La grande sécu : une utopie constructive ?

Projet de rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie sur l’articulation entre assurance maladie obligatoire et assurance maladie complémentaire

Article paru au JCP G. 17 Janvier 2022, 50

Un scenario du « grand remplacement » des assurances maladies privées a été écrit. – Son nom : la « Grande sécu ». – Le scenario de la « Grande sécu » promeut l’extension du champ d’intervention de la sécurité sociale. – Dit autrement, et sans détour, c’est de nationalisation du marché de l’assurance santé dont il est question

***

La sécurité sociale couvre de nombreux risques et charges de l’existence. Au nombre de ceux-ci, la maladie est l’objet de toutes les attentions.

Complexité(s). – Le système de protection sociale français est relativement complexe. Il y a une bonne raison à cela : il n’est pas si simple d’assurer la population française tout entière contre les risques et charges de l’existence, particulièrement la maladie. Il y en a une autre : une foule d’opérateurs publics et privés garantissent à tout un chacun (ou presque) le remboursement des frais de soins de santé.

Multiplicité. – Ces opérateurs sont l’assurance maladie obligatoire (AMO. – Caisses primaires d’assurance maladie / Caisses de la mutualité sociale agricole) et l’assurance maladie complémentaire (AMC). Il est à noter que les secondes ont été inventées avant les premières. C’est que les employeurs et les travailleurs n’ont pas attendu la Libération (et les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale) pour s’organiser et aider les moins lotis à financer les soins nécessaires à leur rétablissement. Ceci pour dire que les difficultés d’articulation des garanties sous étude entre AMO et AMC ne sont pas nouvelles.

Complémentarité. – À ce jour, les organismes d’assurance maladie obligatoire ne remboursent pas (en principe) la totalité des dépenses de santé. Un taux de participation est attendu de l’assuré dans le financement des soins. Le rôle principal des opérateurs d’assurance privés (sociétés d’assurance, mutuelles et institutions de prévoyance) est donc de rembourser la partie des dépenses de santé qui restent à la charge du patient (ce qu’on appelle techniquement le ticket modérateur) après remboursement forfaitaire de l’assurance maladie. Lorsque, par exemple, un médecin généraliste conventionné facture 25 € d’honoraires au titre de sa consultation, l’AMO rembourse au patient (17,50 €) et l’AMC les 07,50 € restants. Le ticket modérateur (TM) est de 30 %. C’est un petit plus compliqué en réalité (c’est du reste une critique qui est faite de l’existant), car une participation forfaitaire d’1 € est demandé à l’assuré de plus de 18 ans. Mais passons ; c’est l’ordre de grandeur qui importe dans le cas particulier.

Moralité, celles et ceux qui n’ont pas de complémentaire santé peuvent être contraints de faire un effort important pour solvabiliser les soins reçus ou à recevoir. C’est un effort qui va tout de même decrescendo à mesure que le recours à la complémentaire santé solidaire de l’article L. 861-1 du Code de la sécurité sociale progresse. À ce jour, nombreuses sont les personnes qui se sont assurées chez un opérateur d’assurance privé, plus encore que dans un passé récent car depuis le 1er janvier 2016 tous les salariés du secteur privé doivent (en principe) être couverts (CSS, art. L. 911-7) tandis que les agents publics, qui sont libres (en principe) de souscrire une complémentaire santé, ont droit à une participation de leur employeur de 15 € (D. n° 2021-1164, 8 sept. 2021). Disons-le : l’articulation entre l’AMO et l’AMC est des moins évidentes mais des plus intéressantes.

Progrès. – Aussi, le ministère des Solidarités et de la Santé a-t-il commandé au Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM.https://www.securite-sociale.fr/hcaam) un rapport sur l’articulation entre l’assurance maladie obligatoire publique et l’assurance maladie complémentaire privée. Une instruction technique de quatre scenarii a été faite par l’instance de réflexion et de propositions. Un projet de rapport de plus d’une centaine de pages a été rédigé. L’invention d’une Grande sécu et la suppression des opérateurs privés d’assurance maladie est l’un d’entre eux, indiscutablement le plus ambitieux, probablement . La publication du rapport tarde alors que de très nombreuses personnes concernées ou intéressées ont pu prendre connaissance du projet. C’est regrettable, quelles que soient les réserves ou franches oppositions formulées relativement aux axes de réformation étudiés dans le cas particulier, c’est du modèle social français dont il est question ici. Modèle dont il ne semble pas déraisonnable de débattre sur la période…

Avant de présenter dans les grandes lignes les hypothèses de travail (2), qui pourraient être débattues par les candidats à la présidence de la République, quelques-unes des critiques qui sont faites de l’existant seront proposées (1).

1.  Articulation AMO/AMC : l’état des lieux

Paradoxe. – En l’état, l’articulation étudiée est le siège de quelques paradoxes que d’aucuns qualifient volontiers de regrettables.

La généralisation de la complémentaire santé (L. n° 2013-504, 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. – CSS, art. L. 911-7, préc.) et la suppression des clauses de désignation (Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC : JCP G 2013, 929, note J. Ghestin ; JCP G 2013, 839, note G. Duchange) qui étaient insérées dans de nombreux accords collectifs du travail aux fins de sélection d’un unique opérateur d’assurance chargé de couvrir le risque santé pour tous les travailleurs employés par les entreprises de la branche professionnelle concernée, ont eu pour effet d’ouvrir a maxima le marché de l’assurance maladie complémentaire. Ce faisant, tandis que ce dernier segment de marché était l’affaire des institutions de prévoyance et des mutuelles, les compagnies d’assurance ont pu mieux se positionner, ce qui a participé d’une baisse des tarifs.

Dans le même temps, tandis qu’on assistait à la libéralisation du marché, le législateur règlementait a maxima l’activité des opérateurs et le contenu des garanties offertes : contrat d’assurance forcé (CSS, art. L. 911-7), contenu obligatoire de la police déterminé (CSS, art. L. 871-1), économie du contrat imposé (CSS, art. L. 862-4, II). Libéralisation ici et, « en même temps », socialisation là. On s’accordera à dire que ce n’est pas le moindre des paradoxes (V. not. V. Roulet, L’encadrement des prestations pour les salariés : la multiplication des exigences :

RDSS 2017, p. 447).

Effort. – Chaque médaille ayant son revers, la généralisation de la complémentaire santé appelée de leurs vœux par les partenaires sociaux ne fut qu’une généralisation et demi. À l’expérience, les ménages pauvres et les personnes âgées ont été contraints (quand la chose a pu se faire) à un taux d’effort important pour s’assurer (via des contrats d’assurance individuelle à adhésion facultative relativement onéreux en comparaison avec les contrats collectifs à adhésion obligatoire souscrits par les employeurs au profit de leurs salariés. – V. not. J. Bourdoiseau, La généralisation de la complémentaire santé : un bilan : RDSS 2017, p. 436).

Transferts. – Il faut toutefois bien reconnaître que l’AMC a été l’occasion de fructueux transferts paramétriques. Plus concrètement, les primes et cotisations d’assurance payées par les travailleurs et/ou les employeurs ont dispensé l’État d’augmenter les cotisations sociales patronales et les prélèvements obligatoires pour tout un chacun (le consentement à l’impôt étant des plus fragiles). Seulement voilà, les pratiques tarifaires des professionnels de santé (jugées excessives) ont fini volens nolens par être solvabilisées. Et c’est sans compter – ce point a été mis en lumière par les commentateurs – que les charges de gestion administrative d’une telle opération d’assurance à deux détentes (AMO et AMC) ont été augmentées mécaniquement.

À malheur (relatif), chose est bonne : les opérateurs d’assurance privés ont inventé des terrains nouveaux de différenciation (télésanté, service de prévention, réseaux de soins, utilisation innovante des données de santé notamment). Et c’est tant mieux pour les assurés.

Peu importe ce qu’on pense de la révision de l’articulation AMO/AMC, les faits sont têtus : les motifs d’insatisfaction sont relativement importants. On comprend assez aisément qu’une tentative d’amélioration de l’existant ait été commandée. Le HCAAM et son président par interim Pierre-Jean Lancry étaient tout désignés pour y procéder. Une instruction technique de quatre scenarii a été faite. Le Haut conseil n’a pas pris la responsabilité de recommander un scenario plutôt qu’un autre.

2.  Articulation AMO/AMC : l’état des vœux

Le premier scenario consiste à maintenir l’architecture existante et l’économie générale du système en l’améliorant. Le levier idoine proposé un temps et abandonné depuis a été l’invention d’un bouclier sanitaire. C’est une pratique bien connue, notamment à l’étranger (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Suède, Suisse), qui consiste à faire supporter une quote-part des dépenses de santé par l’assuré social jusqu’à un certain seuil déterminé par le législateur. En deçà, l’intéressé est libre de s’assurer ou bien, dans le cas contraire, d’en supporter le coût sur ses deniers propres. Au-delà, il est pris en charge à 100 % par l’AMO. Ce scenario présente quelques avantages tout à fait notables. Il réduit la complexité des règles de remboursement ; il supprime les inégalités de restes à charge et de couverture en lien avec le statut d’emploi ; il allège le prix des primes et cotisations d’assurance complémentaire pour les salariés en situation de précarité et les retraités. Mais aussi avantageux que soit ce dispositif, d’aucuns l’ont jugé sans rapport aucun avec les lois mathématiques qui président à la définition du prix de la police d’assurance, et plus généralement, avec l’économie de l’assurance. On ajoutera pour notre part que bouclier sanitaire et architecture constante du système n’auraient pas fait bon ménage. Les mots qui fâchent ont donc été employés avec beaucoup de prudence et renvoyés en notes et annexe (fort intéressantes du reste) tandis que des corrections paramétriques se donnent plus volontiers à lire, telles : la généralisation du tiers payant, la forfaitisation de la participation financière des patients en cas d’hospitalisation, l’amélioration de la situation des personnes sortant d’un contrat collectif de groupe (projets de modification de l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989. – V. not. V. Roulet, Pour une réforme de l’article 4 de la loi Évin : Rev. dr. soc. 2012, p. 1060), la facilitation de l’accès à la complémentaire santé des personnes en situation de précarité (notamment celle des retraités et des salariés à temps partiel), l’amélioration de la place des complémentaire santé dans la gouvernance du système de santé…

Le deuxième scenario consisterait à rendre l’assurance maladie complémentaire obligatoire, universelle, mutualisée (et financée pour moitié par l’employeur). Dans un tel système, les organismes complémentaires désireux de se positionner sur ce marché rendraient un service d’intérêt économique général (SIEG). Un tel service aurait pour objet de garantir un accès aux soins de l’ensemble de la population et de mettre en œuvre un degré élevé de solidarité dans la couverture assurantielle par le truchement (entre autres leviers) de la déconnexion entre les primes versées et les risques individuels couverts. À ce titre, les organismes d’assurance privés seraient tenus de garantir tous les candidats à l’assurance contre le risque santé (obligés par la loi de l’assurer) aux conditions nécessairement fixées par la puissance publique et possiblement améliorées par les branches professionnelles, ces dernières étant autorisées à moduler – nécessairement à la hausse – le panier de garanties (et à recommander par voie de conséquence quelques organismes d’assurance…). Les opérateurs d’assurance élus étant nécessairement incités à développer un modèle serviciel afin de se démarquer des concurrents, une récompense a été prévue : le législateur leur réserverait un droit exclusif aux fins de commercialisation de contrats d’assurance supplémentaires. Ces derniers contrats permettant aux mieux lotis et avisés de couvrir en tout ou partie des frais de santé facturés au-delà de la base de remboursement définie règlementairement.

Le troisième scenario, dit de la Grande sécu, promeut l’extension du champ d’intervention de la sécurité sociale. Pour le dire autrement, et sans détour, c’est de nationalisation du marché de l’assurance santé dont il est question. L’idée générale est d’accroître le taux de remboursement de certaines dépenses de santé supportées par les caisses. Techniquement, cela consisterait (entre autres mesures) à supprimer les tickets modérateurs, les participations forfaitaires et franchises, à paramétrer un panier de soins remboursés complétement par l’AMO. Charge serait donc laissée aux patients de souscrire un contrat d’assurance maladie (à adhésion facultative) dans le dessein de profiter d’une couverture supplémentaire (de confort). Chacun cotisant selon ses moyens, la péréquation entre assurés sociaux aurait vocation à être augmentée et le tiers payant généralisé. Ce n’est pas le moindre des intérêts. La souscription de contrats d’assurance santé complémentaire n’étant plus pertinente, les aides fiscales et sociales accordées aux fins d’acquisition de ces couvertures assurantielles seraient supprimées tout comme les frais de gestion des assureurs privés. Les économies réalisées par toutes les parties prenantes auraient vocation (par un jeu de transfert de charges et de produits) à financer la couverture des risques lourds

(incapacité, invalidité, décès), à savoir une couverture appelée des vœux des partenaires sociaux (ANI, 11 janv. 2013pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés). C’est un scenario qui a fait déjà couler beaucoup d’encre, à tout le moins chez les personnes intéressées. Aussi est-il pour le moins étonnant qu’une telle proposition de réforme, qui aura été reportée sine die, et qui pourrait s’avérer être parmi les plus audacieuses qui n’aient jamais été prises depuis la création de la sécurité sociale, n’ait pour ainsi dire aucun écho. Les sujets et motifs de critique ne manquent pourtant pas. Il faut bien voir, entre autres considérations, que les salariés des organismes d’assurance complémentaire auraient vocation à être intégrés dans les organismes de sécurité sociale. On imagine à peine la complexité d’une telle intégration. Pour mémoire, ce sont 439 organismes qui exercent une activité de complémentaire santé et qui ont versé hors frais de gestion des sinistres 30,3 milliards d’euros en 2019 de prestations (Dress, Rapp. sur la situation des organismes complémentaires assurant une couverture santé, 2020).

La Grande sécu est sans aucun doute le scenario le plus audacieux et disruptif… Raison pour laquelle elle ne devrait pas être. Une heureuse utopie constructive : voilà plus sûrement ce qu’il se pourrait qu’elle soit en vérité (qui n’a peut-être pas dit son dernier mot).

Le quatrième et dernier scenario est celui dit du décroisement entre les domaines d’intervention respectifs de l’AMO et de l’AMC. Il s’agirait en bref d’un scénario de rupture, chacun des opérateurs d’assurance (caisses versus complémentaires santé) intervenant sur un panier de soins distinct. Au panier de soins public (totalement remboursé par la caisse) s’ajouterait en quelque sorte un panier de soins privé dont la qualité serait corrélée au contrat d’assurance supplémentaire souscrit, à charge pour les assureurs désireux de réaliser quelques économies d’échelle (qui consisteraient concrètement à renforcer la pratique des réseaux de soins et à réguler les marchés en dentaire, optique et audioprothèse, régulation qui est loin d’avoir porté ses fruits). Si l’on s’accorde à dire que les organismes d’assurance complémentaire interviennent quasiment au premier euro sur l’optique, le dentaire et l’audioprothèse, la base de remboursement de la sécurité sociale étant très faible (quelques euros en pratique), ce dernier scénario est peut-être moins singulier qu’il n’y paraît. Quant à savoir si les assurés sociaux s’y retrouveraient, rien n’est moins sûr.

Au terme de la lecture de ce dernier projet de rapport du HCAAM, qui mêle droit de l’assurance, économie de la santé et politique publique, droit interne et droit comparé, il y a matière à se féliciter que celles et ceux en responsabilité politique soient éclairés par des experts d’un tel niveau de compétences technique et théorique et de regretter que ces travaux ne soient pas encore connus du plus grand nombre ni débattus.

La sécurité sociale : le financement

Mission impossible ?- Le financement de la protection sociale et plus particulièrement des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale est un défi ! Très longtemps assuré par le recouvrement essentiellement de cotisations, il est désormais assuré par le prélèvement de l’impôt et le recours à la finance. Les difficultés financières sont bien connues.

Il faut dire que le spectre des prestations servies est très large. En 2019, les dépenses de sécurité sociale se chiffrent à 470 milliards d’euros (tandis que, par comparaison, le budget de l’État se monte à 350 milliards), soit 25 % de la richesse nationale. Comme on l’imagine volontiers, c’est la branche maladie qui pèse le plus lourdement dans les dépenses du régime général (51,9 %). Un rapide focus sur les dépenses de santé permettra de se rendre un peu mieux compte de ce qui se joue en général. Chose faite, les leviers qui sont actionnés pour assurer le financement de la sécurité sociale devraient être plus faciles à comprendre.

Dépenses de santé.- Le rythme de croissance des dépenses de santé n’a cessé de croître depuis 1950. La part de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) dans le PIB a plus que triplé, passant de 2,6% en 1950 à 8,9 % en 2014. Ce rythme n’a pas été continu. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), dont le job est de fournir aux décideurs publics, aux citoyens, et aux responsables économiques et sociaux des informations fiables et des analyses sur les populations et les politiques sanitaires et sociales, distingue deux périodes.

1950-1985 : développement de l’offre de soins et élargissement du financement des dépenses de santé dans le contexte économique très favorable des Trente glorieuses. Le financement public joue un rôle central dans le développement du système de santé. La couverture maladie se généralise. Les composantes de la CSBM sont dynamiques, comme on dit dans les ministères. La dépense hospitalière connaît un fort taux de croissance : on construit des hôpitaux, le nombre de médecins augmente, le recours aux spécialistes est plus important, les innovations technologiques sont nombreuses. La demande est mieux solvabilisée grâce au développement des assurances complémentaires. Les volumes de consommation des médicaments font un bond (10,4 % en moyenne annuelle).

1986-2014 : recherche d’une meilleure maîtrise du système et de son financement dans un contexte de croissance économique ralentie. Années 1970, c’est le retournement de la conjoncture. Les pays exportateurs de pétrole prennent conscience de leur position de force. Le prix du baril s’envole. À la fin de l’année 1973, au lendemain de la guerre du Kippour entre Israël et les états voisins, les pays du Golf réduisent leur production en guise de rétorsion. En quelques semaines, le baril de pétrole passera de 4 à 16 dollars. Les économies occidentales ne parviennent pas à compenser une telle augmentation. C’est le 1er choc pétrolier. La croissance s’effondre et le chômage de masse fait son apparition. Les recettes sont moindres tandis que, dans le même temps, les patients sont mieux pris en charge notamment en affection de longue durée (ALD) pendant que le vieillissement de la population pèse sur les dépenses. L’effet de ciseau est imparable. Les comptes de l’assurance maladie se retrouvent régulièrement en déficit. Années 1980, les plans de redressement se succèdent. Les cotisations augmentent. Des mesures de régulation de la dépense sont prises. L’évolution de la CSBM alterne des périodes de croissance et de stabilisation. Entre 1985 et 1995, la croissance de la CSBM est soutenue : le secteur 2 se développe pour les médecins spécialistes (et les dépassements d’honoraires par la même occasion), le nombre de patients en ALD augmente. La tendance est notablement haussière. En 1996 (ordonnances dites Juppé), on invente l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) qui cape l’augmentation de la dépense. 2004, mise en place de la tarification à l’activité pour les soins hospitaliers (T2A – les ressources allouées par le ministère à chaque établissement de santé sont calculées à partir d’une mesure de l’activité produite conduisant à une estimation de recettes), instauration de participations forfaitaires et de franchises pour les soins de ville, déremboursement de médicaments, renforcement de la maîtrise médicalisée. En 2019, la CSBM s’élevait à 208 milliards d’euros (dépense hospitalière 47 % soit 91 milliards. Soins de ville 56,5 milliards d’euros. Médicaments prescrits en ambulatoire 32,6 milliards). Ceci étant, le taux de croissance de la consommation de soins et de biens médicaux se stabilise autour de 2%.

À noter que l’ONDAM n’est pas simplement qu’un vulgaire objectif de dépenses à ne pas dépasser en matière de soins de ville et d’hospitalisation (annexe 7 du projet de loi de financement de la sécurité sociale). Un comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie veille. Et il doit alerter le Parlement, le Gouvernement, les caisses nationales et l’union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire (UNOCAM) en cas d’évolution des dépenses incompatibles avec le respect de l’objectif voté par le Parlement (art. L. 114-4-1 css). L’affaire se complique si le comité considère qu’il existe un risque sérieux que les dépenses dépassent l’objectif assigné : les caisses d’assurance maladie doivent alors proposer aussitôt des mesures de redressement.

On imagine sans peine la hauteur des ressources qu’il faut trouver chaque année pour couvrir les dépenses de sécurité sociales. Le financement du système français de sécurité sociale est traditionnellement fondé sur des cotisations. Il fait désormais appel, pour une part qui va crescendo, à l’impôt. C’est que le régime général est confronté à de grandes difficultés financières. La Cour des comptes, dans le cadre de sa mission constitutionnelle d’assistance du Parlement et du Gouvernement, s’en inquiète chaque année à l’occasion de la publication de son rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale (Code des juridictions fin., art. L.O. 132-3 ; C. sécu. soc., art. L.O. 111-3, al. 8). La fiscalité affectée au financement des organismes de sécurité sociale est demeurée longtemps marginale. Elle atteint une dimension significative à partir des années 2000, lesquelles années ont été marquées par l’impact croissant des allègements et exonérations de cotisations et/ou de contributions sociales sur les recettes de la sécurité sociale. Dans ce cas de figure, la loi oblige l’État à compenser intégralement les réductions de charges sociales et patronales qu’il a consenties (art. L. 131-7 css in mesure visant à garantir les ressources de la sécurité sociale). Seulement voilà : il s’est abstenu….

Depuis 2006, on constate une constante progression des impôts et taxes affectés au financement de la sécurité sociale (ITAF). Ceci étant, le prélèvement social prime encore le prélèvement fiscal. Dit autrement, les cotisations sociales occupent toujours une place prépondérante dans le financement de la protection sociale (61,4 % soit près de 400 milliards d’euros).

1.- Les cotisations

L’assiette des cotisations (1.1). La charge des cotisations (1.2).

1.1.- L’assiette des cotisations

Inclusion.- Traditionnellement, les cotisations ont pour assiette (c’est-à-dire les valeurs de référence qui servent au calcul des cotisations de sécurité sociale) les salaires ou rémunérations.

Le siège de la matière est le très prolixe article L. 242-1 css. : « pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail, et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail ». Et l’article de viser une liste non exhaustive de rémunérations. C’est ce texte – qui fait office de clef de voute en quelque sorte – qui fonde le fameux contrôle comptable d’assiette des inspecteurs chargés du recouvrement (Urssaf).

Largement formulé, le texte atteste la volonté du législateur d’étendre autant que possible les bases du financement de la sécurité sociale. Les marqueurs d’extension que renferme ce texte ne sont pas sans rappeler la rédaction de l’article L. 311-2 css (voy. l’article « Les assurés sociaux et les régimes de protection sociale »). Il faut y voir le rappel sans équivoque de la volonté globalisante du système de sécurité sociale.

La notion de rémunération a donné lieu à un abondant contentieux. Soucieuse de respecter l’esprit de la loi, la Cour de cassation a interprété largement la notion. Aux termes d’un arrêt rendu en Assemblée plénière, la Cour régulatrice considère qu’« est considérée comme une rémunération (…) toute somme allouée aux travailleurs d’une entreprise, même à titre bénévole ou à l’occasion de circonstance totalement étrangères au travail, dans la mesure où le versement est effectué en raison de la seule qualité de salarié des intéressés » (Ass. Plén., 31 mai 1989, Bull. n° 1). Les cotisations frappent donc le salaire proprement dit, mais aussi tous les avantages en espèce, à savoir toutes les primes ou gratifications qui sont liées aux conditions de travail ou d’emploi ou à l’appartenance du salarié à l’entreprise.

L’assiette est comprise le plus largement possible. L’interprétation constante de l’article L. 242-1 css ne limite pas les prélèvements sociaux à l’hypothèse ordinaire où c’est l’employeur qui verse les rémunérations. Toutes les primes versées par un tiers sont réintégrées dans l’assiette des cotisations…à la condition bien entendu qu’elles constituent pour les salariés un complément de rémunération. Ainsi, les avantages en espèce servis par un comité social et économique, qui le sont à raison de l’appartenance du salarié à l’entreprise et qui sont servis à l’occasion du travail relèvent en principe des cotisations. Les avantages en nature – à tout le moins ceux accordés par l’employeur (mise à disposition d’un bien ou d’un service à titre gratuit ou moyennant une participation du salarié inférieure à la sa valeur réelle) – n’échappent pas à la règle. Ils sont soumis à cotisation. La difficulté en la matière consiste à les évaluer. Leur traduction pécuniaire est un préalable au calcul des cotisations. Un ensemble de circulaires règle le sort de ces avantages[1]. Tantôt, la cotisation est réelle. Elle consiste alors à évaluer l’avantage en nature au plus près de valeur réelle (Arr. 10 déc. 2002). Tantôt, elle est forfaitaire (ex. : mise à disposition d’un logement ou d’un véhicule, fourniture de nourriture par ex.).

Exclusion.- Des sommes sont toutefois exclues de l’assiette des cotisations. C’est le cas des indemnisations à condition qu’elles aient pour objet de compenser un préjudice : indemnité de licenciement (sous certaines conditions) et indemnités allouées à l’occasion de la réduction du temps de travail notamment. On compte aussi les frais professionnels, les contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance. L’article L. 242-1 css est en ce sens. Sont encore exclues de l’assiette des cotisations les sommes allouées au titre de l’intéressement ou de la participation (art. L. 3312-4 c. trav.).

1.2. La charge des cotisations

Les cotisations assises sur les revenus professionnels et de remplacement ont historiquement été supportées par les travailleurs et les employeurs. Désormais, les cotisations ne sont plus partagées mais sont exclusivement supportées par les uns ou les autres. Subsiste une exception à la règle : les cotisations d’assurance vieillesse. Faisons un premier tour d’horizon des cotisations de sécurité sociale.

Cotisations des assurances sociales. – La charge partagée était la règle pour le paiement des cotisations d’assurance maladie, maternité, invalidité et décès (art. D. 242-3 css) – c’est la règle qui a été décidée lorsque le législateur a organisé la généralisation de la complémentaire santé en 2013 (loi n° 2013-504 de sécurisation de l’emploi 14 juin 2013) – . C’est que, à l’origine, les assurances sociales étaient réservées aux travailleurs les plus modestes, qui étaient dans l’incapacité matérielle d’assumer seuls la charge des cotisations. Un partage était alors fait, qui était à parts égales. Pour le dire autrement, le taux des cotisations patronales et salariales était identique (4 %). Avant que le partage ne soit supprimé et qu’il soit décidé que cette charge serait supportée par les seuls employeurs (loi n° 2017-1836 du 30 déc. 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, art. 8), le partage était pour le moins inégal. L’article D. 242-3, al. 1er css disposait que « le taux de cotisation des assurances sociales (…) est fixé à 13,55 %, soit 12,80 à la charge de l’employeur et 0,75 % à la charge du salarié ou assimilé, sur la totalité des rémunérations ou gains de l’intéressé ». Le taux de cotisation des assurances sociales affectée aux risques maladie, maternité, invalidité et décès est désormais fixé à 13%. Il est de 7% au titre des rémunérations annuelles ne dépassant pas 2,5 smic.

À noter que des individus, qui se retrouvent dans une situation particulière, restent très exceptionnellement tenus au paiement de cette cotisation (taux aux alentours de 5,5 %). Ils sont visés à l’article D. 242-3, al. 2 css. Ce sont notamment les personnes qui, sans être sans droit ni titre sur le territoire (qui relèveraient alors de l’AME. Voy. l’article « Les assurés sociaux »), ne remplissent pas les conditions de résidence de l’article L. 136-1 et qui bénéficient pourtant, à titre obligatoire, de la PUMa. C’est le cas des personnes non domiciliés fiscalement en France et des « salariés non résidents actifs ».

Une autre catégorie de personnes reste tenue au paiement des cotisations des assurances sociales. Ce sont les salariés qui résident dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Le régime local de couverture des risques et charges de l’existence y est particulier (2020 : part salariale : 1,5% / part patronale : 13%). C’est en quelque sorte la survivance du régime bismarkien. Pour mémoire, ces territoires ont été rattachés à l’empire Allemand de 1871 à 1918. La population a donc bénéficié des lois de Bismarck (voy. l’article « La sécurité sociale : tour d’horizon »). Le décret n° 46-1428 du 12 juin 1946 a maintenu ce régime à titre provisoire. La loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 l’a pérennisé (voy. not. F. Kesler, L’assurance maladie en Alsace-Moselle : des origines à nos jours, 2ème éd., IRJS éd., 2013).

Cotisations d’accidents du travail et maladies professionnelles. – Les employeurs supportent seuls la charge des cotisations dues au titre des AT-MP (art. L. 241-5, al. 1er css). Des raisons historiques et logiques imposent ce sort. Les accidents du travail (AT) et les maladies professionnelles (MP) sont un risque créé par l’entreprise. À ce titre, il ne paraît pas incongru d’en faire supporter le poids aux employeurs.

La loi réserve toutefois à ce dernier nombre de facilités pour alléger sa lourde charge. La prévention de la survenance du risque de dommage est récompensée par une diminution du coût des cotisations, par un bonus. Il s’agit plus précisément d’une ristourne sur la cotisation qui peut être accordée par les caisses d’assurance retraite et de santé au travail  (CARSAT), qui a pour effet de minorer les cotisations patronales de sécurité sociale. L’exercice n’est pas toujours des plus évidents. Les employeurs peuvent se faire assister parce qu’on appelle des préventeurs. Une fédération des acteurs de la prévention existe par ailleurs.

Le taux de cotisation est fixé annuellement par établissement par les Carsat (www.carsat-région.fr / art. D. 242-6 css) et la caisse régionale d’assurance maladie d’île de France (CRAMIF). La tarification des AT-MP correspond à un système dit « de répartition des capitaux de couverture ». Le principe est le suivant : les cotisations sont fixées à titre conservatoire pour couvrir l’ensemble des charges liées aux accidents susceptibles de survenir dans l’année. Chaque établissement est classé par le service de tarification de la caisse compétente par branche d’activité et par risque professionnel. Le taux de cotisation est ensuite calculé par l’organisme privé chargé d’une mission de service public en considération de l’effectif de l’entreprise. Il existe, plus précisément trois modes de tarification selon la taille de l’entreprise (art. D. 242-6-2 css) : une tarification individuelle (pour les entreprises de 150 salariés et plus), une tarification collective (pour les entreprises de moins de 20 salariés) une tarification mixte (pour les entreprises de 20 à 150 salariés).

Le mode de tarification et la fixation du taux de cotisation sont une préoccupation majeure pour les employeurs, qui recherchent à minimiser les charges en générale et les cotisations de sécurité sociale plus particulièrement. Ils y sont aidés par des opérateurs pointus qui sont tantôt des avocats tantôt des juristes très expérimentés (voy. par ex. https://www.prevantis.fr).

Il reste une cotisation supplémentaire à payer au gré des circonstances. La notion de bonus va de paire avec celle de malus. Il est des circonstances qui fondent la Carsat à infliger à l’employeur la cotisation supplémentaire pour risques exceptionnels de l’art. L. 242-7 css (v. aussi art. 452-5, al. 4 css). Il en va ainsi lorsque l’employeur ou un copréposé s’est rendu coupable d’une faute intentionnelle qui a occasionné l’accident de travail ou qui est à l’origine de la maladie professionnelle (voy. l’article : « Les accidents du travail »).

Cotisations d’allocations familiales. – Les employeurs supportent également seuls la charge des cotisations d’allocations familiales (art. L. 241-6, 1 css) dont le taux est fixé à 5,25 % pour les rémunérations supérieures à 3,5 smic (2020). Le paiement d’un supplément familial de salaire à raison de charges de famille date du second empire (1860). Quelques initiatives (aussi remarquables que peu répandues) seront prises un peu plus tard notamment par Léon Hamel. Des caisses de compensation apparaîtront dans les années 20 tandis que les années 30 le paiement de ce qu’on appelle plus volontiers désormais un revenu de complément (accordé à ce jour par les caisses d’allocations familiales) sera généralisé. Ce sont ces cotisations dont les employeurs réclament régulièrement l’allégement voire l’exonération.

Les cotisations – il y en a bien d’autres (…) – sont nécessaires au financement de notre système de protection sociale, mais elles sont insuffisantes. Il faut compter sur la fiscalisation autrement dit les impôts.

2.- Les impôts

Les impositions de toutes natures sont pléthoriques – il fallait bien çà. Pêle-mêle, dans le désordre : droit de consommation sur les tabacs. Droit de consommation sur les alcools (Tva et régimes sectoriels). Contribution de solidarité sur les sociétés (C3S). Prélèvement social sur les produits de placements. Prélèvement social sur les revenus du patrimoine. Contribution sociale sur les bénéfices. Forfait social. Taxe sur les véhicules de société. Contribution sur les contrats d’assurance en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur. Taxe de solidarité additionnelle afférente aux garanties de protection complémentaire en matière de frais de soins de santé (TSA). Taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA). Taxe exceptionnelle sur la réserve de capitalisation. Etc. La lecture de la table d’exposition du code de la sécurité sociale révèle l’étendue desdites impositions (art. L. 136-1 et s. css).

CSG.- L’expression la plus symbolique de la fiscalisation est la contribution sociale généralisée. Créée, sous le gouvernement Rocard pour diversifier le financement de la sécurité sociale (loi de finances pour 1991 n° 90-1168 du 29 déc. 1990, art. 127-135), la CSG fait partie des impositions de toutes natures (à tout le moins en droit interne – cons. constit. décisions n°90-285 DC du 28 décembre 1990, n° 96-384 DC du 19 décembre 1996, n° 96-384 DC du 19 décembre 1996 – , car en droit de l’Union européenne la CSG est assimilée à une cotisation sociale en raison de son affectation au financement de la sécurité sociale). Cet impôt participe au financement de la sécurité sociale. Il contribue plus précisément à financer les branches maladie, famille, retraite ; son taux est fixé à 9,20 % (art. L. 136-8 css). La contribution sociale généralisée se compose de quatre prélèvements distincts. Elle frappe 1° les revenus d’activités comme ceux de remplacement ; 2° les revenus du patrimoine et revenus assimilés ; 3° les produits de placement ainsi que 4° les produits réalisés à l’occasion de jeux (art. L. 136-1 à L. 136-9 css). À l’origine, le taux de la CSG était de 1,1%… Il fallait bien vendre l’impôt aux contribuables !

CRDS.- On doit la Contribution au remboursement de la dette sociale à une ordonnance adoptée sous le gouvernement Juppé n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale. L’idée qui a présidé à son invention est simple : apurer la dette sociale accumulée pour un impôt spécifique et temporaire (prière de ne pas sourire) dont le produit est l’occasion pour l’établissement public en responsabilité de s’employer à la titrisation (vente de titres obligataires émis sur les marchés financiers). Pour ce faire, le gouvernement habilité par le législateur crée un établissement public national à caractère administratif : la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). Le produit des contributions au remboursement de la dette sociale lui est affecté (et quelques points de CSG pour faire bonne mesure). C’est que l’ordonnance frappe les revenus de l’activité, les revenus du patrimoine, les produits de placement, les ventes de métaux et objets précieux, les gains de jeu. Le taux de chaque prélèvement est plus modéré que celui pratiqué sur le fondement de la CSG. Il est de 0,5 %. Une imposition temporaire promettait le législateur… L’article 1er de l’ordonnance n° 96-50 disposait que la CADES devait disparaître 13 ans et un mois à compter de son entrée en vigueur (1er janv. 1996 – effet rétroactif de la loi – sans commentaire…), soit en février 2009. Mais la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie a substitué à ce terme extinctif certain un terme à échéance incertaine. La loi dispose depuis que la durée de vie de la CADES est prolongée « jusqu’à extinction de des missions mentionnées à l’article 4 » (art. 76, II)…à savoir l’apurement de la dette sociale…autrement dit (il faut le craindre) ad vitam aeternam !

TVA sociale.- Techniquement, il s’agit d’affecter une part du produit de la TVA au financement de la protection sociale. Économiquement, cela consiste à faire supporter une part du financement de la protections sociale par le consommateur dans le dessein de réduire, à due proportion, le coût du travail et, par voie de conséquence, d’améliorer la compétitivité des entreprises (à raison de la baisse théorique du prix hors taxe des produits et des services). En bref, c’est un dispositif commode qui permet de compenser les allègements de cotisations. Tout est bien décrit dans le code général des impôts (Partie 1 – Impôts d’État. Titre 2 – Taxe sur le chiffre d’affaires et taxes assimilées. Chap. 1 – TVA, art. 256-0 et s. Section 5 – Calcul de la taxe. I – Taux. A – Taux normal). En son temps, le gouvernement Fillon avait dans l’idée d’alléger, à compter du 1er oct. 2012, les charges patronales d’allocations familiales sur les bas salaires. Pour pallier la perte mécanique de recettes de la Caisse nationale des allocations familiales, la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 majorait le taux normal de la TVA, en le portant à 21,20 % (art. 2, V, A). La hausse du point aurait été affecté à la CNAF. Mais cette réforme ne vit pas le jour. Quelques jours après l’élection de François Hollande à la présidence de la République, une loi de finances rectificative n° 2012-958 du 16 août 2012 était votée : la TVA était ramenée au taux normal (de l’époque) de 19,60 % (art. 1, IV, B) ! C’est que les cotisations n’avaient pas été allégées ou pas encore…


[1](Arr. 20 déc. 2002 rel. frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale ; Circ. min. 7 janv. 2003 ; Arr. 25 juill. 2005 modif. Arr. 20 déc. 2002 ; Lettre circ. Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale 25 août 2005 ; Circ. intermin. 28 janv. 2009 rel. Aux frais de transport entre la résidence habituelle et le lieu de travail des salariés).

Les assurés sociaux et les régimes de protection sociale

Les assurés sociaux peuvent être couverts contre les risques et les charges de l’existence de bien des manières, en l’occurrence soit par le régime général qui occupe une place prépondérante dans le système de protection sociale (en ce sens qu’il compte 62,4 millions de bénéficiaires), soit par d’autres régimes particuliers de protection, qui s’adressent à des populations distinctes.

Quoi qu’il en soit, les uns et les autres sont des régimes légaux de base.

Aussi généraux soient-ils, ces derniers régimes comportent des insuffisances (voy. l’article « Sécurité sociale : définition »). En bref, les revenus de remplacement destinés à se substituer à un revenu professionnel manquant en tout ou partie sont forfaitaires. Quant aux dépenses de santé, elles ne sont pas complètement couvertes, à tout le moins pas par l’assurance maladie obligatoire (AMO). Une partie des dépenses de santé restent à la charge du patient. C’est ce qu’on appelle le ticket modérateur (TM). L’importance de ce dernier varie selon la nature du risque (maladie, maternité, invalidité, accident du travail ou maladie professionnelle), l’acte ou le traitement, le respect ou non du parcours de soins coordonnés. L’Assurance maladie rembourse par exemple 70% du prix de la consultation du médecin traitant (médecin généraliste conventionné qui exerce en secteur 1). La consultation est facturée 25 euros. L’AMO rembourse donc 17,50 euros. Le ticket modérateur se monte à 30% soit 7,50 euros.

On dit/écrit volontiers que c’est une manière de responsabiliser les assurés sociaux. C’est une pure vue de l’esprit. L’ordonnateur de la dépense n’est certainement pas le patient mais le professionnel de santé, qui est seul habilité à procéder. Le reste à charge n’interdit donc pas la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM). Au reste, il n’a jamais empêché les plus aisés de recourir à un quelconque acte de soin pendant qu’il a certainement interdit aux plus pauvres d’avoir accès aux soins.

Tout à fait avisé de la situation, le législateur s’est appliqué (avec plus ou moins de bonheur. Voy. l’article : « La généralisation de la complémentaire santé ») à généraliser l’assurance maladie complémentaire – AMC – (loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi). À ce jour, en France, plus de 95 % des personnes bénéficient d’une assurance santé complémentaire, individuelle ou collective. Le ticket modérateur n’a pour ainsi dire plus du tout aucune fonction prophylactique ou de responsabilisation. Au reste, le législateur a multiplié les cas d’exonération (not. pour les affections de longue durée, les soins en lien avec un accident du travail ou une maladie professionnelle, etc.). En définitive, le ticket modérateur fait office de levier technique en ce qu’il détermine respectivement le remboursement accordé par l’AMO et, par voie de conséquence, la couverture consentie par l’AMC.

En résumé, il existe une sécurité sociale de base (garantie par les régimes légaux) et une sécurité sociale complémentaire (assurée par les régimes conventionnels).

Section 1.- Les régimes légaux garantis aux assurés sociaux

Si l’on prend en compte le nombre d’assurés qui relève du régime général de la sécurité sociale (1), on peut affirmer qu’il constitue certainement le « socle de la protection sociale en France » (J.-J. M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la sécurité sociale, Précis Dalloz in Les régimes légaux). Sont en effet couverts le gros des travailleurs salariés (et leurs ayants droit) ainsi que les travailleurs indépendants (depuis le 1er janvier 2018) mais pas toute la population.

Certains relèvent d’autres régimes spéciaux, de régimes autonomes ou bien du régime agricole (2).

1.- Le régime général garanti aux assurés sociaux

L’institution qui nous occupe à pour vocation d’embrasser le plus largement possible. Bon nombre d’assurés sociaux sont ainsi garantis, par le truchement du régime général, contre les risques et charges de l’existence.

La première catégorie d’assurés sociaux que le législateur a entendu garantir est constituée, d’abord, par les travailleurs dépendants et leurs ayants-droit respectifs. On ne souviendra que les prestations accordées par le droit de la sécurité sociale ont historiquement eu pour objet de « débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, qui [se trouvait être] la base réelle et profonde de l’inégalité entre les classes sociales » (Alexandre Parodi, ministre du travail, 31 juill. 1945. Voy. l’art. « Sécurité sociale : définition »).

Considérant que ces derniers n’étaient toutefois pas – loin s’en faut – les seuls individus dignes de protection, le législateur a ensuite assimilé de nombreuses personnes à des travailleurs dépendants.

Ce système d’inspiration bismarckienne construit pour l’essentiel sur la qualité de travailleur dépendant (en contrepartie de laquelle l’assurance sociale est accordée), a très longtemps perduré sans qu’il ne soit notablement corrigé. L’expérience a fini par mettre en évidence des situations flagrantes de défaut d’assurance (maladie) ou, pour le dire autrement, des trous de couverture. En bref, ont été dénombrées des personnes n’ayant pas ou plus aucune assurance sociale et ne pouvant donc pas se faire rembourser les frais engagés pour se soigner. Les raisons sont connues. Elles tiennent par exemple à un changement de statut juridique. C’est le cas du salarié d’une entreprise privée quelconque qui a réussi un concours de la fonction publique et qui devient fonctionnaire : si le passage du régime général de la sécurité sociale au régime spécial des fonctionnaire tarde à être effectif et que des frais de santé doivent être engagés, la personne n’aura pas vocation à être remboursée. Conséquences : renonciation aux soins et aggravation de l’état de santé.

En 1999, le législateur s’applique à améliorer l’existant. Il invente la couverture maladie universelle de base (CMU), qui profite aux personnes déclarant ne bénéficier d’aucune prestation en nature des assurances maladie et maternité au titre d’un régime légal de sécurité sociale. Près de 2,3 millions de personnes profiteront du dispositif. En 2016, le dispositif est notablement amélioré. La protection universelle maladie (PUMa) remplace la CMU (loi n° 2015-1702 du 21 déc. 2015 de financement de la sécurité sociale, art. 59). L’assurance maladie (concrètement le remboursement des frais de soins de santé) est purement et simplement déconnectée avec le travail dépendant et l’activité professionnelle (art. L. 160-1 css). C’est un modèle plus volontiers beveridgien, qui prône l’universalisation de la couverture sociale, qui est préféré : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Tout est dit dans le très programmatique article L. 111-2-1, I css : « La Nation affirme son attachement au caractère universel, obligatoire et solidaire de la prise en charge des frais de santé assurée par la sécurité sociale ». Et le législateur d’accorder une telle couverture peu important que le malade réside en France de manière stable et régulière (art. L. 1601-1 css) depuis plus de trois mois (art. D. 160-2 css) ou pas. Pour le dire autrement, les personnes en situation irrégulière ont également un droit à l’accès aux soins, en l’occurrence via l’Aide médicale d’État (art. L. 251-1 c. action soc. fam.). La sécurité sanitaire – car c’est très précisément ce dont il s’agit – a un coût (-1 milliard d’euros), ce n’est pas douteux. Il reste qu’elle n’a pas de prix (et qu’elle n’est pas si onéreuse au vu de la dépense courante de santé en 2018 à savoir 275,9 milliards d’euros soit 11,7% du PIB. Dress, Les dépenses de santé en 2018, Résultat des comptes de la santé). La pandémie qui frappe le monde entier devrait suffire à s’en convaincre.

1.1.- Le régime général garanti aux travailleurs dépendants

L’assuré social – une définition. – La qualité d’assuré social est définie par la loi. L’article L. 311-2 css (in Champ d’application des assurances sociales) dispose « sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d’une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l’un ou de l’autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat. »

L’analyse du texte s’impose.

Au préalable, il importe de faire un peu de légistique. Pratiquons l’art de rédiger le droit. À la différence des définitions qui sont proposées en droit civil, qui est bien souvent économes en mots, celle qui nous occupe est plutôt singulière.

La volonté du législateur social a été d’embrasser le plus largement les champs du possible. Pour ce faire, la notion de travailleur dépendant est comprise dans son acception la plus large. Pour preuve, l’article abonde de signes ou marqueurs d’extension tels que « quel que soit », « même si », « de l’un ou l’autre », « ou travaillant à quelque titre que ce soit », « pour un ou plusieurs », etc.

C’est à l’adresse des tribunaux que le législateur a ainsi rédigé l’article L. 311-2 css. Il est dit, par prétérition, qu’il importe d’interpréter aussi largement que possible la notion de travailleur dépendant. Pour quelle raison, me direz-vous ? Pour étendre le plus possible le champ des bénéficiaires du régime général, en l’occurrence les intéressés et leurs ayants droit.

L’assuré social et ses ayants droit. – Il faut bien avoir à l’esprit que les assurés sociaux ne sont pas les seuls bénéficiaires des assurances sociales. Il faut aussi compter, au premier chef, leurs ayants droit. Qui sont-ils ? Eh bien, cela dépend ! Faute de théorie générale de l’ayant droit (là ou on voit qu’une bonne théorie est pratique), cette qualité varie avec les différentes assurances sociales. Jugez-en.

En droit de l’assurance maladie, par exemple, l’article L. 321-1, 1° css dispose que l’assurance maladie couvre l’assuré et les membres de sa famille. Qui sont les membres de la famille ? L’article L. 313-3 css les liste : le conjoint, les enfants (sous réserve), les grands-parents – sans plus de précision. – Et encore : la liste n’est pas complète. Il faut encore compter les personnes visées à l’article L. 161-14 css, à savoir : le concubin, le partenaire.

Prenons un 2nd exemple. En droit des accidents du travail et des maladies professionnelles ; la loi dispose que, en cas d’accident suivi de mort, une pension est servie, à partir du décès, à un certain nombre de personnes (art. L. 434-7 css). Il s’agit en l’occurrence du conjoint, du concubin ou du partenaire. Quant aux enfants, ils ont droit à une rente (art. L. 434-10 css), pendant que – sous certaines conditions plus strictes (preuve que l’intéressé aurait pu obtenir de la victime une pension alimentaire / qu’il était à la charge de la victime) – les ascendants recevront une rente viagère (art. L. 434-13 css).

L’assuré social et les conditions de l’assujettissement. – Reprenons la définition de l’article L. 311-2 css.

Comprenez que le droit de la sécurité sociale pratique une summa divisio. Il y a, d’un côté, les travailleurs dépendants et, de l’autre, les travailleurs indépendants. C’est son économie générale. Il a été construit sur cette distinction.

Les premiers sont obligatoirement assujettis au régime général (lequel, pour mémoire, comprend 4 branches. Voy. l’article « La sécurité sociale : tour d’horizon). Les seconds relèvent de régimes particuliers. Le régime social des indépendants, créé en 2006, a été dissout en 2018. Ces derniers opérateurs économiques sont désormais affiliés au régime général. Ceci étant, quand bien même constate-t-on un alignement relativement aux prestations servies (not. régime de retraite de base, remboursement des soins, durée du congé maternité), une sécurité sociale des indépendants demeure à la marge.

La loi pose trois exigences pour qu’il y ait travail dépendant, il faut : un lien de subordination ou de dépendance ; une activité qui donne lieu à une rémunération ; une relation de travail fondée sur une convention.

  • Un lien de subordination ou de dépendance

Au terme d’une jurisprudence fluctuante, l’assujettissement d’une personne au régime général découle exclusivement de la démonstration d’un lien de subordination juridique. Dans un arrêt de principe Cass. soc., 13 nov. 1996, Société générale c./ Urssaf de la Haute-Garonne, pourvoi n° 94-13187 (cassation partielle sans renvoi), la Chambre sociale de la Cour de cassation décide que le lien de subordination juridique « est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ». Et la Cour de considérer aussi « que le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail ».

On s’est posé un temps la question de la coïncidence de cette définition avec celle pratiquée en droit du travail. Elle n’est plus à l’ordre du jour. Pour mémoire, l’arrêt était rendu au double visa de l’article L. 242-1 css et L. 121-1 c. trav. anc. (art. L. 1221-1 c. trav.). Cela veut dire que depuis la définition du travailleur salarié est commune au droit du travail et au droit de la sécurité sociale.

Dans tous les cas discutés, il importera au juge de rechercher l’existence d’un lien de subordination, sans se laisser arrêter par la qualification que les parties ont pu donner à leur contrat. La qualification donnée par les parties à leur convention est donc impuissante à les soustraire aux conséquences que le législateur attache à certaines situations de fait. L’assujettissement est d’ordre public. La jurisprudence est constante sur ce point.

La qualification juridique n’est décidément pas une mince affaire en la matière.

Le législateur en a pleinement conscience. Afin de dissiper toute incertitude, et dans le dessein de protéger les personnes d’une reconnaissance a posteriori de la qualité de salarié, partant d’une affiliation rétroactive de celui-ci, certaines personnes physiques peuvent demander aux Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociales et d’allocations familiales (Urssaf) de leur indiquer si l’activité exercée relève du régime général ou pas (art. L. 8221-6 c. trav. / art. L. 120-3 anc. in Lutte contre le travail dissimulé). Vous l’avez compris : le législateur a introduit une sorte de « rescrit social ». [Le rescrit est une consultation donnée par une autorité administrative ou juridictionnelle sur des questions de droit]. Les personnes justiciables de l’article L. 311-11, al. 2 css sont celles, dispose le texte, qui sont visées à l’article L. 120-3 c. trav. Depuis l’abrogation de l’ancien Code du travail (1er mai 2008), il faut se référer à l’article L. 8221-6 C. trav. (le code de la sécurité sociale n’a tout bonnement pas été mis à jour). Ces personnes sont celles qui sont présumées ne pas être liées avec un donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription. En bref, il s’agit, entre autres, des personnes immatriculées au Registre du commerce et des sociétés, au Répertoire des métiers, au Registre des agents commerciaux ou auprès des Urssaf ; des dirigeants de personnes morales immatriculées au RCS  et des artisans).

  • Une rémunération

Le texte est explicite : le travail dépendant doit être rémunéré, quel que soient le montant ou la nature de la rémunération (souvenez-vous du marqueur d’extension). Autrement dit, l’assujettissement au régime général de la sécurité sociale est exclu lorsque le travailleur ne perçoit aucune rémunération (ex. les travailleurs bénévoles ne sont donc pas affiliés en tant que tels) ou lorsqu’il fait uniquement l’objet d’un remboursement de frais.

  • Une convention

La convention dont il s’agit est nécessairement un contrat de travail. De quel autre contrat pourrait-il s’agir ?

1.2.- Le régime général garanti à des personnes assimilées à des travailleurs dépendants

Extension de l’assujettissement. – Le législateur a organisé l’extension de l’assujettissement. De très nombreuses personnes sont ainsi assujetties au régime général à raison de leur seule qualité, comprenez : sans qu’il soit besoin de rapporter la preuve qu’ils exercent leur activité dans un rapport de subordination juridique à l’égard d’un donneur d’ouvrage (Cass. ch. réunies, 14 juin 1966 ; Cass. soc., 5 mars 1992, Bull. civ. V, n° 162).

La raison pour laquelle le législateur assimile (pour l’essentiel) nombre de personnes à des travailleurs dépendants est la suivante : les dispositions de l’article L. 311-2 css ne sauraient épuiser toutes les formes dans lesquelles s’exprime la dépendance du travailleur.

L’article L. 311-3 css dispose en ce sens : « sont notamment compris parmi les personnes auxquelles s’impose l’obligation prévue à l’article L. 311-2, même s’ils ne sont pas occupés dans l’établissement de l’employeur ou du chef d’entreprise, même s’ils possèdent tout ou partie de l’outillage nécessaire à leur travail et même s’ils sont rétribués en totalité ou à l’aide de pourboires ».

La loi vise en l’occurrence trente catégories socio-professionnelles !

Cette disposition appelle quelques commentaires.

L’énumération à la Prévert de l’article L. 311-3 css est pour le moins hétéroclite. Elle a parfois même un charme suranné en ce sens que la loi renseigne certaines occupations qui ont purement et simplement disparues (par. ex. les porteurs de bagages occupés dans les gares).

Autre sujet d’étonnement : tandis que la loi dispose que sont « notamment compris les personnes auxquelles s’impose l’obligation prévue à l’article L. 311-2 » (…), la liste de personnes visées est exhaustive. La Cour de cassation en a décidé ainsi (Soc., 5 juill. 1990, n° 87-19306, Bull. civ. V, n° 354). L’adverbe « notamment » est par voie de conséquence jugé surabondant. Le législateur appréciera. Encore que la canalisation de la vocation originelle à l’universalité du régime général paraisse bien lui sied. Mais le jugement est sévère. Il y a bien d’autres personnes dignes de protection qui sont assujetties au régime général. Il s’agit de toutes celles qui sont visées par un texte spécial, comprenez par une autre disposition que l’article L. 311-2 css : le conjoint d’un travailleur non salarié qui participe effectivement à l’entreprise ou à l’activité de son époux et qui perçoit un salaire (art. L. 311-6 css), les ministres des cultes (art. L. 382-15 css), les chômeurs (art. L. 311-5 css), etc.

Nous aurions pu ajouter il y a encore quelques années les élèves et étudiants de l’enseignement supérieur (art. L. 381-4 css anc.). Ces derniers sont désormais justiciable de la PUMa (art. L. 160-1 css).

Présomption de non-assujettissement.- Le législateur, dans une perspective symétriquement inverse de celle qui vient d’être exposée, a édicté une présomption (simple) de non-assujettissement. L’article L. 311-11 css est le siège de la matière. Il renvoie au vieil l’article L. 120-3 c. trav. (art. L. 8221-6 C. trav. Nouv). Les personnes dont l’exécution de l’activité donne lieu à immatriculation ou inscription (Rcs, Répertoire des métiers, Registre des agents commerciaux, Urssaf) sont présumées ne pas relever du régime général de la sécurité sociale (al. 1 in limine) sauf preuve contraire (al. 1 in fine). La preuve consiste alors à établir que leur « activité les place dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard d’un donneur d’ordre » (voy. supra). Une question bien délicate se pose. Que faut-il entendre par « lien de subordination juridique permanente » ? S’il s’avérait que la preuve était rendue difficile, ne prendrait-on pas le risque que des employeurs indélicats exigent, avant « l’embauche » en quelque sorte, l’immatriculation ou l’inscription du candidat à l’emploi. Ce faisant, l’employeur échappe aux paiements d’une partie des cotisations de cotisations de sécurité sociale.

L’ubérisation et affiliation au régime général. – Au vu de ce qui précède, la chose ne semble pas être des plus compliquées. Au reste, les Urssaf sont là pour aider le cotisant, qui serait hésitant, à ne pas commettre d’erreur.

L’ubérisation de l’économie a tout de même compliqué notablement la donne.

À la question, quel est le régime de sécurité sociale des travailleurs de plateforme ?, on ne sait pas toujours quoi répondre. C’est pourtant du statut social et de la substance des droits sociaux des intéressés dont il s’agit. Des juges du fond ont hésité. Il y avait de quoi en l’absence de statut intermédiaire ou hybride en droit français, qui ne connaît que le noir ou le blanc (comp. Employment rights act 1996 – Sénat, Le statut des travailleurs de plateformes numériques, étude de législation comparée n° 288, juill. 2019, http://www.senat.fr/lc/lc288/lc2884.html).

De prime abord, les travailleurs concernés semblent bien avoir une totale liberté d’organisation, de travailler ou non (à tout le moins en théorie). Dans le même temps, ils ne détiennent a priori aucune entreprise ni ne peuvent justifier d’une quelconque clientèle qui leur serait propre. La Cour de cassation finit par être saisie. Dans un arrêt Take it easy, la Chambre sociale relève que l’application critiquée était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier, que le nombre total de kilomètres parcourus était comptabilisé, que ladite société s’était réservé le pouvoir de sanctionner le coursier. Il n’en fallait pas plus pour que le juge cède à la tentation de caractériser l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation caractéristique d’un lien de subordination (Soc. 28 nov. 2018, n° 17-20.079. Comp. Cjue ord. 22 avr. 2020, aff.  C-692/19 Yodel delivery network Ltd c./ B. (question préjudicielle), cons. n° 28).

2.- Les régimes de protection particuliers garantis aux assurés sociaux

Les régimes de protection particuliers sont ainsi ordinairement qualifiés par opposition au régime général. On rangeait sous cette bannière : les régimes spéciaux des salariés non agricoles – des régimes en voie d’extinction (ex le régime de la SEITA qui n’accueille plus aucun cotisant et qui se contente de servir les droits à pension acquis) / d’autres encore ouverts (ex. le régime de retraite des fonctionnaires, celui des agents de la RATP…), les régimes des professions non salariées non agricoles et le régime agricole. Le droit de la sécurité sociale serait décidément trop simple si l’on devait se passer de la pluralité de régimes particuliers., écrit-on volontiers en doctrine. On reconnaîtra tout de même que ces derniers ont précédé le régime général, qui ne sera inventé qu’en 1945 (ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale), et ont tout simplement continué de prospérer ex post.

Chacun dispose d’une réglementation propre dont l’essentiel n’est pas codifié. En bref, ils assurent à leurs bénéficiaires, pour l’ensemble des prestations de chaque risque, des prestations équivalentes à celles servies par le régime général (art. R. 711-17 css). Leur avenir est, dit-on, incertain. Le régime social des indépendants a en effet été intégré au régime général.

La question s’est posée de savoir si l’existence de ces régimes particuliers de sécurité sociale ne portait pas atteinte à quelques droits et libertés fondamentaux que la Constitution garantit. Dans une décision n° 2012-254 QPC du 18 juin 2012, le Conseil constitutionnel ne partage pas l’analyse. Il y avait portant matière à douter de la constitutionnalité de la disposition déférée.

Par ordonnance n° 45-2250 du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale, il est convenu que « sont provisoirement soumises à une organisation spéciale de sécurité sociale les branches d’activité ou entreprises énumérées par le règlement général » (disposition codifiée depuis à l’art. L. 711-1, al. 1 css). Depuis lors, c’est le pouvoir réglementaire seul qui établit, pour chacune des branches d’activités ou entreprises, une organisation de sécurité sociale dont le dessein est de couvrir les risques et les charges de l’existence visés à l’article L. 111-1 css. La saisine a posteriori du Conseil résidait dans la violation prétendue de l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, lequel affirme que « la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale ».

La réponse à la question prioritaire de constitutionnalité est la suivante : « Considérant qu’il y a lieu de ranger au nombre des principes fondamentaux de la sécurité sociale, et qui comme tels relèvent du domaine de la loi, l’existence même d’un régime spécial de sécurité sociale ; qu’il en va de même de la détermination des prestations et des catégories de bénéficiaires ainsi que de la définition de la nature des conditions exigées pour l’attribution des prestation que, toutefois, en l’espèce [le principe dispositif limite nécessairement la portée de la décision de constitutionnalité au régime spécial de sécurité sociale dans les mines], la méconnaissance par le législateur de sa compétence ne prive pas de garanties légales les exigences découlant du onzième alinéa du Préambule de 1946 ; qu’elle n’affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de sa compétence doit être écarté ». Rien que de très classique en vérité. En l’état de la jurisprudence du conseil constitutionnel, l’incompétence négative du législateur ne peut être valablement excipée que pour autant qu’un droit ou une liberté fondamentale a été méconnu… Au reste, et en opportunité, le Conseil constitutionnel ne pouvait raisonnablement pas abroger l’article L. 711-1 css sans bouleverser purement et simplement tout le système de la protection sociale. Les effets secondaires du remède auraient largement dépassé l’entendement.

Régime agricole. – Ce régime particulier mérite quelques développements tant il est original : spécificités économiques et sociales du monde rural obligent. C’est la Mutualité sociale agricole et ses caisses réparties sur tout le territoire qui sont à la manœuvre. Elle s’est vue reconnaître un monopole pour la gestion des assurances sociales des salariés agricoles et assimilés. Elle constitue un guichet unique. En clair, les caisses de mutualité sociale agricole sont chargées de la gestion de tous les risques et charges de l’existence. Les assurés sociaux ont donc un interlocuteur unique !  Et la MSA de se charger elle-même du recouvrement des cotisations de sécurité sociale…

Section2.- La protection sociale complémentaire accordée aux assurés sociaux

Notion.- La prévoyance complémentaire, dite prévoyance d’entreprise, est une garantie souscrite contre les risques sociaux et aléas de l’existence accordée à tout ou partie du personnel ou de ses dirigeants sociaux. Elle est faite de divers dispositifs. Ils ont en commun d’être facultatifs, à tout le moins au regard de la loi, car ils peuvent être obligatoires en application d’une convention collective. C’est à tout le moins l’économie générale du dispositif. Tout récemment, le législateur s’est appliquée à généraliser l’assurance maladie complémentaire.

Sources.- Plusieurs textes importants ont réglementé la prévoyance complémentaire. 1° La loi n° 89-1009 du 31 déc. 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques. Cette loi est plus connue sous le nom du ministre qui l’a défendue : Claude Évin (ministre de la santé, de la solidarité et de la protection sociale). 2° La loi n° 94-678 du 8 août 1994 rel. à la protection sociale complémentaire des salariés. Cette loi est volontiers appelée loi Veil. 3° L’ordonnance n° 2011-350 du 19 avr. 2001 rel. au code de la mutualité et transposant les directives 92/49/CEE et 92/96/CEE du Conseil des 18 juin et 10 novembre 1992. 4° La loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière. Last but not least, le livre 9 de la sécurité sociale est réservé à la protection sociale complémentaire.

Il est un dernier texte des plus remarquables en ce sens qu’il a notablement changé la donne. Il s’agit de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, qui s’avère être le fruit d’une négociation interprofessionnelle sur la sécurisation de l’emploi (conclusion ANI 11 janvier 2013). La loi dispose dans son article 1er : « Avant le 1er juin 2013, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels engagent une négociation, afin de  permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d’une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident dont chacune des catégories de garanties et la part de financement assurée par l’employeur sont au moins aussi favorables que pour la couverture minimale mentionnée au II de l’article L. 911-7 du code de la sécurité sociale, au niveau de leur branche ou de leur entreprise, d’accéder à une telle couverture avant le 1er janvier 2016. Et la loi de disposer que le contenu de la garanti minimale serait précisé par décret. La législation est des plus audacieuses. Elle donne à penser de surcroît. Il faut noter que le législateur a entendu que le coût de la prévoyance collective soit partagé entre les patrons et les salariés, à parts égales. C’est tout à fait révolutionnaire.

Le législateur a entendu également que la garantie soit maintenu dans le temps pour le cas où le salarié viendrait à être involontairement privé de son emploi. C’est ce qu’on appelle la portabilité (art. L. 911-8 css). Instituée par l’ANI du 11 janvier 2008 et modifiée par l’ANI du 11 janvier 2013, la prévoyance collective assure au salarié une indemnisation complémentaire une année durant (sorte de garantie subséquente).

Déploiement. – La sécurité sociale ne forme pas antithèse avec la responsabilité individuelle. Le Droit sait susciter les efforts des travailleurs en les associant à la gestion de leurs intérêts.

C’est que le régime général de la sécurité sociale inventé en 1945 n’embrasse pas tous les champs du possible. D’une part, le régime général n’a pas investi tout le champ de la protection sociale. D’autre part, ledit régime n’accorde des revenus de remplacement destinés à se substituer aux revenus professionnels défaillants que dans la limite d’un plafond.

Le montant des pensions de vieillesse et d’invalidité est, dans la meilleure hypothèse, voisin du salaire minimum interprofessionnel de croissance. Quant aux dépenses de santé, elles ne sont globalement couvertes qu’à 70 %.

Il y a par voie de conséquence un espace pour la protection sociale complémentaire qui sert, tantôt, des prestations qui s’ajoutent à celles accordées par les régimes légaux ou de base, tantôt des prestations qui couvrent des risques non définis et non couverts par lesdits régimes.

On aurait pu concevoir l’articulation entre les régimes légaux et la protection sociale complémentaire de la façon suivante : 1° considérer que les régimes légaux constituent une sorte de « système planché » (M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la sécurité sociale, Précis Dalloz) ; 2° poser qu’ils peuvent être complétés, au gré des vœux et des capacités contributives de tout un chacun, par des démarches individuelles ou collectives relevant du droit des assurances ou du droit de la mutualité.

Il n’en a pas été ainsi.

Le législateur social n’est pas resté indifférent aux efforts entrepris par les partenaires sociaux dans le dessein de garantir aux salariés une assurance chômage (pour mémoire, le régime d’assurance chômage conventionnel est le fruit d’un accord conclu entre les partenaires sociaux le 31 déc. 1958. Il a depuis lors fait l’objet de maintes réfactions. Il comporte à présent de nombreuses prescriptions légales qui se trouvent dans le code du travail).

Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, le législateur s’est appliqué à donner un cadre juridique aux démarches engagées dès les années 1930 par les entreprises, les employeurs et les salariés pour compléter les prestations servies par le régime général.

Débordement ? . – Tout laisse à penser que les difficultés de la protection sociale de base, qui est assurée pour l’essentiel par le régime général, vont pousser à terme à un basculement dont on ne saurait prédire à ce jour l’inclinaison. Il est un fait : le gouvernement est désireux d’actionner plus encore le levier que constitue le ticket modérateur. C’est de transfert massif des dépenses dont il est question. Il peut le relever pour mécaniquement faire supporter à l’AMC un remboursement des frais de santé plus grand. C’est la tentation qui est à la sienne sur la période. Le confinement a notablement réduit la consommation de soins et de biens médicaux. Les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) auraient ainsi amasser un trésor… On parlerait de près de 1,5 milliards d’euros supplémentaires qui pourraient être collectés sur les exercices 2020 et 21. Le législateur peut encore préférer l’instauration d’un ticket modérateur sui generis en ce sens qu’il serait forfaitaire. Ce dernier dispositif interrogerait quant à la nature du contrat d’assurance maladie complémentaire. Par essence aléatoire, le contrat d’assurance glisserait lentement vers la commutativité. C’est que, d’un strict point de vue actuariel, la forfaitisation de l’obligation de l’assuré est antinomique avec la nature aléatoire du contrat d’assurance. Ce ne serait plus un risque qui serait assuré. Ce serait purement et simplement une charge que l’assureur serait prié de supporter. Or, un contrat n’est aléatoire que pour autant que les parties au contrat acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain (art. 1107, al. 2 c.civ.). Partant, les théories mathématiques concernant le calcul des probabilités et la statistique ne seraient alors plus d’aucun secours (à tout le moins pour partie). Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 semble bien aller en ce sens…

En l’état, il est une certitude : l’État encourage le développement des mécanismes d’assurances sociales en renfort des régimes de base. Ses préoccupations se traduisent par des faveurs fiscales, sociales. Ce faisant, il oriente, incite et encourage certaines couvertures, en l’occurrence les prestations complémentaires de retraite et de prévoyance (L. 242-1, al. 6 css : sont exclues de l’assiette des cotisations les contributions des employeurs destinés au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance versées au bénéfice de leurs salariés, anciens salariés et de leurs ayants droit par des les organismes régis par le livre 9) (v. V. Roulet, L’opération d’assurance dans la rémunération des salariés, n° 37).

Fonction(s).- Fonction immédiate. La prévoyance complémentaire couvre au premier chef le risque de maladie. La part que les assureurs complémentaires prennent dans le financement de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) va crescendo. En 2018, cette part s’est élevée à près de 14% soit +27 milliards d’euros. Ce n’est pas tout, loin s’en faut. La liste de l’article L. 911-2 css est longue.

Fonction médiate. La protection sociale d’entreprise participe de la rémunération des salariés (V. Roulet, L’opération d’assurance dans la rémunération des salariés, 2011). Comprenez que les parties au contrat de travail peuvent ou doivent (si une convention collective, un accord spécifique, un référendum ou une décision unilatérale de l’employeur l’exige) – c’est selon – prévoir au titre des accessoires de rémunération des garanties individuelles de protection sociale complémentaire. L’employeur peut stipuler, auprès d’un assureur ou avec une mutuelle, une police d’assurance de couverture des risques sociaux. Il peut encore préférer recourir à une assurance collective qui couvre tout ou partie des salariés. C’est ce qu’on appelle une assurance de groupe. Elle est régie par le droit des assurances de personnes (C. assur, Livre 1, Titre 3 ; H. Groutel, F. Leduc, Ph. Pierre, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, nos 2411 s ; présentation rapide du schéma).

Conditions.- La prévoyance complémentaire est le fruit d’une convention tripartite : assureur – souscripteur – adhérents (art. L. 141-1 c. assur. in Titre 4 – Les assurances de groupe :

« Est un contrat d’assurance de groupe le contrat souscrit par une personne morale ou un chef d’entreprise en vue de l’adhésion d’un ensemble de personnes répondant à des conditions définies au contrat, pour la couverture des risques dépendant de la durée de la vie humaine, des risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d’incapacité de travail ou d’invalidité ou du risque de chômage (…) »).

Le législateur (loi n° 89-1009 du 31 déc. 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, Évin) n’a pas autorisé tous les agents économiques à couvrir les risque et aléas de l’existence. La mise en œuvre des opérations de prévoyance a été confiée à trois catégories d’opérateurs. Sont habilités à intervenir sur le marché de la prévoyance complémentaire : les entreprises d’assurance régis par le code des assurances, les institutions de prévoyance relevant du code de la sécurité sociale ou du code rural et les mutuelles régies par le code de la mutualité.

Les institutions de prévoyance sont des personnes morales de droit privé à but non lucratifs qui gèrent des contrats collectifs d’assurance de personnes. Elles sont administrées paritairement par des membres adhérents (employeurs) et des membres participants (salariés) (art. L. 931-1 css). On les appelle communément « Institutions L. 4 » par réf. à l’article ancien du code de la sécurité sociale qui les régissait. Ex. Pro BTP dans le secteur du bâtiment ; AG2-R-La Mondiale ou Malakoff-Médéric.

En bref, la loi n’entend pas que l’employeur pratique l’auto-assurance.

La protection complémentaire n’est pas laissée à la discrétion de l’employeur. Le comité d’entreprise joue toutefois un rôle de premier plan en la matière. On doit à la loi Évin d’avoir inséré dans le Code du travail un article L. 2323-1 anc., qui disposait que le « comité d’entreprise formule à son initiative et examine, à la demande du chef d’entreprise, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail (…) ainsi que les conditions dans lesquelles les salariés bénéficient des garanties collectives complémentaires telles que définies à l’article L. 911-2 C. sécu. soc. ». Pour mémoire, ce dernier texte vise le risque décès, les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d’incapacité de travail ou d’invalidité. Il a été remplacé par l’article L. 2312-12 c. trav. (ord. n° 2017-1386 du 22 sept. 2017). C’est de comité social et économique dont il est question désormais.

Typologie.- La prévoyance complémentaire est tantôt imposée à l’employeur, tantôt librement accordée par l’employeur. Dans le premier cas, dès lors que les salariés se trouvent dans une situation décrite par la norme applicable, on dit ordinairement que la protection sociale complémentaire est obligatoire. Dans le second cas, pour peu que l’employeur accorde volontairement une couverture complémentaire des risques et aléas de l’existence, on dit que la PSC est volontaire.

Protection sociale d’entreprise obligatoire.- La protection sociale d’entreprise est obligatoire toutes les fois qu’une norme l’impose, en l’occurrence une convention collective, un accord spécifique, un référendum ou une décision unilatérale de l’employeur (art. L. 911-1 css). Les cadres et assimilés, par exemple, sont ainsi obligatoirement couverts par la protection sociale complémentaire (CCN AGIRC – Association générale des institutions de retraite des cadres – ; www.agirc.fr). La convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 est en ce sens.

Il est à noter dans les opérations collectives à adhésion obligatoire, le débiteur des prestations sociales doit accorder une garantie à large spectre. La loi du 31 décembre 1989 impose à l’assureur (entendu lato sensu) de prendre en charge les suites des états pathologiques (maladie ou accidents par exemple) survenus avant la souscription (ou l’adhésion) du contrat (art. 2). La loi réserve en revanche la fausse déclaration (art. L. 932-7 css). La loi interdit à l’assureur d’exclure de la garantie une pathologie ou une affection ouvrant droit au service de prestations en nature du régime général de l’assurance maladie (art. 4). Ce faisant, la sélection du risque est limitée. La loi exige de l’assureur qu’il maintienne ses prestations lors même que l’entreprise est restructurée ou le contrat résilié (art. 7). La Cour de cassation considère que la résiliation du contrat de prévoyance est sans effet sur le versement des prestations pour peu, il va sans dire, qu’elles aient été acquises ou qu’elles soient nées durant l’exécution du contrat.

Protection sociale d’entreprise volontaire. – La protection sociale d’entreprise peut être initiée par le comité social et économique. Elle peut l’être par l’employeur.

La protection sociale d’entreprise volontaire peut tout à fait être initiée par le CSE. Pour ce faire, il importe au préalable que le régime de protection sociale soit qualifié d’activité sociale et culturelle. La raison tient à ceci que c’est le CSE qui a le monopole de gestion ou du contrôle desdites activités de l’entreprise. La difficulté réside dans l’absence de définition légale de la notion. La Chambre sociale de la Cour de cassation la définit comme « toute activité exercée au bénéfice du personnel de l’entreprise, sans discrimination, en vue d’améliorer les conditions collectives d’emploi, de travail et de vie du personnel au sein de l’entreprise, non obligatoire légalement, quelle que soit sa dénomination, la date de sa création et son mode de financement » (Cass. soc., 13 nov. 1975, Bull. V, n° 533). Au vu de cette définition prétorienne, les seuls régimes de protection sociale d’entreprise pouvant entrer dans le champ de compétences des CSE sont donc les garanties sociales facultatives.

Pour aller au plus simple, l’idée est la suivante. Le régime de protection sociale complémentaire mis en place au profit du personnel peut être créé à l’initiation du CSE, organisé et/ou financé par ses soins. Mais c’est là du droit spécial propre au comité sociale et économique.

La protection sociale d’entreprise volontaire peut tout à fait être initiée par l’employeur. Dans ce cas de figure, l’employeur, alors qu’une norme ne l’y contraint, s’engage envers tout ou partie de ses salariés à compléter les prestations du régime général de sécurité sociale pour certains risques. Dans ce cas de figure, la prévoyance est une contrepartie du travail fourni ; elle est un avantage salarial. Vous comprendrez alors que cet aspect de la protection sociale relève pour l’essentiel du droit du travail.