Procédure devant le Tribunal de commerce: l’instruction de l’affaire

Il ressort de la combinaison des articles 860-2 et 861 du CPC que, une fois saisie, la formation de jugement du Tribunal de commerce dispose de quatre options :

  • Première option : la désignation d’un conciliateur de justice
    • Lorsque la formation de jugement considère qu’une conciliation entre les parties est envisageable, elle dispose de la faculté de désigner un conciliateur de justice.
  • Deuxième option : l’ouverture immédiate des débats
    • Lorsque la formation de jugement considère que l’affaire est en état d’être jugée, elle peut ordonner l’ouverture des débats et trancher le litige consécutivement.
  • Troisième option : le renvoi de l’affaire à une audience ultérieure
    • Lorsque la formation de jugement considère que l’affaire n’est pas en état d’être jugée, mais que la désignation d’un juge rapporteur n’est pas nécessaire, elle renvoie l’affaire à une audience ultérieure.
  • Quatrième option : la désignation d’un juge rapporteur
    • Lorsque la formation de jugement considère que l’affaire n’est pas en état d’être jugée, elle peut procéder à la désignation d’un juge rapporteur qui sera chargé d’instruire l’affaire

Nous nous focaliserons ici sur la quatrième option.

L’article 861 du CPC dispose que, en l’absence de conciliation, si l’affaire n’est pas en état d’être jugée, la formation de jugement peut confier à l’un de ses membres le soin de l’instruire.

I) Les pouvoirs du Juge rapporteur

Les pouvoirs dont est investi le Juge rapporteur désigné par la formation de jugement sont régis aux articles 861-3 à 871 du CPC.

À l’examen, les pouvoirs d’instruction de ce juge sont sensiblement les mêmes que ceux conférés au Juge de la mise en état près le Tribunal judiciaire.

Au nombre des pouvoirs dont il est investi, figurent :

  • Le pouvoir d’organiser les échanges entre les parties comparantes dans les conditions énoncées à l’article 446-2 du CPC
    • L’organisation des échanges implique que le Juge rapporteur peut :
      • Établir un calendrier procédural
      • Fixer des délais
  • Le pouvoir d’entendre les parties (art. 862, al. 1er CPC)
    • En toute hypothèse, cette audition des parties a lieu contradictoirement à moins que l’une d’elles, dûment convoquée, ne se présente pas.
    • Le juge rapporteur pourra être tenté d’auditionner les parties, soit pour obtenir des précisions orales sur un moyen de fait ou de droit qui a retenu son attention, soit lorsqu’il considérera qu’une conciliation est possible
  • Le pouvoir d’inviter les parties, à tout moment, à fournir les explications de fait et de droit qu’il estime nécessaires à la solution du litige (art. 862, al. 2e et art. 446-3 CPC)
    • Cette prérogative dont est investi le juge rapporteur a vocation à lui permettre de faire avancer le débat
    • Il pourra, en effet, attirer l’attention d’une partie sur la nécessité de répondre à un moyen de droit qui n’a pas été débattue, alors même qu’il pourrait avoir une incidence sur la solution du litige.
    • De la même manière, il peut suggérer à une partie d’apporter des précisions sur des éléments de fait qui sont demeurés sans réponse.
  • Le pouvoir de mettre en demeure de produire dans le délai qu’il détermine tous les documents ou justifications propres à l’éclairer faute de quoi, la formation de jugement pourra passer outre et statuer, en tirant toute conséquence de l’abstention de la partie ou de son refus (art. 862, al. 2e et art. 446-3 CPC)
    • Ce pouvoir dont il est investi lui permet de s’assurer que la preuve des allégations des parties est rapportée
    • À défaut, il pourra en tirer toutes les conséquences qui s’imposent.
  • Le pouvoir de désigner un conciliateur ou de constater la conciliation, même partielle, des parties (art. 863 CPC).
    • À l’instar de la formation de jugement, le Juge rapporteur peut chercher à concilier les parties, conformément au principe directeur du procès énoncé à l’article 21 du CPC qui prévoit que « il entre dans la mission du juge de concilier les parties. »
    • L’article 128 précise que « les parties peuvent se concilier, d’elles-mêmes ou à l’initiative du juge, tout au long de l’instance. »
    • À cet égard, la conciliation des parties peut intervenir, soit sous l’impulsion d’un conciliateur désigné par le juge rapporteur, soit de la propre initiative des parties.
    • Dans cette dernière hypothèse, le juge rapporteur homologue, à la demande des parties, l’accord qu’elles lui soumettent.
    • La teneur de l’accord, même partiel, est alors consignée, selon le cas, dans un procès-verbal signé par les parties et le juge ou dans un constat signé par les parties et le conciliateur de justice.
    • Les extraits du procès-verbal dressé par le juge qui sont délivrés aux parties valent titre exécutoire.
  • Le pouvoir d’ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction (art. 865, al. 1er CPC)
    • De toute évidence, cette disposition fait directement écho aux articles 143 et suivants du CPC qui régissent les mesures d’instruction susceptible d’être prises dans le cadre du procès civil
    • En particulier, l’article 143 du CPC dispose que « les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible. »
    • L’article 144 précise que les mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer.
    • En application de ces textes, le juge de la mise en état dispose de toute liberté pour prescrire une mesure d’instruction.
    • Dans la mesure où la loi ne pose aucune limite, les mesures prononcées peuvent être extrêmement variées pourvu qu’elles soient légalement admissibles.
    • Ces mesures peuvent consister en :
      • La désignation d’un expert
      • La désignation d’un huissier de justice
      • La production forcée de pièces par une autre partie ou par un tiers
    • L’article 147 du CPC l’autorise à conjuguer plusieurs mesures d’instruction.
    • Il peut ainsi, à tout moment et même en cours d’exécution, décider de joindre toute autre mesure nécessaire à celles qui ont déjà été ordonnées.
    • Le juge peut encore accroître ou restreindre l’étendue des mesures prescrites.
    • Bien qu’il dispose de toute latitude pour prescrire des mesures d’instruction, l’article 147 du CPC intime au Juge de limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en s’attachant à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux.
  • Le pouvoir de trancher les difficultés relatives à la communication des pièces (art. 865, al. 2e CPC)
    • Il s’agit ici pour le Juge rapporteur de statuer sur les irrégularités susceptibles d’affecter la communication des pièces et, par voie de conséquence, de porter atteinte au principe du contradictoire.
  • Le pouvoir de constater l’extinction de l’instance (art. 865, al. 3e CPC)
    • Pour mémoire, les cas dans lesquels le juge constate l’extinction de l’instance sont ceux prévus par les articles 384 et 385 du CPC, qui distinguent l’extinction à titre accessoire (transaction, acquiescement, désistement d’action, décès d’une partie dans les actions non transmissibles) et principal (préemption, désistement d’instance, caducité de la citation).
    • Le juge rapporteur statue en ce cas par ordonnance motivée (art. 866, al. 2e CPC).
  • Le pouvoir de statuer sur les dépens et les demandes formées en application de l’article 700 dans le cadre des incidents susceptibles d’intervenir pendant la phase d’instruction de l’instance (art. 865, al. 3e CPC)
    • Si la prérogative de statuer sur les dépens est ancienne, celle relative aux frais irrépétibles a été conférée au Juge rapporteur par le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale
      • S’agissant des dépens ce sont les frais nécessaires à la conduite du procès dont le montant est fixé, soit par voie réglementaire, soit par décision judiciaire
      • S’agissant des frais irrépétibles, ils se définissent négativement comme ceux, non tarifés, engagés par une partie à l’occasion d’une instance non compris dans les dépens prévus par l’article 695 du Code de procédure civile.
    • Le pouvoir dont est investi le juge rapporteur, l’autorise à statuer sur les frais de l’instance dont il a pu constater l’extinction mais également sur les frais exposés par les parties aux fins de mettre en œuvre les mesures conservatoires, provisoires ou d’instruction prononcées.
    • Si, par principe, lorsque le Juge rapporteur statue sur les dépens et les frais irrépétibles sa décision est seulement assortie de l’autorité de la chose jugée au provisoire, il en va autrement lorsqu’il statue sur des exceptions de procédure ou des incidents d’instance.

II) Les décisions du Juge rapporteur

A) Principe : la simple mention au dossier

L’article 866 du CPC dispose que « les mesures prises par le juge chargé d’instruire l’affaire sont l’objet d’une simple mention au dossier : avis en est donné aux parties. »

Il ressort de cette disposition que les décisions du Juge rapporteur sont des mesures d’administration judiciaire, de sorte qu’elles sont insusceptibles de voies de recours

Il en va notamment ainsi des mesures tenant à :

  • La détermination du calendrier procédurale (octroi de délais, prorogation, injonctions etc..)
  • L’invitation des parties à répondre à un moyen de fait ou de droit
  • L’audition des parties
  • L’instruction du dossier
  • La jonction et la disjonction d’instance

L’impossibilité d’exercer une voie de recours contre une décision du Juge rapporteur signifie que ses mesures ne peuvent être déférées, ni devant la Cour d’appel, ni devant la Cour de cassation.

Quant à la voie de recours exercée, toutes sont concernées qu’il s’agisse de l’appel ou de l’opposition.

B) Exception : l’ordonnance

?Les cas visés

L’article 866, al. 2e prévoit que « dans les cas prévus à l’article précédent, le juge chargé d’instruire l’affaire statue par ordonnance motivée, sous réserve des règles particulières aux mesures d’instruction ».

À l’analyse, les cas visés par cette disposition qui exigent l’établissement d’une ordonnance motivée sont :

  • L’adoption de toute mesure d’instruction utile
  • L’adoption d’une décision visant à trancher une difficulté relative à la communication de pièces
  • La constatation de l’extinction de l’instance
  • L’adoption d’une décision visant à statuer sur les dépens et les demandes formées en application de l’article 700.

?Autorité de la chose jugée

Lorsque le Juge rapporteur rend une ordonnance, l’article 867 du CPC précise qu’elle n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée, ce qui signifie que sa décision ne lie pas la décision de la formation de jugement, laquelle a vocation à se prononcer une fois l’instruction de l’affaire achevée.

?Voies de recours

  • Principe
    • S’agissant des voies de recours susceptibles d’être exercées contre les ordonnances du Juge rapporteur l’article 868 du CPC prévoit que ces dernières « ne sont susceptibles d’aucun recours indépendamment du jugement sur le fond. »
    • Cela signifie que la voie de recours ne peut pas être exercée de manière autonome ; elle doit être exercée dans le cadre de l’appel interjeté contre la décision rendue au fond.
  • Exception
    • Le principe d’absence d’autonomie des voies de recours exercées contre les ordonnances rendues par le Juge rapporteur souffre de deux exceptions :
      • Les décisions rendues en matière d’expertise
      • Les décisions constatant l’extinction de l’instance
    • Dans ces deux cas, la voie de recours peut être exercée de manière autonome :
      • Soit dans les cas et conditions prévus en matière d’expertise
      • Soit dans les quinze jours de leur date lorsqu’elles constatent l’extinction de l’instance.

III) Le dénouement de l’instruction conduite par le Juge rapporteur

L’article 869 du CPC dispose que « le juge chargé d’instruire l’affaire la renvoie devant le tribunal dès que l’état de l’instruction le permet. »

Lorsque, ainsi, le Juge rapporteur considère que l’affaire est en état d’être jugée, il la renvoie devant la formation de jugement qui aura pour tâche de juger le fond du litige.

À la différence de la procédure écrite devant le Tribunal judiciaire, la fin de l’instruction de l’affaire dans le cadre de la procédure commerciale n’est pas marquée par le prononcé d’une ordonnance de clôture.

Il en résulte que des conclusions et des pièces peuvent toujours être produites avant l’audience des plaidoiries, sous réserve de l’observance du principe de contradictoire.

Pour mémoire, en effet, l’article 446-2, al. 5e du CPC applicable aux procédures orales, dispose que « le juge peut écarter des débats les prétentions, moyens et pièces communiqués sans motif légitime après la date fixée pour les échanges et dont la tardiveté porte atteinte aux droits de la défense. »

Procédure devant le Tribunal d’instance: la tentative préalable de conciliation

En application de l’article 829 du CPC, devant le Tribunal d’instance, le demandeur dispose d’une option procédurale :

  • Soit il choisit de provoquer une tentative préalable de conciliation
  • Soit il choisit d’assigner aux fins de jugement

La tentative de conciliation provoquée par le demandeur est régie par les articles 830 à 836 du CPC.

I) La demande de conciliation

A) La présentation de la demande de conciliation

==> Forme de la demande

L’article 830, al. 1er du CPC dispose que « la demande aux fins de tentative préalable de conciliation est formée par déclaration faite, remise ou adressée au greffe ».

==> Contenu de la demande

L’article 830, al. 2e prévoit que la déclaration faite au greffe doit comporter :

  • D’une part, les nom, prénoms, profession et adresse des parties
  • D’autre part, l’objet des prétentions du demandeur

B) Les effets de la demande de conciliation

A titre de remarque liminaire, il convient d’observer que la demande aux fins de tentative préalable de conciliation formée par déclaration faite au greffe ne s’analyse pas en une citation en justice.

La conséquence en est que, en cas d’échec de cette procédure, le juge d’instance ne sera nullement tenu par les termes de la conciliation.

Le principal effet de la demande de conciliation est d’interrompre la prescription et les délais pour agir en justice à compter de la date d’enregistrement de la déclaration faite au greffe.

Cette règle, énoncée par l’article 830, al. 3e du CPC ne fait que reprendre les termes de l’article 2238 du Code civil qui dispose que « la prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation. »

II) le déroulement de la conciliation

La tentative de conciliation peut être menée :

  • soit par un conciliateur délégué à cet effet
  • soit par le juge lui-même

A) La conciliation déléguée à un conciliateur de justice

==> La faculté de délégation

L’article 831 du CPC dispose que « le juge peut déléguer à un conciliateur de justice la tentative préalable de conciliation. »

IL ressort de cette disposition que la désignation d’un conciliateur aux fins de trouver une issue au litige qui oppose les parties est une simple faculté laissée au juge qu’il peut choisir de ne pas exercer.

Le juge optera pour ce choix, lorsqu’il estimera qu’une solution au litige est susceptible d’être rapidement trouvée, ce qui permettra d’accélérer le processus de conciliation.

Sous l’empire du droit antérieur l’exercice de cette faculté était subordonné à l’accord des parties.

L’exigence de cet accord a été supprimée par le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 lorsque la tentative de conciliation est engagée notamment devant le Tribunal d’instance.

Le législateur a considéré que dans la mesure où les parties sont d’accord sur le principe de la conciliation, les modalités de cette conciliation doivent être librement décidées par le juge, c’est-à-dire qu’il peut soit procéder directement à cette conciliation, soit la déléguer à un conciliateur de justice.

==> La convocation des parties

Une fois le conciliateur de justice désigné par le juge, le greffier accomplit deux formalités successives :

  • D’une part, il avise par tous moyens le défendeur de la décision du juge.
    • L’avis précise les nom, prénoms, profession et adresse du demandeur et l’objet de la demande.
  • D’autre part, dans l’hypothèse où le défendeur ne refuse pas la désignation d’une tierce personne, il avise le demandeur et le conciliateur de justice de la décision du juge.
    • Une copie de la demande est adressée au conciliateur.

Pour procéder à la tentative de conciliation, l’article 129-3 du CPC dispose que le conciliateur de justice convoque les parties aux lieu, jour et heure qu’il détermine.

Cette disposition précise que cette convocation n’a lieu qu’« en tant que de besoin ». En effet, elle ne sera pas nécessaire lorsque le conciliateur est déjà présent à l’audience, comme cela se pratique devant de nombreux tribunaux d’instance.

==> Assistance des parties

L’alinéa 2 de l’article 129-3 du CPC dispose que lors de leur comparution devant le conciliateur de justice, les parties peuvent être assistées par une personne ayant qualité pour le faire devant la juridiction ayant délégué la conciliation.

Devant le Tribunal d’instance il s’agira donc des personnes figurant sur la liste énoncée à l’article 828 du CPC au nombre desquelles figurent :

  • L’avocat ;
  • Le conjoint ;
  • Le concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité ;
  • Les parents ou alliés en ligne directe ;
  • Les parents ou alliés en ligne collatérale jusqu’au troisième degré inclus ;
  • Les personnes exclusivement attachées à leur service personnel ou à leur entreprise
  • Les fonctionnaires ou agents de l’administration lorsque l’État, les départements, les régions, les communes ou les établissements publics sont parties à l’instance

L’article 832-1 du CPC précise que « les avis adressés aux parties par le greffier précisent que chaque partie peut se présenter devant le conciliateur avec une personne ayant qualité pour l’assister devant le juge ».

==> Pouvoirs du conciliateur

À l’instar des mesures d’« investigation » que le conciliateur peut mener dans un cadre extrajudiciaire, il est prévu qu’il peut, avec l’accord des parties, se rendre sur les lieux et entendre toute personne dont l’audition lui paraît utile et qui l’accepte.

Il est précisé à l’article 129-4 du CPC que les constatations du conciliateur et les déclarations qu’il recueille ne peuvent être ni produites ni invoquées dans la suite de la procédure, sans l’accord des parties, ni, en tout état de cause, dans une autre instance.

L’article 129-5 du CPC ajoute que le conciliateur de justice doit tenir le juge informé des difficultés qu’il rencontre dans l’accomplissement de sa mission, ainsi que de la réussite ou de l’échec de la conciliation.

En cas d’échec de la conciliation, l’article 832 du CPC prévoit, à cet égard, que « le conciliateur de justice en informe le juge en précisant la date de la réunion à l’issue de laquelle il a constaté cet échec. »

==> Issue de la conciliation

  • Succès de la conciliation
    • En cas d’accord, il est établi un constat signé des parties et du conciliateur de justice.
    • En application de l’article 833 du CPC il s’ensuit la formulation d’une demande d’homologation du constat d’accord qui doit être transmise au juge par le conciliateur, étant précisé qu’une copie du constat doit y être jointe.
    • À défaut de saisine du juge par le conciliateur, l’article 131 du CPC dispose que, à tout moment, les parties ou la plus diligente d’entre elles peuvent soumettre à l’homologation du juge le constat d’accord établi par le conciliateur de justice.
    • Le juge statue sur la requête qui lui est présentée sans débat, à moins qu’il n’estime nécessaire d’entendre les parties à l’audience.
    • L’homologation relève de la matière gracieuse.
    • Aussi, le juge ne sera pas tenu de convoquer les parties avant de statuer sur la demande d’homologation ( 28 CPC).
    • Une telle requête pourra ainsi être présentée avant l’audience de rappel de l’affaire, pour éviter aux parties d’avoir à se déplacer à cette audience
    • En tout état de cause, conformément à l’article 130 du CPC la teneur de l’accord, même partiel, doit être consignée, selon le cas, dans un procès-verbal signé par les parties et le juge ou dans un constat signé par les parties et le conciliateur de justice.
    • Des extraits du procès-verbal dressé par le juge peuvent alors être délivrés.
    • L’article 131 du CPC prévoit que ces extraits valent titre exécutoire.
  • Échec de la conciliation
    • L’article 129-5, al. 2 du CPC prévoit que le juge peut mettre fin à tout moment à la conciliation, à la demande d’une partie ou à l’initiative du conciliateur.
    • Il peut également y mettre fin d’office lorsque le bon déroulement de la conciliation apparaît compromis.
    • Cette décision est une mesure d’administration judiciaire, prise sans forme et non susceptible de recours ( 129-6 CPC).
    • Le greffier en avise le conciliateur et les parties. La procédure reprend son cours, soit à la date qui avait été fixée par le juge pour le rappel de l’affaire, soit à une autre date dont les parties sont alors avisées conformément aux règles de procédure applicables devant la juridiction considérée.
    • En dehors de cette hypothèse, l’échec de cette tentative est constaté par le conciliateur qui en avise la juridiction ( 129-5 CPC), en lui précisant la date de la réunion à l’issue de laquelle le conciliateur a constaté cet échec (art. 832 CPC).
    • Cette date est importante à un double titre.
      • D’une part, à la différence du droit antérieur, cette date clôt la procédure de tentative de conciliation et constitue donc la date à compter de laquelle cesse l’interruption de la prescription.
      • D’autre part, elle constitue le point de départ du délai d’un mois offert au demandeur pour bénéficier de la « passerelle » permettant de saisir la juridiction par déclaration au greffe.

B) La conciliation menée par le juge d’instance

Le juge peut souhaiter mener lui-même la tentative de conciliation ou les parties s’opposer à la délégation d’un conciliateur de justice.

Dans ce cas, le régime de la tentative de conciliation est détaillé dans une section II du chapitre I, regroupant les articles 834 et 835 du CPC.

==> Convocation des parties

Lorsque donc le juge décide de procéder lui-même à la conciliation ou que l’une des parties a refusé la désignation d’un conciliateur, l’article 834 du CPC dispose que le greffe avise le demandeur par tout moyen des lieu, jour et heure auxquels l’audience de conciliation se déroulera.

Ainsi, le demandeur est-il désormais avisé « par tout moyen » et non plus seulement par lettre simple, ce qui permet ainsi l’utilisation de moyens modernes de communication, à charge pour celui qui est en demande de donner les moyens de nature à lui transmettre utilement l’information.

Quant à la convocation du défendeur, elle intervient par lettre simple. L’article 834 al. 2 exige que la convocation mentionne les nom, prénoms, profession et adresse du demandeur ainsi que l’objet de la demande.

Enfin, l’avis et la convocation doivent préciser que chaque partie peut se faire assister par une des personnes énumérées à l’article 828.

==> Pouvoirs du juge

L’objectif de souplesse, favorable à l’émergence d’une conciliation des parties, est conforté par la précision apportée à l’article 128 du CPC aux termes de laquelle le juge fixe les modalités de la tentative de conciliation.

Il sera ainsi possible pour le juge, s’il n’estime pas nécessaire de mobiliser un greffier pendant la tentative de conciliation se déroulant en dehors d’une audience de fond, de dispenser celui-ci d’y assister.

Cette dispense ne pourra toutefois pas concerner la phase finale de la conciliation : en cas d’accord des parties, il appartient au greffier d’établir le procès-verbal de conciliation, sous le contrôle du juge et en présence des parties, dont le greffier pourra ainsi attester du consentement.

Bien que la précision ne figure pas dans les dispositions propres à la procédure de tentative préalable de conciliation, celle-ci pourra toujours avoir lieu dans le cabinet du juge.

À cet égard, l’article 129 du CPC dispose que « la conciliation est tentée, sauf disposition particulière, au lieu et au moment que le juge estime favorables et selon les modalités qu’il fixe ».

==> Issue de la conciliation

  • Succès de la conciliation
    • En cas d’accord, même partiel, l’article 130 du CPC prévoit que la teneur de l’accord est consignée dans un procès-verbal signé par les parties et le juge
    • Des extraits de ce procès-verbal valent titre exécutoire en application de l’article 131 du CPC.
  • Échec de la conciliation
    • En cas d’échec de la tentative de conciliation, l’article 835 du CPC envisage deux options :
      • Première option
        • L’alinéa 1er de l’article 835 du CPC prévoit que, à défaut de conciliation, l’affaire peut être immédiatement jugée si les parties y consentent.
        • Dans ce cas, il est procédé selon les modalités de la présentation volontaire.
      • Seconde option
        • Dans l’hypothèse où les parties n’ont pas consenti à ce que l’affaire soit jugée immédiatement au fond, elles sont avisées que la juridiction peut être saisie aux fins de jugement de la demande, en application de l’article 836 dont les dispositions sont reproduites.
        • Cette disposition prévoit, pour mémoire, que, en cas d’échec total ou partiel de la tentative préalable de conciliation, le demandeur peut saisir la juridiction aux fins de jugement de tout ou partie de ses prétentions initiales.
        • La saisine de la juridiction est alors faite selon les modalités prévues par l’article 829 du CPC qui dispose que la demande est formée :
          • Soit par assignation à fin de conciliation et, à défaut, de jugement, sauf la faculté pour le demandeur de provoquer une tentative de conciliation.
          • Soit par une requête conjointe remise au greffe
          • Soit par la présentation volontaire des parties devant le juge
          • Soit, dans le cas prévu à l’article 843, par une déclaration au greffe.

Le mandat ad litem ou la représentation en justice

==> Le principe du mandat ad litem

Aux termes de l’article 411 du CPC, la constitution d’avocat emporte mandat de représentation en justice : l’avocat reçoit ainsi pouvoir et devoir d’accomplir pour son mandant et en son nom, les actes de la procédure. On parle alors traditionnellement de mandat « ad litem », en vue du procès.

Comme démontré précédemment, ce mandat ad litem est obligatoire devant certaines juridictions (Tribunal judiciaire, Cour d’appel, Cour de cassation etc.).

L’article 413 du CPC précise que le mandat de représentation emporte mission d’assistance (présenter une argumentation orale ou écrite et plaider).

Par dérogation à l’exigence qui pèse sur le représentant d’une partie de justifier d’un mandat ad litem, l’avocat est dispensé de justifier du mandat qu’il a reçu de son mandant (art. 416 CPC).

L’article 416 du CPC prévoit en ce sens que « quiconque entend représenter ou assister une partie doit justifier qu’il en a reçu le mandat ou la mission. L’avocat est toutefois dispensé d’en justifier ».

L’article 6.2 du Règlement Intérieur National de la Profession d’Avocat dispose encore que « lorsqu’il assiste ou représente ses clients en justice, devant un arbitre, un médiateur, une administration ou un délégataire du service public, l’avocat n’a pas à justifier d’un mandat écrit, sous réserve des exceptions prévues par la loi ou le règlement ».

La présomption ainsi établie de l’existence même du mandat de représentation peut néanmoins être combattue par la preuve contraire (Cass. com., 19 octobre 1993 n°91-15795).

Le mandat de représentation emporte, à l’égard du juge et de la partie adverse, pouvoir spécial de faire ou accepter un désistement, d’acquiescer, de faire accepter ou donner des offres, un aveu ou un consentement (art. 417 CPC).

La Cour de Cassation juge qu’il s’agit là d’une règle de fond, non susceptible de preuve contraire, dont il découle qu’un acquiescement donné par le représentant ad litem engage irrévocablement le mandant (Cass. 2e civ, 27 février 1980 n°78-14761).

Par ailleurs, si une partie peut révoquer son avocat, c’est à la condition de pourvoir immédiatement à son remplacement, faute de quoi son adversaire serait fondé à poursuivre la procédure jusqu’à la décision de la cour en continuant à ne connaître que l’avocat révoqué (art. 418 CPC).

Inversement, un avocat ayant décidé de se démettre de son mandat n’en est effectivement déchargé, d’une part, qu’après avoir informé son mandant, le juge et la partie adverse de son intention, et, d’autre part, seulement à compter du jour où il est remplacé par un nouvel avocat (art. 419 CPC).

Enfin, l’avocat est tenu de porter à la connaissance du juge son nom et sa qualité dans une déclaration au secrétariat-greffe.

==> L’étendue du mandat ad litem

L’avocat qui a reçu mandat par son client de le représenter en justice peut accomplir tous les actes de procédures utiles à la conduite du procès.

A cet égard, lorsque la représentation est obligatoire, c’est « l’avocat postulant » qui exercera cette mission, tandis que « l’avocat plaidant » ne pourra qu’assurer, à l’oral, la défense du justiciable devant la juridiction saisie.

En tout état de cause, le mandat ad litem confère à l’avocat lui confère les pouvoirs les plus étendus pour accomplir les actes de procédure, tant au stade de l’instance, qu’au stade de l’exécution de la décision.

L’article 420 du CPC dispose en ce sens que « l’avocat remplit les obligations de son mandat sans nouveau pouvoir jusqu’à l’exécution du jugement pourvu que celle-ci soit entreprise moins d’un an après que ce jugement soit passé en force de chose jugée »

  • Au stade de l’instance l’avocat investi d’un mandat ad litem peut :
    • Placer l’acte introductif d’instance
    • Prendre des conclusions et mémoires
    • Provoquer des incidents de procédure
  • Au stade de l’exécution de la décision, l’avocat peut :
    • Faire notifier la décision
    • Mandater un huissier aux fins d’exécution de la décision rendue

Bien que le périmètre des pouvoirs de l’avocat postulant soit relativement large, le mandat ad litem dont est investi l’avocat ne lui confère pas des pouvoirs illimités.

Pour l’accomplissement de certains actes, les plus graves, l’avocat devra obtenir un pouvoir spécial afin qu’il soit habilité à agir au nom et pour le compte de son client.

Tel n’est notamment le cas s’agissant de l’exercice d’une voie de recours (appel et pourvoi en cassation), en conséquence de quoi l’avocat devra justifier d’un pouvoir spécial (V. en ce sens Cass. soc. 2 avr. 1992, n° 87-44229 et Cass. 2e civ., 10 févr. 1993, n° 92-50008)

Il en va également ainsi en matière d’inscription en faux, de déféré de serment décisoire, de demande de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime ou encore de la transaction.

Plus généralement, il ressort de la jurisprudence constante que l’avocat ne peut accomplir aucun acte qui serait étranger à l’instance.

S’agissant des actes énoncés à l’article 417 du Code de procédure civile, (faire ou accepter un désistement, d’acquiescer, de faire, accepter ou donner des offres, un aveu ou un consentement) si l’avocat est réputé être investi d’un pouvoir spécial à l’égard du juge et de la partie adverse, il engage sa responsabilité à l’égard de son mandant en cas de défaut de pouvoir.

Le constat d’huissier: régime juridique

I) Définition

Un constat d’huissier se définit comme l’acte établi sous la forme d’un procès-verbal par un huissier de justice, commis par un juge ou mandaté par un particulier, aux termes duquel sont formulées des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter.

Il s’agit, en somme, d’un instrument de preuve permettant d’établir la matérialité d’un fait. Le recours à ce procédé réside dans le caractère authentique présenté par l’acte qui est régularisé par l’huissier de justice instrumentaire.

II) Intérêt du recours à un constat d’huissier

L’intérêt de recourir à un huissier de justice pour dresser un constat, réside dans la force probante de cet acte qui est reconnue par les tribunaux.

Parce qu’il est un officier ministériel, l’huissier de justice confère aux actes qu’il établit un caractère authentique, à tout le moins pour certaines mentions telles que la date, le lieu, ou encore l’identité des parties.

S’agissant du procès-verbal de constat, les énonciations qu’il comporte font foi jusqu’à preuve du contraire, de sorte qu’il s’agit là d’un formidable moyen pour inverser la charge de la preuve, alors même que, en application de l’article 9 du Code de procédure civile, cette charge pèse, en principe, sur celui qui allègue les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Mieux vaut donc, pour gagner un procès, se prévaloir d’un constat d’huissier que de produire des éléments dont la force probante est laissée à la libre appréciation du juge.

III) Les domaines d’intervention de l’huissier en matière de constat

Sans besoin d’y être autorisé ou après obtention de l’accord d’un juge, l’huissier établit des procès-verbaux de constatation qui décrivent, de façon neutre et incontestable, ce qu’il observe :

  • En se rendant sur les lieux où se déroulent les faits qu’une personne lui demande de relever (malfaçons, non-présentation d’enfants, nuisances de voisinage, abandon de poste, etc.),
  • En effectuant des captures d’écran sur les sites internet accessibles par tous (diffamation, plagiat, publicité mensongère, etc.),
  • En effectuant des retranscriptions de SMS, de messages vocaux ou de vidéos

Les domaines d’intervention de l’huissier de justice en matière de constat sont extrêmement variés :

  • Sinistre de tous ordres (malfaçons, dégâts des eaux, incendies, catastrophes naturelles)
  • Actes de concurrence déloyale
  • Contrefaçon
  • Affichage de permis de construire
  • État d’avancement de travaux
  • Atteintes aux biens ou aux personnes
  • État des lieux d’entrée et de sortie
  • Tenue d’assemblées générales (copropriétés, associations, sociétés)
  • Nuisances sonores ou olfactives
  • Troubles de voisinage
  • Conflits familiaux (abandon de famille, non présentation d’enfants)
  • Diffamation, injures, dénonciation calomnieuse
  • Inventaires de biens dans le cadre de la liquidation d’une succession, d’un régime matrimonial ou de l’ouverture d’une procédure collective

Cette liste n’est bien évidemment pas exhaustive. Le domaine d’intervention de l’huissier est illimité, en ce sens qu’il peut être mandaté pour dresser un constat toutes les fois qu’il est nécessaire d’établir la matérialité d’un fait.

IV) La saisine de l’huissier

L’article 1er, al. 2 de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers prévoit que, pour l’établissement d’un constat, l’huissier de justice peut être :

  • Soit commis par un Juge
  • Soit mandaté par un particulier

A) L’huissier commis par un Juge

  1. La désignation de l’huissier de justice

Lorsque le constat est réalisé sur commission du Juge, la désignation de l’huissier peut intervenir :

  • Soit avant tout procès
  • Soit au cours du procès

==> La désignation d’un huissier de justice avant tout procès

Selon l’article 9 du code de procédure civile, c’est aux parties qu’incombe la charge de prouver les faits propres à fonder leurs prétentions.

Cependant, l’article 143 précise que « les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible ».

Certes, les parties ne sont pas véritablement titulaires d’un droit à obtenir une mesure d’instruction.

À cet égard, l’article 146 du code de procédure civile fait interdiction au juge d’ordonner une mesure d’instruction en vue de suppléer leur carence dans l’établissement de la preuve.

Toutefois, le code de procédure civile a prévu la possibilité pour une partie d’obtenir l’organisation d’une mesure d’instruction judiciaire avant même l’engagement d’un procès.

L’article 145 de ce code dispose en ce sens que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Il est de jurisprudence constante que l’article 146 du code de procédure civile est sans application lorsque le juge est saisi sur le fondement de l’article 145 du même code (Cass. 2e civ., 10 juillet 2008, n°07-15369 ; Cass. 2e civ., 10 mars 2011, n°10-11732).

Plus précisément, le demandeur doit justifier que la mesure, qui ne peut être ordonnée si un procès est déjà en cours entre les parties, est en lien avec un litige susceptible de les opposer et que l’action éventuelle concernant ce litige n’est pas manifestement vouée à l’échec : la mesure doit être de nature à éclairer le juge susceptible d’être saisi du litige opposant les parties (Cass. 2e civ., 29 septembre 2011, n° 10-24684).

Il ressort de l’article 145 du Code de procédure civile que, lorsque le juge est saisi, avant qu’un procès n’ait lieu, il est investi du pouvoir de prendre deux sortes de mesures :

  • Soit il peut prendre des mesures propres à assurer la conservation des preuves
  • Soit il peut prendre des mesures qui tendent à la constitution de preuves

C’est ce que l’on appelle des mesures d’instruction in futurum.

L’article 145 du Code de procédure civile présente la particularité de permettre la saisine du juge aux fins d’obtenir une mesure d’instruction avant tout procès, soit par voie de référé, soit par voie de requête.

Lorsque la sollicitation de mesures d’instruction in futurum se justifie, deux conditions devront être remplies par le demandeur :

  • D’une part, aucune instance au fond ne doit avoir été introduite, les mesures d’instructions in futurum visant à se procurer des preuves avant tout procès
  • D’autre part, il doit justifier d’un motif légitime qu’il a de conserver ou d’établir l’existence de faits en prévision d’un éventuel procès : il faut que l’action éventuelle au fond ne soit pas manifestement vouée à l’échec

Après avoir vérifié que ces conditions sont remplies, le juge pourra prendre toutes les mesures d’instructions utiles légalement admissibles.

Ce qui importe, c’est que ces mesures répondent à l’un des deux objectifs suivants :

  • Conserver la preuve d’un fait
  • Établir la preuve d’un fait

Il ressort d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 7 janvier 1999 que la mesure sollicitée ne peut pas être d’ordre général.

La deuxième chambre civile a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait considéré que parce que « la mesure d’instruction demandée s’analysait en une mesure générale d’investigation portant sur l’ensemble de l’activité de la société Drouot et tendant à apprécier cette activité et à la comparer avec celle de sociétés ayant le même objet, la cour d’appel n’a fait qu’user des pouvoirs qu’elle tient de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile, en décidant sans ajouter au texte une condition qu’il ne contenait pas, que la mesure demandée excédait les prévisions de cet article » (Cass. 2e civ. 7 janv. 1999, n°97-10831).

Les mesures prononcées peuvent être extrêmement variées, pourvu qu’elles soient précises. À cet égard, ce peut être :

  • La désignation d’un expert
  • La désignation d’un huissier de justice
  • La production forcée de pièces par une autre partie ou par un tiers

Ainsi, s’agissant de la désignation d’un huissier, sa mission devra être délimitée et précise. Les constatations et/ou investigations sollicitées ne pourront donc pas être formulées en des termes trop généraux.

La mission de l’huissier devra être limitée à ce qui est strictement nécessaire pour éclairer le juge et à ce qui entretient un lien suffisamment étroit avec la solution du litige à venir.

==> La désignation d’un huissier de justice au cours du procès

Au cours du procès, le Juge dispose toujours de la faculté de désigner un huissier de justice aux fins qu’il opère toutes les constatations utiles à la manifestation de la vérité.

L’article 232 du CPC dispose en ce sens que « le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien ».

Cette désignation de l’huissier de justice en tant que technicien peut intervenir, soit à la demande d’une partie, soit d’office.

L’article 250 du CPC précise que « les constatations peuvent être prescrites à tout moment, y compris en conciliation ou au cours du délibéré. »

Lorsque les constatations ont été prescrites au cours du délibéré, le juge, à la suite de l’exécution de la mesure, ordonne la réouverture des débats si l’une des parties le demande ou s’il l’estime nécessaire.

En tout état de cause, selon l’article 147, le juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en s’attachant à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux, étant précisé qu’il peut à tout moment accroître ou restreindre l’étendue des mesures prescrites.

Par ailleurs, conformément à l’article 251, le juge qui prescrit des constatations fixe le délai dans lequel le constat sera déposé ou la date de l’audience à laquelle les constatations seront présentées oralement.

Il doit, en outre, désigner dans sa décision, la ou les parties qui seront tenues de verser par provision au constatant une avance sur sa rémunération, dont il fixe le montant.

2. Les pouvoirs de l’huissier de justice

Lorsque l’huissier de justice intervient sur commission du Juge il est investi de pouvoirs plus étendus que lorsqu’il est saisi par un particulier.

Reste qu’il demeure soumis à l’observation de règles rigoureuses qui encadrent l’exécution de sa mission.

==> Les modalités d’exercice de la mission de l’huissier

Lorsque l’huissier de justice intervient sur commission du Juge, il dispose de la faculté d’effectuer toutes les constatations utiles qui relèvent de sa mission, y compris celles qui impliquent qu’il pénètre dans un lieu privé.

À cet égard, il sera autorisé, pour mener à bien sa mission, à requérir le concours de la force publique.

Si les constatations de l’huissier de justice ne se heurtent à aucune contrainte horaire lorsqu’elles sont effectuées dans un lieu public (Cass. 2e civ. 14 janv. 1998, n°95-18344), tel n’est pas le cas lorsqu’elles interviennent dans un lieu privé.

Cette interdiction a pour origine l’article 76 de la Constitution du 22 frimaire an VIII qui dispose que « la maison de toute personne habitant le territoire français, est un asile inviolable. – Pendant la nuit, nul n’a le droit d’y entrer que dans le cas d’incendie, d’inondation, ou de réclamation faite de l’intérieur de la maison. – Pendant le jour, on peut y entrer pour un objet spécial déterminé ou par une loi, ou par un ordre émané d’une autorité publique ».

Dans le droit fil de cette disposition révolutionnaire, l’article 664 du CPC prévoit que « aucune signification ne peut être faite avant six heures et après vingt et une heures, non plus que les dimanches, les jours fériés ou chômés, si ce n’est en vertu de la permission du juge en cas de nécessité. »

La jurisprudence a étendu l’interdiction posée par cette disposition aux constatations effectuées par un huissier de justice qui intervient sur commission du juge.

Il en résulte donc qu’un huissier de justice ne peut opérer aucune constatation entre 6h du matin et 21h du soir ainsi que toute la journée du dimanche et des jours fériées, sauf autorisation expresse du juge si les circonstances l’exigent.

==> Le périmètre de la mission de l’huissier

Lorsque l’huissier de justice intervient sur commission du Juge le périmètre de sa mission est déterminé par la décision, périmètre en dehors duquel il ne saurait opérer aucune investigation de son propre chef.

Autrement dit, la mission de l’huissier est circonscrite aux seules constatations et diligences visées par l’ordonnance du Juge, d’où l’exigence de précision de la demande formulée par le requérant.

Quant à la détermination du périmètre de la mission confiée à l’huissier, l’article 147 du CPC prévoit que « le juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en s’attachant à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux. »

L’article 149 précise que « le juge peut à tout moment accroître ou restreindre l’étendue des mesures prescrites. »

Lorsque le juge détermine le périmètre de la mission confiée à l’huissier il doit donc être guidé par le seul souci d’éclairer sa décision et d’obtenir la manifestation de la vérité.

B) L’huissier mandaté par un particulier

Lorsque l’huissier est mandaté par un particulier pour établir un constat, sa mission s’exercera en dehors du contrôle du Juge, de sorte que son périmètre sera déterminé dans l’acte de saisine de l’officier ministériel dans la limite de l’atteinte aux droits des tiers.

A cet égards, les constatations requises par le requérant pourront être effectuées, tant dans un lieu public, que dans un lieu privé, étant précisé que dans cette dernière hypothèse, la marge de manœuvre de l’huissier de justice instrumentaire sera limitée.

==> Les constatations réalisées dans un lieu public

Les textes sont silencieux sur la notion de lieu public, de sorte qu’il convient de se reporter à la jurisprudence.

Dans un jugement du 23 octobre 1986, le Tribunal de grande instance de Paris a considéré qu’un lieu public pouvait être défini comme « le lieu accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions » (TGI Paris, 23 oct. 1986 confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 novembre 1986).

Ainsi, pour être qualifié de public le lieu dans lequel l’huissier de justice instrumentaire intervient doit être :

  • Accessible à tous
  • Accessible sans qu’il soit besoin de justifier d’une autorisation spéciale
  • Accessible en permanence et sans conditions

Il en va ainsi des lieux d’une voie publique, d’un lieu de culte, d’un hôtel de ville, d’un palais de justice ou encore d’un hôpital.

À cet égard la circulaire du 2 mars 2011 relative à la mise en œuvre de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public a précisé que « l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public ».

Lorsqu’un huissier se transporte sur un lieu public pour effectuer des constatations, il n’est pas nécessaire qu’il requiert l’autorisation du Juge, ni qu’il respecte les heures légales.

==> Les constatations réalisées dans un lieu privé

À l’instar du lieu public, le lieu privé n’est défini par aucun texte, raison pour laquelle il est nécessaire de se reporter là encore à la jurisprudence.

Le lieu privé est envisagé comme l’endroit qui n’est pas autorisé aux personnes, sauf autorisation de ceux qui l’occupent d’une manière permanente ou temporaire (V. en ce sens CA Besançon, 5 janv. 1978).

Le lieu privé bénéficie, de la même protection que le domicile, soit notamment de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui prévoit que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

Dans sa décision du 29 décembre 1983, le Conseil constitutionnel a érigé la protection du domicile en principe à valeur constitutionnelle en le rattachant à l’article 66 de la Constitution.

Preuve de l’importance que le législateur attache à la protection du domicile, sa violation est sanctionnée pénalement, quand bien même l’intrusion serait le fait d’un huissier de justice.

L’article 432-8 du Code pénal dispose en ce sens que « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, de s’introduire ou de tenter de s’introduire dans le domicile d’autrui contre le gré de celui-ci hors les cas prévus par la loi est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »

Pour pénétrer dans un lieu privé, l’huissier de justice doit nécessairement :

  • Soit obtenir le consentement de l’occupant
  • Soit être muni d’un titre exécutoire

Dès lors que les constatations ont été sollicitées par l’occupant, elles pourront être réalisées en dehors des horaires légaux (6h – 21h).

==> Les constatations réalisées dans un lieu privé ouvert au public

Un lieu privé ouvert au public est un endroit appartenant à une personne physique ou morale de droit privé qui en détermine les modalités d’accès et d’occupation.

Peuvent être considérés comme des lieux privés ouverts au public les cafés, restaurants, magasins, les cinémas et théâtres, les établissements bancaires.

Lorsque le constat est réalisé sur un lieu privé ouvert au public, l’huissier devra à l’instar du lieu privé non ouvert au public, soit obtenir l’autorisation de l’occupant temporaire ou permanent, soit être muni d’un titre exécutoire.

V) La validité du constat d’huissier

Pour être valable, le constat d’huissier doit satisfaire à plusieurs conditions prévues, et par l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers et par le Code de procédure civile.

==> Compétence de l’huissier

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques modifie les règles de compétence territoriale des huissiers de Justice (1er janvier 2017), pour l’établissement de procès-verbaux de constat, la compétence territoriale de l’huissier de justice est nationale.

Elle n’est donc plus limitée au ressort de la Cour d’appel de sa résidence comme c’était le cas avant.

==> Neutralité des constatations

L’article 1er, al. 2 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 impose à l’huissier de justice commis par la justice ou à la requête de particulier d’« effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. »

Dans le même sens, l’article 249, al. 2e prévoit que « le constatant ne doit porter aucun avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ».

Il ressort de ces dispositions que les constatations effectuées par l’huissier de justice instrumentaire doivent être empreintes de neutralité.

Autrement dit, il est interdit à l’huissier de justice de porter de tirer des conséquences ou de porter des appréciations sur les constatations faites.

Son intervention doit se limiter à constater des faits et à consigner dans un procès-verbal de constat. Il ne saurait, en conséquence, se déporter sur le terrain de la causalité, sauf à empiéter sur l’office du juge, ce qui est lui strictement défendu.

==> Exécution des constatations

L’article 233 du CPC prévoit que « le technicien, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée. »

Ainsi, seul l’huissier de justice en personne peut effectuer les constatations sollicitées. Tout au plus, il peut déléguer cette mission à un clerc, à la condition que celui-ci soit habilité à procéder à des constatations.

En tout état de cause, l’article 2 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit que les huissiers de justice sont tenus d’établir leurs actes, exploits et procès-verbaux en un original ; ils en établissent des expéditions certifiées conformes.

À cet égard, ils sont responsables de la rédaction de leurs actes, sauf, lorsque l’acte a été préparé par un autre officier ministériel, pour les indications matérielles qu’ils n’ont pas pu eux-mêmes vérifier.

VI) La force probante du constat d’huissier

Parce que l’huissier de justice est un officier ministériel, les actes qu’il établit présentent, en principe, un caractère authentique.

Pour rappel, l’article 1369 du Code civil dispose que « l’acte authentique est celui qui a été reçu, avec les solennités requises, par un officier public ayant compétence et qualité pour instrumenter. »

La particularité de l’acte authentique est qu’il « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »

Le caractère authentique d’un acte lui confère ainsi une force probante des plus efficaces puisque seule une action en inscription de faux est susceptible de le remettre en cause.

La question qui alors se pose est de savoir si le procès-verbal de constat est constitutif d’un acte authentique.

À l’examen, seuls certains éléments du procès-verbal de constat présentent ce caractère authentique :

  • La date du constat
  • Le nom de l’huissier
  • La signature de l’huissier

S’agissant des énonciations relatives aux constatations effectuées par l’huissier de justice, l’article 2 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit que « sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu’à preuve contraire ».

Ainsi, les constatations consignées dans le procès-verbal établi par l’huissier peuvent être réfutées par une preuve contraire. Seule une présomption simple pèse sur ces constatations (V. en ce sens Cass. 2e civ. 6 juin 2013, n°12-17771). Elles ne présentent donc aucun caractère authentique.

Comme le rappelait le doyen Carbonnier à propos de l’adage « idem est non esse aut non probari » : « les droits sont comme s’ils n’existaient pas s’ils ne peuvent être prouvés ».

Il semble légitime qu’en matière civile, les constats dressés par un officier ministériel, soumis à des obligations déontologiques et à un contrôle strict, aient pour effet de renverser la charge de la preuve du fait de cette présomption simple établie par la loi.

Il ressort donc de la règle posée par le législateur que lorsqu’un juge doit trancher entre des prétentions contradictoires, les unes appuyées par un constat d’huissier, les autres fondées sur le témoignage d’un particulier, il ne peut accorder davantage de crédit aux constatations matérielles réalisées par l’huissier de justice et doit motiver avec soin sa décision par une analyse comparative des éléments qui lui sont présentés.

Le référé probatoire (art. 145 du CPC)

« La procédure est la forme dans laquelle on doit intenter les demandes en justice, y défendre, intervenir, instruire, juger, se pourvoir contre les jugements et les exécuter » (R.-J. POTHIER, Traité de procédure civile, in limine, 1er volume Paris, 1722, Debure)

?Présentation générale

Lorsqu’un litige exige qu’une solution, au moins provisoire, soit prise dans l’urgence par le juge, une procédure spécifique dite de référé est prévue par la loi.

Elle est confiée à un juge unique, généralement le président de la juridiction qui rend une ordonnance de référé.

L’article 484 du Code de procédure civile définit l’ordonnance de référé comme « une décision provisoire rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires. »

Il ressort de cette disposition que la procédure de référé présente trois caractéristiques :

  • D’une part, elle conduit au prononcé d’une décision provisoire, en ce sens que le juge des référés ne se prononce pas sur le fond du litige. L’ordonnance rendue en référé n’est donc pas définitive
  • D’autre part, la procédure de référé offre la possibilité à un requérant d’obtenir du Juge toute mesure utile afin de préserver ses droits et intérêts
  • Enfin, la procédure de référé est, à la différence de la procédure sur requête, placée sous le signe du contradictoire, le Juge ne pouvant statuer qu’après avoir entendu les arguments du défendeur

Le juge des référés, juge de l’urgence, juge de l’évidence, juge de l’incontestable, paradoxalement si complexes à saisir, est un juge au sens le plus complet du terme.

Il remplit une fonction sociale essentielle, et sa responsabilité propre est à la mesure du pouvoir qu’il exerce.

Selon les termes de Pierre DRAI, ancien Premier Président de la Cour de cassation « toujours présent et toujours disponible (…) (il fait) en sorte que l’illicite ne s’installe et ne perdure par le seul effet du temps qui s’écoule ou de la procédure qui s’éternise ».

Le référé ne doit cependant pas faire oublier l’intérêt de la procédure à jour fixe qui répond au même souci, mais avec un tout autre aboutissement : le référé a autorité provisoire de chose jugée alors que dans la procédure à jour fixe, le juge rend des décisions dotées de l’autorité de la chose jugée au fond.

En toute hypothèse, avant d’être une technique de traitement rapide aussi bien de l’urgence que de plusieurs cas d’évidence, les référés ont aussi été le moyen de traiter l’urgence née du retard d’une justice lente.

Reste que les fonctions des référés se sont profondément diversifiées. Dans bien des cas, l’ordonnance de référé est rendue en l’absence même d’urgence.

Mieux encore, lorsqu’elle satisfait pleinement le demandeur, il arrive que, provisoire en droit, elle devienne définitive en fait – en l’absence d’instance ultérieure au fond.

En outre, la Cour européenne des droits de l’homme applique désormais au juge du provisoire les garanties du procès équitable de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, gde ch., arrêt du 15 octobre 2009, Micallef c. Malte, no 17056/06). S’affirme ainsi une véritable juridiction du provisoire.

Le juge des référés est saisi par voie d’assignation. Il instruit l’affaire de manière contradictoire lors d’une audience publique, et rend une décision sous forme d’ordonnance, dont la valeur n’est que provisoire et qui n’est pas dotée au fond de l’autorité de la chose jugée.

L’ordonnance de référé ne tranche donc pas l’entier litige. Elle est cependant exécutoire à titre provisoire.

Le recours au juge des référés, qui n’est qu’un juge du provisoire et de l’urgence, n’est possible que dans un nombre limité de cas :

  • Le référé d’urgence
    • Dans les cas d’urgence, le juge peut prononcer toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence du litige en question. On dit à cette occasion que le juge des référés est le juge de l’évidence, de l’incontestable.
  • Le référé conservatoire
    • Le juge des référés peut également prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite (il peut ainsi, par exemple, suspendre la diffusion d’une publication portant manifestement atteinte à la vie privée d’un individu).
  • Le référé provision
    • Le juge des référés est compétent pour accorder une provision sur une créance qui n’est pas sérieusement contestable.
  • Le référé injonction
    • Le juge des référés peut enjoindre une partie d’exécuter une obligation, même s’il s’agit d’une obligation de faire.
  • Le référé probatoire
    • Lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de certains faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, le juge peut ordonner des mesures d’instruction, par exemple une expertise.

Nous nous focaliserons ici sur le référé probatoire.

Selon l’article 9 du code de procédure civile, c’est aux parties qu’incombe la charge de prouver les faits propres à fonder leurs prétentions.

Cependant, l’article 143 précise que « les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible ».

Certes, les parties ne sont pas véritablement titulaires d’un droit à obtenir une mesure d’instruction.

À cet égard, l’article 146 du code de procédure civile fait interdiction au juge d’ordonner une mesure d’instruction en vue de suppléer leur carence dans l’établissement de la preuve.

Toutefois, le code de procédure civile a prévu la possibilité pour une partie d’obtenir l’organisation d’une mesure d’instruction judiciaire avant même l’engagement d’un procès.

L’article 145 de ce code dispose en ce sens que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Il est de jurisprudence constante que l’article 146 du code de procédure civile est sans application lorsque le juge est saisi sur le fondement de l’article 145 du même code (Cass. 2e civ., 10 juillet 2008, n°07-15.369 ; Cass. 2e civ., 10 mars 2011, n°10-11.732).

Plus précisément, le demandeur doit justifier que la mesure, qui ne peut être ordonnée si un procès est déjà en cours entre les parties, est en lien avec un litige susceptible de les opposer et que l’action éventuelle concernant ce litige n’est pas manifestement vouée à l’échec : la mesure doit être de nature à éclairer le juge susceptible d’être saisi du litige opposant les parties (Cass. 2e civ., 29 sept. 2011, n° 10-24.684).

Il ressort de l’article 145 du Code de procédure civile que, lorsque le juge est saisi, avant qu’un procès n’ait lieu, il est investi du pouvoir de prendre deux sortes de mesures :

  • Soit il peut prendre des mesures propres à assurer la conservation des preuves
  • Soit il peut prendre des mesures qui tendent à la constitution de preuves

C’est ce que l’on appelle des mesures d’instruction in futurum

Reste que la mise en œuvre de cette disposition est subordonnée à la satisfaction de plusieurs conditions et que les mesures susceptibles d’être prononcées par le juge sont limitées.

I) Les conditions de mises en œuvre

A) Les conditions procédurales

L’article 145 du Code de procédure civile présente la particularité de permettre la saisine du juge aux fins d’obtenir une mesure d’instruction avant tout procès, soit par voie de référé, soit par voie de requête.

Est-ce à dire que la partie cherchant à se préconstituer une preuve avant tout procès dispose d’une option procédurale ?

L’analyse de la combinaison des articles 145 et 845 du Code de procédure civile révèle qu’il en est rien.

Régulièrement, la Cour de cassation rappelle, en effet, qu’il ne peut être recouru à la procédure sur requête qu’à la condition que des circonstances particulières l’exigent.

Autrement dit, la voie du référé doit être insuffisante, à tout le moins inappropriée, pour obtenir le résultat recherché.

Cette hiérarchisation des procédures qui place la procédure sur requête sous le signe de la subsidiarité procède de la volonté du législateur de n’admettre une dérogation au principe du contradictoire que dans des situations très exceptionnelles.

D’où l’obligation pour les parties d’envisager, en première intention, la procédure de référé, la procédure sur requête ne pouvant intervenir que dans l’hypothèse où il n’existe pas d’autre alternative.

Dans un arrêt du 29 janvier 2002, la Cour de cassation avait ainsi reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe de la contradiction » (Cass. com., 29 janv. 2002, n°00-11.134).

Lorsque toutefois la procédure sur requête se justifie, deux conditions devront être remplies par le requérant :

  • D’une part, aucune instance au fond ne doit avoir été introduite, les mesures d’instructions in futurum visant à se procurer des preuves avant tout procès
  • D’autre part, il doit justifier d’un motif légitime qu’il a de conserver ou d’établir l’existence de faits en prévision d’un éventuel procès : il faut que l’action éventuelle au fond ne soit pas manifestement vouée à l’échec

Au bilan, la voie privilégiée pour engager une demande sur le fondement de l’article 145 du CPC, c’est le référé.

La procédure sur requête ne peut être envisagée qu’à la condition de justifier de circonstances exceptionnelles.

B) Les conditions de fond

Lorsque le Juge des référés est saisi sur le fondement de l’article 145 du CPC, la mesure sollicitée doit être justifiée par la nécessité de conserver ou d’établir les faits en vue d’un procès potentiel.

?Sur la justification d’un motif légitime

La demande ne peut être accueillie que si le demandeur justifie d’un motif légitime, dont l’existence est appréciée souverainement par les juges du fond (Cass. 2e civ., 8 févr. 200, n°05-14.198).

La légitimité du motif est étroitement liée à la situation des parties et à la nature de la mesure sollicitée, le motif n’étant légitime que si les faits à établir ou à conserver sont eux-mêmes pertinents et utiles.

Le juge n’a pas à caractériser la légitimité de la mesure au regard des différents fondements juridiques possibles de l’action en vue de laquelle elle était sollicitée (Cass. 2e civ., 8 juin 2000, n° 97-13.962).

Les mesures d’instruction peuvent tendre à la conservation des preuves, mais aussi à l’établissement de faits, et peuvent concerner des tiers, si aucun empêchement légitime ne s’y oppose (Cass. 2e civ., 26 mai 2011, n°10-20.048).

Les mesures d’investigation ordonnées, que ce soit en référé ou sur requête, doivent être légalement admissibles.

La Cour de cassation veille à ce que le juge se soit assuré que les mesures sollicitées ne comportent pas d’atteinte à une liberté fondamentale (Cass. 2e civ., 10 nov. 2010, n° 09-71.674 ; Cass. 2e civ., 6 janv. 2011, n° 09-72.841).

Par exemple, il a été jugé qu’excède les mesures d’instruction légalement admissibles au sens de l’article 145 du code de procédure civile, la mesure ordonnée par le président d’un tribunal de commerce autorisant un huissier de justice à se rendre dans les locaux d’une société suspectée d’actes de concurrence déloyale et de détournement de clientèle et à se saisir de tout document social, fiscal, comptable, administratif, de quelque nature que ce soit, susceptible d’établir la preuve, l’origine et l’étendue du détournement, permettant ainsi à l’huissier de justice de fouiller à son gré les locaux de la société, sans avoir préalablement sollicité la remise spontanée des documents concernés et obtenu le consentement du requis (Cass. 2e civ., 16 mai 2012, n° 11-17.229).

Aussi, la Cour de cassation se montre vigilante sur l’étendue des investigations pouvant être autorisées sur le fondement de l’article 145 du CPC.

Il peut être noté que, dans un arrêt du 7 janvier 1999, la Cour de cassation a estimé que « le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées » (Cass. 2e civ. 7 janvier 1999, n° 95-21.934).

En pratique, il existe de nombreuses contestations contre les décisions ordonnant des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145, en raison :

  • De l’insuffisance de démonstration du « motif légitime » de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ;
  • De l’imprécision de la mesure d’expertise sollicitée, la mission de l’expert ne pouvant pas être générale, mais précisément limitée à la recherche des faits pertinents, en quelque sorte « ciblée » (comme pour toute demande d’expertise, y compris devant le juge du fond) ;

Reste que, le Juge ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire, raison pour laquelle il lui appartient de motiver sa décision d’admettre ou de rejeter une demande de mesure d’instruction ou de production forcée de pièces sur le fondement de l’article 145 du CPC (Cass. 2e civ., 8 mars 2007, n° 06-15.251).

C’est là une différence essentielle avec le juge saisi au fond qui dispose du pouvoir d’ordonner discrétionnairement ou non une mesure d’instruction (Cass. com. 3 avr. 2007, n° 06-12.762 ; Cass. com17 mars 2004, n° 00-13.081).

?Sur la potentialité d’un procès

Mesure par nature préventive, le référé de l’article 145 du code de procédure civile, parfois appelé « référé instruction », a pour objet de permettre à un sujet de droit de se procurer une preuve dont il pourrait avoir besoin à l’appui d’un procès potentiel.

Encore faut-il que ce dernier soit envisageable.

Le litige doit être potentiel, ce qui signifie qu’il ne doit pas être en cours. Selon une jurisprudence bien établie, la condition tenant à l’absence d’instance au fond, prescrite par le texte (« avant tout procès »), est une condition de recevabilité devant être appréciée, et conséquemment remplie, au jour de la saisine du juge des référés.

Par procès, il faut entendre une instance au fond. Dans un arrêt du 11 mai 1993, la Cour de cassation a considéré qu’une mesure in futurum devait être ordonnée « avant tout procès, c’est-à-dire avant que le juge du fond soit saisi du procès en vue duquel (cette mesure) est sollicitée » (Cass. com., 11 mai 1993, n°90-20.430).

La saisine du Juge des référés n’interdit donc pas l’introduction d’une demande sur le fondement de l’article 145 du CPC (Cass. 2e civ., 17 juin 1998, n°95-10.563).

Quant à l’appréciation de l’existence d’un procès, dans un arrêt du 28 juin 2006, la Cour de cassation a considéré « qu’en statuant ainsi, alors que l’absence d’instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande, devait s’apprécier à la date de la saisine du juge, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. 2e civ., 28 juin 2006, n° 05-19.283).

Reste que l’interdiction de saisir le Juge des référés sur le fondement de l’article 145 est inapplicable lorsque la mesure litigieuse est sollicitée pour recueillir la preuve, avant tout procès, d’actes de concurrence déloyale distincts du procès qui oppose les parties (Cass. com. 3 avr. 2013, n°12-14.202).

II) Les mesures prises

Lorsque le juge des référés est saisi sur le fondement de l’article 145 CPC, il peut prendre toutes les mesures d’instructions utiles légalement admissibles.

Ce qui importe, c’est que ces mesures répondent à l’un des deux objectifs suivants :

  • Conserver la preuve d’un fait
  • Établir la preuve d’un fait

Il ressort d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 7 janvier 1999 que la mesure sollicitée ne peut pas être d’ordre général.

La deuxième chambre civile a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait considéré que parce que « la mesure d’instruction demandée s’analysait en une mesure générale d’investigation portant sur l’ensemble de l’activité de la société Drouot et tendant à apprécier cette activité et à la comparer avec celle de sociétés ayant le même objet, la cour d’appel n’a fait qu’user des pouvoirs qu’elle tient de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile, en décidant sans ajouter au texte une condition qu’il ne contenait pas, que la mesure demandée excédait les prévisions de cet article » (Cass. 2e civ. 7 janv. 1999, n°97-10.831).

Les mesures prononcées peuvent être extrêmement variées pourvu qu’elles soient précises. À cet égard, ce peut être :

  • La désignation d’un expert
  • La désignation d’un huissier de justice
  • La production forcée de pièces par une autre partie ou par un tiers

S’agissant de la production forcée de pièces, c’est de manière prétorienne que les « mesures d’instruction » ont été étendues à cette sollicitation, par combinaison des articles 10, 11 et 145 du CPC.

En effet, l’article 145 relève d’un sous-titre du Code de procédure civile consacrée aux mesures d’instruction.

La production de pièces est régie, quant à elle, par un sous-titre distinct, ce qui a fait dire à certains que, en l’absence de texte prévoyant expressément la production forcée de pièces par une autre partie ou par un tiers, cette mesure ne relevait pas de la compétence du Juge des référés saisi sur le fondement de l’article 145 du CPC.

Reste que l’article 145 est compris dans le titre VII du Code de procédure dédié à « l’administration judiciaire de la preuve ».

C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation a admis que le juge des référés puisse ordonner la production forcée de pièces détenues, soit par une autre partie (Cass. com. 11 avril 1995, n° 92-20.985 ; Cass. 2e civ. 23 sept. 2004, n° 02-16.459 ; Cass. 2e civ., 17 févr. 2011, n° 10-30.638) ou par des tiers (Cass. 1ère civ., 20 déc. 1993, n° 92-12.819 ; Cass. 2e civ., 26 mai 2011, n° 10-20.048).

Il a, en effet, été considéré que cette production forcée était de nature à contribuer à la bonne « instruction » de l’affaire.

Pratiquement, il conviendra, de solliciter la production forcée de pièces sous astreinte, afin que l’ordonnance rendue puisse être exécutée efficacement.

Enfin, Lorsque la demande de production forcée de pièces est sollicitée en cours de procédure, il conviendra de se fonder sur les articles 11 et 138 du Code de procédure civile.

III) L’exécution de la mesure prise

?Principe

Lorsque le Juge des référés est saisi sur le fondement de l’article 145 du CPC il est immédiatement dessaisi après avoir ordonné la mesure sollicitée (Cass. 2e civ., 6 juin 2013, n° 12-21.683).

Il en résulte qu’il n’est pas compétent pour connaître de l’irrégularité de l’exécution de la mesure ordonnée.

Dans un arrêt du 15 juin 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « en déboutant les époux X… de leur demande d’interdiction et en ordonnant la mesure d’instruction sollicitée, avait épuisé sa saisine en tant que juridiction des référés ; qu’elle a donc à bon droit déclaré que les époux X… n’étaient pas recevables à lui demander une nouvelle expertise » (Cass. 2e civ., 15 juin 1994, n°92-18.186).

Dans un arrêt du 24 juin 1998, elle a encore décidé après avoir relevé que « pour commettre un nouveau technicien en lui confiant une mission identique à celle qui avait été précédemment ordonnée, [l’arrêt attaqué] retient que le premier technicien n’a pas correctement exécuté sa mission alors qu’en ordonnant par son arrêt du 3 octobre 1995 la mesure d’expertise sollicitée par la société Henri Maire, elle avait épuisé les pouvoirs que le juge des référés tient de l’article 145 susvisé, toute demande de nouvelle mesure d’instruction motivée par l’insuffisance des diligences du technicien commis ne pouvant relever que de l’appréciation du juge du fond, la cour d’appel a méconnu l’étendue de ses pouvoirs » (Cass. 2e civ. 24 juin 1998, n° 97-10.638).

Aussi, c’est aux seuls juges du fond d’apprécier la régularité de l’exécution de la mesure d’instruction in futurum ordonnée par le Juge des référés sur le fondement de l’article 145 du CPC (Cass. 2e civ. 2 déc. 2004, n°02-20.205).

?Tempéraments

Une fois la mesure ordonnée le Juge des référés peut seulement « sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, déclarer commune à une autre partie une mesure d’instruction qu’il a précédemment ordonnée en référé » (Cass. 2e civ., 12 juill. 2001, n° 00-10.162).

Rien ne lui interdit, par ailleurs d’étendre la mission de l’expert à toutes fins utiles dont dépend la solution du litige (Cass. com., 22 sept. 2016, n° 15-14.449).

Procédure de référé devant le Tribunal judiciaire: le référé conservatoire (art. 835, al. 1er du CPC)

« La procédure est la forme dans laquelle on doit intenter les demandes en justice, y défendre, intervenir, instruire, juger, se pourvoir contre les jugements et les exécuter » (R.-J. POTHIER, Traité de procédure civile, in limine, 1er volume Paris, 1722, Debure)

?Présentation générale

Lorsqu’un litige exige qu’une solution, au moins provisoire, soit prise dans l’urgence par le juge, une procédure spécifique dite de référé est prévue par la loi.

Elle est confiée à un juge unique, généralement le président de la juridiction qui rend une ordonnance de référé.

L’article 484 du Code de procédure civile définit l’ordonnance de référé comme « une décision provisoire rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires. »

Il ressort de cette disposition que la procédure de référé présente trois caractéristiques :

  • D’une part, elle conduit au prononcé d’une décision provisoire, en ce sens que le juge des référés ne se prononce pas sur le fond du litige. L’ordonnance rendue en référé n’est donc pas définitive
  • D’autre part, la procédure de référé offre la possibilité à un requérant d’obtenir du Juge toute mesure utile afin de préserver ses droits et intérêts
  • Enfin, la procédure de référé est, à la différence de la procédure sur requête, placée sous le signe du contradictoire, le Juge ne pouvant statuer qu’après avoir entendu les arguments du défendeur

Le juge des référés, juge de l’urgence, juge de l’évidence, juge de l’incontestable, paradoxalement si complexes à saisir, est un juge au sens le plus complet du terme.

Il remplit une fonction sociale essentielle, et sa responsabilité propre est à la mesure du pouvoir qu’il exerce.

Selon les termes de Pierre DRAI, ancien Premier Président de la Cour de cassation « toujours présent et toujours disponible (…) (il fait) en sorte que l’illicite ne s’installe et ne perdure par le seul effet du temps qui s’écoule ou de la procédure qui s’éternise ».

Le référé ne doit cependant pas faire oublier l’intérêt de la procédure à jour fixe qui répond au même souci, mais avec un tout autre aboutissement : le référé a autorité provisoire de chose jugée alors que dans la procédure à jour fixe, le juge rend des décisions dotées de l’autorité de la chose jugée au fond.

En toute hypothèse, avant d’être une technique de traitement rapide aussi bien de l’urgence que de plusieurs cas d’évidence, les référés ont aussi été le moyen de traiter l’urgence née du retard d’une justice lente.

Reste que les fonctions des référés se sont profondément diversifiées. Dans bien des cas, l’ordonnance de référé est rendue en l’absence même d’urgence.

Mieux encore, lorsqu’elle satisfait pleinement le demandeur, il arrive que, provisoire en droit, elle devienne définitive en fait – en l’absence d’instance ultérieure au fond.

En outre, la Cour européenne des droits de l’homme applique désormais au juge du provisoire les garanties du procès équitable de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, gde ch., arrêt du 15 octobre 2009, Micallef c. Malte, no 17056/06). S’affirme ainsi une véritable juridiction du provisoire.

Le juge des référés est saisi par voie d’assignation. Il instruit l’affaire de manière contradictoire lors d’une audience publique, et rend une décision sous forme d’ordonnance, dont la valeur n’est que provisoire et qui n’est pas dotée au fond de l’autorité de la chose jugée.

L’ordonnance de référé ne tranche donc pas l’entier litige. Elle est cependant exécutoire à titre provisoire.

Le recours au juge des référés, qui n’est qu’un juge du provisoire et de l’urgence, n’est possible que dans un nombre limité de cas :

  • Le référé d’urgence
    • Dans les cas d’urgence, le juge peut prononcer toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence du litige en question. On dit à cette occasion que le juge des référés est le juge de l’évidence, de l’incontestable.
  • Le référé conservatoire
    • Le juge des référés peut également prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite (il peut ainsi, par exemple, suspendre la diffusion d’une publication portant manifestement atteinte à la vie privée d’un individu).
  • Le référé provision
    • Le juge des référés est compétent pour accorder une provision sur une créance qui n’est pas sérieusement contestable.
  • Le référé injonction
    • Le juge des référés peut enjoindre une partie d’exécuter une obligation, même s’il s’agit d’une obligation de faire.
  • Le référé probatoire
    • Lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de certains faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, le juge peut ordonner des mesures d’instruction, par exemple une expertise.

Nous nous focaliserons ici sur le référé conservatoire.

L’article 835, al. 1er du CPC dispose que « le président du tribunal judiciaire ou le juge de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’il s’agit de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble illicite, le Juge des référés dispose du pouvoir de prononcer deux sortes de mesures :

  • Des mesures conservatoires
  • Des remises en état

La question qui rapidement s’est posée a été de savoir si ces mesures pouvaient indifféremment être prononcées lorsqu’est établi, soit la survenance d’un dommage imminent, soit l’existence d’un trouble manifestement illicite.

À l’examen, il apparaît que l’adoption d’une mesure de remise en état ne saurait, par définition, être prononcée pour prévenir un dommage imminent. Cette mesure ne se conçoit que si le dommage s’est déjà réalisé. Or s’il est imminent, cela signifie qu’il n’a pas encore eu lieu.

De ce constat, on peut en déduire que :

  • D’une part, l’adoption d’une mesure de remise en état ne sera prononcée que pour faire cesser un trouble manifestement illicite
  • D’autre part, la prescription d’une mesure conservatoire ne se justifiera que dans l’hypothèse où il est nécessaire de prévenir un dommage imminent

En toute hypothèse, comme prévu par l’article 835, al. 1er du CPC, il est indifférent qu’existe une contestation sérieuse.

Lorsque le juge est saisi sur le fondement de cette disposition, l’établissement d’une telle contestation sera sans incidence sur le pouvoir du Juge de prononcer une mesure conservatoire ou une mesure de remise en état.

I) Prévention du dommage imminent et prescription d’une mesure conservatoire

Pour solliciter la prescription d’une mesure conservatoire du Juge des référés, il convient donc de justifier l’existence d’un dommage imminent.

?Sur le dommage imminent

Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer (V. en ce sens Cass. com., 13 avr. 2010, n° 09-14.386).

Ainsi, appartient-il au demandeur de démontrer que, sans l’intervention du Juge, il est un risque dont la probabilité est certaine qu’un dommage irréversible se produise.

Ce dommage peut procéder d’une situation de fait, de la méconnaissance d’un droit ou de la violation d’une règle.

La probabilité de la survenance de ce dommage doit être suffisamment forte pour justifier l’adoption de mesures conservatoires, soit de mesures qui peuvent être contraignantes pour la partie contre laquelle elles sont prises.

Il convient d’observer que, dans ce cas de figure, le pouvoir dont est investi le Juge des référés est semblable à celui qu’il détient en application de l’article 835 du CPC, l’existence d’une contestation sérieuse étant indifférent.

Pour ce qui est de la condition tenant à l’urgence, elle est comprise dans l’exigence de survenance imminente du dommage.

S’agissant de l’appréciation du dommage imminent elle relève de l’appréciation souveraine des juges du fonds, la Cour de cassation n’exerçant aucun contrôle sur cette notion (V. en ce sens Cass. 3e civ., 5 nov. 2015, n° 14-18.184).

?Sur les mesures conservatoires

Lorsque le juge constate le risque de survenance d’un dommage imminent, il est investi du pouvoir de prononcer des mesures conservatoires.

La mesure conservatoire est à l’opposé de la mesure d’anticipation, en ce qu’elle ne doit pas consister à anticiper la décision au fond. Autrement dit, elle a seulement vocation à geler une situation dans l’attente qu’il soit statué au principal sur le litige.

Une mesure conservatoire peut consister en la suspension de travaux, en la désignation d’un administrateur judiciaire pour une personne morale, en la suspension des effets d’un commandement de payer, en la désignation d’un séquestre etc.

A contrario, une mesure conservatoire ne pourra pas consister en l’octroi d’une provision ou en la mainlevée d’un commandement de payer.

II) Cessation d’un trouble manifestement illicite et adoption d’une mesure de remise en état

Pour solliciter du Juge des référés l’adoption d’une mesure de remise en état, le demander doit justifier la nécessité de faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans un arrêt du 22 mars 1983, la Cour de cassation a précisé que, dans cette hypothèse, il n’était pas nécessaire de démontrer l’urgence à l’instar d’une demande de référé (Cass. 3e civ. 22 mars 1983, n°81-14.547).

Cette décision a été confirmée à plusieurs reprises par la Cour de cassation, notamment dans un arrêt du 5 mai 2011 (Cass. 2e civ., 5 mai 2011, n°10-19.231).

?Sur le trouble manifestement illicite

Le trouble manifestement illicite s’entend, selon un auteur, de « toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit ».

Il ressort de la jurisprudence que ce trouble peut résulter de la méconnaissance d’un droit ou d’une règle (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 17 mars 2016, n° 15-14.072).

Il importe peu que la règle violée soit d’origine légale ou contractuelle. Il est également indifférent que la norme méconnue soit de nature civile ou pénale.

À cet égard, constitue un trouble manifestement illicite :

S’agissant de l’appréciation de l’existence d’un trouble manifestement illicite, la Cour de cassation exerce son contrôle sur cette notion (Cass. ass. plén., 28 juin 1996, n°94-15.935) ou son absence (pour une corrida organisée dans la zone couverte par une tradition locale ininterrompue : Cass. 2e Civ., 22 nov. 2001, n°00-16.452).

Plus précisément, la deuxième chambre civile a décidé de laisser à l’appréciation souveraine des juges du fond les éléments de preuve établissant l’existence du trouble, mais exerce son contrôle sur l’illicéité manifeste de ce trouble (Cass. 2e Civ., 7 juin 2007, n°07-10.601 ; Cass. 2e civ., 6 déc. 2007, n°07-12.256).

Les juges du provisoire apprécient ensuite souverainement la mesure propre à mettre fin au trouble qu’ils ont constaté (Cass. 2e civ., 12 juillet 2012n°11-20.687), car il résulte de la lettre même du texte que l’intervention du juge des référés ne peut tendre qu’à faire cesser le trouble (ou à empêcher la survenance du dommage imminent), ce qui lui laisse une latitude importante dans le choix des mesures, à cette exception près que la mesure ne doit pas être inopérante (Cass. 2e civ., 30 avr. 2009, n°08-16.493) et ne pas porter une atteinte excessive à la liberté d’expression (Cass. soc., 26 mai 2010, n°09-12.282).

Mais si, au jour où le juge des référés statue, le trouble allégué a pris fin, aucune mesure ne peut être prononcée sur le fondement de l’article 835, al. 1er, du CPC, étant précisé qu’en cas d’appel, la cour d’appel statuant en référé doit apprécier l’existence du trouble ou du risque allégué en se plaçant au jour où le premier juge a rendu sa décision et non au jour où elle statue (Cass. 2e civ., 4 juin 2009, n°08-17.174).

En cas de cessation du trouble au jour de l’ordonnance, seule la réparation du dommage peut alors être envisagée, mais elle relève du juge du fond (Cass. 2e civ., 22 sept. 2005, n°04-12.032), ce dernier ne disposant pas, en l’état des textes, des moyens de faire cesser l’illicite, quoiqu’il puisse condamner, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, à des dommages-intérêts pour compenser le coût de réparations de nature à empêcher la survenance d’un dommage grave et imminent, que la jurisprudence assimile au préjudice certain (Cass. 2e civ., 15 mai 2008, n°07-13.483).

?Sur les mesures de remise en état

La mesure de remise en état prescrite par le juge doit avoir pour finalité de faire cesser le trouble manifestement illicite dont il est fait état par le demandeur.

Il pourra donc s’agir de faire cesser la diffusion d’un article de presse diffamatoire, de prononcer la mainlevée d’une saisie pratiquée sans titre exécutoire, d’ordonner la destruction de travaux, la remise en état des lieux ou encore l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre.

La demande d’adoption d’une mesure de remise en état ne pourra être motivée que par la nécessité de faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le juge des référés: compétence et pouvoirs

« La procédure est la forme dans laquelle on doit intenter les demandes en justice, y défendre, intervenir, instruire, juger, se pourvoir contre les jugements et les exécuter » (R.-J. POTHIER, Traité de procédure civile, in limine, 1er volume Paris, 1722, Debure)

?Présentation générale

Lorsqu’un litige exige qu’une solution, au moins provisoire, soit prise dans l’urgence par le juge, une procédure spécifique dite de référé est prévue par la loi.

Elle est confiée à un juge unique, généralement le président de la juridiction qui rend une ordonnance de référé.

L’article 484 du Code de procédure civile définit l’ordonnance de référé comme « une décision provisoire rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires. »

Il ressort de cette disposition que la procédure de référé présente trois caractéristiques :

  • D’une part, elle conduit au prononcé d’une décision provisoire, en ce sens que le juge des référés ne se prononce pas sur le fond du litige. L’ordonnance rendue en référé n’est donc pas définitive
  • D’autre part, la procédure de référé offre la possibilité à un requérant d’obtenir du Juge toute mesure utile afin de préserver ses droits et intérêts
  • Enfin, la procédure de référé est, à la différence de la procédure sur requête, placée sous le signe du contradictoire, le Juge ne pouvant statuer qu’après avoir entendu les arguments du défendeur

Le juge des référés, juge de l’urgence, juge de l’évidence, juge de l’incontestable, paradoxalement si complexes à saisir, est un juge au sens le plus complet du terme.

Il remplit une fonction sociale essentielle, et sa responsabilité propre est à la mesure du pouvoir qu’il exerce.

Selon les termes de Pierre DRAI, ancien Premier Président de la Cour de cassation « toujours présent et toujours disponible (…) (il fait) en sorte que l’illicite ne s’installe et ne perdure par le seul effet du temps qui s’écoule ou de la procédure qui s’éternise ».

Le référé ne doit cependant pas faire oublier l’intérêt de la procédure à jour fixe qui répond au même souci, mais avec un tout autre aboutissement : le référé a autorité provisoire de chose jugée alors que dans la procédure à jour fixe, le juge rend des décisions dotées de l’autorité de la chose jugée au fond.

En toute hypothèse, avant d’être une technique de traitement rapide aussi bien de l’urgence que de plusieurs cas d’évidence, les référés ont aussi été le moyen de traiter l’urgence née du retard d’une justice lente.

Reste que les fonctions des référés se sont profondément diversifiées. Dans bien des cas, l’ordonnance de référé est rendue en l’absence même d’urgence.

Mieux encore, lorsqu’elle satisfait pleinement le demandeur, il arrive que, provisoire en droit, elle devienne définitive en fait – en l’absence d’instance ultérieure au fond.

En outre, la Cour européenne des droits de l’homme applique désormais au juge du provisoire les garanties du procès équitable de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, gde ch., arrêt du 15 octobre 2009, Micallef c. Malte, no 17056/06). S’affirme ainsi une véritable juridiction du provisoire.

Le juge des référés est saisi par voie d’assignation. Il instruit l’affaire de manière contradictoire lors d’une audience publique, et rend une décision sous forme d’ordonnance, dont la valeur n’est que provisoire et qui n’est pas dotée au fond de l’autorité de la chose jugée.

L’ordonnance de référé ne tranche donc pas l’entier litige. Elle est cependant exécutoire à titre provisoire.

Le recours au juge des référés, qui n’est qu’un juge du provisoire et de l’urgence, n’est possible que dans un nombre limité de cas :

  • Le référé d’urgence
    • Dans les cas d’urgence, le juge peut prononcer toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence du litige en question. On dit à cette occasion que le juge des référés est le juge de l’évidence, de l’incontestable.
  • Le référé conservatoire
    • Le juge des référés peut également prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite (il peut ainsi, par exemple, suspendre la diffusion d’une publication portant manifestement atteinte à la vie privée d’un individu).
  • Le référé provision
    • Le juge des référés est compétent pour accorder une provision sur une créance qui n’est pas sérieusement contestable.
  • Le référé injonction
    • Le juge des référés peut enjoindre une partie d’exécuter une obligation, même s’il s’agit d’une obligation de faire.
  • Le référé probatoire
    • Lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de certains faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, le juge peut ordonner des mesures d’instruction, par exemple une expertise.

Dans la pratique, les justiciables tendent à avoir de plus en plus recours au juge des référés, simplement dans le but d’obtenir plus rapidement une décision judiciaire, détournant ainsi la fonction initiale de cette procédure.

On peut en outre souligner que depuis la loi du 30 juin 2000, une procédure de référé administratif a été introduite dans cet ordre juridictionnel.

?Procédure sur requête et procédure de référé

  • Points communs
    • Monopole des juridictions présidentielles
      • Les procédures sur requête et de référé relèvent des pouvoirs propres des Présidents de Juridiction, à l’exception du Conseil de prud’hommes.
    • Absence d’autorité de la chose jugée
      • La procédure sur requête et la procédure de référé ne possèdent pas l’autorité de la chose jugée au principal.
      • Elles conduisent seulement, si elles aboutissent, au prononcé d’une décision provisoire
      • Aussi, appartiendra-t-il aux parties d’engager une autre procédure afin de faire trancher le litige au fond.
    • Efficacité de la décision
      • Tant l’ordonnance sur requête que l’ordonnance de référé est exécutoire immédiatement, soit sans que la voie de recours susceptible d’être exercée par le défendeur produise un effet suspensif.
  • Différences
    • Le principe du contradictoire
      • La principale différence qui existe entre la procédure sur requête et la procédure de référé réside dans le principe du contradictoire
      • Tandis que la procédure sur requête déroge à ce principe directeur du procès, la procédure de référé y est soumise
    • Exécution sur minute
      • À la différence de l’ordonnance de référé qui, pour être exécutée, doit préalablement être signifiée, point de départ du délai d’exercice des voies de recours, l’ordonnance rendue sur requête est de plein droit exécutoire sur minute.
      • Cela signifie qu’elle peut être exécutée sur simple présentation, sans qu’il soit donc besoin qu’elle ait été signifiée au préalable.
      • Sauf à ce que le Juge ordonne, conformément à l’article 489 du CPC, que l’exécution de l’ordonnance de référé se fera sur minute, cette décision est seulement assortie de l’exécution provisoire

?Textes

Deux sortes de textes régissent les procédures sur requête :

  • Les dispositions communes à toutes les juridictions
    • Les articles 484 à 492 du Code de procédure civile déterminent :
      • Les règles de procédures
      • Le formalisme à respecter
      • Les voies de recours susceptibles d’être exercées
  • Les dispositions particulières à chaque juridiction
    • Pour le Président du Tribunal judiciaire, il convient de se reporter aux articles 834 à 838 du CPC.
    • Pour le Juge des contentieux de la protection, il convient de se reporter aux articles 834 à 838 du CPC.
    • Pour le Président du Tribunal de commerce, il convient de se reporter aux articles 872 à 873-1 du CPC
    • Pour le président du tribunal paritaire de baux ruraux, il convient de se reporter aux articles 893 à 896 du CPC
    • Pour le Conseil de prud’hommes l’article 879 qui renvoie aux articles R. 1455-1 et suivants du Code du travail
    • Pour le Premier président de la cour d’appel, il convient de se reporter aux articles 956 et 957 du CPC.

I) La compétence du Juge des référés

A) La compétence d’attribution

?Une compétence calquée sur la compétence au fond

Le juge compétent pour connaître d’une procédure de référé est :

  • Soit le Président du Tribunal judiciaire qui serait compétent pour statuer sur le fond du litige.
  • Soit le Juge des contentieux de la protection pour les matières qui relèvent de sa compétence, soit celles visées aux articles L. 213-4-2 à L. 213-4-7 du COJ

Naturellement, la compétence de droit commun du tribunal judiciaire fait de son Président le juge des référés de droit commun.

L’article 836 du Code de procédure civile dispose en ce sens que « les pouvoirs du président du tribunal judiciaire prévus aux deux articles précédents s’étendent à toutes les matières où il n’existe pas de procédure particulière de référé. »

S’agissant du Président du Tribunal de commerce, il sera compétent pour connaître des litiges qui présentent un caractère commercial.

En matière prud’hommale, le législateur a institué une formation spéciale pour statuer sur les demandes en référé (art. L. 1423-13 et R. 1455-1 et suivants du Code du travail).

?Juge des référés et Juge de la mise en l’état

Enfin, l’article 789 du Code de procédure civile prévoit que lorsque le Juge de la mise en état est saisi, il est « jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal ».

Il en résulte que les parties ne disposent plus de la faculté de saisir le Juge des référés dont ils empruntent, à certains égards.

La désignation d’un Juge de la mise en état fait donc obstacle à la saisie du Juge des référés. Dans un arrêt du 10 novembre 2010, la Cour de cassation a néanmoins précisé que son monopole est circonscrit à l’objet du litige dont le Tribunal est saisi au fond (Cass. 2e civ. 10 nov. 2010, n°09-17.147).

Par ailleurs, si le juge des référés a été saisi avant la nomination du juge de la mise en état il demeure compétent. L’article 789 confère, en effet, une compétence exclusive à ce dernier que « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation ».

B) La compétence territoriale

Très tôt la jurisprudence a considéré que le Juge territorialement compétent pour statuer en référé est celui-là même qui serait compétent pour connaître du litige au fond (Cass. civ. 4 mai 1910).

Aussi, convient-il de se reporter aux articles 42 et suivants du Code de procédure civile pour déterminer la compétence territoriale du Juge des référés.

?Principe

À cet égard, l’article 42 prévoit que, en principe, « la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur. »

S’il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l’un d’eux.

Si le défendeur n’a, ni domicile, ni résidence connus, le demandeur peut saisir la juridiction du lieu où il demeure ou celle de son choix s’il demeure à l’étranger.

?Cas particuliers

  • Premier cas
    • En matière réelle immobilière la juridiction du lieu où est situé l’immeuble est seule compétente (art. 44 CPC).
  • Deuxième cas
    • En matière de succession, sont portées devant la juridiction dans le ressort de laquelle est ouverte la succession jusqu’au partage inclusivement (art. 45 CPC) :
      • Les demandes entre héritiers ;
      • Les demandes formées par les créanciers du défunt ;
      • Les demandes relatives à l’exécution des dispositions à cause de mort.
  • Troisième cas
    • Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :
      • En matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service ;
      • En matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;
      • En matière mixte, la juridiction du lieu où est situé l’immeuble ;
      • En matière d’aliments ou de contribution aux charges du mariage, la juridiction du lieu où demeure le créancier.

C) Incidence des clauses compromissoires et attributives de compétence

?Pour les clauses attributives de compétence

Dans un arrêt du 17 juin 1998, la Cour de cassation a considéré que « la clause attributive de compétence territoriale est inopposable à la partie qui saisit le juge des référés » (Cass. 2e civ., 17 juin 1998, n° 95-10.563).

Le juge des référés demeure donc compétent nonobstant la stipulation d’une telle clause.

?Pour les clauses compromissoires

La clause compromissoire est la convention par laquelle les parties à un ou plusieurs contrats s’engagent à soumettre à l’arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à ce ou à ces contrats.

  • Principe
    • L’article 1448 du Code de procédure civile issu du décret n°2011-48 du 13 janvier 2011 pose que « lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. »
    • Ainsi, en cas de stipulation d’une clause compromissoire le Juge des référés doit se déclarer incompétent, ce qui n’est pas le cas en matière de clause attributive de compétence.
  • Exception
    • L’article 1449 du Code de procédure civile dispose que « l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, à ce qu’une partie saisisse une juridiction de l’Etat aux fins d’obtenir une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire »
    • Lorsque, de la sorte, une partie sollicite l’adoption de mesures conservatoires ou d’instruction, la stipulation d’une clause compromissoire ne fait pas obstacle à la saisine du Juge des référés

II) La saisine du Juge des référés

?Juge du provisoire

L’article 484 du Code de procédure civile prévoit que le juge des référés « n’est pas saisi du principal », en ce sens que les mesures qu’il prend n’ont qu’un caractère provisoire.

Aussi, le provisoire emporte-t-il certains effets, à commencer par l’absence d’autorité de la chose jugée au principal de la décision ordonnée, ou encore l’impossibilité de concevoir un recours en révision contre une ordonnance de référé, dès lors qu’elle est toujours susceptible d’être rapportée en cas de circonstances nouvelles (Cass. 2e civ., 11 juillet 2013, n° 12-22.630).

La conséquence en est que l’ordonnance rendue ne s’impose donc pas au juge du fond qui serait saisi ultérieurement aux mêmes fins, ce qui, autrement dit, signifie que la décision rendue par le juge des référés ne préjudicie pas au principal.

Rien n’interdit au juge saisi au fond de rendre une décision différente de celle qui aura été prise par le Juge des référés. Le premier ne sera pas non plus tenu de tenir compte de la solution retenue par le second.

La procédure de référé et la procédure au fond sont ainsi totalement déconnectées, raison pour laquelle elles peuvent se succéder ou être concomitantes.

  • La procédure de référé et la procédure au fond se succèdent
    • Il s’agit de l’hypothèse la plus répandue
    • Le juge des référés a rendu une décision provisoire qui engendre la saisine de la juridiction au fond
    • Bien que cette saisine au fond ne soit pas nécessaire, elle sera souvent effectuée par la partie qui y trouve un intérêt, en particulier si la décision rendue en référé ne lui est pas favorable.
  • La procédure de référé et la procédure au fond sont concomitantes
    • Lorsque l’urgence de la situation ne permet pas d’attendre l’issue de la procédure engagée au fond, les parties disposent de la faculté de saisir, en parallèle, le juge des référés
    • Celui-ci rendra alors une décision provisoire qui aura vocation à s’appliquer tant qu’aucune décision au fond ne sera intervenue

?Juge de l’évidence

Le juge des référés n’est pas seulement le juge du provisoire, il est également le juge de l’évidence.

Concrètement, le pouvoir du juge des référés est limité à ce qui est manifeste, ce qui lui interdit de se prononcer sur trois catégories de problématiques juridiques :

  • Le statut des biens et des personnes
    • Il s’agit de toutes les questions qui ont trait aux incapacités, à la filiation, à la qualité de propriétaire ou encore à la régularité d’une sûreté réelle
    • Seul un examen au fond permet de trancher le litige.
  • Les actions en responsabilité
    • Si le juge des référés est compétent pour allouer une provision à une partie, il ne dispose pas du pouvoir d’octroyer des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice dont se prévaudrait le demandeur (V. en ce sens Cass. 2e civ., 11 déc. 2008, n° 07-20.255).
    • La raison en est que la caractérisation des conditions de mise en œuvre de la responsabilité suppose un examen au fond.
  • L’interprétation et la validité des actes juridiques
    • Dans un arrêt du 4 juillet 2006, la Cour de cassation a considéré que la nécessité pour le Juge des référés de se livrer à l’interprétation d’un contrat révélait l’existence d’une contestation sérieuse, de sorte que la demande qui lui était soumise échappait à sa compétence (Cass. 1ère civ. 4 juill. 2006, n°05-11.591).
    • Régulièrement, la Cour de cassation rappelle, par ailleurs, que le juge des référés n’est pas investi du pouvoir d’annuler un acte (Cass. soc. 14 mars 2006, 04-48.322) ou de résilier un contrat (Cass. com. 13 oct. 1998, n°96-15.062).
    • Tout au plus, le juge des référés dispose du pouvoir de constater la résolution d’un contrat déjà acquise, de plein droit, par le jeu d’une clause résolutoire, comme c’est le cas en matière de bail (Cass. com. 28 nov. 2006, n° 04-20.734).

L’astreinte judiciaire: fixation, point de départ et liquidation

Si, la plupart du temps, les décisions de justice sont exécutées spontanément par la partie succombante, il est des cas où il est nécessaire de l’y contraindre.

Pour ce faire, deux dispositifs sont envisagés par le droit :

  • L’exécution forcée qui suppose l’intervention d’un huissier de justice ou de la force publique
  • L’astreinte qui consiste en une condamnation pécuniaire accessoire, laquelle a vocation à s’appliquer en cas de retard dans l’exécution de la condamnation principale.

Ainsi que l’observe le Conseiller près la Cour de cassation Jean Buffet, l’astreinte n’est pas une modalité de l’exécution forcée des jugements pour deux raisons :

  • D’une part, le juge de l’exécution tient de la loi des compétences particulières en matière de prononcé et de liquidation d’astreinte, il peut être saisi à cette fin en dehors de toute procédure d’exécution engagée.
  • D’autre part, la décision qui liquide l’astreinte est exécutoire de plein droit par provision, et on sait qu’en cas d’appel, le premier président n’a pas le pouvoir d’arrêter l’exécution d’une décision exécutoire de droit. De leur côté, les décisions prises par le juge de l’exécution, qui sont exécutoires de droit, peuvent être l’objet d’un sursis à exécution par le premier Président de la Cour d’appel

Si, en théorie, l’astreinte peut être ordonnée pour assurer l’exécution de tous types d’obligations, en pratique, son terrain de prédilection est l’obligation de faire.

Tel est le cas par exemple, lorsque la partie à un procès se voit enjoindre de produire une pièce dans un certain délai. Cette injonction sera toujours assortie d’une astreinte qui commencera à courir à l’expiration du délai fixé par le juge.

Dans un arrêt du 20 octobre 1959, la Cour de cassation a défini l’astreinte comme « une mesure de contrainte entièrement distincte des dommages-intérêts et qui n’est en définitive qu’un moyen de vaincre la résistance opposée à l’exécution d’une condamnation, n’a pas pour objet de compenser le dommage né du retard, et est normalement liquidée en fonction de la gravité de la faute du débiteur récalcitrant et de ses facultés » (Cass. 1ère civ. 20 oct. 1959, n°57-10.110).

I) Compétence

L’article L. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que « tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision ».

Il ressort de cette disposition que le prononcé d’une astreinte judiciaire n’est le monopole d’aucun juge.

Elle peut être ordonnée :

  • Par les juridictions de droit commun (Tribunal judiciaire) et les juridictions spécialisées (Tribunal de commerce, Conseil de prud’hommes, etc.)
  • Par les juridictions civiles, commerciales, sociales et répressives
  • Par les juges qui statuent au fond et au provisoire
  • Par les juges qui statuent au premier et au second degré
  • Par les juges qui conduisent l’instruction de l’affaire

Reste que le Juge de l’exécution est investi d’un pouvoir particulier en matière d’astreinte dans la mesure où :

  • En premier lieu, il peut assortir d’une astreinte une décision rendue par un autre juge si les circonstances en font apparaître la nécessité
  • En second lieu, il peut assortir sa propre décision d’une astreinte.

Aussi, le JEX dispose-t-il en matière d’astreinte des pouvoirs les plus étendus.

II) Pouvoirs du juge

L’astreinte peut être sollicitée par une partie, ce qui sera le plus souvent le cas, mais elle peut également être prononcée d’office par le juge (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 12 févr. 1964).

Dans un arrêt du 7 juin 2006, la Cour de cassation a précisé que « la fixation de l’astreinte relève du pouvoir discrétionnaire du juge » (Cass. 2e civ., 7 juin 2006, n°05-18.332), ce qui emporte plusieurs conséquences :

  • Le juge n’est pas tenu de provoquer au préalable les observations des parties (Cass. 2e civ., 21 mars 1979, n°77-15.052) ;
  • Le juge n’a pas non plus à motiver sa décision, ce qui n’est autre que la marque de l’exercice de son imperium (Cass. 3e civ., 3 nov. 1983, n°82-14.775).
  • La décision qui prononce l’astreinte est dépourvue de l’autorité de la chose jugée, dans la mesure où, par hypothèse, il n’y a rien de jugé. La conséquence en est que le juge peut, revenir à discrétion, sur le taux et la durée de l’astreinte.

III) Astreinte provisoire et astreinte définitive

L’article L. 131-2 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que « l’astreinte est provisoire ou définitive. ».

Il ressort de ce texte que, en matière d’astreinte, le juge dispose d’une option. Il peut alternativement :

  • Soit prononcer une astreinte provisoire
  • Soit prononcer une astreinte définitive

La différence entre ces deux sortes d’astreinte tient au fait, comme précisé par l’article L. 131-4 du CPCE, que :

  • D’une part, contrairement à l’astreinte définitive, l’astreinte provisoire « est liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter ».
  • D’autre part, contrairement à l’astreinte provisoire, « le taux de l’astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation. »

Si, l’astreinte provisoire et l’astreinte définitive poursuivent le même but, assurer l’exécution de la décision rendue, le caractère comminatoire de l’astreinte définitive demeure plus prononcé, dans la mesure où le juge ne peut en réviser, ni le taux, ni la durée.

Ainsi que le relève un auteur, « stigmate du passé, l’astreinte définitive est perçue avec une certaine méfiance par le législateur lui-même »[1].

La raison en est que le prononcé d’une astreinte définitive est susceptible d’aboutir à une condamnation du débiteur parfois plus lourde que le montant de la condamnation principale, avec l’impossibilité pour ce dernier d’en demander la révision, sauf à démontrer, en application de l’article L. 131-4 du CPCE que « l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction du juge provient, en tout ou partie, d’une cause étrangère ».

Voilà une preuve qui sera pour le moins éminemment difficile à rapporter, ce qui ne sera pas sans conduire, in fine, à une disproportion des conséquences de la décision rendue sur la situation de la partie succombante.

C’est la raison pour laquelle, le législateur a strictement encadré le prononcé de l’astreinte définitive qui obéit à plusieurs règles :

  • L’exigence de qualification expresse de l’astreinte définitive
    • L’article L. 131-2, al. 2 du CPCE prévoit que « l’astreinte est considérée comme provisoire, à moins que le juge n’ait précisé son caractère définitif. »
    • Ainsi, une astreinte ne peut jamais être qualifiée de définitive par défaut
    • Elle doit être expressément qualifiée comme telle dans la décision rendue par le juge, faute de quoi elle est réputée être provisoire
    • À cet égard, seule l’utilisation des termes « définitif » ou « définitive » est de nature à n’entretenir aucune ambiguïté.
    • Le juge doit donc se garder, sous peine de voir son astreinte être toujours considérée comme provisoire, d’employer un terme approchant, comme « forfaitaire », « irrévocable » ou « non comminatoire » (Cass. 2e civ., 23 nov. 1994).
  • L’exigence de respect de la chronologie entre l’astreinte provisoire et l’astreinte définitive
    • L’article L. 131-2, al. 3 prévoit que « une astreinte définitive ne peut être ordonnée qu’après le prononcé d’une astreinte provisoire »
    • Ainsi, le juge ne peut jamais prononcer une astreinte définitive sans avoir, au préalable, fait peser sur la tête du débiteur une astreinte provisoire.
  • L’exigence d’assortir l’astreinte provisoire précédent l’astreinte définitive d’un délai
    • Lorsque le juge prononce une astreinte provisoire qui est susceptible d’être convertie en astreinte définitive, il doit l’assortir d’un délai qu’il détermine.
    • La fixation de ce délai vise à permettre une liquidation de l’astreinte provisoire et, le cas échéant, de prononcer une nouvelle astreinte qui pourra être, à nouveau provisoire, provisoire majorée ou encore définitive ou définitive majorée.
    • Si la décision ne précise pas de délai pour l’astreinte provisoire, la partie elle-même appréciera à quel moment il sera opportun de la faire liquider et de demander la fixation d’une nouvelle astreinte.

L’article L. 131-2, al. 4e du CPCE précise que si une astreinte définitive est ordonnée sans qu’une astreinte provisoire ait été préalablement ordonnée ou que l’astreinte provisoire n’est assortie d’aucun délai par le juge, alors « l’astreinte est liquidée comme une astreinte provisoire. »

IV) Point de départ de l’astreinte

L’article R. 131-1 du CPCE dispose que « l’astreinte prend effet à la date fixée par le juge, laquelle ne peut pas être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire ».

Il ressort de cette disposition que c’est au juge qu’il revient de fixer la date de prise d’effet de l’astreinte.

Si, en la matière, le juge dispose d’une grande liberté, le texte précise néanmoins que la date fixée par le juge ne peut jamais « être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire. »

La raison en est, selon le Professeur Perrot, que « dès lors que l’astreinte est considérée comme une sanction attachée à l’inexécution d’une décision de justice, on ne saurait l’appliquer avant que cette décision ne soit devenue exécutoire à l’encontre du débiteur condamné ; et comme elle ne peut devenir exécutoire à son égard qu’après notification de la décision, la logique est parfaitement sauve ».

Il s’infère de la règle ainsi posée une exigence subsidiaire rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 1er mars 1995.

Dans cette décision, elle a, en effet, précisé que l’astreinte ne peut produire ses effets qu’à compter de la notification de la décision qui la prononce (V. en ce sens Cass. 2e civ., 1er mars 1995, n°93-12.690).

Par ailleurs, il convient également de compter avec le second alinéa de l’article R. 131-1 du CPCE qui prévoit que l’astreinte peut prendre effet dès le jour de son prononcé si elle assortit une décision qui est déjà exécutoire.

Ainsi, deux situations doivent être envisagées :

  • La décision qui est assortie d’une astreinte est exécutoire
    • Dans cette hypothèse, l’astreinte prend effet au jour de son prononcé
    • Ainsi, l’appel ne produit aucun effet suspensif sur une décision exécutoire par provision.
  • La décision qui est assortie d’une astreinte n’est pas exécutoire
    • Dans cette hypothèse, l’astreinte ne prendra effet qu’au jour où la décision sera devenue exécutoire

V) Liquidation de l’astreinte

A) Pouvoirs du Juge

1. La liquidation de l’astreinte par le juge de première instance

L’article L. 131-3 du CPCE prévoit que « l’astreinte, même définitive, est liquidée par le juge de l’exécution, sauf si le juge qui l’a ordonnée reste saisi de l’affaire ou s’en est expressément réservé le pouvoir. »

Quel enseignement retirer de cette disposition ? Un principe, lequel est assorti de deux exceptions :

?Principe

Il s’infère de l’article L. 131-3 du CPCE que le Juge de l’exécution est investi d’un monopole s’agissant de la liquidation de l’astreinte.

Plus précisément, il a compétence exclusive pour liquider :

  • Tant les astreintes qu’il a lui-même prononcées (qui assortissent, soit ses propres décisions, soit les décisions d’un autre juge)
  • Que les astreintes ordonnées par un autre juge, y compris la Cour d’appel

?Exceptions

Le principe énoncé à l’article L. 131-3 du CPC souffre de deux exceptions :

  • Première exception : le juge qui a ordonné l’astreinte reste saisi
    • En principe, « le jugement, dès son prononcé, dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche » (art. 481, al. 1er CPC).
    • En substance, le dessaisissement du juge signifie que le prononcé du jugement épuise son pouvoir juridictionnel.
    • Non seulement, au titre de l’autorité de la chose jugée dont est assorti le jugement rendu, il est privé de la possibilité de revenir sur ce qui a été tranché, mais encore il lui est interdit, sous l’effet de son dessaisissement, d’exercer son pouvoir juridictionnel sur le litige.
    • Reste qu’il est des décisions dont le prononcé n’emporte pas dessaisissement du juge.
    • Tel est le cas des ordonnances rendues par le juge de la mise en état, les jugements avant dire droit ou encore certaines décisions rendues par le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes.
    • Lorsque ces décisions sont assorties d’une astreinte, c’est le juge qui les a rendues qui demeure compétent pour procéder à sa liquidation
    • Cette règle participe d’une bonne administration de la justice.
    • Quant à la question de savoir si la liquidation de l’astreinte prononcée par le juge des référés relève de sa compétence dans la mesure où il statue par provision, la Cour de cassation a répondu, à plusieurs reprises, par la négative (V. notamment Cass. 2e civ. 17 déc. 1997, n°95-14189).
  • Seconde exception : le juge qui a ordonné l’astreinte s’est réservé le pouvoir de la liquider
    • L’article L. 131-3 du CPC confère au juge qui prononce une astreinte le pouvoir de s’en réserver la liquidation.
    • Pour ce faire, il devra le mentionner expressément dans sa décision, faute de quoi c’est le JEX qui sera compétent pour liquider l’astreinte.
    • Cette mention devra être dénuée de toute équivoque, tel que rappelé par la Cour de cassation (Cass. 2e civ. 15 janv. 2009, n°07-20955).
    • L’intérêt pour le juge de se réserver cette faculté est de suivre l’affaire et de s’assurer que la décision qu’il a rendue est exécutée conformément à ses prescriptions.

2. La liquidation de l’astreinte par la Cour d’appel

Quid de la faculté d’une Cour d’appel de liquider l’astreinte prononcée par le jugement qui lui est déféré par la voie de l’appel ?

Dans un arrêt du 20 octobre 2015, la Cour de cassation a jugé que « saisie de l’appel du jugement du conseil de prud’hommes devant lequel le salarié avait, conformément à la réserve expresse de l’ordonnance du bureau de conciliation, formé une demande de liquidation de l’astreinte, la cour d’appel n’a fait qu’exercer les pouvoirs qu’elle tenait de l’effet dévolutif de l’appel ; que le moyen n’est pas fondé » (Cass. soc. 20 oct. 2015, n°14-10725).

Ainsi, pour la haute juridiction, la Cour d’appel a compétence pour liquider l’astreinte prononcée en première instance, ce en raison de l’effet dévolutif de l’appel.

Il s’agit là d’un revirement de jurisprudence, puisque la Cour de cassation avait adopté la solution contraire dans un arrêt du 9 mai 2007 (Cass. soc. 9 mai 2007, n°05-46029).

Aussi, en l’état, deux situations doivent être distinguées :

  • Le juge s’est réservé le pouvoir de liquider l’astreinte
    • Dans cette hypothèse, l’astreinte peut être liquidée :
      • Soit, par le juge de première instance
      • Soit, par la Cour d’appel en application de l’effet dévolutif de l’appel.
  • Le juge ne s’est pas réservé le pouvoir de liquider l’astreinte
    • Dans cette hypothèse, la Cour d’appel n’aura d’autre choix que de soulever d’office son incompétence.
    • La liquidation de l’astreinte relèvera de la compétence exclusive du juge de l’exécution (V. en ce sens Cass. 2e civ. 21 mars 2002, n°00-17.279).

B) Montant de l’astreinte

La liquidation de l’astreinte, quant à son montant, diffère selon qu’il s’agit d’une astreinte provisoire ou définitive.

  • S’agissant de l’astreinte provisoire
    • L’article L. 131-4, al. 1er du CPCE prévoit que « le montant de l’astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter. »
    • Ainsi, l’astreinte provisoire est liquidée en tenant compte
      • Et du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée
      • Et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter
    • Par exemple, une astreinte fixée à 1.000 € par jour de retard pourra être liquidée, pour un retard de 20 jours, à 8.000 € en fonction des éléments de l’affaire.
    • S’agissant de l’exigence d’appréciation de la faute du débiteur, elle autorise le juge à réviser, à la haute, ou à la baisse le montant de l’astreinte.
    • En tout état de cause, il lui est fait interdiction de fixer le montant de l’astreinte en considération du préjudice subi par le créancier.
    • Cette interdiction résulte de l’article L. 131-2 du CPCE qui prévoit que « l’astreinte est indépendante des dommages-intérêts. ».
    • L’astreinte n’a pas vocation à réparer un préjudice, mais à assurer l’exécution d’une décision de justice.
    • Son montant ne peut donc dépendre que de la conduite du débiteur qu’il devra analyser avec une particulière rigueur.
    • À cet égard, l’obligation faite du juge de tenir compte du comportement du débiteur a pour effet de le contraindre à motiver sa décision et ce de façon circonstanciée (V. en ce sens Cass. 2e civ. 8 sept. 2011, n°10-21827).
    • La Cour de cassation en a tiré la conséquence que la fixation du montant de l’astreinte ne relève pas d’un pouvoir discrétionnaire du juge qui le dispenserait de motivation, mais d’un pouvoir souverain (Cass. 3e civ., 29 avr. 2009, n°08-12.952), que la Cour de cassation a étendu à l’appréciation de la cause étrangère.
  • S’agissant de l’astreinte définitive
    • L’article L. 131-4, al. 2e du CPCE dispose que « le taux de l’astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation »
    • L’astreinte définitive, qui doit être prononcée pour une durée que le juge détermine, est liquidée de manière mathématique : 1.000 € X 20 jours de retard = 20.000 €.
    • Ainsi, l’astreinte définitive
    • S’agissant en matière d’astreinte définitive, le comportement du débiteur est sans incidence sur l’opération de liquidation.
    • C’est là une grande différence avec l’astreinte provisoire qui autorise le juge à en réviser le montant.
    • Lorsque l’astreinte est définitive, le débiteur ne pourra en neutraliser les effets qu’en rapportant la preuve de la survenance d’une cause étrangère qui a fait obstacle à l’exécution de la décision rendue.
  • En toute hypothèse
    • L’article L. 131-4, al. 3e du CPCE prévoit que « l’astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s’il est établi que l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction du juge provient, en tout ou partie, d’une cause étrangère. »
    • Ainsi, l’astreinte, qu’elle soit provisoire ou définitive, est supprimée en tout ou en partie si l’inexécution ou le retard dans l’exécution provient, en tout ou en partie, d’une cause étrangère.
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par cause étrangère.
    • En droit de la responsabilité, la cause étrangère est définie comme « un fait, un événement dont la survenance a pour effet de rompre le lien de causalité entre le fait générateur de responsabilité et le dommage ».
    • Transposée à l’astreinte, il s’agit de tout événement non imputable au débiteur de la créance d’astreinte qui a pour effet de faire obstacle à l’exécution de la décision de justice rendue à son encontre.
    • À l’analyse, la cause étrangère est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :
      • Le fait d’un tiers
        • Un tiers peut, par son intervention impromptue, avoir empêché l’exécution de la décision par le débiteur de l’astreinte
      • Le fait du créancier
        • Le créancier peut être à l’origine de l’impossibilité pour le débiteur d’exécuter la décision assortie d’une astreinte
      • Le cas fortuit
        • Il s’agit d’événements naturels (inondation, tornade, incendie) ou d’actions humaines collectives (grève, guerre, manifestation) qui font obstacle à l’exécution de la décision.
    • Dans un arrêt du 14 septembre 2006, la Cour de cassation a affirmé que la charge de la preuve de la survenance d’une cause étrangère pesait sur le débiteur de l’astreinte (Cass. 2e civ. 14 sept. 2006, n°05-15.983).
    • Lorsque cette preuve est rapportée, l’astreinte pourra être supprimée partiellement ou totalement.

Il peut être observé que lorsque le juge qui procède à la liquidation de l’astreinte n’est celui qui l’a prononcée, il lui faudra analyser les obligations mises à la charge de la partie condamnée sous astreinte, ce qui, en cas d’ambiguïté, d’obscurité ou encore de contradiction des dispositions de la décision rendue, supposera qu’elle fasse l’objet d’une interprétation.

Or l’article 461 du Code civil prévoit que « il appartient à tout juge d’interpréter sa décision si elle n’est pas frappée d’appel. »

Bien que seul le juge qui a rendu la décision soit compétent pour connaître d’un recours en interprétation, ce monopole ne fait pas obstacle à ce qu’une autre juridiction interprète cette décision dans le cadre d’une autre instance, notamment s’agissant de la liquidation d’une astreinte (Cass. 1ère civ. 18 janv. 1989, n°87-13.177).

L’interprétation incidente, soit effectuée par un autre juge, est dans ce cadre parfaitement admis

À cet égard, il peut être observé que le pouvoir d’interpréter une décision est également dévolu au Juge de l’exécution qui, conformément à l’article L. 218-6 du Code de l’organisation judiciaire « connaît de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit ».

La Cour de cassation a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 7 avril 2016 (Cass. 2e civ. 7 avr. 2016, n°15-17.398).

Ce pouvoir d’interprétation ne pourra toutefois être exercé que dans le cadre d’une contestation portant sur une mesure d’exécution prise en application d’un titre exécutoire.

Le juge de l’exécution ne pourra, en aucun cas, faire droit à une demande en interprétation formulée à titre principal.

  1. F. Guerchoun, Astreinte, Dalloz, Répertoire de procédure civile, n°76. ?

La garde commune de la chose

On enseigne traditionnellement que deux personnes ne sauraient, en principe, être qualifiées de gardiens dès lors qu’elles exercent des pouvoirs sur la chose à des titres différents.

Toutefois, comment faire lorsque des personnes auront une maîtrise commune de la chose, exerçant sur elle un pouvoir au même titre. Tel sera le cas des copropriétaires ou des coemprunteurs.

Dans cette situation, on parle de garde commue ou collective. Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Un groupe composé de personnes exerçant les mêmes pouvoirs sur la chose
  • Plusieurs groupes investis tantôt des mêmes pouvoirs, tantôt de pouvoirs différents

1. Première hypothèse : Un groupe composé de personnes exerçant les mêmes pouvoirs sur la chose

?Admission de l’exercice d’une garde commune des membres d’un même groupe

Dans un arrêt du 20 novembre 1968, la Cour de cassation a admis que la garde pouvait être exercée en commun par les membres d’un même groupe (Cass. 2e civ. 20 nov. 1968).

  • Faits
    • Il s’agissait en l’espèce d’un joueur de tennis qui, dans le cadre d’une compétition, sert deux balles d’essai dont la seconde atteint l’œil droit de l’autre joueur
    • Action en réparation engagée à l’encontre de l’auteur du dommage.
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 26 mai 1966, la Cour d’appel de Besançon déboute le demandeur de son action en responsabilité estimant que la victime avait accepté les risques inhérents au jeu.
  • Solution
    • Si la Cour de cassation valide la décision des juges du fond, elle justifie sa solution sur un fondement différent
    • La deuxième chambre civile estime, en effet que :
      • La Cour d’appel « ayant constaté qu’au moment de l’accident, chaque joueur exerçait sur la balle les mêmes pouvoirs de direction et de contrôle, la cour d’appel a pu déduire que cet usage commun de l’instrument du dommage ne permettait pas à Forestier Marechal de fonder son action sur l’article 1384, 1er alinéa ».
  • Analyse de l’arrêt
    • Deux enseignements peuvent être retirés de la décision rendue par la Cour de cassation
      • Définition de la garde
        • L’intérêt de cet arrêt réside essentiellement dans la définition que la Cour de cassation donne de la garde commune.
        • Pour la Cour de cassation il y a garde commune lorsque les mêmes du groupe exercent les mêmes pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur la chose
        • En l’espèce, on pouvait estimer qu’il y avait garde commune, dans la mesure où les joueurs de tennis jouent l’un avec l’autre : ils ont donc le même pouvoir sur la chose
      • Incompatibilité entre les qualités de victimes et de gardien en cas de garde commune
        • Il ressort de cette décision que dès lors que la victime exerçait une garde commune avec l’auteur du dommage, elle ne saurait obtenir réparation
        • On ne peut donc pas cumuler, dans l’hypothèse de la garde commune, les qualités de victime et de gardien.
  • Portée de l’arrêt
    • La solution dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 20 novembre 1968 a été confirmée à plusieurs reprises.
    • Ainsi, la responsabilité commune des membres d’un même groupe a été retenue dans plusieurs situations :
      • Partie de chasse où le tireur ayant blessé l’un de ses partenaires n’a pas pu être identifié (Cass. 2e civ., 15 déc. 1980, n°79-11.314)
      • Réunion de d’un groupe de fumeurs dont l’un d’eux a provoqué un incendie un jetant sur le sol son mégot de cigarette non consumé (Cass. 2e civ., 14 juin 1984)

Cass. 2e civ. 20 nov. 1968

Sur le premier moyen : attendu que selon l’arrêt infirmatif attaque, sur un court de tennis, ou débutait une Competition sportive, le jeune Saugier, servit deux balles d’essai dont la seconde atteignit à l’œil droit Forestier Marechal, l’un des joueurs adverses ;

Que celui-ci a demandé la réparation du dommage subi a Saugier père, représentant légal de son fils mineur, sur le fondement des articles 1382 et 1384, 1er alinéa, du code civil ;

Que la caisse primaire de sécurité sociale du Jura est intervenue a l’instance ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté la demande, alors qu’il résulterait de ses propres constatations que Saugier aurait commis une maladresse, en envoyant sa seconde balle d’essai, non pas dans la direction diagonale comme l’aurait commande la règle du jeu, mais du cote oppose ;

Mais attendu que l’arrêt, s’il a constaté que la balle litigieuse avait été envoyée non pas dans la direction du carré de service du relanceur mais dans celle du carré de son partenaire, observe qu’il s’agirait là tout au plus même si la balle n’avait pas été qu’une balle d’essai, d’une irrégularité de service, mais non d’une maladresse entrainant la responsabilité civile du joueur ;

Qu’il ajoute qu’aucun renseignement n’avait été donne sur la façon dont la balle avait été lancée ;

Qu’en déduisant de ces énonciations que la preuve n’avait pas été faite d’une faute du jeune Saugier et que celui-ci n’était pas responsable sur le fondement de l’article 1382, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen : attendu que le demandeur au pourvoi soutient que la responsabilité de Saugier, fondée sur l’article 1384, 1er alinéa, aurait été écartée à tort, au motif que la victime avait accepté le risque inhérent au jeu, alors que cette acceptation ne pourrait constituer pour l’auteur du dommage, une cause d’exonération, que si elle avait été fautive ;

Mais attendu que l’arrêt constate que le service des balles d’essai autorise par l’arbitre et fait alors que les joueurs étaient tenus d’être à leur place, s’était inséré dans le match dont il avait constitué le préliminaire, destine à permettre aux joueurs d’étudier le jeu de leurs adversaires ;

Attendu qu’ayant constaté qu’au moment de l’accident, chaque joueur exerçait sur la balle les mêmes pouvoirs de direction et de contrôle, la cour d’appel a pu déduire que cet usage commun de l’instrument du dommage ne permettait pas a Forestier Marechal de fonder son action sur l’article 1384, 1er alinéa, et sans encourir les critiques du pourvoi a donné une base légale a sa décision ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 26 mai 1966 par la cour d’appel de Besançon.

2. Seconde hypothèse : plusieurs groupes investis tantôt des mêmes pouvoirs dans chaque groupe, tantôt de pouvoirs différents

?Admission de l’exercice d’une garde commune entre les membres de plusieurs groupes investis des mêmes pouvoirs dans chaque groupe

Dans un arrêt du 7 novembre 1988 la Cour de cassation a retenu la qualification de garde commune dans l’hypothèse où deux groupes différents étaient investis des mêmes pouvoirs dans chaque groupe (Cass. 2e civ., 7 nov. 1988, n°87-11.008 et 87-17.552).

  • Faits
    • Au cours d’un jeu collectif entre deux groupes d’enfants jouant aux Indiens, l’un d’eux qui appartenait au groupe des assiégeants est blessé à l’œil par une flèche de l’un des assiégés
    • L’auteur du dommage n’ayant pas pu être identifié, action des parents à l’encontre du père de l’un des enfants de l’autre groupe.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 5 décembre 1986, la Cour d’appel de Colmar déboute les parents de la victime de leur action en réparation.
    • Les juges du fond estiment que la garde appartenait au groupe des assiégés, de sorte que « sur le fondement d’une responsabilité collective, la responsabilité d’un seul membre du groupe ne pouvait être retenue sans provoquer la mise en cause des autres ».
  • Solution
    • La Cour de cassation censure la décision des juges du fond considérant que « lorsque la garde d’une chose instrument d’un dommage est exercée en commun par plusieurs personnes, chacun des cogardiens est tenu, vis-à-vis de la victime, à la réparation intégrale du dommage ».
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation les membres du groupe assiégé ont exercé une garde commune de la chose, de sorte que chacun d’eux engage sa responsabilité.
  • Analyse de l’arrêt
    • L’intérêt de l’arrêt est double
      • Celui qui lance décoche une flèche n’a pas le même pouvoir que celui qui la reçoit
        • Il ne saurait donc y avoir garde commune dans l’hypothèse où l’archer serait identifié (situation différente de la balle de tennis)
      • Chaque membre du groupe-gardien pris isolément engage sa responsabilité à l’égard de la victime lorsque l’auteur du dommage n’est pas identifié

Cass. 2e civ., 7 nov. 1988

Sur le moyen unique du pourvoi n° 87-11. 008, pris en sa première branche, et le moyen unique du pourvoi n° 87-17.552 :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, ensemble l’article 1203 de ce Code ;

Attendu que lorsque la garde d’une chose instrument d’un dommage est exercée en commun par plusieurs personnes, chacun des cogardiens est tenu, vis-à-vis de la victime, à la réparation intégrale du dommage;

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué, qu’au cours d’un jeu collectif, le mineur X… qui, avec plusieurs enfants, attaquait une baraque défendue par un autre groupe, a été blessé à l’oeil par l’un des ” assiégés “, tous armés de flèches ; que l’auteur du jet de flèche n’ayant pu être identifié, les consorts X… ont demandé la réparation de leur préjudice à M. Y…, père d’un des ” assiégés “, et à son assureur, la Mutuelle de la ville de Thann ; que la caisse primaire d’assurance maladie de Mulhouse est intervenue à l’instance ;

Attendu que pour débouter les consorts X… de leurs demandes, l’arrêt, après avoir retenu que la garde de l’instrument du dommage appartenait au groupe des assiégés, énonce que, sur le fondement d’une responsabilité collective, la responsabilité d’un seul membre du groupe ne pouvait être retenue sans provoquer la mise en cause des autres ;

En quoi la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 décembre 1986, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz

?Rejet de l’exercice d’une garde commune entre les membres de plusieurs groupes investis de pouvoirs différents dans chaque groupe

Dans un arrêt du 28 mars 2002, la Cour de cassation n’a pas retenu la qualification de garde commune dans l’hypothèse où les membres de deux groupes étaient investis de pouvoirs différents dans chaque groupe (Cass. 2e civ., 28 mars 2002, n°00-10.628).

  • Faits
    • Une jeune fille participant à une partie de base-ball improvisée est blessée à l’œil droit par une balle de tennis relancée en sa direction au moyen d’une raquette de tennis au lieu d’une batte de base-ball
    • Action en réparation engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des choses
  • Procédure
    • Par un arrêt du 11 janvier 1999, la Cour d’appel d’Orléans déboute la victime de sa demande de réparation
    • Les juges du fond estiment que la victime exerçait la garde commune de la chose, instrument du dommage, de sorte qu’elle n’était pas fondée à obtenir réparation de son préjudice
  • Solution
    • La Cour de cassation rejette la qualification de garde commune, considérant que la chose, instrument du dommage, n’était pas la balle, comme soutenu par la Cour d’appel, mais la raquette.
    • Or seul l’auteur du dommage exerçait sur elle un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle
    • La Cour de cassation affirme en ce sens que « la balle de tennis avait été projetée vers la victime par le moyen d’une raquette de tennis dont le jeune Mohamed Y… avait alors l’usage, la direction et le contrôle, ce dont il résultait que la raquette avait été l’instrument du dommage »
  • Analyse de l’arrêt
    • De toute évidence, la solution retenue par la Cour de cassation en l’espèce apparaît pour le moins surprenante si on la rapproche de l’arrêt du 20 novembre 1968 où la Cour de cassation avait retenu la qualification de garde commune s’agissant d’une partie de tennis (Cass. 2e civ. 20 nov. 1968).
    • Est-ce à dire que la deuxième chambre civile a entendu revenir sur cette solution ?
    • Deux analyses sont possibles :
      • Première analyse
        • Au tennis, chaque joueur est gardien de sa raquette, de sorte que l’on pourrait envisager de retenir la responsabilité des joueurs pris individuellement sur le fondement de l’article 1384, al. 1er
        • Ils ne pourraient donc plus être considérés comme exerçant une garde commune.
      • Seconde analyse
        • Il ressort de la jurisprudence que pour qu’il y ait garde commune, il est nécessaire que chaque agent exerce les mêmes pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur l’instrument du dommage.
        • Or en l’espèce, les joueurs n’exercent pas le même pouvoir sur la balle, car l’un l’utilise à main nue alors que l’autre a en sa possession une raquette de tennis
        • Dès lors, parce qu’ils n’utilisent pas le même type d’instrument, ils n’exercent pas les mêmes pouvoirs sur la balle
        • Et comme ils n’exercent pas les mêmes pouvoirs sur la balle, il ne saurait y avoir de garde commune
        • La solution adoptée dans l’arrêt du 20 novembre 1968 ne serait donc pas caduque.

Cass. 2e civ., 28 mars 2002

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la mineure Dounia X…, participant à un jeu collectif improvisé inspiré du base-ball, a été blessée à l’oeil droit par une balle de tennis relancée en sa direction par le jeune Mohamed Y… au moyen d’une raquette de tennis tenant lieu de batte de base-ball ;

Attendu que pour rejeter l’action en réparation de M. Omar X…, ès qualités d’administrateur légal des biens de sa fille Dounia, la cour d’appel a, par motifs propres et adoptés, retenu que l’usage commun de la balle de tennis, instrument du dommage, n’autorisait pas la joueuse blessée à réclamer réparation sur le fondement du texte susvisé ;

Qu’en statuant ainsi, tout en constatant que la balle de tennis avait été projetée vers la victime par le moyen d’une raquette de tennis dont le jeune Mohamed Y… avait alors l’usage, la direction et le contrôle, ce dont il résultait que la raquette avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 11 janvier 1999, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers

?Remise en cause de l’appréciation de la notion de garde commune ?

Dans un arrêt du 13 janvier 2005, la Cour de cassation a adopté une solution que certains auteurs ont interprétée comme annonciatrice d’un changement d’appréciation de la notion de garde commune (Cass. 2e civ., 13 janv. 2005, n°03-12.884).

  • Faits
    • Au cours d’une partie de football, un joueur est blessé par le choc contre sa tête du ballon frappé du pied par le gardien de but de l’équipe adverse
    • Action en réparation engagée contre l’auteur du dommage sur le fondement de la responsabilité du fait des choses.
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 13 janvier 2003, la Cour d’appel d’Angers déboute la victime de sa demande de réparation estimant que « lors d’un jeu collectif comme un match de football… les joueurs ont dans leur ensemble la garde collective du ballon et l’un des joueurs ne peut avoir au cours de l’action la qualité de gardien de la balle par rapport à un autre joueur” et que “celui qui le détient (le ballon)… est contraint de le renvoyer immédiatement ou de subir les attaques de ses adversaires… (de sorte) qu’au cours d’un match de football, tous les joueurs ont l’usage du ballon mais nul n’en a individuellement le contrôle et la direction »
    • Ainsi, pour les juges du fond, dans la mesure où les joueurs exerçaient une garde commune du ballon, la victime ne pouvait, obtenir réparation de son préjudice, en raison de l’incompatibilité qui existe entre les qualités de victime et de gardien.
  • Solution
    • La Cour de cassation valide la décision de la Cour d’appel, considérant qu’il y avait bien garde commun du ballon
    • Elle affirme en ce sens que « au cours du jeu collectif comme le football, qu’il soit amical ou pratiqué dans une compétition officielle, tous les joueurs ont l’usage du ballon mais nul n’en a individuellement le contrôle et la direction ; que l’action qui consiste à taper dans le ballon pour le renvoyer à un autre joueur ou dans le but ne fait pas du joueur qui détient le ballon un très bref instant le gardien de celui-ci ; que le joueur qui a le ballon est contraint en effet de le renvoyer immédiatement ou de subir les attaques de ses adversaires qui tentent de l’empêcher de le contrôler et de le diriger, en sorte qu’il ne dispose que d’un temps de détention très bref pour exercer sur le ballon un pouvoir sans cesse disputé »
    • Si de prime abord, la solution retenue par la Cour de cassation ne paraît pas contestable, dans la mesure où tous les joueurs exercent bien les mêmes pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur le ballon, la motivation de l’arrêt est pour le moins étonnante.
    • Pour justifier l’absence d’indemnisation de la victime la Cour de cassation tient le raisonnement suivant :
      • Tous les joueurs de football exercent les mêmes de pouvoir d’usage, de direction et de contrôle sur la chose, de sorte qu’il y a garde collective
      • Comme il y a garde collective, aucun des joueurs ne donc être désigné comme gardien individuellement
      • Dès lors, il n’y a pas de responsable ce qui prive la victime de toute action en réparation
    • Tel n’est cependant pas le raisonnement qu’elle tient habituellement.
    • Dans la jurisprudence antérieure, pour refuser à la victime son droit à indemnisation, elle raisonnait de la manière suivante :
      • Tous les joueurs de football exercent les mêmes de pouvoir d’usage, de direction et de contrôle sur la chose, de sorte qu’il y a garde collective
      • Dès lors qu’il y a garde collectif, alors tous les membres du groupe doivent être désignés comme gardiens
      • Le joueur ayant subi le dommage ne pouvant pas cumuler les qualités de victime et de gardien, il ne peut donc prétendre à indemnisation.
    • En résumé :
      • Dans la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation considère que garde collective implique que chacun des membres du groupe est gardien
      • Dans l’arrêt en l’espèce, la haute juridiction estime que la garde collective implique que personne n’est gardien.
  • Critiques
    • Dans l’hypothèse où le groupe dont les membres exercent une garde commune de la chose, instrument du dommage, est une personne morale, la solution retenue en l’espèce permettrait éventuellement de rechercher la responsabilité du groupement
    • Toutefois, dans l’hypothèse où le groupe n’est pas une personne morale, la victime ne peut se retourner contre personne, elle est sans débiteur, dans la mesure où aucun des membres des groupes n’est gardien.
    • Cette hypothèse se rencontrera notamment lorsque la victime sera un spectateur, soit une personne étrangère au groupe et qui donc échappe à la qualification de gardien.

Cass. 2e civ., 13 janv. 2005

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Angers, 15 janvier 2003), que M. X…, alors qu’il participait à une rencontre amicale de football, a été blessé par le choc contre sa tête du ballon frappé du pied par M. Y…, gardien de but de l’équipe adverse ; qu’il a assigné en responsabilité et indemnisation M. Y… et la Ligue du Maine de football, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne (la CPAM) ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° A 03-18.918 et sur les trois autres branches du moyen unique du pourvoi n° S 03-12.884, réunis :

Attendu que M. X… et la CPAM font à l’arrêt le même grief, alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu’au cours du jeu collectif comme le football, qu’il soit amical ou pratiqué dans une compétition officielle, tous les joueurs ont l’usage du ballon mais nul n’en a individuellement le contrôle et la direction ; que l’action qui consiste à taper dans le ballon pour le renvoyer à un autre joueur ou dans le but ne fait pas du joueur qui détient le ballon un très bref instant le gardien de celui-ci ; que le joueur qui a le ballon est contraint en effet de le renvoyer immédiatement ou de subir les attaques de ses adversaires qui tentent de l’empêcher de le contrôler et de le diriger, en sorte qu’il ne dispose que d’un temps de détention très bref pour exercer sur le ballon un pouvoir sans cesse disputé ; qu’en l’espèce, M. Y… a dû sortir de la surface de réparation et ne pouvait donc se saisir du ballon sans commettre une faute ; que, sous la menace de M. X…, il a choisi de renvoyer immédiatement le ballon qu’il n’a pu contrôler et qu’il a frappé en “demie volée” ;

Que de ces constatations et énonciations, découlant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis au débat, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a déduit à bon droit qu’au moment de l’accident, M. Y… ne disposait pas sur le ballon des pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle caractérisant la garde de la chose instrument du dommage ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;