La dation en paiement: régime

==> Vue générale

L’article 1342-4 du Code civil prévoit que le créancier « peut accepter de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû. »

Il ressort de cette disposition que le principe d’immutabilité de l’objet du paiement n’est pas impératif. Il peut y être dérogé par les parties.

Lorsque le créancier accepte que le débiteur lui fournisse une prestation différente de celle qui était initialement convenu au contrat, on dit que s’opère alors une dation en paiement, laquelle s’analyse en un mode d’extinction des obligations.

Plus précisément, la dation en paiement se définit comme « la convention par laquelle le créancier accepte de recevoir en paiement une prestation différente de celle qui était prévue au contrat »[1].

Concrètement, c’est le fait pour le débiteur d’une obligation ayant pour objet, par exemple une somme d’argent, de s’acquitter de sa dette par l’exécution d’une autre prestation, telle que la délivrance d’une chose ou la fourniture d’un service d’une valeur équivalente.

Dans son sens littéral, le terme « dation », qui vient du latin « dare » (donner), signifie transfert de propriété. Aussi, la dation en paiement consisterait nécessairement en la substitution de l’obligation initiale par la remise d’une chose.

Est-ce à dire qu’il ne pourrait pas y avoir dation en paiement en cas fourniture d’une prestation de services en remplacement de la remise d’une somme d’argent ?

La doctrine majoritaire réfute cette analyse et plaide pour une approche extensive de la dation en paiement. Selon elle, la nature de la prestation substituée à celle convenue initialement par les parties serait indifférente.

Ce qui importe c’est que le mode de paiement accepté par le créancier diffère de celui stipulé au contrat.

C’est manifestement cette approche qui a été validée par le législateur à l’occasion de la réforme du régime général des obligations. L’article 1342-4 du Code civil ne limite aucunement la dation en paiement au cas de substitution de la prestation originaire par la délivrance d’une chose.

==> Nature

La nature de la dation en paiement a été âprement discutée en doctrine. Les auteurs ont cherché à l’habiller de plusieurs qualifications. Nous n’en aborderons que deux :

  • Dation en paiement et novation
    • D’aucuns ont soutenu que la dation en paiement s’analyserait en une novation par changement d’objet.
    • Pour mémoire, la novation consiste en un « contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée» ( 1329 C. civ.)
    • Il s’agit, autrement dit, d’une modalité d’extinction d’une obligation préexistante par la substitution d’une obligation nouvelle.
    • Ce mécanisme présente la particularité de lier indivisiblement l’extinction de la première obligation et la création de la seconde.
    • Autrement dit, la création de l’obligation nouvelle ne peut s’opérer sans extinction de l’obligation primitive.
    • À l’examen, la dation en paiement se distingue de la novation en ce que les parties ont l’intention d’éteindre le rapport d’obligation qui les lie.
    • Tel n’est pas le cas en présence d’une novation qui implique la volonté des parties de substituer le rapport d’obligation primitif par un nouveau rapport d’obligation.
    • À cet argument, les tenants de la thèse de la novation opposent que la dation en paiement consisterait bien en la substitution d’une obligation primitive, par une obligation nouvelle ; seulement, cette dernière s’exécuterait immédiatement.
    • La Cour de cassation est allée dans le sens de cette thèse en admettant dans un arrêt du 12 janvier 1988 que « la dation en paiement comme le paiement lui-même, peut être à terme» ( 3e civ. 12 janv. 1988, n°86-14.562).
    • Manifestement, dans cette configuration rien ne la distinguerait de la novation dans la mesure où la substitution de la prestation d’origine par une autre prestation pourrait s’étirer dans le temps, ce qui correspond précisément à l’hypothèse de la novation.
  • Dation en paiement et vente assortie d’une compensation
    • Certains auteurs voient dans la dation en paiement une vente dont le prix serait payé par le créancier, lequel prix viendrait se compenser avec la dette initiale
    • Au soutien de cette thèse, ils avancent que la jurisprudence a appliqué certains effets de la vente à la dation en paiement.
    • La Cour de cassation a, par exemple, admis dans le cadre d’une dation en paiement l’application des règles de la rescision pour lésion (V. en ce sens 3e civ. 25 mai 1983, n°81-13.214), de la garantie des vices cachés (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 20 nov. 1990, n°89-14.583) ou encore du principe de transfert immédiat de la propriété (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 27 janv. 1993, n°91-12.115).
    • Bien séduisante, l’analogie avec la vente ne permet pas de rendre compte des cas de dation en paiement non translatifs de propriété.
    • En effet, pour qu’il y ait vente, encore faut-il qu’il y ait transfert de propriété ; or la dation en paiement peut intervenir en dehors de toute remise de chose.
    • Surtout, certains effets de la vente ne sont pas applicables à la dation en paiement.
    • Par exemple, en cas d’annulation de l’obligation initiale, la dation en paiement emporte restitution du bien remis à titre de paiement alors que si l’on était en présence d’une vente le débiteur ne pourrait réclamer que la restitution du prix du bien délivré.
    • Pour toutes ces raisons, la dation en paiement ne se confond pas avec la vente.

Au bilan, comme souligné par certains « rien ne justifie que l’on contraigne ainsi la dation en paiement dans le moule d’un autre mécanisme ou que l’on conclut à une hypothétique qualification mixte »[2].

La dation en paiement n’est autre qu’un mode particulier d’extinction des obligations. Elle obéit à des règles propres, en particulier celle posant l’exigence de consentement du créancier.

I) Conditions de la dation en paiement

Parce que la dation en paiement consiste pour le débiteur à fournir au créancier une prestation différente de celle convenue initialement, elle a toujours été envisagée avec une certaine méfiance.

En effet, il s’agit d’un mode anormal de paiement qui interroge sur la situation financière du débiteur. La dation en paiement a, par ailleurs, pour effet de modifier les termes du contrat, de sorte qu’il ne faudrait pas qu’elle porte atteinte à sa force obligatoire.

Pour toutes ces raisons, la dation en paiement est susceptible d’être plus facilement annulée que les autres modalités de paiement. À cet égard, il a été admis qu’elle puisse être remise en cause par la voie de l’action paulienne (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 19 janv. 1977, n°75-14.274).

Pour que la dation en paiement soit valable, quatre conditions cumulatives doivent être réunies :

  • Première condition
    • La dation en paiement n’est valable que si le créancier a donné son accord.
    • Cette condition est expressément posée par l’article 1342-4 du Code civil qui exige que le créancier accepte de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû.
    • Il s’agit là d’une reprise de la solution en vigueur sous l’empire du droit antérieur à l’adoption de l’ordonnance du n° 2016-131 du 10 février 2016.
    • Dans un arrêt du 13 avril 2005, la Cour de cassation avait affirmé, par exemple, que « le créancier ne peut être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due, quoique la valeur de la chose offerte soit égale ou même plus grande» ( 3e civ. 13 avr. 2005, n°04-10.774).
    • À cet égard, dans un arrêt du 21 novembre 1995, la Première chambre civile a admis que l’accord du créancier puisse être tacite ( 1ère civ. 21 nov. 1995, n°93-16.554).
  • Deuxième condition
    • La dation en paiement présuppose l’existence d’une obligation primitive non éteinte
    • Autrement dit, elle ne doit avoir fait l’objet d’aucun paiement faute de quoi la dation en paiement serait sans objet : on ne peut pas éteindre une obligation déjà éteinte.
  • Quatrième condition
    • Pour produire ses effets, la dation en paiement implique qu’il soit remis en paiement au créancier autre chose que ce qui lui est dû.
    • Autrement dit, la prestation fournie par le débiteur doit être d’une nature différente de celle initialement convenue.
    • Trois cas de dation en paiement sont admis aujourd’hui :
      • Si la prestation initialement convenue consiste en un versement de somme d’agent, le débiteur pourra se libérer de son obligation en remettant une chose ou en fournissant un service d’une valeur équivalente
      • Si la prestation initialement convenue consiste en la remise d’une chose, le débiteur pourra se libérer de son obligation en versant une somme d’argent équivalente à la valeur de cette chose ou en remettant un autre bien ou en fournissant un service d’une valeur équivalente
      • Si la prestation initialement convenue consiste en la fourniture d’un service, le débiteur pourra se libérer de son obligation en versant une somme d’argent ou en remettant une autre chose d’une valeur équivalente ou en fournissant un autre service d’une valeur équivalente

II) Effets de la dation en paiement

Plusieurs effets sont attachés à la dation en paiement :

  • Premier effet
    • La dation en paiement est un mode d’extinction des obligations.
    • Elle a donc pour effet d’éteindre l’obligation sur laquelle elle porte et, par voie de conséquence de libérer le débiteur de son engagement
  • Deuxième effet
    • En ce qu’elle constitue un mode de paiement, la dation en paiement produit un effet libératoire.
    • Autrement dit, lorsque les conditions sont réunies, elle libère le débiteur de son engagement envers le créancier.
  • Troisième effet
    • Selon la prestation fournie par le débiteur en remplacement de la prestation initiale, la dation en paiement produit des effets différents.
    • Elle produira notamment un effet translatif dans l’hypothèse où le débiteur exécute son obligation par la remise d’une chose.
    • Dans cette hypothèse, la dation en paiement se rapprochera d’une vente, raison pour laquelle la jurisprudence a estimé qu’il avait lieu d’admettre, lorsqu’elle porte sur un immeuble, l’action en rescision pour lésion ( 3e civ. 25 mai 1983, n°81-13.214), le principe de transfert immédiat de la propriété (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1993, n°91-12.115), l’application de la garantie des vices cachés (Cass. 1ère civ. 20 nov. 1990, n°89-14.583) ou de la garantie d’éviction (Cass. 3e civ. 13 déc. 1968).
    • Dans l’hypothèse, en revanche, où la prestation de substitution consistera en la fourniture d’un service, il est probable qu’on soumette la dation en paiement à certains effets du contrat d’entreprise.

 

[1] J. François, Traité de droit civil – Les obligations, Régime général, Economica 2017, n°139, p. 126.

[2] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1423, p. 1504

Le principe d’immutabilité de l’objet du paiement

Pour mémoire, l’article 1342, al. 1er du Code civil définit le paiement comme « l’exécution volontaire de la prestation due ».

L’objet du paiement c’est donc la prestation due par le débiteur. Pour que celui-ci soit libéré de son obligation, l’exécution de cette prestation doit répondre à deux exigences :

  • D’une part, le débiteur doit fournir la même prestation que celle prévue au contrat. C’est le principe d’immutabilité de l’objet du paiement
  • D’autre part, le débiteur doit fournir l’intégralité de la prestation en raison du principe d’indivisibilité du paiement

Nous nous focaliserons ici sur le principe d’immutabilité de l’objet du paiement.

I) Principe

A) Exposé du principe

Bien qu’énoncé par aucun texte, il est de principe que l’objet du paiement est immutable, soit que l’on ne peut pas le permuter.

Autrement dit, le débiteur ne peut pas fournir une prestation différente de celle prévue initialement au contrat.

L’ancien article 1243 du Code civil disposait en ce sens que « le créancier ne peut être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due, quoique la valeur de la chose offerte soit égale ou même plus grande. »

Cette règle s’infère de la lecture a contrario du nouvel article 1342-4 du Code civil introduit par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.

Cette disposition prévoit, en effet, que le créancier « peut accepter de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû ».

A contrario, cela signifie donc qu’il est fondé à refuser la prestation qui consisterait à fournir autre chose que ce qui lui est dû, fût-t-elle d’une valeur identique ou même supérieure.

Pour être libéré de son obligation, le débiteur doit fournir exactement la même prestation que celle à laquelle il s’est contractuellement engagé.

Cette règle se justifie par la force obligatoire du contrat qui contraint les parties à exécuter leurs obligations conformément aux termes du contrat.

Dans un arrêt du 7 octobre 1997, la Cour de cassation a ainsi approuvé la décision rendue par une Cour d’appel qui avait estimé que, s’agissant de l’obligation résultant d’une décision judiciaire, laquelle est libellée en francs français, « le débiteur n’était pas fondé, en vertu de l’article 1243 du Code civil, à imposer au créancier, fût-il comme lui de nationalité étrangère et domicilié à l’étranger, un paiement en monnaie étrangère » (Cass. 1ère civ. 7 oct. 1997, n°95-16.671).

B) Mise en œuvre du principe

Selon le type d’obligation qui pèse sur le débiteur, l’objet du paiement se laisse plus ou moins facilement appréhendé.

En présence d’une obligation de ne pas faire le paiement consistera pour le débiteur à s’abstenir.

A l’inverse, en présence d’une obligation de faire, le paiement supposera l’accomplissement d’une action positive (non-concurrence, non divulgation d’informations confidentielles etc.).

Dans l’un ou l’autre cas, l’objet du paiement ne soulèvera pas de difficulté quant à la prestation attendue du débiteur : tantôt il doit s’abstenir, tantôt il doit agir.

Plus délicate est en revanche la détermination de l’objet du paiement lorsque :

  • Soit la prestation consiste à remettre un corps certain
  • Soit la prestation consiste à remettre une chose de genre

1. La prestation consiste à remettre un corps certain

Lorsque la chose à remettre au créancier consiste en un corps certain, la question se pose de savoir dans quel état cette chose doit se trouver au moment de sa livraison.

a. Notion

Par corps certain, il faut entendre une chose unique qui possède une individualité propre.

Exemple : un immeuble, un bijou de famille, une œuvre d’art, etc…

Les corps certains se caractérisent par leur singularité, en ce sens qu’ils n’ont pas leur pareil. Il s’agit donc de choses qui possèdent une identité : on ne peut pas les remplacer à l’identique.

À cet égard, les immeubles sont toujours des corps certains, car ils occupent toujours une situation géographique qui leur est propre, sauf à être envisagées abstraitement, soit présentés comme composant un lot.

b. Application

L’article 1342-5 du Code civil prévoit que « le débiteur d’une obligation de remettre un corps certain est libéré par sa remise au créancier en l’état, sauf à prouver, en cas de détérioration, que celle-ci n’est pas due à son fait ou à celui de personnes dont il doit répondre. »

Cette disposition aborde la question de l’état dans laquelle la chose doit être remise au créancier lorsqu’elle consiste en un corps certain.

==> Principe

Le texte dit que, pour être libéré de son obligation le débiteur doit remettre au créancier la chose « en l’état ».

Que faut-il entendre par en l’état ? Il faut comprendre deux choses :

  • Premier élément
    • La chose ne doit pas avoir été détériorée, soit doit se trouver dans un état conforme à celui stipulé au contrat.
  • Premier élément
    • En précisant que pour être libéré de son obligation, il suffit au débiteur de remettre la chose « en l’état » ; le législateur a entendu faire peser les risques sur le créancier.
    • Autrement dit, les détériorations susceptibles d’affecter l’état de la chose entre la naissance de l’obligation et la remise de la chose doivent être supportées par le créancier.
    • Il s’agit là d’une reprise de l’ancien article 1245 du Code civil qui prévoyait que « le débiteur d’un corps certain et déterminé est libéré par la remise de la chose en l’état où elle se trouve lors de la livraison».

==> Exceptions

Si donc le créancier supporte les risques de détérioration de la chose due tant qu’elle ne lui a pas été remise, ce principe souffre de plusieurs exceptions :

  • Première exception : le fait du créancier ou d’une personne dont il doit répondre
    • L’article 1342-5 du Code civil prévoit que le débiteur ne supporte pas les risques de détérioration de la chose « sauf à prouver, en cas de détérioration, que celle-ci n’est pas due à son fait ou à celui de personnes dont il doit répondre. »
    • Ainsi, en cas de détérioration de la chose au jour de sa livraison, le créancier peut engager la responsabilité du débiteur dans deux cas :
      • Premier cas
        • La détérioration de la chose a été causée par le débiteur lui-même.
        • Le texte vise « le fait» du débiteur, ce qui signifie qu’il est indifférent que ce fait soit ou non constitutif d’une faute.
        • Il suffit seulement que la détérioration soit imputable au débiteur
      • Second cas
        • La détérioration de la chose a été causée par une personne dont le débiteur doit répondre.
        • Il peut s’agir d’un préposé, d’un mandataire ou encore d’une personne dont il est le représentant
        • Là encore, il est indifférent que la personne à l’origine de la détérioration ait commis une faute ; son simple fait suffit à engager la responsabilité du débiteur
    • Lorsque la détérioration de la chose résulte du fait du débiteur ou d’une personne dont il doit répondre, non seulement le créancier ne supporte pas les risques de cette détérioration, mais encore il est fondé à réclamer au débiteur le paiement de dommages et intérêts à hauteur du préjudice subi.
    • À cet égard, comme précisé par l’article 1342-5 du Code civil, en cas de détérioration de la chose, c’est au débiteur qu’il appartient de prouver qu’elle résulte, non de son fait, ni du fait des personnes dont il doit répondre.
  • Deuxième exception : la mise en demeure du débiteur
    • Si, par principe, la charge des risques de la chose à remettre pèse sur le créancier, lorsque le débiteur tarde à la délivrer cette charge est susceptible de s’inverser.
    • L’article 1344-2 du Code civil prévoit, en effet, que « la mise en demeure de délivrer une chose met les risques à la charge du débiteur, s’ils n’y sont déjà. »
    • Seule solution pour ce dernier de s’exonérer de sa responsabilité :
      • D’une part, l’impossibilité d’exécuter l’obligation de délivrance doit résulter de la perte de la chose due
      • D’autre part, il doit être établi que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée.
    • Lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies, la charge des risques repasse sur la tête du créancier.
  • Troisième exception : les contrats de propriété soumis au droit de la consommation
    • Les articles L. 216-1 à 216-6 du Code de la consommation régissent la livraison de la chose aliéné et le transfert de la charge des risques lorsque le contrat est conclu entre un professionnel et un consommateur
    • Par souci de protection du consommateur, le législateur a dérogé au principe de transfert des risques concomitamment au transfert de propriété énoncé à l’article 1196, al. 3e du Code civil en prévoyant à l’article L. 216-4 du Code de la consommation que « tout risque de perte ou d’endommagement des biens est transféré au consommateur au moment où ce dernier ou un tiers désigné par lui, et autre que le transporteur proposé par le professionnel, prend physiquement possession de ces biens. »
    • Le transfert de la charge des risques intervient, de la sorte, non pas au moment du transfert de propriété, mais au moment de la livraison du bien.
    • Cette règle étant d’ordre public, le professionnel ne peut pas s’y soustraire par convention contraire (art. 216-6 C. conso).
    • Seule exception à la règle, l’article L. 216-5 prévoit que « lorsque le consommateur confie la livraison du bien à un transporteur autre que celui proposé par le professionnel, le risque de perte ou d’endommagement du bien est transféré au consommateur lors de la remise du bien au transporteur».

2. La prestation consiste à remettre une chose de genre

Lorsque la chose à remettre au créancier consiste en une chose de genre, la question se pose de savoir dans quelle quantité et de quelle qualité la chose doit être au moment de sa livraison.

==> Notion

Par chose de genre – que l’on dit fongible – il faut entendre une chose qui ne possède pas une individualité propre.

L’article 587 du Code civil désigne les choses fongibles comme celles qui sont « de même quantité et qualité » et l’article 1892 comme celles « de même espèce et qualité ».

Selon la formule du Doyen Cornu, les choses de genre sont « rigoureusement équivalentes comme instruments de paiement ou de restitution ».

Pour être des choses de genre, elles doivent, autrement dit, être interchangeables, soit pouvoir indifféremment se remplacer les unes, les autres, faire fonction les unes les autres.

Exemple : une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série etc…

Les choses de genre se caractérisent par leur espèce (nature, genre) et par leur quotité.

Ainsi, pour individualiser la chose fongible, est-il nécessaire d’accomplir une opération de mesure ou de compte.

==> Application

Lors de l’adoption de la réforme du régime général des obligations, le législateur qu’il n’y avait pas lieu de reprendre la règle énoncée à l’ancien article 1246 du Code civil.

Cette disposition prévoyait que « si la dette est d’une chose qui ne soit déterminée que par son espèce, le débiteur ne sera pas tenu, pour être libéré, de la donner de la meilleure espèce ; mais il ne pourra l’offrir de la plus mauvaise. »

L’absence de reprise de la règle ainsi énoncée signifie-t-il qu’elle a été abandonnée ?

Il n’en est rien. Le législateur lui a donné une portée plus large en insérant un article 1166 du Code civil qui prévoit désormais que « lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie. »

Si, antérieurement à la réforme du droit des contrats la loi ne posait aucune véritable exigence s’agissant de la qualité de la prestation, la jurisprudence exigeait néanmoins du débiteur qu’il fournisse une prestation de qualité moyenne.

Dorénavant, il n’est donc plus question de qualité moyenne de la prestation : pour répondre à l’exigence de détermination, elle doit seulement être « conforme aux attentes légitimes du créancier », lesquelles attentes doivent être appréciées en considération de la nature de la prestation des usages et de la contrepartie fournie.

Il s’agit là toutefois d’une règle supplétive qui n’aura vocation à s’appliquer que dans l’hypothèse où la prestation n’est ni déterminée, ni déterminable.

II) Exception : la dation en paiement

==> Vue générale

L’article 1342-4 du Code civil prévoit que le créancier « peut accepter de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû. »

Il ressort de cette disposition que le principe d’immutabilité de l’objet du paiement n’est pas impératif. Il peut y être dérogé par les parties.

Lorsque le créancier accepte que le débiteur lui fournisse une prestation différente de celle qui était initialement convenu au contrat, on dit que s’opère alors une dation en paiement, laquelle s’analyse en un mode d’extinction des obligations.

Plus précisément, la dation en paiement se définit comme « la convention par laquelle le créancier accepte de recevoir en paiement une prestation différente de celle qui était prévue au contrat »[1].

Concrètement, c’est le fait pour le débiteur d’une obligation ayant pour objet, par exemple une somme d’argent, de s’acquitter de sa dette par l’exécution d’une autre prestation, telle que la délivrance d’une chose ou la fourniture d’un service d’une valeur équivalente.

Dans son sens littéral, le terme « dation », qui vient du latin « dare » (donner), signifie transfert de propriété. Aussi, la dation en paiement consisterait nécessairement en la substitution de l’obligation initiale par la remise d’une chose.

Est-ce à dire qu’il ne pourrait pas y avoir dation en paiement en cas fourniture d’une prestation de services en remplacement de la remise d’une somme d’argent ?

La doctrine majoritaire réfute cette analyse et plaide pour une approche extensive de la dation en paiement. Selon elle, la nature de la prestation substituée à celle convenue initialement par les parties serait indifférente.

Ce qui importe c’est que le mode de paiement accepté par le créancier diffère de celui stipulé au contrat.

C’est manifestement cette approche qui a été validée par le législateur à l’occasion de la réforme du régime général des obligations. L’article 1342-4 du Code civil ne limite aucunement la dation en paiement au cas de substitution de la prestation originaire par la délivrance d’une chose.

==> Nature

La nature de la dation en paiement a été âprement discutée en doctrine. Les auteurs ont cherché à l’habiller de plusieurs qualifications. Nous n’en aborderons que deux :

  • Dation en paiement et novation
    • D’aucuns ont soutenu que la dation en paiement s’analyserait en une novation par changement d’objet.
    • Pour mémoire, la novation consiste en un « contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée» ( 1329 C. civ.)
    • Il s’agit, autrement dit, d’une modalité d’extinction d’une obligation préexistante par la substitution d’une obligation nouvelle.
    • Ce mécanisme présente la particularité de lier indivisiblement l’extinction de la première obligation et la création de la seconde.
    • Autrement dit, la création de l’obligation nouvelle ne peut s’opérer sans extinction de l’obligation primitive.
    • À l’examen, la dation en paiement se distingue de la novation en ce que les parties ont l’intention d’éteindre le rapport d’obligation qui les lie.
    • Tel n’est pas le cas en présence d’une novation qui implique la volonté des parties de substituer le rapport d’obligation primitif par un nouveau rapport d’obligation.
    • À cet argument, les tenants de la thèse de la novation opposent que la dation en paiement consisterait bien en la substitution d’une obligation primitive, par une obligation nouvelle ; seulement, cette dernière s’exécuterait immédiatement.
    • La Cour de cassation est allée dans le sens de cette thèse en admettant dans un arrêt du 12 janvier 1988 que « la dation en paiement comme le paiement lui-même, peut être à terme» ( 3e civ. 12 janv. 1988, n°86-14.562).
    • Manifestement, dans cette configuration rien ne la distinguerait de la novation dans la mesure où la substitution de la prestation d’origine par une autre prestation pourrait s’étirer dans le temps, ce qui correspond précisément à l’hypothèse de la novation.
  • Dation en paiement et vente assortie d’une compensation
    • Certains auteurs voient dans la dation en paiement une vente dont le prix serait payé par le créancier, lequel prix viendrait se compenser avec la dette initiale
    • Au soutien de cette thèse, ils avancent que la jurisprudence a appliqué certains effets de la vente à la dation en paiement.
    • La Cour de cassation a, par exemple, admis dans le cadre d’une dation en paiement l’application des règles de la rescision pour lésion (V. en ce sens 3e civ. 25 mai 1983, n°81-13.214), de la garantie des vices cachés (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 20 nov. 1990, n°89-14.583) ou encore du principe de transfert immédiat de la propriété (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 27 janv. 1993, n°91-12.115).
    • Bien séduisante, l’analogie avec la vente ne permet pas de rendre compte des cas de dation en paiement non translatifs de propriété.
    • En effet, pour qu’il y ait vente, encore faut-il qu’il y ait transfert de propriété ; or la dation en paiement peut intervenir en dehors de toute remise de chose.
    • Surtout, certains effets de la vente ne sont pas applicables à la dation en paiement.
    • Par exemple, en cas d’annulation de l’obligation initiale, la dation en paiement emporte restitution du bien remis à titre de paiement alors que si l’on était en présence d’une vente le débiteur ne pourrait réclamer que la restitution du prix du bien délivré.
    • Pour toutes ces raisons, la dation en paiement ne se confond pas avec la vente.

Au bilan, comme souligné par certains « rien ne justifie que l’on contraigne ainsi la dation en paiement dans le moule d’un autre mécanisme ou que l’on conclut à une hypothétique qualification mixte »[2].

La dation en paiement n’est autre qu’un mode particulier d’extinction des obligations. Elle obéit à des règles propres, en particulier celle posant l’exigence de consentement du créancier.

A) Conditions de la dation en paiement

Parce que la dation en paiement consiste pour le débiteur à fournir au créancier une prestation différente de celle convenue initialement, elle a toujours été envisagée avec une certaine méfiance.

En effet, il s’agit d’un mode anormal de paiement qui interroge sur la situation financière du débiteur. La dation en paiement a, par ailleurs, pour effet de modifier les termes du contrat, de sorte qu’il ne faudrait pas qu’elle porte atteinte à sa force obligatoire.

Pour toutes ces raisons, la dation en paiement est susceptible d’être plus facilement annulée que les autres modalités de paiement. À cet égard, il a été admis qu’elle puisse être remise en cause par la voie de l’action paulienne (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 19 janv. 1977, n°75-14.274).

Pour que la dation en paiement soit valable, quatre conditions cumulatives doivent être réunies :

  • Première condition
    • La dation en paiement n’est valable que si le créancier a donné son accord.
    • Cette condition est expressément posée par l’article 1342-4 du Code civil qui exige que le créancier accepte de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû.
    • Il s’agit là d’une reprise de la solution en vigueur sous l’empire du droit antérieur à l’adoption de l’ordonnance du n° 2016-131 du 10 février 2016.
    • Dans un arrêt du 13 avril 2005, la Cour de cassation avait affirmé, par exemple, que « le créancier ne peut être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due, quoique la valeur de la chose offerte soit égale ou même plus grande» ( 3e civ. 13 avr. 2005, n°04-10.774).
    • À cet égard, dans un arrêt du 21 novembre 1995, la Première chambre civile a admis que l’accord du créancier puisse être tacite ( 1ère civ. 21 nov. 1995, n°93-16.554).
  • Deuxième condition
    • La dation en paiement présuppose l’existence d’une obligation primitive non éteinte
    • Autrement dit, elle ne doit avoir fait l’objet d’aucun paiement faute de quoi la dation en paiement serait sans objet : on ne peut pas éteindre une obligation déjà éteinte.
  • Quatrième condition
    • Pour produire ses effets, la dation en paiement implique qu’il soit remis en paiement au créancier autre chose que ce qui lui est dû.
    • Autrement dit, la prestation fournie par le débiteur doit être d’une nature différente de celle initialement convenue.
    • Trois cas de dation en paiement sont admis aujourd’hui :
      • Si la prestation initialement convenue consiste en un versement de somme d’agent, le débiteur pourra se libérer de son obligation en remettant une chose ou en fournissant un service d’une valeur équivalente
      • Si la prestation initialement convenue consiste en la remise d’une chose, le débiteur pourra se libérer de son obligation en versant une somme d’argent équivalente à la valeur de cette chose ou en remettant un autre bien ou en fournissant un service d’une valeur équivalente
      • Si la prestation initialement convenue consiste en la fourniture d’un service, le débiteur pourra se libérer de son obligation en versant une somme d’argent ou en remettant une autre chose d’une valeur équivalente ou en fournissant un autre service d’une valeur équivalente

B) Effets de la dation en paiement

Plusieurs effets sont attachés à la dation en paiement :

  • Premier effet
    • La dation en paiement est un mode d’extinction des obligations.
    • Elle a donc pour effet d’éteindre l’obligation sur laquelle elle porte et, par voie de conséquence de libérer le débiteur de son engagement
  • Deuxième effet
    • En ce qu’elle constitue un mode de paiement, la dation en paiement produit un effet libératoire.
    • Autrement dit, lorsque les conditions sont réunies, elle libère le débiteur de son engagement envers le créancier.
  • Troisième effet
    • Selon la prestation fournie par le débiteur en remplacement de la prestation initiale, la dation en paiement produit des effets différents.
    • Elle produira notamment un effet translatif dans l’hypothèse où le débiteur exécute son obligation par la remise d’une chose.
    • Dans cette hypothèse, la dation en paiement se rapprochera d’une vente, raison pour laquelle la jurisprudence a estimé qu’il avait lieu d’admettre, lorsqu’elle porte sur un immeuble, l’action en rescision pour lésion ( 3e civ. 25 mai 1983, n°81-13.214), le principe de transfert immédiat de la propriété (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1993, n°91-12.115), l’application de la garantie des vices cachés (Cass. 1ère civ. 20 nov. 1990, n°89-14.583) ou de la garantie d’éviction (Cass. 3e civ. 13 déc. 1968).
    • Dans l’hypothèse, en revanche, où la prestation de substitution consistera en la fourniture d’un service, il est probable qu’on soumette la dation en paiement à certains effets du contrat d’entreprise.

 

[1] J. François, Traité de droit civil – Les obligations, Régime général, Economica 2017, n°139, p. 126.

[2] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1423, p. 1504

Le paiement fait entre les mains d’un tiers (art. 1342-2 C. civ.)

Si la plupart du temps le paiement sera réalisé entre les mains du créancier, il est des cas où il pourra être effectué auprès d’un tiers.

La qualité d’accipiens n’est ainsi pas nécessairement endossée par le créancier ; elle peut également être attribuée à une personne désignée.

Nous nous focaliserons sur cette seconde situation. 

Pour que le paiement réalisé entre les mains d’un tiers soit valable, il faut que l’accipiens ait été désigné par le créancier.

1. Le paiement fait à la personne désignée

L’article 1342-2 du Code civil prévoit expressément que le paiement peut être fait « à la personne désignée pour le recevoir. »

Par « personne désignée », il faut entendre le représentant du créancier, soit celui investi du pouvoir d’agir au nom et pour le compte de ce dernier.

Pour mémoire, le pouvoir de représentation peut avoir trois sources différentes :

  • La loi: elle désigne les parents comme représentants légaux de l’enfant mineur (administration légale)
  • Le juge: il désigne la personne qui sera chargée de représenter l’incapable majeur (tutelle, curatelle etc.) ou d’administrer une société faisant l’objet d’une procédure collective (administration judiciaire)
  • Le contrat : il peut conférer à la partie désignée le pouvoir de représenter son cocontractant (mandat)

Lorsque le représentant tire son pouvoir d’un mandat, la jurisprudence n’exige pas que celui-ci soit régularisé par écrit (V. en ce sens Cass. req. 3 août, 1840).

La Cour de cassation est allée jusqu’à admettre, dans un arrêt du 14 avril 2016, que le mandat puisse résulter d’un « usage accepté » par les parties (Cass. 3e civ. 14 avr. 2016, n°15-11.343).

Plus généralement, il est indifférent que la personne qui reçoit le paiement tire son pouvoir de la loi, d’une décision de justice ou d’un contrat, ce qui importe c’est qu’elle ait agi dans le cadre d’une représentation du créancier et que donc elle ait valablement reçu pouvoir de le représenter.

Enfin, il peut être observé que l’admission de la réception du paiement par le représentant du créancier rejoint la règle énoncée à l’article 1340 du Code civil qui prévoit que « la simple indication faite par le débiteur d’une personne désignée pour payer à sa place n’emporte ni novation, ni délégation. Il en est de même de la simple indication faite, par le créancier, d’une personne désignée pour recevoir le paiement pour lui. »

2. Le paiement fait à une personne non désignée

a. Principe

Lorsque le paiement est réalisé entre les mains d’une personne qui n’était pas investie du pouvoir de le recevoir, il n’est pas valable.

La conséquence en est que le débiteur n’est pas libéré de son obligation. Cette situation est exprimée par l’adage « qui paye, mal paye deux fois ».

Aussi, le débiteur peut-il être contraint par le créancier à payer une nouvelle fois, le paiement n’ayant pas produit son effet libératoire.

Cette règle n’est toutefois pas absolue ; elle est assortie de deux exceptions.

b. Exceptions

==> Ratification

L’article 1342-2 du Code civil prévoit que « le paiement fait à une personne qui n’avait pas qualité pour le recevoir est néanmoins valable si le créancier le ratifie ou s’il en a profité »

Ainsi, le paiement réalisé entre les mains d’une personne qui n’avait pas le pouvoir de le recevoir peut échapper à la nullité dans deux cas :

  • Premier cas : le paiement a été ratifié par le créancier
    • Le paiement demeure donc valable lorsqu’il a été ratifié a posteriori par le créancier.
    • Cela suppose que ce dernier ait exprimé la volonté de faire produire au paiement son effet libératoire.
    • La ratification du paiement peut être expresse ou implicite.
    • Dans un arrêt du 12 juillet 1993 la Cour de cassation a ainsi admis que l’inscription au débit du compte courant d’un associé qui avait perçu en son nom personnel un paiement qui était destiné à la société valait ratification, de sorte que le débiteur était libéré de son obligation ( com. 12 juill. 1993, n°91-16.793).
    • Dans un arrêt du 1er mars 1962, la Cour de cassation a en revanche considéré que la seule connaissance par le créancier de la réalisation du paiement entre les mains d’une personne qui n’avait pas le pouvoir de le recevoir ne valait pas ratification ( soc. 1er mars 1962).
  • Second cas : le créancier a tiré profit du paiement
    • Lorsque le paiement est réalisé entre les mains d’une personne qui n’avait pas qualité pour le recevoir, il demeure valable si le créancier en a tiré profit.
    • Autrement dit, le paiement doit avoir procuré in fine au créancier un bénéfice équivalent à celui dont il aurait profité s’il avait été réalisé entre les mains de la bonne personne.
    • Tel sera le cas si, en présence de deux héritiers créanciers d’une même dette, le paiement est fait, pour l’intégralité de la dette à l’un d’eux, tandis que l’autre héritier était débiteur du premier.

==> Créancier apparent

  • Principe
    • L’article 1342-3 du Code civil prévoit que « le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable.»
    • Il ressort de cette disposition que, nonobstant l’absence de ratification d’un paiement réalisé entre les mains d’une personne qui n’avait pas le pouvoir de le recevoir, et bien que le créancier n’en ait retiré aucun profit, le paiement peut malgré tout demeurer valable en présence d’un « créancier apparent».
    • À l’analyse, il s’agit là d’une reprise du principe posé par l’ancien article 1240 qui prévoyait que « le paiement fait de bonne foi à celui qui est en possession de la créance est valable, encore que le possesseur en soit par la suite évincé. »
    • Si sur le fond, la règle énoncée reste inchangée ; sur la forme elle connaît une évolution majeure en ce que le législateur a notamment expurgé de sa formulation la référence à « la possession de la créance».
    • La raison en est que l’ancienne formule pouvait être trompeuse, car elle suggérait que le possesseur de la créance était celui qui détenait un titre constatant la créance.
    • Or tel n’était pas le sens du texte : le possesseur de la créance visait la personne qui, pour le solvens, présentait l’apparence du créancier.
    • Le législateur a ainsi entendu lever toute ambiguïté et consacrer la jurisprudence relative à la théorie de l’apparence.
    • Aussi, lorsque le solvens de bonne foi a été trompé par les apparences, soit avait toutes les raisons de croire que la personne auprès de laquelle il a payé était le véritable créancier, son paiement demeure valable et produit un effet libératoire.
    • Tel sera le cas, par exemple, lorsque le solvens paye l’héritier apparent du créancier alors que, en réalité, celui-ci n’était titulaire d’aucun droit en raison de l’existence d’un testament contraire dont lui-même ignorait l’existence car découvert tardivement.
    • L’application de la théorie de l’apparence suppose la réunion de deux conditions cumulatives :
      • Première condition
        • Le solvens doit être de bonne foi, ce qui implique qu’il devait ignorer que la personne entre les mains de laquelle il a payé n’était pas le véritable créancier
        • Autrement dit, il doit avoir cru, de façon erronée, à la qualité de créancier de l’accipiens.
      • Seconde condition
        • La personne qui a reçu le paiement doit avoir, aux yeux des tiers, l’apparence du créancier
        • La croyance du solvens doit ainsi être légitime en ce sens qu’une personne placée dans la même situation aurait commis la même erreur d’appréciation
  • Effets
    • Les conditions de l’apparence sont réunies
      • Dans cette hypothèse, le paiement réalisé par le solvens produit un effet libératoire, ce qui signifie que le débiteur est libéré de son obligation envers le créancier.
      • Charge alors à ce dernier de se retourner vers l’accipiens et de lui réclamer le paiement qui lui était destiné sur le fondement de l’enrichissement injustifié régi aux articles 1303 à 1303-4 du Code civil.
      • Pour mémoire, l’article 1303 du Code civil prévoit que « en dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »
    • Les conditions de l’apparence ne sont pas réunies
      • Dans cette hypothèse, le paiement réalisé par le solvens ne produit aucun effet libératoire.
      • Aussi, le créancier pourra toujours exiger le paiement auprès du débiteur qui demeure tenu.
      • Tout au plus, il pourra engager une action en répétition de l’indu à l’encontre de l’accipiens, étant précisé que le juge dispose de la faculté de réduire le montant de la restitution dans l’hypothèse où le paiement – indu – procède d’une faute ( 1302-3, al. 2e C. civ.).

 

[1] E-D Glasson, A. Tissier, R. Morel, Traité théorique et pratique d’organisation judiciaire de compétence et de procédure civile, Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1925-1936, t. 1 n° 173

[2] V. en ce sens G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, éd. Dalloz, 2018, n°941, p.849.

Solvens et accipiens: les parties au paiement

Dans son acception courante, le paiement est envisagé comme le versement d’une somme d’argent en contrepartie de la fourniture d’un bien ou service.

En droit, le sens conféré au paiement est bien moins restrictif, son objet ne se limitant pas à une somme d’argent.

Le paiement est défini par l’article 1342, al. 1er du Code civil comme « l’exécution volontaire de la prestation due. »

Autrement dit, le paiement s’analyse en l’exécution d’une obligation, peu importe la forme que revêt cette exécution. Il peut tout autant s’agir de la remise d’une somme d’argent, que de la délivrance d’une chose ou encore la fourniture d’un service.

Nous nous focaliserons ici sur les parties au paiement. 

I) Le solvens ou celui qui paye

Si la plupart du temps le paiement est effectué par le débiteur de l’obligation, il arrive qu’il soit réalisé par un tiers.

A) Le paiement par le débiteur

Il est de principe que celui qui paye n’est autre que le débiteur de l’obligation lui-même. Bien que les dispositions du Code civil relatives au paiement ne le précisent pas, cela relève de l’évidence.

C’est sur le débiteur que pèse, par hypothèse, la charge de l’obligation. Aussi, est-ce à lui qu’il revient d’en assurer l’exécution et donc de payer.

Pour ce faire, il dispose de deux options :

  • Il peut procéder lui-même au paiement
  • Il peut désigner une tierce personne aux fins de le représenter, soit de payer en son nom et pour son compte (mandataire, représentant légal, tuteur etc.)

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1236, al. 1er du Code civil précisait que, outre le débiteur, « une obligation peut être acquittée par toute personne qui y est intéressée, telle qu’un coobligé ou une caution. »

Cette règle n’a certes pas été reprise par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit du régime des obligations, elle n’en reste pas moins toujours valable, dans la mesure où qu’il s’agisse d’un coobligé ou d’une caution, tous deux répondent de la même dette que celle à laquelle est tenu le débiteur.

Aussi, est-il logique que, en cas de pluralité de personnes intéressées au paiement, chacune d’elles puisse payer tout ou partie de l’obligation selon qu’elles sont tenues conjointement, solidairement (coobligés) ou encore à titre accessoire (caution).

En tout état de cause, pour que le paiement soit valable, le solvens doit justifier d’une capacité juridique. En application de l’article 1147 du Code civil, le défaut de capacité est sanctionné par la nullité relative.

B) Le paiement par un tiers

1. Principe

a. Exposé du principe

L’article 1342-1 du Code civil prévoit que « le paiement peut être fait même par une personne qui n’y est pas tenue […] ».

Il ressort de cette disposition que le paiement peut être effectué par une personne autre que le débiteur et plus précisément par un tiers.

Cette faculté ouverte aux tiers de payer le créancier en lieu et place du débiteur se justifie essentiellement pour deux raisons :

  • Première raison
    • Une tierce personne peut avoir un intérêt à payer la dette du débiteur, sans s’y être tenue, en raison des liens qu’elle entretient avec celui-ci ou pour des motifs personnels.
    • Le tiers solvens, peut par exemple, être animé d’une intention libérale à l’endroit du débiteur.
    • Il peut encore avoir intérêt à désintéresser le créancier compte tenu de la sûreté réelle constituée sur l’un de ses biens en garantie de la dette du débiteur
  • Deuxième raison
    • Autoriser que le paiement soit réalisé par un tiers favorise la satisfaction du créancier.
    • Or il s’agit là de la finalité de toute obligation dont la vocation est d’être exécutée.

À cet égard, non seulement la possibilité est offerte aux tiers de régler la dette du débiteur, mais encore le créancier ne peut pas, par principe, refuser ce paiement dès lors qu’il porte sur la totalité de la dette.

b. Recours du tiers solvens contre le débiteur

Lorsque le paiement réalisé par un tiers est valable, il a pour effet de libérer le débiteur envers le créancier.

Ce dernier a effectivement obtenu satisfaction, de sorte qu’il ne sera plus fondé à réclamer quoi que ce soit au débiteur.

Est-ce à dire que celui-ci est définitivement libéré de toute obligation ?

Tandis que le débiteur s’est enrichi, puisque n’étant plus redevable d’aucune dette envers le créancier, le tiers solvens s’est, quant à lui, appauvri en payant une dette à laquelle il n’était pas tenu.

La question qui alors se pose est de savoir si le tiers solvens ne disposerait pas dispose d’un recours contre le débiteur afin de rétablir l’équilibre entre leurs patrimoines respectifs qui a manifestement été rompu

Deux situations doivent être distinguées :

==> Première situation : le tiers solvens est animé d’une intention libérale

Dans cette hypothèse, il ne disposera d’aucun recours contre le débiteur, ce paiement s’analysant en une donation indirecte.

==> Seconde situation : le tiers solvens n’est animé d’aucune intention libérale

Dans cette hypothèse, le tiers n’a nullement eu l’intention de gratifier le débiteur ; il a agi en comptant sur le remboursement des sommes exposées.

Pour être remboursé, deux recours peuvent être envisagés :

  • Le recours subrogatoire
    • Ce recours consiste pour le tiers solvens à se prévaloir des effets de la subrogation.
    • Par subrogation il faut entendre, selon le Doyen Mestre, « la substitution d’une personne dans les droits attachés à la créance dont une autre est titulaire, à la suite d’un paiement effectué par la première entre les mains de la seconde ».
    • Ainsi la subrogation opère-t-elle une substitution de créancier par l’effet du paiement. Encore faut-il toutefois que les conditions soient réunies.
    • En effet, la subrogation ne peut jouer que dans les cas expressément prévus par la loi :
      • La subrogation légale
        • L’article 1346 du Code civil prévoit que « la subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. »
        • Pour se prévaloir de la subrogation légale le tiers solvens qui a payé la dette du débiteur devra ainsi justifier d’un intérêt légitime.
        • L’exigence de cet intérêt au paiement permet d’éviter qu’un tiers totalement étranger à la dette et qui serait mal intentionné (dans des relations de concurrence par exemple) puisse bénéficier de la subrogation légale.
        • Il ne faudrait pas, en effet, que ce tiers puisse, par le jeu de la subrogation, s’ingérer dans les affaires du débiteur et l’actionner en paiement pour lui nuire.
        • Reste à savoir ce que l’on doit entendre par intérêt légitime.
        • D’une part, cette notion vise tous les anciens cas de subrogation légale prévus par l’ancien article 1251 du Code civil
        • D’autre part, la notion d’intérêt légitime permet d’envisager que le cas où un débiteur a payé une dette qui lui était personnelle, tandis que se profile en arrière-plan un second débiteur qui, parce qu’il a tiré avantage de l’extinction de l’obligation, doit assurer la charge définitive de la dette.
        • Enfin, la notion d’intérêt peut être envisagée négativement en déniant à un tiers qui poursuivrait un but illégitime, et plus généralement qui serait de mauvaise foi, le bénéfice de la subrogation légale
      • La subrogation conventionnelle
        • Faute de réunir les conditions de la subrogation légale, le tiers solvens n’aura d’autre choix que d’obtenir le consentement du créancier afin de pouvoir exercer un recours subrogatoire contre le débiteur.
        • Il lui faudra, autrement dit, opter pour la subrogation conventionnelle ex parte creditoris, soit celle qui requiert le concours du créancier.
        • L’article 1346-1 du Code civil prévoit en ce sens que « la subrogation conventionnelle s’opère à l’initiative du créancier lorsque celui-ci, recevant son paiement d’une tierce personne, la subroge dans ses droits contre le débiteur.»
        • Cette forme de subrogation procède donc d’une convention conclue entre le créancier accipiens et le tiers solvens dans le cas où ce dernier ne peut pas bénéficier d’une subrogation légale.
        • Le débiteur n’y prend aucune part dans la mesure où cette convention ne modifie pas sa situation.
        • Deux conditions doivent néanmoins être réunies :
          • D’une part, la subrogation doit être expresse, en ce sens que les parties doivent avoir clairement exprimé leur volonté de conclure une subrogation conventionnelle
          • D’autre part, elle doit être consentie en même temps que le paiement, à moins que, dans un acte antérieur, le subrogeant n’ait manifesté la volonté que son cocontractant lui soit subrogé lors du paiement.
  • Le recours personnel
    • La question de la reconnaissance d’un recours personnel au profit du tiers solvens se pose tout particulièrement lorsque celui-ci :
      • Soit ne remplit pas les conditions pour exercer le recours subrogatoire
      • Soit a renoncé à se subroger dans les droits du créancier.
    • Reste que pour être titulaire d’un tel recours qui, par hypothèse, est attaché à la personne de son bénéficiaire, encore faut-il justifier d’un droit subjectif.
    • En effet, selon la formule désormais consacrée : « pas de droit, pas d’action»[1].
    • Aussi, afin de reconnaître au tiers solvens un recours personnel contre le débiteur, est-il nécessaire d’identifier un droit auquel ce recours pourrait être rattaché.
    • Dans un premier temps, les auteurs ont cherché à expliquer l’existence d’un recours personnel au profit du tiers solvens en convoquant les règles du mandat et de la gestion d’affaires.
      • Le mandat
        • Si le tiers solvens dispose d’un recours contre le débiteur, c’est que celui-ci lui aurait donné mandat de payer le créancier.
        • Or conformément à l’article 1999 du Code civil « le mandant doit rembourser au mandataire les avances et frais que celui-ci a faits pour l’exécution du mandat, et lui payer ses salaires lorsqu’il en a été promis. »
        • Cette disposition reconnaît ainsi un droit – subjectif – au mandataire qui a exposé des frais dans le cadre de l’exercice de sa mission.
        • Pour se prévaloir de ce droit, le tiers solvens devra toutefois établir qu’un mandat a été conclu entre lui et le débiteur.
        • À défaut, il lui faudra trouver un autre fondement pour agir.
      • La gestion d’affaires
        • Pour mémoire, la gestion d’affaires est définie à l’article 1301 du Code civil comme le fait de « celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire».
        • Il s’agit autrement dit pour une personne, que l’on appelle le gérant d’affaires, d’intervenir spontanément dans les affaires d’autrui, le maître de l’affaire ou le géré, aux fins de lui rendre un service.
        • La particularité de la gestion d’affaires est qu’elle suppose qu’une personne ait agi pour le compte d’un tiers et dans son intérêt, ce, sans avoir été mandaté par celui-ci, ni qu’il en ait été tenu informé.
        • S’agissant du tiers solvens, il a été suggéré de se fonder sur la gestion d’affaires afin de justifier l’existence d’un recours à son profit contre le débiteur.
        • Si, en effet, il a payé la dette de ce dernier ce n’était que pour lui rendre service, le paiement s’analysant alors comme un acte utile.
        • Or l’article 1301-2 du Code civil prévoit que le maître de l’affaire doit rembourser au gérant « les dépenses faites dans son intérêt».
        • Le tiers solvens tirerait ainsi son droit à remboursement contre le débiteur de cette disposition.
        • Encore faut-il que les conditions de la gestion d’affaires soient réunies, ce qui suppose notamment que l’intervention du tiers solvens ait été désintéressée, spontanée et que le débiteur ne s’y soit pas opposé.
    • Dans un deuxième temps, la jurisprudence a cru bon reconnaître au tiers solvens un recours personnel contre le débiteur sur un fondement autonome.
    • Dans un arrêt du 15 mai 1990, la Cour de cassation a, en effet, jugé, au visa des anciens articles 1132 et 1236 du Code civil, que « le tiers qui, sans y être tenu, a payé la dette d’autrui de ses propres deniers, a, bien que non subrogé aux droits du créancier, un recours contre le débiteur» ( 1ère civ. 15 mai 1990, n°88-17.572).
    • Cette solution a été vivement critiquée par une partie de la doctrine, car elle revenait à octroyer un recours au tiers solvens à l’encontre du débiteur alors même qu’il pouvait avoir été animé d’une intention libérale.
    • Dans un troisième temps, la Cour de cassation est revenue sur sa position, à tout le moins elle a durci les conditions d’exercice du recours personnel reconnu au tiers solvens.
    • Dans un arrêt du 2 juin 1992, elle a, en effet, précisé « qu’il incombe à celui qui a sciemment acquitté la dette d’autrui, sans être subrogé dans les droits du créancier de démontrer que la cause dont procédait ce paiement impliquait, pour le débiteur, l’obligation de lui rembourser les sommes ainsi versées» ( 1ère civ. 2 juin 1992, n°90-19.374).
    • Ainsi, la Première chambre civile exigeait-elle désormais pour que le tiers solvens puisse se prévaloir d’un recours personnel contre le débiteur, il prouve que, au moment où il a payé le créancier, il entendait se faire rembourser par le débiteur et que donc il n’était animé d’aucune intention libérale.
    • En l’absence de recours subrogatoire ouvert au tiers solvens, son intention libérale était alors présumée, charge à lui de combattre cette présomption en rapportant la preuve contraire.
    • La Cour de cassation a, par suite, réaffirmer cette solution à plusieurs reprises. Dans un arrêt du 30 mars 2004, elle a ainsi jugé que « celui qui, sans être subrogé, acquitte une dette dont il sait n’être pas tenu et qui ne démontre pas que la cause dont procédait ce paiement impliquait l’obligation du débiteur de lui rembourser la somme ainsi versée, ne peut ni agir à cette fin, ni se prévaloir d’un dommage juridiquement réparable» ( 1ère civ. 30 mars 2004, n°01-11.355).
    • Elle a encore statué dans le même sens dans un arrêt du 9 février 2012 ( 1ère civ. 9 févr. 2012, n°10-28.475).
    • Bien que solidement ancrée en jurisprudence depuis le début des années 1990, les auteurs soutiennent que cette solution ne devrait pas être reconduite par la Haute juridiction aujourd’hui.
    • La raison en est l’adoption de la réforme du droit des contrats et du régime général des obligations opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.
    • Ce texte a notamment assoupli les conditions de la subrogation légale, laquelle n’est plus enfermée dans des cas limitativement énumérés par la loi.
    • Désormais, elle joue de plein droit dès lors qu’il est établi que le tiers solvens avait un intérêt légitime à payer la dette du débiteur.
    • Il n’est ainsi nullement exigé que celui-ci prouve qu’il n’était pas animé d’une intention libérale pour être fondé à se retourner contre le débiteur.
    • Au contraire, c’est à ce dernier qu’il revient d’apporter la preuve de l’intention libérale du tiers solvens s’il souhaite faire échec à une action en remboursement dirigée contre lui.
    • S’il y parvenait, ce qui ferait obstacle à l’exercice du recours subrogatoire, le tiers solvens serait alors contraint de démontrer qu’il a agi, soit dans le cadre d’un mandat qui lui aurait été confié par le débiteur, soit dans le cadre d’une gestion d’affaire.
    • S’agissant de la gestion d’affaires, la Cour de cassation a admis dans un arrêt remarqué du 12 janvier 2012 qu’elle était caractérisée dès lors qu’il était établi que le tiers solvens a agi « à la fois dans son intérêt et dans celui de la débitrice, et que les paiements litigieux avaient été utiles à celle-ci non seulement en permettant l’extinction de ses dettes mais en outre en évitant la saisie de ses biens immobiliers» ( 1ère civ.12 janv. 2012, n°10-24.512).
    • Cette approche pour le moins libérale de la gestion affaires, combinée à l’élargissement du domaine de la subrogation légale, suggère que le tiers solvens ne devrait pas rencontrer de réelles difficultés à fonder en droit une action en remboursement contre le débiteur.

2. Tempérament

==> L’admission du refus du créancier

L’article 1342-1 du Code civil assortit l’interdiction pour le créancier de refuser le paiement réalisé par un tiers d’une exception : s’il justifie d’un refus légitime.

Il s’agit là d’une reprise de la règle énoncée à l’ancien article 1237 du Code civil qui prévoyait que « l’obligation de faire ne peut être acquittée par un tiers contre le gré du créancier, lorsque ce dernier a intérêt qu’elle soit remplie par le débiteur lui-même ».

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par refus légitime. Autrement dit, quelles sont les situations qui autorisent le créancier à refuser le paiement émanant d’un tiers ?

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence avait estimé que ce refus était justifié dans deux cas de figure :

  • Premier cas de figure
    • Il est admis que le créancier puisse s’opposer au paiement réalisé par un tiers lorsque celui-ci intervient dans le cadre d’un rapport d’obligation marqué par un fort intuitu personae.
    • Cette situation se rencontrera notamment lorsque le débiteur est seul compétent pour fournir la prestation due, à tout le moins telle qu’attendue par le créancier.
    • À cet égard, c’était le sens de l’ancien article 1237 du Code civil qui autorisait le créancier à refuser le paiement « lorsque ce dernier a intérêt qu’elle soit remplie par le débiteur lui-même».
  • Second cas de figure
    • Il a également été admis que le créancier puisse s’opposer à recevoir le paiement émanant d’un tiers lorsque celui-ci serait de nature à porter atteinte à ses intérêts.
    • Tel pourrait être le cas si ce paiement avait, par exemple, pour effet de priver le créancier d’une faculté à l’encontre du débiteur.
    • Dans un arrêt du 24 juin 1913, la Cour de cassation a ainsi reconnu à un vendeur d’immeuble le droit de refuser le paiement proposé par un tiers, nonobstant la situation de faillite dans laquelle se trouvait l’acquéreur, dans la mesure où cela l’aurait privé de la possibilité d’agir en résolution de la vente ( civ. 24 juin 1913).

Lorsque le créancier refuse le paiement d’un tiers, l’article 1342-1 du Code civil suggère que ce refus soit motivé par le créancier, faute de quoi il lui sera difficile d’établir sa légitimité en cas de saisine du juge.

Afin de surmonter ce refus, la seule option qui s’offre au tiers sera de mettre en œuvre la procédure de mise en demeure du créancier prévue aux articles 1345 et suivants du Code civil.

==> L’indifférence du refus du débiteur

Si le créancier dispose de la faculté de s’opposer au paiement réalisé par un tiers, la question se pose de savoir si le débiteur est investi de la même faculté.

Le projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats avait envisagé cette possibilité qui aurait été introduite à l’article 1320-1 du Code civil. Le législateur n’a toutefois pas retenu cette proposition.

L’opposition au paiement de la dette par un tiers ne peut dès lors être formée que par le créancier, à la condition qu’il justifie d’un motif légitime.

II) L’accipiens ou celui qui est payé

Si la plupart du temps le paiement sera réalisé entre les mains du créancier, il est des cas où il pourra être effectué auprès d’un tiers.

La qualité d’accipiens n’est ainsi pas nécessairement endossée par le créancier ; elle peut également être attribuée à une personne désignée.

A) Le paiement entre les mains du créancier

Si le Code civil ne prévoit pas expressément que c’est au débiteur qu’il appartient de payer, il précise en revanche auprès de qui le paiement doit être effectué.

L’article 1342-2 énonce en effet que le paiement doit être fait, en premier lieu, au créancier lui-même.

Le principe ainsi posé est l’identité entre les personnes de l’accipiens et de créancier. Pour que le paiement soit valable dans cette hypothèse encore faut-il que la personne qui le reçoit justifie :

  • D’une part, de sa qualité de créancier
  • D’autre part, de sa capacité juridique

==> La qualité de créancier

Une personne endosse la qualité de créancier lorsqu’elle est titulaire d’une créance, soit d’un droit personnel, lequel naît de la création d’un rapport d’obligation.

À cet égard, l’acquisition d’une créance peut-elle résulter :

  • Soit du fait générateur lui-même de l’obligation : conclusion d’un contrat, fait illicite, effet de la loi, etc.
  • Soit de la transmission de l’obligation : cession, saisie, succession etc.

Aussi, est-il indifférent que la personne qui reçoit le paiement n’ait pas été créancier au jour de la naissance de l’obligation. Ce qui importe, c’est qu’elle ait acquis la qualité de créancier au jour du paiement.

C’est ce qui explique que le paiement réalisé entre les mains d’un ayant droit du créancier ou du cessionnaire d’une créance est parfaitement valable.

==> La capacité du créancier

L’article 1342-2, al. 3e du Code civil prévoit que « le paiement fait à un créancier dans l’incapacité de contracter n’est pas valable, s’il n’en a tiré profit. »

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • Seule une personne capable peut recevoir le paiement
    • Plus précisément, il faut, énonce le texte, justifier de la capacité de contracter.
    • Sous l’empire du droit antérieur, comme souligné par des auteurs[2], le paiement n’était valable que si la personne qui le recevait jouissait de la capacité de disposer, soit une capacité autorisant à accomplir les actes les plus gaves et non limitée aux seuls actes d’administration.
    • En tout état de cause, l’incapacité du créancier est sanctionnée par la nullité du paiement.
    • En application de l’article 1147 du Code civil, il s’agit d’une nullité relative ; seule la personne protégée peut donc s’en prévaloir.
  • Second enseignement
    • Le paiement réalisé entre les mains d’une personne frappée d’une incapacité n’est pas nécessairement nul.
    • Il peut être valable, dit l’article 1342-2, al. 3e du Code civil, si la personne incapable en a tiré profit, soit si elle a fait bon usage des fonds reçus entre ses mains.

B) Le paiement entre les mains d’un tiers

Pour que le paiement réalisé entre les mains d’un tiers soit valable, il faut que l’accipiens ait été désigné par le créancier.

1. Le paiement fait à la personne désignée

L’article 1342-2 du Code civil prévoit expressément que le paiement peut être fait « à la personne désignée pour le recevoir. »

Par « personne désignée », il faut entendre le représentant du créancier, soit celui investi du pouvoir d’agir au nom et pour le compte de ce dernier.

Pour mémoire, le pouvoir de représentation peut avoir trois sources différentes :

  • La loi: elle désigne les parents comme représentants légaux de l’enfant mineur (administration légale)
  • Le juge: il désigne la personne qui sera chargée de représenter l’incapable majeur (tutelle, curatelle etc.) ou d’administrer une société faisant l’objet d’une procédure collective (administration judiciaire)
  • Le contrat : il peut conférer à la partie désignée le pouvoir de représenter son cocontractant (mandat)

Lorsque le représentant tire son pouvoir d’un mandat, la jurisprudence n’exige pas que celui-ci soit régularisé par écrit (V. en ce sens Cass. req. 3 août, 1840).

La Cour de cassation est allée jusqu’à admettre, dans un arrêt du 14 avril 2016, que le mandat puisse résulter d’un « usage accepté » par les parties (Cass. 3e civ. 14 avr. 2016, n°15-11.343).

Plus généralement, il est indifférent que la personne qui reçoit le paiement tire son pouvoir de la loi, d’une décision de justice ou d’un contrat, ce qui importe c’est qu’elle ait agi dans le cadre d’une représentation du créancier et que donc elle ait valablement reçu pouvoir de le représenter.

Enfin, il peut être observé que l’admission de la réception du paiement par le représentant du créancier rejoint la règle énoncée à l’article 1340 du Code civil qui prévoit que « la simple indication faite par le débiteur d’une personne désignée pour payer à sa place n’emporte ni novation, ni délégation. Il en est de même de la simple indication faite, par le créancier, d’une personne désignée pour recevoir le paiement pour lui. »

2. Le paiement fait à une personne non désignée

a. Principe

Lorsque le paiement est réalisé entre les mains d’une personne qui n’était pas investie du pouvoir de le recevoir, il n’est pas valable.

La conséquence en est que le débiteur n’est pas libéré de son obligation. Cette situation est exprimée par l’adage « qui paye, mal paye deux fois ».

Aussi, le débiteur peut-il être contraint par le créancier à payer une nouvelle fois, le paiement n’ayant pas produit son effet libératoire.

Cette règle n’est toutefois pas absolue ; elle est assortie de deux exceptions.

b. Exceptions

==> Ratification

L’article 1342-2 du Code civil prévoit que « le paiement fait à une personne qui n’avait pas qualité pour le recevoir est néanmoins valable si le créancier le ratifie ou s’il en a profité »

Ainsi, le paiement réalisé entre les mains d’une personne qui n’avait pas le pouvoir de le recevoir peut échapper à la nullité dans deux cas :

  • Premier cas : le paiement a été ratifié par le créancier
    • Le paiement demeure donc valable lorsqu’il a été ratifié a posteriori par le créancier.
    • Cela suppose que ce dernier ait exprimé la volonté de faire produire au paiement son effet libératoire.
    • La ratification du paiement peut être expresse ou implicite.
    • Dans un arrêt du 12 juillet 1993 la Cour de cassation a ainsi admis que l’inscription au débit du compte courant d’un associé qui avait perçu en son nom personnel un paiement qui était destiné à la société valait ratification, de sorte que le débiteur était libéré de son obligation ( com. 12 juill. 1993, n°91-16.793).
    • Dans un arrêt du 1er mars 1962, la Cour de cassation a en revanche considéré que la seule connaissance par le créancier de la réalisation du paiement entre les mains d’une personne qui n’avait pas le pouvoir de le recevoir ne valait pas ratification ( soc. 1er mars 1962).
  • Second cas : le créancier a tiré profit du paiement
    • Lorsque le paiement est réalisé entre les mains d’une personne qui n’avait pas qualité pour le recevoir, il demeure valable si le créancier en a tiré profit.
    • Autrement dit, le paiement doit avoir procuré in fine au créancier un bénéfice équivalent à celui dont il aurait profité s’il avait été réalisé entre les mains de la bonne personne.
    • Tel sera le cas si, en présence de deux héritiers créanciers d’une même dette, le paiement est fait, pour l’intégralité de la dette à l’un d’eux, tandis que l’autre héritier était débiteur du premier.

==> Créancier apparent

  • Principe
    • L’article 1342-3 du Code civil prévoit que « le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable.»
    • Il ressort de cette disposition que, nonobstant l’absence de ratification d’un paiement réalisé entre les mains d’une personne qui n’avait pas le pouvoir de le recevoir, et bien que le créancier n’en ait retiré aucun profit, le paiement peut malgré tout demeurer valable en présence d’un « créancier apparent».
    • À l’analyse, il s’agit là d’une reprise du principe posé par l’ancien article 1240 qui prévoyait que « le paiement fait de bonne foi à celui qui est en possession de la créance est valable, encore que le possesseur en soit par la suite évincé. »
    • Si sur le fond, la règle énoncée reste inchangée ; sur la forme elle connaît une évolution majeure en ce que le législateur a notamment expurgé de sa formulation la référence à « la possession de la créance».
    • La raison en est que l’ancienne formule pouvait être trompeuse, car elle suggérait que le possesseur de la créance était celui qui détenait un titre constatant la créance.
    • Or tel n’était pas le sens du texte : le possesseur de la créance visait la personne qui, pour le solvens, présentait l’apparence du créancier.
    • Le législateur a ainsi entendu lever toute ambiguïté et consacrer la jurisprudence relative à la théorie de l’apparence.
    • Aussi, lorsque le solvens de bonne foi a été trompé par les apparences, soit avait toutes les raisons de croire que la personne auprès de laquelle il a payé était le véritable créancier, son paiement demeure valable et produit un effet libératoire.
    • Tel sera le cas, par exemple, lorsque le solvens paye l’héritier apparent du créancier alors que, en réalité, celui-ci n’était titulaire d’aucun droit en raison de l’existence d’un testament contraire dont lui-même ignorait l’existence car découvert tardivement.
    • L’application de la théorie de l’apparence suppose la réunion de deux conditions cumulatives :
      • Première condition
        • Le solvens doit être de bonne foi, ce qui implique qu’il devait ignorer que la personne entre les mains de laquelle il a payé n’était pas le véritable créancier
        • Autrement dit, il doit avoir cru, de façon erronée, à la qualité de créancier de l’accipiens.
      • Seconde condition
        • La personne qui a reçu le paiement doit avoir, aux yeux des tiers, l’apparence du créancier
        • La croyance du solvens doit ainsi être légitime en ce sens qu’une personne placée dans la même situation aurait commis la même erreur d’appréciation
  • Effets
    • Les conditions de l’apparence sont réunies
      • Dans cette hypothèse, le paiement réalisé par le solvens produit un effet libératoire, ce qui signifie que le débiteur est libéré de son obligation envers le créancier.
      • Charge alors à ce dernier de se retourner vers l’accipiens et de lui réclamer le paiement qui lui était destiné sur le fondement de l’enrichissement injustifié régi aux articles 1303 à 1303-4 du Code civil.
      • Pour mémoire, l’article 1303 du Code civil prévoit que « en dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »
    • Les conditions de l’apparence ne sont pas réunies
      • Dans cette hypothèse, le paiement réalisé par le solvens ne produit aucun effet libératoire.
      • Aussi, le créancier pourra toujours exiger le paiement auprès du débiteur qui demeure tenu.
      • Tout au plus, il pourra engager une action en répétition de l’indu à l’encontre de l’accipiens, étant précisé que le juge dispose de la faculté de réduire le montant de la restitution dans l’hypothèse où le paiement – indu – procède d’une faute ( 1302-3, al. 2e C. civ.).

 

[1] E-D Glasson, A. Tissier, R. Morel, Traité théorique et pratique d’organisation judiciaire de compétence et de procédure civile, Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1925-1936, t. 1 n° 173

[2] V. en ce sens G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, éd. Dalloz, 2018, n°941, p.849.

Traitement des situations de crise traversées par le couple marié: les mesures de sauvegarde (art. 220-1 et s. C. civ.)

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

  • L’autorisation judiciaire
  • La représentation judiciaire
  • La sauvegarde judiciaire.

Nous nous focaliserons ici sur la sauvegarde judiciaire.

En situation de crise conjugale, tandis que la représentation judiciaire (art. 219 C. civ.) et l’autorisation judiciaire (art. 217 C. civ.) visent à étendre les pouvoirs d’un époux aux fins de lui permettre d’accomplir un ou plusieurs actes sans le consentement de son conjoint, il est des mesures qui produisent l’effet radicalement puisque consistant à réduire les prérogatives de ce dernier en l’interdisant d’agir.

Le point commun entre ces trois dispositifs réside dans leur finalité : ils ont vocation à permettre au couple de surmonter une crise et de préserver les intérêts de la famille.

S’agissant spécifiquement des mesures qui ont pour effet de restreindre les pouvoirs d’un époux, elles sont envisagées aux articles 220-1, 220-2 et 220-3 du Code civil.

Ces mesures sont issues de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

Le législateur justifiait leur instauration à l’époque en indiquant, dans l’exposé des motifs de la loi, que « tout cet effort en vue d’accomplir l’égalité entre l’homme et

la femme dans le régime matrimonial devait, si l’on voulait qu’il fût efficace, suivant une vision réaliste des choses, être complété par trois séries de mesures, quelque peu extérieures à la structure même des régimes matrimoniaux ».

Il poursuit en affirmant que, au nombre de ces mesures, doivent figurer « des mesures de protection adaptées au quotidien de la vie, contre les dangers que peut faire courir aux intérêts familiaux un époux irréfléchi ou malveillant.

Tel est la finalité des mesures envisagées aux articles 220-1 et suivants du Code civil : octroyer le droit à chaque époux, pour les situations matrimoniales de crise, de recourir au juge afin d’obtenir des mesures urgentes et provisoires tendant à empêcher des actes juridiques de disposition, voire des actes matériels de détournement.

Le prononcé de ces mesures est toutefois subordonné à la réunion de plusieurs conditions. Lorsqu’elles sont réunies, le juge dispose d’une relativement grande latitude quant au choix des mesures urgentes qui peuvent être prises.

I) Les conditions des mesures

L’article 220-1 du Code civil prévoit que « si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts. »

Il ressort de cette disposition que la prescription par le juge de mesures urgentes est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • D’une part, l’établissement d’un manquement grave de l’un des époux à ses devoirs
  • D’autre part, l’existence d’une mise en péril des intérêts de la famille

A) S’agissant du manquement grave de l’un des époux à ses devoirs

L’exigence d’établissement d’un manquement grave de l’un des époux à ses devoirs n’est pas sans faire écho à la notion de faute en matière de divorce contentieux.

Pour mémoire, l’article 242 du Code civil prévoit que « le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune. »

Si dans les deux cas le manquement aux devoirs du mariage doit être grave, là s’arrête la ressemblance.

En effet, l’article 220-1 du Code civil n’exige pas que ce manquement rende intolérable le maintien de la vie commune.

Par ailleurs, il est indifférent que ce manquement ne soit pas imputable au conjoint contre lequel les mesures urgences sont sollicitées, à tout le moins c’est la thèse que nous défendons.

Ce qui importe c’est qu’un manquement soit constaté, l’objectif recherché étant, moins de sanctionner un époux, que de sauvegarder les intérêts en péril de la famille.

Aussi, on pourrait envisager que des mesures urgentes puissent être prises à l’encontre d’un époux, alors même qu’il n’a commis aucune faute. Reste que sur ce point, la doctrine est divisée.

S’agissant des manquements susceptibles de justifier l’adoption de ces mesures, ils peuvent porter :

  • Soit sur des devoirs qui relèvent du régime primaire impératif
  • Soit sur des devoirs qui relèvent du régime matrimonial

Par ailleurs, les devoirs qui ont fait l’objet d’une violation peuvent tout aussi bien être d’ordre patrimonial, qu’extrapatrimonial.

Au nombre des devoirs dont le manquement est susceptible de donner lieu à l’adoption de mesures urgences on compte notamment :

  • L’obligation de vie commune ( 215 al. 1 C. civ.)
  • Le devoir de respect ( 212 C. civ.)
  • Le devoir de fidélité ( 212 C. civ.)
  • Le devoir de secours ( 212 C. civ.)
  • Le devoir d’assistance ( 212 C. civ.)
  • Le devoir conjugal ( 215, al. 1 C. civ.)
  • L’obligation de contribuer aux charges du mariage ( 214 C. civ.)
  • L’obligation de solidarité aux dettes ménagères ( 220 C. civ.)

Comme prévu par l’article 220-1, il ne suffit pas qu’un manquement aux devoirs de l’un des époux soit constaté pour que des mesures urgentes soient prises, qui rappelons le, conduisent à restreindre les pouvoirs d’un époux, ce qui n’est pas neutre.

Il faut encore que ce manquement soit « grave », en ce sens qu’il doit :

  • Soit être renouvelé
  • Soit être caractérisé

Un simplement manquement ne saurait justifier l’intervention du juge. Au fond, l’article 220-1 du Code civil ne peut être mobilisé par un époux que s’il y a lieu de résoudre une crise profonde traversée par le couple.

Le juge n’a pas vocation à régler les difficultés du quotidien que le couple est en mesure de surmonter lui-même, à tout le moins qui ne sont pas de nature à mettre en péril les intérêts de la famille.

Car c’est là le critère décisif d’appréciation qui guidera le juge quant à l’opportunité de prononcer une mesure urgente.

B) S’agissant de la mise en péril des intérêts de la famille

Le manquement grave de l’un des époux à ses devoirs doit donc être apprécié en fonction des conséquences que ce manquement emporte et plus précisément du péril qu’il fait courir aux intérêts de la famille.

La question qui alors se pose est double :

  • Que doit-on entendre par péril
  • Que doit-on entendre par intérêt de la famille

==> Sur la notion de péril

Le texte est silencieux sur la notion de péril. Si l’on se reporte à la définition commune, il s’agit de l’état d’une personne qui court de grands risques, qui est menacée dans sa sécurité, dans ses intérêts ou dans son existence même.

Ce qu’il y a lieu de retenir de cette définition, c’est que lorsqu’il y a péril, le préjudice bien que, imminent, ne s’est pas encore réalisé.

Aussi, faut-il interpréter l’article 220-1 du Code civil comme autorisant à saisir le juge, alors même que les intérêts de la famille n’ont pas été contrariés. Ils sont seulement menacés par la conduite déviante d’un époux.

Afin d’empêcher que cette conduite ne cause un préjudice à la famille, il est nécessaire d’adopter des mesures préventives.

Pour mettre en jeu l’article 220-1 du Code civil, il est donc indifférent qu’un dommage se soit produit. Ce qui importe c’est que soit établi l’existence d’un risque imminent de réalisation de se dommage.

==> Sur la notion d’intérêt de la famille

Pour que des mesures urgentes soient prises par le juge, le manquement de l’un des époux doit être de nature à mettre en péril les intérêts de la famille.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par intérêt de la famille. Que recouvre cette notion que l’on retrouve dans de nombreuses autres dispositions du Code civil et notamment, en matière d’autorisation judiciaire (art. 217 C. civ.) ou encore en matière de changement de régime matrimonial (art. 1397 C. civ.) ?

À l’analyse, la notion d’intérêt de la famille n’est définie par aucun texte. La raison en est que le législateur a souhaité conférer une liberté d’appréciation au juge qui donc n’est pas entravé dans son appréhension de la situation qui lui est soumise.

Dans un arrêt du 6 janvier 1976, la Cour de cassation est seulement venue préciser, dans une affaire se rapportant à un changement de régime matrimonial, que « l’existence et la légitimé d’un tel intérêt doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Il s’infère de cette décision que la notion d’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier cet intérêt pris dans sa globalité, soit en considération des intérêts de chaque membre de la famille, étant précisé que la jurisprudence tient compte, tant des intérêts des époux, que de celui des enfants.

La Cour d’appel de Paris a jugé en ce sens que « les descendants des époux doivent être pris en compte pour l’appréciation objective qui doit être donnée de l’intérêt de la famille pris dans sa globalité » (CA Paris, 11 sept. 1997).

L’intérêt de la famille doit ainsi être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble.

Aussi, l’intérêt de la famille ne saurait se confondre avec l’intérêt personnel d’un seul de ses membres.

Et s’il est des cas où c’est la préservation d’un intérêt individuel qui guidera la décision de juge quant à retenir l’intérêt de la famille. Reste qu’il ne pourra statuer en ce sens qu’après avoir réalisé une balance des intérêts en présence.

Quelles sont les situations de mise en péril des intérêts de la famille susceptibles de justifier l’adoption de mesures urgentes ?

Il s’agit, la plupart du temps, de situations qui présentent un enjeu pécuniaire, bien que l’intérêt de la famille puisse être tout autant d’ordre patrimonial, que d’ordre extrapatrimonial.

S’agissant de la charge de la preuve, dans la mesure où l’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, elle pèserait, selon André Colomer, sur les deux époux, chacun devant convaincre le juge du caractère justifié ou injustifié du refus d’accomplir l’acte discuté.

Reste que, en cas de doute, il conviendra d’appliquer l’article 1353 du Code civil, qui fait peser la charge de la preuve sur l’époux qui sollicite une mesure urgente.

II) L’objet des mesures

Il ressort du premier alinéa de l’article 220-1 du Code civil que les mesures susceptibles d’être prises par le juge peuvent être classées en deux catégories :

  • Les mesures prises en application d’un principe général
  • Les mesures prises en application de dispositions spéciales

A) Les mesures prises en application d’un principe général

L’article 220-1 du Code civil pose un principe général aux termes duquel, lorsque les conditions sont réunies, le juge peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent les intérêts de la famille.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par mesures urgentes. Le texte ne fournit aucune définition.

Classiquement, on dit qu’il y a urgence lorsque « qu’un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur » (R. Perrot, Cours de droit judiciaire privé, 1976-1977, p. 432).

Il appartient de la sorte au juge de mettre en balance les intérêts de la famille qui, en cas de retard, sont susceptibles d’être mis en péril et les intérêts de l’époux défendeur qui pourraient être négligés en cas de décision trop hâtive à tout le moins mal-fondée.

En toute hypothèse, l’urgence est appréciée in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.

En tout état de cause, les mesures urgentes peuvent être, tout aussi bien des mesures d’ordre patrimonial (interdiction d’accomplir un acte sur un bien) que des mesures extrapatrimoniales (éloignement du conjoint violent de la résidence familiale).

B) Les mesures prises en application de dispositions spéciales

L’alinéa 2 de l’article 220-1 du Code civil envisage deux séries de mesures susceptibles d’être prises par le juge en situation de crise conjugale :

  • En premier lieu, il peut interdire à un époux de faire, sans le consentement de l’autre, des actes de disposition sur ses propres biens ou sur ceux de la communauté, meubles ou immeubles.
  • En second lieu, Il peut interdire le déplacement des meubles, sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des conjoints.

==> S’agissant de l’interdiction d’accomplir des actes de disposition

Il s’agit donc ici d’interdire à un époux d’accomplir des actes de disposition sans le consentement de son conjoint, ce qui revient à étendre, temporairement, le domaine de la cogestion.

Le texte ne précisant pas quels biens seraient concernés par cette mesure, on en déduit qu’il est indifférent qu’il s’agisse d’un bien commun ou d’un bien propre.

Il est encore indifférent que le bien consiste en un meuble ou un immeuble. Tous les biens sont susceptibles de faire l’objet d’une mesure de sauvegarde.

Par ailleurs, ce type de mesure peut être prononcé dans le cadre de n’importe quel régime matrimonial, notamment sous la séparation de biens. Il s’agit là d’une règle particulièrement dérogatoire au droit commun.

La seule contrainte qui s’impose au juge est que la mesure prise se limite à sauvegarder les intérêts de la famille, en ce sens qu’elle doit être adoptée à titre conservatoire.

Elle ne saurait produire des effets irréversibles au préjudice de l’époux contre lequel elle est prononcée.

Ainsi, est-il exclu que le juge puisse autoriser l’accomplissement d’un acte de disposition sur le fondement de l’article 220-1 du Code civil.

==> S’agissant de l’interdiction de déplacer des meubles

Il s’agit ici d’interdire à un époux de meubles, sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des conjoints.

Là encore, le texte n’opère aucune distinction entre les biens, sinon celle tenant à leur caractère mobilier. Car seuls les meubles sont visés ici.

En revanche, il est indifférent que le bien soit commun ou appartienne en propre à un époux.

Le plus souvent, seront concernés par ce type de mesures les biens affectés à l’activité professionnelle d’un époux ou les meubles qui garnissent le logement familial.

À la vérité, il s’agit là d’une mesure qui sera prononcée en prévision de la mise en œuvre d’une procédure de divorce.

III) La mise en œuvre des mesures

A) Procédure

L’article 1290 du Code de procédure civile prévoit que « les mesures urgentes prévues à l’article 220-1 du code civil sont prescrites par le juge aux affaires familiales statuant en référé ou, en cas de besoin, par ordonnance sur requête. »

Le juge peut ainsi être saisi :

  • Soit par voie d’assignation en référé
    • Dans cette hypothèse, l’adoption de la mesure sollicitée féra l’objet d’un débat contradictoire
  • Soit par voie de requête
    • Dans cette hypothèse, la mesure pourra être prononcée par le juge sans discussion préalable entre les époux sur son bien-fondé

La voie la plus rapide est, sans aucun doute, la procédure sur requête. Elle est particulièrement indiquée lorsqu’il s’agit de provoquer un effet de surprise ou d’obtenir une décision dans l’urgence.

Elle présente néanmoins l’inconvénient de conduire à l’adoption d’une mesure pour le moins fragile puisque plus facilement révocable en raison de son caractère non contradictoire.

Pour ce faire, il appartiendra à l’époux défendeur d’engager une procédure de référé-rétraction qui, quelle que soit l’issue, aura pour effet de retarder la mise en œuvre de la mesure.

B) Durée de la mesure

L’article 220-1 al. 3e du Code civil prévoit que « la durée des mesures prises en application du présent article doit être déterminée par le juge et ne saurait, prolongation éventuellement comprise, dépasser trois ans. »

Ainsi, s’il appartient au juge de fixer la durée de la mesure, cette durée ne peut excéder trois ans ce qui confère un caractère nécessairement provisoire à la mesure.

À cet égard, il est admis qu’en cas de circonstances nouvelles, de nouvelles mesures seraient susceptibles d’être prises à l’issue du délai de trois ans.

À l’inverse, en cas de disparition des circonstances qui justifiaient l’adoption de la mesure, le juge pourra être saisi pour en prononcer la révocation ou la modification.

Dans un arrêt du 25 octobre 1972, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’obligation faite aux juges […] de déterminer la durée des mesures de sauvegarde qu’il ordonne n’est pas prévue à peine de nullité de la décision qui a un caractère provisoire et dont les dispositions peuvent à tout moment être rapportée ou modifiées » (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 oct. 1972, n°71-13073).

C) Publicité de la mesure

S’agissant de la publicité de la mesure prononcée par le juge, elle n’est exigée que pour les mesures spécifiques visées par l’alinéa 2 de l’article 220-1 du Code civil, c’est-à-dire :

  • L’interdiction d’accomplir des actes de disposition
  • L’interdiction de déplacer des meubles

==> S’agissant de l’interdiction d’accomplir des actes de disposition

L’article 220-2, al. 1er du Code civil prévoit que si l’ordonnance porte interdiction de faire des actes de disposition sur des biens dont l’aliénation est sujette à publicité, elle doit être publiée à la diligence de l’époux requérant.

Lorsque le bien est un immeuble, la publicité devra être réalisée conformément aux règles de la publicité foncière.

En tout état de cause, cette publication cesse de produire effet à l’expiration de la période déterminée par l’ordonnance, sauf à la partie intéressée à obtenir dans l’intervalle une ordonnance modificative, qui sera publiée de la même manière.

==> S’agissant de l’interdiction de déplacer des meubles

L’article 220-2, al. 2e du Code civil prévoit que si l’ordonnance porte interdiction de disposer des meubles corporels, ou de les déplacer, elle est signifiée par le requérant à son conjoint, et a pour effet de rendre celui-ci gardien responsable des meubles dans les mêmes conditions qu’un saisi.

Lorsqu’elle est signifiée à un tiers, elle le constitue de mauvaise foi. Autrement dit, en cas d’acquisition du bien déplacé, il sera contraint de le restituer.

Si, en revanche, la mesure ne lui est pas signifiée, il sera présumé de bonne foi, de sorte qu’elle lui sera inopposable, sauf à ce qu’il soit établi qu’il en avait connaissance.

D) Sanction de l’inobservation de la mesure

  1. La nullité de l’acte

L’article 220-3 du Code civil prévoit que l’inobservation de la mesure de sauvegarde prononcée par le juge est sanctionnée par la nullité de l’acte.

Par nullité, il faut entendre l’anéantissement de l’acte, en ce sens qu’il est censé n’avoir jamais existé.

Il est donc supprimé de l’ordonnancement juridique, tant pour ses effets passés, que pour ses effets futurs.

  1. Caractère de la nullité

Une lecture de l’article 220-3 du Code civil révèle que les actes accomplis en violation de l’ordonnance peuvent ne pas être systématiquement annulés. Ils sont seulement « annulables ».

La doctrine a déduit de cette formulation que la nullité visée par l’article 220-3 du Code civil était facultative, en ce sens qu’elle ne s’impose pas au juge.

Il lui est donc permis de ne pas prononcer la nullité de l’acte, alors mêmes que les conditions seraient réunies. Il dispose, en la matière, d’un large pouvoir d’appréciation.

  1. Titularité de l’action en nullité

L’article 220-3 du Code civil prévoit que les actes accomplis en violation de l’ordonnance sont annulables « à la demande du conjoint requérant ».

L’action appartient donc au seul époux que la mesure vise à protéger. Il s’agit là d’une nullité relative, car sanctionnant la violation d’une règle de protection.

  1. Les actes annulables

La question qui ici se pose est de savoir quels sont les actes accomplis en violation de l’ordonnance qui sont susceptibles d’être annulés.

L’article 220-3 du Code civil prévoit que sont annulables « tous les actes accomplis en violation de l’ordonnance, s’ils ont été passés avec un tiers de mauvaise foi, ou même s’agissant d’un bien dont l’aliénation est sujette à publicité, s’ils sont simplement postérieurs à la publication prévue par l’article précédent. »

Il s’infère de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer deux situations :

==> L’aliénation du bien discuté n’exige pas l’accomplissement d’une mesure de publicité

Dans cette hypothèse, l’acte de disposition ne pourra être annulé qu’à la condition que la mauvaise foi du tiers soit établie.

À cet égard, sa mauvaise foi sera présumée, dès lors que l’ordonnance lui aura été signifié. Il ne pourra, en effet, pas avancer qu’il ignorait l’existence de la mesure.

==> L’aliénation du bien discuté exige l’accomplissement d’une mesure de publicité

Dans cette hypothèse, l’article 220-3, al. 1er du Code civil distingue deux situations :

  • Les actes ont été accomplis postérieurement à la publication de l’ordonnance
    • Dans cette hypothèse, ils sont annulables peu importe que tiers soit de bonne ou de mauvaise moi.
    • Il y a, en quelque sorte, présomption irréfragable de mauvaise foi du tiers.
  • Les actes ont été accomplis antérieurement à la publication de l’ordonnance
    • Dans cette hypothèse, il y a lieu de distinguer selon que le tiers est de bonne ou de mauvaise foi.
      • S’il est de mauvaise foi, l’acte pourra être annulé
      • S’il est de bonne foi, l’acte ne demeurera validé
    • La bonne ou mauvaise foi du tiers tient à sa connaissance de la mesure
  1. La prescription de l’action en nullité

L’article 220-3, al. 2e du Code civil prévoit que l’action en nullité est ouverte à l’époux requérant pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée, si cet acte est sujet à publicité, plus de deux ans après sa publication.

Cette disposition enferme ainsi l’action en nullité dans un double délai :

  • Le requérant doit agir dans un délai de deux ans à compter du jour où il a connaissance de l’acte accompli en violation de l’ordonnance
  • Le requérant ne pourra jamais agir au-delà d’un délai de deux ans, à compter de la date de publication de l’ordonnance.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

Traitement des situations de crise traversées par le couple marié: la représentation judiciaire (art. 219 C. civ.)

Paragraphe

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

  • L’autorisation judiciaire
  • La représentation judiciaire
  • La sauvegarde judiciaire.

Tandis que les deux premières mesures visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.

Nous nous focaliserons ici sur la représentation judiciaire.

La mesure de représentation judiciaire est envisagée à l’article 219 du Code civil. Ce texte prévoit que « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux peut donc se faire habiliter judiciairement à l’effet d’agir en représentation de son conjoint, soit d’accomplir des actes au nom et pour le compte de ce dernier.

À l’instar de l’autorisation judiciaire, cette mesure est issue de la loi du 22 septembre 1942. L’objectif recherché par le législateur était d’étendre les pouvoirs de la femme mariée qui devait être en capacité, en l’absence de son mari, d’accomplir les actes nécessaires au fonctionnement de la famille et de pourvoir à ses besoins.

La représentation judiciaire se différencie toutefois de l’autorisation judiciaire sur quatre points essentiels :

  • En premier lieu, la représentation a pour effet d’engager personnellement le conjoint représenté, tandis que l’autorisation judiciaire ne peut jamais obliger l’époux qui n’a pas consenti à l’acte. Elle engage uniquement, à titre personnel, l’époux auquel elle a été délivrée.
  • En deuxième lieu, l’habilitation d’un époux à l’effet de représenter son conjoint ne peut être délivrée que dans l’hypothèse où ce dernier est hors d’état de manifester sa volonté. Contrairement à l’autorisation judiciaire, elle ne peut jamais être octroyée aux fins de surmonter le refus d’un époux de consentir à un acte, peu importe que ce refus soit justifié ou non par l’intérêt de la famille.
  • En troisième lieu, il est indifférent que l’époux habilité soit investi d’un pouvoir sur le bien qui fait l’objet de l’acte accompli en représentation du conjoint, alors qu’il s’agit là d’une condition de délivrance de l’autorisation judiciaire.
  • En quatrième lieu, tandis que l’autorisation judiciaire est toujours délivrée pour l’accomplissement d’un ou plusieurs actes déterminés, la représentation judiciaire confère, au conjoint habilité un pouvoir général qui lui permet d’accomplir tout acte utile dans l’intérêt de l’époux représenté.

Afin d’appréhender le régime de la représentation judiciaire dans toutes ses composantes, il conviendra d’envisager, tout d’abord, les conditions de l’habilitation, puis les règles de procédure applicables et, enfin, les effets de la représentation.

I) Les conditions de la représentation judiciaire

A) Conditions quant aux circonstances

En application de l’article 219 du Code civil, un époux ne peut être habilité par le juge à l’effet de représenter son conjoint que dans l’hypothèse où ce dernier « se trouve hors d’état de manifester sa volonté ».

C’est là une différence fondamentale avec l’autorisation judiciaire qui peut également être délivrée si le refus du conjoint « n’est pas justifié par l’intérêt de la famille. »

Cette situation de crise n’étant pas visée par l’article 219, elle ne pourra jamais fonder l’octroi d’une habilitation judiciaire.

La raison en est que l’on ne saurait engager un époux contre son gré. Admettre le contraire reviendrait à porter atteinte au principe d’autonomie de la volonté.

Aussi, la représentation judiciaire n’a-t-elle été envisagée par le législateur que pour le cas où un époux est dans l’incapacité de consentir à l’accomplissement d’un acte.

La question qui ici se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la formule « hors d’état de manifester sa volonté. »

Faute de précision à l’article 219 sur cette situation de crise, la doctrine suggère de se reporter à l’article 373 du Code civil qui prévoit que « est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »

Il s’infère de ce texte que l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté correspondrait à :

  • D’une part, deux situations juridiquement bien identifiées que sont l’absence et l’incapacité
  • D’autre part, une troisième situation qui laisse le champ des possibles ouvert, puisque est seulement visée « toute autre cause ».

S’appuyant sur cette base textuelle pour déterminer ce que l’on devait entendre par « hors d’état de manifester sa volonté » la jurisprudence a jugé que les situations visées par l’article 373 recouvraient trois cas que sont :

  • L’absence
  • L’altération des facultés mentales
  • L’éloignement
  1. Sur l’absence

Cette situation est envisagée aux articles 112 à 132 du Code civil.

À cet égard, l’article 112 prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Dès lors que la présomption d’absence produit ses effets, ce qui suppose une constatation judiciaire par le juge des tutelles, le conjoint de la personne présumée absente peut se voir confier la gestion de ses biens.

À cet égard, il pourra notamment solliciter une habilitation judiciaire sur le fondement de l’article 219 du Code civil à l’effet d’accomplir un ou plusieurs actes au nom et pour le compte de son conjoint.

2. L’altération des facultés mentales

Bien que l’article 373 du Code civil vise seulement la situation d’incapacité, la jurisprudence considère que les mécanismes d’autorisation judiciaire et de représentation institués respectivement aux articles 217 et 219 du Code civil sont susceptibles de jouer plus largement en cas d’altération des facultés mentales d’un époux.

Il s’agit de l’hypothèse où ce dernier, sans nécessairement être frappé d’une incapacité (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.), est privé de sa capacité de discernement à telle enseigne qu’il est inapte à exprimer une volonté libre et éclairée.

Cette inaptitude est de nature :

  • Tantôt à affecter la validité des actes qu’il accomplirait et notamment ceux qui requièrent le consentement des deux époux.
  • Tantôt à l’empêcher d’accomplir des actes nécessaires à la préservation de ses intérêts propres

Afin de remédier à cette situation qui, non seulement risque de causer un préjudice à l’époux qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté, mais encore est susceptible de bloquer le fonctionnement du ménage, il est nécessaire que son conjoint puisse agir seul.

Pour ce faire, deux dispositifs sont susceptibles d’être mise en place :

  • Le premier dispositif relève du droit des incapacités: il s’agit de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice)
  • Le second relève du droit des régimes matrimoniaux: il s’agit de l’application des articles 217 ou 219 du Code civil (autorisation ou représentation judiciaires)

==> L’adoption d’une mesure de protection judiciaire

L’article 425 du Code civil prévoit que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique »

Il ressort de cette disposition que lorsque les facultés mentales d’une personne sont altérées, il est susceptible – il n’y a là rien d’automatique – de faire l’objet d’une mesure de protection judiciaire, laquelle aura pour effet de le frapper d’une incapacité d’exercice plus ou moins étendue selon la mesure retenue par le juge des tutelles.

À l’analyse, les incapacités se divisent en deux catégories

  • Première catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice générale
    • Il s’agit des majeurs qui font l’objet d’une mesure de tutelle
    • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
    • Ils ne sont nullement privés de leur capacité de jouissance générale.
    • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
    • Il leur faut être représentés par un tuteur pour l’accomplissement, tant des actes les plus graves (actes de disposition), que des actes de la vie courante (actes d’administration)
  • Seconde catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice spéciale
    • Il s’agit ici des majeurs qui font l’objet :
      • Soit d’une sauvegarde de justice
      • Soit d’une curatelle
      • Soit d’un mandat de protection future
    • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
    • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
    • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

==> Articulation entre droit des régimes matrimoniaux et droit des incapacités

La question s’est rapidement posée de savoir comment se combine le droit des incapacités avec le droit des régimes matrimoniaux qui, dans les hypothèses visées aux articles 217 et 219 du Code civil, étend les pouvoirs d’un époux aux fins de lui permettre d’accomplir des actes sans le consentement de son conjoint et qui, selon la mesure retenue, l’engage ou non.

L’articulation de ces deux branches du droit est envisagée à l’article 428 du Code civil qui prévoit que « la mesure de protection judiciaire ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par la mise en œuvre du mandat de protection future conclu par l’intéressé, par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429 ou, par une autre mesure de protection moins contraignante. »

Il s’infère de cette disposition, issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qu’est institué un principe de subsidiarité s’agissant de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire.

Aussi, lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en place d’une mesure de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice, le juge des tutelles doit désormais vérifier, au préalable, si les règles des régimes matrimoniaux, en particulier les articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, ne permettent pas de pourvoir, seuls, aux intérêts de la personne concernée.

L’objectif recherché ici par le législateur est que les mesures de protection judiciaire, qui sont assorties de lourdes contraintes, tant pour le majeur incapable, que pour son protecteur, ne puissent être adoptées qu’en dernier recours.

Il en résulte une primauté de l’application des articles 217 et 219 du Code civil sur la mise en place de ces mesures de protection.

Cette primauté n’est toutefois pas sans limite. Lorsqu’un mandat de protection future a été valablement régularisé, l’article 483, al. 1er, 4° interdit sa révocation au motif qu’il peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux.

Cette interdiction résulte de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a notamment toiletté certaines dispositions régissant la protection des majeurs incapables.

Lorsque, dès lors, un mandat de protection est activé, il prime sur tout autre dispositif de protection, y compris les règles qui relèvent du régime matrimonial des époux, sauf à ce que l’acte envisagé ne soit pas couvert par le mandat.

==> Mise en œuvre

L’articulation entre l’article 428, qui relève du droit des incapacités, et les dispositifs institués aux articles 217 et 219 qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux conduit à distinguer deux situations :

  • L’application des articles des articles 217 et 219 permet de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • En pareille hypothèse, parce que ces dispositions priment la mise en place d’une mesure de protection judiciaire, le juge des tutelles ne pourra faire droit à la demande d’adoption d’une tutelle, d’une curatelle ou encore d’une sauvegarde de justice.
    • Les actes qui requièrent le consentement de l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourront être accomplis que dans le cadre, soit d’une autorisation judiciaire, soit de la représentation judiciaire.
    • Le conjoint pourra ainsi pourvoir aux intérêts propres de celui qui est hors d’état de manifester sa volonté et à continuer à faire fonctionner le ménage par le jeu des seuls articles 217 et 219 du Code civil.
  • L’application des articles des articles 217 et 219 ne permet pas de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, une mesure de protection judiciaire pourra être adoptée à la faveur de l’époux dont les facultés mentales sont altérées.
    • Est-ce à dire que la mise en place d’une telle mesure est exclusive de la délivrance d’une autorisation judiciaire ou de la mise en place de la représentation judiciaire ?
    • Il n’en est rien. Ces mesures, qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux, pourront toujours être prises pour les actes non couverts par la mesure de protection judiciaire.
    • Si, par exemple, l’époux sous sauvegarde de justice conserve sa capacité à aliéner des immeubles, son conjoint pourra solliciter une habilitation pour agir en représentation de ce dernier quant à la vente de la résidence secondaire du couple.

3. Sur l’éloignement

La jurisprudence considère que la formule « hors d’état de manifester sa volonté » recouvre la situation d’éloignement d’un époux qui, sans être sous le coup d’une présomption d’absence, serait dans l’incapacité matérielle de régulariser l’acte envisagé.

Cet éloignement peut être tout autant volontaire qu’involontaire. Il se peut, par exemple, que l’époux soit en déplacement à l’autre bout du monde, qu’il soit retenu en captivité (otage) ou encore qu’il soit injoignable.

Dans ces hypothèses, il est admis que les dispositifs de l’autorisation judiciaire et de la représentation puissent jouer.

B) Conditions quant aux pouvoirs

L’article 219, al. 1er du Code civil prévoit que si un époux peut être habilité à l’effet de représenter son conjoint qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté, le mandat judiciaire qui lui est confié ne peut jouer que « dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial ».

De l’avis des auteurs, cette précision apportée par le texte quant au périmètre de la représentation n’est pas sans présenter une certaine ambiguïté.

La question se pose en effet de savoir dans l’exercice de quels pouvoirs le conjoint de l’époux empêché peut être habilité à le représenter[1].

Pour répondre à cette question il convient de revenir à l’ancienne rédaction de l’article 219 du Code civil qui visait, non pas « les pouvoirs résultant du régime matrimonial », mais les « pouvoirs que le contrat de mariage attribue » à l’époux empêché.

Cette formulation, qui était en vigueur sous l’empire de la loi du 22 septembre 1942, avait conduit les auteurs à se demander s’il n’y avait pas lieu d’exclure du périmètre de la représentation fondé sur l’article 219 du Code civil les pouvoirs des époux portant sur leurs bien propres.

Deux approches sont envisageables :

  • Première approche
    • Cette approche consiste à considérer que les pouvoirs dont sont investis les époux sur leurs biens propres leur sont conférés, non pas par leur statut matrimonial, mais par leur qualité de propriétaire.
    • Admettre cette thèse revient alors à exclure la représentation judiciaire d’un époux pour l’accomplissement d’actes portant sur ces biens propres.
    • L’article 219 autorise, un effet, la représentation d’un époux empêché s’agissant du seul exercice des pouvoirs que « le contrat de mariage [lui] attribue».
    • Les pouvoirs portant sur les biens propres ne résultant pas du statut matrimonial, ils ne peuvent donc pas être exercés par le biais d’une représentation judiciaire.
  • Seconde approche
    • Il s’agit ici de considérer que les pouvoirs dont sont investis les époux sur leurs biens propres leur sont conférés, non pas par leur qualité de propriétaire, mais par leur statut matrimonial.
    • Dans cette hypothèse, et à la différence de la première approche, la représentation judiciaire est susceptible d’intervenir pour l’accomplissement d’actes portant sur les biens propres, puisque envisagée par l’article 219 du Code civil qui vise expressément les « pouvoirs résultant du régime matrimonial».
    • L’époux empêché pourra donc se faire représenter par son conjoint pour les actes portant, tant sur les biens communs, que sur ses biens propres.

Manifestement, selon que l’on retient l’une ou l’autre approche le périmètre de la représentation judiciaire s’en trouvera plus ou moins étendu.

  • La première approche conduit à limiter la représentation du conjoint empêché à l’accomplissement des actes portant sur les seuls biens communs.
  • La seconde approche permet, quant à elle, d’étendre la représentation de l’époux empêché à ses biens propres.

La doctrine a majoritairement opté pour l’adoption de la seconde approche qui serait conforme à l’esprit de l’article 219 du Code civil.

Cette disposition vise, en effet, à étendre les pouvoirs d’un époux en cas d’empêchement de son conjoint en vue, non seulement de préserver ses intérêts, mais encore de pourvoir aux besoins du ménage.

Restreindre le domaine de l’article 219 à la représentation des seuls pouvoirs portant sur les biens communs reviendrait à écarter son application pour les régimes séparatistes.

Cette restriction serait, par ailleurs, de nature à le rendre inefficace quant à résoudre les situations de crise impliquant des biens propres de l’époux empêché.

Le dispositif institué à l’article 219 comporterait ainsi un angle mort auquel il ne pourrait nullement être remédié par le recours à l’article 217 du Code civil.

Une autorisation judiciaire ne peut, en effet, être sollicité que pour les actes se rapportant à un bien sur lequel le demandeur détient une fraction de pouvoir. Or tel n’est pas le cas, lorsque le bien appartient en propre à l’époux empêché. L’article 217 est donc inapplicable pour cette catégorie de biens.

Seule alternative qui s’offre au conjoint : la mise en place d’un mandat de protection future et, le cas, échéant, d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice).

Il s’agit là, néanmoins, de mesures qui ne sont pas toujours adaptées à la situation de crise concernée en raison, notamment, des contraintes qu’elles impliquent.

Pour toutes les raisons ci-avant exposées, la doctrine a plaidé pour une application de l’article 219 aux actes portant, tant les biens communs, que les biens propres de l’époux empêché.

Son vœu a été exaucé, puisque par un arrêt du 18 février 1981, la Cour de cassation a jugé que « l’article 219 du code civil est applicable quel que soit le régime matrimonial des époux et même si le conjoint dont la représentation est demandée est déjà placé sous l’un des régimes de protection institué par la loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs » (Cass. 1ère civ. 18 févr. 1981, n°80-10.403).

Ainsi la représentation fondée sur l’article 219 du Code civil peut jouer dans les régimes séparatistes où les époux ne disposent d’aucuns pouvoirs réciproques sur leurs biens personnels.

Cette position, prise par la Cour de cassation en 1981, a été confirmée 4 ans plus tard dans un nouvel arrêt rendu le 1er octobre 1985.

Dans cette décision, la Première chambre civile a affirmé que « quel que soit le régime matrimonial, le mariage crée entre les époux une association d’intérêts à raison de laquelle chacun d’eux a vocation à représenter l’autre sous le contrôle du juge [et] que l’article 219 du code civil, en permettant à un époux de représenter son conjoint dans l’exercice des pouvoirs du régime matrimonial, vise donc tous les pouvoirs d’ordre patrimonial sans exclure ceux de l’époux sépare de biens sur ses biens personnels » (Cass. 1ère civ. 1er oct. 1985, n°84-12476).

La solution retenue dans cet arrêt ne présente aucune ambiguïté : un époux peut être habilité en justice sur le fondement de l’article 219 du Code civil à l’effet de le représenter pour l’accomplissement des actes portant sur tous ses biens, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les biens communs et les biens propres.

Il est donc indifférent que l’acte visé par la représentation fasse l’objet d’une gestion exclusive, concurrente ou conjointe. L’article 219 pourra jouer dès lors qu’il est établi que l’époux empêché se trouve hors d’état de manifester sa volonté.

C) Conditions quant aux actes

L’article 219 du Code civil prévoit que l’habilitation peut être octroyée à un époux à l’effet de représenter son conjoint :

  • Soit d’une manière générale
  • Soit pour certains actes particuliers

Ainsi, contrairement à l’autorisation judiciaire, la représentation judiciaire n’est pas cantonnée à l’accomplissement d’actes déterminés.

Un époux peut être habilité sur le fondement de l’article 219 pour représenter son conjoint de manière générale.

Selon que l’habilitation est donnée est générale ou spéciale, les actes susceptibles d’être accomplis par l’époux habilité ne sont pas les mêmes :

  • L’habilitation donnée est générale
    • Dans cette hypothèse, l’époux habilité ne pourra accomplir que des actes administration.
    • L’article 1988 du Code civil exige, en effet, l’établissement d’un mandat exprès pour les actes de disposition les plus graves.
    • Aussi, faute d’habilitation spéciale pour accomplir un acte de disposition, il lui faudra revenir devant le juge.
    • À cet égard, l’alinéa 2 de l’article 219 précise que « à défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice, les actes faits par un époux en représentation de l’autre ont effet, à l’égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d’affaires.»
  • L’habilitation donnée est spéciale
    • Dans cette hypothèse, si l’époux habilité pourra accomplir, tant des actes d’administration, que des actes administration, son pouvoir de représentation sera limité aux seuls actes expressément visés, dans la décision du juge.
    • Il ne pourra accomplir aucun acte qui ne serait pas mentionné dans cette décision, quand bien même l’acte accompli l’aurait été dans l’intérêt exclusif de l’époux représenté.

De son côté, le juge devra veiller à bien circonscrire le périmètre de l’habilitation donnée au conjoint sur la base des besoins exprimé dans la demande.

Surtout, il devra statuer en considération de l’intérêt de l’époux empêché. La Cour de cassation a jugé en ce sens que « s’agissant d’un acte de disposition, les juges du fond avaient à rechercher si des circonstances particulières justifiaient la vente de la maison dans l’intérêt du conjoint qui en était propriétaire » (Cass. 1ère civ. 1er oct. 1985, n°84-12476).

Bien que l’article 219 soit silencieux sur cette exigence, le demandeur devra démontrer que l’accomplissement de l’acte pour lequel il sollicite une habilitation est dans l’intérêt de son conjoint.

II) La procédure de la représentation judiciaire

L’article 1286, al. 2e du CPC dispose que la demande d’habilitation prévue par l’article 219 du code civil, lorsque le conjoint est hors d’état de manifester sa volonté est présentée au juge des tutelles.

L’article 1289 précise que cette demande ainsi que l’appel relèvent de la matière gracieuse.

À cet égard, la requête de l’époux doit être accompagnée de tous éléments de nature à établir l’impossibilité pour son conjoint de manifester sa volonté ou d’un certificat médical, si l’impossibilité est d’ordre médical.

Le juge peut, soit d’office, soit à la demande des parties, ordonner toute mesure d’instruction.

À l’audience, il entend le conjoint. Il peut toutefois, sur avis médical, décider qu’il n’y a pas lieu de procéder à cette audition.

L’article 1289-2 ajoute, enfin, que, il peut être mis fin à l’habilitation générale donnée par le juge des tutelles en application de l’article 219 du code civil, dans les mêmes formes.

III) Les effets de la représentation judiciaire

==> Les effets de la représentation à l’égard des tiers

À la différence de l’autorisation judiciaire qui n’engage que l’époux auquel elle est délivrée, la représentation judiciaire a pour effet, lorsqu’elle est mise en œuvre, d’engager le conjoint représenté.

Aussi, est-il partie à l’acte comme s’il l’avait lui-même accompli. La conséquence en est que la dette contractée au nom et pour le compte du conjoint représenté sera exécutoire sur ses biens propres.

Les biens de l’époux habilité seront, quant à eux, exclus du gage des créanciers sauf à ce qu’il se soit, en parallèle, engagé personnellement.

==> Les effets de la représentation entre les époux

La représentation judiciaire produit, entre les époux, les mêmes effets que le mandat. L’époux habilité n’est autre que le mandataire de l’époux empêché.

Il en résulte plusieurs conséquences pour l’époux habilité :

  • Il répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de l’inexécution du mandat ( 1991 C. civ.)
  • Il répond des fautes qu’il commet dans sa gestion ( 1992 C. civ.).
  • Il est tenu de rendre compte de sa gestion ( 1993 C. civ.)

Quant à l’époux représenté, pèse sur lui un certain nombre d’obligations :

  • Il est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné ( 1998 C. civ.)
  • Le mandant doit rembourser au mandataire les avances et frais que celui-ci a faits pour l’exécution du mandat, et lui payer ses salaires lorsqu’il en a été promis ( 1999 C. civ.).
  • Il doit indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l’occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable ( 2000 C. civ.)

Ainsi que l’observent des auteurs, s’il est des règles spécifiques aux mandats entre époux qui opèrent, tant en régime de communauté, qu’en régime de séparation de biens, ces règles qui atténuent notamment la rigueur de l’obligation de rendre compte ne sont pas applicables en cas de représentation fondée sur l’article 219 du Code civil[2].

L’argument avancé consiste à dire que les mandats entre époux envisagés par les dispositions qui ne relèvent pas du régime primaire ne se conçoivent que lorsque l’époux qui les a conclus a agi en toute connaissance.

Or tel n’est pas le cas du conjoint représenté qui, par hypothèse, est investi de la qualité de mandant sans en avoir exprimé la volonté.

[1] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°135, p. 124.

[2] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°138.

Traitement des situations de crise traversées par le couple marié: l’autorisation judiciaire (art. 217 C. civ.)

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

  • L’autorisation judiciaire
  • La représentation judiciaire
  • La sauvegarde judiciaire.

Tandis que les deux premières mesures visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.

Nous nous focaliserons ici sur l’autorisation judiciaire.

Cette mesure est envisagée à l’article 217 du Code civil. Lorsqu’elle est prononcée, elle permet à un époux d’accomplir un acte en son nom personnel en se dispensant de recueillir le consentement de son conjoint.

À l’examen, l’autorisation judiciaire se différencie de la représentation judiciaire sur quatre points essentiels :

  • En premier lieu, la représentation a pour effet d’engager personnellement le conjoint représenté, tandis que l’autorisation judiciaire ne peut jamais obliger l’époux qui n’a pas consenti à l’acte. Elle engage uniquement, à titre personnel, l’époux auquel elle a été délivrée.
  • En deuxième lieu, l’habilitation d’un époux à l’effet de représenter son conjoint ne peut être délivrée que dans l’hypothèse où ce dernier est hors d’état de manifester sa volonté. L’autorisation judiciaire peut, quant à elle peut, quant à elle, également être octroyée aux fins de surmonter le refus d’un époux de consentir à un acte, peu importe que ce refus soit justifié ou non par l’intérêt de la famille.
  • En troisième lieu, il est indifférent que l’époux habilité soit investi d’un pouvoir sur le bien qui fait l’objet de l’acte accompli en représentation du conjoint, alors qu’il s’agit là d’une condition de délivrance de l’autorisation judiciaire.
  • En quatrième lieu, tandis que l’autorisation judiciaire est toujours délivrée pour l’accomplissement d’un ou plusieurs actes déterminés, la représentation judiciaire confère, au conjoint habilité un pouvoir général qui lui permet d’accomplir tout acte utile dans l’intérêt de l’époux représenté.

L’autorisation judiciaire est issue de la loi du 22 septembre 1942. L’objectif recherché par le législateur était d’étendre les pouvoirs de la femme mariée qui devait être en capacité, en l’absence de son mari, d’accomplir les actes nécessaires au fonctionnement de la famille et de pourvoir à ses besoins.

Son régime a, par suite, été très légèrement retouché par la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965, puis par la loi n°85-1372 du 23 décembre 1985.

Ces deux lois n’ont toutefois pas fondamentalement modifié l’économie générale de l’article 217 du Code civil.

I) Les conditions de l’autorisation judiciaire

A) Conditions quant aux circonstances

En application de l’article 217 du Code civil, deux situations de crise sont susceptibles de donner lieu à la délivrance par le juge d’une autorisation judiciaire à un époux aux fins d’accomplir un acte qui, en situation normale, requerrait le consentement de son conjoint.

Le texte prévoit en ce sens que, un époux peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire :

  • Soit si celui-ci est hors d’état de manifester sa volonté
  • Soit si son refus n’est pas justifié par l’intérêt de la famille.
  1. S’agissant de l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté

La question qui ici se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la formule « hors d’état de manifester sa volonté. »

Faute de précision à l’article 217 sur cette situation de crise, la doctrine suggère de se reporter à l’article 373 du Code civil qui prévoit que « est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »

Il s’infère de ce texte que l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté correspondrait à :

  • D’une part, deux situations juridiquement bien identifiées que sont l’absence et l’incapacité
  • D’autre part, une troisième situation qui laisse le champ des possibles ouvert, puisque est seulement visée « toute autre cause ».

S’appuyant sur cette base textuelle pour déterminer ce que l’on devait entendre par « hors d’état de manifester sa volonté » la jurisprudence a jugé que les situations visées par l’article 373 recouvraient trois cas que sont :

  • L’absence
  • L’altération des facultés mentales
  • L’éloignement

a) Sur l’absence

Cette situation est envisagée aux articles 112 à 132 du Code civil.

À cet égard, l’article 112 prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Dès lors que la présomption d’absence produit ses effets, ce qui suppose une constatation judiciaire par le juge des tutelles, le conjoint de la personne présumée absente peut se voir confier la gestion de ses biens.

À cet égard, il pourra notamment solliciter une autorisation judiciaire sur le fondement de l’article 217 du Code civil pour accomplir seul l’acte qui exige le consentement des deux époux.

b) L’altération des facultés mentales

Bien que l’article 373 du Code civil vise seulement la situation d’incapacité, la jurisprudence considère que les mécanismes d’autorisation judiciaire et de représentation institués respectivement aux articles 217 et 219 du Code civil sont susceptibles de jouer plus largement en cas d’altération des facultés mentales d’un époux.

Il s’agit de l’hypothèse où ce dernier, sans nécessairement être frappé d’une incapacité (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.), est privé de sa capacité de discernement à telle enseigne qu’il est inapte à exprimer une volonté libre et éclairée.

Cette inaptitude est de nature à affecter la validité des actes qu’il accomplirait et notamment ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Reste que son conjoint doit pouvoir continuer à pourvoir aux intérêts du ménage, sans risquer de voir les actes qu’il réalise remis en cause.

Aussi, est-il nécessaire qu’il puisse agir seul, à tout le moins que l’époux qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté soit représenté.

Pour ce faire, deux dispositifs sont susceptibles d’être mise en place :

  • Le premier dispositif relève du droit des incapacités: il s’agit de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice)
  • Le second relève du droit des régimes matrimoniaux: il s’agit de l’application des articles 217 ou 219 du Code civil (autorisation ou représentation judiciaires)

==> L’adoption d’une mesure de protection judiciaire

L’article 425 du Code civil prévoit que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique »

Il ressort de cette disposition que lorsque les facultés mentales d’une personne sont altérées, il est susceptible – il n’y a là rien d’automatique – de faire l’objet d’une mesure de protection judiciaire, laquelle aura pour effet de le frapper d’une incapacité d’exercice plus ou moins étendue selon la mesure retenue par le juge des tutelles.

À l’analyse, les incapacités se divisent en deux catégories

  • Première catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice générale
    • Il s’agit des majeurs qui font l’objet d’une mesure de tutelle
    • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
    • Ils ne sont nullement privés de leur capacité de jouissance générale.
    • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
    • Il leur faut être représentés par un tuteur pour l’accomplissement, tant des actes les plus graves (actes de disposition), que des actes de la vie courante (actes d’administration)
  • Seconde catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice spéciale
    • Il s’agit ici des majeurs qui font l’objet :
      • Soit d’une sauvegarde de justice
      • Soit d’une curatelle
      • Soit d’un mandat de protection future
    • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
    • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
    • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

==> Articulation entre droit des régimes matrimoniaux et droit des incapacités

La question s’est rapidement posée de savoir comment se combine le droit des incapacités avec le droit des régimes matrimoniaux qui, dans les hypothèses visées aux articles 217 et 219 du Code civil, étend les pouvoirs d’un époux aux fins de lui permettre d’accomplir des actes sans le consentement de son conjoint.

L’articulation de ces deux branches du droit est envisagée à l’article 428 du Code civil qui prévoit que « la mesure de protection judiciaire ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par la mise en œuvre du mandat de protection future conclu par l’intéressé, par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429 ou, par une autre mesure de protection moins contraignante. »

Il s’infère de cette disposition, issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qu’est institué un principe de subsidiarité s’agissant de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire.

Aussi, lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en place d’une mesure de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice, le juge des tutelles doit désormais vérifier, au préalable, si les règles des régimes matrimoniaux, en particulier les articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, ne permettent pas de pourvoir, seuls, aux intérêts de la personne concernée.

L’objectif recherché ici par le législateur est que les mesures de protection judiciaire, qui sont assorties de lourdes contraintes, tant pour le majeur incapable, que pour son protecteur, ne puissent être adoptées qu’en dernier recours.

Il en résulte une primauté de l’application des articles 217 et 219 du Code civil sur la mise en place de ces mesures de protection.

Cette primauté n’est toutefois pas sans limite. Lorsqu’un mandat de protection future a été valablement régularisé, l’article 483, al. 1er, 4° interdit sa révocation au motif qu’il peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux.

Cette interdiction résulte de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a notamment toiletté certaines dispositions régissant la protection des majeurs incapables.

Lorsque, dès lors, un mandat de protection est activé, il prime sur tout autre dispositif de protection, y compris les règles qui relèvent du régime matrimonial des époux, sauf à ce que l’acte envisagé ne soit pas couvert par le mandat.

==> Mise en œuvre

L’articulation entre l’article 428, qui relève du droit des incapacités, et les dispositifs institués aux articles 217 et 219 qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux conduit à distinguer deux situations :

  • L’application des articles des articles 217 et 219 permet de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • En pareille hypothèse, parce que ces dispositions priment la mise en place d’une mesure de protection judiciaire, le juge des tutelles ne pourra faire droit à la demande d’adoption d’une tutelle, d’une curatelle ou encore d’une sauvegarde de justice.
    • Les actes qui requièrent le consentement de l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourront être accomplis que dans le cadre, soit d’une autorisation judiciaire, soit de la représentation judiciaire.
    • Le conjoint pourra ainsi à continuer à faire fonctionner le ménage par le jeu des seuls articles 217 et 219 du Code civil.
  • L’application des articles des articles 217 et 219 ne permet pas de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, une mesure de protection judiciaire pourra être adoptée à la faveur de l’époux dont les facultés mentales sont altérées.
    • Est-ce à dire que la mise en place d’une telle mesure est exclusive de la délivrance d’une autorisation judiciaire ou de la mise en place de la représentation judiciaire ?
    • Il n’en est rien. Ces mesures, qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux, pourront toujours être prises pour les actes non couverts par la mesure de protection judiciaire.
    • Si, par exemple, l’époux sous sauvegarde de justice conserve sa capacité à aliéner des immeubles, son conjoint pourra solliciter une autorisation judiciaire pour accomplir seul l’acte de vente de la résidence secondaire du couple.

c) Sur l’éloignement

La jurisprudence considère que la formule « hors d’état de manifester sa volonté » recouvre la situation d’éloignement d’un époux qui, sans être sous le coup d’une présomption d’absence, serait dans l’incapacité matérielle de régulariser l’acte envisagé.

Cet éloignement peut être tout autant volontaire qu’involontaire. Il se peut, par exemple, que l’époux soit en déplacement à l’autre bout du monde, qu’il soit retenu en captivité (otage) ou encore qu’il soit injoignable.

Dans ces hypothèses, il est admis que les dispositifs de l’autorisation judiciaire et de la représentation puissent jouer.

2. S’agissant du refus d’un époux qui n’est pas justifié par l’intérêt de la famille

Seconde circonstance susceptible de justifier la délivrance d’une autorisation judiciaire : le refus d’un époux d’accomplir un acte qui n’est pas justifié par l’intérêt de la famille.

C’est là une différence majeure avec la mise en place d’une représentation judiciaire qui n’est pas subordonnée à la caractérisation de cette circonstance.

Dans cette hypothèse de refus contraire à l’intérêt de la famille, le juge peut donc autoriser le conjoint à accomplir seul cet acte qui, en temps normal, requiert le consentement des deux époux.

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par intérêt de la famille. Que recouvre cette notion que l’on retrouve dans de nombreuses autres dispositions du Code civil et notamment à l’article 1397 qui régit le changement de régime matrimonial.

À l’analyse, la notion d’intérêt de la famille n’est définie par aucun texte. La raison en est que le législateur a souhaité conférer une liberté d’appréciation au juge qui donc n’est pas entravé dans son appréhension de la situation qui lui est soumise.

Dans un arrêt du 6 janvier 1976, la Cour de cassation est seulement venue préciser, dans une affaire se rapportant à un changement de régime matrimonial, que « l’existence et la légitimé d’un tel intérêt doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Il s’infère de cette décision que la notion d’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier cet intérêt pris dans sa globalité, soit en considération des intérêts de chaque membre de la famille, étant précisé que la jurisprudence tient compte, tant des intérêts des époux, que de celui des enfants.

La Cour d’appel de Paris a jugé en ce sens que « les descendants des époux doivent être pris en compte pour l’appréciation objective qui doit être donnée de l’intérêt de la famille pris dans sa globalité » (CA Paris, 11 sept. 1997).

L’intérêt de la famille doit ainsi être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble.

Aussi, l’intérêt de la famille ne saurait se confondre avec l’intérêt personnel d’un seul de ses membres.

Et s’il est des cas où c’est la préservation d’un intérêt individuel qui guidera la décision de juge quant à retenir l’intérêt de la famille. Reste qu’il ne pourra statuer en ce sens qu’après avoir réalisé une balance des intérêts en présence.

Quelles sont les situations de refus du conjoint d’accomplir un acte non justifié par l’intérêt de la famille ?

Il s’agit, la plupart du temps, de situations qui présentent un enjeu pécuniaire, bien que l’intérêt de la famille puisse être tout autant d’ordre patrimonial, que d’ordre extrapatrimonial.

Tel sera notamment le cas dans l’hypothèse où un époux s’oppose à accomplir un acte qui vise à apurer le passif du ménage en aliénant un bien commun (Cass. 1ère civ. 31 janv. 1974).

L’intérêt de la famille a encore été reconnu s’agissant de la vente du logement familial dont l’entretien était devenu trop coûteux et qui ne pouvait plus être assuré au regard des ressources financières du couple (Cass. 1ère civ. 23 juin 1993, n°92-10945).

En revanche, l’intérêt de la famille n’a pas été retenu s’agissant d’une épouse qui s’était opposée à la cession, par son mari, de parts sociales d’une société à responsabilité limitée dont il était le gérant (CA Douai, 9 mars 2006, n° 06/00584).

S’agissant de la charge de la preuve, dans la mesure où l’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, elle pèserait, selon André Colomer, sur les deux époux, chacun devant convaincre le juge du caractère justifié ou injustifié du refus d’accomplir l’acte discuté.

Reste que, en cas de doute, il conviendra d’appliquer l’article 1353 du Code civil, qui fait peser la charge de la preuve sur l’époux qui sollicite une autorisation (V. en ce sens CA Grenoble 7 nov. 1972).

B) Conditions quant aux actes

Tous les actes susceptibles d’être accomplis par un époux ne permettent pas d’obtenir une autorisation judiciaire sur le fondement de l’article 217 du Code civil.

Cette autorisation ne peut être délivrée que :

  • D’une part, pour les actes soumis à cogestion ou codécision
  • D’autre part, pour des actes déterminés

==> Des actes soumis à cogestion/codécision

Il s’infère de l’article 217 du Code civil que seuls les actes dont l’accomplissement requiert le consentement des deux époux peuvent donner lieu à la délivrance d’une autorisation judiciaire.

Cette disposition vise plus précisément les actes pour lesquels « le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire ».

  • S’agissant des actes qui exigent le concours du conjoint, il s’agit de ceux soumis à cogestion, soit pour lesquels les deux époux doivent être partie à l’acte
    • Exemple: disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté ( 1422 C. civ.) ou encore aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté (art. 1424 C. civ.)
  • S’agissant des actes qui exigent le consentement du conjoint, il s’agit de ceux soumis à la codécision, soit pour lesquels le conjoint doit seulement donner son accord, sans pour autant être partie à l’acte
    • Exemple: aliénation du logement familial ou des meubles meublants qui appartiennent en propre à un époux ( 215, al. 3e C. civ.).

Parce que ne peuvent donner lieu à la délivrance d’une autorisation judiciaire les actes soumis à cogestion ou à codécision, l’article 217 du Code civil est inapplicable s’agissant de l’accomplissement d’un acte portant sur un bien propre du conjoint.

L’époux qui sollicite l’autorisation doit être investi d’une fraction de pouvoir sur le bien. C’est parce que ce pouvoir est insuffisant qu’il est fondé à saisir le juge pour être autorisé à accomplir l’acte envisagé sans le consentement ou le concours de son conjoint.

Aussi, en régime de séparation de biens, l’article 217 du Code civil n’a pas vocation à jouer, faute de pouvoirs réciproques des époux sur les biens de l’autre.

Il en va de même en régime de communauté pour les biens qui font l’objet d’une gestion exclusive, au nombre desquels figurent, outre les biens propres, les biens affectés à une activité professionnelle ou encore les gains et salaires.

Qu’en est-il lorsqu’un bien est détenu par les époux en indivision ? De l’avis de la doctrine et de la jurisprudence l’application du droit des régimes matrimoniaux n’est pas incompatible avec les règles qui gouvernent l’indivision.

À cet égard, lorsque les conditions de l’article 217 du Code civil sont réunies, l’application de cette disposition présente l’avantage de permettre à un époux d’accomplir seul un acte en cas de refus injustifié du conjoint, ce qui n’est pas permis en matière d’indivision où cette circonstance est indifférente.

L’article 815-3 du Code civil prévoit, en effet, que « le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l’exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que […] vendre des meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision » (art. 815-3 C. civ.).

En matière d’indivision, pour les actes les plus graves, c’est donc la règle de l’unanimité qui s’applique, de sorte qu’il est nécessaire que tous les indivisaires consentent à l’acte.

La jurisprudence a néanmoins admis qu’un époux puisse être autorisé, sur le fondement de l’article 217 du Code civil, à aliéner seul un bien immobilier acquis en indivision par les époux (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 19 oct. 1999, n°97-21466).

À cet égard, il peut être observé que ce résultat aurait également pu être obtenu par voie de licitation. Cette action consiste à provoquer judiciairement la cessation de l’indivision en application de l’article 815 du Code civil.

L’article 217 n’en reste pas moins une option procédurale qui confère aux époux un important pouvoir, ce qui conduit, dans un second temps, à s’interroger sur ses limites, notamment lorsqu’il est invoqué pour accomplir un acte sur un bien qui appartient en propre au conjoint.

Cette problématique se rencontrera notamment, lorsque le bien en question n’est autre que le logement familial.

Pour mémoire, l’article 215, al. 3e du code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. »

L’aliénation du logement familial requiert ainsi le consentement des deux époux, y compris dans l’hypothèse où il appartiendrait en propre à un époux.

S’il est acquis que cet époux pourrait, sur le fondement de l’article 217 du Code civil, solliciter une autorisation judiciaire aux fins d’accomplir seul un acte de disposition sur le logement familial en raison, soit du refus injustifié de son conjoint, soit de son impossibilité de manifester sa volonté, l’hypothèse inverse pourrait-elle être envisagée ?

Autrement dit, l’application de l’article 217 du Code civil pourrait-elle fonder la délivrance d’une autorisation judiciaire à un époux qui souhaiterait aliéner le logement familial dont est propriétaire à titre personnel son conjoint ?

Pour la doctrine, « on en saurait admettre (par une fausse symétrie) que l’autre époux (non-propriétaire) puisse obliger son conjoint à vendre l’immeuble lui appartenant personnellement (ce qui équivaudrait à une expropriation pour cause d’intérêt familial) »[3].

La raison en est que l’article 215 du Code civil confère au conjoint, non pas un pouvoir d’administration ou de disposition sur le logement familial qui ne lui appartient pas, mais seulement un droit d’opposition.

Tout au plus, l’époux non-propriétaire pourra agir en représentation de son conjoint sur le fondement de l’article 219 du Code civil.

Quant à la circonstance où le logement familial est un bien commun ou indivis, elle ne soulève pas de difficulté dans la mesure où l’époux qui solliciterait une autorisation judiciaire pour agir seul est titulaire d’une fraction de pouvoir sur ce bien.

Le recours à l’article 217 du Code civil lui permettra alors de surmonter l’obstacle de l’article 215, al. 3e qui pose un principe de codécision pour l’accomplissement de tout acte de disposition portant sur le logement familial.

Il lui faudra néanmoins démontrer, soit que son conjoint est hors d’état de manifester sa volonté, soit que son refus d’aliéner le logement familial n’est pas justifié par l’intérêt de la famille.

==> Des actes déterminés

La lecture de l’article 217 du Code civil révèle que l’autorisation judiciaire ne peut être délivrée que pour l’accomplissement d’un acte déterminé, soit pour la réalisation d’une opération spécifique.

Le texte vise « un acte pour lequel pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire ».

On peut en déduire, que l’autorisation ne pourra jamais fonder l’octroi à un époux d’un pouvoir général sur les biens de son conjoint.

Il appartiendra donc au juge de bien circonscrire le périmètre de l’autorisation donnée. Si elle porte sur un ensemble d’actes, ils devront relever d’une opération unique qui devra être expressément visée dans la décision du juge.

II) La procédure de l’autorisation judiciaire

Afin de déterminer la juridiction compétente pour connaître d’une demande d’autorisation judiciaire fondée sur l’article 217 du Code civil, l’article 1286 du Code de procédure civile invite à distinguer deux situations :

  • La demande d’autorisation a pour cause l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, l’article 1286, al. 2e du CPC prévoit que la demande doit être adressée au Juge des tutelles.
    • L’article 1289 précise que cette demande ainsi que l’appel relèvent de la matière gracieuse.
    • À cet égard, la requête de l’époux doit être accompagnée de tous éléments de nature à établir l’impossibilité pour son conjoint de manifester sa volonté ou d’un certificat médical, si l’impossibilité est d’ordre médical.
    • Le juge peut, soit d’office, soit à la demande des parties, ordonner toute mesure d’instruction.
    • À l’audience, il entend le conjoint.
    • Il peut toutefois, sur avis médical, décider qu’il n’y a pas lieu de procéder à cette audition.
  • La demande d’autorisation a pour cause le refus injustifié du conjoint d’accomplir l’acte litigieux
    • Dans cette hypothèse, l’article 1286, al. 1er du CPC prévoit que la demande est formée par requête devant le Juge aux affaires familiales.
    • L’article 1287, al. 2e précise que la demande est instruite et jugée comme en matière gracieuse et obéit aux règles applicables à cette procédure devant le tribunal judiciaire.
    • En cas d’urgence, l’époux qui sollicite une autorisation judiciaire dispose de la possibilité d’emprunter la voie de la procédure à jour fixe, laquelle permet d’obtenir rapidement une décision. Pour ce faire, il devra :
      • Dans un premier temps saisir le Président du Tribunal par voie de requête pour être autorisé à assigner à jour fixe
      • Dans un second temps, faire délivrer une assignation à jour fixe à son conjoint
    • Dans le cadre de la procédure ordinaire, le juge entend le conjoint à moins que celui-ci, régulièrement cité, ne se présente pas. L’affaire est alors instruite et jugée en chambre du conseil.
    • En cas d’appel, celui-ci est instruit et jugé, selon les cas, comme en matière gracieuse ou comme en matière contentieuse.

III) Les effets de l’autorisation judiciaire

Lorsqu’elle est régulièrement délivrée, l’autorisation judiciaire permet à un époux d’accomplir seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait, en temps normal, nécessaire.

L’acte ainsi accompli ne pourra pas être remis en cause au motif que le consentement d’un époux fait défaut.

L’alinéa 2 de l’article 217 prévoit, en ce sens, que « l’acte passé dans les conditions fixées par l’autorisation de justice est opposable à l’époux dont le concours ou le consentement a fait défaut »

Si un époux peut, sur le fondement de cette disposition passer outre le consentement de son conjoint, le texte précise néanmoins qu’il ne peut en résulter à la charge de ce dernier aucune obligation personnelle.

Autrement dit, l’époux qui accomplit l’acte agi, non pas en représentation de son conjoint tel que le permet l’article 219 du Code civil, mais uniquement en son nom personnel.

Pratiquement, cela signifie que le conjoint qui n’a pas consenti à l’acte ne sera pas engagé.

Les dettes nées de l’accomplissement de cet acte ne seront donc pas exécutoires sur ses biens propres, à tout le moins, précise le texte, si l’acte a été « passé dans les conditions fixées par l’autorisation de justice ». Si tel n’est pas le cas, l’acte sera privé de ses effets entre les époux.

Si, en revanche, l’acte a été accompli conformément aux termes de l’autorisation donnée, il sera pleinement opposable au conjoint qui, en contrepartie, ne sera pas personnellement engagé.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[3] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°143, p. 132.

La gestion d’affaires: vue générale

Sauf à être frappée d’une incapacité d’exercice (minorité, tutelle, curatelle, sauvegarde de justice etc.), il est de principe que toute personne qui jouit de la pleine capacité juridique est souveraine quant à assurer la gestion de ses intérêts.

Aussi est-il fait interdiction aux tiers de s’immiscer dans les affaires d’autrui, une intervention intempestive étant susceptible d’engager la responsabilité civile, voire pénale de son auteur.

Il est des cas néanmoins où une personne peut être empêchée d’agir, alors même que la gestion de ses affaires requerrait une intervention immédiate, intervention sans laquelle la préservation de ses intérêts s’en trouverait menacée.

L’exemple retenu classiquement pour illustrer la situation est celui d’une personne témoin d’un danger (incendie, fuite de gaz, affaissement etc) qui menace la maison de son voisin absent.

S’il n’intervient pas en urgence, il est un risque, sinon une certitude que le sinistre qui est sur le point de se produire n’endommage irrémédiablement l’immeuble.

Deux approches de la situation peuvent alors être envisagées :

  • L’approche individualiste
    • Si l’on retient une approche purement individualiste de la situation, il y a lieu de considérer que, en application du principe d’indépendance juridique des individus, il est fait interdiction à quiconque d’intervenir.
    • Une intrusion délibérée dans les lieux s’apparenterait, au mieux à une immixtion fautive dans les affaires du propriétaire, au pire à une violation de domicile.
  • L’approche sociale
    • Si l’on adopte une approche sociale, l’initiative de la personne qui intervient spontanément doit être approuvée car visant à prévenir un dommage imminent.
    • Son intervention doit ainsi être regardée comme un acte de bienveillance puisque procédant d’une volonté désintéressée de rendre service à son voisin dans la gestion de ses affaires.

À l’examen, le législateur a opté pour une approche intermédiaire en instituant le mécanisme de la gestion d’affaires.

Ainsi que le relève un Philippe le Tourneau « le droit positif n’a omis aucun de ces deux visages de la gestion d’affaires, en adoptant via media, c’est-à-dire un régime en demi-teinte, pour ne pas encourager les interventions intempestives, sans pour autant décourager les interventions utiles ».

Tout est affaire d’équilibre, celui-ci étant assuré, d’un côté, par l’instauration de conditions restrictives de mise en œuvre de la gestion d’affaires et, d’un autre côté, par la création d’obligations qui pèsent sur la tête de celui qui profite de l’intervention utile d’autrui.

Ceci étant posé, il convient d’aborder désormais la notion de gestion d’affaires, telle qu’envisagée par les textes.

?Notion

La gestion d’affaires est définie à l’article 1301 du Code civil comme le fait de « celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire ».

Il s’agit autrement dit pour une personne, que l’on appelle le gérant d’affaires, d’intervenir spontanément dans les affaires d’autrui, le maître de l’affaire ou le géré, aux fins de lui rendre un service.

La particularité de la gestion d’affaires est qu’elle suppose qu’une personne ait agi pour le compte d’un tiers et dans son intérêt, ce, sans avoir été mandaté par celui-ci, ni qu’il en ait été tenu informé.

Ainsi qu’il l’a été dit, cette situation se rencontre, par exemple, lorsqu’une personne, souhaitant rendre un service à ami ou à un voisin absent, entreprend d’effectuer une réparation urgente sur ses biens.

Il peut encore s’agir d’organiser les obsèques d’une personne décédée sans héritier connu, de porter secours à la victime d’un accident prisonnier d’un véhicule en flamme ou encore de recueillir et de soigner un animal domestique égaré.

Schématiquement, la gestion d’affaires se décompose en deux temps :

  • Premier temps
    • Immixtion du gérant dans les affaires d’autrui, charge à lui d’accomplir, en bon père de famille, tous les actes utiles jusqu’à ce que le maître de l’affaire ou ses ayants droits soit en capacité d’y pourvoir lui-même.
  • Second temps
    • Indemnisation du gérant par le maître des dépenses exposées pour la gestion, pourvu que l’affaire ait été utile et bien gérée

Cette configuration n’est pas sans rapprocher la gestion d’affaires d’autres figures juridiques.

?Distinctions

La gestion d’affaires doit être distinguée du mandat, de la stipulation pour autrui et de l’enrichissement injustifié.

  • Gestion d’affaires et mandat
    • Si la gestion d’affaires consiste, comme le mandat, à réaliser une action pour autrui, elle s’en distingue sur deux points.
      • Première différence
        • Tandis que le mandat est le produit d’un accord de volontés, la gestion d’affaires procède d’une initiative spontanée du gérant d’affaire qui va intervenir sans en avoir reçu l’ordre du maître de l’affaire.
        • Aussi, tandis que les obligations qui échoient au mandataire naissent de l’accomplissement d’un acte juridique, celles qui pèsent sur le gérant de l’affaire prennent leur source dans un fait purement volontaire.
      • Seconde différence
        • Tandis que le mandat ne peut avoir pour objet que des actes juridiques (conservatoires, d’administration et de disposition), la gestion d’affaires peut donner lieu à l’accomplissement d’actes matériels.
        • Ces actes matériels peuvent consister à surveiller une compétition sportive, conserver une chose égarée ou encore porter secours à une personne.
  • Gestion d’affaires et stipulation pour autrui
    • À l’instar de la stipulation pour autrui, la gestion d’affaires a pour effet de conférer des droits à autrui.
    • Pour mémoire, la stipulation pour autrui est un contrat par lequel une partie appelée le stipulant, obtient d’une autre, appelée le promettant, l’engagement qu’elle donnera ou fera, ou ne fera pas quelque chose au profit d’un tiers appelé le bénéficiaire.
    • Bien que, assez proche, la gestion d’affaires se différencie de la stipulation pour autrui sur deux points :
      • Première différence
        • La stipulation pour autrui procède de la conclusion d’un contrat entre le stipulant et le promettant alors que la gestion d’affaires est une source autonome d’obligation.
        • En effet, les droits conférés au maître de l’affaire procèdent, non pas d’un contrat, mais d’un fait volontaire consistant en l’intervention spontanée du gérant de l’affaire
      • Seconde différence
        • Tandis que la stipulation pour autrui ne peut conférer que des droits au bénéficiaire, la gestion d’affaire peut être source d’obligations pour le maître de l’affaire.
        • Ce dernier devra notamment indemniser le gérant de l’affaire pour les frais exposés dans son intérêt.
  • Gestion d’affaires et enrichissement injustifié
    • Tant la gestion d’affaires que l’enrichissement injustifié (ou sans cause) visent à rétablir un équilibre injustement rompu entre deux patrimoines.
    • Ces deux figurent juridiques reposent, au fond, sur l’idée que l’équité commande que la personne qui est intervenu spontanément dans l’intérêt d’autrui, puisse être indemnisé par ce dernier des dépenses qu’il a été amené à effectuer.
    • Là encore la gestion d’affaires et l’enrichissement injustifiés, bien que poursuivant un objectif commun, se distinguent sur deux points :
      • Première différence
        • Le rétablissement de l’équilibre patrimonial injustement rompu n’a pas la même cause selon qu’il s’agit de la gestion d’affaire ou de l’enrichissement injustifié.
          • La gestion d’affaires repose sur la caractérisation d’un élément subjectif, en ce sens qu’il s’agira d’établir la volonté du gérant d’intervenir dans les affaires d’autrui
          • L’enrichissement injustifié repose, au contraire, sur la caractérisation d’un élément objectif, soit sur la démonstration d’une corrélation entre l’enrichissement d’un patrimoine au détriment d’un autre.
        • En matière d’enrichissement injustifié, il est donc indifférent que l’enrichissement ait ou non pour origine une volonté d’agir, ce qui n’est pas le cas de la gestion d’affaires dont l’élément central est la volonté du maître d’intervenir sciemment dans les affaires d’autrui.
      • Seconde différence
        • En matière d’enrichissement injustifié, non seulement, l’indemnisation de la personne qui s’est appauvri est plafonnée par un double montant (plus forte des deux sommes entre l’enrichissement et l’appauvrissement), mais encore l’enrichissement doit avoir subsisté au moment où l’action de in rem verso est introduite.
        • En matière de gestion d’affaires il échoit au maître de l’affaire de rembourser le gérant à hauteur de toutes les sommes utilement exposées, ce quand bien même il n’en aurait retiré aucun profit.

?Origine

La gestion d’affaire est loin d’être une création des rédacteurs du Code civil. Il s’agit là d’une figure juridique, comme beaucoup d’autres, héritée du droit romain.

Celui-ci était riche de deux actions susceptibles d’être exercées, soit par le gérant, soit par le maître de l’affaire. L’action negotiorum gestorum contrario était conférée au gérant, tandis que l’action negotiorum gestorum directa pouvait être exercée par le maître de l’affaire.

Ces deux actions étaient calquées sur les règles du mandat, raison pour laquelle la gestion d’affaires est parfois qualifiée de quasi-mandat.

L’analogie entre les deux dispositifs obligationnels explique le régime actuel de la gestion d’affaires. Elle se distingue néanmoins du mandat sur un point essentiel : elle procède, non pas d’un accord de volontés, mais d’un fait juridique purement volontaire, ce qui fait d’elle un quasi-contrat.

?Nature

La gestion d’affaires est envisagée dans une partie du Code civil consacrée « aux autres sources d’obligations ».

Ainsi que le précise le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, cette partie du Code napoléonien qui suit, un sous-titre Ier consacré au contrat et un sous-titre II qui traite de la responsabilité extracontractuelle ne porte pas, à proprement parler sur toutes les autres sources d’obligations (telles que la loi ou l’engagement unilatéral de volonté), mais seulement sur les quasi-contrats connus en droit positif.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par quasi-contrat, la gestion d’affaires relevant manifestement de cette catégorie d’obligations.

  • Définition
    • Les quasi-contrats sont définis à l’article 1300 C. civ (ancien art 1371 C. civ.) comme « des faits purement volontaires dont il résulte un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui ».
    • Il s’agit autrement dit, du fait spontané d’une personne, d’où il résulte un avantage pour un tiers et un appauvrissement de celui qui agit.
    • Au nom de l’équité, la loi rétablit l’équilibre injustement rompu en obligeant le tiers à indemniser celui qui, par son intervention, s’est appauvri.
  • Différence avec le contrat
    • Tandis que le contrat est le produit d’un accord de volontés, le quasi-contrat naît d’un fait volontaire licite
      • Ainsi la formation d’un quasi-contrat, ne suppose pas la rencontre des volontés entre les deux « parties », comme tel est le cas en matière de contrat.
    • Les obligations qui naissent d’un quasi-contrat sont un effet de la loi et non un produit de la volonté.
  • Différence avec le délit et le quasi-délit
    • Contrairement au délit ou au quasi-délit, le quasi-contrat est un fait volontaire non pas illicite mais licite, en ce sens qu’il ne constitue pas une faute civile.
    • Le fait générateur d’un quasi-contrat ne permet donc pas d’engager la responsabilité de son auteur.
    • Leur point commun est que les effets de droits attachés au quasi-contrat et au délit/quasi-délit procèdent de la loi et non d’un accord entre les personnes intéressées qui, par hypothèse, fait défaut.

La gestion d’affaires relève donc de la catégorie des quasi-contrats. Il en résulte deux conséquences immédiates :

  • Tout d’abord, il ne peut être recouru à la figure juridique de la gestion d’affaires qu’à titre subsidiaire, soit dans l’hypothèse où aucun contrat n’a été conclu entre le maître de l’affaire et le gérant.
  • Ensuite, parce que les obligations attachées à la gestion d’affaires ne procèdent pas de l’accomplissement d’un acte juridique, mais d’un fait, la preuve est libre et se rapporte donc par tous moyens, nonobstant l’accomplissement d’actes juridiques par le gérant dans le cadre de son intervention (V. en ce sens Cass. civ. 19 mars 1845).

?Réforme des obligations

Sous l’empire du droit antérieur, la gestion d’affaires était régie avec le paiement de l’indu, autre forme de quasi-contrat, par les articles 1371 à 1381 du code civil.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a transféré la gestion d’affaires aux articles 1301 à 1301-5.

À l’analyse, l’intervention du législateur s’est limitée à un toilettage des textes, la principale innovation consistant à étendre les obligations du gérant qui doit désormais « remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant », alors que, auparavant, il ne devait reprendre que les engagements « contractés en son nom ».

En tout état de cause, la gestion d’affaires ne peut être invoquée qu’à la condition de satisfaire à plusieurs conditions cumulatives. Une fois ces conditions remplies, elle produit un certain nombre d’effets spécifiques, tant à l’égard à l’égard du gérant et du maître, qu’à l’égard des tiers.