Conflits de mobilisation de créances: Cession Dailly-Affacturage

Il est des situations où une même créance peut être mobilisée plusieurs fois, soit parce que le cédant est en manque de trésorerie, soit parce que ses propres créanciers sont titulaires de droits concurrents.

Schéma 1

Il peut être observé que la mobilisation d’une même créance peut s’opérer par le recours à différents procédés : cession Dailly, émission d’un effet de commerce, endossement, subrogation etc.

Schéma 2

La question qui se pose est alors de savoir comment régler ce conflit de mobilisation de créances.

Pour trancher ce conflit le plus simple est, a priori, de faire application de la règle prior tempore potior jure, soit « le premier en date est préférable en droit ».

Ainsi pour déterminer lequel entre deux cessionnaires est fondé à se prévaloir de la titularité d’une créance mobilisée deux fois, il suffirait de comparer les dates d’opposabilités des opérations ayant réalisé le transfert de créance et accorder la priorité à l’opération la plus ancienne en date.

Cependant, il est des cas où la résolution du conflit n’est pas si simple, ne serait-ce que parce que l’un des cessionnaires est fondé à se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions ou parce qu’il jouit du privilège de l’action directe que la loi accorde au sous-traitant.

Dans de nombreux cas, l’application de la règle prior tempore potior jure ne permet donc pas de régler le conflit de mobilisation de créances.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle été conduite à régler les conflits de mobilisation au cas par cas :

Deux sortes de conflits doivent être distinguées :

  • Les conflits nés de la transmission concurrente de la même créance
    • Une même créance va être transférée plusieurs fois
  • Les conflits qui opposent un cessionnaire à des titulaires de droits concurrents
    • Il s’agit de l’hypothèse où les créanciers du cédant ou du débiteur cédé peuvent faire valoir des droits concurrents à ceux du cessionnaire

I) Les conflits nés de la transmission concurrente de la même créance

Il convient de distinguer ici deux sortes de conflits :

  • Les conflits nés de la cession de la même créance par cession ou subrogation
  • Les conflits opposant un cessionnaire Dailly au porteur d’une lettre de change

A) Les conflits nés de la cession de la même créance par cession ou subrogation

Quelle est l’hypothèse à envisager ?

Il s’agit de l’hypothèse où une même créance transmise par voie de bordereau Dailly a été mobilisée une deuxième fois :

  • Soit à nouveau par voie de bordereau Dailly

 Schéma 3

  • Soit par la technique de la subrogation dans le cadre de l’exécution d’un contrat d’affacturage

Schéma 4

Indépendamment du caractère « frauduleux » de ces doubles mobilisations de créances, elles sont à l’origine de deux sortes de difficultés

  • Premièrement, il s’agit de déterminer entre les mains de quel cessionnaire le débiteur cédé peut valablement se libérer de son obligation de paiement
  • Secondement, il convient de se demander si le cessionnaire à qui revient la priorité de paiement, dispose d’un recours contre le second dans l’hypothèse où il n’aurait pas été payé

Pour régler ce type de conflit, on pourrait être tenté de faire application de la règle qui se déduit de l’article L. 313-27 du Code monétaire et financier, lequel prévoit que :

« La cession ou le nantissement prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de sa remise, quelle que soit la date de naissance, d’échéance ou d’exigibilité des créances, sans qu’il soit besoin d’autre formalité, et ce quelle que soit la loi applicable aux créances et la loi du pays de résidence des débiteurs. »

Autrement dit, dans la mesure où la cession devient opposable aux tiers à compter de la date qui figure sur le bordereau, conformément à l’adage prior tempore potior jure, le premier cessionnaire en date doit toujours être préféré au second.

Cependant, il est impossible de ne pas tenir compte des paiements effectués, de bonne foi, par le débiteur cédé.

Or, manifestement, ce dernier sera de bonne foi toutes les fois où il se libérera entre les mains du créancier qui, le premier, l’informera de la transmission intervenue à son profit.

Comment résoudre cette difficulté ?

Intéressons-nous successivement à la résolution

  • D’une part, du conflit né de la double cession de la même créance réalisée par la voie de bordereau Dailly
  • D’autre part, du conflit opposant l’établissement bancaire bénéficiaire d’une cession Dailly à un affactureur
  1. Résolution du conflit né de la double cession d’une même créance réalisée par voie de bordereau Dailly

Schéma 5

Il convient de distinguer deux hypothèses :

  • La cession par la voie du bordereau Dailly a été notifiée au débiteur cédé
  • La cession par la voie du bordereau Dailly n’a pas été notifiée au débiteur cédé

a) Résolution du conflit en l’absence de notification

  • Règle applicable: prior tempore potior jure
    • La première cession en date est la seule qui soit valable
  • Dates à comparer :
    • Il convient de comparer les dates figurant sur les bordereaux Dailly.
      • La cession Dailly est opposable aux tiers dès l’apposition de la date sur le bordereau.
      • Lorsque la seconde cession a été effectuée, le cédant n’était plus titulaire de la créance cédée
  • Solution :
    • Hypothèse 1: Le débiteur s’est libéré entre les mains du premier cessionnaire en date
      • Le premier cessionnaire en date prime le second cessionnaire
      • Le second cessionnaire ne dispose d’aucun recours
        • Ni contre le premier cessionnaire
        • Ni contre le débiteur cédé
    • Hypothèse 2: Le débiteur s’est libéré entre les mains du second cessionnaire en date
      • Le premier cessionnaire en date prime le second cessionnaire
      • Le second cessionnaire
        • dispose d’un recours contre le premier cessionnaire ( com., 5 juill. 1994: JCP G 1995, II, 3828, n° 16 ; Bull. civ. 1994, IV).
        • ne dispose d’aucun recours contre le débiteur cédé

b) Résolution du conflit en cas de notification

Deux cas de figure peuvent être envisagés :

  • Seul l’un des cessionnaires a notifié la cession au débiteur cédé
  • Les deux cessionnaires ont notifié la cession au débiteur cédé

Dans un arrêt du 12 janvier 1999, la chambre commerciale a apporté des solutions à ces deux cas de figure.

FICHE D’ARRÊT

Com. 12 janv. 1999, Bull. civ. IV, no 8

Faits :

  • Conclusion d’un contrat de travaux immobiliers entre la Société Merlin Gerin et la Société Asal
  • Dans le cadre de ce contrat il est stipulé que le règlement des factures est subordonné au contrôle de l’avancement des travaux par la Société Baudoin
  • La société Asal cède par la suite par bordereau Dailly plusieurs créances futures qu’elle détient contre son co-contractant, la Société Merlin Gerin, à
    • La Société Lyonnaise de banque
    • La banque populaire provençale et corse
  • Les deux cessionnaires notifient les cessions au débiteur cédé, la Société Merlin Gerin
  • Difficultés financières rencontrées par le cédant, la société Asal, qui ne peut achever la réalisation des travaux
  • Ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre du cédant

Schéma 6

Demande :

Action en paiement des cessionnaires contre la Société Schneider, ayant droit du débiteur cédé.

Toutefois, cette dernière ne se reconnaît débitrice que d’une somme très inférieure aux prétentions des demandeurs.

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 11 janvier 1996, la Cour d’appel de Grenoble déboute la Société Lyonnaise de sa demande en paiement

Motivation des juges du fond:

  • Tout d’abord, les juges du fond estiment que dans la mesure où les factures présentées au paiement par la société Lyonnaise, cessionnaire de la Société Asal, ne comportaient pas le visa de la Société Baudoin (contrôleuse de la réalisation des travaux), le débiteur cédé était fondé à en refuser le règlement conformément aux termes du contrat conclu avec le cédant, la société Asal.
  • Ensuite, pour justifier sa décision la Cour d’appel relève que :
  • la Société Lyonnaise était certes le premier cessionnaire de la créance litigieuse si l’on se rapporte à la date figurant sur le bordereau de sorte qu’il est bien le seul titulaire de la créance cédée
  • Toutefois, les juges du fond estiment que, dans la mesure où les deux cessions ont été notifiées par les deux cessionnaires, le débiteur en payant, certes à tort, le second cessionnaire s’est valablement libéré de son obligation.
    • Pour mémoire, à partir du moment où la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé il lui est interdit de régler sa dette entre les mains du cédant
    • Seul un paiement entre les mains du cessionnaire est libératoire
  • Pour la Cour d’appel, le débiteur était donc parfaitement fondé à refuser de régler le premier cessionnaire puisque son paiement entre les mains du second cessionnaire était libératoire.
  • Pour les juges du fond, il appartenait, en conséquence, au premier cessionnaire d’exercer un recours contre le second cessionnaire.

Problème de droit :

Lorsqu’une même créance est cédée à deux cessionnaires différents par voie de bordereau Dailly et que la cession est notifiée par lesdits cessionnaires au débiteur cédé, entre les mains de quel cessionnaire le débiteur doit-il payer ?

Solution de la Cour de cassation :

  • La Cour de cassation casse et annule la décision rendue par la Cour d’appel de Grenoble

Sens de l’arrêt :

  • Dans cet arrêt, la Cour de cassation dit deux choses :
  • Tout d’abord, elle relève que le débiteur cédé s’est reconnu débitrice dans le cadre de la procédure pendante devant les juridictions du fond, de sorte qu’elle n’était pas fondée à opposer au cessionnaire l’absence de visa de la société Baudoin sur les factures qui lui étaient présentées.
  • Ensuite, la Cour de cassation nous indique plusieurs choses très intéressantes dans cet arrêt :
  • Premier apport de la solution:
    • « le débiteur, ayant reçu notification d’une cession de créance de la part d’une banque doit lui en payer le montant, sans avoir à rechercher si un autre établissement n’a pas bénéficié d’une cession de créance antérieure»
      • La Cour de cassation pose ici très clairement une limite au principe prior tempore potior jure
        • En effet, lorsqu’il existe un conflit entre deux cessionnaires, en principe, c’est celui qui se prévaut de la cession la plus ancienne en date qui est seul fondé à en réclamer le paiement entre les mains du débiteur
        • La Cour de cassation pose toutefois une limite au principe : lorsque la cession a été notifiée par un seul des deux cessionnaires en concurrence, le débiteur cédé est alors en droit de se libérer entre les mains du SECOND CESSIONNAIRE qui a notifié la cession.
          • « sans avoir à rechercher si un autre établissement n’a pas bénéficié d’une cession de créance antérieure»
          • La formulation retenue par la Cour de cassation est tout ce qu’il y a de plus limpide !
  • Second apport de la solution:
    • « si avant d’exécuter le paiement, il a reçu, pour une même dette notifications de deux cessions de créances concurrentes de la part de deux banques, il ne peut, ensuite, en payer le montant qu’à l’établissement dont le titre est le plus ancien»
  • La Cour de cassation nous apporte ici une précision sur l’articulation de l’exception qu’elle vient de poser avec la règle prior tempore potior jure dans l’hypothèse où les deux cessionnaires auraient notifié la cession au débiteur cédé
  • Quelle issue en cas de conflit ?
  • RETOUR AU PRINCIPE :
    • Si les deux cessions ont été notifiées, alors c’est le cessionnaire qui est en mesure de se prévaloir de la cession la plus ancienne qui est privilégié.
    • Il appartient donc au débiteur de se libérer, dans cette hypothèse, entre les mains du seul premier cessionnaire en date.
    • Ainsi, la Cour de cassation reproche-t-elle en l’espèce aux juges du fond d’avoir jugé que le respect de la règle de la priorité du cessionnaire le plus ancien en date ne pouvait pas être assuré par le cédé mais par une action en répétition contre le banquier indûment payé
    • La Cour de cassation n’admet pas cette solution
  • Elle estime que c’est au débiteur qu’il revient de trancher le conflit, dans la mesure où l’on est, finalement, dans le même cas de figure que lorsque la cession n’a pas été notifiée
  • Il appartient au débiteur cédé de régler entre les mains du premier cessionnaire

Quels enseignements retenir de cet arrêt rendu par la Chambre commerciale en date du 12 janvier 1999

Tout d’abord, la solution retenue, en l’espèce, par la Cour de cassation doit sans aucun doute être approuvée.

En effet, en fonction de la date de réception des notifications qui lui sont adressées, le débiteur cédé est seul à même d’apprécier entre les mains de quel cessionnaire il peut valablement se libérer.

Ensuite, il convient de retenir deux enseignements de la solution dégagée par la Cour de cassation, laquelle apporte une solution pour les deux cas de figure susceptibles de se présenter:

1er cas de figure: le débiteur cédé reçoit concomitamment les deux notifications

  • Règle applicable :
    • prior tempore potior jure
  • Dates à comparer
    • Les dates qui figurent sur le bordereau Dailly
  • Solution
    • Le débiteur cédé doit régler le premier cessionnaire en date

2e cas de figure: le débiteur cédé reçoit les deux notifications dans un temps espacé

  • Règle applicable:
    • Exception au principe prior tempore potior jure 
    • Conformément à l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier, lorsque la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé, il ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire qui, le premier, a notifié la cession.
  • Dates à comparer
    • Les dates de notification de la cession
  • Solution
    • Le débiteur cédé peut valablement se libérer entre les mains du second cessionnaire en date s’il est le premier à avoir notifié la cession Dailly

Immédiatement, deux questions alors se posent :

  • Quid de la situation du débiteur qui se libère entre les mains du mauvais cessionnaire ?
  • Le débiteur qui paye le mauvais cessionnaire s’expose à payer deux fois la dette qui lui échoit (qui paie mal, paie deux fois)
  • Toutefois, il disposera d’un recours contre l’établissement bancaire qui a bénéficié, à tort, du paiement ( com., 5 juill. 1994)
  • Qui du recours du cessionnaire impayé ?
    • Le premier cessionnaire en date prend le risque, s’il ne notifie pas la cession au cédé, de se voir opposer par le débiteur cédé un paiement intervenu au profit d’un second cessionnaire.
  • Peut-il exercer un recours contre ce dernier ?
  • La doctrine est divisée
    • Pour refuser le recours, on peut faire valoir que le premier cessionnaire a pris un risque en ne notifiant pas la cession ou en la notifiant tardivement.
    • Il doit en subir les conséquences.
  • Qu’en est-il de la jurisprudence ?
    • La Cour de cassation semble admettre le recours du premier cessionnaire en date contre le second cessionnaire ( en ce sens Cass. com., 19 mai 1992)
      • C’est là une limite à l’exception posée par la Cour de cassation en cas de notification de la cession
    • Cette solution vaut-elle dans tous les cas de figure ?

La question se pose lorsque le premier cessionnaire est en conflit avec un second cessionnaire qui a pris la précaution de faire accepter la cession par le débiteur cédé

  • Pour mémoire, l’acceptation d’une cession Dailly par le débiteur cédé permet au cessionnaire de se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions

De deux choses l’une :

  • Soit l’on considère que l’acceptation d’une cession Dailly produit les mêmes effets que l’acceptation d’une lettre de change, auquel cas le bénéficiaire de l’acceptation doit toujours être privilégié au cessionnaire concurrent, quand bien même il serait premier en date.
  • Soit l’on considère que l’acceptation d’une cession Dailly ne produit les mêmes effets que l’acceptation d’une lettre de change, auquel cas le premier cessionnaire en date doit bénéficier d’un recours contre le second cessionnaire, nonobstant l’acceptation dont il bénéficie.

Quelle solution retenir ?

Pour l’heure, la Cour de cassation n’a pas encore tranché cette question.

2. Résolution du conflit opposant l’établissement bancaire bénéficiaire d’une cession Dailly à un affactureur

Schéma 7

La question qui, en l’espèce, se pose est de savoir qui du bénéficiaire d’un bordereau Dailly ou de l’affactureur qui se voit transmettre une créance par subrogation est fondée à se prévaloir de la titularité de la créance qui a été mobilisée deux fois ?

Trois hypothèses peuvent être envisagées :

Première hypothèse: Ni le cessionnaire Dailly, ni l’affactureur n’ont notifié le transfert de créance au débiteur cédé

  • Règle applicable
    • Prior tempore potior jure
  • Dates à comparer
    • La date qui figure sur le bordereau Dailly
    • La date du paiement subrogatoire qui figure sur la quittance subrogatoire
  • Solution
    • Celui qui se prévaut de la date la plus ancienne prime sur l’autre ( 3 janv. 1996, Bull civ. IV, no 2)

Deuxième hypothèse: Le cessionnaire Dailly et l’affactureur ont tous deux notifié le transfert de créance au débiteur cédé

  • 1er cas de figure: le débiteur cédé reçoit concomitamment les deux notifications
    • Règle applicable :
      • prior tempore potior jure
    • Dates à comparer
      • La date qui figure sur le bordereau Dailly
      • La date du paiement subrogatoire qui figure sur la quittance subrogative
    • Solution
      • Le débiteur cédé doit régler le premier cessionnaire en date
  • 2e cas de figure: le débiteur cédé reçoit les deux notifications dans un temps espacé
    • Règle applicable:
      • Exception au principe prior tempore potior jure
      • Conformément à l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier, lorsque la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé, il ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire qui, le premier, a notifié la cession.
    • Dates à comparer
      • Les dates de notification du transfert de créance
    • Solution
      • Le débiteur cédé peut valablement se libérer entre les mains du second bénéficiaire en date s’il est le premier à avoir notifié le transfert de créance
    • Recours
      • Bien que, en raison de la notification, le débiteur ne puisse valablement se libérer qu’entre les mains de celui qui a notifié, dans les rapports cessionnaire Dailly-affactureur, la règle Prior tempore potior jure s’applique toujours
      • Ainsi, le premier bénéficiaire du transfert de créance en date dispose-t-il d’un recours contre le second

Troisième hypothèse: Seul l’affactureur ou le cessionnaire Dailly a notifié le transfert de créance au débiteur cédé

  • Règle applicable:
    • Exception au principe prior tempore potior jure
    • Conformément à l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier, lorsque la cession Dailly est notifiée au débiteur cédé, il ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du cessionnaire
    • com. 4 oct. 1982: après notification du paiement subrogatoire, le débiteur subrogataire ne peut valablement se libérer qu’entre les mains de l’affactureur subrogé
  • Dates à comparer
    • La date de notification de la cession Dailly ou du paiement subrogatoire
  • Solution
    • Le débiteur cédé peut valablement se libérer entre les mains du second bénéficiaire en date s’il a notifié le transfert de créance
  • Recours
    • Bien que, en raison de la notification, le débiteur ne puisse valablement se libérer qu’entre les mains de celui qui a notifié, dans les rapports cessionnaire Dailly-affactureur, la règle Prior tempore potior jure n’en a pas moins vocation à s’appliquer
    • Ainsi, le premier bénéficiaire du transfert de créance en date dispose-t-il d’un recours contre le second

L’affacturage

L’affacturage consiste en l’opération par laquelle un créancier, l’adhérent, transfert à un établissement de crédit, le factor qualifié également d’affactureur, des créances commerciales par le jeu d’une subrogation personnelle moyennant le paiement d’une commission.

Ainsi, l’affactureur s’engage-t-il à régler, par anticipation, tout ou partie des créances qui lui sont transférées par l’adhérent ce qui permet à ce dernier d’être réglé immédiatement des créances à court terme qu’il détient contre ses propres clients.

L’une des principales caractéristiques de l’affacturage réside dans l’engagement pris par le factor de garantir à la faveur de l’adhérent le paiement des créances qui lui sont transférées.

Autrement dit, le factor s’engage à supporter le risque d’impayé en lieu et place de l’adhérent.

L’affacturage se distingue, dès lors, de l’escompte, du contrat de mandat ou encore de l’assurance-crédit.

Afin de cerner au mieux l’opération d’affacturage nous étudierons successivement :

– La convention d’affacturage
– La transmission des créances par le jeu de la subrogation personnelle
– Le recouvrement des créances transmises

I) La convention d’affacturage

A) Les obligations de l’adhérent

  • Obligation d’exclusivité
    • L’adhérent s’engage envers le factor à lui transférer toutes les créances qu’il détient contre ses clients. C’est ce que l’on appelle la clause de globalité.
    • Cette obligation est une conséquence logique de l’opération d’affacturage
      • L’adhérent ne saurait transmettre au factor que les créances douteuses se réservant le bénéfice des créances saines.
      • La clause de globalité a vocation à garantir le bon équilibre de l’opération d’affacturage
  • Obligation d’information
    • L’adhérent a l’obligation de renseigner le factor sur sa clientèle
      • Solvabilité
      • Créances douteuses
      • Informations commerciales
    • L’adhérent doit informer sa clientèle de la conclusion du contrat d’affacturage afin d’orienter les paiements de ses clients vers l’affactureur
  • Obligation de garantie
    • L’adhérent garantit à l’affactureur l’existence des créances transférées
    • En cas de présentation de fausses factures, l’adhérent s’expose à être poursuivi pour escroquerie

B) Les obligations de l’affactureur

  • Obligation de règlement des créances transférées par l’adhérent
  • En cas de défaut de paiement d’une créance transférée, l’affactureur supporte intégralement la charge de l’impayé. Il ne dispose, en principe, d’aucun recours contre l’adhérent.
    • C’est là la supériorité de l’affacturage sur l’opération d’escompte de la lettre de change
      • En matière de lettre de change, le signataire de la traite (tireur ou endosseur) est garant – cambiaire – du paiement de la créance transférée
      • Tel n’est pas le cas de l’adhérent qui ne garantit pas le paiement des créances dont il transfert la titularité au factor.
      • C’est tout au contraire le factor qui garantit à l’adhérent le bon recouvrement des créances transférées
      • L’affacturage présente un double avantage pour l’adhérent :
        • Il ne dispose plus que d’un débiteur unique
        • Son débiteur est solvable

C) L’approbation des créances transférées

Le principe de globalité commande à l’adhérent de transférer au factor toutes les créances qu’il détient contre ses clients.

Toutefois, l’affactureur peut refuser de se voir transmettre certaines créances, s’il juge qu’elles sont trop douteuses. Son pouvoir de sélection est discrétionnaire.

Ainsi, le factor dispose-t-il de deux options :

  • Soit il approuve les créances qui lui sont présentées
  • Soit il n’approuve pas les créances qui lui sont présentées

1. Les créances approuvées par le factor

  • Le factor est libre de choisir parmi les créances qui lui sont proposées, celles qu’il approuve. En contrepartie, il assume le risque de non-recouvrement pour les créances qu’il approuve.
    • Ainsi, s’agissant des créances que le factor sélectionne, il est tenu à une obligation de garantie de paiement
  • Le factor prend un engagement chiffré de paiement contre subrogation.
  • L’agrément ou l’approbation préalable ne vaut que pour les débiteurs désignés.
    • L’adhérent doit donc faire des demandes d’agrément débiteur par débiteur.
    • À cette fin, il doit communiquer au factor les coordonnées précises du débiteur et le chiffre d’affaires prévisible.
  • Le factor donne son agrément avec un montant d’encours précis sur ce client.

2. Les créances non approuvées par le factor

Le factor est libre de refuser certaines créances proposées par l’adhérent.

Dans ce cas, il n’en avance pas le montant et il n’assume pas le risque de l’impayé.

Il peut, cependant, se charger de leur recouvrement.

Il intervient alors en qualité de mandataire de l’adhérent.

Le factor est tenu d’une obligation de moyen dans sa mission de recouvrement.

II) La transmission des créances par le jeu de la subrogation personnelle

L’opération d’affacturage repose sur le mécanisme de la subrogation personnelle.

Classiquement, la subrogation personnelle se définit comme la « substitution d’une personne à une autre dans un rapport de droit en vue de permettre à la première d’exercer tout ou partie des droits qui appartiennent à la seconde » (G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 2005).

Ainsi, la subrogation a-t-elle pour effet de transférer la créance dont était titulaire le subrogeant au subrogé.

L’opération d’affacturage se déroule de la manière suivante :

L’affactureur (créancier subrogé) paie l’adhérent (créancier subrogeant) qui, en contrepartie, lui transmet la titularité de la créance qu’il détient contre son client (débiteur subrogataire).

Schéma 1

==> Conditions de validité de la subrogation

  • Des créances transmissibles
    • Il peut s’agir de :
      • Créances exigibles
      • Créances à terme
      • Créances certaines ou conditionnelles
    • Sont exclues du champ d’application de la subrogation les créances fictives
  • L’existence d’un paiement
    • Le créancier subrogé (factor) doit effectuer un paiement direct à la faveur du créancier subrogeant (adhérent)
    • Le créancier subrogé ne doit pas se contenter de fournir au débiteur les fonds nécessaires au paiement
  • La concomitance du paiement à la subrogation
    • La subrogation ne saurait être consentie antérieurement ou postérieurement au paiement.
      • Avant le paiement, il ne peut s’agit que d’une cession de créance, de sorte que doivent être satisfaites les conditions posées à l’article 1690 du Code civil (signification de la cession au débiteur cédé par exploit d’huissier ou acceptation par acte authentique)
      • Après le paiement, le paiement a produit son effet extinctif si bien que la créance ne peut survivre
    • La concomitance sera établie lorsqu’immédiatement après que la créance a été approuvée par le factor, celui-ci crédite le compte de l’adhérent du montant de la créance transférée.
  • La subrogation doit être expresse
    • La convention conclue entre le factor et l’adhérent doit mentionner l’opération de subrogation.
    • Aucune formule sacramentelle n’est exigée. Il ne doit simplement pas y avoir de doute sur la volonté de l’adhérent de subroger dans ses droits et actions le factor qui l’a réglé.

==> L’opposabilité de la subrogation

  • Date du paiement
    • Pour être opposable aux tiers, la subrogation ne suppose pas que le débiteur subrogataire soit informé de l’opération
    • Ainsi, la subrogation est-elle opposable aux tiers à compter de la date du paiement, lequel se matérialisera par la remise d’une quittance subrogative
  • Exigence de notification
    • Bien que la subrogation soit opposable aux tiers à compter de la date du paiement subrogatoire, une notification de l’opération est nécessaire en matière d’affacturage
    • Cette notification n’est pas une condition d’opposabilité de la subrogation au débiteur subrogataire, en ce sens qu’elle n’est pas l’équivalent des formalités de l’article 1690 du code civil et ne constitue pas une forme de publicité.
    • La notification vise seulement à interdire au débiteur de payer un autre que l’affactureur, sous peine d’être de mauvaise foi
    • En effet, le débiteur n’est tenu de payer entre les mains du créancier subrogé que s’il a reçu une notification écrite précisant l’identité des créances et du cessionnaire, et s’il n’a pas connaissance de droit préférable.
    • La notification joue en quelque sorte le même rôle que la notification en matière de cession Dailly
    • Après notification, un paiement du débiteur entre les mains de l’adhérent ne serait donc plus libératoire (Cass. com. 4 oct. 1982)
      • « Qui paie mal paie deux fois »
    • En revanche, la forme de la notification est entièrement libre (téléphone, télex, etc.)

III) Le recouvrement des créances transmises

Dans le cadre du recouvrement des créances transmises, deux recours sont susceptibles d’être exercés par l’affactureur :

– Le recours contre le débiteur subrogataire
– Le recours contre l’adhérent subrogeant

A) Le recours de l’affactureur contre le débiteur subrogataire

Par le jeu de la subrogation, l’affactureur devient titulaire des créances qui lui ont été transférées par l’adhérent moyennant paiement.

Il en résulte que le débiteur subrogataire ne peut valablement se libérer qu’entre les mains du factor, sauf à ce que l’opération de subrogation ne lui ait pas été notifiée.

En toutes hypothèses, l’affactureur acquiert tous les droits et actions dont était titulaire l’adhérent.

Il peut ainsi les exercer en lieu et place de l’adhérent.

Si, toutefois, la subrogation a pour effet de substituer un créancier à un autre, elle ne change pas la créance.

Il en résulte que le créancier subrogé ne saurait acquérir plus de droits que n’en avait le créancier subrogeant.

L’adage nemo plus juris ad alium transfere potest quam ipse habet a ainsi vocation à s’appliquer en matière de subrogation.

La conséquence en est que le débiteur subrogataire est fondé à opposer au créancier subrogé (le factor) les mêmes exceptions que celles qu’il pouvait opposer au créancier subrogeant (l’adhérent).

Encore faut-il déterminer quelles sont les exceptions invocables.

  • Les exceptions inhérentes à la créance : elles sont toujours opposables
    • Le débiteur subrogataire est fondé à invoquer contre l’affactureur les exceptions nées avant la subrogation et qu’il pouvait opposer à l’adhérent.
    • Dès lors que les exceptions sont inhérentes à la créance, elles sont opposables même si elles se manifestent plus tard, car l’affactureur a acquis la créance avec ses qualités, mais aussi ses vices, quel que soit le moment de leur révélation
  • Les exceptions extérieures à la créance : elles sont parfois opposables
    • Principe : les exceptions extérieures ne sont prises en considération que si elles ont pris naissance avant la subrogation.
      • Ce moment est généralement celui de la remise de la quittance subrogative
      • Le débiteur pourra par exemple opposer à l’affactureur la compensation de sa dette avec les créances nées à son profit contre son fournisseur avant la subrogation, car cette compensation a opéré un double paiement
        • La dette dont le règlement lui est demandé est donc éteinte
        • elle n’a donc pu être transmise à l’affactureur.
      • Cette solution repose sur la transposition à la subrogation des règles admises pour les exceptions de compensation en matière de cession de créance
        • Pour rappel, l’article 1295, al. 2 du Code civil prévoit que « À l’égard de la cession qui n’a point été acceptée par le débiteur, mais qui lui a été signifiée, elle n’empêche que la compensation des créances postérieures à cette notification. »
    • Exception : le débiteur ne sera pas fondé à opposer les exceptions extérieures à la créance si elles sont nées après la subrogation
      • Toutefois, s’agissant de la compensation, il est admis que le débiteur peut opposer une compensation qui se réaliserait postérieurement à la subrogation, si sa créance est « connexe » à celle que le fournisseur a contre lui.
      • Pour mémoire, la jurisprudence retient une conception large de la connexité, en l’admettant dans trois hypothèses :
        • lorsque les créances prennent leur source dans un seul et même acte juridique créant des obligations à la fois pour le débiteur et pour le créancier.
        • lorsque les créances prennent leur source dans un accord-cadre régissant l’ensemble des rapports des parties.
        • lorsque les créances naissent d’une opération économique globale donnant lieu à une série de contrats dépendant d’un même accord contractuel.

B) Le recours de l’affactureur contre l’adhérent subrogeant

En principe, l’affactureur ne dispose d’aucun recours contre l’adhérent en cas de non-paiement du débiteur subrogataire.

Et pour cause, car pèse sur l’affactureur une obligation de garantie ! C’est là tout l’intérêt de l’affacturage pour l’adhérent.

L’adhérent n’en demeure pas moins garant de l’existence de la créance transférée au factor.

Comme en matière de cession de créance, l’adhérent subrogeant répond de l’existence et de la licéité de la créance transmise.

Ainsi, en cas de transmission d’une créance fictive, l’affactureur dispose d’un recours en répétition de l’indu contre l’adhérent (Cass. com. 7 juin 1994, no 93-11.340 , Bull. civ. IV, no 202).

La cession de créances professionnelles par bordereau Dailly

I) La spécificité de la cession Dailly

De par la sécurité juridique qu’ils procurent à leurs utilisateurs, les effets de commerce constituent, indéniablement, un formidable moyen pour une entreprise de se procurer des financements à court terme.

Est-ce à dire qu’ils sont les seuls instruments qui remplissent cette fonction ? Certainement pas.

Les entreprises peuvent, en effet, recourir à d’autres techniques juridiques pour obtenir du crédit, notamment auprès d’un banquier escompteur.

Au fond, qu’est-ce qu’un effet de commerce sinon un titre dont la transmission opère, par l’effet de l’endossement, un transfert de créance ?

Or le transfert de créance est une opération pour le moins ordinaire dont la réalisation est susceptible d’être assurée par d’autres techniques, au premier rang desquelles on trouve la cession de créance.

Cette technique juridique présente, néanmoins, pour une entreprise deux inconvénients majeurs :

  • Le formalisme de la cession de créance est lourd : pour être opposable aux tiers la cession doit être au choix :
    • Soit signifiée au débiteur par exploit d’huissier
    • Soit acceptée par acte authentique par le débiteur cédé, étant précisé que le consentement de celui-ci n’est pas une condition de validité de la cession de créance
      • En acceptant la cession, le débiteur admet seulement en avoir pris connaissance et renonce à se prévaloir à l’encontre du cessionnaire de l’exception de compensation qu’il aurait pu opposer au cédant
  • On ne peut céder qu’une seule créance à la fois, de sorte que les formalités prescrites à l’article 1690 du Code civil doivent être accomplies autant de fois qu’il y a de créances à céder.

Prenant conscience du besoin impérieux pour une entreprise de se procurer des financements à court terme afin de ne jamais manquer de trésorerie et d’être en mesure de surmonter les difficultés liées au recouvrement de ses créances, c’est dans ce contexte que le législateur a, par la loi du 2 janvier 1981, instauré une forme simplifiée de cession de créances : la cession par bordereau Dailly, dite, plus simplement, « cession Dailly ».

L’objectif des pouvoirs publics était clair : faciliter la mobilisation des créances détenues par les entreprises sur leurs clients, tout en assurant au cessionnaire une sécurité comparable à celle de l’escompte.

Si le mécanisme retenu par la loi Dailly ressemble, pour l’essentiel, au droit commun de la cession de créance, il s’en affranchit néanmoins pour ce qui est des formalités d’opposabilité.

Ainsi, cette loi offre-t-elle la possibilité aux entreprises de céder, en une seule fois, une multitude de créances détenues sur plusieurs débiteurs par la simple remise d’un bordereau à un établissement de crédit cessionnaire.

L’article L. 313-23 du Code monétaire et financier dispose en ce sens que:

« Tout crédit qu’un établissement de crédit consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, ou à une personne physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle, peut donner lieu au profit de cet établissement, par la seule remise d’un  bordereau , à la cession ou au nantissement par le bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, personne morale de droit public ou de droit privé ou personne physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle »

Schéma 1

II) Les conditions de la cession Dailly

La validité de la cession Dailly est subordonnée au respect de conditions de fond et de forme.

A) Les conditions de fond

  1. Les conditions tenant aux parties à la cession

Quelles sont les parties à la cession?

  • Un cédant
    • Le cédant peut être
      • soit une personne morale de droit privé ou de droit public
      • soit une personne physique agissant dans l’exercice de son activité professionnelle
        • peu importe la nature de cette activité
  • Un cessionnaire
    • Il ne peut s’agir que d’un établissement de crédit au sens de l’article L. 511-1 du Code monétaire et financier.
    • Qu’est-ce qu’un établissement de crédit ?
      • Aux termes de l’article L 511-1 du Code monétaire et financier, « les établissements de crédit sont les entreprises dont l’activité consiste, pour leur propre compte et à titre de profession habituelle, à recevoir des fonds remboursables du public mentionnés à l’article L. 312-2 et à octroyer des crédits mentionnés à l’article L. 313-1».
    • L’établissement de crédit cessionnaire doit avoir consenti, en contrepartie de la remise du bordereau, un crédit au cédant.
  • Un débiteur cédé
    • Le débiteur cédé doit être tiers à l’opération, de sorte qu’il ne saurait cumuler les qualités de débiteur cédé et de cessionnaire
    • S’il s’agit d’une personne morale de droit public ou de droit privé, aucune restriction n’est posée par le législateur quant à son activité.
    • S’il s’agit d’une personne physique, la créance cédée à son encontre doit avoir été souscrite dans le cadre de son activité professionnelle

2. Les conditions tenant aux créances transmissibles

Quid de la nature des créances susceptible de faire l’objet d’une cession par bordereau Dailly ?

  • Une créance cessible
    • Ne peuvent pas faire l’objet d’une cession par bordereau Dailly :
      • Les créances alimentaires
      • Les créances de salaire pour leur partie incessible et insaisissable
      • Conformément à l’article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 relative aux contrats de sous-traitance, l’entrepreneur principal qui aurait sous-traité tout ou partie du marché que lui a confié le maître d’ouvrage, ne saurait céder la créance qu’il détient contre ce dernier à un établissement de crédit par le biais d’une cession Dailly.
  • Une créance professionnelle
    • Seules les créances professionnelles peuvent faire l’objet d’une cession Dailly.
    • Ce caractère est présumé pour toutes les créances détenues par une personne morale à l’encontre d’une autre personne morale
    • Si la cession est réalisée par une personne physique, la créance doit résulter de son activité professionnelle, de même que la créance à l’encontre du débiteur cédé personne physique.
  • Une créance de quelque nature que ce soit
    • Peuvent faire l’objet d’une cession par bordereau Dailly
      • les créances contractuelles, délictuelles ou quasi délictuelles
      • les créances échues ou à termes
      • les créances conditionnelles
      • les créances issues d’un contrat à exécution successive
      • les créances futures ou éventuelles
      • les créances partielles

B) Les conditions de forme

Le bordereau qui opère la cession Dailly doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires.

Il s’agit des énonciations suivantes :

  • La dénomination « acte de cession de créances professionnelles»
  • la mention que l’acte est soumis aux dispositions des articles L. 313-23 à L 313-34 du Code monétaire et financier
  • le nom ou la dénomination sociale de l’établissement de crédit bénéficiaire
  • la désignation ou l’individualisation des créances cédées ou données en nantissement ou des éléments susceptibles d’effectuer cette désignation ou cette individualisation, notamment par l’indication du débiteur, du lieu de paiement, du montant des créances ou de leur évaluation et, s’il y a lieu, de leur échéance.
  • Le bordereau doit être signé par le cédant et daté par l’établissement de crédit cessionnaire

En cas de non-respect de ces exigences formelles, le bordereau ne vaudra pas comme acte de cession de créances professionnelles.

Il pourra éventuellement valoir comme simple cession de droit de commun. Cependant, ladite cession ne produira ses effets qu’entre les parties. Elle sera inopposable aux tiers en raison du défaut d’accomplissement des formalités prescrites à l’article 1690 du Code civil.

III) Les effets de la cession Dailly

A) Les effets à l’égard des parties : la transmission de la créance

S’agissant des effets de la cession Dailly entre les parties, trois points doivent retenir l’attention :

  • La transmission de la créance
    • Aux termes de l’article L. 313-24 du Code monétaire et financier, la cession Dailly opère transfert de la créance que détient le cédant contre le débiteur cédé au profit du cessionnaire
    • La cession Dailly opère également transfert des sûretés garantissant la créance cédée et de toutes les garanties et autre accessoires qui y sont attachés (article L. 313-27, al. 3 CMF)
      • Il s’agit tant des sûretés personnelles, que des sûretés réelles
      • La clause de réserve de propriété subit le même sort que les sûretés attachées à la créance cédée (Com. 15 mars 1988)
  • La date d’effet de la cession
    • Le transfert de la créance s’opère à la date portée sur bordereau
    • Il en résulte qu’à partir de cette date, le cédant ne peut plus « modifier l’étendue des droits attachés aux créances représentées par [le] bordereau » (article L. 313-27, al. 2 CMF).
    • Autrement dit, le cédant n’est plus fondé à consentir des délais de paiement au débiteur cédé ou une remise de dette.
    • N’étant plus titulaire de la créance cédée, il ne peut plus l’altérer, sauf à obtenir l’accord exprès du cessionnaire.
  • La garantie due par le cédant au cessionnaire
    • À la différence de la cession de créance de droit commun où le cédant ne garantit que l’EXISTENCE de la créance cédée, en matière de cession Dailly, le cédant garantit le PAIEMENT des créances cédées (article L. 313-24, al. 2 CMF).
    • Autrement dit, le cédant est garant de la solvabilité du débiteur cédée
      • Cela signifie que, en cas de non-paiement, le cessionnaire Dailly dispose d’une action en garantie contre le cédant.
      • Ainsi, dans le cadre d’une cession Dailly le cédant est tenu à la même garantie que celle qui pèse sur le signataire d’un effet de commerce.
    • Par ailleurs, le cessionnaire bénéficie du jeu de la solidarité, de sorte que le cédant ne saurait se prévaloir du bénéfice de discussion ou de division.

B) Les effets à l’égard des tiers : l’opposabilité de la cession

À titre de remarque de liminaire, il peut être observé que dès lors que les mentions obligatoires figurent sur le bordereau Dailly, la cession est valable.

Ainsi, la notification de la cession au débiteur cédée n’est, en aucun cas, une condition de validité de la cession Dailly.

La notification de la cession au débiteur cédée n’est pas plus une condition de son opposabilité, car elle devient opposable aux tiers, dès l’apposition de la date sur le bordereau.

À la vérité, tout l’enjeu de la notification de la cession réside dans le caractère libératoire ou non du paiement effectué par le débiteur cédé entre les mains du cédant.

Dans cette perspective, trois hypothèses doivent être distinguées

  • La cession Dailly n’a pas été notifiée au débiteur cédé
  • La cession Dailly a été notifiée au débiteur cédé
  • La cession Dailly a été acceptée par le débiteur cédé
  1. La cession Dailly n’a pas été notifiée au débiteur cédé
  • Mandat de recouvrement
    • À la date portée sur le bordereau, le cédant perd simplement la titularité de la créance cédé
    • En revanche il conserve jusqu’à la date de notification la qualité de mandataire, soit d’accipiens
    • Autrement dit, dans l’hypothèse où la cession Dailly n’a pas été notifiée au débiteur cédé, le cédant est réputé assurer le recouvrement de la créance cédée pour le compte du cessionnaire
    • Il en résulte que le paiement effectué par le débiteur cédé entre les mains du cédant est libératoire
  • Opposabilité des exceptions
    • Le débiteur cédé est fondé à opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au cédant
      • Il s’agit tant des exceptions inhérentes à la dette (exception d’inexécutions) que des exceptions qui lui sont extérieures (compensation légale).

2. La cession Dailly a été notifiée au débiteur cédé

  • Révocation du mandat de recouvrement
    • La notification de la cession Dailly ne remplit pas la même fonction que la signification exigée en matière de cession de droit commun
    • Alors que la formalité exigée à l’article 1690 du Code civil est une condition d’opposabilité de la cession, tel n’est pas le cas de la notification de la cession Dailly
    • La cession Dailly est opposable aux tiers dès l’apposition de la date sur le bordereau
    • La notification a pour seule fonction de mettre fin au mandat de recouvrement dont est investi le cédant tant que la cession Dailly n’a pas été notifiée.
    • L’article L.313-28 du Code monétaire et financier prévoit en ce sens que:
      • L’établissement de crédit ou la société de financement peut, à tout moment, interdire au débiteur de la créance cédée ou nantie de payer entre les mains du signataire du bordereau. A compter de cette notification, dont les formes sont fixées par le décret en Conseil d’Etat prévu à l’article L. 313-35, le débiteur ne se libère valablement qu’auprès de l’établissement de crédit ou de la société de financement.”
    • Il en résulte deux conséquences :
      • À compter de la date de notification, le débiteur cédé doit se libérer exclusivement entre les mains du cessionnaire
      • À compter de la date de notification, le paiement effectué par le débiteur cédé entre les mains du cédant n’est plus libératoire
  • Opposabilité des exceptions
    • Le cessionnaire ne saurait avoir plus de droits que le cédant : Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet
    • Pour cette raison, le débiteur cédé est fondé à opposer au cessionnaire les mêmes exceptions que celles qu’il pouvait opposer au cédant.
    • Il s’agit, tant des exceptions inhérentes à la dette, que des exceptions qui lui sont extérieures

FICHE D’ARRÊT

Com. 14 déc. 1993, Bull. civ. IV, no 469

Faits :

  • Cession de créance par voie de bordereau Dailly
  • Lorsque le débiteur cédé est actionné en paiement par le cessionnaire après que la cession lui a été notifiée, il refuse de payer en opposant à l’établissement bancaire l’existence de créances dont il serait titulaire à l’encontre du cédant
  • En d’autres termes, le débiteur cédé se prévaut de l’exception de compensation

Demande :

Assignation du débiteur cédé en paiement par le cessionnaire

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 23 octobre 1991, la Cour d’appel de Riom accueille la demande de la banque en rejetant l’exception de compensation soulevée par le débiteur cédé

Motivation des juges du fond:

  • Pour les juges du fond, les conditions de la compensation légale n’étaient pas réunies en l’espèce

Moyens des parties :

  • L’auteur du pourvoi reproche à la Cour d’appel de n’avoir pas pris en compte l’existence d’une compensation entre la dette due par le débiteur cédé au cessionnaire et la créance dont était titulaire ce même débiteur envers le cédant

Problème de droit :

La question se posait en l’espèce de savoir si le débiteur d’une créance cédée par voie de bordereau Dailly pouvait opposer au cessionnaire l’exception de compensation en vertu d’une créance qu’il détenait contre le cédant

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt:

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le débiteur cédé

  • Sens de l’arrêt:

Pour la Cour de cassation, il n’est pas établi que les créances invoquées par le débiteur cédé au titre de la compensation remplissent les conditions légales de la compensation.

Pour mémoire, le Code civil régit la compensation légale aux articles 1289 à 1299.

Quatre conditions doivent être réunies pour que la compensation légale produise son effet extinctif :

  • Réciprocité des obligations
    • Il faut que les deux personnes en présence soient simultanément et personnellement créancières et débitrices l’une de l’autre
  • Fongibilité de leur objet
    • Aucune compensation n’est possible, au sens des articles 1289 et suivants du Code civil, entre
      • des corps certains
      • des choses fongibles de nature différente
      • une obligation en nature et une créance en espèces
  • Liquidité
    • Seules des créances liquides, c’est-à-dire déterminées dans leur montant et non contestées, peuvent se compenser
  • Exigibilité
    • Les créances qui font l’objet de la compensation doivent être échues

La Cour de cassation évoque, en l’espèce, une cinquième condition :

Les créances invoquées au titre de la compensation doivent être antérieures à la notification de la cession.

Est-ce la même règle que celle posée en matière de cession de créance civile ?

Pour rappel, l’article 1295 du Code civil prévoit que le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire la compensation dès lors que les créances compensables sont antérieures à la signification.

De toute évidence, la règle posée à l’article 1295 du Code civil n’est pas la même que celle édictée par la Cour de cassation

En matière de cession Dailly, la notification, à la différence de la signification exigée en matière de cession de créance de droit commun, n’est pas une formalité d’opposabilité.

En effet, en matière de cession de créance civile, c’est la signification qui réalise l’opposabilité de l’opération aux tiers.

Tel n’est pas le cas en matière de cession Dailly !

L’article L. 313-27 du Code monétaire et financier pose le principe selon lequel la cession est opposable aux tiers dès l’apposition de la date sur le bordereau.

Pour bien comprendre la solution retenue par la Cour de cassation en l’espèce, revenons un instant sur l’article 1295 du code civil.

Pourquoi cette disposition prévoit-elle que la compensation légale ne peut plus intervenir une fois que la cession de créance est opposable aux tiers, soit après sa signification ?

Cette règle se justifie aisément.

Techniquement, la compensation ne peut pas intervenir après que la créance a quitté le patrimoine du cédant.

En effet, dès lors que la créance sort du patrimoine du cédant, à tout le moins qu’elle est réputée l’avoir quitté, on ne peut plus considérer que le cédant et le débiteur cédé détiennent des créances réciproques l’un contre l’autre.

Or la réciprocité des créances est l’une des conditions de validité de la compensation légale !

D’où la règle posée par le Code civil !

La compensation légale ne peut donc plus être invoquée par le débiteur cédé après que la cession lui a été signifiée.

Par analogie avec l’article 1295 du Code civil, en matière de cession Dailly, la compensation légale ne devrait donc plus pouvoir intervenir à compter de la datte apposée sur le bordereau, soit à compter de la date à partir de laquelle la créance cédée est réputée sortir du patrimoine du cédant

Tel n’est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation en l’espèce.

Pour la haute juridiction, c’est la date de notification de la cession qui doit être prise en compte. Or en matière de cession Dailly, la notification ne produit pas le même effet que la signification de l’article 1690 du Code civil.

Comment justifier cette solution retenue par la Cour de cassation ?

La compensation s’analyse comme un double paiement.

Or, le paiement opéré par le débiteur cédé dans le cadre de la cession Dailly est libératoire dès lors qu’il intervient avant la réception de la notification.

En effet, l’article L. 313-28 du CMF dispose que « l’établissement de crédit ou la société de financement peut, à tout moment, interdire au débiteur de la créance cédée ou nantie de payer entre les mains du signataire du bordereau. À compter de cette notification, dont les formes sont fixées par le décret en Conseil d’Etat prévu à l’article L. 313-35, le débiteur ne se libère valablement qu’auprès de l’établissement de crédit ou de la société de financement »

A CONTRARIO, cela signifie donc que jusqu’à la notification le paiement par le débiteur cédé est possible entre les mains du cédant.

Ce paiement par le débiteur cédé entre les mains du cédant possède un caractère LIBERATIOIRE selon cette disposition jusqu’à la NOTIFICATION !

Or comme la compensation est une forme de paiement, elle est possible jusqu’à la notification de la cession Dailly et non jusqu’à l’apposition de la date de cession sur le Bordereau !

Quid de la compensation de dettes connexes ?

Traditionnellement, la connexité permet d’étendre le jeu de la compensation et de renforcer la fonction de garantie de cette dernière.

La cession Dailly constitue une parfaite illustration de ce rôle considérable conféré à la connexité.

En effet, par exception, la compensation demeure admissible postérieurement à la notification lorsque les créances invoquées ont un caractère connexe

La jurisprudence retient une conception large de la connexité, en l’admettant dans trois hypothèses :

  • lorsque les créances prennent leur source dans un seul et même acte juridique créant des obligations à la fois pour le débiteur et pour le créancier.
  • lorsque les créances prennent leur source dans un accord-cadre régissant l’ensemble des rapports des parties.
  • lorsque les créances naissent d’une opération économique globale donnant lieu à une série de contrats dépendant d’un même accord contractuel.

3. La cession Dailly a été acceptée par le débiteur cédé

  • Principe
    • Aux termes de l’article L. 313-29 du Code monétaire et financier, « sur la demande du bénéficiaire du bordereau, le débiteur peut s’engager à le payer directement […]»
    • L’intérêt pour le cessionnaire de solliciter l’acceptation du débiteur réside dans le bénéfice de l’inopposabilité des exceptions
  • Forme de l’acceptation
    • L’acceptation du débiteur doit prendre la forme d’un écrit
      • La chambre commerciale a néanmoins admis qu’il pouvait s’agir d’une télécopie ( 2 déc. 1997: Bull. n°315 ; RTD com 1998, obs. Cabrillac)
    • L’écrit est une condition de validité de l’acte d’acceptation
  • Moment de l’acceptation
    • Le cessionnaire ne peut solliciter l’acceptation du débiteur cédée que lorsqu’il est devenu titulaire de la créance cédée, soit à compter de la date apposée sur le bordereau
  • Quid de l’acceptation conditionnelle ?
    • Alors qu’une lettre de change ne saurait faire l’objet d’une acceptation conditionnelle, la jurisprudence l’admet pour la cession Dailly ( com., 14 nov. 1989).
  • Effets de l’acceptation
    • Conformément à l’article L. 313-29, alinéa 2, du Code monétaire et financier, l’acceptation a pour effet d’interdire au débiteur cédé d’opposer au cessionnaire les exceptions tirées de ses rapports personnels avec le cédant, sauf à ce que le cessionnaire ait agi sciemment au détriment du débiteur.
    • Ainsi, l’acceptation de la cession Dailly produit-elle sensiblement les mêmes effets qu’en matière de lettre de change.
    • Elle est, par ailleurs, assortie de la même exception : la mauvaise foi du bénéficiaire

Le billet à ordre

I) Définition

Le billet à ordre peut se définir comme le titre qui constate l’engagement d’une personne, le souscripteur, de payer à une autre personne, le bénéficiaire, une somme d’argent déterminée, à une échéance déterminée.

Contrairement à la configuration dans laquelle on se trouve en matière de lettre de change, le billet à ordre met aux prises non pas trois personnes, mais deux.

Il en résulte deux conséquences immédiates :

  • Le débiteur désigné sur le titre est tout à la fois le tireur et le tiré de l’effet.
    • A la différence de la lettre de change, ce n’est donc pas le créancier qui est à l’origine de l’émission du titre, mais bien le débiteur
    • Le créancier n’adresse aucun ordre au débiteur de payer une tierce personne lorsque le titre lui sera présenté au paiement. C’est le débiteur lui-même qui, de sa propre initiative, s’engage à payer le bénéficiaire de l’effet à une échéance déterminée.
  • Le débiteur désigné sur le billet à ordre n’a pas vocation à accepter l’effet, dans la mesure où il est précisément à l’origine de son émission. C’est lui le souscripteur initial, de sorte que par l’apposition de sa seule signature sur l’effet, il est d’ores et déjà engagé cambiairement à l’égard du bénéficiaire.
    • L’article L. 512-6 du Code de commerce prévoit en ce sens que « le souscripteur d’un billet à ordre est obligé de la même manière que l’accepteur d’une lettre de change»

Lettre de change

Schéma 1.JPG

Billet à ordre

Schéma 2

En un mot, le billet à ordre constitue une promesse de paiement. Il ne s’agit cependant pas d’une simple promesse.

La promesse par laquelle s’engage le souscripteur à l’égard du bénéficiaire de l’effet, tire sa force obligatoire, non pas de la rencontre des volontés, mais du titre lui-même.

Aussi, le billet à ordre se range-t-il dans la catégorie des effets de commerce.

Partant, l’obligation née de l’engagement du souscripteur de l’effet présente toutes les caractéristiques de l’obligation cambiaire :

  • Solidarité du souscripteur avec tous les signataires du billet à ordre
  • Possibilité pour le porteur de l’effet de diligenter une procédure d’injonction de payer contre le souscripteur sur le fondement de l’article 1405, al. 2 du Code de procédure civile
  • Dispense d’autorisation judiciaire quant à l’accomplissement de mesures conservatoires (article L. 511-2 du Code de l’exécution forcée)
  • Exclusion de l’octroi de délais de grâce
  • Compétence des juridictions consulaires
  • Purge des exceptions: le souscripteur ne sera pas fondé à opposer au porteur de bonne foi les exceptions tirées de son rapport personnel avec le bénéficiaire initial
  • Indépendance des signatures des signataires du billet à ordre

Règles applicables

Le corpus normatif du billet à ordre ressemble trait pour trait au régime juridique de la lettre de change.

Et pour cause, afin de régir le billet à ordre, le législateur a procédé, pour l’essentiel, par renvoi aux règles applicables à la lettre de change.

Ainsi, sont applicables au billet à ordre les règles de la lettre de change relatives :

  • à l’ordre de l’effet
  • à la capacité des signataires de la traite
  • à l’endossement
  • au défaut d’indication du lieu du paiement
  • aux différentes modalités de l’échéance
  • aux actions récursoires dont jouissent les signataires actionnés en paiement
  • aux causes et aux effets de la déchéance dont est susceptibles d’être frappé le porteur de l’effet
  • aux modalités d’établissement du protêt faute de paiement
  • au paiement par intervention
  • à la création d’une copie de la traite
  • aux délais de grâces conventionnels et judiciaires
  • à l’aval
  • à la publicité et à la prorogation des délais de protêts

En revanche, ne sont pas applicables au billet à ordre toutes les règles relatives :

  • à la provision
    • dans la lettre de change, la provision consiste en la créance que détient le tireur contre le tiré
    • or dans la configuration du billet à ordre, le souscripteur cumule sur sa seule tête ces deux fonctions
    • Il en résulte que la provision n’a pas de raison d’être dans le billet à ordre, bien que la jurisprudence de la Cour de cassation invite à penser le contraire (V. en ce sens 5 mars 1991, Bull. civ. IV, no 95)
  • à l’acceptation
    • l’acceptation n’existe pas en matière de billet à ordre dans la mesure où c’est le débiteur qui émet l’effet.
    • Aussi, l’émission du billet à ordre est-elle nécessairement assortie de l’apposition par le souscripteur de sa signataire
    • Il en résulte, en vertu de l’article 512-6 du Code de commerce que « le souscripteur d’un billet à ordre est obligé de la même manière que l’accepteur d’une lettre de change»

II) La création du billet à ordre

A) Conditions de fond

Le billet à ordre est un acte juridique.

À ce titre, sa validité est subordonnée au respect des mêmes principes qui conditionnent la validité de n’importe quel acte juridique (capacité, cause, consentement).

Les articles L. 512-3 et L. 512-4 du Code de commerce renvoient, par ailleurs, aux dispositions régissant les conditions de fond de la lettre de change.

Focus sur la condition de cause

Il est une question que l’on est légitimement en droit de se poser s’agissant de la validité du billet à ordre : l’existence d’un rapport fondamental entre le souscripteur et le bénéficiaire est-elle nécessaire pour que le billet à ordre produise ses effets entre les parties ?

Autrement dit, l’émission du billet à ordre doit-elle être causée ?

Si l’on se place du point de vue du droit allemand, le billet à ordre est regardé comme un titre abstrait.

Il en résulte qu’il n’est pas nécessaire, pour que l’effet soit valide, qu’un rapport fondamental lie le souscripteur au bénéficiaire.

Qu’en est-il en droit français ?

Pour la Cour de cassation, la validité du billet à ordre est subordonnée à l’existence d’un rapport fondamental.

Autrement dit, le souscripteur du billet à ordre doit être, préalablement à la création de l’effet, le débiteur du bénéficiaire.

Dans le cas contraire, voire dans l’hypothèse où l’émission du billet à ordre repose sur une cause illicite, il est dépourvu de tout effet.

Il en résulte que le souscripteur d’un billet à ordre est fondé à opposer au bénéficiaire l’extinction de la dette en règlement de laquelle l’effet a été émis (Cass. com., 12 oct. 1966 : Bull. civ. III, n° 392).

B) Conditions de forme

  • Exigence d’un écrit
    • Le billet à ordre suppose l’établissement d’un écrit, peu importe qu’il s’agisse d’un acte authentique ou d’un acte sous seing privé
  • Mentions obligatoires
    • Aux termes de l’article L. 512-1 du Code de commerce, le billet à ordre doit contenir un certain nombre de mentions :
      • La clause à ordre ou la dénomination du titre
        • Cette clause doit être insérée dans le texte même et exprimée dans la langue employée pour la rédaction de ce titre.
          • « Payer à l’ordre de »
  • La promesse pure et simple de payer une somme déterminée
    • Le billet à ordre doit contenir un engagement de payer et non une simple invitation à payer
      • Cet engagement ne doit pas être conditionnel
      • Il doit porter sur une somme d’argent déterminée
  • L’indication de l’échéance
    • Sur ce point, les règles applicables à la lettre de change sont valables pour le billet à ordre
    • Il en résulte que l’échéance du billet à ordre peut être
      • à vue
      • à un certain délai de vue
      • à jour fixe
  • Le billet à ordre dont l’échéance n’est pas indiquée est considéré comme payable à vue
  • L’indication du lieu où le paiement doit s’effectuer
  • Le nom de celui auquel ou à l’ordre duquel le paiement doit être effectué
  • L’indication de la date et du lieu où le billet est souscrit
  • La signature de celui qui émet le titre, soit du premier souscripteur
    • Le billet peut être souscrit par plusieurs personnes qui sont alors obligées solidairement, même dans l’hypothèse où le billet constaterait une créance civile

Quid de la sanction en cas d’omission d’une mention obligatoire ?

La loi supplée l’omission d’une mention obligatoire dans trois cas.

Ainsi, aux termes de l’article L. 512-1, II, III et IV :

  • « Le billet à ordre dont l’échéance n’est pas indiquée est considéré comme payable à vue.
  • À défaut d’indication spéciale, le lieu de création du titre est réputé être le lieu de paiement et, en même temps, le lieu du domicile du souscripteur.
  • Le billet à ordre n’indiquant pas le lieu de sa création est considéré comme souscrit dans le lieu désigné à côté du nom du souscripteur».

En dehors de ces trois hypothèses, conformément à l’article L. 512-2 du Code de commerce, « le titre dans lequel une des énonciations indiquées au I de l’article L. 512-1 fait défaut ne vaut pas comme billet à ordre ».

L’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 3 avril 1984 en est une parfaite illustration.

FICHE D’ARRÊT

Com. 3 avril 1984, Bull. civ. IV, no 124

Faits :

  • La société Confestion du Quercy est porteuse de 3 billets à ordre souscrits par la Société Charles Philippe
  • Ces billets à ordres ont été avalisés par les époux Jean Lefort
  • Survenance d’un défaut de paiement du souscripteur des billets à ordre

Demande :

  • Assignation en paiement des avaliseurs du billet à ordre qui se défendent en soutenant que deux des trois billets à ordre souscrits n’étaient pas valables en raison du défaut de date de création de l’effet.

Procédure :

  • Dispositif de la décision rendue au fond:

Par un arrêt du 3 mars 1983, la Cour d’appel de Rouen fait droit à la demande du porteur des trois billets à ordre litigieux. Elle condamne en conséquence les avalistes en paiement

  • Motivation des juges du fond:

Les juges du fond estiment que tout porte à croire que les billets à ordre dont la validité est contestée ont été souscrits le même jour de sorte que la date qui fait défaut sur les deux billets à ordre litigieux se déduit du premier

Aussi, pour la Cour d’appel, dès lors que le billet à ordre comporte les autres mentions obligatoires, il demeure valide

Problème de droit :

La question qui se posait portait sur la validité d’un billet à ordre dont la mention relative à date de création du titre fait défaut

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation casse et annule la décision rendue par la Cour d’appel
    • Visa : articles 183 et 184 qui posent les conditions de validité du billet à ordre ainsi que la sanction de leur non-respect
    • Cas d’ouverture : la violation de la loi

Sens de l’arrêt:

  • Dans cet arrêt, la Cour de cassation se livre, manifestement, à une interprétation pour le moins stricte des dispositions du Code de commerce.
  • Elle considère, en effet, qu’un billet non daté, alors même qu’il renferme toutes les autres mentions exigées par la loi, ne vaut pas comme billet à ordre.

Valeur de la décision :

La solution rendue dans cette affaire par la Cour de cassation ne peut être qu’approuvée.

Le billet à ordre constitue un effet de commerce. Il s’ensuit que les engagements pris par les signataires reposent sur le titre lui-même, soit uniquement sur ce qui est apparent.

Admettre que le billet à ordre soit valable nonobstant l’omission d’une mention obligatoire aurait pour conséquence de considérablement porter atteinte à la sécurité juridique que les porteurs de l’effet sont légitimement en droit d’attendre lors de son acquisition.

En effet, lorsqu’ils acquièrent l’effet, les porteurs se déterminent en ayant pour seul moyen de s’assurer de la fiabilité de l’engagement du débiteur que le titre lui-même. D’où l’importance des mentions obligatoires.

En conséquence, la décision rendue par la Cour de cassation apparaît parfaitement justifiée.

Plus spécifiquement, la question se pose de la justification de l’exigence de la mention relative à la date de création du titre. Pourquoi s’agit-il d’une mention exigée à peine de nullité de l’effet ?

De toute évidence, le porteur n’accordera pas la même confiance au titre selon qu’il a été souscrit quelques mois auparavant ou selon qu’il a été souscrit il y a 10 ans.

Entre temps, le souscripteur a, en effet, pu faire l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ou être décédé.

Ainsi, en cas de date de souscription lointaine, le porteur prend un risque en acquérant le titre. D’où la nécessité qu’il ait connaissance de sa date de création, afin qu’il acquiert l’effet en toute connaissance de cause.

Pour résumer, lorsque la date de création du titre fait défaut, il ne vaut pas comme billet à ordre. Il vaudra comme simple promesse de paiement (V. en ce sens CA Paris, 30 Sept. 1986 : D. 1987, somm. p. 70, obs. Cabrillac)

III) La transmission du billet à ordre

A) La transmission par endossement du billet à ordre

Aux termes de l’article L. 512-3 du Code de commerce, les dispositions relatives à l’endossement de la lettre de change sont applicables au billet à ordre.

On peut en déduire deux conséquences

  • Le billet à ordre est transmissible par endossement
    • A défaut, le transfert ne produira les effets que d’une simple cession, de sorte que le souscripteur sera fondé à opposer au cessionnaire les exceptions issus de son rapport personnel avec le bénéficiaire initial (V. en ce sens com., 15 mars 1976: Bull. civ. IV, n° 97)
  • Le billet à ordre peut faire l’objet des mêmes formes d’endossement que la lettre de change, à savoir :
    • l’endossement translatif
    • l’endossement pignoratif
    • l’endossement à titre de procuration

B) Les effets de la transmission du billet à ordre

Traditionnellement, on enseigne que l’endossement d’un billet à ordre produit deux effets principaux :

  • L’inopposabilité des exceptions
  • Le transfert de la créance détenu par le bénéficiaire contre le souscripteur
  1. L’inopposabilité des exceptions

==> Principe

Lors de l’émission du billet à ordre, le souscripteur appose sa signature sur le titre, ce qui produit les mêmes effets qu’une acceptation, soit, notamment, la naissance d’un engagement cambiaire au bénéfice du porteur.

Il en résulte une purge des exceptions lors de la transmission du billet à ordre, sauf si le porteur agit sciemment au détriment du débiteur (Cass. com., 20 févr. 1990).

Autrement dit, le souscripteur ne sera pas fondé à opposer au porteur, les exceptions tirées de son rapport personnel avec le bénéficiaire initial.

Une fois transmis, le billet à ordre devient un titre abstrait, de sorte que les causes de nullité qui affecteraient le rapport fondamental sont sans effet sur la validité du titre lui-même

==> Limites

Comme en matière de lettre de change, le signataire actionné en paiement peut opposer des exceptions au porteur dans quatre cas :

  • Les exceptions tirées d’un vice apparent du titre
  • L’incapacité du signataire
  • L’absence de consentement du signataire
  • Les exceptions tirées du rapport personnel entre le signataire et le porteur

2. Le transfert de la créance détenu par le bénéficiaire contre le souscripteur

Le billet à ordre se distingue de la lettre de change, notamment en raison de l’absence de provision.

En effet, dans la lettre de change, la provision consiste en la créance que détient le tireur contre le tiré.

Or dans la configuration du billet à ordre, le souscripteur cumule sur sa seule tête ces deux fonctions.

D’où l’absence de provision en matière de billet à ordre.

Quid du sort de la créance détenu contre le souscripteur lors de la transmission du billet à ordre ?

Pour mémoire, en matière de lettre de change, conformément à l’article L. 511-7, al. 1 du Code de commerce, « la propriété de la provision est transmise de droit au porteurs successifs de la lettre de change ».

Ce transfert intervient dès la remise de la traite, soit avant l’échéance de l’effet.

Toutefois, jusqu’à ladite échéance, le tireur est libre de disposer de la créance qu’il détient contre le tiré tant que ce dernier n’a pas accepté à la traite.

Il s’ensuit que le porteur n’est titulaire que d’un droit très précaire sur la provision, en ce sens qu’il est susceptible de se retrouver en concours avec d’autres créanciers quant à la titularité de la créance de provision.

Il en va ainsi dans plusieurs hypothèses :

  • Le tiré ou le tireur font l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire
  • Le tireur a mobilisé une seconde fois la créance de provision auprès d’un tiers
  • La provision fait l’objet d’une saisie
  • La provision fait l’objet d’une action en revendication par le vendeur de meubles actionnant une clause de réserve de propriété

De toute évidence, ces situations ne sont pas seulement le lot du porteur d’une lettre de change. Le porteur d’un billet à ordre est également susceptible d’y être confronté.

Deux questions alors se posent :

  • La remise du billet au porteur à ordre opère-t-elle, comme en matière de lettre de change, transfert de la créance que détient le bénéficiaire initial contre le souscripteur ?
  • Dans l’affirmative, le droit de créance que le porteur détient contre le souscripteur de l’effet est-il aussi précaire que le droit dont est titulaire le porteur d’une lettre de change non acceptée sur la créance de provision ?

Évolution de la position de la Cour de cassation

  • Première étape
    • La Cour de cassation applique la théorie de la provision au billet à ordre ( req. 24 janv. 1912 : S. 1917, 1, p. 121, note Bourcart)
    • La créance incorporée dans le titre est réputée avoir été transférée dès la remise de l’effet au porteur, soit avant l’échéance
    • Il en résulte deux conséquences principales :
      • Le porteur était fondé à se prévaloir d’un droit exclusif sur la créance préexistante en cas de concours de créanciers
      • En cas de déchéance des recours cambiaires du porteur, il pouvait agir contre le souscripteur sur le fondement de la créance préexistante
  • Deuxième étape
    • La Cour de cassation refuse de faire application de la théorie de la provision au billet à ordre ( civ., 15 déc. 1947 : JCP G 1948, II, 4130 ; S. 1948, 1, p. 41, note Lescot)
      • La conséquence en est que la remise du billet à ordre n’a pas pour effet de transférer la créance détenu par le bénéficiaire initial contre le souscripteur au nouveau porteur.
      • En cas de redressement ou de liquidation judiciaire du bénéficiaire initial ou du souscripteur, le porteur doit concourir avec les autres créanciers. Il ne dispose d’aucun privilège cambiaire.
  • Troisième étape:
    • La Cour de cassation a admis que l’endossement d’un billet à ordre puisse opérer transfert « des droits résultant du billet à ordre» ( 5 mars 1991 : Bull. civ. IV, no 95).

FICHE D’ARRÊT

Com. 5 mars 1991, Bull. civ. IV, no 95

Faits :

  • Contrat de travaux conclu entre deux sociétés, la société SOLLAC et la société SMB
  • La société SMB, entrepreneur principal, sous-traite la réalisation de travaux à la société Van der Guth (sous-traitant)
  • En paiement des travaux, le maître d’ouvrage, la société SOLLAC, souscrit un billet à ordre au bénéfice de l’entrepreneur principal, la société SMB
  • L’effet est, par suite, escompté auprès d’une banque
  • Puis défaut de paiement de l’entrepreneur principal qui ne règle pas le sous-traitant
  • Il s’ensuit une mise en demeure de l’entrepreneur principal, communiquée en copie au maître d’ouvrage
  • Le sous-traitant n’étant toujours pas réglé de sa facture, il adresse un courrier au maître d’ouvrage par lequel il lui défend de payer le billet à ordre souscrit au bénéfice de l’entrepreneur principal

Demande :

  • Assignation en paiement de l’entrepreneur principal sur le fondement de l’action directe dont il jouit sur le fondement de l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975
  • En parallèle, le banquier escompteur obtient une ordonnance d’injonction de payer contre le maître d’ouvrage
  • La société SOLLAC forme alors opposition contre cette ordonnance

Schéma 3

En résumé, deux créanciers sont, en l’espèce, en concours quant à la titularité d’une même créance, soit celle détenue par l’entrepreneur principal contre le maître d’ouvrage :

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 28 juin 1989, la Cour d’appel de Metz condamne le maître d’ouvrage à régler la facture du sous-traitant
  • Les juges du fond déboutent la banque de sa demande en paiement du billet à ordre escompté à son profit

Motivation des juges du fond:

  • Pour les juges du fond, l’action directe a été exercée antérieurement à la survenance de l’échéance du billet à ordre souscrit par le maître d’ouvrage au profit de l’entrepreneur principal
  • Dès lors, pour la Cour d’appel, l’action directe prime sur le billet à ordre dans la mesure où le maître d’ouvrage n’était pas encore dessaisi de la valeur fournie
  • Par ailleurs, pour la Cour d’appel, l’opération d’escompte s’apparente à une cession de créance
  • Or en vertu de l’article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 modifiée, pareille cession de créance est prohibée

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était de savoir si l’action directe dont est titulaire un sous-traitant contre le maître d’ouvrage prime sur l’action dont est titulaire le banquier escompteur contre le souscripteur d’un billet à ordre

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation censure la décision rendue par la Cour d’appel de Metz

Solution :

  • Premier élément de la solution:
    • Pour la Cour de cassation, à la date où le sous-traitant impayé a exercé son action directe contre le maître d’ouvrage, l’entrepreneur principal était déjà dessaisi de la créance dont il était titulaire par l’effet de l’endossement du billet à ordre, de sorte que la créance appartenait exclusivement et définitivement au banquier
    • Le sous-traitant n’était donc pas fondé à agir contre le maître d’ouvrage, l’action directe reposant uniquement sur la titularité de la créance que détient l’entrepreneur principal contre le maître d’ouvrage
    • Aussi, dès lors que l’entrepreneur principal n’est plus créancier du maître d’ouvrage, le sous-traitant n’est pas fondé à agir contre ce dernier
    • En d’autres termes, pour la Cour de cassation l’entrepreneur principal n’était plus créancier du maître d’ouvrage, dès l’instant où il s’est dessaisi du billet à ordre
    • Au total, dans cet arrêt la Cour de cassation fait primer le droit cambiaire sur l’action directe du sous-traitant, comme en matière de lettre de change
  • Second élément de solution:
    • La cour de cassation considère que l’exception tirée de la prohibition posée par la loi du 31 décembre 1975 s’agissant de la cession de créance de l’entrepreneur principal au bénéfice d’un tiers est INOPPOSABLE au porteur de bonne foi du billet à ordre
    • La Cour de cassation fait ici une application stricte du droit cambiaire :
      • Le porteur de bonne foi bénéficie du principe d’inopposabilité des exceptions
      • Le billet à ordre est un instrument de paiement et de crédit, en ce sens qu’il doit procurer une certaine sécurité juridique à son porteur
        • On ne saurait, en conséquence, lui opposer que ce qui est apparent sur le titre.
  • Troisième élément de solution:
    • La Cour de cassation reconnaît que la créance incorporée dans un billet à ordre est transmise aux porteurs successifs par l’effet de l’endossement, soit avant l’échéance.
    • La haute juridiction affirme en ce sens que :
      • « les obligations du maître de l’ouvrage à l’égard du sous-traitant exerçant l’action directe sont limitées à ce qu’il doit encore à l’entrepreneur principal à la date de réception de la copie de la mise en demeure (prévue par L. 31 déc. 1975, art. 12), que la cour d’appel n’a pas recherché à quelle date la banque, par l’endossement lui ayant transmis tous les droits résultant du billet à ordre, était devenue propriétaire de la créance de l’entrepreneur principal sur le maître de l’ouvrage »

Le paiement de la lettre de change

I) L’obligation de présentation au paiement

  • Principe: l’article L. 511-26 al. 1er du Code de commerce prévoit que le porteur d’une lettre de change a l’obligation de la présenter au paiement, soit à l’échéance, soit, au plus tard dans les deux jours ouvrables qui suivent.
  • Exceptions :
    • Dans l’hypothèse où un protêt faute d’acceptation a été dressé, le porteur est dispensé de présenter la traite au paiement ( L. 511-39, al. 4 C. com).
    • En cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du tiré – accepteur ou non – le porteur est là aussi dispensé de satisfaire à l’obligation de présentation au paiement ( L. 511-39, al. 6 C. com).

II) Les conséquences du défaut de présentation au paiement

Si le porteur ne satisfait pas à son obligation de présentation au paiement, il est considéré comme négligent.

Deux sanctions pèsent alors sur lui :

  • Il est déchu de certains de ses recours cambiaires
  • Il est susceptible d’engager sa responsabilité civile si sa négligence a causé un préjudice à un ou plusieurs signataires de la traite

III) Le défaut de paiement de la lettre de change

A) Le protêt faute de paiement

Définition

Le protêt se définit comme la constatation, par un officier ministériel (un huissier de justice), à la demande du porteur d’une lettre de change du défaut de paiement du tiré.

L’obligation de faire dresser protêt

Aux termes de l’article L. 511-39 du Code de commerce, lorsque le tiré refuse de payer la traite le porteur a l’obligation de faire dresser protêt faute de paiement.

À défaut, le porteur est déchu de certains de ses recours cambiaires

Formalisme du protêt

La validité du protêt est subordonnée au respect d’un certain nombre d’exigences formelles.

  • Personnes habilitées à dresser protêt ( L. 511-52 C. com)
    • Un huissier de justice
    • Un notaire
  • Mentions obligatoires
    • l’article L. 511-53 du Code de commerce dispose que l’acte de protêt contient
    • la transcription littérale de la lettre de change, de l’acceptation, des endossements et des recommandations qui y sont indiquées
    • la sommation de payer le montant de la lettre de change.
    • Il énonce
      • la présence ou l’absence de celui qui doit payer
      • les motifs du refus de payer
      • l’impuissance ou le refus de signer
  • Lieu d’établissement du protêt
    • Conformément à l’article L. 511-52 du Code de commerce le protêt doit être dressé
      • Soit au domicile de celui sur qui la lettre de change était payable, ou à son dernier domicile connu ;
      • Soit au domicile des personnes indiquées par la lettre de change pour la payer au besoin ;
      • Soit au domicile du tiers qui a accepté par intervention.
      • En cas de fausse indication de domicile, le protêt est précédé d’un acte de perquisition.
  • Publicité du protêt
    • Une copie de protêt est remise au tiré
    • Une copie est adressée au greffe du Tribunal de commerce
      • Cette formalité doit être accomplie dans la quinzaine de l’acte

Les exceptions à l’obligation de faire dresser protêt

Le porteur de la traite est dispensé de faire dresser protêt dans plusieurs hypothèses, tantôt d’origine légale, tantôt d’origine conventionnelle :

  • Dispenses légales:
    • Si force majeure empêche pendant plus de trente jours à compter de l’échéance de faire dresser protêt ( L. 511-50, al. 4 C. com).
    • Redressement ou liquidation judiciaire du tiré ( L. 511-39, al. 6 C. com).
    • Redressement ou liquidation judiciaire du tireur d’une lettre de change non-acceptable ( L. 511-39, al. 6 C. com).
    • Lorsqu’un protêt faute d’acceptation a déjà été dressé ( L. 511-39, al. 6 C. com).
  • Dispense conventionnelle
    • Le porteur est dispensé de faire dresser protêt s’il est stipulé sur la traite une clause
      • « Sans frais »
      • de « retour sans frais »
      • « sans protêt »
    • Elle doit figurer sur la traite, à défaut de quoi elle est dépourvue de valeur cambiaire
    • Lorsqu’elle est apposée par un endosseur, elle produira ses effets qu’à l’égard de celui-ci
    • Cette clause ne dispense pas le porteur de présenter la traite à l’échéance

B) Les recours en cas de défaut de paiement

L’étude des recours dont jouit le porteur de la traite en cas de défaut de paiement commande de s’intéresser successivement à trois points :

  • l’ouverture des recours
  • l’exercice des recours
  • la déchéance des recours
  1. L’ouverture des recours

L’article L. 511-38 du Code de commerce prévoit que le porteur de la lettre de change peut exercer ses recours contre le tireur, les endosseurs et les autres obligés dans deux cas :

  • Principe: à l’échéance
  • Exception: avant l’échéance

a) Recours à l’échéance

Le porteur n’est fondé à exercer ses recours contre des personnes autres que le tiré que si, à l’échéance, après avoir été vainement présentée à ce dernier dans le délai légal (au plus tard les deux jours ouvrables qui suivent l’échéance), la lettre de change n’a pas été réglée.

Sont sans effet sur l’ouverture du recours :

  • la cause du non-paiement susceptible d’être opposée au porteur par le tiré
  • le paiement partiel de la traite
    • L’article L. 511-27, al. 1er du Code de commerce prévoit néanmoins que le porteur ne peut refuser un paiement partiel car, en l’acceptant, il libère, dans cette mesure, les garants de la lettre.
    • En contrepartie, il dispose d’un recours pour le surplus.
    • Si le porteur refuse le paiement partiel, il sera déchu de ses recours contre les garants à concurrence de la somme refusée

b) Recours avant l’échéance

==> Principe

L’article L. 511-38 du Code de commerce énumère trois cas au titre desquels le porteur peut exercer son recours avant l’échéance :

  • Le refus total ou partiel d’acceptation ( L. 511-38 C. com)
    • Le refus total ou partiel d’acceptation est assimilé au non-paiement
    • Il en va de même de l’acceptation conditionnelle
    • L’obligation est faite au porteur de faire dresser protêt faute d’acceptation, sauf clause sans frais
    • Le recours ouvert en cas de refus ou total d’acceptation demeure facultatif
      • L’article L. 511-28, al. 1er du Code de commerce prévoit en ce sens que « le porteur d’une lettre de change ne peut être contraint d’en recevoir le paiement avant l’échéance»
  • Le redressement ou la liquidation judiciaire du tiré
    • Peu importe que le tiré soit accepteur ou non
    • Inutilité de faire dresser protêt ( L. 511-39 C. com)
  • Le redressement ou la liquidation judiciaire du tireur d’une lettre de change non acceptable
    • La production du jugement déclaratif est suffisante pour déclencher les recours ( L. 511-39, al. 6 C. com).

L’idée sous-jacente est que, dans l’hypothèse où l’un de ces trois cas est caractérisé, il est très peu probable que le tiré règle la traite à l’échéance.

Aussi, afin de limiter le préjudice susceptible d’être occasionné au porteur, il est nécessaire de lui permetttre de ne pas attendre l’échéance pour exercer ses recours et actionner en paiement les autres signataires de l’effet.

==> Atténuation du principe : l’octroi de délais de grâce

L’article L. 511-38 du Code de commerce offre la possibilité aux signataires de la lettre de change actionnés en garantie avant l’échéance d’obtenir du Président du Tribunal de commerce des délais de grâce.

Cette disposition prévoit en ce sens que :

« les garants contre lesquels un recours est exercé dans les cas prévus par le b et le c du I peuvent, dans les trois jours de l’exercice de ce recours adresser au président du tribunal de commerce de leur domicile une requête pour solliciter des délais. Si la demande est reconnue fondée, l’ordonnance fixe l’époque à laquelle les garants sont tenus de payer les effets de commerce dont il s’agit, sans que les délais ainsi octroyés puissent dépasser la date fixée pour l’échéance. L’ordonnance n’est susceptible ni d’opposition ni d’appel. »

Il s’agit là, de toute évidence, d’une dérogation au principe posé à l’article L. 511-81, al. 2 du Code de commerce qui, de façon générale, prive les signataires de la lettre de change du bénéfice de délais de grâce.

2. L’exercice des recours

En cas de non-paiement de la traite par le tiré, des recours sont ouverts à deux catégories de personnes :

  • Le porteur, qui dispose d’une action en garantie contre les autres signataires de la lettre de change
  • Le garant qui a été actionné en paiement qui dispose d’une action récursoire contre les signataires tenus envers lui

a) L’action en garantie

  • Titularité de l’action
    • Le dernier porteur
    • Le porteur légitime de la traite
    • Un porteur diligent, soit non déchu de ses recours cambiaires
  • Bien-fondé de l’action
    • Le défaut de paiement ou d’acceptation de la lettre de change
  • Le montant de l’action
    • L’article L. 511-45 du Code de commerce prévoit que le porteur peut réclamer au garant contre qui il exerce son recours :
      • le montant de la lettre de change non acceptée ou non payée
      • les intérêts conventionnels s’il en a été stipulé
      • les intérêts légaux à partir de l’échéance
      • les frais du protêt, des avis et tous autres frais
  • L’ordre des recours
    • L’article L. 511-44 du Code de commerce prévoit que « tous ceux qui ont tiré, endossé ou avalisé une lettre de change sont tenus solidairement envers le porteur»
    • Cette solidarité est totale
    • Il en résulte qu’il n’existe aucun ordre en vertu duquel le porteur doit exercer ses recours. Sa liberté est totale
    • Il pourra ainsi actionner en paiement dans l’ordre de son choix :
      • Le tireur
      • Un endosseur pris individuellement
      • Les endosseurs pris collectivement
      • L’avaliseur
  • Prescription de l’action
    • Trois ans à compter de l’échéance pour les actions contre le tiré-accepteur
    • Un an à compter de la date d’établissement du protêt ou de l’échéance si la traite n’est pas protestable pour les actions contre les endosseurs et le tireur
    • L’action dirigée contre l’avaliseur se prescrit dans le même délai que celui dont dispose le signataire qu’il garantit pour agir
  • Les destinataires de l’action
  • Action contre le tiré
    • Le tiré accepteur
      • Le porteur peut actionner le tiré-accepteur sur deux fondements :
      • L’action cambiaire née de la lettre de change
        • Le défaut de constitution de la provision par le tireur est inopposable
        • Inopposabilité au porteur des exceptions sauf mauvaise foi du porteur
        • En cas de négligence du porteur, il conserve, malgré tout, son recours cambiaire contre le tiré-accepteur, celui-ci étant le débiteur principal de la traite
      • L’action extra-cambiaire née de la provision
        • Présomption d’existence de la provision
        • Le porteur bénéfice des sûretés et autres accessoires dont est assortie la provision
    • Tiré non-accepteur
      • Le porteur ne dispose que de l’action née de la provision contre le tiré non-accepteur
      • Pour que cette action puisse être exercée, la provision doit exister
      • La charge de la preuve repose sur le porteur
      • Tant que la traite n’a pas été acceptée ou que l’échéance n’est pas intervenue, le porteur ne jouit que d’un droit de créance éventuel sur la provision
        • Le tireur peut librement disposer de la provision jusqu’à l’échéance
        • Avant la survenance de l’échéance, le paiement du tiré entre les mains du tireur est libératoire
      • Surtout, le tiré peut opposer au porteur toutes les exceptions issues de son rapport personnel avec le tireur
  • Action contre le tireur
    • L’action contre le tireur est expressément prévue aux articles L. 511-38 et 511-44 du Code de commerce
    • Inopposabilité au porteur des exceptions tirées des rapports personnels du tireur avec le tiré ou l’endosseur
    • En cas de négligence du porteur, celui-ci conserve son recours cambiaire contre le tireur dans l’hypothèse où il n’aurait pas fourni provision au tiré
  • Action contre les endosseurs
    • Le porteur est libre d’exercer ses recours contre n’importe quel endosseur de la lettre de change, peu importe qu’il s’agisse ou non du cédant.
    • La fourniture de la provision par le tireur au tiré est indifférente
    • Limite: ne sont pas obligés envers le porteur, les endosseurs qui bénéficient d’une clause de non-endossement
  • Action contre l’avaliste
    • Conformément à l’article L. 511-44 du Code de commerce le porteur de la lettre de change dispose d’une action contre l’avaliste qui, selon l’article L. 511-21, al. 7, « est tenu de la même manière que celui dont il s’est porté garant »
    • En cas de négligence du porteur, il conserve malgré tout son recours cambiaire contre :
      • l’avaliste du tiré-accepteur
      • l’avaliste du tireur qui n’a pas fourni provision

b) Les actions récursoires

  • Bien-fondé de l’action
    • Le signataire de la lettre de change actionnée en paiement devient, après avoir satisfait à son obligation de garantie, subrogé dans les droits du porteur
    • Il devient alors titulaire de tous les droits attachés à la qualité de porteur légitime de l’effet
    • Ces recours ne peuvent, néanmoins, être dirigés que contre les signataires antérieurs de la traite
  • L’ordre des recours
    • Comme le dernier porteur, le garant qui a été actionné en paiement peut exercer son action récursoire contre n’importe lequel des signataires antérieurs de la traite
    • Il pourra ainsi diriger ses recours dans l’ordre de son choix
  • Le montant de l’action
    • Aux termes de l’article L. 511-46 du Code de commerce celui qui a payé la lettre de change est fondé à réclamer :
      • la somme intégrale qu’il a payée ;
      • les intérêts de cette somme au taux légal à partir du jour où elle a été déboursée
      • les frais qu’il a faits.
  • Prescription de l’action
    • Six mois à compter
      • soit du jour où il a remboursé en cas de recours amiable
      • soit du jour où il a été actionné en paiement en cas de recours judiciaire
  • Titularité de l’action
    • Le Tiré
      • Le tiré qui a reçu provision
        • Le tiré qui a payé la lettre de change pour laquelle il a reçu provision est dépourvu de tout recours contre le tireur et tous les autres signataires de la traite.
        • En payant, il a éteint l’obligation née du rapport fondamental, lequel rapport fondamental a donné naissance à la lettre de change et à sa transmission.
      • Le tiré qui n’a pas reçu provision
        • Le tiré qui n’a pas reçu provision jouit d’un recours contre le tireur
        • Si le tiré accepté la traite, il dispose malgré tout d’un recours car il est toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leur rapport personnel
      • Le tiré complaisant
        • Si le tiré a consenti son acceptation par complaisance, il ne peut se voir opposer celle-ci par le tireur.
        • Permettre le contraire reviendrait à admettre que le tireur puisse s’enrichir sans cause
      • Recours contre les garants du tireur
        • Dans l’hypothèse où le tiré jouit d’un recours contre le tireur, il dispose par là même d’un recours contre tous ceux qui se sont engagés à garantir le tireur, soit, notamment, contre l’avaliste, lequel s’est engagé dans les mêmes termes que ce dernier
    • Le tireur
      • Le tireur a fourni provision au tiré
        • L’action cambiaire
          • Si le tiré a accepté la traite, le tireur peut agir
            • sur le fondement de l’action cambiaire contre
              • Le tiré
              • L’avaliste
            • Sur le fondement de l’action extra-cambiaire contre le tiré
          • Si le tiré n’a pas accepté la traite, le tireur ne peut agir contre lui que sur le fondement de l’action née de la provision
      • Le tireur n’a pas fourni provision au tiré
        • Le tireur qui n’a pas fourni provision n’a de recours contre personne, car le tiré est fondé à lui opposer cette exception laquelle est issue de leur rapport personnel
        • En définitive, le tireur qui n’a pas fourni provision n’a fait que régler une créance dont il était le débiteur principal
    • Les endosseurs
      • Principe
        • L’endosseur qui a été actionné en paiement par le porteur est immédiatement subrogé dans les droits de dudit porteur
        • Il bénéficie alors d’un recours subrogatoire
          • sur le fondement de l’action cambiaire contre
            • les signataires antérieurs de la traite
          • sur le fondement de l’action née de la provision
            • contre le tiré accepteur ou non
      • Exception
        • Dans l’hypothèse où le porteur était frappé d’une cause de déchéance l’endosseur est sans recours contre les signataires de la traite
        • Exception à l’exception:
          • L’endosseur conserve un recours contre le tireur qui n’a pas fourni provision
    • L’avaliste
      • Les recours de droit commun
        • L’action personnelle
          • Il s’agit d’une action en remboursement extra-cambiaire fondée sur les rapports personnels de l’avaliste avec le débiteur
          • L’article 2305 du Code civil prévoit en ce sens que « la caution qui a payé a son recours contre le débiteur principal»
            • L’avaliste sera remboursé de la somme déboursée dans l’intégralité, intérêts et frais compris
            • Son action ne peut être exercée qu’à titre chirographaire ; il ne dispose d’aucun privilège
        • L’action subrogatoire
          • Bien que contestée dans son principe par certains auteurs, cette action est fondée sur l’article 2306 du Code civil qui permet à la caution qui a payé la dette d’être subrogée « à tous les droits qu’avait le créancier contre le débiteur».
          • La Cour de cassation a eu l’occasion d’ademettre l’application du recours subrogatoire de l’article 2306 au profit de l’avaliste (V. en ce sens com., 26 mai 1961 : RTD com. 1961, p. 892, obs. J. Becque et H. Cabrillac)
          • Ainsi, le donneur d’aval a-t-il la possibilité d’être subrogé dans les droits du porteur qu’il a désintéressé.
          • Il en résulte plusieurs conséquences :
            • L’avaliste bénéficie des mêmes sûretés et accessoires qui profitaient au porteur de l’effet
            • L’avaliste ne peut exercer son recours qu’à concurrence des sommes effectivement payées au porteur
            • L’avaliste est subrogé dans la créance cambiaire dont était titulaire le porteur de la traite contre l’avalisé
              • Il devient bénéficiaireà ce titre
                • des mêmes garanties
                • des mêmes recours
              • L’avaliste est subrogé dans l’action extra-cambiaire de provision contre le tiré
              • Cependant, comme il y a subrogation, l’avaliste peut se heurter aux mêmes exceptions qui pouvaient être opposées à l’ancien créancier
        • Les recours cambiaires de l’article L. 511-21 al. 9 du Code de commerce
          • L’article L. 511-21, al. 9 du Code de commerce prévoit que « quand il paie la lettre de change, le donneur d’aval acquiert les droits résultant de la lettre de change contre le garanti et contre ceux qui sont tenus envers ce dernier en vertu de la lettre de change»
          • Autrement dit, lorsque le donneur d’aval a payé le porteur, cette disposition lui octroie deux sortes de recours :
            • Un recours contre le débiteur garanti
            • Un recours contre les débiteurs cambiaires du débiteur garanti
          • Ainsi, dans l’hypothèse où le débiteur garanti est un endosseur, le donneur d’aval disposera d’un recours :
            • contre les endosseurs antérieurs
            • contre le tireur
            • contre le tiré-accepteur

C) La déchéance des recours

L’article L. 511-49 du Code de commerce énumère trois causes de déchéance dont est susceptible d’être frappée le porteur de la traite.

Ainsi, ce dernier est-il déchu de ses droits contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés à l’exception de l’accepteur :

  • à défaut de présentation, dans les délais fixés, d’une lettre de change à vue ou à un certain délai de vue
  • à défaut de protêt faute d’acceptation ou faute de paiement dans les délais conventionnels ou légaux
  • à défaut de présentation au paiement en cas de clause sans frais

La Cour de cassation a été amenée à juger dans un arrêt du 17 octobre 1995 que la liste édictée à l’article L. 511-49 du Code de commerce revêtait un caractère limitatif (Cass. com., 17 oct. 1995 :  JCP E 1995, pan. 1333 ; JCP G 1995, IV, 2568 ; Bull. civ. IV, n° 237)

L’inopposabilité des exceptions

I) Définition:

L’inopposabilité des exceptions peut se définir comme l’impossibilité pour le signataire d’une lettre de change d’opposer au porteur les exceptions dont il pouvait se prévaloir contre un autre signataire afin de faire échec à son action en paiement.

Le principe d’inopposabilité est exprimé à l’article L. 511-12 du Code de commerce les « personnes actionnées en vertu de la lettre de change ne peuvent pas opposer au porteur les exceptions fondées sur leurs rapports personnels avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs, à moins que le porteur en acquérant la lettre n’ait agi sciemment au détriment du débiteur ».

Un principe dérogatoire au droit commun

Le droit commun de la cession de créance est régi par la règle nemo plus juris ad alium transfere potest quam ipse habet.

Autrement dit, selon cette règle, on ne peut transférer à autrui plus de droit que l’on en possède soi-même.

Appliquée à la cession de créance, cela signifie que lorsqu’une créance est cédée, elle est transférée au cessionnaire, tant avec ses sûretés et accessoires, qu’avec ses limites et ses faiblesses.

Le débiteur cédé est alors fondé à opposer au cessionnaire les moyens de défense dont il pouvait se prévaloir à l’encontre du cédant (causes de nullité et d’extinction de la créance, défaut de livraison, vices cachés, etc.)

Le principe d’inopposabilité des exceptions est en cela dérogatoire au droit commun, dans la mesure où le signataire actionné en paiement est totalement privé de cette faculté.

Aussi constitue-t-il l’un des principes cardinaux du droit cambiaire. Plus encore, il en est la marque.

Un principe cardinal du droit cambiaire

Ce qui, fondamentalement, distingue le droit cambiaire du droit commun de la cession de créance, c’est le principe d’inopposabilité des exceptions.

Au fond, tandis que les règles relatives à la cession de créance sont tournées vers le transfert de la titularité d’une créance, les règles régissant l’émission des effets de commerce ont, quant à elles, vocation à assurer, non pas le transfert de droits personnels, mais la circulation d’un titre.

Or pour que cette dernière fonction soit remplie, le porteur qui rentre en possession de l’effet doit être assuré de la validité de l’opération en considération de la seule apparence du titre.

Cela suppose donc que les signataires de l’effet ne puissent pas lui opposer lors de sa présentation au paiement des exceptions issues d’un précédent rapport.

Dans le cas contraire, cela affaiblirait considérablement le titre et dissuaderait les agents, par voie de conséquence, d’en faire l’acquisition. D’où le principe d’inopposabilité des exceptions.

Aussi, ce principe cardinal du droit cambiaire a-t-il pour fonction d’assurer la circulation des effets de commerce.

Son application n’est toutefois pas absolue. Elle est subordonnée à la satisfaction de certaines conditions.

II) Les conditions d’application du principe d’inopposabilité des exceptions

Les conditions d’application du principe d’inopposabilité des exceptions tiennent :

  • Au débiteur actionné en paiement
  • À la teneur des exceptions inopposables
  • Au porteur à qui les exceptions sont opposables

A) Le débiteur actionné en paiement

L’article L. 511-12 du Code de commerce prévoit que seules « les personnes actionnées en vertu de la lettre de change » sont susceptibles de se heurter au principe d’inopposabilité des exceptions.

On peut en déduire que le porteur qui actionnerait un débiteur sur le fondement d’un rapport extra-cambiaire ne pourra pas se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions.

Ainsi, le tiré non-accepteur sera fondé à opposer au porteur les exceptions tirées de son rapport personnel avec le tireur.

De la même manière, le tireur, l’endosseur ou l’avaliste pourront toujours opposer au bénéficiaire de la traite déchu de ses recours cambiaires, les exceptions dont ils pouvaient se prévaloir à l’encontre d’autres signataires.

B) Les exceptions inopposables

Afin d’identifier les exceptions inopposables au porteur, le plus simple est de déterminer les exceptions qui lui sont toujours opposables.

On en dénombre quatre catégories :

  1. Les exceptions tirées d’un vice apparent du titre
    • L’omission d’une des mentions obligatoires prévues à l’article L. 511-1 du Code du commerce qui sont :
      • La dénomination « lettre de change »
        • Admission par certains juges du fond de la formule « traite» (CA Montpellier, 24 nov. 1953 : Banque 1956, p. 520, obs. X. Marin)
      • Le mandat pur et simple de payer une somme déterminée
        • Possibilité de subordonner le paiement de la traite à la remise de certains documents au tiré
      • Le nom du tiré
        • L’article L. 511-1, al. 2 permet au tireur de tirer la lettre de change sur lui-même, de sorte qu’il se confondra avec le tiré
      • L’indication de l’échéance
        • La lettre de change peut être tirée
          • à vue
          • à jour fixe
          • à un certain délai de date
          • à un certain délai de vue
        • Le lieu du paiement
          • À défaut d’indication du lieu du paiement, il est réputé être effectué au lieu désigné à côté du nom du tiré
        • Le nom du bénéficiaire
          • Le tireur peut se désigner comme bénéficiaire de la traite
          • En cas d’omission de cette mention la jurisprudence admet de retenir le nom du premier endosseur comme bénéficiaire de la traite ( com., 9 mars 1976 : Bull. civ. 1976, IV, n° 85)
        • L’indication de la date et du lieu de création de l’effet
          • En cas de défaut d’indication du lieu de création de la traite, elle est réputée avoir été créée au lieu désigné à côté du nom du tireur
        • La signature du tireur
          • La signature peut ne pas être manuscrite

2. L’incapacité du signataire actionné en paiement

  • Seules les personnes pourvues de la capacité commerciales ont la capacité juridique de s’engager cambiairement.
  • Aussi, cela exclut-il :
    • Les mineurs
    • Les majeurs sous tutelle et sous curatelle
    • Les consommateurs (Article L. 313-13 du Code de la consommation)

3. L’absence de consentement du signataire actionné en paiement

  • L’absence de consentement recoupe principalement deux hypothèses :
    • La fausse signature
    • L’altération du titre, telle que la modification du montant de l’effet
  • Le vice du consentement ne constitue pas une exception opposable au porteur de la traite ( Com., 2 juill. 1969: JCP 1970, II, 16427, note Langlois)

4. Les exceptions tirées du rapport personnel entre le porteur et le signataire actionné en paiement

  • Il s’agit des exceptions qui trouvent leur source dans le rapport fondamental qui s’est noué entre eux, soit la relation entre le tireur et le tiré ou encore entre l’endosseur et l’endossataire)
  • Il peut s’agir :
    • d’une cause de nullité ou d’extinction du rapport fondamental
    • du défaut de provision
    • du défaut de valeur fournie

C) Le porteur à qui les exceptions sont inopposables

Afin que le porteur puisse se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions il doit être légitime et de bonne foi.

  1. Le porteur légitime

Seul le porteur légitime est fondé à se prévaloir du principe de l’inopposabilité des exceptions.

Conformément à l’article L. 511-11 du Code de commerce, cela justifie qu’il doit être en mesure de justifier l’existence d’une suite ininterrompue d’endossements translatifs réguliers.

Il peut donc s’agir :

  • soit de l’endossataire
  • soit d’un endosseur
  • soit du tireur
  • soit du tiré-accepteur
  • soit de l’avaliseur

Le porteur qui donc aurait acquis la traite par un procédé autre qu’un endossement, notamment par une cession de créance de droit commun, pourrait se voir opposer les mêmes exceptions que celles opposables au cédant.

2. Le porteur de bonne foi

Le porteur de bonne foi n’est jamais fondé à se prévaloir du principe d’inopposabilité des exceptions.

L’idée générale qui se dégage est que seul le porteur qui a légitimement pu se fier à l’apparence du titre doit bénéficier de l’application du principe d’inopposabilité des exceptions.

La question qui immédiatement se pose est alors se savoir ce que l’on doit entendre par bonne foi.

Sur cette question, deux conceptions s’opposent :

  • Pour les uns la mauvaise foi s’apparente à la connaissance de l’exception
  • Pour les autres, la connaissance de l’exception ne suffit pas, il faut encore que soit établie l’intention frauduleuse, la volonté de nuire

La Convention de Genève a entendu faire œuvre de compromis en posant que le porteur est de mauvaise foi si, « en acquérant la lettre, il a agi sciemment au détriment du débiteur ».

Cette définition de la mauvaise fois a été reprise à l’article L. 511-12 du Code de commerce in fine.

Elle a par la suite été affinée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt Worms du 26 juin 1956 (Cass. com., 26 juin 1956 : JCP G 1956, II, 9600, note R. Roblot ; RTD com. 1957, 147, obs. E. Becqué et H. Cabrillac)

FICHE D’ARRÊT

Com. 26 juin 1956, Worms

Faits :

  • Depuis 1950, la société Salmons connaît une situation financière difficile
  • Aussi, s’adresse-t-elle à son banquier, la banque Worms, qui n’avait pas voulu lui consentir des découverts, mais lui avait offert d’escompter les traites, acceptées par ses correspondants garagistes, qu’elle lui remettrait
  • La société Salmons a ainsi pu tirer des lettres de change sur ses garagistes en leur promettant que s’ils acceptaient ces traites représentant le prix des voitures commandées, ils ne subiraient aucune augmentation de prix.
  • Il était convenu entre les parties que si les voitures n’étaient pas livrées à l’échéance, la traite ne serait pas payée.
  • Grâce à ce montage financier, la société Salmons put fabriquer quelques voitures, mais très rapidement, la situation se dégrada au point que la société fut mise, en novembre 1957, en liquidation judiciaire.
  • À ce moment, les tirés avaient refusé de payer les effets escomptés par la banque en affirmant que celle-ci était de mauvaise foi, de sorte qu’elle pouvait se voir opposer l’exception tirée de la non-livraison de véhicules, d’autant qu’elle connaissait la convention particulière liant les parties.

Schéma 1

Demande :

Action en paiement de la banque contre les garagistes

Procédure :

  • Par un arrêt du 23 décembre 1952, la Cour d’appel de Dijon désigne un expert dont la mission est d’établir si la banque avait, en acquérant les traites litigieuses, sciemment agi au détriment du débiteur.

Moyens des parties :

  • La banque soutient qu’elle n’a pas agi sciemment au détriment des garagistes
  • Certes, elle savait que les garagistes avaient accepté les traites et qu’ils avaient conclu une convention précisant que le paiement des voitures était subordonné à la livraison
  • Toutefois, sa mauvaise foi ne pouvait être, selon elle, pour autant retenue puisqu’elle a agi non pas au détriment des garagistes, mais, au contraire, à leur avantage, puisque ce qui avait été fourni, ne l’avait été que grâce au crédit d’escompte.

Problème de droit :

Le porteur d’une lettre de change acceptée peut-il n obtenir le paiement lorsque l’obligation fondamentale n’a pas été exécutée par le tireur ?

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt:

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le porteur de la traite litigieuse

  • Solution

La Cour de cassation estime que, par l’expression de l’article 121 posant le principe d’inopposabilité des exceptions sauf mauvaise foi du porteur, « le législateur a réservé le cas où ledit porteur a eu conscience, en consentant à l’endossement du titre à son profit, de causer un dommage au débiteur cambiaire par l’impossibilité où il le mettait de se prévaloir, vis-à-vis du tireur ou d’un précédent endosseur, d’un moyen de défense issu de ses relations avec ces derniers»

Ainsi, pour la Cour de cassation le porteur de mauvaise foi s’apparente, concrètement à celui:

  • qui connaît l’exception
  • qui sait qu’elle subsistera à l’échéance

Or en l’espèce, le porteur de la traite connaissait la situation du tireur.

En effet, la banque savait pertinemment que son client, la société Salmons, rencontrait de graves difficultés financières, de sorte qu’il lui serait difficile de satisfaire à ses engagements envers le tiré.

Ainsi, connaissait-elle le préjudicie qu’elle allait causer au tiré en acquérant la traite, lequel en l’acceptant serait tenu cambiairement et donc soumis au principe d’inopposabilité des exceptions.

En résume, la mauvaise foi du porteur suppose la réunion de deux éléments distincts :

  • D’une part, la connaissance précise de l’exception (le défaut de livraison, la non-conformité de la marchandise…)
  • D’autre part, la conscience du préjudice causé au débiteur en lui faisant perdre le bénéfice d’une exception précise qu’il aurait pu opposer au tireur.

Au total, il apparaît que la mauvaise foi du porteur ne peut être établie qu’en présence de circonstances particulières.

En témoigne l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 8 janvier 1991.

FICHE D’ARRÊT

Com. 8 janv. 1991, Bull. civ. IV, no 11

Faits :

  • Contrat conclu entre une société et un particulier en vue de la construction d’une véranda
  • Afin d’être réglé des travaux, l’entrepreneur tire une lettre de change sur son client et la lui fait accepter
  • Escompte de la lettre de change auprès d’une banque (Société Marseillaise de crédit)
  • Les travaux n’ont pas été réalisés par l’artisan
  • Le client de l’artisan refuse alors de payer la traite à la banque

Schéma 2Demande :

Action en paiement de la banque contre le tiré, Monsieur Larue.

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Obtention par la banque d’une ordonnance d’injonction de payer contre le tiré
  • Le tiré forme alors opposition
  • La Cour d’appel de Grenoble déboute finalement la banque de son action en paiement par un arrêt du 22 mai 1989

Motivation des juges du fond:

  • Obligation pour la banque de vérifier la solvabilité de ses clients lorsqu’elle contracte une convention d’escompte
  • Ainsi, pour les juges du fond, la banque avait conscience du danger qu’elle faisait courir au débiteur en escomptant la traite litigieuse

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • Par cet arrêt, la Cour de cassation censure la décision d’appel au visa de l’article 121 du Code de commerce devenu l’article L. 511-12.

Solution:

En l’espèce, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir vérifié les éléments constitutifs de la mauvaise foi :

  • « sans faire apparaître qu’en prenant la lettre de change à l’escompte, elle avait agi sciemment au détriment du débiteur cambiaire»

Or quels sont ces éléments constitutifs ?

Pour le savoir il convient de se tourner vers l’arrêt Worms du 26 juin 1956

Aussi, la mauvaise foi du porteur suppose la réunion de deux éléments distincts, soit :

  • d’une part, la connaissance précise de l’exception (le défaut de livraison, la non-conformité de la marchandise…)
  • d’autre part, la conscience du préjudice causé au débiteur en lui faisant perdre le bénéfice d’une exception précise qu’il aurait pu opposer au tireur.

En l’espèce la Cour d’appel s’est bornée, comme le relève la Cour de cassation à « retenir à l’encontre de la banque le seul grief de s’être comportée avec légèreté »

On peut en déduire que la simple négligence ou même l’imprudence du porteur n’est pas assimilable à la mauvaise foi

Reste que cette négligence peut être retenue en tant que faute propre à engager la responsabilité du porteur et spécialement du banquier escompteur.

Celui-ci, même si sa bonne foi est établie, peut être assigné en responsabilité comme escompteur imprudent pour le dommage qu’il a causé au tiré ( com., 27 mai 1974 : Bull. civ. IV, n° 167.).

L’aval

I) Qu’est-ce que l’aval ?

Aux termes de l’article L. 511-21, al. 1erdu Code de commerce « le paiement d’une lettre de change peut être garanti pour tout ou partie de son montant par un aval. »

Ainsi, l’aval se définit-il comme l’engagement pris par une personne de régler tout ou partie d’une lettre de change, à l’échéance, en cas de défaut de paiement du débiteur garanti.

Plus concrètement, l’aval s’apparente à une sorte de cautionnement cambiaire. Il s’agit d’une sûreté conventionnelle et personnelle.

Le plus souvent, c’est le banquier escompteur qui exigera de l’associé ou du dirigeant qu’il donne son aval afin de garantir la société signataire de la traite.

La personne dont l’aval émane est appelée « donneur d’aval », « avaliseur » ou encore « avaliste ».

Quant au débiteur garanti, il est qualifié d’« avalisé »

Schéma 1

II) Qui peut donner l’aval ?

==> Principe : n’importe qui

  • L’article L. 511-21, alinéa 2edu Code de commerce dispose que l’aval peut être fourni « par un tiers ou même par un signataire de la lettre ».
  • En toute logique, l’aval ne devrait être donné que par une personne non obligée cambiairement à l’égard du porteur. Dans le cas contraire, cela n’aurait pas grand sens, dans la mesure où le porteur n’en retirerait aucun avantage.
  • On peut toutefois parfaitement concevoir que l’aval soit donné par une partie à l’opération de change au profit d’un signataire de la traite dont l’engagement cambiaire serait plus rigoureux.
    • Cette hypothèse se rencontrera lorsqu’un endosseur donnera son aval au bénéfice du tireur ou d’un endosseur antérieur.

==> Exception : le tiré-accepteur

  • Selon la doctrine, le tiré-accepteur ne saurait donner son aval au profit d’un autre signataire de la lettre de change
  • Cette impossibilité pour le tiré-accepteur à donner son aval se justifie par sa qualité de débiteur principal de l’effet
  • En tant que principal obligé, le tiré-accepteur ne dispose, en effet, d’aucun recours cambiaire contre les autres signataires.
  • Si, le tiré-accepteur jouissait de la faculté de donner son aval cela reviendrait à admettre qu’il se « garantisse lui-même», de sorte qu’il jouerait tout à la fois le rôle de garant et de débiteur-garanti

III) Au bénéfice de qui peut être donné l’aval ?

L’article L. 511-21, al. 6edu Code de commerce prévoit que « l’aval doit indiquer pour le compte de qui il est donné. A défaut de cette indication, il est réputé donné pour le tireur. »

Ainsi convient-il de distinguer l’hypothèse où l’avalisé est désigné dans le titre et celle où il ne l’est pas.

==> L’avalisé est désigné dans le titre

  • Limitation aux débiteurs cambiaires
    • L’article L. 511-21, al. 6e du Code de commerce ne pose aucune restriction quant aux personnes susceptibles d’être garanties par l’avaliste.
    • Toutefois, en réalité, l’aval ne pourra être donné que pour les seuls débiteurs obligés cambiairement à l’effet
    • Cela s’explique par le fait que l’aval consiste en un engagement accessoire.
    • Or, de par son objet, il se rattache nécessairement à un engagement principal qui n’est autre que l’obligation cambiaire
  • Exclusion du tiré non-accepteur
    • Pour être valide, l’aval ne peut donc être donné que pour une personne engagée cambiairement à l’effet
    • L’avaliste ne pourra, en conséquence,jamais donner son aval pour le tiré non-accepteur
  • Exception:
    • Rien ne s’oppose à ce que l’avaliste s’engage pour une personne non encore obligée cambiairement à la traite, tel que le tiré non-accepteur
    • L’engagement de l’avaliste ne produira néanmoins ses effets que lorsque l’avalisé sera effectivement engagé, soit lorsque le tiré aura valablement accepté la lettre de change.

==> L’avalisé n’est pas désigné dans le titre

La présomption de l’article L. 511-21, al. 6

Dans l’hypothèse où l’identité de l’avalisé n’est pas précisée par l’avaliste, l’article L. 511-21, al. 6 du Code de commerce prévoit qu’« il est réputé donné pour le tireur ».

De prime abord, cette disposition ne soulève guère de difficulté quant à son interprétation : en l’absence d’indication sur le titre, le tireur est présumé être le débiteur garanti.

Une question s’est néanmoins posée s’agissant de la nature de la présomption ainsi posée.

S’agit-il une présomption simple ou d’une présomption irréfragable ?

Autrement dit, si l’identité de l’avalisé ne figure pas sur le titre, la présomption posée à l’article L. 511-21, al. 6 peut-elle être combattue par la preuve contraire ? L’avaliste ou l’avalisé sont-ils autorisés à prouver que l’aval n’a pas été donné pour le tireur ?

Cette question présente indéniablement un intérêt lorsque le porteur de la lettre de change est aussi le tireur.

Dans cette situation, l’aval ne peut avoir été donné qu’au profit du tiré, celui-ci étant le seul débiteur cambiaire de l’effet.

Si, dès lors, on considère que l’article L. 511-21, al. 6 pose une présomption qui ne supporterait pas la preuve contraire, dans l’hypothèse où le nom du tiré ne figure pas sur l’effet, cela revient à priver le tireur de la garantie que lui a consenti l’avaliste, puisqu’il l’aval serait réputé avoir été donné pour lui-même.

Schéma 2

Une présomption irréfragable

Dans un premier temps, les juges du fond ont estimé que la présomption posée à l’article L. 511-21, al. 6du Code de commerce, était une présomption simple.

Dans un second temps, la Cour de cassation a néanmoins réfuté cette analyse.

Dans un arrêt du 23 janvier 1956, la chambre commerciale a estimé en ce sens que lorsque l’avaliste a omis de mentionner le nom de celui pour qui l’aval est donné, les parties à l’effet ne sont pas fondées à combattre la présomption qui désigne le tireur comme avalisé (Cass. com., 23 janv. 1956 : JCP G 1956, II, 9166, note R. Roblot). Pour la Cour de cassation, la présomption posée à l’article L. L. 511-21, al. 6 du Code de commerce est irréfragable.

La Cour de cassation a réitéré sa solution dans un arrêt du 8 mars 1960 où, dans un attendu de principe remarqué, elle a affirmé que L. 511-21, al. 6du Code de commerce« ne formule pas une règle de preuve, mais oblige à préciser, dans la mention d’aval, le nom du garanti, et supplée à l’absence de cette précision, pour écarter toute incertitude sur la portée des engagements cambiaires ; que sa disposition finale limite en conséquence, à l’égard de tous, celui du donneur d’aval à la garantie du tireur ; qu’il suit de là que le tireur avec lequel le donneur d’aval est convenu de garantir le tiré, sans que l’aval ait précisé le nom du garanti, ne peut exercer l’action cambiaire contre le donneur d’aval en invoquant cette convention ; que celle-ci peut seulement lui conférer, le cas échéant, l’action prévue par les articles 2011 et suivants du Code civil ».

FICHE D’ARRÊT

Cass. com., 26 déc. 1960 : Bull. civ. 1960, III, n° 427

Faits :

  • Émission de deux lettres de change par la Société Migraine sur l’entreprise Deloffre qui les a acceptées ; étant précisé que la Société Migraine est tout à la fois tireur et bénéficiaire de la lettre de change
  • Un tiers souscrit à ces deux lettres de change en tant que donneur d’aval en apposant la mention « bon pour aval » sans préciser l’identité de l’avalisé pour qui il entendait se porter garant
    • Compte tenu de la configuration de l’opération, l’avaliste entendait se porter garant, en l’espèce, non pas pour le tireur, mais pour le tiré
  • À l’échéance, le tiré ne règle pas la traite qui lui est présentée au paiement

Demande :

Action en garantie du tireur-bénéficiaire de la lettre de change contre l’avaliste, censé garantir le tiré en cas de défaut de paiement

Procédure :

  • Dispositif de la décision rendue au fond:

– Par un arrêt du 12 mars 1957, la Cour d’appel de Rouen accueille le recours cambiaire engagé par le tireur-bénéficiaire de la lettre de change contre l’avaliste

  • Motivation des juges du fond:

– Bien qu’en l’absence d’indication du nom de l’avalisé sur le titre, la présomption posée par le Code de commerce désigne le tireur comme avalisé par défaut, les juges du fond admettent que ce dernier rapporte la preuve contraire, à savoir que l’aval avait été contracté en garantie de l’engagement du tiré

– C’est la raison pour laquelle la Cour d’appel fait droit à la demande du tireur-porteur de diriger son recours cambiaire contre l’avaliste.

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était de savoir si, en cas d’absence d’indication de l’identité du bénéficiaire de l’aval sur la traite, le tireur pouvait renverser la présomption désignant le tireur comme avalisé par défaut ?

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt:

La Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel au visa de l’ancien article 130 al. 6 du Code de commerce

  • Solution:

Pour la Cour de cassation, l’article 130 du Code de commerce devenu l’article L. 511-21 al. 6 ne formule pas une règle de preuve, mais oblige à préciser, dans la mention d’aval, le nom du garanti.

Ainsi, pour la Cour de cassation cette règle vient-elle suppléer à l’absence de cette précision, pour écarter toute incertitude sur la portée des engagements cambiaires

Il s’agirait donc pour la Cour de cassation d’une présomption

Il s’ensuit que le donneur d’aval est réputé irréfragablement garantir l’engagement non pas du tiré mais du tireur, lequel est également porteur de l’effet !

Pourtant, dans le schéma envisagé par le tireur au moment de l’émission des deux lettres de change, il avait le dispositif suivant en tête :

Schéma 3

La solution rendue par la Cour de cassation conduit à un dispositif radicalement différent :

 Schéma 4

En l’espèce, la décision rendue par la Cour de cassation revient à considérer que l’avaliste vient garantir l’exécution d’une obligation qui n’existe pas, à savoir celle du tireur envers le porteur de la traite dans la mesure où ils ne forment qu’une seule et même personne

Malgré l’incongruité de cette solution, la Cour de cassation a, depuis lors, constamment maintenu sa position (V. en ce sens Cass. com., 25 janv. 1984 : Bull. civ. 1984, IV, n° 39 ; Gaz. Pal. 1984, 2 ; Cass. com., 30 juin 1998 : Bull. civ. 1998, IV, n° 211 ; RTD com. 1998, p. 896, obs. M. Cabrillac).

Comment justifier la position de la Cour de cassation ?

La doctrine justifie – à raison – la solution retenue par la Cour de cassation en considérant que la présomption posée à l’article L. 511-21 al. 6 du Code de commerce s’apparente moins à une règle de preuve qu’à une règle de fond.

Autrement dit, cette règle doit être regardée comme la sanction du non-respect d’une formalité importante exigée ad validitatem et non ad probationem.

Fondamentalement, selon les propres termes de la Cour de cassation, la lettre de change est, comme tout effet de commerce, un titre qui doit se suffire à lui-même sans qu’il soit besoin de rechercher en dehors du titre, les éléments probatoires ou indispensables à sa régularité.

L’article L. 511-21, alinéa 6 du Code de commerce lui permet d’atteindre pleinement cette finalité, eu égard à la détermination de l’avalisé et à la régularité de l’aval.

Exceptions à l’irréfragabilité de la présomption :

  • l’aval donné par acte séparé
    • La Cour de cassation estime que, lorsque l’aval est donné par acte séparé et que le non de l’avalisé ne figure pas sur l’effet, l’article L. 511-21, alinéa 6 du Code de commerce est inapplicable ( com., 14 févr. 1961: Bull. civ. 1961, III, n° 86)
    • Il en résulte que l’établissement de l’identité de la personne garantie peut se faire par tout moyen.
    • Cette solution se justifie pleinement dans la mesure où, d’une part, contrairement à l’acceptation, l’aval par acte séparé n’est pas dénué de toute valeur cambiaire et, d’autre part,lorsque l’aval est donné par acte séparé, on retombe sur le droit commun.
      • Or en matière commerciale, la preuve d’un acte juridique est libre.
  • Le recours de droit commun fondé sur le cautionnement
    • La Cour de cassation admet que le tireur-porteur qui ne dispose d’aucun recours cambiaire contre l’avaliste qui n’a pas désigné le nom de l’avalisé sur la traite puisse néanmoins rapporter la preuve que ce dernier a manifesté l’intention de se porter caution pour le tiré-accepteur ( com., 29 oct. 1979 : RTD com. 1980, p. 115, n° 2, obs. M. Cabrillac et J.-L. Rives-Lange)
      • Exigences probatoires:
        • La preuve du contrat de cautionnement ne pourra résider que dans des éléments extérieurs à la lettre de change ( com., 1er déc. 1970 : Bull. civ. 1970, IV, n° 326).
        • Par conséquent, les indications figurant sur la lettre de change telle que la mention « bon pour aval» ne pourront pas être invoquées pour établir la volonté de l’avaliste de s’engager comme caution.

IV) Quelles sont les conditions de validité de l’aval ?

==> Conditions de fond

  • L’avaliste s’engageant cambiairement en garantie de l’exécution de l’obligation de l’avalisé, il est soumis aux mêmes conditions de validité que les autres signataires de l’effet, à savoir :
    • Consentement
      • Le consentement doit exister et n’être affecté d’aucun vice
    • Cause
      • La cause doit être réelle et licite
    • Capacité
      • L’aval n’est valable que s’il émane d’une personne capable de s’obliger cambiairement
      • L’avaliste doit, autrement dit, être pourvu d’une capacité commerciale
    • Pouvoir
      • L’aval peut valablement être donné par un mandataire.
      • Dans cette hypothèse, il n’engagera que le mandant

==> Conditions de forme

L’article L. 511-21, al. 3du Code de commerce prévoit que pour valoir engagement cambiaire, l’aval peut être donné « soit sur la lettre de change ou sur une allonge, soit par un acte séparé indiquant le lieu où il est intervenu »

  • L’aval donné sur la lettre de change elle-même ou sur une allonge
    • La mention « bon pour aval» ou toute formule équivalente peut indifféremment être portée au recto ou au verso du titre
    • En tout état de cause, elle doit être assortie de la signature de l’avaliste
      • La signature doit être manuscrite
      • Lorsqu’elle émane d’une personne autre qu’un signataire de la traite, la seule signature de l’avaliste vaut aval ( com., 2 févr. 1981: Gaz. Pal. 1981, 2, p. 423, note J. Dupichot)
  • L’aval donné par acte séparé
    • Conformément à l’article L. 511-21, al. 3du Code de commerce, l’aval donné par acte séparé possède la même valeur que l’aval porté sur la lettre de change elle-même
      • L’aval donné par acte séparé doit néanmoins être assorti de l’indication « du lieu où il est intervenu»
        • À défaut, il sera dépourvu de valeur cambiaire
        • Il ne vaudra plus que comme cautionnement ou comme commencement de preuve par écrit
      • L’aval donné par acte séparé doit expressément viser :
        • les traites qu’il a vocation à garantir
        • le montant de la garantie
        • la durée de l’engagement de l’avaliste
      • L’aval donné par acte séparé doit également satisfaire aux exigences posées à l’article 1326 du Code civil

V) Quel est l’objet de l’aval ?

  • La garantie du paiement:
    • Aux termes de l’article L. 511-21, al. 1 du Code de commerce « le paiement d’une lettre de change peut être garanti pour tout ou partie de son montant par un aval.»
    • Deux enseignements peuvent immédiatement être tirés de cette disposition :
      • L’aval a pour fonction de garantir le paiement de la lettre de change
      • L’aval peut être total ou partiel
  • La garantie de l’acceptation
    • L’article L. 511-21, al. 1 du Code de commerce ne vise, manifestement, que le paiement comme objet de la garantie de l’aval.
    • Est-ce à dire que l’aval n’a pas vocation à garantir l’acceptation de la lettre de change ?
    • L’alinéa 8 de l’article L. 511-21 nous invite à ne pas retenir cette interprétation.
      • Cette disposition dispose en ce sens que « le donneur d’aval est tenu de la même manière que celui dont il s’est porté garant. »
      • L’article L. 511-38 du Code de commerce prévoit également qu’en cas de refus d’acceptation « le porteur peut exercer ses recours contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés»

VI) Quels sont les effets de l’aval ?

Il ressort de l’article L. 511-21 du Code de commerce que l’avaliste est, tout à la fois garant de l’avalisé et débiteur cambiaire au même titre que les autres signataires de la traite.

Ainsi, l’aval produit-il deux sortes d’effets à l’égard de l’avaliste :

  • les premiers tiennent à sa qualité de garant
  • les seconds tiennent à sa qualité de débiteur cambiaire

A) Les effets tenant à la qualité de garant de l’avaliste

L’article L. 511-21 du Code de commerce dispose que « le donneur d’aval est tenu de la même manière que celui dont il s’est porté garant ».

Deux conséquences peuvent être attachées à la qualité de garant de l’avaliste

==> Engagement solidaire de l’avaliste :

  • En tant que garant solidaire du débiteur garanti il ne pourra invoquer :
  • Ni le bénéfice de discussion
    • Soit le droit accordé à la caution poursuivie en exécution, d’exiger du créancier que les biens du débiteur soient préalablement discutés, c’est-à-dire saisis et vendus.
  • Ni le bénéfice de division
    • Soit la procédure par laquelle en cas de cautionnement multiple, l’une des cautions poursuivies pour le tout peut demander au juge que l’action en paiement soit divisée entre toutes les cautions (cofidéjusseurs) solvables au jour des poursuites.

==> Bénéfice des mêmes exceptions dont peut se prévaloir le débiteur garanti

  • Il pourra ainsi opposer au porteur :
    • Les exceptions tirées du rapport personnel entre le porteur et le débiteur garanti
      • Exception (article L. 511-21 al. 8) :
        • L’absence de consentement
        • Le défaut de capacité
    • Les causes de déchéance dont aurait pu se prévaloir le débiteur garanti
      • défaut d’établissement du protêt en cas de défaut de paiement ou de refus d’acceptation
      • Prescription de l’exercice des recours
    • L’article 2037 du Code civil, s’il démontre que la faute du porteur ne lui a pas permis de bénéficier de la subrogation dans les droits de celui-ci
      • Pour mémoire, l’article 2314 du Code civil prévoit que « la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s’opérer en faveur de la caution […] ».
    • L’article 2316 du Code civil qui prévoit que la prorogation du terme accordée par le créancier au débiteur principal « ne décharge pas la caution, qui peut, en ce cas, poursuivre le débiteur pour le forcer au paiement»
      • Cette solution a été admise par la Cour de cassation ( com., 12 juin 1978 : Bull. civ. 1978, IV, n° 24)
    • L’extinction par compensation de la dette du débiteur garanti

B) Les effets tenant à la qualité de débiteur cambiaire de l’avaliste

L’article L. 511-21 al. 8 du Code de commerce prévoit que l’engagement du donneur d’aval est valable « alors même que l’obligation qu’il a garantie serait nulle pour toute cause autre qu’un vice de forme »

De toute évidence, cette disposition témoigne de la nature cambiaire de l’engagement pris par l’avaliste envers le porteur de la traite.

Aussi, pèse sur le donneur d’aval les mêmes obligations que celles qui échoient aux débiteurs cambiaires de l’effet.

Il en résulte plusieurs conséquences :

  • Solidarité de l’avaliste avec tous les signataires de la traite
  • Possibilité pour le porteur de diligenter une procédure d’injonction de payer contre le donneur d’aval sur le fondement de l’article 1405, al.2du Code de procédure civile
  • Dispense d’autorisation judiciaire quant à l’accomplissement de mesures conservatoires (article L. 511-2 du Code de l’exécution forcée)
  • Exclusion de l’octroi de délais de grâce
  • Compétence des juridictions consulaires
  • Purge des exceptions: l’avaliste ne sera pas fondé à opposer au porteur de bonne foi les exceptions tirées de son rapport personnel avec le débiteur garanti
  • Indépendance des signatures
    • L’article L. 511-21, alinéa 8, du Code de commerce, prévoit que « l’engagement du donneur d’aval est valable alors même que l’obligation qu’il a garantie serait nulle pour toute autre cause qu’un vice de forme».
    • Aussi, cela signifie-t-il, concrètement, que l’avaliste reste tenu à l’égard de l’avaliste, quand bien même le débiteur garanti aurait pu opposer au porteur de bonne foi
      • L’absence de consentement
      • Le défaut de capacité
    • Le principe ainsi posé est manifesement contraire à la lettre de l’article 2289 du Code civil qui prévoit que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable».
    • Ce principe est néanmoins conforme à l’idée que l’aval ne s’apparente pas à un simple cautionnement solidaire mais constitue un véritable engagement régi par les règles du droit cambiaire et soumis au principe de l’indépendance des signatures

VII) Quels sont les recours dont dispose l’avaliste ?

Le donneur d’aval dispose de deux sortes de recours :

  • Les recours du droit commun
  • Les recours prévus par l’article L. 511-21, alinéa 9 du Code de commerce

A) Les recours de droit commun

Lorsque le donneur d’aval a été sollicité en paiement par le porteur de la traite, il dispose de deux recours contre le débiteur garanti :

==> L’action personnelle

  • Il s’agit d’une action en remboursement extra-cambiaire fondée sur les rapports personnels de l’avaliste avec le débiteur
  • L’article 2305 du Code civil prévoit en ce sens que « la caution qui a payé a son recours contre le débiteur principal»
    • L’avaliste sera remboursé de la somme déboursée dans l’intégralité, intérêts et frais compris
    • Son action ne peut être exercée qu’à titre chirographaire ; il ne dispose d’aucun privilège

Schéma 5

==> L’action subrogatoire

  • Bien que contestée dans son principe par certains auteurs, cette action est fondée sur l’article 2306 du Code civil qui permet à la caution qui a payé la dette d’être subrogée « à tous les droits qu’avait le créancier contre le débiteur».
  • La Cour de cassation a eu l’occasion d’ademettre l’application du recours subrogatoire de l’article 2306 au profit de l’avaliste (V. en ce sens com., 26 mai 1961 : RTD com. 1961, p. 892, obs. J. Becque et H. Cabrillac)
  • Ainsi, le donneur d’aval a-t-il la possibilité d’être subrogé dans les droits du porteur qu’il a désintéressé.
  • Il en résulte plusieurs conséquences :
    • L’avaliste bénéficie des mêmes sûretés et accessoires qui profitaient au porteur de l’effet
    • L’avaliste ne peut exercer son recours qu’à concurrence des sommes effectivement payées au porteur
    • L’avaliste est subrogé dans la créance cambiaire dont était titulaire le porteur de la traite contre l’avalisé
      • Il devient bénéficiaire à ce titre
        • des mêmes garanties
        • des mêmes recours
      • L’avaliste est subrogé dans l’action extra-cambiaire de provision contre le tiré
      • Cependant, comme il y a subrogation, l’avaliste peut se heurter aux mêmes exceptions qui pouvaient être opposées à l’ancien créancier

Schéma 6

B) Les recours cambiaires de l’article L. 511-21 al. 9 du Code de commerce

L’article L. 511-21, al. 9 du Code de commerce prévoit que « quand il paie la lettre de change, le donneur d’aval acquiert les droits résultant de la lettre de change contre le garanti et contre ceux qui sont tenus envers ce dernier en vertu de la lettre de change »

Autrement dit, lorsque le donneur d’aval a payé le porteur, cette disposition lui octroie deux sortes de recours :

  • Un recours contre le débiteur garanti
  • Un recours contre les débiteurs cambiaires du débiteur garanti

Ainsi, dans l’hypothèse où le débiteur garanti est un endosseur, le donneur d’aval disposera d’un recours :

  • contre les endosseurs antérieurs
  • contre le tireur
  • contre le tiré-accepteur

Schéma 7

De prime abord, l’interprétation de l’article L. 511-21, al. 9 ne soulève guère de difficultés particulières.

Néanmoins une question s’est rapidement posée s’agissant du fondement des recours susceptibles d’être exercés par l’avaliste contre les débiteurs cambiaires de l’avalisé : s’agit-il de recours qui reposeraient sur le fondement d’une subrogation personnelle ou s’agit-il de recours propres au donneur d’aval en ce sens qu’ils reposeraient sur le titre lui-même ?

Schéma 8

Selon que l’on retient l’un ou l’autre fondement, les conséquences ne sont pas les mêmes :

  • Si l’on admet que l’avaliste est subrogé dans les droits du débiteur garanti, les signataires de la traite tenus envers ce dernier seront fondés à opposer au donneur d’aval les mêmes exceptions que celles qu’ils peuvent opposer au débiteur garanti
  • Si, au contraire, l’on considère que les recours qui échoient à l’avaliste lui sont propres, soit qu’ils ont pour fondement le titre lui-même, en vertu du principe d’indépendance des signatures, les exceptions dont peuvent se prévaloir les obligés cambiaires du débiteur garanti ne lui sont pas opposables

Dans un arrêt du 23 novembre 1959, la Cour de cassation a tranché en faveur de la seconde hypothèse (Cass. com., 23 nov. 1959).

Elle a ainsi estimé que le donneur d’aval devenu porteur devait bénéficier du principe de l’inopposabilité des exceptions, s’il est de bonne foi.

Dans cette affaire, le tireur, pour qui l’aval avait été donné, n’avait pas fourni la provision au tiré.

Si, dès lors, on avait estimé que le recours dont dispose l’avaliste contre l’avalisé reposait sur une subrogation, le tiré-accepteur aurait valablement pu lui opposer l’exception issue de son rapport personnel avec le tireur.

La Cour de cassation a néanmoins refusé de statuer en ce sens.

Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • Contrairement à ce qui est prévu à l’article L. 511-21 al. 7 du Code de commerce, si l’on s’en tient à sa lettre, le donneur d’aval n’est pas tenu exactement dans les mêmes termes que celui pour qui il s’est porté garant.
  • L’avaliste n’est pas un débiteur accessoire, dont le sort serait irrémédiablement lié au débiteur garanti.
    • Il est tout au contraire un débiteur cambiaire à part entière qui jouit d’une certaine autonomie
    • Aussi est-il soumis aux mêmes obligations que les signataires de la traite et bénéficie, comme eux, sans restrictions, du principe d’inopposabilité des exceptions.
    • De ce point de vue, l’avaliste jouit d’un statut plus favorable que le débiteur garanti

L’acceptation de la lettre de change

I) Définition

L’acceptation se définit comme l’engagement pris par le tiré de payer la lettre de change à l’échéance.

Plus qu’une reconnaissance de dette, par son acceptation le tiré devient le débiteur principal de la traite.

Il en résulte que le tiré s’engage cambiairement :

  • à l’égard du porteur de la traite
  • à l’égard du tireur de la traite

==> L’engagement cambiaire du tiré à l’égard du porteur de la traite

Au même au même titre que le tireur, le tiré est engagé cambiairement à l’égard du porteur, lequel dispose, désormais, de deux débiteurs cambiaires :

  • Le tireur
  • Le porteur

Tant que le tiré n’avait pas accepté la traite, le porteur ne pouvait agir contre lui qu’au moyen de l’action née de la provision.

Si, dès lors, la provision disparaissait ou que le tiré se libérait, avant l’échéance, entre les mains du tireur, le porteur ne disposait d’aucune action contre le tiré, sinon celle fondée sur la provision.

Aussi, en acceptant la lettre de change, le tiré pourra-t-il être actionné en paiement par le bénéficiaire de l’effet sur le fondement de son nouvel engagement : l’obligation cambiaire.

Schéma 1

Le tiré s’engage également cambiairement à l’égard de tous les endosseurs de la lettre de change.

Schéma 2

==> L’engagement cambiaire du tiré à l’égard du tireur de la traite

L’acceptation par le tiré de la lettre de change fait présumer l’existence de la provision.

Cette présomption repose sur l’idée qu’il est très peu probable que le tiré s’engage sans cause, sauf à souscrire à un effet de complaisance.

La conséquence en est qu’en acceptant la traite, l’engagement cambiaire contracté par le tiré ne profite pas seulement au porteur de la traite, il bénéficie également au tireur.

Cet engagement cambiaire est néanmoins plus fragile que celui pris à la faveur du porteur, dans la mesure où le tiré sera toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leur rapport fondamental et, notamment, le défaut de provision.

Schéma 3

II) La présentation à l’acceptation

==> La présentation à l’acceptation par le porteur

  • Principe: la présentation à l’acceptation constitue une simple faculté
    • Conformément à l’article L. 511-15 du Code de commerce, le porteur a la possibilité de présenter la lettre de change à l’acceptation.
    • L’exercice de ce droit n’est cependant qu’une simple faculté.
    • Le porteur est libre de ne pas présenter la traite à l’acceptation.
    • Dans cette hypothèse, il n’encourt aucune déchéance, ni ne perd ses recours cambiaires contre le tireur ou contre les endosseurs en cas de défaut de paiement du tiré
  • Exception: la présentation à l’acceptation est tantôt obligatoire, tantôt interdite

La présentation obligatoire

  • L’obligation légale:
    • L’article L. 511-15, alinéa 6, du Code de commerce prévoit que « les lettres de change à un certain délai de vue doivent être présentées à l’acceptation dans le délai d’un an à partir de leur date»
    • Ainsi, pour l’effet payable à un certain délai à vue, la présentation est obligatoire
  • L’obligation conventionnelle:
    • Le tireur peut, afin d’être rapidement fixé sur les intentions du tiré, stipuler sur la lettre de change une obligation pour le porteur de présenter la traite dans un certain délai.

La présentation interdire

  • Conformément à l’article L. 511-15 al. 3 du Code de commerce, le tireur peut stipuler que la traite est non-acceptable.
  • L’article L. 511-15 al. 3 prévoit néanmoins trois exceptions :
    • La traite est payable chez un tiers
    • La traite est payable dans une localité autre que celle du domicile du tiré
    • La traite est payable à un certain délai de vue.
  • Si elle est portée sur la traite, la clause de « non-acceptation » est opposable à tous les endosseurs
  • Cette clause se justifie, le plus souvent, par la volonté du tiré de garder le secret sur ses relations d’affaires ou parce qu’il ne souhaite pas être importuné en raison de sa solvabilité évidente.
  • En cas de violation de la clause par le porteur, si le tiré accepte la traite, son acceptation produira, malgré tout, son plein effet

==> L’acceptation de la traite par le tiré

  • Principe: l’acceptation de la traite par le tiré est facultative
    • Justification:
      • L’acceptation a pour l’effet d’aggraver considérablement la situation du tiré, de sorte qu’on ne saurait le contraindre à accepter l’effet, quand bien même il est le débiteur du tireur
      • Le tiré est, jusqu’à son acceptation, un tiers à la lettre de change. On ne saurait, en conséquence, mettre à sa charge une obligation trouvant sa source dans le titre. Si pareille obligation existe, son fait générateur est nécessairement extérieur à la lettre de change.
  • Exceptions:
  1. La conclusion d’un contrat de fourniture de marchandises entre commerçants:
  • Conformément à l’article L. 511-15 al. 9 du Code de commerce, lorsque la lettre de change est émise dans le cadre de la conclusion d’un contrat de fourniture de marchandises entre commerçants, le tiré a l’obligation d’accepter la lettre de change qui lui est adressée pour par le porteur dans un délai conforme aux usages normaux du commerce en matière de reconnaissance de marchandises
    • Exceptions à l’exception: le tiré peut refuser d’accepter la lettre de change qui lui est présentée si
      • l’une des deux parties n’est pas commerçante
      • le montant de la traite est différent du prix des marchandises fournies au tiré
      • le tireur n’est pas satisfait à ses obligations résultant du rapport fondamental qui le lie avec le tiré
        • défaut de livraison
        • non-conformité des marchandises
      • La présentation de la traite n’a pas lieu dans un délai permettant au tiré de vérifier la conformité des marchandises
    • Sanction:
      • En cas de refus par le tiré d’accepter la traite, le porteur ne dispose d’aucun moyen pour l’y contraindre. On ne saurait aggraver la situation de ce dernier contre son gré.
      • Toutefois, le porteur pourrait rechercher la responsabilité civile du tiré pour violation d’une obligation légale.
      • Par ailleurs, le refus d’acceptation ne sera pas dépourvu de tout effet :
        • Déchéance du terme de l’obligation commerciale dont est débiteur le tiré dans le cadre du rapport fondamental qui le lie au tireur
        • Ouverture de l’exercice des recours cambiaires contre les signataires de la traite

2. La promesse d’acceptation:

  • Principe:
    • L’obligation d’accepter la lettre de change peut trouver sa source dans un contrat.
    • Dans cette hypothèse, la promesse d’acceptation ne sera pas portée sur le titre. Elle ne sera donc pourvue d’aucune valeur cambiaire.
    • En somme, la promesse d’acceptation ne vaut pas acceptation. Elle n’obligera en rien le promettant
    • Aussi, contrairement à l’acceptation qui doit être pure et simple, la promesse d’acceptation peut être subordonnée à la réalisation d’une ou plusieurs conditions
  • Effets:
    • Le droit cambiaire n’ayant pas vocation à régir la promesse d’acceptation, ce sont les règles du droit commun qui lui sont applicables.
    • Dès lors, conformément à l’article 1142 du Code civil, en cas d’inexécution elle se résout en dommages et intérêts car appartient à la catégorie des obligations de faire.
  • Sanction:
    • Le manquement par le tiré à sa promesse d’acceptation ne devrait pas emporter la déchéance du terme
    • Le porteur sera simplement fondé à engager la responsabilité contractuelle du tiré.

III) Le refus d’acceptation

Le tiré peut toujours, même lorsqu’une obligation légale pèse sur lui, refuser d’accepter la traite qui lui est présentée.

Plusieurs raisons peuvent présider au refus du tiré d’accepter la traite :

  • Le tireur n’a pas exécuté la prestation promise
  • Le tiré ne se reconnaît pas débiteur du tireur
  • Le tiré rencontre des difficultés de trésorerie
  • Le tiré fait l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire

En toute hypothèse, le refus d’acceptation s’apparentera toujours à l’un des trois cas suivants :

  • Le tiré refuse TOTALEMENT d’accepter la traite
  • Le tiré accepte PARTIELLEMENT la traite
  • Le tiré subordonne son acceptation à la réalisation d’une condition

Lorsque l’une de ces trois hypothèses est caractérisée, le titre émis devient alors suspect. Le porteur est, en effet, légitimement en droit de penser que l’effet ne sera pas payé à l’échéance.

Aussi, plusieurs conséquences ont été attachées par le législateur et la jurisprudence au refus total ou partiel d’acceptation :

==> L’obligation de retourner la traite non-acceptée au porteur dans les meilleurs délais

  • La Cour de cassation impose au tiré non-accepteur de retourner la traite au porteur dans les meilleurs délais ( com., 12 févr. 1974 : Bull. civ. 1974, IV, n° 55 ; RTD com. 1974, p. 556, n° 2, obs. M. Cabrillac et J.-L. Rives-Lange)
  • Il appartient aux juges du fond dans l’exercice de leur pouvoir souverain de déterminer le délai à l’expiration duquel le retour de l’effet non-accepté devient fautif
  • En cas de manquement à cette obligation, le tiré engage sa responsabilité délictuelle

==> L’ouverture des recours cambiaires avant l’échéance

Principe:

  • L’article L. 511-38-I. 2° a) du Code de commerce prévoit que, en cas de refus total ou partiel d’acceptation, le porteur peut exercer, avant l’échéance, des recours cambiaires contre tous les signataires de la traite, soit contre :
    • Le tireur
    • Les endosseurs
    • L’avaliste
  • Aucun ordre n’est imposé quant à l’exercice des recours cambiaires ouverts au porteur contre les signataires de la traite

Justification:

  • Cette solution s’explique par le fait que les signataires de la traite ne sont pas seulement garants du paiement, ils sont aussi, conformément aux articles L. 511-6, al. 1er et 511-10 al. 1er du Code de commerce, garants de l’acceptation.

Modalités de mise en œuvre

  • Afin de pouvoir exercer ses recours cambiaires, l’article L. 511-39 du Code de commerce commande au porteur de l’effet de faire constater le refus d’acceptation du tiré « par un acte authentique dénommé protêt faute d’acceptation».
    • Le porteur peut néanmoins être dispensé de cette démarche dans l’hypothèse où la dispense de protêt est portée sur le titre.
    • C’est ce que l’on appelle une clause sans frais, clause dont la stipulation est désormais d’usage

==> La déchéance du terme de l’obligation fondamentale

Principe:

  • Conformément à l’article L. 511-15 al. 10 du Code de commerce « le refus d’acceptation entraîne de plein droit la déchéance du terme aux frais et dépens du tiré»
  • Autrement dit, la créance commerciale dont est débiteur le tiré dans le cadre du rapport fondamental qui le lie au tireur devient exigible immédiatement.

Effets:

  • Pour le porteur :
    • L’échéance portée sur la lettre de change demeure inchangée dans l’hypothèse où le tiré refuse d’accepter la traite qui lui est présentée ( com., 1er févr. 1977 : Bull. civ. 1977, IV, n° 35 ; D. 1977, IR 398, obs. M. Vasseur ; RTD com. 1977)
    • Il en résulte que porteur n’est pas fondé à réclamer au tiré le paiement de la traite
    • Aussi, devra-t-il attendre l’échéance afin d’être payé, à supposer que :
      • le tiré ne se soit pas déjà libéré entre les mains du tireur
      • la provision existe toujours
  • Pour le tireur:
    • Le tireur dispose de plusieurs options. Il peut demander :
      • la résolution judiciaire du contrat en vertu duquel a été émise la lettre de chance
      • la restitution des marchandises livrées au tiré, afin d’échapper à la concurrence des autres créanciers

IV) L’acceptation par intervention

==> Principe:

  • L’acceptation par intervention est une démarche accomplie par un tiers qui consiste à palier le refus d’acceptation du tiré.
  • L’article L. 511-65 du Code de commerce prévoit en ce sens que :
    • « Le tireur, un endosseur ou un avaliseur peut indiquer une personne pour accepter ou payer au besoin.
    • La lettre de change peut être, sous les conditions déterminées ci-après, acceptée ou payée par une personne intervenant pour un débiteur quelconque exposé au recours.
    • L’intervenant peut être un tiers, même le tiré, ou une personne déjà obligée en vertu de la lettre de change, sauf l’accepteur. »
  • Pratiquement, ce tiers va être sollicité par le tireur ou par un endosseur qui se trouve sous la menace du recours cambiaire susceptible d’être exercé par le porteur de la traite.
  • À la vérité, comme s’accordent à le dire les auteurs, l’acceptation par intervention s’apparente moins à une acceptation qui serait consentie en lieu et place du tiré, qu’à un cautionnement souscrit à la faveur du tireur ou d’un endosseur.

==> Les bénéficiaires de l’acceptation par intervention

  • L’intervention ne peut être consentie qu’à la faveur d’un débiteur exposé à un recours cambiaire
  • Elle ne peut donc pas bénéficier au tiré qui n’est pas signataire de la traite ; et pour cause il a refusé de l’accepter
  • L’accepteur par intervention doit indiquer en faveur de qui il accepte. À défaut, elle est censée avoir été consentie en faveur du tireur.

==> L’acceptation par intervention s’impose-t-elle au porteur ?

  1. Le porteur peut refuser l’acceptation par intervention
  2. On ne saurait lui imposer l’intervention d’un tiers dans l’opération de change

==> Effets:

  • Vis-à-vis du porteur
    • Il est privé de l’exercice immédiat de son recours cambiaire contre
      • le bénéficiaire de l’acceptation par intervention
      • les signataires subséquents
  • Vis-à-vis de l’intervenant
    • L’intervenant est tenu dans les mêmes termes que le bénéficiaire de l’intervention
      • Il est néanmoins débiteur cambiaire
      • Le principe d’inopposabilité des exceptions lui est donc applicable, notamment s’agissant des exceptions issues de son rapport personnel avec le bénéficiaire de l’intervention
    • L’accepteur par intervention qui a payé le porteur disposera d’un recours cambiaire contre
      • Le bénéficiaire de l’intervention
      • Les signataires de la traite

V) Les conditions de l’acceptation

 A) Les conditions de fond

==> Conditions de droit commun

  • L’acceptation est subordonnée au respect des conditions de validité de tout acte juridique :
    • Consentement
      • Le consentement doit exister et n’être affecté d’aucun vice
    • Cause
      • La cause doit être réelle et licite
    • Capacité
      • L’acceptation n’est valable que si elle émane d’une personne capable de s’obliger cambiairement
      • Elle doit, autrement dit, être pourvue d’une capacité commerciale
    • Pouvoir
      • L’acceptation peut valablement être donnée par un mandataire.
      • Dans cette hypothèse elle n’engagera que le mandant

==> Principe d’inopposabilité des exceptions:

  • Les vices affectant l’engagement cambiaire de l’accepteur sont inopposables au porteur de bonne foi

==> Exceptions:

  • Sont toujours opposables au porteur de bonne foi :
    • Le défaut de consentement
    • Le défaut de capacité

B) Les conditions de forme

==> L’acceptation apposée sur le titre

  • Aux termes de l’article L. 511-17 al. 1er du Code de commerce « l’acceptation est écrite sur la lettre de change. Elle est exprimée par le mot ” accepté ” ou tout autre mot équivalent et est signée du tiré. La simple signature du tiré apposée au recto de la lettre vaut acceptation.»
  • Trois exigences de forme président à la validité de l’acceptation en vertu de cette disposition :
    • L’acceptation doit être portée sur le titre lui-même.
      • Peu importe qu’elle figure au recto ou au verso de la lettre
    • La formule apposée sur la traite doit exprimer la volonté claire et non-équivoque du tiré de s’engager cambiairement
    • Le tiré doit apposer sa signature manuscrite sur l’effet
  • Mentions facultatives:
    • La date de l’acceptation
    • Le lieu du paiement
    • La valeur fournie

==> L’acceptation par acte séparé

  • Principe:
    • L’article L. 511-17 du Code de commerce prévoit que, pour être valable, l’acceptation doit être apposée sur le titre lui-même.
    • A contrario, il en résulte que lorsque l’acceptation ne figure pas sur la traite, elle est irrégulière en la forme.
  • Sanction:
    • L’acceptation par acte séparé ne vaut pas acceptation, de sorte qu’elle est dépourvue de tout effet cambiaire ( com., 22 févr. 1954 : D. 1954, p. 311 ; JCP CI 1954, 52983)
    • Le tiré demeure un tiers à l’opération de change.
    • Le porteur ne dispose contre lui que d’un recours fondé sur la provision
    • Le tiré est alors fondé à lui opposer toutes les exceptions pour faire échec à sa demande de paiement
  • Valeur de l’acceptation par acte séparé:
    • Une promesse de paiement
      • La jurisprudence considère que l’acceptation par acte séparé s’apparente à une simple promesse de paiement régie par le droit extra-cambiaire ( com., 22 févr. 1954)
    • Une délégation (imparfaite)
      • Ne pourrait-on pas reconnaître à l’acceptation par acte séparé la valeur d’un engagement pris par un délégué à la faveur d’un délégataire, dans le cadre d’une opération de délégation imparfaite au sens de l’article 1275 du Code civil ?
      • Problématique:
        • La délégation se définit comme « l’opération complexe par laquelle un débiteur, le délégant, donne instruction à un tiers, le délégué, qui est le plus souvent son propre débiteur, de souscrire un engagement envers le délégataire, créancier du délégant, qui accepte cet engagement» (Ph. Simpler, « L’énigmatique sort de l’obligation du délégué envers le délégant tant que l’opération de délégation n’est pas dénouée », Mélanges J.-L. Aubert, 2005)
        • La Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur cette question de l’application du mécanisme de la délégation à la lettre de change, notamment dans un arrêt du 24 mars 1998 ( com., 24 mars 1998 : Bull. civ. 1998, IV, n° 114 ; JCP G 1998, 2139 ; JCP E 1998, pan. p. 826 ; D. 1998, inf. rap. p. 112 : RTD com. 1998, p. 388, n° 1, obs. M. Cabrillac)
        • On se retrouverait alors dans la configuration suivante :
          • Le tireur s’apparentait au déléguant
          • Le tiré était le délégué
          • Le porteur jouait le rôle de délégataire

Schéma 4

  • Rétablissement du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Dans l’hypothèse où l’on appliquerait le mécanisme de la délégation à la lettre de change, le porteur (délégataire) retrouvait le bénéfice du principe d’inopposabilité des exceptions perdu en raison de l’acceptation par acte séparé
    • En matière de délégation, le délégué (tiré) ne saurait, en effet, opposer au délégataire (porteur)
      • Tant les exceptions issues de son rapport personnel avec le délégant
      • Que les exceptions tirées de la relation entre le délégant (tireur) et le délégataire (porteur)
  • Exception à l’absence de valeur cambiaire de l’acceptation par acte séparé:
    • L’article L. 511-20 al. 2 du Code de commerce prévoit que « si le tiré a fait connaître son acceptation par écrit au porteur ou à un signataire quelconque, il est tenu envers ceux-ci dans les termes de son acceptation»
    • Le code de commerce vise ici la situation où le tiré aurait accepté, dans un premier temps, la traite, puis se serait rétracté, dans un second temps, en biffant le titre.
    • Dans cette hypothèse seulement, l’acceptation par acte séparé aura pour effet d’engager le tiré cambiairement à l’égard des seuls destinataires de l’acte séparé
    • Certains auteurs confèrent à cette disposition une portée générale.
      • Toutefois, son application doit, selon nous, rester cantonnée à l’hypothèse du biffage de la traite
      • L’alinéa 2 de l’article L. 511-20 al. 2 n’est, en effet, qu’une exception au principe posé à l’alinéa 1, lequel dispose que : « si le tiré, qui a revêtu la lettre de change de son acceptation, a biffé celle-ci avant la restitution de la lettre, l’acceptation est censée refusée. Sauf preuve contraire, la radiation est réputée avoir été faite avant la restitution du titre.»

VI) Les caractères de l’acceptation

A) Pure et simple

  • Principe : prohibition de l’acceptation conditionnelle
    1. Aux termes de l’article L. 511-17, al. 3 du Code de commerce l’acceptation doit être pure et simple
    2. En conséquence, l’acceptation qui serait subordonnée à la réalisation d’une condition s’apparente à un refus d’acceptation.
    3. Toutefois, l’acceptation conditionnelle n’est pas sans effets :
      • Dans les rapports porteur-tireur/endosseurs, le bénéficiaire de la traite est fondé à exercer contre eux, avant l’échéance, ses recours cambiaires, comme s’il y avait eu refus d’acceptation
      • Dans les rapports porteur-tiré, conformément à l’article L. 511-17, al. 4 du Code de commerce, le tiré est tenu vis-à-vis du porteur dans les termes de son acceptation, si bien que si la condition se réalise avant l’échéance, son acceptation produira les mêmes effets qu’une acceptation pure et simple
  • Exception : validité de l’acceptation partielle
    1. Aux termes de l’article L. 511-17, al. 3 du Code de commerce le tiré dispose de la faculté de restreindre son acceptation à une partie de la somme portée sur la traite
    2. Le tiré adoptera cette démarche lorsque le tireur ne lui aura fourni que partiellement la provision.
    3. Cependant, le porteur aura la possibilité de faire dresser protêt pour la différence entre le montant de la traite et la somme pour laquelle l’acceptation a été donnée.

B) Irrévocable

L’acceptation de la traite par le tiré est irrévocable dès lors qu’il s’est dessaisi du titre au profit du porteur.

C’est en ce sens que s’est prononcée la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juillet 1969 (Cass. com., 2 juill. 1969 : JCP G 1970, II, 16427, note Ph. Langlois).

Dans cette décision, la Cour de cassation a validé l’arrêt de la Cour d’appel qui avait « considéré […] qu’à défaut de biffage de l’acceptation avant la restitution de la lettre de change […], l’obligation cambiaire, née de l’acceptation, était irrévocable à l’égard d’un porteur légitime »

FICHE D’ARRÊT

Com. 2 juill. 1969, Bull civ. IV, no 258

Faits :

  • La société Baudinet tire une lettre de change sur la société Dulignien aux fins de règlement d’un marché de vins
  • Remise à l’escompte par le tireur de la lettre de change à la faveur du Crédit Lyonnais
  • Acceptation de la lettre de change avant de la restituer au porteur (la banque escompteur)
  • Deux jours plus tard, le tiré fait néanmoins savoir au porteur de la lettre qu’elle rétracte son acceptation ayant appris que le tireur était dans l’incapacité de lui livrer les marchandises promises

Schéma -fiche JP

Demande :

Action en paiement de la lettre de change engagée par la banque contre le tiré-accepteur

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 16 mars 1967, la Cour d’appel de Dijon accède à la requête de la banque
  • Elle condamne donc le tiré au règlement de la lettre de change

Motivation des juges du fond:

Les juges du fond estiment que

  • l’erreur invoquée par le tiré sur la réalité de la provision (le prix de la valeur des marchandises et non les marchandises en elle-même), est inopposable au porteur de la traite dans la mesure où il s’agit là d’une exception fondée sur les rapports entre le tiré et le tireur!
  • la Cour d’appel relève que certes le tiré a porté à la connaissance du porteur de la traite de son erreur en acceptant la lettre de change.
    • Toutefois, elle estime que seul un biffage de l’acceptation apposée sur le titre peut l’a privé d’effet, quand bien même le porteur était au courant de l’erreur avant sa restitution !

Moyens des parties :

  • Erreur sur la cause de l’engagement du tiré est source de nullité de l’acceptation
  • Mauvaise foi du porteur car avait connaissance de l’erreur commise par le TIRÉ avant la restitution de la traite de sorte que l’erreur lui était opposable

Solution de la Cour de cassation :

Dispositif de l’arrêt:

  • La Cour de cassation valide la solution adoptée par la Cour d’appel

Sens de l’arrêt:

  • Premier point: la Cour de cassation valide la décision de la Cour d’appel concernant l’inopposabilité des exceptions issues de la relation entre le tireur et le tiré.
  • Dès lors que le porteur est de bonne foi, ces exceptions lui sont inopposables !
  • Recours à la formule « à bon droit »
  • En quoi la solution de la Cour d’appel était-elle audacieuse ?
  • En l’espèce, le porteur a connaissance de l’erreur du tiré avant que la traite ne lui soit restituée
  • Toutefois, la mauvaise foi du porteur n’est pas caractérisée.
  • Pourquoi ?
  • Cela nous amène au second point de cet arrêt
  • Second point: la Cour de cassation admet ici que, seul un biffage de l’acceptation puisse valoir rétractation ! Ainsi valide-t-elle la solution de la Cour d’appel tendant à dire que le tiré ne pouvait plus revenir sur son acceptation dès lors qu’il s’était dessaisi de la traite !

Pourquoi cette solution ?

Jusqu’à la remise du titre au porteur, l’acceptation a un caractère essentiellement provisoire et le tiré conserve la faculté de l’annuler en biffant simplement la mention et sa signature.

L’article L. 511-20, alinéa 1er, doit être entendu en ce sens que le tiré qui a revêtu la lettre de change de sa signature ne peut retirer son acceptation qu’en la biffant, c’est-à-dire en rayant ou raturant l’écrit avant de restituer le titre.

À l’instant même où il restitue la lettre de change acceptée, son engagement devient irrévocable.

Il en serait encore de même, si la lettre de change était volontairement restituée à l’accepteur par le porteur et si ce dernier l’autorisait à biffer sa signature.

Tout au moins, cette autorisation ne dégagerait le tiré qu’au regard du porteur et l’acceptation conserverait son caractère irrévocable vis-à-vis de tous les autres intéressés.

Ainsi, AVANT MÊME que le porteur ne soit entré en possession du titre, l’accepteur qui s’est dessaisi de la lettre revêtue de son acceptation ne peut plus se rétracter.

Dès lors, on comprend bien pourquoi, l’avis téléphonique, télégraphique ou électronique que le tiré-accepteur donne au banquier pour lui notifier le retrait de son acceptation reste sans effet !

Il est et reste débiteur du porteur connu ou inconnu qui lui présentera la traite à l’échéance

Ainsi, en l’espèce, bien que l’accepteur plaide que sa révocation téléphonique, non contestée d’ailleurs, avait touché la banque poursuivante avant que la lettre de change, revêtue de sa signature, lui soit parvenue, il ne peut se prévaloir de la rétractation de son acceptation !

Le caractère irrévocable de l’acceptation se justifie par la nature de cette dernière qui n’est autre qu’un acte unilatéral.

Or la particularité d’un acte unilatéral, c’est de produire ses effets, irrévocablement, dès lors qu’il est porté à la connaissance de son destinataire.

D’où l’impossibilité pour le tiré-accepteur de se dédire lorsqu’il s’est dessaisi de l’effet.

L’irrévocabilité de l’acceptation emporte deux conséquences majeures :

  • Le tiré est partie à l’effet, sans possibilité de se soustraire à son engagement
  • Le tireur et les endosseurs de la traite sont définitivement libérés de leur obligation de garantir l’acceptation, quand bien même le porteur autoriserait le tiré à revenir sur son engagement

VII) Les effets de l’acceptation

A) Sur le terrain cambiaire

  • Création d’une obligation cambiaire dont le tiré devient débiteur à la faveur du porteur (article L. 511-19 du Code de commerce).
  • Il en résulte plusieurs conséquences :
    • Le tiré devient le débiteur principal de l’effet
      • Il ne disposera de recours contre personne exception faite du tireur s’il ne lui a pas fourni provision
    • Solidarité du tiré avec tous les signataires de la traite
    • Possibilité pour le porteur de diligenter une procédure d’injonction de payer contre le tiré sur le fondement de l’article 1405, al.2 du Code de procédure civile
    • Dispense d’autorisation judiciaire quant à l’accomplissement de mesures conservatoires (article L. 511-2 du Code de l’exécution forcée)
    • Exclusion de l’octroi de délais de grâce
    • Compétence des juridictions consulaires
    • Purge des exceptions: le tiré ne sera pas fondé à opposer au porteur de bonne foi :
      • les exceptions tirées de son rapport personnel avec le tireur
        • Exemple : le défaut de livraison des marchandises
      • les exceptions qu’il pouvait opposer aux endosseurs (article L. 511-19 du Code de commerce)
      • Exceptions :
        • Le tiré aura toujours la faculté d’opposer les exceptions au porteur de mauvaise foi, soit si celui-ci a agi sciemment au détriment du tiré (article L. 511-12 du Code de commerce)
        • Dans l’hypothèse où le tireur est aussi porteur de l’effet, le tiré pourra toujours lui opposer les exceptions issues de leur rapport personnel, soit dans le cadre de la fourniture de la provision ( com., 22 mai 1991 : Bull. civ. 1991, IV, n° 170)

B) Sur le terrain extra-cambiaire

L’acceptation produit deux conséquences sur le terrain cambiaire :

  •  Le renforcement des droits du porteur sur la provision
  • Le renversement de la charge de la preuve quant à l’établissement de la constitution de la provision

==> Le renforcement des droits du porteur sur la provision

Tant que le tireur n’a pas fourni provision au tiré ou que celui-ci n’a pas accepté la traite, le porteur est titulaire d’un droit de créance éventuelle.

La Cour de cassation estime en ce sens que « la provision s’analyse dans la créance éventuelle du tireur contre le tiré, susceptible d’exister à l’échéance de la lettre de change, et, qu’avant cette échéance, le tiré non accepteur peut valablement payer le tireur tant que le porteur n’a pas consolidé son droit sur ladite créance en lui adressant une défense de s’acquitter entre les mains du tireur » (Com. 29 janv. 1974, Bull. civ. IV, no 37).

Ainsi, pour Cour de cassation, tant que l’échéance de la lettre de change n’est pas survenue, le paiement du tiré entre les mains du tireur est libératoire.

Réciproquement, on peut en déduire que, jusqu’à l’échéance, le tireur peut librement disposer de la provision – pourtant transmise au porteur – celui-ci ne détenant contre le tiré qu’un droit de créance éventuelle.

Bien que conforme à la lettre de l’article L. 511-7, alinéa 3 du Code de commerce, cette jurisprudence n’en est pas moins source de nombreuses difficultés.

Dans la mesure où le droit de créance dont est titulaire le porteur n’a pas définitivement intégré son patrimoine, d’autres créanciers sont susceptibles d’entrer en concours quant à la titularité de la créance que détient le tireur contre le tiré :

Aussi, l’acceptation de la traite par le tiré a pour effet de renforcer considérablement les droits du porteur sur la provision.

Celui-ci ne dispose plus d’un droit sur une créance éventuelle.

La provision sort définitivement du patrimoine du tireur. Elle devient indisponible. Elle ne pourra donc pas faire l’objet d’une revendication émanant d’un créancier concurrent du tireur ou du tiré.

Le paiement du tiré effectué entre les mains du tireur n’est pas libératoire.

==> Le renversement de la charge de la preuve quant à l’établissement de la constitution de la provision

L’article L. 511-7 al. 4 prévoit que l’acceptation de la lettre de change fait présumer la constitution de la provision.

Autrement dit, il appartiendra au tiré de prouver que le tireur n’a pas exécuté l’obligation qui lui échoit au titre de la provision.

Lorsqu’il exercera son recours contre le tiré, le porteur sera, en conséquence, dispensé de rapporter la preuve de la provision.

Deux questions se sont alors posées :

  • Quel est le domaine d’application de la présomption ?
  • Quelle est la nature de la présomption ?
  1. Le domaine d’application de la présomption

L’article L. 511-7 alinéa 5 du Code de commerce dispose que l’acceptation « établit la preuve à l’égard des endosseurs. »

Est-ce à dire que seuls les endosseurs seraient fondés à se prévaloir de la présomption posée à l’alinéa 4 de l’article L. 511-7 du Code de commerce ?

En d’autres termes, le tireur et le porteur de la traite seraient-ils exclus du bénéfice de la présomption ?

Très tôt, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative à cette interrogation (Cass. civ., 30 nov. 1897 : DP 1898, 1, p. 158 ; Cass. civ., 15 juill. 1975 : Bull. civ. 1975, IV, n° 201).

2. La nature de la présomption

La question qui se pose est de savoir si la présomption posée à l’article L. 511-7 alinéa 4 du Code de commerce est simple.

Le tiré est-il fondé à rapporter la preuve contraire ?

Deux catégories de rapports doivent être envisagées :

  • Les rapports tireur-tiré accepteur
  • Les rapports porteur/endosseur-tiré accepteur

==> Dans les rapports tireur-tiré accepteur

La présomption est simple.

Elle ne souffre donc pas de la preuve contraire (Cass. com., 22 mai 1991 : Bull. civ.1991, IV, n° 170 ; D. 1992, somm. p. 339, obs. M. Cabrillac)

Cette solution s’explique par le fait que l’engagement cambiaire du tiré n’est pas totalement abstrait

L’acceptation par le tiré de la traite a pour cause le rapport fondamental qui le lie au tireur.

Il est donc légitime qu’il lui soit permis d’établir que le tireur n’a pas satisfait à son obligation, laquelle obligation constitue la cause de l’engagement cambiaire du tiré

En outre, dans le cadre des rapports tireur-tiré accepteur, le tiré, même accepteur, est toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leurs rapports personnels.

Or le défaut de provision en est une. D’où la permission qui lui est faite de prouver que la provision ne lui a pas été valablement fournie.

==> Dans les rapports porteur/endosseur-tiré accepteur

Deux hypothèses doivent être envisagées :

  • Le porteur/endosseur est de bonne foi: la présomption est irréfragable ( req., 23 déc. 1903 : DP 1905, 1, p. 358)
    • Cette position de la Cour de cassation résulte de l’application du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Que la provision ait ou non été constituée à la faveur du tiré, celui-ci est engagé cambiairement, de sorte qu’il a l’obligation de payer l’effet lors de sa présentation à l’échéance.
  • Le porteur/endosseur est de mauvaise foi : la présomption est simple ( com., 12 juill. 1971 : Gaz. Pal. 1971, 2, jurispr. p. 759)
    • Cette solution se justifie pleinement puisque le porteur de mauvaise foi est déchu du bénéfice de l’inopposabilité des exceptions
    • Le tiré accepteur, bien qu’il soit engagé cambiairement, est, en conséquence, fondé à invoquer le défaut de provision
    • Or pour ce faire, il lui faudra prouver que le tireur ne lui a pas fourni ladite provision

La provision

I) Définition

La provision se définit comme la créance que détient le tireur de la lettre de change contre le tiré.

Schéma 1

Une fois créée, la lettre de change a vocation à circuler jusqu’à la survenance de son échéance.

La circulation de la traite se traduira par la transmission de la provision entre tous ses porteurs successifs.

Schéma 2

II) Enjeu de la provision

L’existence de la provision revêt un enjeu triple :

  • Pour le tiré
  • Pour le tireur
  • Pour le porteur

A) Enjeu pour le tiré

Pour que le porteur final soit réglé lors de la présentation au paiement de la lettre de change, il est nécessaire que le tireur soit créancier du tiré à l’échéance.

Cela signifie qu’il doit lui avoir fourni la prestation promise dans le cadre du rapport fondamental qui s’est noué entre eux.

À défaut, le tiré pourra refuser de payer, car la créance que l’effet incorpore est, soit éteinte, soit privée de cause. Dans tous les cas, le tiré n’est pas débiteur du tireur.

D’où le principe posé à l’article L. 511-7 alinéa 2 du Code de commerce qui dispose :

« Il y a provision si, à l’échéance de la lettre de change, celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur, ou à celui pour compte de qui elle est tirée, d’une somme au moins égale au montant de la lettre de change. »

L’existence d’une provision à l’échéance est donc une absolue nécessité.

Sans cette provision, sauf à consentir un crédit au porteur, le tiré ne paiera pas la traite qui lui est présentée.

À plus forte raison, il est peu probable qu’il consente à l’accepter.

B) Enjeu pour le tireur

Le tireur est directement intéressé par la fourniture de la provision.

  1. Dans ses rapports avec le tiré :
  • Si le tireur est demeuré porteur de la lettre de change et que le tiré a accepté la traite, ce dernier pourra valablement lui opposer le défaut de provision puisqu’il s’agit d’une exception issue de leur rapport personnel.
    • Pour mémoire, l’article L. 511-12 du Code de commerce prévoit que :
      • « Les personnes actionnées en vertu de la lettre de change ne peuvent pas opposer au porteur les exceptions fondées sur leurs rapports personnels avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs, à moins que le porteur, en acquérant la lettre, n’ait agi sciemment au détriment du débiteur»
    • Ainsi, quand bien même le tireur est créancier cambiaire du tiré, il pourra se voir opposer le défaut de cause de son obligation.

2. Dans ses rapports avec le porteur :

  • En cas de défaut de paiement du tiré, si le porteur a manqué à son obligation de faire dresser protêt, le tireur n’est fondé à lui opposer sa négligence qu’à la condition qu’il ait fourni provision au tiré
  • Dans le cas contraire, le porteur négligent pourra, malgré tout, exercer son recours cambiaire contre le tireur.
  • Cette règle se justifie par le souci d’empêcher que le tireur ne s’enrichisse injustement.

 C) Enjeu pour le porteur

Le porteur est intéressé par la fourniture de la provision pour deux raisons :

  • Lorsqu’il est diligent, cela renforcera considérablement sa situation à doubles titres :
    • En cas de défaut d’acceptation de la traite, il disposera d’un recours extra-cambiaire contre le tiré sur le fondement de la provision
    • En cas de procédure collective ouverte à l’encontre du tireur, étant donné que la transmission de la traite opère, concomitamment, transmission de la provision, il pourra revendiquer, si elle est constituée, un droit de propriété sur la provision
      • Pour mémoire, l’article L. 511-7, alinéa 3 du Code de commerce prévoit que « la propriété de la provision est transmise de droit aux porteurs successifs de la lettre de change. »
  • Lorsqu’il est négligent, l’absence de fourniture de provision offre au porteur la possibilité d’exercer le recours cambiaire dont il est, en principe déchu, contre le tireur.

III) La constitution de la provision

La provision doit être réelle. Elle ne doit pas être fictive

A) La réalité de la provision

Trois questions se posent s’agissant de la réalité de la provision :

  • Qui doit fournir la provision ?
  • Quand doit-on fournir la provision ?
  • Quelles sont les créances susceptibles de constituer la provision ?
  1. Qui doit fournir la provision ?

L’article L. 511-7, alinéa 1er, du Code de commerce dispose que :

« la provision doit être faite par le tireur ou par celui pour le compte de qui la lettre de change sera tirée, sans que le tireur pour compte d’autrui cesse d’être personnellement obligé envers les endosseurs et le porteur seulement. »

Trois enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • C’est, en principe, au tireur qu’il appartient de fournir la provision
    • La créance incorporée dans le titre étant celle que détient le tireur contre le tiré, il est normal qu’il soit concerné au premier chef par la fourniture de la provision.
    • Pour être créancier du tiré, encore faut-il que le tireur satisfasse à son engagement pris à l’égard de ce dernier, ce qui ne peut se traduire que par la fourniture de la provision
  • La provision peut néanmoins être fournie par un tiers pour le compte du tireur
    • soit parce qu’il est son débiteur
    • soit parce qu’il veut réaliser une libéralité
  • les endosseurs ne sont pas tenus de fournir provision.
    • La cause de l’obligation de l’endosseur réside, non pas dans la fourniture de la provision, mais dans la constitution de la valeur fournie

2. Quand doit-on fournir la provision ?

L’article L. 511-7, alinéa 2 du Code de commerce prévoit que :

« Il y a provision si, à l’échéance de la lettre de change, celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur, ou à celui pour compte de qui elle est tirée, d’une somme au moins égale au montant de la lettre de change. »

Il en résulte qu’il n’est pas nécessaire que le tireur ait fourni provision au tiré lors de l’émission de la lettre de change. Ce qui importe c’est qu’il soit créancier du tiré à l’échéance portée sur la traite.

La fourniture de la provision par le tireur n’est donc pas une condition de validité de la lettre de change.

Si l’on admettait le contraire, cela reviendrait à vider la lettre de change de sa fonction de crédit.

3. Quelles sont les créances susceptibles de constituer la provision ?

La provision est toujours constituée par une créance de somme d’argent que le tireur détient contre le tiré.

Cette créance de somme d’argent peut résulter de plusieurs opérations :

a) La fourniture de marchandises

La lettre de change est le plus souvent émise dans le cadre d’un contrat de fourniture de marchandises.

Le fournisseur des marchandises tire une lettre de change sur l’acquéreur, à qui il reviendra en sa qualité de tiré, de régler le prix des marchandises au porteur de l’effet.

Schéma 3

La provision est réputée exister dès lors que les marchandises ont été livrées et qu’elles sont conformes à ce qui avait été prévenu contractuellement entre les parties à l’opération.

b) L’octroi d’un prêt

La provision peut également consister en la créance qui résulte de la conclusion d’un contrat de prêt consenti par le tireur au tiré.

L’opération consiste pour le prêteur à tirer une lettre de change sur l’emprunteur.

L’exécution du contrat de prêt se traduira, le plus souvent, par le tirage de plusieurs lettres de changes dont la date de paiement correspond aux différentes échéances de remboursement du prêt.

La conclusion du contrat de prêt sera néanmoins conditionnée, en pratique, par l’acceptation de la traite par l’emprunteur, afin que celui-ci soit engagé cambiairement à l’égard du prêteur.

Schéma 4

c) La souscription d’un cautionnement

La provision de la lettre de change peut encore trouver sa source dans un cautionnement consenti par le tiré à la faveur du tireur.

Dans cette hypothèse, le tiré s’apparente à un garant qui sera actionné par le tireur-prêteur  en cas de défaut de remboursement de l’emprunteur à l’échéance de la lettre de change.

La provision réside dans le cautionnement consenti. En apposant sa signature sur l’effet, le tiré a bien l’intention de payer si le titre lui est présenté au paiement.

Lorsqu’elle est créée à cette fin, on qualifie la lettre de change d’« effet de cautionnement ».

Schéma 5

Les effets de cautionnements sont considérés comme licites par la jurisprudence (V. en ce sens Com. 16 oct. 1968, Bull. civ. IV, no 271 ; RTD com. 1969. 547, obs. M. Cabrillac et Rives-Lange. – Com. 23 juin 1971, D. 1972. 175, note M. Cabrillac ; JCP 1972. II. 17185, note Groslière).

B) La fictivité de la provision

Quel sort réserver à la lettre de change qui incorpore une créance fictive ?

On qualifie cette traite d’effet de « complaisance ».

Dans cette hypothèse, non seulement le tireur (complu) n’a pas vocation à être créancier du tiré à l’échéance de la lettre de change, mais encore, réciproquement, le tiré (complaisant) n’a nullement l’intention de régler la traite lors de sa présentation au paiement par le porteur.

La cause de l’engagement du tiré fait, ici, totalement défaut.

En réalité, la traite a été émise dans une seule finalité : tromper les tiers sur la solvabilité du tireur et/ou du tiré.

En effet, afin de se procurer des fonds auprès d’un banquier, un commerçant peut être tenté de tirer une lettre de change sur une personne avec laquelle il est en collusion, afin de l’escompter.

Il recevra ainsi les fonds du banquier escompteur, alors qu’il ne détient aucune créance sur le tiré.

Schéma 6

Une question alors se pose : pourquoi le tiré accepte-t-il de s’engager cambiairement à la faveur du porteur alors qu’il sait pertinemment que la provision est fictive ?

Deux montages peuvent être envisagés par le tireur de concert avec le tiré :

  • Le tirage en cavalerie: afin de procurer des fonds au tiré à l’échéance, le tireur va escompter une nouvelle lettre de change d’un montant supérieur à la précédente afin de couvrir les frais bancaires. Chaque traite a, de la sorte, vocation à assurer le paiement de l’effet auquel elle succède.

Schéma 7

  • Le tirage croisé: le tireur peut convenir avec le tiré que, pour se procurer des fonds, celui-ci tire une lettre de change dans le sens inverse et l’escompte auprès d’un banquier

Schéma 8

Quid de la sanction du tirage d’un effet de complaisance ?

Sur le plan pénal, le tirage d’un effet de complaisance peut être qualifié d’escroquerie s’il est assorti de manœuvres frauduleuses (V. en ce sens Crim. 4 avr. 2012, n°11-81332).

Sur le plan civil, la sanction de l’effet de complaisance a fait l’objet d’âpres discussions en doctrine.

Très vite, la nullité de l’engagement cambiaire du tiré s’est imposée en jurisprudence (V. en ce sens Cass. Req., 31 janv. 1849, S. 1849. 1. 161 ; Civ. 16 juill. 1928, S. 1929. 1. 57, note Lescot ; Cass. com., 28 oct. 1964 : Bull. civ. 1964, III, n° 453).

Toutefois, restait à déterminer sur quel fondement asseoir cette nullité.

Trois fondements ont été débattus par les auteurs :

  • L’absence provision:
    • la provision n’est pas une condition de validité de la lettre de change. La raison en est qu’il n’est pas besoin que le tireur soit créancier du tiré lors de l’émission de la traite. Il lui suffit de le devenir lors de l’échéance.
    • D’emblée, le fondement de la provision doit donc être écarté.
  • Le défaut de cause:
    • Le fondement est séduisant : lors de l’engagement du tiré à la faveur du porteur, aucune contrepartie ne lui a été fournie par le tireur de la traite. Et il n’en attend aucune.
    • Qui plus est, le droit français n’a pas une vision totalement abstraite de l’engagement cambiaire, à la différence du droit allemand.
    • La cause de l’engagement cambiaire des signataires de la lettre de change doit résider dans le rapport fondamental au titre duquel il a apposé sa signature sur la traite. Á défaut, l’engagement cambiaire est nul
    • Est-ce à dire que, tant l’engament du tiré-complaisant, que l’engagement du tireur-complu sont nuls pour défaut de cause ?
      • S’agissant de l’engagement du tiré-complaisant, il n’est pas dépourvu de cause. Celle-ci réside dans sa volonté de prêter son concours au tireur, voire d’en retirer un avantage en procédant à un tirage croisé.
      • Quant à l’engagement du tireur-complu, son engagement n’est pas non plus privé de cause dans la mesure où la traite est émise en vue d’obtenir des fonds auprès, notamment, d’un banquier escompteur.
  • L’illicéité de la cause:
    • C’est dans l’illicéité de la cause que la doctrine et la jurisprudence ont trouvé le fondement de la nullité de l’engagement des parties à l’effet de complaisance (V. en ce sens com., 28 oct. 1964 : Bull. civ. 1964, III, n° 453)

Quid des effets de la nullité ?

Dans les rapports complu-complaisant, l’engagement cambiaire du tiré est frappé de nullité absolue.

  • Cette nullité n’est, cependant, pas opposable au porteur de bonne foi.
  • Il en résulte que le tiré complu ne sera pas fondé à refuser de payer la traite qui lui est présentée au paiement, nonobstant la nullité de son obligation.
  • Quid du recours du tiré-complaisant contre le tireur-complu une fois la lettre de change réglée au porteur de bonne foi?
  • Dans un premier temps, la Cour de cassation a estimé que le tiré-complaisant ne disposait d’aucun recours en répétition de l’indu contre le tireur-complu (V. en ce sens req., 8 juin 1891)
    • La solution se justifiait par l’adage Nemo auditur propriam turpitudinem allegans
  • Dans un second temps, la Cour de cassation est revenue sur sa position (V. en ce sens 21 juin 1977, Bull. civ. IV, no 177)

Dans les rapports avec le porteur, il convient de distinguer selon que celui-ci est de bonne ou mauvaise foi :

  • Le porteur de bonne foi :
    • La nullité de l’engagement cambiaire du tiré lui est inopposable
    • Il est donc fondé à réclamer le paiement de la traite
  • Le porteur de mauvaise foi:
    • La nullité de l’engagement cambiaire du tiré lui est, à l’inverse, opposable
    • Le vice qui affecte la lettre de change étant apparent, il est parfaitement normal d’écarter l’application du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Le porteur de mauvaise foi dispose-t-il d’un recours extra-cambiaire contre le tireur ?
      • La Cour de cassation estime que dans la mesure où la convention d’escompte est frappée de nullité, « les parties doivent être remises en l’état antérieur» ( 21 juin 1977, Bull. civ. IV, no 177).
      • Aussi, cela qui revient-il à admettre le recours en répétition de l’indu exercé par le porteur de mauvaise foi contre le tireur-complu.

IV) Les droits du porteur sur la provision

A) La propriété de la provision

  1. L’apparente contradiction entre les alinéas 2 et 3 de l’article L. 511-7 du Code de commerce

L’article L. 511-7, alinéa 3 du Code de commerce dispose que :

« La propriété de la provision est transmise de droit aux porteurs successifs de la lettre de change. »

Cela signifie que la remise de la lettre de change au porteur opère un transfert immédiat de la provision, accessoires compris.

En toute logique, il devrait en résulter que le tireur perd sa qualité de créancier du tiré à la faveur du bénéficiaire de la traite.

Une contradiction apparaît néanmoins si l’on compare cette disposition avec l’alinéa 2 de l’article L. 511-7 du Code de commerce.

Cet alinéa prévoit, en effet, que :

« Il y a provision si, à l’échéance de la lettre de change, celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur ».

On peut en déduire qu’il n’est nullement nécessaire que le tireur soit créancier du tireur lors de l’émission de la lettre de change, ni même qu’il le soit au moment de sa remise au porteur.

Ce qui importe, c’est qu’il le devienne à l’échéance portée sur la traite.

C’est là que la contradiction apparaît : comment admettre que la provision soit transmise dès l’émission de la traite, alors qu’elle n’est nécessaire qu’à son échéance ?

En d’autres termes, comment la remise de la lettre de change peut-elle opérer un transfert immédiat de la provision à la faveur du porteur, alors que le tireur peut, ne pas être créancier du tiré ?

Selon l’adage Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet, nul ne peut transférer à autrui plus de droits qu’il n’en a.

Dans cette perspective, comment le tireur de la lettre de change pourrait-il transmettre au porteur la titularité d’une créance qu’il ne détient pas encore sur le tiré ?

Au vrai, l’apparente contradiction entre les alinéas 2 et 3 de l’article L. 511-7 du Code de commerce peut être résolue si l’on considère que le tireur est titulaire, non pas d’un droit de propriété sur la provision, mais d’un droit personnel contre le tiré.

2. La résolution de la contradiction entre les alinéas 2 et 3 de l’article L. 511-7 du Code de commerce

L’apparente contradiction susceptible de ressortir de l’interprétation de l’article L. 511-7 du Code de commerce vient de l’emploi à l’alinéa 2 de la formule « la propriété de la provision ».

En réalité, la provision ne constitue nullement l’objet d’un droit de propriété. Elle est tout au contraire un droit de créance.

Par définition, un droit de créance échappe au domaine des droits réels.

Ce qui dès lors est transmis au porteur de la lettre de change, ce n’est pas un droit réel sur la provision, mais un droit personnel contre le tiré.

Or ce droit, contrairement à un droit réel, peut parfaitement être dépourvu d’objet lors de son transfert.

Ainsi, comme le suggèrent les auteurs, lors de la remise de la traite au porteur, celui-ci « acquiert un droit exclusif sur la créance qui appartiendra au tireur contre le tiré à l’échéance » (Ph. Delebecque et M. Germain, Traité de droit commerciale, éd. LGDJ, 2000, t. 2, n°1979, p. 166).

La conséquence en est que le droit de créance dont devient titulaire le porteur de la lettre de change contre le tiré demeure extrêmement fragile.

3. La fragilité du droit du porteur sur la provision

Tant que le tireur n’a pas fourni provision au tiré ou que celui-ci n’a pas accepté la traite, le porteur est titulaire d’un droit de créance éventuelle.

La Cour de cassation estime en ce sens que « la provision s’analyse dans la créance éventuelle du tireur contre le tiré, susceptible d’exister à l’échéance de la lettre de change, et, qu’avant cette échéance, le tiré non accepteur peut valablement payer le tireur tant que le porteur n’a pas consolidé son droit sur ladite créance en lui adressant une défense de s’acquitter entre les mains du tireur » (Com. 29 janv. 1974, Bull. civ. IV, no 37).

Ainsi, pour Cour de cassation, tant que l’échéance de la lettre de change n’est pas survenue, le paiement du tiré entre les mains du tireur est libératoire.

Réciproquement, on peut en déduire que, jusqu’à l’échéance, le tireur peut librement disposer de la provision – pourtant transmise au porteur – celui-ci ne détenant contre le tiré qu’un droit de créance éventuelle.

Bien que conforme à la lettre de l’article L. 511-7, alinéa 3 du Code de commerce, cette jurisprudence n’en est pas moins source de nombreuses difficultés.

En effet, dans la mesure où le droit de créance dont est titulaire le porteur n’a pas définitivement intégré son patrimoine, d’autres créanciers sont susceptibles d’entrer en concours quant à la titularité de la créance que détient le tireur contre le tiré :

Pour plus de détails, voir la fiche dédiée aux conflits de mobilisation de créances.

4. La consolidation du droit du porteur sur la provision

Le droit du porteur sur la provision devient irrévocable dans plusieurs circonstances :

  • La survenance de l’échéance portée sur la lettre de change : elle a pour effet de rendre le droit du porteur définitif et irrévocable (V. en ce sens com., 4 juin 1991 : Bull. civ. 1991, IV, n° 208)
    • Il en résulte trois conséquences :
      • Le porteur est fondé présenter au paiement la lettre de change au tiré. S’il refuse, le bénéficiaire de la traite pourra exercer un recours extra-cambiaire contre le tiré sur le fondement de la provision
      • Le paiement du tiré entre les mains de toute autre personne que le porteur n’est pas libératoire (Cass. com., 3 mai 1976 : Bull. civ. 1976, IV, n° 143 ; JCP G 1977, II, 18767, note G.-L. Pierre-François ; RTD civ. 1977, 125, n° 1, obs. M. Cabrillac et J.-L. Rives-Lange ; D. 1976, inf. rap. p. 229).
      • Inversement, le tireur ne peut plus librement disposer de la provision. Il ne détient plus aucun droit sur elle.
  • L’acceptation : par l’acceptation le tiré de la lettre de change a s’engage cambiairement.
    • Plusieurs effets :
      • Le tiré se reconnaît débiteur du tireur, de sorte que la créance de provision est irrévocablement affectée au paiement de l’effet.
      • Le tiré devient le débiteur principal de la traite. Il ne disposera, en conséquence, de recours contre personne dans l’hypothèse où le tireur ne lui aurait pas fourni provision
      • La provision sort définitivement du patrimoine du tireur. Elle devient indisponible. Elle ne pourra donc pas faire l’objet d’une revendication émanant d’un créancier concurrent du tireur ou du tiré.
      • Le paiement du tiré effectué entre les mains du tireur n’est pas libératoire.
  • La défense de payer: le porteur peut interdire au tiré de régler la traite entre les mains d’une autre personne que lui, et notamment entre les mains du tireur (V. en ce sens com., 19 nov. 1973 : Bull. civ. 1973, IV, n° 332)
    • Cette défense de payer peut être adressée au tiré par le biais d’une simple missive.

B) La preuve de la provision

Deux situations doivent être distinguées :

  • La traite non-acceptée
  • La traite acceptée
  1. La traite non-acceptée

L’article L. 511-7 al. 4 dispose que « l’acceptation suppose la provision. Elle en établit la preuve à l’égard des endosseurs ».

A contrario, cela signifie qu’en cas d’absence d’acceptation, la constitution de la provision n’est pas présumée.

Conformément à l’article 1315 al. 1er du Code civil – selon lequel la charge de la preuve repose sur celui qui revendique l’exécution d’une obligation – il appartiendra au porteur de la traite impayée de prouver l’existence de la créance de provision dont il a acquis la titularité (Cass. com., 19 janv. 1983 : D. 1983, inf. rap. p. 248, obs. M. Cabrillac).

2. La traite acceptée

L’article L. 511-7 al. 4 prévoit que l’acceptation de la lettre de change fait présumer la constitution de la provision.

Autrement dit, il appartiendra au tiré de prouver que le tireur n’a pas exécuté l’obligation qui lui échoit au titre de la provision.

Lorsqu’il exercera son recours contre le tiré, le porteur sera, en conséquence, dispensé de rapporter la preuve de la provision.

Deux questions se sont alors posées :

  • Quel est le domaine d’application de la présomption ?
  • Quelle est la nature de la présomption ?

a) Le domaine d’application de la présomption

L’article L. 511-7 alinéa 5 du Code de commerce dispose que l’acceptation « établit la preuve à l’égard des endosseurs. »

Est-ce à dire que seuls les endosseurs seraient fondés à se prévaloir de la présomption posée à l’alinéa 4 de l’article L. 511-7 du Code de commerce ?

En d’autres termes, le tireur et le porteur de la traite seraient-ils exclus du bénéfice de la présomption ?

Très tôt, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative à cette interrogation (Cass. civ., 30 nov. 1897 : DP 1898, 1, p. 158 ; Cass. civ., 15 juill. 1975 : Bull. civ. 1975, IV, n° 201).

b) La nature de la présomption

La question qui se pose est de savoir si la présomption posée à l’article L. 511-7 alinéa 4 du Code de commerce est simple.

Le tiré est-il fondé à rapporter la preuve contraire ?

Deux catégories de rapports doivent être envisagées :

  • Les rapports tireur-tiré accepteur
  • Les rapports porteur/endosseur-tiré accepteur

 Dans les rapports tireur-tiré accepteur

Dans cette configuration, la présomption est simple.

Elle ne souffre donc pas de la preuve contraire (Cass. com., 22 mai 1991 : Bull. civ.1991, IV, n° 170 ; D. 1992, somm. p. 339, obs. M. Cabrillac)

Cette solution s’explique par le fait que l’engagement cambiaire du tiré n’est pas totalement abstrait

L’acceptation par le tiré de la traite a pour cause le rapport fondamental qui le lie au tireur.

Il est donc légitime qu’il lui soit permis d’établir que le tireur n’a pas satisfait à son obligation, laquelle obligation constitue la cause de l’engagement cambiaire du tiré

 En outre, dans le cadre des rapports tireur-tiré accepteur, le tiré, même accepteur, est toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leurs rapports personnels.

 Or le défaut de provision en est une. D’où la permission qui lui est faite de prouver que la provision ne lui a pas été valablement fournie.

 Dans les rapports porteur/endosseur-tiré accepteur

 Deux hypothèses doivent être envisagées :

  • Le porteur/endosseur est de bonne foi: la présomption est irréfragable ( req., 23 déc. 1903 : DP 1905, 1, p. 358)
    • Cette position de la Cour de cassation résulte de l’application du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Que la provision ait ou non été constituée à la faveur du tiré, celui-ci est engagé cambiairement, de sorte qu’il a l’obligation de payer l’effet lors de sa présentation à l’échéance.
  • Le porteur/endosseur est de mauvaise foi : la présomption est simple ( com., 12 juill. 1971 : Gaz. Pal. 1971, 2, jurispr. p. 759)
    • Cette solution se justifie pleinement puisque le porteur de mauvaise foi est déchu du bénéfice de l’inopposabilité des exceptions
    • Le tiré accepteur, bien qu’il soit engagé cambiairement, est, en conséquence, fondé à invoquer le défaut de provision
    • Or pour ce faire, il lui faudra prouver que le tireur ne lui a pas fourni ladite provision

La distinction entre rapport fondamental et rapport cambiaire

Le droit des effets de commerce tout entier s’articule autour de la distinction entre rapport fondamental et rapport cambiaire.

Les droits et obligations qui échoient au porteur d’un effet de commerce prennent, en effet, leur source nécessairement dans l’un et/ou l’autre de ces rapports.

Aussi, en simplifiant à l’extrême, on pourrait être tenté de soutenir que le droit des effets de commerce a pour fonction de régler la création, l’exécution et l’extinction des rapports fondamentaux et cambiaires.

Dans cette perspective, afin de mieux cerner la logique sur laquelle repose cette branche du droit, il convient de s’interroger, dans un premier temps, sur les notions de rapport fondamental et de rapport cambiaire (I), puis, dans un second temps, de nous intéresser aux relations que ces deux catégories de rapports entretiennent (II).

I) NOTIONS

A) Le rapport fondamental

Classiquement, le rapport fondamental se définit comme le rapport préexistant et extérieur au titre qui constitue la cause de l’engagement de chaque signataire de la traite.

Aussi, cela recoupe-t-il deux hypothèses bien distinctes :

  • Tantôt, le rapport fondamental constitue la cause de l’émission du titre : on parle de provision
  • Tantôt, le rapport fondamental constitue la cause de la transmission du titre : on parle de valeur fournie
  1. Le rapport fondamental comme cause de l’émission du titre

 Dans cette hypothèse, on qualifie le rapport fondamental de provision.

Qu’est-ce que, concrètement, la provision ?

Il s’agit de la créance que détient celui qui émet la lettre de change (TIREUR) contre son débiteur (TIRÉ).

Schéma 7

Afin de mobiliser sa créance, la plupart du temps auprès d’un banquier escompteur, le créancier va tirer une lettre de change sur son débiteur, ce qui aura pour effet d’incorporer ladite créance dans un titre négociable. Ce titre peut alors circuler librement et être endossé par les différents porteurs successifs.

Ainsi, la créance que la lettre de change incorpore n’est autre que la provision.

Cette créance de provision, que détient le tireur contre le tiré de la lettre de change, s’apparente à la contrepartie de la prestation fournie par le tireur au tiré (fourniture de marchandises, prestation de service, octroi d’un prêt etc…).

Schéma 8

Fort naturellement, le tiré sera toujours plus enclin à payer la lettre de change qui lui sera présentée à l’échéance par le porteur lorsque le tireur aura exécuté la prestation convenue entre eux.

Dans le cas contraire, le tiré sera fondé, s’il n’a pas accepté la traite en la signant, à refuser de payer la lettre de change, quand bien le porteur est de bonne foi.

Ce dernier pourra néanmoins se retourner contre le tireur, lequel est, à défaut d’acceptation du tiré, le débiteur principal de la lettre de change.

2. Le rapport fondamental comme cause de la transmission du titre

Dans cette hypothèse, on qualifie le rapport fondamental de valeur fournie.

La valeur fournie constitue la cause de la transmission de la lettre de change.

À la différence de la provision, la valeur fournie ne fait pas l’objet d’une incorporation dans le titre.

Et pour cause, l’incorporation d’une créance dans un titre est commandée par la volonté de son titulaire de mobiliser ladite créance, soit de la faire circuler.

Dès lors, la valeur fournie représente simplement la créance fondamentale que détient le porteur contre le tireur, soit la contrepartie en vertu de laquelle ce dernier décide de lui remettre la traite.

Cette créance fondamentale que constitue la valeur fournie, peut avoir des causes diverses et variées :

  • Elle peut consister en la contrepartie d’une remise de fonds consentie par le banquier escompteur au tireur en vue de lui permettre de mobiliser la créance qu’il détient contre un client
  • Elle peut encore consister en la contrepartie d’une prestation exécutée par le porteur au profit du tireur

Ainsi, la lettre de change est-elle toujours transmise au porteur en règlement d’une créance que ce dernier détient contre le tireur.

C’est ce rapport fondamental, extérieur au titre, que l’on qualifie de valeur fournie.

Une fois la lettre de change transmise au porteur, celui-ci peut, à son tour, transmettre la traite en règlement de la créance fondamentale que détient sur lui le bénéficiaire à qui il la remet.

Le rapport fondamental qui se crée entre les deux porteurs successifs est également qualifié de valeur fournie.

Il en existera autant qu’il est de créances fondamentales servant de cause à la transmission de la lettre de change.

Schéma 1

Ainsi, la valeur fournie n’intéresse que les rapports entre :

  • Tireur-porteur
  • Endosseur-endossataire

Dans les deux cas, le bénéficiaire de la traite est en position de créancier par rapport au tireur ou à l’endosseur.

Quid du rapport qui se noue entre le porteur de l’effet de commerce et le tiré ?

Lorsque le porteur de la lettre de change acquiert la lettre de change, conformément à l’article L. 511-7 du Code de commerce, la créance de provision que détenait initialement le tireur sur le tiré lui est immédiatement transmise.

Ainsi, le tiré n’est-il plus le débiteur du tireur. Il devient, par l’effet de la transmission de la traite, débiteur du porteur.

Schéma 2

Est-ce à dire que le rapport qui se crée entre le porteur de la lettre de change et le tiré peut être qualifié de rapport fondamental ?

Bien que le rapport qui se noue entre eux par l’effet de la transmission du titre ne soit pas de nature cambiaire, il ne peut pas non plus être qualifié de rapport fondamental.

La raison en est que ce rapport ne préexiste pas à l’émission du titre. Il est seulement la conséquence de sa transmission.

Partant, le rapport juridique qui se noue entre le tiré et le porteur n’est qu’indirect.

Qui plus est, ce rapport est frappé d’une grande fragilité : tant que la traite n’a pas été acceptée ou que son échéance n’est pas survenue, le porteur n’est titulaire que d’un droit de créance éventuel sur le tiré.

En effet, l’article L. 511-7 du Code civil n’interdit nullement au tireur de disposer du droit de créance dont il est titulaire sur le tiré avant l’échéance, ce quand bien même la traite a été transmise au porteur.

Prévoir le contraire, serait revenu à vider de sa substance la fonction de la lettre de change qui est un instrument de crédit

 B) Le rapport cambiaire

Le rapport cambiaire se définit très simplement comme le rapport qui se crée lors de l’émission d’un effet de commerce.

Ce rapport cambiaire engage celui qui appose sa signature sur le titre envers le porteur, soit celui à qui il transmet la traite.

Ainsi, le rapport cambiaire vient-il se superposer au rapport fondamental préexistant qui s’est noué entre le tireur et le porteur de la lettre de change.

Schéma 3

Par ailleurs, le signataire de la traite s’engage cambiairement envers tous les porteurs subséquents.

Schéma 4

Chaque souscripteur de l’effet de commerce est donc engagé cambiairement autant de fois qu’il est de porteurs subséquents. L’endosseur ne sera, en ce sens, jamais engagé cambiairement envers le tireur.

Il peut être observé que le tireur et les endosseurs ne sont pas les seuls à pouvoir s’engager cambiairement.

L’engagement cambiaire est ouvert à deux autres personnes :

  • Le tiré
  • L’avaliste

L’engagement cambiaire du tiré

L’engagement cambiaire du tiré est subordonné à ce que l’on appelle l’acceptation.

L’acceptation se définit comme la faculté pour le tiré de souscrire à la traite qui lui sera présentée « pour acceptation ».

Par cette acceptation ­? qui se traduira par l’apposition de la signature du tiré sur le titre, assortie de la mention « bon pour acceptation » ? le tiré s’engage cambiairement, d’une part, envers le porteur de la traite, d’autre part envers le tireur.

Il s’ensuit que le tiré devient le débiteur principal de l’effet de commerce.

Cela signifie qu’il n’aura de recours contre personne une fois le paiement de la traite effectué (à l’exception du tireur qui n’a pas fourni provision). Et pour cause, dans la mesure où la créance incorporée dans le titre le désigne comme débiteur !

Schéma 5

L’engagement cambiaire de l’avaliste

Lorsque le tireur, le tiré ou un endosseur souscrit à la lettre de change, il peut assortir son engagement d’une garantie, qui sera consentie, soit par un tiers, soit par un signataire de la traite.

Cette garantie porte le nom d’« aval ». Le garant est, quant à lui, qualifié d’avaliste, d’avaliseur ou bien encore de donneur d’aval.

Ainsi, l’aval constitue-t-il une « garantie personnelle de paiement du titre, donné en la forme cambiaire, par un donneur d’aval qui garantit que la lettre sera payée, en tout ou partie, à l’échéance » (R. Bonhomme, Instruments de crédit et de paiement, LGDL, 11e éd., 2015, coll. « manuel », n°193, p. 156-157.)

L’aval s’apparente, dans cette perspective, à un cautionnement consenti au bénéfice d’un ou plusieurs signataires de la traite, de sorte que l’avaliste est engagé ? cambiairement ? dans les mêmes termes que celui dont il garantit l’engagement (art. L. 511-21 C. com).

Schéma 6

En quoi le rapport cambiaire se distingue-t-il du rapport fondamental ?

Il s’en distingue en tous points :

  • L’obligation cambiaire est toujours commerciale
    • Compétence des juridictions consulaires
  • L’obligation cambiaire est solidaire
    • Le bénéficiaire de la traite est fondé à poursuivre en paiement de la traite n’importe lequel de ses signataires
  • La validité et la vigueur de l’obligation cambiaire sont subordonnées au respect des conditions de forme du titre.
    • Les signataires successifs de la traite se portent acquéreurs de la créance qu’elle incorpore en considération de l’apparence du titre; d’où la rigueur du formalisme.
  • L’obligation cambiaire est autonome, en ce sens que l’engagement cambiaire de chaque souscripteur est apprécié séparément, indépendamment de la validité de l’engagement des autres signataires.
    • C’est ce qu’on appelle le principe d’indépendance des signatures
  • L’obligation cambiaire est abstraite ce qui signifie qu’elle est détachée du rapport fondamental qui en constitue la cause.
    • Autrement dit, le vice (nullité ou extinction de l’obligation) dont est entaché le rapport fondamental n’affecte pas la validité du rapport cambiaire; d’où le principe d’inopposabilité des exceptions.

II) LES RELATIONS ENTRE LE RAPPORT FONDAMENTAL ET LE RAPPORT CAMBIAIRE

A) L’influence du rapport cambiaire sur le rapport fondamental

Depuis la moitié du XIXe siècle, il est admis par la jurisprudence, non sans de tumultueux débats, que l’émission ou l’endossement d’une lettre de change n’entraîne pas novation de l’obligation préexistante (Cass. civ. 1850, D. 1850. 1. 158).

La raison en est que, conformément à l’article 1273 du Code civil, « la novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l’opérer résulte clairement de l’acte. ».

On ne saurait déduire, en effet, que, en acquérant la traite, le porteur a entendu renoncer aux droits attachés à la créance préexistante dont il est titulaire et, notamment, aux sûretés réelles et personnelles dont ladite créance est susceptible d’être assortie (V. en ce sens Chr. Juillet, Les accessoires de la créance, Defrénois, 2009).

Il s’ensuit que, par principe, le rapport fondamental survit à la création du rapport cambiaire pour se superposer à lui.

L’intérêt pour le créancier cambiaire est double :

  • Il conserve le bénéfice des sûretés attachées au rapport fondamental préexistant
  • En cas de négligence ou de prescription de l’action cambiaire, il se ménage un recours de droit commun contre son débiteur cambiaire
    • Soit, s’il est tiré sur le fondement de la provision
    • Soit s’il est tireur ou endosseur sur le fondement de la valeur fournie

B) L’influence du rapport fondamental sur le rapport cambiaire

Par principe, les rapports cambiaires et fondamentaux demeurent indépendants l’un de l’autre.

Cette indépendance souffre, néanmoins, de nombreuses exceptions en raison de la double influence que le rapport fondamental exerce sur le rapport cambiaire :

  • Tantôt, il renforce le rapport cambiaire auquel il se superpose
  • Tantôt, il fragilise ce même rapport cambiaire dont il menace l’existence
  1. L’influence positive du rapport fondamental sur le rapport cambiaire

Le rapport fondamental exerce une influence positive sur le rapport cambiaire auquel il se superpose pour trois raisons :

  • Tout d’abord, il confère au détenteur du titre une action fondamentale qui repose sur le droit commun, de sorte que s’il est négligent ou que l’action cambiaire est prescrite, il dispose d’une action subsidiaire lui permettant, malgré tout, d’actionner en paiement le débiteur de la traite.
  • Ensuite, la transmission de la traite à un tiers emporte, par principe, transfert de la propriété de la provision, sans qu’il soit besoin d’accomplir les formalités propres à la cession de créance
  • Enfin, le transfert de la provision opéré par la transmission de la traite a pour conséquence de transmettre, corrélativement, aux différents porteurs successifs toutes les garanties que les parties ont entendu attacher à la possession de l’effet

2. L’influence négative du rapport fondamental sur le rapport cambiaire

Bien que l’on présente le rapport fondamental comme abstrait, à la vérité, il ne l’est pas complètement comme c’est le cas en droit allemand.

En effet, dans la mesure où l’on exige, en droit français, que l’obligation cambiaire, à laquelle souscrivent les signataires successifs de la traite, soit causée, on ne saurait faire fi totalement des vices susceptibles d’affecter le rapport fondamental.

Ainsi, lorsque l’engagement cambiaire du souscripteur de la traite est sans cause ou repose sur une cause illicite, il est frappé de nullité

Il en résulte, en outre, que le principe d’inopposabilité des exceptions qui, normalement, bénéficie au porteur de l’effet voit son application écartée lorsque les exceptions invoquées sont issues des relations personnelles entretenues entre le porteur de la traite et son débiteur.

Il en va notamment ainsi des exceptions tirées de la nullité et de l’extinction du rapport fondamental qui les unit l’un à l’autre.