L’obligation essentielle du contrat ou la consécration des jurisprudences Chronopost et Faurecia

Lorsque le juge se livre à un contrôle de la contrepartie – entendue antérieurement comme la cause de l’obligation – il doit, en principe, appréhender le contrat pris dans son ensemble, soit comme un tout.

Autrement dit, l’exigence formulée à l’article 1169 du Code civil ne suppose pas que chaque clause de l’acte soit assortie d’une contrepartie.

La stipulation d’une contrepartie n’est, en effet, exigée que pour la prestation caractéristique du contrat, appelée également obligation principale ou essentielle.

Ainsi, dans un contrat de vente, ce qui importe c’est qu’un prix sérieux ait été stipulé par les parties en contrepartie de la délivrance de la chose.

Une clause relative aux modalités d’exécution du contrat prévue par les parties sans contrepartie serait sans incidence sur la validité de l’acte, sauf à ce que la mise en œuvre de ladite clause porte atteinte à l’obligation essentielle du contrat.

Tel est le sens de l’article 1170 du Code civil aux termes duquel « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

Nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016 dans le Code civil, cette disposition est venue consacrer la célèbre construction jurisprudentielle Chronopost et Faurecia dont les rebondissements se sont échelonnés sur près de 14 ans.

I) La construction de la jurisprudence Chronopost et Faurecia

A) La saga Chronopost

En résumant à gros trait, dans le cadre de l’affaire Chronopost, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la question de savoir si une clause stipulée en contradiction avec l’engagement principal pris par l’une des parties pouvait faire l’objet d’une annulation.

C’est sur le terrain de la cause que la Cour de cassation a tenté de répondre en se servant de cette notion comme d’un instrument de contrôle de la cohérence du contrat, ce qui n’a pas été sans alimenter le débat sur la subjectivisation de la cause.

Afin de bien saisir les termes du débat auquel a donné lieu la jurisprudence Chronopost, revenons sur les principales étapes de cette construction jurisprudentielle qui a conduit à l’introduction d’un article 1170 du Code civil.

1. Premier acte : arrêt Chronopost du 22 octobre 1996

Arrêt Chronopost I

(Cass. com. 22 oct. 1996)

Sur le premier moyen :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué, que la société Banchereau a confié, à deux reprises, un pli contenant une soumission à une adjudication à la société Chronopost, venant aux droits de la société SFMI ; que ces plis n’ayant pas été livrés le lendemain de leur envoi avant midi, ainsi que la société Chronopost s’y était engagée, la société Banchereau a assigné en réparation de ses préjudices la société Chronopost ; que celle-ci a invoqué la clause du contrat limitant l’indemnisation du retard au prix du transport dont elle s’était acquittée ;

Attendu que, pour débouter la société Banchereau de sa demande, l’arrêt retient que, si la société Chronopost n’a pas respecté son obligation de livrer les plis le lendemain du jour de l’expédition avant midi, elle n’a cependant pas commis une faute lourde exclusive de la limitation de responsabilité du contrat ;

Attendu qu’en statuant ainsi alors que, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, la société Chronopost s’était engagée à livrer les plis de la société Banchereau dans un délai déterminé, et qu’en raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 30 juin 1993, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Caen.

?Faits

Une société (la société Chronopost), spécialiste du transport rapide, s’est engagée à livrer sous 24 heures un pli contenant une réponse à une adjudication.

Le pli arrive trop tard, de sorte que la société cliente ne parvient pas à remporter l’adjudication.

?Demande

La société cliente demande réparation du préjudice subi auprès du transporteur

Toutefois, la société Chronopost lui oppose une clause qui limite sa responsabilité au montant du transport, soit 122 francs.

?Procédure

Par un arrêt du 30 juin 1993, la Cour d’appel de Rennes, déboute la requérante de sa demande.

Les juges du fond estiment que la responsabilité contractuelle du transporteur n’aurait pu être recherchée que dans l’hypothèse où elle avait commis une faute lourde.

Or selon la Cour d’appel le retard dans la livraison du pli ne constituait pas une telle faute.

En conséquence, le client du transporteur ne pouvait être indemnisé du préjudice subi qu’à hauteur du montant prévu par le contrat soit le coût du transport : 122 francs.

?Solution

Par un arrêt du 22 octobre 1996, la Chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 22 oct. 1996, n°93-18.632).

La Cour de cassation affirme, au soutien de sa décision que dans la mesure où la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant, à ce titre, la fiabilité et la célérité de son service, s’était engagée à livrer les plus de son client dans un délai déterminé, « en raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite ».

?Analyse

Tout d’abord, il peut être observé que, en visant l’ancien article 1131 du Code civil, la Cour de cassation assimile à l’absence de cause l’hypothèse où la mise en œuvre de la clause limitative de responsabilité a pour effet de contredire la portée de l’obligation essentielle contractée par les parties.

En l’espèce, la société Chronopost, spécialisée dans le transport rapide, s’est engagée à acheminer le plus confié dans un délai déterminé en contrepartie de quoi elle facture à ses clients un prix bien supérieur à ce qu’il est pour un envoi simple par voie postale.

En effet, c’est pour ce service, en particulier, que les clients de la société Chronopost, se sont adressé à elle, sinon pourquoi ne pas s’attacher les services d’un transporteur classique dont la prestation serait bien moins chère.

Ainsi, y a-t-il manifestement dans le délai rapide d’acheminement une obligation essentielle soit une obligation qui constitue l’essence même du contrat : son noyau dur.

Pourtant, la société Chronopost a inséré dans ses conditions générales une clause aux termes de laquelle elle limite sa responsabilité, en cas de non-respect du délai d’acheminement fixé, au montant du transport, alors même que le préjudice subi par le client est sans commune mesure.

D’où la question posée à la Cour de cassation : une telle clause ne vide-t-elle pas de sa substance l’obligation essentielle du contrat, laquelle n’est autre que la stipulation en considération de laquelle le client s’est engagé ?

En d’autres termes, peut-on envisager que la société Chronopost s’engage à acheminer des plis dans un délai rapide et, corrélativement, limiter sa responsabilité en cas de non-respect du délai stipulé à la somme de 122 francs ?

Il ressort du présent arrêt, que la Cour de cassation répond par la négative à cette question.

Elle estime, en ce sens, que la stipulation de la clause limitative de responsabilité était de nature à contredire la portée de l’engagement pris au titre de l’obligation essentielle du contrat.

En réduisant à presque rien l’indemnisation en cas de manquement à l’obligation essentielle du contrat, la clause litigieuse vide de sa substance ladite obligation.

Aussi, cela reviendrait, selon la Cour de cassation qui vise l’article 1131 du Code civil, à priver de cause l’engagement du client, laquelle cause résiderait dans l’obligation d’acheminer le pli dans un délai déterminé.

Elle en déduit que la clause limitative de responsabilité doit être réputée non-écrite.

?Critiques

Plusieurs critiques ont été formulées à l’encontre de la solution retenue par la haute juridiction

  • Le visa de la solution
    • Pourquoi annuler la clause du contrat sur le fondement de l’ancien article 1131 du Code civil alors même qu’il existe une contrepartie à l’obligation de chacun des contractants ?
      • La contrepartie de l’obligation de la société Chronopost consiste en le paiement du prix par son client.
      • La contrepartie de l’obligation du client consiste quant à elle en l’acheminement du pli par Chronopost.
    • Jusqu’alors, afin de contrôler l’existence d’une contrepartie, le contrat était appréhendé globalement et non réduit à une de ses clauses en particulier.
  • La subjectivisation de la cause
    • Autre critique formulée par les auteurs, la Cour de cassation se serait attachée, en l’espèce, à la fin que les parties ont poursuivie d’un commun accord, ce qui revient à recourir à la notion de cause subjective alors que le contrôle de l’existence de contrepartie s’opère, classiquement, au moyen de la seule cause objective.
    • Pour la Cour de cassation, en concluant un contrat de transport rapide, les parties ont voulu que le pli soit acheminé à son destinataire dans un certain délai.
    • Or, si l’on s’en tient à un contrôle de la cause objective (l’existence d’une contrepartie), cela ne permet pas d’annuler la clause limitative de responsabilité dont la mise en œuvre porte atteinte à l’obligation essentielle du contrat : l’obligation de délivrer le pli dans le délai convenu.
    • Pour y parvenir, il est en effet nécessaire d’apprécier la validité des clauses du contrat en considération de l’objectif recherché par les contractants.
    • Le recours à la notion de cause subjective permet alors d’écarter la clause qui contredit la portée de l’engagement pris, car elle entrave la fin poursuivie et ainsi la cause qui a déterminé les parties à contracter.
    • Tel est le cas de la clause limitative de responsabilité qui fait obstacle à la réalisation du but poursuivi par les parties, cette clause étant de nature à ne pas inciter la société Chronopost à mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose afin d’exécuter son obligation, soit acheminer les plis qui lui sont confiés dans le délai stipulé.
    • Au total, la conception que la Cour de cassation se fait de la cause renvoie à l’idée que la cause de l’obligation correspondrait au but poursuivi par les parties, ce qui n’est pas sans faire écho à l’arrêt Point club vidéo rendu le 3 juillet 1996, soit trois mois plus tôt, où elle avait assimilé le défaut d’utilité de l’opération économique envisagé par l’une des parties à l’absence de cause.
  • La sanction de l’atteinte à l’obligation essentielle
    • La cause étant une condition de validité du contrat, son absence était sanctionnée, en principe, par une nullité du contrat lui-même.
    • Tel n’est cependant pas le cas dans l’arrêt Chronopost où la Cour de cassation estime que la clause limitative de responsabilité est seulement réputée non-écrite.
    • Pourquoi cette solution ?
    • De toute évidence, en l’espèce, la Cour de cassation a statué pour partie en opportunité.
    • Si, en effet, elle avait prononcé la nullité du contrat dans son ensemble, cela aurait abouti au même résultat que si l’on avait considéré la clause valide :
      • Le client reprenait son pli
      • Chronopost reprend ses 122 francs.
    • Aussi, en réputant la clause non-écrite, cela permet d’envisager la question de la responsabilité contractuelle de la société Chronopost, la clause limitative de responsabilité ayant été neutralisée.
    • Plus largement, la sanction retenue participe d’un mouvement en faveur du maintien du contrat : plutôt que d’anéantir l’acte dans son ensemble, on préfère le maintenir, amputé de ses stipulations illicites.
    • La Cour de cassation parvient donc ici à une solution équivalente à laquelle aurait conduit l’application des règles relatives à la prohibition des clauses abusives.
    • Toutefois, ce corpus normatif ne trouve d’application que dans le cadre des relations entre professionnels et consommateurs, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
    • Dès lors, on peut estimer que la Cour de cassation s’est servie dans cet arrêt du concept de cause comme d’un instrument d’éradication d’une clause abusive stipulée dans un contrat qui, par nature, échappait au droit de la consommation.

2. Deuxième acte : arrêt Chronopost du 9 juillet 2002

La solution retenue dans l’arrêt Chronopost n’a pas manqué de soulever plusieurs questions, dont une en particulier : une fois que l’on a réputé la clause limitative de responsabilité non-écrite comment apprécier la responsabilité de la société Chronopost ? Autrement dit, quelle conséquence tirer de cette sanction ?

Arrêt Chronopost II

(Cass. com. 9 juill. 2002)

Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 22 octobre 1996, bulletin n° 261), qu’à deux reprises, la société Banchereau a confié à la Société française de messagerie internationale (SFMI), un pli destiné à l’office national interprofessionnel des viandes, de l’élevage et de l’agriculture en vue d’une soumission à une adjudication de viande ; que ces plis n’ayant pas été remis au destinataire le lendemain de leur envoi, avant midi, ainsi que la SFMI s’y était engagée, la société Banchereau n’a pu participer aux adjudications ;

qu’elle a assigné la SFMI en réparation de son préjudice ; que celle-ci a invoqué la clause du contrat limitant l’indemnisation du retard au prix du transport dont elle s’était acquittée ;

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1150 du Code civil, l’article 8, paragraphe II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er et 15 du contrat type messagerie, établi par décret du 4 mai 1988, applicable en la cause ;

Attendu que pour déclarer inapplicable le contrat type messagerie, l’arrêt retient que le contrat comporte une obligation particulière de garantie de délai et de fiabilité qui rend inapplicable les dispositions du droit commun du transport ;

Attendu qu’en statuant ainsi, après avoir décidé que la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la livraison était réputée non écrite, ce qui entraînait l’application du plafond légal d’indemnisation que seule une faute lourde du transporteur pouvait tenir en échec, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du deuxième moyen et sur le troisième moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 janvier 1999, entre les parties, par la cour d’appel de Caen ;

  • Faits
    • La Cour de cassation est amenée à se prononcer une seconde fois sur l’affaire Chronopost jugée une première fois par elle le 22 octobre 1996.
    • Elle statue ici sur le pourvoi formé par la société Chronopost contre l’arrêt rendu sur renvoi le 5 janvier 1999 par la Cour d’appel de Rouen.
  • Problématique
    • À l’instar du contrat vente, de bail ou encore de prêt, le contrat de messagerie est encadré par des dispositions réglementaires.
    • Plus précisément il est réglementé par le décret du 4 mai 1988 qui organise son régime juridique.
    • Aussi, dans le deuxième volet de l’affaire Chronopost, la question s’est posée de savoir si le décret du 4 mai 1988 réglementant les contrats de type transport était applicable au contrat conclu entre la société Chronopost et son client ou si c’est le droit commun de la responsabilité contractuelle qui devait s’appliquer.
    • Quel était l’enjeu ?
      • Si le décret s’applique, en cas de non-acheminement du pli dans les délais par le transporteur, celui-ci prévoit une clause équivalente à celle déclarée nulle par la Cour de cassation dans l’arrêt du 22 octobre 1996 : le remboursement du montant du transport, soit la somme de 122 francs, celle-là même prévue dans les conditions générales de la société Chronopost.
      • Si, au contraire, c’est le droit commun de la responsabilité qui s’applique, une réparation du préjudice subie par la société cliente du transporteur est alors envisageable.
  • Solution
    • Tandis que la Cour d’appel condamne la société Chronopost sur le terrain du droit commun (réparation intégrale du préjudice) estimant que le contrat type messagerie était inapplicable en l’espèce, la Cour de cassation considère que le décret du 4 mai 1988 avait bien vocation à s’appliquer (Cass. com. 9 juill. 2002, n°99-12.554).
    • Au soutien de sa décision, la Cour de cassation affirme que dans la mesure où la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la livraison était réputée non écrite, cela entraîne nécessairement « l’application du plafond légal d’indemnisation que seule une faute lourde du transporteur pouvait tenir en échec ».
    • En appliquant le droit commun des transports, cela revient alors à adopter une solution qui produit le même effet que si elle n’avait pas annulé la clause litigieuse : le remboursement de la somme de 122 francs !
    • Dans cet arrêt, la Cour de cassation précise toutefois que le plafond légal d’indemnisation est susceptible d’être écarté en rapportant la preuve d’une faute lourde imputable au transporteur.
    • D’où la référence dans le visa, entre autres, à l’ancien article 1150 du Code civil qui prévoyait que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée. »
    • La solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 9 juillet 2002 a immédiatement soulevé une nouvelle question :le manquement à une obligation essentielle du contrat pouvait être assimilé à une faute lourde, ce qui dès lors permettrait d’écarter le plafond légal d’indemnisation prévu par le décret du 4 mai 1988.

3. Troisième acte : arrêts Chronopost du 22 avril 2005

Arrêts Chronopost III

(Cass. ch. mixte, 22 avril 2005)

Première espèce

Attendu, selon l’arrêt attaqué que la société D… France (la société D…) ayant décidé de concourir à un appel d’offres ouvert par la ville de Calais et devant se clôturer le lundi 25 mai 1999 à 17 h 30, a confié à la société Chronopost, le vendredi 22 mai 1999 l’acheminement de sa candidature qui n’est parvenue à destination que le 26 mai 1999 ; que la société D… a assigné la société Chronopost en réparation de son préjudice ; que cette dernière a invoqué la clause limitative d’indemnité pour retard du contrat-type “messagerie” ; Sur le second moyen :

Vu l’article 1150 du Code civil, l’article 8 paragraphe II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er, 22-2, 22-3 du décret 99-269 du 6 avril 1999, applicable en la cause ;

Attendu que pour écarter le plafond d’indemnisation prévu au contrat-type “messagerie” et condamner la société Chronopost à payer à la société D… la somme de 100 000 francs, l’arrêt retient que la défaillance de la société Chronopost consistant en un retard de quatre jours, qualifié par elle-même “d’erreur exceptionnelle d’acheminement”, sans qu’elle soit en mesure d’y apporter une quelconque explication, caractérise une négligence d’une extrême gravité, constitutive d’une faute lourde et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir d’éclaircissements sur la cause du retard, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir soulevée par la société Chronopost, l’arrêt rendu le 24 mai 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Seconde espèce

Sur le moyen unique, qui est recevable :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 7 février 2003), que le 31 décembre 1998, la société Dubosc et Landowski (société Dubosc) a confié à la société Chronopost un pli destiné à la ville de Vendôme, contenant son dossier de candidature à un concours d’architectes ; que le dossier qui aurait dû parvenir au jury avant le 4 janvier 1999, a été livré le lendemain ; que la société Dubosc, dont la candidature n’a pu de ce fait être examinée, a assigné la société Chronopost en réparation de son préjudice ; que cette dernière a invoqué la clause limitative d’indemnité pour retard figurant au contrat-type annexé au décret du 4 mai 1988 ;

Attendu que la société Dubosc fait grief à l’arrêt d’avoir condamné la société Chronopost à lui payer seulement la somme de 22,11 euros, alors, selon le moyen, “que l’arrêt relève que l’obligation de célérité, ainsi que l’obligation de fiabilité, qui en est le complément nécessaire, s’analysent en des obligations essentielles résultant de la convention conclue entre la société Dubosc et la société Chronopost ; que l’inexécution d’une obligation essentielle par le débiteur suffit à constituer la faute lourde et à priver d’effet la clause limitative de responsabilité dont le débiteur fautif ne peut se prévaloir pour s’exonérer de la réparation du préjudice qui en résulte pour le créancier ; qu’en décidant que faute d’établir des faits précis caractérisant la faute lourde du débiteur, le créancier ne peut prétendre qu’à l’indemnisation du prix du transport, la cour d’appel a violé les articles 1131, 1134, 1147 et 1315 du Code civil, 8, alinéa 2, de !a loi du 30 décembre 1982, 1 et 15 du contrat messagerie établi par le décret du 4 mai 1988″ ;

Mais attendu qu’il résulte de l’article 1150 du Code civil et du décret du 4 mai 1988 portant approbation du contrat-type pour le transport public terrestre de marchandises applicable aux envois de moins de trois tonnes pour lesquels il n’existe pas de contrat-type spécifique que, si une clause limitant le montant de la réparation est réputée non écrite en cas de manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat, seule une faute lourde, caractérisée par une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle, peut mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue au contrat-type établi annexé au décret ;

Qu’ayant énoncé à bon droit que la clause limitant la responsabilité de la société Chronopost en cas de retard qui contredisait la portée de l’engagement pris étant réputée non écrite, les dispositions précitées étaient applicables à la cause, et constaté que la société Dubosc ne prouvait aucun fait précis permettant de caractériser l’existence d’une faute lourde imputable à la société Chronopost, une telle faute ne pouvant résulter du seul retard de livraison, la cour d’appel en a exactement déduit qu’il convenait de limiter l’indemnisation de la société Dubosc au coût du transport ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits

  • Dans la première espèce
    • Une société qui avait décidé de concourir à un appel d’offres ouvert par la ville de Calais et devant se clôturer le lundi 25 mai 1999 à 17 h 30, a confié à la société Chronopost, le vendredi 22 mai 1999 l’acheminement de
    • Sa candidature n’est cependant parvenue à destination que le 26 mai 1999 en raison d’un retard dans l’acheminement du pli.
  • Dans la seconde espèce
    • Une société a confié à la société Chronopost un pli destiné à la ville de Vendôme, contenant son dossier de candidature à un concours d’architectes.
    • Le dossier devait parvenir au jury avant le 4 janvier 1999.
    • Toutefois, il n’est délivré que le lendemain.

?Demande

Dans les deux arrêts, les clients de la société Chronopost demandent réparation du préjudice occasionné du fait du retard de livraison du pli confié au transporteur

?Procédure

  • Première espèce
    • Par un arrêt du 24 mai 2002, la Cour d’appel de Paris accède à la requête du client de la société Chronopost.
    • Les juges du fond estiment que le plafond d’indemnisation prévu au contrat-type messagerie devait être écarté dans la mesure où le retard d’acheminement du pli qui avait été confié à la société Chronopost « caractérise une négligence d’une extrême gravité, constitutive d’une faute lourde et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée ».
  • Seconde espèce
    • Par un arrêt du 7 février 2003, la Cour d’appel de Versailles déboute le client de la société Chronopost de sa demande.
    • Les juges du fond estiment dans cette espèce que si l’obligation de livrer dans les délais le pli confié au transporteur constitue une obligation essentielle du contrat, le manquement à cette obligation ne suffit pas à caractériser une faute lourde.
    • Dès lors, pour la Cour d’appel de Versailles, il n’y a pas lieu d’écarter le plafond d’indemnisation prévu par le décret qui réglemente les contrats-type messagerie.

?Solution

Tandis que dans la première espèce, la Chambre mixte casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel, dans la seconde le pourvoi formé par le client de la société Chronopost est rejeté.

Deux enseignements peuvent être tirés des deux arrêts rendus le même jour par la chambre mixte le 22 avril 2005 :

  • Définition de la faute lourde
    • La Cour de cassation répond à l’interrogation née de l’arrêt du 9 juillet 2002 : la définition de la faute lourde
    • Aussi, dans la deuxième espèce jugée par la chambre mixte, la faute lourde est définie comme « le comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait accepté ».
    • La faute lourde comprendrait donc deux éléments :
      • Un élément subjectif : le comportement confinant au dol, soit à une faute d’une extrême gravité.
      • Un élément objectif : l’inaptitude quant à l’accomplissement de la mission contractuelle.
  • Faute lourde et manquement à l’obligation essentielle
    • Dans la première espèce la Cour de cassation estime que « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir d’éclaircissements sur la cause du retard » (Cass. ch. mixte, 22 avril 2005, n°02-18.326).
    • Dans la seconde espèce, la haute juridiction affirme encore que « la clause limitant la responsabilité de la société Chronopost en cas de retard qui contredisait la portée de l’engagement pris étant réputée non écrite, les dispositions précitées étaient applicables à la cause, et constaté que la société Dubosc ne prouvait aucun fait précis permettant de caractériser l’existence d’une faute lourde imputable à la société Chronopost, une telle faute ne pouvant résulter du seul retard de livraison » (Cass. ch. mixte, 22 avril 2005, n°03-14.112).
    • En d’autres termes, il résulte des deux arrêts rendus par la chambre mixte le 22 avril 2005 que le simple manquement à une obligation essentielle du contrat ne saurait caractériser à lui seul une faute lourde
    • Pour que la faute lourde soit retenue, il aurait fallu que soit établie, en plus, l’existence d’un élément subjectif : le comportement d’une extrême gravité confinant au dol.
    • Ainsi, était-il nécessaire de démontrer que la société Chronopost avait délibérément livré le pli qui lui a été confié en retard, ce qui n’était évidemment pas le cas en l’espèce.
    • D’où le refus de la Cour de cassation d’écarter le plafond légal d’indemnisation prévu par le décret du 4 mai 1988.
    • La chambre mixte a dès lors fait le choix d’une approche extrêmement restrictive de la faute lourde, à tel point que les auteurs se sont demandé si cela ne revenait pas à exclure toute possibilité d’écarter le plafond légal d’indemnisation en raison de l’impossibilité de rapporter la preuve de la faute lourde.

4. Quatrième acte : Arrêt Chronopost du 30 mai 2006

Arrêt Chronopost IV

(Cass. com. 30 mai 2006)

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt déféré, que deux montres, confiées par la société JMB International à la société Chronopost pour acheminement à Hong Kong, ont été perdues pendant ce transport ; que la société JMB International a contesté la clause de limitation de responsabilité que lui a opposée la société Chronopost ;

Attendu que pour débouter la société JMB International de toutes ses demandes, l’arrêt retient que celle-ci, qui faisait valoir le grave manquement de la société Chronopost à son obligation essentielle d’acheminement du colis à elle confié, avait nécessairement admis, en déclarant accepter les conditions générales de la société Chronopost, le principe et les modalités d’une indemnisation limitée en cas de perte du colis transporté ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la clause limitative d’indemnisation dont se prévalait la société Chronopost, qui n’était pas prévue par un contrat-type établi par décret, ne devait pas être réputée non écrite par l’effet d’un manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a dit que l’action de la société JMB International était recevable et n’était pas prescrite, l’arrêt rendu le 11 mars 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris

  • Faits
    • Deux montres, confiées par une société au transporteur Chronopost pour acheminement à Hong Kong, ont été perdues pendant ce transport.
  • Demande
    • La société cliente engage la responsabilité de Chronopost.
    • Au soutien de sa demande, elle avance que la clause limitative de responsabilité dont se prévaut le transporteur ne lui est pas opposable.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 11 mars 2004, la Cour d’appel de Paris déboute le client de la société Chronopost de toutes ses demandes.
    • Étonnamment, les juges du fond adoptent une solution pour le moins différente de la jurisprudence initiée par la Cour de cassation dix ans plus tôt.
    • Ils considèrent que, en confiant un pli à la société Chronopost pour qu’elle l’achemine jusqu’à son destinataire, elle « avait nécessairement admis, en déclarant accepter les conditions générales de la société Chronopost, le principe et les modalités d’une indemnisation limitée en cas de perte du colis transporté »
    • La clause limitative de responsabilité était, dans ces conditions, parfaitement applicable à la société cliente.
    • Ainsi, la Cour d’appel refuse-t-elle d’apprécier la validité de la clause limitative de responsabilité en se demandant si elle ne portait pas atteinte à une obligation essentielle, ni même si la société Chronopost n’avait pas manqué à son obligation de délivrer le pli dans le délai prévu par le contrat.
  • Solution
    • Par un arrêt du 30 mai 2006, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 30 mai 2006, n°04-14.974).
    • Sans surprise, la chambre commerciale reproche aux juges du fond de n’avoir pas recherché « si la clause limitative d’indemnisation dont se prévalait la société Chronopost, qui n’était pas prévue par un contrat-type établi par décret, ne devait pas être réputée non écrite par l’effet d’un manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat »
    • Ainsi, la haute juridiction fait-elle une exacte application de la solution dégagée dans le premier arrêt Chronopost rendu le 22 octobre 1996.

5. Cinquième acte : Arrêt Chronopost du 13 juin 2006

Arrêt Chronopost V

(Cass. com. 13 juin 2006)

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1150 du code civil, l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er, 22-2, 22-3 du décret 99-269 du 6 avril 1999, applicable en la cause ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Dole froid service a confié à la société Chronopost l’acheminement d’un pli contenant une soumission pour un marché d’équipement de matériel de rafraîchissement et portant la mention : “livraison impérative vendredi avant midi” ; que ce délai n’ayant pas été respecté, la société Dole froid service, dont l’offre n’a pu être examinée, a assigné la société Chronopost service en réparation de son préjudice ;

Attendu que pour dire inapplicable la clause légale de limitation de responsabilité du transporteur résultant de l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et du contrat type messagerie applicables en la cause et condamner en conséquence la société Chronopost à payer à la société Dole froid service la somme de 6 000 euros en réparation de son préjudice, l’arrêt retient que la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, s’était obligée de manière impérative à faire parvenir le pli litigieux le vendredi avant midi à Champagnole, localité située à 25 kilomètres du lieu de son expédition, où il avait été déposé la veille avant 18 heures, qu’elle n’avait aucune difficulté à effectuer ce transport limité à une très courte distance et que, au regard de ces circonstances, sa carence révèle une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission qu’il avait acceptée ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il a condamné la société Chronopost à verser à la société Dole froid service la somme complémentaire de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts, l’arrêt rendu le 2 décembre 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

  • Faits
    • Une société a confié à la société Chronopost l’acheminement d’un pli contenant une soumission pour un marché d’équipement de matériel de rafraîchissement et portant la mention : “livraison impérative vendredi avant midi”.
    • Le délai de livraison n’ayant pas été respecté, l’offre n’a pu être examinée.
  • Demande
    • Le client de la société Chronopost engage sa responsabilité aux fins d’obtenir réparation du préjudice subi.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 2 décembre 2004, la Cour d’appel de Paris accède à la demande du demandeur en déclarant le plafond légal d’indemnisation inapplicable,
    • La Cour d’appel relève pour ce faire que « la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, s’était obligée de manière impérative à faire parvenir le pli litigieux le vendredi avant midi à Champagnole, localité située à 25 kilomètres du lieu de son expédition, où il avait été déposé la veille avant 18 heures, qu’elle n’avait aucune difficulté à effectuer ce transport limité à une très courte distance et que, au regard de ces circonstances, sa carence révèle une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission qu’il avait acceptée »
    • Elle en déduit que, en l’espèce, la faute lourde ce qui, conformément à l’ancien article 1150 du Code civil, rendait inapplicable la clause légale de limitation de responsabilité du transporteur résultant de l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982.
  • Solution
    • Par un arrêt du 13 juin 2006, la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond notamment au visa de l’article 1150 du Code civil (Cass. com. 13 juin 2006, n°05-12.619).
    • La chambre commerciale réitère ici la solution dégagée par la chambre mixte le 22 avril 2005 en affirmant que « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».
    • Or en l’espèce, le seul manquement susceptible d’être reproché au transporteur était de n’avoir pas exécuté son obligation essentielle, de sorte que cela n’était pas suffisant pour caractériser une faute lourde.
    • Pour y parvenir, la Cour de cassation rappelle que cela suppose de démontrer d’adoption par le transporteur d’un comportement d’une extrême gravité confinant au dol.

B) L’épilogue de la saga Chronopost : les arrêts Faurecia

La saga des arrêts Chronopost a donné lieu à un épilogue qui s’est déroulé en deux actes.

1. Premier acte : arrêt Faurecia du 13 février 2007

Arrêt Faurecia I

(Cass. com. 13 févr. 2007)

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Faurecia sièges d’automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ; que conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu’un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en oeuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte ; qu’en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d’un changement de logiciel pour passer l’an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu’aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu’assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière et la société Deloitte aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties ;

[…]

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu l’article 1131 du code civil ;

Attendu que, pour limiter les sommes dues par la société Oracle à la société Faurecia à la garantie de la condamnation de cette société au paiement de la somme de 203 312 euros à la société Franfinance et rejeter les autres demandes de la société Faurecia, l’arrêt retient que la société Faurecia ne caractérise pas la faute lourde de la société Oracle qui permettrait d’écarter la clause limitative de responsabilité, se contentant d’évoquer des manquements à des obligations essentielles, sans caractériser ce que seraient les premiers et les secondes et dès lors que de tels manquements ne peuvent résulter du seul fait que la version V 12 n’ait pas été livrée ou que l’installation provisoire ait été ultérieurement “désinstallée” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait, d’abord, constaté que la société Oracle s’était engagée à livrer la version V 12 du progiciel, objectif final des contrats passés en septembre 1999 et qu’elle n’avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999 ni plus tard sans justifier d’un cas de force majeure, puis relevé qu’il n’avait jamais été convenu d’un autre déploiement que celui de la version V 12, ce dont il résulte un manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE

?Faits

La société Faurecia a souhaité déployer sur ses sites en 1997 un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale

Conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999

Des contrats de licence, de maintenance et de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en œuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte

Dans l’attente de la livraison de la livraison du nouveau logiciel, une solution provisoire a été installée

Toutefois, cette solution provisoire ne fonctionnait pas correctement et la version V 12 du logiciel n’était toujours pas livrée.

La société Faurecia a dès lors cessé de régler les redevances dues à son fournisseur, la société Oracle, laquelle avait, entre-temps, cédé ses droits à la société Franfinance.

?Demande

La société Faurecia assigne alors la société Oracle ainsi que la société Deloitte aux fins d’obtenir la nullité des contrats conclus pour dol et subsidiairement leur résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties.

?Procédure

Par un arrêt du 31 mars 2005, la Cour d’appel de Versailles a estimé que l’indemnisation susceptible d’être allouée à la société Faurecia en réparation de son préjudice devait être limitée au montant prévu par la clause limitative de responsabilité.

Cette clause trouvait, en effet, pleinement à s’appliquer en l’espèce, dans la mesure où la société Faurecia ne caractérisait pas la faute lourde de la société Oracle.

Les juges du fond avancent au soutien de cette affirmation que, non seulement la société Faurecia n’établit aucun des manquements aux obligations essentiels reprochés à la société Oracle, mais encore que ces manquements ne sauraient résulter du seul fait que le logiciel ne lui a pas été livré, ni que l’installation provisoire ait été ultérieurement désinstallée.

La solution de la Cour d’appel était ainsi, en tous points, conforme à la jurisprudence Chronopost de la Cour de cassation.

?Solution

Par un arrêt du 13 février 2007, la chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-17.407).

Après avoir relevé que « la société Oracle s’était engagée à livrer la version V 12 du progiciel, objectif final des contrats passés en septembre 1999 et qu’elle n’avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999 ni plus tard sans justifier d’un cas de force majeure, puis relevé qu’il n’avait jamais été convenu d’un autre déploiement que celui de la version V 12 », la cour de cassation considère que le manquement reproché à la société Oracle portait sur une obligation essentielle.

Or elle estime que pareil manquement « est de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation ».

Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt Faurecia I

  • En premier lieu
    • Dès lors qu’une clause vient limiter la responsabilité du débiteur d’une obligation essentielle, elle doit être réputée non écrite.
    • Les clauses limitatives de responsabilité seraient, en somme, sans effet dès lors que le manquement reproché à une partie porterait sur une obligation essentielle.
  • En second lieu
    • Le seul manquement à une obligation essentielle suffit à caractériser la faute lourde.
    • Il s’agit donc de la solution radicalement opposée à celle adoptée par la Cour de cassation, par deux fois, dans ses arrêts du 22 avril 2005 et du 13 juin 2006.
    • Sur ce point, la chambre commerciale opère donc un revirement de jurisprudence.
    • Désormais, le simple manquement est suffisant quant à faire échec à la clause limitative de responsabilité.
    • Il n’est plus besoin de rapporter la preuve d’un comportement d’une extrême gravité imputable au débiteur de l’obligation essentielle.

?Analyse

La position adoptée par la Cour de cassation dans cet arrêt Faurecia I a été unanimement critiquée par la doctrine.

Les auteurs ont reproché à la chambre commerciale d’avoir retenu une solution « liberticide » en ce sens que cela revenait à priver les parties de la possibilité de stipuler une clause limitative de responsabilité dès lors qu’une obligation essentielle était en jeu.

L’application de cette jurisprudence aurait conduit, en effet, à considérer que seules les obligations accessoires au contrat pouvaient désormais faire l’objet d’une limitation de responsabilité, ce qui n’est pas sans porter atteinte à la liberté contractuelle des parties.

La Cour de cassation s’est, de la sorte, écartée de la solution dégagée dans l’arrêt Chronopost I où elle avait décidé que la clause limitative de responsabilité ne devait être réputée non écrite qu’à la condition que ladite clause prive la portée de l’engagement pris.

Dans l’arrêt Faurecia I, la chambre commerciale ne formule pas cette exigence.

Elle se satisfait de la seule présence dans le contrat, d’une clause limitative de responsabilité susceptible d’être activée en cas de manquement à une obligation essentielle.

Animée d’une volonté d’encadrer le recours aux clauses limitatives de responsabilité la Cour de cassation est, à l’évidence, allée trop loin.

Aussi, un retour à la solution antérieure s’est très rapidement imposé.

2. Second acte : arrêt Faurecia du 29 juin 2010

Arrêt Faurecia II

(Cass. com. 29 juin 2010)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 26 novembre 2008), que la société Faurecia sièges d’automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ; qu’elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu’un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en oeuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre ces sociétés ; qu’en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d’un changement de logiciel pour passer l’an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu’aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu’assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties ; que la cour d’appel a, par application d’une clause des conventions conclues entre les parties, limité la condamnation de la société Oracle envers la société Faurecia à la garantie de la condamnation de celle-ci envers la société Franfinance et rejeté les autres demandes de la société Faurecia ; que cet arrêt a été partiellement cassé de ce chef (chambre commerciale, financière et économique, 13 février 2007, pourvoi n° Z 05-17.407) ; que, statuant sur renvoi après cassation, la cour d’appel, faisant application de la clause limitative de réparation, a condamné la société Oracle à garantir la société Faurecia de sa condamnation à payer à la société Franfinance la somme de 203 312 euros avec intérêts au taux contractuel légal de 1,5 % par mois à compter du 1er mars 2001 et capitalisation des intérêts échus dans les termes de l’article 1154 à compter du 1er mars 2002 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Faurecia fait grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen : […]

Mais attendu que seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur ; que l’arrêt relève que si la société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l’indemnisation négocié aux termes d’une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n’était pas dérisoire, que la société Oracle a consenti un taux de remise de 49 %, que le contrat prévoit que la société Faurecia sera le principal représentant européen participant à un comité destiné à mener une étude globale afin de développer un produit Oracle pour le secteur automobile et bénéficiera d’un statut préférentiel lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle amélioration de la solution automobile d’Oracle pour la version V 12 d’Oracles applications ; que la cour d’appel en a déduit que la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle de la société Oracle et a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société Faurecia fait encore le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen, qu’après avoir constaté que la société Oracle n’avait pas livré la version V 12, en considération de laquelle la société Faurecia avait signé les contrats de licences, de support technique, de formation et de mise en oeuvre du programme Oracle applications, qu’elle avait ainsi manqué à une obligation essentielle et ne démontrait aucune faute imputable à la société Faurecia qui l’aurait empêchée d’accomplir ses obligations, ni aucun cas de force majeure, la cour d’appel a jugé que n’était pas rapportée la preuve d’une faute d’une gravité telle qu’elle tiendrait en échec la clause limitative de réparation ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant les articles 1134, 1147 et 1150 du code civil ;

Mais attendu que la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu que les deuxième et quatrième moyens ne seraient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits / procédure

Après que dans l’arrêt Faurecia I, la Cour de cassation a cassé et annulé la décision de la Cour d’appel de Versailles, l’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Paris.

Par un arrêt du 26 novembre 2008, les juges parisiens, qui donc statuent sur renvoi, décident de résister à la chambre commerciale.

Ils estiment, en effet, que la clause limitative de responsabilité était pleinement applicable en l’espèce, conformément à la solution qui avait été adoptée par la première Cour d’appel qui avait été saisie.

?Solution

Par un arrêt du 29 juin 2010, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société Faurecia contre la décision de la Cour d’appel de Paris (Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).

Deux questions étaient soumises à la chambre commerciale :

  • Première question : la clause limitative de responsabilité portant sur une obligation essentielle doit-elle être réputée non-écrite ?
    • À cette question, la Cour de cassation répond par la négative.
    • Elle affirme en ce sens que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur »
    • Ainsi, la Cour de cassation renoue-t-elle à la solution classique dégagée dans l’arrêt Chronopost I.
    • Pour qu’une clause limitative de responsabilité soit annulée, elle doit vider de sa substance l’obligation essentielle.
    • Dans le cas contraire, elle demeure valide.
    • En l’espèce, la Chambre commerciale relève que « si la société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l’indemnisation négocié aux termes d’une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n’était pas dérisoire, que la société Oracle a consenti un taux de remise de 49 %, que le contrat prévoit que la société Faurecia sera le principal représentant européen participant à un comité destiné à mener une étude globale afin de développer un produit Oracle pour le secteur automobile et bénéficiera d’un statut préférentiel lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle amélioration de la solution automobile d’Oracle pour la version V 12 d’Oracles applications »
    • Elle en déduit que la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle de la société Oracle
    • Rien ne justifiait donc que ladite clause soit réputée non-écrite.
  • Seconde question : le manquement à une obligation essentielle est-il constitutif d’une faute lourde ?
    • La Cour de cassation renoue là aussi avec la solution antérieure.
    • Elle affirme que « la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur »
    • Le seul manquement à une obligation essentielle ne suffit donc pas à caractériser une faute lourde.
    • Il est nécessaire de démontrer l’existence d’un comportant d’une extrême gravité confinant au dol imputable au débiteur de l’obligation essentielle.
    • Or en l’espèce, la société Oracle n’a pas rapporté la preuve d’une telle faute.

Au total, avec l’arrêt Faurecia II la Cour de cassation renoue avec la jurisprudence Chronopost dont elle s’était écartée dans l’arrêt Faurecia I.

Le législateur n’a pas manqué de saluer ce revirement en consacrant la solution adoptée dans l’ordonnance du 10 février 2016 à l’article 1170 du Code civil.

II) La consécration légale de la jurisprudence Chronopost et Faurecia

Aux termes de l’article 1170 du Code civil « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

Ainsi, le législateur a-t-il entendu consacrer la jurisprudence initiée par l’arrêt Chronopost I, puis qui s’est conclue sur l’arrêt Faurecia II.

Plusieurs observations peuvent être formulées au sujet de la règle introduite par l’ordonnance du 10 février 2016 dans le Code civil.

?Sur le domaine d’application de la règle

Il peut tout d’abord être observé que, de par sa généralité, l’application de la règle édictée à l’article 1170 n’est pas cantonnée au domaine des clauses limitatives de responsabilité.

Cette disposition a vocation à s’appliquer à toute clause qui porterait atteinte à une obligation essentielle du contrat.

On peut ainsi envisager que cela concerne, par exemple les clauses de non-concurrence qui seraient stipulées sans contrepartie.

Il peut encore s’agir des clauses dites de réclamation insérées dans les contrats d’assurance vie aux termes desquelles la victime d’un sinistre doit, pour être indemnisée par son assureur, présenté sa réclamation pendant la durée de validité du contrat. À défaut, la clause a pour effet de priver l’assuré de l’indemnisation d’un sinistre alors même que celui-ci est survenu pendant la durée d’efficacité du contrat et que les primes d’assurance ont été dûment réglées.

?Sur les conditions d’application de la règle

L’application de la règle édictée à l’article 1170 du Code civil est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • L’existence d’une obligation essentielle
    • Le législateur a repris à son compte la notion d’obligation essentielle dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Chronopost I
    • Que doit-on entendre par obligation essentielle ?
    • L’ordonnance du 10 février 2016 ne le dit pas.
    • Une ébauche de définition a été donnée par Pothier qui, dès le XVIIIe siècle, décrivaient les obligations essentielles comme celles « sans lesquelles le contrat ne peut subsister. Faute de l’une ou de l’autre de ces choses, ou il n’y a point du tout de contrat ou c’est une autre espèce de contrat ».
    • Il s’agit, autrement dit, de l’obligation en considération de laquelle les parties se sont engagées.
    • Ainsi, la réalisation de l’opération économique envisagée par les parties dépend de l’exécution de l’obligation essentielle.
    • Elle constitue, en somme, le pilier central autour duquel l’édifice contractuel tout entier est bâti.
  • La stipulation d’une clause qui viderait de sa substance l’obligation essentielle
    • L’ordonnance d’une 10 février 2016 conditionne l’annulation d’une clause sur le fondement de l’article 1170 du Code civil qu’à la condition qu’elle « prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur »
    • Ainsi, le législateur a-t-il choisi de reprendre à l’identique la solution dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Faurecia II ?
    • Pour mémoire, dans l’arrêt Faurecia I, la Chambre commerciale avait estimé que dès lors qu’une clause limitative de responsabilité portait sur une obligation essentielle elle devait être réputée non écrite (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-17.407).
    • Sous le feu des critiques, la Cour de cassation a été contrainte de revoir sa position dans l’arrêt Faurecia II.
    • Dans cette décision, elle choisit de renouer avec la jurisprudence Chronopost en affirmant que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur » (Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).
    • Si, indéniablement, l’article 1170 consacre cette solution, reste néanmoins une question en suspens : que doit-on entendre par « substance » ?
    • Plus précisément, qu’est-ce qu’une clause qui prive de sa substance une obligation essentielle ?
    • Dans l’arrêt Chronopost, la Cour de cassation s’était placée sur le terrain de la cause pour justifier sa solution.
    • Elle estimait, en effet, que la mise en œuvre de la clause limitative de responsabilité conduisait à priver de son intérêt l’utilité de l’opération économique convenue par les parties : l’acheminement du pli confié au transporteur dans un bref délai.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si le législateur a entendu assimiler la privation de l’obligation essentielle de sa substance à l’absence de cause, telle que, envisagée dans l’arrêt Chronopost, soit dans sa conception subjective ?
    • Si l’on compare les expressions « substance de l’obligation » (art. 1170) et « portée de l’obligation » (arrêt Chronopost), il apparaît que le sens de chacune d’elles est sensiblement différent.
      • Le terme substance renvoie à l’idée de contenu de l’obligation : en quoi consiste la prestation convenue par les parties ?
      • Le terme de portée renvoie quant à lui à l’idée de cause de l’obligation : pourquoi les contractants se sont-ils engagés ?
    • Aussi, selon que l’on raisonne sur la base de l’un ou l’autre terme, le champ d’application de l’article 1170 du Code civil est susceptible d’être plus ou moins étendu.
      • Si l’on s’en tient à la lettre de l’article 1170, ne pourront être pris en considération que les éléments prévus dans le contrat pour apprécier la validité d’une clause qui affecterait une obligation essentielle
      • Si en revanche, l’on s’écarte de la lettre de l’article 1170 à la faveur d’une conception finaliste, pourront alors être pris en compte, les mobiles des parties, telle que l’utilité de l’opération économique envisagée individuellement par elles.
    • Pratiquement, la seconde conception offre, de toute évidence, une bien plus grande marge de manœuvre au juge qui pourra, pour apprécier la validité de la clause affectant une obligation essentielle, se référer à des éléments extérieurs au contrat : les mobiles des parties.

?La sanction de la règle

Le législateur a décidé d’étendre la sanction prévue initialement pour les seules clauses abusives, aux clauses qui portent atteinte à une obligation essentielle du contrat : elles sont réputées non-écrite.

Cela signifie que, non seulement la clause est privée d’effet, mais encore qu’elle disparaît du contrat.

La conséquence en est un retour immédiat au droit commun qui s’appliquera à la situation juridique, initialement réglée par les parties, mais qui, sous l’effet de la sanction du juge, est devenue orpheline de tout cadre contractuel.

Est-ce à dire que, dans les différents arrêts Chronopost la suppression de la clause limitative de responsabilité permettrait aux clients d’être indemnisés de leurs préjudices ?

S’agissant de ce cas spécifique, la réponse ne peut être que négative.

Le droit commun a prévu que, en matière de contrat-type message, l’indemnisation du préjudice en cas de retard de livraison du pli ne peut excéder un certain plafond, soit celui-là même fixé par la société Chronopost.

Une suppression de la clause serait donc inopérante, sauf à ce que le client soit susceptible d’établir une faute lourde à l’encontre du transporteur, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation (V. notamment l’arrêt Faurecia II : Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).

  1. Ph. Reigné, La notion de cause efficiente du contrat en droit privé français, thèse ?

L’exigence de détermination du prix et la réforme des obligations

Nombreux sont les contrats dans lesquels est stipulée une obligation qui consiste en le paiement d’une somme d’argent, soit d’une obligation pécuniaire qui exprime le prix d’une chose ou d’un service (prix dans la vente, loyer dans le bail, honoraires dans le mandat, prime dans l’assurance etc.)

Si l’obligation pécuniaire se retrouve dans la très grande majorité des contrats onéreux, elle n’en constitue pas moins une catégorie particulière d’obligation, celle-ci portant sur de la monnaie.

Or par définition, la monnaie est instable en ce sens que rien ne permet de dire que la prestation estimée à un euro aujourd’hui aura toujours la même valeur demain.

D’où la difficulté pour les contrats qui s’échelonnent dans le temps de fixer un prix et, par voie de conséquence, de satisfaire à l’exigence de détermination de la prestation.

S’il peut s’avérer extrêmement tentant pour les parties de reporter la fixation du prix à plus tard, il est un risque que, dans pareille hypothèse, le contrat encourt la nullité.

Immédiatement la question alors se pose de savoir quelles sont les marges de manœuvres dont disposent les parties quant à la détermination du prix.

1. Droit antérieur

Il ressort de la jurisprudence que les exigences relatives à la détermination du prix ont considérablement évolué sous l’empire du droit antérieur.

?Première étape : conception souple de l’exigence de détermination du prix

  • Droit commun des contrats
    • La jurisprudence considérait, dans un premier temps, que, sauf disposition spéciale, l’article 1129 du Code civil était seul applicable en matière de détermination du prix.
    • Aussi, cela signifiait-il que dans les contrats qui comportaient une obligation pécuniaire, pour être valables, le prix devait être, soit déterminé, soit déterminable.
  • Cas des contrats-cadre
    • En application, de l’article 1129 du Code civil, la Cour de cassation a fait preuve d’une relativement grande souplesse s’agissant de l’exigence de détermination du prix, notamment pour les contrats-cadre, dont la particularité est de voir leur exécution échelonnée dans le temps.
    • Les contrats cadres ont, en effet, pour fonction d’organiser les relations contractuelles futures des parties.
    • La question s’est alors posée de savoir s’il était nécessaire que, dès la conclusion du contrat-cadre, le prix auquel seront conclues les ventes à venir soit déterminé.
    • Devait-on admettre, au contraire, que, sans fixer le prix, le fournisseur puisse seulement prévoir que le prix correspondra, par exemple, au tarif qui figurera sur le catalogue à la date de conclusion du contrat d’application ?
    • Pendant longtemps, la jurisprudence s’est manifestement satisfaite de la seconde option.
    • Elle estimait, de la sorte, que le renvoi dans le contrat-cadre au prix du tarif fournisseur au jour de la livraison pour les ventes exécutées en application de ce contrat était valable (V. notamment Cass. req., 5 févr. 1934).
  • Cas du contrat de vente
    • Il peut être observé que la règle dégagée par la jurisprudence pour les contrats en général et pour les contrats-cadres ne s’appliquait pas au contrat de vente, la détermination du prix étant régi, pour ce type de contrat, par l’article 1591.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. ». La détermination du prix est, de la sorte, une condition de validité du contrat de vente.
    • Lorsque le prix est seulement déterminable, la jurisprudence exige que sa fixation définitive soit indépendante de la volonté des parties (V. en ce sens Cass. com., 10 mars 1987, n°85-14.121).
    • Par ailleurs, l’article 1592 prévoit que le prix peut « être laissé à l’estimation d’un tiers ».

?Deuxième étape : la chasse aux nullités pour indétermination du prix

À partir du début des années 1970, la jurisprudence a changé radicalement de position s’agissant de l’exigence de détermination du prix en se livrant, selon l’expression désormais consacrée par les auteurs, à une véritable chasse aux nullités pour indétermination du prix

La Cour de cassation a, en effet, cherché à attraire dans le champ d’application de l’article 1591, soit le régime applicable au contrat de vente, des opérations qui n’étaient pas véritablement constitutives de ventes mais qui en produisaient les effets (fourniture d’un produit).

Dans un arrêt du 27 avril 1971 la Cour de cassation a estimé en ce sens, au visa de l’article 1591 du Code civil qu’un contrat-cadre devait être annulé dans la mesure où « les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de la volonté de ceux-ci » (Cass. com. 27 avr. 1971, n°70-10.753)

Cette solution a été réaffirmée par la chambre commerciale dans un arrêt du 12 février 1974 où elle censure une Cour d’appel qui, pour valider un contrat cadre, s’était référée « a des accords successifs intervenus pour la fixation du prix d’un certain nombre de fournitures, sans préciser comment, en vertu de la convention originaire, les prix de l’ensemble des fournitures prévues par celles-ci étaient soumis, malgré l’obligation d’exclusivité assumée par les époux x…, au libre jeu de la concurrence et ne dépendaient donc pas de la seule volonté de la brasserie du coq hardi » (Cass. com. 12 févr. 1974, n°72-13.959).

Cette chasse aux nullités pour indétermination du prix engagée par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, dans la mesure où cette dernière faisait application de l’article 1591 du Code civil à des contrats qui avaient pour objet, non pas la vente de produits, mais la fixation du cadre de la conclusion de contrats d’application futurs.

Cass. com. 27 avr. 1971

Sur le premier moyen : vu les articles 1591 et 1592 du code civil ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaque que, par convention du 31 mai 1956, la société Lille, Bonnieres et colombe, aux droits de laquelle se trouve la société Total, a consenti a la société Selmensheim, aux droits de laquelle se trouve la société Saint-Marcel Motors, pour l’exploitation par celle-ci d’une station de vente au détail de carburants, un prêt de matériel et d’argent ;

Qu’en contrepartie, la société Saint-Marcel Motors s’engageait à réserver à la société Total l’exclusivité pendant vingt ans, de ses achats de carburants “au prix pompiste de marque au jour de la livraison” ;

Que cette convention a d’abord été exécutée sous le régime d’un arrêté du 28 octobre 1952, qui fixait les marges respectives maximum de bénéfices de la compagnie distributrice et du pompiste détaillant, au prix du tarif de la société total lequel correspondait à la marge bénéficiaire maximum de cette société puis sous le régime de l’arrêté du 27 mai 1963, qui ne fixant plus que le prix limite de vente aux consommateurs, réalisait ainsi une fusion des deux marges, jusqu’au 17 juin 1965, date à laquelle la société Saint-Marcel Motors faisait valoir son désaccord sur les prix ;

Qu’elle assigna la société Total en vue de faire déclarer la caducité de la convention à compter de ladite date ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient essentiellement que le prix “pompiste de marque” a toujours été le prix du tarif de la société total, qui reproduisait le barème du comité professionnel du pétrole, et que c’était une coutume, les parties n’ayant pas avantage à ce qu’il en fut autrement ;

Qu’avant la publication de l’arrêté du 27 mai 1963, l’administration ne fixait pas le prix de vente des produits pétroliers aux pompistes et que cette situation n’a pas été modifiée par cet arrêté qui, en abandonnant le système des deux marges avait réalisé la fusion de celles-ci, que, lors des discussions quotidiennes qui s’instaurent entre total et ses clients pompistes de marque pour le renouvellement d’anciens contrats et la passation de nouveaux sur les conditions spéciales a chaque cas, se forme un cours moyen qui a sa traduction dans le barème du comité professionnel du pétrole, que ce barème n’a donc pas le caractère arbitraire ;

Attendu qu’en admettant ainsi que les prix fixes par la société Total pouvaient être retenus, la cour d’appel, qui n’a pas recherche si depuis le 1er octobre 1963, date d’application de l’arrêté du 27 mai 1963, les parties avaient été d’accord pour continuer à appliquer le régime antérieur, et qui n’a pas établi que les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de la volonté de ceux-ci, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

?Troisième étape : substitution de visa (art. 1591 => art. 1129)

En réaction aux critiques de la doctrine concentrées sur l’application de l’article 1591 aux contrats-cadre, la chambre commerciale décida, par trois arrêts du 11 octobre 1978, de revenir à son ancien visa, soit de fonder sa jurisprudence sur l’article 1129 du Code civil, sans pour autant changer de position.

La haute juridiction estimait, en effet, « qu’en vertu de ce texte il faut, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée » (Cass. com. 11 oct. 1978, n°77-11.624).

Ainsi, la Cour de cassation refusait-elle toujours de valider les contrats dont la détermination du prix :

  • Soit supposait un nouvel accord des parties
  • Soit dépendait de la volonté discrétionnaire d’un seul contractant

L’article 1129 relevant du droit commun des contrats, la Cour de cassation a étendu sa position bien au-delà des contrats-cadre (contrat d’approvisionnement, contrat de franchise, contrat de prêt etc.).

Il a alors été reproché à la Cour de cassation d’avoir créé une véritable insécurité juridique, dans la mesure où, dans les contrats-cadre, il est extrêmement difficile de fixer le prix d’opérations qui se réaliseront parfois plusieurs années après la conclusion du contrat initial.

Cass. com. 11 oct. 1978

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche : vu l’article 1129 du code civil ;

Attendu qu’en vertu de ce texte il faut, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt défère que, par acte du 26 juin 1969, la société brasserie guillaume x… s’est engagée, en contrepartie d’avantages financiers a elle consentis par la société européenne de brasserie (Eurobra), a ne débiter, dans son établissement de brasserie-restaurant, pendant une durée de cinq années, que des bières fabriquées ou distribuées par cette dernière société, la quantité minimum des fournitures devant atteindre 2.000 hectolitres pendant la durée susvisée ;

Qu’il était prévu à l’acte que les marchandises en cause seraient livrées “aux prix habituellement pratiques pour des marchandises de même qualité sur la place ou est exploité le fonds” ;

Que celui-ci ayant été cédé a une société Sedlo, celle-ci le transféra à son tour, par acte du 22 novembre 1972, a une société dénommée, elle aussi, brasserie guillaume x… ;

Que, dans les deux actes de cession successifs, les sociétés cessionnaires s’engagèrent à observer l’obligation d’exclusivité de fourniture résultant de l’acte du 26 juin 1969 ;

Que la société brasserie guillaume x… ayant, dans le courant de 1973, cesse de s’approvisionner auprès de la société Eurobra, celle-ci l’a assignée en payement du montant de la clause pénale figurant à l’acte dont il s’agit ;

Attendu que la société brasserie guillaume x… ayant opposé à cette demande la nullité dudit acte en raison de l’indétermination du prix des marchandises en faisant l’objet, la cour d’appel a rejeté cette exception en retenant que la clause susvisée relative à la fixation de ce prix “fait implicitement appel à la loi de l’offre et de la demande et laisse intactes toutes possibilités de négociation ou de rectification au cas où le prix propose serait supérieur au prix de marche…” ;

Attendu qu’en considérant ainsi que le prix des fournitures en cause était déterminable suivant les énonciations du contrat, sans rechercher, comme l’y invitaient les conclusions de la société brasserie guillaume x…, si la référence opérée par la clause litigieuse au prix du marché pratique à Lyon, ou ladite société avait son établissement, permettait “d’avoir un élément de référence sérieux, précis et objectif”, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur le premier moyen, non plus que sur les autres branches du second moyen : casse et annule l’arrêt rendu entre les parties le 18 janvier 1977 par la cour d’appel de paris ;

?Quatrième étape : infléchissement de la position de la Cour de cassation

La Cour de cassation n’est pas demeurée insensible aux nombreux reproches dont sa jurisprudence faisait l’objet.

C’est la raison pour laquelle, dans le courant des années 1980, elle a cherché à infléchir sa position.

Ainsi, dans un arrêt du 9 novembre 1987, la Cour de cassation a refusé d’accéder à la demande d’annulation d’un contrat de distribution pour indétermination du prix, estimant qu’il s’agissait là d’un contrat dont l’objet consiste en une obligation de faire.

Or selon elle, seuls les contrats qui portent sur une obligation de donner sont soumis à l’exigence de détermination du prix (Cass. com. 9 nov. 1987, n°86-13.984).

En d’autres termes, l’exigence de détermination du prix posée à l’article 1129 du Code civil varierait du tout ou rien, selon que l’on est en présence d’une obligation de donner ou de faire.

Critiquable à maints égards, la Cour de cassation abandonne rapidement cette distinction à la faveur du critère de la stipulation potestative, soit lorsque la fixation du prix dépend de la volonté d’une seule des parties

Dans un arrêt du 16 juillet 1991, la chambre commerciale admet en ce sens que, dans un contrat-cadre, il n’est plus nécessaire que le prix des marchandises soit déterminable « pourvu qu’il puisse être librement débattu et accepté » au moment de la conclusion de la vente (Cass. com. 16 juill. 1991).

Cass. com. 9 nov. 1987

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Caen, 27 mars 1986) que, par un contrat du 1er mars 1983, dit ” de commercialisation “, la société Cofadis, qui fabrique une machine destinée à l’imprimerie, a chargé la société Graphic Repro Diffusion (société Graphic) d’en assurer en exclusivité la distribution et la vente dans certains pays ; que la société Graphic, qui s’était engagée à vendre directement un nombre déterminé de ces appareils par an, n’ayant pas satisfait à cette obligation, la société Cofadis l’a assignée en résiliation du contrat ;

Attendu que la société Graphic fait grief à la cour d’appel d’avoir prononcé la résiliation du contrat à ses torts exclusifs alors, selon le pourvoi, d’une part, que le contrat de distribution commerciale comporte nécessairement pour son exécution une série de ventes successives et s’analyse donc en une promesse de vente ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que la société Graphic achèterait à Cofadis les équipements dont elle devait assurer la distribution ; qu’en énonçant néanmoins que le contrat litigieux ne faisait naître que des obligations de faire à la charge des co-contractants, alors qu’il avait pour objet essentiel la vente de marchandises à la société Graphic en vue de leur commercialisation dans le public, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1589 du Code civil et alors, d’autre part, que le prix des marchandises vendues dans le cadre d’un contrat de distribution commerciale doit être déterminé ou déterminable sans qu’il faille un nouvel accord des parties, ce, à peine de nullité du contrat de distribution ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que le prix des ventes à intervenir dans le cadre du contrat de distribution conclu entre les parties devait être déterminé par un accord ultérieur entre elles ; qu’en refusant de prononcer la nullité de la convention litigieuse, la cour d’appel a violé les articles 1134, 1129 et 1591 du Code civil ;

Mais attendu qu’ayant constaté que l’accord litigieux conclu entre la société Cofadis et la société Graphic comportait, pour la première société, l’obligation d’accorder l’exclusivité de la distribution, dans un certain nombre de pays, du matériel en cause et, pour la seconde, l’obligation d’assurer la promotion et la vente du matériel dans ces mêmes pays, la cour d’appel a pu considérer que la convention ne s’analysait pas comme une vente avec obligation de mentionner le prix mais comme une obligation de faire et se prononcer comme elle l’a fait, sans violer les textes visés au moyen ; d’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Cinquième étape : l’amorce d’un revirement de jurisprudence

Dans deux arrêts du 20 novembre 1994, la Cour de cassation affirme, au visa des articles 1129 et 1134, al. 3 du Code civil que si la détermination du prix demeure une exigence, il y est satisfait dès lors que le contrat fait « référence au tarif » fixé par une partie, à condition, néanmoins, que cette dernière n’ait pas « abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime » (Cass. 1ère civ. 20 nov. 1994, n°91-21.009).

Dans le cas contraire, la première chambre civile considère que cela reviendrait à violer l’obligation de bonne foi qui échoit aux parties lors de l’exécution du contrat.

Plusieurs enseignements ont immédiatement été tirés de ces arrêts :

  • Tout d’abord, en visant l’article 1129 du Code civil, la Cour de cassation maintien l’exigence de détermination du prix quel que soit le type de contrat conclu, y compris pour les contrats-cadre.
  • Ensuite, il ressort de la décision rendue qu’il importe peu, désormais, que le prix soit fixé discrétionnairement par une seule des parties au contrat.
  • En outre, la haute juridiction affirme que la nullité d’un contrat pour indétermination du prix ne peut être prononcée qu’à la condition qu’une partie ait abusé de sa situation économique pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime.
  • Enfin, la Cour de cassation fonde sa décision notamment sur l’ancien article 1134, al. 3 du Code civil, selon lequel les conventions doivent être exécutées de bonne foi. Aussi, cela témoigne-t-il de sa volonté de déplacer l’exigence de détermination du prix au niveau de l’exécution du contrat, alors qu’il s’agit pourtant d’une condition de formation de l’acte.

Malgré la nouveauté de la solution adoptée par la Cour de cassation dans ces deux arrêts du 20 novembre 1994, deux questions demeuraient en suspens :

  • Qui de la sanction de l’abus dans la fixation du prix ?
    • Nullité ? Octroi de dommages et intérêts ? Résolution du contrat ?
  • Quid du ralliement de la chambre commerciale à la position de la première chambre civile ?
    • Dans un arrêt rendu sensiblement à la même date, elle rendit, en effet, une décision dans laquelle elle maintenait la solution antérieure ? (Cass. com., 8 nov. 1994)

Par chance, des réponses ont rapidement été apportées à ces deux questions par quatre arrêts d’assemblée plénière rendus en date du 1er décembre 1995 (Cass. ass. plén., 1er déc. 1995, n°91-15.578).

Cass. 1ère civ. 20 nov. 1994

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 1129 et 1134, alinéa 3, du Code civil ;

Attendu que pour prononcer, pour indétermination du prix, la nullité des conventions conclues par M. X… avec la société GST-Alcatel Est pour la fourniture et l’entretien d’une installation téléphonique, la cour d’appel retient que si le prix de la location et de l’entretien de l’installation était déterminable, il n’en était pas de même du coût des modifications dont le bailleur s’était réservé l’exclusivité, le contrat se bornant sur ce point à mentionner l’application d’une ” plus-value de la redevance de location sur la base du tarif en vigueur ” ;

Attendu qu’en se prononçant par ces motifs, alors que, portant sur des modifications futures de l’installation, la convention litigieuse faisait référence à un tarif, de sorte que le prix en était déterminable, et qu’il n’était pas allégué que la société GST-Alcatel eût abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime, et ainsi méconnu son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 septembre 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz

?Sixième étape : le revirement de jurisprudence des arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 1995

Par quatre arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre, la Cour de cassation a affirmé deux principes s’agissant de l’exigence de détermination.

  • Dans l’un des quatre arrêts, elle considère que « l’article 1129 du Code civil [n’est] pas applicable à la détermination du prix », de sorte que, en matière de contrat-cadre, la détermination du prix n’est pas une condition de validité du contrat.
  • Dans les trois autres arrêts, elle précise, sans détour, que « lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ».

Afin de prendre la mesure de ces deux principes posés par la Cour de cassation, remémorons-nous les circonstances de fait et de procédure de l’un de ces arrêts.

Cass. ass. plén. 1er déc. 1995

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1709 et 1710, ensemble les articles 1134 et 1135 du Code civil ;

Attendu que lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ;

Attendu selon l’arrêt attaqué (Rennes, 13 février 1991) que le 5 juillet 1981, la société Sumaco a conclu avec la société Compagnie atlantique de téléphone (CAT) un contrat de location-entretien d’une installation téléphonique moyennant une redevance indexée, la convention stipulant que toutes modifications demandées par l’Administration ou l’abonné seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur ; que la compagnie ayant déclaré résilier le contrat en 1986 en raison de l’absence de paiement de la redevance, et réclamé l’indemnité contractuellement prévue, la Sumaco a demandé l’annulation de la convention pour indétermination de prix ;

Attendu que pour annuler le contrat, l’arrêt retient que l’abonné était contractuellement tenu de s’adresser exclusivement à la compagnie pour toutes les modifications de l’installation et que le prix des remaniements inéluctables de cette installation et pour lesquels la Sumaco était obligée de s’adresser à la CAT, n’était pas déterminé et dépendait de la seule volonté de celle-ci, de même que le prix des éventuels suppléments ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 février 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris.

  • Faits
    • Le 5 juillet 1981, une société conclut avec un prestataire un contrat-cadre de location et d’entretien d’une installation téléphonique en contrepartie de l’acquittement d’une redevance indexée.
    • La convention stipulait que toutes modifications demandées par l’administration ou l’abonné seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur.
    • La société abonnée n’ayant pas payé la redevance, la Compagnie de téléphone a, dès lors, souhaité résilier le contrat.
  • Demande
    • La société abonnée demande l’annulation du contrat de prestation conclu avec la société de téléphone.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 13 février 1991, la Cour d’appel de Rennes a annulé le contrat de prestation téléphonique.
    • Les juges du fond estiment que, dans la mesure où l’abonné était tenu contractuellement de s’adresser à la compagnie de téléphone pour toute intervention sur la ligne, il était soumis aux prix que lui imposerait la compagnie de téléphone.
    • Or ce prix n’était pas déterminé, car fixé unilatéralement par la compagnie de téléphone.
  • Solution
    • Par un arrêt du 1er décembre 1995, l’assemblée plénière de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond au visa des articles 1709, 17010 et 1134 et 11385.
    • Deux affirmations retiennent l’attention dans cet arrêt
      • D’une part, l’indétermination du prix dans un contrat cadre n’est pas une cause de nullité du contrat
      • D’autre part, l’abus dans la fixation du prix est sanctionné soit par la résiliation du contrat, soit par l’octroi de dommages intérêts
    • Aussi, de ce principe d’indétermination posé par la Cour de cassation, elle en déduit, dans le litige en l’espèce, que bien que le prix ait été fixé unilatéralement par la compagnie de téléphone au cours de l’exécution du contrat, le contrat d’abonnement était bien valable.
    • Par ailleurs, en visant les anciens articles 1134 et 1135 du Code civil, la Cour de cassation indique clairement que, pour apprécier le respect de l’exigence de détermination du prix, il convient désormais de se situer, non plus au niveau de la formation du contrat, mais au niveau de son exécution.
    • Ainsi, la Cour de cassation confirme-t-elle que la détermination du prix n’est plus une condition de validité du contrat.
    • Il en résulte que dans un contrat-cadre, il importe peu que le prix soit indéterminé et que sa fixation dépende de la volonté d’une seule des parties.
    • Il ressort toutefois que le principe d’indétermination du prix a vocation à s’appliquer sauf « dispositions légales particulières ».
    • Tel sera notamment le cas du contrat de vente qui reste soumis au régime de l’article 1591 du Code civil, soit au principe de détermination de prix.
    • Bien que les auteurs fussent, dans un premier temps, satisfait par la solution novatrice de la Cour de cassation, cette jurisprudence n’en a pas moins fait naître quelques incertitudes, notamment s’agissant de la notion d’abus.
  • Portée des arrêts du 1er décembre 1995
    • Plusieurs enseignements peuvent être tirés des arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 1995 :
      • Premier enseignement : la détermination du prix n’est plus une condition de validité dans les contrats-cadre : le principe devient l’indétermination du prix
      • Deuxième enseignement : l’article 1129 du Code civil n’est pas applicable à la détermination du prix, de sorte que ce dernier ne saurait être assimilé à une chose
      • Troisième enseignement : le principe d’indétermination du prix n’a vocation à s’appliquer qu’aux contrats qui ne sont soumis à aucune disposition particulière
      • Quatrième enseignement : l’indétermination du prix est sanctionnée uniquement en cas d’abus de la partie forte au contrat.
      • Cinquième enseignement : l’abus dans la fixation du prix s’apprécie au niveau de l’exécution du contrat
      • Sixième enseignement : la sanction de l’abus dans la fixation du prix est, soit la résiliation du contrat, soit l’octroi de dommages et intérêts

?Septième étape : la précision de la notion d’abus dans la fixation du prix

Dans un arrêt du 15 janvier 2002, la Cour de cassation a estimé que l’abus dans la fixation du prix était caractérisé lorsque deux conditions cumulatives étaient réunies (Cass. com. 15 janv. 2002, n°99-21.172) :

  • L’existence d’une situation de dépendance économique
    • Cela suppose que la victime de l’abus ne soit pas en mesure de négocier le prix qui lui est imposé, sauf à mettre en péril son activité
    • Dans un arrêt du 30 juin 2004, la Cour de cassation a, par exemple, estimé qu’il n’y avait pas abus lorsque le contractant n’a pas été contraint de subir la modification unilatérale, la décision d’augmenter le prix lui ayant été notifié suffisamment tôt pour qu’il puisse trouver une autre solution en s’adressant à la concurrence (Cass. com. 30 juin 2004, n°01-00.475).
  • L’existence d’un prix disproportionné
    • Cela suppose que le prix imposé à la partie, victime de l’abus, ne lui permette pas d’exploiter de manière rentable son activité.
    • Dans un arrêt du 4 novembre 2014, il a, par ailleurs, été jugé qu’un prix était disproportionné parce qu’il est excessif au regard de celui pratiqué pour les autres clients du distributeur (Cass. com. 4 nov. 2014, n°11-14.026).

Cass. com. 15 janv. 2002

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué (Paris, 23 septembre 1999) que la société d’Exploitation du garage Schouwer (le Garage Schouwer) était concessionnaire exclusif de véhicules de la marque Mazda sur le territoire de Sarrebourg et Sarreguemines depuis 1991 ; que, reprochant à la société France Motors, importateur exclusif de la marque, d’avoir, à partir de 1993, abusé de son droit de fixation unilatérale des conditions de vente et d’avoir abusivement refusé de déroger à la clause d’exclusivité en lui interdisant de représenter la marque Daewoo, et d’être ainsi responsable des difficultés financières qu’il connaissait, le Garage Schouwer l’a assignée en paiement de dommages-et-intérêts ; qu’il a été mis en liquidation judiciaire le 11 octobre 1995 et que son liquidateur, M. Z…, a repris l’instance ;

Sur le premier moyen, pris en ses six branches :

Attendu que la société France Motors fait grief à l’arrêt de sa condamnation alors, selon le moyen :

[..]

Mais attendu qu’ayant, par une décision motivée, relevé que la société France Motors, qui s’était trouvée confrontée à un effondrement général du marché de l’automobile, aggravé par une hausse du yen, avait pris des mesures imposant des sacrifices à ses concessionnaires, eux-mêmes fragilisés, au point de mettre en péril la poursuite de leur activité, l’arrêt retient que le concédant ne s’est pas imposé la même rigueur bien qu’il disposât des moyens lui permettant d’assumer lui-même une part plus importante des aménagements requis par la détérioration du marché, puisque, dans le même temps, il a distribué à ses actionnaires des dividendes prélevés sur les bénéfices pour un montant qui, à lui seul, s’il avait été conservé, lui aurait permis de contribuer aux mesures salvatrices nécessaires en soulageant substantiellement chacun de ses concessionnaires et que notamment, en ce qui concerne le Garage Schouwer, il aurait pu disposer à son endroit d’un montant équivalant à l’insuffisance d’actif que celui-ci a accusé ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations déduites de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d’appel, qui a légalement justifié sa décision sans méconnaître l’objet du litige et sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu estimer que la société France Motors avait abusé de son droit de fixer unilatéralement les conditions de vente et qu’elle devait réparation au Garage Schouwer du préjudice qui en était résulté pour lui ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses diverses branches

2. La réforme des obligations

L’examen de la réforme des obligations révèle que le législateur a consacré pour l’essentiel la jurisprudence en matière de détermination du prix.

a. Principe

Dans la mesure où le paiement d’un prix consiste en une prestation comme une autre, les contrats qui comportent une obligation pécuniaire n’échappent pas au principe posé à l’article 1163, al. 2 du Code civil : l’exigence d’un prix déterminé ou déterminable

Il peut d’ores et déjà être observé que le législateur a ici pris ses distances avec la solution adoptée par la Cour de cassation dans ses arrêts du 1er décembre 1995 où elle avait estimé que l’ancien article 1129 du Code civil n’était pas applicable à la détermination du prix.

Or cette disposition prévoyait l’exigence d’un objet déterminé ou déterminable.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle ressuscité le principe de détermination du prix qui l’avait relégué au rang d’exception.

La détermination du prix redevient, de la sorte, une condition de validité du contrat.

Il en résulte que la sanction encourue en cas d’indétermination du prix est la nullité et non plus la résiliation du contrat ou l’octroi de dommages et intérêts.

b. Exceptions

Le législateur a jugé bon d’assortir le principe de détermination du prix de deux exceptions

?Première exception : les contrats-cadre

L’article 1164, al. 1 du Code civil prévoit que « dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation. »

L’article 1164, al. 2 précise que « en cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. »

Il ressort de ces deux alinéas que le législateur est venu consacrer, dans les mêmes termes, la solution dégagée dans les arrêts du 1er décembre 1995.

Autrement dit, dans les contrats-cadre, le prix peut être fixé discrétionnairement par l’une des parties, sous réserve de l’abus.

Le législateur ne prend cependant pas la peine de définir la notion d’abus dans la fixation du prix, alors même que cette définition faisait déjà défaut dans les arrêts d’assemblée plénière.

Aussi conviendra-t-il de se reporter à la jurisprudence postérieure qui s’est employée à délimiter les contours de la notion.

?Seconde exception : les contrats de prestation de service

Aux termes de l’article 1165 du Code civil « dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts. »

Comme en matière de contrat-cadre, les contrats de prestation de service ne sont pas soumis au principe de détermination du prix, à la condition toutefois qu’aucun accord ne soit intervenu entre les parties avant l’exécution de la convention.

Il s’agit là, ni plus ni moins, d’une consécration de la jurisprudence selon laquelle, dans les contrats d’entreprise, la détermination du prix n’est pas une condition de validité de l’acte.

Dans un arrêt du 15 juin 1973 la Cour de cassation a estimé en ce sens que « un accord préalable sur le montant exact de la rémunération n’est pas un élément essentiel d’un contrat de cette nature » (Cass. 1er civ. 15 juin 1973, n°72-12.062).

En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge ne pourra pas, comme l’y autorisait la jurisprudence antérieure, réduire le prix de la prestation, ni même prononcer la résiliation du contrat comme en matière de contrat-cadre.

Il pourra seulement « être saisi d’une demande en dommages et intérêts ».

Par ailleurs, quid de ses pouvoirs en cas d’indétermination du prix ?

Antérieurement à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, la Cour de cassation estimait « qu’en l’absence d’un tel accord, il appartient aux juges du fond de fixer la rémunération compte tenu des éléments de la cause » (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1993, n°91-18.650).

Le nouvel article 1165 du Code civil ne semble pas conférer au juge un tel pouvoir.

Il ressort, au contraire de la lettre de cette disposition que, en cas d’indétermination du prix, il appartiendra au seul créancier de le fixer.

?Le sort de la clause d’indexation du prix

L’article 1167 du Code civil prévoit que « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Qu’est-ce qu’une clause d’indexation ?

Il s’agit d’une stipulation par laquelle les parties désignent un indice qui servira de référence quant à la détermination du prix au cours de l’exécution du contrat.

La question s’était alors posée en jurisprudence de savoir quels étaient les pouvoirs du juge lorsque cet indice avait cessé d’exister ou était illicite.

Dans un arrêt du 22 juillet 1987, la Cour de cassation avait estimé qu’il revenait au juge de se référer à la commune intention des parties quant à déterminer le nouvel indice de référence (Cass. 3e civ. 22 juill. 1987, n°84-10.548).

Désormais, le nouvel article 1167 prévoit que le juge doit remplacer l’indice illicite ou qui a disparu « par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Cass. 3e civ. 22 juill. 1987

Sur le moyen unique :

Attendu que la société Compagnie Internationale du Travail Temporaire (CITT), assistée de son syndic au règlement judiciaire, Monsieur X…, fait grief à l’arrêt attaqué (Paris, 22 novembre 1983), statuant sur les conséquences de l’annulation d’une clause d’échelle mobile incluse dans le bail commercial dont elle est titulaire sur des locaux appartenant à Mme Y…, d’avoir décidé que le loyer serait indexé sur les variations de l’indice trimestriel de la construction établi par l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, aux lieus et place de celles prévues dans la stipulation du bail annulée par un précédent arrêt, alors, selon le moyen, ” qu’en l’absence de toute volonté commune des parties au contrat quant à la référence à un autre indice que celui expressément stipulé, le juge ne saurait, sans excéder ses pouvoirs et violer l’article 79 § 3 de l’ordonnance du 30 décembre 1958 et l’article 1134 du Code civil, substituer, de sa propre autorité, un indice licite à celui figurant dans une clause précédemment déclarée illicite ” ;

Mais attendu que la cour d’appel, recherchant la commune intention des parties, a souverainement retenu que leur volonté a essentiellement porté sur le principe de l’indexation et que la stipulation du choix de l’indice en constituant une application, il y avait lieu de substituer à l’indice annulé un indice admis par la loi ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

La détermination de la prestation ou l’objet de l’obligation

Tout d’abord, il peut être observé que la question de l’objet de l’obligation est traitée aux articles 1163 à 1167 du Code civil, lesquels remplacent les anciens articles 1126 à 1130.

La lecture de ces nouvelles dispositions appelle plusieurs remarques à titre liminaire.

?Objet de l’obligation / Objet du contrat

Bien que l’ordonnance du 10 février 2016 ait regroupé sous le vocable de contenu du contrat, les concepts d’objet et de cause, la notion d’objet n’a pas totalement disparu du Code civil, celui-ci y faisant toujours référence, notamment à l’article 1163.

Cette disposition prévoit en effet que « l’obligation a pour objet une prestation présente ou future ».

Ainsi, le législateur vise-t-il ici ce que l’on qualifiait autrefois d’objet de l’obligation que l’on opposait à l’objet du contrat.

  • L’objet de l’obligation doit être entendu comme la prestation qu’une partie au contrat s’est engagée à exécuter.
    • Exemple :
      • Dans un contrat de vente, l’objet de l’obligation du vendeur est la délivrance de la chose et pour l’acheteur le paiement du prix
      • Dans un contrat de bail, l’objet de l’obligation du preneur est le paiement du loyer, tandis que pour le bailleur c’est la mise à disposition de la chose louée.
  • L’objet du contrat désigne quant à lui l’opération contractuelle que les parties ont réalisée, soit l’opération envisagée dans son ensemble et non plus dans l’un ou l’autre de ses éléments constitutifs.

?Chose VS Prestation

Aux termes de l’article 1163, al. 1 du Code civil « l’obligation a pour objet une prestation […] ».

Aussi, ressort-il de cette disposition que le législateur a préféré au terme chose, qui avait été désigné en 1804 comme l’objet de l’obligation, le mot prestation, lequel fait sa grande apparition dans le Code civil.

L’ancien article 1126 du Code civil prévoyait, en effet, que « tout contrat a pour objet une chose qu’une partie s’oblige à donner, ou qu’une partie s’oblige à faire ou à ne pas faire. »

Pourquoi ce changement de vocable ? Deux raisons peuvent être invoquées :

Première raison : abandon de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire

Antérieurement à la réforme du droit des obligations, le Code civil distinguait les obligations de donner, de faire et de ne pas faire :

  • Exposé de la distinction
    • L’obligation de donner
      • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
      • Exemple : dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
    • L’obligation de faire
      • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
      • Exemple : le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
    • L’obligation de ne pas faire
      • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
      • Exemple : le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé.
  • Intérêt – révolu – de la distinction
    • Le principal intérêt de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire résidait dans les modalités de l’exécution forcée de ces types d’obligations.
    • L’ancien article 1142 C. civ. prévoyait en effet que :
      • « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »
    • L’ancien article 1143 C. civ. prévoyait quant à lui que :
      • « Néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu. »
    • L’ancien article 1145 C. civ disposait enfin que :
      • « Si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention. »
    • Il ressortait de ces dispositions que les modalités de l’exécution forcée étaient différentes, selon que l’on était en présence d’une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire
      • S’agissant de l’obligation de donner, son exécution forcée se traduisait par une exécution forcée en nature
      • S’agissant de l’obligation de faire, son exécution forcée se traduisait par l’octroi de dommages et intérêt
      • S’agissant de l’obligation de ne pas faire, son exécution forcée se traduisait :
        • Soit par la destruction de ce qui ne devait pas être fait (art. 1143 C. civ)
        • Soit par l’octroi de dommages et intérêts (art. 1145 C. civ).
  • Abandon de la distinction
    • L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a abandonné la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire, à tout le moins elle n’y fait plus référence.
    • Ainsi érige-t-elle désormais en principe, l’exécution forcée en nature, alors que, avant la réforme, cette modalité d’exécution n’était qu’une exception.
    • Le nouvel article 1221 du Code civil prévoit en ce sens que :
      • « Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. »
    • L’exécution forcée en nature s’impose ainsi pour toutes les obligations, y compris en matière de promesse de vente ou de pacte de préférence.
    • Ce n’est que par exception, si l’exécution en nature n’est pas possible, que l’octroi de dommage et intérêt pourra être envisagé par le juge.
    • Qui plus est, le nouvel article 1222 du Code civil offre la possibilité au juge de permettre au créancier de faire exécuter la prestation due par un tiers ou de détruire ce qui a été fait :
      • « Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.
      • « Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction. »
  • Conséquences de l’abandon de la distinction
    • Dans la mesure où la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire a perdu de son intérêt, le législateur a estimé qu’il n’était plus nécessaire de s’y référer.
    • Il lui fallait donc trouver une notion qui puisse englober ces trois catégories d’obligations.
    • Or le terme prestation le permet, car sa signification est suffisamment large pour que l’on puisse ranger sous cette notion tous les objets sur lesquels une obligation contractuelle est susceptible de porter.
Seconde raison : un remède au caractère restrictif du terme chose

Le second argument qui a conduit le législateur a changé de vocable, s’agissant de l’objet de l’obligation, est que la signification du terme chose apparaît bien plus étroite que celle que l’on confère habituellement à la notion de prestation.

Tandis, en effet, que le terme « chose » semble ne viser que l’obligation de donner, la notion de « prestation » permet d’envisager que l’objet de l’obligation puisse consister en la fourniture d’un service autre d’une opération de transfert de droits de propriétés.

Immédiatement, une question alors se pose : que doit-on entendre par le terme prestation ?

?Notion de prestation

Par prestation, il faut entendre ce à quoi les parties au contrat se sont engagées.

Le législateur ne précisant pas en quoi s’apparente précisément une prestation, on peut en déduire qu’elle consiste indifféremment en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire.

Est-ce à dire que dès lors qu’une prestation est stipulée par les parties, le contrat est valide ?

Indépendamment du fait que la prestation doit être licite, conformément à l’article 1162 du Code civil, l’alinéa 2 de l’article 1163 précise qu’elle doit « être possible et déterminée ou déterminable », faute de quoi le contrat est nul.

I) La possibilité de la prestation

L’article 1162 du Code civil subordonne la validité du contrat à la possibilité de la prestation. Cette exigence est manifestement tirée de l’adage Nulla impossibilium obligatio, soit à l’impossible nul n’est tenu.

Cela signifie, autrement dit, que qu’il ne faut pas qu’existe une impossibilité d’exécuter la prestation que l’on s’est engagé à accomplir.

Toutefois, encore faut-il que l’impossibilité présente un certain nombre de caractères, à défaut de quoi, le débiteur de l’obligation sera tenu, nonobstant l’existence de l’impossibilité.

A) Les caractères de l’impossibilité

?Une impossibilité absolue

Pour être cause de nullité du contrat, l’impossibilité qui fait obstacle à l’exécution de la prestation doit être absolue et non relative.

L’impossibilité doit de la sorte être prise dans son sens objectif : n’importe quel débiteur s’y heurterait (V. en ce sens CA Paris, 4 juill. 1865).

Exemples :

  • L’impossibilité absolue de réaliser une prestation consisterait à s’engager à faire disparaître le soleil ou à ramener à la vie un mort.
  • L’impossibilité relative consisterait, quant à elle, à s’engager à donner un récital de piano, alors que l’on n’a jamais appris à jouer de cet instrument ou encore à battre le record du monde du saut en longueur alors que l’on n’a jamais fait d’athlétisme.

Tandis que l’existence d’une impossibilité absolue constituerait une cause de nullité du contrat, la seule impossibilité relative ne serait pas de nature à remettre en cause sa validité.

Aussi, lorsque l’impossibilité qui fait obstacle à la réalisation de la prestation est seulement relative, le débiteur engage sa responsabilité contractuelle.

Il s’expose donc à devoir verser aux créanciers des dommages et intérêts.

?Une impossibilité inconnue du débiteur

Lorsque l’impossibilité d’exécuter l’obligation est absolue, le débiteur ne doit pas avoir eu connaissance de cette impossibilité au moment de la conclusion du contrat.

À défaut, il engage sa responsabilité, dans la mesure où il lui appartenait de ne pas contracter, soit de ne pas créer une espérance chez le créancier.

?Une impossibilité originelle

Pour être cause de nullité, l’impossibilité doit encore exister au moment de la formation du contrat.

Si cette impossibilité survient au cours de l’exécution de la prestation, le débiteur ne pourra s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve de la survenance d’une cause étrangère (force majeure, cas fortuit etc.).

B) La sanction de l’impossibilité

Les règles relatives à l’objet de l’obligation visent à protéger l’intérêt général. Aussi, relèvent-elles de l’ordre public de direction.

Dans un arrêt du 28 avril 1987, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « la nullité des conventions pour défaut d’objet est une nullité absolue » (Cass. com. 28 avr. 1987, n°86-16.084).

Cass. com. 28 avr. 1987

Sur le premier moyen :

Vu l’article 1304, alinéa 1er du Code civil ;

Attendu que les actes dont la nullité est absolue étant dépourvus d’existence légale ne sont susceptibles ni de prescription ni de confirmation :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par une convention du 20 décembre 1963, la société de Travaux Publics Brethome s’est engagée à s’approvisionner pendant 50 années en matériaux nécessaires aux besoins de ses chantiers routiers dans les différentes carrières où M. Z… posséderait des intérêts dans tous les cas où ces chantiers se trouveraient à une distance déterminée de ces carrières, et ce “à prix égal à celui de la concurrence éventuelle” ; que M. Y… et la société Y… ont demandé la nullité de cette convention pour défaut d’objet en ce que s’est révélée impossible l’obligation leur incombant de soumettre à M. Z… par écrit les prix résultant de la concurrence ;

Attendu que, pour déclarer prescrite cette action en nullité, la Cour d’appel énonce que la validité de la convention doit s’apprécier à la date à laquelle elle a été conclue, que, dans la mesure où elle ne repose ni sur la violence, ni sur l’erreur ou le dol, le point de départ du délai de prescription de cinq ans se situe au 20 décembre 1963, date où a été conclue la convention, de sorte que l’action était prescrite lorsqu’a été délivrée l’assignation du 28 mai 1982, que la demande tend en réalité à faire constater que l’engagement ne pouvait plus être exécuté en raison de la survenance d’un événement postérieur tendant à l’obligation de soumettre par écrit les prix résultant de la concurrence et qu’il appartiendrait à la société X…, pour pouvoir être libérée de son obligation, de prouver l’existence de la force majeure qui se caractérise par l’imprévisibilité et l’irrésistibilité ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la nullité des conventions pour défaut d’objet est une nullité absolue, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ;

II) La détermination de la prestation

Il ressort de la combinaison des articles 1163 à 1167 que deux types de règles s’appliquent à la détermination de la prestation

  • Les règles générales relatives à la détermination de la prestation
  • Les règles spécifiques relatives la détermination de la prestation lorsqu’elle consiste en le paiement d’un prix

A) Les règles générales relatives à la détermination de la prestation

L’examen des articles 1163 et 1166 du code civil révèle qu’il convient de distinguer selon que la prestation est déterminée ou détermination ou selon qu’elle est indéterminée

1. La prestation déterminée ou déterminable

Aux termes de l’article 1163 du Code civil, la prestation objet du contrat « doit être déterminée ou déterminable ».

Cette disposition n’est autre qu’une actualisation de l’ancien article 1129 du Code civil qui prévoyait en son alinéa 1 que « il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce » et d’ajouter à son alinéa 2 que « la quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu’elle puisse être déterminée. »

Si, sur le fond, le législateur n’a apporté aucune modification significative au droit positif, il n’en a pas moins profité pour toiletter l’énoncé des règles dont la formulation était devenue un peu datée.

a. Droit antérieur

Dans le droit antérieur, la jurisprudence distinguait selon que l’objet de l’obligation consistait en une chose ou un service.

?L’objet de l’obligation est relatif à une chose

Dans cette hypothèse, il convenait de distinguer selon que la chose s’apparentait à un corps certain ou à une chose de genre.

  • La chose consiste en un corps certain
    • Par corps certain, il faut entendre un bien unique qui possède une individualité propre
      • Exemple : un immeuble, un bijou de famille, une œuvre d’art, etc…
    • Dans cette hypothèse, il suffit que le corps certain soit désigné dans le contrat pour que l’exigence de détermination de la prestation soit satisfaite.
    • La désignation du corps certain devra toutefois être suffisamment précise pour que l’on puisse identifier le bien, objet de la convention.
  • La chose consiste en une chose de genre
    • Par chose de genre, il faut entendre un bien qui ne possède pas une individualité propre, en ce sens qu’il est fongible
    • Il s’agit, autrement dit, de choses qui sont interchangeables
      • Exemple : une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série etc…
    • Dans cette hypothèse, l’article 1129 prévoit que si la chose doit être déterminée quant à son espèce (sa nature, son genre) lors de la formation du contrat, sa quotité pouvant être incertaine, pourvu qu’elle soit déterminable
    • Cela signifie donc qu’il importe peu que la chose de genre ne soit pas individualisée lors de la conclusion du contrat
    • Sa quantité devra toutefois être déterminable à partir des éléments contractuels prévus par les parties

?L’objet de l’obligation est relatif à un service

Dans cette hypothèse, l’objet de l’obligation consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose

Pour satisfaire l’exigence de détermination de la prestation, la jurisprudence estimait qu’il était nécessaire que ladite prestation soit déterminée, tant dans sa nature (ne pas exercer une activité concurrente de celle de son ancien employeur), que dans sa durée (pendant cinq ans).

Ainsi, a-t-il été jugé, par exemple, dans un arrêt du 28 février 1983 que l’obligation de « faire un geste » n’est pas suffisamment précise pour satisfaire à l’exigence de détermination de la prestation (Cass. com. 28 févr. 1983, n°81-14.921).

Dans un arrêt du 12 décembre 1989 la haute juridiction a toutefois précisé « qu’il est nécessaire pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée en vertu des clauses du contrat par voie de relation avec des éléments qui ne dépendent plus ni de l’une ni de l’autre des parties » (Cass. com. 12 déc. 1989, n°88-17.021).

Autrement dit, la prestation peut être considérée comme déterminable si sa quotité dépend de circonstances extérieures à la volonté des parties.

Cass. com. 12 déc. 1989

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1129 du Code civil ;

Attendu qu’il est nécessaire, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée en vertu des clauses du contrat par voie de relation avec des éléments qui ne dépendent plus ni de l’une ni de l’autre des parties ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, qu’assignée en paiement de dommages-intérêts par la société Interrent à laquelle la liait un contrat de franchisage d’une durée de cinq ans qu’elle avait unilatéralement résilié avant son expiration, la société Portier automatériel (société Portier) a opposé la nullité du contrat pour indétermination du montant de la redevance mise à sa charge par la clause prévoyant qu’en contrepartie des avantages qui lui étaient consentis, elle devait mensuellement verser à la société Interrent ” une participation financière déterminée pour chaque année civile par le conseil d’administration de la société ” ;

Attendu que, pour rejeter l’exception, l’arrêt énonce, par motif propre, que la clause litigieuse fait dépendre le prix de la volonté d’une des parties et que, dès lors, il n’y a plus de défaut d’accord de volontés sur le prix puisque les parties se sont entendues pour que l’une d’elles fixe celui-ci et, par motif adopté, que la participation financière imposée à la société Portier est ” donc bien déterminée ” ;

Attendu qu’en se déterminant par de tels motifs, après avoir relevé que le montant de la redevance due par cette société dépendait de la seule volonté de la société Interrent, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 juin 1988, entre les parties, par la cour d’appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Limoges

b. La réforme des obligations

Il ressort de l’article 1163 du Code civil, qu’il n’est plus besoin de distinguer

  • D’une part, selon que l’objet de l’obligation consiste en une chose ou un service
  • D’autre part, selon que la chose consiste en un corps certain ou une chose de genre

La règle désormais posée est que, en toute hypothèse, la prestation « doit être déterminée ou déterminable ».

Aussi, la seule distinction qu’il convient d’opérer est celle qui oppose la prestation déterminée à la prestation déterminable.

  • S’agissant d’une prestation déterminée, il s’agit de l’hypothèse où dès la conclusion du contrat, le débiteur sait précisément à quoi il s’engage, en ce sens qu’il connaît tous les éléments nécessaires à l’accomplissement de sa prestation :
    • S’il s’agit de fourniture d’un corps certain, il sera désigné avec suffisamment de précision dans le contrat pour que les parties soient en mesure de l’identifier
    • S’il s’agit de fourniture d’une chose de genre, elle devra être déterminée quant à son espèce et quant à sa quotité
    • S’il s’agit de la fourniture d’un service ou d’une abstention, elle devra être déterminée dans sa nature et dans sa durée.
  • S’agissant d’une prestation déterminable
    • Dans cette hypothèse, l’alinéa 3 de l’article 1163 précise que « la prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire. »
    • Dans l’hypothèse où la prestation n’est pas déterminée, elle devra au moins être déterminable
    • Toutefois pour satisfaire à cette exigence, cela suppose
      • Soit que les stipulations du contrat permettent de déterminer la quotité de la prestation
      • Soit que la quotité de la prestation puisse être déduite des usages, ou des relations antérieures entretenues par les parties
    • En toute hypothèse, l’alinéa 3 in fine de l’article 1163 prévoit que la prestation ne pourra jamais être réputée déterminable, lorsqu’un nouvel accord des parties est nécessaire quant à fixer le contenu de la prestation.

2. La prestation indéterminée

L’article 1166 du Code civil dispose que « lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie. »

Si, antérieurement à la réforme des obligations la loi ne posait aucune véritable exigence s’agissant de la qualité de la prestation, la jurisprudence exigeait néanmoins du débiteur qu’il fournisse une prestation de qualité moyenne.

Cette règle était inspirée de l’ancien article 1246 du Code civil qui prévoyait que « si la dette est d’une chose qui ne soit déterminée que par son espèce, le débiteur ne sera pas tenu, pour être libéré, de la donner de la meilleure espèce ; mais il ne pourra l’offrir de la plus mauvaise. »

Dorénavant, il n’est donc plus question de qualité moyenne de la prestation : pour répondre à l’exigence de détermination, elle doit seulement être « conforme aux attentes légitimes du créancier », lesquelles attentes doivent être appréciées en considération de la nature de la prestation des usages et de la contrepartie fournie.

Il s’agit là toutefois d’une règle supplétive qui n’aura vocation à s’appliquer que dans l’hypothèse où la prestation n’est ni déterminée, ni déterminable.

B) Les règles spécifiques relatives à la détermination du prix

Nombreux sont les contrats dans lesquels est stipulée une obligation qui consiste en le paiement d’une somme d’argent, soit d’une obligation pécuniaire qui exprime le prix d’une chose ou d’un service (prix dans la vente, loyer dans le bail, honoraires dans le mandat, prime dans l’assurance etc.)

Si l’obligation pécuniaire se retrouve dans la très grande majorité des contrats onéreux, elle n’en constitue pas moins une catégorie particulière d’obligation, celle-ci portant sur de la monnaie.

Or par définition, la monnaie est instable en ce sens que rien ne permet de dire que la prestation estimée à un euro aujourd’hui aura toujours la même valeur demain.

D’où la difficulté pour les contrats qui s’échelonnent dans le temps de fixer un prix et, par voie de conséquence, de satisfaire à l’exigence de détermination de la prestation.

S’il peut s’avérer extrêmement tentant pour les parties de reporter la fixation du prix à plus tard, il est un risque que, dans pareille hypothèse, le contrat encourt la nullité.

Immédiatement la question alors se pose de savoir quelles sont les marges de manœuvres dont disposent les parties quant à la détermination du prix.

1. Droit antérieur

Il ressort de la jurisprudence que les exigences relatives à la détermination du prix ont considérablement évolué sous l’empire du droit antérieur.

?Première étape : conception souple de l’exigence de détermination du prix

  • Droit commun des contrats
    • La jurisprudence considérait, dans un premier temps, que, sauf disposition spéciale, l’article 1129 du Code civil était seul applicable en matière de détermination du prix.
    • Aussi, cela signifiait-il que dans les contrats qui comportaient une obligation pécuniaire, pour être valables, le prix devait être, soit déterminé, soit déterminable.
  • Cas des contrats-cadre
    • En application, de l’article 1129 du Code civil, la Cour de cassation a fait preuve d’une relativement grande souplesse s’agissant de l’exigence de détermination du prix, notamment pour les contrats-cadre, dont la particularité est de voir leur exécution échelonnée dans le temps.
    • Les contrats cadres ont, en effet, pour fonction d’organiser les relations contractuelles futures des parties.
    • La question s’est alors posée de savoir s’il était nécessaire que, dès la conclusion du contrat-cadre, le prix auquel seront conclues les ventes à venir soit déterminé.
    • Devait-on admettre, au contraire, que, sans fixer le prix, le fournisseur puisse seulement prévoir que le prix correspondra, par exemple, au tarif qui figurera sur le catalogue à la date de conclusion du contrat d’application ?
    • Pendant longtemps, la jurisprudence s’est manifestement satisfaite de la seconde option.
    • Elle estimait, de la sorte, que le renvoi dans le contrat-cadre au prix du tarif fournisseur au jour de la livraison pour les ventes exécutées en application de ce contrat était valable (V. notamment Cass. req., 5 févr. 1934).
  • Cas du contrat de vente
    • Il peut être observé que la règle dégagée par la jurisprudence pour les contrats en général et pour les contrats-cadres ne s’appliquait pas au contrat de vente, la détermination du prix étant régi, pour ce type de contrat, par l’article 1591.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. ». La détermination du prix est, de la sorte, une condition de validité du contrat de vente.
    • Lorsque le prix est seulement déterminable, la jurisprudence exige que sa fixation définitive soit indépendante de la volonté des parties (V. en ce sens Cass. com., 10 mars 1987, n°85-14.121).
    • Par ailleurs, l’article 1592 prévoit que le prix peut « être laissé à l’estimation d’un tiers ».

?Deuxième étape : la chasse aux nullités pour indétermination du prix

À partir du début des années 1970, la jurisprudence a changé radicalement de position s’agissant de l’exigence de détermination du prix en se livrant, selon l’expression désormais consacrée par les auteurs, à une véritable chasse aux nullités pour indétermination du prix

La Cour de cassation a, en effet, cherché à attraire dans le champ d’application de l’article 1591, soit le régime applicable au contrat de vente, des opérations qui n’étaient pas véritablement constitutives de ventes mais qui en produisaient les effets (fourniture d’un produit).

Dans un arrêt du 27 avril 1971 la Cour de cassation a estimé en ce sens, au visa de l’article 1591 du Code civil qu’un contrat-cadre devait être annulé dans la mesure où « les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de la volonté de ceux-ci » (Cass. com. 27 avr. 1971, n°70-10.753)

Cette solution a été réaffirmée par la chambre commerciale dans un arrêt du 12 février 1974 où elle censure une Cour d’appel qui, pour valider un contrat cadre, s’était référée « a des accords successifs intervenus pour la fixation du prix d’un certain nombre de fournitures, sans préciser comment, en vertu de la convention originaire, les prix de l’ensemble des fournitures prévues par celles-ci étaient soumis, malgré l’obligation d’exclusivité assumée par les époux x…, au libre jeu de la concurrence et ne dépendaient donc pas de la seule volonté de la brasserie du coq hardi » (Cass. com. 12 févr. 1974, n°72-13.959).

Cette chasse aux nullités pour indétermination du prix engagée par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, dans la mesure où cette dernière faisait application de l’article 1591 du Code civil à des contrats qui avaient pour objet, non pas la vente de produits, mais la fixation du cadre de la conclusion de contrats d’application futurs.

Cass. com. 27 avr. 1971

Sur le premier moyen : vu les articles 1591 et 1592 du code civil ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaque que, par convention du 31 mai 1956, la société Lille, Bonnieres et colombe, aux droits de laquelle se trouve la société Total, a consenti a la société Selmensheim, aux droits de laquelle se trouve la société Saint-Marcel Motors, pour l’exploitation par celle-ci d’une station de vente au détail de carburants, un prêt de matériel et d’argent ;

Qu’en contrepartie, la société Saint-Marcel Motors s’engageait à réserver à la société Total l’exclusivité pendant vingt ans, de ses achats de carburants “au prix pompiste de marque au jour de la livraison” ;

Que cette convention a d’abord été exécutée sous le régime d’un arrêté du 28 octobre 1952, qui fixait les marges respectives maximum de bénéfices de la compagnie distributrice et du pompiste détaillant, au prix du tarif de la société total lequel correspondait à la marge bénéficiaire maximum de cette société puis sous le régime de l’arrêté du 27 mai 1963, qui ne fixant plus que le prix limite de vente aux consommateurs, réalisait ainsi une fusion des deux marges, jusqu’au 17 juin 1965, date à laquelle la société Saint-Marcel Motors faisait valoir son désaccord sur les prix ;

Qu’elle assigna la société Total en vue de faire déclarer la caducité de la convention à compter de ladite date ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient essentiellement que le prix “pompiste de marque” a toujours été le prix du tarif de la société total, qui reproduisait le barème du comité professionnel du pétrole, et que c’était une coutume, les parties n’ayant pas avantage à ce qu’il en fut autrement ;

Qu’avant la publication de l’arrêté du 27 mai 1963, l’administration ne fixait pas le prix de vente des produits pétroliers aux pompistes et que cette situation n’a pas été modifiée par cet arrêté qui, en abandonnant le système des deux marges avait réalisé la fusion de celles-ci, que, lors des discussions quotidiennes qui s’instaurent entre total et ses clients pompistes de marque pour le renouvellement d’anciens contrats et la passation de nouveaux sur les conditions spéciales a chaque cas, se forme un cours moyen qui a sa traduction dans le barème du comité professionnel du pétrole, que ce barème n’a donc pas le caractère arbitraire ;

Attendu qu’en admettant ainsi que les prix fixes par la société Total pouvaient être retenus, la cour d’appel, qui n’a pas recherche si depuis le 1er octobre 1963, date d’application de l’arrêté du 27 mai 1963, les parties avaient été d’accord pour continuer à appliquer le régime antérieur, et qui n’a pas établi que les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de la volonté de ceux-ci, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

?Troisième étape : substitution de visa (art. 1591 => art. 1129)

En réaction aux critiques de la doctrine concentrées sur l’application de l’article 1591 aux contrats-cadre, la chambre commerciale décida, par trois arrêts du 11 octobre 1978, de revenir à son ancien visa, soit de fonder sa jurisprudence sur l’article 1129 du Code civil, sans pour autant changer de position.

La haute juridiction estimait, en effet, « qu’en vertu de ce texte il faut, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée » (Cass. com. 11 oct. 1978, n°77-11.624).

Ainsi, la Cour de cassation refusait-elle toujours de valider les contrats dont la détermination du prix :

  • Soit supposait un nouvel accord des parties
  • Soit dépendait de la volonté discrétionnaire d’un seul contractant

L’article 1129 relevant du droit commun des contrats, la Cour de cassation a étendu sa position bien au-delà des contrats-cadre (contrat d’approvisionnement, contrat de franchise, contrat de prêt etc.).

Il a alors été reproché à la Cour de cassation d’avoir créé une véritable insécurité juridique, dans la mesure où, dans les contrats-cadre, il est extrêmement difficile de fixer le prix d’opérations qui se réaliseront parfois plusieurs années après la conclusion du contrat initial.

Cass. com. 11 oct. 1978

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche : vu l’article 1129 du code civil ;

Attendu qu’en vertu de ce texte il faut, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt défère que, par acte du 26 juin 1969, la société brasserie guillaume x… s’est engagée, en contrepartie d’avantages financiers a elle consentis par la société européenne de brasserie (Eurobra), a ne débiter, dans son établissement de brasserie-restaurant, pendant une durée de cinq années, que des bières fabriquées ou distribuées par cette dernière société, la quantité minimum des fournitures devant atteindre 2.000 hectolitres pendant la durée susvisée ;

Qu’il était prévu à l’acte que les marchandises en cause seraient livrées “aux prix habituellement pratiques pour des marchandises de même qualité sur la place ou est exploité le fonds” ;

Que celui-ci ayant été cédé a une société Sedlo, celle-ci le transféra à son tour, par acte du 22 novembre 1972, a une société dénommée, elle aussi, brasserie guillaume x… ;

Que, dans les deux actes de cession successifs, les sociétés cessionnaires s’engagèrent à observer l’obligation d’exclusivité de fourniture résultant de l’acte du 26 juin 1969 ;

Que la société brasserie guillaume x… ayant, dans le courant de 1973, cesse de s’approvisionner auprès de la société Eurobra, celle-ci l’a assignée en payement du montant de la clause pénale figurant à l’acte dont il s’agit ;

Attendu que la société brasserie guillaume x… ayant opposé à cette demande la nullité dudit acte en raison de l’indétermination du prix des marchandises en faisant l’objet, la cour d’appel a rejeté cette exception en retenant que la clause susvisée relative à la fixation de ce prix “fait implicitement appel à la loi de l’offre et de la demande et laisse intactes toutes possibilités de négociation ou de rectification au cas où le prix propose serait supérieur au prix de marche…” ;

Attendu qu’en considérant ainsi que le prix des fournitures en cause était déterminable suivant les énonciations du contrat, sans rechercher, comme l’y invitaient les conclusions de la société brasserie guillaume x…, si la référence opérée par la clause litigieuse au prix du marché pratique à Lyon, ou ladite société avait son établissement, permettait “d’avoir un élément de référence sérieux, précis et objectif”, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur le premier moyen, non plus que sur les autres branches du second moyen : casse et annule l’arrêt rendu entre les parties le 18 janvier 1977 par la cour d’appel de paris ;

?Quatrième étape : infléchissement de la position de la Cour de cassation

La Cour de cassation n’est pas demeurée insensible aux nombreux reproches dont sa jurisprudence faisait l’objet.

C’est la raison pour laquelle, dans le courant des années 1980, elle a cherché à infléchir sa position.

Ainsi, dans un arrêt du 9 novembre 1987, la Cour de cassation a refusé d’accéder à la demande d’annulation d’un contrat de distribution pour indétermination du prix, estimant qu’il s’agissait là d’un contrat dont l’objet consiste en une obligation de faire.

Or selon elle, seuls les contrats qui portent sur une obligation de donner sont soumis à l’exigence de détermination du prix (Cass. com. 9 nov. 1987, n°86-13.984).

En d’autres termes, l’exigence de détermination du prix posée à l’article 1129 du Code civil varierait du tout ou rien, selon que l’on est en présence d’une obligation de donner ou de faire.

Critiquable à maints égards, la Cour de cassation abandonne rapidement cette distinction à la faveur du critère de la stipulation potestative, soit lorsque la fixation du prix dépend de la volonté d’une seule des parties

Dans un arrêt du 16 juillet 1991, la chambre commerciale admet en ce sens que, dans un contrat-cadre, il n’est plus nécessaire que le prix des marchandises soit déterminable « pourvu qu’il puisse être librement débattu et accepté » au moment de la conclusion de la vente (Cass. com. 16 juill. 1991).

Cass. com. 9 nov. 1987

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Caen, 27 mars 1986) que, par un contrat du 1er mars 1983, dit ” de commercialisation “, la société Cofadis, qui fabrique une machine destinée à l’imprimerie, a chargé la société Graphic Repro Diffusion (société Graphic) d’en assurer en exclusivité la distribution et la vente dans certains pays ; que la société Graphic, qui s’était engagée à vendre directement un nombre déterminé de ces appareils par an, n’ayant pas satisfait à cette obligation, la société Cofadis l’a assignée en résiliation du contrat ;

Attendu que la société Graphic fait grief à la cour d’appel d’avoir prononcé la résiliation du contrat à ses torts exclusifs alors, selon le pourvoi, d’une part, que le contrat de distribution commerciale comporte nécessairement pour son exécution une série de ventes successives et s’analyse donc en une promesse de vente ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que la société Graphic achèterait à Cofadis les équipements dont elle devait assurer la distribution ; qu’en énonçant néanmoins que le contrat litigieux ne faisait naître que des obligations de faire à la charge des co-contractants, alors qu’il avait pour objet essentiel la vente de marchandises à la société Graphic en vue de leur commercialisation dans le public, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1589 du Code civil et alors, d’autre part, que le prix des marchandises vendues dans le cadre d’un contrat de distribution commerciale doit être déterminé ou déterminable sans qu’il faille un nouvel accord des parties, ce, à peine de nullité du contrat de distribution ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que le prix des ventes à intervenir dans le cadre du contrat de distribution conclu entre les parties devait être déterminé par un accord ultérieur entre elles ; qu’en refusant de prononcer la nullité de la convention litigieuse, la cour d’appel a violé les articles 1134, 1129 et 1591 du Code civil ;

Mais attendu qu’ayant constaté que l’accord litigieux conclu entre la société Cofadis et la société Graphic comportait, pour la première société, l’obligation d’accorder l’exclusivité de la distribution, dans un certain nombre de pays, du matériel en cause et, pour la seconde, l’obligation d’assurer la promotion et la vente du matériel dans ces mêmes pays, la cour d’appel a pu considérer que la convention ne s’analysait pas comme une vente avec obligation de mentionner le prix mais comme une obligation de faire et se prononcer comme elle l’a fait, sans violer les textes visés au moyen ; d’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Cinquième étape : l’amorce d’un revirement de jurisprudence

Dans deux arrêts du 20 novembre 1994, la Cour de cassation affirme, au visa des articles 1129 et 1134, al. 3 du Code civil que si la détermination du prix demeure une exigence, il y est satisfait dès lors que le contrat fait « référence au tarif » fixé par une partie, à condition, néanmoins, que cette dernière n’ait pas « abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime » (Cass. 1ère civ. 20 nov. 1994, n°91-21.009).

Dans le cas contraire, la première chambre civile considère que cela reviendrait à violer l’obligation de bonne foi qui échoit aux parties lors de l’exécution du contrat.

Plusieurs enseignements ont immédiatement été tirés de ces arrêts :

  • Tout d’abord, en visant l’article 1129 du Code civil, la Cour de cassation maintien l’exigence de détermination du prix quel que soit le type de contrat conclu, y compris pour les contrats-cadre.
  • Ensuite, il ressort de la décision rendue qu’il importe peu, désormais, que le prix soit fixé discrétionnairement par une seule des parties au contrat.
  • En outre, la haute juridiction affirme que la nullité d’un contrat pour indétermination du prix ne peut être prononcée qu’à la condition qu’une partie ait abusé de sa situation économique pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime.
  • Enfin, la Cour de cassation fonde sa décision notamment sur l’ancien article 1134, al. 3 du Code civil, selon lequel les conventions doivent être exécutées de bonne foi. Aussi, cela témoigne-t-il de sa volonté de déplacer l’exigence de détermination du prix au niveau de l’exécution du contrat, alors qu’il s’agit pourtant d’une condition de formation de l’acte.

Malgré la nouveauté de la solution adoptée par la Cour de cassation dans ces deux arrêts du 20 novembre 1994, deux questions demeuraient en suspens :

  • Qui de la sanction de l’abus dans la fixation du prix ?
    • Nullité ? Octroi de dommages et intérêts ? Résolution du contrat ?
  • Quid du ralliement de la chambre commerciale à la position de la première chambre civile ?
    • Dans un arrêt rendu sensiblement à la même date, elle rendit, en effet, une décision dans laquelle elle maintenait la solution antérieure ? (Cass. com., 8 nov. 1994)

Par chance, des réponses ont rapidement été apportées à ces deux questions par quatre arrêts d’assemblée plénière rendus en date du 1er décembre 1995 (Cass. ass. plén., 1er déc. 1995, n°91-15.578).

Cass. 1ère civ. 20 nov. 1994

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 1129 et 1134, alinéa 3, du Code civil ;

Attendu que pour prononcer, pour indétermination du prix, la nullité des conventions conclues par M. X… avec la société GST-Alcatel Est pour la fourniture et l’entretien d’une installation téléphonique, la cour d’appel retient que si le prix de la location et de l’entretien de l’installation était déterminable, il n’en était pas de même du coût des modifications dont le bailleur s’était réservé l’exclusivité, le contrat se bornant sur ce point à mentionner l’application d’une ” plus-value de la redevance de location sur la base du tarif en vigueur ” ;

Attendu qu’en se prononçant par ces motifs, alors que, portant sur des modifications futures de l’installation, la convention litigieuse faisait référence à un tarif, de sorte que le prix en était déterminable, et qu’il n’était pas allégué que la société GST-Alcatel eût abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime, et ainsi méconnu son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 septembre 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz

?Sixième étape : le revirement de jurisprudence des arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 1995

Par quatre arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre, la Cour de cassation a affirmé deux principes s’agissant de l’exigence de détermination.

  • Dans l’un des quatre arrêts, elle considère que « l’article 1129 du Code civil [n’est] pas applicable à la détermination du prix », de sorte que, en matière de contrat-cadre, la détermination du prix n’est pas une condition de validité du contrat.
  • Dans les trois autres arrêts, elle précise, sans détour, que « lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ».

Afin de prendre la mesure de ces deux principes posés par la Cour de cassation, remémorons-nous les circonstances de fait et de procédure de l’un de ces arrêts.

Cass. ass. plén. 1er déc. 1995

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1709 et 1710, ensemble les articles 1134 et 1135 du Code civil ;

Attendu que lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ;

Attendu selon l’arrêt attaqué (Rennes, 13 février 1991) que le 5 juillet 1981, la société Sumaco a conclu avec la société Compagnie atlantique de téléphone (CAT) un contrat de location-entretien d’une installation téléphonique moyennant une redevance indexée, la convention stipulant que toutes modifications demandées par l’Administration ou l’abonné seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur ; que la compagnie ayant déclaré résilier le contrat en 1986 en raison de l’absence de paiement de la redevance, et réclamé l’indemnité contractuellement prévue, la Sumaco a demandé l’annulation de la convention pour indétermination de prix ;

Attendu que pour annuler le contrat, l’arrêt retient que l’abonné était contractuellement tenu de s’adresser exclusivement à la compagnie pour toutes les modifications de l’installation et que le prix des remaniements inéluctables de cette installation et pour lesquels la Sumaco était obligée de s’adresser à la CAT, n’était pas déterminé et dépendait de la seule volonté de celle-ci, de même que le prix des éventuels suppléments ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 février 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris.

  • Faits
    • Le 5 juillet 1981, une société conclut avec un prestataire un contrat-cadre de location et d’entretien d’une installation téléphonique en contrepartie de l’acquittement d’une redevance indexée.
    • La convention stipulait que toutes modifications demandées par l’administration ou l’abonné seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur.
    • La société abonnée n’ayant pas payé la redevance, la Compagnie de téléphone a, dès lors, souhaité résilier le contrat.
  • Demande
    • La société abonnée demande l’annulation du contrat de prestation conclu avec la société de téléphone.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 13 février 1991, la Cour d’appel de Rennes a annulé le contrat de prestation téléphonique.
    • Les juges du fond estiment que, dans la mesure où l’abonné était tenu contractuellement de s’adresser à la compagnie de téléphone pour toute intervention sur la ligne, il était soumis aux prix que lui imposerait la compagnie de téléphone.
    • Or ce prix n’était pas déterminé, car fixé unilatéralement par la compagnie de téléphone.
  • Solution
    • Par un arrêt du 1er décembre 1995, l’assemblée plénière de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond au visa des articles 1709, 17010 et 1134 et 11385.
    • Deux affirmations retiennent l’attention dans cet arrêt
      • D’une part, l’indétermination du prix dans un contrat cadre n’est pas une cause de nullité du contrat
      • D’autre part, l’abus dans la fixation du prix est sanctionné soit par la résiliation du contrat, soit par l’octroi de dommages intérêts
    • Aussi, de ce principe d’indétermination posé par la Cour de cassation, elle en déduit, dans le litige en l’espèce, que bien que le prix ait été fixé unilatéralement par la compagnie de téléphone au cours de l’exécution du contrat, le contrat d’abonnement était bien valable.
    • Par ailleurs, en visant les anciens articles 1134 et 1135 du Code civil, la Cour de cassation indique clairement que, pour apprécier le respect de l’exigence de détermination du prix, il convient désormais de se situer, non plus au niveau de la formation du contrat, mais au niveau de son exécution.
    • Ainsi, la Cour de cassation confirme-t-elle que la détermination du prix n’est plus une condition de validité du contrat.
    • Il en résulte que dans un contrat-cadre, il importe peu que le prix soit indéterminé et que sa fixation dépende de la volonté d’une seule des parties.
    • Il ressort toutefois que le principe d’indétermination du prix a vocation à s’appliquer sauf « dispositions légales particulières ».
    • Tel sera notamment le cas du contrat de vente qui reste soumis au régime de l’article 1591 du Code civil, soit au principe de détermination de prix.
    • Bien que les auteurs fussent, dans un premier temps, satisfait par la solution novatrice de la Cour de cassation, cette jurisprudence n’en a pas moins fait naître quelques incertitudes, notamment s’agissant de la notion d’abus.
  • Portée des arrêts du 1er décembre 1995
    • Plusieurs enseignements peuvent être tirés des arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 1995 :
      • Premier enseignement : la détermination du prix n’est plus une condition de validité dans les contrats-cadre : le principe devient l’indétermination du prix
      • Deuxième enseignement : l’article 1129 du Code civil n’est pas applicable à la détermination du prix, de sorte que ce dernier ne saurait être assimilé à une chose
      • Troisième enseignement : le principe d’indétermination du prix n’a vocation à s’appliquer qu’aux contrats qui ne sont soumis à aucune disposition particulière
      • Quatrième enseignement : l’indétermination du prix est sanctionnée uniquement en cas d’abus de la partie forte au contrat.
      • Cinquième enseignement : l’abus dans la fixation du prix s’apprécie au niveau de l’exécution du contrat
      • Sixième enseignement : la sanction de l’abus dans la fixation du prix est, soit la résiliation du contrat, soit l’octroi de dommages et intérêts

?Septième étape : la précision de la notion d’abus dans la fixation du prix

Dans un arrêt du 15 janvier 2002, la Cour de cassation a estimé que l’abus dans la fixation du prix était caractérisé lorsque deux conditions cumulatives étaient réunies (Cass. com. 15 janv. 2002, n°99-21.172) :

  • L’existence d’une situation de dépendance économique
    • Cela suppose que la victime de l’abus ne soit pas en mesure de négocier le prix qui lui est imposé, sauf à mettre en péril son activité
    • Dans un arrêt du 30 juin 2004, la Cour de cassation a, par exemple, estimé qu’il n’y avait pas abus lorsque le contractant n’a pas été contraint de subir la modification unilatérale, la décision d’augmenter le prix lui ayant été notifié suffisamment tôt pour qu’il puisse trouver une autre solution en s’adressant à la concurrence (Cass. com. 30 juin 2004, n°01-00.475).
  • L’existence d’un prix disproportionné
    • Cela suppose que le prix imposé à la partie, victime de l’abus, ne lui permette pas d’exploiter de manière rentable son activité.
    • Dans un arrêt du 4 novembre 2014, il a, par ailleurs, été jugé qu’un prix était disproportionné parce qu’il est excessif au regard de celui pratiqué pour les autres clients du distributeur (Cass. com. 4 nov. 2014, n°11-14.026).

Cass. com. 15 janv. 2002

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué (Paris, 23 septembre 1999) que la société d’Exploitation du garage Schouwer (le Garage Schouwer) était concessionnaire exclusif de véhicules de la marque Mazda sur le territoire de Sarrebourg et Sarreguemines depuis 1991 ; que, reprochant à la société France Motors, importateur exclusif de la marque, d’avoir, à partir de 1993, abusé de son droit de fixation unilatérale des conditions de vente et d’avoir abusivement refusé de déroger à la clause d’exclusivité en lui interdisant de représenter la marque Daewoo, et d’être ainsi responsable des difficultés financières qu’il connaissait, le Garage Schouwer l’a assignée en paiement de dommages-et-intérêts ; qu’il a été mis en liquidation judiciaire le 11 octobre 1995 et que son liquidateur, M. Z…, a repris l’instance ;

Sur le premier moyen, pris en ses six branches :

Attendu que la société France Motors fait grief à l’arrêt de sa condamnation alors, selon le moyen :

[..]

Mais attendu qu’ayant, par une décision motivée, relevé que la société France Motors, qui s’était trouvée confrontée à un effondrement général du marché de l’automobile, aggravé par une hausse du yen, avait pris des mesures imposant des sacrifices à ses concessionnaires, eux-mêmes fragilisés, au point de mettre en péril la poursuite de leur activité, l’arrêt retient que le concédant ne s’est pas imposé la même rigueur bien qu’il disposât des moyens lui permettant d’assumer lui-même une part plus importante des aménagements requis par la détérioration du marché, puisque, dans le même temps, il a distribué à ses actionnaires des dividendes prélevés sur les bénéfices pour un montant qui, à lui seul, s’il avait été conservé, lui aurait permis de contribuer aux mesures salvatrices nécessaires en soulageant substantiellement chacun de ses concessionnaires et que notamment, en ce qui concerne le Garage Schouwer, il aurait pu disposer à son endroit d’un montant équivalant à l’insuffisance d’actif que celui-ci a accusé ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations déduites de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d’appel, qui a légalement justifié sa décision sans méconnaître l’objet du litige et sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu estimer que la société France Motors avait abusé de son droit de fixer unilatéralement les conditions de vente et qu’elle devait réparation au Garage Schouwer du préjudice qui en était résulté pour lui ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses diverses branches

2. La réforme des obligations

L’examen de la réforme des obligations révèle que le législateur a consacré pour l’essentiel la jurisprudence en matière de détermination du prix.

a. Principe

Dans la mesure où le paiement d’un prix consiste en une prestation comme une autre, les contrats qui comportent une obligation pécuniaire n’échappent pas au principe posé à l’article 1163, al. 2 du Code civil : l’exigence d’un prix déterminé ou déterminable

Il peut d’ores et déjà être observé que le législateur a ici pris ses distances avec la solution adoptée par la Cour de cassation dans ses arrêts du 1er décembre 1995 où elle avait estimé que l’ancien article 1129 du Code civil n’était pas applicable à la détermination du prix.

Or cette disposition prévoyait l’exigence d’un objet déterminé ou déterminable.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle ressuscité le principe de détermination du prix qui l’avait relégué au rang d’exception.

La détermination du prix redevient, de la sorte, une condition de validité du contrat.

Il en résulte que la sanction encourue en cas d’indétermination du prix est la nullité et non plus la résiliation du contrat ou l’octroi de dommages et intérêts.

b. Exceptions

Le législateur a jugé bon d’assortir le principe de détermination du prix de deux exceptions

?Première exception : les contrats-cadre

L’article 1164, al. 1 du Code civil prévoit que « dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation. »

L’article 1164, al. 2 précise que « en cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. »

Il ressort de ces deux alinéas que le législateur est venu consacrer, dans les mêmes termes, la solution dégagée dans les arrêts du 1er décembre 1995.

Autrement dit, dans les contrats-cadre, le prix peut être fixé discrétionnairement par l’une des parties, sous réserve de l’abus.

Le législateur ne prend cependant pas la peine de définir la notion d’abus dans la fixation du prix, alors même que cette définition faisait déjà défaut dans les arrêts d’assemblée plénière.

Aussi conviendra-t-il de se reporter à la jurisprudence postérieure qui s’est employée à délimiter les contours de la notion.

?Seconde exception : les contrats de prestation de service

Aux termes de l’article 1165 du Code civil « dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts. »

Comme en matière de contrat-cadre, les contrats de prestation de service ne sont pas soumis au principe de détermination du prix, à la condition toutefois qu’aucun accord ne soit intervenu entre les parties avant l’exécution de la convention.

Il s’agit là, ni plus ni moins, d’une consécration de la jurisprudence selon laquelle, dans les contrats d’entreprise, la détermination du prix n’est pas une condition de validité de l’acte.

Dans un arrêt du 15 juin 1973 la Cour de cassation a estimé en ce sens que « un accord préalable sur le montant exact de la rémunération n’est pas un élément essentiel d’un contrat de cette nature » (Cass. 1er civ. 15 juin 1973, n°72-12.062).

En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge ne pourra pas, comme l’y autorisait la jurisprudence antérieure, réduire le prix de la prestation, ni même prononcer la résiliation du contrat comme en matière de contrat-cadre.

Il pourra seulement « être saisi d’une demande en dommages et intérêts ».

Par ailleurs, quid de ses pouvoirs en cas d’indétermination du prix ?

Antérieurement à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, la Cour de cassation estimait « qu’en l’absence d’un tel accord, il appartient aux juges du fond de fixer la rémunération compte tenu des éléments de la cause » (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1993, n°91-18.650).

Le nouvel article 1165 du Code civil ne semble pas conférer au juge un tel pouvoir.

Il ressort, au contraire de la lettre de cette disposition que, en cas d’indétermination du prix, il appartiendra au seul créancier de le fixer.

?Le sort de la clause d’indexation du prix

L’article 1167 du Code civil prévoit que « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Qu’est-ce qu’une clause d’indexation ?

Il s’agit d’une stipulation par laquelle les parties désignent un indice qui servira de référence quant à la détermination du prix au cours de l’exécution du contrat.

La question s’était alors posée en jurisprudence de savoir quels étaient les pouvoirs du juge lorsque cet indice avait cessé d’exister ou était illicite.

Dans un arrêt du 22 juillet 1987, la Cour de cassation avait estimé qu’il revenait au juge de se référer à la commune intention des parties quant à déterminer le nouvel indice de référence (Cass. 3e civ. 22 juill. 1987, n°84-10.548).

Désormais, le nouvel article 1167 prévoit que le juge doit remplacer l’indice illicite ou qui a disparu « par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Cass. 3e civ. 22 juill. 1987

Sur le moyen unique :

Attendu que la société Compagnie Internationale du Travail Temporaire (CITT), assistée de son syndic au règlement judiciaire, Monsieur X…, fait grief à l’arrêt attaqué (Paris, 22 novembre 1983), statuant sur les conséquences de l’annulation d’une clause d’échelle mobile incluse dans le bail commercial dont elle est titulaire sur des locaux appartenant à Mme Y…, d’avoir décidé que le loyer serait indexé sur les variations de l’indice trimestriel de la construction établi par l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, aux lieus et place de celles prévues dans la stipulation du bail annulée par un précédent arrêt, alors, selon le moyen, ” qu’en l’absence de toute volonté commune des parties au contrat quant à la référence à un autre indice que celui expressément stipulé, le juge ne saurait, sans excéder ses pouvoirs et violer l’article 79 § 3 de l’ordonnance du 30 décembre 1958 et l’article 1134 du Code civil, substituer, de sa propre autorité, un indice licite à celui figurant dans une clause précédemment déclarée illicite ” ;

Mais attendu que la cour d’appel, recherchant la commune intention des parties, a souverainement retenu que leur volonté a essentiellement porté sur le principe de l’indexation et que la stipulation du choix de l’indice en constituant une application, il y avait lieu de substituer à l’indice annulé un indice admis par la loi ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

La notion d’ordre public

L’ordre public fait partie de ces notions qui échappent à l’emprise de toute définition. Il s’agit là d’un concept dont les contours sont flous et le contenu difficile à déterminer.

Après avoir listé près d’une vingtaine de définitions, Philippe Malaurie dira de l’ordre public que, en définitive, « c’est le bon fonctionnement des institutions indispensables à la collectivité »[1]

Quant au Code civil, lui non plus ne donne aucune définition de l’ordre public.

Tout au plus, il peut être déduit de l’article 6 que l’ordre public vise l’ensemble des règles auxquelles on ne saurait déroger « par conventions particulières ».

Ainsi, l’ordre public consisterait-il en un corpus de normes impératives, soit un cadre juridique en dehors duquel la volonté des parties serait inopérante quant à la création d’obligations.

Conformément au principe d’autonomie de la volonté, les parties devraient pourtant être libres de contracter et plus encore de déterminer le contenu du contrat.

À la vérité, bien que la volonté des contractants constitue une source d’obligations aux côtés de la loi, elle n’a jamais été considérée, pas même par les rédacteurs du Code civil, comme toute puissante en matière contractuelle.

La marge de manœuvre des parties comporte une limite : celle fixée par les règles qui protègent des intérêts supérieurs placés hors d’atteinte des conventions particulières.

Pour Jean Carbonnier « l’idée générale est celle d’une suprématie de la collectivité sur l’individu. L’ordre public exprime le vouloir-vivre de la nation que menaceraient certaines initiatives individuelles en forme de contrats »[2]

Cet auteur ajoute que, finalement, l’ordre public n’est autre qu’un rappel à l’ordre adressé par l’État « aux contractants s’ils veulent toucher à des règles qu’il regarde comme essentielles »[3]

Dans cette perspective, le nouvel article 1102 du Code civil prévoit que « la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public. »

Le Conseil constitutionnel avait déjà énoncée cette règle dans une décision du 13 janvier 2003 que « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 » (Décision 2002-465 DC, 13 janvier 2003)

Deux questions immédiatement alors se posent :

  • Quelles sont les règles qui composent l’ordre public
  • Quels sont les intérêts protégés par l’ordre public

I) Les règles composant l’ordre public

Parmi les règles qui composent l’ordre public, il y en a deux sortes :

  • Les règles dont le caractère d’ordre public est déterminé par un texte
  • Les règles dont le caractère d’ordre public est déterminé par la jurisprudence

A) Les règles dont le caractère d’ordre public est déterminé par un texte

Contrairement à ce que l’on pourrait être légitimement en droit de penser, toutes les règles d’origine légale ne sont pas d’ordre public.

Deux catégories de règles textuelles doivent, en effet, être distinguées :

?Exposé de la distinction

  • Les règles impératives
    • Il s’agit des règles auxquelles les parties ne peuvent pas déroger par convention contraire
    • Les sujets de droit n’ont d’autre choix que de s’y plier, sauf à bénéficier d’une exception prévue par la loi ou de l’autorisation d’une autorité
    • Exemple :
      • Les règles relatives au mariage, au divorce, à la filiation, à la procédure civile etc.
  • Les règles supplétives
    • Il s’agit des règles auxquelles, a contrario, les sujets de droit peuvent déroger par convention contraire
    • Autrement dit, ils peuvent écarter la loi à la faveur de l’application d’un contrat
    • Exemple :
      • Les règles relatives au fonctionnement des sociétés ou encore celles relatives au lieu et au moment du paiement en matière de contrat de vente

?Critère de la distinction

  • La force obligatoire de la règle
    • En matière de règle impérative, la force obligatoire est absolue, en ce sens que la volonté des sujets est inopérante quant à en écarter l’application.
    • En matière de règle supplétive, la force obligatoire est relative, en ce sens que la volonté des parties est susceptible de faire échec à l’application de la règle.
  • La lettre du texte
    • Lorsqu’une règle est impérative, la plupart du temps la loi le précise
      • soit directement, en indiquant qu’il s’agit d’une disposition d’ordre public
      • soit indirectement, en indiquant que l’on ne peut pas déroger à la règle ainsi posée par convention contraire ou encore que son non-respect est sanctionné par une nullité
    • Lorsqu’une règle est supplétive, le législateur le signalera parfois en indiquant qu’elle s’applique « sauf convention contraire » ou « sauf clause contraire ».
      • La plupart du temps, cependant, aucune précision ne figurera dans le texte
      • C’est donc au juge que reviendra la tâche de déterminer si une règle est supplétive ou non
      • Il devra pour ce faire deviner l’intention du législateur, par une interprétation exégétique, systémique, voire téléologique de la règle.

?Conséquences de la distinction

  • Sur l’autonomie de la volonté des parties
    • En matière de loi impérative
      • La volonté des parties est insusceptible de faire échec à l’application de la règle
      • Cette entorse au principe d’autonomie de la volonté qui, pourtant constitue un principe cardinal du droit des obligations, se justifie par la nécessité de faire primer l’intérêt collectif sur les intérêts particuliers.
    • En matière de loi supplétive
      • La volonté des parties est pourvue de sa pleine efficacité
      • Au fond, les règles supplétives ont pour fonction de suppléer le silence des parties
      • Elles ont, en effet, été édictées en vue de régler les situations qui n’ont pas été envisagées par les parties lors de la conclusion du contrat.
  • Sur la sanction encourue
    • Tant les lois impératives que supplétives sont sanctionnées en cas de violation.
    • Il serait, en effet, une erreur de penser que, parce qu’une règle est supplétive, elle ne serait pas sanctionnée.
    • Aussi, les lois supplétives ne sont pas dépourvues de force obligatoire.
    • La violation d’une règle supplétive sera sans effet uniquement si les parties se sont conformées à une stipulation contractuelle contraire
    • À défaut, dans la mesure où c’est la règle supplétive qui s’applique, en cas de non-respect, les parties encourent la sanction prévue par la loi

B) Les règles dont le caractère d’ordre public est déterminé par la jurisprudence

L’adage pas de nullité sans texte est-il transposable en matière de règles impératives ? Autrement dit, existe-t-il une règle : « pas de disposition d’ordre public sans texte » ?

L’examen de la jurisprudence révèle que le domaine de l’ordre public n’est pas cantonné aux seules dispositions textuelles.

Parce que l’ordre public est une « notion souple »[4] dont le périmètre varie selon les époques et les circonstances, la jurisprudence a toujours admis qu’il puisse y avoir de l’ordre public là où il n’y a pas de texte.

Ainsi, dans le silence de la loi ou du règlement, les juges peuvent conférer à une règle un caractère d’ordre public s’ils estiment que la règle en question vise à protéger l’intérêt auquel la volonté individuelle ne saurait porter atteinte.

Si, l’existence de cet ordre public virtuel ou implicite présente l’indéniable avantage de pouvoir s’adapter à l’évolution de la société et des mœurs, il n’est pas sans inconvénient s’agissant des impératifs de sécurité juridique et de prévisibilité auxquels doit répondre la règle de droit.

Aussi, appartient-il au juge de toujours chercher à rattacher la règle à laquelle il confère un caractère d’ordre public, soit à un principe général du droit, soit à un corpus normatif identifié, soit à l’esprit d’un texte.

II) Les intérêts protégés par l’ordre public

Comme le fait observer Philippe Malinvaud « l’ordre public est la marque de certaines règles légales ou réglementaires qui tirent leur suprématie de leur objet : la défense d’un intérêt général devant lequel doivent s’incliner les intérêts particuliers et les contrats qui les expriment »[5].

Ainsi, l’ordre public vise-t-il toujours à protéger des intérêts qui, s’ils sont de natures diverses et variées, ont tous pour point commun de se situer au sommet de la hiérarchie des valeurs.

Dans cette perspective, classiquement on distingue l’ordre public politique de l’ordre public économique.

A) L’ordre public politique

L’ordre public politique assure la protection des intérêts relatifs à l’État, à la famille et à la morale.

?La défense de l’État

Toutes les règles qui régissent l’organisation et le fonctionnement de l’État sont d’ordre public

Il en résulte que les conventions qui, par exemple, porteraient sur le droit de vote ou qui viseraient à restreindre l’exercice du pouvoir politique seraient nulles

Dès lors sont impératives les lois constitutionnelles, les lois fiscales ou encore les lois pénales

?La défense de la famille

La plupart des règles qui touchent à l’organisation et à la structuration de la famille sont d’ordre public.

L’article 1388 du Code civil prévoit en ce sens que « les époux ne peuvent déroger ni aux devoirs ni aux droits qui résultent pour eux du mariage, ni aux règles de l’autorité parentale, de l’administration légale et de la tutelle. »

Toutefois, il convient de distinguer les règles qui régissent les rapports personnels entre les membres de la famille, de celles qui gouvernent les rapports patrimoniaux.

Tandis que les premières constituent presque toujours des dispositions impératives, les secondes sont le plus souvent supplétives.

?La défense de la morale

Si, jusque récemment, la défense de la morale se traduisait essentiellement par l’exigence de conformité des conventions aux bonnes mœurs cette exigence s’est peu à peu déportée à la faveur d’une protection de l’ordre moral qui postule désormais le respect de la personne humaine et de la liberté individuelle.

  • Les bonnes mœurs
    • À l’instar de la notion d’ordre public, l’article 6 du Code civil vise les bonnes mœurs sans autre précision.
    • Bien qu’il s’agisse là d’une notion rebelle à toute définition classiquement, les bonnes mœurs sont définies comme « une morale coutumière »[6], soit comme un ensemble de règles qui visent à assurer la protection de l’ordre social.
    • Comme le relèvent François Ost et Michel van de Kerchove, il ressort de la jurisprudence que ce sont « la morale, les goûts et les modes de vie de l’élite culturelle dominants qui servent d’étalon aux bonnes mœurs »[7]
    • D’aucuns considèrent, en outre, que les bonnes mœurs sont une composante de l’ordre public, d’où la sanction de nullité que les conventions qui y porteraient atteinte encourent.
    • Si, pendant longtemps la licéité d’un contrat était appréciée en considération de sa conformité aux bonnes mœurs, l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit seulement que les conventions ne peuvent déroger à l’ordre public sans se référer aux bonnes mœurs, alors même que cette notion figure toujours à l’article 6 du Code civil.
    • Est-ce à dire que le législateur a entendu chasser la notion de bonnes mœurs du droit des contrats ?
    • À la vérité, les instigateurs de la réforme des obligations n’ont fait que consacrer une jurisprudence déjà existante qui, depuis quelques années, a progressivement abandonné l’exigence de conformité du contrat aux bonnes mœurs.
    • En effet, la notion de bonnes mœurs était surtout comprise au sens de morale sexuelle.
    • Or l’observation de cette morale n’a pas résisté au double mouvement de libéralisation des mœurs et la sacralisation du droit à la vie privée.
    • Deux arrêts illustrent parfaitement ce mouvement de disparition de la notion de bonnes mœurs.

Premier arrêt

(Cass., ass. plén., 29 oct. 2004, n°03-11.238)

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 900, 1131 et 1133 du Code civil ;

Attendu que n’est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs la libéralité consentie à l’occasion d’une relation adultère ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (première chambre civile, 25 janvier 2000, pourvoi n° 97-19.458), que Jean Y… est décédé le 15 janvier 1991 après avoir institué Mme X… légataire universelle par testament authentique du 4 octobre 1990 ; que Mme X… ayant introduit une action en délivrance du legs, la veuve du testateur et sa fille, Mme Micheline Y…, ont sollicité reconventionnellement l’annulation de ce legs ;

Attendu que, pour prononcer la nullité du legs universel, l’arrêt retient que celui-ci, qui n’avait “vocation” qu’à rémunérer les faveurs de Mme X…, est ainsi contraire aux bonnes mœurs ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 9 janvier 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ;

    • Faits
      • Dans le cadre d’une relation adultère qu’un époux entretien avec une concubine, il institue cette dernière légataire universelle par acte authentique du 4 octobre 1990
    • Demande
      • À la mort du testateur, ses héritiers engagent une action en nullité du legs
    • Procédure
      • Suite à première décision rendue par la Cour d’appel de Paris en date du 5 janvier 1996, la légataire universelle forme un pourvoi en cassation aux fins de délivrance du legs, les juges du fond n’ayant pas fait droit à sa demande
      • Aussi, leur décision est cassée le 25 janvier 2000 par la première chambre civile de la Cour de cassation.
      • La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d’appel de Paris, autrement composée, qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 9 janvier 2002 dans le même sens que les premiers juges d’appel par des motifs qui sont en opposition avec la doctrine de l’arrêt de cassation.
      • Les juges du fond estiment, en effet, que le legs dont était bénéficiaire la requérante était nul dans la mesure où il « n’avait vocation qu’à rémunérer les faveurs » de cette dernière, de sorte qu’il était « contraire aux bonnes mœurs »
      • Un pourvoi est alors à nouveau formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, à la suite de quoi l’assemblée plénière.
    • Solution
      • Par un arrêt du 29 octobre 2004, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.
      • La haute juridiction considère, dans une décision qui fera date, que « n’est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs la libéralité consentie à l’occasion d’une relation adultère »
      • Ainsi pour l’assemblée plénière, quand bien même le legs avait été consenti à la concubine d’un époux dans le cadre d’une relation adultère, la libéralité en l’espèce ne portait pas atteinte aux bonnes mœurs.
      • À la suite de cette décision, les auteurs se sont immédiatement demandé ce qu’il restait de la notion de « bonnes mœurs ».
      • À la vérité, la solution retenue par la Cour de cassation ne peut se comprendre que si l’on admet qu’elle abandonne ici l’exigence de conformité du contrat aux bonnes mœurs.
      • Les arrêts qu’elle rendra postérieurement à cette décision ne feront d’ailleurs que confirmer cette interprétation.

Second arrêt

(Cass. 1ère civ. 4 nov. 2011, n°10-20.114)

Vu l’article 1133 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… a souscrit le 10 mai 2007 un contrat de courtage matrimonial, prévoyant des frais d’adhésion de 8 100 euros TTC, auprès de la société Centre national de recherches en relations humaines, exerçant sous l’enseigne Eurochallenges (la société) ; que celle-ci l’a assigné en paiement puis a soulevé la nullité de la convention ;

Attendu que pour annuler le contrat litigieux “aux torts” de M. X… et condamner ce dernier à verser des dommages intérêts à la société, l’arrêt retient qu’il s’est présenté, lors de la signature de la convention, comme divorcé en cochant dans l’acte la case correspondante, bien qu’il ait été alors toujours engagé dans les liens du mariage puisque le jugement de divorce le concernant n’a été prononcé que le 22 avril 2008, soit près d’une année plus tard, ajoute que s’il avait avisé la société de sa situation, elle n’aurait pas manqué de l’informer de l’impossibilité de rechercher un nouveau conjoint en étant toujours marié, puis énonce que le contrat du 10 mai 2007 doit donc être annulé pour cause illicite comme contraire à l’ordre public de protection de la personne ainsi qu’aux bonnes mœurs, “un homme encore marié ne pouvant légitimement convoler en une nouvelle union” ;

Qu’en statuant ainsi alors que le contrat proposé par un professionnel, relatif à l’offre de rencontres en vue de la réalisation d’un mariage ou d’une union stable, qui ne se confond pas avec une telle réalisation, n’est pas nul, comme ayant une cause contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, du fait qu’il est conclu par une personne mariée, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 novembre 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence

    • Faits
      • Un homme encore marié a souscrit le 10 mai 2007 un contrat de courtage matrimonial, prévoyant des frais d’adhésion de 8 100 euros TTC, auprès d’une société spécialisée dans ce domaine
    • Demande
      • Suite à une action en paiement de la société de courtage matrimonial, le client soulève la nullité de la convention
    • Procédure
      • Par un arrêt du 12 novembre 2009, la Cour d’appel de Nîmes annule la convention litigieuse et condamne le client au paiement de dommages et intérêt
      • Au soutien de leur décision, les juges du fond relèvent que le client aurait dû informer la société de courtage de sa situation maritale afin qu’elle soit en mesure de l’informer de l’impossibilité de rechercher un nouveau conjoint en étant toujours marié.
      • La Cour d’appel en déduit que le contrat litigieux doit être annulé pour cause illicite comme contraire à l’ordre public de protection de la personne ainsi qu’aux bonnes mœurs, « un homme encore marié ne pouvant légitimement convoler en une nouvelle union ».
    • Solution
      • Dans un arrêt du 4 novembre 2011, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Nîmes.
      • La première chambre civile estime, en effet, que « le contrat proposé par un professionnel, relatif à l’offre de rencontres en vue de la réalisation d’un mariage ou d’une union stable, qui ne se confond pas avec une telle réalisation, n’est pas nul, comme ayant une cause contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, du fait qu’il est conclu par une personne mariée ».
      • Une fois encore, la solution dégagée par la Cour de cassation interroge sur le maintien de l’exigence de conformité des contrats aux bonnes mœurs.
      • Si un homme encore marié peut contracter librement avec une société de courtage matrimonial, dorénavant plus aucune convention ne semble pouvoir être regardée comme contraire aux bonnes mœurs.
      • Aussi, le législateur a-t-il décidé de tirer les conséquences de cette jurisprudence en ne s’y référant plus.
  • Le respect de la personne humaine
    • L’article 16 du Code civil prévoit que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. »
    • Il ressort de cette disposition que l’ordre public apparaît particulièrement présent en matière de protection de la personne humaine
    • Le principe de dignité a, d’ailleurs, été érigé au rang de principe à valeur constitutionnel (Cons. const. 27 juill. 1994)
    • Aussi, cela signifie-t-il, concrètement, que les individus n’ont pas le droit de s’aliéner.
    • Le corps humain ne saurait, en conséquence, faire l’objet d’un droit patrimonial.
    • Les lois bioéthiques qui toutes, sans exception, viennent alimenter l’ordre public, font dès lors obstacle à la conclusion de conventions qui porteraient sur le corps humain qui, non seulement est inviolable, mais encore qui jouit d’une protection du commencement de la vie jusqu’à la mort.
  • La sauvegarde de la liberté individuelle
    • La liberté est, par nature, d’ordre public.
    • C’est la raison pour laquelle, on saurait, par principe, restreindre par le biais d’un contrat les libertés consacrées dans les grandes déclarations de droits (Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, Charte des droits fondamentaux etc.)
    • Toutefois, l’exercice d’une liberté n’est jamais absolu.
    • Les libertés sont, en effet, susceptibles d’entrer en conflit avec d’autres libertés ou droits fondamentaux.
    • Comment, par exemple, concilier le principe d’ordre public de prohibition des engagements perpétuels avec la liberté contractuelle ?
    • À la vérité, les juridictions chercheront à concilier les libertés, ce qui se traduira par la validation de certaines clauses dès lors que leur stipulation est justifiée par l’exercice d’une liberté portant sur un droit fondamental et si elle est proportionnée au but recherché.

B) L’ordre public économique

D’apparition relativement récente, l’ordre public économique intéresse les règles qui régissent les échanges de biens et services

Cet ordre public est constitué de deux composantes :

  • L’ordre public économique de direction
    • L’ordre public économique de direction vise à assurer la protection d’un intérêt économique général.
    • Il s’agit là, autrement dit, de règles qui ont été édictées en vue de protéger l’économie de marché et plus généralement de servir le développement des échanges de biens et de services.
    • L’ordre public de direction est de la sorte très présent en droit de la concurrence.
    • Dans un arrêt du 26 mai 1992 la Cour de cassation a, de la sorte, affirmé que « sont nulles les conventions sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence » (Cass. com. 26 mai 1992, n°90-13.499).
  • L’ordre public économique de protection
    • L’ordre public économique de protection vise à préserver les droits de la partie jugée faible au contrat
    • Le terrain d’élection privilégié de cet ordre public est le droit du travail, le droit de la consommation ou encore le droit des locataires.
    • La présence de cet ordre public de protection se traduit, le plus souvent, par la réglementation stricte d’un certain nombre de contrats, dont la conclusion doit répondre à des conditions de forme extrêmement précise et à l’intérieur desquels doit figurer un certain nombre de clauses

Réticence dolosive et réforme des obligations

I) La situation en 1804

Initialement, la jurisprudence considérait que le silence ne pouvait en aucun cas, sauf disposition spéciale, être constitutif d’un dol.

Les rédacteurs du Code civil étaient guidés par l’idée que les parties à un contrat sont égales, de sorte qu’il leur appartient, à ce titre, de s’informer.

Aussi, le silence était regardé comme une arme dont les contractants étaient libres de se servir l’un contre l’autre.

Au fond, celui qui se tait et qui donc ne formule aucune affirmation fausse ne trompe pas.

Rien ne justifie donc que le silence s’apparente à un dol.

C’est la raison pour laquelle, pendant longtemps, la Cour de cassation a été fermement opposée à la reconnaissance de ce que l’on appelle la réticence dolosive comme cause de nullité (V. en ce sens notamment Cass. req., 17 févr. 1874).

Le silence d’une partie à un contrat n’était sanctionné que dans l’hypothèse où un texte lui imposait une obligation spéciale d’information.

?Évolution de la jurisprudence

Au début des années 1970, la Cour de cassation a infléchi sa position an admettant que, dans certaines circonstances, la loyauté peut commander à une partie de communiquer à son cocontractant des renseignements dont elle sait qu’ils sont déterminants de son consentement.

Dans un arrêt du 15 janvier 1971, la troisième chambre civile a estimé en ce sens que « le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter » (Cass. 3e civ. 15 janv. 1971, n°69-12.180)

La Cour de cassation a reconduit cette solution à l’identique peu de temps après (Cass. 3e civ. 2 octobre 1974, n°73-11.901).

Immédiatement, la question s’est alors posée de savoir à quel fondement rattacher la réticence dolosive.

L’examen de la jurisprudence révèle que le silence constitue une cause de nullité du contrat,

  • soit parce qu’une obligation d’information pesait sur celui qui s’est tu
  • soit parce que ce dernier a manqué à son obligation de bonne foi

A) Réticence dolosive et obligation d’information

Il ressort de nombreuses décisions que pour prononcer la nullité du contrat, les juges ont assimilé la réticence dolosive à un manquement à l’obligation précontractuelle d’information qui pèserait sur chacune des parties

?Fondement de l’obligation précontractuelle d’information

Si, avant la réforme, le législateur a multiplié les obligations spéciales d’information propres à des secteurs d’activité spécifiques, aucun texte ne reconnaissait cependant d’obligation générale d’information.

Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche, non seulement de la consacrer, mais encore de lui trouver une assise juridique.

Dans cette perspective, la Cour de cassation a cherché à rattacher l’obligation générale d’information à divers textes.

Néanmoins, aucune cohérence ne se dégageait quant aux choix des différents fondements juridiques.

Deux étapes ont marqué l’évolution de la jurisprudence :

  • Première étape
    • La jurisprudence a d’abord cherché à appréhender l’obligation d’information comme l’accessoire d’une obligation préexistante
      • Exemple : en matière de vente, l’obligation d’information a pu être rattachée à :
        • l’obligation de garantie des vices cachés
        • l’obligation de délivrance
        • l’obligation de sécurité.
  • Seconde étape
    • La jurisprudence a ensuite cherché à rattacher l’obligation générale d’information aux principes cardinaux qui régissent le droit des contrats :
    • Deux hypothèses doivent être distinguées :
      • Le défaut d’information a eu une incidence sur le consentement d’une partie lors de la formation du contrat
        • L’obligation générale d’information a été rattachée par la jurisprudence :
          • Soit aux principes qui gouvernent le dol (ancien art. 1116 C. civ)
          • Soit aux principes qui gouvernent la responsabilité civile (ancien art. 1382 C. civ)
      • Le défaut d’information a eu une incidence sur la bonne exécution du contrat
        • L’obligation générale d’information a pu être rattachée par la jurisprudence :
          • Soit au principe de bonne foi (ancien art. 1134, al. 3 C. civ)
          • Soit au principe d’équité (ancien art. 1135 C. civ)
          • Soit directement au principe de responsabilité contractuelle (ancien art. 1147 C. civ).

?Objet de l’obligation précontractuelle d’information

  • Principe : toute information déterminante du consentement
    • L’obligation d’information porte sur toute information dont l’importance est déterminante pour le consentement de ce dernier.
    • L’information communiquée doit, en d’autres termes, permettre au cocontractant de s’engager en toute connaissance de cause, soit de mesurer la portée de son engagement.
    • Aussi, l’obligation d’information garantit-elle l’expression d’un consentement libre et éclairé.
  • Exception
    • Dans un arrêt Baldus du 3 mai 2000 la Cour de cassation a estimé « qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur » s’agissant de la valeur de la prestation (Cass. 1ère civ. 3 mai 2000, n°98-11.381).
      • Faits
        • La détentrice de photographies a vendu aux enchères publiques cinquante photographies d’un certain Baldus au prix de 1 000 francs chacune
        • En 1989, la venderesse retrouve l’acquéreur et lui vend successivement trente-cinq photographies, puis cinquante autres photographies au même prix qu’elle avait fixé
        • Par suite, elle apprend que Baldus était un photographe de très grande notoriété
        • Elle porte alors plainte contre l’acquéreur pour escroquerie
      • Demande
        • Au civil, la venderesse assigne en nullité l’acquéreur sur le fondement du dol.
      • Procédure
        • Par un arrêt du 5 décembre 1997, la Cour d’appel de Versailles fait droit à la demande de la venderesse
        • Les juges du fond estiment que l’acquéreur « savait qu’en achetant de nouvelles photographies au prix de 1 000 francs l’unité, il contractait à un prix dérisoire par rapport à la valeur des clichés sur le marché de l’art »
        • Il en résulte pour la Cour d’appel que ce dernier a manqué à l’obligation de contracter de bonne foi qui pèse sur tout contractant
        • La réticence dolosive serait donc caractérisée.
      • Solution
        • Dans l’arrêt Baldus, la Cour de cassation censure les juges du fond.
        • La première chambre civile estime « qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur ».
        • Ainsi, l’acquéreur des clichés n’avait pas à informer la vendeuse de leur véritable prix, quand bien même ils avaient été acquis pour un montant dérisoire et que, si cette dernière avait eu l’information en sa possession, elle n’aurait jamais contracté.
      • Analyse
        • Il ressort de l’arrêt Baldus qu’aucune obligation d’information sur la valeur du bien ne pèse sur l’acquéreur.
        • Cette solution se justifie, selon les auteurs, par le fait que l’acquéreur est en droit de faire une bonne affaire.
        • Ainsi, en refusant de reconnaître une obligation d’information à la charge de l’acquéreur, la Cour de cassation estime qu’il échoit toujours au vendeur de se renseigner sur la valeur du bien dont il entend transférer la propriété.
        • C’est à l’acquéreur qu’il appartient de faire les démarches nécessaires pour ne pas céder son bien à un prix dérisoire.

Arrêt Baldus

(Cass. 1ère civ. 3 mai 2000)

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 1116 du Code civil ;

Attendu qu’en 1986, Mme Y… a vendu aux enchères publiques cinquante photographies de X… au prix de 1 000 francs chacune ; qu’en 1989, elle a retrouvé l’acquéreur, M. Z…, et lui a vendu successivement trente-cinq photographies, puis cinquante autres photographies de X…, au même prix qu’elle avait fixé ; que l’information pénale du chef d’escroquerie, ouverte sur la plainte avec constitution de partie civile de Mme Y…, qui avait appris que M. X… était un photographe de très grande notoriété, a été close par une ordonnance de non-lieu ; que Mme Y… a alors assigné son acheteur en nullité des ventes pour dol ;

Attendu que pour condamner M. Z… à payer à Mme Y… la somme de 1 915 000 francs représentant la restitution en valeur des photographies vendues lors des ventes de gré à gré de 1989, après déduction du prix de vente de 85 000 francs encaissé par Mme Y…, l’arrêt attaqué, après avoir relevé qu’avant de conclure avec Mme Y… les ventes de 1989, M. Z… avait déjà vendu des photographies de X… qu’il avait achetées aux enchères publiques à des prix sans rapport avec leur prix d’achat, retient qu’il savait donc qu’en achetant de nouvelles photographies au prix de 1 000 francs l’unité, il contractait à un prix dérisoire par rapport à la valeur des clichés sur le marché de l’art, manquant ainsi à l’obligation de contracter de bonne foi qui pèse sur tout contractant et que, par sa réticence à lui faire connaître la valeur exacte des photographies, M. Z… a incité Mme Y… à conclure une vente qu’elle n’aurait pas envisagée dans ces conditions ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 décembre 1997, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens

  • Exception à l’exception : les opérations de cession de droits sociaux
    • En matière de cession de droits sociaux, la Cour de cassation retient une solution opposée à celle adoptée en matière de contrat de vente.
    • Dans un arrêt Vilgrain du 27 février 1996, la chambre commerciale a, en effet, estimé qu’une obligation d’information sur la valeur des droits cédés pesait sur le cessionnaire à la faveur du cédant (Cass. com., 27 févr. 1996, n°94-11.241).
      • Faits
        • Une actionnaire a hérité d’un certain nombre d’actions d’une société CFCF, actions dont elle ne connaissait pas la valeur.
        • Ne souhaitant pas conserver les titres, elle s’adresse au président de la société (Mr Vilgrain) en lui demandant de rechercher un acquéreur.
        • Le président, ainsi que trois actionnaires pour lesquels il s’était porté fort, rachète à l’héritière les titres pour le prix de 3 000 F par action.
        • Les acquéreurs revendent, quelques jours plus tard, les titres acquis à la société Bouygues pour le prix de 8 800 F par action.
      • Demande
        • La cédante initiale ayant eu connaissance de cette vente, demande alors la nullité de la cession des titres pour réticence dolosive, car il lui avait été dissimulé un certain nombre d’informations qui auraient été indispensables pour juger de la valeur des titres.
        • Celle-ci avait seulement connaissance d’un chiffre proposé par une banque et qui était le chiffre de 2 500 F.
        • Or, à l’époque où il achetait les actions de la cédante, Monsieur Vilgrain savait que les titres avaient une valeur bien supérieure.
        • Il avait confié à une grande banque d’affaires parisienne la mission d’assister les membres de sa famille dans la recherche d’un acquéreur pour les titres.
        • Le mandat donné à la banque prévoyait un prix minimum pour la mise en vente de 7 000 F.
      • Procédure
        • Par un arrêt du 19 janvier 1994, la Cour d’appel de Paris fait droit à la demande de la cédante initiale des actions
        • Pour les juges du fond, Monsieur Vilgrain a sciemment caché à la cédante qu’il avait confié à une grande banque d’affaires parisienne la mission d’assister les membres de sa famille dans la recherche d’un acquéreur pour les titres.
        • Le mandat donné à la banque prévoyait un prix minimum pour la mise en vente de 7 000 F.
        • Aussi, pour la Cour d’appel la réticence dolosive est caractérisée du fait de cette simulation.
      • Moyens
        • Devant la chambre commerciale, M. Vilgrain. soutenait que « si l’obligation d’informer pesant sur le cessionnaire, et que postule la réticence dolosive, concerne les éléments susceptibles d’avoir une incidence sur la valeur des parts, que ces éléments soient relatifs aux parts elles-mêmes ou aux actifs et aux passifs des sociétés en cause, elle ne peut porter, en revanche, sur les dispositions prises par le cessionnaire pour céder à un tiers les actions dont il est titulaire »
        • Autrement dit, ce qui était ainsi reproché aux juges d’appel c’était donc d’avoir retenu comme objet de la réticence dolosive les négociations en cours pour la vente des actions déjà détenues par les autres associés (membres de la famille de Monsieur Vilgrain), ce qui concernait les relations des cessionnaires avec un tiers, et non, directement, la différence entre le prix d’achat et celui de revente des actions acquises parallèlement par ces mêmes consorts V. de Mme A.
        • selon le pourvoi, ce n’est donc pas la plus-value réalisée par les cessionnaires qui avait justifié la qualification de réticence dolosive, mais précisément le fait d’avoir dissimulé des négociations en cours qui portaient sur des actions identiques.
      • Solution
        • Par cet arrêt du 27 février 1996, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le cessionnaire des actions
        • Pour écarter en bloc les divers arguments énoncés au soutien du premier moyen du demandeur la chambre commerciale estime que :
          • D’une part, une obligation d’information sur la valeur des actions cédées pesait bien sur le cessionnaire
          • D’autre part, cette obligation d’information a pour fondement le « devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant d’une société à l’égard de tout associé »
      • Portée
        • Manifestement, la solution retenue dans l’arrêt Vilgrain est diamétralement opposée de celle adoptée dans l’arrêt Baldus
        • Force est de constater que, dans cette décision, la Cour de cassation met à la charge du cessionnaire (l’acquéreur) une obligation d’information sur la valeur des droits cédés à la faveur du cédant.
        • Il apparaît cependant que l’arrêt Baldus a été rendu postérieurement à l’arrêt Baldus.
        • Est-ce à dire que l’arrêt Baldus opère un revirement de jurisprudence ?
        • Si, certains commentateurs de l’époque ont pu le penser, l’examen de la jurisprudence postérieure nous révèle que l’arrêt Vilgrain pose, en réalité, une exception à la règle énoncée dans l’arrêt Baldus.
        • La Cour de cassation a, en effet, eu l’occasion de réaffirmer la position qu’elle avait adoptée dans l’arrêt Vilgrain.
        • Dans un arrêt du 22 février 2005 la chambre commerciale a estimé en ce sens que le cessionnaire d’actions « n’avait pas caché aux cédants l’existence ou les conditions de ces négociations et ainsi manqué au devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant de société à l’égard de tout associé en leur dissimulant une information de nature à influer sur leur consentement » (Cass. Com. 22 févr. 2005, n°01-13.642).
        • Cette solution est réitérée dans un arrêt du 25 mars 2010 où elle approuve une Cour d’appel pour avoir retenu une réticence dolosive à l’encontre d’une cessionnaire qui avait manqué à son obligation d’information (Cass. civ. 1re, 25 mars 2010, n°08-13.060).
        • La chambre commerciale relève, pour ce faire que, le cédant « lors de la cession de ses parts, n’avait pu être informé de façon précise des termes de la négociation ayant conduit à la cession par M. A… des titres à la société Tarmac ainsi que des conditions de l’accord de principe déjà donné sur la valorisation de l’ensemble du groupe; que de ces constatations, la cour d’appel a pu déduire que M. A… avait commis un manquement à son obligation de loyauté en tant que dirigeant des sociétés dont les titres avaient été cédés ».
      • Analyse
        • La solution retenue dans l’arrêt Vilgrain trouve sa source dans l’obligation de loyauté qui échoit aux dirigeants à l’égard des associés.
        • Cela s’explique par le fait que les associés, en raison de l’affectio societatis qui les unit se doivent mutuellement une loyauté particulière
        • En effet, contrairement à un contrat de vente où les intérêts des parties sont divergents, sinon opposés, dans le contrat de société les intérêts des associés doivent converger dans le même sens, de sorte qu’ils doivent coopérer
        • Aussi, cela implique-t-il qu’ils soient loyaux les uns envers les autres, ce qui donc se traduit par une plus grande exigence en matière d’obligation d’information.
        • D’où l’extension du périmètre de l’obligation d’information en matière de cession de droits sociaux.

Arrêt Vilgrain

(Cass. com., 27 févr. 1996)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 1994), que le 27 septembre 1989, Mme X… a vendu à M. Bernard Vilgrain, président de la société Compagnie française commerciale et financière (société CFCF), et, par l’intermédiaire de celui-ci, à qui elle avait demandé de rechercher un acquéreur, à MM. Francis Z…, Pierre Z… et Guy Y… (les consorts Z…), pour qui il s’est porté fort, 3 321 actions de ladite société pour le prix de 3 000 francs par action, étant stipulé que, dans l’hypothèse où les consorts Z… céderaient l’ensemble des actions de la société CFCF dont ils étaient propriétaires avant le 31 décembre 1991, 50 % du montant excédant le prix unitaire de 3 500 francs lui serait reversé ; que 4 jours plus tard les consorts Z… ont cédé leur participation dans la société CFCF à la société Bouygues pour le prix de 8 800 francs par action ; que prétendant son consentement vicié par un dol, Mme X… a assigné les consorts Z… en réparation de son préjudice ;

Sur le premier moyen pris en ses cinq branches :

Attendu que M. Bernard Vilgrain fait grief à l’arrêt de l’avoir condamné, à raison d’une réticence dolosive, à payer à Mme X…, une somme de 10 461 151 francs avec intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 1989 alors, selon le pourvoi

[…]

Mais attendu que l’arrêt relève qu’au cours des entretiens que Mme X… a eu avec M. Bernard Vilgrain, celui-ci lui a caché avoir confié, le 19 septembre 1989, à la société Lazard, mission d’assister les membres de sa famille détenteurs du contrôle de la société CFCF dans la recherche d’un acquéreur de leurs titres et ne lui a pas soumis le mandat de vente, au prix minimum de 7 000 francs l’action, qu’en vue de cette cession il avait établi à l’intention de certains actionnaires minoritaires de la société, d’où il résulte qu’en intervenant dans la cession par Mme X… de ses actions de la société CFCF au prix, fixé après révision, de 5 650 francs et en les acquérant lui-même à ce prix, tout en s’abstenant d’informer le cédant des négociations qu’il avait engagées pour la vente des mêmes actions au prix minimum de 7 000 francs, M. Bernard Vilgrain a manqué au devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant d’une société à l’égard de tout associé, en particulier lorsqu’il en est intermédiaire pour le reclassement de sa participation ; que par ces seuls motifs, procédant à la recherche prétendument omise, la cour d’appel a pu retenir l’existence d’une réticence dolosive à l’encontre de M. Bernard Vilgrain ; d’où il suit que le moyen ne peut être accueilli

B) Réticence dolosive et obligation de bonne foi

Il ressort de plusieurs arrêts que la réticence dolosive est parfois retenue sur la seule constatation d’un manquement à l’obligation de bonne foi qui échoit aux parties.

Dans un arrêt du 27 mars 1991, la Cour de cassation a par exemple reproché à une Cour d’appel d’avoir refusé de prononcer la nullité d’un contrat « sans rechercher si la réticence […] ne constituait pas un manquement à la bonne foi » (Cass. 3e civ. 27 mars 1991, n°89-16.975).

Plus récemment, dans un arrêt du 13 mai 2003, la Cour de cassation a décidé que « manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l’incitant ainsi à s’engager » (Cass. 1ère civ. 13 mai 2003, n°01-11.511).

Dans une décision du 14 mai 2009 prise au visa des articles 1116 et 1134, al. 3 du Code civil, la haute juridiction a encore affirmé que « manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l’incitant ainsi à s’engager » (Cass. 1ère civ. 14 mai 2009, n°07-17.568).

Cass. 1ère civ. 14 mai 2009

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles 1116 et 1134, alinéa 3, du code civil ;

Attendu que manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l’incitant ainsi à s’engager ;

Attendu que, par acte sous seing privé du 19 décembre 2000, la société Banque populaire du Nord (la banque) a consenti à M. Y… un prêt de 200 000 francs destiné à financer sa campagne électorale ; que M. X… s’est porté caution solidaire du remboursement de cet emprunt ; qu’en raison de la défaillance de l’emprunteur, la banque a assigné la caution qui a conclu à la nullité de son engagement pour dol par réticence de la banque sur l’endettement du débiteur principal ;

Attendu que, pour rejeter les prétentions de M. X… et le condamner à payer à la banque la somme de 36 919, 72 euros, outre intérêts au taux contractuel de 5, 90 % à compter du 22 avril 2004, l’arrêt attaqué, après avoir énoncé qu’il appartenait à M. X… de rapporter la preuve de la réticence dolosive alléguée et de démontrer que cette réticence avait déterminé son consentement, et que cette exigence devait être appréciée d’autant plus sévèrement que l’engagement de caution souscrit par lui comportait la clause suivante : ” Je reconnais contracter mon engagement de caution en pleine connaissance de la situation financière et juridique du débiteur principal dont il m’appartiendra-dans mon intérêt-de suivre personnellement l’évolution, indépendamment des renseignements que la Banque populaire du Nord pourrait éventuellement me communiquer à ce sujet “, retient qu’on a peine à imaginer que M. X…, qui s’est présenté auprès de la banque comme administrateur de sociétés, ait pu accepter de se porter caution sans prendre un minimum de renseignements sur la solvabilité du débiteur principal, alors que c’est précisément l’insuffisance des ressources de celui-ci qui a conduit la banque à solliciter cette garantie, et qu’il se borne à affirmer, en contradiction avec la clause précitée, qu’il n’a pas eu connaissance de la situation financière et patrimoniale réelle de M. Y…, et notamment de la déclaration souscrite par ce dernier à la demande de la banque ;

Qu’en se déterminant ainsi, quand il incombait à la banque d’informer la caution de la situation obérée du débiteur, qu’elle connaissait, obligation dont la clause précitée ne pouvait la dispenser, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il prononce des condamnations à l’encontre de M. X…, l’arrêt rendu le 3 mai 2007, entre les parties, par la cour d’appel d’Amiens ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties concernées dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Douai ;

Le point commun entre toutes ces décisions est que la réticence dolosive est caractérisée indépendamment de l’établissement d’un manquement à une quelconque obligation d’information.

La Cour de cassation estime, en effet, que dès lors qu’une partie s’est intentionnellement tue dans le dessein de tromper son cocontractant, ce manquement à l’obligation de bonne foi est constitutif, à lui seul, d’un dol.

II) L’état du droit après la réforme des obligations

La lecture de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations révèle que les différentes formes de dol découvertes progressivement par la jurisprudence ont, globalement, toutes été consacrées par le législateur.

L’article 1137 alinéa 1, du Code civil prévoit en ce sens que « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ».

L’alinéa 2 ajoute que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »

Ainsi, le dol est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :

  • des manœuvres
  • un mensonge
  • un silence

Si, les deux premières formes de dol ne soulèvent guère de difficultés, il n’en va pas de même pour la réticence dolosive qui, si elle est consacrée par le législateur, n’en suscite pas moins des interrogations quant à la teneur de son élément matériel.

Pour rappel, il ressort de la jurisprudence que le silence constitue une cause de nullité du contrat :

  • soit parce qu’une obligation d’information pesait sur celui qui s’est tu
  • soit parce que ce dernier a manqué à son obligation de bonne foi

Ainsi les juridictions ont-elles assimilé la réticence dolosive à la violation de deux obligations distinctes, encore que, depuis les arrêts Vilgrain (Cass. com., 27 févr. 1996, n°94-11.241) et Baldus (Cass. 1ère civ. 3 mai 2000, n°98-11.381) les obligations de bonne foi et d’information ne semblent pas devoir être placées sur le même plan.

La première ne serait autre que le fondement de la seconde, de sorte que l’élément matériel de la réticence dolosive résiderait, en réalité, dans la seule violation de l’obligation d’information.

Est-ce cette solution qui a été retenue par le législateur lors de la réforme des obligations ?

?Réticence dolosive et obligation précontractuelle d’information

Pour mémoire, une obligation générale d’information a été consacrée par le législateur à l’article 1112-1 du Code civil, de sorte que cette obligation dispose d’un fondement textuel qui lui est propre.

Aussi, est-elle désormais totalement déconnectée des autres fondements juridiques auxquels elle était traditionnellement rattachée.

Il en résulte qu’il n’y a plus lieu de s’interroger sur l’opportunité de reconnaître une obligation d’information lors de la formation du contrat ou à l’occasion de son exécution.

Elle ne peut donc plus être regardée comme une obligation d’appoint de la théorie des vices du consentement.

Dorénavant, l’obligation d’information s’impose en toutes circonstances : elle est érigée en principe cardinal du droit des contrats.

Immédiatement, la question alors se pose de savoir si cette obligation d’information dont il est question en matière de dol est la même que l’obligation générale d’information édictée à l’article 1112-1 du Code civil.

S’il eût été légitime de le penser, il apparaît, l’ancienne formulation de l’article 1137, issue de l’ordonnance du 10 février 2016, suggérait que les deux obligations d’information ne se confondent pas :

  • S’agissant de l’obligation d’information fondée sur l’article 1112-1, al. 2 (principe général)
    • Cette disposition prévoit que l’obligation générale d’information ne peut jamais porter sur l’estimation de la valeur de la prestation.
  • S’agissant de l’obligation d’information fondée sur l’article 1137, al. 2 (réticence dolosive)
    • D’une part, cette disposition prévoit que l’obligation d’information porte sur tout élément dont l’un des contractants « sait le caractère déterminant pour l’autre partie », sans autre précision.
    • On pouvait en déduire que, en matière de réticence dolosive, l’obligation d’information porte également sur l’estimation de la valeur de la prestation.
    • En effet, le prix constituera toujours un élément déterminant du consentement des parties.
    • D’autre part, l’article 1139 précise que « l’erreur qui résulte d’un dol […] est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ».
    • Une lecture littérale de cette disposition conduit ainsi à admettre que lorsque la dissimulation – intentionnelle – par une partie d’une information a eu pour conséquence d’induire son cocontractant en erreur quant à l’estimation du prix de la prestation, le dol est, en tout état de cause, caractérisé.
    • Enfin, comme l’observe Mustapha MEKKI, « le rapport remis au président de la République confirme que la réticence dolosive n’est pas conditionnée à l’établissement préalable d’une obligation d’information ».
    • Il en résulte, poursuit cet auteur, que la réticence dolosive serait désormais fondée, plus largement, sur les obligations de bonne foi et de loyauté.
    • Aussi, ces obligations commanderaient-elles à chaque partie d’informer l’autre sur les éléments essentiels de leurs prestations respectives.
    • Or incontestablement le prix est un élément déterminant de leur consentement !
    • L’obligation d’information sur l’estimation de la valeur de la prestation pèserait donc bien sur les contractants
    • Au total, l’articulation de l’obligation générale d’information avec la réticence dolosive telle qu’envisagée par l’ordonnance du 10 février 2016 conduisait à une situation totalement absurde :
      • Tandis que l’alinéa 2 de l’article 1112-1 du Code civil témoigne de la volonté du législateur de consacrer la solution retenue dans l’arrêt Baldus en excluant l’obligation d’information sur l’estimation de la valeur de la prestation
      • Dans le même temps, la combinaison des articles 1137, al. 2 et 1139 du Code civil anéantit cette même solution en suggérant que le manquement à l’obligation d’information sur l’estimation de la valeur de la prestation serait constitutif d’une réticence dolosive.

Pour résoudre cette contradiction, le législateur a décidé, lors de l’adoption de la loi du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance portant réforme du droit des obligations, d’ajouter un 3e alinéa à l’article 1137 du Code civil qui désormais précise que « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».

La jurisprudence Baldus est ainsi définitivement consacrée !

L’erreur sur la valeur et réforme des obligations

Les erreurs indifférences peuvent être classées en quatre catégories

  • L’erreur sur les qualités non-essentielles de la prestation
  • L’erreur sur les qualités essentielles de la personne lorsque le contrat n’est pas conclu en considération de cette dernière
  • L’erreur sur les motifs
  • L’erreur sur la valeur

Nous nous focaliserons ici sur l’erreur sur la valeur.

?Principe

L’article 1136 du Code civil prévoit que « l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité. »

L’erreur sur la valeur doit donc être entendue comme l’erreur sur l’évaluation économique de l’objet du contrat

Exemple : l’erreur sur la valeur se rapporte à l’hypothèse où une partie se rend compte que le prix de la prestation qui lui a été fournie est trop élevé.

Bien que l’erreur sur la valeur consiste en un décalage entre la croyance de l’errans et la réalité, ce déséquilibre objectif des prestations ne constitue cependant pas une cause de nullité du contrat.

Si le législateur avait adopté la solution inverse, cela serait revenu à admettre la lésion.

Or conformément à l’article 1168 du Code civil « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement. ».

La solution retenue en l’espèce est conforme à la jurisprudence antérieure qui a toujours refusé de reconnaître l’erreur sur la valeur (V. en ce sens Cass. req., 17 mai 1832 ; Cass. 3e civ., 31 mars 2005, n°03-20.096).

?Exception : l’erreur sur la rentabilité

En principe, lorsque l’erreur porte sur sa rentabilité de l’opération, soit sur son aptitude à procurer les avantages économiques que l’on en attend, elle devrait être indifférente, car cela revient à porter une appréciation de la valeur de la prestation fournie.

Dans un arrêt du 31 mars 2005 la Cour de cassation a estimé en ce sens que « l’appréciation erronée de la rentabilité économique de l’opération n’était pas constitutive d’une erreur sur la substance de nature à vicier le consentement de la SCI à qui il appartenait d’apprécier la valeur économique et les obligations qu’elle souscrivait » (Cass. 3e civ., 31 mars 2005, n°03-20.096).

Toutefois, dans un arrêt du 4 octobre 2011, la Cour de cassation a reproché à une Cour d’appel qui « après avoir constaté que les résultats de l’activité du franchisé s’étaient révélés très inférieurs aux prévisions et avaient entraîné rapidement sa mise en liquidation judiciaire » de n’avoir pas recherché « si ces circonstances ne révélaient pas, même en l’absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d’information, que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise » (Cass. com. 4 oct. 2011, n°10-20.956).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, l’erreur commise par le franchisé s’apparentait en l’espèce, non pas à une simple erreur sur la valeur de l’opération, mais à une erreur sur les qualités essentielles du contrat de franchise qui, par nature, a vocation à procurer à son bénéficiaire une certaine rentabilité.

Ainsi, lorsque la rentabilité est inhérente à l’opération, la haute juridiction considère que l’erreur s’apparente, en réalité, à une erreur sur les qualités essentielles de la chose, de sorte qu’elle constitue une cause de nullité.

Cass. com. 4 oct. 2011

Sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche :

Vu l’article 1110 du code civil ;

Attendu selon l’arrêt attaqué, que la société Equip’buro 59 a conclu avec la société Sodecob un contrat de franchise pour l’exploitation de son fonds de commerce sous l’enseigne “Bureau center”, impliquant l’adhésion à une coopérative de commerçants détaillants indépendants, constituée par la société Majuscule ; que les résultats obtenus, très inférieurs aux prévisions transmises par le franchiseur, ont conduit rapidement à la mise en liquidation judiciaire de la société Equip’buro 59, M. X… étant désigné liquidateur ; que ce dernier, agissant ès qualités, a demandé la nullité du contrat de franchise et la condamnation solidaire des sociétés Sodecob et Majuscule au paiement de dommages-intérêts, en invoquant, notamment, l’insuffisance de l’information précontractuelle fournie au franchisé ;

Attendu que pour rejeter la demande d’annulation fondée sur l’erreur commise par le franchisé lors de la conclusion du contrat, l’arrêt retient que les insuffisances ponctuelles dans la documentation fournie ne peuvent être regardées, à les supposer établies, comme un élément essentiel dont la révélation eût été susceptible de conduire la société Equip Buro 59 à ne pas conclure le contrat, qu’en sa qualité de professionnel averti du commerce qui avait exercé pendant plus de vingt ans dans le domaine de la grande distribution, son dirigeant se devait d’apprécier la valeur et la faisabilité des promesses de rentabilité qui lui avaient été faites dans la mesure où celles-ci ne pouvaient comporter de la part du promettant aucune obligation de résultat, que le seul fait qu’un écart soit effectivement apparu entre les prévisions de chiffre d’affaires telles qu’indiquées par le franchiseur et les résultats concrets nés de l’exploitation poursuivie par la société Equip’buro 59 ne saurait être démonstratif, à lui seul, de l’insincérité ou du manque de crédibilité des chiffres et documents fournis par le franchiseur, lequel n’avait pas à garantir la réalisation de quelconques prévisions comptables et qu’il s’ensuit que M. X…, ès qualités, ne rapporte la preuve d’aucun dol ni d’aucune erreur de nature à justifier sa demande ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, après avoir constaté que les résultats de l’activité du franchisé s’étaient révélés très inférieurs aux prévisions et avaient entraîné rapidement sa mise en liquidation judiciaire, sans rechercher si ces circonstances ne révélaient pas, même en l’absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d’information, que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a rejeté les demandes de nullité et d’octroi de dommages-intérêts formées par M. X…, ès qualités, l’arrêt rendu le 19 mai 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

L’erreur sur les motifs et réforme des obligations

Les erreurs indifférences peuvent être classées en quatre catégories

  • L’erreur sur les qualités non-essentielles de la prestation
  • L’erreur sur les qualités essentielles de la personne lorsque le contrat n’est pas conclu en considération de cette dernière
  • L’erreur sur les motifs
  • L’erreur sur la valeur

Nous nous focaliserons ici sur l’erreur sur l’erreur sur les motifs.

?Principe

L’article 1135 du Code civil prévoit que « l’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement ».

Ainsi, lorsque l’erreur porte sur les motifs, soit sur les raisons qui ont déterminé les parties à contracter, elle ne constitue pas une cause de nullité

Exemple : j’ai acheté une maison à Marseille car je pensais être muté dans cette ville. Or il s’avère que je suis affecté à Lille.

L’article 1135 précise qu’il importe peu que le motif sur lequel porte l’erreur ait été déterminant du consentement de l’errans, elle demeure indifférence.

Cette solution est conforme à la position de la Cour de cassation qui, notamment dans un arrêt du 13 février 2001, a eu l’occasion d’affirmer que « l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui-ci n’est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant » (Cass.1ère, Civ. 13 févr. 2001, n°98-15.092).

Une question immédiatement alors se pose : pourquoi avoir exclu des causes de nullité l’erreur sur les motifs ?

À bien y réfléchir, les qualités essentielles de la prestation ou du cocontractant peuvent également être regardées comme des motifs du contrat.

Or lorsque l’erreur porte sur ces dernières, la nullité est encourue.

Dès lors, pourquoi cette différence de traitement entre les simples motifs de l’article 1135 et ceux évoqués à l’article 1132 du Code civil ?

Cette solution se justifie par le caractère trop lointain des motifs visés à l’article 1135.

En effet, les motifs qui président à la décision d’une partie de contracter sont, par nature, indécelables pour son cocontractant.

Ils constituent, en d’autres termes, des circonstances totalement extérieures au contrat.

Tel n’est pas le cas des qualités essentielles de la prestation ou du cocontractant qui sont connues des parties.

C’est la raison pour laquelle seule l’erreur qui porte sur ces dernières constitue une cause de nullité, l’erreur sur les simples motifs étant indifférente.

Cass.1ère, Civ. 13 févr. 2001

Attendu que, par un acte passé le 20 novembre 1981 en l’étude de M. Geoffroy d’X…, notaire, M. Alain Y… a acquis, de la Société anonyme de gestion de patrimoines (SAGEP), des lots d’un immeuble en copropriété à rénover ; que M. Y… a subi, par la suite, différents redressements fiscaux ; que, faisant valoir qu’il avait acheté ce bien immobilier pour bénéficier d’avantages fiscaux qui n’avaient pu être obtenus, il a, en 1992, assigné la SAGEP, aujourd’hui en liquidation judiciaire et représentée par M. Villa, liquidateur, le syndicat des copropriétaires de la résidence le Cloître Saint-Martin, et M. Geoffroy d’X…, en nullité pour erreur ou en résolution de la vente, et en dommages-intérêts ; que l’arrêt confirmatif attaqué (Orléans, 23 mars 1998) l’a débouté de ses prétentions ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. Y… fait grief à l’arrêt de s’être ainsi prononcé, alors, selon le moyen :

1° qu’en refusant d’annuler la vente faute de réalisation de l’objectif de défiscalisation, bien qu’il résultât des constatations de l’arrêt que la cause de l’engagement de M. Y… avait été le désir de réaliser des économies fiscales et que la SAGEP connaissait ce motif déterminant, la cour d’appel aurait méconnu les conséquences de ses constatations et violé l’article 1110 du Code civil ;

2° qu’en ne recherchant pas, comme il lui était demandé, si en sa qualité de professionnel de l’immobilier spécialiste de la défiscalisation, la SAGEP n’était pas censée connaître et maîtriser parfaitement les prescriptions de la loi Malraux et n’avait pas manqué à son devoir de conseil, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l’article 1116 du Code civil ;

Mais attendu, d’abord, que l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui-ci n’est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant ; que c’est donc à bon droit que l’arrêt énonce que l’absence de satisfaction du motif considéré savoir la recherche d’avantages d’ordre fiscal alors même que ce motif était connu de l’autre partie, ne pouvait entraîner l’annulation du contrat faute d’une stipulation expresse qui aurait fait entrer ce motif dans le champ contractuel en l’érigeant en condition de ce contrat ; qu’ensuite, ayant relevé qu’en 1983, la SAGEP pouvait croire à l’adéquation de l’opération avec les prescriptions de la loi Malraux, étant observé qu’il n’était pas démontré qu’à l’époque de la vente cette société ait eu connaissance du risque de ne pas bénéficier des avantages fiscaux de cette loi, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision au regard de l’article 1116 du Code civil ; que le moyen n’est donc fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen : (Publication sans intérêt) ;

Et, sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :

(Publication sans intérêt) ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Tempérament

Si l’indifférence de l’erreur sur les motifs se justifie par le caractère extérieur au contrat des circonstances qui ont conduit l’errans à contracter, dans l’hypothèse où lesdites circonstances seraient connues du cocontractant, l’erreur sur les motifs devrait alors en toute logique affecter la validité du contrat.

Tel est le sens de l’article 1135 du Code civil qui après avoir exclu, par principe, des causes de nullité l’erreur sur les motifs, précise qu’elle est toujours susceptible de le devenir lorsque les parties ont en fait un élément de leur consentement, soit lorsque le motif du contrat est entré dans le champ contractuel.

Là encore, cette exception au principe, n’est autre qu’une consécration de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 11 avril 2012, la chambre commerciale avait jugé en ce sens que « l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui-ci n’est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant, à moins qu’une stipulation expresse ne l’ait fait entrer dans le champ contractuel en l’érigeant en condition du contrat » (Cass. com. 11 avr. 2012, n°11-15.429).

Cass. com. 11 avr. 2012

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 7 décembre 2010), que Mme X… a souscrit le 3 juillet 2002, pour financer l’acquisition d’équipements médicaux destinés à l’exercice de son activité d’infirmière libérale deux contrats de crédit-bail auprès de la société BNP Paribas et deux contrats de crédit-bail auprès de la société Lixxbail, ces quatre contrats représentant une charge totale mensuelle de 1 529,82 euros toutes taxes comprises ; que les matériels fournis par la société Formes et performances ont été livrés à Mme X…, qui a signé un procès-verbal de réception ; que cette dernière ayant cessé de payer les loyers à compter du mois de novembre 2003, la société Lixxbail lui a notifié la résiliation des contrats et fait procéder à la saisie des matériels qui ont été revendus pour la somme de 0,18 euro chacun ; que le tribunal d’instance a déclaré recevable l’opposition de Mme X… aux ordonnances d’injonction de payer prononcées à son encontre ; que devant le tribunal de grande instance, Mme X… a demandé l’annulation des contrats de crédit-bail, invoquant une erreur substantielle et recherché subsidiairement la responsabilité du crédit-bailleur pour manquement à ses obligations d’information et de conseil ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme X… reproche à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande d’annulation des contrats conclus avec la société Lixxbail, alors, selon le moyen :

1°/ que constitue une qualité essentielle toute caractéristique du bien entrée dans le champ contractuel qui détermine son usage ; qu’en jugeant, pour débouter Mme X… de sa demande de nullité du contrat de crédit-bail que “Mme X… en faisant valoir que la colonne d’électrothérapie et la colonne bilan louées à la société Fores et performances ne répondaient pas à ses besoins dans son activité paramédicale d’infirmière en milieu rural, n’invoque aucune erreur sur les qualités substantielles de ces matériels” sans rechercher si la destination commerciale n’était pas inhérente aux biens donnés à bail et entrée dans le champ contractuel, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1110 du code civil ;

2°/ que Mme X… faisait valoir, dans ses conclusions, que le matériel donné à bail ne pouvait être utilisé que par un médecin ; qu’en se bornant à juger pour débouter Mme X… de sa demande de nullité du contrat de crédit-bail que l’inadéquation du matériel “à ses besoins dans son activité para-médicale d’infirmière en milieu rural” n’était pas une qualité substantielle des biens objet du contrat litigieux, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui-ci n’est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant, à moins qu’une stipulation expresse ne l’ait fait entrer dans le champ contractuel en l’érigeant en condition du contrat ; qu’après avoir énoncé que l’erreur n’est une cause de nullité du contrat que lorsqu’elle porte sur les qualités substantielles de la chose qui en est l’objet, et que seule l’erreur excusable peut entraîner la nullité d’une convention, l’arrêt retient que Mme X…, en faisant valoir que les équipements litigieux ne répondaient pas à ses besoins dans son activité para-médicale d’infirmière en milieu rural, n’invoque aucune erreur sur les qualités substantielles de ces matériels, mais se borne à constater leur inadéquation à cette activité ; qu’ayant ainsi fait ressortir que l’erreur invoquée par le preneur ne portait pas sur les qualités substantielles des matériels litigieux, mais sur les motifs de leur acquisition, la cour d’appel, qui n’était pas tenue d’effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Exception

Le second alinéa de l’article 1135 du Code civil pose une exception au principe d’indifférence de l’erreur sur les motifs.

Cette disposition prévoit que « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité. »

L’instauration de cette exception procède, manifestement, de l’abandon par le législateur de la référence à la cause dans la liste des conditions de validité du contrat (V en ce sens le nouvel article 1128 du Code civil).

L’exigence de la cause supposait, en effet, antérieurement à l’ordonnance du 10 février 2016, qu’une contrepartie à l’engagement de chaque partie existe, à défaut de quoi le contrat encourait la nullité.

Rapidement la question s’est alors posée de savoir en quoi la cause pouvait-elle bien consister dans les contrats à titre gratuit dans la mesure où, par définition, celui qui consent une libéralité s’engage sans contrepartie.

Très tôt, la jurisprudence a néanmoins répondu à cette question en considérant que, dans les actes à titre gratuit, la cause de l’engagement de l’auteur d’une libéralité consiste en un élément subjectif : l’intention libérale de celui qui s’engage.

Afin de contrôler l’existence de la cause, condition de validité du contrat, cela a conduit les juridictions à tenir compte des motifs du disposant.

Autrement dit, dès lors que l’auteur d’une libéralité se trompait sur les motifs de son engagement, l’acte conclu encourait la nullité.

Exemple : je crois consentir une donation à une personne que je crois être mon fils, alors qu’en réalité il ne l’est pas car il est né d’une relation adultérine de mon épouse

Aussi, cela revenait-il pour la Cour de cassation à assimiler, en matière de libéralités, l’erreur sur les motifs à l’absence de cause (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 11 févr. 1986, n°84-15.513).

En édictant, à l’article 1133, al. 2, la règle selon laquelle « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité », le législateur a manifestement entendu palier la suppression de la cause de la liste des conditions de validité du contrat.

Cette exception au principe d’indifférence de l’erreur sur les motifs révèle, de la sorte, une résurgence de la cause qui est loin d’avoir disparu.

Cass. 1ère civ., 11 févr. 1986

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les époux X… ont, par acte du 22 juillet 1981, fait donation, à titre de partage anticipé, à leurs trois enfants, de la nue propriété de partie d’un ensemble immobilier ; que le 27 janvier 1982 ils ont assigné les bénéficiaires à fin que soit déclarée nulle et de nul effet cette donation-partage, comme étant dépourvue de cause, en faisant valoir que les avantages fiscaux dont bénéficiaient les donations-partages et qui ont été supprimés rétroactivement au 9 juillet 1981 par la loi de finances rectificative du 3 août 1981, les avaient déterminés à consentir ce partage anticipé ; que les juges de première instance ont accueilli leur demande ; qu’appel de cette décision a été interjeté par le ministère public qui, tout en reconnaissant n’avoir été que partie jointe à l’instance, invoquait l’atteinte à l’ordre public ; que son appel a été déclaré irrecevable ;

Attendu que le procureur général près la Cour d’appel fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que, d’une part, les juges de première instance, en faisant droit à la demande d’annulation par les époux X… de la donation-partage qu’ils ont consentie, n’ont pas prononcé, ainsi qu’ils l’ont affirmé, un jugement ” strictement civil rendu par référence aux conditions de validité d’une donation-partage. “, mais une décision portant atteinte à l’ordre public et plus précisément à l’ordre public fiscal, et alors, d’autre part, que ce faisant, ils ont nécessairement méconnu la rétroactivité au 9 juillet 1981 du nouveau régime fiscal des donations-partages expressément prévue à l’article 4-1 de la loi de finances rectificative du 3 août 1981 dans le souci d’éviter une source importante d’évasion fiscale à partir du moment où il était devenu de notoriété publique que la loi de finances en préparation se proposait de soumettre, en ce qui concerne les droits de mutation à titre gratuit, les donations-partages au régime du droit commun des libéralités ;

Mais attendu que la Cour d’appel, qui a relevé que les premiers juges avaient seulement recherché les circonstances et l’esprit dans lesquels les parties avaient agi pour en tirer les conséquences, sur le plan civil, au regard de la validité des donations-partages, a justement énoncé que ces juges n’avaient pas statué par une décision portant atteinte à l’ordre public en déclarant nulle pour absence de cause une donation-partage, acte purement privé intervenu entre personnes privées parce que l’application rétroactive d’une loi de finances promulguée postérieurement à l’acte avait eu pour conséquence que celui-ci ne se trouvait plus justifié par le mobile qui avait incité les parties à y recourir ; que c’est dès lors à bon droit qu’elle a déclaré le Ministère public, partie jointe, irrecevable en son appel ; que les juges du second degré, qui ont encore estimé qu’il n’y avait pas eu fraude à la loi dès lors que donateurs et donataires avaient opéré strictement dans le cadre de la législation en vigueur, n’ont pas méconnu la rétroactivité du nouveau régime fiscal, rétroactivité rendue inopérante par la nullité qu’ils prononçaient ; d’où il suit que le moyen est, en chacune de ses branches, dépourvu du moindre fondement ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

L’erreur sur les qualités essentielles de la personne

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat :

  • L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
  • L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

À ces deux catégories d’erreur, il convient toutefois d’en ajouter une troisième à laquelle ne fait nullement référence l’ordonnance du 10 février 2016 et qui, pourtant regroupe des hypothèses où l’erreur est si grave qu’elle empêche la rencontre même des volontés. Il s’agit de la catégorie des erreurs obstacles.

Nous nous focaliserons ici sur l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant.

?Principe

Au même titre que l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation, le législateur a entendu faire de l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant une cause de nullité (art. 1133, al. 1 C. civ.).

Le législateur a ainsi reconduit la solution retenue en 1804 à la nuance près toutefois qu’il a inversé le principe et l’exception.

L’ancien article 1110 prévoyait, en effet, que l’erreur « n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention. »

Ainsi, l’erreur sur les qualités essentielles de la personne n’était, par principe, pas sanctionnée.

Elle ne constituait une cause de nullité qu’à la condition que le contrat ait été conclu intuitu personae, soit en considération de la personne du cocontractant.

Aujourd’hui, le nouvel article 1134 du Code civil prévoit que « l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne. »

L’exception instaurée en 1804 est, de la sorte, devenue le principe en 2016.

Cette inversion n’a cependant aucune incidence sur le contenu de la règle dans la mesure où, in fine, l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité qu’en matière de contrats conclus intuitu personae.

?Notion d’erreur sur la personne

L’erreur sur la personne du cocontractant peut porter

  • sur son identité
  • sur ses aptitudes physiques
  • sur ses compétences
  • sur sa solvabilité
  • sur son passé professionnel
  • sur sa nationalité
  • sur son âge

L’erreur sur la substance ou sur les qualités essentielles de la prestation: réforme des obligations

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat :

  • L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
  • L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

À ces deux catégories d’erreur, il convient toutefois d’en ajouter une troisième à laquelle ne fait nullement référence l’ordonnance du 10 février 2016 et qui, pourtant regroupe des hypothèses où l’erreur est si grave qu’elle empêche la rencontre même des volontés. Il s’agit de la catégorie des erreurs obstacles.

Nous nous focaliserons ici sur l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation.

I) L’état du droit avant la réforme des obligations

Pour mémoire, l’ancien article prévoyait que « l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ».

La question alors se posait de savoir ce que l’on devait entendre par la substance de la chose.

Grosso modo, deux conceptions s’affrontaient :

?La conception objective

La substance est considérée comme la matière dont est faite la chose, objet du contrat.

Exemple : je crois acheter un objet un or alors qu’il est en airain (il s’agit là de l’exemple pris par le célèbre juriste Pothier)

  • Avantage
    • Cette conception offre un critère précis
  • Inconvénient
    • Cette conception a l’inconvénient d’être trop étroite
    • En effet, elle ne permet pas d’obtenir la nullité du contrat dans l’hypothèse où j’ai acheté une sculpture que je croyais de Rodin, alors qu’elle a en réalité été réalisée par un anonyme.
    • L’erreur ne porte pas ici, sur la matière dont la chose est faite.
    • C’est la raison pour laquelle la jurisprudence s’est rapidement déportée vers une conception subjective de la notion de substance.

?La conception subjective

La substance correspond ici aux qualités substantielles de la chose.

Il s’agit, plus exactement, des qualités de la chose qui ont déterminé la volonté de l’errans, soit celles sans lesquelles il n’aurait pas contracté.

Très tôt, la jurisprudence a amis cette conception de l’erreur, afin d’apprécier la notion de « substance de la chose » (V. en ce sens Cass. req., 16 mars 1898).

  • Avantages
    • L’erreur peut ainsi porter indifféremment :
      • Soit sur la matière dont est faite la chose
      • Soit sur l’authenticité de la chose
      • Soit sur l’aptitude de la chose à remplir l’usage auquel on la destine
        • Exemple : la constructibilité d’un terrain, l’achat d’une jument qui s’avère être en gestation alors qu’on la prédestinait à la course etc.
  • Inconvénients
    • Le juge est obligé de rechercher la volonté de l’errans afin de déterminer si la qualité de la chose qui n’est pas conforme avec la représentation qu’il s’en faisait, était ou non essentielle, pour lui, quant à la conclusion du contrat
    • Une partie pourrait alors prétendre que telle qualité de la chose était essentielle à ses yeux au moment de la conclusion du contrat, alors qu’elle n’en avait jamais fait état à son cocontractant.
    • L’erreur sur la substance risque alors de se révéler dangereuse pour la sécurité juridique du contrat
    • Aussi, afin de limiter ce risque, la jurisprudence a-t-elle posé une exigence.
  • Condition posée par la jurisprudence
    • Lors de la conclusion d’un contrat, il appartient aux parties de définir l’objet de leurs obligations, ce qui suppose de leur reconnaître un ou plusieurs caractères essentiels en considérations desquelles chacune d’elles s’engage.
    • Aussi, comme le relève Jacques Ghestin, « l’erreur ne justifie l’annulation du contrat que lorsqu’elle s’analyse en un désaccord entre l’objet réel et sa définition contractuelle ».
    • La jurisprudence en a tiré la conséquence que pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit porter sur une qualité défaillante de la chose qui est entrée dans le champ contractuel
    • Autrement dit, pour être fondé à se prévaloir d’un vice du consentement, l’errans doit établir qu’il a informé son cocontractant de la qualité de la chose qu’il jugeait comme essentielle pour conclure le contrat.
    • Il en résulte que le cocontractant doit avoir su que ladite qualité était déterminante du consentement de celui qui s’est trompé.
    • L’erreur doit donc porter sur la « qualité convenue » de la chose.
    • La preuve
      • Afin d’établir que la qualité défaillante est entrée dans le champ contractuel, le juge tiendra compte des stipulations du contrat
      • En l’absence de stipulations, la charge de la preuve pèsera sur l’errans.
      • Deux options s’offrent alors au juge :
        • Ou bien la qualité de la chose est jugée comme essentielle pour l’opinion commune auquel cas le juge admettra assez facilement l’erreur
        • Ou bien la qualité de la chose est jugée comme essentielle par le seul errans, auquel cas c’est à lui qu’il incombera de rapporter la preuve, en cas d’absence de stipulations contractuelles, que telle qualité de la chose était déterminante pour lui quant à la conclusion du contrat.

II) L’état du droit positif après la réforme des obligations

Contrairement aux rédacteurs du Code civil qui, en 1804, n’avaient nullement défini la notion de « substance de la chose », le législateur a, en 2016, remédié à cette carence en introduisant dans le Code civil un article 1133.

Cette disposition prévoit désormais que « les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ».

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

A) Substitution de vocable

Il ressort de l’article 1133 du Code civil que le législateur a préféré au terme « substance de la chose », le vocable « qualités essentielles ».

Cela témoigne de sa volonté de mettre un terme définitif au débat qui avait porté sur l’interprétation du terme « substance » :

  • Devait-on retenir une conception objective : dans cette hypothèse l’erreur ne pouvait être reconnue que si l’errans se trompait sur la matière de la chose
  • Devait-on, au contraire, adopter une conception subjective, auquel cas cela permettait d’admettre que l’erreur puisse être une cause de nullité, tant lorsqu’elle portait sur la matière de chose, que lorsqu’elle portait sur son authenticité ou sur son aptitude à remplir une fonction déterminée

En retenant le terme de « qualités essentielles » le législateur a manifestement entendu sortir de cette difficulté d’interprétation en optant, sans ambiguïté, pour la solution adoptée par la jurisprudence : la conception objective.

B) Éléments constitutifs de l’erreur sur les qualités essentielles

?Une erreur

L’erreur se définit classiquement comme une représentation inexacte de la réalité

Elle, consiste, en d’autres termes, en un décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la réalité

Plus précisément, en matière contractuelle, l’erreur ne peut être reconnue que si elle porte sur un élément du contrat, dans la mesure où c’est à elles qu’il revient de définir le contenu de leurs prestations respectives.

?Des qualités essentielles expressément ou tacitement convenues

Il ressort de l’article 1133 du Code civil que le législateur a entendu consacrer la solution retenue par la jurisprudence s’agissant de l’appréciation du caractère essentiel des éléments du contrat.

Cette disposition prévoit en ce sens que les qualités essentielles sont celles « qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ».

Autrement dit, pour être qualifiées d’essentielles, les qualités de la prestation sur lesquelles porte l’erreur doivent être entrées dans le champ contractuel.

C’est donc à l’aune de la commune intention des parties que le juge décidera si tel, ou tel autre élément du contrat revêt un caractère essentiel.

À défaut de stipulations contractuelles, il appartiendra à l’errans d’établir que son cocontractant savait que la qualité de la prestation sur laquelle a porté son erreur était déterminante de son consentement.

?Le domaine de l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation

L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation est susceptible d’être reconnue dans plusieurs cas.

Nous en évoquerons deux à titre d’illustration :

  • L’erreur sur les caractéristiques de la chose
    • L’erreur sur les caractéristiques de la chose se rapporte à une infinité de situations
    • Il peut, en effet, s’agir d’une erreur sur :
      • le matériau ou la matière dont est faite la chose
      • l’usure de la chose
      • l’ancienneté de la chose
      • l’emplacement de la chose
      • la surface du terrain
    • Si les caractéristiques de la chose reconnues par la jurisprudence comme susceptibles de faire l’objet d’une erreur, l’une d’elles a, en particulier, été au centre d’un important débat :
      • L’erreur sur l’authenticité d’une œuvre d’art
        • Quid dans l’hypothèse où l’erreur porte sur l’authenticité d’une œuvre d’art ?
        • Dans un arrêt Poussin du 22 février 1978, la Cour de cassation a estimé que l’erreur commise par le vendeur d’un tableau sur l’authenticité de ce dernier était une cause de nullité (Cass. 1ère civ., 22 févr. 1978, n°76-11.551).

Cass. 1ère civ., 22 févr. 1978

Sur le premier moyen : vu l’article 1110 du code civil ;

Attendu que, les époux z… ayant charge Rheims, commissaire-priseur, de la vente d’un tableau attribue par l’expert x… a “l’école des Carrache”, la réunion des musées nationaux a exerce son droit de préemption, puis a présente le tableau comme une œuvre originale de Nicolas y… ;

Que les époux z… ayant demandé la nullité de la vente pour erreur sur la qualité substantielle de la chose vendue, la cour d’appel, estimant qu’il n’était pas prouve que le tableau litigieux fut une œuvre authentique de y…, et qu’ainsi l’erreur alléguée n’était pas établie, a débouté les époux z… de leur demande ;

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher si, au moment de la vente, le consentement des vendeurs n’avait pas été vicie par leur conviction erronée que le tableau ne pouvait pas être une œuvre de Nicolas y…, la cour d’appel n’a pas donné de base légale a sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

Casse et annule en son entier l’arrêt rendu entre les parties le 2 février 1976 par la cour d’appel de paris

  • Faits
    • Vente d’un tableau, dans le cadre d’une vente aux enchères, attribué à l’école des Carrache.
    • Exerçant son droit de préemption, la réunion des musées nationaux acquiert le tableau, affirmant dans la foulée que le tableau a, en réalité, pour peintre le très célèbre Nicolas Poussin.
  • Demande
    • Les vendeurs du tableau engagent une action en nullité de la vente
  • Procédure
    • Par un arrêt du 2 février 1976, la Cour d’appel de Paris déboute les vendeurs de leur demande
    • Les juges parisiens estiment qu’il n’est pas établi que le tableau litigieux était de Nicolas Poussin, nonobstant les dires de l’acquéreur.
    • Il en résulte, selon elle que l’erreur ne saurait être caractérisée, dans la mesure où il existe un doute sur l’authenticité du tableau.
  • Solution
    • Par un arrêt du 22 février 1978, la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond
    • La Cour de cassation considère ici que la Cour d’appel aurait dû, pour débouter l’auteur du pourvoi, se demander si, au moment de la vente, un doute existait quant à l’authenticité du tableau, chez les vendeurs, ou s’ils avaient la certitude que ledit tableau n’était pas l’œuvre de Nicolas Poussin.
    • Autrement dit, selon la haute juridiction, si aucun doute n’existait au moment de la vente chez les vendeurs quant à l’authenticité du tableau et que ce doute n’est apparu qu’une fois la vente conclue, alors l’erreur est bien caractérisée.
  • Analyse
    • Dans l’arrêt Poussin, les juges n’admettent pas directement qu’il y a erreur sur la substance.
    • La Cour de cassation dit simplement, que les juges auraient dû recherche des éléments de fait quant à la question de savoir :
      • Si un doute existait au moment de la formation du contrat
      • Si le doute des vendeurs est seulement né après que la réunion des musées nationaux a déclaré que le tableau était de Nicolas Poussin
    • En invitant les juges du fond à faire cette recherche, on peut en déduire que la Cour de cassation considère, dans cette décision, que pour que l’erreur soit caractérisée, il suffit que l’errans ait la certitude de la qualité qui fait défaut à la chose au moment de la conclusion du contrat.
    • Aussi, c’est seulement si le vendeur du tableau avait eu un doute sur son authenticité au moment de la vente que l’erreur n’aurait pas pu être retenue.
    • Dans cet arrêt, la Cour de cassation apporte manifestement une précision importante sur la notion d’erreur.
    • Ce qui importe ce que l’errans ait la certitude, au moment de la formation du contrat, que la chose possède la qualité qu’il croit, alors qu’en réalité elle ne les a pas ou qu’il y a un doute qui pèse sur l’existence de ces qualités.
    • En somme, pour qu’il y ait erreur, il est nécessaire que le décalage entre la croyance de l’errans et la réalité intervienne au moment de la formation du contrat.
    • Si le doute survient postérieurement, il n’aura aucune incidence sur l’erreur : elle demeure caractérisée
    • Est-ce à dire que l’erreur sera toujours prise en compte ?
  • L’arrêt Fragonard
    • Dans un arrêt Fragonard du 24 mars 1987, la Cour de cassation est venue apporter une précision à la règle dégagée dans l’arrêt Poussin (Cass. 1ère civ. 24 mars 1987, n°85-15.736).
    • Elle a, en effet, jugé que lorsqu’un doute sur l’authenticité du tableau existait au moment de conclusion du contrat, l’erreur ne constitue plus une cause de nullité.

Cass. 1ère civ. 24 mars 1987

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu que, selon les juges du fond, Jean, André Vincent, depuis lors décédé, a vendu en 1933 aux enchères publiques, comme étant ” attribué à Fragonard “, un tableau intitulé Le Verrou ; que, l’authenticité du tableau ayant été ultérieurement reconnue, l’arrêt confirmatif attaqué a refusé d’annuler cette vente, pour erreur, à la demande des héritiers de Jean, André Vincent ;

Attendu que ceux-ci reprochent à la cour d’appel (Paris, 12 juin 1985) de s’être déterminée au motif essentiel que l’expression ” attribué à…. ” laisse planer un doute sur l’authenticité de l’œuvre mais n’en exclut pas la possibilité ; qu’ils soutiennent, d’une part, qu’en s’attachant seulement à déterminer le sens objectif de la mention ” attribué à…. ” et en s’abstenant de rechercher quelle était la conviction du vendeur, alors que leurs conclusions faisaient valoir qu’il était persuadé, à la suite des avis formels des experts, que l’authenticité de l’oeuvre était exclue, la cour d’appel a violé à la fois les articles 1110 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ; qu’il est, d’autre part, prétendu qu’en toute hypothèse, le vendeur commet une erreur quand il vend sous l’empire de la conviction que l’authenticité est discutable, alors qu’elle est en réalité certaine et que tout aléa à ce sujet est inexistant ;

Mais attendu, en premier lieu, qu’il résulte des énonciations souveraines du jugement confirmé ” qu’en vendant ou en achetant, en 1933, une oeuvre attribuée à Fragonard, les contractants ont accepté un aléa sur l’authenticité de l’oeuvre, que les héritiers de Jean-André Vincent ne rapportent pas la preuve, qui leur incombe, que leur auteur a consenti à la vente de son tableau sous l’empire d’une conviction erronée quant à l’auteur de celui-ci ” ; que le moyen, en sa première branche, ne peut dès lors être accueilli ;

Et attendu, en second lieu, que, ainsi accepté de part et d’autre, l’aléa sur l’authenticité de l’oeuvre avait été dans le champ contractuel ; qu’en conséquence, aucune des deux parties ne pouvait alléguer l’erreur en cas de dissipation ultérieure de l’incertitude commune, et notamment pas le vendeur ni ses ayants-cause en cas d’authenticité devenue certaine ; que le moyen doit donc être entièrement écarté ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

  • Faits
    • Vente d’un tableau intitulé « Le Verrou » qui était attribué à Fragonard, bien qu’il existe un doute sur son authenticité
    • Après que la vente a été effectuée, l’authenticité de l’œuvre est confirmée.
  • Demande
    • Les héritiers du vendeur engagent une action en nullité de la vente
  • Procédure
    • Par un arrêt du 12 juin 1985, la Cour d’appel de Paris déboute les héritiers du vendeur de leur demande en annulation de la vente.
    • Les juges du fond estiment qu’il existait un doute sur l’authenticité du tableau que les vendeurs du tableau ne pouvaient ignorer au moment de la conclusion du contrat, de sorte que l’erreur commise par ces derniers ne constitue pas une cause de nullité.
  • Moyens
    • Les vendeurs soutiennent que l’erreur est caractérisée dès lors qu’il existe un décalage entre leur croyance (le doute sur l’authenticité du tableau) et la réalité (l’authenticité du tableau).
  • Solution
    • Par un arrêt du 24 mars 1987, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les héritiers du vendeur.
    • La première chambre civile relève tout d’abord « qu’en vendant ou en achetant, en 1933, une œuvre attribuée à Fragonard, les contractants ont accepté un aléa sur l’authenticité de l’œuvre ».
    • Elle en déduit que « ainsi accepté de part et d’autre, l’aléa sur l’authenticité de l’œuvre avait été dans le champ contractuel. »
    • Il en résulte alors « qu’aucune des deux parties ne pouvait alléguer l’erreur en cas de dissipation ultérieure de l’incertitude commune, et notamment pas le vendeur ni ses ayants-cause en cas d’authenticité devenue certaine ; que le moyen doit donc être entièrement écarté »
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation, dans la mesure où le doute sur l’authenticité du tableau était connu du vendeur au moment de la vente, l’opération litigieuse a été réalisée en connaissance de cause.
    • Le doute étant entré dans le champ contractuel, aucune des deux parties ne pouvait donc soutenir qu’elle avait commis une erreur une fois l’authenticité du tableau avérée.
    • Ainsi, la haute juridiction vient-elle préciser la solution adoptée dix ans plus tôt dans l’arrêt Poussin.
    • Pour que la vente soit annulée en l’espèce, il aurait fallu que le vendeur ait eu la certitude, au moment de la vente, que le tableau n’était pas de Fragonard.
    • Or ce n’était pas le cas, puisqu’il était « attribué » à Fragonard, ce qui laissait à penser que le tableau était authentique.
      • L’erreur sur l’utilité de la chose
        • L’erreur sur l’utilité de la chose se rapporte à la fausse croyance que l’on a sur l’usage que l’on est légitimement en droit d’attente de la chose
        • Il pourra ainsi s’agir d’une erreur sur :
          • La constructibilité du terrain
          • L’inaptitude de la chose à remplir une certaine fonction
          • Les aptitudes d’un animal
          • Le potentiel d’une société à réaliser son objet social

?Des qualités essentielles qui portent sur la prestation de l’une ou l’autre partie

L’article 1133, al. 2 du Code civil prévoit que « l’erreur est une cause de nullité qu’elle porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie. »

Pourquoi cette précision ?

Le législateur est ici venu consacrer la position de la Cour de cassation qui s’est prononcée sur la question de savoir si l’erreur peut constituer une cause de nullité lorsqu’elle porte sur la propre prestation de l’errans.

Le plus souvent, l’erreur portera, non pas sur la prestation fournie, mais sur la prestation reçue, soit celle exécutée par le cocontractant.

Aussi, quid dans l’hypothèse où l’erreur porte sur la prestation dont est débiteur l’errans ?

Dans le silence des textes, la Cour de cassation a, très tôt, estimé que l’erreur pouvait parfaitement porter sur sa propre prestation (Cass. civ. 23 juin 1873)

Dans un arrêt du 17 novembre 1930, la haute juridiction a, par exemple, considéré que « il y a erreur sur la substance, notamment quand le consentement de l’une des parties a été déterminé par l’idée fausse que cette partie avait de la nature des droits dont elle croyait se dépouiller ou qu’elle croyait acquérir par l’effet du contrat » (Cass. civ. 17 nov. 1930).

Cette solution a été réitérée par la suite, notamment, dans le célèbre arrêt Poussin du 22 février 1978 (Cass. 1ère civ., 22 févr. 1978, n°76-11.551).

L’article 1133, al. 2 du Code civil ne vient, dès lors, que confirmer une jurisprudence déjà bien établie.

?Des qualités essentielles non affectées d’un aléa

Aux termes du nouvel article 1133, alinéa 3 du Code civil « l’acceptation d’un aléa sur une qualité de la prestation exclut l’erreur relative à cette qualité. »

De toute évidence, cette précision faite par le législateur vise à entériner la règle dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Fragonard

La haute juridiction avait en effet estimé que lorsqu’un doute sur les qualités essentielles de la prestation existe au moment de la conclusion du contrat, soit que ce doute est entré dans le champ contractuel, alors les parties ne sont pas fondées à se prévaloir d’une erreur (Cass. 1ère civ. 24 mars 1987, n°85-15.736).

L’erreur sur les qualités essentielles ne pourra être invoquée que si le doute naît postérieurement à la formation du contrat.

Aussi, l’erreur ne peut être une cause de nullité que si l’errans avait la certitude, au moment où il contractait, que la prestation qu’il fournit ou qui lui est due possède les qualités qu’il croit.

L’erreur obstacle

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat :

  • L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
  • L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

À ces deux catégories d’erreur, il convient toutefois d’en ajouter une troisième à laquelle ne fait nullement référence l’ordonnance du 10 février 2016 et qui, pourtant regroupe des hypothèses où l’erreur est si grave qu’elle empêche la rencontre même des volontés. Il s’agit de la catégorie des erreurs obstacles.

Nous nous focaliserons ici sur l’erreur obstacle.

I) Notion

Il s’agit de l’erreur qui procède d’un malentendu en ce sens que les parties n’ont pas voulu la même chose.

Aussi, l’erreur est si grave que la rencontre des volontés n’a pas pu se réaliser. Traditionnellement, on distingue deux sortes d’erreur obstacle :

  • L’erreur porte sur la nature de l’acte : une partie croyait acheter un bien alors que l’autre souhaitait simplement la louer.
  • L’erreur porte sur l’objet de la prestation : une partie croyait acheter un immeuble, alors que l’autre entendait vendre un immeuble voisin

II) Effets

L’erreur obstacle a pour effet de priver les parties de leur consentement, de sorte que leurs volontés n’ont pas pu se rencontrer.

Plus qu’un vice du consentement, l’erreur obstacle rend le consentement inexistant

III) Sanction

?La reconnaissance souhaitable de l’inexistence

Dans la mesure où l’erreur obstacle a pour effet de faire « obstacle » à la rencontre des volontés, elle devrait être sanctionnée par l’inexistence.

  • Notion
    • Pour mémoire, l’inexistence consiste en la sanction généralement prononcée à l’encontre d’un acte dont l’un des éléments constitutifs essentiels à sa formation fait défaut.
    • Plus précisément l’inexistence est prononcée lorsque la défaillance qui atteint l’une des conditions de validité de l’acte porte sur son processus de formation
    • Aussi, en matière de contrat, l’inexistence vient-elle généralement sanctionner l’absence d’échange des consentements.
    • Dans un arrêt du 5 mars 1991, la Cour de cassation a approuvé en ce sens une Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aucun échange de consentement n’était intervenu entre les parties, a estimé qu’il n’y avait pas pu y avoir de contrat elles (Cass. 1ère civ., 5 mars 1991, n° 89-17.167)
    • Conformément à cette jurisprudence, l’erreur obstacle devrait donc, en toute logique, être sanctionnée par l’inexistence, comme le soutiennent certains auteurs[1]
    • Tel n’est cependant pas, pour l’heure, la voie empruntée par la Cour de cassation.
  • Intérêt
    • Pourquoi, préférer la sanction de l’inexistence à la nullité ?
    • Dans l’hypothèse, où le non-respect d’une condition de validité du contrat est sanctionné par la nullité, celui qui entend contester l’acte dispose d’un délai de 5 ans pour agir.
    • Conformément à l’article 2224 du Code civil, le point de départ de ce délai de prescription court à compter « du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
    • Il s’agira, le plus souvent, du jour de la conclusion du contrat
    • Dans l’hypothèse toutefois où la sanction prononcée est l’inexistence de l’acte, le contrat n’a jamais été formé puisque les volontés ne se sont pas rencontrées.
    • Il en résulte que les parties à l’acte inexistant ne sauraient se prévaloir d’aucun droit, sinon de celui de faire constater l’inexistence.
    • Aussi, l’exercice de l’action en inexistence n’est-il subordonné à l’observation d’un quelconque délai de prescription.
    • L’intérêt de la sanction de l’inexistence ne tient pas seulement à l’absence de prescription de l’action.
    • Elle réside également dans l’impossibilité pour les parties de confirmer l’acte.
    • On ne saurait, en effet, confirmer la validité d’un acte qui n’a jamais existé.

?L’indéboulonnable admission de la nullité

Bien que l’inexistence soit, eu égard à tout ce qui vient d’être rappelé, la sanction la plus appropriée quant à répondre à la situation à laquelle conduit l’erreur obstacle, soit l’absence de rencontre des volontés des parties, la jurisprudence a néanmoins préféré opter pour la nullité du contrat (Cass. 3e civ. 16 déc. 2014, n°14-14.168).

Cass. 3e civ., 16 déc. 2014

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Fort-de-France, 24 janvier 2014), que, suivant document d’arpentage du 10 janvier 2000, une parcelle cadastrée K 2, dont Mme Maryse X… et M. Roy X… (les consorts X…) étaient propriétaires indivis, a été divisée en deux parcelles, la première supportant une maison d’habitation et la seconde un garage ; qu’aux termes d’un acte dressé le 3 avril 2001 par M. C…, notaire, membre de la SCP, les consorts X… ont vendu la parcelle cadastrée K 2 à Mme Y… ; que, faisant valoir que la vente ne portait en réalité que sur la parcelle supportant la maison, Mme X… a assigné Mme Y…, M. C… et la SCP en nullité de la vente et en indemnisation de son préjudice ; que M. X…, assisté de son curateur, est intervenu à l’instance ;

Sur le premier moyen :

Vu les articles 1109 et 1110 du code civil ;

Attendu que pour rejeter la demande des consorts X… en nullité de la vente, l’arrêt retient que les vendeurs qui avaient fait procéder à la division du terrain étaient les mieux à même de relever l’erreur de désignation du bien vendu et ne pouvaient opposer leur propre carence à l’acquéreur ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que l’erreur portait sur l’objet même de la vente et faisait obstacle à la rencontre des consentements de sorte que, fût-elle inexcusable, elle entraînait l’annulation de la vente, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il déboute les consorts X… de leur demande contre M. C… et la société civile professionnelle C…, D… et E…, l’arrêt rendu le 24 janvier 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Fort-de-France ; remet, en conséquence, sur le surplus, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Basse-Terre ;