Le service public de la réparation du dommage corporel

1. – Mission de service public au singulier ?. –  À notre connaissance, le service public de la réparation du dommage corporel sous étude, dont l’Office est une incarnation tout à fait remarquable, ne s’est jamais donné complètement à voir tant d’un point de vue conceptuel que fonctionnel. Aussi nous limiterons-nous dans cette première contribution à poser quelques premiers jalons.La question de savoir ce qu’est l’Oniam ne pose guère de difficulté. Institué par la loi, l’Office est un établissement public à caractère administratif de l’État, placé sous la tutelle du ministre chargé de la Santé (CSP, art. L. 1142-22, al. 1er). À la question de savoir ce qui est attendu par la puissance publique de sa création, on répondra avec un éminent auteur : la réalisation d’« une mission […] définie, organisée et contrôlée par une personne publique en vue de délivrer des prestations d’intérêt général à tous ceux qui en ont besoin »Note 1. C’est limpide. Mais au fait : de quelle mission s’agit-il précisément ? C’est qu’il n’y a rien de très commun a priori entre la réparation des dommages corporels causés sans faute par un professionnel ou un établissement de santé et la compensation des atteintes cardio-pulmonaires causées par la faute d’un fabricant de médicaments, pour ne prendre que ces deux hypothèses de travail. Mais peut-être n’y a-t-il pas matière à commenter. Que dit le plan d’exposition systématique du Code de la santé publique ? Eh bien qu’il s’agit dans les deux cas de figure de compenser des risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé qui se sont malheureusement réalisés (CSP, art. L. 1142-1 et s.). Ce dernier système profitant à tout un chacun, c’est d’intérêt général dont il est question au fond. Il y a donc bien service publicNote 2. C’est ce que nous enseigne la science administrative. Il ne s’agirait pourtant pas qu’on cofondît réalisation d’un risque et commission d’une faute. Où l’on voit – en poussant d’un cran le problème – que la nature manifestement hybride de l’Office pourrait fort bien compliquer son régime juridique ; qu’il y a donc à craindre quelques contradictions internes.

2. – Lois du service public et gratuité. –  Quelles que soient nos hésitations, il reste que le fonctionnement de l’Office obéit à quelques grandes lois du service public : continuité, mutabilité, égalitéNote 3. Lois auxquelles on pourrait ajouter dans le cas particulier « gratuité », laquelle n’est pas sans interroger. C’est que ce dernier principe de fonctionnement interdit à l’Office de recourir contre les éventuels débiteurs finaux de la réparation aux fins de remboursement des frais engagés tous azimuts. Que les personnes mises en cause soient fautives ou non : le sort réservé à l’Office par la loi est égal en pratique. Ce qui a fait écrire justement à un auteur qu’on privatise les profits ici mais qu’on socialise les pertes làNote 4

3. – Maintien de la paix sociale. –  On ne saurait discuter qu’en inventant collèges et commissions chargés d’instruire les demandes en réparation, le législateur ait été mû par la volonté de bien faire : opérations de maintien de la paix sociale obligeaient sûrement. Force d’intervention dont le déploiement, à l’expérience, est malheureusement à géométrie très variable. Tandis que la foule s’émouvait légitimement du sort de ces milliers de victimes du Médiator, elle réclamait peu dans le scandale des prothèses PIP. Dans les deux cas, la visée esthétique de la démarche (entre autres indications) n’était pourtant pas douteuse. Et de bien peu manifester son émotion du reste dans le scandale des pilules de troisième et quatrième génération (pour ne prendre que ces quelques exemples). En bref, il semble qu’il y ait matière à se demander si ce qu’a fait l’État l’a bien été.

4. – Efficience. –  Service public de la réparation du dommage corporel, établissement public administratif, puissance publique, ces mots ont partie liée avec ce qu’on appelle l’étatisation. Dans son rapport d’activité pour 2005, le Conseil d’État écrit « notre société […] se caractérise par une exigence croissante de sécurité [qui] engendre la conviction que tout risque doit être couvert, que la réparation de tout dommage doit être rapide et intégrale et que la société doit, à cet effet, pourvoir, non seulement à une indemnisation des dommages qu’elle a elle-même provoqués, mais encore de ceux qu’elle n’a pas été en mesure d’empêcher, ou dont elle n’a pas su prévoir l’occurrence. » Voilà l’intention. C’est ce par quoi nous vous proposons de commencer, à savoir une approche conceptuelle de la notion de service public de la réparation du dommage corporel. Une fois que cette première approche aura été terminée, après que l’intention aura été explicitée, nous opterons pour une approche fonctionnelle de la notion sous étude. Le temps sera alors venu d’entamer la critique des règles de droit que l’Administration est priée d’observer pour réaliser l’étatisation de la réparation du dommage corporel.

1.  La conceptualisation du service public de la réparation du dommage corporel (l’étatisation de la réparation)

5. – En première approche, plus volontiers conceptuelle du service public de la réparation du dommage corporel, l’étatisation est tout à la fois providence et stratégie.

A. –  La providence

6. – Apaisement de la société. –  Le développement de l’État providence s’est fait par la voie d’un transfert progressif, sous l’empire de la nécessité, mais aussi sous la pression d’une demande sociale de plus en plus insistante, de l’ensemble des problèmes que le jeu normal des mécanismes sociaux ne permettait plus de résoudre. Apaiser des tensions les plus vives : voilà quel était l’enjeu du transfert. Quant à la méthode, elle nous est familière en ce sens qu’elle a consisté pour l’État à prendre les mesures correctives et compensatoires indispensables pour préserver la cohésion sociale. Au fond, c’est vers un État protecteur (de chacun) que la société française a fini par se tourner en général. C’est donc assez naturellement que les victimes de dommages corporels sériels ou d’accidents collectifsNote 5 se sont tournées vers ce dernier, qui a été prié de les assister dans le cas particulier : garantie de la paix et de la cohésion sociales oblige.

7. – Volontarisme social. –  Il faut se souvenir de l’émotion collective qui a été provoquée par les scandales sanitaires qui se sont succédé depuis les années 1990 et qui a commandé que des règles spéciales soient édictées pour organiser la juste compensation des blessures infligées au corps des victimes et à l’âme de nos concitoyens plus généralement. Il faut encore avoir à l’esprit qu’« on a assisté tout au long du XXe siècle à l’avènement patrimonial et juridique du corps humain, qui a porté en exécration toutes les atteintes à l’intégrité corporelle. La propriété n’a plus été seulement le pouvoir juridique d’un individu sur les biens, celle-là qui lui donne la mesure de l’exclusion des autres »Note 6. Elle est également devenue le pouvoir d’un individu sur sa personne, celle-là qui impose la correction des atteintes illicites portées par les autres, et ce quoi qu’il en coûte. C’est dans ce contexte très particulier que l’Office a été créé en 2002 et que (entre autres personnes intéressés) nos concitoyens, réunis en associations de patients et d’usagersNote 7, ont prié le législateur d’élargir son domaine d’applicationNote 8 à un point tel qu’on se prend à hésiter relativement à la mission de service public dévolue à cet établissement.En résumé : l’invention du service public de la réparation du dommage corporel est très certainement affaire de volontarisme social. Mais peut-être est-ce aussi (et surtout) de responsabilité politique dont il est question. L’État, qui est providence, nous l’avons dit, est aussi stratégieNote 9.

B. –  La stratégie

8. – Scandales sanitaires. –  Il faut bien voir que si des producteurs et fabricants de produits de santé ont manqué à leur obligation de vigilance et s’ils ont été priés de compenser les conséquences préjudiciables de leur manque de diligence, l’État a toujours eu sa part de responsabilité dans les scandales sanitairesNote 10. La vaccination contre la grippe A et la commercialisation du valproate de sodium ont été assurées avec le concours de la puissance publique. Dans le premier cas, la production a été vivement encouragée. Dans le second, elle n’a pas été suffisamment contrôléeNote 11.Conceptuellement donc, l’étatisation de la réparation du dommage corporel a commandé l’invention d’un nouveau service public répondant à un besoin d’intérêt général, qui a en horreur le risque et l’atteinte à l’intégrité physiqueNote 12 tandis qu’en toile de fond il était soutenu que la juridictionnalisation était inadaptée ou inopportuneNote 13.

9. – Force gouvernante. –  Mais alors, relativement à notre objet d’étude, serait-ce qu’en dehors de l’intervention de l’Administration il n’y aurait point de salut pour les victimes ? De prime abord, la question a quelque chose de saugrenu. La saisine du juge de la réparation par des professionnels du droit rompus à l’exercice est de nature à assurer le rétablissement de l’équilibre détruit par le dommage. Ce n’est pourtant pas vers le service public de la justice, dont on dit pis que pendre, qu’on s’est tournéNote 14. L’étatisation sous étude donnerait donc à penser avec Duguit que la puissance publique serait la seule à même de remplir cette mission de réparation ; que, par voie de conséquence, « son accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale, et qu’elle est de telle nature qu’elle ne peut être réalisée complétement que par l’intervention de la force gouvernante »Note 15.

10. – Protection universelle maladie et accident. –  Au fond, le service public sous étude ne serait-il pas la manifestation d’une nouvelle solidarité ? La protection universelle qui a été inventée pour la maladie – Puma – (C. assur., art. L. 160-1), et qui a détourné notre système de protection sociale de la logique strictement assurantielle qui l’a longtemps caractérisé, ne vaudrait-elle pas également pour l’accident ? Aussi anecdotique que cela puisse paraître, l’acronyme « Puma » fonctionnerait : « Protection universelle maladie et accidents ». Des risques de l’existence primaire ont été couverts hier par le Gouvernement provisoire de la république française. Le temps n’est-il pas venu de couvrir aujourd’hui des risques plus complexesNote 16 ? Ceci posé, et réflexion faite, ne serait-ce déjà pas le cas ? Si l’on doit à l’Office d’assurer la rémunération de nombreux collaborateurs, d’une foule d’experts médecins et juristes et d’assumer la gestion de leur activité respective ; si on lui doit mille et une avances sur recours et garanties ; c’est pour autant que son activité est financée. Or, ce sont précisément les cotisants et les contribuables qui, en fin de compte, et en première intention, solvabilisent l’action de ce dernier établissement public administratif. Pour mémoire, l’office est financé au principal par une dotation des régimes obligatoires d’assurance maladie (et non par les créateurs de risques) (CSP, art. L. 1142-23)Note 17.

11. – En guise de conclusion intermédiaire , ne serions-nous pas sur la voie de la synthèse des modèles archétypaux bismarkien et beveridgien qui sont bien connus en droit de la sécurité sociale ? Au premier, nous emprunterions l’intention. Ne pourrait-on pas considérer avec Bismark que « l’État a pour mission de promouvoir positivement par des institutions appropriées et en utilisant les moyens de la collectivité dont il dispose, le bien-être de tous ses membres […] »Note 18 ? Au second, Beveridge, nous prendrions la réalisation. Optant avec ce dernier pour une approche assistancielle ou universelle, la couverture sociale sous étude ne serait plus offerte aux seules personnes assurées mais à toutes les victimes pour la seule raison qu’elles ont été atteintes dans leur intégrité corporelle.Partant, la protection proposée par le service public de la réparation du dommage corporel serait tout à la fois universalité, unité et uniformité : universalité de la protection sociale en quelque sorte par la couverture de toutes les victimes concernées, uniformité des règles de la réparation construites petit à petit par des aréopages d’experts médecins et juristes (le tout en dehors du juge par hypothèse), unité de gestion administrative de l’ensemble du processus d’indemnisation. La fusion du Fiva et de l’Oniam, imaginée un temps par le ministère de la Santé, s’inscrivait, nous semble-t-il dans ce mouvementNote 19.Aussi stimulant pour l’esprit et nécessaire à la concorde soient l’invention du service public de la réparation du dommage corporel et l’étatisation sous étude, aussi importantes soient les considérations qui ont présidé à la construction de l’ensemble, il y a tout de même matière à douter méthodiquement qu’on ait bien fait. C’est qu’il est loin d’être indifférent de remplacer des juges par des administrateurs. C’est pourtant ce à quoi on aboutitNote 20. Loin de nous de soutenir que la puissance publique ait jamais été désireuse d’organiser un remplacement quelconque. Douter dans le cas particulier que l’étatisation soit la voie qu’il importait de choisir c’est vérifier si le fonctionnement du service public de la réparation du dommage corporel – ou, pour le dire autrement, l’administrativisation de la réparation – est gage d’une organisation optimale de notre État de droit.

2.  Le fonctionnement du service public de la réparation du dommage corporel (l’administrativisation de la réparation)

12. – De prime abord, le fonctionnement du service public de la réparation du dommage corporel est plein de vertus. Elles seront mises en exergue pour commencer. Place sera laissée ensuite aux vices dont il n’est pas certain qu’on ait bien vu, nous semble-t-il, que nombre d’entre eux étaient tout bonnement rédhibitoires, ce qui par voie de conséquence interroge quant à la conceptualisation qu’il nous a été donné d’exposer à grands traits, qu’il s’agirait donc de reprendre le moment venu.

A. –  Les vertus

13. – Théorie. –  Le service public de la réparation du dommage corporel est vertueux entre autres raisons parce qu’il obéit à quelques principes organisationnels, qui ne souffrent pas la critique, qui imposent à l’Administration de répondre effectivement aux besoins collectifs. À l’aune de ces derniers, qui ont été rappelés, on peut défendre que l’existant est notablement amélioré en ce sens que la victime est épargnée des tracas (assez ordinaires du reste mais qui sont loin d’être négligeables) que supporte tout litigant dans un procès.Il est suffisant de renseigner un « formulaire de demande d’indemnisation », qui peut être téléchargé sur le site internet de l’Office, et d’adresser la série de pièces justificatives de son état (V. par ex. CSP, art. L. 1142-24-2) voire de compléter sa demande des pièces manquantes qui auront été réclamées par les « instructeurs gestionnaires indemnisation » (CSP, art. R. 1142-63-8), qui apportent une assistance tout à fait remarquable aux demandeurs. Ce n’est pas tout.Tandis que le procès civil est de type accusatoire en ce sens que la loi abandonne l’instruction de l’affaire à la diligence des parties, la procédure amiable est plus volontiers inquisitoire. Les commissions et les collèges placés auprès de l’Office procèdent à toute investigation utile à l’instruction dit le Code de santé publique. À ce titre, une expertise, dont le coût au passage est supporté par l’office (CSP, art. R. 1142-63-12), peut tout à fait être diligentée sans que le secret professionnel ou industriel ne puisse être opposé (CSP, art. L. 1142-24-4 et R. 1142-63-9, al. 4)Note 21. Il y a plus.Dans le cas particulier, l’étatisation de la réparation épargne la victime des affres du dualisme juridictionnel et simplifie par voie de conséquence son parcours indemnitaire. Le Conseil constitutionnel de relever pour sa part un triple avantage à cette modalité de la réparation : automaticité, rapidité et sécurité de la réparationNote 22.

Technique. –  Sur un plan plus technique à présent, et qui prête tout autant à conséquence, l’étatisation de la réparation du dommage corporel est de nature à normaliser les suites de l’instruction. Les critères d’imputation des atteintes renseignées sont affinés au fur et à mesure des séances de travail, de l’évolution des connaissances médicales et de la conviction des uns et des autres qui se forge. Emporté dans son élan, le législateur s’est même aventuré à réformer le dispositif benfluorex en cours de route pour autoriser une auto-saisine du collège d’experts pour le cas où (entre autres cas de figure) des éléments nouveaux seraient susceptibles de justifier une modification d’un précédent avis (ou bien si les dommages constatés sont susceptibles, au regard de l’évolution des connaissances scientifiques, d’être imputés au procédé actif du médicament incriminé) (CSP, art. L. 1142-45-5, al. 4)Note 23. Il y aurait beaucoup à dire sur cette saisine proprio moutu entre autres qu’il n’est pas certain du tout qu’elle résiste à un contrôle de constitutionnalité a posteriori de la loi qui l’a instituéeNote 24. Il reste que la quantification des atteintes objectivées est plus fine (que ce qui est renseigné dans les barémisations indicatives pratiquées) en raison de l’hyper-connaissance des lésions typiques acquise petit à petit par les experts au gré de l’analyse de centaines voire de milliers de dossiers (focus)Note 25. Pour preuve, tandis que le Code de la santé publique dispose qu’il importe d’avoir recours au barème indicatif du concours médical (CSP, art. L. 1142-1, II, al. 2 et D. 1142-2)Note 26 et que l’on pourrait craindre une application mécaniqueNote 27, à l’expérience les experts ont su se démarquer pour inventer autant que de besoin une barémisation indicative nettement plus aboutie par comparaison. Ce n’est pas tout : une telle concentration des demandes est de nature à recommander quelques inventions et/ou corrections du droit positifNote 28, l’effet loupe en quelque sorte étant de nature à mettre en évidence les silences et insuffisances de la loi tandis qu’il aurait très certainement fallu des années au service public de la justice pour prendre la mesure des nécessités impérieuses de modifier l’existant.Où l’on constate pour résumer que l’étatisation de la réparation du dommage corporel présente des vertus tout à fait remarquables. Une question reste en suspens : les quelques vertus renseignées compensent-elles les quelques vices sur lesquels il importe à présent de réserver l’attention ?

B. –  Les vices

14. – La divergence des intérêts. –  Au nombre des critiques que l’on peut faire dans le temps imparti, il n’est jamais de bonne méthode de donner à croire que l’on peut valablement formuler des demandes sans le ministère d’un avocat-conseil. Peu important au fond que les agents du service public de la réparation du dommage corporel soient les plus diligents. Là n’est pas la question. Car toute amiable que soit la procédure, elle se change inévitablement en combat. C’est que les intérêts finissent toujours par diverger. Il faut bien voir que l’intérêt de la victime – qui espère invariablement le paiement de dommages-intérêts compensatoires les plus grands – n’est pas nécessairement celui du régleur (l’Office en l’occurrence) – qui est comptable inévitablement des deniers publicsNote 29. D’aucuns répondront que l’Office n’est pas nécessairement le débiteur final de la réparation. Il suffit pourtant que la personne mise en cause dans un avis d’indemnisation ne formule aucune offre ou bien que cette offre soit rejetée en raison de sa petitesse et l’Office sera substitué. Ce dernier peut donc être peu disant à l’heure de formuler à son tour une offre d’indemnisation, le budget de fonctionnement alloué étant contraint et la créance de remboursement pouvant être douteuse. Le ministère d’un avocat prend donc tout son sens. Ceci dit, que l’assistance et la représentation soient rendues obligatoires et ce premier vice devrait tomber de lui-même.Il y a en revanche autrement plus compliqué ou fâcheux, c’est selon. C’est de la co-saisine des juges et des administrateurs dont il est question.

15. – L’articulation des procédures. –  Le législateur n’a édicté aucune règle aux fins d’articulation des procédures judiciaire et amiableNote 30 qui auraient été engagées en parallèle. C’est regrettable, car l’invention de deux ordres de règlements des litiges exclusifs l’un l’autre est de nature, par hypothèse, à créer de sacrées divergences, partant de bien regrettables ruptures d’égalité de traitement. On nous opposera qu’il n’y a rien là que de très commun, le principe d’organisation territoriale des juridictions causant le même tracas. Certes, mais la concentration du contentieux en cause d’appel est de nature à lisser ces contingences. Or, le travail à visée indemnitaire de l’Office est réalisé en premier et dernier ressort en quelque sorte. Ceci mis à part, le problème reste entier. En bref : comment régler la contradiction éventuelle entre un jugement qui déboute la victime de ses prétentions et un avis qui fonde cette dernière à être indemnisée ?De prime abord, on n’a jamais vu que le judiciaire devait tenir l’administratif en l’état. Se pose alors la question de savoir à l’ordre de quel juge l’Office, en cas de substitution pour les raisons prescrites par la loi, devra déférer ? À l’ordre de celui qui préside la formation de jugement (incarnation du pouvoir judiciaire) ou bien à l’ordre de celui qui préside le collège ou la commission qui a rendu un avis d’indemnisation (incarnation du pouvoir exécutif) ? Pour mémoire, ces derniers aréopages sont présidés par des magistrats.Si le rejet de la demande d’indemnisation est le fait du juge administratif, on imagine mal que l’Administration ne se range pas sous sa bannière : tropisme obligerait. Mais si le rejet des prétentions du demandeur a été prononcé par un juge judiciaire, qu’il soit civil ou pénal, le problème pourrait rester entier. Aussi bien s’agirait-il d’imaginer une articulation entre les procédures judiciaire et amiable pour lever l’injonction contradictoire dans laquelle se trouve la direction de l’établissement et, ce qui n’est pas la moindre des considérations, garantir une cohérence décisionnelle.Pour ce faire, aussitôt l’Office informé de la saisine d’un juge, la procédure amiable gagnerait à être suspendue. Il faut voir dans cette règle une mesure purement conservatoire qui participe d’une bonne administration du service pendant que les moyens (limités de l’office) sont immédiatement remployés au profit de celles et ceux qui sont désireux que leurs différends soient réglés à l’amiable. Qu’on se rassure toutefois : le droit subjectif à la réparation amiable du demandeur ne saurait jamais être violé. C’est son exercice qui serait tout simplement différé dans le temps. À front renversé, il s’agirait que le législateur inventât une nouvelle cause de sursis à statuer à la manière de ce qui a été fait avec la création de la question prioritaire de constitutionnalitéNote 31. Le demandeur renseignant sa volonté d’entrer en voie de transaction, c’est l’extinction de l’instance dont il sera possiblement question en définitive. Quant au risque d’atteinte au droit au juge au sens de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui est connu, il importera de veiller à ce que les délais d’instruction restent raisonnables.Ce n’est pas tout. Il s’agirait aussi de s’interroger sur la loyauté des rapports noués entre toutes les personnes intéressées.

16. – La loyauté des rapports. –  En l’état de la législation, les commissions et collèges d’experts placés auprès de l’Oniam instruisent les demandes d’indemnisation et les mises en cause des professionnels de santé et fabricants sans que ces derniers n’en soient immédiatement avertis. Et d’avancer dans l’instruction ou la phase d’information préalable sans aviser plus avant les parties intéresséesNote 32. Ce n’est qu’une fois que le travail a été entamé et qu’un projet d’avis a été rédigé que les commissions et collèges informent les intéressés en les exhortant de conclure en réponse dans des délais extrêmement brefs (qui sont prorogés en pratique). Étude à visée conservatoire à la manière d’une consultation réalisée en cabinet d’avocat, nous rétorquera-t-on. Rien que de très ordinaire en somme à la différence près tout de même qu’en procédure civile il importe de formuler une demande introductive d’instance en bonne et due forme, laquelle une fois faite commande l’observance de toute une série de principes qui garantissent la loyauté des débats : celui de la contradiction et de l’égalité des justiciables dans le procès, qui ne souffrent aucun aménagement. Mais il y a autrement plus ennuyeux de notre point de vue. C’est que l’instruction est menée au vu de la documentation que le demandeur aura bien voulu communiquer à l’Office. Sans jamais faire aucune offense aux usagers du service public de la réparation du dommage corporel, la tentation de la sélection (voire d’une supposition) des pièces probantes est grande. Si donc l’Office ne demande pas qu’il lui soit communiqué tout le dossier médical (peu important dans les mains de quel professionnel il se trouve), le risque existe que l’information du collège ou de la commission soit en tout ou partie tronquée.Où l’on mesure les différences qui restent notables entre les deux services publics sous étude. Mais il est un dernier vice sur lequel nous souhaiterions attirer l’attention. Il a trait au défaut d’homologation de l’accord transactionnel, qu’il s’agirait pourtant de systématiser.

17. – L’homologation. –  Tant que les intérêts du demandeur constitué en victime sont protégés, soit par le ministère d’avocat, soit par un régime tutélaire, au fond c’est un accord de bon aloi. L’ennui, c’est qu’il pourrait fort bien arriver que des protocoles transactionnels soient signés alors que la victime est juridiquement incapable pendant qu’elle n’est pas utilement représentée. Et si, par extraordinaire, le procureur de la république n’est pas averti par l’Office – éventuellement substitué – afin qu’une mesure de protection soit prise, l’acte juridique encourra la nullité. Quand sera-t-elle découverte ? Eh bien lorsque la gestion des dommages-intérêts (possiblement capitalisés) aura été si calamiteuse que la victime se retrouvera sans un sou. Alors, la nullité de la transaction ne manquera pas d’être excipée. Le retour au statut quo ante ne pouvant être fait au préjudice de l’incapable, à la fin de l’histoire, celui qui aura payé bien imprudemment sera prié de payer une seconde fois. On accordera toutefois que le risque est de moindre intensité depuis la réforme du droit commun des contrats, le nouvel article 1151 du Code civil renfermant un obstacle – non plus aux seules restitutions comme c’était le cas sous l’empire du droit ancien encore qu’il n’était que relatif(V. également C. civ., art. 1352-4 [art. 1312 ancien]) – mais bien à l’action en nullité. Il reste que, pour bien faire, l’homologation judiciaire nous semble-t-elle de nature à palier ce vice et refréner les velléités de contestation : service public n’obligerait-il pas ?

18. – Interrogation et ouverture. –  On écrit que le système judiciaire français serait incapable de répondre aux besoins des victimes de sinistres sérielsNote 33 ; que les dommages de masse ne sauraient être son affaire. Qu’il nous soit tout même permis de rappeler que le service public de la justice, lorsqu’il a été saisi, n’a pas été ni moins vite ni plus lentement que le service public de la réparation du dommage corporel ; que le juge a su rendre à chacun de qui était dû dans des affaires qui ont échappé à l’Office.Aussi, pour conclure, et faute d’avoir épuisé le sujet, permettez-nous de poser une question. N’a-t-on jamais objectivé une carence si considérable du service public de la justice qu’il ait fallu prendre pour une habitude de substituer des administrateurs aux juges et, ce faisant, inventer une concurrence qui ne dit pas son nom et ne rend pas complètement justice à toutes les personnes concernées ?Une exhortation poétique pour terminer : vingt fois sur le métier remettez l’ouvrage. Polissez-le sans cesse et le repolissez. Ajoutez quelques fois et souvent effacez. Vingt années se sont écoulées depuis que l’Office a été créé. Le temps de la réforme de l’existant ne serait-il pas venu ??

Note : Article qui est le fruit d’une participation au colloque organisé par l’Université de Paris et le professeur Guégan le 04 mars 2022 à la Sorbonne intitulé : “Responsabilité médicale – 2002-2022 :Vingt ans de coexistence de la responsabilité et de la solidarité en matière médicale” publié à la revue Responsabilité civile et assurance (avr. 2022).

Note 1 D. Truchet, Droit administratif : PUF, 9e éd., 2021, p. 50 et s.

Note 2 P.-L. Frier et J. Petit, Droit administratif : LGDJ, 15e éd., 2021, n° 375 et s.

Note 3 J. Morand-Devilier, P. Bourdon et F. Poulet, Droit administratif : 17e éd., 2021, p. 509. – Comp. D. Truchet, Droit administratif : PUF, 9e éd., 2021, p. 371, n° 1066 (solidarité, équité, efficacité).

Note 4 L. Bloch, Interrogation autour de la réforme du système d’indemnisation des victimes du valproate de sodium : Resp. civ. et assur. 2019, alerte 23. – Sur la dialectique justice corrective vs justice distributive aux fins de description du droit de la responsabilité civile français, V. Rivollier, Les fonctions de la responsabilité civile face à la socialisation des risques en matière de dommages corporels, mél. P. Ancel : Larcier, 2021, p. 541. Il importerait qu’on s’interrogeât aussi sur l’effet d’aubaine créé par le dispositif amiable, qui autorise les personnes contre lesquelles un avis d’indemnisation a été rendu de transiger à l’aune des pratiques et bases de couverture du risque de l’Office.

Note 5 A. Guégan, Dommage de masse et responsabilité civile, préf. P. Jourdain, t. 472 : LGDJ, 2006. – F. Bibal et Cl. Bernfeld, Les dommages sériels causés par des produits de santé : Gaz. Pal. 19 janv. 2021, p. 77.

Note 6 A.-M. Patault, Dictionnaire de la culture juridique : PUF, 2003, v° propriété.

Note 7 Ch. Saout, La démocratie sanitaire à travers l’action des associations de patients et d’usagers (entretien) : RJSP 2021.6, n° 21.

Note 8 V. not. E. Terrier et J. Penneau, Médecine : réparation des conséquences des risques sanitaires – organes de la procédure : Rép. civ. Dalloz, 2020, n° 415.

Note 9 J. Chevallier, Les configurations de l’État stratège : RFFP nov. 2020, p. 27.

Note 10 Igas, Enquête sur le Médiator, janv. 2011 (www.igas.gouv.fr/spip.php ? article162). – Igas, Enquête relative aux spécificités contenant du valproate de sodium, févr. 2016 (www.igas.gouv.fr/spip.php ? article522). – CE, 1re et 6e ch. réunies, 9 nov. 2016, n° 393902 et 393926 : Lebon. – J. Sorin, Médiator : partage des responsabilités entre l’État et Servier : AJDA 2017, p. 2140. – R. Pellet, La défiance, du sanitaire au social : RDSS 2021, p. 143. – O. Gout, L’Oniam, un établissement à multiples facettes : Gaz. Pal. 16 juin 2012, p. 37.

Note 11 Le législateur s’est d’ailleurs appliqué par la suite à améliorer l’existant (L. n° 2011-2012, 29 déc. 2011, relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé) tandis que le juge n’a pas manqué de sanctionner tous les protagonistes de l’affaire, l’agence nationale de santé et de sécurité du médicament comprise (T. corr. Paris, 31e ch., 29 mars 2021 : condamnation des laboratoires Servier des chefs de tromperie aggravée, d’homicides et blessures involontaires ; 180 millions de dommages et intérêts et plus de 2,7 millions d’ euros d’amende. Condamnation de l’agence – ex Afssaps à 303 000 € d’amende pour avoir tardé à suspendre l’autorisation de mise sur le marché).

Note 12 F. Ewald emploie pour sa part la notion de « services publics de responsabilité ». C’était il y a 35 ans. Et l’auteur d’esquisser « le schéma général du nouveau droit de la responsabilité articulé sur le principe d’un droit de l’accident [qui] ne met plus face à face deux sujets que sont l’auteur et la victime du dommage, mais trois acteurs : la victime, le responsable et une collectivité, représentée par un ou plusieurs organismes d’assurance » (Histoire de l’État providence. Les origines de la solidarité, Grasset, 1996). En bref, et pour présenter les choses autrement, préférez la socialisation du risque et l’Office à l’assurantialisation ; nous devrions alors rejoindre assez facilement la thèse de l’auteur. V. également G. Viney, Le déclin de la responsabilité individuelle, préf. R. Rodière : LGDJ, 1965.

Note 13 F. Leduc, Solidarité et indemnisation in La solidarité, Travaux de l’association Henri Capitant, t. LXIX : Bruylant, 2019.

Note 14 V. not. S. Jouslin de Norray et Ch. Joseph-Oudin, Le dispositif spécifique d’instruction des demandes d’indemnisation concernant les préjudices imputables au valproate de sodium : un avantage pour les droits des victimes ? : RLDC 2017, n° 146.

Note 15 L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, t. 2 : 3e éd., 1928, p. 61. – Cité par J. Petit et P.-L. Frier, Droit administratif : LGDJ, 13e éd., 2019, n° 363.

Note 16 F. Kessler, Complément ou substitution à la sécurité sociale ? Essai sur l’indemnisation sociale comme technique de protection sociale : Dr. soc. 2006, p. 191.

Note 17 Comp. le financement du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques qui est intéressant à cet égard (C. rur., art. L. 253-8-2).

Note 18 Reichstag, discours, 17 nov. 1881.

Note 19 V. Th. Leleu, Oniam. Vers la création d’un géant de l’indemnisation, à propos du rapport de l’Igas proposant la fusion de l’Oniam et du Fiva : Resp. civ. et assur. 2021, étude 12.

Note 20 V. également en ce sens, J. Knetsch, Le nouveau dispositif d’indemnisation des victimes du Médiator issu de la loi du 29 juill. 2011 : Resp. civ. et assur. 2011, étude 14, spéc. n° 9.

Note 21 V. not. J. Knetsch, Le nouveau dispositif d’indemnisation des victimes du Médiator issu de la loi du 29 juill. 2011 : Resp. civ. et assur. 2011, étude 14, spéc. n° 5 et s.

Note 22 Cons. const., 18 juin 2010, n° 2010-8 QPC, cons. 16.

Note 23 Créé par la L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, art. 187. – V. également CSP, art. L. 1142-24-12, al. 6 (saisine du collège valproate de sodium).

Note 24 V. not. et par comparaison : J. Bourdoiseau note ss Cons. const., 15 nov. 2013, n° 2013-352 QPC : LPA 30 mai 2014.

Note 25 V. également en ce sens, L. Bloch, Scandale de la dépakine : le « fonds » de la discorde : Resp. civ. et assur. 2016, alerte 24. – A. Guégan, Les nouvelles conditions d’expertise au sein du dispositif pour l’indemnisation des victimes du valproate de sodium : Gal. Pal. 19 janv. 2021, p. 83. – L. Friant, L’indemnisation extrajuridictionnelle des victimes du valproate de sodium ou de ses dérivés : bilan et perspectives : RLDC 2020, n° 183.

Note 26 Barème annexé au D. n° 2003-314, 4 avr. 2003, ann. 11-2.

Note 27 J. Bourdoiseau, La réparation algorithmique du dommage corporel : binaire ou ternaire ? : Resp. civ. et assur. 2021, étude 7.

Note 28 Il pourrait être soutenu qu’une telle initiative est douteuse faute pour les administrateurs, aussi experts soient-ils, d’être fondés à se départir des règles de droit applicable dans le cas particulier. Il se pourrait même qu’il y ait plus à dire encore. C’est qu’il n’est pas acquis du tout que lesdits administrateurs aient jamais été priés par le législateur de trancher en droit. C’est pourtant à l’aune du droit positif que les demandes sont appréciées : tropisme oblige (qui gagnerait à être interrogé).

Note 29 V. not. sur cette problématique à propos du Fiva, Ph. Brun, Droit de la responsabilité extracontractuelle : LexisNexis, 2018. À noter encore que la présence éventuelle du chef des services benfluorex et valproate de sodium dans les séances des collèges éponymes, ce dernier ayant la responsabilité de formuler une offre transactionnelle en cas de substitution de l’Office, donne-t-elle à penser : ordonner la dépense (à tout le moins participer même sans voix délibérative à la délibération) et payer ne font pas bon ménage en général.

Note 30 Le législateur a toutefois cherché à prévenir l’enrichissement injustifié du demandeur par une information circonstanciée (V. art. Knetsch, Le droit de la responsabilité et les fonds d’indemnisation : th. Paris 2, 2011, n° 338).

Note 31 Ord. n° 58-1067, 7 nov. 1958, art. 23-2.

Note 32 F. Bibal, La contradiction n’est pas respectée devant les CCI : Gaz. Pal. 15 févr. 2022.

Note 33 S. Jouslin de Noray et Ch. Joseph-Oudin, Le dispositif spécifique d’instruction des demandes d’indemnisation concernant les préjudices imputables au valproate de sodium : un avantage pour les droits des victimes ? : RLDC 2017, n° 146.

La sécurité sociale : le financement

Mission impossible ?- Le financement de la protection sociale et plus particulièrement des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale est un défi ! Très longtemps assuré par le recouvrement essentiellement de cotisations, il est désormais assuré par le prélèvement de l’impôt et le recours à la finance. Les difficultés financières sont bien connues.

Il faut dire que le spectre des prestations servies est très large. En 2019, les dépenses de sécurité sociale se chiffrent à 470 milliards d’euros (tandis que, par comparaison, le budget de l’État se monte à 350 milliards), soit 25 % de la richesse nationale. Comme on l’imagine volontiers, c’est la branche maladie qui pèse le plus lourdement dans les dépenses du régime général (51,9 %). Un rapide focus sur les dépenses de santé permettra de se rendre un peu mieux compte de ce qui se joue en général. Chose faite, les leviers qui sont actionnés pour assurer le financement de la sécurité sociale devraient être plus faciles à comprendre.

Dépenses de santé.- Le rythme de croissance des dépenses de santé n’a cessé de croître depuis 1950. La part de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) dans le PIB a plus que triplé, passant de 2,6% en 1950 à 8,9 % en 2014. Ce rythme n’a pas été continu. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), dont le job est de fournir aux décideurs publics, aux citoyens, et aux responsables économiques et sociaux des informations fiables et des analyses sur les populations et les politiques sanitaires et sociales, distingue deux périodes.

1950-1985 : développement de l’offre de soins et élargissement du financement des dépenses de santé dans le contexte économique très favorable des Trente glorieuses. Le financement public joue un rôle central dans le développement du système de santé. La couverture maladie se généralise. Les composantes de la CSBM sont dynamiques, comme on dit dans les ministères. La dépense hospitalière connaît un fort taux de croissance : on construit des hôpitaux, le nombre de médecins augmente, le recours aux spécialistes est plus important, les innovations technologiques sont nombreuses. La demande est mieux solvabilisée grâce au développement des assurances complémentaires. Les volumes de consommation des médicaments font un bond (10,4 % en moyenne annuelle).

1986-2014 : recherche d’une meilleure maîtrise du système et de son financement dans un contexte de croissance économique ralentie. Années 1970, c’est le retournement de la conjoncture. Les pays exportateurs de pétrole prennent conscience de leur position de force. Le prix du baril s’envole. À la fin de l’année 1973, au lendemain de la guerre du Kippour entre Israël et les états voisins, les pays du Golf réduisent leur production en guise de rétorsion. En quelques semaines, le baril de pétrole passera de 4 à 16 dollars. Les économies occidentales ne parviennent pas à compenser une telle augmentation. C’est le 1er choc pétrolier. La croissance s’effondre et le chômage de masse fait son apparition. Les recettes sont moindres tandis que, dans le même temps, les patients sont mieux pris en charge notamment en affection de longue durée (ALD) pendant que le vieillissement de la population pèse sur les dépenses. L’effet de ciseau est imparable. Les comptes de l’assurance maladie se retrouvent régulièrement en déficit. Années 1980, les plans de redressement se succèdent. Les cotisations augmentent. Des mesures de régulation de la dépense sont prises. L’évolution de la CSBM alterne des périodes de croissance et de stabilisation. Entre 1985 et 1995, la croissance de la CSBM est soutenue : le secteur 2 se développe pour les médecins spécialistes (et les dépassements d’honoraires par la même occasion), le nombre de patients en ALD augmente. La tendance est notablement haussière. En 1996 (ordonnances dites Juppé), on invente l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) qui cape l’augmentation de la dépense. 2004, mise en place de la tarification à l’activité pour les soins hospitaliers (T2A – les ressources allouées par le ministère à chaque établissement de santé sont calculées à partir d’une mesure de l’activité produite conduisant à une estimation de recettes), instauration de participations forfaitaires et de franchises pour les soins de ville, déremboursement de médicaments, renforcement de la maîtrise médicalisée. En 2019, la CSBM s’élevait à 208 milliards d’euros (dépense hospitalière 47 % soit 91 milliards. Soins de ville 56,5 milliards d’euros. Médicaments prescrits en ambulatoire 32,6 milliards). Ceci étant, le taux de croissance de la consommation de soins et de biens médicaux se stabilise autour de 2%.

À noter que l’ONDAM n’est pas simplement qu’un vulgaire objectif de dépenses à ne pas dépasser en matière de soins de ville et d’hospitalisation (annexe 7 du projet de loi de financement de la sécurité sociale). Un comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie veille. Et il doit alerter le Parlement, le Gouvernement, les caisses nationales et l’union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire (UNOCAM) en cas d’évolution des dépenses incompatibles avec le respect de l’objectif voté par le Parlement (art. L. 114-4-1 css). L’affaire se complique si le comité considère qu’il existe un risque sérieux que les dépenses dépassent l’objectif assigné : les caisses d’assurance maladie doivent alors proposer aussitôt des mesures de redressement.

On imagine sans peine la hauteur des ressources qu’il faut trouver chaque année pour couvrir les dépenses de sécurité sociales. Le financement du système français de sécurité sociale est traditionnellement fondé sur des cotisations. Il fait désormais appel, pour une part qui va crescendo, à l’impôt. C’est que le régime général est confronté à de grandes difficultés financières. La Cour des comptes, dans le cadre de sa mission constitutionnelle d’assistance du Parlement et du Gouvernement, s’en inquiète chaque année à l’occasion de la publication de son rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale (Code des juridictions fin., art. L.O. 132-3 ; C. sécu. soc., art. L.O. 111-3, al. 8). La fiscalité affectée au financement des organismes de sécurité sociale est demeurée longtemps marginale. Elle atteint une dimension significative à partir des années 2000, lesquelles années ont été marquées par l’impact croissant des allègements et exonérations de cotisations et/ou de contributions sociales sur les recettes de la sécurité sociale. Dans ce cas de figure, la loi oblige l’État à compenser intégralement les réductions de charges sociales et patronales qu’il a consenties (art. L. 131-7 css in mesure visant à garantir les ressources de la sécurité sociale). Seulement voilà : il s’est abstenu….

Depuis 2006, on constate une constante progression des impôts et taxes affectés au financement de la sécurité sociale (ITAF). Ceci étant, le prélèvement social prime encore le prélèvement fiscal. Dit autrement, les cotisations sociales occupent toujours une place prépondérante dans le financement de la protection sociale (61,4 % soit près de 400 milliards d’euros).

1.- Les cotisations

L’assiette des cotisations (1.1). La charge des cotisations (1.2).

1.1.- L’assiette des cotisations

Inclusion.- Traditionnellement, les cotisations ont pour assiette (c’est-à-dire les valeurs de référence qui servent au calcul des cotisations de sécurité sociale) les salaires ou rémunérations.

Le siège de la matière est le très prolixe article L. 242-1 css. : « pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail, et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail ». Et l’article de viser une liste non exhaustive de rémunérations. C’est ce texte – qui fait office de clef de voute en quelque sorte – qui fonde le fameux contrôle comptable d’assiette des inspecteurs chargés du recouvrement (Urssaf).

Largement formulé, le texte atteste la volonté du législateur d’étendre autant que possible les bases du financement de la sécurité sociale. Les marqueurs d’extension que renferme ce texte ne sont pas sans rappeler la rédaction de l’article L. 311-2 css (voy. l’article « Les assurés sociaux et les régimes de protection sociale »). Il faut y voir le rappel sans équivoque de la volonté globalisante du système de sécurité sociale.

La notion de rémunération a donné lieu à un abondant contentieux. Soucieuse de respecter l’esprit de la loi, la Cour de cassation a interprété largement la notion. Aux termes d’un arrêt rendu en Assemblée plénière, la Cour régulatrice considère qu’« est considérée comme une rémunération (…) toute somme allouée aux travailleurs d’une entreprise, même à titre bénévole ou à l’occasion de circonstance totalement étrangères au travail, dans la mesure où le versement est effectué en raison de la seule qualité de salarié des intéressés » (Ass. Plén., 31 mai 1989, Bull. n° 1). Les cotisations frappent donc le salaire proprement dit, mais aussi tous les avantages en espèce, à savoir toutes les primes ou gratifications qui sont liées aux conditions de travail ou d’emploi ou à l’appartenance du salarié à l’entreprise.

L’assiette est comprise le plus largement possible. L’interprétation constante de l’article L. 242-1 css ne limite pas les prélèvements sociaux à l’hypothèse ordinaire où c’est l’employeur qui verse les rémunérations. Toutes les primes versées par un tiers sont réintégrées dans l’assiette des cotisations…à la condition bien entendu qu’elles constituent pour les salariés un complément de rémunération. Ainsi, les avantages en espèce servis par un comité social et économique, qui le sont à raison de l’appartenance du salarié à l’entreprise et qui sont servis à l’occasion du travail relèvent en principe des cotisations. Les avantages en nature – à tout le moins ceux accordés par l’employeur (mise à disposition d’un bien ou d’un service à titre gratuit ou moyennant une participation du salarié inférieure à la sa valeur réelle) – n’échappent pas à la règle. Ils sont soumis à cotisation. La difficulté en la matière consiste à les évaluer. Leur traduction pécuniaire est un préalable au calcul des cotisations. Un ensemble de circulaires règle le sort de ces avantages[1]. Tantôt, la cotisation est réelle. Elle consiste alors à évaluer l’avantage en nature au plus près de valeur réelle (Arr. 10 déc. 2002). Tantôt, elle est forfaitaire (ex. : mise à disposition d’un logement ou d’un véhicule, fourniture de nourriture par ex.).

Exclusion.- Des sommes sont toutefois exclues de l’assiette des cotisations. C’est le cas des indemnisations à condition qu’elles aient pour objet de compenser un préjudice : indemnité de licenciement (sous certaines conditions) et indemnités allouées à l’occasion de la réduction du temps de travail notamment. On compte aussi les frais professionnels, les contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance. L’article L. 242-1 css est en ce sens. Sont encore exclues de l’assiette des cotisations les sommes allouées au titre de l’intéressement ou de la participation (art. L. 3312-4 c. trav.).

1.2. La charge des cotisations

Les cotisations assises sur les revenus professionnels et de remplacement ont historiquement été supportées par les travailleurs et les employeurs. Désormais, les cotisations ne sont plus partagées mais sont exclusivement supportées par les uns ou les autres. Subsiste une exception à la règle : les cotisations d’assurance vieillesse. Faisons un premier tour d’horizon des cotisations de sécurité sociale.

Cotisations des assurances sociales. – La charge partagée était la règle pour le paiement des cotisations d’assurance maladie, maternité, invalidité et décès (art. D. 242-3 css) – c’est la règle qui a été décidée lorsque le législateur a organisé la généralisation de la complémentaire santé en 2013 (loi n° 2013-504 de sécurisation de l’emploi 14 juin 2013) – . C’est que, à l’origine, les assurances sociales étaient réservées aux travailleurs les plus modestes, qui étaient dans l’incapacité matérielle d’assumer seuls la charge des cotisations. Un partage était alors fait, qui était à parts égales. Pour le dire autrement, le taux des cotisations patronales et salariales était identique (4 %). Avant que le partage ne soit supprimé et qu’il soit décidé que cette charge serait supportée par les seuls employeurs (loi n° 2017-1836 du 30 déc. 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, art. 8), le partage était pour le moins inégal. L’article D. 242-3, al. 1er css disposait que « le taux de cotisation des assurances sociales (…) est fixé à 13,55 %, soit 12,80 à la charge de l’employeur et 0,75 % à la charge du salarié ou assimilé, sur la totalité des rémunérations ou gains de l’intéressé ». Le taux de cotisation des assurances sociales affectée aux risques maladie, maternité, invalidité et décès est désormais fixé à 13%. Il est de 7% au titre des rémunérations annuelles ne dépassant pas 2,5 smic.

À noter que des individus, qui se retrouvent dans une situation particulière, restent très exceptionnellement tenus au paiement de cette cotisation (taux aux alentours de 5,5 %). Ils sont visés à l’article D. 242-3, al. 2 css. Ce sont notamment les personnes qui, sans être sans droit ni titre sur le territoire (qui relèveraient alors de l’AME. Voy. l’article « Les assurés sociaux »), ne remplissent pas les conditions de résidence de l’article L. 136-1 et qui bénéficient pourtant, à titre obligatoire, de la PUMa. C’est le cas des personnes non domiciliés fiscalement en France et des « salariés non résidents actifs ».

Une autre catégorie de personnes reste tenue au paiement des cotisations des assurances sociales. Ce sont les salariés qui résident dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Le régime local de couverture des risques et charges de l’existence y est particulier (2020 : part salariale : 1,5% / part patronale : 13%). C’est en quelque sorte la survivance du régime bismarkien. Pour mémoire, ces territoires ont été rattachés à l’empire Allemand de 1871 à 1918. La population a donc bénéficié des lois de Bismarck (voy. l’article « La sécurité sociale : tour d’horizon »). Le décret n° 46-1428 du 12 juin 1946 a maintenu ce régime à titre provisoire. La loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 l’a pérennisé (voy. not. F. Kesler, L’assurance maladie en Alsace-Moselle : des origines à nos jours, 2ème éd., IRJS éd., 2013).

Cotisations d’accidents du travail et maladies professionnelles. – Les employeurs supportent seuls la charge des cotisations dues au titre des AT-MP (art. L. 241-5, al. 1er css). Des raisons historiques et logiques imposent ce sort. Les accidents du travail (AT) et les maladies professionnelles (MP) sont un risque créé par l’entreprise. À ce titre, il ne paraît pas incongru d’en faire supporter le poids aux employeurs.

La loi réserve toutefois à ce dernier nombre de facilités pour alléger sa lourde charge. La prévention de la survenance du risque de dommage est récompensée par une diminution du coût des cotisations, par un bonus. Il s’agit plus précisément d’une ristourne sur la cotisation qui peut être accordée par les caisses d’assurance retraite et de santé au travail  (CARSAT), qui a pour effet de minorer les cotisations patronales de sécurité sociale. L’exercice n’est pas toujours des plus évidents. Les employeurs peuvent se faire assister parce qu’on appelle des préventeurs. Une fédération des acteurs de la prévention existe par ailleurs.

Le taux de cotisation est fixé annuellement par établissement par les Carsat (www.carsat-région.fr / art. D. 242-6 css) et la caisse régionale d’assurance maladie d’île de France (CRAMIF). La tarification des AT-MP correspond à un système dit « de répartition des capitaux de couverture ». Le principe est le suivant : les cotisations sont fixées à titre conservatoire pour couvrir l’ensemble des charges liées aux accidents susceptibles de survenir dans l’année. Chaque établissement est classé par le service de tarification de la caisse compétente par branche d’activité et par risque professionnel. Le taux de cotisation est ensuite calculé par l’organisme privé chargé d’une mission de service public en considération de l’effectif de l’entreprise. Il existe, plus précisément trois modes de tarification selon la taille de l’entreprise (art. D. 242-6-2 css) : une tarification individuelle (pour les entreprises de 150 salariés et plus), une tarification collective (pour les entreprises de moins de 20 salariés) une tarification mixte (pour les entreprises de 20 à 150 salariés).

Le mode de tarification et la fixation du taux de cotisation sont une préoccupation majeure pour les employeurs, qui recherchent à minimiser les charges en générale et les cotisations de sécurité sociale plus particulièrement. Ils y sont aidés par des opérateurs pointus qui sont tantôt des avocats tantôt des juristes très expérimentés (voy. par ex. https://www.prevantis.fr).

Il reste une cotisation supplémentaire à payer au gré des circonstances. La notion de bonus va de paire avec celle de malus. Il est des circonstances qui fondent la Carsat à infliger à l’employeur la cotisation supplémentaire pour risques exceptionnels de l’art. L. 242-7 css (v. aussi art. 452-5, al. 4 css). Il en va ainsi lorsque l’employeur ou un copréposé s’est rendu coupable d’une faute intentionnelle qui a occasionné l’accident de travail ou qui est à l’origine de la maladie professionnelle (voy. l’article : « Les accidents du travail »).

Cotisations d’allocations familiales. – Les employeurs supportent également seuls la charge des cotisations d’allocations familiales (art. L. 241-6, 1 css) dont le taux est fixé à 5,25 % pour les rémunérations supérieures à 3,5 smic (2020). Le paiement d’un supplément familial de salaire à raison de charges de famille date du second empire (1860). Quelques initiatives (aussi remarquables que peu répandues) seront prises un peu plus tard notamment par Léon Hamel. Des caisses de compensation apparaîtront dans les années 20 tandis que les années 30 le paiement de ce qu’on appelle plus volontiers désormais un revenu de complément (accordé à ce jour par les caisses d’allocations familiales) sera généralisé. Ce sont ces cotisations dont les employeurs réclament régulièrement l’allégement voire l’exonération.

Les cotisations – il y en a bien d’autres (…) – sont nécessaires au financement de notre système de protection sociale, mais elles sont insuffisantes. Il faut compter sur la fiscalisation autrement dit les impôts.

2.- Les impôts

Les impositions de toutes natures sont pléthoriques – il fallait bien çà. Pêle-mêle, dans le désordre : droit de consommation sur les tabacs. Droit de consommation sur les alcools (Tva et régimes sectoriels). Contribution de solidarité sur les sociétés (C3S). Prélèvement social sur les produits de placements. Prélèvement social sur les revenus du patrimoine. Contribution sociale sur les bénéfices. Forfait social. Taxe sur les véhicules de société. Contribution sur les contrats d’assurance en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur. Taxe de solidarité additionnelle afférente aux garanties de protection complémentaire en matière de frais de soins de santé (TSA). Taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA). Taxe exceptionnelle sur la réserve de capitalisation. Etc. La lecture de la table d’exposition du code de la sécurité sociale révèle l’étendue desdites impositions (art. L. 136-1 et s. css).

CSG.- L’expression la plus symbolique de la fiscalisation est la contribution sociale généralisée. Créée, sous le gouvernement Rocard pour diversifier le financement de la sécurité sociale (loi de finances pour 1991 n° 90-1168 du 29 déc. 1990, art. 127-135), la CSG fait partie des impositions de toutes natures (à tout le moins en droit interne – cons. constit. décisions n°90-285 DC du 28 décembre 1990, n° 96-384 DC du 19 décembre 1996, n° 96-384 DC du 19 décembre 1996 – , car en droit de l’Union européenne la CSG est assimilée à une cotisation sociale en raison de son affectation au financement de la sécurité sociale). Cet impôt participe au financement de la sécurité sociale. Il contribue plus précisément à financer les branches maladie, famille, retraite ; son taux est fixé à 9,20 % (art. L. 136-8 css). La contribution sociale généralisée se compose de quatre prélèvements distincts. Elle frappe 1° les revenus d’activités comme ceux de remplacement ; 2° les revenus du patrimoine et revenus assimilés ; 3° les produits de placement ainsi que 4° les produits réalisés à l’occasion de jeux (art. L. 136-1 à L. 136-9 css). À l’origine, le taux de la CSG était de 1,1%… Il fallait bien vendre l’impôt aux contribuables !

CRDS.- On doit la Contribution au remboursement de la dette sociale à une ordonnance adoptée sous le gouvernement Juppé n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale. L’idée qui a présidé à son invention est simple : apurer la dette sociale accumulée pour un impôt spécifique et temporaire (prière de ne pas sourire) dont le produit est l’occasion pour l’établissement public en responsabilité de s’employer à la titrisation (vente de titres obligataires émis sur les marchés financiers). Pour ce faire, le gouvernement habilité par le législateur crée un établissement public national à caractère administratif : la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). Le produit des contributions au remboursement de la dette sociale lui est affecté (et quelques points de CSG pour faire bonne mesure). C’est que l’ordonnance frappe les revenus de l’activité, les revenus du patrimoine, les produits de placement, les ventes de métaux et objets précieux, les gains de jeu. Le taux de chaque prélèvement est plus modéré que celui pratiqué sur le fondement de la CSG. Il est de 0,5 %. Une imposition temporaire promettait le législateur… L’article 1er de l’ordonnance n° 96-50 disposait que la CADES devait disparaître 13 ans et un mois à compter de son entrée en vigueur (1er janv. 1996 – effet rétroactif de la loi – sans commentaire…), soit en février 2009. Mais la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie a substitué à ce terme extinctif certain un terme à échéance incertaine. La loi dispose depuis que la durée de vie de la CADES est prolongée « jusqu’à extinction de des missions mentionnées à l’article 4 » (art. 76, II)…à savoir l’apurement de la dette sociale…autrement dit (il faut le craindre) ad vitam aeternam !

TVA sociale.- Techniquement, il s’agit d’affecter une part du produit de la TVA au financement de la protection sociale. Économiquement, cela consiste à faire supporter une part du financement de la protections sociale par le consommateur dans le dessein de réduire, à due proportion, le coût du travail et, par voie de conséquence, d’améliorer la compétitivité des entreprises (à raison de la baisse théorique du prix hors taxe des produits et des services). En bref, c’est un dispositif commode qui permet de compenser les allègements de cotisations. Tout est bien décrit dans le code général des impôts (Partie 1 – Impôts d’État. Titre 2 – Taxe sur le chiffre d’affaires et taxes assimilées. Chap. 1 – TVA, art. 256-0 et s. Section 5 – Calcul de la taxe. I – Taux. A – Taux normal). En son temps, le gouvernement Fillon avait dans l’idée d’alléger, à compter du 1er oct. 2012, les charges patronales d’allocations familiales sur les bas salaires. Pour pallier la perte mécanique de recettes de la Caisse nationale des allocations familiales, la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 majorait le taux normal de la TVA, en le portant à 21,20 % (art. 2, V, A). La hausse du point aurait été affecté à la CNAF. Mais cette réforme ne vit pas le jour. Quelques jours après l’élection de François Hollande à la présidence de la République, une loi de finances rectificative n° 2012-958 du 16 août 2012 était votée : la TVA était ramenée au taux normal (de l’époque) de 19,60 % (art. 1, IV, B) ! C’est que les cotisations n’avaient pas été allégées ou pas encore…


[1](Arr. 20 déc. 2002 rel. frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale ; Circ. min. 7 janv. 2003 ; Arr. 25 juill. 2005 modif. Arr. 20 déc. 2002 ; Lettre circ. Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale 25 août 2005 ; Circ. intermin. 28 janv. 2009 rel. Aux frais de transport entre la résidence habituelle et le lieu de travail des salariés).

Les assurés sociaux et les régimes de protection sociale

Les assurés sociaux peuvent être couverts contre les risques et les charges de l’existence de bien des manières, en l’occurrence soit par le régime général qui occupe une place prépondérante dans le système de protection sociale (en ce sens qu’il compte 62,4 millions de bénéficiaires), soit par d’autres régimes particuliers de protection, qui s’adressent à des populations distinctes.

Quoi qu’il en soit, les uns et les autres sont des régimes légaux de base.

Aussi généraux soient-ils, ces derniers régimes comportent des insuffisances (voy. l’article « Sécurité sociale : définition »). En bref, les revenus de remplacement destinés à se substituer à un revenu professionnel manquant en tout ou partie sont forfaitaires. Quant aux dépenses de santé, elles ne sont pas complètement couvertes, à tout le moins pas par l’assurance maladie obligatoire (AMO). Une partie des dépenses de santé restent à la charge du patient. C’est ce qu’on appelle le ticket modérateur (TM). L’importance de ce dernier varie selon la nature du risque (maladie, maternité, invalidité, accident du travail ou maladie professionnelle), l’acte ou le traitement, le respect ou non du parcours de soins coordonnés. L’Assurance maladie rembourse par exemple 70% du prix de la consultation du médecin traitant (médecin généraliste conventionné qui exerce en secteur 1). La consultation est facturée 25 euros. L’AMO rembourse donc 17,50 euros. Le ticket modérateur se monte à 30% soit 7,50 euros.

On dit/écrit volontiers que c’est une manière de responsabiliser les assurés sociaux. C’est une pure vue de l’esprit. L’ordonnateur de la dépense n’est certainement pas le patient mais le professionnel de santé, qui est seul habilité à procéder. Le reste à charge n’interdit donc pas la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM). Au reste, il n’a jamais empêché les plus aisés de recourir à un quelconque acte de soin pendant qu’il a certainement interdit aux plus pauvres d’avoir accès aux soins.

Tout à fait avisé de la situation, le législateur s’est appliqué (avec plus ou moins de bonheur. Voy. l’article : « La généralisation de la complémentaire santé ») à généraliser l’assurance maladie complémentaire – AMC – (loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi). À ce jour, en France, plus de 95 % des personnes bénéficient d’une assurance santé complémentaire, individuelle ou collective. Le ticket modérateur n’a pour ainsi dire plus du tout aucune fonction prophylactique ou de responsabilisation. Au reste, le législateur a multiplié les cas d’exonération (not. pour les affections de longue durée, les soins en lien avec un accident du travail ou une maladie professionnelle, etc.). En définitive, le ticket modérateur fait office de levier technique en ce qu’il détermine respectivement le remboursement accordé par l’AMO et, par voie de conséquence, la couverture consentie par l’AMC.

En résumé, il existe une sécurité sociale de base (garantie par les régimes légaux) et une sécurité sociale complémentaire (assurée par les régimes conventionnels).

Section 1.- Les régimes légaux garantis aux assurés sociaux

Si l’on prend en compte le nombre d’assurés qui relève du régime général de la sécurité sociale (1), on peut affirmer qu’il constitue certainement le « socle de la protection sociale en France » (J.-J. M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la sécurité sociale, Précis Dalloz in Les régimes légaux). Sont en effet couverts le gros des travailleurs salariés (et leurs ayants droit) ainsi que les travailleurs indépendants (depuis le 1er janvier 2018) mais pas toute la population.

Certains relèvent d’autres régimes spéciaux, de régimes autonomes ou bien du régime agricole (2).

1.- Le régime général garanti aux assurés sociaux

L’institution qui nous occupe à pour vocation d’embrasser le plus largement possible. Bon nombre d’assurés sociaux sont ainsi garantis, par le truchement du régime général, contre les risques et charges de l’existence.

La première catégorie d’assurés sociaux que le législateur a entendu garantir est constituée, d’abord, par les travailleurs dépendants et leurs ayants-droit respectifs. On ne souviendra que les prestations accordées par le droit de la sécurité sociale ont historiquement eu pour objet de « débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, qui [se trouvait être] la base réelle et profonde de l’inégalité entre les classes sociales » (Alexandre Parodi, ministre du travail, 31 juill. 1945. Voy. l’art. « Sécurité sociale : définition »).

Considérant que ces derniers n’étaient toutefois pas – loin s’en faut – les seuls individus dignes de protection, le législateur a ensuite assimilé de nombreuses personnes à des travailleurs dépendants.

Ce système d’inspiration bismarckienne construit pour l’essentiel sur la qualité de travailleur dépendant (en contrepartie de laquelle l’assurance sociale est accordée), a très longtemps perduré sans qu’il ne soit notablement corrigé. L’expérience a fini par mettre en évidence des situations flagrantes de défaut d’assurance (maladie) ou, pour le dire autrement, des trous de couverture. En bref, ont été dénombrées des personnes n’ayant pas ou plus aucune assurance sociale et ne pouvant donc pas se faire rembourser les frais engagés pour se soigner. Les raisons sont connues. Elles tiennent par exemple à un changement de statut juridique. C’est le cas du salarié d’une entreprise privée quelconque qui a réussi un concours de la fonction publique et qui devient fonctionnaire : si le passage du régime général de la sécurité sociale au régime spécial des fonctionnaire tarde à être effectif et que des frais de santé doivent être engagés, la personne n’aura pas vocation à être remboursée. Conséquences : renonciation aux soins et aggravation de l’état de santé.

En 1999, le législateur s’applique à améliorer l’existant. Il invente la couverture maladie universelle de base (CMU), qui profite aux personnes déclarant ne bénéficier d’aucune prestation en nature des assurances maladie et maternité au titre d’un régime légal de sécurité sociale. Près de 2,3 millions de personnes profiteront du dispositif. En 2016, le dispositif est notablement amélioré. La protection universelle maladie (PUMa) remplace la CMU (loi n° 2015-1702 du 21 déc. 2015 de financement de la sécurité sociale, art. 59). L’assurance maladie (concrètement le remboursement des frais de soins de santé) est purement et simplement déconnectée avec le travail dépendant et l’activité professionnelle (art. L. 160-1 css). C’est un modèle plus volontiers beveridgien, qui prône l’universalisation de la couverture sociale, qui est préféré : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Tout est dit dans le très programmatique article L. 111-2-1, I css : « La Nation affirme son attachement au caractère universel, obligatoire et solidaire de la prise en charge des frais de santé assurée par la sécurité sociale ». Et le législateur d’accorder une telle couverture peu important que le malade réside en France de manière stable et régulière (art. L. 1601-1 css) depuis plus de trois mois (art. D. 160-2 css) ou pas. Pour le dire autrement, les personnes en situation irrégulière ont également un droit à l’accès aux soins, en l’occurrence via l’Aide médicale d’État (art. L. 251-1 c. action soc. fam.). La sécurité sanitaire – car c’est très précisément ce dont il s’agit – a un coût (-1 milliard d’euros), ce n’est pas douteux. Il reste qu’elle n’a pas de prix (et qu’elle n’est pas si onéreuse au vu de la dépense courante de santé en 2018 à savoir 275,9 milliards d’euros soit 11,7% du PIB. Dress, Les dépenses de santé en 2018, Résultat des comptes de la santé). La pandémie qui frappe le monde entier devrait suffire à s’en convaincre.

1.1.- Le régime général garanti aux travailleurs dépendants

L’assuré social – une définition. – La qualité d’assuré social est définie par la loi. L’article L. 311-2 css (in Champ d’application des assurances sociales) dispose « sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d’une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l’un ou de l’autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat. »

L’analyse du texte s’impose.

Au préalable, il importe de faire un peu de légistique. Pratiquons l’art de rédiger le droit. À la différence des définitions qui sont proposées en droit civil, qui est bien souvent économes en mots, celle qui nous occupe est plutôt singulière.

La volonté du législateur social a été d’embrasser le plus largement les champs du possible. Pour ce faire, la notion de travailleur dépendant est comprise dans son acception la plus large. Pour preuve, l’article abonde de signes ou marqueurs d’extension tels que « quel que soit », « même si », « de l’un ou l’autre », « ou travaillant à quelque titre que ce soit », « pour un ou plusieurs », etc.

C’est à l’adresse des tribunaux que le législateur a ainsi rédigé l’article L. 311-2 css. Il est dit, par prétérition, qu’il importe d’interpréter aussi largement que possible la notion de travailleur dépendant. Pour quelle raison, me direz-vous ? Pour étendre le plus possible le champ des bénéficiaires du régime général, en l’occurrence les intéressés et leurs ayants droit.

L’assuré social et ses ayants droit. – Il faut bien avoir à l’esprit que les assurés sociaux ne sont pas les seuls bénéficiaires des assurances sociales. Il faut aussi compter, au premier chef, leurs ayants droit. Qui sont-ils ? Eh bien, cela dépend ! Faute de théorie générale de l’ayant droit (là ou on voit qu’une bonne théorie est pratique), cette qualité varie avec les différentes assurances sociales. Jugez-en.

En droit de l’assurance maladie, par exemple, l’article L. 321-1, 1° css dispose que l’assurance maladie couvre l’assuré et les membres de sa famille. Qui sont les membres de la famille ? L’article L. 313-3 css les liste : le conjoint, les enfants (sous réserve), les grands-parents – sans plus de précision. – Et encore : la liste n’est pas complète. Il faut encore compter les personnes visées à l’article L. 161-14 css, à savoir : le concubin, le partenaire.

Prenons un 2nd exemple. En droit des accidents du travail et des maladies professionnelles ; la loi dispose que, en cas d’accident suivi de mort, une pension est servie, à partir du décès, à un certain nombre de personnes (art. L. 434-7 css). Il s’agit en l’occurrence du conjoint, du concubin ou du partenaire. Quant aux enfants, ils ont droit à une rente (art. L. 434-10 css), pendant que – sous certaines conditions plus strictes (preuve que l’intéressé aurait pu obtenir de la victime une pension alimentaire / qu’il était à la charge de la victime) – les ascendants recevront une rente viagère (art. L. 434-13 css).

L’assuré social et les conditions de l’assujettissement. – Reprenons la définition de l’article L. 311-2 css.

Comprenez que le droit de la sécurité sociale pratique une summa divisio. Il y a, d’un côté, les travailleurs dépendants et, de l’autre, les travailleurs indépendants. C’est son économie générale. Il a été construit sur cette distinction.

Les premiers sont obligatoirement assujettis au régime général (lequel, pour mémoire, comprend 4 branches. Voy. l’article « La sécurité sociale : tour d’horizon). Les seconds relèvent de régimes particuliers. Le régime social des indépendants, créé en 2006, a été dissout en 2018. Ces derniers opérateurs économiques sont désormais affiliés au régime général. Ceci étant, quand bien même constate-t-on un alignement relativement aux prestations servies (not. régime de retraite de base, remboursement des soins, durée du congé maternité), une sécurité sociale des indépendants demeure à la marge.

La loi pose trois exigences pour qu’il y ait travail dépendant, il faut : un lien de subordination ou de dépendance ; une activité qui donne lieu à une rémunération ; une relation de travail fondée sur une convention.

  • Un lien de subordination ou de dépendance

Au terme d’une jurisprudence fluctuante, l’assujettissement d’une personne au régime général découle exclusivement de la démonstration d’un lien de subordination juridique. Dans un arrêt de principe Cass. soc., 13 nov. 1996, Société générale c./ Urssaf de la Haute-Garonne, pourvoi n° 94-13187 (cassation partielle sans renvoi), la Chambre sociale de la Cour de cassation décide que le lien de subordination juridique « est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ». Et la Cour de considérer aussi « que le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail ».

On s’est posé un temps la question de la coïncidence de cette définition avec celle pratiquée en droit du travail. Elle n’est plus à l’ordre du jour. Pour mémoire, l’arrêt était rendu au double visa de l’article L. 242-1 css et L. 121-1 c. trav. anc. (art. L. 1221-1 c. trav.). Cela veut dire que depuis la définition du travailleur salarié est commune au droit du travail et au droit de la sécurité sociale.

Dans tous les cas discutés, il importera au juge de rechercher l’existence d’un lien de subordination, sans se laisser arrêter par la qualification que les parties ont pu donner à leur contrat. La qualification donnée par les parties à leur convention est donc impuissante à les soustraire aux conséquences que le législateur attache à certaines situations de fait. L’assujettissement est d’ordre public. La jurisprudence est constante sur ce point.

La qualification juridique n’est décidément pas une mince affaire en la matière.

Le législateur en a pleinement conscience. Afin de dissiper toute incertitude, et dans le dessein de protéger les personnes d’une reconnaissance a posteriori de la qualité de salarié, partant d’une affiliation rétroactive de celui-ci, certaines personnes physiques peuvent demander aux Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociales et d’allocations familiales (Urssaf) de leur indiquer si l’activité exercée relève du régime général ou pas (art. L. 8221-6 c. trav. / art. L. 120-3 anc. in Lutte contre le travail dissimulé). Vous l’avez compris : le législateur a introduit une sorte de « rescrit social ». [Le rescrit est une consultation donnée par une autorité administrative ou juridictionnelle sur des questions de droit]. Les personnes justiciables de l’article L. 311-11, al. 2 css sont celles, dispose le texte, qui sont visées à l’article L. 120-3 c. trav. Depuis l’abrogation de l’ancien Code du travail (1er mai 2008), il faut se référer à l’article L. 8221-6 C. trav. (le code de la sécurité sociale n’a tout bonnement pas été mis à jour). Ces personnes sont celles qui sont présumées ne pas être liées avec un donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription. En bref, il s’agit, entre autres, des personnes immatriculées au Registre du commerce et des sociétés, au Répertoire des métiers, au Registre des agents commerciaux ou auprès des Urssaf ; des dirigeants de personnes morales immatriculées au RCS  et des artisans).

  • Une rémunération

Le texte est explicite : le travail dépendant doit être rémunéré, quel que soient le montant ou la nature de la rémunération (souvenez-vous du marqueur d’extension). Autrement dit, l’assujettissement au régime général de la sécurité sociale est exclu lorsque le travailleur ne perçoit aucune rémunération (ex. les travailleurs bénévoles ne sont donc pas affiliés en tant que tels) ou lorsqu’il fait uniquement l’objet d’un remboursement de frais.

  • Une convention

La convention dont il s’agit est nécessairement un contrat de travail. De quel autre contrat pourrait-il s’agir ?

1.2.- Le régime général garanti à des personnes assimilées à des travailleurs dépendants

Extension de l’assujettissement. – Le législateur a organisé l’extension de l’assujettissement. De très nombreuses personnes sont ainsi assujetties au régime général à raison de leur seule qualité, comprenez : sans qu’il soit besoin de rapporter la preuve qu’ils exercent leur activité dans un rapport de subordination juridique à l’égard d’un donneur d’ouvrage (Cass. ch. réunies, 14 juin 1966 ; Cass. soc., 5 mars 1992, Bull. civ. V, n° 162).

La raison pour laquelle le législateur assimile (pour l’essentiel) nombre de personnes à des travailleurs dépendants est la suivante : les dispositions de l’article L. 311-2 css ne sauraient épuiser toutes les formes dans lesquelles s’exprime la dépendance du travailleur.

L’article L. 311-3 css dispose en ce sens : « sont notamment compris parmi les personnes auxquelles s’impose l’obligation prévue à l’article L. 311-2, même s’ils ne sont pas occupés dans l’établissement de l’employeur ou du chef d’entreprise, même s’ils possèdent tout ou partie de l’outillage nécessaire à leur travail et même s’ils sont rétribués en totalité ou à l’aide de pourboires ».

La loi vise en l’occurrence trente catégories socio-professionnelles !

Cette disposition appelle quelques commentaires.

L’énumération à la Prévert de l’article L. 311-3 css est pour le moins hétéroclite. Elle a parfois même un charme suranné en ce sens que la loi renseigne certaines occupations qui ont purement et simplement disparues (par. ex. les porteurs de bagages occupés dans les gares).

Autre sujet d’étonnement : tandis que la loi dispose que sont « notamment compris les personnes auxquelles s’impose l’obligation prévue à l’article L. 311-2 » (…), la liste de personnes visées est exhaustive. La Cour de cassation en a décidé ainsi (Soc., 5 juill. 1990, n° 87-19306, Bull. civ. V, n° 354). L’adverbe « notamment » est par voie de conséquence jugé surabondant. Le législateur appréciera. Encore que la canalisation de la vocation originelle à l’universalité du régime général paraisse bien lui sied. Mais le jugement est sévère. Il y a bien d’autres personnes dignes de protection qui sont assujetties au régime général. Il s’agit de toutes celles qui sont visées par un texte spécial, comprenez par une autre disposition que l’article L. 311-2 css : le conjoint d’un travailleur non salarié qui participe effectivement à l’entreprise ou à l’activité de son époux et qui perçoit un salaire (art. L. 311-6 css), les ministres des cultes (art. L. 382-15 css), les chômeurs (art. L. 311-5 css), etc.

Nous aurions pu ajouter il y a encore quelques années les élèves et étudiants de l’enseignement supérieur (art. L. 381-4 css anc.). Ces derniers sont désormais justiciable de la PUMa (art. L. 160-1 css).

Présomption de non-assujettissement.- Le législateur, dans une perspective symétriquement inverse de celle qui vient d’être exposée, a édicté une présomption (simple) de non-assujettissement. L’article L. 311-11 css est le siège de la matière. Il renvoie au vieil l’article L. 120-3 c. trav. (art. L. 8221-6 C. trav. Nouv). Les personnes dont l’exécution de l’activité donne lieu à immatriculation ou inscription (Rcs, Répertoire des métiers, Registre des agents commerciaux, Urssaf) sont présumées ne pas relever du régime général de la sécurité sociale (al. 1 in limine) sauf preuve contraire (al. 1 in fine). La preuve consiste alors à établir que leur « activité les place dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard d’un donneur d’ordre » (voy. supra). Une question bien délicate se pose. Que faut-il entendre par « lien de subordination juridique permanente » ? S’il s’avérait que la preuve était rendue difficile, ne prendrait-on pas le risque que des employeurs indélicats exigent, avant « l’embauche » en quelque sorte, l’immatriculation ou l’inscription du candidat à l’emploi. Ce faisant, l’employeur échappe aux paiements d’une partie des cotisations de cotisations de sécurité sociale.

L’ubérisation et affiliation au régime général. – Au vu de ce qui précède, la chose ne semble pas être des plus compliquées. Au reste, les Urssaf sont là pour aider le cotisant, qui serait hésitant, à ne pas commettre d’erreur.

L’ubérisation de l’économie a tout de même compliqué notablement la donne.

À la question, quel est le régime de sécurité sociale des travailleurs de plateforme ?, on ne sait pas toujours quoi répondre. C’est pourtant du statut social et de la substance des droits sociaux des intéressés dont il s’agit. Des juges du fond ont hésité. Il y avait de quoi en l’absence de statut intermédiaire ou hybride en droit français, qui ne connaît que le noir ou le blanc (comp. Employment rights act 1996 – Sénat, Le statut des travailleurs de plateformes numériques, étude de législation comparée n° 288, juill. 2019, http://www.senat.fr/lc/lc288/lc2884.html).

De prime abord, les travailleurs concernés semblent bien avoir une totale liberté d’organisation, de travailler ou non (à tout le moins en théorie). Dans le même temps, ils ne détiennent a priori aucune entreprise ni ne peuvent justifier d’une quelconque clientèle qui leur serait propre. La Cour de cassation finit par être saisie. Dans un arrêt Take it easy, la Chambre sociale relève que l’application critiquée était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier, que le nombre total de kilomètres parcourus était comptabilisé, que ladite société s’était réservé le pouvoir de sanctionner le coursier. Il n’en fallait pas plus pour que le juge cède à la tentation de caractériser l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation caractéristique d’un lien de subordination (Soc. 28 nov. 2018, n° 17-20.079. Comp. Cjue ord. 22 avr. 2020, aff.  C-692/19 Yodel delivery network Ltd c./ B. (question préjudicielle), cons. n° 28).

2.- Les régimes de protection particuliers garantis aux assurés sociaux

Les régimes de protection particuliers sont ainsi ordinairement qualifiés par opposition au régime général. On rangeait sous cette bannière : les régimes spéciaux des salariés non agricoles – des régimes en voie d’extinction (ex le régime de la SEITA qui n’accueille plus aucun cotisant et qui se contente de servir les droits à pension acquis) / d’autres encore ouverts (ex. le régime de retraite des fonctionnaires, celui des agents de la RATP…), les régimes des professions non salariées non agricoles et le régime agricole. Le droit de la sécurité sociale serait décidément trop simple si l’on devait se passer de la pluralité de régimes particuliers., écrit-on volontiers en doctrine. On reconnaîtra tout de même que ces derniers ont précédé le régime général, qui ne sera inventé qu’en 1945 (ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale), et ont tout simplement continué de prospérer ex post.

Chacun dispose d’une réglementation propre dont l’essentiel n’est pas codifié. En bref, ils assurent à leurs bénéficiaires, pour l’ensemble des prestations de chaque risque, des prestations équivalentes à celles servies par le régime général (art. R. 711-17 css). Leur avenir est, dit-on, incertain. Le régime social des indépendants a en effet été intégré au régime général.

La question s’est posée de savoir si l’existence de ces régimes particuliers de sécurité sociale ne portait pas atteinte à quelques droits et libertés fondamentaux que la Constitution garantit. Dans une décision n° 2012-254 QPC du 18 juin 2012, le Conseil constitutionnel ne partage pas l’analyse. Il y avait portant matière à douter de la constitutionnalité de la disposition déférée.

Par ordonnance n° 45-2250 du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale, il est convenu que « sont provisoirement soumises à une organisation spéciale de sécurité sociale les branches d’activité ou entreprises énumérées par le règlement général » (disposition codifiée depuis à l’art. L. 711-1, al. 1 css). Depuis lors, c’est le pouvoir réglementaire seul qui établit, pour chacune des branches d’activités ou entreprises, une organisation de sécurité sociale dont le dessein est de couvrir les risques et les charges de l’existence visés à l’article L. 111-1 css. La saisine a posteriori du Conseil résidait dans la violation prétendue de l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, lequel affirme que « la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale ».

La réponse à la question prioritaire de constitutionnalité est la suivante : « Considérant qu’il y a lieu de ranger au nombre des principes fondamentaux de la sécurité sociale, et qui comme tels relèvent du domaine de la loi, l’existence même d’un régime spécial de sécurité sociale ; qu’il en va de même de la détermination des prestations et des catégories de bénéficiaires ainsi que de la définition de la nature des conditions exigées pour l’attribution des prestation que, toutefois, en l’espèce [le principe dispositif limite nécessairement la portée de la décision de constitutionnalité au régime spécial de sécurité sociale dans les mines], la méconnaissance par le législateur de sa compétence ne prive pas de garanties légales les exigences découlant du onzième alinéa du Préambule de 1946 ; qu’elle n’affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de sa compétence doit être écarté ». Rien que de très classique en vérité. En l’état de la jurisprudence du conseil constitutionnel, l’incompétence négative du législateur ne peut être valablement excipée que pour autant qu’un droit ou une liberté fondamentale a été méconnu… Au reste, et en opportunité, le Conseil constitutionnel ne pouvait raisonnablement pas abroger l’article L. 711-1 css sans bouleverser purement et simplement tout le système de la protection sociale. Les effets secondaires du remède auraient largement dépassé l’entendement.

Régime agricole. – Ce régime particulier mérite quelques développements tant il est original : spécificités économiques et sociales du monde rural obligent. C’est la Mutualité sociale agricole et ses caisses réparties sur tout le territoire qui sont à la manœuvre. Elle s’est vue reconnaître un monopole pour la gestion des assurances sociales des salariés agricoles et assimilés. Elle constitue un guichet unique. En clair, les caisses de mutualité sociale agricole sont chargées de la gestion de tous les risques et charges de l’existence. Les assurés sociaux ont donc un interlocuteur unique !  Et la MSA de se charger elle-même du recouvrement des cotisations de sécurité sociale…

Section2.- La protection sociale complémentaire accordée aux assurés sociaux

Notion.- La prévoyance complémentaire, dite prévoyance d’entreprise, est une garantie souscrite contre les risques sociaux et aléas de l’existence accordée à tout ou partie du personnel ou de ses dirigeants sociaux. Elle est faite de divers dispositifs. Ils ont en commun d’être facultatifs, à tout le moins au regard de la loi, car ils peuvent être obligatoires en application d’une convention collective. C’est à tout le moins l’économie générale du dispositif. Tout récemment, le législateur s’est appliquée à généraliser l’assurance maladie complémentaire.

Sources.- Plusieurs textes importants ont réglementé la prévoyance complémentaire. 1° La loi n° 89-1009 du 31 déc. 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques. Cette loi est plus connue sous le nom du ministre qui l’a défendue : Claude Évin (ministre de la santé, de la solidarité et de la protection sociale). 2° La loi n° 94-678 du 8 août 1994 rel. à la protection sociale complémentaire des salariés. Cette loi est volontiers appelée loi Veil. 3° L’ordonnance n° 2011-350 du 19 avr. 2001 rel. au code de la mutualité et transposant les directives 92/49/CEE et 92/96/CEE du Conseil des 18 juin et 10 novembre 1992. 4° La loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière. Last but not least, le livre 9 de la sécurité sociale est réservé à la protection sociale complémentaire.

Il est un dernier texte des plus remarquables en ce sens qu’il a notablement changé la donne. Il s’agit de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, qui s’avère être le fruit d’une négociation interprofessionnelle sur la sécurisation de l’emploi (conclusion ANI 11 janvier 2013). La loi dispose dans son article 1er : « Avant le 1er juin 2013, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels engagent une négociation, afin de  permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d’une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident dont chacune des catégories de garanties et la part de financement assurée par l’employeur sont au moins aussi favorables que pour la couverture minimale mentionnée au II de l’article L. 911-7 du code de la sécurité sociale, au niveau de leur branche ou de leur entreprise, d’accéder à une telle couverture avant le 1er janvier 2016. Et la loi de disposer que le contenu de la garanti minimale serait précisé par décret. La législation est des plus audacieuses. Elle donne à penser de surcroît. Il faut noter que le législateur a entendu que le coût de la prévoyance collective soit partagé entre les patrons et les salariés, à parts égales. C’est tout à fait révolutionnaire.

Le législateur a entendu également que la garantie soit maintenu dans le temps pour le cas où le salarié viendrait à être involontairement privé de son emploi. C’est ce qu’on appelle la portabilité (art. L. 911-8 css). Instituée par l’ANI du 11 janvier 2008 et modifiée par l’ANI du 11 janvier 2013, la prévoyance collective assure au salarié une indemnisation complémentaire une année durant (sorte de garantie subséquente).

Déploiement. – La sécurité sociale ne forme pas antithèse avec la responsabilité individuelle. Le Droit sait susciter les efforts des travailleurs en les associant à la gestion de leurs intérêts.

C’est que le régime général de la sécurité sociale inventé en 1945 n’embrasse pas tous les champs du possible. D’une part, le régime général n’a pas investi tout le champ de la protection sociale. D’autre part, ledit régime n’accorde des revenus de remplacement destinés à se substituer aux revenus professionnels défaillants que dans la limite d’un plafond.

Le montant des pensions de vieillesse et d’invalidité est, dans la meilleure hypothèse, voisin du salaire minimum interprofessionnel de croissance. Quant aux dépenses de santé, elles ne sont globalement couvertes qu’à 70 %.

Il y a par voie de conséquence un espace pour la protection sociale complémentaire qui sert, tantôt, des prestations qui s’ajoutent à celles accordées par les régimes légaux ou de base, tantôt des prestations qui couvrent des risques non définis et non couverts par lesdits régimes.

On aurait pu concevoir l’articulation entre les régimes légaux et la protection sociale complémentaire de la façon suivante : 1° considérer que les régimes légaux constituent une sorte de « système planché » (M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la sécurité sociale, Précis Dalloz) ; 2° poser qu’ils peuvent être complétés, au gré des vœux et des capacités contributives de tout un chacun, par des démarches individuelles ou collectives relevant du droit des assurances ou du droit de la mutualité.

Il n’en a pas été ainsi.

Le législateur social n’est pas resté indifférent aux efforts entrepris par les partenaires sociaux dans le dessein de garantir aux salariés une assurance chômage (pour mémoire, le régime d’assurance chômage conventionnel est le fruit d’un accord conclu entre les partenaires sociaux le 31 déc. 1958. Il a depuis lors fait l’objet de maintes réfactions. Il comporte à présent de nombreuses prescriptions légales qui se trouvent dans le code du travail).

Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, le législateur s’est appliqué à donner un cadre juridique aux démarches engagées dès les années 1930 par les entreprises, les employeurs et les salariés pour compléter les prestations servies par le régime général.

Débordement ? . – Tout laisse à penser que les difficultés de la protection sociale de base, qui est assurée pour l’essentiel par le régime général, vont pousser à terme à un basculement dont on ne saurait prédire à ce jour l’inclinaison. Il est un fait : le gouvernement est désireux d’actionner plus encore le levier que constitue le ticket modérateur. C’est de transfert massif des dépenses dont il est question. Il peut le relever pour mécaniquement faire supporter à l’AMC un remboursement des frais de santé plus grand. C’est la tentation qui est à la sienne sur la période. Le confinement a notablement réduit la consommation de soins et de biens médicaux. Les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) auraient ainsi amasser un trésor… On parlerait de près de 1,5 milliards d’euros supplémentaires qui pourraient être collectés sur les exercices 2020 et 21. Le législateur peut encore préférer l’instauration d’un ticket modérateur sui generis en ce sens qu’il serait forfaitaire. Ce dernier dispositif interrogerait quant à la nature du contrat d’assurance maladie complémentaire. Par essence aléatoire, le contrat d’assurance glisserait lentement vers la commutativité. C’est que, d’un strict point de vue actuariel, la forfaitisation de l’obligation de l’assuré est antinomique avec la nature aléatoire du contrat d’assurance. Ce ne serait plus un risque qui serait assuré. Ce serait purement et simplement une charge que l’assureur serait prié de supporter. Or, un contrat n’est aléatoire que pour autant que les parties au contrat acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain (art. 1107, al. 2 c.civ.). Partant, les théories mathématiques concernant le calcul des probabilités et la statistique ne seraient alors plus d’aucun secours (à tout le moins pour partie). Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 semble bien aller en ce sens…

En l’état, il est une certitude : l’État encourage le développement des mécanismes d’assurances sociales en renfort des régimes de base. Ses préoccupations se traduisent par des faveurs fiscales, sociales. Ce faisant, il oriente, incite et encourage certaines couvertures, en l’occurrence les prestations complémentaires de retraite et de prévoyance (L. 242-1, al. 6 css : sont exclues de l’assiette des cotisations les contributions des employeurs destinés au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance versées au bénéfice de leurs salariés, anciens salariés et de leurs ayants droit par des les organismes régis par le livre 9) (v. V. Roulet, L’opération d’assurance dans la rémunération des salariés, n° 37).

Fonction(s).- Fonction immédiate. La prévoyance complémentaire couvre au premier chef le risque de maladie. La part que les assureurs complémentaires prennent dans le financement de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) va crescendo. En 2018, cette part s’est élevée à près de 14% soit +27 milliards d’euros. Ce n’est pas tout, loin s’en faut. La liste de l’article L. 911-2 css est longue.

Fonction médiate. La protection sociale d’entreprise participe de la rémunération des salariés (V. Roulet, L’opération d’assurance dans la rémunération des salariés, 2011). Comprenez que les parties au contrat de travail peuvent ou doivent (si une convention collective, un accord spécifique, un référendum ou une décision unilatérale de l’employeur l’exige) – c’est selon – prévoir au titre des accessoires de rémunération des garanties individuelles de protection sociale complémentaire. L’employeur peut stipuler, auprès d’un assureur ou avec une mutuelle, une police d’assurance de couverture des risques sociaux. Il peut encore préférer recourir à une assurance collective qui couvre tout ou partie des salariés. C’est ce qu’on appelle une assurance de groupe. Elle est régie par le droit des assurances de personnes (C. assur, Livre 1, Titre 3 ; H. Groutel, F. Leduc, Ph. Pierre, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, nos 2411 s ; présentation rapide du schéma).

Conditions.- La prévoyance complémentaire est le fruit d’une convention tripartite : assureur – souscripteur – adhérents (art. L. 141-1 c. assur. in Titre 4 – Les assurances de groupe :

« Est un contrat d’assurance de groupe le contrat souscrit par une personne morale ou un chef d’entreprise en vue de l’adhésion d’un ensemble de personnes répondant à des conditions définies au contrat, pour la couverture des risques dépendant de la durée de la vie humaine, des risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d’incapacité de travail ou d’invalidité ou du risque de chômage (…) »).

Le législateur (loi n° 89-1009 du 31 déc. 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, Évin) n’a pas autorisé tous les agents économiques à couvrir les risque et aléas de l’existence. La mise en œuvre des opérations de prévoyance a été confiée à trois catégories d’opérateurs. Sont habilités à intervenir sur le marché de la prévoyance complémentaire : les entreprises d’assurance régis par le code des assurances, les institutions de prévoyance relevant du code de la sécurité sociale ou du code rural et les mutuelles régies par le code de la mutualité.

Les institutions de prévoyance sont des personnes morales de droit privé à but non lucratifs qui gèrent des contrats collectifs d’assurance de personnes. Elles sont administrées paritairement par des membres adhérents (employeurs) et des membres participants (salariés) (art. L. 931-1 css). On les appelle communément « Institutions L. 4 » par réf. à l’article ancien du code de la sécurité sociale qui les régissait. Ex. Pro BTP dans le secteur du bâtiment ; AG2-R-La Mondiale ou Malakoff-Médéric.

En bref, la loi n’entend pas que l’employeur pratique l’auto-assurance.

La protection complémentaire n’est pas laissée à la discrétion de l’employeur. Le comité d’entreprise joue toutefois un rôle de premier plan en la matière. On doit à la loi Évin d’avoir inséré dans le Code du travail un article L. 2323-1 anc., qui disposait que le « comité d’entreprise formule à son initiative et examine, à la demande du chef d’entreprise, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail (…) ainsi que les conditions dans lesquelles les salariés bénéficient des garanties collectives complémentaires telles que définies à l’article L. 911-2 C. sécu. soc. ». Pour mémoire, ce dernier texte vise le risque décès, les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d’incapacité de travail ou d’invalidité. Il a été remplacé par l’article L. 2312-12 c. trav. (ord. n° 2017-1386 du 22 sept. 2017). C’est de comité social et économique dont il est question désormais.

Typologie.- La prévoyance complémentaire est tantôt imposée à l’employeur, tantôt librement accordée par l’employeur. Dans le premier cas, dès lors que les salariés se trouvent dans une situation décrite par la norme applicable, on dit ordinairement que la protection sociale complémentaire est obligatoire. Dans le second cas, pour peu que l’employeur accorde volontairement une couverture complémentaire des risques et aléas de l’existence, on dit que la PSC est volontaire.

Protection sociale d’entreprise obligatoire.- La protection sociale d’entreprise est obligatoire toutes les fois qu’une norme l’impose, en l’occurrence une convention collective, un accord spécifique, un référendum ou une décision unilatérale de l’employeur (art. L. 911-1 css). Les cadres et assimilés, par exemple, sont ainsi obligatoirement couverts par la protection sociale complémentaire (CCN AGIRC – Association générale des institutions de retraite des cadres – ; www.agirc.fr). La convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 est en ce sens.

Il est à noter dans les opérations collectives à adhésion obligatoire, le débiteur des prestations sociales doit accorder une garantie à large spectre. La loi du 31 décembre 1989 impose à l’assureur (entendu lato sensu) de prendre en charge les suites des états pathologiques (maladie ou accidents par exemple) survenus avant la souscription (ou l’adhésion) du contrat (art. 2). La loi réserve en revanche la fausse déclaration (art. L. 932-7 css). La loi interdit à l’assureur d’exclure de la garantie une pathologie ou une affection ouvrant droit au service de prestations en nature du régime général de l’assurance maladie (art. 4). Ce faisant, la sélection du risque est limitée. La loi exige de l’assureur qu’il maintienne ses prestations lors même que l’entreprise est restructurée ou le contrat résilié (art. 7). La Cour de cassation considère que la résiliation du contrat de prévoyance est sans effet sur le versement des prestations pour peu, il va sans dire, qu’elles aient été acquises ou qu’elles soient nées durant l’exécution du contrat.

Protection sociale d’entreprise volontaire. – La protection sociale d’entreprise peut être initiée par le comité social et économique. Elle peut l’être par l’employeur.

La protection sociale d’entreprise volontaire peut tout à fait être initiée par le CSE. Pour ce faire, il importe au préalable que le régime de protection sociale soit qualifié d’activité sociale et culturelle. La raison tient à ceci que c’est le CSE qui a le monopole de gestion ou du contrôle desdites activités de l’entreprise. La difficulté réside dans l’absence de définition légale de la notion. La Chambre sociale de la Cour de cassation la définit comme « toute activité exercée au bénéfice du personnel de l’entreprise, sans discrimination, en vue d’améliorer les conditions collectives d’emploi, de travail et de vie du personnel au sein de l’entreprise, non obligatoire légalement, quelle que soit sa dénomination, la date de sa création et son mode de financement » (Cass. soc., 13 nov. 1975, Bull. V, n° 533). Au vu de cette définition prétorienne, les seuls régimes de protection sociale d’entreprise pouvant entrer dans le champ de compétences des CSE sont donc les garanties sociales facultatives.

Pour aller au plus simple, l’idée est la suivante. Le régime de protection sociale complémentaire mis en place au profit du personnel peut être créé à l’initiation du CSE, organisé et/ou financé par ses soins. Mais c’est là du droit spécial propre au comité sociale et économique.

La protection sociale d’entreprise volontaire peut tout à fait être initiée par l’employeur. Dans ce cas de figure, l’employeur, alors qu’une norme ne l’y contraint, s’engage envers tout ou partie de ses salariés à compléter les prestations du régime général de sécurité sociale pour certains risques. Dans ce cas de figure, la prévoyance est une contrepartie du travail fourni ; elle est un avantage salarial. Vous comprendrez alors que cet aspect de la protection sociale relève pour l’essentiel du droit du travail.

La sécurité sociale / Approche de la matière

Du système français de sécurité sociale

Définition.- Les règles qui forment ce qu’on appelle la sécurité sociale sont originales et complexes. Il y a une bonne raison à cela : elles sont le reflet de la réalité qu’elles ont pour objet d’appréhender. Le droit n’est pas compliqué et mouvant par nature. Il le devient par la force des choses. Et il faut bien reconnaître que dans ce droit-ci, les sources de complication sont parmi les plus nombreuses qui soient.

Le risque de s’y perdre est grand. Il faut donc quelques jalons pour commencer l’approche de la matière.

Le marcheur a la carte pour s’orienter. Le juriste a les définitions pour se repérer (ainsi que le plan d’exposition systématique du code de la sécurité sociale et les quelques articles programmatiques qui se situent en tête du code – v. tout particulièrement les art. L. 111-1 et L. 111-2-1 c. sécu. soc).

À la question, qu’est-ce que la sécurité sociale ?, un auteur écrit que « c’est (tout à la fois) une technique, une institution et un principe politique » (Pr. Xavier Prétot, Droit de la sécurité sociale, 14ème éd., Dalloz, 2015).

1° Une technique de couverture des risques et charges de l’existence. A tout le moins d’un certain nombre d’entre eux, qui sont répartis en branches (art. L. 111-1 ensemble art. L. 200-2 c. sécu. soc.) : 1° maladie, maternité, invalidité, décès ; 2° accidents du travail et maladies professionnelles ; 3° vieillesse et veuvage ; 4° famille. La dépendance, qui est un risque qui menace tout un chacun, ne constitue pas (à tout le moins pas encore) une branche à proprement parler. Quant au chômage, qui est un risque parmi les plus redoutés, c’est dans le code du travail que sont regroupées les règles qui organisent son indemnisation (art. L. 5421-1 et s. ensemble art R. 5421-2 et s. c. trav.).

2° Une institution qui exprime, au plus haut degré, les exigences du principe de solidarité entre les membres d’une même collectivité face aux risques et aléas susceptibles d’affecter chacun d’eux. Tout est dit à l’article 1er du Code de la sécurité sociale : « la sécurité sociale est fondé sur le principe de solidarité nationale » (art. L. 111-1, al. 1).

3° Un principe politique, qui range la garantie contre les risques et aléas de l’existence au nombre des libertés et droits fondamentaux. Pour cette raison, l’État a une responsabilité éminente dans son aménagement.

Domaine.- Étroitement liée au droit du travail salarié – on disait plutôt droit ouvrier selon la formule en usage avant la Seconde guerre mondiale – la sécurité sociale s’est développée dans son ombre. Pour cette raison, les spécialistes de ce dernier droit sont très souvent des travaillistes. Des prestations de sécurité sociale sont servies à de très nombreuses personnes. Le domaine d’application ratione personae ne saurait donc être plus grand. C’est particulièrement vrai depuis l’invention de la protection universelle maladie – PUMA – et la prise en charge généralisée des frais de santé (art. L. 160-1 css) (voy. l’article sur la « Protection universelle maladie »). Beaucoup de personnes créancières desdites prestations sont des travailleurs qui sont garantis contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leurs revenus (art. L. 111-1, al. 3 css).

Le droit de la sécurité sociale a certes des spécificités. Cela étant, on ne saurait pour autant le considérer comme autonome. Est autonome la matière qui a atteint un degré de perfectionnement tel qu’elle est irréductible à nulle autre. Le droit fiscal, qui est un droit de superposition à nul autre pareil, est fait de ce bois-là. Dans le cas particulier, le droit de la sécurité sociale emprunte les notions élaborées dans les autres disciplines. Les points de contact avec le droit du travail ou le droit des assurances par exemple sont très nombreux. Il ne faut donc pas être totalement ignorant de l’économie générale des règles qui gouvernent ces derniers droits pour saisir les tenants et aboutissants de telle ou telle disposition législative ou règlementaire.

Un exemple. L. 411-1 css dispose « est considéré comme un accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant (…) ». Que suggère la loi ? Eh bien qu’il existe des liens entre le droit du travail (définition du salarié) et le droit de la sécurité sociale (définition du travailleur dépendant). Les liens sont si forts qu’on réunit traditionnellement en droit français l’une (le droit du travail) et l’autre (le droit de la sécurité sociale) discipline sous la même appellation de droit social. La Revue de droit social (RDS) ou la Semaine juridique – social (JCP S) couvrent le droit du travail et le droit de la sécurité sociale. Il y a bien entendu d’autres revues qui traitent la matière comme la Revue de droit sanitaire et sociale (RDSS). A noter que le champ de cette dernière mêle plus volontiers le droit de la santé et le droit protection sociale.

Nature.- Comme cela vient d’être écrit, le droit de la sécurité sociale est relativement complexe. Les chefs de complexité sont nombreux. En voici quelques-uns parmi les plus notables.

En premier lieu, le champ de la matière n’est pas facile à délimiter. C’est que, en France, il est assez courant de replacer la « sécurité sociale » dans l’ensemble plus vaste de la « protection sociale ». De nombreux manuels sont d’ailleurs intitulés « Droit de la protection sociale » [Biblio. indicative : F. Kessler, Droit de la protection sociale, Dalloz ; P. Morvan, Droit de la protection sociale, LexisNexis ; F. Petit, Droit de la protection sociale, Gualino ; Ph. Coursier, TD Droit de la protection sociale, LexisNexis not.]. Mais qu’est-ce que la protection sociale ? Le professeur Morvan écrit que « La protection sociale recouvre la plupart des efforts qui concourent à la couverture des risques et aléas de l’existence : assistance, épargne, assurance, mutualité, prévoyance collective ». Et la sécurité sociale dans tout ça alors ? Eh bien, pour simplifier les choses, on peut dire sans trop forcer le trait que la protection sociale a pour cœur battant la sécurité sociale. Qu’il faut encore ajouter les nombreux régimes de couverture complémentaires qui servent des prestations sociales qui s’ajoutent à celles accordées par les organismes de sécurité sociale. Qu’il faut aussi compter l’aide sociale, l’assurance chômage. Peut-être même l’assurance voire l’épargne. Où l’on constate la matière est décidément éparse, faite d’institutions juridiques qui ont parfois peu de choses en commun, ce qui ne facilite pas sa complète appréhension, sa parfaite compréhension. Un auteur écrit en ce sens : « la notion de protection sociale procède pour une part d’un rapprochement factice entre des dispositifs qu’au fond tout sépare » (X. Prétot, Droit de la sécurité sociale).

En second lieu, il n’est pas plus aisé d’embrasser les sources de la matière. Le droit de la sécurité sociale est, tout à la fois, un droit privé et un droit public, qui est enseigné par des privatistes et des publicistes. [Biblio. indicative : J.-P. Chauchard, J.-Y. Kerbourc’h et Ch. Wilmann, Droit de la sécurité sociale ; J.-J. Dupéroux, M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la sécurité sociale, Dalloz ; J.-P. Laborde, Droit de la sécurité sociale, PUF]. Peu de droits sont l’apanage des uns et des autres (ex. droit fiscal).

Sources internes.- À l’image de très nombreux droits, le droit de la sécurité sociale est fait de sources multiples. Dans le cas particulier, il emprunte à des droits tous azimuts : droit civil (not. droit des personnes, droit de la famille, droit des obligations – restitution de l’indu, subrogation par ex. -), droit du travail, droit des assurances, droit de la mutualité not. La matière est pour partie codifiée. Il est également fait de très nombreuses règles de droit administratif. C’est que le personnel de l’administration est aussi couvert contre les risques et charges de l’existence (voy. not. loi n° 83-634 du 13 juill. 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, art. 21, 21 bis, 22 bis, 23). A noter encore qu’un certain nombre d’organismes de sécurité sociale ont été érigés par le législateur en établissement public à caractère administratif et placés sous le contrôle de l’État (v. art. L. 221-1 et s. css. Par ex. : Caisse nationale de l’assurance maladie, Caisse nationale des allocations familiales, Agence centrale des organismes de sécurité sociale).

Le droit de la sécurité social est aussi constitutionnel. On doit au Conseil constitutionnel d’avoir découvert dans les articles 10 et 11 du Préambule de la Constitution du 27 oct. 1946 (entre autres textes) un droit à la sécurité sociale (10. « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » 11. « Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence »). Cette invention d’un « droit à » n’est pas propre à la matière. Le droit du louage de chose, pour prendre un autre exemple, renferme un droit au logement (art. 1 loi n° 89-462 du 06 juill. 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs). On retiendra que cette subjectivisation ou fondamentalisation des droits n’est pas indifférente. Le droit de la sécurité sociale, qui est formé par toutes les règles qui organisent la couverture des risques et charges de l’existence, en porte la marque.

La sécurité sociale fait partie des branches du droit que le constituant de 1958 a ventilées entre le législateur et l’exécutif. L’article 34 de la Constitution du 4 oct. 1958 est explicite : « la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale ». Au reste, une loi organique (i.e. qui fixe les règles rel. aux pouvoirs publics), transposée dans le Code de la sécurité sociale, réserve au législateur le soin de voter la loi de financement de la sécurité sociale (LO 111-3 et s.). Techniquement, il s’agit moins de voter les dépenses et les recettes que de prévoir la hauteur probable et souhaitable des dépenses et des recettes (C. sécu. soc., art. LO 111-4). C’est pour cette raison que la loi de financement de la sécurité sociale votée par le Parlement l’année suivante commence par faire état de l’écart constaté entre l’état des vœux (dépenses et recettes prévisionnelles) et l’état des lieux (dépenses et recettes réelles) !

Le tableau de répartition des compétences ne dit pas tout à fait qui est à l’initiative en la matière. En pratique, cette ventilation tourne au profit du pouvoir réglementaire. La consultation des parties R. (décret pris en Conseil d’État), D. (décret simple) et A. (arrêtés ministériels) du Code de la sécurité sociale l’atteste.  Ce n’est pas tout. Il importe de dire encore un mot des mesures unilatérales qui sont prises par quelques opérateurs que sont notamment la Direction de la sécurité sociale, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Situées théoriquement tout en bas de la hiérarchie des normes, de telle sorte que leur puissance normative est censée être des plus faibles – si tant est qu’elles en soit assortie – elles sont en pratique attentivement réceptionnées. Pour le dire autrement, lesdites mesures sont très souvent des petites sources du droit qui ne disent pas leur nom en ce sens qu’elles influencent le comportent des acteurs juridiques. Le Conseil d’État, qui en a pleinement conscience, considère désormais que « Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. » (CE, section, 12 juin 2020, n° 418142, Gisti, publié au recueil) !

En bref, le droit de la protection sociale est un droit pour la maîtrise duquel il faut manipuler de nombreux textes légaux et règlementaires et notamment quelques codes dédiés : code de la sécurité sociale, code de la mutualité, code de l’action sociale et des familles, code de la santé publique, code du travail, code rural et de la pêche maritime, code des pensions civiles et militaires de retraite, code général des impôts, livre des procédures fiscales… Lesquels codes ne sont, pour mémoire, que la face émergée de l’iceberg juridique. Iceberg qui est aussi fait des milles et uns arrêts de la Cour de cassation et décisions du Conseil d’état mais encore des nombreuses règles de droit international régional et mondial.

Sources internationales.- Il existe un droit européen de la sécurité sociale. Il y aurait beaucoup à dire naturellement. On retiendra qu’en vertu du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en l’occurrence du principe de la libre circulation des travailleurs, il existe un ensemble de règles de coordination des systèmes de sécurité sociale des États membres de l’Union (règlement n° 883/2004/CE du 29 avr. 2004). Il faut également bien avoir en vue que si lesdits États membres conservent la maîtrise de leur système, ils doivent se garder, dans l’aménagement de la gestion dudit système, de méconnaître les principes économiques du traité. C’est à tout le moins la pétition de principe (voy. ci-dessous ce qu’il en est concrètement).

S’agissant du droit européen, stricto sensu, il faut savoir que les (47) états membres du Conseil de l’Europe (à ne pas confondre avec le Conseil de l’Union européenne) ont, dans le dessein de favoriser le progrès social et avec la collaboration du BIT, adopté un Code européen de la sécurité sociale (Strasbourg, 16 avr. 1964). Ils ont également édicté une Charte sociale européenne (Strasbourg, 3 mai 1996). Les parties ont reconnu comme objectif d’une politique qu’elles poursuivront par tous les moyens utiles la réalisation de conditions propres à assurer l’exercice effectif du droit à la sécurité sociale pour tous les travailleurs et leurs ayant droit (Partie 1, droit subjectif n° 11). Quant à l’Organisation internationale du travail, vous voudrez bien noter que la Convention 102 (de 1952) fixe une norme minimale en matière de sécurité sociale (v. par ex. égalité de traitement des résidents non nationaux d’un état membre de la convention (183 pays), art. 68).

Bref, le droit de la sécurité sociale est passablement complexe. À l’expérience, cela suffit à rebuter. Encore que pour dire vrai, c’est un constat qu’on pourrait faire à propos d’une autre branche du droit. Le droit fiscal est typique. Ce qui distingue plus nettement la matière sous étude, c’est son économie. Et elle laisse assurément perplexe.

Économie.- Les ministres qui se suivent au 14 avenue Duquesnes à Paris se ressemblent : tous annoncent que le déficit des comptes sociaux est abyssal, mais aucun ne parvient à le juguler. Rien n’y fait. La ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sous le Gouvernement Cazeneuve (Marisol Touraine) annonçait à la radio dans le courant de l’année 2016 que « l’horizon du rétablissement complet de l’équilibre des comptes de la sécurité sociale n’était plus une utopie. Qu’il était à porté de main » (RTL, Dimanche 06 sept. 2016). Son successeur ne dira pas autre chose. Des indicateurs donnaient en effet à penser que nous étions sur le point de combler le « trou (annuel) de la sécurité sociale », lequel était encore évalué à 5 milliards d’euros. Pour mémoire, les prévisions de recettes sur la période se chiffraient à quelques 496 milliards d’euros (loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, art. 31). Alors un petit « découvert » de 5,1 milliards (1 %)…

Ceci étant, probablement soucieux d’économiser nos concitoyens (…), les hommes et les femmes politiques qui se suivent au ministère omettent respectivement de tout dire. Au solde négatif du régime général de la sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse, il faut ajouter les efforts faits chaque année par la Nation pour compenser le déficit du régime des retraites des fonctionnaires ou bien encore celui des agriculteurs (entre autres régimes déficitaires). En bref, la dette sociale cumulée (ou, pour le dire autrement, la dette des administrations de sécurité sociale) se montait en 2018 (alors que, pour mémoire, on annonçait le remplissage du fameux trou (annuel)), à 204 milliards d’euros, soit en pourcentage du PIB : 8,6 %. Il y a de quoi s’inquiéter.

Inquiétude et demi toutefois. Car, au total, la dette publique, qui est composée de la dette des administrations publiques centrales, de la dette des administrations publiques locales et de la dette des administrations de sécurité sociale, se montait en 2018 à 2 314,9 milliards d’euros (2019 : 2 380, 1 milliards) soit en pourcentage du PIB : 98,3 % (source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2830192). Pour mémoire, l’article 126 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE,Titre VIII.- La politique économique et monétaire, Chap. 1.- La politique économique) exige que les états membres de l’Union européenne se plient à une stricte discipline budgétaire. En clair, la dette publique ne doit pas dépasser 60 % du PIB… À la fin du mois de mars 2020, en raison de la baisse de l’activité au premier trimestre et des mesures de soutien aux entreprises et aux ménages, la dette s’est établie à 2 438,5 milliards d’euros soit 102 % du PIB tandis que la dette sociale a pesé plus lourd encore que d’ordinaire.

La situation absolument inédite que nous connaissons depuis le début de l’année 2020, qui a notablement accru le déficit des comptes sociaux, ne saurait interdire toutefois qu’on souligne les efforts qui ont été faits tous azimuts depuis plusieurs années pour contenir l’augmentation des dépenses de sécurité sociale et réduire le déficit du régime général de sécurité sociale. Depuis la loi n° 2015-702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016, les lois de financement de la sécurité sociale qui se suivent renseignent un déficit du régime général qui va descrendo et qui se situe aux alentours de quelques 5/6 milliard d’euros par an (art. 40). C’est des plus remarquables en comparaison avec les déficits présentés les années précédentes.

À noter au passage qu’on se satisfait volontiers de l’équilibre de la branche AT/MP (accident du travail / maladies professionnelles), et ce depuis l’exercice 2012. C’est ce que donne à penser une lecture (trop) rapide des lois de financement de la sécurité sociale. Attention : chaque année, le législateur ordonne des transferts entre les différentes branches de la sécurité sociale et, plus précisément, de la branche AT/MP au profit de la branche maladie (C. sécu. soc., art. L. 176-1). Pourquoi cela ? Eh bien en raison de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles et, par voie de conséquence, et du défaut de couverture du risque par la branche AT-MP. Pour le dire autrement, il s’avère que la branche maladie sert des prestations qu’elle ne devrait pas et supporte des dépenses qu’elle n’avait pas à prendre en charge. Aussi le législateur corrige-t-il le tir en quelque sorte. Ledit transfert est forfaitaire. Le montant de la contribution a longtemps été chiffré à 790 millions d’euros. Il est à présent de 1 milliard d’euros (voy. par ex. Lfss 2017, art. 57, III ; Lfss 2018, art. 45, III ; Lfss 2019, art. 83, III).

Économie toujours.- Chaque année, le législateur cherche à freiner l’augmentation des dépenses de l’assurance maladie qui se sont montées à 404,5 milliards d’euros en 2019 (https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/CCSS/2020/RAPPORT%20CCSS%20JUIN%202020.pdf) – à titre de comparaison, le total des dépenses nettes du budget général de l’État voisinait « seulement » sur la période les 344 milliards -. Comprenons bien : le législateur ne réduit pas la dépense ; il ralentit l’augmentation de la dépense… Ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Réduire les dépenses de santé impliquerait de cesser les remboursements à un moment donné. C’est une hypothèse à laquelle on ne s’est jamais rallié. Il existe un outil de pilotage. Il a été inventé en 1996 aux termes d’une série d’ordonnances décidées par Alain Juppé, alors 1er ministre (création des lois de financement de la sécurité sociale, création de la caisse d’amortissement de la dette sociale, création des agences régionales de santé, création des conventions d’objectifs et de gestion not.). Son nom de code : ONDAM (objectif national de dépenses d’assurance maladie). Pour 2020, la loi de financement de la sécurité sociale a arrêté comme objectif national, une dépense d’assurance maladie à hauteur de 200,3 milliards d’euros (Lfss 22 déc. 2018, art. 82) soit 2,3% d’augmentation par rapport à l’année précédente. Et fort de cet indicateur, toutes les administrations de sécurité sociale s’appliquent à réduire la dépense pour ne pas dépasser l’ONDAM (sans quoi le comité d’alerte (qui veille au respect de l’objectif depuis sa création par la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 rel. à l’assurance maladie – art. 40 / art. L. 251-4 css) doit notifier le dépassement de l’ONDAM au Parlement, au gouvernement, aux caisses nationales concernées et à l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire en vue de susciter des propositions de mesures de redressement). Il faut bien se représenter que l’effort d’économie qui est demandé est très grand. C’est de plusieurs milliards d’euros dont il est question. L’exercice tient de la gageure. Car, dans le même temps, on ne saurait ni accroître le reste à charge du patient (c’est-à-dire la participation de l’assuré à l’effort de la collectivité) ni dégrader la qualité des soins. On imagine combien la tâche des directeurs des organismes de sécurité sociale est grande. À noter que ces derniers sont formés à l’École nationale supérieure de la sécurité sociale (https://en3s.fr) à laquelle on accède au terme d’un concours des plus sélectifs.

Les leviers consistent 1.- à renforcer l’efficacité de la dépense hospitalière, qui passe notamment par des mutualisations qui pourront s’appuyer sur les nouveaux groupements hospitaliers territoriaux et des économies sur les achats hospitaliers, où des marges très importantes demeurent ; 2.- à optimiser le parcours de soin hospitalier. C’est ce qu’on appelle le virage ambulatoire : accélération de la diffusion de la chirurgie ambulatoire, développement de l’hospitalisation à domicile, amélioration de la prise en charge en sortie d’établissement, optimisation du parcours pour certaines pathologie ou populations ; 3.- à baisser le prix des produits de santé par le développement des médicaments génériques afin de lever les derniers freins à une diffusion plus large, génératrice d’économies importantes (sous la responsabilité du Comité économique des produits de santé) ; 4.- à améliorer la pertinence du recours à notre système de soins dans toutes ses composantes : réduction des actes inutiles ou redondants que ce soit en ville ou en établissements de santé, maîtrise du volume de prescription des médicaments et lutte contre la iatrogénie, optimisation des transports de patients. Pour ce faire, le dossier médical partagé est un instrument de première intention qui s’annonce de plus prometteurs (DMP).

Externalisation de la dette.- Il a été écrit en doctrine, relativement à la réparation des préjudices, que la Nation ne disposait que d’une enveloppe (qui est une fraction du produit national), laquelle, par définition, ne pouvait pas être dépassée à peine de voir se réaliser un risque d’implosion du système (F. Chabas. M.-E. Roujou de Boubée). On se représente aisément l’idée. Il reste que, et jusqu’à preuve du contraire, jamais un débiteur de prestations indemnitaires et/ou sociales n’a été constitué en défaut de paiement (à tout le moins en France). Et ce n’est pas l’exhortation de l’article L. 111-2-1, I, al. 5 du code de la sécurité sociale, à savoir que « chacun contribue, pour sa part, au bon usage des ressources consacrées par la Nation à l’assurance maladie », qui y est pour grand-chose. Pour mémoire, les fraudes aux prestations sociales se comptent en milliards d’euros. Les rapports et les commissions d’enquête se suivent et se ressemblent malheureusement (http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/cefrausoc/l15cefrausoc1920002_compte-rendu#). Une commission d’enquête parlementaire a été l’occasion de (re)dire en résumé que le nombre d’assurés sociaux dépassait largement le nombre de citoyens français. Et le directeur de la sécurité sociale d’affirmer sous serment dans le courant de l’été 2020 devant la Représentation nationale que près de 2,4 millions de personnes percevaient des prestations indues (A.N., commission d’enquête rel. à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, 30 juill. 2020), que 73,7 millions d’individus percevaient des prestations sociales et avaient ouverts des droits tandis que la France ne compte, pour mémoire, que 67 millions d’habitants (F. Douet et Ch. Prats, La lutte contre la fraude sociale et aussi nécessaire que la lutte contre la fraude fiscale : un jeu de dupes ?, Le Figaro, Figarovox, tribune, 17 août 2020) ! C’est dire…

Le déficit des comptes sociaux représente plus de 8 points dans la dette publique. Et cette dernière est très importante à telle enseigne que la France est en infraction avec ses engagements internationaux. Réduire la part de la dette des administrations de sécurité sociale c’est aussitôt attester les efforts très grands qui sont faits et peser possiblement plus lourd dans le concert des nations de l’Union européenne.

Pour ce faire, le développement de la protection sociale complémentaire (Psc) est un puissant levier. Concrètement, cette dernière technique de couverture des risques de l’existence consiste à déplacer le poids d’une partie des frais de soin de santé des organismes de sécurité sociale (solidarisation du risque) sur les organismes d’assurance lato sensu (mutualisation du risque). À ce jour, l’assurance maladie complémentaire contribue à hauteur de 14,5 % aux dépenses de soins. À titre de comparaison, elle ne contribuait qu’à hauteur de 8,5 % en 2014, ce qui représentait tout de même une participation au remboursement des frais de soins de santé d’un montant de 29 milliards d’euros (ticket modérateur, franchises et participations forfaitaires, dépassement d’honoraires, prothèses dentaires, optique etc.).

La Psc a donc le vent en poupe.

Protection sociale complémentaire.- Auparavant, et pour bien comprendre, il faut bien avoir à l’esprit que de la même façon qu’il existe des lois de la nature (que des démarches scientifiques s’efforcent de révéler et de décrire comme la gravitation), il existe une loi en droit de la protection sociale (que la recherche des juristes à mise en évidence), à savoir la limitation. On peut dire qu’il existe en droit de la sécurité sociale « une loi de limitation », si j’ose dire.

La voici : les prestations servies par les organismes de sécurité sociale ne correspondent pour ainsi dire jamais aux préjudices subis ni au charges supportées. En bref, les prestations servies (not. les remboursements des frais de santé) sont invariablement forfaitaires ! En conséquence, la protection assurée par les régimes légaux de base est insuffisante : les revenus de remplacement sont plafonnés ; la couverture des dépenses de santé est limitée.

Il y a une explication à ce décalage. On considère, d’une part, qu’il serait excessif et dangereux que la couverture accordée par la Nation prenne en charge toutes les conséquences des éventualités qui se sont réalisées, sans ne plus tenir aucun compte de la responsabilité de tout un chacun (dialectique solidarité vs responsabilité). Il faut avoir en vue, d’autre part, que le financement de ces prestations représente une lourde charge pour les organismes de sécurité sociale. On ne saurait donc délaisser la maîtrise des dépenses publiques.

Le législateur a toutefois œuvré des années durant pour améliorer le sort de tout un chacun et réduire le reste à charge des assurés, c’est-à-dire la partie des dépenses de santé qui n’est pas remboursée par l’assurance maladie. Il continue du reste en ne manquant jamais d’actionner le puissant levier de la protection sociale complémentaire.

La protection complémentaire proposée par toute une série d’employeurs (ou imposée à ces derniers) a été améliorée (loi Évin n° 1989-1009 du 31 déc. 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées c./ certains risques). L’incitation au développement des garanties accordées a été codifiée (C. sécu. soc., art. L. 242-1 et CGI, art 82). L’obligation de couverture des frais de soins de santé a fini par être imposée (ANI 11 janv. 2013 ; Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi ; C. sécu. soc., art. L. 911-7 (principe) et L. 871-1 (modalités)). Depuis lors, l’État n’a de cesse de règlementer tous azimuts le marché de l’assurance complémentaire. C’est pour le moins inédit : des opérateurs privés sont pour ainsi dire contraints de couvrir le risque frais de soins de santé à des conditions strictes et pour un certain prix. On a vu des libertés de contracter et d’entreprendre plus grandes… (Pour aller plus loin, voyez par ex. : Colloque “Les complémentaire santé – un tour d’horizon, Revue de droit sanitaire et social, Dalloz). Et il y a mieux (ou pire) : le coût supporté en fin de compte pour les preneurs d’assurance est plus important que si l’État s’était « contenté » d’augmenter les remboursements. C’est qu’il faut bien avoir en tête que ces contrats d’assurance génèrent des frais généraux notamment en raison de la nécessité de les commercialiser (frais de publicité par ex.).

Prestations (fondement).- Les prestations accordées par le droit de la sécurité sociale ont historiquement eu pour objet de « débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, qui [se trouvait être] la base réelle et profonde de l’inégalité entre les classes sociales » (Alexandre Parodi, ministre du travail, 31 juill. 1945). J.-P. Laborde écrit « c’est bien en effet cette sécurité de l’avenir, qui fonde aussi celle du présent, qu’est le cœur battant de la sécurité sociale » (Droit de la sécurité sociale, PUF, n° 1).

Fondamentalement, la sécurité sociale est la conscience et la couverture des risques et des charges qui pèsent sur les épaules de tout un chacun à raison de la vie en société. L’article L. 111-1 anc. C. sécu. soc. le dit : « l’organisation de la sécurité sociale garantit les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain. Elle couvre également les charges de maternité, de paternité et les charges de famille ». (Art. L. 111-1 nouv CSS post loi 2015-1702 du 21 déc. 2015 : “ Elle garantit les travailleurs contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leurs revenus. Cette garantie s’exerce par l’affiliation des intéressés à un ou plusieurs régimes obligatoires (al. 1). “ Elle assure la prise en charge des frais de santé, le service des prestations d’assurance sociale, notamment des allocations vieillesse, le service des prestations d’accidents du travail et de maladies professionnelles ainsi que le service des prestations familiales dans le cadre du présent code, sous réserve des stipulations des conventions internationales et des dispositions des règlements européens “(al. 2)).

En résumé, les événements considérés par la couverture sociale sont ou bien des risques (qui réduisent la capacité de gain et de travail) et/ou bien des charges (qui augmentent les dépenses de l’assuré ou de sa famille).

La prise en charge des uns et des autres est fondée sur la solidarité nationale (L. 111-1, al. 1 CSS). Les mots font sens : il a été souhaité que l’administration du système de couverture sociale soit distraite du marché de l’échange des biens et des services. L’assurance ou la mutualité du risque sont pourtant des mécanismes performants.

La mutualité, par exemple, détermine les taux des cotisations de façon uniforme et proportionnellement aux revenus. De prime abord, ce dispositif semble intéressant. À la réflexion, il n’est pas certain qu’on ait pu le choisir pour tout un chacun. Il y aurait maintes raisons à exposer. Pour l’essentiel, il faut bien avoir en vue, primo, que la protection de la mutualité contraint invariablement à sélectionner les risques ; secundo, qu’une grande partie de la population est incapable de faire l’effort de prévoyance personnelle qu’on attend d’elle. Nous aurions beau jeu de graver sur mille et un frontispices notre devise de la République (Constitution 4 oct. 1958, art. 2), si nous devions abandonner à leur sort nombre de nos concitoyens. Tertio, il importe de se souvenir qu’il a fallu retirer aux compagnies d’assurance la gestion de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, pour la transférer à la sécurité sociale, et ce pour moraliser et d’améliorer l’indemnisation promise (loi du 30 octobre 1946).

Ne tirons toutefois pas de conséquences hâtives. La sécurité sociale ne forme pas antithèse avec la responsabilité et l’assurance individuelles. Le Droit suscite les efforts des travailleurs en les associant à la gestion de leurs intérêts. Nous l’avons vu : il y a bien un espace pour la protection sociale complémentaire (de prévoyance) ou surcomplémentaires (de retraite), qui sert des prestations qui s’ajoutent à celles accordées par les régimes légaux ou de base.

À titre de comparaison, l’assurance obligatoire mais individuelle est l’alpha et l’omega de la couverture du risque maladie en Suisse. La question a été posée aux citoyens suisses de savoir s’ils ne préféreraient pas épouser le modèle français de protection sociale. Réponse négative (Référendum, 28 septembre 2014). Ceci s’expliquerait par la représentation que se font nos voisins de la maladie, à savoir une chose personnelle. Partant, l’intervention de l’État est ressentie comme une ingérence.

Ces quelques considérations de droit comparé sont l’occasion de dire quelques mots sur les deux grands systèmes de sécurité sociale qui sont pratiqués en Europe et dans le monde. La révolution industrielle est un point de repère remarquable en la matière : les conditions de travail des ouvriers notamment des femmes et des enfants sont exécrables, les accidents sont innombrables, les solidarités familiales et paroissiales sont autrement moindres que par le passé, les salaires sont de misère, les juges cherchent des responsabilités pour palier la pauvreté extrême dans laquelle se trouvent nombre de victimes, la Cour de cassation accompagne le mouvement (Civ. 2, 16 juin 1896, Teffaine et découverte à l’article 1384, al. 1 d’un principe de responsabilité du fait des choses). Cocktail détonnant : la loi du 09 avril 1898 est votée. Un régime de responsabilité du fait des accidents industriels est inventé. La faute du patron n’est plus recherchée. Une réparation forfaitaire est accordée aux salariés victimes d’accidents du travail.

La France n’est pas isolée. « Cette époque voit naître et se développer des législations destinées à émousser la rigueur de la condition ouvrière. Apparaissent des systèmes de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, des systèmes d’assurance sociale ainsi que des systèmes d’indemnisation des charges familiales. » (J.-J. Dupeyroux et alii, Droit de la sécurité sociale, Précis Dalloz in Partie 1 – Théorie générale du droit de la sécurité sociale).

Deux systèmes de protection sociale ont cours. Le système bismarckien (allemand) et le système beveridgien (anglais).

Le chancelier allemand Bismarck est soucieux de contrecarrer l’influence grandissante de la pensée socialiste. Dans un message au Reichtag (17 nov. 1881), l’État se voit reconnaître la mission de promouvoir positivement, par des institutions appropriées et en utilisant les moyens de la collectivité dont il dispose, le bien-être de tous ses membres et notamment des faibles et des nécessiteux ». Il promulgue alors une série de lois instituant au profit des ouvriers de l’industrie (premiers bénéficiaires) des assurances maladie (1883), accidents du travail (1884), invalidité et vieillesse (1889). L’affiliation des travailleurs est obligatoire. Les cotisations sont proportionnelles aux salaires et partagées entre salariés et employeurs. Le système fait florès dans toute l’Europe et le monde.

On doit à lord William Beveridge d’avoir publié un rapport en 1942. Son intention : éradiquer la pauvreté et mettre l’homme à l’abri du besoin. Pour ce faire, il défend la création d’une assurance nationale bénéficiant à toute la population (régime universel) et offrant des prestations pour tous (régime uniforme) sans condition de ressources mais forfaitaires. Le tout financé par l’impôt. Il pose les prémices du National heath service.

De type bismarckien à son origine, le système de protection sociale français – l’assurance maladie dans le cas particulier – n’aura de cesse de glisser vers un modèle plus volontiers beveridgien. La protection universelle maladie de l’article L. 160-1 CSS l’atteste.

Prestations (étendue).- L’usage des ressources que la Nation consacre à son système solidarité de prise en charge de la protection sociale est pluriel. Le système français de sécurité sociale couvre en effet quatre catégories de risques ou charges sociaux (C. sécu. soc., art. L. 311-1), qu’on répartit ordinairement en 4 branches (C. sécu. soc., art. L. 200-2 : « Le régime général comprend 4 branches) en suivant le plan d’exposition systématique du Code de la sécurité sociale et que retrace la loi de financement de la sécurité sociale:

1° Branche santé : assurance maladie (L. 321-1 s.), assurance maternité et congé de paternité (L. 330-1 s.), assurance invalidité (L. 341-1), assurance décès (L. 361-1 s.) ;

2° Branche retraite : assurance vieillesse (L. 351-1 s.) ;

3° Branche accident du travail : le risque accident du travail (L. 411-1 s.), maladies professionnelle (L. 461-1 s.) ;

4° Branche famille : les charges de famille (L. 511-1).

Il se pourrait que dans quelques mois ou années une nouvelle branche fasse son apparition, celle qui serait consacrée à la prise en charge de la dépendance… Elle a été inventée par le législateur (loi n° 2020-992 du 07 août 2020 rel. à la dette sociale et à l’autonomie). Mais son financement n’est pas encore assuré.

Pour l’heure, il est fréquent de compter une 5ème branche à savoir la branche recouvrement (qui collecte les cotisations et contributions sociales pour le compte des 4 autres – soit pour l’année 2019 près de 535 milliards d’euros) !

En bref, le spectre de la couverture sociale ne saurait être plus large.

Ressources.- Les ressources de la sécurité sociale sont inévitablement limitées. Mais, quelles sont-elles au juste ? Le financement du système français de sécurité sociale est traditionnellement fondé sur des cotisations. Il fait désormais appel, pour une part qui va crescendo, à l’impôt. C’est que le régime général est confronté à de grandes difficultés financières.

La Cour des comptes, dans le cadre de sa mission constitutionnelle d’assistance du Parlement et du Gouvernement, s’en inquiète chaque année à l’occasion de la publication de son rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale (Code des juridictions fin., art. L.O. 132-3 ; C. sécu. soc., art. L.O. 111-3, al. 8).

La fiscalité affectée au financement des organismes de sécurité sociale est demeurée longtemps marginale. Elle atteint une dimension significative à partir des années 2000, lesquelles années ont été marquées par l’impact croissant des allègements de cotisations sociales sur les recettes de la sécurité sociale. Depuis 2006, on constate une constante progression des impôts et taxes affectés (ITAF) au financement de la sécurité sociale.

À ce jour, le prélèvement social prime encore le prélèvement fiscal. Dit autrement, les cotisations sociales occupent toujours une place prépondérante dans le financement de la protection sociale (61,4 % soit près de 400 milliards d’euros). Ceci étant, la fiscalité est devenue, au coté des cotisations et de la contribution sociale généralisée, un troisième pilier du financement de notre système de protection sociale (Cour des comptes, rapport, p. 136).

Complémentaires santé : généralisation et demie

Inventaire.- Esquisser un bilan de la « généralisation » de la complémentaire santé des salariés, c’est faire un inventaire des vices et vertus de la couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident. C’est, pour le dire autrement, porter un jugement critique sur le dispositif inventé par les partenaires sociaux et consacré dans la foulée par le législateur.

Le bilan à proprement parler ne saurait être fait. Il ne s’agira tout au plus que d’un bilan à n+1. Plusieurs raisons président à ce choix. D’abord, l’article L. 911-7 du Code de la sécurité sociale, qui fait obligation aux entreprises dont les salariés ne bénéficient pas encore d’une « complémentaire santé » de procéder par décision unilatérale de l’employeur, n’est entré en vigueur qu’au 1er janvier 2016 dernier. Il est donc un peu tôt pour se prononcer franchement. Ensuite, au vu des projets défendus par des candidats à l’élection présidentielle, qui ont en ligne de mire la protection sociale et le déremboursement des frais courants, il y a fort à parier que la matière connaisse quelques aménagements dans les mois à venir. Pour cause : le reste à charge étant mécaniquement plus grand, il s’agira pour le législateur de préciser le rôle qu’il entend faire jouer aux organismes d’assurance complémentaire.

Le vocable « généralisation » devrait être assorti de guillemets. Car, l’extension de la « complémentaire santé » à la plupart des salariés est pour ainsi dire manquée. La genèse attestait pourtant l’utilité et la justice du dispositif.

Genèse.- Au commencement, les partenaires sociaux créèrent la généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé[1]. Le législateur vit que cela était bon. Le deuxième jour, il créa un nouveau droit pour la sécurisation des parcours et permit à tous les salariés de bénéficier d’une couverture collective à adhésion obligatoire[2]. Et le législateur dit : que « l’employeur  assure au minimum la moitié du financement de cette couverture » (C. sécu. soc., art. L. 911-7)[3].

Les employeurs, qui ont lu le livre de la genèse, qui renferme les dispositions générales relatives à la protection sociale complémentaire des salariés (à savoir le livre 9 du Code de la sécurité sociale), ont cru être en mesure de s’acquitter de cette nouvelle exigence sociale au 1er janvier 2016. À l’expérience, il n’en fut rien pour nombre d’entre eux.

L’incitation cédant le gros de sa place à une obligation assortie (pour les besoins de la cause) de toute une série d’aménagements, le législateur a fait germer mille et une difficultés d’application que les conseils, les juges et les professeurs s’échinent depuis lors à résoudre.

Chausse-trappes.- L’analyse et la prévention du risque juridique ont été complexifiées. Il faut bien voir que, fondamentalement, la législation, qui demeure incitative à la marge, se superpose désormais à une législation impérative, qui est faite de dispositions tous azimuts et de toute nature dont le sens et la portée peuvent volontiers échapper.

Syncrétisme.- Le dispositif semble fonctionner au sein du système juridique tout entier et du droit de la protection sociale en particulier à la manière d’un mouvement perpétuel. Les faits sont têtus. Le nombre de normes applicables dans le cas particulier et le nombre de signes par texte n’ont de cesse d’aller crescendo. C’est qu’il en faut des règles de droit et des lignes de codes pour déporter les engagements des organismes de sécurité sociale et transférer la charge des remboursements des frais de soins de santé sur les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM), qu’ils soient à but non lucratifs ou pas du reste, en faisant mine de ne rien abandonner aux marchés. Penser la protection sociale d’entreprise comme un « outil facilitateur » (pour employer une expression à la mode), qui participe très certainement à la réduction du déficit des comptes sociaux, est une chose. Inventer un système qui s’avère être d’une complexité inouïe, qui rebuterait tout amateur quelque éclairé qu’il soit, en est une autre.

Division.- Dresser un bilan dans ces conditions de la généralisation de la complémentaire santé des salariés pourrait passer pour un tantinet audacieux. Ce n’est pas à dire, à tout le moins, qu’il ne peut être esquissé. C’est qu’il est dans le cas particulier des écueils de méthode et de perspective, rédhibitoires à certains égards, qui ont été commis. Et alors que le législateur est disposé à généraliser la prévoyance lourde, il serait des plus fâcheux, au regard des sommes considérables qui se jouent, qu’on procédât semblablement.

Il sera soutenu en ce sens, en premier lieu, que la généralisation de la complémentaire santé des salariés est singulièrement compliquée (1) et, en second lieu, qu’elle est manifestement ratée (2).

1.- Une généralisation singulièrement compliquée de la complémentaire santé des salariés

Raisons.- La généralisation de la complémentaire santé des salariés est singulièrement compliquée. C’est dire que les coûts d’entrée dans la matière sont parmi les plus élevés qui soient. Il faut bien voir qu’à raison de l’indétermination du langage normatif, les effets de droit ne peuvent être valablement déployés sans l’interprétation de l’énoncé législatif par l’administration ou le juge. Ceci est vrai en tout état de cause. Cela se vérifie plus encore dans le cas particulier. Vu de l’extérieur, le droit de la protection sociale complémentaire pourrait passer pour impénétrable ou presque. Pour s’en convaincre, on réservera notre attention, d’une part, aux sources de complication (A), d’autre part, au remède qui a été trouvé à la complication (B).

A.- Les sources de la complication

Les sources de complication sont nombreuses et intriquées. La généralisation de la complémentaire santé des salariés a été compliquée d’abord par le contexte dans lequel elle a été engagée (1) ensuite par les textes qui ont été rédigés (2).

1.- Le contexte

Légistique.- Les traités de légistique sont formels[4]. Le contexte d’une réforme importe tout autant que le texte en gestation. Relativement à la généralisation de la complémentaire santé des salariés, il est regrettable que lesdits traités n’aient pas été lus, à tout le moins pas in extenso. La reconnaissance d’un nouveau droit subjectif à la complémentaire santé et au remboursement des frais de soins de santé supposait que les employeurs, qui sont les pivots de l’opération d’assurance, soient en capacité de se mettre au diapason. Quant aux organismes d’assurance, qui sont les leviers de ladite opération, il eut été pertinent de veiller à ce qu’ils soient en capacité de procéder.

Tournis.- Or, le Parlement a concomitamment voté, à un rythme effréné, des lois dans toutes les directions qui ont modifié des pans entiers du droit de la protection sociale complémentaire. On peut lister pêle-mêle entre autres réformes et chronologiquement : la sélection des contrats d’assurance santé éligibles à l’aide à la complémentaire santé (C. sécu. soc., art. L. 863-6)[5], la reconfiguration du contrat solidaire et responsable (C. sécu. soc., art. L. 871-1 et R. 871-1)[6], la fusion de la taxe de solidarité additionnelle et la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (C. sécu. soc., art. L. 862-4)[7], l’invention de la déclaration sociale nominative (C. sécu. soc. art. L. 133-5-3-I)[8], la transposition de la directive sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (Solvabilité 2)[9]. On pourrait encore dire un mot de la création de la protection universelle maladie (C. sécu. soc. art. L. 160-1)[10] ou du tiers payant généralisé… En bref, employeurs et assureurs ont été purement et simplement pris dans un tournis législatif et réglementaire proprement invraisemblable à telle enseigne qu’il a fallu étendre a maxima le champ du rescrit social pour palier la complexité et l’instabilité de la norme[11].

Rescrit.- Il faut bien voir que 96 % des entreprises sont des microentreprises. C’est à dire que ce sont des firmes qui emploient moins de 10 personnes et dont le chiffre d’affaires ou le total de bilan ne dépasse pas 2 millions d’euros. C’est l’Insee qui le dit[12]. Ce sont donc des personnes qui, par hypothèse, sont dans l’incapacité de déférer spontanément à l’ordre de pareilles lois. Ces très petites entreprises ne comptent pour ainsi dire aucun juriste dans leur rang respectif. Cela ne signifie pas nécessairement qu’elles ne sont pas conseillées ni assistées. Mais elles ne le sont qu’à rebours. En revanche, elles sont contraintes de s’agréger un expert comptable. En pratique, autant dire que c’est lui qui est en responsabilité sur ces questions de complémentaire santé et de leur généralisation. Les agents chargés du recouvrement des cotisations le savent trop. On comprendra mieux pourquoi le législateur a étendu le spectre du rescrit social en autorisant les professionnels du chiffre à saisir les organismes collecteurs[13].

Il faut bien voir que non seulement la quantité de la production normative de ces trois dernières années donne à voir que le contexte de la généralisation de la complémentaire santé des salariés n’était pas des plus propices à sa réception, mais la piètre qualité des textes applicables a participé à compliquer un peu plus encore la réforme.

2.- Les textes

Temps.- Les textes propres à l’application de la loi dans le temps sont probablement parmi les plus insondables. Ce n’est toutefois pas imputable complètement au législateur, mais au droit des relations collectives du travail et à l’éventualité qu’il ait fallu renégocier qui un accord de branche, qui un accord d’entreprise ou bien, et à défaut, qu’il se soit agi de procéder à l’instauration de la couverture minimale obligatoire par décision unilatérale de l’employeur. Mais il y a plus fâcheux. C’est que l’insuffisante préparation des textes applicables à la cause, tant en droit qu’en économie, a interdit les employeurs et les assureurs de dérouler le dispositif, ce qui a pour le moins compliqué la généralisation de la complémentaire santé.

Argent.- Le législateur a ainsi réussi le tour de force, à seulement quelques jours de l’entrée en vigueur de la réforme, de procéder à des modifications substantielles relativement au montant du financement patronal de la garantie frais de soins de santé à telle enseigne qu’elle n’aura jamais été appliquée dans sa version d’origine[14]. L’article 34 de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016 a été l’occasion de réécrire l’article L. 911-7 du Code de la sécurité sociale. La première mouture du texte laissait à penser que les employeurs n’étaient tenus qu’au financement des garanties bénéficiant aux seuls salariés (à l’exclusion des ayants droit) et dans la limite de 50% du panier de soins (à l’exclusion des garanties supérieures possiblement accordées). Inspiré par une interprétation in favorem de la Direction de la sécurité sociale[15], le législateur décide que « l’employeur assure au minimum la moitié du financement de la couverture collective à adhésion obligatoire des salariés en matière de remboursement complémentaire des frais soins de santé » (art. L. 911-7, III C. sécu. soc.). Soutenir dans ces conditions que la généralisation a été compliquée, c’est un doux euphémisme. Car il faut bien se représenter les coûts en temps et en argent que de tels soubresauts de la législation ont pu nécessiter pour toutes les parties intéressées.

Et ils ne sont pas prêts de se tarir[16]. Il y aurait beaucoup à (re)dire, entre autres sujets, sur les heurts et malheurs des clauses de désignation[17], des clauses de recommandation, des modalités de révision des contrats responsables[18]… Tout à fait averti des risques qu’une pareille législation fait courir aux opérateurs, autrement dit, tout à fait avisé des sources de complication de la réforme, le législateur s’est appliqué à déployer un remède à la complication.

B.- Le remède à la complication

Le remède à la complication est à double détente. Il est pour le moins original. Il consiste, d’une part, à refuser de réglementer pour l’avenir (1) et, d’autre part, à effacer ce qui a pu être réglé par le passé (2).

1.- La non écriture de l’avenir

Report.- Le remède à la complication pour l’avenir est plutôt fruste. Il a purement et simplement été décidé ne pas ajouter à la complication en n’engageant pas la réforme qui comptait vraiment au regard de son importance pour les travailleurs concernés, à savoir la généralisation de la prévoyance – i.e. la couverture des risques dits lourds, à savoir l’incapacité de travail, l’invalidité et le décès. – En ce sens, loi de sécurisation de l’emploi (qui fait au passage le départ entre le remboursement des frais de santé et la prévoyance) priait pourtant, et ce avant le 1er janvier 2016, « les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels (d’engager) une négociation en vue de permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d’une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de prévoyance au niveau de leur branche ou de leur entreprise d’accéder à une telle couverture »[19]. Le législateur a cru pouvoir s’aventurer. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 était trop belle. Mais c’était sans compter la saisine du Conseil constitutionnel. Dans une décision n° 2016-742 du 22 décembre 2016, le Conseil décidait qu’il s’agissait là d’un cavalier social (cons. 32).

Au vu des modalités de la réforme, qui sapent en définitive la généralisation de la complémentaire santé, il ne sera pas regretté outre mesure que la généralisation de la prévoyance n’ait pas été engagée dans la foulée et qu’on ait préféré ne pas écrire tout de suite l’avenir. S’agissant du passé, le remède a consisté à inventer au profit de l’employeur un principe de tolérance tant la généralisation de la complémentaire santé des salariés est apparue compliquée.

2.- L’effacement du passé

Sévérité.- Il était de règle que les inspecteurs du recouvrement soient tenus d’appliquer strictement le droit applicable à la cause : principe d’égalité de traitement obligeait. Dit autrement, les agents chargés du contrôle de l’application des législations de sécurité sociale n’ayant pas le pouvoir d’apprécier les manquements de l’employeur, ils n’étaient pas fondés à moduler le redressement au regard du critère tiré de la bonne ou mauvaise fois du cotisant. Égalité certes, mais sévérité. Le droit aux exemptions d’assiette étant des plus exigeants[20], si d’aventure un système de garantie ne remplissait pas toutes les conditions requises, les organismes chargés du contrôle étaient tenus de considérer que l’ensemble du financement patronal constituait une rémunération. Les contrevenants étaient aussitôt assujettis à l’ensemble des prélèvements sociaux pour une faute allant du simple défaut de fourniture de pièces justificatives à l’erreur de droit manifeste.

Tolérance.- L’article L. 133-4-8, II nouveau du Code de la sécurité sociale, qui est un texte d’exception, dispose désormais : « l’agent chargé du contrôle réduit le redressement à hauteur d’un montant calculé sur la seule base des sommes faisant défaut ou excédant les contributions nécessaires pour que la couverture du régime revête un caractère obligatoire et collectif (…) ». Et la loi de réduire concrètement ledit redressement au regard de la faute commise[21]. Ainsi, la commission d’une faute très légère (culpa levissima : absence de production de dispense ou de tout document ou justificatif) permet une réduction du redressement à hauteur d’une fois et demie les sommes concernées. La commission d’une faute légère (culpa levis : manquement non constitutif d’une méconnaissance d’une particulière gravité des règles idoines) assure une réduction à hauteur de trois fois ces sommes. Tandis que la faute lourde (culpa lata : octroi d’avantage personnel, discrimination, travail dissimulé, obstacle à contrôle, abus de droit) interdit purement et simplement la réduction du redressement (C. sécu. soc., art. L. 133-4-8, III).

D’apparence anodine, « la gammes des fautes » (Lalou, DH 1940.17) prête en réalité à conséquences. Bien que cela ait déjà été écrit[22], il importe de faire remarquer derechef, en premier lieu, que la définition de la faute légère étant laissée à l’appréciation souveraine des inspecteurs chargés du recouvrement, il existe un risque qu’à situation semblable, les Urssaf considérées réservent un sort différent aux employeurs concernés[23]. La sévérité d’antan présentait, entre autres avantages, de préserver tout un chacun, d’une part, des affres de l’interprétation, d’autre part, des heurts et malheurs de la proportionnalité. Mais pareille sévérité supposait que le droit fût encore accessible et intelligible pour les opérateurs. Or, faute pour le droit de la protection sociale d’entreprise de satisfaire pleinement cet objectif à valeur constitutionnelle[24], il a été décidé de donner le pouvoir à des organismes de droit privé, investis certes d’une mission de service public, de définir les conditions d’application de la loi… Où l’on n’est plus à un renversement des facteurs en la matière. Il y a plus. L’article L. 133-4-8 nouveau du Code de la sécurité sociale aménageant l’intensité de la sanction (l’importance du redressement en l’occurrence) au regard de la faute commise, d’aucuns pourraient dénoncer l’invention d’une règle pour le moins exorbitante, à savoir qu’il serait désormais nécessaire mais suffisant que l’employeur fasse montre de la meilleure des diligences dans l’application de la loi. En bref, qu’il se contente de faire en sorte d’appliquer le droit. À hauteur de principe, il pourrait être regretté que l’obligation de déférer à l’ordre de la loi soit ravalée de la sorte au rang d’obligation de moyens. Il reste, et c’est l’important, qu’à l’impossible nul n’a jamais été tenu. Au fond, et les praticiens le savent trop, si le droit de la protection sociale d’entreprise a été méconnu, « ce n’est pas tant faute pour (l’employeur) de l’avoir cherché, c’est faute pour le droit lui-même de ne pas avoir été accessible à sa connaissance, puisque les démarches les plus sérieuses n’ont pas permis sa découverte »[25].

Il importe de dire aussi que l’aménagement légal de la rigueur de l’adage « Nul n’est censé ignoré la loi » – car c’est ce dont il est question – ne peut être excipé à tous coups. L’article L. 133-4-8, III nouveau du Code de la sécurité sociale prive l’employeur du régime de faveur lorsque l’irrégularité en cause a déjà fait l’objet d’une observation lors d’un précédent contrôle ou lorsqu’est reprochée une faute lourde (not. l’abus de droit). Le rapport parlementaire (v. supra) était du reste en ce sens, qui recommandait d’accorder un droit d’alerte – voire d’erreur – consécutivement au seul premier contrôle.

D’aucuns opposeront qu’il ne s’agit rien d’autres que de quelques impondérables. Des questions complexes, des intérêts divergents, des intentions ambitieuses font rarement des règles de droit simples à écrire, de sorte que le caractère singulièrement compliqué de la généralisation de la complémentaire santé des salariés était inévitable. Peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse pourrait-on se dire.

Dans un tout récent rapport sur la complémentaire santé, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress, avr. 2016) indique qu’avec 95 % de personnes couvertes, la France est le pays de l’OCDE où la couverture privée est la plus répandue. Il y a mieux. Selon la Dress, les contrats collectifs sont généralement moins coûteux pour les salariés (déductions fiscales et participation patronales) et offrent possiblement plus de garanties[26]. Aussi bien et de prime abord, la réforme semble réussie. Ceci étant, à la réflexion, et parce que après tout on ne gouverne pas par les nombres[27], il sera défendu (à titre conservatoire peut-être) que la généralisation de la complémentaire santé des salariés est manifestement ratée.

2.- Une généralisation manifestement ratée de la complémentaire santé des salariés

Soutenir que la généralisation de la complémentaire santé des salariés apparaît manifestement ratée suppose qu’on s’entende bien sur les mots. L’action de généraliser consiste à rendre commun à beaucoup (Littré). Dit autrement, la généralisation est l’extension à la plupart des salariés de la complémentaire santé. Ainsi comprise, d’aucuns soutiendront à raison que la généralisation est plutôt réussie. Seulement, le diable se cache dans les détails. La loi a une toute autre ambition. Sa lettre ne souffre pas la discussion. L’article L. 911-7 du Code de la sécurité sociale entend que les salariés, non pas une majorité d’entre eux, profitent d’une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires des frais de soins de santé. Or, force est de constater qu’il subsiste, d’une part, des assurés sociaux non couverts (A) et, d’autre part, qu’il est encore des assurés sociaux mal couverts (B).

A.- L’existence d’assurés sociaux non couverts

L’article L. 911-7 du Code de la sécurité sociale est censé avoir garanti à tout un chacun un nouveau droit subjectif à la complémentaire santé. Les programmatiques articles premiers de l’accord national interprofessionnel et de la loi de sécurisation de l’emploi sont en ce sens. À l’expérience, il s’avère qu’il existe deux catégories d’assurés sociaux qui ne sont pas couverts par une complémentaire santé. La première catégorie est faite de ceux qui ne le sont pas par détermination de la loi (1). La seconde de ceux qui s’y sont opposés par choix (2).

1.- Les assurés sociaux non couverts par détermination de la loi

Loi.- L’article L. 911-7 du Code de la sécurité sociale est exclusif. Seuls les salariés sont titulaires du droit subjectif à la complémentaire santé. Sont nécessairement exclus du champ de la généralisation, au sein de la population active, les agents publics et les travailleurs non-salariés. Concernant les agents, ce n’est pas à dire toutefois que l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ne participent pas au financement de garanties complémentaire en matière de santé[28]. Quant aux indigents, à savoir pour ce qui nous occupe, les chômeurs (qui ne bénéficient plus de la portabilité) et les retraités, ils sont invités pour leur part à souscrire des contrats d’assurance à adhésion individuelle techniquement plus chers que les contrats collectifs et/ou sont renvoyés à la CMU-C pour autant qu’ils en connaissent l’existence ou qu’ils parviennent à en comprendre les arcanes (i.e. le taux de recours n’est que de 70 % soit 4,5 millions de bénéficiaires. Comprenons bien : 30 % des bénéficiaires potentiels n’en font pas la demande)[29]. En bref, et c’est ce qui importe, ni les uns ni les autres ne sont fondés à opposer un quelconque droit à la complémentaire santé comme tout un chacun. Ce qui, s’agissant de cette seconde catégorie de personnes, est d’autant plus fâcheux que leur situation respective peut être l’occasion d’une consommation de soins plus grande. Ce qui, au vu des propositions de réforme du système de protection sociale, est plus ennuyeux encore.

Contrat. La loi des parties peut aussi être l’occasion d’un trou de couverture. Le premier cas de figure est anecdotique. Il arrive le plus souvent que le contrat d’assurance collectif garantisse le remboursement des dépenses de santé de l’assuré et des membres de sa famille. Le régime général définit cette dernière notion. Le contrat peut substituer la sienne propre. Auquel cas, les ayants droit peuvent ne pas nécessairement être ceux que l’on croit. La police d’assurance peut même réserver la garantie au seul assuré[30]. La généralisation de la complémentaire santé ne profitera donc qu’au seul salarié. Mais peut-être est-ce trop demander à la loi.

Le second cas de figure est possiblement plus ennuyeux en revanche. Aux termes de l’article R. 242-1-2 du Code de la sécurité sociale, le fait de prévoir que l’accès aux garanties est réservé aux salariés de plus de quelques mois dans l’entreprise ne remet pas en cause le caractère collectif des garanties. C’est dire que l’exclusion plafonnée de l’assiette des cotisations de sécurité sociale joue quand même. Par voie de conséquence, si une clause d’ancienneté est stipulée, peu importe la raison au fond, le salarié concerné ne verra pas ses dépenses de santé surnuméraires prises en charge par une complémentaire santé. En droit, la contradiction entre l’article R. 242-1-2 et L. 911-7 C. sécu. soc. n’est qu’apparente[31]. Il reste que concrètement le salarié est exposé à un défaut de couverture et l’employeur à un risque prud’homal.

Certes, il se peut que les assurés non couverts par détermination de la loi soient en petit nombre[32]. Il reste que, à hauteur de principe, il n’est pas correct de parler de généralisation. Et ceci d’autant moins que la multiplication des cas de dispense, qui ouvrent aux salariés concernés la faculté d’échapper à la complémentaire santé à adhésion en principe obligatoire, fait douter qu’il y ait jamais eu généralisation. Il était décidément prudent de mettre le mot du sujet  « généralisation » entre guillemets. C’est qu’il est des assurés sociaux qui ne sont pas couverts par choix.

  1. Les assurés sociaux non couverts par expression d’un choix

Dispenses.- Il y aurait beaucoup à dire sur les dispenses d’adhésion au dispositif, entre autres qu’un pareil relâchement de la rigueur du droit s’inscrit en faux avec les intentions des promoteurs de la réforme. On opposera sûrement qu’il importe de ne pas verser dans le juridisme à outrance et, au contraire, de faire preuve de réalisme. C’est qu’il ne s’agirait pas de pécher par excès d’assurance… Seulement, il faut avoir à l’esprit qu’un salarié sur trois s’est fait dispenser[33]. Et la tendance ne devrait pas s’inverser. Pourquoi cela ? Parce qu’aucun salarié employé dans une entreprise avant la mise en place d’un système de garanties collectives (contre le risque décès, les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d’incapacité de travail ou d’invalidité) ne peut être contraint de cotiser contre son gré à ce système lorsqu’il a été décidé unilatéralement par l’employeur. Or, c’est précisément par DUE que bon nombre d’employeurs vont en définitive déployer le dispositif de couverture frais de soins de santé. On pourrait se demander en quoi cette manifestation de volonté est de nature à fonder le jugement qui est fait de la généralisation de la complémentaire santé. C’est qu’il est question d’antisélection.

Antisélection.- En économie de la santé et en assurance, l’antisélection reflète le comportement d’individus en bonne santé qui considèrent que les cotisations qu’ils paient sont beaucoup trop élevées au regards des prestations qu’ils peuvent espérer. Aussi préfèrent-ils ne pas s’assurer[34]. Le financement du risque maladie est alors reporté sur des individus en mauvaise santé[35] et en nombre restreint. En conséquence, que disent les actuaires ? Eh bien qu’il importe de commercialiser des contrats d’assurance à garanties moindres ou à options pour attirer tous les risques. Ce faisant, le système est théoriquement moins bien financé et les assurés sociaux sont pratiquement moins bien couverts.

B.- L’existence d’assurés sociaux mal couverts

C’est au contrat responsable et plus précisément au panier de soins minimum qu’il importe à présent de réserver l’attention. Menée tambour battant, la réforme a pour objet de garantir qualitativement le niveau de couverture des assurés sociaux et de réduire quantitativement le niveau des prestations servies par l’assurance maladie. Un nouveau mot d’ordre : entraver pour économiser. À l’analyse, l’invention du panier de soins est comme l’enfer : pavée de bonnes intentions. En apparence, le dispositif est des plus heureux. En réalité, il est douteux.

1.- L’apparence

En apparence, il est heureux que le législateur ait imposé non seulement qu’une couverture minimale soit garantie au salarié (C. sécu. soc., art. L. 911-7, II) mais que, à défaut d’être éligibles, les salariés précaires (en contrat à durée déterminée, en contrat de mission ou à temps partiel) puissent désormais profiter du versement santé (C. sécu. soc., art. L. 911-7-1). De ce strict point de vue la généralisation de la complémentaire santé des salariés présente peu ou prou les avantages escomptés.

2.- La réalité

Principe.- En réalité, et exception faite (peut-être) du régime local d’assurance maladie d’Alsace-Moselle[36], le panier de soins minimum tire vers le bas le niveau des garanties frais de soins de santé. L’employeur étant tenu d’assurer au moins la moitié du financement de la couverture, la loi pousse à une application minimaliste de ses dispositions[37]. À l’expérience, les 4 millions de personnes assurées en contrat individuel qui se sont retrouvées assurées sur la base d’un contrat collectif à adhésion obligatoire[38] se sont avérées moins bien couvertes : panier de soins minimum et contrat responsable obligent. L’histoire est ainsi écrite que l’économie et le droit ont fini par convaincre l’employeur de souscrire une couverture possiblement plus fruste que celle jusqu’alors proposée[39], à peine d’encourir un risque de redressement.

C’est peu dire que la généralisation de la complémentaire des salariés a manifestement déclenché des effets de bord en série.

Effets. Pêle-mêle, et pour ne prendre que trois exemples, la réforme rend la souscription d’une protection sociale surcomplémentaire à adhésion facultative pour ainsi dire nécessaire. Et pour réduire mieux encore le reste à charge, elle laisse entrevoir tout l’intérêt qu’il y aurait à souscrire une surcomplémentaire individuelle de second rang… Tout ceci est des plus coûteux. Partant, c’est discriminant. Il y a plus fâcheux encore. La réforme ayant modifié la prise en charge complémentaire des frais de soins de santé onéreux, les organismes d’assurance se sont appliqués à formuler des offres de contrats non responsables assortis de toute une série d’options au nombre desquelles on trouve le remboursement des dépassements d’honoraires peu important que le professionnel de santé soit ou non adhérent au contrat d’accès aux soins[40]. Les contrats sont certes plus taxés (C. sécu. soc., art. L. 871-1), mais ils sont autrement plus attractifs. Ceci vaut bien cela. Mais c’est écarter poliment et nécessairement la prévention des pratiques tarifaires excessives. En définitive, c’est le parcours de soins et la responsabilisation des assurés sociaux voulus par la loi n° 2014-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie dite Douste-Blazy qui se retrouvent malmenés[41].

On peut relever un deuxième effet de bord. Il s’avère que le basculement, qui fait passer des assurés plutôt jeunes d’une couverture à adhésion individuelle à une couverture collective, pourrait augmenter l’âge moyen des souscripteurs de contrats individuels, c’est-à-dire leur profil de risque, et accroître ainsi l’écart de coût moyen entre contrat individuel et contrat collectif. C’est la raison pour laquelle la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a prévu à cet égard la mise en œuvre d’une procédure de labellisation des contrats d’assurance complémentaire individuels pour les personnes de 65 ans et plus afin d’atténuer les incidences de la généralisation sur le niveau des cotisations et primes supportées par les assurés les plus âgés[42]. Elle vise donc à diminuer les incidences financières possibles sur cette population de la généralisation de la complémentaire santé d’entreprise.

Last but not least, il y aurait beaucoup à dire sur l’empiétement de la solidarité obligatoire portée par des opérateurs privés à la prière des partenaires sociaux et du législateur sur la solidarité territoriale obligatoire déployée par le régime alsacien-Mosellan qui s’avère autrement plus généreux[43].

En guise de conclusion, soutenir que la généralisation de la complémentaire santé des salariés aurait pu être de bien meilleure facture est une lapalissade. Il y aurait encore tant à redire[44]… Puisse le législateur être mieux inspiré lorsque le temps sera venu de généraliser la prévoyance lourde.

J.B.

[1]Accord national interprofessionnel, 11 janv. 2013, art. 1er. À noter au passage que l’article L. 1 du Code du travail (in Chap. préliminaire : Le dialogue social) ne semblait pourtant pas autoriser les intéressés à « légiférer » en droit de la protection sociale.

[2]Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Cons. const., décision n° 2013-672 DC 13 juin 2013. J.O. 16 juin 2013.

[3]Exception faite du régime local, qui prévaut dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle). V. en ce sens F. Kessler, Complémentaire frais de santé obligatoire d’Alsace et de Moselle : reste-t-il une place pour du droit national d’application territoriale ?,Revue Regards, EN3S, juin 2016, p. 81.

[4]D. Rémy, Légistique, L’art de faire les lois, Romillat, 1994, p. 72. Voy aussi : www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Guide-de-legistique.

[5]Loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014 (art. 56).

[6]D. n° 2014-1374 du 18 nov. 2014 rel. au contenu des contrats d’assurance maladie complémentaire bénéficiant d’aides fiscales et sociales. J. Bourdoiseau, Nouveau contrat responsable et iatrogénèse, Gaz. pal. 2015 n° 258, p. 5. À noter que l’article L. 871-1 CSS a été récemment modifié (loi n° 2016-1827 du 23 déc. 20016, art. 77).

[7]Loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015 (art. 22). Circ. n° DSS/SD5D/2015/380 du 28 décembre 2015 relative à la taxe de solidarité additionnelle de l’article L. 862-4 du code de la sécurité sociale.

[8]Ord. n° 2015-682 du 18 juin 2015 rel. à la simplification des déclarations sociales des employeurs.

[9]Ord. n° 2015-378 du 2 avr. 2015 transposant la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (Solvabilité II).

[10]Loi n° 2015-1702 du 10 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016 (art.

[11]Ord. n° 2015-1628 du 10 déc. 2015, décret n° 2016-1435 du 25 oct. 2016. J. Venel, Rescrit social. Une ordonnance prometteuse, un décret mesuré, JCP S. 2016.1390.

[12]Insee, Les entreprises en France, éditions 2016, p. 78 (www.insee.fr/fr/statistiques/2497086?sommaire=2497179).

[13]À noter que les organisations professionnelles d’employeurs ou les organisations syndicales ont à présent la possibilité de formuler une demande de rescrit à charge dans ce dernier cas pour l’Acoss de se prononcer (art. L. 243-3-6 C. sécu. soc.).

[14]V. égal. à ce sujet J. Bourdoiseau et V. Roulet, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Aspects critiques, Gaz. pal. 2016.

[15]Circ. DSS du 29 décembre 2000, Q/R n° 7 : « Lorsque l’employeur impose la couverture obligatoire des ayants droit et que ces derniers sont couverts dans le contrat collectif et obligatoire de l’entreprise, la cotisation obligatoire à la charge du salarié est bien la cotisation famille et donc l’employeur doit s’engager à hauteur de 50% de cette cotisation ».

[16]B. Serizay et Ph. Coursier, Protection sociale : trop c’est trop !, JCP S. 2014.1413.

[17]Voy. not. J. Bourdoiseau, Modulation dans le temps de la jurisprudence constitutionnelle, contrat en cours et clause de désignation, note sous Cass. soc., 11 févr. 2015, n° 14-13.538, Lexbase éd. sociale, 12 mars 2015 ; V. Roulet, La clause de désignation : un phoenix qui ne dit pas son nom, Gaz pal.  2015, n° 111 ; L. Mayaux, Clause de désignation : quand la chambre sociale interprète mal la notion de contrats en cours, RGDA 2015.04, p. 206 ; V. Roulet, Encore et toujours les clauses de désignation, note sous Cass. soc. 1er juin 2016, nos 15-12.276 et 15-12.796, Gaz. pal. 2016, n° 35.

[18]J. Bourdoiseau, Contrat responsable et iatrogénèse, op. cit.

[19]Art. 1er, V in Section 1 – De nouveaux droits individuels pour la sécurisation des parcours.

[20]V. en ce sens les articles L. 242-1, al. 6-9 C. sécu. soc. (D. 242-1, R. 242-1-1, R. 242-1-6) et L. 871-1 C. sécu. soc.

[21]À noter que la loi n’autorise pas l’employeur à recourir contre les salariés aux fins de remboursement des cotisations salariales dues qui n’auront pas été précomptées sur la rémunération (C. sécu. soc., art. L. 133-4-8, IV nouv.).

[22]J. Bourdoiseau et V. Roulet, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Analyse critique, Gaz. pal. 2016.

[23]À ce jour, aucune lettre circulaire de l’ACOSS n’a été publiée sur la question.

[24]Cons. const., décision n° 99-421 DC du 16 déc. 1999 ; CE ass., 24 mars 2006, KPMG, Gaja, n° 117.

[25]P. Deumier, Introduction générale au droit, 3ème éd., L.G.D.J., 2015, n° 249.

[26]Dress, études et résultats, n° 789, février 2012.

[27]A. Supiot, La gouvernance par les nombres, Cours au Collège de France, Fayard, 2015.

[28]À noter que 98 % des fonctionnaires sont couverts par une complémentaire santé. Le référencement des organismes d’assurance a d’ailleurs le vent en poupe au sein de la fonction publique d’État (voy. en ce sens, L’argus de l’assurance, 20 janv. 2017, p. 13). À noter encore que la couverture assurantielle est toujours facultative dans le cas particulier. Voy. en ce sens : D. 2011-1474 du 08 nov. 2011 rel. à la participation des collectivités territoriales et de leurs établissements publics au financement de la protection sociale complémentaire de leurs agents, art. 3. Voy. également : D. Leroy, Les effets du décret n° 2011-1474 sur l’accès à la protection sociale complémentaire dans la Fonction publique territoriale, Sénat, rapp. du 29 mars 2017, p. 29.

[29]Cour des comptes, rapport sur la CMU-C, 2015. Voy. également en ce sens : R. Verniolle, L’accès à la complémentaire santé pour les personnes disposant de faibles ressources : la CMU-C et l’ACS, EN3S, Regards, 2016, n° 49, p. 121.

[30]Dans ce cas, il peut être prévu que d’autres membres de la famille pourront en bénéficier, moyennant le versement d’une cotisation supplémentaire pour chacun d’entre eux.

[31]Sans solliciter la hiérarchie des normes, il peut être rappelé d’abord que l’article L. 911-7 C. sécu. soc. déclare que la complémentaire santé doit profiter à tout salarié et noter ensuite que les organismes de sécurité sociale sont d’avis qu’aucun salarié ne peut être exclu d’une couverture santé au titre d’une clause d’ancienneté d’un contrat » (circ. Mutex n° 2015/47 du 12 août 2015, p. 3. Circ. Acoss du 29 déc. 2015).

[32]Il se pourrait même – c’est une hypothèse qu’il s’agirait de vérifier chiffres à l’appui – qu’il n’y ait pour ainsi dire jamais eu de salariés non couverts absolument. Un tel cas de figure supposerait que l’assuré social ne soit couvert par aucun contrat d’assurance complémentaire individuel ou collectif et qu’il ne soit éligible ni à la CMU-C ni à l’ACS.

[33]Source : art. L. 911-7 et R. 242-1-6 C. sécu. soc. ensemble art. 11 de la loi n° 89-1009 du 31 déc. 1989. D. n° 2014-1025 du 08 sept 2014.

[34]Voy. not. sur la notion, H. Groutel, F. Leduc et Ph. Pierre, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec 2008, n° 143.

[35]Irdes, Bulletin d’information en économie de la santé, n° 115, nov. 2006 (http://www.irdes.fr/Publications/Qes/Qes115.pdf).

[36]F. Kessler, Complémentaire frais de santé obligatoire d’Alsace et de Moselle : reste-t-il une place pour du droit national d’application territoriale ?, op. cit.

[37]P. Morvan, Droit de la protection sociale, op. cit., n° 1038.

[38]D. Libault et V. Reymond, Rapport sur la solidarité et la protection sociale complémentaire collective, La documentation française, sept. 2015, p. 10.

[39]V. en ce sens, J. Bourdoiseau, Nouveau contrat responsable et iatrogénèse, Gaz. pal. 2015, n° 258.

[40]Le contrat ACS a été remplacé par l’Option pratique tarifaire maîtrisée (OPTAM). Voy. not. sur le sujet, J. Bourdoiseau et V. Roulet, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2017. Analyse critique, Gaz. pal. 2017, n° 10, p. 50.

[41]C. sécu. soc., art. L. 162-5. Arr. du 20 oct. 2016 portant approbation de la convention médicale nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie signée le 25 août 2016, p. 24.

[42]Voy. également D. 2017-372 du 21 mars 2017 rel. à l’application de l’article 4 de la loi Évin, qui corrige les modalités de plafonnement de la majoration des tarifs applicables aux anciens salariés.

[43]F. Kessler, Complémentaire frais de santé obligatoire d’Alsace et de Moselle : reste-t-il une place pour du droit national d’application territoriale ?, op. cit.

[44]G. Perrin, Généralisation de la complémentaire santé, tout est loin d’être fini, L’argus de l’assurance, avr. 2016, p. 18.