Civ. 2, 10 avr. 2025, n° 23-11.656 : Reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie et condition d’inopposabilité

Civ. 2, 10 avr. 2025, n° 23-11.656, publié au bulletin :

Rejet de l’action en inopposabilité de la prise en charge d’une maladie professionnelle pour défaut de communication des certificats médicaux de prolongation d’arrêt de travail

Résumé.

La Cour de cassation confirme que les certificats médicaux de prolongation de soins et d’arrêts de travail n’ont pas à être communiqués par la caisse à l’employeur. La raison invoquée : le certificat médical initial est suffisant pour apprécier la réunion des conditions d’un tableau de maladie professionnelle. La contestation qui perdure : les effets de la prise en charge par la branche AT/Mp sont inscrites au « compte employeur » or toutes les prestations sociales servies n’ont pas nécessairement à être couvertes de la sorte. Et pour le vérifier, il importe que soient communiqués lesdits certificats…ce qui est à nouveau refusé.

Commentaire.

A l’issue de ses investigations, une caisse primaire d’assurance maladie prend en charge, au titre de la législation professionnelle, la pathologie déclarée par un salarié. L’employeur, qui conteste la qualification juridique retenue, saisit une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale d’un recours en inopposabilité. L’enjeu pour l’intéressé est d’échapper aux suites de la réalisation du risque assuré, à savoir la majoration de son taux brut de cotisation (pour le cas où l’entreprise ne relève pas de la tarification collective). Dans le cas particulier, l’employeur fait grief à la caisse d’avoir violé le principe du contradictoire et méconnu les prescriptions de l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale en ne lui ayant pas communiqué tous les certificats médicaux qu’elle détenait, à savoir : les certificats médicaux de prolongation de soins et d’arrêts de travail, à la lumière desquels elle a pu forger son analyse.

Il faut bien voir qu’en raison de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, toutes les prestations en espèce comme en nature ont vocation à être inscrites au « compte employeur ». Contester la décision de la caisse primaire, c’est espérer une déclaration d’inopposabilité de la prise en charge de la maladie initiale ou, à tout le moins, l’inopposabilité de la couverture par la branche AT/MP des nouveaux symptômes ou lésions qui ont justifié la prolongation de l’arrêt de travail.

Saisie, la cour d’appel de Nancy ne fait pas droit à cette demande, qui énonce que le dossier est complet et que l’obligation d’information mise à la charge de la caisse est respectée nonobstant le défaut de communication des certificats de prolongation des arrêts de travail. L’important pour les juges du fond : c’est que l’employeur a pu apprécier la réalisation des conditions du tableau de maladie professionnelle.

La Cour de cassation partage l’analyse et rejette le pourvoi après s’être déjà prononcée sur le sujet (Civ. 2, 16 mai 2024, n° 22-22.413 et n° 22-15.499). Elle reprend du reste un attendu de principe mot à mot. A l’évidence, la deuxième chambre civile peine à convaincre les employeurs concernés.

Il faut bien dire que formellement, l’article R. 441-14, 2° du code de la sécurité sociale dispose que le dossier constitué par la caisse primaire comprend « les divers certificats médicaux détenus par la caisse » sans plus d’indication. Considérer que seuls ceux qui ont vocation à faire grief doivent être communiqués c’est introduire une condition supplémentaire douteuse, qui force à la casuistique. Et refuser de communiquer les certificats médicaux de prolongation de soins et d’arrêts de travail, c’est empêcher l’employeur de contester éventuellement le lien de causalité entre les nouveaux symptômes ou lésions (qui ont imposé la prescription d’un nouvel arrêt de travail) et la maladie initiale. C’est donc laisser souffrir ce dernier d’une inscription sur le « compte employeur » de prestations sociales servies en regard possiblement injustifiées.

La Cour de cassation, après la cour d’appel, et conformément à sa jurisprudence, précise qu’il n’y a pas lieu de communiquer les certificats ou les avis de prolongation de soins ou arrêts de travail critiqués, délivrés après le certificat médical initial, parce qu’ils ne portent pas sur le lien entre l’affection, ou la lésion, et l’activité professionnelle. Et de limiter ce faisant les atteintes portées au secret médical dû à la victime, atteintes rendues (au passage) nécessaires pour que le procès soit équitable (art. 122-4, al. 1 ensemble art. 226-14 c. pén. V. not. Civ.2, 22 févr. 2005, n° 03-30.308, publié au bulletin). En complément des arrêts rendus au printemps 2024, la Cour de cassation précise que seul le certificat médical initial participe de l’objectivation de la maladie, les certificats médicaux de prolongation n’étant pas de nature à influer sur la caractérisation de la maladie mais sur les conséquences de celle-ci. Et d’ajouter que les pièces figurant au dossier informaient suffisamment l’employeur sur la pathologie déclarée et la réalisation des conditions du tableau.

C’est sur ce point précis que se cristallise le débat. Que le certificat médical initial renseigne l’agent causal d’une maladie professionnelle ou bien d’un accident de travail, personne n’en disconvient. Que le dossier constitué puis communiqué dans la foulée par la caisse permette à l’employeur d’apprécier le bien fondé de la qualification retenue et de faire connaître ses observations éventuelles (au sens de l’article R. 441-8, II, al. 1 c. sécu. soc.), personne ne le discute à hauteur de principe.

Mais il faut voir que consécutivement à la prise en charge de la maladie par la branche AT/MP, la charge financière de la couverture du risque est transférée à l’employeur ou bien à la communauté des employeurs (en cas de tarification collective du risque). Exiger la communication des certificats litigieux, c’est vérifier que les prestations sociales qui continuent d’être servies sont une suite directe du fameux agent causal princeps. Vérification qui est rendue d’autant plus nécessaire toutes les fois qu’un temps relativement long a pu s’écouler depuis que la victime est tombée malade.

En conclusion, refuser la communication de toutes les pièces du dossier, c’est d’une part, et nécessairement, accorder un pouvoir d’appréciation aux administrations de sécurité sociale quant à la question de savoir si les éléments en débat sont susceptibles de faire grief ou non ; c’est d’autre part, et possiblement, provoquer un appauvrissement injustifié de l’employeur.

Un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (déc. 2024, n° 1321) révèle que les arrêts pour accidents du travail et maladies professionnelles continuent de croître en nombre de jours et en montant (4,1 milliards d’euros). La branche AT/MP étant financée par les seules cotisations sociales patronales, il est entendable que les employeurs, qui ont la responsabilité de maximiser l’allocation des ressources, fassent feu de tout bois pour sinon renverser la présomption légale d’imputabilité (qui suppose une preuve souvent impossible à rapporter d’une cause totalement étrangère au travail), à tout le moins réduire les incidences financières du caractère professionnel de la maladie ou bien de l’accident. Et tandis que la législation sociale a été imaginée pour prévenir le contentieux, la juridictionnalisation du droit des accidents du travail et des maladies professionnelles questionne l’économie générale des règles sous étude.

Article publié in Dalloz actualité 5 mai 2025.

Civ. 2, 30 janv. 2025, n° 22-19.660 : Expatriation et couverture de la faute inexcusable de l’employeur

Résumé

La Caisse des Français de l’étranger n’est pas une caisse de sécurité sociale comme les autres. Pour preuve, si un salarié expatrié est victime de la faute inexcusable de son employeur, qui a participé à la maladie dont il est atteint, alors la CFE n’a pas à faire l’avance des indemnités majorée. En bref, le salarié privé de toute solidarité de métier se retrouve à devoir supporter seul les dépenses afférentes aux suites de la maladies professionnelles et possiblement à la sauvegarde de sa dignité. Il aura fallu deux décisions rendues par la Cour de cassation dans la même affaire pour imposer la solution à la Cour d’appel de Rennes entrée en opposition frontale avec la cour régulatrice.

Commentaire.

En l’espèce, un salarié déclare une maladie qui renseigne une exposition à l’amiante dont le caractère professionnel est reconnu par la caisse de sécurité sociale. Il introduit dans la foulée une action en reconnaissance du caractère inexcusable de la faute commise par son employeur. Dans le cas particulier, la victime est un salarié expatrié, qui a souscrit une assurance volontaire (au sens de l’article L. 762-8 c. sécu. soc.) « accident du travail et maladies professionnelles » auprès de la Caisse des Français de l’étranger (CFE). C’est la variable de complication de l’affaire.

Comprenons bien : le salarié concerné n’étant plus soumis à la législation française de sécurité sociale (en application du principe de territorialité de l’article L. 111-2-2 c. sécu. soc.), l’intéressé était tout à fait libre de contracter avec l’assureur privé ou public de son choix pour autant qu’il satisfasse naturellement les conditions fixées au contrat projeté ou bien les dispositions légales édictées par le pays d’accueil aux fins de couverture du risque professionnel. Dans le cas particulier, le salarié préfère exercer la faculté qui lui est offerte de s’assurer volontairement contre les risques professionnels auprès de la CFE (art. L. 762-2 c. sécu. soc.). I

Le différend, qui a nécessité que la Cour de cassation se prononce à deux reprises dans cette affaire, est né du refus de la CFE de faire l’avance des indemnités majorées en raison de la faute inexcusable de l’employeur, ce qui est pourtant une obligation qui pèse sur les caisses primaires d’assurance maladie ( L. 452-2, al. 6 c. sécu. soc.) et les mutualités sociales agricoles (art. L. 452-2, al. 6 c. sécu. soc. sur renvoi de l’art. L. 751-7 c. rur.).

La question est donc posée de savoir au fond si la CFE est une caisse de sécurité sociale comme les autres ou pas ?

Saisie, la Cour d’appel de Rennes répond dans un premier arrêt par l’affirmative (9e ch., 26 sept. 2018). Et de conclure par voie de conséquence à l’obligation faite à la CFE de payer la majoration due tout en privant en revanche cette dernière de son droit à récupérer le capital représentatif auprès de l’employeur. Qu’on ne se méprenne pas : la Cour d’appel de Rennes ne prive pas discrétionnairement la CFE d’un droit subjectif au remboursement. L’infraction à l’article L. 452-2, al. 6 c. sécu. soc. aurait été bien trop frontale. Non, il s’avère simplement (ou pas) que les règles qui fixent l’organisation et le fonctionnement de la CFE, qui sont renfermées dans un titre IV du Livre VII « Régime divers – dispositions diverses » du Code de la sécurité sociale, n’accorde aucune subrogation légale à la caisse. Dans la mesure où, il ne saurait y avoir de paiement par subrogation sans texte (art. 1346 c.civ.), et que manifestement aucune subrogation conventionnelle n’a été stipulée, la Cour d’appel de Rennes semble articuler convenablement le régime d’indemnisation des risques professionnels, les règles spéciales de couverture des salariés expatriés victimes d’une maladie et les principes directeurs du droit civil des obligations.

Dans un arrêt rendu le 16 juillet 2000 (n° 18-24.942), la Cour de cassation n’est pourtant pas de cet avis, qui casse une première fois l’arrêt au visa de l’article au visa des articles L. 762-1 et L. 762-8 c. sécu. soc. en ce que si l’assurance volontaire qui a été souscrite donne droit à l’ensemble des prestations prévues par le livre IV, c’est à l’exclusion de l’indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l’employeur. Et la deuxième Chambre civile de se réunir en formation de section et d’ordonner qu’une large diffusion soit donnée à sa décision (FS-P+B+I). Désignée en qualité de cour de renvoi, la Cour d’appel de Rennes s’obstine pourtant dans son analyse et entre en voie de résistance manifeste (CA Rennes (9e ch., 1er juin 2022).

C’est la raison pour laquelle – fait suffisamment rare pour être souligné – la Cour de cassation tranche définitivement le litige et ne renvoie pas une seconde fois l’affaire pour qu’il soit jugé au fond. Au vu de la situation particulière, la deuxième Chambre civile aurait peut-être gagné à enrichir sa décision et ne pas se contenter ou presque de reproduire mot à mot le chapeau intérieur. L’exercice tenant trop sûrement de la gageure, l’arrêt est promis au rapport annuel. L’occasion sera donc donnée de revenir sur le cas particulier.

C’est que le raisonnement de la victime tiré d’une application par analogie des textes applicables aux caisses primaires d’assurance maladie et mutualités sociales agricoles, qui a convaincu la Cour d’appel de Rennes, était assez séduisant. Un article D. 461-24 c. sécu. soc. dispose en effet : « conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 431-1 et des articles L. 432-1 et L. 461-1, la charge des prestations, indemnités et rentes incombe à la caisse d’assurance maladie ou à l’organisation spéciale de sécurité sociale à laquelle la victime est affiliée (…) » tandis qu’un second texte – l’article L. 762-8, alinéa 2 du code de la sécurité sociale – dispose que « l’assurance volontaire accidents du travail et maladies professionnelles donne droit à l’ensemble des prestations prévues par le livre IV ». L’application cumulée semblait fonder la condamnation de la CFE à faire l’avance des indemnités majorée (pendant que les textes relevés plus haut semblaient bien la priver de toute subrogation).

Mais c’est une autre combinaison qui a été choisie, qui tient compte de l’économie générale de la Caisse des Français de l’étranger, qui a été possiblement omise au nombre des variables qu’il s’agissait d’articuler, ou dont la considération a été jugée moins déterminante que le triste sort réservé au salarié concerné en l’espèce.

A la différence d’une caisse primaire d’assurance maladie ou bien d’une mutualité sociale agricole, la CFE est gestionnaire d’une assurance volontairement contractée par le salarié expatrié, qui est seul tenu au paiement de la dette de cotisation à l’exclusion de l’employeur par voie de conséquence. Que ce dernier décide spontanément de payer la dette du salarié (Soc., 27 nov. 2013, n° 12-23.603, inédit) ou bien qu’une convention collective l’y contraigne (Soc., 19 sept. 2007, n° 05-41.156, inédit – 26 juin 2013, n° 12-13.046, inédit), cela n’a pas pour effet de lier juridiquement la CFE et l’employeur. La solution serait du reste la même si le salarié ne disposait pas de la totalité des ressources nécessaires pour acquitter sa cotisation et que la CFE décidait de prendre en charge le reliquat sur son budget de l’action sanitaire et sociale (art. L. 762-6-5, al. 1 c. sécu. soc.. V. par ex. arr. du 21 déc. 2018 fixant le niveau de prise en charge des cotisations par le budget de l’action sanitaire et sociale de la Caisse des Français de l’étranger pour la troisième catégorie de cotisants : soit 1/3 de la cotisation).

En bref, il n’appartient donc pas à la caisse de couvrir le risque accident ou maladie aggravé par la faute inexcusable de l’employeur, risque qui n’est pas entré dans le champ contractuel. Et si aucune subrogation légale n’a été accordée à la CFE, c’est très précisément parce que cette dernière ne paie pas la dette de l’employeur mais la sienne propre née de la conclusion du contrat d’assurance.

Ceci étant dit, et le commentaire ne devrait pas plus convaincre la Cour d’appel de Rennes que la décision sous étude : le caractère sui generis de la CFE tourne au préjudice du salarié, qui est la partie faible au contrat qu’il s’agit pourtant de protéger. En pratique, c’est bien le salarié qui va supporter le risque d’opposition de son employeur voire le risque d’insolvabilité. La Cour de cassation, qui complète ici sa décision au regard du premier arrêt, indique que le salarié « dispose (…) du droit d’agir à l’encontre de son employeur, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile contractuelle, pour obtenir la réparation des préjudices causés par le manquement de ce dernier à son obligation de sécurité » (point n° 9). Pour le dire autrement : c’est donc sur ses derniers propres qu’un salarié victime d’une exposition à l’amiante devra supporter les suites de la faute inexcusable de son employeur tant qu’un accord n’aura pas été trouvé ou bien une décision passée en force de chose jugée n’aura pas été rendue.

Cette situation n’est pas du tout conforme au droit des risques professionnels. Non seulement, le salarié victime d’une maladie professionnelle, en situation de fragilité relative du fait de l’expatriation, n’est pas traité à l’identique de ses collègues relativement aux risques professionnels, qui doit faire l’avance des fonds nécessaires à la sauvegarde de sa dignité, mais il peut en outre se retrouver en situation de transiger tandis qu’il n’est pas dans une position égale en termes de puissance avec son co-contractant, le tout en violation de l’article. L. 482-4, al. 1 c. sécu. soc. qui dispose que « toute convention contraire au présent livre (IV) est nulle de plein droit ».

La CFE est en capacité de garantir le salarié contre sa propre difficulté financière au stade de la conclusion du contrat. Pour quelle raison ne serait-elle pas en capacité de le garantir contre l’insolvabilité du tiers responsable au jour de l’exécution du contrat d’assurance ? A ces questions, il sera répondu que la CFE n’en a tout simplement pas les moyens car le régime, qui doit être équilibré en recettes et dépenses (art. R. 766-57 c. sécu. soc.) est abondé en argent grâce aux seules cotisations payées par les adhérents salariés (art. R. 766-58 c. sécu. soc.), exception faite d’une subvention annuelle qui contribue au financement du budget de l’action sanitaire et sociale art. R. 766-58-1 c. sécu. soc. Admettons. Au fond, s’il est une raison à cette solution sévère pour le salarié, elle n’est pas exclusivement d’ordre technique. Pour paraphraser une formule usitée par le Conseil constitutionnel, il s’avère que la Cour de cassation ne dispose (très vraisemblablement) pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement (J. Bourdoiseau, L’évolution de la responsabilité de l’entreprise dans la survenance du risque professionnel d’une dette d’argent de l’employeur à une créance de réparation du salarié ? Dr. social févr. 2025.178). Charge revient donc au législateur tout à fait informé à présent de remettre ou pas l’ouvrage sur le métier.

(Article publié in Dalloz actualité févr. 2025)

Rédiger l’accord de médiation ?

Article rédigé par Martin Oudin, Maître de conférences hdr – directeur honoraire du Master Juriste d’entreprise – Université de Tours

Au plan purement théorique, il est possible de conclure oralement un accord de médiation[1]. Accord de volontés destiné à créer des effets de droit, l’accord de médiation est avant tout un contrat[2]. Or, en matière de contrats, l’écrit est l’exception. Lorsqu’aucune règle spéciale ne l’impose, les parties sont libres d’y recourir ou non. Comme tout contrat de droit commun, l’accord de médiation peut donc être purement verbal.
Cependant, dans une relation qui, par hypothèse, a été par le passé source de conflit, il est prudent de constater par écrit l’accord de médiation. En pratique, la forme écrite est fréquente. Certaines législations nationales l’imposent[3]. D’autres font de l’écrit une condition sans laquelle l’accord ne peut produire certains effets. Ainsi, en droit français, l’homologation de l’accord de médiation est impossible si aucun écrit n’existe. L’article 131-12 du code de procédure civile est sans ambiguïté pour ce qui concerne la médiation judiciaire, puisqu’il énonce que « les parties peuvent soumettre à l’homologation du juge le constat d’accord établi par le médiateur de justice. » L’article 1565 al. 1er est moins clair pour l’accord de médiation conventionnelle[4], mais on voit mal comment un accord non écrit pourrait être soumis au juge. On peut enfin souligner que si les parties veulent conférer à l’accord de médiation la valeur d’une transaction, elles devront le rédiger par écrit, conformément à l’article 2044 du code civil[5].
Compte tenu de sa nature très particulière, l’accord de médiation doit être rédigé avec prudence. De nombreuses précautions doivent être prises, dès avant que les premiers mots soient couchés sur le papier.

1.- Les rédacteurs


La question même de savoir qui va rédiger l’accord soulève des interrogations. Bien souvent, les parties n’ont pas la compétence technique nécessaire. Quand bien même elles auraient cette compétence, le risque est grand de voir le conflit ressurgir dans la phase rédactionnelle, soit que les parties ne s’entendent pas sur la façon de transcrire leurs échanges, soit que l’une d’elles saisisse cette occasion pour revenir sur les propos qu’elle a tenus. L’accompagnement d’un tiers paraît donc indispensable, sous peine de compromettre tout le processus.
Ce tiers est parfois tout désigné par l’objet même du litige. Ainsi, si celui-ci porte sur des droits immobiliers, la nécessité de recourir à la forme authentique imposera la sollicitation d’un notaire. Rien de tel en matière de conflits individuels de travail : aucune règle ou contrainte particulière ne désigne un rédacteur spécifique.

1.1.- Rédaction par le médiateur ?

Il est naturel de songer que le tiers rédacteur peut – ou doit – être le médiateur qui a aidé les parties à parvenir à un accord. La solution est pourtant loin d’être évidente pour les médiateurs eux-mêmes.
Certains doutent tout d’abord que le médiateur soit habilité à rédiger l’accord. Il n’existe pourtant aucune prohibition expresse en ce sens. On cite souvent l’article 60 de la loi du 31 décembre 1971[6]. Selon ce texte, « Les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d’une qualification reconnue par l’Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l’accessoire nécessaire de cette activité. » Il est vrai que tous les médiateurs ne sont pas tenus de justifier d’une « qualification » au sens de l’article 60 de la loi de 1971[7]. Mais nombreux sont ceux qui sont titulaires d’un diplôme universitaire ou délivré par un organisme de formation agréé. Ne s’agit-il pas alors d’une qualification « attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé » ? Par ailleurs, ne peut-on pas considérer que l’accord de médiation constitue « l’accessoire nécessaire » de l’activité de médiation ?
Quoi qu’il en soit, l’obstacle majeur à la rédaction de l’accord par le médiateur est d’une autre nature. Il tient à la crainte, pour les médiateurs, de voir leur responsabilité engagée en leur qualité de rédacteurs d’acte. Les rédacteurs d’actes sont tenus d’une obligation de conseil envers les parties en présence et doivent s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’ils confectionnent, comme l’affirment certains textes[8] et une jurisprudence constante. C’est surtout à propos des professionnels du droit – notaires[9], avocats[10] et huissiers de justice[11] – que la Cour de cassation a régulièrement l’occasion de rappeler ce principe[12]. Mais elle l’a également étendu à d’autres professionnels, tels les agents immobiliers[13] ou les experts comptables[14]. Il semble qu’en fait le principe puisse être généralisé à tous les professionnels rédacteurs d’acte, comme le suggèrent certaines formules utilisées par la Cour de cassation : « les rédacteurs d’actes sont tenus d’une obligation de conseil envers toutes les parties en présence et doivent s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’ils confectionnent »[15] ; « les rédacteurs d’actes doivent s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’ils confectionnent ; à défaut, ils engagent leur responsabilité envers toutes les parties en présence »[16]. On ne voit pas pour quelle raison cette responsabilité ne devrait pas être appliquée au médiateur. Bien sûr, il n’est pas a priori un spécialiste de la rédaction d’actes. Mais il est un professionnel rémunéré pour sa prestation de médiation. S’il décide d’étendre celle-ci à la rédaction d’un accord, il doit s’acquitter de cette tâche en bon professionnel. Ce qui implique, nous semble-t-il, qu’il prenne connaissance a minima des conditions de validité et d’efficacité de l’accord. Si par exemple il acceptait de rédiger un accord par lequel les parties renonceraient à des droits indisponibles, il est probable que celles-ci pourraient ensuite mettre en cause sa responsabilité.
La loi de 1971 exige que les rédacteurs d’acte soient couverts par une assurance souscrite personnellement ou collectivement et qu’ils justifient d’une garantie financière[17]. Or, les assurances souscrites par les médiateurs ne couvrent pas toujours ce type de risques. C’est pourquoi, en pratique, de nombreux médiateurs s’abstiennent purement et simplement de rédiger eux-mêmes des accords de médiation. D’autres ont recours à des stratégies de contournement : ils se limitent à rédiger de simples « projets d’accord » ou indiquent expressément que la rédaction a été faite sous la dictée des parties. Il n’est pas certain que ces expédients leur permettent d’échapper à une éventuelle responsabilité. Deux affaires portées devant la Cour de cassation témoignent en effet de la sévérité de celle-ci.
Dans la première, un avocat avait établi un projet d’acte de cession de fonds de commerce à la demande du propriétaire du fonds, l’acte de vente n’étant dressé que quelques jours plus tard hors la présence de l’avocat. Un litige était ensuite survenu avec le propriétaire du local dans lequel le fonds était exploité, au sujet d’une clause du contrat de bail que l’acte de vente n’avait pas prise en considération. Pour retenir la responsabilité de l’avocat, les juges relèvent que le projet d’acte établi par lui « était si complet et si détaillé [qu’il] ne pouvait ignorer qu’il serait utilisé comme modèle par les parties »[18].
La seconde affaire concerne un acte de cession de parts sociales établi, à la demande du cédant, par un avocat et signé hors la présence de ce dernier. Le cessionnaire ayant été poursuivi en paiement de dettes de la société dont il avait acquis des parts, il se retourna contre l’avocat. Pour la Cour de cassation, dès lors que l’avocat « avait remis [au cédant], non un simple modèle, mais un projet finalisé entièrement rédigé par ses soins, la cour d’appel en a exactement déduit qu’en qualité d’unique rédacteur d’un acte sous seing privé, l’avocat était tenu de veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence et de prendre l’initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d’autre, peu important le fait que l’acte a été signé en son absence après avoir été établi à la demande d’un seul des contractants »[19].
Il n’est pas certain que la jurisprudence se montrerait aussi sévère à l’encontre du médiateur qu’elle l’est avec l’avocat, professionnel du droit. La prudence devrait néanmoins inciter le médiateur, sinon à renoncer à tout acte rédactionnel, du moins à souscrire une solide assurance s’il souhaitait prêter son concours à la rédaction de l’accord final.

1.2.- Rédaction par les avocats ?

Les choses se présentent différemment lorsque les parties sont assistées par des avocats au cours de la médiation. En ce cas, les avocats peuvent prendre en charge la rédaction de l’accord. Ils sont rompus à la rédaction d’actes. Celle-ci constitue une part importante de leur activité et elle est à ce titre couverte par leurs assurances de responsabilité civile. De deux choses l’une :
Soit les avocats ont assisté à l’ensemble du processus de médiation. Il leur est alors aisé de transcrire l’accord auquel sont parvenues les parties en un document que celles-ci seront disposées à signer. Ce cas de figure n’est sans doute pas le plus fréquent, au moins parmi les médiations conventionnelles.
Soit les avocats n’ont pas assisté aux échanges entre les parties. Le risque est alors que leur intervention marque une rupture dans le processus ; que les parties, spontanément ou sous l’impulsion de leurs avocats, revoient leurs positions et reviennent sur des concessions faites.
La meilleure solution réside sans doute dans une collaboration entre médiateur et avocats des parties. Le médiateur, qui a tenu la plume pour les parties tout au long de leurs échanges, peut fournir aux avocats la matière brute de l’accord (un simple relevé de décisions). Il peut ensuite assister ces derniers dans leur travail rédactionnel, mais seulement dans la mesure nécessaire au respect des intentions formulées par les parties.

1.3.- Signature

Reste la délicate question de la signature de l’accord par le médiateur. Certains droits nationaux l’imposent, à l’instar du droit belge[20]. La signature du médiateur peut alors apparaître comme la garantie que l’accord est issu d’un processus de médiation conduit par un médiateur accrédité ou assermenté[21]. Mais en France, où l’accréditation n’est pas une condition d’exercice, quel sens aurait cette signature ? Serait-elle de nature à rassurer les parties sur la solidité de l’accord ? Encouragerait-elle le médiateur à faire preuve de plus de diligence dans la conduite du processus (voire dans la relecture de l’accord) ? Cela reste à démontrer. Il existe en revanche un danger : celui que cette signature soit analysée (notamment par les tribunaux) comme la marque d’une approbation par le médiateur de la licéité de l’accord, voire de l’équilibre des dispositions qu’il recèle. En ce cas, le médiateur s’exposerait à nouveau à un risque élevé de responsabilité. En tout état de cause, de nombreux médiateurs évitent de signer l’accord de médiation, essentiellement par crainte de voir leur responsabilité engagée. En l’absence de certitude à cet égard, cette posture paraît sage.

2.- Le contenu de l’accord

Parce qu’il est un contrat, l’accord de médiation est gouverné par un principe général de liberté : liberté de contracter ou non, mais aussi de « déterminer le contenu et la forme du contrat », ainsi que l’affirme l’article 1102 du code civil. Cette liberté n’est toutefois pas sans limite, comme l’annonce le second alinéa du même article[22], ainsi que, de façon plus précise, l’article 1162[23]. Ces textes énoncent tous deux une même limite à la liberté contractuelle : le respect de l’ordre public. Les accords de médiation n’y échappent pas. Comment, pour ce qui les concerne, ce principe général de respect de l’ordre public se traduit-il ?

2.1.- Médiation, ordre public et droits indisponibles

En matière de modes alternatifs de règlement des conflits, l’ordre public est surtout sollicité pour préserver les prérogatives de la justice étatique ; plus exactement, pour encadrer la liberté de renoncer à la justice étatique et à la protection que celle-ci assure aux justiciables.
En ce sens, l’article 2060 du code civil énonce, s’agissant de l’arbitrage : « On ne peut compromettre sur les questions d’état et de capacité des personnes, sur celles relatives au divorce et à la séparation de corps ou sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l’ordre public. » La formulation est malheureuse, car elle donne à croire qu’il est interdit de compromettre dès lors que le litige touche à l’ordre public. En réalité, il est permis de compromettre, mais dans le respect de l’ordre public[24]. L’article 2060 vise l’ordre public juridictionnel, en ce sens qu’il interdit de porter atteinte aux règles qui attribuent compétence aux juridictions étatiques[25]. Cet ordre public juridictionnel se double parfois d’un ordre public de protection, destiné à préserver les droits subjectifs des parties au litige lorsque celles-ci renoncent à la protection du juge étatique.[26] C’est souvent à travers la notion de droits indisponibles que s’exprime cet ordre public de protection : les parties ne peuvent se soustraire à la protection du juge étatique que pour les droits dont elles ont la libre disposition. C’est ce qu’énonce l’article 2059 du code civil[27].
La réaction de l’ordre public à l’arbitrage s’explique par le fait que celui-ci substitue une justice privée à la justice étatique. Cette question est particulièrement sensible en droit du travail[28] et passablement compliquée par la compétence exclusive attribuée aux conseils de prud’hommes par l’article 1411-4 du code du travail[29]. La médiation, quant à elle, n’opère aucune substitution ; elle complète volontiers la justice étatique et peut être préconisée par le juge lui-même. L’ordre public juridictionnel n’a donc pas lieu d’être sollicité. En revanche, si les parties parviennent à un accord à l’issue de la médiation, le juge ne sera pas à leurs côtés pour veiller à la préservation de leurs droits. Cette affirmation doit bien sûr être nuancée, car le juge pourra toujours contrôler a posteriori le respect des droits indisponibles si une demande d’homologation lui est présentée[30]. Il n’en reste pas moins que l’accord se formera hors la présence du juge et qu’il échappera parfois totalement à son contrôle. L’ordre public de protection doit donc pleinement jouer son rôle. Voilà pourquoi la loi du 8 février 1995, tandis qu’elle est silencieuse sur « l’ordre public » (judiciaire), énonce à l’article 21-4 que « l’accord auquel parviennent les parties ne peut porter atteinte à des droits dont elles n’ont pas la libre disposition »[31]. De façon similaire et pour les mêmes raisons, on retrouvera la réserve des droits indisponibles, sans référence plus générale à l’ordre public, en matière de transaction[32] ou de procédure participative.[33]

2.2.- Contenu des droits disponibles

Quels sont les droits dont les parties peuvent disposer par un accord de médiation ? Il n’est pas simple de répondre à cette question, qui justifie pour partie la réticence des médiateurs à rédiger eux-mêmes les accords de médiation. La doctrine approfondit peu la question, qui n’est guère alimentée par la jurisprudence. On cherchera en vain des décisions de la Cour de cassation interprétant l’article 21-4 de la loi de 1995. On trouvera en revanche des éléments de réponse ou de réflexion dans les sources relatives à d’autres modes alternatifs : arbitrage et transaction, voire procédure participative.
Il apparaît tout d’abord que les droits extrapatrimoniaux, dont les droits de la personnalité, sont frappés d’une indisponibilité permanente.[34] Ces droits sont exclus de tout commerce juridique et ne peuvent faire l’objet d’aucune convention, ce qui inclut les accords de médiation. Mais en réalité, ne sont prohibés que les accords remettant en cause le droit lui-même, dans son principe ou son étendue. Il est possible en revanche de conclure des contrats portant sur certains usages de ces droits – par exemple sur l’utilisation de l’image ou du nom d’un salarié. Dans les cas où cette patrimonialisation est admise, il n’y a pas de raison que les droits en cause ne puissent faire l’objet d’un accord de médiation.[35] Mais peut-être la question est-elle assez théorique : il est peu probable que les droits de la personnalité soient l’enjeu d’une médiation en entreprise.
La question des droits patrimoniaux est plus délicate. Il est admis qu’en principe, ils sont indisponibles tant qu’ils ne sont pas acquis. Des droits à venir ne peuvent faire l’objet ni d’un arbitrage[36] ni d’une transaction[37]. A nouveau, il n’y a pas de raison de traiter différemment les accords de médiation. Mais suffit-il qu’un droit soit acquis pour que l’on puisse en disposer ? C’est avec cette question que commencent les difficultés. Il faut ici distinguer entre les droits du salarié à l’égard de son employeur et les droits du salarié à l’égard d’autres salariés.
Dans la relation entre le salarié et son employeur, il est certain que les droits relevant de l’ordre public absolu – qui regroupe les règles insusceptibles de quelque dérogation que ce soit, même en faveur des salariés[38] – sont indisponibles. S’agissant des droits relevant de l’ordre public social – règles protectrices du salarié et auxquelles il ne peut être dérogé qu’en faveur de celui-ci – il est souvent admis que le lien de subordination fait obstacle à leur libre disposition. Pour de nombreux auteurs, la situation d’infériorité du salarié justifie une protection particulière pendant toute la durée du contrat. En conséquence, les droits spécifiquement protégés par le code du travail seraient temporairement insusceptibles de renonciation, donc indisponibles[39]. Il en va sans doute de même des droits protégés par une convention collective. Cette indisponibilité cesserait au jour de l’extinction du lien contractuel. Le droit de l’arbitrage évoque parfois une inarbitrabilité temporaire liée à la subordination[40]. Au sujet de la transaction, on a surtout discuté de la validité de principe d’une transaction antérieure à la rupture (dans les faits, la grande majorité des transactions sont postérieures à la rupture et portent sur les conséquences de celle-ci). Certains ont affirmé que le lien de subordination l’interdisait, mais la Cour de cassation les a démentis à plusieurs reprises[41]. Dès lors qu’elle a pour objet de mettre fin à un différend portant sur l’exécution du contrat, la transaction survenue pendant la durée du contrat est donc admise. On ignore en revanche quels sont les droits dont on peut disposer, la Cour de cassation n’ayant eu que trop rarement l’occasion de se prononcer[42].
Qu’en est-il de la médiation ? Il faut d’abord souligner que le médiateur, du fait de sa neutralité, n’a pas pour mission ou objectif de veiller à la protection des droits du salarié. Un accord de médiation conclu avant la rupture n’apporterait donc aucune garantie particulière quant à la préservation de ces droits. Ceci explique d’ailleurs que la médiation soit parfois présentée comme dangereuse pour les salariés[43]. Faut-il pour autant être plus suspicieux envers l’accord de médiation qu’à l’égard de la transaction[44] ? Rien ne le justifie. Au contraire, la présence d’un médiateur garantit que les parties ne s’engagent pas à la légère. Certes, il n’est pas leur conseil juridique, mais il les aide par sa posture éthique et le cadre dont il est le garant à évaluer pleinement leur situation, dans son entièreté. La protection de leur consentement est donc renforcée – plus encore si l’accord est ensuite constaté par écrit, ce qui devrait être la norme. Il nous semble donc qu’à tout le moins, l’accord de médiation peut porter sur les mêmes droits qu’une transaction.
Par ailleurs, avant comme après la rupture, il n’y pas d’obstacle à ce que le salarié dispose de droits qui n’auraient pas leur origine dans les dispositions protectrices du code du travail ou d’une convention collective. Il peut s’agir en particulier de conditions ou d’avantages particuliers prévus au contrat. Plus généralement, le conflit porté en médiation porte très souvent sur des propos, des comportements, qui ne font pas l’objet de dispositions contractuelles ou légales. Peut-être ne relèvent-ils même pas du droit et il est probable qu’ils ne pourraient pas faire l’objet d’une action en justice, faute d’intérêt sérieux et légitime à agir[45]. La question de leur disponibilité ne se pose pas.
Il en va de même, bien souvent, des conflits entre salariés. Le droit s’en désintéresse largement, aussi longtemps du moins qu’aucune infraction n’est commise. Mais c’est alors le droit pénal du travail qui entre en scène. Quant au droit du travail, « droit du pouvoir »[46], il est tout entier tourné vers la situation de subordination. Un conflit horizontal, opposant deux salariés sans lien de subordination, ne se règlera pas par le recours au code du travail. Partant, l’accord de médiation est peu susceptible de porter atteinte aux droits indisponibles consacrés par ce code.

2.3.- Contrôle du respect de l’ordre public et des droits indisponibles

La question est importante pour le médiateur : doit-il, au cours de la médiation puis lors de l’établissement de l’accord, veiller au respect de l’ordre public et des droits indisponibles ? La loi ne l’y oblige pas expressément. Certains en déduisent que « si l’accord conclu comporte des dispositions illégales ou contraires à l’ordre public, on ne peut le reprocher au médiateur puisqu’il ne participe pas à l’accord final qui est trouvé par les parties elles-mêmes »[47]. Mais cette affirmation ne se justifie que si l’on admet que le médiateur, lorsqu’il accepte de mettre en forme l’accord des parties, n’en devient pas rédacteur d’acte pour autant, avec la responsabilité qui en découle[48]. Or, cela ne paraît pas évident à la lumière de la jurisprudence précitée de la Cour de cassation[49]. La prudence devrait conduire le médiateur à refuser de prêter concours à la rédaction d’un accord en cas de doute sur le respect des droits indisponibles des parties, d’autant que ceux-ci restent très mal délimités. On a pu écrire que l’ordonnance de 2011 lui faisait même obligation de s’abstenir[50].
Selon le Code national de déontologie des médiateurs, si le médiateur « a un doute sur la faisabilité et/ou l’équité d’un accord, connaissance d’un risque d’une atteinte à l’ordre public… il invite expressément les personnes à prendre conseil auprès du professionnel compétent avant tout engagement ». C’est dire qu’il ne lui appartient pas de déterminer lui-même s’il y a ou non atteinte à l’ordre public. Quelle est la valeur de cette sage recommandation, contenue dans une codification privée ? Peut-être les juges accepteraient-ils, si cette recommandation n’était pas respectée, d’y voir l’indice d’un comportement fautif, comme ils le font volontiers lorsqu’un professionnel n’a pas respecté un code d’éthique ou de déontologie[51].


Article initialement publié dans « La médiation en entreprise, affirmation d’un modèle », ouvrage collectif dirigé par F. et M. Oudin, paru en septembre 2022 aux éditions Médias & Médiations

[1] Je tiens à remercier chaleureusement Bertrand Delcourt pour son aimable et bienveillante relecture.
[2] V. N. Fricero, « Médiation et contrat », AJ contrat 2017, p. 356.
[3] Par exemple, l’article 1732 du Code judiciaire belge énonce que « Lorsque les parties parviennent à un accord de médiation, celui-ci fait l’objet d’un écrit daté et signé par elles et le médiateur. »
[4] « L’accord auquel sont parvenues les parties à une médiation, une conciliation ou une procédure participative peut être soumis, aux fins de le rendre exécutoire, à l’homologation du juge compétent pour connaître du contentieux dans la matière considérée ».
[5] L’écrit n’est toutefois pas dans ce cas une condition de validité du contrat, mais une simple exigence de preuve : Cass. 1ère civ., 18 mars 1986, n° 84-16817, Bull. civ. I, n° 74, p. 71.
[6] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
[7] Le code de procédure civile est assez contraignant pour les médiateurs judiciaires, qui doivent posséder « la qualification requise eu égard à la nature du litige » et « justifier, selon le cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation » (art. 131-5). Il l’est moins à l’égard des médiateurs conventionnels, qui doivent posséder « la qualification requise eu égard à la nature du différend » ou « justifier, selon le cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation » (art. 1533).
[8] V. p. ex. art. 7.2 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat.
[9] V. p. ex. Cass. 1ère civ., 7 févr. 1989, °86-18559 ; Cass. 1ère civ., 9 nov. 1999, n° 97-14521 ; Cass. 1ère civ., 12 févr. 2002, n° 99-11106 ; Cass. 1ère civ., 11 juill. 2006, n° 03-18.528.
[10] V. p. ex. Cass. 1ère civ., 12 janv. 1982, n° 80-16456 ; Cass. 1ère civ., 14 janv. 1997, n° 94-16769 ; Cass. 1ère civ., 27 nov. 2008, n° 07-18142.
[11] V. Civ. 1ère, 15 décembre 1998, n° 96-15321.
[12] V. P. Cassuto-Teytaud, « La responsabilité des professions juridiques devant la première chambre civile », in Rapport de la Cour de cassation 2002.
[13] Cass. 1ère civ., 25 nov. 1997, n° 96-12325.
[14] Cass. com., 4 déc. 2012, n° 11-27454.
[15] Civ. 1ère, 14 janvier 1997, précité, arrêt rendu au visa des articles 1991 et 1992 du code civil relatifs aux obligations du mandataire.
[16] Cass. com., 16 nov. 1999, n° 97-14280.
[17] Art. 55.
[18] Cass. 1ère civ., 12 janv. 1982, n° 80-16456.
[19] Cass. 1re civ., 27 nov. 2008, n° 07-18142.
[20] Code judiciaire, art. 1732 : « Lorsque les parties parviennent à un accord de médiation, celui-ci fait l’objet d’un écrit daté et signé par elles et le médiateur. »
[21] J. Mirimanoff et alii, Dictionnaire de la médiation et d’autres modes amiables, Bruylant, 2019, p. 44.
[22] « La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public ».
[23] « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »
[24]  Sur le sens aujourd’hui donné à cette disposition, v. E. Loquin, « Arbitrage. Conventions d’arbitrage. Conditions de fond. Litige arbitrable », JCl. Procédure civile, Fasc. 1024.
[25] E. Loquin, op. cit. n° 8 et s.
[26] Op. cit., n° 24.
[27] « Toutes personnes peuvent compromettre sur les droits dont elles ont la libre disposition. »
[28] V. J.-F. Cesaro, « Contentieux du travail – Les alternatives aux contentieux », JCP S 2019-164.
[29] V. sur cette délicate question et les hésitations de la Cour de cassation G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail, 33ème éd., Dalloz, 2019, p. 151. Pour une lecture très favorable à l’arbitrabilité, v. T. Clay, « L’arbitrage des conflits du travail », Bull. Joly Travail 2019/2, p. 35.
[30] Sur ce contrôle, v. notamment X. Vuitton, « Quelques réflexions sur l’office du juge de l’homologation dans le livre V du code de procédure civile », RTD Civ. 2019 p.771 ; B. Gorchs, « Le contrôle judiciaire des accords de règlement amiable », Revue de l’arbitrage 2008-1, p. 33.
[31] Loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative. La référence aux droits indisponibles a été introduite par l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011, transposant la directive européenne du 21 mai 2008.
[32] C. civ., art. 2045.
[33] C. civ., art. 2064.
[34] V. L.-F. Pignarre, Rép. de droit civil, Convention d’arbitrage, n° 65.
[35] Sur l’arbitrabilité de ces questions, v. E. Loquin, op. cit., n° 87.
[36] V. p. ex. E Loquin, op. cit., n° 89.
[37] V. p. ex. F. Julienne, J.-Cl. Civil Code, Art. 2044 à 2052, Fasc. 20 : Transaction, n° 57 ; P. Chauvel, Rép. de droit civil, Transaction – Domaine de la transaction, n° 173.
[38] Relèvent par exemple de l’ordre public absolu les règles relatives à la compétence de la juridiction prud’homale ou les incriminations pénales. Sur cette notion et sa distinction d’avec l’ordre public social, v. A. Pinson et D. Soukpraseuth, « Retour sur l’ordre public en droit du travail et son application par la Cour de cassation », BICC n° 740, avr. 2011, p. 6.
[39] V. F. Guiomard, « Que faire de la médiation conventionnelle et de la procédure participative en droit du travail ? », Revue du travail 2015, p. 628.
[40] E. Loquin, op. cit., n° 89 et n° 106 s. ; L.-F. Pignarre, op. cit., n° 68.
[41] V. Cass. soc., 10 mars 1998, n° 95-43094 ; Cass. Soc., 16 oct. 2019, n° 18-18287.
[42] V. toutefois Cass. soc., 10 mars 1998, précité : « la cour d’appel, qui a répondu aux conclusions invoquées, a exactement décidé que la transaction n’emportait pas renonciation aux dispositions d’un accord collectif et, que, partant, elle avait été valablement conclue » ; l’arrêt précité du 16 octobre 2019 ne traite pour sa part que de la portée d’une transaction relative à l’exécution du contrat de travail.
[43] V. G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail, op. cit., n°103 et références citées en note 3 p. 129.
[44] Cette question n’a de sens que pour les accords de médiation auxquels les parties n’ont pas voulu conférer la valeur d’une transaction.
[45] Soit que la prétention soit jugée dérisoire, soit qu’elle apparaisse insuffisamment juridique. Sur les prétentions indignes d’un examen au fond, v. N. Cayrol, Rép. de procédure civile, V° Action en justice – Intérêt sérieux et légitime, n° 241 s.
[46] G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail, op. cit., n° 3.
[47] B. Gorchs, « La responsabilité civile du médiateur civil », Droit et procédures, 2014, p. 194.
[48] Id.
[49] Supra, 1.1.
[50] N. Nevejans, « L’ordonnance du 16 novembre 2011 – Un encouragement au développement de la médiation ? », JCP G 2012.148.

[51] V. L. Maurin, « Le droit souple de la responsabilité civile », RTD civ. 2015, p. 517.

Abandon de poste : comment résister ?

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Maître VACCARO

Avocat spécialisé en droit du travail

L’employeur, s’il s’oppose à la rupture conventionnelle qui lui est demandée par un salarié qui souhaite quitter de son propre gré son emploi mais souhaite bénéficier des indemnités de Pôle Emploi, parce qu’il n’a aucun motif d’accepter une rupture conventionnelle n’étant en aucun cas demandeur au départ du salarié, s’expose en cas de refus à une stratégie qui se développe considérablement : l’abandon de poste pour forcer l’employeur à rompre le contrat.

La question se pose de savoir comment gérer cette situation qui laisse souvent l’employeur désarmé face à une situation qu’il vit comme l’inversement ultime du lien de subordination (phénomène contemporain considérable en matière de droit du travail quel que soit le sujet), et laisse l’entreprise souffrir différents préjudices dans le cadre d’une désorganisation manifeste, et de l’impossibilité d’organiser le départ du salarié dans le cadre d’un préavis notamment.

I – Il est légitime pour l’une des parties de refuser la rupture conventionnelle :

Il peut paraître curieux de rappeler qu’il est légitime de refuser une rupture conventionnelle pour l’une ou l’autre des parties et dans le cas de figure qui nous intéresse pour l’employeur, contrairement à ce que certains pourraient penser.

En effet, la rupture conventionnelle est un contrat et l’une des conditions essentielles de validité de ce dernier est la liberté du consentement, aucune partie ne devant être forcée à accepter.

Un vice du consentement notamment au titre d’une pression qui pourrait s’assimiler à une violence est susceptible d’ailleurs de permettre dans le délai de recours de la loi (un an à compter de l’homologation) de solliciter du Juge la nullité de la rupture conventionnelle.

Il est donc possible et légitime de refuser la rupture conventionnelle demandée par le salarié, si telle est la volonté de l’employeur dans ce cas de figure.

La Cour de Cassation a d’ailleurs admis qu’un salarié qui exerce des pressions pour obtenir la rupture de son contrat de travail de la part de son employeur commet une faute grave (cas. Soc. 19 mars 2014 – n°12-28.822).

Reste à savoir si dans les faits, la position de principe de l’employeur de refus ne va pas l’entraîner dans des conséquences plus préjudiciables encore que la rupture financée (indemnité de rupture conventionnelle obligatoire), lorsque le salarié ne démissionnera pas contrairement à la logique de la situation (refus de rupture conventionnelle à la demande du salarié qui veut quitter son emploi, laquelle devrait provoquer alors la démission du salarié).

En effet, dans la mesure où le salarié recherche à la fois la liberté de quitter son emploi mais également les indemnités Pôle Emploi, des stratégies pour forcer la main de l’employeur dans le sens d’une rupture sont susceptibles d’intervenir et deviennent de plus en plus fréquentes dans cette hypothèse.

II – L’abandon de poste : comment forcer son employeur à licencier :

La méthode la plus couramment utilisée en pratique consiste pour le salarié à abandonner son poste pour forcer l’employeur à constater cet abandon et à licencier certes pour faute grave, mais avec le bénéfice de Pôle Emploi ensuite.

Dans cette hypothèse, l’employeur est censé mettre en demeure le salarié de reprendre son emploi ou de justifier d’un motif légitime d’absence et à défaut d’obtempérer, le salarié est en principe l’objet d’une convocation à entretien préalable à un éventuel licenciement qui donnera lieu à la notification d’un licenciement pour faute grave, le préavis par définition même ne pouvant pas être exécuté compte tenu de l’absence du salarié.

III – Comment lutter pour l’employeur contre une telle stratégie ?

Il est en premier lieu envisageable de maintenir le salarié en absence injustifiée sans rémunération même si cette situation est difficilement tenable à terme.

En effet, c’est sur le fondement du principe de l’exception d’inexécution (« non adimpleti contractus » pour les initiés en droit des contrats) que l’une des parties peut retenir son engagement (paiement du salaire) à compter du moment où l’autre n’accompli pas le sien (le travail).

Le problème est qu’il reste interdit de se faire justice à soi-même et que si la situation reste bloquée, le recours au Juge est nécessaire pour trancher les conséquences de la situation.

En droit du travail qui constitue un droit spécial des contrats, une telle position de l’employeur peut assez rapidement dégénérer en abus de droit au sens de l’article L.1222-1 du Code du Travail qui précise « Le contrat de travail s’exécute de bonne foi ».

Rapidement donc l’employeur devra saisir le Juge, les solutions sans jurisprudence à l’heure actuelle étant très incertaines, l’employeur n’ayant en principe pas la possibilité de demander la résiliation judiciaire du contrat aux torts du salarié, puisqu’il détient le pouvoir de licencier.

Une autre solution consiste à dénoncer le procédé dans le cadre de la lettre de mise en demeure adressée au salarié d’avoir à reprendre son travail ou de justifier son absence en invoquant d’ores et déjà les préjudices causés à l’entreprise : brusque désorganisation, exécution déloyale du contrat de travail par le salarié, préjudices économiques divers.

Par la suite, en cas de maintien de sa position par le salarié et d’absence de démission qui emporterait alors l’exécution d’un préavis, l’employeur peut envisager la rupture pour faute lourde du contrat de travail et non plus simplement pour faute grave, car le comportement du salarié s’assimile à l’intention de nuire, cette position étant éclairée par le contenu de la mise en demeure évoquée ci-avant.

Dans cette hypothèse et après convocation, le licenciement notifié pour faute lourde pourrait s’accompagner d’une demande d’indemnisation de la part de l’employeur à l’égard du salarié tant au titre de l’absence d’un préavis pourtant dû en cas de démission qui constituerait la véritable situation juridique (cette indemnisation pourrait être du montant du salaire qu’aurait touché le salarié durant cette période), qu’au titre des préjudices économiques et moraux subis par l’employeur (abandon d’une mission en cours et difficulté avec le client etc…).

Il est rappelé que la seule hypothèse où l’employeur est habilité à demander des indemnités au salarié est précisément celle de la faute lourde.

Dans cette hypothèse, l’employeur pourrait avec une chance très raisonnable de succès envisager de saisir la juridiction prud’homale pour obtenir l’indemnisation de son préjudice.

Congés payés : qui décide ?

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Maître VACCARO

Avocat spécialisé en droit du travail

Le capital de congés payés acquis par chacun du fait de son travail au cours de la période de référence (en principe du 1er juin de l’année précédente au 31 mai de l’année en cours, à défaut d’un accord collectif) constitue un « trésor » à dépenser pour un repos bien mérité et, sur le plan de la sociologie du droit du travail est vécu comme un droit à exercer sans contrainte, à l’inverse des dispositions légales.

1°) L’organisation des congés payés

Les dates de départ en congés (« l’ordre de départ ») sont fixées par accord collectif et à défaut, il appartient à l’employeur de les définir après avis le cas échéant du Comité Social et Economique.

L’employeur doit tenir compte de la situation familiale du salarié, d’une autre activité éventuelle du salarié chez un autre employeur notamment pour les salariés à temps partiel, et de l’ancienneté dans l’entreprise.

Il s’agit du pouvoir de direction de l’employeur dont la limite est simplement celle de l’abus de droit et le Juge prud’homal notamment en référé peut-être saisi pour en juger.
Une fois les dates de départ fixées, l’employeur peut les modifier en cas de circonstances exceptionnelles dites « raisons impérieuses de service ».

Le salarié a lui-même en cas de circonstances imprévues et contraignantes la possibilité de modifier ses dates.
A la fin des congés, le salarié doit reprendre son travail et il est impossible pour l’employeur en cas de retard de reprise de travail de constater l’abandon de poste sans une mise en demeure préalable (il a été jugé que reprendre son travail avec 5 jours de retard à l’issue de congés ne constitue pas une faute grave – Cass. Soc. 2 février 1994, n°91-40.263).
En principe les congés payés doivent être pris chaque année et si les congés n’ont pas été pris, ils peuvent être considérés comme perdus si l’employeur a bien permis au salarié d’exercer son droit à congés.
Les congés ne peuvent être reportés par le salarié, sauf dans un cas prévu par la loi ou dans un cas prévu par un accord collectif.

Certains accords notamment de compte épargne-temps prévoient la possibilité de reporter des congés sur le compte épargne-temps concernant la 5ème semaine de congés payés afin de prendre ensuite un congé sabbatique ou un congé pour création d’entreprise.

2°) Fractionnement du congé

La durée des congés payés pouvant être pris en une seule fois ne peut excéder 24 jours ouvrables.
Il y a donc un congé principal de 4 semaines et une 5ème semaine.

Le congé principal de 4 semaines peut être morcelé, le fractionnement générant un jour supplémentaire dit de fractionnement, lorsque le salarié prend de 3 à 5 jours entre le 1er novembre et le 30 avril et 2 jours supplémentaires dits de fractionnement lorsque le salarié prend au moins 6 jours entre le 1er novembre et le 30 avril (article L.3141-23 du Code du Travail).

Des dérogations peuvent être apportées à ces dispositions, notamment dans l’hypothèse où le fractionnement est à la demande du salarié et dans le cas où le salarié y renonce expressément.

Il vient d’être jugé qu’une renonciation a priori et générale dans un contrat de travail n’était cependant pas valable (Cass. Soc. 5 mai 2021, n°20-14.390 FS-P), de telle sorte qu’il convient soit de se reporter à un accord collectif, soit de conclure un accord de renonciation au cas par cas des congés demandés.

3°) Cas de la fermeture de l’entreprise pendant les congés

L’entreprise a la possibilité de fermer son établissement pendant les congés après consultation du Comité Social et Economique sans que cette fermeture ne puisse être assimilée à un lock-out formellement proscrit par la loi.
La fermeture de l’entreprise à raison des congés peut intervenir pendant 30 jours au plus.

4°) Indemnités de congés payés

Pendant ses congés payés, le salarié est rémunéré et cette indemnité est calculée sur la base la plus favorable des deux suivantes :

  • Le 10ème de la rémunération totale perçue par le salarié entre le 1er juin de l’année précédente et le 31 mai de l’année en cours,
  • La rémunération qui aurait été perçue pendant le congé, si le salarié avait travaillé pendant cette période (règle dite du maintien du salaire).

Il peut être retenu conformément aux dispositions de l’article L.3141-24 du Code du Travail le mode de calcul le plus avantageux pour le salarié.

5°) Certains évènements peuvent avoir un impact sur les congés payés

En premier lieu, les évènements familiaux qui interviennent pendant les congés payés qui sont pris (naissance, adoption, mariage etc…) ne donnent lieu ni à indemnisation supplémentaire, ni à prolongation du congé selon la jurisprudence de la Cour de Cassation.

Dans l’hypothèse de congé maternité, d’adoption, et parental, les salariés génèrent pendant ces périodes des jours de congés payés, les salariés en congé parental devant pouvoir notamment bénéficier de leurs droits à congés payés acquis durant l’année précédant la naissance de leur enfant, ce que la jurisprudence européenne impose (CJUE 22 avril 2010, affaire C-486/08).

Il sera précisé que si un salarié prend des congés payés à la suite d’un congé de maternité, la protection contre le licenciement de 4 semaines dont il bénéficie est suspendue pendant les congés et ne commence à courir qu’à son retour (Cass. Soc. 30 avril 2014, n°13-12.321).

En cas de maladie ou d’accident pendant les congés payés, sauf accord collectif distinct, le salarié ne peut pas prolonger ses congés payés de la durée de sa maladie ou obtenir ultérieurement un congé même non rémunéré.
Il est à noter sur ce plan que la position française n’est pas celle de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui considère quant à elle que le salarié qui tombe malade pendant ses congés payés doit pouvoir en bénéficier à une date ultérieure, ce qui n’a pas été encore accepté par la Cour de Cassation (CJUE 21 juin 2012, affaire C78/11).

Autres congés spéciaux :

Il est à noter qu’il existe d’autres types de congés qui obéissent à des règles distinctes : congé sans solde, congé pour création d’entreprise, congé sabbatique, congé pour évènements familiaux, congé de proche aidant etc… qui obéissent à des règles légales et conventionnelles distinctes.

* * *

Il reste que le meilleur garant de l’acceptabilité pour chacune des parties au contrat de travail de la prise des congés payés annuels réside dans la lisibilité objective de la démarche du chef d’entreprise au titre de la bonne marche de cette dernière, et pour le salarié dans la prise en compte au-delà de son intérêt personnel de l’intérêt du collectif auquel il appartient.

Doit-on prendre en compte les indemnités du chômage partiel dans le calcul de l’intéressement et de la participation ?

Site web

Maître VACCARO

Avocat spécialisé en droit du travail

Pourquoi la question se pose ?

Nous avons traversé une période depuis mars 2020 qui a vu un nombre considérable de recours au chômage partiel du fait de la crise sanitaire.

De nombreuses entreprises calculent l’intéressement et la participation sur la base des comptes clos au 31 décembre 2020.

Une ambiguïté naît de la rédaction du Code du Travail.

En effet, au titre des dispositions de l’article R 5122-11 du Code du Travail, la répartition de l’intéressement et de la participation doit tenir compte des rémunérations du chômage partiel et une lecture un peu rapide pourrait permettre de retenir que cela vaut aussi pour l’assiette de calcul.

Or, l’assiette de calcul répond aux dispositions de la définition de la rémunération figurant à l’article L.242-1 du Code de la Sécurité Sociale.

Dès lors sont exclus, à défaut d’une quelconque jurisprudence contraire au surplus, les revenus de remplacement au titre de l’assiette de calcul au rang desquels on compte les revenus issus du chômage partiel (néanmoins la part des indemnités d’activité partielle assujetties aux cotisations sociales pour la part supérieure à 3,15 SMIC entre donc a contrario dans l’assiette de calcul puisque soumise à cotisations).

On doit donc exclure de l’assiette de calcul de l’intéressement et de la participation les sommes correspondant à l’indemnisation du chômage partiel, mais en revanche on doit les prendre en compte au titre de la répartition lorsqu’une condition de répartition figurant dans le ou les accords.

Quelles sont les conséquences d’une erreur ?

La conséquence de l’erreur qui consisterait à intégrer en l’assiette de calcul de la participation et de l’intéressement des revenus de remplacement issus du chômage partiel aboutirait à remettre en cause l’exonération des sommes ainsi allouées, leur taxation, voire engagerait des pénalités, voire même dans des hypothèses extrêmes la caractérisation d’une dissimulation de revenus assujettis à charges sociales…

Que dit le Ministère du Travail ?

Le Ministère du Travail a été interrogé par le Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts Comptables.

La saisine était un peu risquée car à double tranchant.

Le Ministère du Travail a répondu en date du 24 mars 2021 : « Nous vous confirmons que les indemnités d’activité partielle qui ne sont pas assujetties aux cotisations sociales et considérées comme des revenus de remplacement ne doivent pas être prises en compte pour le calcul de la limite de l’intéressement et de la participation ».

La solution est sévère pour les salariés et aboutira probablement dans nombre de cas à supprimer intéressement et la participation au titre de l’exercice 2020, et peut-être même 2021.

Les Experts Comptables et avocats, conseils de l’entreprise, engagent leur responsabilité sans aucun doute s’il n’y a pas eu de vérification de ce point ou un conseil éclairé.

Cour EDH, 12 janv. 2017, req. n° 74734/14, Saumier c./ France : Risques professionnels et conventionnalité de la réparation forfaitaire

Résumé.

L’arrêt rendu le 12 janvier 2017 par la Cour européenne des droits de l’Homme a trait à l’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles. À l’unanimité, la Cour dit que le régime juridique (français) dédié, qui est exclusif d’une réparation intégrale, peu important la faute inexcusable commise par l’employeur, n’est pas constitutif d’une violation de la Convention européenne des droits de l’Homme et de sauvegarde des libertés fondamentales. L’exception de non-conventionnalité des articles L. 451-1, L. 452-1 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale est inopérante. Il n’y a donc pas discrimination.

Commentaire.

Alors qu’elle travaille pour un laboratoire, une salariée est exposée à du bioxyde de manganèse. Le contact avec l’agent chimique s’avère être des plus dommageables. L’intéressée contracte la maladie de Parkinson et doit cesser toute activité professionnelle. Son handicap est tel que l’assistance d’une tierce personne permanente s’impose.

Saisi, un tribunal des affaires de sécurité sociale reconnaît le caractère professionnel de la maladie. Dans la foulée, les organismes de sécurité sociale considèrent que la victime est définitivement inapte au travail. Saisie de nouvelles demandes, la juridiction sociale reconnaît la faute inexcusable de l’employeur et condamne ce dernier, dans le droit fil des jurisprudences respectives du Conseil constitutionnel (1) et de la Cour de cassation (2), à indemniser la victime de tous ses chefs de préjudices corporels tant patrimoniaux qu’extra-patrimoniaux. Et le juge de dire à la caisse, qui résistait du reste à la demande de l’assuré social, d’en faire l’avance.

Quatre ans de procédure auront été nécessaires en l’espèce pour que le droit soit dit et la salariée-victime remplie de ses droits. Le combat judiciaire est pourtant continué des années durant. Tour à tour ont été saisies une cour d’appel (CA Paris, 4 avr. 2013), la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 28 mai 2014, n° 13-18509, D) et la Cour européenne des droits de l’Homme dans le cas particulier. C’est que la demanderesse, qui certes a été indemnisée, n’a pas été complètement replacée dans la situation qui aurait été la sienne si l’acte dommageable ne s’était pas produit, à tout le moins ne l’a-t-elle pas été au vu des règles qui président d’ordinaire à la compensation du dommage corporel. Privée en l’occurrence de l’espérance légitime d’une créance de réparation intégrale, la salariée dénonce la double peine dont elle est le siège. Non seulement elle subit les conséquences préjudiciables de la faute inexcusable commise par l’employeur, mais elle considère de surcroît, à raison du caractère forfaitaire de la réparation allouée, qu’elle est discriminée au sens de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme combiné avec l’article 1er du Protocole n° 1.

Les règles en conflit. En droit civil de la responsabilité, l’étendue de la réparation est gouvernée par un principe d’équivalence entre la réparation et le dommage. En droit des risques professionnels, la règle est différente. En principe, la victime n’est pas fondée à obtenir la réparation intégrale des chefs de dommages subis (3). Au mieux, elle peut espérer (tous chefs de préjudices confondus) une majoration des dommages et intérêts compensatoires, peu important la forme qu’ils prennent. C’est dire qu’il est organisé en droit positif français, en toute connaissance de cause, des disparités de traitement entre les victimes atteintes dans leur intégrité physique en général et les salariés victimes de dommages corporels en particulier.

La constitutionnalité des règles. La question a été posée de savoir si les articles L. 451-1, L. 452-1 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale ne portaient pas atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit (4). Le Conseil constitutionnel a répondu par la négative (v. supra). Mais ce dernier d’assortir le brevet de constitutionnalité d’une franche réserve d’interprétation, à savoir qu’« en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, les dispositions de [l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale] ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale » (cons. 18).

La doctrine de la Cour de cassation et les règles. La notion de « dommages non couverts par le livre IV » donna matière à hésitations. Fallait-il comprendre « dommages non couverts intégralement » ou bien « dommages non couverts tout court » tout court par l’une quelconque des dispositions du livre IV du Code de la sécurité sociale ? La Cour de cassation choisissait cette dernière interprétation (v. supra). Ce faisant, elle empêchait les salariés-victimes de demander une indemnisation complémentaire des chefs de préjudices forfaitairement indemnisés sur le fondement des articles L. 451-1 et suivants du Code de la sécurité sociale. Et la Cour de cassation de considérer, dans la droite ligne de sa jurisprudence, que les règles applicables à la cause n’engendrent ni une atteinte aux biens, ni une discrimination prohibée par les articles 14 de la Convention et 1er du Protocole additionnel n° 1 à ladite convention du seul fait que la victime ne peut obtenir une réparation intégrale de son préjudice (5).

Le brevet de constitutionnalité des dispositions critiquées n’étant toutefois pas des plus fermes (6), il y avait après tout matière à interroger le juge de Strasbourg quant à la conventionnalité du régime d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles. C’est chose faite à présent. À l’analyse, la réponse apportée convainc peu.

La conventionnalité des règles. La Cour européenne des droits de l’Homme rappelle que, pour qu’un problème se pose au regard de l’article 14 de la Convention (combiné avec l’article 1 du Protocole n° 1), il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables (§ 51 et 66). Ceci fait, le juge européen suit le Gouvernement lorsqu’il soutient que les victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles sont dans une situation différente de celle des autres victimes. Sur cette pente, il est considéré, dans la mesure où le salarié est dans un lien de subordination juridique avec l’employeur, que la survenance d’accidents et de maladies dans le cadre de l’exécution du travail constitue un risque particulier (§ 33, 60 et s.). Soit. L’ennuyant c’est qu’il n’a jamais été discuté du fait qu’en raison de sa qualité particulière de travailleur dépendant, la victime était soumise à des règles spéciales.

Valeur de la conventionnalité des règles. Pour le dire autrement, la requérante ne conteste pas, à tout le moins pas à proprement parler, l’existence d’un régime spécial d’indemnisation sans faute des accidents du travail et des maladies professionnelles. Elle défend seulement qu’elle ne saurait être valablement privée de la réparation intégrale de chacun de ses chefs de préjudices alors qu’elle est victime d’un fait dommageable inexcusable.

Ceci pour dire que la conventionnalité des dispositions critiquées, tirée de la nature contractuelle des relations entretenues avec l’employeur, ne saurait emporter la conviction par faute d’être spécieuse. À raison précisément du contrat de travail, l’intensité juridique de l’obligation de sécurité de l’employeur est des plus vigoureuses. Le Code du travail est en ce sens. Son article L. 4121-1, al. 1er oblige l’employeur à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs. Qu’un manque de diligence (i.e. une faute simple) soit reproché est une chose, qu’une faute inexcusable soit reconnue en est une autre. Du reste, contrairement à ce qui est soutenu par le Gouvernement et affirmé par la Cour EDH, le régime d’indemnisation d’une faute dommageable inexcusable n’est certainement pas enviable. On rappellera que la charge probatoire de la victime n’est pas réduite à la portion congrue. Il y a manifestement une erreur d’appréciation qui a été commise. La reconnaissance d’une faute inexcusable n’ayant en principe rien de systématique (v. toutefois C. trav., art. L. 4131-4), il est erroné de soutenir en l’espèce, et cela à plusieurs reprises, que « les dispositions [critiquées] garantissent l’automaticité, la rapidité et la sécurité de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles » (v. par ex. § 16).

Portée de la conventionnalité des règles. Les juges français et européens sont manifestement confrontés à la limite de leur saisine. Au fond, c’est de la grave question des séparations du pouvoir dont il est question. Ce n’est pas à dire que des efforts n’ont pas été faits par le juge pour majorer le quantum des indemnités (7). Ce n’est pas à dire non plus que des demandes itératives n’ont pasété faites tous azimuts par la doctrine dans le dessein d’assurer la réparation intégrale des victimes du travail en cas de faute inexcusable de l’employeur (8). Rien n’y fait pourtant : le Parlement français refuse en conscience de légiférer sur la question et d’étendre le domaine d’application du principe de la réparation intégrale. Et aussi puissant qu’il puisse être, le juge n’a certainement pas le pouvoir de heurter frontalement la volonté de la Représentation nationale ni de s’y substituer.

Puisse alors la proposition présentée par le député Warsmann sur le sujet, qui a été enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2016 (n° 4098), se révéler plus fructueuse que les quelques autres faites par le passé… « Tout a [peut-être] été dit, mais comme personne n’écoute, il faut toujours répéter » (A. Gide)…


1.- Cons. const., 18 juin 2010, n° 2010-8 QPC, cons. 18.

2.- Cass. 2e civ., 4 avr. 2012, nos 11-15393, 11-18014, 11-12299 et 11-14311 : D. 2012, p. 1098, note Porchy-Simon S., et D. 2013, p. 40, obs. Brun P. ; Dr. soc. 2012, p. 839, note Hocquet-Berg S. ; RTD civ. 2012, p. 539, obs. Jourdain P. – V. pour un rappel exprès et didactique : Cass. 2e civ., 19 sept. 2013, n° 12-18074.

3.- V. toutefois l’article L. 452-5 ; voir bien plutôt l’article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 déc. 2000 de financement de la Sécurité sociale pour 2001 qui alloue une réparation intégrale aux victimes de l’amiante.

4.- À savoir, entre autres moyens, au principe d’égalité devant la loi et les charges publiques énoncé aux articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, ainsi qu’au principe de responsabilité, qui découle de son article 4.

4.- Cass. 2e civ., 11 juill. 2013, n° 12-15402 : Bull. civ. II, n° 158 – Cass. 2e civ., 28 mai 2014, n° 13-18509, D – Cass. 2e civ., 21 janv. 2016, n° 15-10536, D.

6.- V. égal. en ce sens : Porchy-Simon S., « L’indemnisation des préjudices des victimes de faute inexcusable à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 : réelle avancée ou espoir déçu ? », D. 2011, p. 459.

7.- V. not en ce sens notre article, « Du droit des risques professionnels, panorama », RLDC 2014/3, p. 19 et s. – Contra Cass. ch. mixte, 9 janv. 2015, n° 13-12310 : Lexbase janv. 2015, note Bourdoiseau J. (perte de droits à la retraite, rente et revirement) – Cass. soc., 06 oct. 2015, n° 13-26052 : Lexbase oct. 2015 (perte de salaire, rente et revirement – suite et fin), note Bourdoiseau J.

8.- V. notre article, op. cit. ; v. égal. Coulon C., « Indemnisation des victimes d’une faute inexcusable de l’employeur : le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation enfin entendus ? », Resp. civ. et assur. 2017, veille n° 2.

(Article publié in Gazette du palais mars 2017)

Civ. 2, 26 mars 2015, n°14-15.088 : Contrat d’assurance collectif obligatoire et fausse déclaration du risque

Contexte. Conformément à l’article 7 de la Convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 (in Avantages en matière de prévoyance), un gérant salarié souscrit plusieurs contrats de prévoyance à adhésion obligatoire. Les risques d’incapacité, d’invalidité, de décès et d’invalidité absolue et définitive du personnel cadre sont ainsi couverts. Ceux encourus par le gérant salarié, qui adhère à titre personnel, le sont par la même occasion. Ils le seront mieux encore quelques mois plus tard. Par avenant, les parties décident d’étendre les garanties convenues au plafond de la tranche C de la Sécurité sociale.

L’assuré, qui a été bien inspiré de relever le niveau de sa protection sociale, est victime de trois accidents du travail. La Caisse primaire d’assurance maladie lui attribue un taux d’incapacité permanente de 100 %. L’institution de prévoyance sert les indemnités journalières et la rente d’incapacité stipulées au contrat d’assurance de groupe, puis interrompt les versements, refuse le paiement du capital décès anticipé et celui de la rente d’éducation des enfants, fausse déclaration intentionnelle du risque oblige. C’est que des réponses apportées par l’intéressé au questionnaire de santé (adressé avant que les garanties ne soient conventionnellement étendues) se sont avérées mensongères. Le gérant salarié assigne Humanis prévoyance en exécution des garanties souscrites.

Saisi, le tribunal de grande instance de Paris déboute le demandeur. Sur appel de ce dernier, la cour d’appel de Paris confirme le jugement déféré. L’intéressé forme un pourvoi en cassation.

Au visa des articles 1 et 2 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques et de l’article L. 932-7 du Code de la sécurité sociale, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt : « La fausse déclaration intentionnelle du participant à un contrat collectif de prévoyance à adhésion obligatoire proposé par une institution de prévoyance » est sans incidence sur le paiement de l’obligation. Exit l’exception de nullité. Humanis prévoyance doit compenser les suites de l’incapacité soufferte.

Textes. L’article 2, alinéa 1er, de la loi Évin contraint l’organisme qui délivre sa garantie à prendre en charge les suites des états pathologiques du salarié garanti collectivement contre les risques d’incapacité de travail ou d’invalidité, qui sont survenus la souscription du contrat ou de la convention ou de l’adhésion. L’organisme n’est donc pas autorisé à sélectionner les risques. Soit il assure l’ensemble du groupe concerné, sans pouvoir individualiser la tarification. Soit il refuse de contracter, sans pouvoir individualiser sa dénégation (H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre, M. Asselin, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 2049 ; v. typiquement, Cass. 1re civ., 7 juill. 1998, n° 96-13843). C’est en définitive une politique juridique du tout ou rien.

La loi réserve néanmoins le cas de la fausse déclaration : fraus omnia corrumpit… ou pas. Il s’avère que l’article L. 932-7 du Code de la sécurité sociale, qui sanctionne la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle du participant par la nullité de la garantie (al. 1er), renferme une règle des plus exorbitantes du droit des assurances lato sensu (al. 4). Règle qui, au passage, a fait florès à la faveur de l’article 51 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (C. assur., art. L. 145-4  ; C. mut., art. L. 221-14). La voici : « Lorsque l’adhésion à l’institution résulte d’une obligation prévue par une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel, les dispositions [i.e. de l’alinéa 1er qui sont propres à la nullité encourue] ne s’appliquent pas ».

Analyse. De prime abord, l’arrêt de cassation fait une exacte application de l’article L. 932-7, alinéa 4, du Code de la sécurité sociale. Le gérant salarié a contracté sur ordre de la convention collective nationale. Sa fausse déclaration intentionnelle, qui a consisté à cacher à l’institution de prévoyance une maladie osseuse à l’occasion de sa demande d’extension des garanties, est donc sans incidence.

À la réflexion, la Cour de cassation donne à l’alinéa 4 une portée qu’il ne saurait avoir : exceptio est strictissimae interpretationis. Certes, la Convention AGIRC fait obligation au gérant salarié de souscrire un contrat de prévoyance à adhésion obligatoire, mais la sujétion est strictement définie. L’article 7 de ladite convention stipule en ce sens que « les employeurs s’engagent a? verser, pour tout bénéficiaire (…) une cotisation a? leur charge exclusive, égale a? 1,50 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond fixe? pour les cotisations de Sécurité? sociale ». Nulle part il n’est question d’obliger le gérant salarié à étendre les garanties comme il l’a fait en l’espèce. L’exception de l’article L. 932-7, alinéa 4, du Code de la sécurité sociale n’avait donc pas vocation à jouer.

Aux termes de l’alinéa 1er, la fausse déclaration intentionnelle aurait dû être sanctionnée par la nullité de la garantie pour peu, à tout le moins, que les conditions de la loi aient été réunies (CSS, art. L. 932-7, al. 1er). Le prononcé d’une nullité partielle – à savoir l’annulation du seul avenant sur le fondement duquel les garanties ont été grossies – aurait permis de sanctionner utilement le gérant salarié, dans la mesure où les cotisations payées seraient demeurées acquises à l’institution de prévoyance, tout en lui laissant le bénéfice du contrat d’assurance de groupe. Pareille solution aurait eu un autre mérite, celui en l’occurrence d’uniformiser le régime des nullités pour fausse déclaration intentionnelle. Le 2 décembre 2014, la chambre criminelle de la Cour de cassation considérait, au visa des articles 1134 du Code civil et L. 113-8 du Code des assurances (entre autres), que « la nullité du contrat d’assurance n’a pris effet qu’à la date de la fausse déclaration intentionnelle qu’elle sanctionne » (Cass. crim., 2 déc. 2014, n° 14-80933, FS–PB : RGDA 2015, p. 99, note L. Mayaux).

N’aurait-il pas été plus judicieux de frapper l’avenant de nullité en laissant subsister la position contractuelle princeps, que de donner à une disposition exorbitante du droit commun une portée que l’économie du dispositif n’imposait pas ?

(Article publié in Gazette du palais juill. 2015)

Soc., 06 oct. 2015, n° 13-26.052 : Perte de salaire, rente et revirement (suite et fin)

Les conseils de prud’hommes ont été autorisés, moins d’une dizaine d’années durant, à se prononcer sur les demandes d’indemnisation de pertes d’emploi et de droits à la retraite dans un contexte de faute inexcusable de l’employeur ayant concouru à la survenance d’un risque professionnel. La Chambre sociale vient d’y mettre un terme. La présente décision s’inscrit dans la droite ligne d’un arrêt rendu en Chambre mixte le 09 janvier 2015

L’enseignement de l’arrêt ne souffre pas la discussion : Au nombre des conséquences de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, il a été jugé qu’on pouvait compter la perte d’emploi et la perte des droits à la retraite causées par la faute inexcusable de l’employeur.

1.- Le marquage doctrinal de l’arrêt commenté invite le lecteur à prêter une attention particulière à la décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Pour cause : c’est de revirement de jurisprudence dont il est question. Un temps, la juridiction prud’homale a été autorisée à indemniser la perte d’emploi et/ou la perte des droits à la retraite consécutives à un licenciement pour inaptitude dans un contexte d’accident du travail et de maladie professionnelle. Ce temps est manifestement révolu.

2.- En l’espèce, un salarié est déclaré inapte par la médecine du travail aux fonctions auxquelles il est employé dans l’entreprise. Et, en raison d’une impossibilité de reclassement, son licenciement est notifié par son employeur. Dans la foulée, les juridictions sociales sont saisies. Le tribunal des affaires de la sécurité sociale imputant la maladie professionnelle à la faute inexcusable de l’employeur, la victime demande à la juridiction du travail la réparation des préjudices liés à la perte d’emploi et à la perte de ses droits à la retraite. Saisie, la Cour d’appel de Paris n’y fait pas droit. Elle est confortée dans sa décision par la Cour de cassation en des termes des plus explicites : « Mais attendu que la demande d’indemnisation de la perte, même consécutive à un licenciement du salarié pour inaptitude, tant de l’emploi que des droits à la retraite correspondant en réalité à une demande de réparation des conséquences de l’accident du travail, la cour d’appel, qui n’avait pas à répondre à des conclusions inopérantes, a légalement justifié sa décision ».

3.- L’arrêt est remarquable à plus d’un titre. D’une part, la Chambre sociale de la Cour de cassation s’inscrit dans le sillon d’une jurisprudence fixée en chambre mixte en janvier dernier relativement à l’indemnisation de la perte des droits à la retraite (Cass. ch. mixte, 09 janv. 2015, n° 13-12.310. Lxb note J. Bourdoiseau). D’autre part, mais fort logiquement, la Cour étend le domaine de cette jurisprudence à l’indemnisation de la perte d’emploi.

Il était difficilement concevable qu’il en aille autrement, à tout le moins en droit, car, en équité, le dispositif avait le mérite d’assurer aux travailleurs victimes une réparation moins frustre que d’ordinaire. Il reste qu’il importait au juge de cassation de tirer tous les enseignements de la décision rendue en droit des risques professionnels par le juge constitutionnel (Constitution 4 oct. 1958, art. 68, al. 3). Pour mémoire, interrogé par voie d’exception sur la conformité de l’article L. 451-1 du Code de la sécurité sociale aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel considère « que le plafonnement de l’indemnité destinée à compenser la perte de salaire résultant de l’incapacité n’institue pas une restriction disproportionnée aux droits des victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle » (Cons. const. 18 juin 2010, décision n° 2010-8 QPC, cons. 17). Et la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation de dire pour sa part que « les dispositions des articles L. 451-1, L. 452-1 et L. 452-3 C. sécu. soc., qui interdisent à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l’employeur, d’exercer contre celui-ci une action en réparation conformément au droit commun et prévoient une réparation spécifique des préjudices causés, n’engendrent pas une discrimination prohibée par l’article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 1er du Protocole additionnel n° 1, à la Convention, du seul fait que la victime ne peut obtenir une réparation intégrale de son préjudice » (Cass. 2ème civ., 11 juill. 2013, n° 12-15.402).

Il importait donc à la Chambre sociale de résister dorénavant à la tentation à laquelle elle avait pu par faveur succomber dans un passé récent.

4.- Désireux d’améliorer le sort réservé par le droit de la sécurité sociale aux victimes d’un risque professionnel, le juge social prit en effet sur lui d’inventer, il y a moins d’une dizaine d’années, quelques chefs de préjudice consécutifs au licenciement, distincts par voie de conséquence de ceux susceptibles de donner lieu à une réparation spécifique sur le fondement du livre 4 du Code de la sécurité sociale. Majorant le quantum de l’indemnisation, le juge fit ainsi échapper le travailleur victime à la compensation strictement forfaitaire des préjudices subis. Le dispositif était assez ingénieux. Pendant que le tribunal des affaires de la sécurité sociale était invité à se prononcer sur l’indemnisation de la perte des gains professionnels et l’incidence professionnelle consécutifs à l’accident du travail ou à la maladie professionnelle, le conseil de prud’hommes était autorisé à compenser des chefs de préjudices singuliers jugés alors (en opportunité) irréductibles à ces deux derniers postes. En ce sens, la Chambre sociale de la Cour de cassation décidait dans le courant de l’année 2006 : « lorsqu’un salarié a été licencié en raison d’une inaptitude consécutive à une maladie professionnelle, qui a été jugée imputable à une faute inexcusable de l’employeur, il a droit à une indemnité réparant la perte de son emploi due à cette faute de l’employeur ». Et d’ajouter « que les juges du fond apprécient souverainement les éléments à prendre en compte pour fixer le montant de cette indemnisation à laquelle ne fait pas obstacle la réparation spécifique afférente à la maladie professionnelle ayant pour origine la faute inexcusable de l’employeur » (Cass. soc., 17 mai 2006, n° 04-47.455. V. égal. en ce sens, Cass. soc., 26 janv. 2011, n° 09-41.342, inédit – 23 sept. 2014, n° 13-17.212). Dans la foulée, elle estimait que le salarié avait le droit de demander à la juridiction prud’homale une indemnité réparant la perte des droits à la retraite (Cass. soc., 26 oct. 2011, n° 10-20.991), et ce toutes les fois que le licenciement était prononcé en raison d’une inaptitude consécutive à un accident du travail jugé imputable à une faute inexcusable de l’employeur.

5.- En procédant de la sorte, la Chambre sociale s’opposait manifestement à la doctrine de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation. En effet, cette dernière considérait pour sa part que « la perte de droits à la retraite est couverte par la rente majorée », laquelle répare « notamment les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle résultant de l’incapacité permanente partielle subsistant au jour de la consolidation » (Cass. 2ème civ., 11 juin 2009, n° 07-21.768 (1) – 28 févr. 2013, n° 11-21.015). La Chambre mixte ayant décidé qu’il serait mis un terme à l’indemnisation spéciale par le CPH de la perte des droits à la retraite, il ne restait plus qu’à stopper la compensation spéciale de la perte de l’emploi. C’est chose faite dans cet arrêt. La parenthèse (indemnitaire) est refermée. La sentence est certainement conforme à la loi : dura lex sed lex (2)…

6.- Une cassation partielle est néanmoins prononcée en l’espèce par faute pour la Cour d’appel de Paris d’avoir commis une erreur dans le calcul de l’indemnité de licenciement et dans celui des congés payés. Au visa des articles L. 1226-7 et R. 4624-22 du Code du travail, la Cour de cassation rappelle qu’en l’absence de visite de reprise le contrat de travail du salarié, en arrêt de travail pour maladie professionnelle, reste suspendu en conséquence de cette maladie, nonobstant la reconnaissance de son invalidité par la caisse primaire d’assurance maladie. Au visa de l’article L. 3141-5 du Code du travail, la Cour redit que les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause de maladie professionnelle sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, dans la limite d’un an. En l’espèce, au vu de la suspension du contrat de travail, ininterrompue pendant une durée supérieure à un an, les juges du fond refusent au demandeur le bénéfice des dispositions de l’article L. 3141-5 du Code du travail. La Cour de cassation rappelle qu’il importe de distinguer la détermination de la durée du congé de l’ouverture du droit à congés payés (v. déjà en ce sens, Cass. soc. 11 mai 2015, Bull civ V, n° 163 – 31 janv. 2006, 7 mars 2007. Contra Cass. soc., 4 déc. 2001, Dr. soc. 2002, p. 356, note J. Savatier.

7.- À noter pour finir que faute pour le demandeur au pourvoi d’avoir produit aucun élément précis démontrant la progression salariale de collègues auxquels il pouvait utilement se comparer, la Cour de cassation considère que la cour d’appel a pu légalement considérer que les éléments de nature à laisser présumer l’existence d’une discrimination n’était pas réunis.


1.- « Vu les articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985 et les articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, ensemble le principe de la réparation intégrale ; « Attendu qu’il résulte du dernier de ces textes que la rente versée à la victime d’un accident du travail indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité et, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent ; qu’en l’absence de perte de gains professionnels ou d’incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent (…). »

2.- Ce à quoi on répondrait volontiers avec Cicéron : summum jus, summa injuria (comble de droit, comble de l’injustice). Pour mémoire, l’accidenté du travail est prié de se contenter d’une réparation forfaitaire pendant que, possiblement oisifs, l’accidenté médical ou l’accidenté de la circulation sont fondés à demander une réparation dite intégrale des chefs de préjudices subis.

(Article publié in Lexbase, oct. 2015)

Soc., 11 févr. 2015, n° 14-13.538 : clause de désignation, contrat en cours et modulation de la jurisprudence constitutionnelle dans le temps

L’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation apporte une nouvelle pierre au droit de la protection sociale complémentaire et au droit des clauses de désignation en particulier. La lecture du dispositif donne à penser que « rien n’est (décidément) plus proche du vrai que le faux » (A. Einstein).

En l’espèce, la société Pain d’or contracte auprès d’un organisme d’assurance complémentaire une couverture garantissant à ses salariés le remboursement des frais de soins de santé. Partant, elle refuse de s’affilier au régime géré par AG2R prévoyance.

Cette dernière soutient que l’adhésion au régime est obligatoire. Pour cause, au terme d’une convention collective nationale, AG2R prévoyance est désignée pour gérer le régime de remboursement complémentaire obligatoire des frais de santé des salariés entrant dans le champ d’application. Et la convention d’imposer à toutes les entreprises concernées de souscrire les garanties à compter du 1er janvier 2007. Partant, AG2R prévoyance entend obtenir en justice la régularisation de l’adhésion et le paiement d’un rappel de cotisations.

Saisie, la Cour d’appel de Chambéry rejettent les demandes de l’assureur et réforme le jugement. AG2R se pourvoit en cassation.

La décision de la cour régulatrice est rendue sur fond de tension dialectique à l’origine de laquelle le Conseil constitutionnel a partie liée. Il importe de dire quelques mots de l’une de ses décisions avant d’aller plus loin dans l’analyse.

À l’occasion du contrôle de constitutionnalité de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, le Conseil décide que l’article L. 912-1 C. sécu. soc. n’est pas conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit (décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013). Le considérant n° 11 est explicite. La disposition critiquée méconnaît la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre au sens de l’article 4 de la Déclaration des droits de 1789. Aucune entreprise appartenant à une même branche professionnelle ne saurait donc se voir imposer le choix de l’organisme de prévoyance chargé d’assurer une protection complémentaire ni un contrat au contenu totalement prédéfini. Le Conseil aurait pu en rester là. Rétrospectivement, la sécurité juridique s’en serait trouvée moins malmenée. Il est décidé que la déclaration d’inconstitutionnalité « n’est toutefois pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de cette publication (i.e. 16 juin 2013), et liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant tu titre III du code de la sécurité sociale et au mutuelles relevant du code de la mutualité » (cons. 14. V. égal. en ce sens Cons. const. décision n° 2013-349 QPC du 18 oct. 2013).

La Cour d’appel de Chambéry (07 janvier 2014, n° 12/02382) constate que l’appelante n’est pas liée avec Ag2r prévoyance. Faute de contrat en cours, les juges du fond considèrent qu’il n’y a pas lieu de faire survivre la loi ancienne, en l’occurrence l’article L. 912-1 C. sécu. soc. qui a été maintenu un temps dans l’arsenal législatif pour ne pas trahir les attentes légitimes des parties. L’entreprise n’était donc pas tenue de s’affilier au régime géré par AG2R prévoyance ni n’était débitrice des cotisations afférentes.

La Chambre sociale de la Cour de cassation ne partage pas l’analyse et casse l’arrêt pour violation de la loi. Les contrat en cours sont en vérité « les actes à caractère de conventions ou d’accords collectifs ayant procédé à la désignation d’organismes assureurs pour les besoins du fonctionnement des dispositifs de mutualisation que les partenaires sociaux ont entendu mettre en place, voire les actes contractuels signés par eux avec les organismes assureurs en vue de lier ces derniers et de préciser les stipulations du texte conventionnel de branche et ses modalités de mise en œuvre effective ».

Revenons, en premier lieu, sur ce que dit la Cour de cassation. Chose faite, nous nous attarderons, en second lieu, sur ce que la Cour régulatrice ne dit pas.

1.- Le dit

La Cour de cassation affirme que les contrats que le Conseil constitutionnel a nécessairement eu à l’esprit en modulant dans le temps les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article L. 912-1 C. sécu. soc. sont les accords de branches, ceux-là même qui accordent les garanties collectives de prévoyance et contiennent la clause de désignation. En l’espèce, la convention collective nationale étant en cours, il importait alors à l’entreprise de s’affilier au régime dont la gestion avait été confiée par les partenaires sociaux à AG2R prévoyance. Aussi, la déclaration d’inconstitutionnalité est-elle dénuée de tout effet et ce tant que l’accord est censé durer. C’est dire que les clauses de désignation ont encore de beaux jours devant elles. Il ne suffit que d’imaginer que la convention ou l’accord collectif soit tacitement reconduit…Pour le dire autrement, c’est la survivance du droit tel qu’il était avant la décision du Conseil constitutionnel qui est consacrée. C’est le sens du visa de l’article L. 912-1 C. sécu. soc. et de l’avenant n° 83 à la convention collective nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1976 est en ce sens.

Qu’on partage ou non l’interprétation que la Cour de cassation a donnée du considérant 14, il reste qu’elle est conforme à celle que son homologue a retenue en septembre 2013. De ce strict point de vue, il faut se féliciter que les opérateurs n’aient pas à subir les affres du dualisme juridictionnel. Au terme de toute une série d’arguments, la haute juridiction administrative considère pour sa part que « l’interprétation qui ne prêterait pour objet au considérant 14 que de réserver l’application des seuls actes contractuels conclu entre les entreprises et le ou le(s) organismes assureur(s) ne donnerait donc qu’une faible portée utile à cette énonciation de la décision du Conseil constitutionnel relative à son application dans le temps » (CE, Avis 26 sept. 2013, n° 387895, n° 18).

Il sera fait remarquer qu’il est plutôt audacieux de retenir une interprétation qui laisse perdurer une atteinte frontale aux droits et libertés que la Constitution garantit, atteinte qui décidait précisément le Conseil constitutionnel à neutraliser l’article L. 912-1 C. sécu. soc. (v. égal. en ce sens V. Roulet, note sous CA Paris, pôle 6, ch. 2, 16 oct. 2014, n° 12/17007, Les cahiers sociaux, n° 269, déc. 2014). Pour mémoire, l’ANI du 11 janvier 2013 disposait « les partenaires sociaux de la branche laisseront aux entreprises la liberté de retenir le ou les assureurs de leur choix » (art. 1er in Généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé). Ceci pour dire que les cours régulatrices auraient valablement pu limiter le jeu résiduel des clauses de désignation. Concrètement, cela aurait consisté à laisser libres de contracter avec l’assureur collectif de leur choix les entreprises non encore liées avec l’assureur désigné (contra J. Barthélémy, Institut de protection sociale européenne, Validité des clauses de désignation – L’apport décisif de la Cour de cassation, 16 févr. 2015). Politiquement, cela aurait néanmoins consisté à laisser du champ à la liberté du souscripteur du contrat collectif au détriment de la solidarité garantie par les partenaires sociaux. Ceci pour dire encore que l’arrêt aurait gagné en intelligibilité à être moins lapidaire. Le visa de l’article 62 de la Constitution du 4 octobre 1958, aux termes duquel « les décisions du Conseil constitutionnel (…) s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles », fussent-elles interprétées par les cours régulatrices (pourrait-on ajouter), pourrait ne pas suffire à convaincre la cour d’appel de renvoi…C’est que l’arrêt ne dit pas tout.

2.- Le non dit

La Cour de cassation prend soin d’indiquer que les contrats en cours sont ceux « ayant procédé à la désignation d’organismes assureurs pour les besoins du fonctionnement des dispositifs de mutualisation que les partenaires sociaux ont entendu mettre en place ». La solidarité, partant l’intérêt général, sourdent. Cette dernière considération n’a pourtant pas suffi au Conseil constitutionnel pour justifier les atteintes portées par les clauses de désignation aux libertés d’entreprendre et de contracter. Le commentaire autorisé du secrétariat général du Conseil l’atteste (pp. 15 et 16). La Cour de cassation décide pourtant de faire sienne la jurisprudence contra constitutionem de la Cour de justice de l’Union européenne. C’est un choix. Il lui appartenait alors de s’assurer que les conditions posées à la validité d’un pareil dispositif étaient réunies en l’espèce. Il s’agissait en l’occurrence de vérifier si AG2R prévoyance était ou non chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général au sens de l’article 106, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (CJUE, 3 mars 2011, aff. C-437/09, point 73). Or, en l’espèce, rien n’est dit sur le degré de solidarité élevé ou non du régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé géré par l’organisme (CJUE, op. cit, points 47 à 52).

Pour terminer, la Cour de cassation considère que « les contrats en cours sont aussi (…) (possiblement) les actes contractuels signés par les partenaires sociaux avec les organismes assureurs en vue de lier ces derniers et de préciser les stipulations du texte conventionnel de branche et ses modalités de mise en œuvre effective ». Le considérant est pour le moins elliptique.

Il semble que la Cour ait à l’esprit les actes juridiques qui constituent autant de conventions cadre aux conditions desquelles les bénéficiaires peuvent conclure : sortes de stipulations de contrat pour autrui qui ne disent pas leur nom. À la question de savoir qui sont les bénéficiaires, la Cour de cassation est taisante. L’intérêt d’assurance s’appréciant dans le chef du bénéficiaire de la prestation d’assurance (y compris en matière d’assurance de personnes) (1), on imagine que se sont les salariés pour le compte desquels « les actes contractuels » ont été signés par les partenaires sociaux. Ce sont pourtant les employeurs qui souscrivent les contrats d’assurance collective…

Puisse alors la cour de renvoi parvenir à démêler le vrai du faux.


1. V. en ce sens les développements tout à fait convaincants de M. Leduc in H. Groutel, F. Leduc, Ph. Pierre, M. Asselain, Traité du contrat d’assurance terrestre, préf. G. Durry, Litec, 2008, nos 113 et s. (l’identification du contrat d’assurance), spéc. N° 135.

(Article publié in Lexbase, mars 2015)