L’exécution de la promesse de porte-fort

Si la promesse de porte-fort intrigue par sa nature, elle suscite tout autant d’interrogations quant à ses modalités d’exécution. En effet, le simple fait que le promettant s’engage à obtenir d’un tiers un comportement déterminé ne saurait suffire à en épuiser les effets juridiques. C’est au stade de la mise en œuvre de cette promesse – qu’il s’agisse de provoquer une ratification, d’obtenir la conclusion d’un acte ou encore de garantir l’exécution d’une obligation – que se révèle la complexité du mécanisme.

À la croisée des obligations contractuelles, de la liberté individuelle et de la technique des garanties, l’exécution de la promesse de porte-fort repose sur une articulation subtile entre la rigueur de l’engagement souscrit par le promettant et la pleine autonomie du tiers concerné. Car si le promettant est tenu, le tiers, lui, demeure libre. Cette tension originelle structure toute l’économie de la promesse et en conditionne les effets.

C’est donc dans le mouvement même de son exécution – ou de sa non-exécution – que la promesse de porte-fort déploie ses conséquences, tant à l’égard du promettant que vis-à-vis du tiers. Encore faut-il distinguer les figures du porte-fort de ratification, de conclusion et d’exécution, chacune obéissant à une logique propre, mais répondant à un principe commun : le respect du caractère intersubjectif du lien contractuel.

A) Les modalités d’exécution de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, en tant qu’engagement personnel du promettant à obtenir d’un tiers la réalisation d’un fait – conclusion, ratification ou exécution d’un acte – n’épuise pas ses effets dans sa seule formation. Elle appelle, pour produire pleinement ses conséquences, une phase d’exécution, dont les modalités varient selon la nature de l’engagement, mais dont l’économie repose sur une structure commune articulée autour de la liberté du tiers, de la rigueur dans la preuve, et d’un régime différencié selon que l’on se trouve face à un porte-fort de ratification, de conclusion ou d’exécution.

1. Une exécution soumise à la libre volonté du tiers

Le principe directeur est celui de la liberté d’exécution du tiers. En vertu de l’article 1199 du Code civil, le contrat formé entre le promettant et le bénéficiaire ne saurait produire d’effet à l’égard du tiers tant que celui-ci n’y adhère pas de sa propre initiative. Qu’il s’agisse de conclure un contrat, d’y adhérer a posteriori ou d’exécuter une obligation déterminée, le tiers ne peut y être juridiquement contraint. La ratification, la conclusion ou l’exécution ne sauraient donc résulter que d’un acte volontaire du tiers.

Ce principe demeure même lorsque le tiers est, en pratique, intimement lié au promettant – en tant que parent, conjoint, associé ou, plus encore, héritier. Ainsi, le tiers successeur du porte-fort pourrait être tenté de satisfaire à l’engagement de son auteur afin d’éviter de voir sa responsabilité engagée sur le fondement d’une inexécution. Mais cette pression d’ordre moral ou économique ne saurait abolir sa liberté juridique. La jurisprudence, sur ce point, est constante : même en présence de liens successoraux, l’obligation de ratifier ne saurait être imposée (Cass. 1re civ., 26 nov. 1975, n°74-10.356).

Certaines décisions plus anciennes ont pu laisser croire que les héritiers du promettant seraient tenus de ratifier l’acte litigieux (Cass. civ., 28 juin 1859), mais ces arrêts doivent être relus à la lumière des circonstances particulières qui les fondaient. Ils concernaient en effet des cas où le porte-fort était également personnellement engagé, notamment en qualité de co-indivisaire ayant aliéné sa part : les héritiers étaient alors tenus non en tant que tiers, mais au titre de l’obligation de garantie contre l’éviction, transmise de plein droit.

2. L’acte de ratification dans le porte-fort de ratification

Lorsque le porte-fort s’analyse comme un engagement de faire ratifier un acte préalablement conclu, l’exécution promise prend classiquement la forme de la ratification du contrat par le tiers. Celle-ci, au sens strict, s’entend d’un acte juridique unilatéral, par lequel une personne approuve l’acte accompli pour elle mais sans mandat, en en endossant les effets à titre personnel. L’effet juridique en est déterminant : le contrat devient pleinement opposable au tiers, avec effet rétroactif, conformément à l’alinéa 3 de l’article 1204 du Code civil.

La ratification peut être expresse – par déclaration ou écrit non équivoque – ou tacite, lorsque le comportement du tiers manifeste sans ambiguïté sa volonté d’adhérer à l’acte (Cass., ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09-16.008). La jurisprudence a ainsi déduit une ratification de l’exécution du contrat ou de la poursuite volontaire d’une situation contractuelle connue (Cass. 1re civ., 15 mai 2008, n° 06-20.806).

La forme de la ratification ne fait l’objet d’aucun formalisme particulier. Toutefois, certains auteurs estiment qu’un principe de parallélisme des formes pourrait s’imposer lorsque le contrat dont la ratification est attendue est soumis à une exigence de forme ad solemnitatem. Ainsi, une ratification d’un contrat solennel – tel qu’un contrat de mariage ou une hypothèque – devrait intervenir sous la même forme (Savatier, Boulanger). Cette thèse, bien que discutée, s’inscrit dans une logique de protection du consentement : si la forme vise la protection de la personne, elle doit s’étendre à tout acte préparatoire. À l’inverse, si elle tend à garantir les tiers, la ratification peut échapper à cette contrainte.

Enfin, il n’est pas exclu que la ratification soit réalisée par un tiers substitué au bénéficiaire désigné initialement, pourvu que le contrat le prévoie expressément (Cass. 3e civ., 26 juin 1996, n° 94-18.525).

3. L’exécution dans le porte-fort d’exécution

Lorsque l’engagement porte non sur l’adhésion à un acte, mais sur l’exécution d’une obligation déterminée – obligation de faire, de ne pas faire, voire de payer une somme d’argent – la réalisation du fait promis par le tiers suffit à libérer le promettant (art. 1204, al. 2 C. civ.). Il ne s’agit plus ici de ratification au sens technique du terme, mais bien d’un comportement d’exécution, constaté dans les faits.

La doctrine s’accorde pour dire que cette hypothèse, très fréquente dans la pratique contractuelle (distribution, cession de droits sociaux, engagement post-cession…), repose sur une logique différente : ce n’est pas l’adhésion rétroactive à un acte passé qui est attendue, mais la réalisation d’une prestation future. Il n’existe donc pas d’effet rétroactif. Le tiers n’est pas tenu, mais s’il exécute spontanément l’obligation, le promettant est libéré.

Ainsi, la distinction entre porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution appelle une vigilance terminologique : si la ratification reste un acte juridique unilatéral, l’exécution dans le second cas est un simple fait juridique, étranger à toute notion de consentement rétroactif. Confondre les deux reviendrait à méconnaître les effets distincts qu’ils emportent, notamment en matière de responsabilité du promettant.

B) Les effets de l’exécution de la promesse

Lorsque le fait promis par le porte-fort n’est pas réalisé – en particulier, lorsque le tiers refuse de ratifier l’acte ou ne satisfait pas à l’obligation visée – l’économie de la promesse est bouleversée. Toutefois, cette inexécution ne produit pas les mêmes effets selon que l’on se place du point de vue du promettant ou de celui des tiers.

1. Les effets à l’égard du porte-fort

L’inexécution du fait promis par le tiers fait reposer la charge de la responsabilité exclusivement sur le porte-fort, lequel s’est personnellement engagé envers le bénéficiaire à l’obtention d’un comportement ou d’un acte d’autrui. Cette construction singulière du droit des obligations est expressément consacrée à l’article 1204, alinéa 2 du Code civil, qui érige la promesse de porte-fort en obligation autonome de faire.

En effet, l’engagement du porte-fort est un engagement de faire, plus précisément de faire faire. Or, l’ordre juridique exclut qu’une telle obligation puisse être exécutée par équivalent ou par contrainte directe. La jurisprudence, constante sur ce point, rejette toute possibilité d’exécution forcée, en nature ou sous astreinte, de l’obligation issue de la promesse. La Cour de cassation refuse ainsi de condamner le promettant à réaliser personnellement l’obligation qu’il s’était engagé à faire exécuter par un tiers (Cass. 1re civ., 7 mars 2018, n° 15-21.244), au motif que cela reviendrait à le substituer au débiteur initial, ce qui excède la nature même de l’engagement contracté.

La sanction attachée à cette inexécution se limite donc à une condamnation en dommages-intérêts. L’engagement du porte-fort, bien qu’il ait pu être qualifié par la doctrine ancienne de « garantie d’exécution », n’implique pas une obligation de résultat assimilable à celle de la caution. Il s’agit d’une obligation autonome dont l’inexécution, quelle qu’en soit la cause, ouvre droit à réparation, sous la forme indemnitaire, et non à l’exécution en nature.

L’indemnisation allouée au bénéficiaire n’est pas automatique ni nécessairement équivalente à la prestation promise. Contrairement à la caution, qui s’engage à exécuter l’obligation principale en cas de défaillance du débiteur, le porte-fort s’engage uniquement à obtenir cette exécution. Il ne saurait donc être mécaniquement tenu à la dette d’autrui. Dès lors, le montant des dommages-intérêts n’est pas nécessairement calqué sur la valeur du contrat non exécuté.

L’appréciation du préjudice relève d’un pouvoir souverain des juges du fond, qui doivent évaluer le dommage dans les limites de la prévisibilité au jour de la conclusion de la promesse (C. civ., art. 1231-3). La réparation peut être équivalente à la somme non perçue ou à la perte de chance, selon les circonstances (Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-12.975). Par exemple, dans un arrêt de principe du 18 avril 2000, la société s’était engagée à garantir le maintien dans l’emploi d’un salarié jusqu’à l’âge légal de la retraite (Cass. 1re civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360). Le licenciement prématuré du salarié a conduit à une condamnation à hauteur de 500 000 francs, soit une somme nettement inférieure au montant des rémunérations escomptées jusqu’à 60 ans. Cette solution illustre l’attachement de la jurisprudence à la spécificité de l’engagement de porte-fort, en refusant de confondre l’indemnisation du préjudice avec l’exécution pure et simple du contrat.

Comme l’a relevé la doctrine, ce raisonnement participe d’un retour à l’orthodoxie juridique: la responsabilité du porte-fort repose exclusivement sur la non-réalisation du fait promis, et non sur l’objet du contrat qui devait en résulter. C’est donc le préjudice réel du bénéficiaire – perte d’un avantage, perte de chance, frais engagés – qui fonde l’indemnisation.

Le porte-fort conserve toutefois la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité, selon les règles classiques de la responsabilité contractuelle. Il pourra, par exemple, démontrer l’existence d’une cause étrangère, qu’il s’agisse d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (C. civ., art. 1231-1). Toutefois, seule une faute exclusive de ce dernier pourra libérer totalement le promettant (Cass. com. 22 mai 2002, n° 00-12.523). La force majeure est, quant à elle, plus difficile à caractériser, car elle doit affecter l’obligation propre du porte-fort, et non celle du tiers (C. civ., art. 1218).

Sur le plan conventionnel, les parties peuvent aménager la responsabilité du porte-fort. Il est ainsi admis de stipuler une clause pénale, fixant forfaitairement le montant de l’indemnité due en cas d’inexécution (C. civ., art. 1231-5). Toutefois, cette clause est susceptible de modulation par le juge si elle présente un caractère manifestement excessif ou dérisoire, ou encore si l’obligation a été exécutée partiellement.

Il est également loisible de prévoir une limitation de responsabilité, sous réserve du respect des exigences issues du droit commun des contrats. Toute clause qui porterait atteinte à l’obligation essentielle serait réputée non écrite (art. 1170 C. civ.). De même, dans les contrats d’adhésion, les clauses créant un déséquilibre significatif au détriment de l’adhérent pourront être frappées de nullité (art. 1171 C. civ.), voire qualifiées de clauses abusives dans les relations de consommation (art. R. 212-1, 6° C. consom.). La jurisprudence récente souligne l’exigence de vigilance dans la rédaction de telles clauses (Cass. 1re civ., 26 janv. 2022, n° 20-16.782).

Enfin, il importe de rappeler que l’action en responsabilité fondée sur la promesse de porte-fort ne bénéficie qu’au seul cocontractant du promettant, c’est-à-dire au bénéficiaire de la promesse. Cette action est exclusivement personnelle : elle ne saurait être exercée par un tiers ni étendue au profit de personnes non parties à l’engagement (Cass. com. 6 janv. 1998, n° 95-11.763). Cette solution consacre le caractère essentiellement intersubjectif de la promesse de porte-fort, qui constitue une figure spécifique du droit des obligations inter partes.

2. Les effets à l’égard des tiers

L’un des fondements cardinaux du droit des contrats tient à l’effet relatif des conventions: elles n’engagent que les parties. La promesse de porte-fort, en ce qu’elle tend à garantir le comportement d’un tiers, ne fait pas exception à ce principe. Ainsi, le tiers auquel se rapporte la promesse ne saurait être tenu par elle, ni s’en prévaloir, tant qu’il n’a pas exprimé son adhésion à l’acte.

L’article 1199 du Code civil, issu de la réforme de 2016, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». Il confirme la jurisprudence antérieure qui affirmait que le tiers demeure totalement étranger à l’acte conclu entre le promettant et le bénéficiaire. Ce principe revêt une portée d’autant plus forte en matière de porte-fort que l’on pourrait être tenté de faire peser sur le tiers une pression contractuelle indirecte : or, cette tentation doit être écartée.

Le tiers ne saurait ainsi être tenu de respecter les stipulations de la promesse ni être juridiquement inquiété en cas de non-réalisation du fait promis. Il conserve, en principe, une entière liberté de comportement. Le bénéficiaire de la promesse ne dispose d’aucune action directe contre lui, la sanction de l’inexécution pesant uniquement sur le porte-fort.

La seule hypothèse dans laquelle le tiers se trouve lié par la promesse est celle où il y ratifie l’objet. Cette ratification peut être expresse ou tacite (C. civ., art. 1204, al. 1er). Par ce mécanisme, le tiers devient rétroactivement partie au contrat initial, lequel produit dès lors tous ses effets à son égard. Cette transformation de la promesse en engagement parfait s’opère sans qu’il soit besoin d’un nouvel acte.

La ratification tacite, bien que plus délicate à établir, peut être déduite de comportements non équivoques, tels qu’une exécution volontaire, des courriers manifestant l’intention d’honorer l’engagement, ou l’absence d’objection dans un contexte contractuel explicite. Toutefois, la preuve d’une telle ratification repose sur celui qui l’invoque, et les tribunaux se montrent légitimement exigeants dans leur appréciation.

À défaut de ratification, la promesse demeure sans effet à l’égard du tiers : l’inexécution du fait promis ne saurait lui être imputée.

Lorsque la promesse de porte-fort concerne la conclusion par le tiers d’un contrat déterminé, et que celui-ci ne ratifie pas l’engagement, la question de la survie du contrat principal se pose. En pareil cas, le contrat conclu par le promettant seul, sans le pouvoir ou le consentement du tiers, se trouve privé d’un élément essentiel : l’accord de volonté de la véritable partie concernée. Cette situation engendre la caducité du contrat, conformément à l’article 1186 du Code civil, qui prévoit que « le contrat devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît ».

La caducité se distingue ici de la nullité en ce qu’elle suppose un contrat valablement formé, mais devenu inopérant du fait de la défaillance d’un élément postérieur à sa formation : en l’occurrence, la non-ratification. Elle entraîne la disparition rétroactive du contrat, sauf si celui-ci a d’ores et déjà produit des effets irréversibles, comme un transfert de propriété, auquel cas la restitution devra être ordonnée, sauf prescription acquisitive (Cass. 1ère civ., 6 juin 1990, n° 88-16.896).

Une jurisprudence plus récente, en matière de contrats interdépendants, reconnaît d’ailleurs la possibilité d’une rétroactivité de la caducité (Cass. com. 5 juin 2007, n°04-20.380), ce qui conforte la thèse d’un anéantissement complet du contrat en l’absence de ratification.

Malgré l’absence de tout effet obligatoire à l’égard du tiers, certaines situations peuvent justifier son implication sur des fondements extracontractuels, et notamment quasi-contractuels.

La gestion d’affaires (C. civ., art. 1301) pourrait être invoquée lorsque le porte-fort agit dans l’intérêt manifeste du tiers et en son absence. Si les conditions sont réunies (initiative utile, absence de mandat, diligence conforme à l’intérêt du géré), le tiers pourra être tenu d’indemniser les frais engagés.

L’enrichissement injustifié (C. civ., art. 1303) peut également constituer un fondement d’action dans l’hypothèse où le tiers a profité de la promesse sans cause légitime, au détriment du bénéficiaire. Encore faudra-t-il démontrer un appauvrissement corrélatif et l’absence de cause juridique à l’enrichissement.

Ces mécanismes demeurent subsidiaires et sont soumis à une appréciation stricte des juridictions. Ils illustrent cependant que le tiers, bien que fondamentalement étranger à la promesse, n’échappe pas toujours totalement à toute forme de responsabilité, dès lors que son comportement ou son bénéfice objectif dépasse la simple passivité contractuelle.

La forme de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, comme la plupart des engagements contractuels, n’obéit à aucun formalisme ad validitatem. Elle peut être exprimée de manière expresse ou résulter de circonstances traduisant une volonté non équivoque de s’engager pour autrui. Toutefois, son identification soulève des exigences accrues en matière probatoire, en particulier lorsqu’elle est implicite, et connaît des limites lorsqu’elle s’inscrit dans le périmètre d’actes solennels ou juridiquement protégés.

==>Principe

La jurisprudence constante reconnaît que la promesse de porte-fort peut naître aussi bien d’un engagement explicite que d’une manifestation implicite de volonté. Encore faut-il, dans ce dernier cas, que les faits invoqués traduisent avec certitude l’intention du promettant de s’obliger pour un tiers. C’est précisément ce qu’exige la Cour de cassation lorsqu’elle affirme que l’engagement tacite « ne peut résulter que d’actes manifestant l’intention certaine du promettant de s’engager pour un tiers » (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827).

Cette exigence permet d’écarter toute assimilation mécanique entre promesse pour autrui et promesse de porte-fort, contre laquelle s’élèvent nombre d’auteurs, en dépit des arguments tirés de l’article 1191 du Code civil – selon lequel, en cas de doute sur le sens d’une clause, il convient de retenir celui qui lui donne effet. Certes, plusieurs auteurs classiques, à l’instar de Demolombe, Saleilles ou encore Baudry-Lacantinerie, ont soutenu qu’il fallait préférer une interprétation utile à une lecture neutralisante, même au prix d’une reconstruction implicite de la volonté. Mais cette approche, critiquée par la doctrine moderne, heurte tant l’article 1190 du Code civil, qui impose en cas de doute une lecture favorable au débiteur, que l’impératif de sécurité juridique.

Il en résulte qu’en dehors d’une stipulation claire, la promesse de porte-fort ne saurait être inférée qu’avec la plus grande prudence. Elle requiert, même de manière tacite, une démonstration positive de la volonté du promettant de garantir le comportement d’autrui. À cet égard, la rédaction d’un écrit, bien que non obligatoire, peut constituer un indice fort de l’intention d’engagement, notamment lorsqu’elle vise à suppléer un défaut de pouvoir ou à assurer la ratification d’un acte préalablement conclu.

==>Limites

La souplesse formelle attachée au porte-fort connaît toutefois d’importantes restrictions lorsque l’acte en cause est soumis à un formalisme ad solemnitatem. En effet, dès lors que le législateur exige la comparution personnelle de la partie à l’acte ou l’accomplissement d’une manifestation de volonté authentifiée, la substitution par un porte-fort devient inopérante.

C’est notamment le cas en matière de conventions matrimoniales, où l’article 1394 du Code civil impose la présence et le consentement simultané des futurs époux ou de leurs mandataires dûment habilités, devant notaire. La jurisprudence a ainsi très tôt invalidé les pratiques consistant, pour les parents, à conclure le contrat de mariage de leurs enfants en se portant fort de leur ratification (v. par ex. Cass. civ., 29 mai 1854), en considérant que cette substitution méconnaît les exigences protectrices du formalisme matrimonial. La ratification ultérieure par les époux eux-mêmes n’a aucun effet : la nullité de l’acte originel, entaché d’un vice substantiel, contamine la promesse de porte-fort elle-même, laquelle se trouve dépourvue d’objet.

Des réserves similaires s’imposent en matière de donation, où l’article 933 du Code civil impose une procuration en la forme authentique pour l’acceptation opérée par un représentant du donataire. En principe, il ne saurait y avoir de promesse valable visant à obtenir cette acceptation ultérieure : seule une acceptation personnelle conforme à l’article 932, assortie d’une notification régulière, peut valoir engagement du donataire. Toutefois, la doctrine reconnaît qu’une acceptation par porte-fort, bien qu’inopérante à l’égard du donataire, peut subsister comme engagement unilatéral du promettant, et permettre au donataire d’accepter directement la libéralité selon les formes requises.

En revanche, dans des matières où le formalisme ne vise pas à garantir le libre consentement mais à satisfaire des objectifs économiques – comme en matière hypothécaire – la promesse de porte-fort conserve sa place. Ainsi, l’authenticité exigée pour l’inscription hypothécaire n’interdit pas qu’un tiers, sans pouvoir, s’engage à faire ratifier l’affectation d’un bien par le propriétaire (Cass. req., 3 août 1859). Le formalisme, ici, n’est pas incompatible avec la logique du porte-fort, dès lors que l’intervention ultérieure du véritable titulaire peut valider l’acte dans les conditions légales.

Enfin, il convient de rappeler que le mécanisme du porte-fort ne peut être mobilisé pour valider rétroactivement un engagement entaché d’un vice de forme. L’aval d’un effet de commerce irrégulier, frappé de nullité, ne saurait être transformé en promesse de porte-fort (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208). Ce type de manœuvre reviendrait à contourner les exigences substantielles de la validité d’un acte par le truchement d’une garantie personnelle, ce que la jurisprudence refuse catégoriquement.

Porte-fort: la conclusion de la promesse

Au carrefour du droit des obligations et des mécanismes de garantie, la promesse de porte-fort intrigue par sa singularité. Elle ne consiste ni en une représentation, ni en une substitution, ni en une simple caution : elle engage une personne – le promettant – à obtenir d’un tiers un comportement déterminé, sans que ce dernier ne soit encore partie à l’acte. Fréquemment mobilisée en pratique – notamment dans les cessions d’actions, les garanties de passif, ou encore les conventions intragroupes – elle soulève des interrogations fondamentales sur la nature, l’objet et les effets de l’engagement contracté.

A) La nature de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort occupe une place singulière au sein du droit des obligations, tant elle se distingue des mécanismes classiques d’engagement ou de garantie. Le promettant ne s’engage ni à représenter autrui, ni à exécuter à sa place, ni même à répondre de ses défaillances. Il contracte en son propre nom l’obligation de faire en sorte qu’un tiers accomplisse un fait déterminé : consentir à un acte, exécuter une prestation, ou encore adopter un certain comportement. Ce qui est promis, ce n’est donc pas un résultat matériel ou juridique, mais l’obtention de l’intervention d’un tiers.

Une telle configuration confère à l’engagement du promettant une physionomie particulière. Il s’agit d’une obligation strictement personnelle, détachée de toute représentation, fondée non sur la substitution, mais sur l’influence. Elle ne repose ni sur l’affectation d’un patrimoine ni sur une logique accessoire, mais sur un lien contractuel propre, dont le contenu et l’intensité font l’objet d’analyses doctrinales contrastées. Faut-il y voir une obligation de faire? Une obligation de résultat ? Ou simplement l’exigence d’un comportement loyal et actif ? L’hésitation même des textes et des jurisprudences révèle la richesse du modèle, et la nécessité d’une lecture nuancée.

C’est dans cette perspective que la promesse de porte-fort s’impose comme une construction contractuelle subtile, où la force de l’engagement tient autant à ce qu’il promet qu’à la manière dont il doit être mis en œuvre.

1. Une obligation de faire

L’engagement contracté par le porte-fort s’analyse traditionnellement comme une obligation de faire. Cette qualification, consacrée de longue date par la jurisprudence, vaut tant pour le porte-fort de ratification (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982) que pour le porte-fort d’exécution (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777). Le promettant ne s’engage ni à exécuter personnellement l’obligation du tiers, ni à s’y substituer, mais à obtenir de ce dernier qu’il réalise le fait promis. Il s’agit d’un engagement de faire advenir un comportement émanant d’autrui.

Certes, la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a fait disparaître, à l’article 1101 du Code civil, la célèbre distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire. Pour autant, cette mutation rédactionnelle ne saurait être interprétée comme une suppression de la catégorie elle-même. En pratique, la distinction conserve toute sa portée, notamment dans les régimes d’exécution et de responsabilité. L’obligation du porte-fort reste bien, au sens matériel, une obligation positive, dans laquelle il incombe au promettant d’agir – de se comporter – en vue d’obtenir le fait du tiers.

La nature même de cette obligation permet de souligner ce qui distingue fondamentalement la promesse de porte-fort des sûretés classiques telles que le cautionnement. La caution s’engage à payer ou exécuter en lieu et place du débiteur défaillant. Le porte-fort, en revanche, ne se substitue pas : il intervient. Il ne s’oblige pas à faire ce que le tiers n’a pas fait, mais à agir pour que ce dernier le fasse. Il ne s’agit donc ni d’une obligation pécuniaire, ni d’une obligation d’exécution substitutive, mais bien d’un engagement contractuel distinct, orienté vers l’obtention du comportement d’un tiers.

Une partie de la doctrine considère que le porte-fort ne peut qu’être débiteur d’une prestation positive. Selon cette conception classique, issue notamment des travaux de Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, l’engagement du porte-fort suppose nécessairement une intervention, une action, une démarche. Une obligation de ne pas faire, qui se caractérise par une abstention, serait dès lors inconciliable avec la nature même du mécanisme, lequel repose sur l’idée d’un soutien actif apporté au bénéficiaire du contrat.

Cette conception n’est toutefois pas exempte de critiques. Aucun texte ne prohibe expressément qu’un porte-fort s’engage à empêcher un tiers d’adopter un comportement déterminé. L’hypothèse, certes plus marginale, n’en est pas moins concevable : ainsi, un promettant pourrait s’engager à convaincre un tiers de ne pas se désister d’une instance, de ne pas résilier un contrat, ou encore de ne pas violer une clause de non-concurrence. Dans ces cas, la prestation promise consisterait non à susciter une action, mais à prévenir une initiative. Ce faisant, le porte-fort n’agirait pas pour faire advenir un fait, mais pour en empêcher la réalisation.

Dès lors, si l’on veut rendre compte de cette diversité des configurations possibles, la notion d’« obligation de faire », dans son acception stricte, apparaît insuffisante.

C’est dans cette perspective que certains auteurs ont proposé de raisonner non plus en termes d’obligation de faire ou de ne pas faire, mais d’« obligation comportementale ». Cette notion, mise en lumière notamment par Philippe Dupichot, a pour mérite de recentrer l’analyse sur l’essence fonctionnelle de l’engagement du porte-fort : ce qui est exigé de lui n’est pas un résultat matériel défini, mais une attitude déterminée, orientée vers un objectif contractuel.

L’obligation du porte-fort, sous cette lumière, apparaît comme une obligation d’adopter une conduite active, adaptée, appropriée – qu’il s’agisse de provoquer une action ou de contenir une initiative. La frontière entre « faire » et « ne pas faire » s’estompe : ce qui compte, c’est le comportement du promettant et son implication effective dans le processus de réalisation (ou d’empêchement) du fait promis.

Cette approche comportementale permet également de justifier que la promesse de porte-fort échappe au formalisme probatoire de l’article 1376 du Code civil (ancien art. 1326). Comme la jurisprudence l’a désormais confirmé (Cass. com., 18 juin 2013, n°12-18.890), l’objet de l’engagement n’est pas une somme d’argent ni une quantité de biens fongibles, mais un comportement à adopter. L’écrit simple suffit à en rapporter la preuve. La promesse de porte-fort se distingue donc non seulement du cautionnement par sa nature, mais aussi par son régime de preuve.

Une conclusion provisoire : l’obligation du porte-fort comme engagement de comportement

Qu’elle soit formulée en termes d’obligation de faire ou d’obligation comportementale, l’obligation du porte-fort conserve sa spécificité : elle repose sur la mobilisation personnelle du promettant en vue d’obtenir un comportement d’un tiers. Cette mobilisation peut revêtir différentes formes – action, négociation, dissuasion – mais elle suppose toujours une implication volontaire dans un processus contractuel dont le résultat échappe, en dernier ressort, à son contrôle direct.

C’est cette spécificité – l’engagement d’une volonté agissante au service de l’intervention d’un tiers – qui confère au porte-fort sa singularité et justifie son autonomie conceptuelle dans l’architecture des sûretés personnelles.

2. Une obligation personnelle

L’engagement souscrit dans le cadre d’une promesse de porte-fort se distingue par son caractère profondément personnel. Le promettant agit en son nom propre et pour son propre compte, sans recevoir de mandat ni disposer d’aucune délégation de pouvoir émanant du tiers. Il ne représente pas ce dernier : il ne parle pas pour lui, mais s’engage à provoquer son intervention.

Cette précision n’est pas anodine. Elle permet d’écarter toute confusion avec des institutions voisines, telles que la représentation (mandat ou pouvoir légal), la représentation sans pouvoir (soumise à ratification), ou encore la technique du prête-nom. Dans chacun de ces cas, celui qui intervient agit au nom et pour le compte d’un autre, dans le but de produire des effets juridiques à l’égard de ce dernier. Rien de tel dans le mécanisme du porte-fort, où le promettant ne peut créer la moindre obligation dans le chef du tiers.

Il n’y a donc pas de pouvoir de représentation attaché à la promesse de porte-fort. Le tiers reste entièrement libre de refuser d’exécuter le fait promis. Ce que le bénéficiaire tient, ce n’est pas un engagement du tiers, mais l’engagement personnel du promettant d’obtenir ce fait, à défaut de quoi ce dernier engage sa propre responsabilité contractuelle.

Cette autonomie dans l’engagement s’explique par l’essence même du mécanisme. Le promettant ne garantit pas le patrimoine d’un débiteur, comme le ferait une caution ou une sûreté réelle, mais mobilise son propre comportement pour susciter une action d’autrui. Ainsi, la promesse de porte-fort n’emprunte ni à la logique du cautionnement, fondée sur l’accessoire, ni à celle de la représentation, fondée sur la substitution juridique de volonté.

La promesse de porte-fort incarne, à bien des égards, l’expression la plus aboutie d’un engagement volontaire et strictement personnel. Le promettant ne s’efface pas derrière un tiers dont il relayerait la volonté ; il agit en son nom propre, en s’engageant à tout mettre en œuvre pour obtenir l’intervention d’un autre. Son rôle n’est pas de se substituer, mais d’influencer. Il ne représente pas, il mobilise. Ainsi, le lien contractuel ne s’établit qu’entre le promettant et le bénéficiaire : le tiers, objet du fait promis, demeure juridiquement extérieur à la relation, sauf à ratifier lui-même l’acte ou à exécuter l’obligation.

3. Une obligation autonome

Une autre des particularités de la promesse de porte-fort réside dans l’autonomie de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement aux garanties, tel que le cautionnement qui présentent un caractère accessoire, en ce sens qu’elles dépendent étroitement de l’existence et du contenu de l’obligation principale, l’obligation née du porte-fort se déploie indépendamment de l’obligation du tiers à laquelle elle se rapporte. C’est ce qu’a rappelé avec force la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 1er avril 2014, en affirmant que « le porte-fort est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. com., 1er avr. 2014, n° 13-10.629).

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’abord, l’existence, la validité ou l’efficacité de l’obligation du tiers ne conditionnent en rien l’engagement du porte-fort : le promettant contracte en son nom propre et engage sa responsabilité dès lors que le fait promis ne se réalise pas, quelle qu’en soit la cause. Ensuite, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’un droit personnel direct contre le promettant, indépendamment de toute relation contractuelle ou juridique avec le tiers concerné.

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’une part, le promettant contracte en son nom propre : il n’intervient ni comme représentant, ni comme débiteur substitué, mais comme contractant principal. D’autre part, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’une créance directe contre le promettant, sans qu’aucun lien juridique n’ait besoin d’exister entre lui et le tiers dont le fait est promis.

C’est précisément cette autonomie qui a permis de dissiper l’ambiguïté entretenue par certaines décisions antérieures – notamment l’arrêt controversé du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217) – qui tendaient à assimiler le porte-fort d’exécution à un cautionnement dissimulé, dès lors que l’objet de la promesse portait sur le paiement d’une somme d’argent. Cette assimilation a été vivement critiquée par la doctrine, qui y voyait une confusion entre deux techniques profondément distinctes, et elle a été abandonnée par la Cour dans sa jurisprudence postérieure.

En effet, le promettant ne s’engage pas à satisfaire l’obligation du tiers en cas de défaillance, mais à obtenir de ce dernier un comportement déterminé. Il ne s’agit donc ni d’un engagement subsidiaire, ni d’une garantie d’exécution, mais d’une obligation principale, autonome, qui trouve sa cause dans l’engagement contractuel librement consenti.

4. Une obligation de résultat… ou de moyens ?

La nature de l’obligation que souscrit le porte-fort a toujours fait l’objet d’un débat nourri, tant en doctrine qu’en jurisprudence. La question est simple dans sa formulation mais complexe dans ses implications : le promettant est-il tenu d’un simple effort ou d’un résultat ? L’analyse de la promesse de porte-fort oscille ainsi, classiquement, entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat, selon la dichotomie théorisée par René Demogue, dont la fortune jurisprudentielle fut considérable, mais dont l’usage en la matière révèle rapidement ses limites.

La jurisprudence majoritaire, soucieuse de renforcer la sécurité contractuelle du bénéficiaire, penche en faveur d’une obligation de résultat. Ainsi, dans un arrêt fondateur du 1er avril 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que « le porte-fort, débiteur d’une obligation de résultat autonome, est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. 1re civ., 1er avr. 2014, n° 13-10.629). Il en résulte que la seule inexécution du fait promis par le tiers suffit à engager la responsabilité du porte-fort, sauf à démontrer l’existence d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (Cass. com., 22 mai 2002, n° 00-12.523).

Ce raisonnement présente l’avantage, sur le plan probatoire, d’assurer une protection efficace du créancier : il n’a pas à prouver la carence du promettant, mais seulement l’inexécution du fait promis. La promesse de porte-fort se rapproche alors, dans sa mise en œuvre, d’un mécanisme de garantie stricte. Mais cette logique, si elle satisfait le bénéficiaire, ne manque pas de susciter des interrogations quant à la cohérence conceptuelle de l’analyse. Comment admettre qu’un promettant soit tenu d’un résultat qu’il ne maîtrise pas, puisque l’exécution du fait promis dépend du consentement libre et personnel d’un tiers ? L’atteinte du but est incertaine par essence, ce qui rend délicate l’imputation mécanique de la responsabilité au promettant.

C’est cette difficulté que met en lumière une partie de la doctrine contemporaine, à la suite notamment de Denis Mazeaud, qui appelle à dépasser l’alternative classique entre moyens et résultat au profit d’une lecture plus fine et contractuelle de l’engagement du porte-fort. Dans cette optique, l’obligation du promettant est analysée comme une obligation comportementale : le promettant ne garantit pas la survenance du fait promis, mais s’engage à adopter un comportement actif, persévérant et loyal, orienté vers la réalisation de ce fait. L’échec du tiers n’engage donc la responsabilité du porte-fort que s’il révèle une carence fautive de sa part.

Cette conception, loin d’être purement théorique, a trouvé un écho dans la jurisprudence. Un arrêt de la chambre commerciale du 29 février 2000 (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604), certes resté isolé, illustre avec acuité cette analyse. La Cour reproche aux juges du fond de ne pas avoir vérifié si le promettant avait, avant l’ouverture de la procédure collective du tiers, mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour obtenir l’exécution de l’obligation promise. La solution, bien que discrète, marque un infléchissement notable : le juge n’exige plus un résultat, mais évalue l’intensité de l’effort fourni.

L’ambiguïté du texte de l’article 1204, alinéa 2, du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, renforce cette lecture. Le texte prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts ». Le recours au mode verbal « peut » n’est pas fortuit : il suggère que la condamnation du promettant n’a rien d’automatique. Une appréciation in concreto du comportement adopté est exigée. Plusieurs auteurs y voient la marque d’une obligation de performance, c’est-à-dire d’un engagement à agir avec diligence en vue d’un résultat, sans en garantir l’obtention.

Dès lors, une synthèse semble s’imposer. L’analyse en termes d’obligation de résultat, rigoureuse sur le plan probatoire, apparaît trop stricte pour rendre compte de la réalité du mécanisme. Inversement, la qualification d’obligation de moyens stricto sensu semble inadaptée, tant elle laisse la possibilité au promettant d’adopter une attitude purement passive. Une voie intermédiaire, fondée sur la notion d’obligation comportementale, permet de concilier les exigences de rigueur contractuelle et de réalisme juridique : le porte-fort ne garantit pas le fait d’autrui, mais s’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour le provoquer. Il est responsable non de l’échec, mais de son inertie ou de sa négligence.

Une telle approche s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en cause des catégories classiques, comme en témoigne l’absence de toute référence à la distinction entre obligation de moyens et de résultat dans la réforme du droit des contrats. Elle invite à recentrer l’analyse sur le contenu précis de l’engagement souscrit et sur l’intensité de la mobilisation attendue. C’est ce qui rapproche, à bien des égards, la promesse de porte-fort de la lettre d’intention, dont elle partage la structure et la finalité. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’une promesse d’exécution, mais d’un engagement à influencer.

Ainsi, la promesse de porte-fort s’analyse moins comme une garantie de résultat que comme une obligation contractuelle exigeante, dont la portée dépendra de la qualité de l’implication du promettant. Ce dernier ne promet pas que le tiers agira, mais qu’il fera tout ce qui dépend de lui pour qu’il agisse. Là réside la véritable mesure de sa responsabilité.

B) L’objet de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort, entendue comme l’engagement par lequel une personne s’oblige envers autrui à obtenir le fait d’un tiers, embrasse une diversité d’objets dont l’étude révèle l’extrême plasticité du mécanisme. Qu’il s’agisse d’un engagement visant à obtenir le consentement du tiers à un acte juridique, l’accomplissement matériel d’un fait déterminé ou encore l’exécution d’une obligation, le porte-fort se prête à des fonctions multiples – allant de la simple facilitation contractuelle à la garantie personnelle d’exécution.

1. Les engagements relatifs à la formation de l’acte : les porte-fort de ratification et de conclusion

La promesse de porte-fort trouve un terrain d’application privilégié dans la phase de formation du contrat, lorsque, pour des raisons juridiques ou pratiques, l’un des contractants souhaite anticiper la participation d’un tiers à une opération sans que ce dernier ne soit encore engagé. La doctrine contemporaine regroupe, sous l’appellation de porte-fort de formation, deux formes d’engagement distinctes mais étroitement apparentées : le porte-fort de ratification et le porte-fort de conclusion. Si la distinction repose sur le degré d’élaboration de l’acte auquel le tiers est appelé à participer, l’intention sous-jacente reste identique : permettre la réalisation d’un acte juridique avec la participation ultérieure d’un tiers, en sécurisant dès l’origine les intérêts de l’autre partie.

a. Le porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification constitue, historiquement et conceptuellement, la forme la plus ancienne et la plus classique de la promesse de porte-fort. Elle s’applique lorsque le tpromettant a conclu un acte juridique déterminé, en toute connaissance de cause de son absence de pouvoir de représentation, et qu’il s’engage à obtenir du tiers la ratification de cet acte.

La jurisprudence considère que cet engagement constitue une obligation de faire, à savoir celle d’agir en sorte que le tiers ratifie l’acte (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982). L’ordonnance du 10 février 2016, en consacrant à l’article 1204 du Code civil la figure du porte-fort, a maintenu cette conception, en posant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ». Le mécanisme est ici dissocié de toute représentation effective : il suppose l’inexistence de pouvoirs de représentation, la volonté du promettant d’obtenir l’adhésion du tiers, et l’engagement de supporter personnellement les conséquences de son éventuel refus.

Ce type de porte-fort se rencontre dans de nombreux contextes : en droit des personnes, notamment lorsqu’un représentant légal, ne pouvant accomplir seul un acte au nom d’un incapable, s’engage à en obtenir la ratification à la majorité ou à la fin de l’incapacité ; en droit des sociétés, lorsque les fondateurs d’une société en formation contractent au nom de celle-ci et s’engagent à obtenir la ratification des organes compétents une fois la société immatriculée (Cass. com., 24 oct. 2000, n° 97-21.796).

La promesse de porte-fort joue alors un rôle de facilitation contractuelle, permettant de surmonter temporairement l’indisponibilité ou l’indétermination du tiers, sans compromettre la validité de l’opération. Elle permet également, pour le bénéficiaire, d’exiger des dommages-intérêts en cas de refus de ratification, confortant ainsi sa position.

b. Le porte-fort de conclusion

À la différence du porte-fort de ratification, le porte-fort de conclusion concerne les hypothèses où aucun acte juridique n’a encore été conclu : le promettant s’engage alors à ce qu’un tiers conclue à l’avenir un acte déterminé ou déterminable. L’objet de la promesse n’est donc pas la ratification d’un acte déjà formalisé, mais la conclusion d’un acte futur – contrat ou acte unilatéral – dont les termes peuvent ne pas encore être négociés.

Cette figure s’est considérablement développée en droit des affaires, et notamment dans le domaine des pactes d’actionnaires (clauses de sortie conjointe, d’entraînement ou de garantie de cession), où le promettant s’engage à ce qu’un tiers conclue un contrat de cession d’actions à des conditions identiques à celles dont il bénéficie (Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-14.933). Elle est également courante dans les relations collectives du travail, par exemple lorsque le syndicat patronal s’engage à ce que des entreprises reclassent certains salariés (Cass. soc., 12 févr. 1975), ou encore dans les contrats de distribution, dans lesquels un exploitant se porte fort que ses ayants cause concluront eux aussi un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

Contrairement au porte-fort de ratification, cette promesse n’entraîne pas de rétroactivité : le tiers, en acceptant ultérieurement de conclure l’acte envisagé, ne ratifie pas un acte antérieur mais conclut un contrat nouveau. Il s’agit dès lors non pas d’un simple prolongement du mécanisme classique, mais d’une figure autonome, que certains auteurs qualifient de porte-fort de conclusion.

L’intérêt de ce mécanisme réside dans sa souplesse et dans la fonction de garantie qu’il remplit : le promettant ne s’oblige pas seulement à obtenir la conclusion d’un acte, mais garantit également le cocontractant contre le préjudice que pourrait entraîner son absence. L’engagement revêt ainsi un caractère indemnitaire, assimilable à une garantie de conclusion.

c. Finalités communes

Malgré leurs différences structurelles – notamment quant au moment auquel l’acte visé est ou sera conclu – les deux figures partagent une finalité contractuelle identique : favoriser la participation d’un tiers à une opération envisagée, tout en assurant au bénéficiaire de la promesse une protection effective contre le refus du tiers. Leurs différences de régime (rétroactivité de la ratification dans un cas, conclusion autonome dans l’autre) ne remettent pas en cause leur unité fonctionnelle.

C’est en ce sens que la doctrine dominante regroupe ces deux figures sous la catégorie commune de porte-fort de formation. Cette approche trouve également appui dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, qui reconnaît l’existence d’un porte-fort de ratification, d’un porte-fort de conclusion, et d’un porte-fort d’exécution, tout en précisant que les deux premiers relèvent d’une même dynamique contractuelle.

2. L’engagement relatif à l’exécution de l’obligation

Si la promesse de porte-fort joue un rôle déterminant au stade de la formation du contrat, elle conserve toute son efficacité lorsque l’acte juridique est déjà valablement conclu, et que le tiers est engagé à l’égard du bénéficiaire de la promesse. Le promettant ne vise plus alors à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte projeté, mais à garantir l’exécution d’une obligation née d’un contrat existant. C’est cette seconde variété, consacrée par l’article 1204 du Code civil, que la doctrine et la jurisprudence désignent comme le porte-fort d’exécution.

Dans cette hypothèse, le promettant s’engage à ce qu’un tiers exécute effectivement l’obligation à laquelle il est tenu en vertu d’un acte juridique déjà formé. Ce tiers peut être débiteur en vertu d’un contrat ou d’un acte unilatéral. L’article 1204, alinéa 1er, consacre cette forme en affirmant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ».

Le promettant ne saurait être considéré comme un garant passif ou un simple spectateur de la relation contractuelle : il s’oblige activement à faire en sorte que le tiers exécute son obligation. Cette obligation est donc une obligation de résultat, le promettant devant adopter les comportements nécessaires pour obtenir l’exécution. À défaut, il engage sa propre responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire, indépendamment de toute faute du tiers défaillant (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777).

Cette conception fonctionnelle – selon laquelle le promettant doit user de son influence, de son autorité ou de ses moyens pour conduire le tiers à l’exécution – a conduit certains auteurs à parler de “garantie d’influence”, notion particulièrement féconde dans les rapports d’affaires.

Le porte-fort d’exécution trouve une application récurrente en droit des affaires, où il sert de technique de sécurisation contractuelle.

Il est ainsi fréquent, à l’occasion d’une cession de droits sociaux, que le cessionnaire se porte fort de l’exécution d’obligations par la société cédée elle-même, à l’égard du cédant. Le mécanisme peut concerner, par exemple, le remboursement d’un compte courant d’associé, l’exécution d’un contrat de travail maintenu jusqu’à la retraite du dirigeant (Cass. 1ère civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360), ou encore le respect d’une clause de non-concurrence stipulée dans l’acte de cession (Cass. com., 8 mars 2016, n° 14-24.921).

En matière de contrats de distribution, l’exploitant d’un fonds peut se porter fort que le locataire-gérant respectera les engagements pris envers un fournisseur dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 14 janv. 1980, n°78-10.696), ou que les autres distributeurs du réseau respecteront une exclusivité territoriale, engageant ainsi la tête de réseau à répondre des comportements des membres du réseau (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

De telles stipulations s’observent également dans les relations de groupe : le promettant peut garantir qu’un organe social prendra une décision favorable ou que la société mère exécutera une obligation envers un cocontractant du groupe.

La finalité du porte-fort d’exécution est clairement indemnitaire : le bénéficiaire de la promesse peut réclamer des dommages-intérêts si l’obligation du tiers n’est pas exécutée, sans qu’il ait besoin de démontrer une faute du promettant. Il s’agit là d’une obligation principale, née d’un lien contractuel autonome entre le promettant et le bénéficiaire, distinct du rapport entre ce dernier et le débiteur principal.

C’est en cela que le mécanisme se rapproche du cautionnement, sans toutefois s’y confondre. Pendant un temps, la jurisprudence commerciale a pu assimiler les deux mécanismes, qualifiant le porte-fort d’exécution de cautionnement (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217), avant de revenir sur cette position et d’affirmer leur autonomie conceptuelle (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890).

La doctrine majoritaire considère désormais le porte-fort d’exécution comme une sûreté personnelle sui generis, souvent qualifiée de garantie indemnitaire. Contrairement au cautionnement, dont le caractère accessoire implique que la nullité ou l’extinction de l’obligation principale entraîne la disparition de la sûreté, le porte-fort d’exécution subsiste indépendamment de la validité de l’engagement du tiers, dès lors que l’inexécution provoque un préjudice au bénéficiaire.

Certains auteurs, toutefois, soulignent que cette distinction peut s’avérer fragile lorsque l’obligation du tiers est une obligation monétaire, et que le promettant s’engage à obtenir son paiement : dans ce cas, la promesse s’apparente, matériellement, à un cautionnement. Mais cette analyse est critiquée au motif qu’elle méconnaît la structure propre de l’engagement du porte-fort, lequel n’est pas un engagement de substitution mais de moyens renforcés en vue d’obtenir l’exécution du tiers.

Enfin, la promesse de porte-fort d’exécution tend à s’imbriquer, dans la pratique, avec d’autres mécanismes de garantie, notamment avec la lettre d’intention, définie à l’article 2322 du Code civil. Lorsque cette dernière comporte une obligation de résultat, la frontière entre les deux techniques devient ténue : dans les deux cas, le garant s’engage personnellement à assurer la bonne exécution d’une obligation par un tiers, et à indemniser en cas d’échec.

Il a ainsi été proposé de regrouper ces techniques sous la catégorie de “garanties d’influence”, dont le point commun réside dans la volonté du bénéficiaire de s’assurer de la diligence du promettant pour faire exécuter une obligation par un tiers. Cette approche met en lumière la rationalité économique du porte-fort d’exécution, particulièrement adapté aux contextes où la confiance contractuelle repose davantage sur l’influence réelle du promettant que sur des garanties strictement patrimoniales.

3. Le cas marginal de la promesse d’un fait matériel

En marge des hypothèses classiques dans lesquelles la promesse de porte-fort porte sur un acte juridique, une fraction de la doctrine, dans une perspective plus théorique que pratique, a envisagé que l’engagement du promettant puisse viser un simple fait matériel. Cette figure, souvent rattachée à la tradition romaine et remise en lumière par la doctrine du XIXe siècle, trouve son origine dans les écrits de Pothier, selon lesquels « on peut promettre le fait d’autrui, comme de promettre qu’un tel fera une chose ».

Dans cette optique, la promesse pourrait porter, non sur la ratification ou la conclusion par un tiers d’un acte juridique, mais sur la réalisation d’un comportement matériel déterminé par ce dernier. Il en serait ainsi, par exemple, de la promesse selon laquelle un tiers traversera un pays à pied pour délivrer un message en main propre, ou encore de celle consistant à assurer qu’un tiers décorera une salle de réception à l’aide de compositions florales.

Dans ces hypothèses, le promettant ne s’engage ni à obtenir la ratification d’un acte juridique accompli sans pouvoir, ni à garantir la conclusion future d’un contrat, mais à faire en sorte que le tiers accomplisse une action déterminée, étrangère au registre des conventions. La doctrine classique, à l’instar de Bufnoir ou de Baudry-Lacantinerie, s’était ainsi plu à évoquer ces engagements singuliers pour en explorer les limites.

Toutefois, pareille hypothèse se heurte aux fondements techniques du mécanisme du porte-fort, tels que consacrés par la jurisprudence et par l’article 1204 du Code civil. En effet, la promesse de porte-fort suppose la mise en œuvre d’un rapport triangulaire dans lequel l’engagement du promettant vise à renforcer l’efficacité juridique d’un acte accompli ou à accomplir par le tiers. Elle requiert, à cet égard, un acte principal – qu’il s’agisse d’un contrat ou d’un acte unilatéral – et repose sur la possibilité d’une ratification ou d’une exécution juridique de cet acte.

Or, dans les hypothèses envisagées – telles que celle d’un tiers qui porterait assistance à une personne âgée lors de son déménagement ou exécuterait un morceau de musique à l’occasion d’un concert – aucune structure contractuelle n’est identifiable, et l’engagement du promettant ne saurait être rattaché à une quelconque volonté d’établir un lien juridique entre le bénéficiaire et le tiers. L’absence de rétroactivité, de capacité d’engagement du tiers, et de mécanisme de ratification ôte à l’opération toute consistance au regard du régime du porte-fort.

C’est pourquoi une partie importante de la doctrine, à la suite notamment de Jean Boulanger, refuse d’inclure de telles hypothèses dans le champ d’application du porte-fort proprement dit. Ces engagements sont le plus souvent analysés comme de simples promesses d’indemnisation conditionnelle, assises sur la survenance incertaine d’un fait futur : par exemple, « si votre frère ne joue pas son récital, je vous indemniserai », ou encore, « si votre amie ne vient pas livrer les œuvres prévues, je prendrai en charge les frais d’exposition ». Dans cette logique, il ne s’agit pas d’un engagement portant sur le fait d’un tiers, mais d’un engagement personnel subordonné à la survenance d’un événement, à l’instar de toute condition suspensive.

En outre, certaines situations relèvent en réalité d’un contrat d’entreprise, même lorsque l’exécution est confiée à un tiers. Celui qui promet qu’un traiteur livrera un dîner ou qu’un prestataire installera une œuvre lumineuse dans un lieu donné s’engage, non sur un fait matériel d’autrui, mais sur la bonne exécution d’une prestation, dont il est lui-même contractuellement responsable.

Il en résulte que la promesse de porte-fort portant sur un fait matériel ne correspond ni à la lettre ni à l’esprit de l’article 1204 du Code civil, et qu’elle demeure une construction purement doctrinale, sans pertinence pratique ni fondement normatif solide. La quasi-totalité de la jurisprudence contemporaine évite soigneusement de se placer sur ce terrain incertain, préférant recourir à des qualifications plus robustes : contrat d’entreprise, obligation de résultat assortie d’une clause pénale, ou engagement sous condition suspensive.

Comme le résume justement Jean Boulanger, la promesse de porte-fort « n’a révélé son utilité que dans la mesure où elle a pu servir à l’établissement d’un rapport contractuel où le promettant et le stipulant avaient le commun désir de faire entrer un tiers ». En dehors de ce schéma, l’engagement du promettant ne trouve pas à s’épanouir dans le cadre du droit commun des contrats.

Le porte-fort: définition, évolution, fonctions

§1: Définition

La promesse de porte-fort est une institution juridique singulière, dont l’originalité tient à la nature même de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement à la promesse pour autrui, qui aurait pour effet d’engager un tiers à son insu, la promesse de porte-fort repose exclusivement sur l’obligation personnelle du promettant, lequel s’engage envers le bénéficiaire à obtenir l’accomplissement d’un fait par un tiers.

Ainsi, il ne saurait être question d’une quelconque extension de l’effet obligatoire du contrat à un tiers, ce qui eût contrevenu au principe fondamental de l’effet relatif des conventions, énoncé aujourd’hui à l’article 1199 du Code civil et déjà consacré sous l’empire du texte napoléonien. Comme l’écrivait Planiol, « il ne peut y avoir de contrat qu’entre ceux qui ont donné leur consentement à ses stipulations »[1]. La promesse de porte-fort se démarque précisément de cette logique en instaurant un mécanisme fondé non sur l’engagement direct du tiers, mais sur la responsabilité du promettant qui s’oblige personnellement à obtenir du tiers un comportement déterminé.

Cette construction confère à la promesse de porte-fort une structure contractuelle triangulaire : elle implique trois personnes — le promettant, le bénéficiaire et le tiers —, mais repose sur la seule volonté de deux d’entre elles, le promettant et le bénéficiaire. Il en résulte une dissociation entre l’engagement du promettant et l’intervention effective du tiers, qui demeure libre d’exécuter ou non le fait promis. Comme l’avait souligné Pothier, le promettant « ne peut créer d’obligation à la charge d’un tiers », mais il peut « prendre l’engagement de le convaincre d’y consentir »[2].

La promesse de porte-fort se distingue par la nature de l’obligation qu’elle fait peser sur le promettant : il ne s’engage pas à exécuter lui-même l’obligation du tiers, mais à obtenir de ce dernier qu’il s’exécute. Il s’agit ainsi d’une obligation de faire, qui requiert du promettant qu’il déploie tous les moyens nécessaires pour convaincre le tiers d’accomplir le fait promis.

Cette obligation de faire, bien que simple en apparence, ne saurait être réduite à une simple déclaration d’intention ou à un engagement purement potestatif. Elle revêt, au contraire, un caractère juridiquement contraignant pour le promettant, qui ne peut se soustraire à son engagement sans en assumer les conséquences. Comme l’écrivait Pothier, « celui qui se porte fort n’engage pas le tiers, mais s’oblige lui-même à obtenir de lui ce qu’il a promis »[3].

Le promettant est ainsi tenu d’accomplir toutes diligences pour que le tiers exécute l’acte en cause. À défaut d’y parvenir, il engage sa responsabilité contractuelle envers le bénéficiaire. Cette mécanique distingue fondamentalement la promesse de porte-fort du cautionnement : là où la caution assume une obligation de paiement subsidiaire en cas d’inexécution du débiteur principal, le porte-fort demeure responsable non pas de l’exécution de l’obligation du tiers, mais de l’accomplissement de son engagement personnel d’obtenir cette exécution.

L’obligation du promettant s’exécute en deux temps :

  • Si le tiers accomplit l’acte promis
    • Lorsque le tiers exécute l’engagement envisagé, soit spontanément, soit sous l’influence du promettant, la promesse de porte-fort remplit sa fonction et libère ce dernier de toute obligation.
    • L’acte ainsi accompli est réputé pleinement valide et opposable au bénéficiaire, consolidant ainsi la relation contractuelle initialement établie.
    • Cette situation se rapproche du mécanisme de la ratification d’un acte accompli sans pouvoir préalable.
    • En droit de la représentation, lorsqu’un mandataire agit sans y être autorisé, la validation ultérieure de l’acte par le mandant confère à celui-ci une efficacité rétroactive, le faisant remonter à la date de sa conclusion initiale.
    • Cette logique transposée au porte-fort de ratification signifie que la promesse souscrite par le promettant trouve son plein effet dès que le tiers donne son accord.
    • L’article 1204, alinéa 3, du Code civil consacre expressément cette rétroactivité en énonçant que si le porte-fort vise la ratification d’un engagement, celle-ci est réputée valider l’acte dès la date à laquelle la promesse a été conclue.
    • Cette règle répond à un impératif de sécurité juridique, évitant une période d’incertitude quant au statut de l’engagement en cause.
    • Ce principe n’est pas une innovation récente. Planiol affirmait déjà que « la ratification opère rétroactivement et purifie l’acte de toute irrégularité tenant à l’absence de pouvoir initial ».
    • Cette approche, confirmée par la jurisprudence, implique que l’acte ratifié est réputé avoir toujours été valable, et non simplement à compter de l’accord ultérieur du tiers.
    • D’un point de vue pratique, cette rétroactivité est essentielle, notamment dans le domaine des affaires, où il est fréquent que des engagements soient pris avant que le tiers concerné ne soit en mesure de donner son consentement formel.
    • La promesse de porte-fort permet ainsi de sécuriser les transactions en garantissant au bénéficiaire soit l’engagement du tiers par ratification, soit une indemnisation en cas d’échec.
    • Ce mécanisme constitue ainsi un instrument de souplesse contractuelle tout en assurant une protection efficace des parties engagées dans l’opération.
  • Si le tiers refuse de s’exécuter
    • Si le promettant échoue à convaincre le tiers d’exécuter l’engagement promis, il se trouve alors en situation de manquement à son obligation et engage sa responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire.
    • Cette responsabilité repose sur le principe selon lequel tout engagement souscrit doit être honoré sous peine de réparation.
    • Dès le XIX? siècle, la doctrine s’était déjà prononcée sur cette spécificité de la promesse de porte-fort.
    • Planiol soulignait que « celui qui se porte fort ne contracte pas une dette d’autrui, mais une dette propre, qui consiste à obtenir d’un tiers qu’il s’exécute, sous peine d’indemnité ».
    • Cette analyse met en lumière le fait que l’obligation du promettant ne porte pas directement sur la prestation due par le tiers, mais sur les efforts qu’il doit fournir pour que celui-ci s’exécute.
    • En conséquence, si le tiers refuse de se conformer à l’engagement promis, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre lui, mais peut se retourner exclusivement contre le promettant.
    • Ce dernier devra alors réparer le préjudice causé par l’inexécution, ce qui peut donner lieu à deux formes d’indemnisation :
      • Des dommages-intérêts compensatoires, visant à replacer le bénéficiaire dans la situation où il se serait trouvé si le tiers avait honoré son engagement.
      • Une indemnisation plus large, incluant d’éventuels préjudices économiques ou moraux résultant du défaut d’exécution de la promesse.
    • La doctrine contemporaine a précisé la nature exacte de cette obligation. Philippe Simler observe ainsi que « l’engagement du porte-fort repose sur une obligation de moyens renforcée, en ce qu’il doit tout mettre en œuvre pour parvenir à ses fins, mais sans garantir nécessairement la réussite de l’opération »[4].
    • Aussi, contrairement à une obligation de résultat, où l’exécution est exigée à tout prix, la promesse de porte-fort impose au promettant d’agir avec diligence et persévérance, mais ne le contraint pas à un succès absolu.

Il importe de souligner, enfin, que la promesse de porte-fort, en dépit de son appellation, n’est nullement un engagement unilatéral. Elle constitue bien un contrat, au sens de l’article 1101 du Code civil, et doit donc satisfaire aux conditions de validité énoncées à l’article 1128: consentement des parties, capacité juridique, contenu licite et certain. Le terme de «promesse» ne doit donc pas induire en erreur : le porte-fort suppose un accord de volontés entre le promettant et le bénéficiaire. Comme le résument plusieurs auteurs, il s’agit d’un contrat référant au fait d’un tiers, et non d’une simple déclaration unilatérale de volonté.

La jurisprudence, quant à elle, admet l’existence d’une promesse de porte-fort tacite, à condition qu’elle résulte d’actes manifestant sans équivoque l’intention du promettant de s’engager à obtenir le fait du tiers (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827). Cette rigueur protège contre le risque d’une requalification abusive de toute promesse pour autrui en porte-fort.

Ainsi conçu, le contrat de porte-fort ne saurait être invoqué pour pallier la nullité d’un engagement entaché d’un vice de forme (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208), ni pour contourner des dispositions d’ordre public, telles que celles relatives au logement de la famille dans le cadre du régime matrimonial (Cass. 1re civ., 11 oct. 1989, n° 88-13.631). Il demeure un outil juridique à la fois souple et exigeant, qui repose sur un équilibre subtil entre liberté contractuelle et responsabilité personnelle.

Enfin, il convient de rejeter la tentation doctrinale de réduire le porte-fort à un simple contrat de couverture d’un risque. Si certaines analyses, à l’instar de celles d’E. Netter ou de J. Boulanger, ont tenté de rapprocher le porte-fort d’un mécanisme assurantiel, cette lecture apparaît réductrice. Contrairement à l’assureur, le porte-fort ne perçoit généralement aucune rémunération, n’est pas soumis à agrément, et surtout ne se borne pas à compenser un risque : il s’engage à l’éviter. Comme le résume pertinemment Isabelle Riassetto, « le porte-fort ne se contente pas de couvrir un risque : il s’oblige à l’empêcher de se réaliser ».

§2: Evolution

==>Origines

Dans le droit romain, le principe de l’intuitus personae gouvernait la formation des obligations et interdisait à quiconque d’engager un tiers sans son consentement. Conformément à la règle res inter alios acta, un contrat ne pouvait produire d’effet qu’entre les parties qui y avaient directement consenti. L’idée même qu’un individu puisse lier autrui contre son gré heurtait les fondements du formalisme juridique romain. Pourtant, certains fragments du droit classique laissaient entrevoir une préfiguration du porte-fort. L’un des exemples les plus significatifs est fourni par les Institutes de Justinien : Si quis effecturum se ut Tituis daret, spoponderit, obligatur (« Si quelqu’un promet qu’il fera en sorte que Titius donne, il est tenu »). Bien que le tiers restât libre de refuser, le promettant pouvait néanmoins être contraint à indemniser l’autre partie en cas d’échec. Loin de constituer une obligation pesant sur le tiers, cet engagement reposait sur une obligation propre du promettant, qui s’engageait à user de tous moyens pour atteindre le résultat souhaité.

Au fil des siècles, la rigidité du droit romain s’est atténuée sous l’influence des usages commerciaux et des pratiques féodales. Durant le Moyen Âge, la promesse de porte-fort s’est développée sous des formes variées, souvent dictées par des rapports de force plus que par une conception purement contractuelle. Le garant pouvait être un seigneur influent, un prince ou un suzerain, dont l’engagement consistait à user de son autorité, voire de la contrainte, pour obtenir du tiers qu’il exécute une obligation. L’histoire rapporte ainsi l’exemple du comte de Champagne, qui, en 1231, s’engagea auprès des bourgeois de Neufchâteau à contraindre militairement le duc de Lorraine à respecter ses engagements. À cette époque, la promesse de porte-fort n’était donc pas encore un mécanisme juridique structuré, mais une pratique informelle, souvent liée à des rapports de dépendance ou à une influence politique.

Avec la codification napoléonienne, la promesse de porte-fort fit son entrée dans le Code civil sous l’article 1120, qui affirmait que l’on peut se porter fort pour un tiers en promettant le fait de celui-ci, sauf à indemniser en cas de refus d’exécution du tiers. Toutefois, ce texte soulevait plusieurs difficultés. Insérée dans le chapitre consacré au consentement des parties, la promesse de porte-fort semblait être traitée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats, sans que son régime propre ne soit véritablement précisé. Le texte ne distinguait pas les différentes formes de porte-fort et n’explicitait pas clairement les obligations du promettant.

==>Porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution

Face aux incertitudes entourant la portée de l’engagement du porte-fort, la jurisprudence s’attacha progressivement à en clarifier la nature. Deux formes distinctes de promesse de porte-fort furent ainsi dégagées. La première, dite porte-fort de ratification, repose sur l’engagement du promettant à obtenir du tiers qu’il ratifie rétroactivement un acte accompli en son nom, mais sans son consentement préalable. Cette technique s’est développée en droit des sociétés, notamment dans les hypothèses où une société en formation voit ses représentants conclure des engagements qui nécessitent une approbation postérieure des organes sociaux. La seconde forme, désignée sous le nom de porte-fort d’exécution, est apparue progressivement dans la jurisprudence du XIX? et du XX? siècle. Ici, le promettant ne se borne pas à garantir une ratification ultérieure, mais s’engage à ce que le tiers exécute effectivement une obligation. Si le tiers venait à refuser, le promettant pouvait alors être tenu de répondre personnellement du préjudice subi par le bénéficiaire, en lui versant des dommages-intérêts.

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 décembre 2005 s’inscrit pleinement dans cette évolution jurisprudentielle visant à clarifier le régime de la promesse de porte-fort en distinguant le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217). Dans cet arrêt, la Cour de cassation énonce le principe selon lequel celui qui se porte fort pour un tiers en promettant la ratification par ce dernier d’un engagement est tenu d’une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers, tandis que celui qui se porte fort de l’exécution d’un engagement par un tiers s’engage accessoirement à l’engagement principal souscrit par ce dernier et à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même. Par cette distinction, la Haute juridicition affirme que le porte-fort de ratification constitue une obligation propre du promettant, qui disparaît une fois le tiers ratifiant l’acte, tandis que le porte-fort d’exécution l’assimile à un garant, contraint de répondre personnellement en cas de défaillance du tiers.

L’affaire en question portait sur un acquéreur qui, après avoir signé un protocole d’accord pour l’acquisition d’un fonds de commerce, avait indiqué qu’une société en formation se substituerait à lui pour la signature et l’exécution du contrat, tout en précisant qu’il se portait garant de la parfaite exécution des obligations de cette société. Toutefois, la société ayant ultérieurement fait défaut, les créanciers se sont retournés contre l’acquéreur en invoquant la promesse de porte-fort qu’il avait souscrite.

La cour d’appel, après avoir analysé les engagements successifs, avait estimé que l’acquéreur ne s’était pas engagé comme caution mais avait souscrit une promesse de porte-fort, en promettant que la société exécuterait effectivement les obligations prévues. La Cour de cassation casse cette décision en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les actes litigieux comportaient une mention manuscrite exprimant de manière claire et non équivoque la portée exacte de l’engagement du promettant. Elle rappelle ainsi que la qualification de porte-fort d’exécution implique une exigence accrue de précision quant à l’intention du promettant et à l’étendue de son obligation.

Cette distinction, qui avait déjà été analysée par la doctrine, notamment par Planiol, trouve ainsi une consécration explicite. Elle s’inscrit dans une approche où le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution obéissent à des logiques distinctes : tandis que le premier permet de régulariser un engagement contracté sans pouvoir, en le validant rétroactivement par la ratification du tiers, le second impose au promettant une obligation propre et subsidiaire, qui lui fait supporter les conséquences d’une inexécution éventuelle du tiers. Comme le soulignera plus tard Philippe Simler, cette dernière forme de porte-fort s’apparente à une sûreté personnelle sui generis, renforçant la sécurité contractuelle sans pour autant se confondre avec un cautionnement stricto sensu.

==>Réforme du droit des obligations

La réforme du 10 février 2016 a définitivement consacré cette construction doctrinale et jurisprudentielle en intégrant la promesse de porte-fort dans le titre du Code civil relatif aux effets des contrats à l’égard des tiers. Cette modification a permis de lever l’ambiguïté entourant la nature de cet engagement. L’article 1203 du Code civil dispose que « on ne peut s’engager en son propre nom que pour soi-même », rappelant ainsi que la promesse de porte-fort ne crée pas d’obligation pour le tiers, mais uniquement pour le promettant. L’article 1204, quant à lui, établit une distinction claire entre les conséquences de la promesse selon que le tiers s’exécute ou non. Il prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis », mais qu’à défaut, « il peut être condamné à des dommages-intérêts ». L’alinéa 3 précise en outre que lorsque la promesse de porte-fort porte sur une ratification, celle-ci produit un effet rétroactif, confirmant ainsi une solution admise en jurisprudence de longue date.

L’un des apports essentiels de la réforme du 10 février 2016 réside dans la consécration explicite du porte-fort d’exécution, dont la reconnaissance jusqu’alors reposait essentiellement sur la pratique contractuelle et l’interprétation jurisprudentielle. En lui conférant un fondement légal, le législateur a définitivement ancré ce mécanisme dans le droit des sûretés personnelles, le positionnant aux côtés du cautionnement et des garanties autonomes.

La doctrine s’est largement fait l’écho de cette évolution. Philippe Simler souligne ainsi que le porte-fort d’exécution constitue une sûreté personnelle atypique, distincte du cautionnement, en ce qu’il fait peser sur le promettant une obligation propre et non une simple garantie accessoire. Contrairement au cautionnement, où la caution s’engage à répondre d’une dette en cas de défaillance du débiteur principal, la promesse de porte-fort d’exécution n’impose pas au promettant de se substituer au tiers dans l’exécution de l’engagement promis. Elle lui impose seulement une obligation de moyens : il doit déployer tous les efforts nécessaires pour obtenir du tiers qu’il s’exécute, sans pour autant garantir le résultat.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à influencer le tiers et sur la confiance accordée par le bénéficiaire dans la faculté du promettant à obtenir l’exécution de l’engagement promis. Cette reconnaissance légale, en clarifiant la nature et les effets du porte-fort d’exécution, permet ainsi de sécuriser les opérations contractuelles, en offrant aux parties un instrument intermédiaire entre la simple promesse et la garantie pure et simple d’exécution.

En clarifiant le régime juridique du porte-fort et en mettant fin aux incertitudes entourant son application, la réforme de 2016 a définitivement intégré cet instrument dans le corpus du droit des obligations. Après une lente maturation doctrinale et jurisprudentielle, il s’impose aujourd’hui comme un outil incontournable de la pratique contractuelle, offrant aux parties un mécanisme souple et efficace pour sécuriser leurs engagements.

§3: Fonctions

I) Le porte-fort de ratification

A) Les fonctions assignées au porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification, consacré par l’article 1204 du Code civil, joue un rôle essentiel en droit des obligations. Il permet à une personne de s’engager à ce qu’un tiers, qui n’a pas initialement consenti à un acte, le ratifie ultérieurement. Ce mécanisme présente une double utilité : il offre au cocontractant une sécurité en lui garantissant que l’acte pourra être confirmé, tout en laissant au tiers la liberté d’accepter ou de refuser cette ratification.

Historiquement, le porte-fort de ratification est né d’un besoin de flexibilité contractuelle. Il visait à assurer la validité d’un engagement pris sans pouvoir préalable, en garantissant qu’il serait ratifié par l’intéressé une fois en mesure de le faire. Planiol soulignait déjà que le porte-fort de ratification « ne vise pas à imposer une obligation à un tiers, mais à garantir qu’il donnera son consentement, sous peine pour le promettant de devoir indemniser le cocontractant »[5].

L’une des avancées majeures de la réforme du 10 février 2016 réside dans la clarification des effets de la ratification. Désormais, lorsque le tiers confirme l’engagement promis, cette validation remonte rétroactivement à la date de la promesse de porte-fort, comme le prévoit expressément l’article 1204 du Code civil. Cette consécration met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient jusqu’alors la portée de la ratification.

L’un des premiers terrains d’application du porte-fort de ratification fut le droit des incapacités, où il palliait l’incapacité juridique de certaines personnes à s’engager directement. Avant l’entrée en vigueur de la réforme du 5 mars 2007, qui a introduit l’article 507 du Code civil, cette technique était fréquemment utilisée pour contourner les lourdeurs inhérentes au régime de protection des incapables. Ainsi, le représentant d’un mineur ou d’un majeur protégé pouvait conclure un acte en se portant fort de la ratification ultérieure de l’intéressé, une fois celui-ci devenu juridiquement capable.

Ce procédé offrait une alternative aux partages judiciaires, traditionnellement longs et onéreux, en permettant la conclusion d’un partage amiable assorti d’une promesse de ratification. Il assurait ainsi une certaine fluidité dans la gestion patrimoniale des incapables tout en conférant une sécurité aux cocontractants.

La jurisprudence a, par ailleurs, admis que le représentant légal d’un mineur puisse acquérir un bien immobilier en son nom, en se portant fort que l’intéressé ratifierait la transaction à sa majorité (Cass. 3e civ., 6 nov. 1970, n°69-12.426). Ce mécanisme permettait d’anticiper des opérations patrimoniales essentielles sans attendre l’extinction de l’incapacité, tout en garantissant au vendeur la conclusion effective de la transaction. En cas de refus de ratification par l’incapable devenu majeur, le promettant restait tenu de réparer le préjudice subi par l’autre partie, renforçant ainsi la sécurité juridique des transactions conclues sous ce régime.

Le porte-fort de ratification joue également un rôle en matière d’indivision. Un indivisaire ne peut, en principe, engager ses coïndivisaires sans leur consentement préalable. Toutefois, en se portant fort de leur ratification ultérieure, il apporte une souplesse bienvenue dans la gestion des biens indivis, en permettant d’éviter l’inertie qui résulterait de l’impossibilité d’obtenir immédiatement l’accord de tous les indivisaires.

Cette technique se révèle particulièrement utile dans le cadre des mandats de vente. Un indivisaire peut ainsi mandater un agent immobilier en garantissant que les autres indivisaires confirmeront la cession. Ce procédé permet de sécuriser l’opération pour l’acheteur potentiel tout en évitant d’attendre que chaque coïndivisaire donne son accord préalable.

Toutefois, cette méthode n’est pas exempte de risques. En cas de décès d’un coïndivisaire avant qu’il n’ait pu ratifier l’acte, la validité de l’engagement peut être remise en question, exposant ainsi le promettant à une responsabilité contractuelle. Dans cette hypothèse, le cocontractant peut exiger une indemnisation si la ratification promise n’a finalement pas lieu.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à anticiper les intentions des coïndivisaires, sans pour autant avoir l’assurance absolue de leur adhésion. Cette incertitude inhérente au porte-fort de ratification a conduit Ripert à affirmer que « la promesse de porte-fort projette une obligation conditionnelle qui dépend entièrement de la volonté d’un tiers, là où d’autres garanties créent un engagement direct »[6]. Loin d’être une sûreté classique, le porte-fort de ratification demeure un engagement délicat, où la crédibilité du promettant joue un rôle déterminant dans la réussite de l’opération.

Le droit des sociétés constitue un autre domaine privilégié d’application du porte-fort de ratification. Son utilité se manifeste notamment dans les hypothèses où un organe social excède ses pouvoirs en concluant un contrat qui nécessite l’approbation ultérieure d’un autre organe, tel que l’assemblée générale des actionnaires.

Avant l’adoption de la loi du 24 juillet 1966, les actes accomplis pour le compte d’une société en formation étaient systématiquement assortis d’une promesse de porte-fort, faute de quoi le signataire restait personnellement engagé. L’article L. 210-6 du Code de commerce a depuis lors formalisé cette pratique en prévoyant que la société peut reprendre les actes passés en son nom avant son immatriculation, mais cette reprise ne se fait qu’à l’initiative des organes compétents.

Le porte-fort de ratification est également utilisé dans les groupes de sociétés, où une société mère peut se porter fort que sa filiale ratifiera un engagement contracté en son nom (Cass. com., 25 mai 1970). Ce mécanisme est particulièrement stratégique dans des opérations nécessitant une réactivité immédiate, où il est impossible d’attendre l’approbation formelle de l’ensemble des actionnaires ou des organes de direction.

Enfin, la technique est largement employée en matière de cession de droits sociaux, où elle permet d’assurer que certains engagements seront ratifiés par les actionnaires ou les dirigeants d’une société cédée. La jurisprudence a admis qu’un cédant puisse se porter fort de la cession des actions de certains associés à un tiers, garantissant ainsi la réalisation de l’opération sous peine de voir sa responsabilité engagée (Cass. com., 22 juill. 1986).

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La promesse de porte-fort de ratification se distingue nettement d’autres mécanismes contractuels qui, bien que partageant certaines similitudes, obéissent à des logiques et des effets juridiques distincts. Qu’il s’agisse du mandat, de la représentation sans pouvoir, de la promesse de bons offices ou encore de la convention de prête-nom, l’analyse de ces figures révèle des différences fondamentales quant à la portée de l’engagement du promettant et aux effets juridiques attachés à l’intervention du tiers.

==>Promesse de porte-fort et mandat

Si la promesse de porte-fort de ratification repose sur l’engagement d’un promettant à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte, elle se distingue fondamentalement du mandat en ce que le porte-fort agit en dehors de toute investiture préalable de la part du tiers concerné. Le mandataire, en vertu des articles 1984 et suivants du Code civil, agit au nom et pour le compte du mandant, en vertu d’un pouvoir qui lui a été conféré. À l’inverse, le porte-fort n’intervient pas comme représentant du tiers, mais en son nom propre et sous sa seule responsabilité.

La jurisprudence a consacré cette distinction en affirmant que la qualité de porte-fort est exclusive de celle de mandataire. Ainsi, un indivisaire qui vend un bien indivis en se portant fort de la ratification de son coïndivisaire ne peut être considéré comme son mandataire, de sorte que le refus de ratification entraîne la résolution de l’acte (CA Riom, 14 janv. 1982). De même, la Cour de cassation a rappelé qu’un individu qui dépasse les pouvoirs qui lui avaient été conférés ne peut se prévaloir du mandat mais, au mieux, être tenu comme porte-fort s’il promet la ratification du mandant (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660.).

Loin de créer un lien de représentation entre le tiers et le bénéficiaire de la promesse, la promesse de porte-fort place le promettant dans une situation autonome : il prend sur lui l’engagement d’obtenir l’adhésion du tiers et en supporte les conséquences en cas d’échec.

==>Promesse de porte-fort et représentation sans pouvoir

La promesse de porte-fort de ratification présente, à première vue, certaines similitudes avec l’hypothèse de la représentation sans pouvoir. L’article 1156 du Code civil prévoit en effet que l’acte accompli par un pseudo-représentant, c’est-à-dire par une personne se présentant comme mandataire sans y avoir été habilitée, est inopposable au tiers tant que celui-ci ne l’a pas ratifié. Ce mécanisme repose ainsi sur une validation rétroactive de l’acte par le représenté, logique que l’on retrouve, en apparence, dans le cadre du porte-fort de ratification.

Toutefois, cette parenté est trompeuse. Une distinction s’impose : le pseudo-représentant, en agissant au nom d’autrui, ne s’engage pas personnellement. Il se borne à revendiquer un pouvoir dont l’existence conditionne l’efficacité de l’acte. Si la ratification n’intervient pas, l’acte reste sans effet à l’égard du tiers prétendument représenté, mais n’engage pas davantage celui qui en a pris l’initiative. Il en va tout autrement dans le mécanisme du porte-fort : le promettant n’entend pas agir au nom du tiers, mais en son nom propre. Il assume ainsi un engagement personnel et autonome, consistant à obtenir la ratification du tiers. En cas de refus de celui-ci, le promettant est tenu d’indemniser le cocontractant du préjudice résultant de l’inexécution de son obligation de faire.

Comme l’a souligné Alain Benabent, le porte-fort constitue une forme de « fausse représentation ». Cette expression rend compte de l’apparente proximité entre les deux figures, tout en soulignant leur différence de nature. Le mandat, désormais encadré aux articles 1153 à 1161 du Code civil depuis l’ordonnance du 10 février 2016, suppose en effet une habilitation préalable conférant au mandataire le pouvoir d’engager le mandant. Le porte-fort, au contraire, repose sur l’absence de tout pouvoir représentatif. Comme l’a écrit Delvincourt dès 1813, « si même je contracte au nom d’une personne dont je n’ai de pouvoir, ni légal, ni conventionnel, et que je me porte fort pour elle, je suis censé par là garantir à l’autre partie la ratification de celui au nom duquel j’ai agi, et m’obliger au paiement des dommages-intérêts, en cas de non-ratification ».

Cette différence entre les deux opérations explique que les actes accomplis par le porte-fort n’engagent pas le tiers pour lequel il se porte garant. Ce dernier n’intervient pas dans l’acte, et ne peut y être tenu qu’en cas de ratification expresse. C’est pourquoi la jurisprudence considère que la qualité de porte-fort est incompatible avec celle de mandataire (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660). Le promettant agit donc exclusivement en son propre nom et pour son propre compte, même s’il s’engage à rapporter ultérieurement le fait d’un tiers.

Enfin, si certains auteurs ont pu voir dans le porte-fort une modalité particulière de la représentation, cette assimilation se heurte à une limite structurelle : la représentation suppose un pouvoir donné par le représenté, là où le porte-fort agit sans autorisation préalable. Cette différence est d’autant plus significative qu’elle empêche d’expliquer certaines variantes du porte-fort, au premier rang desquelles le porte-fort d’exécution, pour lequel la logique de la représentation s’avère inopérante.

Ainsi, la promesse de porte-fort n’est pas un simple ersatz de la représentation sans pouvoir. Elle en épouse certains contours formels, mais s’en écarte résolument dans sa substance, en érigeant en engagement personnel ce qui, dans la représentation, repose sur un pouvoir d’autrui.

==>Promesse de porte-fort et promesse de bons offices

La promesse de porte-fort de ratification ne saurait être confondue avec la simple promesse de bons offices, bien que toutes deux tendent vers un même objectif : obtenir d’un tiers qu’il adopte un comportement déterminé, qu’il s’agisse de ratifier un acte ou de conclure une convention. Pourtant, la nature juridique de ces deux engagements diffère fondamentalement.

La promesse de bons offices se définit classiquement comme l’engagement d’une personne à « user de tous les moyens en son pouvoir pour obtenir l’engagement d’un tiers ». Elle repose ainsi sur une obligation de moyens. Le promettant ne garantit aucunement le résultat de son intervention, mais seulement sa diligence : il s’engage à faire ses meilleurs efforts, à déployer une activité, sans pouvoir être tenu responsable si celle-ci n’aboutit pas. En cas d’échec, le créancier n’est fondé à obtenir réparation que s’il démontre que le promettant a manqué à cette obligation de moyens – ce qui suppose, en pratique, la preuve d’une carence dans les diligences déployées.

C’est précisément cette logique que la Cour de cassation a illustrée dans un arrêt du 7 mars 1978 : elle y a jugé qu’un héritier, qui s’était engagé à favoriser l’accord de son cohéritier pour la cession d’un bien, ne s’était pas porté fort, faute d’avoir promis expressément d’obtenir cette adhésion. L’engagement pris ne dépassait donc pas la sphère des bons offices, et n’emportait pas d’obligation indemnitaire en cas d’échec de la transaction (Cass. 3e civ., 7 mars 1978, n°76-14.534).

En revanche, le promettant d’un porte-fort de ratification contracte une véritable obligation de faire, au sens de l’article 1204 du Code civil. Son engagement est personnel et autonome: il promet, non pas de tenter d’obtenir la ratification du tiers, mais de l’obtenir effectivement. L’échec de cette ratification constitue, en tant que tel, une inexécution fautive de son obligation, ouvrant droit à réparation. En ce sens, le porte-fort s’oblige à un résultat. La doctrine ne cesse de rappeler que cette promesse revêt une véritable valeur juridique, par opposition à ce que Jean Carbonnier qualifiait de « promesse morale de bons offices », impropre à engager juridiquement son auteur.

Cela étant, la frontière entre les deux mécanismes n’est pas toujours tracée avec la rigueur que l’on pourrait souhaiter. Ainsi, dans un arrêt du 29 février 2000, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu affirmer que le porte-fort est tenu « d’une obligation de moyens à l’égard de son cocontractant » (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604). Cette formulation, pour le moins ambivalente, a nourri les débats doctrinaux quant à l’intensité de l’obligation pesant sur le porte-fort, certains auteurs estimant que l’on pourrait concevoir une gradation entre le porte-fort et les bons offices, une sorte de « porte-fort atténué », en deçà de l’engagement de plein exercice.

Pour autant, cette tentation de dilution ne doit pas conduire à altérer la spécificité juridique du mécanisme. Le critère décisif demeure : alors que la promesse de bons offices est purement potestative et s’analyse en une obligation de moyens dépourvue d’effet automatique, le porte-fort implique une obligation ferme, dont l’inexécution engage nécessairement la responsabilité contractuelle de son auteur. Là où l’un propose un soutien, l’autre garantit un aboutissement.

En définitive, si les deux engagements peuvent être formulés dans des termes voisins, leur régime et leurs effets divergent profondément. L’un se borne à appuyer, l’autre à s’engager. Le premier repose sur la diligence, le second sur l’effectivité. C’est là, toute la différence entre la simple bienveillance du négociateur et l’engagement ferme du garant.

==>Promesse de porte-fort et convention de prête-nom

La promesse de porte-fort de ratification ne doit pas être assimilée à la convention de prête-nom, bien que ces deux mécanismes impliquent l’intervention d’un tiers dans une opération juridique.

Dans une convention de prête-nom, une personne conclut un acte en son nom propre mais pour le compte d’un tiers qui demeure caché. À l’inverse, dans la promesse de porte-fort, le tiers est identifié et sa ratification est attendue pour valider l’acte. Cette distinction a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 janvier 2004, où elle a souligné que, dans le prête-nom, l’acquéreur apparent dissimule l’acquéreur réel, tandis que dans le porte-fort, l’existence du tiers est révélée dès la conclusion de l’acte (Cass. com., 21 janv. 2004, n° 00-14.211).

D’autre part, la convention de prête-nom emporte une transmission automatique des droits sur l’acte conclu par le prête-nom au bénéficiaire réel, tandis que dans le porte-fort de ratification, l’acte ne produit effet à l’égard du tiers que s’il consent expressément à sa ratification.

II) Le porte-fort d’exécution

A) Fonctions assignées au porte-fort d’exécution

Initialement conçu comme un instrument garantissant la ratification d’un engagement contracté par un tiers, le porte-fort a progressivement élargi son champ d’application pour remplir une autre fonction: l’exécution par ce tiers de l’engagement qu’il a souscrit. Cette évolution, consacrée par la jurisprudence et désormais admise en doctrine, a permis au porte-fort de se positionner comme un mécanisme de garantie contractuelle, particulièrement prisé dans les relations d’affaires et les montages contractuels complexes.

Longtemps, la jurisprudence a cantonné la promesse de porte-fort à un engagement de ratification, excluant toute assimilation à une sûreté personnelle. Ce positionnement strict s’appuyait sur la conception classique selon laquelle le porte-fort ne faisait que garantir l’adhésion future d’un tiers à un acte, sans s’engager sur l’exécution effective d’une obligation par ce dernier.

Toutefois, dès les années 1980, la pratique contractuelle a conduit à une relecture de cette notion, ouvrant la voie à la reconnaissance d’un porte-fort d’exécution. Désormais, le promettant ne s’engage plus seulement à obtenir l’adhésion du tiers, mais à garantir que ce dernier respectera l’obligation promise. En cas d’inexécution, le promettant devient alors débiteur d’une obligation de réparation, le plus souvent sous forme d’indemnisation du cocontractant lésé.

Le porte-fort d’exécution s’est particulièrement développé dans le cadre des relations d’affaires. Il est fréquemment utilisé pour sécuriser des engagements dont l’exécution dépend d’une entité tierce, notamment :

Dans toutes ces hypothèses, l’engagement du porte-fort ne consiste pas à contraindre le tiers, mais à compenser les conséquences d’une éventuelle inexécution.

L’émergence du porte-fort d’exécution a suscité des débats quant à sa nature juridique. Certaines décisions jont tenté de le rapprocher du cautionnement, en raison de sa fonction de garantie accessoire à un engagement principal. Dans un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a ainsi distingué le porte-fort de ratification, qui est une obligation autonome, du porte-fort d’exécution, qui s’analyse comme un engagement accessoire à l’obligation principale (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217).

Toutefois, cette assimilation au cautionnement n’a jamais été totalement admise. La doctrine s’accorde à reconnaître que le porte-fort d’exécution conserve une autonomie propre, distincte des sûretés personnelles traditionnelles, en ce qu’il repose sur une obligation de faire et non une obligation de paiement. Contrairement au cautionnement, qui impose au garant de s’exécuter à la place du débiteur en cas de défaillance, le porte-fort d’exécution ne crée pas d’obligation substitutive, mais uniquement une responsabilité contractuelle en cas de non-respect de l’engagement promis.

La réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a consacré la dualité du mécanisme du porte-fort en introduisant une distinction implicite entre le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution. L’alinéa 2 de l’article 1204 du Code civil dispose ainsi que « si le tiers accomplit le fait promis », laissant entendre que l’engagement du promettant peut porter non seulement sur la ratification d’un acte, mais également sur son exécution.

Cette reconnaissance législative met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient la qualification du porte-fort d’exécution. Désormais, il est admis que ce dernier constitue une véritable garantie contractuelle, permettant de sécuriser des engagements sans nécessairement recourir aux mécanismes de cautionnement ou de garantie autonome.

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

Le porte-fort d’exécution se distingue nettement d’autres mécanismes de garantie, bien qu’il partage avec eux certaines caractéristiques. Son originalité tient à la nature même de son engagement : le promettant garantit non pas le paiement d’une dette, comme une caution, mais l’accomplissement par un tiers d’un fait juridique déterminé. Cette spécificité a conduit la jurisprudence et la doctrine à examiner ses liens avec d’autres techniques de garantie, tout en insistant sur son autonomie conceptuelle.

==>Porte-fort d’exécution et cautionnement

Le porte-fort d’exécution, bien qu’il tende à garantir l’exécution d’une obligation par un tiers, ne saurait être assimilé au cautionnement, tant les fondements, la nature juridique et le régime de ces deux mécanismes divergent.

Le cautionnement, tel que défini à l’article 2288 du Code civil dans sa version issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, repose sur un engagement subsidiaire et personnel de la caution de satisfaire à l’obligation d’un tiers débiteur en cas de défaillance de ce dernier. Il s’agit donc d’un contrat accessoire par essence, qui lie la caution au créancier dans les mêmes termes que l’obligation principale. La caution s’engage à payer la dette du débiteur, devenant ainsi, en cas d’inexécution, un véritable débiteur de substitution.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution repose sur un engagement autonome de faire. Le promettant ne reprend pas à son compte l’obligation du tiers, mais s’engage en son nom propre à obtenir l’exécution de cette obligation par le débiteur principal. En cas d’inexécution, il ne paie pas la dette garantie, mais indemnise le bénéficiaire du préjudice résultant de son propre manquement à cette obligation de faire. La logique est donc indemnitaire, fondée sur la responsabilité contractuelle du promettant.

La jurisprudence a longtemps entretenu une certaine confusion sur ce point. Dans un arrêt emblématique du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217), la Cour de cassation a qualifié l’engagement du porte-fort d’exécution d’« accessoire à l’engagement principal souscrit par le tiers », ajoutant que le promettant s’engage « à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même ». Une telle formule, empruntée au régime du cautionnement, laissait entendre que le porte-fort s’apparenterait à une sûreté personnelle accessoire, susceptible d’être requalifiée, selon les circonstances, en cautionnement. Cette assimilation a d’ailleurs été reprise dans plusieurs arrêts postérieurs.

Toutefois, cette position a été abandonnée au profit d’une approche plus fidèle à la nature indemnitaire du porte-fort. Dans un arrêt du 18 juin 2013 (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890), la chambre commerciale a expressément écarté l’application de l’article 1326 du Code civil, en retenant que l’engagement de porte-fort constitue une obligation de faire. Elle a ainsi affirmé l’autonomie de cet engagement par rapport à l’obligation principale garantie, consacrant définitivement la spécificité du mécanisme. Cette solution a été réaffirmée par la suite (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777), contribuant à clarifier les frontières entre le porte-fort d’exécution et le cautionnement.

La doctrine dominante a salué cette clarification, en soulignant que le porte-fort d’exécution, loin d’être un cautionnement déguisé, obéit à une logique profondément différente. Il ne repose pas sur la solidarité ou sur une obligation de paiement subsidiaire, mais sur la réparation du dommage causé par la non-réalisation d’un fait promis. Comme le rappelle Isabelle Riassetto, l’engagement du porte-fort est strictement personnel et indemnitaire : il ne s’agit pas de garantir l’obligation d’autrui, mais de s’engager à en assurer l’exécution par un tiers, à ses risques et périls.

Ce caractère indemnitaire permet également d’écarter l’ensemble des règles spéciales propres au cautionnement, notamment celles relatives au formalisme de l’article 2297 du Code civil ou aux obligations d’information prévues aux articles 2293 et suivants. Le porte-fort d’exécution échappe à ces contraintes, ce qui en fait un outil de garantie souple, adapté aux besoins pratiques des acteurs économiques, notamment dans les montages contractuels impliquant des sociétés en formation ou des groupes de sociétés.

Ainsi, si le porte-fort d’exécution et le cautionnement partagent un objectif commun – garantir l’exécution d’une obligation –, leur structure juridique, leur régime applicable et la nature de l’engagement qu’ils recouvrent divergent fondamentalement. Le premier s’inscrit dans une logique d’engagement autonome de faire, générateur d’une responsabilité contractuelle en cas de manquement, là où le second repose sur une logique d’engagement subsidiaire de paiement. C’est précisément cette distinction conceptuelle qui justifie le refus, aujourd’hui consolidé, d’assimiler le porte-fort d’exécution au cautionnement.

==>Porte-fort d’exécution et garantie autonome

L’article 2321 du Code civil définit la garantie autonome comme l’engagement, pris en considération d’une obligation souscrite par un tiers, de verser une somme d’argent à première demande ou selon des modalités prédéterminées. Sa spécificité tient à son détachement radical de l’obligation principale : le garant s’engage de manière indépendante, sans pouvoir opposer les exceptions que le débiteur pourrait faire valoir. C’est ce mécanisme d’engagement abstrait, affranchi du sort de la dette garantie, qui confère à cette sûreté son caractère proprement autonome.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution poursuit une finalité toute différente : il ne consiste pas en un engagement pécuniaire prédéterminé, mais en une obligation de faire. Le promettant s’engage à obtenir du tiers l’exécution d’une obligation déterminée, et n’est tenu d’indemniser le bénéficiaire qu’en cas d’échec de cette démarche. Il s’agit donc d’un engagement de comportement, et non d’un engagement de paiement. La nature indemnitaire du mécanisme a été confirmée par la Cour de cassation, laquelle a précisé que l’engagement du porte-fort repose sur les règles de la responsabilité contractuelle (Cass. com., 25 janv. 2005, n° 01-15.926), ce qui implique que la réparation est fonction du préjudice effectivement subi, et non d’un montant forfaitaire convenu à l’avance.

Certes, plusieurs arrêts ont qualifié le porte-fort d’engagement personnel autonome (Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 14-13.694), et une partie de la doctrine a repris cette formule pour souligner l’indépendance de l’obligation du promettant à l’égard du tiers. Toutefois, cette autonomie ne suffit pas à confondre le porte-fort d’exécution avec la garantie autonome visée à l’article 2321 du Code civil. Il ne s’agit ni d’un engagement de paiement à première demande, ni d’une promesse abstraite et détachée de toute inexécution préalable : le porte-fort n’intervient qu’en second lieu, pour réparer un manquement du tiers, et uniquement à hauteur du dommage prouvé.

Par ailleurs, contrairement à la garantie autonome, le porte-fort n’a jamais vocation à produire un effet libératoire immédiat pour le créancier. Il n’enclenche pas un mécanisme de substitution financière automatique, mais ouvre droit, le cas échéant, à des dommages et intérêts, selon une logique purement indemnitaire. Ce caractère indemnitaire exclut d’ailleurs toute assimilation au modèle de la garantie autonome, sauf à ce que le porte-fort soit assorti d’une clause pénale fixant par avance l’indemnité due en cas de manquement – hypothèse très particulière que certains auteurs mentionnent comme pouvant troubler la frontière conceptuelle.

Enfin, la tentation de rapprocher le porte-fort d’exécution d’autres mécanismes abstraits, telle la délégation imparfaite prévue à l’article 1336 du Code civil, doit également être écartée. Si la garantie autonome est parfois analysée comme une forme de délégation dans laquelle le garant s’oblige directement envers le créancier, le porte-fort d’exécution n’opère aucune substitution de débiteur. Le promettant ne s’engage pas à satisfaire personnellement à l’obligation du tiers : il garantit seulement que celui-ci l’exécutera, et répond de son propre fait si l’exécution échoue.

En somme, si le porte-fort d’exécution peut, à certains égards, paraître autonome dans son engagement, il ne revêt en aucun cas les caractéristiques essentielles de la garantie autonome au sens de l’article 2321. Il demeure un engagement de faire, structuré autour d’une logique indemnitaire fondée sur l’inexécution d’un fait promis, et ne saurait être confondu avec un instrument financier de paiement automatique.

==>Porte-fort d’exécution et assurance-crédit

L’assurance-crédit, bien qu’indemnitaire comme le porte-fort d’exécution, repose sur une logique différente : elle garantit exclusivement le non-recouvrement d’une créance en cas d’insolvabilité du débiteur.

Ainsi :

  • L’assurance-crédit couvre uniquement une obligation de paiement, tandis que le porte-fort d’exécution peut concerner toute obligation contractuelle.
  • L’indemnisation de l’assurance-crédit dépend de la survenance d’un sinistre économique (l’insolvabilité du débiteur), tandis que le porte-fort d’exécution engage la responsabilité du promettant dès que le tiers n’exécute pas son obligation.

==>Porte-fort d’exécution et délégation imparfaite

La délégation imparfaite implique qu’un délégant obtienne d’un tiers (le délégué) qu’il prenne un engagement envers un créancier (le délégataire).

Contrairement au porte-fort d’exécution :

  • La délégation crée un nouveau rapport d’obligation direct entre le délégataire et le délégué. Le porte-fort d’exécution, en revanche, ne lie pas directement le tiers au créancier, mais impose au promettant une obligation indemnitaire en cas de défaillance du tiers.
  • Le délégué devient débitrice principale du délégataire, tandis que dans le porte-fort d’exécution, le tiers reste le débiteur principal.

==>Porte-fort d’exécution et lettre d’intention

L’article 2322 du Code civil définit la lettre d’intention comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ». Par cette définition, le législateur a consacré la spécificité de cette sûreté personnelle, distincte du cautionnement, en insistant sur la notion de soutien, davantage comportementale qu’obligatoire dans ses effets.

Cette finalité rapproche la lettre d’intention du porte-fort d’exécution, dans la mesure où ces deux mécanismes ont pour objet de garantir indirectement l’exécution d’une obligation par un tiers. L’analogie devient particulièrement pertinente lorsque la lettre d’intention comporte une obligation de résultat. Dans une telle hypothèse, son souscripteur s’engage, tout comme le promettant dans une promesse de porte-fort, à faire en sorte que le débiteur principal exécute son obligation, sous peine d’être tenu à indemnisation. Cette convergence a conduit une partie de la doctrine à assimiler les deux figures, estimant que la lettre d’intention à obligation de résultat constitue une variante du porte-fort d’exécution.

Toutefois, cette assimilation ne saurait être générale ni systématique. D’une part, elle ne concerne nullement la lettre d’intention à obligation de moyens, dans laquelle le souscripteur ne promet aucun résultat déterminé, mais seulement de mettre en œuvre les diligences nécessaires pour favoriser l’exécution par le débiteur. En cas d’échec, sa responsabilité n’est engagée que si une faute peut lui être reprochée, ce qui le distingue nettement du porte-fort d’exécution, dont l’engagement est autonome et se résout en une obligation de réparation dès lors que le tiers n’exécute pas l’obligation promise, quelle que soit l’implication du promettant.

D’autre part, même dans l’hypothèse d’une lettre d’intention assortie d’une obligation de résultat, une distinction subsiste quant à l’intensité de l’engagement. Le porte-fort d’exécution impose au promettant de garantir effectivement le comportement du tiers : il s’engage à ce que ce dernier s’exécute, et non à simplement appuyer ou accompagner son exécution. Ce faisant, il assume une responsabilité de plein droit en cas de défaillance du tiers, indépendamment de toute faute ou négligence de sa part. La lettre d’intention, même contraignante, n’atteint généralement pas ce degré de rigueur.

Enfin, il convient de souligner que cette analogie ne vaut qu’à l’égard du porte-fort d’exécution. Le porte-fort de ratification, qui relève de la formation du contrat et non de sa garantie, échappe à cette logique et ne saurait être rattaché, même par analogie, à la lettre d’intention.

Ainsi, si certaines lettres d’intention, par leur formulation, tendent à produire des effets similaires à ceux du porte-fort d’exécution, en particulier lorsqu’elles traduisent une véritable obligation de résultat, la distinction entre les deux mécanismes demeure juridiquement fondée, tant en raison de leur régime que de la nature exacte de l’obligation qu’ils font peser sur leur auteur. Le premier s’analyse en une garantie stricte de comportement, engageant le promettant à réparer l’inexécution, tandis que la seconde, sauf stipulation expresse contraire, conserve une vocation d’assistance, modulée selon l’intensité de l’engagement souscrit.

Le porte-fort: régime

§1: Définition

La promesse de porte-fort est une institution juridique singulière, dont l’originalité tient à la nature même de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement à la promesse pour autrui, qui aurait pour effet d’engager un tiers à son insu, la promesse de porte-fort repose exclusivement sur l’obligation personnelle du promettant, lequel s’engage envers le bénéficiaire à obtenir l’accomplissement d’un fait par un tiers.

Ainsi, il ne saurait être question d’une quelconque extension de l’effet obligatoire du contrat à un tiers, ce qui eût contrevenu au principe fondamental de l’effet relatif des conventions, énoncé aujourd’hui à l’article 1199 du Code civil et déjà consacré sous l’empire du texte napoléonien. Comme l’écrivait Planiol, « il ne peut y avoir de contrat qu’entre ceux qui ont donné leur consentement à ses stipulations »[1]. La promesse de porte-fort se démarque précisément de cette logique en instaurant un mécanisme fondé non sur l’engagement direct du tiers, mais sur la responsabilité du promettant qui s’oblige personnellement à obtenir du tiers un comportement déterminé.

Cette construction confère à la promesse de porte-fort une structure contractuelle triangulaire : elle implique trois personnes — le promettant, le bénéficiaire et le tiers —, mais repose sur la seule volonté de deux d’entre elles, le promettant et le bénéficiaire. Il en résulte une dissociation entre l’engagement du promettant et l’intervention effective du tiers, qui demeure libre d’exécuter ou non le fait promis. Comme l’avait souligné Pothier, le promettant « ne peut créer d’obligation à la charge d’un tiers », mais il peut « prendre l’engagement de le convaincre d’y consentir »[2].

La promesse de porte-fort se distingue par la nature de l’obligation qu’elle fait peser sur le promettant : il ne s’engage pas à exécuter lui-même l’obligation du tiers, mais à obtenir de ce dernier qu’il s’exécute. Il s’agit ainsi d’une obligation de faire, qui requiert du promettant qu’il déploie tous les moyens nécessaires pour convaincre le tiers d’accomplir le fait promis.

Cette obligation de faire, bien que simple en apparence, ne saurait être réduite à une simple déclaration d’intention ou à un engagement purement potestatif. Elle revêt, au contraire, un caractère juridiquement contraignant pour le promettant, qui ne peut se soustraire à son engagement sans en assumer les conséquences. Comme l’écrivait Pothier, « celui qui se porte fort n’engage pas le tiers, mais s’oblige lui-même à obtenir de lui ce qu’il a promis »[3].

Le promettant est ainsi tenu d’accomplir toutes diligences pour que le tiers exécute l’acte en cause. À défaut d’y parvenir, il engage sa responsabilité contractuelle envers le bénéficiaire. Cette mécanique distingue fondamentalement la promesse de porte-fort du cautionnement : là où la caution assume une obligation de paiement subsidiaire en cas d’inexécution du débiteur principal, le porte-fort demeure responsable non pas de l’exécution de l’obligation du tiers, mais de l’accomplissement de son engagement personnel d’obtenir cette exécution.

L’obligation du promettant s’exécute en deux temps :

  • Si le tiers accomplit l’acte promis
    • Lorsque le tiers exécute l’engagement envisagé, soit spontanément, soit sous l’influence du promettant, la promesse de porte-fort remplit sa fonction et libère ce dernier de toute obligation.
    • L’acte ainsi accompli est réputé pleinement valide et opposable au bénéficiaire, consolidant ainsi la relation contractuelle initialement établie.
    • Cette situation se rapproche du mécanisme de la ratification d’un acte accompli sans pouvoir préalable.
    • En droit de la représentation, lorsqu’un mandataire agit sans y être autorisé, la validation ultérieure de l’acte par le mandant confère à celui-ci une efficacité rétroactive, le faisant remonter à la date de sa conclusion initiale.
    • Cette logique transposée au porte-fort de ratification signifie que la promesse souscrite par le promettant trouve son plein effet dès que le tiers donne son accord.
    • L’article 1204, alinéa 3, du Code civil consacre expressément cette rétroactivité en énonçant que si le porte-fort vise la ratification d’un engagement, celle-ci est réputée valider l’acte dès la date à laquelle la promesse a été conclue.
    • Cette règle répond à un impératif de sécurité juridique, évitant une période d’incertitude quant au statut de l’engagement en cause.
    • Ce principe n’est pas une innovation récente. Planiol affirmait déjà que « la ratification opère rétroactivement et purifie l’acte de toute irrégularité tenant à l’absence de pouvoir initial ».
    • Cette approche, confirmée par la jurisprudence, implique que l’acte ratifié est réputé avoir toujours été valable, et non simplement à compter de l’accord ultérieur du tiers.
    • D’un point de vue pratique, cette rétroactivité est essentielle, notamment dans le domaine des affaires, où il est fréquent que des engagements soient pris avant que le tiers concerné ne soit en mesure de donner son consentement formel.
    • La promesse de porte-fort permet ainsi de sécuriser les transactions en garantissant au bénéficiaire soit l’engagement du tiers par ratification, soit une indemnisation en cas d’échec.
    • Ce mécanisme constitue ainsi un instrument de souplesse contractuelle tout en assurant une protection efficace des parties engagées dans l’opération.
  • Si le tiers refuse de s’exécuter
    • Si le promettant échoue à convaincre le tiers d’exécuter l’engagement promis, il se trouve alors en situation de manquement à son obligation et engage sa responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire.
    • Cette responsabilité repose sur le principe selon lequel tout engagement souscrit doit être honoré sous peine de réparation.
    • Dès le XIX? siècle, la doctrine s’était déjà prononcée sur cette spécificité de la promesse de porte-fort.
    • Planiol soulignait que « celui qui se porte fort ne contracte pas une dette d’autrui, mais une dette propre, qui consiste à obtenir d’un tiers qu’il s’exécute, sous peine d’indemnité ».
    • Cette analyse met en lumière le fait que l’obligation du promettant ne porte pas directement sur la prestation due par le tiers, mais sur les efforts qu’il doit fournir pour que celui-ci s’exécute.
    • En conséquence, si le tiers refuse de se conformer à l’engagement promis, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre lui, mais peut se retourner exclusivement contre le promettant.
    • Ce dernier devra alors réparer le préjudice causé par l’inexécution, ce qui peut donner lieu à deux formes d’indemnisation :
      • Des dommages-intérêts compensatoires, visant à replacer le bénéficiaire dans la situation où il se serait trouvé si le tiers avait honoré son engagement.
      • Une indemnisation plus large, incluant d’éventuels préjudices économiques ou moraux résultant du défaut d’exécution de la promesse.
    • La doctrine contemporaine a précisé la nature exacte de cette obligation. Philippe Simler observe ainsi que « l’engagement du porte-fort repose sur une obligation de moyens renforcée, en ce qu’il doit tout mettre en œuvre pour parvenir à ses fins, mais sans garantir nécessairement la réussite de l’opération »[4].
    • Aussi, contrairement à une obligation de résultat, où l’exécution est exigée à tout prix, la promesse de porte-fort impose au promettant d’agir avec diligence et persévérance, mais ne le contraint pas à un succès absolu.

Il importe de souligner, enfin, que la promesse de porte-fort, en dépit de son appellation, n’est nullement un engagement unilatéral. Elle constitue bien un contrat, au sens de l’article 1101 du Code civil, et doit donc satisfaire aux conditions de validité énoncées à l’article 1128: consentement des parties, capacité juridique, contenu licite et certain. Le terme de «promesse» ne doit donc pas induire en erreur : le porte-fort suppose un accord de volontés entre le promettant et le bénéficiaire. Comme le résument plusieurs auteurs, il s’agit d’un contrat référant au fait d’un tiers, et non d’une simple déclaration unilatérale de volonté.

La jurisprudence, quant à elle, admet l’existence d’une promesse de porte-fort tacite, à condition qu’elle résulte d’actes manifestant sans équivoque l’intention du promettant de s’engager à obtenir le fait du tiers (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827). Cette rigueur protège contre le risque d’une requalification abusive de toute promesse pour autrui en porte-fort.

Ainsi conçu, le contrat de porte-fort ne saurait être invoqué pour pallier la nullité d’un engagement entaché d’un vice de forme (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208), ni pour contourner des dispositions d’ordre public, telles que celles relatives au logement de la famille dans le cadre du régime matrimonial (Cass. 1re civ., 11 oct. 1989, n° 88-13.631). Il demeure un outil juridique à la fois souple et exigeant, qui repose sur un équilibre subtil entre liberté contractuelle et responsabilité personnelle.

Enfin, il convient de rejeter la tentation doctrinale de réduire le porte-fort à un simple contrat de couverture d’un risque. Si certaines analyses, à l’instar de celles d’E. Netter ou de J. Boulanger, ont tenté de rapprocher le porte-fort d’un mécanisme assurantiel, cette lecture apparaît réductrice. Contrairement à l’assureur, le porte-fort ne perçoit généralement aucune rémunération, n’est pas soumis à agrément, et surtout ne se borne pas à compenser un risque : il s’engage à l’éviter. Comme le résume pertinemment Isabelle Riassetto, « le porte-fort ne se contente pas de couvrir un risque : il s’oblige à l’empêcher de se réaliser ».

§2: Evolution

==>Origines

Dans le droit romain, le principe de l’intuitus personae gouvernait la formation des obligations et interdisait à quiconque d’engager un tiers sans son consentement. Conformément à la règle res inter alios acta, un contrat ne pouvait produire d’effet qu’entre les parties qui y avaient directement consenti. L’idée même qu’un individu puisse lier autrui contre son gré heurtait les fondements du formalisme juridique romain. Pourtant, certains fragments du droit classique laissaient entrevoir une préfiguration du porte-fort. L’un des exemples les plus significatifs est fourni par les Institutes de Justinien : Si quis effecturum se ut Tituis daret, spoponderit, obligatur (« Si quelqu’un promet qu’il fera en sorte que Titius donne, il est tenu »). Bien que le tiers restât libre de refuser, le promettant pouvait néanmoins être contraint à indemniser l’autre partie en cas d’échec. Loin de constituer une obligation pesant sur le tiers, cet engagement reposait sur une obligation propre du promettant, qui s’engageait à user de tous moyens pour atteindre le résultat souhaité.

Au fil des siècles, la rigidité du droit romain s’est atténuée sous l’influence des usages commerciaux et des pratiques féodales. Durant le Moyen Âge, la promesse de porte-fort s’est développée sous des formes variées, souvent dictées par des rapports de force plus que par une conception purement contractuelle. Le garant pouvait être un seigneur influent, un prince ou un suzerain, dont l’engagement consistait à user de son autorité, voire de la contrainte, pour obtenir du tiers qu’il exécute une obligation. L’histoire rapporte ainsi l’exemple du comte de Champagne, qui, en 1231, s’engagea auprès des bourgeois de Neufchâteau à contraindre militairement le duc de Lorraine à respecter ses engagements. À cette époque, la promesse de porte-fort n’était donc pas encore un mécanisme juridique structuré, mais une pratique informelle, souvent liée à des rapports de dépendance ou à une influence politique.

Avec la codification napoléonienne, la promesse de porte-fort fit son entrée dans le Code civil sous l’article 1120, qui affirmait que l’on peut se porter fort pour un tiers en promettant le fait de celui-ci, sauf à indemniser en cas de refus d’exécution du tiers. Toutefois, ce texte soulevait plusieurs difficultés. Insérée dans le chapitre consacré au consentement des parties, la promesse de porte-fort semblait être traitée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats, sans que son régime propre ne soit véritablement précisé. Le texte ne distinguait pas les différentes formes de porte-fort et n’explicitait pas clairement les obligations du promettant.

==>Porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution

Face aux incertitudes entourant la portée de l’engagement du porte-fort, la jurisprudence s’attacha progressivement à en clarifier la nature. Deux formes distinctes de promesse de porte-fort furent ainsi dégagées. La première, dite porte-fort de ratification, repose sur l’engagement du promettant à obtenir du tiers qu’il ratifie rétroactivement un acte accompli en son nom, mais sans son consentement préalable. Cette technique s’est développée en droit des sociétés, notamment dans les hypothèses où une société en formation voit ses représentants conclure des engagements qui nécessitent une approbation postérieure des organes sociaux. La seconde forme, désignée sous le nom de porte-fort d’exécution, est apparue progressivement dans la jurisprudence du XIX? et du XX? siècle. Ici, le promettant ne se borne pas à garantir une ratification ultérieure, mais s’engage à ce que le tiers exécute effectivement une obligation. Si le tiers venait à refuser, le promettant pouvait alors être tenu de répondre personnellement du préjudice subi par le bénéficiaire, en lui versant des dommages-intérêts.

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 décembre 2005 s’inscrit pleinement dans cette évolution jurisprudentielle visant à clarifier le régime de la promesse de porte-fort en distinguant le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217). Dans cet arrêt, la Cour de cassation énonce le principe selon lequel celui qui se porte fort pour un tiers en promettant la ratification par ce dernier d’un engagement est tenu d’une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers, tandis que celui qui se porte fort de l’exécution d’un engagement par un tiers s’engage accessoirement à l’engagement principal souscrit par ce dernier et à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même. Par cette distinction, la Haute juridicition affirme que le porte-fort de ratification constitue une obligation propre du promettant, qui disparaît une fois le tiers ratifiant l’acte, tandis que le porte-fort d’exécution l’assimile à un garant, contraint de répondre personnellement en cas de défaillance du tiers.

L’affaire en question portait sur un acquéreur qui, après avoir signé un protocole d’accord pour l’acquisition d’un fonds de commerce, avait indiqué qu’une société en formation se substituerait à lui pour la signature et l’exécution du contrat, tout en précisant qu’il se portait garant de la parfaite exécution des obligations de cette société. Toutefois, la société ayant ultérieurement fait défaut, les créanciers se sont retournés contre l’acquéreur en invoquant la promesse de porte-fort qu’il avait souscrite.

La cour d’appel, après avoir analysé les engagements successifs, avait estimé que l’acquéreur ne s’était pas engagé comme caution mais avait souscrit une promesse de porte-fort, en promettant que la société exécuterait effectivement les obligations prévues. La Cour de cassation casse cette décision en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les actes litigieux comportaient une mention manuscrite exprimant de manière claire et non équivoque la portée exacte de l’engagement du promettant. Elle rappelle ainsi que la qualification de porte-fort d’exécution implique une exigence accrue de précision quant à l’intention du promettant et à l’étendue de son obligation.

Cette distinction, qui avait déjà été analysée par la doctrine, notamment par Planiol, trouve ainsi une consécration explicite. Elle s’inscrit dans une approche où le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution obéissent à des logiques distinctes : tandis que le premier permet de régulariser un engagement contracté sans pouvoir, en le validant rétroactivement par la ratification du tiers, le second impose au promettant une obligation propre et subsidiaire, qui lui fait supporter les conséquences d’une inexécution éventuelle du tiers. Comme le soulignera plus tard Philippe Simler, cette dernière forme de porte-fort s’apparente à une sûreté personnelle sui generis, renforçant la sécurité contractuelle sans pour autant se confondre avec un cautionnement stricto sensu.

==>Réforme du droit des obligations

La réforme du 10 février 2016 a définitivement consacré cette construction doctrinale et jurisprudentielle en intégrant la promesse de porte-fort dans le titre du Code civil relatif aux effets des contrats à l’égard des tiers. Cette modification a permis de lever l’ambiguïté entourant la nature de cet engagement. L’article 1203 du Code civil dispose que « on ne peut s’engager en son propre nom que pour soi-même », rappelant ainsi que la promesse de porte-fort ne crée pas d’obligation pour le tiers, mais uniquement pour le promettant. L’article 1204, quant à lui, établit une distinction claire entre les conséquences de la promesse selon que le tiers s’exécute ou non. Il prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis », mais qu’à défaut, « il peut être condamné à des dommages-intérêts ». L’alinéa 3 précise en outre que lorsque la promesse de porte-fort porte sur une ratification, celle-ci produit un effet rétroactif, confirmant ainsi une solution admise en jurisprudence de longue date.

L’un des apports essentiels de la réforme du 10 février 2016 réside dans la consécration explicite du porte-fort d’exécution, dont la reconnaissance jusqu’alors reposait essentiellement sur la pratique contractuelle et l’interprétation jurisprudentielle. En lui conférant un fondement légal, le législateur a définitivement ancré ce mécanisme dans le droit des sûretés personnelles, le positionnant aux côtés du cautionnement et des garanties autonomes.

La doctrine s’est largement fait l’écho de cette évolution. Philippe Simler souligne ainsi que le porte-fort d’exécution constitue une sûreté personnelle atypique, distincte du cautionnement, en ce qu’il fait peser sur le promettant une obligation propre et non une simple garantie accessoire. Contrairement au cautionnement, où la caution s’engage à répondre d’une dette en cas de défaillance du débiteur principal, la promesse de porte-fort d’exécution n’impose pas au promettant de se substituer au tiers dans l’exécution de l’engagement promis. Elle lui impose seulement une obligation de moyens : il doit déployer tous les efforts nécessaires pour obtenir du tiers qu’il s’exécute, sans pour autant garantir le résultat.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à influencer le tiers et sur la confiance accordée par le bénéficiaire dans la faculté du promettant à obtenir l’exécution de l’engagement promis. Cette reconnaissance légale, en clarifiant la nature et les effets du porte-fort d’exécution, permet ainsi de sécuriser les opérations contractuelles, en offrant aux parties un instrument intermédiaire entre la simple promesse et la garantie pure et simple d’exécution.

En clarifiant le régime juridique du porte-fort et en mettant fin aux incertitudes entourant son application, la réforme de 2016 a définitivement intégré cet instrument dans le corpus du droit des obligations. Après une lente maturation doctrinale et jurisprudentielle, il s’impose aujourd’hui comme un outil incontournable de la pratique contractuelle, offrant aux parties un mécanisme souple et efficace pour sécuriser leurs engagements.

§3: Fonctions

I) Le porte-fort de ratification

A) Les fonctions assignées au porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification, consacré par l’article 1204 du Code civil, joue un rôle essentiel en droit des obligations. Il permet à une personne de s’engager à ce qu’un tiers, qui n’a pas initialement consenti à un acte, le ratifie ultérieurement. Ce mécanisme présente une double utilité : il offre au cocontractant une sécurité en lui garantissant que l’acte pourra être confirmé, tout en laissant au tiers la liberté d’accepter ou de refuser cette ratification.

Historiquement, le porte-fort de ratification est né d’un besoin de flexibilité contractuelle. Il visait à assurer la validité d’un engagement pris sans pouvoir préalable, en garantissant qu’il serait ratifié par l’intéressé une fois en mesure de le faire. Planiol soulignait déjà que le porte-fort de ratification « ne vise pas à imposer une obligation à un tiers, mais à garantir qu’il donnera son consentement, sous peine pour le promettant de devoir indemniser le cocontractant »[5].

L’une des avancées majeures de la réforme du 10 février 2016 réside dans la clarification des effets de la ratification. Désormais, lorsque le tiers confirme l’engagement promis, cette validation remonte rétroactivement à la date de la promesse de porte-fort, comme le prévoit expressément l’article 1204 du Code civil. Cette consécration met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient jusqu’alors la portée de la ratification.

L’un des premiers terrains d’application du porte-fort de ratification fut le droit des incapacités, où il palliait l’incapacité juridique de certaines personnes à s’engager directement. Avant l’entrée en vigueur de la réforme du 5 mars 2007, qui a introduit l’article 507 du Code civil, cette technique était fréquemment utilisée pour contourner les lourdeurs inhérentes au régime de protection des incapables. Ainsi, le représentant d’un mineur ou d’un majeur protégé pouvait conclure un acte en se portant fort de la ratification ultérieure de l’intéressé, une fois celui-ci devenu juridiquement capable.

Ce procédé offrait une alternative aux partages judiciaires, traditionnellement longs et onéreux, en permettant la conclusion d’un partage amiable assorti d’une promesse de ratification. Il assurait ainsi une certaine fluidité dans la gestion patrimoniale des incapables tout en conférant une sécurité aux cocontractants.

La jurisprudence a, par ailleurs, admis que le représentant légal d’un mineur puisse acquérir un bien immobilier en son nom, en se portant fort que l’intéressé ratifierait la transaction à sa majorité (Cass. 3e civ., 6 nov. 1970, n°69-12.426). Ce mécanisme permettait d’anticiper des opérations patrimoniales essentielles sans attendre l’extinction de l’incapacité, tout en garantissant au vendeur la conclusion effective de la transaction. En cas de refus de ratification par l’incapable devenu majeur, le promettant restait tenu de réparer le préjudice subi par l’autre partie, renforçant ainsi la sécurité juridique des transactions conclues sous ce régime.

Le porte-fort de ratification joue également un rôle en matière d’indivision. Un indivisaire ne peut, en principe, engager ses coïndivisaires sans leur consentement préalable. Toutefois, en se portant fort de leur ratification ultérieure, il apporte une souplesse bienvenue dans la gestion des biens indivis, en permettant d’éviter l’inertie qui résulterait de l’impossibilité d’obtenir immédiatement l’accord de tous les indivisaires.

Cette technique se révèle particulièrement utile dans le cadre des mandats de vente. Un indivisaire peut ainsi mandater un agent immobilier en garantissant que les autres indivisaires confirmeront la cession. Ce procédé permet de sécuriser l’opération pour l’acheteur potentiel tout en évitant d’attendre que chaque coïndivisaire donne son accord préalable.

Toutefois, cette méthode n’est pas exempte de risques. En cas de décès d’un coïndivisaire avant qu’il n’ait pu ratifier l’acte, la validité de l’engagement peut être remise en question, exposant ainsi le promettant à une responsabilité contractuelle. Dans cette hypothèse, le cocontractant peut exiger une indemnisation si la ratification promise n’a finalement pas lieu.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à anticiper les intentions des coïndivisaires, sans pour autant avoir l’assurance absolue de leur adhésion. Cette incertitude inhérente au porte-fort de ratification a conduit Ripert à affirmer que « la promesse de porte-fort projette une obligation conditionnelle qui dépend entièrement de la volonté d’un tiers, là où d’autres garanties créent un engagement direct »[6]. Loin d’être une sûreté classique, le porte-fort de ratification demeure un engagement délicat, où la crédibilité du promettant joue un rôle déterminant dans la réussite de l’opération.

Le droit des sociétés constitue un autre domaine privilégié d’application du porte-fort de ratification. Son utilité se manifeste notamment dans les hypothèses où un organe social excède ses pouvoirs en concluant un contrat qui nécessite l’approbation ultérieure d’un autre organe, tel que l’assemblée générale des actionnaires.

Avant l’adoption de la loi du 24 juillet 1966, les actes accomplis pour le compte d’une société en formation étaient systématiquement assortis d’une promesse de porte-fort, faute de quoi le signataire restait personnellement engagé. L’article L. 210-6 du Code de commerce a depuis lors formalisé cette pratique en prévoyant que la société peut reprendre les actes passés en son nom avant son immatriculation, mais cette reprise ne se fait qu’à l’initiative des organes compétents.

Le porte-fort de ratification est également utilisé dans les groupes de sociétés, où une société mère peut se porter fort que sa filiale ratifiera un engagement contracté en son nom (Cass. com., 25 mai 1970). Ce mécanisme est particulièrement stratégique dans des opérations nécessitant une réactivité immédiate, où il est impossible d’attendre l’approbation formelle de l’ensemble des actionnaires ou des organes de direction.

Enfin, la technique est largement employée en matière de cession de droits sociaux, où elle permet d’assurer que certains engagements seront ratifiés par les actionnaires ou les dirigeants d’une société cédée. La jurisprudence a admis qu’un cédant puisse se porter fort de la cession des actions de certains associés à un tiers, garantissant ainsi la réalisation de l’opération sous peine de voir sa responsabilité engagée (Cass. com., 22 juill. 1986).

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La promesse de porte-fort de ratification se distingue nettement d’autres mécanismes contractuels qui, bien que partageant certaines similitudes, obéissent à des logiques et des effets juridiques distincts. Qu’il s’agisse du mandat, de la représentation sans pouvoir, de la promesse de bons offices ou encore de la convention de prête-nom, l’analyse de ces figures révèle des différences fondamentales quant à la portée de l’engagement du promettant et aux effets juridiques attachés à l’intervention du tiers.

==>Promesse de porte-fort et mandat

Si la promesse de porte-fort de ratification repose sur l’engagement d’un promettant à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte, elle se distingue fondamentalement du mandat en ce que le porte-fort agit en dehors de toute investiture préalable de la part du tiers concerné. Le mandataire, en vertu des articles 1984 et suivants du Code civil, agit au nom et pour le compte du mandant, en vertu d’un pouvoir qui lui a été conféré. À l’inverse, le porte-fort n’intervient pas comme représentant du tiers, mais en son nom propre et sous sa seule responsabilité.

La jurisprudence a consacré cette distinction en affirmant que la qualité de porte-fort est exclusive de celle de mandataire. Ainsi, un indivisaire qui vend un bien indivis en se portant fort de la ratification de son coïndivisaire ne peut être considéré comme son mandataire, de sorte que le refus de ratification entraîne la résolution de l’acte (CA Riom, 14 janv. 1982). De même, la Cour de cassation a rappelé qu’un individu qui dépasse les pouvoirs qui lui avaient été conférés ne peut se prévaloir du mandat mais, au mieux, être tenu comme porte-fort s’il promet la ratification du mandant (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660.).

Loin de créer un lien de représentation entre le tiers et le bénéficiaire de la promesse, la promesse de porte-fort place le promettant dans une situation autonome : il prend sur lui l’engagement d’obtenir l’adhésion du tiers et en supporte les conséquences en cas d’échec.

==>Promesse de porte-fort et représentation sans pouvoir

La promesse de porte-fort de ratification présente, à première vue, certaines similitudes avec l’hypothèse de la représentation sans pouvoir. L’article 1156 du Code civil prévoit en effet que l’acte accompli par un pseudo-représentant, c’est-à-dire par une personne se présentant comme mandataire sans y avoir été habilitée, est inopposable au tiers tant que celui-ci ne l’a pas ratifié. Ce mécanisme repose ainsi sur une validation rétroactive de l’acte par le représenté, logique que l’on retrouve, en apparence, dans le cadre du porte-fort de ratification.

Toutefois, cette parenté est trompeuse. Une distinction s’impose : le pseudo-représentant, en agissant au nom d’autrui, ne s’engage pas personnellement. Il se borne à revendiquer un pouvoir dont l’existence conditionne l’efficacité de l’acte. Si la ratification n’intervient pas, l’acte reste sans effet à l’égard du tiers prétendument représenté, mais n’engage pas davantage celui qui en a pris l’initiative. Il en va tout autrement dans le mécanisme du porte-fort : le promettant n’entend pas agir au nom du tiers, mais en son nom propre. Il assume ainsi un engagement personnel et autonome, consistant à obtenir la ratification du tiers. En cas de refus de celui-ci, le promettant est tenu d’indemniser le cocontractant du préjudice résultant de l’inexécution de son obligation de faire.

Comme l’a souligné Alain Benabent, le porte-fort constitue une forme de « fausse représentation ». Cette expression rend compte de l’apparente proximité entre les deux figures, tout en soulignant leur différence de nature. Le mandat, désormais encadré aux articles 1153 à 1161 du Code civil depuis l’ordonnance du 10 février 2016, suppose en effet une habilitation préalable conférant au mandataire le pouvoir d’engager le mandant. Le porte-fort, au contraire, repose sur l’absence de tout pouvoir représentatif. Comme l’a écrit Delvincourt dès 1813, « si même je contracte au nom d’une personne dont je n’ai de pouvoir, ni légal, ni conventionnel, et que je me porte fort pour elle, je suis censé par là garantir à l’autre partie la ratification de celui au nom duquel j’ai agi, et m’obliger au paiement des dommages-intérêts, en cas de non-ratification ».

Cette différence entre les deux opérations explique que les actes accomplis par le porte-fort n’engagent pas le tiers pour lequel il se porte garant. Ce dernier n’intervient pas dans l’acte, et ne peut y être tenu qu’en cas de ratification expresse. C’est pourquoi la jurisprudence considère que la qualité de porte-fort est incompatible avec celle de mandataire (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660). Le promettant agit donc exclusivement en son propre nom et pour son propre compte, même s’il s’engage à rapporter ultérieurement le fait d’un tiers.

Enfin, si certains auteurs ont pu voir dans le porte-fort une modalité particulière de la représentation, cette assimilation se heurte à une limite structurelle : la représentation suppose un pouvoir donné par le représenté, là où le porte-fort agit sans autorisation préalable. Cette différence est d’autant plus significative qu’elle empêche d’expliquer certaines variantes du porte-fort, au premier rang desquelles le porte-fort d’exécution, pour lequel la logique de la représentation s’avère inopérante.

Ainsi, la promesse de porte-fort n’est pas un simple ersatz de la représentation sans pouvoir. Elle en épouse certains contours formels, mais s’en écarte résolument dans sa substance, en érigeant en engagement personnel ce qui, dans la représentation, repose sur un pouvoir d’autrui.

==>Promesse de porte-fort et promesse de bons offices

La promesse de porte-fort de ratification ne saurait être confondue avec la simple promesse de bons offices, bien que toutes deux tendent vers un même objectif : obtenir d’un tiers qu’il adopte un comportement déterminé, qu’il s’agisse de ratifier un acte ou de conclure une convention. Pourtant, la nature juridique de ces deux engagements diffère fondamentalement.

La promesse de bons offices se définit classiquement comme l’engagement d’une personne à « user de tous les moyens en son pouvoir pour obtenir l’engagement d’un tiers ». Elle repose ainsi sur une obligation de moyens. Le promettant ne garantit aucunement le résultat de son intervention, mais seulement sa diligence : il s’engage à faire ses meilleurs efforts, à déployer une activité, sans pouvoir être tenu responsable si celle-ci n’aboutit pas. En cas d’échec, le créancier n’est fondé à obtenir réparation que s’il démontre que le promettant a manqué à cette obligation de moyens – ce qui suppose, en pratique, la preuve d’une carence dans les diligences déployées.

C’est précisément cette logique que la Cour de cassation a illustrée dans un arrêt du 7 mars 1978 : elle y a jugé qu’un héritier, qui s’était engagé à favoriser l’accord de son cohéritier pour la cession d’un bien, ne s’était pas porté fort, faute d’avoir promis expressément d’obtenir cette adhésion. L’engagement pris ne dépassait donc pas la sphère des bons offices, et n’emportait pas d’obligation indemnitaire en cas d’échec de la transaction (Cass. 3e civ., 7 mars 1978, n°76-14.534).

En revanche, le promettant d’un porte-fort de ratification contracte une véritable obligation de faire, au sens de l’article 1204 du Code civil. Son engagement est personnel et autonome: il promet, non pas de tenter d’obtenir la ratification du tiers, mais de l’obtenir effectivement. L’échec de cette ratification constitue, en tant que tel, une inexécution fautive de son obligation, ouvrant droit à réparation. En ce sens, le porte-fort s’oblige à un résultat. La doctrine ne cesse de rappeler que cette promesse revêt une véritable valeur juridique, par opposition à ce que Jean Carbonnier qualifiait de « promesse morale de bons offices », impropre à engager juridiquement son auteur.

Cela étant, la frontière entre les deux mécanismes n’est pas toujours tracée avec la rigueur que l’on pourrait souhaiter. Ainsi, dans un arrêt du 29 février 2000, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu affirmer que le porte-fort est tenu « d’une obligation de moyens à l’égard de son cocontractant » (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604). Cette formulation, pour le moins ambivalente, a nourri les débats doctrinaux quant à l’intensité de l’obligation pesant sur le porte-fort, certains auteurs estimant que l’on pourrait concevoir une gradation entre le porte-fort et les bons offices, une sorte de « porte-fort atténué », en deçà de l’engagement de plein exercice.

Pour autant, cette tentation de dilution ne doit pas conduire à altérer la spécificité juridique du mécanisme. Le critère décisif demeure : alors que la promesse de bons offices est purement potestative et s’analyse en une obligation de moyens dépourvue d’effet automatique, le porte-fort implique une obligation ferme, dont l’inexécution engage nécessairement la responsabilité contractuelle de son auteur. Là où l’un propose un soutien, l’autre garantit un aboutissement.

En définitive, si les deux engagements peuvent être formulés dans des termes voisins, leur régime et leurs effets divergent profondément. L’un se borne à appuyer, l’autre à s’engager. Le premier repose sur la diligence, le second sur l’effectivité. C’est là, toute la différence entre la simple bienveillance du négociateur et l’engagement ferme du garant.

==>Promesse de porte-fort et convention de prête-nom

La promesse de porte-fort de ratification ne doit pas être assimilée à la convention de prête-nom, bien que ces deux mécanismes impliquent l’intervention d’un tiers dans une opération juridique.

Dans une convention de prête-nom, une personne conclut un acte en son nom propre mais pour le compte d’un tiers qui demeure caché. À l’inverse, dans la promesse de porte-fort, le tiers est identifié et sa ratification est attendue pour valider l’acte. Cette distinction a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 janvier 2004, où elle a souligné que, dans le prête-nom, l’acquéreur apparent dissimule l’acquéreur réel, tandis que dans le porte-fort, l’existence du tiers est révélée dès la conclusion de l’acte (Cass. com., 21 janv. 2004, n° 00-14.211).

D’autre part, la convention de prête-nom emporte une transmission automatique des droits sur l’acte conclu par le prête-nom au bénéficiaire réel, tandis que dans le porte-fort de ratification, l’acte ne produit effet à l’égard du tiers que s’il consent expressément à sa ratification.

II) Le porte-fort d’exécution

A) Fonctions assignées au porte-fort d’exécution

Initialement conçu comme un instrument garantissant la ratification d’un engagement contracté par un tiers, le porte-fort a progressivement élargi son champ d’application pour remplir une autre fonction: l’exécution par ce tiers de l’engagement qu’il a souscrit. Cette évolution, consacrée par la jurisprudence et désormais admise en doctrine, a permis au porte-fort de se positionner comme un mécanisme de garantie contractuelle, particulièrement prisé dans les relations d’affaires et les montages contractuels complexes.

Longtemps, la jurisprudence a cantonné la promesse de porte-fort à un engagement de ratification, excluant toute assimilation à une sûreté personnelle. Ce positionnement strict s’appuyait sur la conception classique selon laquelle le porte-fort ne faisait que garantir l’adhésion future d’un tiers à un acte, sans s’engager sur l’exécution effective d’une obligation par ce dernier.

Toutefois, dès les années 1980, la pratique contractuelle a conduit à une relecture de cette notion, ouvrant la voie à la reconnaissance d’un porte-fort d’exécution. Désormais, le promettant ne s’engage plus seulement à obtenir l’adhésion du tiers, mais à garantir que ce dernier respectera l’obligation promise. En cas d’inexécution, le promettant devient alors débiteur d’une obligation de réparation, le plus souvent sous forme d’indemnisation du cocontractant lésé.

Le porte-fort d’exécution s’est particulièrement développé dans le cadre des relations d’affaires. Il est fréquemment utilisé pour sécuriser des engagements dont l’exécution dépend d’une entité tierce, notamment :

Dans toutes ces hypothèses, l’engagement du porte-fort ne consiste pas à contraindre le tiers, mais à compenser les conséquences d’une éventuelle inexécution.

L’émergence du porte-fort d’exécution a suscité des débats quant à sa nature juridique. Certaines décisions jont tenté de le rapprocher du cautionnement, en raison de sa fonction de garantie accessoire à un engagement principal. Dans un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a ainsi distingué le porte-fort de ratification, qui est une obligation autonome, du porte-fort d’exécution, qui s’analyse comme un engagement accessoire à l’obligation principale (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217).

Toutefois, cette assimilation au cautionnement n’a jamais été totalement admise. La doctrine s’accorde à reconnaître que le porte-fort d’exécution conserve une autonomie propre, distincte des sûretés personnelles traditionnelles, en ce qu’il repose sur une obligation de faire et non une obligation de paiement. Contrairement au cautionnement, qui impose au garant de s’exécuter à la place du débiteur en cas de défaillance, le porte-fort d’exécution ne crée pas d’obligation substitutive, mais uniquement une responsabilité contractuelle en cas de non-respect de l’engagement promis.

La réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a consacré la dualité du mécanisme du porte-fort en introduisant une distinction implicite entre le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution. L’alinéa 2 de l’article 1204 du Code civil dispose ainsi que « si le tiers accomplit le fait promis », laissant entendre que l’engagement du promettant peut porter non seulement sur la ratification d’un acte, mais également sur son exécution.

Cette reconnaissance législative met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient la qualification du porte-fort d’exécution. Désormais, il est admis que ce dernier constitue une véritable garantie contractuelle, permettant de sécuriser des engagements sans nécessairement recourir aux mécanismes de cautionnement ou de garantie autonome.

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

Le porte-fort d’exécution se distingue nettement d’autres mécanismes de garantie, bien qu’il partage avec eux certaines caractéristiques. Son originalité tient à la nature même de son engagement : le promettant garantit non pas le paiement d’une dette, comme une caution, mais l’accomplissement par un tiers d’un fait juridique déterminé. Cette spécificité a conduit la jurisprudence et la doctrine à examiner ses liens avec d’autres techniques de garantie, tout en insistant sur son autonomie conceptuelle.

==>Porte-fort d’exécution et cautionnement

Le porte-fort d’exécution, bien qu’il tende à garantir l’exécution d’une obligation par un tiers, ne saurait être assimilé au cautionnement, tant les fondements, la nature juridique et le régime de ces deux mécanismes divergent.

Le cautionnement, tel que défini à l’article 2288 du Code civil dans sa version issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, repose sur un engagement subsidiaire et personnel de la caution de satisfaire à l’obligation d’un tiers débiteur en cas de défaillance de ce dernier. Il s’agit donc d’un contrat accessoire par essence, qui lie la caution au créancier dans les mêmes termes que l’obligation principale. La caution s’engage à payer la dette du débiteur, devenant ainsi, en cas d’inexécution, un véritable débiteur de substitution.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution repose sur un engagement autonome de faire. Le promettant ne reprend pas à son compte l’obligation du tiers, mais s’engage en son nom propre à obtenir l’exécution de cette obligation par le débiteur principal. En cas d’inexécution, il ne paie pas la dette garantie, mais indemnise le bénéficiaire du préjudice résultant de son propre manquement à cette obligation de faire. La logique est donc indemnitaire, fondée sur la responsabilité contractuelle du promettant.

La jurisprudence a longtemps entretenu une certaine confusion sur ce point. Dans un arrêt emblématique du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217), la Cour de cassation a qualifié l’engagement du porte-fort d’exécution d’« accessoire à l’engagement principal souscrit par le tiers », ajoutant que le promettant s’engage « à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même ». Une telle formule, empruntée au régime du cautionnement, laissait entendre que le porte-fort s’apparenterait à une sûreté personnelle accessoire, susceptible d’être requalifiée, selon les circonstances, en cautionnement. Cette assimilation a d’ailleurs été reprise dans plusieurs arrêts postérieurs.

Toutefois, cette position a été abandonnée au profit d’une approche plus fidèle à la nature indemnitaire du porte-fort. Dans un arrêt du 18 juin 2013 (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890), la chambre commerciale a expressément écarté l’application de l’article 1326 du Code civil, en retenant que l’engagement de porte-fort constitue une obligation de faire. Elle a ainsi affirmé l’autonomie de cet engagement par rapport à l’obligation principale garantie, consacrant définitivement la spécificité du mécanisme. Cette solution a été réaffirmée par la suite (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777), contribuant à clarifier les frontières entre le porte-fort d’exécution et le cautionnement.

La doctrine dominante a salué cette clarification, en soulignant que le porte-fort d’exécution, loin d’être un cautionnement déguisé, obéit à une logique profondément différente. Il ne repose pas sur la solidarité ou sur une obligation de paiement subsidiaire, mais sur la réparation du dommage causé par la non-réalisation d’un fait promis. Comme le rappelle Isabelle Riassetto, l’engagement du porte-fort est strictement personnel et indemnitaire : il ne s’agit pas de garantir l’obligation d’autrui, mais de s’engager à en assurer l’exécution par un tiers, à ses risques et périls.

Ce caractère indemnitaire permet également d’écarter l’ensemble des règles spéciales propres au cautionnement, notamment celles relatives au formalisme de l’article 2297 du Code civil ou aux obligations d’information prévues aux articles 2293 et suivants. Le porte-fort d’exécution échappe à ces contraintes, ce qui en fait un outil de garantie souple, adapté aux besoins pratiques des acteurs économiques, notamment dans les montages contractuels impliquant des sociétés en formation ou des groupes de sociétés.

Ainsi, si le porte-fort d’exécution et le cautionnement partagent un objectif commun – garantir l’exécution d’une obligation –, leur structure juridique, leur régime applicable et la nature de l’engagement qu’ils recouvrent divergent fondamentalement. Le premier s’inscrit dans une logique d’engagement autonome de faire, générateur d’une responsabilité contractuelle en cas de manquement, là où le second repose sur une logique d’engagement subsidiaire de paiement. C’est précisément cette distinction conceptuelle qui justifie le refus, aujourd’hui consolidé, d’assimiler le porte-fort d’exécution au cautionnement.

==>Porte-fort d’exécution et garantie autonome

L’article 2321 du Code civil définit la garantie autonome comme l’engagement, pris en considération d’une obligation souscrite par un tiers, de verser une somme d’argent à première demande ou selon des modalités prédéterminées. Sa spécificité tient à son détachement radical de l’obligation principale : le garant s’engage de manière indépendante, sans pouvoir opposer les exceptions que le débiteur pourrait faire valoir. C’est ce mécanisme d’engagement abstrait, affranchi du sort de la dette garantie, qui confère à cette sûreté son caractère proprement autonome.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution poursuit une finalité toute différente : il ne consiste pas en un engagement pécuniaire prédéterminé, mais en une obligation de faire. Le promettant s’engage à obtenir du tiers l’exécution d’une obligation déterminée, et n’est tenu d’indemniser le bénéficiaire qu’en cas d’échec de cette démarche. Il s’agit donc d’un engagement de comportement, et non d’un engagement de paiement. La nature indemnitaire du mécanisme a été confirmée par la Cour de cassation, laquelle a précisé que l’engagement du porte-fort repose sur les règles de la responsabilité contractuelle (Cass. com., 25 janv. 2005, n° 01-15.926), ce qui implique que la réparation est fonction du préjudice effectivement subi, et non d’un montant forfaitaire convenu à l’avance.

Certes, plusieurs arrêts ont qualifié le porte-fort d’engagement personnel autonome (Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 14-13.694), et une partie de la doctrine a repris cette formule pour souligner l’indépendance de l’obligation du promettant à l’égard du tiers. Toutefois, cette autonomie ne suffit pas à confondre le porte-fort d’exécution avec la garantie autonome visée à l’article 2321 du Code civil. Il ne s’agit ni d’un engagement de paiement à première demande, ni d’une promesse abstraite et détachée de toute inexécution préalable : le porte-fort n’intervient qu’en second lieu, pour réparer un manquement du tiers, et uniquement à hauteur du dommage prouvé.

Par ailleurs, contrairement à la garantie autonome, le porte-fort n’a jamais vocation à produire un effet libératoire immédiat pour le créancier. Il n’enclenche pas un mécanisme de substitution financière automatique, mais ouvre droit, le cas échéant, à des dommages et intérêts, selon une logique purement indemnitaire. Ce caractère indemnitaire exclut d’ailleurs toute assimilation au modèle de la garantie autonome, sauf à ce que le porte-fort soit assorti d’une clause pénale fixant par avance l’indemnité due en cas de manquement – hypothèse très particulière que certains auteurs mentionnent comme pouvant troubler la frontière conceptuelle.

Enfin, la tentation de rapprocher le porte-fort d’exécution d’autres mécanismes abstraits, telle la délégation imparfaite prévue à l’article 1336 du Code civil, doit également être écartée. Si la garantie autonome est parfois analysée comme une forme de délégation dans laquelle le garant s’oblige directement envers le créancier, le porte-fort d’exécution n’opère aucune substitution de débiteur. Le promettant ne s’engage pas à satisfaire personnellement à l’obligation du tiers : il garantit seulement que celui-ci l’exécutera, et répond de son propre fait si l’exécution échoue.

En somme, si le porte-fort d’exécution peut, à certains égards, paraître autonome dans son engagement, il ne revêt en aucun cas les caractéristiques essentielles de la garantie autonome au sens de l’article 2321. Il demeure un engagement de faire, structuré autour d’une logique indemnitaire fondée sur l’inexécution d’un fait promis, et ne saurait être confondu avec un instrument financier de paiement automatique.

==>Porte-fort d’exécution et assurance-crédit

L’assurance-crédit, bien qu’indemnitaire comme le porte-fort d’exécution, repose sur une logique différente : elle garantit exclusivement le non-recouvrement d’une créance en cas d’insolvabilité du débiteur.

Ainsi :

  • L’assurance-crédit couvre uniquement une obligation de paiement, tandis que le porte-fort d’exécution peut concerner toute obligation contractuelle.
  • L’indemnisation de l’assurance-crédit dépend de la survenance d’un sinistre économique (l’insolvabilité du débiteur), tandis que le porte-fort d’exécution engage la responsabilité du promettant dès que le tiers n’exécute pas son obligation.

==>Porte-fort d’exécution et délégation imparfaite

La délégation imparfaite implique qu’un délégant obtienne d’un tiers (le délégué) qu’il prenne un engagement envers un créancier (le délégataire).

Contrairement au porte-fort d’exécution :

  • La délégation crée un nouveau rapport d’obligation direct entre le délégataire et le délégué. Le porte-fort d’exécution, en revanche, ne lie pas directement le tiers au créancier, mais impose au promettant une obligation indemnitaire en cas de défaillance du tiers.
  • Le délégué devient débitrice principale du délégataire, tandis que dans le porte-fort d’exécution, le tiers reste le débiteur principal.

==>Porte-fort d’exécution et lettre d’intention

L’article 2322 du Code civil définit la lettre d’intention comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ». Par cette définition, le législateur a consacré la spécificité de cette sûreté personnelle, distincte du cautionnement, en insistant sur la notion de soutien, davantage comportementale qu’obligatoire dans ses effets.

Cette finalité rapproche la lettre d’intention du porte-fort d’exécution, dans la mesure où ces deux mécanismes ont pour objet de garantir indirectement l’exécution d’une obligation par un tiers. L’analogie devient particulièrement pertinente lorsque la lettre d’intention comporte une obligation de résultat. Dans une telle hypothèse, son souscripteur s’engage, tout comme le promettant dans une promesse de porte-fort, à faire en sorte que le débiteur principal exécute son obligation, sous peine d’être tenu à indemnisation. Cette convergence a conduit une partie de la doctrine à assimiler les deux figures, estimant que la lettre d’intention à obligation de résultat constitue une variante du porte-fort d’exécution.

Toutefois, cette assimilation ne saurait être générale ni systématique. D’une part, elle ne concerne nullement la lettre d’intention à obligation de moyens, dans laquelle le souscripteur ne promet aucun résultat déterminé, mais seulement de mettre en œuvre les diligences nécessaires pour favoriser l’exécution par le débiteur. En cas d’échec, sa responsabilité n’est engagée que si une faute peut lui être reprochée, ce qui le distingue nettement du porte-fort d’exécution, dont l’engagement est autonome et se résout en une obligation de réparation dès lors que le tiers n’exécute pas l’obligation promise, quelle que soit l’implication du promettant.

D’autre part, même dans l’hypothèse d’une lettre d’intention assortie d’une obligation de résultat, une distinction subsiste quant à l’intensité de l’engagement. Le porte-fort d’exécution impose au promettant de garantir effectivement le comportement du tiers : il s’engage à ce que ce dernier s’exécute, et non à simplement appuyer ou accompagner son exécution. Ce faisant, il assume une responsabilité de plein droit en cas de défaillance du tiers, indépendamment de toute faute ou négligence de sa part. La lettre d’intention, même contraignante, n’atteint généralement pas ce degré de rigueur.

Enfin, il convient de souligner que cette analogie ne vaut qu’à l’égard du porte-fort d’exécution. Le porte-fort de ratification, qui relève de la formation du contrat et non de sa garantie, échappe à cette logique et ne saurait être rattaché, même par analogie, à la lettre d’intention.

Ainsi, si certaines lettres d’intention, par leur formulation, tendent à produire des effets similaires à ceux du porte-fort d’exécution, en particulier lorsqu’elles traduisent une véritable obligation de résultat, la distinction entre les deux mécanismes demeure juridiquement fondée, tant en raison de leur régime que de la nature exacte de l’obligation qu’ils font peser sur leur auteur. Le premier s’analyse en une garantie stricte de comportement, engageant le promettant à réparer l’inexécution, tandis que la seconde, sauf stipulation expresse contraire, conserve une vocation d’assistance, modulée selon l’intensité de l’engagement souscrit.

§4: Régime

I) La conclusion de la promesse de porte-fort

A) La nature de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort occupe une place singulière au sein du droit des obligations, tant elle se distingue des mécanismes classiques d’engagement ou de garantie. Le promettant ne s’engage ni à représenter autrui, ni à exécuter à sa place, ni même à répondre de ses défaillances. Il contracte en son propre nom l’obligation de faire en sorte qu’un tiers accomplisse un fait déterminé : consentir à un acte, exécuter une prestation, ou encore adopter un certain comportement. Ce qui est promis, ce n’est donc pas un résultat matériel ou juridique, mais l’obtention de l’intervention d’un tiers.

Une telle configuration confère à l’engagement du promettant une physionomie particulière. Il s’agit d’une obligation strictement personnelle, détachée de toute représentation, fondée non sur la substitution, mais sur l’influence. Elle ne repose ni sur l’affectation d’un patrimoine ni sur une logique accessoire, mais sur un lien contractuel propre, dont le contenu et l’intensité font l’objet d’analyses doctrinales contrastées. Faut-il y voir une obligation de faire? Une obligation de résultat ? Ou simplement l’exigence d’un comportement loyal et actif ? L’hésitation même des textes et des jurisprudences révèle la richesse du modèle, et la nécessité d’une lecture nuancée.

C’est dans cette perspective que la promesse de porte-fort s’impose comme une construction contractuelle subtile, où la force de l’engagement tient autant à ce qu’il promet qu’à la manière dont il doit être mis en œuvre.

1. Une obligation de faire

L’engagement contracté par le porte-fort s’analyse traditionnellement comme une obligation de faire. Cette qualification, consacrée de longue date par la jurisprudence, vaut tant pour le porte-fort de ratification (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982) que pour le porte-fort d’exécution (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777). Le promettant ne s’engage ni à exécuter personnellement l’obligation du tiers, ni à s’y substituer, mais à obtenir de ce dernier qu’il réalise le fait promis. Il s’agit d’un engagement de faire advenir un comportement émanant d’autrui.

Certes, la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a fait disparaître, à l’article 1101 du Code civil, la célèbre distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire. Pour autant, cette mutation rédactionnelle ne saurait être interprétée comme une suppression de la catégorie elle-même. En pratique, la distinction conserve toute sa portée, notamment dans les régimes d’exécution et de responsabilité. L’obligation du porte-fort reste bien, au sens matériel, une obligation positive, dans laquelle il incombe au promettant d’agir – de se comporter – en vue d’obtenir le fait du tiers.

La nature même de cette obligation permet de souligner ce qui distingue fondamentalement la promesse de porte-fort des sûretés classiques telles que le cautionnement. La caution s’engage à payer ou exécuter en lieu et place du débiteur défaillant. Le porte-fort, en revanche, ne se substitue pas : il intervient. Il ne s’oblige pas à faire ce que le tiers n’a pas fait, mais à agir pour que ce dernier le fasse. Il ne s’agit donc ni d’une obligation pécuniaire, ni d’une obligation d’exécution substitutive, mais bien d’un engagement contractuel distinct, orienté vers l’obtention du comportement d’un tiers.

Une partie de la doctrine considère que le porte-fort ne peut qu’être débiteur d’une prestation positive. Selon cette conception classique, issue notamment des travaux de Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, l’engagement du porte-fort suppose nécessairement une intervention, une action, une démarche. Une obligation de ne pas faire, qui se caractérise par une abstention, serait dès lors inconciliable avec la nature même du mécanisme, lequel repose sur l’idée d’un soutien actif apporté au bénéficiaire du contrat.

Cette conception n’est toutefois pas exempte de critiques. Aucun texte ne prohibe expressément qu’un porte-fort s’engage à empêcher un tiers d’adopter un comportement déterminé. L’hypothèse, certes plus marginale, n’en est pas moins concevable : ainsi, un promettant pourrait s’engager à convaincre un tiers de ne pas se désister d’une instance, de ne pas résilier un contrat, ou encore de ne pas violer une clause de non-concurrence. Dans ces cas, la prestation promise consisterait non à susciter une action, mais à prévenir une initiative. Ce faisant, le porte-fort n’agirait pas pour faire advenir un fait, mais pour en empêcher la réalisation.

Dès lors, si l’on veut rendre compte de cette diversité des configurations possibles, la notion d’« obligation de faire », dans son acception stricte, apparaît insuffisante.

C’est dans cette perspective que certains auteurs ont proposé de raisonner non plus en termes d’obligation de faire ou de ne pas faire, mais d’« obligation comportementale ». Cette notion, mise en lumière notamment par Philippe Dupichot, a pour mérite de recentrer l’analyse sur l’essence fonctionnelle de l’engagement du porte-fort : ce qui est exigé de lui n’est pas un résultat matériel défini, mais une attitude déterminée, orientée vers un objectif contractuel.

L’obligation du porte-fort, sous cette lumière, apparaît comme une obligation d’adopter une conduite active, adaptée, appropriée – qu’il s’agisse de provoquer une action ou de contenir une initiative. La frontière entre « faire » et « ne pas faire » s’estompe : ce qui compte, c’est le comportement du promettant et son implication effective dans le processus de réalisation (ou d’empêchement) du fait promis.

Cette approche comportementale permet également de justifier que la promesse de porte-fort échappe au formalisme probatoire de l’article 1376 du Code civil (ancien art. 1326). Comme la jurisprudence l’a désormais confirmé (Cass. com., 18 juin 2013, n°12-18.890), l’objet de l’engagement n’est pas une somme d’argent ni une quantité de biens fongibles, mais un comportement à adopter. L’écrit simple suffit à en rapporter la preuve. La promesse de porte-fort se distingue donc non seulement du cautionnement par sa nature, mais aussi par son régime de preuve.

Une conclusion provisoire : l’obligation du porte-fort comme engagement de comportement

Qu’elle soit formulée en termes d’obligation de faire ou d’obligation comportementale, l’obligation du porte-fort conserve sa spécificité : elle repose sur la mobilisation personnelle du promettant en vue d’obtenir un comportement d’un tiers. Cette mobilisation peut revêtir différentes formes – action, négociation, dissuasion – mais elle suppose toujours une implication volontaire dans un processus contractuel dont le résultat échappe, en dernier ressort, à son contrôle direct.

C’est cette spécificité – l’engagement d’une volonté agissante au service de l’intervention d’un tiers – qui confère au porte-fort sa singularité et justifie son autonomie conceptuelle dans l’architecture des sûretés personnelles.

2. Une obligation personnelle

L’engagement souscrit dans le cadre d’une promesse de porte-fort se distingue par son caractère profondément personnel. Le promettant agit en son nom propre et pour son propre compte, sans recevoir de mandat ni disposer d’aucune délégation de pouvoir émanant du tiers. Il ne représente pas ce dernier : il ne parle pas pour lui, mais s’engage à provoquer son intervention.

Cette précision n’est pas anodine. Elle permet d’écarter toute confusion avec des institutions voisines, telles que la représentation (mandat ou pouvoir légal), la représentation sans pouvoir (soumise à ratification), ou encore la technique du prête-nom. Dans chacun de ces cas, celui qui intervient agit au nom et pour le compte d’un autre, dans le but de produire des effets juridiques à l’égard de ce dernier. Rien de tel dans le mécanisme du porte-fort, où le promettant ne peut créer la moindre obligation dans le chef du tiers.

Il n’y a donc pas de pouvoir de représentation attaché à la promesse de porte-fort. Le tiers reste entièrement libre de refuser d’exécuter le fait promis. Ce que le bénéficiaire tient, ce n’est pas un engagement du tiers, mais l’engagement personnel du promettant d’obtenir ce fait, à défaut de quoi ce dernier engage sa propre responsabilité contractuelle.

Cette autonomie dans l’engagement s’explique par l’essence même du mécanisme. Le promettant ne garantit pas le patrimoine d’un débiteur, comme le ferait une caution ou une sûreté réelle, mais mobilise son propre comportement pour susciter une action d’autrui. Ainsi, la promesse de porte-fort n’emprunte ni à la logique du cautionnement, fondée sur l’accessoire, ni à celle de la représentation, fondée sur la substitution juridique de volonté.

La promesse de porte-fort incarne, à bien des égards, l’expression la plus aboutie d’un engagement volontaire et strictement personnel. Le promettant ne s’efface pas derrière un tiers dont il relayerait la volonté ; il agit en son nom propre, en s’engageant à tout mettre en œuvre pour obtenir l’intervention d’un autre. Son rôle n’est pas de se substituer, mais d’influencer. Il ne représente pas, il mobilise. Ainsi, le lien contractuel ne s’établit qu’entre le promettant et le bénéficiaire : le tiers, objet du fait promis, demeure juridiquement extérieur à la relation, sauf à ratifier lui-même l’acte ou à exécuter l’obligation.

3. Une obligation autonome

Une autre des particularités de la promesse de porte-fort réside dans l’autonomie de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement aux garanties, tel que le cautionnement qui présentent un caractère accessoire, en ce sens qu’elles dépendent étroitement de l’existence et du contenu de l’obligation principale, l’obligation née du porte-fort se déploie indépendamment de l’obligation du tiers à laquelle elle se rapporte. C’est ce qu’a rappelé avec force la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 1er avril 2014, en affirmant que « le porte-fort est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. com., 1er avr. 2014, n° 13-10.629).

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’abord, l’existence, la validité ou l’efficacité de l’obligation du tiers ne conditionnent en rien l’engagement du porte-fort : le promettant contracte en son nom propre et engage sa responsabilité dès lors que le fait promis ne se réalise pas, quelle qu’en soit la cause. Ensuite, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’un droit personnel direct contre le promettant, indépendamment de toute relation contractuelle ou juridique avec le tiers concerné.

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’une part, le promettant contracte en son nom propre : il n’intervient ni comme représentant, ni comme débiteur substitué, mais comme contractant principal. D’autre part, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’une créance directe contre le promettant, sans qu’aucun lien juridique n’ait besoin d’exister entre lui et le tiers dont le fait est promis.

C’est précisément cette autonomie qui a permis de dissiper l’ambiguïté entretenue par certaines décisions antérieures – notamment l’arrêt controversé du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217) – qui tendaient à assimiler le porte-fort d’exécution à un cautionnement dissimulé, dès lors que l’objet de la promesse portait sur le paiement d’une somme d’argent. Cette assimilation a été vivement critiquée par la doctrine, qui y voyait une confusion entre deux techniques profondément distinctes, et elle a été abandonnée par la Cour dans sa jurisprudence postérieure.

En effet, le promettant ne s’engage pas à satisfaire l’obligation du tiers en cas de défaillance, mais à obtenir de ce dernier un comportement déterminé. Il ne s’agit donc ni d’un engagement subsidiaire, ni d’une garantie d’exécution, mais d’une obligation principale, autonome, qui trouve sa cause dans l’engagement contractuel librement consenti.

4. Une obligation de résultat… ou de moyens ?

La nature de l’obligation que souscrit le porte-fort a toujours fait l’objet d’un débat nourri, tant en doctrine qu’en jurisprudence. La question est simple dans sa formulation mais complexe dans ses implications : le promettant est-il tenu d’un simple effort ou d’un résultat ? L’analyse de la promesse de porte-fort oscille ainsi, classiquement, entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat, selon la dichotomie théorisée par René Demogue, dont la fortune jurisprudentielle fut considérable, mais dont l’usage en la matière révèle rapidement ses limites.

La jurisprudence majoritaire, soucieuse de renforcer la sécurité contractuelle du bénéficiaire, penche en faveur d’une obligation de résultat. Ainsi, dans un arrêt fondateur du 1er avril 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que « le porte-fort, débiteur d’une obligation de résultat autonome, est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. 1re civ., 1er avr. 2014, n° 13-10.629). Il en résulte que la seule inexécution du fait promis par le tiers suffit à engager la responsabilité du porte-fort, sauf à démontrer l’existence d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (Cass. com., 22 mai 2002, n° 00-12.523).

Ce raisonnement présente l’avantage, sur le plan probatoire, d’assurer une protection efficace du créancier : il n’a pas à prouver la carence du promettant, mais seulement l’inexécution du fait promis. La promesse de porte-fort se rapproche alors, dans sa mise en œuvre, d’un mécanisme de garantie stricte. Mais cette logique, si elle satisfait le bénéficiaire, ne manque pas de susciter des interrogations quant à la cohérence conceptuelle de l’analyse. Comment admettre qu’un promettant soit tenu d’un résultat qu’il ne maîtrise pas, puisque l’exécution du fait promis dépend du consentement libre et personnel d’un tiers ? L’atteinte du but est incertaine par essence, ce qui rend délicate l’imputation mécanique de la responsabilité au promettant.

C’est cette difficulté que met en lumière une partie de la doctrine contemporaine, à la suite notamment de Denis Mazeaud, qui appelle à dépasser l’alternative classique entre moyens et résultat au profit d’une lecture plus fine et contractuelle de l’engagement du porte-fort. Dans cette optique, l’obligation du promettant est analysée comme une obligation comportementale : le promettant ne garantit pas la survenance du fait promis, mais s’engage à adopter un comportement actif, persévérant et loyal, orienté vers la réalisation de ce fait. L’échec du tiers n’engage donc la responsabilité du porte-fort que s’il révèle une carence fautive de sa part.

Cette conception, loin d’être purement théorique, a trouvé un écho dans la jurisprudence. Un arrêt de la chambre commerciale du 29 février 2000 (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604), certes resté isolé, illustre avec acuité cette analyse. La Cour reproche aux juges du fond de ne pas avoir vérifié si le promettant avait, avant l’ouverture de la procédure collective du tiers, mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour obtenir l’exécution de l’obligation promise. La solution, bien que discrète, marque un infléchissement notable : le juge n’exige plus un résultat, mais évalue l’intensité de l’effort fourni.

L’ambiguïté du texte de l’article 1204, alinéa 2, du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, renforce cette lecture. Le texte prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts ». Le recours au mode verbal « peut » n’est pas fortuit : il suggère que la condamnation du promettant n’a rien d’automatique. Une appréciation in concreto du comportement adopté est exigée. Plusieurs auteurs y voient la marque d’une obligation de performance, c’est-à-dire d’un engagement à agir avec diligence en vue d’un résultat, sans en garantir l’obtention.

Dès lors, une synthèse semble s’imposer. L’analyse en termes d’obligation de résultat, rigoureuse sur le plan probatoire, apparaît trop stricte pour rendre compte de la réalité du mécanisme. Inversement, la qualification d’obligation de moyens stricto sensu semble inadaptée, tant elle laisse la possibilité au promettant d’adopter une attitude purement passive. Une voie intermédiaire, fondée sur la notion d’obligation comportementale, permet de concilier les exigences de rigueur contractuelle et de réalisme juridique : le porte-fort ne garantit pas le fait d’autrui, mais s’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour le provoquer. Il est responsable non de l’échec, mais de son inertie ou de sa négligence.

Une telle approche s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en cause des catégories classiques, comme en témoigne l’absence de toute référence à la distinction entre obligation de moyens et de résultat dans la réforme du droit des contrats. Elle invite à recentrer l’analyse sur le contenu précis de l’engagement souscrit et sur l’intensité de la mobilisation attendue. C’est ce qui rapproche, à bien des égards, la promesse de porte-fort de la lettre d’intention, dont elle partage la structure et la finalité. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’une promesse d’exécution, mais d’un engagement à influencer.

Ainsi, la promesse de porte-fort s’analyse moins comme une garantie de résultat que comme une obligation contractuelle exigeante, dont la portée dépendra de la qualité de l’implication du promettant. Ce dernier ne promet pas que le tiers agira, mais qu’il fera tout ce qui dépend de lui pour qu’il agisse. Là réside la véritable mesure de sa responsabilité.

B) L’objet de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort, entendue comme l’engagement par lequel une personne s’oblige envers autrui à obtenir le fait d’un tiers, embrasse une diversité d’objets dont l’étude révèle l’extrême plasticité du mécanisme. Qu’il s’agisse d’un engagement visant à obtenir le consentement du tiers à un acte juridique, l’accomplissement matériel d’un fait déterminé ou encore l’exécution d’une obligation, le porte-fort se prête à des fonctions multiples – allant de la simple facilitation contractuelle à la garantie personnelle d’exécution.

1. Les engagements relatifs à la formation de l’acte : les porte-fort de ratification et de conclusion

La promesse de porte-fort trouve un terrain d’application privilégié dans la phase de formation du contrat, lorsque, pour des raisons juridiques ou pratiques, l’un des contractants souhaite anticiper la participation d’un tiers à une opération sans que ce dernier ne soit encore engagé. La doctrine contemporaine regroupe, sous l’appellation de porte-fort de formation, deux formes d’engagement distinctes mais étroitement apparentées : le porte-fort de ratification et le porte-fort de conclusion. Si la distinction repose sur le degré d’élaboration de l’acte auquel le tiers est appelé à participer, l’intention sous-jacente reste identique : permettre la réalisation d’un acte juridique avec la participation ultérieure d’un tiers, en sécurisant dès l’origine les intérêts de l’autre partie.

a. Le porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification constitue, historiquement et conceptuellement, la forme la plus ancienne et la plus classique de la promesse de porte-fort. Elle s’applique lorsque le tpromettant a conclu un acte juridique déterminé, en toute connaissance de cause de son absence de pouvoir de représentation, et qu’il s’engage à obtenir du tiers la ratification de cet acte.

La jurisprudence considère que cet engagement constitue une obligation de faire, à savoir celle d’agir en sorte que le tiers ratifie l’acte (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982). L’ordonnance du 10 février 2016, en consacrant à l’article 1204 du Code civil la figure du porte-fort, a maintenu cette conception, en posant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ». Le mécanisme est ici dissocié de toute représentation effective : il suppose l’inexistence de pouvoirs de représentation, la volonté du promettant d’obtenir l’adhésion du tiers, et l’engagement de supporter personnellement les conséquences de son éventuel refus.

Ce type de porte-fort se rencontre dans de nombreux contextes : en droit des personnes, notamment lorsqu’un représentant légal, ne pouvant accomplir seul un acte au nom d’un incapable, s’engage à en obtenir la ratification à la majorité ou à la fin de l’incapacité ; en droit des sociétés, lorsque les fondateurs d’une société en formation contractent au nom de celle-ci et s’engagent à obtenir la ratification des organes compétents une fois la société immatriculée (Cass. com., 24 oct. 2000, n° 97-21.796).

La promesse de porte-fort joue alors un rôle de facilitation contractuelle, permettant de surmonter temporairement l’indisponibilité ou l’indétermination du tiers, sans compromettre la validité de l’opération. Elle permet également, pour le bénéficiaire, d’exiger des dommages-intérêts en cas de refus de ratification, confortant ainsi sa position.

b. Le porte-fort de conclusion

À la différence du porte-fort de ratification, le porte-fort de conclusion concerne les hypothèses où aucun acte juridique n’a encore été conclu : le promettant s’engage alors à ce qu’un tiers conclue à l’avenir un acte déterminé ou déterminable. L’objet de la promesse n’est donc pas la ratification d’un acte déjà formalisé, mais la conclusion d’un acte futur – contrat ou acte unilatéral – dont les termes peuvent ne pas encore être négociés.

Cette figure s’est considérablement développée en droit des affaires, et notamment dans le domaine des pactes d’actionnaires (clauses de sortie conjointe, d’entraînement ou de garantie de cession), où le promettant s’engage à ce qu’un tiers conclue un contrat de cession d’actions à des conditions identiques à celles dont il bénéficie (Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-14.933). Elle est également courante dans les relations collectives du travail, par exemple lorsque le syndicat patronal s’engage à ce que des entreprises reclassent certains salariés (Cass. soc., 12 févr. 1975), ou encore dans les contrats de distribution, dans lesquels un exploitant se porte fort que ses ayants cause concluront eux aussi un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

Contrairement au porte-fort de ratification, cette promesse n’entraîne pas de rétroactivité : le tiers, en acceptant ultérieurement de conclure l’acte envisagé, ne ratifie pas un acte antérieur mais conclut un contrat nouveau. Il s’agit dès lors non pas d’un simple prolongement du mécanisme classique, mais d’une figure autonome, que certains auteurs qualifient de porte-fort de conclusion.

L’intérêt de ce mécanisme réside dans sa souplesse et dans la fonction de garantie qu’il remplit : le promettant ne s’oblige pas seulement à obtenir la conclusion d’un acte, mais garantit également le cocontractant contre le préjudice que pourrait entraîner son absence. L’engagement revêt ainsi un caractère indemnitaire, assimilable à une garantie de conclusion.

c. Finalités communes

Malgré leurs différences structurelles – notamment quant au moment auquel l’acte visé est ou sera conclu – les deux figures partagent une finalité contractuelle identique : favoriser la participation d’un tiers à une opération envisagée, tout en assurant au bénéficiaire de la promesse une protection effective contre le refus du tiers. Leurs différences de régime (rétroactivité de la ratification dans un cas, conclusion autonome dans l’autre) ne remettent pas en cause leur unité fonctionnelle.

C’est en ce sens que la doctrine dominante regroupe ces deux figures sous la catégorie commune de porte-fort de formation. Cette approche trouve également appui dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, qui reconnaît l’existence d’un porte-fort de ratification, d’un porte-fort de conclusion, et d’un porte-fort d’exécution, tout en précisant que les deux premiers relèvent d’une même dynamique contractuelle.

2. L’engagement relatif à l’exécution de l’obligation

Si la promesse de porte-fort joue un rôle déterminant au stade de la formation du contrat, elle conserve toute son efficacité lorsque l’acte juridique est déjà valablement conclu, et que le tiers est engagé à l’égard du bénéficiaire de la promesse. Le promettant ne vise plus alors à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte projeté, mais à garantir l’exécution d’une obligation née d’un contrat existant. C’est cette seconde variété, consacrée par l’article 1204 du Code civil, que la doctrine et la jurisprudence désignent comme le porte-fort d’exécution.

Dans cette hypothèse, le promettant s’engage à ce qu’un tiers exécute effectivement l’obligation à laquelle il est tenu en vertu d’un acte juridique déjà formé. Ce tiers peut être débiteur en vertu d’un contrat ou d’un acte unilatéral. L’article 1204, alinéa 1er, consacre cette forme en affirmant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ».

Le promettant ne saurait être considéré comme un garant passif ou un simple spectateur de la relation contractuelle : il s’oblige activement à faire en sorte que le tiers exécute son obligation. Cette obligation est donc une obligation de résultat, le promettant devant adopter les comportements nécessaires pour obtenir l’exécution. À défaut, il engage sa propre responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire, indépendamment de toute faute du tiers défaillant (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777).

Cette conception fonctionnelle – selon laquelle le promettant doit user de son influence, de son autorité ou de ses moyens pour conduire le tiers à l’exécution – a conduit certains auteurs à parler de “garantie d’influence”, notion particulièrement féconde dans les rapports d’affaires.

Le porte-fort d’exécution trouve une application récurrente en droit des affaires, où il sert de technique de sécurisation contractuelle.

Il est ainsi fréquent, à l’occasion d’une cession de droits sociaux, que le cessionnaire se porte fort de l’exécution d’obligations par la société cédée elle-même, à l’égard du cédant. Le mécanisme peut concerner, par exemple, le remboursement d’un compte courant d’associé, l’exécution d’un contrat de travail maintenu jusqu’à la retraite du dirigeant (Cass. 1ère civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360), ou encore le respect d’une clause de non-concurrence stipulée dans l’acte de cession (Cass. com., 8 mars 2016, n° 14-24.921).

En matière de contrats de distribution, l’exploitant d’un fonds peut se porter fort que le locataire-gérant respectera les engagements pris envers un fournisseur dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 14 janv. 1980, n°78-10.696), ou que les autres distributeurs du réseau respecteront une exclusivité territoriale, engageant ainsi la tête de réseau à répondre des comportements des membres du réseau (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

De telles stipulations s’observent également dans les relations de groupe : le promettant peut garantir qu’un organe social prendra une décision favorable ou que la société mère exécutera une obligation envers un cocontractant du groupe.

La finalité du porte-fort d’exécution est clairement indemnitaire : le bénéficiaire de la promesse peut réclamer des dommages-intérêts si l’obligation du tiers n’est pas exécutée, sans qu’il ait besoin de démontrer une faute du promettant. Il s’agit là d’une obligation principale, née d’un lien contractuel autonome entre le promettant et le bénéficiaire, distinct du rapport entre ce dernier et le débiteur principal.

C’est en cela que le mécanisme se rapproche du cautionnement, sans toutefois s’y confondre. Pendant un temps, la jurisprudence commerciale a pu assimiler les deux mécanismes, qualifiant le porte-fort d’exécution de cautionnement (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217), avant de revenir sur cette position et d’affirmer leur autonomie conceptuelle (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890).

La doctrine majoritaire considère désormais le porte-fort d’exécution comme une sûreté personnelle sui generis, souvent qualifiée de garantie indemnitaire. Contrairement au cautionnement, dont le caractère accessoire implique que la nullité ou l’extinction de l’obligation principale entraîne la disparition de la sûreté, le porte-fort d’exécution subsiste indépendamment de la validité de l’engagement du tiers, dès lors que l’inexécution provoque un préjudice au bénéficiaire.

Certains auteurs, toutefois, soulignent que cette distinction peut s’avérer fragile lorsque l’obligation du tiers est une obligation monétaire, et que le promettant s’engage à obtenir son paiement : dans ce cas, la promesse s’apparente, matériellement, à un cautionnement. Mais cette analyse est critiquée au motif qu’elle méconnaît la structure propre de l’engagement du porte-fort, lequel n’est pas un engagement de substitution mais de moyens renforcés en vue d’obtenir l’exécution du tiers.

Enfin, la promesse de porte-fort d’exécution tend à s’imbriquer, dans la pratique, avec d’autres mécanismes de garantie, notamment avec la lettre d’intention, définie à l’article 2322 du Code civil. Lorsque cette dernière comporte une obligation de résultat, la frontière entre les deux techniques devient ténue : dans les deux cas, le garant s’engage personnellement à assurer la bonne exécution d’une obligation par un tiers, et à indemniser en cas d’échec.

Il a ainsi été proposé de regrouper ces techniques sous la catégorie de “garanties d’influence”, dont le point commun réside dans la volonté du bénéficiaire de s’assurer de la diligence du promettant pour faire exécuter une obligation par un tiers. Cette approche met en lumière la rationalité économique du porte-fort d’exécution, particulièrement adapté aux contextes où la confiance contractuelle repose davantage sur l’influence réelle du promettant que sur des garanties strictement patrimoniales.

3. Le cas marginal de la promesse d’un fait matériel

En marge des hypothèses classiques dans lesquelles la promesse de porte-fort porte sur un acte juridique, une fraction de la doctrine, dans une perspective plus théorique que pratique, a envisagé que l’engagement du promettant puisse viser un simple fait matériel. Cette figure, souvent rattachée à la tradition romaine et remise en lumière par la doctrine du XIXe siècle, trouve son origine dans les écrits de Pothier, selon lesquels « on peut promettre le fait d’autrui, comme de promettre qu’un tel fera une chose ».

Dans cette optique, la promesse pourrait porter, non sur la ratification ou la conclusion par un tiers d’un acte juridique, mais sur la réalisation d’un comportement matériel déterminé par ce dernier. Il en serait ainsi, par exemple, de la promesse selon laquelle un tiers traversera un pays à pied pour délivrer un message en main propre, ou encore de celle consistant à assurer qu’un tiers décorera une salle de réception à l’aide de compositions florales.

Dans ces hypothèses, le promettant ne s’engage ni à obtenir la ratification d’un acte juridique accompli sans pouvoir, ni à garantir la conclusion future d’un contrat, mais à faire en sorte que le tiers accomplisse une action déterminée, étrangère au registre des conventions. La doctrine classique, à l’instar de Bufnoir ou de Baudry-Lacantinerie, s’était ainsi plu à évoquer ces engagements singuliers pour en explorer les limites.

Toutefois, pareille hypothèse se heurte aux fondements techniques du mécanisme du porte-fort, tels que consacrés par la jurisprudence et par l’article 1204 du Code civil. En effet, la promesse de porte-fort suppose la mise en œuvre d’un rapport triangulaire dans lequel l’engagement du promettant vise à renforcer l’efficacité juridique d’un acte accompli ou à accomplir par le tiers. Elle requiert, à cet égard, un acte principal – qu’il s’agisse d’un contrat ou d’un acte unilatéral – et repose sur la possibilité d’une ratification ou d’une exécution juridique de cet acte.

Or, dans les hypothèses envisagées – telles que celle d’un tiers qui porterait assistance à une personne âgée lors de son déménagement ou exécuterait un morceau de musique à l’occasion d’un concert – aucune structure contractuelle n’est identifiable, et l’engagement du promettant ne saurait être rattaché à une quelconque volonté d’établir un lien juridique entre le bénéficiaire et le tiers. L’absence de rétroactivité, de capacité d’engagement du tiers, et de mécanisme de ratification ôte à l’opération toute consistance au regard du régime du porte-fort.

C’est pourquoi une partie importante de la doctrine, à la suite notamment de Jean Boulanger, refuse d’inclure de telles hypothèses dans le champ d’application du porte-fort proprement dit. Ces engagements sont le plus souvent analysés comme de simples promesses d’indemnisation conditionnelle, assises sur la survenance incertaine d’un fait futur : par exemple, « si votre frère ne joue pas son récital, je vous indemniserai », ou encore, « si votre amie ne vient pas livrer les œuvres prévues, je prendrai en charge les frais d’exposition ». Dans cette logique, il ne s’agit pas d’un engagement portant sur le fait d’un tiers, mais d’un engagement personnel subordonné à la survenance d’un événement, à l’instar de toute condition suspensive.

En outre, certaines situations relèvent en réalité d’un contrat d’entreprise, même lorsque l’exécution est confiée à un tiers. Celui qui promet qu’un traiteur livrera un dîner ou qu’un prestataire installera une œuvre lumineuse dans un lieu donné s’engage, non sur un fait matériel d’autrui, mais sur la bonne exécution d’une prestation, dont il est lui-même contractuellement responsable.

Il en résulte que la promesse de porte-fort portant sur un fait matériel ne correspond ni à la lettre ni à l’esprit de l’article 1204 du Code civil, et qu’elle demeure une construction purement doctrinale, sans pertinence pratique ni fondement normatif solide. La quasi-totalité de la jurisprudence contemporaine évite soigneusement de se placer sur ce terrain incertain, préférant recourir à des qualifications plus robustes : contrat d’entreprise, obligation de résultat assortie d’une clause pénale, ou engagement sous condition suspensive.

Comme le résume justement Jean Boulanger, la promesse de porte-fort « n’a révélé son utilité que dans la mesure où elle a pu servir à l’établissement d’un rapport contractuel où le promettant et le stipulant avaient le commun désir de faire entrer un tiers ». En dehors de ce schéma, l’engagement du promettant ne trouve pas à s’épanouir dans le cadre du droit commun des contrats.

C) La forme de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort, comme la plupart des engagements contractuels, n’obéit à aucun formalisme ad validitatem. Elle peut être exprimée de manière expresse ou résulter de circonstances traduisant une volonté non équivoque de s’engager pour autrui. Toutefois, son identification soulève des exigences accrues en matière probatoire, en particulier lorsqu’elle est implicite, et connaît des limites lorsqu’elle s’inscrit dans le périmètre d’actes solennels ou juridiquement protégés.

==>Principe

La jurisprudence constante reconnaît que la promesse de porte-fort peut naître aussi bien d’un engagement explicite que d’une manifestation implicite de volonté. Encore faut-il, dans ce dernier cas, que les faits invoqués traduisent avec certitude l’intention du promettant de s’obliger pour un tiers. C’est précisément ce qu’exige la Cour de cassation lorsqu’elle affirme que l’engagement tacite « ne peut résulter que d’actes manifestant l’intention certaine du promettant de s’engager pour un tiers » (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827).

Cette exigence permet d’écarter toute assimilation mécanique entre promesse pour autrui et promesse de porte-fort, contre laquelle s’élèvent nombre d’auteurs, en dépit des arguments tirés de l’article 1191 du Code civil – selon lequel, en cas de doute sur le sens d’une clause, il convient de retenir celui qui lui donne effet. Certes, plusieurs auteurs classiques, à l’instar de Demolombe, Saleilles ou encore Baudry-Lacantinerie, ont soutenu qu’il fallait préférer une interprétation utile à une lecture neutralisante, même au prix d’une reconstruction implicite de la volonté. Mais cette approche, critiquée par la doctrine moderne, heurte tant l’article 1190 du Code civil, qui impose en cas de doute une lecture favorable au débiteur, que l’impératif de sécurité juridique.

Il en résulte qu’en dehors d’une stipulation claire, la promesse de porte-fort ne saurait être inférée qu’avec la plus grande prudence. Elle requiert, même de manière tacite, une démonstration positive de la volonté du promettant de garantir le comportement d’autrui. À cet égard, la rédaction d’un écrit, bien que non obligatoire, peut constituer un indice fort de l’intention d’engagement, notamment lorsqu’elle vise à suppléer un défaut de pouvoir ou à assurer la ratification d’un acte préalablement conclu.

==>Limites

La souplesse formelle attachée au porte-fort connaît toutefois d’importantes restrictions lorsque l’acte en cause est soumis à un formalisme ad solemnitatem. En effet, dès lors que le législateur exige la comparution personnelle de la partie à l’acte ou l’accomplissement d’une manifestation de volonté authentifiée, la substitution par un porte-fort devient inopérante.

C’est notamment le cas en matière de conventions matrimoniales, où l’article 1394 du Code civil impose la présence et le consentement simultané des futurs époux ou de leurs mandataires dûment habilités, devant notaire. La jurisprudence a ainsi très tôt invalidé les pratiques consistant, pour les parents, à conclure le contrat de mariage de leurs enfants en se portant fort de leur ratification (v. par ex. Cass. civ., 29 mai 1854), en considérant que cette substitution méconnaît les exigences protectrices du formalisme matrimonial. La ratification ultérieure par les époux eux-mêmes n’a aucun effet : la nullité de l’acte originel, entaché d’un vice substantiel, contamine la promesse de porte-fort elle-même, laquelle se trouve dépourvue d’objet.

Des réserves similaires s’imposent en matière de donation, où l’article 933 du Code civil impose une procuration en la forme authentique pour l’acceptation opérée par un représentant du donataire. En principe, il ne saurait y avoir de promesse valable visant à obtenir cette acceptation ultérieure : seule une acceptation personnelle conforme à l’article 932, assortie d’une notification régulière, peut valoir engagement du donataire. Toutefois, la doctrine reconnaît qu’une acceptation par porte-fort, bien qu’inopérante à l’égard du donataire, peut subsister comme engagement unilatéral du promettant, et permettre au donataire d’accepter directement la libéralité selon les formes requises.

En revanche, dans des matières où le formalisme ne vise pas à garantir le libre consentement mais à satisfaire des objectifs économiques – comme en matière hypothécaire – la promesse de porte-fort conserve sa place. Ainsi, l’authenticité exigée pour l’inscription hypothécaire n’interdit pas qu’un tiers, sans pouvoir, s’engage à faire ratifier l’affectation d’un bien par le propriétaire (Cass. req., 3 août 1859). Le formalisme, ici, n’est pas incompatible avec la logique du porte-fort, dès lors que l’intervention ultérieure du véritable titulaire peut valider l’acte dans les conditions légales.

Enfin, il convient de rappeler que le mécanisme du porte-fort ne peut être mobilisé pour valider rétroactivement un engagement entaché d’un vice de forme. L’aval d’un effet de commerce irrégulier, frappé de nullité, ne saurait être transformé en promesse de porte-fort (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208). Ce type de manœuvre reviendrait à contourner les exigences substantielles de la validité d’un acte par le truchement d’une garantie personnelle, ce que la jurisprudence refuse catégoriquement.

II) L’exécution de la promesse de porte-fort

A) Les modalités d’exécution de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, en tant qu’engagement personnel du promettant à obtenir d’un tiers la réalisation d’un fait – conclusion, ratification ou exécution d’un acte – n’épuise pas ses effets dans sa seule formation. Elle appelle, pour produire pleinement ses conséquences, une phase d’exécution, dont les modalités varient selon la nature de l’engagement, mais dont l’économie repose sur une structure commune articulée autour de la liberté du tiers, de la rigueur dans la preuve, et d’un régime différencié selon que l’on se trouve face à un porte-fort de ratification, de conclusion ou d’exécution.

1. Une exécution soumise à la libre volonté du tiers

Le principe directeur est celui de la liberté d’exécution du tiers. En vertu de l’article 1199 du Code civil, le contrat formé entre le promettant et le bénéficiaire ne saurait produire d’effet à l’égard du tiers tant que celui-ci n’y adhère pas de sa propre initiative. Qu’il s’agisse de conclure un contrat, d’y adhérer a posteriori ou d’exécuter une obligation déterminée, le tiers ne peut y être juridiquement contraint. La ratification, la conclusion ou l’exécution ne sauraient donc résulter que d’un acte volontaire du tiers.

Ce principe demeure même lorsque le tiers est, en pratique, intimement lié au promettant – en tant que parent, conjoint, associé ou, plus encore, héritier. Ainsi, le tiers successeur du porte-fort pourrait être tenté de satisfaire à l’engagement de son auteur afin d’éviter de voir sa responsabilité engagée sur le fondement d’une inexécution. Mais cette pression d’ordre moral ou économique ne saurait abolir sa liberté juridique. La jurisprudence, sur ce point, est constante : même en présence de liens successoraux, l’obligation de ratifier ne saurait être imposée (Cass. 1re civ., 26 nov. 1975, n°74-10.356).

Certaines décisions plus anciennes ont pu laisser croire que les héritiers du promettant seraient tenus de ratifier l’acte litigieux (Cass. civ., 28 juin 1859), mais ces arrêts doivent être relus à la lumière des circonstances particulières qui les fondaient. Ils concernaient en effet des cas où le porte-fort était également personnellement engagé, notamment en qualité de co-indivisaire ayant aliéné sa part : les héritiers étaient alors tenus non en tant que tiers, mais au titre de l’obligation de garantie contre l’éviction, transmise de plein droit.

2. L’acte de ratification dans le porte-fort de ratification

Lorsque le porte-fort s’analyse comme un engagement de faire ratifier un acte préalablement conclu, l’exécution promise prend classiquement la forme de la ratification du contrat par le tiers. Celle-ci, au sens strict, s’entend d’un acte juridique unilatéral, par lequel une personne approuve l’acte accompli pour elle mais sans mandat, en en endossant les effets à titre personnel. L’effet juridique en est déterminant : le contrat devient pleinement opposable au tiers, avec effet rétroactif, conformément à l’alinéa 3 de l’article 1204 du Code civil.

La ratification peut être expresse – par déclaration ou écrit non équivoque – ou tacite, lorsque le comportement du tiers manifeste sans ambiguïté sa volonté d’adhérer à l’acte (Cass., ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09-16.008). La jurisprudence a ainsi déduit une ratification de l’exécution du contrat ou de la poursuite volontaire d’une situation contractuelle connue (Cass. 1re civ., 15 mai 2008, n° 06-20.806).

La forme de la ratification ne fait l’objet d’aucun formalisme particulier. Toutefois, certains auteurs estiment qu’un principe de parallélisme des formes pourrait s’imposer lorsque le contrat dont la ratification est attendue est soumis à une exigence de forme ad solemnitatem. Ainsi, une ratification d’un contrat solennel – tel qu’un contrat de mariage ou une hypothèque – devrait intervenir sous la même forme (Savatier, Boulanger). Cette thèse, bien que discutée, s’inscrit dans une logique de protection du consentement : si la forme vise la protection de la personne, elle doit s’étendre à tout acte préparatoire. À l’inverse, si elle tend à garantir les tiers, la ratification peut échapper à cette contrainte.

Enfin, il n’est pas exclu que la ratification soit réalisée par un tiers substitué au bénéficiaire désigné initialement, pourvu que le contrat le prévoie expressément (Cass. 3e civ., 26 juin 1996, n° 94-18.525).

3. L’exécution dans le porte-fort d’exécution

Lorsque l’engagement porte non sur l’adhésion à un acte, mais sur l’exécution d’une obligation déterminée – obligation de faire, de ne pas faire, voire de payer une somme d’argent – la réalisation du fait promis par le tiers suffit à libérer le promettant (art. 1204, al. 2 C. civ.). Il ne s’agit plus ici de ratification au sens technique du terme, mais bien d’un comportement d’exécution, constaté dans les faits.

La doctrine s’accorde pour dire que cette hypothèse, très fréquente dans la pratique contractuelle (distribution, cession de droits sociaux, engagement post-cession…), repose sur une logique différente : ce n’est pas l’adhésion rétroactive à un acte passé qui est attendue, mais la réalisation d’une prestation future. Il n’existe donc pas d’effet rétroactif. Le tiers n’est pas tenu, mais s’il exécute spontanément l’obligation, le promettant est libéré.

Ainsi, la distinction entre porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution appelle une vigilance terminologique : si la ratification reste un acte juridique unilatéral, l’exécution dans le second cas est un simple fait juridique, étranger à toute notion de consentement rétroactif. Confondre les deux reviendrait à méconnaître les effets distincts qu’ils emportent, notamment en matière de responsabilité du promettant.

B) Les effets de l’exécution de la promesse

Lorsque le fait promis par le porte-fort n’est pas réalisé – en particulier, lorsque le tiers refuse de ratifier l’acte ou ne satisfait pas à l’obligation visée – l’économie de la promesse est bouleversée. Toutefois, cette inexécution ne produit pas les mêmes effets selon que l’on se place du point de vue du promettant ou de celui des tiers.

1. Les effets à l’égard du porte-fort

L’inexécution du fait promis par le tiers fait reposer la charge de la responsabilité exclusivement sur le porte-fort, lequel s’est personnellement engagé envers le bénéficiaire à l’obtention d’un comportement ou d’un acte d’autrui. Cette construction singulière du droit des obligations est expressément consacrée à l’article 1204, alinéa 2 du Code civil, qui érige la promesse de porte-fort en obligation autonome de faire.

En effet, l’engagement du porte-fort est un engagement de faire, plus précisément de faire faire. Or, l’ordre juridique exclut qu’une telle obligation puisse être exécutée par équivalent ou par contrainte directe. La jurisprudence, constante sur ce point, rejette toute possibilité d’exécution forcée, en nature ou sous astreinte, de l’obligation issue de la promesse. La Cour de cassation refuse ainsi de condamner le promettant à réaliser personnellement l’obligation qu’il s’était engagé à faire exécuter par un tiers (Cass. 1re civ., 7 mars 2018, n° 15-21.244), au motif que cela reviendrait à le substituer au débiteur initial, ce qui excède la nature même de l’engagement contracté.

La sanction attachée à cette inexécution se limite donc à une condamnation en dommages-intérêts. L’engagement du porte-fort, bien qu’il ait pu être qualifié par la doctrine ancienne de « garantie d’exécution », n’implique pas une obligation de résultat assimilable à celle de la caution. Il s’agit d’une obligation autonome dont l’inexécution, quelle qu’en soit la cause, ouvre droit à réparation, sous la forme indemnitaire, et non à l’exécution en nature.

L’indemnisation allouée au bénéficiaire n’est pas automatique ni nécessairement équivalente à la prestation promise. Contrairement à la caution, qui s’engage à exécuter l’obligation principale en cas de défaillance du débiteur, le porte-fort s’engage uniquement à obtenir cette exécution. Il ne saurait donc être mécaniquement tenu à la dette d’autrui. Dès lors, le montant des dommages-intérêts n’est pas nécessairement calqué sur la valeur du contrat non exécuté.

L’appréciation du préjudice relève d’un pouvoir souverain des juges du fond, qui doivent évaluer le dommage dans les limites de la prévisibilité au jour de la conclusion de la promesse (C. civ., art. 1231-3). La réparation peut être équivalente à la somme non perçue ou à la perte de chance, selon les circonstances (Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-12.975). Par exemple, dans un arrêt de principe du 18 avril 2000, la société s’était engagée à garantir le maintien dans l’emploi d’un salarié jusqu’à l’âge légal de la retraite (Cass. 1re civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360). Le licenciement prématuré du salarié a conduit à une condamnation à hauteur de 500 000 francs, soit une somme nettement inférieure au montant des rémunérations escomptées jusqu’à 60 ans. Cette solution illustre l’attachement de la jurisprudence à la spécificité de l’engagement de porte-fort, en refusant de confondre l’indemnisation du préjudice avec l’exécution pure et simple du contrat.

Comme l’a relevé la doctrine, ce raisonnement participe d’un retour à l’orthodoxie juridique: la responsabilité du porte-fort repose exclusivement sur la non-réalisation du fait promis, et non sur l’objet du contrat qui devait en résulter. C’est donc le préjudice réel du bénéficiaire – perte d’un avantage, perte de chance, frais engagés – qui fonde l’indemnisation.

Le porte-fort conserve toutefois la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité, selon les règles classiques de la responsabilité contractuelle. Il pourra, par exemple, démontrer l’existence d’une cause étrangère, qu’il s’agisse d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (C. civ., art. 1231-1). Toutefois, seule une faute exclusive de ce dernier pourra libérer totalement le promettant (Cass. com. 22 mai 2002, n° 00-12.523). La force majeure est, quant à elle, plus difficile à caractériser, car elle doit affecter l’obligation propre du porte-fort, et non celle du tiers (C. civ., art. 1218).

Sur le plan conventionnel, les parties peuvent aménager la responsabilité du porte-fort. Il est ainsi admis de stipuler une clause pénale, fixant forfaitairement le montant de l’indemnité due en cas d’inexécution (C. civ., art. 1231-5). Toutefois, cette clause est susceptible de modulation par le juge si elle présente un caractère manifestement excessif ou dérisoire, ou encore si l’obligation a été exécutée partiellement.

Il est également loisible de prévoir une limitation de responsabilité, sous réserve du respect des exigences issues du droit commun des contrats. Toute clause qui porterait atteinte à l’obligation essentielle serait réputée non écrite (art. 1170 C. civ.). De même, dans les contrats d’adhésion, les clauses créant un déséquilibre significatif au détriment de l’adhérent pourront être frappées de nullité (art. 1171 C. civ.), voire qualifiées de clauses abusives dans les relations de consommation (art. R. 212-1, 6° C. consom.). La jurisprudence récente souligne l’exigence de vigilance dans la rédaction de telles clauses (Cass. 1re civ., 26 janv. 2022, n° 20-16.782).

Enfin, il importe de rappeler que l’action en responsabilité fondée sur la promesse de porte-fort ne bénéficie qu’au seul cocontractant du promettant, c’est-à-dire au bénéficiaire de la promesse. Cette action est exclusivement personnelle : elle ne saurait être exercée par un tiers ni étendue au profit de personnes non parties à l’engagement (Cass. com. 6 janv. 1998, n° 95-11.763). Cette solution consacre le caractère essentiellement intersubjectif de la promesse de porte-fort, qui constitue une figure spécifique du droit des obligations inter partes.

2. Les effets à l’égard des tiers

L’un des fondements cardinaux du droit des contrats tient à l’effet relatif des conventions: elles n’engagent que les parties. La promesse de porte-fort, en ce qu’elle tend à garantir le comportement d’un tiers, ne fait pas exception à ce principe. Ainsi, le tiers auquel se rapporte la promesse ne saurait être tenu par elle, ni s’en prévaloir, tant qu’il n’a pas exprimé son adhésion à l’acte.

L’article 1199 du Code civil, issu de la réforme de 2016, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». Il confirme la jurisprudence antérieure qui affirmait que le tiers demeure totalement étranger à l’acte conclu entre le promettant et le bénéficiaire. Ce principe revêt une portée d’autant plus forte en matière de porte-fort que l’on pourrait être tenté de faire peser sur le tiers une pression contractuelle indirecte : or, cette tentation doit être écartée.

Le tiers ne saurait ainsi être tenu de respecter les stipulations de la promesse ni être juridiquement inquiété en cas de non-réalisation du fait promis. Il conserve, en principe, une entière liberté de comportement. Le bénéficiaire de la promesse ne dispose d’aucune action directe contre lui, la sanction de l’inexécution pesant uniquement sur le porte-fort.

La seule hypothèse dans laquelle le tiers se trouve lié par la promesse est celle où il y ratifie l’objet. Cette ratification peut être expresse ou tacite (C. civ., art. 1204, al. 1er). Par ce mécanisme, le tiers devient rétroactivement partie au contrat initial, lequel produit dès lors tous ses effets à son égard. Cette transformation de la promesse en engagement parfait s’opère sans qu’il soit besoin d’un nouvel acte.

La ratification tacite, bien que plus délicate à établir, peut être déduite de comportements non équivoques, tels qu’une exécution volontaire, des courriers manifestant l’intention d’honorer l’engagement, ou l’absence d’objection dans un contexte contractuel explicite. Toutefois, la preuve d’une telle ratification repose sur celui qui l’invoque, et les tribunaux se montrent légitimement exigeants dans leur appréciation.

À défaut de ratification, la promesse demeure sans effet à l’égard du tiers : l’inexécution du fait promis ne saurait lui être imputée.

Lorsque la promesse de porte-fort concerne la conclusion par le tiers d’un contrat déterminé, et que celui-ci ne ratifie pas l’engagement, la question de la survie du contrat principal se pose. En pareil cas, le contrat conclu par le promettant seul, sans le pouvoir ou le consentement du tiers, se trouve privé d’un élément essentiel : l’accord de volonté de la véritable partie concernée. Cette situation engendre la caducité du contrat, conformément à l’article 1186 du Code civil, qui prévoit que « le contrat devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît ».

La caducité se distingue ici de la nullité en ce qu’elle suppose un contrat valablement formé, mais devenu inopérant du fait de la défaillance d’un élément postérieur à sa formation : en l’occurrence, la non-ratification. Elle entraîne la disparition rétroactive du contrat, sauf si celui-ci a d’ores et déjà produit des effets irréversibles, comme un transfert de propriété, auquel cas la restitution devra être ordonnée, sauf prescription acquisitive (Cass. 1ère civ., 6 juin 1990, n° 88-16.896).

Une jurisprudence plus récente, en matière de contrats interdépendants, reconnaît d’ailleurs la possibilité d’une rétroactivité de la caducité (Cass. com. 5 juin 2007, n°04-20.380), ce qui conforte la thèse d’un anéantissement complet du contrat en l’absence de ratification.

Malgré l’absence de tout effet obligatoire à l’égard du tiers, certaines situations peuvent justifier son implication sur des fondements extracontractuels, et notamment quasi-contractuels.

La gestion d’affaires (C. civ., art. 1301) pourrait être invoquée lorsque le porte-fort agit dans l’intérêt manifeste du tiers et en son absence. Si les conditions sont réunies (initiative utile, absence de mandat, diligence conforme à l’intérêt du géré), le tiers pourra être tenu d’indemniser les frais engagés.

L’enrichissement injustifié (C. civ., art. 1303) peut également constituer un fondement d’action dans l’hypothèse où le tiers a profité de la promesse sans cause légitime, au détriment du bénéficiaire. Encore faudra-t-il démontrer un appauvrissement corrélatif et l’absence de cause juridique à l’enrichissement.

Ces mécanismes demeurent subsidiaires et sont soumis à une appréciation stricte des juridictions. Ils illustrent cependant que le tiers, bien que fondamentalement étranger à la promesse, n’échappe pas toujours totalement à toute forme de responsabilité, dès lors que son comportement ou son bénéfice objectif dépasse la simple passivité contractuelle.

 

 

 

  1. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, n° 1021 ?
  2. R-J. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 68 ?
  3. Ibid. ?
  4. Ph. Simler, Cautionnement, garanties autonomes et garanties indemnitaires, 5e éd., 2015, n° 1080 ?
  5. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, n° 1021 ?
  6. G. Ripert, Les grandes lignes du droit privé français, 1952, p. 327. ?

Le paiement des obligations de sommes d’argent (art. 1343 à 1343-5 C. civ.)

C’est une nouveauté introduite par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, le Code civil renferme désormais une section entière consacrée aux « obligations de sommes d’argent ».

Cette section comporte des dispositions qui constituent le droit spécial du paiement, à tout le moins elles sont présentées comme tel.

Le législateur a indiqué en ce sens, dans le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, que « les obligations de sommes d’argent présentent des particularités justifiant de consacrer une partie distincte aux règles propres à leur paiement. »

La particularité des obligations de sommes d’argent tient notamment au cours de la monnaie qui, par nature, peut varier. Ces obligations comportent encore des spécificités lorsqu’elles sont productives d’intérêts.

Les difficultés que sont susceptibles de soulever les obligations monétaires sont abordées aux articles 1343 et suivants du Code civil.

Après avoir posé le principe du nominalisme monétaire, ces dispositions traitent des intérêts susceptibles d’être produit par la dette. Enfin elles abordent les modalités du paiement de l’obligation de somme d’argent.

§1: Le nominalisme monétaire

I) Principe

==> Exposé du principe du nominalisme monétaire

Lorsqu’une obligation porte sur une somme d’argent, cela implique pour le débiteur de payer le créancier au moyen de monnaie.

À cet égard, la monnaie ne constitue pas seulement un instrument de paiement, elle a également pour fonction d’évaluer un bien ou un service.

Autrement dit, dans cette fonction, la monnaie s’analyse en une unité de mesure. Contrairement toutefois aux unités de mesure utilisées dans le domaine des sciences, elle présente un caractère instable dans la mesure où sa valeur est fixée par un cours. Or ce cours est susceptible de varier et, par voie de conséquence, d’affecter la valeur de la monnaie.

Aussi, la fluctuation monétaire rend-elle difficile l’évaluation des biens et services sur une période longue, en particulier durant des périodes d’inflation ou de dépréciation monétaires.

La question qui alors se pose est de savoir quel montant le débiteur d’une obligation de somme d’argent doit-il verser au créancier pour éteindre sa dette. Deux approches sont envisageables :

  • Première approche : le nominalisme monétaire
    • Pour se libérer de son obligation, le débiteur doit verser au créancier le montant nominal de la dette stipulé au contrat.
    • L’inconvénient de cette approche est que, en cas de fluctuation monétaire entre le jour de la conclusion du contrat et le jour du paiement, la valeur de la somme d’argent réglée par le débiteur au créancier ne correspondra plus à la valeur du montant de la dette stipulé au contrat.
  • Seconde approche : le valorisme monétaire
    • Pour se libérer de son obligation, le débiteur doit verser au créancier une somme d’argent dont le montant a été actualisé au jour du paiement et qui donc est susceptible d’être différent de celui déterminé lors de la conclusion du contrat.
    • Cette approche présente l’avantage de tenir compte des phénomènes d’inflation et de dépréciation monétaires.

Entre ces deux approches, le législateur a retenu la première. L’article 1343, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal. »

Cette disposition pose donc le principe du nominalisme monétaire, principe selon lequel le débiteur doit verser la somme correspondant au montant nominal de sa dette, même si la valeur de la monnaie a varié.

Concrètement, cela signifie qu’une dette dont la valeur nominale est de 100 vaudra toujours 100 peu importe le nombre d’années qui s’est écoulé entre la conclusion du contrat et le paiement de l’obligation.

Autrement dit, le paiement doit porter sur le même nombre d’unités monétaires que celui stipulé au contrat au jour de la naissance de la dette, les fluctuations monétaires étant sans incidence sur le montant nominal dû par le débiteur.

==> Consécration du principe du nominalisme monétaire

Sous l’empire du droit antérieur, le principe du nominalisme monétaire avait été déduit de l’article 1895 du Code civil qui prévoit, en matière de prêt de consommation, que « l’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat. »

Le second alinéa de ce texte précise que « s’il y a eu augmentation ou diminution d’espèces avant l’époque du paiement, le débiteur doit rendre la somme prêtée, et ne doit rendre que cette somme dans les espèces ayant cours au moment du paiement. »

S’il n’est pas douteux que, en application de ce texte, l’emprunteur ne soit tenu de rembourser au prêteur que le montant nominal de la somme d’argent prêtée, on est légitimement en droit de s’interroger, en revanche, sur le domaine de la règle ainsi énoncée.

Une approche restrictive devrait conduire à cantonner le champ d’application de cette règle aux seuls prêts d’argent.

Telle n’est toutefois pas la voie qui a été empruntée par la jurisprudence qui, très tôt, a dégagé de l’article 1895 du Code civil un principe général (V. en ce sens Cass. req. 25 févr. 1929).

Afin de lever toute ambiguïté et prévenir toute difficulté d’interprétation du texte, le législateur a fait le choix, à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations, de consacrer le principe du nominalisme monétaire, énoncée désormais à l’article 1343 du Code civil.

Reste que si le principe du nominalisme monétaire pose une exigence de parfaite égalité entre le montant nominal de la somme d’argent stipulé au contrat au jour de la naissance de la créance et le montant nominal de la dette qui doit être payée par le débiteur au jour du paiement, cette correspondance pas toujours, pour autant, à la réalité économique.

II) Exceptions

En période de stabilité monétaire, le principe du nominalisme monétaire ne soulève aucune difficulté d’application pour les parties.

La valeur de la monnaie étant constante, le montant de la somme d’argent due au créancier est toujours égal au montant de la dette qui doit être réglée par débiteur.

Lorsque, en revanche, la monnaie connaît des périodes de fluctuation, le principe du nominalisme monétaire est susceptible de contrevenir à l’équité.

Afin de surmonter cette difficulté le législateur a :

  • D’une part, autorisé les parties à déroger contractuellement au principe du nominalisme monétaire
  • D’autre part, institué le système des dettes de valeur

A) L’aménagement contractuel du principe du nominalisme monétaire

1. Techniques contractuelles visant à déroger au principe du nominalisme monétaire

Le principe du nominalisme monétaire n’est pas d’ordre public. Il est donc admis que les parties puissent y déroger par convention contraire.

Très tôt la pratique a développé deux techniques contractuelles permettant de protéger les parties contre le phénomène de fluctuation monétaire :

  • Les clauses monétaires
  • Les clauses d’indexation

1.1. S’agissant des clauses monétaires

a. Notion

Une clause monétaire est celle qui vise comme unité de valeur de référence d’une créance de somme d’argent une unité monétaire ou l’or.

Il s’agit, autrement dit, de stipulations aux termes desquelles les parties conviennent de se référer à une monnaie étrangère plutôt que d’utiliser la monnaie légale, soit pour évaluer les créances, soit pour les régler.

Classiquement, on distingue deux catégories de clauses monétaires :

  • Première catégorie : les clauses monnaies étrangères et les clauses-or
    • Il s’agit des clauses qui stipulent que le paiement devra s’effectuer dans une monnaie autre que celle déterminée par la loi (clause monnaie étrangère) ou en or (clause-or).
    • Ces clauses écartent ainsi le principe posé à l’article 1343-3, al .1er du Code civil selon lequel « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros.»
    • La monnaie étrangère a donc vocation à être utilisée ici, en lieu et place de la monnaie légale, aux fins de règlement de la dette
  • Seconde catégorie : les clauses valeur-monnaie étrangère et les clauses valeur or
    • Il s’agit des clauses qui visent la monnaie étrangère ou l’or, non pas comme une monnaie de paiement, mais comme une monnaie de compte.
    • Autrement dit, elles stipulent que le paiement s’effectuera en monnaie légale (l’euro), mais que la valeur nominale de la dette variera en fonction du cours d’une monnaie étrangère ou de l’or.
    • Ce type de clause vise donc à se référer à une monnaie étrangère ou au cours de l’ord pour évaluer une dette

b. Cours forcé et cours légal

Au début du XIXe siècle, en raison de la relativement grande stabilité du franc, il était admis que les parties à un contrat puissent stipuler des clauses monétaires et que donc le paiement puisse s’effectuer en monnaie étrangère ou en or.

Puis le législateur institua, par le décret du 15 mars 1848, un cours forcé des billets émis par la Banque de France ce qui signifiait les paiements devaient nécessairement être réalisés en monnaie légale et que les détenteurs de ces billets ne pouvaient plus réclamer leur conversion en monnaie métallique. L’objectif recherché était double : mettre un frein à la fuite des réserves de métaux précieux de la Banque de France et favoriser l’utilisation large des billets comme monnaie fiduciaire.

Si le cours forcé a été aboli en 1850, il a été rétabli par la loi du 12 août 1870 qui a, en outre, institué ce que l’on appelle un cours légal du billet. Selon ce cours, il est fait obligation à tout créancier d’accepter les billets de banque émis par la banque de France comme instrument de paiement au même titre que la monnaie métallique.

L’adoption du cours forcé et du cours légal n’a pas été sans incidence sur la validité des clauses monétaires.

Ces deux cours faisaient désormais obstacle au paiement d’une créance en monnaie étrangère ou en or. Leur instauration revenait ainsi à prohiber les clauses monnaies étrangères et les clauses or. Cette prohibition a, dans un premier temps, visé les clauses or (Cass. civ., 11 févr. 1873), puis les clauses monnaie étrangère (V. en ce sens Cass. civ. 17 mai 1927).

La jurisprudence a, par suite, étendu cette prohibition aux clauses valeur-monnaies étrangères et aux clauses valeur-or (V. en ce sens Cass. civ. 31 déc. 1928).

c. Régime

Si la stipulation de clauses monétaires est, par principe, prohibée pour les opérations réalisées sur le territoire français, elle est admise lorsqu’elle intéresse des opérations qui présentent un caractère international.

c.1 Les opérations internationales

La prohibition générale des clauses monétaires posée par la jurisprudence à partir de la fin du XIXe siècle est rapidement apparue comme étant inconciliable avec les exigences et impératifs du commerce international.

Le maintien de cette prohibition aurait eu pour effet d’empêcher les marchands français de commercer avec des partenaires étrangers.

Pour cette raison, très tôt la Cour de cassation a admis que les opérations présentant un caractère international échappaient à la prohibition des clauses monétaires.

Dans un arrêt Matter rendu le 17 mai 1927 (Cass. civ. 17 mai 1927), elle a ainsi jugé qu’une clause prévoyant le règlement d’une obligation dans une devise étrangère n’était pas illicite, pourvu qu’elle se rattache à une opération internationale.

Pour présenter un caractère international et donc échapper à la prohibition des clauses monétaires, l’opération doit produire un mouvement de valeurs transfrontalier, soit un flux qui circule d’un état vers un autre.

Une circulaire du garde des Sceaux aux procureurs généraux du 16 juillet 1926 a indiqué en ce sens que les règlements internationaux sont ceux « qui concernent des opérations qui se poursuivent sur le territoire de deux États, se règlent par un appel de change d’un État sur un autre et aboutissent finalement à un règlement de pays à pays ».

Dès lors que cette condition est remplie, les parties sont libres de déroger au cours légal et au cours forcé ; elles peuvent donc prévoir que les règlements s’effectueront au moyen d’une devise étrangère.

À cet égard, il peut être dérogé pour les opérations internationales au principe de prohibition des clauses monétaires, tant lorsque la monnaie étrangère est utilisée comme une monnaie de paiement (clauses monnaie étrangère) que lorsqu’elle est utilisée comme une monnaie de compte (clauses valeur-monnaie étrangère).

Dans ce dernier cas, la conversion de la devise étrangère en euro devra se faire au jour du paiement. La Cour de cassation a jugé en ce sens dans un arrêt du 18 décembre 1990, que « la contre-valeur en francs français d’une dette stipulée en monnaie étrangère doit être fixée au jour du paiement, sauf si le retard apporté à celui-ci est imputable à l’une des parties » (Cass. 1ère civ. 18 déc. 1990, n°88-20.232).

Si la dérogation au principe de prohibition des clauses monétaires pour les opérations internationales a été admise par la jurisprudence dès le début du XXe siècle, il a fallu attendre près d’un siècle pour qu’elle soit consacrée par le législateur.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a ainsi inséré un article 1343-3 dans un le Code civil qui prévoyait que, si « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros. Toutefois, le paiement peut avoir lieu en une autre devise si l’obligation ainsi libellée procède d’un contrat international ou d’un jugement étranger. »

Cette disposition a toutefois fait l’objet d’un ajustement à l’occasion de l’adoption de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016.

Il a été relevé que la rédaction de l’article 1343-3, telle que retenue par cette ordonnance, était plus restrictive que l’état du droit antérieur.

Il a notamment été souligné que dans une décision rendue le 11 octobre 1989 à propos d’un contrat de prêt, la Cour de cassation s’était référée à la notion plus souple d’« opération de commerce international » et non de contrat international (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°87-16.341).

Cette notion permettait aux parties de déterminer la monnaie de compte ou de paiement de leurs obligations même si le paiement devait être réalisé sur le sol français, dès lors qu’il pouvait être qualifié d’opération de commerce international.

Il est toutefois apparu que cette notion d’« opération de commerce international » ne permettait pas non plus de couvrir l’ensemble des hypothèses dans lesquelles le paiement en monnaies étrangères était admis avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance.

Pour s’approcher au plus près de l’état du droit antérieur et permettre aux entreprises d’utiliser la monnaie de leur choix, tout en n’affaiblissant pas la monnaie nationale, il a finalement été décidé de retenir le critère d’« opération à caractère international », à la place de celui trop restrictif de lien avec un « contrat international », cette rédaction pouvant encore être affinée au cours de la navette parlementaire.

Aussi, désormais après avoir énoncé que « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros », l’article 1343-3, al. 2e du Code civil est rédigé comme suit : « le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’une opération à caractère international ou d’un jugement étranger. »

c.2 Les opérations internes

==> Principe

Très tôt la jurisprudence a donc posé le principe de prohibition des clauses monétaires pour les opérations internes, considérant que ces clauses heurtaient l’ordre public monétaire (V. en ce sens Cass. com., 27 avr. 1964 ; Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°87-16.341).

Cette prohibition procédait notamment de l’idée que les clauses de monnaie étrangère avaient pour effet d’affaiblir la monnaie nationale.

Certains auteurs soutiennent qu’elle n’est aujourd’hui plus justifiée dans la mesure où le droit français fait figure d’exception au sein de la zone euro[1].

D’autres avances que « les règles du cours légal et du cours forcé constituent […] des fondements insuffisants à l’illicéité des clauses monétaires. Et leur cumul n’y saurait rien changer : la somme de deux arguments creux sonne creux »[2].

  • S’agissant du cours forcé, il empêche seulement le détenteur de billets émis par la Banque de France de demander auprès d’elle la conversion en or ou en argent. Il ne fait a priori nullement obstacle à ce que les parties à un contrat décident que le règlement des dettes s’effectuera au moyen d’une monnaie étrangère.
  • S’agissant du cours légal, il interdit, quant à lui, à tout créancier d’une obligation de refuser un paiement au moyen de billets émis par la Banque de France. Cette interdiction ne fait nullement obstacle, là encore, à ce que les parties à un contrat utilisent une devise étrangère comme moyen de règlement des obligations.

Si, en l’état du droit positif, la prohibition des clauses monétaires demeure, nonobstant les critiques – nombreuses – formulées par la doctrine, elle a toutefois connu un assouplissement, notamment sous l’impulsion du développement des clauses d’indexation.

À compter du milieu du XXe siècle, la jurisprudence a, en effet, commencé à distinguer selon que la monnaie étrangère était utilisée par les parties comme une monnaie de paiement ou comme une monnaie de compte.

Pour mémoire, tandis que dans le premier cas le contrat écarte purement et simplement la monnaie légale comme moyen de règlement des obligations (clause monnaie étrangère), dans le second cas la monnaie étrangère sert seulement à évaluer le montant des créances, le paiement s’effectuant, en tout état de cause, dans la monnaie légale (clause valeur-monnaie étrangère).

Dans l’ordre interne, alors que les clauses monnaie étrangères ont toujours été prohibées par la jurisprudence, la Cour de cassation demeurant inflexible, elle a fini par admettre la validité des clauses valeur-monnaie étrangère, soit celles n’impliquant le paiement de l’obligation dans une devise étrangère (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1962).

La Cour de cassation subordonna toutefois leur validité au respect des règles encadrant les clauses d’indexation.

En parallèle de cette jurisprudence, elle maintint la prohibition des clauses monnaie étrangère (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2013, n°12-23.208).

La violation de cette prohibition est sanctionnée par la nullité absolue, dans la mesure où elle porte atteinte à l’ordre public monétaire (Cass. 1ère civ. 18 nov. 1997, n°95-14.003).

Dans un arrêt du 2 octobre 2007, la Cour de cassation a précisé qu’il appartient, en conséquence, au juge de relever d’office cette cause de nullité du contrat (Cass. 3e civ. 2 oct. 2007, n°06-14.725).

==> Exceptions

Le principe d’interdiction de stipuler pour les contrats relevant de l’ordre interne une clause de règlement d’une obligation en devise étrangère souffre de deux exceptions :

  • Première exception
    • L’article 1343-3, al. 3e du Code civil prévoit que « les parties peuvent convenir que le paiement aura lieu en devise s’il intervient entre professionnels, lorsque l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis pour l’opération concernée. »
    • Cette exception, qui est issue de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, vise à tenir compte des réalités économiques et notamment des impératifs rencontrés dans certains domaines d’activité où il est d’usage que les paiements s’opèrent en devise étrangère et notamment en dollar américain.
  • Seconde exception
    • L’article L. 112-5-1 du Code monétaire et financier prévoit que « par dérogation au premier alinéa de l’article 1343-3 du code civil, le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’un instrument financier à terme ou d’une opération de change au comptant.»

1.2. S’agissant des clauses d’indexation

Une clause d’indexation, qualifiée également de clause d’échelle mobile, est celle qui fait varier le montant de la dette en fonction d’un indice extérieur au contrat.

La clause peut renvoyer, soit à un indice publié par un organisme public ou privé, soit au cours d’une marchandise ou d’un service, pourvu qu’elle ne contrevienne pas au cours forcé.

À l’instar des clauses monétaires, pendant longtemps les clauses d’indexation ont été regardées avec méfiance par la jurisprudence, les juridictions voyant en elles un facteur d’inflation.

En effet, la clause d’indexation ne fait certes pas varier le montant de la somme due par le débiteur en fonction du cours d’une devise étrangère. Toutefois, en stipulant une telle clause les parties cherchent indirectement à se prémunir des fluctuations monétaires susceptibles d’affecter la valeur de l’obligation souscrite.

Afin de limiter le recours aux clauses d’indexation la Cour de cassation a opéré une distinction entre :

  • D’un côté, les clauses qui avaient été stipulées dans le seul but d’échapper aux fluctuations monétaires.
  • D’un autre côté, les clauses qui avaient été stipulées aux fins de préserver l’équivalence économique des prestations.

Tandis que les premières étaient prohibées (Cass. 1ère civ. 3 nov. 1953), les secondes ont été reconnues valables (Cass. 1ère civ. 27 déc. 1954).

Dans ce contexte de fébrilité de la jurisprudence quant à la reconnaissance des clauses de d’indexation, la question de leur validité s’est posée spécifiquement pour les contrats de prêt.

Pour mémoire, l’article 1895 du Code civil prévoit que « s’il y a eu augmentation ou diminution d’espèces avant l’époque du paiement, le débiteur doit rendre la somme prêtée, et ne doit rendre que cette somme dans les espèces ayant cours au moment du paiement. »

Selon cette disposition, qui pose le principe du nominalisme monétaire en matière de prêt, le montant remboursé par l’emprunteur doit correspondre au montant nominal qui a été mis à sa disposition par le prêteur.

Est-ce à dire que, pour cette catégorie de contrat, toute clause visant à indexer le montant de la somme prêtée sur indice et donc à faire fluctuer le montant nominal de la somme devant être remboursée serait nulle ?

Se fondant sur le principe du nominalisme monétaire, certaines juridictions ont statué en ce sens.

La Cour de cassation a toutefois porté un coup d’arrêt à cette jurisprudence dans un arrêt Guyot rendu en date du 27 juin 1957 (Cass. 1ère civ. 27 juin 1957, n°57-01.212).

Aux termes de cette décision, la Première chambre civile affirma que :

  • En premier lieu, que l’article 1895 ne présente aucun caractère d’ordre public dans la mesure où :
    • D’une part, « il a seulement pour objet d’écarter, dans le silence de la convention, une révision judiciaire des conditions de remboursement du prêt d’argent, éventuellement demandée, en vertu de l’article 1892, pour changement de “qualité” de la monnaie. »
    • D’autre part, que « l’ordre public n’exige pas, dans le prêt d’argent, une protection des emprunteurs contre la libre acceptation du risque d’une majoration de la somme à rembourser, destinée à conserver à celle-ci le pouvoir d’achat de la somme prêtée apprécié par rapport au coût d’une denrée, dès lors qu’ils peuvent assumer des risques de même importance dans d’autres contrats»
    • Enfin « qu’on ne peut non plus prétendre que le caractère impératif de cet article serait justifié par des principes d’ordre monétaire, qui l’imposeraient en raison d’un danger que les clauses entraînant cette majoration présenteraient pour la stabilité de la monnaie, l’influence desdites clauses à cet égard apparaissant en l’état trop incertaine pour légitimer une nullité portant une atteinte grave à la sécurité de l’épargne et du crédit»
  • En second lieu, que les lois monétaires en vigueur n’impliquent pas l’invariabilité du pouvoir d’achat de la monnaie, lequel varie avec le prix des denrées, et n’empêchant pas dès lors les prêteurs plus que les autres créanciers de faire état des variations de ce pouvoir d’achat

Ainsi, par cet arrêt, non seulement la Cour de cassation reconnaît admet qu’une clause d’indexation puisse être stipulé dans un contrat de prêt en raison du caractère non impératif de l’article 1895 du Code civil, mais encore elle pose un principe général de validité des clauses d’indexation.

Elle abandonne ainsi la distinction entre les clauses stipulées dans le but de prévenir des fluctuations monétaires et celles stipulées aux fins de garantir l’équilibre économique des prestations.

Désormais, toutes les clauses d’indexation sont réputées valables, peu importe la finalité recherchée par les parties.

Dans un arrêt du 4 décembre 1962, la Cour de cassation a, par suite, appliqué la solution retenue dans l’arrêt Guyot aux clauses valeur or.

Après avoir rappelé « qu’aucune clause d’indexation n’est interdite par l’article 1895, texte non impératif », la Première chambre civile affirme que « la stipulation faisant dépendre le nombre de francs à rembourser du cours des Pièces d’or union latine n’était pas illicite, la liberté des transactions sur ces pièces et la reconnaissance officielle des variations corrélatives de leur valeur en francs, impliquant nécessairement la possibilité pour les particuliers de subordonner le montant d’un payement a ces variations » (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1962).

Puis dans un arrêt du 10 mai 1966, la Haute juridiction reconnaît, pour la première fois, la validité des clauses valeur-monnaie étrangère, soit celles qui utilisent la monnaie, non pas comme une monnaie de paiement, mais comme une monnaie de compte, peu importe qu’elles soient stipulées dans un contrat qui ne présente aucun caractère international (Cass. 1ère civ. 10 mai 1966).

Pour justifier sa position, la Cour de cassation a indiqué, dans plusieurs arrêts, que la fixation d’une créance en monnaie étrangère devait s’analyser en « une indexation déguisée » (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°87-16.341).

Or dans la mesure où les clauses d’indexation sont valides, il doit en être de même pour les clauses de valeur-monnaie étrangère.

Aujourd’hui, l’article 1343, al. 2e du Code civil, issu l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations, prévoit expressément que « le montant de la somme due peut varier par le jeu de l’indexation ».

Une lecture rapide de cette disposition suggère que le législateur a entendu reconnaître les clauses d’indexation. L’apparence est toutefois trompeuse.

À l’analyse, il y a lieu de comprendre ce texte comme posant moins un principe de validité des clauses d’indexation que comme une atténuation à la règle du nominalisme monétaire.

La liberté de stipuler des clauses d’indexation est, en effet, enfermée dans des conditions strictes énoncées aux articles L. 112-1 et suivants du Code monétaire et financière. Ces dispositions sont issues des ordonnances n° 58-1374 du 30 décembre 1958 et n° 59-246 du 4 février 1959.

a. Le régime des clauses d’indexation

a.1 Principe

L’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services ».

Ainsi, cette disposition prohibe le recours par les parties à des indices généraux. Lors de l’instauration de cette prohibition, le principal objectif recherché par le législateur n’était autre que la lutte contre l’inflation.

Concrètement, il est donc fait interdiction aux parties d’indexer les obligations stipulées au contrat sur :

  • D’une part, le SMIC
    • Dans un arrêt du 18 mars 1992, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une décision rendue par un Conseil de prud’hommes qui avait validé la clause stipulée dans un contrat de travail qui « prévoyait une rémunération brute horaire égale au SMIC augmenté de 7 %» ( soc. 18 mars 1992, n°88-43.434).
    • Pour la Chambre sociale, la prohibition des « clauses prévoyant des indexations fondées sur le SMIC le salaire minimum interprofessionnel de croissance» interdisait à l’employeur de « consentir par avance une révision automatique du salaire basée sur le SMIC ».
  • D’autre part, le niveau général des prix
    • La Cour de cassation a ainsi jugé dans un arrêt du 27 mars 1990 qu’était nulle la clause stipulée dans un contrat de location-gérance d’un fonds de commerce prévoyant que la redevance serait indexée sur l’indice des prix à la consommation des ménages urbains ( com. 27 mars 1990, n°88-15.092)
  • Enfin, le niveau général des salaires
    • Dans un arrêt du 3 novembre 1988, la Cour de cassation a, par exemple, jugé qu’était « atteinte d’une nullité absolue » la clause stipulée dans un contrat de fourniture de marchandises prévoyant l’indexation du prix de vente « sur l’indice général des taux de salaires horaires des ouvriers toutes activités série France entière» ( com. 3 nov. 1988, n°87-10.043).

a.2 Tempéraments

i. L’indexation libre

La prohibition du recours par les parties à des indices généraux n’est pas absolue. Elle souffre d’exceptions prévues par la loi.

L’article L. 112-2, al. 3e du CMF prévoit notamment que l’indexation est libre pour les opérations intéressant les dettes d’aliments.

Par rente d’aliments il faut entendre, précise le texte « les rentes viagères constituées entre particuliers, notamment en exécution des dispositions de l’article 759 du code civil ».

L’indexation peut encore être librement stipulée pour les prestations compensatoires qui prennent la forme de rentes (art. 276-1 C. civ.)

L’article L. 112-3 du CMF autorise, par ailleurs, l’indexation de certaines conventions sur le niveau général des prix :

  • Les livrets A définis à l’article L. 221-1 ;
  • Les comptes sur livret d’épargne populaire définis à l’article L. 221-13 ;
  • Les livrets de développement durable et solidaire définis à l’article L. 221-27 ;
  • Les comptes d’épargne-logement définis à l’article L. 315-1 du code de la construction et de l’habitation ;
  • Les livrets d’épargne-entreprise définis à l’article 1er de la loi n° 84-578 du 9 juillet 1984 sur le développement de l’initiative économique ;
  • Les livrets d’épargne institués au profit des travailleurs manuels définis à l’article 80 de la loi de finances pour 1977 (n° 76-1232 du 29 décembre 1976) ;
  • Les prêts accordés aux personnes morales ainsi qu’aux personnes physiques pour les besoins de leur activité professionnelle ;
  • Les loyers prévus par les conventions portant sur un local d’habitation ou sur un local affecté à des activités commerciales ou artisanales relevant du décret prévu au premier alinéa de l’article L. 112-2 ;
  • Les loyers prévus par les conventions portant sur un local à usage des activités prévues au deuxième alinéa de l’article L. 112-2 ;
  • Les rémunérations des cocontractants de l’Etat et de ses établissements publics ainsi que les rémunérations des cocontractants des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et de leurs groupements, au titre des contrats de concession et de marché de partenariat conclus dans le domaine des infrastructures et des services de transport.

L’article D. 112-1 précise que l’indexation sur le niveau général des prix autorisée pour les produits et services visés à l’article L. 112-3 est mise en œuvre en utilisant l’indice des prix à la consommation pour l’ensemble des ménages, hors tabac, publié mensuellement par l’Institut national de la statistique et des études économiques.

Enfin, l’article L. 112-3-1 du CPC prévoit que « l’indexation des titres de créance et des contrats financiers mentionnés respectivement au 2 du II et au III de l’article L. 211-1 est libre. »

ii. L’indexation encadrée

S’il est fait interdiction pour les parties à un contrat de recourir à des indices généraux aux fins d’indexer leurs créances, l’article L. 112-2 du CMF les autorise à se référer à des indices spéciaux.

Ce texte prévoit, en effet, que l’indexation est permise lorsque l’indice stipulé au contrat entretient une relation directe :

  • Soit avec l’objet de la convention
  • Soit avec l’activité de l’une des parties

?. L’indexation en relation directe avec l’objet de la convention

La clause d’indexation est donc valable, à la condition que l’indice choisi par les parties soit en relation directe avec l’objet de la convention.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « l’objet de la convention ».

Deux approches sont possibles :

  • Une approche restrictive
    • Cette approche consiste à appréhender la notion « d’objet de la convention» au regard du droit commun des contrats.
    • Si l’on emprunte cette voie, l’objet de la convention désigne la prestation à propos de laquelle l’accord des parties est intervenu et autour de laquelle s’ordonne l’économie du contrat
  • Une approche extensive
    • Cette approche consiste à s’émanciper du droit commun des contrats pour inclure dans l’objet de la convention la finalité recherchée par les parties.
    • L’objet de la convention ne se limiterait donc pas seulement à l’objet de l’obligation des parties, il embrasserait également le but poursuivi par elles.

Entre ces deux approches, la jurisprudence a opté pour la seconde. Dans un arrêt du 9 janvier 1974, la Cour de cassation a, en effet, jugé à propos de la stipulation d’une clause d’indexation dans un contrat de prêt que « l’objet de la convention, au sens de l’article 79 de l’ordonnance du 30 décembre 1958 modifie par l’article 14 de l’ordonnance du 4 février 1959, doit s’entendre dans son acception la plus large et que notamment l’objet d’un prêt peut être de permettre à l’acquéreur de construire ou d’acheter un immeuble » (Cass. 1ère civ. 9 janv. 1974, n°72-13.846).

En l’espèce, pour déterminer s’il existait un lien direct entre l’indice choisi par les parties et l’objet du prêt la haute juridiction examine la finalité du contrat de prêt qui avait été conclu aux fins de financier l’acquisition d’un bien immobilier.

Elle en déduit que la clause indexant la dette d’emprunt sur l’indice du coût de la construction était parfaitement valable.

?. L’indexation en relation directe avec l’activité de l’une des parties

La clause d’indexation est également valable lorsque l’indice retenu par les parties est en relation directe avec l’activité de l’une d’elles.

Comme pour la notion d’objet de la convention, la jurisprudence s’est livrée à une interprétation extensive de la notion d’activité de l’une des parties.

Elle a, en effet, admis que l’activité en cause ne devait pas nécessairement être celle exercée à titre principal (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 7 mars 1984, n°83-11.094).

Dans un arrêt du 6 juin 1984, la Cour de cassation a précisé que le changement d’activité de l’une des parties au cours du contrat était indifférent dans la mesure où « la validité d’une clause d’indexation doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat et ne peut être affectée par le changement d’activité du débiteur survenu ultérieurement » (Cass. 1ère civ. 6 juin 1984, n°83-12.301).

?. Le caractère direct de la relation entre l’indice choisi et l’objet de la convention ou l’activité de l’une des parties

==> Appréciation de l’existence d’une relation directe

L’appréciation du caractère direct de la relation entre l’indice choisi et l’objet de la convention ou l’activité de l’une des parties relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Dans un arrêt du 4 mars 1964, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’appréciation du rapport existant entre la nature de l’indice et l’objet du contrat, étant fonction de la part plus ou moins importante pour laquelle le produit ou service envisage est susceptible d’entrer dans la réalisation de cet objet, est une question de fait qui échappe au contrôle de la cour de cassation » (Cass. com. 4 mars 1964).

À l’analyse, les juridictions font plutôt montre d’une grande indulgence en la matière. La Cour de cassation a, par exemple, jugé dans un arrêt du 31 janvier 1984 qu’il existait une relation suffisamment directe entre le prêt consenti à un restaurateur et le prix des bouteilles d’eau de la marque « Perrier » sur lequel le financement était indexé (Cass. com. 31 janv. 1984, n°82-16.533).

Il a encore été jugé que cette relation directe existait entre le prix de vente du fonds de commerce d’un garagiste et le salaire de l’ouvrier qualifié dans l’échelon le plus élevé qui avait été utilisé comme indice de valorisation du fonds (Cass. 3e civ. 15 févr. 1972, n°70-13.280).

La Troisième chambre civile a décidé, dans le même sens, qu’était valide l’indexation du prix de vente d’une exploitation agricole sur le cours du lait (Cass. 3e civ. 4 juin 1971, n°69-14.047).

Il ressort de ces décisions que la jurisprudence reconnaît l’existence d’une relation directe dans des cas où l’indexation repose sur des éléments qui ne représentent que très partiellement l’activité.

Malgré, la souplesse de la jurisprudence quant à l’appréciation de cette relation directe entre l’indice choisi et l’activité exercée par l’une des parties ou l’objet de la convention, les parties ne sont pas à l’abri de voir annuler la clause d’indexation stipulée au contrat.

Dans un arrêt du 22 octobre 1970, la Cour de cassation a, par exemple, jugé illicite l’indexation de la valeur d’un immeuble sur le cours de la pièce d’or Napoléon (Cass. 3e civ. 22 oct. 1970, n°69-11.470).

Elle a également cassé, dans un arrêt du 16 février 1993, la décision d’une Cour d’appel qui avait déclaré licite la clause prévoyant l’indexation de la redevance due par un locataire-gérant sur l’indice national du coût de la construction.

La Chambre commerciale considère que, au cas particulier, il n’y avait pas de relation directe entre l’indice choisi et l’activité exercé par l’une des parties, dans la mesure où le contrat de location-gérance d’un fonds de commerce est relatif à un bien meuble incorporel et non à un immeuble bâti. Or l’indice du coût de la construction intéresse précisément les immeubles bâtis (Cass. com. 16 févr. 1993, n°91-13.277).

==> Présomptions de relation directe

Afin de prévenir les difficultés d’appréciation de la validité des clauses d’indexation, le législateur a posé des présomptions de relation directe jouant dans trois cas précis :

  • Présomption de relation directe entre l’indice du coût de la construction et une convention relative à un immeuble bâti
    • Issu de la loi n° 70-600 du 9 juillet 1970 modifiant l’article 79 de l’ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958, relatif aux indexations, l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « est réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble bâti toute clause prévoyant une indexation sur la variation de l’indice national du coût de la construction publié par l’Institut national des statistiques et des études économiques»
  • Présomption de relation directe entre l’indice trimestriel des loyers commerciaux et certaines activités commerciales ou artisanales
    • Issu de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « est réputée en relation directe […] toute clause prévoyant une indexation […] pour des activités commerciales ou artisanales définies par décret, sur la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux publié dans des conditions fixées par ce même décret par l’Institut national de la statistique et des études économiques.»
  • Présomption de relation directe entre l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires et les conventions relatives à un immeuble conclues pour une activité autre que commerciale ou artisanale
    • Issu de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, l’article L. 112-2, al. 2e du Code monétaire et financier prévoit que « est également réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble toute clause prévoyant, pour les activités autres que celles visées au premier alinéa ainsi que pour les activités exercées par les professions libérales, une indexation sur la variation de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques dans des conditions fixées par décret. »

iii. L’indexation interdite

Outre la prohibition générale de l’indexation automatique des prix de biens ou de services posée par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier, cette même disposition prévoit des interdictions spécifiques en matière de contrats à exécution successive et de baux d’habitation.

L’alinéa 2e de ce texte prévoit ainsi que « est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision. »

L’alinéa 3e de l’article L. 112-1 du CMF prévoit encore que « est interdite toute clause d’une convention portant sur un local d’habitation prévoyant une indexation fondée sur l’indice ” loyers et charges ” servant à la détermination des indices généraux des prix de détail. »

Le texte poursuit en énonçant qu’« il en est de même de toute clause prévoyant une indexation fondée sur le taux des majorations légales fixées en application de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948, à moins que le montant initial n’ait lui-même été fixé conformément aux dispositions de ladite loi et des textes pris pour son application. »

b. Sanction

La mise en œuvre d’une clause d’indexation est susceptible de se heurter à deux difficultés :

  • Sont irrégularité au regard du cadre contraignant posé par le législateur
  • La disparition de l’indice au cours du contrat

i. L’irrégularité de l’indice choisi par les parties

==> La nature de la nullité

Il est admis que l’irrégularité d’une clause d’indexation soit sanctionnée par la nullité absolue (Cass. com. 3 nov. 1988, n°87-10.043). La raison en est que cette irrégularité porterait atteinte à l’ordre public monétaire.

D’aucuns soutiennent toutefois que, en raison de l’admission par le législateur des clauses d’indexation, les règles encadrant leur stipulation viseraient moins à défendre l’ordre public de direction, qu’à protéger les débiteurs contre les dangers représentés par l’indexation d’une dette.

Aussi, pour une frange de la doctrine « l’indexation devrait être frappée de nullité simplement relative »[3].

Pour l’heure, la Cour de cassation n’a adopté aucune décision en ce sens.

==> L’étendue de la nullité

S’agissant de l’étendue de la nullité, la question s’est posée de savoir si elle affectait seulement la clause jugée irrégulière ou si elle anéantissait l’acte dans son entier.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition de portée générale régissant l’étendue de la nullité.

Tout au plus, on a pu voir dans la combinaison des articles 900 et 1172 une distinction à opérer s’agissant de l’étendue de la nullité entre les actes à titre gratuit et les actes à titre onéreux.

  • Les actes à titre gratuit
    • L’article 900 du Code civil prévoit que « dans toute disposition entre vifs ou testamentaire, les conditions impossibles, celles qui sont contraires aux lois ou aux mœurs, seront réputées non écrites»
    • Pour les actes à titre gratuit, la nullité pourrait donc n’être que partielle en cas d’illicéité d’une clause
  • Les actes à titre onéreux
    • L’ancien article 1172 prévoyait que « toute condition d’une chose impossible, ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi est nulle, et rend nulle la convention qui en dépend»
    • Sur le fondement de cette disposition les auteurs estimaient que, pour les actes à titre onéreux, l’illicéité d’une stipulation contractuelle entachait l’acte dans son ensemble de sorte que la nullité ne pouvait être totale.

Manifestement, la jurisprudence a très largement dépassé ce clivage.

Les tribunaux ont préféré s’appuyer sur le critère du caractère déterminant de la clause dans l’esprit des parties. Ella a notamment retenu cette approche pour les clauses d’indexation (Cass. 3e civ. 24 juin 1971, n°70-11.730).

Aussi, la détermination de l’étendue de la nullité supposait-elle de distinguer deux situations :

  • Lorsque la clause présente un caractère « impulsif et déterminant», soit est essentielle, son illicéité affecte l’acte dans son entier
    • La nullité est donc totale
  • Lorsque la clause illicite ne présente aucun caractère « impulsif et déterminant», soit est accessoire, elle est seulement réputée non-écrite
    • La nullité est donc partielle

Jugeant le Code civil « lacunaire » sur ce point, à l’occasion de la réforme des obligations, le législateur a consacré la théorie de la nullité partielle, reprenant le critère subjectif institué par la jurisprudence.

Aux termes de l’article 1184, al. 1er du Code civil, « lorsque la cause de nullité n’affecte qu’une ou plusieurs clauses du contrat, elle n’emporte nullité de l’acte tout entier que si cette ou ces clauses ont constitué un élément déterminant de l’engagement des parties ou de l’une d’elles. »

Il ressort de cette disposition que quand bien même un acte est affecté par une cause de nullité, il peut être sauvé.

Le juge dispose, en effet, de la faculté de ne prononcer qu’une nullité partielle de l’acte.

Cela suppose toutefois que deux conditions soient remplies :

  • L’illicéité affecte une ou plusieurs clauses de l’acte
  • La stipulation desdites clauses ne doit pas avoir été déterminante de l’engagement des parties

Si ces deux conditions sont remplies, les clauses affectées par la cause de nullité seront réputées non-écrites

L’application de cette règle à la clause d’indexation signifie que si elle a été déterminante du consentement des parties, alors le contrat doit être annulé dans son intégralité.

 Dans le cas contraire, la clause d’indexation doit seulement être réputée non écrite. Aussi, appartient-il aux juges de rechercher l’intention des parties.

Dans un arrêt du 14 janvier 2016, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui pour prononcer la nullité d’une clause d’indexation avait relevé « le caractère essentiel de l’exclusion d’un ajustement à la baisse du loyer à la soumission du loyer à l’indexation » (Cass. 3e civ. 14 janv. 2016, n°14-24.681).

Dans un arrêt du 29 novembre 2018, la Troisième chambre civile a toutefois cherché à moduler cette sanction en censurant une Cour d’appel qui avait réputé non écrite la clause d’indexation dans son entier. Or elle estime que seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée doit être réputée non écrite (Cass. 3e civ. 29 nov. 2018, n°17-23.058).

Cette limite vise à contenir les conséquences financières de l’annulation de l’intégralité d’une clause d’indexation. Il s’agit, en effet, d’éviter que le créancier ait à restituer l’intégralité des sommes indûment perçues résultant de l’indexation.

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la question s’est posée de savoir si plutôt que d’annuler la clause d’indexation, même partiellement, le juge ne pouvait pas procéder à une substitution de l’indice irrégulier.

Dans un arrêt du 14 octobre 1975, la Cour de cassation a rejeté cette thèse en affirmant que le juge ne pouvait pas « se substituer aux parties pour remplacer une clause d’indexation, déclarée nulle par la loi, par une clause nouvelle se référant à un indice diffèrent » (Cass. 3e civ. 14 oct. 1975, n°74-12.880).

Elle a toutefois tempéré son approche en admettant, dans un arrêt du 22 juin 1987, que le juge puisse substituer à l’indice annulé un indice admis par la loi, dès lors que cette substitution se déduit de la commune intention des parties (Cass. 3e civ. 22 juill. 1987, n°84-10.548).

Cette position adoptée par la Cour de cassation ne paraît pas avoir été remise en cause par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations.

Le nouvel article 1167 introduit dans le code civil par ce texte prévoit, en effet, que « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Certes ce texte n’envisage la réfaction du contrat qu’en cas de disparition ou d’inapplication de l’indice. La doctrine considère toutefois que la règle peut être étendue au cas de nullité de l’indice irrégulier.

==> L’action en nullité

S’agissant des titulaires de l’action en nullité, l’article 1180 du Code civil prévoit que « la nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, ainsi que par le ministère public. »

Quant au délai de prescription de l’action, il y a lieu de distinguer selon que la nullité est soulevée par voie d’action ou par voie d’exception :

Lorsque la nullité est invoquée par voie d’action, l’article 2224 du Code civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans ».

Lorsque, en revanche, la nullité est soulevée par voie d’action, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.

Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »

Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle.

ii. La disparition de l’indice choisi par les parties

L’article 1167 du Code civil prévoit « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Lorsqu’ainsi l’indice choisi par les parties est inapplicable, le juge est investi du pouvoir de le remplacer par un autre indice. Ce pouvoir avait déjà été reconnu au juge sous l’empire du droit antérieur (V. en ce sens Cass. 3e civ. 12 janv. 2005, n°03-17.260)

Il a également été admis que le juge puisse se faire assister par un expert afin de déterminer les évolutions probables de l’indice qui a cessé d’exister (Cass. com. 25 févr. 1963).

En cas d’impossibilité de déterminer l’évolution de l’indice qui a cessé d’exister ou de le substituer par un nouvel indice, l’issue retenue par le juge devrait, en toute logique, être la caducité du contrat (V. en ce sens Cass. com., 30 juin 1980, n° 79-10.632).

B) Les dettes de valeur

Autre correctif au principe du nominalisme monétaire institué par le législateur : le mécanisme de la dette de valeur.

La dette de valeur s’oppose radicalement à la dette de monnaie en ce que son montant est fixé, non pas à la date de création de l’obligation, mais au jour de son paiement.

En présence d’une dette de monnaie, le débiteur doit verser au créancier à la date d’exigibilité de l’obligation, le montant nominal de la dette stipulé au contrat.

Tel n’est pas le cas en présence d’une dette de valeur. Le montant dû par le débiteur correspond à une valeur non chiffrée qui est susceptible de subir des variations jusqu’à la date d’échéance et qui ne sera convertie en valeur monétaire qu’au jour du paiement.

Le mécanisme de la dette de valeur a été consacré par le législateur à l’occasion de la réforme du régime général des obligations opéré par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1343, al. 3e du Code civil prévoit que « le débiteur d’une dette de valeur se libère par le versement de la somme d’argent résultant de sa liquidation. »

Nombreuses sont les domaines dans lesquels la dette de valeur trouve application :

  • Les restitutions
    • L’article 1352 du Code civil prévoit que « la restitution d’une chose autre que d’une somme d’argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution.»
    • Lorsqu’ainsi un débiteur doit restituer un bien en valeur, faute de pouvoir le restituer en nature, le montant de la dette correspondra à la valeur du bien dont l’estimation sera faite à la date du jugement ordonnant la restitution
  • Les dettes de réparations
    • Il est admis de longue date que les dommages et intérêts alloués à la victime d’un dommage sont évalués, non pas à la date de réalisation de ce dommage, mais au jour du jugement (V. en ce sens req. 24 mars 1942).
    • Dans un arrêt du 11 janvier 1979, la Cour de cassation a, par exemple, affirmé que « si le droit, pour la victime d’un accident, d’obtenir la réparation du préjudice subi existe dès que le dommage a été cause, l’évaluation de ce dommage doit être faite par le juge au moment où il rend sa décision» ( 2e civ. 11 janv. 1979, n°77-12.937).
    • Dans un arrêt du 13 novembre 2003, elle a encore jugé que « le préjudice économique subi par l’ayant droit d’une victime du fait du décès de celle-ci doit être évalué au jour de la décision qui le fixe en tenant compte de tous les éléments connus à cette date» ( 2e civ. 13 nov. 2003, n°02-16.733).
  • Les récompenses
    • Le mécanisme de la dette de valeur se retrouve également en droit des régimes matrimoniaux s’agissant du calcul des récompenses.
    • L’article 1469, al. 1er du Code civil prévoit que « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »
    • Il est ainsi des cas où le montant de la récompense dû à un époux correspondra au profit subsistant, soit à l’enrichissement dont a bénéficié le patrimoine débiteur de la récompense à raison de la dépense faite par le patrimoine créancier.
  • L’accession
    • En cas de construction d’un immeuble sur le terrain d’autrui, l’article 555, al. 3e du Code civil prévoit que lorsque le propriétaire du fonds opte pour la conservation de l’ouvrage, « il doit, à son choix, rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d’œuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l’état dans lequel se trouvent lesdites constructions, plantations et ouvrages.»
  • L’indivision
    • L’article 815-13 du Code civil prévoit que « lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l’aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés. »

La question qui se pose au regard de ces différentes applications de la technique de la dette de valeur est de savoir si les parties à un contrat pourraient y recourir en dehors des cas prévus par la loi et la jurisprudence.

Dans un arrêt du 5 juillet 2005, la Cour de cassation a rappelé que « le principe du nominalisme monétaire n’est pas d’ordre public » (Cass. com. 5 juill. 2005, n°02-10.233).

Aussi, cela signifie-t-il qu’il peut y être dérogé par convention contraire, raison pour laquelle il y a lieu de penser que la stipulation d’une dette de valeur doit être admise.

§2: Les dettes productives d’intérêts

==> Vue générale

L’une des particularités des dettes de somme d’argent est qu’elles sont susceptibles de produire des intérêts.

Par intérêt il faut entendre le revenu produit par un capital prêté, placé ou dû à raison d’une convention ou d’une condamnation.

Au fond, l’intérêt correspond à ce que l’on désigne plus couramment sous la formule de « loyer de l’argent » ou encore de « prix du temps ».

De façon plus imagée, Jean Carbonnier disait de l’intérêt qu’il est « l’enfant naturel de la monnaie »[4]. On pourrait alors filer la métaphore en précisant que la monnaie donne en réalité naissance à des jumeaux ; car l’intérêt est tantôt créditeur, tantôt débiteur.

Technique, l’intérêt se calcule en appliquant un pourcentage (le taux d’intérêt) à une somme d’argent (le capital) sur une période donnée.

Classiquement on distingue l’intérêt légal de l’intérêt conventionnel :

  • L’intérêt légal
    • Lorsqu’il est légal, l’intérêt a vocation à s’appliquer dans un certain nombre de situations prévues par la loi ou la jurisprudence.
    • Ce taux de référence est principalement utilisé dans les procédures civiles ou commerciales.
    • L’article 1231 du Code civil énonce en ce sens que « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure».
    • L’article 1231-7 dispose encore que « en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement.».
    • Initialement, le taux d’intérêt légal était établi par le législateur lui-même.
    • Par une loi du 3 septembre 1807 il avait, par exemple, été porté à 5%.
    • Afin d’apporter un peu plus de souplesse à ce système qui, en période de forte inflation monétaire, ne permettait pas de rémunérer suffisamment les créanciers, la loi n° 89-421 du 23 juin 1989 relative à l’information et à la protection des consommateurs a prévu que le taux d’intérêt légal serait dorénavant fixé par décret « en fonction de la moyenne arithmétique des douze dernières moyennes mensuelles des taux de rendement actuariel des adjudications de bons du Trésor à taux fixe à treize semaines».
    • Le calcul, fondé sur le taux de financement de l’État à treize semaines conduisit toutefois à une baisse très forte de son niveau dans un contexte où les taux sans risque de court terme étaient pratiquement nuls.
    • Parce qu’il était particulièrement bas, le taux légal n’était nullement dissuasif pour les débiteurs contre lesquels courraient des intérêts moratoires. Aussi, Le législateur est-il intervenu une nouvelle fois dans le dessein de le rendre plus représentatif du coût de refinancement de celui à qui l’argent est dû et de l’évolution de la situation économique.
    • L’ordonnance n° 2014-947 du 20 août 2014 relative au taux de l’intérêt légal a institué, dans cette perspective, une distinction entre deux taux légaux fondée sur le coût de refinancement.
    • L’article 313-2 du Code monétaire et financier prévoit désormais que le taux légal « comprend un taux applicable lorsque le créancier est une personne physique n’agissant pas pour des besoins professionnels et un taux applicable dans tous les autres cas. ».
    • Dans les deux cas, il est calculé semestriellement, en fonction du taux directeur de la Banque centrale européenne sur les opérations principales de refinancement et des taux pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement.
    • Toutefois, pour les particuliers, les taux pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pris en compte pour le calcul du taux applicable sont les taux effectifs moyens de crédits consentis aux particuliers.
  • L’intérêt conventionnel
    • Le taux d’intérêt conventionnel est celui qui est prévu par les parties dans la convention de crédit.
    • Ces dernières sont certes libres de convenir le taux qui leur sied. Toutefois leur liberté demeure enfermée dans une double limite.
      • D’une part, conformément à l’article 1907 du Code civil, la rémunération du prêteur ne peut pas excéder le taux d’usure, lequel ne saurait céder sous l’effet du principe d’autonomie de la volonté. Dès lors que des intérêts sont stipulés en violation de la règle de prohibition de l’usure, le prêteur s’expose notamment à une réduction de son droit aux intérêts au taux légal[5].
      • D’autre part, il ressort des articles L. 314-5 du Code de la consommation et L. 313-4 du Code monétaire et financier que toutes les fois qu’un crédit est consenti par un professionnel la convention qui constate l’opération doit mentionner ce que l’on appelle le taux effectif global.

Cette distinction entre l’intérêt légal et l’intérêt conventionnel puise son origine dans l’article 1907 du Code civil applicable aux prêts d’argent qui prévoit que « l’intérêt est légal ou conventionnel. »

À l’occasion de la réforme du régime général des obligations opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le législateur a élevé cette distinction au rang de summa divisio des obligations de somme d’argent portant intérêts.

Ces obligations sont désormais abordées aux articles 1343-1 et 1343-2 du Code civil qui, comme relevé par des auteurs « esquissent un droit commun des intérêts de somme d’argent »[6].

Car en effet, le domaine des intérêts est bien plus vaste que les règles énoncées par ces dispositions qui se limitent à poser les principes généraux qui président :

  • D’une part, aux paiements des dettes portant intérêts
  • D’autre part, à la stipulation d’intérêts
  • Enfin, à l’anatocisme

I) Le paiement des dettes portant intérêts

A) Libération du débiteur

L’article 1343-1 du Code civil prévoit que « lorsque l’obligation de somme d’argent porte intérêt, le débiteur se libère en versant le principal et les intérêts. »

Il ressort de cette disposition que lorsque d’une dette est productive d’intérêts, son extinction est subordonnée au paiement :

  • D’une part, du capital
  • D’autre part, des intérêts

Il s’agit là de deux éléments indissociables qui participent d’une même obligation. Aussi, le paiement du seul capital ne suffit pas à éteindre la dette.

Tant que les intérêts, accessoires de la dette, ne sont pas réglés, le débiteur n’est pas libéré de son obligation.

Ainsi, la dette d’intérêt ne saurait être regardée comme étant distincte de la dette de capital : capital et intérêts forment une seule et même dette.

À ce titre, elle est soumise, à l’instar de n’importe quelle autre dette, au principe d’indivisibilité du paiement. Or pour mémoire, en application de ce principe qui s’infère de l’article 1342-4, al. 1er du Code civil, le paiement doit nécessairement porter sur tout ce qui est dû, faute de quoi le créancier est fondé à le refuser.

B) Imputation du paiement

==> Principe

L’article 1343-1, al. 1er prévoit que si l’obligation de somme d’argent porte intérêt « le paiement partiel s’impute d’abord sur les intérêts. »

À l’analyse, il s’agit là d’une reprise de la règle énoncée par l’ancien article 1254 du Code civil qui disposait que « le paiement fait sur le capital et intérêts, mais qui n’est point intégral, s’impute d’abord sur les intérêts. »

Ainsi, en présence du paiement partiel d’une dette unique, celui-ci s’impute :

  • D’abord sur les intérêts
  • Ensuite sur le capital

L’objectif recherché ici est de protéger le créancier. Tant qu’il n’a pas été intégralement payé, sa dette doit continuer à produire des intérêts.

Or la base de calcul de ces intérêts n’est autre que le capital de la dette. Aussi, imputer le paiement prioritairement sur le capital reviendrait à affecter le rendement de la dette, alors même que le créancier n’a pas été totalement satisfait.

Pour cette raison, le législateur a estimé que, en cas de paiement partiel, celui-ci devait s’imputer d’abord sur les intérêts.

Dans un arrêt du 7 février 1995, la Cour de cassation a précisé que « au même titre que les intérêts visés par l’article 1254 du Code civil, les frais de recouvrement d’une créance constituent des accessoires de la dette ; que le débiteur ne peut, sans le consentement du créancier, imputer les paiements qu’il fait sur le capital par préférence à ces accessoires » (Cass. 1ère civ. 7 févr. 1995, n°92-14.216).

Ainsi, la règle prévoyant d’imputer prioritairement le paiement sur les intérêts de la dette est étendue aux frais de recouvrement et plus généralement à l’ensemble des accessoires de la dette.

==> Tempéraments

Le principe posé à l’article 1343-1 du Code civil n’est pas absolu ; il est assorti d’un certain nombre de tempéraments :

  • Premier tempérament
    • L’article 1343-1 est une disposition supplétive de volonté, ce qui signifie que les parties peuvent y déroger.
    • Aussi, sont-elles libres de prévoir que le paiement s’imputera prioritairement sur le capital.
    • À cet égard, contrairement à l’hypothèse où le débiteur est tenu de plusieurs dettes, il ne pourra pas imposer un ordre d’imputation au créancier.
    • Dans un arrêt du 20 octobre 1992 la Cour de cassation a jugé en ce sens :
      • D’une part, que « le débiteur d’une dette qui porte intérêt ne peut, sans le consentement du créancier, imputer le paiement qu’il a fait sur le capital par préférence aux intérêts»
      • D’autre part, que « le consentement des créanciers peut seul permettre l’imputation des paiements sur le capital par préférence aux intérêts» ( com. 20 oct. 1992, n°90-13.072)
    • Ainsi, l’imputation du paiement ne pourra se faire prioritairement sur le capital de la dette que si le créancier y consent.
  • Deuxième tempérament
    • Dans un arrêt du 11 juin 1996, la Cour de cassation a précisé que « l’imputation légalement faite du paiement effectué par le débiteur principal est opposable à la caution» ( com., 11 juin 1996, n° 94-15.097).
    • Il en résulte que l’imputation prioritaire des paiements effectués par le débiteur principal sur les intérêts générés par l’obligation garantie s’impose à la caution.
    • L’article 2302 du Code civil apporte une dérogation à ce principe en disposant que « dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette. »
    • Pratiquement cela signifie que le créancier sera déchu de l’intégralité des intérêts échus tant que le défaut d’information subsistera dans la mesure où les paiements du débiteur principal ne s’imputeront d’abord sur le capital restant dû.
    • Cette sanction est de nature à inciter le créancier à régulariser au plus vite sa situation, faute de quoi le règlement de ses intérêts ne sera pas garanti.
  • Troisième tempérament
    • L’article 1343-5 du Code civil prévoit que, dans le cadre d’une demande de délai de grâce qui lui est adressée par un débiteur justifiant d’une situation financière obérée, le juge peut ordonner notamment « que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.»
  • Quatrième tempérament
    • L’article L. 733-1, 2° du Code de la consommation dispose que, dans le cadre d’une procédure de surendettement, la Commission de surendettement peut, à la demande du débiteur et après avoir mis les parties en mesure de fournir leurs observations, décider que les paiements s’imputeront « d’abord sur le capital»

II) La stipulation d’intérêts

L’article 1343-1 du Code civil prévoit que « l’intérêt est accordé par la loi ou stipulé dans le contrat ».

Il ressort de cette disposition que la création d’obligations portant intérêt n’est pas le monopole du législateur. Les parties à contrats sont également autorisées à stipuler des intérêts.

Si cette faculté ne leur a pas toujours été reconnue, elle n’est pas non plus sans être rigoureusement encadrée.

A) De la prohibition à l’admission de la stipulation d’intérêts

La stipulation d’intérêts qui se rencontre essentiellement dans les prêts d’argent, était autrefois prohibée par le droit canonique.

Pour justifier cette interdiction, Saint Thomas d’Aquin soutenait qu’il serait contraire à la loi de Dieu d’exiger un intérêt de l’emprunteur en contrepartie du prêt d’une chose, alors même que cette chose a vocation à être restituée au prêteur en nature ou par équivalent, ce qui, en toute hypothèse, est constitutif d’une opération à somme nulle.

Une dérogation existait néanmoins pour les juifs et les Lombards. Une ordonnance royale prise en 1360 leur conféra le privilège de consentir des prêts d’argent moyennant rémunération. Les chrétiens, quant à eux, demeuraient tenus d’observer les prescriptions du droit canonique.

 À partir du XVIe siècle, le bien-fondé de l’interdiction commence toutefois à être discuté, notamment sous l’impulsion Du Moulin puis de Turgot.

La critique portée par ces auteurs reposait, en substance, sur la revendication du droit à disposer de ses biens, d’où il s’infère la possibilité de faire produire des fruits à son argent.

Cette thèse a emporté, sans mal, la conviction du législateur révolutionnaire qui, dès 1789, a levé l’interdiction de la stipulation d’intérêts.

Puis, en 1804, les rédacteurs du Code civil ont consacré la liberté de stipuler des intérêts à l’article 1907 du Code civil, lequel admet que le contrat de prêt puisse être conclu à titre onéreux.

À l’occasion de la réforme du régime général des obligations, le législateur a entendu conférer une portée générale à la liberté de stipuler des intérêts en insérant dans le Code civil des dispositions (les articles 1343-1 et 1343-2) qui ont vocation à s’appliquer à toutes les obligations productives d’intérêts au-delà du contrat de prêt.

Cette liberté n’est toutefois pas sans limite : la stipulation d’intérêt requiert la satisfaction de plusieurs exigences.

B) L’encadrement de la stipulation d’intérêts

==> L’exigence d’une stipulation contractuelle

L’article 1343-1, al. 2e du Code civil prévoit que « l’intérêt est accordé par la loi ou stipulé dans le contrat ».

Il ressort de cette disposition que, pour produire intérêt, une obligation de somme d’argent doit avoir été :

  • Soit prévue par la loi
  • Soit stipulée dans un contrat

Aussi, en l’absence de texte ou de stipulation contractuelle, une obligation est réputée ne produire aucun intérêt.

==> L’exigence générale d’un écrit

L’article 1343-1, al. 2e poursuit en prévoyant que « le taux de l’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit ».

Cette disposition ne fait manifestement que reprendre l’exigence énoncée à l’article 1907 du Code civil qui prévoit, en matière de prêt d’argent que « le taux de l’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit ».

De toute évidence, il s’agit là d’une disposition extrêmement protectrice des intérêts du débiteur[7]. Est-ce à dire que, en cas d’inobservation de cette exigence le créancier est totalement déchu de son droit aux intérêts ?

À l’analyse, à l’instar de l’article 1907 du Code civil, l’article 1343-1, al. 2e exige l’établissement d’un écrit s’agissant de la mention, non pas de l’intérêt, mais du taux de l’intérêt, soit sa mesure.

En matière de prêt d’argent, la question s’est rapidement posée de savoir s’il s’agissait d’une règle de preuve ou d’une règle de fond.

Par un arrêt du 24 juin 1981, la Cour de cassation a opté pour la seconde solution en jugeant que « l’exigence d’un écrit mentionnant le taux de l’intérêt conventionnel est une condition de validité de la stipulation d’intérêt » (Cass. 1ère civ. 24 juin 1981, n°80-12.773).

En cas d’absence d’écrit, la sanction est donc la nullité de la prévision des parties, ce qui revient, en pratique, à priver de son intérêt la présomption simple posée à l’article 1905 du Code civil.

En effet, tandis que cette disposition autorise le prêteur à rétablir son droit aux intérêts conventionnels s’il rapporte la preuve de la stipulation, l’article 1907 écarte, dans le même temps, cette possibilité en prévoyant que la mention du taux est exigée ad validitatem.

La stipulation d’intérêts ne se concevant pas en dehors de l’établissement d’un taux, la règle de fond posée à l’article 1907 prime nécessairement sur la règle de preuve édictée à l’article 1905.

La primauté de l’exigence d’un écrit à peine de nullité est d’autant plus forte que depuis la loi n°66-1010 du 28 décembre 1966 relative à l’usure, aux prêts d’argent et à certaines opérations de démarchage et de publicité, il est une règle d’ordre public édictée désormais à l’article L. 314-5 du Code de la consommation aux termes de laquelle le taux effectif global doit être « mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt ».

==> L’exigence de mention de la périodicité de l’intérêt

L’article 1343-1, al. 2e du Code civil prévoit que le taux d’intérêt « est réputé annuel par défaut ».

Cette précision est une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations puisqu’elle ne se retrouve pas à l’article 1907 du Code civil.

Aussi, en l’absence de stipulation contraire, le calcul des intérêts se fait sur une période d’un an.

De l’avis de la doctrine, cette règle est supplétive de volonté, ce qui implique que les parties peuvent y déroger et donc prévoir une périodicité plus courte ou plus longue.

==> L’exigence spécifique de mention du taux effectif global

Introduite par la loi n°66-1010 du 28 décembre 1966 relative à l’usure, aux prêts d’argent et à certaines opérations de démarchage et de publicité, la notion de taux effectif global (TEG) est au cœur du dispositif de protection de l’emprunteur en matière de crédit.

Le législateur est parti du constat que le seul taux débiteur pratiqué par le prêteur ne permettait pas de rendre compte du coût exact du crédit, ne serait-ce que parce que d’autres frais se greffent à l’opération tels que l’assurance emprunteur, la rémunération des intermédiaires ou encore les frais de dossier.

L’appréciation du caractère usuraire de la rémunération du prêteur s’en trouve alors faussée. D’où la nécessité de mettre en place un outil qui permette de mesurer avec exactitude le coût réel de l’opération supporté par l’emprunteur. Parce qu’il intègre dans son calcul tous les frais payés par l’emprunteur, le taux effectif global répond à ce besoin.

Dans un premier temps, l’utilisation de cet outil a été circonscrite au domaine de la répression de l’usure. L’article 1er de la loi 28 décembre 1966 prévoit que l’usure doit être appréciée au regard du taux effectif global dont mention doit obligatoirement être faite dans tout acte constatant une opération de crédit. L’objectif poursuivi par ce texte était ainsi la protection du consommateur, lequel doit pouvoir déterminer la licéité du taux qui lui est appliqué.

Dans un second temps, il a été recouru à la notion de taux effectif global, sous l’impulsion du législateur européen, afin de stimuler la concurrence entre les établissements bancaires. Constatant qu’il existait de grandes disparités entre les législations des différents États membres dans le domaine du crédit à la consommation et que ces disparités étaient susceptibles de créer des distorsions de concurrence entre les prêteurs dans le marché commun, les instances communautaires ont en tiré la conclusion qu’il était nécessaire de faciliter la comparaison des offres de crédits.

Pour ce faire, cela suppose notamment que les emprunteurs reçoivent des informations adéquates sur les conditions et le coût du crédit. Parmi ces informations, le taux effectif global occupe une place centrale dans le dispositif mis en place par le législateur européen. La directive 87/102/CEE du Conseil du 22 décembre 1986 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation a ainsi créé l’obligation pour les établissements bancaires de mentionner, et dans leurs publicités, et dans les contrats de crédits proposés aux consommateurs, le taux effectif global.

Une fois cette exigence de communication par écrit à l’emprunteur du taux effectif global posée, la problématique relative au coût du crédit n’était pas pour autant définitivement résolue. Restait, en effet, à déterminer comment calculer le taux effectif global.

S’il est aisé de se représenter à quoi correspond le taux effectif global, plus délicate est la question de sa détermination.

Parce qu’il est supposé refléter le coût réel du crédit, les juges se montrent particulièrement exigeants à l’égard du banquier. La difficulté à laquelle celui-ci est confronté tient à l’obligation qui lui est faite de communiquer à l’emprunteur un taux effectif global exact à une décimale près.

Contrairement à ce que l’on pourrait être intuitivement tenté de penser, l’obtention de ce résultat est loin de consister en l’accomplissement d’une simple formalité pour le banquier, notamment lorsque le crédit présente de nombreuses particularités.

Tout d’abord, il lui appartient de n’omettre aucuns frais dans l’assiette de calcul, ce qui n’est pas sans soulever des difficultés liées à l’opportunité d’inclure ou d’exclure certains éléments.

Ensuite, le banquier doit veiller à communiquer à l’emprunteur toutes les informations nécessaires au calcul du taux effectif global, notamment le taux de période lorsque le crédit est consenti à un professionnel.

Enfin, il peut être observé que le calcul du taux effectif global consiste à résoudre une équation dont le résultat n’est jamais un nombre fini, à tout le moins l’hypothèse est rare.

Aussi, le taux effectif global est-il la plupart du temps le résultat d’un arrondi, alors même que le législateur ne tolère qu’une erreur à une décimale près.

Pour toutes ces raisons, la détermination du taux effectif global se révèle être un exercice extrêmement périlleux pour le banquier.

Celui-ci est d’autant plus tenu de faire preuve de vigilance que les actions en responsabilité se sont multipliées ces dernières années. La détermination du taux effectif global a donné lieu à un contentieux fourni qui s’articule autour de deux reproches.

Le premier consiste pour les plaideurs à contester le calcul, en tant que tel, du taux effectif global, soit parce qu’un élément aurait été omis dans son assiette, soit parce que le banquier n’aurait pas appliqué la bonne méthode de calcul, à tout le moins pas correctement.

Le second reproche qui est adressé au banquier tient à la communication du taux effectif global qui figure sur le contrat de prêt. Le grief se focalise ici, tant sur l’inexactitude du taux annoncé, que sur l’exhaustivité des informations communiquées à l’emprunteur.

L’absence de mention écrite du TEG/TAEG sur le contrat prêt, tel qu’exigé par l’article L. 314-5 du Code de la consommation quelle que soit la nature du crédit, est sanctionnée pénalement.

L’article L. 341-9 du même Code prévoit, en effet, une peine d’amende de 150.000 euros, étant précisé que, antérieurement à la loi Hamon du 17 mars 2014, elle n’était que de 4.500 euros.

L’augmentation du montant de cette amende témoigne de la volonté du législateur de sanctionner lourdement l’inexécution de l’obligation de communication du TEG/TAEG.

Quant à la sanction civile, l’article L. 341-48-1 du Code de la consommation prévoit que « en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global prévue à l’article L. 314-5, le prêteur peut être déchu du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l’emprunteur. »

Lorsque le prêteur est déchu du droit aux intérêts dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu ainsi que, le cas échéant, au paiement des intérêts dont le prêteur n’a pas été déchu.

Les sommes perçues au titre des intérêts, qui sont productives d’intérêts au taux de l’intérêt légal à compter du jour de leur versement, sont restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû.

III) L’anatocisme

Il n’est pas exclu que les intérêts produits par le capital de la dette produisent eux-mêmes des intérêts. C’est ce que l’on appelle l’anatocisme. Ce terme est issu du grec ana- (« encore une fois ») et tokos (« revenu »).

Dans un arrêt du 20 janvier 1998 a parfaitement décrit le mécanisme de l’anatocisme en observant que « lorsque le créancier et le débiteur sont convenus […] que les intérêts à échoir se capitaliseront à la fin de chaque année pour produire eux-mêmes des intérêts, ils constituent non plus des intérêts mais un nouveau capital qui s’ajoute au premier » (Cass. com. 20 janv. 1998, n°95-14.101).

Ce mécanisme, qui donc consiste à capitaliser les intérêts échus, a toujours été regardé avec une certaine méfiance ; car il est de nature à accélérer l’alourdissement du poids de la dette et ce, sans que le débiteur en prenne nécessairement conscience.

Bien que les rédacteurs du Code civil aient hésité à interdire l’anatocisme[8], le législateur s’est finalement résolu à l’autoriser.

Dans un premier temps, l’anatocisme a été régi par l’article 1154 du Code civil qui prévoyait que « les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière. »

Cette disposition relevait d’une section du Code civil consacrée aux « dommages et intérêts résultant de l’inexécution de l’obligation ».

Est-ce à dire qu’il fallait limiter le domaine de l’anatocisme aux intérêts échus, comme le suggère d’ailleurs expressément le texte. Autrement dit, fallait-il comprendre que seuls les intérêts qui faisaient l’objet d’un retard de paiement pouvaient être capitalisés ?

Aussi, serait-il fait interdiction aux parties d’établir une convention qui stipulerait une capitalisation annuelle des intérêts à échoir.

Comme relevé par les auteurs[9], la Cour de cassation a très tôt écarté cette thèse, bien que l’article 1154 du Code civil vise « les intérêts échus ».

La Haute juridiction a affirmé que le texte n’interdisait nullement la stipulation d’une clause d’anatocisme pour les intérêts à échoir. Selon elle, l’article 1154 énonçait seulement la règle selon laquelle seuls les intérêts échus peuvent faire l’objet d’une capitalisation (V. en ce sens Cass. civ. 15 févr. 1965).

Cette interprétation, pour le moins extensive de l’article 1154 du Code civil, a été validée par le législateur à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans un second temps, le législateur a, en effet, entendu conférer une portée générale à la règle autorisant l’anatocisme puisque désormais énoncée à l’article 1343-2 du Code civil qui relève du droit commun du paiement des obligations de sommes d’argent.

Ce nouveau texte prévoit que « les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise. »

Il s’agit là assurément d’une modernisation de l’ancien article 1154 du Code civil ; les anciennes conditions de l’anatocisme étant reprises.

Pour être valable, plusieurs conditions doivent, en effet, être réunies :

  • Exigence tenant à la source de l’anatocisme
    • L’article 1343-2 du Code civil prévoit que l’anatocisme ne peut jouer que si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise
      • L’anatocisme prévu par le contrat
        • Principe
          • L’anatocisme ne peut donc jouer que si une clause du contrat le prévoit.
          • À défaut, les intérêts de la dette ne pourront pas être capitalisés.
          • À cet égard, les parties pourront prévoir une capitalisation des intérêts, tant pour les intérêts échus, soit ceux qui font l’objet d’un retard de paiement, que pour les intérêts à échoir, pourvu que cette capitalisation soit annuelle
        • Exception
          • La jurisprudence considère que la stipulation d’une clause d’anatocisme est prohibée en matière de crédit consenti à un consommateur.
          • Dans un arrêt du 20 avril 2022 elle a par exemple affirmé que l’article L. 313-52 du Code de la consommation selon lequel aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux qui sont mentionnés à l’article L. 313-51 ne peuvent être mis à la charge de l’emprunteur dans les cas de défaillance prévus par les dispositions de cet article « fait obstacle à l’application de la capitalisation des intérêts prévue par l’ancien article 1154 du Code civil ( 1ère civ. 20 avr. 2002, n°20-23.617).
      • L’anatocisme ordonné par une décision de justice
        • Alors que l’ancien article 1154 du Code civil prévoyait que l’anatocisme pouvait résulter d’« une demande judiciaire», le nouvel article 1343-2 prévoit qu’il peut jouer « si une décision de justice le précise ».
        • Cette modification du texte suggère qu’il n’est désormais plus nécessaire de formuler une demande en justice pour obtenir, faute de stipulation au contrat d’une clause d’anatocisme, la capitation des intérêts produits par une obligation.
        • Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait refusé de reconnaître au juge le pouvoir de prononcer, de sa propre initiative, la capitalisation des intérêts ( 1ère civ. 4 avr. 82-16.683)
        • Cette faculté semble désormais lui être reconnue.
  • Exigence tenant à l’annualité de l’anatocisme
    • L’article 1343-2 du Code civil prévoit que pour être capitalisés, les intérêts échus doivent être « dus au moins pour une année entière».
    • Ainsi, l’anatocisme ne peut jouer que sur la base d’une périodicité annuelle.
    • Limitation vise à empêcher un alourdissement excessif du poids de la dette.
    • Il s’agit là d’une règle d’ordre public, de sorte que les parties ne peuvent pas y déroger par convention contraire.

§3: Les modalités du paiement d’une obligation de somme d’argent

A) La monnaie du paiement

L’article 1343-3, al. 1er du Code civil prévoit que « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros. »

Il s’agit là d’une règle d’ordre public qui donc s’impose, tant au débiteur, qu’au créancier d’une obligation.

Cette règle n’est toutefois pas absolue ; elle ne s’applique que pour les opérations réalisées « en France ».

Pour les opérations qui présentent un caractère international, le paiement en devises étrangères est admis.

B) Les modes de paiement

Si les parties sont libres de choisir le mode de paiement qui leur sied, le législateur a posé certaines restrictions pour le paiement en espèces.

L’article L. 112-6 du Code monétaire et financier prévoit en ce sens que « ne peut être effectué en espèces ou au moyen de monnaie électronique le paiement d’une dette supérieure à un montant fixé par décret, tenant compte du lieu du domicile fiscal du débiteur, de la finalité professionnelle ou non de l’opération et de la personne au profit de laquelle le paiement est effectué. »

Il ressort de cette disposition que le paiement en espèces est interdit au-delà d’un certain montant qui dépend notamment du domicile fiscal du débiteur et de s’il agit ou non pour les besoins de son activité professionnelle :

  • Le débiteur a son domicile fiscal en France ou agi pour les besoins de son activité professionnelle
    • L’article D. 112-3, I, 1° du Code monétaire et financier prévoit que, lorsque le débiteur a son domicile fiscal sur le territoire de la République française ou agit pour les besoins d’une activité professionnelle, il lui ait fait interdiction :
      • de payer en espèce une somme d’argent supérieure à 1.000 euros
      • de payer au moyen de monnaie électronique une somme d’argent supérieure à 3.000 euros
  • Le débiteur a son domicile fiscal en France ou n’agit pas pour les besoins de son activité professionnelle
    • Il convient de distinguer ici selon que le paiement est ou non réalisé au profit de l’une des personnes mentionnées à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier au nombre desquelles figurent notamment les établissements de crédit, les établissements de paiement, les entreprises d’assurance, les institutions de prévoyance, les mutuelles, les intermédiaires en opérations de banque et services de paiement, les intermédiaires d’assurance etc.
      • Le paiement est réalisé au profit d’une personne mentionnée à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier
        • L’article D. 112-3, I, 3° du Code monétaire et financier prévoit qu’il est fait interdiction au débiteur de payer en espèces ou au moyen de monnaie électronique une somme d’argent supérieure à 15.000 euros
      • Le paiement n’est pas réalisé au profit d’une personne mentionnée à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier
        • L’article D. 112-3, I, 2° du Code monétaire et financier prévoit qu’il est fait interdiction au débiteur de payer en espèces ou au moyen de monnaie électronique une somme d’argent supérieure à 10.000 euros

C) Le lieu du paiement

L’article 1343-4 du Code civil prévoit que « à défaut d’une autre désignation par la loi, le contrat ou le juge, le lieu du paiement de l’obligation de somme d’argent est le domicile du créancier. »

Ainsi, pour les obligations monétaires, le paiement est non pas quérable, mais portable, ce qui signifie que c’est au débiteur de se rendre au domicile du créancier aux fins de lui « porter » son dû.

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations.

Le législateur justifie cette nouveauté en avançant « des raisons techniques, liées à la généralisation de la monnaie scripturale (chèque, virement, paiement par carte bancaire). »

[1] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1458, p. 1534

[2] F. Grua, Paiement des obligations de sommes d’argent – Monnaie étrangère, Jcl. Notarial Répertoire, fasc. 40, n°37

[3] J. François, Les obligations – Régime général, éd. Economica, 2020, n°51, p. 52

[4] J. Carbonnier, Les biens, 19e éd., 2000, PUF, n°22.

[5] Article L. 341-48 C. conso

[6] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°964, p. 867.

[7] F. PELTIER, « Le droit positif des taux d’intérêt conventionnels », Banque et droit, juill.-août 1991, p. 127.

[8] Le projet d’article 1154 (ancien) du Code civil prévoyait que « il n’est point dû d’intérêts d’intérêts ».

[9] V. notamment sur cette question F. terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2002, n°607, p. 590.

Les clauses d’indexation: régime

En période de stabilité monétaire, le principe du nominalisme monétaire ne soulève aucune difficulté d’application pour les parties.

La valeur de la monnaie étant constante, le montant de la somme d’argent due au créancier est toujours égal au montant de la dette qui doit être réglée par débiteur.

Lorsque, en revanche, la monnaie connaît des périodes de fluctuation, le principe du nominalisme monétaire est susceptible de contrevenir à l’équité.

Afin de surmonter cette difficulté le législateur a autorisé les parties à déroger contractuellement au principe du nominalisme monétaire qui n’est donc pas d’ordre public.

La pratique a alors développé deux techniques contractuelles permettant de protéger les parties contre le phénomène de fluctuation monétaire :

  • Les clauses monétaires
  • Les clauses d’indexation

Nous nous focaliserons sur les clauses d’indexation.

Une clause d’indexation, qualifiée également de clause d’échelle mobile, est celle qui fait varier le montant de la dette en fonction d’un indice extérieur au contrat.

La clause peut renvoyer, soit à un indice publié par un organisme public ou privé, soit au cours d’une marchandise ou d’un service, pourvu qu’elle ne contrevienne pas au cours forcé.

À l’instar des clauses monétaires, pendant longtemps les clauses d’indexation ont été regardées avec méfiance par la jurisprudence, les juridictions voyant en elles un facteur d’inflation.

En effet, la clause d’indexation ne fait certes pas varier le montant de la somme due par le débiteur en fonction du cours d’une devise étrangère. Toutefois, en stipulant une telle clause les parties cherchent indirectement à se prémunir des fluctuations monétaires susceptibles d’affecter la valeur de l’obligation souscrite.

Afin de limiter le recours aux clauses d’indexation la Cour de cassation a opéré une distinction entre :

  • D’un côté, les clauses qui avaient été stipulées dans le seul but d’échapper aux fluctuations monétaires.
  • D’un autre côté, les clauses qui avaient été stipulées aux fins de préserver l’équivalence économique des prestations.

Tandis que les premières étaient prohibées (Cass. 1ère civ. 3 nov. 1953), les secondes ont été reconnues valables (Cass. 1ère civ. 27 déc. 1954).

Dans ce contexte de fébrilité de la jurisprudence quant à la reconnaissance des clauses de d’indexation, la question de leur validité s’est posée spécifiquement pour les contrats de prêt.

Pour mémoire, l’article 1895 du Code civil prévoit que « s’il y a eu augmentation ou diminution d’espèces avant l’époque du paiement, le débiteur doit rendre la somme prêtée, et ne doit rendre que cette somme dans les espèces ayant cours au moment du paiement. »

Selon cette disposition, qui pose le principe du nominalisme monétaire en matière de prêt, le montant remboursé par l’emprunteur doit correspondre au montant nominal qui a été mis à sa disposition par le prêteur.

Est-ce à dire que, pour cette catégorie de contrat, toute clause visant à indexer le montant de la somme prêtée sur indice et donc à faire fluctuer le montant nominal de la somme devant être remboursée serait nulle ?

Se fondant sur le principe du nominalisme monétaire, certaines juridictions ont statué en ce sens.

La Cour de cassation a toutefois porté un coup d’arrêt à cette jurisprudence dans un arrêt Guyot rendu en date du 27 juin 1957 (Cass. 1ère civ. 27 juin 1957, n°57-01.212).

Aux termes de cette décision, la Première chambre civile affirma que :

  • En premier lieu, que l’article 1895 ne présente aucun caractère d’ordre public dans la mesure où :
    • D’une part, « il a seulement pour objet d’écarter, dans le silence de la convention, une révision judiciaire des conditions de remboursement du prêt d’argent, éventuellement demandée, en vertu de l’article 1892, pour changement de “qualité” de la monnaie. »
    • D’autre part, que « l’ordre public n’exige pas, dans le prêt d’argent, une protection des emprunteurs contre la libre acceptation du risque d’une majoration de la somme à rembourser, destinée à conserver à celle-ci le pouvoir d’achat de la somme prêtée apprécié par rapport au coût d’une denrée, dès lors qu’ils peuvent assumer des risques de même importance dans d’autres contrats»
    • Enfin « qu’on ne peut non plus prétendre que le caractère impératif de cet article serait justifié par des principes d’ordre monétaire, qui l’imposeraient en raison d’un danger que les clauses entraînant cette majoration présenteraient pour la stabilité de la monnaie, l’influence desdites clauses à cet égard apparaissant en l’état trop incertaine pour légitimer une nullité portant une atteinte grave à la sécurité de l’épargne et du crédit»
  • En second lieu, que les lois monétaires en vigueur n’impliquent pas l’invariabilité du pouvoir d’achat de la monnaie, lequel varie avec le prix des denrées, et n’empêchant pas dès lors les prêteurs plus que les autres créanciers de faire état des variations de ce pouvoir d’achat

Ainsi, par cet arrêt, non seulement la Cour de cassation reconnaît admet qu’une clause d’indexation puisse être stipulé dans un contrat de prêt en raison du caractère non impératif de l’article 1895 du Code civil, mais encore elle pose un principe général de validité des clauses d’indexation.

Elle abandonne ainsi la distinction entre les clauses stipulées dans le but de prévenir des fluctuations monétaires et celles stipulées aux fins de garantir l’équilibre économique des prestations.

Désormais, toutes les clauses d’indexation sont réputées valables, peu importe la finalité recherchée par les parties.

Dans un arrêt du 4 décembre 1962, la Cour de cassation a, par suite, appliqué la solution retenue dans l’arrêt Guyot aux clauses valeur or.

Après avoir rappelé « qu’aucune clause d’indexation n’est interdite par l’article 1895, texte non impératif », la Première chambre civile affirme que « la stipulation faisant dépendre le nombre de francs à rembourser du cours des Pièces d’or union latine n’était pas illicite, la liberté des transactions sur ces pièces et la reconnaissance officielle des variations corrélatives de leur valeur en francs, impliquant nécessairement la possibilité pour les particuliers de subordonner le montant d’un payement a ces variations » (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1962).

Puis dans un arrêt du 10 mai 1966, la Haute juridiction reconnaît, pour la première fois, la validité des clauses valeur-monnaie étrangère, soit celles qui utilisent la monnaie, non pas comme une monnaie de paiement, mais comme une monnaie de compte, peu importe qu’elles soient stipulées dans un contrat qui ne présente aucun caractère international (Cass. 1ère civ. 10 mai 1966).

Pour justifier sa position, la Cour de cassation a indiqué, dans plusieurs arrêts, que la fixation d’une créance en monnaie étrangère devait s’analyser en « une indexation déguisée » (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°87-16.341).

Or dans la mesure où les clauses d’indexation sont valides, il doit en être de même pour les clauses de valeur-monnaie étrangère.

Aujourd’hui, l’article 1343, al. 2e du Code civil, issu l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations, prévoit expressément que « le montant de la somme due peut varier par le jeu de l’indexation ».

Une lecture rapide de cette disposition suggère que le législateur a entendu reconnaître les clauses d’indexation. L’apparence est toutefois trompeuse.

À l’analyse, il y a lieu de comprendre ce texte comme posant moins un principe de validité des clauses d’indexation que comme une atténuation à la règle du nominalisme monétaire.

La liberté de stipuler des clauses d’indexation est, en effet, enfermée dans des conditions strictes énoncées aux articles L. 112-1 et suivants du Code monétaire et financière. Ces dispositions sont issues des ordonnances n° 58-1374 du 30 décembre 1958 et n° 59-246 du 4 février 1959.

I) Le régime des clauses d’indexation

A) Principe

L’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services ».

Ainsi, cette disposition prohibe le recours par les parties à des indices généraux. Lors de l’instauration de cette prohibition, le principal objectif recherché par le législateur n’était autre que la lutte contre l’inflation.

Concrètement, il est donc fait interdiction aux parties d’indexer les obligations stipulées au contrat sur :

  • D’une part, le SMIC
    • Dans un arrêt du 18 mars 1992, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une décision rendue par un Conseil de prud’hommes qui avait validé la clause stipulée dans un contrat de travail qui « prévoyait une rémunération brute horaire égale au SMIC augmenté de 7 %» ( soc. 18 mars 1992, n°88-43.434).
    • Pour la Chambre sociale, la prohibition des « clauses prévoyant des indexations fondées sur le SMIC le salaire minimum interprofessionnel de croissance» interdisait à l’employeur de « consentir par avance une révision automatique du salaire basée sur le SMIC ».
  • D’autre part, le niveau général des prix
    • La Cour de cassation a ainsi jugé dans un arrêt du 27 mars 1990 qu’était nulle la clause stipulée dans un contrat de location-gérance d’un fonds de commerce prévoyant que la redevance serait indexée sur l’indice des prix à la consommation des ménages urbains ( com. 27 mars 1990, n°88-15.092)
  • Enfin, le niveau général des salaires
    • Dans un arrêt du 3 novembre 1988, la Cour de cassation a, par exemple, jugé qu’était « atteinte d’une nullité absolue » la clause stipulée dans un contrat de fourniture de marchandises prévoyant l’indexation du prix de vente « sur l’indice général des taux de salaires horaires des ouvriers toutes activités série France entière» ( com. 3 nov. 1988, n°87-10.043).

B) Tempéraments

1. L’indexation libre

La prohibition du recours par les parties à des indices généraux n’est pas absolue. Elle souffre d’exceptions prévues par la loi.

L’article L. 112-2, al. 3e du CMF prévoit notamment que l’indexation est libre pour les opérations intéressant les dettes d’aliments.

Par rente d’aliments il faut entendre, précise le texte « les rentes viagères constituées entre particuliers, notamment en exécution des dispositions de l’article 759 du code civil ».

L’indexation peut encore être librement stipulée pour les prestations compensatoires qui prennent la forme de rentes (art. 276-1 C. civ.)

L’article L. 112-3 du CMF autorise, par ailleurs, l’indexation de certaines conventions sur le niveau général des prix :

  • Les livrets A définis à l’article L. 221-1 ;
  • Les comptes sur livret d’épargne populaire définis à l’article L. 221-13 ;
  • Les livrets de développement durable et solidaire définis à l’article L. 221-27 ;
  • Les comptes d’épargne-logement définis à l’article L. 315-1 du code de la construction et de l’habitation ;
  • Les livrets d’épargne-entreprise définis à l’article 1er de la loi n° 84-578 du 9 juillet 1984 sur le développement de l’initiative économique ;
  • Les livrets d’épargne institués au profit des travailleurs manuels définis à l’article 80 de la loi de finances pour 1977 (n° 76-1232 du 29 décembre 1976) ;
  • Les prêts accordés aux personnes morales ainsi qu’aux personnes physiques pour les besoins de leur activité professionnelle;
  • Les loyers prévus par les conventions portant sur un local d’habitation ou sur un local affecté à des activités commerciales ou artisanales relevant du décret prévu au premier alinéa de l’article L. 112-2 ;
  • Les loyers prévus par les conventions portant sur un local à usage des activités prévues au deuxième alinéa de l’article L. 112-2 ;
  • Les rémunérations des cocontractants de l’Etat et de ses établissements publics ainsi que les rémunérations des cocontractants des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et de leurs groupements, au titre des contrats de concession et de marché de partenariat conclus dans le domaine des infrastructures et des services de transport.

L’article D. 112-1 précise que l’indexation sur le niveau général des prix autorisée pour les produits et services visés à l’article L. 112-3 est mise en œuvre en utilisant l’indice des prix à la consommation pour l’ensemble des ménages, hors tabac, publié mensuellement par l’Institut national de la statistique et des études économiques.

Enfin, l’article L. 112-3-1 du CPC prévoit que « l’indexation des titres de créance et des contrats financiers mentionnés respectivement au 2 du II et au III de l’article L. 211-1 est libre. »

2. L’indexation encadrée

S’il est fait interdiction pour les parties à un contrat de recourir à des indices généraux aux fins d’indexer leurs créances, l’article L. 112-2 du CMF les autorise à se référer à des indices spéciaux.

Ce texte prévoit, en effet, que l’indexation est permise lorsque l’indice stipulé au contrat entretient une relation directe :

  • Soit avec l’objet de la convention
  • Soit avec l’activité de l’une des parties

a. L’indexation en relation directe avec l’objet de la convention

La clause d’indexation est donc valable, à la condition que l’indice choisi par les parties soit en relation directe avec l’objet de la convention.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « l’objet de la convention ».

Deux approches sont possibles :

  • Une approche restrictive
    • Cette approche consiste à appréhender la notion « d’objet de la convention» au regard du droit commun des contrats.
    • Si l’on emprunte cette voie, l’objet de la convention désigne la prestation à propos de laquelle l’accord des parties est intervenu et autour de laquelle s’ordonne l’économie du contrat
  • Une approche extensive
    • Cette approche consiste à s’émanciper du droit commun des contrats pour inclure dans l’objet de la convention la finalité recherchée par les parties.
    • L’objet de la convention ne se limiterait donc pas seulement à l’objet de l’obligation des parties, il embrasserait également le but poursuivi par elles.

Entre ces deux approches, la jurisprudence a opté pour la seconde. Dans un arrêt du 9 janvier 1974, la Cour de cassation a, en effet, jugé à propos de la stipulation d’une clause d’indexation dans un contrat de prêt que « l’objet de la convention, au sens de l’article 79 de l’ordonnance du 30 décembre 1958 modifie par l’article 14 de l’ordonnance du 4 février 1959, doit s’entendre dans son acception la plus large et que notamment l’objet d’un prêt peut être de permettre à l’acquéreur de construire ou d’acheter un immeuble » (Cass. 1ère civ. 9 janv. 1974, n°72-13.846).

En l’espèce, pour déterminer s’il existait un lien direct entre l’indice choisi par les parties et l’objet du prêt la haute juridiction examine la finalité du contrat de prêt qui avait été conclu aux fins de financier l’acquisition d’un bien immobilier.

Elle en déduit que la clause indexant la dette d’emprunt sur l’indice du coût de la construction était parfaitement valable.

b. L’indexation en relation directe avec l’activité de l’une des parties

La clause d’indexation est également valable lorsque l’indice retenu par les parties est en relation directe avec l’activité de l’une d’elles.

Comme pour la notion d’objet de la convention, la jurisprudence s’est livrée à une interprétation extensive de la notion d’activité de l’une des parties.

Elle a, en effet, admis que l’activité en cause ne devait pas nécessairement être celle exercée à titre principal (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 7 mars 1984, n°83-11.094).

Dans un arrêt du 6 juin 1984, la Cour de cassation a précisé que le changement d’activité de l’une des parties au cours du contrat était indifférent dans la mesure où « la validité d’une clause d’indexation doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat et ne peut être affectée par le changement d’activité du débiteur survenu ultérieurement » (Cass. 1ère civ. 6 juin 1984, n°83-12.301).

c. Le caractère direct de la relation entre l’indice choisi et l’objet de la convention ou l’activité de l’une des parties

==> Appréciation de l’existence d’une relation directe

L’appréciation du caractère direct de la relation entre l’indice choisi et l’objet de la convention ou l’activité de l’une des parties relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Dans un arrêt du 4 mars 1964, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’appréciation du rapport existant entre la nature de l’indice et l’objet du contrat, étant fonction de la part plus ou moins importante pour laquelle le produit ou service envisage est susceptible d’entrer dans la réalisation de cet objet, est une question de fait qui échappe au contrôle de la cour de cassation » (Cass. com. 4 mars 1964).

À l’analyse, les juridictions font plutôt montre d’une grande indulgence en la matière. La Cour de cassation a, par exemple, jugé dans un arrêt du 31 janvier 1984 qu’il existait une relation suffisamment directe entre le prêt consenti à un restaurateur et le prix des bouteilles d’eau de la marque « Perrier » sur lequel le financement était indexé (Cass. com. 31 janv. 1984, n°82-16.533).

Il a encore été jugé que cette relation directe existait entre le prix de vente du fonds de commerce d’un garagiste et le salaire de l’ouvrier qualifié dans l’échelon le plus élevé qui avait été utilisé comme indice de valorisation du fonds (Cass. 3e civ. 15 févr. 1972, n°70-13.280).

La Troisième chambre civile a décidé, dans le même sens, qu’était valide l’indexation du prix de vente d’une exploitation agricole sur le cours du lait (Cass. 3e civ. 4 juin 1971, n°69-14.047).

Il ressort de ces décisions que la jurisprudence reconnaît l’existence d’une relation directe dans des cas où l’indexation repose sur des éléments qui ne représentent que très partiellement l’activité.

Malgré, la souplesse de la jurisprudence quant à l’appréciation de cette relation directe entre l’indice choisi et l’activité exercée par l’une des parties ou l’objet de la convention, les parties ne sont pas à l’abri de voir annuler la clause d’indexation stipulée au contrat.

Dans un arrêt du 22 octobre 1970, la Cour de cassation a, par exemple, jugé illicite l’indexation de la valeur d’un immeuble sur le cours de la pièce d’or Napoléon (Cass. 3e civ. 22 oct. 1970, n°69-11.470).

Elle a également cassé, dans un arrêt du 16 février 1993, la décision d’une Cour d’appel qui avait déclaré licite la clause prévoyant l’indexation de la redevance due par un locataire-gérant sur l’indice national du coût de la construction.

La Chambre commerciale considère que, au cas particulier, il n’y avait pas de relation directe entre l’indice choisi et l’activité exercé par l’une des parties, dans la mesure où le contrat de location-gérance d’un fonds de commerce est relatif à un bien meuble incorporel et non à un immeuble bâti. Or l’indice du coût de la construction intéresse précisément les immeubles bâtis (Cass. com. 16 févr. 1993, n°91-13.277).

==> Présomptions de relation directe

Afin de prévenir les difficultés d’appréciation de la validité des clauses d’indexation, le législateur a posé des présomptions de relation directe jouant dans trois cas précis :

  • Présomption de relation directe entre l’indice du coût de la construction et une convention relative à un immeuble bâti
    • Issu de la loi n° 70-600 du 9 juillet 1970 modifiant l’article 79 de l’ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958, relatif aux indexations, l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « est réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble bâti toute clause prévoyant une indexation sur la variation de l’indice national du coût de la construction publié par l’Institut national des statistiques et des études économiques»
  • Présomption de relation directe entre l’indice trimestriel des loyers commerciaux et certaines activités commerciales ou artisanales
    • Issu de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « est réputée en relation directe […] toute clause prévoyant une indexation […] pour des activités commerciales ou artisanales définies par décret, sur la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux publié dans des conditions fixées par ce même décret par l’Institut national de la statistique et des études économiques.»
  • Présomption de relation directe entre l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires et les conventions relatives à un immeuble conclues pour une activité autre que commerciale ou artisanale
    • Issu de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, l’article L. 112-2, al. 2e du Code monétaire et financier prévoit que « est également réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble toute clause prévoyant, pour les activités autres que celles visées au premier alinéa ainsi que pour les activités exercées par les professions libérales, une indexation sur la variation de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques dans des conditions fixées par décret. »

3. L’indexation interdite

Outre la prohibition générale de l’indexation automatique des prix de biens ou de services posée par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier, cette même disposition prévoit des interdictions spécifiques en matière de contrats à exécution successive et de baux d’habitation.

L’alinéa 2e de ce texte prévoit ainsi que « est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision. »

L’alinéa 3e de l’article L. 112-1 du CMF prévoit encore que « est interdite toute clause d’une convention portant sur un local d’habitation prévoyant une indexation fondée sur l’indice ” loyers et charges ” servant à la détermination des indices généraux des prix de détail. »

Le texte poursuit en énonçant qu’« il en est de même de toute clause prévoyant une indexation fondée sur le taux des majorations légales fixées en application de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948, à moins que le montant initial n’ait lui-même été fixé conformément aux dispositions de ladite loi et des textes pris pour son application. »

II) Sanction

La mise en œuvre d’une clause d’indexation est susceptible de se heurter à deux difficultés :

  • Sont irrégularité au regard du cadre contraignant posé par le législateur
  • La disparition de l’indice au cours du contrat

A) L’irrégularité de l’indice choisi par les parties

==> La nature de la nullité

Il est admis que l’irrégularité d’une clause d’indexation soit sanctionnée par la nullité absolue (Cass. com. 3 nov. 1988, n°87-10.043). La raison en est que cette irrégularité porterait atteinte à l’ordre public monétaire.

D’aucuns soutiennent toutefois que, en raison de l’admission par le législateur des clauses d’indexation, les règles encadrant leur stipulation viseraient moins à défendre l’ordre public de direction, qu’à protéger les débiteurs contre les dangers représentés par l’indexation d’une dette.

Aussi, pour une frange de la doctrine « l’indexation devrait être frappée de nullité simplement relative »[3].

Pour l’heure, la Cour de cassation n’a adopté aucune décision en ce sens.

==> L’étendue de la nullité

S’agissant de l’étendue de la nullité, la question s’est posée de savoir si elle affectait seulement la clause jugée irrégulière ou si elle anéantissait l’acte dans son entier.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition de portée générale régissant l’étendue de la nullité.

Tout au plus, on a pu voir dans la combinaison des articles 900 et 1172 une distinction à opérer s’agissant de l’étendue de la nullité entre les actes à titre gratuit et les actes à titre onéreux.

  • Les actes à titre gratuit
    • L’article 900 du Code civil prévoit que « dans toute disposition entre vifs ou testamentaire, les conditions impossibles, celles qui sont contraires aux lois ou aux mœurs, seront réputées non écrites»
    • Pour les actes à titre gratuit, la nullité pourrait donc n’être que partielle en cas d’illicéité d’une clause
  • Les actes à titre onéreux
    • L’ancien article 1172 prévoyait que « toute condition d’une chose impossible, ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi est nulle, et rend nulle la convention qui en dépend»
    • Sur le fondement de cette disposition les auteurs estimaient que, pour les actes à titre onéreux, l’illicéité d’une stipulation contractuelle entachait l’acte dans son ensemble de sorte que la nullité ne pouvait être totale.

Manifestement, la jurisprudence a très largement dépassé ce clivage.

Les tribunaux ont préféré s’appuyer sur le critère du caractère déterminant de la clause dans l’esprit des parties. Ella a notamment retenu cette approche pour les clauses d’indexation (Cass. 3e civ. 24 juin 1971, n°70-11.730).

Aussi, la détermination de l’étendue de la nullité supposait-elle de distinguer deux situations :

  • Lorsque la clause présente un caractère « impulsif et déterminant», soit est essentielle, son illicéité affecte l’acte dans son entier
    • La nullité est donc totale
  • Lorsque la clause illicite ne présente aucun caractère « impulsif et déterminant», soit est accessoire, elle est seulement réputée non-écrite
    • La nullité est donc partielle

Jugeant le Code civil « lacunaire » sur ce point, à l’occasion de la réforme des obligations, le législateur a consacré la théorie de la nullité partielle, reprenant le critère subjectif institué par la jurisprudence.

Aux termes de l’article 1184, al. 1er du Code civil, « lorsque la cause de nullité n’affecte qu’une ou plusieurs clauses du contrat, elle n’emporte nullité de l’acte tout entier que si cette ou ces clauses ont constitué un élément déterminant de l’engagement des parties ou de l’une d’elles. »

Il ressort de cette disposition que quand bien même un acte est affecté par une cause de nullité, il peut être sauvé.

Le juge dispose, en effet, de la faculté de ne prononcer qu’une nullité partielle de l’acte.

Cela suppose toutefois que deux conditions soient remplies :

  • L’illicéité affecte une ou plusieurs clauses de l’acte
  • La stipulation desdites clauses ne doit pas avoir été déterminante de l’engagement des parties

Si ces deux conditions sont remplies, les clauses affectées par la cause de nullité seront réputées non-écrites

L’application de cette règle à la clause d’indexation signifie que si elle a été déterminante du consentement des parties, alors le contrat doit être annulé dans son intégralité.

 Dans le cas contraire, la clause d’indexation doit seulement être réputée non écrite. Aussi, appartient-il aux juges de rechercher l’intention des parties.

Dans un arrêt du 14 janvier 2016, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui pour prononcer la nullité d’une clause d’indexation avait relevé « le caractère essentiel de l’exclusion d’un ajustement à la baisse du loyer à la soumission du loyer à l’indexation » (Cass. 3e civ. 14 janv. 2016, n°14-24.681).

Dans un arrêt du 29 novembre 2018, la Troisième chambre civile a toutefois cherché à moduler cette sanction en censurant une Cour d’appel qui avait réputé non écrite la clause d’indexation dans son entier. Or elle estime que seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée doit être réputée non écrite (Cass. 3e civ. 29 nov. 2018, n°17-23.058).

Cette limite vise à contenir les conséquences financières de l’annulation de l’intégralité d’une clause d’indexation. Il s’agit, en effet, d’éviter que le créancier ait à restituer l’intégralité des sommes indûment perçues résultant de l’indexation.

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la question s’est posée de savoir si plutôt que d’annuler la clause d’indexation, même partiellement, le juge ne pouvait pas procéder à une substitution de l’indice irrégulier.

Dans un arrêt du 14 octobre 1975, la Cour de cassation a rejeté cette thèse en affirmant que le juge ne pouvait pas « se substituer aux parties pour remplacer une clause d’indexation, déclarée nulle par la loi, par une clause nouvelle se référant à un indice diffèrent » (Cass. 3e civ. 14 oct. 1975, n°74-12.880).

Elle a toutefois tempéré son approche en admettant, dans un arrêt du 22 juin 1987, que le juge puisse substituer à l’indice annulé un indice admis par la loi, dès lors que cette substitution se déduit de la commune intention des parties (Cass. 3e civ. 22 juill. 1987, n°84-10.548).

Cette position adoptée par la Cour de cassation ne paraît pas avoir été remise en cause par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations.

Le nouvel article 1167 introduit dans le code civil par ce texte prévoit, en effet, que « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Certes ce texte n’envisage la réfaction du contrat qu’en cas de disparition ou d’inapplication de l’indice. La doctrine considère toutefois que la règle peut être étendue au cas de nullité de l’indice irrégulier.

==> L’action en nullité

S’agissant des titulaires de l’action en nullité, l’article 1180 du Code civil prévoit que « la nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, ainsi que par le ministère public. »

Quant au délai de prescription de l’action, il y a lieu de distinguer selon que la nullité est soulevée par voie d’action ou par voie d’exception :

Lorsque la nullité est invoquée par voie d’action, l’article 2224 du Code civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans ».

Lorsque, en revanche, la nullité est soulevée par voie d’action, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.

Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »

Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle.

B) La disparition de l’indice choisi par les parties

L’article 1167 du Code civil prévoit « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Lorsqu’ainsi l’indice choisi par les parties est inapplicable, le juge est investi du pouvoir de le remplacer par un autre indice. Ce pouvoir avait déjà été reconnu au juge sous l’empire du droit antérieur (V. en ce sens Cass. 3e civ. 12 janv. 2005, n°03-17.260)

Il a également été admis que le juge puisse se faire assister par un expert afin de déterminer les évolutions probables de l’indice qui a cessé d’exister (Cass. com. 25 févr. 1963).

En cas d’impossibilité de déterminer l’évolution de l’indice qui a cessé d’exister ou de le substituer par un nouvel indice, l’issue retenue par le juge devrait, en toute logique, être la caducité du contrat (V. en ce sens Cass. com., 30 juin 1980, n° 79-10.632).

[1] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1458, p. 1534

[2] F. Grua, Paiement des obligations de sommes d’argent – Monnaie étrangère, Jcl. Notarial Répertoire, fasc. 40, n°37

[3] J. François, Les obligations – Régime général, éd. Economica, 2020, n°51, p. 52

La charge de la preuve du paiement

La preuve du paiement présente un enjeu majeur, dans la mesure où, en cas de litige, elle détermine le sort de l’obligation dont le débiteur se prétend être déchargée.

Deux questions alors se posent : qui doit prouver ? comment prouver ?

Nous nous focaliserons ici sur la charge de la preuve du paiement.

==> Principe

Signe que la réforme du régime général des obligations entreprise par le législateur en 2016 n’est pas totalement aboutie, la charge de la preuve du paiement n’est pas abordée dans la partie du Code civil dédié au paiement.

Pour trouver la règle qui répond à la question de savoir à qui incombe la charge de la preuve du paiement, il y a lieu de se reporter à l’article 1353, al. 2e du Code civil qui relève d’un Titre consacré à la preuve des obligations. 

Cette disposition prévoit que « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »

Il ressort de cette disposition que la preuve du paiement pèse sur le débiteur. Encore faut-il toutefois que le créancier ait préalablement rapporté la preuve de l’obligation dont il se prévaut.

En effet, les deux alinéas de l’article 1353 du Code civil fonctionnent ensemble ; en ce sens qu’ils organisent une réparation de la charge de la preuve. Aussi, ne saurait-on lire l’un sans l’autre ; leur application est nécessairement combinée :

  • Premier alinéa de l’article 1353 du Code civil
    • Cet alinéa pose que c’est d’abord à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver
    • Autrement dit, il appartient au créancier de prouver l’existence de l’obligation dont il se prévaut et dont il revendique l’exécution
    • S’il n’y parvient pas, il succombera sans que le débiteur n’ait à rapporter la preuve du paiement.
  • Second alinéa de l’article 1353 du Code civil
    • Ce n’est que dans l’hypothèse où le créancier parvient à établir l’existence de son droit, qu’il incombera au débiteur de prouver qu’il s’est dûment libéré de son obligation.
    • Autrement dit, il devra rapporter la preuve du paiement, soit de l’exécution de la prestation due.

==> Exceptions

  • Le paiement d’une obligation de moyens
    • Pour mémoire, on dit que l’obligation est de moyens lorsque le débiteur s’engage à mobiliser toutes les ressources dont il dispose pour accomplir la prestation promise, sans garantie du résultat
      • Exemple : le médecin a l’obligation de soigner son patient, mais n’a nullement l’obligation de le guérir.
      • Dans cette configuration, le débiteur ne promet pas un résultat : il s’engage seulement à mettre en œuvre tous les moyens que mettrait en œuvre un bon père de famille pour atteindre le résultat
    • Pour que la responsabilité du débiteur puisse être recherchée, il doit être établi que celui-ci a commis une faute, soit que, en raison de sa négligence ou de son imprudence, il n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat promis.
    • Il y a là une inversion de la charge de la preuve qui ne pèse donc, non pas sur le débiteur, mais sur le créancier.
  • L’exécution d’une obligation de ne pas faire
    • En présence d’une obligation de ne pas faire, l’application de l’article 1353, al. 2e du Code civil devrait conduire à imposer au débiteur d’établir qu’il s’est abstenu, ce qui revient à exiger de lui qu’il rapporte la preuve d’un fait négatif.
    • Parce que cette preuve est, par nature, difficile sinon impossible à rapporter, il est fréquent que la jurisprudence renverse la charge de la preuve en pareille circonstance.
    • Aussi, n’est pas au débiteur de prouver son abstention, mais au créancier de rapporter la preuve d’une action fautive (V. en ce sens com., 19 sept. 2006, n°05-16.406; Cass. com., 28 mars 2018, n° 17-10.600 ; Cass. soc. 25 mars 2009, n°07-41.894).
  • La stipulation d’une clause contraire
    • En application de l’article 1356 du Code civil, les parties sont libres d’aménager conventionnellement les règles de preuve et notamment la preuve du paiement.
  • Les présomptions légales
    • Il est des textes qui instituent, en certaines circonstances, des présomptions de paiement, ce qui a pour conséquence de renverser la charge de la preuve qui dès lors pèse, non plus sur le débiteur, mais sur le créancier.
    • On en abordera deux :
      • La remise au débiteur du titre constatant la créance
        • L’article 1342-9 du Code civil prévoit que « la remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération. »
        • Cette disposition crée ainsi une présomption de paiement à la faveur du débiteur dans l’hypothèse où le créancier lui aurait remis le titre constatant l’obligation qui les lie.
        • En cas de litige, c’est donc au créancier qu’il reviendra de prouver qu’il n’a pas été payé par le débiteur.
      • La mention apposée sur le titre constatant la créance
        • L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :
          • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur. »
          • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »
        • Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.
        • La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.

La preuve du paiement

La preuve du paiement présente un enjeu majeur, dans la mesure où, en cas de litige, elle détermine le sort de l’obligation dont le débiteur se prétend être déchargée.

Deux questions alors se posent : qui doit prouver ? comment prouver ?

A) La charge de la preuve du paiement

==> Principe

Signe que la réforme du régime général des obligations entreprise par le législateur en 2016 n’est pas totalement aboutie, la charge de la preuve du paiement n’est pas abordée dans la partie du Code civil dédié au paiement.

Pour trouver la règle qui répond à la question de savoir à qui incombe la charge de la preuve du paiement, il y a lieu de se reporter à l’article 1353, al. 2e du Code civil qui relève d’un Titre consacré à la preuve des obligations. 

Cette disposition prévoit que « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »

Il ressort de cette disposition que la preuve du paiement pèse sur le débiteur. Encore faut-il toutefois que le créancier ait préalablement rapporté la preuve de l’obligation dont il se prévaut.

En effet, les deux alinéas de l’article 1353 du Code civil fonctionnent ensemble ; en ce sens qu’ils organisent une réparation de la charge de la preuve. Aussi, ne saurait-on lire l’un sans l’autre ; leur application est nécessairement combinée :

  • Premier alinéa de l’article 1353 du Code civil
    • Cet alinéa pose que c’est d’abord à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver
    • Autrement dit, il appartient au créancier de prouver l’existence de l’obligation dont il se prévaut et dont il revendique l’exécution
    • S’il n’y parvient pas, il succombera sans que le débiteur n’ait à rapporter la preuve du paiement.
  • Second alinéa de l’article 1353 du Code civil
    • Ce n’est que dans l’hypothèse où le créancier parvient à établir l’existence de son droit, qu’il incombera au débiteur de prouver qu’il s’est dûment libéré de son obligation.
    • Autrement dit, il devra rapporter la preuve du paiement, soit de l’exécution de la prestation due.

==> Exceptions

  • Le paiement d’une obligation de moyens
    • Pour mémoire, on dit que l’obligation est de moyens lorsque le débiteur s’engage à mobiliser toutes les ressources dont il dispose pour accomplir la prestation promise, sans garantie du résultat
      • Exemple : le médecin a l’obligation de soigner son patient, mais n’a nullement l’obligation de le guérir.
      • Dans cette configuration, le débiteur ne promet pas un résultat : il s’engage seulement à mettre en œuvre tous les moyens que mettrait en œuvre un bon père de famille pour atteindre le résultat
    • Pour que la responsabilité du débiteur puisse être recherchée, il doit être établi que celui-ci a commis une faute, soit que, en raison de sa négligence ou de son imprudence, il n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat promis.
    • Il y a là une inversion de la charge de la preuve qui ne pèse donc, non pas sur le débiteur, mais sur le créancier.
  • L’exécution d’une obligation de ne pas faire
    • En présence d’une obligation de ne pas faire, l’application de l’article 1353, al. 2e du Code civil devrait conduire à imposer au débiteur d’établir qu’il s’est abstenu, ce qui revient à exiger de lui qu’il rapporte la preuve d’un fait négatif.
    • Parce que cette preuve est, par nature, difficile sinon impossible à rapporter, il est fréquent que la jurisprudence renverse la charge de la preuve en pareille circonstance.
    • Aussi, n’est pas au débiteur de prouver son abstention, mais au créancier de rapporter la preuve d’une action fautive (V. en ce sens com., 19 sept. 2006, n°05-16.406; Cass. com., 28 mars 2018, n° 17-10.600 ; Cass. soc. 25 mars 2009, n°07-41.894).
  • La stipulation d’une clause contraire
    • En application de l’article 1356 du Code civil, les parties sont libres d’aménager conventionnellement les règles de preuve et notamment la preuve du paiement.
  • Les présomptions légales
    • Il est des textes qui instituent, en certaines circonstances, des présomptions de paiement, ce qui a pour conséquence de renverser la charge de la preuve qui dès lors pèse, non plus sur le débiteur, mais sur le créancier.
    • On en abordera deux :
      • La remise au débiteur du titre constatant la créance
        • L’article 1342-9 du Code civil prévoit que « la remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération. »
        • Cette disposition crée ainsi une présomption de paiement à la faveur du débiteur dans l’hypothèse où le créancier lui aurait remis le titre constatant l’obligation qui les lie.
        • En cas de litige, c’est donc au créancier qu’il reviendra de prouver qu’il n’a pas été payé par le débiteur.
      • La mention apposée sur le titre constatant la créance
        • L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :
          • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur. »
          • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »
        • Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.
        • La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.

B) Les modes de preuve du paiement

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, le mode de preuve du paiement a donné lieu à une controverse. Cette controverse a vu s’opposer deux thèses : celle de l’acte juridique et celle du fait juridique

  • Thèse du fait juridique
    • Selon cette thèse, le paiement ne serait autre qu’un fait juridique car, au fond, il tirerait ses effets de la loi et non de la volonté du débiteur.
    • Si donc le paiement produit, tantôt un effet extinctif, tantôt un effet subrogatoire, ce n’est pas parce que les parties intéressées à l’opération l’ont voulu, mais parce que la loi le prévoit.
    • En tant que fait juridique, le paiement pourrait alors se prouver par tous moyens
  • Thèse de l’acte juridique
    • Selon cette thèse, le paiement s’analyserait en une convention conclue entre le solvens (celui qui paye) et l’accipiens (celui qui est payé) aux fins d’éteindre l’obligation originaire.
    • Il en résulterait que la preuve du paiement supposerait la production d’un écrit, conformément à l’article 1364 du Code civil

Entre ces deux thèses, la Cour de cassation a opté pour la seconde. Dans un arrêt du 6 juillet 2004, elle a jugé que « la preuve du paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens » (Cass. 1ère civ. 6 juill. 2004, 01-14.618).

Cinq ans plus tard, la Deuxième chambre civile a statué dans le même sens, dans un arrêt du 17 décembre 2009 (Cass. 2e civ. 17 déc. 2009, n°06-18.649)

Alors qu’une position semblait avoir été arrêtée par la Cour de cassation, la Chambre sociale (Cass. soc. 11 janv. 2006, n°04-41.231), puis la Troisième chambre civile (Cass. 3e civ. 27 févr. 2008, n°07-10.222) ont semé le doute en rendant des décisions intéressant la preuve du paiement au visa de l’ancien article 1341 du Code civil, soit celui exigeant la production d’un écrit.

==> Droit positif

À l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le législateur a entendu clarifier l’état du droit positif.

Aussi, a-t-il inséré un article 1342-8 dans le Code civil qui dispose que « le paiement se prouve par tout moyen. »

À l’analyse, si la règle énoncée met un terme à l’incertitude jurisprudentielle née de la divergence entre les Chambres de la Cour de cassation, elle ne règle pas la question de la qualification du paiement.

Comme souligné par des auteurs « selon que l’on se prononce en faveur de la qualification d’acte ou de fait juridique, l’article 1342-8 du Code civil apparaîtra comme une simple application du droit commun ou, au contraire, comme une remarquable exception »[8].

En tout état de cause, parce que le paiement se prouve « par tout moyen », le débiteur est autorisé à mobiliser tous les modes de preuves aux fins d’établir sa prétention au nombre desquels figurent notamment l’écrit, le témoignage, la présomption judiciaire, l’aveu et le serment.

Parfois, il pourra être dispensé de rapporter la preuve du paiement en présence d’une présomption légale.

1. La liberté de la preuve ou les modes de preuve admis

1.1. L’écrit

Si la production d’un écrit n’est pas exigée pour prouver le paiement, cela ne signifie pas pour autant qu’il est fait interdiction au débiteur d’y recourir.

Parce que le paiement se prouve par tout moyen, l’écrit est admis au même titre que les autres modes de preuve.

Si, en théorie, ils sont tous placés sur un pied d’égalité, en pratique, le débiteur portera son choix, la plupart du temps, sur l’écrit en raison de la force probante que le juge lui prêtera.

Encore faut-il qu’il réponde à certaines exigences, quant à sa forme et quant à son origine, faute de quoi le juge est susceptible, au mieux, de le reléguer au rang de commencement de preuve par écrit, au pire, de l’écarter purement et simplement.

a. La forme de l’écrit

La constatation dans un écrit du paiement consiste habituellement en l’établissement d’une quittance, appelée autrement « reçu ».

La quittance ne doit pas être confondue avec la facture :

  • La quittance constate le paiement ; elle est remise au débiteur après qu’il s’est acquitté de son obligation
  • La facture détaille le contenu et le prix de la prestation fournie par le créancier ; elle est remise au débiteur en vue du paiement

 S’agissant de la quittance, elle peut être établie, soit par acte sous seing privé, soit par acte notarié.

  • La quittance sous seing privée
    • Pour valoir acte sous seing privé, la quittance doit comporter la signature du créancier, l’objet du paiement et sa cause.
    • S’agissant de la date et des modalités du paiement, la Cour de cassation a jugé que ces éléments n’étaient pas exigés à titre de validité de la quittance (V. en ce sens 1ère civ. 12 févr. 1964; Cass. 1ère civ. 16 mars 2004, n°01-11.274).
  • La quittance sous forme authentique
    • Il est des cas où la loi exige que la quittance soit établie par voie d’acte authentique.
    • L’article 1346-2, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « la subrogation peut être consentie sans le concours du créancier, mais à la condition que la dette soit échue ou que le terme soit en faveur du débiteur. Il faut alors que l’acte d’emprunt et la quittance soient passés devant notaire, que dans l’acte d’emprunt il soit déclaré que la somme a été empruntée pour faire le paiement, et que dans la quittance il soit déclaré que le paiement a été fait des sommes versées à cet effet par le nouveau créancier. »

Dans l’hypothèse où la quittance ne satisfait aux exigences notamment parce que le débiteur, ni de l’acte sous seing privé, ni de l’acte authentique, elle vaudra seulement commencement par écrit.

Tel sera le cas lorsque, soit la quittance ne sera pas signée par le créancier, soit le débiteur n’en détiendra qu’une copie (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 27 mai 1986, n°84-14.370).

b. L’origine de l’écrit

Pour mémoire, l’article 1363 du Code civil prévoit que « nul ne peut se constituer de titre à soi-même. »

Il ressort de cette disposition que pour valoir écrit, l’acte produit par le débiteur à titre de preuve ne peut pas avoir été préconstitué par lui ; il doit émaner, soit du créancier, soit d’un tiers.

Cette règle est-elle applicable à la preuve du paiement ? La question se pose dans la mesure où le paiement se prouve par tous moyens ce qui suggère qu’il s’analyserait en un fait juridique.

Or l’article 1363 du Code civil s’applique à la preuve des actes juridiques, soit aux cas où l’écrit est exigé.

À cet égard, sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 6 mars 2014 que « le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même n’est pas applicable à la preuve d’un fait juridique » (Cass. 2e civ. 6 mars 2014, n°13-14.294)

Est-ce à dire que le débiteur pourrait prouver son paiement en produisant un acte qui émane de lui ?

Tout dépend de la qualification que l’on reconnaît au paiement :

  • Si l’on estime qu’il s’agit d’un fait juridique, alors il y a lieu d’admettre que l’écrit produit aux fins de prouver le paiement puisse émaner du débiteur.
  • Si l’on estime, au contraire, qu’il s’agit d’un acte juridique, alors il y a lieu de considérer que l’écrit émanant du débiteur ne suffit pas à prouver son paiement

À supposer que l’on opte pour la première approche, elle n’aura qu’une portée limitée dans la mesure elle doit être combinée avec la règle énoncée à l’article 1378-1 du Code civil.

Cette disposition prévoit, en effet, que « les registres et papiers domestiques ne font pas preuve au profit de celui qui les a écrits. »

Aussi, est-il fait interdiction, en tout état de cause, au débiteur de prouver le paiement en produisant sa propre comptabilité.

c. La force probante de l’écrit

Lorsque le débiteur produit un acte qui remplit les conditions de l’écrit aux fins de prouver son paiement, quelle est la force probante de cet acte ?

Plus précisément la question se pose de savoir si, pour contester le paiement du débiteur, le créancier devra, à son tour, produire un écrit ?

Dans la mesure où, en matière de paiement, la preuve est libre, on pourrait être tenté de répondre par la négative : le créancier devra pouvoir prouver sa prétention par tous moyens.

Tel n’est toutefois pas la voie empruntée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur. Dans un arrêt du 4 novembre 2011, la Cour de cassation a jugé, par exemple, que « si celui qui a donné quittance peut établir que celle-ci n’a pas la valeur libératoire qu’implique son libellé, cette preuve ne peut être rapportée que dans les conditions prévues par les articles 1341 et suivants du code civil » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 2011, n°10-27.035).

Cette solution a-t-elle été reconduite par la réforme du régime général des obligations opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ?

Les auteurs sont réservés. Tout d’abord, l’écrit n’est exigé à titre de preuve que pour les actes juridiques. Or la jurisprudence analyse le paiement plutôt comme un fait juridique.

Ensuite, comme relevé par Maxime Julienne « il n’y a aucune raison de retenir une interprétation restrictive de l’article 1342-8 et de ne pas étendre à la preuve de l’absence de paiement le principe de liberté probatoire dont ce texte est porteur »[9].

1.2. Le témoignage

Parce que la preuve du paiement est libre, il est admis que le débiteur puisse recourir au témoignage afin d’établir qu’il s’est libéré de son obligation envers le créancier.

Pour mémoire, le témoignage consiste en une déclaration faite au juge par une personne, le témoin, ayant constaté ou eu connaissance des faits litigieux.

L’article 1381 du Code civil prévoit que la valeur probante des déclarations faites par un tiers est laissée à l’appréciation du juge.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier la véracité du contenu de la déclaration qu’il reçoit.

En pratique, le débiteur s’appuiera sur le témoignage lorsque, soit il sera dans l’incapacité de produire un écrit (art. 1360 C. civ.), soit parce que l’acte dont il est en possession ne remplit pas les conditions de l’écrit et n’a la valeur que d’un commencement de preuve par écrit (art. 1361 C. civ.).

1.3. La présomption judiciaire

Lorsque la preuve est libre, il est admis que le juge puisse puiser dans les circonstances de la cause la preuve du fait contesté ; c’est le mécanisme des présomptions judiciaires, qualifiées également de présomptions du fait de l’homme.

Concrètement, la preuve procède ici d’un raisonnement par induction. Il s’agira donc, à partir d’un ou plusieurs indices connus, de tirer des conséquences quant à la réalité du fait contesté.

En application de l’article 1382 du Code civil, seules les présomptions « graves, précises et concordantes » sont admises.

Lorsque cette condition est remplie, les présomptions judiciaires « sont laissées à l’appréciation du juge ».

L’ancien article 1353 du Code civil prévoyait dans le même sens qu’elles doivent être « abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat ».

Comme souligné par des auteurs « la preuve construite sur des indices n’est donc acquise que si elle correspond à l’intime conviction du juge »[10].

S’agissant de l’application du mécanisme des présomptions judiciaires au paiement, bien qu’il ne s’agisse pas de son terrain de prédilection, elle n’est pas à exclure.

Les présomptions judiciaires pourront notamment jouer en présence de documents, tels que des courriers, certificats, chèques ou encore factures qui suggèrent l’exécution d’un paiement (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 7 févr. 1989, n°85-14.989).

1.4. L’aveu

L’aveu est défini à l’article 1383, al. 1er du Code civil comme « la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ».

L’alinéa 2 de cette disposition précise que l’aveu peut être judiciaire ou extrajudiciaire :

  • L’aveu judiciaire
    • Il s’agit de la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté.
    • La particularité de ce mode de preuve est qu’il est recevable en toutes matières, y compris lorsqu’un écrit est exigé.
    • Autrement dit, il peut servir à établir, tant un fait juridique, qu’un acte juridique : il n’est donc pas besoin qu’il soit corroboré par un autre mode de preuve, à la différence par exemple du témoignage ou du commencement de preuve par écrit.
    • La raison en est qu’il « fait foi contre celui qui l’a fait» ( 1382, al. 2e C. civ.)
    • Aussi, la reconnaissance par le créancier de l’exécution par le débiteur de son obligation vaudra preuve du paiement, étant précisé que le juge sera lié par cet aveu.
    • Dans ces conditions, il devra tenir pour établi le fait avoué, quand bien même cela ira à l’encontre de son intime conviction.
  • L’aveu extrajudiciaire
    • Il s’agit de la déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire.
    • Contrairement à l’aveu judiciaire, l’aveu extrajudiciaire n’est recevable que « dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen» ( 1383-1, al. 1er C. civ.).
    • La preuve du paiement étant libre, le recours à l’aveu extrajudiciaire en cette manière ne soulève aucune difficulté.
    • À cet égard, l’aveu peut émaner, tant du créancier, que du débiteur.
    • Reste que dans les deux cas, comme précisé par l’article 1383-1, al. 2e du Code civil « sa valeur probante est laissée à l’appréciation du juge. »

1.5. Le serment

Le serment est un mode de preuve hérité d’une époque où l’église était fortement imbriquée dans l’état et où la société était particulièrement imprégnée des concepts d’honneur et de moral.

Classiquement, le serment est défini comme « la déclaration par laquelle un plaideur affirme, d’une manière solennelle et devant un juge, la réalité d’un fait qui lui est favorable »[11].

Lorsqu’il est utilisé à des fins probatoire, le serment est soit décisoire, soit supplétoire.

  • Le serment décisoire
    • Il s’agit de celui qu’une partie défère à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause ( 1384 C. civ.) :
      • Si le plaideur auquel le serment est déféré accepte le « défi », alors il gagne le procès.
      • Si en revanche, il renonce à prêter serment craignant notamment la sanction attachée au parjure, alors il succombe.
    • La particularité du serment décisoire est qu’il « peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit et en tout état de cause. »
    • Autrement dit, il peut intervenir aux fins de prouver, tant un acte juridique, qu’un fait juridique.
    • Le paiement peut ainsi être prouvé au moyen du serment décisoire.
    • À cet égard, à l’instar de l’aveu judiciaire, le serment décisoire présente l’avantage de lier le juge à la déclaration du plaideur.
    • Il devra donc tenir pour vrai ce que ce dernier déclare, à tout le moins dès lors la déclaration porte sur un fait personnel, soit d’un fait qu’il a personnellement vécu ou constaté ( 1385-1 C. civ.).
  • Le serment supplétoire
    • Il s’agit de celui qui est déféré d’office par le juge à l’une ou à l’autre des parties.
    • Contrairement au serment décisoire, le serment supplétoire ne peut pas jouer en toutes matières ; il obéit à des conditions de recevabilité énoncées à l’article 1386-1 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « le juge ne peut déférer d’office le serment, soit sur la demande, soit sur l’exception qui y est opposée, que si elle n’est pas pleinement justifiée ou totalement dénuée de preuves. »
    • Autrement dit, le juge ne pourra recourir au serment supplétoire que pour parfaire son intime conviction.
    • Il s’agit, en quelque, sorte d’une mesure d’instruction qui ne peut ni pallier la carence de preuves, ni intervenir pour combattre une preuve parfaite.
    • La recevabilité du serment décision est ainsi conditionnée à la vraisemblance de la prétention qu’il vise à confirmer ou infirmer.
    • Si cette condition est remplie, le juge pourra y recourir afin d’établir la réalité du paiement discutée par les parties.

2. La dispense de rapporter la preuve ou les présomptions légales

Il est des textes qui instituent, en certaines circonstances, des présomptions de paiement, ce qui a pour conséquence de dispenser le débiteur de rapporteur la preuve de sa libération.

a. La remise volontaire au débiteur du titre constatant la créance

L’article 1342-9 du Code civil prévoit que « la remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération. »

Il ressort de cette disposition que la restitution par le créancier de l’écrit qui lui servait de preuve au débiteur fait présumer la libération de ce dernier.

Cette règle procède de l’idée que si le créancier s’est dessaisi entre les mains du débiteur du titre qui constatait sa créance, il est fort probable qu’il s’agisse là d’une contrepartie au paiement qu’il a reçu à tout le moins cette démarche exprime son intention de libérer le débiteur de son obligation.

Sous l’empire du droit antérieur, la présomption de libération du débiteur résultant de la remise du titre original était abordée dans une section du Code civil consacrée à la remise de dette.

Les anciens articles 1282 et 1283 du Code civil conféraient à cette présomption une force probante différente selon que le titre remis au débiteur était un acte sous seing privé ou la copie exécutoire d’un acte authentique (grosse) :

  • Lorsque le titre remis était un acte sous seing privé, l’article 1282 du Code civil faisait produire à la remise l’effet d’une présomption irréfragable de libération du débiteur (V. en ce sens com. 6 mai 1991, n°89-19.136)
  • Lorsque le titre remis était une copie exécutoire d’un acte notarié, l’article 1283 du Code civil faisait produire à la remise l’effet d’une présomption simple de libération du débiteur

Les auteurs expliquaient cette différence de traitement entre les deux remises en avançant que la remise de la copie exécutoire d’un acte notarié était moins probante que la remise d’un acte sous seing privé.

En effet, lorsque la remise porte sur un acte sous seing privé, elle consiste pour le créancier à se dessaisir du titre original constatant sa créance. Cela signifie donc qu’il renonce à détenir l’instrumentum susceptible de lui permettre d’établir, en cas de litige, l’existence même de son obligation. La démarche est forte ; d’où la présomption irréfragable instituée par la jurisprudence en pareille circonstance.

Lorsque, en revanche, la remise porte sur la copie exécutoire de l’acte notarié, le sens de cette remise est bien différent. Comme son nom le suggère, une copie exécutoire, dit autrement « grosse », n’est autre qu’une reproduction de l’acte notarié, l’original étant conservé par le notaire au rang des minutes. En se dessaisissant d’une copie exécutoire du titre constatant sa créance, le créancier conserve la possibilité d’accéder à l’exemplaire original de son titre et donc de se faire délivrer une nouvelle copie exécutoire. C’est la raison pour laquelle, dans cette hypothèse, le législateur a seulement fait produire à la remise l’effet d’une présomption simple.

Cette différence entre remise d’un acte sous seing privé et remise d’une copie exécutoire n’a pas été reconduite par le législateur à l’occasion de la réforme du régime général des obligations opérée par l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016.

Les règles énoncées aux articles 1232 et 1283 du Code civil ont été unifiées, en ce sens qu’il est désormais indifférent que la remise porte sur l’original d’un acte sous seing privé ou sur la copie exécutoire d’un acte notarié. Dans les deux cas cette remise produit l’effet d’une présomption simple.

L’objet et les conditions d’application de cette présomption demeurent toutefois inchangés.

i. Objet de la présomption

Bien que l’article 1342-9 soit localisé dans une section du Code civil dédiée au paiement, il n’institue pas une présomption de paiement, mais une présomption de libération du débiteur.

Cette précision est d’importance, car elle signifie que la remise volontaire au débiteur du titre constatant la créance fait présumer l’extinction de l’obligation pour n’importe quelle cause.

Or les causes d’extinction d’une obligation ne se limitent pas au paiement ; elles sont multiples. Remise de dette, compensation, novation, confusion sont des causes d’extinction des obligations au même titre que le paiement.

Si, la plupart du temps, l’enjeu du litige réside exclusivement dans la libération du débiteur, il est des cas où la cause de cette libération ne sera pas indifférente.

Il en va notamment ainsi en matière de remise de dette intervenant dans le cadre du règlement d’une succession.

Dans cette situation, les effets diffèrent selon que la libération du débiteur procède d’un paiement ou d’une remise de dette.

La remise de dette est, en effet, susceptible de constituer une donation indirecte et, par voie de conséquence, de faire l’objet d’un rapport ou d’une réduction.

Parce que donc l’article 1342-9 institue, non pas une présomption de paiement, mais une présomption de libération, il ne permettra pas d’établir la cause d’extinction de l’obligation.

Cette preuve devra être rapportée par un autre biais, étant précisé qu’il ne s’agit pas ici de prouver un acte juridique, mais un mode de libération du débiteur. Aussi, est-il admis que la preuve soit libre : elle peut donc être rapportée par tout moyen.

Quant à la charge de cette preuve, elle pèse sur celui qui prétend que la libération du débiteur procède d’une remise de dette ou d’un paiement.

ii. Conditions d’application de la présomption

Pour que la présomption instituée par l’article 1342-9 du Code civil puisse jouer, plusieurs conditions doivent être réunies :

==> Première condition : une remise

La présomption instituée par l’article 1342-9 du Code civil ne produira ses effets que s’il y a eu remise du titre constatant la créance au débiteur. Autrement dit, il faut que le créancier se soit dessaisi de son titre entre les mains du débiteur.

Aussi, le simple fait que le débiteur détienne le titre n’est pas suffisant. Il peut, en effet, l’avoir obtenu au moyen de manœuvres frauduleuses ou encore de façon totalement fortuite.

Reste que la jurisprudence a admis, afin d’alléger le fardeau de la preuve, que la détention du titre faisait à elle seule présumer la remise (Cass. req. 26 mai 1886). Il s’agit toutefois d’une présomption simple qui donc peut être combattue par la preuve contraire.

==> Deuxième condition : une remise volontaire

Il ne suffit pas que la détention par le débiteur du titre constatant la créance procède d’une remise, il faut encore que cette remise ait été volontaire.

Plus précisément il faut que le créancier ait exprimé par cette remise deux intentions :

  • Première intention
    • Le créancier doit avoir sciemment et librement voulu se dessaisir de son titre entre les mains du débiteur.
    • Aussi, la remise ne peut-elle pas avoir été effectuée par erreur ou provoquée par une manœuvre dolosive.
  • Seconde intention
    • Le créancier doit avoir voulu, par cette remise, libérer le débiteur de son obligation.
    • La présomption instituée par l’article 1342-9 du Code civil peut donc être écartée si la remise ne révèle pas l’intention de libération du débiteur (V. en ce sens req. 20 oct. 1880).

La détention du titre par le débiteur fait néanmoins présumer la remise volontaire du titre par le créancier (V. en ce sens Cass. com. 7 janv. 2003, n°99-16.617).

==> Troisième condition : une remise volontaire par le créancier

La remise du titre constatant la créance doit nécessairement avoir été faite par le créancier ou son représentant.

À défaut, la présomption de libération du débiteur ne pourra pas jouer (V. en ce sens Cass. com. 16 oct. 2001, n°98-14.264). Si, en effet, le titre est remis au débiteur par un tiers, il est pour le moins douteux que la remise ait été voulue par le créancier.

==> Quatrième condition : une remise portant sur l’original d’un acte sous seing privé ou sur la copie exécutoire du

Pour faire présumer la libération du débiteur, la remise doit nécessairement porter :

  • Soit sur l’original de l’acte sous seing privé constatant la créance
    • La remise d’une copie de l’acte sous seing privé ne permet donc pas de faire jouer la présomption instituée à l’article 1342-9 du Code civil
    • Dans un arrêt du 21 octobre 1975 a précisé que, en présence de plusieurs originaux du titre sous signature privée constatant la créance, le débiteur ne pouvait être présumé être libérée qu’à la condition que tous les exemplaires lui aient été remis par le créancier, à tout le moins ceux qu’il détenait ( 1ère civ. 21 oct. 1975, n°74-11.646)
  • Soit sur la copie exécutoire de l’acte authentique constatant la créance
    • La remise d’une simple expédition de l’acte notarié non revêtue de la formule exécutoire n’est pas suffisante pour faire présumer la libération du débiteur.
    • Parce que la minute est toujours détenue par le notaire, le créancier a toujours la possibilité de se faire délivrer des copies.

iii. Effets de la présomption

La présomption instituée par l’article 1342-9 du Code civil produit deux effets :

  • Premier effet
    • Le débiteur est réputé libéré de son obligation envers le créancier.
  • Second effet
    • En présence de plusieurs débiteurs, l’article 1342-9, al. 2e prévoit que « la même remise à l’un des codébiteurs solidaires produit le même effet à l’égard de tous. »
    • Cette règle n’est pas sans faire écho à celle énoncée à l’article 1313 du Code civil qui dispose, pour mémoire, que le paiement effectué par un codébiteur solidaire libère tous les codébiteurs envers le créancier.

b. La mention apposée sur le titre constatant la créance

L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :

  • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur. »
  • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »

Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, celui-ci est présumé être libéré de son obligation.

La présomption ainsi instituée produit le même effet que celle résultant de la remise volontaire au débiteur du titre constatant la créance.

 

 

 

[1] M. Julienne, Régime général des obligations, éd. LGDJ, 2022, n°528, p. 362

[2] E-D Glasson, A. Tissier, R. Morel, Traité théorique et pratique d’organisation judiciaire de compétence et de procédure civile, Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1925-1936, t. 1 n° 173

[3] V. en ce sens G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, éd. Dalloz, 2018, n°941, p.849.

[4] J. François, Traité de droit civil – Les obligations, Régime général, Economica 2017, n°139, p. 126.

[5] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1423, p. 1504

[6] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°988, p.888.

[7] V. en ce sens Ph. Simler, Cautionnement – Extinction par voie accessoire, Lexisnexis, fasc. Jurisclasseur, n°24

[8] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1449, p. 1526

[9] M. Julienne, Régime général des obligations, éd. LGDJ, 2022, n°554, p. 377.

[10] H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1806, p. 619.

[11] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction Générale, éd. LGDJ, 1990, n°660, p. 635.

L’imputation du paiement portant sur une dette partiellement cautionnée

Lorsque le paiement partiel porte sur une dette partiellement cautionnée, la question se pose de l’imputation de ce paiement.

De deux choses l’une :

  • Soit l’on impute le paiement partiel du débiteur sur la fraction de la dette cautionnée, auquel cas la caution est susceptible d’être libérée de son obligation
  • Soit l’on impute le paiement partiel du débiteur sur la fraction de la dette non cautionnée, auquel cas la caution demeure tenue envers le créancier

Dans le silence des textes, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se prononcer.

Très tôt la Cour de cassation a statué en faveur du créancier, considérant qu’il y avait lieu d’imputer le paiement partiel du débiteur en priorité sur la fraction non cautionnée de la dette (V. en ce sens Cass. req. 8 juin 1901).

Dans un arrêt du 28 janvier 1997, la Chambre commerciale a ainsi jugé que « lorsque le cautionnement ne garantit qu’une partie de la dette, il n’est éteint que lorsque cette dette est intégralement payée, les paiements partiels faits par le débiteur principal s’imputant d’abord, sauf convention contraire, non alléguée en l’espèce, sur la portion non cautionnée de la dette » (Cass. com. 28 janv. 1997, n°94-19.347).

Elle a réitéré cette solution dans un arrêt du 12 janvier 2010 en précisant que lorsque le créancier était déchu de son droit aux intérêts en raison d’un manquement à l’obligation d’information annuelle, l’imputation du paiement partiel doit être cantonnée à la fraction relative au principal de la dette (Cass. com. 12 janv. 2010, n°09-11.710).

Dans un arrêt du 27 mars 2012, la Cour de cassation a encore considéré que, dans l’hypothèse où des cautions solidaires garantissent des fractions distinctes d’une même dette, il y a lieu d’imputer les paiements partiels, non pas sur la fraction de la dette garantie par chacune, mais sur les fractions non couvertes par leurs engagements respectifs.

La conséquence en est, en cas de poursuite par le créancier d’une seule caution, qu’elle est susceptible d’être condamnée au paiement de l’intégralité de son obligation (Cass. com. 27 mars 2012, n°11-13.960).

Plusieurs justifications ont été avancées par les auteurs au soutien de la règle d’imputation des paiements partiels sur la fraction non cautionnée de la dette.

D’aucuns soutiennent qu’elle aurait pour fondement la fonction de garantie du cautionnement, tandis que d’autres estiment qu’elle puise sa source dans la règle subordonnant le paiement partiel du débiteur à l’acceptation du créancier (art. 1342-4, al. 1er C. civ.).

À l’analyse, l’ordonnance du n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations n’a apporté aucune réponse qui permettrait de trancher le débat.

Bien que, encore aujourd’hui, la position adoptée par la jurisprudence demeure sans fondement textuel, elle est approuvée par la doctrine majoritaire qui y voit la marque de l’équité et du bon sens[1].

À cet égard, les parties demeurent libres de déroger à la règle en stipulant une clause dans l’acte de cautionnement qui prévoirait que le paiement partiel du débiteur s’imputerait en priorité sur la fraction cautionnée de la dette.

 

 

[1] V. en ce sens Ph. Simler, Cautionnement – Extinction par voie accessoire, Lexisnexis, fasc. Jurisclasseur, n°24