La fourniture et la gestion d’une plateforme de partage en ligne d’œuvres protégées telle que « The Pirate Bay » peut constituer une violation du droit d’auteur (CJUE, 14 juin 2017, Aff. C-610/15)

Par un arrêt du 14 juin 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la fourniture et la gestion d’une plateforme de partage en ligne doit effectivement être considérée comme un acte de communication au sens de la directive

Plus précisément, les juges luxembourgeois ont estimé que la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la mise à disposition et la gestion, sur Internet, d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer).

CJUE, 14 juin 2017

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation, d’une part, de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10), et, d’autre part, de l’article 11 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45 et rectificatif JO 2004, L 195, p. 16).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Stichting Brein, une fondation qui défend les intérêts de titulaires du droit d’auteur, à Ziggo BV et à XS4ALL Internet BV (ci-après « XS4ALL »), des fournisseurs d’accès à Internet, au sujet de demandes présentées par Stichting Brein visant à ce qu’il soit ordonné à ces derniers de bloquer les noms de domaine et les adresses IP de la plateforme de partage en ligne « The Pirate Bay » (ci-après la « plateforme de partage en ligne TPB »).

Le cadre juridique

3 Les considérants 9, 10, 23 et 27 de la directive 2001/29 énoncent :

« (9) Toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.

(10) Les auteurs ou les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, doivent obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, de même que les producteurs pour pouvoir financer ce travail. L’investissement nécessaire pour créer des produits, tels que des phonogrammes, des films ou des produits multimédias, et des services tels que les services à la demande, est considérable. Une protection juridique appropriée des droits de propriété intellectuelle est nécessaire pour garantir une telle rémunération et permettre un rendement satisfaisant de l’investissement.

[...]

(23) La présente directive doit harmoniser davantage le droit d’auteur de communication au public. Ce droit doit s’entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication. Ce droit couvre toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion. Il ne couvre aucun autre acte.

[...]

(27) La simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de la présente directive. »

4 L’article 3 de cette directive, intitulé « Droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. »

5 L’article 8 de ladite directive, intitulé « Sanctions et voies de recours », prévoit, à son paragraphe 3 :

« Les États membres veillent à ce que les titulaires des droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin. »

6 Le considérant 23 de la directive 2004/48 se lit comme suit :

« Sans préjudice de toute autre mesure, procédure ou réparation existante, les titulaires des droits devraient avoir la possibilité de demander une injonction à l’encontre d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte au droit de propriété industrielle du titulaire. Les conditions et procédures relatives à une telle injonction devraient relever du droit national des États membres. En ce qui concerne les atteintes au droit d’auteur et aux droits voisins, un niveau élevé d’harmonisation est déjà prévu par la directive 2001/29/CE. Il convient, par conséquent, que la présente directive n’affecte pas l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE. »

7 Aux termes de l’article 11 de la directive 2004/48, intitulé « Injonctions » :

« Les États membres veillent à ce que, lorsqu’une décision judiciaire a été prise constatant une atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les autorités judiciaires compétentes puissent rendre à l’encontre du contrevenant une injonction visant à interdire la poursuite de cette atteinte. Lorsque la législation nationale le prévoit, le non-respect d’une injonction est, le cas échéant, passible d’une astreinte, destinée à en assurer l’exécution. Les États membres veillent également à ce que les titulaires des droits puissent demander une injonction à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle, sans préjudice de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8 Stichting Brein est une fondation néerlandaise qui défend les intérêts des titulaires du droit d’auteur.

9 Ziggo et XS4ALL sont des fournisseurs d’accès à Internet. Une partie importante de leurs abonnés utilise la plateforme de partage en ligne TPB, un référenceur de fichiers BitTorrent. Le BitTorrent est un protocole par lequel les utilisateurs (appelés « pairs » ou « peers ») peuvent partager des fichiers. La caractéristique essentielle du BitTorrent réside dans le fait que les fichiers à partager sont fragmentés en de petits éléments, permettant ainsi de ne pas reposer sur un serveur centralisé pour stocker lesdits fichiers, ce qui allège la charge des serveurs individuels lors du processus de partage. Pour pouvoir partager des fichiers, les utilisateurs doivent d’abord télécharger un logiciel spécifique, appelé « client-BitTorrent », qui n’est pas fourni par la plateforme de partage en ligne TPB. Ce « client-Bit-Torrent » est un logiciel qui permet de créer des fichiers torrents.

10 Les utilisateurs (appelés « seeders ») qui souhaitent mettre un fichier qui se trouve sur leur ordinateur à la disposition d’autres utilisateurs (appelés « leechers ») doivent créer un fichier torrent au moyen de leur client-BitTorrent. Les fichiers torrents renvoient à un serveur centralisé (appelé « tracker ») qui identifie les utilisateurs disponibles pour partager un fichier torrent particulier ainsi que le fichier média sous-jacent. Ces fichiers torrents sont téléchargés vers l’amont (upload) par les seeders sur une plateforme de partage en ligne, telle que TPB, qui procède ensuite à leur indexation, afin que ceux-ci puissent être retrouvés par les utilisateurs de la plateforme de partage en ligne et que les œuvres auxquels ces fichiers torrents renvoient puissent être téléchargées vers l’aval (download) sur les ordinateurs de ces derniers en plusieurs fragments, au moyen de leur client-BitTorrent.

11 Des « liens magnet » sont souvent utilisés à la place des fichiers torrents. Ces liens identifient le contenu d’un fichier torrent et y renvoient au moyen d’une empreinte numérique.

12 Les fichiers torrents proposés sur la plateforme de partage en ligne TPB renvoient, dans leur grande majorité, à des œuvres protégées par le droit d’auteur, sans que les titulaires du droit n’aient donné leur autorisation aux administrateurs et aux utilisateurs de cette plateforme pour effectuer les actes de partage en cause.

13 Dans le cadre de la procédure au principal, Stichting Brein demande, à titre principal, qu’il soit ordonné à Ziggo et à XS4ALL de bloquer les noms de domaines et les adresses IP de la plateforme de partage en ligne TPB, afin d’éviter que les services de ces fournisseurs d’accès à Internet puissent être utilisés pour porter atteinte au droit d’auteur et aux droits voisins des titulaires des droits dont Stichting Brein protège les intérêts.

14 Le juge de première instance a accueilli les demandes de Stichting Brein. Celles-ci ont toutefois été rejetées en appel.

15 Le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) relève que, dans la présente affaire, il est établi que, par l’intervention de la plateforme de partage en ligne TPB, des œuvres protégées sont mises à la disposition du public sans l’autorisation des titulaires des droits. Il est également établi que les abonnés de Ziggo et de XS4ALL, par l’intermédiaire de cette plateforme, rendent accessibles des œuvres protégées sans l’autorisation des titulaires des droits et portent ainsi atteinte au droit d’auteur et aux droits voisins desdits titulaires.

16 Le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) relève toutefois que la jurisprudence de la Cour ne permet pas de répondre avec certitude à la question de savoir si la plateforme de partage en ligne TPB réalise également une communication au public des œuvres au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, en particulier :

– en créant et en maintenant un système dans lequel les utilisateurs d’Internet se connectent entre eux pour pouvoir partager, par fragments, des œuvres qui se trouvent sur leurs propres ordinateurs ;

– en administrant un site Internet à partir duquel les utilisateurs peuvent mettre en ligne des fichiers torrents qui renvoient à des fragments de ces œuvres, et

– en indexant les fichiers torrents mis en ligne sur ce site Internet et en les classant de sorte que les fragments de ces œuvres sous-jacentes puissent être localisés et que les utilisateurs puissent télécharger ces œuvres (comme un ensemble) sur leurs ordinateurs.

17 Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’administrateur d’un site Internet réalise-t-il une communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, lorsqu’aucune œuvre protégée n’est présente sur ce site, mais qu’il existe un système [...] dans lequel des métadonnées relatives à des œuvres protégées qui se trouvent sur les ordinateurs d’utilisateurs sont indexées et classées pour les utilisateurs de sorte que ces derniers peuvent ainsi tracer les œuvres protégées et les mettre en ligne ainsi que les télécharger sur lesdits ordinateurs ?

2) Si la première question appelle une réponse négative :

L’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 et l’article 11 de la directive 2004/48 permettent-ils de rendre une injonction à l’encontre d’un intermédiaire au sens desdites dispositions lorsque cet intermédiaire facilite les atteintes commises par des tiers de la manière visée à la première question ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

18 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la mise à disposition et la gestion, sur Internet, d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer).

19 Il découle de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 que les États membres sont tenus de veiller à ce que les auteurs bénéficient du droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière à ce que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.

20 En vertu de cette disposition, les auteurs disposent ainsi d’un droit de nature préventive leur permettant de s’interposer entre d’éventuels utilisateurs de leur œuvre et la communication au public que ces utilisateurs pourraient envisager d’effectuer, et ce afin d’interdire celle-ci (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 25 et jurisprudence citée).

21 L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ne précisant pas la notion de « communication au public », il y a lieu de déterminer le sens et la portée de cette notion au regard des objectifs poursuivis par cette directive et au regard du contexte dans lequel la disposition interprétée s’insère (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 26 et jurisprudence citée).

22 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il résulte des considérants 9 et 10 de la directive 2001/29 que celle-ci a pour objectif principal d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur des auteurs, permettant à ceux-ci d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, notamment à l’occasion d’une communication au public. Il s’ensuit que la notion de « communication au public » doit être entendue au sens large, ainsi que l’énonce explicitement le considérant 23 de cette directive (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 27 et jurisprudence citée).

23 La Cour a également souligné, s’agissant de la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, qu’elle implique une appréciation individualisée (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 28 et jurisprudence citée).

24 Il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 que la notion de communication au public associe deux éléments cumulatifs, à savoir un « acte de communication » d’une œuvre et la communication de cette dernière à un « public » (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 29 et jurisprudence citée).

25 Afin d’apprécier si un utilisateur réalise un acte de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, il importe de tenir compte de plusieurs critères complémentaires, de nature non autonome et interdépendants les uns par rapport aux autres. Par conséquent, il y a lieu de les appliquer tant individuellement que dans leur interaction les uns avec les autres, étant entendu qu’ils peuvent, dans différentes situations concrètes, être présents avec une intensité très variable (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 30 et jurisprudence citée).

26 Parmi ces critères, la Cour a souligné, tout d’abord, le rôle incontournable joué par l’utilisateur et le caractère délibéré de son intervention. En effet, cet utilisateur réalise un acte de communication lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, ou ne pourraient que difficilement, jouir de l’œuvre diffusée (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 31 et jurisprudence citée).

27 Ensuite, elle a précisé que la notion de « public » vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 32 et jurisprudence citée).

28 La Cour a également rappelé que, selon une jurisprudence constante, pour être qualifiée de « communication au public », une œuvre protégée doit être communiquée selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés ou, à défaut, auprès d’un « public nouveau », c’est-à-dire un public n’ayant pas été déjà pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale de leur œuvre au public (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 33 et jurisprudence citée).

29 Enfin, la Cour a souligné, à maintes reprises, que le caractère lucratif d’une communication, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, n’est pas dénué de pertinence (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 34 et jurisprudence citée).

30 S’agissant, en premier lieu, du point de savoir si la mise à disposition et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, constitue un « acte de communication », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, il y a lieu de relever, ainsi qu’il ressort du considérant 23 de la directive 2001/29, que le droit d’auteur de communication au public, visé audit article 3, paragraphe 1, couvre toute transmission ou retransmission d’une œuvre au public non présent au lieu d’origine de la communication, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion.

31 En outre, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, pour qu’il y ait un « acte de communication », il suffit, notamment, qu’une œuvre soit mise à la disposition d’un public de telle sorte que les personnes qui le composent puissent y avoir accès, de l’endroit et au moment qu’elles choisissent individuellement, sans qu’il soit déterminant qu’elles utilisent ou non cette possibilité (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 36 et jurisprudence citée).

32 La Cour a déjà jugé, à cet égard, que le fait de fournir, sur un site Internet, des liens cliquables vers des œuvres protégées publiées sans aucune restriction d’accès sur un autre site offre aux utilisateurs du premier site un accès direct auxdites œuvres (arrêt du 13 février 2014, Svensson e.a., C?466/12, EU:C:2014:76, point 18 ; voir également, en ce sens, ordonnance du 21 octobre 2014, BestWater International, C?348/13, EU:C:2014:2315, point 15, et arrêt du 8 septembre 2016, GS Media, C?160/15, EU:C:2016:644, point 43).

33 La Cour a également jugé que tel est aussi le cas de la vente d’un lecteur multimédia sur lequel ont été préinstallés des modules complémentaires, disponibles sur Internet, contenant des liens hypertextes renvoyant à des sites Internet librement accessibles au public sur lesquels ont été mises à disposition des œuvres protégées par le droit d’auteur sans l’autorisation des titulaires de ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, points 38 et 53).

34 Ainsi, il peut être déduit de cette jurisprudence que, en principe, tout acte par lequel un utilisateur donne, en pleine connaissance de cause, accès à ses clients à des œuvres protégées est susceptible de constituer un « acte de communication », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

35 En l’occurrence, il y a lieu de constater, tout d’abord, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 45 de ses conclusions, qu’il est constant que des œuvres protégées par le droit d’auteur sont, par l’intermédiaire de la plateforme de partage en ligne TPB, mises à la disposition des utilisateurs de cette plateforme, de manière à ce que ceux-ci puissent y avoir accès, de l’endroit et au moment qu’ils choisissent individuellement.

36 Ensuite, certes, ainsi que l’a souligné la juridiction de renvoi, les œuvres ainsi mises à la disposition des utilisateurs de la plateforme de partage en ligne TPB ont été mises en ligne sur cette plateforme non pas par les administrateurs de cette dernière, mais par ses utilisateurs. Il n’en demeure pas moins que ces administrateurs, par la mise à disposition et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, interviennent en pleine connaissance des conséquences de leur comportement, pour donner accès aux œuvres protégées, en indexant et en répertoriant sur ladite plateforme les fichiers torrents qui permettent aux utilisateurs de celle-ci de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer). À cet égard, ainsi que l’a indiqué en substance M. l’avocat général au point 50 de ses conclusions, en l’absence de la mise à disposition et de la gestion par lesdits administrateurs, lesdites œuvres ne pourraient pas être partagées par les utilisateurs ou, à tout le moins, leur partage sur Internet s’avérerait plus complexe.

37 Il y a lieu, dès lors, de considérer que, par la mise à disposition et la gestion de la plateforme de partage en ligne TPB, les administrateurs de celle-ci offrent à leurs utilisateurs un accès aux œuvres concernées. Ils peuvent donc être considérés comme jouant un rôle incontournable dans la mise à disposition des œuvres en cause.

38 Enfin, les administrateurs de la plateforme de partage en ligne TPB ne sauraient être considérés comme réalisant une « simple fourniture » d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication, au sens du considérant 27 de la directive 2001/29. En effet, il ressort de la décision de renvoi que cette plateforme procède à l’indexation des fichiers torrents, de sorte que les œuvres auxquelles ces fichiers torrents renvoient puissent être facilement localisées et téléchargées par les utilisateurs de ladite plateforme de partage. En outre, il ressort des observations soumises à la Cour que la plateforme de partage en ligne TPB propose, en sus d’un moteur de recherche, un index classant les œuvres sous différentes catégories, fondées sur la nature des œuvres, leur genre ou leur popularité, au sein desquelles sont réparties les œuvres qui sont mises à disposition, le respect du placement d’une œuvre dans la catégorie adéquate étant vérifié par les administrateurs de cette plateforme. Par ailleurs, lesdits administrateurs procèdent à la suppression des fichiers torrents obsolètes ou erronés et filtrent de manière active certains contenus.

39 Eu égard à ces considérations, la fourniture et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, doit être considérée comme un acte de communication, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

40 En second lieu, pour relever de la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, encore faut-il que les œuvres protégées soient effectivement communiquées à un public (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 43 et jurisprudence citée).

41 À cet égard, la Cour a précisé, d’une part, que la notion de « public » comporte un certain seuil de minimis, ce qui exclut de cette notion une communauté de personnes concernées trop petite, voire insignifiante. D’autre part, il convient de tenir compte des effets cumulatifs qui résultent de la mise à disposition des œuvres protégées auprès des destinataires potentiels. Ainsi, il convient de savoir non seulement combien de personnes ont accès à la même œuvre parallèlement, mais également combien d’entre elles ont successivement accès à celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 44 et jurisprudence citée).

42 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi qu’une partie importante des abonnés de Ziggo et de XS4ALL a téléchargé des fichiers médias par l’intermédiaire de la plateforme de partage en ligne TPB. Il ressort également des observations présentées à la Cour que cette plateforme serait utilisée par un nombre considérable de personnes, les administrateurs de TPB ayant fait état, sur leur plateforme de partage en ligne, de plusieurs dizaines de millions de « pairs ». À cet égard, la communication en cause au principal vise, à tout le moins, l’ensemble des utilisateurs de cette plateforme. Ces utilisateurs peuvent accéder, à tout moment et simultanément, aux œuvres protégées qui sont partagées par l’intermédiaire de ladite plateforme. Ainsi, cette communication vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique un nombre important de personnes (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

43 Il s’ensuit que, par une communication telle que celle en cause au principal, des œuvres protégées sont effectivement communiquées à un « public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

44 En outre, s’agissant de la question de savoir si ces œuvres ont été communiquées à un public « nouveau » au sens de la jurisprudence citée au point 28 du présent arrêt, il y a lieu de relever que la Cour, dans son arrêt du 13 février 2014, Svensson e.a. (C?466/12, EU:C:2014:76, points 24 et 31), ainsi que dans son ordonnance du 21 octobre 2014, BestWater International (C?348/13, EU:C:2014:2315, point 14), a jugé qu’un tel public est un public qui n’a pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsque ces derniers ont autorisé la communication initiale.

45 En l’occurrence, il ressort des observations présentées à la Cour, d’une part, que les administrateurs de la plateforme de partage en ligne TPB ont été informés que cette plateforme, qu’ils mettent à la disposition des utilisateurs et qu’ils gèrent, donne accès à des œuvres publiées sans l’autorisation des titulaires de droits et, d’autre part, que les mêmes administrateurs manifestent expressément, sur les blogs et les forums disponibles sur ladite plateforme, leur objectif de mettre des œuvres protégées à la disposition des utilisateurs, et incitent ces derniers à réaliser des copies de ces œuvres. En tout état de cause, il ressort de la décision de renvoi que les administrateurs de la plateforme en ligne TPB ne pouvaient ignorer que cette plateforme donne accès à des œuvres publiées sans l’autorisation des titulaires de droits, eu égard à la circonstance, expressément soulignée par la juridiction de renvoi, qu’une très grande partie des fichiers torrents figurant sur la plateforme de partage en ligne TPB renvoient à des œuvres publiées sans l’autorisation des titulaires de droits. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer qu’il y a communication à un « public nouveau » (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 50).

46 Par ailleurs, il ne saurait être contesté que la mise à disposition et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, est réalisée dans le but d’en retirer un bénéfice, cette plateforme générant, ainsi qu’il ressort des observations soumises à la Cour, des recettes publicitaires considérables.

47 Dès lors, il y a lieu de considérer que la mise à disposition et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, constitue une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

48 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la mise à disposition et la gestion, sur Internet, d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer).

Sur la seconde question

49 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

La notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la mise à disposition et la gestion, sur Internet, d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer).

Quelle responsabilité pour l’auteur d’un lien hypertexte?

Le statut du tisseur de liens. Pas de liberté sans responsabilité : telle est la règle qui, grosso modo, dans le monde physique, s’applique aux agents. Ainsi, en droit civil français, existe-t-il un principe fondamental selon lequel « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »[1]. De la même façon, en droit pénal tout fait qui tombe sous le coup d’une incrimination textuelle engage la responsabilité de celui qui est à l’origine de ce fait[2]. Qu’en est-il de la responsabilité des tisseurs de liens lesquels jouissent, dans l’univers numérique, d’une liberté relativement étendue ? S’il n’eût existé en droit positif que les deux principes sus-énoncés, point ne serait besoin de se questionner sur le fondement juridique susceptible d’être utilisé quant à engager la responsabilité des bâtisseurs du web. Cela est, cependant, sans compter sur le législateur qui, au fil des années, a jugé bon de multiplier, par touches successives, le nombre de régimes spéciaux, de sorte que, de plus en plus d’acteurs de la vie économique, ont vu leur responsabilité aménagée[3]. Pour ce qui nous concerne, afin que soit instauré un climat de confiance dans l’économie numérique, certains de ses acteurs n’y ont pas échappé ou plutôt, devrait-on dire, en ont bénéficié. Si, en effet, il est des régimes spéciaux qui tendent à renforcer la responsabilité de certains[4], il en est d’autres qui, à l’opposé, les en exonèrent totalement[5] ou partiellement[6]. Par chance, pour ceux que l’on désigne sous le qualificatif d’intermédiaire technique, leur situation se rapproche plus de la seconde option que de la première. Le législateur a fait preuve d’une immense mansuétude à leur égard. Le régime de responsabilité qui s’applique à eux a été considérablement allégé. D’où, l’intérêt de s’interroger sur la qualité exacte des tisseurs de liens. Concrètement, trois catégories d’intermédiaires techniques se sont vues attirer les faveurs du législateur. Transposant la directive européenne du 8 juin 2000 sur le commerce électronique[7], la loi du 21 juin 2004, dite pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN)[8], a posé un principe d’irresponsabilité, assorti de quelques tempéraments pour les hébergeurs d’une part, et pour les prestataires de stockage temporaire ainsi que les fournisseurs d’accès à l’internet, d’autre part. Les tisseurs de liens endossent-ils l’une de ces trois qualités ? C’est ce qu’il nous faut déterminer.

La question de la qualification d’intermédiaire technique. S’agissant de la qualité d’hébergeur, elle bénéficie, selon l’article L. 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004, aux « personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ». Tel n’est, manifestement, pas l’objet de l’activité à laquelle s’adonnent les tisseurs de liens hypertextes. Comme le souligne Cyril Rojinsky, ces agents n’hébergent « d’aucune manière que ce soit le site cible vers lequel ils pointent, en ce sens qu’ils ne stockent pas les informations fournies par l’éditeur du site cible »[9]. Il en résulte que les créateurs de liens ne sauraient être assimilés à des hébergeurs et donc bénéficier de leur régime de responsabilité. Quant à la qualité de prestataire de stockage temporaire, l’article L. 32-3-4 du Code des postes et communications électroniques dispose que cette qualité peut être prêtée à « toute personne assurant dans le seul but de rendre plus efficace leur transmission ultérieure, une activité de stockage automatique, intermédiaire et temporaire des contenus qu’un prestataire transmet ». Le même argument que pour les hébergeurs peut ici être formulé. La tâche des tisseurs de liens ne consiste pas à stocker des informations, mais à les relier les unes aux autres. Dans ces conditions, ils ne peuvent pas rentrer dans cette catégorie d’intermédiaire technique pour qui le législateur a concocté un régime de responsabilité substantiellement allégé. Reste à examiner le cas des fournisseurs d’accès à l’internet, dont on peut se demander si leur fonction ne se recoupe pas, éventuellement, avec celle des créateurs de liens hypertextes. Alors que les premiers ont pour finalité, selon les termes de l’article L. 32-3-3 du Code des postes et communications électroniques, d’assurer la « transmission de contenus sur un réseau de communications électroniques ou de fourniture d’accès à un réseau de communications électroniques », les seconds jouent également, d’une certaine manière, ce rôle de transporteur dans la mesure où ils permettent aux internautes d’importer, de pages web distantes, n’importe quelle sorte de ressource. En outre, il ne serait pas déraisonnable de soutenir que, pareillement aux fournisseurs d’accès, les tisseurs de la toile offrent, indirectement, à ceux qui activent les liens, un accès à des services de communication en ligne.

L’existence d’un vide juridique. Pour frappantes que soient ces ressemblances entre les fonctions exercées par ces deux catégories d’opérateurs techniques, trop de dissemblances les séparent malgré tout, à commencer par les conditions que doivent remplir les fournisseurs d’accès à l’internet pour bénéficier du régime d’irresponsabilité prévu par le législateur. Selon l’article L. 32-3-3 du Code des postes et communications électroniques, pour que ces derniers profitent d’une exonération totale de responsabilité, ils ne doivent, ni être à l’origine de la demande de transmission litigieuse, ni avoir sélectionné le destinataire de la transmission, ni enfin avoir sélectionné et modifié les informations faisant l’objet de la transmission. Les créateurs de liens ne remplissent pas de telles conditions. La raison en est que, « en choisissant de manière manuelle ou automatisée les sites vers lesquels ils renvoient leurs visiteurs on peut estimer qu’ils sélectionnent […] les informations faisant l’objet d’une transmission »[10]. Il s’ensuit que les tisseurs de liens hypertextes ne peuvent se voir appliquer aucun des régimes de responsabilité qui bénéficient aux intermédiaires techniques. C’est donc un sentiment de vide juridique qui nous est laissé. Déjà, lors de l’adoption de la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, le débat sur la responsabilité des fournisseurs de liens hypertextes n’avait pas eu lieu. À l’époque, les instances communautaires ont préféré se concentrer sur la responsabilité des hébergeurs et des fournisseurs d’accès, plutôt que sur celle des créateurs de liens hypertextes. L’examen du régime juridique les concernant a été reporté[11]. Dix ans plus tard, rien n’a, cependant, encore été tranché, ni même réellement discuté. Et, s’il est des États membres[12] qui ont opté pour une limitation de la responsabilité des tisseurs de liens, il en est d’autres, comme la France, qui ne se sont pas encore décidés. Bien que surprenante puisse paraître cette absence d’harmonisation entre les États membres de l’Union européenne, cette situation n’est pour l’heure pas prête de bouger. En France c’est donc le droit commun qui a vocation à s’appliquer aux tisseurs de liens. Leur responsabilité peut, d’abord, être recherchée pour le fait même de pointer vers une ressource tierce, ensuite pour la manière de lier deux pages web entre elles et, enfin, pour l’illicéité de la ressource vers laquelle il est renvoyé.

Liberté de tissage et droit d’auteur. Pour ce qui est de la première hypothèse, il faut avoir à l’esprit que la fonction d’un lien hypertexte est de renvoyer vers une page web déterminée. Ce renvoi permet à celui qui active le lien d’accéder à une ressource immatérielle dont l’utilisation peut être protégée par des droits de propriété intellectuelle[13]. Partant, on peut légitimement se demander si la création de tels liens, ne porterait pas atteinte au monopole d’exploitation dont sont investis les administrateurs de la page web vers laquelle il est pointé. Si cette interrogation ne semble pas réellement se poser s’agissant d’un simple renvoi vers une page web où est légalement reproduite une marque, en ce que la contrefaçon de celle-ci ne saurait être caractérisée que s’il est porté atteinte à sa fonction[14], plus délicate est la question du renvoi vers un site internet sur lequel est mise en ligne une création intellectuelle protégée par le droit de la propriété littéraire et artistique. Conformément à l’article L. 111-1 alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit « sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». La seule communication au public d’une œuvre suppose que soit, expressément, et par écrit[15], donnée l’autorisation de son créateur[16]. Si, dès lors, on tend à considérer que la création d’un lien hypertexte pointant vers une œuvre de l’esprit se confond avec la notion d’exploitation au sens où l’entend le droit de la propriété littéraire et artistique, les tisseurs de liens peuvent, dans le cas où ils ne solliciteraient pas le consentement du titulaire des droits intellectuels, être qualifiés de contrefacteurs. À l’évidence, loin d’être satisfaisante est une telle situation dans la mesure où, de la création des liens hypertextes, dépend le développement du web. Restreindre substantiellement la liberté de lier des tisseurs de liens, en leur imposant de solliciter systématiquement l’autorisation des auteurs des œuvres ciblées, reviendrait à menacer l’existence même de la toile[17]. Christophe Carron le concède très volontiers en affirmant que « si chaque lien devait constituer […] une contrefaçon, c’est tout le système de l’internet qui pourrait être remis en cause »[18]. Les auteurs étant unanimes sur ce constat, il convient de s’employer à mesurer le degré de compatibilité de la liberté de lier avec le droit d’auteur, afin de savoir s’il est une conciliation possible entre les deux.

Le droit de reproduction. Comment y parvenir ? Il nous suffit de comparer le mécanisme d’activation des liens hypertextes aux modes d’exploitation des œuvres de l’esprit. Préalablement à l’établissement de toute comparaison, il est, toutefois, nécessaire de préciser que ce monopole d’exploitation consenti par la loi aux auteurs se compose d’un droit de reproduction et d’un droit de représentation[19]. C’est à la lumière de ces deux prérogatives intellectuelles qu’il pourra être déterminé l’étendue de la liberté des tisseurs de liens. S’agissant de l’acte de reproduction tout d’abord, il est défini à l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle comme « la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte ». Confrontée à l’acte de création d’un lien hypertexte, cette disposition paraît ne pas pouvoir s’y appliquer ; à aucun moment le tisseur de liens ne s’adonne à une quelconque reproduction de l’œuvre vers laquelle il renvoie. La seule fixation qui peut lui être reprochée est, à la rigueur, celle de l’URL de la page web visée[20]. La liberté de tissage dont il jouit ne semble, de ce fait, en aucune manière porter atteinte au droit exclusif de reproduction des auteurs[21]. Certains avancent, néanmoins, que le copiste n’est pas nécessairement celui qui, matériellement, effectue l’acte de copie proprement dit. Selon cette théorie, toute personne qui, sciemment, met à disposition du public les moyens de reproduire une œuvre de l’esprit peut se voir qualifier de contrefacteur. Telle a été la solution dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans le célèbre arrêt Rannou-Graphie rendue le 7 mars 1984[22]. Les juges ont estimé, à propos d’une officine de photocopie, qu’elle s’était livrée à un acte de contrefaçon par reproduction en mettant à disposition de ses clients des moyens leur permettant de porter atteinte au droit d’auteur impunément[23]. Bien que très séduisante puisse, à maints égards, être cette théorie, elle n’est, en aucun cas, susceptible de s’appliquer aux tisseurs de liens.

L’exception de reproduction provisoire. En créant un lien hypertexte qui pointe vers une œuvre de l’esprit, son fournisseur ne met nullement à disposition du public un moyen de la reproduire. Il en facilite seulement l’accès. Un lien hypertexte n’est qu’un chemin qui relie deux ressources du réseau entre elles. S’il est, par conséquent, une reproduction de la page web vers laquelle il est renvoyé, jamais elle ne saurait être le fait de l’activation du lien. Tout au plus, « le site liant […] agit comme une passerelle permettant la fixation des contenus »[24]. Lorsque les pages web d’un site internet sont visitées, leur nécessaire reproduction provisoire dans la mémoire vive de l’ordinateur à partir duquel elles sont consultées[25] est réalisée, non pas par le lien hypertexte qui pointe vers elles, mais par la machine de l’internaute qui l’a activé. Outre cet argument, s’ajoute la constatation selon laquelle, quand bien même l’activation d’un lien hypertexte aurait pour effet de reproduire le contenu protégé vers lequel il renvoie, cette reproduction, droit exclusif de l’auteur[26], tombe sous le coup de l’exception de reproduction provisoire introduite par la directive sur la société de l’information du 22 mai 2001[27]. Selon cette exception, l’auteur d’une œuvre divulguée ne peut pas empêcher sa reproduction provisoire, à condition que cette reproduction ait un « caractère transitoire ou accessoire », qu’elle soit « partie essentielle et intégrante d’un procédé technique », qu’elle ait « pour unique objet de permettre l’utilisation licite de l’œuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d’un réseau faisant appel à un intermédiaire » et, enfin, qu’elle n’ait pas « de valeur économique propre » [28]. Parce que cette exception a, en partie, été pensée pour bénéficier aux internautes qui consultent une page web sur laquelle est présente une œuvre de l’esprit[29], elle doit profiter également, sans distinction, à ceux qui accèdent au même contenu par le biais d’un lien hypertexte. Grâce à cette exception, les tisseurs de liens semblent être immunisés contre une éventuelle action en contrefaçon, ce d’autant plus qu’il sera peu aisé de prouver que la reproduction du contenu protégé est le fait de l’activation d’un lien. Si la liberté de lier des tisseurs de liens apparaît comme pouvant parfaitement être combinée avec le droit de reproduction des auteurs, rien n’est moins sûr s’agissant de leur droit de représentation.

Le droit de représentation. En vertu de L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle, la représentation est définie comme « la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque […] ». Or n’est-ce pas là la fonction d’un lien hypertexte que de mettre à disposition du public le contenu auquel il renvoie ? Il n’est, dans cette perspective, pas illégitime de s’interroger sur la question de savoir si l’activation d’un lien ne pourrait pas être assimilée en une sorte de communication au public de la ressource vers laquelle il est pointé. Au soutien de cette thèse, certains avancent qu’un lien peut être comparé à un relais et que, à ce titre, au regard du concept de représentation, celui qui en exerce le contrôle s’apparente à un exploitant. C’est précisément de cette qualification-ci qu’a été affublé, par la première chambre civile de la Cour de cassation[30], le gérant d’un hôtel, qui mettait à disposition de ses clients des récepteurs de télévision reliés par câble aux programmes diffusés par satellite. Dans cette affaire, dite CNN, les juges ont estimé que l’acte de représentation était bien caractérisé « dès lors que l’ensemble des clients de l’hôtel, bien que chacun occupe à titre privé une chambre individuelle, constitue un public à qui l’hôtelier transmet les programmes dans l’exercice et pour les besoins de son commerce ». Par analogie avec cette décision, il pourrait être soutenu que le tisseur de liens hypertextes procède également à un acte de représentation, en communiquant au public que forment les internautes, le contenu auquel il renvoie. À la différence néanmoins de l’hôtelier, le tisseur de liens a face à lui un seul et même public qui ne change pas. C’est là toute la différence. Il ne saurait, en effet, être porté atteinte au droit de représentation d’un auteur que si son œuvre est communiquée à un public autre que celui déjà visé par ce dernier. Comme le souligne Philippe Gaudrat, « le poseur de lien n’étend pas le public. La conception même du réseau fait que le public des œuvres mises en ligne sur internet est un public unique et réellement universel »[31]. Dès lors, il ne saurait être soutenu que la communication d’une œuvre de l’esprit par le biais d’un lien hypertexte vise un nouveau public : à partir du moment où elle est en ligne, cette dernière est susceptible d’être contemplée par l’ensemble des utilisateurs qui sillonnent l’univers numérique[32].

La communication d’une œuvre contrefaisante. Le tisseur de liens ne porte aucunement atteinte au droit de représentation des auteurs, ce d’autant plus que si communication au public il y a, elle doit s’effectuer de manière directe[33]. Or exception faite des liens hypertextes automatiques[34], tel n’est pas le cas des liens traditionnels, qui n’ont pour seule fonction que de faciliter l’accès de l’œuvre vers laquelle ils pointent. En d’autres termes, « la mise en ligne du contenu d’un site est décidée par le propriétaire de celui-ci et la création de tout hyperlien ne fait que prolonger l’acte initial de la mise à disposition du public »[35]. L’acte de création d’un lien hypertexte doit donc être considéré comme indépendant de l’acte de communication au public. Sans ce lien, le contenu vers lequel il est renvoyé serait tout autant accessible à quiconque dispose d’un accès internet, à condition d’en connaître l’URL. En informant l’internaute de l’existence de l’adresse du site cible, l’hyperlien joue, ni plus, ni moins le rôle d’une note de bas de page. En somme, « le fournisseur du lien, comme l’expression l’indique, fournit le lien… et non le contenu auquel il renvoie »[36]. Finalement, eu égard à tout ce qui précède, le monopole d’exploitation des auteurs apparaît comme étant compatible avec la liberté de lier dont jouissent les tisseurs de liens. Telle est la conclusion à laquelle est arrivé le forum des droits sur l’internet en affirmant qu’« au regard de la mise en œuvre des droits patrimoniaux » le principe doit être « la liberté de lier dans le respect du droit des tiers » [37]. À ne pas s’y méprendre, cependant. Aussi libres de lier soient les fournisseurs de liens, la frontière qui les tient à l’écart du giron du droit d’auteur est pour le moins ténue. Comme le souligne Christophe Caron, ces derniers sont placés, « non pas dans une prison juridique, mais dans un régime de liberté surveillée […] »[38]. C’est la raison pour laquelle les tisseurs de liens ne sont pas totalement à l’abri de voir leur responsabilité engagée pour ce qui est du principe même de pointer vers une ressource tierce. Il est, par exemple, un cas, où leur responsabilité sera susceptible d’être recherchée en raison d’une atteinte portée au droit d’auteur : la mise à disposition d’un contenu illicite. C’est l’hypothèse d’un lien hypertexte qui renvoie vers un site web sur lequel sont mis en ligne des fichiers illégaux (musique, films, jeux vidéos, etc.). Or les articles L. 335-2 et L. 335-4 du Code de la propriété intellectuelle assimilent précisément la mise à dispositions de copies contrefaisantes à de la contrefaçon. Certains tribunaux ont sanctionné, pour contrefaçon – même s’il s’agit plus, en réalité, de complicité – les auteurs de tels liens[39]. D’autres, en revanche, se refusent de voir dans leur création un acte de contrefaçon[40]. D’autres encore avancent qu’il s’agit là plutôt d’un acte en concurrence déloyale[41]. En définitive, il ressort de l’ensemble des décisions rendues par la jurisprudence que la responsabilité des tisseurs de liens du fait d’un renvoi vers une ressource protégée par le droit d’auteur peut difficilement être engagée. Ce constat vaut-il également s’agissant de la manière de tisser la toile ?

La problématique des liens profonds. De quels liens hypertextes parle-t-on lorsque l’on évoque la manière de pointer ? Ce sont surtout les liens profonds que nous visons. Lorsqu’un tel lien est créé, cela suppose que, pour accéder à la ressource cible, les internautes ne passent pas par la page d’accueil du site internet vers lequel il est renvoyé. Il est, dès lors, des risques qu’il soit causé un préjudice à l’administrateur dudit site, non pas du fait de l’existence même de ce lien, mais du fait de la manière dont ce lien a été confectionné. La question qui se pose au juriste n’est pas de savoir si le tisseur de liens doit ou non obtenir l’autorisation de l’auteur du contenu vers lequel il est pointé, mais quelles diligences doivent être prises afin qu’il ne soit pas nui au fonctionnement du site lié. Le premier risque susceptible d’être généré par l’établissement d’un lien profond réside dans l’ambigüité sous-jacente qui découle de sa création. Lorsqu’il est renvoyé vers une page web dont l’interface graphique ne permet pas de la différencier de la page web sur laquelle le lien est édité, il est fort probable que l’internaute qui l’active ne sache pas à quelle entité numérique la ressource visée est rattachée. Certains tisseurs de liens pourraient être tentés d’exploiter cette confusion, en laissant supposer que le contenu cible est leur, alors qu’en réalité le site web d’où il provient est administré par un tiers. Du point de vue du droit, il est des raisons de penser que pareille pratique est susceptible d’engager la responsabilité de son auteur. Dans cette perspective, il est permis de se demander s’il n’est pas un fondement juridique par l’entremise duquel elle pourrait être appréhendée comme, par exemple, la concurrence déloyale.

Concurrence déloyale et confusion. Élaborée par la jurisprudence, à la fin du XIXe siècle, cette théorie vise à permettre à un acteur économique, victime d’agissements déloyaux, de poursuivre l’auteur en responsabilité civile afin d’obtenir réparation de son préjudice. La doctrine[42] a traditionnellement pour habitude de distinguer trois sortes de concurrence déloyale : l’imitation, le dénigrement, et la désorganisation. Pour ce qui nous intéresse, à savoir l’imitation, elle peut être définie comme la pratique qui consiste à créer une confusion avec les produits, les services, les activités industrielles et commerciales d’une entreprise, de nature à tromper le public et à détourner la clientèle par des moyens déloyaux. Cette pratique ne semble pas très éloignée de celle consistant en la création d’un lien profond. Même si un changement d’URL s’opère dans la barre des logiciels de navigation, lorsqu’un tel lien est activé par un internaute, il est un risque de confusion dans son esprit. Il peut ne pas s’apercevoir que la page qu’il consulte ne dépend plus du site web originellement visité. Il apparaît, dès lors, que plus la confusion dont est victime le site lié sera grande, plus facilement pourra être caractérisée une faute à l’encontre du site liant, à condition que les deux sites entretiennent des rapports de concurrence entre eux. Sans surprise, c’est aux États-Unis que la première affaire relative à une action en concurrence déloyale pour confusion a éclatée[43]. Reprochant à la multinationale Microsoft d’avoir pointé des liens profonds vers son site, la société Ticketmaster a invoqué devant les juges le risque de confusion dans l’esprit du public que pouvaient entraîner de tels liens. Cette confusion aurait eu pour effet d’envisager que des rapports plus ou moins étroits aient existé entre les deux sociétés, alors que cela n’était nullement le cas.

L’affaire Keljob. Malheureusement, pour les commentateurs, cette affaire s’est conclue par une transaction. Microsoft aurait, cependant, accepté de retirer de son site les liens litigieux. Le sentiment nous est donc laissé que l’établissement de liens profonds peut, à maints égards être constitutif d’un acte de concurrence déloyale. Ce sentiment doit, toutefois, demeurer mesuré. Dans une affaire qui opposait la société Keljob, moteur de recherche spécialisé dans les offres d’emploi, à la société Cadreonline, exploitante d’un site proposant au public des offres d’emploi sous la forme d’annonces, le juge français semble en avoir décidé autrement[44]. Dans ce litige où était pendante la question de la licéité de liens profonds, ni le Tribunal de grande instance de Paris, ni la Cour d’appel n’a jugé bon d’interdire de tels liens. Ces deux juridictions ont estimé, tour à tour, qu’aucun risque de confusion n’était caractérisé. Bien que cette décision puisse apparaître contradictoire avec l’affaire Microsoft contre Ticketmaster, en réalité, il n’en est rien. Dans la présente affaire, aucun rapport de concurrence n’existait entre le moteur de recherche Keljob et la société Cadreonline. C’est pourquoi les juges n’ont pu caractériser aucun acte de concurrence déloyale à l’égard du tisseur de liens. Tout au plus, il aurait pu se voir reprocher un agissement parasitaire. Cet acte ne suppose pas l’existence d’un quelconque rapport de concurrence[45]. Comme s’accordent à le dire la plupart des auteurs, en jurisprudence « la question de savoir si un lien profond établi par un concurrent crée un risque de confusion dans l’esprit du public n’est […] toujours pas tranchée »[46]. La solution rendue par les juges dépend essentiellement du contexte dans lequel le lien est inséré. Si les éléments en présence ne sont pas suffisants quant à caractériser la confusion, l’administrateur du site web lié n’aura d’autre choix que d’invoquer, comme fondement juridique, la seconde forme de concurrence déloyale : la désorganisation.

Concurrence déloyale et désorganisation. Comme son nom l’indique, l’acte de désorganisation consiste à désorganiser l’activité d’un concurrent afin qu’il soit procédé selon la formule de Philippe Le Tourneau à « la destruction de [son] avantage concurrentiel »[47]. Lorsqu’un lien profond est pointé vers un site web concurrent, certains n’hésitent pas à affirmer qu’en détournant le public de la page d’accueil du site lié, l’auteur du lien « désorganise l’activité de son concurrent, notamment, en diminuant la valeur de son espace publicitaire »[48]. Bien des sites internet ont pour principale source de financement la publicité. Elle se matérialise par de nombreux bandeaux situés aux endroits du site les plus fréquentés. Or quoi de plus fréquenté sur un site web que sa page d’accueil ? S’il est, par conséquent, renvoyé vers des pages web autres que cette page d’accueil, on est légitimement en droit de penser qu’aucune recette publicitaire ne sera générée lorsque le lien profond est activé. Est-ce là un manque à gagner pour l’administrateur du site lié ? Raisonnablement, il faut répondre par la négative à cette question. D’une part, en l’absence de lien vers le site lié, les recettes qui émanent de la publicité ne seraient pas plus importantes. D’autre part, l’accès à un site par le biais d’un lien profond n’empêche aucunement les internautes de se rendre sur sa page d’accueil. Pour ces raisons, il est peu probable que la création d’un lien profond puisse être qualifiée d’acte de concurrence déloyale par désorganisation. L’administrateur du site web qui désire casser un tel lien n’a, conséquemment, d’autre alternative que de se rabattre sur un autre fondement juridique. Par chance, il peut, une fois encore, compter sur l’irréductible droit d’auteur, qui constitue son ultime rempart pour contrer les velléités des tisseurs de liens. À supposer qu’une page web revête les caractéristiques de la forme originale, condition essentielle à l’accession de la protection par le droit de la propriété littéraire et artistique, son créateur pourrait faire valoir le droit moral dont il est investi sur son œuvre[49].

Droit moral. Plus précisément, comme le relève Frédéric Sardain « si l’on s’en tient à la lecture classique, ce sont essentiellement les conditions de présentation de l’œuvre liée qui détermineront la licéité du lien hypertexte au regard du droit moral de l’auteur »[50]. Seuls le droit de paternité et le droit au respect de l’œuvre peuvent être menacés par l’établissement de liens profonds. S’agissant du premier, le droit de paternité, il est évoqué à l’article L. 121-1 alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle. Cet article dispose que « l’auteur jouit du droit au respect de son nom » et « de sa qualité ». Tout créateur d’une œuvre de l’esprit est donc en droit d’exiger que sa diffusion soit faite sous son nom. Il s’ensuit que lorsque le tisseur d’un lien profond occulte la paternité d’une œuvre liée, son auteur est fondé à contester, non pas l’existence de ce lien, mais la manière dont il a été créé. En plus d’imposer au lieur de mentionner ostensiblement l’origine de l’œuvre à laquelle il renvoie, l’auteur peut, en outre, pour faire échec à la création de l’hyperlien, faire valoir son droit au respect. Selon cette autre facette du droit moral, tout créateur d’une œuvre de l’esprit a le droit d’exiger qu’il ne soit, ni porté atteinte à son intégrité, ni qu’il en soit fait une mauvaise utilisation. Il en résulte que si un lien profond porte atteinte au respect « dû à l’œuvre telle que l’auteur a voulu qu’elle soit »[51], il sera tout à fait recevable à demander le retrait du lien litigieux. La plupart du temps, soit que l’hyperlien génèrera des rapprochements jugés inadmissibles, soit qu’il sortira l’œuvre du contexte dans lequel elle a soigneusement été placée, le tisseur de liens ne se préoccupera pas de son respect. L’auteur de l’œuvre liée pourra, dans ces conditions, très facilement invoquer la violation de son droit moral pour qu’il soit procédé à la suppression du lien profond qui lui déplait. Encore une fois, force est de constater que le droit de la propriété intellectuelle peut se révéler être une arme de défense très efficace contre les tisseurs de liens. Il est des cas, néanmoins, où ce droit ne pourra pas être invoqué, aucune atteinte aux droits patrimoniaux et moraux de l’auteur d’une page web ne pouvant être constatée. Que faire lorsque, ni le principe même de pointer, ni la manière de pointer ne sont en cause, mais que le lien renvoie néanmoins vers un contenu illicite ? C’est vers le droit commun de la responsabilité qu’il convient de se tourner.

Responsabilité pour faute. S’agissant de la responsabilité civile du lieur, celle-ci ne saurait être évoquée qu’en vérifiant, d’abord, si elle ne peut pas être recherchée sur le fondement du sacro-saint article 1382 du Code civil. Selon cette disposition, dont on dit qu’elle peut à elle seule « résumer le droit tout entier »[52], l’existence d’une faute imputable à l’auteur du lien doit être démontrée. Il faut, par ailleurs, que cette faute ait causé un dommage à l’administrateur du site visé. En quoi ladite faute peut-elle consister ? Elle ne peut, de toute évidence, que s’identifier à l’acte de renvoi vers un contenu illicite. Ce comportement peut, sans mal, être qualifié de violation d’une règle de bonne conduite à portée générale. A priori, lorsqu’un tel renvoi est établi manuellement, il est fort probable que pèse sur son auteur une présomption de connaissance du contenu illicite. C’est la raison pour laquelle il reviendra à ce dernier de prouver qu’il ignorait l’illicéité du contenu vers lequel il pointe. Quand bien même il y parviendrait, comme l’avancent certains auteurs[53], son inertie sera de toute façon susceptible d’être considérée comme « fautive ». Il pourra, en ce sens, lui être reproché, par le juge, de n’avoir pas suffisamment fait preuve de diligence et de prudence comme l’exige l’article 1383 du Code civil[54]. Une fois l’obstacle de la faute passé, l’existence d’un lien de causalité direct entre la faute et le dommage doit ensuite être démontrée. Pour que la victime du renvoi obtienne gain de cause, le contenu illicite qui lui a causé préjudice doit être localisé sur la seule page web pointée par le lien litigieux, à défaut de quoi le lien de causalité en question risquerait fort d’être considéré comme indirect. Si celui qui souhaite engager la responsabilité du tisseur de liens ne parvient pas à caractériser dans leur plénitude chacun des éléments du présent triptyque, il n’aura d’autre choix que de se tourner vers une deuxième forme de responsabilité civile : la responsabilité du fait des choses.

Responsabilité du fait des choses. Il n’est pas illégitime de se demander si, d’une certaine manière, le lieur ne pourrait pas être assimilé à un gardien, qui aurait la garde des liens hypertextes qu’il crée. En pareil cas, il pourrait être envisagé de lui appliquer l’article 1384 du Code civil en vertu duquel « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait […] des choses que l’on a sous sa garde ». Pour extravagante que soit cette hypothèse, elle n’en est pas moins des plus sérieuses. Dans une affaire Delanoë[55] cette possibilité a, déjà, été soulevée devant le Tribunal de grande instance de Paris. En l’espèce, il était reproché au moteur de recherche AltaVista d’avoir référencé un site pornographique portant le nom de Bertrand Delanoë et de permettre d’y accéder par le biais d’un lien hypertexte. Si, finalement, le juge des référés ne s’est pas prononcé sur le fond du litige, certains[56] n’hésitent pas à avancer qu’il est une responsabilité possible du fait des informations que l’on a sous sa garde. Le gardien peut tout à fait exercer sur elles un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle[57]. En France, seule une décision est allée en ce sens. Les juges du Tribunal de grande instance de Paris ont estimé qu’une information pouvait parfaitement constituer « une chose au sens de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil »[58]. Toutefois, comme le constate Cyril Rojinsky, ce jugement demeure quelque peu isolé[59] ; d’où le scepticisme de la doctrine vis-à-vis du raisonnement qui tend à calquer la responsabilité des tisseurs de liens du fait du renvoi vers un contenu illicite, sur la responsabilité du fait des choses. Il s’ensuit que seule la responsabilité pour faute semble pouvoir être envisagée pour ces derniers laquelle peut, à certaines conditions, être doublée d’une responsabilité pénale.

Responsabilité pénale. Afin qu’une telle responsabilité puisse être recherchée, cela suppose que le lieur se soit comporté comme l’auteur d’une infraction[60] ou, à tout le moins, qu’il y ait participé[61]. Sans qu’il soit besoin, dans l’immédiat, de passer en revue chacune des infractions au titre desquelles les tisseurs de liens pourraient être poursuivis, il convient de nous interroger sur la question de savoir si au regard des grands principes qui gouvernent le droit pénal, ils ne pourraient pas revêtir l’une ou l’autre qualité. Pour ce qui est de la qualité d’auteur, leur responsabilité ne saurait être recherchée que s’il est démontré que, du seul fait de leur comportement, les éléments constitutifs d’une infraction que sont l’élément matériel, moral et légal, sont réunis. L’élément matériel d’abord, il consistera dans l’acte de renvoi. Du point de vue du droit pénal, cet acte peut s’analyser comme une action positive et continue. L’élément moral ensuite, il ne peut que résider dans la connaissance par le lieur du caractère illicite de la ressource cible. L’élément légal enfin, il est de tous, celui qui pose le plus de difficultés. Il existe bien, en droit pénal, quelques incriminations qui visent la fourniture de moyens comme s’y apparente, d’une certaine façon, la création d’un hyperlien. Aucune de ces incriminations n’est, cependant, suffisamment générale pour permettre d’envisager de qualifier d’auteur, celui qui facilite la commission d’une infraction. Aussi étonnant puisse paraître cet état du droit, il se justifie, en réalité, parfaitement. Si ceux qui fournissent les moyens de commettre une infraction ne sont pas, à quelques exceptions près, appréhendés par la loi comme des auteurs, ils tombent, en revanche, sous le coup d’une autre qualification : la complicité.

Complicité. Selon l’article L. 121-7 du Code pénal alinéa 1er « est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation ». À priori, la fourniture de moyens semble être pleinement visée par cette disposition. Reste à déterminer si, d’une part, l’acte de création d’un hyperlien peut y être assimilé et si, d’autre part, sont caractérisés les deux autres éléments constitutifs de la complicité que sont l’existence d’un fait principal punissable et l’élément intentionnel. S’agissant du premier élément, il existe, à son sujet, une ambigüité. De quelle infraction parle-t-on ? La complicité du lieur, doit-elle être appréciée par rapport à l’infraction commise par l’éditeur du site pointé sur lequel est publié un contenu illicite, ou par rapport à l’infraction que l’on impute à l’utilisateur du lien du fait de la consultation ou éventuellement du téléchargement de ce contenu illicite ? La réponse à cette question suppose, au préalable, de savoir si le tisseur de liens est à même de participer à la commission de ces infractions. Or comme nous avons pu l’observer précédemment, en matière de droit d’auteur, en aucun cas il ne participe, ni ne facilite quoi que ce soit. S’il est impliqué dans une activité, c’est seulement dans la création d’une passerelle reliant deux pages web entre elles et non dans la diffusion ou la consultation du contenu de ces dernières. Malgré l’avis contraire de certains auteurs[62], peu importe le fait principal punissable auquel il est fait référence dans la mesure où le lieur ne participe à ni l’un ni l’autre. Quand bien même celui-ci aurait la volonté de s’associer à l’entreprise criminelle de l’utilisateur du lien ou de l’éditeur du contenu visé, dans les deux cas, l’élément matériel de la complicité fait défaut[63]. Si la responsabilité du lieur ne saurait être recherchée sur le terrain de la complicité, reste peut-être une dernière chance d’y parvenir par le truchement de la qualification pénale de recel.

Recel. En vertu de l’article 321-1 du Code pénal, « le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit ». La question se pose dès lors de savoir si le fournisseur d’un lien hypertexte qui pointe vers un contenu illicite, peut être considéré comme un intermédiaire, en permettant la transmission du produit d’une infraction. Pareillement aux observations déjà formulées précédemment en matière de complicité, pas plus qu’il ne diffuse un quelconque contenu, le lieur ne transmet rien. Seul l’utilisateur du lien entretient un rapport avec l’éventuel produit d’une infraction. Outre ce constat, à cela s’ajoute le fait que le recel d’information n’existe pas. La chambre criminelle de la Cour de cassation a été très claire à ce sujet dans un arrêt du 3 avril 1995. Elle a décidé « qu’une information quelle qu’en soit la nature ou l’origine échappe aux prévisions […] de l’article 321-1 du Code pénal »[64]. Et si dans un arrêt récent[65], la qualité de chose semble avoir été reconnue à des informations, rien ne permet d’affirmer, en l’état actuel du droit, que cette jurisprudence s’applique au recel. Pour toutes ces raisons, il apparaît que la seule création d’un hyperlien ne saurait caractériser l’infraction de recel. On pourrait, hypothétiquement, envisager l’infraction de recel-profit[66]. Cela suppose, cependant, de prouver que la consommation de l’infraction sur le site lié, profite au tisseur de liens. En vérité, la seule voie ouverte, quant à engager la responsabilité pénale de ce dernier, réside dans l’existence d’une infraction qui sanctionnerait la conduite qui consiste à renvoyer vers un contenu illicite. Pour ce faire, encore faut-il parvenir à franchir le cap du principe de légalité, ce qui est loin d’être chose aisée.

Principe de légalité. Alors que le droit civil tout entier peut être résumé à l’article 1382 du Code civil, le droit pénal peut, quant à lui, tenir dans l’adage de Feuerbach « nullum crimen, nulla poena sine lege ». Le principe de légalité porté par Montesquieu, Voltaire et autres Beccaria constitue les fondations sur lesquelles s’est construit le droit pénal moderne. Comme le souligne Didier Rebut, ce principe a été conçu jadis comme « un instrument de protection de la liberté contre les atteintes qui lui sont portées par le souverain dans la mise en œuvre du droit de punir »[67]. Il en résulte que, contrairement au droit civil, les carences dont sont empreints certains textes ne sauraient être comblées par le juge pénal qui, selon Montesquieu, n’est que « la bouche qui prononce les paroles de la loi »[68]. C’est la raison pour laquelle les incriminations qu’est seul habilité à formuler le législateur[69], doivent être extrêmement précises, à défaut de quoi il est un risque que certaines atteintes à l’ordre social ne puissent pas être appréhendées par le droit. La rédaction des textes pénaux est tout un art. Cet exercice s’avère d’autant plus périlleux qu’en plus des comportements déviants qui sévissent dans le présent, doivent être anticipés par le législateur ceux qui n’existent pas encore. Tel est le cas des conduites humaines engendrées par le développement des nouvelles technologies dont fait, entre autres, partie l’acte de création d’un lien hypertexte. Afin de savoir si le droit pénal est suffisamment bien armé quant à appréhender les dérives auxquelles peut donner prise une telle pratique, il convient de les confronter aux infractions dont elles sont susceptibles de relever.

Délits de presse. La première sorte d’infraction qui a donné lieu à discussion devant les tribunaux est relative aux limites tenant à la liberté d’expression. Plus précisément s’est posée la question de savoir si la responsabilité pénale des tisseurs de liens ne pouvait pas être engagée du fait de la commission d’une infraction de presse sur la ressource vers laquelle il était pointé. Le premier réflexe du juriste devrait être de répondre par la négative à cette interrogation, celui-ci devant avoir à l’esprit l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Selon cette disposition, les « auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse » sont limitativement désignés. Par exception au principe de responsabilité pénale personnelle[70], c’est donc un régime de responsabilité dit en « cascade » qui a vocation à s’appliquer[71]. Le fournisseur de liens n’a, de ce fait, que peu de chance d’être poursuivi devant les juridictions pénales du fait de la commission d’un délit de presse sur le site lié, sauf à être considéré comme l’une des personnes visées par les textes, auquel cas, il reviendra au ministère public de démontrer que la création d’un lien hypertexte peut être assimilée à l’acte de publication, au sens où la loi du 29 juillet 1881 l’entend. Bien qu’extrêmement rares soient les décisions qui ont trait à cette dernière question, la jurisprudence semble, néanmoins, y avoir répondu.

Le lien hypertexte, outil de contournement de la loi. Dans une affaire « Libération », les juges du Tribunal de grande instance de Paris ont eu l’occasion de se prononcer sur la culpabilité du directeur de publication du grand quotidien. Il lui était reproché de n’avoir pas pris les mesures qui s’imposaient s’agissant de la création d’un lien hypertexte sur le site web de son journal. Ce lien renvoyait vers un site californien où étaient publiés des sondages relatifs aux élections législatives de 1997. Si, de prime abord, il n’est, semble-t-il, rien d’illicite dans la diffusion de tels sondages, il y a cependant un cas réprimé par le droit pénal. L’article 11 de la loi du 19 juillet 1977 dispose, en ce sens, qu’à « la veille de chaque tour de scrutin ainsi que le jour de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que ce soit, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage tel que défini à l’article 1er ». Devant les juges du fond, était pendante la question de savoir si la création d’un lien hypertexte, dont la finalité n’est autre que de contourner les interdictions érigées par la loi du 19 juillet 1977, tombait sous le coup de cette loi. À cette problématique juridique – jusque-là inédite – les juges du Tribunal de grande instance de Paris ont choisi de répondre par la négative. Il a été considéré que les journalistes du site web sur lequel a été inséré le lien hypertexte litigieux se sont contentés « de donner aux internautes les moyens de prendre connaissance du contenu des sondages sur un site à l’étranger ». Cela ne suffisait donc pas à caractériser l’élément matériel de l’infraction.

Lier est-ce publier ? Cette solution est fort logique dans la mesure où, en aucun cas, l’acte de création d’un lien hypertexte ne saurait se confondre avec la notion de publication. Nonobstant l’incertitude qui entoure la définition de cette notion, comme le souligne Emmanuel Derieux, celle-ci implique l’action de « rendre public »[72]. Or en créant un hyperlien, le lieur ne rend aucunement public le contenu vers lequel il renvoie ; il le met seulement en relation avec un autre contenu. Seul celui qui accomplit matériellement l’acte de reproduction d’une ressource sur un serveur peut se voir attribuer la paternité de l’acte de publication. Lorsqu’est, par conséquent, accessible en ligne un document, quel qu’il soit, doit être distinguée la publication de celui-ci sur un site web différent, de sa mise en relation avec une autre ressource, laquelle n’implique aucune reproduction. Bien que cette décision ne possède guère de portée, en raison du faible degré de la juridiction qui l’a rendue, elle n’en corrobore pas moins l’affirmation selon laquelle, quel que soit le contenu vers lequel il est pointé, un lien hypertexte est neutre. Pas plus que la création d’un tel lien constitue une reproduction, une représentation ou bien une transmission, cet acte n’est pas non plus assimilable à une publication. Une nuance doit cependant être apportée à cet état de droit qui vient d’être quelque peu bouleversé par un jugement rendu le 18 mars 2013 par le Tribunal de grande instance de Paris. Les juges de la capitale avancent dans cette décision que « la création d’un lien hypertexte permettant d’accéder directement à un article plus ancien que la création d’un tel lien doit être analysée comme une nouvelle mise en ligne du texte auquel ce lien hypertexte renvoie »[73]. Est-ce une remise en cause du caractère neutre des liens hypertextes ? Si cette décision venait à se confirmer en appel, voire à se répandre en jurisprudence, la réponse ne peut être que positive. Dès lors que l’on estime que l’édition d’un lien hypertexte s’apparente à un acte de publication, l’auteur dudit lien ne peut plus être regardé comme un simple bâtisseur de « passerelles » [74]. Selon cette vision, son activité se confondrait avec celle de l’éditeur du site lié. Et s’il était question, dans le jugement en l’espèce, de l’infraction de diffamation, ce raisonnement est également applicable pour les autres infractions de presse érigées par la loi du 29 juillet 1881. Car, toutes reposent sur la notion de publication[75].

Le renvoi vers des contenus pédo-pornographiques. Pour savoir si les tisseurs de liens sont susceptibles d’engager leur responsabilité pénale du fait du renvoi vers un contenu illicite, reste à envisager une dernière catégorie d’infractions, qui s’est considérablement enrichie du fait de l’émergence des réseaux numériques. Il s’agit des infractions qui ont trait à la diffusion de certains contenus pornographiques ou d’une extrême violence. Avec le développement de l’internet, le législateur n’a eu d’autre choix que de multiplier les incriminations à l’égard des auteurs entre les mains desquels passe ce genre de contenus, de manière à ce que le droit puisse, plus facilement, se saisir de comportements qui n’existaient pas avant ou que trop marginalement. Les pratiques pédophiles sont particulièrement visées par le nouveau dispositif législatif. De façon générale, est réprimé d’une part, au titre de l’article 227-23 du Code pénal le fait par quelque moyen que ce soit, de « fixer », « d’enregistrer », « de transmettre », « d’offrir », « de rendre disponible », « de diffuser », « d’importer », « d’exporter », « de faire importer », « de faire exporter », ou « de consulter », « une image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique ». D’autre part, en vertu de l’article 227-24 du Code pénal est sanctionné « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message […] lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ». Alors que le premier texte sanctionne la diffusion d’un contenu pornographique où l’enfant en est purement et simplement l’objet, dans le second est réprimée l’hypothèse où l’enfant en est le destinataire.

L’obstacle de la sémantique. En dépit de la horde d’adjectifs employée par le législateur afin d’attraire devant le juge pénal les comportements les plus dangereux, tous renvoient, sans exception, soit à la notion de diffusion, soit à celle de reproduction. Or si l’on se réfère au principe d’interprétation stricte de la loi pénale[76], corolaire du principe de légalité[77], il apparaît que les tisseurs de liens échappent à son application. Comme nous l’avons démontré précédemment, l’acte de création d’un lien hypertexte n’est assimilable, ni à une reproduction, ni à une publication du contenu vers lequel il est pointé. Éventuellement on peut s’interroger sur la signification du terme « consulter », évoqué à l’alinéa 5 de l’article 227-23 du Code pénal. L’examen sémantique de ce verbe n’a, cependant, que peu de chance de prospérer dans la mesure où ce ne sont pas les lieurs qui consultent le contenu illicite, mais ceux qui activent les hyperliens. Toute tentative de questionnement sur la signification du terme « consulter » est donc mort-née. En définitive, si l’on respecte, scrupuleusement, le principe de légalité des délits et des peines, il n’est aucun fondement juridique valable sur lequel la responsabilité pénale des tisseurs de liens peut être recherchée. Ils ne sont visés par aucun texte, tout autant que l’acte de création d’un lien hypertexte ne répond à aucun concept juridique existant. Au total, il apparaît que la liberté que garantit l’ordre numérique aux tisseurs de liens voit son exercice pas si limité par le droit que l’on pourrait l’imaginer. La raison en est que l’acte de création d’un lien hypertexte est, en lui-même, totalement indépendant de l’acte de diffusion du contenu vers lequel il est pointé. La grande difficulté consiste, dans ces conditions, pour le juriste à trouver un concept juridique qui permette de faire un lien entre les deux. Or cette difficulté s’avère être, nous l’avons vu, presque insurmontable. Pour l’heure, les tisseurs de liens semblent être à l’abri d’une limitation de leur liberté par le droit. Leur conduite est, si l’on peut s’exprimer ainsi, trop « glissante » pour pouvoir être saisie par les tentacules de ce dernier.

[1] Bien que ce principe puisse apparaître réducteur dans la mesure où le fait générateur d’un dommage peut également consister en la violation d’un droit subjectif, comme le constate Tristan Azzi « le principe énoncé à l’article 1382du Code civil est l’une de ces grandes règles d’équité qui peuvent, à elles seules, résumer le droit tout entier ». Tristan Azzi, « Les relations entre la responsabilité civile délictuelle et les droits subjectifs », RTD Civ., 2007, p. 227.

[2] Article 121-1 et s. du Code pénal.

[3] Sur une analyse de ce phénomène V. L. Clerc-Renaud, Du Droit commun et des régimes spéciaux en droit extracontractuel de la réparation, thèse : Chambéry, 2006, 535 p.

[4] On pense notamment aux conducteurs de véhicules terrestres à moteur qui ont vu leur responsabilité considérablement renforcée avec l’adoption de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, JORF juillet 1985.

[5] V. en ce sens la loi du 27 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises qui a posé, à l’article L. 650-1 du Code de commerce, un principe d’irresponsabilité au bénéfice des créanciers « du fait des concours consentis », dans le cadre de l’ouverture d’une « procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire » (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, JORF n° 173 du 27 juillet 2005 p. 12187).

[6] Ainsi, par exemple, les agences de voyages ont vu, récemment, leur responsabilité allégée par la loi du 22 juillet 2009, en limitant les dommages intérêt alloués à leurs clients aux montants prévus par les conventions internationales (loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009, JORF n° 0169 du 24 juillet 2009 p. 12352).

[7] Directive 2000-1931/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), JO du 17/07/2000, n° L 178, pp. 1-16.

[8] Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, JORF n° 0143 du 22 juin 2004 p. 11168.

[9] C. Rojinsky, « Sens interdit. La responsabilité du créateur de lien hypertexte du fait du contenu illicite du site cible », Cahiers Lamy droit de l’informatique et des réseaux, n° 155, février 2003, p. 7.

[10] Ibid., p. 7.

[11] L’article 21 de la directive précise que la Commission devra présenter des propositions relatives à la responsabilité des fournisseurs de liens hypertextes sous la forme d’un rapport qui devra être établi à ce sujet par la Commission européenne au plus tard le 17 juillet 2003.

[12] On peut citer l’Espagne, l’Autriche le Liechtenstein ou encore le Portugal qui ont appliqué le régime de responsabilité des intermédiaires techniques aux fournisseurs d’hyperliens.

[13] Elle le sera quasiment presque toujours dans la mesure où, comme l’a écrit Jérôme Huet, un site web est, par nature, un « gisement de propriété intellectuelle » (J. Huet, « Le site Internet : gisement de droits de propriété intellectuelle », in Commerce électronique et propriétés intellectuelles, Paris, Litec, 2001, pp.35 secondes). V. également en ce sens J. Larrieu, « Le site Web à la croisée des droits », Propriété industrielle, oct. 2011, n° 10, pp. 33-34 ; C. Caron, « Droit d’auteur : un site Internet est une œuvre de l’esprit », CCE, oct. 2011, n° 10, pp. 25-25.

[14] Ainsi la Cour de justice de l’Union européenne a-t-elle eu l’occasion d’affirmer, dans un arrêt du 12 novembre 2002, que « l’exercice de ce droit [portant sur la marque] doit […] être réservé aux cas dans lesquels l’usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque » (CJUE, 12 nov. 2002, Arsenal Football Club, C-206/01, Rec. P. I-10273, point 51).

[15] L’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».

[16] Selon l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».

[17] Le Tribunal de grande instance de Paris ne s’y est pas trompé, affirmant, dans le cadre d’une décision rendue en référé le 12 mai 2003 que « la liberté d’établir un lien, sauf à répondre des abus résultant de son utilisation, apparaît inhérente au principe de fonctionnement de l’Internet » (TGI Paris, ord. réf., 12 mai 2003, Lorie c/M. Géraume S. : Légipresse 2003, n° 205, II, p. 150, note L. Tellier-Loniewski).

[18] Ch. Caron, « Les liens hypertextes entre propriété intellectuelle et concurrence déloyale », CCE, mars 2001, comm. n° 26, p. 21.

[19] Article L. 122-1 du Code de la propriété intellectuelle : « le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction ».

[20] Dans cette hypothèse, c’est surtout au droit d’une marque qu’il sera porté atteinte. Sur cette question, la jurisprudence estime que toute reproduction ou usage d’une marque qui n’a pas été autorisée par son titulaire constitue une contrefaçon, à condition, néanmoins qu’il soit porté atteinte à la fonction de la marque, mais encore que la reproduction du signe distinctif soit faite dans le cadre de la vie des affaires. V. en ce sens TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 5 sept. 2001, SA Cadremploi c/SA Keljob : JurisData n° 2001-161 802 Expertises 2001, p. 391 ; CA Paris, 4e ch., sect. B, 19 oct. 2001, Sarl Wolke Inks & Printers c/SA Imaje : JurisData n° 2001-159 030. L’hypothèse d’une contrefaçon, du fait de la reproduction du titre d’une œuvre protégée par le droit de la propriété littéraire et artistique pour la création d’un hyperlien, peut-être être envisagée ? Certains auteurs le pensent (V en ce sens C. Fabre, « De l’affaire Keljob à l’affaire Keljob », Expertises, 2001, p. 180). D’autres commentateurs sont plus nuancés (V. Varet, « Les risques juridiques en matière de liens hypertextes », Légipresse, 2002, n° 196, II, p. 141).

[21] Il est, cependant, une décision qui a été prise sur le fondement de l’article L. 122-4 du Code de la propriété condamnant un fournisseur de liens qui avait reproduit le logo d’une société pour, ensuite, renvoyer vers le site de cette dernière (TGI Paris, 3e ch., 28 nov. 2001).

[22] Cass. 1re civ., 7 mars 1984, aff. “Ranou-graphie” : JCP G 1985, II, n° 20351, note Plaisant ; RTD com. 1984, p. 677, obs. A. Françon.

[23] Certains avancent que cette solution ne vaut que si le fournisseur des moyens profite de la reproduction, ce qui était clairement le cas en l’espèce de l’officine de Photocopie. D’autres avancent, comme Pierre-Yves Gauthier, que la seule fourniture publique de moyens de reproduction devrait suffire à déclencher le retour au droit exclusif. Selon cet auteur « tout comme la vente ou la location du support matériel de l’œuvre, fût-ce pour un usage privé, est subordonnée à l’autorisation de l’auteur ou de son ayant droit tout entremise d’un tiers, facilitant, contre rémunération, la photocopie de tout ou partie de l’œuvre, notamment la fourniture d’une machine à l’usager » (P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, coll. « Droit fondamental », 2012, n° 339, p. 344).

[24] Recommandation du Forum des droits sur l’internet « Hyperliens : statut juridique », le 3 mars 2003.

[25] Sans qu’il soit besoin de nous encombrer de considérations trop techniques, il convient de souligner que tout traitement de l’information par un ordinateur suppose qu’elle soit, au préalable, reproduite dans la mémoire vive de celui-ci, de telle sorte que, comme le précisait Xavier Linant de Bellefonds, on est « dans le domaine de la copie systématique fonctionnellement nécessaire ». Ainsi, la consultation d’un site internet, par exemple, implique-t-elle que l’ordinateur de chacun de ses visiteurs reproduise le contenu de la page web visitée. Lorsque, par conséquent, est pointée un œuvre de l’esprit par un lien hypertexte, celle-ci est, en toute logique, reproduite autant de fois que le lien est activé.

[26] La reproduction provisoire et la reproduction permanente sont assimilées.

[27] Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, JO 22 juin 2001, L. 167, p. 10-19.

[28] Selon l’article L. 122-5 6° : « lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire, […] la reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu’elle est une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et qu’elle a pour unique objet de permettre l’utilisation licite de l’œuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d’un réseau faisant appel à un intermédiaire ; toutefois, cette reproduction provisoire qui ne peut porter que sur des œuvres autres que les logiciels et les bases de données ne doit pas avoir de valeur économique propre ».

[29] Il peut également y être recouru pour exempter les intermédiaires techniques.

[30] Cass. 1re civ., 6 avr. 1994, RIDA juill. 1994, p. 367, note Kéréver ; RTD com. 1994, p. 272, obs. A. Françon ; D. 1994, jurisprudence, p. 450, note P.-Y. Gautier.

[31] Ph. Gaudrat, « Hyperliens et droit d’exploitation », RTD Com., 2006, p. 104.

[32] A. Strowel et N. Ide, « La responsabilité des intermédiaires sur Internet : actualités et question des hyperliens », RIDA, oct. 2000, n° 186, p. 69.

[33] Enoncée autrefois, explicitement, par la loi du 11 mars 1957, la condition du caractère direct de la communication au public de l’œuvre est toujours exigé par l’article L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle selon André Lucas. En effet, selon cet auteur « il n’y a pas d’inconvénients à continuer à dire que la représentation est une communication directe » (A. Lucas et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, coll. « Traités », 2006, n° 279, p. 224).

[34] Ces liens peuvent en effet être considérés comme réalisant un acte de communication directe au public, le contenu du site lié s’affichant directement sur la page du site liant (V. supra, n° 465).

[35] Recommandation du Forum des droits sur l’internet « Hyperliens : statut juridique », le 3 mars 2003.

[36] A. Dimeglio, Le droit du référencement dans l’internet, thèse : Montpellier ; 2002, p. 179.

[37] Recommandation du Forum des droits sur l’internet, op. préc.

[38] Ch. Caron, « Les liens hypertextes entre propriété intellectuelle et concurrence déloyale », CCE, mars 2001, comm. n° 26, p. 21.

[39] V. en ce sens TGI Épinal, ch. corr., 24 oct. 2000, Min. publ. et SCPP c/Conraud : CCE. 2000, comm. 125, note Ch. Caron ; JurisData n° 2000-126285.

[40] Dans un jugement du 6 décembre 2010, les juges du Tribunal de grande instance de Nancy estiment que la création d’un lien hypertexte n’équivaut pas la mise en ligne d’une œuvre au public (TGI Nancy, 6 déc. 2010 : Gaz. Pal. 24 févr. 2011, p. 13, obs. L. Marino).

[41] V. en ce sens T. com. Paris, réf., 26 déc. 2000 : CCE, 2001, comm. 26, obs. Ch. Caron ; Légipresse 2001, III, p. 64.

[42] P. Roubier, « Théorie générale de l’action générale en concurrence déloyale », RTD. civ., 1948, p. 541, spéc. p. 543

[43] US District Court, Los Angeles, Ticketmaster Corp. v/Tickets.com, 27 mars 2000.

[44] T. com. Paris, réf., 26 déc. 2000, SNC Havas Numérique et SA Cadres on Line c/SA Keljob : JurisData n° 2000-174 348 ; Legalis.net, 2001, n° 2, p. 122, note J. Giusti.

[45] L’agissement parasitaire est une forme de concurrence déloyale. Aussi, est-il sanctionné sur le même fondement que l’action en concurrence déloyale : l’article 1382 du Code civil. Pour que l’acte de parasitisme soit caractérisé, il faut donc que soit démontrer l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. Depuis un arrêt du 12 février 2008, la Cour de cassation n’exige plus, dans le cadre d’une action en concurrence déloyale, qu’existe un rapport de concurrence entre l’auteur du dommage et la victime. Cass. com., 12 févr. 2008 : JurisData n° 2008-042743 ; Contrats, conc. consom. 2008, comm. 103, obs. M. Malaurie-Vignal.

[46] A. Dimeglio, op. cit. note 58, p. 204.

[47] Ph. Le Tourneau, Le Parasitisme, Notion, prévention, protection Litec, 1998.

[48] A. Dimeglio, op. cit. note 58, p. 206.

[49] V. en ce sens l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle combiné à l’article L. 121-1.

[50] F. Sardain, « Les hyperliens », Jurisclasseur Communication, fasc. 4730, n° 37.

[51] TGI Paris 3e ch., 15 octobre 1992 : RIDA 1/1993, p. 225.

[52] T. Azzi, « Les relations entre la responsabilité civile délictuelle et les droits subjectifs », RTD Civ., 2007, p. 227.

[53] Cyril Rojinsky, art. cit. note 31.

[54] L’article 1383 du Code civil dispose que « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».

[55] TGI Paris, ord. Réf., 31 juillet 2000, Bertrand Delanoë c/Altavista et autres, juriscom ; Juris-Data n° 2000-134032.

[56] G. Danjaume, « La responsabilité du fait de l’information », JCP G, 1996, I, 3895 ; F. Dupuis-Toubol, M.-H. Tonnelier, et S. Lemarchand, « Responsabilité civile et internet », JCP E, 1997, I, 640.

[57] Cass, Ch. Réunies, 2 décembre 1941, D. C. 1942, 25, note Ripert.

[58] TGI Paris, 27 février 1991, JCP 1992, éd. G, II, 21809, note Ph. le Tourneau.

[59] Cyril Rojinsky, art. cit. note 31.

[60] Article 121-1 du Code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».

[61] Article 121-6 : « Sera puni comme auteur le complice de l’infraction […] ».

[62] Pour Arnaud Dimeglio, il convient de distinguer dans la mesure où lorsque le fait principal punissable est commis par le référencé alors il ne saurait y avoir de complicité. En revanche, selon lui, quand le fait principal est imputable à l’utilisateur l’acte de complicité est caractérisé (A. Dimeglio, op. cit. note 58, p. 59-60).

[63] V. en ce sens l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, les juges estimant que l’auteur d’un lien hypertexte renvoyant vers un site sur lequel avait été publié la vidéo d’une agression ne pouvait pas être considéré comme le complice de la mise en ligne de cette vidéo illégale. (CA Paris, 9 déc. 2009, n° 09/05 089 : JurisData n° 2009-017 742 : CCE, 2010, comm. 37, A. Lepage).

[64] Crim. 3 avril 1995, Bull. Crim, n° 142 ; D. 1995, Somm. 320, obs. J. Pradel.

[65] Crim. 4 mars 2008, note J. Huet, « Vol de fichiers informatiques », CCE, déc. 2008, comm. 25.

[66] En vertu de l’article 321-1, alinéa 1e du Code pénal, « Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit ».

[67] D. Rebut, « Le déclin du principe de légalité des délits et des peines », in R. Cabrillac, M.-A. Frison-Roche et T. Revet (dir.), Libertés et droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 2003, p. 512.

[68] Montesquieu, De l’esprit des lois, Flammarion, coll. « Garnier Flammarion », 1979, vol. 1, liv. XI, chap. VI, p. 301.

[69] On constate cependant un déclin du pouvoir du législateur, compte tenu de l’intervention grandissante du pouvoir règlementaire en la matière, bien qu’il ne soit compétent, au titre de la combinaison des articles 34 et 37 de la Constitution, que pour l’édiction de contraventions.

[70] En vertu de l’article 121-1 du Code pénal « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».

[71] Sont d’abord visés « 1° les directeurs de publications ou éditeurs […] 2° à leur défaut les auteurs ; 3° à défaut des auteurs, les imprimeurs ; 4° à défaut des imprimeurs, les vendeurs, distributeurs et afficheurs ».

[72] E. Derieux, Droit des médias. Droit français, européen et international, LGDJ, coll. « Manuel », 2008, pp. 440 et s.

[73] TGI Paris, 17e ch. civ., 18 mars 2013, Sté Amex c/Sté Indogo Publications.

[74] Recommandation du Forum des droits sur l’internet « Hyperliens : statut juridique », le 3 mars 2003

[75] Selon Emmanuel Derieux, « la publication est incontestablement le critère principale et, beaucoup plus, la condition ou l’élément matériel constitutif essentiel des abus de la liberté d’expression ». E. Derieux, op. préc., n° 1332, p. 440.

[76] L’article 111-4 du Code pénal dispose que « la loi pénale est d’interprétation stricte ».

[77] Le principe de légalité trouve son siège à l’article précédent du Code pénal.