Le régime primaire impératif ou statut matrimonial de base: vue générale

==> Généralités

Le régime primaire impératif se compose de l’ensemble des règles formant le statut patrimonial de base irréductible du couple marié.

Par irréductible, il faut comprendre qu’il s’agit d’une base normative commune qui constitue le minimum d’association que doit faire naître l’union matrimoniale.

Ainsi que le relèvent des auteurs « on peut estimer qu’au même titre que les dispositions relatives aux effets personnels du mariage, les dispositions du régime primaire impératif constituent l’essence du mariage tant d’un point de vue symbolique et théorique (c’est le plus petit dénominateur commun de tous les mariages), que d’un point de vue pratique – dès lors que, le plus souvent, les effets patrimoniaux du mariage se résumeront à l’application des règles du régime primaire au quotidien bien d’avantage que celles des régimes matrimoniaux »[2].

Ce régime primaire impératif est donc envisagé aux articles 212 à 226 du Code civil dans un Chapitre VI consacré aux devoirs et aux droits respectifs des époux. Ce chapitre relève d’un Titre V, intitulé « Du mariage » qui appartient au Livre 1er du Code civil dont l’objet est l’appréhension « Des personnes ».

==> Notion

La terminologie « régime primaire » est empruntée aux motifs de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

Certains auteurs dénoncent cette terminologie, car empreinte d’ambiguïté en ce sens qu’elle suggérerait que le « régime primaire » serait autonome et donc appliqué uniquement à certains ménages, tandis que les autres seraient soumis à des régimes « secondaires »[3].

Tel n’est pourtant pas la réalité. Le régime primaire s’applique à tous les couples mariés, sans exceptions, les époux devant opter, pour compléter le statut patrimonial qui leur applicable, pour l’un des régimes matrimoniaux prévus par la loi.

Aussi, d’aucuns préfèrent à la terminologie régime primaire, la qualification de « statut patrimonial de base » ou encore plus sobrement de « statut fondamental ».

Ces formules sont, en tout état de cause, équivalentes et désignent le même corpus normatif, soit celui qui comprend l’« ensemble des règles primordiales à incidence pécuniaire, en principe impératives, applicables à tous les époux quel que soit leur régime matrimonial proprement dit (lequel, qu’il soit légal ou conventionnel, vient nécessairement se superposer à ce régime de base) et destinées à sauvegarder les fins du mariage, tout en assurant un pouvoir d’action autonome à chacun des époux, soit que ces règles puissent jouer d’elles-mêmes, soit qu’elles permettent l’intervention du juge »[4].

Pour les développements qui suivent, nous nous en tiendrons à la formule régime primaire, celle-ci demeurant, nonobstant les critiques dont elle fait l’objet, la plus communément employée.

==> Champ d’application

Par hypothèse, l’application du régime primaire est subordonnée à la satisfaction d’une condition : le mariage.

Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage et plus particulièrement de l’application du régime primaire.

Régulièrement, la Cour de cassation refuse de faire application de l’article 214 du Code civil qui régit la contribution aux charges du mariage pour régler la répartition des frais de fonctionnement de couples de concubins.

Dans un arrêt du 19 mars 1991, elle a, par exemple, jugé « qu’aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d’eux doit, en l’absence de volonté expresse à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a exposées » (Cass. 1ère civ. 19 mars 1991, n°88-19400).

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la Cour de cassation a encore estimé que l’article 220 du Code civil « qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en matière de concubinage » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°98-22836).

Le refus de faire bénéficier les concubins du régime primaire vient de ce que la famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage.

Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[5] et plus encore, comme son « acte fondateur »[6].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où la célèbre formule prêtée à Napoléon qui aurait dit que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ».

Il y a bien un texte les concernant s’ils viennent à rompre ; mais, celui-ci est tourné vers le mariage, puisque réglant la question de la restitution de la bague de fiançailles[7].

En outre, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civile de solidarité (pacs) a, certes, inséré à l’article 515-8 du Code civil une définition du concubinage[8]. Toutefois, cette définition n’est que symbolique : elle n’est assortie d’aucun droit, ni d’aucune obligation qui échoirait aux concubins[9].

Manifestement, où que l’on tourne son regard, il apparaît qu’aucun texte ne règle les rapports patrimoniaux entre concubins. Quant à la jurisprudence elle s’est toujours refusé à transposer au concubinage le régime primaire impératif qui demeure l’apanage des couples mariés.

Tout au plus, certaines règles de ce régime primaire s’appliquent aux partenaires, non pas par le jeu d’une transposition jurisprudentielle, mais par le biais d’une déclinaison à laquelle s’est livré le législateur lors de l’adoption des lois sur le Pacte civil de solidarité (pacs).

En effet, la rédaction d’un certain nombre de dispositions légales spécifiques au pacs est directement inspirée du régime primaire impératif à telle enseigne que d’aucuns parlent d’un « quasi-mariage »[10].

Tel est le cas notamment de l’article 515-4 du Code civil qui transpose, sensiblement dans les mêmes termes, les articles 214 et 220 qui relèvent du régime primaire, au pacs.

==> Caractères

La singularité du régime primaire tient à ses caractères qui font donc de lui le « statut fondamental des gens mariés »[11], soit un statut qui non seulement s’applique à tous les couples mariés, mais encore qui ne profite qu’à eux seuls, à l’exclusion donc des concubins et des partenaires.

Traditionnellement le régime primaire est présenté comme revêtant trois caractères qui le distinguent des régimes matrimoniaux qui se superposent à lui :

  • Des règles d’origine légale
    • Les règles qui composent le régime primaire sont toutes d’origine légale
    • Parce qu’il s’agit d’un régime qui s’applique à tous les couples mariés, les époux ne disposent pas de la faculté de l’aménager conventionnellement, tel qu’ils peuvent le faire s’agissant du régime matrimonial pour lequel ils ont opté.
  • Des règles d’ordre public
    • Le régime primaire présente cette particularité d’être exclusivement composé de règles d’ordre public, soit de dispositions auxquelles les époux ne peuvent pas déroger.
    • L’article 226 du Code civil prévoit en ce sens que « les dispositions du présent chapitre, en tous les points où elles ne réservent pas l’application des conventions matrimoniales, sont applicables, par le seul effet du mariage, quel que soit le régime matrimonial des époux. »
    • Ainsi, le régime primaire impératif prime sur les règles du régime matrimonial choisi par les époux.
    • Il s’agit là, en quelque sorte, d’un renversement du principe aux termes duquel les lois spéciales sont censées déroger aux lois générales (specialia generalibus derogant).
    • Cette inversion du principe se justifie par la nature même du mariage qui implique « un minimum d’association et d’interdépendance entre les époux»[12].
    • Autre conséquence de la primauté du régime primaire sur les régimes matrimoniaux, le principe de liberté des conventions matrimoniales est, par hypothèse, relatif.
    • Cette relativité du principe tient à l’impossibilité pour les époux d’aménager conventionnellement le régime matrimonial pour lequel ils ont opté en stipulant des clauses qui seraient contraires aux règles impératives du régime primaire.
    • Toute stipulation qui, par exemple, prévoirait que l’accomplissement d’un acte de disposition portant sur le logement de famille ne serait pas subordonné à l’accord des deux époux, serait réputée non écrite.
  • Des règles générales
    • Les règles qui composent le régime primaire présentent un caractère général, en ce qu’elles ont vocation à s’appliquer à tous les couples mariés, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis.
    • Il est indifférent que les époux aient opté pour le régime de la séparation de biens, de la communauté légale ou encore de la communauté réduite aux acquêts : dans tous les cas ils sont soumis aux règles du régime primaire.
    • Bien que générale, la portée du régime primaire ne doit toutefois pas être surestimée, celui-ci ne posant que les principes élémentaires du fonctionnement du ménage.
    • Dans son quotidien, le fonctionnement du couple marié engendre, en effet, la création d’obligations entre les époux mais également envers les tiers.
    • C’est essentiellement sur l’appréhension de ces obligations que se focalise le régime primaire impératif.

==> Genèse

L’étude des différentes réformes qui ont façonné le droit des régimes matrimoniaux tel qu’il est devenu aujourd’hui révèle que, lors de l’adoption du Code civil, ses rédacteurs n’avaient pas véritablement instauré de régime primaire.

Tout au plus, avait été instituée l’obligation de contribution aux charges du mariage. En dehors de cette obligation, le statut de base qui s’appliquait à l’ensemble des couples mariés se focalisait surtout sur les effets personnels du mariage.

À l’examen, c’est avec la reconnaissance progressive de l’égalité entre la femme mariée et son époux que le régime primaire impératif qui régi les conséquences pécuniaires de l’union matrimoniale a émergé.

À cet égard, plusieurs lois ont participé à cette émergence d’un statut patrimonial de base commun à tous les couples mariés :

  • La loi du 13 juillet 1907 a reconnu à la femme mariée le droit de percevoir ses salaires et ses gains professionnels et de les administrer avec cette possibilité de les affecter à l’acquisition de biens dits réservés.
  • La loi du 18 février 1938 a aboli l’incapacité civile de la femme mariée, celle-ci étant dorénavant investie de la capacité d’exercer tous les pouvoirs que lui conférerait le régime matrimonial auquel elle était assujettie
  • La loi du 22 septembre 1942 a notamment institué le mécanisme de la représentation conjugale, permettant ainsi à la femme mariée d’engager les biens du ménage auprès des tiers, ce qui revenait donc à reconnaître le mandat entre époux
  • La loi du 13 juillet 1965 est, de toute évidence, celle qui a engagé de façon significative la recherche d’une véritable égalité entre la femme mariée et son époux, ce en instaurant un régime primaire égalitaire applicable à l’ensemble des couples mariés.
  • La loi du 23 décembre 1985 est venue parachever la réforme engagée par le législateur en 1965 qui avait cherché à instaurer une égalité dans les rapports conjugaux. Plusieurs corrections ont notamment été apportées au régime primaire aux fins de gommer les dernières marques d’inégalité qui existaient encore entre la femme mariée et son époux

==> Principes directeurs

Les principes directeurs qui gouvernent le régime primaire impératif s’articulent autour de deux axes constitués de règles qui visent, d’une part, à assurer une interdépendance entre les époux tout en leur octroyant une certaine autonomie et, d’autre part, à traiter les situations de crise que le couple marié est susceptible de traverser.

  • L’interdépendance et l’autonomie des époux
    • L’élaboration du régime primaire impératif a donc été guidée par la volonté du législateur d’instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son mari.
    • Cette recherche d’égalité conjugale s’est traduite par l’instauration d’un savant équilibre entre, d’un côté l’édiction de règles visant à assurer une interdépendance entre les époux et, d’un autre côté, la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie.
      • S’agissant des règles qui assurent l’interdépendance des époux
        • L’édiction de règles qui visent à assurer une certaine interdépendance entre les époux procède de la finalité du mariage qui opère, outre l’union des personnes, une union des biens.
        • Cette union des personnes et des biens implique que les époux collaborent entre eux faute de quoi leur engagement formulé lors de la célébration du mariage de faire vie commune ne demeurerait qu’un vœu pieux.
        • La communauté de vie, telle qu’envisagée par le Code civil requiert un minimum d’association entre les époux qui, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, se sont obligés à mettre un commun des ressources matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.
        • Aussi, a-t-il été décidé par le législateur que ce minimum d’association patrimoniale devait reposer sur deux piliers que sont :
          • D’une part, la contribution des époux aux charges du mariage, l’objectif recherché étant d’assurer le fonctionnement du ménage en créant une communauté patrimoniale irréductible
          • D’autre part, la protection du logement familial qui, parce qu’il est envisagé comme le sanctuaire de la famille, ne peut être aliéné, ni donné en garantie sans l’accord des deux époux.
      • S’agissant des règles qui assurent l’autonomie des époux
        • L’adoption de règles visant à conférer aux époux une certaine autonomie procède essentiellement de la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.
        • Pour atteindre cet objectif d’égalité dans les rapports conjugaux, il était, en effet, nécessaire que la femme puisse s’émanciper de la tutelle de son mari, ce qui donc impliquait qu’elle dispose d’une sphère de liberté lui permettant d’agir seule.
        • La reconnaissance de l’autonomie des époux a été engagée par la loi du 13 juillet 1907, puis s’est poursuivie, par strates législatives successives, tout au long du XXe siècle, avec en point d’orgue les lois des 13 juillet 1965 et 23 décembre 1985 lesquelles ont définitivement aboli l’inégalité qui perdurait entre la femme et son mari.
        • Désormais, l’autonomie dont jouissent les époux se retrouve à tous les niveaux de la vie quotidienne du ménage.
        • Cette autonomie est professionnelle, bancaire, ménagère et, pour certains actes, mobilière et patrimoniale.
        • Outre l’abolition de l’asservissement de la femme mariée à son mari, l’instauration d’une indépendance des époux pour l’accomplissement d’un certain nombre d’actes a permis de faciliter le fonctionnement du ménage.
        • Il est, en effet, bien plus commode pour les époux de pouvoir agir seuls pour l’accomplissement des actes du quotidien, que de devoir systématiquement recueillir le consentement de l’autre.
  • Les situations de crise
    • Au-delà de la recherche d’un équilibre entre l’instauration d’une interdépendance entre les époux et la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie, le législateur a souhaité compléter le régime primaire par l’édiction de règles visant à appréhender les situations de crise auxquelles est susceptible d’être confronté le couple marié.
    • Il est, en effet, des situations où, soit parce qu’un époux se trouve dans l’incapacité de manifester sa volonté, soit parce qu’il est susceptible d’accomplir un acte mettant en péril l’intérêt de la famille, il est nécessaire que des mesures – judiciaires – soient prises.
    • Pratiquement, ces mesures peuvent consister à accroître ou restreindre les pouvoirs des époux.
    • Cet aménagement des pouvoirs dont sont investis les époux est susceptible d’intervenir dans trois cadres bien distincts que sont :
      • L’autorisation judiciaire
      • La représentation judiciaire
      • La sauvegarde judiciaire
    • Dans les trois cas, les mesures qui devront être adoptées pour régler la situation de crise traversée par le couple marié supposeront l’intervention du juge.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, coll. « précis », n°46, p.41.

[2] M. Lamarche et J.-J. Lemouland, Mariages : effets, Rép. Dalloz, n°101 et s.

[3] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand colin, 2001, n°53, p. 44.

[4] Association H. Capitant, Vocabulaire juridique, ss dir. G. Cornu : PUF, 8e éd. 2000, V° Primaire [régime ou régime matrimonial primaire], p. 670

[5] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[6] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

[7] En vertu de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas ».

[8] L’article 515-8 du Code civil dispose que « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

[9] Si, le législateur a inséré une définition du concubinage dans le Code civil c’est surtout pour mettre fin à la position de la Cour de cassation qui, de façon constante, refusait de qualifier l’union de deux personnes de même sexe de concubinage (Cass. soc., 11 juill. 1989, deux arrêts : Gaz. Pal. 1990, 1, p. 217, concl. Dorwling-Carter ; JCP G 1990, II, 21553, note Meunier ; Cass. Civ. 3e, 17 décembre 1997 : D. 1998, jurispr. p. 111, concl. J.-F. Weber et note J.-L. Aubert ; JCP G 1998, II, 10093, note A. Djigo).

[10] P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161.

[11] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, coll. « précis », n°46, p.41.

[12] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand colin, 2001, n°58, p. 48.

Régime primaire impératif et régimes matrimoniaux: économie générale

Bien que le mariage ne soit plus le seul système d’organisation de la vie conjugale, il demeure le modèle prépondérant à travers lequel le droit appréhende la famille.

Cette place centrale que le mariage occupe, encore aujourd’hui, dans l’ordonnancement juridique s’exprime par les effets qu’il emporte et qui confèrent au couple marié un statut privilégié.

À cet égard, il convient d’avoir toujours à l’esprit que le mariage ne consiste pas seulement en une union des personnes. Il consiste également en une union des biens.

==> Union des personnes et union des biens

Les effets du mariage sont de deux ordres. Ils intéressent les rapports personnels entre les époux (l’union des personnes) ainsi que les rapports pécuniaires qu’ils entretiennent entre eux (l’union des biens)

  • S’agissant de rapports personnels entre les époux (union des personnes)
    • L’acte juridique que constitue le mariage produit deux effets principaux à l’égard des époux :
      • Premier effet : la création de devoirs mutuels
        • Le mariage fait naître des devoirs mutuels qui pèsent sur les époux. Ces devoirs sont énoncés aux articles 212, 213 et 215 du Code civil.
        • Au nombre de ces devoirs figurent :
          • Le devoir de respect ( 212 C. civ.)
          • Le devoir de fidélité ( 212 C. civ.)
          • Le devoir d’assistance ( 212 C. civ.)
          • Le devoir de communauté de vie ( 215 C. civ.)
      • Second effet : la création de fonctions conjointes
        • Le mariage ne crée pas seulement des devoirs à l’égard des époux, il leur confère également des fonctions qu’ils exercent conjointement.
        • Ces fonctions conjointes sont énoncées aux articles 213 et 215 du Code civil :
          • La direction de la famille ( 213 C. civ.)
          • Le choix du logement familial ( 215, al. 2e C. civ.)
  • S’agissant des rapports pécuniaires entre les époux
    • Le mariage produit des effets qui tiennent, d’une part, à l’interdépendance des époux, d’autre part, à leur indépendance et enfin, aux situations de crise qu’ils sont susceptibles de traverser.
      • Les effets relatifs à l’interdépendance des époux
        • Parce que les époux sont assujettis à une communauté de vie, cette obligation implique qu’ils coopèrent pour l’accomplissement d’un certain nombre d’actes qui intéressent le fonctionnement matériel du ménage.
          • La contribution aux charges du mariage ( 214 C. civ.)
          • La protection du logement familial ( 215, al. 3e C. civ.)
          • Le devoir de secours ( 212 C. civ.)
      • Les effets relatifs à l’indépendance des époux
        • Afin de mettre un terme à l’assujettissement de la femme mariée à son mari, le législateur a conféré aux époux un certain nombre de pouvoirs qu’ils peuvent exercer en toute autonomie.
        • Au-delà de l’égalité recherchée par le législateur entre l’homme et la femme, ces sphères d’autonomie dont jouissent les époux permet au ménage de fonctionner plus efficacement, car offrant la possibilité à un époux d’agir seul, sans qu’il lui soit besoin de recueillir le consentement de son conjoint.
        • Cette indépendance des époux dans le fonctionnement du couple marié s’est traduite par l’instauration de :
          • L’autonomie ménagère ( 220 C. civ.)
          • L’autonomie mobilière ( 222 C. civ.)
          • L’autonomie professionnelle ( 223 C. civ.)
          • L’autonomie bancaire ( 221 C. civ.)
          • L’autonomie patrimoniale ( 225 C. civ.)
      • Les effets relatifs aux situations de crise
        • Le couple est susceptible de rencontrer des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté.
        • Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs de règles énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.
        • Parmi ces dispositifs qui visent à régler les situations de crise traversées par le couple on compte :
          • L’autorisation judiciaire ( 217 C. civ.)
          • La représentation judiciaire ( 219 C. civ.)
          • La sauvegarde judiciaire ( 220-1 C. civ.)

Toutes ces règles qui régissent les effets du mariage forment ce que l’on appelle le statut légal des époux.

==> Droit de la famille et droit des régimes matrimoniaux

Le statut légal auquel le couple marié est soumis se divise en deux branches qui font l’objet d’études séparées :

  • Première branche : le droit de la famille
    • Les règles du statut légal des époux qui intéressent leurs rapports personnels sont comprises dans l’étude du droit de la famille
    • Aussi, les effets personnels du mariage que sont notamment l’obligation de communauté de vie, le devoir de fidélité, le devoir d’assistance ou encore le devoir de respect sont appréhendés avec les conditions de formation du mariage, le divorce, la filiation ou encore le pacs.
  • Seconde branche : le droit des régimes matrimoniaux
    • Les règles qui intéressent les rapports pécuniaires entre époux relèvent de l’étude du droit des régimes matrimoniaux.
    • Cette branche du droit, qualifiée également de droit patrimonial de la famille, traite spécifiquement des effets sur le patrimoine de chacun d’eux qui résultent du mariage, non seulement dans leurs rapports réciproques, mais aussi dans leurs rapports avec les tiers et plus particulièrement avec leurs créanciers.

Nous ne nous focaliserons ici que sur le droit des régimes matrimoniaux et plus précisément sur l’articulation entre le régime primaire impératif qui s’applique à tous les couples mariés et les régimes matrimoniaux qui diffèrent d’un couple à l’autre.

I) Régime primaire impératif et régimes matrimoniaux

Au cours de leur mariage les époux sont donc soumis au droit des régimes matrimoniaux s’agissant des rapports pécuniaires qu’ils entretiennent entre eux.

Ce droit des régimes matrimoniaux fait l’objet d’un traitement dans deux parties bien distinctes du Code civil, puisque envisagé, d’abord dans un chapitre consacré aux devoirs et aux droits respectifs des époux (art. 212 à 226 C. civ.), puis dans un titre dédié spécifiquement au contrat de mariage et aux régimes matrimoniaux (art. 1384 à 1581 C. civ.).

Cet éclatement du droit des régimes matrimoniaux à deux endroits du Code civil, révèle que les époux sont soumis à deux corps de règles bien distinctes :

  • Premier corps de règles : le régime primaire impératif
    • Les époux sont d’abord soumis à ce que l’on appelle un régime primaire impératif, également qualifié de statut matrimonial de base ou statut fondamental, qui se compose de règles d’ordre public applicables à tous les couples mariés.
    • Il s’agit, en quelque sorte, d’un socle normatif de base qui réunit les principes fondamentaux régissant la situation patrimoniale du couple marié.
    • À l’examen, ce sont, pour l’essentiel, des règles qui constituent l’essence même du mariage et qui intéressent le fonctionnement du ménage dans son quotidien : contributions aux charges du mariage, dettes ménagères, logement familial, présomptions de pouvoirs etc.
    • Le régime primaire impératif est envisagé aux articles 212 à 226 du Code civil.
  • Second corps de règles : le régime matrimonial
    • Au régime primaire impératif qui constitue « le statut fondamental des gens mariés»[1], se superpose un régime matrimonial dont la fonction est :
      • D’une part, de déterminer la composition des patrimoines des époux
      • D’autre part, de préciser les pouvoirs dont les époux sont titulaires sur chaque masse de biens
    • Le régime matrimonial se distingue du régime primaire impératif en ce que son contenu est susceptible de différer d’un couple à l’autre.
    • En effet, le régime matrimonial applicable au couple marié dépend du choix qu’ils auront fait, tantôt au moment de la conclusion du mariage, tantôt au cours de leur union.
    • Pratiquement, le choix qui s’offre aux époux consiste à opter soit pour le régime légal, soit pour un régime conventionnel
      • Le choix du régime légal
        • L’application du régime légal, qualifié de communauté réduite aux acquêts, procède, à la vérité, moins d’un choix que d’une absence de choix.
        • En effet, il s’agit d’un régime supplétif qui a vocation à s’appliquer au couple marié lorsqu’il n’a pas opté pour un régime conventionnel.
        • À cet égard, ce régime se classe parmi les régimes communautaires dans la mesure où il crée une masse commune de biens, lesquels ont vocation à être partagés au jour de la dissolution du mariage.
      • Le choix d’un régime conventionnel
        • Les époux peuvent décider d’opter pour un régime matrimonial relevant de la catégorie des régimes conventionnels au nombre desquels figurent :
          • Le régime de la communauté de meubles et d’acquêts ( 1498 à 1501 C. civ.)
          • Le régime de la communauté universelle ( 1526 C. civ.)
          • Le régime de la séparation de biens ( 1536 à 1543 C. civ.)
          • Le régime de la participation aux acquêts ( 1569 à 1581 C. civ.)
        • À l’examen, la « conventionnalité » de ces régimes demeure somme toute relative dans la mesure où ils sont proposés par le législateur.
        • Les époux peuvent néanmoins, en application du principe de « liberté des conventions matrimoniales», les aménager à leur guise afin d’établir un contrat de mariage « sur-mesure ».
        • La liberté dont les époux jouissent n’est toutefois pas sans limite, l’article 1387 du Code civil prescrivant l’exigence de ne pas contrevenir aux bonnes mœurs et à certaines dispositions d’ordre public propres à chaque régime conventionnel.

II) Régime primaire impératif ou le statut matrimonial de base

==> Généralités

Le régime primaire impératif se compose de l’ensemble des règles formant le statut patrimonial de base irréductible du couple marié.

Par irréductible, il faut comprendre qu’il s’agit d’une base normative commune qui constitue le minimum d’association que doit faire naître l’union matrimoniale.

Ainsi que le relèvent des auteurs « on peut estimer qu’au même titre que les dispositions relatives aux effets personnels du mariage, les dispositions du régime primaire impératif constituent l’essence du mariage tant d’un point de vue symbolique et théorique (c’est le plus petit dénominateur commun de tous les mariages), que d’un point de vue pratique – dès lors que, le plus souvent, les effets patrimoniaux du mariage se résumeront à l’application des règles du régime primaire au quotidien bien d’avantage que celles des régimes matrimoniaux »[2].

Ce régime primaire impératif est donc envisagé aux articles 212 à 226 du Code civil dans un Chapitre VI consacré aux devoirs et aux droits respectifs des époux. Ce chapitre relève d’un Titre V, intitulé « Du mariage » qui appartient au Livre 1er du Code civil dont l’objet est l’appréhension « Des personnes ».

==> Notion

La terminologie « régime primaire » est empruntée aux motifs de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

Certains auteurs dénoncent cette terminologie, car empreinte d’ambiguïté en ce sens qu’elle suggérerait que le « régime primaire » serait autonome et donc appliqué uniquement à certains ménages, tandis que les autres seraient soumis à des régimes « secondaires »[3].

Tel n’est pourtant pas la réalité. Le régime primaire s’applique à tous les couples mariés, sans exceptions, les époux devant opter, pour compléter le statut patrimonial qui leur applicable, pour l’un des régimes matrimoniaux prévus par la loi.

Aussi, d’aucuns préfèrent à la terminologie régime primaire, la qualification de « statut patrimonial de base » ou encore plus sobrement de « statut fondamental ».

Ces formules sont, en tout état de cause, équivalentes et désignent le même corpus normatif, soit celui qui comprend l’« ensemble des règles primordiales à incidence pécuniaire, en principe impératives, applicables à tous les époux quel que soit leur régime matrimonial proprement dit (lequel, qu’il soit légal ou conventionnel, vient nécessairement se superposer à ce régime de base) et destinées à sauvegarder les fins du mariage, tout en assurant un pouvoir d’action autonome à chacun des époux, soit que ces règles puissent jouer d’elles-mêmes, soit qu’elles permettent l’intervention du juge »[4].

Pour les développements qui suivent, nous nous en tiendrons à la formule régime primaire, celle-ci demeurant, nonobstant les critiques dont elle fait l’objet, la plus communément employée.

==> Champ d’application

Par hypothèse, l’application du régime primaire est subordonnée à la satisfaction d’une condition : le mariage.

Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage et plus particulièrement de l’application du régime primaire.

Régulièrement, la Cour de cassation refuse de faire application de l’article 214 du Code civil qui régit la contribution aux charges du mariage pour régler la répartition des frais de fonctionnement de couples de concubins.

Dans un arrêt du 19 mars 1991, elle a, par exemple, jugé « qu’aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d’eux doit, en l’absence de volonté expresse à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a exposées » (Cass. 1ère civ. 19 mars 1991, n°88-19400).

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la Cour de cassation a encore estimé que l’article 220 du Code civil « qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en matière de concubinage » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°98-22836).

Le refus de faire bénéficier les concubins du régime primaire vient de ce que la famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage.

Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[5] et plus encore, comme son « acte fondateur »[6].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où la célèbre formule prêtée à Napoléon qui aurait dit que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ».

Il y a bien un texte les concernant s’ils viennent à rompre ; mais, celui-ci est tourné vers le mariage, puisque réglant la question de la restitution de la bague de fiançailles[7].

En outre, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civile de solidarité (pacs) a, certes, inséré à l’article 515-8 du Code civil une définition du concubinage[8]. Toutefois, cette définition n’est que symbolique : elle n’est assortie d’aucun droit, ni d’aucune obligation qui échoirait aux concubins[9].

Manifestement, où que l’on tourne son regard, il apparaît qu’aucun texte ne règle les rapports patrimoniaux entre concubins. Quant à la jurisprudence elle s’est toujours refusé à transposer au concubinage le régime primaire impératif qui demeure l’apanage des couples mariés.

Tout au plus, certaines règles de ce régime primaire s’appliquent aux partenaires, non pas par le jeu d’une transposition jurisprudentielle, mais par le biais d’une déclinaison à laquelle s’est livré le législateur lors de l’adoption des lois sur le Pacte civil de solidarité (pacs).

En effet, la rédaction d’un certain nombre de dispositions légales spécifiques au pacs est directement inspirée du régime primaire impératif à telle enseigne que d’aucuns parlent d’un « quasi-mariage »[10].

Tel est le cas notamment de l’article 515-4 du Code civil qui transpose, sensiblement dans les mêmes termes, les articles 214 et 220 qui relèvent du régime primaire, au pacs.

==> Caractères

La singularité du régime primaire tient à ses caractères qui font donc de lui le « statut fondamental des gens mariés »[11], soit un statut qui non seulement s’applique à tous les couples mariés, mais encore qui ne profite qu’à eux seuls, à l’exclusion donc des concubins et des partenaires.

Traditionnellement le régime primaire est présenté comme revêtant trois caractères qui le distinguent des régimes matrimoniaux qui se superposent à lui :

  • Des règles d’origine légale
    • Les règles qui composent le régime primaire sont toutes d’origine légale
    • Parce qu’il s’agit d’un régime qui s’applique à tous les couples mariés, les époux ne disposent pas de la faculté de l’aménager conventionnellement, tel qu’ils peuvent le faire s’agissant du régime matrimonial pour lequel ils ont opté.
  • Des règles d’ordre public
    • Le régime primaire présente cette particularité d’être exclusivement composé de règles d’ordre public, soit de dispositions auxquelles les époux ne peuvent pas déroger.
    • L’article 226 du Code civil prévoit en ce sens que « les dispositions du présent chapitre, en tous les points où elles ne réservent pas l’application des conventions matrimoniales, sont applicables, par le seul effet du mariage, quel que soit le régime matrimonial des époux. »
    • Ainsi, le régime primaire impératif prime sur les règles du régime matrimonial choisi par les époux.
    • Il s’agit là, en quelque sorte, d’un renversement du principe aux termes duquel les lois spéciales sont censées déroger aux lois générales (specialia generalibus derogant).
    • Cette inversion du principe se justifie par la nature même du mariage qui implique « un minimum d’association et d’interdépendance entre les époux»[12].
    • Autre conséquence de la primauté du régime primaire sur les régimes matrimoniaux, le principe de liberté des conventions matrimoniales est, par hypothèse, relatif.
    • Cette relativité du principe tient à l’impossibilité pour les époux d’aménager conventionnellement le régime matrimonial pour lequel ils ont opté en stipulant des clauses qui seraient contraires aux règles impératives du régime primaire.
    • Toute stipulation qui, par exemple, prévoirait que l’accomplissement d’un acte de disposition portant sur le logement de famille ne serait pas subordonné à l’accord des deux époux, serait réputée non écrite.
  • Des règles générales
    • Les règles qui composent le régime primaire présentent un caractère général, en ce qu’elles ont vocation à s’appliquer à tous les couples mariés, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis.
    • Il est indifférent que les époux aient opté pour le régime de la séparation de biens, de la communauté légale ou encore de la communauté réduite aux acquêts : dans tous les cas ils sont soumis aux règles du régime primaire.
    • Bien que générale, la portée du régime primaire ne doit toutefois pas être surestimée, celui-ci ne posant que les principes élémentaires du fonctionnement du ménage.
    • Dans son quotidien, le fonctionnement du couple marié engendre, en effet, la création d’obligations entre les époux mais également envers les tiers.
    • C’est essentiellement sur l’appréhension de ces obligations que se focalise le régime primaire impératif.

==> Genèse

L’étude des différentes réformes qui ont façonné le droit des régimes matrimoniaux tel qu’il est devenu aujourd’hui révèle que, lors de l’adoption du Code civil, ses rédacteurs n’avaient pas véritablement instauré de régime primaire.

Tout au plus, avait été instituée l’obligation de contribution aux charges du mariage. En dehors de cette obligation, le statut de base qui s’appliquait à l’ensemble des couples mariés se focalisait surtout sur les effets personnels du mariage.

À l’examen, c’est avec la reconnaissance progressive de l’égalité entre la femme mariée et son époux que le régime primaire impératif qui régi les conséquences pécuniaires de l’union matrimoniale a émergé.

À cet égard, plusieurs lois ont participé à cette émergence d’un statut patrimonial de base commun à tous les couples mariés :

  • La loi du 13 juillet 1907 a reconnu à la femme mariée le droit de percevoir ses salaires et ses gains professionnels et de les administrer avec cette possibilité de les affecter à l’acquisition de biens dits réservés.
  • La loi du 18 février 1938 a aboli l’incapacité civile de la femme mariée, celle-ci étant dorénavant investie de la capacité d’exercer tous les pouvoirs que lui conférerait le régime matrimonial auquel elle était assujettie
  • La loi du 22 septembre 1942 a notamment institué le mécanisme de la représentation conjugale, permettant ainsi à la femme mariée d’engager les biens du ménage auprès des tiers, ce qui revenait donc à reconnaître le mandat entre époux
  • La loi du 13 juillet 1965 est, de toute évidence, celle qui a engagé de façon significative la recherche d’une véritable égalité entre la femme mariée et son époux, ce en instaurant un régime primaire égalitaire applicable à l’ensemble des couples mariés.
  • La loi du 23 décembre 1985 est venue parachever la réforme engagée par le législateur en 1965 qui avait cherché à instaurer une égalité dans les rapports conjugaux. Plusieurs corrections ont notamment été apportées au régime primaire aux fins de gommer les dernières marques d’inégalité qui existaient encore entre la femme mariée et son époux

==> Principes directeurs

Les principes directeurs qui gouvernent le régime primaire impératif s’articulent autour de deux axes constitués de règles qui visent, d’une part, à assurer une interdépendance entre les époux tout en leur octroyant une certaine autonomie et, d’autre part, à traiter les situations de crise que le couple marié est susceptible de traverser.

  • L’interdépendance et l’autonomie des époux
    • L’élaboration du régime primaire impératif a donc été guidée par la volonté du législateur d’instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son mari.
    • Cette recherche d’égalité conjugale s’est traduite par l’instauration d’un savant équilibre entre, d’un côté l’édiction de règles visant à assurer une interdépendance entre les époux et, d’un autre côté, la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie.
      • S’agissant des règles qui assurent l’interdépendance des époux
        • L’édiction de règles qui visent à assurer une certaine interdépendance entre les époux procède de la finalité du mariage qui opère, outre l’union des personnes, une union des biens.
        • Cette union des personnes et des biens implique que les époux collaborent entre eux faute de quoi leur engagement formulé lors de la célébration du mariage de faire vie commune ne demeurerait qu’un vœu pieux.
        • La communauté de vie, telle qu’envisagée par le Code civil requiert un minimum d’association entre les époux qui, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, se sont obligés à mettre un commun des ressources matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.
        • Aussi, a-t-il été décidé par le législateur que ce minimum d’association patrimoniale devait reposer sur deux piliers que sont :
          • D’une part, la contribution des époux aux charges du mariage, l’objectif recherché étant d’assurer le fonctionnement du ménage en créant une communauté patrimoniale irréductible
          • D’autre part, la protection du logement familial qui, parce qu’il est envisagé comme le sanctuaire de la famille, ne peut être aliéné, ni donné en garantie sans l’accord des deux époux.
      • S’agissant des règles qui assurent l’autonomie des époux
        • L’adoption de règles visant à conférer aux époux une certaine autonomie procède essentiellement de la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.
        • Pour atteindre cet objectif d’égalité dans les rapports conjugaux, il était, en effet, nécessaire que la femme puisse s’émanciper de la tutelle de son mari, ce qui donc impliquait qu’elle dispose d’une sphère de liberté lui permettant d’agir seule.
        • La reconnaissance de l’autonomie des époux a été engagée par la loi du 13 juillet 1907, puis s’est poursuivie, par strates législatives successives, tout au long du XXe siècle, avec en point d’orgue les lois des 13 juillet 1965 et 23 décembre 1985 lesquelles ont définitivement aboli l’inégalité qui perdurait entre la femme et son mari.
        • Désormais, l’autonomie dont jouissent les époux se retrouve à tous les niveaux de la vie quotidienne du ménage.
        • Cette autonomie est professionnelle, bancaire, ménagère et, pour certains actes, mobilière et patrimoniale.
        • Outre l’abolition de l’asservissement de la femme mariée à son mari, l’instauration d’une indépendance des époux pour l’accomplissement d’un certain nombre d’actes a permis de faciliter le fonctionnement du ménage.
        • Il est, en effet, bien plus commode pour les époux de pouvoir agir seuls pour l’accomplissement des actes du quotidien, que de devoir systématiquement recueillir le consentement de l’autre.
  • Les situations de crise
    • Au-delà de la recherche d’un équilibre entre l’instauration d’une interdépendance entre les époux et la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie, le législateur a souhaité compléter le régime primaire par l’édiction de règles visant à appréhender les situations de crise auxquelles est susceptible d’être confronté le couple marié.
    • Il est, en effet, des situations où, soit parce qu’un époux se trouve dans l’incapacité de manifester sa volonté, soit parce qu’il est susceptible d’accomplir un acte mettant en péril l’intérêt de la famille, il est nécessaire que des mesures – judiciaires – soient prises.
    • Pratiquement, ces mesures peuvent consister à accroître ou restreindre les pouvoirs des époux.
    • Cet aménagement des pouvoirs dont sont investis les époux est susceptible d’intervenir dans trois cadres bien distincts que sont :
      • L’autorisation judiciaire
      • La représentation judiciaire
      • La sauvegarde judiciaire
    • Dans les trois cas, les mesures qui devront être adoptées pour régler la situation de crise traversée par le couple marié supposeront l’intervention du juge.

III) Variétés de régimes matrimoniaux

Au régime primaire impératif qui constitue le statut patrimonial de base commun à tous les couples mariés se superpose un régime matrimonial dont le choix est laissé à la discrétion des époux en application du principe de liberté des conventions matrimoniales.

L’article 1387 du Code civil dispose en ce sens que « la loi ne régit l’association conjugale, quant aux biens, qu’à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu’elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent. »

Il ressort de cette disposition que, non seulement les époux sont libres de choisir le régime matrimonial qui leur convient parmi ceux proposés par la loi, mais encore ils disposent de la faculté d’aménager le régime pour lequel ils ont opté en y stipulant des clauses particulières sous réserve de ne pas contrevenir aux bonnes mœurs et de ne pas déroger aux règles impératives instituées par le régime primaire.

Faute de choix par les époux d’un régime matrimonial, c’est le régime légal qui leur sera appliqué, étant précisé que le couple marié peut toujours, au cours du mariage, revenir sur sa décision en sollicitant un changement de régime matrimonial.

Classiquement, il est d’usage de présenter les différents régimes matrimoniaux susceptibles d’être appliqués aux époux en distinguant :

  • D’une part, le régime légal qui a vocation à s’appliquer en l’absence de contrat de mariage
  • D’autre part, les régimes dits conventionnels dont l’application suppose que les époux aient opté pour un dispositif spécifique.

A) Le régime légal

Le régime légal, qui s’applique aux couples mariés faute d’établissement d’un contrat de mariage, est le régime de la communauté réduite aux acquêts.

Ce régime a été institué par la loi du 13 juillet 1965 qui l’a substitué à l’ancien régime légal de communauté de meubles et d’acquêts, lequel est désormais relégué au rang de régime conventionnel.

Dans les grandes lignes, la spécificité du régime légal tient à trois éléments qui diffèrent d’un régime matrimonial à l’autre :

==> La répartition des biens

Principale caractéristique du régime légal, il s’agit d’un régime communautaire. Cette spécificité implique la création d’une masse commune de biens aux côtés des biens propres dont les époux demeurent seuls propriétaires.

La réparation des biens entre la masse commune et la masse de chaque époux s’opère comme suit :

  • Les biens communs
    • La masse commune est alimentée par les tous les biens acquis à titre onéreux par les époux au cours du mariage.
    • C’est ce que l’on appelle des acquêts ; d’où le qualificatif attribué au régime légal de « communauté réduite aux acquêts».
    • Pour être précis les acquêts qui composent la masse commune comprennent deux catégories de biens :
      • Tout d’abord, il y a les biens faits par les époux ensemble ou séparément pendant le mariage et provenant de leur industrie personnelle ou des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres ( 1401 C. civ.)
      • Ensuite, il y a tous les biens meubles, ou immeubles dont on ne peut prouver qu’ils sont propres à l’un des époux ( 1402 C. civ.).
    • Ainsi la masse commune est-elle alimentée de deux manières : soit par le jeu d’une règle de fond, soit par le jeu d’une règle de preuve.
  • Les biens propres
    • Les biens propres sont, par hypothèse, tous ceux qui n’endossent pas la qualification d’acquêts.
    • Plus précisément, cette catégorie de biens comporte notamment :
      • Les biens acquis par les époux avant la conclusion du mariage
      • Les biens acquis par les époux à titre gratuit
      • Les biens dont la propriété est étroitement attachée à la personne d’un époux (vêtements et linges à usage personnel, actions en réparation d’un dommage corporel, créances et pensions incessibles etc.)
      • Les biens de nature professionnelle
      • Tous les biens acquis à titre accessoire d’un bien propre

==> La gestion des biens

Les époux sont investis de pouvoirs de gestion de leurs biens propres et des biens qui relèvent de la masse commune.

  • S’agissant de la gestion des biens propres des époux
    • Le principe posé par l’article 1428 du Code civil est celui de la gestion exclusive des biens propres.
    • Ce principe est renforcé par l’article 225 du Code civil qui dispose que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels».
    • Ainsi chaque époux dispose de pouvoirs d’administration, de disposition et de jouissance exclusifs sur ses propres.
    • Ce pouvoir n’est contrarié que lorsque le logement familial est un bien propre.
    • Dans cette hypothèse, conformément à l’article 215, al. 3e du Code civil l’époux auquel il appartient en propre devra obtenir le consentement de son conjoint pour en disposer.
  • S’agissant de la gestion des biens communs
    • L’article 1421 du Code civil pose un principe de gestion concurrence.
    • Cela signifie que chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer sans avoir à obtenir le consentement de l’autre.
    • Par exception, certains biens communs font l’objet d’une gestion exclusive, tels que les revenus des biens propres, les gains et salaires ou encore les biens nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle séparée, tandis que d’autres sont soumis à une cogestion, soit dont la disposition exige le commun accord des époux.

==> La répartition du passif

Les règles de répartition du passif permettent de déterminer l’étendue du gage des créanciers et plus précisément les masses de biens qui devront supporter les dettes contractées par les époux.

À cet égard, il y a lieu de distinguer, l’obligation à la dette qui intéresse les rapports des époux avec les tiers, de la contribution à la dette qui intéresse les rapports des époux entre eux.

Autrement dit, l’obligation à la dette permet de déterminer sur quelle masse de biens (commune ou propre) la dette contractée auprès des créanciers est exécutoire.

Quant à la contribution à la dette, elle permet de déterminer laquelle de ces masses de biens va, à titre définitif, supporter le poids de la dette.

Cette dichotomie entre obligation à la dette et contribution à la dette doit être envisagée, tant pour les dettes personnelles des époux, que pour les dettes communes.

  • S’agissant des dettes personnelles d’un époux
    • Au stade de l’obligation à la dette
      • La règle posée par l’article 1411, al. 1er du Code civil est que la dette contractée à titre personnelle par un époux est exécutoire sur ses biens propres, mais encore sur ses gains et salaires qui sont des biens communs
      • Il en résulte, a contrario, qu’une dette personnelle n’est pas exécutoire sur la masse commune et les biens propres de l’autre époux
    • Au stade de la contribution à la dette
      • La règle est ici que les dettes contractées à titre personnel par un époux doivent demeurer personnelles.
      • Dès lors, en cas de règlement d’une dette personnelle par un époux avec ses gains et salaires, il devra récompense à la communauté, celle-ci n’ayant pas vocation à supporter le poids définitif d’une dette propre.
  • S’agissant des dettes communes
    • Au stade de l’obligation à la dette
      • Le principe posé par l’article 1413 du Code civil est que le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs.
      • Autrement dit, les dettes contractées par chaque époux sont exécutoires sur les biens communs.
      • À cet égard, lorsqu’une dette est entrée en communauté du chef d’un seul des époux, elle ne peut être poursuivie sur les biens propres de l’autre.
    • Au stade de la contribution à la dette
      • La communauté n’a vocation à supporter, à titre définitif, que les dettes contractées dans son intérêt.
      • Lorsque tel n’est pas le cas, elle aura droit à récompense, ce qui sera notamment le cas lorsque la dette réglée avec des biens communs aura été souscrite en vue d’acquérir, de conserver ou d’améliorer un bien propre.

B) Les régimes conventionnels

Pour être soumis à un régime conventionnel les époux doivent avoir effectué un choix qui se traduira par l’établissement d’un contrat de mariage.

À cet égard, les régimes conventionnels se divisent en deux catégories : les régimes communautaires et les régimes séparatistes.

==> S’agissant des régimes communautaires

Leur spécificité est, comme leur énoncé l’indique, de reposer sur la création d’une masse commune de biens qui s’interpose entre les masses de chaque époux composées de biens propres appartenant à chacun d’eux.

Parmi les différents régimes conventionnels proposés par la loi, deux endossent la qualification de communautaire

  • Le régime de la communauté de meubles et d’acquêts
    • Sous l’empire du droit antérieur à l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965, le régime de la communauté de meubles et d’acquêts n’était autre que le régime légal.
    • Depuis lors, il a néanmoins été remplacé par le régime de la communauté réduite aux acquêts, à tout le moins il a été rétrogradé au rang de simple régime conventionnel.
    • La spécificité de ce régime matrimonial tient aux règles qui gouvernent l’actif et le passif de la communauté
      • S’agissant de l’actif
        • Lorsque les époux optent pour la communauté de meubles et d’acquêts, l’actif de la communauté est augmenté par rapport au régime légal.
        • En effet, il comprend, outre les biens qui relèvent de la masse commune sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, les bens meubles qui seraient qualifiés de propres sous ce régime.
        • Sont donc inclus dans la masse commune, lorsque les époux sont soumis au régime de communauté de meubles et d’acquêts, tous les biens meubles dont les époux avaient la propriété ou la possession au jour du mariage ou qui leur sont échus depuis par succession ou libéralité, à moins que le donateur ou testateur n’ait stipulé le contraire.
      • S’agissant du passif
        • Par symétrie avec la composition de l’actif, lorsque les époux ont opté pour le régime de la communauté de meubles et d’acquêts, le passif de la communauté est plus étendu que sous le régime légal.
        • En effet, entrent dans le passif commun, outre les dettes qui en feraient partie sous le régime légal, une fraction de celles dont les époux étaient déjà grevés quand ils se sont mariés, ou dont se trouvent chargées des successions et libéralités qui leur échoient durant le mariage.
        • À cet égard, la fraction de passif que doit supporter la communauté est proportionnelle à la fraction d’actif qu’elle recueille, soit dans le patrimoine de l’époux au jour du mariage, soit dans l’ensemble des biens qui font l’objet de la succession ou libéralité.
        • Il s’agit ici d’instaurer une corrélation entre l’actif et le passif : dès lors que l’actif augmenté, le passif doit s’en trouver élargi dans les mêmes proportions.
  • Le régime de la communauté universelle
    • Le régime de la communauté universelle, qualifié de « régime de l’amour» par le doyen Cornu présente cette particularité de réaliser une fusion entre les patrimoines des époux pour ne former qu’une seule masse de biens.
    • Cette fusion des patrimoines se traduit, tant sur le plan de l’actif, que sur le plan du passif.
      • Sur le plan de l’actif
        • La communauté comprend les biens tant meubles qu’immeubles, présents et à venir des époux.
        • Par exception et sauf stipulation contraire, les biens que l’article 1404 déclare propres par leur nature ne tombent point dans cette communauté.
        • Sont donc exclus de la masse commune
          • D’une part, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne.
          • D’autre part, les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux, à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté.
        • En dehors de ces biens visés par l’article 1404 du Code civil, tous les biens acquis par les époux avant et pendant le mariage ont vocation à alimenter la masse commune
      • Sur le plan du passif
        • L’article 1526 du Code civil prévoit que la communauté universelle supporte définitivement toutes les dettes des époux, présentes et futures.
        • L’universalité de la communauté ne touche ainsi pas seulement son acte, elle intéresse également son passif.

==> S’agissant des régimes séparatistes

Les régimes séparatistes se caractérisent par l’absence de création d’une masse commune de biens qui serait alimentée par les biens présents et futurs acquis par les époux.

Cette séparation des patrimoines demeure néanmoins plus ou moins prononcée, selon que les époux ont opté pour le régime de la séparation de biens pure et simple ou selon qu’ils ont opté pour le régime de la participation aux acquêts.

  • Le régime de la séparation de biens
    • Sur le plan de l’actif
      • Tous les biens acquis par les époux au cours du mariage leur appartiennent en propre.
      • Aucune masse commune de biens n’est créée, de sorte qu’est instaurée une séparation stricte des patrimoines.
      • À cet égard, l’article 1536 du Code civil prévoit que lorsque les époux ont stipulé dans leur contrat de mariage qu’ils seraient séparés de biens, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels.
      • Il est donc indifférent que le bien ait acquis avant ou pendant le mariage ou encore qu’il ait été acquis à titre onéreux ou à titre gratuit.
      • Seules exceptions au principe de séparations :
        • Les biens acquis en indivision
        • L’affectation de certains biens à une société d’acquêts
    • Sur le plan du passif
      • L’article 1536 du Code civil dispose que chaque époux reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage, hors le cas de l’article 220.
      • La séparation des patrimoines opère ainsi, tant pour l’actif, que pour le passif qui demeure propre à l’époux qui a contracté la dette.
      • Le gage des créanciers se limite ainsi aux seuls biens propres de l’époux qui s’est engagé, sauf à ce que la dette relève de la catégorie des dépenses ménagères.
  • Le régime de la participation aux acquêts
    • Le régime de la participation aux acquêts a été institué par la loi du 13 juillet 1965, le législateur s’étant inspiré de ce qui était pratiqué en Allemagne.
    • La particularité de ce régime est qu’il présente une nature hybride, en ce sens qu’il présente une nature séparatiste ou communautaire selon que l’on se place pendant la durée du mariage ou au jour de sa dissolution.
      • Pendant la durée du mariage
        • En application de l’article 1569 du Code civil, quand les époux ont déclaré se marier sous le régime de la participation aux acquêts, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels, sans distinguer entre ceux qui lui appartenaient au jour du mariage ou lui sont advenus depuis par succession ou libéralité et ceux qu’il a acquis pendant le mariage à titre onéreux.
        • Aussi, pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens.
        • Aucune masse commune de biens n’est donc créée : tous les biens acquis par les époux avant ou pendant le mariage, à titre gratuit ou onéreux, leur appartiennent en propre, soit à titre exclusif.
        • Réciproquement, toutes les dettes qu’ils contractent leur demeurent également personnelles.
      • Au jour de la dissolution du mariage
        • L’article 1569 du Code civil prévoit que, à la dissolution du régime, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final.
        • Autrement dit, au jour de la liquidation du régime de participation aux acquêts, l’époux dont le patrimoine s’est enrichi pendant le mariage doit en valeur à l’autre une créance de participation.
        • Cette créance est déterminée en comparant le patrimoine originaire et le patrimoine final.
        • L’article 1575 du Code civil dispose en ce sens que si le patrimoine final d’un époux est inférieur à son patrimoine originaire, le déficit est supporté entièrement par cet époux.
        • Si, en revanche, il lui est supérieur, l’accroissement représente les acquêts nets et donne lieu à participation.
        • S’il y a des acquêts nets de part et d’autre, ils doivent d’abord être compensés.
        • Seul l’excédent se partage : l’époux dont le gain a été le moindre est créancier de son conjoint pour la moitié de cet excédent.
        • Au moment de la dissolution le régime de la participation aux acquêts est ainsi parcouru par un esprit communautaire.
        • Chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, coll. « précis », n°46, p.41.

[2] M. Lamarche et J.-J. Lemouland, Mariages : effets, Rép. Dalloz, n°101 et s.

[3] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand colin, 2001, n°53, p. 44.

[4] Association H. Capitant, Vocabulaire juridique, ss dir. G. Cornu : PUF, 8e éd. 2000, V° Primaire [régime ou régime matrimonial primaire], p. 670

[5] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[6] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

[7] En vertu de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas ».

[8] L’article 515-8 du Code civil dispose que « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

[9] Si, le législateur a inséré une définition du concubinage dans le Code civil c’est surtout pour mettre fin à la position de la Cour de cassation qui, de façon constante, refusait de qualifier l’union de deux personnes de même sexe de concubinage (Cass. soc., 11 juill. 1989, deux arrêts : Gaz. Pal. 1990, 1, p. 217, concl. Dorwling-Carter ; JCP G 1990, II, 21553, note Meunier ; Cass. Civ. 3e, 17 décembre 1997 : D. 1998, jurispr. p. 111, concl. J.-F. Weber et note J.-L. Aubert ; JCP G 1998, II, 10093, note A. Djigo).

[10] P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161.

[11] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, coll. « précis », n°46, p.41.

[12] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand colin, 2001, n°58, p. 48.

Les effets (personnels et patrimoniaux) du mariage: vue générale

La famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage.

Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où le silence de la loi sur le statut des concubins.

Il y a bien un texte les concernant s’ils viennent à rompre ; mais, celui-ci est tourné vers le mariage, puisque réglant la question de la restitution de la bague de fiançailles[3]. En outre, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civile de solidarité (pacs) a, certes, inséré à l’article 515-8 du Code civil une définition du concubinage[4].

Toutefois, cette définition n’est que symbolique : elle n’est assortie d’aucun droit, ni d’aucune obligation qui échoirait aux concubins[5].

Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage[6].

Excepté quelques cas marginaux[7], leur situation n’est réglée que par le seul droit commun. Pour les couples qui choisissent de se tenir à l’écart de l’union conjugale, c’est donc un silence juridique qui les attend.

Depuis l’adoption de la loi sur le pacs, ce silence n’est, cependant, plus aussi assourdissant qu’il a pu l’être. En proposant aux concubins un statut légal, un « quasi-mariage » diront certains[8], qui règle les rapports tant personnels, que patrimoniaux entre les partenaires, la démarche du législateur témoigne de sa volonté de ne plus faire fi d’une situation de fait qui, au fil des années, s’est imposée comme un modèle à partir duquel se sont construites de nombreuses familles.

En contrepartie d’en engagement contractuel[9] qu’ils doivent prendre devant un officier d’état civil ou devant notaire, les concubins, quelle que soit leur orientation sexuelle, peuvent, de la sorte, voir leur union hors mariage, se transformer en une situation juridique.

S’il s’agit là d’une profonde mutation que connaît le droit de la famille, elle doit néanmoins être relativisée. Le mariage demeure le modèle prépondérant à travers lequel le droit appréhende la famille.

Cette place centrale que le mariage occupe, encore aujourd’hui, dans l’ordonnancement juridique s’exprime par les effets qu’il emporte et qui confèrent au couple marié un statut privilégié.

À cet égard, il convient d’avoir toujours à l’esprit que le mariage ne consiste pas seulement en une union des personnes. Il consiste également en une union des biens.

Aussi, les effets du mariage sont de deux ordres. Ils intéressent :

  • D’une part, les rapports personnels entre les époux
  • D’autre part, les rapports pécuniaires entre les époux

I) Les rapports personnels entre les époux

S’agissant des rapports personnels entre les époux, l’acte juridique que constitue le mariage produit deux effets principaux à l’égard des époux :

==> Premier effet : la création de devoirs mutuels

Le mariage fait naître des devoirs mutuels qui pèsent sur les époux. Ces devoirs sont énoncés aux articles 212, 213 et 215 du Code civil.

Au nombre de ces devoirs figurent :

  • Le devoir de respect ( 212 C. civ.)
    • Issu de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, le devoir de respect vise à exprimer l’idée que le respect est la base d’une vie de couple harmonieuse.
    • Aussi, s’agit-il de prévenir toute forme de violences qui pourraient intervenir au sein du couple.
    • Si, de longue date, la jurisprudence avait implicitement consacré ce devoir de respect en sanctionnant avec fermeté le comportement violent d’un époux envers l’autre, le législateur a souhaité le graver dans le marbre de la loi aux fins d’appréhender au-delà des violences physiques, d’autres comportements déviants incompatibles avec la vie de couple que sont, par exemple, le harcèlement moral, les injures, le mépris, les atteintes à l’honneur et à la dignité ou encore le délaissement de l’autre conjoint.
  • Le devoir de fidélité ( 212 C. civ.)
    • Ce devoir consiste à interdire aux époux d’entretenir des relations sexuelles avec des tiers.
    • Si, depuis l’adoption de la loi du 11 juillet 1975, l’adultère n’est plus pénalement sanctionné, il demeure constitutif d’une faute civile susceptible de fonder, s’il est renouvelé et atteint un certain degré de gravité, une demande en divorce.
  • Le devoir d’assistance ( 212 C. civ.)
    • Le devoir d’assistance implique pour chaque époux de veiller l’un sur l’autre.
    • Autrement dit, il leur appartient de se soutenir et de se prodiguer mutuellement tous les soins utiles que les circonstances exigent, telles que notamment la maladie ou un état de fragilité
    • Le devoir d’assistance se distingue du devoir de secours en ce qu’il présente un caractère personnel, contrairement au devoir de secours qui est de nature purement pécuniaire.
  • Le devoir de communauté de vie ( 215 C. civ.)
    • L’article 215, al. 1er du Code civil prévoit que « les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie. »
    • Si, sous l’empire du droit antérieur, ce devoir supposait que les époux partagent, a minima, une même résidence, cette exigence a été abandonnée par la loi du 11 juillet 1975.
    • L’article 108 du Code civil dispose désormais que « le mari et la femme peuvent avoir un domicile distinct sans qu’il soit pour autant porté atteinte aux règles relatives à la communauté de la vie. »
    • L’existence d’une communauté de vie entre époux demeure, néanmoins, toujours exigée.
    • Concrètement, elle suppose la mise en commun de moyens matériels et l’entretien, entre eux, de relations affectives.
    • Plus que des relations affectives, la communauté de vie implique une communauté de lit, soit l’obligation pour chaque époux de se prêter à des relations sexuelles.
    • Ce devoir conjugal qui échoit à chaque époux demeure somme toute relatif, dans la mesure où il ne saurait, en aucune manière, justifier qu’un époux contraigne son conjoint à avoir des relations sexuelles.
    • Un tel agissement serait constitutif d’un viol, crime puni d’une peine de quinze ans de réclusion criminelle.

==> Second effet : la création de fonctions conjointes

Le mariage ne crée pas seulement des devoirs à l’égard des époux, il leur confère également des fonctions qu’ils exercent conjointement.

Ces fonctions conjointes sont énoncées aux articles 213 et 215 du Code civil :

  • La direction de la famille ( 213 C. civ.)
    • L’article 213 du Code civil prévoit que « Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir. »
    • Issue de la loi du 4 juin 1970, cette disposition traduit la volonté du législateur d’instituer une égalité entre le mari et la femme, quant à la conduite de la famille.
    • Lors de l’adoption du Code civil, la femme mariée avait été placée sous l’autorité de son mari auquel elle devait obéissance.
    • La loi du 18 février 1938 a déchu le mari de cette prérogative. Celui-ci a néanmoins sa qualité de chef de famille, de sorte que la direction du ménage était assurée par lui seul.
    • Il faut attendre les lois du 4 juin 1970 et du 11 juillet 1975 pour que le mari et la femme soient placés sur un même pied d’égalité.
    • Désormais, tous deux disposent des mêmes prérogatives qu’ils exercent conjointement.
    • À cet égard, tandis que pour certains actes, leur accomplissement est subordonné à l’accord des deux époux (codécision) ou à autorisation (cogestion), d’autres pourront être régularisés séparément par chacun d’eux (gestion concurrente), un certain nombre de présomptions ayant été instituées par le législateur afin de faciliter le fonctionnement du ménage.
  • Le choix du logement familial ( 215, al. 2e C. civ.)
    • L’article 215, al. 2e du Code civil prévoit que « la résidence de la famille est au lieu qu’ils choisissent d’un commun accord. »
    • Le choix du logement familial ne peut ainsi procéder que d’une décision conjointe des époux.
    • Le mari ne dispose plus du pouvoir d’imposer unilatéralement à sa conjointe le lieu de résidence de la famille, comme tel était le cas sous l’empire du droit antérieur.
    • C’est la loi du 11 juillet 1975 qui a institué une égalité absolue entre le mari et la femme pour l’accomplissement de cet acte fondateur, sinon symbolique.
    • Le logement familial ne peut désormais plus qu’être choisi d’un commun accord entre les époux.
    • Faute d’accord, l’article 215, al. 2e du Code civil le confère plus au mari une voix qui primerait sur celle de son épouse, c’est au juge qu’il reviendra de trancher le différend, encore qu’il ne s’agisse là que d’un cas d’école.
    • Lorsque les époux ne s’entendent pas sur leur lieu de résidence, il est fort probable qu’ils en tirent toutes les conséquences en mettant un terme à leur engagement matrimonial.

II) Les rapports pécuniaires entre les époux

S’agissant des rapports pécuniaires entre les époux, le mariage produit des effets qui tiennent, d’une part, à l’interdépendance des époux, d’autre part, à leur indépendance et enfin, aux situations de crise qu’ils sont susceptibles de traverser.

==> Les effets relatifs à l’interdépendance des époux

Parce que les époux sont assujettis à une communauté de vie, cette obligation implique qu’ils coopèrent pour l’accomplissement d’un certain nombre d’actes qui intéressent le fonctionnement matériel du ménage.

  • La contribution aux charges du mariage ( 214 C. civ.)
    • L’article 214 du Code civil prévoit que « si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives.
    • Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition
      • Premier enseignement : les époux doivent contribuer aux charges du mariage
        • Il s’agit de toutes les dépenses qui assurent le fonctionnement du ménage (contrairement aux dépenses d’investissement).
        • Ce sont donc toutes les dépenses d’intérêt commun que fait naître la vie du ménage
        • La JP tend également à reconnaître certaines dépenses d’agrément comme des charges du mariage
        • Exemples : nourriture, vêtements, loyer, gaz, eau, électricité, internet etc…
        • Les charges du mariage sont toutes celles relatives au train de vie du ménage.
        • Elles ne doivent pas être confondues avec les dépenses ménagères qui se limitent aux frais strictement nécessaires au fonctionnement du ménage.
      • Second enseignement : les époux doivent contribuer à aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives.
        • Il y a donc un principe de proportionnalité qui a été institué par le législateur quant à la répartition des charges
        • Le poids de cette obligation qui pèse sur les époux est, en effet, fonction de leurs revenus respectifs.
        • Si l’un des époux perçoit un revenu de 1000 euros et que l’autre perçoit un revenu de 2000 alors le second devra contribuer deux fois plus que le premier aux charges du mariage.
  • La protection du logement familial ( 215, al. 3e C. civ.)
    • Parce que le logement familial est l’endroit où est censée vivre et évoluer la cellule familiale, il bénéficie d’une protection spécifique, protection visant à lui octroyer un statut qui fait obstacle aux atteintes dont il pourrait faire l’objet.
    • Cette protection est instituée à l’article 215, al. 3e du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »
    • Il ressort de cette disposition que tout acte de disposition portant sur le logement familial ou les biens mobiliers le garnissant est subordonné à l’accord des deux époux.
    • Autrement dit, les deux époux doivent consentir à l’accomplissement de l’acte de disposition qui peut consister, tout autant en l’aliénation du bien, qu’en la constitution d’une sûreté réelle.
    • En cas de dépassement de pouvoir par l’un des deux époux, la sanction encourue est la nullité de l’acte accompli sans le consentement de l’autre.

==> Les effets relatifs à l’indépendance des époux

  • L’autonomie ménagère
    • L’article 220 du Code civil prévoit que « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.
    • Il ressort de cette disposition que chaque époux est investi du pouvoir d’accomplir seul les actes qui visent effectuer des dépenses pour le fonctionnement du ménage.
    • Ce pouvoir le confère, autrement dit, s’agissant des dépenses ménagères, du pouvoir de contracter seul avec les tiers.
    • À cet égard, le texte précise que la dette contractée par l’un des époux engage l’autre solidairement.
    • Cela signifie que le tiers contractant peut demander à n’importe quel époux de régler la totalité de la dette contractée seul par l’autre conjoint.
    • Le principe de solidarité des dettes ménagères n’est toutefois pas absolu : le législateur l’a assorti de plusieurs exceptions.
    • Tout d’abord, la solidarité n’a pas vocation à jouer pour les dépenses manifestement excessives, soit celles qui sont déraisonnables eu égard le train de vie du ménage ou l’utilité ou l’inutilité de l’opération.
    • Ensuite, la solidarité est écartée pour les achats à tempérament ainsi que pour les emprunts, à moins précise l’alinéa 3 de l’article 220 du Code civil qu’ils ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage.
  • L’autonomie mobilière
    • L’article 222 du Code civil prévoit que « si l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte.»
    • Cette disposition institue ainsi une présomption irréfragable de pouvoir au bénéfice de chaque époux s’agissant des actes (administration, disposition et jouissance) portant sur un bien meuble, à l’exception de ceux garnissant le logement familial et ceux strictement attachés à la personne de son détenteur, tels que les outils de travail ou encore le linge à usage personnel.
    • Il s’agit ici de protéger les tiers de bonne foi, en ce sens qu’ils sont dispensés de vérifier les pouvoirs de l’époux avec lequel ils contractent.
    • Si, autrement dit, un époux accomplit un acte en dépassement de son pouvoir, cet acte demeurera valable et ne pourra donc pas être remis en cause par le conjoint lésé.
    • Ce dernier pourra, tout au plus, engager la responsabilité de son conjoint qui a agi au préjudice de ses droits
  • L’autonomie professionnelle
    • L’article 223 du Code civil prévoit que « chaque époux peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer après s’être acquitté des charges du mariage. »
    • En application de cette disposition les époux jouissent ainsi d’une autonomie professionnelle.
    • Cette autonomie implique pour eux le droit :
      • D’une part, d’exercer la profession de leur choix
      • D’autre part, de percevoir leurs gains et salaires, soit l’ensemble des revenus issus de leur activité professionnelle
      • Enfin, de disposer librement de leurs gains et salaires
    • La liberté professionnelle dont jouit chaque époux est limitée par la seule obligation de contribution aux charges du mariage.
    • En dehors de cette obligation, l’autonomie que leur confère la loi vise à faire obstacle à toute immixtion du conjoint dans l’exercice et la gestion de l’activité professionnelle de l’autre.
  • L’autonomie bancaire
    • L’article 221 du Code civil prévoit que « chacun des époux peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel. »
    • Ainsi, les époux sont-ils libres d’ouvrir, à titre individuel, un compte bancaire, sans que le consentement de l’autre ne soit requis.
    • Afin de renforcer ce droit à l’ouverture d’un compte bancaire, l’alinéa 2 du texte précise que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Cela signifie que, non seulement, les époux sont autorisés à se faire ouvrir, en toute autonomie, un compte bancaire, mais encore qu’ils jouissent de la faculté de leur faire fonctionner.
    • Il est ainsi fait interdiction au banquier d’exiger le consentement du conjoint pour exécuter l’ordre qui lui a été adressé par le titulaire du compte.
    • Ce dernier est réputé être investi du pouvoir d’accomplir toute opération sur son compte personnel
    • La présomption de pouvoir posée par le texte est ici irréfragable, de sorte que, en cas de dépassement de pouvoir par le titulaire du compte tel que l’encaissement de fonds qui ne lui appartiennent pas, le banquier n’engage pas sa responsabilité.
  • L’autonomie patrimoniale
    • L’article 225 du Code civil prévoit que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels. »
    • Cette disposition confère ainsi à chaque époux, non seulement la gestion exclusive de ses biens propres, mais encore le pouvoir de les engager
    • Il en résulte que la clause dite « d’unité d’administration » par laquelle un époux se verrait investi du pouvoir de gérer les biens de son conjoint est prohibée.
    • Tout au plus, en application de l’article 218 du Code civil « un époux peut donner mandat à l’autre de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que le régime matrimonial lui attribue. »
    • Seule exception à la règle posée à l’article 225 du Code civil, lorsque le logement familial appartient en propre à un époux, c’est le principe de la cogestion qui s’applique, soit l’exigence pour le propriétaire du bien affecté à l’usage de la famille de recueillir le consentement de son conjoint pour accomplir un acte de disposition.

==> Les effets relatifs aux situations de crise

Le couple est susceptible de rencontrer des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté.

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs de règles énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent à régler les situations de crise traversées par le couple on compte, l’autorisation judiciaire, la représentation judiciaire et la sauvegarde judiciaire.

  • L’autorisation judiciaire ( 217 C. civ.)
    • L’article 217, al. 1er du Code civil prévoit que « un époux peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire, si celui-ci est hors d’état de manifester sa volonté ou si son refus n’est pas justifié par l’intérêt de la famille. »
    • La règle ainsi posée vise à permettre à un époux d’accomplir seul un acte qui, en situation normale, relève de la cogestion, soit dont l’accomplissement est subordonné à l’accord des deux époux.
    • Afin de surmonter la crise traversée par le couple, le juge peut autoriser l’accomplissement de cet acte par un seul époux.
    • Une autorisation peut, nous dit le texte, être sollicitée dans deux situations bien distinctes :
      • Soit l’un des époux est dans l’impossibilité d’exprimer sa volonté
      • Soit l’un des époux refuser d’accomplir l’acte, alors même que ce refus n’est pas justifié par l’intérêt de la famille
    • L’alinéa 2 de l’article 217 du Code civil précise que « l’acte passé dans les conditions fixées par l’autorisation de justice est opposable à l’époux dont le concours ou le consentement a fait défaut, sans qu’il en résulte à sa charge aucune obligation personnelle. »
    • Autrement dit, si l’autorisation du juge rend valable l’acte accompli par un seul époux alors que relevant de la cogestion, le conjoint qui n’a pas donné son consentement n’est pas engagé par cet acte.
    • L’acte lui demeure toutefois opposable, ce qui signifie qu’il ne pourra pas le remettre en cause.
  • La représentation judiciaire ( 219 C. civ.)
    • L’article 219 du Code civil prévoit que « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • Il s’agit ici de permettre à un époux de représenter son conjoint qui se retrouve dans l’incapacité d’exprimer sa volonté.
    • À la différence de l’autorisation judiciaire qui n’engage pas l’époux qui n’a pas consenti à l’acte, la représentation judiciaire autorise un époux à agir au nom et pour le compte de son conjoint.
    • L’acte accomplit engage donc personnellement ce denier qui est réputé avoir accompli l’acte.
    • Ce mécanisme n’est autre qu’une application des règles mandat, à la différence que sa mise en place procède, non pas d’un échange des consentements entre le mandant et le mandataire, mais d’une décision du juge.
    • À cet égard, la représentation judiciaire est subordonnée à l’établissement de l’empêchement du conjoint représenté.
    • Cet empêchement peut résulter, tout aussi bien, d’un état de santé qui affecte l’expression de la volonté du conjoint représenté que de son éloignement géographique.
    • Quant à l’étendue du pouvoir de l’époux qui est investi du pouvoir de représentation, il dépend du régime matrimonial applicable.
    • Cela signifie que pourront être accomplis tout autant des actes qui relèvent de la cogestion que ceux qui relèvent de la gestion exclusive.
    • Par ailleurs, il est indifférent que l’acte accompli soit un acte d’administration ou de disposition. Le texte vise les actes de toute nature.
  • La sauvegarde judiciaire ( 220-1 C. civ.)
    • L’article 220-1 du Code civil prévoit que « si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts. »
    • Il ressort de cette disposition que, en cas de manquement grave d’un époux à ses obligations et devoirs son conjoint peut saisir le juge aux fins de restreindre ses pouvoirs.
    • Par grave, il faut entendre un manquement qui met en péril les intérêts de la famille.
    • Lorsque cette condition est remplie, le juge pourra prononcer toute mesure urgente visant à empêcher à ce qu’il soit porté atteinte à l’intérêt de la famille.
    • L’alinéa 2 du texte précise qu’il peut s’agir d’interdire à un époux de faire, sans le consentement de l’autre, des actes de disposition sur ses propres biens ou sur ceux de la communauté, meubles ou immeubles.
    • Il peut aussi interdire le déplacement des meubles et plus généralement de tout acte d’administration et de disposition.
    • La liste n’étant pas exhaustive, il peut encore être demandé par un époux la nomination d’un administrateur qui aura pour mission de régler la situation de crise, à tout le moins d’accomplir tous les actes utiles visant à permettre le fonctionnement du ménage.
    • En tout état de cause, les mesures de sauvegarde prononcées par le juge ont nécessairement un caractère temporaire puisqu’elles sont limitées à trois.
    • Si la difficulté persiste au-delà de ce délai, il appartiendra au couple d’en tirer toutes les conséquences en engageant, par exemple, une procédure de divorce ou de séparation de corps.

[1] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

[3] En vertu de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas ».

[4] L’article 515-8 du Code civil dispose que « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

[5] Si, le législateur a inséré une définition du concubinage dans le Code civil c’est surtout pour mettre fin à la position de la Cour de cassation qui, de façon constante, refusait de qualifier l’union de deux personnes de même sexe de concubinage (Cass. soc., 11 juill. 1989, deux arrêts : Gaz. Pal. 1990, 1, p. 217, concl. Dorwling-Carter ; JCP G 1990, II, 21553, note Meunier ; Cass. Civ. 3e, 17 décembre 1997 : D. 1998, jurispr. p. 111, concl. J.-F. Weber et note J.-L. Aubert ; JCP G 1998, II, 10093, note A. Djigo).

[6] Cass. 1re civ., 19 mars 1991 : Defrénois 1991, p. 942, obs. J. Massip ; Cass. 1re civ., 17 oct. 2000 : Dr. famille 2000, comm. 139, note B. Beignier.

[7] En matière fiscale, pour ce qui concerne l’assiette de l’ISF, les concubins sont assimilés à des époux. Il en va de même en matière de protection sociale où le concubin est considéré comme un ayant du droit de celui qui bénéficie de l’affiliation à la sécurité sociale.

[8] P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161.

[9] Article 515-1.

Le bornage : régime juridique

==> Notion

Dans son acception courante le bornage se définit comme l’action de planter des bornes pour délimiter des propriétés foncières.

Sous le prisme de droit, c’est, selon le projet de réforme du droit des biens proposé par l’Association Henri Capitant, l’opération « qui a pour effet de reconnaître et fixer, de façon contradictoire et définitive, les limites séparatives des propriétés privées appartenant ou destinées à appartenir à des propriétaires différents ».

La jurisprudence s’est également livrée à l’exercice de définition en jugeant que le bornage « a pour objet de fixer définitivement les limites séparatives de deux propriétés contigües et d’assurer, par la plantation de pierres bornes, le maintien des limites ainsi déterminées » (Cass. 3e civ., 11 déc. 1901).

En somme l’opération de bornage consister à déterminer les limites d’un fonds au moyen de bornes qui permettront de matérialiser ces limites.

Son objet est donc de délimiter, diviser et plus précisément de tracer une frontière entre deux propriétés. L’histoire nous a montré qu’il s’agissait là d’une entreprise pour le moins périlleuse, car susceptible de rapidement dégénérer en conflit.

Assez curieusement pourtant, le Code civil est relativement silencieux sur le bornage. Il n’y consacre qu’un seul article, l’article 646, qui prévoit que « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs. »

À cet égard, cette disposition n’envisage le bornage que sous l’aspect contentieux, alors même qu’il peut être réalisé par voie conventionnelle, ce qui sera le plus souvent le cas.

Le besoin de procéder au bornage d’un fonds peut résulter de plusieurs situations différentes :

  • Détermination de la ligne divisoire, qui soit a toujours été incertaine, soit l’est devenue sous l’effet du temps, en raison de l’absence ou de la disparition des bornes
  • Dénonciation d’un empiétement par le propriétaire du fonds voisin
  • Division d’un fonds en plusieurs parcelles dans la perspective de leur transmission à titre gratuit ou à titre onéreux

==> Bornage et clôture

Bien que les deux opérations soient proches et entretiennent des liens étroits, le bornage et la clôture se distinguent fondamentalement.

Tandis que le bornage vise à déterminer la ligne divisoire, séparative entre deux fonds contigus, la clôture est ce qui sert à enclore un espace et à empêcher la communication avec les héritages voisins.

En toute logique, l’opération de bornage précède toujours la clôture, celle-ci prenant assiste sur la ligne séparative des fonds contigus.

Surtout les deux opérations se distinguent en ce que le bornage est toujours réalisé contradictoirement, alors que la clôture d’un fonds peut s’opérer unilatéralement.

En effet, régulièrement la jurisprudence rappelle que le bornage doit nécessairement être réalisé au contradictoire des propriétaires de tous les fonds concernés par l’opération.

Tel n’est pas le cas de la clôture qui peut être posée sur l’initiative d’un seul propriétaire, charge à lui de s’assurer de ne pas empiéter sur le fonds voisin. Le code civil envisage d’ailleurs la clôture comme une action unilatérale en prévoyant à l’article 647 que « tout propriétaire peut clore son héritage ».

À l’inverse, le bornage ne peut jamais se déduire de l’existence d’une clôture dont la mise ne résulterait pas d’un commun accord entre les propriétaires.

Il en résulte que la présence, d’un mur, d’une haie ou de toute autre forme de clôture est sans incidence sur le droit du propriétaire du fonds voisin à exiger la réalisation ultérieure d’une opération de bornage (V. en ce sens Cass. civ. 4 mars 1879)

Aussi, pour que le bornage produise ses pleins effets, plusieurs conditions doivent être réunies, après quoi seulement l’opération qui consiste à borner peut être mise en œuvre.

==> Nature

La nature du bornage a fait l’objet de controverses :

  • D’un côté, le Code civil présente le bornage, comme constituant une charge de la propriété, en ce sens que, non seulement il est envisagé comme une servitude, mais encore il peut être imposé au fonds voisin.
  • D’un autre côté, le bornage peut être regardé comme un acte de pure tolérance, puisque pouvant être réalisé par le propriétaire d’un fonds, lequel n’a pas à justifier de motifs particuliers (V. en ce sens 3e civ., 2 juill. 2013, n°12-21101)

À l’examen, l’opération de bornage revêt une nature mixte. Il s’agit d’une servitude, car elle peut donner lieu à une action judiciaire qui vise à contraindre le propriétaire du fonds voisin à borner sa propriété avec un partage des frais.

Mais il s’agit également d’un acte de pure faculté puisque relève des attributs du droit de propriété, ce qui confère au propriétaire le droit de se borner discrétionnairement, sous réserve que l’exercice de cette prérogative ne dégénère pas en abus de droit.

Ainsi le bornage consiste tout à la fois en un droit, mais peut également se transformer en obligation lorsque le propriétaire du fonds voisin en fait la demande.

Sous certains aspects, le droit au bornage se rapproche du droit de propriété dans la mesure où il est imprescriptible. Il ne s’en éloigne néanmoins, en ce qu’il vise, non pas à exercer un pouvoir sur une chose, mais à déterminer l’assiette de droits réels.

==> Caractères

  • Droit facultatif
    • Principe
      • Le bornage d’un fonds ne constitue nullement une obligation pour le propriétaire, à tout le moins dès lors que le voisin n’en fait pas la demande.
      • Classiquement, ce droit est analysé comme en un attribut du droit de propriété, en ce sens qu’il n’est pas besoin pour son titulaire de justifier d’un motif particulier pour l’exercer.
      • Tout au plus, il a été admis que le droit au bornage peut dégénérer en abus, notamment lorsqu’il vise à nuire au propriétaire du fonds voisin.
    • Exceptions
      • Parfois, le bornage peut être obligatoire :
        • L’article 663 du Code civil prévoit que « chacun peut contraindre son voisin, dans les villes et faubourgs, à contribuer aux constructions et réparations de la clôture faisant séparation de leurs maisons, cours et jardins assis ès dites villes et faubourgs : la hauteur de la clôture sera fixée suivant les règlements particuliers ou les usages constants et reconnus et, à défaut d’usages et de règlements, tout mur de séparation entre voisins, qui sera construit ou rétabli à l’avenir, doit avoir au moins trente-deux décimètres de hauteur, compris le chaperon, dans les villes de cinquante mille âmes et au-dessus, et vingt-six décimètres dans les autres.»
        • En matière de délivrance d’un fonds qui relève d’un lotissement, l’article L. 115-4 du Code de l’urbanisme prévoit que « toute promesse unilatérale de vente ou d’achat, tout contrat réalisant ou constatant la vente d’un terrain indiquant l’intention de l’acquéreur de construire un immeuble à usage d’habitation ou à usage mixte d’habitation et professionnel sur ce terrain mentionne si le descriptif de ce terrain résulte d’un bornage. Lorsque le terrain est un lot de lotissement, est issu d’une division effectuée à l’intérieur d’une zone d’aménagement concerté par la personne publique ou privée chargée de l’aménagement ou est issu d’un remembrement réalisé par une association foncière urbaine, la mention du descriptif du terrain résultant du bornage est inscrite dans la promesse ou le contrat. »
  • Imprescriptible
    • Parce que le droit au bornage est un attribut du droit de propriété, il est imprescriptible.
    • Il en résulte qu’il ne se perd pas par le non-usage et que l’action en bornage peut toujours être exercée.
  • Action réelle immobilière
    • L’action en bornage présente un caractère réel, en ce qu’elle vise à fixer les limites de la propriété.
    • Il en résulte qu’elle s’analyse en un acte de disposition dont l’accomplissement requiert le consentement de tous les indivisaires en cas d’indivision.
    • Elle ne se confond pas, en revanche, avec l’action en revendication dans la mesure où elle n’a pas vocation à trancher une question d’attribution de la propriété.

I) Les conditions du bornage

L’exercice du droit au bornage est subordonné à la réunion de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à la configuration des fonds
  • D’autre part, à l’action en bornage

A) Les conditions relatives à la configuration des fonds

  1. Existence de fonds appartenant à des propriétaires différents

Le droit au bornage suppose l’existence de fonds appartenant à des propriétaires différents.

L’essence même du bornage, c’est de délimiter des fonds distincts. L’opération ne présenterait donc aucun intérêt en présence d’une seule propriété, sauf à vouloir la diviser en parcelles dans la perspective de les céder.

Si cette exigence ne soulève aucune difficulté lorsque le fonds appartient à un seul propriétaire, plus délicate est sa mise en œuvre lorsque la propriété est exercée collectivement.

La question s’est notamment posée en jurisprudence de savoir si la règle exigeant la présence de deux propriétés distinctes avait vocation à s’appliquer lorsque les deux fonds concernés par le bornage relèvent d’une copropriété ou d’une indivision.

==> S’agissant de la copropriété 

Lorsqu’un immeuble est soumis au régime de la copropriété, sa propriété est répartie, entre plusieurs personnes, par lots, étant précisé que chaque lot comporte obligatoirement une partie privative et une quote-part de parties communes, lesquelles sont indissociables.

Aussi, le titulaire d’un lot de copropriété dispose d’une propriété exclusive sur la partie privative de son lot et d’une propriété indivise sur la quote-part de partie commune attachée à ce lot.

Cette situation permet-elle d’envisager que le droit au bornage puisse opérer dans le cadre d’une propriété, en particulier, s’agissant de la délimitation entre, d’une part, les parties privatives de lots différents et, d’autre part, la partie privative d’un lot et les parties communes de la copropriété ?

Dans un arrêt du 27 avril 2000, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question au motif que l’article 646 du Code civil exige que les fonds à délimiter appartiennent à des propriétaires différents.

Or la propriété de l’entier immeuble demeure commune à tous les copropriétaires, raison pour laquelle l’action en bornage est irrecevable en matière de copropriété (Cass. 3e civ. 27 avr. 2000, n° 98-17693).

Dans un arrêt du 19 juillet 1995, la troisième chambre civile avait jugé en ce sens que « le régime de la copropriété des immeubles bâtis, les lots ne sont séparés par aucune ligne divisoire et que la totalité du sol est partie commune (Cass. 3e civ. 19 juill. 1995, n° 93-12325).

Il convient néanmoins de relever le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 2004 qui a admis, pour la première fois, qu’une servitude puisse être établie dans le cadre d’une copropriété au motif que « le titulaire d’un lot de copropriété disposant d’une propriété exclusive sur la partie privative de son lot et d’une propriété indivise sur la quote-part de partie commune attachée à ce lot, la division d’un immeuble en lots de copropriété n’est pas incompatible avec l’établissement de servitudes entre les parties privatives de deux lots, ces héritages appartenant à des propriétaires distincts »

Est-ce à dire que lorsque l’opération de bornage intéresserait les parties privatives d’une copropriété, elle serait admise ?

La Cour de cassation s’y est une nouvelle fois opposée dans un arrêt du 19 novembre 2015, en jugeant que l’action en bornage est irrecevable quand bien même il s’agirait de délimiter les parties privatives appartenant à deux copropriétaires distincts (Cass. 3e civ. 19 nov. 2015, n°14-25403).

==> S’agissant de l’indivision

L’indivision consiste à conférer aux coindivisaires des droits concurrents sur un même bien.

Aussi, les droits exercés concurremment par chaque coindivisaire ont exactement la même assiette : le bien qui est détenu collectivement.

Aussi, dans cette configuration, la propriété n’a aucun seul objet, raison pour laquelle la jurisprudence n’admet pas qu’un fonds soumis au régime de l’indivision puisse donner lieu à un bornage entre coindivisaires (CA Chambéry, ch. civ., 24 janv. 2001, RG n°1998/00084)

Tout au plus, la Cour de cassation a jugé « qu’est recevable l’action en bornage de deux fonds contigus dont l’un appartient privativement au demandeur et l’autre est indivis entre lui et d’autres personnes » (Cass. 3e civ. 19 déc. 1978, n°77-13211).

2. Existence de fonds contigus

2.1. Principe

==> Notion

L’opération de bornage consiste, par nature, à déterminer une ligne séparative entre deux fonds. Pour ce faire, cela suppose que les fonds soient contigus. Par contigus, il faut entendre que les deux fonds se touchent.

Cette exigence est expressément posée par l’article 646 du Code civil qui prévoit que « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës ».

En application de cette disposition la Cour de cassation ainsi rejeté une demande de bornage, dans un arrêt du 5 mars 1974 au motif que les pièces produites par le demandeur « n’établissaient pas sa qualité de propriétaire de la parcelle à borner ainsi que la contiguïté exigée par la délimitation des héritages » (Cass. 3e civ. 5 mars 1974, n°72-14289).

Dans un arrêt du 8 décembre 2010 la troisième chambre civile a précisé que la contiguïté constitue « la condition nécessaire et suffisante à l’accueil d’une demande en bornage » (Cass. 3e civ. 8 déc. 2010, n°09-17.005).

==> Séparation des fonds par un chemin

La question s’est posée en jurisprudence de savoir si une action en bornage pouvait être accueillie lorsque deux fonds sont séparés par un chemin, d’une route ou encore d’un sentier ? La présence d’une telle voie de passage opère-t-elle une rupture de la contiguïté ou est-elle sans incidence sur la situation des fonds ?

Pour le déterminer, il convient de distinguer plusieurs types de voies :

  • La voie publique
    • Lorsque la voie qui sépare les deux fonds relève du domaine public, cette rupture de la contiguïté sera toujours acquise, de sorte qu’aucune action en bornage ne saurait prospérer (V. en ce sens req. 6 nov. 1866).
    • La solution est logique dans la mesure où techniquement, les deux fonds ne se touchent pas ; ils sont séparés par un espace au niveau duquel les droits de propriété des propriétaires s’arrêtent.
  • Les chemins ruraux
    • L’article L. 161-1 du Code rural et de la pêche maritime, définit les chemins ruraux comme ceux « appartenant aux communes, affectés à l’usage du public, qui n’ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune».
    • Il ressort de cette disposition que les chemins ruraux sont susceptibles de relever, tantôt du domaine privé, tantôt du domaine public.
    • À cet égard, dans un arrêt du 19 décembre 2001, la Cour de cassation est venue préciser que « seule une décision de classement d’un chemin rural comme voie communale est de nature à intégrer cette voie dans le domaine public de la commune» ( 3e 19 déc. 2001, n°, 99-21.117).
    • La conséquence en est que, lorsque les chemins ruraux n’ont pas été classés et relèves donc du domaine privé de la commune, ils sont susceptibles de faire l’objet d’un bornage sur la demande d’un propriétaire privé ( 3e, 19 déc. 2001, n°99-21.117).
    • En tout état de cause, lorsque deux fonds privés sont séparés par un chemin rural, il y a là encore rupture de la contiguïté entre ces deux fonds.
  • Les chemins d’exploitation
    • Quid lorsque la voie ne relève pas du domaine public, mais consiste en un chemin d’exploitation ?
    • L’article L. 162-1 du Code rural et de la pêche maritime définit les chemins et sentiers d’exploitation comme « ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation».
    • Cette disposition poursuit en précisant qu’ils sont, « en l’absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l’usage en est commun à tous les intéressés. »
    • Très tôt, la jurisprudence a admis que la séparation de deux fonds par un chemin d’exploitation n’excluait pas la contiguïté, dans la mesure où l’assiette du droit de propriété des propriétaires des fonds s’étend jusqu’à ce chemin ( civ., 20 déc. 1899).
    • La Cour de cassation a rappelé cette règle dans un arrêt du 8 décembre 2010 en affirmant que « le chemin d’exploitation séparant les fonds en cause créait la contiguïté entre ces fonds et que cette contiguïté constituait la condition nécessaire et suffisante à l’accueil d’une demande en bornage, celle-ci ne remettant pas en cause la destination du chemin» ( 3e civ., 8 déc. 2010, n°09-17.005).
    • À cet égard, il peut être observé que la troisième chambre civile a pu décider qu’en cas de suppression du sentier commun, la ligne séparative des fonds se situe au niveau de l’axe médian du chemin ( 3e civ. 20 juin 1972, n° 71-11.295).

2.2. Tempéraments

Le principe d’exigence de contiguïté des fonds à borner est assorti de plusieurs tempéraments :

  • Arrière-voisins
    • Il est des cas, où la mise en cause des arrière-voisins peut s’avérer nécessaire lorsque notamment ils empiètent sur le fonds du voisin, lequel empiète sur le fonds du demandeur à l’action en bornage.
    • Une application stricte de l’article 646 du Code civil devrait néanmoins conduire à interdire d’appeler à la cause les arrières voisins, dans la mesure où, par hypothèse, l’exigence de contiguïté n’est pas satisfaite.
    • La conséquence en est que chaque propriétaire devrait engager une action en bornage contre son voisin, lequel voisin devrait à son tour engager la même action contre son voisin et ce en remontant de proche en proche jusqu’au propriétaire à l’origine de l’empiétement originaire.
    • Afin d’éviter cette situation qui serait de nature à nuire à la bonne administration de la justice, la Cour de cassation a très tôt admis que les arrière-voisins étaient susceptibles d’être mis en cause, lorsque la superficie réelle des deux propriétés à borner ne peut être rétablie qu’en déplaçant leurs limites avec d’autres voisins ( civ. 20 juin 1855).
  • Fonds bâtis
    • Il est admis que, lorsque des fonds contigus sont séparés par le mur de bâtiments édifiés sur chacun des fonds, l’action en bornage est inopérante.
    • La Cour de cassation a jugé en ce sens dans un arrêt du 25 juin 1970 que « l’action en bornage cesse de pouvoir s’exercer lorsqu’il s’agit de bâtiments qui se touchent» ( 3e civ. 25 juin 1970, n°68-13674).
    • La raison en est que l’opération de bornage vise seulement à déterminer la ligne séparative entre deux fonds.
    • Or admettre qu’elle puisse être réalisée lorsque deux bâtiments se touchent pourrait conduire le juge, en cas d’empiétement, à statuer sur une demande de démolition pour empiétement.
    • Aussi, la Cour de cassation se refuse à dénaturer l’action en bornage dont les effets se limitent à fixer les limites des fonds contigus sans attribuer au demandeur la propriété de la portion de terrain sur laquelle se trouve l’ouvrage qui empiète ( 3e civ. 10 juill. 2013, n°12-19416 et 12-19610).
    • Lorsque, en revanche, les bâtiments édifiés sur les deux fonds contigus ne se touchent pas, l’action en bornage peut toujours être exercée ( 1ère civ. 28 déc. 1957).
  • Limites naturelles
    • Il est des situations où les deux fonds contigus seront séparés par une limite naturelle, tel qu’un cours d’eau ou une falaise par exemple.
    • Très tôt la Cour de cassation a considéré que « l’action en bornage ayant pour objet de fixer définitivement une ligne séparative entre deux héritages contigus et d’assurer, par la plantation de pierres-bornes, le maintien de la limite ainsi déterminée, est, par nature, inapplicable à des fonds séparés par un ruisseau formant entre eux une limite naturelle» ( civ. 11 déc. 1901).
    • Plus récemment, la troisième chambre civile a rappelé dans un arrêt du 13 décembre 2018 que « l’action en bornage ne peut être exercée lorsque des fonds sont séparés par une limite naturelle» ( 3e civ. 13 déc. 2018, n°17-31.270).
    • Elle a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui après avoir constaté que « la parcelle n° […] était séparée des parcelles n° […] et […] par une falaise dessinant une limite non seulement naturelle mais encore infranchissable sans moyens techniques appropriés», en a déduit que l’action n’était pas fondée.

Cass. 3e civ. 13 déc. 2018
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 17 juillet 2017), que Mmes Jeannine et Anne-Marie Z... et MM. B..., C... et D... Z..., propriétaires indivis des parcelles cadastrées section [...] et [...], ainsi que Mmes Claudine et Catherine E... et M. X..., propriétaires indivis de la parcelle cadastrée même section n° [...], ont assigné en bornage M. Y..., propriétaire de la parcelle cadastrée section [...] ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter la demande alors, selon le moyen, que la contiguïté constitue la condition nécessaire et suffisante à l'accueil d'une demande en bornage ; qu'en relevant que l'« action en bornage ne pourrait être exercée lorsque les fonds sont séparés par une limite naturelle » et qu'il n'y avait pas lieu à bornage aux motifs qu'une falaise, « limite naturelle mais encore infranchissable sans moyen technique approprié » se « dessinerait» entre les parcelles en cause, quand cette circonstance n'était pas de nature à faire obstacle au bornage de fonds contigus, la cour d'appel a violé l'article 646 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu à bon droit que l'action en bornage ne peut être exercée lorsque des fonds sont séparés par une limite naturelle et constaté que la parcelle n° [...] était séparée des parcelles n° [...] et [...] par une falaise dessinant une limite non seulement naturelle mais encore infranchissable sans moyens techniques appropriés, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action n'était pas fondée ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les autres branches du moyen qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

3. Existence de fonds relevant de la propriété privée

Pour que l’action en bornage soit admise il ne faut pas seulement que les fonds appartiennent à des propriétaires différents, il faut encore qu’ils relèvent de propriétés privées.

Lorsque, dès lors, l’un des fonds relève du domaine public, l’action en bornage est irrecevable, à tout le moins sur le fondement du droit privé (CE, 20 juin 1975, n° 89785, Leverrier).

Aussi, la délimitation d’un fonds privé avec le domaine public relève de la compétence de la seule administration qui procédera unilatéralement à l’opération de bornage selon les règles du droit public, et plus précisément celles qui gouvernent la procédure d’alignement.

Lorsque, néanmoins, le fonds voisin relève du domaine privé d’une personne public, l’action en bornage fondée sur l’article 646 du Code civil reste applicable.

Dans un arrêt du 10 juillet 1973 la Cour de cassation a jugé en ce sens, s’agissant d’une propriété privée jouxtant le fonds appartenant à une commune que « l’action en bornage ne peut viser que le domaine prive de celle-ci » (Cass. 3e civ. 10 juill. 1973, n°72-12056).

B) Les conditions relatives à l’action en bornage

  1. La recevabilité de l’action

==> L’absence de bornage antérieur

Bien que la règle relève du bon sens, l’exercice du droit au bornage est d’abord subordonné à l’absence de bornage antérieure. Cette règle est formulée dans l’adage « bornage sur bornage ne vaut ».

Ainsi, dès lors qu’une délimitation des fonds est déjà intervenue, soit dans le cadre d’un accord amiable entre les propriétaires, soit dans le cadre d’une procédure judiciaire, l’action en bornage ne peut plus être exercée.

La ligne divisoire qui procède d’une opération de bornage est donc intangible, ce qui est régulièrement rappelé par la jurisprudence qui considère que cette intangibilité tient :

  • Soit à la force obligatoire du contrat qui a fixé la ligne séparative des fonds
  • Soit à l’autorité de la chose jugée lorsque la ligne séparative a été déterminée par jugement

Il est indifférent que le bornage contesté procède d’une convention ou d’une décision de justice : dans les deux cas, la ligne séparative ne peut pas être remise en cause.

Ainsi, l’existence d’un bornage amiable fait obstacle à une action en bornage judiciaire tout autant que l’établissement d’un bornage judiciaire fait échec à l’exercice du droit au bornage.

La Cour de cassation exige néanmoins que ce bornage existant ait été réalisé conformément aux exigences légales (V. en ce sens Cass. 3e civ., 13 nov. 2007, n° 06-18.580).

==> La preuve de l’absence de bornage antérieur

Pour établir l’existence d’un bornage antérieure, il doit être démontré que, d’une part, un accord amiable ou une décision de justice ont constaté la délimitation des fonds et, d’autre part, que cette constatation s’est traduite par l’implantation de bornes signalant la ligne séparative.

Lorsque la preuve de ces deux éléments (titre + implantation de bornes) est rapportée, l’action en bornage ne pourra jamais être menée à bien. Elle se heurte à une présomption irréfragable de bornage. Un auteur a pu parler, en pareille hypothèse, d’une « fin de non-recevoir invincible »[1].

Quid néanmoins, lorsque la preuve d’un seul de ces deux éléments est rapportée ?

  • Première situation : preuve du titre sans implantation de bornes
    • Dans cette hypothèse, le défendeur à l’action en bornage est muni d’un titre (accord amiable ou décision de justice).
    • Toutefois, il n’est pas en mesure d’établir l’implantation de bornes, alors même qu’il s’agit d’une étable obligatoire à l’opération de bornage.
    • Dans un arrêt du 19 janvier 2011, la Cour de cassation a jugé qu’« une demande en bornage judiciaire n’est irrecevable que si la limite divisoire fixée entre les fonds a été matérialisée par des bornes» ( 3e civ. 19 janv. 2011, n°09-71207).
    • Lorsque dès lors, une opération de bornage a bien eu lieu, mais qu’elle ne s’est pas traduite par l’installation de bornes, à tout le moins que les bornes ont disparu, l’action en bornage est recevable.
    • La troisième chambre civile a validé, en ce sens, la décision d’une Cour d’appel qui avait jugé recevable une action en bornage après avoir constaté « qu’un bornage amiable avait eu lieu sur les parcelles en cause en 1986 mais que la limite entre les fonds était devenue incertaine, n’étant plus matérialisée du fait de la disparition de certaines bornes » ( 3e civ. 4 juin 2013, n°11-28910).
    • Les juges du fond disposent, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation (V. en ce sens 3e civ., 16 nov. 1971, n°70-11344).
  • Seconde situation : preuve de l’implantation de bornes sans titre
    • Dans cette hypothèse, le défendeur à l’action en bornage n’est pas en mesure de justifier d’un titre ; néanmoins il démontre l’implantation de bornes qui signalent le tracé d’une ligne séparative
    • Est-ce suffisant pour établir l’existence d’un bornage antérieur ?
    • Dans un arrêt du 20 décembre 1995, la Cour de cassation a jugé que la présence de bornes qui délimitent les fonds est de nature à faire présumer l’existence d’un accord amiable entre les propriétaires (Cass 3e 20 déc. 1995, no 23-21326).
    • Cette présomption permet ainsi de palier l’impossibilité pour le défendeur à l’action en bornage de produire un procès-verbal ou une décision de justice constatant la détermination antérieure de la ligne séparative.
    • Le danger réside toutefois dans la possibilité que les bornes aient été posées unilatéralement par le propriétaire de l’un des fonds ou qu’elles aient été déplacées.
    • C’est la raison pour laquelle la présomption est inopérante en cas de fraude ou de preuve d’apposition unilatérale des bornes.

2. Le titulaire de l’action

2.1. La qualité à agir

L’article 646 du Code civil prévoit que « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës ».

Il ressort de cette disposition que l’action en bornage est a priori, réservée au propriétaire, de sorte qu’il appartient aux juges du fonds de toujours vérifier, avant d’accueillir une telle action, que le demandeur justifie de cette qualité (V. en ce sens Cass. 3e civ. 17 juin 2014, n°12-35078).

On peut en déduire que l’action en bornage est une action attitrée, en ce sens que, conformément à l’article 31 in fine du Code de procédure civile, c’est la loi qui « attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

Autrement dit, il ne suffit pas pour le demandeur d’avoir un « intérêt légitime au succès ou au rejet de sa prétention tendant au bornage », il faut encore justifier d’un titre et plus précisément d’un droit de propriété sur le fonds.

==> Les personnes qui disposent de la qualité à agir

  • Le propriétaire
    • Au premier rang des personnes qui disposent de la qualité à agir figurent les propriétaires, soit ceux qui justifient de la pleine propriété du fonds
    • La raison en est que le droit de contraindre son voisin au bornage est un attribut du droit de propriété
    • Cette prérogative conférée au propriétaire peut être exercée discrétionnairement, soit sans qu’il ait à justifier un motif quelconque.
  • L’usufruitier
    • S’il partage en commun avec le propriétaire d’exercer un droit réel sur la chose, il s’en distingue en ce que son pouvoir consiste en un démembrement du droit de propriété, en ce sens qu’il n’en possède pas tous les attributs.
    • Est-ce à dire que l’usufruitier ne dispose pas de la qualité pour agir en bornage ?
    • Pour le déterminer, il convient de raisonner en partant de l’article 597 du Code civil qui dispose que l’usufruitier « jouit des droits de servitude, de passage, et généralement de tous les droits dont le propriétaire peut jouir, et il en jouit comme le propriétaire lui-même. »
    • Il s’infère de cet article que rien ne s’oppose à ce que l’usufruitier soit titulaire de l’action en bornage à l’instar du propriétaire.
    • Reste que la jurisprudence considère que l’opération de bornage qui a été réalisée en dehors de la présence du nu-propriétaire lui est inopposable, dans la mesure où à l’expiration de l’usufruit, le nu-propriétaire ne s’apparente pas à l’ayant-cause de l’usufruitier.
    • C’est la raison pour laquelle, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 2 décembre 2010, a admis que le nu-propriétaire puisse former une tierce-opposition au jugement de bornage au motif que « la communauté d’intérêts ne suffit pas à caractériser la représentation et que le nu-propriétaire n’est pas nécessairement représenté par un usufruitier» ( 2e civ. 2 déc. 2010, n°09-68.094).
  • Le nu-propriétaire
    • Le nu-propriétaire a vocation, à l’expiration de l’usufruit, à recouvrer la jouissance de la chose qui est exercée par l’usufruitier.
    • Cette amputation de son droit de propriété fait-elle obstacle à ce qu’il exerce une action en bornage ?
    • Il n’en est rien dans la mesure où le nu-propriétaire est regardé comme le véritable propriétaire de la chose.
    • Son droit est seulement diminué pendant toute la durée de l’usufruit.
    • Pour cette raison, il a pleinement qualité à agir en bornage (CA Bordeaux, 23 juin 1836).
    • Toutefois, l’opération de bornage réalisée par le seul nu-propriétaire est inopposable à l’usufruitier qui doit être associé à la démarche ( 2e civ., 14 nov. 2013, n° 12-25.477).
  • Les titulaires de droits réels démembrés
    • Plus largement, il est admis que les titulaires de droits réels démembrés sont titulaires de l’action en bornage, dès lors que l’assiette de leur droit est rigoureusement la même que celle du propriétaire du fonds.
    • Il en va ainsi de l’usager ou de l’emphytéote qui ont tout intérêt à agir pour fixer l’assiette du droit réel dont ils sont investis ( civ. 27 oct. 1948)
    • À l’instar de l’usufruitier et du nu-propriétaire, pour que la décision de bornage soit opposable aux titulaires de droits réels concurrents, ces derniers devront être mis en cause, faute de quoi la délimitation du fonds pourra toujours être contestée.

==> Les personnes qui ne disposent pas de la qualité à agir

  • Les titulaires de droit personnels
    • Parce que l’action en bornage n’appartient qu’aux personnes qui exercent un droit réel sur la chose, n’ont jamais qualité à agir les personnes titulaires de droits personnels qu’ils sont susceptibles d’exercer contre le propriétaire du fonds.
    • Le locataire ou le fermier sont donc insusceptibles ne sont donc pas recevables à agir en bornage. Tout au plus, ils sont fondés à engager la responsabilité du propriétaire du fonds loué en cas de réduction de l’assiette de leur droit de jouissance.
  • Les titulaires d’une servitude
    • La jurisprudence n’admet pas que le titulaire d’une servitude, tel qu’un droit de passage sur le fonds, soit titulaire de l’action en bornage ( civ. 27 oct. 1948)
    • Selon des auteurs, la raison en est que l’assiette du droit du bénéficiaire de la servitude est différente de celle du droit du propriétaire du fonds[2].

2.2. La capacité à agir

Si l’opération de bornage se limite en général à déterminer la ligne divisoire qui sépare deux fonds contigus, il est des cas où elle peut avoir pour effet de remettre en cause l’assiette du droit de propriété, en ce que la ligne séparative est incertaine ou contestée.

C’est la raison pour laquelle la doctrine considère que le bornage présente une double nature :

  • Lorsqu’il a seulement pour effet de fixer la ligne séparative sans affecter l’assiette du droit de propriété, il consiste en un acte d’administration
  • Lorsque, en revanche, le bornage a pour effet d’affecter l’assiette du droit de propriété, il endosse plutôt la qualification d’acte de disposition.

Aussi, parce que, l’opération de bornage est tantôt un acte d’administration, tantôt un acte de disposition, la capacité à agir requise pour réaliser cette opération varie, selon qu’il endosse l’une ou l’autre qualification.

  • Lorsque le bornage consiste en un acte de disposition, il faut disposer de la pleine capacité juridique pour agir en bornage.
  • Lorsque le bornage consiste seulement en un acte d’administration, une capacité à agir plus restreinte suffit.

Fort de ce constat, plusieurs situations interrogent sur la capacité de certaines personnes à agir en bornage, car ne disposant que d’une capacité juridique limitée.

a) Les majeurs protégés

Les majeurs protégés se caractérisent par leur capacité juridique qui est limitée. Son étendue varie selon le régime de protection dont la personne bénéficie.

Car un majeur peut faire l’objet de plusieurs mesures de protection : la sauvegarde de justice, la curatelle, la tutelle et le mandat de protection future.

==> La personne sous sauvegarde de justice

  • Principe
    • La personne sous sauvegarde de justice conserve sa pleine de capacité juridique ( 435, al. 1erC. civ.)
    • Il en résulte qu’elle est, par principe, autorisée à agir seule en bornage
  • Exception
    • La personne sous sauvegarde de justice ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial a été désigné (art. 435 C. civ.).
    • Lorsque l’opération de bornage relève des actes pour lesquels le juge a exigé une représentation, la personne sous sauvegarde de justice ne pourra donc pas agir seule
    • Elle devra se faire représenter par le mandataire désigné dans la décision rendue

==> La personne sous curatelle

Les personnes sous curatelles ne peuvent, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille.

Afin de déterminer quels sont les actes que le majeur sous curatelle peut accomplir seul et ceux qui requièrent la présence de son protecteur, il y a lieu de se reporter à l’article 505 du Code civil qui prévoit que « le tuteur ne peut, sans y être autorisé par le conseil de famille ou, à défaut, le juge, faire des actes de disposition au nom de la personne protégée. »

Il s’infère de cette disposition que la personne sous curatelle peut accomplir seule tous les actes d’administration et doit être assistée par son curateur pour les actes de disposition.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par acte de disposition et par acte d’administration.

Pour le déterminer, il convient de se reporter au décret n°2008-1484 du 22 décembre 2008 qui définit :

  • Les actes d’administration comme « les actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne protégée dénués de risque anormal. »
  • Les actes de disposition comme « les actes qui engagent le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire. »

Ces deux types d’actes sont énumérés en annexe 1 et 2 du décret du 22 décembre 2008.

Lorsque l’on se reporte à ces annexes, il apparaît que l’action de bornage amiable relève de la catégorie des actes d’administration.

Qu’en est-il de l’action judiciaire en bornage ? Le décret ne le dit pas. Il précise néanmoins que, de manière générale, constitue un acte d’administration toute action relative à « un droit patrimonial de la personne ».

On en déduit que l’action en bornage relève également de cette catégorie, à l’instar donc de l’opération de bornage amiable.

La conséquence en est que pour être mise en œuvre, l’opération de bornage ne requiert pas l’assistance du curateur

==> La personne sous tutelle

Une personne sous tutelle est, à l’instar du mineur, frappée d’une incapacité d’exercice générale. Aussi, le tuteur la représente dans tous les actes de la vie civile (art. 473 C. civ.)

Plus précisément, en application des articles 504 et 505 du Code civil, le tuteur peut accomplir pour le compte du majeur sous tutelle tous les actes d’administration, alors qu’il doit obtenir l’autorisation du juge des tutelles pour les actes de disposition.

S’agissant de l’opération de bornage, elle consiste en un acte d’administration, raison pour laquelle le tuteur peut agir seul dans l’intérêt du majeur protégé.

==> La personne sous mandat de protection future

Toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle ou d’une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter lorsqu’elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté (art. 477 C. civ.)

Il appartient donc au mandant de déterminer les actes pour lesquelles elle entend se faire représenter lorsqu’elle la mesure de protection sera activée.

L’opération de bornage peut parfaitement figurer au nombre de ces actes, à la condition néanmoins que cette opération soit expressément visée dans le mandat, lequel doit nécessairement être établi par écrit (par acte notarié ou par acte sous seing privé).

==> La personne sous habilitation familiale

La personne sous habilitation familiale est celle qui se trouve dans l’incapacité d’exprimer sa volonté en raison d’une altération, médicalement constatée soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles (art. 494-1 C. civ.).

Un proche de sa famille (ascendant, descendant, frère ou sœur, conjoint, partenaire ou concubin) est alors désigné par le juge afin d’assurer la sauvegarde de ses intérêts.

L’habilitation peut être générale ou ne porter que sur certains actes visés spécifiquement par le juge des tutelles dans sa décision (art. 494-6 C. civ.).

S’agissant de l’opération de bornage, si l’habilitation familiale est générale, la personne protégée devra nécessairement se faire représenter.

Si l’habilitation familiale est seulement spéciale, le majeur protégé ne pourra agir en bornage qu’à la condition que cet acte ne relève pas du pouvoir de son protecteur.

b) Les coindivisaires

Lorsque le fonds appartient à plusieurs personnes en indivision, la question se pose de savoir si l’action en bornage peut être exercée par un seul coindivisaire ou si elle doit nécessairement recueillir l’accord de tous.

Cette interrogation conduit à se demander si le bornage d’un bien indivis consiste en un acte conservatoire ou s’il relève plutôt de la catégorie des actes de gestion.

En effet, selon qu’il s’agit d’une mesure conservatoire ou d’un acte de gestion, le régime juridique de la prise de décision diffère :

  • S’agissant des actes conservatoires
    • L’article 815-2 du code civil permet à un seul indivisaire de prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis.
    • La jurisprudence a précisé que ces mesures devaient être nécessaires et urgentes, et en particulier justifiées par un péril imminent, et ne pas compromettre sérieusement le droit des indivisaires.
  • S’agissant des actes de gestion
    • L’article 815-3 exige que la décision soit prise, selon les cas, à la majorité qualifiée ou à l’unanimité des indivisaires pour les actes d’administration et de disposition.
    • L’acte de gestion ne peut, en tout état de cause, jamais être accompli par un seul indivisaire.
    • La qualification de l’opération de bornage est donc déterminante : seule l’appartenant à la catégorie des mesures conservatoires autoriserait un coindivisaire à agir seul.

Afin de mieux appréhender la position de la jurisprudence sur cette question, il convient s’arrêter sur son évolution.

  • Premier temps
    • Dans un arrêt du 9 octobre 1996 la Cour de cassation a refusé à l’opération de bornage la qualification d’acte conservatoire, considérant qu’il s’agissait d’un acte de disposition à part entière.
    • Au soutien de sa décision elle a affirmé « qu’une mesure doit, pour présenter un caractère conservatoire, être nécessaire et urgente afin de soustraire le bien indivis à un péril imminent menaçant la conservation matérielle ou juridique de ce bien».
    • Elle en déduit que l’action en bornage exercée par le seul indivisaire « était irrecevable» ( 3e civ. 9 oct. 1996, n°94-15.783).
    • Des auteurs ont critiqué cette solution retenue par la Cour de cassation au motif que le bornage a seulement vocation à fixer les limites du droit de propriété sans lui porter atteinte.

Cass. 3e civ. 9 oct. 1996
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 3 décembre 1993), que Mme Y..., propriétaire indivis d'un fonds, a assigné en bornage M. X..., propriétaire d'une parcelle voisine ;

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable, alors, selon le moyen, que tout indivisaire peut prendre des mesures nécessaires à la conservation des biens indivis ; qu'en se bornant, pour déclarer irrecevable l'action en bornage exercée par Mme Y... seule, à énoncer que le péril imminent menaçant la conservation matérielle ou juridique du bien indivis n'était pas établi, sans se prononcer sur le procès-verbal de constat du 22 septembre 1987 établissant des actes d'empiétement de la part de M. X..., occupant du fonds contigu, ni sur la plainte adressée par Mme Y..., le 12 novembre 1988, au procureur de la République, dénonçant la persistance des actes d'empiétement, pièces produites devant la cour d'appel et de nature à établir la nécessité et l'urgence de l'action en bornage exercée par Mme Y..., la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 815-2 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé qu'une mesure doit, pour présenter un caractère conservatoire, être nécessaire et urgente afin de soustraire le bien indivis à un péril imminent menaçant la conservation matérielle ou juridique de ce bien et ayant constaté que le caractère d'urgence n'était pas établi, en l'espèce, la cour d'appel, qui a retenu, à bon droit, que l'action exercée par la seule indivisaire, Mme Y..., était irrecevable, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

  • Deuxième temps
    • Dans le droit fil de sa position adoptée 1996, la troisième chambre civile a précisé, dans un arrêt du 9 juillet 2003, « qu’une action en bornage entre dans la catégorie des actes d’administration et de disposition» ( 3e civ. 9 juill. 2003, n°01-15613).
    • Aussi, dans cette décision, la Cour de cassation n’admet toujours pas qu’un seul coindivisaire puisse agir en bornage d’un fonds indivis.
    • Rendue sous l’empire du droit antérieur à la loi du 23 juin 2006 qui a modifié les règles de l’indivision, elle impliquait que l’opération de bornage devait recueillir l’unanimité des coindivisaires pour être mise en œuvre.
  • Troisième temps
    • La loi n°2006-728 du 23 juin 2006 a modifié en profondeur le régime de l’indivision.
    • Elle a notamment assoupli la règle de l’unanimité, très protectrice du droit de chaque indivisaire, qui était appliquée pour tous les actes d’administration et de disposition.
    • Cette règle conduisait cependant à une mauvaise gestion des biens ou à un recours fréquent au juge pour surmonter la paralysie.
    • Aussi le législateur a-t-il prévu que certains actes peuvent être accomplis à la majorité des deux tiers au nombre desquels figurent notamment les actes d’administration.
    • Dans la mesure où l’opération de bornage est qualifiée par le décret n°2008-1484 du 22 décembre 2008 d’acte d’administration elle suppose l’obtention, non pas d’un accord unanime des coindivisaire, mais d’une majorité qualifiée qui correspond aux deux tiers des droits indivis.
    • En application de la loi du 23 juin 2006, l’action en bornage ne peut donc pas être exercée par un seul indivisaire.
  • Quatrième temps
    • Dans un arrêt du 31 octobre 2012, la Cour de cassation a admis que le procès-verbal de bornage signé par une personne qui réunissait, à la fois la qualité de coindivisaire, et à la fois celle d’usufruitier, puisse être valable en l’absence de contestation des coindivisaires ( 3e civ. 31 oct. 2012, n°11-24.602).
    • Ainsi, la troisième chambre civile valide une opération de bornage à laquelle tous les propriétaires n’avaient pas été associés.
    • D’aucuns justifient cette solution par l’existence d’un mandat tacite qui aurait été confié au signataire du procès-verbal, étant précisé que ce mandat se déduirait de l’absence de contestation des coindivisaires.
    • Peut-on déduire de cette décision que l’action en bornage peut être exercée par un seul indivisaire ? Probablement pas, ce qui est confirmé un arrêt rendu par la Cour de cassation 6 ans plus tard.
  • Cinquième temps
    • Dans un arrêt du 12 avril 2018, la Cour de cassation a validé la décision d’une Cour d’appel qui avait jugé irrecevable une action en bornage exercé par un couple de coindivisaires au motif qu’ils « ne justifiaient pas du consentement d’indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis»
    • La troisième chambre précise que « leur action entrait dans la catégorie des actes prévus à l’article 815-3 du code civil», raison pour laquelle elle était irrecevable ( civ. 3 e, 12 avr. 2018, n°16-24.556)
    • Il ressort de cette disposition que, parce que l’action en bornage relève des actes d’administration, elle ne peut être exercée que par des coindivisaires qui représentent au moins les deux tiers des droits indivis.
    • Un seul coindivisaire n’a donc pas qualité à agir.

Cass. civ. 3 e, 12 avr. 2018
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Fort-de-France, 26 avril 2016), que Mme D... X..., Mme F... X... épouse D..., Mme G... X..., épouse Z... et Mme H... X..., épouse A... (les consorts X...), propriétaires d’une parcelle cadastrée [...], ont assigné en bornage M. E... Y..., Mme I... B... et Mme J... B... épouse C..., propriétaires de la parcelle voisine cadastrée [...] ;

Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt de déclarer irrecevable leur action en bornage, alors, selon le moyen, que l’action en bornage, dont l’objet est de fixer l’assiette de l’héritage, tend à assurer la préservation des limites du fonds et constitue une mesure nécessaire à la conservation du bien indivis ; qu’en retenant pourtant, en l’espèce, pour juger irrecevable l’action en bornage diligentée par les consorts X..., que l’action en bornage constituerait un acte « d’administration et de disposition requérant le consentement de tous les indivisaires », la cour d’appel a violé l’article 815-2 du code civil par refus d’application et l’article 815-3 de ce code par fausse application ;

Mais attendu qu’ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que les consorts X... n’étaient pas les seuls propriétaires indivis de la parcelle [...] et ne justifiaient pas du consentement d’indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis, la cour d’appel a retenu à bon droit que leur action entrait dans la catégorie des actes prévus à l’article 815-3 du code civil et en a exactement déduit qu’elle était irrecevable ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

c) Le couple marié

Lorsque des époux sont mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, l’article 1421 du Code civil prévoit que « chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer, sauf à répondre des fautes qu’il aurait commises dans sa gestion. Les actes accomplis sans fraude par un conjoint sont opposables à l’autre. »

Il ressort de cette disposition que les époux communs en biens ont a priori capacité à agir seuls en bornage, cette opération consistant en un acte de pure administration.

Reste qu’il convient de compter avec l’article 1424 du Code civil restreint cette capacité des époux à agir pour les actes qui visent à « aliéner ou grever de droits réels les immeubles ».

La conséquence en est que lorsque l’opération de bornage a pour effet d’affecter l’assiette de la propriété d’un bien commun, ils sont privés de la capacité à agir seul : l’accomplissement de l’acte requiert le consentement des deux époux.

La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 4 mars 2009 où il était question d’une action engagée par un époux visant à obtenir la nullité du procès-verbal de bornage qui avait été signé, sans son consentement, par son seul conjoint (Cass. 3e civ. 4 mars 2009, n°07-17991).

Cass. 3e civ. 4 mars 2009
Sur le premier moyen :

Vu le principe selon lequel l'exception de nullité est perpétuelle, ensemble l'article 1427, alinéa 2, du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes 23 janvier 2007), que les consorts X..., aux droits desquels intervient la société Poiel, propriétaires indivis de parcelles ont assigné les époux Y..., propriétaires de parcelles contiguës, pour obtenir la cessation d'un empiétement sur leur propriété et la mise en place de bornes en exécution d'un procès-verbal de bornage du 6 mars 1973, signé par les parties à l'exception de Mme Y... ;

Attendu que pour déclarer ce procès-verbal opposable à cette dernière, l'arrêt retient que la nullité de cet acte n'a pas été demandée par Mme Y... qui était commune en biens pour être mariée sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, dans les deux ans de sa connaissance ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le délai imparti par l'article 1427, alinéa 2, du code civil pour l'exercice de l'action en nullité contre le procès-verbal de bornage qu'elle n'avait pas signé ne pouvait empêcher Mme Y... d'opposer à la demande principale un moyen de défense tiré de la nullité de cet acte irrégulièrement passé par son époux, la cour d'appel a violé le principe et l'article susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 janvier 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée ;

II) La mise en œuvre du bornage

A) La détermination de la ligne séparative

L’opération de bornage peut être conduite amiablement par les propriétaires des fonds concernés ou donner lieu à une action judiciaire en cas de mésentente.

  1. Le bornage conventionnel

Lorsque l’opération de bornage procède d’un accord entre propriétaires, elle se traduit par l’établissement d’un procès-verbal de bornage qui est dressé par un géomètre-expert et qui aura pour effet de fixer définitivement la ligne divisoire qui sépare les deux fonds contigus.

a) L’établissement du procès-verbal de bornage

Plusieurs conditions doivent être réunies pour établir le procès-verbal de bornage :

==> L’intervention d’un géomètre-expert

  • Le monopole du géomètre-expert
    • La loi n° 46-942 du 7 mai 1946 confère un monopole aux géomètres-experts qui sont seuls habilités à procéder aux opérations de bornage
    • L’article 1 de cette loi prévoit en ce sens que le géomètre-expert est un technicien exerçant une profession libérale qui, en son propre nom et sous sa responsabilité personnelle « réalise les études et les travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers et, à ce titre, lève et dresse, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, tels que les plans de division, de partage, de vente et d’échange des biens fonciers, les plans de bornage ou de délimitation de la propriété foncière»
    • L’article 2 précise que seuls les géomètres-experts inscrits à l’ordre sont compétents pour réaliser les opérations de bornage amiable.
    • La Cour de cassation a confirmé ce point dans un arrêt du 21 juin 2006 ( civ. 3e 21 juin 2006, n°04-20.660).
    • Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si un géomètre-expert pouvait sous-traiter la mesure de la superficie d’un appartement constituant un lot de copropriété à un géomètre topographe, non inscrit à l’ordre des géomètres-experts.
    • La troisième chambre civile rappelle tout d’abord, que « le géomètre expert ne peut prendre ni donner en sous-traitance la réalisation des études et des travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers, et pour lesquels, à ce titre, il lève et dresse, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, tels que les plans de division, de partage, de vente et d’échange des biens fonciers, les plans de bornage ou de délimitation de la propriété foncière».
    • Elle affirme en ensuite que le mesurage de la superficie intérieure privative des appartements selon la loi “Carrez” pouvait parfaitement être sous-traité à un géomètre topographe dans la mesure où « la compétence exclusive des géomètres experts est limitée aux actes participant directement à la détermination des limites de propriété et que le mesurage de la superficie de la partie privative d’un lot ou d’une fraction de lot copropriété mentionné à l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965 est une prestation topographique sans incidence foncière, n’ayant pas pour objet la délimitation des propriétés».
  • La mission du géomètre-expert
    • La mission du géomètre-expert en matière de bornage qui consiste à accomplir trois sortes d’opérations :
      • Opérations d’instruction
        • Définir la mission
        • Vérifier le statut des propriétés concernées pour mettre en œuvre la procédure correspondante
        • Vérifier la recevabilité de l’action en bornage et la capacité du demandeur à engager l’action
        • Enregistrer le dossier dans le portail Géofoncier dès confirmation de la commande
        • Consulter le portail Géofoncier (édition du rapport de consultation)
        • Effectuer une recherche auprès des confrères
        • Identifier les parties
        • Rechercher les documents nécessaires (archives, titres, documents cadastraux, usages locaux…)
        • Recueillir et hiérarchiser les documents, déterminer les éléments de base : constatation de droits antérieurs, recherche des éléments de preuve ou de présomption (nature des lieux, marques de possession, usages locaux…)
        • Convoquer par écrit le demandeur et les voisins
      • Opérations techniques
        • Procéder à la recherche, à la reconnaissance et au contrôle des bornes ou repères existants
        • Effectuer un relevé préalable si nécessaire
        • Implanter et proposer une définition des limites
        • Recueillir l’accord des parties
        • Matérialiser les limites par des bornes ou repères en présence des parties
        • Effectuer le repérage de contrôle et le géoréférencement
        • Établir le plan régulier
      • Opérations de conservation
        • Rédiger le procès-verbal de bornage comprenant les trois parties indissociables (partie normalisée : désignations des parties, des parcelles, des titres, objet de l’opération ; partie non normalisée : expertise, définition des limites, partie graphique – plan de bornage)
        • Recueillir la signature des parties sur le procès-verbal de bornage
        • Rédiger le cas échéant le (ou les) procès-verbal de carence si tout ou partie du bornage n’a pas abouti
        • Adresser une copie conforme à toutes les parties signataires
        • Déposer le procès-verbal aux fins de publicité foncière à l’enregistrement et au cadastre (facultatif)
        • Enregistrer le procès-verbal incluant le plan de bornage dans le portail Géofoncier
        • Enregistrer le fichier du RFU dans le portail Géofoncier
  • La responsabilité du géomètre-expert
    • Le géomètre expert engage sa responsabilité dans le cadre de l’exercice de sa mission.
    • Il est néanmoins tenu qu’à une obligation de moyen, ce qui implique que c’est aux propriétaires des fonds à borner qu’il revient de rapporter la preuve d’une faute ( 3e civ., 5 oct. 1994, n°91-21.527).
    • Surtout, le géomètre doit mettre en œuvre tous les moyens dont il dispose pour, d’une part, retrouver d’éventuelles archives de bornage et procéder au piquetage du terrain ce qui consiste à réaliser une opération d’arpentage, soit à situer concrètement les bâtiments, canalisations ou encore portails prévus dans le projet de construction.
    • Le piquetage général correspond aux relevés effectués en surface, tandis que le piquetage spécial se réfère aux mesures des objets enterrés comme les canalisations par exemple.

==> L’observation du principe du contradictoire

L’opération de bornage amiable ne peut procéder que d’une démarche contradictoire. C’est au géomètre-expert qu’il appartient de veiller au principe du contradictoire.

Le respect de ce principe implique que tous les propriétaires concernés signent le procès-verbal de bornage.

Cette signature interviendra dans le cadre d’une réunion à laquelle seront convoquées les parties par le géomètre-expert, réunion qui se tiendra généralement sur les lieux où se sont déroulées les opérations de bornage.

Cette réunion n’est pas obligatoirement effectuée en présence simultanément de toutes les parties, il est possible d’organiser plusieurs rendez-vous en fonction des disponibilités des propriétaires sans remettre en cause le principe du contradictoire.

Cela permet d’expliquer et de clarifier l’objet et les effets du bornage à des parties parfois méfiantes, de se montrer plus à l’écoute de leurs interrogations et ainsi recueillir plus sereinement leur accord et signature.

Surtout, le procès-verbal devra précise que les parties ont été régulièrement convoquées et mentionner les éventuelles observations qui ont pu être formulées par les parties, étant précisé que sans l’accord de tous les propriétaires aucun bornage amiable ne peut être établi.

==> Le procès-verbal de bornage

  • La forme du procès-verbal de bornage
    • La loi n’assujettit le procès-verbal de bornage à aucune forme particulière
    • S’il est le plus souvent établi en autant d’exemplaires qu’il est de parties concernées par l’opération de bornage, il ne s’agit nullement d’une obligation
    • Ainsi, l’article 1375 qui pose l’exigence du double original en matière d’acte sous seing privé est inapplicable au procès-verbal de bornage ( 3e civ., 18 mars 1974, n° 73-10208).
    • La seule exigence est que le procès-verbal soit dressé par un géomètre-expert, ce dans le respect du principe du contradictoire.
  • Le contenu du procès-verbal de bornage
    • Selon les directives du Conseil supérieur de l’Ordre des géomètres-experts du 5 mars 2002 valant règles de l’art en matière de bornage, le procès-verbal de bornage doit comprendre trois parties indissociables que sont
      • La partie normalisée: désignations des parties, des parcelles, des titres, objet de l’opération
      • La partie non normalisée: expertise, définition des limites
      • La partie graphique: plan de bornage
  • La signature du procès-verbal de bornage
    • Le géomètre-expert doit impérativement recueillir la signature des parties sur le procès-verbal de bornage, étant précisé qu’il ne doit être assorti d’aucune contestation, ni réserve.
    • Dans le cas contraire, le procès-verbal ne pourra pas produire ses effets, soit valoir titre définitif établissant les limites du fonds.
    • Dans cette hypothèse, le géomètre-expert devra rédiger un procès-verbal de carence.
  • Le procès-verbal de carence
    • Le procès-verbal de carence ne doit concerner que les limites qui n’ont pu faire l’objet d’un accord des parties.
    • Il conviendra de dresser un procès-verbal par constat de carence, ce qui impliquera de
      • Noter l’identité du requérant, l’identité de l’expert, l’identité des personnes présentes, la désignation des limites objet du bornage, les documents analysés, les éléments de preuve ou de présomption considérés
      • Préciser que les parties ont été régulièrement convoquées
      • Noter clairement le motif pour lequel le bornage de la limite considérée n’a pu être mené à bon terme
      • Noter les observations éventuelles des parties concernées
      • Préciser, sur le procès-verbal, que la limite dont il s’agit et figurée au plan annexé n’a aucune valeur juridique tant que les propriétaires riverains concernés n’ont pas notifié leur accord, ou tant (éventuellement) qu’une décision judiciaire n’a pas entériné la proposition de l’expert,
  • Publicité du procès-verbal de bornage
    • En application de l’article 37 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955, la publication du procès-verbal de bornage au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles est facultative.
    • La raison en est que cet acte ne produit aucun effet translatif de propriété, de sorte qu’il n’emporte aucune mutation ou constitution de droits réels immobiliers.
    • Rien n’empêche toutefois les parties de déposer le procès-verbal aux fins de publicité foncière à l’enregistrement et au cadastre
    • Par ailleurs, pour être visible sur le site public du portail Géofoncier, il est nécessaire d’enregistrer le procès-verbal incluant le plan de bornage et le fichier décrivant le référentiel foncier unifié (RFU)

b) Les effets du procès-verbal de bornage

Le procès-verbal de bornage a ainsi pour effet de fixer définitivement la ligne divisoire qui sépare les fonds.

Dans un arrêt du 3 octobre 1972 la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « le procès-verbal de bornage dressé par un géomètre et signé par toutes les parties, vaudra titre définitif tant pour les contenances des parcelles, que pour les limites qu’il leur assigne » (Cass. 3e civ. 3 oct. 1972, n°71-11705).

Elle a encore jugé que le procès-verbal de bornage constitue « un titre définitif de l’étendue des immeubles respectifs qui s’imposait au juge et n’autorisait plus le recours à un bornage par voie de justice » (Cass. 3e civ., 26 nov. 1997, n° 95-17.644).

Il en résulte que, une fois établi et signé par les parties, il ne peut plus être contesté et s’impose au juge dont les pouvoirs se limitent à vérifier la régularité des opérations de bornage (Cass. 3e, 17 janv. 2012, n°10-28.046).

Aussi, le procès-verbal de bornage ne saurait, en aucune manière, constituer un acte translatif de propriété ainsi que le rappelle régulièrement la jurisprudence (V. en ce sens Cass. 3e civ., 27 avr. 2011, n°10-16.420).

Dès lors, la signature du procès-verbal de bornage par une partie ne fait pas obstacle à ce qu’elle exerce ultérieurement une action en revendication, considérant que l’assiette de son droit de propriété s’étendait au-delà des bornes qui avaient été mises en place (Cass.3e civ. 8 déc. 2004, n°03-17241)

À cet égard, dans un arrêt du 23 mai 2013, la Cour de cassation a précisé que « l’accord des parties sur la délimitation des fonds n’implique pas, à lui seul, leur accord sur la propriété des parcelles litigieuses » (Cass. 3e civ. 23 mai 2013, n°12-13898).

Il ressort de cette décision que l’acceptation par un propriétaire de l’implantation des bornes et marques sur son fonds, ne signifie pas nécessairement qu’il a accepté la rectification des limites cadastrales et reconnu les limites ainsi déterminées.

Cass. 3e civ. 23 mai 2013
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 15 novembre 2011), que M. et Mme X..., propriétaires d'un ensemble immobilier sur lequel est exploitée une centrale hydraulique, ont assigné M. et Mme Y... , propriétaires de parcelles contiguës, puis la société Countryside, venant aux droits de ces derniers, ainsi que la société SMBTPS et son assureur, la SMABTP, qui avait réalisé des travaux sur la berge du canal de fuite ayant entraîné son affaissement, en revendication de la propriété de cette berge et paiement du coût des travaux de reprise ;

Sur le premier moyen :

Vu l'article 544, ensemble l'article 646 du code civil ;

Attendu que pour débouter M. et Mme X...de leur revendication, l'arrêt retient qu'un procès-verbal de bornage amiable, signé le 23 août 1996 par les propriétaires précédents, a fixé la limite séparative à la berge du canal côté Y..., qu'aux termes de cet acte, les parties « reconnaissent l'exactitude de cette limite et s'engagent à s'en tenir dans l'avenir à cette délimitation, quelles que puissent être les données des cadastres anciens ou nouveaux, ou de tout autre document qui pourrait être retrouvé » et que les parties ont ainsi tranché une question de propriété en fixant définitivement les limites et donc la contenance des propriétés et en excluant toute remise en cause de cette délimitation par une revendication fondée sur des actes antérieurs ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'accord des parties sur la délimitation des fonds n'implique pas, à lui seul, leur accord sur la propriété des parcelles litigieuses, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 novembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

2. Le bornage judiciaire

a) Nature

L’action en bornage est une action réelle immobilière en ce qu’elle ne peut avoir pour objet qu’un bien immobilier, et plus précisément un fonds de terre.

Plus précisément c’est action vise à fixer les limites de la propriété, quels que soient les faits de possession, ce qui la distingue, d’une part, des anciennes actions possessoires et, d’autre part, de l’action en revendication.

==> Sur la distinction entre l’action en bornage et l’ancienne action possessoire

Sous l’empire du droit antérieur, la protection de la possession était assurée par les actions possessoires dont était titulaire, en application de l’ancien article 2279 du Code civil, celui qui possédait utilement et le détendeur précaire de la chose.

Cette disposition prévoyait en ce sens que « les actions possessoires sont ouvertes dans les conditions prévues par le code de procédure civile à ceux qui possèdent ou détiennent paisiblement. »

Au nombre des actions possessoires figuraient :

  • La complainte
  • La dénonciation de nouvel œuvre
  • L’action en réintégration

Tout d’abord, il peut être observé que la protection possessoire ne concernait que les immeubles, ce qui n’était pas sans restreindre son champ d’application.

Par ailleurs, les actions possessoires soulevaient des difficultés, notamment quant à leur distinction avec les actions pétitoires, soit les actions qui visent à établir, non pas la possession ou la détention d’un bien, mais le fond du droit de propriété.

En effet, il était toujours difficile d’exiger du juge qu’il ignore le fond du droit lorsqu’il est saisi au possessoire.

S’agissant de l’action en bornage, la jurisprudence a toujours affirmé avec constance qu’elle ne s’apparentait pas à une action possessoire, dans la mesure où elle visait, non pas à assurer la protection de la possession d’un fonds, mais à en fixer les limites.

Aussi, était-elle régulièrement qualifiée d’action pétitoire par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 5 nov. 1965, n° 62-11.805), raison pour laquelle cette action était imprescriptible.

Désormais, la distinction entre les actions en bornage et les actions possessoires n’a plus lieu d’être ces dernières ayant été abolies par la loi n°2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures qui a abrogé l’ancien article 2279 du Code civil.

==> Sur la distinction entre l’action en bornage et l’action en revendication

Parce que l’action en bornage se limite à la fixation des limites de la propriété, elle se distingue fondamentalement de l’action en revendication, qui porte sur la détermination de l’assiette du droit de propriété en lui-même.

Il en résulte que le juge du bornage ne peut connaître des contestations s’élevant entre les parties sur la propriété des parcelles dont la délimitation est demandée.

Ce principe a été rappelé par un arrêt du 16 janvier 2002 qui a approuvé une cour d’appel qui, ayant relevé qu’il existait une incertitude sur la qualité de propriétaire de la parcelle contiguë des deux personnes assignées en bornage, en avait déduit qu’il n’appartenait pas au tribunal d’instance, saisi d’une action en bornage, de trancher une question qui touche au fond du droit. (Cass. 3e civ., 16 janv. 2002, n° 00-12163)

La distinction entre l’action en bornage et l’action en revendication n’est pas dénuée d’enjeu, dans la mesure où les deux actions sont assujetties à des régimes juridiques différents.

Les différences entre les deux actions tiennent essentiellement à deux choses :

  • La preuve
    • Tandis que dans l’action en bornage, il appartient à chaque partie de rapporter la preuve de leur droit, dans l’action en revendication la charge de la preuve pèse sur le seul demandeur.
    • Par ailleurs, dans le cadre de l’action en bornage, les parties ne sont pas tenues de rapporter la preuve de leur droit de propriété sur le fonds alors que pour l’action en revendication il appartient au demandeur d’établir l’existence de son droit
  • La compétence
    • Sous l’empire du droit antérieur à la réforme de la procédure civile introduite par le décret du 11 décembre 2019, c’est le seul Tribunal d’instance qui connaissait des actions en bornage, tandis que le Tribunal de compétence avait une compétence exclusive pour les actions en revendication.
    • Désormais, les deux juridictions ont fusionné pour donner naissance au Tribunal judiciaire qui connaît donc des deux actions.
    • Est-ce à dire qu’il n’y a plus lieu de distinguer les deux actions s’agissant de la procédure applicable ?
    • À l’analyse, une différence procédurale subsiste entre l’action en bornage et l’action en revendication
      • S’agissant de l’action en bornage
        • Tout d’abord, l’action en bornage relève de la compétence de la chambre de proximité rattachée au Tribunal judiciaire
        • Ensuite, cette action relève de la compétence spéciale du Tribunal judiciaire, ce qui implique que le juge statuera toujours en premier ressort quel que soit le montant de la demande ( R. 211-3-4 COJ).
        • Enfin, en matière de bornage la représentation par avocat est toujours facultative ( 761, 2°)
      • S’agissant de l’action en revendication
        • Tout d’abord, l’action en revendication relève toujours de la formation ordinaire du Tribunal de judiciaire et non de la chambre de proximité
        • Ensuite, cette action relève de la compétence exclusive du Tribunal judiciaire, de sorte qu’il statuera en premier ressort pour les demandes dont le montant est supérieur à 5.000 euros et en dernier ressort pour les demandes inférieures à ce montant ( R. 211-3-26 COJ).
        • Enfin, en matière de revendication, la représentation par avocat est toujours obligatoire quel que soit le montant de la demande ( 761, 3° CPC).

Au total, il apparaît que l’action en bornage se distingue en de nombreux points de l’action en revendication, à commencer par son objet qui se limite à fixer les limites de la propriété.

b) Compétence

==> Sur la compétence matérielle

Sous l’empire du droit antérieur, l’action en bornage relevait de la compétence exclusive du Tribunal d’instance.

Désormais, cette action relève de la compétence du Tribunal judiciaire. Plus précisément, c’est la chambre de proximité qui lui est rattachée qui a vocation à connaître des affaires relatives au bornage (art. L. 212-8 COJ).

Pour mémoire, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a opéré une réorganisation des juridictions relevant de l’ordre judiciaire, laquelle s’est notamment traduite par la fusion des Tribunaux de grande instance et des Tribunaux d’instance.

De cette fusion est né le Tribunal judiciaire, dont la création répond à la nécessité de simplifier l’organisation de la première instance pour le justiciable qui ne connaîtra désormais plus qu’une seule juridiction, avec une seule procédure de saisine.

La disparition des tribunaux d’instance, comme juridictions autonomes, ne s’est toutefois pas accompagnée d’une suppression des sites qui ne se situaient pas dans la même ville que le Tribunal de grande instance. Le maillage des lieux de justice est conservé.

En effet, les tribunaux d’instance deviennent des chambres détachées du Tribunal judiciaire, l’objectif recherché par le législateur étant d’assurer une justice de proximité pour les contentieux du quotidien.

À l’examen, la compétence matérielle des chambres de proximité a été fixée, en application de l’article L. 212-8 du Code de l’organisation judiciaire, par le décret n° 2019-914 du 30 août 2019 selon les tableaux IV-II et IV-III qui figurent en annexe du Code :

  • Tableau IV-II : Compétences communes à toutes les chambres de proximité
  • Tableau IV-III : Compétences spécifiques à certaines chambres de proximité

L’action en bornage est visée par le premier tableau, raison pour laquelle elle relève de la compétence des chambres de proximité.

==> Sur la compétence territoriale

L’article 44 du Code de procédure civile dispose que « en matière réelle immobilière, la juridiction du lieu où est situé l’immeuble est seule compétente. »

L’action en bornage étant une action immobilière cette disposition s’applique. À cet égard, l’article R. 211-15 du COJ précise que, spécifiquement pour l’action en bornage, « la demande est portée devant le tribunal dans le ressort duquel sont situés les biens. »

c) Procédure

La procédure applicable en matière de bornage est régie aux articles 817 et suivants du Code de procédure civile, soit la procédure orale.

Il en résulte que la représentation n’est pas obligatoire. Les parties peuvent se défendre elles-mêmes ou se faire représenter par l’une des personnes visées à l’article 762 du CPC.

Surtout, dans le cadre de la procédure orale devant le Tribunal judiciaire, le demandeur dispose d’une option procédurale :

  • Soit il choisit de provoquer une tentative préalable de conciliation
  • Soit il choisit d’assigner aux fins de jugement

À cet égard, il pourra être sollicité auprès du juge la désignation d’un expert aux fins de l’éclairer sur l’emplacement de la ligne divisoire.

Les parties sont également en droit de produire un rapport d’expertise établi en dehors du cadre judiciaire, dès lors qu’il est valablement communiqué à la partie adverse au cours de l’instance (Cass. 3e civ. 14 sept. 2006, n°05-14333).

Enfin, l’action en bornage est, conformément à l’article 646 du Code civil, imprescriptible

d) La preuve

==> Charge de la preuve

À la différence de l’action en revendication qui exige que la preuve soit rapportée par le demandeur, dans le cadre de l’action en bornage il appartient à chaque partie de rapporter la preuve de son droit.

==> Mode de preuve

En matière de bornage la preuve est libre, de sorte que les parties peuvent établir l’emplacement de la ligne divisoire par tout moyen.

Dans un ancien arrêt du 12 juin 1865, la Cour de cassation avait affirmé que la tâche qui échoit au juge est « de rechercher la limite devenue incertaine de deux propriétés à borner en interrogeant les titres des parties, en les interprétant pour en faire ou pour en refuser l’application aux lieux litigieux ; il doit également tenir compte de la possession actuelle et des traces des anciennes délimitations, consulter les papiers terriers, les livres d’arpentement, le cadastre et tous les documents anciens et nouveaux qui peuvent l’éclairer sur la décision qu’il est appelé à prendre » (Cass. civ., 12 juin 1865).

Afin d’emporter la conviction du juge quant à l’emplacement de la ligne divisoire, les parties pourront rapporter la preuve de leur droit en produisant les éléments suivants :

  • Un titre
    • L’un des éléments susceptibles d’être le plus probant c’est le titre de propriété, car très souvent il renseigne sur la contenance du fonds et sa configuration
    • Parfois même est annexé au titre de propriété un plan du terrain ce qui facilite la recherche d’emplacement de la ligne divisoire.
    • L’examen du titre est toutefois soumis à l’appréciation souveraine du juge, y compris lorsque le titre produit est commun aux parties.
    • Dans un arrêt du 3 janvier 1963 la Cour de cassation a affirmé en ce sens que le juge du bornage apprécie souverainement la valeur probante des titres et autres éléments de décision soumis à son examen. Il lui est loisible d’écarter un titre commun aux parties, s’il ne l’estime pas déterminant, et de retenir des actes émanant des auteurs de l’une d’elles ( 3e civ. 3 janv. 1963).
    • Il a, en outre, été admis que le juge pouvait écarter un titre à la faveur d’un rapport d’expertise contradictoire ( 3e civ. 26 févr. 1970)
  • Le cadastre
    • Afin de démontrer l’emplacement de la ligne divisoire les parties sont autorisés à produire les documents cadastraux, bien que ceux-ci ne soient qu’un instrument fiscal ( 3e civ., 13 sept. 2011, n° 10-21883)
    • Aussi, ces documents ne peuvent constituer que de simples présomptions qui peuvent être combattues par des éléments plus probants (V. en ce sens 3e civ. 7 nov. 1972).
  • La possession
    • Afin de déterminer l’emplacement de la ligne séparative, il est également admis que les parties rapportent la preuve de la possession des lieux.
    • Cette preuve sera rapportée par le recueil de dépositions de témoins qui, là encore, seront appréciées souverainement par le juge
  • Configuration des lieux
    • Des présomptions peuvent être tirées de la configuration des lieux, notamment lorsqu’est établie la présence de murets, de fossés, de chemins, de pierres, d’arbres etc..
    • Tous les éléments naturels qui jalonnent les fonds sont autant d’éléments permettant de déterminer l’emplacement de la ligne divisoire.

Au bilan, le juge dispose d’une grande liberté quant à l’appréciation des éléments de preuve produits par les parties.

Dans un arrêt du 28 novembre 1972, la Cour de cassation a résumé la teneur de ce pouvoir d’appréciation considérable reconnu au juge en validant la décision rendue par une Cour d’appel qui ne s’était appuyé, pour rendre sa décision, que sur un seul des éléments versés au débat.

Au soutien de sa décision elle a affirmé que « « en constatant que ni les titres des parties, ni les attestations produites, ni les indices invoques en faveur d’une trace abc n’étaient, pris en eux-mêmes, aucunement significatifs, les juges du second degré ont apprécié souverainement la portée des éléments de preuve qui leur étaient soumis ainsi que la valeur probante des faits allègués comme présomptions » (Cass. 3e civ. 28 nov. 1972, n°71-12044).

Le plus souvent néanmoins le juge fondera sa décision sur une expertise établie par un expert et plus précisément par un géomètre qui aura été désigné à la demande des parties et qui aura procédé à la détermination de la ligne séparative de manière indépendance et en observant le principe du contradictoire.

B) L’implantation des bornes

==> Opération d’implantation des bornes

L’opération de bornage consiste toujours en l’accomplissement de deux étapes :

  • La détermination de la ligne divisoire
  • L’implantation de bornes

Cette seconde étape vise à matérialiser la délimitation des propriétés bornées qu’il y ait ou non arpentage.

Ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 19 janvier 2011, la régularité de l’opération de bornage est subordonnée à l’implantation de borne (Cass. 3e civ. 19 janv. 2011, n°09-71.207)

À défaut, le bornage ne produira pas ses effets et pourra être remis en cause par le propriétaire d’un des fonds concernés.

Pour la troisième chambre civile « une demande en bornage judiciaire n’est irrecevable que si la limite divisoire fixée entre les fonds a été matérialisée par des bornes ».

S’agissant de l’implantation proprement dite de bornes, il n’est pas nécessaire de procéder, au préalable, à un arpentage, soit à réaliser une mesure de la contenance du fonds.

Cette implantation peut être réalisée sur la base d’éléments résultant d’un rapport d’expertise produit, par exemple, dans le cadre de l’instance (Cass. 3e civ. 5 oct. 1994, n°92-10.827).

Quant à la matérialité des bornes, elles peuvent être naturelles (cours d’eau, fossé, rocher, arbres etc.) ou artificielles (piquets, marques gravées sur un rocher, termes etc.)

Les bornes sont positionnées à chaque extrémité de la ligne séparative et peuvent être intercalées à intervalle régulier. Ces bornes intermédiaires sont dites courantes car elles suivent la ligne divisoire.

==> Frais de bornage

L’article 646 du Code civil dispose que « le bornage se fait à frais communs. » Cette règle a vocation à s’appliquer, tant en matière de bornage amiable, qu’en matière de bornage judiciaire.

Les frais de bornage comportent les frais de tracé de la ligne divisoire et les frais de mesurage et d’arpentage.

Lorsque le bornage est amiable, la question des frais sera réglée dans le procès-verbal de bornage. Rien n’interdit donc les parties de prévoir une répartition des frais proportionnels à la contenance de leurs fonds respectifs.

Faute de précision dans l’acte, c’est la règle du partage des frais qu’il y aura lieu d’appliquer (Cass. 3e civ., 16 juin 1976, n° 75-11167)

Lorsque le bornage est judiciaire, il convient de distinguer les frais de bornage des frais d’instance. Seuls les premiers ont vocation à être partagés, les seconds étant susceptibles d’être mis par le juge à la charge de la partie succombante.

Dans un arrêt du 16 juin 1976, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si, aux termes de l’article 646 du Code civil, le bornage se fait à frais communs lorsque les parties sont d’accord, il en est autrement en cas de contestation de l’une d’elles ; cette dernière, si elle échoue dans ses réclamations, doit supporter tout ou partie des dépens occasionnés par le débat ainsi provoqué » (Cass. 3e civ., 16 juin 1976, n° 75-11167).

[1] M. Millet, Traité théorique et pratique du bornage, Cosse et Marchal, 3e éd. 1862, p. 70

[2] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les biens, Dalloz, 2004, n°279, p. 230.

L’ouverture d’un compte bancaire: régime juridique

§1: Qu’est-ce qu’un compte bancaire ?

==> Notion

Un compte bancaire, qualifié encore de compte de dépôt, de compte à vue, de compte chèque ou encore de compte courant est un instrument permettant de déposer des fonds et d’effectuer des opérations financières.

Ces opérations peuvent être réalisées au guichet de l’agence bancaire ou au moyen d’instruments de paiement (chèque, carte bancaire etc.).

Le fonctionnement du compte de dépôt est régi par une convention de compte conclue lors de l’entrée en relation.

Outre les clauses sipulées dans cette convention, l’ouverture d’un compte bancaire obéit à plusieurs règles.

==> Les variétés de comptes bancaires

  • Le compte individuel
    • Le compte individuel est celui qui, par hypothèse, n’est détenu que par une seule personne.
    • Il en résulte que les obligations attachées au fonctionnement de ce type de compte incombent à son seul titulaire.
    • Celui-ci sera notamment seul responsable des incidents de paiement et des découverts bancaires non-autorisés
  • Le compte joint
    • Le compte joint est en compte collectif, en ce qu’il est détenu par plusieurs personnes.
    • Il se caractérise par la situation de ses cotitulaires qui exercent les mêmes droits sur l’intégralité des fonds inscrits en compte, tout autant qu’ils sont solidairement responsables des obligations souscrites.
    • En cas de solde débiteur du compte, l’établissement bancaire peut ainsi réclamer à chacun d’eux, pris individuellement, le paiement de la totalité de la dette.
    • Inversement, chaque cotitulaire est en droit d’exiger du banquier la restitution de la totalité des fonds déposés
    • L’ouverture d’un compte joint est le fait, le plus souvent, des personnes mariées, pacsées ou vivant en concubinage qui l’utilisent aux fins d’accomplir les opérations relatives à l’entretien du ménage.
  • Le compte indivis
    • À l’instar du compte joint, le compte indivis est un compte collectif, en ce qu’il est détenu par plusieurs personnes.
    • La similitude entre les deux comptes s’arrête là : à la différence du compte joint, le compte indivis ne peut fonctionner sans l’accord unanime des cotitulaires.
    • Autrement dit, aucune opération ne peut être accomplie sur ce compte, sans que le banquier ait recueilli, au préalable, le consentement de chacun d’eux.
    • Outre l’exigence d’unanimité, les cotitulaires n’ont de droit sur les fonds inscrits en compte que dans la limite de leur part et portion.
    • Enfin, ces derniers ne sont tenus qu’à une obligation conjointe envers le banquier.
    • Cela signifie qu’en cas de solde débiteur, celui-ci devra actionner en paiement chaque cotitulaire du compte à concurrence de la quote-part qu’il détient dans l’indivision.
    • On observe toutefois que les conventions de compte prévoient, la plupart du temps, une solidarité passive entre cotitulaires : chacun d’eux peut alors être actionné en paiement pour le tout.
    • En pratique, l’ouverture d’un compte indivis procède de la transformation d’un compte joint consécutivement au décès de l’un de ses cotitulaires.

§2: La liberté du banquier d’entrer en relation

==> Énoncé du principe

Il est, en principe, fait interdiction aux commerçants, dans leurs relations avec les consommateurs, de refuser la vente d’un produit ou la prestation d’un service, sauf à justifier  d’un motif légitime (art. L. 121-11 C. conso).

Cette interdiction n’est toutefois pas applicable au banquier. La convention de compte qui le lie à son client est conclue en considération de la seule personne de ce dernier (intuitu personæ). L’offre de service ne s’adresse pas à tout public.

Le banquier est donc libre d’ouvrir ou de refuser d’ouvrir un compte bancaire (art. L. 312-1, II CMF). Il est par exemple autorisé à refuser d’accéder à la demande d’un client s’il considère que son profil ne répond pas aux critères d’entrée en relation fixés par son établissement.

==> Cas du refus d’ouverture d’un compte bancaire

En cas de refus d’ouvrir un compte bancaire, plusieurs obligations pèsent sur le banquier :

  1. Obligation, lorsque l’établissement bancaire oppose un refus à une demande écrite d’ouverture de compte de dépôt de fournir gratuitement une copie de la décision de refus au demandeur sur support papier et sur un autre support durable lorsque celui-ci en fait la demande expresse.
  2. Obligation de fournir au demandeur gratuitement, sur support papier, et sur un autre support durable lorsque celui-ci en fait la demande expresse, les motifs du refus d’ouverture d’un compte bancaire en mentionnant, le cas échéant, la procédure de droit au compte
  3. Obligation de fourniture au demandeur systématiquement, gratuitement et sans délai, sur support papier, et sur un autre support durable lorsque celui-ci en fait la demande expresse, une attestation de refus d’ouverture de compte
  4. Obligation d’information de l’intéressé qu’il peut demander à la Banque de France de lui désigner un établissement de crédit pour lui ouvrir un compte (Voir Fiche droit au compte).
  5. Obligation de proposer, s’il s’agit d’une personne physique, d’agir en son nom et pour son compte en transmettant la demande de désignation d’un établissement de crédit à la Banque de France ainsi que les informations requises pour l’ouverture du compte.

==> Limites à la liberté du banquier

La liberté du banquier d’accepter ou de refuser l’ouverture d’un compte bancaire est assortie de deux limites :

  • Désignation par la Banque de France au titre du droit au compte
    • En effet, en application de l’article L. 312-1, III du CMF, l’établissement bancaire désigné par la banque de France a l’obligation d’offrir gratuitement au demandeur du droit au compte des services bancaires de base.
    • Il est indifférent que le bénéficiaire soit inscrit :
      • Ou sur le fichier des interdits bancaires (FCC)
      • Ou sur le fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP)
    • L’ouverture d’un compte de dépôt doit intervenir dans les trois jours ouvrés à compter de la réception de l’ensemble des pièces nécessaires à cet effet.
  • Discrimination
    • Le refus opposé à un client d’accéder à sa demande d’ouverture d’un compte bancaire qui reposerait sur un motif discriminatoire est constitutif d’une faute tout autant civile, que pénale
    • À cet égard, l’article 225-1 du Code pénal prévoit notamment que « constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée.»
    • Aussi, à situations égales, le banquier doit traiter les demandes d’ouverture de compte de la même manière.
    • Ce n’est que si les situations des demandeurs sont différentes, qu’il est autorisé à leur appliquer un traitement différencié.

§3: L’ouverture du compte de dépôt

I) Qui peut ouvrir un compte bancaire ?

L’ouverture d’un compte bancaire s’analyse en la conclusion d’un contrat. Pour accomplir cette opération, il est donc nécessaire de disposer de la capacité juridique de contracter.

S’agissant de l’exercice de cette capacité aux fins d’ouvrir un compte bancaire, il y a lieu de distinguer selon que le client est une personne physique ou une personne morale.

A) Les personnes physiques

La possibilité pour une personne physique de solliciter l’ouverture d’un compte bancaire dépend de l’étendue de sa capacité juridique.

  1. Les majeurs

1.1 Les majeurs non soumis à un régime de protection

==> Énoncé du principe

Les majeurs non soumis à un régime de protection (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice ou mandat de protection future) jouissent de la pleine capacité juridique (art. 414 C. civ.).

Dans ces conditions, ils sont autorisés à solliciter, l’ouverture d’un compte bancaire, étant précisé que la majorité est fixée à dix-huit ans accomplis.

==> Altération des facultés mentales

Une personne peut parfaitement être dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération de ses facultés mentales ou physiques et, pour autant, ne faire l’objet d’aucune mesure de protection.

Si, en pareille hypothèse, cette personne dispose de la pleine capacité juridique pour solliciter, seule, l’ouverture d’un compte bancaire. Reste que l’acte ainsi accompli encourt la nullité s’il est démontré que son auteur était sous l’emprise d’un trouble mental au moment de l’acte (art. 414-1 C. civ.)

1.2 Les majeurs soumis à un régime de protection

Lorsqu’un majeur est soumis à un régime de protection, il y a lieu de distinguer selon que l’ouverture du compte bancaire est effectuée par le majeur protégé ou par son protecteur.

a) L’ouverture du compte par le majeur protégé

Une personne majeure peut faire l’objet de plusieurs mesures de protection : la sauvegarde de justice, la curatelle, la tutelle et le mandat de protection future.

==> La personne sous sauvegarde de justice

  • Principe
    • La personne sous sauvegarde de justice conserve sa pleine de capacité juridique ( 435, al. 1er C. civ.)
    • Il en résulte qu’elle est, par principe, autorisée à se faire ouvrir, seule, un compte bancaire
  • Exception
    • La personne sous sauvegarde de justice ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial a été désigné ( 435 C. civ.).
    • Lorsque l’ouverture d’un compte bancaire relève des actes pour lesquels le juge a exigé une représentation, la personne sous sauvegarde de justice ne pourra pas ouvrir, seule, un compte bancaire
    • Elle devra se faire représenter par le mandataire désigné dans la décision rendue

==> La personne sous curatelle

Les personnes sous curatelles ne peuvent, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille.

S’agissant de l’ouverture d’un compte bancaire, il convient de distinguer deux situations :

  • La personne sous curatelle ne dispose pas de compte bancaire
    • Dans cette hypothèse, la personne sous curatelle peut solliciter, seule, l’ouverture d’un compte bancaire ( 467, al. 1).
    • L’assistance du curateur sera néanmoins requise pour la réalisation d’opérations bancaires (réception et emploi de fonds).
  • La personne sous curatelle dispose déjà d’un compte bancaire
    • Dans cette hypothèse, l’ouverture d’un nouveau compte bancaire s’apparente en un acte de disposition ( 427 C. civ.)
    • Dès lors, la personne sous curatelle devra se faire assister par son curateur
    • L’assistance du curateur se manifeste par l’apposition de sa signature à côté de celle de la personne protégée ( 467, al. 2e C. civ.)

==> La personne sous tutelle

  • Principe
    • Une personne sous tutelle est, à l’instar du mineur, frappée d’une incapacité d’exercice générale.
    • Aussi, le tuteur la représente dans tous les actes de la vie civile (art. 473 C. civ.)
    • S’agissant de l’ouverture d’un compte bancaire, une personne sous tutelle doit nécessairement se faire représenter
  • Exception
    • Le juge peut, dans le jugement d’ouverture ou ultérieurement, énumérer certains actes que la personne en tutelle aura la capacité de faire seule ou avec l’assistance du tuteur ( 474 C. civ.).
    • Il est ainsi permis au juge d’autoriser la personne sous tutelle à ouvrir seule un compte bancaire en fixant, par exemple, une limite pour la réalisation d’opérations

==> La personne sous mandat de protection future

Toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle ou d’une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter lorsqu’elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté (art. 477 C. civ.)

Il appartient donc au mandant de déterminer les actes pour lesquelles elle entend se faire représenter lorsqu’elle la mesure de protection sera activée.

L’ouverture d’un compte bancaire peut parfaitement figurer au nombre de ces actes, à la condition néanmoins que cette opération soit expressément visée dans le mandat, lequel doit nécessairement être établi par écrit (par acte notarié ou par acte sous seing privé).

==> La personne sous habilitation familiale

La personne sous habilitation familiale est celle qui se trouve dans l’incapacité d’exprimer sa volonté en raison d’une altération, médicalement constatée soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles (art. 494-1 C. civ.).

Un proche de sa famille (ascendant, descendant, frère ou sœur, conjoint, partenaire ou concubin) est alors désigné par le juge afin d’assurer la sauvegarde de ses intérêts.

L’habilitation peut être générale ou ne porter que sur certains actes visés spécifiquement par le juge des tutelles dans sa décision (art. 494-6 C. civ.).

S’agissant de l’ouverture d’un compte bancaire, si l’habilitation familiale est générale, la personne protégée devra nécessairement se faire représenter.

Si l’habilitation familiale est seulement spéciale, le majeur protégé ne pourra formuler une demande auprès du banquier qu’à la condition que cet acte ne relève pas du pouvoir de son protecteur.

b) L’ouverture du compte par le protecteur

Il y a lieu ici de distinguer selon que la personne protégée possède ou non un compte bancaire

==> La personne protégée dispose déjà d’un compte bancaire

  • Principe
    • Dans cette hypothèse, il est fait interdiction au protecteur de procéder à l’ouverture d’un autre compte ou livret auprès d’un nouvel établissement habilité à recevoir des fonds du public ( 427, al. 1 C. civ.)
  • Exceptions
    • Le juge des tutelles ou le conseil de famille s’il a été constitué peut toutefois l’y autoriser si l’intérêt de la personne protégée le commande ( 427, al. 2 C. civ.).
    • Lorsque la personne protégée est sous habilitation familiale, le protecteur est investi des pouvoirs les plus étendus pour ouvrir plusieurs autres bancaires au nom et pour le compte du majeur protégé ( 494-7 C. civ.)

==> La personne protégée ne dispose pas de compte bancaire

Dans cette hypothèse, la personne chargée de la mesure de protection peut ouvrir un compte bancaire au bénéfice du majeur protégé (art. 427, al. 4 C. civ.).

Les opérations bancaires d’encaissement, de paiement et de gestion patrimoniale effectuées au nom et pour le compte de la personne protégée devront être réalisées exclusivement au moyen des comptes ouverts au nom de celle-ci (art. 427, al. 5 C. civ.).

1.3 Les majeurs mariés ou pacsés

Chacun des époux ou des partenaires peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel (art. 221 C. civ.)

Il est donc fait interdiction au banquier de refuser l’ouverture d’un compte bancaire à une personne au motif qu’elle ne justifierait pas de l’accord de son conjoint ou de son partenaire.

Cette règle est issue de la grande loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

2. Les mineurs

2.1 Les mineurs non émancipés

==> Principe

Frappé d’une incapacité d’exercice générale, le mineur non émancipé n’est, par principe, pas autorisé à solliciter, seul, l’ouverture d’un compte bancaire.

Dans ces conditions, il devra se faire représenter pour accomplir cette démarche. Plusieurs situations doivent alors être distinguées :

  • Le mineur est placé sous l’administration légale de ses deux parents
    • Lorsque le mineur ne dispose pas de compte bancaire, chacun des deux parents dispose du pouvoir de lui en ouvrir un sans le consentement de l’autre ( 382-1 et C. civ.)
    • Lorsque le mineur dispose déjà d’un compte bancaire, l’ouverture d’un autre compte bancaire ne pourra se faire qu’avec le consentement des deux parents ( 382-1 C. civ.)
  • Le mineur est placé sous l’administration légale d’un seul parent
    • Il est ici indifférent que le mineur dispose déjà d’un compte bancaire, l’administrateur légal unique est investi des pouvoirs les plus larges en la matière.
    • Il est tout autant autorisé à ouvrir un premier compte bancaire au mineur qu’à lui en ouvrir un autre s’il en possède déjà un.
  • Le mineur est placé sous tutelle
    • Lorsque le mineur ne dispose pas de compte bancaire, le tuteur peut formuler, seul, une demande auprès du banquier ( 504 C. civ.)
    • Lorsque le mineur dispose déjà d’un compte bancaire, l’ouverture d’un autre compte bancaire ne pourra se faire qu’avec le consentement du Conseil de famille ou à défaut par le Juge des tutelles ( 505 C. civ.)

==> Exceptions

  • Ouverture d’un Livret A
    • Les mineurs sont admis à se faire ouvrir des livrets A sans l’intervention de leur représentant légal ( L. 221-3 CMF).
    • Ils peuvent retirer, sans cette intervention, les sommes figurant sur les livrets ainsi ouverts, mais seulement après l’âge de seize ans révolus et sauf opposition de la part de leur représentant légal.
  • Ouverture d’un Livret jeune
    • À l’instar du Livret lorsque le mineur est âgé de moins de seize ans, l’autorisation de son représentant légal n’est requise que pour les opérations de retrait.
    • Lorsque le mineur est âgé de seize à dix-huit ans, il est autorisé à procéder lui-même à ces opérations à moins que son représentant légal ne s’y oppose.

2.2 Les mineurs émancipés

Le mineur émancipé est capable, comme un majeur, de tous les actes de la vie civile (art. 413-6 C. civ.).

Il en résulte qu’il est autorisé à solliciter l’ouverture d’un compte bancaire, sans obtenir, au préalable, le consentement de ses représentants légaux (parents ou tuteur).

S’agissant de l’ouverture d’un compte bancaire à des fins commerciales, le mineur émancipé peut être commerçant sur autorisation du juge des tutelles au moment de la décision d’émancipation et du président du tribunal judiciaire s’il formule cette demande après avoir été émancipé (art. 413-8 C. civ.).

Aussi, appartient-il au banquier de vérifier que le mineur émancipé est autorisé à endosser le statut de commerçant avant d’accéder à sa demande d’ouverture d’un compte professionnel.

B) Les personnes morales

==> Les groupements dotés de la personnalité morale

Les groupements dotés de la personnalité morale disposent de la capacité juridique de contracter dans la limite de leur objet social (sociétés, association, coopératives, syndicats etc.).

À cet égard, ils sont autorisés à être titulaire d’un compte bancaire dont l’ouverture se fera par l’entremise de leur représentant légal.

S’agissant des sociétés, elles acquièrent la personnalité morale à compter de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

==> Les groupements non dotés de la personnalité morale

Les groupements sans personnalité morale ne disposent pas de la capacité juridique. Ils ne peuvent donc pas être titulaires d’un compte bancaire.

Tel sera notamment le cas des sociétés en participation ou des sociétés créées de fait qui ne font l’objet d’aucune immatriculation.

Tout au plus, le gérant de ce type de société pourra solliciter l’ouverture d’un compte bancaire en son nom propre qu’il affectera à l’exploitation du groupement qu’il dirige.

==> Les sociétés en cours de formation

Bien que non encore dotées de la personnalité morale, il est admis que les sociétés en formation puissent être titulaires d’un compte bancaire.

L’acte d’ouverture du compte a vocation à être repris au moment de l’immatriculation de la société. À défaut de reprise, son auteur sera seul tenu envers l’établissement bancaire aux obligations souscrites.

C) Les personnes qui font l’objet d’une procédure collective

==> Les personnes qui font l’objet d’une procédure de sauvegarde

  • Les actes accomplis au cours de la période d’observation
    • Principe
      • Il est de principe que les actes de gestion de l’entreprise relèvent toujours du pouvoir de son dirigeant qui n’est pas dessaisi ( L. 622-1 C. com.).
      • Il en résulte qu’il est autoriser à solliciter seul l’ouverture d’un compte bancaire et à le faire fonctionner.
    • Exceptions
      • D’une part, le Tribunal peut exiger, à tout moment, l’assistance de l’administrateur pour l’accomplissement de certains actes au nombre desquels sont susceptibles de figurer l’ouverture et le fonctionnement de comptes bancaires.
      • D’autre part, lorsque le débiteur fait l’objet d’une interdiction bancaire, il appartient au seul administrateur de faire fonctionner sous sa signature les comptes bancaires ou postaux
  • Les actes accomplis au cours de l’exécution du plan de sauvegarde
    • Durant la phase d’exécution du plan de sauvegarde, le débiteur n’est plus assisté par l’administrateur.
    • Dès lors, plus aucune restriction ne peut donc lui être imposée quant à l’ouverture ou au fonctionnement de ses comptes bancaires.

==> Les personnes qui font l’objet d’une procédure de redressement judiciaire

  • Les actes accomplis au cours de la période d’observation
    • Principe
      • En application de l’article L. 631-12 du Code de commerce, la mission de l’administrateur est fixée par le Tribunal.
      • Plus précisément, il appartient au juge de charger l’administrateur d’assister le débiteur pour tous les actes relatifs à la gestion ou certains d’entre eux, ou d’assurer seuls, entièrement ou en partie, l’administration de l’entreprise.
      • Ainsi, l’exigence d’assistance du débiteur par l’administrateur s’agissant de l’ouverture et le fonctionnement de comptes bancaires n’est pas systématique : elle dépend des termes du jugement d’ouverture.
      • En matière de redressement judiciaire, le débiteur peut donc être représenté pour la plupart des actes d’administration de l’entreprise, tout autant qu’il peut ne faire l’objet que d’une simple surveillance.
      • À cet égard, lorsque le ou les administrateurs sont chargés d’assurer seuls et entièrement l’administration de l’entreprise et que chacun des seuils mentionnés au quatrième alinéa de l’article L. 621-4 est atteint (3 millions d’euros et 20 salariés), le tribunal désigne un ou plusieurs experts aux fins de les assister dans leur mission de gestion.
    • Exceptions
      • D’une part, à tout moment, le tribunal peut modifier la mission de l’administrateur, ce qui implique qu’il peut décider d’exiger son assistance pour la gestion des comptes bancaires, comme il peut, au contraire, lever la mesure.
      • D’autre part, à l’instar de la procédure de sauvegarde, lorsque le débiteur fait l’objet d’une interdiction bancaire, il appartient au seul administrateur de faire fonctionner sous sa signature les comptes bancaires ou postaux ( L. 632-12, al. 5 C. com)
  • Les actes accomplis au cours de l’exécution du plan de redressement
    • Comme en matière de procédure de sauvegarde, durant la phase d’exécution du plan de redressement, le débiteur n’est plus assisté par l’administrateur.
    • Dès lors, plus aucune restriction ne peut donc lui être imposée quant à l’ouverture ou au fonctionnement de ses comptes bancaires.

==> Les personnes qui font l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire

En matière de liquidation judiciaire, l’article L. 641-9 du Code de commerce prévoit que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée.

Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Il résulte de ce texte que seul le liquidateur est investi du pouvoir de faire fonctionner les comptes bancaires dont est titulaire le débiteur.

L’article R. 641-37 du Code de commerce précise néanmoins que :

  • En cas d’absence de mantien de l’activité
    • Le liquidateur peut faire fonctionner sous sa signature les comptes bancaires du débiteur pendant un délai de six mois à compter du jugement prononçant la liquidation ou, au-delà, pendant la durée du maintien de l’activité autorisée par le tribunal en application de l’article L. 641-10.
    • L’utilisation ultérieure de ces comptes est alors subordonnée à l’autorisation du Juge-commissaire délivrée après avis du ministère public.
  • En cas de maintien de l’activité
    • La règle énoncée à l’article R. 641-37 du Code de commerce s’applique à l’administrateur, lorsqu’il en a été désigné.
    • Il ne pourra donc faire fonctionner les comptes du débiteur sous sa signature que durant un délai de six mois.
    • À l’expiration de ce délai, il devra obtenir l’autorisation du Juge-commissaire

§4: L’obligation d’information du banquier

I) Obligation générale d’information

En application de l’article R. 312-1 du CMF, les établissements de crédit sont tenus de mettre à disposition de leur clientèle et du public les conditions générales relatives aux opérations qu’ils effectuent.

Par « conditions générales », il faut entendre la tarification appliquée par la banque en contrepartie des prestations fournies aux clients.

Le texte précise que, en cas d’ouverture d’un compte, l’établissement bancaire doit fournir à ses clients, sur support papier ou sur un autre support durable, les conditions d’utilisation du compte, le prix des différents services auxquels il donne accès et les engagements réciproques de l’établissement et du client.

L’obligation d’information est ici générale, dans la mesure où elle s’applique pour l’ouverture de n’importe quel type de compte.

II) Obligation d’information spécifique à l’ouverture d’un compte de dépôt

Préalablement à l’ouverture d’un compte bancaire, l’information qui doit être communiquée par le banquier à la clientèle porte sur deux choses distinctes :

  • La tarification des prestations fournies par la banque
  • Les conditions générales d’utilisation du compte de dépôt

A) Sur la tarification des prestations fournies par la banque

 L’article L. 312-1-1 du CMF dispose que les établissements de crédit sont tenus de mettre à la disposition, sur support papier ou sur un autre support durable, de leur clientèle et du public les conditions générales et tarifaires applicables aux opérations relatives à la gestion d’un compte de dépôt.

L’exécution de cette obligation se fait au moyen de trois sortes de documents dont les modalités de présentation et de mise à disposition sont prévues par des textes réglementaires.

  • La brochure tarifaire
    • Elle comporte l’intégralité des tarifs se rapportant aux prestations fournies par la banque
    • Elle doit être accessible sur le site internet de la banque et être fournie gratuitement, sur support papier ou sur un autre support durable, à tout consommateur qui en fait la demande.
  • La plaquette tarifaire
    • Présentation formelle
      • À la différence de la brochure tarifaire, la plaquette tarifaire ne comporte pas tous les tarifs, mais seulement les principaux, soit ceux qui se rapportent aux prestations les plus communément fournies.
      • Édictée par la Fédération bancaire française en janvier 2019 dans le cadre des engagements de la profession bancaire du 21 septembre 2010 à la suite du rapport Pauget Constans sur la tarification bancaire, elle se compose d’un sommaire type et d’un extrait standard des tarifs.
      • Plus précisément cet extrait tarifaire reprend les dénominations de la liste nationale des services les plus représentatifs rattachés à un compte de paiement et leur ordre, tels que précisés au A du I de l’article D 312-1-1 du CMF, modifié par le décret n° 2018-774 du 5 septembre 2018.
    • Mise à disposition
      • La mise à disposition de la plaquette tarifaire est régie par l’arrêté du 5 septembre 2018 qui prévoit que l’information de la clientèle et du public sur les prix des produits et services liés à la gestion d’un compte de dépôt ou d’un compte de paiement tenu par un établissement de paiement est mise à disposition
        • D’une part, sous forme électronique sur le site internet de l’établissement
        • D’autre part, en libre-service dans les locaux de réception du public, sur support papier ou sur un autre support durable, de manière permanente, constante, visible, lisible et aisément accessible.
  • Le document d’information tarifaire
    • Consécration
      • Depuis 31 juillet 2019, les établissements bancaires ont l’obligation de mettre à la disposition du public un nouveau document, intitulé, document d’information tarifaire.
      • Ce document est prévu par le règlement d’exécution (UE) 2018/34 de la commission du 28 septembre 2017 définissant des normes techniques d’exécution en ce qui concerne les règles de présentation normalisées pour le document d’information tarifaire et son symbole commun, conformément à la directive 2014/92/UE du Parlement européen et du Conseil.
      • L’objectif poursuivi par le législateur est, en imposant la mise à disposition de ce document par les banques, d’informer les consommateurs avant la conclusion d’un contrat relatif à un compte de paiement afin de leur permettre de comparer différentes offres de comptes de paiement.
      • Ainsi, ce document d’information tarifaire est commun à toutes les banques qui doivent respecter les mêmes règles de présentation et de mise à disposition.
    • Présentation
      • Tout d’abord, le document d’information tarifaire doit, dans son intitulé, se signaler comme tel
      • Ensuite, il doit reprendre le symbole commun qui figurera sur les documents d’information tarifaire de tous les établissements bancaire.
      • Par ailleurs, ce document doit comporter le nom du prestataire du compte, l’intitulé du compte, la date à laquelle le prestataire a procédé à la dernière mise à jour
      • En outre, les tarifs doivent être présentés sous forme de tableau intitulé « services et tarifs ».
      • À l’instar de l’extrait standard des tarifs, ce tableau doit reprendre les dénominations de la liste nationale des services les plus représentatifs rattachés à un compte de paiement et leur ordre, tels que précisés au A du I de l’article D 312-1-1 du CMF.
      • Enfin, il doit préciser, et c’est là une différence avec l’extrait tarifaire, les offres groupées de service proposées par l’établissement bancaire
    • Mise à disposition
      • L’article 1 de l’arrêté du 5 septembre 2018 prévoit que celui-ci doit être mis à disposition :
        • D’une part, sous forme électronique sur le site internet de l’établissement,
        • D’autre part, en libre-service dans les locaux de réception du public, sur support papier ou sur un autre support durable, de manière permanente, constante, visible, lisible et aisément accessible.
      • Par ailleurs, il doit être fourni gratuitement, sur support papier ou sur un autre support durable, à tout consommateur qui en fait la demande.
      • Il est également fourni, sur support papier ou sur un autre support durable, avant la conclusion d’un contrat relatif à un compte de dépôt ou un compte de paiement.

B) Les conditions générales d’utilisation du compte de dépôt

En application de l’article L. 312-1-1 du CMF, avant toute régularisation de convention de compte, l’établissement de crédit doit fournir au client les conditions générales d’utilisation sur support papier ou sur un autre support durable.

Le texte précise que l’établissement de crédit peut s’acquitter de cette obligation en fournissant au client une copie du projet de convention de compte de dépôt.

Si, à la demande du client, cette convention est conclue par un moyen de communication à distance ne permettant pas à l’établissement de crédit de se conformer à cette obligation de communication des conditions générales, il doit y satisfaire aussitôt après la conclusion de la convention de compte de dépôt.

§5: La convention de compte

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que la convention de compte de compte conclue entre un établissement bancaire et son client s’analyse en un contrat d’adhésion.

Pour mémoire, le contrat d’adhésion est celui qui « comporte un ensemble de clauses non négociables , déterminées à l’avance par l’une des parties ».

Aussi, dans le contrat d’adhésion l’une des parties impose sa volonté à son cocontractant, sans que celui-ci soit en mesure de négocier les stipulations contractuelles qui lui sont présentées

Le contrat d’adhésion est valable dès lors que la partie qui « adhère » au contrat, y a librement consenti et que le contrat satisfait à toutes les exigences prescrites par la loi (capacité, objet, contrepartie).

Le contrat d’adhésion, par opposition au contrat de gré à gré, présente deux particularités :

  • Première particularité
    • Conformément à l’article 1171 du Code civil, dans un contrat d’adhésion « toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. »
    • En matière de contrat d’adhésion, le juge dispose ainsi de la faculté d’écarter toute clause qu’il jugerait abusive, car créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties
    • Plusieurs critères sont retenus classiquement par la jurisprudence pour apprécier l’existence de ce déséquilibre :
      • L’absence de réciprocité
      • L’absence de contrepartie
      • Le caractère inhabituel de la clause
  • Seconde particularité
    • L’article 1190 du Code civil prévoit que, en cas de doute, le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé
    • Cette règle trouve la même justification que celle posée en matière d’interprétation des contrats de gré à gré
    • Pour mémoire, le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ( 1110, al. 2 C. civ.)
    • Aussi, le rédacteur de ce type de contrat est réputé être en position de force rapport à son cocontractant
    • Afin de rétablir l’équilibre contractuel, il est par conséquent normal d’interpréter le contrat d’adhésion à la faveur de la partie présumée faible.

Au total, la convention de compte fait l’objet d’une attention particulière, tant de la part du législateur, que de la part du juge.

I) Exigence d’un écrit

==> Principe

 L’article L. 312-1-1 du CMF prévoit que la gestion d’un compte de dépôt des personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels est réglée par une convention écrite, sur support papier ou sur un autre support durable, passée entre le client et son établissement de crédit.

Issu de la loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (MURCEF), ce texte exige ainsi l’établissement d’une convention écrite entre le banquier et le client lors de l’ouverture d’un compte de dépôt (art. 312-1-1 CMF).

Cette exigence d’établissement d’un écrit est renforcée par :

  • Tout d’abord, l’obligation d’information portant sur les conditions de la convention dont l’exécution suppose la remise d’un support papier ou de tout autre support durable
  • Ensuite, l’obligation, en cas de conclusion à distance de la convention, de fourniture au client d’un exemplaire sur support papier ou sur tout autre support durable
  • Enfin, l’exigence de formalisation de l’acceptation du client par la signature du ou des titulaires du compte.

==> Domaine d’application

Le domaine d’application du principe d’exigence d’un écrit tient, d’une part, à la nature du compte ouvert par le client et, d’autre part, à la qualité du client.

  • S’agissant de la nature du compte
    • L’exigence de régularisation d’une convention écrite ne s’applique que pour les comptes de dépôt ( 312-1-1 CMF).
    • Il en résulte que les comptes courants ne sont pas soumis à cette exigence
  • S’agissant de la qualité du titulaire
    • L’exigence d’établissement d’une convention écrite ne s’applique qu’aux seules personnes physiques peu importe qu’elles agissent ou non pour des besoins professionnels ( L. 312-1-1 et L. 312-1-6 CMF)
    • On peut en déduire que lorsque le client est une personne morale, l’écrit n’est pas exigé : la convention peut être le produit d’un accord oral ou tacite

==> Forme de l’écrit

 Si la régularisation d’une convention écrite est exigée pour l’ouverture d’un compte de dépôt, il est indifférent que cet écrit soit sous forme papier ou sous forme électronique.

En effet, en application de l’article 1174 du Code civil, lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un contrat, il peut être établi et conservé sous forme électronique.

Au surplus, l’article L. 312-1-1 du CMF octroie au client la faculté de solliciter la conclusion de la convention de compte de dépôt par un moyen de communication à distance.

Rien n’interdit donc à l’établissement bancaire de proposer à ses clients l’ouverture de comptes de dépôt à distance.

II) Contenu de la convention

L’article L. 312-1-1 du CMF dispose que les principales stipulations que la convention de compte de dépôt doit comporter, notamment les conditions générales et tarifaires d’ouverture, de fonctionnement et de clôture, sont précisées par un arrêté du ministre chargé de l’économie.

La convention de compte doit donc comporter un certain nombre de mentions obligatoires, lesquelles sont énoncées pour les personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels par l’arrêté du 29 juillet 2009 et pour les personnes physiques agissant pour des besoins professionnels par l’arrêté du 1er septembre 2014.

==> Mentions exigées dans la convention conclue avec une personne physique n’agissant pas pour des besoins professionnels

Conformément à l’arrêté du 29 juillet 2009, au nombre des mentions qui doivent figurer dans la convention de compte conclue par une personne physique n’agissant par pour des besoins professionnels on recense notamment :

  • Le nom du prestataire de services de paiement, l’adresse de son siège social ou de son administration centrale et, le cas échéant, l’adresse de son agent ou de sa succursale, et toutes les autres adresses, y compris l’adresse de courrier électronique, à prendre en compte pour la communication avec le prestataire de services de paiement ;
  • Une description des principales caractéristiques du service de paiement à fournir ;
  • Les modalités de procuration, la portée d’une procuration et les conditions et conséquences de sa révocation ;
  • Le sort du compte de paiement au décès du ou de l’un des titulaires du compte de paiement
  • Tous les frais payables par l’utilisateur de services de paiement au prestataire de services de paiement et, le cas échéant, le détail de ces frais ;
  • Le cas échéant, les taux d’intérêt et de change à appliquer ou, si des taux d’intérêt et de change de référence doivent être utilisés, la méthode de calcul du taux d’intérêt à appliquer ainsi que la date retenue et l’indice ou la base pour déterminer le taux d’intérêt ou de change de référence ;
  • Les finalités des traitements de données mis en œuvre par le prestataire de services de paiement, les destinataires des informations, le droit de s’opposer à un traitement des données à des fins de prospection commerciale ainsi que les modalités d’exercice du droit d’accès aux informations concernant le client, conformément aux lois en vigueur ;
  • Le délai et les modalités selon lesquels l’utilisateur de services de paiement doit informer le prestataire de services de paiement des opérations de paiement non autorisées, incorrectement initiées ou mal exécutées, conformément à l’article L. 133-24 du même code ;
  • La responsabilité du prestataire de services de paiement en matière d’opérations de paiement non autorisées, conformément à l’article L. 133-18 du même code ;
  • La responsabilité du prestataire de services de paiement liée à l’initiation ou à l’exécution d’opérations de paiement, conformément à l’article L. 133-22 du même code ;
  • Le fait que l’utilisateur de services de paiement est réputé avoir accepté la modification des conditions conformément au II de l’article L. 312-1-1 ou au III de l’article L. 314-13 du code monétaire et financier, à moins d’avoir notifié au prestataire de services de paiement son refus de celle-ci avant la date proposée pour l’entrée en vigueur de cette modification ;
  • La durée du contrat ;
  • Le droit de l’utilisateur de services de paiement de résilier le contrat et les modalités de cette résiliation, conformément aux IV et V de l’article L. 312-1-1 ou aux IV et V de l’article L. 314-13 du même code ;
  • Les modalités de fonctionnement et de clôture d’un compte de paiement joint ;
  • Les voies de réclamation et de recours extrajudiciaires ouvertes à l’utilisateur de services de paiement, notamment l’existence d’un médiateur pouvant être saisi gratuitement en cas de litige né de l’application de la convention de compte de dépôt ou du contrat-cadre de services de paiement ainsi que les modalités d’accès à ce médiateur, conformément à l’article L. 316-1 du code monétaire et financier. ;

==> Mentions exigées dans la convention conclue avec une personne physique agissant pour des besoins professionnels

Conformément à l’arrêté du 1er septembre 2014, au nombre des mentions qui doivent figurer dans la convention de compte conclue par une personne physique n’agissant par pour des besoins professionnels on recense notamment :

  • Les coordonnées de l’établissement de crédit : son nom, l’adresse de son siège social ou de son administration centrale et, le cas échéant, l’adresse de son agent ou de sa succursale, et toutes les autres adresses, y compris l’adresse de courrier électronique, à prendre en compte pour la communication avec l’établissement de crédit.
  • Les modalités de souscription de la convention ;
  • Les conditions d’accès au compte de dépôt et les conditions d’ouverture de ce compte ;
  • Les modalités de fonctionnement du compte de dépôt et le cas échéant les différents comptes de dépôt pouvant être ouverts par le client ;
  • Les différents services offerts au client et leurs principales caractéristiques, le fonctionnement des moyens de paiement associés au compte le cas échéant, y compris par renvoi à des conventions spécifiques ;
  • Le délai maximal d’exécution des ordres de paiement ;
  • Les modalités d’opposition ou de contestation aux moyens de paiement associés au compte le cas échéant ;
  • Les modalités de procuration, de transfert ou de clôture du compte ;
  • Lorsqu’un compte de dépôt est ouvert par un établissement de crédit désigné par la Banque de France en application de l’article L. 312-1 du code monétaire et financier, la fourniture gratuite de l’ensemble des produits et services énumérés à l’article D. 312-5 du code monétaire et financier relatif aux services bancaires de base.
  • Les modalités de communication entre le client et l’établissement de crédit ;
  • Les obligations de confidentialité à la charge de l’établissement de crédit.
  • La durée de la convention ;
  • Les conditions de modification de la convention de compte et de clôture du compte ;
  • Le droit du contrat applicable, juridiction compétente, voies de réclamation et de recours ;
  • Lorsqu’un dispositif de médiation est prévu, modalités de saisine du médiateur compétent dont relève l’établissement de crédit ;
  • Les coordonnées et l’adresse de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

==> Signature de la convention

Outre les mentions exigées dans la convention de compte, l’article L. 312-1-1, II du CMF précise que l’acceptation de la convention de compte de dépôt est formalisée par la signature du ou des titulaires du compte.

En application de l’article L. 351-1, le défaut de signature est sanctionné par une amende fiscale de 75 euros.

Cette amende est prononcée et recouvrée suivant les règles applicables à la taxe sur la valeur ajoutée. Le contentieux est suivi par l’administration qui a constaté l’infraction.

III) Modification de la convention

==> Principe

En application de l’article L. 312-1-1 du CMF, les établissements bancaires sont autorisés à modifier unilatéralement la convention de compte conclue avec leur clientèle.

Les modifications ainsi apportées à la convention s’imposeront aux clients, y compris s’il s’agit :

  • Soit de modifier la tarification appliquée
  • Soit d’inclure de nouvelles prestations de services donnant lieu à une rémunération non envisagée au jour de la signature de la convention

La modification de la convention de compte, si elle est à la discrétion du banquier, ne peut s’opérer sans l’observation d’un certain formalisme.

==> Formalisme

Plusieurs obligations pèsent sur le banquier en cas de modification de la convention de compte :

  • Obligation de communiquer le projet de modification de la convention
    • L’article L. 312-1-1 du CMF prévoit que tout projet de modification de la convention de compte de dépôt est fourni sur support papier ou sur un autre support durable au client
    • Cette communication peut donc s’opérer soit au moyen d’un support papier, soit par voie électronique si le client a accepté l’utilisation de ce canal de communication
  • Obligation d’observer un délai de prévenance de deux mois
    • Le projet de modification de la communication doit être communiqué au plus tard deux mois avant la date d’application envisagée
    • Ce délai vise à permettre au client de se déterminer quant à la suite à donner à sa relation avec l’établissement bancaire
  • Obligation d’informer le client sur les options dont il dispose
    • Le banquier doit informer son client :
      • D’une part qu’il est réputé avoir accepté la modification s’il ne lui a pas notifié, avant la date d’entrée en vigueur proposée de cette modification, qu’il ne l’acceptait pas
      • D’autre part, que s’il refuse la modification proposée, il peut résilier la convention de compte de dépôt sans frais, avant la date d’entrée en vigueur proposée de la modification.

À toutes fins utiles, il convient d’observer que ce formalisme est prescrit pour la modification des seules conventions de compte de dépôt.

Lorsque la convention est relative à un compte courant où à des instruments financiers, l’établissement bancaire n’est pas tenu de satisfaire à ces exigences de forme (Cass. com. 6 juill. 2010, n°09-70544).

Pour les comptes de dépôt, l’inobservation du formalisme prévu par l’article L. 312-1-1 du CMF est sanctionné par une amende de 1.500 euros, outre les sanctions disciplinaires susceptibles d’être prononcées à l’endroit de l’établissement bancaire pris en défaut par l’ACPR.

                            Aurélien Bamdé                                Maître Stéphanie Baudry                                                                                              (Avocate – Walter & Garance)

L’effet probatoire de la possession

La possession est une situation de fait qui, si elle est utile, emporte des effets de droit. À cet égard, le Doyen Carbonnier soulignait que « la possession confère au possesseur une série de béatitudes. Il peut sembler étonnant qu’un simple fait, et qui peut être contraire au droit, soit avantagé par le droit »[1].

Pourquoi un tel régime de faveur pour le possesseur ? Les effets attachés à la possession par la loi répondent à un double objectif :

  • Faciliter la preuve de la propriété
    • La preuve de la propriété d’un bien peut, dans de nombreux cas, s’avérer difficile, sinon impossible à rapporter, en particulier lorsqu’il s’agit d’un meuble.
    • C’est la raison pour laquelle elle est classiquement présentée comme la probatio diabolica.
    • Cette qualification de preuve du diable vient de ce que pour établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien, il faudrait être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, preuve que « seul le diable pourrait rapporter».
    • Afin de faciliter la preuve de la propriété, il a donc été institué une présomption qui repose sur le postulat consistant à admettre que statistiquement, il est de grande chance pour que le possesseur de la chose soit également son propriétaire.
    • La charge de la preuve est ainsi inversée, ce qui implique qu’il appartient à celui qui ne possède pas la chose de prouver qu’il en est le propriétaire.
    • Pour ce faire, il pourra notamment établir qu’il dispose d’un titre de propriété.
  • Favoriser la paix sociale
    • Autre raison pour laquelle la loi attache à la possession des effets de droit : prévenir les atteintes à la paix sociale.
    • Ainsi que le suggère le Doyen Carbonnier, « l’injustice (provisoire) est préférable au désordre»[2].
    • Cette affirmation participe de l’idée que la paix sociale suppose que certaines situations de fait soient consolidées, fûssent-elles contraires au droit.
    • La remise en cause d’une situation de fait qui s’est durablement prolongée dans le temps pourrait, en effet, être de nature à créer un désordre plus important que l’injustice qui résulte de cette situation.
    • Le Doyen Carbonnier a écrit en ce sens que « il est […] des cas où la possession doit être définitivement préférée à la propriété parce que, soit à cause du temps écoulé, soit à cause des transmissions dont le bien a fait l’objet, le rétablissement du droit serait plus préjudiciable à la tranquillité générale que l’acceptation du fait accompli»[3].

À l’examen, la possession emporte deux effets juridiques :

  • Un effet probatoire
  • Un effet acquisitif

Nous nous focaliserons ici sur le seul effet probatoire.

I) Principe

L’article 2276 du Code civil prévoit que « en fait de meubles, la possession vaut titre. » Cette disposition s’interprète comme posant une présomption de propriété de la chose sur laquelle le possesseur exerce son emprise.

Autrement dit, toute possession fait présumer le droit dont elle est l’apparence. Le possesseur est donc présumé être le propriétaire de ce qu’il possède.

À l’instar de n’importe quelle présomption, celle énoncée à l’article 2276 du Code civil prend assise sur une vraissemblance : en partant d’un fait connu, la possession de la chose, on postule un fait inconnu, l’exercice d’un droit de propriété sur cette chose.

En raison de la difficulté inhérente à la preuve de la propriété, cette présomption vise à en faciliter l’établissement. Ce n’est pas au possesseur de prouver qu’il est le propriétaire de la chose, mais au demandeur d’établir qu’il est le véritable titulaire du droit revendiqué.

Dans le doute, le bien doit revenir au possesseur. C’est ce qu’exprime l’adage in pari causa melior est causa possidentis, soit si aucune des parties ne parvient à faire la preuve de son droit, alors le possesseur l’emporte.

II) Domaine

À l’examen, le domaine d’application de l’article 2276 du Code civil est circonscrit aux seuls meubles.

Est-ce à dire que la présomption de propriété posée à la faveur du possesseur ne s’applique pas pour les immeubles ?

Nonobstant l’absence de texte pour les immeubles, la jurisprudence rappelle  régulièrement que la preuve du droit de propriété est libre (V. en ce sens Cass. 3e  civ., 20 juillet 1988, n° 87-10.998).

La Cour de cassation reconnaît encore aux juges du fond le pouvoir d’apprécier souverainement les différentes preuves produites devant lui pour retenir, tout aussi souverainement, selon la formule désormais consacrée « les présomptions de propriété les meilleures et les plus caractérisées » (V. en ce sens Cass. 3e civ., 12 juin 2012, n° 11-13103).

À cet égard, au premier rang des modes de preuve admis par la Cour de cassation pour établir la propriété immobilière figure, outre la production d’un titre, la possession a toujours pour effet de faire présumer le droit de propriété.

La troisième chambre civile a par exemple statué en ce sens dans un arrêt du 26 mai 1988 (Cass. 3e civ. 26 mai 1988, n°86-17509).

Au surplus lorsque la possession satisfait, quant à sa durée et à l’absence de vices, les conditions de la prescription acquisitive, elle constitue le meilleur des moyens de rapporter la preuve de la propriété immobilière.

III) Conditions

Pour être applicable, la présomption de propriété posée à l’article 2276 est subordonnée à l’observation d’une seule condition : l’absence de vice. Il est, en effet, indifférent que le possesseur soit de bonne foi.

  • L’exigence de l’absence de vice
    • L’application de l’article 2276 du Code civil suppose que la possession ne soit pas viciée.
    • Pour remplir cette condition et donc être utile, la possession doit être continue, paisible, publique et non équivoque.
    • Reste que lorsque le vice qui affecte la possession est seulement relatif, le jeu de la présomption posée à l’article 2276 du Code civil ne sera neutralisé qu’autant que ce vice est absolu ou, s’il est relatif, est opposé par une personne en droit de l’invoquer.
    • Lorsque, en revanche, la présomption de propriété est invoquée par le possesseur à l’encontre d’une personne qui n’est pas fondée à se prévaloir du vice, elle jouera malgré tout.
  • L’indifférence de la bonne foi
    • Le bénéfice de la présomption de propriété posée à l’article 2276 du Code civil n’est pas subordonné à l’établissement de la bonne foi du possesseur.
    • La raison en est que, en application de l’article 2274 du Code civil « la bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver.»
    • Au surplus, exiger la bonne foi du possesseur serait sans intérêt dans la mesure où l’objet même d’une action en revendication consiste, au fond, à la remettre en cause.

IV) Force probante

La présomption posée à l’article 2276 du Code civil est une présomption simple, de sorte qu’elle peut être combattue en rapportant la preuve contraire.

Le demandeur pourra alors contester cette présomption en établissant :

  • Soit le bien-fondé de son droit de propriété (production du titre)
  • Soit que les éléments constitutifs de la possession (corpus et animus) ne sont pas caractérisés, à tout le moins insuffisamment
  • Soit que la possession est affectée d’un vice, en ce sens que cette possession est équivoque, clandestine, interrompu ou encore le produit d’un acte de violence
  • Soit que le titre du possesseur est précaire, en ce sens qu’il ne lui confère aucun droit de propriété sur le bien revendiqué (contrat de dépôt, de bail ou encore de mandat)
  • Soit que le transfert de propriété est privé d’effet en raison de l’anéantissement du contrat (nullité, résolution, caducité, etc…)

V) Exceptions

La présomption de propriété posée à l’article 2276 joue tant qu’elle ne se heurte à aucun texte contraire.

Or tel est le cas, lorsqu’elle est invoquée dans le cadre d’un litige qui oppose les membres d’un couple.

Cette présomption sera, en effet, neutralisée par la communauté de vie qui a pour effet de faire présumer les biens meubles comme relevant du régime de l’indivision (concubine et pacs) ou de la catégorie des biens communs (couple marié sous régime communautaire).

[1] J. Carbonnier, Droit civil – Les biens, éd. PUF, 2004, n°784, p. 1720.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

L’apparence : Théorie et régime juridique

Habit, barbe etc. Le Littré prête à Madame de Sévigné de ne pas toujours juger sur les apparences. Quelques sentences courtes et imagées, d’usage commun, qui expriment une vérité d’expérience ou un conseil de sagesse, autrement dit quelques proverbes, ne disent pas autre chose : « l’habit ne fait pas le moine » ; « la barbe ne fait pas le philosophe » ; « tout ce qui brille n’est pas or ». Est apparent, ce qui n’est pas tel qu’il paraît être (Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française – le Nouveau Petit Robert, v° Apparent). On sait tout cela depuis Rome.

Barbarius Philippus avait été suffisamment habile pour dissimuler sa véritable condition d’esclave et exercer la charge de préteur. Chargé d’apprécier la recevabilité de la demande, c’est lui qui donne une action (actio legis) au demandeur et nomme un juge. Pour mémoire, le droit romain ancien (ante 150 avant J.-C.) est dépendant de la procédure. Les Romains ne raisonnent pas en termes de droits subjectifs, mais en termes d’actions. Et c’est seulement dans la mesure où ils disposaient d’une action en justice qu’ils pouvaient s’estimer titulaires d’un droit. En bref, l’action précédait le droit (voy. J.-L. Thireau, Introduction historique au droit, Flammarion, 2001, pp. 66, 67).

Hésitation. Une fois Barbarius Philippus démasqué, un double problème s’est posé. Sanctionner le magistrat ; la chose était facile. Annuler ou valider les actes accomplis du prétendu magistrat ; l’affaire s’avérait plus délicate. En dépit de l’incompétence manifeste du préteur, la solution de validité s’est imposée (Ulpien, D. 1, 14, 3). Serait-ce que toute vérité ne serait décidément pas bonne à dire… Justinien (qui régna en Orient de 527 à 565 fut aux compilations éponymes ce que Portalis fut au Code civil. Il éleva un monument juridique à la gloire de la haute Antiquité romaine : le corpus juris civilis, composé not. du Digeste, qui rassemble les écrits des jurisconsultes classiques romains, des Institutes, le Codex, qui reprend les constitutions antérieures et les Novelles, qui reprennent l’activité législative de Justinien) reprit la solution en posant que la sentence rendue par un arbitre, réputé libre alors qu’il était esclave, devait conserver son autorité. Accurse (1182-1260 est resté célèbre pour avoir rassemblé les principaux commentaires dans un souci de présentation critique, aux fins de conciliation. Ce faisant, il a fixé de manière quasi définitive la doctrine des glossateurs du corpus juris civilis), glosant sur la lex Barbarius Philippus, formula ladite solution par la maxime : « error communis facit jus » (H. Mazeaud, La maxime « Error communis facit jus », RTDciv. 1924.929).

Solution. L’expression étant trouvée, la règle commença à faire fortune sans discontinuité. Et la jurisprudence de l’appliquer comme un précepte ayant pour lui l’autorité du droit romain. Ce que ne firent pas les rédacteurs du Code qui l’ont formellement passée sous silence. Et ce n’est que trois ans après la promulgation du Code civil qu’un texte législatif consacrera expressément sa validité (Avis du Conseil d’État du 2 juill. 1807, avis interprétatif ayant force de loi en vertu de la Constitution du 22 frimaire an VIII – 13 déc. 1799).

Consécration. Le Code civil, relisons-le. À bien y réfléchir, plusieurs textes consacrent des conséquences juridiques à l’apparence ou à des droits apparents. Une consultation sommaire de la législation codifiée sur le site Internet de diffusion du droit en ligne (www.legifrance.gouv.fr) l’atteste (voy. not. la table alphabétique du Code civil, v° Apparence). C’est le cas, par exemple, en droit du paiement de l’obligation. En pratique, il n’est jamais possible à un débiteur d’obtenir de quelqu’un une preuve incontestable de sa qualité de créancier. Le débiteur ne peut jamais être sûr que la personne dans les mains de laquelle il s’acquitte est réellement le créancier. La créance a pu être cédée. La dette a pu s’éteindre… Dans tout paiement, il y a une irréductible part de risque de mauvais paiement. C’est pourquoi article 1240 C.civ. (devenu l’art. 1342-3 bien plus simplement formulé) pose une règle importante pour protéger le débiteur. Il dit que le débiteur est libéré (et qu’il ne risque donc pas de payer deux fois) lorsqu’il a payé à une personne “en possession” de la créance, c’est-à-dire à une personne qui a la possession d’état de créancier ou, pour le dire autrement, à une personne qui a l’apparence de la qualité de créancier. Le débiteur peut donc se fier à l’apparence. Il est dispensé d’investigations en vue de s’assurer que cette apparence correspond à la réalité. Si elle n’y correspondait pas, le débiteur serait de bonne foi et sa dette serait éteinte. C’est donc le créancier véritable qui supporterait alors le mauvais paiement. C’est lui qui assume le risque d’un paiement à un faux créancier apparent.

En résumé, “lorsqu’une personne exerce un droit sans titre, une fonction sans qualité, et passe aux yeux de tous, par suite d’une erreur invincible comme détenant la légitimité juridique, ceux qui ont traité avec elle ou recouru à son office sont protégés contre le défaut de droit ou le défaut de pouvoir : la croyance collective à un droit ou à un pouvoir, quoique erronée, équivaut à l’existence de ce droit ou de ce pouvoir ; la réalité est sacrifiée à l’apparence, d’où résulte le maintien de l’opération qui, au regard des principes, devrait être annulée sans discussion”. La maxime ne se contente donc pas de condenser en une formule brève les règles dans le détail desquelles s’est complu le législateur. Elle ne permet pas seulement de trancher l’une des multitudes de questions laissées dans l’ombre par les rédacteurs. Elle heurte le droit civil (H. Mazeaud, op. cit.).

Chaque fois que l’adage est invoqué, la loi a été méconnue. Appliquer la maxime, c’est toujours valider une violation de la règle de droit. L’application de ce que l’on nomme ordinairement la théorie de l’apparence a un effet d’inhibition de la norme. Elle traduit en quelque sorte une certaine soumission du droit aux faits (J. Ghestin et alii, Droit civil, Introduction générale, p. 829).

Les fonctions de l’apparence (I). Les conditions de l’apparence (II).

I – Les fonctions de l’apparence

Plusieurs séries de considérations président aux fonctions de l’apparence.

En technique, l’apparence et sa théorie sont une construction méthodologique qui offre au juge un guide pour motiver des décisions qui font prévaloir le fait sur le droit. De ce point de vue, l’expression désigne la matrice d’un principe dérogatoire à l’application normale des règles de formation et de transmission des droits. Cette matrice est tel ce dieu de la mythologie grecque à une tête, mais à deux visages : Janus. Pendant que le système du Code civil assigne aux apparences une fonction de présomption, le juge leur attribue une fonction de validation des actes nuls.

En pratique, l’apparence et sa théorie ont pour fonctions d’assurer la sécurité des tiers et la rapidité des transactions. Plus le commerce juridique a besoin de rapidité, plus se justifie que l’on puisse se fier aux apparences.

En théorie, l’ordre public, la paix publique, la sécurité sociale exigent que ceux qui ont failli ne soient pas laissés sans protection ; parce qu’il leur était impossible de ne pas se tromper, il importe de faire fléchir en leur faveur la rigueur de la loi (H. Mazeaud, op. cit., p. 950). Comprenons bien. Il ne s’agit pas d’ériger la théorie de l’apparence en règle générale et abstraite. Le vers serait dans le fruit. Si l’on a fini par donner à l’erreur la puissance du droit, ce n’est que de façon très circonstanciée. L’ignorance de la situation véritable ne suffit pas à justifier la dérogation aux conséquences logiques de l’application des règles de droit. Les conditions de l’apparence l’attestent.

II – Les conditions de l’apparence

La notion d’apparence étant invoquée dans maints domaines, elle tend à devenir protéiforme. Il reste pour autant qu’il s’agit nécessairement d’une situation de fait visible qui provoque une croyance erronée. En toute hypothèse, la question est de savoir si, conformément aux règles et aux usages de la matière considérée, un individu normalement avisé aurait admis pour vrai ce qui n’était au mieux que vraisemblable.

En définitive, l’apparence suppose réunies une condition matérielle et une condition intellectuelle ou psychologique.

Réalité. Pour que la théorie de l’apparence s’applique, la valeur indicative des faits doit être telle qu’elle s’impose spontanément à l’esprit, sans le détour de raisonnements compliqués. Autrement présenté, il faut une réalité visible que l’observateur considérera comme révélatrice de la situation de droit. Les faits accumulés se renforcent et s’éclairent les uns aux autres de telle façon qu’aucun doute n’effleure le spectateur sur leur signification. La notion de possession d’état est topique. La loi dispose qu’elle s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite intervenir (C.civ., art. 311-1).

Erreur. La théorie est salvatrice pour les tiers qui, de bonne foi, se sont fiés à ce qu’ils ont pu voir. Voy. par ex. art. 1998 C.civ. (mandat apparent). Il ne s’agirait pas qu’elle déresponsabilisât les sujets de droit. L’error n’est pas n’importe quelle erreur. Il faut que l’erreur commise présente certains caractères qui dépassent la bonne foi strictement entendue. L’erreur doit traditionnellement être commune. La jurisprudence paraît se contenter plus récemment d’une erreur légitime. L’erreur commune est source de droit, elle fait le droit, dit l’adage. Elle doit être partagée. Dans la mesure où il s’agit de protéger, dans l’intérêt général, les relations juridiques, la contemplation de l’erreur dans la personne d’un seul individu serait incongrue. L’intérêt dont il est question n’est menacé que si un grand nombre d’individus est tombé ou aurait pu tomber dans l’erreur. C’est l’erreur, non pas universelle, mais celle commise par la masse. Il se créé alors la fameuse situation apparente à laquelle chacun a pu légitimement se fier. Le critère est objectif, assez facile à pratiquer, trop du reste. Il ne s’agirait pas qu’une erreur grossière torde le coup au droit pour la seule raison qu’elle a été partagée. En cette occurrence, il n’y a pas lieu de protéger l’errans. Le juge ne protège pas ceux qui ne sont pas suffisamment diligent et vigilant : de non vigilantibus non curat praetor (des non vigilant le préteur n’a cure).

Errans. Aussi bien, il importe pour celui qui est dans l’erreur de satisfaire un second critère, subjectif. L’attitude de l’errans doit être excusable et raisonnable. Considérant qu’à l’impossible nul n’est tenu, s’il était humainement impossible d’éviter le piège de l’apparence, la règle de droit doit être refoulée : summum jus, summa injuria (comble de droit, comble d’injustice). Il n’est pas tolérable qu’une application trop rigoureuse de la loi puisse déboucher sur une injustice suprême. Souvenons-nous que le doit est l’art du bon et de l’équitable.

Le caractère commun de l’erreur a été jugé un peu trop rigoureux. Aussi l’on a fait appel à une notion moins exigeante, l’erreur légitime. Cette erreur est appréciée dans la seule personne de l’errans. Peu importe en d’autres termes qu’aucune autre personne n’ait été trompée. Si la personne considérée avait de bonne raison de se tromper, son erreur est légitime.

La jurisprudence ne paraît pas avoir opté exclusivement pour l’une ou l’autre des conditions. Le juge est pragmatique. Il pratique l’une ou l’autre condition au gré des circonstances de l’espèce. La seconde a le mérite de “donner aux individus l’assurance que leur croyance légitime suffit à garantir leurs droits. [Ce faisant], on les incite encore davantage à agir et on leur permet de le faire vite”(J. Ghestin et alii, op. cit., p. 842).

Quelques esprits chagrins dénonceront l’incertitude qui règne en la matière. Ils ont raison. Encore qu’il n’y a pas à craindre de grands troubles dans la force, car si le domaine de cette théorie est vaste, l’application de ladite théorie présente un caractère subsidiaire. Selon l’opinion générale, les juridictions ne doivent y avoir recours que si elles ne trouvent pas dans les textes un moyen adéquat de justifier la solution qui leur paraît nécessaire. Force est de le répéter : le risque de subversion du Droit existe. Il doit être canalisé. L’apparence ne saurait prévaloir sur des solutions précises de la loi exactement adaptées à la situation (voy. égal. v° La fraude).

J.B.

La prise en compte des biens communs dans l’appréciation de la disproportion du cautionnement (Cass. com. 6 juin 2018)

Dans un arrêt du 6 juin 2018, la Cour de cassation est venue apporter une précision sur l’appréciation de la proportionnalité de l’engagement de la caution commun en biens.

==> Faits

Par acte du 12 avril 2007, une personne physique s’est portée caution du remboursement d’un prêt consenti par une banque à une société

Cette dernière ayant fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, la caution a été activité en paiement

==> Procédure

Par un arrêt du 21 septembre 2016, la Cour d’appel de Toulouse a débouté la banque de sa demande.

Les juges du fond ont considéré que l’engagement souscrit par la caution était manifestement disproportionné à ses biens et revenus

Pour parvenir à ce constat ils se sont appuyés sur deux éléments :

  • D’une part, ils ont relevé que l’épouse de la caution avait donné son accord pour l’engagement des biens communs
  • D’autre part, ils ont estimé que pour l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement, devait être pris en considération la seule part de la caution dans ces biens, ainsi que ses revenus, et non le patrimoine et les revenus du couple

On peut en déduire que si les biens communs avaient été inclus dans l’évaluation de la capacité financière de la caution, la disproportion du cautionnement n’aurait pas pu être retenue par la Cour d’appel

==> Solution

Par un arrêt du 6 juin 2018, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse au visa de l’article L. 341-4 du Code de la consommation pris dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016.

Au soutien de sa décision, la Cour de cassation affirme que « la disproportion manifeste de l’engagement de la caution commune en biens s’apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu’il y ait lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du code civil, qui détermine seulement le gage du créancier, de sorte que devaient être pris en considération tant les biens propres et les revenus [de la caution] que les biens communs, incluant les revenus de son épouse ».

Autrement dit, pour la Cour de cassation, l’étendue du gage des créanciers n’a aucune incidence sur la détermination de la capacité financière de la caution.

En tout état de cause, doivent être inclus dans le calcul de cette évaluation :

  • Les biens propres de la caution
  • Les biens communs
  • Les gains et salaires du conjoint

Pour la chambre commerciale, il convient donc de déconnecter la question du gage des créanciers de l’exigence de proportionnalité du cautionnement.

==> Analyse

Pour mémoire, l’article L. 341-4 du Code de la consommation pris dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016 dispose que « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »

Cette disposition, désormais codifiée à l’article L. 332-1 du Code de la consommation, prévoit, en substance, que l’engagement de la caution doit être proportionné à sa capacité financière.

À défaut, la sûreté est inopposable à la caution, de sorte que la banque n’est pas fondée à l’actionner en paiement.

La question s’est alors rapidement posée de l’appréciation de la disproportion.

À partir de quand, peut-on considérer que l’engagement de la caution est disproportionné ?

Si cette question ne soulève pas vraiment de difficulté lorsque la caution ne vit pas en couple ou est soumise à un régime de séparation de biens, les choses se compliquent lorsqu’elle est mariée sous un régime communautaire.

Dans cette situation, deux dispositions sont, en effet, susceptibles d’interférer avec la règle édictée à l’ancien article L. 341-4 du Code de la consommation :

  • L’article 1413 du Code civil
    • L’article 1413 du Code civil prévoit que « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu.»
    • Il ressort de cette disposition que l’époux marié sous le régime légal engage les biens communs du couple
    • La dette ainsi contractée auprès d’un tiers est exécutoire :
      • D’une part, sur les biens propres de l’époux contractant
      • D’autre part, sur les biens communs ordinaires
      • Enfin, sur les gains et salaires du conjoint, lesquels, en ce qu’ils constituent des acquêts ( 1402 C. civ.), relèvent de la catégorie des biens communs
    • Si l’on se cantonne à l’application de cette disposition, on est légitimement en droit de penser que la disproportion de l’engagement de la caution doit être appréciée au regard de l’ensemble des biens communs du couple
    • La raison en est que l’engagement de caution est, a priori, exécutoire sur les biens communs.
    • Reste que le principe posé par cette règle n’est pas absolu.
    • Il est assorti d’exceptions au nombre desquelles figure, notamment, celle énoncée à l’article 1415 du Code civil.
  • L’article 1415 du Code civil
    • L’article 1415 du Code civil prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, le consentement exprès donné en application de l’article 1415 du code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint ayant pour effet d’étendre l’assiette du gage du créancier aux biens communs, c’est à bon droit que la cour d’appel a apprécié la proportionnalité de l’engagement contracté par M. X…, seul, tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté, incluant les salaires de son épouse ; que le moyen n’est pas fondé ; dans ce cas, n’engage pas ses biens propres»
    • Cette disposition pose ainsi une exception au principe édicté à l’article 1413 du Code civil : en matière d’emprunt et de cautionnement, la dette contractée par un époux peut ne pas être exécutoire sur les biens communs
    • Plusieurs situations doivent être distinguées
      • Les époux ont tous les deux souscrit à l’acte
        • Dans cette hypothèse, ils sont regardés comme des parties à l’acte, sans qu’il y ait lieu de les distinguer
        • Il en résulte que la dette d’emprunt ou de cautionnement est exécutoire :
          • Sur les biens propres des deux époux
          • Sur les biens communs, y compris leurs gains et salaires respectifs
      • Le conjoint de l’époux contractant a consenti à l’acte
        • Dans cette hypothèse, seul l’époux qui a apposé sa signature sur l’acte de cautionnement ou d’emprunt est partie au contrat
        • En application de l’article 1415 du Code civil, la dette est exécutoire
          • Sur les biens propres de l’époux contractant
          • Sur les biens communs, à l’exclusion des gains et salaires de l’époux qui a seulement consenti à l’acte sans y être partie
      • Le conjoint de l’époux contractant n’a pas consenti à l’acte
        • Dans cette hypothèse, le gage des créanciers est réduit à la portion congrue.
        • Ainsi, la dette d’emprunt ou de cautionnement contractée sans l’accord du conjoint est exécutoire sur :
          • Les biens propres de l’époux contractant
          • Les gains et salaires de l’époux contractant, à l’exclusion des biens communs ordinaires

Au total, il apparaît que, selon que le conjoint de l’époux contractant a ou non donné son accord au cautionnement, voire y a adhéré, le gage des créanciers est plus ou moins réduit.

Est-ce à dire que, s’agissant de l’appréciation de la disproportion, il doit exister une corrélation entre l’étendue du gage des créanciers et la proportionnalité de l’engagement de la caution ?

L’examen de la jurisprudence révèle que la position de la chambre commerciale a évolué sur ce point :

  • L’arrêt du 14 novembre 2012
    • La Cour de cassation a jugé, dans cette décision, après avoir relevé que « les époux X… s’étaient simultanément et par un même acte constitués cautions solidaires pour la garantie d’une même dette […] que le caractère manifestement disproportionné de l’engagement de Mme X… devait s’apprécier au regard non seulement de ses biens propres mais aussi des biens et revenus de la communauté» ( 1re civ., 14 nov. 2012, n° 11-24341)
    • On pouvait en déduire que si les époux n’avaient pas souscrit, simultanément, à l’engagement de caution, les biens communs ne devaient pas être pris en compte quant à l’appréciation du caractère excessif du cautionnement.
  • L’arrêt du 5 février 2013
    • Dans cette décision, la Cour de cassation exprime la même position que celle adoptée dans l’arrêt du 14 novembre 2012.
    • Elle considère que « lorsque les dispositions de l’article 1415 du code civil sont écartées, les engagements des cautions s’apprécient tant au regard de leurs biens et revenus propres que de ceux de la communauté» ( com., 5 févr. 2013, n° 11-18.644)
  • L’arrêt du 22 février 2017
    • La Cour de cassation confirme, dans cet arrêt, qu’il y a lieu de distinguer, pour apprécier la disproportion du cautionnement, selon que le conjoint de la caution a ou non donné son consentement en l’acte.
    • Elle affirme en ce sens que « le consentement exprès donné en application de l’article 1415 du code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint ayant pour effet d’étendre l’assiette du gage du créancier aux biens communs, c’est à bon droit que la cour d’appel a apprécié la proportionnalité de l’engagement contracté par M. X…, seul, tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté, incluant les salaires de son épouse ; que le moyen n’est pas fondé» (Cass com. 22 févr. 2017, n°15-14915)
    • Ici, la haute juridiction justifie explicitement la prise en compte des biens communs dans l’évaluation de la capacité financière de la caution en relevant que le conjoint avait donné son consentement à l’acte de cautionnement, de sorte que la dette était, en tout état de cause, exécutoire sur les biens communs.
  • L’arrêt du 15 novembre 2017
    • Dans cette décision, la Cour de cassation adopte, manifestement, la solution radicalement inverse de celle retenue antérieurement
    • Elle a, en effet, jugé que « la disproportion manifeste de l’engagement de la caution s’appréciant, selon l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, par rapport, notamment, à ses biens, sans distinction, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que celui de M. X… dépendant de la communauté devait être pris en considération, quand bien même il ne pourrait être engagé pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l’absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du code civil» ( Com. 15 nov. 2017, n° 16-10.504)
    • Pour la chambre commerciale, il n’existe donc aucune corrélation entre l’étendue du gage des créanciers et la proportionnalité de l’engagement de caution.
    • Il est ainsi indifférent que le conjoint de la caution ait consenti à l’acte : en toute hypothèse, les biens communs doivent être pris en compte quant à l’appréciation de la disproportion de l’engagement.

En l’espèce, la Cour de cassation vient confirmer son revirement de jurisprudence opéré dans l’arrêt du 15 novembre 2017

Bien que cette solution heurte la logique de l’article 1415 du Code civil, elle se justifie, selon la doctrine, par la nécessité de tenir compte de la situation du créancier.

Admettre que la proportionnalité de l’engagement de la caution soit appréciée au regard de l’étendue du gage des créanciers serait, en effet, revenu à neutraliser, outre mesure, leur droit de poursuite, l’essentiel du patrimoine de la caution résidant, la plupart du temps, dans les biens communs.

Au moyen de l’article 1415 du Code civil, il pourrait être fait doublement échec au droit des créanciers en se prévalant :

  • D’une part, de la rédaction du gage
  • D’autre part, de la disproportion de l’engagement

La solution ici retenue par la Cour de cassation permet alors de limiter les effets de l’article 1415 du Code civil qui, déconnecté de l’appréciation de la disproportion, ne fait pas obstacle à ce que les créanciers puissent actionner en paiement une caution dont l’engagement a été pris sans le consentement du conjoint.

Pour cette raison, la solution retenue par la Cour de cassation doit être approuvée.

Cass. com. 6 juin 2018
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche ;

Vu l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... s’est rendu caution, le 12 avril 2007, du remboursement d’un prêt consenti par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Toulouse 31 (la banque) à la société Alfine ; que cette dernière ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné M. X... en exécution de son engagement ;

Attendu que pour dire le cautionnement de M. X... manifestement disproportionné à ses biens et revenus et, en conséquence, rejeter l’ensemble des demandes de la banque, l’arrêt, après avoir relevé que l’épouse de M. X... avait donné son accord pour l’engagement des biens communs, retient que, pour l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement, doivent être pris en considération la seule part de la caution dans ces biens, ainsi que ses revenus, et non le patrimoine et les revenus du couple ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la disproportion manifeste de l’engagement de la caution commune en biens s’apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu’il y ait lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du code civil, qui détermine seulement le gage du créancier, de sorte que devaient être pris en considération tant les biens propres et les revenus de M. X... que les biens communs, incluant les revenus de son épouse, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 21 septembre 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ;

TEXTES

Code de la consommation

Article L. 332-1 (anc. art. L. 341-4)

Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Code civil

 Article 1415

 Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres.

JURISPRUDENCE ANTÉRIEURE

Cass. Com. 15 nov. 2017
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 3 novembre 2015), que par deux actes des 7 décembre 2009 et 22 juillet 2010, M. X... s’est rendu caution solidaire envers la société Brunet fils (le créancier) en garantie du paiement de factures émises sur la société Le Fournil 85 (la société) ; que la société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, le créancier a assigné la caution en exécution de ses engagements ;

Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt de le condamner à payer au créancier la somme de 143 375,75 euros au titre du cautionnement du 7 décembre 2009 ainsi que celle de 115 673 euros au titre du cautionnement du 22 juillet 2010, outre intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que toute personne physique s’engageant par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n’y satisfait pas lui-même » ; qu’il ressortait des propres constatations de la cour d’appel, que les cautionnements souscrits par M. X... « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues » étaient à durée indéterminée ; qu’en considérant cependant que de tels cautionnements consentis à durée indéterminée répondaient au strict formalisme exigé à peine de nullité par les articles L. 341-2 et suivants du code de la consommation, la cour d’appel a violé lesdits textes ;

2°/ que toute personne physique s’engageant par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n’y satisfait pas lui-même » ; que la cour d’appel a elle-même relevé qu’en cas de cautionnement à durée indéterminée, la mention manuscrite imposée par l’article L. 341-2, devait expressément énoncer, par une formulation claire et non équivoque, cette durée indéterminée de l’engagement souscrit, à peine de nullité de ce dernier ; qu’en considérant dès lors que les cautionnements litigieux répondaient aux exigences des articles L. 341-2 et suivants du code de la consommation cependant que la formulation manuscrite y figurant « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues » ne permettait pas à la caution d’avoir une parfaite connaissance de la durée indéterminée de ses engagements, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des dispositions desdits articles ;

3°/ qu’en cas d’engagement de caution souscrit par un seul des époux, sans l’accord exprès de l’autre, la disproportion de son engagement ne peut être appréciée que par rapport à son patrimoine et ses revenus propres, à l’exclusion des biens communs, lesquels sont hors d’atteinte du créancier ; qu’après avoir elle-même considéré que l’engagement de caution souscrit, le 22 juillet 2010, par M. X..., devait être considéré comme manifestement disproportionné à ses revenus, la cour d’appel l’a cependant condamné à paiement en considérant que le bien immobilier de communauté devait être pris en considération dans l’appréciation de la disproportion au motif qu’ « (…) En cas de cautionnement consenti, sans le consentement de son conjoint, par un seul époux marié sous régime de communauté légale, il est indifférent que les biens de communauté desdits époux ne soient pas engagés envers le créancier en vertu de l’article 1415 du code civil…. » ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les dispositions de cet article ainsi que celles de l’article L. 341-4 du code de la consommation ;

Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir énoncé qu’il se déduit de la combinaison des articles L. 341-2 et L. 341-6 du code de la consommation, issus de la loi du 1er août 2003, que le cautionnement à durée indéterminée est licite, l’arrêt constate que la mention manuscrite, apposée par M. X..., relative à la durée de ses engagements, stipule que le cautionnement est consenti « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues » ; qu’ainsi, dès lors que cette mention ne modifiait pas le sens et la portée de la mention manuscrite légale, c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit que les cautionnements litigieux n’étaient pas entachés de nullité pour violation de l’article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 ;

Et attendu, en second lieu, que, la disproportion manifeste de l’engagement de la caution s’appréciant, selon l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, par rapport, notamment, à ses biens, sans distinction, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que celui de M. X... dépendant de la communauté devait être pris en considération, quand bien même il ne pourrait être engagé pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l’absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du code civil ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en ses première et cinquième branches, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Cass com. 22 févr. 2017
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 6 janvier 2015), que par un acte du 1er mars 2007, la société Banque populaire Bourgogne Franche-Comté (la banque) a consenti à la société Luxeuil primeurs (la société) un prêt destiné à financer l'acquisition d'un fonds de commerce ; que M. et Mme X... se sont rendus cautions solidaires de ce prêt par un acte du même jour ; que par un acte du 24 novembre 2010, la banque a encore consenti à la société un prêt d'équipement, garanti par le cautionnement de M. X..., l'épouse de ce dernier donnant son consentement exprès à l'acte en application de l'article 1415 du code civil ; que la société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a assigné les cautions en exécution de leurs engagements ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de les condamner à payer à la banque la somme de 3 840, 91 euros en leur qualité de cautions de la société au titre du prêt souscrit le 1er mars 2007 alors, selon le moyen, que la banque est tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard de la caution, indépendamment du caractère disproportionné ou non de son engagement, en considération de ses capacités financières et des risques de l'endettement né de ses engagements ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la banque n'aurait pas dû, pour apprécier la nécessité d'exercer son devoir de mise en garde, vérifier la rentabilité de l'opération financée par le prêt du 1er mars 2007 au regard des documents comptables des précédents propriétaires du fonds, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu qu'en s'appuyant sur un dossier prévisionnel basé sur trois exercices (2007-2008-2009) dressé par un cabinet d'expertise comptable renommé, la banque avait pu se fonder sur les prévisions d'activité de l'entreprise, en l'absence d'autres éléments de nature à mettre en cause ce document, et en relevant que les mensualités du prêt avaient été honorées jusqu'au début de l'année 2012 ce qui induisait le caractère réaliste des projections de viabilité de l'entreprise à la date du prêt, et que les cautions n'alléguaient pas que les documents comptables des précédents propriétaires du fonds, qu'ils ne versaient pas aux débats, attestaient de prévisions irréalistes, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer d'autre recherche, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de condamner M. X... à payer à la banque la somme de 36 753, 41 euros en sa qualité de caution de la société au titre du prêt souscrit le 24 novembre 2010 alors, selon le moyen, qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ; que le consentement exprès au cautionnement contracté par un époux, qui permet d'étendre l'assiette du droit de gage du créancier aux biens communs et aux revenus de l'autre époux, n'autorise pas pour autant le créancier professionnel à se prévaloir d'un engagement manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution ; qu'en prenant en considération, pour apprécier le caractère disproportionné du cautionnement contracté par M. X... seul, les biens communs et les revenus de Mme X..., au motif inopérant que cette dernière avait donné son consentement exprès au cautionnement contracté par son époux, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation, ensemble l'article 1415 du code civil ;

Mais attendu que le consentement exprès donné en application de l'article 1415 du code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint ayant pour effet d'étendre l'assiette du gage du créancier aux biens communs, c'est à bon droit que la cour d'appel a apprécié la proportionnalité de l'engagement contracté par M. X..., seul, tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté, incluant les salaires de son épouse ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Cass. com., 5 févr. 2013
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 15 mars 2011) et les productions, que, dans un acte du 29 novembre 2004, M. et Mme X... se sont rendus caution solidaire envers la caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille-et-Vilaine (la caisse), chacun à concurrence de 195 000 euros, du prêt de 390 000 euros, consenti à la société Ora, aux fins d'acquérir le capital social de la société Ouest roues ; que la société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 10 mai et 25 octobre 2006, la caisse, après avoir déclaré sa créance, a, le 31 mai 2006, assigné en paiement les cautions, qui ont recherché sa responsabilité ;

Sur le troisième moyen, qui est préalable :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande tendant à voir dire que leurs engagements ne pouvaient être poursuivis sur leurs biens communs, alors, selon le moyen, que, selon l'article 1415 du code civil, chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint ; que si la preuve du consentement exigé peut ressortir des circonstances de la cause, elle ne résulte pas du seul fait que les époux ont cautionné la même dette ; que, pour rejeter la demande des cautions tendant à voir dire que la caisse ne pourrait poursuivre l'exécution des engagements sur leurs biens communs, l'arrêt retient que les cautions se sont engagées en termes identiques sur le même acte de prêt pour la garantie de la même dette ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Mais attendu qu'il résulte, d'un côté, des conclusions de M. et Mme X... devant la cour d'appel que, le 29 novembre 2004, ont été signés les actes de financement ainsi que les engagements de caution et de l'autre, que ces derniers se sont engagés en termes identiques sur le même acte de prêt en qualité de caution pour la garantie de la même dette ; qu'ayant ainsi fait ressortir qu'ils s'étaient engagés simultanément, la cour d'appel en a exactement déduit que l'article 1415 du code civil n'avait pas vocation à s'appliquer ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande tendant à voir constater le caractère disproportionné de leurs engagements et de les avoir condamnés, chacun, à lui payer une certaine somme, alors, selon le moyen :

1°/ que, selon l'article L. 341-4 du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus et que, en cas de pluralité de cautions, la disproportion s'apprécie au regard de l'engagement et du patrimoine de chacune d'elles ; que, pour débouter les époux X... de leur demande tendant à voir déclarer inopposable l'engagement de caution qu'ils avaient souscrit envers la caisse, l'arrêt retient qu'ils s'étaient engagés globalement à concurrence de 780 000 euros et qu'ils disposaient d'un patrimoine composé d'une maison acquise en novembre 2004 pour 420 000 euros, grevée d'un prêt de 150 000 euros, de plans d'épargne et de comptes-titres de 133 742 euros et 19 042 euros et de parts dans une société Lamaya dans laquelle avait été injectée la somme de 253 000 euros, M. X... étant par ailleurs nu-propriétaire d'un appartement à Saint-Malo, évalué à 57 320 euros en 1996 ; qu'en statuant ainsi, sans examiner la situation respective de chaque époux au regard du patrimoine et des revenus qu'il était susceptible d'engager, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ que, selon l'article L. 341-4 du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus ; qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'il ressort de ses constatations que M. et Mme X..., engagés à concurrence de 780 000 euros, ne disposaient que d'un patrimoine de l'ordre de 570 000 euros, hors les parts sociales de la société Lamaya non évaluées par elle, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et, partant, a violé le texte susvisé ;

3°/ qu'en se déterminant comme elle l'a fait, au vu des constatations déjà citées, sans préciser quelle valeur elle attribuait aux parts de la société Lamaya ni la valeur globale du patrimoine qu'elle retenait pour conclure au caractère non disproportionné des engagements de M. et Mme X... dont elle constatait qu'ils avaient été souscrits à concurrence de 780 000 euros, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4 du code de la consommation ;

Mais attendu que lorsque les dispositions de l'article 1415 du code civil sont écartées, les engagements des cautions s'apprécient tant au regard de leurs biens et revenus propres que de ceux de la communauté ; qu'ayant constaté que les charges globales de M. et Mme X... s'élevaient à la somme de 780 000 euros, qu'ils disposaient d'un patrimoine composé d'une maison acquise en novembre 2004 pour 420 000 euros, grevée d'un prêt de 150 000 euros, de plans d'épargne, de comptes-titres de 133 742 euros et 19 042 euros et de parts dans une société Lamaya dans laquelle avait été injectée la somme de 253 000 euros, faisant ressortir qu'ils étaient également créanciers de cette dernière somme et que M. X... était par ailleurs nu-propriétaire d'un appartement à Saint-Malo, évalué à 57 320 euros en 1996, c'est souverainement que la cour d'appel a écarté le caractère manifestement disproportionné de leur engagement au regard de l'ensemble de leur patrimoine ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et, sur le deuxième moyen :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir constater la responsabilité de la caisse lors de la souscription de son engagement, de l'avoir condamnée à lui payer une certaine somme et d'avoir rejeté sa demande d'indemnisation des pertes financières, alors, selon le moyen :

1°/ que, selon l'article 1147 du code civil, la caisse est tenue à l'égard de la caution non avertie d'une obligation de mise en garde sur le risque d'endettement résultant des prêts cautionnés au regard des capacités financières de l'emprunteur ; que, pour écarter l'obligation de mise en garde et la responsabilité de la caisse, qui avait obtenu de Mme X... qu'elle cautionne l'obligation souscrite par la société Ora de rembourser un prêt finançant le rachat de la société Ouest roues, l'arrêt retient que, malgré le caractère non averti de la caution, le rapport d'audit présenté à la caisse concluait à une saine trésorerie de la société rachetée au vu d'un projet de cession de parts de SCI, laquelle devait permettre un résultat exceptionnel de 500 000 euros et une remontée conséquente de dividendes vers la société et, par ailleurs, que la défaillance de l'emprunteur est due à la non-réalisation de cette cession ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la viabilité de l'opération reposait quasi intégralement sur un projet de cession destiné à renflouer la trésorerie de manière exceptionnelle et que l'absence de réalisation de la cession projetée constituait, dès la conclusion du cautionnement, un risque pesant sur les capacités de remboursement de l'emprunteur, risque qui s'était précisément réalisé et avait causé sa défaillance, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a, partant, violé le texte susvisé ;

2°/ qu'en statuant ainsi, sans rechercher si le devoir de mettre en garde la caution non avertie ne résultait pas précisément du fait que dès l'origine il était admis que la viabilité de l'opération reposait quasi intégralement sur un projet de cession de parts d'une SCI détenues par la société Ouest roues que rachetait la société et qui était destinée à alimenter sa trésorerie de manière exceptionnelle, risque dont elle constatait qu'il s'était d'ailleurs ensuite réalisé puisque la non-réalisation de la cession de parts était la cause principale de la défaillance de l'emprunteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

Mais attendu qu'ayant constaté, par motifs propres, que rien dans les pièces versées aux débats -le rapport établi par le cabinet Scacchi affirmant sans démontrer l'existence d'une trésorerie très tendue- ne révélait que la caisse aurait dû se rendre compte des prévisions irréalistes de trésorerie de la société Ouest roues, considérée saine par la Banque de France et par la société Sofaris, qui indiquait que l'exploitation avait toujours été bénéficiaire, et relevé, par motifs adoptés, que les difficultés financières de la société Ora étaient imputables à des éléments intervenus postérieurement à l'octroi des concours litigieux, sans implication de la caisse, puis retenu qu'à l'époque à laquelle les concours ont été consentis, aucun risque sérieux d'endettement de la société Ora résultant de ces concours n'était perceptible par la caisse, de sorte qu'elle n'était pas tenue à l'égard de Mme X... d'un devoir de mise en garde, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme X... aux dépens ;

Cass. 1re civ., 14 nov. 2012
Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte du 30 octobre 2003, M. et Mme X..., mariés sous le régime légal, se sont portés cautions solidaires du remboursement du prêt consenti le même jour à la société Carrelages aubagnais tous travaux (la société) par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Alpes Provence (la banque) ; que cette dernière, à la suite de la défaillance de la société, placée en liquidation judiciaire, a fait assigner en paiement Mme X... ;

Attendu que pour retenir que l'engagement de caution de Mme X... était manifestement disproportionné à ses biens et revenus et débouter la banque de ses demandes, l'arrêt énonce que, Mme X... étant tenue envers le prêteur pour le tout, sa faculté à faire face à son engagement ne doit s'apprécier qu'au regard des revenus et des éléments de patrimoine dont elle était personnellement titulaire, sans qu'il y ait lieu de prendre en compte ceux de son conjoint ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, les époux X... s'étaient simultanément et par un même acte constitués cautions solidaires pour la garantie d'une même dette, ce dont il résultait que le caractère manifestement disproportionné de l'engagement de Mme X... devait s'apprécier au regard non seulement de ses biens propres mais aussi des biens et revenus de la communauté, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 juin 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

 

Procédure de divorce: les passerelles

Dans un souci de pacification de la procédure, le législateur a souhaité, en 2004, faciliter l’évolution de l’instance vers une forme plus consensuelle et à interdire toute évolution vers une forme plus contentieuse, sauf le cas particulier prévu à l’article 247-2 du code civil.

Ainsi, est-il désormais permis aux époux de modifier le fondement de leur demande en divorce au moyen de passerelles instituées aux articles 247 et 247-1 du Code civil

==> Passerelle conduisant au divorce par consentement mutuel conventionnel

L’article 247, 1° prévoit que, à tout moment de la procédure, les époux peuvent divorcer par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d’un notaire

Concrètement cela signifie que qu’il existe une passerelle entre le divorce par consentement mutuel conventionnel et

  • Le divorce pour faute
  • Le divorce pour altération définitive du lien conjugal
  • Le divorce accepté

Ces passerelles sont toutefois à sens unique : elles ne peuvent être empruntées que pour aller d’un divorce contentieux vers un divorce par consentement mutuel.

La demande aux fins de passerelle peut intervenir tant qu’aucune décision sur le fond n’a été rendue.

Elle peut donc être formulée dès après l’ordonnance de non-conciliation et postérieurement à la clôture.

==> Passerelle conduisant du divorce par consentement mutuel judiciaire

L’article 247, 2° prévoit que dans l’hypothèse où la voie du divorce par consentement mutuel conventionnel est fermée en raison de la demande d’audition d’un enfant mineur par le juge, les époux peuvent toujours basculer vers le divorce par consentement mutuel judiciaire.

À cette fin, il leur appartient de demander au juge de constater leur accord pour voir prononcer le divorce par consentement mutuel en lui présentant une convention réglant les conséquences de celui-ci.

==> Passerelle conduisant au divorce accepté

L’article 247-1 du Code civil prévoit que les époux peuvent également, à tout moment de la procédure, lorsque le divorce aura été demandé pour altération définitive du lien conjugal ou pour faute, demander au juge de constater leur accord pour voir prononcer le divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage.

Cette passerelle peut ainsi être empruntée à partir :

  • Du divorce pour faute
  • Du divorce pour altération définitive du lien conjugal

Cette demande doit être formulée de façon expresse et concordante dans les conclusions respectives des époux.

Chaque époux aura préalablement signé une déclaration d’acceptation qui sera annexée aux conclusions de son avocat, conformément aux prescriptions de l’article 1123 alinéa 5 du Code de procédure civile, et rappellera qu’elle n’est pas susceptible de rétractation.

==> Passerelle conduisant au divorce pour faute

L’article 247-2 du Code civil envisage une passerelle qui ne peut être empruntée que par une seule partie :

L’époux qui a choisi d’introduire l’instance sur le fondement de l’altération définitive du lien conjugal (art. 237 C. civ.) peut modifier sa demande en la fondant sur la faute (art. 242 C. civ.) si son conjoint a lui-même formé une demande reconventionnelle en divorce pour faute.

L’objectif de ce mécanisme est d’encourager la volonté de pacification de l’époux demandeur qui choisit d’introduire l’instance pour altération définitive du lien conjugal.

Il conserve ainsi la possibilité de revenir à un divorce plus contentieux, au vu de la réaction procédurale de son conjoint.

Procédure de divorce: la requête initiale

Aux termes de l’article 251 du Code civil « l’époux qui forme une demande en divorce présente, par avocat, une requête au juge, sans indiquer les motifs du divorce. »

Lorsqu’elle est contentieuse, la procédure de divorce est engagée au moyen d’un acte unilatéral d’un époux : la requête initiale.

I) Présentation de la requête

La présentation de la requête initiale obéit à deux règles :

==> Compétence du Juge aux affaires familiales

  • Principe
    • L’article L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire prévoit que c’est le Juge aux affaires familiales qui est compétent pour connaître de la procédure de divorce
  • Exceptions
    • Formation collégiale
      • Toutefois, l’article L. 213-4 du même Code autorise le JAF à renvoyer à la formation collégiale du tribunal de grande instance qui statue comme juge aux affaires familiales.
        • Ce renvoi est de droit à la demande des parties pour le divorce et la séparation de corps
        • La formation collégiale comprend le juge qui a ordonné le renvoi.
    • Dessaisissement à la faveur des avocats
      • L’article 247 du Code civil prévoit que, dans l’hypothèse où le ou les enfants mineurs du couple ne souhaitent être entendus par le Juge, les époux peuvent, à tout moment de la procédure, divorcer par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d’un notaire
      • Le JAF ou la formation collégiale sont alors immédiatement dessaisis à la faveur des avocats des époux

==> Ministère d’avocat

L’article 1106 du Code de procédure civile prévoit que la requête initiale ne peut être adressée au juge que par l’entremise d’un avocat.

La requête ne pouvant, en matière contentieuse, qu’être un acte unilatéral, l’avocat ne pourra intervenir que pour le compte de l’époux à l’initiative de la demande en divorce

II) Le contenu de la requête

La requête initiale est désormais indifférenciée et ne doit plus indiquer les motifs du divorce.

Elle doit cependant contenir les demandes formées au titre des mesures provisoires ainsi qu’un exposé sommaire de leurs motifs.

Comme auparavant, il est toujours possible de solliciter dès le dépôt de la requête des mesures urgentes.

A) Absence d’indication des motifs du divorce

L’article 251 du Code civil prévoit que la requête initiale ne doit pas « indiquer les motifs du divorce ».

La portée de cette interdiction est précisée à l’article 1106 du Code de procédure civile qui dispose que « la requête n’indique ni le fondement juridique de la demande en divorce ni les faits à l’origine de celle-ci. »

L’exigence tenant à l’absence d’indication des motifs du divorce dans la requête prend ses racines dans la solution jurisprudentielle adoptée sous l’empire du droit antérieur en matière de divorce pour faute.

Les juridictions considéraient qu’il n’était pas nécessaire que la requête initiale en divorce pour faute énonce les faits invoqués comme cause de divorce.

Françoise Dekeuwer-Défossez a justifié cette solution en avançant que l’énonciation des griefs, dès la requête initiale, cristallise une atmosphère contentieuse et agressive.

Tel époux qui aurait accepté de plus ou moins bon gré l’idée d’un divorce, se sent personnellement mis en cause et insulté par l’énoncé des griefs outrancièrement grossis pour convaincre le tribunal de l’existence de véritables et graves fautes. Dès lors, il va rendre coup pour coup et les espoirs d’apaisement deviendront illusoires.

Il a été objecté que l’interdiction d’énoncer les motifs du divorce dans la requête initiale serait en pratique très désavantageuse pour le défendeur qui ignorerait tout des dispositions de son conjoint.

À cet argument, il peut toutefois être répondu que jusqu’à l’assignation, le choix du cas de divorce n’est pas fait, la tentative de conciliation devant être l’occasion d’éclaircir ce point et, le cas échéant, de constater l’accord des époux sur le principe du divorce, leur permettant ensuite de se diriger vers la procédure la moins contentieuse.

Par conséquent, les mesures provisoires seront prises sans considération pour les circonstances de la rupture.

Quid de la sanction en cas de violation de l’interdiction d’énoncer les motifs du divorce dans la requête initiale ?

Les textes ne prévoient aucune sanction en cas de violation de la règle édictée à l’article 251 du Code civil.

On peut en déduire que si, au mépris de cette interdiction, une telle indication devait encore figurer dans la requête initiale, elle n’aurait aucun effet, le requérant demeurant totalement libre, lors de l’acte introductif d’instance, de choisir le cas de divorce sur lequel il entend fonder son action.

Dans un arrêt rendu en date du 22 septembre 2009, la Cour d’appel de Bordeaux a pourtant considéré que la requête qui fait état des griefs du demandeur est irrecevable (CA Bordeaux, 22 sept. 2009, n° 09/01146)

Il convient néanmoins de relever que l’interdiction d’énoncer dans la requête les motifs du divorce n’empêche nullement les époux, dans cet acte ou à l’audience, de porter à la connaissance du juge tous les éléments de droit et de fait susceptibles d’étayer leur demande au titre des mesures provisoires.

B) Mention des demandes formées au titre des mesures provisoires et d’un exposé sommaire de leurs motifs

L’article 1106 du Code de procédure civile prévoit que la requête contient les demandes formées au titre des mesures provisoires et un exposé sommaire de leurs motifs.

Cette règle tend à permettre l’observation du principe du contradictoire et de la nécessaire transparence du débat judiciaire.

Il ne s’agit pas ici d’exposer les motifs du divorce, mais seulement de justifier les mesures provisoires sollicitées en vue de l’audience de conciliation.

Aussi, cela permet à chacune des parties de connaître avant l’audience les demandes de l’autre et de pouvoir par conséquent s’y préparer.

Compte tenu du principe d’oralité des débats, elle n’a cependant pas pour effet d’interdire toute demande nouvelle lors de l’audience de conciliation, en cas de comparution des deux époux.

En revanche, en l’absence de l’une ou l’autre des parties, la présentation d’une demande nouvelle à l’audience sera impossible, sauf à ce que cette demande lui ait été préalablement notifiée.

C) Mesures urgentes

Conformément à l’article 257 du Code civil, il est possible à l’époux demandeur de solliciter l’adoption de mesures urgentes.

L’article 1106 du Code de procédure civile exige, lorsqu’un époux sollicite des mesures urgentes, qu’il se présente en personne devant le JAF.

Toutefois, en cas d’empêchement dûment constaté, le magistrat se rend à la résidence de l’époux.

Au stade de la requête initiale, les pouvoirs du juge en matière de mesures conservatoires sont limités :

==> Les mesures admises

Elles se classent en deux catégories :

  • Les mesures urgences ordinaires
    • Ces mesures sont énoncées à l’article 257 qui prévoit que le demandeur peut demander notamment :
      • l’autorisation de résider séparément, le cas échéant avec les enfants mineurs
      • toutes mesures conservatoires telles que l’apposition de scellés sur les biens communs
  • Les mesures urgentes extraordinaires
    • Ces mesures sont envisagées à l’article 220-1 du Code civil
    • Elles ne peuvent être sollicitées qu’en cas d’extrême urgence
    • Le texte prévoit en ce sens que si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts.
    • Le Juge pourra alors si les conditions d’application de l’article 220-1 du Code civil sont réunies :
      • Interdire à l’époux fautif de faire, sans le consentement de l’autre, des actes de disposition sur ses propres biens ou sur ceux de la communauté, meubles ou immeubles.
      • Interdire le déplacement des meubles, sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des conjoints.
    • La durée des mesures prises en application de cet article doit être déterminée par le juge et ne saurait, prolongation éventuellement comprise, dépasser trois ans.

==> Les mesures exclues

  • Seules les mesures visées par l’article 257 du Code civil peuvent être prises par le JAF au stade de la requête initiale, soit les mesures urgentes
  • Cela signifie que sont exclues les mesures qui relèvent des articles 254 et 255 du Code civil, soit les mesures provisoires de droit commun qui ont vocation à être adoptées à l’issue de la tentative de conciliation.

D) Renseignements complémentaires

Plusieurs documents justificatifs doivent accompagner la requête initiale, l’article 1075 du Code de procédure civile insistant sur le respect de cette exigence « dès le début de la procédure ».

À cet égard plusieurs informations doivent être communiquées par les époux au juge spontanément ou sur sa demande.

Ces informations visent à permettre au juge d’apprécier leurs situations respectives

  • Les affiliations aux organismes sociaux
    • L’article 1075 exige que les époux communiquent les informations relatives à :
      • leur identification
      • la caisse d’assurance maladie à laquelle ils sont affiliés
      • les services ou organismes qui servent les prestations familiales
      • les pensions de retraite ou tout avantage de vieillesse
      • la dénomination et l’adresse de ces caisses, services ou organismes.
  • Déclaration sur l’honneur
    • L’article 1075-1 du Code de procédure civile prévoit que lorsqu’une prestation compensatoire est demandée au juge ou prévue dans une convention, chaque époux produit la déclaration sur l’honneur mentionnée à l’article 272 du code civil.
    • Cette déclaration consiste pour les parties à attester sur l’honneur l’exactitude de leurs ressources, revenus, patrimoine et conditions de vie.
  • Justification des ressources et charges
    • Aux termes de l’article 1075-2 du Code de procédure civile les époux doivent, à la demande du juge, justifier de leurs charges et ressources, notamment par la production de déclarations de revenus, d’avis d’imposition et de bordereaux de situation fiscale.
    • Ils doivent également, à sa demande, produire les pièces justificatives relatives à leur patrimoine et leurs conditions de vie, en complément de la déclaration sur l’honneur permettant la fixation de la prestation compensatoire.

E) L’ordonnance du JAF

==> Contenue de l’ordonnance

À réception de la demande de l’époux à l’initiative de la procédure de divorce, l’article 1107 du Code de procédure civile invite le Juge à :

  • Indiquer, au bas de la requête, les jour, heure et lieu auxquels il procédera à la tentative de conciliation.
  • Prescrire, s’il y a lieu, les mesures d’urgence prévues à l’article 257 du code civil

==> Voies de recours

  • Principe
    • L’ordonnance rendue par le Juge dans cette phase de la procédure ne peut faire l’objet d’aucun recours.
    • Les parties devront donc attendre jusqu’à la tentative de conciliation pour faire valoir leurs observations en répliques et demandes complémentaires
  • Exception
    • La voie du référé-rétractation demeure toutefois ouverte s’agissant de la contestation des mesures urgentes éventuellement prises par le JAF (V. en ce sens 2e civ. 30 janv. 2003).
    • L’article 497 du Code de procédure civile prévoit que, lorsqu’il est saisi par requête, le juge dispose toujours de la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire.