Les aides à la mobilité : forfait mobilités durables, bornes électriques et crédit mobilité

Par Loudenie BOSSE

Juriste apprentie chez SNCF – Optim’services
Master 2 Droit de la protection sociale d’entreprise
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

Compte tenu de la volonté d’accélérer la transition énergétique par l’utilisation de modes de transports moins émetteurs de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone notamment), différentes aides à la mobilité peuvent être mises en place par l’employeur et sont encouragées par le gouvernement, notamment via l’application d’un régime social et fiscal de faveur.

L’employeur peut mettre en place le forfait mobilités durables, pour prendre en charge tout ou partie des frais que le salarié engage pour se rendre de sa résidence habituelle à son lieu de travail, en utilisant certains modes de transport « alternatifs[1] ». Ces derniers désignent les moyens de transports alternatifs à la voiture, que promeut le ministère de la Transition écologique, afin de réduire l’impact que les déplacements peuvent avoir sur l’environnement. Ces modes de transport sont aussi appelés « mobilités douces ».

À noter : dans certaines régions, des accords locaux prévoient des dispositifs visant à favoriser les mobilités durables (mise en place de parkings sécurisés pour vélo, négociations avec des revendeurs locaux pour obtenir des tarifs sur l’achat de vélos, etc.), mais qui ne s’apparentent pas au forfait mobilités durables (aucune somme n’est directement versée aux salariés).

Dans les aides qui peuvent être envisagées par l’entreprise, il y a le forfait mobilité durable (section I), la mise en place de bornes de recharge pour véhicules électriques sur le lieu de travail (section II) ainsi que la mise en place d’un « crédit mobilités » pour les bénéficiaires d’un véhicule de fonction (section III).

Section 1 : Forfait mobilités durables

L’employeur peut mettre en place le forfait mobilités durables, pour prendre en charge tout ou partie des frais que le salarié engage pour se rendre de sa résidence habituelle à son lieu de travail, en utilisant certains modes de transport « alternatifs ».

La mise en place (I) est dictée par accord collectif ou décision unilatérale et peut faire face à certaines incidences pratiques (II).

I) Le forfait mobilités durables : mise en place et avantages associés

A. La mise en place du forfait mobilités durables et l’indemnisation des salariés

Le montant, les modalités et les critères d’attribution de la prise en charge du forfait mobilités durables sont définis par accord d’entreprise ou interentreprises, à défaut, par accord de branche. En l’absence d’accord, l’employeur peut le mettre en place par décision unilatérale, après avoir consulté le comité social et économique[2].

L’employeur prenant en charge ces frais est tenu d’en faire bénéficier, selon les mêmes modalités, l’ensemble des salariés remplissant les conditions d’octroi. Toutes les catégories de salariés et assimilés sont susceptibles d’être concernées par ce dispositif : salariés en CDI ou en CDD, salariés intérimaires, apprentis et stagiaires[3].

Le forfait mobilités durables peut prendre différentes formes, en fonction du mode de transport utilisé par le salarié. Dans le cas où l’accord d’entreprise ou de branche ne définit pas le montant et les modes d’attribution du forfait mobilités durables par l’employeur à ses salariés, l’employeur définit lui-même le montant et les modes de prise en charge des frais de déplacement par le forfait mobilités durables. Il doit néanmoins consulter le comité social et économique (CSE). Ainsi, pour le vélo ou le vélo électrique, le forfait mobilités durables peut consister en :

  • un montant forfaitaire conditionné à une pratique du vélo ;
  • un montant forfaitaire par kilomètre parcouru ou par nombre de jours de pratique ;
  • une participation aux dépenses réelles (ex. : achat ou location de vélo, achat d’accessoires de sécurité, frais d’entretien et de réparation, abonnement à un stationnement sécurisé vélo)[4].

Pour le covoiturage, que cela soit le passager ou le conducteur, le forfait mobilités durables peut prendre la forme d’un montant forfaitaire conditionné à une pratique du covoiturage ou une prise en charge des frais engagés dans le cadre du partage des frais entre le conducteur et les passagers.

Pour les deux-roues et engins de déplacement personnels en location ou libre-service et pour les véhicules électriques, hybrides rechargeables ou à hydrogène en autopartage, le forfait prend en charge les frais de location.

Pour l’utilisation des transports en commun, le forfait consiste en une participation à l’achat des titres de transports, hors abonnement (tickets à l’unité, puisque le remboursement de l’abonnement fait déjà l’objet d’une obligation distincte).

Le cumul entre le forfait mobilités durables et le versement d’indemnités kilométriques n’est possible, que dans la limite des frais réellement engagés par le salarié pour effectuer ses trajets entre sa résidence habituelle et son lieu de travail.

À noter : l’accord collectif ou la décision unilatérale de l’employeur concernant la mise en place du forfait mobilités durables devra notamment définir les modes de transport éligibles à ce dispositif, les montants pris en charge et les justificatifs à produire pour en bénéficier.

B. Régime social et fiscal de faveur des sommes versées aux salariés

En principe, le montant versé au salarié est exonéré de cotisations sociales, de CSG/CRDS et d’impôt sur le revenu, dans la limite de 500 € par salarié et par an[5].

Exceptionnellement, cette limite d’exonération a été relevée par la loi de finances rectificative[6] pour 2022 à 700 € pour les années 2022 et 2023 (900 € en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à la Réunion et à Mayotte)[7].

Par ailleurs, le forfait mobilités durables est cumulable, en exonération de cotisations, avec la prime transport (remboursement de carburant) et la prise en charge obligatoire de 50 % des frais de transports publics[8], dans une certaine limite[9]. En effet, les sommes versées par l’employeur à ce titre sont exonérées dans une limite globale de 600 € par an (800 € pour 2022 -2023), ou du montant de la prise en charge obligatoire des frais de transports publics si elle excède ce montant[10]. Ces montant sont repris ci-dessous.

 

Les montants exonérés de cotisations sociales indiqués ci-dessus ne constituent qu’un plafond qu’il n’est pas nécessaire d’atteindre.

Le forfait mobilités durables est par ailleurs cumulable avec des aides régionales, sans remise en cause du régime social de faveur. C’est le cas, par exemple, du dispositif “Eco-chèque mobilité – Bonus Forfait Mobilité Durable” mis en place par la région Occitanie pour l’année 2022.

C. Justificatifs à produire en cas de contrôle

L’employeur doit prouver l’utilisation des sommes conformément à leur objet, notamment lors des contrôles Urssaf. Pour ce faire, il doit produire un justificatif de paiement des transports utilisés ou une attestation sur l’honneur du salarié, à une fréquence au moins annuelle[11]. Ainsi, l’article R. 3261-13-2 du Code du travail précise que le forfait mobilités durables est « réputé utilisé conformément à son objet si l’employeur recueille auprès du salarié, pour chaque année civile, un justificatif de paiement ou une attestation sur l’honneur relatif à l’utilisation effective d’un ou plusieurs des moyens de déplacement visés par le dispositif ».

Selon le ministère de la Transition écologique, les justificatifs possibles sont :

  • pour tous les modes de transport : attestation sur l’honneur ;
  • pour le vélo : attestation sur l’honneur ou utilisation d’une application (Géovélo, Uwinbike..) ;
  • pour le covoiturage : attestation sur l’honneur pour les trajets réalisés via une plateforme ou hors plateforme[12] ou bien attestation issue du registre de preuve de covoiturage[13].

Il peut aussi s’agir de factures dans le cas d’achat de services ou d’abonnement aux services mentionnés ci-dessus.

Étant donné que le salarié a le choix entre deux types de justificatifs pour prouver qu’il a bien effectué son trajet, domicile – travail, dans le cas où il donne pour justificatif l’application qui contrôle son trajet, il ne peut pas soulever la violation de données personnelles tant que ce n’est pas l’employeur qui l’exige : il prend, dans ce cas, lui-même l’initiative de donner ces informations.

À noter : l’employeur ne devra pas utiliser ce justificatif à d’autres fins que le paiement du forfait mobilités durables.

II) Incidences pratiques de la mise en œuvre du forfait mobilités durables

A. La production de l’attestation sur l’honneur

L’exonération de cotisations du forfait mobilités durables est conditionnée par la preuve de l’utilisation des sommes allouées conformément à leur objet. De ce fait, l’employeur doit pouvoir se procurer, auprès du salarié et selon une périodicité au moins annuelle[14], une attestation sur l’honneur ou un justificatif de l’utilisation des modes de transport ouvrant droit à la prise en charge dans le cadre du forfait mobilités durables. Il peut également décider de mettre en place des systèmes de contrôle plus rigoureux en choisissant le type de justificatif que le salarié devra apporter, tout en veillant à rester dans le respect du droit à la vie privée (cf. supra les restrictions relatives à une application utilisant la géolocalisation des déplacements).

Lorsque le titre d’abonnement à un service public de location de vélos ne comporte pas les noms et prénoms du bénéficiaire, une attestation sur l’honneur du salarié suffit pour ouvrir droit à la prise en charge des frais d’abonnement. Il en est de même pour les intérimaires.

En pratique, lors des contrôles Urssaf, l’employeur a besoin de cette attestation sur l’honneur pour prouver que l’aide octroyée au salarié peut bénéficier des exonérations sociales et fiscales prévues. Dans le cas contraire, l’Urssaf pourra réintégrer les sommes versées aux salariés n’ayant pas fourni d’attestation sur l’honneur dans l’assiette des cotisations et contributions sociales.

Il faudrait alors mettre en place un système de contrôle permettant de vérifier que l’attestation a bien été envoyée par le salarié, à l’instar de ce qui est pratiqué pour le remboursement de l’abonnement transport. Elle doit être dûment remplie et dans le cas où le salarié ne transmet ni justificatif de paiement ni attestation sur l’honneur, il ne pourra pas bénéficier de ce remboursement.

B. Les particularités liées à certains types de bénéficiaires

  • Les salariés à temps partiel

Le salarié à temps partiel employé pour un nombre d’heures égal ou supérieur à la moitié de la durée légale hebdomadaire, ou conventionnelle si elle est inférieure, bénéficie d’une prise en charge équivalente à celle d’un salarié à temps complet. Cependant, lorsque le nombre d’heures travaillées est inférieur à la moitié de la durée du travail à temps complet, la prise en charge est calculée au prorata du nombre d’heures travaillées par rapport à la moitié de la durée du travail à temps complet[15].

  • Traitement des salariés absents

Par analogie avec le dispositif de prise en charge des frais de transport en commun dans la région parisienne, on peut raisonnablement penser que quel que soit le motif de l’absence (congés, maladie, etc.), la prise en charge du forfait mobilités durables devrait être effectuée normalement pour les titres d’abonnement ayant été utilisés au moins une fois sur le mois au cours duquel débute l’absence pour un trajet domicile-travail, sans abattement pour les jours non travaillés. Alors l’employeur devra prendre en charge tout le mois au cours duquel le salarié est absent, dès lors qu’il en a fait usage au moins une fois dans le mois.

En cas de maladie prolongée, si le salarié est titulaire d’un titre d’abonnement plurimensuel, l’employeur est tenu d’effectuer le versement correspondant au mois au cours duquel l’arrêt maladie intervient. Pour les mois suivants, lorsque l’arrêt maladie se prolonge, le versement est stoppé au niveau de l’entreprise, charge au salarié de se renseigner sur les procédures de remboursement des titres prévues par les entreprises de transport, lui permettant de récupérer la partie du prix du titre correspondant à la période de validité à venir.

  • Entrées et sorties en cours de mois

En cas d’embauche ou de départ du salarié au cours de la période de validité du titre, la prise en charge obligatoire des frais de transports publics est limitée à la période couverte par le contrat de travail[16].

  • Ainsi, sur ces trois points particuliers, la gestion s’apparente à ce qui est pratiqué dans le cadre du remboursement de l’abonnement transport.

C. Possibilité d’externaliser la gestion du forfait mobilités durables

Depuis le 1er janvier 2022, la prise en charge des frais couverts par la prime transport visée ou de ceux compris dans le forfait mobilités durables peut prendre la forme d’une solution de paiement spécifique, dématérialisée et prépayée intitulée « titre-mobilité ». Force est de constater que le principe est calqué sur celui des titres-restaurants. Tout comme les titres–restaurants, l’employeur passe un contrat avec un émetteur de titres mobilités dans un premier temps. Puis, cet émetteur fournit ces titres contre paiement de leur valeur libératoire et, le cas échéant, d’une commission[17]. Ils mentionnent le nom et l’adresse de leur émetteur et le nom du salarié[18].

Le salarié doit avoir accès en permanence et gratuitement au solde de son compte et, le cas échéant, au montant qui n’est plus susceptible d’être utilisé que dans un délai de moins d’un mois[19].

La durée de validité des titres-mobilité est fixée par l’émetteur du titre. Elle doit au moins s’étendre jusqu’au dernier jour de l’année civile au cours de laquelle ils ont été émis[20].

Chaque salarié peut ensuite l’utiliser comme une carte bancaire, mais exclusivement chez des fournisseurs agréés pour accepter ce mode de paiement, et donc uniquement pour les dépenses suivantes :

  • l’acquisition d’un vélo classique, d’un vélo à pédalage assisté, ou de tout autre engin de déplacement personnel à moteur électrique ;
  • le paiement des frais d’entretien et/ou de réparation de cycles et cycles à pédalage assisté ;
  • l’achat de titres permettant l’accès à un stationnement sécurisé pour cycles ;
  • le paiement d’une assurance pour cycles et cycles à pédalage assisté ;
  • le paiement de la location, quelle qu’en soit la durée, et de la mise à disposition en libre-service de cycles, cycles à pédalage assisté, engins de déplacement personnels, cyclomoteurs et motocyclettes, véhicules électriques, hybrides rechargeables ou hydrogène en libre-service et accessibles sur la voie publique ;
  • le paiement de services de covoiturage ;
  • l’achat de titres de transports en commun ;
  • l’achat de carburant ;
  • le paiement de l’alimentation ou de la recharge de véhicules électriques, hybrides rechargeables ou hydrogène.

Ces titres doivent avoir une fonction de blocage automatique qui empêche leur utilisation en dehors des dispositions légales ou réglementaires.

La prise en charge de ces frais devrait, comme pour les titres-restaurant, être incrémentée en paie.

 

Section 2 : Bornes électriques

A l’aune d’une utilisation grandissante de la voiture électrique, prisée pour son aspect écologique du fait qu’elle préserverait la planète contre la pollution atmosphérique ou l’émission de gaz à effet de serre, le gouvernement encourage et incite ménages et entreprises à l’utilisation de bornes rechargeables électriques.

C’est dans cette optique que des aides et incitations financières ont vu le jour afin de développer ces infrastructures au sein même des entreprises.

L’installation de bornes de recharge dans les parkings d’entreprises permet de recharger les voitures électriques et hybrides rechargeables de la flotte d’entreprise, de proposer des solutions de recharge aux salariés mais aussi aux clients et les aider à passer le cap de la mobilité électrique.

Il convient de revenir sur le cadre juridique permettant la mise en œuvre des bornes électriques (I) et les différents cas à l’origine des interrogations des employeurs quant aux aides relatives à la mise à ces bornes (II).

I) Le cadre juridique de la mise en œuvre des bornes électriques

A. L’encadrement juridique des avantages en nature véhicule

En application de l’article 3 d’un arrêté du 10 décembre 2002 relatif à l’évaluation des avantages en nature en vue du calcul des cotisations de sécurité sociale, l’utilisation privée d’un véhicule mis à disposition du salarié de façon permanente constitue un avantage en nature, qu’il s’agisse d’un véhicule dont l’employeur est propriétaire ou locataire, ou d’un véhicule dont l’employeur acquiert la propriété dans le cadre de location avec option d’achat.

Ainsi, lorsqu’un véhicule d’entreprise est mis à la disposition d’un salarié qui l’utilise à des fins à la fois professionnelles et personnelles, l’utilisation privée constitue un avantage en nature. Il importe peu que l’employeur soit propriétaire ou locataire du véhicule.

Pour précision, il n’y a pas d’avantage en nature, lorsque le salarié restitue le véhicule lors de chaque repos hebdomadaire et durant les périodes de congés. Le salarié ne dispose pas en permanence du véhicule. Il n’y a pas d’avantage en nature non plus lorsque l’utilisation du véhicule, pendant la semaine à titre privé (trajets domicile-travail) constitue le prolongement des déplacements professionnels effectués à l’aide du véhicule et lorsque le salarié paye une contribution financière, par exemple sous la forme d’une retenue sur salaires, et que cette contribution est supérieure au montant réel ou forfaitaire de l’avantage en nature.

A noter que si cette contribution est inférieure à ces montants, un avantage en nature est constitué et soumis à cotisations et contributions. Il est alors égal à la différence entre le montant de l’évaluation de l’avantage et la contribution financière du salarié et lorsqu’un véhicule utilitaire est mis à disposition des salariés si d’une part, il n’est utilisé qu’à des fins professionnelles et d’autre part, l’employeur l’a indiqué par écrit (règlement intérieur, circulaire, courrier écrit ou électronique…).

Par ailleurs, lorsque l’employeur met à disposition d’un salarié, entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2022, un véhicule fonctionnant exclusivement au moyen de l’énergie électrique, les frais d’électricité payés par l’employeur n’entrent pas en compte dans le calcul de l’avantage en nature et un abattement de 50 % est à effectuer sur l’avantage en nature dans sa globalité. Le montant de cet abattement est plafonné à 1 800 € par an.

Aussi, lorsque l’avantage en nature est calculé sur la base d’un forfait, l’employeur qui loue, avec ou sans option d’achat, un véhicule électrique doit évaluer cet avantage sur la base de 30 % du coût global annuel. Ce coût global comprend la location, l’entretien et l’assurance du véhicule puisque les frais d’électricité ne sont pas pris en compte dans le calcul de l’avantage en nature.

B. L’obligation de pré-équiper les parkings des entreprises

Le code de la construction et la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 prévoient l’obligation de pré-équiper les parkings des entreprises. Le pré-équipement concerne l’installation de points de recharge pour véhicule électrique ou hybride sur le parking des entreprises.

En application de l’article L. 111-5-3 du Code de la construction et de l’habitation, « des équipements permettant la recharge de véhicules électriques ou hybrides [….] doivent être installés dans les bâtiments existants à usage tertiaire et constituant principalement un lieu de travail, lorsqu’ils sont équipés de places de stationnement destinées aux salariés, avant le 1er janvier 2015 ».

L’article 2 du décret n° 2016-968 du 13 juillet 2016 relatif aux installations dédiées à la recharge des véhicules électriques ou hybrides rechargeables et aux infrastructures permettant le stationnement des vélos lors de la construction de bâtiments neufs prévoit que pour les parkings ayant une capacité supérieure à 40 places, 20% des places de stationnement sont destinées à accueillir les bornes de recharge électriques.

Pour les entreprises qui ont été construites avant 2012, le pré-équipement et l’installation de bornes de recharge électrique doit concerner au moins 10 % de la totalité des places du parking dans les aires urbaines de plus de 50 000 habitants, et seulement 5 % dans les autres cas.

Le décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire, appelé décret tertiaire – aussi appelé « dispositif Eco-Energie tertiaire » – est une obligation réglementaire visant à engager les acteurs du tertiaire vers la sobriété énergétique. Il est entré en vigueur en octobre 2019 et vient préciser les conditions d’application de la Loi Elan (Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique), promulguée fin 2018.

Pour rappel, un bâtiment à usage tertiaire est une construction dont une partie ou la totalité est réservée à l’exercice d’activités tertiaires. L’INSEE distingue le tertiaire marchand et non-marchand. Le premier ne comporte pas uniquement des activités de commerce. Il renvoie aussi aux services, aux transports, à l’immobilier, aux finances, à l’hôtellerie-restauration et à la communication.

II) Différents cas à l’origine des interrogations des employeurs quant aux aides relatives à la mise en place des bornes électriques

A. Recharge d’un véhicule de service sur une borne d’entreprise

Lorsque l’employeur met à la disposition d’un salarié, une borne de recharge de véhicules fonctionnant au moyen de l’énergie électrique (véhicules hybrides et électriques) entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2022, l’avantage en nature découlant de l’utilisation de cette borne à des fins personnelles est nul.

Ainsi, si le salarié pourra se voir appliquer un avantage en nature du fait de l’utilisation d’un véhicule professionnel à des fins personnelles évalué de manière forfaitaire, l’évaluation de cet avantage ne doit pas être faite sur la base d’une mise à disposition d’un véhicule avec paiement du carburant.

L’avantage procurée par la mise en place par l’employeur d’une borne de recharge électrique est évalué en distinguant selon que la borne est installée sur le lieu de travail ou en dehors du lieu de travail.

B. Prise en charge des frais liés à la recharge d’un véhicule sur une borne personnelle

La prise en charge par l’employeur des frais d’alimentation d’un véhicule électrique, hybride rechargeable ou hydrogène est exonérée de contributions et cotisations sociales dans la limite prévue au Code général des impôts soit 500 € par an.

L’employeur peut également opter pour une borne de recharge installée chez le salarié. Connectée, elle permet de suivre les recharges et de distinguer la consommation personnelle d’électricité et les frais professionnels.

C. 2023 : Nouvelles règles concernant de la mise à disposition d’une borne de recharge électrique

En application de l’arrêté du 31 décembre 2022, les dépenses prises en compte pour calculer l’avantage en nature, que cela soit sur une base réelle ou sur une base forfaitaire, sont calculées sans tenir compte des frais d’électricité engagés par l’employeur pour la recharge du véhicule. Elles sont évaluées après application d’un abattement de 50% et ce dans la limite de 1 800 € par an. L’avantage procurée par la mise en place par l’employeur d’une borne de recharge électrique est évalué en distinguant selon que la borne est installée sur le lieu de travail ou en dehors du lieu de travail.

Ainsi, lorsque la borne est installée sur le lieu de travail, l’avantage en nature qui résulte de l’utilisation de cette borne par le travailleur à des fins non professionnelles est évalué à hauteur d’un montant nul, y compris pour les frais d’électricité.

Lorsque la borne est installée en-dehors du lieu de travail, il convient d’envisagée deux situations.

D’une part, lorsque l’employeur prend en charge tout ou partie des frais relatifs à l’achat et à l’installation d’une borne de recharge, la prise en charge est exclue de l’assiette des cotisations et contributions sociales dans le cas où la mise à disposition de la borne cesse à la fin du contrat de travail. Et si, à la fin du contrat de travail, la borne installée au domicile du salarié n’est pas retirée, la prise en charge est exclue de l’assiette des cotisations et contributions sociales dans la limite de 50 % des dépenses réelles que le salarié aurait dû engager pour l’achat et l’installation de la borne et ce dans la limite de 1?000 €. Pour précision, lorsque la borne a plus de 5 ans, ces limites sont respectivement portées à 75 % des dépenses réelles que le salarié aurait dû engager et 1?500 €.

D’autre part, lorsque l’employeur prend en charge tout ou partie des autres frais liés à l’utilisation d’une borne électrique installée hors du lieu de travail ou du coût d’un contrat d’une borne de recharge électrique, cette prise en charge est exclue de l’assiette des cotisations et contributions sociales dans la limite de 50% du montant des dépenses réelles que le salarié aurait dû engager.

 

Section 3 : Crédit mobilité

Depuis le 1er janvier 2020, la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (loi LOM) impose aux entreprises de plus de 50 salariés sur un même site d’insérer dans leurs négociations salariales, obligatoires avec les partenaires sociaux, un volet mobilité. Le crédit mobilité s’inscrit alors dans le cadre du Plan de Mobilité (PDM) d’entreprise ou Plan de Déplacement d’Entreprise (PDE).

C’est une démarche poussée par le gouvernement pour que les entreprises réduisent leurs impacts néfastes sur l’environnement.

Dès lors, les entreprises cherchent à réduire le nombre de véhicules dans leur parc automobile, et en particulier les modèles consommant beaucoup d’énergie et elles y sont incitées financièrement car cela constitue un avantage.

Les principes (I) de ce dispositif affirment la nature de l’avantage du crédit mobilité et la gestion dans la pratique (II) peut conduire les entreprises à faire appel à une société de sous-traitance (II).  

I) Le crédit mobilité : principes

A. Une enveloppe budgétaire à destination des salariés

Le crédit mobilité est un dispositif destiné au salarié éligible à un véhicule de fonction. Il s’agit d’une enveloppe budgétaire à destination des salariés, qui remplace partiellement ou totalement la voiture de fonction. Il permet au salarié de payer tous ses déplacements professionnels et personnels. Dès lors, il peut payer toute l’année des billets de train ; un abonnement aux transports en commun et à tous les moyens de transport urbains ; d’une location de voiture ou de vélo ; et ses déplacements personnels et les vacances ne sont pas exclus.

  • Cas de la renonciation partielle

Le salarié peut renoncer à sa voiture de fonction au profit d’un véhicule de classe inférieure, généralement plus respectueux de l’environnement, et recevoir dans ce cas une compensation financière. Cette indemnité prend la forme d’un crédit mobilité et correspond au delta de « Total Cost of Ownershipsont » (TCO) entre l’ancien et le nouveau véhicule.

  • Cas de la renonciation totale

Dans le cas où le salarié renonce totalement à son véhicule de fonction, considéré en général comme polluant, il reçoit une enveloppe correspondant au TCO imposable de son véhicule de fonction. Il y renonce alors au profit d’une compensation financière. Le crédit mobilité correspond ici au TCO imposable (location, entretien, assurance et carburant si applicable) du véhicule remplacé. Cette somme est destinée à couvrir les dépenses de transport du salarié.

Dans le cas où le salarié renonce totalement à son véhicule de fonction, il reçoit une enveloppe d’une valeur environ entre 3000 et 1000€ par an correspondant au coût annuel du véhicule.

B. Un avantage en nature : régime social et fiscal

Aucun texte ne définit avec précision le régime social et fiscal du crédit mobilité, de ce fait son statut est assez flou et doit être déduit des principes généraux d’assujettissement exposées dans le Code de la sécurité sociale.

Néanmoins, par principe, toutes les dépenses personnelles effectuées avec le crédit mobilité sont soumises à cotisations et contributions sociales, ainsi qu’à l’impôt sur le revenu : le crédit mobilité est en effet considéré comme un avantage en nature, au même titre que la voiture de fonction qu’il remplace. L’intérêt de ce dispositif c’est de laisser le choix aux salariés de leurs modes de transports.

Du coté employeur, lors d’un contrôle, l’Urssaf sera certainement vigilante sur les dépenses relatives au crédit mobilité s’il est mis en place. Les dépenses faites à des fins personnelles sont soumises aux mêmes cotisations que les salaires, alors que les dépenses qui peuvent être considérées comme des frais professionnels sont exclues de l’assiette des charges sociales sous réserve que l’employeur puisse démontrer la réalité de leur caractère professionnel. Toute la problématique réside dans la preuve à apporter à l’Urssaf.

Faisant l’objet de vives discussions à l’Urssaf Caisse Nationale, les précisions sur le régime social et fiscal du crédit mobilité sont à venir et seront précisées dans un nouvel article.

II) Le crédit mobilité en pratique

A. Différents cas

  • Cas dans lequel le salarié dispose d’un véhicule neuf

Dans le cas où le salarié a une voiture neuve, l’avantage est égal à 9% du coût d’achat toutes taxes comprises et 6% si le véhicule a plus de cinq ans. Si le salarié paie le carburant, cet avantage en nature est retenu soit pour son montant réel, soit par une majoration de 9% ou de 6%, qui est portée à 12% du coût total toutes taxes comprises et dans ce cas, c’est un taux de 9% qui s’applique si le véhicule a plus de cinq ans.

  • Cas dans lequel il a un véhicule en leasing

Lorsque le salarié paie ses frais de carburant, l’évaluation résultant de l’usage privé est égale à 30 % du coût global annuel toutes taxes comprises comprenant la location, l’entretien et l’assurance (TCO imposable).

Lorsque c’est l’employeur qui paie le carburant, l’évaluation se fait sur 30 % du TCO imposable plus les frais réels de carburant utilisé à des fins personnelles (sur factures), ou sur un forfait de 40 % TCO plus le carburant.

  • Autres cas

Il se peut que l’employeur ait mis à disposition de ses salariés une borne de recharge de véhicules électriques et cette dernière n’est pas incompatible avec le crédit mobilité.

B. La gestion dans la pratique

En cas de contrôle, il faudra pouvoir présenter le justificatif des dépenses de chacun des salariés concernés. Ainsi, l’entreprise doit être en mesure de motiver sa position fiscale à l’Urssaf et la mise à disposition de l’avantage en nature que représente le crédit mobilité. Il est donc impératif d’assurer un réel encadrement du budget alloué.

S’agissant du traitement des justificatifs, il y a deux étapes qui sont nécessaires. Premièrement, il faut encadrer les types de dépenses autorisées par l’entreprise. Que ce soit dans le cadre professionnel ou personnel, il est ici question de dématérialiser un véhicule de fonction sans pour autant perdre de vue l’avantage en nature qu’il représente, ni la nature des dépenses qui doivent être consacrées à la mobilité.

Secondement, il faut utiliser un outil de suivi pour le salarié et pour les services comptables qui permettra d’identifier toutes les dépenses afin de pouvoir justifier du versement de cet avantage en nature auprès des services fiscaux. Le plus simple ici serait une carte de paiement spécifique ainsi qu’une interface de gestion pour rendre la mise en place de ce dispositif plus facile et plus rapide.

Il existe par exemple, des entreprises de gestion en la matière, qu’une entreprise pourrait sous-traiter. En cas de sous-traitance, le salarié aurait une carte de paiement, une application mobile, qui permettrait au salarié de sélectionner le mode de transport qui lui convient parmi les catégories de transports que l’entreprise aurait choisies. Cette option de gestion parait efficace car l’interface d’administration, centralise tous les justificatifs des déplacements et données statistiques.

En tout état de cause, le crédit mobilité est une solution financière visant à optimiser la gestion de flotte d’entreprise, l’utilisation et les coûts liés à la voiture de fonction dans les entreprises. Le crédit mobilité aide les entreprises à trouver un compromis idéal afin de maintenir l’avantage offert à leurs salariés tout en réduisant leur flotte automobile, et ce à travers une démarche écoresponsable.

Enfin, ces mesures sont complémentaires. Le crédit mobilité permet de financer des déplacements domicile-travail et professionnels alors que le forfait mobilités durables se limite aux déplacements domicile-travail.

 

[1] Code du travail, article L. 3261-3-1.

[2] C. trav. art. L. 3261-4.

[3] BOSS-FP-1100.

[4] FAQ : le forfait mobilités durables (FMD) – https://www.ecologie.gouv.fr/faq-forfait-mobilites-durables-fmd

[5] C. séc. soc. art. L. 136-1-1, III, 4°, e ; CGI art. 81, 19° ter, b ; BOSS, Frais professionnels, § 1130, 01/07/2022.

[6] Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

[7] Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022, art. 2, I.

[8] Toutefois, l’exonération de cotisations et contributions de Sécurité sociale du forfait mobilités durables n’est pas cumulable avec la déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels (DFS). En cas d’application de la DFS, le forfait mobilités durables doit être intégré dans l’assiette des cotisations et contributions sociales.

[9] C. séc. soc. art. L. 136-1-1, III, 4° e, et L. 242-1 ; CGI art. 81, 19° ter b ; BOSS, Frais professionnels, §§ 1140 et 1150, 01/07/2022.

[10] CGI art. 81, 19° ter b.

[11] C. trav. art. R. 3261-13-2.

[12] Modèle d’attestation disponible sur https://attestation.covoiturage.beta.gouv.fr/salarie-secteur-prive.

[13] Http://covoiturage.beta.gouv.fr.

[14] Article R. 3261-13-2 du Code du travail.

[15] BOSS-FP-1180.

[16] BOSS-FP-660.

[17] C. trav. art. L. 3261-5.

[18] C. trav. art. R. 3261-13-3.

[19] C. trav. art. R. 3261-13-3.

[20] C. trav. art. R. 3261-13-4.

Le service public de la réparation du dommage corporel

1. – Mission de service public au singulier ?. –  À notre connaissance, le service public de la réparation du dommage corporel sous étude, dont l’Office est une incarnation tout à fait remarquable, ne s’est jamais donné complètement à voir tant d’un point de vue conceptuel que fonctionnel. Aussi nous limiterons-nous dans cette première contribution à poser quelques premiers jalons.La question de savoir ce qu’est l’Oniam ne pose guère de difficulté. Institué par la loi, l’Office est un établissement public à caractère administratif de l’État, placé sous la tutelle du ministre chargé de la Santé (CSP, art. L. 1142-22, al. 1er). À la question de savoir ce qui est attendu par la puissance publique de sa création, on répondra avec un éminent auteur : la réalisation d’« une mission […] définie, organisée et contrôlée par une personne publique en vue de délivrer des prestations d’intérêt général à tous ceux qui en ont besoin »Note 1. C’est limpide. Mais au fait : de quelle mission s’agit-il précisément ? C’est qu’il n’y a rien de très commun a priori entre la réparation des dommages corporels causés sans faute par un professionnel ou un établissement de santé et la compensation des atteintes cardio-pulmonaires causées par la faute d’un fabricant de médicaments, pour ne prendre que ces deux hypothèses de travail. Mais peut-être n’y a-t-il pas matière à commenter. Que dit le plan d’exposition systématique du Code de la santé publique ? Eh bien qu’il s’agit dans les deux cas de figure de compenser des risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé qui se sont malheureusement réalisés (CSP, art. L. 1142-1 et s.). Ce dernier système profitant à tout un chacun, c’est d’intérêt général dont il est question au fond. Il y a donc bien service publicNote 2. C’est ce que nous enseigne la science administrative. Il ne s’agirait pourtant pas qu’on cofondît réalisation d’un risque et commission d’une faute. Où l’on voit – en poussant d’un cran le problème – que la nature manifestement hybride de l’Office pourrait fort bien compliquer son régime juridique ; qu’il y a donc à craindre quelques contradictions internes.

2. – Lois du service public et gratuité. –  Quelles que soient nos hésitations, il reste que le fonctionnement de l’Office obéit à quelques grandes lois du service public : continuité, mutabilité, égalitéNote 3. Lois auxquelles on pourrait ajouter dans le cas particulier « gratuité », laquelle n’est pas sans interroger. C’est que ce dernier principe de fonctionnement interdit à l’Office de recourir contre les éventuels débiteurs finaux de la réparation aux fins de remboursement des frais engagés tous azimuts. Que les personnes mises en cause soient fautives ou non : le sort réservé à l’Office par la loi est égal en pratique. Ce qui a fait écrire justement à un auteur qu’on privatise les profits ici mais qu’on socialise les pertes làNote 4

3. – Maintien de la paix sociale. –  On ne saurait discuter qu’en inventant collèges et commissions chargés d’instruire les demandes en réparation, le législateur ait été mû par la volonté de bien faire : opérations de maintien de la paix sociale obligeaient sûrement. Force d’intervention dont le déploiement, à l’expérience, est malheureusement à géométrie très variable. Tandis que la foule s’émouvait légitimement du sort de ces milliers de victimes du Médiator, elle réclamait peu dans le scandale des prothèses PIP. Dans les deux cas, la visée esthétique de la démarche (entre autres indications) n’était pourtant pas douteuse. Et de bien peu manifester son émotion du reste dans le scandale des pilules de troisième et quatrième génération (pour ne prendre que ces quelques exemples). En bref, il semble qu’il y ait matière à se demander si ce qu’a fait l’État l’a bien été.

4. – Efficience. –  Service public de la réparation du dommage corporel, établissement public administratif, puissance publique, ces mots ont partie liée avec ce qu’on appelle l’étatisation. Dans son rapport d’activité pour 2005, le Conseil d’État écrit « notre société […] se caractérise par une exigence croissante de sécurité [qui] engendre la conviction que tout risque doit être couvert, que la réparation de tout dommage doit être rapide et intégrale et que la société doit, à cet effet, pourvoir, non seulement à une indemnisation des dommages qu’elle a elle-même provoqués, mais encore de ceux qu’elle n’a pas été en mesure d’empêcher, ou dont elle n’a pas su prévoir l’occurrence. » Voilà l’intention. C’est ce par quoi nous vous proposons de commencer, à savoir une approche conceptuelle de la notion de service public de la réparation du dommage corporel. Une fois que cette première approche aura été terminée, après que l’intention aura été explicitée, nous opterons pour une approche fonctionnelle de la notion sous étude. Le temps sera alors venu d’entamer la critique des règles de droit que l’Administration est priée d’observer pour réaliser l’étatisation de la réparation du dommage corporel.

1.  La conceptualisation du service public de la réparation du dommage corporel (l’étatisation de la réparation)

5. – En première approche, plus volontiers conceptuelle du service public de la réparation du dommage corporel, l’étatisation est tout à la fois providence et stratégie.

A. –  La providence

6. – Apaisement de la société. –  Le développement de l’État providence s’est fait par la voie d’un transfert progressif, sous l’empire de la nécessité, mais aussi sous la pression d’une demande sociale de plus en plus insistante, de l’ensemble des problèmes que le jeu normal des mécanismes sociaux ne permettait plus de résoudre. Apaiser des tensions les plus vives : voilà quel était l’enjeu du transfert. Quant à la méthode, elle nous est familière en ce sens qu’elle a consisté pour l’État à prendre les mesures correctives et compensatoires indispensables pour préserver la cohésion sociale. Au fond, c’est vers un État protecteur (de chacun) que la société française a fini par se tourner en général. C’est donc assez naturellement que les victimes de dommages corporels sériels ou d’accidents collectifsNote 5 se sont tournées vers ce dernier, qui a été prié de les assister dans le cas particulier : garantie de la paix et de la cohésion sociales oblige.

7. – Volontarisme social. –  Il faut se souvenir de l’émotion collective qui a été provoquée par les scandales sanitaires qui se sont succédé depuis les années 1990 et qui a commandé que des règles spéciales soient édictées pour organiser la juste compensation des blessures infligées au corps des victimes et à l’âme de nos concitoyens plus généralement. Il faut encore avoir à l’esprit qu’« on a assisté tout au long du XXe siècle à l’avènement patrimonial et juridique du corps humain, qui a porté en exécration toutes les atteintes à l’intégrité corporelle. La propriété n’a plus été seulement le pouvoir juridique d’un individu sur les biens, celle-là qui lui donne la mesure de l’exclusion des autres »Note 6. Elle est également devenue le pouvoir d’un individu sur sa personne, celle-là qui impose la correction des atteintes illicites portées par les autres, et ce quoi qu’il en coûte. C’est dans ce contexte très particulier que l’Office a été créé en 2002 et que (entre autres personnes intéressés) nos concitoyens, réunis en associations de patients et d’usagersNote 7, ont prié le législateur d’élargir son domaine d’applicationNote 8 à un point tel qu’on se prend à hésiter relativement à la mission de service public dévolue à cet établissement.En résumé : l’invention du service public de la réparation du dommage corporel est très certainement affaire de volontarisme social. Mais peut-être est-ce aussi (et surtout) de responsabilité politique dont il est question. L’État, qui est providence, nous l’avons dit, est aussi stratégieNote 9.

B. –  La stratégie

8. – Scandales sanitaires. –  Il faut bien voir que si des producteurs et fabricants de produits de santé ont manqué à leur obligation de vigilance et s’ils ont été priés de compenser les conséquences préjudiciables de leur manque de diligence, l’État a toujours eu sa part de responsabilité dans les scandales sanitairesNote 10. La vaccination contre la grippe A et la commercialisation du valproate de sodium ont été assurées avec le concours de la puissance publique. Dans le premier cas, la production a été vivement encouragée. Dans le second, elle n’a pas été suffisamment contrôléeNote 11.Conceptuellement donc, l’étatisation de la réparation du dommage corporel a commandé l’invention d’un nouveau service public répondant à un besoin d’intérêt général, qui a en horreur le risque et l’atteinte à l’intégrité physiqueNote 12 tandis qu’en toile de fond il était soutenu que la juridictionnalisation était inadaptée ou inopportuneNote 13.

9. – Force gouvernante. –  Mais alors, relativement à notre objet d’étude, serait-ce qu’en dehors de l’intervention de l’Administration il n’y aurait point de salut pour les victimes ? De prime abord, la question a quelque chose de saugrenu. La saisine du juge de la réparation par des professionnels du droit rompus à l’exercice est de nature à assurer le rétablissement de l’équilibre détruit par le dommage. Ce n’est pourtant pas vers le service public de la justice, dont on dit pis que pendre, qu’on s’est tournéNote 14. L’étatisation sous étude donnerait donc à penser avec Duguit que la puissance publique serait la seule à même de remplir cette mission de réparation ; que, par voie de conséquence, « son accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale, et qu’elle est de telle nature qu’elle ne peut être réalisée complétement que par l’intervention de la force gouvernante »Note 15.

10. – Protection universelle maladie et accident. –  Au fond, le service public sous étude ne serait-il pas la manifestation d’une nouvelle solidarité ? La protection universelle qui a été inventée pour la maladie – Puma – (C. assur., art. L. 160-1), et qui a détourné notre système de protection sociale de la logique strictement assurantielle qui l’a longtemps caractérisé, ne vaudrait-elle pas également pour l’accident ? Aussi anecdotique que cela puisse paraître, l’acronyme « Puma » fonctionnerait : « Protection universelle maladie et accidents ». Des risques de l’existence primaire ont été couverts hier par le Gouvernement provisoire de la république française. Le temps n’est-il pas venu de couvrir aujourd’hui des risques plus complexesNote 16 ? Ceci posé, et réflexion faite, ne serait-ce déjà pas le cas ? Si l’on doit à l’Office d’assurer la rémunération de nombreux collaborateurs, d’une foule d’experts médecins et juristes et d’assumer la gestion de leur activité respective ; si on lui doit mille et une avances sur recours et garanties ; c’est pour autant que son activité est financée. Or, ce sont précisément les cotisants et les contribuables qui, en fin de compte, et en première intention, solvabilisent l’action de ce dernier établissement public administratif. Pour mémoire, l’office est financé au principal par une dotation des régimes obligatoires d’assurance maladie (et non par les créateurs de risques) (CSP, art. L. 1142-23)Note 17.

11. – En guise de conclusion intermédiaire , ne serions-nous pas sur la voie de la synthèse des modèles archétypaux bismarkien et beveridgien qui sont bien connus en droit de la sécurité sociale ? Au premier, nous emprunterions l’intention. Ne pourrait-on pas considérer avec Bismark que « l’État a pour mission de promouvoir positivement par des institutions appropriées et en utilisant les moyens de la collectivité dont il dispose, le bien-être de tous ses membres […] »Note 18 ? Au second, Beveridge, nous prendrions la réalisation. Optant avec ce dernier pour une approche assistancielle ou universelle, la couverture sociale sous étude ne serait plus offerte aux seules personnes assurées mais à toutes les victimes pour la seule raison qu’elles ont été atteintes dans leur intégrité corporelle.Partant, la protection proposée par le service public de la réparation du dommage corporel serait tout à la fois universalité, unité et uniformité : universalité de la protection sociale en quelque sorte par la couverture de toutes les victimes concernées, uniformité des règles de la réparation construites petit à petit par des aréopages d’experts médecins et juristes (le tout en dehors du juge par hypothèse), unité de gestion administrative de l’ensemble du processus d’indemnisation. La fusion du Fiva et de l’Oniam, imaginée un temps par le ministère de la Santé, s’inscrivait, nous semble-t-il dans ce mouvementNote 19.Aussi stimulant pour l’esprit et nécessaire à la concorde soient l’invention du service public de la réparation du dommage corporel et l’étatisation sous étude, aussi importantes soient les considérations qui ont présidé à la construction de l’ensemble, il y a tout de même matière à douter méthodiquement qu’on ait bien fait. C’est qu’il est loin d’être indifférent de remplacer des juges par des administrateurs. C’est pourtant ce à quoi on aboutitNote 20. Loin de nous de soutenir que la puissance publique ait jamais été désireuse d’organiser un remplacement quelconque. Douter dans le cas particulier que l’étatisation soit la voie qu’il importait de choisir c’est vérifier si le fonctionnement du service public de la réparation du dommage corporel – ou, pour le dire autrement, l’administrativisation de la réparation – est gage d’une organisation optimale de notre État de droit.

2.  Le fonctionnement du service public de la réparation du dommage corporel (l’administrativisation de la réparation)

12. – De prime abord, le fonctionnement du service public de la réparation du dommage corporel est plein de vertus. Elles seront mises en exergue pour commencer. Place sera laissée ensuite aux vices dont il n’est pas certain qu’on ait bien vu, nous semble-t-il, que nombre d’entre eux étaient tout bonnement rédhibitoires, ce qui par voie de conséquence interroge quant à la conceptualisation qu’il nous a été donné d’exposer à grands traits, qu’il s’agirait donc de reprendre le moment venu.

A. –  Les vertus

13. – Théorie. –  Le service public de la réparation du dommage corporel est vertueux entre autres raisons parce qu’il obéit à quelques principes organisationnels, qui ne souffrent pas la critique, qui imposent à l’Administration de répondre effectivement aux besoins collectifs. À l’aune de ces derniers, qui ont été rappelés, on peut défendre que l’existant est notablement amélioré en ce sens que la victime est épargnée des tracas (assez ordinaires du reste mais qui sont loin d’être négligeables) que supporte tout litigant dans un procès.Il est suffisant de renseigner un « formulaire de demande d’indemnisation », qui peut être téléchargé sur le site internet de l’Office, et d’adresser la série de pièces justificatives de son état (V. par ex. CSP, art. L. 1142-24-2) voire de compléter sa demande des pièces manquantes qui auront été réclamées par les « instructeurs gestionnaires indemnisation » (CSP, art. R. 1142-63-8), qui apportent une assistance tout à fait remarquable aux demandeurs. Ce n’est pas tout.Tandis que le procès civil est de type accusatoire en ce sens que la loi abandonne l’instruction de l’affaire à la diligence des parties, la procédure amiable est plus volontiers inquisitoire. Les commissions et les collèges placés auprès de l’Office procèdent à toute investigation utile à l’instruction dit le Code de santé publique. À ce titre, une expertise, dont le coût au passage est supporté par l’office (CSP, art. R. 1142-63-12), peut tout à fait être diligentée sans que le secret professionnel ou industriel ne puisse être opposé (CSP, art. L. 1142-24-4 et R. 1142-63-9, al. 4)Note 21. Il y a plus.Dans le cas particulier, l’étatisation de la réparation épargne la victime des affres du dualisme juridictionnel et simplifie par voie de conséquence son parcours indemnitaire. Le Conseil constitutionnel de relever pour sa part un triple avantage à cette modalité de la réparation : automaticité, rapidité et sécurité de la réparationNote 22.

Technique. –  Sur un plan plus technique à présent, et qui prête tout autant à conséquence, l’étatisation de la réparation du dommage corporel est de nature à normaliser les suites de l’instruction. Les critères d’imputation des atteintes renseignées sont affinés au fur et à mesure des séances de travail, de l’évolution des connaissances médicales et de la conviction des uns et des autres qui se forge. Emporté dans son élan, le législateur s’est même aventuré à réformer le dispositif benfluorex en cours de route pour autoriser une auto-saisine du collège d’experts pour le cas où (entre autres cas de figure) des éléments nouveaux seraient susceptibles de justifier une modification d’un précédent avis (ou bien si les dommages constatés sont susceptibles, au regard de l’évolution des connaissances scientifiques, d’être imputés au procédé actif du médicament incriminé) (CSP, art. L. 1142-45-5, al. 4)Note 23. Il y aurait beaucoup à dire sur cette saisine proprio moutu entre autres qu’il n’est pas certain du tout qu’elle résiste à un contrôle de constitutionnalité a posteriori de la loi qui l’a instituéeNote 24. Il reste que la quantification des atteintes objectivées est plus fine (que ce qui est renseigné dans les barémisations indicatives pratiquées) en raison de l’hyper-connaissance des lésions typiques acquise petit à petit par les experts au gré de l’analyse de centaines voire de milliers de dossiers (focus)Note 25. Pour preuve, tandis que le Code de la santé publique dispose qu’il importe d’avoir recours au barème indicatif du concours médical (CSP, art. L. 1142-1, II, al. 2 et D. 1142-2)Note 26 et que l’on pourrait craindre une application mécaniqueNote 27, à l’expérience les experts ont su se démarquer pour inventer autant que de besoin une barémisation indicative nettement plus aboutie par comparaison. Ce n’est pas tout : une telle concentration des demandes est de nature à recommander quelques inventions et/ou corrections du droit positifNote 28, l’effet loupe en quelque sorte étant de nature à mettre en évidence les silences et insuffisances de la loi tandis qu’il aurait très certainement fallu des années au service public de la justice pour prendre la mesure des nécessités impérieuses de modifier l’existant.Où l’on constate pour résumer que l’étatisation de la réparation du dommage corporel présente des vertus tout à fait remarquables. Une question reste en suspens : les quelques vertus renseignées compensent-elles les quelques vices sur lesquels il importe à présent de réserver l’attention ?

B. –  Les vices

14. – La divergence des intérêts. –  Au nombre des critiques que l’on peut faire dans le temps imparti, il n’est jamais de bonne méthode de donner à croire que l’on peut valablement formuler des demandes sans le ministère d’un avocat-conseil. Peu important au fond que les agents du service public de la réparation du dommage corporel soient les plus diligents. Là n’est pas la question. Car toute amiable que soit la procédure, elle se change inévitablement en combat. C’est que les intérêts finissent toujours par diverger. Il faut bien voir que l’intérêt de la victime – qui espère invariablement le paiement de dommages-intérêts compensatoires les plus grands – n’est pas nécessairement celui du régleur (l’Office en l’occurrence) – qui est comptable inévitablement des deniers publicsNote 29. D’aucuns répondront que l’Office n’est pas nécessairement le débiteur final de la réparation. Il suffit pourtant que la personne mise en cause dans un avis d’indemnisation ne formule aucune offre ou bien que cette offre soit rejetée en raison de sa petitesse et l’Office sera substitué. Ce dernier peut donc être peu disant à l’heure de formuler à son tour une offre d’indemnisation, le budget de fonctionnement alloué étant contraint et la créance de remboursement pouvant être douteuse. Le ministère d’un avocat prend donc tout son sens. Ceci dit, que l’assistance et la représentation soient rendues obligatoires et ce premier vice devrait tomber de lui-même.Il y a en revanche autrement plus compliqué ou fâcheux, c’est selon. C’est de la co-saisine des juges et des administrateurs dont il est question.

15. – L’articulation des procédures. –  Le législateur n’a édicté aucune règle aux fins d’articulation des procédures judiciaire et amiableNote 30 qui auraient été engagées en parallèle. C’est regrettable, car l’invention de deux ordres de règlements des litiges exclusifs l’un l’autre est de nature, par hypothèse, à créer de sacrées divergences, partant de bien regrettables ruptures d’égalité de traitement. On nous opposera qu’il n’y a rien là que de très commun, le principe d’organisation territoriale des juridictions causant le même tracas. Certes, mais la concentration du contentieux en cause d’appel est de nature à lisser ces contingences. Or, le travail à visée indemnitaire de l’Office est réalisé en premier et dernier ressort en quelque sorte. Ceci mis à part, le problème reste entier. En bref : comment régler la contradiction éventuelle entre un jugement qui déboute la victime de ses prétentions et un avis qui fonde cette dernière à être indemnisée ?De prime abord, on n’a jamais vu que le judiciaire devait tenir l’administratif en l’état. Se pose alors la question de savoir à l’ordre de quel juge l’Office, en cas de substitution pour les raisons prescrites par la loi, devra déférer ? À l’ordre de celui qui préside la formation de jugement (incarnation du pouvoir judiciaire) ou bien à l’ordre de celui qui préside le collège ou la commission qui a rendu un avis d’indemnisation (incarnation du pouvoir exécutif) ? Pour mémoire, ces derniers aréopages sont présidés par des magistrats.Si le rejet de la demande d’indemnisation est le fait du juge administratif, on imagine mal que l’Administration ne se range pas sous sa bannière : tropisme obligerait. Mais si le rejet des prétentions du demandeur a été prononcé par un juge judiciaire, qu’il soit civil ou pénal, le problème pourrait rester entier. Aussi bien s’agirait-il d’imaginer une articulation entre les procédures judiciaire et amiable pour lever l’injonction contradictoire dans laquelle se trouve la direction de l’établissement et, ce qui n’est pas la moindre des considérations, garantir une cohérence décisionnelle.Pour ce faire, aussitôt l’Office informé de la saisine d’un juge, la procédure amiable gagnerait à être suspendue. Il faut voir dans cette règle une mesure purement conservatoire qui participe d’une bonne administration du service pendant que les moyens (limités de l’office) sont immédiatement remployés au profit de celles et ceux qui sont désireux que leurs différends soient réglés à l’amiable. Qu’on se rassure toutefois : le droit subjectif à la réparation amiable du demandeur ne saurait jamais être violé. C’est son exercice qui serait tout simplement différé dans le temps. À front renversé, il s’agirait que le législateur inventât une nouvelle cause de sursis à statuer à la manière de ce qui a été fait avec la création de la question prioritaire de constitutionnalitéNote 31. Le demandeur renseignant sa volonté d’entrer en voie de transaction, c’est l’extinction de l’instance dont il sera possiblement question en définitive. Quant au risque d’atteinte au droit au juge au sens de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui est connu, il importera de veiller à ce que les délais d’instruction restent raisonnables.Ce n’est pas tout. Il s’agirait aussi de s’interroger sur la loyauté des rapports noués entre toutes les personnes intéressées.

16. – La loyauté des rapports. –  En l’état de la législation, les commissions et collèges d’experts placés auprès de l’Oniam instruisent les demandes d’indemnisation et les mises en cause des professionnels de santé et fabricants sans que ces derniers n’en soient immédiatement avertis. Et d’avancer dans l’instruction ou la phase d’information préalable sans aviser plus avant les parties intéresséesNote 32. Ce n’est qu’une fois que le travail a été entamé et qu’un projet d’avis a été rédigé que les commissions et collèges informent les intéressés en les exhortant de conclure en réponse dans des délais extrêmement brefs (qui sont prorogés en pratique). Étude à visée conservatoire à la manière d’une consultation réalisée en cabinet d’avocat, nous rétorquera-t-on. Rien que de très ordinaire en somme à la différence près tout de même qu’en procédure civile il importe de formuler une demande introductive d’instance en bonne et due forme, laquelle une fois faite commande l’observance de toute une série de principes qui garantissent la loyauté des débats : celui de la contradiction et de l’égalité des justiciables dans le procès, qui ne souffrent aucun aménagement. Mais il y a autrement plus ennuyeux de notre point de vue. C’est que l’instruction est menée au vu de la documentation que le demandeur aura bien voulu communiquer à l’Office. Sans jamais faire aucune offense aux usagers du service public de la réparation du dommage corporel, la tentation de la sélection (voire d’une supposition) des pièces probantes est grande. Si donc l’Office ne demande pas qu’il lui soit communiqué tout le dossier médical (peu important dans les mains de quel professionnel il se trouve), le risque existe que l’information du collège ou de la commission soit en tout ou partie tronquée.Où l’on mesure les différences qui restent notables entre les deux services publics sous étude. Mais il est un dernier vice sur lequel nous souhaiterions attirer l’attention. Il a trait au défaut d’homologation de l’accord transactionnel, qu’il s’agirait pourtant de systématiser.

17. – L’homologation. –  Tant que les intérêts du demandeur constitué en victime sont protégés, soit par le ministère d’avocat, soit par un régime tutélaire, au fond c’est un accord de bon aloi. L’ennui, c’est qu’il pourrait fort bien arriver que des protocoles transactionnels soient signés alors que la victime est juridiquement incapable pendant qu’elle n’est pas utilement représentée. Et si, par extraordinaire, le procureur de la république n’est pas averti par l’Office – éventuellement substitué – afin qu’une mesure de protection soit prise, l’acte juridique encourra la nullité. Quand sera-t-elle découverte ? Eh bien lorsque la gestion des dommages-intérêts (possiblement capitalisés) aura été si calamiteuse que la victime se retrouvera sans un sou. Alors, la nullité de la transaction ne manquera pas d’être excipée. Le retour au statut quo ante ne pouvant être fait au préjudice de l’incapable, à la fin de l’histoire, celui qui aura payé bien imprudemment sera prié de payer une seconde fois. On accordera toutefois que le risque est de moindre intensité depuis la réforme du droit commun des contrats, le nouvel article 1151 du Code civil renfermant un obstacle – non plus aux seules restitutions comme c’était le cas sous l’empire du droit ancien encore qu’il n’était que relatif(V. également C. civ., art. 1352-4 [art. 1312 ancien]) – mais bien à l’action en nullité. Il reste que, pour bien faire, l’homologation judiciaire nous semble-t-elle de nature à palier ce vice et refréner les velléités de contestation : service public n’obligerait-il pas ?

18. – Interrogation et ouverture. –  On écrit que le système judiciaire français serait incapable de répondre aux besoins des victimes de sinistres sérielsNote 33 ; que les dommages de masse ne sauraient être son affaire. Qu’il nous soit tout même permis de rappeler que le service public de la justice, lorsqu’il a été saisi, n’a pas été ni moins vite ni plus lentement que le service public de la réparation du dommage corporel ; que le juge a su rendre à chacun de qui était dû dans des affaires qui ont échappé à l’Office.Aussi, pour conclure, et faute d’avoir épuisé le sujet, permettez-nous de poser une question. N’a-t-on jamais objectivé une carence si considérable du service public de la justice qu’il ait fallu prendre pour une habitude de substituer des administrateurs aux juges et, ce faisant, inventer une concurrence qui ne dit pas son nom et ne rend pas complètement justice à toutes les personnes concernées ?Une exhortation poétique pour terminer : vingt fois sur le métier remettez l’ouvrage. Polissez-le sans cesse et le repolissez. Ajoutez quelques fois et souvent effacez. Vingt années se sont écoulées depuis que l’Office a été créé. Le temps de la réforme de l’existant ne serait-il pas venu ??

Note : Article qui est le fruit d’une participation au colloque organisé par l’Université de Paris et le professeur Guégan le 04 mars 2022 à la Sorbonne intitulé : “Responsabilité médicale – 2002-2022 :Vingt ans de coexistence de la responsabilité et de la solidarité en matière médicale” publié à la revue Responsabilité civile et assurance (avr. 2022).

Note 1 D. Truchet, Droit administratif : PUF, 9e éd., 2021, p. 50 et s.

Note 2 P.-L. Frier et J. Petit, Droit administratif : LGDJ, 15e éd., 2021, n° 375 et s.

Note 3 J. Morand-Devilier, P. Bourdon et F. Poulet, Droit administratif : 17e éd., 2021, p. 509. – Comp. D. Truchet, Droit administratif : PUF, 9e éd., 2021, p. 371, n° 1066 (solidarité, équité, efficacité).

Note 4 L. Bloch, Interrogation autour de la réforme du système d’indemnisation des victimes du valproate de sodium : Resp. civ. et assur. 2019, alerte 23. – Sur la dialectique justice corrective vs justice distributive aux fins de description du droit de la responsabilité civile français, V. Rivollier, Les fonctions de la responsabilité civile face à la socialisation des risques en matière de dommages corporels, mél. P. Ancel : Larcier, 2021, p. 541. Il importerait qu’on s’interrogeât aussi sur l’effet d’aubaine créé par le dispositif amiable, qui autorise les personnes contre lesquelles un avis d’indemnisation a été rendu de transiger à l’aune des pratiques et bases de couverture du risque de l’Office.

Note 5 A. Guégan, Dommage de masse et responsabilité civile, préf. P. Jourdain, t. 472 : LGDJ, 2006. – F. Bibal et Cl. Bernfeld, Les dommages sériels causés par des produits de santé : Gaz. Pal. 19 janv. 2021, p. 77.

Note 6 A.-M. Patault, Dictionnaire de la culture juridique : PUF, 2003, v° propriété.

Note 7 Ch. Saout, La démocratie sanitaire à travers l’action des associations de patients et d’usagers (entretien) : RJSP 2021.6, n° 21.

Note 8 V. not. E. Terrier et J. Penneau, Médecine : réparation des conséquences des risques sanitaires – organes de la procédure : Rép. civ. Dalloz, 2020, n° 415.

Note 9 J. Chevallier, Les configurations de l’État stratège : RFFP nov. 2020, p. 27.

Note 10 Igas, Enquête sur le Médiator, janv. 2011 (www.igas.gouv.fr/spip.php ? article162). – Igas, Enquête relative aux spécificités contenant du valproate de sodium, févr. 2016 (www.igas.gouv.fr/spip.php ? article522). – CE, 1re et 6e ch. réunies, 9 nov. 2016, n° 393902 et 393926 : Lebon. – J. Sorin, Médiator : partage des responsabilités entre l’État et Servier : AJDA 2017, p. 2140. – R. Pellet, La défiance, du sanitaire au social : RDSS 2021, p. 143. – O. Gout, L’Oniam, un établissement à multiples facettes : Gaz. Pal. 16 juin 2012, p. 37.

Note 11 Le législateur s’est d’ailleurs appliqué par la suite à améliorer l’existant (L. n° 2011-2012, 29 déc. 2011, relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé) tandis que le juge n’a pas manqué de sanctionner tous les protagonistes de l’affaire, l’agence nationale de santé et de sécurité du médicament comprise (T. corr. Paris, 31e ch., 29 mars 2021 : condamnation des laboratoires Servier des chefs de tromperie aggravée, d’homicides et blessures involontaires ; 180 millions de dommages et intérêts et plus de 2,7 millions d’ euros d’amende. Condamnation de l’agence – ex Afssaps à 303 000 € d’amende pour avoir tardé à suspendre l’autorisation de mise sur le marché).

Note 12 F. Ewald emploie pour sa part la notion de « services publics de responsabilité ». C’était il y a 35 ans. Et l’auteur d’esquisser « le schéma général du nouveau droit de la responsabilité articulé sur le principe d’un droit de l’accident [qui] ne met plus face à face deux sujets que sont l’auteur et la victime du dommage, mais trois acteurs : la victime, le responsable et une collectivité, représentée par un ou plusieurs organismes d’assurance » (Histoire de l’État providence. Les origines de la solidarité, Grasset, 1996). En bref, et pour présenter les choses autrement, préférez la socialisation du risque et l’Office à l’assurantialisation ; nous devrions alors rejoindre assez facilement la thèse de l’auteur. V. également G. Viney, Le déclin de la responsabilité individuelle, préf. R. Rodière : LGDJ, 1965.

Note 13 F. Leduc, Solidarité et indemnisation in La solidarité, Travaux de l’association Henri Capitant, t. LXIX : Bruylant, 2019.

Note 14 V. not. S. Jouslin de Norray et Ch. Joseph-Oudin, Le dispositif spécifique d’instruction des demandes d’indemnisation concernant les préjudices imputables au valproate de sodium : un avantage pour les droits des victimes ? : RLDC 2017, n° 146.

Note 15 L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, t. 2 : 3e éd., 1928, p. 61. – Cité par J. Petit et P.-L. Frier, Droit administratif : LGDJ, 13e éd., 2019, n° 363.

Note 16 F. Kessler, Complément ou substitution à la sécurité sociale ? Essai sur l’indemnisation sociale comme technique de protection sociale : Dr. soc. 2006, p. 191.

Note 17 Comp. le financement du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques qui est intéressant à cet égard (C. rur., art. L. 253-8-2).

Note 18 Reichstag, discours, 17 nov. 1881.

Note 19 V. Th. Leleu, Oniam. Vers la création d’un géant de l’indemnisation, à propos du rapport de l’Igas proposant la fusion de l’Oniam et du Fiva : Resp. civ. et assur. 2021, étude 12.

Note 20 V. également en ce sens, J. Knetsch, Le nouveau dispositif d’indemnisation des victimes du Médiator issu de la loi du 29 juill. 2011 : Resp. civ. et assur. 2011, étude 14, spéc. n° 9.

Note 21 V. not. J. Knetsch, Le nouveau dispositif d’indemnisation des victimes du Médiator issu de la loi du 29 juill. 2011 : Resp. civ. et assur. 2011, étude 14, spéc. n° 5 et s.

Note 22 Cons. const., 18 juin 2010, n° 2010-8 QPC, cons. 16.

Note 23 Créé par la L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, art. 187. – V. également CSP, art. L. 1142-24-12, al. 6 (saisine du collège valproate de sodium).

Note 24 V. not. et par comparaison : J. Bourdoiseau note ss Cons. const., 15 nov. 2013, n° 2013-352 QPC : LPA 30 mai 2014.

Note 25 V. également en ce sens, L. Bloch, Scandale de la dépakine : le « fonds » de la discorde : Resp. civ. et assur. 2016, alerte 24. – A. Guégan, Les nouvelles conditions d’expertise au sein du dispositif pour l’indemnisation des victimes du valproate de sodium : Gal. Pal. 19 janv. 2021, p. 83. – L. Friant, L’indemnisation extrajuridictionnelle des victimes du valproate de sodium ou de ses dérivés : bilan et perspectives : RLDC 2020, n° 183.

Note 26 Barème annexé au D. n° 2003-314, 4 avr. 2003, ann. 11-2.

Note 27 J. Bourdoiseau, La réparation algorithmique du dommage corporel : binaire ou ternaire ? : Resp. civ. et assur. 2021, étude 7.

Note 28 Il pourrait être soutenu qu’une telle initiative est douteuse faute pour les administrateurs, aussi experts soient-ils, d’être fondés à se départir des règles de droit applicable dans le cas particulier. Il se pourrait même qu’il y ait plus à dire encore. C’est qu’il n’est pas acquis du tout que lesdits administrateurs aient jamais été priés par le législateur de trancher en droit. C’est pourtant à l’aune du droit positif que les demandes sont appréciées : tropisme oblige (qui gagnerait à être interrogé).

Note 29 V. not. sur cette problématique à propos du Fiva, Ph. Brun, Droit de la responsabilité extracontractuelle : LexisNexis, 2018. À noter encore que la présence éventuelle du chef des services benfluorex et valproate de sodium dans les séances des collèges éponymes, ce dernier ayant la responsabilité de formuler une offre transactionnelle en cas de substitution de l’Office, donne-t-elle à penser : ordonner la dépense (à tout le moins participer même sans voix délibérative à la délibération) et payer ne font pas bon ménage en général.

Note 30 Le législateur a toutefois cherché à prévenir l’enrichissement injustifié du demandeur par une information circonstanciée (V. art. Knetsch, Le droit de la responsabilité et les fonds d’indemnisation : th. Paris 2, 2011, n° 338).

Note 31 Ord. n° 58-1067, 7 nov. 1958, art. 23-2.

Note 32 F. Bibal, La contradiction n’est pas respectée devant les CCI : Gaz. Pal. 15 févr. 2022.

Note 33 S. Jouslin de Noray et Ch. Joseph-Oudin, Le dispositif spécifique d’instruction des demandes d’indemnisation concernant les préjudices imputables au valproate de sodium : un avantage pour les droits des victimes ? : RLDC 2017, n° 146.

La complexité des rapports médecins libéraux / assurance(s) maladie(s)

1.- Dette sociale[1]. À ce jour, la dette des administrations de sécurité sociale – ce qu’on appelle la dette sociale (qu’il ne faut pas confondre avec le déficit annuel des comptes sociaux, qui est familièrement appelé « trou de la sécu ») – se monte à près de 370 milliards d’euros. C’est une dette relativement importante en valeur qui est très difficile à juguler car les dépenses de santé (qui se chiffrent à plus de 200 milliards d’euros en 2020, soit 25 % de la richesse nationale)[2] ne peuvent être purement et simplement pas gelées. Les Français ne le toléreraient pas. Aucune personne en responsabilité politique (un tant soit peu sensée) ne s’aventurerait du reste. En même temps, il serait aventureux de ne pas chercher à les contenir, à en ralentir la progression. Sans quoi, ce seraient les marchés qui ne nous le pardonneraient pas. Pour mémoire, l’État français est l’un des plus gros émetteurs de titres financiers au monde. Même si, en vérité, la dette des organismes de sécurité sociale ne représente en valeur relative que 10 % de la dette publique (qui se monte au dernier trimestre 2021 à plus de 2800 milliards d’euros)[3], la confiance des investisseurs doit nécessairement être recherchée et continûment améliorée. Sans ce qu’on appelle la titrisation (qui est une technique financière de mobilisation des créances sur les marchés), les impositions et les cotisations ne suffiraient pas à assurer le financement de la consommation de soins et de biens médicaux. D’aucuns soutiendront qu’il est toujours loisible d’augmenter la cotisation sociale généralisée, la contribution au remboursement de la dette sociale, les cotisations sociales patronales ou les impôts et taxes affectés au financement de la sécurité sociale. Seulement, le consentement à l’impôt est bien trop émoussé[4]

En bref, ce n’est malheureusement pas assez de regarder du côté des produits. Il importe tout autant sinon plus de s’enquérir des charges.

2.- Consommation de soins et de biens médicaux. Précisément, le deuxième poste de dépenses renseigné dans la consommation de soins et de biens médicaux est composé des soins de ville, à savoir des honoraires payés aux médecins libéraux, ce qui représente un peu plus de 21 milliards d’euros en 2020 en arrondissant. Vous m’accorderez que cela pourrait suffire à fonder l’attention de la caisse nationale d’assurance maladie et de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA). Mais il y a plus. Il faut aussi bien avoir à l’esprit que les usagers du système de santé n’ont aucun droit de tirage sur le trésor de l’assurance maladie. Seuls les professionnels de santé sont les ordonnateurs de la dépense. Rien de très surprenant par voie de conséquence que des relations étroites soient nouées entre les dispensateurs de soins et le régleur des soins de santé : maîtrise des dépenses médicales oblige (L. 162-5, 6° c. sécu. soc.).

3.- Conventions médicales. Ces relations ont fini par être couchées sur le papier. Après quelques expérimentations, le véhicule normatif a été trouvé. Les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie sont désormais régis par des conventions médicales nationales (collectives et pluriannuelles). La première fut signée le 28 octobre 1971. La dernière en date a été signée le 25 août 2016. Arrivée à son terme le 24 octobre dernier, elle devait faire l’objet d’une réécriture dans la foulée. Hélas pour les syndicats représentatifs des médecins libéraux, qui étaient désireux entre autres revendications que les tarifs soient révisés et les honoraires concrètement majorés, le législateur a décidé de prolonger les effets de la convention médicale conclue en 2016 de quelques mois[5]. Prolongation qui, comme on peut l’imaginer, a été fort mal accueillie par les professionnels de santé légitimement désireux de voir leur activité mieux valorisée. MG France, qui est l’une des organisations syndicales représentatives des médecins généralistes au sens de la loi (art. L. 162-5 c. sécu. soc.), demandait au printemps dernier un rehaussement de la consultation afin qu’elle soit portée à 30 euros et majorée à 60 euros à raison de la complexité de l’accueil et des soins prodigués aux patients polypathologiques. Voilà le juste prix à payer a-t-il été défendu de l’expertise des médecins, de l’accompagnement d’une population vieillissante, des virages ambulatoires et domiciliaires qui ont été pris ces dernières années[6].

Cette mauvaise valorisation participe très certainement des rapports compliqués qu’entretiennent les médecins libéraux et l’assurance maladie (entre autres sources de complication) et qui empêche d’une manière ou d’une autre toute réforme systémique des modalités de couverture du risque maladie en France. C’est ce qu’il importe de montrer.

4.- Secteurs conventionnels. Le code de la sécurité sociale renferme toute une série de dispositions relatives aux relations contractuelles entre les médecins libéraux et l’assurance maladie (art. L. 162-5 et s.). La loi enjoint les partenaires conventionnels à déterminer (notamment) leurs rapports pécuniaires. Plus concrètement à déterminer les modes de rémunération et, bien plus sûrement, à fixer les droits à dépassement d’honoraires.

Disons tout de suite, pour ne plus y revenir, que le conventionnement n’est pas une obligation pour les médecins libéraux, qui sont libres de fixer les tarifs comme bon leur semble. Ceci étant, ils sont très peu nombreux à exercer en secteur 3. Il y a une bonne raison à cela : les patients sont très mal remboursés par l’assurance maladie, quelques euros tout au plus – pour ne pas dire quelques centimes – (70% du tarif d’autorité art. L. 162-5-10 c. sécu. soc.). La patientèle n’est donc pas grande du tout.

En bref, les médecins libéraux sont pour la quasi-totalité d’entre eux parties aux conventions médicales et à leurs avenants. Les uns relèvent du secteur à honoraires opposables (secteur 1). Les autres du secteur à honoraires libres (secteur 2). Les premiers n’ont pas le droit de pratiquer de dépassement d’honoraires (à tout le moins en principe)[7]. Les seconds peuvent procéder sauf à répondre de l’exercice abusif de leur liberté tarifaire (art. R. 4127-53 c. santé publ.). Les avantages accordés en contrepartie sont naturellement variables d’un secteur à l’autre, qui dépendent de toute une série de conditions qui forment un maillage juridique relativement complexe pour qui s’aventure et qui, par voie de conséquence, est de nature à rebuter les principaux intéressés. Fort heureusement, les agences régionales de santé se proposent d’accompagner les jeunes médecins dans leur installation ou bien encore dans leur remplacement. Le contrat de début d’exercice (CDE de 3 ans non renouvelable), qui a été inventé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020[8] est ainsi l’occasion pour les ARS de prêter leur concours et d’accorder des rémunérations de complément aux honoraires à la condition que le médecin, qui exerce en libéral, s’engage à pratiquer les tarifs opposables (secteur 1) ou bien qu’il adhère en secteur 2 à l’option pratique tarifaire maîtrisée…le tout dans une zone fragile en matière d’offre de soins même à temps partiel… Alors un accompagnement c’est certain, mais qui n’est pas complétement désintéressé : désertification médicale oblige !

5.- Dépassements d’honoraires. L’assurance maladie et, avec elle l’État, redoutent que les médecins optent systématiquement pour le secteur 2 et opposent leur droit à dépassement. Il y a plusieurs raisons à cela.

D’abord, les dépassements d’honoraires, qui ne sont pas complétement solvabilisés, sont de nature à empêcher des personnes d’avoir recours aux actes de diagnostic, de prévention et de soins, qui doivent supporter alors un reste à charge trop important et souffrir un choix restreint de professionnels de santé, choix qui s’avère parfois même inexistant.

Ensuite, et d’un point de vue plus macroéconomique, lesdits dépassements d’honoraires renchérissent en définitive le coût de l’assurance pour tout un chacun.

Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales renseigne en ce sens (et sur la période concernée) que sur 18 milliards d’euros d’honoraires totaux, les dépassements d’honoraires représentaient 2 milliards d’euros, les deux tiers pesant sur les ménages après interventions des organismes d’assurance complémentaire[9]. Le corps d’inspection d’ajouter que le montant des dépassements dans le secteur à honoraires libres a doublé en moins de quinze ans en valeur réelle, qu’il est une pratique devenue majoritaire chez les spécialistes.

En bref, s’est insidieusement creusé un écart entre les bases de remboursement de la sécurité sociale (BRSS ou TRSS : tarifs de responsabilité de la sécurité sociale) et les tarifs de consultation des médecins libéraux rendant bien incertaines les politiques de couverture a maxima des frais de soins de santé et les tentatives de restes à charge zéro (notamment à l’attention des patients pris en charge au titre des affectations de longue durée).

6.- Police de la tarification. Les leviers de canalisation de la dépense sont bien connus. À l’expérience, ils ne sont pas aussi fructueux qu’on pouvait l’espérer. En la matière, il appartient aux caisses de sécurité sociale ainsi qu’aux institutions ordinales de faire la police de la tarification. Dans le cas particulier, le travail de contrôle consiste à instruire les signalements des usagers du système de santé et à tirer toutes les conséquences des vérifications qui sont faites par les organismes de sécurité sociale.

Le droit permanent à dépassement que le praticien se soit déclaré. À défaut, et parce qu’il est présumé exercer en secteur 1, tout honoraire perçu au-delà des tarifs opposables est (en principe) indu. Le praticien indélicat peut donc être condamné (entre autres peines) à rembourser à l’assuré le trop-perçu (art. L. 145-2, 4° c. sécu. soc.). C’est l’objet du contentieux du contrôle technique (art. L. 145-1 c. sécu. soc.) et la responsabilité de la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance (art. R. 145-4 c. sécu. soc.)[10]. Le tout sans préjudice d’éventuelles sanctions ordinales.

Ceci pour souligner qu’il existe tout un arsenal juridique dédié, à tout le moins en théorie. Car il semble à l’expérience que « les procédures destinées à réprimer les dépassements d’honoraires ne soient guère mises en œuvre jusqu’à leur terme »[11]. Et c’est sans compter, bien que l’affaire soit un peu technique, que les seuils de dépassement qui déclenchent contrôles et sanctions sont étroitement dépendants des pratiques constatées sur un territoire[12]. S’il est aussi courant que répandu ici ou là d’user du droit à dépassement, alors il y aura peu à redire. Je ne ferai pas plus de commentaire si ce n’est qu’il n’est pas très étonnant de constater une concentration de praticiens dans certaines localités dont il est difficile pour beaucoup d’usagers de prendre l’attache en raison des dépassements d’honoraires généralement pratiqués.

C’est dire combien il est douteux que toute l’ingénierie mise en place pour contenir les dépassements d’honoraires soit très satisfaisante. Voyons de quoi il retourne plus précisément.

7.- Contrat d’accès et soins et option pratique tarifaire maîtrisée. Il y a tout juste une dizaine d’années, les partenaires conventionnels ont imaginé un contrat d’accès aux soins. Par un avenant n°8 à la convention médicale du 26 juillet 2011, il est convenu que les médecins du secteur 2 s’engagent à développer une offre de soins à tarifs opposables ainsi qu’à plafonner pour le reste de leur activité le montant de leurs dépassements. Et l’avenant de renfermer en outre des critères permettant pour ceux qui n’adhéreraient pas de déterminer le caractère excessif des honoraires pratiqués[13]. On pourrait s’étonner que des partenaires conventionnels, particulièrement ceux représentant les intérêts catégoriels des médecins libéraux, aient consenti à se lier dans ces termes à l’Union nationale des caisses d’assurance maladie. Ce faisant, les intéressés ont toutefois évité que le législateur ne reprenne à son compte le sujet pour les raisons sus-évoquées. Ils ont en outre obtenu en contrepartie quelques compensations : à savoir (une fois l’accessoire mis de côté) l’augmentation du montant des actes à tarifs opposables et la promesse d’une revalorisation.

Les enjeux, il faut les redire tant l’exercice tient de la gageure : limitation des dépassements d’honoraires, augmentation de l’offre de soins spécialisés à tarifs opposables et lutte contre la désertification médicale. Parce que l’art est bien difficile et que le taux d’adhésion des médecins spécialistes de secteur 2 n’est pas jugé suffisant, les partenaires conventionnels remettent l’ouvrage sur le métier. La convention médicale du 25 août 2016 remplace le contrat d’accès par l’option pratique tarifaire maîtrisée (OPTAM) dont une déclinaison est réservée aux médecins spécialistes en chirurgie et en gynécologie-obstétrique (OPTAM-CO)[14]. Si les obligations des adhérents sont semblables, la nature des compensations conventionnelles accordées est modifiée (v. aussi art. L. 162-5-19 c. sécu. soc.). L’effort est notable, qui consiste toutes techniques confondues, à majorer la rémunération des médecins libéraux qui ont opté notamment sur objectifs de santé publique. Ceci étant, il n’est pas sûr du tout que le nouveau dispositif, qui est laissé à la discrétion des médecins et chirurgiens, ait pu produire les fruits escomptés.

Il se pourrait même qu’on doive bien plutôt la stabilisation des dépassements à l’économie du contrat d’assurance maladie complémentaire responsable.

8.- Contrats responsables. Les dépassements d’honoraires ont pu se pratiquer sans trop cri d’orfraie tant que les patients ont pu les payer. Dans un passé récent, le paiement a été facilité par les remboursements des organismes d’assurance complémentaire auprès desquels de nombreuses personnes avaient souscrit. À mesure que les complémentaires santé se sont généralisées, les contrats d’assurance (qui sont assortis d’aides fiscales et sociales qui ont participé à leur commercialisation) ont été capés par le législateur notamment par le haut. Les opérateurs d’assurance ont ainsi été interdits de rembourser la franchise et le dépassement d’honoraire dus pour le cas où le patient aurait consulté un médecin spécialiste sans l’avis préalable du médecin traitant (L. 871-1, al. 3 c. sécu. soc. ensemble L. 162-5, 18° c. sécu. soc.). Quant aux dépassements d’honoraires en général (L. 871-1, al. 4 et R. 871-2 c. sécu. soc.), lesdits opérateurs ont été priés de discriminer les médecins ayant adhéré aux dispositifs de pratique tarifaire maîtrisée prévus par la convention nationale et les autres.

Les rapports entretenus entre les médecins libéraux et l’assurance maladie sont d’autant moins simples que cette dernière assurance est une sorte de Janus bifront, un dispositif à deux visages bien complexes à savoir l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire. Autrement dit, la couverture du risque maladie est garantie par deux assureurs : un assureur public et un assureur privé.

9.- Ticket modérateur et tiers payant. Historiquement, et ce bien avant l’ordonnance n° 45-2250 du 04 novembre 1945 portant organisation de la sécurité sociale, on doit aux seconds et aux sociétés de secours mutuel d’avoir participé à réduire le non recours aux soins des travailleurs. En inventant la sécurité sociale, le Gouvernement provisoire de la République française n’a pour ainsi dire rien supprimé de l’existant. Une aubaine en définitive et à l’expérience. De proche en proche, une partie des frais de soins de santé s’est ainsi retrouvée externalisée (dispensant les pouvoirs publics d’augmenter les cotisations de sécurité sociale et les impôts affectés au financement de la sécurité sociale). L’externalisation a un autre nom : le ticket modérateur. C’est un dispositif technique qui sert à répartir les coûts engendrés par la consommation de soins et biens médicaux entre les caisses de sécurité sociale, les organismes d’assurance complémentaire et les patients. Aussi ingénieux soit le dispositif, il complique très sérieusement les choses. Rares sont les usagers du système de santé qui savent combien ils seront remboursés et par qui. C’est l’une des causes au renoncement aux soins contre laquelle lutte les pouvoirs publics. Rares sont encore les jeunes médecins qui ont été initiés au droit à l’économie de l’assurance maladie.

C’est pour faciliter la tâche des usagers du système de santé que le tiers payant généralisé a été inventé, invention contre laquelle les médecins libéraux pestent, qui réussirent à faire reculer la ministre Marisol Touraine et hésiter les ministres qui se sont suivis avenue de Ségur.

De loin, et du point de vue des personnes qui consultent, la résistance n’est pas frappée au coin du bon sens. Après tout, et par comparaison, on ne règle pour ainsi jamais le prix des médicaments qui sont délivrés en officine. Le tiers payant a fait ici ses preuves. De plus près, et du point de vue des médecins libéraux, il y a quelques raisons d’hésiter. D’abord, et la source de complication est de nature technique, il faut rappeler que le patient type n’est jamais remboursé à 100%. Sur une consultation à 25 euros, le patient n’est pris en charge qu’à hauteur de 24. Une participation de l’assuré social est attendue à la prise en charge des frais de santé (L. 160-13 et R. 160-19 c. sécu. soc.). En bref, la franchise d’un euro n’étant remboursée par aucun des assureurs qu’il soit public ou privé, il a été bien vu qu’il appartiendrait alors au médecin de prendre la pièce (si vous me passez l’expression) pour le compte de l’assurance maladie. Voilà qu’on aurait transformé les médecins en collecteurs d’impôt ! Encore qu’on nous dira que le problème n’est pas trop compliqué à régler… Il y a plus en vérité.

10.- Articulation entre les assurances maladies. Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a publié il y a quelques jours un rapport remarquable sur l’articulation entre l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire. Force est de constater (et de regretter) qu’il n’intéresse pas beaucoup. La nationalisation des organismes privés d’assurance complémentaire entre autres scenarii est tout de même proposée[15]. Mais laissons. Il y est surtout question, quel que soit le scenario sur lequel on s’arrête, de la solvabilisation des frais des santé en général et, en filigranes, des dépassements d’honoraires.

11.- Classification commune des actes médicaux. En bref, et peu important l’angle de vue qu’on choisit, la pratique des dépassements d’honoraires est l’une des sources de complication majeure qui, si elle est mal canalisée, participe invariablement du non recours aux soins de très nombreux usagers du système de santé. Remonter aux origines du mal, dont on s’est pour l’instant limité à montrer quelques manifestations, c’est d’une façon ou d’une autre braquer le projecteur sur la classification commune des actes médicaux (anciennement la nomenclature générale des actes professionnels) (art. L. 162-1-7 c. sécu. soc.). Cette classification est la liste des actes médicaux techniques, codée, et admis au remboursement. Commune aux secteurs privé et public, elle est arrêtée par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie[16]. Son utilisation n’est pas commode. C’est peu de le dire. Les lignes de codes et les zones de codage sont très nombreuses. Il se peut fort que la cotation des actes ne soit pas optimale et que la rémunération ne soit par voie de conséquence pas optimisée. Il faut bien voir aussi que le travail de codage est ancien (25 févr. 2005). Ce n’est pas à dire que ces quinze dernières années, les partenaires conventionnels ne se soient pas appliqués à améliorer l’existant. Le dernier avenant en date à la convention médicale de 2016 est typique de ce point de vue qui renferme (entre autres) la valorisation des activités psychiatrique, pédiatrique, de gynécologie médicale, de prise en charge sans délai des patients en général ou bien encore celle des personnes âgées à domicile (arr. 22 sept. 2021). Il reste qu’aucune refonte de la cotation n’ayant été faite, les dépassements d’honoraires sont, à la manière d’un palliatif, la meilleure manière qui a été trouvée par de très nombreux médecins libéraux pour mieux rémunérer leurs diligences.

12.- En conclusion, tant que la cotation des actes médicaux n’aura pas été substantiellement révisée, les dépassements seront bien difficiles à refréner sauf alors à imposer le tiers payant généralisé. Cette dernière mesure (qui a fait couler beaucoup d’encre tandis que Madame Touraine était en responsabilité) pourrait passer pour aussi paramétrique qu’anecdotique. En vérité, et plus fondamentalement, elle consisterait à supprimer l’un des piliers de la charte de la médecine libérale, à savoir le paiement direct des honoraires par le malade (art. L. 162-2 c. sécu. soc.). Rédigée en 1927 par le fondateur de la confédération des syndicats médicaux français (CSMF) – le Dr. Cibrié -, cette charte a jeté les bases de la collaboration des médecins aux assurances sociales. Si une telle réforme devait aboutir – ce qui n’est pas déraisonnable d’imaginer quand on songe aux dispenses de plus en plus nombreuses d’avance des frais de santé –, alors serait une fois encore vérifiée une loi immuable de l’économie de marché : à savoir que c’est celui qui paie qui est le patron ! Il resterait bien peu par voie de conséquence du caractère libéral de la médecine de ville…


[1] Communication faite au colloque annuel du Master droit de la santé de la Faculté de droit, d’économie et des sciences sociales de Tours, “Sos médecine libérale”, 2022. Leh éditions, 2022 (à paraître).

[2] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, 2021

[3] Insee, 17 déc. 2021.

[4] Voy. not. F. Douet, Antimanuel de psychologie fiscale, Enrick éd., 2020.

[5] Loi n° 2021-1754 du 23 déc. 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022, art. 37, VII : 31 mars 2022.

[6] MG France, conférence de presse, 18 mars 2021.

[7] Quelques médecins conventionnés en secteur 1 sont autorisés – sous certaines conditions (notoriété, titres, travaux) – à pratiquer de façon permanente des dépassements d’honoraires (DP). Tous les autres (i.e. quel que soit le secteur d’exercice) sont fondés – sous d’autres conditions (exigences du patient) – à pratiquer un dépassement exceptionnel (DE).

[8][8] Loi n° 2019-1446 du 24 déc. 2019 ; art. L. 1435-4-2 csp, D. n° 2020-1666 du 22 déc. 2020 ; art. R. 1435-9-1 et s. c. santé publ. ; arr. du 2 février 2021 relatif au contrat type du contrat de début d’exercice.

[9] IGAS, Les dépassements d’honoraires médicaux, avr. 2007, p. 3.

[10] Voy. not. R. Marié, Le dédale du contentieux des dépassements tarifaires des médecins libéraux, Rdss 2016.107.

[11] R. Marié, op. cit. Voy. encore Th. Tauran, L’assurance maladie et les anomalies de tarification, Rdss 2013.1086.

[12] Voy. égal. en ce sens, R. Marié, Dépassements d’honoraires et augmentation de l’offre à tarifs opposables : entre renoncements et timides avancées, Rdss 2013.101.

[13] Convention médicale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie, 25 août 2016, art. 85.

[14] J. Bourdoiseau et V. Roulet, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 : aspects concernant les entreprises, Gaz. pal. 7 mars 2017.

[15] Voy. not. J. Bourdoiseau, La Grande sécu : une utopie constructive ?, Jcp G. 2022.50.

[16] https://www.ameli.fr/accueil-de-la-ccam/index.php

De la complexité des rapports médecins libéraux / assurance maladie

Dette sociale[1]. À ce jour, la dette des administrations de sécurité sociale – ce qu’on appelle la dette sociale (qu’il ne faut pas confondre avec le déficit annuel des comptes sociaux, qui est familièrement appelé « trou de la sécu ») – se monte à près de 370 milliards d’euros. C’est une dette relativement importante en valeur qui est très difficile à juguler car les dépenses de santé (qui se chiffrent à plus de 200 milliards d’euros en 2020, soit 25 % de la richesse nationale)[2] ne peuvent être purement et simplement pas gelées. Les Français ne le toléreraient pas. Aucune personne en responsabilité politique (un tant soit peu sensée) ne s’aventurerait du reste. En même temps, il serait aventureux de ne pas chercher à les contenir, à en ralentir la progression. Sans quoi, ce seraient les marchés qui ne nous le pardonneraient pas. Pour mémoire, l’État français est l’un des plus gros émetteurs de titres financiers au monde. Même si, en vérité, la dette des organismes de sécurité sociale ne représente en valeur relative que 10 % de la dette publique (qui se monte au dernier trimestre 2021 à plus de 2800 milliards d’euros)[3], la confiance des investisseurs doit nécessairement être recherchée et continûment améliorée. Sans ce qu’on appelle la titrisation (qui est une technique financière de mobilisation des créances sur les marchés), les impositions et les cotisations ne suffiraient pas à assurer le financement de la consommation de soins et de biens médicaux. D’aucuns soutiendront qu’il est toujours loisible d’augmenter la cotisation sociale généralisée, la contribution au remboursement de la dette sociale, les cotisations sociales patronales ou les impôts et taxes affectés au financement de la sécurité sociale. Seulement, le consentement à l’impôt est bien trop émoussé[4]

En bref, ce n’est malheureusement pas assez de regarder du côté des produits. Il importe tout autant sinon plus de s’enquérir des charges.

Consommation de soins et de biens médicaux. Précisément, le deuxième poste de dépenses renseigné dans la consommation de soins et de biens médicaux est composé des soins de ville, à savoir des honoraires payés aux médecins libéraux, ce qui représente un peu plus de 21 milliards d’euros en 2020 en arrondissant. Vous m’accorderez que cela pourrait suffire à fonder l’attention de la caisse nationale d’assurance maladie et de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA). Mais il y a plus. Il faut aussi bien avoir à l’esprit que les usagers du système de santé n’ont aucun droit de tirage sur le trésor de l’assurance maladie. Seuls les professionnels de santé sont les ordonnateurs de la dépense. Rien de très surprenant par voie de conséquence que des relations étroites soient nouées entre les dispensateurs de soins et le régleur des soins de santé : maîtrise des dépenses médicales oblige (L. 162-5, 6° c. sécu. soc.).

Conventions médicales. Ces relations ont fini par être couchées sur le papier. Après quelques expérimentations, le véhicule normatif a été trouvé. Les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie sont désormais régis par des conventions médicales nationales (collectives et pluriannuelles). La première fut signée le 28 octobre 1971. La dernière en date a été signée le 25 août 2016. Arrivée à son terme le 24 octobre dernier, elle devait faire l’objet d’une réécriture dans la foulée. Hélas pour les syndicats représentatifs des médecins libéraux, qui étaient désireux entre autres revendications que les tarifs soient révisés et les honoraires concrètement majorés, le législateur a décidé de prolonger les effets de la convention médicale conclue en 2016 de quelques mois[5]. Prolongation qui, comme on peut l’imaginer, a été fort mal accueillie par les professionnels de santé légitimement désireux de voir leur activité mieux valorisée. MG France, qui est l’une des organisations syndicales représentatives des médecins généralistes au sens de la loi (art. L. 162-5 c. sécu. soc.), demandait au printemps dernier un rehaussement de la consultation afin qu’elle soit portée à 30 euros et majorée à 60 euros à raison de la complexité de l’accueil et des soins prodigués aux patients polypathologiques. Voilà le juste prix à payer a-t-il été défendu de l’expertise des médecins, de l’accompagnement d’une population vieillissante, des virages ambulatoires et domiciliaires qui ont été pris ces dernières années[6].

Cette mauvaise valorisation participe très certainement des rapports compliqués qu’entretiennent les médecins libéraux et l’assurance maladie (entre autres sources de complication) et qui empêche d’une manière ou d’une autre toute réforme systémique des modalités de couverture du risque maladie en France. C’est ce qu’il importe de montrer.

Secteurs conventionnels. Le code de la sécurité sociale renferme toute une série de dispositions relatives aux relations contractuelles entre les médecins libéraux et l’assurance maladie (art. L. 162-5 et s.). La loi enjoint les partenaires conventionnels à déterminer (notamment) leurs rapports pécuniaires. Plus concrètement à déterminer les modes de rémunération et, bien plus sûrement, à fixer les droits à dépassement d’honoraires.

Disons tout de suite, pour ne plus y revenir, que le conventionnement n’est pas une obligation pour les médecins libéraux, qui sont libres de fixer les tarifs comme bon leur semble. Ceci étant, ils sont très peu nombreux à exercer en secteur 3. Il y a une bonne raison à cela : les patients sont très mal remboursés par l’assurance maladie, quelques euros tout au plus – pour ne pas dire quelques centimes – (70% du tarif d’autorité art. L. 162-5-10 c. sécu. soc.). La patientèle n’est donc pas grande du tout.

En bref, les médecins libéraux sont pour la quasi-totalité d’entre eux parties aux conventions médicales et à leurs avenants. Les uns relèvent du secteur à honoraires opposables (secteur 1). Les autres du secteur à honoraires libres (secteur 2). Les premiers n’ont pas le droit de pratiquer de dépassement d’honoraires (à tout le moins en principe)[7]. Les seconds peuvent procéder sauf à répondre de l’exercice abusif de leur liberté tarifaire (art. R. 4127-53 c. santé publ.). Les avantages accordés en contrepartie sont naturellement variables d’un secteur à l’autre, qui dépendent de toute une série de conditions qui forment un maillage juridique relativement complexe pour qui s’aventure et qui, par voie de conséquence, est de nature à rebuter les principaux intéressés. Fort heureusement, les agences régionales de santé se proposent d’accompagner les jeunes médecins dans leur installation ou bien encore dans leur remplacement. Le contrat de début d’exercice (CDE de 3 ans non renouvelable), qui a été inventé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020[8] est ainsi l’occasion pour les ARS de prêter leur concours et d’accorder des rémunérations de complément aux honoraires à la condition que le médecin, qui exerce en libéral, s’engage à pratiquer les tarifs opposables (secteur 1) ou bien qu’il adhère en secteur 2 à l’option pratique tarifaire maîtrisée…le tout dans une zone fragile en matière d’offre de soins même à temps partiel… Alors un accompagnement c’est certain, mais qui n’est pas complétement désintéressé : désertification médicale oblige !

Dépassements d’honoraires. L’assurance maladie et, avec elle l’État, redoutent que les médecins optent systématiquement pour le secteur 2 et opposent leur droit à dépassement. Il y a plusieurs raisons à cela.

D’abord, les dépassements d’honoraires, qui ne sont pas complétement solvabilisés, sont de nature à empêcher des personnes d’avoir recours aux actes de diagnostic, de prévention et de soins, qui doivent supporter alors un reste à charge trop important et souffrir un choix restreint de professionnels de santé, choix qui s’avère parfois même inexistant.

Ensuite, et d’un point de vue plus macroéconomique, lesdits dépassements d’honoraires renchérissent en définitive le coût de l’assurance pour tout un chacun.

Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales renseigne en ce sens (et sur la période concernée) que sur 18 milliards d’euros d’honoraires totaux, les dépassements d’honoraires représentaient 2 milliards d’euros, les deux tiers pesant sur les ménages après interventions des organismes d’assurance complémentaire[9]. Le corps d’inspection d’ajouter que le montant des dépassements dans le secteur à honoraires libres a doublé en moins de quinze ans en valeur réelle, qu’il est une pratique devenue majoritaire chez les spécialistes.

En bref, s’est insidieusement creusé un écart entre les bases de remboursement de la sécurité sociale (BRSS ou TRSS : tarifs de responsabilité de la sécurité sociale) et les tarifs de consultation des médecins libéraux rendant bien incertaines les politiques de couverture a maxima des frais de soins de santé et les tentatives de restes à charge zéro (notamment à l’attention des patients pris en charge au titre des affectations de longue durée).

Police de la tarification. Les leviers de canalisation de la dépense sont bien connus. À l’expérience, ils ne sont pas aussi fructueux qu’on pouvait l’espérer. En la matière, il appartient aux caisses de sécurité sociale ainsi qu’aux institutions ordinales de faire la police de la tarification. Dans le cas particulier, le travail de contrôle consiste à instruire les signalements des usagers du système de santé et à tirer toutes les conséquences des vérifications qui sont faites par les organismes de sécurité sociale.

Le droit permanent à dépassement que le praticien se soit déclaré. À défaut, et parce qu’il est présumé exercer en secteur 1, tout honoraire perçu au-delà des tarifs opposables est (en principe) indu. Le praticien indélicat peut donc être condamné (entre autres peines) à rembourser à l’assuré le trop-perçu (art. L. 145-2, 4° c. sécu. soc.). C’est l’objet du contentieux du contrôle technique (art. L. 145-1 c. sécu. soc.) et la responsabilité de la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance (art. R. 145-4 c. sécu. soc.)[10]. Le tout sans préjudice d’éventuelles sanctions ordinales.

Ceci pour souligner qu’il existe tout un arsenal juridique dédié, à tout le moins en théorie. Car il semble à l’expérience que « les procédures destinées à réprimer les dépassements d’honoraires ne soient guère mises en œuvre jusqu’à leur terme »[11]. Et c’est sans compter, bien que l’affaire soit un peu technique, que les seuils de dépassement qui déclenchent contrôles et sanctions sont étroitement dépendants des pratiques constatées sur un territoire[12]. S’il est aussi courant que répandu ici ou là d’user du droit à dépassement, alors il y aura peu à redire. Je ne ferai pas plus de commentaire si ce n’est qu’il n’est pas très étonnant de constater une concentration de praticiens dans certaines localités dont il est difficile pour beaucoup d’usagers de prendre l’attache en raison des dépassements d’honoraires généralement pratiqués.

C’est dire combien il est douteux que toute l’ingénierie mise en place pour contenir les dépassements d’honoraires soit très satisfaisante. Voyons de quoi il retourne plus précisément.

Contrat d’accès et soins et option pratique tarifaire maîtrisée. Il y a tout juste une dizaine d’années, les partenaires conventionnels ont imaginé un contrat d’accès aux soins. Par un avenant n°8 à la convention médicale du 26 juillet 2011, il est convenu que les médecins du secteur 2 s’engagent à développer une offre de soins à tarifs opposables ainsi qu’à plafonner pour le reste de leur activité le montant de leurs dépassements. Et l’avenant de renfermer en outre des critères permettant pour ceux qui n’adhéreraient pas de déterminer le caractère excessif des honoraires pratiqués[13]. On pourrait s’étonner que des partenaires conventionnels, particulièrement ceux représentant les intérêts catégoriels des médecins libéraux, aient consenti à se lier dans ces termes à l’Union nationale des caisses d’assurance maladie. Ce faisant, les intéressés ont toutefois évité que le législateur ne reprenne à son compte le sujet pour les raisons sus-évoquées. Ils ont en outre obtenu en contrepartie quelques compensations : à savoir (une fois l’accessoire mis de côté) l’augmentation du montant des actes à tarifs opposables et la promesse d’une revalorisation.

Les enjeux, il faut les redire tant l’exercice tient de la gageure : limitation des dépassements d’honoraires, augmentation de l’offre de soins spécialisés à tarifs opposables et lutte contre la désertification médicale. Parce que l’art est bien difficile et que le taux d’adhésion des médecins spécialistes de secteur 2 n’est pas jugé suffisant, les partenaires conventionnels remettent l’ouvrage sur le métier. La convention médicale du 25 août 2016 remplace le contrat d’accès par l’option pratique tarifaire maîtrisée (OPTAM) dont une déclinaison est réservée aux médecins spécialistes en chirurgie et en gynécologie-obstétrique (OPTAM-CO)[14]. Si les obligations des adhérents sont semblables, la nature des compensations conventionnelles accordées est modifiée (v. aussi art. L. 162-5-19 c. sécu. soc.). L’effort est notable, qui consiste toutes techniques confondues, à majorer la rémunération des médecins libéraux qui ont opté notamment sur objectifs de santé publique. Ceci étant, il n’est pas sûr du tout que le nouveau dispositif, qui est laissé à la discrétion des médecins et chirurgiens, ait pu produire les fruits escomptés.

Il se pourrait même qu’on doive bien plutôt la stabilisation des dépassements à l’économie du contrat d’assurance maladie complémentaire responsable.

Contrats responsables. Les dépassements d’honoraires ont pu se pratiquer sans trop cri d’orfraie tant que les patients ont pu les payer. Dans un passé récent, le paiement a été facilité par les remboursements des organismes d’assurance complémentaire auprès desquels de nombreuses personnes avaient souscrit. À mesure que les complémentaires santé se sont généralisées, les contrats d’assurance (qui sont assortis d’aides fiscales et sociales qui ont participé à leur commercialisation) ont été capés par le législateur notamment par le haut. Les opérateurs d’assurance ont ainsi été interdits de rembourser la franchise et le dépassement d’honoraire dus pour le cas où le patient aurait consulté un médecin spécialiste sans l’avis préalable du médecin traitant (L. 871-1, al. 3 c. sécu. soc. ensemble L. 162-5, 18° c. sécu. soc.). Quant aux dépassements d’honoraires en général (L. 871-1, al. 4 et R. 871-2 c. sécu. soc.), lesdits opérateurs ont été priés de discriminer les médecins ayant adhéré aux dispositifs de pratique tarifaire maîtrisée prévus par la convention nationale et les autres.

Les rapports entretenus entre les médecins libéraux et l’assurance maladie sont d’autant moins simples que cette dernière assurance est une sorte de Janus bifront, un dispositif à deux visages bien complexes à savoir l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire. Autrement dit, la couverture du risque maladie est garantie par deux assureurs : un assureur public et un assureur privé.

Ticket modérateur et tiers payant. Historiquement, et ce bien avant l’ordonnance n° 45-2250 du 04 novembre 1945 portant organisation de la sécurité sociale, on doit aux seconds et aux sociétés de secours mutuel d’avoir participé à réduire le non recours aux soins des travailleurs. En inventant la sécurité sociale, le Gouvernement provisoire de la République française n’a pour ainsi dire rien supprimé de l’existant. Une aubaine en définitive et à l’expérience. De proche en proche, une partie des frais de soins de santé s’est ainsi retrouvée externalisée (dispensant les pouvoirs publics d’augmenter les cotisations de sécurité sociale et les impôts affectés au financement de la sécurité sociale). L’externalisation a un autre nom : le ticket modérateur. C’est un dispositif technique qui sert à répartir les coûts engendrés par la consommation de soins et biens médicaux entre les caisses de sécurité sociale, les organismes d’assurance complémentaire et les patients. Aussi ingénieux soit le dispositif, il complique très sérieusement les choses. Rares sont les usagers du système de santé qui savent combien ils seront remboursés et par qui. C’est l’une des causes au renoncement aux soins contre laquelle lutte les pouvoirs publics. Rares sont encore les jeunes médecins qui ont été initiés au droit à l’économie de l’assurance maladie.

C’est pour faciliter la tâche des usagers du système de santé que le tiers payant généralisé a été inventé, invention contre laquelle les médecins libéraux pestent, qui réussirent à faire reculer la ministre Marisol Touraine et hésiter les ministres qui se sont suivis avenue de Ségur.

De loin, et du point de vue des personnes qui consultent, la résistance n’est pas frappée au coin du bon sens. Après tout, et par comparaison, on ne règle pour ainsi jamais le prix des médicaments qui sont délivrés en officine. Le tiers payant a fait ici ses preuves. De plus près, et du point de vue des médecins libéraux, il y a quelques raisons d’hésiter. D’abord, et la source de complication est de nature technique, il faut rappeler que le patient type n’est jamais remboursé à 100%. Sur une consultation à 25 euros, le patient n’est pris en charge qu’à hauteur de 24. Une participation de l’assuré social est attendue à la prise en charge des frais de santé (L. 160-13 et R. 160-19 c. sécu. soc.). En bref, la franchise d’un euro n’étant remboursée par aucun des assureurs qu’il soit public ou privé, il a été bien vu qu’il appartiendrait alors au médecin de prendre la pièce (si vous me passez l’expression) pour le compte de l’assurance maladie. Voilà qu’on aurait transformé les médecins en collecteurs d’impôt ! Encore qu’on nous dira que le problème n’est pas trop compliqué à régler… Il y a plus en vérité.

Articulation entre les assurances maladies. Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a publié il y a quelques jours un rapport remarquable sur l’articulation entre l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire. Force est de constater (et de regretter) qu’il n’intéresse pas beaucoup. La nationalisation des organismes privés d’assurance complémentaire entre autres scenarii est tout de même proposée[15]. Mais laissons. Il y est surtout question, quel que soit le scenario sur lequel on s’arrête, de la solvabilisation des frais des santé en général et, en filigranes, des dépassements d’honoraires.

Classification commune des actes médicaux. En bref, et peu important l’angle de vue qu’on choisit, la pratique des dépassements d’honoraires est l’une des sources de complication majeure qui, si elle est mal canalisée, participe invariablement du non recours aux soins de très nombreux usagers du système de santé. Remonter aux origines du mal, dont on s’est pour l’instant limité à montrer quelques manifestations, c’est d’une façon ou d’une autre braquer le projecteur sur la classification commune des actes médicaux (anciennement la nomenclature générale des actes professionnels) (art. L. 162-1-7 c. sécu. soc.). Cette classification est la liste des actes médicaux techniques, codée, et admis au remboursement. Commune aux secteurs privé et public, elle est arrêtée par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie[16]. Son utilisation n’est pas commode. C’est peu de le dire. Les lignes de codes et les zones de codage sont très nombreuses. Il se peut fort que la cotation des actes ne soit pas optimale et que la rémunération ne soit par voie de conséquence pas optimisée. Il faut bien voir aussi que le travail de codage est ancien (25 févr. 2005). Ce n’est pas à dire que ces quinze dernières années, les partenaires conventionnels ne se soient pas appliqués à améliorer l’existant. Le dernier avenant en date à la convention médicale de 2016 est typique de ce point de vue qui renferme (entre autres) la valorisation des activités psychiatrique, pédiatrique, de gynécologie médicale, de prise en charge sans délai des patients en général ou bien encore celle des personnes âgées à domicile (arr. 22 sept. 2021). Il reste qu’aucune refonte de la cotation n’ayant été faite, les dépassements d’honoraires sont, à la manière d’un palliatif, la meilleure manière qui a été trouvée par de très nombreux médecins libéraux pour mieux rémunérer leurs diligences.

En conclusion, tant que la cotation des actes médicaux n’aura pas été substantiellement révisée, les dépassements seront bien difficiles à refreiner sauf alors à imposer le tiers payant généralisé. Cette dernière mesure (qui a fait couler beaucoup d’encre tandis que Madame Touraine était en responsabilité) pourrait passer pour aussi paramétrique qu’anecdotique. En vérité, et plus fondamentalement, elle consisterait à supprimer l’un des piliers de la charte de la médecine libérale, à savoir le paiement direct des honoraires par le malade (art. L. 162-2 c. sécu. soc.). Rédigée en 1927 par le fondateur de la confédération des syndicats médicaux français (CSMF) – le Dr. Cibrié -, cette charte a jeté les bases de la collaboration des médecins aux assurances sociales. Si une telle réforme devait aboutir – ce qui n’est pas déraisonnable d’imaginer quand on songe aux dispenses de plus en plus nombreuses d’avance des frais de santé –, alors serait une fois encore vérifiée une loi immuable de l’économie de marché : à savoir que c’est celui qui paie qui est le patron ! Il resterait bien peu par voie de conséquence du caractère libéral de la médecine de ville…


[1] Colloque Université de Tours. Sos médecine libérale “Soigner les maux de la médecine libérale pour soulager notre système de santé”. Le style oral de la communication a été conservée.

[2] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, 2021

[3] Insee, 17 déc. 2021.

[4] Voy. not. F. Douet, Antimanuel de psychologie fiscale, Enrick éd., 2020.

[5] Loi n° 2021-1754 du 23 déc. 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022, art. 37, VII : 31 mars 2022.

[6] MG France, conférence de presse, 18 mars 2021.

[7] Quelques médecins conventionnés en secteur 1 sont autorisés – sous certaines conditions (notoriété, titres, travaux) – à pratiquer de façon permanente des dépassements d’honoraires (DP). Tous les autres (i.e. quel que soit le secteur d’exercice) sont fondés – sous d’autres conditions (exigences du patient) – à pratiquer un dépassement exceptionnel (DE).

[8][8] Loi n° 2019-1446 du 24 déc. 2019 ; art. L. 1435-4-2 csp, D. n° 2020-1666 du 22 déc. 2020 ; art. R. 1435-9-1 et s. c. santé publ. ; arr. du 2 février 2021 relatif au contrat type du contrat de début d’exercice.

[9] IGAS, Les dépassements d’honoraires médicaux, avr. 2007, p. 3.

[10] Voy. not. R. Marié, Le dédale du contentieux des dépassements tarifaires des médecins libéraux, Rdss 2016.107.

[11] R. Marié, op. cit. Voy. encore Th. Tauran, L’assurance maladie et les anomalies de tarification, Rdss 2013.1086.

[12] Voy. égal. en ce sens, R. Marié, Dépassements d’honoraires et augmentation de l’offre à tarifs opposables : entre renoncements et timides avancées, Rdss 2013.101.

[13] Convention médicale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie, 25 août 2016, art. 85.

[14] J. Bourdoiseau et V. Roulet, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 : aspects concernant les entreprises, Gaz. pal. 7 mars 2017.

[15] Voy. not. J. Bourdoiseau, La Grande sécu : une utopie constructive ?, Jcp G. 2022.50.

[16] https://www.ameli.fr/accueil-de-la-ccam/index.php

Maintien des garanties et des prestations à l’issue du contrat de travail ou du contrat d’assurance collective

Par Vincent Roulet, Maître de conférences Hdr à l’Université de Tours, Avocat au barreau de Paris, Edgar Avocats

Le salarié bénéficie, alors qu’il est en poste, de garanties collectives : garanties frais de santé (appelées parfois improprement « mutuelles d’entreprises ») et prévoyance (incapacité, invalidité, décès).

Cette couverture peut prendre fin, soit parce que le contrat d’assurance collectif afférent à ces garanties est rompu, soit parce que le salarié quitte (ou perd) son emploi.

De façon à éviter que des salariés couverts se trouvent ainsi privés brutalement de couverture, le législateur aménage un certain nombre de maintiens de prestations (1) et de garanties (2) obligatoires et organise leur revalorisation (3).

Synthèse

SituationMaintien de prestationsMaintien de garantie
Rupture du contrat de travail1. C.civ., art. 1103 (adde : Civ.2, 17 avril 2008, n° 07-12.064).  Transposition, sur ce fondement, des décisions rendues en application de l’article 7 de la loi n° 89-1009 du 31 déc. 1989.
Maintien des prestations incapacités invalidités en cours de service au jour de la rupture.
1. C. séc. soc., art. L. 911-8 : Portabilité des garanties frais de santé et prévoyance dans la limite d’une année et sous condition de prise en charge par l’assurance chômage.  
2. Loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, art. 4. Accès à une garantie frais de santé identique à celle dont l’ancien salarié profitait dans l’entreprise, à des conditions tarifaires encadrées. Les garanties sont proposées par l’organisme assureur aussi longtemps que l’ancien salarié perçoit un revenu de remplacement.  
Résiliation ou non renouvellement des garanties1. Loi n° 89-1009 du 31 déc. 1989, art. 7
Maintien des prestations incapacités invalidités en cours de service au jour de la rupture.    
2. Loi n° 89-1009 du 31 déc. 1989, art. 7-1 Maintien de la garantie décès aussi longtemps que des prestations sont maintenues au profit des salariés.

1.- Maintien des prestations

Le maintien des prestations est l’obligation dans laquelle se trouve l’organisme assureur – et, par extension, s’il était conduit à garantir le salarié à raison d’une absence de couverture, l’employeur – de continuer de payer les prestations en cours de service au jour de la résiliation de l’opération d’assurance ou de la rupture du contrat de travail. Par essence, le champ d’application du maintien des prestations est limité. Il ne comprend pas les prestations qui sont dues ou versées ponctuellement, mais seulement celles qui s’étendent dans le temps : de maintien de prestations, il n’y en a guère en matière de frais de santé – la dépense de santé est instantanée – mais seulement en prévoyance : incapacité et invalidité (v. infra pour ce qui intéresse le décès).

Quoique le maintien des prestations est aujourd’hui une obligation de l’organisme assureur qui aille d’elle-même en dépit des débats ponctuels auxquels elle peut donner lieu quant à son périmètre exact, il n’en fut pas toujours ainsi. Jusqu’à la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, les systèmes de prévoyance étaient gérés en pure répartition : les cotisations prélevées à l’année N servaient au payement des prestations au cours de l’année N. Au terme du contrat ou de l’adhésion, l’organisme assureur ne percevait plus de cotisations, et ne pouvait continuer le service des prestations. Le droit en tirait la conséquence : la résiliation ou le non renouvellement déliait l’assureur de toute obligation. La solution soulevait deux difficultés. La protection des salariés indemnisés était précaire ; elle reposait uniquement sur la pérennité de la relation contractuelle entre leur employeur et l’organisme assureur. L’employeur était dissuadé de changer d’organisme assureur : il eut fallu qu’il versât à celui-ci des sommes dédiées à la reprise des sinistres en cours. Pour ces raisons, la création de la règle imposant le maintien des prestations par-delà l’extinction du contrat ou de l’adhésion exigea que fut organisé le financement de ce maintien : au cours de la période de couverture, l’organisme assureur collecte, en plus des sommes nécessaires au payement des prestations immédiates, les fonds utiles au payement des prestations futures. Au premier alinéa l’article 7 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 fixant les obligations de l’assureur à l’endroit des salariés répondent le second alinéa de l’article 7 et le V de l’article 29 de la même loi organisant le fonctionnement technique de ce type d’assurances. L’histoire (ancienne) de ce dispositif n’a pas perdu son actualité. D’une part, des difficultés similaires se présentèrent (se présenteront) lorsque fut reculé (sera reculé) l’âge de départ en retraite : l’engagement fut reporté de deux ans (la plupart des prestations sont servies jusqu’à la liquidation de la pension de retraite) ; il fallut organiser le financement de l’engagement supplémentaire. D’autre part, ce « pré » financement des prestations permit d’étendre la solution retenue à la seule hypothèse de résiliation de l’opération d’assurance à celle de la résiliation du contrat de travail.

1.1.- Principe

Le principe du maintien des prestations est posé à l’article 7 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989. Le texte est imprécis ; la Cour de cassation en restitue toute la finesse.

L’article 7 prévoit que « lorsque des assurés ou des adhérents sont garantis collectivement contre les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, le risque décès ou les risques d’incapacité ou d’invalidité, la résiliation ou le non-renouvellement du contrat ou de la convention est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution ». La règle peut être résumée : l’organisme assureur servant des prestations lors de la résiliation du contrat ou de l’adhésion doit maintenir ces prestations au-delà de la période de couverture. L’énoncé est pourtant imparfait tant les manques ou les imprécisions sont nombreux : le texte ne dit rien de la rupture du contrat de travail, il ne définit pas les « prestations immédiates ou différées », il est incertain quant aux opérations couvertes. La jurisprudence se chargea de l’affiner.

1.2.- Conditions d’application

Les conditions d’application du texte sont au nombre de trois. Elles tiennent à la nature de l’opération d’assurance concernée, à la résiliation de l’assurance ou de l’adhésion et à l’existence, au jour de cette dernière, d’une prestation en cours de service.

Opérations d’assurances concernées.- Sont visées l’ensemble des opérations d’assurance collective, peu important qu’elles se déploient dans le cadre de l’entreprise. La loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 distingue fréquemment le régime juridique des opérations obligatoires (celles où les salariés sont tenus d’adhérer) et celui des opérations facultatives (celles où les salariés ne sont pas tenus d’adhérer), mais non à propos du maintien de garanties (Civ. 2ème, 21 mars 2015, n° 14-16.742).

En revanche, ne sont pas comprises dans le champ d’application du texte les opérations d’assurance résultant d’un contrat souscrit par une collectivité territoriale. Peu importe : les « principes applicables aux contrats administratifs passés en matière d’assurance » commandent une solution identique à celle fixée à l’article 7 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 (CE, 28 janvier 2013, n° 357272) : différence de fondement, non de solution, laquelle est générale : « les prestations liées à la réalisation d’un sinistre survenu pendant la période de validité d’une police d’assurance de prévoyance ne peuvent être remises en cause par la résiliation ultérieure de celle-ci » (Civ., 2ème, 13 janvier 2012, n° 11-10.047).

Résiliation ou non reconduction du contrat ou de l’adhésion et rupture du contrat de travail.– La lettre de l’article 7 de la loi n° 89-1009 réserve son application aux cas de résiliation ou de non reconduction de l’assurance ou de l’adhésion. Elle exclut donc la seconde hypothèse à laquelle le bénéficiaire peut se heurter : la rupture du contrat de travail. Qu’importe. La règle posée par l’article 7 n’étant qu’une déclinaison particulière d’un principe général, la Cour de cassation, sur le fondement du droit commun mais en reprenant les termes de l’article 7, juge pareillement que « lorsque des salariés sont garantis collectivement contre les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, le risque décès ou les risques d’incapacité ou d’invalidité, la cessation de la relation de travail est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant cette relation » (Civ. 2ème, 5 mars 2015, n° 13-26.892 ; Civ. 2ème, 16 avril 2015, n° 14-16.743 ; Civ. 2ème, 17 avril 2008, n° 07-12.064).

Prestations en cours de service.- Le droit fixé à l’article 7 de la loi n° 89-1009 est réservé aux salariés qui perçoivent effectivement des prestations au jour de la résiliation du contrat ou de l’adhésion (ou, par analogie, au jour de la rupture du contrat de travail). La condition ne va pas sans poser des difficultés pratiques ; l’accident et la maladie sont des phénomènes complexes, a fortiori lorsqu’ils confrontés à l’assurance : il y a la naissance du mal, l’arrêt de travail, le début de prise en charge, le passage d’un état (incapacité) à un autre (invalidité). Il faut, dans ces étapes-là, identifier celle qui fait naître le droit à prestations avant de décider du maintien.

La Cour de cassation refuse d’imposer une solution uniforme ; elle renvoie aux dispositions contractuelles : celles-ci fixent le jour d’acquisition du droit à prestations à charge, le cas échéant, aux juges du fond d’interpréter le contrat à cet égard (Civ. 2ème, 13 janvier 2011, n° 09-16.275). C’est ainsi que :

  • Un contrat garantissant l’invalidité permanente totale, le salarié, quoique malade puis victime d’un accident, ne peut prétendre disposer d’un droit acquis dès lors que sa situation d’invalidité a été reconnue postérieurement à la résiliation (Civ. 2ème, 21 octobre 2004, n° 03-15.695 ; et Civ. 2ème, 27 mars 2014, n° 13-14.202, rendu à propos de la rupture du contrat de travail),
  • Mais, l’invalidité ayant été reconnue conformément aux dispositions du contrat avant la résiliation de celui-ci, le salarié a acquis un droit à prestations, peu important que la demande d’indemnisation a été présentée postérieurement à la résiliation (Civ. 2ème, 16 avril 2015, n° 14-16.743, rendu à propos de la résiliation du contrat de travail).

1.3.- Effets du texte

Lorsque les conditions d’application sont remplies (ou en cas de rupture du contrat de travail), l’organisme assureur est tenu du maintien des « prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution » (loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, art. 7). L’expression manque d’élégance et de clarté ; elle a toutefois le mérite d’embrasser toutes les rédactions contractuelles, et de permettre une synthèse : toutes les prestations au contrat, à l’exception des prestations décès (sur celles-ci, v. infra), doivent être maintenues jusqu’à leur terme contractuel

Sont maintenues, nonobstant le terme effectivement employé par le contrat :

  • Les prestations incapacité ou, plus largement, les prestations afférentes à un arrêt de travail temporaire (ex. prestations « inaptitude »), dès lors que le droit à prestations a été acquis ;
  • Les prestations invalidité ou, plus largement, les prestations afférentes à un arrêt de travail ou à une situation de santé pérenne, dès lors qu’elles sont liées à un arrêt de travail ayant donné lieu à prise en charge par l’assureur, peu important que la reconnaissance de l’invalidité soit postérieure à la résiliation ou à la disparition du contrat de travail (Soc., 16 janvier 2007, n° 05-43.434 ; Civ. 2ème,  17 avril 2008, n° 06-45.137 ; Civ. 2ème, 5 mars 2015, n° 13-26.892) ;
  • Les dispositions afférentes aux modalités de revalorisation des prestations en cours de service (Civ. 2ème, 16 juillet 2020, n° 18-14.351 ; Civ. 2ème, 8 mars 2006, n° 04-16.854).

Dans le cadre du maintien de ces prestations :

  • La dénomination donnée par le contrat à la situation du salarié (ex. : « incapacité », « inaptitude », « invalidité »), ainsi que les segmentations opérées au sein de ces différents états (ex : « 1ère catégorie », « 2ème catégorie »…) sont indifférentes. La décision du 16 janvier 2007 vise le passage d’un état contractuel d’incapacité à un état d’inaptitude ; celle du 17 avril 2008 vise le passage d’un taux donné d’incapacité permanente à autre taux d’incapacité permanente.
  • La nature des prestations est indifférente. Le maintien, applicable à coup sûr aux rentes en cours de service peu important qu’elles aient vocation à se transformer à la suite d’un changement d’état de l’assuré, s’étend aux prestations de nature différente : le passage, postérieur à la résiliation du contrat ou de l’adhésion ou à la rupture du contrat de travail, à un état d’invalidité 2ème catégorie donne droit au versement anticipé du capital décès (Civ. 2ème, 17 avril 2008, n° 06-45.137).

Le principe du maintien des prestation connaît cependant quelques tempéraments.

D’abord, s’agissant d’un maintien de prestations (et non de garanties), le maintien n’est dû qu’autant que l’évènement postérieur à la résiliation du contrat ou de l’adhésion ou à la rupture du contrat de travail est en lien avec l’évènement qui a justifié la prise en charge initiale par l’organisme assureur. Il incombe aux juges du fond de caractériser ce lien (Civ. 2ème, 14 janvier 2010, n° 09-10.237 ; Civ. 2ème, 5 mars 2015, n° 13-26.892). Bénéficient donc du maintien des prestations les salariés victimes de rechutes (Civ. 2ème, 12 avril 2012, n° 11-17.355) ou ceux victimes d’une aggravation de leur état (Civ. 2ème, 21 mars 2015, n° 14-13.223), mais non ceux victimes d’un nouveau dommage.

Ensuite, la dette de l’organisme assureur suppose que le contrat ou l’adhésion prévoie effectivement des prestations : un contrat ne garantissant que l’invalidité, le salarié, quoiqu’en situation d’incapacité avant la résiliation, ne peut prétendre à l’indemnisation de l’invalidité constatée postérieurement (Civ. 2ème, 3 mars 2011, n° 09-14.989).

Enfin, est exclu le maintien des prestations décès, celui-ci étant considéré comme un risque distinct de la maladie ou de l’arrêt de travail (Civ. 1ère, 22 mai 2001, n° 98-17.935). Le législateur a atténué la portée de cette exclusion. Il prévoit, à propos du décès, un maintien de « garantie » (la différence de terme – « prestation » / « garantie » –  n’étant pas neutre puisqu’elle offre une protection à l’assuré y compris lorsqu’aucun lien n’existe entre le sinistre originellement pris en charge et le décès – v. infra).

1.4.- Portée du texte

Portée juridique : caractère d’ordre public.- Les dispositions de l’article 7 de la loi n° 89-1009 sont d’ordre public (loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, art. 10), comme l’est la règle dégagée par la Cour de cassation au profit des salariés en cours d’indemnisation dont le contrat de travail est rompu (Civ. 2ème, 5 mars 2015, n° 13-26.892). Aucune disposition contractuelle ne saurait y faire obstacle.

Portée financière : provisionnement des engagements et indemnité de résiliation.- La réalisation économique de l’obligation de maintien des prestations suppose que l’organisme assureur dispose effectivement des fonds utiles alors même que le contrat ou l’adhésion ont pris fin et que, partant, au jour de l’exécution, il ne perçoit plus de ressources. C’est la raison pour laquelle, d’une part, le second alinéa de l’article 7 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 prévoit que « l’engagement doit être couvert à tout moment, pour tous les contrats ou conventions souscrits, par des provisions représentées par des actifs équivalents », et, d’autre part, l’article 29 de la loi prévoyait un délai pour que les organismes assureurs constituent ces provisions. Ces solutions, décidées en 1989, ne sont pas neutres aujourd’hui encore.

D’une part, elles expliquent la solution retenue par la Cour de cassation en cas de conflit positif de couverture, dans la situation de successions d’organismes assureurs : alors que l’assureur entrant est tenu de prendre en charge les salariés en cours d’indemnisation au titre de l’article 2 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 (v. supra), l’assureur sortant est tenu d’une obligation similaire au titre de l’article 7. Le juge dut décider lequel des assureurs successifs supporterait en définitive la charge de l’indemnisation (v. § suivant).

D’autre part, elles eurent des échos récents. La loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 reporta de deux années l’âge légal de départ en retraite et, mécaniquement, l’âge de départ à taux plein. Or, contractuellement, les garanties invalidités des organismes assureurs sont servies jusqu’à la liquidation de la pension de retraite de base. Le report de l’âge de départ en retraite eut donc pour effet indirect d’accroître les engagements des organismes. Le législateur saisit la difficulté et ajouta à la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 un article 31 imposant à l’organisme assureur l’obligation de constituer les provisions supplémentaires nécessaires dans une période de six années « à compter des comptes établis au titre de l’année 2010 ».

Au cours de cette période, en cas de résiliation du contrat d’assurance ou de l’adhésion, l’organisme assureur put réclamer à l’entreprise couverte « une indemnité de résiliation, égale à la différence entre le montant des provisions techniques permettant de couvrir intégralement les engagements en application de l’article 7 et le montant des provisions techniques effectivement constituées (…) au titre des incapacités et invalidités en cours ». L’entreprise ne pouvait échapper au payement de cette indemnité qu’à la condition qu’un nouveau contrat ou une nouvelle adhésion soit souscrit et prévoie une reprise intégrale des engagements par le nouvel organisme assureur.

Le principe comme les modalités de cette indemnité de résiliation furent contestés. Sur le principe, il fut prétendu que la disposition légale mettait à la charge de l’entreprise couverte « une indemnité non prévue par le contrat qu’[elle] n’était pas en mesure d’anticiper [ce dont il résultait] une méconnaissance de la garantie des droits et une atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues ». Le Conseil Constitutionnel écarta l’argument ; il retînt certes l’atteinte à ces principes mais constata que celle-ci était justifiée par des motifs d’intérêt général (Cons. Const., décision n° 2018-728 QPC du 13 juillet 2018). Quant aux modalités, et à l’identification exacte de la période couverte par l’indemnité de résiliation (l’expression « à compter des comptes établis au titre de l’année 2010 » laissant penser que la date à prendre en considération étant la date de clôture des comptes 2010), la Cour de cassation jugea, à la suite du Conseil Constitutionnel, que le législateur fixait le point de départ de la période de six années au 1er janvier 2010 : partant, l’entreprise ayant résilié son adhésion à effet du 1er janvier 2011 est tenue de l’indemnité de résiliation (Civ. 2ème, 7 février 2019, n° 17-27.099).

Portée économique : succession d’organismes assureurs.- L’organisme assureur étant tenu de constituer les provisions afférentes à son engagement de servir les prestations au-delà de la résiliation ou de la rupture du contrat de travail, il dispose, au jour de la résiliation, des sommes utiles. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation, en cas de successions d’organismes assureurs, décide que c’est à l’assureur sortant, et non à l’assureur entrant, de supporter le coût financier du maintien de prestations (Soc., 16 janvier 2007, n° 05-43.434). Il ne faut toutefois pas se méprendre sur la portée de cette solution à l’égard de l’assureur entrant : tenu de couvrir tous les salariés, y compris ceux en arrêt de travail au jour du début de la couverture, il doit servir à ces derniers les prestations éventuellement promises au-delà de la couverture précédemment offerte par l’assureur sortant. Plus simplement : si le second contrat est meilleur que le premier, le second assureur doit verser la différence aux salariés en cours d’indemnisation au jour du changement d’assureur.

En pratique, il n’est pas rare que l’assureur sortant transfère à l’assureur entrant les provisions constituées au titre des salariés en cours d’indemnisation. L’assureur entrant se charge alors du maintien des prestations.

2.- Maintien des garanties

Aux côtés du maintien des prestations bénéficiant aux seuls salariés recevant des prestations au jour de la résiliation du contrat ou de l’adhésion ou au jour de la rupture du contrat de travail, la loi prévoit des maintiens de garanties : d’abord, le maintien de la garantie décès au profit de ces mêmes salariés, ensuite, le dispositif général dit de « portabilité » bénéficiant aux salariés dont le contrat de travail est rompu (C. séc. soc., art. L. 911-8), enfin un dispositif spécial de maintien des garanties frais de santé au profit des salariés bénéficiaires d’un revenu de remplacement (chômage, retraite) et des ayants droit d’un salarié décédé (Loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, art. 4).

2.1.- Maintien de la garantie décès

Après que la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a jugé que le maintien des prestations organisé à l’article 7 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 n’embrassait pas le service des prestations servies au titre du décès (Civ. 1ère, 22 mai 2001, n° 98-17.935 ; Civ. 1ère, 8 juillet 2003, n° 00-17.584), le législateur intervint (loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001, article 34) et, à cette loi, ajouta un article 7-1, aux termes duquel, lorsque le décès est couvert, le contrat ou l’adhésion « doit inclure une clause de maintien de la garantie décès » en cas de résiliation ou de non renouvellement.

Les conditions d’application du texte sont similaires à celles exposées plus haut, à propos du maintien des prestations incapacité et invalidité, à ceci près que la Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion d’étendre la solution législative posée à propos de la résiliation ou du non renouvellement du contrat ou de l’adhésion à l’hypothèse de la rupture du contrat de travail.

Quant aux effets du texte, ils sont également similaires : en cas de décès postérieur à la disparition du contrat ou de l’adhésion, le salarié assuré bénéficie des prestations décès prévues contractuellement s’il percevait les prestations au jour de cette disparition. Une différence doit toutefois être notée qui découle de la qualification de maintien de garanties prévu par la loi : « l’article 7-1 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, qui prévoit le maintien de la garantie décès en cas d’incapacité de travail ou d’invalidité, n’exige [pas] que le décès soit consécutif à la maladie ou à l’invalidité dont le salarié était atteint » (Civ. 2ème, 11 décembre 2014, n° 13-25.777).

Par ailleurs, la nécessité de réaliser concrètement ce maintien de garantie exigea que soient mises à la charge des organismes assureurs les mêmes obligations de provisionnement que celles prévues au titre de l’article 7 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989. Sans surprise, l’article 7-1, à l’instar de l’article 7, prévoit donc l’obligation de provisionner : l’article 30, pris en 2001, créa une période transitoire de dix années pour couvrir par des actifs ces provisions et, à la suite de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, l’article 31 institua un système identique à celui posé à propos du maintien des prestations (lequel système appelle les mêmes commentaires).

2.2.- Dispositifs de portabilité

Dans le prolongement de la volonté des pouvoirs publics de faire bénéficier tous les résidents français de couvertures complémentaires, par deux accords nationaux interprofessionnels, respectivement des 11 janvier 2008 et 11 janvier 2013, les partenaires sociaux créèrent un système de « portabilité » des garanties collectives par-delà la rupture du contrat de travail. Inspirés par la doctrine de la « flexi-securité » – déclinée dans le même temps à propos des droits à formation – les partenaires sociaux travaillèrent à déconnecter le bénéfice de la couverture complémentaire de l’emploi du travailleur. L’idée fut la suivante : permettre au salarié perdant son emploi de conserver pendant un temps raisonnable (comprendre un temps rendant possible l’entrée dans un nouvel emploi) les garanties collectives dont il bénéficiait en tant que salarié.

L’organisation définie en 2008 par les partenaires sociaux présentait toutefois quelques limites, tenant d’abord à son champ d’application – un accord collectif interprofessionnel ne couvre pas tous les secteurs d’activité – et, ensuite, à son organisation – le salarié perdant son emploi était tenu du payement des primes ou des cotisations en contrepartie du maintien de garantie. Elle fut donc remaniée en 2013, avant que le législateur se l’approprie par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi et l’intègre à l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale à effet du 1er juin 2014 pour les garanties frais de santé et du 1er juin 2015 pour les garanties liées au risque décès ou aux risques d’incapacité de travail ou d’invalidité. La ligne est claire : maintenir dans l’assurance à titre gratuit le salarié perdant involontairement son emploi pendant une durée d’une année au plus. L’énoncé du texte est toutefois plus alambiqué et appelle une série de commentaires, tant en ce qui concerne ses conditions que ses effets et ses modalités.

2.2.1.- Conditions d’application

L’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale fixe des conditions tenant à la couverture dont bénéficie le salarié, aux modalités de rupture du contrat de travail et à la situation dans laquelle le salarié se trouve à la suite de la rupture du contrat.

Conditions tenant à la couverture dont bénéficie le salarié.- La portabilité bénéficie « aux salariés garantis collectivement (…) contre le risque décès, les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d’incapacité de travail ou d’invalidité » (C. séc. soc., art. L. 911-8). Il faut comprendre :

  • que sont visées par la portabilité les couvertures frais de santé et prévoyance (incapacité, invalidité et décès) ;
  • que sont visées par la portabilité les couvertures obligatoires comme les couvertures facultatives (celles auxquelles le salarié n’est pas tenu d’adhérer).

Encore faut-il que le salarié ait effectivement bénéficié d’une telle couverture au cours de sa période d’emploi. Le législateur est maladroit – il ne souligne cette exigence qu’à propos des garanties frais de santé : « le bénéfice du maintien des garanties est subordonné à la condition que les droits à remboursements complémentaires aient été ouverts chez le dernier employeur » – mais son intention est claire : quoiqu’existât une couverture dans l’entreprise, il faut que le salarié y ait été effectivement affilié pour qu’il puisse valablement se prévaloir du droit à portabilité. Ainsi, en dépit du fait qu’une couverture ait existé dans l’entreprise, ne sont pas éligibles :

  • Les salariés qui, au cours de leur emploi, n’ont pu être affiliés faute de satisfaire une condition d’éligibilité (appartenance à la catégorie salariés couverts, atteinte d’une certaine d’ancienneté) ;
  • Les salariés qui, lorsque le choix leur était donné, ont refusé l’adhésion, soit parce que les garanties étaient facultatives, soit parce que, en présence de garanties obligatoires, ils décidèrent de se prévaloir de l’une ou l’autre des dispenses d’affiliation d’ordre public (C. séc. soc., art. D. 911-1 et s.) ou prévues dans l’acte de mise en place (C. séc. soc., art. R. 242-1-6).

Conditions tenant à la rupture du contrat de travail.- Le texte n’évoque dans un premier temps, comme condition du maintien de la garantie, que la « cessation du contrat de travail », sans s’attarder sur le mode juridique de rupture : sont donc visés a priori le licenciement, la rupture conventionnelle, la démission (sous les réserves exposées ci-après), la prise d’acte, la résiliation judiciaire et, pourquoi pas ?, la rupture pour cas de force majeure. Seule réserve fixée par le législateur à la suite des partenaires sociaux, la rupture qui interviendrait à raison de la « faute lourde » du salarié. L’exception est d’interprétation stricte : elle ne s’étend pas aux licenciements pour faute grave.

Encore faut-il, précise peu après l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale, que la rupture du contrat de travail ouvre droit à l’assurance chômage. De la portée de cette exigence, il convient de préciser plusieurs points :

  • Elle exclut que la démission non légitime, au sens de l’assurance chômage, ouvre droit à la portabilité ;
  • Il faut et il suffit que la démission ouvre droit à la prise en charge par l’assurance chômage et non que l’ancien salarié profite effectivement, dès la sortie de l’emploi, de ladite assurance chômage. Ont donc vocation à profiter immédiatement de la portabilité les salariés subissant un délai de carence de prise en charge par Pôle emploi ou ceux en arrêt de travail au jour de la rupture.

2.2.2.- Effets

Des la portabilité, il faut indiquer le débiteur, les bénéficiaires, l’objet et la durée, avant d’évoquer le financement.

Débiteur.- Seul l’organisme assureur est débiteur de la portabilité. L’employeur n’est tenu, à l’endroit des bénéficiaires, que d’obligations accessoires au premier rang desquelles figure l’obligation d’information (v. infra n°…).

Bénéficiaires.- La portabilité profite à l’ancien salarié et, le dernier alinéa de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale le précise expressément, aux ayants droit du salarié dès lors que, avant la rupture du contrat de travail, ils en bénéficiaient effectivement. Il est donc exclu qu’un salarié couvert en « isolé » affilie sa famille au titre de la portabilité une fois rompu le contrat de travail.

Objet.- Au profit de l’ancien salarié bénéficiaire, sont maintenues les garanties « en vigueur dans l’entreprise ». L’expression – qui prend l’exact contre-pied de la solution rendue par la Cour de cassation à propos de l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 applicable au maintien de la couverture frais de santé – signifie que les modifications apportées par l’employeur après le départ du salarié bénéficiaire sont opposables à ce dernier : la modification des garanties dans l’entreprise voire leurs suppressions, y compris la résiliation du contrat ou de l’adhésion, produisent leurs effets sur les salariés présents dans l’entreprise et sur les salariés portés.

De cette disposition, d’aucuns crurent devoir tirer des conséquences spéciales dans l’hypothèse particulière où l’employeur se trouve acculé à la liquidation judiciaire. Il y avait là une opportunité économique : la portabilité étant octroyée à titre gratuit aux anciens salariés, la disparition de l’employeur interdit à l’organisme assureur, en contrepartie de sa garantie puis de ses prestations, de prélever des cotisations. Demeurait  à traduire juridiquement l’argument économique : la liquidation de l’employeur emporte la disparition juridique de celui-ci et, partant, celle du contrat d’assurance ou de l’adhésion souscrit auparavant : dès lors, en l’absence de garanties « en vigueur dans l’entreprise » (puisqu’il n’y a plus ni « entreprise » ni « garantie en  vigueur »), le droit à portabilité s’éteint. Le raisonnement était particulièrement spécieux. Il occultait le principe selon lequel la personnalité juridique survit pour les besoins des opérations de liquidation ; surtout, il méprisait l’impératif social : assurer la continuité de la couverture complémentaire dont bénéficiaient les salariés. La Cour de cassation fut néanmoins saisie, d’abord pour avis, ensuite à l’occasion d’affaires particulières et, sur le fondement du principe ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus, affirma le principe du droit des salariés dont l’entreprise est placée en liquidation judiciaire à bénéficier de la portabilité : les dispositions de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale «  qui revêtent un caractère d’ordre public en application de l’article L. 911-14 du code de la sécurité sociale, n’opèrent aucune distinction entre les salariés des entreprises ou associations in bonis et les salariés dont l’employeur a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire et ne prévoient aucune condition relative à l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance » (Civ. 2ème, 5 novembre 2020, n° 19-17.164 ; Civ. 2ème, 5 novembre 2020, n° 19-17.062 et, auparavant, Cass. Avis, 6 novembre 2017, n° 17013 – à noter toutefois que la Cour de cassation avait entretemps rejeté la compétence du juge des référés sur le fondement de l’article 809 du Code de procédure civile pour ordonner à l’organisme assureur le maintien effectif de la portabilité en cas de liquidation judiciaire de l’employeur aux motifs que le droit au maintien dans de telles circonstances « n’apparaissait pas avec l’évidence requise » et que le « trouble manifestement illicite n’était pas caractérisé » (Civ. 2ème, 18 janvier 2018, n° 17-10.636)).

La liquidation judiciaire ne saurait, à elle seule, éteindre le droit à portabilité des anciens salariés, mais elle ne saurait y faire obstacle. Si la résiliation ou le non renouvellement du contrat intervient au cours de la procédure, alors celle-ci produit ses effets, y compris à l’égard des personnes portées : « l’article L. 911-8, 3, du code de la sécurité sociale précisant que les garanties maintenues au bénéfice des anciens salariés sont celles en vigueur dans l’entreprise, le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié », Cass. Avis, 6 novembre 2017, n° 17013). Encore faut-il que le droit des procédures collectives laisse à l’organisme assureur l’opportunité de procéder à la résiliation ; et encore faut-il que l’organisme assureur saisisse cette opportunité.

Modalités contractuelles.- Les anciens salariés bénéficiaires de la portabilité demeurent dans le groupe assuré, à l’instar des salariés actifs. La portabilité ne donne pas lieu à la souscription d’un nouveau contrat, collectif ou individuel, qui aurait une vie propre au regard du contrat couvrant les actifs (il n’en va pas de même pour la portabilité servie au titre de l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, v. infra).

Durée.- La durée de la portabilité, décomptée à la date de cessation du contrat de travail – expression dont il faut comprendre qu’elle vise non la date de notification de la rupture mais la fin de la période de préavis rémunéré puisque des cotisations sont précomptées sur les rémunérations afférentes – est égale à la plus petite des périodes suivantes :

  • La durée effective d’indemnisation par l’assurance chômage, étant entendu que la perte du droit à indemnisation, notamment en cas de reprise d’emploi, met fin au droit à la portabilité. Il en va ainsi même si le nouvel employeur n’offre pas les garanties faisant l’objet de la portabilité (ex. absence de garanties incapacité, invalidité ou décès chez le nouvel employeur).
  • La durée du dernier contrat de travail ou des derniers contrats de travail lorsque ceux-ci sont consécutifs chez le même employeur. En ce cas, la durée du ou desdits contrats est appréciée en mois et, le cas échéant, est arrondie au nombre supérieur : un salarié ayant été employé durant un mois et demi chez un même employeur peut prétendre (pour autant qu’il demeure couvert par l’assurance chômage) à deux mois de portabilité ;
  • Douze mois.

Au terme de la période de portabilité, l’ancien salarié n’est pas nécessairement privé de toute aide au maintien dans l’assurance : le cas échéant lui est ouvert le dispositif prévu à l’article 4 de la loi  n° 89-1009 du 31 décembre 1989 (v. infra n°…).

Montant des prestations.- En dépit de la présentation communément faite, les garanties dont bénéficie l’ancien salarié ne sont pas strictement identiques à celles dont il bénéficiait en tant que salarié. Certes, aucune altération n’est décidée en matière de frais de santé et de décès ; toutefois, en ce qui concerne les garanties arrêts de travail, le législateur, déclinant le principe indemnitaire, prévoit que « le maintien des garanties ne peut conduire l’ancien salarié à percevoir des indemnités d’un montant supérieur à celui des allocations chômages qu’il aurait perçues » (C. séc. soc., art. L. 911-8, 4°). Peu importe, à cet égard, que les règles de calcul des prestations prévues au contrat conduisent à un montant supérieur : un salarié auquel était garanti 100% de son salaire net ne bénéficiera que d’une prestation égale à son indemnisation chômage.

Financement.- La portabilité est assurée à titre gratuit aux anciens salariés, ainsi qu’à leurs ayants droit. À charge pour l’organisme assureur d’en répercuter le coût sur l’ensemble de la collectivité d’actifs.

2.2.3.- Mise en œuvre

À l’employeur de mettre l’ancien salarié en mesure d’exercer son droit ; à l’ancien salarié de justifier de son droit.

Obligations de l’employeur.- L’employeur est d’abord tenu d’une obligation d’information du salarié quant au dispositif de portabilité. L’article L. 911-8, 6°, prévoit que le certificat de travail « signale » le maintien de garantie. En pratique :

  • Il n’est pas rare que la lettre de licenciement elle-même – par hypothèse délivrée en amont de la date d’effet de la portabilité, contrairement au certificat de travail – contienne cette information ;
  • Il sera recommandé de faire davantage que de « signaler » la portabilité et d’en indiquer les aspects essentiels : objet, durée et gratuité du maintien.

Ensuite, « l’employeur informe l’organisme assureur de la cessation du contrat de travail » (C. séc. soc., art. L. 911-8, 6°)

Obligations du salarié.- Le salarié est tenu de justifier auprès de l’organisme assureur son éligibilité au dispositif (C. séc. soc., art. L. 911-8, 5°). Il prouve son droit au bénéfice de l’assurance chômage et, le cas échéant, fait part de sa radiation.

2.3.- Maintien des garanties frais de santé

L’idée d’un maintien des garanties n’est pas une pure création des partenaires sociaux en 2008 reprise à son compte par le législateur en 2013. Elle se manifestait déjà à l’article 4 de loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989. Le dispositif, toujours en vigueur quoiqu’aménagé depuis lors, présentait toutefois quelques carences au premier rang desquelles figurait – et figure encore – le fait que l’ancien salarié devait supporter une hausse sensible, quoique contrôlée, du coût des garanties, ce qui était de nature à dissuader les populations les plus précaires désormais privées d’emploi de demeurer dans l’assurance. En revanche, ce dispositif était – est encore – plus large, par certains aspects, que celui fixé à l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale : il embrasse non seulement les salariés inscrits au chômage, mais encore les retraités et les ayants droit d’un assuré décédé.

2.3.1.- Organisation du maintien des garanties

L’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre a pour finalité le maintien dans l’assurance des anciens salariés et des ayants droit des salariés décédés par-delà la rupture du contrat de travail et, le cas échéant, l’épuisement de la portabilité prévue à l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale.

Dans sa rédaction toutefois, le texte ne crée pas expressément un tel droit ; il se présente comme une obligation pesant sur les auteurs du contrat ou de l’adhésion d’organiser, au sein de celui-ci ou de celle-ci, un mécanisme de portabilité qui satisfait un certain nombre de conditions. Le texte prévoit ainsi que « le contrat ou la convention [applicable aux actifs] doit prévoir (…) les modalités et les conditions tarifaires » de la couverture ». En pratique, il arrive que « le contrat ou la convention » applicable aux actifs n’organise pas le maintien de garantie. Les parties au contrat ou à la convention, chacune pour sa part et, tenant compte de l’information qu’elles auraient par ailleurs communiquée à la personne assurée, engageraient leur responsabilité s’il était établi que le dispositif n’a pas été porté à la connaissance de cette dernière.

Toutefois, nul ne conteste qu’il faut aussi comprendre l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 3& décembre 1989 comme faisant obligation à l’organisme assureur de fournir effectivement la couverture, l’ancien salarié pouvant exiger l’exécution en nature – c’est-à-dire son adhésion – et non seulement des dommages et intérêts. Aussi, plutôt que de lire le texte comme une contrainte pesant sur les auteurs du contrat ou de l’adhésion applicable aux actifs, il est tout à fait permis de le lire directement comme l’obligation incombant à l’organisme assureur d’offrir une couverture à l’ancien salarié ou à l’ayant droit du salarié décédé, et, réciproquement, comme une créance propre des uns et des autres contre l’organisme assureur.

2.3.2.- Conditions d’application

Débiteur.- L’organisme assureur ayant couvert l’intéressé alors que celui-ci était salarié est le seul débiteur du maintien de garantie – l’employeur n’est tenu à rien (outre les obligations accessoires d’information).

Bénéficiaires.- L’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 fixe les conditions tenant à la définition des bénéficiaires : une condition générale afférente à la nature des opérations concernées et des conditions particulières tenant à la personne éligible.

Nature de l’opération :Le maintien de garantie au profit des anciens salariés ou des ayants droit des salariés décédés est réservé à ceux couverts dans les conditions fixées à l’article 2 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, c’est-à-dire à titre obligatoire : les opérations collectives mises en œuvre à titre facultatif, quoique donnant lieu à la portabilité fixée à l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale, n’ouvrent pas droit au maintien au titre de l’article 4.

Anciens salariés bénéficiant d’un revenu de remplacement : Parmi les anciens salariés, seuls sont éligibles ceux qui bénéficient d’un revenu de remplacement :

  • rente d’incapacité ou d’invalidité,
  • pension de retraite,
  • allocation chômage.

En pratique, et a fortiori depuis l’entrée en vigueur de la portabilité prévue à l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale, sont principalement bénéficiaires du dispositif prévu à l’article 4 de la loi n° 89-1009 les anciens salariés retraités.

L’obligation de couvrir l’ancien salarié ne s’étend pas à l’obligation de couvrir les ayants droit de celui-ci : « Le maintien de la couverture ne peut profiter aux ayants droit puisque l’article 4 de la loi 31 décembre 1989 ne vise que les anciens salariés, et que le maintien au profit des ayants droit n’est prévu qu’en cas de décès (CA Lyon, 13 janvier 2009, n° 08/2875 ».

Ayants droit de l’assuré décédé :Bénéficient également du droit au maintien, quoique dans des conditions différentes, les « personnes garanties du chef de l’assuré décédé », comprendre les ayants droit du salarié lorsque celui-ci est mort au cours de la période de couverture.

Absence de sélection médicale.– L’utilité sociale du dispositif serait anéantie si, à l’occasion de la rupture du contrat de travail (voire du décès de l’assuré), l’organisme assureur pouvait opérer une sélection médicale quelconque. Du reste, un garde-fou protégeant l’assureur existe déjà : le maintien de garantie n’est dû que pour les personnes assurées dans le cadre d’un contrat obligatoire (v. supra), ce qui limite le risque d’antisélection, sans le faire disparaître tout à fait : les anciens salariés et les ayants droit des salariés décédés sont libres de profiter ou non du maintien de garantie ; dès lors il n’est pas exclu que seules les personnes les plus exposées seulement se prévaudront de ce dernier.

Toujours est-il que l’interdiction de sélection médicale est expressément prévue par le texte :

  • d’une part, tous les anciens salariés qui étaient couverts et qui bénéficient d’un revenu de remplacement sont créanciers du droit au maintien de garantie ;
  • d’autre part, la mise en œuvre de ce maintien doit se faire, selon la lettre du texte, « sans condition de période probatoire ni d’examen ou de questionnaire médicaux ».

2.3.3.- Effets

Objet.- L’article 4 de la loi 89-1009 du 31 décembre 1989, se référant à la couverture dont bénéficiait le salarié lorsqu’il était encore dans l’emploi, prévoit que l’organisme est tenu de maintenir « cette » couverture.

L’adjectif démonstratif est important ; par le passé, il donna lieu à un feuilleton judiciaire opposant, d’une part, un ancien salarié retraité qui prétendait que la couverture devant être maintenue était précisément celle dont il avait joui avant son départ de l’entreprise et, d’autre part, un organisme assureur interprétant le texte comme l’obligeant à maintenir une couverture similaire, proche, semblable, sans être parfaitement identique. En toile de fond, et telle était d’ailleurs la thèse soutenue par l’organisme assureur, se posait la question de savoir si la modification du contrat ou de l’adhésion profitant aux actifs est opposable à l’ancien salarié bénéficiaire du maintien de garantie. La Cour de cassation rendit une décision de principe : le droit dont dispose l’ancien salarié ou l’ayant droit du salarié décédé a pour objet le maintien de l’exacte garantie dont il jouissait au jour de son départ de l’entreprise ou, depuis, au jour de la fin du droit à portabilité (Civ. 2ème, 7 février 2008, n° 06-15.006). En cela, le maintien de garantie prévu à l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 se distingue de la portabilité prévue à l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale : durant la période de la portabilité, les modifications apportées au contrat ou à l’adhésion des actifs – voire la disparition de ce contrat ou de cette adhésion – sont opposable aux anciens salariés portés. Du coup, et quoique la décision soit fidèle au texte (et au démonstratif « cette »), ses implications pratiques ne sont pas négligeables. L’organisme assureur qui souhaite se plier à cette exigence – il n’est pas dit que de tels organismes assureurs soient si fréquents sur le marché – doit, pour une même population d’anciens salariés, offrir des garanties différenciées, au rythme des modifications apportées par le passé aux garanties collectives offertes aux actifs, tandis que les bénéficiaires quittaient le souscripteur.

Dans cette même affaire ayant donné lieu à la décision du 7 février 2008, la cour d’appel de renvoi affina la solution. Certes, les garanties devant être maintenues sont identiques à celles dont bénéficiait l’intéressé au jour de son départ mais le droit au maintien ne s’étend pas à la couverture des ayants droit de l’ancien salarié bénéficiaire d’un revenu de remplacement (v. supra).

Modalités contractuelles.- Alors que la portabilité réalisée dans le cadre de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale organise un maintien des anciens salariés au sein du contrat ou de l’adhésion dont profitent les salariés, l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 prévoit la création de « nouveaux contrats ou conventions ». Il faut comprendre que, le moment venu, l’organisme assureur propose au bénéficiaire du maintien :

  • un contrat individuel ;
  • ou une adhésion à une opération collective dont le souscripteur peut être l’employeur voire, si les liens avec ledit employeur ont disparu (par exemple à la suite de la résiliation du contrat obligatoire au titre duquel est offert le maintien de garantie), une association d’assurés.

L’obligation de l’employeur étant de « proposer » un nouveau contrat ou une nouvelle adhésion, le maintien effectif de garanties exige, pour exister, le consentement de l’ancien salarié ou de l’ayant droit. À défaut de cet accord, aucun contrat, aucune adhésion ne saurait exister.

L’acte juridique servant de support au maintien de garanties est parfaitement distinct de l’acte sur lequel reposait la couverture offerte aux actifs. Chacun des actes vivra ensuite sa vie de son côté. Il peut arriver néanmoins que l’employeur et l’organisme assureur organisent une « solidarité » entre le contrat ou l’adhésion des actifs et le contrat ou l’adhésion collectif accueillant les inactifs : d’une manière ou d’une autre, une fraction de la cotisation payée par les premiers sert au financement des garanties proposées aux seconds. Rien ne paraît interdire une telle pratique, mais la rupture de cette solidarité – par exemple à la suite de la résiliation du contrat ou de l’adhésion des salariés – ne saurait priver les anciens salariés ou les ayants droit du salarié décédé du droit propre qu’ils tirent de l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 contre l’organisme assureur.

Durée.- Le droit au maintien de garantie est ouvert à compter de la rupture du contrat de travail – y compris la rupture résultant du décès en ce qui concerne les ayants droit de l’assuré décédé – ou, le cas échéant, à compter « de la fin de la période du maintien des garanties temporaires », comprendre la fin de la période de portabilité due au titre de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale.

À ce propos – et une nouvelle fois – le texte est maladroit :

  • d’une part, il ne vise pas directement l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale, mais emploie l’expression « fin de la période du maintien des garanties » : il n’en faut pas moins entendre qu’il est renvoyé ici à cet article L. 911-8 et au dispositif que celui-ci organise ;
  • d’autre part, une lecture littérale du texte laisse entendre qu’un temps de latence puisse exister entre l’évènement ouvrant le droit au maintien au titre de l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 et l’entrée effective du bénéficiaire dans cette nouvelle assurance. Prévoyant que l’organisme assureur adresse les documents utiles « dans un délai de deux mois à compter » de la rupture du contrat, de la fin de la période de portabilité ou du décès, la lettre du texte laisse en suspens la question de la couverture entre cet évènement et le jour où l’organisme assureur reçoit effectivement l’acceptation du bénéficiaire. Selon toute vraisemblance le juge, s’il était saisi de cette anecdotique difficulté, retiendrait la rétroactivité de l’acceptation et, partant, la continuité de la couverture.

Le temps pendant lequel l’organisme assureur doit conserver au sein du nouveau contrat ou de la nouvelle convention le bénéficiaire est fixé différemment selon qu’il est question des anciens salariés bénéficiaires d’un revenu de remplacement ou des ayants droit d’un salarié décédé.

Dans le premier cas, le texte ne prévoit expressément aucune durée. Il se déduit de la condition fixée pour jouir du maintien de garantie – bénéficier d’une rente incapacité ou invalidité, d’une pension de retraite ou des allocations chômage – que l’ancien salarié peut profiter du dispositif jusqu’à ce qu’il soit privé de tout revenu de remplacement. La chose n’arrivant qu’à l’occasion du décès lorsque le salarié est titulaire d’une pension d’invalidité ou d’une pension de retraite, le maintien de garantie prévu à l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, est bien viager.

Dans le second cas, à propos des ayants droit de l’assuré décédé, l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, prévoit que le maintien est offert « pendant une durée minimale de douze mois ».

Financement.- Au contraire de la portabilité fixée à l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale, la portabilité assise sur l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 n’est pas offerte gratuitement. Le bénéficiaire doit s’acquitter de son coût. Cette différence est substantielle et il ne faut pas en mépriser l’importance pratique pour l’assuré : non seulement, à la suite de son départ de l’emploi, celui-ci a subi un perte de rémunération, mais encore il a perdu l’aide que fournissait l’employeur. Dès 1989, le législateur tint compte de ces circonstances. Il renvoya au pouvoir règlementaire le soin d’encadrer les conditions tarifaires proposées par l’organisme assureur aux bénéficiaires.

En dernier lieu, ces conditions firent l’objet de l’article 1er du décret n° 2017-372 du 21 mars 2017 modifiant l’article 1er du décret n° 90-769 du 30 août 1990 et applicable aux contrats et adhésions intervenues à compter du 1er juillet 2017 (Décret n° 2017-372, art. 2). Le texte prévoit désormais que :

  • La première année d’adhésion au nouveau contrat ou à la nouvelle adhésion, les tarifs appliqués ne peuvent être supérieurs aux tarifs globaux applicables aux salariés actifs ;
  • La deuxième année, les tarifs ne peuvent être supérieurs de plus de 25% aux tarifs globaux applicables aux salariés actifs ;
  • La troisième année, les tarifs ne peuvent ne peuvent être supérieurs de plus de 50% aux tarifs globaux applicables aux salariés actifs.

Cette rédaction fut prise pour pallier les critiques émises contre l’ancienne version du texte, elle-même issue du décret n° 90-769 du 30 août 1989, qui prévoyait laconiquement que : « Les tarifs applicables aux personnes visées par l’article 4 de la loi du 31 décembre 1989 susvisée ne peuvent être supérieurs de plus de 50 p. 100 aux tarifs globaux applicables aux salariés actifs ». Outre la discussion tenant à l’opportunité d’un tel seuil, c’était l’expression même de celui-ci qui était débattue à raison de l’imprécision de l’énoncé ; l’article 1er du décret 2017-372 ne marque aucune avancée et les questions sont nombreuses. Faisant référence aux « tarifs globaux applicables aux salariés actifs », le règlement ne dit rien :

  • ni de la façon dont sont appréciés ces tarifs lorsque la couverture des salariés actifs n’existe plus,
  • ni de ce qu’il convient d’entendre par « tarif global » dès lors que la structure de cotisation du contrat ou de l’adhésion des actifs n’isolait pas la fraction de cotisation dédiée à la couverture des actifs (garanties dites « famille »).

À cela s’ajoutent :

  • le doute quant au moment exact où l’organisme assureur peut décider de la réévaluation des cotisations : rien n’indique que le passage de la première à la seconde année, puis celui du passage de la seconde à la troisième, correspondent à l’échéance du nouveau contrat ou de la nouvelle adhésion autorisant la réévaluation : rien n’interdit néanmoins à l’organisme assureur d’organiser contractuellement, en amont cette revalorisation.
  • le doute quant au sort des cotisations au-delà de la troisième année. La version initiale du texte prévoyait un plafonnement dont il y avait tout lieu de penser qu’il était pérenne, c’est-à-dire que l’assuré pouvait s’en prévaloir sans limite de durée (jugé en ce sens : TGI Paris, 13 septembre 2012, n° 10/07060 ; TGI Paris 31 mai 2011, n° 09/03627). La nouvelle rédaction laisse entendre qu’aucune protection tarifaire spécifique ne bénéficie à l’assuré à compter de la quatrième année. Dès lors, et selon toute vraisemblance, l’organisme assureur est tenu par les dispositions de l’article 6 de loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, applicable à tous les contrats couvrant le remboursement ou l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident : « la hausse doit être uniforme pour l’ensemble des assurés ou des adhérents souscrivant ce type de contrat ».

2.4. Maintien de couverture en cas de résiliation du contrat ou de l’adhésion

L’article 5 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 fait obligation aux parties au contrat ou à l’adhésion couvrant les actifs à titre obligatoire, peu important que ledit contrat ait pour objet le remboursement des frais de santé ou le service de prestations de prévoyance, de prévoir le préavis applicable à sa résiliation et, encore, « les conditions tarifaires selon lesquelles l’organisme peut maintenir la couverture, sans condition de période probatoire ni d’examen ou de questionnaire médicaux, au profit des salariés concernés, sous réserve qu’ils en fassent la demande avant la fin du délai de préavis ». Les salariés portés au titre de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale doivent bénéficier de cette disposition.

Le texte a le mérite d’exister ; sa portée pratique est cependant limitée :

  • d’une part, il est rare que la résiliation ou le non renouvellement d’un contrat ou d’une adhésion dans le cadre d’une entreprise ne s’accompagne pas de l’entrée en vigueur immédiate d’un nouveau contrat ou d’une nouvelle adhésion : du reste, la loi contraint ce « maintien » en matière de frais de santé (C. séc. soc., art. L. 911-7) ;
  • d’autre part, le législateur n’offre aucun avantage supplémentaire au bénéficiaire – stabilité des garanties, encadrement tarifaire – qui pousserait celui-ci à s’en prévaloir.

3. Revalorisation

À raison de la spécificité du risque qu’elle vise à couvrir – l’inflation – la revalorisation des prestations et des garanties obéit à des mécanismes particuliers.

Spécificité de l’inflation.- L’utilité sociale des maintiens de prestations ou de garantie n’est réelle qu’à la condition que soit domestiqués un facteur lancinant, l’écoulement du temps, et l’inflation que celui-ci héberge. Les prestations invalidité – et, de nos jours dans une moindre mesure, les prestations incapacité – ont vocation à être servies sur de très longues périodes ; à défaut de revalorisation, le bénéficiaire verrait peu à peu diminuer ses ressources. De même, la garantie décès doit être maintenue aussi longtemps que sont servies les indemnités journalières et les prestations invalidité. Or, elle est exprimée en valeur absolue ou en multiple des derniers salaires d’activité et, partant, sa valeur réelle s’effrite à mesure que passent les années. L’inflation a toutefois ceci de particulier qu’elle est un risque inassurable. Son anticipation exposerait trop fortement le débiteur et, menaçant sa solvabilité, menacerait l’équilibre financier global de la protection sociale complémentaire.

Organisation de la revalorisation.- Sans surprise, confronté à ces deux exigences – utilité sociale des garanties et prestations et sécurité financière des organismes assureurs – le législateur a opté pour une voie médiane. L’article L. 912-3 du Code de la sécurité sociale prévoit l’obligation de principe de procéder à la revalorisation, mais les conditions de celle-ci seront décidées année après année.

D’une part, lorsque la convention, l’accord ou la décision unilatérale constatée par un écrit relevant de l’article L. 911-1 prévoient la couverture, sous forme de rentes, du décès, de l’incapacité de travail ou de l’invalidité, ils organisent également, en cas de changement d’organisme d’assurance ou d’institution mentionnée à l’article L. 370-1 du code des assurances, la poursuite de la revalorisation des rentes en cours de service. La loi n’interdit nullement à l’employeur de s’engager au-delà d’une simple « organisation » des modalités de revalorisation en prévoyant, par exemple, une indexation sur une indice extérieure (pourvu que l’indexation elle-même soit licite) mais, en tout état de cause, il demeurera libre de se défaire de cet engagement, y compris à l’égard des salariés qui auraient liquidé leurs droits (comp., Soc., 17 mai 2005, n° 02-46.581). Quoiqu’il en soit, l’organisation ainsi décidée ne saurait priver l’assuré de la protection qu’il tire de l’article 7 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989. Or la Cour de cassation, élargissant la lettre du texte, juge que l’organisme assureur est tenu non seulement du maintien des prestations mais encore de la revalorisation telle qu’elle est prévue au contrat ou dans l’adhésion. Partant, est nulle la clause qui prévoirait que la revalorisation cesse de produire ses effets » à la suite de la résiliation de l’adhésion (Civ. 2ème, 16 juillet 2020, n° 18-14.351 ; v. déjà Civ. 2ème, 8 mars 2006, n° 04-16.854).

D’autre part, lorsque le décès est couvert par ces mêmes conventions, accords ou décisions, ceux-ci organisent le maintien de cette garantie pour les bénéficiaires de rentes d’incapacité de travail et d’invalidité en cas de changement d’organisme d’assurance ou d’institution mentionnée à l’article L. 370-1 du code des assurances. Dans ce dernier cas, la revalorisation des bases de calcul des différentes prestations relatives à la couverture du risque décès est au moins égale à celle déterminée par le contrat de l’organisme assureur ou d’une institution mentionnée à l’article L. 370-1 du code des assurances qui a fait l’objet d’une résiliation.

La grande sécu : une utopie constructive ?

Projet de rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie sur l’articulation entre assurance maladie obligatoire et assurance maladie complémentaire

Article paru au JCP G. 17 Janvier 2022, 50

Un scenario du « grand remplacement » des assurances maladies privées a été écrit. – Son nom : la « Grande sécu ». – Le scenario de la « Grande sécu » promeut l’extension du champ d’intervention de la sécurité sociale. – Dit autrement, et sans détour, c’est de nationalisation du marché de l’assurance santé dont il est question

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La sécurité sociale couvre de nombreux risques et charges de l’existence. Au nombre de ceux-ci, la maladie est l’objet de toutes les attentions.

Complexité(s). – Le système de protection sociale français est relativement complexe. Il y a une bonne raison à cela : il n’est pas si simple d’assurer la population française tout entière contre les risques et charges de l’existence, particulièrement la maladie. Il y en a une autre : une foule d’opérateurs publics et privés garantissent à tout un chacun (ou presque) le remboursement des frais de soins de santé.

Multiplicité. – Ces opérateurs sont l’assurance maladie obligatoire (AMO. – Caisses primaires d’assurance maladie / Caisses de la mutualité sociale agricole) et l’assurance maladie complémentaire (AMC). Il est à noter que les secondes ont été inventées avant les premières. C’est que les employeurs et les travailleurs n’ont pas attendu la Libération (et les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale) pour s’organiser et aider les moins lotis à financer les soins nécessaires à leur rétablissement. Ceci pour dire que les difficultés d’articulation des garanties sous étude entre AMO et AMC ne sont pas nouvelles.

Complémentarité. – À ce jour, les organismes d’assurance maladie obligatoire ne remboursent pas (en principe) la totalité des dépenses de santé. Un taux de participation est attendu de l’assuré dans le financement des soins. Le rôle principal des opérateurs d’assurance privés (sociétés d’assurance, mutuelles et institutions de prévoyance) est donc de rembourser la partie des dépenses de santé qui restent à la charge du patient (ce qu’on appelle techniquement le ticket modérateur) après remboursement forfaitaire de l’assurance maladie. Lorsque, par exemple, un médecin généraliste conventionné facture 25 € d’honoraires au titre de sa consultation, l’AMO rembourse au patient (17,50 €) et l’AMC les 07,50 € restants. Le ticket modérateur (TM) est de 30 %. C’est un petit plus compliqué en réalité (c’est du reste une critique qui est faite de l’existant), car une participation forfaitaire d’1 € est demandé à l’assuré de plus de 18 ans. Mais passons ; c’est l’ordre de grandeur qui importe dans le cas particulier.

Moralité, celles et ceux qui n’ont pas de complémentaire santé peuvent être contraints de faire un effort important pour solvabiliser les soins reçus ou à recevoir. C’est un effort qui va tout de même decrescendo à mesure que le recours à la complémentaire santé solidaire de l’article L. 861-1 du Code de la sécurité sociale progresse. À ce jour, nombreuses sont les personnes qui se sont assurées chez un opérateur d’assurance privé, plus encore que dans un passé récent car depuis le 1er janvier 2016 tous les salariés du secteur privé doivent (en principe) être couverts (CSS, art. L. 911-7) tandis que les agents publics, qui sont libres (en principe) de souscrire une complémentaire santé, ont droit à une participation de leur employeur de 15 € (D. n° 2021-1164, 8 sept. 2021). Disons-le : l’articulation entre l’AMO et l’AMC est des moins évidentes mais des plus intéressantes.

Progrès. – Aussi, le ministère des Solidarités et de la Santé a-t-il commandé au Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM.https://www.securite-sociale.fr/hcaam) un rapport sur l’articulation entre l’assurance maladie obligatoire publique et l’assurance maladie complémentaire privée. Une instruction technique de quatre scenarii a été faite par l’instance de réflexion et de propositions. Un projet de rapport de plus d’une centaine de pages a été rédigé. L’invention d’une Grande sécu et la suppression des opérateurs privés d’assurance maladie est l’un d’entre eux, indiscutablement le plus ambitieux, probablement . La publication du rapport tarde alors que de très nombreuses personnes concernées ou intéressées ont pu prendre connaissance du projet. C’est regrettable, quelles que soient les réserves ou franches oppositions formulées relativement aux axes de réformation étudiés dans le cas particulier, c’est du modèle social français dont il est question ici. Modèle dont il ne semble pas déraisonnable de débattre sur la période…

Avant de présenter dans les grandes lignes les hypothèses de travail (2), qui pourraient être débattues par les candidats à la présidence de la République, quelques-unes des critiques qui sont faites de l’existant seront proposées (1).

1.  Articulation AMO/AMC : l’état des lieux

Paradoxe. – En l’état, l’articulation étudiée est le siège de quelques paradoxes que d’aucuns qualifient volontiers de regrettables.

La généralisation de la complémentaire santé (L. n° 2013-504, 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. – CSS, art. L. 911-7, préc.) et la suppression des clauses de désignation (Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC : JCP G 2013, 929, note J. Ghestin ; JCP G 2013, 839, note G. Duchange) qui étaient insérées dans de nombreux accords collectifs du travail aux fins de sélection d’un unique opérateur d’assurance chargé de couvrir le risque santé pour tous les travailleurs employés par les entreprises de la branche professionnelle concernée, ont eu pour effet d’ouvrir a maxima le marché de l’assurance maladie complémentaire. Ce faisant, tandis que ce dernier segment de marché était l’affaire des institutions de prévoyance et des mutuelles, les compagnies d’assurance ont pu mieux se positionner, ce qui a participé d’une baisse des tarifs.

Dans le même temps, tandis qu’on assistait à la libéralisation du marché, le législateur règlementait a maxima l’activité des opérateurs et le contenu des garanties offertes : contrat d’assurance forcé (CSS, art. L. 911-7), contenu obligatoire de la police déterminé (CSS, art. L. 871-1), économie du contrat imposé (CSS, art. L. 862-4, II). Libéralisation ici et, « en même temps », socialisation là. On s’accordera à dire que ce n’est pas le moindre des paradoxes (V. not. V. Roulet, L’encadrement des prestations pour les salariés : la multiplication des exigences :

RDSS 2017, p. 447).

Effort. – Chaque médaille ayant son revers, la généralisation de la complémentaire santé appelée de leurs vœux par les partenaires sociaux ne fut qu’une généralisation et demi. À l’expérience, les ménages pauvres et les personnes âgées ont été contraints (quand la chose a pu se faire) à un taux d’effort important pour s’assurer (via des contrats d’assurance individuelle à adhésion facultative relativement onéreux en comparaison avec les contrats collectifs à adhésion obligatoire souscrits par les employeurs au profit de leurs salariés. – V. not. J. Bourdoiseau, La généralisation de la complémentaire santé : un bilan : RDSS 2017, p. 436).

Transferts. – Il faut toutefois bien reconnaître que l’AMC a été l’occasion de fructueux transferts paramétriques. Plus concrètement, les primes et cotisations d’assurance payées par les travailleurs et/ou les employeurs ont dispensé l’État d’augmenter les cotisations sociales patronales et les prélèvements obligatoires pour tout un chacun (le consentement à l’impôt étant des plus fragiles). Seulement voilà, les pratiques tarifaires des professionnels de santé (jugées excessives) ont fini volens nolens par être solvabilisées. Et c’est sans compter – ce point a été mis en lumière par les commentateurs – que les charges de gestion administrative d’une telle opération d’assurance à deux détentes (AMO et AMC) ont été augmentées mécaniquement.

À malheur (relatif), chose est bonne : les opérateurs d’assurance privés ont inventé des terrains nouveaux de différenciation (télésanté, service de prévention, réseaux de soins, utilisation innovante des données de santé notamment). Et c’est tant mieux pour les assurés.

Peu importe ce qu’on pense de la révision de l’articulation AMO/AMC, les faits sont têtus : les motifs d’insatisfaction sont relativement importants. On comprend assez aisément qu’une tentative d’amélioration de l’existant ait été commandée. Le HCAAM et son président par interim Pierre-Jean Lancry étaient tout désignés pour y procéder. Une instruction technique de quatre scenarii a été faite. Le Haut conseil n’a pas pris la responsabilité de recommander un scenario plutôt qu’un autre.

2.  Articulation AMO/AMC : l’état des vœux

Le premier scenario consiste à maintenir l’architecture existante et l’économie générale du système en l’améliorant. Le levier idoine proposé un temps et abandonné depuis a été l’invention d’un bouclier sanitaire. C’est une pratique bien connue, notamment à l’étranger (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Suède, Suisse), qui consiste à faire supporter une quote-part des dépenses de santé par l’assuré social jusqu’à un certain seuil déterminé par le législateur. En deçà, l’intéressé est libre de s’assurer ou bien, dans le cas contraire, d’en supporter le coût sur ses deniers propres. Au-delà, il est pris en charge à 100 % par l’AMO. Ce scenario présente quelques avantages tout à fait notables. Il réduit la complexité des règles de remboursement ; il supprime les inégalités de restes à charge et de couverture en lien avec le statut d’emploi ; il allège le prix des primes et cotisations d’assurance complémentaire pour les salariés en situation de précarité et les retraités. Mais aussi avantageux que soit ce dispositif, d’aucuns l’ont jugé sans rapport aucun avec les lois mathématiques qui président à la définition du prix de la police d’assurance, et plus généralement, avec l’économie de l’assurance. On ajoutera pour notre part que bouclier sanitaire et architecture constante du système n’auraient pas fait bon ménage. Les mots qui fâchent ont donc été employés avec beaucoup de prudence et renvoyés en notes et annexe (fort intéressantes du reste) tandis que des corrections paramétriques se donnent plus volontiers à lire, telles : la généralisation du tiers payant, la forfaitisation de la participation financière des patients en cas d’hospitalisation, l’amélioration de la situation des personnes sortant d’un contrat collectif de groupe (projets de modification de l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989. – V. not. V. Roulet, Pour une réforme de l’article 4 de la loi Évin : Rev. dr. soc. 2012, p. 1060), la facilitation de l’accès à la complémentaire santé des personnes en situation de précarité (notamment celle des retraités et des salariés à temps partiel), l’amélioration de la place des complémentaire santé dans la gouvernance du système de santé…

Le deuxième scenario consisterait à rendre l’assurance maladie complémentaire obligatoire, universelle, mutualisée (et financée pour moitié par l’employeur). Dans un tel système, les organismes complémentaires désireux de se positionner sur ce marché rendraient un service d’intérêt économique général (SIEG). Un tel service aurait pour objet de garantir un accès aux soins de l’ensemble de la population et de mettre en œuvre un degré élevé de solidarité dans la couverture assurantielle par le truchement (entre autres leviers) de la déconnexion entre les primes versées et les risques individuels couverts. À ce titre, les organismes d’assurance privés seraient tenus de garantir tous les candidats à l’assurance contre le risque santé (obligés par la loi de l’assurer) aux conditions nécessairement fixées par la puissance publique et possiblement améliorées par les branches professionnelles, ces dernières étant autorisées à moduler – nécessairement à la hausse – le panier de garanties (et à recommander par voie de conséquence quelques organismes d’assurance…). Les opérateurs d’assurance élus étant nécessairement incités à développer un modèle serviciel afin de se démarquer des concurrents, une récompense a été prévue : le législateur leur réserverait un droit exclusif aux fins de commercialisation de contrats d’assurance supplémentaires. Ces derniers contrats permettant aux mieux lotis et avisés de couvrir en tout ou partie des frais de santé facturés au-delà de la base de remboursement définie règlementairement.

Le troisième scenario, dit de la Grande sécu, promeut l’extension du champ d’intervention de la sécurité sociale. Pour le dire autrement, et sans détour, c’est de nationalisation du marché de l’assurance santé dont il est question. L’idée générale est d’accroître le taux de remboursement de certaines dépenses de santé supportées par les caisses. Techniquement, cela consisterait (entre autres mesures) à supprimer les tickets modérateurs, les participations forfaitaires et franchises, à paramétrer un panier de soins remboursés complétement par l’AMO. Charge serait donc laissée aux patients de souscrire un contrat d’assurance maladie (à adhésion facultative) dans le dessein de profiter d’une couverture supplémentaire (de confort). Chacun cotisant selon ses moyens, la péréquation entre assurés sociaux aurait vocation à être augmentée et le tiers payant généralisé. Ce n’est pas le moindre des intérêts. La souscription de contrats d’assurance santé complémentaire n’étant plus pertinente, les aides fiscales et sociales accordées aux fins d’acquisition de ces couvertures assurantielles seraient supprimées tout comme les frais de gestion des assureurs privés. Les économies réalisées par toutes les parties prenantes auraient vocation (par un jeu de transfert de charges et de produits) à financer la couverture des risques lourds

(incapacité, invalidité, décès), à savoir une couverture appelée des vœux des partenaires sociaux (ANI, 11 janv. 2013pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés). C’est un scenario qui a fait déjà couler beaucoup d’encre, à tout le moins chez les personnes intéressées. Aussi est-il pour le moins étonnant qu’une telle proposition de réforme, qui aura été reportée sine die, et qui pourrait s’avérer être parmi les plus audacieuses qui n’aient jamais été prises depuis la création de la sécurité sociale, n’ait pour ainsi dire aucun écho. Les sujets et motifs de critique ne manquent pourtant pas. Il faut bien voir, entre autres considérations, que les salariés des organismes d’assurance complémentaire auraient vocation à être intégrés dans les organismes de sécurité sociale. On imagine à peine la complexité d’une telle intégration. Pour mémoire, ce sont 439 organismes qui exercent une activité de complémentaire santé et qui ont versé hors frais de gestion des sinistres 30,3 milliards d’euros en 2019 de prestations (Dress, Rapp. sur la situation des organismes complémentaires assurant une couverture santé, 2020).

La Grande sécu est sans aucun doute le scenario le plus audacieux et disruptif… Raison pour laquelle elle ne devrait pas être. Une heureuse utopie constructive : voilà plus sûrement ce qu’il se pourrait qu’elle soit en vérité (qui n’a peut-être pas dit son dernier mot).

Le quatrième et dernier scenario est celui dit du décroisement entre les domaines d’intervention respectifs de l’AMO et de l’AMC. Il s’agirait en bref d’un scénario de rupture, chacun des opérateurs d’assurance (caisses versus complémentaires santé) intervenant sur un panier de soins distinct. Au panier de soins public (totalement remboursé par la caisse) s’ajouterait en quelque sorte un panier de soins privé dont la qualité serait corrélée au contrat d’assurance supplémentaire souscrit, à charge pour les assureurs désireux de réaliser quelques économies d’échelle (qui consisteraient concrètement à renforcer la pratique des réseaux de soins et à réguler les marchés en dentaire, optique et audioprothèse, régulation qui est loin d’avoir porté ses fruits). Si l’on s’accorde à dire que les organismes d’assurance complémentaire interviennent quasiment au premier euro sur l’optique, le dentaire et l’audioprothèse, la base de remboursement de la sécurité sociale étant très faible (quelques euros en pratique), ce dernier scénario est peut-être moins singulier qu’il n’y paraît. Quant à savoir si les assurés sociaux s’y retrouveraient, rien n’est moins sûr.

Au terme de la lecture de ce dernier projet de rapport du HCAAM, qui mêle droit de l’assurance, économie de la santé et politique publique, droit interne et droit comparé, il y a matière à se féliciter que celles et ceux en responsabilité politique soient éclairés par des experts d’un tel niveau de compétences technique et théorique et de regretter que ces travaux ne soient pas encore connus du plus grand nombre ni débattus.

Doit-on prendre en compte les indemnités du chômage partiel dans le calcul de l’intéressement et de la participation ?

Site web

Maître VACCARO

Avocat spécialisé en droit du travail

Pourquoi la question se pose ?

Nous avons traversé une période depuis mars 2020 qui a vu un nombre considérable de recours au chômage partiel du fait de la crise sanitaire.

De nombreuses entreprises calculent l’intéressement et la participation sur la base des comptes clos au 31 décembre 2020.

Une ambiguïté naît de la rédaction du Code du Travail.

En effet, au titre des dispositions de l’article R 5122-11 du Code du Travail, la répartition de l’intéressement et de la participation doit tenir compte des rémunérations du chômage partiel et une lecture un peu rapide pourrait permettre de retenir que cela vaut aussi pour l’assiette de calcul.

Or, l’assiette de calcul répond aux dispositions de la définition de la rémunération figurant à l’article L.242-1 du Code de la Sécurité Sociale.

Dès lors sont exclus, à défaut d’une quelconque jurisprudence contraire au surplus, les revenus de remplacement au titre de l’assiette de calcul au rang desquels on compte les revenus issus du chômage partiel (néanmoins la part des indemnités d’activité partielle assujetties aux cotisations sociales pour la part supérieure à 3,15 SMIC entre donc a contrario dans l’assiette de calcul puisque soumise à cotisations).

On doit donc exclure de l’assiette de calcul de l’intéressement et de la participation les sommes correspondant à l’indemnisation du chômage partiel, mais en revanche on doit les prendre en compte au titre de la répartition lorsqu’une condition de répartition figurant dans le ou les accords.

Quelles sont les conséquences d’une erreur ?

La conséquence de l’erreur qui consisterait à intégrer en l’assiette de calcul de la participation et de l’intéressement des revenus de remplacement issus du chômage partiel aboutirait à remettre en cause l’exonération des sommes ainsi allouées, leur taxation, voire engagerait des pénalités, voire même dans des hypothèses extrêmes la caractérisation d’une dissimulation de revenus assujettis à charges sociales…

Que dit le Ministère du Travail ?

Le Ministère du Travail a été interrogé par le Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts Comptables.

La saisine était un peu risquée car à double tranchant.

Le Ministère du Travail a répondu en date du 24 mars 2021 : « Nous vous confirmons que les indemnités d’activité partielle qui ne sont pas assujetties aux cotisations sociales et considérées comme des revenus de remplacement ne doivent pas être prises en compte pour le calcul de la limite de l’intéressement et de la participation ».

La solution est sévère pour les salariés et aboutira probablement dans nombre de cas à supprimer intéressement et la participation au titre de l’exercice 2020, et peut-être même 2021.

Les Experts Comptables et avocats, conseils de l’entreprise, engagent leur responsabilité sans aucun doute s’il n’y a pas eu de vérification de ce point ou un conseil éclairé.

Actualité du droit social – Bulletin officiel de la sécurité sociale 2.0 : Mise en ligne

Par Vincent Roulet, Maître de conférences Hdr à l’Université de Tours, Avocat au barreau de Paris, Edgar Avocats

Annoncé par la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017, le BOSS a été mis en ligne début mars 2021. Il est opposable à l’administration depuis le 1er avril 2021.

Réellement soucieuses de renforcer l’accessibilité du droit des cotisations et des contributions sociales, la direction de la sécurité sociale et l’URSSAF multiplient les initiatives à destination des différents publics (v. p. ex. le site internet oups.gouv.fr). Le BOSS participe de cette politique d’ouverture, quoiqu’il s’adresse à des personnes familière du sujet : juristes d’entreprises, expert-comptables, avocats, agent du recouvrement. A l’instar du BOFIP en matière fiscale, le BOSS recueille dans un même corps de texte, l’ensemble de la doctrine sociale afférente au droit de l’assujettissement. Initialement éparpillée dans de nombreuses circulaires, parfois si anciennes qu’elles ne se trouvaient pas sur internet, la doctrine sociale fait ainsi l’objet d’une véritable codification. Huit chapitres sont actuellement consultables : « Assiette générale », « Allègements généraux », « Exonérations zonées », « Protection sociale complémentaire » (à paraître), « Avantages en nature et frais professionnels », « Indemnités de rupture » et « Mesures exceptionnelles ». D’autres sont attendus.

Au sein de ces chapitres, l’administration expose son interprétation des textes légaux et réglementaires de manière raisonnée (plan en chapitres et numérotation de chaque paragraphe). Elle prend soin, pour fonder ses positions, de référencer les sources au moyen de liens hypertextes (très pratiques pour les professionnels) vers les textes voire vers la doctrine fiscale ou la jurisprudence de la Cour de cassation ou du Constitutionnel. Gagnant en clarté, la doctrine sociale gagne aussi beaucoup en ergonomie.

Cette codification, comme toute codification qui se respecte, est aussi l’occasion d’actualiser d’anciennes positions de la Direction de la sécurité sociale ou de l’URSSAF. Elle ne se fait donc pas à droit constant et la publication du BOSS est, aussi, source de nouveauté normative. Gare aux habitudes ! La prudence commande donc, dans les mois qui viennent, de prendre le temps d’une vérification des solutions que l’on croirait acquises. Du reste, l’administratif s’efforce d’accompagner cette adaptation : elle affiche, sur la première page du site, juste en dessous du sommaire, les “actualités du BOSS”, lesquelles recenses la plupart (mais non toutes) des évolutions et précise, pour chacune, la date de son entrée en vigueur.

La circulaire traditionnelle étant remplacée par un site internet – les circulaires anciennes ayant pour objet les thèmes abordés par le BOSS sont abrogées – la doctrine sociale est appelée à évoluer plus aisément. L’administration a annoncé son intention de “réagir” sur le BOSS et, dans l’avenir, de faire évoluer ses positions aussi rapidement que possible à mesure seront publiés de nouveaux textes ou que la jurisprudence évoluera.

Voila donc un bel outil qu’il faut désormais apprivoiser.

La fiscalité comportementale et Red bull

L’Association nationale de défense des consommateurs et usagers prévient à nouveau les consommateurs (mars 2021). Les boissons dites énergisantes, qui contiennent beaucoup de sucre, de caféine et de taurine, pourraient être dangereuses pour la santé (https://www.clcv.org/nutrition-sante/boissons-energisantes-consommer-avec-moderation).

Le législateur avait bien tenté de refréner les velléités des fabricants…en pure perte !

Cons. const., 19 sept. 2014, QPC, n° 2014-417 [Société Red Bull On Premise et autre [Contribution prévue par l’article 1613 bis A du code général des impôts]

L’article 1613 bis A CGI institue une contribution perçue sur les boissons dites énergisantes (BDE) fortement dosées en caféines destinées à la consommation humaine. Le produit de la contribution est affecté à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CGI, art. 1613 bis 1, VI). Pour cause, dans sa plus récente évaluation des risques liés à la consommation de pareilles boissons, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, et de l’environnement et du travail donne à penser que le mal est à venir et le service de prestations sociales à craindre (ANSES, avis, 6 sept. 2013, saisine n° 2012-SA-0212).

Red Bull, qui domine le marché des BDE, contre les tentatives répétées du législateur de soumettre l’entreprise à la fiscalité comportementale qui à cours en droit de l’assurance maladie (v. par ex. C. sécu. soc., art. L. 245-7). C’est en effet la deuxième fois que le Conseil constitutionnel est saisi de la conformité de cette contribution de santé publique aux droits et libertés que la Constitution garantit. La firme, qui a su échapper au premier assaut législatif (1), n’est pas parvenue à repousser complétement le législateur (2).

1.- Red bull 1 – Parlement 0

Saisi a priori de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, le Conseil constitutionnel considère que l’imposition, qui est censée limiter la consommation d’alcool des jeunes associée aux BDE en taxant des boissons ne contenant précisément pas d’alcool, n’est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objectif poursuivi par la loi (décision DC n° 2012-659 du 13 déc. 2012, cons. 26). Le législateur remet aussitôt l’ouvrage sur le métier. La taxe dite Red bull sera. La loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014 est ainsi grossie d’une contribution dont l’objet est cette fois-ci de prévenir autant que faire se peut les effets pathogènes de la caféine consommée à outrance (art. 18). La manœuvre ne trompe pas.

Par voie d’exception, le requérant excipe le moyen tiré de la méconnaissance par le législateur de l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions du Conseil constitutionnel. Red bull soutient ensuite que la disposition critiquée méconnaît le principe d’égalité devant l’impôt et les charges publiques, enfin qu’elle porte atteinte à la liberté d’entreprendre.

La saisine du Conseil constitutionnel est couronnée d’un relatif succès. Si l’article 1613 bis A CGI est censuré, ce n’est que partiellement. Le Conseil constitutionnel considère que les mots « dites énergisantes », qui figurent au premier alinéa du paragraphe I dudit article, sont contraires à la Constitution (cons. 14). Pour le surplus, le texte est conforme.

2.- Red bull 1 – Parlement 1

En l’espèce, le Conseil constitutionnel considère que le législateur n’a pas méconnu l’autorité qui s’attache à ses décisions. L’objet de la disposition contestée par voie d’exception – lutte contre la caféine – serait différent de celui de la disposition critiquée par voie d’action et censurée – lutte contre l’alcool – (cons. 8). Formellement, il faut bien en convenir. Matériellement, il importait de le dire pour échapper au grief du requérant. La réponse du Conseil à la question posée convainc peu malgré tout.

Le Conseil constitutionnel assimile l’autorité de ses décisions à l’autorité de la chose jugée au sens de l’article 1351 C. civ. Aussi bien, la triple identité d’objet, de cause et de partie est exigée pour que la chose jugée s’impose (M. Guillaume, L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel : vers de nouveaux équilibres ? in L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel, Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 30, L.G.D.J., 2011). Le procès constitutionnel cadre pourtant mal avec les éléments objectifs de l’instance engagée devant le juge a quo. La détermination de la matière litigieuse est en l’occurrence source de bien des hésitations. Pour preuve, le Conseil ne fait pas grand cas de la cause du litige. Bien qu’on accorde volontiers que la notion soit aussi complexe en droit processuel qu’elle l’est en droit substantiel, le législateur entendait pourtant, dans l’une et l’autre lois de financement de la sécurité sociale critiquées, augmenter le prix de vente des BDE, et spécialement celles commercialisées par Red bull, pour en rendre l’achat plus difficile pour les jeunes consommateurs (cause proche)…qui les associent avec de l’alcool (cause lointaine).

Ceci étant dit, le requérant avait plus de chances d’emporter la conviction du juge constitutionnel en excipant la rupture d’égalité devant l’impôt et les charges publiques.

Il sera fait remarquer toutefois que le moyen tiré de la discrimination relativement au principe de la contribution ne pouvait utilement prospérer (seuil d’imposition retenu par la loi : 220 mg de caféine pour 1000 ml). Le Conseil constitutionnel admet en effet que l’instauration d’un seuil dans la composition d’un produit puisse déclencher l’entrée dans le champ d’application d’un impôt en matière de contribution de santé publique. Il en est ainsi des boissons à haute teneur en alcool en raison des risques que comporte l’usage immodéré de ces produits pour la santé, en particulier pour les jeunes consommateurs (Décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, cons. 13.). Et le Conseil constitutionnel de considérer au reste que le critère tiré de la teneur en alcool n’introduit aucune distorsion entre les divers redevables puisque tout consommateur achetant le même produit est taxé dans les mêmes conditions (Décision n° 82-152 DC du 14 janvier 1983, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale, cons. 10).

En revanche, l’assiette de la contribution est discriminante parce que seules les BDE sont taxées alors que de nombreuses autres boissons présentent des taux de caféine tout aussi élevés. Le Conseil constitutionnel censure une seconde fois le législateur. C’est que « la différence ainsi instituée entre les boissons destinées à la vente au détail et contenant une teneur en caféine identique selon qu’elles sont ou non qualifiées de boissons « dites énergisantes » entraîne une différence de traitement qui est sans rapport avec l’objet de l’imposition et, par suite, contraire au principe d’égalité devant l’impôt » (cons. 12).

Il ressort de cette décision que l’opiniâtreté du législateur conjuguée à la constance du juge aura eu pour effet d’étendre, dans des proportions vraisemblablement impensables au jour de son invention, l’assiette de cette nouvelle contribution de santé publique (v. Sénat, rapp. inf. n° 399, Fiscalité et santé publique : état des lieux des taxes comportementales, févr. 2014). C’est précisément pour cette dernière raison, et parce que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement, que les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité ont été reportés au 1er janvier 2015 (cons. 16). Invitation à la réécriture du texte que le législateur n’a manifestement pas jugée utile d’accepter au vu du projet de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, qui est taisant.

Les « communiquants » ont décidément toujours raison : « Red bull donne des ailes »…ou l’art et la manière de taxer.

N.B. : Observations publiées à la Gazette du palais 13 janv. 2015, p. 38 in Chronique de jurisprudence en droit du travail et de la protection sociale

La sécurité sociale : le recouvrement (survol)

Le recouvrement des cotisations et contributions de sécurité sociale est organisée au plan local par les Unions pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales (URSSAF), lesquelles Urssaf sont placées, au plan national, sous le contrôle de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).

1.- Les URSSAF

Source.- Le Code de la sécurité sociale consacre plusieurs dispositions aux Urssaf (art. L. 213-1 s.). Il n’en a pas toujours été ainsi. Fruits de la pratique des caisses primaires, qui éprouvèrent le besoin de distinguer les missions de service des prestations de celles de recouvrement des cotisations, elles sont longtemps restées dans l’ordre du non-droit. On doit à un décret n° 60-452 du 12 mai 1960 rel. à l’organisation et au fonctionnement de la sécurité sociale d’avoir soumis ces organisme (de sécurité sociale) de droit privé chargé d’une mission de service public à une réglementation impérative.

Précompte des cotisations. – Pour le cas où les cotisations doivent être payées par l’employeur et l’employé, c’est le premier qui en principe paie la dette de cotisations et de contributions due par le second. C’est ce qu’on appelle en pratique le précompte des cotisations. L’article L. 243-1, al. 1er css dispose « la contribution du salarié est précomptée sur la rémunération ou gain de l’assuré lors de chaque paie. » On mesure bien les intérêts pratiques de cette retenue à la source : 1° elle dispense la sécurité sociale de s’adresser à une multitude de salariés (heurts et malheurs de l’obligation conjointe) ; 2° elle leur interdit de s’y opposer (art. L. 243-1, al. 2 css) ; 3° elle contraint l’employeur à observer les prescriptions légales à peine d’en rendre compte aux Urssaf consécutivement aux « contrôles comptable d’assiette » des déclarations faites par l’employeur, lesquels contrôles sont le fait d’agents assermentés et agréés appelés « inspecteurs du recouvrement » (art. L. 243-7 csset R. 243-59 css). L’éventail des sanctions est grand. Au civil, des pénalités : fixation forfaitaire du montant des cotisations et majorations de retard. Au pénal, des contraventions : amende, qui sont fonction du nombre de salariés concernés (art. L. 244-1 css), délit de travail dissimulé (art. L. 8221-1 s. c. trav.

2.- L’ACOSS

Nature juridique.- L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale est une établissement public national à caractère administratif (www.acoss.fr). L’Acoss est chargé d’assurer la gestion commune de la trésorerie des différentes branches du régime général, en l’occurrence : Caisse nationale des allocations familiales, Caisse nationale de l’assurance maladie, Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés. Mieux, dispose la loi, l’Acoss assure l’individualisation de la trésorerie de chaque branche (art. L. 225-1 css).

L’Acoss centralise l’ensemble des opérations réalisées par les 74 (dont 3 régionales) Urssaf et en transfère le produit vers les organismes du régime général (art. L. 225-1-1, 5° css). C’est la Caisse nationale des Urssaf en quelque sorte.

Last but not least, la loi lui confie le recouvrement de certaines autres ressources (voy. not. art. L. 137-7 css).