre de moindre gravité.
    • L’acte dommageable est justifié par la nécessité lorsque le bien sauvegardé est de valeur supérieure au bien ou à la valeur sacrifiée.
  • Consentement de la victime et acceptation des risques
    • Notion
      • L’acceptation des risques peut se définir comme l’acceptation par la victime de s’exposer à l’éventualité de subir un dommage qui pourrait lui être causé accidentellement par un tiers.
        • Exemple : participation de la victime à un match de boxe
      • Le consentement de la victime s’apparente à l’acceptation ou la sollicitation d’une atteinte volontaire à un droit ou à un intérêt que la loi protège ou en la renonciation au droit de demander réparation du dommage causé.
        • Exemple : amputation d’un membre de la victime dans le cadre d’une opération chirurgicale
      • Il peut être observé que, tant l’acception des risques que le consentement des risques ne constituent pas un fait justificatif autonome, en ce sens, qu’ils ne font pas disparaître la faute.
      • L’acceptation des risques, par exemple, impose une appréciation particulière de la faute.
    • La faute sportive
      • L’acceptation des risques comme fait justificatif n’a manifestement été admise qu’en matière de faute sportive
      • Ainsi la question s’est-elle posée à la jurisprudence de savoir si la victime qui participe à une activité sportive de nature à l’exposer à certains risques, est-elle fondée à demander réparation en cas de survenance d’un dommage dans le cadre de cette activité
      • Pour que l’acceptation des risques produise l’effet d’un fait justificatif, la jurisprudence exige le respect de certaines conditions pour le moins restrictives :

Cass. 2e civ., 4 nov. 2010

Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du code civil ;

Attendu que la victime d’un dommage causé par une chose peut invoquer la responsabilité résultant de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil, à l’encontre du gardien de la chose, instrument du dommage, sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 4 janvier 2006, Bull. 2006, II, n° 1) que M. X…, alors qu’il pilotait une motocyclette au cours d’une séance d’entraînement sur un circuit fermé, a été heurté par la motocyclette conduite par M. Y…, dont le moteur appartenait à la société Suzuki France et les autres éléments à la société Bug’Moto ; que, blessé, il a assigné M. Y…, la société Suzuki France, la société Bug’Moto, le GIAT Team 72, préparateur de la moto de M. Y…, en indemnisation, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie de Paris et de la caisse régionale d’assurance maladie d’Ile-de-France, tiers payeurs ;

Attendu que pour débouter M. X… de ses demandes, l’arrêt retient que l’accident est survenu entre des concurrents à l’entraînement, évoluant sur un circuit fermé exclusivement dédié à l’activité sportive où les règles du code de la route ne s’appliquent pas, et qui avait pour but d’évaluer et d’améliorer les performances des coureurs ; que la participation à cet entraînement impliquait une acceptation des risques inhérents à une telle pratique sportive ;

Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CONSTATE la déchéance partielle du pourvoi, en ce qu’il est dirigé contre le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages ;

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 17 mars 2008, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles

  1. Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, éd. Litec, 2005, n°337, p. 173. ?
  2. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, T. II, 3e éd., n°947. ?