La question qui se pose ici est de savoir si les parties ont voulu contracter l’une avec l’autre ?
==>La difficile appréhension de la notion de consentement
Simple en apparence, l’appréhension de la notion de consentement n’est pas sans soulever de nombreuses difficultés.
Que l’on doit exactement entendre par consentement ?
Le consentement est seulement défini de façon négative par le Code civil, les articles 1129 et suivants se bornant à énumérer les cas où le défaut de consentement constitue une cause de nullité du contrat.
L’altération de la volonté d’une partie est, en effet, susceptible de renvoyer à des situations très diverses :
- L’une des parties peut être atteinte d’un trouble mental
- Le consentement d’un contractant peut avoir été obtenu sous la contrainte physique ou morale
- Une partie peut encore avoir été conduite à s’engager sans que son consentement ait été donné en connaissance de cause, car une information déterminante lui a été dissimulée
- Une partie peut, en outre, avoir été contrainte de contracter en raison de la relation de dépendance économique qu’elle entretient avec son cocontractant
- Un contractant peut également s’être engagé par erreur
Il ressort de toutes ces situations que le défaut de consentement d’une partie peut être d’intensité variable et prendre différentes formes.
La question alors se pose de savoir dans quels cas le défaut de consentement fait-il obstacle à la formation du contrat ?
Autrement dit, le trouble mental dont est atteinte une partie doit-il être sanctionné de la même qu’une erreur commise par un consommateur compulsif ?
==>Existence du consentement et vice du consentement
Il ressort des dispositions relatives au consentement que la satisfaction de cette condition est subordonnée à la réunion de deux éléments :
- Le consentement doit exister
- À défaut, le contrat n’a pas pu se former dans la mesure où l’une des parties n’a pas exprimé sa volonté
- Or cela constitue un obstacle à la rencontre de l’offre et l’acceptation.
- Dans cette hypothèse, l’absence de consentement porte dès lors, non pas sur la validité du contrat, mais sur sa conclusion même.
- Autrement dit, le contrat est inexistant.
- Le consentement ne doit pas être vicié
- À la différence de l’hypothèse précédente, dans cette situation les parties ont toutes deux exprimé leurs volontés.
- Seulement, le consentement de l’une d’elles n’était pas libre et éclairé :
- soit qu’il n’a pas été donné librement
- soit qu’il n’a pas été donné en connaissance de cause
- En toutes hypothèses, le consentement de l’un des cocontractants est vicié, de sorte que le contrat, s’il existe bien, n’en est pas moins invalide, car entaché d’une irrégularité.
Nous ne nous focaliserons ici que sur l’exigence relative à l’absence de vices du consentement.
==>Place des vices du consentement dans le Code civil
Il ne suffit pas que les cocontractants soient sains d’esprit pour que la condition tenant au consentement soit remplie.
Il faut encore que ledit consentement ne soit pas vicié, ce qui signifie qu’il doit être libre et éclairé :
- Libre signifie que le consentement ne doit pas avoir été sous la contrainte
- Éclairé signifie que le consentement doit avoir été donné en connaissance de cause
Manifestement, le Code civil fait une large place aux vices du consentement. Cela se justifie par le principe d’autonomie de la volonté qui préside à la formation du contrat.
Dès lors, en effet, que l’on fait de la volonté le seul fait générateur du contrat, il est nécessaire qu’elle présente certaines qualités.
Pour autant, les rédacteurs du Code civil ont eu conscience de ce que la prise en considération de la seule psychologie des contractants aurait conduit à une trop grande insécurité juridique.
Car en tenant compte de tout ce qui est susceptible d’altérer le consentement, cela aurait permis aux parties d’invoquer le moindre vice en vue d’obtenir l’annulation du contrat.
C’est la raison pour laquelle, tout en réservant une place importante aux vices du consentement, tant les rédacteurs du Code civil que le législateur contemporain n’ont admis qu’ils puissent entraîner la nullité du contrat qu’à des conditions très précises.
==>Énumération des vices du consentement
Aux termes de l’article 1130, al. 1 du Code civil « l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».
Pour mémoire, l’ancien article 1109 prévoyait que « il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol. »
Quelle différence y a-t-il entre ces deux dispositions ?
- Point commun
- Il ressort de la comparaison de l’ancienne et la nouvelle version, que les vices du consentement énumérés sont identiques.
- Il n’y a, ni ajout, ni suppression.
- Ainsi, les vices du consentement qui constituent une cause de nullité du contrat sont-ils toujours au nombre de trois :
- L’erreur
- Le dol
- La violence
- Différence
- Contrairement à l’ancien article 1109, l’article 1130 énonce des règles communes aux trois vices du consentement
- Ainsi, pour être constitutifs d’une cause de nullité du contrat, les vices du consentement doivent être de « telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. »
- Autrement dit, le vice doit être déterminant du consentement de celui qui s’en prévaut.
- De surcroît, l’alinéa 2 de l’article 1130 précise que « leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné »
- Cette disposition commande, en d’autres termes, d’adopter la méthode d’appréciation in concreto pour déterminer si la condition commune aux trois vices du consentement visée à l’alinéa 1 est remplie.
Le propos se focalisera ici sur l’erreur.
==>Notion
L’erreur peut se définir comme le fait pour une personne de se méprendre sur la réalité. Cette représentation inexacte de la réalité vient de ce que l’errans considère, soit comme vrai ce qui est faux, soit comme faux ce qui est vrai.
L’erreur consiste, en d’autres termes, en la discordance, le décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la réalité.
Lorsqu’elle est commise à l’occasion de la conclusion d’un contrat, l’erreur consiste ainsi dans l’idée fausse que se fait le contractant sur tel ou tel autre élément du contrat.
Il peut donc exister de multiples erreurs :
- L’erreur sur la valeur des prestations : j’acquiers un tableau en pensant qu’il s’agit d’une toile de maître, alors que, en réalité, il n’en est rien. Je m’aperçois peu de temps après que le tableau a été mal expertisé.
- L’erreur sur la personne : je crois solliciter les services d’un avocat célèbre, alors qu’il est inconnu de tous
- Erreur sur les motifs de l’engagement : j’acquiers un appartement dans le VIe arrondissement de Paris car je crois y être muté. En réalité, je suis affecté dans la ville de Bordeaux
Manifestement, ces hypothèses ont toutes en commun de se rapporter à une représentation fausse que l’errans se fait de la réalité.
Cela justifie-t-il, pour autant, qu’elles entraînent la nullité du contrat ? Les rédacteurs du Code civil ont estimé que non.
Afin de concilier l’impératif de protection du consentement des parties au contrat avec la nécessité d’assurer la sécurité des transactions juridiques, le législateur, tant en 1804, qu’à l’occasion de la réforme du droit des obligations, a décidé que toutes les erreurs ne constituaient pas des causes de nullité.
Aussi, certaines erreurs sont sans incidence sur la validité du contrat. D’où la distinction qu’il convient d’opérer entre les erreurs sanctionnées et les erreurs indifférentes.
I) Les conditions communes
Pour constituer une cause de nullité l’erreur doit, en toutes hypothèses, être :
Il peut être ajouté qu’il importe peu que l’erreur soit de fait ou de droit.
A) Une erreur déterminante
- Principe
- L’article1130 du Code civil prévoit que l’erreur vicie le consentement lorsque sans elle « l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes »
- Autrement dit, l’erreur est une cause de consentement lorsqu’elle a été déterminante du consentement de l’errans.
- Cette exigence est conforme à la position de la Cour de cassation.
- Dans un arrêt du 21 septembre 2010, la troisième chambre civile a, par exemple, rejeté le pourvoi formé par la partie à une promesse synallagmatique de vente estimant que cette dernière « ne justifiait pas du caractère déterminant pour son consentement de l’erreur qu’il prétendait avoir commise » (Cass. 3e civ., 21 sept. 2010, n°09-66.297).
- Appréciation du caractère déterminant
- L’article 1130, al. 2 précise que le caractère déterminant de l’erreur « s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné »
- Le juge est ainsi invité à se livrer à une appréciation in concreto du caractère déterminant de l’erreur
B) Une erreur excusable
- Principe
- Il ressort de l’article 1132 du Code civil que, pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit être excusable
- Par excusable, il faut entendre l’erreur commise une partie au contrat qui, malgré la diligence raisonnable dont elle a fait preuve, n’a pas pu l’éviter.
- Cette règle se justifie par le fait que l’erreur ne doit pas être la conséquence d’une faute de l’errans.
- Celui qui s’est trompé ne saurait, en d’autres termes, tirer profit de son erreur lorsqu’elle est grossière.
- C’est la raison pour laquelle la jurisprudence refuse systématiquement de sanctionner l’erreur inexcusable (V. en ce sens par exemple Cass. 3e civ., 13 sept. 2005, n°04-16.144).
- Domaine
- Le caractère excusable n’est exigé qu’en matière d’erreur sur les qualités essentielles de la prestation ou de la personne.
- En matière de dol, l’erreur commise par le cocontractant sera toujours sanctionnée par la nullité, quand bien même ladite erreur serait grossière.
- Dans un arrêt du 21 février 2001, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que la « réticence dolosive à la supposer établie, rend toujours excusable l’erreur provoquée » (Cass. 3e civ., 21 févr. 2001, n°98-20.817).
- Appréciation
- L’examen de la jurisprudence révèle que les juges se livrent à une appréciation in concreto de l’erreur pour déterminer si elle est ou non inexcusable.
- Lorsque, de la sorte, l’erreur est commise par un professionnel, il sera tenu compte des compétences de l’errans (V. en ce sens Cass. soc., 3 juill. 1990, n°87-40.349).
- Les juges feront également preuve d’une plus grande sévérité lorsque l’erreur porte sur sa propre prestation.
C) L’indifférence de l’erreur de droit ou de fait
Il ressort de l’article 1130 du Code civil que l’erreur peut indifféremment être de fait ou de droit.
Contrairement à ce que l’on pourrait être légitimement en droit de penser, cette règle n’est nullement contraire à l’adage « nul n’est censé ignoré la loi ».
Ce principe signifie, en effet, que l’on ne saurait invoquer son ignorance de la loi aux fins de s’exonérer de sa responsabilité.
En matière d’erreur de droit, la situation est tout autre. Il ne s’agit pas pour l’errans de se soustraire à l’application d’un texte.
Celui-ci revendique simplement l’annulation d’un acte conclu en considération d’une norme qu’il croyait exister alors que, en réalité, soit aucune règle n’existe, soit ses conditions de mise en œuvre ou ses effets sont différents de ceux initialement envisagés par l’errans.
Dans un arrêt du 4 novembre 1975, la Cour de cassation a ainsi décidé que « si l’erreur de droit peut justifier l’annulation d’un acte juridique pour vice du consentement ou défaut de cause, elle ne prive pas d’efficacité les dispositions légales qui produisent leurs effets en dehors de toute manifestation de volonté de la part de celui qui se prévaut de leur ignorance » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 1975, n°73-13.701).
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Cass. 1ère civ. 4 nov. 1975
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaque qu’André x… est décédé en 1966, laissant à sa survivance sa y… commune en biens avec laquelle il était marie en secondes noces, cinq enfants issus d’un précèdent mariage prénommes Julie, Josèphe, Aimée, Georges et Emilie, et quatre enfants issus de sa seconde union, Lucienne, robert, Thérèse et jeanne, épouse saint prix ;
Sue les enfants du premier lit, a l’exception d’Emilie, ayant assigne y… Alexandre et leurs cohéritiers en comptes, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre les époux x… et de la succession d’André x…, sa y… a prétendu exercer la reprise d’un certain nombre de biens qui constituaient d’après elle des biens réserves ;
Attendu qu’il est reproche à la cour d’appel d’avoir décidé que veuve Alexandre ne pouvait conserver ses biens réserves, faute d’avoir renoncé à la communauté ou fait inventaire dans les délais prévus par la loi, alors que, selon le moyen, les juges du fond se devaient de rechercher si l’ignorance de la loi n’avait pas mis ladite y… dans l’impossibilité absolue d’accomplir les formalités prescrites par les articles 1456 et 1457 anciens du code civil applicables en la cause, et alors qu’ils n’auraient pas répondu aux conclusions dans lesquelles elle faisait valoir qu’elle croyait que le droit de reprendre ses biens réserves lui était acquis du seul fait de leur existence sans qu’aucune formalité ne fut nécessaire ;
Mais attendu que si l’erreur de droit peut justifier l’annulation d’un acte juridique pour vice du consentement ou défaut de cause, elle ne prive pas d’efficacité les dispositions légales qui produisent leurs effets en dehors de toute manifestation de volonté de la part de celui qui se prévaut de leur ignorance ;
Que par application de ce principe la y… commune en biens, déchue de la faculté de renoncer en vertu de l’article 1457 ancien du code civil, ne peut échapper aux conséquences, ignorées d’elle, que la loi attache à son inaction ;
Qu’en décidant que la méconnaissance de la loi par y… Alexandre ne pouvait que rester sans incidence sur un effet de cette loi qui se réalisait sans requérir le consentement de l’intéressée et qu’en conséquence cette dernière n’était pas fondée a exercer la reprise de ses biens réserves, la cour d’appel a répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées et légalement justifie sa décision ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fonde ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêté rendu le 19 juillet 1973 par la cour d’appel de Fort-de-France.
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II) Les variétés d’erreurs
A) Les erreurs sanctionnées
Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »
Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat :
- L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
- L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant
À ces deux catégories d’erreur, il convient toutefois d’en ajouter une troisième à laquelle ne fait nullement référence l’ordonnance du 10 février 2016 et qui, pourtant regroupe des hypothèses où l’erreur est si grave qu’elle empêche la rencontre même des volontés. Il s’agit de la catégorie des erreurs obstacles.
1. L’erreur obstacle
a. Notion
Il s’agit de l’erreur qui procède d’un malentendu en ce sens que les parties n’ont pas voulu la même chose.
Aussi, l’erreur est si grave que la rencontre des volontés n’a pas pu se réaliser. Traditionnellement, on distingue deux sortes d’erreur obstacle :
- L’erreur porte sur la nature de l’acte : une partie croyait acheter un bien alors que l’autre souhaitait simplement la louer.
- L’erreur porte sur l’objet de la prestation : une partie croyait acheter un immeuble, alors que l’autre entendait vendre un immeuble voisin
b. Effets
L’erreur obstacle a pour effet de priver les parties de leur consentement, de sorte que leurs volontés n’ont pas pu se rencontrer.
Plus qu’un vice du consentement, l’erreur obstacle rend le consentement inexistant
c. Sanction
==>La reconnaissance souhaitable de l’inexistence
Dans la mesure où l’erreur obstacle a pour effet de faire « obstacle » à la rencontre des volontés, elle devrait être sanctionnée par l’inexistence.
- Notion
- Pour mémoire, l’inexistence consiste en la sanction généralement prononcée à l’encontre d’un acte dont l’un des éléments constitutifs essentiels à sa formation fait défaut.
- Plus précisément l’inexistence est prononcée lorsque la défaillance qui atteint l’une des conditions de validité de l’acte porte sur son processus de formation
- Aussi, en matière de contrat, l’inexistence vient-elle généralement sanctionner l’absence d’échange des consentements.
- Dans un arrêt du 5 mars 1991, la Cour de cassation a approuvé en ce sens une Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aucun échange de consentement n’était intervenu entre les parties, a estimé qu’il n’y avait pas pu y avoir de contrat elles (Cass. 1ère civ., 5 mars 1991, n° 89-17.167)
- Conformément à cette jurisprudence, l’erreur obstacle devrait donc, en toute logique, être sanctionnée par l’inexistence, comme le soutiennent certains auteurs
- Tel n’est cependant pas, pour l’heure, la voie empruntée par la Cour de cassation.
- Intérêt
- Pourquoi, préférer la sanction de l’inexistence à la nullité ?
- Dans l’hypothèse, où le non-respect d’une condition de validité du contrat est sanctionné par la nullité, celui qui entend contester l’acte dispose d’un délai de 5 ans pour agir.
- Conformément à l’article 2224 du Code civil, le point de départ de ce délai de prescription court à compter « du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
- Il s’agira, le plus souvent, du jour de la conclusion du contrat
- Dans l’hypothèse toutefois où la sanction prononcée est l’inexistence de l’acte, le contrat n’a jamais été formé puisque les volontés ne se sont pas rencontrées.
- Il en résulte que les parties à l’acte inexistant ne sauraient se prévaloir d’aucun droit, sinon de celui de faire constater l’inexistence.
- Aussi, l’exercice de l’action en inexistence n’est-il subordonné à l’observation d’un quelconque délai de prescription.
- L’intérêt de la sanction de l’inexistence ne tient pas seulement à l’absence de prescription de l’action.
- Elle réside également dans l’impossibilité pour les parties de confirmer l’acte.
- On ne saurait, en effet, confirmer la validité d’un acte qui n’a jamais existé.
==>L’indéboulonnable admission de la nullité
Bien que l’inexistence soit, eu égard à tout ce qui vient d’être rappelé, la sanction la plus appropriée quant à répondre à la situation à laquelle conduit l’erreur obstacle, soit l’absence de rencontre des volontés des parties, la jurisprudence a néanmoins préféré opter pour la nullité du contrat (Cass. 3e civ. 16 déc. 2014, n°14-14.168).
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Cass. 3e civ., 16 déc. 2014
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Fort-de-France, 24 janvier 2014), que, suivant document d’arpentage du 10 janvier 2000, une parcelle cadastrée K 2, dont Mme Maryse X… et M. Roy X… (les consorts X…) étaient propriétaires indivis, a été divisée en deux parcelles, la première supportant une maison d’habitation et la seconde un garage ; qu’aux termes d’un acte dressé le 3 avril 2001 par M. C…, notaire, membre de la SCP, les consorts X… ont vendu la parcelle cadastrée K 2 à Mme Y… ; que, faisant valoir que la vente ne portait en réalité que sur la parcelle supportant la maison, Mme X… a assigné Mme Y…, M. C… et la SCP en nullité de la vente et en indemnisation de son préjudice ; que M. X…, assisté de son curateur, est intervenu à l’instance ;
Sur le premier moyen :
Vu les articles 1109 et 1110 du code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande des consorts X… en nullité de la vente, l’arrêt retient que les vendeurs qui avaient fait procéder à la division du terrain étaient les mieux à même de relever l’erreur de désignation du bien vendu et ne pouvaient opposer leur propre carence à l’acquéreur ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que l’erreur portait sur l’objet même de la vente et faisait obstacle à la rencontre des consentements de sorte que, fût-elle inexcusable, elle entraînait l’annulation de la vente, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il déboute les consorts X… de leur demande contre M. C… et la société civile professionnelle C…, D… et E…, l’arrêt rendu le 24 janvier 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Fort-de-France ; remet, en conséquence, sur le surplus, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Basse-Terre ;
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2. L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due »
Directement issue de la réforme du droit des obligations à laquelle le législateur s’est livré en 2016, cette disposition est manifestement venue codifier les solutions jurisprudentielles adoptées sous l’empire du droit antérieur.
a. L’état du droit avant la réforme des obligations
Pour mémoire, l’ancien article prévoyait que « l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ».
La question alors se posait de savoir ce que l’on devait entendre par la substance de la chose.
Grosso modo, deux conceptions s’affrontaient :
==>La conception objective
La substance est considérée comme la matière dont est faite la chose, objet du contrat.
Exemple : je crois acheter un objet un or alors qu’il est en airain (il s’agit là de l’exemple pris par le célèbre juriste Pothier)
- Avantage
- Cette conception offre un critère précis
- Inconvénient
- Cette conception a l’inconvénient d’être trop étroite
- En effet, elle ne permet pas d’obtenir la nullité du contrat dans l’hypothèse où j’ai acheté une sculpture que je croyais de Rodin, alors qu’elle a en réalité été réalisée par un anonyme.
- L’erreur ne porte pas ici, sur la matière dont la chose est faite.
- C’est la raison pour laquelle la jurisprudence s’est rapidement déportée vers une conception subjective de la notion de substance.
==>La conception subjective
La substance correspond ici aux qualités substantielles de la chose.
Il s’agit, plus exactement, des qualités de la chose qui ont déterminé la volonté de l’errans, soit celles sans lesquelles il n’aurait pas contracté.
Très tôt, la jurisprudence a amis cette conception de l’erreur, afin d’apprécier la notion de « substance de la chose » (V. en ce sens Cass. req., 16 mars 1898).
- Avantages
- L’erreur peut ainsi porter indifféremment :
- Soit sur la matière dont est faite la chose
- Soit sur l’authenticité de la chose
- Soit sur l’aptitude de la chose à remplir l’usage auquel on la destine
- Exemple : la constructibilité d’un terrain, l’achat d’une jument qui s’avère être en gestation alors qu’on la prédestinait à la course etc.
- Inconvénients
- Le juge est obligé de rechercher la volonté de l’errans afin de déterminer si la qualité de la chose qui n’est pas conforme avec la représentation qu’il s’en faisait, était ou non essentielle, pour lui, quant à la conclusion du contrat
- Une partie pourrait alors prétendre que telle qualité de la chose était essentielle à ses yeux au moment de la conclusion du contrat, alors qu’elle n’en avait jamais fait état à son cocontractant.
- L’erreur sur la substance risque alors de se révéler dangereuse pour la sécurité juridique du contrat
- Aussi, afin de limiter ce risque, la jurisprudence a-t-elle posé une exigence.
- Condition posée par la jurisprudence
- Lors de la conclusion d’un contrat, il appartient aux parties de définir l’objet de leurs obligations, ce qui suppose de leur reconnaître un ou plusieurs caractères essentiels en considérations desquelles chacune d’elles s’engage.
- Aussi, comme le relève Jacques Ghestin, « l’erreur ne justifie l’annulation du contrat que lorsqu’elle s’analyse en un désaccord entre l’objet réel et sa définition contractuelle ».
- La jurisprudence en a tiré la conséquence que pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit porter sur une qualité défaillante de la chose qui est entrée dans le champ contractuel
- Autrement dit, pour être fondé à se prévaloir d’un vice du consentement, l’errans doit établir qu’il a informé son cocontractant de la qualité de la chose qu’il jugeait comme essentielle pour conclure le contrat.
- Il en résulte que le cocontractant doit avoir su que ladite qualité était déterminante du consentement de celui qui s’est trompé.
- L’erreur doit donc porter sur la « qualité convenue » de la chose.
- La preuve
- Afin d’établir que la qualité défaillante est entrée dans le champ contractuel, le juge tiendra compte des stipulations du contrat
- En l’absence de stipulations, la charge de la preuve pèsera sur l’errans.
- Deux options s’offrent alors au juge :
- Ou bien la qualité de la chose est jugée comme essentielle pour l’opinion commune auquel cas le juge admettra assez facilement l’erreur
- Ou bien la qualité de la chose est jugée comme essentielle par le seul errans, auquel cas c’est à lui qu’il incombera de rapporter la preuve, en cas d’absence de stipulations contractuelles, que telle qualité de la chose était déterminante pour lui quant à la conclusion du contrat.
b. L’état du droit positif après la réforme des obligations
Contrairement aux rédacteurs du Code civil qui, en 1804, n’avaient nullement défini la notion de « substance de la chose », le législateur a, en 2016, remédié à cette carence en introduisant dans le Code civil un article 1133.
Cette disposition prévoit désormais que « les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ».
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette disposition :
i. Substitution de vocable
Il ressort de l’article 1133 du Code civil que le législateur a préféré au terme « substance de la chose », le vocable « qualités essentielles ».
Cela témoigne de sa volonté de mettre un terme définitif au débat qui avait porté sur l’interprétation du terme « substance » :
- Devait-on retenir une conception objective : dans cette hypothèse l’erreur ne pouvait être reconnue que si l’errans se trompait sur la matière de la chose
- Devait-on, au contraire, adopter une conception subjective, auquel cas cela permettait d’admettre que l’erreur puisse être une cause de nullité, tant lorsqu’elle portait sur la matière de chose, que lorsqu’elle portait sur son authenticité ou sur son aptitude à remplir une fonction déterminée
En retenant le terme de « qualités essentielles » le législateur a manifestement entendu sortir de cette difficulté d’interprétation en optant, sans ambiguïté, pour la solution adoptée par la jurisprudence : la conception objective.
ii. Éléments constitutifs de l’erreur sur les qualités essentielles
==>Une erreur
L’erreur se définit classiquement comme une représentation inexacte de la réalité
Elle, consiste, en d’autres termes, en un décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la réalité
Plus précisément, en matière contractuelle, l’erreur ne peut être reconnue que si elle porte sur un élément du contrat, dans la mesure où c’est à elles qu’il revient de définir le contenu de leurs prestations respectives.
==>Des qualités essentielles expressément ou tacitement convenues
Il ressort de l’article 1133 du Code civil que le législateur a entendu consacrer la solution retenue par la jurisprudence s’agissant de l’appréciation du caractère essentiel des éléments du contrat.
Cette disposition prévoit en ce sens que les qualités essentielles sont celles « qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ».
Autrement dit, pour être qualifiées d’essentielles, les qualités de la prestation sur lesquelles porte l’erreur doivent être entrées dans le champ contractuel.
C’est donc à l’aune de la commune intention des parties que le juge décidera si tel, ou tel autre élément du contrat revêt un caractère essentiel.
À défaut de stipulations contractuelles, il appartiendra à l’errans d’établir que son cocontractant savait que la qualité de la prestation sur laquelle a porté son erreur était déterminante de son consentement.
==>Le domaine de l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation
L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation est susceptible d’être reconnue dans plusieurs cas.
Nous en évoquerons deux à titre d’illustration :
- L’erreur sur les caractéristiques de la chose
- L’erreur sur les caractéristiques de la chose se rapporte à une infinité de situations
- Il peut, en effet, s’agir d’une erreur sur :
- le matériau ou la matière dont est faite la chose
- l’usure de la chose
- l’ancienneté de la chose
- l’emplacement de la chose
- la surface du terrain
- Si les caractéristiques de la chose reconnues par la jurisprudence comme susceptibles de faire l’objet d’une erreur, l’une d’elles a, en particulier, été au centre d’un important débat :
- L’erreur sur l’authenticité d’une œuvre d’art
- Quid dans l’hypothèse où l’erreur porte sur l’authenticité d’une œuvre d’art ?
- Dans un arrêt Poussin du 22 février 1978, la Cour de cassation a estimé que l’erreur commise par le vendeur d’un tableau sur l’authenticité de ce dernier était une cause de nullité (Cass. 1ère civ., 22 févr. 1978, n°76-11.551).
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Cass. 1ère civ., 22 févr. 1978
Sur le premier moyen : vu l’article 1110 du code civil ;
Attendu que, les époux z… ayant charge Rheims, commissaire-priseur, de la vente d’un tableau attribue par l’expert x… a “l’école des Carrache”, la réunion des musées nationaux a exerce son droit de préemption, puis a présente le tableau comme une œuvre originale de Nicolas y… ;
Que les époux z… ayant demandé la nullité de la vente pour erreur sur la qualité substantielle de la chose vendue, la cour d’appel, estimant qu’il n’était pas prouve que le tableau litigieux fut une œuvre authentique de y…, et qu’ainsi l’erreur alléguée n’était pas établie, a débouté les époux z… de leur demande ;
Qu’en statuant ainsi, sans rechercher si, au moment de la vente, le consentement des vendeurs n’avait pas été vicie par leur conviction erronée que le tableau ne pouvait pas être une œuvre de Nicolas y…, la cour d’appel n’a pas donné de base légale a sa décision ;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :
Casse et annule en son entier l’arrêt rendu entre les parties le 2 février 1976 par la cour d’appel de paris
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- Faits
- Vente d’un tableau, dans le cadre d’une vente aux enchères, attribué à l’école des Carrache.
- Exerçant son droit de préemption, la réunion des musées nationaux acquiert le tableau, affirmant dans la foulée que le tableau a, en réalité, pour peintre le très célèbre Nicolas Poussin.
- Demande
- Les vendeurs du tableau engagent une action en nullité de la vente
- Procédure
- Par un arrêt du 2 février 1976, la Cour d’appel de Paris déboute les vendeurs de leur demande
- Les juges parisiens estiment qu’il n’est pas établi que le tableau litigieux était de Nicolas Poussin, nonobstant les dires de l’acquéreur.
- Il en résulte, selon elle que l’erreur ne saurait être caractérisée, dans la mesure où il existe un doute sur l’authenticité du tableau.
- Solution
- Par un arrêt du 22 février 1978, la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond
- La Cour de cassation considère ici que la Cour d’appel aurait dû, pour débouter l’auteur du pourvoi, se demander si, au moment de la vente, un doute existait quant à l’authenticité du tableau, chez les vendeurs, ou s’ils avaient la certitude que ledit tableau n’était pas l’œuvre de Nicolas Poussin.
- Autrement dit, selon la haute juridiction, si aucun doute n’existait au moment de la vente chez les vendeurs quant à l’authenticité du tableau et que ce doute n’est apparu qu’une fois la vente conclue, alors l’erreur est bien caractérisée.
- Analyse
- Dans l’arrêt Poussin, les juges n’admettent pas directement qu’il y a erreur sur la substance.
- La Cour de cassation dit simplement, que les juges auraient dû recherche des éléments de fait quant à la question de savoir :
- Si un doute existait au moment de la formation du contrat
- Si le doute des vendeurs est seulement né après que la réunion des musées nationaux a déclaré que le tableau était de Nicolas Poussin
- En invitant les juges du fond à faire cette recherche, on peut en déduire que la Cour de cassation considère, dans cette décision, que pour que l’erreur soit caractérisée, il suffit que l’errans ait la certitude de la qualité qui fait défaut à la chose au moment de la conclusion du contrat.
- Aussi, c’est seulement si le vendeur du tableau avait eu un doute sur son authenticité au moment de la vente que l’erreur n’aurait pas pu être retenue.
- Dans cet arrêt, la Cour de cassation apporte manifestement une précision importante sur la notion d’erreur.
- Ce qui importe ce que l’errans ait la certitude, au moment de la formation du contrat, que la chose possède la qualité qu’il croit, alors qu’en réalité elle ne les a pas ou qu’il y a un doute qui pèse sur l’existence de ces qualités.
- En somme, pour qu’il y ait erreur, il est nécessaire que le décalage entre la croyance de l’errans et la réalité intervienne au moment de la formation du contrat.
- Si le doute survient postérieurement, il n’aura aucune incidence sur l’erreur : elle demeure caractérisée
- Est-ce à dire que l’erreur sera toujours prise en compte ?
- L’arrêt Fragonard
- Dans un arrêt Fragonard du 24 mars 1987, la Cour de cassation est venue apporter une précision à la règle dégagée dans l’arrêt Poussin (Cass. 1ère civ. 24 mars 1987, n°85-15.736).
- Elle a, en effet, jugé que lorsqu’un doute sur l’authenticité du tableau existait au moment de conclusion du contrat, l’erreur ne constitue plus une cause de nullité.
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Cass. 1ère civ. 24 mars 1987
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu que, selon les juges du fond, Jean, André Vincent, depuis lors décédé, a vendu en 1933 aux enchères publiques, comme étant ” attribué à Fragonard “, un tableau intitulé Le Verrou ; que, l’authenticité du tableau ayant été ultérieurement reconnue, l’arrêt confirmatif attaqué a refusé d’annuler cette vente, pour erreur, à la demande des héritiers de Jean, André Vincent ;
Attendu que ceux-ci reprochent à la cour d’appel (Paris, 12 juin 1985) de s’être déterminée au motif essentiel que l’expression ” attribué à…. ” laisse planer un doute sur l’authenticité de l’œuvre mais n’en exclut pas la possibilité ; qu’ils soutiennent, d’une part, qu’en s’attachant seulement à déterminer le sens objectif de la mention ” attribué à…. ” et en s’abstenant de rechercher quelle était la conviction du vendeur, alors que leurs conclusions faisaient valoir qu’il était persuadé, à la suite des avis formels des experts, que l’authenticité de l’oeuvre était exclue, la cour d’appel a violé à la fois les articles 1110 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ; qu’il est, d’autre part, prétendu qu’en toute hypothèse, le vendeur commet une erreur quand il vend sous l’empire de la conviction que l’authenticité est discutable, alors qu’elle est en réalité certaine et que tout aléa à ce sujet est inexistant ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’il résulte des énonciations souveraines du jugement confirmé ” qu’en vendant ou en achetant, en 1933, une oeuvre attribuée à Fragonard, les contractants ont accepté un aléa sur l’authenticité de l’oeuvre, que les héritiers de Jean-André Vincent ne rapportent pas la preuve, qui leur incombe, que leur auteur a consenti à la vente de son tableau sous l’empire d’une conviction erronée quant à l’auteur de celui-ci ” ; que le moyen, en sa première branche, ne peut dès lors être accueilli ;
Et attendu, en second lieu, que, ainsi accepté de part et d’autre, l’aléa sur l’authenticité de l’oeuvre avait été dans le champ contractuel ; qu’en conséquence, aucune des deux parties ne pouvait alléguer l’erreur en cas de dissipation ultérieure de l’incertitude commune, et notamment pas le vendeur ni ses ayants-cause en cas d’authenticité devenue certaine ; que le moyen doit donc être entièrement écarté ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
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- Faits
- Vente d’un tableau intitulé « Le Verrou » qui était attribué à Fragonard, bien qu’il existe un doute sur son authenticité
- Après que la vente a été effectuée, l’authenticité de l’œuvre est confirmée.
- Demande
- Les héritiers du vendeur engagent une action en nullité de la vente
- Procédure
- Par un arrêt du 12 juin 1985, la Cour d’appel de Paris déboute les héritiers du vendeur de leur demande en annulation de la vente.
- Les juges du fond estiment qu’il existait un doute sur l’authenticité du tableau que les vendeurs du tableau ne pouvaient ignorer au moment de la conclusion du contrat, de sorte que l’erreur commise par ces derniers ne constitue pas une cause de nullité.
- Moyens
- Les vendeurs soutiennent que l’erreur est caractérisée dès lors qu’il existe un décalage entre leur croyance (le doute sur l’authenticité du tableau) et la réalité (l’authenticité du tableau).
- Solution
- Par un arrêt du 24 mars 1987, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les héritiers du vendeur.
- La première chambre civile relève tout d’abord « qu’en vendant ou en achetant, en 1933, une œuvre attribuée à Fragonard, les contractants ont accepté un aléa sur l’authenticité de l’œuvre ».
- Elle en déduit que « ainsi accepté de part et d’autre, l’aléa sur l’authenticité de l’œuvre avait été dans le champ contractuel. »
- Il en résulte alors « qu’aucune des deux parties ne pouvait alléguer l’erreur en cas de dissipation ultérieure de l’incertitude commune, et notamment pas le vendeur ni ses ayants-cause en cas d’authenticité devenue certaine ; que le moyen doit donc être entièrement écarté »
- Autrement dit, pour la Cour de cassation, dans la mesure où le doute sur l’authenticité du tableau était connu du vendeur au moment de la vente, l’opération litigieuse a été réalisée en connaissance de cause.
- Le doute étant entré dans le champ contractuel, aucune des deux parties ne pouvait donc soutenir qu’elle avait commis une erreur une fois l’authenticité du tableau avérée.
- Ainsi, la haute juridiction vient-elle préciser la solution adoptée dix ans plus tôt dans l’arrêt Poussin.
- Pour que la vente soit annulée en l’espèce, il aurait fallu que le vendeur ait eu la certitude, au moment de la vente, que le tableau n’était pas de Fragonard.
- Or ce n’était pas le cas, puisqu’il était « attribué » à Fragonard, ce qui laissait à penser que le tableau était authentique.
- L’erreur sur l’utilité de la chose
- L’erreur sur l’utilité de la chose se rapporte à la fausse croyance que l’on a sur l’usage que l’on est légitimement en droit d’attente de la chose
- Il pourra ainsi s’agir d’une erreur sur :
- La constructibilité du terrain
- L’inaptitude de la chose à remplir une certaine fonction
- Les aptitudes d’un animal
- Le potentiel d’une société à réaliser son objet social
==>Des qualités essentielles qui portent sur la prestation de l’une ou l’autre partie
L’article 1133, al. 2 du Code civil prévoit que « l’erreur est une cause de nullité qu’elle porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie. »
Pourquoi cette précision ?
Le législateur est ici venu consacrer la position de la Cour de cassation qui s’est prononcée sur la question de savoir si l’erreur peut constituer une cause de nullité lorsqu’elle porte sur la propre prestation de l’errans.
Le plus souvent, l’erreur portera, non pas sur la prestation fournie, mais sur la prestation reçue, soit celle exécutée par le cocontractant.
Aussi, quid dans l’hypothèse où l’erreur porte sur la prestation dont est débiteur l’errans ?
Dans le silence des textes, la Cour de cassation a, très tôt, estimé que l’erreur pouvait parfaitement porter sur sa propre prestation (Cass. civ. 23 juin 1873)
Dans un arrêt du 17 novembre 1930, la haute juridiction a, par exemple, considéré que « il y a erreur sur la substance, notamment quand le consentement de l’une des parties a été déterminé par l’idée fausse que cette partie avait de la nature des droits dont elle croyait se dépouiller ou qu’elle croyait acquérir par l’effet du contrat » (Cass. civ. 17 nov. 1930).
Cette solution a été réitérée par la suite, notamment, dans le célèbre arrêt Poussin du 22 février 1978 (Cass. 1ère civ., 22 févr. 1978, n°76-11.551).
L’article 1133, al. 2 du Code civil ne vient, dès lors, que confirmer une jurisprudence déjà bien établie.
==>Des qualités essentielles non affectées d’un aléa
Aux termes du nouvel article 1133, alinéa 3 du Code civil « l’acceptation d’un aléa sur une qualité de la prestation exclut l’erreur relative à cette qualité. »
De toute évidence, cette précision faite par le législateur vise à entériner la règle dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Fragonard
La haute juridiction avait en effet estimé que lorsqu’un doute sur les qualités essentielles de la prestation existe au moment de la conclusion du contrat, soit que ce doute est entré dans le champ contractuel, alors les parties ne sont pas fondées à se prévaloir d’une erreur (Cass. 1ère civ. 24 mars 1987, n°85-15.736).
L’erreur sur les qualités essentielles ne pourra être invoquée que si le doute naît postérieurement à la formation du contrat.
Aussi, l’erreur ne peut être une cause de nullité que si l’errans avait la certitude, au moment où il contractait, que la prestation qu’il fournit ou qui lui est due possède les qualités qu’il croit.
3. L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant
==>Principe
Au même titre que l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation, le législateur a entendu faire de l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant une cause de nullité (art. 1133, al. 1 C. civ.).
Le législateur a ainsi reconduit la solution retenue en 1804 à la nuance près toutefois qu’il a inversé le principe et l’exception.
L’ancien article 1110 prévoyait, en effet, que l’erreur « n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention. »
Ainsi, l’erreur sur les qualités essentielles de la personne n’était, par principe, pas sanctionnée.
Elle ne constituait une cause de nullité qu’à la condition que le contrat ait été conclu intuitu personae, soit en considération de la personne du cocontractant.
Aujourd’hui, le nouvel article 1134 du Code civil prévoit que « l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne. »
L’exception instaurée en 1804 est, de la sorte, devenue le principe en 2016.
Cette inversion n’a cependant aucune incidence sur le contenu de la règle dans la mesure où, in fine, l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité qu’en matière de contrats conclus intuitu personae.
==>Notion d’erreur sur la personne
L’erreur sur la personne du cocontractant peut porter
- sur son identité
- sur ses aptitudes physiques
- sur ses compétences
- sur sa solvabilité
- sur son passé professionnel
- sur sa nationalité
- sur son âge
B) Les erreurs indifférentes
Les erreurs indifférences peuvent être classées en quatre catégories
- L’erreur sur les qualités non-essentielles de la prestation
- L’erreur sur les qualités essentielles de la personne lorsque le contrat n’est pas conclu en considération de cette dernière
- L’erreur sur les motifs
- L’erreur sur la valeur
Nous ne nous focaliserons que sur les deux dernières catégories d’erreur.
1. L’erreur sur les motifs
==>Principe
L’article 1135 du Code civil prévoit que « l’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement ».
Ainsi, lorsque l’erreur porte sur les motifs, soit sur les raisons qui ont déterminé les parties à contracter, elle ne constitue pas une cause de nullité
Exemple : j’ai acheté une maison à Marseille car je pensais être muté dans cette ville. Or il s’avère que je suis affecté à Lille.
L’article 1135 précise qu’il importe peu que le motif sur lequel porte l’erreur ait été déterminant du consentement de l’errans, elle demeure indifférence.
Cette solution est conforme à la position de la Cour de cassation qui, notamment dans un arrêt du 13 février 2001, a eu l’occasion d’affirmer que « l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui-ci n’est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant » (Cass.1ère, Civ. 13 févr. 2001, n°98-15.092).
Une question immédiatement alors se pose : pourquoi avoir exclu des causes de nullité l’erreur sur les motifs ?
À bien y réfléchir, les qualités essentielles de la prestation ou du cocontractant peuvent également être regardées comme des motifs du contrat.
Or lorsque l’erreur porte sur ces dernières, la nullité est encourue.
Dès lors, pourquoi cette différence de traitement entre les simples motifs de l’article 1135 et ceux évoqués à l’article 1132 du Code civil ?
Cette solution se justifie par le caractère trop lointain des motifs visés à l’article 1135.
En effet, les motifs qui président à la décision d’une partie de contracter sont, par nature, indécelables pour son cocontractant.
Ils constituent, en d’autres termes, des circonstances totalement extérieures au contrat.
Tel n’est pas le cas des qualités essentielles de la prestation ou du cocontractant qui sont connues des parties.
C’est la raison pour laquelle seule l’erreur qui porte sur ces dernières constitue une cause de nullité, l’erreur sur les simples motifs étant indifférente.
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Cass.1ère, Civ. 13 févr. 2001
Attendu que, par un acte passé le 20 novembre 1981 en l’étude de M. Geoffroy d’X…, notaire, M. Alain Y… a acquis, de la Société anonyme de gestion de patrimoines (SAGEP), des lots d’un immeuble en copropriété à rénover ; que M. Y… a subi, par la suite, différents redressements fiscaux ; que, faisant valoir qu’il avait acheté ce bien immobilier pour bénéficier d’avantages fiscaux qui n’avaient pu être obtenus, il a, en 1992, assigné la SAGEP, aujourd’hui en liquidation judiciaire et représentée par M. Villa, liquidateur, le syndicat des copropriétaires de la résidence le Cloître Saint-Martin, et M. Geoffroy d’X…, en nullité pour erreur ou en résolution de la vente, et en dommages-intérêts ; que l’arrêt confirmatif attaqué (Orléans, 23 mars 1998) l’a débouté de ses prétentions ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. Y… fait grief à l’arrêt de s’être ainsi prononcé, alors, selon le moyen :
1° qu’en refusant d’annuler la vente faute de réalisation de l’objectif de défiscalisation, bien qu’il résultât des constatations de l’arrêt que la cause de l’engagement de M. Y… avait été le désir de réaliser des économies fiscales et que la SAGEP connaissait ce motif déterminant, la cour d’appel aurait méconnu les conséquences de ses constatations et violé l’article 1110 du Code civil ;
2° qu’en ne recherchant pas, comme il lui était demandé, si en sa qualité de professionnel de l’immobilier spécialiste de la défiscalisation, la SAGEP n’était pas censée connaître et maîtriser parfaitement les prescriptions de la loi Malraux et n’avait pas manqué à son devoir de conseil, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l’article 1116 du Code civil ;
Mais attendu, d’abord, que l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui-ci n’est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant ; que c’est donc à bon droit que l’arrêt énonce que l’absence de satisfaction du motif considéré savoir la recherche d’avantages d’ordre fiscal alors même que ce motif était connu de l’autre partie, ne pouvait entraîner l’annulation du contrat faute d’une stipulation expresse qui aurait fait entrer ce motif dans le champ contractuel en l’érigeant en condition de ce contrat ; qu’ensuite, ayant relevé qu’en 1983, la SAGEP pouvait croire à l’adéquation de l’opération avec les prescriptions de la loi Malraux, étant observé qu’il n’était pas démontré qu’à l’époque de la vente cette société ait eu connaissance du risque de ne pas bénéficier des avantages fiscaux de cette loi, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision au regard de l’article 1116 du Code civil ; que le moyen n’est donc fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen : (Publication sans intérêt) ;
Et, sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
(Publication sans intérêt) ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
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==>Tempérament
Si l’indifférence de l’erreur sur les motifs se justifie par le caractère extérieur au contrat des circonstances qui ont conduit l’errans à contracter, dans l’hypothèse où lesdites circonstances seraient connues du cocontractant, l’erreur sur les motifs devrait alors en toute logique affecter la validité du contrat.
Tel est le sens de l’article 1135 du Code civil qui après avoir exclu, par principe, des causes de nullité l’erreur sur les motifs, précise qu’elle est toujours susceptible de le devenir lorsque les parties ont en fait un élément de leur consentement, soit lorsque le motif du contrat est entré dans le champ contractuel.
Là encore, cette exception au principe, n’est autre qu’une consécration de la jurisprudence de la Cour de cassation.
Dans un arrêt du 11 avril 2012, la chambre commerciale avait jugé en ce sens que « l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui-ci n’est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant, à moins qu’une stipulation expresse ne l’ait fait entrer dans le champ contractuel en l’érigeant en condition du contrat » (Cass. com. 11 avr. 2012, n°11-15.429).
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Cass. com. 11 avr. 2012
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 7 décembre 2010), que Mme X… a souscrit le 3 juillet 2002, pour financer l’acquisition d’équipements médicaux destinés à l’exercice de son activité d’infirmière libérale deux contrats de crédit-bail auprès de la société BNP Paribas et deux contrats de crédit-bail auprès de la société Lixxbail, ces quatre contrats représentant une charge totale mensuelle de 1 529,82 euros toutes taxes comprises ; que les matériels fournis par la société Formes et performances ont été livrés à Mme X…, qui a signé un procès-verbal de réception ; que cette dernière ayant cessé de payer les loyers à compter du mois de novembre 2003, la société Lixxbail lui a notifié la résiliation des contrats et fait procéder à la saisie des matériels qui ont été revendus pour la somme de 0,18 euro chacun ; que le tribunal d’instance a déclaré recevable l’opposition de Mme X… aux ordonnances d’injonction de payer prononcées à son encontre ; que devant le tribunal de grande instance, Mme X… a demandé l’annulation des contrats de crédit-bail, invoquant une erreur substantielle et recherché subsidiairement la responsabilité du crédit-bailleur pour manquement à ses obligations d’information et de conseil ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme X… reproche à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande d’annulation des contrats conclus avec la société Lixxbail, alors, selon le moyen :
1°/ que constitue une qualité essentielle toute caractéristique du bien entrée dans le champ contractuel qui détermine son usage ; qu’en jugeant, pour débouter Mme X… de sa demande de nullité du contrat de crédit-bail que “Mme X… en faisant valoir que la colonne d’électrothérapie et la colonne bilan louées à la société Fores et performances ne répondaient pas à ses besoins dans son activité paramédicale d’infirmière en milieu rural, n’invoque aucune erreur sur les qualités substantielles de ces matériels” sans rechercher si la destination commerciale n’était pas inhérente aux biens donnés à bail et entrée dans le champ contractuel, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1110 du code civil ;
2°/ que Mme X… faisait valoir, dans ses conclusions, que le matériel donné à bail ne pouvait être utilisé que par un médecin ; qu’en se bornant à juger pour débouter Mme X… de sa demande de nullité du contrat de crédit-bail que l’inadéquation du matériel “à ses besoins dans son activité para-médicale d’infirmière en milieu rural” n’était pas une qualité substantielle des biens objet du contrat litigieux, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l’erreur sur un motif du contrat extérieur à l’objet de celui-ci n’est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant, à moins qu’une stipulation expresse ne l’ait fait entrer dans le champ contractuel en l’érigeant en condition du contrat ; qu’après avoir énoncé que l’erreur n’est une cause de nullité du contrat que lorsqu’elle porte sur les qualités substantielles de la chose qui en est l’objet, et que seule l’erreur excusable peut entraîner la nullité d’une convention, l’arrêt retient que Mme X…, en faisant valoir que les équipements litigieux ne répondaient pas à ses besoins dans son activité para-médicale d’infirmière en milieu rural, n’invoque aucune erreur sur les qualités substantielles de ces matériels, mais se borne à constater leur inadéquation à cette activité ; qu’ayant ainsi fait ressortir que l’erreur invoquée par le preneur ne portait pas sur les qualités substantielles des matériels litigieux, mais sur les motifs de leur acquisition, la cour d’appel, qui n’était pas tenue d’effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
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==>Exception
Le second alinéa de l’article 1135 du Code civil pose une exception au principe d’indifférence de l’erreur sur les motifs.
Cette disposition prévoit que « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité. »
L’instauration de cette exception procède, manifestement, de l’abandon par le législateur de la référence à la cause dans la liste des conditions de validité du contrat (V en ce sens le nouvel article 1128 du Code civil).
L’exigence de la cause supposait, en effet, antérieurement à l’ordonnance du 10 février 2016, qu’une contrepartie à l’engagement de chaque partie existe, à défaut de quoi le contrat encourait la nullité.
Rapidement la question s’est alors posée de savoir en quoi la cause pouvait-elle bien consister dans les contrats à titre gratuit dans la mesure où, par définition, celui qui consent une libéralité s’engage sans contrepartie.
Très tôt, la jurisprudence a néanmoins répondu à cette question en considérant que, dans les actes à titre gratuit, la cause de l’engagement de l’auteur d’une libéralité consiste en un élément subjectif : l’intention libérale de celui qui s’engage.
Afin de contrôler l’existence de la cause, condition de validité du contrat, cela a conduit les juridictions à tenir compte des motifs du disposant.
Autrement dit, dès lors que l’auteur d’une libéralité se trompait sur les motifs de son engagement, l’acte conclu encourait la nullité.
Exemple : je crois consentir une donation à une personne que je crois être mon fils, alors qu’en réalité il ne l’est pas car il est né d’une relation adultérine de mon épouse
Aussi, cela revenait-il pour la Cour de cassation à assimiler, en matière de libéralités, l’erreur sur les motifs à l’absence de cause (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 11 févr. 1986, n°84-15.513).
En édictant, à l’article 1133, al. 2, la règle selon laquelle « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité », le législateur a manifestement entendu palier la suppression de la cause de la liste des conditions de validité du contrat.
Cette exception au principe d’indifférence de l’erreur sur les motifs révèle, de la sorte, une résurgence de la cause qui est loin d’avoir disparu.
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Cass. 1ère civ., 11 févr. 1986
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les époux X… ont, par acte du 22 juillet 1981, fait donation, à titre de partage anticipé, à leurs trois enfants, de la nue propriété de partie d’un ensemble immobilier ; que le 27 janvier 1982 ils ont assigné les bénéficiaires à fin que soit déclarée nulle et de nul effet cette donation-partage, comme étant dépourvue de cause, en faisant valoir que les avantages fiscaux dont bénéficiaient les donations-partages et qui ont été supprimés rétroactivement au 9 juillet 1981 par la loi de finances rectificative du 3 août 1981, les avaient déterminés à consentir ce partage anticipé ; que les juges de première instance ont accueilli leur demande ; qu’appel de cette décision a été interjeté par le ministère public qui, tout en reconnaissant n’avoir été que partie jointe à l’instance, invoquait l’atteinte à l’ordre public ; que son appel a été déclaré irrecevable ;
Attendu que le procureur général près la Cour d’appel fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que, d’une part, les juges de première instance, en faisant droit à la demande d’annulation par les époux X… de la donation-partage qu’ils ont consentie, n’ont pas prononcé, ainsi qu’ils l’ont affirmé, un jugement ” strictement civil rendu par référence aux conditions de validité d’une donation-partage. “, mais une décision portant atteinte à l’ordre public et plus précisément à l’ordre public fiscal, et alors, d’autre part, que ce faisant, ils ont nécessairement méconnu la rétroactivité au 9 juillet 1981 du nouveau régime fiscal des donations-partages expressément prévue à l’article 4-1 de la loi de finances rectificative du 3 août 1981 dans le souci d’éviter une source importante d’évasion fiscale à partir du moment où il était devenu de notoriété publique que la loi de finances en préparation se proposait de soumettre, en ce qui concerne les droits de mutation à titre gratuit, les donations-partages au régime du droit commun des libéralités ;
Mais attendu que la Cour d’appel, qui a relevé que les premiers juges avaient seulement recherché les circonstances et l’esprit dans lesquels les parties avaient agi pour en tirer les conséquences, sur le plan civil, au regard de la validité des donations-partages, a justement énoncé que ces juges n’avaient pas statué par une décision portant atteinte à l’ordre public en déclarant nulle pour absence de cause une donation-partage, acte purement privé intervenu entre personnes privées parce que l’application rétroactive d’une loi de finances promulguée postérieurement à l’acte avait eu pour conséquence que celui-ci ne se trouvait plus justifié par le mobile qui avait incité les parties à y recourir ; que c’est dès lors à bon droit qu’elle a déclaré le Ministère public, partie jointe, irrecevable en son appel ; que les juges du second degré, qui ont encore estimé qu’il n’y avait pas eu fraude à la loi dès lors que donateurs et donataires avaient opéré strictement dans le cadre de la législation en vigueur, n’ont pas méconnu la rétroactivité du nouveau régime fiscal, rétroactivité rendue inopérante par la nullité qu’ils prononçaient ; d’où il suit que le moyen est, en chacune de ses branches, dépourvu du moindre fondement ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
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2. L’erreur sur la valeur
==>Principe
L’article 1136 du Code civil prévoit que « l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité. »
L’erreur sur la valeur doit donc être entendue comme l’erreur sur l’évaluation économique de l’objet du contrat
Exemple : l’erreur sur la valeur se rapporte à l’hypothèse où une partie se rend compte que le prix de la prestation qui lui a été fournie est trop élevé.
Bien que l’erreur sur la valeur consiste en un décalage entre la croyance de l’errans et la réalité, ce déséquilibre objectif des prestations ne constitue cependant pas une cause de nullité du contrat.
Si le législateur avait adopté la solution inverse, cela serait revenu à admettre la lésion.
Or conformément à l’article 1168 du Code civil « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement. ».
La solution retenue en l’espèce est conforme à la jurisprudence antérieure qui a toujours refusé de reconnaître l’erreur sur la valeur (V. en ce sens Cass. req., 17 mai 1832 ; Cass. 3e civ., 31 mars 2005, n°03-20.096).
==>Exception : l’erreur sur la rentabilité
En principe, lorsque l’erreur porte sur sa rentabilité de l’opération, soit sur son aptitude à procurer les avantages économiques que l’on en attend, elle devrait être indifférente, car cela revient à porter une appréciation de la valeur de la prestation fournie.
Dans un arrêt du 31 mars 2005 la Cour de cassation a estimé en ce sens que « l’appréciation erronée de la rentabilité économique de l’opération n’était pas constitutive d’une erreur sur la substance de nature à vicier le consentement de la SCI à qui il appartenait d’apprécier la valeur économique et les obligations qu’elle souscrivait » (Cass. 3e civ., 31 mars 2005, n°03-20.096).
Toutefois, dans un arrêt du 4 octobre 2011, la Cour de cassation a reproché à une Cour d’appel qui « après avoir constaté que les résultats de l’activité du franchisé s’étaient révélés très inférieurs aux prévisions et avaient entraîné rapidement sa mise en liquidation judiciaire » de n’avoir pas recherché « si ces circonstances ne révélaient pas, même en l’absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d’information, que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise » (Cass. com. 4 oct. 2011, n°10-20.956).
Autrement dit, pour la Cour de cassation, l’erreur commise par le franchisé s’apparentait en l’espèce, non pas à une simple erreur sur la valeur de l’opération, mais à une erreur sur les qualités essentielles du contrat de franchise qui, par nature, a vocation à procurer à son bénéficiaire une certaine rentabilité.
Ainsi, lorsque la rentabilité est inhérente à l’opération, la haute juridiction considère que l’erreur s’apparente, en réalité, à une erreur sur les qualités essentielles de la chose, de sorte qu’elle constitue une cause de nullité.
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Cass. com. 4 oct. 2011
Sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche :
Vu l’article 1110 du code civil ;
Attendu selon l’arrêt attaqué, que la société Equip’buro 59 a conclu avec la société Sodecob un contrat de franchise pour l’exploitation de son fonds de commerce sous l’enseigne “Bureau center”, impliquant l’adhésion à une coopérative de commerçants détaillants indépendants, constituée par la société Majuscule ; que les résultats obtenus, très inférieurs aux prévisions transmises par le franchiseur, ont conduit rapidement à la mise en liquidation judiciaire de la société Equip’buro 59, M. X… étant désigné liquidateur ; que ce dernier, agissant ès qualités, a demandé la nullité du contrat de franchise et la condamnation solidaire des sociétés Sodecob et Majuscule au paiement de dommages-intérêts, en invoquant, notamment, l’insuffisance de l’information précontractuelle fournie au franchisé ;
Attendu que pour rejeter la demande d’annulation fondée sur l’erreur commise par le franchisé lors de la conclusion du contrat, l’arrêt retient que les insuffisances ponctuelles dans la documentation fournie ne peuvent être regardées, à les supposer établies, comme un élément essentiel dont la révélation eût été susceptible de conduire la société Equip Buro 59 à ne pas conclure le contrat, qu’en sa qualité de professionnel averti du commerce qui avait exercé pendant plus de vingt ans dans le domaine de la grande distribution, son dirigeant se devait d’apprécier la valeur et la faisabilité des promesses de rentabilité qui lui avaient été faites dans la mesure où celles-ci ne pouvaient comporter de la part du promettant aucune obligation de résultat, que le seul fait qu’un écart soit effectivement apparu entre les prévisions de chiffre d’affaires telles qu’indiquées par le franchiseur et les résultats concrets nés de l’exploitation poursuivie par la société Equip’buro 59 ne saurait être démonstratif, à lui seul, de l’insincérité ou du manque de crédibilité des chiffres et documents fournis par le franchiseur, lequel n’avait pas à garantir la réalisation de quelconques prévisions comptables et qu’il s’ensuit que M. X…, ès qualités, ne rapporte la preuve d’aucun dol ni d’aucune erreur de nature à justifier sa demande ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, après avoir constaté que les résultats de l’activité du franchisé s’étaient révélés très inférieurs aux prévisions et avaient entraîné rapidement sa mise en liquidation judiciaire, sans rechercher si ces circonstances ne révélaient pas, même en l’absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d’information, que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a rejeté les demandes de nullité et d’octroi de dommages-intérêts formées par M. X…, ès qualités, l’arrêt rendu le 19 mai 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;
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