Les conditions requises pour succéder ou l’aptitude à hériter: existence et absence d’indignité successorale

La mort n’est pas la fin. Elle met seulement un terme à ce qui a commencé et à ce qui a vécu. Mais la vie se poursuit à travers ce qui reste et continue à exister.

Lorsque la Camarde vient frapper à la porte de celui dont l’heure est venue, le trépas emporte certes extinction de la personnalité juridique. Le défunt laisse néanmoins derrière lui un patrimoine, sans maître, qui a vocation à être immédiatement transmis à ceux qui lui survivent.

Cette transmission du patrimoine qui intervient concomitamment au moment du décès est exprimée par l’adage hérité de l’ancien droit « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».

Ce principe procède de l’idée que la personne du défunt survit à travers ses successeurs – héritiers et légataires – lesquels ont vocation à recueillir l’ensemble de ses biens, mais également la totalité de ses dettes.

Parce que l’ouverture d’une succession s’accompagne d’enjeux, en particulier financiers, souvent importants, elle est de nature à plonger la famille dans une crise qui sera parfois profonde, les successeurs se disputant le patrimoine du défunt.

Le droit ne peut bien évidemment pas rester indifférent à cette situation qui menace la paix sociale et dont l’Histoire a montré qu’elle pouvait conduire à l’effondrement de royaumes entiers. La succession de Charlemagne a profondément marqué l’Histoire de France.

Bien que les héritiers soient immédiatement saisis à la mort du défunt, ce qui, concrètement, signifie qu’ils entrent en possession de son patrimoine sans période intercalaire, la transmission qui s’opère n’échappe pas à l’emprise du droit.

À cet égard, les règles qui connaissent de la transmission à cause de mort forment ce que l’on appelle le droit des successions.

Il ressort de ce corpus normatif que la transmission par voie successorale peut être réglée :

  • Soit par l’effet de la loi
    • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) qui leur revient
  • Soit par l’effet de la volonté
    • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
    • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelées à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

Que la transmission à cause de mort s’opère par l’effet de la loi ou par l’effet d’un testament, elle requiert, dans les deux cas, et au préalable, l’ouverture de la succession du défunt.

Une fois la succession ouverte, seules pourront être appelées les personnes qui justifient des qualités requises pour hériter.

En effet, pour succéder au de cujus, deux conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, l’héritier doit exister au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’héritier ne doit pas être frappé d’une cause indignité successorale

§1 : L’existence de l’héritier

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Il ressort de cette disposition que pour hériter, il convient d’exister, ce qui dès lors interroge sur la définition de ce verbe.

Dans le langage courant, on dit d’une personne qu’elle existe lorsqu’elle est en vie par opposition à une personne décédée qui n’existe plus.

Reste que, comme observé par Michel Grimaldi, « ce n’est pas de l’existence physique qu’il s’agit, mais de l’existence juridique, c’est-à-dire de la personnalité juridique, de l’aptitude à acquérir des droits »[1].

Aussi, l’existence telle qu’envisagée à l’article 725 du Code civil, ne correspond pas en tout point à celle définie en biologie.

Pour exemple, sous l’empire du droit antérieur, les personnes condamnées à une peine de mort civile étaient privées de leur capacité à hériter, alors même qu’elles étaient encore en vie.

En droit des successions, la notion d’existence s’est ainsi construite sur la base d’un certain nombre de fictions juridiques qui, tantôt conduisent à attribuer la qualité d’héritier à des personnes qui n’existent pas encore, tantôt à refuser la qualité d’héritier à des personnes auxquelles on reconnaît pourtant une existence juridique.

Afin d’appréhender la condition tenant à l’existence, il convient donc de déterminer qu’elles sont les personnes qui sont pour

I) Les personnes pourvues de l’aptitude à hériter

Deux enseignements peuvent être retirés de l’article 725 du Code civil qui pose l’existence comme première condition à l’octroi de la qualité d’héritier :

  • D’une part, le respect de la condition tenant à l’existence de la personne appelée à hériter doit être apprécié au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’existence commence au jour de la conception, pourvu que l’enfant naisse vivant et viable

A) Le moment de l’appréciation de l’existence

Conformément à l’article 725 du Code civil, les personnes auxquelles on reconnaît l’aptitude à hériter sont celles qui existent « à l’instant de l’ouverture de la succession ».

L’existence de la personne appelée à succéder doit ainsi être appréciée au moment où la succession s’ouvre, soit au jour où le de cujus est réputé mort.

La raison en est que, en application du principe de continuité de la personne du défunt, la transmission de son patrimoine doit intervenir concomitamment à son décès.

Aussi, est-ce pour éviter qu’une rupture ne vienne affecter cette transmission, qu’il a été décidé que seules les personnes qui existaient au jour de l’ouverture de la succession étaient aptes à hériter.

B) La conception comme point de départ de l’existence

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Aussi, est-ce au moment de la conception de l’enfant qu’il y a lieu de se placer pour déterminer si au jour de l’ouverture de la succession, il est apte à hériter. Encore faut-il que celui-ci naisse vivant et viable.

1. Principe

==> Énoncé du principe

Définir l’existence consiste, au fond, à déterminer là où elle commence et là où elle se termine.

S’agissant de la fin de l’existence, elle ne soulève pas de réelle difficulté dans la mesure où un seul événement peut servir de borne : la mort.

S’agissant, en revanche, du début de l’existence, la question est plus délicate : doit-on retenir comme date de commencement la naissance ou la conception de la personne ?

La difficulté a été tranchée dès l’entrée en vigueur du Code civil. Ses rédacteurs ont retenu la seconde option en reprenant le principe exprimé par l’adage « infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur ».

Pris dans son sens littéral, cet adage signifie que l’enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu’il y va de son intérêt.

Aussi, l’enfant posthume, soit celui qui naît postérieurement au décès de l’un ou l’autre de ses parents, serait apte à hériter, le principe dit de l’infans conceptus, faisant commencer l’existence humaine, non pas au jour de la naissance, mais au moment de la conception.

Il n’est donc pas nécessaire d’être né pour succéder, il suffit d’avoir été conçu au jour de l’ouverture de la succession.

À l’analyse, il y a quelque chose de contradictoire à, d’un côté, octroyer des droits à enfant dès sa conception et, d’un autre côté poser que la personnalité juridique ne s’acquiert qu’au jour de la naissance.

Pour être titulaire de droits, il faut être pourvu d’une capacité de jouissance. Or cette capacité est étroitement attachée à la personnalité juridique.

En toute rigueur, un enfant ne devrait donc être apte à recueillir des droits qu’au jour de sa naissance.

Aussi, est-ce pour surmonter cette difficulté que la règle infans conceptus fait rétroagir, par le jeu d’une fiction juridique, les effets de la naissance au moment de la conception.

==> Justification du principe

L’instauration de la règle « infans conceptus » se justifie essentiellement pour deux raisons :

  • Première raison
    • Il est scientifiquement établi que la vie commence dès le stade de la conception ; c’est à ce moment que l’on fixe le point de départ de l’existence
    • Indépendamment de l’argument scientifique qui est relativement récent, cette réalité a très tôt été admise chez les juristes.
    • La preuve en est les romains qui sont à l’origine de la règle, laquelle a, par suite, été reprise, dans les mêmes termes, par les rédacteurs du Code civil qui voyaient également dans la conception le commencement de l’existence
  • Seconde raison
    • Reconnaître à l’enfant, dès sa conception, l’aptitude à hériter participe d’une volonté d’instaurer une égalité successorale entre enfants.
    • L’égalité commande, en effet, d’octroyer à l’enfant seulement conçu les mêmes droits que ceux dont sont titulaires ses frères et sœurs déjà nés.
    • Pourquoi opérer une différence de traitement entre eux alors que tous existent au jour du décès de leur parent ? L’admettre reviendrait à créer une rupture d’égalité fondée sur la seule antériorité de la naissance.
    • Or cela s’est contraire à l’article 735 du Code civil qui dispose que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants, sans distinction de sexe, ni de primogéniture, même s’ils sont issus d’unions différentes.».

2. Conditions

Il ressort de l’article 725 du Code civil que deux conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’enfant seulement conçu soit apte à hériter :

  • D’une part, la conception doit être antérieure à l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’enfant doit être né vivant et viable

a. Première condition : l’exigence d’antériorité de la conception au décès

Si, en application de l’article 725 du Code civil, pour succéder il suffit que l’enfant ait « déjà été conçu », encore faut-il que sa conception soit antérieure à l’ouverture de la succession.

Dès lors que la conception est postérieure au décès, il est trop tard. La condition tenant à l’existence n’est, par hypothèse, plus remplie. Or pour recueillir des droits il faut, a minima, exister.

La question qui alors se pose est de savoir à quel moment l’enfant peut-il être réputé avoir été conçu.

Pour déterminer la date de conception, il y a lieu de faire jouer les deux présomptions légales à l’article 311 du Code civil.

  • Première présomption
    • L’article 311, al. 1er du Code civil prévoit que « la loi présume que l’enfant a été conçu pendant la période qui s’étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance»
    • Cette présomption étant de portée générale, elle peut être appliquée aux fins de déterminer si l’enfant conçu est apte à hériter.
    • En substance, la présomption posée par le texte répute la conception intervenir entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • On en déduit qu’un enfant né au plus tard 300 jours après le décès du de cujus sera apte à hériter.
    • Sous l’empire du droit antérieur, il s’agissait là d’une présomption irréfragable, qui ne pouvait donc pas être renversée.
    • Dans un arrêt du Ogez du 9 juin 1959, la Cour de cassation avait jugé en ce sens qu’« en fixant à 180 et 300 jours le minimum et le maximum de la durée de gestation, l’article 312 du Code civil a posé une présomption qui n’est pas susceptible de preuve contraire ; que doit, en conséquence, être déclaré illégitime sur l’action en contestation engagée par application de l’article 315 du même Code l’enfant né plus de 300 jours après la dissolution du mariage» ( 1ère civ. 9 juin 1959, n°58-10.038)
    • La loi n°72-3 du janvier 1972 est venue modifier cet état du droit en conférant un caractère simple à cette présomption qui a été transférée à l’article 311.
    • Il en résulte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Aussi, tout ne serait pas perdu pour un enfant qui naîtrait plus de trois cents jours après le décès du de cujus: s’il prouve que sa conception est intervenue antérieurement à l’ouverture de la succession, il pourra succéder.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 301 jours après le décès du de cujus.
    • En application de l’article 311, al. 1er du Code civil, il est a priori dépourvu de la qualité d’héritier.
    • Il lui est néanmoins possible de prouver qu’il a été conçu 304 jours avant sa naissance, de sorte qu’il était déjà conçu au moment du décès et que, par voie de conséquence, il était bien apte à succéder au défunt.
  • Seconde présomption
    • L’article 311, al. 2e du Code civil prévoit que « la conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l’intérêt de l’enfant. »
    • Il ressort de ce texte que la conception est réputée intervenir à n’importe quel moment entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • La date qu’il y a lieu de retenir est celle qui lui est la plus favorable, ce qui s’agissant d’acquérir la qualité à hériter sera celle qui précède le décès du de cujus.
    • Cette présomption dite omni meliore momento (au moment le plus favorable) est comme la précédente une présomption simple de sorte qu’elle souffre la preuve contraire.
    • Dans ces conditions, la qualité d’héritier d’un enfant né durant la période de conception légale pourra lui être contestée s’il est établi qu’en réalité il a été conçu postérieurement au décès du de cujus.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 298 jours après le décès du défunt
    • Dans cette hypothèse, il est présumé avoir été conçu entre le 298e et le 300e jour avant sa naissance.
    • Sa qualité d’héritier pourra toutefois lui être contestée s’il est établi qu’il a, en réalité, été conçu 297 jours avant sa naissance.
    • Si cette preuve est rapportée, l’enfant ne pourra alors pas être appelée à la succession de cujus.

b. Seconde condition : l’exigence de naissance d’un enfant vivant et viable

==> Notion de viabilité

Il ne suffit pas que l’enfant ait été conçu avant le décès du de cujus. Encore faut-il qu’il naisse vivant et viable.

Aussi, l’aptitude à succéder de l’enfant non encore né à est assortie d’une condition résolutoire qui ne sera levée que s’il répond à l’exigence de viabilité.

N’est donc pas apte à hériter l’enfant qui :

  • Soit est mort-né
  • Soit naît vivant, mais non viable

Toute la question est alors de savoir ce que recouvre la notion d’enfant né viable. Selon Philippe Salvage, la viabilité serait un « faisceau de critères relatifs s’articulant autour des idées de maturité et de conformation et se manifestant par l’autonomie végétative de l’être »[2].

Autrement dit, la viabilité suppose que :

  • D’une part, l’enfant soit doté d’une constitution en ordre de fonctionnement présentant un niveau de maturité suffisant pour lui permettre de vivre de façon autonome
  • D’autre part, il soit porteur de tous les organes essentiels à l’existence.

En substance, pour être considéré comme viable, l’enfant ne doit donc présenter aucune anomalie qui serait incompatible avec la vie.

Dans un arrêt du 8 février 1830, la Cour d’appel de Bordeaux a jugé en ce sens que « selon l’ancien droit, un enfant était viable quand il était né vivant, à terme, bien conformé et avec tous les organes nécessaires à la vie » (CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160).

L’exigence de viabilité procède d’une approche pragmatique. Pourquoi reconnaître la qualité d’héritier à un enfant qui est condamné à mourir avant d’avoir vécu ?

Il convient de ne pas perdre de vue le sens de l’institution qu’est la succession : transmettre un patrimoine aux personnes qui survivent au de cujus et qui participeront de la continuation de sa personne.

À quoi bon transmettre ce patrimoine à un enfant qui ne sera, par hypothèse, pas en capacité de jouer ce rôle ? Rien ne le justifie, raison pour laquelle le législateur subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à la viabilité de l’être non encore né.

S’agissant de l’approche juridique de la viabilité, elle est assise sur une présomption simple.

Autrement dit, l’enfant est présumé viable, dès lors que, d’une part, il naît et que, d’autre part, il est en vie au moment de la naissance.

==> L’abandon des critères de l’OMS

Reprenant les préconisations formulées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), une circulaire prise le 22 juillet 1993 par le ministère de la santé présume que l’enfant est viable lorsque deux critères alternatifs sont remplis :

  • La naissance de l’infant intervient à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère
  • L’enfant pèse au moins cinq cents grammes.

Cette circulaire visait à préciser les règles relatives à l’état civil issues de la loi du 8 janvier 1993 et, en particulier, l’article 79-1 du Code civil qui traite de l’inscription à l’état civil de l’enfant décédé avant son inscription à l’état civil.

En application de cette disposition, l’enfant bénéficie d’un état civil complet dès lors qu’un certificat médical indique qu’il est né vivant et viable et précise les jour et heure de naissance et de décès.

À défaut d’un tel certificat médical, l’officier de l’état civil doit établir un acte d’enfant sans vie.

Sous l’empire du droit antérieur, cet acte ne pouvait toutefois pas être dressé lorsque le fœtus ne répondait pas aux critères de viabilité de la circulaire.

Par trois arrêts du 6 février 2008, la Cour de cassation a sanctionné cette pratique en jugeant que « l’article 79-1, alinéa 2, du code civil ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse » (Cass. 1ère civ. 6 févr. 2008, n°06-16.498, n°06-16.499, n°06-16.500).

En exigeant que l’enfant soit né à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère ou qu’il pèse au moins cinq cents grammes, la première chambre civile estime que la circulaire du 22 juillet 1993 a ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoyait pas.

==> Présomption de viabilité

Afin de déterminer si un enfant est viable, il y a donc lieu de se départir des critères de viabilité posés par la circulaire du 22 juillet 1993 qui, d’ailleurs ont, consécutivement aux arrêts rendus par la Cour de cassation, été définitivement été écartés par le décret n°2008-800 du 20 août 2008 relatif à l’application du second alinéa de l’article 79-1 du code civil.

Désormais, il convient plutôt de raisonner sur la base de la présomption de viabilité qui s’infère de la jurisprudence (V. notamment CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160)

Il est, en effet, admis que la viabilité de l’enfant est présumée, dès lors qu’il naît en vie.

Gérard Cornu écrit en ce sens que tout « enfant né vivant est présumé viable, même s’il est mort rapidement après. Une présomption de viabilité s’attache au premier signe de vie »[3].

Cette présomption de viabilité n’est toutefois pas légale. Il s’agit d’une présomption simple qui donc souffre de la preuve contraire.

Afin d’établir que l’enfant n’est pas viable, il faudra démontrer :

  • D’une part, qu’il ne possède pas la maturité suffisante pour vivre
  • D’autre part, qu’il présente une anomalie physique incompatible avec la vie

II) Les personnes dépourvues de l’aptitude à hériter

Les personnes qui ne sont pas aptes à succéder se répartissent en cinq catégories :

  • Les personnes décédées
  • L’enfant mort-né ou né non viable
  • Les personnes absentes
  • Les personnes disparues
  • Les personnes morales

A) Les personnes décédées

1. Principe

==> La mort naturelle

Parce que le décès emporte extinction de la personnalité juridique, les personnes qui sont décédées ne sont pas aptes à hériter.

Seules les personnes vivantes « à l’instant de l’ouverture de la succession » sont pourvues de la qualité d’héritier.

Il peut être observé que, en 1804, les rédacteurs du Code civil avaient envisagé deux sortes de morts comme causes d’incapacité à succéder :

  • La mort naturelle, procédant d’une cessation des fonctions vitales
  • La mort civile, procédant d’une condamnation judiciaire

La mort civile ayant été abolie par la loi du 31 mai 1854, la mort ne présente désormais plus qu’une seule forme : elle ne peut être que naturelle.

==> Les critères de la mort

C’est le décret n°96-1041 du 2 décembre 1996 qui règle la procédure actuelle de détermination de la mort d’une personne.

Cette procédure est plus ou moins lourde selon que la personne décédée est ou non maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organes.

  • La procédure simplifiée de constat de la mort en l’absence de maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée n’est pas maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-1 du Code de la santé publique prévoit que si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :
      • Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;
      • Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
      • Absence totale de ventilation spontanée
    • Le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • L’article R. 1232-3 du Code de la santé publique précise que ce procès-verbal doit indiquer les résultats des constatations cliniques ainsi que la date et l’heure du constat de la mort.
    • Il doit, en outre, être établi et signé par un médecin appartenant à une unité fonctionnelle ou un service distinct de ceux dont relèvent les médecins qui effectuent un prélèvement d’organe ou une greffe.
  • La procédure renforcée de constat de la mort en présence d’un maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée est maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organe, l’article R. 1232-2 du Code de la santé publique prévoit que, en complément des trois critères cliniques mentionnés à l’article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :
      • Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d’enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l’interprétation ;
      • Soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait.
    • Dans ce cas de figure, le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • Le formalisme auquel ce procès-verbal doit répondre est, en revanche, plus lourd, compte tenu du maintien en vie artificiel du patient décédé.
    • L’article R. 1232-3, al. 3 du Code de la santé publique prévoit en ce sens que lorsque le constat de la mort est établi pour une personne assistée par ventilation mécanique et conservant une fonction hémodynamique, le procès-verbal de constat de la mort indique les résultats des constatations cliniques concordantes de deux médecins répondant à la condition mentionnée à l’article L. 1232-4.
    • Ce procès-verbal mentionne, en outre, le résultat des examens définis au 1° ou au 2° de l’article R. 1232-2, ainsi que la date et l’heure de ce constat.
    • Il doit être signé par les deux médecins susmentionnés.

Que la personne dont le décès est constaté soit ou non maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-4 du Code de la santé publique prévoit que « le procès-verbal du constat de la mort est signé concomitamment au certificat de décès prévu par arrêté du ministre chargé de la santé. »

==> La preuve de la mort

Pour qu’une personne décédée soit privée de sa capacité à hériter, encore faut-il que sa mort intervienne antérieurement à l’ouverture de la succession du de cujus.

Aussi, la date de la mort présente un enjeu majeur, ce qui, dès lors pose la question de sa preuve.

S’agissant de la charge de cette preuve, elle pèse sur les ayants droit de l’héritier présomptif.

La plupart de temps, cette preuve sera rapportée par la production de l’acte de décès sur lequel figure notamment le jour, l’heure et le lieu de décès (art. 79 C. civ.)

Parce que l’acte de décès appartient à la catégorie des actes d’état civil, il est réputé constater, « d’une manière authentique, un événement dont dépend l’état d’une ou de plusieurs personnes » (Cass. 1ère civ. 14 juin 1983, n°82-13.247).

L’acte de décès tire donc sa force probante de son caractère authentique. Il en résulte qu’il fait foi jusqu’à inscription de faux, à tout le moins s’agissant de l’existence matérielle des faits que l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s’étant passés en sa présence dans l’exercice de ses fonctions (Cass. 1ère civ. 26 mai 1964).

En effet, il y a lieu de distinguer deux sortes d’informations sur l’acte de décès :

  • Les informations qui résultent des propres constatations de l’officier d’état civil
    • Le caractère authentique de l’acte de décès confère à ces informations une force probante des plus efficaces, car elles font foi jusqu’à inscription en faux
    • Celui qui conteste la véracité de l’une d’elles devra donc engager des poursuites judiciaires, selon les règles de procédure énoncées aux articles 303 à 316 du Code de procédure civile.
  • Les informations qui résultent des déclarations que l’officier d’état civil reçoit de la personne qui a déclaré le décès
    • Ces informations font foi jusqu’à ce qu’il soit rapporté la preuve contraire.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si l’acte de décès n’établit, quant à l’heure du décès, qu’une simple présomption, il appartient à celui qui la conteste d’en établir l’exactitude» ( 1ère civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845).

S’agissant de la date et l’heure du décès, ces deux informations ne sont donc pas couvertes par le caractère authentique de l’acte de décès, faute pour l’officier d’état civil d’avoir pu les constater personnellement.

Dans ces conditions, elles pourront être remises en cause, ce qui supposera d’établir que, soit la date, soit l’heure, ou les deux, sont erronées

2. Tempérament

Par exception à la règle privant les personnes décédées de l’aptitude à hériter, les articles 752 et 752-2 du Code civil admettent que certains descendants de l’héritier prédécédé puissent lui succéder par le jeu de la représentation.

Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté »

Ce mécanisme interviendra, par exemple, lorsque, dans le cadre de la succession d’un grand-père, les petits enfants, viendront représenter leur parent décédé, de sorte qu’ils occuperont éventuellement le même rang que leur oncle.

S’agissant des personnes admises à représenter l’héritier présomptif prédécédé, il s’agit :

  • D’une part, en ligne directe des descendants à l’infini ( 752 C. civ.)
  • D’autre part, en ligne collatérale, des enfants et descendants de frères ou sœurs du défunt ( 752-2 C. civ.)

Ainsi, le décès de l’héritier présomptif ne prive ses descendants de la possibilité succéder en son lieu et place au de cujus.

B) L’enfant mort-né ou né non viable

Lorsqu’un enfant décède avant que n’ait pu être réalisée la déclaration de naissance, il y a lieu de distinguer selon qu’il est né vivant et viable ou seulement sans vie.

  • L’enfant né vivant et viable
    • L’article 79-1, al. 1er du Code civil prévoit que lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.
    • L’établissement d’un acte de naissance présente ici un enjeu majeur, car cette formalité conférera à l’enfant décédé la personnalité juridique et, par voie de conséquence, la capacité à hériter.
  • L’enfant né sans vie
    • L’article 79-1, al. 2e du Code civil prévoit que, lorsque l’enfant est mort-né ou naît vivant mais non viable, l’officier de l’état civil peut établir sur la demande des parents un acte d’enfant sans vie.
    • L’établissement de cet acte permettra d’inscrire cet enfant sur le livret de famille et d’organiser de funérailles.
    • En revanche, l’enfant ne se verra pas conférer la personnalité juridique, en conséquence de quoi il n’acquerra pas la qualité d’héritier.

C) Les personnes absentes

L’absence est définie à l’article 112 du Code civil comme la situation d’une personne qui « a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles ».

Il s’agit, autrement dit, de l’hypothèse où une personne ne s’est pas manifestée auprès de ses proches pendant une période prolongée, de sorte que l’on ignore si elle est encore en vie ou si elle est décédée.

Cette situation se rencontrera essentiellement à des époques troublées par la guerre, la révolution ou encore des catastrophes naturelles.

Quel que soit le motif de l’absence, faute de certitude sur la situation de la personne qui ne donne plus aucun signe de vie, la question se pose de savoir ce qu’il doit advenir de son patrimoine.

Doit-on désigner un administrateur aux fins d’administrer ses biens dans l’attente que l’absent réapparaisse ou doit-on ouvrir sa succession ?

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter aux articles 112 à 132 du Code civil qui règlent la situation de l’absence.

À l’analyse, le dispositif mis en place distingue deux périodes qui se succèdent :

  • La présomption d’absence qui fait primer la vie sur la mort
  • La déclaration d’absence qui fait primer la mort sur la vie

==> La personne présumée absente

L’article 112 du Code civil prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Il ressort de cette disposition que, lorsque les conditions de l’absence sont réunies, le juge rend une décision constatant la présomption d’absence.

Cette décision emporte deux effets majeurs :

  • Elle fixe le point de départ du délai au terme duquel la présomption d’absence sera convertie en déclaration d’absence, soit en un acte qui présumé l’absent mort
  • Elle instaure un système de représentation de l’absent qui fait l’objet des mêmes mesures de protection que celles prises à la faveur de l’incapable majeur

À cet égard, durant toute la période au cours de laquelle la présomption d’absence joue l’absent est présumé en vie, ce qui signifie que, à ce stade, non seulement sa succession ne saurait s’ouvrir, mais encore il conserve sa capacité à hériter comme précisé par l’article 725 du Code civil.

La présomption d’absence est, par ailleurs, sans incidence sur la situation matrimoniale de l’absent qui demeure marié ou pacsé.

Cette présomption emporte pour seule conséquence l’instauration d’une mesure de représentation de l’absent qui est traité comme un incapable, en ce qu’il fait l’objet des mêmes mesures de protection.

==> La personne déclarée absente

Lorsque la période de présomption d’absence arrive à son terme, s’amorce une seconde phase, celle de la déclaration d’absence qui conduit à présumer l’absent décédé.

Il ne s’agit donc plus ici d’assurer la protection de l’absent dont on présume qu’il est en vie, mais d’organiser la liquidation de ses intérêts, puisqu’on présume dorénavant qu’il est mort.

Le basculement de la présomption de vie vers une présomption de mort s’opère au bout d’un délai compris entre 10 et 20 ans selon le cas.

À l’analyse, ce délai varie selon que la présomption d’absence a ou non été judiciairement constatée

  • La présomption d’absence a été judiciairement constatée
    • L’article 122 du Code civil prévoit que « lorsqu’il se sera écoulé dix ans depuis le jugement qui a constaté la présomption d’absence, soit selon les modalités fixées par l’article 112, soit à l’occasion de l’une des procédures judiciaires prévues par les articles 217 et 219, 1426 et 1429, l’absence pourra être déclarée par le tribunal judiciaire à la requête de toute partie intéressée ou du ministère public».
    • Ainsi, dès lors que la présomption d’absence a été régulièrement constatée par le juge, la déclaration d’absence peut être prononcée.
    • Ce délai commence à courir à compter de la date fixée dans la décision qui a constaté la présomption d’absence
  • La présomption d’absence n’a pas été judiciairement constatée
    • L’absence de constatation judiciaire de la présomption d’absence n’est pas un obstacle au prononcé de la déclaration d’absence
    • L’article 122 du Code civil prévoit en ce sens que l’absence peut être déclarée lorsque « à défaut d’une telle constatation, la personne aura cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, sans que l’on en ait eu de nouvelles depuis plus de vingt ans. »
    • Cette hypothèse se rencontrera notamment, lorsque le patrimoine du présumé absent aura été administré par un mandataire, de sorte que le recours à la procédure visant à obtenir des mesures de protection était sans intérêt.
    • Aussi, s’il n’est pas nécessaire d’obtenir la constatation judiciaire de la présomption d’absence, le délai pour obtenir la déclaration d’absence est doublé.
    • La difficulté pour le demandeur consistera à rapporter la preuve de l’écoulement d’un délai de 20 ans.
    • Ainsi que l’observait Jean foyer l’objectif est ici « de protéger les intérêts d’un présumé absent contre des proches qui ne se sont pas montrés diligents pour la gestion de son patrimoine, ou dont on pourrait craindre qu’ils soient tentés de faire déclarer frauduleusement l’absence d’une personne vivante durablement éloignée de ses affaires».

L’article 128 du Code civil prévoit que « le jugement déclaratif d’absence emporte, à partir de la transcription, tous les effets que le décès établi de l’absent aurait eus. »

Ce jugement produit donc l’effet inverse que la présomption d’absence : l’absent bascule du statut de présumé en vie en présumé mort.

Il en résulte notamment que l’absent perd son aptitude à hériter, puisque sa personnalité juridique s’éteint.

D) Les personnes disparues

L’article 88 du Code civil prévoit que « peut être judiciairement déclaré, à la requête du procureur de la République ou des parties intéressées, le décès de tout Français disparu en France ou hors de France, dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’une personne a disparu dans des circonstances de nature à faire sérieusement douter de sa survie (naufrage, effondrement d’une mine, catastrophe naturelle, accident d’avion, incendie etc.), c’est le juge procédera à la constatation du décès pour cause de disparition.

La disparition se distingue de l’absence qui correspond à l’hypothèse où l’on ignore si la personne absente est morte ou encore en vie.

S’agissant de la disparition, il existe une probabilité très élevée que la personne soit décédée, en raison des circonstances violentes dans lesquelles elle a disparu.

Lorsque l’on a la certitude qu’une personne a été victime d’un naufrage ou d’un accident d’avion et que celle-ci ne réapparaît plus, il est vraisemblable, sinon certain qu’elle soit décédée.

S’agissant des effets de la disparition, il y a lieu de se reporter à l’article 91, al. 3e du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les jugements déclaratifs de décès tiennent lieu d’actes de décès et sont opposables aux tiers, qui peuvent seulement en obtenir la rectification ou l’annulation, conformément aux articles 99 et 99-1 du présent code. »

Ainsi, la personne qui est déclarée disparue est réputée décédée à l’instar de la personne qui est déclarée absente.

Il en résulte que sa personnalité juridique prend fin, ce qui emporte, par voie de conséquence, son aptitude à hériter.

S’agissant de la date à laquelle il y a lieu de faire jouer les effets de la disparition, il convient de retenir, non pas la date de prononcé du jugement, mais la date à laquelle le disparu est réputé mort, laquelle doit nécessairement être fixée par la décision.

C’est donc à cette date qu’il y aura lieu de se placer afin d’apprécier l’aptitude de la personne disparue à succéder au de cujus.

E) Les personnes morales

En application de l’article 725 du Code civil, pour succéder, il faut en principe exister. Si l’on s’en tient à la lettre du texte, devraient donc être aptes à hériter, tant les personnes physiques, que les personnes morales.

S’agissant de ces dernières, bien qu’elles n’aient pas de réalité tangible, elles existent bien juridiquement. Et pour cause, en leur reconnaissant la personnalité juridique, la loi leur confère la capacité à détenir un patrimoine.

Rien ne devrait donc s’opposer à ce que les personnes morales puissent recueillir les biens d’une personne physique dans le cadre d’une succession.

Tel n’est pour autant pas l’état du droit qui subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à l’existence d’un lien de parenté ou d’alliance entre le de cujus et ses successibles.

Pour cette raison, les personnes morales sont inaptes à hériter, à tout le moins dans le cadre d’une succession ab intestat, soit la succession qui s’opère sans testament.

La jurisprudence, puis le législateur, ont toutefois admis que les personnes morales pouvaient, à certaines conditions, bénéficier d’une libéralité par voie de donation ou par voie testamentaire.

À l’analyse, l’aptitude d’une personne morale à recueillir une libéralité dépend de sa nature juridique (société, association, fondation etc.).

S’agissant des sociétés civiles et commerciales, la jurisprudence leur a très tôt reconnu cette aptitude (V. en ce sens Cass. req. 23 févr. 1891).

À cet égard, l’exercice de leur droit à recueillir une libéralité n’est nullement subordonné à l’octroi d’une quelconque autorisation, ni à l’accomplissement d’une déclaration (Cass. req., 29 nov. 1897).

Tout au plus, en raison du principe de spécialité qui limite leur capacité de jouissance, l’objet social figurant dans les statuts de la société civile ou commerciale devra comprendre la possibilité de recueillir une libéralité.

S’agissant des fondations, des congrégations et des associations, non seulement elles ont la capacité de recevoir des libéralités entre vifs ou par testament, mais encore qu’elles peuvent les accepter librement (art. 910 C. civ.).

L’article 910 prévoit néanmoins que si le préfet constate que l’organisme légataire ou donataire ne satisfait pas aux conditions légales exigées pour avoir la capacité juridique à recevoir des libéralités ou qu’il n’est pas apte à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire, il peut former opposition à la libéralité.

Afin que ce contrôle puisse effectivement être exercé, le décret n° 2007-807 du 11 mai 2007 fait peser une obligation de déclaration sur les associations, fondations et congrégations recueillant la libéralité.

§2 : L’absence d’indignité successorale

Si l’aptitude à hériter est indépendante de la volonté de celui auquel elle est reconnue, il est en revanche certains agissements qui sont incompatibles avec la qualité d’héritier.

Certains comportements moralement répréhensibles, sinon délictueux, dont a fait montre l’héritier envers le de cujus sont, en effet, de nature à le priver de sa vocation successorale.

Ces comportements tombent sous le coup de ce que l’on appelle l’indignité.

==> Notion

Envisagée aux articles 726 à 729-1 du Code civil, l’indignité successorale est classiquement définie comme la déchéance du droit de succéder au défunt à raison d’atteintes graves portées à son encontre.

L’indignité produit sensiblement les mêmes effets qu’une exhérédation, à deux nuances près.

  • D’une part, l’indignité successorale se produit sous l’effet de la loi, alors que l’exhérédation ordinaire résulte de la volonté du de cujus.
  • D’autre part, alors que l’indignité successorale est susceptible de priver l’héritier de sa part réservataire, lorsqu’elle est le fait du de cujus, l’exhérédation ne pourra se limiter qu’à la quotité disponible.

Pour ces deux raisons, l’indignité successorale ne se confond pas avec l’exhérédation. Néanmoins, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001, il apparaît que les deux institutions se sont rapprochées.

En effet, l’indignité n’est plus, comme sous l’empire du droit en vigueur, un effet légal strictement attaché à une conduite incriminée, qu’aucune volonté contraire ne saurait écarter.

Désormais, l’indignité peut être neutralisée par le pardon accordé à l’indigne, soit par le de cujus lui-même, soit par ses cohéritiers.

==> Nature

S’agissant de la nature de l’indignité successorale, la doctrine est partagée entre deux approches :

  • Première approche : l’assimilation de l’indignité à une incapacité
    • D’aucuns soutiennent que l’indignité s’apparenterait à une incapacité de jouissance, celle-ci produisant finalement les mêmes effets : celui qui est reconnu indigne est inapte à recueillir le patrimoine du de cujus.
    • À cette analyse, il est objecté notamment qu’une incapacité serait toujours prononcée pour des raisons « indépendantes du mérite ou du démérite de la personne»[4].
    • Au surplus, les incapacités auraient une portée générale. Or l’indignité ne frappe l’indigne que pour la succession de la personne envers laquelle il s’est mal comporté.
    • Ainsi que l’observe néanmoins Michel Grimaldi, il existe « des incapacités relatives qui, précisément, ne concernent que les rapports entre deux personnes déterminées»[5].
    • Tel est notamment le cas du médecin qui est frappé d’une incapacité de jouissance spéciale quant à recevoir une libéralité émanant de son patient ( 909 C. civ.).
    • Il en va de même pour le tuteur auquel il est fait interdiction recevoir une libéralité provenant du mineur dont il assurait la représentation ( 907 C. civ.).
  • Seconde approche : l’assimilation de l’indignité à une peine privée
    • La doctrine majoritaire assimile l’indignité successorale à une peine privée, car elle jouerait le rôle de sanction.
    • Dans un arrêt du 18 décembre 1984, la Cour de cassation a statué en ce sens, en qualifiant expressément l’indignité de « peine civile de nature personnelle et d’interprétation stricte».
    • Elle en déduit qu’elle « ne peut être étendue au-delà des textes qui l’instituent » ( 1ère civ. 18 déc. 1984, n°83-16.028).

Selon que l’on assimile l’indignité successorale à une incapacité ou à une peine privée, elle ne sera pas soumise au même principe.

Si l’indignité s’analyse en une incapacité, alors elle ne peut frapper que les personnes expressément visées par la loi. Rien ne ferait en revanche obstacle à ce que les juges puissent se livrer à une interprétation extensive des textes aux fins d’appliquer l’indignité à des cas non expressément prévus par la loi.

Si l’indignité est assimilée à une peine privée, elle obéit alors au principe de légalité des délits et des peines, ce qui signifie qu’elle ne peut jouer que pour les cas expressément visés par un texte.

À l’examen, c’est plutôt la seconde approche qui semble avoir été adoptée par la jurisprudence, (Cass. 1ère civ. 18 déc. 1984, n°83-16.028). Elle doit donc être appréhendée comme une peine privée.

==> Domaine

Le domaine de l’indignité successoral est cantonné aux seules successions ab intestat, soit à celles qui s’opèrent en dehors de tout testament.

L’indignité ne joue pas :

  • Dans le cadre des libéralités
    • Pour mémoire, les libéralités recouvrent les donations et les testaments, soit les actes à titre gratuit qui procèdent de la volonté du disposant
    • Pour ces actes, en cas de mauvaise conduite du bénéficiaire envers leur auteur, la sanction est toute autre.
    • Il s’agit, en effet, de la révocation pour cause d’ingratitude.
    • En soi, l’ingratitude produit les mêmes effets que l’indignité successorale.
    • Elle s’en distingue toutefois en ce qu’elle sanctionne des agissements moins graves.
    • Aussi, les cas d’ingratitude et d’indignité ne coïncident pas totalement
  • Dans le cadre des avantages matrimoniaux
    • L’article 1527 du Code civil définit les avantages matrimoniaux comme ceux « que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes».
    • Il s’agit, autrement dit, de tout profit procuré à l’un des époux résultant des règles qui président au fonctionnement du régime matrimonial.
    • Les avantages matrimoniaux présentent la particularité d’échapper au régime des libéralités ; ils leur sont étrangers.
    • Est-ce à dire qu’ils sont susceptibles de relever du domaine de l’indignité, puisque ne pouvant donc pas être révoqués pour cause d’ingratitude ?
    • Dans un arrêt remarqué du 7 avril 1998, la Cour de cassation a répondu par la négative.
    • Dans cette décision, elle a estimé que l’indignité successorale était insusceptible de sanctionner le conjoint condamné à une peine de 10 ans de réclusion criminelle pour avoir mortellement frappé son épouse ( 1ère civ., 7 avr. 1998, n° 96-14.508).
    • La position prise par la Cour de cassation est sévère.
    • Aussi, marque-t-elle sa volonté de faire une application stricte des textes et de circonscrire le domaine de l’indignité aux seules successions ab intestat.

==> Réforme

Le régime de l’indignité successorale a été profondément réformé par la loi 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral.

Il était notamment reproché aux règles antérieures d’être trop étroites, trop rigides et quelquefois injustes.

La loi du 3 décembre 2001 a tenu compte des critiques, en créant de nouveaux cas d’indignité successorale, dont la plupart sont facultatifs pour le juge, afin d’apporter de la souplesse dans un dispositif.

Le texte met fin, par ailleurs, à l’injustice dont étaient victimes les enfants de l’indigne : ceux-ci, qui n’ont commis aucune faute, peuvent désormais représenter leur auteur dans la succession dont il est exclu (art. 729-1 C. civ.).

Bien qu’en règle générale on ne puisse représenter que des personnes mortes, cette représentation peut avoir lieu du vivant même de l’indigne.

L’appréhension de l’indignité successorale suppose d’envisager ses causes, après quoi il conviendra de se focaliser sur ses effets.

I) Les causes d’indignité successorale

Les rédacteurs du Code civil n’avaient envisagé que trois causes d’indignité successorale :

  • Avoir été condamnée pour meurtre ou tentative de meurtre à l’endroit du défunt
  • Avoir porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse, soit avoir cherché à le faire condamner à mort en l’accusant d’un crime qu’il n’avait pas commis
  • Avoir été instruit du meurtre du défunt et ne l’avoir pas dénoncé aux autorités judiciaires

Lors des travaux parlementaires dont est issue la loi du 3 décembre 2001, il est apparu que les cas d’indignité successorale prévus par le Code civil étaient pour le moins étroits, sinon désuets.

Aussi, a-t-il été jugé nécessaire de les revoir, ce qui a conduit, non seulement à les élargir, mais encore à les répartir en deux catégories :

  • Les cas d’indignité de plein droit
  • Les cas d’indignité facultative

Tandis que les premiers jouent automatiquement en cas de condamnation pénale de l’héritier présomptif, les seconds requièrent l’intervention du juge civile qui devra se prononcer sur leur bien-fondé.

A) Les cas d’indignité de plein droit

L’article 726 du Code civil prévoit deux cas d’indignité de plein droit :

  • Premier cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle de celui qui a volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt.
    • Ce cas d’indignité vise indistinctement le meurtre ( 221-1 et 221-4 C. pén.), l’assassinat (art. 221-3 C. pén.), l’empoisonnement (art. 221-5 C. pén.).
  • Second cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle de celui qui a volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
    • Ce cas d’indignité recouvre toutes les infractions sanctionnant les atteintes portées à l’intégrité physique du de cujus et qui ont conduit à son décès, sans pour autant que l’auteur de l’infraction ou son complice aient été animés d’une intention homicide.

Plusieurs enseignements peuvent être retirés des cas d’indignité de plein droit visés par l’article 726 du Code civil.

Tout d’abord, seule une condamnation à une peine criminelle est constitutive d’une cause d’indignité de plein droit.

Par peine criminelle, il faut entendre une condamnation pénale supérieure à 10 ans de réclusion.

Ensuite, il peut être observé que, désormais, le complice de l’auteur du crime est également susceptible d’être frappée par l’indignité successorale, ce qui n’était pas le cas sous l’empire du droit antérieur

Enfin, il n’est pas nécessaire que celui qui a porté atteinte à la vie du défunt, à tout le moins qui y a concouru volontairement, soit animé de la volonté de tuer, pour encourir l’indignité successorale.

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par la loi du 3 décembre 2001, le législateur ayant estimé qu’absence d’intention homicide n’excusait pas l’héritier qui, par ses agissements, porte la responsabilité de la mort du de cujus.

B) Les cas d’indignité facultative

L’article 727 du Code civil prévoit six cas d’indignité successorale :

  • Premier cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle, de celui qui a volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt.
    • Sont ici visées les mêmes infractions qu’au 1e de l’article 726 du Code civil, soit le meurtre, l’assassinat et l’empoisonnement.
    • La seule différence, c’est que l’auteur ou le complice de l’infraction a été condamné, non pas à une peine criminelle, mais à une peine correctionnelle.
    • Par peine correctionnelle, il faut entendre une peine d’emprisonnement qui n’excède pas dix ans.
    • Parce que la peine prononcée à son encontre est moins lourde, le législateur a estimé que l’indignité devait, pour cette situation, n’être que facultative.
    • Le dernier alinéa du texte précise néanmoins que « peuvent également être déclarés indignes de succéder ceux qui ont commis les actes mentionnés aux 1° et 2° et à l’égard desquels, en raison de leur décès, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte. »
    • Autrement dit, lorsque l’action publique n’a pas pu être mise en mouvement pour quelque raison que ce soit, l’indignité successorale pourra malgré tout être prononcée par un juge.
    • L’objectif recherché par cette règle est d’empêcher la famille de l’auteur ou du complice de l’infraction ne puisse hériter du patrimoine de la victime.
  • Deuxième cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle de celui qui a volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
    • Ce cas d’indignité participe de la même logique que le précédent, en ce que les infractions visées sont exactement les mêmes que celles énoncées au 2e de l’article 726 du Code civil.
    • La peine prononcée présente néanmoins un caractère correctionnel, de sorte que l’indignité encourue ne joue plus de plein droit ; elle est facultative.
    • Par ailleurs, l’absence de mise en mouvement de l’action publique est ici aussi sans incidence sur le risque encouru par l’auteur ou le complice de l’infraction d’être frappé d’une indignité successorale.
    • Le dernier alinéa du texte est également applicable à cette cause d’indignité facultative
  • Troisième cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle de celui qui a commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt.
    • Ce cas d’indignité facultative a été introduit par la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.
    • Cet ajout est motivé par la volonté du législateur de réprimer plus sévèrement les auteurs de violences conjugales.
    • Il est parti du constat que si la loi permettait de déclarer l’indignité successorale en cas de faux témoignage et de dénonciation calomnieuse contre le défunt, tel n’était pas le cas pour les violences sexuelles ou physiques dès lors qu’elles n’ont pas été mortelles.
    • Il y avait là, selon les parlementaires, un problème d’échelle de valeurs qu’il fallait corriger.
    • Pour cette raison, il a été décidé de créer un nouveau cas d’indignité successorale pour celui qui a été condamné à une peine criminelle pour avoir commis des violences volontaires ou un viol sur le défunt.
    • Le mari violent ne peut désormais donc plus hériter de son épouse si celle-ci décède avant lui.
    • Sur ce point, la commission des lois a souhaité viser, en plus des violences et du viol, les actes de torture et de barbarie et les agressions sexuelles, et prévoir que l’indignité pourrait être prononcée même si le conjoint a seulement été condamné à une peine correctionnelle.
  • Quatrième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui est à l’origine d’un témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle.
    • Il s’agit là d’une reprise d’un souhait formulé par une partie de la doctrine qui regrettait que cette infraction ne soit pas une cause d’indignité.
    • Pour mémoire, l’infraction de faux témoignage dans le cadre est envisagée à l’article 434-13 du Code pénale.
    • Cette disposition prévoit que « le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
    • Il s’agirait autrement dit, pour l’héritier présomptif, de témoigner contre le de cujus dans le cadre d’une procédure criminelle en alléguant des faits qu’il sait faux.
  • Cinquième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui s’est volontairement abstenu d’empêcher soit un crime soit un délit contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers.
    • Ce cas d’indignité successorale est une innovation de la loi du 3 décembre 2001.
    • Il vise à sanctionner celui qui savait qu’un crime ou un délit allait se commettre à l’endroit de la personne du défunt, mais n’a rien dit, ni rien fait.
    • Or s’il avait agi, il aurait pu empêcher la mort du de cujus.
    • Parce qu’il porte une part de responsabilité dans le drame qui s’est produit, il ne mérite pas d’hériter.
    • Son abstention est d’autant plus blâmable que le décès du de cujus lui a directement profité en ce que, sans l’indignité, il hériterait prématurément.
    • Au surplus, on est légitimement en droit de le soupçonner d’avoir laissé faire dans le seul dessein d’accélérer sa vocation successorale.
    • Reste que le domaine de ce cas d’indignité est pour le moins restreint.
    • Pour être retenu, il faudra établir :
      • D’une part, l’abstention volontaire de l’héritier volontaire
      • D’autre part, que l’atteinte portée au de cujus était constitutive d’un crime ou d’un délit
      • En outre, que cette atteinte consistait en une agression physique sur sa personne
      • Enfin, que l’héritier présomptif était en capacité d’agir sans risque pour lui ou pour les tiers
    • Au bilan, les conditions devant être remplies pour que ce cas d’indignité soit retenu sont si nombreuses que, en pratique, ne sera caractérisé que dans de très rares cas
  • Sixième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui est à l’origine d’une dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.
    • Ce cas d’indignité successorale n’est autre qu’une reprise de l’un des cas prévus par les rédacteurs du Code civil.
    • L’ancien article 727, 2e prévoyait en effet que l’indignité était encourue par « celui qui a porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse».
    • La seule différence, c’est que la dénonciation calomnieuse visée ici porte sur une infraction punie, non plus de peine de mort, mais par une peine criminelle.
    • L’esprit de ce cas d’indignité successorale n’en reste pas moins le même.
    • Il s’agit de sanctionner celui qui a portée contre le de cujus une accusation très grave, car portant sur des faits de nature criminelle, et, à ce titre, l’a exposé au risque d’être condamné à une lourde peine.
    • Certes, la motivation de l’auteur de la calomnie ne résidera pas dans la perspective d’hériter prématurément du de cujus, celui-ci ne risquant plus d’être condamné à mort.
    • Néanmoins, le préjudice personnel susceptible de lui être causé est si important que l’héritier présomptif doit être privé de sa vocation successorale.

II) La mise en œuvre de l’indignité successorale

Selon que l’indignité successorale joue de plein droit ou selon qu’elle est facultative, sa mise en œuvre diffère.

A) La mise en œuvre de l’indignité successorale de plein droit

Lorsque l’indignité successorale joue de plein droit, car résultant de l’une des causes visées par l’article 726 du Code civil, elle est automatique en ce sens que, pour produire ses effets, il n’est pas besoin de saisir le juge.

Aussi, est-elle attachée à la condamnation pénale dont, au fond, elle est une conséquence légale.

Encore faut-il néanmoins qu’elle soit invoquée, faute de quoi elle ne pourra pas jouer.

Les personnes admises à se prévaloir de l’indignité successorale de plein droit sont limitées.

On compte :

  • Les cohéritiers de l’indigne
  • Les ayants droit de l’indigne
  • Les légataires à titre universel et à titre particulier
  • Le ministère public en l’absence d’héritier

B) La mise en œuvre de l’indignité successorale facultative

Lorsque l’indignité est facultative, soit résulte de l’une des causes visées à l’article 727 du Code civil, sa mise œuvre requiert l’obtention d’une déclaration judiciaire d’indignité.

Aussi, cela suppose-t-il pour celui qui se prévaut de cette forme d’indignité successorale de saisir le juge civil.

À la différence de l’indignité de plein droit, l’indignité facultative n’est pas automatique ; elle doit être prononcée.

==> Compétence

En application de l’article 727-1 du Code civil, la juridiction compétente pour prononcer la déclaration d’indignité successorale est le Tribunal judiciaire.

Plus précisément, parce qu’il s’agit d’une demande qui intéresse les rapports entre héritiers, c’est la juridiction dans le ressort de laquelle est ouverte la succession jusqu’au partage qui est compétente (art. 45 CPC), étant précisé que la succession doit s’ouvrir au lieu du dernier domicile du défunt (art. 720 C. civ.).

==> Titulaires de l’action

L’article 727-1 du Code civil prévoit que « la déclaration d’indignité prévue à l’article 727 est prononcée après l’ouverture de la succession par le tribunal judiciaire à la demande d’un autre héritier. »

Il ressort de cette disposition que seuls les cohéritiers de l’indigne ont qualité pour saisir le juge aux fins de déclaration judiciaire d’indignité.

Aussi, sont privés de la possibilité d’exercer cette action, tant les héritiers testamentaires, que les légataires, alors même qu’ils auraient intérêt à agir.

En l’absence d’héritier, le second alinéa du texte précise que « la demande peut être formée par le ministère public. »

==> Moment d’exercice de l’action

L’article 727-1 du Code civil prévoit expressément que la demande visant à ce qu’un héritier soit déclaré indigne ne peut être formulée qu’après l’ouverture de la succession.

Aucune action ne pourra donc être exercée, tant que la victime de l’indignité n’est pas décédée.

==> Délai pour agir

L’article 727-1 du Code civil prévoit que « la demande doit être formée dans les six mois du décès si la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité est antérieure au décès, ou dans les six mois de cette décision si elle est postérieure au décès. »

Il s’infère de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer selon que la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient avant ou après le décès.

  • La décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient avant le décès de la victime de l’indignité
    • Dans cette hypothèse, l’action en déclaration d’indignité doit être exercée dans un délai de 6 mois à compter du décès du de cujus.
  • La décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient après le décès de la victime de l’indignité
    • Dans cette hypothèse, l’action en déclaration d’indignité doit être exercée dans un délai de 6 mois à compter du prononcé de la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité

==> Décision

Après avoir examiné les circonstances de la cause et vérifié que l’un des cas d’indignité facultative visé par l’article 727 du Code civil était caractérisé, le juge pourra prononce une déclaration d’indignité.

III) Les effets de l’indignité successorale

Lorsqu’elle est acquise, soit directement par l’effet d’une condamnation pénale, soit par l’effet d’une décision du juge civil, l’indignité emporte plusieurs effets.

A) Les effets de l’indignité à l’égard de l’indigne

L’indignité produit deux effets à l’égard de l’indigne :

  • Il est exclu de la succession du de cujus
  • Il doit restitution des fruits et revenus

1. Exclusion de la succession

==> Principe

L’indignité a pour effet principal d’exclure l’indigne de la succession : il est déchu de son droit à succéder au de cujus, il perd sa qualité d’héritier.

S’agissant des libéralités susceptibles d’avoir été consenties par ce dernier à l’indigne, il peut être observé qu’elles ne relèvent pas de l’indignité. Elles ne peuvent être révoquées que pour cause d’ingratitude.

Aussi, l’indignité n’a d’incidence que sur la seule succession ab intestat. L’indigne peut donc conserver le bénéfice des donations ou dispositions testamentaires dont il aurait été gratifié par le défunt.

L’effet attaché à l’indignité n’est, par ailleurs, que relatif en ce sens qu’elle ne prive l’indigne de son aptitude à hériter que dans ses seuls rapports avec le de cujus.

Aussi, conserve-t-il sa capacité à hériter d’une autre personne et notamment aux parents de la victime de l’indignité, soit par le jeu de transmissions successives, soit par le jeu de la représentation successorale.

==> Exception

L’article 728 du Code civil prévoit que « n’est pas exclu de la succession le successible frappé d’une cause d’indignité prévue aux articles 726 et 727, lorsque le défunt, postérieurement aux faits et à la connaissance qu’il en a eue, a précisé, par une déclaration expresse de volonté en la forme testamentaire, qu’il entend le maintenir dans ses droits héréditaires ou lui a fait une libéralité universelle ou à titre universel. »

Il ressort de cette disposition que le de cujus dispose de la faculté de maintenir l’indigne dans ses droits, malgré les fautes commises à son endroit.

Cette faculté de pardon reconnue au de cujus joue, tant en matière d’indignité de plein droit, qu’en matière d’indignité facultative.

C’est là une innovation de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001, le législateur ayant estimé qu’il y avait lieu de donner le dernier mot au défunt, sa volonté primant ainsi les effets de la loi.

Reste que pour que le pardon opère et déjoue les effets de l’indignité, trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  • D’une part, le de cujus doit avoir eu connaissance des faits commis à son encontre et frappés de l’une des causes d’indignité
  • D’autre part, il doit avoir exprimé sa volonté de maintenir l’indigne dans ses droits, nonobstant les faits dont il a eu connaissance
  • Enfin, le pardon accordé par le de cujus à l’indigne doit intervenir après la découverte des faits frappés d’indignité et prendre la forme :
    • Soit d’une disposition testamentaire, ce qui suppose donc que les faits pardonnés soient expressément mentionnés dans le testament
    • Soit d’une libéralité universelle ou à titre universel

2. Obligation de restitution des fruits et revenus

L’article 729 du Code civil prévoit que « l’héritier exclu de la succession pour cause d’indignité est tenu de rendre tous les fruits et tous les revenus dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession. »

Cette disposition marque le caractère rétroactif de l’indignité successorale. Cette situation se rencontrera lorsque l’indigne est entré en possession des biens du de cujus et que l’indignité n’a pas encore produit ses effets.

Tel sera le cas pour l’indignité facultative qui ne peut être déclaré que postérieurement au décès du défunt.

Pour ce qui est de l’indignité de plein droit, la rétroactivité ne concernera que l’hypothèse où la condamnation de l’indigne a été prononcée après le décès du de cujus et que l’indigne est entré en possession immédiatement après l’ouverture de la succession.

En tout état de cause, lorsque l’indignité – de plein droit ou facultative – produit ses effets, l’indigne est réputé n’avoir jamais hérité.

Il en résulte qu’il a l’obligation de restituer :

  • D’une part, les biens qu’il aurait recueillis dans son patrimoine
  • D’autre part, les fruits et les revenus qu’il a éventuellement retirés de ces biens

C’est parce que l’indigne est considéré comme un possesseur de mauvaise foi, qu’il est tenu de restituer intégralement les fruits et revenus provenant des biens dont il a eu la jouissance.

Quant aux tiers auxquels l’indigne aurait transférer la propriété des biens recueillis, leur situation est pour le moins précaire car endossant la qualité d’acquéreur a non domino, soit d’acquéreur sans titre valable.

S’agissant des immeubles, l’opération encourt la nullité en application de la règle nemo plus juris.

Seule la prescription acquisitive pourra consolider la situation du tiers, encore qu’il ne pourra pas se prévaloir de la prescription abrégée.

S’agissant des meubles, la remise en cause de l’opération dépendra de la bonne ou mauvaise foi du tiers.

S’il est de bonne foi, nonobstant sa qualité d’acquéreur a non domino, il conservera le bénéfice de son acquisition. Si, en revanche, il est de mauvaise foi, une action en revendication pourra être exercée, le délai de prescription étant porté à trente ans.

B) Les effets de l’indignité à l’égard des héritiers

Parce qu’il s’agit d’une peine personnelle, l’indignité ne produit ses effets qu’à l’encontre de l’indigne ; elle est sans incidence :

  • D’une part, sur les cohéritiers
  • D’autre part, sur les enfants

S’agissant des enfants, il s’agit là d’une autre innovation introduite par la loi du 3 décembre 2001.

L’article 729-1 du Code civil prévoit que « les enfants de l’indigne ne sont pas exclus par la faute de leur auteur, soit qu’ils viennent à la succession de leur chef, soit qu’ils y viennent par l’effet de la représentation […] ».

Il ressort de cette disposition que les enfants de l’indigne peuvent venir en représentation de celui-ci.

Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté »

Le législateur a ici voulu mettre fin à l’injustice dont étaient victimes les enfants de l’indigne : ceux-ci, qui n’ont commis aucune faute, doivent pouvoir représenter leur auteur dans la succession dont il est exclu.

L’article 729-1 précise néanmoins que « l’indigne ne peut, en aucun cas, réclamer, sur les biens de cette succession, la jouissance que la loi accorde aux père et mère sur les biens de leurs enfants. »

Cette précision vise à déroger à la règle posée à l’article 386-1 du Code civil qui confère aux parents d’un enfant mineur un droit de jouissance légale sur les biens qu’ils administrent.

Il ne faudrait pas que l’indigne puisse tirer profit des biens dont il a été privé par l’entremise de ses enfants qui l’ont représenté dans la succession du de cujus.

Afin d’illustrer la règle énoncée à l’article 729-1, prenons l’exemple de la succession de A qui laisse derrière lui deux enfants, B et C. B qui a deux enfants E et F, est frappé d’indignité.

Si les enfants de l’indigne ne pouvaient pas venir en représentation de celui-ci, alors c’est C qui recueillerait l’intégralité de la succession de A.

Si en revanche les enfants de l’indigne sont admis à le représenter, alors ils pourront se partager la moitié de la succession de A, tandis que C recueillera l’autre moitié.

 

 

[1] M. Grimaldi, Droit des successions, éd. LexisNexis, 2017, n°101, p. 77.

[2] Ph. Salvage, « La viabilité de l’enfant nouveau-né », RTD civ., 1976, p. 725

[3] G. Cornu, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, Domat Droit privé, 9ème éd., 1999, p. 186

[4] M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. III, LGDJ, 7e éd. 1918, n°1731.

[5] M. Grimaldi, Droit des successions, éd. Lexisnexis, 2017, n°105, p. 81.

Mariage: les conditions tenant à la parenté ou la prohibition de l’inceste

La subordination de la validité du mariage au respect de conditions tenant à la parenté des époux, s’explique par la prohibition générale de l’inceste en droit français

I) La prohibition de l’inceste

Les origines de l’interdit de l’inceste ont été longuement étudiées par les sciences humaines et sociales.

De façon schématique, l’interdit de l’inceste relève de considérations :

  • Biologiques: les unions consanguines créent un risque de dégénérescence de l’espèce
  • Sociales: la prohibition de l’inceste est une règle de l’échange social, qui se traduit par l’obligation de prendre femme en dehors du clan familial
  • Psychanalytiques: l’interdiction de tuer son père et d’épouser sa mère découle de l’interdit du meurtre et du cannibalisme

Dans l’ouvrage collectif De l’inceste, Boris Cyrulnik relève que « le mot « inceste » désigne des circuits sexuels très variables d’une culture à l’autre. Pourtant, chaque fois qu’il est employé, il suscite un authentique sentiment d’horreur, comme si tous les membres d’un groupe s’en servaient pour charpenter un imaginaire commun ».

Le droit français ne reconnaît pas explicitement la notion d’inceste. À aucun moment cette notion n’est évoquée explicitement dans notre législation : comme l’a écrit Jean Carbonnier, « paradoxalement, ce tabou si profond n’est inscrit en termes généraux dans aucun texte, ni au code civil ni au nouveau code pénal (non plus que dans les Dix Commandements). Et il n’est point constitutionnalisé : il plane très au-dessus des droits de l’homme ».

Néanmoins, cet interdit universel que constitue l’union sexuelle au sein de la famille sous-tend, d’une part, les dispositions du code civil relatives au mariage et à la filiation, et, d’autre part, les dispositions du code pénal relatives à la répression des violences sexuelles commises au sein de la famille.

En droit pénal, il n’existe pas d’incrimination spéciale de l’inceste mais une circonstance aggravante des viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles sur mineur lorsque ceux-ci sont commis « par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime »

Le code pénal distingue en effet trois catégories de violences sexuelles :

  • Le viol (articles 222-23 à 222-26 du code pénal), défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise» et puni de quinze ans de réclusion criminelle ;
  • L’agression sexuelle (articles 222-22, 222-27 à 222-31 du code pénal), définie comme « toute atteinte sexuelle [autre que le viol] commise avec violence, contrainte, menace ou surprise» et punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende ;
  • L’atteinte sexuelle (articles 227-25 à 227-27-1 du code pénal), définie comme « le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans» et punie également de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.

Lorsque l’infraction a été commise « par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime », les peines sont donc aggravées :

  • Le viol est alors puni de vingt ans de réclusion criminelle, qu’il ait été commis sur un mineur de quinze ans ou non
  • L’agression sexuelle est quant à elle punie de sept ans d’emprisonnement et de 100.000 euros d’amende si elle est commise sur un majeur ou sur un mineur âgé de plus de quinze ans, et de dix ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende si elle est commise sur un mineur de quinze ans
  • L’atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est punie de dix ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende

En droit civil, l’interdit de l’inceste fonde l’interdiction du mariage entre personnes de la même famille (ou, le cas échéant, la nullité d’un tel mariage) ainsi que l’interdiction de faire reconnaître la filiation d’un enfant qui serait issu d’une telle union.

II) Le domaine de l’inceste

A) La prohibition de l’inceste en ligne directe

L’article 161 du Code civil dispose que « en ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne. »

Il ressort de cette disposition qu’il ne peut y avoir de mariage à peine de nullité :

==> Entre ascendant et descendant en ligne directe

L’ascendant est la personne dont est issue une autre personne (le descendant) par la naissance ou l’adoption

Ligne généalogique dans laquelle on remonte du fils au père.

La ligne directe est celle des parents qui descendent les uns des autres.

Ainsi, les ascendants et descendants en ligne directe correspond à la ligne généalogique dans laquelle on remonte du fils au père

Schéma 1.JPG

==> Entre alliés en ligne directe

Les alliés sont, par rapport à un époux, les parents de son conjoint (beau-père, belle-mère, gendre, bru etc…).

Schéma 2.JPG

L’article 161 du Code civil est formel : le mariage entre alliés en ligne direct est prohibé.

La question s’est toutefois posée de savoir si cette prohibition s’imposait toujours en cas de divorce du couple marié.

La Grande Bretagne qui connaît une interdiction similaire a, en effet, été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme dans un arrêt du 13 septembre 2005 (CEDH 13 sept. 2005, B. et L. c/ United Kingdom, req. no 36536/02) dans une affaire opposant un beau-père et sa belle-fille.

Dans cet arrêt, les Juges strasbourgeois ont considéré qu’un tel empêchement, bien que poursuivant un but légitime de protection de l’intégrité de la famille, constituait une atteinte excessive au droit au mariage, ce en violation de l’article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

Pour mémoire, cette disposition, qui garantit le droit au mariage, prévoit que « à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. ».

Non sans une certaine surprise, dans un arrêt du 4 décembre 2013, la Cour de cassation a semblé adopter la solution inverse de celle retenue par la Cour européenne des droits de l’Homme (Cass. 1ère civ. 4 déc. 2013, n°12-26.006).

Dans cette décision, la Première chambre civile a, en effet, décidé que le prononcé de la nullité du mariage d’un beau-père avec sa belle-fille, divorcée d’avec son fils, revêt à l’égard de cette dernière, le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans.

Toutefois, les circonstances de fait ont joué un rôle déterminant dans cette affaire où l’annulation du mariage avait été sollicitée, et prononcée par les juges du fond, sur le fondement de l’article 161 du code civil, qui interdit notamment le mariage entre le beau-père et sa belle-fille, lorsque l’union de cette dernière avec le fils de celui-ci a été dissoute par divorce.

Cass. 1ère civ. 4 déc. 2013
Sur le moyen relevé d’office, après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile :

Vu l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X... et M. Claude Y... se sont mariés le 6 septembre 1969 et qu’une fille, née le 15 août 1973, est issue de leur union ; qu’après leur divorce, prononcé le 7 octobre 1980, Mme X... a épousé le père de son ex mari, Raymond Y..., le 17 septembre 1983 ; qu’après avoir consenti à sa petite fille une donation le 31 octobre 1990, ce dernier est décédé le 24 mars 2005 en laissant pour lui succéder son fils unique et en l’état d’un testament instituant son épouse légataire universelle ; qu’en 2006, M. Claude Y... a, sur le fondement de l’article 161 du code civil, assigné Mme X... en annulation du mariage contracté avec Raymond Y... ;

Attendu que, pour accueillir cette demande, l’arrêt, par motifs propres et adoptés, après avoir relevé qu’ainsi que l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt récent, les limitations apportées au droit au mariage par les lois nationales des Etats signataires ne doivent pas restreindre ou réduire ce droit d’une manière telle que l’on porte atteinte à l’essence même du droit, retient que la prohibition prévue par l’article 161 du code civil subsiste lorsque l’union avec la personne qui a créé l’alliance est dissoute par divorce, que l’empêchement à mariage entre un beau père et sa bru qui, aux termes de l’article 164 du même code, peut être levé par le Président de la République en cas de décès de la personne qui a créé l’alliance, est justifié en ce qu’il répond à des finalités légitimes de sauvegarde de l’homogénéité de la famille en maintenant des relations saines et stables à l’intérieur du cercle familial, que cette interdiction permet également de préserver les enfants, qui peuvent être affectés, voire perturbés, par le changement de statut et des liens entre les adultes autour d’eux, que, contrairement à ce que soutient Mme X..., il ressort des conclusions de sa fille que le mariage célébré le 17 septembre 1983, alors qu’elle n’était âgée que de dix ans, a opéré dans son esprit une regrettable confusion entre son père et son grand père, que l’article 187 dudit code interdit l’action en nullité aux parents collatéraux et aux enfants nés d’un autre mariage non pas après le décès de l’un des époux, mais du vivant des deux époux, qu’enfin, la présence d’un conjoint survivant, même si l’union a été contractée sous le régime de la séparation de biens, entraîne nécessairement pour M. Claude Y..., unique enfant et héritier réservataire de Raymond Y..., des conséquences préjudiciables quant à ses droits successoraux, la donation consentie à Mme Fleur Y... et la qualité de Mme Denise X... en vertu du testament du défunt étant sans incidence sur cette situation, de sorte que M. Claude Y... a un intérêt né et actuel à agir en nullité du mariage contracté par son père ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le prononcé de la nullité du mariage de Raymond Y... avec Mme Denise X... revêtait, à l’égard de cette dernière, le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et vu l’article L. 411 3 du code de l’organisation judiciaire ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition prononçant l’annulation du mariage célébré le 17 septembre 1983 entre Raymond Y... et Mme Denise X..., ainsi qu’en sa disposition allouant une somme à M. Claude Y... sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 21 juin 2012, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;

  • Faits
    • Le fils de l’époux avait introduit l’action en nullité du mariage, 22 ans après sa célébration, après le décès de son père, lequel avait institué son épouse légataire universelle.
    • Celle-ci avait invoqué, pour s’y opposer, une atteinte à la substance du droit au mariage garanti par l’article 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en se fondant sur un arrêt rendu en ce sens le 13 septembre 2005 par la Cour européenne des droits de l’homme, relatif à un projet de mariage entre alliés, se prévalant de nombreuses années de vie commune.
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 21 juin 2012, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a accueilli la demande de nullité en considérant que l’empêchement à mariage entre un beau-père et sa bru, prévu par l’article 161 du code civil, était justifié en ce qu’il répondait à des finalités légitimes de sauvegarde de l’homogénéité de la famille et qu’en l’espèce, la présence d’un conjoint survivant entraînait nécessairement des conséquences successorales préjudiciables à cet unique héritier qui, dès lors, justifiait d’un intérêt à l’annulation.
  • Solution
    • La Cour de cassation a jugé que les constatations des juges du fond étaient suffisantes pour en déduire que le droit au respect de la vie privée et familiale, au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, commandait de rejeter la demande d’annulation de ce mariage, célébré sans que le ministère public ait formé opposition au mariage, alors que les pièces d’état civil qui avaient été produites par les futurs époux révélaient nécessairement la cause de l’empêchement au mariage.
  • Portée
    • En raison de son fondement, la portée de cette décision est limitée au cas particulier examiné.
    • Ainsi, le principe de la prohibition du mariage entre alliés n’est pas remis en question par cette décision de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 8 décembre 2016, la Cour de cassation a confirmé la prohibition du mariage entre alliés en ligne direct (Cass. 1ère civ. 8 déc. 2016, n°15-27.201).

Au soutien de sa décision elle rappelle que « que l’ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale que constitue l’annulation d’un mariage entre alliés en ligne directe est prévue par les articles 161 et 184 du code civil et poursuit un but légitime en ce qu’elle vise à sauvegarder l’intégrité de la famille et à préserver les enfants des conséquences résultant d’une modification de la structure familiale »

À cet égard, elle précise « qu’il appartient toutefois au juge d’apprécier si, concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, la mise en oeuvre de ces dispositions ne porte pas au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Convention une atteinte disproportionnée au regard du but légitime poursuivi »

En l’espèce, la Cour de cassation relève que :

  • D’une part, la belle-fille avait 9 ans quand son beau-père a épousé sa mère en troisièmes noces
  • D’autre part, qu’elle avait 25 ans lorsque ces derniers ont divorcé et 27 ans lorsque son beau-père l’a épousée

Il en résulte que l’intéressée a vécu, alors qu’elle était mineure, durant neuf années, avec celui qu’elle a ultérieurement épousé et qui représentait nécessairement pour elle, alors qu’elle était enfant, une référence paternelle, au moins sur le plan symbolique

La Première chambre civile relève encore que l’union de la belle-fille avec son beau-père n’avait duré que huit années lorsque l’action en nullité a été engagée et qu’aucun enfant n’est issu de cette union prohibée

Au regard de tous ces éléments, la Cour de cassation valide la décision des juges du fond qui ont pu valablement déduire que l’annulation du mariage ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la belle-fille au regard du but légitime poursuivi.

Cass. 1ère civ. 8 déc. 2016
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 décembre 2014), que Pierre Y..., né le 10 janvier 1925, et Mme Z..., née le 6 juillet 1949, se sont mariés le 28 janvier 1984 ; qu’après leur divorce, prononcé par jugement du 13 décembre 2000, Pierre Y... a épousé, le 12 janvier 2002, Mme X..., fille de Mme Z..., née le 24 avril 1975 d’une précédente union ; qu’après le décès de Pierre Y..., le 5 avril 2010, Mme Anne Y..., épouse A... et MM. Philippe, Jacques et Frédéric Y... (les consorts Y...) ont assigné Mme X... aux fins de voir prononcer, sur le fondement de l’article 161 du code civil, l’annulation de son mariage avec leur père et beau-père ; que, Mme X... ayant été placée sous curatelle renforcée en cours de procédure, son curateur, l’ATMP du Var, est intervenu à l’instance ;

Attendu que Mme X... et l’ATMP du Var font grief à l’arrêt de prononcer l’annulation du mariage et, en conséquence, de rejeter leur demande de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que le prononcé de la nullité du mariage célébré entre anciens alliés en ligne directe, après la dissolution par divorce de la première union qui avait été contractée par l’un des deux alliés avec le parent du second, porte une atteinte disproportionnée au droit du mariage ; qu’en prononçant, sur le fondement de l’article 161 du code civil, la nullité du mariage célébré le 12 janvier 2002 entre Pierre Y... et Mme X..., fille de sa précédente épouse toujours en vie, quand l’empêchement à mariage entre alliés en ligne directe, qui peut néanmoins être célébré en vertu d’une dispense si celui qui a créé l’alliance est décédé et ne repose pas sur l’interdiction de l’inceste, inexistant entre personnes non liées par le sang, porte une atteinte disproportionnée au droit au mariage, la cour d’appel a violé l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 ;

2°/ que le prononcé de la nullité du mariage célébré entre anciens alliés en ligne directe est susceptible de revêtir, à leur égard, le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de leur droit au respect de la vie privée et familiale, dès lors que leur union, célébrée sans opposition, a duré plusieurs années ; qu’en prononçant, sur le fondement de l’article 161 du code civil, la nullité du mariage célébré le 12 janvier 2002 entre Pierre Y... et Mme X..., fille de sa précédente épouse toujours en vie, quand ce mariage célébré sans opposition, avait duré pendant huit années, la cour d’appel a violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 ;

Mais attendu, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 161 du code civil, en ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne ; que, selon l’article 184 du même code, tout mariage contracté en contravention à ces dispositions peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, par tous ceux qui y ont intérêt ;

Qu’aux termes de l’article 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ;

Que, selon la Cour européenne des droits de l’homme, si l’exercice de ce droit est soumis aux lois nationales des Etats contractants, les limitations en résultant ne doivent pas le restreindre ou le réduire d’une manière ou à un degré qui l’atteindraient dans sa substance même ; qu’il en résulte que les conditions requises pour se marier dans les différentes législations nationales ne relèvent pas entièrement de la marge d’appréciation des Etats contractants car, si tel était le cas, ceux-ci pourraient interdire complètement, en pratique, l’exercice du droit au mariage ;

Que, cependant, le droit de Mme X... et Pierre Y... de se marier n’a pas été atteint, dès lors que leur mariage a été célébré sans opposition et qu’ils ont vécu maritalement jusqu’au décès de l’époux ; qu’en annulant le mariage, la cour d’appel n’a donc pas méconnu les exigences conventionnelles résultant du texte susvisé ;

Attendu, en second lieu, qu’aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ;

Que l’ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale que constitue l’annulation d’un mariage entre alliés en ligne directe est prévue par les articles 161 et 184 du code civil et poursuit un but légitime en ce qu’elle vise à sauvegarder l’intégrité de la famille et à préserver les enfants des conséquences résultant d’une modification de la structure familiale ;

Qu’il appartient toutefois au juge d’apprécier si, concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, la mise en oeuvre de ces dispositions ne porte pas au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Convention une atteinte disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ;

Attendu que l’arrêt relève, d’abord, que Mme X... avait 9 ans quand Pierre Y... a épousé sa mère en troisièmes noces, qu’elle avait 25 ans lorsque ces derniers ont divorcé et 27 ans lorsque son beau-père l’a épousée ; qu’il en déduit que l’intéressée a vécu, alors qu’elle était mineure, durant neuf années, avec celui qu’elle a ultérieurement épousé et qui représentait nécessairement pour elle, alors qu’elle était enfant, une référence paternelle, au moins sur le plan symbolique ; qu’il constate, ensuite, que son union avec Pierre Y... n’avait duré que huit années lorsque les consorts Y... ont saisi les premiers juges aux fins d’annulation ; qu’il relève, enfin, qu’aucun enfant n’est issu de cette union prohibée ; que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire que l’annulation du mariage ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme X..., au regard du but légitime poursuivi ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi ;

B) La prohibition de l’inceste en ligne collatérale

L’article 162 du Code civil prévoit encore que « en ligne collatérale, le mariage est prohibé, entre le frère et la sœur, entre frères et entre sœurs »

L’article 163 du Code civil ajoute que « le mariage est prohibé entre l’oncle et la nièce ou le neveu, et entre la tante et le neveu ou la nièce. »

Ainsi, il ne peut y avoir de mariage à peine de nullité :

==> Entre collatéraux

La ligne collatérale est celle des parents qui ne descendent pas les uns des autres mais d’un auteur commun.

Le degré correspond à un intervalle séparant deux générations et servant à calculer la proximité de la parenté, chaque génération comptant pour un degré

L’article 741 du Code civil dispose que « la proximité de parenté s’établit par le nombre de générations ; chaque génération s’appelle un degré. »

L’interdiction s’étend aux degrés suivants :

  • Au deuxième degré
    • Entre frères et sœurs, sans qu’il y ait lieu de distinguer s’ils sont germains, consanguins ou utérins.

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  • Au troisième degré
    • Le mariage est prohibé entre l’oncle et la nièce ou le neveu, et entre la tante et le neveu ou la nièce

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  • Au quatrième degré
    • Très tôt la question s’est posée de savoir s’il convenait d’étendre la prohibition de l’inceste au quatrième degré et plus particulièrement entre grand-oncle et petite-nièce et grand-tante et petit-neveu
    • Dans un avis du 23 avril 1808, le Conseil d’État répondit par la négative à cette question validant le mariage entre les personnes visées.
    • Toutefois, cet avis fut immédiatement réprouvé par l’Empereur qui, aux termes d’une décision publiée au Bulletins des lois du 7 mai 1808, arrêta que « le mariage entre un grand-oncle et sa petite-nièce ne peut avoir lieu qu’en conséquence de dispenses accordées conformément à ce qui est prescrit par l’article 164 du Code civil…».
    • Cette position a été confirmée, 70 ans plus tard, par la Cour de cassation dans un arrêt du 28 novembre 1877 ( req. 28 nov. 1877).

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C) Les dispenses

Deux sortes d’empêchements doivent être distinguées en matière de prohibition de l’inceste :

  • Les empêchements absolus qui ne peuvent faire l’objet d’aucune dispense
  • Les empêchements relatifs qui peuvent être levés au moyen d’une dispense

==> Les empêchements absolus

Il s’agit de tous ceux pour lesquels aucune dispense n’est prévue. Il en va ainsi de l’interdiction à mariage notamment entre :

  • Parents en ligne directe
  • Alliés en ligne directe
  • Frères et sœurs

==> Les empêchements relatifs

Il s’agit de toutes les interdictions à mariage pour lesquelles le législateur a prévu une dispense.

L’article 164 du Code civil prévoit qu’il est loisible au Président de la République de lever, pour des causes graves, les prohibitions portées :

  • Par l’article 161 aux mariages entre alliés en ligne directe lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée ;
  • Par l’article 163, soit les interdictions à mariage qui intéressent l’oncle et la nièce, la tante et le neveu.

L’article 366, al. 7 dispose encore que la prohibition au mariage portée entre l’adopté et le conjoint de l’adoptant ; réciproquement entre l’adoptant et le conjoint de l’adopté peut être levée dans les mêmes conditions lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée.

La dispense ne pourra être obtenue qu’à la condition de justifier d’un motif grave. L’examen de la jurisprudence révèle que l’intérêt de l’enfant né ou à naître est l’une des principales causes d’obtention d’une dispense.

Quelle responsabilité pour l’auteur d’un lien hypertexte?

Le statut du tisseur de liens. Pas de liberté sans responsabilité : telle est la règle qui, grosso modo, dans le monde physique, s’applique aux agents. Ainsi, en droit civil français, existe-t-il un principe fondamental selon lequel « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »[1]. De la même façon, en droit pénal tout fait qui tombe sous le coup d’une incrimination textuelle engage la responsabilité de celui qui est à l’origine de ce fait[2]. Qu’en est-il de la responsabilité des tisseurs de liens lesquels jouissent, dans l’univers numérique, d’une liberté relativement étendue ? S’il n’eût existé en droit positif que les deux principes sus-énoncés, point ne serait besoin de se questionner sur le fondement juridique susceptible d’être utilisé quant à engager la responsabilité des bâtisseurs du web. Cela est, cependant, sans compter sur le législateur qui, au fil des années, a jugé bon de multiplier, par touches successives, le nombre de régimes spéciaux, de sorte que, de plus en plus d’acteurs de la vie économique, ont vu leur responsabilité aménagée[3]. Pour ce qui nous concerne, afin que soit instauré un climat de confiance dans l’économie numérique, certains de ses acteurs n’y ont pas échappé ou plutôt, devrait-on dire, en ont bénéficié. Si, en effet, il est des régimes spéciaux qui tendent à renforcer la responsabilité de certains[4], il en est d’autres qui, à l’opposé, les en exonèrent totalement[5] ou partiellement[6]. Par chance, pour ceux que l’on désigne sous le qualificatif d’intermédiaire technique, leur situation se rapproche plus de la seconde option que de la première. Le législateur a fait preuve d’une immense mansuétude à leur égard. Le régime de responsabilité qui s’applique à eux a été considérablement allégé. D’où, l’intérêt de s’interroger sur la qualité exacte des tisseurs de liens. Concrètement, trois catégories d’intermédiaires techniques se sont vues attirer les faveurs du législateur. Transposant la directive européenne du 8 juin 2000 sur le commerce électronique[7], la loi du 21 juin 2004, dite pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN)[8], a posé un principe d’irresponsabilité, assorti de quelques tempéraments pour les hébergeurs d’une part, et pour les prestataires de stockage temporaire ainsi que les fournisseurs d’accès à l’internet, d’autre part. Les tisseurs de liens endossent-ils l’une de ces trois qualités ? C’est ce qu’il nous faut déterminer.

La question de la qualification d’intermédiaire technique. S’agissant de la qualité d’hébergeur, elle bénéficie, selon l’article L. 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004, aux « personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ». Tel n’est, manifestement, pas l’objet de l’activité à laquelle s’adonnent les tisseurs de liens hypertextes. Comme le souligne Cyril Rojinsky, ces agents n’hébergent « d’aucune manière que ce soit le site cible vers lequel ils pointent, en ce sens qu’ils ne stockent pas les informations fournies par l’éditeur du site cible »[9]. Il en résulte que les créateurs de liens ne sauraient être assimilés à des hébergeurs et donc bénéficier de leur régime de responsabilité. Quant à la qualité de prestataire de stockage temporaire, l’article L. 32-3-4 du Code des postes et communications électroniques dispose que cette qualité peut être prêtée à « toute personne assurant dans le seul but de rendre plus efficace leur transmission ultérieure, une activité de stockage automatique, intermédiaire et temporaire des contenus qu’un prestataire transmet ». Le même argument que pour les hébergeurs peut ici être formulé. La tâche des tisseurs de liens ne consiste pas à stocker des informations, mais à les relier les unes aux autres. Dans ces conditions, ils ne peuvent pas rentrer dans cette catégorie d’intermédiaire technique pour qui le législateur a concocté un régime de responsabilité substantiellement allégé. Reste à examiner le cas des fournisseurs d’accès à l’internet, dont on peut se demander si leur fonction ne se recoupe pas, éventuellement, avec celle des créateurs de liens hypertextes. Alors que les premiers ont pour finalité, selon les termes de l’article L. 32-3-3 du Code des postes et communications électroniques, d’assurer la « transmission de contenus sur un réseau de communications électroniques ou de fourniture d’accès à un réseau de communications électroniques », les seconds jouent également, d’une certaine manière, ce rôle de transporteur dans la mesure où ils permettent aux internautes d’importer, de pages web distantes, n’importe quelle sorte de ressource. En outre, il ne serait pas déraisonnable de soutenir que, pareillement aux fournisseurs d’accès, les tisseurs de la toile offrent, indirectement, à ceux qui activent les liens, un accès à des services de communication en ligne.

L’existence d’un vide juridique. Pour frappantes que soient ces ressemblances entre les fonctions exercées par ces deux catégories d’opérateurs techniques, trop de dissemblances les séparent malgré tout, à commencer par les conditions que doivent remplir les fournisseurs d’accès à l’internet pour bénéficier du régime d’irresponsabilité prévu par le législateur. Selon l’article L. 32-3-3 du Code des postes et communications électroniques, pour que ces derniers profitent d’une exonération totale de responsabilité, ils ne doivent, ni être à l’origine de la demande de transmission litigieuse, ni avoir sélectionné le destinataire de la transmission, ni enfin avoir sélectionné et modifié les informations faisant l’objet de la transmission. Les créateurs de liens ne remplissent pas de telles conditions. La raison en est que, « en choisissant de manière manuelle ou automatisée les sites vers lesquels ils renvoient leurs visiteurs on peut estimer qu’ils sélectionnent […] les informations faisant l’objet d’une transmission »[10]. Il s’ensuit que les tisseurs de liens hypertextes ne peuvent se voir appliquer aucun des régimes de responsabilité qui bénéficient aux intermédiaires techniques. C’est donc un sentiment de vide juridique qui nous est laissé. Déjà, lors de l’adoption de la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, le débat sur la responsabilité des fournisseurs de liens hypertextes n’avait pas eu lieu. À l’époque, les instances communautaires ont préféré se concentrer sur la responsabilité des hébergeurs et des fournisseurs d’accès, plutôt que sur celle des créateurs de liens hypertextes. L’examen du régime juridique les concernant a été reporté[11]. Dix ans plus tard, rien n’a, cependant, encore été tranché, ni même réellement discuté. Et, s’il est des États membres[12] qui ont opté pour une limitation de la responsabilité des tisseurs de liens, il en est d’autres, comme la France, qui ne se sont pas encore décidés. Bien que surprenante puisse paraître cette absence d’harmonisation entre les États membres de l’Union européenne, cette situation n’est pour l’heure pas prête de bouger. En France c’est donc le droit commun qui a vocation à s’appliquer aux tisseurs de liens. Leur responsabilité peut, d’abord, être recherchée pour le fait même de pointer vers une ressource tierce, ensuite pour la manière de lier deux pages web entre elles et, enfin, pour l’illicéité de la ressource vers laquelle il est renvoyé.

Liberté de tissage et droit d’auteur. Pour ce qui est de la première hypothèse, il faut avoir à l’esprit que la fonction d’un lien hypertexte est de renvoyer vers une page web déterminée. Ce renvoi permet à celui qui active le lien d’accéder à une ressource immatérielle dont l’utilisation peut être protégée par des droits de propriété intellectuelle[13]. Partant, on peut légitimement se demander si la création de tels liens, ne porterait pas atteinte au monopole d’exploitation dont sont investis les administrateurs de la page web vers laquelle il est pointé. Si cette interrogation ne semble pas réellement se poser s’agissant d’un simple renvoi vers une page web où est légalement reproduite une marque, en ce que la contrefaçon de celle-ci ne saurait être caractérisée que s’il est porté atteinte à sa fonction[14], plus délicate est la question du renvoi vers un site internet sur lequel est mise en ligne une création intellectuelle protégée par le droit de la propriété littéraire et artistique. Conformément à l’article L. 111-1 alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit « sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». La seule communication au public d’une œuvre suppose que soit, expressément, et par écrit[15], donnée l’autorisation de son créateur[16]. Si, dès lors, on tend à considérer que la création d’un lien hypertexte pointant vers une œuvre de l’esprit se confond avec la notion d’exploitation au sens où l’entend le droit de la propriété littéraire et artistique, les tisseurs de liens peuvent, dans le cas où ils ne solliciteraient pas le consentement du titulaire des droits intellectuels, être qualifiés de contrefacteurs. À l’évidence, loin d’être satisfaisante est une telle situation dans la mesure où, de la création des liens hypertextes, dépend le développement du web. Restreindre substantiellement la liberté de lier des tisseurs de liens, en leur imposant de solliciter systématiquement l’autorisation des auteurs des œuvres ciblées, reviendrait à menacer l’existence même de la toile[17]. Christophe Carron le concède très volontiers en affirmant que « si chaque lien devait constituer […] une contrefaçon, c’est tout le système de l’internet qui pourrait être remis en cause »[18]. Les auteurs étant unanimes sur ce constat, il convient de s’employer à mesurer le degré de compatibilité de la liberté de lier avec le droit d’auteur, afin de savoir s’il est une conciliation possible entre les deux.

Le droit de reproduction. Comment y parvenir ? Il nous suffit de comparer le mécanisme d’activation des liens hypertextes aux modes d’exploitation des œuvres de l’esprit. Préalablement à l’établissement de toute comparaison, il est, toutefois, nécessaire de préciser que ce monopole d’exploitation consenti par la loi aux auteurs se compose d’un droit de reproduction et d’un droit de représentation[19]. C’est à la lumière de ces deux prérogatives intellectuelles qu’il pourra être déterminé l’étendue de la liberté des tisseurs de liens. S’agissant de l’acte de reproduction tout d’abord, il est défini à l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle comme « la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte ». Confrontée à l’acte de création d’un lien hypertexte, cette disposition paraît ne pas pouvoir s’y appliquer ; à aucun moment le tisseur de liens ne s’adonne à une quelconque reproduction de l’œuvre vers laquelle il renvoie. La seule fixation qui peut lui être reprochée est, à la rigueur, celle de l’URL de la page web visée[20]. La liberté de tissage dont il jouit ne semble, de ce fait, en aucune manière porter atteinte au droit exclusif de reproduction des auteurs[21]. Certains avancent, néanmoins, que le copiste n’est pas nécessairement celui qui, matériellement, effectue l’acte de copie proprement dit. Selon cette théorie, toute personne qui, sciemment, met à disposition du public les moyens de reproduire une œuvre de l’esprit peut se voir qualifier de contrefacteur. Telle a été la solution dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans le célèbre arrêt Rannou-Graphie rendue le 7 mars 1984[22]. Les juges ont estimé, à propos d’une officine de photocopie, qu’elle s’était livrée à un acte de contrefaçon par reproduction en mettant à disposition de ses clients des moyens leur permettant de porter atteinte au droit d’auteur impunément[23]. Bien que très séduisante puisse, à maints égards, être cette théorie, elle n’est, en aucun cas, susceptible de s’appliquer aux tisseurs de liens.

L’exception de reproduction provisoire. En créant un lien hypertexte qui pointe vers une œuvre de l’esprit, son fournisseur ne met nullement à disposition du public un moyen de la reproduire. Il en facilite seulement l’accès. Un lien hypertexte n’est qu’un chemin qui relie deux ressources du réseau entre elles. S’il est, par conséquent, une reproduction de la page web vers laquelle il est renvoyé, jamais elle ne saurait être le fait de l’activation du lien. Tout au plus, « le site liant […] agit comme une passerelle permettant la fixation des contenus »[24]. Lorsque les pages web d’un site internet sont visitées, leur nécessaire reproduction provisoire dans la mémoire vive de l’ordinateur à partir duquel elles sont consultées[25] est réalisée, non pas par le lien hypertexte qui pointe vers elles, mais par la machine de l’internaute qui l’a activé. Outre cet argument, s’ajoute la constatation selon laquelle, quand bien même l’activation d’un lien hypertexte aurait pour effet de reproduire le contenu protégé vers lequel il renvoie, cette reproduction, droit exclusif de l’auteur[26], tombe sous le coup de l’exception de reproduction provisoire introduite par la directive sur la société de l’information du 22 mai 2001[27]. Selon cette exception, l’auteur d’une œuvre divulguée ne peut pas empêcher sa reproduction provisoire, à condition que cette reproduction ait un « caractère transitoire ou accessoire », qu’elle soit « partie essentielle et intégrante d’un procédé technique », qu’elle ait « pour unique objet de permettre l’utilisation licite de l’œuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d’un réseau faisant appel à un intermédiaire » et, enfin, qu’elle n’ait pas « de valeur économique propre » [28]. Parce que cette exception a, en partie, été pensée pour bénéficier aux internautes qui consultent une page web sur laquelle est présente une œuvre de l’esprit[29], elle doit profiter également, sans distinction, à ceux qui accèdent au même contenu par le biais d’un lien hypertexte. Grâce à cette exception, les tisseurs de liens semblent être immunisés contre une éventuelle action en contrefaçon, ce d’autant plus qu’il sera peu aisé de prouver que la reproduction du contenu protégé est le fait de l’activation d’un lien. Si la liberté de lier des tisseurs de liens apparaît comme pouvant parfaitement être combinée avec le droit de reproduction des auteurs, rien n’est moins sûr s’agissant de leur droit de représentation.

Le droit de représentation. En vertu de L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle, la représentation est définie comme « la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque […] ». Or n’est-ce pas là la fonction d’un lien hypertexte que de mettre à disposition du public le contenu auquel il renvoie ? Il n’est, dans cette perspective, pas illégitime de s’interroger sur la question de savoir si l’activation d’un lien ne pourrait pas être assimilée en une sorte de communication au public de la ressource vers laquelle il est pointé. Au soutien de cette thèse, certains avancent qu’un lien peut être comparé à un relais et que, à ce titre, au regard du concept de représentation, celui qui en exerce le contrôle s’apparente à un exploitant. C’est précisément de cette qualification-ci qu’a été affublé, par la première chambre civile de la Cour de cassation[30], le gérant d’un hôtel, qui mettait à disposition de ses clients des récepteurs de télévision reliés par câble aux programmes diffusés par satellite. Dans cette affaire, dite CNN, les juges ont estimé que l’acte de représentation était bien caractérisé « dès lors que l’ensemble des clients de l’hôtel, bien que chacun occupe à titre privé une chambre individuelle, constitue un public à qui l’hôtelier transmet les programmes dans l’exercice et pour les besoins de son commerce ». Par analogie avec cette décision, il pourrait être soutenu que le tisseur de liens hypertextes procède également à un acte de représentation, en communiquant au public que forment les internautes, le contenu auquel il renvoie. À la différence néanmoins de l’hôtelier, le tisseur de liens a face à lui un seul et même public qui ne change pas. C’est là toute la différence. Il ne saurait, en effet, être porté atteinte au droit de représentation d’un auteur que si son œuvre est communiquée à un public autre que celui déjà visé par ce dernier. Comme le souligne Philippe Gaudrat, « le poseur de lien n’étend pas le public. La conception même du réseau fait que le public des œuvres mises en ligne sur internet est un public unique et réellement universel »[31]. Dès lors, il ne saurait être soutenu que la communication d’une œuvre de l’esprit par le biais d’un lien hypertexte vise un nouveau public : à partir du moment où elle est en ligne, cette dernière est susceptible d’être contemplée par l’ensemble des utilisateurs qui sillonnent l’univers numérique[32].

La communication d’une œuvre contrefaisante. Le tisseur de liens ne porte aucunement atteinte au droit de représentation des auteurs, ce d’autant plus que si communication au public il y a, elle doit s’effectuer de manière directe[33]. Or exception faite des liens hypertextes automatiques[34], tel n’est pas le cas des liens traditionnels, qui n’ont pour seule fonction que de faciliter l’accès de l’œuvre vers laquelle ils pointent. En d’autres termes, « la mise en ligne du contenu d’un site est décidée par le propriétaire de celui-ci et la création de tout hyperlien ne fait que prolonger l’acte initial de la mise à disposition du public »[35]. L’acte de création d’un lien hypertexte doit donc être considéré comme indépendant de l’acte de communication au public. Sans ce lien, le contenu vers lequel il est renvoyé serait tout autant accessible à quiconque dispose d’un accès internet, à condition d’en connaître l’URL. En informant l’internaute de l’existence de l’adresse du site cible, l’hyperlien joue, ni plus, ni moins le rôle d’une note de bas de page. En somme, « le fournisseur du lien, comme l’expression l’indique, fournit le lien… et non le contenu auquel il renvoie »[36]. Finalement, eu égard à tout ce qui précède, le monopole d’exploitation des auteurs apparaît comme étant compatible avec la liberté de lier dont jouissent les tisseurs de liens. Telle est la conclusion à laquelle est arrivé le forum des droits sur l’internet en affirmant qu’« au regard de la mise en œuvre des droits patrimoniaux » le principe doit être « la liberté de lier dans le respect du droit des tiers » [37]. À ne pas s’y méprendre, cependant. Aussi libres de lier soient les fournisseurs de liens, la frontière qui les tient à l’écart du giron du droit d’auteur est pour le moins ténue. Comme le souligne Christophe Caron, ces derniers sont placés, « non pas dans une prison juridique, mais dans un régime de liberté surveillée […] »[38]. C’est la raison pour laquelle les tisseurs de liens ne sont pas totalement à l’abri de voir leur responsabilité engagée pour ce qui est du principe même de pointer vers une ressource tierce. Il est, par exemple, un cas, où leur responsabilité sera susceptible d’être recherchée en raison d’une atteinte portée au droit d’auteur : la mise à disposition d’un contenu illicite. C’est l’hypothèse d’un lien hypertexte qui renvoie vers un site web sur lequel sont mis en ligne des fichiers illégaux (musique, films, jeux vidéos, etc.). Or les articles L. 335-2 et L. 335-4 du Code de la propriété intellectuelle assimilent précisément la mise à dispositions de copies contrefaisantes à de la contrefaçon. Certains tribunaux ont sanctionné, pour contrefaçon – même s’il s’agit plus, en réalité, de complicité – les auteurs de tels liens[39]. D’autres, en revanche, se refusent de voir dans leur création un acte de contrefaçon[40]. D’autres encore avancent qu’il s’agit là plutôt d’un acte en concurrence déloyale[41]. En définitive, il ressort de l’ensemble des décisions rendues par la jurisprudence que la responsabilité des tisseurs de liens du fait d’un renvoi vers une ressource protégée par le droit d’auteur peut difficilement être engagée. Ce constat vaut-il également s’agissant de la manière de tisser la toile ?

La problématique des liens profonds. De quels liens hypertextes parle-t-on lorsque l’on évoque la manière de pointer ? Ce sont surtout les liens profonds que nous visons. Lorsqu’un tel lien est créé, cela suppose que, pour accéder à la ressource cible, les internautes ne passent pas par la page d’accueil du site internet vers lequel il est renvoyé. Il est, dès lors, des risques qu’il soit causé un préjudice à l’administrateur dudit site, non pas du fait de l’existence même de ce lien, mais du fait de la manière dont ce lien a été confectionné. La question qui se pose au juriste n’est pas de savoir si le tisseur de liens doit ou non obtenir l’autorisation de l’auteur du contenu vers lequel il est pointé, mais quelles diligences doivent être prises afin qu’il ne soit pas nui au fonctionnement du site lié. Le premier risque susceptible d’être généré par l’établissement d’un lien profond réside dans l’ambigüité sous-jacente qui découle de sa création. Lorsqu’il est renvoyé vers une page web dont l’interface graphique ne permet pas de la différencier de la page web sur laquelle le lien est édité, il est fort probable que l’internaute qui l’active ne sache pas à quelle entité numérique la ressource visée est rattachée. Certains tisseurs de liens pourraient être tentés d’exploiter cette confusion, en laissant supposer que le contenu cible est leur, alors qu’en réalité le site web d’où il provient est administré par un tiers. Du point de vue du droit, il est des raisons de penser que pareille pratique est susceptible d’engager la responsabilité de son auteur. Dans cette perspective, il est permis de se demander s’il n’est pas un fondement juridique par l’entremise duquel elle pourrait être appréhendée comme, par exemple, la concurrence déloyale.

Concurrence déloyale et confusion. Élaborée par la jurisprudence, à la fin du XIXe siècle, cette théorie vise à permettre à un acteur économique, victime d’agissements déloyaux, de poursuivre l’auteur en responsabilité civile afin d’obtenir réparation de son préjudice. La doctrine[42] a traditionnellement pour habitude de distinguer trois sortes de concurrence déloyale : l’imitation, le dénigrement, et la désorganisation. Pour ce qui nous intéresse, à savoir l’imitation, elle peut être définie comme la pratique qui consiste à créer une confusion avec les produits, les services, les activités industrielles et commerciales d’une entreprise, de nature à tromper le public et à détourner la clientèle par des moyens déloyaux. Cette pratique ne semble pas très éloignée de celle consistant en la création d’un lien profond. Même si un changement d’URL s’opère dans la barre des logiciels de navigation, lorsqu’un tel lien est activé par un internaute, il est un risque de confusion dans son esprit. Il peut ne pas s’apercevoir que la page qu’il consulte ne dépend plus du site web originellement visité. Il apparaît, dès lors, que plus la confusion dont est victime le site lié sera grande, plus facilement pourra être caractérisée une faute à l’encontre du site liant, à condition que les deux sites entretiennent des rapports de concurrence entre eux. Sans surprise, c’est aux États-Unis que la première affaire relative à une action en concurrence déloyale pour confusion a éclatée[43]. Reprochant à la multinationale Microsoft d’avoir pointé des liens profonds vers son site, la société Ticketmaster a invoqué devant les juges le risque de confusion dans l’esprit du public que pouvaient entraîner de tels liens. Cette confusion aurait eu pour effet d’envisager que des rapports plus ou moins étroits aient existé entre les deux sociétés, alors que cela n’était nullement le cas.

L’affaire Keljob. Malheureusement, pour les commentateurs, cette affaire s’est conclue par une transaction. Microsoft aurait, cependant, accepté de retirer de son site les liens litigieux. Le sentiment nous est donc laissé que l’établissement de liens profonds peut, à maints égards être constitutif d’un acte de concurrence déloyale. Ce sentiment doit, toutefois, demeurer mesuré. Dans une affaire qui opposait la société Keljob, moteur de recherche spécialisé dans les offres d’emploi, à la société Cadreonline, exploitante d’un site proposant au public des offres d’emploi sous la forme d’annonces, le juge français semble en avoir décidé autrement[44]. Dans ce litige où était pendante la question de la licéité de liens profonds, ni le Tribunal de grande instance de Paris, ni la Cour d’appel n’a jugé bon d’interdire de tels liens. Ces deux juridictions ont estimé, tour à tour, qu’aucun risque de confusion n’était caractérisé. Bien que cette décision puisse apparaître contradictoire avec l’affaire Microsoft contre Ticketmaster, en réalité, il n’en est rien. Dans la présente affaire, aucun rapport de concurrence n’existait entre le moteur de recherche Keljob et la société Cadreonline. C’est pourquoi les juges n’ont pu caractériser aucun acte de concurrence déloyale à l’égard du tisseur de liens. Tout au plus, il aurait pu se voir reprocher un agissement parasitaire. Cet acte ne suppose pas l’existence d’un quelconque rapport de concurrence[45]. Comme s’accordent à le dire la plupart des auteurs, en jurisprudence « la question de savoir si un lien profond établi par un concurrent crée un risque de confusion dans l’esprit du public n’est […] toujours pas tranchée »[46]. La solution rendue par les juges dépend essentiellement du contexte dans lequel le lien est inséré. Si les éléments en présence ne sont pas suffisants quant à caractériser la confusion, l’administrateur du site web lié n’aura d’autre choix que d’invoquer, comme fondement juridique, la seconde forme de concurrence déloyale : la désorganisation.

Concurrence déloyale et désorganisation. Comme son nom l’indique, l’acte de désorganisation consiste à désorganiser l’activité d’un concurrent afin qu’il soit procédé selon la formule de Philippe Le Tourneau à « la destruction de [son] avantage concurrentiel »[47]. Lorsqu’un lien profond est pointé vers un site web concurrent, certains n’hésitent pas à affirmer qu’en détournant le public de la page d’accueil du site lié, l’auteur du lien « désorganise l’activité de son concurrent, notamment, en diminuant la valeur de son espace publicitaire »[48]. Bien des sites internet ont pour principale source de financement la publicité. Elle se matérialise par de nombreux bandeaux situés aux endroits du site les plus fréquentés. Or quoi de plus fréquenté sur un site web que sa page d’accueil ? S’il est, par conséquent, renvoyé vers des pages web autres que cette page d’accueil, on est légitimement en droit de penser qu’aucune recette publicitaire ne sera générée lorsque le lien profond est activé. Est-ce là un manque à gagner pour l’administrateur du site lié ? Raisonnablement, il faut répondre par la négative à cette question. D’une part, en l’absence de lien vers le site lié, les recettes qui émanent de la publicité ne seraient pas plus importantes. D’autre part, l’accès à un site par le biais d’un lien profond n’empêche aucunement les internautes de se rendre sur sa page d’accueil. Pour ces raisons, il est peu probable que la création d’un lien profond puisse être qualifiée d’acte de concurrence déloyale par désorganisation. L’administrateur du site web qui désire casser un tel lien n’a, conséquemment, d’autre alternative que de se rabattre sur un autre fondement juridique. Par chance, il peut, une fois encore, compter sur l’irréductible droit d’auteur, qui constitue son ultime rempart pour contrer les velléités des tisseurs de liens. À supposer qu’une page web revête les caractéristiques de la forme originale, condition essentielle à l’accession de la protection par le droit de la propriété littéraire et artistique, son créateur pourrait faire valoir le droit moral dont il est investi sur son œuvre[49].

Droit moral. Plus précisément, comme le relève Frédéric Sardain « si l’on s’en tient à la lecture classique, ce sont essentiellement les conditions de présentation de l’œuvre liée qui détermineront la licéité du lien hypertexte au regard du droit moral de l’auteur »[50]. Seuls le droit de paternité et le droit au respect de l’œuvre peuvent être menacés par l’établissement de liens profonds. S’agissant du premier, le droit de paternité, il est évoqué à l’article L. 121-1 alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle. Cet article dispose que « l’auteur jouit du droit au respect de son nom » et « de sa qualité ». Tout créateur d’une œuvre de l’esprit est donc en droit d’exiger que sa diffusion soit faite sous son nom. Il s’ensuit que lorsque le tisseur d’un lien profond occulte la paternité d’une œuvre liée, son auteur est fondé à contester, non pas l’existence de ce lien, mais la manière dont il a été créé. En plus d’imposer au lieur de mentionner ostensiblement l’origine de l’œuvre à laquelle il renvoie, l’auteur peut, en outre, pour faire échec à la création de l’hyperlien, faire valoir son droit au respect. Selon cette autre facette du droit moral, tout créateur d’une œuvre de l’esprit a le droit d’exiger qu’il ne soit, ni porté atteinte à son intégrité, ni qu’il en soit fait une mauvaise utilisation. Il en résulte que si un lien profond porte atteinte au respect « dû à l’œuvre telle que l’auteur a voulu qu’elle soit »[51], il sera tout à fait recevable à demander le retrait du lien litigieux. La plupart du temps, soit que l’hyperlien génèrera des rapprochements jugés inadmissibles, soit qu’il sortira l’œuvre du contexte dans lequel elle a soigneusement été placée, le tisseur de liens ne se préoccupera pas de son respect. L’auteur de l’œuvre liée pourra, dans ces conditions, très facilement invoquer la violation de son droit moral pour qu’il soit procédé à la suppression du lien profond qui lui déplait. Encore une fois, force est de constater que le droit de la propriété intellectuelle peut se révéler être une arme de défense très efficace contre les tisseurs de liens. Il est des cas, néanmoins, où ce droit ne pourra pas être invoqué, aucune atteinte aux droits patrimoniaux et moraux de l’auteur d’une page web ne pouvant être constatée. Que faire lorsque, ni le principe même de pointer, ni la manière de pointer ne sont en cause, mais que le lien renvoie néanmoins vers un contenu illicite ? C’est vers le droit commun de la responsabilité qu’il convient de se tourner.

Responsabilité pour faute. S’agissant de la responsabilité civile du lieur, celle-ci ne saurait être évoquée qu’en vérifiant, d’abord, si elle ne peut pas être recherchée sur le fondement du sacro-saint article 1382 du Code civil. Selon cette disposition, dont on dit qu’elle peut à elle seule « résumer le droit tout entier »[52], l’existence d’une faute imputable à l’auteur du lien doit être démontrée. Il faut, par ailleurs, que cette faute ait causé un dommage à l’administrateur du site visé. En quoi ladite faute peut-elle consister ? Elle ne peut, de toute évidence, que s’identifier à l’acte de renvoi vers un contenu illicite. Ce comportement peut, sans mal, être qualifié de violation d’une règle de bonne conduite à portée générale. A priori, lorsqu’un tel renvoi est établi manuellement, il est fort probable que pèse sur son auteur une présomption de connaissance du contenu illicite. C’est la raison pour laquelle il reviendra à ce dernier de prouver qu’il ignorait l’illicéité du contenu vers lequel il pointe. Quand bien même il y parviendrait, comme l’avancent certains auteurs[53], son inertie sera de toute façon susceptible d’être considérée comme « fautive ». Il pourra, en ce sens, lui être reproché, par le juge, de n’avoir pas suffisamment fait preuve de diligence et de prudence comme l’exige l’article 1383 du Code civil[54]. Une fois l’obstacle de la faute passé, l’existence d’un lien de causalité direct entre la faute et le dommage doit ensuite être démontrée. Pour que la victime du renvoi obtienne gain de cause, le contenu illicite qui lui a causé préjudice doit être localisé sur la seule page web pointée par le lien litigieux, à défaut de quoi le lien de causalité en question risquerait fort d’être considéré comme indirect. Si celui qui souhaite engager la responsabilité du tisseur de liens ne parvient pas à caractériser dans leur plénitude chacun des éléments du présent triptyque, il n’aura d’autre choix que de se tourner vers une deuxième forme de responsabilité civile : la responsabilité du fait des choses.

Responsabilité du fait des choses. Il n’est pas illégitime de se demander si, d’une certaine manière, le lieur ne pourrait pas être assimilé à un gardien, qui aurait la garde des liens hypertextes qu’il crée. En pareil cas, il pourrait être envisagé de lui appliquer l’article 1384 du Code civil en vertu duquel « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait […] des choses que l’on a sous sa garde ». Pour extravagante que soit cette hypothèse, elle n’en est pas moins des plus sérieuses. Dans une affaire Delanoë[55] cette possibilité a, déjà, été soulevée devant le Tribunal de grande instance de Paris. En l’espèce, il était reproché au moteur de recherche AltaVista d’avoir référencé un site pornographique portant le nom de Bertrand Delanoë et de permettre d’y accéder par le biais d’un lien hypertexte. Si, finalement, le juge des référés ne s’est pas prononcé sur le fond du litige, certains[56] n’hésitent pas à avancer qu’il est une responsabilité possible du fait des informations que l’on a sous sa garde. Le gardien peut tout à fait exercer sur elles un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle[57]. En France, seule une décision est allée en ce sens. Les juges du Tribunal de grande instance de Paris ont estimé qu’une information pouvait parfaitement constituer « une chose au sens de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil »[58]. Toutefois, comme le constate Cyril Rojinsky, ce jugement demeure quelque peu isolé[59] ; d’où le scepticisme de la doctrine vis-à-vis du raisonnement qui tend à calquer la responsabilité des tisseurs de liens du fait du renvoi vers un contenu illicite, sur la responsabilité du fait des choses. Il s’ensuit que seule la responsabilité pour faute semble pouvoir être envisagée pour ces derniers laquelle peut, à certaines conditions, être doublée d’une responsabilité pénale.

Responsabilité pénale. Afin qu’une telle responsabilité puisse être recherchée, cela suppose que le lieur se soit comporté comme l’auteur d’une infraction[60] ou, à tout le moins, qu’il y ait participé[61]. Sans qu’il soit besoin, dans l’immédiat, de passer en revue chacune des infractions au titre desquelles les tisseurs de liens pourraient être poursuivis, il convient de nous interroger sur la question de savoir si au regard des grands principes qui gouvernent le droit pénal, ils ne pourraient pas revêtir l’une ou l’autre qualité. Pour ce qui est de la qualité d’auteur, leur responsabilité ne saurait être recherchée que s’il est démontré que, du seul fait de leur comportement, les éléments constitutifs d’une infraction que sont l’élément matériel, moral et légal, sont réunis. L’élément matériel d’abord, il consistera dans l’acte de renvoi. Du point de vue du droit pénal, cet acte peut s’analyser comme une action positive et continue. L’élément moral ensuite, il ne peut que résider dans la connaissance par le lieur du caractère illicite de la ressource cible. L’élément légal enfin, il est de tous, celui qui pose le plus de difficultés. Il existe bien, en droit pénal, quelques incriminations qui visent la fourniture de moyens comme s’y apparente, d’une certaine façon, la création d’un hyperlien. Aucune de ces incriminations n’est, cependant, suffisamment générale pour permettre d’envisager de qualifier d’auteur, celui qui facilite la commission d’une infraction. Aussi étonnant puisse paraître cet état du droit, il se justifie, en réalité, parfaitement. Si ceux qui fournissent les moyens de commettre une infraction ne sont pas, à quelques exceptions près, appréhendés par la loi comme des auteurs, ils tombent, en revanche, sous le coup d’une autre qualification : la complicité.

Complicité. Selon l’article L. 121-7 du Code pénal alinéa 1er « est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation ». À priori, la fourniture de moyens semble être pleinement visée par cette disposition. Reste à déterminer si, d’une part, l’acte de création d’un hyperlien peut y être assimilé et si, d’autre part, sont caractérisés les deux autres éléments constitutifs de la complicité que sont l’existence d’un fait principal punissable et l’élément intentionnel. S’agissant du premier élément, il existe, à son sujet, une ambigüité. De quelle infraction parle-t-on ? La complicité du lieur, doit-elle être appréciée par rapport à l’infraction commise par l’éditeur du site pointé sur lequel est publié un contenu illicite, ou par rapport à l’infraction que l’on impute à l’utilisateur du lien du fait de la consultation ou éventuellement du téléchargement de ce contenu illicite ? La réponse à cette question suppose, au préalable, de savoir si le tisseur de liens est à même de participer à la commission de ces infractions. Or comme nous avons pu l’observer précédemment, en matière de droit d’auteur, en aucun cas il ne participe, ni ne facilite quoi que ce soit. S’il est impliqué dans une activité, c’est seulement dans la création d’une passerelle reliant deux pages web entre elles et non dans la diffusion ou la consultation du contenu de ces dernières. Malgré l’avis contraire de certains auteurs[62], peu importe le fait principal punissable auquel il est fait référence dans la mesure où le lieur ne participe à ni l’un ni l’autre. Quand bien même celui-ci aurait la volonté de s’associer à l’entreprise criminelle de l’utilisateur du lien ou de l’éditeur du contenu visé, dans les deux cas, l’élément matériel de la complicité fait défaut[63]. Si la responsabilité du lieur ne saurait être recherchée sur le terrain de la complicité, reste peut-être une dernière chance d’y parvenir par le truchement de la qualification pénale de recel.

Recel. En vertu de l’article 321-1 du Code pénal, « le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit ». La question se pose dès lors de savoir si le fournisseur d’un lien hypertexte qui pointe vers un contenu illicite, peut être considéré comme un intermédiaire, en permettant la transmission du produit d’une infraction. Pareillement aux observations déjà formulées précédemment en matière de complicité, pas plus qu’il ne diffuse un quelconque contenu, le lieur ne transmet rien. Seul l’utilisateur du lien entretient un rapport avec l’éventuel produit d’une infraction. Outre ce constat, à cela s’ajoute le fait que le recel d’information n’existe pas. La chambre criminelle de la Cour de cassation a été très claire à ce sujet dans un arrêt du 3 avril 1995. Elle a décidé « qu’une information quelle qu’en soit la nature ou l’origine échappe aux prévisions […] de l’article 321-1 du Code pénal »[64]. Et si dans un arrêt récent[65], la qualité de chose semble avoir été reconnue à des informations, rien ne permet d’affirmer, en l’état actuel du droit, que cette jurisprudence s’applique au recel. Pour toutes ces raisons, il apparaît que la seule création d’un hyperlien ne saurait caractériser l’infraction de recel. On pourrait, hypothétiquement, envisager l’infraction de recel-profit[66]. Cela suppose, cependant, de prouver que la consommation de l’infraction sur le site lié, profite au tisseur de liens. En vérité, la seule voie ouverte, quant à engager la responsabilité pénale de ce dernier, réside dans l’existence d’une infraction qui sanctionnerait la conduite qui consiste à renvoyer vers un contenu illicite. Pour ce faire, encore faut-il parvenir à franchir le cap du principe de légalité, ce qui est loin d’être chose aisée.

Principe de légalité. Alors que le droit civil tout entier peut être résumé à l’article 1382 du Code civil, le droit pénal peut, quant à lui, tenir dans l’adage de Feuerbach « nullum crimen, nulla poena sine lege ». Le principe de légalité porté par Montesquieu, Voltaire et autres Beccaria constitue les fondations sur lesquelles s’est construit le droit pénal moderne. Comme le souligne Didier Rebut, ce principe a été conçu jadis comme « un instrument de protection de la liberté contre les atteintes qui lui sont portées par le souverain dans la mise en œuvre du droit de punir »[67]. Il en résulte que, contrairement au droit civil, les carences dont sont empreints certains textes ne sauraient être comblées par le juge pénal qui, selon Montesquieu, n’est que « la bouche qui prononce les paroles de la loi »[68]. C’est la raison pour laquelle les incriminations qu’est seul habilité à formuler le législateur[69], doivent être extrêmement précises, à défaut de quoi il est un risque que certaines atteintes à l’ordre social ne puissent pas être appréhendées par le droit. La rédaction des textes pénaux est tout un art. Cet exercice s’avère d’autant plus périlleux qu’en plus des comportements déviants qui sévissent dans le présent, doivent être anticipés par le législateur ceux qui n’existent pas encore. Tel est le cas des conduites humaines engendrées par le développement des nouvelles technologies dont fait, entre autres, partie l’acte de création d’un lien hypertexte. Afin de savoir si le droit pénal est suffisamment bien armé quant à appréhender les dérives auxquelles peut donner prise une telle pratique, il convient de les confronter aux infractions dont elles sont susceptibles de relever.

Délits de presse. La première sorte d’infraction qui a donné lieu à discussion devant les tribunaux est relative aux limites tenant à la liberté d’expression. Plus précisément s’est posée la question de savoir si la responsabilité pénale des tisseurs de liens ne pouvait pas être engagée du fait de la commission d’une infraction de presse sur la ressource vers laquelle il était pointé. Le premier réflexe du juriste devrait être de répondre par la négative à cette interrogation, celui-ci devant avoir à l’esprit l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Selon cette disposition, les « auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse » sont limitativement désignés. Par exception au principe de responsabilité pénale personnelle[70], c’est donc un régime de responsabilité dit en « cascade » qui a vocation à s’appliquer[71]. Le fournisseur de liens n’a, de ce fait, que peu de chance d’être poursuivi devant les juridictions pénales du fait de la commission d’un délit de presse sur le site lié, sauf à être considéré comme l’une des personnes visées par les textes, auquel cas, il reviendra au ministère public de démontrer que la création d’un lien hypertexte peut être assimilée à l’acte de publication, au sens où la loi du 29 juillet 1881 l’entend. Bien qu’extrêmement rares soient les décisions qui ont trait à cette dernière question, la jurisprudence semble, néanmoins, y avoir répondu.

Le lien hypertexte, outil de contournement de la loi. Dans une affaire « Libération », les juges du Tribunal de grande instance de Paris ont eu l’occasion de se prononcer sur la culpabilité du directeur de publication du grand quotidien. Il lui était reproché de n’avoir pas pris les mesures qui s’imposaient s’agissant de la création d’un lien hypertexte sur le site web de son journal. Ce lien renvoyait vers un site californien où étaient publiés des sondages relatifs aux élections législatives de 1997. Si, de prime abord, il n’est, semble-t-il, rien d’illicite dans la diffusion de tels sondages, il y a cependant un cas réprimé par le droit pénal. L’article 11 de la loi du 19 juillet 1977 dispose, en ce sens, qu’à « la veille de chaque tour de scrutin ainsi que le jour de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que ce soit, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage tel que défini à l’article 1er ». Devant les juges du fond, était pendante la question de savoir si la création d’un lien hypertexte, dont la finalité n’est autre que de contourner les interdictions érigées par la loi du 19 juillet 1977, tombait sous le coup de cette loi. À cette problématique juridique – jusque-là inédite – les juges du Tribunal de grande instance de Paris ont choisi de répondre par la négative. Il a été considéré que les journalistes du site web sur lequel a été inséré le lien hypertexte litigieux se sont contentés « de donner aux internautes les moyens de prendre connaissance du contenu des sondages sur un site à l’étranger ». Cela ne suffisait donc pas à caractériser l’élément matériel de l’infraction.

Lier est-ce publier ? Cette solution est fort logique dans la mesure où, en aucun cas, l’acte de création d’un lien hypertexte ne saurait se confondre avec la notion de publication. Nonobstant l’incertitude qui entoure la définition de cette notion, comme le souligne Emmanuel Derieux, celle-ci implique l’action de « rendre public »[72]. Or en créant un hyperlien, le lieur ne rend aucunement public le contenu vers lequel il renvoie ; il le met seulement en relation avec un autre contenu. Seul celui qui accomplit matériellement l’acte de reproduction d’une ressource sur un serveur peut se voir attribuer la paternité de l’acte de publication. Lorsqu’est, par conséquent, accessible en ligne un document, quel qu’il soit, doit être distinguée la publication de celui-ci sur un site web différent, de sa mise en relation avec une autre ressource, laquelle n’implique aucune reproduction. Bien que cette décision ne possède guère de portée, en raison du faible degré de la juridiction qui l’a rendue, elle n’en corrobore pas moins l’affirmation selon laquelle, quel que soit le contenu vers lequel il est pointé, un lien hypertexte est neutre. Pas plus que la création d’un tel lien constitue une reproduction, une représentation ou bien une transmission, cet acte n’est pas non plus assimilable à une publication. Une nuance doit cependant être apportée à cet état de droit qui vient d’être quelque peu bouleversé par un jugement rendu le 18 mars 2013 par le Tribunal de grande instance de Paris. Les juges de la capitale avancent dans cette décision que « la création d’un lien hypertexte permettant d’accéder directement à un article plus ancien que la création d’un tel lien doit être analysée comme une nouvelle mise en ligne du texte auquel ce lien hypertexte renvoie »[73]. Est-ce une remise en cause du caractère neutre des liens hypertextes ? Si cette décision venait à se confirmer en appel, voire à se répandre en jurisprudence, la réponse ne peut être que positive. Dès lors que l’on estime que l’édition d’un lien hypertexte s’apparente à un acte de publication, l’auteur dudit lien ne peut plus être regardé comme un simple bâtisseur de « passerelles » [74]. Selon cette vision, son activité se confondrait avec celle de l’éditeur du site lié. Et s’il était question, dans le jugement en l’espèce, de l’infraction de diffamation, ce raisonnement est également applicable pour les autres infractions de presse érigées par la loi du 29 juillet 1881. Car, toutes reposent sur la notion de publication[75].

Le renvoi vers des contenus pédo-pornographiques. Pour savoir si les tisseurs de liens sont susceptibles d’engager leur responsabilité pénale du fait du renvoi vers un contenu illicite, reste à envisager une dernière catégorie d’infractions, qui s’est considérablement enrichie du fait de l’émergence des réseaux numériques. Il s’agit des infractions qui ont trait à la diffusion de certains contenus pornographiques ou d’une extrême violence. Avec le développement de l’internet, le législateur n’a eu d’autre choix que de multiplier les incriminations à l’égard des auteurs entre les mains desquels passe ce genre de contenus, de manière à ce que le droit puisse, plus facilement, se saisir de comportements qui n’existaient pas avant ou que trop marginalement. Les pratiques pédophiles sont particulièrement visées par le nouveau dispositif législatif. De façon générale, est réprimé d’une part, au titre de l’article 227-23 du Code pénal le fait par quelque moyen que ce soit, de « fixer », « d’enregistrer », « de transmettre », « d’offrir », « de rendre disponible », « de diffuser », « d’importer », « d’exporter », « de faire importer », « de faire exporter », ou « de consulter », « une image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique ». D’autre part, en vertu de l’article 227-24 du Code pénal est sanctionné « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message […] lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ». Alors que le premier texte sanctionne la diffusion d’un contenu pornographique où l’enfant en est purement et simplement l’objet, dans le second est réprimée l’hypothèse où l’enfant en est le destinataire.

L’obstacle de la sémantique. En dépit de la horde d’adjectifs employée par le législateur afin d’attraire devant le juge pénal les comportements les plus dangereux, tous renvoient, sans exception, soit à la notion de diffusion, soit à celle de reproduction. Or si l’on se réfère au principe d’interprétation stricte de la loi pénale[76], corolaire du principe de légalité[77], il apparaît que les tisseurs de liens échappent à son application. Comme nous l’avons démontré précédemment, l’acte de création d’un lien hypertexte n’est assimilable, ni à une reproduction, ni à une publication du contenu vers lequel il est pointé. Éventuellement on peut s’interroger sur la signification du terme « consulter », évoqué à l’alinéa 5 de l’article 227-23 du Code pénal. L’examen sémantique de ce verbe n’a, cependant, que peu de chance de prospérer dans la mesure où ce ne sont pas les lieurs qui consultent le contenu illicite, mais ceux qui activent les hyperliens. Toute tentative de questionnement sur la signification du terme « consulter » est donc mort-née. En définitive, si l’on respecte, scrupuleusement, le principe de légalité des délits et des peines, il n’est aucun fondement juridique valable sur lequel la responsabilité pénale des tisseurs de liens peut être recherchée. Ils ne sont visés par aucun texte, tout autant que l’acte de création d’un lien hypertexte ne répond à aucun concept juridique existant. Au total, il apparaît que la liberté que garantit l’ordre numérique aux tisseurs de liens voit son exercice pas si limité par le droit que l’on pourrait l’imaginer. La raison en est que l’acte de création d’un lien hypertexte est, en lui-même, totalement indépendant de l’acte de diffusion du contenu vers lequel il est pointé. La grande difficulté consiste, dans ces conditions, pour le juriste à trouver un concept juridique qui permette de faire un lien entre les deux. Or cette difficulté s’avère être, nous l’avons vu, presque insurmontable. Pour l’heure, les tisseurs de liens semblent être à l’abri d’une limitation de leur liberté par le droit. Leur conduite est, si l’on peut s’exprimer ainsi, trop « glissante » pour pouvoir être saisie par les tentacules de ce dernier.

[1] Bien que ce principe puisse apparaître réducteur dans la mesure où le fait générateur d’un dommage peut également consister en la violation d’un droit subjectif, comme le constate Tristan Azzi « le principe énoncé à l’article 1382du Code civil est l’une de ces grandes règles d’équité qui peuvent, à elles seules, résumer le droit tout entier ». Tristan Azzi, « Les relations entre la responsabilité civile délictuelle et les droits subjectifs », RTD Civ., 2007, p. 227.

[2] Article 121-1 et s. du Code pénal.

[3] Sur une analyse de ce phénomène V. L. Clerc-Renaud, Du Droit commun et des régimes spéciaux en droit extracontractuel de la réparation, thèse : Chambéry, 2006, 535 p.

[4] On pense notamment aux conducteurs de véhicules terrestres à moteur qui ont vu leur responsabilité considérablement renforcée avec l’adoption de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, JORF juillet 1985.

[5] V. en ce sens la loi du 27 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises qui a posé, à l’article L. 650-1 du Code de commerce, un principe d’irresponsabilité au bénéfice des créanciers « du fait des concours consentis », dans le cadre de l’ouverture d’une « procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire » (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, JORF n° 173 du 27 juillet 2005 p. 12187).

[6] Ainsi, par exemple, les agences de voyages ont vu, récemment, leur responsabilité allégée par la loi du 22 juillet 2009, en limitant les dommages intérêt alloués à leurs clients aux montants prévus par les conventions internationales (loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009, JORF n° 0169 du 24 juillet 2009 p. 12352).

[7] Directive 2000-1931/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), JO du 17/07/2000, n° L 178, pp. 1-16.

[8] Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, JORF n° 0143 du 22 juin 2004 p. 11168.

[9] C. Rojinsky, « Sens interdit. La responsabilité du créateur de lien hypertexte du fait du contenu illicite du site cible », Cahiers Lamy droit de l’informatique et des réseaux, n° 155, février 2003, p. 7.

[10] Ibid., p. 7.

[11] L’article 21 de la directive précise que la Commission devra présenter des propositions relatives à la responsabilité des fournisseurs de liens hypertextes sous la forme d’un rapport qui devra être établi à ce sujet par la Commission européenne au plus tard le 17 juillet 2003.

[12] On peut citer l’Espagne, l’Autriche le Liechtenstein ou encore le Portugal qui ont appliqué le régime de responsabilité des intermédiaires techniques aux fournisseurs d’hyperliens.

[13] Elle le sera quasiment presque toujours dans la mesure où, comme l’a écrit Jérôme Huet, un site web est, par nature, un « gisement de propriété intellectuelle » (J. Huet, « Le site Internet : gisement de droits de propriété intellectuelle », in Commerce électronique et propriétés intellectuelles, Paris, Litec, 2001, pp.35 secondes). V. également en ce sens J. Larrieu, « Le site Web à la croisée des droits », Propriété industrielle, oct. 2011, n° 10, pp. 33-34 ; C. Caron, « Droit d’auteur : un site Internet est une œuvre de l’esprit », CCE, oct. 2011, n° 10, pp. 25-25.

[14] Ainsi la Cour de justice de l’Union européenne a-t-elle eu l’occasion d’affirmer, dans un arrêt du 12 novembre 2002, que « l’exercice de ce droit [portant sur la marque] doit […] être réservé aux cas dans lesquels l’usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque » (CJUE, 12 nov. 2002, Arsenal Football Club, C-206/01, Rec. P. I-10273, point 51).

[15] L’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».

[16] Selon l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».

[17] Le Tribunal de grande instance de Paris ne s’y est pas trompé, affirmant, dans le cadre d’une décision rendue en référé le 12 mai 2003 que « la liberté d’établir un lien, sauf à répondre des abus résultant de son utilisation, apparaît inhérente au principe de fonctionnement de l’Internet » (TGI Paris, ord. réf., 12 mai 2003, Lorie c/M. Géraume S. : Légipresse 2003, n° 205, II, p. 150, note L. Tellier-Loniewski).

[18] Ch. Caron, « Les liens hypertextes entre propriété intellectuelle et concurrence déloyale », CCE, mars 2001, comm. n° 26, p. 21.

[19] Article L. 122-1 du Code de la propriété intellectuelle : « le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction ».

[20] Dans cette hypothèse, c’est surtout au droit d’une marque qu’il sera porté atteinte. Sur cette question, la jurisprudence estime que toute reproduction ou usage d’une marque qui n’a pas été autorisée par son titulaire constitue une contrefaçon, à condition, néanmoins qu’il soit porté atteinte à la fonction de la marque, mais encore que la reproduction du signe distinctif soit faite dans le cadre de la vie des affaires. V. en ce sens TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 5 sept. 2001, SA Cadremploi c/SA Keljob : JurisData n° 2001-161 802 Expertises 2001, p. 391 ; CA Paris, 4e ch., sect. B, 19 oct. 2001, Sarl Wolke Inks & Printers c/SA Imaje : JurisData n° 2001-159 030. L’hypothèse d’une contrefaçon, du fait de la reproduction du titre d’une œuvre protégée par le droit de la propriété littéraire et artistique pour la création d’un hyperlien, peut-être être envisagée ? Certains auteurs le pensent (V en ce sens C. Fabre, « De l’affaire Keljob à l’affaire Keljob », Expertises, 2001, p. 180). D’autres commentateurs sont plus nuancés (V. Varet, « Les risques juridiques en matière de liens hypertextes », Légipresse, 2002, n° 196, II, p. 141).

[21] Il est, cependant, une décision qui a été prise sur le fondement de l’article L. 122-4 du Code de la propriété condamnant un fournisseur de liens qui avait reproduit le logo d’une société pour, ensuite, renvoyer vers le site de cette dernière (TGI Paris, 3e ch., 28 nov. 2001).

[22] Cass. 1re civ., 7 mars 1984, aff. “Ranou-graphie” : JCP G 1985, II, n° 20351, note Plaisant ; RTD com. 1984, p. 677, obs. A. Françon.

[23] Certains avancent que cette solution ne vaut que si le fournisseur des moyens profite de la reproduction, ce qui était clairement le cas en l’espèce de l’officine de Photocopie. D’autres avancent, comme Pierre-Yves Gauthier, que la seule fourniture publique de moyens de reproduction devrait suffire à déclencher le retour au droit exclusif. Selon cet auteur « tout comme la vente ou la location du support matériel de l’œuvre, fût-ce pour un usage privé, est subordonnée à l’autorisation de l’auteur ou de son ayant droit tout entremise d’un tiers, facilitant, contre rémunération, la photocopie de tout ou partie de l’œuvre, notamment la fourniture d’une machine à l’usager » (P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, coll. « Droit fondamental », 2012, n° 339, p. 344).

[24] Recommandation du Forum des droits sur l’internet « Hyperliens : statut juridique », le 3 mars 2003.

[25] Sans qu’il soit besoin de nous encombrer de considérations trop techniques, il convient de souligner que tout traitement de l’information par un ordinateur suppose qu’elle soit, au préalable, reproduite dans la mémoire vive de celui-ci, de telle sorte que, comme le précisait Xavier Linant de Bellefonds, on est « dans le domaine de la copie systématique fonctionnellement nécessaire ». Ainsi, la consultation d’un site internet, par exemple, implique-t-elle que l’ordinateur de chacun de ses visiteurs reproduise le contenu de la page web visitée. Lorsque, par conséquent, est pointée un œuvre de l’esprit par un lien hypertexte, celle-ci est, en toute logique, reproduite autant de fois que le lien est activé.

[26] La reproduction provisoire et la reproduction permanente sont assimilées.

[27] Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, JO 22 juin 2001, L. 167, p. 10-19.

[28] Selon l’article L. 122-5 6° : « lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire, […] la reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu’elle est une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et qu’elle a pour unique objet de permettre l’utilisation licite de l’œuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d’un réseau faisant appel à un intermédiaire ; toutefois, cette reproduction provisoire qui ne peut porter que sur des œuvres autres que les logiciels et les bases de données ne doit pas avoir de valeur économique propre ».

[29] Il peut également y être recouru pour exempter les intermédiaires techniques.

[30] Cass. 1re civ., 6 avr. 1994, RIDA juill. 1994, p. 367, note Kéréver ; RTD com. 1994, p. 272, obs. A. Françon ; D. 1994, jurisprudence, p. 450, note P.-Y. Gautier.

[31] Ph. Gaudrat, « Hyperliens et droit d’exploitation », RTD Com., 2006, p. 104.

[32] A. Strowel et N. Ide, « La responsabilité des intermédiaires sur Internet : actualités et question des hyperliens », RIDA, oct. 2000, n° 186, p. 69.

[33] Enoncée autrefois, explicitement, par la loi du 11 mars 1957, la condition du caractère direct de la communication au public de l’œuvre est toujours exigé par l’article L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle selon André Lucas. En effet, selon cet auteur « il n’y a pas d’inconvénients à continuer à dire que la représentation est une communication directe » (A. Lucas et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, coll. « Traités », 2006, n° 279, p. 224).

[34] Ces liens peuvent en effet être considérés comme réalisant un acte de communication directe au public, le contenu du site lié s’affichant directement sur la page du site liant (V. supra, n° 465).

[35] Recommandation du Forum des droits sur l’internet « Hyperliens : statut juridique », le 3 mars 2003.

[36] A. Dimeglio, Le droit du référencement dans l’internet, thèse : Montpellier ; 2002, p. 179.

[37] Recommandation du Forum des droits sur l’internet, op. préc.

[38] Ch. Caron, « Les liens hypertextes entre propriété intellectuelle et concurrence déloyale », CCE, mars 2001, comm. n° 26, p. 21.

[39] V. en ce sens TGI Épinal, ch. corr., 24 oct. 2000, Min. publ. et SCPP c/Conraud : CCE. 2000, comm. 125, note Ch. Caron ; JurisData n° 2000-126285.

[40] Dans un jugement du 6 décembre 2010, les juges du Tribunal de grande instance de Nancy estiment que la création d’un lien hypertexte n’équivaut pas la mise en ligne d’une œuvre au public (TGI Nancy, 6 déc. 2010 : Gaz. Pal. 24 févr. 2011, p. 13, obs. L. Marino).

[41] V. en ce sens T. com. Paris, réf., 26 déc. 2000 : CCE, 2001, comm. 26, obs. Ch. Caron ; Légipresse 2001, III, p. 64.

[42] P. Roubier, « Théorie générale de l’action générale en concurrence déloyale », RTD. civ., 1948, p. 541, spéc. p. 543

[43] US District Court, Los Angeles, Ticketmaster Corp. v/Tickets.com, 27 mars 2000.

[44] T. com. Paris, réf., 26 déc. 2000, SNC Havas Numérique et SA Cadres on Line c/SA Keljob : JurisData n° 2000-174 348 ; Legalis.net, 2001, n° 2, p. 122, note J. Giusti.

[45] L’agissement parasitaire est une forme de concurrence déloyale. Aussi, est-il sanctionné sur le même fondement que l’action en concurrence déloyale : l’article 1382 du Code civil. Pour que l’acte de parasitisme soit caractérisé, il faut donc que soit démontrer l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. Depuis un arrêt du 12 février 2008, la Cour de cassation n’exige plus, dans le cadre d’une action en concurrence déloyale, qu’existe un rapport de concurrence entre l’auteur du dommage et la victime. Cass. com., 12 févr. 2008 : JurisData n° 2008-042743 ; Contrats, conc. consom. 2008, comm. 103, obs. M. Malaurie-Vignal.

[46] A. Dimeglio, op. cit. note 58, p. 204.

[47] Ph. Le Tourneau, Le Parasitisme, Notion, prévention, protection Litec, 1998.

[48] A. Dimeglio, op. cit. note 58, p. 206.

[49] V. en ce sens l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle combiné à l’article L. 121-1.

[50] F. Sardain, « Les hyperliens », Jurisclasseur Communication, fasc. 4730, n° 37.

[51] TGI Paris 3e ch., 15 octobre 1992 : RIDA 1/1993, p. 225.

[52] T. Azzi, « Les relations entre la responsabilité civile délictuelle et les droits subjectifs », RTD Civ., 2007, p. 227.

[53] Cyril Rojinsky, art. cit. note 31.

[54] L’article 1383 du Code civil dispose que « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».

[55] TGI Paris, ord. Réf., 31 juillet 2000, Bertrand Delanoë c/Altavista et autres, juriscom ; Juris-Data n° 2000-134032.

[56] G. Danjaume, « La responsabilité du fait de l’information », JCP G, 1996, I, 3895 ; F. Dupuis-Toubol, M.-H. Tonnelier, et S. Lemarchand, « Responsabilité civile et internet », JCP E, 1997, I, 640.

[57] Cass, Ch. Réunies, 2 décembre 1941, D. C. 1942, 25, note Ripert.

[58] TGI Paris, 27 février 1991, JCP 1992, éd. G, II, 21809, note Ph. le Tourneau.

[59] Cyril Rojinsky, art. cit. note 31.

[60] Article 121-1 du Code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».

[61] Article 121-6 : « Sera puni comme auteur le complice de l’infraction […] ».

[62] Pour Arnaud Dimeglio, il convient de distinguer dans la mesure où lorsque le fait principal punissable est commis par le référencé alors il ne saurait y avoir de complicité. En revanche, selon lui, quand le fait principal est imputable à l’utilisateur l’acte de complicité est caractérisé (A. Dimeglio, op. cit. note 58, p. 59-60).

[63] V. en ce sens l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, les juges estimant que l’auteur d’un lien hypertexte renvoyant vers un site sur lequel avait été publié la vidéo d’une agression ne pouvait pas être considéré comme le complice de la mise en ligne de cette vidéo illégale. (CA Paris, 9 déc. 2009, n° 09/05 089 : JurisData n° 2009-017 742 : CCE, 2010, comm. 37, A. Lepage).

[64] Crim. 3 avril 1995, Bull. Crim, n° 142 ; D. 1995, Somm. 320, obs. J. Pradel.

[65] Crim. 4 mars 2008, note J. Huet, « Vol de fichiers informatiques », CCE, déc. 2008, comm. 25.

[66] En vertu de l’article 321-1, alinéa 1e du Code pénal, « Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit ».

[67] D. Rebut, « Le déclin du principe de légalité des délits et des peines », in R. Cabrillac, M.-A. Frison-Roche et T. Revet (dir.), Libertés et droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 2003, p. 512.

[68] Montesquieu, De l’esprit des lois, Flammarion, coll. « Garnier Flammarion », 1979, vol. 1, liv. XI, chap. VI, p. 301.

[69] On constate cependant un déclin du pouvoir du législateur, compte tenu de l’intervention grandissante du pouvoir règlementaire en la matière, bien qu’il ne soit compétent, au titre de la combinaison des articles 34 et 37 de la Constitution, que pour l’édiction de contraventions.

[70] En vertu de l’article 121-1 du Code pénal « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».

[71] Sont d’abord visés « 1° les directeurs de publications ou éditeurs […] 2° à leur défaut les auteurs ; 3° à défaut des auteurs, les imprimeurs ; 4° à défaut des imprimeurs, les vendeurs, distributeurs et afficheurs ».

[72] E. Derieux, Droit des médias. Droit français, européen et international, LGDJ, coll. « Manuel », 2008, pp. 440 et s.

[73] TGI Paris, 17e ch. civ., 18 mars 2013, Sté Amex c/Sté Indogo Publications.

[74] Recommandation du Forum des droits sur l’internet « Hyperliens : statut juridique », le 3 mars 2003

[75] Selon Emmanuel Derieux, « la publication est incontestablement le critère principale et, beaucoup plus, la condition ou l’élément matériel constitutif essentiel des abus de la liberté d’expression ». E. Derieux, op. préc., n° 1332, p. 440.

[76] L’article 111-4 du Code pénal dispose que « la loi pénale est d’interprétation stricte ».

[77] Le principe de légalité trouve son siège à l’article précédent du Code pénal.