La dation en paiement: régime

==> Vue générale

L’article 1342-4 du Code civil prévoit que le créancier « peut accepter de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû. »

Il ressort de cette disposition que le principe d’immutabilité de l’objet du paiement n’est pas impératif. Il peut y être dérogé par les parties.

Lorsque le créancier accepte que le débiteur lui fournisse une prestation différente de celle qui était initialement convenu au contrat, on dit que s’opère alors une dation en paiement, laquelle s’analyse en un mode d’extinction des obligations.

Plus précisément, la dation en paiement se définit comme « la convention par laquelle le créancier accepte de recevoir en paiement une prestation différente de celle qui était prévue au contrat »[1].

Concrètement, c’est le fait pour le débiteur d’une obligation ayant pour objet, par exemple une somme d’argent, de s’acquitter de sa dette par l’exécution d’une autre prestation, telle que la délivrance d’une chose ou la fourniture d’un service d’une valeur équivalente.

Dans son sens littéral, le terme « dation », qui vient du latin « dare » (donner), signifie transfert de propriété. Aussi, la dation en paiement consisterait nécessairement en la substitution de l’obligation initiale par la remise d’une chose.

Est-ce à dire qu’il ne pourrait pas y avoir dation en paiement en cas fourniture d’une prestation de services en remplacement de la remise d’une somme d’argent ?

La doctrine majoritaire réfute cette analyse et plaide pour une approche extensive de la dation en paiement. Selon elle, la nature de la prestation substituée à celle convenue initialement par les parties serait indifférente.

Ce qui importe c’est que le mode de paiement accepté par le créancier diffère de celui stipulé au contrat.

C’est manifestement cette approche qui a été validée par le législateur à l’occasion de la réforme du régime général des obligations. L’article 1342-4 du Code civil ne limite aucunement la dation en paiement au cas de substitution de la prestation originaire par la délivrance d’une chose.

==> Nature

La nature de la dation en paiement a été âprement discutée en doctrine. Les auteurs ont cherché à l’habiller de plusieurs qualifications. Nous n’en aborderons que deux :

  • Dation en paiement et novation
    • D’aucuns ont soutenu que la dation en paiement s’analyserait en une novation par changement d’objet.
    • Pour mémoire, la novation consiste en un « contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée» ( 1329 C. civ.)
    • Il s’agit, autrement dit, d’une modalité d’extinction d’une obligation préexistante par la substitution d’une obligation nouvelle.
    • Ce mécanisme présente la particularité de lier indivisiblement l’extinction de la première obligation et la création de la seconde.
    • Autrement dit, la création de l’obligation nouvelle ne peut s’opérer sans extinction de l’obligation primitive.
    • À l’examen, la dation en paiement se distingue de la novation en ce que les parties ont l’intention d’éteindre le rapport d’obligation qui les lie.
    • Tel n’est pas le cas en présence d’une novation qui implique la volonté des parties de substituer le rapport d’obligation primitif par un nouveau rapport d’obligation.
    • À cet argument, les tenants de la thèse de la novation opposent que la dation en paiement consisterait bien en la substitution d’une obligation primitive, par une obligation nouvelle ; seulement, cette dernière s’exécuterait immédiatement.
    • La Cour de cassation est allée dans le sens de cette thèse en admettant dans un arrêt du 12 janvier 1988 que « la dation en paiement comme le paiement lui-même, peut être à terme» ( 3e civ. 12 janv. 1988, n°86-14.562).
    • Manifestement, dans cette configuration rien ne la distinguerait de la novation dans la mesure où la substitution de la prestation d’origine par une autre prestation pourrait s’étirer dans le temps, ce qui correspond précisément à l’hypothèse de la novation.
  • Dation en paiement et vente assortie d’une compensation
    • Certains auteurs voient dans la dation en paiement une vente dont le prix serait payé par le créancier, lequel prix viendrait se compenser avec la dette initiale
    • Au soutien de cette thèse, ils avancent que la jurisprudence a appliqué certains effets de la vente à la dation en paiement.
    • La Cour de cassation a, par exemple, admis dans le cadre d’une dation en paiement l’application des règles de la rescision pour lésion (V. en ce sens 3e civ. 25 mai 1983, n°81-13.214), de la garantie des vices cachés (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 20 nov. 1990, n°89-14.583) ou encore du principe de transfert immédiat de la propriété (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 27 janv. 1993, n°91-12.115).
    • Bien séduisante, l’analogie avec la vente ne permet pas de rendre compte des cas de dation en paiement non translatifs de propriété.
    • En effet, pour qu’il y ait vente, encore faut-il qu’il y ait transfert de propriété ; or la dation en paiement peut intervenir en dehors de toute remise de chose.
    • Surtout, certains effets de la vente ne sont pas applicables à la dation en paiement.
    • Par exemple, en cas d’annulation de l’obligation initiale, la dation en paiement emporte restitution du bien remis à titre de paiement alors que si l’on était en présence d’une vente le débiteur ne pourrait réclamer que la restitution du prix du bien délivré.
    • Pour toutes ces raisons, la dation en paiement ne se confond pas avec la vente.

Au bilan, comme souligné par certains « rien ne justifie que l’on contraigne ainsi la dation en paiement dans le moule d’un autre mécanisme ou que l’on conclut à une hypothétique qualification mixte »[2].

La dation en paiement n’est autre qu’un mode particulier d’extinction des obligations. Elle obéit à des règles propres, en particulier celle posant l’exigence de consentement du créancier.

I) Conditions de la dation en paiement

Parce que la dation en paiement consiste pour le débiteur à fournir au créancier une prestation différente de celle convenue initialement, elle a toujours été envisagée avec une certaine méfiance.

En effet, il s’agit d’un mode anormal de paiement qui interroge sur la situation financière du débiteur. La dation en paiement a, par ailleurs, pour effet de modifier les termes du contrat, de sorte qu’il ne faudrait pas qu’elle porte atteinte à sa force obligatoire.

Pour toutes ces raisons, la dation en paiement est susceptible d’être plus facilement annulée que les autres modalités de paiement. À cet égard, il a été admis qu’elle puisse être remise en cause par la voie de l’action paulienne (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 19 janv. 1977, n°75-14.274).

Pour que la dation en paiement soit valable, quatre conditions cumulatives doivent être réunies :

  • Première condition
    • La dation en paiement n’est valable que si le créancier a donné son accord.
    • Cette condition est expressément posée par l’article 1342-4 du Code civil qui exige que le créancier accepte de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû.
    • Il s’agit là d’une reprise de la solution en vigueur sous l’empire du droit antérieur à l’adoption de l’ordonnance du n° 2016-131 du 10 février 2016.
    • Dans un arrêt du 13 avril 2005, la Cour de cassation avait affirmé, par exemple, que « le créancier ne peut être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due, quoique la valeur de la chose offerte soit égale ou même plus grande» ( 3e civ. 13 avr. 2005, n°04-10.774).
    • À cet égard, dans un arrêt du 21 novembre 1995, la Première chambre civile a admis que l’accord du créancier puisse être tacite ( 1ère civ. 21 nov. 1995, n°93-16.554).
  • Deuxième condition
    • La dation en paiement présuppose l’existence d’une obligation primitive non éteinte
    • Autrement dit, elle ne doit avoir fait l’objet d’aucun paiement faute de quoi la dation en paiement serait sans objet : on ne peut pas éteindre une obligation déjà éteinte.
  • Quatrième condition
    • Pour produire ses effets, la dation en paiement implique qu’il soit remis en paiement au créancier autre chose que ce qui lui est dû.
    • Autrement dit, la prestation fournie par le débiteur doit être d’une nature différente de celle initialement convenue.
    • Trois cas de dation en paiement sont admis aujourd’hui :
      • Si la prestation initialement convenue consiste en un versement de somme d’agent, le débiteur pourra se libérer de son obligation en remettant une chose ou en fournissant un service d’une valeur équivalente
      • Si la prestation initialement convenue consiste en la remise d’une chose, le débiteur pourra se libérer de son obligation en versant une somme d’argent équivalente à la valeur de cette chose ou en remettant un autre bien ou en fournissant un service d’une valeur équivalente
      • Si la prestation initialement convenue consiste en la fourniture d’un service, le débiteur pourra se libérer de son obligation en versant une somme d’argent ou en remettant une autre chose d’une valeur équivalente ou en fournissant un autre service d’une valeur équivalente

II) Effets de la dation en paiement

Plusieurs effets sont attachés à la dation en paiement :

  • Premier effet
    • La dation en paiement est un mode d’extinction des obligations.
    • Elle a donc pour effet d’éteindre l’obligation sur laquelle elle porte et, par voie de conséquence de libérer le débiteur de son engagement
  • Deuxième effet
    • En ce qu’elle constitue un mode de paiement, la dation en paiement produit un effet libératoire.
    • Autrement dit, lorsque les conditions sont réunies, elle libère le débiteur de son engagement envers le créancier.
  • Troisième effet
    • Selon la prestation fournie par le débiteur en remplacement de la prestation initiale, la dation en paiement produit des effets différents.
    • Elle produira notamment un effet translatif dans l’hypothèse où le débiteur exécute son obligation par la remise d’une chose.
    • Dans cette hypothèse, la dation en paiement se rapprochera d’une vente, raison pour laquelle la jurisprudence a estimé qu’il avait lieu d’admettre, lorsqu’elle porte sur un immeuble, l’action en rescision pour lésion ( 3e civ. 25 mai 1983, n°81-13.214), le principe de transfert immédiat de la propriété (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1993, n°91-12.115), l’application de la garantie des vices cachés (Cass. 1ère civ. 20 nov. 1990, n°89-14.583) ou de la garantie d’éviction (Cass. 3e civ. 13 déc. 1968).
    • Dans l’hypothèse, en revanche, où la prestation de substitution consistera en la fourniture d’un service, il est probable qu’on soumette la dation en paiement à certains effets du contrat d’entreprise.

 

[1] J. François, Traité de droit civil – Les obligations, Régime général, Economica 2017, n°139, p. 126.

[2] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1423, p. 1504

Le principe d’immutabilité de l’objet du paiement

Pour mémoire, l’article 1342, al. 1er du Code civil définit le paiement comme « l’exécution volontaire de la prestation due ».

L’objet du paiement c’est donc la prestation due par le débiteur. Pour que celui-ci soit libéré de son obligation, l’exécution de cette prestation doit répondre à deux exigences :

  • D’une part, le débiteur doit fournir la même prestation que celle prévue au contrat. C’est le principe d’immutabilité de l’objet du paiement
  • D’autre part, le débiteur doit fournir l’intégralité de la prestation en raison du principe d’indivisibilité du paiement

Nous nous focaliserons ici sur le principe d’immutabilité de l’objet du paiement.

I) Principe

A) Exposé du principe

Bien qu’énoncé par aucun texte, il est de principe que l’objet du paiement est immutable, soit que l’on ne peut pas le permuter.

Autrement dit, le débiteur ne peut pas fournir une prestation différente de celle prévue initialement au contrat.

L’ancien article 1243 du Code civil disposait en ce sens que « le créancier ne peut être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due, quoique la valeur de la chose offerte soit égale ou même plus grande. »

Cette règle s’infère de la lecture a contrario du nouvel article 1342-4 du Code civil introduit par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.

Cette disposition prévoit, en effet, que le créancier « peut accepter de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû ».

A contrario, cela signifie donc qu’il est fondé à refuser la prestation qui consisterait à fournir autre chose que ce qui lui est dû, fût-t-elle d’une valeur identique ou même supérieure.

Pour être libéré de son obligation, le débiteur doit fournir exactement la même prestation que celle à laquelle il s’est contractuellement engagé.

Cette règle se justifie par la force obligatoire du contrat qui contraint les parties à exécuter leurs obligations conformément aux termes du contrat.

Dans un arrêt du 7 octobre 1997, la Cour de cassation a ainsi approuvé la décision rendue par une Cour d’appel qui avait estimé que, s’agissant de l’obligation résultant d’une décision judiciaire, laquelle est libellée en francs français, « le débiteur n’était pas fondé, en vertu de l’article 1243 du Code civil, à imposer au créancier, fût-il comme lui de nationalité étrangère et domicilié à l’étranger, un paiement en monnaie étrangère » (Cass. 1ère civ. 7 oct. 1997, n°95-16.671).

B) Mise en œuvre du principe

Selon le type d’obligation qui pèse sur le débiteur, l’objet du paiement se laisse plus ou moins facilement appréhendé.

En présence d’une obligation de ne pas faire le paiement consistera pour le débiteur à s’abstenir.

A l’inverse, en présence d’une obligation de faire, le paiement supposera l’accomplissement d’une action positive (non-concurrence, non divulgation d’informations confidentielles etc.).

Dans l’un ou l’autre cas, l’objet du paiement ne soulèvera pas de difficulté quant à la prestation attendue du débiteur : tantôt il doit s’abstenir, tantôt il doit agir.

Plus délicate est en revanche la détermination de l’objet du paiement lorsque :

  • Soit la prestation consiste à remettre un corps certain
  • Soit la prestation consiste à remettre une chose de genre

1. La prestation consiste à remettre un corps certain

Lorsque la chose à remettre au créancier consiste en un corps certain, la question se pose de savoir dans quel état cette chose doit se trouver au moment de sa livraison.

a. Notion

Par corps certain, il faut entendre une chose unique qui possède une individualité propre.

Exemple : un immeuble, un bijou de famille, une œuvre d’art, etc…

Les corps certains se caractérisent par leur singularité, en ce sens qu’ils n’ont pas leur pareil. Il s’agit donc de choses qui possèdent une identité : on ne peut pas les remplacer à l’identique.

À cet égard, les immeubles sont toujours des corps certains, car ils occupent toujours une situation géographique qui leur est propre, sauf à être envisagées abstraitement, soit présentés comme composant un lot.

b. Application

L’article 1342-5 du Code civil prévoit que « le débiteur d’une obligation de remettre un corps certain est libéré par sa remise au créancier en l’état, sauf à prouver, en cas de détérioration, que celle-ci n’est pas due à son fait ou à celui de personnes dont il doit répondre. »

Cette disposition aborde la question de l’état dans laquelle la chose doit être remise au créancier lorsqu’elle consiste en un corps certain.

==> Principe

Le texte dit que, pour être libéré de son obligation le débiteur doit remettre au créancier la chose « en l’état ».

Que faut-il entendre par en l’état ? Il faut comprendre deux choses :

  • Premier élément
    • La chose ne doit pas avoir été détériorée, soit doit se trouver dans un état conforme à celui stipulé au contrat.
  • Premier élément
    • En précisant que pour être libéré de son obligation, il suffit au débiteur de remettre la chose « en l’état » ; le législateur a entendu faire peser les risques sur le créancier.
    • Autrement dit, les détériorations susceptibles d’affecter l’état de la chose entre la naissance de l’obligation et la remise de la chose doivent être supportées par le créancier.
    • Il s’agit là d’une reprise de l’ancien article 1245 du Code civil qui prévoyait que « le débiteur d’un corps certain et déterminé est libéré par la remise de la chose en l’état où elle se trouve lors de la livraison».

==> Exceptions

Si donc le créancier supporte les risques de détérioration de la chose due tant qu’elle ne lui a pas été remise, ce principe souffre de plusieurs exceptions :

  • Première exception : le fait du créancier ou d’une personne dont il doit répondre
    • L’article 1342-5 du Code civil prévoit que le débiteur ne supporte pas les risques de détérioration de la chose « sauf à prouver, en cas de détérioration, que celle-ci n’est pas due à son fait ou à celui de personnes dont il doit répondre. »
    • Ainsi, en cas de détérioration de la chose au jour de sa livraison, le créancier peut engager la responsabilité du débiteur dans deux cas :
      • Premier cas
        • La détérioration de la chose a été causée par le débiteur lui-même.
        • Le texte vise « le fait» du débiteur, ce qui signifie qu’il est indifférent que ce fait soit ou non constitutif d’une faute.
        • Il suffit seulement que la détérioration soit imputable au débiteur
      • Second cas
        • La détérioration de la chose a été causée par une personne dont le débiteur doit répondre.
        • Il peut s’agir d’un préposé, d’un mandataire ou encore d’une personne dont il est le représentant
        • Là encore, il est indifférent que la personne à l’origine de la détérioration ait commis une faute ; son simple fait suffit à engager la responsabilité du débiteur
    • Lorsque la détérioration de la chose résulte du fait du débiteur ou d’une personne dont il doit répondre, non seulement le créancier ne supporte pas les risques de cette détérioration, mais encore il est fondé à réclamer au débiteur le paiement de dommages et intérêts à hauteur du préjudice subi.
    • À cet égard, comme précisé par l’article 1342-5 du Code civil, en cas de détérioration de la chose, c’est au débiteur qu’il appartient de prouver qu’elle résulte, non de son fait, ni du fait des personnes dont il doit répondre.
  • Deuxième exception : la mise en demeure du débiteur
    • Si, par principe, la charge des risques de la chose à remettre pèse sur le créancier, lorsque le débiteur tarde à la délivrer cette charge est susceptible de s’inverser.
    • L’article 1344-2 du Code civil prévoit, en effet, que « la mise en demeure de délivrer une chose met les risques à la charge du débiteur, s’ils n’y sont déjà. »
    • Seule solution pour ce dernier de s’exonérer de sa responsabilité :
      • D’une part, l’impossibilité d’exécuter l’obligation de délivrance doit résulter de la perte de la chose due
      • D’autre part, il doit être établi que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée.
    • Lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies, la charge des risques repasse sur la tête du créancier.
  • Troisième exception : les contrats de propriété soumis au droit de la consommation
    • Les articles L. 216-1 à 216-6 du Code de la consommation régissent la livraison de la chose aliéné et le transfert de la charge des risques lorsque le contrat est conclu entre un professionnel et un consommateur
    • Par souci de protection du consommateur, le législateur a dérogé au principe de transfert des risques concomitamment au transfert de propriété énoncé à l’article 1196, al. 3e du Code civil en prévoyant à l’article L. 216-4 du Code de la consommation que « tout risque de perte ou d’endommagement des biens est transféré au consommateur au moment où ce dernier ou un tiers désigné par lui, et autre que le transporteur proposé par le professionnel, prend physiquement possession de ces biens. »
    • Le transfert de la charge des risques intervient, de la sorte, non pas au moment du transfert de propriété, mais au moment de la livraison du bien.
    • Cette règle étant d’ordre public, le professionnel ne peut pas s’y soustraire par convention contraire (art. 216-6 C. conso).
    • Seule exception à la règle, l’article L. 216-5 prévoit que « lorsque le consommateur confie la livraison du bien à un transporteur autre que celui proposé par le professionnel, le risque de perte ou d’endommagement du bien est transféré au consommateur lors de la remise du bien au transporteur».

2. La prestation consiste à remettre une chose de genre

Lorsque la chose à remettre au créancier consiste en une chose de genre, la question se pose de savoir dans quelle quantité et de quelle qualité la chose doit être au moment de sa livraison.

==> Notion

Par chose de genre – que l’on dit fongible – il faut entendre une chose qui ne possède pas une individualité propre.

L’article 587 du Code civil désigne les choses fongibles comme celles qui sont « de même quantité et qualité » et l’article 1892 comme celles « de même espèce et qualité ».

Selon la formule du Doyen Cornu, les choses de genre sont « rigoureusement équivalentes comme instruments de paiement ou de restitution ».

Pour être des choses de genre, elles doivent, autrement dit, être interchangeables, soit pouvoir indifféremment se remplacer les unes, les autres, faire fonction les unes les autres.

Exemple : une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série etc…

Les choses de genre se caractérisent par leur espèce (nature, genre) et par leur quotité.

Ainsi, pour individualiser la chose fongible, est-il nécessaire d’accomplir une opération de mesure ou de compte.

==> Application

Lors de l’adoption de la réforme du régime général des obligations, le législateur qu’il n’y avait pas lieu de reprendre la règle énoncée à l’ancien article 1246 du Code civil.

Cette disposition prévoyait que « si la dette est d’une chose qui ne soit déterminée que par son espèce, le débiteur ne sera pas tenu, pour être libéré, de la donner de la meilleure espèce ; mais il ne pourra l’offrir de la plus mauvaise. »

L’absence de reprise de la règle ainsi énoncée signifie-t-il qu’elle a été abandonnée ?

Il n’en est rien. Le législateur lui a donné une portée plus large en insérant un article 1166 du Code civil qui prévoit désormais que « lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie. »

Si, antérieurement à la réforme du droit des contrats la loi ne posait aucune véritable exigence s’agissant de la qualité de la prestation, la jurisprudence exigeait néanmoins du débiteur qu’il fournisse une prestation de qualité moyenne.

Dorénavant, il n’est donc plus question de qualité moyenne de la prestation : pour répondre à l’exigence de détermination, elle doit seulement être « conforme aux attentes légitimes du créancier », lesquelles attentes doivent être appréciées en considération de la nature de la prestation des usages et de la contrepartie fournie.

Il s’agit là toutefois d’une règle supplétive qui n’aura vocation à s’appliquer que dans l’hypothèse où la prestation n’est ni déterminée, ni déterminable.

II) Exception : la dation en paiement

==> Vue générale

L’article 1342-4 du Code civil prévoit que le créancier « peut accepter de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû. »

Il ressort de cette disposition que le principe d’immutabilité de l’objet du paiement n’est pas impératif. Il peut y être dérogé par les parties.

Lorsque le créancier accepte que le débiteur lui fournisse une prestation différente de celle qui était initialement convenu au contrat, on dit que s’opère alors une dation en paiement, laquelle s’analyse en un mode d’extinction des obligations.

Plus précisément, la dation en paiement se définit comme « la convention par laquelle le créancier accepte de recevoir en paiement une prestation différente de celle qui était prévue au contrat »[1].

Concrètement, c’est le fait pour le débiteur d’une obligation ayant pour objet, par exemple une somme d’argent, de s’acquitter de sa dette par l’exécution d’une autre prestation, telle que la délivrance d’une chose ou la fourniture d’un service d’une valeur équivalente.

Dans son sens littéral, le terme « dation », qui vient du latin « dare » (donner), signifie transfert de propriété. Aussi, la dation en paiement consisterait nécessairement en la substitution de l’obligation initiale par la remise d’une chose.

Est-ce à dire qu’il ne pourrait pas y avoir dation en paiement en cas fourniture d’une prestation de services en remplacement de la remise d’une somme d’argent ?

La doctrine majoritaire réfute cette analyse et plaide pour une approche extensive de la dation en paiement. Selon elle, la nature de la prestation substituée à celle convenue initialement par les parties serait indifférente.

Ce qui importe c’est que le mode de paiement accepté par le créancier diffère de celui stipulé au contrat.

C’est manifestement cette approche qui a été validée par le législateur à l’occasion de la réforme du régime général des obligations. L’article 1342-4 du Code civil ne limite aucunement la dation en paiement au cas de substitution de la prestation originaire par la délivrance d’une chose.

==> Nature

La nature de la dation en paiement a été âprement discutée en doctrine. Les auteurs ont cherché à l’habiller de plusieurs qualifications. Nous n’en aborderons que deux :

  • Dation en paiement et novation
    • D’aucuns ont soutenu que la dation en paiement s’analyserait en une novation par changement d’objet.
    • Pour mémoire, la novation consiste en un « contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée» ( 1329 C. civ.)
    • Il s’agit, autrement dit, d’une modalité d’extinction d’une obligation préexistante par la substitution d’une obligation nouvelle.
    • Ce mécanisme présente la particularité de lier indivisiblement l’extinction de la première obligation et la création de la seconde.
    • Autrement dit, la création de l’obligation nouvelle ne peut s’opérer sans extinction de l’obligation primitive.
    • À l’examen, la dation en paiement se distingue de la novation en ce que les parties ont l’intention d’éteindre le rapport d’obligation qui les lie.
    • Tel n’est pas le cas en présence d’une novation qui implique la volonté des parties de substituer le rapport d’obligation primitif par un nouveau rapport d’obligation.
    • À cet argument, les tenants de la thèse de la novation opposent que la dation en paiement consisterait bien en la substitution d’une obligation primitive, par une obligation nouvelle ; seulement, cette dernière s’exécuterait immédiatement.
    • La Cour de cassation est allée dans le sens de cette thèse en admettant dans un arrêt du 12 janvier 1988 que « la dation en paiement comme le paiement lui-même, peut être à terme» ( 3e civ. 12 janv. 1988, n°86-14.562).
    • Manifestement, dans cette configuration rien ne la distinguerait de la novation dans la mesure où la substitution de la prestation d’origine par une autre prestation pourrait s’étirer dans le temps, ce qui correspond précisément à l’hypothèse de la novation.
  • Dation en paiement et vente assortie d’une compensation
    • Certains auteurs voient dans la dation en paiement une vente dont le prix serait payé par le créancier, lequel prix viendrait se compenser avec la dette initiale
    • Au soutien de cette thèse, ils avancent que la jurisprudence a appliqué certains effets de la vente à la dation en paiement.
    • La Cour de cassation a, par exemple, admis dans le cadre d’une dation en paiement l’application des règles de la rescision pour lésion (V. en ce sens 3e civ. 25 mai 1983, n°81-13.214), de la garantie des vices cachés (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 20 nov. 1990, n°89-14.583) ou encore du principe de transfert immédiat de la propriété (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 27 janv. 1993, n°91-12.115).
    • Bien séduisante, l’analogie avec la vente ne permet pas de rendre compte des cas de dation en paiement non translatifs de propriété.
    • En effet, pour qu’il y ait vente, encore faut-il qu’il y ait transfert de propriété ; or la dation en paiement peut intervenir en dehors de toute remise de chose.
    • Surtout, certains effets de la vente ne sont pas applicables à la dation en paiement.
    • Par exemple, en cas d’annulation de l’obligation initiale, la dation en paiement emporte restitution du bien remis à titre de paiement alors que si l’on était en présence d’une vente le débiteur ne pourrait réclamer que la restitution du prix du bien délivré.
    • Pour toutes ces raisons, la dation en paiement ne se confond pas avec la vente.

Au bilan, comme souligné par certains « rien ne justifie que l’on contraigne ainsi la dation en paiement dans le moule d’un autre mécanisme ou que l’on conclut à une hypothétique qualification mixte »[2].

La dation en paiement n’est autre qu’un mode particulier d’extinction des obligations. Elle obéit à des règles propres, en particulier celle posant l’exigence de consentement du créancier.

A) Conditions de la dation en paiement

Parce que la dation en paiement consiste pour le débiteur à fournir au créancier une prestation différente de celle convenue initialement, elle a toujours été envisagée avec une certaine méfiance.

En effet, il s’agit d’un mode anormal de paiement qui interroge sur la situation financière du débiteur. La dation en paiement a, par ailleurs, pour effet de modifier les termes du contrat, de sorte qu’il ne faudrait pas qu’elle porte atteinte à sa force obligatoire.

Pour toutes ces raisons, la dation en paiement est susceptible d’être plus facilement annulée que les autres modalités de paiement. À cet égard, il a été admis qu’elle puisse être remise en cause par la voie de l’action paulienne (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 19 janv. 1977, n°75-14.274).

Pour que la dation en paiement soit valable, quatre conditions cumulatives doivent être réunies :

  • Première condition
    • La dation en paiement n’est valable que si le créancier a donné son accord.
    • Cette condition est expressément posée par l’article 1342-4 du Code civil qui exige que le créancier accepte de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû.
    • Il s’agit là d’une reprise de la solution en vigueur sous l’empire du droit antérieur à l’adoption de l’ordonnance du n° 2016-131 du 10 février 2016.
    • Dans un arrêt du 13 avril 2005, la Cour de cassation avait affirmé, par exemple, que « le créancier ne peut être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due, quoique la valeur de la chose offerte soit égale ou même plus grande» ( 3e civ. 13 avr. 2005, n°04-10.774).
    • À cet égard, dans un arrêt du 21 novembre 1995, la Première chambre civile a admis que l’accord du créancier puisse être tacite ( 1ère civ. 21 nov. 1995, n°93-16.554).
  • Deuxième condition
    • La dation en paiement présuppose l’existence d’une obligation primitive non éteinte
    • Autrement dit, elle ne doit avoir fait l’objet d’aucun paiement faute de quoi la dation en paiement serait sans objet : on ne peut pas éteindre une obligation déjà éteinte.
  • Quatrième condition
    • Pour produire ses effets, la dation en paiement implique qu’il soit remis en paiement au créancier autre chose que ce qui lui est dû.
    • Autrement dit, la prestation fournie par le débiteur doit être d’une nature différente de celle initialement convenue.
    • Trois cas de dation en paiement sont admis aujourd’hui :
      • Si la prestation initialement convenue consiste en un versement de somme d’agent, le débiteur pourra se libérer de son obligation en remettant une chose ou en fournissant un service d’une valeur équivalente
      • Si la prestation initialement convenue consiste en la remise d’une chose, le débiteur pourra se libérer de son obligation en versant une somme d’argent équivalente à la valeur de cette chose ou en remettant un autre bien ou en fournissant un service d’une valeur équivalente
      • Si la prestation initialement convenue consiste en la fourniture d’un service, le débiteur pourra se libérer de son obligation en versant une somme d’argent ou en remettant une autre chose d’une valeur équivalente ou en fournissant un autre service d’une valeur équivalente

B) Effets de la dation en paiement

Plusieurs effets sont attachés à la dation en paiement :

  • Premier effet
    • La dation en paiement est un mode d’extinction des obligations.
    • Elle a donc pour effet d’éteindre l’obligation sur laquelle elle porte et, par voie de conséquence de libérer le débiteur de son engagement
  • Deuxième effet
    • En ce qu’elle constitue un mode de paiement, la dation en paiement produit un effet libératoire.
    • Autrement dit, lorsque les conditions sont réunies, elle libère le débiteur de son engagement envers le créancier.
  • Troisième effet
    • Selon la prestation fournie par le débiteur en remplacement de la prestation initiale, la dation en paiement produit des effets différents.
    • Elle produira notamment un effet translatif dans l’hypothèse où le débiteur exécute son obligation par la remise d’une chose.
    • Dans cette hypothèse, la dation en paiement se rapprochera d’une vente, raison pour laquelle la jurisprudence a estimé qu’il avait lieu d’admettre, lorsqu’elle porte sur un immeuble, l’action en rescision pour lésion ( 3e civ. 25 mai 1983, n°81-13.214), le principe de transfert immédiat de la propriété (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1993, n°91-12.115), l’application de la garantie des vices cachés (Cass. 1ère civ. 20 nov. 1990, n°89-14.583) ou de la garantie d’éviction (Cass. 3e civ. 13 déc. 1968).
    • Dans l’hypothèse, en revanche, où la prestation de substitution consistera en la fourniture d’un service, il est probable qu’on soumette la dation en paiement à certains effets du contrat d’entreprise.

 

[1] J. François, Traité de droit civil – Les obligations, Régime général, Economica 2017, n°139, p. 126.

[2] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1423, p. 1504

Le paiement fait entre les mains d’un tiers (art. 1342-2 C. civ.)

Si la plupart du temps le paiement sera réalisé entre les mains du créancier, il est des cas où il pourra être effectué auprès d’un tiers.

La qualité d’accipiens n’est ainsi pas nécessairement endossée par le créancier ; elle peut également être attribuée à une personne désignée.

Nous nous focaliserons sur cette seconde situation. 

Pour que le paiement réalisé entre les mains d’un tiers soit valable, il faut que l’accipiens ait été désigné par le créancier.

1. Le paiement fait à la personne désignée

L’article 1342-2 du Code civil prévoit expressément que le paiement peut être fait « à la personne désignée pour le recevoir. »

Par « personne désignée », il faut entendre le représentant du créancier, soit celui investi du pouvoir d’agir au nom et pour le compte de ce dernier.

Pour mémoire, le pouvoir de représentation peut avoir trois sources différentes :

  • La loi: elle désigne les parents comme représentants légaux de l’enfant mineur (administration légale)
  • Le juge: il désigne la personne qui sera chargée de représenter l’incapable majeur (tutelle, curatelle etc.) ou d’administrer une société faisant l’objet d’une procédure collective (administration judiciaire)
  • Le contrat : il peut conférer à la partie désignée le pouvoir de représenter son cocontractant (mandat)

Lorsque le représentant tire son pouvoir d’un mandat, la jurisprudence n’exige pas que celui-ci soit régularisé par écrit (V. en ce sens Cass. req. 3 août, 1840).

La Cour de cassation est allée jusqu’à admettre, dans un arrêt du 14 avril 2016, que le mandat puisse résulter d’un « usage accepté » par les parties (Cass. 3e civ. 14 avr. 2016, n°15-11.343).

Plus généralement, il est indifférent que la personne qui reçoit le paiement tire son pouvoir de la loi, d’une décision de justice ou d’un contrat, ce qui importe c’est qu’elle ait agi dans le cadre d’une représentation du créancier et que donc elle ait valablement reçu pouvoir de le représenter.

Enfin, il peut être observé que l’admission de la réception du paiement par le représentant du créancier rejoint la règle énoncée à l’article 1340 du Code civil qui prévoit que « la simple indication faite par le débiteur d’une personne désignée pour payer à sa place n’emporte ni novation, ni délégation. Il en est de même de la simple indication faite, par le créancier, d’une personne désignée pour recevoir le paiement pour lui. »

2. Le paiement fait à une personne non désignée

a. Principe

Lorsque le paiement est réalisé entre les mains d’une personne qui n’était pas investie du pouvoir de le recevoir, il n’est pas valable.

La conséquence en est que le débiteur n’est pas libéré de son obligation. Cette situation est exprimée par l’adage « qui paye, mal paye deux fois ».

Aussi, le débiteur peut-il être contraint par le créancier à payer une nouvelle fois, le paiement n’ayant pas produit son effet libératoire.

Cette règle n’est toutefois pas absolue ; elle est assortie de deux exceptions.

b. Exceptions

==> Ratification

L’article 1342-2 du Code civil prévoit que « le paiement fait à une personne qui n’avait pas qualité pour le recevoir est néanmoins valable si le créancier le ratifie ou s’il en a profité »

Ainsi, le paiement réalisé entre les mains d’une personne qui n’avait pas le pouvoir de le recevoir peut échapper à la nullité dans deux cas :

  • Premier cas : le paiement a été ratifié par le créancier
    • Le paiement demeure donc valable lorsqu’il a été ratifié a posteriori par le créancier.
    • Cela suppose que ce dernier ait exprimé la volonté de faire produire au paiement son effet libératoire.
    • La ratification du paiement peut être expresse ou implicite.
    • Dans un arrêt du 12 juillet 1993 la Cour de cassation a ainsi admis que l’inscription au débit du compte courant d’un associé qui avait perçu en son nom personnel un paiement qui était destiné à la société valait ratification, de sorte que le débiteur était libéré de son obligation ( com. 12 juill. 1993, n°91-16.793).
    • Dans un arrêt du 1er mars 1962, la Cour de cassation a en revanche considéré que la seule connaissance par le créancier de la réalisation du paiement entre les mains d’une personne qui n’avait pas le pouvoir de le recevoir ne valait pas ratification ( soc. 1er mars 1962).
  • Second cas : le créancier a tiré profit du paiement
    • Lorsque le paiement est réalisé entre les mains d’une personne qui n’avait pas qualité pour le recevoir, il demeure valable si le créancier en a tiré profit.
    • Autrement dit, le paiement doit avoir procuré in fine au créancier un bénéfice équivalent à celui dont il aurait profité s’il avait été réalisé entre les mains de la bonne personne.
    • Tel sera le cas si, en présence de deux héritiers créanciers d’une même dette, le paiement est fait, pour l’intégralité de la dette à l’un d’eux, tandis que l’autre héritier était débiteur du premier.

==> Créancier apparent

  • Principe
    • L’article 1342-3 du Code civil prévoit que « le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable.»
    • Il ressort de cette disposition que, nonobstant l’absence de ratification d’un paiement réalisé entre les mains d’une personne qui n’avait pas le pouvoir de le recevoir, et bien que le créancier n’en ait retiré aucun profit, le paiement peut malgré tout demeurer valable en présence d’un « créancier apparent».
    • À l’analyse, il s’agit là d’une reprise du principe posé par l’ancien article 1240 qui prévoyait que « le paiement fait de bonne foi à celui qui est en possession de la créance est valable, encore que le possesseur en soit par la suite évincé. »
    • Si sur le fond, la règle énoncée reste inchangée ; sur la forme elle connaît une évolution majeure en ce que le législateur a notamment expurgé de sa formulation la référence à « la possession de la créance».
    • La raison en est que l’ancienne formule pouvait être trompeuse, car elle suggérait que le possesseur de la créance était celui qui détenait un titre constatant la créance.
    • Or tel n’était pas le sens du texte : le possesseur de la créance visait la personne qui, pour le solvens, présentait l’apparence du créancier.
    • Le législateur a ainsi entendu lever toute ambiguïté et consacrer la jurisprudence relative à la théorie de l’apparence.
    • Aussi, lorsque le solvens de bonne foi a été trompé par les apparences, soit avait toutes les raisons de croire que la personne auprès de laquelle il a payé était le véritable créancier, son paiement demeure valable et produit un effet libératoire.
    • Tel sera le cas, par exemple, lorsque le solvens paye l’héritier apparent du créancier alors que, en réalité, celui-ci n’était titulaire d’aucun droit en raison de l’existence d’un testament contraire dont lui-même ignorait l’existence car découvert tardivement.
    • L’application de la théorie de l’apparence suppose la réunion de deux conditions cumulatives :
      • Première condition
        • Le solvens doit être de bonne foi, ce qui implique qu’il devait ignorer que la personne entre les mains de laquelle il a payé n’était pas le véritable créancier
        • Autrement dit, il doit avoir cru, de façon erronée, à la qualité de créancier de l’accipiens.
      • Seconde condition
        • La personne qui a reçu le paiement doit avoir, aux yeux des tiers, l’apparence du créancier
        • La croyance du solvens doit ainsi être légitime en ce sens qu’une personne placée dans la même situation aurait commis la même erreur d’appréciation
  • Effets
    • Les conditions de l’apparence sont réunies
      • Dans cette hypothèse, le paiement réalisé par le solvens produit un effet libératoire, ce qui signifie que le débiteur est libéré de son obligation envers le créancier.
      • Charge alors à ce dernier de se retourner vers l’accipiens et de lui réclamer le paiement qui lui était destiné sur le fondement de l’enrichissement injustifié régi aux articles 1303 à 1303-4 du Code civil.
      • Pour mémoire, l’article 1303 du Code civil prévoit que « en dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »
    • Les conditions de l’apparence ne sont pas réunies
      • Dans cette hypothèse, le paiement réalisé par le solvens ne produit aucun effet libératoire.
      • Aussi, le créancier pourra toujours exiger le paiement auprès du débiteur qui demeure tenu.
      • Tout au plus, il pourra engager une action en répétition de l’indu à l’encontre de l’accipiens, étant précisé que le juge dispose de la faculté de réduire le montant de la restitution dans l’hypothèse où le paiement – indu – procède d’une faute ( 1302-3, al. 2e C. civ.).

 

[1] E-D Glasson, A. Tissier, R. Morel, Traité théorique et pratique d’organisation judiciaire de compétence et de procédure civile, Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1925-1936, t. 1 n° 173

[2] V. en ce sens G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, éd. Dalloz, 2018, n°941, p.849.

Solvens et accipiens: les parties au paiement

Dans son acception courante, le paiement est envisagé comme le versement d’une somme d’argent en contrepartie de la fourniture d’un bien ou service.

En droit, le sens conféré au paiement est bien moins restrictif, son objet ne se limitant pas à une somme d’argent.

Le paiement est défini par l’article 1342, al. 1er du Code civil comme « l’exécution volontaire de la prestation due. »

Autrement dit, le paiement s’analyse en l’exécution d’une obligation, peu importe la forme que revêt cette exécution. Il peut tout autant s’agir de la remise d’une somme d’argent, que de la délivrance d’une chose ou encore la fourniture d’un service.

Nous nous focaliserons ici sur les parties au paiement. 

I) Le solvens ou celui qui paye

Si la plupart du temps le paiement est effectué par le débiteur de l’obligation, il arrive qu’il soit réalisé par un tiers.

A) Le paiement par le débiteur

Il est de principe que celui qui paye n’est autre que le débiteur de l’obligation lui-même. Bien que les dispositions du Code civil relatives au paiement ne le précisent pas, cela relève de l’évidence.

C’est sur le débiteur que pèse, par hypothèse, la charge de l’obligation. Aussi, est-ce à lui qu’il revient d’en assurer l’exécution et donc de payer.

Pour ce faire, il dispose de deux options :

  • Il peut procéder lui-même au paiement
  • Il peut désigner une tierce personne aux fins de le représenter, soit de payer en son nom et pour son compte (mandataire, représentant légal, tuteur etc.)

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1236, al. 1er du Code civil précisait que, outre le débiteur, « une obligation peut être acquittée par toute personne qui y est intéressée, telle qu’un coobligé ou une caution. »

Cette règle n’a certes pas été reprise par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit du régime des obligations, elle n’en reste pas moins toujours valable, dans la mesure où qu’il s’agisse d’un coobligé ou d’une caution, tous deux répondent de la même dette que celle à laquelle est tenu le débiteur.

Aussi, est-il logique que, en cas de pluralité de personnes intéressées au paiement, chacune d’elles puisse payer tout ou partie de l’obligation selon qu’elles sont tenues conjointement, solidairement (coobligés) ou encore à titre accessoire (caution).

En tout état de cause, pour que le paiement soit valable, le solvens doit justifier d’une capacité juridique. En application de l’article 1147 du Code civil, le défaut de capacité est sanctionné par la nullité relative.

B) Le paiement par un tiers

1. Principe

a. Exposé du principe

L’article 1342-1 du Code civil prévoit que « le paiement peut être fait même par une personne qui n’y est pas tenue […] ».

Il ressort de cette disposition que le paiement peut être effectué par une personne autre que le débiteur et plus précisément par un tiers.

Cette faculté ouverte aux tiers de payer le créancier en lieu et place du débiteur se justifie essentiellement pour deux raisons :

  • Première raison
    • Une tierce personne peut avoir un intérêt à payer la dette du débiteur, sans s’y être tenue, en raison des liens qu’elle entretient avec celui-ci ou pour des motifs personnels.
    • Le tiers solvens, peut par exemple, être animé d’une intention libérale à l’endroit du débiteur.
    • Il peut encore avoir intérêt à désintéresser le créancier compte tenu de la sûreté réelle constituée sur l’un de ses biens en garantie de la dette du débiteur
  • Deuxième raison
    • Autoriser que le paiement soit réalisé par un tiers favorise la satisfaction du créancier.
    • Or il s’agit là de la finalité de toute obligation dont la vocation est d’être exécutée.

À cet égard, non seulement la possibilité est offerte aux tiers de régler la dette du débiteur, mais encore le créancier ne peut pas, par principe, refuser ce paiement dès lors qu’il porte sur la totalité de la dette.

b. Recours du tiers solvens contre le débiteur

Lorsque le paiement réalisé par un tiers est valable, il a pour effet de libérer le débiteur envers le créancier.

Ce dernier a effectivement obtenu satisfaction, de sorte qu’il ne sera plus fondé à réclamer quoi que ce soit au débiteur.

Est-ce à dire que celui-ci est définitivement libéré de toute obligation ?

Tandis que le débiteur s’est enrichi, puisque n’étant plus redevable d’aucune dette envers le créancier, le tiers solvens s’est, quant à lui, appauvri en payant une dette à laquelle il n’était pas tenu.

La question qui alors se pose est de savoir si le tiers solvens ne disposerait pas dispose d’un recours contre le débiteur afin de rétablir l’équilibre entre leurs patrimoines respectifs qui a manifestement été rompu

Deux situations doivent être distinguées :

==> Première situation : le tiers solvens est animé d’une intention libérale

Dans cette hypothèse, il ne disposera d’aucun recours contre le débiteur, ce paiement s’analysant en une donation indirecte.

==> Seconde situation : le tiers solvens n’est animé d’aucune intention libérale

Dans cette hypothèse, le tiers n’a nullement eu l’intention de gratifier le débiteur ; il a agi en comptant sur le remboursement des sommes exposées.

Pour être remboursé, deux recours peuvent être envisagés :

  • Le recours subrogatoire
    • Ce recours consiste pour le tiers solvens à se prévaloir des effets de la subrogation.
    • Par subrogation il faut entendre, selon le Doyen Mestre, « la substitution d’une personne dans les droits attachés à la créance dont une autre est titulaire, à la suite d’un paiement effectué par la première entre les mains de la seconde ».
    • Ainsi la subrogation opère-t-elle une substitution de créancier par l’effet du paiement. Encore faut-il toutefois que les conditions soient réunies.
    • En effet, la subrogation ne peut jouer que dans les cas expressément prévus par la loi :
      • La subrogation légale
        • L’article 1346 du Code civil prévoit que « la subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. »
        • Pour se prévaloir de la subrogation légale le tiers solvens qui a payé la dette du débiteur devra ainsi justifier d’un intérêt légitime.
        • L’exigence de cet intérêt au paiement permet d’éviter qu’un tiers totalement étranger à la dette et qui serait mal intentionné (dans des relations de concurrence par exemple) puisse bénéficier de la subrogation légale.
        • Il ne faudrait pas, en effet, que ce tiers puisse, par le jeu de la subrogation, s’ingérer dans les affaires du débiteur et l’actionner en paiement pour lui nuire.
        • Reste à savoir ce que l’on doit entendre par intérêt légitime.
        • D’une part, cette notion vise tous les anciens cas de subrogation légale prévus par l’ancien article 1251 du Code civil
        • D’autre part, la notion d’intérêt légitime permet d’envisager que le cas où un débiteur a payé une dette qui lui était personnelle, tandis que se profile en arrière-plan un second débiteur qui, parce qu’il a tiré avantage de l’extinction de l’obligation, doit assurer la charge définitive de la dette.
        • Enfin, la notion d’intérêt peut être envisagée négativement en déniant à un tiers qui poursuivrait un but illégitime, et plus généralement qui serait de mauvaise foi, le bénéfice de la subrogation légale
      • La subrogation conventionnelle
        • Faute de réunir les conditions de la subrogation légale, le tiers solvens n’aura d’autre choix que d’obtenir le consentement du créancier afin de pouvoir exercer un recours subrogatoire contre le débiteur.
        • Il lui faudra, autrement dit, opter pour la subrogation conventionnelle ex parte creditoris, soit celle qui requiert le concours du créancier.
        • L’article 1346-1 du Code civil prévoit en ce sens que « la subrogation conventionnelle s’opère à l’initiative du créancier lorsque celui-ci, recevant son paiement d’une tierce personne, la subroge dans ses droits contre le débiteur.»
        • Cette forme de subrogation procède donc d’une convention conclue entre le créancier accipiens et le tiers solvens dans le cas où ce dernier ne peut pas bénéficier d’une subrogation légale.
        • Le débiteur n’y prend aucune part dans la mesure où cette convention ne modifie pas sa situation.
        • Deux conditions doivent néanmoins être réunies :
          • D’une part, la subrogation doit être expresse, en ce sens que les parties doivent avoir clairement exprimé leur volonté de conclure une subrogation conventionnelle
          • D’autre part, elle doit être consentie en même temps que le paiement, à moins que, dans un acte antérieur, le subrogeant n’ait manifesté la volonté que son cocontractant lui soit subrogé lors du paiement.
  • Le recours personnel
    • La question de la reconnaissance d’un recours personnel au profit du tiers solvens se pose tout particulièrement lorsque celui-ci :
      • Soit ne remplit pas les conditions pour exercer le recours subrogatoire
      • Soit a renoncé à se subroger dans les droits du créancier.
    • Reste que pour être titulaire d’un tel recours qui, par hypothèse, est attaché à la personne de son bénéficiaire, encore faut-il justifier d’un droit subjectif.
    • En effet, selon la formule désormais consacrée : « pas de droit, pas d’action»[1].
    • Aussi, afin de reconnaître au tiers solvens un recours personnel contre le débiteur, est-il nécessaire d’identifier un droit auquel ce recours pourrait être rattaché.
    • Dans un premier temps, les auteurs ont cherché à expliquer l’existence d’un recours personnel au profit du tiers solvens en convoquant les règles du mandat et de la gestion d’affaires.
      • Le mandat
        • Si le tiers solvens dispose d’un recours contre le débiteur, c’est que celui-ci lui aurait donné mandat de payer le créancier.
        • Or conformément à l’article 1999 du Code civil « le mandant doit rembourser au mandataire les avances et frais que celui-ci a faits pour l’exécution du mandat, et lui payer ses salaires lorsqu’il en a été promis. »
        • Cette disposition reconnaît ainsi un droit – subjectif – au mandataire qui a exposé des frais dans le cadre de l’exercice de sa mission.
        • Pour se prévaloir de ce droit, le tiers solvens devra toutefois établir qu’un mandat a été conclu entre lui et le débiteur.
        • À défaut, il lui faudra trouver un autre fondement pour agir.
      • La gestion d’affaires
        • Pour mémoire, la gestion d’affaires est définie à l’article 1301 du Code civil comme le fait de « celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire».
        • Il s’agit autrement dit pour une personne, que l’on appelle le gérant d’affaires, d’intervenir spontanément dans les affaires d’autrui, le maître de l’affaire ou le géré, aux fins de lui rendre un service.
        • La particularité de la gestion d’affaires est qu’elle suppose qu’une personne ait agi pour le compte d’un tiers et dans son intérêt, ce, sans avoir été mandaté par celui-ci, ni qu’il en ait été tenu informé.
        • S’agissant du tiers solvens, il a été suggéré de se fonder sur la gestion d’affaires afin de justifier l’existence d’un recours à son profit contre le débiteur.
        • Si, en effet, il a payé la dette de ce dernier ce n’était que pour lui rendre service, le paiement s’analysant alors comme un acte utile.
        • Or l’article 1301-2 du Code civil prévoit que le maître de l’affaire doit rembourser au gérant « les dépenses faites dans son intérêt».
        • Le tiers solvens tirerait ainsi son droit à remboursement contre le débiteur de cette disposition.
        • Encore faut-il que les conditions de la gestion d’affaires soient réunies, ce qui suppose notamment que l’intervention du tiers solvens ait été désintéressée, spontanée et que le débiteur ne s’y soit pas opposé.
    • Dans un deuxième temps, la jurisprudence a cru bon reconnaître au tiers solvens un recours personnel contre le débiteur sur un fondement autonome.
    • Dans un arrêt du 15 mai 1990, la Cour de cassation a, en effet, jugé, au visa des anciens articles 1132 et 1236 du Code civil, que « le tiers qui, sans y être tenu, a payé la dette d’autrui de ses propres deniers, a, bien que non subrogé aux droits du créancier, un recours contre le débiteur» ( 1ère civ. 15 mai 1990, n°88-17.572).
    • Cette solution a été vivement critiquée par une partie de la doctrine, car elle revenait à octroyer un recours au tiers solvens à l’encontre du débiteur alors même qu’il pouvait avoir été animé d’une intention libérale.
    • Dans un troisième temps, la Cour de cassation est revenue sur sa position, à tout le moins elle a durci les conditions d’exercice du recours personnel reconnu au tiers solvens.
    • Dans un arrêt du 2 juin 1992, elle a, en effet, précisé « qu’il incombe à celui qui a sciemment acquitté la dette d’autrui, sans être subrogé dans les droits du créancier de démontrer que la cause dont procédait ce paiement impliquait, pour le débiteur, l’obligation de lui rembourser les sommes ainsi versées» ( 1ère civ. 2 juin 1992, n°90-19.374).
    • Ainsi, la Première chambre civile exigeait-elle désormais pour que le tiers solvens puisse se prévaloir d’un recours personnel contre le débiteur, il prouve que, au moment où il a payé le créancier, il entendait se faire rembourser par le débiteur et que donc il n’était animé d’aucune intention libérale.
    • En l’absence de recours subrogatoire ouvert au tiers solvens, son intention libérale était alors présumée, charge à lui de combattre cette présomption en rapportant la preuve contraire.
    • La Cour de cassation a, par suite, réaffirmer cette solution à plusieurs reprises. Dans un arrêt du 30 mars 2004, elle a ainsi jugé que « celui qui, sans être subrogé, acquitte une dette dont il sait n’être pas tenu et qui ne démontre pas que la cause dont procédait ce paiement impliquait l’obligation du débiteur de lui rembourser la somme ainsi versée, ne peut ni agir à cette fin, ni se prévaloir d’un dommage juridiquement réparable» ( 1ère civ. 30 mars 2004, n°01-11.355).
    • Elle a encore statué dans le même sens dans un arrêt du 9 février 2012 ( 1ère civ. 9 févr. 2012, n°10-28.475).
    • Bien que solidement ancrée en jurisprudence depuis le début des années 1990, les auteurs soutiennent que cette solution ne devrait pas être reconduite par la Haute juridiction aujourd’hui.
    • La raison en est l’adoption de la réforme du droit des contrats et du régime général des obligations opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.
    • Ce texte a notamment assoupli les conditions de la subrogation légale, laquelle n’est plus enfermée dans des cas limitativement énumérés par la loi.
    • Désormais, elle joue de plein droit dès lors qu’il est établi que le tiers solvens avait un intérêt légitime à payer la dette du débiteur.
    • Il n’est ainsi nullement exigé que celui-ci prouve qu’il n’était pas animé d’une intention libérale pour être fondé à se retourner contre le débiteur.
    • Au contraire, c’est à ce dernier qu’il revient d’apporter la preuve de l’intention libérale du tiers solvens s’il souhaite faire échec à une action en remboursement dirigée contre lui.
    • S’il y parvenait, ce qui ferait obstacle à l’exercice du recours subrogatoire, le tiers solvens serait alors contraint de démontrer qu’il a agi, soit dans le cadre d’un mandat qui lui aurait été confié par le débiteur, soit dans le cadre d’une gestion d’affaire.
    • S’agissant de la gestion d’affaires, la Cour de cassation a admis dans un arrêt remarqué du 12 janvier 2012 qu’elle était caractérisée dès lors qu’il était établi que le tiers solvens a agi « à la fois dans son intérêt et dans celui de la débitrice, et que les paiements litigieux avaient été utiles à celle-ci non seulement en permettant l’extinction de ses dettes mais en outre en évitant la saisie de ses biens immobiliers» ( 1ère civ.12 janv. 2012, n°10-24.512).
    • Cette approche pour le moins libérale de la gestion affaires, combinée à l’élargissement du domaine de la subrogation légale, suggère que le tiers solvens ne devrait pas rencontrer de réelles difficultés à fonder en droit une action en remboursement contre le débiteur.

2. Tempérament

==> L’admission du refus du créancier

L’article 1342-1 du Code civil assortit l’interdiction pour le créancier de refuser le paiement réalisé par un tiers d’une exception : s’il justifie d’un refus légitime.

Il s’agit là d’une reprise de la règle énoncée à l’ancien article 1237 du Code civil qui prévoyait que « l’obligation de faire ne peut être acquittée par un tiers contre le gré du créancier, lorsque ce dernier a intérêt qu’elle soit remplie par le débiteur lui-même ».

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par refus légitime. Autrement dit, quelles sont les situations qui autorisent le créancier à refuser le paiement émanant d’un tiers ?

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence avait estimé que ce refus était justifié dans deux cas de figure :

  • Premier cas de figure
    • Il est admis que le créancier puisse s’opposer au paiement réalisé par un tiers lorsque celui-ci intervient dans le cadre d’un rapport d’obligation marqué par un fort intuitu personae.
    • Cette situation se rencontrera notamment lorsque le débiteur est seul compétent pour fournir la prestation due, à tout le moins telle qu’attendue par le créancier.
    • À cet égard, c’était le sens de l’ancien article 1237 du Code civil qui autorisait le créancier à refuser le paiement « lorsque ce dernier a intérêt qu’elle soit remplie par le débiteur lui-même».
  • Second cas de figure
    • Il a également été admis que le créancier puisse s’opposer à recevoir le paiement émanant d’un tiers lorsque celui-ci serait de nature à porter atteinte à ses intérêts.
    • Tel pourrait être le cas si ce paiement avait, par exemple, pour effet de priver le créancier d’une faculté à l’encontre du débiteur.
    • Dans un arrêt du 24 juin 1913, la Cour de cassation a ainsi reconnu à un vendeur d’immeuble le droit de refuser le paiement proposé par un tiers, nonobstant la situation de faillite dans laquelle se trouvait l’acquéreur, dans la mesure où cela l’aurait privé de la possibilité d’agir en résolution de la vente ( civ. 24 juin 1913).

Lorsque le créancier refuse le paiement d’un tiers, l’article 1342-1 du Code civil suggère que ce refus soit motivé par le créancier, faute de quoi il lui sera difficile d’établir sa légitimité en cas de saisine du juge.

Afin de surmonter ce refus, la seule option qui s’offre au tiers sera de mettre en œuvre la procédure de mise en demeure du créancier prévue aux articles 1345 et suivants du Code civil.

==> L’indifférence du refus du débiteur

Si le créancier dispose de la faculté de s’opposer au paiement réalisé par un tiers, la question se pose de savoir si le débiteur est investi de la même faculté.

Le projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats avait envisagé cette possibilité qui aurait été introduite à l’article 1320-1 du Code civil. Le législateur n’a toutefois pas retenu cette proposition.

L’opposition au paiement de la dette par un tiers ne peut dès lors être formée que par le créancier, à la condition qu’il justifie d’un motif légitime.

II) L’accipiens ou celui qui est payé

Si la plupart du temps le paiement sera réalisé entre les mains du créancier, il est des cas où il pourra être effectué auprès d’un tiers.

La qualité d’accipiens n’est ainsi pas nécessairement endossée par le créancier ; elle peut également être attribuée à une personne désignée.

A) Le paiement entre les mains du créancier

Si le Code civil ne prévoit pas expressément que c’est au débiteur qu’il appartient de payer, il précise en revanche auprès de qui le paiement doit être effectué.

L’article 1342-2 énonce en effet que le paiement doit être fait, en premier lieu, au créancier lui-même.

Le principe ainsi posé est l’identité entre les personnes de l’accipiens et de créancier. Pour que le paiement soit valable dans cette hypothèse encore faut-il que la personne qui le reçoit justifie :

  • D’une part, de sa qualité de créancier
  • D’autre part, de sa capacité juridique

==> La qualité de créancier

Une personne endosse la qualité de créancier lorsqu’elle est titulaire d’une créance, soit d’un droit personnel, lequel naît de la création d’un rapport d’obligation.

À cet égard, l’acquisition d’une créance peut-elle résulter :

  • Soit du fait générateur lui-même de l’obligation : conclusion d’un contrat, fait illicite, effet de la loi, etc.
  • Soit de la transmission de l’obligation : cession, saisie, succession etc.

Aussi, est-il indifférent que la personne qui reçoit le paiement n’ait pas été créancier au jour de la naissance de l’obligation. Ce qui importe, c’est qu’elle ait acquis la qualité de créancier au jour du paiement.

C’est ce qui explique que le paiement réalisé entre les mains d’un ayant droit du créancier ou du cessionnaire d’une créance est parfaitement valable.

==> La capacité du créancier

L’article 1342-2, al. 3e du Code civil prévoit que « le paiement fait à un créancier dans l’incapacité de contracter n’est pas valable, s’il n’en a tiré profit. »

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • Seule une personne capable peut recevoir le paiement
    • Plus précisément, il faut, énonce le texte, justifier de la capacité de contracter.
    • Sous l’empire du droit antérieur, comme souligné par des auteurs[2], le paiement n’était valable que si la personne qui le recevait jouissait de la capacité de disposer, soit une capacité autorisant à accomplir les actes les plus gaves et non limitée aux seuls actes d’administration.
    • En tout état de cause, l’incapacité du créancier est sanctionnée par la nullité du paiement.
    • En application de l’article 1147 du Code civil, il s’agit d’une nullité relative ; seule la personne protégée peut donc s’en prévaloir.
  • Second enseignement
    • Le paiement réalisé entre les mains d’une personne frappée d’une incapacité n’est pas nécessairement nul.
    • Il peut être valable, dit l’article 1342-2, al. 3e du Code civil, si la personne incapable en a tiré profit, soit si elle a fait bon usage des fonds reçus entre ses mains.

B) Le paiement entre les mains d’un tiers

Pour que le paiement réalisé entre les mains d’un tiers soit valable, il faut que l’accipiens ait été désigné par le créancier.

1. Le paiement fait à la personne désignée

L’article 1342-2 du Code civil prévoit expressément que le paiement peut être fait « à la personne désignée pour le recevoir. »

Par « personne désignée », il faut entendre le représentant du créancier, soit celui investi du pouvoir d’agir au nom et pour le compte de ce dernier.

Pour mémoire, le pouvoir de représentation peut avoir trois sources différentes :

  • La loi: elle désigne les parents comme représentants légaux de l’enfant mineur (administration légale)
  • Le juge: il désigne la personne qui sera chargée de représenter l’incapable majeur (tutelle, curatelle etc.) ou d’administrer une société faisant l’objet d’une procédure collective (administration judiciaire)
  • Le contrat : il peut conférer à la partie désignée le pouvoir de représenter son cocontractant (mandat)

Lorsque le représentant tire son pouvoir d’un mandat, la jurisprudence n’exige pas que celui-ci soit régularisé par écrit (V. en ce sens Cass. req. 3 août, 1840).

La Cour de cassation est allée jusqu’à admettre, dans un arrêt du 14 avril 2016, que le mandat puisse résulter d’un « usage accepté » par les parties (Cass. 3e civ. 14 avr. 2016, n°15-11.343).

Plus généralement, il est indifférent que la personne qui reçoit le paiement tire son pouvoir de la loi, d’une décision de justice ou d’un contrat, ce qui importe c’est qu’elle ait agi dans le cadre d’une représentation du créancier et que donc elle ait valablement reçu pouvoir de le représenter.

Enfin, il peut être observé que l’admission de la réception du paiement par le représentant du créancier rejoint la règle énoncée à l’article 1340 du Code civil qui prévoit que « la simple indication faite par le débiteur d’une personne désignée pour payer à sa place n’emporte ni novation, ni délégation. Il en est de même de la simple indication faite, par le créancier, d’une personne désignée pour recevoir le paiement pour lui. »

2. Le paiement fait à une personne non désignée

a. Principe

Lorsque le paiement est réalisé entre les mains d’une personne qui n’était pas investie du pouvoir de le recevoir, il n’est pas valable.

La conséquence en est que le débiteur n’est pas libéré de son obligation. Cette situation est exprimée par l’adage « qui paye, mal paye deux fois ».

Aussi, le débiteur peut-il être contraint par le créancier à payer une nouvelle fois, le paiement n’ayant pas produit son effet libératoire.

Cette règle n’est toutefois pas absolue ; elle est assortie de deux exceptions.

b. Exceptions

==> Ratification

L’article 1342-2 du Code civil prévoit que « le paiement fait à une personne qui n’avait pas qualité pour le recevoir est néanmoins valable si le créancier le ratifie ou s’il en a profité »

Ainsi, le paiement réalisé entre les mains d’une personne qui n’avait pas le pouvoir de le recevoir peut échapper à la nullité dans deux cas :

  • Premier cas : le paiement a été ratifié par le créancier
    • Le paiement demeure donc valable lorsqu’il a été ratifié a posteriori par le créancier.
    • Cela suppose que ce dernier ait exprimé la volonté de faire produire au paiement son effet libératoire.
    • La ratification du paiement peut être expresse ou implicite.
    • Dans un arrêt du 12 juillet 1993 la Cour de cassation a ainsi admis que l’inscription au débit du compte courant d’un associé qui avait perçu en son nom personnel un paiement qui était destiné à la société valait ratification, de sorte que le débiteur était libéré de son obligation ( com. 12 juill. 1993, n°91-16.793).
    • Dans un arrêt du 1er mars 1962, la Cour de cassation a en revanche considéré que la seule connaissance par le créancier de la réalisation du paiement entre les mains d’une personne qui n’avait pas le pouvoir de le recevoir ne valait pas ratification ( soc. 1er mars 1962).
  • Second cas : le créancier a tiré profit du paiement
    • Lorsque le paiement est réalisé entre les mains d’une personne qui n’avait pas qualité pour le recevoir, il demeure valable si le créancier en a tiré profit.
    • Autrement dit, le paiement doit avoir procuré in fine au créancier un bénéfice équivalent à celui dont il aurait profité s’il avait été réalisé entre les mains de la bonne personne.
    • Tel sera le cas si, en présence de deux héritiers créanciers d’une même dette, le paiement est fait, pour l’intégralité de la dette à l’un d’eux, tandis que l’autre héritier était débiteur du premier.

==> Créancier apparent

  • Principe
    • L’article 1342-3 du Code civil prévoit que « le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable.»
    • Il ressort de cette disposition que, nonobstant l’absence de ratification d’un paiement réalisé entre les mains d’une personne qui n’avait pas le pouvoir de le recevoir, et bien que le créancier n’en ait retiré aucun profit, le paiement peut malgré tout demeurer valable en présence d’un « créancier apparent».
    • À l’analyse, il s’agit là d’une reprise du principe posé par l’ancien article 1240 qui prévoyait que « le paiement fait de bonne foi à celui qui est en possession de la créance est valable, encore que le possesseur en soit par la suite évincé. »
    • Si sur le fond, la règle énoncée reste inchangée ; sur la forme elle connaît une évolution majeure en ce que le législateur a notamment expurgé de sa formulation la référence à « la possession de la créance».
    • La raison en est que l’ancienne formule pouvait être trompeuse, car elle suggérait que le possesseur de la créance était celui qui détenait un titre constatant la créance.
    • Or tel n’était pas le sens du texte : le possesseur de la créance visait la personne qui, pour le solvens, présentait l’apparence du créancier.
    • Le législateur a ainsi entendu lever toute ambiguïté et consacrer la jurisprudence relative à la théorie de l’apparence.
    • Aussi, lorsque le solvens de bonne foi a été trompé par les apparences, soit avait toutes les raisons de croire que la personne auprès de laquelle il a payé était le véritable créancier, son paiement demeure valable et produit un effet libératoire.
    • Tel sera le cas, par exemple, lorsque le solvens paye l’héritier apparent du créancier alors que, en réalité, celui-ci n’était titulaire d’aucun droit en raison de l’existence d’un testament contraire dont lui-même ignorait l’existence car découvert tardivement.
    • L’application de la théorie de l’apparence suppose la réunion de deux conditions cumulatives :
      • Première condition
        • Le solvens doit être de bonne foi, ce qui implique qu’il devait ignorer que la personne entre les mains de laquelle il a payé n’était pas le véritable créancier
        • Autrement dit, il doit avoir cru, de façon erronée, à la qualité de créancier de l’accipiens.
      • Seconde condition
        • La personne qui a reçu le paiement doit avoir, aux yeux des tiers, l’apparence du créancier
        • La croyance du solvens doit ainsi être légitime en ce sens qu’une personne placée dans la même situation aurait commis la même erreur d’appréciation
  • Effets
    • Les conditions de l’apparence sont réunies
      • Dans cette hypothèse, le paiement réalisé par le solvens produit un effet libératoire, ce qui signifie que le débiteur est libéré de son obligation envers le créancier.
      • Charge alors à ce dernier de se retourner vers l’accipiens et de lui réclamer le paiement qui lui était destiné sur le fondement de l’enrichissement injustifié régi aux articles 1303 à 1303-4 du Code civil.
      • Pour mémoire, l’article 1303 du Code civil prévoit que « en dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »
    • Les conditions de l’apparence ne sont pas réunies
      • Dans cette hypothèse, le paiement réalisé par le solvens ne produit aucun effet libératoire.
      • Aussi, le créancier pourra toujours exiger le paiement auprès du débiteur qui demeure tenu.
      • Tout au plus, il pourra engager une action en répétition de l’indu à l’encontre de l’accipiens, étant précisé que le juge dispose de la faculté de réduire le montant de la restitution dans l’hypothèse où le paiement – indu – procède d’une faute ( 1302-3, al. 2e C. civ.).

 

[1] E-D Glasson, A. Tissier, R. Morel, Traité théorique et pratique d’organisation judiciaire de compétence et de procédure civile, Paris, Libr. du Rec. Sirey, 1925-1936, t. 1 n° 173

[2] V. en ce sens G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, éd. Dalloz, 2018, n°941, p.849.

La vente : le transfert de la chose

La vente produit comme effet principal le transfert du droit de propriété, qui s’accompagne d’un transfert des risques pesant sur la chose vendue.

1.- Le transfert de propriété

Il faut préciser la nature puis l’époque du transfert de propriété.

1.1.- La nature du transfert de propriété

« La propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé » (art. 1583, C. civ. ; comp. art. 1138, C. civ. et projet d’art. 1197, al. 1er, C. civ.). Le transfert de propriété est un effet légal de la vente. Il a lieu, solo consensu, instantanément, dès que le contrat est valablement formé, dès que les parties se sont entendues sur la chose et sur le prix.

Parce qu’il en est un effet et non une obligation, le transfert a lieu indépendamment de la volonté ou du comportement des parties après que la vente est intervenue. Que le vendeur conserve la chose ou qu’il se refuse à la délivrer n’y font pas obstacle (Civ., 9 déc. 1930, DP 1931, 1, 118).

Ce caractère du transfert de propriété a donné lieu à une abondante jurisprudence en matière de vente immobilière. Traditionnellement, une telle vente s’accomplit en plusieurs étapes : après un accord de principe, les parties conviennent d’une promesse de vente écrite, qu’elles s’engagent à réitérer par acte notarié, et prévoient que le transfert de propriété n’aura lieu qu’au jour de la réitération. Lorsque la promesse est unilatérale, elle ne pose guère de difficulté : celle des parties qui ne promet pas n’a pas exprimé son consentement. En revanche, lorsque la promesse de vente est synallagmatique – l’une des parties s’engageant à vendre et l’autre à acheter –, quelle portée donner à la réitération dont elles conviennent ? À moins que les parties aient fait de la réitération un élément constitutif de leur consentement, la promesse synallagmatique de vente vaut vente (art. 1589, C. civ. ; Civ. 3e, 20 déc. 1994, n° 92-20.878, Bull. civ. III, 229). À défaut de réitération, le transfert a lieu à l’expiration du terme stipulé ou, à défaut de terme stipulé, au jour de la conclusion de la promesse. Il appartient à la partie qui subit le refus de réitération d’agir en réalisation forcée de la vente (Civ. 3e, 20 déc. 1994, n° 92-20.878, Bull. civ. III, 229). La vente, toutefois, demeure inopposable aux tiers, y compris au second acquéreur de bonne foi, aussi longtemps qu’elle n’a pas fait l’objet de la publicité foncière.

1.2.- L’époque du transfert de propriété

Le transfert de propriété a lieu au jour de la formation du contrat (art. 1583, C. civ. ; projet d’art. 1197, al. 1er, C. civ.), mais il n’est pas rare qu’il soit retardé à raison de la nature de la chose vendue (a), de la volonté des parties (b), ou de celle du législateur (comp. projet d’art. 1197, al. 2, C. civ.).

a.- Le report du transfert de propriété résultant de la nature de la chose

Le transfert de propriété est d’abord retardé, en cas de vente de choses futures, au jour où ces choses existent (v. par ex., pour le jour d’achèvement de la cloche d’une église : Civ., 29 mars 1886, DP 1886, 1, 329) et qu’elles disposent des qualités essentielles qui ont animé l’acte (CA Rennes, 25 juin 1969, Gaz. Pal. 1969, 2, 201).

Le transfert de propriété est encore retardé lorsque la vente porte sur des choses de genre. Effleurée à l’article 1585 du Code civil, l’idée est générale : le transfert n’intervient qu’au jour de leur individualisation, à l’heure où ces choses se muent en corps certain. L’individualisation elle-même est une obligation pesant sur le vendeur dont l’exécution, spontanée ou forcée, emporte de plein droit le transfert de propriété.

b.- Le report du transfert de propriété résultant de la volonté des parties

L’article 1583 du Code civil n’a qu’un caractère supplétif : « les parties contractantes peuvent librement déroger aux dispositions de l’article 1583 qui n’est pas d’ordre public » (Civ. 1re, 24 janv. 1984, n° 82-14841, Bull. civ. I, 31). Les parties font différents usages de cette faculté ; le plus souvent, le vendeur s’assure ainsi du paiement du prix.

Dans les ventes en « libre-service », le transfert de propriété n’a lieu qu’au moment du passage en caisse et non à l’instant où une personne, acceptant l’offre du magasin, se saisit du bien dans les rayons.

Expressément convenue par les parties, la clause de réserve de propriété est la clause par laquelle le vendeur, qui consent à la livraison du bien, s’en réserve la propriété jusqu’au paiement complet du prix. Issue de la pratique, cette clause n’a été consacrée que tardivement par le droit (L. n° 80-335, 12 mai 1980) et n’a fait son entrée dans le Code civil qu’à la suite de la réforme du droit des sûretés (Ord. n° 2006-346, 23 mars 2006). Elle est aujourd’hui régie aux articles 2367 et suivants du Code civil.

Quant à l’objet sur lequel s’exerce la réserve de propriété, la loi ne distingue :

  • ni selon le contrat conclu entre les parties : la clause est stipulée dans un contrat de vente, ou tout autre contrat emportant transfert de propriété (Com., 19 nov. 2003, n° 01-01.137) ;
  • ni selon la nature de la chose dont la propriété est réservée : si la loi vise expressément les biens fongibles (art. 2369, C. civ.), la jurisprudence et la doctrine s’entendent pour comprendre les biens meubles, immeubles, corporels et incorporels.

Constituant une exception au principe, la réserve de propriété doit être expressément convenue par les parties et, alors que la vente elle-même s’opère solo consensu, « doit être convenue par écrit » (art. 2368, C. civ.). En cas de procédure collective ouverte contre l’acquéreur, l’écrit ne produit pleinement ses effets que s’il a été passé au plus tard au moment de la livraison (art. L. 624-16, C. com.).

Il faut tirer toutes les conséquences de la réserve de propriété entre les parties, et à l’égard des tiers.

Aussi longtemps que le prix n’a pas été payé, le cédant demeure propriétaire. Sur lui pèsent les risques affectant la chose, nonobstant l’obligation de conservation pesant sur le cessionnaire. Le transfert de propriété s’opère de plein droit lorsque le prix est payé.

En revanche, « à défaut de complet paiement à l’échéance, le créancier peut demander la restitution du bien afin de recouvrer le droit d’en disposer ». « La valeur du bien repris est imputée, à titre de paiement, sur le solde de la créance garantie », et si « la valeur du bien repris excède le montant de la dette garantie encore exigible, le créancier doit au débiteur une somme égale à la différence » (art. 2371, C. civ.). Lorsqu’une procédure de redressement ou de liquidation est ouverte contre le débiteur, la revendication ou la restitution du bien dont la propriété est réservée s’opère dans les conditions fixées aux articles L. 624-9 et L. 624-10 du Code de commerce.

La revendication par l’acheteur peut se heurter à quelques difficultés, soit en raison de la nature du bien, soit en raison de sa situation matérielle, soit enfin en raison de sa revente à un tiers. De manière générale, la revendication ne peut avoir lieu, entre les mains du débiteur ou entre les mains d’un tiers, que si le bien existe en nature lorsque l’action est exercée. Lorsque le bien cédé est un bien fongible, la revendication « peut s’exercer, à concurrence de la créance restant due, sur des biens de même nature et de même qualité détenus par le débiteur ou pour son compte » (art. 2369, C. civ. ; art. L. 624-16, C. com.). Lorsque le bien a été incorporé dans un autre bien, la revendication demeure possible si « ces biens peuvent être séparés sans subir de dommages » (art. 2370, C. civ. ; art. L. 624-16, C. com. ; v. par ex. Com., 10 mars 2015, n° 13-23.424). Enfin, la revente du bien par le débiteur interdit que la revendication s’exerce à l’encontre du sous-acquéreur de bonne foi (art. 2276, C. civ.). Le créancier bénéficie cependant d’une subrogation réelle : son « droit de propriété se reporte sur la créance du débiteur à l’égard du sous-acquéreur » (art. 2372, C. civ.) ; il peut prétendre au paiement, par le sous-acquéreur, des sommes que celui-ci reste devoir au cessionnaire (art. L. 642-18, C. com.).

Avant que la défaillance de l’acheteur soit avérée, la réserve de propriété est « l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement » (art. 2367, C. civ.). L’éventuel cessionnaire de cette créance peut donc s’en prévaloir.

De la distinction entre les choses fongibles (de genre) et les choses non-fongibles (corps certains)

==> Exposé de la distinction

  • Les corps certains
    • Par corps certain, il faut entendre une chose unique qui possède une individualité propre.
      • Exemple: un immeuble, un bijou de famille, une œuvre d’art, etc…
    • Les corps certains se caractérisent par leur singularité, en ce sens qu’ils n’ont pas leur pareil.
    • Il s’agit donc de choses qui possèdent une identité : on ne peut pas les remplacer à l’identique.
    • À cet égard, les immeubles sont toujours des corps certains, car ils occupent toujours une situation géographique qui leur est propre, sauf à être envisagées abstraitement, soit présentés comme composant un lot.
  • Les choses de fongibles (de genre)
    • Par chose fongible, il faut entendre une chose qui ne possède pas une individualité propre.
    • L’article 587 du Code civil désigne les choses fongibles comme celles qui sont « de même quantité et qualité» et l’article 1892 comme celles « de même espèce et qualité ».
    • Selon la formule du Doyen Cornu, les choses fongibles sont « rigoureusement équivalentes comme instruments de paiement ou de restitution».
    • Pour être des choses fongibles, elles doivent, autrement dit, être interchangeables, soit pouvoir indifféremment se remplacer les unes, les autres, faire fonction les unes les autres.
      • Exemple: une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série etc…
    • Les choses fongibles se caractérisent par leur espèce (nature, genre) et par leur quotité.
    • Ainsi, pour individualiser la chose fongible, il est nécessaire d’accomplir une opération de mesure ou de compte.

==> Intérêt de la distinction

L’intérêt de la distinction entre les choses de genre et les corps certains tient à plusieurs choses :

  • La détermination du contenu d’une prestation contractuelle
    • Pour les corps certains
      • Il suffit que la chose soit désignée dans le contrat pour que l’exigence de détermination de la prestation soit satisfaite.
      • La désignation du corps certain devra toutefois être suffisamment précise pour que l’on puisse identifier le bien, objet de la convention
    • Pour les choses fongibles
      • L’article 1129 du Code civil prévoit que si la chose doit être déterminée quant à son espèce (sa nature, son genre) lors de la formation du contrat, sa quotité peut être incertaine, pourvu qu’elle soit déterminable
      • Cela signifie donc qu’il importe peu que la chose de genre ne soit pas individualisée lors de la conclusion du contrat.
      • Sa quantité devra toutefois être déterminable à partir des éléments contractuels prévus par les parties.
  • Le transfert de propriété de la chose et charge des risques
    • L’article 1344-2 du Code civil prévoit que, en cas de transfert de propriété d’une chose qui consiste en un corps certain, la charge des risques pèse sur le débiteur, soit sur l’acquéreur de la chose
    • L’article 1585 retient, en revanche, la solution inverse lorsqu’il s’agit de choses de genres.
    • En effet, la charge de risques repose sur le vendeur, tant que la chose n’a pas été individualisée.
  • La compensation
    • La compensation est définie à l’article 1347 du Code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes. »
    • Cette modalité d’extinction des obligations suppose ainsi l’existence de deux créances réciproques.
    • L’article 1347-1 précise, par ailleurs, « la compensation n’a lieu qu’entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles. »
    • L’alinéa 2 du texte précise que « sont fongibles les obligations de somme d’argent, même en différentes devises, pourvu qu’elles soient convertibles, ou celles qui ont pour objet une quantité de choses de même genre. »
    • Il ressort de ces dispositions que la compensation ne saurait avoir lieu en présence de corps certains
    • À cet égard une dette d’argent ne se compense pas avec une dette de restitution d’un corps certain.
  • Dépôt et gage irréguliers
    • Il est de principe que, en matière de contrat de dépôt ou de gage, la remise de la chose au dépositaire ou au créancier gagiste n’opère pas de transfert de propriété
    • La raison en est que, dans les deux cas, ils ont l’obligation de restituer la chose ce qui leur confère la qualité de simple détenteur.
    • Lorsque, toutefois, la chose remise est fongible, la restitution est susceptible d’être délicate, sinon impossible, puisque entreposée avec des choses de même espèce, de même genre ou de même nature.
    • Aussi, a-t-il été posé par le législateur, et pour le gage, et pour le dépôt de choses fongibles que, dans l’hypothèse où les choses gagées ou déposées ne sont pas tenues séparées, le contrat emporte transfert de propriété.
      • Pour le gage, l’article 2341 du Code civil dispose en ce sens que « lorsque le gage avec dépossession a pour objet des choses fongibles, le créancier doit les tenir séparées des choses de même nature qui lui appartiennent». Toutefois, « si la convention dispense le créancier de cette obligation, il acquiert la propriété des choses gagées à charge de restituer la même quantité de choses équivalentes. »
      • Pour le dépôt l’article L. 312-2 du Code monétaire et financier dispose que « sont considérés comme fonds remboursables du public les fonds qu’une personne recueille d’un tiers, notamment sous la forme de dépôts, avec le droit d’en disposer pour son propre compte mais à charge pour elle de les restituer.»
    • Lorsque le contrat de dépôt ou de gage opère un transfert de propriété de la chose remise on parle de dépôt ou de gage irrégulier.
  • Revendication
    • Il est constant que l’action en revendication d’un bien n’est permise qu’à la condition qu’il soit identifiable, ce qui implique qu’il ne doit pas avoir été mélangé avec des biens similaires.
    • Dans un arrêt du 25 mars 1997, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si le caractère fongible d’un bien ne fait pas par lui-même obstacle à sa revendication, celle-ci ne peut aboutir que dans la mesure où le bien en cause n’a pas été confondu avec d’autres de même espèce» ( com. 25 mars 1997, n°94-18337).
    • Pour pouvoir être revendiquées, les choses fongibles doivent ainsi demeurer identifiables.
    • Par exception, l’article L. 624-16 du Code de commerce applicable en cas d’ouverture d’une procédure collective prévoit que, lorsqu’une clause de réserve de propriété a été stipulée « la revendication en nature peut également s’exercer sur des biens fongibles lorsque des biens de même nature et de même qualité se trouvent entre les mains du débiteur ou de toute personne les détenant pour son compte.»
    • Dans le même sens, l’article 2369 du Code civil dispose que « la propriété réservée d’un bien fongible peut s’exercer, à concurrence de la créance restant due, sur des biens de même nature et de même qualité détenus par le débiteur ou pour son compte.»

La vente : vue générale

La vente présente quatre caractères. Elle est un contrat synallagmatique (chaque partie s’engage à l’endroit de l’autre) et commutatif (le prix est regardé comme l’équivalent du bien vendu). Elle est encore, aux termes de l’alinéa 1er de l’article 1582 c.civ., un contrat translatif à titre onéreux : « La vente est une convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer. »

1.- La vente est un contrat translatif

La vente opère transfert de la propriété du bien vendu. Elle se distingue ainsi de contrats voisins.

1.1.- Objet de la vente

La vente a pour effet principal le transfert de propriété d’un bien. Avec la formation du contrat, l’acquéreur devient titulaire d’un droit réel s’exerçant directement sur la chose. Les conditions du transfert de propriété varient. Celui-ci est en principe réalisé par l’échange des consentements, mais les parties sont libres d’en aménager l’époque. Elles peuvent faire dépendre la formation du contrat de l’expiration d’un terme ou d’un événement donné (terme ou condition). Elles peuvent séparer dans le temps l’époque de la formation de la vente de l’époque du transfert de propriété (clause de réserve de propriété). Elles sont même admises à organiser le caractère temporaire du transfert de propriété. La vente à réméré, prévue à l’article 1659 c.civ., est ainsi un « pacte par lequel le vendeur se réserve de reprendre la chose vendue, moyennant la restitution du prix principal et le remboursement » des frais et loyaux coûts de la vente, des réparations nécessaires et de celles qui ont augmenté la valeur du fonds (art. 1673 c.civ.).

1.2.- Singularité de la vente

En théorie, la distinction du contrat de vente parmi les autres contrats ne soulève guère de difficulté. En pratique, les activités humaines se rangent rarement dans des cases, et la confusion est souvent possible.

a.- Contrat de vente vs contrats de mise à disposition

La vente n’est pas un bail (voy. l’article “Le bail de droit commun – les obligations du bailleur”), pas un crédit-bail, pas un prêt (voy. les articles “Le prêt à usage – notion” et “Le prêt de consommation – notion”). Un transfert de propriété est organisé pour la première (droit réel – droit sur une chose). Un droit de jouissance est accordé pour les seconds (droit personnel – droit contre une personne).

Un mot sur le crédit-bail. C’est une opération par laquelle une personne (le crédit-bailleur) acquiert un chose à la demande d’une seconde personne (le crédit-preneur) qui la lui loue. C’est une technique commode d’acquisition des matériels nécessaires à l’activité professionnelle du crédit-preneur. Et le contrat de bail d’être assorti, à son terme, d’une promesse unilatérale de vente. Sous réserve de l’application des dispositions légales propres à cette opération financière (art. L. 313-7 et s., C. mon. fin.) et des dispositions jurisprudentielles spéciales, il convient de faire une application distributive. Le régime du bail régit la première phase de l’opération, celui de la vente la seconde.

b.- Contrat de vente vs contrat d’entreprise

Le contrat d’entreprise est un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre moyennant un prix convenu entre elles » (art. 1710, C. civ. – Voy. l’article “Le contrat d’entreprise – vue générale”). Le contrat de vente et le contrat d’entreprise sont des contrats onéreux. La nature de la prestation due par le créancier du prix les distingue. Dans un cas, ce dernier perd la propriété d’un bien qu’il délivre (obligation de donner). Dans l’autre cas, il s’engage à l’accomplissement d’une prestation (obligation de faire).

Dans les faits, la frontière est poreuse. D’une part, celui qui accomplit une prestation est souvent amené à donner (le plombier répare l’évier à l’aide d’un joint qui lui appartient, mais qu’il laisse en la puissance du client). D’autre part, l’obligation de faire implique parfois la réalisation puis la transmission d’une chose (bibliothèque sur mesure, composition d’un tableau…). Pour décider de la qualification, la Cour de cassation s’en est d’abord tenue au principal et à l’accessoire : « le contrat par lequel une personne fournit à la fois son travail et des objets mobiliers doit être analysé juridiquement comme une vente dès lors que le travail en constitue l’accessoire » (Cass. 1ère civ., 27 avr. 1976, n° 74-14.436, Bull. civ. I, 143). Un autre critère a depuis été substitué : il ne saurait y avoir de vente dès lors que « le contrat [porte] non sur des choses déterminées à l’avance mais sur un travail spécifique destiné à répondre aux besoins particuliers exprimés par le donneur d’ordre » (Cass. 1ère civ., 14 déc. 1999, n° 97-19.620, Bull. civ. I, 340).

2.- La vente est un contrat onéreux

2.1.- Identité

La vente implique une contrepartie pécuniaire. A défaut, l’acte encourt la nullité ou bien alors la situation juridique des parties au contrat sera requalifiée par le juge. Si ce dernier devait caractériser une intention libérale alors c’est de libéralité dont il serait question (art. 893 et s. c.civ.). Les enjeux de la (re)qualification sont importants. Ils tiennent non seulement aux conditions de validité de l’acte, mais encore aux modalités de son exécution et à ses conséquences fiscales. La libéralité est en effet plus frappée que la vente. La tentation est alors grande de maquiller l’opération…

En l’absence de contrepartie, la disqualification de la vente est évidente. La chose est plus délicate lorsque la contrepartie a bien été stipulée, mais semble dérisoire (ex. vente pour un euro symbolique) ou sans commune mesure avec la valeur réelle du bien cédé. Il faut scruter les intentions du vendeur, vérifier l’animus donandi, pour décider de la qualification.

2.2.- Distinction

La vente n’est pas la seule institution juridique où la propriété d’un bien est transférée moyennant une contrepartie. Mais, contrairement à ces autres contrats, l’acheteur s’acquitte d’une somme d’argent.

Contrat de vente vs contrat d’échange

La proximité est grande entre le contrat de vente et le contrat d’échange (art. 1702 c.civ. : « contrat par lequel les parties se donnent une chose pour une autre »). Elle est tellement grande que le Code civil renvoie expressément à la vente pour tracer le régime de l’échange (arts. 1703 et 1707 c.civ.). En pratique, l’échange s’accompagne parfois du paiement d’une somme d’argent – une soulte – destinée à compenser la différence de valeur entre les deux biens qui en sont l’objet. En dépit de ces liens, les difficultés de qualification sont rares.

Contrat de vente et contrat d’apport en société

Les associés d’une société peuvent convenir d’apporter à celle-ci non seulement de l’argent, mais encore des biens de toutes natures (art. 1843-3 c.civ.). Si la société jouit de la personnalité morale, elle en devient propriétaire. A défaut de personnalité morale, les biens sont placés en indivision entre les associés. En tout état de cause, la propriété des biens apportés est transférée. En contrepartie, l’associé apporteur obtient des parts sociales (ou des actions) lui donnant, au sein de la société, des droits politiques et financiers. La confusion entre la vente et l’apport en société est peu probable, en dépit de l’attrait de l’une sur l’autre. Car c’est à l’aune du contrat de vente que sont définies les garanties dues par l’apporteur à la société (art. 1843-4, al. 3, c.civ.).

Assurance de dommages : La transmission de la chose assurée

La chose assurée est nécessairement un bien dont l’utilité justifie l’appropriation et l’intégrité commande l’assurance. Étymologiquement, les biens sont des choses qui procurent des utilités à l’homme (les biens sont des choses appropriées). Une fois son utilité perdue, le bien à vocation à être transmis, soit à cause de mort, soit entre vifs. Seulement, en doit commun des obligations, la transmission d’un bien n’entraîne pas nécessairement par elle-même la transmission des contrats afférents, en l’occurrence la transmission du contrat d’assurance.

On doit à l’article 19 de la loi du 13 juillet 1930 dite Godart relative au contrat d’assurance, devenu l’article L. 121-10 C. assur. d’avoir organisé la transmission du contrat d’assurance. Le Code des assurances pose le principe de la continuation de plein droit du contrat en cours, mais réserve le droit pour l’assureur et pour l’acquéreur de résilier la police.

Faute d’être connue des sujets du droit des assurances, cette règle a soulevé des difficultés pratiques en cas d’aliénation d’un véhicule terrestre à moteur. Le vendeur pensait, bien souvent, après la vente, pouvoir reporter l’assurance sur son nouveau véhicule. Et l’acquéreur de se croire obligé de souscrire une nouvelle assurance se retrouvait (à son corps défendant) dans une situation de cumul d’assurances (v. article “Assurance de dommages : Les valeurs garanties).

Réformé, le Code des assurances renferme un régime dérogatoire propre au contrat d’assurance afférent aux véhicules terrestres à moteur (c.assur., art. L. 121-11 sur renvoi de l’art. L. 121-10, al. 6).

1.- Le régime de droit commun

La transmission du contrat d’assurance (a). La faculté de résiliation unilatérale du contrat d’assurance (b).

a.- La transmission du contrat d’assurance

Fondement de la transmission. Le contrat d’assurance étant l’accessoire du bien. Par voie de conséquence : Accessorium sequitur principale !

Conditions de la transmission. Assurance spécifique – L’article L. 121-10 C. assur. est l’une des dispositions générales du Titre 2 consacré aux règles relatives aux assurances de dommages non maritimes. Aussi, la loi autorise-t-elle que soient transmises à l’ayant cause (acquéreur ou héritier) l’assurance de chose afférente au bien dont la propriété est transférée – transfert de la garantie souscrite contre une diminution de l’actif – mais encore l’assurance qui garantit le risque de responsabilité encouru par le propriétaire ou le gardien de la chose (usage, contrôle, direction) – transfert de la garantie souscrite contre une aggravation du passif –.

Prime spécifique – La Cour de cassation s’est employée à resserrer le domaine d’application de l’article L. 121-10 C. assur. Elle considère que « la transmission de plein droit à l’acheteur d’une chose assurée de l’assurance souscrite par le vendeur a pour condition nécessaire que la chose achetée soit la matière d’un risque qui lui est propre, auquel correspond une prime spéciale ou une partie divisible de la prime totale » (Cass. civ.  27 janv. 1948, D. 1949, p. 458, note A. Besson). Autrement dit, l’assurance doit se rapporter de façon spéciale et indépendante à la chose transférée. Cette condition n’est satisfaite que lorsque, d’une part, la chose assurée est individualisée et déterminée précisément dans la police et, d’autre part, lorsque la couverture des risques afférents à cette chose donne lieu au paiement d’une prime spéciale et indépendante. Or, en pratique, la police a fréquemment pour objet plusieurs biens, possiblement individualisés, mais garantis contre le paiement d’une prime globale et forfaitaire. L’assurance étant alors accessoire de l’ensemble des biens, elle ne peut être transmise lorsque l’un seulement des éléments est cédé.

– Contrat en cours – Seule une assurance en vigueur au moment du transfert de propriété est susceptible d’être transmise à l’acquéreur de la chose. Résiliée, la police ne pourra être transmise : nemo plus juris…(personne ne peut transférer à autrui plus de droits qu’il n’en a lui-même). Révoquée (convention révocatoire) par les parties, la police ne pourra pas non plus être transmise : mutuus dissensus. Il en sera ainsi toutes les fois que l’assureur et l’assuré auront convenu avant la cession de reporter l’assurance sur la chose acquise par l’assuré en remplacement du bien qu’il s’apprête à vendre.

Transfert de propriété – On aura garde noter que si le transfère de propriété de la chose assurée devait être annulé ou résolu, la transmission du contrat d’assurance serait rétroactivement anéantie. Le cédant serait considéré comme n’ayant jamais perdu la qualité d’assuré. On voit là une manifestation remarquable de l’effet des nullités sur le temps (dialectique liberté des contractants vs sécurité des contrats).

Effets de la transmission. La transmission du contrat d’assurance est active et passive. Au jour du transfert de propriété, le cessionnaire se substitue à l’ancien propriétaire. Il bénéficie des droits nés du contrat. Il est en l’occurrence créancier de la garantie souscrite par le cédant. On dit qu’il y a transmission active du contrat d’assurance. La cession de créance n’a pas d’effet novatoire (art. 1692 anc. c.civ. : « La vente ou la cession d’une créance comprend les accessoires de la créance au temps du transport, quoi qu’il soit fait sans garantie ») : l’assureur est fondé à opposer à l’assuré substitué les clauses d’exclusions et de déchéances (principe d’opposabilité des exceptions) à la condition sine qua non qu’il en ait informé son cocontractant.

S’il bénéficie des droits nés du contrat, l’assuré substitué est débiteur des obligations contractées. Il doit, énonce l’article L. 121-10 c.assur, « exécuter toutes les obligations dont l’assuré était tenu vis-à-vis de l’assureur en vertu du contrat ». Il doit déclarer toute aggravation du risque (art. L. 113-2, 3°, c.assur.), tout sinistre postérieur à l’acquisition. Il doit payer toutes les primes à échoir (à tout le moins, précise l’article L. 121-10, al. 3 c.assur., à partir du moment où le cédant à informer son assureur par lettre recommandée du changement de propriétaire).

b.- La faculté de résiliation réciproque du contrat d’assurance

La transmission de plein droit du contrat d’assurance en cas d’aliénation de la chose assurée est tempérée par la faculté de résiliation réciproque. Cette faculté entend ménager la liberté contractuelle. Il se peut fort bien que l’assureur et le nouveau propriétaire ne souhaitent pas poursuivre les relations contractuelles. L’article L. 121-10, al. 2 C. com. est un texte supplétif de volonté (voy. par ex. Cass. 2ème civ., 7 oct. 2010, n° 09-16763, Resp. civ. assur., déc. 2010, comm. 331 M. Asselain, « Aliénation de la chose assurée : modalités de résiliation de l’assurance transmise accessoirement à la chose »).

2.- Le régime spécial

La transmission de plein droit du contrat d’assurance en cas d’aliénation de la chose assurée est paralysée toutes les fois que ladite chose est un véhicule terrestre à moteur ou, par extension législative, s’il s’agit d’une cession entre vifs de « navires ou de bateaux de plaisance, quel que soit le mode de déplacement ou de propulsion utilisée » (c.assur., art. L. 121-11).

C’est qu’il existe des circonstances dans lesquelles l’aliénateur peut avoir intérêt à conserver le bénéfice de l’assurance contractée. En pratique, il est fréquent que le vendeur d’un véhicule rachète un nouvel engin et désire en conséquence transférer l’assurance du véhicule vendu au nouveau. Le transfère du contrat de l’article L. 121-10 C. assur. l’interdirait.

En cette occurrence, le contrat est suspendu, qu’il garantisse le patrimoine de l’assuré contre un risque de diminution de l’actif (assurance de choses) ou contre un risque d’aggravation du passif (assurance de responsabilité).

La suspension, qui s’effectue de plein droit – i.e. sans qu’elle ne soit subordonnée à la rédaction d’un avenant ou d’une signification faite par l’assuré à l’assureur (Cass. 1ère civ. 27 avr. 1996, Bull. civ. I, n° 248) – prend effet le lendemain du jour de l’aliénation, à 0 heure (C. assur., art. L. 121-11, al. 1er). Le nouvel acquéreur bénéficie donc de l’assurance toute la journée de son acquisition.

Suspendu, le contrat n’est pas ipso jure résilié. Il importe que les parties ne laissent pas les choses en l’état. L’acheteur peut demander le bénéfice de la garantie promise au contrat afin de couvrir le risque encouru par la chose substituée. La loi énonce que l’accord des parties doit être constaté. Il s’agira en pratique de signer un avenant au contrat. À défaut, les parties seront libres de résilier le contrat. La résiliation opérera dans les 10 jours qui suivent la dénonciation de la police. S’il s’avérait qu’aucune résiliation conventionnelle n’ait été constatée ou que le contrat n’ait plus été exécuté, la résiliation opérerait, de plein droit, à l’expiration d’un délai de 6 mois, à compter de l’aliénation (opération par laquelle celui qui aliène transmet volontairement à autrui la propriété d’une chose).