Sauf à être frappée d’une incapacité d’exercice (minorité, tutelle, curatelle, sauvegarde de justice etc.), il est de principe que toute personne qui jouit de la pleine capacité juridique est souveraine quant à assurer la gestion de ses intérêts.
Aussi est-il fait interdiction aux tiers de s’immiscer dans les affaires d’autrui, une intervention intempestive étant susceptible d’engager la responsabilité civile, voire pénale de son auteur.
Il est des cas néanmoins où une personne peut être empêchée d’agir, alors même que la gestion de ses affaires requerrait une intervention immédiate, intervention sans laquelle la préservation de ses intérêts s’en trouverait menacée.
L’exemple retenu classiquement pour illustrer la situation est celui d’une personne témoin d’un danger (incendie, fuite de gaz, affaissement etc) qui menace la maison de son voisin absent.
S’il n’intervient pas en urgence, il est un risque, sinon une certitude que le sinistre qui est sur le point de se produire n’endommage irrémédiablement l’immeuble.
Deux approches de la situation peuvent alors être envisagées :
- L’approche individualiste
- Si l’on retient une approche purement individualiste de la situation, il y a lieu de considérer que, en application du principe d’indépendance juridique des individus, il est fait interdiction à quiconque d’intervenir.
- Une intrusion délibérée dans les lieux s’apparenterait, au mieux à une immixtion fautive dans les affaires du propriétaire, au pire à une violation de domicile.
- L’approche sociale
- Si l’on adopte une approche sociale, l’initiative de la personne qui intervient spontanément doit être approuvée car visant à prévenir un dommage imminent.
- Son intervention doit ainsi être regardée comme un acte de bienveillance puisque procédant d’une volonté désintéressée de rendre service à son voisin dans la gestion de ses affaires.
À l’examen, le législateur a opté pour une approche intermédiaire en instituant le mécanisme de la gestion d’affaires.
Ainsi que le relève un Philippe le Tourneau « le droit positif n’a omis aucun de ces deux visages de la gestion d’affaires, en adoptant via media, c’est-à-dire un régime en demi-teinte, pour ne pas encourager les interventions intempestives, sans pour autant décourager les interventions utiles ».
Tout est affaire d’équilibre, celui-ci étant assuré, d’un côté, par l’instauration de conditions restrictives de mise en œuvre de la gestion d’affaires et, d’un autre côté, par la création d’obligations qui pèsent sur la tête de celui qui profite de l’intervention utile d’autrui.
Ceci étant posé, il convient d’aborder désormais la notion de gestion d’affaires, telle qu’envisagée par les textes.
==>Notion
La gestion d’affaires est définie à l’article 1301 du Code civil comme le fait de « celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire ».
Il s’agit autrement dit pour une personne, que l’on appelle le gérant d’affaires, d’intervenir spontanément dans les affaires d’autrui, le maître de l’affaire ou le géré, aux fins de lui rendre un service.
La particularité de la gestion d’affaires est qu’elle suppose qu’une personne ait agi pour le compte d’un tiers et dans son intérêt, ce, sans avoir été mandaté par celui-ci, ni qu’il en ait été tenu informé.
Ainsi qu’il l’a été dit, cette situation se rencontre, par exemple, lorsqu’une personne, souhaitant rendre un service à ami ou à un voisin absent, entreprend d’effectuer une réparation urgente sur ses biens.
Il peut encore s’agir d’organiser les obsèques d’une personne décédée sans héritier connu, de porter secours à la victime d’un accident prisonnier d’un véhicule en flamme ou encore de recueillir et de soigner un animal domestique égaré.
Schématiquement, la gestion d’affaires se décompose en deux temps :
- Premier temps
- Immixtion du gérant dans les affaires d’autrui, charge à lui d’accomplir, en bon père de famille, tous les actes utiles jusqu’à ce que le maître de l’affaire ou ses ayants droits soit en capacité d’y pourvoir lui-même.
- Second temps
- Indemnisation du gérant par le maître des dépenses exposées pour la gestion, pourvu que l’affaire ait été utile et bien gérée
Cette configuration n’est pas sans rapprocher la gestion d’affaires d’autres figures juridiques.
==>Distinctions
La gestion d’affaires doit être distinguée du mandat, de la stipulation pour autrui et de l’enrichissement injustifié.
- Gestion d’affaires et mandat
- Si la gestion d’affaires consiste, comme le mandat, à réaliser une action pour autrui, elle s’en distingue sur deux points.
- Première différence
- Tandis que le mandat est le produit d’un accord de volontés, la gestion d’affaires procède d’une initiative spontanée du gérant d’affaire qui va intervenir sans en avoir reçu l’ordre du maître de l’affaire.
- Aussi, tandis que les obligations qui échoient au mandataire naissent de l’accomplissement d’un acte juridique, celles qui pèsent sur le gérant de l’affaire prennent leur source dans un fait purement volontaire.
- Seconde différence
- Tandis que le mandat ne peut avoir pour objet que des actes juridiques (conservatoires, d’administration et de disposition), la gestion d’affaires peut donner lieu à l’accomplissement d’actes matériels.
- Ces actes matériels peuvent consister à surveiller une compétition sportive, conserver une chose égarée ou encore porter secours à une personne.
- Première différence
- Si la gestion d’affaires consiste, comme le mandat, à réaliser une action pour autrui, elle s’en distingue sur deux points.
- Gestion d’affaires et stipulation pour autrui
- À l’instar de la stipulation pour autrui, la gestion d’affaires a pour effet de conférer des droits à autrui.
- Pour mémoire, la stipulation pour autrui est un contrat par lequel une partie appelée le stipulant, obtient d’une autre, appelée le promettant, l’engagement qu’elle donnera ou fera, ou ne fera pas quelque chose au profit d’un tiers appelé le bénéficiaire.
- Bien que, assez proche, la gestion d’affaires se différencie de la stipulation pour autrui sur deux points :
- Première différence
- La stipulation pour autrui procède de la conclusion d’un contrat entre le stipulant et le promettant alors que la gestion d’affaires est une source autonome d’obligation.
- En effet, les droits conférés au maître de l’affaire procèdent, non pas d’un contrat, mais d’un fait volontaire consistant en l’intervention spontanée du gérant de l’affaire
- Seconde différence
- Tandis que la stipulation pour autrui ne peut conférer que des droits au bénéficiaire, la gestion d’affaire peut être source d’obligations pour le maître de l’affaire.
- Ce dernier devra notamment indemniser le gérant de l’affaire pour les frais exposés dans son intérêt.
- Première différence
- Gestion d’affaires et enrichissement injustifié
- Tant la gestion d’affaires que l’enrichissement injustifié (ou sans cause) visent à rétablir un équilibre injustement rompu entre deux patrimoines.
- Ces deux figurent juridiques reposent, au fond, sur l’idée que l’équité commande que la personne qui est intervenu spontanément dans l’intérêt d’autrui, puisse être indemnisé par ce dernier des dépenses qu’il a été amené à effectuer.
- Là encore la gestion d’affaires et l’enrichissement injustifiés, bien que poursuivant un objectif commun, se distinguent sur deux points :
- Première différence
- Le rétablissement de l’équilibre patrimonial injustement rompu n’a pas la même cause selon qu’il s’agit de la gestion d’affaire ou de l’enrichissement injustifié.
- La gestion d’affaires repose sur la caractérisation d’un élément subjectif, en ce sens qu’il s’agira d’établir la volonté du gérant d’intervenir dans les affaires d’autrui
- L’enrichissement injustifié repose, au contraire, sur la caractérisation d’un élément objectif, soit sur la démonstration d’une corrélation entre l’enrichissement d’un patrimoine au détriment d’un autre.
- En matière d’enrichissement injustifié, il est donc indifférent que l’enrichissement ait ou non pour origine une volonté d’agir, ce qui n’est pas le cas de la gestion d’affaires dont l’élément central est la volonté du maître d’intervenir sciemment dans les affaires d’autrui.
- Le rétablissement de l’équilibre patrimonial injustement rompu n’a pas la même cause selon qu’il s’agit de la gestion d’affaire ou de l’enrichissement injustifié.
- Seconde différence
- En matière d’enrichissement injustifié, non seulement, l’indemnisation de la personne qui s’est appauvri est plafonnée par un double montant (plus forte des deux sommes entre l’enrichissement et l’appauvrissement), mais encore l’enrichissement doit avoir subsisté au moment où l’action de in rem verso est introduite.
- En matière de gestion d’affaires il échoit au maître de l’affaire de rembourser le gérant à hauteur de toutes les sommes utilement exposées, ce quand bien même il n’en aurait retiré aucun profit.
- Première différence
==>Origine
La gestion d’affaire est loin d’être une création des rédacteurs du Code civil. Il s’agit là d’une figure juridique, comme beaucoup d’autres, héritée du droit romain.
Celui-ci était riche de deux actions susceptibles d’être exercées, soit par le gérant, soit par le maître de l’affaire. L’action negotiorum gestorum contrario était conférée au gérant, tandis que l’action negotiorum gestorum directa pouvait être exercée par le maître de l’affaire.
Ces deux actions étaient calquées sur les règles du mandat, raison pour laquelle la gestion d’affaires est parfois qualifiée de quasi-mandat.
L’analogie entre les deux dispositifs obligationnels explique le régime actuel de la gestion d’affaires. Elle se distingue néanmoins du mandat sur un point essentiel : elle procède, non pas d’un accord de volontés, mais d’un fait juridique purement volontaire, ce qui fait d’elle un quasi-contrat.
==>Nature
La gestion d’affaires est envisagée dans une partie du Code civil consacrée « aux autres sources d’obligations ».
Ainsi que le précise le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, cette partie du Code napoléonien qui suit, un sous-titre Ier consacré au contrat et un sous-titre II qui traite de la responsabilité extracontractuelle ne porte pas, à proprement parler sur toutes les autres sources d’obligations (telles que la loi ou l’engagement unilatéral de volonté), mais seulement sur les quasi-contrats connus en droit positif.
La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par quasi-contrat, la gestion d’affaires relevant manifestement de cette catégorie d’obligations.
- Définition
- Les quasi-contrats sont définis à l’article 1300 C. civ (ancien art 1371 C. civ.) comme « des faits purement volontaires dont il résulte un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui ».
- Il s’agit autrement dit, du fait spontané d’une personne, d’où il résulte un avantage pour un tiers et un appauvrissement de celui qui agit.
- Au nom de l’équité, la loi rétablit l’équilibre injustement rompu en obligeant le tiers à indemniser celui qui, par son intervention, s’est appauvri.
- Différence avec le contrat
- Tandis que le contrat est le produit d’un accord de volontés, le quasi-contrat naît d’un fait volontaire licite
- Ainsi la formation d’un quasi-contrat, ne suppose pas la rencontre des volontés entre les deux « parties », comme tel est le cas en matière de contrat.
- Les obligations qui naissent d’un quasi-contrat sont un effet de la loi et non un produit de la volonté.
- Tandis que le contrat est le produit d’un accord de volontés, le quasi-contrat naît d’un fait volontaire licite
- Différence avec le délit et le quasi-délit
- Contrairement au délit ou au quasi-délit, le quasi-contrat est un fait volontaire non pas illicite mais licite, en ce sens qu’il ne constitue pas une faute civile.
- Le fait générateur d’un quasi-contrat ne permet donc pas d’engager la responsabilité de son auteur.
- Leur point commun est que les effets de droits attachés au quasi-contrat et au délit/quasi-délit procèdent de la loi et non d’un accord entre les personnes intéressées qui, par hypothèse, fait défaut.
La gestion d’affaires relève donc de la catégorie des quasi-contrats. Il en résulte deux conséquences immédiates :
- Tout d’abord, il ne peut être recouru à la figure juridique de la gestion d’affaires qu’à titre subsidiaire, soit dans l’hypothèse où aucun contrat n’a été conclu entre le maître de l’affaire et le gérant.
- Ensuite, parce que les obligations attachées à la gestion d’affaires ne procèdent pas de l’accomplissement d’un acte juridique, mais d’un fait, la preuve est libre et se rapporte donc par tous moyens, nonobstant l’accomplissement d’actes juridiques par le gérant dans le cadre de son intervention (V. en ce sens Cass. civ. 19 mars 1845).
==>Réforme des obligations
Sous l’empire du droit antérieur, la gestion d’affaires était régie avec le paiement de l’indu, autre forme de quasi-contrat, par les articles 1371 à 1381 du code civil.
L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a transféré la gestion d’affaires aux articles 1301 à 1301-5.
À l’analyse, l’intervention du législateur s’est limitée à un toilettage des textes, la principale innovation consistant à étendre les obligations du gérant qui doit désormais « remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant », alors que, auparavant, il ne devait reprendre que les engagements « contractés en son nom ».
En tout état de cause, la gestion d’affaires ne peut être invoquée qu’à la condition de satisfaire à plusieurs conditions cumulatives. Une fois ces conditions remplies, elle produit un certain nombre d’effets spécifiques, tant à l’égard à l’égard du gérant et du maître, qu’à l’égard des tiers.