Réforme des sûretés: le cautionnement (présentation sous forme de tableau synthétique)

Le droit des sûretés est l’objet de toutes les attentions chez les juristes depuis la publication de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Cette ordonnance a été prise en application l’article 60 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

L’objectif poursuivi par la réforme est, selon le Rapport au Président de la République qui introduit le texte, de « simplifier le droit des sûretés et renforcer son efficacité, tout en assurant un équilibre entre les intérêts des créanciers, titulaires ou non de sûretés, et ceux des débiteurs et des garants ».

Nous nous focaliserons ici sur les dispositions de l’ordonnance portant réforme du cautionnement.

CAUTIONNEMENTObjet de la réformeTextes
Dispositions généralesDéfinitions• Énonciation des principales définitions nécessaires à la compréhension du cautionnement.

• Aussi, sont définis :
- Le cautionnement
- Le cautionnement légal et judiciaire
- Le cautionnement simple et solidaire
- La certification de caution et le sous-cautionnement
Art. 2288 à 2291-1 C. civ.
Formation et étendue du cautionnementObjet du cautionnement• Reconnaissance de la possibilité de cautionner une dette future pourvu qu’il s’agisse d’une obligation déterminée ou déterminableart. 2292 C. civ.
Caractère accessoire du cautionnement• Réaffirmation du caractère accessoire du cautionnement, en ce que:
- d'une part, il ne peut porter que sur une obligation valable
- d'autre part, il ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses
art. 2293 et 2296 C. civ.
Caractère exprès du cautionnement• Le cautionnement doit être expressément stipulé, faute de quoi il ne peut être étendu au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.art. 2294 C. civ.
Étendue du cautionnement aux accessoires• Le cautionnement est étendu, par principe, aux intérêts et autres accessoires de l'obligation garantie.

• La règle est ici généralisée puisqu'elle s'applique, tant aux cautionnements indéfinis, qu'aux cautionnements définis, ce qui n'était pas le cas pour ces derniers sous l'empire du droit antérieur
art. 2295 C. civ.
Mention manuscrite• Regroupement des règles relatives à la mention manuscrite dans le Code civil

• Réaffirmation de l'exigence de mention manuscrite qui demeure une condition de validité du cautionnement

• La règle s'applique désormais à tous les cautionnements souscrits par des personnes physiques quelle que soit la qualité du créancier (professionnel ou non professionnel)

• Abolition de la formule sacramentelle prévue par la loi. La mention doit simplement exprimer, avec suffisamment de précision, la nature et la portée de l'engagement de la caution.

• Il n'est plus nécessaire que la mention soit manuscrite, la seule exigence étant qu'elle soit apposée par la caution. Il en résulte que le cautionnement peut être conclu par voie électronique.
art. 2297 C. civ.
Opposabilité des exceptions• La caution peut désormais peut opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu'elles soient inhérentes à la dette, ou personnelles à ce dernier, abstraction faite de l'incapacité

• Par dérogation au principe, la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance (les délais de grâce d'origine légale ou judiciaire, suspension des poursuites dans le cadre d'une procédure collective etc.)
art. 2298 C. civ.
Devoir de mise en garde• Consécration du devoir de mise en garde qui est issu d'une construction purement prétorienne.

• Cette obligation qui pèse sur les créanciers professionnels, ne joue qu'au profit des seules personnes physiques, peu importe qu'elles soient ou non averties. Les personnes morales non averties sont désormais exclues du domaine de cette protection

• Le devoir de mise en garde est dû au regard de la seule adéquation de l'engagement du débiteur principal avec ses capacités financières. Il n'y a donc plus lieu de vérifier l'adéquation de l'engagement de la caution avec ses ressources, cette exigence relevant du principe de proportionnalité.

• Le manquement au devoir de mise en garde est sanctionné, non plus par la mise en jeu de la responsabilité du créancier, mais par la déchéance de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci.
art. 2299 C. civ.
Principe de proportionnalité• Regroupement des règles relatives à l'exigence de proportionnalité de l'engagement de la caution dans le Code civil

• Réaffirmation de l'application de l'exigence de proportionnalité aux cautionnements souscrits par une personne physique, qu'elle soit avertie ou non, envers un créancier professionnel

• Le principe de proportionnalité ne s'applique pas seulement au cautionnement conventionnel, il joue également pour le cautionnement judiciaire ou légal

• Appréciation de la proportionnalité au jour de la conclusion du cautionnement.

• Suppression de la possibilité pour le créancier de se départir de l'exigence de proportionnalité en cas de retour à meilleure fortune de la caution

• Le manquement au principe de proportionnalité du cautionnement est sanctionné, non plus par la décharge totale de la caution, mais par la réduction du cautionnement au montant à hauteur duquel la caution pouvait s'engager au regard de son patrimoine et de ses revenus.
art. 2300 et 2301 C. civ.
Effets du cautionnementObligation d'information annuelle• Regroupement dans le Code civil des règles relatives à l'obligation d'information annuelle pesant sur le créancier professionnel

• Maintien du domaine de l'obligation: elle s'applique à tous les cautionnements souscrits
- Par une personne physique envers un créancier professionnel
- Par une personne morale envers un établissement de crédit ou une société de financement en garantie d'un concours financier accordée à une entreprise

• Le coût de délivrance de l'information à la caution est désormais supporté par le seul créancier professionnel, ce qui implique qu'il ne peut facturer ce coût, ni à la caution, ni au débiteur principal

• Le manquement à l'obligation d'information annuelle est sanctionné par la déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus depuis la date de la précédente information et jusqu'à celle de la communication de la nouvelle information.
art. 2302 C. civ.
Obligation d'information de la défaillance du débiteur principal• Regroupement dans le Code civil des règles relatives à l'obligation d'information de la défaillance du débiteur principal

• Cette obligation s'applique aux seuls cautionnements souscrits par une personne physique, qu'elle soit ou non avertie, envers un créancier professionnel

• Le manquement à cette obligation d'information est sanctionné par la déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus entre la date du premier incident de paiement non régularisé et celle à laquelle la caution en a été informée.
art. 2303 C. civ.
Obligation d'information due à la sous-caution• Extension des obligations d'information (information annuelle et défaillance du débiteur principal) au sous-cautionnement souscrit par une personne physique

• Cette obligation d'information pèse sur la caution qui communique à ses frais à la sous-caution personne physique les informations qu'elle a reçues en application des articles 2302 et 2303.
art. 2304 C. civ.
Bénéfice de discussion• Reprise de la règle subordonnant l'appel en garantie de la caution à la poursuite préalable du débiteur principal

• L'exigence d'avance par la caution des frais de la discussion est supprimée.
art. 2305 et 2305-1 C. civ.
Bénéfice de division• Reprise des règles relatives au bénéfice de division et notamment celle aux termes de laquelle, lorsque plusieurs personnes se sont portées cautions de la même dette, elles sont chacune tenues pour le tout.art. 2306 à 2306-2 C. civ.
Reste à vivre de la caution• Reprise de la règle posant l'obligation pour le créancier de laisser à la caution actionnée en garantie un minimum de ressources pour vivre.art. 2307 C. civ.
Recours de la caution contre le débiteur principal• S'agissant du recours après paiement

- Reprise et précision des conditions du recours personnel de la caution.
- La caution qui a payé tout ou partie de la dette a un recours personnel contre le débiteur tant pour les sommes qu'elle a payées que pour les intérêts et les frais.
- S'agissant du recours subrogatoire de la caution, si elle ne réalise qu'un paiement partiel, la subrogation ne sera également que partielle, conformément au droit commun de la subrogation personnelle

• S'agissant du recours avant paiement de la caution

- Ce recours est purement et simplement supprimé, le législateur ayant estimé qu'il était couvert par les mesures conservatoires susceptibles d'être sollicitées par la caution auprès du Juge de l'exécution
- Cette suppression ne remet pas en cause la possibilité pour la caution de déclarer sa créance à la procédure collective du débiteur principal, alors même qu'elle n'aurait pas encore payé le créancier
art. 2308 à 2310 C. civ.
Perte du recours de la caution contre le débiteur principal• Reprise et précision de la règle selon laquelle la caution perd son recours contre le débiteur principal si elle a payé la dette sans l'en avertir et si celui-ci l'a acquittée ultérieurement ou disposait, au moment du paiement, des moyens de la faire déclarer éteinte.

• Sous l'empire du droit antérieur, la perte du recours n'était encourue que si la caution avait payé sans être poursuivie par le créancier. Désormais, il est indifférent qu'elle ait ou non été actionnée en paiement par le créancier. Avant de payer, elle doit systématiquement prévenir le débiteur principal.
art. 2311 C. civ.
Effets du cautionnement entre les cautions• Reprise de la règle selon laquelle en cas de pluralité de cautions, celle qui a payé a un recours contre les autres, chacune pour sa part.

• Le texte vise expressément le recours personnel et le recours subrogatoire, ce qui met fin à la thèse défendue par certains auteurs qui soutenaient que le domaine de la règle était cantonné au seul recours personnel.
art. 2312 C. civ.
Extinction du cautionnementCauses d'extinction• Réaffirmation la règle selon laquelle le cautionnement peut s'éteindre
- soit par voie principale, c'est-à-dire pour une cause qui trouve sa source dans les relations entre le créancier et la caution
- soit par voie accessoire, du fait de l'extinction de l'obligation principale
art. 2313 C. civ.
Bénéfice de subrogation• Reprise et clarification du bénéfice de subrogation, qui constitue une cause spécifique d'extinction de l'obligation de règlement de la caution.

• Il est désormais prévu par le texte que si, par sa faute, le créancier a perdu un droit sur lequel la caution pouvait compter dans l'exercice de son recours subrogatoire, celle-ci est déchargée à concurrence du préjudice qu'elle subit

• S'agissant des droits dans lesquels la caution aurait dû être subrogée, le texte ne se limite plus à viser l'hypothèque et les privilèges comme c'était le cas sous l'empire du droit antérieur. Est ainsi consacrée la jurisprudence qui avait admis que tous les droits étaient concernés par la règle.

• L'ordonnance contredit la jurisprudence en prévoyant que la caution ne peut reprocher au créancier son choix du mode de réalisation d'une sûreté.
art. 2314 C. civ.
Résiliation du cautionnement à durée indéterminée• Réaffirmation de la faculté pour la caution de résilier unilatéralement un cautionnement souscrit pour une durée indéterminée, conformément au droit commun des contrats et plus généralement au principe de prohibition des engagements perpétuelsart. 2315 C. civ.
Extinction de l'obligation de couverture• L'ordonnance précise l'étendue de la couverture pour les cautionnements de dettes futures, en distinguant l'obligation de couverture de l'obligatoire de règlement.

• Pratiquement, le texte prévoit qu'il y a lieu de distinguer selon que la dette future est née antérieurement ou postérieurement à la fin du cautionnement
- Les dettes nées antérieurement à l'événement marquant la fin du cautionnement (résiliation, survenance du terme, etc.) demeurent couvertes par le cautionnement, de sorte que pèse toujours sur la caution une obligation de règlement, quand bien même la dette serait exigible postérieurement
- Les dettes nées postérieurement à la fin du cautionnement ne sont plus couvertes, de sorte que plus aucune obligation de règlement ne pèse sur la caution.

• Afin de déterminer si la dette est couverte par le cautionnement, la date à prendre en compte c'est la date de naissance de la créance et non sa date d'exigibilité.
art. 2316 C. civ.
Décès de la caution• Consécration de la jurisprudence en prévoyant que Les héritiers de la caution ne sont tenus que des dettes nées avant le décès.

• Autrement dit, le décès de la caution ne met fin, pour ses héritiers, qu'à l'obligation de couverture de la dette. L'obligation de règlement est maintenue.
art. 2317 C. civ.
Transmission universelle de patrimoine• L'ordonnance précise le sort du cautionnement en cas de dissolution entraînant la transmission universelle du patrimoine de la personne morale du créancier, du débiteur principal ou de la caution.
- S'agissant de la fusion du débiteur principal, elle entraîne l'extinction de l'obligation de couverture de la caution, sauf à ce qu'elle consente à maintenir son engagement au moment de l'opération.
- S'agissant de la fusion du créancier, elle entraîne l'extinction de l'obligation de couverture de la caution, sauf à ce qu'elle consente à maintenir son engagement, soit au moment de l'opération, soit par avance.
- S'agissant de la fusion de la caution, elle est sans incidence sur le cautionnement.
art. 2318 C. civ.
Cautionnement du solde d'un compte courant• S'agissant du cautionnement du solde d'un compte courant ou de dépôt, l'ordonnance prévoit que l'obligation de couverture s'éteint au jour de la fin du cautionnement, de sorte que la caution ne couvre pas les avances consenties postérieurement par l'établissement de crédit créancier au débiteur principal client. .

• C'est donc le solde provisoire au moment de l'extinction du cautionnement qui constitue le maximum de ce que la caution peut être condamnée à payer.

• Quant à l'obligation de règlement son terme est fixé à 5 ans après la fin du cautionnement.
art. 2319 C. civ.
Prorogation du terme de l'obligation principale• Réaffirmation de la règle selon laquelle la prorogation du terme de l'obligation principale ne libère pas la caution.

• La faculté pour la caution d'exercer un recours contre le débiteur principal en cas de prorogation du terme est supprimée.

• En contrepartie, en conformément au principe de l'accessoire, le texte prévoit que la caution peut se prévaloir de cette prorogation pour refuser de payer le créancier avant l'échéance ainsi reportée.

• Par ailleurs, il est rappelé que la caution dispose toujours de la faculté de solliciter la constitution d'une sûreté judiciaire sur tout bien du débiteur à hauteur des sommes garanties, à la condition qu'elle justifie de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance.
art. 2320 C. civ.

Réforme du droit des sûretés (ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021): vue générale

Le droit des sûretés est l’objet de toutes les attentions chez les juristes depuis la publication de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Cette ordonnance a été prise en application l’article 60 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

L’objectif poursuivi par la réforme est, selon le Rapport au Président de la République qui introduit le texte, de « simplifier le droit des sûretés et renforcer son efficacité, tout en assurant un équilibre entre les intérêts des créanciers, titulaires ou non de sûretés, et ceux des débiteurs et des garants ».

I) Réforme inachevée du droit des sûretés entreprise par l’ordonnance du 23 mars 2006

L’ordonnance du 15 septembre 2021 s’inscrit dans le droit fil d’une précédente réforme opérée, 15 ans plus tôt, par l’ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006, ratifiée, par suite, par la loi n°2007-212 du 20 février 2007.

Cette ordonnance marqua incontestablement la première évolution majeure que le droit des sûretés ait connue depuis l’adoption du Code civil.

Elle était issue d’un groupe de travail présidé par le professeur Michel Grimaldi institué dans le cadre de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 qui avait habilité le gouvernement à réformer le droit des sûretés.

L’objectif affiché par le législateur à l’époque était sensiblement le même que celui visé aujourd’hui par la réforme entreprise par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

L’ambition du texte était, en effet, de « moderniser les sûretés afin de les rendre lisibles et efficaces tant pour les acteurs économiques que pour les citoyens tout en préservant l’équilibre des intérêts en présence ».

La réforme avait, en outre, pour finalité d’édicter des règles innovantes qui, d’une part, simplifieraient la constitution des sûretés, élargiraient leur assiette, et faciliteraient leur mode de réalisation, tout en prévoyant, d’autre part, des règles protectrices en faveur de ceux qui ont recours au crédit.

Avec le recul, les auteurs s’accordent à dire que, bien qu’ambitieuse, la réforme entreprise par l’ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006 a laissé un goût d’inachevé. L’intention était bonne, mais le résultat décevant.

Les principaux griefs formulés à l’encontre le texte sont :

  • D’une part, l’absence de traitement des sûretés personnelles et notamment du cautionnement, alors même qu’elles sont les plus abondamment pratiquée par les opérateurs économiques.
  • D’autre part, le renoncement à adopter des dispositions qui formeraient le socle d’une théorie générale des sûretés, soit de principes directeurs qui transcenderaient les sûretés personnelles et les sûretés réelles en s’appliquant indistinctement à ces deux catégories de sûretés.
  • Enfin, le cantonnement de la réforme aux seules sûretés régies par le Code civil, à l’exclusion de celles envisagées par des corpus normatifs spéciaux, tels que le Code de commerce ou le Code de la consommation.

Au bilan, l’objectif poursuivi par l’ordonnance du 23 mars 2006 n’a pas été totalement atteint. Est-ce à dire qu’il s’agit d’un échec ? Sans doute pas. Ce texte a engagé une profonde rénovation du droit des sûretés qui peut difficilement être contestée.

Elle a néanmoins omis de moderniser un certain nombre de règles qui étaient devenues soit obsolètes, soient trop complexes.

Fort de ce constat, le législateur en a tiré la conséquence, 15 ans plus tard, qu’il y avait lieu de parachever la réforme intervenue en 2006.

C’est d’ailleurs là l’un des motifs énoncés par le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

II) Le parachèvement de la réforme de 2006 opéré par l’ordonnance du 15 septembre 2021

Considérant qu’une nouvelle réforme du droit des sûretés était nécessaire, compte tenu des insuffisantes de la réforme entreprise en 2006 dénoncées par la doctrine, la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice a confié au professeur Michel Grimaldi, sous l’égide de l’association Henri Capitant, le soin de réunir un groupe de travail, qui a rendu publiques ses propositions en septembre 2017.

Ces propositions ont, ensuite, fait l’objet d’une vaste consultation publique en 2019 qui est venue alimenter la réflexion du législateur.

Il s’en est suivi l’adoption de la loi du 22 mai 2019, dite PACTE, qui, en son article 60, a autorisé le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de deux ans à compter de son entrée en vigueur, les mesures nécessaires pour simplifier le droit des sûretés et renforcer son efficacité.

L’habilitation ne visait pas moins de 17 points à réformer au nombre desquels figuraient notamment :

  • La rénovation du droit du cautionnement, afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique
  • La simplification des règles relatives aux sûretés mobilières spéciales dans le code civil, le code de commerce et le code monétaire et financier
  • L’harmonisation des règles de publicité des sûretés mobilières
  • La modernisation des règles du code civil relatives à la conclusion par voie électronique des actes sous signature privée relatifs à des sûretés réelles ou personnelles afin d’en faciliter l’utilisation
  • La simplification, la clarification et la modernisation des règles relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés dans le livre VI du code de commerce, en particulier dans les différentes procédures collectives

Une fois habilité à réformer en profondeur le droit des sûretés, le Gouvernement a élaboré un avant-projet d’ordonnance qu’il a soumis à consultation publique à la fin de l’année 2020.

C’est sur la base de cet avant-projet, nourri par les nombreux commentaires formulés par des professionnels du droit et des opérateurs économiques, que l’ordonnance du 15 septembre 2021 a été adoptée.

III) Les objectifs poursuivis par l’ordonnance du 15 septembre 2021 réformant le droit des sûretés

Comme observé par Dominique Legeais, la réforme entreprise par l’ordonnance du 15 septembre 2021 « est plus ambitieuse que la précédente dans la mesure où, cette fois, toutes les sûretés sont affectées »[1].

Elle est d’autant plus ambitieuse que le législateur en a profité pour moderniser le droit des procédures collectives et plus précisément modifier les dispositions du livre VI du code de commerce relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés.

À cette fin, a été adopté, le même jour que l’ordonnance portant réforme du droit des sûretés, l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce.

Cette ordonnance vise notamment à améliorer la lisibilité des droits des créanciers titulaires de sûretés en procédure collective et renforcer l’efficacité des sûretés nouvellement consacrées telles que la cession de créance et la cession de sommes d’argent à titre de garantie.

À l’analyse, les deux réformes entreprises par les ordonnances adoptées le 15 septembre 2021 doivent être combinées : celle rénovant le droit des sûretés vient, au fond, irriguer la réforme du droit des procédures collectives.

Si l’on se focalise spécifiquement sur l’ordonnance réformant le droit des sûretés, elle poursuit trois finalités principales :

==> Première finalité : renforcer la sécurité juridique

Le premier objectif poursuivi par l’ordonnance du 15 septembre 2021 est donc de renforcer la sécurité juridique en rendant plus lisible et plus accessible le droit des sûretés.

À cette fin, trois axes ont été retenus par le législateur :

  • Réécriture des dispositions issues du Code civil de 1804
    • Certaines dispositions régissant le droit des sûretés n’ont jamais été modifiées depuis l’adoption du Code civil en 1804.
    • Tel que relevé par le Rapport au Président de la République, non seulement, ces dispositions ne rendent plus compte du droit positif, mais encore leur style rédactionnel – désuet – est de nature à nuire à la compréhension des règles par les citoyens et les agents de la vie économique et notamment les opérateurs étrangers.
    • Pour remédier à cette situation, l’ordonnance procède à une réécriture d’un certain nombre de dispositions en recourant à un « style de vocabulaire plus adapté».
  • Précisions de certaines notions juridiques
    • L’ordonnance du 15 septembre 2021 est venue préciser plusieurs notions et règles juridiques existantes afin de clarifier, voire unifier leur régime.
    • À cet égard, l’une des principales innovations de la réforme qui marquera le juriste est d’avoir mis fin à l’éparpillement de certaines dispositions régissant le cautionnement (obligation d’information, mention manuscrite, principe de proportionnalité) entre notamment le Code de commerce, le Code monétaire et financier et des lois non codifiées, en les regroupant dans un seul et même corpus normatif : le Code civil.
    • Dans un autre registre, on peut également relever le toilettage des règles relatives aux privilèges mobiliers, ce qui s’est notamment traduit par l’inscription dans le code civil de l’affirmation de l’existence d’un droit de préférence et de l’absence de droit de suite.
  • Codification et clarification de certaines solutions jurisprudentielles
    • Les codifications
      • L’ordonnance du 15 septembre 2021 a répondu aux attentes de la doctrine qui réclamait la codification de certains principes désormais bien établis en jurisprudence.
      • Ainsi, le devoir de mise en garde en matière de cautionnement, le classement du droit de préférence du créancier gagiste ou l’absence de droit de rétention en matière de nantissement de bien incorporel sont intégrés dans le code civil.
    • Les clarifications
      • Le législateur ne s’est pas cantonné à retranscrire les solutions jurisprudentielles en vigueur.
      • Il a également saisi l’occasion de la réforme pour mettre un terme à certaines d’entre elles, considérant qu’elles pouvaient être source d’insécurité juridique.
      • L’ordonnance consacre ainsi – et c’est là une innovation majeure – la possibilité pour la caution d’opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient inhérentes à la dette ou personnelles au débiteur.

==> Deuxième finalité : renforcer l’efficacité des sûretés

L’ordonnance du 15 septembre 2021 vise à renforcer « l’efficacité du droit des sûretés, tout en maintenant un niveau de protection satisfaisant des constituants et des garants. »

Tant les sûretés personnelles que les sûretés réelles sont comprises dans cet objectif :

  • S’agissant des sûretés personnelles
    • C’est le cautionnement qui, pour l’essentiel, a retenu l’attention du législateur.
    • Ainsi que le relève un auteur « c’est même l’une des pièces maîtresses de la réforme du droit des sûretés entreprise»[2].
    • À cet égard, la Gouvernement a été autorisé à réformer le droit du cautionnement « afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique».
    • Le cautionnement était le grand oublié de la réforme de 2006.
    • L’ordonnance du 15 septembre 2021 remédie à cette anomalie en réformant son régime en profondeur.
    • Tout d’abord, les dispositions régissant le cautionnement, qui étaient éparpillées entre plusieurs corpus normatifs (Code de la consommation, Code monétaire et financier, textes de loi non codifiées) sont rassemblées au sein du Code civil.
    • Ensuite, le législateur a cherché à rééquilibrer le rapport existant entre le créancier et la caution.
    • Si la disproportion du cautionnement n’est désormais plus sanctionnée par la déchéance totale de la garantie, la protection des garants n’en est pas moins maintenue par le jeu, notamment de l’exigence de la mention manuscrite qui est maintenue.
    • Enfin, le devoir de mise en garde qui avait été mis à la charge des créanciers professionnels par la jurisprudence devient une règle légale insérée dans le Code civil.
  • S’agissant des sûretés réelles
    • À l’instar du cautionnement, les sûretés font également l’objet d’un renforcement de leur efficacité.
    • Ainsi, est-il désormais admis qu’un gage puisse porter sur des immeubles par destination, ce qui n’était pas permis sous l’empire du droit antérieur, alors même qu’il s’agit là de biens présentant une valeur économique et, à ce titre, susceptible de constituer l’assiette d’une garantie.
    • Il peut également être observé qu’une hypothèque peut désormais être constituée sur un bien futur.
    • Toujours dans un objectif de renforcement de l’efficacité des sûretés, l’ordonnance du 15 février 2021 assouplit le formalisme de constitution de la fiducie sûreté.
    • Elle lève également la sanction de la nullité en cas de défaut d’inscription du nantissement de fonds de commerce dans le délai préfix requis.

==> Troisième finalité : renforcer l’attractivité du droit français

Le renforcement de l’attractivité du droit français, notamment sur le plan économique, constitue le troisième objectif poursuivi par la réforme entreprise par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

Pour ce faire, elle autorise notamment la dématérialisation de l’ensemble des sûretés, qui, sous l’empire du droit antérieur, n’était possible que pour les sûretés constituées par une personne pour les besoins de sa profession.

Comme indiqué par le Rapport au Président de la République, « lever ce frein, injustifié à l’ère du numérique, est indispensable pour inciter les opérateurs économiques internationaux à utiliser le droit français.»

La prohibition posée par l’article 1175 du Code civil est donc abolie.

IV) Date d’entrée en vigueur de la réforme

==> Principe

L’article 37 de l’ordonnance du 15 septembre 2021 prévoit que ses dispositions entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2022.

La raison de cette application différée du texte, tient à la volonté du législateur de laisser aux opérateurs économiques le temps de se mettre en conformité avec le droit nouveau.

À cet égard, le texte précise que:

  • D’une part, les cautionnements conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public.
  • D’autre part, les privilèges immobiliers spéciaux nés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance sont pour l’avenir assimilés à des hypothèques légales, sans préjudice le cas échéant de la rétroactivité de leur rang. Ceux qui n’ont pas fait l’objet des formalités de publicité foncière à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance seront inscrits au fichier immobilier selon les dispositions applicables avant cette date.

==> Exceptions

  • Exception au principe de survie de la loi ancienne pour certaines dispositions
    • L’ordonnance prévoit une exception au principe de survie de la loi ancienne pour les obligations d’information (information annuelle, information sur la défaillance du débiteur principal, information de la sous-caution) qui s’appliqueront immédiatement le 1er janvier 2022 aux cautionnements et sûretés réelles pour autrui constituées avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance.
  • Entrée en vigueur subordonnée à l’adoption de décret pris au plus tard le 1er janvier 2023
    • La date d’entrée en vigueur des dispositions relatives au registre des sûretés mobilières et au gage automobile, lesquelles requièrent à la fois des mesures réglementaires d’application et des développements informatiques, sera fixée par décret, sans pouvoir être postérieure au 1er janvier 2023.

[1] D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°17, p. 27.

[2] D. Legeais, « La réforme du cautionnement », JCP E, n°43-44, 18 oct. 2021, 1474.

Quels sont les prêts qui relèvent du domaine du crédit à la consommation?

Pour qu’une opération puisse faire l’objet d’un financement au moyen d’un crédit à la consommation, encore faut-il qu’elle soit éligible à cette typologie de crédit.

À cet égard, il convient d’observer que le législateur a expressément exclu certaines opérations de financement du champ d’application du Crédit à la consommation.

I) Le régime général

A) Les opérations qui relèvent du crédit à la consommation

1. Le champ d’application légale

L’article L. 312-1 du Code de la consommation prévoit que « les dispositions du présent chapitre s’appliquent à toute opération de crédit mentionnée au 6° de l’article L. 311-1, qu’elle soit conclue à titre onéreux ou à titre gratuit et, le cas échéant, à son cautionnement, dès lors que le montant total du crédit est égal ou supérieur à 200 euros et inférieur ou égal à 75 000 euros. »

Il ressort de cette disposition que, pour qu’un prêt d’argent soit assujetti aux règles qui régissent le crédit à la consommation, plusieurs critères doivent être remplis. Ces critères tiennent :

  • À La qualité des parties à l’opération
  • À La nature de l’opération
  • Au montant de l’opération
  • La durée de l’opération

a. La qualité des parties

L’article L. 312-1 du Code de la consommation les règles du crédit à la consommation s’appliquent à « à toute opération de crédit mentionnée au 6° de l’article L. 311-1 ».

Il convient donc de se reporter à cette dernière disposition pour déterminer quelles sont les personnes éligibles à un crédit à la consommation.

L’article L. 311-1, 6° du Code de la consommation prévoit qu’une opération de crédit est « un contrat en vertu duquel un prêteur consent ou s’engage à consentir à l’emprunteur un crédit […] »

Il s’infère donc de cette disposition que pour que les règles du crédit à la consommation s’appliquent, le prêt envisagé doit être consenti par un prêteur à un emprunteur.

==> Un prêteur

Le prêteur est défini au 1° de l’article L. 311-1 du Code de la consommation comme « toute personne qui consent ou s’engage à consentir un crédit mentionné au présent titre dans le cadre de l’exercice de ses activités commerciales ou professionnelles »

Deux enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • Les prêteurs sont nécessairement des professionnels
    • Plus précisément, en application de l’article L. 511-5 du Code monétaire et financier, le prêteur ne peut être qu’un établissement de crédit ou une société de financement lesquels sont nécessairement agréés par l’Autorité de Contrôle prudentiel et de Résolution (ACPR)
  • Second enseignement
    • Lorsqu’un prêt est consenti par un non professionnel, les règles du crédit à la consommation ne sont pas applicables.
    • Les prêts consentis entre particuliers sont donc régis par le droit commun applicable aux prêts d’argent

==> Un emprunteur

L’emprunteur est défini au de l’article L. 311-1 du Code de la consommation comme « toute personne physique qui est en relation avec un prêteur, ou un intermédiaire de crédit, dans le cadre d’une opération de crédit réalisée ou envisagée dans un but étranger à son activité commerciale ou professionnelle »

Il ressort de cette disposition que pour bénéficier des règles protectrices du crédit à la consommation, l’emprunteur doit remplir plusieurs critères :

  • Une personne physique
    • L’article L. 311-1 du Code de la consommation prévoit expressément que l’emprunteur est une personne physique.
    • Il en résulte qu’il y a lieu d’exclure les personnes morales qui ne sont donc pas éligibles au crédit à la consommation
  • Une personne en contact avec un prêteur ou un intermédiaire de crédit
    • Il n’est pas nécessaire que l’emprunteur conclut l’opération de crédit directement avec le prêteur.
    • Le contrat peut parfaitement être régularisé par l’entremise d’un intermédiaire de crédit qui est défini par l’article L. 311-1 3° du Code de la consommation comme « toute personne qui, dans le cadre de ses activités commerciales ou professionnelles habituelles et contre une rémunération ou un avantage économique, apporte son concours à la réalisation d’une opération mentionnée au présent titre, sans agir en qualité de prêteur»
    • Cette définition recouvre à la fois les intermédiaires professionnels du crédit (courtiers) et les professionnels de la vente ou prestataires de services qui, au nom d’un organisme de crédit, peuvent proposer au consommateur un crédit affecté au financement de l’achat de leurs produits (pratique courante aujourd’hui dans, par exemple, les secteurs de l’automobile, de l’ameublement ou de l’électroménager).
    • Ces professionnels relèvent de la catégorie des intermédiaires en opérations de banque et services de paiement (IOBSP), lesquels sont assujettis notamment à une obligation d’immatriculation auprès de l’ORIAS ( fiche sur les IOBSP)
  • Une personne agissant à des fins non-professionnelles
    • Pour pouvoir contracter un crédit à la consommation, l’emprunteur doit agir à des fins étrangères à son activité commerciale ou professionnelle
    • Il est ici indifférent que l’opération de crédit ne relève pas de la spécialité professionnelle de l’emprunteur.
    • Ce qui importe c’est l’affectation du financement soit sans lien avec une activité de nature professionnelle
    • À cet égard, lorsque le crédit est consenti à un couple dont l’un des membres endosse la qualité de professionnel au sens de l’article L. 311-1 du Code de la consommation, la jurisprudence considère que les règles du crédit à la consommation ne sont pas applicables (V. en ce sens 1ère civ. 4 mai 1999)

b. La nature de l’opération

Deux sortes d’opérations tombent sous le coup de la réglementation applicable aux crédits à la consommation : celles répondant à la définition de crédit posée par le Code de la consommation et celles que la loi assimile à des crédits.

==> Les opérations de crédit par nature

L’article L. 312-1 du Code de la consommation les règles du crédit à la consommation s’appliquent à « à toute opération de crédit mentionnée au 6° de l’article L. 311-1 ».

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « opération de crédit mentionnée au 6° de l’article L. 311-1 ».

L’article L. 311-1, 6° du Code de la consommation dispose que « l’opération de crédit consiste en « un contrat en vertu duquel un prêteur consent ou s’engage à consentir à l’emprunteur un crédit […] sous la forme d’un délai de paiement, d’un prêt, y compris sous forme de découvert ou de toute autre facilité de paiement similaire, à l’exception des contrats conclus en vue de la fourniture d’une prestation continue ou à exécution successive de services ou de biens de même nature et aux termes desquels l’emprunteur en règle le coût par paiements échelonnés pendant toute la durée de la fourniture ».

Il ressort de cette disposition que la notion de crédit est ici envisagée pour le moins largement, puisque sont visées, tant les mises à disposition de fonds, que l’octroi de délais de paiement ou encore les facilités de caisses.

Aussi, les règles du crédit à la consommation s’appliquent aux opérations suivantes :

  • Le prêt amortissable qui consiste en une mise à disposition de fonds dont le remboursement, qui intervient à échéance régulière, comprend outre les intérêts, une quote-part du capital prêté
  • Le crédit renouvelable qui consiste en une mise à disposition de fonds que l’emprunteur doit rembourser dans un délai fixé contractuellement et qui se reconstitue au fur et à mesure des remboursements
  • Le prêt personnel qui consiste en une mise à disposition de fonds non affectés à une opération déterminée
  • Le crédit affecté qui est consenti aux fins de servir exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la prestation de services particuliers
  • Les facilités de paiement, au nombre desquels figurent notamment :
    • La vente à crédit qui consiste à consentir à l’acquéreur un différé de paiement d’une partie ou de la totalité du prix de la prestation fournie qui sera réglé en une seule fois
    • La vente à tempérament qui consiste à consentir à l’acquéreur un échelonnement du paiement du prix de la prestation fournie
  • Les délais de paiement sous quelque forme que ce soit, ce qui correspond notamment à un accord amiable de rééchelonnement d’une dette existante modifiant les conditions contractuelles initiales
  • Les découverts en compte qui consistent pour le prêteur à autoriser expressément l’emprunteur à disposer de fonds qui dépassent le solde du compte de dépôt de ce dernier
  • Les dépassements tacitement acceptés qui consistent à autoriser l’emprunteur à disposer de fonds qui dépassent le solde de son compte de dépôt ou de l’autorisation de découvert convenue

Il convient de préciser que, en application de l’article L. 311-1, 6° du Code de la consommation, il est indifférent que le crédit consenti soit conclu à titre onéreux ou gratuit.

Le crédit gratuit est celui qui n’est assorti d’aucun intérêt, ni d’aucun prêt à la charge de l’emprunteur.

==> Les opérations de crédit par assimilation

L’article L. 312-2 du Code de la consommation prévoir que la location-vente et la location avec option d’achat sont assimilées à des opérations de crédit de sorte que les règles régissant le crédit à la consommation leur sont applicables

  • S’agissant de la location-vente
    • Il s’agit d’un contrat qui combine le bail et la vente, en ce sens que pendant toute la durée de la jouissance du bien ce sont les règles du bail qui régissent les rapports entre les parties et que, à l’issue de la période de jouissance, ce sont les règles de la vente qui s’appliquent.
    • Ainsi, le locataire-acquéreur s’engage à régler des redevances qui comportent un loyer contrepartie de la jouissance et une fraction du prix de vente fractionné, étant précisé que le transfert de propriété intervient lors du paiement du dernier loyer.
  • S’agissant de la location avec option d’achat
    • Il s’agit d’un contrat qui combine la location avec la promesse unilatérale de vente.
    • Ainsi, le locataire qui règle une redevance au bailleur à échéance périodique en contrepartie de la jouissance du bien, dispose d’une option d’achat qu’il est libre de lever à l’arrivée du terme du contrat

c. Le montant de l’opération

==> Principe

Il ressort de l’article L. 312-1 du Code de la consommation que les règles qui régissent le crédit à la consommation sont applicables aux seules opérations qui remplissent des conditions de montant.

Ainsi, pour bénéficier des règles protectrices, le montant total du crédit doit :

  • D’une part, être égal ou supérieur à 200 euros
  • D’autre part, être inférieur ou égal à 75 000 euros.

À cet égard, dans un arrêt du 28 avril 1998, la Cour de cassation a précisé que le montant du crédit devait s’apprécier au regard non pas du coût total de l’opération (capital + intérêts + frais), mais au regard du capital prêté (Cass. 1ère civ., 28 avr. 1998, n° 96-11114).

==> Exceptions

Par exception, le législateur a prévu que certaines opérations n’était pas soumise à l’exigence de respect des seuils fixés par l’article L. 312-1 du Code de la consommation.

Tel est le cas de :

  • L’opération de regroupement de crédit ( L. 314-10 C. conso)
  • Les opérations destinées à financer les dépenses relatives à la réparation, l’amélioration ou l’entretien d’un immeuble d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation, lorsque le crédit n’est pas garanti par une hypothèque, par une autre sûreté comparable sur les biens immobiliers à usage d’habitation ou par un droit lié à un bien immobilier à usage d’habitation ( L. 312-4, 3° C. conso)

d. La durée de l’opération

Seules les opérations qui répondent à un critère de durée sont soumises aux règles relatives au crédit à la consommation :

  • S’agissant des opérations de crédit gratuit, soit celles qui ne sont assorties d’aucun intérêt ni d’aucuns frais ou seulement d’intérêts et de frais d’un montant négligeable, les règles du crédit à la consommation s’appliquent dès lors que le délai de remboursement est supérieur à trois mois.
  • S’agissant de l’opération de découvert, l’application des règles du crédit à la consommation dépend du délai de remboursement stipulé au contrat
    • Pour les autorisations de découvert remboursables dans un délai compris entre un et trois mois, les règles relatives au crédit à la consommation s’appliquent partiellement
    • Pour les autorisations de découvert remboursables dans un délai supérieur à trois mois, les règles relatives au crédit à la consommation s’appliquent dans leur intégralité
  • S’agissant des opérations par carte assorties d’un débit différé et n’occasionnant aucuns autres frais que la cotisation liée au bénéfice de ce moyen de paiement, les règles du crédit à la consommation s’appliquent dès lors que le délai de remboursement est supérieur à quarante jours

2. La volonté des parties

Bien que l’application des règles du crédit à la consommation soit subordonnée à l’observation des conditions posées par la loi, les parties demeurent libres d’assujettir une opération qui ne remplirait pas ces conditions, au dispositif protecteur prévu aux articles L. 312-1 à L. 312-94 du Code de la consommation.

Dans un arrêt du 6 juillet 1988, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si sont exclus du champ d’application de la loi du 10 janvier 1978 les prêts destinés, notamment, à financer les besoins d’une activité professionnelle, rien n’interdit aux parties de soumettre volontairement les opérations de crédit qu’elles concluent aux règles édictées par la dite loi » (Cass. 1ère civ. 6 juill. 1988).

Cette liberté contractuelle dont jouissent les parties n’est toutefois pas sans limites. Elles ne sauraient, en effet, soustraire un crédit qui relèverait de règles d’ordre public, telles que celles régissant le crédit immobilier, pour le soumettre au dispositif applicable au crédit à la consommation (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 26 janv. 1999).

B) Les opérations qui ne relèvent pas du crédit à la consommation

Il ressort des articles L. 312-4 et L. 312-1 du Code de la consommation que certaines opérations sont exclus du champ d’application des dispositions régissant le Code de la consommation.

Ces opérations tiennent :

  • À La qualité des parties à l’opération
  • À La nature de l’opération
  • Au montant de l’opération
  • La durée de l’opération

1. La qualité des parties à l’opération

Sont exclus du champ d’application des dispositions régissant le Crédit à la consommation :

  • Les crédits consentis à une personne morale
  • Les crédits consentis par un prêt professionnel à un emprunteur professionnel
  • Les crédits consentis par un prêteur particulier à un emprunteur particulier ou professionnel

2. La nature de l’opération

  • Les opérations à destination immobilière
    • L’article L. 312-4, 1° du Code de la consommation prévoit que « les opérations de crédit destinées à permettre l’acquisition ou le maintien de droits de propriété ou de jouissance d’un terrain ou d’un immeuble existant ou à construire, y compris lorsque ces opérations visent également à permettre la réalisation de travaux de réparation, d’amélioration ou d’entretien du terrain ou de l’immeuble ainsi acquis»
    • Il ressort de cette disposition que lorsque l’opération présente une finalité immobilière, elle ne relève pas du crédit à la consommation.
    • À l’examen, il convient de distinguer deux sortes d’opérations
      • Les opérations destinées à permettre l’acquisition ou le maintien de droits de propriété ou de jouissance d’un terrain ou d’un immeuble existant ou à construire
        • Dès lors qu’il s’agit donc d’acquérir un terrain ou un immeuble ou d’en conserver la jouissance les règles du crédit à la consommation ne sont pas applicables.
        • L’opération relève, en effet, du champ d’application des dispositions qui régissent le crédit immobilier
      • Les opérations visent à permettre la réalisation de travaux de réparation, d’amélioration ou d’entretien du terrain ou de l’immeuble ainsi acquis
        • Dans cette hypothèse, seuls les travaux qui accompagnent l’acquisition du terrain ou de l’immeuble échappent aux règles du crédit à la consommation, à la faveur de celles qui régissent le crédit immobilier.
        • Lorsque, en revanche, il s’agit de réaliser des travaux indépendamment de l’acquisition, les règles du crédit à la consommation s’appliquent, et ce, sans qu’il soit besoin de respecter le seuil des 75.000 euros.
  • Les opérations garanties par une sûreté réelle
    • L’article L. 312-4, 2° du Code de la consommation prévoit que « les opérations de crédit garanties par une hypothèque, par une autre sûreté comparable sur les biens immobiliers à usage d’habitation ou par un droit lié à un bien immobilier à usage d’habitation relevant des dispositions du chapitre III du présent titre».
    • Il ressort de cette disposition que les opérations de crédit qui sont garanties par une sûreté réelle constituée sur un bien immobilier à usage d’habitation échappent aux règles du crédit à la consommation.
    • Ces opérations sont soumises aux dispositions qui régissent le crédit immobilier
  • Les crédits consentis par les entreprises à leurs salariés
    • L’article L. 312-4, 6° du Code de la consommation prévoit que « les opérations mentionnées au 3 de l’article L. 511-6 du code monétaire et financier».
    • Les opérations ainsi visées sont les crédits consentis par les entreprises à leurs salariés qui prennent la forme :
      • Soit d’avances sur salaires
      • Soit de prêts de caractère exceptionnel consentis pour des motifs d’ordre social
  • Les crédits relatifs à la réalisation de transaction portant sur des instruments financiers
    • L’article L. 312-4 du Code de la consommation prévoit que « les opérations mentionnées au 2 de l’article L. 321-2 du code monétaire et financier»
    • Les opérations visées par ce texte sont les crédits ou les prêts consentis à un investisseur pour lui permettre d’effectuer une transaction qui porte sur un instrument financier ou sur une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement et dans laquelle intervient l’entreprise qui octroie le crédit ou le prêt
  • Les contrats qui sont l’expression d’un accord intervenu devant une juridiction
    • L’article L. 312-4 exclut du champ d’application des dispositions applicables au crédit à la consommation les contrats qui sont l’expression d’un accord intervenu devant une juridiction, soit les compromis judiciaires
    • Il s’agit ici de tous les délais de paiement, facilités de caisse ou encore échelonnement d’une dette qui seraient consentis dans le cadre d’un accord conclu sous le contrôle d’une juridiction
  • Les contrats résultant d’un plan conventionnel de redressement mentionné à l’article L. 732-1 conclu devant la commission de surendettement des particuliers
    • Il s’agit ici des plans d’apurement du passif d’une personne bénéficiant de la procédure de surendettement
  • Les délais de paiement octroyés dans le cadre de la conclusion d’un accord amiable
    • L’article L. 312-4 exclut du champ d’application des dispositions applicables au crédit à la consommation les accords portant sur des délais de paiement accordés pour le règlement amiable d’une dette existante, à condition qu’aucuns frais supplémentaires à ceux stipulés dans le contrat ne soient mis à la charge du consommateur.
  • Les abonnements
    • L’article L. 312-1 du Code de la consommation exclut expressément par jeu de renvoi à la notion de crédit au sens du 6° de l’article L. 311-1 les contrats « conclus en vue de la fourniture d’une prestation continue ou à exécution successive de services ou de biens de même nature et aux termes desquels l’emprunteur en règle le coût par paiement échelonnés pendant toute la durée de la fourniture»
    • Sont ici visés les abonnements de toute nature dont le paiement est échelonné pendant toute la durée de la fourniture de la prestation (abonnement mobile, internet etc.)
    • Il en va de même, a fortiori de la vente par abonnement dont le paiement s’effectue en une seule fois, tandis que l’exécution de la prestation est échelonnée dans le temps.

3. Le montant de l’opération

==> Principe

Il ressort de l’article L. 312-4 du Code de la consommation que ne bénéficient pas des règles protectrices du crédit à la consommation, les crédits dont le montant total est

  • D’une part, inférieur à 200 euros
  • D’autre part, supérieur à 75 000 euros.

À cet égard, dans un arrêt du 28 avril 1998, la Cour de cassation a précisé que le montant du crédit devait s’apprécier au regard non pas du coût total de l’opération (capital + intérêts + frais), mais au regard du capital prêté (Cass. 1ère civ., 28 avr. 1998, n° 96-11114).

==> Exceptions

Par exception, le législateur à prévu que certaines opérations n’étaient pas soumises à l’exigence de respect des seuils fixés par l’article L. 312-1 du Code de la consommation.

Tel est le cas de :

  • L’opération de regroupement de crédit ( L. 314-10 C. conso)
  • Les opérations destinées à financer les dépenses relatives à la réparation, l’amélioration ou l’entretien d’un immeuble d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation, lorsque le crédit n’est pas garanti par une hypothèque, par une autre sûreté comparable sur les biens immobiliers à usage d’habitation ou par un droit lié à un bien immobilier à usage d’habitation ( L. 312-4, 3° C. conso)

Pour ces opérations, quel que soit le montant en cause, elles rentrent dans le champ d’application du crédit à la consommation.

4. La durée de l’opération

Plusieurs sortes de crédits ne relèvent pas des règles relatives au crédit à la consommation à raison de leur durée :

  • Les opérations de crédit gratuit
    • Il s’agit des opérations qui ne sont assorties d’aucun intérêt ni d’aucuns frais ou seulement d’intérêts et de frais d’un montant négligeable
    • Lorsque le délai de remboursement de ces opérations ne dépasse pas trois mois, elles échappent à l’application des règles relatives à la consommation.
    • Les conditions énoncées par le texte sont cumulatives
    • Par ailleurs, la notion de « montant négligeable» n’est pas définie de sorte que l’on peut raisonnablement envisager qu’il ne peut comprendre que le coût de revient du crédit.
    • En conséquence, il semble que les opérations commerciales qui offrent la possibilité au consommateur de régler en 4 mois sans frais ne relèvent pas des règles relatives au crédit à la consommation, dès lors que les mensualités sont incluses dans le délai de trois mois.
  • Les opérations de découvert en compte
    • Les opérations de crédit consenties sous la forme d’une autorisation de découvert remboursable dans un délai d’un mois échappent à l’application des règles relatives au crédit à la consommation
  • Les opérations adossées à des cartes de paiement différé
    • Les cartes proposant un débit différé n’excédant pas quarante jours et n’occasionnant aucuns autres frais que la cotisation liée au bénéfice de ce moyen de paiement ne s’apparentent pas à des opérations de crédit à la consommation

II) Focus sur des crédits visant à financer des travaux à destination immobilière

Les crédits visant à financer des travaux à destination immobilière peuvent relever, tantôt des règles relatives au crédit à la consommation, tantôt des règles relatives au crédit immobilier.

Afin de déterminer le régime juridique applicable, il convient de distinguer plusieurs situations :

  • Les travaux à financer accompagnent l’acquisition ou la construction d’un bien immobilier
    • Dans cette hypothèse, les règles applicables à l’opération de financement sont, quel que soit le montant, les règles relatives au crédit immobilier ( L. 313-1 et L. 312-4 C. conso)
    • Pourront bénéficier de ce dispositif, tant les personnes physiques, que les personnes morales, dès lors qu’elles n’agissent pas à des fins professionnelles
    • À défaut, c’est le droit commun du crédit qui sera applicable.
  • Les travaux à financer sont réalisés indépendamment de l’acquisition ou de la construction d’un bien immobilier
    • Dans cette hypothèse, il convient de distinguer selon que l’opération est ou non garantie par une hypothèque ou une sûreté comparable
      • L’opération est garantie par une hypothèque ou une sûreté comparable
        • L’opération de financement sera soumise aux règles relatives au crédit immobilier ( L. 312-1-2 C. conso).
        • Il importe de préciser que ces règles seront applicables aux seules personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels.
        • Pour les personnes morales, quel que soit le but poursuivi, elles sont assujetties au droit commun
      • L’opération n’est pas garantie par une hypothèque ou une sûreté comparable
        • L’opération de financement est, dans cette hypothèse, soumise aux règles relatives au crédit à la consommation.
        • À cet égard, ces règles s’appliquent sans condition de montant, de sorte qu’elles ont vocation à encadrer les opérations visant à financer des travaux dont le montant serait supérieur à 75.000 euros
        • Ne sont éligibles à ce dispositif normatif que les seules personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels

Le transfert des risques: régime juridique

Les rédacteurs du Code civil ont consacré le principe du transfert solo consensu, soit du principe aux termes duquel le transfert de propriété procède, non pas de l’acte de tradition, mais de la conclusion du contrat lui-même.

Désormais, le contrat opère donc cession de droits réels, tout autant qu’il est créateur d’obligations personnelles.

Au nombre de ces obligations figure notamment, pour les contrats translatifs de propriété, l’obligation de délivrance de la chose.

L’article 1138 du Code civil disposait en ce sens que « l’obligation de livrer la chose est parfaite par le seul consentement des parties contractantes. »

La règle ainsi posée a été reprise par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Elle est désormais énoncée aux articles 1196 à 1198 du Code civil. À cet égard, le législateur en a profité pour clarifier le régime juridique du transfert de propriété lorsqu’il résulte de la conclusion d’un contrat.

Conséquence de l’abandon de la distinction entre les obligations de donner, de faire, et de ne pas faire, le transfert de propriété est dorénavant érigé en effet légal du contrat, consécutif à l’échange des consentements et non plus comme l’exécution d’une obligation de donner, ce qui n’est pas sans avoir alimenté de nombreuses discussions en doctrine.

La majorité des auteurs critiquait, en effet, la formulation des anciens textes qui rattachaient le transfert de propriété avec l’obligation de donner, alors même qu’il se situe au même niveau que cette obligation en ce sens que, comme elle, il est un effet du contrat.

Dire que le transfert de propriété résulte directement de l’échange des consentements n’est pas la même chose que de le présenter comme un acte d’exécution de l’obligation de donner.

Tandis que dans la première approche, le transfert de propriété est concomitant à la conclusion du contrat et, ce, indépendant de toute action du cédant, dans la seconde le transfert de propriété est subordonné à l’exécution de l’obligation de délivrer la chose, de sorte qu’il serait à la main du débiteur.

Aussi pour la doctrine il est difficile, sinon incohérent, de faire cohabiter l’obligation de donner avec le principe de transfert solo consensu, d’aucun allant jusqu’à suggérer que les rédacteurs du Code civil auraient souhaité réintroduire l’exigence de tradition pour les contrats translatifs de propriété.

C’est dans ce contexte que, à l’occasion de la réforme du droit des contrats, le législateur a souhaité clarifier les choses en réaffirmant le principe du transfert solo consensu, ce qui implique que non seulement la conclusion du contrat opère le transfert de la propriété, mais encore elle emporte transfert des risques relatifs à la dégradation ou à la disparition de la chose.

Nous nous focaliserons ici sur le seul transfert des risques.

I) Principe

?La concomitance du transfert de propriété et du transfert de la charge des risques

L’article 1196, al. 3e du Code civil prévoit que « le transfert de propriété emporte transfert des risques de la chose. »

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations a ainsi maintenu la règle selon laquelle le propriétaire supporte la perte de la chose.

Cela signifie que, dès lors que le transfert de propriété a opéré, l’acquéreur reste tenu de payer l’intégralité du prix, bien que la chose soit perdue ou détériorée, pourvu que la perte ou détérioration ne puisse être imputée à la faute du vendeur.

Les risques sont ceux de la chose : ils sont « pour l’acheteur », créancier de l’obligation inexécutée. Cette règle est exprimée par l’adage « res perit domino ».

La raison en est que le créancier est déjà devenu propriétaire de la chose par le seul accord des volontés : solo consensu.

C’est là le sens du premier alinéa de l’article 1196 du Code civil qui, pour mémoire, prévoit que « dans les contrats ayant pour objet l’aliénation de la propriété ou la cession d’un autre droit, le transfert s’opère lors de la conclusion du contrat ».

La règle qui fait intervenir le transfert de la charge des risques au moment du transfert de propriété, est reprise par plusieurs textes spéciaux.

L’article L. 132-7 du Code de commerce prévoit, par exemple, que « la marchandise sortie du magasin du vendeur ou de l’expéditeur voyage, s’il n’y a convention contraire, aux risques et périls de celui à qui elle appartient, sauf son recours contre le commissionnaire et le voiturier chargés du transport. »

?L’obligation de conservation de la chose aliénée

À l’analyse, la concomitance du transfert de propriété et du transfert de la charge des risques se comprend aisément, dès lors que les risques dont il est question sont ceux attachés à la chose.

Il n’est, en effet, pas anormal d’envisager que le risque de disparition ou de dégradation de la chose doivent peser sur la tête de son propriétaire.

Lorsque toutefois celui-ci n’est pas encore entré en possession de son bien, par hypothèse, il n’en a pas la maîtrise de sorte qu’il est impuissant à prévenir la survenance du risque.

La bonne conservation de la chose dépend du cédant et plus précisément des mesures qu’il va mettre en place pour prévenir le risque de disparition ou de dégradation de la chose dont il n’est plus propriétaire.

Si la charge des risques ne pèse pas sur ce dernier, le législateur a néanmoins mis à sa charge l’obligation de conserver la chose « jusqu’à la délivrance, en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable. »

C’est là, en quelque sorte, une contrepartie à l’attribution de la charge des risques à l’acquéreur dès le transfert de propriété du bien.

Si, dès lors, le cédant n’accomplit pas toutes les diligences requises à la bonne conservation de la chose dans l’attente de sa délivrance, il engage sa responsabilité contractuelle à hauteur du préjudice causé.

À cet égard, il peut être observé que cette obligation de conservation de la chose qui pèse sur le cédant est attachée à son obligation de délivrance.

Par délivrance, il faut entendre la mise à disposition de la chose cédée à l’acquéreur, étant précisé que la délivrance ne se confond pas avec la livraison.

En effet, tandis que la délivrance de la chose se limite en l’acte de mettre à disposition, la livraison implique le transport de la chose.

En l’absence de convention contraire, les contrats translatifs de propriété ne mettent à la charge du cédant qu’une obligation de délivrance et non de livraison, ce qui n’est pas sans avoir alimenté de nombreuses discussions en doctrine, en raison de la maladresse de la formulation de certaines dispositions du Code civil qui associent la délivrance au transport, alors qu’il s’agit de deux obligations radicalement différentes.

L’article 1604 du Code civil définit, par exemple, la délivrance en matière de vente comme « le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l’acheteur. »

Il s’agit là, manifestement, d’une maladresse de rédaction à laquelle le législateur a tenté de remédier en associant expressément, à l’article 1197 du Code civil, l’obligation de conservation de la chose à l’obligation de délivrance.

II) Exceptions

Il est plusieurs situations où le transfert des risques est dissocié du transfert de propriété :

?La mise en demeure du débiteur de l’obligation de délivrer

Si, par principe, le transfert des risques est attaché au transfert de la propriété du bien aliéné, lorsque le cédant tarde à délivrer la chose la charge des risques passe sur sa tête.

L’alinéa 3e de l’article 1196 du Code civil précise, en effet, que « toutefois le débiteur de l’obligation de délivrer en retrouve la charge à compter de sa mise en demeure, conformément à l’article 1344-2 et sous réserve des règles prévues à l’article 1351-1. »

Ainsi, lorsque le vendeur la mise en demeure de délivrer une chose met les risques de la chose à la charge du débiteur non-propriétaire (le vendeur).

Seule solution pour ce dernier de s’exonérer de sa responsabilité :

  • D’une part, l’impossibilité d’exécuter l’obligation de délivrance doit résulter de la perte de la chose due
  • D’autre part, il doit être établi que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée.

Lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies, la charge des risques repasse sur la tête du propriétaire de la chose aliénée.

?Les contrats translatifs de propriété soumis au droit de la consommation

Les articles L. 216-1 à L. 216-6 du Code de la consommation régissent la livraison de la chose aliéné et le transfert de la charge des risques lorsque le contrat est conclu entre un professionnel et un consommateur

Par souci de protection du consommateur, le législateur a ainsi dérogé au principe posé par l’article 1196 al. 3e du Code civil en prévoyant à l’article L. 216-4 du Code de la consommation que « tout risque de perte ou d’endommagement des biens est transféré au consommateur au moment où ce dernier ou un tiers désigné par lui, et autre que le transporteur proposé par le professionnel, prend physiquement possession de ces biens. »

Le transfert de la charge des risques intervient, de la sorte, non pas au moment du transfert de propriété, mais au moment de la livraison du bien.

Cette règle étant d’ordre public, le professionnel ne peut pas s’y soustraire par convention contraire (art. L. 216-6 C. conso).

Seule exception à la règle, l’article L. 216-5 prévoit que « lorsque le consommateur confie la livraison du bien à un transporteur autre que celui proposé par le professionnel, le risque de perte ou d’endommagement du bien est transféré au consommateur lors de la remise du bien au transporteur ».

Le principe de transfert solo consensu

Les rédacteurs du Code civil ont consacré le principe du transfert solo consensu, soit du principe aux termes duquel le transfert de propriété procède, non pas de l’acte de tradition, mais de la conclusion du contrat lui-même.

Désormais, le contrat opère donc cession de droits réels, tout autant qu’il est créateur d’obligations personnelles.

Au nombre de ces obligations figure notamment, pour les contrats translatifs de propriété, l’obligation de délivrance de la chose.

L’article 1138 du Code civil disposait en ce sens que « l’obligation de livrer la chose est parfaite par le seul consentement des parties contractantes. »

La règle ainsi posée a été reprise par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Elle est désormais énoncée aux articles 1196 à 1198 du Code civil. À cet égard, le législateur en a profité pour clarifier le régime juridique du transfert de propriété lorsqu’il résulte de la conclusion d’un contrat.

Conséquence de l’abandon de la distinction entre les obligations de donner, de faire, et de ne pas faire, le transfert de propriété est dorénavant érigé en effet légal du contrat, consécutif à l’échange des consentements et non plus comme l’exécution d’une obligation de donner, ce qui n’est pas sans avoir alimenté de nombreuses discussions en doctrine.

La majorité des auteurs critiquait, en effet, la formulation des anciens textes qui rattachaient le transfert de propriété avec l’obligation de donner, alors même qu’il se situe au même niveau que cette obligation en ce sens que, comme elle, il est un effet du contrat.

Dire que le transfert de propriété résulte directement de l’échange des consentements n’est pas la même chose que de le présenter comme un acte d’exécution de l’obligation de donner.

Tandis que dans la première approche, le transfert de propriété est concomitant à la conclusion du contrat et, ce, indépendant de toute action du cédant, dans la seconde le transfert de propriété est subordonné à l’exécution de l’obligation de délivrer la chose, de sorte qu’il serait à la main du débiteur.

Aussi pour la doctrine il est difficile, sinon incohérent, de faire cohabiter l’obligation de donner avec le principe de transfert solo consensu, d’aucun allant jusqu’à suggérer que les rédacteurs du Code civil auraient souhaité réintroduire l’exigence de tradition pour les contrats translatifs de propriété.

C’est dans ce contexte que, à l’occasion de la réforme du droit des contrats, le législateur a souhaité clarifier les choses en réaffirmant le principe du transfert solo consensu, ce qui implique que non seulement la conclusion du contrat opère le transfert de la propriété, mais encore elle emporte transfert des risques relatifs à la dégradation ou à la disparition de la chose.

Nous nous focaliserons ici sur le seul transfert de propriété.

I) Principe

L’article 1196, al. 1er du Code civil dispose que « dans les contrats ayant pour objet l’aliénation de la propriété ou la cession d’un autre droit, le transfert s’opère lors de la conclusion du contrat. »

Il ressort de cette disposition que le transfert de propriété du bien intervient, pour les contrats translatifs de droits réels, dès sa formation, soit au moment de l’échange des consentements.

C’est le principe de transfert solo consensu, principe qui est énoncé par d’autres textes spéciaux du Code civil.

L’article 1583 du Code civil prévoit, par exemple, que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. »

L’article 938 dispose encore que « la donation dûment acceptée sera parfaite par le seul consentement des parties ; et la propriété des objets donnés sera transférée au donataire, sans qu’il soit besoin d’autre tradition. »

Le transfert de propriété du bien aliéné se produit ainsi dès la conclusion du contrat, ce qui a pour conséquence d’opérer automatiquement et instantanément cession des droits réels, sans qu’il soit besoin pour le cédant de se dessaisir de la chose.

Le transfert de propriété ne consiste nullement en un acte d’exécution d’une obligation, mais bien en un effet légal du contrat.

En d’autres termes, ce n’est pas la délivrance de la chose qui opère le transfert de propriété, mais l’échange des consentements.

Au moment même où le contrat est formé, le cédant perd la qualité de propriétaire, ses prérogatives (usus, fructus et abusus) étant instantanément transférées à l’acquéreur.

S’il est des cas où il continuera à détenir le bien aliéné, il lui incombera d’exécuter dans les délais l’obligation de délivrance, sauf exercice de son droit de rétention en cas de non-paiement par l’acquéreur (art. 1612 C. civ.).

II) Exceptions

L’article 1196, al. 2e du Code civil prévoit que le transfert de propriété « peut être différé par la volonté des parties, la nature des choses ou par l’effet de la loi. »

Ainsi, est-il des cas où le transfert de propriété ne sera pas concomitant à la formation du contrat, il sera différé dans le temps. Ce sont là autant d’exceptions au principe de transfert solo consensu.

Trois hypothèses sont envisagées par l’article 1196 :

?La volonté des parties

Les règles qui régissent le transfert de propriété sont supplétives, ce qui implique qu’il peut y être dérogé par convention contraire.

Les parties sont ainsi libres de prévoir que le transfert de propriété du bien aliéné interviendra à une date ne correspondant pas à celle de conclusion du contrat.

Elles peuvent néanmoins prévoir que le transfert se produira seulement, soit après la survenant d’un événement déterminé, soit au moment du complet paiement du prix.

  • La clause de réserve de propriété
    • Il est courant, en matière commerciale, que le cédant souhaite se ménager le bénéfice d’une clause de réserve de propriété, clause consistant à subordonner le transfert de propriété du bien aliéné au complet paiement du prix.
    • L’article 2367 du Code civil prévoit en ce sens que « la propriété d’un bien peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie »
    • Ainsi, tant que l’acquéreur, qui est entré en possession du bien, n’a pas réglé le vendeur il n’est investi d’aucun droit réel sur celui-ci.
    • La clause de réserve de propriété est un instrument juridique redoutable qui confère à son bénéficiaire une situation particulièrement privilégiée lorsque le débiteur fait l’objet, soit de mesures d’exécution forcée, soit d’une procédure collective.
    • Pour être valable, la clause de réserve de propriété doit néanmoins être stipulée, par écrit, et, au plus tard, le jour de la livraison du bien.
  • La clause de réitération par acte authentique
    • Cette clause consiste à subordonner le transfert de propriété du bien aliéné à la réitération des consentements par acte authentique.
    • Contrairement à ce qui a pu être décidé par certaines juridictions, la stipulation d’une telle clause diffère, non pas la formation du contrat qui est acquise dès l’échange des consentements, mais le transfert de la propriété du bien aliéné.
    • Ce transfert interviendra au moment de la réitération des consentements devant notaire qui constatera l’opération par acte authentique.
    • Dans un arrêt 20 décembre 1994, la haute juridiction a, de la sorte, refusé de suivre une Cour d’appel qui avait estimé que le contrat de vente, objet d’une promesse synallagmatique, n’était pas parfait, dès lors que ladite promesse était assortie d’une clause qui stipulait que « que l’acquéreur sera propriétaire des biens vendus à compter seulement de la réitération par acte authentique ».

?La nature des choses

Il est certaines catégories de choses qui se prêtent mal à ce que le transfert de propriété intervienne concomitamment à la formation du contrat

Tel est le cas des choses fongibles (de genre) et des choses futures :

  • Les choses fongibles
    • Par chose fongible, il faut entendre une chose qui ne possède pas une individualité propre.
    • L’article 587 du Code civil désigne les choses fongibles comme celles qui sont « de même quantité et qualité » et l’article 1892 comme celles « de même espèce et qualité ».
    • Selon la formule du Doyen Cornu, les choses fongibles sont « rigoureusement équivalentes comme instruments de paiement ou de restitution».
    • Pour être des choses fongibles, elles doivent, autrement dit, être interchangeables, soit pouvoir indifféremment se remplacer les unes, les autres, faire fonction les unes les autres.
      • Exemple: une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série etc…
    • Les choses fongibles se caractérisent par leur espèce (nature, genre) et par leur quotité.
    • Ainsi, pour individualiser la chose fongible, il est nécessaire d’accomplir une opération de mesure ou de compte.
    • Lorsque des choses fongibles sont aliénées, dans la mesure où, par hypothèse, au moment de la formation du contrat, elles ne sont pas individualisées, le transfert de propriété ne peut pas s’opérer.
    • Aussi, ce transfert de propriété ne pourra intervenir qu’au moment de l’individualisation de la chose fongible, laquelle se produira postérieurement à la conclusion du contrat.
    • Pratiquement, cette individualisation pourra se faire par pesée, compte ou mesure (art. 1585 C. civ.)
    • Elle pourra également se traduire par une vente en bloc (art. 1586 C. civ.).
    • Le plus souvent cette action sera réalisée le jour de la livraison de la chose.
  • Les choses futures
    • Les choses futures sont celles qui n’existent pas encore au moment de la formation du contrat.
    • À cet égard, l’ancien article 1130 du Code civil disposait que « les choses futures peuvent faire l’objet d’une obligation »
    • Le nouvel article 1130, issu de la réforme des obligations prévoit désormais que « l’obligation a pour objet une prestation présente ou future ».
    • Ce cas particulier est bien connu en droit de la vente. On vend bien sans difficulté des immeubles à construire (art. 1601-1 C.civ).
    • Ce n’est pas à dire que la loi ne prohibe pas ponctuellement de tels contrats.
    • L’article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit, par exemple, que « la cession globale des œuvres futures est nulle »
    • Lorsque la vente de choses futures est permise, la loi aménage les conséquences de la vente si la chose devait ne jamais exister.
    • En tout état de cause, lorsque le contrat a pour objet l’aliénation d’une chose future, le transfert de propriété ne pourra intervenir qu’au jour où elle existera et plus précisément au jour où elle sera livrée à l’acquéreur.

?L’effet de la loi

Il est des cas où le transfert de propriété du bien aliéné sera différé sous l’effet de la loi.

Il en va ainsi de la vente à terme définie à l’article 1601-2 du Code civil comme « le contrat par lequel le vendeur s’engage à livrer l’immeuble à son achèvement, l’acheteur s’engage à en prendre livraison et à en payer le prix à la date de livraison. »

Le texte poursuit en précisant que « le transfert de propriété s’opère de plein droit par la constatation par acte authentique de l’achèvement de l’immeuble ; il produit ses effets rétroactivement au jour de la vente. »

Le transfert de propriété du bien est également différé en matière de vente en l’état futur d’achèvement définie à l’article 1601-3 du Code civil comme « le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. »

À la différente de la vente à terme, ici les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution, étant précisé que l’acquéreur est tenu d’en payer le prix à mesure de l’avancement des travaux.

L’acquisition dérivée de la propriété : le transfert de propriété

L’acquisition dérivée est de loin le mode d’acquisition le plus répandue, à tout le moins le plus commun, dans la mesure où, le plus souvent, l’acquisition d’un bien procède d’un transfert du droit de propriété, lequel transfert se réalise par l’effet d’un acte juridique.

Aussi, le bien appartenait, avant le transfert de sa propriété, à une autre personne que l’acquéreur, de sorte que celui-ci détient son droit d’autrui.

Dans cette configuration, un rapport juridique doit nécessairement se créer pour que l’acquisition emporte transfert de la propriété.

L’article 711 du Code civil dispose en ce sens que « la propriété des biens s’acquiert et se transmet par succession, par donation entre vifs ou testamentaire, et par l’effet des obligations. »

Ainsi, existe-t-il plusieurs sortes de modes de transferts de propriété auxquels sont attachés des régimes juridiques qui diffèrent d’un mode de transfert à l’autre.

I) Les modes de transfert de la propriété

Il existe donc plusieurs modes de transfert du droit de propriété que l’on est susceptible de classer selon différents critères.

  • Classification selon l’étendue du transfert
    • Transfert à titre universel
      • Le transfert à titre universel consiste en une transmission de patrimoine ou d’une quote-part de biens.
      • Il peut résulter d’une dévolution successorale, d’un testament ou encore d’une fusion de sociétés
      • La particularité du transfert à titre universel est qu’il emporte également transmission des dettes attachées au patrimoine transmis
    • Transfert à titre particulier
      • Le transfert à titre particulier consiste, quant à lui, en une transmission de biens sans que l’acquéreur ne soit tenu aux dettes qui s’y attachent
      • Ce mode de transfert peut résulter d’une vente, d’une donation ou encore d’un échange
  • Classification selon la source du transfert
    • Transfert volontaire
      • Le transfert de propriété résulte le plus souvent d’une convention (vente) ou d’un acte unilatéral (testament)
      • Dans cette hypothèse, la validité du transfert est subordonnée notamment à l’existence d’un consentement qui doit être libre et éclairé
    • Transfert forcé
      • Le transfert de propriété est susceptible d’intervenir, dans certains cas, en dehors de toute manifestation de volonté
      • Tel est le cas lorsque la transmission du bien résulte du fait de la loi (succession) ou d’une décision judiciaire (liquidation judiciaire d’une entreprise en difficulté)
  • Classification selon la cause du transfert
    • Transfert à titre onéreux
      • Le transfert du bien interviendra, le plus souvent, à titre onéreux, soit en considération de l’obtention d’une contrepartie
      • Tel est le cas de la vente qui consiste en la délivrance d’une chose, moyennant le paiement d’un prix
    • Transfert à titre gratuit
      • Le transfert du bien peut également être réalisé à titre gratuit, soit sans que le cédant n’obtienne une contrepartie
      • Tel est le cas le cas de la donation qui, par hypothèse, est toujours consentie à titre gratuit

Au bilan, il apparaît que, outre la diversité des modes de transfert de propriété, l’acquisition dérivée mobilise d’autres matières que le droit des biens, au nombre desquelles figurent, le droit des contrats, le droit des successions, le droit des entreprises en difficulté ou encore le droit des sociétés.

II) Le régime du transfert de la propriété

Le régime applicable au transfert de propriété d’un bien est donc différent selon la matière mobilisée.

Nous ne nous focaliserons néanmoins ici que sur le régime attaché au transfert de droit commun de la propriété, soit celui réalisé à titre particulier.

A) L’objet du transfert de propriété

Le transfert de propriété a pour effet d’installer celui qui acquiert le bien dans la même situation que celui qui lui a transmis.

Aussi, l’opération translative de propriété emporte plusieurs conséquences érigées en principe :

  • Nemo dat quod non habet : « celui qui n’était pas propriétaire n’a rien pu transmettre »
    • Dans cette hypothèse, on parle d’acquisition a non domino, en ce sens que bien a été acquis auprès d’une personne qui n’en était pas la propriétaire
    • Le transfert de propriété n’a donc pas pu jouer, sauf à ce que l’acquéreur endosse la qualité de possesseur lorsqu’il s’agit d’un meuble ou, lorsqu’il s’agit d’un immeuble, que les conditions de l’usucapion soient réunies.
  • Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet : « nul ne peut transmettre à autrui plus de droits qu’il n’en a lui-même »
    • Autrement dit, l’auteur transmet le bien à l’acquéreur le bien tel qu’il est, tant sur le plan matériel, que sur le plan juridique.
    • Ainsi, l’acquéreur ne peut exercer que les seuls droits attachés au bien au moment du transfert, il ne saurait se prévaloir de prérogatives dont n’était pas titulaire le cédant.
    • En application de ce principe, la Cour de cassation a, par exemple, jugé dans un arrêt du 28 novembre 2012 que l’acquéreur d’un moulin n’était pas fondé à revendiquer le droit d’usage de l’eau, alors même que l’ancien propriétaire avait valablement renoncé au droit d’usage de la force motrice du ruisseau moyennant l’octroi d’une indemnité (Cass. 3e civ. 28 nov. 2012, n°11-20156).
  • Accessorium Principale Sequitur : « l’accessoire suit le principal »
    • En application de ce principe général, le transfert de propriété du bien emporte également transfert à l’acquéreur de tous ses accessoires, c’est-à-dire de tous les droits et obligations qui y sont attachés.
    • Ainsi, les droits réels qui grèvent le bien transmis ne sont pas affectés par le transfert de propriété

B) Les modalités du transfert de propriété

Le transfert de propriété d’un bien s’analyse fondamentalement en une cession de droits réels. Par cession, il faut entendre, selon les auteurs, de Pothier[1] à Henri Desbois[2], en passant par le Doyen Carbonnier[3], le transfert de propriété de droits entre vifs[4].

En droit romain, ce transfert de propriété était dissocié du contrat stricto sensu, celui-ci n’étant créateur que d’obligations personnelles.

Cette dichotomie entre le contrat et le mécanisme de cession visait à permettre à l’acquéreur de se ménager une preuve du transfert de propriété à l’égard des tiers.

Si, aujourd’hui, cette approche du transfert de propriété a cédé sous l’émergence du consensualisme, elle n’a pas totalement disparu, à tout le moins se retrouve dans certaines règles qui autorisent la déconnexion du transfert de propriété de la conclusion du contrat.

?Droit romain

À l’examen, les techniques juridiques utilisées sous l’empire du droit romain pour transférer des droits réels sont directement liées à la preuve.

Les romains, partaient du principe que pour prouver la propriété d’un bien, l’acquéreur devait être en mesure de démontrer qu’il tenait son droit de quelqu’un, lequel endossait lui-même la qualité le propriétaire et ainsi de suite.

Cette preuve, qualifiée, au Moyen-Âge la probatio diabolica[5] est, par hypothèse, impossible à rapporter. Etablir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien, revient, en effet, à exiger de l’acquéreur qu’il remonte la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, preuve que « seul le diable pourrait rapporter ».

Pour éviter ce régime compliqué de preuve, la Loi des XII Tables prévoyait déjà la règle « Usus auctoritas fundi biennium, ceterarum rerum annus esto », ce qui signifiait que pendant deux ans pour les fonds de terre et un an pour les autres choses, le possesseur devait, en cas de contestation de sa propriété, faire appel au précédent propriétaire du bien pour qu’il atteste avoir consenti au transfert de propriété.

À l’expiration de ces délais, c’est la loi elle-même qui protégeait le possesseur en le rendant légalement propriétaire. Ainsi, la possession d’une chose pendant un ou deux ans constituait une preuve suffisante de la propriété.

Par suite, un formalisme plus complexe s’est développé autour du transfert de la propriété, afin que la preuve puisse être rapportée plus facilement. Cette évolution s’est traduite par l’introduction d’une dissociation de l’opération de transfert de la propriété, du contrat créateur d’obligations personnelles.

En droit romain, deux techniques abstraites permettaient le transfert de la propriété quiritaire : la mancipation et l’in jure cessio.

Dans la mancipation, le transfert de propriété résulte d’un rituel très précis, décrit par Gaïus[6]. Il entraînant deux effets. D’une part, il assurait le transfert de propriété, même si pour Henri Lévy-Bruhl, « la chose qui vient d’être transférée est considérée comme acquise et non comme transmise »[7]. D’autre part, la mancipation avait pour effet de faire naître une obligation de garantie à la charge du vendeur[8].

Ce formalisme archaïque s’est toutefois rapidement révélé inadapté aux nouvelles nécessités commerciales apparues au Bas-Empire. En réaction, le législateur instaura un mécanisme de publicité des transferts de propriété fondée sur l’enregistrement.

S’agissant de la cessio in jure, le transfert de propriété est réalisé au cours d’un procès fictif qui avait pour but d’opérer la cession de droits réels. Le transfert de propriété est ainsi prononcé par le juge, indépendamment de la conclusion du contrat.

Cette dissociation entre le contrat et l’effet translatif qui lui était attaché s’illustrait concrètement par le formalisme de la traditio qui subordonnait le transfert de la propriété à la remise effective de la chose aliénée par le vendeur à l’acquéreur.

Dès la fin de la République, la remise devient néanmoins une opération symbolique et abstraite[9], ce qui eut pour conséquence de resserrer les rapports de droit entre le contrat générateur d’obligations personnelles et le transfert de propriété proprement dit. Ce rapprochement fut de courte durée puisque la remise matérielle de la chose réapparut en Occident, notamment dans un Édit de Théodoric.

En tout état de cause, à Rome, le contrat est impuissant à assurer seul le transfert de la propriété. Il n’a qu’un effet obligatoire, non translatif. En somme, il fait naître à la charge de l’aliénateur l’obligation de transférer la chose, mais il ne réalise pas lui-même ce transfert.

Le transfert a lieu par un acte ultérieur, le modus acquirendi, acte à caractère abstrait ou matériel. Si ces principes étaient toujours en vigueur aux origines de l’Ancien droit, ils ont progressivement été abandonnés.

?Ancien droit

En droit franc, une évolution fondamentale s’est réalisée. Le transfert de la propriété était subordonné à l’investiture publique de l’acquéreur. L’acquéreur prend physiquement possession de la chose, tandis que le cédant s’en décharge[10]. L’investiture publique réalise ainsi à la fois l’accord des volontés et le transfert de propriété.

Puis, à l’époque féodale, ni la convention préalable, ni même la remise matérielle de la chose, ne transfèrent la propriété en l’absence d’investiture. Ce principe est clairement formulé par Boutillier au XIVe siècle : « Celui qui vend tenure mais en retient encore la saisine par devers lui et n’en fait vest à l’acheteur, saches qu’il est encore sires de la chose »[11].

Par suite, ces règles archaïques sont apparues inadaptées au temps de la monarchie. Aussi, les Glossateurs reprirent les principes du droit romain de la tradition matérielle, mais en multipliant les exceptions.

De leur côté, les romanistes étaient de plus en plus hostiles à l’investiture publique ainsi qu’à l’intervention seigneuriale. Une nouvelle pratique s’est alors développée dans les pays de droit écrit. Il est devenu courant de stipuler dans l’acte d’aliénation une clause verdidit et tradidit, également qualifiée de clause de tradition feinte ou de saisine-désaisine[12].

Cette tradition feinte marqua le déclin de la dissociation entre le contrat et le transfert de propriété, ce dernier n’étant plus une condition de validité de l’opération de cession de droits réels.

La propriété est désormais transférée du seul fait de l’échange des consentements. Comme le constate Agnès Rabagny[13], une partie de la doctrine – et notamment Loisel et Ricard, consacra ces solutions aux XVIIème et XVIIIème siècles. Pour les théoriciens du droit naturel tel Grotius ou Pufendorf, la volonté doit toujours l’emporter sur les formes[14].

?Code civil

Les rédacteurs du Code civil ont consacré le principe du transfert solo consensu, soit du principe aux termes duquel le transfert de propriété procède, non pas de l’acte de tradition, mais de la conclusion du contrat lui-même.

Désormais, le contrat opère donc cession de droits réels, tout autant qu’il est créateur d’obligations personnelles.

Au nombre de ces obligations figure notamment, pour les contrats translatifs de propriété, l’obligation de délivrance de la chose.

L’article 1138 du Code civil disposait en ce sens que « l’obligation de livrer la chose est parfaite par le seul consentement des parties contractantes. »

La règle ainsi posée a été reprise par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Elle est désormais énoncée aux articles 1196 à 1198 du Code civil. À cet égard, le législateur en a profité pour clarifier le régime juridique du transfert de propriété lorsqu’il résulte de la conclusion d’un contrat.

Conséquence de l’abandon de la distinction entre les obligations de donner, de faire, et de ne pas faire, le transfert de propriété est dorénavant érigé en effet légal du contrat, consécutif à l’échange des consentements et non plus comme l’exécution d’une obligation de donner, ce qui n’est pas sans avoir alimenté de nombreuses discussions en doctrine.

La majorité des auteurs critiquait, en effet, la formulation des anciens textes qui rattachaient le transfert de propriété avec l’obligation de donner, alors même qu’il se situe au même niveau que cette obligation en ce sens que, comme elle, il est un effet du contrat.

Dire que le transfert de propriété résulte directement de l’échange des consentements n’est pas la même chose que de le présenter comme un acte d’exécution de l’obligation de donner.

Tandis que dans la première approche, le transfert de propriété est concomitant à la conclusion du contrat et, ce, indépendant de toute action du cédant, dans la seconde le transfert de propriété est subordonné à l’exécution de l’obligation de délivrer la chose, de sorte qu’il serait à la main du débiteur.

Aussi pour la doctrine il est difficile, sinon incohérent, de faire cohabiter l’obligation de donner avec le principe de transfert solo consensu, d’aucun allant jusqu’à suggérer que les rédacteurs du Code civil auraient souhaité réintroduire l’exigence de tradition pour les contrats translatifs de propriété.

C’est dans ce contexte que, à l’occasion de la réforme du droit des contrats, le législateur a souhaité clarifier les choses en réaffirmant le principe du transfert solo consensu, ce qui implique que non seulement la conclusion du contrat opère le transfert de la propriété, mais encore elle emporte transfert des risques relatifs à la dégradation ou à la disparition de la chose.

1. Le transfert de la propriété

a. Principe

L’article 1196, al. 1er du Code civil dispose que « dans les contrats ayant pour objet l’aliénation de la propriété ou la cession d’un autre droit, le transfert s’opère lors de la conclusion du contrat. »

Il ressort de cette disposition que le transfert de propriété du bien intervient, pour les contrats translatifs de droits réels, dès sa formation, soit au moment de l’échange des consentements.

C’est le principe de transfert solo consensu, principe qui est énoncé par d’autres textes spéciaux du Code civil.

L’article 1583 du Code civil prévoit, par exemple, que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. »

L’article 938 dispose encore que « la donation dûment acceptée sera parfaite par le seul consentement des parties ; et la propriété des objets donnés sera transférée au donataire, sans qu’il soit besoin d’autre tradition. »

Le transfert de propriété du bien aliéné se produit ainsi dès la conclusion du contrat, ce qui a pour conséquence d’opérer automatiquement et instantanément cession des droits réels, sans qu’il soit besoin pour le cédant de se dessaisir de la chose.

Le transfert de propriété ne consiste nullement en un acte d’exécution d’une obligation, mais bien en un effet légal du contrat.

En d’autres termes, ce n’est pas la délivrance de la chose qui opère le transfert de propriété, mais l’échange des consentements.

Au moment même où le contrat est formé, le cédant perd la qualité de propriétaire, ses prérogatives (usus, fructus et abusus) étant instantanément transférées à l’acquéreur.

S’il est des cas où il continuera à détenir le bien aliéné, il lui incombera d’exécuter dans les délais l’obligation de délivrance, sauf exercice de son droit de rétention en cas de non-paiement par l’acquéreur (art. 1612 C. civ.).

b. Exceptions

L’article 1196, al. 2e du Code civil prévoit que le transfert de propriété « peut être différé par la volonté des parties, la nature des choses ou par l’effet de la loi. »

Ainsi, est-il des cas où le transfert de propriété ne sera pas concomitant à la formation du contrat, il sera différé dans le temps. Ce sont là autant d’exceptions au principe de transfert solo consensu.

Trois hypothèses sont envisagées par l’article 1196 :

?La volonté des parties

Les règles qui régissent le transfert de propriété sont supplétives, ce qui implique qu’il peut y être dérogé par convention contraire.

Les parties sont ainsi libres de prévoir que le transfert de propriété du bien aliéné interviendra à une date ne correspondant pas à celle de conclusion du contrat.

Elles peuvent néanmoins prévoir que le transfert se produira seulement, soit après la survenant d’un événement déterminé, soit au moment du complet paiement du prix.

  • La clause de réserve de propriété
    • Il est courant, en matière commerciale, que le cédant souhaite se ménager le bénéfice d’une clause de réserve de propriété, clause consistant à subordonner le transfert de propriété du bien aliéné au complet paiement du prix.
    • L’article 2367 du Code civil prévoit en ce sens que « la propriété d’un bien peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie »
    • Ainsi, tant que l’acquéreur, qui est entré en possession du bien, n’a pas réglé le vendeur il n’est investi d’aucun droit réel sur celui-ci.
    • La clause de réserve de propriété est un instrument juridique redoutable qui confère à son bénéficiaire une situation particulièrement privilégiée lorsque le débiteur fait l’objet, soit de mesures d’exécution forcée, soit d’une procédure collective.
    • Pour être valable, la clause de réserve de propriété doit néanmoins être stipulée, par écrit, et, au plus tard, le jour de la livraison du bien.
  • La clause de réitération par acte authentique
    • Cette clause consiste à subordonner le transfert de propriété du bien aliéné à la réitération des consentements par acte authentique.
    • Contrairement à ce qui a pu être décidé par certaines juridictions, la stipulation d’une telle clause diffère, non pas la formation du contrat qui est acquise dès l’échange des consentements, mais le transfert de la propriété du bien aliéné.
    • Ce transfert interviendra au moment de la réitération des consentements devant notaire qui constatera l’opération par acte authentique.
    • Dans un arrêt 20 décembre 1994, la haute juridiction a, de la sorte, refusé de suivre une Cour d’appel qui avait estimé que le contrat de vente, objet d’une promesse synallagmatique, n’était pas parfait, dès lors que ladite promesse était assortie d’une clause qui stipulait que « que l’acquéreur sera propriétaire des biens vendus à compter seulement de la réitération par acte authentique ».

?La nature des choses

Il est certaines catégories de choses qui se prêtent mal à ce que le transfert de propriété intervienne concomitamment à la formation du contrat

Tel est le cas des choses fongibles (de genre) et des choses futures :

  • Les choses fongibles
    • Par chose fongible, il faut entendre une chose qui ne possède pas une individualité propre.
    • L’article 587 du Code civil désigne les choses fongibles comme celles qui sont « de même quantité et qualité » et l’article 1892 comme celles « de même espèce et qualité ».
    • Selon la formule du Doyen Cornu, les choses fongibles sont « rigoureusement équivalentes comme instruments de paiement ou de restitution».
    • Pour être des choses fongibles, elles doivent, autrement dit, être interchangeables, soit pouvoir indifféremment se remplacer les unes, les autres, faire fonction les unes les autres.
      • Exemple: une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série etc…
    • Les choses fongibles se caractérisent par leur espèce (nature, genre) et par leur quotité.
    • Ainsi, pour individualiser la chose fongible, il est nécessaire d’accomplir une opération de mesure ou de compte.
    • Lorsque des choses fongibles sont aliénées, dans la mesure où, par hypothèse, au moment de la formation du contrat, elles ne sont pas individualisées, le transfert de propriété ne peut pas s’opérer.
    • Aussi, ce transfert de propriété ne pourra intervenir qu’au moment de l’individualisation de la chose fongible, laquelle se produira postérieurement à la conclusion du contrat.
    • Pratiquement, cette individualisation pourra se faire par pesée, compte ou mesure (art. 1585 C. civ.)
    • Elle pourra également se traduire par une vente en bloc (art. 1586 C. civ.).
    • Le plus souvent cette action sera réalisée le jour de la livraison de la chose.
  • Les choses futures
    • Les choses futures sont celles qui n’existent pas encore au moment de la formation du contrat.
    • À cet égard, l’ancien article 1130 du Code civil disposait que « les choses futures peuvent faire l’objet d’une obligation »
    • Le nouvel article 1130, issu de la réforme des obligations prévoit désormais que « l’obligation a pour objet une prestation présente ou future ».
    • Ce cas particulier est bien connu en droit de la vente. On vend bien sans difficulté des immeubles à construire (art. 1601-1 C.civ).
    • Ce n’est pas à dire que la loi ne prohibe pas ponctuellement de tels contrats.
    • L’article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit, par exemple, que « la cession globale des œuvres futures est nulle »
    • Lorsque la vente de choses futures est permise, la loi aménage les conséquences de la vente si la chose devait ne jamais exister.
    • En tout état de cause, lorsque le contrat a pour objet l’aliénation d’une chose future, le transfert de propriété ne pourra intervenir qu’au jour où elle existera et plus précisément au jour où elle sera livrée à l’acquéreur.

?L’effet de la loi

Il est des cas où le transfert de propriété du bien aliéné sera différé sous l’effet de la loi.

Il en va ainsi de la vente à terme définie à l’article 1601-2 du Code civil comme « le contrat par lequel le vendeur s’engage à livrer l’immeuble à son achèvement, l’acheteur s’engage à en prendre livraison et à en payer le prix à la date de livraison. »

Le texte poursuit en précisant que « le transfert de propriété s’opère de plein droit par la constatation par acte authentique de l’achèvement de l’immeuble ; il produit ses effets rétroactivement au jour de la vente. »

Le transfert de propriété du bien est également différé en matière de vente en l’état futur d’achèvement définie à l’article 1601-3 du Code civil comme « le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. »

À la différente de la vente à terme, ici les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution, étant précisé que l’acquéreur est tenu d’en payer le prix à mesure de l’avancement des travaux.

2. Le transfert des risques

a. Principe

?La concomitance du transfert de propriété et du transfert de la charge des risques

L’article 1196, al. 3e du Code civil prévoit que « le transfert de propriété emporte transfert des risques de la chose. »

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations a ainsi maintenu la règle selon laquelle le propriétaire supporte la perte de la chose.

Cela signifie que, dès lors que le transfert de propriété a opéré, l’acquéreur reste tenu de payer l’intégralité du prix, bien que la chose soit perdue ou détériorée, pourvu que la perte ou détérioration ne puisse être imputée à la faute du vendeur.

Les risques sont ceux de la chose : ils sont « pour l’acheteur », créancier de l’obligation inexécutée. Cette règle est exprimée par l’adage « res perit domino ».

La raison en est que le créancier est déjà devenu propriétaire de la chose par le seul accord des volontés : solo consensu.

C’est là le sens du premier alinéa de l’article 1196 du Code civil qui, pour mémoire, prévoit que « dans les contrats ayant pour objet l’aliénation de la propriété ou la cession d’un autre droit, le transfert s’opère lors de la conclusion du contrat ».

La règle qui fait intervenir le transfert de la charge des risques au moment du transfert de propriété, est reprise par plusieurs textes spéciaux.

L’article L. 132-7 du Code de commerce prévoit, par exemple, que « la marchandise sortie du magasin du vendeur ou de l’expéditeur voyage, s’il n’y a convention contraire, aux risques et périls de celui à qui elle appartient, sauf son recours contre le commissionnaire et le voiturier chargés du transport. »

?L’obligation de conservation de la chose aliénée

À l’analyse, la concomitance du transfert de propriété et du transfert de la charge des risques se comprend aisément, dès lors que les risques dont il est question sont ceux attachés à la chose.

Il n’est, en effet, pas anormal d’envisager que le risque de disparition ou de dégradation de la chose doivent peser sur la tête de son propriétaire.

Lorsque toutefois celui-ci n’est pas encore entré en possession de son bien, par hypothèse, il n’en a pas la maîtrise de sorte qu’il est impuissant à prévenir la survenance du risque.

La bonne conservation de la chose dépend du cédant et plus précisément des mesures qu’il va mettre en place pour prévenir le risque de disparition ou de dégradation de la chose dont il n’est plus propriétaire.

Si la charge des risques ne pèse pas sur ce dernier, le législateur a néanmoins mis à sa charge l’obligation de conserver la chose « jusqu’à la délivrance, en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable. »

C’est là, en quelque sorte, une contrepartie à l’attribution de la charge des risques à l’acquéreur dès le transfert de propriété du bien.

Si, dès lors, le cédant n’accomplit pas toutes les diligences requises à la bonne conservation de la chose dans l’attente de sa délivrance, il engage sa responsabilité contractuelle à hauteur du préjudice causé.

À cet égard, il peut être observé que cette obligation de conservation de la chose qui pèse sur le cédant est attachée à son obligation de délivrance.

Par délivrance, il faut entendre la mise à disposition de la chose cédée à l’acquéreur, étant précisé que la délivrance ne se confond pas avec la livraison.

En effet, tandis que la délivrance de la chose se limite en l’acte de mettre à disposition, la livraison implique le transport de la chose.

En l’absence de convention contraire, les contrats translatifs de propriété ne mettent à la charge du cédant qu’une obligation de délivrance et non de livraison, ce qui n’est pas sans avoir alimenté de nombreuses discussions en doctrine, en raison de la maladresse de la formulation de certaines dispositions du Code civil qui associent la délivrance au transport, alors qu’il s’agit de deux obligations radicalement différentes.

L’article 1604 du Code civil définit, par exemple, la délivrance en matière de vente comme « le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l’acheteur. »

Il s’agit là, manifestement, d’une maladresse de rédaction à laquelle le législateur a tenté de remédier en associant expressément, à l’article 1197 du Code civil, l’obligation de conservation de la chose à l’obligation de délivrance.

b. Exceptions

Il est plusieurs situations où le transfert des risques est dissocié du transfert de propriété :

?La mise en demeure du débiteur de l’obligation de délivrer

Si, par principe, le transfert des risques est attaché au transfert de la propriété du bien aliéné, lorsque le cédant tarde à délivrer la chose la charge des risques passe sur sa tête.

L’alinéa 3e de l’article 1196 du Code civil précise, en effet, que « toutefois le débiteur de l’obligation de délivrer en retrouve la charge à compter de sa mise en demeure, conformément à l’article 1344-2 et sous réserve des règles prévues à l’article 1351-1. »

Ainsi, lorsque le vendeur la mise en demeure de délivrer une chose met les risques de la chose à la charge du débiteur non-propriétaire (le vendeur).

Seule solution pour ce dernier de s’exonérer de sa responsabilité :

  • D’une part, l’impossibilité d’exécuter l’obligation de délivrance doit résulter de la perte de la chose due
  • D’autre part, il doit être établi que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée.

Lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies, la charge des risques repasse sur la tête du propriétaire de la chose aliénée.

?Les contrats translatifs de propriété soumis au droit de la consommation

Les articles L. 216-1 à L. 216-6 du Code de la consommation régissent la livraison de la chose aliéné et le transfert de la charge des risques lorsque le contrat est conclu entre un professionnel et un consommateur

Par souci de protection du consommateur, le législateur a ainsi dérogé au principe posé par l’article 1196 al. 3e du Code civil en prévoyant à l’article L. 216-4 du Code de la consommation que « tout risque de perte ou d’endommagement des biens est transféré au consommateur au moment où ce dernier ou un tiers désigné par lui, et autre que le transporteur proposé par le professionnel, prend physiquement possession de ces biens. »

Le transfert de la charge des risques intervient, de la sorte, non pas au moment du transfert de propriété, mais au moment de la livraison du bien.

Cette règle étant d’ordre public, le professionnel ne peut pas s’y soustraire par convention contraire (art. L. 216-6 C. conso).

Seule exception à la règle, l’article L. 216-5 prévoit que « lorsque le consommateur confie la livraison du bien à un transporteur autre que celui proposé par le professionnel, le risque de perte ou d’endommagement du bien est transféré au consommateur lors de la remise du bien au transporteur ».

C) Les règles de conflit de propriétés

Le Code civil n’organise pas seulement le transfert de propriété des biens aliénés par voie de convention, il règle également les cas où plusieurs personnes se disputeraient la qualité de propriétaire d’un bien acquis auprès du même auteur.

Ce conflit de propriétés susceptibles de survenir consécutivement à l’aliénation conventionnelle d’un bien est réglé à l’article 1198 du Code civil.

Cette disposition envisage le conflit des droits d’acquéreurs successifs d’un même meuble en son alinéa 1er, reprenant ainsi l’ancien article 1141, et étend cette règle aux immeubles dans son alinéa second.

1. Le conflit des droits d’acquéreurs concurrents d’un même meuble

L’article 1198, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque deux acquéreurs successifs d’un même meuble corporel tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a pris possession de ce meuble en premier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi. »

Il ressort de cette disposition que, en cas de conflits de propriétés entre plusieurs acquéreurs, ce n’est pas nécessairement celui qui, le premier en date, a régularisé le contrat translatif de propriété avec le cédant qui est réputé sortir vainqueur de ce conflit.

Le texte désigne plutôt celui qui, le premier, est entré en possession de la chose aliénée. Bien que cette solution puisse apparaître surprenante en ce qu’elle permet de désigner comme acquéreur une personne qui tient son droit d’un cédant qui avait déjà cédé son droit à une autre personne, elle se justifie par l’effet acquisitif de la possession qui, en matière de meuble, est immédiat.

Ainsi, en cas de conflit de propriétés portant sur un bien meuble, c’est le possesseur qui est préféré à tous les autres acquéreurs.

Encore faut-il néanmoins qu’il remplisse deux conditions cumulatives :

  • Première condition : une possession utile
    • Pour se prévaloir de la qualité de possesseur encore faut-il que la possession
      • D’une part, soit caractérisée dans tous ses éléments constitutifs que sont le corpus et l’animus
      • D’autre part, qu’elle ne soit affectée d’aucun vice, ce qui implique qu’elle soit continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque
  • Seconde condition : la bonne foi
    • Pour que la possession d’un bien meuble produise son effet acquisitif, le possesseur doit être de bonne foi
    • Dans la mesure où, en application de l’article 2274, la bonne foi est toujours présumée c’est à ceux qui revendiquent la propriété de la chose de prouver que le possesseur est de mauvaise foi.
    • Pour mémoire, l’article 550 du Code civil dispose que le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.
    • La bonne foi s’apprécie ainsi non pas au moment de l’entrée en possession, mais au moment l’acquisition qui procède de l’obtention d’un titre, tel qu’un contrat par exemple.
    • Il appartiendra au demandeur d’établir que le possesseur connaissait, au jour de l’acquisition du bien, les causes d’inefficacité du titre en vertu duquel il est entré en possession.
    • Plus précisément l’auteur de l’action en revendication devra démontrer que le possesseur savait qu’il acquérait le bien a non domino, soit que la personne avec laquelle il traitait n’était pas le verus dominus.

2. Le conflit des droits d’acquéreurs concurrents d’un même immeuble

L’article 1198, al. 2e du Code civil prévoit que « lorsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a, le premier, publié son titre d’acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi. »

Il ressort de cette disposition que lorsque plusieurs acquéreurs se disputent la propriété d’un même bien immeuble, c’est la date de publication de l’acte translatif de propriété qui permettra de les départager.

La publicité foncière joue ainsi un rôle d’importance dans la mesure où elle est susceptible de faire échec à l’effet translatif d’un contrat de vente nonobstant sa régularisation antérieure à l’acte publié, en premier, à la conservation des hypothèques.

Ainsi, afin de résoudre un conflit de propriétés entre acquéreurs d’un même bien immobilier, il convient de se reporter, non pas à la date de régularisation de l’acte de vente, mais à sa date de publication aux services de la publicité foncière.

C’est donc celui qui a publié le premier qui sort victorieux de ce conflit, sauf à établir, ainsi que le prévoit l’article 1198, al. 2e du Code civil qu’il était de mauvaise foi au moment de la publication.

Cette précision quant à l’exigence de bonne foi de l’acquéreur a été introduite par le législateur à l’occasion de la réforme du droit des obligations afin de mettre un terme à une jurisprudence de la Cour de cassation qui conférait à la publicité une valeur que de nombreux auteurs jugeaient excessive.

?Position initiale

Dans un arrêt Vallet du 22 mars 1968 la Cour de cassation avait jugé que dans l’hypothèse où le second acquéreur d’un bien immobilier avait connaissance de la régularisation antérieure d’un premier acte de vente portant sur le même bien, il lui était fait défense de se prévaloir des règles de la publicité foncière afin de faire primer son droit (Cass. 3e civ. 22 mars 1968).

Autrement dit, en cas de mauvaise foi de l’acquéreur qui, le premier, avait accompli les formalités de publicité foncière, ces formalités étaient inopposables au premier acquéreur.

Cass. 3e civ. 22 mars 1968

Sur le moyen unique pris en ses divers griefs : vu l’article 1382 du code civil, attendu qu’il résulte des constatations de l’arrêt confirmatif attaque que Vallet a acquis un terrain des consorts de x… selon acte sous seing privé du 4 avril 1944, par l’intermédiaire de la société anonyme pétreaux ;

Que, tandis que Vallet réclamait la réitération de la vente par acte authentique, Roncari, administrateur de la société anonyme Patreaux, qui n’ignorait pas la première aliénation, a, par acte notarié du 9 février 1946, transcrit le 4 mai, acquis, pour lui, l’immeuble litigieux ;

Que Vallet, se voyant opposer cette transcription, a demandé qu’il soit dit que la seconde aliénation et sa transcription ayant été le résultat d’un concert frauduleux entre Roncari et le mandataire des vendeurs, lui soient déclarées inopposables ;

Attendu que les juges du fond ont rejeté cette demande, en précisant que si Roncari, qui connaissait les obligations contractées par le vendeur a l’égard de Vallet, parait avoir commis une faute de nature à engager sa responsabilité – il n’en résulte pas pour autant qu’il y ait lieu de prononcer la nullité de la vente de 1946 ;

Qu’en statuant ainsi, sans s’expliquer sur les motifs pour lesquels, constatant la faute de Roncari, et l’immeuble se trouvant encore entre ses mains, elle a écarté le mode d’exécution que constituait l’inopposabilité au premier acquéreur de la seconde vente et qui était réclamé par Vallet, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la seconde branche du moyen ;

Casse et annule l’arrêt rendu entre les parties par la cour d’appel de paris, le 27 janvier 1966 ;

?Revirement de jurisprudence

Dans un arrêt du 12 janvier 2011 la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en affirmant qu’il était indifférent que le second acquéreur ait connaissance de la régularisation antérieure d’un premier acte de vente (Cass. 3e civ. 12 janv. 2011, n°10-10.667).

Pour la troisième chambre civile, le seul critère permettant de résoudre le conflit de propriétés entre acquéreurs se disputant la propriété d’un même bien, c’est la date de publication de l’acte.

Au soutien de sa position elle affirmait « qu’aux termes de l’article 30-1 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, les actes et décisions judiciaires portant ou constatant entre vifs mutation ou constitution de droits réels immobiliers sont, s’ils n’ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble ont acquis du même auteur des droits concurrents en vertu d’actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés »

Ainsi, pour la Cour de cassation, quand bien même le second acquéreur connaissait l’existence du premier acte de vente, seule compte la date d’accomplissement des formalités de publicité foncière.

Cass. 3e civ. 12 janv. 2011

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 29 octobre 2009) que suivant promesse sous seing privé du 22 avril 2002, la société civile immobilière Lacanau Clemenceau (la SCI) a vendu un immeuble à Mme X… ; que la réitération de l’acte authentique prévue au plus tard le 30 septembre 2002 n’est pas intervenue et que par assignation du 27 février 2003 Mme X… a fait assigner la venderesse en perfection de la vente ; que par acte authentique du 13 mars 2003, publié à la conservation des hypothèques de Bordeaux le 18 mars 2003, la SCI a vendu le bien aux époux Y… ; que par arrêt du 24 septembre 2007 la cour d’appel de Bordeaux, infirmant le jugement, a dit la vente parfaite au profit de Mme X… ; que le 30 octobre 2007 les époux Y… ont formé tierce opposition à l’arrêt du 24 septembre 2007 contre lequel aucun pourvoi en cassation n’a été formé et que par arrêt du 29 octobre 2009 la cour d’appel de Bordeaux a déclaré les époux Y… recevables en leur tierce opposition et constaté que l’immeuble litigieux était leur propriété ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt de déclarer la tierce opposition des époux Y… recevable, alors, selon le moyen :

1°/ que l’ayant cause à titre particulier est représenté par son auteur, pour tous les actes accomplis antérieurement à l’accomplissement de la formalité de la publicité foncière ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, qui a décidé que la tierce opposition formée par M. et Mme Y… était recevable, car leur acte authentique avait été publié le 18 mars 2003, quand l’assignation en régularisation forcée de vente avait été délivrée dès le 27 février 2003, par Mme X… à la société civile immobilière Lacanau Clemenceau, ce dont il résultait que celle-ci avait représenté ses ayants-cause à titre particulier à la procédure, peut important que celle-ci ait abouti à un arrêt du 24 septembre 2007, a violé l’article 583 du code de procédure civile ;

2°/ qu’une tierce opposition n’est recevable que si le tiers concerné s’est trouvé dans l’impossibilité de faire valoir ses droits ; qu’en l’espèce, la cour qui a déclaré recevable la tierce opposition de M. et Mme Y…, sans rechercher si ceux-ci n’étaient pas, depuis le jour de la seconde vente dont ils avaient bénéficié, parfaitement informés de la vente précédemment consentie à Mme X… par la SCI Lacaneau Clemenceau, ainsi que de la procédure judiciaire les opposant et à laquelle ils avaient délibérément choisi de ne pas intervenir, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 583 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d’appel retient à bon droit que si les ayants cause à titre particulier sont considérés comme représentés par leur auteur pour les actes accomplis par celui-ci avant la naissance de leurs droits, lorsqu’un acte est soumis à publicité foncière, la représentation prend fin à compter de l’accomplissement des formalités de publicité foncière ; qu’ayant constaté que les époux Y… avaient publié leur titre à la conservation des hypothèques le 18 mars 2003 et exactement retenu qu’ils n’étaient plus représentés à la date de l’arrêt, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a justement déduit que la tierce opposition formée par les époux Y… était recevable ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt de rétracter l’arrêt rendu le 24 septembre 2007, alors, selon le moyen, “que la connaissance, par un second acquéreur, de l’existence d’une première cession constatée par acte sous seing privé non soumis à publicité foncière, lui interdit de tirer avantage des règles de la publicité foncière, que la cour d’appel, qui a rétracté l’arrêt du 24 septembre 2007 constatant le caractère parfait de la vente consentie sous seing privé à Mme X…, en se fondant sur le simple fait que M. et Mme Y… avaient acquis le même immeuble de la société civile immobilière Lacanau Clémenceau par acte authentique du 13 mars 2003, publié dès le 18 mars suivant, sans rechercher si ces seconds acquéreurs n’avaient pas signé leur acte en toute connaissance de l’existence de la première vente intervenue au profit de Mme X…, ce qui les privait du bénéfice des règles de la publicité foncière, a privé sa décision de base légale au regard des articles 28 et 30 du décret du 4 janvier 1955,ensemble l’article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu’ayant retenu à bon droit qu’aux termes de l’article 30-1 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, les actes et décisions judiciaires portant ou constatant entre vifs mutation ou constitution de droits réels immobiliers sont, s’ils n’ ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble ont acquis du même auteur des droits concurrents en vertu d’actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés et constaté que Mme X…, dont les droits étaient nés d’une promesse de vente sous seing privé, ne pouvait justifier d’une publication, la cour d’appel, en rétractant l’arrêt du 24 septembre 2007, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Manifestement, en exigeant que l’acquéreur qui, le premier, a publié l’acte translatif de propriété du bien aliéné soit de bonne foi, le législateur a entendu briser la jurisprudence adoptée par la Cour de cassation en 2011 et renouer avec sa position initiale dégagée dans l’arrêt Vallet.

Aussi, le second acquéreur d’un bien immobilier ne pourra sortir vainqueur d’un conflit de propriétés qu’à la condition qu’il soit de bonne foi, et plus précisément qu’il ignorait la régularisation a antérieure à l’accomplissement des formalités de publicité d’un premier acte de vente.

  1. Pothier, Traité de la propriété, Debure, Rouzeau, 1772, no 292. ?
  2. H. Desbois, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 1978. ?
  3. J. Carbonnier, Droit civil, Les biens, PUF, Thémis, 1998. ?
  4. Lexique des termes juridiques, éd. 2001, p. 92. ?
  5. Preuve diabolique. ?
  6. Gaïus, 1, 119 : «  (…) En présence d’au moins cinq témoins citoyens pubères et d’une autre personne de même condition, tenant une balance de bronze et qu’on appelle libripens (peseur), celui qui reçoit par mancipatio, tenant une pièce d’airain, dit: « J’affirme que cet homme m’appartient en vertu du droit des Quirites : qu’il me soit acquis par cette pièce d’airain et cette balance de bronze ». Puis il frappe la balance avec la pièce d’airain, qu’il donne en guise de prix à celui duquel il reçoit par mancipatio.(…) Il est nécessaire que celui qui a reçu par mancipatio puisse saisir l’objet même qui lui est mancipé (…). Au contraire, les biens-fonds sont d’habitude mancipés en leur absence.». ?
  7. H. Lévy Bruhl, Aspects sociologiques, p. 21. ?
  8. Agnès Rabagny, « Le transfert et la preuve de la propriété : aperçu historique », Petites affiches 21 novembre 2002, n° 233. ?
  9. P. Ourliac et J. de Malafosse, Droit romain et ancien droit français, Tome 2, Les biens, Paris, 1971, Collection Thémis, éd. P.U.F., no 153. ?
  10. Ainsi, selon la loi Salique, l’aliénateur devait sauter par-dessus la clôture délimitant le fonds cédé, avec un bâton à la main. L’acheteur pouvait alors placer le bien en sa puissance en prenant l’attitude du « maître » : il devait s’installer dans la maison, parcourir le champ, ou bien encore se saisir d’une motte de terre, P. Ourliac et J. de Malafosse, Droit romain et ancien droit français, Tome 2, Les biens, no 187. ?
  11. J. Boutillier, La somme rurale, 67, éd. Charondas Le Caron, 1603. ?
  12. J. Brissaud, Manuel d’histoire du droit privé, p. 1305. ?
  13. Agnès Rabagny, « Le transfert et la preuve de la propriété : aperçu historique », Petites affiches 21 novembre 2002, n° 233. ?
  14. Grotius, De jure belli, 2, 8, 25 ; 2, 12, 15) ; J. Bart, Histoire du droit privé, p. 268. ?

Les conflits portant sur la propriété des meubles et des immeubles (art. 1198 C. civ.)

Le Code civil n’organise pas seulement le transfert de propriété des biens aliénés par voie de convention, il règle également les cas où plusieurs personnes se disputeraient la qualité de propriétaire d’un bien acquis auprès du même auteur.

Ce conflit de propriétés susceptibles de survenir consécutivement à l’aliénation conventionnelle d’un bien est réglé à l’article 1198 du Code civil.

Cette disposition envisage le conflit des droits d’acquéreurs successifs d’un même meuble en son alinéa 1er, reprenant ainsi l’ancien article 1141, et étend cette règle aux immeubles dans son alinéa second.

==> Le conflit des droits d’acquéreurs concurrents d’un même meuble

L’article 1198, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque deux acquéreurs successifs d’un même meuble corporel tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a pris possession de ce meuble en premier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi. »

Il ressort de cette disposition que, en cas de conflits de propriétés entre plusieurs acquéreurs, ce n’est pas nécessairement celui qui, le premier en date, a régularisé le contrat translatif de propriété avec le cédant qui est réputé sortir vainqueur de ce conflit.

Le texte désigne plutôt celui qui, le premier, est entré en possession de la chose aliénée. Bien que cette solution puisse apparaître surprenante en ce qu’elle permet de désigner comme acquéreur une personne qui tient son droit d’un cédant qui avait déjà cédé son droit à une autre personne, elle se justifie par l’effet acquisitif de la possession qui, en matière de meuble, est immédiat.

Ainsi, en cas de conflit de propriétés portant sur un bien meuble, c’est le possesseur qui est préféré à tous les autres acquéreurs.

Encore faut-il néanmoins qu’il remplisse deux conditions cumulatives :

  • Première condition : une possession utile
    • Pour se prévaloir de la qualité de possesseur encore faut-il que la possession
      • D’une part, soit caractérisée dans tous ses éléments constitutifs que sont le corpus et l’animus
      • D’autre part, qu’elle ne soit affectée d’aucun vice, ce qui implique qu’elle soit continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque
  • Seconde condition : la bonne foi
    • Pour que la possession d’un bien meuble produise son effet acquisitif, le possesseur doit être de bonne foi
    • Dans la mesure où, en application de l’article 2274, la bonne foi est toujours présumée c’est à ceux qui revendiquent la propriété de la chose de prouver que le possesseur est de mauvaise foi.
    • Pour mémoire, l’article 550 du Code civil dispose que le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.
    • La bonne foi s’apprécie ainsi non pas au moment de l’entrée en possession, mais au moment l’acquisition qui procède de l’obtention d’un titre, tel qu’un contrat par exemple.
    • Il appartiendra au demandeur d’établir que le possesseur connaissait, au jour de l’acquisition du bien, les causes d’inefficacité du titre en vertu duquel il est entré en possession.
    • Plus précisément l’auteur de l’action en revendication devra démontrer que le possesseur savait qu’il acquérait le bien a non domino, soit que la personne avec laquelle il traitait n’était pas le verus dominus.

==> Le conflit des droits d’acquéreurs concurrents d’un même immeuble

L’article 1198, al. 2e du Code civil prévoit que « lorsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a, le premier, publié son titre d’acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi. »

Il ressort de cette disposition que lorsque plusieurs acquéreurs se disputent la propriété d’un même bien immeuble, c’est la date de publication de l’acte translatif de propriété qui permettra de les départager.

La publicité foncière joue ainsi un rôle d’importance dans la mesure où elle est susceptible de faire échec à l’effet translatif d’un contrat de vente nonobstant sa régularisation antérieure à l’acte publié, en premier, à la conservation des hypothèques.

Ainsi, afin de résoudre un conflit de propriétés entre acquéreurs d’un même bien immobilier, il convient de se reporter, non pas à la date de régularisation de l’acte de vente, mais à sa date de publication aux services de la publicité foncière.

C’est donc celui qui a publié le premier qui sort victorieux de ce conflit, sauf à établir, ainsi que le prévoit l’article 1198, al. 2e du Code civil qu’il était de mauvaise foi au moment de la publication.

Cette précision quant à l’exigence de bonne foi de l’acquéreur a été introduite par le législateur à l’occasion de la réforme du droit des obligations afin de mettre un terme à une jurisprudence de la Cour de cassation qui conférait à la publicité une valeur que de nombreux auteurs jugeaient excessive.

  • Position initiale
    • Dans un arrêt Vallet du 22 mars 1968 la Cour de cassation avait jugé que dans l’hypothèse où le second acquéreur d’un bien immobilier avait connaissance de la régularisation antérieure d’un premier acte de vente portant sur le même bien, il lui était fait défense de se prévaloir des règles de la publicité foncière afin de faire primer son droit ( 3e civ. 22 mars 1968).
    • Autrement dit, en cas de mauvaise foi de l’acquéreur qui, le premier, avait accompli les formalités de publicité foncière, ces formalités étaient inopposables au premier acquéreur.

Cass. 3e civ. 22 mars 1968
Sur le moyen unique pris en ses divers griefs : vu l'article 1382 du code civil, attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt confirmatif attaque que Vallet a acquis un terrain des consorts de x... selon acte sous seing privé du 4 avril 1944, par l'intermédiaire de la société anonyme pétreaux ;
Que, tandis que Vallet réclamait la réitération de la vente par acte authentique, Roncari, administrateur de la société anonyme Patreaux, qui n'ignorait pas la première aliénation, a, par acte notarié du 9 février 1946, transcrit le 4 mai, acquis, pour lui, l'immeuble litigieux ;

Que Vallet, se voyant opposer cette transcription, a demandé qu'il soit dit que la seconde aliénation et sa transcription ayant été le résultat d'un concert frauduleux entre Roncari et le mandataire des vendeurs, lui soient déclarées inopposables ;

Attendu que les juges du fond ont rejeté cette demande, en précisant que si Roncari, qui connaissait les obligations contractées par le vendeur a l'égard de Vallet, parait avoir commis une faute de nature à engager sa responsabilité - il n'en résulte pas pour autant qu'il y ait lieu de prononcer la nullité de la vente de 1946 ;

Qu’en statuant ainsi, sans s'expliquer sur les motifs pour lesquels, constatant la faute de Roncari, et l'immeuble se trouvant encore entre ses mains, elle a écarté le mode d'exécution que constituait l'inopposabilité au premier acquéreur de la seconde vente et qui était réclamé par Vallet, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la seconde branche du moyen ;

Casse et annule l'arrêt rendu entre les parties par la cour d'appel de paris, le 27 janvier 1966 ;

  • Revirement de jurisprudence
    • Dans un arrêt du 12 janvier 2011 la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en affirmant qu’il était indifférent que le second acquéreur ait connaissance de la régularisation antérieure d’un premier acte de vente ( 3e civ. 12 janv. 2011, n°10-10667).
    • Pour la troisième chambre civile, le seul critère permettant de résoudre le conflit de propriétés entre acquéreurs se disputant la propriété d’un même bien, c’est la date de publication de l’acte.
    • Au soutien de sa position elle affirmait « qu’aux termes de l’article 30-1 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, les actes et décisions judiciaires portant ou constatant entre vifs mutation ou constitution de droits réels immobiliers sont, s’ils n’ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble ont acquis du même auteur des droits concurrents en vertu d’actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés»
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, quand bien même le second acquéreur connaissait l’existence du premier acte de vente, seule compte la date d’accomplissement des formalités de publicité foncière.

Cass. 3e civ. 12 janv. 2011
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 29 octobre 2009) que suivant promesse sous seing privé du 22 avril 2002, la société civile immobilière Lacanau Clemenceau (la SCI) a vendu un immeuble à Mme X... ; que la réitération de l'acte authentique prévue au plus tard le 30 septembre 2002 n'est pas intervenue et que par assignation du 27 février 2003 Mme X... a fait assigner la venderesse en perfection de la vente ; que par acte authentique du 13 mars 2003, publié à la conservation des hypothèques de Bordeaux le 18 mars 2003, la SCI a vendu le bien aux époux Y... ; que par arrêt du 24 septembre 2007 la cour d'appel de Bordeaux, infirmant le jugement, a dit la vente parfaite au profit de Mme X... ; que le 30 octobre 2007 les époux Y... ont formé tierce opposition à l'arrêt du 24 septembre 2007 contre lequel aucun pourvoi en cassation n'a été formé et que par arrêt du 29 octobre 2009 la cour d'appel de Bordeaux a déclaré les époux Y... recevables en leur tierce opposition et constaté que l'immeuble litigieux était leur propriété ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de déclarer la tierce opposition des époux Y... recevable, alors, selon le moyen :

1°/ que l'ayant cause à titre particulier est représenté par son auteur, pour tous les actes accomplis antérieurement à l'accomplissement de la formalité de la publicité foncière ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé que la tierce opposition formée par M. et Mme Y... était recevable, car leur acte authentique avait été publié le 18 mars 2003, quand l'assignation en régularisation forcée de vente avait été délivrée dès le 27 février 2003, par Mme X... à la société civile immobilière Lacanau Clemenceau, ce dont il résultait que celle-ci avait représenté ses ayants-cause à titre particulier à la procédure, peut important que celle-ci ait abouti à un arrêt du 24 septembre 2007, a violé l'article 583 du code de procédure civile ;

2°/ qu'une tierce opposition n'est recevable que si le tiers concerné s'est trouvé dans l'impossibilité de faire valoir ses droits ; qu'en l'espèce, la cour qui a déclaré recevable la tierce opposition de M. et Mme Y..., sans rechercher si ceux-ci n'étaient pas, depuis le jour de la seconde vente dont ils avaient bénéficié, parfaitement informés de la vente précédemment consentie à Mme X... par la SCI Lacaneau Clemenceau, ainsi que de la procédure judiciaire les opposant et à laquelle ils avaient délibérément choisi de ne pas intervenir, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 583 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel retient à bon droit que si les ayants cause à titre particulier sont considérés comme représentés par leur auteur pour les actes accomplis par celui-ci avant la naissance de leurs droits, lorsqu'un acte est soumis à publicité foncière, la représentation prend fin à compter de l'accomplissement des formalités de publicité foncière ; qu'ayant constaté que les époux Y... avaient publié leur titre à la conservation des hypothèques le 18 mars 2003 et exactement retenu qu'ils n'étaient plus représentés à la date de l'arrêt, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a justement déduit que la tierce opposition formée par les époux Y... était recevable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rétracter l'arrêt rendu le 24 septembre 2007, alors, selon le moyen, "que la connaissance, par un second acquéreur, de l'existence d'une première cession constatée par acte sous seing privé non soumis à publicité foncière, lui interdit de tirer avantage des règles de la publicité foncière, que la cour d'appel, qui a rétracté l'arrêt du 24 septembre 2007 constatant le caractère parfait de la vente consentie sous seing privé à Mme X..., en se fondant sur le simple fait que M. et Mme Y... avaient acquis le même immeuble de la société civile immobilière Lacanau Clémenceau par acte authentique du 13 mars 2003, publié dès le 18 mars suivant, sans rechercher si ces seconds acquéreurs n'avaient pas signé leur acte en toute connaissance de l'existence de la première vente intervenue au profit de Mme X..., ce qui les privait du bénéfice des règles de la publicité foncière, a privé sa décision de base légale au regard des articles 28 et 30 du décret du 4 janvier 1955,ensemble l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu à bon droit qu'aux termes de l'article 30-1 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, les actes et décisions judiciaires portant ou constatant entre vifs mutation ou constitution de droits réels immobiliers sont, s'ils n' ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble ont acquis du même auteur des droits concurrents en vertu d'actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés et constaté que Mme X..., dont les droits étaient nés d'une promesse de vente sous seing privé, ne pouvait justifier d'une publication, la cour d'appel, en rétractant l'arrêt du 24 septembre 2007, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Manifestement, en exigeant que l’acquéreur qui, le premier, a publié l’acte translatif de propriété du bien aliéné soit de bonne foi, le législateur a entendu briser la jurisprudence adoptée par la Cour de cassation en 2011 et renouer avec sa position initiale dégagée dans l’arrêt Vallet.

Aussi, le second acquéreur d’un bien immobilier ne pourra sortir vainqueur d’un conflit de propriétés qu’à la condition qu’il soit de bonne foi, et plus précisément qu’il ignorait la régularisation a antérieure à l’accomplissement des formalités de publicité d’un premier acte de vente.

La prescription de l’action en contestation du taux effectif global (TEG/TAEG)

Le régime juridique de la prescription de l’action susceptible d’être engagée en cas d’absence de communication du taux à l’emprunteur n’est pas uniforme. Il convient de distinguer selon que la sanction applicable consiste en une déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts ou en une substitution du taux conventionnel par le taux légal.

I) La sanction consiste en une déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts

Cette sanction est prononcée, pour rappel, lorsque l’absence de TAEG affecte les documents précontractuels.

Dans ce cas, il n’y a pas lieu de distinguer selon que l’opération est un crédit à la consommation ou un crédit immobilier. En toute hypothèse, l’action en déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts se prescrit par 5 ans en application de l’article L. 110-4, I du Code de commerce.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ».

La Cour de cassation a eu l’occasion de justifier l’application de ce texte en affirmant que la déchéance du droit aux intérêts visait à sanctionner, non pas une condition de formation du contrat de prêt, mais la violation d’une obligation légale.

En effet, seule la mention écrite du TEG/TAEG sur le contrat de prêt en lui-même est exigée ad validitatem. Il en résulte que, en dehors de cette hypothèse, la prescription de l’action visant à sanctionner l’absence de communication du TEG/TAEG ne relève pas du régime juridique de l’action en nullité.

Dans un arrêt du 2 juillet 1996, la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que « la déchéance de l’article L. 312-33, alinéa 4, qui ne sanctionne pas une condition de formation du contrat, n’est pas une nullité ; que c’est donc à bon droit que la cour d’appel a énoncé que la simple déchéance du droit aux intérêts ne relève pas de l’article 1304 du Code civil »[1].

Cass. 1ère civ. 2 juill. 1996
Attendu que, ayant délivré des commandements de payer demeurés infructueux, la société de Construction et d'aménagement pour la région parisienne et la province (CARPI) a sollicité le bénéfice des effets de la clause résolutoire contenue dans la vente à terme d'une maison d'habitation qu'elle avait conclue le 26 juillet 1984 avec les époux X... ; qu'elle a aussi demandé, outre l'expulsion des occupants, le paiement par eux des arriérés et d'une indemnité d'occupation ; que l'arrêt attaqué l'a déboutée de toutes ses demandes ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu qu'il est fait grief à la cour d'appel d'avoir ainsi statué alors que, d'une part, en décidant qu'un tableau d'amortissement, établi pour un prêt de 10 000 francs et distinguant le montant de l'annuité correspondant à l'amortissement du capital, celle correspondant aux intérêts et le capital restant dû, ne satisfaisait pas aux prescriptions légales uniquement parce qu'il était établi sur la base du prêt de 10 000 francs, la cour d'appel n'aurait pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 312-8.2° du Code de la consommation ; et que, d'autre part, en prononçant la déchéance totale du droit aux intérêts contractuels au seul motif que la société CARPI avait méconnu l'article L. 312-8.2° du Code de la consommation et sans s'expliquer sur l'opportunité de cette sanction, la cour d'appel aurait violé les articles L. 312-33, alinéa 4, du Code de la consommation, 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a exactement énoncé que la loi visait à garantir à l'emprunteur une information précise lui permettant, d'un seul coup d'oeil, de juger l'effort financier à consentir et de prendre connaissance de l'évolution, dans le temps, de sa dette en capital, de sorte qu'en imposant à l'emprunteur un calcul pour mesurer l'étendue et les modalités de son engagement éventuel la société CARPI a méconnu les exigences légales ; qu'ensuite la faculté ouverte par l'article L. 312-33, alinéa 4, du Code de la consommation de prononcer la déchéance totale ou partielle des intérêts relève du pouvoir discrétionnaire du juge ; que le moyen, qui n'est pas fondé en sa première branche, est inopérant en sa seconde ;

Sur le troisième moyen pris en ses quatre branches :

Attendu qu'il est encore reproché à la cour d'appel d'avoir écarté la prescription de la demande de déchéance du droit aux intérêts alors que, d'une part, en décidant que l'article 1304 du Code civil ne s'appliquait pas lorsque était sollicitée la déchéance des intérêts contractuels, la cour d'appel aurait violé ce texte par refus d'application ; que, de deuxième part, en décidant que la prescription ne saurait courir à compter de la date de signature du prêt, la cour d'appel aurait violé le même texte ainsi que les articles L. 312-8.2o et L. 312-33, alinéa 4, du Code de la consommation ; alors que, de troisième part, en retenant qu'aucune précision n'était apportée sur la date à laquelle l'irrégularité a été découverte, la cour d'appel n'aurait pas donné de base légale à sa décision au regard tant de l'article 1304 du Code civil qu'à l'égard de l'article 2257 du même Code et de la maxime contra non valentem agere non currit praescriptio ; qu'enfin, en refusant d'appliquer l'article 1304 du Code civil alors que la déchéance prévue par les articles L. 312-8.2o et L. 312-33, alinéa 4, du Code de la consommation, qui a pour objet de protéger les emprunteurs, est une nullité relative, la cour d'appel aurait encore violé ce texte ;

Mais attendu que la déchéance de l'article L. 312-33, alinéa 4, qui ne sanctionne pas une condition de formation du contrat, n'est pas une nullité ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a énoncé que la simple déchéance du droit aux intérêts ne relève pas de l'article 1304 du Code civil ; que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches ;

Régulièrement, la haute juridiction rappelle que c’est bien l’article L. 110-4 du Code de commerce qui a vocation à s’appliquer, s’agissant de la prescription de l’action en déchéance du droit aux intérêts[2]. L’enjeu réside dans le point de départ de la prescription.

Conformément à l’article 2224 du Code civil, l’action en nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels se prescrit par 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Tel n’est pas le cas de la prescription de l’action en déchéance du droit aux intérêts qui, si elle est également de 5 ans, court à compter de la date de conclusion du contrat de crédit. La chambre commerciale a, notamment, fait application de cette règle dans un arrêt du 7 janvier 2004 en rappelant que « le point de départ de la prescription édictée à l’article L. 110-4 du Code de commerce devait être fixé au jour où l’obligation du débiteur avait été mise en exécution, c’est-à-dire à la date de conclusion du prêt »[3].

Cass. com. 7 janv. 2004
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 27 février 2001), que les sociétés UCB et CFEC, aux droits desquelles se trouve la société UCB entreprises, ont, par acte du 21 mai 1986, consenti aux époux X... un prêt destiné à leur permettre d'acquérir un bien immobilier ;

que, le 3 septembre 1996, les emprunteurs ont fait assigner les organismes prêteurs pour faire prononcer la nullité du contrat en raison du non-respect, par ces derniers, des dispositions des articles L. 312-8, L. 312-10 et L. 312-11 du Code de la consommation et subsidiairement, obtenir qu'ils soient déchus de leur droit aux intérêts ; que, réformant le jugement qui avait prononcé la nullité du contrat de prêt, la cour d'appel s'est bornée à disposer que "l'action" introduite par les époux X... plus de dix ans après la conclusion de ce prêt était prescrite en rejetant l'ensemble de leurs demandes ;

Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen :

1 / que la prescription décennale est applicable aux seules obligations nées à l'occasion du commerce de la partie obligée même commerçante ; que tout en constatant que l'acquisition de l'immeuble n'entrait pas dans le champ d'activité commerciale de M. X..., négociant en véhicules automobiles, la cour d'appel a néanmoins déclaré applicable la prescription décennale à l'action de M. X... ; qu'en statuant ainsi, pour infirmer le jugement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses observations au regard de l'article 189 bis du Code de commerce ;

2 / que les juges d'appel sont tenus de réfuter les motifs du jugement que s'approprient les intimés en sollicitant la confirmation du jugement entrepris ; que pour déclarer inapplicable la prescription décennale à l'action en nullité engagée par M. et Mme X..., le juge de première instance avait retenu que les emprunteurs n'avaient jamais pu être tenus à l'obligation découlant des actes sous-seing privés faute d'offre conforme aux dispositions d'ordre public de l'article L. 312-10 du Code de la consommation, de sorte qu'aucune prescription n'avait pu valablement courir ; qu'en s'abstenant de réfuter ce moyen pertinent de nature à mettre obstacle à l'application de la prescription décennale, la cour d'appel a violé les articles 455, 954 du nouveau Code de procédure civile et 189 bis du Code de commerce ;

Mais attendu, d'une part, que l'obligation litigieuse étant née à l'occasion des activités commerciales de l'UCB, elle-même commerçante, la cour d'appel, loin d'avoir violé le texte visé par la première branche, en a fait au contraire l'exacte application ;

Et attendu, d'autre part, qu'en décidant que le point de départ de la prescription devait être fixé au jour où l'obligation du débiteur avait été mise à exécution, c'est à dire à la date de conclusion du prêt dont elle ne prononçait pas la nullité, la cour d'appel a, par là même, répondu, en les écartant, aux conclusions invoquées par la seconde branche ;

D'où il suit que le moyen est mal fondé en ses deux branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi, tandis que le point de départ de l’action en nullité est susceptible de faire l’objet d’un report à la date où l’emprunteur a eu connaissance du vice affectant le contrat de prêt, ce report est inenvisageable s’agissant du point de départ de la prescription de l’action en déchéance du droit aux intérêts.

II) La sanction consiste en la substitution du taux d’intérêt conventionnel par le taux légal

En application de la jurisprudence issue d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 24 juin 1981, la substitution du taux d’intérêt conventionnel par le taux légal n’est encourue que dans l’hypothèse où la mention du TEG/TAEG ne figure pas sur le contrat de prêt en lui-même[4].

La sanction s’apparente ici à la nullité de la stipulation d’intérêt, raison pour laquelle il est admis que la prescription de l’action est régie, non pas par l’article L. 110-4 du Code de commerce, mais par l’article 2224 du Code civil.

Si, conformément à ce texte, l’action se prescrit par 5 ans, l’examen de la jurisprudence révèle que, pour déterminer le point de départ de la prescription, il convient d’opérer une distinction entre les crédits consentis à des consommateurs et ceux destinés à financer une activité professionnelle.

S’agissant des crédits destinés à financer une activité professionnelle, la Cour de cassation a considéré, dans trois arrêts rendus le 10 juin 2008, que « la prescription de l’action en nullité de la stipulation de l’intérêt conventionnel engagée par un emprunteur qui a obtenu un concours financier pour les besoins de son activité professionnelle court à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître le vice affectant le taux effectif global (TEG) ; que le point de départ de cette prescription est, s’agissant d’un prêt, la date de la convention et, dans les autres cas, la réception de chacun des écrits indiquant ou devant indiquer le TEG appliqué »[5].

Cass. com. 10 juin 2008
Attendu, selon l' arrêt attaqué, que Mme X..., cliente de la Société générale (la banque) depuis 1986, a obtenu de cette dernière une ouverture de crédit et une convention d' escompte ; que le 18 décembre 1996, la banque lui a consenti un prêt professionnel de consolidation pour lui permettre d' apurer ses engagements ; que Mme X... a assigné la banque, le 3 septembre 1998, en restitution des agios prélevés au titre de l' ouverture de crédit et de la convention d' escompte ;

Sur le premier moyen :

Vu les articles 1304, 1906 et 1907 du code civil, et l' article L. 313-2 du code de la consommation ;

Attendu que la prescription de l' action en nullité de la stipulation de l' intérêt conventionnel engagée par un emprunteur qui a obtenu un concours financier pour les besoins de son activité professionnelle court à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître le vice affectant le taux effectif global (TEG) ; que le point de départ de cette prescription est, s' agissant d' un prêt, la date de la convention et, dans les autres cas, la réception de chacun des écrits indiquant ou devant indiquer le TEG appliqué ;

Attendu que pour condamner la banque à payer à Mme X... la somme de 891 901, 95 francs, soit 135 969, 57 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 février 1998, au titre du trop perçu sur agios relatifs aux opérations d' escompte et au titre des agios relatifs au compte courant débiteur, l' arrêt, après avoir constaté que les erreurs de la banque dans le calcul du TEG pratiqué ont été révélées à Mme X... par son conseil en 1998 et qu' elle en a eu une connaissance plus complète lors du dépôt du rapport de l' expert le 20 décembre 2000, retient que ce n' est qu' à compter de l' une de ces dates que la prescription de la demande de Mme X... en nullité du TEG pratiqué par la banque avait pu commencer à courir ;

Attendu qu' en statuant ainsi, la cour d' appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le second moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 238 du code de procédure civile et R. 313-1 du code de la consommation dans sa rédaction alors applicable ;

Attendu que pour condamner Mme X... à payer à la banque, en deniers ou quittances, la somme de 672 000 francs, soit 102 445, 73 euros, assortie de l' intérêt au taux légal calculé pour chacune des échéances sur une période de 84 mois, au titre du paiement des sommes restant dues sur le prêt, l' arrêt relève que si dans ses conclusions la banque a critiqué la méthode appliquée par l' expert pour le calcul du TEG, cette dernière a pu au cours des opérations d' expertise faire valoir son point de vue et qu' elle n' a en tout cas, malgré le caractère particulièrement technique des opérations expertales rendues nécessaires pour la vérification des taux effectivement appliquées par elle, nullement sollicité une contre- expertise ; que l' arrêt retient encore que les calculs de l' expert font ressortir une différence notable entre le TEG appliqué et le TEG mentionné dans l' acte de prêt, de sorte que c' est à juste titre que les premiers ont décidé que le taux du prêt devait être celui de l' intérêt au taux légal ;

Attendu qu' en se déterminant ainsi, sans vérifier, comme l' y invitait la banque, si l' expert avait retenu la méthode de calcul imposée par l' article R. 313-1 du code de la consommation, la cour d' appel n' a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu' il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu' il reçoit l' appel de Mme X..., l' arrêt rendu entre les parties le 4 avril 2005 par la cour d' appel d' Aix- en- Provence ; remet, en conséquence sur ce point, la cause et les parties dans l' état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d' appel d' Aix- en- Provence, autrement composée ;

Il ressort de ces décisions que la chambre commerciale entend faire peser sur le professionnel une présomption de connaissance du vice affectant la convention au moment de sa régularisation ; d’où le point de départ de la prescription qui est fixé au jour de la conclusion du contrat de crédit.

La Cour de cassation a réitéré sa position dans un arrêt du 11 mars 2010 aux termes duquel elle a jugé que « la prescription de l’action en nullité de la stipulation de l’intérêt conventionnel engagée, en raison d’une erreur affectant le taux effectif global, par un emprunteur qui contracte un prêt pour les besoins de son activité professionnelle court à compter du jour du contrat, qui est celui où il a connu ou aurait dû connaître cette erreur »[6].

S’agissant des crédits consentis à des consommateurs, la solution retenue par la haute juridiction est différente. Dans un arrêt du 7 mars 2006, la première chambre civile a jugé que le délai de la prescription quinquennale de l’action en annulation des stipulations d’intérêts litigieuses commençait de courir à compter de la révélation d’un vice affectant la convention de prêt[7].

Dans un arrêt du 11 juin 2009 elle encore affirmé, notamment au visa des articles 1304 et 1907 du Code civil, que « en cas d’octroi d’un crédit à un consommateur ou à un non professionnel, la prescription de l’action en nullité de la stipulation de l’intérêt conventionnel engagée par celui-ci en raison d’une erreur affectant le taux effectif global, court, de même que l’exception de nullité d’une telle stipulation contenue dans un acte de prêt ayant reçu un commencement d’exécution, à compter du jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître cette erreur ; qu’ainsi le point de départ de la prescription est la date de la convention lorsque l’examen de sa teneur permet de constater l’erreur, ou lorsque tel n’est pas le cas, la date de la révélation de celle-ci à l’emprunteur »[8].

La Cour de cassation fait ainsi preuve de bien plus de souplesse lorsque l’action en nullité vise un contrat de prêt consenti à un consommateur. Aucune présomption de connaissance du vice ne pèse sur l’emprunteur, de sorte que la prescription de l’action ne commence à courir qu’à compter du jour de la révélation de l’erreur à ce dernier.

Toute la question est alors de savoir si ladite erreur était susceptible d’être révélée à l’emprunteur par la seule lecture du contrat de crédit ou si sa découverte exigeait un examen approfondi de la convention.

Dans un arrêt du 8 février 2017, la Cour de cassation a précisé que l’emprunteur doit avoir été en mesure de déceler, par lui-même, à la lecture de l’acte de prêt, l’erreur qui affecte le calcul des intérêts[9].

Elle a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui, pour débouter un emprunteur de sa demande de report du point de départ de la prescription, a retenu que « les libellés des conditions particulières de l’offre de prêt du 26 août 1994, faisaient apparaître par leur seule lecture que les souscriptions de parts sociales n’étaient pas intégrées dans le calcul du TEG, ni les autres éléments du TEG invoqués par les emprunteurs et qu’il en était de même pour les actes authentiques de prêt »[10]. Il convenait dès lors, en l’espèce, de fixer le point de départ de la prescription à la date de conclusion du contrat.

Cass. 1ère civ. 8 févr. 2017
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant offre acceptée le 30 novembre 2002, réitérée par acte notarié du 24 février 2004, la société UCB, aux droits de laquelle vient la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. et Mme X... (les emprunteurs) un prêt immobilier ; qu'après avoir été avisés de la déchéance du terme en raison du non-paiement des échéances du prêt, M. et Mme X... ont assigné la banque en responsabilité pour manquement à son obligation de mise en garde ainsi qu'en nullité de la stipulation des intérêts conventionnels, invoquant le caractère erroné du taux effectif global mentionné dans l'acte de prêt ;

Sur le second moyen, ci-après annexé :

Attendu que ce moyen n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 1907 du même code, ensemble l'article L. 313-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 25 mars 2016 ;

Attendu que, pour déclarer l'action prescrite, l'arrêt retient que celle-ci a été engagée plus de cinq ans après l'acceptation de l'offre de prêt dont la seule lecture permettait aux emprunteurs de connaître les éléments inclus dans le calcul du taux effectif global et de déceler, par eux-mêmes, les irrégularités liées à la non-intégration de certains frais, tels que l'assurance incendie, les frais de courtage ou la facturation de services de gestion ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les emprunteurs étaient effectivement en mesure de déceler, par eux-mêmes, à la lecture de l'acte de prêt, l'erreur affectant le calcul des intérêts sur une autre base que l'année civile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable comme prescrite l'action en nullité de la stipulation des intérêts, l'arrêt rendu le 5 novembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Dans l’hypothèse, en revanche, où la lecture du contrat se révélera difficultueuse, la jurisprudence admet que la découverte du vice soit réputée intervenir lors de la consultation d’un expert. Dans un arrêt du 30 novembre 2016, la Cour de cassation a néanmoins prévenu que « si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties »[11].

La seule limite au report du point de départ de la prescription sera donc le délai de 20 ans prévu par l’article 2232, alinéa 1er du Code civil.

[1] Cass. 1ère civ. 2 juill. 1996, n°94-17530.

[2] V. en ce sens Cass. 1ère civ. 29 mai 2013, n°11-24278.

[3] Cass. com. 7 janv. 2004, n°01-03966.

[4] Cass. 1re civ., 24 juin 1981 : D. 1982, jurispr. p. 397, note M. Boizard ; JCP G 1982, II, 19713, note Vasseur ; RTD com. 1981, p. 809, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié

[5] Cass. com., 10 juin 2008 : JCP E 2008, 2221, note A. Gourio et N. Aynès ; Banque et droit 2008, p. 28, obs. Th. Bonneau ; RD bancaire et fin. 2008, comm. 103, obs. F. Crédot et T. Samin ; D. 2009, p. 1051, note D. Martin.

[6] Cass. 1ère civ. 11 mars 2010, n°09-14236 ; V. également en ce sens Cass. 1re civ., 20 déc. 2012 : JCP E 2013, 1282, obs. N. Mathey.

[7] Cass. 1re civ., 7 mars 2006 : D. 2006, p. 913, note V.A.R. ; RD bancaire et fin. 2006, act. 93, obs. F. C. et T. S. ; Banque mag. sept. 2006, n° 683, p. 97, note J.-L. Guillot et M. Boccara.

[8]Cass. 1re civ., 11 juin 2009 : D. 2009, p. 1689, obs. V. Avena-Robardet ; JCP E 2009, note A. Gourio ; RD Bancaire et fin. 2009, comm. 150, obs. F. Crédot et T. Samin.

[9] Cass. 1re civ., 8 févr. 2017, n° 16-11.625 : RD bancaire et fin. 2017, comm. 61, obs. N. Mathey.

[10] Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-10.883.

[11] Cass. 1re civ., 30 nov. 2016, n° 15-25.429.

La prohibition du recours à l’année lombarde pour le calcul du taux effectif global (TEG/TAEG)

Jusqu’il y a peu, les établissements bancaires avaient pour habitude de calculer les intérêts sur la base, non pas d’une année civile de 365 jours de 12 mois comprenant 30 ou 31 jours et 28 ou 29 jours en février, mais d’une année théorique de 360 jours correspondant à 12 mois de 30 jours chacun.

Cet usage est né au Moyen Âge en Lombardie. Il a été institué pour des considérations d’ordre pratique. À cette époque, les arrêtés de compte étaient effectués manuellement. Il était dès lors éminemment plus commode de calculer les intérêts dus par l’emprunteur sur un mois, un trimestre ou un semestre, en recourant à un diviseur de 360 jours.

Le recours à l’année dite lombarde a été consacré à l’époque révolutionnaire par le décret du 18 frimaire An III. Le texte disposait que « la Convention nationale décrète que l’intérêt annuel des capitaux sera compté par et pour trois cent soixante jours seulement. Il n’y aura point de cours pendant les sans-culottides ».

Son adoption est consécutive au vote de la loi du 4 frimaire An II qui avait aboli le calendrier grégorien à la faveur d’un calendrier comportant 12 mois de 30 jours chacun. Ce calendrier prévoyait, en outre, 5 ou 6 jours supplémentaires (selon que l’année était ou non bissextile) dits « sans culottides » dédiés à la célébration des fêtes républicaines. Il a néanmoins été décidé que les intérêts ne devaient pas courir durant ces jours de fêtes, de sorte que, en matière bancaire, l’année était ramenée à 360 jours.

Le décret du 18 frimaire An III fut remis en cause quatorze ans plus tard par la loi du 3 septembre 1807 qui se référait, pour la détermination du taux d’usure, non pas à l’année Lombarde, mais à l’année civile.

Les juridictions ont toutefois admis, pendant de nombreuses années encore, que les banques puissent calculer les intérêts sur la base d’une année lombarde. Dans un arrêt du 19 avril 1982, la Cour d’appel de Paris a estimé, par exemple, que « considérant qu’il convient, comme l’a retenu la banque, de calculer les intérêts sur 360 jours conformément à l’usage bancaire de très longue date trouvant son origine en Lombardie, au Moyen-Âge et s’étant perpétué jusqu’à notre époque en raison de son caractère pratique, en ce que le chiffre de 360 est successivement divisible par douze, deux, quatre, six, ce qui correspond au mois, au semestre, au trimestre et à deux mois […] ; Que cet usage a du reste été admis par Mme M. qui a accepté de payer les agios qui avaient été calculés sur cette base de 360 jours […] »[1].

Il faut attendre un arrêt du 10 janvier 1995 pour que cette jurisprudence soit formellement condamnée par la Cour de cassation. Au visa de l’article 1er du décret du 4 septembre 1985 relatif au calcul du taux effectif global, elle considère « qu’il résulte du texte susvisé que le taux annuel de l’intérêt doit être déterminé par référence à l’année civile, laquelle comporte 365 ou 366 jours »[2].

Cass. com. 10 janv. 1995
Attendu, selon l'arrêt critiqué, que le Crédit du Nord a clôturé le compte courant de la société Invitance, à laquelle il avait consenti un découvert pendant plusieurs années ; qu'un litige est né entre les parties au sujet des conditions de la cessation de ce concours bancaire, des modalités de la fixation du taux des intérêts, de la capitalisation trimestrielle de ceux-ci, de l'application de dates de valeur différentes des dates d'inscription en compte et de la durée de l'année prise en considération pour le calcul de la dette d'intérêts ; qu'après avoir statué au fond sur certaines demandes, la cour d'appel a désigné un expert et dit que celui-ci devrait calculer, à partir du solde du compte de la société Invitance au 10 septembre 1985, les découverts successifs jusqu'à la clôture du compte en se conformant aux usages bancaires relatifs, notamment, à la capitalisation trimestrielle des intérêts, à l'année bancaire de 360 jours et à la pratique des jours de valeur ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 1131 du Code civil ;

Attendu que, pour rejeter la prétention de la société Invitance faisant valoir que son obligation de payer des intérêts était partiellement dénuée de cause, dans la mesure où les sommes prises en considération pour le calcul de ceux-ci étaient augmentées, sans fondement, par l'application de dates de valeur, l'arrêt retient que la pratique des jours de valeur n'est prohibée par aucune disposition légale ou réglementaire, qu'elle est d'un usage constant et généralisé, qui se fonde sur le fait qu'une remise au crédit, comme une inscription au débit, nécessite un certain délai pour l'encaissement et le décaissement ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les opérations litigieuses, autres que les remises de chèques en vue de leur encaissement, n'impliquaient pas que, même pour le calcul des intérêts, les dates de crédit ou de débit soient différées ou avancées, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le second moyen :

Vu l'article 1er du décret du 4 septembre 1985 relatif au calcul du taux effectif global ;

Attendu que, pour décider que l'expert qu'il désignait devrait tenir compte de l'usage bancaire relatif à l'année de 360 jours pour calculer, à partir du solde du compte de la société Invitance au 10 septembre 1985, les découverts successifs jusqu'à la clôture du compte, l'arrêt retient que le calcul des intérêts doit être fait sur 360 jours et non 365 jours, l'année bancaire n'étant que de 360 jours, conformément à un usage qui trouve son origine en Lombardie, au Moyen-Age, en raison de son caractère pratique en ce que le chiffre de 360, à la différence de celui de 365, est divisible par 12, 6, 4 et 2, ce qui correspond au mois, à 2 mois, au trimestre et au semestre, et que cet usage a d'ailleurs trouvé son expression législative dans la loi du 18 frimaire an III, selon laquelle l'intérêt annuel des capitaux sera compté par an et pour 360 jours ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte du texte susvisé que le taux annuel de l'intérêt doit être déterminé par référence à l'année civile, laquelle comporte 365 ou 366 jours, la cour d'appel a violé ce texte ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième branches du premier moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a décidé que l'expert qu'il désignait devrait se conformer aux usages bancaires relatifs à l'année bancaire de 360 jours et à la pratique des jours de valeur, l'arrêt rendu le 20 septembre 1991, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

La chambre commerciale censure ainsi les juges du fond qui, pour valider le calcul des intérêts effectués par l’établissement bancaire mis en cause, avaient estimé, comme en 1982, que « le calcul des intérêts doit être fait sur 360 jours et non 365 jours, l’année bancaire n’étant que de 360 jours, conformément à un usage qui trouve son origine en Lombardie, au Moyen-Âge, en raison de son caractère pratique en ce que le chiffre de 360, à la différence de celui de 365, est divisible par 12, 6, 4 et 2, ce qui correspond au mois, à 2 mois, au trimestre et au semestre, et que cet usage a d’ailleurs trouvé son expression législative dans la loi du 18 frimaire an III, selon laquelle l’intérêt annuel des capitaux sera compté par an et pour 360 jours »[3].

Cette solution était pourtant contraire à la lettre du décret du 4 septembre 1985 qui prévoyait, sans ambiguïté, que « lorsque les versements sont effectués avec une fréquence autre qu’annuelle, le taux effectif global est obtenu en multipliant le taux de période par le rapport entre la durée de l’année civile et celle de la période unitaire ». La règle a, par suite, été codifiée à l’article R. 313-1, II, al. 5 du Code de la consommation lors de l’adoption du décret n°97-298 du 27 mars 1997.

Cette disposition n’était toutefois applicable qu’au seul calcul du TEG. La question s’est alors posée de savoir si l’exigence posée par le texte était transposable au TAEG, soit aux crédits consentis aux consommateurs. La réponse réside à l’article R. 313-1, III du Code de la consommation qui prévoyait que « pour toutes les opérations de crédit autres que celles mentionnées au II, le taux effectif global est dénommé ” taux annuel effectif global ” et calculé à terme échu, exprimé pour cent unités monétaires, selon la méthode d’équivalence définie par la formule figurant en annexe au présent article. ».

En se reportant à ladite annexe on pouvait lire que « l’écart entre les dates utilisées pour le calcul est exprimé en années ou en fractions d’années. Une année compte 365 jours, ou, pour les années bissextiles, 366 jours, 52 semaines ou 12 mois normalisés. Un mois normalisé compte 30,41666 jours (c’est-à-dire 365/12), que l’année soit bissextile ou non. ».

Depuis l’abrogation l’article R. 313-1 du Code de la consommation par le décret n°2016-884 du 29 juin 2016, l’exigence de recours à l’année civile pour le calcul du taux d’intérêt figure à l’article R. 314-2 pour le TEG et à l’annexe de l’article R. 314-3 pour le TAEG. La règle a ainsi été maintenue.

De son côté, la Cour de cassation a réitéré sa position à plusieurs reprises[4]. Reste que le débat relatif au recours de l’année lombarde n’était, pour autant, pas définitivement purgé.

En premier lieu, on s’est interrogé sur la possibilité pour les établissements bancaires de recourir, pour le calcul du TAEG, à la méthode basée sur l’année de 12 mois normalisés.

Cette méthode consiste à ne pas prendre en compte le nombre exact de jours dans l’année, mais de considérer que chaque mois compte théoriquement 31,41666666 jours, (c’est à dire 365/12) que l’année soit bissextile ou non.

L’annexe de l’article R. 313-1 autorisait explicitement d’asseoir le calcul du TAEG sur une année de 12 mois normalisés. Le champ d’application de cette annexe était toutefois circonscrit aux seuls crédits à la consommation. Certains emprunteurs ont alors soutenu devant les juridictions du fond que le recours au mois normalisé était prohibé en matière de crédit immobilier. La jurisprudence ne s’est toutefois pas laissée séduire par cette argumentation[5]. Dans un arrêt du 15 juin 2016, la Cour de cassation a d’ailleurs admis, à demi-mot, que le calcul du taux d’intérêt puisse reposer sur l’année de 12 mois normalisés pour les crédits immobiliers.

L’entrée en vigueur du nouvel article R. 314-3 du Code de la consommation est venue consacrer cette jurisprudence. L’annexe, dont il est assorti, est applicable, tant aux crédits à la consommation, qu’aux crédits immobiliers.

Cette annexe reprend, en effet, les mêmes termes que celle qui était attachée à l’ancien article R. 313-1, en envisageant que le calcul du TAEG puisse être effectué sur la base d’une année de mois normalisés.

Les emprunteurs ne sont dès lors plus fondés à contester cette méthode de calcul qui est admise au même titre que la méthode qui repose sur l’année civile.

En second lieu, la jurisprudence a été amenée à trancher la question de savoir si les parties au contrat de crédit pouvaient convenir d’un intérêt conventionnel calculé sur la base d’une année lombarde.

Si les articles R. 314-2 et R. 314-3 du Code de la consommation prohibent expressément le recours à l’année lombarde pour le calcul du TEG/TAEG, aucun texte n’interdit de s’y référer pour calculer le taux conventionnel, soit le taux nominal du crédit.

Le doute est né d’un arrêt du 17 janvier 2006, aux termes duquel la Cour de cassation a estimé « qu’une banque qui perçoit, au titre d’un prêt, des intérêts calculés par référence à l’année bancaire de 360 jours au lieu de l’année civile, sans que l’acte de prêt ne prévoit cette référence méconnaît les exigences légales relatives à l’indication préalable et par écrit du taux effectif global, et encourt à ce titre la déchéance du droit aux intérêts conventionnels et l’application du taux légal »[6].

Cass. com. 17 janv. 2006
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Vu l'article 1907 du Code civil, ensemble les articles L. 313-1, L.313-2, et R. 313-1 du Code de la consommation :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a acquis un fonds de commerce au moyen d'un prêt d'équipement consenti par le Crédit lyonnais (la banque), le 18 février 1994 ; que l'acte de prêt mentionne un taux d'intérêt annuel de 9,78%, et un taux effectif global de 10,67 % ; que l'emprunteur a cessé de régler les échéances de ce prêt à compter du mois de novembre 1997 ; que la banque l'a alors poursuivi en paiement ; qu'il a contesté la validité de la stipulation de l'intérêt conventionnel au motif que cet intérêt n'avait pas été appliqué à une année civile de trois cent soixante cinq jours, mais à une année de trois cent soixante jours ;

Attendu que, pour se borner à ordonner la restitution des sommes trop perçues, l'arrêt retient que la banque a seulement commis une erreur dans l'application du taux d'intérêt en calculant les intérêts sur la base de 360 jours au lieu de l'année civile ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la banque était redevable à son client d'une somme de 235,55 euros perçue par elle au titre des intérêts calculés par référence à l'année bancaire de 360 jours au lieu de l'avoir été par référence à l'année civile, ce dont il se déduisait que le taux d'intérêt indiqué n'avait pas été effectivement appliqué de sorte que les exigences légales relatives à l'indication préalable et par écrit du taux effectif global n'avaient pas été respectées, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 avril 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Au vrai, l’examen de la jurisprudence révèle qu’il convient de distinguer selon que le crédit est consenti à un professionnel ou à un consommateur.

Dans un arrêt du 24 mars 2009, la chambre commerciale a considéré que « si le TEG doit être calculé sur la base de l’année civile, rien n’interdit aux parties de convenir d’un taux d’intérêt conventionnel calculé sur une autre base »[7]. Pour cette dernière, lorsque le contrat de crédit est destiné à financer une activité professionnelle, les parties peuvent prévoir de calculer l’intérêt conventionnel sur la base d’une année lombarde, à la condition que cette modalité soit stipulée dans le contrat de prêt[8].

Lorsque, en revanche, le crédit est consenti à un consommateur, la première chambre civile juge, au visa notamment des articles L. 313-1, L.313-2, et R. 313-1 du Code de la consommation, que « le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile »[9]. La solution ainsi adoptée est contestable, dans la mesure où aucune des dispositions visées par la Cour de cassation n’interdit aux parties de prévoir que les intérêts conventionnels seront calculés sur la base d’une année lombarde. Les textes visent le seul TAEG.

Cass. 1ère civ. 19 juin 2013
Sur le moyen unique, pris en sa première branche, qui est recevable :

Vu l'article 1907, alinéa 2, du code civil, ensemble les articles L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation ;
Attendu qu'en application combinée de ces textes, le taux de l'intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l'acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l'intérêt légal, être calculé sur la base de l'année civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en vertu d'une offre de prêt acceptée le 15 février 2005, M. X... a contracté auprès d'une banque un « prêt relais habitat révisable » d'une durée de vingt-quatre mois, remboursable en une seule échéance différée, moyennant un taux effectif global et un taux de période variable « donnés à titre indicatif en fonction de l'indice Moy. arithm./15 j. Euribor douze mois », les conditions générales du prêt précisant que « le calcul des intérêts dus est effectué sur la base d'une année de trois cent soixante jours (soit douze mois de trente jours) » ; qu'en raison de la défaillance de l'emprunteur, la société Compagnie européenne de garanties et de cautions (la société CEGC), qui s'était portée caution solidaire de ce prêt, a désintéressé la banque puis exercé une action subrogatoire contre le débiteur principal, lequel a opposé à la caution subrogée la nullité de la stipulation de l'intérêt nominal, calculé d'après l'année dite « lombarde » de trois cent soixante jours ;

Attendu que, pour rejeter cette exception et condamner M. X... à payer à la société CEGC la somme de 312 239,72 euros, l'arrêt retient que si le taux effectif global doit être calculé sur la base d'une année civile, rien n'interdit aux parties à un prêt de convenir d'un taux d'intérêt conventionnel conclu sur une autre base, que l'acte de prêt du 15 février 2005 stipulant expressément que les intérêts conventionnels seront calculés sur la base d'une année de trois cent soixante jours, c'est de manière inopérante que M. X... oppose à la caution, subrogée dans les droits de la banque créancière, la nullité de cette stipulation, s'agissant de modalités qui, librement convenues entre les parties, ne peuvent être remises en cause ;

Qu'en statuant ainsi quand le prêt litigieux, visant expressément les articles L. 312-1 à L. 312-6 du code de la consommation, obéissait au régime du crédit immobilier consenti à un consommateur ou un non-professionnel, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 décembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Faisant fi des critiques émises par la doctrine à l’encontre de cette jurisprudence, la première chambre civile a reconduit sa position à plusieurs reprises[10].

Lorsque, dès lors, les établissements bancaires consentent des crédits à des consommateurs, ils n’ont d’autre choix que de prévoir un intérêt conventionnel calculé sur la base d’une année civile. En cas de méconnaissance de cette exigence, le prêteur s’expose à une lourde sanction, laquelle peut aller jusqu’à la nullité de la stipulation des intérêts conventionnels.

[1] CA Paris, 19 avr. 1982 : D. 1982, IR, p. 409, obs. Vasseur ; RTD com. 1982, p. 598, obs. M. Cabrillac.

[2] Cass. com., 10 janv. 1995 : JCP E 1995, I, 465, n° 20, obs. C. Gavalda et J. Stoufflet ; Banque févr. 1995, p. 93, obs. J.-L Guillot

[3] CA Paris 20 sept. 1991.

[4] Cass. com. 18 mars 1997, n°94-22216 : D. Affaires 1997.506 ; CCC 1997, comm. 124, obs. G. Raymond ; Cass. com. 3 mars 2004, n°01-10225

[5] V. en ce sens CA Paris, Pôle 5, Chambre 6, 3 décembre 2015, n°14/14373 ; CA Lyon, 1ère chambre civile B, 15 novembre 2016, n° 15/03108.

[6] Cass. com., 17 janv. 2006, n 04-11.100 : JurisData n° 2006-031798 ; JCP E 2006, 1850, obs. J. S.

[7] Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-12.530 : Bull. civ. IV, n° 44 ; Banque et droit, mai-juin 2009, obs. Th. Bonneau ; RTD com. 2009, p. 422, obs. D. Legeais ; Gaz. Pal. 20-21 mai 2009, p. 6, note S. Piedelièvre.

[8] Dans un arrêt du 8 décembre 2016, la Cour d’appel d’Orléans a jugé que « si les parties à un contrat de prêt immobilier à finalité professionnelle peuvent convenir d’un taux d’intérêt conventionnel calculé sur la base d’une année de 360 jours au lieu d’une année civile, encore faut-il que cette modalité soit stipulée dans le contrat de prêt ».

[9] Cass. 1re civ., 19 juin 2013, n° 12-16.651 : RD bancaire et fin. 2013, comm. 185, obs. F. Crédot et T. Samin ; Banque oct. 2013, note J.-L. Guillot et M. Boccara.

[10] V. en ce sens Cass. 1re civ., 17 juin 2015 : Banque et droit, sept.-oct. 2015, p. 26, obs. Th. Bonneau ; Cass. 1re civ., 8 févr. 2017, n° 16-11.625.

L’exigence d’exactitude du taux effectif global (TEG/TAEG): la règle de la décimale

Principale difficulté soulevée par l’exécution de l’obligation de communication du TEG/TAEG qui pèse sur les établissements de crédit : la recherche d’exactitude du taux affiché.

Cette exigence prend sa source dans la directive 98/7/CE du 16 février 1998 qui prévoit que « le résultat du calcul est exprimé avec une exactitude d’au moins une décimale »

Ce texte a inspiré le législateur français pour la rédaction de l’article R. 314-2 du Code de la consommation (anciennement R. 313-1) aux termes duquel « le rapport est calculé, le cas échéant, avec une précision d’au moins une décimale ».

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « précision d’au moins une décimale ».

Comme relevé par Paul Lutz, cette méthode ne précise pas « la méthode d’ajustement de la dernière décimale mentionnée : le TEG mentionné peut-il être simplement tronqué ; ou bien la dernière décimale doit-elle être arrondie en fonction de la décimale suivante » ?

La Cour de cassation a répondu à cette interrogation, notamment dans un arrêt du 26 novembre 2014, en affirmant, aux visas des articles R. 313-1, L. 313-1 du Code de la consommation et 1907 du Code civil.

S’agissant d’une différence entre les frais hypothécaires et notariés estimés par la banque et les frais réellement appliqués, la première chambre civile a considéré que « l’estimation erronée des frais d’acte n’avait engendré qu’une erreur de « 0. 0017 », de sorte que l’écart entre le taux effectif global mentionné dans le contrat de crédit et le taux réel était inférieur à la décimale prescrite par l’article R. 313-1 du code de la consommation »[1].

Cass. 1ère civ. 26 nov. 2014
Attendu selon l'arrêt attaqué, que par acte notarié du 30 mars 2004, la société Entenial, aux droits de laquelle vient le Crédit foncier de France (le Crédit foncier) a consenti un prêt immobilier à la société civile immobilière Persepolis (la SCI) ; que soutenant notamment que le taux effectif global figurant dans l'acte de prêt était erroné, la SCI a assigné le Crédit foncier en annulation de la stipulation d'intérêts ;

Sur la recevabilité du moyen, contestée par la défense :

Attendu que les époux X... soutiennent que le moyen tiré de l'absence d'irrégularité du taux effectif global est nouveau et que, mélangé de fait et de droit, il ne peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation ;

Mais attendu que ce moyen qui invoque un vice résultant de l'arrêt lui-même, indécelable avant son prononcé, n'est pas susceptible d'être argué de nouveauté ;

Mais sur le moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles R. 313-1 et L. 313-1 du code de la consommation, dans leur rédaction applicable en la cause, ensemble l'article 1907 du code civil ;

Attendu que pour accueillir la demande et condamner le Crédit foncier à restituer la différence entre les intérêts perçus et ceux calculés au taux légal, l'arrêt, après avoir constaté que le taux effectif global du prêt était erroné pour avoir été calculé sur la somme de 12 300 euros correspondant à l'estimation des frais hypothécaires et notariés et des débours contenue dans l'offre de crédit, alors que le coût réel de ces frais, qui pouvait être déterminé et chiffré, s'élevait à la somme de 11 126, 81 euros, retient qu'il importe peu que la différence entre le coût estimé et le coût réel soit modeste dès lors qu'il est démontré que le taux effectif global est erroné ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le Crédit foncier soutenait dans ses conclusions, sans être contredit sur ce point, que l'estimation erronée des frais d'acte n'avait engendré qu'une erreur de « 0. 0017 », de sorte que l'écart entre le taux effectif global mentionné dans le contrat de crédit et le taux réel était inférieur à la décimale prescrite par l'article R. 313-1 du code de la consommation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il a jugé erroné le taux effectif global mentionné dans l'acte de prêt en date du 30 mars 2004, annulé la stipulation d'intérêts insérée au contrat de prêt passé à l'étude de M. Y..., notaire à Nice, du 30 mars 2004, entraînant la substitution au taux conventionnel du taux légal à compter de la conclusion du prêt et condamné le Crédit foncier de France à régler à la SCI Persepolis la différence entre les intérêts contractuels réglés depuis le mois de mars 2004 et les intérêts au taux légal, l'arrêt rendu le 20 juin 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Ainsi, il faut comprendre cette jurisprudence comme sanctionnant le TEG erroné qu’à la condition que la différence entre le taux mentionné et le taux appliqué soit supérieure ou égal à une décimale.

La haute juridiction a réitéré cette solution, à plus reprises, notamment dans un arrêt du 25 janvier 2017[2]. Doit-elle être approuvée ?

Cass. 1ère civ. 25 janv. 2017
Sur le moyen unique :

Vu l’article 1907 du code civil, l’article L. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et l’article R. 313-1 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2002-927 du 10 juin 2002 applicable au litige ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, suivant offre du 31 mars 2006, la caisse de Crédit mutuel Grenoble Rivet (la banque) a consenti à M. X… un prêt immobilier au taux effectif global de 3,746 % l’an ; que la banque lui a fait souscrire des parts sociales pour un montant de 15,00 euros ; que, soutenant que leur coût n’avait pas été inclus dans le calcul du taux effectif global qui s’établissait en réalité à 3,748 % l’an, M. X… a assigné la banque en nullité de la stipulation d’intérêts et en restitution des sommes trop versées ;

Attendu que, pour accueillir les demandes, l’arrêt retient que les parties ont entendu fixer un taux effectif global à trois décimales et que l’erreur affectant la troisième emporte la nullité de la stipulation du taux des intérêts conventionnels ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’écart entre le taux effectif global mentionné dans le contrat de crédit et le taux réel était inférieur à la décimale prescrite par l’article R. 313-1 du code de la consommation, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu’en l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne et, en particulier, de la directive n° 98/7/CE, il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il déclare recevable la demande de M. X…, l’arrêt rendu le 30 juin 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble ;

D’aucuns soulignent, à juste titre, que la référence à l’article R. 313-1 du Code de la consommation n’est pas pertinente.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « lorsque les versements sont effectués avec une fréquence autre qu’annuelle, le taux effectif global est obtenu en multipliant le taux de période par le rapport entre la durée de l’année civile et celle de la période unitaire. Le rapport est calculé, le cas échéant, avec une précision d’au moins une décimale. ».

Une lecture attentive du texte révèle que ce qui doit faire l’objet « d’une précision d’au moins une décimale », ce n’est pas le taux effectif global en lui-même, mais le rapport entre la durée de l’année civile et la durée de la période.

Or lorsque la période de remboursement est mensuelle, ce rapport est, s’agissant du TEG, toujours égal à 12. Aucun ajustement arithmétique n’est donc nécessaire.

Ce n’est que dans l’hypothèse où la période de remboursement n’est pas mensuelle que la règle dite de la décimale présente un intérêt. Le rapport entre l’année civile et la période unitaire est susceptible, dans ce cas, de ne pas générer un nombre entier.

La solution adoptée par la Cour de cassation aurait été plus heureuse si elle avait visé l’annexe issue du décret n°2002-928 du 10 juin 2002 relatif au calcul du taux effectif global applicable au crédit à la consommation.

Cette annexe dispose, dans les mêmes termes que la directive du 16 février 1998, que « le résultat du calcul est exprimé avec une exactitude d’au moins une décimale ».

Elle précise encore que « lorsque le chiffre est arrondi à une décimale particulière, la règle suivante est d’application : si le chiffre de la décimale suivant cette décimale particulière est supérieur ou égal à 5, le chiffre de cette décimale particulière sera augmenté de 1 ».

Cette précision a été reprise par le décret n° 2016-884 du 29 juin 2016 et est désormais rattachée à l’article R. 314-3 du Code de la consommation.

En toute hypothèse, à supposer que la Cour de cassation ait entendu viser, dans ces dernières décisions, l’annexe du décret, elle se livre à une interprétation pour le moins contestable de l’exigence posée par la directive européenne.

Il ne s’infère pas du texte que seule la première décimale serait obligatoire, les suivantes étant facultatives. L’annexe prévoit seulement que dans l’hypothèse où le TEG s’exprime avec deux décimales, la seconde peut être arrondie au regard de la troisième. Il n’est nullement question d’arrondir la première décimale, soit de tolérer un écart inférieur de 0,1%.

En réaction à la confusion qui règne autour de l’application de la règle de la décimale, le Tribunal d’instance de Limoges a pris l’initiative de solliciter l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’une question préjudicielle[3].

Les juges limougeauds ont posé la question en ces termes : « le taux annuel effectif global d’un crédit étant de 6,75772 %, la règle issue des directives 98/7/CE du 16 février 1998 et 2008/48/CE du 23 avril 2008, selon laquelle, dans la version française, « Le résultat du calcul exprimé avec une exactitude d’au moins une décimale. Si le chiffre de la décimale suivante est supérieur ou égal à 5, le chiffre de la première décimale sera augmenté de 1 », permet-elle de tenir pour exact un TAEG indiqué de 6,75 % ? ».

Aucune réponse n’a encore été apportée par la CJUE. L’incertitude demeure. Certains auteurs n’hésitent toutefois pas à critiquer vigoureusement la position actuelle de la jurisprudence française.

Pour Jérôme Lasserre Capdeville par exemple « on peut voir dans cette jurisprudence une solution contraire à l’esprit des textes en matière de TEG. Plus précisément, elle va à l’encontre du principe d’exhaustivité que l’on retrouve dans la détermination de ce taux. La finalité du droit en la matière c’est d’expliquer le plus clairement possible à l’emprunteur combien son crédit va lui coûter afin qu’il s’engage en connaissance de cause ou qu’il compare avec d’autres offres. Il n’y a donc pas de place ici pour un TEG susceptible de varier et donc de tromper l’emprunteur »[4].

Bien que séduisant, l’argument avancé ne tient pas compte des difficultés d’ordre opérationnel que soulève le calcul du taux. Si les emprunteurs sont légitimement en droit d’attendre que les établissements bancaires leur communiquent un TEG exact, la satisfaction de cette exigence est techniquement impossible.

En application des dispositions du Code de la consommation, que l’on applique la méthode proportionnelle ou la méthode équivalente, la détermination du TEG/TAEG consiste en la résolution d’une équation mathématique et, plus précisément, à égaliser les deux termes du rapport entre, d’un côté, le montant du capital prêté augmenté des intérêts et, de l’autre côté le montant des sommes à rembourser.

Comme relevé par Paul Lutz « ce calcul est généralement fait par itération : l’ordinateur fait des calculs successifs à l’essai jusqu’à ce que l’égalité entre les deux termes du rapport soit approché […]. Ainsi donc, le TEG (tout comme le TAEG, même si le calcul de celui-ci ne passe par un taux de période), qui est censé être l’expression sous forme d’un pourcentage du coût total du prêt, n’est qu’une approximation plus ou moins fine, selon le nombre de décimales. En pratique, le résultat de l’équation n’est qu’exceptionnellement un nombre fini : sauf à comporter un nombre très élevé, voire infini, de décimales, il est nécessairement tronqué ou arrondi »[5].

Comment, dans ces conditions, pourrait-on reprocher aux établissements de crédits de communiquer aux emprunteurs un TEG/TAEG erroné ? Mettre à leur charge l’obligation d’afficher un taux exact, reviendrait, au fond, à exiger d’eux qu’ils réalisent l’impossible. D’où la règle posée par le législateur qui tolère que le résultat du calcul soit « exprimé avec une exactitude d’au moins une décimale ».

À cet égard, il peut être observé que la marge d’erreur ainsi consentie aux professionnels du crédit est, au vrai, très restreinte ne serait-ce que parce que de nombreux facteurs sont susceptibles d’influer sur le résultat du calcul.

Au nombre de ces facteurs, figure, en particulier, la pratique qui consistait, pour les prêteurs, à asseoir le calcul du TEG/TAEG sur ce que l’on appelle l’année lombarde.

[1] Cass. 1re civ., 26 nov. 2014, n° 13-23.033 : JCP G 2014, act. 1306, obs. J. Lasserre Capdeville ; Banque et droit 2015, n° 160, p. 29, obs. Th. Bonneau ; RTD com. 2015, p. 137, obs. D. Legeais

[2] Cass. 1re civ., 25 janv. 2017, n° 15-24.607 : D. 2017, act. 239.

[3] TI Limoges, 1er févr. 2017, n° 16-000784 : D. 2017, p. 502, obs. G. Poissonnier.

[4] Jérôme Lasserre Capdeville, « TEG erroné : encore la tolérance à l’inexactitude inférieure à une décimale », JCP E, n°26, 29 juin 2017, 1366.

[5] P. Lutz, « Un TEG exact », Revue de Droit bancaire et financier, n°3, mai 2017, étude 13.