Divorce par consentement mutuel judiciaire: l’intangibilité de la convention

I) Le principe d’intangibilité de la convention

==> Énoncé du principe

Il ressort de plusieurs textes que la convention de divorce est indissociable du jugement qui prononce le divorce :

  • L’article 1099 du Code de procédure civile prévoit que le Juge « rend sur-le-champ un jugement par lequel il homologue la convention et prononce le divorce. »
  • L’article 279 dispose encore que « la convention homologuée a la même force exécutoire qu’une décision de justice»
  • L’article 232 prévoit quant à lui que « le juge homologue la convention et prononce le divorce »

La jurisprudence déduit de ces textes qu’il existe une indivisibilité de l’homologation de la convention avec la décision qui prononce le divorce.

Il en résulte que, à l’instar d’un jugement, elle est pourvue de l’autorité de la chose jugée ce qui lui confère son intangibilité. Autrement dit, elle ne peut plus être attaquée par les époux.

Sur ce point, elle se distingue d’un contrat soumis au droit commun, en ce que les parties peuvent toujours revenir dessus en cas de commun accord.

Tel n’est pas le cas de la convention de divorce qui, une fois homologuée par le juge, ne peut plus être supprimée, ni révisée

Dans un arrêt du 6 mai 1987 la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « le prononcé du divorce et l’homologation de la convention définitive ont un caractère indissociable et ne peuvent plus être remis en cause hors des cas limitativement prévus par la loi »

Cass. 2e civ. 6 mai 1987
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Lyon, 14 février 1985), qu'un jugement, non frappé de voies de recours, a prononcé le divorce des époux X... sur leur requête conjointe et homologué la convention définitive portant réglement des conséquences du divorce ; que Mme X..., estimant être victime d'une lésion dans cette convention, en a demandé la rescision ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré cette action irrecevable, alors que, d'une part, la convention portant règlement des effets du divorce pourrait être dissociée du jugement prononçant celui-ci, et, n'étant pas irrévocable, pourrait faire l'objet d'une action en rescision pour lésion, et alors que, d'autre part, en considérant qu'en l'absence de clause stipulant l'égalité du partage, celui-ci pouvait être présumé inégal, ce qui rendrait irrecevable l'action en rescision pour lésion, la cour d'appel aurait violé les articles 1476 et 887 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient à bon droit que le prononcé du divorce et l'homologation de la convention définitive ont un caractère indissociable et ne peuvent plus être remis en cause hors des cas limitativement prévus par la loi ;

Que par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

  • Faits
    • Prononcé d’un divorce sur requête conjointe par un arrêt de la Cour d’appel de Lyon le 14 février 1985
  • Demande
    • Action en rescision pour lésion contre une convention d’homologation introduite par une épouse.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 14 février 1985 la Cour d’appel de Lyon déboute l’appelante de sa demande.
    • Pour les juges du fond, l’action de l’épouse est irrecevable dans la mesure où le prononcé du divorce et l’homologation de la convention sont indissociables.
    • Or un jugement bénéficie de l’autorité de la chose jugée.
  • Solution
    • La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’épouse
    • Pour la deuxième chambre civile la convention réglant les effets du divorce devient, dès lors qu’elle a été homologuée par le juge, intangible.
    • Autrement dit, elle ne peut plus être attaquée
    • La Cour de cassation pose ici le principe d’intangibilité de la convention réglant les effets du divorce

==> Applications

Le principe d’intangibilité de la convention de divorce conduit à écarter un certain nombre d’actions :

  • Les actions en nullité de la convention
    • La question ici se pose de savoir si, en cas de non-respect d’une condition de validité de la convention de divorce, elle peut faire l’objet d’une annulation
    • La jurisprudence répond par la négative à cette question, au motif que le principe d’intangibilité de la convention prévaut
    • Peu importe donc le fondement invoqué par l’un des époux (contrariété à l’ordre public, vices du consentement ou encore irrégularité formelle) : l’action en nullité est irrecevable
  • Les actions en complément de part
    • Il s’agit de l’hypothèse où un époux aurait été lésé dans le partage des biens
    • Dès lors, est-il recevable à engager une action aux fins de rétablir l’équilibre qui a été rompu volontairement ou involontairement ?
    • L’article 889 du Code civil prévoit que dans le cadre d’opérations de partages prévues par la loi, lorsque l’un des copartageants établit avoir subi une lésion de plus du quart, le complément de sa part lui est fourni, au choix du défendeur, soit en numéraire, soit en nature.
    • Pour apprécier s’il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l’époque du partage.
    • L’action en complément de part se prescrit par deux ans à compter du partage.
    • Pour les mêmes raisons que celles qui président à l’irrecevabilité de l’action en nullité, l’action en complément de parts ne saurait être accueillie lorsqu’elle est dirigée contre la convention de divorce.
    • Le principe d’intangibilité de cette convention y fait obstacle.
    • Cette solution a notamment été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 3 mars 2010.

Cass. 1re civ., 3 mars 2010
Sur le moyen unique :

Attendu que M. X... et Mme Y... ont contracté mariage le 3 octobre 1998 sous le régime de la séparation de biens ; qu'en 1999, ils ont acquis en indivision, chacun pour moitié, un terrain situé à Saint-Pierre de la Réunion sur lequel ils ont fait édifier une maison ; qu'un jugement du 3 mars 2003 a prononcé leur divorce sur requête conjointe et homologué la convention définitive par laquelle ils fixaient à 335 387 euros la valeur de l'immeuble bâti acquis durant le mariage et prévoyaient de maintenir ce bien en indivision pour une durée de deux ans renouvelable ; que par acte sous-seing privé du même 3 mars 2003, les époux sont convenus de la vente des droits indivis de M. X... sur l'immeuble à Mme Y... pour un prix de 167 693,50 euros ; que cet acte stipulait que la vente serait réitérée par acte authentique au plus tard le 15 février 2005 ; que M. X... ne s'étant pas présenté devant le notaire pour la réitération de l'acte, Mme Y... l'a fait assigner devant le tribunal de grande instance en déclaration judiciaire de vente ; que pour s'opposer à cette demande, M. X... a fait valoir que le prix fixé dans la promesse de vente était lésionnaire et a sollicité une expertise de la valeur du bien ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 19 août 2008) d'avoir déclaré irrecevable l'action en rescision pour lésion de l'acte du 3 mars 2003, dit que la vente par M. X... à Mme Y... d'une parcelle bâtie sise à Saint-Pierre pour un prix de 167 693,50 euros était parfaite et dit que le jugement tiendrait lieu d'acte authentique en vue des formalités de publicité foncière, alors, selon le moyen, que l'impossibilité de remettre en cause la convention définitive homologuée par le jugement de divorce sur demande conjointe ne concerne que le partage opéré par cette convention ; qu'ainsi en l'espèce où la convention définitive prévoyait le maintien dans l'indivision de l'immeuble litigieux, la cour d'appel, en déclarant irrecevable l'action en rescision pour lésion exercée contre une convention séparée contenant une promesse de cession par M. X... à Mme Y... de sa part indivise dans l'immeuble, non homologuée par le juge, a violé les articles 279 et 888 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a rappelé que le caractère indissociable du prononcé du divorce sur demande conjointe et de la convention définitive ne permettait aucune modification des modalités de cette dernière en dehors des cas prévus aux anciens articles 279 et 292 du code civil, a constaté par motifs propres et adoptés, d'abord, que la convention définitive homologuée comportait un chapitre intitulé "liquidation" consacré au sort de l'immeuble litigieux par lequel les époux fixaient la valeur du bien à la somme de 335 387 euros et établissaient une convention d'indivision régissant leurs droits quant à ce bien ; puis, que par acte du 3 mars 2003, les parties convenaient de la vente des droits indivis de M. X... sur l'immeuble au profit de Mme Y... pour un montant conforme à celui fixé par la convention définitive ; encore, que cet acte était antérieur au divorce puisqu'il était soumis à la condition suspensive du prononcé du divorce ; en outre, que les débats permettaient d'établir qu'il s‘agissait en réalité de trouver un statut juridique à l'immeuble permettant à la fois aux époux d'obtenir le divorce et de se ménager le bénéfice de la défiscalisation à laquelle ce bien ouvrait droit à condition qu'il ne soit pas cédé avant un délai de cinq années après son achèvement ; enfin, que les dispositions de la convention définitive relatives à l'immeuble litigieux, et notamment celle stipulant sa valeur, étaient indissociables de l'ensemble de la convention, elle-même indissociable du jugement de divorce, le consentement des époux étant dépendant du contenu de la convention définitive ; que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire que la convention définitive ne pouvait être remise en cause sans remettre en cause le consentement des époux et que dès lors l'action en rescision pour lésion de plus du quart du compromis de vente du 3 mars 2003, était irrecevable ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Le recours en révision
    • Le recours en révision est régi aux articles 593 et suivants et Code de procédure civile
    • Il tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit.
    • En raison de son caractère dérogatoire au droit commun, ce recours ne peut être exercé que dans des cas très restreints
    • L’article 595 prévoit ainsi que le recours en révision n’est ouvert que pour l’une des causes suivantes :
      • S’il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ;
      • Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d’une autre partie ;
      • S’il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ;
      • S’il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement.
    • Dans tous ces cas, le recours n’est recevable que si son auteur n’a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu’il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.
    • Le délai du recours en révision est de deux mois.
    • Le recours en révision peut-il être exercé dans l’hypothèse où l’homologation de la convention de divorce aurait été obtenue en fraude des droits de l’un des époux ?
    • La Cour de cassation a répondu par la négative à cette question en se fondant, à encore, sur le principe d’intangibilité de la convention.
    • Dans un arrêt du 5 novembre 2008, elle a affirmé que « mais attendu qu’ayant retenu à bon droit que le prononcé du divorce et l’homologation de la convention définitive ont un caractère indissociable, la cour d’appel en a exactement déduit l’irrecevabilité du recours en révision partielle du jugement prononçant le divorce sur requête conjointe en ses seules dispositions relatives au partage des biens» ( 1ère civ., 5 nov. 2008).

==> Cas particulier des actions en interprétation

L’action en interprétation vise à solliciter les lumières du juge sur une clause imprécise ou ambiguë de la convention

Il ne s’agit pas ici pour le Juge de revenir sur la décision rendue.

Son intervention a pour seul but d’apporter un éclairage sur les termes de la convention de divorce aux fins de permettre son exécution.

Dans la mesure où cette action ne heurte pas le principe d’intangibilité, elle est admise par la jurisprudence (C. en ce sens Cass. 1ère civ., 5 févr. 2002)

Cass. 1ère civ., 5 févr. 2002
Sur le pourvoi formé par M. Dominique André Yves X..., demeurant ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 6 mai 1999 par la cour d'appel de Caen (1e chambre civile et commerciale), au profit :

1 / de Mme Françoise Marcelle Jeanne Y..., divorcée, Boudin, demeurant "La Houssaye", 61160 Mont Ormel,

2 / de la société Cétélem, société anonyme à directoire, dont le siège est ...,

défenderesses à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 18 décembre 2001, où étaient présents : M. Renard-Payen, conseiller doyen faisant fonctions de président, Mlle Barberot, conseiller référendaire rapporteur, M. Jean-Pierre Ancel, conseiller, Mme Collet, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mlle Barberot, conseiller référendaire, les observations de Me Foussard, avocat de M. X..., les conclusions écrites de M. Sainte-Rose, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu que M. X..., qui a fait opposition à l'ordonnance lui ayant fait injonction de payer le solde d'un prêt contracté avec son épouse pendant le mariage depuis dissous par divorce pour financer des travaux sur un véhicule, a appelé celle-ci en garantie pour qu'elle soit condamnée à supporter la moitié de la condamnation prononcée au profit du prêteur ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Caen, 6 mai 1999) d'avoir rejeté cette demande, alors, selon le moyen :

1 / qu'en l'espèce, le prêt a été souscrit solidairement par M. et Mme X... ; que M. X... avait donc un recours contre Mme Y... à concurrence de la part incombant à cette dernière ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 1214 du Code civil ;

2 / que la circonstance que, lors de la convention définitive conclue entre les époux à l'occasion du divorce, le véhicule ait été attribué à M. X..., qui ne concerne que la répartition des actifs, n'avait aucune incidence sur le recours dont disposait M. X... ; qu'à cet égard, les juges du fond ont violé l'article 1214 du Code civil ;

3 / qu'en se fondant sur la convention définitive conclue à l'occasion du divorce, bien que cette convention n'ait comporté aucune stipulation s'agissant de la charge du prêt, les juges du fond, qui ont ajouté a la convention de divorce, en ont dénaturé les termes ;

Mais attendu qu'après avoir admis la recevabilité de l'appel en garantie formée contre la femme qui était obligée à la dette en sa qualité de co-emprunteuse, la cour d'appel, qui a relevé, par une interprétation que les termes imprécis de la convention définitive de divorce rendaient nécessaire, qu'il entrait dans l'intention des époux que celui qui était attributaire du véhicule en supporte les charges, a souverainement estimé que le mari devait seul contribuer à la dette ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

II) Les limites au principe d’intangibilité de la convention

Le principe d’intangibilité de la convention de divorce n’est pas sans limites. Il est des situations qui permettent, tantôt aux parties, tantôt aux tiers de revenir sur ce qui a été jugé ou de compléter le dispositif.

==> L’omission d’un bien ou d’une dette

La question s’est posée en jurisprudence du sort d’un bien ou d’une dette omis lors de l’établissement de l’état liquidatif.

Une fois homologuée, la convention de divorce est, par principe, intangible, de sorte que les époux ne peuvent plus solliciter sa révision.

Est-ce à dire que le bien ou la dette omis ne peut plus faire l’objet d’un partage ?

La première et la deuxième chambre civile se sont longtemps opposées sur la réponse à apporter à cette question.

  • La position de la deuxième chambre civile
    • Dans un arrêt du 18 mars 1992, elle a considéré que, en application du principe d’intangibilité de la convention de divorce, un bien omis ne pouvait pas être intégré, postérieurement à l’homologation, dans la composition du patrimoine commun ( 2e civ. 18 mas 1992).
    • Pour la deuxième chambre civile, cela revient à modifier sans l’accord des parties, la convention définitive devenue irrévocable et violé le texte susvisé
    • Ainsi, aurait-il fallu conclure une nouvelle convention aux côtés de l’accord homologué

Cass. 2e civ. 18 mas 1992
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 279 du Code civil ;

Attendu que la convention homologuée a la même force exécutoire qu'une décision de justice ; qu'elle ne peut être modifiée que par une nouvelle convention entre les époux ;

Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué, qu'un jugement a prononcé le divorce des époux X... sur leur requête conjointe, et homologué leur convention définitive ; que M. X... a fait assigner son ex-épouse pour faire juger qu'un immeuble ne figurant pas sur la convention constituait un bien propre et régulariser une déclaration de remploi ;

Attendu que pour débouter M. X... de cette demande et dire que le bien était commun, l'arrêt énonce que l'omission de toute mention de ce remploi et des biens acquis à l'aide de celui-ci dans la convention définitive de partage peut résulter d'une simple erreur ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la convention définitive homologuée, qui ne faisait pas mention de l'immeuble litigieux dans l'actif commun, attribuait à Mme Y... une somme d'argent pour solde de tout compte de la communauté, la cour d'appel, en faisant entrer postérieurement cet immeuble dans la composition du patrimoine commun, a modifié, sans l'accord des parties, la convention définitive devenue irrévocable et violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 octobre 1990, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée

  • La position de la première chambre civile
    • Dans un arrêt du 3 juillet 1996 la première chambre civile a considéré quant à elle que, en cas d’omission d’un bien dépendant de la communauté conjugale dans l’état liquidatif du régime matrimonial des époux, joint à la convention définitive homologuée par le juge du divorce, la demande de partage complémentaire était recevable.
    • Pour la première chambre civile il n’y avait donc pas lieu de régulariser une nouvelle convention de divorce.
    • Cette solution a été réaffirmée dans un arrêt du 6 mars 2001 aux termes duquel, la Cour de cassation a affirmé, au visa de l’article 279 du Code civil que « si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu’une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs omis dans l’état liquidatif homologué, à l’application éventuelle des sanctions du recel et au paiement de dommages-intérêts pour faute commise par son ex conjoint lors de l’élaboration de la convention»

Cass. 1ère civ. 6 mars 2001
Attendu que les époux Y...-X... ont divorcé sur requête conjointe par jugement du 8 mars 1990, qui a homologué la convention définitive réglant les modalités de liquidation de leur communauté, comprenant notamment les actions des sociétés Y... SA et Y... boutique, évaluées à 110 000 000 francs ; qu'ayant appris ultérieurement que son ex mari avait vendu, pour la somme de 39 000 000 francs, au groupe Seibu department store, dont dépendent les sociétés Ilona gestion et Saison Nederland BV, des actions de la société JLS KK qui ne figuraient pas dans l'état liquidatif, Mme X... a demandé la condamnation de M. Y... à lui payer l'intégralité de la somme ainsi recelée ou, subsidiairement, la moitié de cette somme à titre de partage complémentaire, ainsi que sa condamnation solidaire avec les sociétés Seibu, Ilona et Saison au paiement de dommages-intérêts ; que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevables ces demandes ;

Sur le premier moyen : (Publication sans intérêt) ;

Sur le cinquième moyen : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur les deuxième, troisième et quatrième moyens, réunis :

Vu l'article 279 du Code civil ;

Attendu que si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu'une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs omis dans l'état liquidatif homologué, à l'application éventuelle des sanctions du recel et au paiement de dommages-intérêts pour faute commise par son ex conjoint lors de l'élaboration de la convention ;

Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes présentées de ces chefs par Mme X..., l'arrêt attaqué se borne à énoncer qu'elles remettraient en cause la convention définitive homologuée par le jugement de divorce ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée contre les sociétés Seibu department store, Ilona gestion et Saison Nederland BV, l'arrêt rendu le 10 mars 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

  • Position actuelle
    • Bien que la deuxième chambre civile ne se soit pas prononcée récemment sur la question, la doctrine considère que c’est la position de la première chambre civile qui l’a emporté.
    • Sa solution a d’ailleurs été réitérée à de nombreuses reprises
    • Dans un arrêt du 22 février 2005, elle a une nouvelle fois jugé, dans les mêmes termes qu’en 2001, que « si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu’une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs omis dans l’état liquidatif homologué» ( 1ère civ., 22 févr. 2005)
    • Dans un arrêt du 30 septembre 2009, la première chambre civile a adopté la même solution en reprenant le même attendu de principe : « si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu’une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs ou de dettes communes omis dans l’état liquidatif homologué» ( 1ère civ. 30 sept. 2009)

Cass. 1ère civ. 30 sept. 2009
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Vu l'article 279 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 et l'article 887 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, ensemble les articles 1477, 1478 et 1485 du code civil ;

Attendu que si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu'une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs ou de dettes communes omis dans l'état liquidatif homologué ;

Attendu qu'un jugement du 12 septembre 2000 a prononcé le divorce de M. X... et de Mme Y... sur leur requête conjointe et a homologué la convention définitive portant règlement des conséquences pécuniaires du divorce ; qu'aux termes de cette convention, signée en mai 2000, les époux se sont partagés le remboursement de différents prêts, sans tenir compte d'un acte notarié du 24 août 2000 par lequel ils avaient renégocié avec leur banque des "prêts consommations au CIN et chez Cofidis" ; que, reprochant à son ancienne épouse de ne pas avoir respecté ses engagements, M. X... l'a fait assigner le 28 octobre 2004 devant le tribunal de grande instance pour la voir condamner à lui rembourser les dettes communes mises à sa charge tant par la convention définitive homologuée que par la convention notariée du 24 août 2000, dont il s'était acquitté postérieurement au divorce ; que M. X... a en outre sollicité que soit ordonnée la vente aux enchères publiques d'un immeuble sis à Cernay, appartenant indivisément aux anciens époux, omis dans la convention définitive ;

Attendu que pour débouter M. X... de ses demandes et ordonner que les parties règlent le sort de la ou des dettes, ainsi que de l'immeuble commun, omis dans la convention définitive, par une nouvelle convention soumise au contrôle du juge et renvoyer à cette fin les parties devant le juge aux affaires familiales, l'arrêt attaqué énonce que si M. X... soutient et rapporte la preuve qu'une dette de communauté a été omise lors de l'établissement de la convention devant régler tous les effets du divorce et que le sort de l'immeuble de communauté, ainsi que les conséquences de son occupation par Mme Y..., postérieurement au prononcé du divorce, n'ont pas davantage été pris en considération dans la convention définitive, les demandes présentées par chacune des parties sont de nature à modifier considérablement l'économie de la convention définitive qui a été homologuée par le jugement du 12 septembre 2000 et nécessitent une nouvelle convention soumise au contrôle du juge ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 décembre 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

==> La révision de la prestation compensatoire

Bien que la convention de divorce soit intangible, l’article 279 du Code civil envisage la révision de la prestation compensatoire.

L’alinéa 3 de cette disposition prévoit que :

  • D’une part, les époux ont néanmoins la faculté de prévoir dans leur convention que chacun d’eux pourra, en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l’une ou l’autre des parties, demander au juge de réviser la prestation compensatoire.
  • D’autre part, les dispositions prévues aux deuxième et troisième alinéas de l’article 275 ainsi qu’aux articles 276-3 et 276-4 sont également applicables, selon que la prestation compensatoire prend la forme d’un capital ou d’une rente temporaire ou viagère.

Dans le silence de la convention, le débiteur d’une prestation compensatoire peut solliciter sa révision dans les conditions fixées par la loi.

La révision de la prestation compensatoire suppose toutefois de distinguer selon qu’elle est versée sous forme de capital ou de rente.

  • La révision de la prestation compensatoire versée sous forme de capital
    • L’article 275 al. 2 du Code civil autorise le débiteur d’une prestation compensatoire à demander la révision de ces modalités de paiement en cas de changement important de sa situation.
    • Lorsqu’elle est versée sous forme de capital la prestation compensatoire ne pourra donc faire l’objet d’une révision que dans ses modalités de paiement.
    • Son montant ne peut pas être revu à la baisse ou à la hausse.
    • Tout au plus, le débiteur peut obtenir un échelonnement du versement sur une durée totale supérieure à huit ans, mais ce à titre très exceptionnel.
    • Pour ce faire, deux conditions doivent être remplies
      • Il faut un changement important de la situation du débiteur
      • Le juge devra alors spécialement motiver sa décision.
  • La révision de la prestation compensatoire versée sous forme de capital
    • La règle est posée à l’article 276-3 du Code : « la prestation compensatoire fixée sous forme de rente peut être révisée, suspendue ou supprimée en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l’une ou l’autre des parties».
    • Lorsqu’elle est versée sous forme de rente, la prestation compensatoire peut également faire l’objet d’une révision
    • Cette révision peut se traduire de trois manières différentes :
      • Révision du montant de la rente
      • Suspension du versement de la rente
      • Suppression du versement de la rente
    • Plusieurs conditions doivent être remplies pour que la prestation compensatoire versée sous forme de rente puisse être révisée
      • La révision ne peut être décidée par le juge que s’il constate un changement important de la situation du débiteur ou inversement de la situation du créancier.
      • L’article 276-3 se réfère, tant aux besoins du créancier de la prestation compensatoire qu’aux ressources de son débiteur.
    • Par ailleurs, il est précisé à l’alinéa 2 de l’article 276-3 que « la révision ne peut avoir pour effet de porter la rente à un montant supérieur à celui fixé initialement par le juge».
    • Autrement dit, si révision de la rente il y a, elle ne pourra se faire qu’à la baisse ; jamais à la hausse.
    • Enfin, il est à noter que le débiteur de la prestation compensatoire versée sous forme de rente peut, à tout moment, demander sa substitution par le versement d’un capital
    • L’article 276-4 dispose que « le débiteur d’une prestation compensatoire sous forme de rente peut, à tout moment, saisir le juge d’une demande de substitution d’un capital à tout ou partie de la rente. La substitution s’effectue selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat».

==> La révision des mesures prises à la faveur des enfants

L’article 373-2-13 du Code civil prévoit que les dispositions contenues dans la convention homologuée ou dans la convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d’un notaire ainsi que les décisions relatives à l’exercice de l’autorité parentale peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge, à la demande des ou d’un parent ou du ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non.

Il appartiendra alors au juge de statuer sur le sort des enfants selon les articles 373-2-6 et suivants du Code civil

==> La remise en cause de convention de divorce par les tiers

L’article 1104 du Code de procédure civile prévoit que les créanciers de l’un et de l’autre époux peuvent faire déclarer que la convention homologuée leur est inopposable en formant tierce opposition contre la décision d’homologation dans l’année qui suit l’accomplissement des formalités mentionnées à l’article 262 du code civil, soit l’inscription du divorce en marge de l’état civil des époux.

Dans un arrêt du 13 mai 2015, la Cour de cassation a précisé que, pour être recevables à former tierce opposition, il appartient aux tiers de démonter :

  • D’une part, l’existence d’une fraude des droits du créancier
  • D’autre part, l’existence d’une collusion entre les époux

Cass. 1ère civ. 13 mai 2015
Vu leur connexité, joint les pourvois n° D 14-10. 501 et D 14-10. 547 ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° D 14-10. 547 :

Vu les articles 583 et 1104 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un jugement du 26 juin 2009 a prononcé le divorce par consentement mutuel des époux X...-B...et homologué leur convention en réglant les effets, ainsi que l'acte de liquidation partage de leur communauté établi le 29 avril 2009 ; que, le 24 juin 2010, Mme Y..., se prévalant d'une créance de dommages-intérêts contre M. X... à la suite d'une procédure pénale ayant, notamment, donné lieu à l'ouverture d'une information le 21 avril 1994 et à un jugement de condamnation du 29 avril 1999, a formé tierce opposition au jugement de divorce en ce qu'il a homologué la convention de partage ; que M. A..., agissant en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de Mme Y...est intervenu à l'instance ;

Attendu que, pour déclarer inopposable à Mme Y...et à M. A..., ès qualités, la convention du 29 avril 2009, l'arrêt retient qu'il est manifeste que la liquidation de la communauté a été faite à l'insu de la créancière du mari et que la fraude résulte des circonstances rappelées qui ont présidé à la fixation des dommages-intérêts dus à celle-ci ;

Qu'en se bornant à se référer à la chronologie des décisions intervenues dans l'instance pénale à l'issue de laquelle M. X... a été déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamné à des dommages-intérêts, sans rechercher si, en concluant la convention homologuée par le juge du divorce, son épouse avait pu avoir conscience d'agir en fraude des droits du créancier de son mari et s'il y avait collusion des époux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

Et sur le moyen unique du pourvoi n° D 14-10. 501 :

Vu l'article 615 du code de procédure civile ;

Attendu qu'en raison de l'indivisibilité du litige la décision attaquée doit être annulée au regard de Mme B... comme de M. X... , de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le moyen du pourvoi formé par celui-ci ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré inopposable à Mme Y...et à M. A..., ès qualités, la convention de liquidation partage de la communauté des époux X...-B...établie le 20 avril 2009 et homologuée par jugement du 26 juin 2009, l'arrêt rendu le 23 octobre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

Le divorce par consentement mutuel homologué par un juge: conditions et procédure

==> Ratio legis

L’institution du divorce par consentement mutuel, grande innovation de la loi du 11 juillet 1975, a répondu à une profonde et ancienne demande de la société et à un immense besoin d’égalité de la femme dans le couple.

Surtout, il a permis aux époux de sortir des liens du mariage, sans avoir à prouver la faute de l’autre, ce qui a pu conduire à des situations de tensions extrêmes entre conjoints.

Librement négociés, les accords entre époux permettent de dégager des solutions mieux adaptées aux cas d’espèce ; mieux exécutés que des décisions judiciaires imposées, ils sont ainsi souvent le gage d’un après-divorce apaisé, particulièrement important lorsque sont impliqués des enfants.

Le succès du divorce par consentement mutuel a été immédiat et grandissant. Il représente aujourd’hui plus de la moitié des procédures.

La particularité de cette procédure est donc l’intervention du Juge. Lors de l’adoption de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 certains professionnels du droit avaient milité pour une déjudiciarisation totale du divorce par consentement mutuel, lorsqu’il n’y a, ni biens, ni enfants.

Toutefois, le législateur a préféré maintenir son rôle dans la procédure. Les parlementaires ont estimé que le contrôle du juge permettait de garantir effectivement la volonté librement exprimée de chacun des époux, l’équité des accords et le respect des intérêts de chacun.

C’est ainsi qu’en 2004, une procédure simplifiée a été instituée en remplacement de l’ancien divorce sur requête conjointe instauré par la loi du 11 juillet 1975.

L’innovation principale résulte de la suppression des deux phases de la procédure, le divorce étant prononcé à l’issue d’une seule audience.

Il en résulte que l’ensemble des conséquences de la séparation doit être réglé en amont de la saisine du juge, y compris la liquidation du régime matrimonial (article 1091 du nouveau code de procédure civile).

L’actuelle procédure de divorce par consentement mutuel homologué par un juge n’a pas été modifiée par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

Ce texte n’a fait qu’ajouter une variante au divorce par consentement mutuel, en offrant la possibilité aux époux de se passer du Juge.

==> Divorce par consentement mutuel judiciaire et divorce par consentement mutuel conventionnel

La procédure de divorce par consentement mutuel conventionnel se distingue du divorce par consentement mutuel judiciaire sur trois points.

  • Première différence
    • Il est fait obligation aux deux époux de prendre chacun un avocat.
    • Cette obligation est présentée comme une garantie pour les intéressés.
    • En effet, la partie la plus faible ne pourrait plus escompter que le juge veille à ses intérêts et refuse, comme l’article 232 du code civil lui en fait l’obligation, d’homologuer une convention qui préserve insuffisamment lesdits intérêts ou ceux de ses enfants.
  • Deuxième différence
    • La convention de divorce n’a plus à être homologuée par un juge.
    • Il suffit qu’elle soit signée par les parties, puis contresignée par leurs avocats, avant d’être ensuite déposée par ces derniers au rang des minutes d’un notaire.
    • Ce dépôt confère une date certaine à la convention et force exécutoire, ce qui évite alors à chacun des époux d’avoir à revenir devant le juge pour le faire exécuter en cas d’inexécution de la part de l’autre.
  • Troisième différence
    • La convention de divorce est soumise au respect de plusieurs exigences formelles :
      • des renseignements relatifs aux époux, à leurs enfants et à leurs avocats
      • des mentions relatives à l’accord des époux pour le divorce, les modalités de son règlement, pour tous ses effets, patrimoniaux et extra-patrimoniaux, ainsi qu’à l’état liquidatif éventuel du régime matrimonial.

==> Domaine d’application

Lors de l’adoption de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, il ressort des travaux parlementaires que ce nouveau cas de divorce a vocation à se substituer à la majorité des cas de divorce par consentement mutuel.

Plus encore, l’article 229 du Code civil peut désormais être lu comme érigeant au rang de principe le divorce par consentement mutuel conventionnel.

Il s’infère de sa rédaction que, ce n’est que par exception que le recours au Juge est envisagé.

À cet égard, la circulaire du 26 janvier 2017 confirme cette interprétation en indiquant que « le nouveau divorce par consentement mutuel extrajudiciaire n’est pas un divorce optionnel. »

Si donc les époux s’accordent sur le principe de la rupture du lien conjugal et l’ensemble des conséquences du divorce, la voie judiciaire du divorce par consentement mutuel ne leur est, sauf exception, désormais plus ouverte.

La voie du divorce par consentement mutuel judiciaire n’est possible que dans les deux cas d’exclusions énoncés à l’article 229-2 du Code civil.

==> Exclusions

En application de l’article 229-2 du Code civil, le recours au divorce par consentement mutuel conventionnel est expressément exclu dans deux cas :

  • Premier cas
    • Lorsque, l’enfant mineur, informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge, demande son audition par le juge
  • Second cas
    • Lorsque l’un des époux se trouve placé sous tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice.

De toute évidence, ces deux exclusions visent à protéger des personnes irréfragablement présumées comme faibles, dont les intérêts ne doivent pas être lésés.

En toute hypothèse, c’est désormais seulement par exception que la procédure de divorce par consentement mutuel judiciaire pourra être engagée.

I) Le principe

Aux termes de l’article 230 du Code civil « dans le cas prévu au 1° de l’article 229-2, le divorce peut être demandé conjointement par les époux lorsqu’ils s’entendent sur la rupture du mariage et ses effets en soumettant à l’approbation du juge une convention réglant les conséquences du divorce »

À l’instar du divorce par consentement mutuel contresigné par un avocat, le divorce par consentement mutuel judiciaire suppose que les époux soient d’accord sur tout.

Plus précisément, ils doivent être d’accord :

  • Sur le principe même de divorcer (rupture du lien conjugal)
  • Sur les effets du divorce (sort des biens et des enfants)

En cas de désaccord des époux sur l’un de ses deux points, ils n’auront d’autre choix que d’emprunter la voie du divorce contentieux.

Si, au contraire, les époux parviennent à s’entendre, leur accord doit être matérialisé par une convention réglant l’ensemble des conséquences du divorce.

Nouveauté introduite par la loi du 26 mai 2004, le divorce par consentement mutuel peut être demandé dans les six premiers mois de l’union, la condition tenant à l’existence d’une durée minimale du mariage ayant supprimé (abrogation du 3e alinéa de l’article 230).

II) Conditions

==> La capacité

Aux termes de l’article 249-4 du Code civil « lorsque l’un des époux se trouve placé sous l’un des régimes de protection prévus au chapitre II du titre XI du présent livre, aucune demande en divorce par consentement mutuel ou pour acceptation du principe de la rupture du mariage ne peut être présentée. »

Ainsi, pour être éligibles au divorce par consentement mutuel conventionnel il faut jouir de sa pleine et entière capacité juridique.

Plus précisément, il ne faut pas que l’un des époux fasse l’objet d’une mesure de protection.

L’article 425 du Code civil prévoit qu’une mesure de protection peut être instituée au bénéfice de « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté ».

Les mesures de protection sont au nombre de cinq :

  • La sauvegarde de justice
    • L’article 433 du Code civil prévoit que le juge peut placer sous sauvegarde de justice une personne qui a besoin d’une protection juridique temporaire ou d’être représentée pour l’accomplissement de certains actes déterminés.
    • Il s’agit de la mesure de protection la moins légère dans la mesure où la personne placée sous sauvegarde de justice conserve l’exercice de ses droits
  • La curatelle
    • Aux termes de l’article 440 du Code civil, la personne qui, sans être hors d’état d’agir elle-même, a besoin d’être assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile peut être placée en curatelle.
    • La curatelle n’est prononcée que s’il est établi que la sauvegarde de justice ne peut assurer une protection suffisante.
    • Il s’agit d’une mesure de protection intermédiaire, en ce sens que la personne placée sous curatelle perd la capacité d’exercer les actes de disposition les plus graves
  • La tutelle
    • L’article 440 du Code civil dispose que la personne qui doit être représentée d’une manière continue dans les actes de la vie civile, peut être placée en tutelle.
    • La tutelle n’est prononcée que s’il est établi que ni la sauvegarde de justice, ni la curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante.
    • Il s’agit de la mesure de protection la plus lourde, car elle prive son bénéficiaire de l’exercice de tous ses droits
  • Le mandat de protection future
    • L’article 477 du Code civil prévoit que toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle ou d’une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter pour le cas où, pour l’une des causes prévues à l’article 425, elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts.
    • À la différence de la sauvegarde de justice, de la curatelle et de la tutelle qui sont prononcées par le Juge, le mandat est conclu par acte notarié ou par acte sous seing privé.
    • Il s’agit donc d’une mesure de protection conventionnelle et non judiciaire
  • L’habilitation familiale
    • Aux termes de l’article 494-1 du Code civil lorsqu’une personne est hors d’état de manifester sa volonté, le juge des tutelles peut habiliter une ou plusieurs personnes choisies parmi ses ascendants ou descendants, frères et sœurs ou, à moins que la communauté de vie ait cessé entre eux, le conjoint, le partenaire auquel elle est liée par un pacte civil de solidarité ou le concubin à la représenter ou à passer un ou des actes en son nom.
    • L’habilitation familiale ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217,219,1426 et 1429, ou par les stipulations du mandat de protection future conclu par l’intéressé.

Au bilan, dès lors que l’un des époux fait l’objet de l’une des mesures de protection précitées, la voie du recours au divorce par consentement mutuel judiciaire est fermée.

==> Le consentement

L’article 232, al. 1er du Code civil dispose que « le juge homologue la convention et prononce le divorce s’il a acquis la conviction que la volonté de chacun des époux est réelle et que leur consentement est libre et éclairé. »

Il ressort de cette disposition que le consentement des époux est le pilier central du divorce par consentement mutuel.

Le Juge ne pourra homologuer la convention que s’il constate que les époux s’entendent sur la rupture du mariage et ses effets

Pour qu’il y ait accord, encore faut-il qu’ils y aient consenti.

Ainsi, revient-il au juge de s’assurer que la volonté des époux est réelle et que leur consentement est éclairé.

Toutefois, dès lors qu’il estime respectées la réalité, la liberté et la persistance des consentements, il ne peut mettre en cause l’accord de principe des époux quant au divorce, dont par ailleurs il n’a pas à connaître les causes.

III) Procédure

A) La requête

==> Présentation de la requête

La demande est formée par une requête unique des époux (article 1089 CPC).

L’article 250 du Code civil prévoit que la demande peut être présentée :

  • Soit par les avocats respectifs des parties
  • Soit par leur avocat choisi d’un commun accord

==> Contenu de la requête

À peine d’irrecevabilité, la requête doit remplir un certain nombre de conditions de forme (art. 1090 CPC).

  • La requête comporte
    • Des mentions relatives aux époux
      • Les nom, prénoms, profession, résidence, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des époux
      • La date et le lieu de leur mariage
      • Les mêmes indications, le cas échéant, pour chacun de leurs enfants
      • Les renseignements prévus à l’article 1075, soit les informations relatives à la caisse d’assurance maladie à laquelle ils sont affiliés, les services ou organismes qui servent les prestations familiales, les pensions de retraite ou tout avantage de vieillesse ainsi que la dénomination et l’adresse de ces caisses, services ou organismes.
    • L’indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;
    • Le nom des avocats chargés par les époux de les représenter, ou de celui qu’ils ont choisi à cet effet d’un commun accord.
    • La date et la signature de chacun des époux et de leur avocat.
  • La requête ne comporte pas
    • Les faits à l’origine de la demande
    • En matière de divorce par consentement mutuel, ce qui importe c’est le consentement des époux
    • Aussi, les circonstances de la rupture n’intéressent pas le Juge dont le rôle se limitera au contrôle de la réalité du consentement des époux et à la préservation de leurs intérêts respectifs
    • Quand bien même une faute serait imputable à l’un des époux, le juge n’a donc pas vocation à en tenir compte

==> Documents annexés à la requête

Là encore à peine d’irrecevabilité, la requête doit être assortie de documents annexes énumérés par les articles 1075-1 et 1091 du Code de procédure civile.

  • Le formulaire d’information de l’enfant mineur demandant à être entendu daté et signé par lui
    • Pour être éligibles au divorce par consentement mutuel conventionnel, les époux doivent, au préalable, avoir consulté leurs enfants mineurs.
    • Le législateur a prévu que la consultation de l’enfant se fait au moyen d’un formulaire.
    • Ce formulaire visé à l’article 1144 du Code de procédure qui prévoit que « l’information prévue au 1° de l’article 229-2 du code civil prend la forme d’un formulaire destiné à chacun des enfants mineurs, qui mentionne son droit de demander à être entendu dans les conditions de l’article 388-1 du même code ainsi que les conséquences de son choix sur les suites de la procédure. »
    • Le formulaire d’information poursuit un double objectif :
      • donner aux enfants les informations pratiques pour assurer l’exercice effectif de leur droit
      • permettre aux avocats ainsi qu’au notaire de vérifier l’effectivité de l’information du mineur
    • Dans l’hypothèse où l’enfant mineur décide à être entendu, la voie du divorce par consentement mutuel conventionnel est fermée à ces parents.
  • La convention de divorce
    • Sur la forme
      • Il s’agit de la convention de divorce qui doit porter règlement de toutes les conséquences du divorce.
      • Cette convention inclut
        • Soit un état liquidatif du régime matrimonial
        • Soit la déclaration qu’il n’y a pas lieu à liquidation
      • La convention doit être datée et signée par chacun des époux et leur avocat
    • Sur le fond
      • Le sort des biens
        • Il est régi par l’état liquidatif qui doit être passé en la forme authentique devant notaire lorsque la liquidation porte sur des biens soumis à publicité foncière
        • Plus généralement, l’état liquidatif doit comporter
          • La répartition de l’actif
          • La répartition du passif
          • L’octroi de récompenses
      • Le sort des enfants
        • L’article 373-2-7 prévoit qu’il appartient aux parents d’organiser les modalités d’exercice de l’autorité parentale et de fixer la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (pension alimentaire
        • Le juge homologuera la convention sauf s’il constate qu’elle ne préserve pas suffisamment l’intérêt de l’enfant ou que le consentement des parents n’a pas été donné librement
      • La prestation compensatoire
        • L’article 278 du Code civil prévoit que les époux fixent le montant et les modalités de la prestation compensatoire dans la convention établie par acte sous signature privée contresigné par avocats ou dans la convention qu’ils soumettent à l’homologation du juge.
        • Ils peuvent prévoir que le versement de la prestation cessera à compter de la réalisation d’un événement déterminé.
        • La prestation peut prendre la forme d’une rente attribuée pour une durée limitée.
        • L’alinéa 2 précise néanmoins que le Juge peut toutefois, refuser d’homologuer la convention si elle fixe inéquitablement les droits et obligations des époux.
  • Une déclaration sur l’honneur en cas d’octroi d’une prestation compensatoire
    • L’article 1075-1 du Code de procédure civile prévoit que lorsqu’une prestation compensatoire est demandée au juge ou prévue dans une convention, chaque époux produit la déclaration sur l’honneur
    • À cet égard, l’article 272 du Code civil précise que dans le cadre de la fixation d’une prestation compensatoire, par le juge ou par les parties, ou à l’occasion d’une demande de révision, les parties fournissent au juge une déclaration certifiant sur l’honneur l’exactitude de leurs ressources, revenus, patrimoine et conditions de vie

Chaque document doit être daté et signé par chacun des époux et leur avocat. Toutes ces dispositions sont édictées à peine d’irrecevabilité (article 1091 CPC).

L’irrecevabilité porte tant sur l’absence d’un document que sur le non-respect des dispositions de forme prévues.

==> Dépôt de la requête

L’article 1092 du Code de procédure civile prévoit que le juge aux affaires familiales est saisi par la remise au greffe de la requête, qui vaut conclusions.

Ainsi, la requête doit-elle être adressée au greffe du Tribunal de grande instance

B) L’audition du mineur

La voie du divorce par consentement mutuel judiciaire n’est ouverte aux époux qu’en cas de demande d’audition formée par un enfant mineur.

La demande d’audition rouvre la voie judiciaire du divorce par consentement mutuel quelle que soit la décision du juge sur la demande d’audition.

==> La demande d’audition

  • Le moment de la demande
    • La demande d’audition du mineur peut être formée à tout moment de la procédure jusqu’au dépôt de la convention de divorce au rang des minutes d’un notaire.
    • Dès qu’une telle demande est formée, le divorce ne peut se poursuivre sur le fondement de l’article 229-1 du code civil.
    • Les époux peuvent alors :
      • soit engager une procédure de divorce par consentement mutuel judiciaire dans les conditions visées aux articles 230 à 232 du code civil et 1088 à 1092 du code de procédure civile, la requête devant alors être accompagnée du formulaire de demande d’audition en plus des pièces actuellement exigées à l’article 1091
      • soit introduire une requête contentieuse en divorce.
  • La forme de la demande
    • Lorsque le mineur demande à être auditionné par le Juge, la situation est régie par l’article 1148-2 du code de procédure civile qui renvoie aux articles 1088 à 1092 du même code, soit aux règles procédurales relatives au divorce judiciaire par consentement mutuel.
    • Les époux pourront ainsi faire le choix, dans le cadre du divorce par consentement mutuel judiciaire, d’être assisté par un seul conseil.
    • La requête devant le juge aux affaires familiales comprend à peine d’irrecevabilité outre la convention de divorce et l’état liquidatif ou la déclaration qu’il n’y a pas lieu à liquidation.
    • Les époux sont en conséquence convoqués à l’audience devant le juge aux affaires familiales aux fins d’homologation de leur convention de divorce après l’audition du mineur ou refus d’audition par le juge.

==> Le déroulement de l’audition

Le juge peut réaliser lui-même l’audition ou désigner une personne pour y procéder. Le mineur peut être assisté par un avocat, choisi ou spécialement désigné, ou par la personne de son choix.

Le compte-rendu de l’audition est soumis au principe du contradictoire. Tout comme dans les autres procédures, le juge aux affaires familiales peut refuser d’entendre le mineur s’il estime que celui-ci n’est pas capable de discernement. Les motifs du refus doivent être mentionnés dans la décision.

C) L’audience

==> Convocation des époux

L’article 1092 du Code de procédure civile prévoit que, après l’audition de l’enfant mineur, le juge procède à deux formalités :

  • Il convoque chacun des époux par lettre simple expédiée quinze jours au moins avant la date qu’il fixe pour leur audition
  • Il avise le ou les avocats.

==> L’examen de la demande des époux

Le jour fixé, il examine la demande avec chacun des époux, puis les réunit. Il appelle ensuite le ou les avocats.

Après avoir vérifié la recevabilité de la requête (article 1099 CPC), il doit s’assurer que la volonté des époux est réelle et que leur consentement est libre et éclairé (article 232 alinéa 1 C. civ.).

Au cours de l’audience, il peut faire supprimer ou modifier les clauses de la convention qui lui paraissent contraires à l’intérêt des enfants ou de l’un des époux (article 1099 alinéa 2 CPC).

Toutefois, il ne peut le faire qu’avec l’accord des parties, recueilli en présence de leur avocat.

Dans l’hypothèse d’une modification de la teneur de la convention au cours de l’audience, une attention toute particulière doit être appelée sur la concordance des termes entre la convention ainsi modifiée et l’acte liquidatif éventuellement joint.

S’il s’agit d’un acte notarié, le prononcé du divorce ne peut intervenir qu’après la mise en conformité de cet acte par le notaire, ce qui implique que le juge ne peut homologuer la convention sans avoir laissé un délai aux parties pour le faire modifier.

Lorsque les conditions prévues à l’article 232 du code civil sont réunies, le juge homologue la convention réglant les conséquences du divorce.

Le prononcé du divorce s’effectue dans la même décision.

D) L’homologation de la convention

Trois hypothèses doivent être distinguées

  1. L’homologation pure et simple

Il peut être procédé à l’homologation pure et simple de la convention de divorce lorsque le Juge :

  • D’une part, s’est assuré que la volonté des époux est réelle et que leur consentement est éclairé
  • D’autre part, a vérifié que la convention préserve suffisamment les intérêts des époux et des enfants

Après avoir accompli ces vérifications, le juge homologue la convention réglant les conséquences du divorce.

Le prononcé du divorce s’effectue dans la même décision.

2. L’homologation précédée de modifications et suppressions

L’article 1099, al. 2 du Code civil autorise le juge à modifier ou supprimer certaines clauses de la convention de divorce si elles lui paraissent contraires à l’intérêt des enfants ou de l’un des époux.

Cette immixtion du juge dans l’accord conclu entre les parties est subordonnée à la satisfaction de deux conditions cumulatives :

  • L’accord des époux
  • La présence du ou des avocats

Si ces deux conditions sont remplies, le Juge rend alors sur-le-champ un jugement par lequel il homologue la convention et prononce le divorce.

3. Le refus d’homologation

==> Motifs du refus

L’article 232 du code civil prévoit que le juge peut refuser d’homologuer la convention et ne pas prononcer le divorce s’il constate que les intérêts des enfants ou de l’un des époux sont insuffisamment préservés.

Il refusera également de prononcer le divorce s’il a un doute sur la réalité du consentement d’un époux

==> Ordonnance d’ajournement

Si le juge refuse d’homologuer la convention, il rend sur-le-champ une ordonnance et ajourne sa décision sur le prononcé du divorce jusqu’à présentation d’une nouvelle convention (article 1100 CPC).

Il informe alors les époux à l’audience que celle-ci devra être présentée avant l’expiration d’un délai de six mois.

L’ordonnance porte mention à la fois de ce délai et de l’information qui a été donnée oralement.

Elle précise, en outre, les conditions ou les garanties auxquelles seront subordonnés l’homologation de la nouvelle convention et, en conséquence, le prononcé du divorce.

==> Mesures provisoires

  • Principe
    • L’ordonnance d’ajournement comprend, le cas échéant, les mesures provisoires homologuées par le juge (article 1100 CPC).
    • L’objectif est de permettre, dans ce cas particulier, l’organisation judiciaire de la séparation des époux, en garantissant leurs droits respectifs ainsi que la protection de l’intérêt des enfants.
    • L’article 250-2 du code civil précise les modalités d’une telle homologation.
  • Les mesures envisageables
    • Peuvent être homologuées les mesures provisoires que le juge peut prendre lors de l’audience de conciliation prévue pour les autres cas de divorce.
    • Sont donc concernées, au sens de l’article 254 du même code, toutes les mesures nécessaires pour organiser l’existence des époux et celle des enfants jusqu’à la date à laquelle le jugement passe en force de chose jugée.
  • Exigence d’un accord des époux
    • Les pouvoirs du juge en matière de consentement mutuel ne peuvent être identiques à ceux qui lui sont conférés dans les autres cas de divorce.
    • En conséquence, sont exclusivement concernées les mesures que les parties s’accordent à prendre.
  • L’homologation des mesures
    • La forme de l’homologation étant libre, le juge peut faire mention des mesures provisoires homologuées directement dans l’ordonnance d’ajournement.
    • Il peut également homologuer les mesures prises par les parties dans un document annexé à l’ordonnance.
    • À défaut d’accord entre les parties ou si le juge estime que les mesures proposées ne sont pas conformes à l’intérêt du ou des enfants, la décision d’ajournement sera cependant prise sans homologation de mesures provisoires, celle-ci n’étant aucunement imposée par les textes.
    • Lorsque le juge refuse d’homologuer les mesures provisoires, il doit motiver sa décision.

==> Procédure postérieure à la décision d’ajournement

Les époux disposent d’un délai de six mois à compter du prononcé de la décision d’ajournement pour déposer une nouvelle convention (article 250-2 C. civ.).

Ce délai est suspendu en cas d’appel (article 1101 CPC).

Deux cas de figure doivent alors être distingués :

  • Premier cas de figure
    • Aucune convention n’est déposée dans le délai imparti.
    • Le juge constate alors d’office par ordonnance la caducité de la demande en divorce (article 1101 al. 2 CPC).
  • Second cas de figure
    • Les parties déposent une nouvelle convention dans le délai légal.
    • Elles sont alors convoquées par lettre simple expédiée quinze jours au moins avant la date fixée pour leur audition.
    • À l’audience, soit le juge accepte cette nouvelle convention, l’homologue, et prononce le divorce, soit il refuse une nouvelle fois de l’homologuer.
    • Dans ce dernier cas, il rend une ordonnance constatant la caducité de la demande en divorce (article 1101 al. 3 CPC).
    • Il n’est donc pas possible d’ordonner un second ajournement.

E) Les voies de recours

  • Le jugement de divorce
    • L’appel
      • L’article 1102 du Code de procédure civile prévoit que la décision qui prononce le divorce est insusceptible d’appel.
      • Cette solution se justifie par l’existence d’un accord conclu entre les parties
    • Le pourvoi
      • Le jugement de divorce est susceptible de pourvoi en cassation dans les quinze jours de son prononcé (article 1103 CPC).
      • L’article 1086 précise que :
        • D’une part, le délai de pourvoi en cassation suspend l’exécution de la décision qui prononce le divorce.
        • D’autre part, que le pourvoi en cassation exercé dans ce délai est également suspensif.
      • Toutefois, l’article 1087 al. 2 du Code de procédure civile apporte un tempérament à l’effet suspensif du pourvoi.
      • Cette disposition prévoit, en effet, que l’effet suspensif qui s’attache au pourvoi en cassation ainsi qu’à son délai ne s’applique pas aux dispositions de la décision ou de la convention homologuée qui concernent :
        • les pensions
        • la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant
        • l’exercice de l’autorité parentale.
      • Il est donc apparu indispensable, pendant le délai du pourvoi en cassation et son éventuel exercice, de prévoir le maintien de mesures permettant d’organiser la vie des époux ainsi que celle des enfants.
  • L’ordonnance d’ajournement
    • L’appel
      • L’ordonnance qui refuse l’homologation de la convention et entérine le cas échéant des mesures provisoires est susceptible d’appel ( 1102 CPC)
      • Le délai d’appel est de quinze jours
      • Il commence à courir à compter de la date de la décision
    • Le pourvoi
      • L’arrêt rendu par la Cour d’appel est susceptible de faire l’objet d’un pouvoir dans le délai ordinaire de 2 mois prévu par l’article 612 du Code de procédure civile

F) La délivrance de la copie exécutoire du jugement

Jusqu’au 1 er janvier 2005, l’article 862 du Code général des impôts conditionnait la délivrance de la copie exécutoire du jugement de divorce rendu sur requête conjointe à l’acquittement préalable des droits d’enregistrement.

Cette exigence, limitée au divorce gracieux, pouvait avoir pour conséquence de priver d’effet le prononcé du divorce sur le seul motif du défaut de paiement des droits fiscaux.

Aussi, la loi du 26 mai 2004 a modifié les dispositions du Code Général des Impôts et supprimé cette condition.

Le régime applicable en la matière est désormais unifié, quel que soit le cas de divorce : la délivrance des copies exécutoires des jugements de divorce par consentement mutuel est donc possible même si les formalités d’enregistrement n’ont pas été exécutées.

G) Les dépens de l’instance

L’article 1105 du Code de procédure civile prévoit que les dépens de l’instance sont partagés par moitié entre les époux.

Toutefois, leur convention peut en disposer autrement sous réserve de l’application des dispositions de l’article 123-2 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 lorsque l’un des époux bénéficie de l’aide juridictionnelle.

Cette dernière disposition prévoit que la convention de divorce ne peut mettre à la charge de la partie bénéficiaire de l’aide juridictionnelle plus de la moitié des dépens de cette instance.

IV) Les effets du divorce

A) Le principe d’intangibilité de la convention

==> Énoncé du principe

Il ressort de plusieurs textes que la convention de divorce est indissociable du jugement qui prononce le divorce :

  • L’article 1099 du Code de procédure civile prévoit que le Juge « rend sur-le-champ un jugement par lequel il homologue la convention et prononce le divorce. »
  • L’article 279 dispose encore que « la convention homologuée a la même force exécutoire qu’une décision de justice»
  • L’article 232 prévoit quant à lui que « le juge homologue la convention et prononce le divorce »

La jurisprudence déduit de ces textes qu’il existe une indivisibilité de l’homologation de la convention avec la décision qui prononce le divorce.

Il en résulte que, à l’instar d’un jugement, elle est pourvue de l’autorité de la chose jugée ce qui lui confère son intangibilité. Autrement dit, elle ne peut plus être attaquée par les époux.

Sur ce point, elle se distingue d’un contrat soumis au droit commun, en ce que les parties peuvent toujours revenir dessus en cas de commun accord.

Tel n’est pas le cas de la convention de divorce qui, une fois homologuée par le juge, ne peut plus être supprimée, ni révisée

Dans un arrêt du 6 mai 1987 la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « le prononcé du divorce et l’homologation de la convention définitive ont un caractère indissociable et ne peuvent plus être remis en cause hors des cas limitativement prévus par la loi »

Cass. 2e civ. 6 mai 1987
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Lyon, 14 février 1985), qu'un jugement, non frappé de voies de recours, a prononcé le divorce des époux X... sur leur requête conjointe et homologué la convention définitive portant réglement des conséquences du divorce ; que Mme X..., estimant être victime d'une lésion dans cette convention, en a demandé la rescision ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré cette action irrecevable, alors que, d'une part, la convention portant règlement des effets du divorce pourrait être dissociée du jugement prononçant celui-ci, et, n'étant pas irrévocable, pourrait faire l'objet d'une action en rescision pour lésion, et alors que, d'autre part, en considérant qu'en l'absence de clause stipulant l'égalité du partage, celui-ci pouvait être présumé inégal, ce qui rendrait irrecevable l'action en rescision pour lésion, la cour d'appel aurait violé les articles 1476 et 887 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient à bon droit que le prononcé du divorce et l'homologation de la convention définitive ont un caractère indissociable et ne peuvent plus être remis en cause hors des cas limitativement prévus par la loi ;

Que par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

  • Faits
    • Prononcé d’un divorce sur requête conjointe par un arrêt de la Cour d’appel de Lyon le 14 février 1985
  • Demande
    • Action en rescision pour lésion contre une convention d’homologation introduite par une épouse.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 14 février 1985 la Cour d’appel de Lyon déboute l’appelante de sa demande.
    • Pour les juges du fond, l’action de l’épouse est irrecevable dans la mesure où le prononcé du divorce et l’homologation de la convention sont indissociables.
    • Or un jugement bénéficie de l’autorité de la chose jugée.
  • Solution
    • La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’épouse
    • Pour la deuxième chambre civile la convention réglant les effets du divorce devient, dès lors qu’elle a été homologuée par le juge, intangible.
    • Autrement dit, elle ne peut plus être attaquée
    • La Cour de cassation pose ici le principe d’intangibilité de la convention réglant les effets du divorce

==> Applications

Le principe d’intangibilité de la convention de divorce conduit à écarter un certain nombre d’actions :

  • Les actions en nullité de la convention
    • La question ici se pose de savoir si, en cas de non-respect d’une condition de validité de la convention de divorce, elle peut faire l’objet d’une annulation
    • La jurisprudence répond par la négative à cette question, au motif que le principe d’intangibilité de la convention prévaut
    • Peu importe donc le fondement invoqué par l’un des époux (contrariété à l’ordre public, vices du consentement ou encore irrégularité formelle) : l’action en nullité est irrecevable
  • Les actions en complément de part
    • Il s’agit de l’hypothèse où un époux aurait été lésé dans le partage des biens
    • Dès lors, est-il recevable à engager une action aux fins de rétablir l’équilibre qui a été rompu volontairement ou involontairement ?
    • L’article 889 du Code civil prévoit que dans le cadre d’opérations de partages prévues par la loi, lorsque l’un des copartageants établit avoir subi une lésion de plus du quart, le complément de sa part lui est fourni, au choix du défendeur, soit en numéraire, soit en nature.
    • Pour apprécier s’il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l’époque du partage.
    • L’action en complément de part se prescrit par deux ans à compter du partage.
    • Pour les mêmes raisons que celles qui président à l’irrecevabilité de l’action en nullité, l’action en complément de parts ne saurait être accueillie lorsqu’elle est dirigée contre la convention de divorce.
    • Le principe d’intangibilité de cette convention y fait obstacle.
    • Cette solution a notamment été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 3 mars 2010.

Cass. 1re civ., 3 mars 2010
Sur le moyen unique :

Attendu que M. X... et Mme Y... ont contracté mariage le 3 octobre 1998 sous le régime de la séparation de biens ; qu'en 1999, ils ont acquis en indivision, chacun pour moitié, un terrain situé à Saint-Pierre de la Réunion sur lequel ils ont fait édifier une maison ; qu'un jugement du 3 mars 2003 a prononcé leur divorce sur requête conjointe et homologué la convention définitive par laquelle ils fixaient à 335 387 euros la valeur de l'immeuble bâti acquis durant le mariage et prévoyaient de maintenir ce bien en indivision pour une durée de deux ans renouvelable ; que par acte sous-seing privé du même 3 mars 2003, les époux sont convenus de la vente des droits indivis de M. X... sur l'immeuble à Mme Y... pour un prix de 167 693,50 euros ; que cet acte stipulait que la vente serait réitérée par acte authentique au plus tard le 15 février 2005 ; que M. X... ne s'étant pas présenté devant le notaire pour la réitération de l'acte, Mme Y... l'a fait assigner devant le tribunal de grande instance en déclaration judiciaire de vente ; que pour s'opposer à cette demande, M. X... a fait valoir que le prix fixé dans la promesse de vente était lésionnaire et a sollicité une expertise de la valeur du bien ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 19 août 2008) d'avoir déclaré irrecevable l'action en rescision pour lésion de l'acte du 3 mars 2003, dit que la vente par M. X... à Mme Y... d'une parcelle bâtie sise à Saint-Pierre pour un prix de 167 693,50 euros était parfaite et dit que le jugement tiendrait lieu d'acte authentique en vue des formalités de publicité foncière, alors, selon le moyen, que l'impossibilité de remettre en cause la convention définitive homologuée par le jugement de divorce sur demande conjointe ne concerne que le partage opéré par cette convention ; qu'ainsi en l'espèce où la convention définitive prévoyait le maintien dans l'indivision de l'immeuble litigieux, la cour d'appel, en déclarant irrecevable l'action en rescision pour lésion exercée contre une convention séparée contenant une promesse de cession par M. X... à Mme Y... de sa part indivise dans l'immeuble, non homologuée par le juge, a violé les articles 279 et 888 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a rappelé que le caractère indissociable du prononcé du divorce sur demande conjointe et de la convention définitive ne permettait aucune modification des modalités de cette dernière en dehors des cas prévus aux anciens articles 279 et 292 du code civil, a constaté par motifs propres et adoptés, d'abord, que la convention définitive homologuée comportait un chapitre intitulé "liquidation" consacré au sort de l'immeuble litigieux par lequel les époux fixaient la valeur du bien à la somme de 335 387 euros et établissaient une convention d'indivision régissant leurs droits quant à ce bien ; puis, que par acte du 3 mars 2003, les parties convenaient de la vente des droits indivis de M. X... sur l'immeuble au profit de Mme Y... pour un montant conforme à celui fixé par la convention définitive ; encore, que cet acte était antérieur au divorce puisqu'il était soumis à la condition suspensive du prononcé du divorce ; en outre, que les débats permettaient d'établir qu'il s‘agissait en réalité de trouver un statut juridique à l'immeuble permettant à la fois aux époux d'obtenir le divorce et de se ménager le bénéfice de la défiscalisation à laquelle ce bien ouvrait droit à condition qu'il ne soit pas cédé avant un délai de cinq années après son achèvement ; enfin, que les dispositions de la convention définitive relatives à l'immeuble litigieux, et notamment celle stipulant sa valeur, étaient indissociables de l'ensemble de la convention, elle-même indissociable du jugement de divorce, le consentement des époux étant dépendant du contenu de la convention définitive ; que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire que la convention définitive ne pouvait être remise en cause sans remettre en cause le consentement des époux et que dès lors l'action en rescision pour lésion de plus du quart du compromis de vente du 3 mars 2003, était irrecevable ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Le recours en révision
    • Le recours en révision est régi aux articles 593 et suivants et Code de procédure civile
    • Il tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit.
    • En raison de son caractère dérogatoire au droit commun, ce recours ne peut être exercé que dans des cas très restreints
    • L’article 595 prévoit ainsi que le recours en révision n’est ouvert que pour l’une des causes suivantes :
      • S’il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ;
      • Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d’une autre partie ;
      • S’il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ;
      • S’il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement.
    • Dans tous ces cas, le recours n’est recevable que si son auteur n’a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu’il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.
    • Le délai du recours en révision est de deux mois.
    • Le recours en révision peut-il être exercé dans l’hypothèse où l’homologation de la convention de divorce aurait été obtenue en fraude des droits de l’un des époux ?
    • La Cour de cassation a répondu par la négative à cette question en se fondant, à encore, sur le principe d’intangibilité de la convention.
    • Dans un arrêt du 5 novembre 2008, elle a affirmé que « mais attendu qu’ayant retenu à bon droit que le prononcé du divorce et l’homologation de la convention définitive ont un caractère indissociable, la cour d’appel en a exactement déduit l’irrecevabilité du recours en révision partielle du jugement prononçant le divorce sur requête conjointe en ses seules dispositions relatives au partage des biens» ( 1ère civ., 5 nov. 2008).

==> Cas particulier des actions en interprétation

L’action en interprétation vise à solliciter les lumières du juge sur une clause imprécise ou ambiguë de la convention

Il ne s’agit pas ici pour le Juge de revenir sur la décision rendue.

Son intervention a pour seul but d’apporter un éclairage sur les termes de la convention de divorce aux fins de permettre son exécution.

Dans la mesure où cette action ne heurte pas le principe d’intangibilité, elle est admise par la jurisprudence (C. en ce sens Cass. 1ère civ., 5 févr. 2002)

Cass. 1ère civ., 5 févr. 2002
Sur le pourvoi formé par M. Dominique André Yves X..., demeurant ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 6 mai 1999 par la cour d'appel de Caen (1e chambre civile et commerciale), au profit :

1 / de Mme Françoise Marcelle Jeanne Y..., divorcée, Boudin, demeurant "La Houssaye", 61160 Mont Ormel,

2 / de la société Cétélem, société anonyme à directoire, dont le siège est ...,

défenderesses à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 18 décembre 2001, où étaient présents : M. Renard-Payen, conseiller doyen faisant fonctions de président, Mlle Barberot, conseiller référendaire rapporteur, M. Jean-Pierre Ancel, conseiller, Mme Collet, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mlle Barberot, conseiller référendaire, les observations de Me Foussard, avocat de M. X..., les conclusions écrites de M. Sainte-Rose, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu que M. X..., qui a fait opposition à l'ordonnance lui ayant fait injonction de payer le solde d'un prêt contracté avec son épouse pendant le mariage depuis dissous par divorce pour financer des travaux sur un véhicule, a appelé celle-ci en garantie pour qu'elle soit condamnée à supporter la moitié de la condamnation prononcée au profit du prêteur ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Caen, 6 mai 1999) d'avoir rejeté cette demande, alors, selon le moyen :

1 / qu'en l'espèce, le prêt a été souscrit solidairement par M. et Mme X... ; que M. X... avait donc un recours contre Mme Y... à concurrence de la part incombant à cette dernière ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 1214 du Code civil ;

2 / que la circonstance que, lors de la convention définitive conclue entre les époux à l'occasion du divorce, le véhicule ait été attribué à M. X..., qui ne concerne que la répartition des actifs, n'avait aucune incidence sur le recours dont disposait M. X... ; qu'à cet égard, les juges du fond ont violé l'article 1214 du Code civil ;

3 / qu'en se fondant sur la convention définitive conclue à l'occasion du divorce, bien que cette convention n'ait comporté aucune stipulation s'agissant de la charge du prêt, les juges du fond, qui ont ajouté a la convention de divorce, en ont dénaturé les termes ;

Mais attendu qu'après avoir admis la recevabilité de l'appel en garantie formée contre la femme qui était obligée à la dette en sa qualité de co-emprunteuse, la cour d'appel, qui a relevé, par une interprétation que les termes imprécis de la convention définitive de divorce rendaient nécessaire, qu'il entrait dans l'intention des époux que celui qui était attributaire du véhicule en supporte les charges, a souverainement estimé que le mari devait seul contribuer à la dette ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

B) Les limites au principe d’intangibilité de la convention

Le principe d’intangibilité de la convention de divorce n’est pas sans limites. Il est des situations qui permettent, tantôt aux parties, tantôt aux tiers de revenir sur ce qui a été jugé ou de compléter le dispositif.

==> L’omission d’un bien ou d’une dette

La question s’est posée en jurisprudence du sort d’un bien ou d’une dette omis lors de l’établissement de l’état liquidatif.

Une fois homologuée, la convention de divorce est, par principe, intangible, de sorte que les époux ne peuvent plus solliciter sa révision.

Est-ce à dire que le bien ou la dette omis ne peut plus faire l’objet d’un partage ?

La première et la deuxième chambre civile se sont longtemps opposées sur la réponse à apporter à cette question.

  • La position de la deuxième chambre civile
    • Dans un arrêt du 18 mars 1992, elle a considéré que, en application du principe d’intangibilité de la convention de divorce, un bien omis ne pouvait pas être intégré, postérieurement à l’homologation, dans la composition du patrimoine commun ( 2e civ. 18 mas 1992).
    • Pour la deuxième chambre civile, cela revient à modifier sans l’accord des parties, la convention définitive devenue irrévocable et violé le texte susvisé
    • Ainsi, aurait-il fallu conclure une nouvelle convention aux côtés de l’accord homologué

Cass. 2e civ. 18 mas 1992
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 279 du Code civil ;

Attendu que la convention homologuée a la même force exécutoire qu'une décision de justice ; qu'elle ne peut être modifiée que par une nouvelle convention entre les époux ;

Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué, qu'un jugement a prononcé le divorce des époux X... sur leur requête conjointe, et homologué leur convention définitive ; que M. X... a fait assigner son ex-épouse pour faire juger qu'un immeuble ne figurant pas sur la convention constituait un bien propre et régulariser une déclaration de remploi ;

Attendu que pour débouter M. X... de cette demande et dire que le bien était commun, l'arrêt énonce que l'omission de toute mention de ce remploi et des biens acquis à l'aide de celui-ci dans la convention définitive de partage peut résulter d'une simple erreur ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la convention définitive homologuée, qui ne faisait pas mention de l'immeuble litigieux dans l'actif commun, attribuait à Mme Y... une somme d'argent pour solde de tout compte de la communauté, la cour d'appel, en faisant entrer postérieurement cet immeuble dans la composition du patrimoine commun, a modifié, sans l'accord des parties, la convention définitive devenue irrévocable et violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 octobre 1990, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée

  • La position de la première chambre civile
    • Dans un arrêt du 3 juillet 1996 la première chambre civile a considéré quant à elle que, en cas d’omission d’un bien dépendant de la communauté conjugale dans l’état liquidatif du régime matrimonial des époux, joint à la convention définitive homologuée par le juge du divorce, la demande de partage complémentaire était recevable.
    • Pour la première chambre civile il n’y avait donc pas lieu de régulariser une nouvelle convention de divorce.
    • Cette solution a été réaffirmée dans un arrêt du 6 mars 2001 aux termes duquel, la Cour de cassation a affirmé, au visa de l’article 279 du Code civil que « si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu’une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs omis dans l’état liquidatif homologué, à l’application éventuelle des sanctions du recel et au paiement de dommages-intérêts pour faute commise par son ex conjoint lors de l’élaboration de la convention»

Cass. 1ère civ. 6 mars 2001
Attendu que les époux Y...-X... ont divorcé sur requête conjointe par jugement du 8 mars 1990, qui a homologué la convention définitive réglant les modalités de liquidation de leur communauté, comprenant notamment les actions des sociétés Y... SA et Y... boutique, évaluées à 110 000 000 francs ; qu'ayant appris ultérieurement que son ex mari avait vendu, pour la somme de 39 000 000 francs, au groupe Seibu department store, dont dépendent les sociétés Ilona gestion et Saison Nederland BV, des actions de la société JLS KK qui ne figuraient pas dans l'état liquidatif, Mme X... a demandé la condamnation de M. Y... à lui payer l'intégralité de la somme ainsi recelée ou, subsidiairement, la moitié de cette somme à titre de partage complémentaire, ainsi que sa condamnation solidaire avec les sociétés Seibu, Ilona et Saison au paiement de dommages-intérêts ; que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevables ces demandes ;

Sur le premier moyen : (Publication sans intérêt) ;

Sur le cinquième moyen : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur les deuxième, troisième et quatrième moyens, réunis :

Vu l'article 279 du Code civil ;

Attendu que si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu'une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs omis dans l'état liquidatif homologué, à l'application éventuelle des sanctions du recel et au paiement de dommages-intérêts pour faute commise par son ex conjoint lors de l'élaboration de la convention ;

Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes présentées de ces chefs par Mme X..., l'arrêt attaqué se borne à énoncer qu'elles remettraient en cause la convention définitive homologuée par le jugement de divorce ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée contre les sociétés Seibu department store, Ilona gestion et Saison Nederland BV, l'arrêt rendu le 10 mars 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

  • Position actuelle
    • Bien que la deuxième chambre civile ne se soit pas prononcée récemment sur la question, la doctrine considère que c’est la position de la première chambre civile qui l’a emporté.
    • Sa solution a d’ailleurs été réitérée à de nombreuses reprises
    • Dans un arrêt du 22 février 2005, elle a une nouvelle fois jugé, dans les mêmes termes qu’en 2001, que « si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu’une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs omis dans l’état liquidatif homologué» ( 1ère civ., 22 févr. 2005)
    • Dans un arrêt du 30 septembre 2009, la première chambre civile a adopté la même solution en reprenant le même attendu de principe : « si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu’une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs ou de dettes communes omis dans l’état liquidatif homologué» ( 1ère civ. 30 sept. 2009)

Cass. 1ère civ. 30 sept. 2009
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Vu l'article 279 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 et l'article 887 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, ensemble les articles 1477, 1478 et 1485 du code civil ;

Attendu que si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu'une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs ou de dettes communes omis dans l'état liquidatif homologué ;

Attendu qu'un jugement du 12 septembre 2000 a prononcé le divorce de M. X... et de Mme Y... sur leur requête conjointe et a homologué la convention définitive portant règlement des conséquences pécuniaires du divorce ; qu'aux termes de cette convention, signée en mai 2000, les époux se sont partagés le remboursement de différents prêts, sans tenir compte d'un acte notarié du 24 août 2000 par lequel ils avaient renégocié avec leur banque des "prêts consommations au CIN et chez Cofidis" ; que, reprochant à son ancienne épouse de ne pas avoir respecté ses engagements, M. X... l'a fait assigner le 28 octobre 2004 devant le tribunal de grande instance pour la voir condamner à lui rembourser les dettes communes mises à sa charge tant par la convention définitive homologuée que par la convention notariée du 24 août 2000, dont il s'était acquitté postérieurement au divorce ; que M. X... a en outre sollicité que soit ordonnée la vente aux enchères publiques d'un immeuble sis à Cernay, appartenant indivisément aux anciens époux, omis dans la convention définitive ;

Attendu que pour débouter M. X... de ses demandes et ordonner que les parties règlent le sort de la ou des dettes, ainsi que de l'immeuble commun, omis dans la convention définitive, par une nouvelle convention soumise au contrôle du juge et renvoyer à cette fin les parties devant le juge aux affaires familiales, l'arrêt attaqué énonce que si M. X... soutient et rapporte la preuve qu'une dette de communauté a été omise lors de l'établissement de la convention devant régler tous les effets du divorce et que le sort de l'immeuble de communauté, ainsi que les conséquences de son occupation par Mme Y..., postérieurement au prononcé du divorce, n'ont pas davantage été pris en considération dans la convention définitive, les demandes présentées par chacune des parties sont de nature à modifier considérablement l'économie de la convention définitive qui a été homologuée par le jugement du 12 septembre 2000 et nécessitent une nouvelle convention soumise au contrôle du juge ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 décembre 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

==> La révision de la prestation compensatoire

Bien que la convention de divorce soit intangible, l’article 279 du Code civil envisage la révision de la prestation compensatoire.

L’alinéa 3 de cette disposition prévoit que :

  • D’une part, les époux ont néanmoins la faculté de prévoir dans leur convention que chacun d’eux pourra, en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l’une ou l’autre des parties, demander au juge de réviser la prestation compensatoire.
  • D’autre part, les dispositions prévues aux deuxième et troisième alinéas de l’article 275 ainsi qu’aux articles 276-3 et 276-4 sont également applicables, selon que la prestation compensatoire prend la forme d’un capital ou d’une rente temporaire ou viagère.

Dans le silence de la convention, le débiteur d’une prestation compensatoire peut solliciter sa révision dans les conditions fixées par la loi.

La révision de la prestation compensatoire suppose toutefois de distinguer selon qu’elle est versée sous forme de capital ou de rente.

  • La révision de la prestation compensatoire versée sous forme de capital
    • L’article 275 al. 2 du Code civil autorise le débiteur d’une prestation compensatoire à demander la révision de ces modalités de paiement en cas de changement important de sa situation.
    • Lorsqu’elle est versée sous forme de capital la prestation compensatoire ne pourra donc faire l’objet d’une révision que dans ses modalités de paiement.
    • Son montant ne peut pas être revu à la baisse ou à la hausse.
    • Tout au plus, le débiteur peut obtenir un échelonnement du versement sur une durée totale supérieure à huit ans, mais ce à titre très exceptionnel.
    • Pour ce faire, deux conditions doivent être remplies
      • Il faut un changement important de la situation du débiteur
      • Le juge devra alors spécialement motiver sa décision.
  • La révision de la prestation compensatoire versée sous forme de capital
    • La règle est posée à l’article 276-3 du Code : « la prestation compensatoire fixée sous forme de rente peut être révisée, suspendue ou supprimée en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l’une ou l’autre des parties».
    • Lorsqu’elle est versée sous forme de rente, la prestation compensatoire peut également faire l’objet d’une révision
    • Cette révision peut se traduire de trois manières différentes :
      • Révision du montant de la rente
      • Suspension du versement de la rente
      • Suppression du versement de la rente
    • Plusieurs conditions doivent être remplies pour que la prestation compensatoire versée sous forme de rente puisse être révisée
      • La révision ne peut être décidée par le juge que s’il constate un changement important de la situation du débiteur ou inversement de la situation du créancier.
      • L’article 276-3 se réfère, tant aux besoins du créancier de la prestation compensatoire qu’aux ressources de son débiteur.
    • Par ailleurs, il est précisé à l’alinéa 2 de l’article 276-3 que « la révision ne peut avoir pour effet de porter la rente à un montant supérieur à celui fixé initialement par le juge».
    • Autrement dit, si révision de la rente il y a, elle ne pourra se faire qu’à la baisse ; jamais à la hausse.
    • Enfin, il est à noter que le débiteur de la prestation compensatoire versée sous forme de rente peut, à tout moment, demander sa substitution par le versement d’un capital
    • L’article 276-4 dispose que « le débiteur d’une prestation compensatoire sous forme de rente peut, à tout moment, saisir le juge d’une demande de substitution d’un capital à tout ou partie de la rente. La substitution s’effectue selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat».

==> La révision des mesures prises à la faveur des enfants

L’article 373-2-13 du Code civil prévoit que les dispositions contenues dans la convention homologuée ou dans la convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d’un notaire ainsi que les décisions relatives à l’exercice de l’autorité parentale peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge, à la demande des ou d’un parent ou du ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non.

Il appartiendra alors au juge de statuer sur le sort des enfants selon les articles 373-2-6 et suivants du Code civil

==> La remise en cause de convention de divorce par les tiers

L’article 1104 du Code de procédure civile prévoit que les créanciers de l’un et de l’autre époux peuvent faire déclarer que la convention homologuée leur est inopposable en formant tierce opposition contre la décision d’homologation dans l’année qui suit l’accomplissement des formalités mentionnées à l’article 262 du code civil, soit l’inscription du divorce en marge de l’état civil des époux.

Dans un arrêt du 13 mai 2015, la Cour de cassation a précisé que, pour être recevables à former tierce opposition, il appartient aux tiers de démonter :

  • D’une part, l’existence d’une fraude des droits du créancier
  • D’autre part, l’existence d’une collusion entre les époux

Cass. 1ère civ. 13 mai 2015
Vu leur connexité, joint les pourvois n° D 14-10. 501 et D 14-10. 547 ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° D 14-10. 547 :

Vu les articles 583 et 1104 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un jugement du 26 juin 2009 a prononcé le divorce par consentement mutuel des époux X...-B...et homologué leur convention en réglant les effets, ainsi que l'acte de liquidation partage de leur communauté établi le 29 avril 2009 ; que, le 24 juin 2010, Mme Y..., se prévalant d'une créance de dommages-intérêts contre M. X... à la suite d'une procédure pénale ayant, notamment, donné lieu à l'ouverture d'une information le 21 avril 1994 et à un jugement de condamnation du 29 avril 1999, a formé tierce opposition au jugement de divorce en ce qu'il a homologué la convention de partage ; que M. A..., agissant en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de Mme Y...est intervenu à l'instance ;

Attendu que, pour déclarer inopposable à Mme Y...et à M. A..., ès qualités, la convention du 29 avril 2009, l'arrêt retient qu'il est manifeste que la liquidation de la communauté a été faite à l'insu de la créancière du mari et que la fraude résulte des circonstances rappelées qui ont présidé à la fixation des dommages-intérêts dus à celle-ci ;

Qu'en se bornant à se référer à la chronologie des décisions intervenues dans l'instance pénale à l'issue de laquelle M. X... a été déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamné à des dommages-intérêts, sans rechercher si, en concluant la convention homologuée par le juge du divorce, son épouse avait pu avoir conscience d'agir en fraude des droits du créancier de son mari et s'il y avait collusion des époux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

Et sur le moyen unique du pourvoi n° D 14-10. 501 :

Vu l'article 615 du code de procédure civile ;

Attendu qu'en raison de l'indivisibilité du litige la décision attaquée doit être annulée au regard de Mme B... comme de M. X... , de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le moyen du pourvoi formé par celui-ci ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré inopposable à Mme Y...et à M. A..., ès qualités, la convention de liquidation partage de la communauté des époux X...-B...établie le 20 avril 2009 et homologuée par jugement du 26 juin 2009, l'arrêt rendu le 23 octobre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

La fin de non-recevoir comme sanction de la violation d’une clause de conciliation (Cass. 3e civ. 16 nov. 2017)

Par un arrêt du 16 novembre 2017, la troisième chambre civile confirme la nature de la sanction applicable en cas de violation d’une clause de conciliation.

  • Faits
    • Un maître d’ouvrage a fait construire, sous la direction d’un maître d’œuvre, deux maisons et une piscine par un entrepreneur
    • Lors la réception de la livraison, des réserves sont émises par le Maître d’ouvrage qui refuse de procéder au règlement de l’entrepreneur.
  • Demande
    • En réaction, ce dernier assigne en paiement le maître d’ouvrage qui appelle en garantie le maître d’œuvre, lequel soulève l’irrecevabilité de l’action, faute de saisine préalable du conseil régional de l’ordre des architectes ;
  • Procédure
    • Par un arrêt du 30 juin 2016, la Cour d’appel de Nîmes déclare la demande du maître d’ouvrage formulée contre le maître d’œuvre recevable.
    • Les juges du fond considèrent que le contrat qui stipulait qu’« en cas de litige portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire », il n’instituait pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, mais prévoyait simplement qu’une demande d’avis devait être adressée au conseil régional des architectes et que la fin de non-recevoir pouvait être régularisée en cours d’instance
  • Solution
    • Par un arrêt du 16 novembre 2017, la Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel.
    • Elle considère que « le moyen tiré du défaut de mise en œuvre de la clause litigieuse, qui instituait une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, constituait une fin de non-recevoir et que la situation donnant lieu à celle-ci n’était pas susceptible d’être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d’instance».
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, la violation d’une clause qui institue une procédure de conciliation obligatoire préalablement à la saisine du juge est sanctionnée par une fin de non-recevoir
    • Cette sanction avait été consacrée dans deux arrêts de la chambre mixte rendus le 14 février 2003.
    • Cette dernière avait estimé dans ces décisions « qu’il résulte des articles 122 et 124 du nouveau Code de procédure civile que les fins de non-recevoir ne sont pas limitativement énumérées ; que, licite, la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent».
    • Dans des décisions postérieures, la Cour de cassation avait toutefois précisé que cette clause de conciliation devait faire l’objet d’une interprétation restrictive.
    • La chambre commerciale avait estimé en ce sens dans un arrêt du 29 avril 2014 que « la clause contractuelle prévoyant une tentative de règlement amiable, non assortie de conditions particulières de mise en œuvre, ne constitue pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, dont le non-respect caractérise une fin de non-recevoir s’imposant à celui-ci »
    • Ainsi, pour constituer une fin de non-recevoir, la violation doit porter sur une clause fixant des modalités précises de règlement du litige.
    • En l’espèce, non seulement la Cour de cassation confirme la fin de non-recevoir comme sanction de la violation d’une clause de conciliation, mais encore elle considère que la clause litigieuse était suffisamment précise pour justifier le prononcé de cette sanction.
    • La troisième chambre civile ajoute que la mise en œuvre de la clause en cours de l’instance est insusceptible de couvrir l’irrégularité.
    • L’article 126 du Code de procédure civile est donc inapplicable en matière de violation d’une clause de non-conciliation.
    • Pour mémoire, cette disposition prévoit que « dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.»
    • Il en résulte que, à supposer que l’action ne soit pas prescrite, le maître d’ouvrage n’aura d’autre choix que d’invoquer la clause, après quoi seulement il pourra introduire une nouvelle action.

Cass. 3e civ. 16 nov. 2017
Sur le moyen unique :

Vu les articles 122 et 126 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 30 juin 2016), que M. X..., maître d'ouvrage, a fait construire, sous la maîtrise d'oeuvre de M. Y..., deux maisons et une piscine par M. Z..., entrepreneur ; que, après réception avec des réserves, celui-ci a assigné en paiement de la retenue de garantie et des travaux supplémentaires M. X..., qui a appelé en garantie M. Y..., lequel a soulevé l'irrecevabilité de l'action, faute de saisine préalable du conseil régional de l'ordre des architectes ;

Attendu que, pour déclarer recevable la demande du maître de l'ouvrage contre l'architecte, l'arrêt retient que l'article G10 du cahier des charges générales du contrat d'architecte, qui stipulait qu' « en cas de litige portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire », n'instituait pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, mais prévoyait simplement qu'une demande d'avis devait être adressée au conseil régional des architectes et que la fin de non-recevoir pouvait être régularisée en cours d'instance ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le moyen tiré du défaut de mise en œuvre de la clause litigieuse, qui instituait une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, constituait une fin de non-recevoir et que la situation donnant lieu à celle-ci n'était pas susceptible d'être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d'instance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du même code ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré recevable la mise en cause de M. Y..., l'arrêt rendu le 30 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

TEXTES

Code de procédure civile

Article 122

Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Article 126

Dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.
Il en est de même lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l’instance.

L’interprétation du contrat et le juge

En matière contractuelle, l’interprétation est l’opération qui consiste à conférer une signification à une clause du contrat.

En cours d’exécution, il est possible que la rédaction d’une ou plusieurs stipulations apparaisse maladroite, sibylline, voire incomplète, de sorte que la compréhension du contenu des obligations des parties s’en trouverait malaisée.

Aussi, conviendra-t-il d’interpréter le contrat, soit pour en élucider le sens, soit pour en combler les lacunes.

  • Dans le premier cas, il s’agira d’une interprétation explicative : la recherche de la signification du contrat devra être effectuée en considération de la volonté des parties
  • Dans le second cas, il s’agira de combler les lacunes du contrat : l’interprétation du juge deviendra alors créatrice, de sorte qu’il n’aura d’autre choix que de s’écarter de la volonté des parties et d’interpréter le contrat à la lumière de la loi, l’équité et les usages

1. L’interprétation explicative au nom de la volonté des parties

Lorsque le juge se livre à une interprétation explicative du contrat, son pouvoir est encadré par deux règles auxquelles il ne saurait déroger sous aucun prétexte, sous peine de censure par la Cour de cassation :

  • La recherche exclusive de la commune intention des parties
  • L’interdiction absolue de dénaturer le sens ou la portée de stipulations claires et précise

1.1 La recherche de la commune intention des parties

a. Principe

i. Principe cardinal

Aux termes de l’article 1188, al. 1er du Code civil « le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes. »

Cette disposition exprime l’objectif qui doit toujours être poursuivi par le juge lorsqu’il interprète le contrat : la recherche de l’intention des parties.

Aussi, est-ce la méthode subjective qui, lorsque cela est possible, doit toujours prévaloir sur toutes autres considérations.

Cela signifie donc que la recherche de la commune intention des parties doit primer :

  • d’une part, sur le sens littéral des termes du contrat
  • d’autre part, sur l’équité à laquelle le juge pourrait être tenté de succomber

Afin de parvenir à interpréter le contrat à la lumière de cette commune intention des parties qui ne sera pas toujours aisé de déceler, le législateur lui a adressé un certain nombre de directives complémentaires, énoncées aux articles 1189 à 1191 du Code civil.

ii. Directives complémentaires

?Première directive : l’interprétation en considération de la globalité du contrat ou de l’ensemble contractuel

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le contrat est conclu de manière isolée
    • Dans cette hypothèse, l’article 1189, al. 1er du Code civil prévoit que « toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier. »
    • Cela signifie que les stipulations contractuelles ne doivent pas être interprétées isolément en faisant abstraction de l’environnement contractuel dans lequel elles s’insèrent.
    • Chaque clause appartient à tout, en conséquence de quoi l’interprétation du contrat doit être envisagée de manière globale
    • Lorsque, dès lors, le juge se livre à l’interprétation d’une stipulation en particulier, il doit veiller à ce que la signification qu’il lui confère ne heurte pas la cohérence du contrat.
  • Le contrat appartient à un ensemble contractuel
    • L’ordonnance du 10 février 2016 a anticipé cette hypothèse en posant à l’article 1189, al. 2 du Code civil que « lorsque, dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci. »
    • Ainsi, c’est au regard de l’ensemble contractuel pris dans sa globalité que les contrats qui le composent doivent être interprétés.

?Deuxième directive : l’interprétation en considération de l’utilité de la clause

Aux termes de l’article 1191 du Code civil, « lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun. »

Cette directive adressée au juge relève manifestement du bon sens

À quoi bon donner un sens à une clause qui serait dépourvue d’effet au détriment d’une stipulation qui produirait un effet utile ?

Cette règle vise, manifestement, à remplacer celle posée par l’ancien article 1157 du Code civil qui prévoyait que « lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun »

Cet article était lui-même inspiré de l’adage « actus interpretandus est potius ut valeat quam ut pereat » : un acte doit être interprété plutôt pour qu’il produise un effet que pour qu’il reste lettre morte

?Troisième directive : l’interprétation en considération de la qualité d’une partie

Aux termes de l’article 1190 du Code civil « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé. »

Cette disposition est directement inspirée de l’ancien article 1162 du Code civil qui prévoyait que « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation »

À la différence de l’article 1162, l’article 1190 distingue désormais selon que le contrat est de gré à gré ou d’adhésion.

  • S’agissant du contrat de gré à gré
    • Il ressort de l’article 1190 que, en cas de doute, le contrat de gré à gré doit être interprété contre le créancier
    • Ainsi, lorsque le contrat a été librement négocié, le juge peut l’interpréter en fonction, non pas de ses termes ou de l’utilité de la clause litigieuse, mais de la qualité des parties.
    • Au fond, cette règle repose sur l’idée que, de par sa qualité de créancier, celui-ci est réputé être en position de force par rapport au débiteur.
    • Dans ces conditions, aux fins de rétablir l’équilibre, il apparaît juste que le doute profite au débiteur.
    • Il peut être observé que, sous l’empire du droit ancien, l’interprétation d’une clause ambiguë a pu conduire la Cour de cassation à valider la requalification de cette stipulation en clause abusive (Cass. 1er civ. 19 juin 2001, n°99-13.395).
    • Plus précisément, la première chambre civile a estimé, après avoir relevé que « la clause litigieuse, était rédigée en des termes susceptibles de laisser croire au consommateur qu’elle autorisait seulement la négociation du prix de la prestation [qu’en] affranchissant dans ces conditions le prestataire de services des conséquences de toute responsabilité moyennant le versement d’une somme modique, la clause litigieuse, qui avait pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, était abusive et devait être réputée non écrite selon la recommandation n° 82-04 de la Commission des clauses abusives ».
  • S’agissant du contrat d’adhésion
    • L’article 1190 du Code civil prévoit que, en cas de doute, le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé
    • Cette règle trouve la même justification que celle posée en matière d’interprétation des contrats de gré à gré
    • Pour mémoire, le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties (art. 1110, al. 2 C. civ.)
    • Aussi, le rédacteur de ce type de contrat est réputé être en position de force rapport à son cocontractant
    • Afin de rétablir l’équilibre contractuel, il est par conséquent normal d’interpréter le contrat d’adhésion à la faveur de la partie présumée faible.
    • Cette règle n’est pas isolée
    • L’article L. 211-1 du Code de la consommation prévoit que
      • D’une part, « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible. »
      • D’autre part, « elles s’interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur. Les dispositions du présent alinéa ne sont toutefois pas applicables aux procédures engagées sur le fondement de l’article L. 621-8. »
    • Dans un arrêt du 21 janvier 2003, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « selon ce texte applicable en la cause, que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel » (Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003, n°00-13.342 et 00-19.001)
    • Il s’agit là d’une règle d’ordre public.
    • La question que l’on est alors légitimement en droit de se poser est de savoir s’il en va de même pour le nouvel article 1190 du Code civil.

Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003

Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 133-2, alinéa 2, du Code de la consommation ;

Attendu, selon ce texte applicable en la cause, que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel ;

Attendu que le 26 juin 1984, M. X… a souscrit auprès de la compagnie Préservatrice Foncière assurances (PFA Vie) deux contrats d’assurance de groupe garantissant en cas de décès et d’invalidité permanente totale, le versement d’un capital ; qu’il a cédé, le même jour, le bénéfice de l’un des contrats à la société Union pour le financement d’immeubles de sociétés (UIS) ; que M. X…, atteint d’une sclérose en plaque, a cessé son activité professionnelle en 1994, a été placé en invalidité et a sollicité la mise en oeuvre des garanties contractuelles ; que s’étant heurté à un refus de la compagnie d’assurances faisant valoir qu’il ne remplissait pas la double condition prévue au contrat, il a fait assigner cette dernière, le 17 septembre 1996, devant le tribunal de grande instance ;

Attendu qu’il résulte des énonciations mêmes de l’arrêt attaqué qui a débouté M. X… de sa demande, que la clause définissant le risque invalidité était bien ambiguë de sorte qu’elle devait être interprétée dans le sens le plus favorable à M. X… ;

qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 26 janvier 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Agen ;

B. Tempérament

L’obligation de recherche pour le juge de la commune intention des parties n’est pas sans tempérament.

Il est des situations où faute de stipulations suffisamment claires et précises, les directives d’interprétation complémentaires ne lui seront d’aucun secours.

Le législateur a anticipé cette hypothèse en prévoyant à l’article 1188, al.2 que « lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation. »

Aussi, cette disposition autorise-t-elle le juge à s’écarter de la méthode d’interprétation subjective à la faveur de la méthode objective.

Plus précisément, lorsque la recherche de la commune intention des parties se heurte à l’ambiguïté du corpus contractuel, le juge peut se reporter à l’intention susceptible d’être prêtée à « une personne raisonnable » ?

Que doit-on entendre par « personne raisonnable »? Il s’agissait, autrefois, du bon père de famille. Cet élément posé, cela ne nous renseigne pas plus sur le sens de cette formule.

Quoi qu’il en soit, cette possibilité pour le juge de se reporter à l’intention d’une « personne raisonnable » est conditionnée par l’impossibilité de rechercher la commune intention des parties.

L’article 1188 du Code civil institue ainsi clairement une hiérarchie entre la méthode d’interprétation subjective et objective.

1.2 L’interdiction de dénaturer le sens et la portée de stipulations claires et précises

Aux termes de l’article 1192 du Code civil « on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation. »

Cette disposition doit être comprise comme posant une limite au pouvoir souverain d’interprétation des juges du fond en matière contractuelle : l’exercice du contrôle de la dénaturation par la Cour de cassation

?Le pouvoir souverain d’interprétation des juges du fond en matière d’interprétation

En principe, l’interprétation des contrats est une question abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond.

Cette règle se justifie par le fait que la Cour de cassation n’a pas vocation à connaître « du fond » des litiges. Or l’interprétation d’un contrat relève clairement d’une question de fond, sinon de fait.

La norme contractuelle ne produit, effectivement, qu’un effet relatif, en ce sens qu’elle ne s’applique qu’aux seules parties. Le contrat, bien qu’opposable aux tiers, ne crée aucune obligation à leur égard, sinon celle de ne pas faire obstacle à son exécution.

Il en résulte que l’on ne saurait voir dans l’interprétation de la norme contractuelle une question de droit, comme c’est le cas d’une règle d’application plus générale telle que, par exemple, une convention collective.

Dès lors, l’interprétation d’une stipulation obscure ou ambiguë échappe totalement au contrôle de la Cour de cassation, sauf à ce que les juges du fond aient dénaturé le sens du contrat.

?L’exercice du contrôle de la dénaturation par la Cour de cassation

Si donc l’interprétation des contrats est, en principe, une question de fait abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond pour les raisons précédemment évoquées, après quelques atermoiements (V. en ce sens notamment Cass. ch. réunies, 2 févr. 1808) la Cour de cassation s’est reconnu le droit de censurer les décisions qui modifient le sens de clauses claires et précises.

Dans un célèbre arrêt du 15 avril 1872, elle a ainsi jugé « qu’il n’est pas permis aux juges, lorsque les termes de ces conventions sont clairs et précis, de dénaturer les obligations qui en résultent, et de modifier les stipulations qu’elles renferment » (Cass. civ. 15 avr. 1872).

Autrement dit, il est fait défense aux juges du fond d’altérer le sens du contrat, sous couvert d’interprétation, pour des considérations d’équité, dès lors que les stipulations sont suffisamment claires et précises.

C’est là le sens de la règle qui a été consacrée à l’article 1192 du Code civil. Antérieurement à la réforme des obligations, cette règle avait pour fondement l’ancien article 1134, car elle n’est autre que l’émanation du principe de force obligatoire du contrat.

Parce que le contrat est intangible, la liberté du juge doit être limitée dès lors qu’il s’agit de conférer une signification à l’acte.

2. L’interprétation créatrice au nom de la loi, de l’équité et les usages

En cas de lacunes et de silence du contrat, il est illusoire de rechercher la commune intention des parties qui, par définition, n’a probablement pas été exprimée par elles.

Aussi, le juge n’aura-t-il d’autre choix que d’adopter la méthode objective d’interprétation, soit pour combler le vide contractuel, de se rapporter à des valeurs extérieures à l’acte, telles que l’équité ou la bonne foi.

Tel est le sens de l’article 1194 du Code civil qui prévoit que « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi. ». Il est manifestement formulé dans les mêmes termes que l’ancien article 1135 du Code civil.

En somme, cette disposition autorise le juge à découvrir des obligations qui s’imposent aux parties alors mêmes qu’elles n’avaient pas été envisagées lors de la conclusion du contrat : c’est ce que l’on appelle le forçage du contrat.

?Le forçage du contrat ou le pouvoir créateur du juge

L’histoire du droit civil moderne révèle que l’ancien article 1135, désormais 1194, a joué en rôle central dans l’évolution de la jurisprudence.

Son œuvre créatrice en matière contractuelle est, pour une large part, assise sur cette disposition qui permet au juge d’étendre le champ contractuel bien au-delà de ce qui était initialement prévu par les parties.

  • Exemple :
    • afin d’éviter à la victime d’un accident de transport de devoir prouver la faute du transporteur pour obtenir réparation, les tribunaux ont découvert dans le contrat de transport une obligation de sécurité, qualifiée de résultat.
    • La victime est, de la sorte, dispensée de rapporter la preuve d’une faute.
    • C’est ici clairement l’équité qui a fondé l’adjonction de cette obligation, alors même qu’elle n’était pas prévue au contrat.
    • Pour autant, la jurisprudence a estimé qu’elle n’en résultait pas moins de sa nature (Cass. civ. 21 nov. 1911)

Cass. civ. 21 nov. 1911

Sur l’unique moyen du pourvoi :

Vu l’article 1134 du Code civil ;

Attendu que des qualités et des motifs de l’arrêt attaqué, il résulte que le billet de passage remis, en mars 1907, par la Compagnie Générale Transatlantique à Y… Hamida X…, lors de son embarquement à Tunis pour Bône, renfermait, sous l’article 11, une clause, attribuant compétence exclusive au tribunal de commerce de Marseille pour connaître des difficultés auxquelles l’exécution du contrat de transport pourrait donner lieu ;

Qu’au cours du voyage, Y… Hamida, à qui la Compagnie avait assigné une place dans le sous-pont, à côté des marchandises, a été grièvement blessé au pied par la chute d’un tonneau mal arrimé ;

Attendu que, quand une clause n’est pas illicite, l’acceptation du billet sur lequel elle est inscrite, implique, hors les cas de dol ou de fraude, acceptation, par le voyageur qui la reçoit, de la clause elle-même ;

Que, vainement, l’arrêt attaqué déclare que les clauses des billets de passage de la Compagnie Transatlantique, notamment l’article 11, ne régissent que le contrat de transport proprement dit et les difficultés pouvant résulter de son exécution, et qu’en réclamant une indemnité à la Compagnie pour la blessure qu’il avait reçue, Y… agissait contre elle non “en vertu de ce contrat et des stipulations dont il lui imputait la responsabilité” ;

Que l’exécution du contrat de transport comporte, en effet, pour le transporteur l’obligation de conduire le voyageur sain et sauf à destination, et que la cour d’Alger constate elle-même que c’est au cours de cette exécution et dans des circonstances s’y rattachant, que Y… a été victime de l’accident dont il poursuit la réparation ;

Attendu, dès lors, que c’est à tort que l’arrêt attaqué a refusé de donner effet à la clause ci-dessus relatée et déclaré que le tribunal civil de Bône était compétent pour connaître de l’action en indemnité intentée par Y… Hamida contre la Compagnie Transatlantique ; Qu’en statuant ainsi, il a violé l’article ci-dessus visé.

Par ces motifs, CASSE,

Au nombre de ces obligations découvertes par la jurisprudence on compte notamment :

  • L’obligation de sécurité
  • L’obligation d’information
  • L’obligation de conseil
  • L’obligation de renseignement

S’agissant de l’œuvre créatrice des juges du fond, le contrôle de la Cour de cassation s’en trouve nécessairement renforcé.

La haute juridiction peut, sans aucune difficulté, censurer des tribunaux pour avoir découvert une obligation qu’elle n’entendait pas consacrer ou, au contraire, pour avoir refusé de reconnaître une obligation qu’elle souhaitait imposer.

Quoi qu’il en soit, cette faculté dont dispose le juge de découvrir des obligations non prévues par les parties, conduit à se demander ce qu’il reste du principe d’intangibilité des conventions.

Sous couvert d’équité, de loyauté ou encore de bonne foi, la jurisprudence a de plus en plus tendance à user de la technique du forçage du contrat afin d’en modifier les termes, ce qui, dans certains cas, est susceptible de produire les mêmes effets qu’une révision.

Qu’est-ce qu’une norme?

Une norme est tout à la fois à l’expression d’une signification (I) et l’expression d’une conjugaison (II).

I) L’expression d’une signification

Un instrument de mesure. Du latin, norma, équerre, règle, la norme est un instrument de mesure[1]. Elle est destinée à servir de référence, d’étalon[2], pour « tracer des lignes »[3]. Pour s’assurer que les traits qu’il trace forment un angle droit, le charpentier aura nécessairement besoin de s’appuyer sur un modèle[4]. C’est la fonction de l’équerre (la norma). L’opération qui consiste à manipuler une norme peut donc s’assimiler en l’action de mesurer, peser, juger. Il s’agit de confronter l’objet à évaluer avec l’instrument de mesure qu’est la règle. De cette confrontation naît une relation de conformité ou de non-conformité[5]. En somme, comme le précise Pascale Deumier, « la règle […] est l’instrument qui sert à aligner les comportements autour du modèle qu’elle fixe »[6]. Toutefois, à ne pas se tromper, la relation entre une norme et l’objet qu’elle évalue ne saurait être le fruit de n’importe quelle mesure. Elle ne peut porter que sur l’ordre dans lequel s’insèrent les choses, sur leur mouvement et non sur leur état, leur essence[7]. Pour Paul Amselek, les normes doivent être appréhendées comme des instruments qui donnent la mesure du « déroulement du cours des choses »[8]. Par « cours des choses », il faut entendre un fait, un évènement, au sens de ce qui se produit, ce qui arrive. Ainsi, est-il fait appel à une règle, chaque fois qu’il est besoin de juger la conduite d’un être humain[9] ou encore, d’apprécier un phénomène naturel. Peu importe que les modèles auxquels il est recouru pour effectuer ces mesures soient de différentes natures[10].

Une signification. Comme le souligne Dénys de Béchillon, « une norme ne se voit pas, elle se comprend»[11]. Pour qu’un commandement parvienne à un agent, il est absolument nécessaire, poursuit cet auteur, que l’agent visé en prenne connaissance. Or cela suppose de transmettre ce commandement par le biais d’un contenu comme des mots, phrases ou signes et d’insérer ce contenu dans un contenant, qui pourra prendre la forme d’une loi, d’un décret ou bien encore d’un arrêté. Il apparaît que ce n’est ni dans le contenant ni dans le contenu du message communiqué à l’agent que réside le commandement, mais dans la signification-même dudit message. C’est la raison pour laquelle, il doit être admis que « la norme est une signification, pas une chose »[12]. À ce titre, contrairement à ce que l’on peut être tenté de se représenter, elle se distingue de son énoncé. Une question alors se pose : par quoi, en dehors de l’énoncé, la signification que constitue la norme peut-elle être véhiculée ? La réponse est simple : il s’agit de tout ce qui est susceptible de faire l’objet d’une interprétation.

Le fruit d’une interprétation. Selon Michel Troper, l’interprétation, qui se définit comme l’« opération par laquelle une signification est attribuée à quelque chose », peut tout autant porter sur « un objet matériel » que sur « un énoncé »[13]. Plus généralement, l’interprétation peut avoir pour objet tout ce qui est perceptible par l’entendement humain. Et si, spontanément, l’on est tenté de voir les significations auxquelles on confère la qualité de norme, comme le produit d’actes d’interprétation ne portant que sur des énoncés, en réalité, cela est loin d’être toujours le cas. Dans les sociétés primitives, par exemple, les anthropologues ont montré que les règles qui régissent la conduite de leurs membres se confondaient avec une volonté divine. Or cette volonté divine est, toujours, le produit de l’interprétation de mythes et de croyances, le tout entremêlé de phénomènes naturels. De la même façon, les règles coutumières ne sont pas, pour l’essentiel, enfermées dans des énoncés. Elles s’apparentent, encore aujourd’hui, à des significations que l’on attribue à des pratiques répétées dans le temps. Tout ce qui est susceptible d’avoir du sens pour l’être humain peut donc être porteur de normes.

II) L’expression d’une conjugaison

« Être » et « devoir être ». Pour accéder au statut de norme, nombreux sont encore les obstacles à franchir. Pourquoi ? Parce que le terme de norme est utilisé pour désigner des réalités aussi différentes que peuvent l’être, par exemple, une huitre ou la théorie de la relativité générale. Schématiquement, les auteurs s’accordent à dire que les normes peuvent être regroupées en deux familles. Doivent être distinguées les normes à fonction descriptives, des normes à fonction prescriptive. Cette division[14] a, de tout temps, été envisagée par les grands penseurs[15]. Kelsen y fait référence lorsqu’il oppose le sein au sollen[16]. En différenciant le droit et la science du droit, Michel Troper s’y reporte également[17]. De la même manière, Paul Amselek s’appuie sur elle quand il distingue les normes directives, des normes scientifiques[18]. Celle-ci apparaît encore, lorsqu’est évoquée la dichotomie entre le fait et le droit[19] ou les sciences de la nature et les sciences sociales[20]. Malgré la différence de vocable et de formulation, toutes ces divisions renvoient à la même idée : les normes doivent être appréhendées différemment selon qu’elles relèvent de l’« être » ou du « devoir-être ». Il y a, selon le doyen Carbonnier, un « abîme infranchissable entre ces deux univers »[21]. Alors que les règles qui appartiennent à la famille de l’« être » se conjuguent à l’indicatif, celles qui font partie de la famille du « devoir-être » se conjuguent à l’impératif[22]. Et comme a pu le souligner le mathématicien Henri Poincaré : « un million d’indicatifs ne feront jamais un impératif »[23].

Le monde du « devoir être ». Les règles qui peuplent le monde du « devoir être » consistent dans le fait que quelque chose doit être (sollen). Selon Kelsen, « si A est, B doit être »[24]. A priori, les normes qui empruntent cette forme sont marquées du sceau de l’obligation. Par leur édiction est décrit un devoir – si infime soit-il – qui s’impose à son destinataire. Ces normes répondent à une structure bien particulière. Cette structure est gouvernée par un principe que Kelsen nomme l’imputation[25]. Les normes qui appartiennent au monde du devoir-être se décomposent nécessairement en deux éléments : le présupposé et la conséquence[26]. Plus précisément, ces règles consistent en l’énoncé d’une hypothèse (le présupposé) à laquelle sont attachés certains effets (la conséquence). L’imputation est le lien logique unissant les deux, de sorte que, si les conditions décrites dans le présupposé se réalisent, les conséquences définies par l’auteur de la norme doivent avoir lieu. Pour illustrer notre propos, prenons l’exemple du vol. Cet acte est unanimement réprouvé par les peuples, du moins, par ceux attachés au droit de propriété. En soi, aucune règle ne peut empêcher les agents de voler. L’adoption de cette conduite dépend, pour une large part, de la volonté du voleur[27]. La règle ne saurait agir sur lui, semblablement au marionnettiste qui, par l’action des fils de son fantoche, contrôle ses moindres faits et gestes. Ce que, en revanche, peut faire une norme, c’est adjoindre à ce présupposé, que constitue l’acte de voler, une conséquence comme la condamnation du délinquant, laquelle exprimera tout à la fois la désapprobation et la réponse sociale à cet acte malveillant[28]. Dans le cadre du devoir-être, la relation instituée par la norme entre le présupposé et la conséquence peut se traduire par la formule utilisée par Kelsen selon laquelle : « si A est, B doit être [ce qui] n’implique nullement que B sera réellement chaque fois que A sera »[29]. Il s’ensuit que, les règles qui relèvent du devoir-être, peuvent être, soit respectées, soit violées. Plus exactement, « pour qu’il s’agisse véritablement d’une norme [relevant du devoir-être], il faut qu’existe la possibilité d’une conduite non conforme »[30]. La réalisation des conditions posées par le présupposé n’entraîne pas nécessairement que l’auteur de la transgression soit frappé par les conséquences que prévoit la règle, à savoir, dans le cas du vol, d’une condamnation pénale. Il n’y a pas de relation de causalité entre le présupposé et la conséquence. C’est là, toute la différence avec les normes qui appartiennent au monde de l’être.

Le monde de l’« être ». Contrairement aux règles qui relèvent du devoir-être, ces dernières consistent dans le fait que quelque chose est. En d’autres termes, « si A est, B est »[31]. Cette forme, qu’endossent les normes de l’être, fait d’elles l’exact opposé des normes qui se conjuguent à l’impératif. Elles ne véhiculent aucune forme d’obligation. Ces normes ne font que décrire un « état certain, possible ou probable, dans lequel seront une chose, une situation ou un évènement si telles conditions sont remplies »[32]. Éclairons-nous d’un exemple. Lorsque la pomme se décroche de l’arbre, elle tombe. Bien qu’elle soit mûre ou qu’une bourrasque ait secoué la branche sur laquelle elle était accrochée, la pomme n’avait aucune obligation de tomber. Elle est venue heurter le sol sans qu’elle ait fait l’objet d’un quelconque ordre. Si la pomme est tombée, c’est parce que plus aucune force contraire – celle de la branche de l’arbre – ne s’opposait à ce que s’exerce sur elle la loi de la gravitation. Cette norme, qu’est la loi de Newton, ne commande pas à la pomme de tomber, elle décrit simplement le pourquoi de sa chute, soit le phénomène d’attraction de la terre sur tout corps positionné jusqu’à une certaine distance de sa surface. Comme l’a démontré Kelsen, au même titre que les normes qui relèvent du devoir-être, les normes qui appartiennent au monde de l’être, sont structurées de telle façon qu’elles « lient l’un à l’autre deux éléments »[33]. Ce lien dont il est question a, cependant, nous dit-il, « une signification radicalement différente »[34], selon que la norme qui l’énonce se conjugue à l’impératif, ou selon qu’elle se conjugue à l’indicatif. Dans le premier cas, il s’agira, nous l’avons vu, d’un lien d’imputation entre un présupposé et une conséquence. Dans le second, ce lien sera de nature causale, c’est-à-dire, qu’il unit une cause à son effet. Telle est la finalité des normes de l’« être » : décrire la causalité du mouvement des choses, leur survenance, l’ordre de leur déroulement. Si la pomme se décroche de l’arbre, elle tombe nécessairement. Ce phénomène est systématique et se répètera autant de fois que la branche de l’arbre ne sera plus en mesure supporter le poids de la pomme.

Lois de la nature et lois humaines. Il en résulte que les règles qui appartiennent au monde de l’être sont vraies ou fausses, mais, en aucune manière, ne peuvent être transgressées[35]. La pomme ne saurait violer la loi de la gravitation[36]. S’il s’avérait qu’elle ne tombait pas, cela signifierait simplement que le principe posé par Newton est faux. Il faudrait, par conséquent, que les scientifiques s’attellent à en élaborer un nouveau « à partir de l’observation du réel »[37]. C’est là, la marque des normes de l’être. Leur édiction ne procède jamais d’un acte de volonté ; elle repose toujours sur l’observation du cours des choses. D’aucuns en déduisent, qu’elles ne peuvent être que des lois de la nature[38]. Pour Kelsen, « la différence essentielle entre le principe de causalité et le principe d’imputation normative réside en ceci que la relation des évènements, dans le cas de la causalité, est indépendante d’un acte humain ou d’une volonté surhumaine tandis que le lien, dans les cas d’imputation, est issu d’un acte de volonté humaine […] »[39]. Autrement dit, si les normes sous-tendues par le couple cause-effet doivent être rangées parmi les lois naturelles, celles qui empruntent la structure présupposé-conséquence, sont des lois humaines. Alors que « la Nature […] sait seulement fabriquer de l’être »[40], l’Homme ne peut, quant à lui, produire que du « devoir-être »[41].

[1] Il peut être souligné que le mot norme est synonyme du terme règle. Ce dernier vient du latin regula qui, comme le nom commun norma signifie équerre. C’est pourquoi, nous emploierons indistinctement les deux mots. Toutefois, certains auteurs préfèrent les distinguer. Ainsi pour André Lalande, par exemple, « l’association entre norme et règle peut conduire à une véritable substitution d’un terme par l’autre dans l’ancienne ethnologie juridique qui reste dépendante de la dogmatique juridique » (A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, coll. « Quadrige », 1997, p. 270).

[2] V. en ce sens D. de Béchillon, op. cit. note 114, pp. 171 et s.

[3] P. Deumier, Introduction générale au droit, LGDJ, coll. « Manuel », 2011, p. 19.

[4] Le terme modèle vient du latin modus, mot qui signifie mesure.

[5] Cela n’est pas tout. De cette confrontation, naît également une valeur juridique, morale ou religieuse, selon la nature de la règle. Comme le souligne John Aglo, « en ce sens, la norme devient un moyen d’expression de la valeur d’un fait un d’un acte […]. Néanmoins, les jugements de valeur sont à distinguer des normes qui fondent les valeurs » (J. Aglo, Norme et Symbole : Les fondements philosophiques de l’obligation, L’Harmattan, 1998, p. 289).

[6] P. Deumier, op. préc., p. 19

[7] Comme le souligne le Professeur Amselek, « les normes mesurent la survenance au monde de choses, leur émergence, leur apparition, leur production dans le flux événementiel » de sorte qu’« elles s’opposent à une autre variété d’étalons psychique, les concepts, lesquels sont des modèles psychiques à contenu constitutionnel ou structurel ». Autrement dit, deux sortes de modèles doivent être distinguées. La première permet de juger de l’essence d’une chose en ce que cette chose peut être ou non identifiée comme telle selon la représentation que l’on s’en fait. Ce sont les idées abstraites. La seconde consiste quant à elle mesurer non pas l’état mais l’ordre dans lequel s’insèrent les choses, leur déroulement, leur mouvement (P. Amselek, « Norme et loi », in APD, vol. 25, 1980, p. 95).

[8] Ibid., p. 94.

[9] Pour la majorité des auteurs le modèle que pose la norme par excellence est une conduite. Ainsi pour François Gény les normes sont des « règles de conduite sociale » (F. Gény, La notion de droit en France, APDSJ, 1931, p. 16). Pour Kelsen, « le mot norme exprime l’idée que quelque chose doit être ou se produire, en particulier qu’un homme doit se conduire d’une certaine façon » (H. Kelsen, Théorie pure du droit, LGDJ, coll. « La pensée juridique », 1999, p. 13). Pour une critique de cette idée V. A. Jeammaud, « La règle de droit comme modèle », Dalloz., 1990, Chron., pp. 199 et s.

[10] Ainsi, Paul Amselek considère-t-il que les normes peuvent être d’une très grande variété. Pour cet auteur « toutes les normes ou règles constituent […] – quelles que soient les différences profondes qui peuvent séparer par ailleurs une catégorie de règles d’une autre – des modèles de trames événementielles, des modèles du surgissement de choses dans le flux événementiel, dans le cours de l’histoire : ainsi les règles de jeux donnent la mesure du développement de la partie, de ses péripéties […]. D’une espèce tout à fait différente, élaborées d’une manière tout à fait différente et remplissant une fonction tout à fait différente, les règles (ou lois) scientifiques donnent aussi la mesure du déroulement de faits naturels ou humains […] » (P. Amselek, art. préc., pp. 94-95).

[11] D. de Béchillon, op. cit. note 114, p. 166.

[12] Ibid., p. 167.

[13] M. Troper, « Interprétation », in Dictionnaire de la culture juridique, PUF, coll. « Quadrige », 2003, p. 843. V. également sur cette notion M. Troper, « Une théorie réaliste de l’interprétation », in La théorie du droit, le droit, l’État, PUF, coll. « Leviathan », 2001, p. 68 et s. ; M. Troper, « Le problème de l’interprétation et la théorie de la supra-légalité constitutionnelle », Mélanges Einsenmann, Cujas, 1975, p. 143 ; M. Troper, « Le positivisme comme théorie du droit », in C. Grzegorczyk, F. Michaut et M. Troper, le positivisme juridique, LGDJ, coll. « La pensée juridique moderne », 1993, p. 273 et s. ; Amselek (dir.) et alii, Interprétation et droit, Bruylant, 1995, 248 p.

[14] Vincenzo Ferrari parle de « Grande division » (V. Ferrari, « Réflexions relativistes sur le Droit », in Regards sur la complexité sociale et l’ordre légal à la fin du XXe siècle, Bruylant, 1997, p. 36).

[15] On pense notamment à Kant, Saint-Thomas d’Aquin, Aristote ou bien encore, parmi les juristes, à Kelsen, Roubier, ou Josserand.

[16] Pour Kelsen, « la différence entre Sein et Sollen, « être » et « devoir être » […] est donnée à notre conscience immédiate. Personne ne peut nier que l’assertion que ceci ou cela « est » – c’est l’assertion qui décrit un fait positif – est essentiellement différente de la proposition que quelque chose « doit être » – c’est l’assertion qui décrit une norme ; et personne ne peut nier que, du fait que quelque chose est, il ne peut suivre que quelque chose doive être, non plus qu’inversement de ce quelque chose doit être, il ne peut pas suivre que quelque chose est » (H. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit. note 203, p. 14).

[17] M. Troper, La philosophie du droit, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2003, p. 27.

[18] P. Amselek, art. cit. note 201, p. 96. Pour Paul Amselek « toutes les règles ou normes […] ne sont pas exclusivement des règles de conduite ou normes éthiques : il suffit de penser aux « lois » scientifiques » (P. Amselek, « Le droit, technique de direction publique des conduites humaines », Droits, 1989-10, pp. 7-10).

[19]V. en ce sens J. Carbonnier, Sociologie juridique, PUF, coll. « Quadrige Manuels, 2004, p. 286. V. également D. de Béchillon op. cit. note 114, pp. 232-233.

[20] Cette distinction est évoquée notamment par Kelsen qui avance qu’« en posant que le droit est norme […] et en limitant la science du droit à la connaissance et description de normes juridiques et des relations fondées par ces normes entre des faits qu’elles règlent, on trace la frontière qui sépare le droit de la nature, et la science du droit, en tant que science normative, de toutes les autres sciences qui visent à la connaissance de relations causales entre processus réels, ou, de fait. Ainsi, et ainsi seulement obtient-on un critérium sûr permettant de séparer sans équivoque société et nature, sciences sociales et de sciences de la nature » (H. Kelsen, op. cit. note 203., p. 83).

[21]Cet auteur parle également d’« antithèse absolue entre l’être et le devoir-être ». J. Carbonnier, op. cit. note 225, p. 286.

[22] Kelsen exprime cette idée en affirmant qu’un sein ne peut pas être confondu avec un sollen et inversement. H. Kelsen, op. cit. note 203, p. 14.

[23]Cité in N. Ar Poulantzas, Nature des choses et droit : essai sur la dialectique du fait et de la valeur, LGDJ, 1965, p. 294.

[24] H. Kelsen, op. cit. note 203, p. 85.

[25] Ibid.

[26] Ph. Jestaz, Le droit, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 2011, p. 18.

[27] Encore faut-il que cette volonté ne soit pas altérée, et que l’infraction puisse matériellement être commise. V. par ailleurs en ce sens Laurence Boy pour qui « dans la mesure où [les hommes] sont doués de volonté, les normes sont naturellement transgressables » (L. Boy, « Normes », RIDE, 1998, 115).

[28] On peut noter que la sanction à laquelle risque d’être condamnée le voleur ne constitue en aucune manière la conséquence que l’on impute au présupposé. Cette sanction a seulement pour finalité d’inciter les agents à observation de la règle.

[29] H. Kelsen, op. cit. 203, p. 85.

[30] Ibid., p. 17

[31] Ibid., pp. 14 et s.

[32] D. de Béchillon, op. cit. note 114, p. 189.

[33] H. Kelsen, op. cit. note 203, p. 85.

[34] Ibid.

[35] Pour Dénys de Béchillon, il convient cependant de nuancer cette affirmation. Selon cet auteur « la possibilité d’une conduite non conforme existe aussi dans le monde des sciences – toutes choses égales par ailleurs. Elle prend simplement une autre forme, et porte surtout des effets différents. Grosso modo, la violation d’une norme juridique s’opère sur le mode de la transgression, alors qu’une loi scientifique s’expose, lorsqu’elle n’est pas respectée à une réfutation, totale ou partielle. Violée, une norme juridique conserve normalement sa validité (c’est-à-dire son plein caractère de norme juridique), alors que la loi scientifique perd en principe la sienne (c’est-à-dire sa qualité descriptive, explicative ou prédictive). » (D. de Béchillon, op. cit. note 114, p. 188).

[36] Ainsi pour Franck Violet « le plus puissant des hommes ne peut aller à l’encontre de la plus simple des règles naturelles » (F. Violet, Articulation entre la norme technique et la règle de droit, PU Aix-Marseille, 2003, p. 32).

[37] P. Amselek, art. cit. note 201, p. 98.

[38] Les auteurs assimilent en ce sens les normes qui relèvent de l’être aux lois de la nature. Ainsi, pour Paul Amselek, en dehors des normes du devoir-être « toutes les autres sont les […] lois de la nature ». P. Amselek, art. cit. note 201, p. 97. V. également, P. Amselek, « Lois juridiques et lois scientifiques », Droits, 1987, n° 6, p. 131. Dans le droit fil de cette pensée, Kelsen oppose les « lois naturelles » aux normes qui relèvent du devoir-être (H. Kelsen, op. cit. note 203, p. 85).

[39] H. Kelsen, « Qu’est-ce que la théorie pure du droit ? », Droit & Société, 1992, p. 553.

[40] D. de Béchillon, op. cit. note n° 114, p. 196. Cet auteur poursuit en avançant que « ces prétendues lois de la Nature sont des constructions purement humaines et largement fantasmatiques au travers desquelles nous prêtons des aptitudes normatives à une Nature qui n’en possède pas » (D. de Béchillon, op. cit. note n° 114, p. 198).

[41] Soutenir le contraire reviendrait à assimiler l’homme à un dieu, ce qu’il n’est pas, bien évidemment. Au mieux, l’homme a le pouvoir d’interférer dans le déroulement du cours des choses. Il peut chercher à déjouer les effets de la loi de la causalité. Il ne peut cependant, ni la neutraliser, ni la modifier. La gravitation exercera toujours une force sur la pomme. Il s’ensuit qu’elle tombera, arrivée à maturité, inéluctablement de l’arbre, sans que la plus grande volonté humaine ne puisse rien y changer.