Le billet à ordre

I) Définition

Le billet à ordre peut se définir comme le titre qui constate l’engagement d’une personne, le souscripteur, de payer à une autre personne, le bénéficiaire, une somme d’argent déterminée, à une échéance déterminée.

Contrairement à la configuration dans laquelle on se trouve en matière de lettre de change, le billet à ordre met aux prises non pas trois personnes, mais deux.

Il en résulte deux conséquences immédiates :

  • Le débiteur désigné sur le titre est tout à la fois le tireur et le tiré de l’effet.
    • A la différence de la lettre de change, ce n’est donc pas le créancier qui est à l’origine de l’émission du titre, mais bien le débiteur
    • Le créancier n’adresse aucun ordre au débiteur de payer une tierce personne lorsque le titre lui sera présenté au paiement. C’est le débiteur lui-même qui, de sa propre initiative, s’engage à payer le bénéficiaire de l’effet à une échéance déterminée.
  • Le débiteur désigné sur le billet à ordre n’a pas vocation à accepter l’effet, dans la mesure où il est précisément à l’origine de son émission. C’est lui le souscripteur initial, de sorte que par l’apposition de sa seule signature sur l’effet, il est d’ores et déjà engagé cambiairement à l’égard du bénéficiaire.
    • L’article L. 512-6 du Code de commerce prévoit en ce sens que « le souscripteur d’un billet à ordre est obligé de la même manière que l’accepteur d’une lettre de change»

Lettre de change

Schéma 1.JPG

Billet à ordre

Schéma 2

En un mot, le billet à ordre constitue une promesse de paiement. Il ne s’agit cependant pas d’une simple promesse.

La promesse par laquelle s’engage le souscripteur à l’égard du bénéficiaire de l’effet, tire sa force obligatoire, non pas de la rencontre des volontés, mais du titre lui-même.

Aussi, le billet à ordre se range-t-il dans la catégorie des effets de commerce.

Partant, l’obligation née de l’engagement du souscripteur de l’effet présente toutes les caractéristiques de l’obligation cambiaire :

  • Solidarité du souscripteur avec tous les signataires du billet à ordre
  • Possibilité pour le porteur de l’effet de diligenter une procédure d’injonction de payer contre le souscripteur sur le fondement de l’article 1405, al. 2 du Code de procédure civile
  • Dispense d’autorisation judiciaire quant à l’accomplissement de mesures conservatoires (article L. 511-2 du Code de l’exécution forcée)
  • Exclusion de l’octroi de délais de grâce
  • Compétence des juridictions consulaires
  • Purge des exceptions: le souscripteur ne sera pas fondé à opposer au porteur de bonne foi les exceptions tirées de son rapport personnel avec le bénéficiaire initial
  • Indépendance des signatures des signataires du billet à ordre

Règles applicables

Le corpus normatif du billet à ordre ressemble trait pour trait au régime juridique de la lettre de change.

Et pour cause, afin de régir le billet à ordre, le législateur a procédé, pour l’essentiel, par renvoi aux règles applicables à la lettre de change.

Ainsi, sont applicables au billet à ordre les règles de la lettre de change relatives :

  • à l’ordre de l’effet
  • à la capacité des signataires de la traite
  • à l’endossement
  • au défaut d’indication du lieu du paiement
  • aux différentes modalités de l’échéance
  • aux actions récursoires dont jouissent les signataires actionnés en paiement
  • aux causes et aux effets de la déchéance dont est susceptibles d’être frappé le porteur de l’effet
  • aux modalités d’établissement du protêt faute de paiement
  • au paiement par intervention
  • à la création d’une copie de la traite
  • aux délais de grâces conventionnels et judiciaires
  • à l’aval
  • à la publicité et à la prorogation des délais de protêts

En revanche, ne sont pas applicables au billet à ordre toutes les règles relatives :

  • à la provision
    • dans la lettre de change, la provision consiste en la créance que détient le tireur contre le tiré
    • or dans la configuration du billet à ordre, le souscripteur cumule sur sa seule tête ces deux fonctions
    • Il en résulte que la provision n’a pas de raison d’être dans le billet à ordre, bien que la jurisprudence de la Cour de cassation invite à penser le contraire (V. en ce sens 5 mars 1991, Bull. civ. IV, no 95)
  • à l’acceptation
    • l’acceptation n’existe pas en matière de billet à ordre dans la mesure où c’est le débiteur qui émet l’effet.
    • Aussi, l’émission du billet à ordre est-elle nécessairement assortie de l’apposition par le souscripteur de sa signataire
    • Il en résulte, en vertu de l’article 512-6 du Code de commerce que « le souscripteur d’un billet à ordre est obligé de la même manière que l’accepteur d’une lettre de change»

II) La création du billet à ordre

A) Conditions de fond

Le billet à ordre est un acte juridique.

À ce titre, sa validité est subordonnée au respect des mêmes principes qui conditionnent la validité de n’importe quel acte juridique (capacité, cause, consentement).

Les articles L. 512-3 et L. 512-4 du Code de commerce renvoient, par ailleurs, aux dispositions régissant les conditions de fond de la lettre de change.

Focus sur la condition de cause

Il est une question que l’on est légitimement en droit de se poser s’agissant de la validité du billet à ordre : l’existence d’un rapport fondamental entre le souscripteur et le bénéficiaire est-elle nécessaire pour que le billet à ordre produise ses effets entre les parties ?

Autrement dit, l’émission du billet à ordre doit-elle être causée ?

Si l’on se place du point de vue du droit allemand, le billet à ordre est regardé comme un titre abstrait.

Il en résulte qu’il n’est pas nécessaire, pour que l’effet soit valide, qu’un rapport fondamental lie le souscripteur au bénéficiaire.

Qu’en est-il en droit français ?

Pour la Cour de cassation, la validité du billet à ordre est subordonnée à l’existence d’un rapport fondamental.

Autrement dit, le souscripteur du billet à ordre doit être, préalablement à la création de l’effet, le débiteur du bénéficiaire.

Dans le cas contraire, voire dans l’hypothèse où l’émission du billet à ordre repose sur une cause illicite, il est dépourvu de tout effet.

Il en résulte que le souscripteur d’un billet à ordre est fondé à opposer au bénéficiaire l’extinction de la dette en règlement de laquelle l’effet a été émis (Cass. com., 12 oct. 1966 : Bull. civ. III, n° 392).

B) Conditions de forme

  • Exigence d’un écrit
    • Le billet à ordre suppose l’établissement d’un écrit, peu importe qu’il s’agisse d’un acte authentique ou d’un acte sous seing privé
  • Mentions obligatoires
    • Aux termes de l’article L. 512-1 du Code de commerce, le billet à ordre doit contenir un certain nombre de mentions :
      • La clause à ordre ou la dénomination du titre
        • Cette clause doit être insérée dans le texte même et exprimée dans la langue employée pour la rédaction de ce titre.
          • « Payer à l’ordre de »
  • La promesse pure et simple de payer une somme déterminée
    • Le billet à ordre doit contenir un engagement de payer et non une simple invitation à payer
      • Cet engagement ne doit pas être conditionnel
      • Il doit porter sur une somme d’argent déterminée
  • L’indication de l’échéance
    • Sur ce point, les règles applicables à la lettre de change sont valables pour le billet à ordre
    • Il en résulte que l’échéance du billet à ordre peut être
      • à vue
      • à un certain délai de vue
      • à jour fixe
  • Le billet à ordre dont l’échéance n’est pas indiquée est considéré comme payable à vue
  • L’indication du lieu où le paiement doit s’effectuer
  • Le nom de celui auquel ou à l’ordre duquel le paiement doit être effectué
  • L’indication de la date et du lieu où le billet est souscrit
  • La signature de celui qui émet le titre, soit du premier souscripteur
    • Le billet peut être souscrit par plusieurs personnes qui sont alors obligées solidairement, même dans l’hypothèse où le billet constaterait une créance civile

Quid de la sanction en cas d’omission d’une mention obligatoire ?

La loi supplée l’omission d’une mention obligatoire dans trois cas.

Ainsi, aux termes de l’article L. 512-1, II, III et IV :

  • « Le billet à ordre dont l’échéance n’est pas indiquée est considéré comme payable à vue.
  • À défaut d’indication spéciale, le lieu de création du titre est réputé être le lieu de paiement et, en même temps, le lieu du domicile du souscripteur.
  • Le billet à ordre n’indiquant pas le lieu de sa création est considéré comme souscrit dans le lieu désigné à côté du nom du souscripteur».

En dehors de ces trois hypothèses, conformément à l’article L. 512-2 du Code de commerce, « le titre dans lequel une des énonciations indiquées au I de l’article L. 512-1 fait défaut ne vaut pas comme billet à ordre ».

L’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 3 avril 1984 en est une parfaite illustration.

FICHE D’ARRÊT

Com. 3 avril 1984, Bull. civ. IV, no 124

Faits :

  • La société Confestion du Quercy est porteuse de 3 billets à ordre souscrits par la Société Charles Philippe
  • Ces billets à ordres ont été avalisés par les époux Jean Lefort
  • Survenance d’un défaut de paiement du souscripteur des billets à ordre

Demande :

  • Assignation en paiement des avaliseurs du billet à ordre qui se défendent en soutenant que deux des trois billets à ordre souscrits n’étaient pas valables en raison du défaut de date de création de l’effet.

Procédure :

  • Dispositif de la décision rendue au fond:

Par un arrêt du 3 mars 1983, la Cour d’appel de Rouen fait droit à la demande du porteur des trois billets à ordre litigieux. Elle condamne en conséquence les avalistes en paiement

  • Motivation des juges du fond:

Les juges du fond estiment que tout porte à croire que les billets à ordre dont la validité est contestée ont été souscrits le même jour de sorte que la date qui fait défaut sur les deux billets à ordre litigieux se déduit du premier

Aussi, pour la Cour d’appel, dès lors que le billet à ordre comporte les autres mentions obligatoires, il demeure valide

Problème de droit :

La question qui se posait portait sur la validité d’un billet à ordre dont la mention relative à date de création du titre fait défaut

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation casse et annule la décision rendue par la Cour d’appel
    • Visa : articles 183 et 184 qui posent les conditions de validité du billet à ordre ainsi que la sanction de leur non-respect
    • Cas d’ouverture : la violation de la loi

Sens de l’arrêt:

  • Dans cet arrêt, la Cour de cassation se livre, manifestement, à une interprétation pour le moins stricte des dispositions du Code de commerce.
  • Elle considère, en effet, qu’un billet non daté, alors même qu’il renferme toutes les autres mentions exigées par la loi, ne vaut pas comme billet à ordre.

Valeur de la décision :

La solution rendue dans cette affaire par la Cour de cassation ne peut être qu’approuvée.

Le billet à ordre constitue un effet de commerce. Il s’ensuit que les engagements pris par les signataires reposent sur le titre lui-même, soit uniquement sur ce qui est apparent.

Admettre que le billet à ordre soit valable nonobstant l’omission d’une mention obligatoire aurait pour conséquence de considérablement porter atteinte à la sécurité juridique que les porteurs de l’effet sont légitimement en droit d’attendre lors de son acquisition.

En effet, lorsqu’ils acquièrent l’effet, les porteurs se déterminent en ayant pour seul moyen de s’assurer de la fiabilité de l’engagement du débiteur que le titre lui-même. D’où l’importance des mentions obligatoires.

En conséquence, la décision rendue par la Cour de cassation apparaît parfaitement justifiée.

Plus spécifiquement, la question se pose de la justification de l’exigence de la mention relative à la date de création du titre. Pourquoi s’agit-il d’une mention exigée à peine de nullité de l’effet ?

De toute évidence, le porteur n’accordera pas la même confiance au titre selon qu’il a été souscrit quelques mois auparavant ou selon qu’il a été souscrit il y a 10 ans.

Entre temps, le souscripteur a, en effet, pu faire l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ou être décédé.

Ainsi, en cas de date de souscription lointaine, le porteur prend un risque en acquérant le titre. D’où la nécessité qu’il ait connaissance de sa date de création, afin qu’il acquiert l’effet en toute connaissance de cause.

Pour résumer, lorsque la date de création du titre fait défaut, il ne vaut pas comme billet à ordre. Il vaudra comme simple promesse de paiement (V. en ce sens CA Paris, 30 Sept. 1986 : D. 1987, somm. p. 70, obs. Cabrillac)

III) La transmission du billet à ordre

A) La transmission par endossement du billet à ordre

Aux termes de l’article L. 512-3 du Code de commerce, les dispositions relatives à l’endossement de la lettre de change sont applicables au billet à ordre.

On peut en déduire deux conséquences

  • Le billet à ordre est transmissible par endossement
    • A défaut, le transfert ne produira les effets que d’une simple cession, de sorte que le souscripteur sera fondé à opposer au cessionnaire les exceptions issus de son rapport personnel avec le bénéficiaire initial (V. en ce sens com., 15 mars 1976: Bull. civ. IV, n° 97)
  • Le billet à ordre peut faire l’objet des mêmes formes d’endossement que la lettre de change, à savoir :
    • l’endossement translatif
    • l’endossement pignoratif
    • l’endossement à titre de procuration

B) Les effets de la transmission du billet à ordre

Traditionnellement, on enseigne que l’endossement d’un billet à ordre produit deux effets principaux :

  • L’inopposabilité des exceptions
  • Le transfert de la créance détenu par le bénéficiaire contre le souscripteur
  1. L’inopposabilité des exceptions

==> Principe

Lors de l’émission du billet à ordre, le souscripteur appose sa signature sur le titre, ce qui produit les mêmes effets qu’une acceptation, soit, notamment, la naissance d’un engagement cambiaire au bénéfice du porteur.

Il en résulte une purge des exceptions lors de la transmission du billet à ordre, sauf si le porteur agit sciemment au détriment du débiteur (Cass. com., 20 févr. 1990).

Autrement dit, le souscripteur ne sera pas fondé à opposer au porteur, les exceptions tirées de son rapport personnel avec le bénéficiaire initial.

Une fois transmis, le billet à ordre devient un titre abstrait, de sorte que les causes de nullité qui affecteraient le rapport fondamental sont sans effet sur la validité du titre lui-même

==> Limites

Comme en matière de lettre de change, le signataire actionné en paiement peut opposer des exceptions au porteur dans quatre cas :

  • Les exceptions tirées d’un vice apparent du titre
  • L’incapacité du signataire
  • L’absence de consentement du signataire
  • Les exceptions tirées du rapport personnel entre le signataire et le porteur

2. Le transfert de la créance détenu par le bénéficiaire contre le souscripteur

Le billet à ordre se distingue de la lettre de change, notamment en raison de l’absence de provision.

En effet, dans la lettre de change, la provision consiste en la créance que détient le tireur contre le tiré.

Or dans la configuration du billet à ordre, le souscripteur cumule sur sa seule tête ces deux fonctions.

D’où l’absence de provision en matière de billet à ordre.

Quid du sort de la créance détenu contre le souscripteur lors de la transmission du billet à ordre ?

Pour mémoire, en matière de lettre de change, conformément à l’article L. 511-7, al. 1 du Code de commerce, « la propriété de la provision est transmise de droit au porteurs successifs de la lettre de change ».

Ce transfert intervient dès la remise de la traite, soit avant l’échéance de l’effet.

Toutefois, jusqu’à ladite échéance, le tireur est libre de disposer de la créance qu’il détient contre le tiré tant que ce dernier n’a pas accepté à la traite.

Il s’ensuit que le porteur n’est titulaire que d’un droit très précaire sur la provision, en ce sens qu’il est susceptible de se retrouver en concours avec d’autres créanciers quant à la titularité de la créance de provision.

Il en va ainsi dans plusieurs hypothèses :

  • Le tiré ou le tireur font l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire
  • Le tireur a mobilisé une seconde fois la créance de provision auprès d’un tiers
  • La provision fait l’objet d’une saisie
  • La provision fait l’objet d’une action en revendication par le vendeur de meubles actionnant une clause de réserve de propriété

De toute évidence, ces situations ne sont pas seulement le lot du porteur d’une lettre de change. Le porteur d’un billet à ordre est également susceptible d’y être confronté.

Deux questions alors se posent :

  • La remise du billet au porteur à ordre opère-t-elle, comme en matière de lettre de change, transfert de la créance que détient le bénéficiaire initial contre le souscripteur ?
  • Dans l’affirmative, le droit de créance que le porteur détient contre le souscripteur de l’effet est-il aussi précaire que le droit dont est titulaire le porteur d’une lettre de change non acceptée sur la créance de provision ?

Évolution de la position de la Cour de cassation

  • Première étape
    • La Cour de cassation applique la théorie de la provision au billet à ordre ( req. 24 janv. 1912 : S. 1917, 1, p. 121, note Bourcart)
    • La créance incorporée dans le titre est réputée avoir été transférée dès la remise de l’effet au porteur, soit avant l’échéance
    • Il en résulte deux conséquences principales :
      • Le porteur était fondé à se prévaloir d’un droit exclusif sur la créance préexistante en cas de concours de créanciers
      • En cas de déchéance des recours cambiaires du porteur, il pouvait agir contre le souscripteur sur le fondement de la créance préexistante
  • Deuxième étape
    • La Cour de cassation refuse de faire application de la théorie de la provision au billet à ordre ( civ., 15 déc. 1947 : JCP G 1948, II, 4130 ; S. 1948, 1, p. 41, note Lescot)
      • La conséquence en est que la remise du billet à ordre n’a pas pour effet de transférer la créance détenu par le bénéficiaire initial contre le souscripteur au nouveau porteur.
      • En cas de redressement ou de liquidation judiciaire du bénéficiaire initial ou du souscripteur, le porteur doit concourir avec les autres créanciers. Il ne dispose d’aucun privilège cambiaire.
  • Troisième étape:
    • La Cour de cassation a admis que l’endossement d’un billet à ordre puisse opérer transfert « des droits résultant du billet à ordre» ( 5 mars 1991 : Bull. civ. IV, no 95).

FICHE D’ARRÊT

Com. 5 mars 1991, Bull. civ. IV, no 95

Faits :

  • Contrat de travaux conclu entre deux sociétés, la société SOLLAC et la société SMB
  • La société SMB, entrepreneur principal, sous-traite la réalisation de travaux à la société Van der Guth (sous-traitant)
  • En paiement des travaux, le maître d’ouvrage, la société SOLLAC, souscrit un billet à ordre au bénéfice de l’entrepreneur principal, la société SMB
  • L’effet est, par suite, escompté auprès d’une banque
  • Puis défaut de paiement de l’entrepreneur principal qui ne règle pas le sous-traitant
  • Il s’ensuit une mise en demeure de l’entrepreneur principal, communiquée en copie au maître d’ouvrage
  • Le sous-traitant n’étant toujours pas réglé de sa facture, il adresse un courrier au maître d’ouvrage par lequel il lui défend de payer le billet à ordre souscrit au bénéfice de l’entrepreneur principal

Demande :

  • Assignation en paiement de l’entrepreneur principal sur le fondement de l’action directe dont il jouit sur le fondement de l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975
  • En parallèle, le banquier escompteur obtient une ordonnance d’injonction de payer contre le maître d’ouvrage
  • La société SOLLAC forme alors opposition contre cette ordonnance

Schéma 3

En résumé, deux créanciers sont, en l’espèce, en concours quant à la titularité d’une même créance, soit celle détenue par l’entrepreneur principal contre le maître d’ouvrage :

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 28 juin 1989, la Cour d’appel de Metz condamne le maître d’ouvrage à régler la facture du sous-traitant
  • Les juges du fond déboutent la banque de sa demande en paiement du billet à ordre escompté à son profit

Motivation des juges du fond:

  • Pour les juges du fond, l’action directe a été exercée antérieurement à la survenance de l’échéance du billet à ordre souscrit par le maître d’ouvrage au profit de l’entrepreneur principal
  • Dès lors, pour la Cour d’appel, l’action directe prime sur le billet à ordre dans la mesure où le maître d’ouvrage n’était pas encore dessaisi de la valeur fournie
  • Par ailleurs, pour la Cour d’appel, l’opération d’escompte s’apparente à une cession de créance
  • Or en vertu de l’article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 modifiée, pareille cession de créance est prohibée

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était de savoir si l’action directe dont est titulaire un sous-traitant contre le maître d’ouvrage prime sur l’action dont est titulaire le banquier escompteur contre le souscripteur d’un billet à ordre

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation censure la décision rendue par la Cour d’appel de Metz

Solution :

  • Premier élément de la solution:
    • Pour la Cour de cassation, à la date où le sous-traitant impayé a exercé son action directe contre le maître d’ouvrage, l’entrepreneur principal était déjà dessaisi de la créance dont il était titulaire par l’effet de l’endossement du billet à ordre, de sorte que la créance appartenait exclusivement et définitivement au banquier
    • Le sous-traitant n’était donc pas fondé à agir contre le maître d’ouvrage, l’action directe reposant uniquement sur la titularité de la créance que détient l’entrepreneur principal contre le maître d’ouvrage
    • Aussi, dès lors que l’entrepreneur principal n’est plus créancier du maître d’ouvrage, le sous-traitant n’est pas fondé à agir contre ce dernier
    • En d’autres termes, pour la Cour de cassation l’entrepreneur principal n’était plus créancier du maître d’ouvrage, dès l’instant où il s’est dessaisi du billet à ordre
    • Au total, dans cet arrêt la Cour de cassation fait primer le droit cambiaire sur l’action directe du sous-traitant, comme en matière de lettre de change
  • Second élément de solution:
    • La cour de cassation considère que l’exception tirée de la prohibition posée par la loi du 31 décembre 1975 s’agissant de la cession de créance de l’entrepreneur principal au bénéfice d’un tiers est INOPPOSABLE au porteur de bonne foi du billet à ordre
    • La Cour de cassation fait ici une application stricte du droit cambiaire :
      • Le porteur de bonne foi bénéficie du principe d’inopposabilité des exceptions
      • Le billet à ordre est un instrument de paiement et de crédit, en ce sens qu’il doit procurer une certaine sécurité juridique à son porteur
        • On ne saurait, en conséquence, lui opposer que ce qui est apparent sur le titre.
  • Troisième élément de solution:
    • La Cour de cassation reconnaît que la créance incorporée dans un billet à ordre est transmise aux porteurs successifs par l’effet de l’endossement, soit avant l’échéance.
    • La haute juridiction affirme en ce sens que :
      • « les obligations du maître de l’ouvrage à l’égard du sous-traitant exerçant l’action directe sont limitées à ce qu’il doit encore à l’entrepreneur principal à la date de réception de la copie de la mise en demeure (prévue par L. 31 déc. 1975, art. 12), que la cour d’appel n’a pas recherché à quelle date la banque, par l’endossement lui ayant transmis tous les droits résultant du billet à ordre, était devenue propriétaire de la créance de l’entrepreneur principal sur le maître de l’ouvrage »

L’inopposabilité des exceptions

I) Définition:

L’inopposabilité des exceptions peut se définir comme l’impossibilité pour le signataire d’une lettre de change d’opposer au porteur les exceptions dont il pouvait se prévaloir contre un autre signataire afin de faire échec à son action en paiement.

Le principe d’inopposabilité est exprimé à l’article L. 511-12 du Code de commerce les « personnes actionnées en vertu de la lettre de change ne peuvent pas opposer au porteur les exceptions fondées sur leurs rapports personnels avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs, à moins que le porteur en acquérant la lettre n’ait agi sciemment au détriment du débiteur ».

Un principe dérogatoire au droit commun

Le droit commun de la cession de créance est régi par la règle nemo plus juris ad alium transfere potest quam ipse habet.

Autrement dit, selon cette règle, on ne peut transférer à autrui plus de droit que l’on en possède soi-même.

Appliquée à la cession de créance, cela signifie que lorsqu’une créance est cédée, elle est transférée au cessionnaire, tant avec ses sûretés et accessoires, qu’avec ses limites et ses faiblesses.

Le débiteur cédé est alors fondé à opposer au cessionnaire les moyens de défense dont il pouvait se prévaloir à l’encontre du cédant (causes de nullité et d’extinction de la créance, défaut de livraison, vices cachés, etc.)

Le principe d’inopposabilité des exceptions est en cela dérogatoire au droit commun, dans la mesure où le signataire actionné en paiement est totalement privé de cette faculté.

Aussi constitue-t-il l’un des principes cardinaux du droit cambiaire. Plus encore, il en est la marque.

Un principe cardinal du droit cambiaire

Ce qui, fondamentalement, distingue le droit cambiaire du droit commun de la cession de créance, c’est le principe d’inopposabilité des exceptions.

Au fond, tandis que les règles relatives à la cession de créance sont tournées vers le transfert de la titularité d’une créance, les règles régissant l’émission des effets de commerce ont, quant à elles, vocation à assurer, non pas le transfert de droits personnels, mais la circulation d’un titre.

Or pour que cette dernière fonction soit remplie, le porteur qui rentre en possession de l’effet doit être assuré de la validité de l’opération en considération de la seule apparence du titre.

Cela suppose donc que les signataires de l’effet ne puissent pas lui opposer lors de sa présentation au paiement des exceptions issues d’un précédent rapport.

Dans le cas contraire, cela affaiblirait considérablement le titre et dissuaderait les agents, par voie de conséquence, d’en faire l’acquisition. D’où le principe d’inopposabilité des exceptions.

Aussi, ce principe cardinal du droit cambiaire a-t-il pour fonction d’assurer la circulation des effets de commerce.

Son application n’est toutefois pas absolue. Elle est subordonnée à la satisfaction de certaines conditions.

II) Les conditions d’application du principe d’inopposabilité des exceptions

Les conditions d’application du principe d’inopposabilité des exceptions tiennent :

  • Au débiteur actionné en paiement
  • À la teneur des exceptions inopposables
  • Au porteur à qui les exceptions sont opposables

A) Le débiteur actionné en paiement

L’article L. 511-12 du Code de commerce prévoit que seules « les personnes actionnées en vertu de la lettre de change » sont susceptibles de se heurter au principe d’inopposabilité des exceptions.

On peut en déduire que le porteur qui actionnerait un débiteur sur le fondement d’un rapport extra-cambiaire ne pourra pas se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions.

Ainsi, le tiré non-accepteur sera fondé à opposer au porteur les exceptions tirées de son rapport personnel avec le tireur.

De la même manière, le tireur, l’endosseur ou l’avaliste pourront toujours opposer au bénéficiaire de la traite déchu de ses recours cambiaires, les exceptions dont ils pouvaient se prévaloir à l’encontre d’autres signataires.

B) Les exceptions inopposables

Afin d’identifier les exceptions inopposables au porteur, le plus simple est de déterminer les exceptions qui lui sont toujours opposables.

On en dénombre quatre catégories :

  1. Les exceptions tirées d’un vice apparent du titre
    • L’omission d’une des mentions obligatoires prévues à l’article L. 511-1 du Code du commerce qui sont :
      • La dénomination « lettre de change »
        • Admission par certains juges du fond de la formule « traite» (CA Montpellier, 24 nov. 1953 : Banque 1956, p. 520, obs. X. Marin)
      • Le mandat pur et simple de payer une somme déterminée
        • Possibilité de subordonner le paiement de la traite à la remise de certains documents au tiré
      • Le nom du tiré
        • L’article L. 511-1, al. 2 permet au tireur de tirer la lettre de change sur lui-même, de sorte qu’il se confondra avec le tiré
      • L’indication de l’échéance
        • La lettre de change peut être tirée
          • à vue
          • à jour fixe
          • à un certain délai de date
          • à un certain délai de vue
        • Le lieu du paiement
          • À défaut d’indication du lieu du paiement, il est réputé être effectué au lieu désigné à côté du nom du tiré
        • Le nom du bénéficiaire
          • Le tireur peut se désigner comme bénéficiaire de la traite
          • En cas d’omission de cette mention la jurisprudence admet de retenir le nom du premier endosseur comme bénéficiaire de la traite ( com., 9 mars 1976 : Bull. civ. 1976, IV, n° 85)
        • L’indication de la date et du lieu de création de l’effet
          • En cas de défaut d’indication du lieu de création de la traite, elle est réputée avoir été créée au lieu désigné à côté du nom du tireur
        • La signature du tireur
          • La signature peut ne pas être manuscrite

2. L’incapacité du signataire actionné en paiement

  • Seules les personnes pourvues de la capacité commerciales ont la capacité juridique de s’engager cambiairement.
  • Aussi, cela exclut-il :
    • Les mineurs
    • Les majeurs sous tutelle et sous curatelle
    • Les consommateurs (Article L. 313-13 du Code de la consommation)

3. L’absence de consentement du signataire actionné en paiement

  • L’absence de consentement recoupe principalement deux hypothèses :
    • La fausse signature
    • L’altération du titre, telle que la modification du montant de l’effet
  • Le vice du consentement ne constitue pas une exception opposable au porteur de la traite ( Com., 2 juill. 1969: JCP 1970, II, 16427, note Langlois)

4. Les exceptions tirées du rapport personnel entre le porteur et le signataire actionné en paiement

  • Il s’agit des exceptions qui trouvent leur source dans le rapport fondamental qui s’est noué entre eux, soit la relation entre le tireur et le tiré ou encore entre l’endosseur et l’endossataire)
  • Il peut s’agir :
    • d’une cause de nullité ou d’extinction du rapport fondamental
    • du défaut de provision
    • du défaut de valeur fournie

C) Le porteur à qui les exceptions sont inopposables

Afin que le porteur puisse se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions il doit être légitime et de bonne foi.

  1. Le porteur légitime

Seul le porteur légitime est fondé à se prévaloir du principe de l’inopposabilité des exceptions.

Conformément à l’article L. 511-11 du Code de commerce, cela justifie qu’il doit être en mesure de justifier l’existence d’une suite ininterrompue d’endossements translatifs réguliers.

Il peut donc s’agir :

  • soit de l’endossataire
  • soit d’un endosseur
  • soit du tireur
  • soit du tiré-accepteur
  • soit de l’avaliseur

Le porteur qui donc aurait acquis la traite par un procédé autre qu’un endossement, notamment par une cession de créance de droit commun, pourrait se voir opposer les mêmes exceptions que celles opposables au cédant.

2. Le porteur de bonne foi

Le porteur de bonne foi n’est jamais fondé à se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions.

L’idée générale qui se dégage est que seul le porteur qui a légitimement pu se fier à l’apparence du titre doit bénéficier de l’application du principe d’inopposabilité des exceptions.

La question qui immédiatement se pose est alors se savoir ce que l’on doit entendre par bonne foi.

Sur cette question, deux conceptions s’opposent :

  • Pour les uns la mauvaise foi s’apparente à la connaissance de l’exception
  • Pour les autres, la connaissance de l’exception ne suffit pas, il faut encore que soit établie l’intention frauduleuse, la volonté de nuire

La Convention de Genève a entendu faire œuvre de compromis en posant que le porteur est de mauvaise foi si, « en acquérant la lettre, il a agi sciemment au détriment du débiteur ».

Cette définition de la mauvaise fois a été reprise à l’article L. 511-12 du Code de commerce in fine.

Elle a par la suite été affinée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt Worms du 26 juin 1956 (Cass. com., 26 juin 1956 : JCP G 1956, II, 9600, note R. Roblot ; RTD com. 1957, 147, obs. E. Becqué et H. Cabrillac)

FICHE D’ARRÊT

Com. 26 juin 1956, Worms

Faits :

  • Depuis 1950, la société Salmons connaît une situation financière difficile
  • Aussi, s’adresse-t-elle à son banquier, la banque Worms, qui n’avait pas voulu lui consentir des découverts, mais lui avait offert d’escompter les traites, acceptées par ses correspondants garagistes, qu’elle lui remettrait
  • La société Salmons a ainsi pu tirer des lettres de change sur ses garagistes en leur promettant que s’ils acceptaient ces traites représentant le prix des voitures commandées, ils ne subiraient aucune augmentation de prix.
  • Il était convenu entre les parties que si les voitures n’étaient pas livrées à l’échéance, la traite ne serait pas payée.
  • Grâce à ce montage financier, la société Salmons put fabriquer quelques voitures, mais très rapidement, la situation se dégrada au point que la société fut mise, en novembre 1957, en liquidation judiciaire.
  • À ce moment, les tirés avaient refusé de payer les effets escomptés par la banque en affirmant que celle-ci était de mauvaise foi, de sorte qu’elle pouvait se voir opposer l’exception tirée de la non-livraison de véhicules, d’autant qu’elle connaissait la convention particulière liant les parties.

Schéma 1

Demande :

Action en paiement de la banque contre les garagistes

Procédure :

  • Par un arrêt du 23 décembre 1952, la Cour d’appel de Dijon désigne un expert dont la mission est d’établir si la banque avait, en acquérant les traites litigieuses, sciemment agi au détriment du débiteur.

Moyens des parties :

  • La banque soutient qu’elle n’a pas agi sciemment au détriment des garagistes
  • Certes, elle savait que les garagistes avaient accepté les traites et qu’ils avaient conclu une convention précisant que le paiement des voitures était subordonné à la livraison
  • Toutefois, sa mauvaise foi ne pouvait être, selon elle, pour autant retenue puisqu’elle a agi non pas au détriment des garagistes, mais, au contraire, à leur avantage, puisque ce qui avait été fourni, ne l’avait été que grâce au crédit d’escompte.

Problème de droit :

Le porteur d’une lettre de change acceptée peut-il n obtenir le paiement lorsque l’obligation fondamentale n’a pas été exécutée par le tireur ?

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt:

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le porteur de la traite litigieuse

  • Solution

La Cour de cassation estime que, par l’expression de l’article 121 posant le principe d’inopposabilité des exceptions sauf mauvaise foi du porteur, « le législateur a réservé le cas où ledit porteur a eu conscience, en consentant à l’endossement du titre à son profit, de causer un dommage au débiteur cambiaire par l’impossibilité où il le mettait de se prévaloir, vis-à-vis du tireur ou d’un précédent endosseur, d’un moyen de défense issu de ses relations avec ces derniers»

Ainsi, pour la Cour de cassation le porteur de mauvaise foi s’apparente, concrètement à celui:

  • qui connaît l’exception
  • qui sait qu’elle subsistera à l’échéance

Or en l’espèce, le porteur de la traite connaissait la situation du tireur.

En effet, la banque savait pertinemment que son client, la société Salmons, rencontrait de graves difficultés financières, de sorte qu’il lui serait difficile de satisfaire à ses engagements envers le tiré.

Ainsi, connaissait-elle le préjudicie qu’elle allait causer au tiré en acquérant la traite, lequel en l’acceptant serait tenu cambiairement et donc soumis au principe d’inopposabilité des exceptions.

En résume, la mauvaise foi du porteur suppose la réunion de deux éléments distincts :

  • D’une part, la connaissance précise de l’exception (le défaut de livraison, la non-conformité de la marchandise…)
  • D’autre part, la conscience du préjudice causé au débiteur en lui faisant perdre le bénéfice d’une exception précise qu’il aurait pu opposer au tireur.

Au total, il apparaît que la mauvaise foi du porteur ne peut être établie qu’en présence de circonstances particulières.

En témoigne l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 8 janvier 1991.

FICHE D’ARRÊT

Com. 8 janv. 1991, Bull. civ. IV, no 11

Faits :

  • Contrat conclu entre une société et un particulier en vue de la construction d’une véranda
  • Afin d’être réglé des travaux, l’entrepreneur tire une lettre de change sur son client et la lui fait accepter
  • Escompte de la lettre de change auprès d’une banque (Société Marseillaise de crédit)
  • Les travaux n’ont pas été réalisés par l’artisan
  • Le client de l’artisan refuse alors de payer la traite à la banque

Schéma 2Demande :

Action en paiement de la banque contre le tiré, Monsieur Larue.

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Obtention par la banque d’une ordonnance d’injonction de payer contre le tiré
  • Le tiré forme alors opposition
  • La Cour d’appel de Grenoble déboute finalement la banque de son action en paiement par un arrêt du 22 mai 1989

Motivation des juges du fond:

  • Obligation pour la banque de vérifier la solvabilité de ses clients lorsqu’elle contracte une convention d’escompte
  • Ainsi, pour les juges du fond, la banque avait conscience du danger qu’elle faisait courir au débiteur en escomptant la traite litigieuse

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • Par cet arrêt, la Cour de cassation censure la décision d’appel au visa de l’article 121 du Code de commerce devenu l’article L. 511-12.

Solution:

En l’espèce, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir vérifié les éléments constitutifs de la mauvaise foi :

  • « sans faire apparaître qu’en prenant la lettre de change à l’escompte, elle avait agi sciemment au détriment du débiteur cambiaire»

Or quels sont ces éléments constitutifs ?

Pour le savoir il convient de se tourner vers l’arrêt Worms du 26 juin 1956

Aussi, la mauvaise foi du porteur suppose la réunion de deux éléments distincts, soit :

  • d’une part, la connaissance précise de l’exception (le défaut de livraison, la non-conformité de la marchandise…)
  • d’autre part, la conscience du préjudice causé au débiteur en lui faisant perdre le bénéfice d’une exception précise qu’il aurait pu opposer au tireur.

En l’espèce la Cour d’appel s’est bornée, comme le relève la Cour de cassation à « retenir à l’encontre de la banque le seul grief de s’être comportée avec légèreté »

On peut en déduire que la simple négligence ou même l’imprudence du porteur n’est pas assimilable à la mauvaise foi

Reste que cette négligence peut être retenue en tant que faute propre à engager la responsabilité du porteur et spécialement du banquier escompteur.

Celui-ci, même si sa bonne foi est établie, peut être assigné en responsabilité comme escompteur imprudent pour le dommage qu’il a causé au tiré ( com., 27 mai 1974 : Bull. civ. IV, n° 167.).

L’acceptation de la lettre de change

I) Définition

L’acceptation se définit comme l’engagement pris par le tiré de payer la lettre de change à l’échéance.

Plus qu’une reconnaissance de dette, par son acceptation le tiré devient le débiteur principal de la traite.

Il en résulte que le tiré s’engage cambiairement :

  • à l’égard du porteur de la traite
  • à l’égard du tireur de la traite

==> L’engagement cambiaire du tiré à l’égard du porteur de la traite

Au même au même titre que le tireur, le tiré est engagé cambiairement à l’égard du porteur, lequel dispose, désormais, de deux débiteurs cambiaires :

  • Le tireur
  • Le porteur

Tant que le tiré n’avait pas accepté la traite, le porteur ne pouvait agir contre lui qu’au moyen de l’action née de la provision.

Si, dès lors, la provision disparaissait ou que le tiré se libérait, avant l’échéance, entre les mains du tireur, le porteur ne disposait d’aucune action contre le tiré, sinon celle fondée sur la provision.

Aussi, en acceptant la lettre de change, le tiré pourra-t-il être actionné en paiement par le bénéficiaire de l’effet sur le fondement de son nouvel engagement : l’obligation cambiaire.

Schéma 1

Le tiré s’engage également cambiairement à l’égard de tous les endosseurs de la lettre de change.

Schéma 2

==> L’engagement cambiaire du tiré à l’égard du tireur de la traite

L’acceptation par le tiré de la lettre de change fait présumer l’existence de la provision.

Cette présomption repose sur l’idée qu’il est très peu probable que le tiré s’engage sans cause, sauf à souscrire à un effet de complaisance.

La conséquence en est qu’en acceptant la traite, l’engagement cambiaire contracté par le tiré ne profite pas seulement au porteur de la traite, il bénéficie également au tireur.

Cet engagement cambiaire est néanmoins plus fragile que celui pris à la faveur du porteur, dans la mesure où le tiré sera toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leur rapport fondamental et, notamment, le défaut de provision.

Schéma 3

II) La présentation à l’acceptation

==> La présentation à l’acceptation par le porteur

  • Principe: la présentation à l’acceptation constitue une simple faculté
    • Conformément à l’article L. 511-15 du Code de commerce, le porteur a la possibilité de présenter la lettre de change à l’acceptation.
    • L’exercice de ce droit n’est cependant qu’une simple faculté.
    • Le porteur est libre de ne pas présenter la traite à l’acceptation.
    • Dans cette hypothèse, il n’encourt aucune déchéance, ni ne perd ses recours cambiaires contre le tireur ou contre les endosseurs en cas de défaut de paiement du tiré
  • Exception: la présentation à l’acceptation est tantôt obligatoire, tantôt interdite

La présentation obligatoire

  • L’obligation légale:
    • L’article L. 511-15, alinéa 6, du Code de commerce prévoit que « les lettres de change à un certain délai de vue doivent être présentées à l’acceptation dans le délai d’un an à partir de leur date»
    • Ainsi, pour l’effet payable à un certain délai à vue, la présentation est obligatoire
  • L’obligation conventionnelle:
    • Le tireur peut, afin d’être rapidement fixé sur les intentions du tiré, stipuler sur la lettre de change une obligation pour le porteur de présenter la traite dans un certain délai.

La présentation interdire

  • Conformément à l’article L. 511-15 al. 3 du Code de commerce, le tireur peut stipuler que la traite est non-acceptable.
  • L’article L. 511-15 al. 3 prévoit néanmoins trois exceptions :
    • La traite est payable chez un tiers
    • La traite est payable dans une localité autre que celle du domicile du tiré
    • La traite est payable à un certain délai de vue.
  • Si elle est portée sur la traite, la clause de « non-acceptation » est opposable à tous les endosseurs
  • Cette clause se justifie, le plus souvent, par la volonté du tiré de garder le secret sur ses relations d’affaires ou parce qu’il ne souhaite pas être importuné en raison de sa solvabilité évidente.
  • En cas de violation de la clause par le porteur, si le tiré accepte la traite, son acceptation produira, malgré tout, son plein effet

==> L’acceptation de la traite par le tiré

  • Principe: l’acceptation de la traite par le tiré est facultative
    • Justification:
      • L’acceptation a pour l’effet d’aggraver considérablement la situation du tiré, de sorte qu’on ne saurait le contraindre à accepter l’effet, quand bien même il est le débiteur du tireur
      • Le tiré est, jusqu’à son acceptation, un tiers à la lettre de change. On ne saurait, en conséquence, mettre à sa charge une obligation trouvant sa source dans le titre. Si pareille obligation existe, son fait générateur est nécessairement extérieur à la lettre de change.
  • Exceptions:
  1. La conclusion d’un contrat de fourniture de marchandises entre commerçants:
  • Conformément à l’article L. 511-15 al. 9 du Code de commerce, lorsque la lettre de change est émise dans le cadre de la conclusion d’un contrat de fourniture de marchandises entre commerçants, le tiré a l’obligation d’accepter la lettre de change qui lui est adressée pour par le porteur dans un délai conforme aux usages normaux du commerce en matière de reconnaissance de marchandises
    • Exceptions à l’exception: le tiré peut refuser d’accepter la lettre de change qui lui est présentée si
      • l’une des deux parties n’est pas commerçante
      • le montant de la traite est différent du prix des marchandises fournies au tiré
      • le tireur n’est pas satisfait à ses obligations résultant du rapport fondamental qui le lie avec le tiré
        • défaut de livraison
        • non-conformité des marchandises
      • La présentation de la traite n’a pas lieu dans un délai permettant au tiré de vérifier la conformité des marchandises
    • Sanction:
      • En cas de refus par le tiré d’accepter la traite, le porteur ne dispose d’aucun moyen pour l’y contraindre. On ne saurait aggraver la situation de ce dernier contre son gré.
      • Toutefois, le porteur pourrait rechercher la responsabilité civile du tiré pour violation d’une obligation légale.
      • Par ailleurs, le refus d’acceptation ne sera pas dépourvu de tout effet :
        • Déchéance du terme de l’obligation commerciale dont est débiteur le tiré dans le cadre du rapport fondamental qui le lie au tireur
        • Ouverture de l’exercice des recours cambiaires contre les signataires de la traite

2. La promesse d’acceptation:

  • Principe:
    • L’obligation d’accepter la lettre de change peut trouver sa source dans un contrat.
    • Dans cette hypothèse, la promesse d’acceptation ne sera pas portée sur le titre. Elle ne sera donc pourvue d’aucune valeur cambiaire.
    • En somme, la promesse d’acceptation ne vaut pas acceptation. Elle n’obligera en rien le promettant
    • Aussi, contrairement à l’acceptation qui doit être pure et simple, la promesse d’acceptation peut être subordonnée à la réalisation d’une ou plusieurs conditions
  • Effets:
    • Le droit cambiaire n’ayant pas vocation à régir la promesse d’acceptation, ce sont les règles du droit commun qui lui sont applicables.
    • Dès lors, conformément à l’article 1142 du Code civil, en cas d’inexécution elle se résout en dommages et intérêts car appartient à la catégorie des obligations de faire.
  • Sanction:
    • Le manquement par le tiré à sa promesse d’acceptation ne devrait pas emporter la déchéance du terme
    • Le porteur sera simplement fondé à engager la responsabilité contractuelle du tiré.

III) Le refus d’acceptation

Le tiré peut toujours, même lorsqu’une obligation légale pèse sur lui, refuser d’accepter la traite qui lui est présentée.

Plusieurs raisons peuvent présider au refus du tiré d’accepter la traite :

  • Le tireur n’a pas exécuté la prestation promise
  • Le tiré ne se reconnaît pas débiteur du tireur
  • Le tiré rencontre des difficultés de trésorerie
  • Le tiré fait l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire

En toute hypothèse, le refus d’acceptation s’apparentera toujours à l’un des trois cas suivants :

  • Le tiré refuse TOTALEMENT d’accepter la traite
  • Le tiré accepte PARTIELLEMENT la traite
  • Le tiré subordonne son acceptation à la réalisation d’une condition

Lorsque l’une de ces trois hypothèses est caractérisée, le titre émis devient alors suspect. Le porteur est, en effet, légitimement en droit de penser que l’effet ne sera pas payé à l’échéance.

Aussi, plusieurs conséquences ont été attachées par le législateur et la jurisprudence au refus total ou partiel d’acceptation :

==> L’obligation de retourner la traite non-acceptée au porteur dans les meilleurs délais

  • La Cour de cassation impose au tiré non-accepteur de retourner la traite au porteur dans les meilleurs délais ( com., 12 févr. 1974 : Bull. civ. 1974, IV, n° 55 ; RTD com. 1974, p. 556, n° 2, obs. M. Cabrillac et J.-L. Rives-Lange)
  • Il appartient aux juges du fond dans l’exercice de leur pouvoir souverain de déterminer le délai à l’expiration duquel le retour de l’effet non-accepté devient fautif
  • En cas de manquement à cette obligation, le tiré engage sa responsabilité délictuelle

==> L’ouverture des recours cambiaires avant l’échéance

Principe:

  • L’article L. 511-38-I. 2° a) du Code de commerce prévoit que, en cas de refus total ou partiel d’acceptation, le porteur peut exercer, avant l’échéance, des recours cambiaires contre tous les signataires de la traite, soit contre :
    • Le tireur
    • Les endosseurs
    • L’avaliste
  • Aucun ordre n’est imposé quant à l’exercice des recours cambiaires ouverts au porteur contre les signataires de la traite

Justification:

  • Cette solution s’explique par le fait que les signataires de la traite ne sont pas seulement garants du paiement, ils sont aussi, conformément aux articles L. 511-6, al. 1er et 511-10 al. 1er du Code de commerce, garants de l’acceptation.

Modalités de mise en œuvre

  • Afin de pouvoir exercer ses recours cambiaires, l’article L. 511-39 du Code de commerce commande au porteur de l’effet de faire constater le refus d’acceptation du tiré « par un acte authentique dénommé protêt faute d’acceptation».
    • Le porteur peut néanmoins être dispensé de cette démarche dans l’hypothèse où la dispense de protêt est portée sur le titre.
    • C’est ce que l’on appelle une clause sans frais, clause dont la stipulation est désormais d’usage

==> La déchéance du terme de l’obligation fondamentale

Principe:

  • Conformément à l’article L. 511-15 al. 10 du Code de commerce « le refus d’acceptation entraîne de plein droit la déchéance du terme aux frais et dépens du tiré»
  • Autrement dit, la créance commerciale dont est débiteur le tiré dans le cadre du rapport fondamental qui le lie au tireur devient exigible immédiatement.

Effets:

  • Pour le porteur :
    • L’échéance portée sur la lettre de change demeure inchangée dans l’hypothèse où le tiré refuse d’accepter la traite qui lui est présentée ( com., 1er févr. 1977 : Bull. civ. 1977, IV, n° 35 ; D. 1977, IR 398, obs. M. Vasseur ; RTD com. 1977)
    • Il en résulte que porteur n’est pas fondé à réclamer au tiré le paiement de la traite
    • Aussi, devra-t-il attendre l’échéance afin d’être payé, à supposer que :
      • le tiré ne se soit pas déjà libéré entre les mains du tireur
      • la provision existe toujours
  • Pour le tireur:
    • Le tireur dispose de plusieurs options. Il peut demander :
      • la résolution judiciaire du contrat en vertu duquel a été émise la lettre de chance
      • la restitution des marchandises livrées au tiré, afin d’échapper à la concurrence des autres créanciers

IV) L’acceptation par intervention

==> Principe:

  • L’acceptation par intervention est une démarche accomplie par un tiers qui consiste à palier le refus d’acceptation du tiré.
  • L’article L. 511-65 du Code de commerce prévoit en ce sens que :
    • « Le tireur, un endosseur ou un avaliseur peut indiquer une personne pour accepter ou payer au besoin.
    • La lettre de change peut être, sous les conditions déterminées ci-après, acceptée ou payée par une personne intervenant pour un débiteur quelconque exposé au recours.
    • L’intervenant peut être un tiers, même le tiré, ou une personne déjà obligée en vertu de la lettre de change, sauf l’accepteur. »
  • Pratiquement, ce tiers va être sollicité par le tireur ou par un endosseur qui se trouve sous la menace du recours cambiaire susceptible d’être exercé par le porteur de la traite.
  • À la vérité, comme s’accordent à le dire les auteurs, l’acceptation par intervention s’apparente moins à une acceptation qui serait consentie en lieu et place du tiré, qu’à un cautionnement souscrit à la faveur du tireur ou d’un endosseur.

==> Les bénéficiaires de l’acceptation par intervention

  • L’intervention ne peut être consentie qu’à la faveur d’un débiteur exposé à un recours cambiaire
  • Elle ne peut donc pas bénéficier au tiré qui n’est pas signataire de la traite ; et pour cause il a refusé de l’accepter
  • L’accepteur par intervention doit indiquer en faveur de qui il accepte. À défaut, elle est censée avoir été consentie en faveur du tireur.

==> L’acceptation par intervention s’impose-t-elle au porteur ?

  1. Le porteur peut refuser l’acceptation par intervention
  2. On ne saurait lui imposer l’intervention d’un tiers dans l’opération de change

==> Effets:

  • Vis-à-vis du porteur
    • Il est privé de l’exercice immédiat de son recours cambiaire contre
      • le bénéficiaire de l’acceptation par intervention
      • les signataires subséquents
  • Vis-à-vis de l’intervenant
    • L’intervenant est tenu dans les mêmes termes que le bénéficiaire de l’intervention
      • Il est néanmoins débiteur cambiaire
      • Le principe d’inopposabilité des exceptions lui est donc applicable, notamment s’agissant des exceptions issues de son rapport personnel avec le bénéficiaire de l’intervention
    • L’accepteur par intervention qui a payé le porteur disposera d’un recours cambiaire contre
      • Le bénéficiaire de l’intervention
      • Les signataires de la traite

V) Les conditions de l’acceptation

 A) Les conditions de fond

==> Conditions de droit commun

  • L’acceptation est subordonnée au respect des conditions de validité de tout acte juridique :
    • Consentement
      • Le consentement doit exister et n’être affecté d’aucun vice
    • Cause
      • La cause doit être réelle et licite
    • Capacité
      • L’acceptation n’est valable que si elle émane d’une personne capable de s’obliger cambiairement
      • Elle doit, autrement dit, être pourvue d’une capacité commerciale
    • Pouvoir
      • L’acceptation peut valablement être donnée par un mandataire.
      • Dans cette hypothèse elle n’engagera que le mandant

==> Principe d’inopposabilité des exceptions:

  • Les vices affectant l’engagement cambiaire de l’accepteur sont inopposables au porteur de bonne foi

==> Exceptions:

  • Sont toujours opposables au porteur de bonne foi :
    • Le défaut de consentement
    • Le défaut de capacité

B) Les conditions de forme

==> L’acceptation apposée sur le titre

  • Aux termes de l’article L. 511-17 al. 1er du Code de commerce « l’acceptation est écrite sur la lettre de change. Elle est exprimée par le mot ” accepté ” ou tout autre mot équivalent et est signée du tiré. La simple signature du tiré apposée au recto de la lettre vaut acceptation.»
  • Trois exigences de forme président à la validité de l’acceptation en vertu de cette disposition :
    • L’acceptation doit être portée sur le titre lui-même.
      • Peu importe qu’elle figure au recto ou au verso de la lettre
    • La formule apposée sur la traite doit exprimer la volonté claire et non-équivoque du tiré de s’engager cambiairement
    • Le tiré doit apposer sa signature manuscrite sur l’effet
  • Mentions facultatives:
    • La date de l’acceptation
    • Le lieu du paiement
    • La valeur fournie

==> L’acceptation par acte séparé

  • Principe:
    • L’article L. 511-17 du Code de commerce prévoit que, pour être valable, l’acceptation doit être apposée sur le titre lui-même.
    • A contrario, il en résulte que lorsque l’acceptation ne figure pas sur la traite, elle est irrégulière en la forme.
  • Sanction:
    • L’acceptation par acte séparé ne vaut pas acceptation, de sorte qu’elle est dépourvue de tout effet cambiaire ( com., 22 févr. 1954 : D. 1954, p. 311 ; JCP CI 1954, 52983)
    • Le tiré demeure un tiers à l’opération de change.
    • Le porteur ne dispose contre lui que d’un recours fondé sur la provision
    • Le tiré est alors fondé à lui opposer toutes les exceptions pour faire échec à sa demande de paiement
  • Valeur de l’acceptation par acte séparé:
    • Une promesse de paiement
      • La jurisprudence considère que l’acceptation par acte séparé s’apparente à une simple promesse de paiement régie par le droit extra-cambiaire ( com., 22 févr. 1954)
    • Une délégation (imparfaite)
      • Ne pourrait-on pas reconnaître à l’acceptation par acte séparé la valeur d’un engagement pris par un délégué à la faveur d’un délégataire, dans le cadre d’une opération de délégation imparfaite au sens de l’article 1275 du Code civil ?
      • Problématique:
        • La délégation se définit comme « l’opération complexe par laquelle un débiteur, le délégant, donne instruction à un tiers, le délégué, qui est le plus souvent son propre débiteur, de souscrire un engagement envers le délégataire, créancier du délégant, qui accepte cet engagement» (Ph. Simpler, « L’énigmatique sort de l’obligation du délégué envers le délégant tant que l’opération de délégation n’est pas dénouée », Mélanges J.-L. Aubert, 2005)
        • La Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur cette question de l’application du mécanisme de la délégation à la lettre de change, notamment dans un arrêt du 24 mars 1998 ( com., 24 mars 1998 : Bull. civ. 1998, IV, n° 114 ; JCP G 1998, 2139 ; JCP E 1998, pan. p. 826 ; D. 1998, inf. rap. p. 112 : RTD com. 1998, p. 388, n° 1, obs. M. Cabrillac)
        • On se retrouverait alors dans la configuration suivante :
          • Le tireur s’apparentait au déléguant
          • Le tiré était le délégué
          • Le porteur jouait le rôle de délégataire

Schéma 4

  • Rétablissement du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Dans l’hypothèse où l’on appliquerait le mécanisme de la délégation à la lettre de change, le porteur (délégataire) retrouvait le bénéfice du principe d’inopposabilité des exceptions perdu en raison de l’acceptation par acte séparé
    • En matière de délégation, le délégué (tiré) ne saurait, en effet, opposer au délégataire (porteur)
      • Tant les exceptions issues de son rapport personnel avec le délégant
      • Que les exceptions tirées de la relation entre le délégant (tireur) et le délégataire (porteur)
  • Exception à l’absence de valeur cambiaire de l’acceptation par acte séparé:
    • L’article L. 511-20 al. 2 du Code de commerce prévoit que « si le tiré a fait connaître son acceptation par écrit au porteur ou à un signataire quelconque, il est tenu envers ceux-ci dans les termes de son acceptation»
    • Le code de commerce vise ici la situation où le tiré aurait accepté, dans un premier temps, la traite, puis se serait rétracté, dans un second temps, en biffant le titre.
    • Dans cette hypothèse seulement, l’acceptation par acte séparé aura pour effet d’engager le tiré cambiairement à l’égard des seuls destinataires de l’acte séparé
    • Certains auteurs confèrent à cette disposition une portée générale.
      • Toutefois, son application doit, selon nous, rester cantonnée à l’hypothèse du biffage de la traite
      • L’alinéa 2 de l’article L. 511-20 al. 2 n’est, en effet, qu’une exception au principe posé à l’alinéa 1, lequel dispose que : « si le tiré, qui a revêtu la lettre de change de son acceptation, a biffé celle-ci avant la restitution de la lettre, l’acceptation est censée refusée. Sauf preuve contraire, la radiation est réputée avoir été faite avant la restitution du titre.»

VI) Les caractères de l’acceptation

A) Pure et simple

  • Principe : prohibition de l’acceptation conditionnelle
    1. Aux termes de l’article L. 511-17, al. 3 du Code de commerce l’acceptation doit être pure et simple
    2. En conséquence, l’acceptation qui serait subordonnée à la réalisation d’une condition s’apparente à un refus d’acceptation.
    3. Toutefois, l’acceptation conditionnelle n’est pas sans effets :
      • Dans les rapports porteur-tireur/endosseurs, le bénéficiaire de la traite est fondé à exercer contre eux, avant l’échéance, ses recours cambiaires, comme s’il y avait eu refus d’acceptation
      • Dans les rapports porteur-tiré, conformément à l’article L. 511-17, al. 4 du Code de commerce, le tiré est tenu vis-à-vis du porteur dans les termes de son acceptation, si bien que si la condition se réalise avant l’échéance, son acceptation produira les mêmes effets qu’une acceptation pure et simple
  • Exception : validité de l’acceptation partielle
    1. Aux termes de l’article L. 511-17, al. 3 du Code de commerce le tiré dispose de la faculté de restreindre son acceptation à une partie de la somme portée sur la traite
    2. Le tiré adoptera cette démarche lorsque le tireur ne lui aura fourni que partiellement la provision.
    3. Cependant, le porteur aura la possibilité de faire dresser protêt pour la différence entre le montant de la traite et la somme pour laquelle l’acceptation a été donnée.

B) Irrévocable

L’acceptation de la traite par le tiré est irrévocable dès lors qu’il s’est dessaisi du titre au profit du porteur.

C’est en ce sens que s’est prononcée la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juillet 1969 (Cass. com., 2 juill. 1969 : JCP G 1970, II, 16427, note Ph. Langlois).

Dans cette décision, la Cour de cassation a validé l’arrêt de la Cour d’appel qui avait « considéré […] qu’à défaut de biffage de l’acceptation avant la restitution de la lettre de change […], l’obligation cambiaire, née de l’acceptation, était irrévocable à l’égard d’un porteur légitime »

FICHE D’ARRÊT

Com. 2 juill. 1969, Bull civ. IV, no 258

Faits :

  • La société Baudinet tire une lettre de change sur la société Dulignien aux fins de règlement d’un marché de vins
  • Remise à l’escompte par le tireur de la lettre de change à la faveur du Crédit Lyonnais
  • Acceptation de la lettre de change avant de la restituer au porteur (la banque escompteur)
  • Deux jours plus tard, le tiré fait néanmoins savoir au porteur de la lettre qu’elle rétracte son acceptation ayant appris que le tireur était dans l’incapacité de lui livrer les marchandises promises

Schéma -fiche JP

Demande :

Action en paiement de la lettre de change engagée par la banque contre le tiré-accepteur

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 16 mars 1967, la Cour d’appel de Dijon accède à la requête de la banque
  • Elle condamne donc le tiré au règlement de la lettre de change

Motivation des juges du fond:

Les juges du fond estiment que

  • l’erreur invoquée par le tiré sur la réalité de la provision (le prix de la valeur des marchandises et non les marchandises en elle-même), est inopposable au porteur de la traite dans la mesure où il s’agit là d’une exception fondée sur les rapports entre le tiré et le tireur!
  • la Cour d’appel relève que certes le tiré a porté à la connaissance du porteur de la traite de son erreur en acceptant la lettre de change.
    • Toutefois, elle estime que seul un biffage de l’acceptation apposée sur le titre peut l’a privé d’effet, quand bien même le porteur était au courant de l’erreur avant sa restitution !

Moyens des parties :

  • Erreur sur la cause de l’engagement du tiré est source de nullité de l’acceptation
  • Mauvaise foi du porteur car avait connaissance de l’erreur commise par le TIRÉ avant la restitution de la traite de sorte que l’erreur lui était opposable

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation valide la solution adoptée par la Cour d’appel

Sens de l’arrêt:

  • Premier point: la Cour de cassation valide la décision de la Cour d’appel concernant l’inopposabilité des exceptions issues de la relation entre le tireur et le tiré.
  • Dès lors que le porteur est de bonne foi, ces exceptions lui sont inopposables !
  • Recours à la formule « à bon droit »
  • En quoi la solution de la Cour d’appel était-elle audacieuse ?
  • En l’espèce, le porteur a connaissance de l’erreur du tiré avant que la traite ne lui soit restituée
  • Toutefois, la mauvaise foi du porteur n’est pas caractérisée.
  • Pourquoi ?
  • Cela nous amène au second point de cet arrêt
  • Second point: la Cour de cassation admet ici que, seul un biffage de l’acceptation puisse valoir rétractation ! Ainsi valide-t-elle la solution de la Cour d’appel tendant à dire que le tiré ne pouvait plus revenir sur son acceptation dès lors qu’il s’était dessaisi de la traite !

Pourquoi cette solution ?

Jusqu’à la remise du titre au porteur, l’acceptation a un caractère essentiellement provisoire et le tiré conserve la faculté de l’annuler en biffant simplement la mention et sa signature.

L’article L. 511-20, alinéa 1er, doit être entendu en ce sens que le tiré qui a revêtu la lettre de change de sa signature ne peut retirer son acceptation qu’en la biffant, c’est-à-dire en rayant ou raturant l’écrit avant de restituer le titre.

À l’instant même où il restitue la lettre de change acceptée, son engagement devient irrévocable.

Il en serait encore de même, si la lettre de change était volontairement restituée à l’accepteur par le porteur et si ce dernier l’autorisait à biffer sa signature.

Tout au moins, cette autorisation ne dégagerait le tiré qu’au regard du porteur et l’acceptation conserverait son caractère irrévocable vis-à-vis de tous les autres intéressés.

Ainsi, AVANT MÊME que le porteur ne soit entré en possession du titre, l’accepteur qui s’est dessaisi de la lettre revêtue de son acceptation ne peut plus se rétracter.

Dès lors, on comprend bien pourquoi, l’avis téléphonique, télégraphique ou électronique que le tiré-accepteur donne au banquier pour lui notifier le retrait de son acceptation reste sans effet !

Il est et reste débiteur du porteur connu ou inconnu qui lui présentera la traite à l’échéance

Ainsi, en l’espèce, bien que l’accepteur plaide que sa révocation téléphonique, non contestée d’ailleurs, avait touché la banque poursuivante avant que la lettre de change, revêtue de sa signature, lui soit parvenue, il ne peut se prévaloir de la rétractation de son acceptation !

Le caractère irrévocable de l’acceptation se justifie par la nature de cette dernière qui n’est autre qu’un acte unilatéral.

Or la particularité d’un acte unilatéral, c’est de produire ses effets, irrévocablement, dès lors qu’il est porté à la connaissance de son destinataire.

D’où l’impossibilité pour le tiré-accepteur de se dédire lorsqu’il s’est dessaisi de l’effet.

L’irrévocabilité de l’acceptation emporte deux conséquences majeures :

  • Le tiré est partie à l’effet, sans possibilité de se soustraire à son engagement
  • Le tireur et les endosseurs de la traite sont définitivement libérés de leur obligation de garantir l’acceptation, quand bien même le porteur autoriserait le tiré à revenir sur son engagement

VII) Les effets de l’acceptation

A) Sur le terrain cambiaire

  • Création d’une obligation cambiaire dont le tiré devient débiteur à la faveur du porteur (article L. 511-19 du Code de commerce).
  • Il en résulte plusieurs conséquences :
    • Le tiré devient le débiteur principal de l’effet
      • Il ne disposera de recours contre personne exception faite du tireur s’il ne lui a pas fourni provision
    • Solidarité du tiré avec tous les signataires de la traite
    • Possibilité pour le porteur de diligenter une procédure d’injonction de payer contre le tiré sur le fondement de l’article 1405, al.2 du Code de procédure civile
    • Dispense d’autorisation judiciaire quant à l’accomplissement de mesures conservatoires (article L. 511-2 du Code de l’exécution forcée)
    • Exclusion de l’octroi de délais de grâce
    • Compétence des juridictions consulaires
    • Purge des exceptions: le tiré ne sera pas fondé à opposer au porteur de bonne foi :
      • les exceptions tirées de son rapport personnel avec le tireur
        • Exemple : le défaut de livraison des marchandises
      • les exceptions qu’il pouvait opposer aux endosseurs (article L. 511-19 du Code de commerce)
      • Exceptions :
        • Le tiré aura toujours la faculté d’opposer les exceptions au porteur de mauvaise foi, soit si celui-ci a agi sciemment au détriment du tiré (article L. 511-12 du Code de commerce)
        • Dans l’hypothèse où le tireur est aussi porteur de l’effet, le tiré pourra toujours lui opposer les exceptions issues de leur rapport personnel, soit dans le cadre de la fourniture de la provision ( com., 22 mai 1991 : Bull. civ. 1991, IV, n° 170)

B) Sur le terrain extra-cambiaire

L’acceptation produit deux conséquences sur le terrain cambiaire :

  •  Le renforcement des droits du porteur sur la provision
  • Le renversement de la charge de la preuve quant à l’établissement de la constitution de la provision

==> Le renforcement des droits du porteur sur la provision

Tant que le tireur n’a pas fourni provision au tiré ou que celui-ci n’a pas accepté la traite, le porteur est titulaire d’un droit de créance éventuelle.

La Cour de cassation estime en ce sens que « la provision s’analyse dans la créance éventuelle du tireur contre le tiré, susceptible d’exister à l’échéance de la lettre de change, et, qu’avant cette échéance, le tiré non accepteur peut valablement payer le tireur tant que le porteur n’a pas consolidé son droit sur ladite créance en lui adressant une défense de s’acquitter entre les mains du tireur » (Com. 29 janv. 1974, Bull. civ. IV, no 37).

Ainsi, pour Cour de cassation, tant que l’échéance de la lettre de change n’est pas survenue, le paiement du tiré entre les mains du tireur est libératoire.

Réciproquement, on peut en déduire que, jusqu’à l’échéance, le tireur peut librement disposer de la provision – pourtant transmise au porteur – celui-ci ne détenant contre le tiré qu’un droit de créance éventuelle.

Bien que conforme à la lettre de l’article L. 511-7, alinéa 3 du Code de commerce, cette jurisprudence n’en est pas moins source de nombreuses difficultés.

Dans la mesure où le droit de créance dont est titulaire le porteur n’a pas définitivement intégré son patrimoine, d’autres créanciers sont susceptibles d’entrer en concours quant à la titularité de la créance que détient le tireur contre le tiré :

Aussi, l’acceptation de la traite par le tiré a pour effet de renforcer considérablement les droits du porteur sur la provision.

Celui-ci ne dispose plus d’un droit sur une créance éventuelle.

La provision sort définitivement du patrimoine du tireur. Elle devient indisponible. Elle ne pourra donc pas faire l’objet d’une revendication émanant d’un créancier concurrent du tireur ou du tiré.

Le paiement du tiré effectué entre les mains du tireur n’est pas libératoire.

==> Le renversement de la charge de la preuve quant à l’établissement de la constitution de la provision

L’article L. 511-7 al. 4 prévoit que l’acceptation de la lettre de change fait présumer la constitution de la provision.

Autrement dit, il appartiendra au tiré de prouver que le tireur n’a pas exécuté l’obligation qui lui échoit au titre de la provision.

Lorsqu’il exercera son recours contre le tiré, le porteur sera, en conséquence, dispensé de rapporter la preuve de la provision.

Deux questions se sont alors posées :

  • Quel est le domaine d’application de la présomption ?
  • Quelle est la nature de la présomption ?
  1. Le domaine d’application de la présomption

L’article L. 511-7 alinéa 5 du Code de commerce dispose que l’acceptation « établit la preuve à l’égard des endosseurs. »

Est-ce à dire que seuls les endosseurs seraient fondés à se prévaloir de la présomption posée à l’alinéa 4 de l’article L. 511-7 du Code de commerce ?

En d’autres termes, le tireur et le porteur de la traite seraient-ils exclus du bénéfice de la présomption ?

Très tôt, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative à cette interrogation (Cass. civ., 30 nov. 1897 : DP 1898, 1, p. 158 ; Cass. civ., 15 juill. 1975 : Bull. civ. 1975, IV, n° 201).

2. La nature de la présomption

La question qui se pose est de savoir si la présomption posée à l’article L. 511-7 alinéa 4 du Code de commerce est simple.

Le tiré est-il fondé à rapporter la preuve contraire ?

Deux catégories de rapports doivent être envisagées :

  • Les rapports tireur-tiré accepteur
  • Les rapports porteur/endosseur-tiré accepteur

==> Dans les rapports tireur-tiré accepteur

La présomption est simple.

Elle ne souffre donc pas de la preuve contraire (Cass. com., 22 mai 1991 : Bull. civ.1991, IV, n° 170 ; D. 1992, somm. p. 339, obs. M. Cabrillac)

Cette solution s’explique par le fait que l’engagement cambiaire du tiré n’est pas totalement abstrait

L’acceptation par le tiré de la traite a pour cause le rapport fondamental qui le lie au tireur.

Il est donc légitime qu’il lui soit permis d’établir que le tireur n’a pas satisfait à son obligation, laquelle obligation constitue la cause de l’engagement cambiaire du tiré

En outre, dans le cadre des rapports tireur-tiré accepteur, le tiré, même accepteur, est toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leurs rapports personnels.

Or le défaut de provision en est une. D’où la permission qui lui est faite de prouver que la provision ne lui a pas été valablement fournie.

==> Dans les rapports porteur/endosseur-tiré accepteur

Deux hypothèses doivent être envisagées :

  • Le porteur/endosseur est de bonne foi: la présomption est irréfragable ( req., 23 déc. 1903 : DP 1905, 1, p. 358)
    • Cette position de la Cour de cassation résulte de l’application du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Que la provision ait ou non été constituée à la faveur du tiré, celui-ci est engagé cambiairement, de sorte qu’il a l’obligation de payer l’effet lors de sa présentation à l’échéance.
  • Le porteur/endosseur est de mauvaise foi : la présomption est simple ( com., 12 juill. 1971 : Gaz. Pal. 1971, 2, jurispr. p. 759)
    • Cette solution se justifie pleinement puisque le porteur de mauvaise foi est déchu du bénéfice de l’inopposabilité des exceptions
    • Le tiré accepteur, bien qu’il soit engagé cambiairement, est, en conséquence, fondé à invoquer le défaut de provision
    • Or pour ce faire, il lui faudra prouver que le tireur ne lui a pas fourni ladite provision

La provision

I) Définition

La provision se définit comme la créance que détient le tireur de la lettre de change contre le tiré.

Schéma 1

Une fois créée, la lettre de change a vocation à circuler jusqu’à la survenance de son échéance.

La circulation de la traite se traduira par la transmission de la provision entre tous ses porteurs successifs.

Schéma 2

II) Enjeu de la provision

L’existence de la provision revêt un enjeu triple :

  • Pour le tiré
  • Pour le tireur
  • Pour le porteur

A) Enjeu pour le tiré

Pour que le porteur final soit réglé lors de la présentation au paiement de la lettre de change, il est nécessaire que le tireur soit créancier du tiré à l’échéance.

Cela signifie qu’il doit lui avoir fourni la prestation promise dans le cadre du rapport fondamental qui s’est noué entre eux.

À défaut, le tiré pourra refuser de payer, car la créance que l’effet incorpore est, soit éteinte, soit privée de cause. Dans tous les cas, le tiré n’est pas débiteur du tireur.

D’où le principe posé à l’article L. 511-7 alinéa 2 du Code de commerce qui dispose :

« Il y a provision si, à l’échéance de la lettre de change, celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur, ou à celui pour compte de qui elle est tirée, d’une somme au moins égale au montant de la lettre de change. »

L’existence d’une provision à l’échéance est donc une absolue nécessité.

Sans cette provision, sauf à consentir un crédit au porteur, le tiré ne paiera pas la traite qui lui est présentée.

À plus forte raison, il est peu probable qu’il consente à l’accepter.

B) Enjeu pour le tireur

Le tireur est directement intéressé par la fourniture de la provision.

  1. Dans ses rapports avec le tiré :
  • Si le tireur est demeuré porteur de la lettre de change et que le tiré a accepté la traite, ce dernier pourra valablement lui opposer le défaut de provision puisqu’il s’agit d’une exception issue de leur rapport personnel.
    • Pour mémoire, l’article L. 511-12 du Code de commerce prévoit que :
      • « Les personnes actionnées en vertu de la lettre de change ne peuvent pas opposer au porteur les exceptions fondées sur leurs rapports personnels avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs, à moins que le porteur, en acquérant la lettre, n’ait agi sciemment au détriment du débiteur»
    • Ainsi, quand bien même le tireur est créancier cambiaire du tiré, il pourra se voir opposer le défaut de cause de son obligation.

2. Dans ses rapports avec le porteur :

  • En cas de défaut de paiement du tiré, si le porteur a manqué à son obligation de faire dresser protêt, le tireur n’est fondé à lui opposer sa négligence qu’à la condition qu’il ait fourni provision au tiré
  • Dans le cas contraire, le porteur négligent pourra, malgré tout, exercer son recours cambiaire contre le tireur.
  • Cette règle se justifie par le souci d’empêcher que le tireur ne s’enrichisse injustement.

 C) Enjeu pour le porteur

Le porteur est intéressé par la fourniture de la provision pour deux raisons :

  • Lorsqu’il est diligent, cela renforcera considérablement sa situation à doubles titres :
    • En cas de défaut d’acceptation de la traite, il disposera d’un recours extra-cambiaire contre le tiré sur le fondement de la provision
    • En cas de procédure collective ouverte à l’encontre du tireur, étant donné que la transmission de la traite opère, concomitamment, transmission de la provision, il pourra revendiquer, si elle est constituée, un droit de propriété sur la provision
      • Pour mémoire, l’article L. 511-7, alinéa 3 du Code de commerce prévoit que « la propriété de la provision est transmise de droit aux porteurs successifs de la lettre de change. »
  • Lorsqu’il est négligent, l’absence de fourniture de provision offre au porteur la possibilité d’exercer le recours cambiaire dont il est, en principe déchu, contre le tireur.

III) La constitution de la provision

La provision doit être réelle. Elle ne doit pas être fictive

A) La réalité de la provision

Trois questions se posent s’agissant de la réalité de la provision :

  • Qui doit fournir la provision ?
  • Quand doit-on fournir la provision ?
  • Quelles sont les créances susceptibles de constituer la provision ?
  1. Qui doit fournir la provision ?

L’article L. 511-7, alinéa 1er, du Code de commerce dispose que :

« la provision doit être faite par le tireur ou par celui pour le compte de qui la lettre de change sera tirée, sans que le tireur pour compte d’autrui cesse d’être personnellement obligé envers les endosseurs et le porteur seulement. »

Trois enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • C’est, en principe, au tireur qu’il appartient de fournir la provision
    • La créance incorporée dans le titre étant celle que détient le tireur contre le tiré, il est normal qu’il soit concerné au premier chef par la fourniture de la provision.
    • Pour être créancier du tiré, encore faut-il que le tireur satisfasse à son engagement pris à l’égard de ce dernier, ce qui ne peut se traduire que par la fourniture de la provision
  • La provision peut néanmoins être fournie par un tiers pour le compte du tireur
    • soit parce qu’il est son débiteur
    • soit parce qu’il veut réaliser une libéralité
  • les endosseurs ne sont pas tenus de fournir provision.
    • La cause de l’obligation de l’endosseur réside, non pas dans la fourniture de la provision, mais dans la constitution de la valeur fournie

2. Quand doit-on fournir la provision ?

L’article L. 511-7, alinéa 2 du Code de commerce prévoit que :

« Il y a provision si, à l’échéance de la lettre de change, celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur, ou à celui pour compte de qui elle est tirée, d’une somme au moins égale au montant de la lettre de change. »

Il en résulte qu’il n’est pas nécessaire que le tireur ait fourni provision au tiré lors de l’émission de la lettre de change. Ce qui importe c’est qu’il soit créancier du tiré à l’échéance portée sur la traite.

La fourniture de la provision par le tireur n’est donc pas une condition de validité de la lettre de change.

Si l’on admettait le contraire, cela reviendrait à vider la lettre de change de sa fonction de crédit.

3. Quelles sont les créances susceptibles de constituer la provision ?

La provision est toujours constituée par une créance de somme d’argent que le tireur détient contre le tiré.

Cette créance de somme d’argent peut résulter de plusieurs opérations :

a) La fourniture de marchandises

La lettre de change est le plus souvent émise dans le cadre d’un contrat de fourniture de marchandises.

Le fournisseur des marchandises tire une lettre de change sur l’acquéreur, à qui il reviendra en sa qualité de tiré, de régler le prix des marchandises au porteur de l’effet.

Schéma 3

La provision est réputée exister dès lors que les marchandises ont été livrées et qu’elles sont conformes à ce qui avait été prévenu contractuellement entre les parties à l’opération.

b) L’octroi d’un prêt

La provision peut également consister en la créance qui résulte de la conclusion d’un contrat de prêt consenti par le tireur au tiré.

L’opération consiste pour le prêteur à tirer une lettre de change sur l’emprunteur.

L’exécution du contrat de prêt se traduira, le plus souvent, par le tirage de plusieurs lettres de changes dont la date de paiement correspond aux différentes échéances de remboursement du prêt.

La conclusion du contrat de prêt sera néanmoins conditionnée, en pratique, par l’acceptation de la traite par l’emprunteur, afin que celui-ci soit engagé cambiairement à l’égard du prêteur.

Schéma 4

c) La souscription d’un cautionnement

La provision de la lettre de change peut encore trouver sa source dans un cautionnement consenti par le tiré à la faveur du tireur.

Dans cette hypothèse, le tiré s’apparente à un garant qui sera actionné par le tireur-prêteur  en cas de défaut de remboursement de l’emprunteur à l’échéance de la lettre de change.

La provision réside dans le cautionnement consenti. En apposant sa signature sur l’effet, le tiré a bien l’intention de payer si le titre lui est présenté au paiement.

Lorsqu’elle est créée à cette fin, on qualifie la lettre de change d’« effet de cautionnement ».

Schéma 5

Les effets de cautionnements sont considérés comme licites par la jurisprudence (V. en ce sens Com. 16 oct. 1968, Bull. civ. IV, no 271 ; RTD com. 1969. 547, obs. M. Cabrillac et Rives-Lange. – Com. 23 juin 1971, D. 1972. 175, note M. Cabrillac ; JCP 1972. II. 17185, note Groslière).

B) La fictivité de la provision

Quel sort réserver à la lettre de change qui incorpore une créance fictive ?

On qualifie cette traite d’effet de « complaisance ».

Dans cette hypothèse, non seulement le tireur (complu) n’a pas vocation à être créancier du tiré à l’échéance de la lettre de change, mais encore, réciproquement, le tiré (complaisant) n’a nullement l’intention de régler la traite lors de sa présentation au paiement par le porteur.

La cause de l’engagement du tiré fait, ici, totalement défaut.

En réalité, la traite a été émise dans une seule finalité : tromper les tiers sur la solvabilité du tireur et/ou du tiré.

En effet, afin de se procurer des fonds auprès d’un banquier, un commerçant peut être tenté de tirer une lettre de change sur une personne avec laquelle il est en collusion, afin de l’escompter.

Il recevra ainsi les fonds du banquier escompteur, alors qu’il ne détient aucune créance sur le tiré.

Schéma 6

Une question alors se pose : pourquoi le tiré accepte-t-il de s’engager cambiairement à la faveur du porteur alors qu’il sait pertinemment que la provision est fictive ?

Deux montages peuvent être envisagés par le tireur de concert avec le tiré :

  • Le tirage en cavalerie: afin de procurer des fonds au tiré à l’échéance, le tireur va escompter une nouvelle lettre de change d’un montant supérieur à la précédente afin de couvrir les frais bancaires. Chaque traite a, de la sorte, vocation à assurer le paiement de l’effet auquel elle succède.

Schéma 7

  • Le tirage croisé: le tireur peut convenir avec le tiré que, pour se procurer des fonds, celui-ci tire une lettre de change dans le sens inverse et l’escompte auprès d’un banquier

Schéma 8

Quid de la sanction du tirage d’un effet de complaisance ?

Sur le plan pénal, le tirage d’un effet de complaisance peut être qualifié d’escroquerie s’il est assorti de manœuvres frauduleuses (V. en ce sens Crim. 4 avr. 2012, n°11-81332).

Sur le plan civil, la sanction de l’effet de complaisance a fait l’objet d’âpres discussions en doctrine.

Très vite, la nullité de l’engagement cambiaire du tiré s’est imposée en jurisprudence (V. en ce sens Cass. Req., 31 janv. 1849, S. 1849. 1. 161 ; Civ. 16 juill. 1928, S. 1929. 1. 57, note Lescot ; Cass. com., 28 oct. 1964 : Bull. civ. 1964, III, n° 453).

Toutefois, restait à déterminer sur quel fondement asseoir cette nullité.

Trois fondements ont été débattus par les auteurs :

  • L’absence provision:
    • la provision n’est pas une condition de validité de la lettre de change. La raison en est qu’il n’est pas besoin que le tireur soit créancier du tiré lors de l’émission de la traite. Il lui suffit de le devenir lors de l’échéance.
    • D’emblée, le fondement de la provision doit donc être écarté.
  • Le défaut de cause:
    • Le fondement est séduisant : lors de l’engagement du tiré à la faveur du porteur, aucune contrepartie ne lui a été fournie par le tireur de la traite. Et il n’en attend aucune.
    • Qui plus est, le droit français n’a pas une vision totalement abstraite de l’engagement cambiaire, à la différence du droit allemand.
    • La cause de l’engagement cambiaire des signataires de la lettre de change doit résider dans le rapport fondamental au titre duquel il a apposé sa signature sur la traite. Á défaut, l’engagement cambiaire est nul
    • Est-ce à dire que, tant l’engament du tiré-complaisant, que l’engagement du tireur-complu sont nuls pour défaut de cause ?
      • S’agissant de l’engagement du tiré-complaisant, il n’est pas dépourvu de cause. Celle-ci réside dans sa volonté de prêter son concours au tireur, voire d’en retirer un avantage en procédant à un tirage croisé.
      • Quant à l’engagement du tireur-complu, son engagement n’est pas non plus privé de cause dans la mesure où la traite est émise en vue d’obtenir des fonds auprès, notamment, d’un banquier escompteur.
  • L’illicéité de la cause:
    • C’est dans l’illicéité de la cause que la doctrine et la jurisprudence ont trouvé le fondement de la nullité de l’engagement des parties à l’effet de complaisance (V. en ce sens com., 28 oct. 1964 : Bull. civ. 1964, III, n° 453)

Quid des effets de la nullité ?

Dans les rapports complu-complaisant, l’engagement cambiaire du tiré est frappé de nullité absolue.

  • Cette nullité n’est, cependant, pas opposable au porteur de bonne foi.
  • Il en résulte que le tiré complu ne sera pas fondé à refuser de payer la traite qui lui est présentée au paiement, nonobstant la nullité de son obligation.
  • Quid du recours du tiré-complaisant contre le tireur-complu une fois la lettre de change réglée au porteur de bonne foi?
  • Dans un premier temps, la Cour de cassation a estimé que le tiré-complaisant ne disposait d’aucun recours en répétition de l’indu contre le tireur-complu (V. en ce sens req., 8 juin 1891)
    • La solution se justifiait par l’adage Nemo auditur propriam turpitudinem allegans
  • Dans un second temps, la Cour de cassation est revenue sur sa position (V. en ce sens 21 juin 1977, Bull. civ. IV, no 177)

Dans les rapports avec le porteur, il convient de distinguer selon que celui-ci est de bonne ou mauvaise foi :

  • Le porteur de bonne foi :
    • La nullité de l’engagement cambiaire du tiré lui est inopposable
    • Il est donc fondé à réclamer le paiement de la traite
  • Le porteur de mauvaise foi:
    • La nullité de l’engagement cambiaire du tiré lui est, à l’inverse, opposable
    • Le vice qui affecte la lettre de change étant apparent, il est parfaitement normal d’écarter l’application du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Le porteur de mauvaise foi dispose-t-il d’un recours extra-cambiaire contre le tireur ?
      • La Cour de cassation estime que dans la mesure où la convention d’escompte est frappée de nullité, « les parties doivent être remises en l’état antérieur» ( 21 juin 1977, Bull. civ. IV, no 177).
      • Aussi, cela qui revient-il à admettre le recours en répétition de l’indu exercé par le porteur de mauvaise foi contre le tireur-complu.

IV) Les droits du porteur sur la provision

A) La propriété de la provision

  1. L’apparente contradiction entre les alinéas 2 et 3 de l’article L. 511-7 du Code de commerce

L’article L. 511-7, alinéa 3 du Code de commerce dispose que :

« La propriété de la provision est transmise de droit aux porteurs successifs de la lettre de change. »

Cela signifie que la remise de la lettre de change au porteur opère un transfert immédiat de la provision, accessoires compris.

En toute logique, il devrait en résulter que le tireur perd sa qualité de créancier du tiré à la faveur du bénéficiaire de la traite.

Une contradiction apparaît néanmoins si l’on compare cette disposition avec l’alinéa 2 de l’article L. 511-7 du Code de commerce.

Cet alinéa prévoit, en effet, que :

« Il y a provision si, à l’échéance de la lettre de change, celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur ».

On peut en déduire qu’il n’est nullement nécessaire que le tireur soit créancier du tireur lors de l’émission de la lettre de change, ni même qu’il le soit au moment de sa remise au porteur.

Ce qui importe, c’est qu’il le devienne à l’échéance portée sur la traite.

C’est là que la contradiction apparaît : comment admettre que la provision soit transmise dès l’émission de la traite, alors qu’elle n’est nécessaire qu’à son échéance ?

En d’autres termes, comment la remise de la lettre de change peut-elle opérer un transfert immédiat de la provision à la faveur du porteur, alors que le tireur peut, ne pas être créancier du tiré ?

Selon l’adage Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet, nul ne peut transférer à autrui plus de droits qu’il n’en a.

Dans cette perspective, comment le tireur de la lettre de change pourrait-il transmettre au porteur la titularité d’une créance qu’il ne détient pas encore sur le tiré ?

Au vrai, l’apparente contradiction entre les alinéas 2 et 3 de l’article L. 511-7 du Code de commerce peut être résolue si l’on considère que le tireur est titulaire, non pas d’un droit de propriété sur la provision, mais d’un droit personnel contre le tiré.

2. La résolution de la contradiction entre les alinéas 2 et 3 de l’article L. 511-7 du Code de commerce

L’apparente contradiction susceptible de ressortir de l’interprétation de l’article L. 511-7 du Code de commerce vient de l’emploi à l’alinéa 2 de la formule « la propriété de la provision ».

En réalité, la provision ne constitue nullement l’objet d’un droit de propriété. Elle est tout au contraire un droit de créance.

Par définition, un droit de créance échappe au domaine des droits réels.

Ce qui dès lors est transmis au porteur de la lettre de change, ce n’est pas un droit réel sur la provision, mais un droit personnel contre le tiré.

Or ce droit, contrairement à un droit réel, peut parfaitement être dépourvu d’objet lors de son transfert.

Ainsi, comme le suggèrent les auteurs, lors de la remise de la traite au porteur, celui-ci « acquiert un droit exclusif sur la créance qui appartiendra au tireur contre le tiré à l’échéance » (Ph. Delebecque et M. Germain, Traité de droit commerciale, éd. LGDJ, 2000, t. 2, n°1979, p. 166).

La conséquence en est que le droit de créance dont devient titulaire le porteur de la lettre de change contre le tiré demeure extrêmement fragile.

3. La fragilité du droit du porteur sur la provision

Tant que le tireur n’a pas fourni provision au tiré ou que celui-ci n’a pas accepté la traite, le porteur est titulaire d’un droit de créance éventuelle.

La Cour de cassation estime en ce sens que « la provision s’analyse dans la créance éventuelle du tireur contre le tiré, susceptible d’exister à l’échéance de la lettre de change, et, qu’avant cette échéance, le tiré non accepteur peut valablement payer le tireur tant que le porteur n’a pas consolidé son droit sur ladite créance en lui adressant une défense de s’acquitter entre les mains du tireur » (Com. 29 janv. 1974, Bull. civ. IV, no 37).

Ainsi, pour Cour de cassation, tant que l’échéance de la lettre de change n’est pas survenue, le paiement du tiré entre les mains du tireur est libératoire.

Réciproquement, on peut en déduire que, jusqu’à l’échéance, le tireur peut librement disposer de la provision – pourtant transmise au porteur – celui-ci ne détenant contre le tiré qu’un droit de créance éventuelle.

Bien que conforme à la lettre de l’article L. 511-7, alinéa 3 du Code de commerce, cette jurisprudence n’en est pas moins source de nombreuses difficultés.

En effet, dans la mesure où le droit de créance dont est titulaire le porteur n’a pas définitivement intégré son patrimoine, d’autres créanciers sont susceptibles d’entrer en concours quant à la titularité de la créance que détient le tireur contre le tiré :

Pour plus de détails, voir la fiche dédiée aux conflits de mobilisation de créances.

4. La consolidation du droit du porteur sur la provision

Le droit du porteur sur la provision devient irrévocable dans plusieurs circonstances :

  • La survenance de l’échéance portée sur la lettre de change : elle a pour effet de rendre le droit du porteur définitif et irrévocable (V. en ce sens com., 4 juin 1991 : Bull. civ. 1991, IV, n° 208)
    • Il en résulte trois conséquences :
      • Le porteur est fondé présenter au paiement la lettre de change au tiré. S’il refuse, le bénéficiaire de la traite pourra exercer un recours extra-cambiaire contre le tiré sur le fondement de la provision
      • Le paiement du tiré entre les mains de toute autre personne que le porteur n’est pas libératoire (Cass. com., 3 mai 1976 : Bull. civ. 1976, IV, n° 143 ; JCP G 1977, II, 18767, note G.-L. Pierre-François ; RTD civ. 1977, 125, n° 1, obs. M. Cabrillac et J.-L. Rives-Lange ; D. 1976, inf. rap. p. 229).
      • Inversement, le tireur ne peut plus librement disposer de la provision. Il ne détient plus aucun droit sur elle.
  • L’acceptation : par l’acceptation le tiré de la lettre de change a s’engage cambiairement.
    • Plusieurs effets :
      • Le tiré se reconnaît débiteur du tireur, de sorte que la créance de provision est irrévocablement affectée au paiement de l’effet.
      • Le tiré devient le débiteur principal de la traite. Il ne disposera, en conséquence, de recours contre personne dans l’hypothèse où le tireur ne lui aurait pas fourni provision
      • La provision sort définitivement du patrimoine du tireur. Elle devient indisponible. Elle ne pourra donc pas faire l’objet d’une revendication émanant d’un créancier concurrent du tireur ou du tiré.
      • Le paiement du tiré effectué entre les mains du tireur n’est pas libératoire.
  • La défense de payer: le porteur peut interdire au tiré de régler la traite entre les mains d’une autre personne que lui, et notamment entre les mains du tireur (V. en ce sens com., 19 nov. 1973 : Bull. civ. 1973, IV, n° 332)
    • Cette défense de payer peut être adressée au tiré par le biais d’une simple missive.

B) La preuve de la provision

Deux situations doivent être distinguées :

  • La traite non-acceptée
  • La traite acceptée
  1. La traite non-acceptée

L’article L. 511-7 al. 4 dispose que « l’acceptation suppose la provision. Elle en établit la preuve à l’égard des endosseurs ».

A contrario, cela signifie qu’en cas d’absence d’acceptation, la constitution de la provision n’est pas présumée.

Conformément à l’article 1315 al. 1er du Code civil – selon lequel la charge de la preuve repose sur celui qui revendique l’exécution d’une obligation – il appartiendra au porteur de la traite impayée de prouver l’existence de la créance de provision dont il a acquis la titularité (Cass. com., 19 janv. 1983 : D. 1983, inf. rap. p. 248, obs. M. Cabrillac).

2. La traite acceptée

L’article L. 511-7 al. 4 prévoit que l’acceptation de la lettre de change fait présumer la constitution de la provision.

Autrement dit, il appartiendra au tiré de prouver que le tireur n’a pas exécuté l’obligation qui lui échoit au titre de la provision.

Lorsqu’il exercera son recours contre le tiré, le porteur sera, en conséquence, dispensé de rapporter la preuve de la provision.

Deux questions se sont alors posées :

  • Quel est le domaine d’application de la présomption ?
  • Quelle est la nature de la présomption ?

a) Le domaine d’application de la présomption

L’article L. 511-7 alinéa 5 du Code de commerce dispose que l’acceptation « établit la preuve à l’égard des endosseurs. »

Est-ce à dire que seuls les endosseurs seraient fondés à se prévaloir de la présomption posée à l’alinéa 4 de l’article L. 511-7 du Code de commerce ?

En d’autres termes, le tireur et le porteur de la traite seraient-ils exclus du bénéfice de la présomption ?

Très tôt, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative à cette interrogation (Cass. civ., 30 nov. 1897 : DP 1898, 1, p. 158 ; Cass. civ., 15 juill. 1975 : Bull. civ. 1975, IV, n° 201).

b) La nature de la présomption

La question qui se pose est de savoir si la présomption posée à l’article L. 511-7 alinéa 4 du Code de commerce est simple.

Le tiré est-il fondé à rapporter la preuve contraire ?

Deux catégories de rapports doivent être envisagées :

  • Les rapports tireur-tiré accepteur
  • Les rapports porteur/endosseur-tiré accepteur

 Dans les rapports tireur-tiré accepteur

Dans cette configuration, la présomption est simple.

Elle ne souffre donc pas de la preuve contraire (Cass. com., 22 mai 1991 : Bull. civ.1991, IV, n° 170 ; D. 1992, somm. p. 339, obs. M. Cabrillac)

Cette solution s’explique par le fait que l’engagement cambiaire du tiré n’est pas totalement abstrait

L’acceptation par le tiré de la traite a pour cause le rapport fondamental qui le lie au tireur.

Il est donc légitime qu’il lui soit permis d’établir que le tireur n’a pas satisfait à son obligation, laquelle obligation constitue la cause de l’engagement cambiaire du tiré

 En outre, dans le cadre des rapports tireur-tiré accepteur, le tiré, même accepteur, est toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leurs rapports personnels.

 Or le défaut de provision en est une. D’où la permission qui lui est faite de prouver que la provision ne lui a pas été valablement fournie.

 Dans les rapports porteur/endosseur-tiré accepteur

 Deux hypothèses doivent être envisagées :

  • Le porteur/endosseur est de bonne foi: la présomption est irréfragable ( req., 23 déc. 1903 : DP 1905, 1, p. 358)
    • Cette position de la Cour de cassation résulte de l’application du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Que la provision ait ou non été constituée à la faveur du tiré, celui-ci est engagé cambiairement, de sorte qu’il a l’obligation de payer l’effet lors de sa présentation à l’échéance.
  • Le porteur/endosseur est de mauvaise foi : la présomption est simple ( com., 12 juill. 1971 : Gaz. Pal. 1971, 2, jurispr. p. 759)
    • Cette solution se justifie pleinement puisque le porteur de mauvaise foi est déchu du bénéfice de l’inopposabilité des exceptions
    • Le tiré accepteur, bien qu’il soit engagé cambiairement, est, en conséquence, fondé à invoquer le défaut de provision
    • Or pour ce faire, il lui faudra prouver que le tireur ne lui a pas fourni ladite provision

La distinction entre rapport fondamental et rapport cambiaire

Le droit des effets de commerce tout entier s’articule autour de la distinction entre rapport fondamental et rapport cambiaire.

Les droits et obligations qui échoient au porteur d’un effet de commerce prennent, en effet, leur source nécessairement dans l’un et/ou l’autre de ces rapports.

Aussi, en simplifiant à l’extrême, on pourrait être tenté de soutenir que le droit des effets de commerce a pour fonction de régler la création, l’exécution et l’extinction des rapports fondamentaux et cambiaires.

Dans cette perspective, afin de mieux cerner la logique sur laquelle repose cette branche du droit, il convient de s’interroger, dans un premier temps, sur les notions de rapport fondamental et de rapport cambiaire (I), puis, dans un second temps, de nous intéresser aux relations que ces deux catégories de rapports entretiennent (II).

I) NOTIONS

A) Le rapport fondamental

Classiquement, le rapport fondamental se définit comme le rapport préexistant et extérieur au titre qui constitue la cause de l’engagement de chaque signataire de la traite.

Aussi, cela recoupe-t-il deux hypothèses bien distinctes :

  • Tantôt, le rapport fondamental constitue la cause de l’émission du titre : on parle de provision
  • Tantôt, le rapport fondamental constitue la cause de la transmission du titre : on parle de valeur fournie
  1. Le rapport fondamental comme cause de l’émission du titre

 Dans cette hypothèse, on qualifie le rapport fondamental de provision.

Qu’est-ce que, concrètement, la provision ?

Il s’agit de la créance que détient celui qui émet la lettre de change (TIREUR) contre son débiteur (TIRÉ).

Schéma 7

Afin de mobiliser sa créance, la plupart du temps auprès d’un banquier escompteur, le créancier va tirer une lettre de change sur son débiteur, ce qui aura pour effet d’incorporer ladite créance dans un titre négociable. Ce titre peut alors circuler librement et être endossé par les différents porteurs successifs.

Ainsi, la créance que la lettre de change incorpore n’est autre que la provision.

Cette créance de provision, que détient le tireur contre le tiré de la lettre de change, s’apparente à la contrepartie de la prestation fournie par le tireur au tiré (fourniture de marchandises, prestation de service, octroi d’un prêt etc…).

Schéma 8

Fort naturellement, le tiré sera toujours plus enclin à payer la lettre de change qui lui sera présentée à l’échéance par le porteur lorsque le tireur aura exécuté la prestation convenue entre eux.

Dans le cas contraire, le tiré sera fondé, s’il n’a pas accepté la traite en la signant, à refuser de payer la lettre de change, quand bien le porteur est de bonne foi.

Ce dernier pourra néanmoins se retourner contre le tireur, lequel est, à défaut d’acceptation du tiré, le débiteur principal de la lettre de change.

2. Le rapport fondamental comme cause de la transmission du titre

Dans cette hypothèse, on qualifie le rapport fondamental de valeur fournie.

La valeur fournie constitue la cause de la transmission de la lettre de change.

À la différence de la provision, la valeur fournie ne fait pas l’objet d’une incorporation dans le titre.

Et pour cause, l’incorporation d’une créance dans un titre est commandée par la volonté de son titulaire de mobiliser ladite créance, soit de la faire circuler.

Dès lors, la valeur fournie représente simplement la créance fondamentale que détient le porteur contre le tireur, soit la contrepartie en vertu de laquelle ce dernier décide de lui remettre la traite.

Cette créance fondamentale que constitue la valeur fournie, peut avoir des causes diverses et variées :

  • Elle peut consister en la contrepartie d’une remise de fonds consentie par le banquier escompteur au tireur en vue de lui permettre de mobiliser la créance qu’il détient contre un client
  • Elle peut encore consister en la contrepartie d’une prestation exécutée par le porteur au profit du tireur

Ainsi, la lettre de change est-elle toujours transmise au porteur en règlement d’une créance que ce dernier détient contre le tireur.

C’est ce rapport fondamental, extérieur au titre, que l’on qualifie de valeur fournie.

Une fois la lettre de change transmise au porteur, celui-ci peut, à son tour, transmettre la traite en règlement de la créance fondamentale que détient sur lui le bénéficiaire à qui il la remet.

Le rapport fondamental qui se crée entre les deux porteurs successifs est également qualifié de valeur fournie.

Il en existera autant qu’il est de créances fondamentales servant de cause à la transmission de la lettre de change.

Schéma 1

Ainsi, la valeur fournie n’intéresse que les rapports entre :

  • Tireur-porteur
  • Endosseur-endossataire

Dans les deux cas, le bénéficiaire de la traite est en position de créancier par rapport au tireur ou à l’endosseur.

Quid du rapport qui se noue entre le porteur de l’effet de commerce et le tiré ?

Lorsque le porteur de la lettre de change acquiert la lettre de change, conformément à l’article L. 511-7 du Code de commerce, la créance de provision que détenait initialement le tireur sur le tiré lui est immédiatement transmise.

Ainsi, le tiré n’est-il plus le débiteur du tireur. Il devient, par l’effet de la transmission de la traite, débiteur du porteur.

Schéma 2

Est-ce à dire que le rapport qui se crée entre le porteur de la lettre de change et le tiré peut être qualifié de rapport fondamental ?

Bien que le rapport qui se noue entre eux par l’effet de la transmission du titre ne soit pas de nature cambiaire, il ne peut pas non plus être qualifié de rapport fondamental.

La raison en est que ce rapport ne préexiste pas à l’émission du titre. Il est seulement la conséquence de sa transmission.

Partant, le rapport juridique qui se noue entre le tiré et le porteur n’est qu’indirect.

Qui plus est, ce rapport est frappé d’une grande fragilité : tant que la traite n’a pas été acceptée ou que son échéance n’est pas survenue, le porteur n’est titulaire que d’un droit de créance éventuel sur le tiré.

En effet, l’article L. 511-7 du Code civil n’interdit nullement au tireur de disposer du droit de créance dont il est titulaire sur le tiré avant l’échéance, ce quand bien même la traite a été transmise au porteur.

Prévoir le contraire, serait revenu à vider de sa substance la fonction de la lettre de change qui est un instrument de crédit

 B) Le rapport cambiaire

Le rapport cambiaire se définit très simplement comme le rapport qui se crée lors de l’émission d’un effet de commerce.

Ce rapport cambiaire engage celui qui appose sa signature sur le titre envers le porteur, soit celui à qui il transmet la traite.

Ainsi, le rapport cambiaire vient-il se superposer au rapport fondamental préexistant qui s’est noué entre le tireur et le porteur de la lettre de change.

Schéma 3

Par ailleurs, le signataire de la traite s’engage cambiairement envers tous les porteurs subséquents.

Schéma 4

Chaque souscripteur de l’effet de commerce est donc engagé cambiairement autant de fois qu’il est de porteurs subséquents. L’endosseur ne sera, en ce sens, jamais engagé cambiairement envers le tireur.

Il peut être observé que le tireur et les endosseurs ne sont pas les seuls à pouvoir s’engager cambiairement.

L’engagement cambiaire est ouvert à deux autres personnes :

  • Le tiré
  • L’avaliste

L’engagement cambiaire du tiré

L’engagement cambiaire du tiré est subordonné à ce que l’on appelle l’acceptation.

L’acceptation se définit comme la faculté pour le tiré de souscrire à la traite qui lui sera présentée « pour acceptation ».

Par cette acceptation ­? qui se traduira par l’apposition de la signature du tiré sur le titre, assortie de la mention « bon pour acceptation » ? le tiré s’engage cambiairement, d’une part, envers le porteur de la traite, d’autre part envers le tireur.

Il s’ensuit que le tiré devient le débiteur principal de l’effet de commerce.

Cela signifie qu’il n’aura de recours contre personne une fois le paiement de la traite effectué (à l’exception du tireur qui n’a pas fourni provision). Et pour cause, dans la mesure où la créance incorporée dans le titre le désigne comme débiteur !

Schéma 5

L’engagement cambiaire de l’avaliste

Lorsque le tireur, le tiré ou un endosseur souscrit à la lettre de change, il peut assortir son engagement d’une garantie, qui sera consentie, soit par un tiers, soit par un signataire de la traite.

Cette garantie porte le nom d’« aval ». Le garant est, quant à lui, qualifié d’avaliste, d’avaliseur ou bien encore de donneur d’aval.

Ainsi, l’aval constitue-t-il une « garantie personnelle de paiement du titre, donné en la forme cambiaire, par un donneur d’aval qui garantit que la lettre sera payée, en tout ou partie, à l’échéance » (R. Bonhomme, Instruments de crédit et de paiement, LGDL, 11e éd., 2015, coll. « manuel », n°193, p. 156-157.)

L’aval s’apparente, dans cette perspective, à un cautionnement consenti au bénéfice d’un ou plusieurs signataires de la traite, de sorte que l’avaliste est engagé ? cambiairement ? dans les mêmes termes que celui dont il garantit l’engagement (art. L. 511-21 C. com).

Schéma 6

En quoi le rapport cambiaire se distingue-t-il du rapport fondamental ?

Il s’en distingue en tous points :

  • L’obligation cambiaire est toujours commerciale
    • Compétence des juridictions consulaires
  • L’obligation cambiaire est solidaire
    • Le bénéficiaire de la traite est fondé à poursuivre en paiement de la traite n’importe lequel de ses signataires
  • La validité et la vigueur de l’obligation cambiaire sont subordonnées au respect des conditions de forme du titre.
    • Les signataires successifs de la traite se portent acquéreurs de la créance qu’elle incorpore en considération de l’apparence du titre; d’où la rigueur du formalisme.
  • L’obligation cambiaire est autonome, en ce sens que l’engagement cambiaire de chaque souscripteur est apprécié séparément, indépendamment de la validité de l’engagement des autres signataires.
    • C’est ce qu’on appelle le principe d’indépendance des signatures
  • L’obligation cambiaire est abstraite ce qui signifie qu’elle est détachée du rapport fondamental qui en constitue la cause.
    • Autrement dit, le vice (nullité ou extinction de l’obligation) dont est entaché le rapport fondamental n’affecte pas la validité du rapport cambiaire; d’où le principe d’inopposabilité des exceptions.

II) LES RELATIONS ENTRE LE RAPPORT FONDAMENTAL ET LE RAPPORT CAMBIAIRE

A) L’influence du rapport cambiaire sur le rapport fondamental

Depuis la moitié du XIXe siècle, il est admis par la jurisprudence, non sans de tumultueux débats, que l’émission ou l’endossement d’une lettre de change n’entraîne pas novation de l’obligation préexistante (Cass. civ. 1850, D. 1850. 1. 158).

La raison en est que, conformément à l’article 1273 du Code civil, « la novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l’opérer résulte clairement de l’acte. ».

On ne saurait déduire, en effet, que, en acquérant la traite, le porteur a entendu renoncer aux droits attachés à la créance préexistante dont il est titulaire et, notamment, aux sûretés réelles et personnelles dont ladite créance est susceptible d’être assortie (V. en ce sens Chr. Juillet, Les accessoires de la créance, Defrénois, 2009).

Il s’ensuit que, par principe, le rapport fondamental survit à la création du rapport cambiaire pour se superposer à lui.

L’intérêt pour le créancier cambiaire est double :

  • Il conserve le bénéfice des sûretés attachées au rapport fondamental préexistant
  • En cas de négligence ou de prescription de l’action cambiaire, il se ménage un recours de droit commun contre son débiteur cambiaire
    • Soit, s’il est tiré sur le fondement de la provision
    • Soit s’il est tireur ou endosseur sur le fondement de la valeur fournie

B) L’influence du rapport fondamental sur le rapport cambiaire

Par principe, les rapports cambiaires et fondamentaux demeurent indépendants l’un de l’autre.

Cette indépendance souffre, néanmoins, de nombreuses exceptions en raison de la double influence que le rapport fondamental exerce sur le rapport cambiaire :

  • Tantôt, il renforce le rapport cambiaire auquel il se superpose
  • Tantôt, il fragilise ce même rapport cambiaire dont il menace l’existence
  1. L’influence positive du rapport fondamental sur le rapport cambiaire

Le rapport fondamental exerce une influence positive sur le rapport cambiaire auquel il se superpose pour trois raisons :

  • Tout d’abord, il confère au détenteur du titre une action fondamentale qui repose sur le droit commun, de sorte que s’il est négligent ou que l’action cambiaire est prescrite, il dispose d’une action subsidiaire lui permettant, malgré tout, d’actionner en paiement le débiteur de la traite.
  • Ensuite, la transmission de la traite à un tiers emporte, par principe, transfert de la propriété de la provision, sans qu’il soit besoin d’accomplir les formalités propres à la cession de créance
  • Enfin, le transfert de la provision opéré par la transmission de la traite a pour conséquence de transmettre, corrélativement, aux différents porteurs successifs toutes les garanties que les parties ont entendu attacher à la possession de l’effet

2. L’influence négative du rapport fondamental sur le rapport cambiaire

Bien que l’on présente le rapport fondamental comme abstrait, à la vérité, il ne l’est pas complètement comme c’est le cas en droit allemand.

En effet, dans la mesure où l’on exige, en droit français, que l’obligation cambiaire, à laquelle souscrivent les signataires successifs de la traite, soit causée, on ne saurait faire fi totalement des vices susceptibles d’affecter le rapport fondamental.

Ainsi, lorsque l’engagement cambiaire du souscripteur de la traite est sans cause ou repose sur une cause illicite, il est frappé de nullité

Il en résulte, en outre, que le principe d’inopposabilité des exceptions qui, normalement, bénéficie au porteur de l’effet voit son application écartée lorsque les exceptions invoquées sont issues des relations personnelles entretenues entre le porteur de la traite et son débiteur.

Il en va notamment ainsi des exceptions tirées de la nullité et de l’extinction du rapport fondamental qui les unit l’un à l’autre.