La responsabilité du fait d’autrui: principe général (l’arrêt Blieck et ses suites)

La reconnaissance d’une responsabilité générale du fait d’autrui, c’est-à-dire au-delà des cas expressément prévus par la loi s’inscrit dans le mouvement tendant à améliorer le sort de la victime.

L’objectif poursuivi est de mettre en rapport un préjudice à réparer et une personne solvable, afin d’améliorer l’indemnisation des dommages.

Cette amélioration va résulter de la conjugaison de deux phénomènes :

  • La découverte de nouveaux cas de responsabilité du fait d’autrui
  • La reconnaissance d’une responsabilité de plein droit

I) La découverte de nouveaux cas de responsabilité du fait d’autrui

A) L’émergence de nouveaux cas de responsabilité du fait d’autrui

==> Situation en 1804

En 1804, les rédacteurs du Code civil n’ont nullement envisagé d’instaurer en principe général de responsabilité du fait d’autrui.

La raison en est que, par principe, l’on estimait que l’on ne pouvait être responsable que de son propre fait, l’exception étant que l’on puisse répondre des actes d’autrui.

C’est la raison pour laquelle, en 1804, le législateur n’a reconnu que trois cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui, énoncés à l’ancien article 1384 du Code civil.

L’article 1384 prévoyait en ce sens que :

  • « Le père, et la mère après le décès du mari, sont responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux»
  • « Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés»
  • « Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance»

==> Réforme des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui

À partir de la fin du XIXe siècle, le législateur s’est employé à réformer les cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui, afin de les adapter aux évolutions du droit positif, comme, par exemple, la reconnaissance d’une égalité entre les parents quant à leur responsabilité du fait de leurs enfants.

Ce mouvement réformateur des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui s’est traduit par une modification de l’article 1384 du Code civil qui, à l’issue des réformes successives, sera rédigé dans les termes suivants :

  • « Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.»
  • « Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés. »
  • « Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance. »

Nonobstant le toilettage des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui entrepris par le législateur au début du siècle dernier, la reconnaissance d’un principe général est demeurée exclue, alors même que, sensiblement à la même époque, la jurisprudence venait de découvrir à l’alinéa 1er de l’article 1384 un principe général de responsabilité du fait des choses.

Pour mémoire, cette disposition, devenu l’article 1242 du Code civil, prévoit en son alinéa 1er que :

« On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

Il peut être observé que lors de l’adoption du Code civil en 1804, ses rédacteurs n’avaient pour seule intention, en insérant cet alinéa, que d’annoncer les cas particuliers de responsabilité du fait du fait d’autrui énoncés aux alinéas 2,3 et 4 de l’article 1242 et de responsabilité du fait des choses prévus aux articles 1243 (responsabilité du fait des animaux) et 1244 (responsabilité du fait des bâtiments en ruine).

Il s’agissait, en d’autres termes, d’un texte de transition entre la responsabilité du fait personnel des articles 1240 et 1241 et les cas spéciaux de responsabilité énumérés aux dispositions suivantes. L’article 1242, al. 1er était en ce sens dépourvu de toute valeur normative.

Pendant près d’un siècle, nul n’a envisagé l’existence d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui, pas plus qu’un principe général de responsabilité du fait des choses.

Les seules hypothèses dans lesquelles une personne était susceptible de répondre de la conduite d’autrui étaient celles limitativement énumérées à l’article 1242 du Code civil.

==> La reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses

Par ailleurs, les seules choses dont l’intervention dans la production d’un dommage était susceptible d’engager la responsabilité du gardien, ne pouvaient être, selon la jurisprudence, que celles énumérées aux articles 1243 et 1244 du Code civil.

Dans l’hypothèse où la chose à l’origine d’un dommage n’était, ni un animal, ni un bâtiment en ruine, on estimait, dès lors, qu’elle devait être appréhendée comme un simple instrument de l’action humaine, de sorte qu’il appartenait à la victime de rechercher la responsabilité du gardien sur le fondement de la responsabilité du fait personnel.

Cela supposait donc de rapporter la preuve d’une faute en relation avec le dommage (V. en ce sens Cass. civ., 19 juill. 1870)

La liste des cas de responsabilité du fait des choses est demeurée limitative jusqu’à l’avènement de la Révolution industrielle.

Comme le souligne Philippe Brun, « si dans la société agraire du début du XIXe siècle, les animaux et les bâtiments ont pu apparaître comme les principales sources de dommages parmi les choses, ce schéma a volé en éclat avec la Révolution industrielle »[1].

Cette révolution a, en effet, été accompagnée par un accroissement considérable des accidents de personnes provoqués par l’explosion des techniques encore mal maîtrisées, liées notamment à l’exploitation des machines à vapeur.

La victime se retrouvait le plus souvent dans l’impossibilité de déterminer la cause exacte du dommage et, surtout, d’établir une faute à l’encontre du gardien.

Cela aboutissait alors à une situation particulièrement injuste. Les victimes étaient privées d’indemnisation en raison des conditions restrictives de mise en œuvre de la responsabilité du fait personnel : en l’absence de faute, la responsabilité du propriétaire de machine ne pouvait pas être engagée, quand bien même l’accident survenait dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail.

Manifestement, il attendre la fin du XIXe siècle pour que naisse une prise de conscience de la nécessité d’améliorer le sort des victimes du machinisme en jurisprudence.

Aussi, dans un arrêt du 16 juin 1896, la Cour de cassation reconnaît-elle, pour la première fois, le caractère non limitatif de l’ancien article 1384, alinéa 1er du Code civil (Cass. civ, 16 juin 1896)

Cette reconnaissance d’un principe général du fait des choses a, par la suite, été confirmée par le célèbre arrêt Jand’heur du 13 février 1930 (Cass. Ch. réun., 13 févr. 1930).

Par cette décision, la Cour de cassation reconnaît, en d’autres termes, la valeur normative de l’article 1242, al. 1er du Code civil, de sorte que, désormais, la victime est fondée à rechercher la responsabilité du gardien d’une chose qui lui a causé un dommage en dehors des cas particuliers prévus par la loi.

La question qui immédiatement s’est alors posée a été de savoir si cette reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses alors conduire à l’abandon du caractère limitatif de la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui.

==> Le refus de reconnaître symétriquement un principe général de responsabilité du fait d’autrui.

Une lecture attentive de l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil nous révèle que cette disposition ne vise pas seulement la responsabilité du fait des choses.

Il est fait explicitement référence à la responsabilité du fait d’autrui :

« on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

En 1930, la situation après que l’arrêt Jand’heur a été rendu est alors la suivante :

Alors que la Cour de cassation a découvert un principe général de responsabilité du fait des choses par une interprétation audacieuse de la formule « des choses que l’on a sous sa garde », elle se refuse à faire preuve de la même audace avec la formule « des personnes dont on doit répondre ».

Autrement dit, elle considère que seule la seconde partie de l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil serait porteuse d’un principe général, la formule « des personnes dont on doit répondre » étant dépourvue de toute valeur normative.

La conséquence en est pour la victime qui souhaite agir en réparation sur le fondement de la responsabilité du fait d’autrui :

  • Soit de se situer sur l’un des cas particuliers visés expressément à l’article 1242
  • Soit d’établir une faute de surveillance sur le fondement des articles 1240 et 1241

En dehors de ces deux hypothèses, la Cour de cassation était totalement fermée à l’idée de reconnaître un principe général de responsabilité du fait d’autrui.

La position qu’elle défend repose sur l’idée qu’il ne saurait y avoir de responsabilité que du fait personnel,

Ce principe a, notamment, pour fondement textuel l’article 121-1 du Code pénal qui prévoit que « nul n’est responsable que de son propre fait ».

Il s’agit là d’une conception directement héritée de la doctrine judéo-chrétienne selon laquelle l’homme est libre, de sorte que l’on ne saurait engager sa responsabilité que s’il fait un mauvais usage de sa liberté.

Aussi, admettre que l’on puisse répondre des actes délictueux d’autrui conduirait à une situation totalement injuste, voire dangereuse :

  • Injuste
    • Reconnaître un principe général de responsabilité du fait d’autrui reviendrait à obliger une personne à assumer les conséquences dommageables de l’exercice de la liberté d’autrui alors qu’elle ne peut pas, en principe, en contrôler la conduite.
  • Dangereuse
    • Le mécanisme de la responsabilité du fait d’autrui conduit à mettre à la charge d’une personne une obligation de réparation, alors qu’elle n’a, personnellement, commis aucune faute

À la vérité, il faut attendre le début des années 1990 pour que la Cour de cassation assouplisse sa position assise sur le fondement de la faute et envisage d’ouvrir la liste des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui.

==> L’abandon du caractère limitatif de la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui

C’est dans un arrêt Blieck du 29 mars 1991 rendu par la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, que le caractère limitatif de la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui est abandonné (Cass. ass. plén., 29 mars 1991).

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==>Faits

Une personne handicapée mentale, placée dans un centre éducatif spécialisé, échappe à la surveillance de ses encadrants et met le feu à une forêt.

==>Demande

Les propriétaires du domaine demandent réparation au centre dans lequel résidait l’auteur de l’incendie ainsi qu’aux assureurs de ce centre.

==>Procédure

  • Dispositif de la Cour d’appel:
    • Par un arrêt confirmatif du 23 mars 1989, la Cour d’appel de Limoges va, sans un brin de provocation, accéder à la requête des propriétaires du domaine sur lequel a eu lieu l’incendie.
  • Motivation de la Cour d’appel:
    • La Cour d’appel fonde sa décision sur l’alinéa 1er de l’article 1384 du Code civil, estimant que la responsabilité du fait d’autrui ne saurait être restreinte aux cas limitatifs prévus par la loi
    • Ainsi, pour les juges du fond, l’article 1384 alinéa 1er instituerait une présomption de responsabilité du fait des personnes dont on doit répondre.

==>Moyens des parties

On ne peut être responsable du fait d’autrui que dans les cas limitativement prévus par la loi.

==>Problème de droit

Un centre éducatif spécialisé est-il responsable des dommages causés par l’incendie à l’origine duquel se trouve une personne dont il assure la prise en charge ?

==>Solution de la Cour de cassation

  • Dispositif de l’arrêt:
    • Par un arrêt du 29 mars 1991, à la surprise générale, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le centre éducatif spécialisé.
  • Sens de l’arrêt:
    • La Cour de cassation relève « que l’association avait accepté la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de ce handicapé».
    • Elle en déduit que « la cour d’appel a décidé, à bon droit, que [l’association] devait répondre de celui-ci au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, et qu’elle était tenue de réparer les dommages qu’il avait causés»
    • Pour la première fois, la haute juridiction accepte donc d’appliquer la responsabilité du fait d’autrui à une hypothèse qui n’est pas prévue dans le Code civil
    • Pour ce faire, il n’est pas anodin de noter que la Cour de cassation relève que le centre éducatif avait
      • la charge d’organiser le mode de vie de l’auteur du dommage
      • de contrôler ce mode de vie
      • à titre permanent
    • L’assemblée plénière en déduit que le centre éducatif engage alors sa responsabilité
    • De toute évidence, les critères auxquels a recours l’assemblée plénière pour abandonner le caractère limitatif de la liste des cas particuliers de responsabilité d’autrui ressemblent étrangement à ceux qui ont été retenus dans l’arrêt Franck pour déterminer les conditions d’application du principe général de responsabilité du fait des choses (Cass. ch. Réunies, 2 déc. 1941). Nous y reviendrons.

==> Justification de la solution

Lorsque l’arrêt Blieck a été rendu, la question s’est immédiatement posée de savoir pourquoi la Cour de cassation avait finalement décidé d’ouvrir la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui, alors qu’elle était parvenue à résister à l’attraction du principe général de responsabilité du fait des choses pendant près d’un siècle.

Plusieurs raisons peuvent être avancées pour justifier cette solution :

  • Le parallèle avec la responsabilité contractuelle
    • Il est acquis en matière contractuelle que le débiteur d’une obligation engage sa responsabilité lorsque l’inexécution de la convention est imputable à un tiers qu’il a volontairement introduit dans l’exécution de celle-ci.
    • Ainsi, le débiteur d’une obligation contractuelle répond-il du fait :
      • De son préposé
      • De son sous-traitant
    • Ainsi, existe-t-il en matière contractuelle, un principe de responsabilité du fait d’autrui, alors que la loi ne le prévoit pas.
  • Le parallèle avec la responsabilité administrative
    • Très tôt, l’existence d’un principe de responsabilité du fait d’autrui a été reconnue en droit administratif.
    • Les juridictions administratives ont, en effet, admis une responsabilité objective de l’État pour risque spécial, lorsque les personnes gardées présentent une dangerosité particulière, comme les mineurs délinquants ou les déments.
      • Dans un arrêt Thouzellier du 3 février 1956 la Conseil d’État a reconnu la responsabilité sans faute de l’État du fait de délinquants qui étaient placés sous un régime de semi-liberté (CE, 3 févr. 1956, Thouzellier)
      • Plus récemment, dans un arrêt GIE AXA courtage du 11 février 2005, la haute juridiction administrative a estimé que l’État engageait sa responsabilité, sans faute, pour le fait dommageable à l’origine duquel se trouvait un mineur qui faisait l’objet d’un placement dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative (CE, 11. Févr. 2005, GIE AXA)
  • Le parallèle avec la responsabilité du fait des choses
    • Un principe général de responsabilité du fait des choses a été découvert à l’article 1384, al. 1er du Code civil, pourquoi ne pas faire de même en matière de responsabilité du fait d’autrui, laquelle est expressément visée dans le même alinéa ?
  • Le parallèle avec le droit étranger
    • L’existence d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui a été reconnue dans de nombreux pays (Québed, Grèce, Japon)

==> Portée de l’arrêt Blieck

Il peut tout d’abord être relevé que la formule utilisée par la Cour de cassation dans l’arrêt Blieck nous rappelle étroitement l’expression utilisée, un demi-siècle plus tôt, dans l’arrêt Franck.

Pour mémoire, dans l’arrêt Franck relatif à la responsabilité du fait des choses, la Cour de cassation affirmait que la notion de garde d’une chose devait être entendue comme le « pouvoir d’usage, de direction et de contrôle » de la chose.

Dans l’arrêt Blieck, la Cour de cassation retient que l’association « avait accepté la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie » de la personne dont elle doit répondre. Force est de constater que les deux expressions sont étroitement proches.

Immédiatement, deux questions alors se posent :

  • La Cour de cassation a-t-elle entendu poser un critère général et unique de mise en œuvre d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui ?
  • La Cour de cassation a-t-elle souhaité, au contraire, poser un critère se rapportant à un cas particulier de responsabilité du fait d’autrui, celui de l’adulte ou enfant handicapé qui réside dans un centre éducatif spécialisé ?

Lorsque l’arrêt Blieck a été rendu, cette question est restée grande ouverte, à tout le moins jusqu’en 1995, la Cour de cassation n’ayant eu à se prononcer jusqu’à cette date que sur des espèces voisines de l’arrêt Blieck.

B) La découverte d’un nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 1er.

Il faut attendre un arrêt du 22 mai 1995 pour voir la position de la Cour de cassation se préciser concernant le domaine d’application de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242 al. 1er du Code civil (Cass. 2e civ., 22 mai 1995)

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==> Faits

  • À l’occasion d’un match de rugby un joueur est blessé lors d’un contact par un membre de l’équipe adverse

==>Demande

  • Action en responsabilité de la victime contre l’association sportive dont est membre l’auteur du dommage

==>Procédure

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • La Cour d’appel fait droit à la demande de la victime et condamne l’association et son assureur à réparer le dommage causé

Motivation des juges du fond:

  • La Cour d’appel estime que l’association sportive dont est membre l’auteur du dommage était responsable en cas de dommage causé par lui
  • Les juges du fond fondent leur décision non pas sur l’alinéa 1er de l’ancien article 1384, mais sur son alinéa 5, soit sur la responsabilité du commettant du fait de son préposé.

==>Moyens des parties :

  • Contenu du moyen:
    • L’association sportive conteste la décision de la Cour d’appel estimant que sa responsabilité ne saurait être engagée pour le fait fautif commis par l’un de ses membres
    • Selon elle, elle n’entre dans aucun des cas de figure de responsabilité du fait d’autrui énoncé à l’article 1384 du Code civil
    • Plus précisément, elle considère qu’on ne saurait rechercher sa responsabilité sur le fondement de l’alinéa 5 de cette disposition car il concerne la responsabilité du commettant du fait de son préposé
    • Or il n’existe aucun lien de subordination entre l’association et son membre

==>Problème de droit :

Une association sportive engage-t-elle sa responsabilité pour le dommage causé par l’un de ses membres à un joueur de l’équipe adverse dans le cadre d’un match de rugby ?

==>Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • Par un arrêt du 22 mai 1995, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’association

Sens de l’arrêt:

  • La Cour de cassation estime en l’espèce que dans la mesure où l’association sportive avait pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de ses membres au cours d’événements sportifs, la victime était parfaitement fondée à engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1384, al. 1er du Code civil.
  • Ainsi, la Cour de cassation reconnaît-elle que le principe général de responsabilité du fait d’autrui s’applique aux associations sportives.

==>Analyse de l’arrêt

Il ressort de la comparaison de l’arrêt du 22 mai 1995 avec l’arrêt Blieck, que la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’alinéa 1er de l’article 1384, ne se limite pas à l’hypothèse d’un responsable qui aurait la charge d’organiser et de contrôler le mode de vie du gardé.

Dans la présente décision, il est question, non pas d’une entité qui a sous sa garde des personnes dont elle organise le mode de vie à titre permanent. Il s’agit d’une association sportive qui va simplement organiser et contrôler, temporairement, soit le temps d’un match ou d’un entraînement, l’activité de ses membres. L’hypothèse est donc totalement différente de celle envisagée dans l’arrêt Blieck.

On peut en déduire que la Cour de cassation consacre, dans cet arrêt, un nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui, un cas où le responsable organise, non pas le mode de vie d’autrui, mais l’activité à laquelle se livre le gardé.

Il en résulte que les critères posés par la Cour de cassation dans l’arrêt Blieck (organiser et contrôler à titre permanent le mode de vie du gardé) ne sauraient être considérés comme les critères du principe général de responsabilité du fait d’autrui. Ces critères sont propres au cas de responsabilité du fait d’autrui envisagé dans l’arrêt Blieck.

Ainsi, depuis 1995, la Cour de cassation retient-elle la responsabilité du fait d’autrui sur le fondement de l’alinéa 1er de l’article 1384

  • Soit en cas de contrôle du mode de vie du gardé
  • Soit en cas de contrôle d’une activité
  1. Premier cas : les personnes physiques ou morales ayant la charge d’organiser et de contrôler le mode de vie d’une personne

Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité des personnes chargées d’assurer l’organisation du mode de vie d’autrui tiennent à plusieurs choses :

  • La personne du gardé
    • Le gardé ne peut, a priori, être qu’une personne vulnérable exigeant une surveillance particulière, le bon père étant en mesure de se prendre en charge sans l’assistance de personne.
      • Ainsi, le gardé pour être :
        • Soit un mineur en difficulté
        • Soit un majeur protégé
  • La qualité du gardien
    • Compte tenu du profil des personnes susceptibles d’être assistées quant à l’organisation de leur mode de vie, deux catégories de gardiens peuvent être envisagées :
      • Les personnes morales qui se voient confier la garde d’autrui par une autorité
      • Les tuteurs
    • L’examen de la jurisprudence révèle que la jurisprudence est pour le moins réticente à retenir, sur le fondement de l’article 1242, al. 1er, la responsabilité :
      • Des instituteurs
      • Des grands-parents
      • Des oncles et tantes
      • Des curateurs
      • Des administrateurs légaux sous contrôle judiciaire
    • La position de la jurisprudence s’explique par le fait que les personnes physiques, notamment les particuliers, ne sont pas assurées pour les faits dommageables susceptibles d’être commis par la personne dont ils organisent le mode de vie, contrairement aux personnes morales et aux tuteurs qui jouissent d’une couverture juridique au titre de leur assurance responsabilité civile professionnelle.
    • La responsabilité des particuliers peut néanmoins être engagée sur le fondement des articles 1240 et 1241 si la victime prouve l’existence d’une faute de surveillance (V. en ce sens 2e civ., 5 févr. 2004)
    • Au total, comme le soutiennent certains auteurs, l’exclusion des particuliers du domaine de l’article 1242, al. 1er du Code civil devrait être érigée en critère d’application du principe de responsabilité du fait d’autrui, afin qu’aucune obligation de réparation ne puisse être mise à leur charge lorsqu’elles sont mises en cause dans le cadre d’activités bénévoles.
  • Les pouvoirs du gardien sur le gardé
    • Pour que la responsabilité d’une personne qui organise le mode de vie d’autrui puisse être engagée, il est nécessaire que le gardien exerce sur le gardé un pouvoir juridique.
    • Aucune règle de droit n’autorise à une personne à exercer un pouvoir de fait sur autrui quant à l’organisation de son mode de vie
    • Dans cette perspective, il ressort de la jurisprudence que lorsque la responsabilité du gardien a été retenue, un juge était intervenu en vue de mettre en place :
      • Soit une mesure de tutelle
      • Soit une mesure d’assistance éducative
    • Ainsi, la jurisprudence exige-t-elle pour que la responsabilité du gardien puisse être engagée que ce dernier exerce sur le gardé un pouvoir non seulement juridique, mais également judiciaire.
    • La conséquence en est que la responsabilité du gardien sera susceptible d’être recherchée même s’il n’exerçait pas de pouvoir effectif sur le gardé lors de la commission du fait dommageable.
    • Telle est la solution qui a été retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 juin 2002.

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==>Faits :

  • Placement d’un mineur dans un foyer éducatif par décision judiciaire.
  • À l’occasion d’un séjour chez ses parents, celui-ci va commettre un incendie volontaire endommageant le fonds de commerce d’un commerçant.

==>Demande :

Le propriétaire du fonds de commerce demande réparation du préjudice occasionné au foyer éducatif en charge du mineur.

==>Procédure :

  • Dispositif de la Cour d’appel:
    • Par un arrêt du 15 mars 2000, la Cour d’appel de Rouen a débouté le commerçant et son assureur de leur demande en réparation.
  • Motivation de la Cour d’appel:
    • Les juges du fond estiment que, dans la mesure où l’enfant était sous la surveillance de ses parents, car il séjournait chez eux, l’association qui en avait la charge au quotidien ne pouvait voir sa responsabilité engager.

==>Problème de droit :

Une association qui s’est vue confier par un juge la garde d’un mineur est-elle responsable des agissements de ce dernier lorsqu’il séjourne, dans le cadre de l’exercice d’un droit de visite, chez ses parents ?

==>Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt:
    • Par un arrêt du 6 juin 2002, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1384, al. 1er du Code civil.
  • Sens de l’arrêt:
    • La deuxième chambre civile justifie sa décision en affirmant « qu’une association chargée par décision d’un juge des enfants d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d’un mineur demeure, en application du texte susvisé, responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, même lorsque celui-ci habite avec ses parents, dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission éducative».
    • En d’autres termes, pour la Cour de cassation, peu importe que le mineur ne fût pas sous la surveillance effective de l’association lorsque le fait dommageable a été commis.
    • Ce qui compte, c’est le pouvoir juridique que l’association exerçait sur l’auteur du dommage.
    • Il s’agissait, en l’espèce, plus précisément d’un pouvoir judiciaire

 ==>Analyse de l’arrêt

Plusieurs enseignements peuvent être retirés de l’arrêt du 6 juin 2002 :

  • Exigence d’un pouvoir juridique sur le gardé
    • La Cour de cassation semble exiger du gardien visé à l’article 1384, al. 1er qu’il soit investi des mêmes pouvoirs que les parents sur leur enfant.
      • Autrement dit, il est nécessaire, le gardien exerce, a minima, un pouvoir juridique sur le gardé.
      • En l’espèce c’était le cas, puisque l’association s’était vue confier la garde du mineur par décision de justice.
  • L’exigence d’un pouvoir permanent sur le gardé
    • L’organisation du mode de vie d’autrui suppose que le gardien exerce sur le gardé un pouvoir permanent, d’où l’exigence posée par la Cour de cassation lorsqu’elle affirme que pour être responsable l’association doit « organiser et contrôle à titre permanent le mode de vie » du gardé.
  • Les conditions de transfert de la garde
    • Dans l’arrêt du 6 juin 2002, la responsabilité du gardien a été retenue alors même qu’il n’exerçait aucun pouvoir effectif sur le gardé, celui-ci étant chez ses parents au moment du dommage.
    • Est-ce à dire que seule une décision de justice serait susceptible d’opérer un transfert de la garde, semblablement à la solution adoptée par la jurisprudence en matière de responsabilité des parents du fait de leurs enfants ?
    • Une lecture attentive de la jurisprudence antérieure et postérieure nous révèle qu’il convient, en réalité, de distinguer deux situations, selon que la garde procède d’une démarche volontaire ou selon qu’elle procède d’une décision de justice :
      • La garde procède d’une démarche volontaire : l’exigence d’une autorité relative sur le gardé
        • Dans l’hypothèse où le transfert de la garde procède d’une démarche d’une démarche volontaire, comme c’était le cas dans l’arrêt Blieck, la jurisprudence admet que le gardien puisse n’exercer qu’une autorité relative.
        • Ainsi, il apparaît que, dans cette situation, que la jurisprudence répugne à condamner l’établissement en charge d’assurer le mode de vie du gardé lorsqu’elle n’exerce pas de pouvoir effectif sur lui au moment du dommage.
          • Tel sera notamment le cas lorsque le gardé est hébergé sous le régime de la demi-pension ou lorsqu’il rentre chez ses parents pendant une période de vacances.
          • Dans un arrêt du 25 février 1998 où elle refuse de retenir la responsabilité du gardien qu’il n’exerçait qu’une autorité relative sur le gardé, la Cour de cassation relève que, lors de la commission du fait dommageable, la personne dont elle avait la charge « ne se trouvait plus sous l’autorité de l’association, laquelle n’avait plus à partir de ce moment, la surveillance et l’organisation des conditions de vie de cet handicapé». ( 2e civ., 25 févr. 1998).
  • La garde procède d’une décision de justice : l’exigence d’une autorité absolue sur le gardé
    • Dans l’hypothèse où le transfert de la garde procède d’une décision de justice, comme c’était le cas dans l’arrêt du 6 juin 2002, la jurisprudence exige que le gardien exerce une autorité absolue.
    • Autrement dit, le transfert de la garde ne pourra s’opérer que sous l’effet d’une décision de justice.
    • Peu importe que le gardien n’exerçât pas un pouvoir effectif sur le gardé au moment du dommage, sa responsabilité pourra malgré tout être recherchée.
      • Dans un arrêt du 26 mars 1997, la Cour de cassation affirme en ce sens que le gardien engage sa responsabilité « dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission» ( crim., 26 mars 1997).
    • Un parallèle peut être fait ici avec la responsabilité des parents du fait de leurs enfants, où la jurisprudence n’admet le transfert de la garde que s’il procède d’une décision judiciaire ( 2e civ., 19 févr. 1997)
    • Plus récemment, la Cour de cassation a réaffirmé cette solution en considérant, au sujet d’une association qui assurait la prise en charge d’un mineur placée sous son autorité par le juge des tutelles, qu’elle demeurait responsable de ce dernier « dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission » ( 2e civ., 7 oct. 2004).

==> Quid du cumul de la responsabilité avec les autres cas de responsabilité du fait d’autrui ?

La question qui se pose est de savoir si la victime peut engager la responsabilité de plusieurs responsables du fait d’autrui en invoquant concurremment plusieurs fondements ?

Autrement dit, les différents cas de responsabilité du fait d’autrui sont-ils susceptibles de faire l’objet d’un cumul ?

Très tôt, la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer dans un arrêt du 18 mars 1981 que « les différentes responsabilités du fait d’autrui ne sont pas cumulatives mais alternatives » (Cass. 2e civ., 18 mars 1981).

Cette solution s’explique par le fait qu’il est difficilement envisageable que plusieurs personnes puissent organiser, conjointement, hormis les parents, le mode de vie d’une personne.

Une telle garde n’est pas divisible, de sorte que son exercice ne peut être qu’exclusive. D’où la réticence de la jurisprudence à admettre le cumul des gardiens.

Ainsi, une victime d’un dommage causé par une personne gardée ne saurait rechercher cumulativement la responsabilité de ses parents sur le fondement de l’article 1242, al. 4 et la responsabilité de l’établissement chargé d’assurer l’organisation de son mode de vie sur le fondement de l’article 1242, al. 1er (V. en ce sens Cass. crim., 26 mars 1997).

La garde ne se partage pas, elle se transfère.

2. Second cas : les associations ayant pour mission d’organiser et de contrôler l’activité de leurs membres

Comme pour les personnes qui assurent l’organisation et le contrôle du mode de vie d’autrui, les conditions de mise en œuvre de la responsabilité des associations ayant pour mission d’organiser et de contrôler l’activité de ses membres tiennent à plusieurs choses :

==>La qualité du gardien

L’examen de la jurisprudence révèle que la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 1er du code civil confine à la responsabilité collective.

En d’autres termes, seules les associations semblent concernées par ce cas particulier de responsabilité et plus généralement les personnes morales qui ont pour mission l’organisation et le contrôle d’une activité spécifique.

Il ne semble pas que la Cour de cassation ait l’intention de retenir la responsabilité de simples personnes physiques organisatrices d’une activité dans la mesure où une personne physique n’est pas nécessairement assurée pour les activités qu’elle organise.

Il en résulte qu’une une baby-sitter ou des grands-parents qui contrôle l’activité mais pas le mode de vie d’un mineur ne sauraient voir leur responsabilité engagée sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er.

==>Toutes les associations sont-elles visées par le principe de responsabilité du fait d’autrui ?

Pendant longtemps, les auteurs ont pensé que seules les associations sportives étaient susceptibles d’engager leur responsabilité sur le fondement de l’article 1242, al. 1 du Code civil

Autrement dit, il avait été conjecturé que  le principe de responsabilité du fait d’autrui n’était applicable qu’aux associations qui avaient pour mission d’organiser et de contrôler une activité dangereuse, comme tel était le cas dans l’arrêt du 22 mai 1995.

Cette idée a néanmoins volé en éclats à la suite d’un arrêt du 12 décembre 2002 de la deuxième chambre civile (Cass. 2e civ., 12 déc. 2002).

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==>Faits

  • Accident survenu lors d’un défilé de majorettes.
  • À la suite d’une erreur de manipulation, l’une d’elles perd le contrôle de son bâton, lequel vient blesser une autre majorette.
  • La victime agit en réparation contre l’association organisatrice du défilé.

==>Procédure

  • Dans un arrêt du 15 octobre 1999, la Cour d’appel de Versailles fait droit à la demande de la victime
  • Pour retenir la responsabilité de l’association, les juges du fond relèvent que « le dommage a été causé par un membre de l’association, à l’occasion du défilé de majorettes organisée par celle-ci, laquelle avait pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de ses membres au cours du défilé».

 ==>Moyens

  • L’association conteste sa condamnation en soutenant que « seules les personnes ayant mission de régler le mode de vie d’autrui ou de contrôler l’activité potentiellement dangereuse à laquelle il se livre répondent, de plein droit, des dommages qu’il peut causer par son fait», ce qui n’était pas son cas dans la mesure où elle était à la tête de l’organisation d’un défilé de majorette ce qui, par nature, n’est pas une activité dangereuse.

==>Solution

  • Bien que l’on eût pu être séduit par l’argumentation développée par l’association, la Cour de cassation rejette son pourvoi.
  • La deuxième chambre civile approuve les juges du fond de n’avoir pas tenu compte « de la dangerosité potentielle de l’activité exercée par un des membres de l’association»
  • Aussi, considère-t-elle que l’association était « tenue de plein droit de réparer, avec son assureur, le préjudice résultant du fait dommageable commis par l’un de ses membres à l’occasion de la manifestation qu’elle avait organisée».

==>Portée

  • Quel enseignement retenir de cet arrêt ?
  • Il importe peu que l’activité organisée et contrôle par l’association présente un caractère dangereux
  • Ce qui compte c’est que le dommage se soit produit dans le cadre de l’activité dont l’association assurait l’organisation.
  • Ainsi, l’idée de risque n’est pas nécessairement la source de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil.

==>Quid de la nature des pouvoirs que l’association doit exercer pour engager sa responsabilité dans le cadre de l’organisation d’une activité ?

Deux solutions sont envisageables :

  • Soit on estime qu’il suffit que l’association exerce un pouvoir effectif dans le cadre de l’activité dont elle assure le contrôle et l’organisation auquel cas sa responsabilité est susceptible d’être retenu
    • Tant pour les dommages occasionnés par ses membres
    • Que pour les dommages occasionnés par les tiers
  • Soit on estime qu’il est nécessaire que l’association exerce un pouvoir juridique dans le cadre de l’activité dont elle assure le contrôle et l’organisation auquel cas sa responsabilité ne pourra être retenue que pour les dommages occasionnés par ses membres.

Dans un arrêt du 22 septembre 2005, la Cour de cassation s’est prononcée en faveur de la seconde solution.

Elle estime, en effet, que « les associations sportives, ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent, ne sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, des dommages qu’ils causent à cette occasion qu’à la condition que le dommage dont la victime demande réparation ait été causé par un membre de cette association ».

En d’autres termes, il est nécessaire que l’auteur du dommage soit membre de l’association, c’est-à-dire une personne qui soit rattachée juridiquement à cette dernière pour que sa responsabilité puisse être recherchée sur le fondement de l’article 1242 alinéa 1er du Code civil.

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==>Quid de l’identification du membre de l’association à l’origine du dommage ?

Si la Cour de cassation exige que le dommage ait été commis par un membre de l’association pour que sa responsabilité puisse être retenue, elle a précisé que l’application de l’article 1242, al. 1er n’était pas subordonné à l’identification du membre de l’association à l’origine du fait dommageable (Cass. 2e civ., 21 oct. 2004).

Elle a estimé en ce sens que « les associations sportives, ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu’ils causent à cette occasion, dès lors qu’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à l’un de ses membres, même non identifié ».

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 ==> Quid du cumul de responsabilité entre gardien organisant et contrôlant le mode de vie et gardien organisant et contrôlant une activité spécifique ?

Cette question renvoie à l’hypothèse où un mineur, dont les parents exercent sur lui l’autorité parentale, cause un dommage dans le cadre d’une activité spécifique encadrée par une association sportive ou culturelle.

Peut-on envisager que la victime puisse cumulativement engager la responsabilité des parents et de l’association sur le fondement des alinéas 1 et 4 de l’article 1242 ?

  • Soit l’on applique la jurisprudence rendue en matière d’organisation du mode de vie de la personne gardée, auquel cas on ne saurait admettre un cumul des fondements de responsabilité du fait d’autrui.
  • Soit l’on peut estimer que les deux cas de responsabilité ne sont pas incompatibles, car ils relèvent de deux logiques possibles.
    • Les parents assurent l’organisation et le contrôle du mode de vie de leur enfant
    • L’association assure l’organisation et le contrôle de l’activité de ses membres
  • Un cumul des responsabilités fondées sur les alinéas 1er et 4 de l’article 1242 serait alors possible
  • Cette solution aurait le mérite d’offrir à la victime un débiteur supplémentaire

C) La condition tenant au fait générateur de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 1er

==>Exposé de la problématique

À la suite de l’arrêt Blieck, les auteurs se sont interrogés sur la question de savoir s’il était nécessaire pour la victime d’établir la faute du gardé pour engager la responsabilité du gardien sur le fondement de l’alinéa 1er de l’article 1242.

L’arrêt Blieck n’apportant pas vraiment de réponse à cette question, deux solutions ont été envisagées :

  • Soit l’on raisonne par analogie avec la responsabilité des parents du fait de leurs enfants fondée sur l’alinéa 4 de l’article 1242
    • Conformément à la jurisprudence Fullenwarth ( ass. plén., 9 mai 1984), on devrait alors estimer que le simple fait causal du gardé devrait suffire à engager :
      • soit la responsabilité du centre qui a la charge de l’organisation et du contrôle du mode de vie du gardé
      • soit la responsabilité de l’association qui a la charge de l’organisation et du contrôle d’une activité spécifique exercé par le gardé
    • Ainsi la responsabilité du gardien fondée sur l’article 1242, al. 1er devrait pouvoir être retenue, alors même que le fait commis ne permettrait pas d’engager la responsabilité personnelle du gardé sur le fondement des articles 1240 et 1241.
  • Soit l’on raisonne par analogie avec la responsabilité du commettant du fait de son préposé fondée sur l’alinéa 5 de l’article 1242
    • Classiquement, la Cour de cassation exige que le fait dommageable commis par le préposé soit fautif pour que la responsabilité du commettant puisse être retenue ( 2e civ., 3 mars 1977).
    • Aussi, à supposer que cette solution soit maintenue, bien que l’arrêt Costoat soit venu nuancer cette solution ( ass. plén., 25 févr. 2000), cela signifierait, par analogie, que la mise en œuvre de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 1er serait subordonnée à l’établissement d’une faute du gardé.
    • Le simple fait causal ne suffirait donc pas à engager la responsabilité du gardien.

 ==>La position de la jurisprudence

Si, pendant une longue période aucune solution ne se dégageait des décisions rendues par les différentes juridictions, il faut attendre 2002 pour que la jurisprudence évolue.

Deux décisions ont particulièrement retenu l’attention :

  • L’arrêt d’assemblée plénière du 13 décembre 2002
    • Dans cette décision, la cour de cassation, saisie d’un pourvoi relatif à la responsabilité des parents du fait de leurs enfants vise explicitement le premier alinéa de l’article 1384 aux côtés de l’alinéa 4 au soutien de l’attendu de principe dans lequel elle réaffirme avec force que « pour que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l’autorité parentale sur un mineur habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur».
    • Pourquoi cette référence à l’alinéa 1er de l’article 1384 du Code civil alors que le litige concernait la responsabilité des parents du fait de leurs enfants ?
    • Certains auteurs en ont déduit que la haute juridiction entendrait étendre la solution retenue dans cet arrêt à la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’alinéa 1er de l’article 1384, de sorte que le simple fait causal suffirait désormais à engager la responsabilité du gardien qui
      • soit assure l’organisation du mode de vie d’autrui,
      • soit assure l’organisation d’une activité spécifique.

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  • L’arrêt de la deuxième chambre civile du 20 novembre 2003
    • Dans cette décision, la Cour de cassation décide que la mise en œuvre de la responsabilité d’une association sportive est subordonnée à l’établissement d’une «  faute caractérisée par une violation des règles du jeu et imputable à un joueur».
    • Un an plus tard, la Cour de cassation adopte ainsi la solution contraire que celle retenue un an plus tôt par l’assemblée plénière.
    • Dans cette décision, la deuxième chambre civile considère, en effet, que le simple fait causal ne suffit pas à engager la responsabilité du gardien sur le fondement de l’article 1384, al.1er, de sorte qu’il appartient à l’a victime d’établir une faute sur le fondement de laquelle la responsabilité personnelle du gardé serait susceptible d’être engagée.
    • La Cour de cassation réitère cette solution dans un arrêt du 13 janvier 2005 à l’occasion duquel elle affirme que « les associations sportives, ayant pour objet d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions et entraînements auxquels ils participent, sont responsables de plein droit des dommages qu’ils causent par leur faute caractérisée par une violation des règles du jeu» ( 2e civ. 13 janv. 2005).

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==>Quels enseignements tirer des solutions adoptées par la Cour de cassation dans les arrêts rendus en 2002, 2003 et 2005 ?

Si, de prime abord, ces décisions apparaissent pour le moins contradictoires, à l’examen, on peut néanmoins y voir une certaine cohérence.

Cette cohérence se dessine, en effet, si l’on entreprend de distinguer les deux cas de responsabilité du fait d’autrui fondés sur l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil :

  • S’agissant de la responsabilité des associations qui ont pour mission d’organiser et de contrôler l’activité de leurs membres
    • La position de la Cour de cassation semble désormais être bien arrêtée : la mise en œuvre de la responsabilité du gardien est subordonnée à l’établissement d’une faute caractérisée du gardé.
    • L’assemblée plénière a récemment rappelé cette exigence dans un arrêt du 29 juin 2007 où elle réaffirme que « les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu’ils causent à cette occasion, dès lors qu’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à un ou plusieurs de leurs membres, même non identifiés» ( ass. plén., 29 juin 2007).
    • L’exigence d’une faute caractérisée est-elle valable uniquement pour les associations sportives ou est-ce que l’établissement d’une faute simple suffirait pour retenir la responsabilité d’une association qui assurerait l’organisation d’une activité autre que sportive ?
    • La question reste, pour l’heure, en suspens.
  • S’agissant de la responsabilité des personnes morales et physique qui ont pour mission d’organiser et de contrôler le mode de vie d’autrui
    • Si l’on se réfère à l’arrêt d’assemblée plénière du 13 décembre 2002, il semble que le simple fait causal suffise à engager la responsabilité du gardien qui organise le mode de vie d’autrui, semblablement aux exigences posées en matière de responsabilité des parents du fait de leur enfant.
    • Cette solution doit sans aucun doute être approuvée, dans la mesure où un centre qui organise et contrôle le mode de vie d’une personne vulnérable remplit finalement le même rôle que celui de parents.
    • Il ne serait donc pas anormal de raisonner par analogie avec l’alinéa 5 de l’article 1242.
    • Le simple fait causal devrait donc suffire à engager la responsabilité du gardien qui organise et contrôle le mode de vie du gardé.
    • Pour l’heure, aucun arrêt n’est venu confirmer cette solution que les auteurs ont dégagées, on le rappelle, du seul visa l’arrêt du 13 décembre 2002.

II) La reconnaissance d’une responsabilité de plein droit

De toute évidence, la découverte d’une responsabilité générale du fait d’autrui doit s’accompagner de l’admission d’une présomption pesant sur le gardien, sans quoi cette découverte n’aurait pas vraiment de sens.

La question qui alors se pose est de savoir s’il s’agit d’une présomption de faute ou d’une présomption de responsabilité ?

Pour mémoire, les deux présomptions ce distinguent en ce que :

  • Si une présomption de faute pèse sur le gardien alors il peut s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’a pas commis de faute de surveillance
  • Si une présomption de responsabilité pèse sur le gardien alors il ne peut s’exonérer de sa responsabilité qu’en prouvant la survenance d’une cause étrangère

Manifestement cette question n’a pas été tranchée dans l’arrêt Blieck. Il ressort seulement de cette décision que la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui ne présente plus de caractère limitatif.

Dans l’arrêt Blieck, l’assemblée plénière ne s’est nullement prononcée sur les causes d’exonérations susceptibles d’être invoquées par le gardien.

À la vérité, il faut attendre un arrêt de la deuxième chambre civile du 16 mars 1994 pour obtenir un début de réponse (Cass. 2e civ., 16 mars 1994).

Dans cette décision, la Cour de cassation décide que « la responsabilité de l’État, substituée à celle des membres de l’enseignement pour les dommages causés par leurs élèves pendant que ceux-ci sont sous leur surveillance, n’est pas une responsabilité de plein droit, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil »

A contrario, cela signifie donc que la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1384, al. 1er serait une responsabilité de plein droit, de sorte que pèserait sur le gardien, non pas une présomption de faute, mais une présomption de responsabilité !

Cette solution, annonciatrice de l’évolution imminente de la jurisprudence en matière de responsabilité du fait d’autrui, a été confirmée par l’arrêt Notre Dame des Flots rendus à quelques semaines d’intervalle de l’arrêt Bertrand, soit le 26 mars 1997.

Dans cette décision, la Cour de cassation considère que la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’ancien article 1384, al. 1er est une responsabilité de plein droit, de sorte que le gardien ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’a pas commis de faute (Cass. crim., 26 mars 1997)

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Faits

  • Vol d’un véhicule par trois adolescents dont la garde avait été confiée au foyer Notre-Dame des Flots
  • Ils font l’objet d’une condamnation par le Tribunal correctionnel.

Demande :

Action en responsabilité de la victime du vol contre le foyer dans lequel séjournaient les auteurs de l’infraction

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • La Cour d’appel fait droit à la demande de la victime et condamne le foyer éducatif à réparer le préjudice occasionné à la victime du vol

Motivation des juges du fond:

  • Les juges du fond estiment que dans la mesure où le foyer éducatif avait pour mission de contrôler et d’organiser, à titre permanent le mode de vie des auteurs du dommage, il était tenu au sens de l’article 1384, alinéa 1er du Code civil peu importe qu’il ait ou non commis une faute dans l’exercice de sa mission.

Moyens des parties :

Contenu du moyen:

  • L’auteur du pourvoi soutient que pesait sur le foyer non pas une présomption irréfragable de responsabilité mais une présomption simple de faute
  • Le défendeur argue, autrement dit, qu’il pouvait s’exonérer de sa responsabilité s’il parvenait à démontrer qu’il n’avait commis aucune faute s’agissant de l’organisation et du contrôle du mode de vie des trois mineurs qu’il avait sous sa garde
  • Or en l’espèce, aucune faute ne pouvait lui être reprochée de sorte qu’il pouvait s’exonérer de sa responsabilité

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • Par un arrêt du 26 mars 1997, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le foyer

Sens de l’arrêt:

  • La Cour de cassation affirme, sans ambiguïté que « les personnes tenues de répondre du fait d’autrui au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, ne peuvent s’exonérer de la responsabilité de plein droit résultant de ce texte en démontrant qu’elles n’ont commis aucune faute»
  • Ainsi, la Cour de cassation considère-t-elle que pèse sur le gardien une présomption de responsabilité.
  • Le gardien ne peut, par conséquent, s’exonérer de sa responsabilité que s’il parvient à démontrer la survenance d’une cause étrangère (cas de force majeure)

==> Analyse de l’arrêt

Dans l’arrêt Notre Dame des Flots, la Cour de cassation affirme pour la première fois que la responsabilité du fait d’autrui fondé sur l’alinéa 1er de l’article 1384 est une responsabilité de plein droit.

Elle adopte ainsi la même solution que celle retenue dans l’arrêt de Bertrand en matière de responsabilité des parents du fait de leurs enfants où elle avait estimé, sensiblement dans les mêmes termes que « seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait exonérer [les] parents de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par » leur enfant (Cass. 2e civ., 19 févr. 1997)

Cette solution se justifie à plusieurs titres :

  • Conforme à l’objectif de la responsabilité du fait d’autrui : l’indemnisation de la victime
  • Identité de régime entre responsabilité du fait des choses et responsabilité du fait d’autrui car elles sont toutes les deux fondées sur le même texte : l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil
  • Reconnaissance, un mois avant l’arrêt Notre Dame des Flots, d’une responsabilité de plein droit des parents du fait de leurs enfants dans le célèbre arrêt Bertrand.

Ainsi cette solution offre plus de cohérence au sein des différents régimes de responsabilité que contient l’article 1384 pris dans tous ses alinéas.

Immédiatement, une dernière question alors se pose : cette décision qui a été rendue au sujet d’un établissement qui organisait et contrôlait le mode de vie d’autrui, est-elle applicable aux associations qui assurent l’organisation d’une activité spécifique ?

==>Extension de la jurisprudence Notre Dame des Flots aux associations ayant pour mission l’organisation d’une activité spécifique

Dans un arrêt du 13 janvier 2005, la Cour de cassation a estimé que « les associations sportives, ayant pour objet d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions et entraînements auxquels ils participent, sont responsables de plein droit des dommages qu’ils causent par leur faute caractérisée par une violation des règles du jeu ».

En l’espèce, la Cour de cassation reprochait à la Cour d’appel d’avoir envisagé que l’association sportive puisse s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve qu’elle n’avait pas commis de faute !

Autrement dit elle lui reproche d’avoir fait peser une présomption simple de faute sur le gardien alors que pèse sur lui une présomption de responsabilité.

La Cour de cassation estime donc que la responsabilité des associations qui organisent une activité spécifique est une responsabilité de plein droit. Elles ne peuvent donc s’exonérer de leur responsabilité qu’en rapportant la preuve d’un cas de force majeure ou d’une faute de la victime.

Au total il ressort de cet arrêt que sont désormais concernées par cette responsabilité de plein droit toutes les structures qui exercent sur autrui un pouvoir à titre temporaire ou permanent.

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[1] Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 2005, n°414, p. 211.