La résolution judiciaire: régime juridique

L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit dans le Code civil une sous-section consacrée à la résolution du contrat.

Cette sous-section comprend sept articles, les articles 1224 à 1230, et est organisée autour des trois modes de résolution du contrat déjà bien connus en droit positif que sont :

  • La clause résolutoire
  • La résolution unilatérale
  • La résolution judiciaire

Selon le rapport au Président de la république, il est apparu essentiel de traiter de la résolution du contrat parmi les différents remèdes à l’inexécution, et non pas seulement à l’occasion des articles relatifs à la condition résolutoire qui serait toujours sous-entendue dans les contrats selon l’ancien article 1184.

Ainsi l’article 1224 énonce les trois modes de résolution du contrat précités, la résolution unilatérale et la résolution judiciaire étant soumises à une condition de gravité suffisante de l’inexécution, par opposition à la clause résolutoire dont l’effet est automatique dès lors que les conditions prévues au contrat sont réunies.

Surtout, fait marquant de la réforme, l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit la résolution unilatérale du contrat, alors qu’elle n’était admise jusqu’alors par la Cour de cassation que comme une exception à notre traditionnelle résolution judiciaire.

Aussi, dans les textes, le contractant, victime d’une inexécution suffisamment grave, a désormais de plusieurs options :

  • Soit il peut demander la résolution du contrat au juge
  • Soit il peut la notifier au débiteur sa décision de mettre fin au contrat
  • Soit il peut se prévaloir de la clause résolutoire si elle est stipulée dans le contrat

Nous ne nous focaliserons ici que sur la première option.

Dans le droit fil du droit antérieur, l’article 1227 du Code civil confirme, la possibilité pour le créancier de saisir le juge pour solliciter la résolution du contrat.

Cette disposition prévoit, en ce sens, que « la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice. »

?La possibilité de recourir, en toute hypothèse, à la résolution judiciaire

L’assertion « en toute hypothèse » indique que le juge peut être saisi pour prononcer la résolution judiciaire même si une clause résolutoire a été prévue au contrat, ou même si une procédure de résolution par notification a été engagée, conformément à la jurisprudence.

Le choix d’un mode de résolution n’est donc nullement exclusif de la résolution judiciaire à laquelle il peut, par principe, toujours être recourue.

Alors que, sous l’empire du droit antérieur, la résolution judiciaire était envisagée comme le principal mode de résolution du contrat, ce mode est dorénavant subsidiaire, en ce sens qu’il a vocation à être mise en œuvre :

  • Soit faute de clause résolutoire stipulée dans le contrat
  • Soit en cas de contestation de litige ouvert entre les parties.

En effet, afin de se prémunir contre tout risque de remise en cause de sa faculté de résolution unilatérale, le créancier peut préférer saisir le juge aux fins de solliciter la résolution judiciaire.

?La possibilité de renoncer contractuellement à la résolution judiciaire

Qu’en est-il de la possibilité pour une partie de renoncer contractuellement à la faculté de solliciter la résolution judiciaire ?

Dans un arrêt du 3 novembre 2011, la Cour de cassation avait jugé « qu’un contractant peut renoncer par avance au droit de demander la résolution judiciaire du contrat et relevé que la clause de renonciation, rédigée de manière claire, précise, non ambiguë et compréhensible pour un profane » (Cass. 3e civ. 3 nov. 2011, n°10-26.203).

Le rapport au Président de la République indique que l’article 1227 du Code civil n’entend pas remettre en cause cette jurisprudence qui valide les clauses de renonciation judiciaire.

À l’examen, ces clauses ne font en principe que limiter les modalités de l’exécution de l’obligation sans priver le créancier du droit d’obtenir l’exécution de sa créance par l’un des autres remèdes énumérés par l’article 1217 de l’ordonnance (tels que l’exécution forcée en nature).

Il appartient donc à la juridiction saisie de vérifier, au cas par cas, que la restriction ainsi consentie ne porte pas atteinte à la substance même du droit et au droit d’agir en justice.

En outre, il est des cas où c’est la loi qui fera obstacle à la résolution judiciaire. L’article L 622-21, 2° du Code de commerce dispose, en ce sens, que, en cas de procédure collective, « le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 et tendant […] à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. »

En dehors des restrictions textuelles du recours à la résolution judiciaire, elle est donc, sauf clause contraire, toujours permise. Sa mise en œuvre est néanmoins subordonnée à la réunion de plusieurs conditions dont le juge ne manquera pas contrôler le respect.

1. Les conditions de mise en œuvre de la résolution judiciaire

En application de l’article 1224 du Code civil, la mise en œuvre de la résolution judiciaire est subordonnée à la démonstration d’une inexécution contractuelle suffisamment grave.

Faute de précisions supplémentaires sur cette exigence, c’est vers la jurisprudence qu’il convient de se tourner pour en comprendre la teneur.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés des décisions rendues :

  • Une inexécution
    • Pour que la résolution judiciaire soit prononcée une inexécution du contrat doit pouvoir être constatée par le juge
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir si cette inexécution doit être totale ou seulement partielle.
    • Le texte ne le dit pas à la différence de celui qui régit la réduction du prix.
    • On peut en déduire que rien n’interdit d’envisager qu’une exécution imparfaite du contrat puisse justifier la résolution judiciaire du contrat.
    • Aussi, l’inexécution pourrait-elle consister, tant en un retard, qu’en l’absence de délivrance de la chose et plus généralement à toute fourniture de la prestation non conforme aux stipulations contractuelles.
    • Au vrai, ce qui importe, ce n’est pas tant que l’inexécution contractuelle soit totale ou partielle, mais qu’elle soit suffisamment grave, au sens de l’article 1224 du Code civil, pour justifier la résolution du contrat.
  • Une inexécution non-imputable au créancier
    • Dans un arrêt du 21 octobre 1964, la Cour de cassation a jugé que « la résiliation ne saurait être réclamée par le créancier lorsque l’inexécution de ses obligations par le débiteur est la conséquence de sa propre faute » (Cass. 1ère civ. 21 oct. 1964).
    • Ainsi, lorsque l’inexécution contractuelle est imputable au créancier, il est irrecevable à solliciter la résolution judiciaire du contrat.
    • La solution sera toutefois différente lorsque l’inexécution sera imputable, tant au créancier, qu’au débiteur.
    • Dans cette hypothèse, le juge prononcera la résolution aux torts réciproques des parties (Cass. 3e civ. 3e, 6 sept. 2018, n° 17-22.026).
  • L’indifférence de la faute du débiteur et de la survenance d’une cause étrangère
    • Il ressort de la jurisprudence qu’il est indifférent que l’inexécution contractuelle ait été causé par la survenance d’un cas de force majeur ou que le débiteur n’ait commis aucune faute : la résolution judiciaire est encourue du seul fait d’une inexécution suffisamment grave du contrat
    • Dans un arrêt du 2 juin 1982, la première chambre civile a considéré en ce sens que « la résolution d’un contrat synallagmatique peut être prononcée en cas d’inexécution par l’une des parties de ses obligations, même si cette inexécution n’est pas fautive et quel que soit le motif qui a empêché cette partie de remplir ses engagements, alors même que cet empêchement résulterait du fait d’un tiers ou de la force majeure ; » (Cass. 1ère civ.2 juin 1982, n°81-10.158).
    • Peu importe donc que le débiteur soit fautif, ou qu’il ait été empêché par une cause étrangère, ce qui compte c’est la démonstration d’une inexécution du contrat.
    • À cet égard, l’article 1218 issue de l’ordonnance du 10 février 2016 va plus loin puisqu’il prévoit que, « si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit ».
    • Autrement dit, en cas de survenance d’un cas de force majeur, il n’est pas nécessaire de saisir le juge : la résolution du contrat est acquise de plein droit.
  • Une inexécution contractuelle suffisamment grave
    • Faute de précision à l’article 1227 du Code civil sur la teneur de l’inexécution contractuelle susceptible de justifier la résolution judiciaire, c’est vers l’article 1224 qu’il convient de se tourner.
    • À l’instar de la résolution unilatérale par notification, la mise en œuvre de la résolution judiciaire est subordonnée à la démonstration d’une inexécution suffisamment grave.
    • Que doit-on entendre par inexécution suffisamment grave ? Les textes sont silencieux, la volonté du législateur étant de laisser une marge d’appréciation au juge.
    • Il ressort de la jurisprudence que l’inexécution est suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat notamment dans les cas suivants :
      • Lorsque le manquement porte sur une obligation essentielle du contrat
      • Lorsque le préjudice subi par le créancier est substantiel
      • Lorsque le débiteur est, soit de mauvaise foi, soit adopte une conduite déloyale
    • Afin d’apprécier la gravité de l’inexécution, le juge doit tenir compte de toutes les circonstances intervenues jusqu’au jour de la décision (Cass. 3e civ. 5 mai 1993, n°91-17.097).
  • L’indifférence de la mise en demeure du débiteur
    • À la différence de la mise en œuvre de la clause résolutoire ou de la résolution unilatérale, la résolution judiciaire n’est pas subordonnée à la mise en demeure du débiteur.
    • La Cour de cassation rappelle régulièrement en ce sens que l’assignation en résolution vaut mise en demeure (Cass. 1ère civ., 23 mai 2000, n° 97-22.547).
    • Dans un arrêt du 9 octobre 1996 elle a encore jugé que « l’obligation de délivrer un commandement de payer préalablement à l’assignation n’était requis que pour l’application d’une clause résolutoire et non lorsqu’il était demandé au juge de prononcer la résiliation du bail » (Cass. 3e civ. 9 oct. 1996, n°92-17.331).
    • Cette dispense de mise en demeure procède de l’idée que, en cas d’assignation du débiteur, il peut toujours exécuter le contrat, ce qui dans l’esprit du législateur, est l’issue qui doit primer sur toutes les autres.
    • Reste que, si la mise en demeure n’est pas une condition de mise en œuvre de la résolution judiciaire, elle peut se révéler utile en cas d’inexécution particulièrement grave du contrat.
    • Elle peut, en effet, permettre au créancier d’établir sa bonne foi et sa volonté d’avoir tout tenté pour sauver le contrat avant de recourir le juge.
    • Il ne fait aucun doute que cette démarche sera favorablement appréciée par la juridiction saisie qui, en l’absence de réaction du débiteur, ne pourra que constater l’obstination du débiteur à ne pas exécuter ses obligations.

2. Les pouvoirs du juge

En cas de saisine du juge, l’article 1228 vient préciser l’objet de son office. Les pouvoirs du juge s’exerceront toutefois dans le cadre délimité par les demandes des parties en application du principe dispositif qui préside au procès civil.

Le texte prévoit que le juge, peut, selon les circonstances, retenir plusieurs options :

?La résolution du contrat

Selon le mode de résolution choisi par le créancier pour mettre fin au contrat, le juge pourra :

  • Soit constater la résolution du contrat s’il intervient a posteriori pour contrôler la mise en œuvre d’une clause résolutoire ou d’une résolution unilatérale par notification.
    • Lorsque le Juge ne fait que constater la résolution du contrat, il convient de noter que le fait générateur de cette résolution réside, non pas dans la décision de justice rendue, mais dans la décision prise par le créancier de mettre un terme au contrat.
    • Dans ces conditions, la résolution ne devrait produire ses effets
      • Soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire,
      • soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier.
  • Soit prononcer la résolution, s’il est saisi en ce sens, en cas d’inexécution suffisamment grave
    • Dans cette hypothèse, c’est bien la décision de justice qui produit l’effet résolutoire
    • Il en résulte que la résolution du contrat produit ses effets :
      • Soit à la date fixée par le juge
      • Soit, à défaut, au jour de l’assignation en justice.

En tout état de cause, que la résolution soit constatée ou prononcée, dès lors que le juge fait droit à la demande du créancier, la résolution du contrat s’imposera au débiteur.

?L’exécution du contrat

Faute de constater ou de prononcer la résolution, l’article 1228 du Code civil investi le juge du pouvoir d’ordonner l’exécution du contrat.

Il opterait pour cette solution lorsque :

  • Soit l’inexécution du contrat n’est pas établie
  • Soit l’inexécution contractuelle n’est pas suffisamment grave pour justifier la résolution
  • Soit les conditions de mise en œuvre de la clause résolutoire ne sont pas réunies

À cet égard, dans un arrêt du 27 octobre 2010, la Cour de cassation a validé la décision d’une Cour d’appel qui avait estimé, en matière de contrat de bail, que « les faits ne pouvaient justifier la résiliation du bail que s’ils avaient persisté au jour où elle statuait » (Cass. 3e civ. 27 oct. 2010, n°09-11.160).

C’est donc au jour où le juge statue qu’il convient de se situer pour déterminer si l’inexécution contractuelle est de nature à justifier la résolution du contrat.

?L’octroi d’un délai

Lorsque le juge ordonne l’exécution du contrat, il peut octroyer un délai au débiteur.

S’agit-il d’un délai de grâce ? S’il en présente les traits, ne serait-ce que dans la similitude de rédaction de l’article 1228 avec l’article 1343-5 du Code civil, les deux délais ne se confondent pas.

En effet, tandis que le délai de grâce ne peut être supérieur à deux ans et est consenti au débiteur en considération de sa situation personnelle, tel n’est pas le cas du délai énoncé à l’article 1228 qui n’est assorti d’aucune limite temporelle et dont l’octroi dépend plutôt de la difficulté d’exécution de la convention.

Ainsi ce délai sera consenti au débiteur si le juge estime que l’exécution du contrat est encore possible.

?L’octroi de dommages et intérêts

L’article 1228 rappelle que le juge peut aussi, n’allouer que des dommages s’il considère que la résolution n’est pas suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat.

Cet octroi de dommages et intérêt vise à réparer le préjudice subi par le créancier résultant d’une inexécution insuffisamment grave, mais bien réelle et préjudiciable pour ce dernier.

La résolution unilatérale du contrat par notification: régime juridique

L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit dans le Code civil une sous-section consacrée à la résolution du contrat.

Cette sous-section comprend sept articles, les articles 1224 à 1230, et est organisée autour des trois modes de résolution du contrat déjà bien connus en droit positif que sont :

  • La clause résolutoire
  • La résolution unilatérale
  • La résolution judiciaire

Selon le rapport au Président de la république, il est apparu essentiel de traiter de la résolution du contrat parmi les différents remèdes à l’inexécution, et non pas seulement à l’occasion des articles relatifs à la condition résolutoire qui serait toujours sous-entendue dans les contrats selon l’ancien article 1184.

Ainsi l’article 1224 énonce les trois modes de résolution du contrat précités, la résolution unilatérale et la résolution judiciaire étant soumises à une condition de gravité suffisante de l’inexécution, par opposition à la clause résolutoire dont l’effet est automatique dès lors que les conditions prévues au contrat sont réunies.

Surtout, fait marquant de la réforme, l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit la résolution unilatérale du contrat, alors qu’elle n’était admise jusqu’alors par la Cour de cassation que comme une exception à notre traditionnelle résolution judiciaire.

Aussi, dans les textes, le contractant, victime d’une inexécution suffisamment grave, a désormais de plusieurs options :

  • Soit il peut demander la résolution du contrat au juge
  • Soit il peut la notifier au débiteur sa décision de mettre fin au contrat
  • Soit il peut se prévaloir de la clause résolutoire si elle est stipulée dans le contrat

La résolution unilatérale est donc érigée au rang de principe concurrent de la résolution judiciaire ou de la clause résolutoire.

Néanmoins, son régime est plus rigoureusement encadré qu’en droit positif, puisque le créancier qui choisit la voie de la résolution unilatérale est tenu de mettre en demeure son débiteur de s’exécuter, et si celle-ci est infructueuse, d’une obligation de motivation (article 1226).

?Ratio legis

L’article 1226 introduit donc dans le code civil la résolution unilatérale par notification du créancier de l’obligation non exécutée.

Ce mode de résolution était expressément visé par l’article 8 de la loi d’habilitation du 16 février 2015 portant modernisation et simplification du droit.

L’article 1226 du Code civil constitue indéniablement une nouveauté, puisqu’il consacre un mécanisme absent du code civil mais reconnu par la jurisprudence et les projets d’harmonisation européens.

À cet égard, la Cour de cassation avait déjà défini les contours de la résolution unilatérale par notification, en considérant que, d’une part, « la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls » et que, d’autre part, « cette gravité […] n’est pas nécessairement exclusive d’un délai de préavis » (Cass. 1ère civ. 13 octobre 1998, n° 96-21.485).

Dans un arrêt du 28 octobre 2003, elle avait précisé que peu importe que « le contrat soit à durée déterminée ou non » (Cass. 1ère civ. 28 octobre 2003, n° 01-03.662).

Le texte voté consacre cette faculté. La résolution unilatérale n’est d’ailleurs plus appréhendée comme une exception au principe de la résolution judiciaire, mais est traitée comme une faculté autonome offerte au créancier qui, victime de l’inexécution, aura désormais le choix, en particulier en l’absence de clause résolutoire expresse, entre les deux modes de résolution, judiciaire ou unilatérale.

Cette innovation s’inscrit dans une perspective d’efficacité économique du droit. Elle repose, en effet, sur l’idée que le créancier victime de l’inexécution, au lieu de subir l’attente aléatoire du procès et de supporter les frais inhérents à l’intervention du juge, peut tout de suite ou dans un délai raisonnable, conclure un nouveau contrat avec un tiers.

La sécurité juridique et la protection du débiteur ne sont pas sacrifiées pour autant à l’impératif économique puisque cette faculté est très encadrée.

1. Les conditions de la résolution unilatérale

L’exercice par le créancier de la faculté de résolution unilatérale est subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • Une inexécution contractuelle
  • Une inexécution suffisamment grave

a. Une inexécution

Pour que le créancier soit fondé à exercer sa faculté de résolution unilatérale, une inexécution du contrat doit pouvoir être constatée

La question qui immédiatement se pose est de savoir si cette inexécution doit être totale ou seulement partielle. Le texte ne le dit pas à la différence de celui qui régit la réduction du prix.

On peut en déduire que rien n’interdit d’envisager qu’une exécution imparfaite du contrat puisse justifier l’exercice de la faculté de résolution unilatérale.

Aussi, l’inexécution pourrait-elle consister, tant en un retard, qu’en l’absence de délivrance de la chose et plus généralement à toute fourniture de la prestation non conforme aux stipulations contractuelles.

Au vrai, ce qui importe, ce n’est pas tant que l’inexécution contractuelle soit totale ou partielle, mais qu’elle soit suffisamment grave, au sens de l’article 1224 du Code civil, pour justifier la résolution du contrat.

b. Une inexécution suffisamment grave

Il faut se reporter à l’article 1224 pour connaître la teneur de l’inexécution contractuelle susceptible de justifier l’exercice, par le créancier, de la faculté de résolution unilatérale du contrat.

Selon la lettre de ce texte, l’inexécution doit être « suffisamment grave », ce qui immédiatement interroge sur les hypothèses que couvre cette notion. Quels sont manquements « suffisamment graves » qui justifient la résolution du contrat ?

Là encore, les textes sont silencieux sur ce point, la volonté du législateur étant de laisser une marge d’appréciation au juge en cas de contrôle a posteriori consécutive à une contestation portée en justice.

Reste que pour apprécier le bien-fondé de la résolution unilatérale, le critère de la gravité du comportement du débiteur a été abandonné à la faveur de celui de la gravité de l’inexécution.

Sous l’empire de la jurisprudence Tocqueville (Cass. 1ère civ. 13 octobre 1998, n° 96-21.485), la Cour de cassation se référait, en effet, à la gravité du comportement du débiteur.

Dans un arrêt du 10 février 2009, la chambre commerciale jugeait en ce sens que « la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, peu important les modalités formelles de résiliation contractuelle » (Cass. com. 10 févr. 2009, n°08-12.415).

Cette position adoptée par la Cour de cassation conduisait à adopter une approche subjective de la situation.

Autrement dit, les juridictions étaient invitées à se focaliser, moins sur le caractère essentiel de l’obligation violée ou sur le préjudice subi par le créancier, que sur la mauvaise foi du débiteur et sa déloyauté.

Aussi, en focalisant le regard sur la gravité de l’inexécution contractuelle et non plus sur le comportement du débiteur, le législateur a objectivé l’approche qu’il convient d’adopter quant à apprécier le bien-fondé de la résolution unilatérale.

Désormais, ce qui autorise le créancier à mettre fin, de son propre chef, au contrat c’est la seule gravité du manquement constaté. Cette gravité peut procéder, soit du caractère essentiel de l’obligation qui a été violé, soit du préjudice particulièrement lourd subi par le créancier.

Est-ce à dire que la gravité du comportement du débiteur n’est dorénavant plus susceptible de justifier la résolution unilatérale du contrat ?

Plusieurs arrêts rendus par la Cour de cassation après l’adoption de l’ordonnance portant réforme du droit des obligations, suggèrent de répondre par la négative.

Dans ces arrêts, en effet, elle maintient que « la gravité du manquement de l’une des parties peut justifier que l’autre partie mette fin à l’engagement de manière unilatérale à ses risques et périls » (V. notamment en ce sens Cass. com. 6 déc. 2016, n°15-12.981)

Ainsi, l’exigence de se focaliser désormais sur la gravité de l’inexécution contractuelle n’exclut pas d’apprécier cette gravité à la lumière du comportement du débiteur. On songe, en particulier au comportement qui rendrait impossible le maintien de la relation contractuelle dans des conditions normales (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 13 mars 2007, n°06-10.229).

La question qui sans doute se posera sera de déterminer si la gravité de l’inexécution contractuelle doit être appréciée objectivement ou subjectivement.

Tandis qu’une approche objective commanderait de regarder l’économie générale du contrat, l’inexécution grave étant celle portant atteinte à son existence, l’approche subjective conduirait, quant à elle, à se tourner vers la commune intention des parties, la gravité de l’inexécution se déduisant des prévisions qui ont été stipulées comme essentielles par elles.

2. La mise en œuvre de la résolution unilatérale

a. La mise en demeure du débiteur

?Principe

L’article 1226 du Code civil subordonne l’exercice de la faculté de résolution unilatérale à la mise en demeure préalable du débiteur.

Ce texte prévoit en ce sens que « sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. »

Il convient de le prévenir sur le risque auquel le débiteur s’expose en cas d’inaction, soit de subir l’anéantissement du contrat.

Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier commande à son débiteur d’exécuter son obligation.

L’alinéa 2 précise que « la mise en demeure mentionne expressément qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. »

À l’examen, la mise en demeure doit donc répondre à des exigences de forme et de fond.

  • Le formalisme de la mise en demeure
    • La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre aux exigences énoncées à l’article 1344 du Code civil.
    • Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.
    • En outre, en application de cette même disposition, elle peut être notifiée au débiteur :
      • Soit par voie de signification
      • Soit au moyen d’une lettre missive
  • Le contenu de la mise en demeure
    • En application de l’article 1226, al.2 du Code civil, pour valoir mise en demeure, l’acte doit mentionner « expressément qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat ».
    • À défaut, le créancier sera privé de la possibilité de se prévaloir de la résolution du contrat.
    • Pour être valable, la mise en demeure doit donc comporter
      • Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
      • Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à la mise en demeure
      • La menace d’une sanction
      • La mention de la clause résolutoire

L’absence de mise en demeure peut être invoquée par le débiteur comme un moyen de défense au fond aux fins de faire échec aux prétentions du créancier.

?Exceptions

  • La stipulation d’une clause
    • En application de l’article 1344 du Code civil, il est toujours permis, pour les parties, de prévoir que l’exigibilité des obligations stipulées au contrat vaudra mise en demeure du débiteur.
    • Dans cette hypothèse, l’exercice de la faculté de résolution unilatérale ne sera donc pas subordonné à sa mise en demeure du débiteur.
    • À cet égard, le rapport du Président de la République précise que dans le silence de l’article 1226 sur son caractère impératif, « il doit être considéré que cette disposition n’est pas d’ordre public, y compris en cas d’urgence. »
  • L’urgence
    • L’article 1226, al. 1er prévoit expressément que, en cas d’urgence, le créancier est dispensé de mettre en demeure le débiteur préalablement à l’exercice de la faculté de résolution unilatérale.
    • Par urgence, il faut entendre le risque imminent de préjudice pour le créancier susceptible de résulter de l’inexécution contractuelle V. en ce sens Cass. 1ère civ. 24 sept. 2009, n°08-14.524).
    • En pareil cas, il convient, pour ce dernier, de réagir vite raison pour laquelle il est autorisé à rompre le contrat sans formalité préalable et donc sans octroyer au débiteur un délai raisonnable pour s’exécuter.

b. La notification de la résolution au débiteur

L’article 1226, al. 3 dispose que « lorsque l’inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. »

Ainsi, l’exercice de la faculté de rompre unilatéralement le contrat est-il subordonné à la notification de la décision du créancier.

Cette notification peut intervenir soit, par voie d’exploit d’huissier, soit par voie de mise en demeure. En tout état de cause, elle vise à porter à la connaissance du débiteur la décision prise à son endroit.

Si, la notification matérialise l’exercice, par le créancier, de son droit potestatif à résoudre unilatéralement le contrat, l’article 1226 exige que cette notification soit motivée.

En d’autres termes, le créancier a l’obligation de préciser dans l’acte, l’inexécution contractuelle qu’il estime suffisamment grave pour justifier sa résolution.

Cette exigence vise à permettre, tant au débiteur, qu’au juge d’apprécier le bien-fondé de la décision du créancier.

Dans l’hypothèse où le débiteur estimerait que le motif invoqué par le créancier serait impropre à justifier la résolution du contrat, il pourra toujours saisir le juge afin de faire trancher le litige.

3. Le contrôle judiciaire de la résolution unilatérale

L’article 1226, al. 4e du Code civil prévoit que « le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. »

Ainsi, le recours au juge, en cas de résolution unilatérale du contrat, est toujours ouvert au débiteur.

Cette possibilité est conforme à la jurisprudence antérieure, selon laquelle la résolution unilatérale se fait aux « risques et périls » du créancier, condition reprise par le premier alinéa de l’article 1226.

Il incombera alors au juge d’apprécier le bien-fondé de la rupture du contrat. Plus précisément il lui faudra vérifier que l’inexécution dont s’est prévalu le créancier était suffisamment grave pour justifier la résolution.

En tout état de cause, en cas de saisine du juge par le débiteur, l’article 1226, al. 4e du Code civil pose que c’est au créancier qu’il reviendra de prouver la gravité de l’inexécution

En simplifiant à l’extrême, trois issues sont alors possibles :

  • Première issue : la constatation de la résolution du contrat
    • Si le juge considère que les conditions de la résolution unilatérale étaient réunies, il ne pourra alors que constater l’acquisition de la résolution
    • Dans le même temps, il pourra condamner le débiteur au paiement de dommages et intérêts si le créancier en fait la demande, en application de l’article 1231-1 du Code civil.
  • Deuxième issue : la constatation d’une inexécution pas suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat
    • Lorsque le juge est saisi par le débiteur, il peut considérer que, si l’inexécution du contrat – totale ou partielle – est bien avérée, elle n’est pas suffisamment grave pour justifier la résolution.
    • Dans cette hypothèse, l’article 1228 du Code civil offre plusieurs alternatives au juge
    • Il peut
      • Soit constater ou prononcer la résolution
      • Soit ordonner l’exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur
      • Soit allouer seulement des dommages et intérêts.
    • Au vrai tout dépendra des demandes formulées par le débiteur qui peut préférer prendre acte de la volonté du créancier de rompre le contrat ou exiger son exécution forcée : c’est selon.
  • Troisième issue : la constatation de l’absence d’inexécution du contrat
    • Autre hypothèse susceptible de se présenter : le juge considère que le débiteur n’a pas failli à ses obligations
    • Aussi, dispose-il, dans cette configuration, de la faculté :
      • Soit de constater, sur la demande du débiteur, que la rupture du contrat est définitivement consommée
      • Soit ordonner l’exécution forcée du contrat
    • Dans les deux cas, le juge pourra assortir l’option choisie d’une condamnation du créancier au paiement de dommages et intérêts.

L’exécution forcée en nature: régime juridique

Parce que les contrats sont pourvus de la force obligatoire (art. 1103 C. civ), lorsqu’une partie, qui s’est engagée à fournir une prestation ou une chose, ne s’exécute pas, elle devrait, en toute logique, pouvoir y être contrainte. C’est la raison pour laquelle la loi le lui permet.

Cette possibilité, pour le créancier, de contraindre le débiteur défaillant à honorer ses obligations vise à obtenir ce que l’on appelle l’exécution forcée.

Pratiquement, l’exécution forcée peut prendre deux formes :

  • Elle peut avoir lieu en nature : le débiteur est contraint de fournir ce à quoi il s’est engagé
  • Elle peut avoir lieu par équivalent : le débiteur verse au créancier une somme d’argent qui correspond à la valeur de la prestation promise initialement

Tandis que les rédacteurs du Code civil avaient fait de l’exécution par équivalent le principe, pour les obligations de faire et de ne pas faire, l’ordonnance du 10 février 2016 a inversé ce principe en généralisant l’exécution forcée en nature dont le recours n’est plus limité, en simplifiant à l’extrême, aux obligations de donner.

?Droit antérieur

Pour mémoire, sous l’empire du droit antérieur, le Code civil distinguait trois sortes d’obligations :

  • L’obligation de donner
    • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
    • Exemple: dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
  • L’obligation de faire
    • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
    • Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
  • L’obligation de ne pas faire
    • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
    • Exemple: le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats a abandonné la distinction entre ces obligations, à tout le moins elle n’y fait plus référence.

Le principal intérêt de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire résidait dans les modalités de l’exécution forcée.

Pour le comprendre envisageons l’exécution forcée de chacune de ces obligations prises séparément.

  • L’obligation de donner
    • Lorsque l’engagement souscrit consiste en une obligation de donner, il y a lieu de distinguer selon qu’il s’agit de payer une somme d’argent ou selon qu’il s’agit de transférer la propriété d’un bien :
      • Lorsqu’il s’agit d’une obligation de payer
        • Dans cette hypothèse, seule l’exécution forcée en nature est envisageable.
        • En pareil cas, il ne saurait y avoir d’exécution par équivalent, dans la mesure où, par hypothèse, il n’existe pas d’autre équivalent à l’argent que l’argent.
      • Lorsqu’il s’agit de transférer la propriété d’un bien
        • En cas de défaillance du débiteur, l’exécution forcée n’a pas lieu de jouer dans la mesure où la défaillance du débiteur intéresse l’effet translatif du contrat.
        • Aussi, est-ce plutôt une action en revendication qui devra être engagée par le créancier aux fins de voir reconnaître son droit de propriété
        • Quant à l’obligation de délivrance de la chose, elle relève de la catégorie, non pas des obligations de donner, mais de faire.
  • L’obligation de faire
    • Lorsque l’engagement pris consiste en une obligation de faire, les deux formes d’exécution forcée sont possibles.
    • Reste que, dans certains cas, l’exécution forcée en nature d’une obligation de faire soulèvera des difficultés.
    • En effet, forcer une personne à fournir la prestation promise pourrait être considéré comme trop attentatoire à la liberté individuelle.
    • Ajouté à cela, contrainte une personne à fournir une prestation contre sa volonté, serait susceptible d’exposer le créancier à une exécution défectueuse de cette prestation qui, dès lors, ne répondrait pas aux attendus stipulés dans le contrat.
  • L’obligation de ne pas faire
    • Il n’est guère plus envisageable de faire respecter, par la force, une obligation de ne pas faire sauf à porter atteinte à la liberté individuelle.
    • L’obligation de ne pas faire se prête ainsi difficilement à l’exécution forcée en nature.

Fort de ces constats, le législateur, en 1804, en avait tiré la conséquence à l’ancien article 1142 du Code civil qui disposait que « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »

Le principe posé par ce texte était donc que les obligations de faire et les obligations de ne pas faire ne pouvaient faire l’objet que d’une exécution forcée par équivalent, soit se traduire par le versement d’une somme d’argent au créancier.

Par exception, la loi avait néanmoins envisagé certains cas où l’exécution forcée en nature était possible pour les obligations de faire et de ne pas faire :

  • L’ancien article 1143 prévoyait que « néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu »
  • L’ancien article 1145 disposait encore que « si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention ».

Portée par une doctrine majoritairement favorable à une extension du domaine de l’exécution forcée, la jurisprudence a progressivement admis qu’elle puisse être envisagée pour les obligations de faire et de ne pas faire, dès lors qu’elles ne sont pas intimement liées à la personne du débiteur (V. en ce sens pour les obligations de faire Cass. 3e civ., 11 mai 2005, n°03-21.136 ; pour les obligations de ne pas faire Cass. 1ère civ., 16 janv. 2007, n°06-13.983).

Pour ce faire, la Cour de cassation s’est notamment appuyée sur une lecture audacieuse de l’ancien article 1184 du Code civil, combinée à une lecture restrictive de l’ancien article 1142.

En effet, l’ancien article 1184 du code civil semblait ouvrir la possibilité, pour toutes les obligations, de quelque nature qu’elles soient, d’une exécution forcée en nature au choix du créancier en prévoyant que « la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts ».

Toutefois, la lettre du texte de l’ancien article 1142 paraissait limiter aux seules obligations de donner la possibilité d’une exécution forcée en nature : « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »

Pour concilier ces deux textes, la Cour de cassation, suivant en cela la doctrine majoritaire, a inversé le principe posé par l’article 1142, pour revenir au fondement de la règle qu’il formule et considérer que seules sont exclues du champ d’application de l’exécution forcée en nature les atteintes directes à la liberté de la personne du débiteur.

D’ailleurs, les articles 1143 et 1144 nuançaient déjà l’affirmation posée par l’article 1142 en prévoyant des dérogations au principe de la condamnation à des dommages-intérêts.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle fait une application très restrictive des termes de l’article 1142 du code civil, et paraît avoir reconnu, avec la majorité des auteurs, un véritable droit à l’exécution forcée en nature, en considérant que tout créancier peut exiger l’exécution de ce qui lui est dû lorsque cette exécution est possible (Cass. 3e civ., 19 février 1970, n°68-13.866 ; Cass. 3e civ., 3 novembre 2017, n°15-23.188). La possibilité d’obtenir l’exécution forcée en nature n’est donc exclue qu’en cas d’impossibilité matérielle, juridique ou morale.

Manifestement, les auteurs qui plaidaient pour un abandon de la soustraction des obligations de faire et de ne pas faire à l’exécution forcée en nature ont été entendus par le législateur qui n’a pas manqué l’occasion, lors de l’ordonnance du 10 février 2016, d’inverser le principe posé à l’ancien article 1142 du Code civil, conformément à la jurisprudence qui avait réduit à la portion congrue la portée de ce texte.

?L’ordonnance du 10 février 2016

L’ordonnance du 10 février 2016 dispose désormais à l’article 1221 du Code civil que le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature.

Ainsi, ce texte rompt avec la lettre de l’ancien article 1142 du code civil, dont la Cour de cassation avait déjà retenu une interprétation contraire au texte et qui était également contredit par la procédure d’injonction de faire prévue par les articles 1425-1 à 1425-9 du code de procédure civile.

Le principe est donc dorénavant inversé. Il est indifférent que l’engagement souscrit consiste en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire, le créancier est fondé, par principe, à solliciter l’exécution forcée en nature de son débiteur, sauf à ce que :

  • Soit l’exécution est impossible
  • Soit il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier.

À cet égard, le créancier dispose toujours d’une alternative prévue à l’article 1222 du Code civil qui consiste, « au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire ».

Aussi, convient-il de distinguer deux sortes d’exécution forcée en nature :

  • Celle qui intéresse l’intervention du débiteur
  • Celle qui intéresse l’intervention d’un tiers

I) L’exécution forcée en nature qui intéresse l’intervention du débiteur

A) Principe

1. Contenu du principe

L’article 1221 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 autorise donc le créancier à solliciter l’exécution forcée en nature en cas de défaillance de son débiteur.

Le principe ainsi posé est repris, en des termes plus généraux, par l’article 1341 du Code civil qui dispose que « le créancier a droit à l’exécution de l’obligation ; il peut y contraindre le débiteur dans les conditions prévues par la loi. »

?Indifférence de la nature des obligations en cause

Tandis que sous l’empire du droit antérieur, cette forme d’exécution forcée ne pouvait intervenir que pour les obligations de payer, désormais, le texte ne distingue plus selon que la prestation inexécutée consiste en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire.

Toutes les obligations, quelle que soit leur nature, sont susceptibles de faire l’objet d’une exécution forcée en nature.

Une interrogation demeure toutefois pour l’obligation de ne pas faire, dont on voit mal comment elle pourrait donner lieu à une exécution forcée en nature. En effet, contraindre le débiteur à s’abstenir de ne pas faire quelque chose que le contrat lui interdit, reviendrait, par hypothèse, à porter une atteinte excessive à sa liberté individuelle.

L’exécution forcée en nature est donc inenvisageable pour les obligations de ne pas faire, à l’exception du cas prévu à l’article 1222 du Code civil qui autorise le créancier à « détruire ce qui a été fait en violation » d’une obligation. Il pourra alors « demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin. »

En dehors du cas particulier de l’obligation de ne pas faire, l’exécution forcée en nature est à la portée du créancier.

?Absence de hiérarchisation des sanctions

À cet égard, elle figure en bonne place dans la liste des sanctions attachées à l’inexécution du contrat énoncées à l’article 1217 du Code civil puisqu’elle figure en deuxième place après l’exception d’inexécution.

Est-ce à dire que l’exécution forcée en nature prime les autres sanctions que sont la réduction du prix ou la résolution du contrat ?

Dans le silence du texte, il y a lieu de considérer que le principe posé est le libre choix de la sanction dont se prévaut le créancier.

Aussi, le créancier est-il libre de solliciter la résolution du contrat plutôt que l’exécution forcée en nature.

À cet égard le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise que l’ordre de l’énumération des sanctions énumérées à l’article 1217 du Code civil n’a aucune valeur hiérarchique, le créancier victime de l’inexécution étant libre de choisir la sanction la plus adaptée à la situation.

Au surplus, le choix fait par le créancier s’impose au juge dès lors que les conditions d’application de la sanction invoquée sont réunies.

?Possibilité de cumul des sanctions

Le dernier alinéa de l’article 1217 règle l’articulation entre les différentes sanctions qui, en application de ce texte, peuvent se cumuler, dès lors qu’elles ne sont pas incompatibles.

Que doit-on entendre par « sanctions incompatibles » ? L’article 1217 du Code civil ne le dit pas.

Il est néanmoins possible de conjecturer, au regard de la jurisprudence antérieure, que l’incompatibilité de sanctions se déduit des effets attachés à chacune d’elles.

Plusieurs combinaisons peuvent ainsi être envisagées :

  • Exécution forcée en nature et résolution
    • Tandis que l’exécution forcée en nature vise à contraindre le débiteur à fournir la prestation ou la chose convenue, la résolution a pour effet d’anéantir rétroactivement le contrat, soit de faire comme s’il n’avait jamais exigé.
    • Manifestement, les effets recherchés pour ces deux sortes de sanctions sont radicalement opposés.
    • Il en résulte que, en cas de défaillance du débiteur, exécution forcée en nature et résolution ne sauraient se cumuler (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 juin 1989, n°87-14.083).
  • Exécution forcée en nature et réduction du prix
    • L’obtention d’une réduction de prix suppose que l’obligation dont se prévaut le créancier n’a été qu’imparfaitement exécutée.
    • Aussi, cette sanction vise-t-elle à ramener le prix au niveau de la quotité ou de la qualité de la prestation qui a été effectivement fournie.
    • De son côté, l’exécution forcée en nature vise plutôt à contraindre le débiteur à parfaire l’exécution de l’obligation souscrite.
    • Il n’est donc pas question ici, pour le créancier, de renoncer à la quotité ou à la qualité de la prestation stipulée dans le contrat.
    • Les objectifs recherchés pour les deux sanctions sont, là encore, opposés.
    • Exécution forcée en nature et réduction de prix sont, dans ces conditions, incompatibles.
  • Exécution forcée en nature et dommages et intérêts
    • L’article 1217 du Code civil dispose que des dommages et intérêts peuvent toujours être sollicités quelle que soit la sanction choisie par le créancier.
    • Il en résulte que l’exécution forcée en nature peut être cumulée avec une demande d’octroi de dommages et intérêts.
    • Ces derniers visent à indemniser le créancier pour le préjudice subi en raison de l’inexécution totale ou partielle du contrat.

2. Conditions de mise en oeuvre

Pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en œuvre, plusieurs conditions doivent être réunies :

  • D’une part, la créance dont se prévaut le créancier doit être certaine, liquide et exigible
  • D’autre part, le débiteur doit avoir préalablement été mis en demeure de s’exécuter

?Caractère certain, liquide et exigible de la créance

Bien que les articles 1221 et 1222 du Code civil ne le prévoient pas expressément, l’exécution forcée en nature ne se conçoit que si la créance dont se prévaut le créancier est certaine, liquide et exigible.

  • Sur le caractère certain de la créance
    • Une créance présente un caractère certain lorsqu’elle est fondée dans son principe.
    • L’existence de la créance doit, autrement dit, être incontestable.
    • C’est la une condition indispensable à la mise en œuvre de l’exécution forcée en nature, ne serait-ce que parce que, à défaut de certitude de la créance, le créancier échouera à obtenir un titre exécutoire et donc à s’attacher les services d’un huissier de justice aux fins qu’il instrumente une mesure d’exécution forcée.
  • Sur le caractère exigible de la créance
    • Une créance présente un caractère exigible lorsque le terme de l’obligation est arrivé à l’échéance.
    • Pour que l’exécution forcée en nature puisse être invoquée, encore faut-il que la créance dont se prévaut le créancier soit exigible
    • À défaut, il n’est pas fondé à en réclamer l’exécution et, par voie de conséquence, obtenir l’exécution forcée en nature de l’obligation en cause.
    • Pour déterminer si une obligation est exigible, il convient de se reporter au terme stipulé dans le contrat.
    • À défaut de stipulation d’un terme, l’article 1305-3 du Code civil dispose que « le terme profite au débiteur, s’il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu’il a été établi en faveur du créancier ou des deux parties ».
    • Ainsi, le terme est-il toujours présumé être stipulé à la faveur du seul débiteur.
    • L’instauration de cette présomption se justifie par les effets du terme.
    • La stipulation d’un terme constitue effectivement un avantage consenti au débiteur, en ce qu’il suspend l’exigibilité de la dette.
    • Le terme autorise donc le débiteur à ne pas exécuter la prestation prévue au contrat.
    • Il s’agit là d’une présomption simple, de sorte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Les parties ou la loi peuvent encore prévoir que le terme est stipulé, soit à la faveur du seul créancier, soit à la faveur des deux parties au contrat.
  • Sur le caractère liquide de la créance
    • Une créance présente un caractère liquide lorsqu’elle est susceptible d’être évaluable en argent.
    • À l’évidence, pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en œuvre, encore faut-il que la prestation ou la chose promise soit déterminée.
    • À défaut, aucune exécution forcée ne saurait avoir lieu, faute de détermination de son objet.

?Mise en demeure

Les articles 1221 et 1222 du Code civil subordonnent la mise en œuvre de l’exécution forcée en nature à la mise en demeure préalable du débiteur.

Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier commande à son débiteur d’exécuter son obligation.

Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.

Au fond, l’exigence de mise en demeure préalable à toute demande d’exécution forcée en nature vise à laisser une ultime chance au débiteur de s’exécuter.

À cet égard, l’absence de mise en demeure pourrait être invoquée par le débiteur comme un moyen de défense au fond lequel est susceptible d’avoir pour effet de tenir en échec la demande d’exécution forcée en nature formulée par le créancier.

Quant au contenu de la mise en demeure, l’acte doit comporter :

  • Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
  • Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à la mise en demeure
  • La menace d’une sanction

En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure peut être notifiée au débiteur :

  • Soit par voie de signification
  • Soit au moyen d’une lettre missive

Par ailleurs, il ressort de l’article 1344 du Code civil que les parties au contrat peuvent prévoir que l’exigibilité des obligations stipulées au contrat vaudra mise en demeure du débiteur.

Dans cette hypothèse, la mise en œuvre de l’exécution forcée en nature ne sera donc pas subordonnée à sa mise en demeure.

?Titre exécutoire

Bien que les articles 1221 et 1222 du Code civil suggèrent qu’il suffit au créancier de remplir les conditions énoncées ses textes pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en œuvre, il n’en est rien.

Cette dernière est, en effet, subordonnée à l’obtention, par le créancier, d’un titre exécutoire. L’article 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution dispose en ce sens que « le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution. »

Pour rappel, par titre exécutoire, il faut entendre, au sens de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution :

  • Les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire ;
  • Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarées exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif d’exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne applicables ;
  • Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties ;
  • Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;
  • Les accords par lesquels les époux consentent mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresignée par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ;
  • Le titre délivré par l’huissier de justice en cas de non-paiement d’un chèque ou en cas d’accord entre le créancier et le débiteur dans les conditions prévues à l’article L. 125-1 ;
  • Les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions auxquelles la loi attache les effets d’un jugement.

À défaut de titre exécutoire, le droit pour le créancier à l’exécution forcée en nature de sa créance n’est que purement théorique, en ce sens qu’il demeure privé de la possibilité de requérir le ministère d’un huissier de justice pour mise en œuvre de l’exécution proprement dite.

L’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit, en effet, que « les huissiers de justice sont les officiers ministériels qui ont seuls qualité pour […] ramener à exécution les décisions de justice, ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire ».

Ainsi, les huissiers de justice ne sont autorisés à diligenter une procédure d’exécution forcée qu’à la condition qu’ils justifient d’un titre exécutoire.

B) Exceptions

L’article 1221 du Code civil assortit le principe de l’exécution forcée en nature de deux exceptions :

  • L’existence d’une impossibilité d’exécution pour le débiteur
  • L’existence d’une disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et l’intérêt du créancier

1. L’impossibilité d’exécution pour le débiteur

L’article 1221 du Code civil pose que, dans l’hypothèse où il est avéré, que l’exécution de l’obligation en cause est impossible, le créancier ne peut en demander l’exécution forcée en nature.

Cette règle n’est pas sans faire écho à l’adage latin nullus tenetur ad impossibile qui signifie « à l’impossible nul n’est tenu ».

Surtout, elle ne fait que consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que l’exécution forcée en nature soit exclue en cas d’impossibilité rencontrée par le débiteur.

Reste que la Cour de cassation a tours eu une approche pour le moins restrictive de cette exception dont le champ d’application était circonscrit à l’impossibilité :

  • Matérielle : arrêt de la fabrication du modèle du véhicule vendu (Cass. com., 5 octobre 1993, n°90-21.146), empiétement, s’il est impossible, de démolir et reconstruire l’immeuble à l’emplacement prévu (Cass. 3e civ., 15 février 1978, n°76-13.532)
  • Juridique : dans un arrêt du 27 novembre 2008, la première chambre civile a, par exemple, jugé que « viole l’article 1142 du code civil la cour d’appel qui ordonne sous astreinte au propriétaire d’un local à usage d’habitation de délivrer ce bien à celui avec qui il avait conclu un contrat de bail, alors qu’elle avait relevé que ce local avait été loué à un tiers » (Cass. 1ère civ., 27 novembre 2008, n°07-11.282)
  • Morale : tel est le cas lorsque l’obligation étant éminemment personnelle, son exécution forcée porterait une atteinte trop forte aux droits et libertés fondamentaux de celui qui y est tenu. À cet égard, dans un célèbre arrêt Whistler du 14 mars 1900, la Cour de cassation, après avoir affirmé que le contrat par lequel un artiste s’était engagé à peindre un portrait était « d’une nature spéciale, en vertu duquel la propriété du tableau n’est définitivement acquise à la partie qui l’a commandé, que lorsque l’artiste a mis ce tableau à sa disposition, et qu’il a été agréé par elle », a approuvé la cour d’appel de n’avoir pas ordonné l’exécution forcée de ce contrat au peintre qui refusait de terminer son tableau, le condamnant uniquement à des dommages-intérêts (Cass. civ., 14 mars 1900)

En l’absence de précision de l’article 1221 du Code civil sur le domaine de l’exception tenant à l’impossibilité pour le débiteur d’exécuter ses obligations, il est fort probable que les solutions adoptées par la jurisprudence rendue sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 soient reconduites.

Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter au Rapport au Président de la République qui précise que « l’exécution forcée en nature ne peut être ordonnée en cas d’impossibilité (matérielle, juridique ou morale, en particulier si elle porte atteinte aux libertés individuelles du débiteur) ».

2. L’existence d’une disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et l’intérêt du créancier

L’impossibilité pour le débiteur d’exécuter la prestation promise n’est pas la seule exception au principe d’exécution forcée en nature.

L’ordonnance du 10 février 2016 a ajouté une nouvelle exception : l’exécution en nature ne peut être poursuivie s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier.

Cette nouvelle exception, selon le Rapport au Président de la République est directement inspirée des projets européens d’harmonisation du droit des contrats.

Au fond, elle vise à éviter certaines décisions jurisprudentielles très contestées : lorsque l’exécution forcée en nature est extrêmement onéreuse pour le débiteur sans que le créancier y ait vraiment intérêt, il apparaît en effet inéquitable et injustifié que celui-ci puisse l’exiger, alors qu’une condamnation à des dommages et intérêts pourrait lui fournir une compensation adéquate pour un prix beaucoup plus réduit.

Tel est le cas, lorsque par exemple, l’acquéreur d’une maison individuelle contraint le constructeur à la démolir pour la reconstruire, considérant que « le niveau de la construction présentait une insuffisance de 0,33 mètre par rapport aux stipulations contractuelles ». Nonobstant le coût des travaux à supporter par le constructeur, la Cour de cassation avait considéré que « la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté peut forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible » (Cass. 3e civ., 11 mai 2005, n° 03-21.136).

La nouvelle exception introduite à l’article 1221 du Code civil a été présentée par le législateur comme une déclinaison de l’abus de droit, formulée de façon plus précise, pour encadrer l’appréciation du juge et offrir une sécurité juridique accrue.

Aussi, commettrait un abus de droit le créancier qui exigerait cette exécution alors que l’intérêt qu’elle lui procurerait serait disproportionné au regard du coût qu’elle représenterait pour le débiteur et que des dommages et intérêts pourraient lui fournir une compensation adéquate à un prix inférieur pour le débiteur.

La Cour de cassation semble avoir elle-même ouvert la voie en censurant un arrêt qui avait ordonné la démolition d’un ouvrage au motif que la cour d’appel n’avait pas recherché si cette démolition « constituait une sanction disproportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectaient » (Cass., 3ème civ., 15 octobre 2015, n° 14-23.612).

En inscrivant cette exception dans la loi, les rédacteurs de l’ordonnance ont entendu mettre fin à ces hésitations de la jurisprudence, tout en limitant au maximum le jeu de cette exception qui constitue une atteinte à la force obligatoire du contrat.

En tout état de cause, pour faire échec à la demande d’exécution forcée en nature du créancier le débiteur devra démontrer qu’il existe une disproportion entre le coût de l’exécution et l’intérêt pour le créancier de la mise en œuvre de cette exécution.

C’est donc à un test de proportionnalité que les juridictions vont devoir se livrer pour apprécier l’application de l’exception au principe de l’exécution forcée en nature dont ne priveront pas d’invoquer les débiteurs en délicatesse avec les stipulations contractuelles.

La rédaction retenue pour l’article 1221 soulève cependant plusieurs interrogations de la part de la doctrine et des praticiens du droit.

L’exigence d’une « disproportion manifeste » entre le coût pour le débiteur et l’intérêt pour le créancier est certes plus précise et moins critiquée que la formule qui avait été retenue initialement dans le projet d’ordonnance, selon laquelle l’exécution en nature devait être écartée si son coût était « manifestement déraisonnable », cette appréciation ne prenant en considération que la situation du débiteur.

Toutefois, loin de priver la Cour de cassation de tout rôle normatif en ce domaine, la réforme soulève de nouvelles questions auxquelles elle devra répondre pour assurer l’unification de l’interprétation du nouveau droit des contrats.

La principale crainte exprimée est celle de voir dans l’article 1221 du Code civil une incitation pour le débiteur à exécuter son obligation de manière imparfaite toutes les fois où le gain attendu de cette inexécution sera supérieur aux dommages et intérêts qu’il pourrait être amené à verser, c’est-à-dire permettre au débiteur de mauvaise foi de profiter de sa « faute lucrative ».

Sans aller jusqu’à évoquer de véritables gains pour le débiteur, n’est-il pas à craindre qu’un constructeur ne pouvant honorer tous les contrats qu’il a en cours choisisse de privilégier l’exécution parfaite de certains contrats au détriment d’autres contrats, n’encourant plus l’exécution forcée en nature, le cas échéant très coûteuse, mais seulement le versement de dommages et intérêts ?

Pour résoudre cette difficulté, et éviter ce genre de calculs du débiteur, il a été précisé dans le texte qu’en cas de disproportion manifeste du coût pour le débiteur au regard de l’intérêt pour le créancier, il ne pourrait être fait échec à la demande d’exécution forcée en nature qu’au bénéfice du débiteur de bonne foi.

La question se pose encore de savoir si l’intérêt pour le créancier doit s’apprécier objectivement ou subjectivement ? Autrement dit, doit-on tenir compte des conséquences matérielles et financières sur la situation du créancier (appréciation subjective) ou doit-on ne se focaliser que sur les conséquences de l’inexécution contractuelle sur l’économie de l’opération (appréciation objective) ?

Dans le même sens, le coût de l’exécution forcée doit-il s’apprécier au regard du prix de la prestation fixée contractuellement ou au regard de la situation financière du débiteur ?

Ce sont là, autant de questions auxquels la jurisprudence devra répondre, faute de précisions apportées par le législateur sur les critères d’application de l’exception ainsi posée.

II) L’exécution forcée en nature qui intéresse l’intervention d’un tiers

L’article 1222 du Code civil prévoit que « après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. »

À l’analyse, cette disposition octroie au créancier une alternative en lui permettant, au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire.

Ce mécanisme, que l’on appelle la faculté de remplacement) n’est pas nouveau, puisqu’il reprend en substance les anciens articles 1143 et 1144 et ne fait, au fond.

L’ordonnance du 10 février 2016 innove néanmoins en abandonnant l’exigence d’obtention d’une autorisation judiciaire pour que puisse être exercée cette faculté, sauf à ce qu’il s’agisse de détruire ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle.

L’article 1222 du Code civil doit ainsi être lu comme posant un principe, lequel principe est assorti d’une exception.

A) Principe : la faculté discrétionnaire de remplacement

Grande nouveauté introduite par la réforme du droit des obligations, l’article 1222 du Code civil facilite la faculté de remplacement par le créancier lui-même, puisqu’il supprime l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation, le contrôle du juge n’intervenant qu’a posteriori en cas de refus du débiteur de payer ou de contestation de celui-ci.

En somme la faculté de remplacement conféré au créancier lui permet de solliciter les services d’un tiers aux fins qu’il exécute lui-même l’obligation de faire ce qui incombait au débiteur défaillant.

L’article 1222 précise que, en pareille circonstance, le créancier peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.

?Domaine

La faculté de remplacement dont est titulaire le créancier peut être exercée pour toutes les obligations de faire, dès lors que le résultat recherché et prévu dans le contrat peut être atteint.

Son domaine naturel d’élection est celui des obligations de fournir un bien mobilier. Ainsi, l’acheteur qui n’a pas été livré de la chose convenue, peut exiger qu’elle lui soit fournie par un tiers en cas de manquement par le vendeur à son obligation de délivrance.

L’exercice de la faculté de remplacement est également admis en matière de contrat d’entreprise.

La jurisprudence admet régulièrement en ce sens que le maître d’ouvrage puisse faire réaliser les travaux convenus par une entreprise autre que celle à qui le marché a initialement été confié.

Il en va de même pour le preneur qui, en cas d’inaction de son bailleur, peut faire solliciter les services d’un tiers pour que soient effectuées les réparations nécessaires à la jouissance paisible de la chose louée.

?Conditions

L’exercice de la faculté de remplacement conférée au créancier est subordonné à la réunion de trois conditions cumulatives :

  • Première condition : la mise en demeure du débiteur
    • La faculté de remplacement ne peut être exercée par le créancier qu’à la condition que le débiteur ait été mis en demeure de s’exécuter.
    • Il convient de le prévenir sur le risque auquel il s’expose en cas d’inaction, soit de devoir supporter le coût de la prestation fournie par un tiers.
    • La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre aux exigences énoncées aux articles 1344 et suivants du Code civil.
  • Deuxième condition : l’observation d’un délai raisonnable
    • La faculté de remplacement dont dispose le créancier ne pourra être envisagée qu’à la condition que ce dernier ait attendu un délai raisonnable entre la date d’échéance de l’obligation et la sollicitation d’un tiers, ne serait-ce que parce qu’il a l’obligation d’adresser, au préalable, une mise en demeure.
    • Aussi, le débiteur doit-il disposer du temps nécessaire pour régulariser sa situation.
    • Reste à déterminer ce que l’on doit entendre par délai raisonnable
    • Sans doute doit-on considérer que le délai raisonnable commence à courir à compter de la mise en demeure du débiteur.
    • Quant au quantum de ce délai, il conviendra de prendre en compte, tout autant les impératifs du créancier, que la situation du débiteur.
  • Troisième condition : le respect d’un coût raisonnable
    • Dernière condition devant être remplie pour que le créancier soit fondé à exercer la faculté de remplacement que lui octroie l’article 1222, le coût de l’intervention du tiers doit être raisonnable
    • L’appréciation du caractère raisonnable de ce coût devra s’apprécier au regard du montant de la prestation stipulée dans le contrat.
    • L’intervention du tiers ne devra pas, en d’autres termes, engendrer des frais disproportionnés eu égard l’obligation à laquelle s’était engagé initialement le débiteur

B) Exception : l’exigence d’une autorisation judiciaire

Dans le cadre de l’exercice de la faculté de remplacement, l’obtention d’une autorisation judiciaire est exigée dans deux cas :

?La destruction de ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle

Si, l’ordonnance du 10 février 2016 a supprimé l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation inexécutée par un tiers, elle maintient, en revanche, la nécessité d’une autorisation pour obtenir la destruction de ce qui a été réalisé en contravention de l’obligation, compte tenu du caractère irrémédiable d’une telle destruction afin d’éviter les abus de la part du créancier.

Reprenant les termes de l’ancien article 1444 du Code civil, le second alinéa de l’article 1222 oblige ainsi le créancier à saisir le juge, lorsqu’il s’agit de faire détruire ce qui a été fait en violation d’une disposition contractuelle.

Le texte ajoute que le créancier peut « demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin »

Reste que c’est au juge, dans cette hypothèse, qu’il reviendra de trancher, soit d’autoriser ou de refuser l’intervention d’un tiers.

?Le versement d’une avance sur frais exposés

Le second alinéa de l’article 1222 du Code civil complète le dispositif encadrant la faculté de remplacement conférée au créancier en lui permettant de solliciter la condamnation du débiteur à faire l’avance des sommes nécessaires à l’exécution ou la destruction en cause.

Ainsi, lorsque le créancier ne souhaite pas supporter temporairement le coût de l’intervention du tiers dans l’attente d’être remboursé par le débiteur, il n’aura d’autre choix que de saisir le juge.

Cette obligation de saisir le juge vaut, tant lorsqu’il s’agit pour le créancier d’exercer sa faculté de remplacement, que lorsqu’il s’agit de faire détruire ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle.

L’exception d’inexécution: domaine, conditions, effets

L’exception d’inexécution

L’article 1217, al. 1er du Code civil dispose que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

  • Soit refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
  • Soit poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
  • Soit obtenir une réduction du prix ;
  • Soit provoquer la résolution du contrat ;
  • Soit demander réparation des conséquences de l’inexécution.

Au nombre des sanctions de l’inexécution d’une obligation figure ainsi ce que l’on appelle l’exception d’inexécution.

?Définition

L’exception d’inexécution, ou « exceptio non adimpleti contractus », est définie classiquement comme le droit, pour une partie, de suspendre l’exécution de ses obligations tant que son cocontractant n’a pas exécuté les siennes.

Il s’agit, en quelque sorte, d’un droit de légitime défense contractuelle susceptible d’être exercé, tant par le créancier, que par le débiteur :

  • Lorsque l’exception d’inexécution est exercée par le créancier elle s’apparente à un moyen de pression, en ce sens qu’elle lui permet, en refusant de fournir sa prestation, de contraindre le débiteur à exécuter ses propres obligations
  • Lorsque l’exception d’inexécution est exercée par le débiteur, elle remplit plutôt la fonction de garantie, en ce sens qu’elle lui permet de neutraliser l’action de son créancier tant que la prestation promise n’a pas été fournie

?Origines

Jusqu’à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil ne reconnaissait aucune portée générale à l’exception d’inexécution qui n’était envisagée que par certaines dispositions traitant de contrats spéciaux :

  • En matière de contrat de vente
    • L’article 1612 du Code civil dispose que « le vendeur n’est pas tenu de délivrer la chose, si l’acheteur n’en paye pas le prix, et que le vendeur ne lui ait pas accordé un délai pour le paiement. »
    • L’article 1612 énonce encore que « il ne sera pas non plus obligé à la délivrance, quand même il aurait accordé un délai pour le paiement, si, depuis la vente, l’acheteur est tombé en faillite ou en état de déconfiture, en sorte que le vendeur se trouve en danger imminent de perdre le prix ; à moins que l’acheteur ne lui donne caution de payer au terme. »
    • L’article 1653 prévoit que « si l’acheteur est troublé ou a juste sujet de craindre d’être troublé par une action, soit hypothécaire, soit en revendication, il peut suspendre le paiement du prix jusqu’à ce que le vendeur ait fait cesser le trouble, si mieux n’aime celui-ci donner caution, ou à moins qu’il n’ait été stipulé que, nonobstant le trouble, l’acheteur paiera. »
  • En matière de contrat d’échange, l’article 1704 dispose que « si l’un des copermutants a déjà reçu la chose à lui donner en échange, et qu’il prouve ensuite que l’autre contractant n’est pas propriétaire de cette chose, il ne peut pas être forcé à livrer celle qu’il a promise en contre-échange, mais seulement à rendre celle qu’il a reçue. »
  • En matière de contrat d’entreprise, l’article 1799-1 prévoit que « tant qu’aucune garantie n’a été fournie et que l’entrepreneur demeure impayé des travaux exécutés, celui-ci peut surseoir à l’exécution du contrat après mise en demeure restée sans effet à l’issue d’un délai de quinze jours »
  • En matière de contrat de dépôt, l’article 1948 prévoit que « le dépositaire peut retenir le dépôt jusqu’à l’entier paiement de ce qui lui est dû à raison du dépôt ».

?Généralisation jurisprudentielle

Bien que réservée, sinon contre (Cass. req., 1er déc. 1897), l’extension du champ d’application de l’exception d’inexécution en dehors des textes où elle était envisagée, la jurisprudence, sous l’impulsion des travaux de grande qualité de René Cassin, a finalement admis qu’elle puisse être généralisée à l’ensemble des contrats synallagmatiques.

Dans un arrêt du 5 mars 1974, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « le contractant poursuivi en exécution de ses obligations, et qui estime que l’autre partie n’a pas exécuté les siennes, a toujours le choix entre la contestation judiciaire et l’exercice à ses risques et périls de l’exception d’inexécution » (Cass. civ. 1re, 5 mars 1974)

La généralisation, par la jurisprudence, de l’exception d’inexécution reposait sur deux principaux arguments qui consistaient à dire que :

  • D’une part, en autorisant la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté à forcer l’autre à l’exécution de la convention, l’ancien article 1184, al. 2 du Code civil n’interdisait nullement le recours à l’exception d’inexécution dans la mesure où elle consiste précisément en un moyen indirect de provoquer l’exécution du contrat
  • D’autre part, on ne saurait voir dans les textes qui envisagent l’exception d’inexécution une portée restrictive, mais une application d’un principe général

?Consécration légale

Si la réforme des sûretés avait amorcé la généralisation de l’exception d’inexécution en introduisant un article 2286 qui confère un droit de rétention sur la chose à « celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l’oblige à la livrer », c’est l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations qui l’érige en principe général.

Désormais, l’exception d’inexécution est présentée, à l’article 1217 du Code civil, comme la première des sanctions dont dispose le créancier d’une obligation en souffrance. Les articles 1219 et 1220 en définissent quant à eux le régime.

Tandis que le premier de ces articles pose les conditions d’exercice de l’exception d’inexécution, le second autorise, et c’est là une nouveauté, le créancier à mettre en œuvre cette sanction de façon anticipée.

I) Le domaine de l’exception d’inexécution

?Droit antérieur

Classiquement, la sanction que constitue l’exception d’inexécution est associée aux contrats synallagmatiques.

Pour mémoire, un contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement l’un envers l’autre.

En d’autres termes, le contrat synallagmatique crée des obligations réciproques et interdépendantes à la charge des deux parties. Chaque partie est donc tout à la fois créancier et débiteur. L’interdépendance et la réciprocité des obligations sont ce qui caractérise les contrats synallagmatiques.

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, si l’exception d’inexécution n’était envisagée par le Code civil que pour des contrats synallagmatiques, tels que la vente, l’échange ou encore le dépôt, à l’examen son domaine ne se limitait pas à cette typologie de contrats.

En effet, l’exception d’inexécution a été envisagée, tantôt par la jurisprudence, tantôt par la doctrine, dans d’autres cas :

  • Dans les contrats synallagmatiques imparfaits
    • Il s’agit de contrats qui sont unilatéraux au moment de la formation de l’acte, car ne créant d’obligations qu’à la charge d’une seule partie, et qui au cours de son exécution donne naissance à des obligations réciproques de sorte que le créancier devient également débiteur.
      • Exemple : dans le cadre de l’exécution d’un contrat de dépôt, le dépositaire sur lequel ne pèse aucune obligation particulière lors de la formation du contrat, peut se voir mettre à charge une obligation si, en cours d’exécution de la convention, le dépositaire expose des frais de conservation
    • Très tôt, la jurisprudence a admis que les contrats synallagmatiques imparfaits puissent donner lieu à l’exercice de l’exception d’inexécution par une partie.
    • Cette jurisprudence repose sur l’idée que l’obligation qui naît au cours de l’exécution du contrat existait, en réalité, au moment de la formation de l’acte, à tout le moins les parties ne pouvaient pas ignorer qu’elle puisse naître, de sorte que l’obligation originaire et l’obligation éventuelle se servent mutuellement de cause.
  • Dans les rapports d’obligations qui résultent de quasi-contrat
    • La jurisprudence considère que dès lors qu’un quasi-contrat est susceptible de créer des obligations réciproques entre les parties, l’exception d’inexécution peut être invoquée.
    • Il en va ainsi, notamment, en matière de gestion d’affaires qui oblige le gérant d’affaires à continuer la gestion engagée en contrepartie de quoi il échoit au maître de l’affaire de l’indemniser de tous les frais exposés.
    • À cet égard, dans un arrêt du 15 janvier 1904, la Cour de cassation a jugé que « le mandataire auquel il doit être assimilé quand, comme dans l’espèce, l’utilité de sa gestion est reconnue, le gérant d’affaires a, par application de la règle inscrite dans l’article 1948 en faveur du dépositaire, le droit de retenir la chose qu’il a gérée jusqu’au payement de tout ce qui lui est dû à raison de sa gestion » (Cass. civ. 15 janv. 1904).
  • Dans les rapports d’obligations qui résultent de la loi
    • En doctrine, la question s’est rapidement posée de savoir si l’exception d’inexécution ne pouvait pas également être admise dans les rapports d’obligations qui résultent de la loi.
    • En effet, le contrat n’ayant pas le monopole de la création des obligations connexes et réciproques, certains auteurs en ont déduit que rien n’interdirait que l’exception d’inexécution puisse être invoquée dans le cadre de rapports d’obligations créés par la loi, tels que le lien matrimonial qui existe entre les époux ou encore le lien de filiation qui existe entre l’adoptant et l’adopté.
    • Cette thèse pourrait donc conduire à admettre que l’un des membres du couple suspende l’exécution de l’une de ses obligations (devoir de cohabitation par exemple) à l’exécution par son conjoint de ses propres obligations.
    • Aussi, une partie de la doctrine milite pour que le domaine de l’exception d’inexécution ne se limite pas au domaine contractuel et soit étendu à l’ensemble des rapports synallagmatiques.
    • Reste que pour que l’exception d’inexécution puisse être invoquée, il ne suffit pas que les obligations créées entre les parties soient réciproques, il faut encore qu’elles soient interdépendantes, soit qu’elles se servent mutuellement de cause.
    • Or dans le cadre du rapport juridique créé par la loi dans le cadre du mariage par exemple, il n’existe aucune interdépendance entre les obligations des époux.
    • L’exception d’inexécution pourrait, dans ces conditions, difficilement justifier la suspension du devoir conjugal dans l’attente de l’exécution de l’obligation de contribution aux charges du mariage.

?L’ordonnance du 10 février 2016

Les projets Catala et Terré avaient expressément circonscrit la mise en œuvre de l’exception d’inexécution au domaine des contrats synallagmatique.

Le projet Terré prévoyait en ce sens que « si, dans un contrat synallagmatique, une partie n’exécute pas son obligation, l’autre peut refuser, totalement ou partiellement, d’exécuter la sienne, à condition que ce refus ne soit pas disproportionné au regard du manquement ».

Ce cantonnement de l’exception d’inexécution au domaine des contrats synallagmatiques n’a manifestement pas été repris par l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations.

Le silence de l’article 1219 du Code civil sur le domaine de l’exception d’inexécution suggère, en effet, que cette sanction peut faire l’objet d’une application en dehors du cadre contractuelle, conformément à la jurisprudence antérieure.

Aussi, il est fort probable que l’exception d’inexécution puisse jouer toutes les fois qu’il sera démontré l’existence d’un rapport juridique qui met aux prises des obligations réciproques et interdépendantes.

II) Les conditions de l’exception d’inexécution

Nouveauté de la réforme des obligations, l’article 1220 du Code civil prévoit la possibilité pour le créancier d’exercer l’exception d’inexécution par anticipation, soit avant que la défaillance du débiteur ne survienne.

Aussi, les conditions de l’exception d’inexécution diffèrent, selon que la défaillance du débiteur est avérée ou selon qu’elle est à venir.

A) L’exercice de l’exception d’inexécution consécutivement à une inexécution avérée

La mise en œuvre de l’exception d’inexécution est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives qui tiennent :

  • Aux obligations des parties
  • À l’inexécution d’une obligation
  • À l‘exercice de la sanction

1. Les conditions tenant aux obligations des parties

?Exigence de réciprocité des obligations

L’exception d’inexécution ne se conçoit qu’en présence d’obligations réciproques, ce qui implique que les parties endossent l’une envers l’autre tout à la fois la qualité de créancier et de débiteur.

L’exception d’inexécution ne présente, en effet, d’intérêt que si le créancier peut exercer un moyen de pression sur son débiteur. Or ce moyen de pression consiste en la suspension de ses propres obligations. En l’absence de réciprocité, cette suspension s’avérera impossible dans la mesure où le créancier n’est débiteur d’aucune obligation envers son cocontractant.

À cet égard, comment le bénéficiaire d’un don pourrait-il exercer l’exception d’inexécution alors qu’il n’est débiteur d’aucune obligation envers le donateur ? De toute évidence, le donataire sera bien en peine de suspendre l’exécution d’obligations qui ne lui incombent pas.

C’est la raison pour laquelle, l’existence d’une réciprocité des obligations est primordiale. L’exception d’inexécution puise sa raison d’être dans cette réciprocité.

?Exigence d’interdépendance des obligations

Bien que l’article 1219 du Code civil n’exige pas expressément que les obligations des parties soient interdépendantes pour que l’exception d’inexécution puisse jouer, il définit néanmoins cette sanction comme « la possibilité offerte à une partie de ne pas exécuter son obligation si l’autre n’exécute pas la sienne ».

L’exigence d’interdépendance est ici sous-jacente : l’exception d’inexécution est subordonnée à la démonstration par le créancier que la créance inexécutée dont il se prévaut est issue d’un rapport juridique ayant donné naissance à l’obligation qui lui échoit envers son débiteur.

Un lien d’interdépendance (de connexité) doit donc exister entre les deux obligations réciproques. Pour être interdépendances, ces obligations doivent se servir mutuellement de cause, soit avoir été envisagées par les parties comme la contrepartie de l’une à l’autre.

Ainsi, dans le contrat de vente, le prix est stipulé en contrepartie d’une chose, raison pour laquelle on dit que les obligations de délivrance de la chose et de paiement du prix sont interdépendantes.

?Exigence du caractère certain, liquide et exigible de la créance du créancier

Pour que le créancier soit fondé à se prévaloir de l’exception d’inexécution il doit justifier d’une créance au moins certaine et exigible. Quant à l’exigence de liquidité de la créance, la jurisprudence est partagée.

  • Sur le caractère certain de la créance
    • Une créance présente un caractère certain lorsqu’elle est fondée dans son principe.
    • L’existence de la créance doit, autrement dit, être incontestable.
    • Pour que l’exception d’inexécution puisse jouer, la créance du créancier doit être certaine, à défaut de quoi il y aurait là quelque chose d’injuste à suspendre l’exécution d’une obligation dont l’existence est contestable.
    • Aussi, cela explique-t-il pourquoi en matière de bail la Cour de cassation dénie au locataire le droit d’exercer l’exception d’inexécution en réaction au refus du bailleur d’effectuer des travaux (Cass. com., 30 mai 2007, n° 06-19.068)
    • Tant que la question de savoir si la demande de réalisation de travaux n’est pas tranchée par un juge, la créance dont se prévaut le locataire n’est pas fondée dans son principe ; elle demeure hypothétique.
    • Dans un arrêt du 7 juillet 1955, la Cour de cassation a considéré en ce sens que « les preneurs ne peuvent pour refuser le paiement des fermages échus, qui constituent une créance certaine, liquide et exigible, opposer au bailleur l’inexécution par lui de travaux qui représentent une créance incertaine » (Cass. soc., 7 juill. 1955).
  • Sur le caractère exigible de la créance
    • Une créance présente un caractère exigible lorsque le terme de l’obligation est arrivé à l’échéance.
    • Pour que l’exception d’inexécution puisse être invoquée, encore faut-il que la créance dont se prévaut l’accipiens soit exigible
    • À défaut, il n’est pas fondé à en réclamer l’exécution et, par voie de conséquence, à suspendre l’exécution de ses propres obligations
    • Pour déterminer si une obligation est exigible, il convient de se reporter au terme stipulé dans le contrat.
    • À défaut de stipulation d’un terme, l’article 1305-3 du Code civil dispose que « le terme profite au débiteur, s’il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu’il a été établi en faveur du créancier ou des deux parties ».
    • Ainsi, le terme est-il toujours présumé être stipulé à la faveur du seul débiteur.
    • L’instauration de cette présomption se justifie par les effets du terme.
    • La stipulation d’un terme constitue effectivement un avantage consenti au débiteur, en ce qu’il suspend l’exigibilité de la dette.
    • Le terme autorise donc le débiteur à ne pas exécuter la prestation prévue au contrat.
    • Il s’agit là d’une présomption simple, de sorte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Les parties ou la loi peuvent encore prévoir que le terme est stipulé, soit à la faveur du seul créancier, soit à la faveur des deux parties au contrat.
  • Sur le caractère liquide de la créance
    • Une créance présente un caractère liquide lorsqu’elle est susceptible d’être évaluable en argent ou déterminée
    • Tout autant que l’absence de caractère certain de la créance interdit l’exercice de l’exception d’inexécution, il a été admis dans certaines décisions que l’absence de liquidité puisse également y faire obstacle.
    • La Cour de cassation a par exemple statué en ce sens dans un arrêt du 6 juillet 1982, toujours, en matière de contrat de bail, considérant que les travaux réclamés par un locataire à son bailleur « représentent une créance indéterminée » (Cass. 3e civ., 6 juill. 1982, n°81-11.711).
    • Cette jurisprudence est toutefois contestée par une partie de la doctrine qui soutient que la liquidité de la créance indifférente, s’agissant de l’exercice de l’exception d’inexécution.
    • Dans un arrêt du 20 février 1991, la Cour de cassation a d’ailleurs adopté la solution contraire (Cass. 3e civ. 20 févr. 1991, n° 89-18.372).

2. Les conditions tenant à l’inexécution

L’article 1219 du Code civil prévoit que l’exception d’inexécution ne peut être soulevée par le créancier qu’à la condition qu’il justifie « d’une inexécution suffisamment grave ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « inexécution suffisamment grave ».

Pour le déterminer, il convient de se reporter à la jurisprudence antérieure dont on peut tirer plusieurs enseignements :

  • Premier enseignement : l’indifférence de la cause de l’inexécution
    • Principe
      • Peu importe la cause de l’inexécution imputable au débiteur, dès lors que cette inexécution est établie, le créancier est fondé à se prévaloir de l’exception d’inexécution.
      • L’inexécution du contrat postule la faute du débiteur à qui il appartient de démontrer qu’il rentre dans l’un des cas qui neutralisent l’exception d’inexécution
    • Exceptions
      • Par exception, l’exception d’inexécution ne pourra pas jouer dans les cas suivants
        • Lorsque la créance du débiteur est éteinte
        • Lorsque le débiteur justifie d’un cas de force majeure
        • Lorsque l’inexécution procède d’une faute de l’excipiens
  • Deuxième enseignement : indifférence du caractère partielle ou totale de l’inexécution
    • L’article 1219 du Code civil n’exige pas que l’inexécution de l’obligation dont se prévaut le créancier soit totale
    • Il est donc indifférent que cette inexécution soit partielle : l’exception d’inexécution peut jouer malgré tout (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 18 juill. 1995, n° 93-16.338).
  • Troisième enseignement : indifférence du caractère essentiel ou accessoire de l’obligation objet de l’inexécution
    • La jurisprudence a toujours considéré qu’il était indifférent que l’inexécution porte sur une obligation essentielle ou accessoire.
    • Ce qui importe c’est que l’inexécution soit suffisamment grave pour justifier l’inexécution, et plus précisément, s’agissant de l’inexécution d’une obligation accessoire, que la riposte soit proportionnée, ce qui implique que le créancier ne suspende pas une obligation essentielle (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 25 nov. 1980, n°79-14.791).
  • Quatrième enseignement : exigence de gravité de l’inexécution
    • Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, la jurisprudence rappelait régulièrement que, au fond, il est indifférent que l’inexécution de l’obligation soit partielle ou que cette inexécution porte sur une obligation accessoire.
    • Pour la Cour de cassation, ce qui importe, c’est que l’inexécution soit suffisamment grave pour justifier l’exercice de l’exception d’inexécution (V. en ce sens Cass. 3e civ. 26 nov. 2015, n°14-24.210).
    • À l’examen, ce critère a été repris par le législateur lors de la réforme du droit des obligations.
    • L’article 1219 du Code civil pose, en effet, que l’exception d’inexécution ne peut être soulevée par le créancier que si l’inexécution présente un caractère suffisamment grave.
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir comment apprécier cette gravité ?
    • L’examen de la jurisprudence antérieure révèle que, pour apprécier le bien-fondé de l’exercice de l’exception d’inexécution les juridictions cherchaient moins à évaluer la gravité du manquement contractuel en tant que tel qu’à regarder si la riposte du créancier était proportionnelle à l’importance de l’inexécution invoquée.
    • Dès lors que cette riposte était proportionnelle à la gravité du manquement, alors les juridictions avaient tendance à considérer que l’exception d’inexécution était justifiée. Dans le cas contraire, le créancier engageait sa responsabilité.
    • Si la formulation de l’article 1219 du Code civil est silencieuse sur l’exigence de proportion de la riposte au regard de l’inexécution contractuelle, le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise quant à lui que l’exception d’inexécution « ne peut être opposée comme moyen de pression sur le débiteur que de façon proportionnée ».
    • Ce rapport indique, en outre, que « l’usage de mauvaise foi de l’exception d’inexécution par un créancier face une inexécution insignifiante constituera dès lors un abus ou à tout le moins une faute susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle. »
    • Ainsi, selon le législateur, la gravité du manquement contractuelle ne doit pas être appréciée abstraitement : elle doit, tout au contraire, être confrontée à la riposte du créancier.
    • Ce n’est qu’au regard de cette confrontation que le juge pourra déterminer si le manquement contractuel dont se prévaut le créancier était suffisamment grave pour justifier l’exercice de l’exception d’inexécution.
    • Reste à savoir si la Cour de cassation statuera dans le sens indiqué par le législateur, sens qui, finalement, n’est pas si éloigné de la position prise par la jurisprudence antérieure (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 12 mai 2016, n° 15-20.834)

3. Les conditions tenant à l’exercice de l’exception d’inexécution

L’article 1219 du Code civil ne prévoit aucune condition d’exercice de l’exception d’inexécution.

D’une part, cette disposition n’exige pas que le créancier, pour exercer l’exception d’inexécution, saisisse le juge aux fins qu’il constate l’inexécution du contrat.

L’appréciation du caractère suffisamment grave de l’inexécution qui fonde l’exception d’inexécution est à la main du seul créancier qui donc l’exercera à ses risques et périls

Dans l’hypothèse où la suspension de ses propres obligations ne serait pas justifiée, il s’expose à devoir indemniser le débiteur.

D’autre part, le créancier n’a nullement l’obligation de mettre en demeure son débiteur de s’exécuter.

L’exception d’inexécution peut être exercée en l’absence de l’accomplissement de cette formalité préalable qui, pourtant, est exigée pour la mise en œuvre des autres sanctions attachées à l’inexécution contractuelle, que sont :

  • L’exécution forcée en nature (art. 1221 et 1222 C. civ.)
  • La réduction du prix (art. 1223 C. civ.)
  • L’activation de la clause résolutoire (art. 1225, al.2 C. civ.)
  • La résolution par notification (art. 1226, al. 1er C. civ.)
  • L’action en responsabilité contractuelle (art. 1231 C. civ.)

Bien que l’article 1219 du Code civil ne subordonne pas l’exercice de l’exception d’inexécution à la mise en demeure du débiteur, elle peut s’avérer utile, d’une part, pour faciliter la preuve de l’inexécution qui, au surplus, peut être constatée par acte d’huissier, d’autre part pour établir la bonne foi du créancier dont la riposte a été exercée avec discernement puisque, offrant la possibilité au débiteur de régulariser sa situation.

B) L’exercice de l’exception d’inexécution par anticipation d’une inexécution à venir

1. Consécration légale

L’article 1220 du Code civil prévoit que « une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »

Ainsi, cette disposition autorise-t-elle le créancier à exercer l’exception d’inexécution par anticipation, soit lorsqu’il craint que son débiteur ne s’exécute pas à l’échéance.

C’est là une nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016, la jurisprudence antérieure étant quelque peu hésitante quant à la reconnaissance de l’exercice de cette faculté au créancier en l’absence de texte.

La chambre commerciale avait néanmoins amorcé cette reconnaissance dans un arrêt du 11 février 2003 en jugeant que « l’exception d’inexécution a pour objet de contraindre l’un des cocontractants à exécuter ses propres obligations ou de prévenir un dommage imminent, tel qu’un risque caractérisé d’inexécution » (Cass. com. 11 févr. 2003, n°00-11.085).

Quoi qu’il en soit, l’article 1220 issue de l’ordonnance du 10 février 2016 va plus loin que la jurisprudence antérieure, puisqu’il introduit la possibilité pour le créancier d’une obligation, avant tout commencement d’exécution du contrat, de suspendre l’exécution de sa prestation s’il est d’ores et déjà manifeste que le débiteur ne s’exécutera pas.

Il s’agit d’une faculté de suspension par anticipation de sa prestation par le créancier avant toute inexécution, qui permet de limiter le préjudice résultant d’une inexécution contractuelle, et qui constitue un moyen de pression efficace pour inciter le débiteur à s’exécuter.

Ce mécanisme est toutefois plus encadré que l’exception d’inexécution, puisqu’outre l’exigence de gravité suffisante de l’inexécution, la décision de suspension de la prestation doit être notifiée dans les meilleurs délais à l’autre partie.

2. Conditions

Outre les conditions propres à l’exception d’inexécution ordinaire que sont les exigences de réciprocité et d’interdépendance des obligations, l’article 1220 pose trois autres conditions que sont :

  • Le caractère manifeste de l’inexécution à venir
  • La gravité des conséquences attachées à l’inexécution à venir
  • La notification de l’exercice de l’exception d’inexécution

?Sur le caractère manifeste de l’inexécution à venir

Pour que le créancier soit fondé à exercer l’exception d’inexécution par anticipation, il doit être en mesure de prouver que le risque de défaillance du débiteur à l’échéance est manifeste.

Autrement dit, la réalisation de ce risque doit être prévisible, sinon hautement probable. Afin d’apprécier le caractère manifeste du risque d’inexécution, il convient de se reporter à la méthode d’appréciation du dommage imminent adopté par le juge des référés lorsqu’il est saisi d’une demande d’adoption d’une mesure conservatoire.

En effet, pour solliciter la prescription d’une mesure conservatoire, il convient de justifier l’existence d’un dommage imminent, ce qui, finalement, n’est pas très éloigné de la notion de « risque manifeste d’inexécution ».

Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.

Ainsi, appartient-il au demandeur de démontrer que, sans l’intervention du Juge, il est un risque dont la probabilité est certaine qu’un dommage irréversible se produise.

En matière d’exception d’inexécution par anticipation il est possible de raisonner sensiblement de la même manière : si le créancier ne réagit pas, par anticipation, en suspendant l’exécution de ses obligations, il est un risque de défaillance de son débiteur et que, par voie de conséquence, cette défaillance lui cause préjudice.

La probabilité de cette défaillance doit être suffisamment forte pour justifier l’exercice de l’exception d’inexécution.

?Sur la gravité des conséquences attachées à l’exécution à venir

L’exercice de l’exception d’inexécution par anticipation est subordonné à l’établissement de la gravité des conséquences susceptibles de résulter de l’inexécution.

La formulation de l’article 1220 est différente de celle utilisée par l’article 1219 qui vise, non pas la gravité des conséquences du manquement, mais la gravité – intrinsèque – du manquement.

L’article 1220 invite, en d’autres termes, le juge à apprécier les conséquences de l’inexécution plutôt que ses causes.

Par gravité des conséquences du manquement, il convient d’envisager le préjudice susceptible d’être causé au créancier du fait de l’inexécution. Ce préjudice peut consister soit en une perte, soit en un gain manqué.

Ce qui donc peut justifier l’exercice de l’exception d’inexécution ce n’est donc pas le risque de non-paiement du prix de la prestation par le débiteur, mais les répercussions que ce défaut de paiement est susceptible d’avoir sur le créancier.

?Sur la notification de l’exercice de l’exception d’inexécution

À la différence de l’article 1219 qui, pour l’exercice de l’exception d’inexécution ordinaire, n’exige pas que le créancier adresse, au préalable, une mise en demeure au débiteur, l’article 1220 impose l’accomplissement de cette formalité, lorsque l’exception d’inexécution est exercée par anticipation.

Plus précisément, cette disposition prévoit que la suspension de l’exécution des obligations du créancier « doit être notifiée dans les meilleurs délais » au débiteur.

Quid du contenu du courrier de mise en demeure ? Le texte ne le dit pas. On peut en déduire, que le créancier n’a pas l’obligation de motiver sa décision, ni d’informer le débiteur sur les conséquences de sa défaillance. Il n’est pas non plus tenu d’observer des formes particulières quant aux modalités de notification.

Il est toutefois conseillé, a minima, d’adresser la mise en demeure au créancier par voie de lettre recommandé avec accusé de réception.

Quant à la sanction de l’absence de mise en demeure du débiteur préalablement à l’exercice de l’exception d’inexécution, l’article 1220 du Code civil est également silencieux sur ce point.

Le plus probable est que cette irrégularité soit considérée comme entachant l’exercice par anticipation de l’exception d’inexécution d’une faute et que, par voie de conséquence, cela expose le créancier à une condamnation au paiement de dommages et intérêts.

III) Les effets de l’exception d’inexécution

L’exercice de l’exception d’inexécution a pour effet de suspendre l’exécution des obligations du créancier, tant que le débiteur n’a pas fourni la prestation à laquelle il s’est engagé.

Aussi, le contrat n’est nullement anéanti : l’exigibilité des obligations de l’excipiens est seulement suspendue temporairement, étant précisé que cette suspension est unilatérale.

Dès lors que le débiteur aura régularisé sa situation, il incombera au créancier de lever la suspension exercée et d’exécuter ses obligations.

En tout état de cause, l’exercice de l’exception d’inexécution n’autorise pas le créancier à rompre le contrat (V. en ce sens Cass. com. 1er déc. 1992, n° 91-10.930).

Pour sortir de la relation contractuelle, il n’aura d’autre choix que de solliciter la résolution du contrat, selon l’une des modalités énoncées à l’article 1224 du Code civil.

En l’absence de réaction du débiteur, le créancier peut également saisir le juge aux fins de solliciter l’exécution forcée du contrat.

À l’inverse, dès lors que l’exercice de l’exception d’inexécution est justifié, le débiteur est irrecevable à solliciter l’exécution forcée du contrat ou sa résolution. Le créancier est par ailleurs à l’abri d’une condamnation au paiement de dommages et intérêts.

Les sanctions de l’inexécution du contrat: vue générale (refonte du régime et énumération des sanctions)

?La refonte des sanctions attachées à l’inexécution du contrat

Parce que le contrat est pourvu de la force obligatoire qui, en application de l’article 1103 du Code civil, lui est conférée par la loi, il a vocation à être exécuté.

Reste que cette exécution ne saurait dépendre de la seule volonté des parties, ne serait-ce que parce que, de bonne foi ou de mauvaise foi, ces dernières sont susceptibles d’être défaillantes.

Aussi, afin de contraindre les parties à satisfaire à leurs obligations le législateur, secondé par la jurisprudence, a-t-il prévu un certain nombre de sanctions, lesquelles sanctions vont de l’exécution forcée en nature à la résolution du contrat, en passant par l’octroi de dommages et intérêts.

Au fond, ces sanctions visent à assurer l’efficacité des conventions et à en garantir la bonne exécution.

L’une des principales innovations de la réforme du droit des obligations engagée par l’ordonnance du 10 février 2016 réside précisément dans la refonte des sanctions attachées à l’inexécution du contrat.

Le régime de l’inexécution contractuelle constituait, en effet, l’une des carences du code civil, dont les règles, en la matière, étaient, jusqu’alors, éparses et incomplètes :

  • D’une part, l’exécution en nature était traitée avec les obligations de faire et de ne pas faire, et les obligations de donner
  • D’autre part, les textes étaient muets sur l’exception d’inexécution
  • Enfin, la résolution était évoquée à l’occasion des obligations conditionnelles.

Afin de remédier à cette dispersion des sanctions qui rendait leur articulation et leur lisibilité difficile, l’ordonnance du 10 février 2016 a procédé à un regroupement de l’ensemble des règles relatives à l’inexécution contractuelle en une seule section

Cette section, qui relève d’un chapitre IV consacré aux effets du contrat, est divisée en cinq sous-sections présentées à titre liminaire à l’article 1217 du Code civil.

?L’énumération des sanctions attachées à l’inexécution du contrat

L’article 1217, al. 1er du Code civil dispose que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

  • Soit refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
  • Soit poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
  • Soit obtenir une réduction du prix ;
  • Soit provoquer la résolution du contrat ;
  • Soit demander réparation des conséquences de l’inexécution.

L’alinéa 2 du texte précise que « les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter »

Deux principaux enseignements peuvent être retirés des règles énoncées à l’article 1217 du Code civil :

  • Premier enseignement : sur le choix des sanctions
    • L’article 1217 du Code civil énumère en son premier alinéa l’ensemble des sanctions à la disposition du créancier d’une obligation non exécutée, soit d’une obligation dont l’exécution n’est pas conforme aux stipulations contractuelles.
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir s’il faut voir dans la liste des sanctions énumérées un ordre hiérarchique qui s’imposerait au créancier ?
    • Dans le silence du texte, il y a lieu de considérer que le principe posé est le libre choix de la sanction dont se prévaut le créancier, à la condition que les conditions d’application de ladite sanction soient réunies.
    • Aussi, le créancier est-il libre de solliciter une réduction du prix plutôt que la résolution du contrat. Il peut encore préférer une exécution forcée en nature assortie de dommages et intérêts.
    • À cet égard le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise que l’ordre de l’énumération des sanctions énumérées à l’article 1217 du Code civil n’a aucune valeur hiérarchique, le créancier victime de l’inexécution étant libre de choisir la sanction la plus adaptée à la situation.
    • D’ailleurs, le dernier alinéa règle l’articulation entre ces différents remèdes qui peuvent se cumuler s’ils ne sont pas incompatibles et rappelle que les dommages et intérêts sont toujours compatibles avec les autres sanctions si les conditions de la responsabilité civile sont réunies.
  • Second enseignement : sur l’articulation des sanctions
    • L’article 1217 pris en son alinéa 2 prévoit que « les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter »
    • Il ressort de cette disposition qu’un cumul des sanctions énoncées par l’alinéa 1er est permis, à la condition, précise le texte, qu’elles ne soient pas incompatibles.
    • Que doit-on entendre par « sanctions incompatibles » ? L’article 1217 du Code civil ne le dit pas.
    • Reste que l’incompatibilité de sanctions se déduit des effets attachés à chacune d’elles.
    • Ainsi, la résolution du contrat est incompatible avec une demande d’exécution forcée en nature ou une réduction du prix
    • Le créancier pourra néanmoins cumuler la sanction de l’exception d’inexécution avec l’exécution forcée en nature.
    • En tout état de cause, l’article 1217 du Code civil dispose que des dommages et intérêts peuvent toujours être sollicités quelle que soit la sanction choisie par le créancier.
    • Bien que les dommages et intérêt fassent l’objet d’un traitement spécifique par le texte, ils ne pourront être sollicités par le créancier qu’à la condition qu’il justifie d’un préjudice.
    • À cet égard, dans l’hypothèse où il aurait obtenu une réduction du prix de la prestation, les dommages et intérêts qui susceptibles de lui être alloués ne pourront couvrir que le préjudice subsistant.

Au bilan, la présentation qui est faite des sanctions de l’inexécution contractuelle clarifie les règles applicables et en permet une appréhension globale, jusqu’alors complexe.

Les dispositions qui suivent l’article 1217 du Code civil viennent, quant à elles, poser les conditions d’applications de chacune des sanctions prises individuellement, étant précisé qu’il y a lieu de distinguer les conditions communes à toutes les sanctions, de celles spécifiques à chacune d’elles.

De l’irrecevabilité de la tierce opposition formée par le Commissaire à l’exécution du plan à l’encontre du jugement statuant sur la résolution du plan (Cass. Com. 29 nov. 2017)

Par un arrêt du 29 novembre 2017, la Cour de cassation précise le régime juridique des voies de recours ouvertes à l’encontre du jugement statuant sur la résolution du plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

==> Faits

Une société est placée en redressement judiciaire par jugement du 18 novembre 2002.

Alors que le 6 septembre 2004 elle avait bénéficié de l’arrêt d’un plan, elle est assignée en redressement judiciaire par l’URSSAF

==> Demande

Le commissaire à l’exécution du plan forme une tierce opposition au jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire.

==> Procédure

Par un arrêt du 31 mars 2016, la Cour d’appel de Pau déclare la tierce opposition formée par le commissaire à l’exécution du plan.

Les juges du fond constatent que le redressement judiciaire a été ouvert sur assignation de l’URSSAF, pour défaut de paiement de créances nées postérieurement à l’adoption du plan, sans référence à l’existence de celui-ci et sans que le commissaire à son exécution n’ait été appelé à l’instance.

Ils en déduisent que ce dernier, qui représente l’intérêt collectif des créanciers appelés au plan, est un tiers au jugement d’ouverture et que la voie de l’appel lui étant fermée, sa tierce opposition est recevable.

==> Solution

Par un arrêt du 29 novembre 2017, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel.

Elle justifie sa décision en relevant :

  • d’une part, que l’ouverture d’une procédure collective pendant l’exécution d’un plan de sauvegarde ou de redressement emporte la résolution du plan.
  • d’autre part, que toute décision prononçant la résolution du plan est susceptible d’appel de la part du commissaire à l’exécution de celui-ci.

Fort de ce constat, la chambre commerciale en conclut que le commissaire à l’exécution était bien irrecevable à en former tierce opposition.

==> Analyse

Pour mémoire, l’article L. 626-27, I du Code de commerce prévoit que la résolution du plan peut intervenir dans deux hypothèses :

  • Soit en cas d’inexécution des engagements pris par le débiteur
    • Le tribunal qui a arrêté le plan peut, après avis du ministère public, en décider la résolution si le débiteur n’exécute pas ses engagements dans les délais fixés par le plan.
  • Soit en cas de survenance d’un état de cessation des paiements
    • Lorsque la cessation des paiements du débiteur est constatée au cours de l’exécution du plan, le tribunal qui a arrêté ce dernier décide, après avis du ministère public, sa résolution et ouvre une procédure de redressement judiciaire ou, si le redressement est manifestement impossible, une procédure de liquidation judiciaire.

Tandis que la première cause de résolution du plan est facultative, en ce sens que le juge n’est pas tenu par le constat de l’inexécution des engagements du débiteur, la cessation des paiements entraîne, à l’inverse, de plein droit, la résolution du plan.

Le litige soumis à la Cour de cassation en l’espèce portait sur cette seconde cause de résolution du plan.

Plus précisément, la question se posait de savoir si le Commissaire à l’exécution du plan était recevable à former tierce opposition au jugement prononçant la résolution.

Plusieurs règles sont applicables au prononcé de ce jugement :

  • Contenu du jugement
    • Lorsque le tribunal décide la résolution du plan en application du troisième alinéa du I de l’article L. 626-27, il ouvre, dans le même jugement, une procédure, selon le cas, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire du débiteur.
  • Notification du jugement
    • Le jugement est signifié à la diligence du greffier dans les huit jours de son prononcé aux personnes qui ont qualité pour interjeter appel, à l’exception du ministère public.
    • Il est communiqué aux personnes mentionnées à l’article R. 621-7, soit
      • Aux mandataires de justice désignés ;
      • Au procureur de la République ;
      • Au directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques du département dans lequel le débiteur a son siège et à celui du département où se trouve le principal établissement.
  • Publicité
    • Le jugement qui décide la résolution du plan fait l’objet des publicités prévues à l’article R. 621-8.
    • Le greffier doit ainsi informer la personne chargée de réaliser l’inventaire de sa désignation par tout moyen.
  • Voies de recours
    • Initialement, les dispositions de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises relatives aux voies de recours en matière de sauvegarde ne visaient pas expressément le jugement prononçant la résolution du plan.
    • Toutefois, dans la mesure où la résolution du plan impliquait nécessairement l’ouverture d’une procédure collective, il suffisait de transposer au jugement de résolution, le régime des voies de recours applicable au jugement d’ouverture.
    • L’ordonnance du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté est venue combler ce vide en introduisant un 8° à l’article L. 661-1, dans le Code de commerce.
    • Cette disposition dispose que « sont susceptibles d’appel ou de pourvoi en cassation […] les décisions statuant sur la résolution du plan de sauvegarde ou du plan de redressement de la part du débiteur, du commissaire à l’exécution du plan, du comité d’entreprise ou, à défaut des délégués du personnel, du créancier poursuivant et du ministère public. »
    • L’article L. 661-1, 8° désigne comme personnes ayant qualité à agir notamment
      • Le débiteur
      • Le Commissaire à l’exécution du plan
      • Le Comité d’entreprise
      • À défaut de CE, les représentants du personnel
      • Le créancier poursuivant
      • Le ministère civil
    • Ainsi, contrairement à ce qui avait été décidé par la Cour d’appel de Pau, le Commissaire à l’exécution du plan avait bien qualité à agir pour interjeter appel du jugement statuant sur la résolution du plan.
    • Quant à la tierce opposition, conformément à l’article L. 661-3 du Code de commerce, elle est seulement ouverte en cas de décision arrêtant ou modifiant le plan de sauvegarde ou de redressement ou rejetant la résolution de ce plan.
    • À l’inverse, l’alinéa 3 de cette disposition précise qu’il ne peut être exercé de tierce opposition contre les décisions rejetant l’arrêté ou la modification du plan de sauvegarde ou de redressement ou prononçant la résolution de ce plan.
    • En l’espèce, le Commissaire au plan ayant qualité à agir pour interjeter appel du jugement statuant sur la résolution du plan, la voie de la tierce opposition lui était en toute hypothèse fermée.
    • La solution adoptée par la Cour de cassation doit, en conséquence, être approuvée.

Cass. com. 29 nov. 2017
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 626-27, L. 661-1, 8° et L. 661-3, alinéa 2 , du code de commerce ;

Attendu qu’il résulte du premier de ces textes que l’ouverture d’une procédure collective pendant l’exécution d’un plan de sauvegarde ou de redressement emporte la résolution du plan ; qu’en application du deuxième, toute décision prononçant la résolution du plan est susceptible d’appel de la part du commissaire à l’exécution de celui-ci ; que le commissaire à l’exécution est irrecevable à en former tierce opposition ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Eléments, mise en redressement judiciaire le 18 novembre 2002, a bénéficié d’un plan arrêté le 6 septembre 2004, M. X... étant désigné commissaire à l’exécution du plan, ultérieurement remplacé par la société Y... (le commissaire à l’exécution du plan) ; que le tribunal, sur assignation de l’URSSAF Midi-Pyrénées, a ouvert le redressement judiciaire de la société Eléments ; que le commissaire à l’exécution du plan a formé tierce-opposition à ce jugement ;

Attendu que, pour déclarer la tierce opposition du commissaire à l’exécution du plan recevable, l’arrêt relève que le redressement judiciaire a été ouvert sur assignation de l’URSSAF, pour défaut de paiement de créances nées postérieurement à l’adoption du plan, sans référence à l’existence de celui-ci et sans que le commissaire à son exécution n’ait été appelé à l’instance, et en déduit que ce dernier, qui représente l’intérêt collectif des créanciers appelés au plan, est un tiers au jugement d’ouverture et que la voie de l’appel lui étant fermée, sa tierce opposition est recevable ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; Et vu l’article 627 du code de procédure civile, après avertissement délivré à la partie en demande ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 31 mars 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ;

TEXTES

Code de commerce

Article L. 626-27

I ? En cas de défaut de paiement des dividendes par le débiteur, le commissaire à l’exécution du plan procède à leur recouvrement conformément aux dispositions arrêtées. Il y est seul habilité. Lorsque le commissaire à l’exécution du plan a cessé ses fonctions, tout intéressé peut demander au tribunal la désignation d’un mandataire ad hoc chargé de procéder à ce recouvrement.

Le tribunal qui a arrêté le plan peut, après avis du ministère public, en décider la résolution si le débiteur n’exécute pas ses engagements dans les délais fixés par le plan.

Lorsque la cessation des paiements du débiteur est constatée au cours de l’exécution du plan, le tribunal qui a arrêté ce dernier décide, après avis du ministère public, sa résolution et ouvre une procédure de redressement judiciaire ou, si le redressement est manifestement impossible, une procédure de liquidation judiciaire.

Le jugement qui prononce la résolution du plan met fin aux opérations et à la procédure lorsque celle-ci est toujours en cours. Sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 626-19, il fait recouvrer aux créanciers l’intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues, et emporte déchéance de tout délai de paiement accordé.

II ? Dans les cas mentionnés aux deuxième et troisième alinéas du I, le tribunal est saisi par un créancier, le commissaire à l’exécution du plan ou le ministère public.

III. ? Après résolution du plan et ouverture d’une nouvelle procédure par le même jugement ou par une décision ultérieure constatant que cette résolution a provoqué l’état de cessation des paiements, les créanciers soumis à ce plan ou admis au passif de la première procédure sont dispensés de déclarer leurs créances et sûretés. Les créances inscrites à ce plan sont admises de plein droit, déduction faite des sommes déjà perçues. Bénéficient également de la dispense de déclaration, les créances portées à la connaissance de l’une des personnes mentionnées au IV de l’article L. 622-17 dans les conditions prévues par ce texte.

Article L. 661-1

I.-Sont susceptibles d’appel ou de pourvoi en cassation :

1° Les décisions statuant sur l’ouverture des procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaire de la part du débiteur, du créancier poursuivant et du ministère public ;

2° Les décisions statuant sur l’ouverture de la liquidation judiciaire de la part du débiteur, du créancier poursuivant, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et du ministère public ;

3° Les décisions statuant sur l’extension d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou sur la réunion de patrimoines de la part du débiteur soumis à la procédure, du débiteur visé par l’extension, du mandataire judiciaire ou du liquidateur, de l’administrateur et du ministère public ;

4° Les décisions statuant sur la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire de la part du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire et du ministère public ;

5° Les décisions statuant sur le prononcé de la liquidation judiciaire au cours d’une période d’observation de la part du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et du ministère public ;

6° Les décisions statuant sur l’arrêté du plan de sauvegarde ou du plan de redressement de la part du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et du ministère public, ainsi que de la part du créancier ayant formé une contestation en application de l’article L. 626-34-1 ;

6° bis Les décisions statuant sur la désignation d’un mandataire prévue au 1° de l’article L. 631-19-2 et sur la cession de tout ou partie de la participation détenue dans le capital prévue au 2° du même article, de la part du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ou, à défaut, du représentant des salariés mentionné à l’article L. 621-4, des associés ou actionnaires parties à la cession ou qui ont refusé la modification du capital prévue par le projet de plan et des cessionnaires ainsi que du ministère public ;

7° Les décisions statuant sur la modification du plan de sauvegarde ou du plan de redressement de la part du débiteur, du commissaire à l’exécution du plan, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et du ministère public, ainsi que de la part du créancier ayant formé une contestation en application de l’article L. 626-34-1 ;

8° Les décisions statuant sur la résolution du plan de sauvegarde ou du plan de redressement de la part du débiteur, du commissaire à l’exécution du plan, du comité d’entreprise ou, à défaut des délégués du personnel, du créancier poursuivant et du ministère public.

II.-L’appel du ministère public est suspensif, à l’exception de celui portant sur les décisions statuant sur l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

III.-En l’absence de comité d’entreprise ou de délégué du personnel, le représentant des salariés exerce les voies de recours ouvertes à ces institutions par le présent article.

Article L. 661-3

Les décisions arrêtant ou modifiant le plan de sauvegarde ou de redressement ou rejetant la résolution de ce plan sont susceptibles de tierce opposition.

Le jugement statuant sur la tierce opposition est susceptible d’appel et de pourvoi en cassation de la part du tiers opposant.

Il ne peut être exercé de tierce opposition contre les décisions rejetant l’arrêté ou la modification du plan de sauvegarde ou de redressement ou prononçant la résolution de ce plan.

La promesse unilatérale de contrat (vente ou achat): notion, effets et sanctions

Les contrats préparatoires se définissent comme les conventions conclues entre les parties, à titre provisoire, en vue de la signature d’un contrat définitif.

Dans cette perspective, le contrat préparatoire doit être distingué de l’offre de contrat :

  • Le contrat préparatoire est le produit d’une rencontre des volontés
    • Cela signifie donc qu’un contrat s’est formé, lequel est générateur d’obligations à l’égard des deux parties
    • Ces dernières sont donc réciproquement engagées à l’acte
    • En cas de violation de leurs obligations, elles engagent leur responsabilité contractuelle
  • L’offre de contrat est le produit d’une manifestation unilatérale de volonté
    • Il en résulte que l’offre de contrat n’est autre qu’un acte unilatéral
    • Il n’est donc générateur d’obligation qu’à l’égard de son auteur
    • L’offre de contrat ne crée donc aucune obligation à l’égard du bénéficiaire de l’offre
    • Le promettant, en revanche, engage sa responsabilité délictuelle en cas de retrait fautif de l’offre.

Parmi les contrats préparatoires, il convient de distinguer deux sortes de contrats :

  • Le pacte de préférence
  • La promesse de contrat

Nous nous focaliserons ici sur la promesse de contrat.

Contrairement à l’engagement pris par le promettant dans le cadre d’un pacte de préférence sur qui pèse seulement une obligation de négocier, la promesse de contrat oblige son auteur à conclure le contrat envisagé.

Dans ce second cas de figure, le promettant a, en d’autres termes, donné son consentement définitif quant à la réalisation de la vente. Il est, par conséquent, lié par l’engagement qu’il a pris, les principaux termes du contrat étant d’ores et déjà fixés.

Le promettant ne peut donc, ni se rétracter, ni négocier, sauf s’agissant, éventuellement, des modalités d’exécution du contrat.

Aussi, la conclusion du contrat dépend-elle désormais, soit de la volonté du bénéficiaire de la promesse qui, dans cette hypothèse, dispose d’un droit d’option, soit de la réalisation d’une condition stipulée par les parties (autorisation administrative, obtention d’un prêt etc.)

Il peut être observé qu’une promesse de contrat peut être conclue à des fins très diverses : vente, prêt, location, constitution de garantie, cession de droits sociaux, embauche etc…

Par ailleurs, l’examen des différents types de promesses de contrat révèle l’existence d’une distinction fondamentale entre :

  • d’une part, les promesses unilatérales
  • d’autre part, les promesses synallagmatiques

Nous examinerons la première forme de promesse.

I) Notion

Aux termes de l’article 1124 du Code civil « la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. »

Plusieurs éléments ressortent de cette définition :

A) Le produit d’un accord de volontés

La promesse unilatérale est qualifiée par le législateur de contrat, ce qui signifie qu’elle est le produit d’un accord de volontés

À la différence du pacte de préférence, cet accord de volonté porte sur l’engagement, pris par le promettant, non pas de négocier, mais de conclure le contrat définitif

Autrement dit, le promettant a exprimé son consentement irrévocable de contracter

Réciproquement, le bénéficiaire a accepté l’engagement pris envers lui, de sorte qu’il devient créancier du promettant

Aussi, la conclusion du contrat définitif dépend-elle désormais, de la volonté du seul bénéficiaire de la promesse qui dispose d’une option qui lui est consentie pendant un certain délai :

  • S’il lève l’option le contrat est définitivement formé par le jeu de la rencontre de l’offre (la promesse unilatérale de contrat) et de l’acceptation (l’exercice du droit d’option)
  • S’il ne lève pas l’option dans le délai fixé, le processus de formation du contrat est anéanti et le promettant est libéré de son engagement

Ainsi, la promesse unilatérale de contrat confère-t-elle au bénéficiaire de la promesse un véritable droit potestatif

B) Création d’obligations

?À la charge du promettant

La conclusion d’une promesse unilatérale de contrat crée une obligation de maintenir l’offre de contracter durant un certain délai à la charge du promettant

Ce dernier s’engage à voir la promesse consentie au bénéficiaire transformée en contrat définitif, en cas de levée de l’option

Contrairement au pacte de préférence, cet engagement n’est pas subordonné à la volonté du promettant de vendre le bien.

Celui-ci a d’ordre et déjà exprimé son consentement définitif de contracter.

Il en résulte que le promettant est privé de la possibilité de négocier les éléments essentiels du contrat ou encore de se rétracter.

?À la charge du bénéficiaire

La promesse unilatérale de contrat peut être assortie d’une obligation pour le bénéficiaire de verser au promettant une indemnité d’immobilisation

Cette indemnité sera due dans l’hypothèse où le bénéficiaire ne lèverait pas option

Elle est en somme la contrepartie de l’immobilisation du bien par le promettant pendant la durée de la promesse

C) Promesse unilatérale de contrat et offre de contracter

?Critères de la distinction

  • L’offre de contracter
    • Elle s’apparente à un engagement unilatéral de volonté
    • Aussi, la seule obligation qui pèse sur le pollicitant est, conformément à l’article 1116 du Code civil, de maintenir l’offre
      • Soit pendant « un délai raisonnable » si elle n’est assortie d’aucun délai
      • Soit jusqu’à « l’expiration du délai fixé », si l’offre est à durée déterminée
    • En dehors de ces exigences, l’offre est librement révocable.
  • La promesse unilatérale de contrat
    • Elle est le produit d’un accord de volontés, de sorte que la promesse de contrat s’apparente à un contrat
    • Il en résulte qu’elle est génératrice d’obligations : le promettant s’engage à conclure le contrat définitif
    • Aussitôt son consentement exprimé, ce dernier est donc privé de la faculté de se rétracter

?Intérêt de la distinction

L’intérêt de la distinction entre l’offre de contracter et la promesse unilatérale de contrat tient à deux choses :

  • La nature de la responsabilité du débiteur de l’engagement
    • En cas de violation de l’engagement pris dans le cadre d’une promesse unilatérale de contrat, le promettant engage sa responsabilité contractuelle.
    • En cas de violation de l’engagement pris dans le cadre d’une offre de contracter, le pollicitant engage sa responsabilité délictuelle.
  • La transmissibilité et la cessibilité du créancier de l’engagement
    • L’offre de contracter
      • Elle s’apparente à un engagement unilatéral de volonté, de sorte qu’elle est étroitement attachée à la personne du pollicitant
        • Elle n’est, par conséquent, ni transmissible, ni cessible
        • L’article 1117 du Code civil prévoit en ce sens que l’offre de contracter devient caduque « en cas d’incapacité ou de décès de son auteur. »
    • La promesse unilatérale de contrat
      • Elle confère au bénéficiaire un véritable droit de créance à l’encontre du promettant
      • Il en résulte que le droit d’option est librement cessible, tout autant qu’il est transmissible aux héritiers à cause de mort

II) Conditions de validité de la promesse unilatérale de contrat

A) Conditions de droit commun

Dans la mesure où la promesse unilatérale est un contrat, elle est soumise aux conditions de droit commun énoncées à l’article 1128 du Code civil

  • Les parties doivent donc être capables et avoir consenti à la promesse
  • L’engament pris par le promettant doit, par ailleurs, avoir un objet déterminé et licite

B) Conditions spécifiques

?Les éléments essentiels du contrat définitif

À la différence du pacte de préférence, la promesse unilatérale de contrat requiert que les éléments essentiels du contrat soient déterminés.

Cela s’explique par le fait que le promettant a exprimé son consentement irrévocable de contracter.

Aussi, pour avoir valablement consenti, il doit avoir été en mesure d’apprécier la portée de son engagement.

Or cela suppose que les éléments essentiels du contrat aient été stipulés.

En matière de promesse unilatérale de vente, les parties doivent donc être tombées d’accord sur la chose et le prix.

La Cour de cassation a estimé en ce sens que la fixation du prix ne doit pas nécessiter la survenance d’un nouvel accord, faute de quoi la promesse serait nulle (V. en ce sens Cass. com., 30 nov. 2004, n°03-13.756).

?Le droit d’option

Pour que la promesse unilatérale de contrat soit valide, cela suppose que le promettant consente au bénéficiaire un droit d’option.

L’article 1124, al.1 vise expressément ce droit d’option

À la vérité, la promesse unilatérale de contrat ne se conçoit pas en dehors de ce droit d’option. Elle lui est consubstantielle.

Cela signifie que, non seulement ce droit d’option doit exister, mais encore que son exercice ne doit pas être enfermé dans des conditions trop restrictives.

Aussi, l’étendue de ce droit d’option dépendra de deux éléments :

  • La durée du droit d’option
    • Un délai extinctif a été fixé par les parties
      • Dans cette hypothèse – la plus simple – la promesse unilatérale devient caduque une fois le délai d’option écoulé
      • Si, les parties sont libres de fixer la durée de la promesse, quid dans l’hypothèse où le délai serait, soit extrêmement réduit, soit extrêmement long ?
      • La validité du délai devrait, sans aucun doute, s’apprécier à la lumière des principes de loyauté et de prohibition des engagements perpétuels
    • Aucun délai extinctif n’a été fixé par les parties
      • Contrairement à l’avant-projet de réforme du droit des obligations, l’ordonnance du 10 février 2010 ne subordonne pas la validité de la promesse à la fixation d’une durée d’option déterminée
      • Il en résulte que les parties peuvent n’avoir, soit par choix, soit par omission, fixé aucun délai
      • Dans cette hypothèse, le promettant devrait pouvoir se rétracter à tout moment, conformément au principe de prohibition des engagements perpétuels.
      • Il peut, par ailleurs, être observé que dans un arrêt du 25 mars 2009, la Cour de cassation n’exige pas du promettant qu’il mette en demeure le bénéficiaire de la promesse d’opter avant de se rétracter (Cass. 3e civ., 25 mars 2009, n°08-12.237).
      • On pourrait néanmoins penser que, comme en matière d’offre de contrat, le promettant doit, dans le cadre d’une promesse unilatérale de contrat, maintenir son engagement durant un délai raisonnable.

Cass. 3e civ., 25 mars 2009

Sur le moyen unique :

Vu les articles 1101 et 1134 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Colmar, 29 novembre 2007), que les époux X… ont consenti le 20 août 2004 à la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural d’Alsace (SAFER) une promesse unilatérale de vente de diverses parcelles de terre, enregistrée à l’initiative de la SAFER le 23 août 2004 ; qu’ils ont retiré cette promesse le 25 août 2004 ; que la SAFER a levé l’option par lettre recommandée du 7 septembre 2004 ; que la SAFER a assigné les époux X… en réalisation forcée de la vente ;

Attendu que pour accueillir la demande, l’arrêt retient qu’en l’absence de délai imparti à la SAFER pour lever l’option, il appartenait aux époux X…, qui souhaitaient revenir sur leurs engagements, de mettre préalablement en demeure le bénéficiaire de la promesse d’accepter ou de refuser celle-ci ; qu’en l’absence de cette formalité leur “dénonciation” de leur promesse était sans effet sur l’acceptation de la bénéficiaire, régulièrement intervenue le 7 septembre 2004 ;

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu’il le lui était demandé, si le retrait par les époux X… de leur promesse unilatérale de vente n’avait pas été notifié à la SAFER avant que celle-ci ne déclare l’accepter, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 29 novembre 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Colmar, autrement composée

  • Le montant de l’indemnité d’immobilisation
    • Les parties peuvent avoir prévu d’assortir la promesse unilatérale de contrat d’une indemnité d’immobilisation due au promettant dans l’hypothèse où le bénéficiaire ne lèverait pas l’option
    • Quid dans l’hypothèse où le montant de cette indemnité serait très élevé, voire égale au prix fixé dans le contrat définitif ?
    • Ne pourrait-on pas considérer que le montant de l’indemnité d’immobilisation est de nature à priver le bénéficiaire de son droit de ne pas lever l’option ?
    • On pourrait alors en déduire que la promesse est nulle dans la mesure où le droit d’option serait vidé de substance.
    • La jurisprudence de la Cour de cassation révèle que sa position est pour le moins incertaine :
      • Dans un arrêt du 1er décembre 2010 elle a approuvé une Cour d’appel qui avait refusé de prononcer la nullité d’une promesse unilatérale de contrat en relevant « qu’aux termes de l’acte du 6 mai 1958 une seule partie, les vendeurs, s’était engagée de manière ferme et définitive, envers le candidat acquéreur, qui prenait acte de l’engagement mais qui de son côté ne s’engageait pas, à conclure le contrat définitif, disposant d’une option lui permettant dans l’avenir de donner ou non son consentement à la vente et que le versement d’un dépôt de garantie d’un montant presqu’égal au prix de la vente ne préjudiciait en rien à la qualification de cet acte » (Cass. 1ère civ., 1er déc. 2010, n°09-65.673).

Cass. 1ère civ., 1er déc. 2010

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 novembre 2008) qu’Edouard X…, qui était alors marié en premières noces sans contrat avec Mme Y…, a signé le 6 mai 1958, une promesse de vente en vue d’acquérir un appartement en cours de construction ; que l’acte authentique, qui devait intervenir dans un délai de deux ans, a été régularisé le 13 avril 1960, postérieurement à l’assignation en divorce délivrée le 18 mai 1959 mais avant que celui-ci soit prononcé le 21 mai 1962 ; qu’Edouard X…, est décédé le 21 juin 2002 laissant pour lui succéder, son fils unique, Bernard X…, né de sa première union et Mme Z…, sa seconde épouse, commune en biens ; que, par testament olographe du 3 juillet 1995, Edouard X… a légué à cette dernière la propriété de l’appartement litigieux ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé, après avis de la troisième chambre civile :

Attendu que M. Bernard X… fait grief à l’arrêt d’avoir jugé que l’immeuble sis … était un bien propre de son père ;

Attendu qu’ayant retenu, d’une part, qu’aux termes de l’acte du 6 mai 1958 une seule partie, les vendeurs, s’était engagée de manière ferme et définitive, envers le candidat acquéreur, qui prenait acte de l’engagement mais qui de son côté ne s’engageait pas, à conclure le contrat définitif, disposant d’une option lui permettant dans l’avenir de donner ou non son consentement à la vente et que le versement d’un dépôt de garantie d’un montant presqu’égal au prix de la vente ne préjudiciait en rien à la qualification de cet acte, et, d’autre part, que l’acte authentique signé le 13 avril 1960 stipulait que la propriété du bien n’était acquise qu’à compter de cette date, la cour d’appel en a exactement déduit que l’immeuble litigieux constituait un bien propre du défunt ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé

      • Dans un arrêt du 26 septembre 2012, elle a adopté la solution inverse en estimant que « au vu de l’importance de cette indemnité, les articles 1.3 et 1.6 du contrat créent une véritable obligation d’acquérir à la charge du bénéficiaire, transformant la promesse unilatérale de vente en contrat synallagmatique » (Cass. 3e civ. 26 sept. 2012, n°10-23.912).

Cass. 3e civ. 26 sept. 2012

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 29 juin 2010), que par acte sous seing privé du 4 avril 2007, la société DR Cap Corniche a signé avec la société France Invest Ans une promesse unilatérale de vente portant sur l’achat d’un immeuble et a versé une indemnité d’immobilisation ; que la société France Invest Ans n’ayant pas signé l’acte authentique dans le délai de la promesse, la société DR Cap Corniche l’a assignée en paiement de l’indemnité d’immobilisation et en réparation de son préjudice ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l’article 1589 du code civil ;

Attendu que pour débouter la société DR Cap Corniche de sa demande en paiement de l’indemnité d’immobilisation, l’arrêt retient qu’au vu de l’importance de cette indemnité, les articles 1.3 et 1.6 du contrat créent une véritable obligation d’acquérir à la charge du bénéficiaire, transformant la promesse unilatérale de vente en contrat synallagmatique ;

Qu’en statuant ainsi, sans relever que la promesse de vente était assortie d’une indemnité si importante par rapport au prix de vente qu’elle privait la société France Invest de sa liberté d’acheter ou de ne pas acheter, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts de la société DR Cap Corniche, l’arrêt rendu le 29 juin 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ; remet, en conséquence, pour le surplus, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Montpellier, autrement composée

      • Il peut être observé que la Cour de cassation refuse systématiquement (V. en ce sens Cass. 3e civ., 5 déc. 1984) d’assimiler l’indemnité d’immobilisation à une clause pénale
      • Elle ne saurait donc faire l’objet d’une révision en application de l’article 1231-5, al. 2 du Code civil qui prévoit que « le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. »

C) Conditions de forme

?Principe

La promesse unilatérale de contrat est un acte consensuel

Il en résulte que sa validité n’est pas soumise à la satisfaction de conditions de forme, sauf dispositions légales spécifiques

Le seul échange des consentements suffit, par conséquent, à parfaire la promesse

?Exception

Conformément à l’article 1589-2 du Code civil, lorsque la promesse porte sur la vente afférente à un immeuble, à un droit immobilier, à un fonds de commerce, à un droit à un bail portant sur tout ou partie d’un immeuble ou aux titres de certaines sociétés, sa validité est subordonnée, à peine de nullité, à l’accomplissement d’une formalité d’enregistrement dans le délai de dix jours à compter de la date de son acceptation par le bénéficiaire.

III) Effets de la promesse de contrat

A) Les effets à l’égard du bénéficiaire

?L’octroi d’un droit d’option

La promesse de contrat confère au bénéficiaire un droit d’option en vertu duquel il dispose, durant un certain délai, d’une exclusivité contractuelle quant à la conclusion du contrat

Aussi, tant que le délai d’option n’a pas expiré, le bénéficiaire peut librement accepter ou refuser de conclure le contrat définitif

?La nature du droit d’option

  • Un droit réel ?
    • Le droit d’option ne s’apparente pas à un droit réel dans la mesure où le bénéficiaire ne dispose d’aucun pouvoir direct et immédiat sur la chose promise
    • Qui plus est, tant que le bénéficiaire n’a pas levé l’option, le contrat n’est pas encore conclu.
    • Or le transfert de propriété ne saurait s’effectuer qu’au moment de la formation du contrat.
  • Un droit de créance ?
    • Le droit d’option ne s’apparente pas non plus à droit de créance, dans la mesure où, en consentant la promesse, le promettant s’est seulement engagé à contracter avec le bénéficiaire.
    • Il ne s’est nullement obligé à lui confier la jouissance de la chose promise, bien que la propriété de cette dernière ait vocation à être transférée au bénéficiaire une fois le contrat conclu.
  • Un droit potestatif ?
    • Le droit potestatif se définit comme la prérogative qui permet à son titulaire de créer, modifier, ou éteindre une situation juridique par un acte de volonté unilatéral
    • Tel est la particularité du droit d’option qui confère au bénéficiaire de la promesse le pouvoir de conclure le contrat définitif par l’effet de sa seule volonté

?L’exercice du droit d’option

Durant le délai d’option, le bénéficiaire peut

  • Soit accepter de lever l’option auquel cas le contrat définitif est conclu par le jeu de la rencontre des volontés
  • Soit refuser de lever l’option auquel cas la promesse de contrat devient caduque, la rencontre des volontés n’ayant pas pu s’effectuer

B) Les effets à l’égard du promettant

?Création d’une obligation de faire

La promesse de contrat a pour effet de rendre irrévocable le consentement du promettant quant à la conclusion du contrat future

Autrement dit, le promettant ne s’est pas seulement engagé à négocier.

Il s’est également obligé à contracter avec le bénéficiaire de la promesse dans l’hypothèse où celui-ci lèverait l’option

Ainsi, la promesse de contrat crée-t-elle, à la charge du promettant, une obligation de faire

?Création d’une obligation de ne pas faire

Lors de la conclusion de la promesse, le promettant ne s’est pas seulement engagé à contracter avec le bénéficiaire, il s’est aussi obligé à ne pas conclure de contrat avec des tiers

En d’autres termes, il lui est fait défense de disposer de la chose promise jusqu’à l’expiration du délai d’option.

IV) Inexécution de la promesse de contrat

L’inexécution de la promesse peut intervenir dans deux situations distinctes :

A) Le promettant contracte avec un tiers

?Violation de l’obligation de ne pas faire

Dans l’hypothèse où le promettant contracte avec un tiers, il viole son obligation de ne pas faire, laquelle lui impose de ne pas disposer de la chose promise tant que le délai d’option n’est pas écoulé.

?La nullité du contrat

En guise de sanction, l’article 1124, al. 3 du Code civil prévoit que « le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul.

Le prononcé de la nullité est subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • La preuve de l’existence d’une promesse
  • La connaissance par le tiers de l’existence de la promesse

Il peut être observé que l’ordonnance du 10 février 2016 n’a prévu aucune action interrogatoire à la faveur des tiers alors qu’une telle action leur a été conférée en matière de pacte de préférence

La question qui alors se pose est de savoir dans quelles circonstances les tiers sont réputés avoir connaissance de la promesse unilatérale

Dans le silence de la loi, la charge de la preuve devrait peser sur le bénéficiaire.

?L’octroi de dommages et intérêts

À la différence de l’article 1123, al. 2 du Code civil qui permet au bénéficiaire d’un pacte de préférence d’« obtenir la réparation du préjudice subi », l’article 1124 n’offre pas une telle possibilité pour le bénéficiaire d’une promesse unilatérale de contrat

Est-ce à dire que ce dernier est privé de la faculté d’engager une action en responsabilité à l’encontre du promettant dans l’hypothèse où il conclurait le contrat définitif avec un tiers en violation de la promesse ?

On ne saurait raisonnablement l’envisager, ne serait-ce que parce que l’on voit mal pourquoi le bénéficiaire ne serait pas fondé à agir en responsabilité, dès lors qu’il prouve que la violation de la promesse lui a occasionné un préjudice certain

B) Le promettant rétracte son consentement

?Violation de l’obligation de faire

Dans l’hypothèse où le promettant rétracte son consentement quant à la conclusion du contrat définitif, il viole l’obligatoire de faire qui lui échoit, soit son engagement de conclure le contrat définitif avec le bénéficiaire de la promesse.

?La sanction de la rétractation

La sanction de la rétraction du promettant a fait l’objet d’un important débat doctrinal.

La question s’est, en effet, posée de savoir ce que le bénéficiaire de la promesse pouvait obtenir lorsque, pendant le délai et au mépris du droit d’option, le promettant se rétracte et revient sur son engagement de contracter ?

Plus concrètement, en dépit de la rétractation du promettant, le bénéficiaire qui lève l’option pendant le délai fixé :

  • peut-il prétendre à la conclusion du contrat, ce qui donc se traduirait par l’exécution forcée de l’obligation de faire du promettant ?
  • ou peut-il seulement revendiquer l’octroi de dommages et intérêts et renoncer à la conclusion du contrat, objet de la promesse ?

Deux solutions radicalement opposées ont été adoptées, d’abord par la jurisprudence, puis par le législateur :

  • La jurisprudence
    • Première étape
      • Dans un arrêt Cruz du 15 décembre 1993, la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel qui avait refusé de prononcer l’exécution forcée d’une promesse suite à la rétractation du promettant.
      • Au soutien de son approbation, la troisième chambre civile avance que « tant que les bénéficiaires n’avaient pas déclaré acquérir, l’obligation de la promettante ne constituait qu’une obligation de faire et que la levée d’option, postérieure à la rétractation de la promettante, excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir » (Cass. 3e civ., 15 déc. 1993, n°91-10.199).
      • Autrement dit, pour la troisième chambre civile, dans la mesure où en cas de rétractation du promettant l’inexécution de la promesse porte sur obligation de faire, cette inexécution ne peut se résoudre qu’en dommages et intérêts conformément à l’ancien article 1142 du code civil
      • Pour mémoire, cette disposition prévoyait que « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »
      • Ainsi, pour la Cour de cassation, la rétractation du promettant pendant le délai d’option ne peut donner lieu qu’à l’octroi de dommages et intérêts
      • Elle en déduit alors que ladite rétractation conserve toute efficacité.
      • Il peut être observé que la haute juridiction est restée arc-boutée, pendant longtemps, sur sa position estimant que la rétraction du promettant faisait obstacle à la rencontre des volontés.
      • Plus précisément, selon elle, au moment où le bénéficiaire a manifesté sa volonté d’acquérir le bien, le promettant, puisqu’il s’est rétracté, a manifesté, quant à lui, la volonté inverse, soit son intention de ne plus contracter.
      • Les volontés du bénéficiaire et du promettant ne se sont donc pas rencontrées et le contrat définitif n’a pas pu se former.
      • Critiques
        • Bien que conforme à la lettre de l’article 1142, la solution retenue par la Cour de cassation n’en repose pas moins sur analyse erronée de la situation juridique.
        • En effet, une fois que le promettant a exprimé son consentement à la promesse, il a d’ores et déjà manifesté sa volonté définitive de contracter avec le bénéficiaire.
        • En d’autres termes, dès la conclusion de la promesse, le promettant s’est engagé irrévocablement à conclure le contrat futur.
        • Une fois la promesse acceptée par le bénéficiaire, conformément au principe de force obligatoire des contrats, le promettant ne peut donc plus revenir sur son engagement.
        • Aussi, le promettant ne devrait-il plus disposer de la faculté de rétracter son consentement, comme l’y autorise la Cour de cassation dans l’arrêt Cruz.

Arrêt Cruz

(Cass. 3e civ., 15 déc. 1993)

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 8 novembre 1990), que Mme Y…, qui avait consenti, le 22 mai 1987, aux consorts X… une promesse de vente d’un immeuble, valable jusqu’au 1er septembre 1987, a notifié aux bénéficiaires, le 26 mai 1987, sa décision de ne plus vendre ; que les consorts X…, ayant levé l’option le 10 juin 1987, ont assigné la promettante en réalisation forcée de la vente ;

Attendu que les consorts X… font grief à l’arrêt de les débouter de cette demande, alors, selon le moyen, que, dans une promesse de vente, l’obligation du promettant constitue une obligation de donner ; qu’en rejetant la demande des bénéficiaires en réalisation forcée de la vente au motif qu’il s’agit d’une obligation de faire, la cour d’appel a ainsi violé les articles 1134 et 1589 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel, ayant exactement retenu que tant que les bénéficiaires n’avaient pas déclaré acquérir, l’obligation de la promettante ne constituait qu’une obligation de faire et que la levée d’option, postérieure à la rétractation de la promettante, excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir, le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

    • Deuxième étape
      • Dans un arrêt du 8 septembre 2010, la Cour de cassation a estimé que, en concluant une promesse de contrat, « le promettant avait définitivement consenti à vendre et que l’option pouvait être valablement levée, après son décès, contre ses héritiers tenus de la dette contractée par leur auteur, sans qu’il y eût lieu d’obtenir l’autorisation du juge des tutelles » (Cass. 3e civ. 8 sept. 2010, n°09-13.345)
      • Certains auteurs ont vu dans cette décision un abandon de la jurisprudence Cruz.
      • Dans cette décision, la Cour de cassation affirme effectivement, très explicitement, que le promettant a irrévocablement exprimé son consentement quant à la conclusion du contrat définitif
      • Aussi, cela devait-il conduire la haute juridiction à admettre que, en cas de rétraction du promettant, le bénéficiaire soit fondé à agir en exécution forcée de la promesse.

Cass. 3e civ. 8 sept. 2010

Attendu, selon les arrêts attaqués (Pau, 21 octobre 2008 et 3 février 2009), que par acte sous seing privé du 30 mai 2005, M. et Mme X… ont consenti à la société Francelot, avec faculté de substitution, une promesse unilatérale de vente d’un terrain ; que la promesse était valable jusqu’au 22 avril 2006 et prorogeable ensuite deux fois par périodes d’un an à défaut de dénonciation par le promettant trois mois avant l’expiration de chaque délai ; que M. X… est décédé le 31 juillet 2006, laissant notamment pour lui succéder un héritier mineur, placé sous le régime de l’administration légale sous contrôle judiciaire ; que la société Conseil en bâtiment, substituée dans le bénéfice de la promesse, a levé l’option le 18 décembre 2007 ; que les consorts X… ayant refusé de régulariser la vente, la société Conseil en bâtiment les a assignés pour faire déclarer celle-ci parfaite ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche :

Vu l’article 1589 du code civil ;

Attendu que pour dire irrecevable la demande de la société de Conseil en bâtiment, l’arrêt retient que l’exécution forcée de la vente n’étant que la conséquence de la reconnaissance par jugement de sa validité, il est nécessaire au préalable de statuer sur l’existence ou non de cette vente, qu’une promesse unilatérale de vente n’a pas pour effet de transmettre à celui qui en est bénéficiaire la propriété ou des droits immobiliers sur le bien qui en est l’objet, que l’obligation du promettant quoique relative à un immeuble constitue tant que le bénéficiaire n’a pas déclaré acquérir non pas une obligation de donner mais une obligation de faire, qu’en l’espèce, lors du décès de M. Edouard X… avant la levée de l’option, la vente n’était pas réalisée et que, par voie de conséquence, l’autorisation du juge des tutelles était nécessaire à cette réalisation ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le promettant avait définitivement consenti à vendre et que l’option pouvait être valablement levée, après son décès, contre ses héritiers tenus de la dette contractée par leur auteur, sans qu’il y eût lieu d’obtenir l’autorisation du juge des tutelles, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le second moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche du premier moyen :

REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt du 21 octobre 2008 ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 3 février 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Pau, autrement composée ;

    • Troisième étape
      • Bien qu’en 2010 la Cour de cassation ait admis que, en concluant une promesse, le promettant avait exprimé son consentement irrévocable au contrat définitif, dans un arrêt du 11 mai 2011, elle refuse d’en tirer la conséquence que, en cas de rétraction du promettant, l’exécution forcée de la promesse puisse être prononcée (Cass. 3e civ. 11 mai 2011, n°10-12.875).
      • La haute juridiction persiste à maintenir la position qu’elle avait adoptée dans l’arrêt Cruz.
      • Elle affirme en ce sens que « la levée de l’option par le bénéficiaire de la promesse postérieurement à la rétractation du promettant excluant toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir, la réalisation forcée de la vente ne peut être ordonnée ».
      • Comme le souligné par Grégoire Forest : retour à la case départ.

Cass. 3e civ. 11 mai 2011

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 novembre 2009), rendu sur renvoi après cassation (3e chambre civile, 28 janvier 2009, pourvoi n° 08-12. 649), que les époux Pierre et Simone X… ont acquis l’usufruit d’un immeuble aux Saintes-Maries-de-la-Mer et leur fils Paul la nue-propriété ; que par acte authentique du 13 avril 2001, celui-ci a consenti après le décès de son père une promesse unilatérale de vente de l’immeuble à M. Y…, qui l’a acceptée, en stipulant que Mme Simone X… en avait l’usufruit en vertu de l’acte d’acquisition et que la réalisation de la promesse pourrait être demandée par le bénéficiaire dans les quatre mois à compter du jour où celui-ci aurait connaissance, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, du décès de l’usufruitière ; que par acte sous seing privé du 7 avril 2004, Mme Z… a pris l’engagement de régulariser l’acte authentique de vente relatif à la promesse unilatérale de vente et s’est mariée le 28 avril 2004 avec M. Paul X…, qui est décédé le 25 mai 2004 ; que par acte du 31 octobre 2005, Mme Z…- X… a assigné M. Y… en annulation de la promesse unilatérale de vente ; que par lettre du 31 janvier 2006, Mme Z…- X… a notifié à M. Y… le décès de sa belle-mère usufruitière, survenu le 2 janvier 2006 ; que M. Y… a levé l’option le 17 mai 2006 ;

Sur le premier moyen :

Vu les articles 1101 et 1134 du code civil ;

Attendu que pour dire la vente parfaite, l’arrêt retient qu’en vertu de la promesse unilatérale de vente Mme Z…- X… devait maintenir son offre jusqu’à l’expiration du délai de l’option, sans aucune faculté de rétractation ; que Mme Z…- X… ne pouvait se faire justice à elle-même et que le contrat faisant loi, elle ne pouvait unilatéralement se désengager ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la levée de l’option par le bénéficiaire de la promesse postérieurement à la rétractation du promettant excluant toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir, la réalisation forcée de la vente ne peut être ordonnée, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 novembre 2009, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Montpellier ;

  • L’ordonnance du 10 février 2016
    • Manifestement, le législateur n’est pas demeuré insensible aux critiques formulées par la doctrine à l’encontre de la position de la Cour de cassation
    • C’est la raison pour laquelle il a décidé de mettre un terme à la jurisprudence Cruz lors avec l’ordonnance du 10 février 2016.
    • Le nouvel article 1124, al. 2 du Code civil prévoit à cette fin que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis. »
    • Ainsi, dorénavant, en cas de rétractation du promettant durant le délai d’option, le bénéficiaire sera fondé à demander l’exécution forcée de la promesse.
    • La rétractation du promettant sera donc privée d’efficacité, ce qui signifie que dès lors que le bénéficiaire lève l’option, la rencontre des volontés est scellée et le contrat définitif est irrévocablement formé.
    • Reste que cette nouvelle règle ne s’applique que pour les promesses unilatérales conclues après l’entrée en vigueur de l’ordonnance.
    • Pour celles nées antérieurement à ce texte, elles demeurent soumises aux solutions dégagées par la jurisprudence.
  • Le revirement de jurisprudence
    • Après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, la Cour de cassation a abandonné la position adoptée dans l’arrêt Cruz.
    • Son revirement de jurisprudence s’est opéré en deux étapes :
      • Première étape
        • Par deux arrêts rendus le 21 septembre 2017, la Chambre sociale a jugé que « la promesse unilatérale de contrat de travail est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail, dont l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ; que la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis » (Cass. soc. 21 sept. 2017, n°16-20.103 et n°16-20.104).
        • Il est ainsi explicitement affirmé dans cette décision que la révocation d’une promesse de contrat ne fait pas obstacle à la formation du contrat définitif et donc à ce que, en cas d’irrégularité, elle donne lieu à une exécution forcée de l’engagement pris.
        • Compte tenu de ce que la solution retenue émanait de la Chambre sociale, la doctrine s’est demandé si elle emportait l’adhésion de toutes les chambre de la Cour de cassation ou s’il fallait y voir une position isolée.
        • Il s’est finalement avéré que cette décision augurait un abandon définitif de la jurisprudence Cruz par la haute juridiction.
      • Seconde étape
        • Dans un arrêt du 23 juin 2021, la Troisième chambre civile approuve une Cour d’appel « ayant retenu à bon droit que la rétractation du promettant ne constituait pas une circonstance propre à empêcher la formation de la vente » de sorte que les juges du fond ont « exactement déduit que, les consentements des parties s’étant rencontrés lors de la levée de l’option par les bénéficiaires, la vente était parfaite » (Cass. 3e civ. 23 juin 2021, n°20-17.554).
        • Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, pour aboutir à cette solution, la Cour de cassation ne s’appuie nullement sur l’ordonnance du 10 février 2016 ; mais fonde son analyse sur les arguments techniques qui avaient été proposés par la doctrine sous l’empire du droit antérieur.
        • A l’examen, son raisonnement s’opère en trois temps :
          • Premier temps
            • La Troisième civile avance – à juste titre – que lorsque le promettant consent une promesse de contrat, il ne souscrit nullement une obligation de faire ; il mais exprime son consentement au contrat définitif, dont la formation dépend de la seule levée de l’option par le bénéficiaire.
            • Ainsi selon elle « à la différence de la simple offre de vente, la promesse unilatérale de vente est un avant-contrat qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire et à la date duquel s’apprécient les conditions de validité de la vente, notamment s’agissant de la capacité du promettant à contracter et du pouvoir de disposer de son bien. »
          • Deuxième temps
            • La Cour de cassation souligne que, parce que l’engagement pris par le promettant de contracter a d’ores été déjà été donné, celui-ci « s’oblige définitivement à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat, sans possibilité de rétractation, sauf stipulation contraire »
            • Pendant toute la durée de validité de la promesse, le promettant est, autrement dit, irrévocablement engagé.
          • Troisième temps
            • Dans la mesure où le promettant est irrévocablement engagé dès la souscription de la promesse, la Troisième chambre civile en déduit que la rétractation du promettant ne saurait constituer une circonstance propre à empêcher la formation du contrat.
        • La Troisième chambre civile a, par suite, reconduit, la solution adoptée dans l’arrêt du 23 juin 2021.
        • Dans un arrêt du 20 octobre 2021 elle a jugé que le promettant ne pouvait pas revenir sur sa promesse durant le délai d’option consenti au bénéficiaire, son engagement présentant, pendant ce délai, un « caractère ferme et définitif ».
        • La vente étant parfaite, peu importe que la levée de l’option comporte ou non un délai, la révocation de la promesse ne fait pas obstacle à l’exécution du contrat valablement formé (Cass. 3e civ. 20 oct. 2021, n°20-18.514).

Le pacte de préférence: notion, effets, sanctions et réforme des obligations

Les contrats préparatoires se définissent comme les conventions conclues entre les parties, à titre provisoire, en vue de la signature d’un contrat définitif.

Dans cette perspective, le contrat préparatoire doit être distingué de l’offre de contrat :

  • Le contrat préparatoire est le produit d’une rencontre des volontés
    • Cela signifie donc qu’un contrat s’est formé, lequel est générateur d’obligations à l’égard des deux parties
    • Ces dernières sont donc réciproquement engagées à l’acte
    • En cas de violation de leurs obligations, elles engagent leur responsabilité contractuelle
  • L’offre de contrat est le produit d’une manifestation unilatérale de volonté
    • Il en résulte que l’offre de contrat n’est autre qu’un acte unilatéral
    • Il n’est donc générateur d’obligation qu’à l’égard de son auteur
    • L’offre de contrat ne crée donc aucune obligation à l’égard du bénéficiaire de l’offre
    • Le promettant, en revanche, engage sa responsabilité délictuelle en cas de retrait fautif de l’offre.

Parmi les contrats préparatoires, il convient de distinguer deux sortes de contrats :

  • Le pacte de préférence
  • La promesse de contrat

Nous nous focaliserons ici sur le pacte de préférence.

I) Notion

Aux termes de l’article 1123 du Code civil, le pacte de préférence est défini comme « le contrat par lequel une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter. »

Plusieurs éléments ressortent de cette définition :

?Le produit d’un accord de volontés

Il peut tout d’abord être observé que le législateur qualifie le pacte de préférence de contrat.

Aussi, cela signifie-t-il qu’il est le produit d’un accord de volontés. Toutefois, cet accord de volontés ne porte en aucune manière sur la conclusion du contrat de vente définitif.

Le pacte a seulement pour l’objet le droit de priorité que le promettant consent au bénéficiaire dans l’hypothèse où il envisagerait de vendre le bien convoité

?Création d’une obligation à la charge du seul promettant

La conclusion d’un pacte de préférence ne crée d’obligations qu’à la charge du promettant

Ce dernier s’engage à vendre le bien en priorité au bénéficiaire du pacte

Il s’agit, en quelque sorte, d’un droit de préemption qui est concédé contractuellement par le promettant au bénéficiaire

Cet engagement est cependant assorti d’une condition

L’exercice du droit de préférence consenti au bénéficiaire du pacte est conditionné par la décision du promettant de vendre le bien

En d’autres termes, ce dernier demeure libre de ne pas vendre le bien, objet du pacte

Réciproquement, le bénéficiaire est libre de ne pas exercer son droit de préférence

?Pacte de préférence et promesse unilatérale de vente

À la différence du pacte de préférence, en matière de promesse unilatérale de vente le promettant a exprimé son consentement définitif au contrat de vente.

Le promettant n’a, en d’autres termes, pas seulement promis de vendre le bien, il l’a vendu.

Le consentement du promettant est donc d’ores et déjà scellé.

Cela signifie que si le bénéficiaire lève l’option d’achat qui lui a été consenti, le promettant n’est pas libre de se rétracter, contrairement au débiteur d’un pacte de préférence qui n’a pas donné son consentement définitif à l’acte de vente.

La distinction entre ces deux avant-contrats peut se résumer de la manière suivante :

  • En matière de promesse unilatérale de vente, la validité du contrat de vente définitif dépend de la volonté exclusive du bénéficiaire
  • En matière de pacte de préférence, la validité du contrat de vente définitif dépend de la volonté, tant du bénéficiaire, que du promettant

II) Conditions de validité du pacte de préférence

?Conditions de droit commun

Dans la mesure où le pacte de préférence est un contrat, il est soumis aux conditions de droit commun énoncées à l’article 1128 du Code civil.

  • Les parties doivent donc être capables et avoir consenti au pacte
  • Le pacte doit être licite
  • Le pacte a pour objet de créer à la charge du promettant l’obligation de négocier, en priorité, avec le bénéficiaire les termes du contrat définitif.
    • Le bien ou l’opération sur lesquels porte le droit de priorité devra, par conséquent, être défini avec une grande précision

?Conditions spécifiques

  • Le prix
    • Ni la loi, ni la jurisprudence n’exigent que le prix de vente soit déterminé ou déterminable dans le pacte de préférence.
    • Dans un arrêt du 15 janvier 2003, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la prédétermination du prix du contrat envisagé et la stipulation d’un délai ne sont pas des conditions de validité du pacte de préférence » (Cass. 3e civ. 15 janv. 2003, n°01-03.700).
    • Cela s’explique par le fait qu’aucune des parties n’a donné son consentement définitif
    • Le prix ne saurait par conséquent, à la différence de la promesse unilatérale de vente, être une condition de validité du contrat
    • L’idée est que le consentement d’une partie à un acte juridique ne peut avoir été donné à titre définitif qu’à la condition que les éléments essentiels de cet acte soient déterminés, à tout le moins déterminables
    • Or en matière de contrat de vente le prix est un élément essentiel du contrat, d’où l’exigence de sa détermination en matière de promesse unilatérale de vente
    • Tel n’est cependant pas le cas en matière de pacte de préférence, dans la mesure où aucune des parties n’a exprimé son consentement définitif à l’acte de vente.
  • La durée
    • Comme le prix, la durée n’est pas une condition de validité du pacte de préférence (V. en ce sens Cass. 3e civ. 15 janv. 2003, n°01-03.700), sous réserve de la prohibition des engagements perpétuels.
    • Aussi, la Cour de cassation a-t-elle eu l’occasion de se référer au critère de la durée excessive pour apprécier la validité d’un pacte de préférence qui avait été stipulée pour une durée de 20 ans (Cass. com. 27 sept. 2005, n°04-12.168).
    • En tout état de cause, le pacte de préférence conclu pour une durée déterminée est valable.
    • La conséquence en est que, dans cette hypothèse, le promettant ne disposera pas d’une faculté de résiliation unilatérale, sauf à établir la durée manifestement excessive de son engagement.

Cass. 3e civ. 15 janv. 2003

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Angers, 30 janvier 2001), que les époux X… ont, par acte du 1er mars 1996, promis de vendre à M. Y…, une parcelle de bois cadastrée section F numéro 576 au prix de 12 000 francs ; que, par acte sous seing privé du 15 janvier 1997, les parties ont signé une promesse synallagmatique de vente portant sur la même parcelle et contenant un droit de préférence au profit de M. Y… concernant une parcelle voisine cadastrée section F numéro 564 ; que les époux X… ont refusé de réitérer la vente par acte authentique ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :

Vu l’article 1174 du Code civil ;

Attendu que toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige ;

Attendu que, pour déclarer sans valeur la clause insérée à l’acte du 15 janvier 1997 aux termes de laquelle M. et Mme X… accordaient, à M. Y… un “droit de préférence” non limité dans le temps, en cas de vente de la parcelle numéro 564, l’arrêt retient que l’obligation de proposer de vendre un immeuble à des bénéficiaires déterminés sans qu’aucun prix ne soit prévu est purement potestative et ne constitue pas un pacte de préférence ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la condition potestative doit émaner de celui qui s’oblige, et que la prédétermination du prix du contrat envisagé et la stipulation d’un délai ne sont pas des conditions de validité du pacte de préférence, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a déclaré le pacte de préférence sans valeur, l’arrêt rendu le 30 janvier 2001, entre les parties, par la cour d’appel d’Angers ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Rennes

?Absence d’exigence de publicité

Dans l’hypothèse où le droit de priorité porterait sur un immeuble, la validité du pacte de préférence n’est pas conditionnée par l’accomplissement de formalités de publicité

L’exigence posée à l’article 1589-2 du Code civil ne vaut que pour la promesse unilatérale de vente

Là encore, cette exclusion du pacte de préférence du champ d’application de cette disposition s’explique par le fait que le promettant n’a pas donné son consentement définitif à l’acte de vente, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’informer les tiers de la sortie d’un bien immobilier de son patrimoine.

Dans un arrêt du 16 mars 1994, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « le pacte de préférence, qui s’analyse en une promesse unilatérale conditionnelle, ne constitue pas une restriction au droit de disposer » (Cass. 3e civ. 16 mars 1994, n°91-19.797).

Cass. 3e civ. 16 mars 1994

Sur le moyen unique du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis :

Vu les articles 28-2 et 37-1 du décret du 4 janvier 1955 ;

Attendu que peuvent être publiées au bureau des hypothèques de la situation des immeubles qu’elles concernent, pour l’information des usagers, les promesses unilatérales de vente et les promesses unilatérales de bail de plus de 12 ans ;

Attendu selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 25 juin 1991), que, par acte du 23 novembre 1988, publié le 12 mai 1989, Mme X… a accordé à la société Morillon-Corvol une concession d’extraction de matériaux sur deux parcelles, puis, a, par acte authentique du 6 février 1989, publié le 10 mars 1989, consenti un pacte de préférence de vente sur ces mêmes parcelles, à Mme Y…, agissant comme gérant de la société civile immobilière Les Sauts de l’Aigle (la SCI) ;

Attendu que, pour déclarer le contrat de foretage bénéficiant à la société Morillon-Corvol inopposable à la SCI, l’arrêt retient que tout pacte de préférence constituant une restriction au droit de disposer, soumise à publicité obligatoire en application de l’article 28-2 du décret du 4 janvier 1955, le pacte consenti à la SCI était opposable aux tiers à compter du 10 mars 1989, date de la publication ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le pacte de préférence, qui s’analyse en une promesse unilatérale conditionnelle, ne constitue pas une restriction au droit de disposer, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 25 juin 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse

III) L’inexécution du pacte de préférence

Le pacte de préférence est un contrat. Il en résulte qu’il est pourvu de la force obligatoire, conformément aux articles 1193 et suivants du Code civil. Dès lors, en cas d’inexécution, le débiteur engage sa responsabilité contractuelle.

Reste à déterminer en quoi la violation du pacte de préférence peut-elle consister.

A) Les cas d’inexécution du pacte de préférence

Afin d’identifier les différents cas de violation du pacte de préférence, il convient de se placer successivement du point de vue des trois protagonistes du pacte :

  • Du point de vue du promettant
    • Lorsque le promettant décide de vendre le bien, objet du droit de priorité, il doit se tourner vers le bénéficiaire du pacte et engager avec lui des négociations
      • Si les négociations aboutissent et que le bénéficiaire accepte l’offre du promettant, le contrat de vente projeté devient définitif
      • Si les négociations n’aboutissent pas, le promettant redevient libre de formuler une offre à un tiers, sans pour autant porter atteinte au pacte de préférence
    • Aussi, du point de vue du promettant, la violation du pacte de préférence se produira dans deux cas :
      • Soit le promettant a conclu le contrat de vente avec un tiers sans engager de négociations avec le bénéficiaire du pacte, soit en violation de son droit de priorité
      • Soit le promettant, après avoir engagé des négociations avec le bénéficiaire du pacte, lesquelles n’ont pas abouti, a formulé une offre plus favorable au tiers (Cass. 3e civ. 29 janv. 2003, n°01-03.707).
  • Du point de vue du bénéficiaire
    • Trois hypothèses peuvent être envisagées :
      • Le bénéficiaire peut purement et simplement accepter l’offre qui lui a été faite par le promettant.
        • Le contrat de vente est alors valablement conclu.
        • Le bénéficiaire ne peut alors plus se rétracter, ce en vertu, non pas du pacte de préférence, mais du contrat de vente qui a été valablement formé
      • Le bénéficiaire peut également, après avoir négocié avec le promettant, refuser in fine l’offre qui lui est faite.
        • Dans cette hypothèse, la rencontre de l’offre et de l’acceptation ne s’est pas réalisée, de sorte que le contrat de vente n’a pas pu valablement se former
        • Le promettant redevient livre de contracter avec un tiers
      • Le bénéficiaire peut enfin, avant que le promettant ne lui adresse une offre, renoncer au droit de priorité qui lui a été consenti, alors même que ce dernier envisage de vendre le bien sur lequel porte le pacte de préférence.
        • Dans cette hypothèse, aucun manquement ne peut être reproché au bénéficiaire, dans la mesure où, à aucun moment, il n’a donné son consentement définitif à l’acte de vente.
        • Le promettant redevient, là encore, livre de contracter avec un tiers
    • Au total, dans la mesure où le bénéficiaire dispose d’un droit potestatif, il ne saurait engager sa responsabilité en cas de renoncement quant à l’exercice du son droit de priorité.
  • Du point de vue du tiers
    • Principe
      • En vertu du principe de l’effet relatif des conventions, le pacte de préférence ne crée aucune obligation à l’égard des tiers.
      • Dès lors, dans l’hypothèse où le tiers conclurait le contrat de vente avec le promettant en violation du droit de priorité du bénéficiaire, le tiers ne saurait engager sa responsabilité
    • Exception
      • Quid dans l’hypothèse où le tiers connaissait l’existence du pacte de préférence ? Engage-t-il sa responsabilité en sa qualité de complice de l’inexécution du pacte ?
      • Si, conformément à l’article 1199 les contrats ne produisent d’effets qu’à l’égard des seules parties, l’article 1200 ajoute que « les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat »
      • Le tiers qui, par conséquent, a connaissance de l’existence d’un pacte de préférence, ne saurait contracter avec le promettant sans s’assurer, au préalable, que ce dernier a satisfait à son obligation de négocier, en priorité, avec le bénéficiaire du pacte
      • À défaut, il engage sa responsabilité délictuelle
      • Aussi, afin de se prémunir d’une action en responsabilité, il lui appartient d’interroger le bénéficiaire sur ses intentions quant à l’exercice de son droit de priorité
    • L’action interrogatoire
      • L’article 1123, al. 3 du Code civil, introduit par l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit que « le tiers peut demander par écrit au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir. »
      • Le tiers peut donc, en quelque sorte, inviter le bénéficiaire du pacte à opter.
      • Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une simple invitation puisque l’alinéa 4 de l’article 1123 précise que « l’écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat »
      • En d’autres termes, le tiers peut imposer au bénéficiaire du pacte d’opter dans un délai – raisonnable – à défaut de quoi l’offre qui lui a été faite par le promettant deviendra caduque
      • Une fois le délai d’option écoulé, le tiers sera, par conséquent, en droit de se substituer au bénéficiaire, sans risquer d’engager sa responsabilité et par là même celle du promettant.
      • On peut toutefois se demander si le tiers aura véritablement intérêt à exercer cette action interrogatoire, dans la mesure où, dans cette hypothèse, il sera présumé irréfragablement connaître l’existence du pacte de préférence.
      • Aussi, dans la mesure où la mise en œuvre de sa responsabilité est subordonnée à l’établissement de sa mauvaise foi, il aura tout intérêt à feindre son ignorance du pacte de préférence, à charge pour le bénéficiaire de prouver qu’il en avait effectivement connaissance.
      • Immédiatement, une question alors se pose : doit-on présumer que le tiers qui n’a pas exercé son action interrogatoire est présumé de mauvaise foi ou s’agit-il là d’une simple faculté de sorte que la charge de la preuve pèsera toujours sur le bénéficiaire ?

B) La sanction de l’inexécution du pacte de préférence

Aux termes de l’article 1123, al. 2 du Code civil « lorsqu’un contrat est conclu avec un tiers en violation d’un pacte de préférence, le bénéficiaire peut obtenir la réparation du préjudice subi. Lorsque le tiers connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, ce dernier peut également agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu. »

Il ressort de cette disposition que plusieurs sortes de sanctions sont susceptibles d’être prononcées en cas de violation du pacte de préférence :

?L’octroi de dommages et intérêts

En cas de violation du pacte de préférence, l’article 1123, al. 2 prévoit, avant toute chose, que « le bénéficiaire peut obtenir la réparation du préjudice subi ».

Le bénéficiaire pourra alors se retourner :

  • D’une part, contre le promettant sur le fondement de la responsabilité contractuelle
  • D’autre part, contre le tiers de mauvaise foi sur le fondement de la responsabilité délictuelle

La réparation du préjudice subi se traduira, dans les deux cas, par l’octroi de dommages et intérêts au bénéficiaire du pacte.

?La nullité du contrat conclu en violation du pacte

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le tiers est de bonne foi
    • Le tiers de bonne foi est celui qui ignore l’existence du pacte de préférence
    • Dans cette hypothèse, le pacte de préférence lui est inopposable, quand bien même il aurait fait l’objet d’une mesure de publicité, car il s’agit là d’une formalité facultative
    • Dès lors, non seulement le tiers n’engage pas sa responsabilité, mais encore le contrat conclu avec le promettant n’encourt pas la nullité.
    • Quand bien même le droit de priorité du bénéficiaire a été violé, cela ne l’autorise pas à remettre en cause un contrat valablement formé.
  • Le tiers est de mauvaise foi
    • Le tiers de mauvaise foi est celui qui avait connaissance du pacte de préférence
      • Charge de la preuve
        • La question se pose alors de savoir sur qui pèse la charge de la preuve ?
        • Aux termes de l’article 2274 du Code civil « la bonne foi est toujours présumée » et que « c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver »
        • Eu égard à cette disposition, la charge de la preuve devrait donc peser sur le bénéficiaire du pacte de préférence
        • Toutefois, l’action interrogatoire introduite par le législateur à la faveur du tiers conduit à se demander comme évoqué précédemment si le tiers qui n’a pas exercé son action interrogatoire est présumé de mauvaise foi ou s’agit-il là d’une simple faculté de sorte que la charge de la preuve pèsera toujours sur le bénéficiaire ?
        • L’article 1123 est silencieux sur ce point, tout autant que le rapport du président de la république.
        • Il faudra donc attendre que la Cour de cassation se prononce.
      • Nullité
        • dès lors que la mauvaise foi du tiers est établie, le bénéficiaire du pacte de préférence peut solliciter la nullité du contrat conclu en violation de son droit de priorité (V. en ce sens Cass. req., 15 avr. 1902)
      • Conditions
        • Le prononcé de la nullité est subordonné à la satisfaction de deux conditions cumulatives, lesquelles ont toutes les deux été reprises par l’ordonnance du 10 février 2016 :

?La substitution du bénéficiaire au tiers

En cas de mauvaise foi du tiers, l’article 1123, al. 2 prévoit que le bénéficiaire du pacte de préférence a la faculté, en plus de solliciter la nullité du contrat, « de demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu ».

Ainsi, le législateur a-t-il consacré la jurisprudence de la Cour de cassation qui jusqu’en 2006 avait toujours refusé d’admettre que le bénéficiaire puisse se substituer au tiers acquéreur de mauvaise foi en cas de violation du pacte de préférence :

  • La position antérieure de la Cour de cassation
    • Dans un arrêt abondamment commenté du 30 avril 1997, la Cour de cassation avait d’abord estimé que, dans la mesure où « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages-intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur » la violation d’un pacte de préférence ne pouvait donner lieu qu’à l’octroi de dommages et intérêts (Cass. 1ère civ. 30 avr. 1997, n°95-17.598).
    • Pour la première chambre civile, la substitution du bénéficiaire du pacte de préférence au tiers acquéreur était donc totalement exclue.
    • La position adoptée par la Cour de cassation reposait sur deux idées principales
      • En premier lieu, la conclusion du pacte de préférence créerait à la charge du promettant une obligation de ne pas faire – et non de donner – si bien que l’exécution en nature serait impossible, l’ancien article 1142 du Code prévoyant qu’une telle obligation se résout exclusivement en dommages et intérêts
        • À cet argument il a été opposé par une partie de la doctrine que l’ancien article 1143 offrait la possibilité d’une exécution en nature en cas de violation d’une obligation de ne pas faire.
      • En second lieu, il a été avancé que la violation du pacte de préférence témoignerait de l’absence de volonté du promettant de contracter avec le bénéficiaire du pacte de préférence. Or on ne saurait contraindre une personne à contracter sans qu’elle y ait consenti
        • Il s’agirait donc là d’un obstacle rédhibitoire à la substitution
        • La doctrine a néanmoins objecté que le promettant avait bel et bien exprimé son consentement, puisqu’il a précisément conclu un contrat de vente avec le tiers acquéreur.
        • Or dès lors qu’il fait le choix de vendre, il ne peut contracter qu’avec le bénéficiaire du pacte de préférence
        • La Cour de cassation semble manifestement avoir été sensible à ce dernier argument, puisqu’elle est revenue en 2006 sur sa position.

Cass. 1ère civ. 30 avr. 1997

Attendu qu’après avoir formé un recours en cassation le 28 juillet 1995, contre un arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 7 avril 1995, la société Office européen d’investissement a été mise en liquidation judiciaire par un jugement du 18 décembre 1995 qui a désigné M. X… en qualité de liquidateur ; que le mémoire du demandeur a été remis au secrétariat-greffe et signifié le 26 décembre 1995, au nom de la société OFEI et que le liquidateur n’a repris l’instance que le 7 novembre 1996 après l’expiration du délai de 5 mois à compter de sa désignation prévue à l’article 978 du nouveau Code de procédure civile ; d’où il suit que la déchéance du pourvoi est encourue ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi provoqué :

Vu l’article 1142 du Code civil ;

Attendu que toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages-intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 7 avril 1995), que, suivant un acte du 13 novembre 1990, la société Imprimerie H. Plantin a donné à bail des locaux à l’association Médecins du Monde (l’association) ; que l’acte comportait une clause aux termes de laquelle ” en cas de vente de l’immeuble le droit de préemption sera en priorité accordé par le bailleur au preneur ” ; que, par acte authentique du 13 février 1991, la société Imprimerie H. Plantin a vendu les locaux à la société Office européen d’investissement (OFEI) moyennant un prix de 7 000 000 francs ; que la société Sofal est intervenue à l’acte pour consentir un prêt à l’acquéreur ; que, le 20 février 1991, la société OFEI a fait une offre de vente des locaux à l’association moyennant le prix de 14 500 000 francs ; que, après avoir refusé d’acquérir les locaux en l’état, l’association a donné son accord, le 28 octobre 1991, pour les acquérir au prix de 9 500 000 francs, la vente devant intervenir le 14 décembre 1991 au plus tard ; que l’association a assigné les sociétés imprimerie H. Plantin et OFEI en annulation de la vente du 13 février 1991 et en substitution avec remboursement des sommes versées au titre des loyers ; que la société Sofal est intervenue à l’instance ;

Attendu que, pour dire que l’association est substituée à la société OFEI dans la vente aux prix et conditions de celle-ci, l’arrêt retient que les droits du bénéficiaire d’un pacte de préférence sont opposables au tiers acquéreur du bien dans la mesure où celui-ci a commis une fraude ; qu’en l’espèce la collusion entre la société Imprimerie H. Plantin et la société OFEI est évidente et leur mauvaise foi caractérisée et qu’il sera fait droit à la demande de l’association tendant à voir confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné sa substitution dans la vente litigieuse ;

Qu’en statuant ainsi la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CONSTATE la déchéance du pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 7 avril 1995, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles

  • Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation
    • Dans un arrêt du 26 mai 2006 la Cour de cassation, réunie en chambre mixte est revenue sur sa position initiale en estimant que « le bénéficiaire d’un pacte de préférence est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur » (Cass. ch. mixte, 26 mai 2006, n°03-19.376).
    • Très attendue, la solution adoptée par la Cour de cassation a été saluée par une grande majorité de la doctrine à une réserve près :
    • La Cour de cassation affirme que le bénéficiaire d’un pacte de préférence peut exiger l’annulation du contrat « ET » cumulativement obtenir sa substitution à l’acquéreur.
    • Or cela est impossible dans la mesure où par définition, une fois annulé, le contrat est anéanti rétroactivement de sorte que le bénéficiaire ne peut pas devenir partie à un contrat qui n’existe plus.
    • La substitution exige que le contrat soit maintenu pour opérer.
    • En conséquence, le bénéficiaire du pacte de préférence ne disposera que d’un choix alternatif :
      • Soit il sollicitera la nullité du contrat
      • Soit il sollicitera sa substitution au tiers acquéreur

Cass. ch. mixte, 26 mai 2006

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Papeete, 13 février 2003), qu’un acte de donation-partage dressé le 18 décembre 1957 et contenant un pacte de préférence a attribué à Mme Adèle A… un bien immobilier situé à Haapiti ; qu’une parcelle dépendant de ce bien a été transmise, par donation-partage du 7 août 1985, rappelant le pacte de préférence, à M. Ruini A…, qui l’a ensuite vendue le 3 décembre 1985 à la SCI Emeraude, par acte de M. B…, notaire ; qu’invoquant une violation du pacte de préférence stipulé dans l’acte du 18 décembre 1957, dont elle tenait ses droits en tant qu’attributaire, Mme X… a demandé, en 1992, sa substitution dans les droits de l’acquéreur et, subsidiairement, le paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que les consorts X… font grief à l’arrêt d’avoir rejeté la demande tendant à obtenir une substitution dans les droits de la société Emeraude alors, selon le moyen :

1 / que l’obligation de faire ne se résout en dommages-intérêts que lorsque l’exécution en nature est impossible, pour des raisons tenant à l’impossibilité de contraindre le débiteur de l’obligation à l’exécuter matériellement ; qu’en dehors d’une telle impossibilité, la réparation doit s’entendre au premier chef comme une réparation en nature et que, le juge ayant le pouvoir de prendre une décision valant vente entre les parties au litige, la cour d’appel a fait de l’article 1142 du code civil, qu’elle a ainsi violé, une fausse application ;

2 / qu’un pacte de préférence, dont les termes obligent le vendeur d’un immeuble à en proposer d’abord la vente au bénéficiaire du pacte, s’analyse en l’octroi d’un droit de préemption, et donc en obligation de donner, dont la violation doit entraîner l’inefficacité de la vente conclue malgré ces termes avec le tiers, et en la substitution du bénéficiaire du pacte à l’acquéreur, dans les termes de la vente ; que cette substitution constitue la seule exécution entière et adéquate du contrat, laquelle ne se heurte à aucune impossibilité ; qu’en la refusant, la cour d’appel a violé les articles 1134, 1138 et 1147 du code civil ;

3 / qu’en matière immobilière, les droits accordés sur un immeuble sont applicables aux tiers dès leur publication à la conservation des hypothèques ; qu’en subordonnant le prononcé de la vente à l’existence d’une faute commise par l’acquéreur, condition inutile dès lors que la cour d’appel a constaté que le pacte de préférence avait fait l’objet d’une publication régulière avant la vente contestée, la cour d’appel a violé les articles 28, 30 et 37 du décret du 4 janvier 1955 ;

Mais attendu que, si le bénéficiaire d’un pacte de préférence est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur, c’est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir ; qu’ayant retenu qu’il n’était pas démontré que la société Emeraude savait que Mme X… avait l’intention de se prévaloir de son droit de préférence, la cour d’appel a exactement déduit de ce seul motif, que la réalisation de la vente ne pouvait être ordonnée au profit de la bénéficiaire du pacte ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

  • L’ordonnance du 10 février 2016
    • En consacrant la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 26 mai 2006, le législateur a rectifié la maladresse de rédaction des juges en remplaçant la conjonction de coordination « ET » par « OU ».
    • Ainsi, les sanctions que constituent la nullité et la substitution sont-elles bien alternatives et non cumulatives.
    • Quant aux conditions de mise en œuvre de la substitution du bénéficiaire au tiers acquéreur, elles sont identiques à celle exigées en matière de nullité.
    • Autrement dit, ces conditions – cumulatives – sont au nombre de deux :
      • Le tiers acquéreur doit avoir eu connaissance de l’existence du pacte de préférence
      • Le tiers acquéreur doit avoir eu connaissance de l’intention du bénéficiaire d’exercer son droit de priorité