Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Fait de la chose et rôle actif

Que doit-on entendre par fait de la chose ? De quel fait parle-t-on ?

Faut-il un rôle actif de la chose dans la production du dommage ou une simple participation causale suffit ?

Autrement dit, est-il seulement nécessaire que la chose intervienne dans la réalisation du dommage ou faut-il qu’elle en soit la véritable cause ?

Manifestement, la nature du rapport entre le fait de la chose et le dommage a été source, pour la jurisprudence et la doctrine, de nombreuses interrogations.

Aussi, afin de dresser un état du droit positif en la matière, convient-il d’exposer les solutions traditionnelles rendues par la Cour de cassation, puis de s’interroger sur la possible remise en cause de ces solutions au regard de la jurisprudence récente.

1. Les solutions jurisprudentielles traditionnelles

Selon la jurisprudence classique, il est nécessaire que la chose ait été l’instrument du dommage pour que son gardien engage sa responsabilité.

Ainsi, estime-t-on qu’une chose parfaitement inerte, qui n’est pas dans une position anormale, dont le fonctionnement n’est pas anormal, dont l’état n’est pas non plus anormal ou qui n’est pas dans une position anormale, ne peut être considérée comme l’instrument du dommage.

?Exigence d’un rôle actif de la chose

Pour être l’instrument du dommage, il faut donc que la chose ait joué un rôle actif dans la production du dommage.

Telle est l’exigence posée par la Cour de cassation dans un célèbre arrêt Dame Cadé du 19 février 1941 (Cass. civ., 19 févr. 1941).

Arrêt Dame Cadé

(Cass. civ., 19 févr. 1941)

La Cour; — Sur le moyen additionnel, lequel est préalable… — (sans intérêt); — Et sur le premier moyen : — Attendu que la dame Cadé, prise d’un malaise dans une cabine de l’établissement de bains municipal de la ville de Colmar, s’est affaissée sur le sol et a été brûlée au bras par le contact prolongé d’un tuyau du chauffage central; que les époux Cadé ont assigné la Ville de Colmar en se fondant notamment tant sur la faute de la surveillante des bains, préposée de la ville, qui, appelée par la malade, aurait eu le tort de ne pas demeurer un temps suffisant auprès d’elle, que sur l’article 1384, § 1er, du Code civil, en raison du dommage causé par la tuyauterie dont la ville avait la garde, ainsi que sur la responsabilité contractuelle de la ville; qu’ils ont été déboutés par la cour d’appel de Colmar (arrêt du 23 janv. 1937), motif pris, d’une part, de ce que la préposée n’avait commis aucune faute, d’autre part, de ce que l’accident a eu pour cause le malaise de la dame Cadé, qui a provoqué sa chute au contact d’un tuyau du chauffage central, et non ce tuyau, qui n’a joué qu’un rôle purement inerte, et enfin de ce que, si le contrat intervenu entre l’établissement de bains et la dame Cadé comportait l’obligation de ne pas mettre en danger la santé ou la sécurité de sa cliente, il n’impliquait pas celle de la garantir contre un état de santé défectueux que l’établissement ignorait; — Attendu que le pourvoi, abandonnant le terrain de la responsabilité contractuelle, fait en premier lieu grief à cette décision d’avoir écarté la présomption de responsabilité qui, en vertu de l’article 1384, § 1er, du Code civil, pesait sur la ville de Colmar, sans établir soit la force majeure, soit la faute exclusive de la victime; — Mais attendu que, pour l’application de l’article 1384, § 1er, du Code civil, la chose incriminée doit être la cause du dommage; que si elle est présumée en être la cause génératrice dès lors qu’inerte ou non elle est intervenue dans sa réalisation, le gardien peut détruire cette présomption en prouvant que la chose n’a joué qu’un rôle purement passif, qu’elle a seulement subi l’action étrangère génératrice du dommage; qu’il résulte des constatations des juges du fond que tel a été le cas en l’espèce, la tuyauterie contre laquelle la dame Cadé s’est affaissée se trouvant installée dans des conditions normales et la cause génératrice du dommage résidant tout entière dans la syncope qui a fait tomber la dame Cadé de la chaise où elle était assise, et a permis qu’elle demeurât inanimée en contact avec un tube chaud assez longtemps pour être brûlée; — Attendu que les demandeurs reprochent encore à l’arrêt attaqué d’avoir méconnu le caractère fautif des agissements de la surveillante de l’établissement de bains, préposée de la ville, mais que cette critique n’est pas mieux fondée que la première; qu’en effet, l’absence de faute de la femme de service résulte des constatations mêmes de la cour d’appel, qui relève qu’appelée par la dame Cadé, elle lui est venue en aide dans la mesure où cette dernière le lui a demandé; — Attendu qu’il suit de là que, loin de violer les textes visés au moyen, l’arrêt attaqué, qui est suffisamment motivé, en a fait une exacte application; — Par ces motifs, rejette…

  • Faits
    • La cliente d’un établissement municipal de bains est prise d’un malaise.
    • Il s’ensuit une chute
    • La cliente se brûle alors au bras par le contact prolongé d’un tuyau du chauffage central.
    • Elle engage une action en responsabilité contre l’établissement.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 23 janvier 1937, la Cour d’appel de Colmar déboute la victime de sa demande de réparation.
    • Les juges du fond estiment que « l’accident a eu pour cause le malaise de la dame Cadé, qui a provoqué sa chute au contact d’un tuyau du chauffage central, et non ce tuyau, qui n’a joué qu’un rôle purement inerte »
    • Ils estiment, en d’autres termes, que ce n’est pas le fait de la chose qui a été l’instrument du dommage.
    • Pour la Cour d’appel, seule la chute en est la cause
  • Solution
    • La Cour de cassation valide la solution retenue par les juges du fond.
    • Elle estime en ce sens que « pour l’application de l’article 1384, § 1er, du Code civil, la chose incriminée doit être la cause du dommage; que si elle est présumée en être la cause génératrice dès lors qu’inerte ou non elle est intervenue dans sa réalisation, le gardien peut détruire cette présomption en prouvant que la chose n’a joué qu’un rôle purement passif, qu’elle a seulement subi l’action étrangère génératrice du dommage ».
    • Autrement dit, la haute juridiction estime que pour que l’on puisse considérer que la chose est intervenue dans la réalisation du dommage, il est nécessaire qu’elle ait joué un rôle actif.
    • La Cour de cassation précise qu’il importe peu que la chose ait été inerte ou en mouvement
    • Ce qui compte c’est le rôle actif de la chose dans la production du dommage.
    • Or en l’espèce, le tuyau ne présentait aucune anormalité, ni dans sa position, ni dans son fonctionnement, ni dans son état.
    • Le tuyau était parfaitement à sa place, d’où l’absence de rôle actif de la chose.

?Confirmation de l’exigence de rôle actif

Dans un arrêt du 11 janvier 1995, la Cour de cassation à réaffirmer l’exigence de rôle actif de la chose (Cass. 2e civ., 11 janv. 1995, n°92-20.162).

Cass. 2e civ., 11 janv. 1995

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu qu’une chose inerte ne peut être l’instrument d’un dommage si la preuve qu’elle occupait une position anormale ou qu’elle était en mauvais état n’est pas rapportée ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. Y…, monté, à l’occasion d’une expertise, sur la toiture de l’immeuble de M. X…, constituée de tôles ondulées, a posé le pied sur une plaque d’éclairement, en matériau translucide, qui s’est brisée sous son poids ; qu’ayant été blessé dans sa chute, M. Y… a demandé réparation de son préjudice à M. X… et à son assureur la compagnie Groupama ;

Attendu que pour accueillir cette demande, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, qu’en se rompant sous le poids de la victime, cette plaque a été l’instrument du dommage, même si, par ailleurs, elle se trouvait à sa place normale, était inerte et en bon état ;

Qu’en statuant ainsi la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 septembre 1992, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Besançon.

  • Faits
    • Une plaque d’éclairement, en matériau translucide positionné sur la toiture d’un immeuble se prise sous le poids d’un ouvrier qui se blesse en chutant
    • La victime engage une action en responsabilité contre le propriétaire de l’immeuble
  • Procédure
    • Par un arrêt du 15 septembre 1992, la Cour d’appel de Nancy fait droit à la demande d’indemnisation de la victime
    • Les juges du fond estiment que « en se rompant sous le poids de la victime, cette plaque a été l’instrument du dommage, même si, par ailleurs, elle se trouvait à sa place normale, était inerte et en bon état »
  • Solution
    • La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel en rappelant que pour que la chose puisse être considérée comme l’instrument du dommage, il est nécessaire qu’elle ait joué un rôle actif.
    • Aussi, cela suppose-t-il que la victime démontre que la chose qui était inerte présentait une anormalité, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
    • Dès lors, la responsabilité du gardien ne saurait être recherchée.

Bilan:

Il ressort de la jurisprudence que pour qu’il y ait rôle actif de la chose, il faut donc qu’elle soit la cause réelle du dommage et non qu’elle y ait simplement contribué.

La jurisprudence raisonne ici en termes de causalité adéquate :

  • Si l’on retient l’équivalence des conditions :
    • sans le tuyau pas de dommage
    • sans la plaque de Plexiglas pas de dommage non plus.
  • Si l’on retient la causalité adéquate
    • On doit se demander si la chose a joué un rôle majeur dans la production du dommage
    • Pour le déterminer cela suppose d’établir que la chose présentait une anormalité :
      • Soit dans sa structure
      • Soit dans son fonctionnement
      • Soit dans sa position
      • Soit dans son état

?Présomption de rôle actif

  • Instauration d’une présomption de rôle actif
    • Afin de faciliter la preuve du rôle actif de la chose pour la victime, la Cour de cassation a instauré une présomption de rôle actif dans un arrêt du 28 novembre 1984 (Cass. 2e civ., 28 nov. 1984, n°83-14.718)
    • La haute juridiction a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir débouté une victime de sa demande d’indemnisation, celle-ci n’étant pas parvenue à établir le rôle actif de la chose alors que, selon la Cour de cassation, il y avait en l’espèce présomption de rôle actif.
    • Pour la Cour de cassation, la charge de la preuve reposait donc, non pas sur la victime, mais sur le gardien de la chose.
  • Domaine limité de la présomption de rôle actif
    • Bien que la Cour de cassation instaure dans cette décision une présomption de rôle actif à la faveur de la victime, elle en délimite cependant le domaine d’application de façon restrictive.
    • En effet, la présomption de rôle actif n’a vocation à s’appliquer que si la chose était en mouvement et est entrée en contact avec la victime.
    • Dans le cas contraire il appartiendra à la victime d’établir le rôle actif de la chose.

Cass. 2e civ., 28 nov. 1984

Sur le moyen relevé d’office après observation des formalités prévues à l’article 1015 du nouveau code de procédure civile ;

Vu l’article 1384, alinéa 1er du code civil ;

Attendu que pour l’application de cette disposition il suffit que la preuve soit rapportée pour la victime que la chose a été et ne fut-ce que pour partie l’instrument du dommage ;

Attendu selon l’arrêt infirmatif attaque, que sur une voie d’autoroute m. x… qui circulait a motocyclette heurta l’automobile de m. y… z… au moment où il entreprenait de la dépasser ;

que blesse il a assigné en réparation, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du code civil, m. y… z… et son assureur la compagnie u.a.p. ;

attendu que pour débouter m. x… de sa demande, l’arrêt après avoir relevé que ce motocycliste disposait d’un espace suffisant pour effectuer sa manœuvre de dépassement et que le changement de direction à gauche qu’il reprochait a m. y… z… n’était pas établi, retient que l’automobile de celui-ci avait joué un rôle passif dans la réalisation du dommage ;

Qu’en se déterminant par un tel motif tout en constatant qu’au moment de la collision l’automobile de m. y… z… était en mouvement, d’où il résultait quelle avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs : casse et annule l’arrêt rendu le 2 juin 1983 entre les parties, par la cour d’appel de paris ;

En résumé:

Pour la victime, afin d’établir le rôle actif de la chose, deux situations doivent être distinguées :

  • La chose en mouvement
    • MOUVEMENT + CONTACT = PRÉSOMPTION DE RÔLE ACTIF
    • Dans l’hypothèse, très rare, d’absence de contact entre la chose et le siège du dommage, la présomption de rôle actif est écartée
      • Il appartiendra donc à la victime de prouver que la chose est la cause de son dommage
      • Exemple : le skieur qui chute en étant surpris par un autre skieur qui lui coupe la route sans le heurter doit établir le rôle actif de la chose (Cass. 2e civ., 3 avr. 1978, n°76-14.819)
        • Pour ce faire, il devra démontrer l’anormalité de la chose, soit dans sa structure ou son état, soit dans son positionnement, soit dans son comportement.
  • La chose inerte
    • Dès lors que la chose est inerte, il apparaît difficile de présumer le lien de causalité : il est vraisemblable que le dommage est dû plutôt à l’activité de la victime qu’à l’intervention de la chose.
    • Aussi, afin d’engager la responsabilité du gardien, il reviendra à la victime de rapporter la preuve du rôle actif de la chose en démontrant qu’elle présentait une anormalité
      • Soit dans sa structure
      • Soit dans son fonctionnement
      • Soit dans sa position
      • Soit dans son état

2. La possible remise en cause des solutions jurisprudentielles traditionnelles

Afin, d’apprécier la possible remise en cause des solutions jurisprudentielles traditionnelles, il convient de se tourner vers plusieurs arrêts qui concernaient tous des accidents dans lesquels étaient impliqués, tantôt des parois vitrées, tantôt une boîte aux lettres, tantôt un plot de signalisation.

?Le cas des parois vitrées

  • Les faits
    • Une victime se blesse en heurtant à une paroi vitrée qu’elle n’avait pas vue, laquelle paroi se brise.

Cass. 2e civ., 15 juin 2000

Sur le moyen unique pris en sa première branche :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué que M. X…, qui pénétrait dans le centre commercial du GIE Chamnord (le GIE) en passant par un sas, a heurté une paroi latérale en verre, qui s’est brisée et l’a blessé ; qu’il a assigné en responsabilité et indemnisation de son préjudice le GIE et son assureur, Axa assurances ; que l’Etat néerlandais, qui lui avait versé des prestations, en a demandé le remboursement ;

Attendu que pour rejeter les demandes au motif que la victime ne démontrait pas que la chose avait été l’instrument du dommage, l’arrêt retient que la paroi vitrée était fixe, que M. X… n’établissait pas qu’elle avait un caractère anormal ou que sa finition présentait ce caractère, ou encore qu’elle était

affectée d’un vice ou d’un défaut d’entretien, aucune méconnaissance du document technique unifié (DTU), des usages professionnels et des préconisations de ” Tecmaver ” n’ayant été relevée ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’intervention de la paroi vitrée dans la réalisation du dommage ressortait de ses propres constatations, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 29 juin 1998, entre les parties, par la cour d’appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble

Cass. 2e civ., 19 févr. 2004

Sur le moyen unique du pourvoi :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 30 avril 2002), rendu sur renvoi après cassation (CIV .2, 15 juin 2000, Bull. n° 103, P. 70), que M. X…, alors qu’il pénétrait dans le centre commercial du GIE Chamnord (le GIE) en passant par un sas, a heurté une paroi latérale en verre, qui s’est brisée et l’a blessé ; qu’il a assigné en responsabilité et indemnisation de son préjudice le GIE et son assureur, la compagnie Axa assurances venant aux droits de la compagnie Les Mutuelles unies ; que l’Etat néerlandais, qui lui avait versé des prestations, en a demandé le remboursement ; que la Cour de cassation a annulé la décision rendue le 29 juin 1998 par la cour d’appel de Chambéry qui avait rejeté les demandes de M. X… et de l’Etat néerlandais au motif que la victime ne démontrait pas que la paroi vitrée avait été l’instrument du dommage ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir décidé que le GIE et son assureur n’étaient solidairement responsables du dommage qu’il avait subi que dans la proportion de deux tiers, alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que la cour d’appel, en retenant souverainement que M. X… avait connaissance des lieux, qu’il venait de quitter pour y pénétrer à nouveau, a par ce seul motif caractérisé la faute d’inattention commise par celui-ci en venant se heurter à la paroi vitrée, dont elle a pu décider qu’elle avait concouru à la réalisation de son dommage ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Le cas de la boîte aux lettres

  • Faits
    • Un piéton se blesse en heurtant une boîte aux lettres qui débordait sur le trottoir de 40 cm et à une hauteur de 1m43
  • Solution
    • Dans un arrêt du 25 octobre 2001, la Cour de cassation casse la décision rendue par la Cour d’appel qui avait refusé de faire droit à la demande d’indemnisation de la victime, estimant que « la boîte aux lettres, répondant aux prescriptions de ” l’administration des PTT “, qui occupait une position normale et ne présentait aucun débordement excessif susceptible de causer une gêne, n’a pu jouer un rôle causal dans la réalisation de l’accident »
      • Autrement dit, pour les juges du fond, le rôle actif de la chose n’était pas établi.
    • Tel n’est pas la solution retenue par la Cour de cassation qui, au contraire, considère que « la boîte aux lettres avait été, de par sa position, l’instrument du dommage » (Cass. 2e civ. 25 oct. 2001, n°99-21.616).

Cass. 2e civ., 25 oct. 2001

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon le jugement attaqué rendu en dernier ressort, que Mme X… s’est blessée en heurtant la boîte aux lettres de M. Y… qui débordait de 40 centimètres et à une hauteur de 1 mètre 43 sur un trottoir de 1 mètre 46 de large ; qu’elle a demandé à M. Y… réparation de son préjudice ;

Attendu que, pour rejeter la demande, le jugement énonce que la boîte aux lettres, répondant aux prescriptions de ” l’administration des PTT “, qui occupait une position normale et ne présentait aucun débordement excessif susceptible de causer une gêne, n’a pu jouer un rôle causal dans la réalisation de l’accident ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations, que la boîte aux lettres avait été, de par sa position, l’instrument du dommage, le Tribunal a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 8 octobre 1999, entre les parties, par le tribunal d’instance de Nogent-sur-Seine ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d’instance de Troyes

?Le cas du plot de signalisation

  • Faits
    • Le client d’une grande surface se blesse en heurtant un plot de ciment situé sur le côté du passage piéton
  • Solution
    • Comme dans les arrêts précédents, contrairement aux juges du fond qui avaient refusé de faire droit à la demande d’indemnisation de la victime, celle-ci ne démontrant pas le rôle actif de la chose, la Cour de cassation considère que le plot était bien l’instrument du dommage.
    • La demande d’indemnisation de la victime était donc fondée.

Cass. 2e civ., 18 sept. 2003, n°02-14.204

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’en sortant d’un magasin à grande surface à Soustons, Mme X… a heurté un plot en ciment situé sur le côté d’un passage pour piétons ; qu’elle a été blessée ; qu’elle a assigné la société Aquipyrdis, exploitante du magasin, ainsi que le cabinet Fillet-Allard, courtier en assurances, en responsabilité et indemnisation de ses divers préjudices, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie des Landes ;

Attendu que pour la débouter de sa demande, l’arrêt retient que la présence des deux blocs de ciment peints en rouge et délimitant un passage pour piétons peint en blanc ne constitue ni un obstacle ni un danger particulier pour les usagers et qu’elle ne peut être considérée comme anormale et que l’enlèvement de ces plots après l’accident n’est pas en soi signe d’une dangerosité particulière, ni la démonstration de leur rôle causal ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il ressortait de ses propres constatations que l’un des plots en ciment délimitant le passage pour piétons avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 14 février 2001, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ;

?Analyse des solutions

Comment interpréter les solutions adoptées par la Cour de cassation dans les décisions sus-exposées ?

Dans toutes ces décisions, la chose impliquée dans le dommage était inerte et ne présentait, a priori, aucune anormalité.

Pourtant, la Cour de cassation considère que la chose a été l’instrument du dommage, alors que telle n’était pas sa position antérieurement.

Dès lors, comment comprendre ces différents arrêts ?

  • Première explication.
    • La Cour de cassation fait ce qu’elle veut, sans suivre aucune règle, ni aucun critère.
    • Autrement dit, elle engage la responsabilité de qui elle veut en s’appuyant, tantôt sur la théorie de la causalité adéquate (jurisprudence traditionnelle), tantôt sur la théorie de l’équivalence des conditions (jurisprudence récente)
  • Deuxième explication
    • Désormais, la seule intervention causale de la chose dans le dommage suffirait à engager la responsabilité du gardien.
    • Il n’y aurait donc plus besoin de rapporter la preuve du rôle actif de la chose, car un rôle tout court de la chose dans la production du dommage suffirait.
    • Le critère du rôle actif serait donc remplacé par le critère de la simple participation causale au dommage.
    • On passerait alors d’une causalité adéquate à une équivalence des conditions.
    • Cependant, la réduction du fait des choses à une simple intervention causale ne se vérifie pas dans des arrêts plus récents
      • Civ. 2ème, 25 novembre 2004 : le gardien de l’escalier est mis hors de cause faute d’anormalité
      • Civ. 2ème, 24 février 2004 : même solution pour le gardien d’un tremplin
  • Troisième explication
    • Il y aurait présomption de rôle actif non seulement en cas de mouvement + contact mais également en cas de simple contact avec la chose.
    • La présomption de rôle actif aurait donc été étendue.
    • L’idée serait que, si dommage il y a eu,
      • c’est nécessairement que la paroi du verre avait un vice car sinon elle n’aurait pas cédé.
      • C’est nécessairement que la boîte aux lettres était mal placée sinon personne ne se serait cogné dedans.
    • Cela impliquerait donc que l’on puisse rapporter la preuve contraire, car il ne s’agirait là que d’une simple présomption de rôle actif.
      • Dès lors dans ces affaires, le gardien de la boîte aux lettres ou de la vitre en verre ne serait pas parvenu à démontrer la normalité de la chose
  • Quatrième explication
    • L’explication selon laquelle on assisterait à un assouplissement probatoire dans le domaine de la responsabilité du fait des choses ne saurait tenir si l’on se réfère à un arrêt rendu le 24 février 2005 (Cass. 2e civ., 24 févr. 2005)
      • Dans cet arrêt il s’agissait là encore d’une paroi vitrée dans laquelle une victime se heurte
      • La Cour de cassation retient la responsabilité du gardien de la vitre en faisant référence à l’anormalité de la chose
      • Aussi, cela signifierait que le gardien de la baie vitrée aurait pu s’exonérer de sa responsabilité en démontrant l’absence d’anormalité de la chose, ce qu’il n’est pas parvenu à faire.
      • Pour la Cour de cassation on était donc en présence d’une chose, certes inertes, mais comportant une anormalité.
      • D’où la responsabilité du gardien
    • C’est donc, finalement, une solution somme toute classique car quand chose inerte + contact la présomption de rôle actif ne joue pas.
      • Mais s’il y a anormalité alors on considère que le rôle actif de la chose est établi, ce qui était le cas en l’espèce.

Cass. 2e civ., 24 févr. 2005, n°03-13.536

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mlle X… a heurté une baie vitrée coulissante qui ouvrait, de l’intérieur d’un appartement, sur une terrasse ; que la vitre s’est brisée et a blessé Mlle X… ; que cette dernière a assigné Mme Y…, propriétaire de l’appartement et son assureur, la compagnie GAN, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Garonne, en réparation de son préjudice, sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu que pour débouter Mlle X… de ses demandes, l’arrêt retient que cette dernière s’est levée, a pivoté à 90 , s’est dirigée vers la terrasse, sans s’apercevoir que la porte vitrée coulissante était pratiquement fermée, qu’elle a percuté la porte vitrée qui s’est brisée ;

que la victime indique qu’elle avait pu croire que la baie vitrée était ouverte compte tenu de sa transparence et du fait qu’elle donnait sur une terrasse, alors que c’était l’été ; qu’il n’est pas allégué un mauvais état de la baie vitrée, que, par ailleurs, le fait qu’elle ait été fermée, même si l’on se trouvait en période estivale, ne peut être assimilé à une position anormale ; que la chose n’a eu aucun rôle actif dans la production du dommage et que celui-ci trouve sa cause exclusive dans le mouvement inconsidéré de la victime ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que la porte vitrée, qui s’était brisée, était fragile, ce dont il résultait que la chose, en raison de son anormalité, avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 25 juin 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse

?Confirmation de l’exigence d’anormalité

Après une période de flottement jurisprudentielle où l’on était légitimement en droit de se demander si l’exigence d’anormalité n’avait pas été abandonnée à la faveur de l’établissement d’une simple intervention causale de la chose dans la production du dommage, les derniers arrêts de la Cour de cassation révèlent que cette dernière semble être revenue à une position plus traditionnelle.

En effet, la haute juridiction fait, de nouveau, explicitement référence à l’exigence d’anormalité afin d’apprécier le rôle ou non actif de la chose inerte.

Dans un arrêt du 10 novembre 2009 elle a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait débouté une victime de sa demande d’indemnisation estimant qu’elle n’avait pas établi l’anormalité de la chose inerte impliquée dans le dommage (Cass. 2e civ., 10 nov. 2009, n°08-18.781)

La même solution a été retenue dans un arrêt du 13 décembre 2012 (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n°11-22.582).

Cass. 2e civ., 10 nov. 2009, 08-18.781

Sur le moyen unique, pris en première et deuxième branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix en Provence, 20 mai 2008), que le 7 août 1999 M. X…, invité chez M. et Mme Y…, en compagnie de son épouse et de ses enfants, a été blessé après avoir glissé sur la margelle de la piscine, alors qu’il effectuait des plongeons ; que le 15 février 2002, les époux X…, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom de leurs enfants mineurs (les consorts X…) ont assigné Mme Marie Antoinette Y…, Joseph et Christophe Y…, ayants droits de M. Y… (les consorts Y…) à la suite du décès de ce dernier, devant le tribunal de grande instance en responsabilité et indemnisation sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil ;

Attendu que les consorts X… font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que l’arrêt retient que, selon ses conclusions, M. X… effectuait un plongeon dans le bassin déserté par les autres convives lorsqu’il a perdu l’équilibre sur le bord de la piscine et ayant mal atterri dans l’eau s’est trouvé dans l’impossibilité de nager et de remonter à la surface ; qu’il est exclu, au vu des documents médicaux, que M. X… ait heurté la margelle mais qu’il est constant que M. X… a perdu l’équilibre ; que la charge de la preuve du caractère anormalement glissant de la margelle incombe à la victime ; que les projections d’eau des baigneurs sur une margelle qui entoure le bassin sont normales et de par sa fonction antidérapante, une margelle de piscine composée d’un matériau poreux ne revêt normalement aucun caractère dangereux ; qu’il n’est justifié par aucun élément que la margelle était composée d’un matériau non conforme et inadapté à sa fonction, dans des conditions d’utilisation normales ; que s’agissant de l’hypothèse selon laquelle la margelle était glissante car saturée d’eau, il résulte des attestations des personnes ayant assisté au plongeon malencontreux que M. X… a perdu l’équilibre ou glissé sur la margelle sans qu’il en ressorte que la margelle était composée d’un matériau inadapté, était saturée d’eau et anormalement glissante ; que la description de l’état de la margelle sur les photos produites ne révèle nullement sa dangerosité ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations procédant de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits devant elle, la cour d’appel a pu déduire que la margelle mouillée de la piscine ne présentait aucun caractère d’anormalité et n’avait pas été l’instrument du dommage ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les troisième et quatrième branches du moyen unique qui ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Cass. 2e civ., 13 déc. 2012

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Nîmes, 10 mai 2011), qu’invité par les enfants des époux X… à se baigner dans la piscine de leur propriété, Rolland Y…, alors âgé de 17 ans, a escaladé un muret pour atteindre la toiture de l’abri de piscine, d’où il voulait plonger ; qu’ il s’est empalé sur une tige de fer à béton plantée au milieu d’un bosquet situé au pied du muret ; qu’il est décédé des suites de ses blessures ; que ses père et mère, M. et Mme Y… ainsi que ses frères M. Simon Y…, M. Nathaniel Y… et M. Timothée Y… (les consorts Y…) ont assigné les époux X… en responsabilité et réparation de leurs préjudices ;

Attendu que les consorts Y… font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la tige de fer sur laquelle la victime s’est empalée a été installée pour servir de tuteur à un arbuste au milieu duquel elle était implantée ; qu’il résulte de l’enquête de gendarmerie que celle-ci était rigide, enfoncée dans le sol de 20 cm, laissant émerger 1,06 mètre, d’une hauteur inférieure à celle de l’arbuste ; que par ses propriétés de solidité et de rectitude, comme par ses dimensions et par son emplacement au pied d’une plante à soutenir, elle remplissait comme tuteur l’office attendu d’une tige métallique, ou en quelqu’autre matière rigide que ce soit, implantée dans un jardin ;

Que de ces constatations et énonciations, procédant de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel, répondant aux conclusions par une décision motivée, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu déduire que la tige métallique plantée verticalement dans le sol pour servir de tuteur n’était pas en position anormale et n’avait pas été l’instrument du dommage ;

D’où il suit que le moyen, qui s’attaque à des motifs surabondants en sa quatrième branche, n’est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

  1. Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 2005, n°414, p. 211. ?

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