La prohibition des clauses léonines et l’opération de capital-investissement

Aux termes de l’article 1844-1, al. 2 du Code civil « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ».

Trois interdictions ressortent de cette disposition qui prohibe ce que l’on appelle les clauses léonines, soit les stipulations qui attribueraient à un associé « la part du lion ».

En vertu de cette disposition sont ainsi prohibées les clauses qui :

  • attribueraient à un seul associé la totalité des bénéfices réalisés par la société
  • excluraient totalement un associé du partage des bénéfices
  • mettraient à la charge d’un associé la totalité des pertes

La présence d’une clause léonine dans les statuts n’est pas une cause de nullité de la société. La stipulation est seulement réputée non-écrite, de sorte que le partage des bénéfices et des pertes devra s’opérer proportionnellement aux apports des associés.

==> Les opérations sur titre

Depuis le début des années 1980, la problématique des clauses léonines a surtout été alimentée par le contentieux relatif aux opérations sur titres, notamment les opérations dans lesquelles des promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher interviennent.

La question s’est, en effet, posée de savoir devant les tribunaux si ces opérations de cession de titres à prix plancher n’étaient pas de nature à exonérer un associé de tout ou partie de son obligation de contribuer aux pertes.

En cas de dépréciation des titres, le cédant est assuré, en levant l’option de la promesse d’achat dont il est bénéficiaire, de céder ses droits sociaux à un prix minimum. Aussi, est-il garanti contre toute perte de valeur des titres cédés.

Dès lors, ces opérations qui ont toutes en commun de reposer sur la technique de la promesse unilatérale d’achat de droits sociaux à prix garanti, ne tomberaient-elles pas sous le coup de la prohibition des clauses léonines ?

Des réponses différentes ont été apportées par la jurisprudence à cette problématique selon qu’il s’agit d’une cession massive de droits sociaux, une convention de portage ou encore une opération de capital-investissement

I) La description de l’opération

A) La définition de l’opération

Le capital-investissement est l’opération par laquelle un investisseur participe à l’augmentation de capital d’une société en contrepartie de la garantie, après l’écoulement d’un certain délai, que les titres qu’il a acquis lui seront rachetés à un prix plancher, correspondant, a minima, au montant investi, augmenté des intérêts.

Ainsi, comme pour la cession massive de droits sociaux ou la convention de portage, l’opération de capital-investissement repose sur la conclusion d’une promesse unilatérale d’achat à prix plancher conclue à la faveur de l’investisseur.

B) La finalité de l’opération

Contrairement, à la convention de portage, l’opération de capital-investissement ne s’apparente nullement à un service qui serait rendu à un donneur d’ordre.

Les investisseurs ont, en effet, pour seul objectif de réaliser une plus-value en souscrivant à l’augmentation de capital réalisé par une société qui a besoin de capitaux propres.

Ainsi, l’investisseur n’est autre qu’un bailleur de fonds.

C) Le déroulement de l’opération

  • Premier temps
    • Une promesse d’achat à prix plancher est consentie à l’investisseur par des actionnaires ou une personne désignée
  • Deuxième temps
    • L’investisseur souscrit à l’augmentation de capital
      • Soit en rachetant des titres déjà existants auprès d’anciens actionnaires
      • Soit par apport de fonds à la société sous la forme d’une souscription directe aux titres nouvellement émis
  • Troisième temps
    • À l’issue d’un certain délai, l’investisseur lève l’option d’achat sur les titres qu’il avait acquis en souscrivant à l’augmentation de capital
    • La promesse étant assortie d’un stipulant prévoyant le rachat de ses titres à un prix plancher, l’investisseur est garanti de récupérer l’intégralité des fonds qu’il avait investis, augmentés des intérêts.

D) La problématique de l’opération

L’opération de capital investissement pose sensiblement les mêmes problèmes que la convention de portage :

  • D’une part, l’investisseur qui n’est autre qu’un bailleur de fonds n’a nullement l’intention d’être associé de la société dont il participe à l’augmentation de capital
    • La condition tenant à l’affectio societatis lui fait donc défaut
    • Il ne remplit donc pas tous les critères de la qualité d’associé
  • D’autre part, lors de sa souscription à l’augmentation de capital, l’investisseur est assuré de récupérer les fonds investis par le jeu de la promesse de rachat de ses titres à prix plancher qui lui a été consentie
    • Il est donc contractuellement exonéré de l’obligation de contribution aux pertes qui échoit à tout associé

Essentiellement, pour ces deux raisons, la question de la validité de l’opération de capital investissement se pose.

II) L’appréhension de l’opération par la jurisprudence

==> Première étape : admission de la validité de l’opération de capital-investissement

Dans un arrêt Belkhelfa du 16 novembre 2004, la Cour de cassation valide une opération de capital-investissement en approuvant une Cour d’appel d’avoir jugé que « la convention litigieuse constituait une promesse d’achat d’actions et relevé qu’elle avait pour objet, en fixant un prix minimum de cession, d’assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties en assurant à M. X…, lequel est avant tout un bailleur de fonds, le remboursement de l’investissement auquel il n’aurait pas consenti sans cette condition déterminante, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que cette clause ne contrevenait pas aux dispositions de l’article 1844-1 du Code civil dès lors qu’elle n’avait pour objet que d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux entre associés et qu’elle était sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux, peu important à cet égard qu’il s’agisse d’un engagement unilatéral de rachat ».

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Trois enseignements majeurs peuvent être tirés de cet arrêt :

  • Premier enseignement : admission de la validité des opérations de capital-investissement
    • Par cette décision, la Cour de cassation admet la validité des opérations de capital-investissement.
    • Aussi, cette position s’inscrit-elle incontestablement, comme en matière de convention de portage, dans le droit fil de la jurisprudence Bowater qui avait admis la promesse d’achat à prix plancher dont était assortie une cession de droits sociaux.
    • Le cas de figure en l’espèce n’était cependant pas le même, car dans le cadre d’une opération de capital-investissement, le bailleur de fonds ne répond en aucune manière aux critères de l’associé.
    • Aussi, la Cour de cassation fait-elle fi du défaut d’affectio societatis dont est frappé l’investisseur
  • Deuxième enseignement : abandon de l’exigence de promesses croisées à la faveur du critère de l’équilibre des conventions
    • La chambre commerciale précise dans sa motivation qu’il importait peu, en l’espèce, « qu’il s’agisse d’un engagement unilatéral de rachat».
    • La Cour de cassation entend ainsi signifier par cette formule qu’elle abandonne l’exigence de promesses croisées, en ce sens qu’elle n’est pas une condition de validité de l’opération.
    • L’abandon de cette exigence vaut-il seulement pour les opérations de capital-investissement ou doit-on étendre cet abandon aux conventions de portage ?
    • Au regard de la jurisprudence postérieure, il semble qu’il faille opter pour la seconde solution
    • Désormais, il n’est donc plus nécessaire que l’opération soit assortie de promesses croisées.
    • L’accent est désormais mis, par la Cour de cassation, sur le critère de l’équilibre des conventions.
    • Car pour la Cour de cassation, l’équilibre des conventions est sauf, dans la mesure où la promesse d’achat à prix plancher consentie à l’investisseur n’est autre que la contrepartie à l’apport de nouveaux fonds qu’il effectue dans le cadre de l’augmentation de capital.
    • La Chambre commerciale avance en ce sens que cette promesse n’était autre que l’assurance pour l’investisseur d’un « remboursement de l’investissement auquel il n’aurait pas consenti sans cette condition déterminante».
  • Troisième enseignement : introduction de la distinction entre les associés et les bailleurs de fonds
    • La Cour de cassation semble manifestement introduire dans cet arrêt la distinction entre les véritables associés, soumis au principe de prohibition des clauses léonines, et les bailleurs de fonds qui ne seraient pas concernés par l’application de ce principe.
    • Dans cette décision, la Cour de cassation considère, en effet, que c’est parce que le bénéficiaire de la promesse d’achat à prix plancher était un bailleur de fonds qu’il devait échapper au couperet de l’article 1844-1 du Code civil.
    • Cette solution se justifie par le fait que l’investisseur rend un service à la société en souscrivant à l’augmentation de son capital social.
    • La contrepartie de ce service ne peut dès lors résider pour ce dernier, outre le paiement d’intérêts, dans la garantie qu’il pourra récupérer son investissement en cas de dépréciation des titres.

==> Deuxième étape : confirmation de l’introduction de la distinction entre les véritables associés et les bailleurs de fonds

Dans un arrêt Bourgoin du 27 septembre 2005, la Cour de cassation fait de nouveau référence à la distinction entre les « véritables associés », soumis à l’article 1844-1 du Code civil et les bailleurs de fonds qui échapperait à l’application de la prohibition des clauses léonines (Cass. com., 27 sept 2005)

La Chambre commerciale affirme en ce sens que « en se référant à l’ensemble des conventions liant les parties, que la promesse litigieuse tendait à assurer à la société CDR Participations, qui est avant tout un bailleur de fonds, le remboursement de l’investissement auquel elle n’aurait pas consenti sans ce désengagement déterminant, et retenu que cette promesse avait ainsi pour objet d’assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que la fixation au jour de la promesse d’un prix minimum de cession ne contrevenait pas aux dispositions de l’article 1844-1 du Code civil, peu important à cet égard qu’il s’agisse d’un engagement unilatéral de rachat ».

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==> Troisième étape : l’apparition du critère de la fenêtre de tir

Dans un arrêt du Textilinter rendu le 22 février 2005, la Cour de cassation semble mettre en œuvre un nouveau critère pour apprécier la validité d’une opération de capital-investissement : l’existence d’une fenêtre de tir (Cass. com., 22 févr. 2005).

Dans cette affaire, la chambre commerciale reproche, en effet, à une Cour d’appel d’avoir invalidé une promesse de rachat à prix plancher conclue dans le cadre d’une opération de capital-investissement « alors qu’elle constatait que M. Z… ne pouvait lever l’option qu’à l’expiration d’un certain délai et pendant un temps limité, ce dont il résulte qu’il restait, en dehors de cette période, soumis au risque de disparition ou de dépréciation des actions, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ».

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Plusieurs observations peuvent être formulées au sujet de cet arrêt :

  • Sur le critère de la fenêtre de tir
    • Dans l’arrêt Textilinter la Cour de cassation valide une promesse unilatérale d’achat à prix plancher
    • Pour ce faire, elle relève que le bénéficiaire de la promesse « ne pouvait lever l’option qu’à l’expiration d’un certain délai et pendant un temps limité».
    • La chambre commerciale en déduit que ce dernier « restait, en dehors de cette période, soumis au risque de disparition ou de dépréciation des actions».
    • Il apparaît donc, dans cette décision, que la Cour de cassation apprécie la validité de la promesse en considération, non plus de la qualité de son bénéficiaire – elle ne cherche pas à savoir s’il est ou non bailleur de fonds – mais en considération de l’aléa auquel le promettant est soumis.
    • Or la chambre commerciale relève, en l’espèce, qu’un aléa pesait bien sur l’investisseur, dans la mesure où s’il ne levait pas l’option d’achat dans les temps, soit dans la fenêtre de tir qui avait été conventionnement convenu avec le promettant, il demeurait soumis au risque de dépréciation des titres.
    • Pour la Cour de cassation cet aléa qui ainsi pèse sur le bénéficiaire de la promesse suffirait à considérer qu’il n’est pas totalement exonéré de la contribution aux pertes.
    • La promesse unilatérale d’achat à prix plancher ne tomberait pas, par conséquent, sous le coup de la prohibition des clauses léonines.
  • Une solution contraire à l’arrêt Bowater ?
    • Certains auteurs ont fait valoir que, par une lecture a contrario, la solution rendue par la Cour de cassation laisserait à penser qu’elle revient sur l’arrêt Bowater.
    • Si, en effet, l’on considère que la validité de la promesse unilatérale d’achat à prix plancher est subordonnée à l’existence d’un aléa qui pèserait sur le bénéficiaire, a contrario cela signifie que si la promesse n’est enfermée dans aucun délai elle devrait être qualifiée de léonine
    • Or dans l’arrêt Bowater, la Cour de cassation considère que le caractère léonin d’une promesse unilatérale d’achat à prix plancher doit être apprécié en considération, non pas de l’existence d’un délai d’option dans lequel elle serait enfermée, mais de son objet : la transmission de droits sociaux.

La prohibition des clauses léonines et les conventions de portage

Aux termes de l’article 1844-1, al. 2 du Code civil « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ».

Trois interdictions ressortent de cette disposition qui prohibe ce que l’on appelle les clauses léonines, soit les stipulations qui attribueraient à un associé « la part du lion ».

En vertu de cette disposition sont ainsi prohibées les clauses qui :

  • attribueraient à un seul associé la totalité des bénéfices réalisés par la société
  • excluraient totalement un associé du partage des bénéfices
  • mettraient à la charge d’un associé la totalité des pertes

La présence d’une clause léonine dans les statuts n’est pas une cause de nullité de la société. La stipulation est seulement réputée non-écrite, de sorte que le partage des bénéfices et des pertes devra s’opérer proportionnellement aux apports des associés.

==> Les opérations sur titre

Depuis le début des années 1980, la problématique des clauses léonines a surtout été alimentée par le contentieux relatif aux opérations sur titres, notamment les opérations dans lesquelles des promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher interviennent.

La question s’est, en effet, posée de savoir devant les tribunaux si ces opérations de cession de titres à prix plancher n’étaient pas de nature à exonérer un associé de tout ou partie de son obligation de contribuer aux pertes.

En cas de dépréciation des titres, le cédant est assuré, en levant l’option de la promesse d’achat dont il est bénéficiaire, de céder ses droits sociaux à un prix minimum. Aussi, est-il garanti contre toute perte de valeur des titres cédés.

Dès lors, ces opérations qui ont toutes en commun de reposer sur la technique de la promesse unilatérale d’achat de droits sociaux à prix garanti, ne tomberaient-elles pas sous le coup de la prohibition des clauses léonines ?

Des réponses différentes ont été apportées par la jurisprudence à cette problématique selon qu’il s’agit d’une cession massive de droits sociaux, une convention de portage ou encore une opération de capital-investissement.

I) Description de l’opération de portage

A) La définition de l’opération

La convention de portage se définit comme l’opération par laquelle une personne appelée porteur répond à la sollicitation d’un donneur d’ordre d’acquérir des droits sociaux, après quoi, il s’engage, passé un certain délai, à les rétrocéder à un bénéficiaire désigné qui peut être, soit un tiers, soit le donneur d’ordre lui-même.

La convention de portage consiste, autrement dit, pour le porteur à endosser temporairement la qualité d’associé sur demande du donneur d’ordre.

Pour le porteur, l’intérêt de l’opération réside dans la renumérotation qu’il perçoit en contrepartie du service qu’il rend au donneur d’ordre.

Ladite rémunération est calculée sur base d’un intérêt prorata temporis indépendamment des bénéfices réalisés par la société, dans la mesure où il est prévu que la rétrocession des titres s’effectuera à un prix plancher

B) La finalité de l’opération

La conclusion d’une convention de portage peut répondre à plusieurs objectifs :

  • Le donneur d’ordre peut recourir à la convention de portage, car il ne dispose pas de liquidités suffisantes pour acquérir les titres sociaux dont il souhaite être titulaire.
    • La convention de portage s’apparente alors à un prêt consenti par le porteur au donneur d’ordre, lequel lui remboursera les fonds avancés à l’issue de la période de portage
  • Le donneur d’ordre peut également recourir aux services d’un porteur afin de ne pas révéler immédiatement son identité aux associés dans laquelle il souhaite prendre une participation
  • Le donneur d’ordre peut encore être animé par la volonté de préparer une introduction en bourse qui débouchera sur une cession des titres confiés au porteur sur le marché.

C) Les parties à l’opération

  • Le donneur d’ordre
    • Il s’agit de l’associé qui va céder tout ou partie de ses droits sociaux au porteur
  • Le porteur
    • Il s’agit du cessionnaire des titres sociaux cédés par le donneur d’ordre
    • Le porteur sera, très souvent, un établissement financier
  • Le bénéficiaire de la convention
    • Il s’agit de la personne à laquelle le porteur va rétrocéder les droits sociaux acquis à la demande du donneur d’ordre
    • Le bénéficiaire, désigné par le donneur d’ordre, peut être :
      • Soit un tiers
      • Soit le donneur d’ordre lui-même

D) Le déroulement de l’opération

  • Premier temps : la conclusion de la convention
    • La convention de portage est conclue entre le donneur d’ordre et le porteur
    • Cette convention a pour objet de :
      • Fixer les modalités de cession et de rétrocession des droits sociaux sur lesquels porte la convention
      • Régir les rapports entre le donneur d’ordre et le porteur durant toute la durée du portage des titres
      • Afin de se prémunir d’une dépréciation des droits sociaux qu’il a acquis, le porteur exigera la détermination d’un prix plancher auquel la seconde rétrocession des titres devra s’effectuer.
  • Second temps : l’entrée de l’opération
    • Le donneur d’ordre ou la personne désignée par lui cède au porteur les droits sociaux, objet de la convention de portage, conformément aux conditions prévues initialement entre les parties
  • Troisième phase : le portage des droits sociaux
    • Durant toute la durée du portage de droits sociaux prévue par la convention, le porteur exerce toutes les prérogatives attachées à la qualité d’associé
  • Quatrième phase : la sortie de l’opération
    • Le porteur rétrocède, au prix plancher convenu dans la convention, les droits sociaux qu’il a acquis sur demande du donneur d’ordre
      • Soit à la personne désignée par le donneur d’ordre
      • Soit au donneur d’ordre lui-même

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E) Problématique de l’opération

Si la validité des cessions massives de droits sociaux à prix plancher a pu susciter un vif débat en jurisprudence, au regard de la prohibition des clauses léonines, l’interrogation est d’autant plus permise lorsque la cession intervient dans le cadre d’une opération de portage.

Deux raisons peuvent être avancées au soutien de l’irrégularité d’une opération :

  • D’une part, contrairement à la cession de droits sociaux étalée dans le temps, le porteur, qui le plus souvent est un établissement financier, n’a nullement l’intention d’être associé de la société dont il acquiert les titres.
    • La condition tenant à l’affectio societatis fait donc défaut au porteur
    • Il ne remplit donc pas tous les critères de la qualité d’associé
  • D’autre part, lors de l’acquisition des droits sociaux, le porteur est assuré de pouvoir les rétrocéder à un prix plancher, de sorte qu’il est contractuellement exonéré de l’obligation de contribution aux pertes qui échoit à tout associé
    • Ainsi, le porteur est-il garanti contre toute dépréciation des titres, ce qui pourrait être considéré comme contraire à la lettre de l’article 1844-1 du Code civil qui prohibe la stipulation de clauses léonines
    • La stipulation de la convention de portage qui prévoit que la rétrocession des droits sociaux à un prix plancher devrait, dans ces conditions, être réputée non écrite.
  • Enfin, dans un arrêt du 3 juin 1986, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que « l’affectio societatis suppose que les associés collaborent de façon effective à l’exploitation dans un intérêt commun et sur un pied d’égalité, chacun participant aux bénéfices comme aux pertes» ( com. 3 juin 1986).
    • Manifestement, dans le cadre d’une convention de portage, ni la condition tenant à l’affectio societatis, ni la condition tenant à la participation aux résultats ne sont remplies.
    • Aussi, la question de la validité de cette opération se pose.

II) L’appréhension de l’opération par la jurisprudence

==> Première étape : l’admission de la validité des conventions de portage

Dans le droit fil de l’arrêt Bowater rendu six ans plus tôt, dans un arrêt Sté Go international du 19 mai 1992, la Chambre commerciale admet la validité d’une convention de portage

Elle affirme en ce sens que « la promesse d’achat n’avait pas d’autre objet, en l’absence de toute fraude, non alléguée par la société Go international, que de permettre, moyennant un prix librement débattu, la rétrocession d’actions de la société Go international SPA à des conditions visant à assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties le 16 juillet 1987, à la suite de diverses négociations aménageant les accords du mois de janvier précédent ».

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Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • Admission de la validité des conventions de portage
    • La Cour de cassation admet, pour la première fois, la validité d’une convention de portage, malgré toutes les objections susceptibles d’être soulevées à l’encontre d’une telle opération
    • Cette position s’inscrit, sans aucun doute, dans le droit fil de l’arrêt Bowater qui avait validé les cessions massives de droits sociaux à prix plancher
    • Le cas de figure en l’espèce n’était cependant pas le même, car dans le cadre d’une convention de portage, le porteur ne répond pas exactement aux critères de l’associé.
    • Aussi, la Cour de cassation fait-elle fi du défaut d’affectio societatis dont est frappé le porteur
    • Qui plus est, si l’on se réfère au critère de l’objet adopté par la Cour de cassation dans l’arrêt Bowater, l’opération de portage n’a pas pour finalité de réaliser une transmission de droits sociaux au porteur.
    • Les titres acquis par ce dernier ont effectivement vocation à être rétrocédés (à un tiers ou au donneur d’ordre) à l’issue de la période de portage, de sorte que l’objet de l’opération est sensiblement différent de celui envisagé dans l’arrêt Bowater.
  • Condition de validité des conventions de portage
    • Il peut être observé que dans l’espèce soumise à la Cour de cassation, la convention de portage ne prévoyait pas seulement la souscription d’une promesse d’achat par le donneur d’ordre à la faveur du porteur, afin de lui garantir la possibilité de rétrocéder les titres à prix plancher.
    • La promesse d’achat permettant la rétrocession des titres portés au donneur d’ordre était, en effet, complétée par une promesse de vente rédigée dans les mêmes termes à la faveur du donneur d’ordre.
    • Ainsi, est-on en présence, de ce que l’on appelle une promesse croisée.

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  • L’intérêt de la stipulation d’une promesse croisée dans le cadre d’une convention de portage est de faire supporter un aléa lors de la rétrocession des titres, non pas au seul cessionnaire (donneur d’ordre ou tiers désigné par lui), mais également au porteur
  • Il doit, en effet, être rappelé que la rétrocession s’effectuera à prix plancher.
  • Il en résulte que :
    • Si, à l’issue du portage, la valeur des titres a baissé, alors c’est le cessionnaire qui subit la moins-value, le porteur en étant exonéré le prix plancher lui garantissant de récupérer son investissement de départ.
    • Si, en revanche, à l’issue du portage, la valeur des titres a augmenté, le cessionnaire profite seul de la plus-value, le prix plancher jouant, dans ce cas de figure, en la défaveur du porteur, celui-ci subissant un manque à gagner
  • Dans l’arrêt Go International, il peut être relevé que pour justifier la validité de la convention de portage, la Cour de cassation avance que la rétrocession s’était effectuée « à des conditions visant à assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties»
  • Aussi, l’emploi de cette formule laisse-t-il à penser que la validité de la convention de portage est subordonnée à la conclusion d’une promesse croisée.
  • Autrement dit, pour ne pas tomber sous le coup de la prohibition des clauses léonines, la chambre commerciale suggère, dans cette décision, que la promesse de rachat souscrite par le donneur d’ordre à la faveur du porteur doit être complétée par une promesse de vente portant sur les mêmes titres et libellée en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes.

==> Deuxième étape : l’affirmation de l’exigence de la conclusion de promesses croisées

Bien que, avec l’arrêt Go international, la Cour de cassation avait semblé aller un peu plus loin que le stade de l’admission de la validité des conventions de portage, notamment en se référant au critère de « l’équilibre des conventions », c’est véritablement à l’arrêt Chicot du 24 mai 1994 que l’on doit l’affirmation de leur condition de validité (Cass. com., 24 mai 1994).

Dans cette décision, la Cour de cassation reproche, en effet, à une Cour d’appel d’avoir « déclaré nulle et réputée non écrite la clause relative à la définition du prix de rachat en retenant que la clause litigieuse avait eu pour but de garantir la SDBO contre toute évolution défavorable des actions et de la soustraire à tout risque de contribution aux pertes sociales », alors que les juges du fond avaient « constaté que la cession initiale avait été complétée par des promesses croisées de rachat et de vente des mêmes actions libellées en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes, ce dont il résultait que celles-ci avaient organisé, moyennant un prix librement débattu, la rétrocession des actions litigieuses sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux ».

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La solution retenue dans l’arrêt Chicot mérite plusieurs observations :

  • Confirmation de la validité des conventions de portage
    • Par cet arrêt Chicot du 24 mai 1994, la Cour de cassation vient confirmer la validité des conventions de portage, de sorte que l’arrêt Go international n’était pas un arrêt d’espèce.
    • Ainsi, la chambre commerciale entend-elle poursuivre le mouvement de libéralisation qu’elle avait engagé avec l’arrêt Bowater en admettant que, dès lors que l’opération concerne les seuls rapports entre associés, elle n’encourt pas la qualification de stipulation léonine.
    • Ce qui importe, c’est que l’opération soit « sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux».
    • Autrement dit, il ne doit pas être porté atteinte au pacte social, ce qui n’est pas le cas lorsque l’on est en présence d’une convention de portage, cette convention n’ayant pas vocation à régir les relations entre la société et les associés.
  • L’affirmation de l’exigence de promesses croisées
    • Bien que la Cour de cassation admette les conventions de portage, dans l’arrêt Chicot, elle subordonne explicitement leur validité à l’existence d’une promesse croisée.
    • La chambre commerciale reproche, en effet, au juge du fond de n’avoir pas validé une convention de portage alors qu’ils avaient « constaté que la cession initiale avait été complétée par des promesses croisées de rachat et de vente des mêmes actions libellées en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes, ce dont il résultait que celles-ci avaient organisé, moyennant un prix librement débattu»
    • L’exigence de promesse croisée posée par la Cour de cassation témoigne manifestement de sa volonté de faire subsister un aléa sur la tête du porteur.
    • Dans l’hypothèse, en effet, où la valeur des titres augmenterait il subira un manque à gagner dans la mesure où il aura consenti au donneur d’ordre ou au cessionnaire désigné une promesse de vente à prix plancher.
    • Au vrai, en posant cette exigence de promesse croisée, la chambre commerciale révèle la difficulté qu’elle rencontre à se détacher de l’article 1844-1 du Code civil, quand bien même l’opération ne porte nullement atteinte au pacte social.
    • Qui plus est, subordonner la validité des conventions de portage à l’existence d’une promesse croisée n’est pas sans conséquences
  • Les conséquences de l’exigence de conclusion de promesses croisées
    • L’équilibre des conventions
      • En exigeant que la convention de portage soit assortie d’une promesse croisée, la Cour de cassation a pour objectif d’assurer l’équilibre des conventions, en ce sens qu’elle considère qu’un aléa doit peser les deux parties à la convention de portage
      • À défaut, le déséquilibre serait tel que l’on serait en présence d’un pacte léonin qui ne pourrait échapper aux fourches caudines de l’article 1844-1 du Code civil
    • L’application du droit de la vente
      • Aux termes de l’article 1589 du Code civil « la promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix. »
      • Aussi, conformément à cette disposition, la Cour de cassation a-t-elle régulièrement l’occasion d’affirmer que la conclusion de deux promesses croisées s’apparente à une promesse synallagmatique si bien que la vente est parfaite dès l’échange des consentements.
      • Dans un arrêt du 22 novembre 2005, la chambre commerciale a estimé en ce sens que « l’échange d’une promesse unilatérale d’achat et d’une promesse unilatérale de vente réalise une promesse synallagmatique de vente valant vente définitive dès lors que les deux promesses réciproques ont le même objet et qu’elles sont stipulées dans les mêmes termes» ( com., 22 nov. 2005).
      • Appliquée aux promesses croisées dont la Cour de cassation exige la conclusion pour reconnaître la validité des conventions de portage, cela signifie que le droit de la vente est applicable à l’opération dès l’échange des consentements entre le donneur d’ordre et le porteur
      • Deux conséquences d’inégale importance en résultent :
        • Application intempestive de la garantie des vices cachés
          • Si l’on qualifie de vente la promesse croisée dont est assortie une convention de portage, cela implique que le donneur d’ordre soit fondée à se prévaloir de la garantie des vices cachés lors de la rétrocession des titres, notamment dans l’hypothèse où lesdits titres subiraient une moins-value.
          • L’invocation de cette garantie serait cependant difficilement admissible sur le plan de l’équité dans la mesure où cela reviendrait à offrir au donneur d’ordre une échappatoire en cas de dépréciation des titres, alors qu’il est seul à l’origine du mauvais placement, le porteur n’ayant participé qu’au financement de l’opération.
          • Par chance pour le porteur, en matière de cession de droits sociaux, la Cour de cassation ne reconnaît que très exceptionnellement la faculté pour le cessionnaire d’invoquer la garantie des vices cachés.
          • Dans un arrêt du 12 janvier 2000 elle a notamment rappelé que le cessionnaire de droits sociaux n’était fondé à se prévaloir de la garantie des vices cachés que si le vice affectant les titres était de nature à les rendre impropres à leur usage ( 3e civ. 12 janv. 2000)
          • Autrement dit, pour la Cour de cassation, la garantie des vices cachés ne pourra être invoquée dans le cadre d’une cession de droits sociaux que dans l’hypothèse où le vice qui affecte les titres rend la réalisation de l’objet social impossible.
        • Anéantissement de l’opération
          • Si l’on considère que la promesse croisée dont est assortie la convention de portage s’apparente à une vente, cela signifie que le transfert de propriété opérée par la rétrocession des titres sociaux à la faveur du donneur d’ordre ou de la personne désignée, a lieu, non pas à l’issue de la période de portage, mais dès la conclusion des promesses, soit avant même que le portage ne soit intervenu.
          • Aussi, cela reviendrait-il à priver l’opération de tout son intérêt, dans la mesure où à aucun moment le porteur ne serait propriétaire des droits sociaux qu’il a pourtant vocation à « porter », conformément à la volonté des parties.
          • L’intérêt de la convention de portage réside, en effet, précisément dans le transfert de propriété des titres qui s’opère entre le donneur d’ordre et le porteur.
          • Or si ce transfert voulu par les parties est annihilé par la requalification des promesses croisées en vente, l’opération n’a plus lieu d’être.

==> Troisième étape : incertitude quant au maintien de l’exigence de promesses croisées

Après que l’arrêt Chicot a été rendu, plusieurs décisions ont semé le doute quant au maintien de l’exigence de promesses croisées quant à la validité des conventions de portage.

Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation ne se réfère plus à l’exigence de promesse croisée, si bien que certains auteurs se sont demandé si elle ne l’avait pas abandonné.

Dans cette décision, la chambre commerciale estime, en effet, que « la convention litigieuse constituait une promesse d’achat d’actions et de parts sociales, et fait ressortir qu’elle avait pour objet d’assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties »

Elle en déduit alors que « c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que la fixation au jour de la promesse, d’un prix minimum pour la cession de ces actions et parts sociales ne contrevenait pas aux dispositions de l’article 1844-1 du Code civil, dès lors que n’ayant pour objet que d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, même entre associés, elle était sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes, dans les rapports sociaux et ne portait pas atteinte au pacte social ».

Manifestement, à aucun moment la Cour de cassation ne fait référence dans cet arrêt à l’exigence de promesse croisée.

Qui plus est, dans un arrêt rendu à la même époque, la chambre commerciale censure une Cour d’appel qui, pourtant, avait appliqué, à la lettre, la solution retenue dans l’arrêt Chicot (Cass. com., 16 nov. 1999). La cassation est prononcée en l’espèce, non pas sur le fondement de l’article 1844-1 du Code civil mais au visa de l’article 4 du Code de procédure civile, ce qui laisse à penser que l’existence de promesses croisées n’était pas en cause.

==> Quatrième étape : réapparition de l’exigence de promesses croisées

Il faut attendre un arrêt Laurent du 22 février 2005 pour voir réapparaître l’exigence de promesses croisées (Cass. com., 22 févr 2005).

Pour valider une convention de portage, la Cour de cassation relève ainsi que « c’est sans dénaturation des conventions litigieuses de promesses croisées de rachat et de vente des actions, dont elle constatait qu’elles étaient rédigées en termes identiques au profit de chacune des parties, notamment quant au prix et aux modalités de leur réalisation, que la cour d’appel qui, par motifs propres et adoptés, a relevé que ces conventions ne faisaient qu’organiser, moyennant un prix librement débattu et dans des conditions assurant l’équilibre des droits respectifs des parties, la rétrocession des actions litigieuses sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux ».

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La prohibition des clauses léonines et les cessions massives de droits sociaux

Aux termes de l’article 1844-1, al. 2 du Code civil « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ».

Trois interdictions ressortent de cette disposition qui prohibe ce que l’on appelle les clauses léonines, soit les stipulations qui attribueraient à un associé « la part du lion ».

En vertu de cette disposition sont ainsi prohibées les clauses qui :

  • attribueraient à un seul associé la totalité des bénéfices réalisés par la société
  • excluraient totalement un associé du partage des bénéfices
  • mettraient à la charge d’un associé la totalité des pertes

La présence d’une clause léonine dans les statuts n’est pas une cause de nullité de la société. La stipulation est seulement réputée non-écrite, de sorte que le partage des bénéfices et des pertes devra s’opérer proportionnellement aux apports des associés.

==> Les opérations sur titre

Depuis le début des années 1980, la problématique des clauses léonines a surtout été alimentée par le contentieux relatif aux opérations sur titres, notamment les opérations dans lesquelles des promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher interviennent.

La question s’est, en effet, posée de savoir devant les tribunaux si ces opérations de cession de titres à prix plancher n’étaient pas de nature à exonérer un associé de tout ou partie de son obligation de contribuer aux pertes.

En cas de dépréciation des titres, le cédant est assuré, en levant l’option de la promesse d’achat dont il est bénéficiaire, de céder ses droits sociaux à un prix minimum. Aussi, est-il garanti contre toute perte de valeur des titres cédés.

Dès lors, ces opérations qui ont toutes en commun de reposer sur la technique de la promesse unilatérale d’achat de droits sociaux à prix garanti, ne tomberaient-elles pas sous le coup de la prohibition des clauses léonines ?

Des réponses différentes ont été apportées par la jurisprudence à cette problématique selon qu’il s’agit d’une cession massive de droits sociaux, une convention de portage ou encore une opération de capital-investissement.

I) Description de l’opération de cession massive de droits sociaux

A) La finalité de l’opération

La cession massive de droits sociaux vise, le plus souvent, à réaliser le transfert de contrôle d’une société

  1. Les parties à l’opération
  • Le cédant
    • Il s’agit de l’associé, généralement majoritaire, qui souhaite céder toute ou partie de sa participation dans la société :
      • Soit pour une raison de pure opportunité
      • Soit parce qu’il souhaite se retirer de la vie des affaires
      • Soit parce qu’il a fait l’objet d’une révocation en sa qualité de dirigeant
      • Soit parce qu’il souhaite transmettre son entreprise à un membre de sa famille
    • C’est donc lui qui détient les titres qui feront l’objet de la cession
  • Le cessionnaire
    • Il s’agit :
      • Soit d’un coassocié qui souhaite étendre sa participation dans la société
      • Soit d’un tiers qui souhaite prendre le contrôle de la société, à tout le moins y exercer un certain pouvoir

2. Le déroulement de l’opération

Afin de permettre au cessionnaire de réunir les fonds nécessaires, l’opération va se dérouler en deux temps :

  • Premier temps
    • Une première cession est conclue entre le cessionnaire et le cédant
      • Elle porte sur un nombre suffisamment important de titres pour que le cessionnaire soit en mesure de prendre le contrôle de la société.
      • Toutefois, il est un risque pour le cédant que le cessionnaire, une fois le transfert de contrôle effectué, refuse de lui racheter le reliquat de droits sociaux dont il demeure titulaire, surtout si, entre-temps, ils ont subi une perte de valeur
      • Aussi, afin de ne pas rester prisonnier de ses titres, le cédant subordonnera la première cession à la souscription par le cessionnaire d’une promesse unilatérale d’achat portant sur le restant des titres.
      • Pour se prémunir d’une dépréciation de ses droits sociaux, le cédant déterminera le prix plancher auquel la seconde cession devra s’effectuer.
  • Second temps
    • Si le cédant est toujours enclin à n’avoir plus aucune participation dans la société dont il a cédé le contrôle, il lèvera l’option d’achat dont il est bénéficiaire.
    • Le reliquat de titres dont le cédant est resté titulaire à l’issue de la première cession est alors cédé, dans le cadre d’une seconde cession, au cessionnaire.
    • L’opération est définitivement achevée.

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B) L’appréhension de l’opération par la Jurisprudence

==> Première étape : la prohibition des promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher

Pendant près d’un siècle la jurisprudence a interprété l’article 1844-1, al. 2 du Code civil de façon extrêmement restrictive.

Aussi, a-t-elle estimé que les promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher tombaient sous le coup de la prohibition des clauses léonine.

Dans un arrêt de principe du 16 janvier 1867, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la nullité frappe toute stipulation exonérant un associé de toute contribution aux pertes, sans distinguer selon qu’elle est contenue dans l’acte de société ou dans un acte séparé, selon qu’elle oblige la société entière ou seulement quelques-uns de ses membres, selon qu’elle est temporaire ou faite pour un temps déterminé » (Cass. req., 16 janv. 1867)

Manifestement, dans cette décision la haute juridiction prohibe indifféremment les stipulations :

  • selon qu’elles figurent ou non dans les statuts
  • selon que leur application est limitée entre associés ou étendue aux tiers
  • selon qu’elles ont ou non pour objet le transfert de contrôle de la société

Dans un arrêt du 10 février 1981, la chambre commerciale martelé sa position en censurant une décision de Cour d’appel par laquelle les juges du fond avait estimé que l’opération consistant à assortir une première cession de droits sociaux d’une promesse unilatérale d’achat à prix plancher en vue de réaliser à une date déterminée une seconde cession « était destinée à permettre [au cédant] de quitter la société et non de l’affranchir de toute contribution aux pertes ».

Pour la Cour de cassation, la Cour d’appel aurait, en effet, dû « rechercher si les engagements litigieux qui prévoyaient un certain nombre d’avantages, et pour plusieurs années éventuellement, au profit [du cédant], tant que celui-ci, du moins, resterait actionnaire de la société, n’avaient pas pour effet de le garantir, en tant que tel, contre tout risque de perte éventuelle » (Cass. com., 10 févr. 1981).

L’arrêt d’appel est cassé pour défaut de base légal.

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==> Critiques

À la suite de cette décision, de nombreux auteurs se sont élevés contre la position de la Cour de cassation.

Pour la doctrine majoritaire, l’interprétation restrictive de l’article 1844-1 al. 2 du Code était de nature à faire obstacle à la fluidification des échanges économiques.

En estimant que les promesses unilatérales d’achat à prix plancher s’apparentaient à des clauses léonines, la Cour de cassation restreignait, en effet, considérablement le champ des possibilités quant à réaliser le transfert de contrôle d’une société. Or il s’agit là d’un rouage essentiel à la bonne marche d’une économie.

==> Deuxième étape : la limitation de la prohibition des clauses léonines aux stipulations statutaires

Sous la pression des critiques, la Cour de cassation n’a, manifestement, eu d’autre choix que d’assouplir sa position.

Aussi, dans un arrêt du 15 juin 1982, la chambre commerciale a-t-elle jugé que la promesse unilatérale d’achat dont était assortie une cession de droits sociaux étalée dans le temps était valide alors même qu’elle prévoyait une clause fixant un prix plancher de rachat des titres.

La Cour de cassation semble néanmoins considérée que la stipulation litigieuse ne constitue pas une clause léonine en raison de sa localisation extrastatutaire.

Dans cet arrêt, elle prend, en effet, la précaution de préciser que « la clause dont les promettants contestaient la validité se trouvait contenue dans une convention portant sur les conditions dans lesquelles devaient leur être cédées les actions de la société et non dans les statuts de celle-ci ; que l’article 1855 du code civil ne visant que le contrat de société, la nullité édictée par ce texte ne peut être étendue à une telle convention »

Autrement dit, pour la Cour de cassation la prohibition des clauses léonines n’a vocation à s’appliquer qu’aux seules stipulations statutaires, soit celles qui intéressent les rapports entre la société et les associés.

Ainsi, au regard de cette décision, toutes les stipulations extrastatutaires fixant un prix plancher devraient échapper à la prohibition des clauses léonines.

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==> Critiques

Bien que cette décision ait été saluée par une partie de la doctrine, elle n’en a pas moins fait l’objet de critiques.

À la vérité, en validant la stipulation litigieuse en raison de sa localisation extrastatutaire, la Cour de cassation opère, dans l’arrêt du 15 juin 1982, une distinction, là où l’article 1844-1, al. 2 du Code civil ne distingue pas.

Comme le souligne un auteur, « l’ordre public du droit des sociétés ne s’applique pas seulement aux stipulations des statuts mais doit étendre ses prescriptions à tous les rapports sociaux et à toutes les conventions entre associés, qu’elles soient exprimées dans ou hors des statuts, sous peine d’inciter les associés à prévoir hors les statuts ce qu’ils ne peuvent prévoir à l’intérieur »[1].

Aussi, la solution nouvellement adoptée ne pouvait-elle pas rester en l’état. La chambre commerciale n’a, de la sorte, eu d’autre choix que de poursuivre le revirement amorcé.

==> Troisième étape : l’abandon par la chambre commerciale du critère de l’effet à la faveur du critère de l’objet

Dans un arrêt Bowater du 20 mai 1986 la Cour de cassation a opéré un important revirement de jurisprudence concernant les cessions de droits sociaux étalées dans le temps assorties d’une promesse d’achat à prix plancher (Cass. com., 20 mai 1986)

La chambre commerciale considère, en effet, dans cette décision que « la Cour d’appel n’avait pas à vérifier si la fixation, au jour de la promesse, d’un prix minimum, avait pour effet de libérer le cédant de toute contribution aux pertes sociales dès lors qu’elle constatait que la convention litigieuse constituait une cession ; qu’en effet est prohibée par l’article 1844-1 du Code civil la seule clause qui porte atteinte au pacte social dans les termes de cette disposition légale ; qu’il ne pouvait en être ainsi s’agissant d’une convention, même entre associés, dont l’objet n’était autre, sauf fraude, que d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, que dès lors, sans méconnaître le principe de la contradiction et sans avoir à entrer dans le détail de l’argumentation de la société Bowater, la Cour d’appel par motifs propres et adoptés, et abstraction faite de tous motifs surabondants, a décidé à bon droit que la convention litigieuse n’avait pas porté atteinte au pacte social ».

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette décision :

Sur le sens de l’arrêt

Dans l’arrêt Bowater, la Cour de cassation abandonne le critère de l’effet qu’elle remplace par le critère de l’objet. En d’autres termes, pour apprécier la validité de la promesse d’achat à prix plancher la Cour de cassation regarde, non plus l’effet de la convention, mais son objet :

  • Si la convention a pour objet une transmission pure et simple de droits sociaux, elle ne tombe pas sous le coup de la prohibition des clauses léonines, quand bien même elle a pour effet d’exonérer totalement un associé de sa contribution aux pertes.
    • Exception
      • En cas de fraude la Cour de cassation estime que, quand bien même, la clause litigieuse a pour seul objet la transmission de droits sociaux, l’article 1844-1, al. 2 a de nouveau vocation à s’appliquer.
      • Cette situation se présentera lorsque des associés recourront au mécanisme de la cession de droits sociaux, afin de se soustraire à la prohibition des clauses léonines.
  • Si la convention vise seulement à répartir les résultats de la société, on doit, à l’inverse, regarder, non plus l’objet de la clause mais son effet:
    • Si la stipulation a pour effet d’exonérer totalement un associé de sa contribution aux pertes, elle s’apparente à une clause léonine
    • Elle doit, en conséquence, être annulée.

La Cour de cassation considère que la prohibition des clauses léonines ne s’applique qu’aux relations entre la société et les associés, soit aux stipulations qui ont pour objet la répartition des résultats.

  • Lorsque la stipulation intéresse les rapports des associés entre eux, l’article 1844-1, al.2 ne s’applique pas, à condition néanmoins qu’elle ait pour objet la transmission de droits sociaux.
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation estime que pareille stipulation est « étrangère au pacte social».

La Cour de cassation abandonne clairement dans l’arrêt Bowater le critère de la localisation de la clause, lequel lui avait valu de nombreuses critiques.

  • La chambre commerciale considère, en effet, que seule « la clause qui porte atteinte au pacte social » est susceptible d’être annulée.
  • Aussi, peu importe qu’elle soit ou non localisée dans les statuts.
  • Ce qui compte, c’est qu’elle ne porte pas atteinte au contrat de société.

Sur la portée de l’arrêt

  • Dans l’arrêt Bowater, la Cour de cassation se livre à une interprétation pour le moins restrictive du domaine d’application de l’article 1844-1, al.2, en ce sens qu’elle distingue désormais :
    • Le contrat de société qui est le terrain d’élection de la prohibition des clauses léonines
    • Les cessions massives de droits sociaux dont la validité n’est plus subordonnée au respect de l’article 1844-1, al. 2, exception faite de la fraude.

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==> Quatrième étape : la résistance de la première chambre civile de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 22 juillet 1986 la première chambre civile a retenu une solution radicalement opposée à la position adoptée par la chambre commerciale dans l’arrêt Bowater (Cass. 1re civ., 22 juill. 1986).

Dans cette décision, la première chambre civile de la Cour de cassation a, en effet, estimé qu’une convention conclue entre le gérant d’une SCI qui garantissait à ce dernier un bénéfice forfaitaire, en contrepartie de quoi il devait se portait acquéreur d’un appartement détenu par la SCI devait être qualifiée de léonine.

La première chambre civile refuse, dans cette décision, d’apprécier la validité de la stipulation litigieuse en considération de son objet. Pour les magistrats, dès lors que la clause a pour effet d’exonérer un associé de sa contribution aux pertes, elle doit être annulée

La Première chambre civile a renouvelé son refus de se ranger derrière la position de la chambre commerciale, soit abandonner le critère de l’effet, dans un arrêt Levêque Houist du 7 avril 1987 (Cass. 1re civ., 7 avr. 1987).

Dans cette décision la première chambre civile reproche, en effet, à une Cour d’appel d’avoir validité une stipulation par laquelle un cessionnaire s’engageait dans le cadre d’une promesse unilatérale d’achat à racheter à prix plancher les droits sociaux du cédant, alors, selon la Cour de cassation que cet accord « avait pour effet d’affranchir [le cédant] de toute participation aux pertes de la société Ouest-Agrégats et leur assurant le remboursement intégral des sommes par elles versées pour l’achat des parts sociales et au titre des comptes courants, majorées d’un intérêt de 10 % par années écoulée – peu important que l’engagement de rachat ait été pris dans un acte distinct de la convention de cession et soit limité dans le temps ».

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Depuis l’arrêt Levêque-Houist, la première chambre civile ne s’est pas prononcée sur la validité des promesses unilatérale d’achat à prix plancher, de sorte qu’il est difficile d’affirmer que la position affirmée dans ce dernier arrêt est conforme à la position qu’elle défendrait aujourd’hui.

Les auteurs ont toutefois décelé, dans un arrêt rendu par la première chambre civile le 16 octobre 1990, un signe de ralliement de cette dernière à la position défendue par la chambre commerciale (Cass. 1re civ., 16 oct. 1990)

Dans cette décision, la première chambre civile valide, en effet, un protocole d’accord conclu entre deux sociétés qui prévoyait une répartition très inégale des pertes, le risque pesant, pour une large part, sur certains associés, tandis que les autres étaient, quant à eux, assurés de récupérer la quasi-totalité de leurs apports par un remboursement prioritaire de leur investissement.

Malgré cette exonération quasi-totale de contribution aux pertes bénéficiant à certains signataires du protocole, la Cour de cassation ne trouve rien à redire à la Cour d’appel, laquelle a « exactement énoncé que l’article 1844-1 du Code civil n’interdit pas aux associés de fixer un partage des bénéfices et des pertes dans une proportion différente des apports ».

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==> Cinquième étape : l’affermissement de la position de la chambre commerciale

Malgré le différend qui oppose la première chambre civile à la chambre commerciale sur la validité des promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher, cela n’empêche pas cette dernière de maintenir sa solution adoptée dans l’arrêt Bowater et d’en préciser les contours.

Ainsi, dans un arrêt Jallet du 10 janvier 1989, la chambre commerciale affirme que « selon l’article 1855 ancien du Code civil, seule est prohibée la clause qui porte atteinte au pacte social dans les termes de cette disposition légale ».

Elle en déduit que la promesse d’achat de droits sociaux à prix plancher dont il était question en l’espèce « était donc étrangère au pacte social et sans incidence sur l’attribution des bénéfices aux associés et sur leur contribution aux pertes » (Cass. com. 10 janv. 1989).

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Il ressort de l’arrêt Jallet que si, la Cour de cassation ne se réfère pas explicitement au critère de l’objet pour apprécier la validité de la promesse d’achat de droits sociaux, elle précise néanmoins que l’important est qu’il ne soit pas porté atteinte au pacte sociale, en ce sens que la clause doit être sans incidence sur la répartition des bénéfices dans les rapports entre la société et les associés.

==> Sixième étape : la réapparition de la référence au critère de l’objet

Dans un arrêt Lyonnaise de Banque du 19 mai 1998, la chambre commerciale fait de nouveau référence au critère de l’objet pour valider une promesse d’achat de droits sociaux à prix plancher. Dans l’espèce qui lui était soumise, elle relève que « les conventions passées entre les parties avaient pour objet d’organiser la transmission des droits sociaux, moyennant un prix librement débattu, d’où il résultait que la convention litigieuse était sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux » (Cass. com., 19 mai 1998).

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[1] F.-X. Lucas, Théorie des bénéfices et des pertes – Clauses léonines, JurisClasseur Sociétés TraitéJurisClasseur Sociétés Traité

L’obligation de contribution aux pertes et la prohibition des clauses léonines

Aux termes de l’article 1832, al. 3 du Code civil, dans le cadre de la constitution d’une société « les associés s’engagent à contribuer aux pertes ».

Aussi, cela signifie-t-il que, en contrepartie de leur participation aux bénéfices et de l’économie réalisée, les associés sont tenus de contribuer aux pertes susceptibles d’être réalisées par la société.

Le respect de cette exigence est une condition de validité de la société.

L’obligation de contribution aux pertes pèse sur tous les associés quelle que soit la forme de la société.

==> Contribution aux pertes / Obligation à la dette

Contrairement à l’obligation à la dette dont la mise en œuvre s’effectue au cours de la vie sociale, la contribution aux pertes n’apparaît, sauf stipulation contraire, qu’au moment de la liquidation de la société.

En effet, pendant l’exercice social, les associés ne sont jamais tenus de contribuer aux pertes de la société. Ces pertes sont compensées par les revenus de la société.

Ce n’est que lorsque l’actif disponible de la société ne sera plus en mesure de couvrir son actif disponible (cession des paiements) que l’obligation de contribution aux pertes sera mise en œuvre.

Tant que la société n’est pas en liquidation, seule la société est tenue de supporter la charge de ces pertes.

==> Principe de contribution aux pertes

Quelle est l’étendue de l’obligation de contribution aux pertes ?

  • Dans les sociétés à risque limité l’obligation de contribution aux pertes ne peut excéder le montant des apports.
  • Dans les sociétés à risque illimité l’obligation de contribution aux pertes ne connaît aucune limite.
    • La responsabilité des associés peut-être recherchée au-delà de ses apports

En toute hypothèse, chaque associé est tenu de contribuer aux pertes proportionnellement à la part du capital qu’il détient dans la société.

Toutefois, une répartition inégalitaire est admise à certaines conditions.

==> Répartition inégalitaire autorisée

L’article 1844-1, al. 1er du Code civil dispose que « la part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l’associé qui n’a apporté que son industrie est égale à celle de l’associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire. »

Plusieurs enseignements ressortent de cette disposition :

  • Principe
    • Dans le silence des statuts, la part des associés dans les bénéfices est proportionnelle à leurs apports
  • Exceptions
    • Les associés peuvent prévoir dans les statuts
      • Soit un partage égal des bénéfices et des pertes nonobstant des apports inégaux
      • Soit un partage inégal des bénéfices et des pertes nonobstant des apports égaux

==> Prohibition des clauses léonines

Aux termes de l’article 1844-1, al. 2 du Code civil « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ».

Trois interdictions ressortent de cette disposition qui prohibe ce que l’on appelle les clauses léonines, soit les stipulations qui attribueraient à un associé « la part du lion ».

En vertu de cette disposition sont ainsi prohibées les clauses qui :

  • attribueraient à un seul associé la totalité des bénéfices réalisés par la société
  • excluraient totalement un associé du partage des bénéfices
  • mettraient à la charge d’un associé la totalité des pertes

La présence d’une clause léonine dans les statuts n’est pas une cause de nullité de la société. La stipulation est seulement réputée non-écrite, de sorte que le partage des bénéfices et des pertes devra s’opérer proportionnellement aux apports des associés.

==> Les opérations sur titre

Depuis le début des années 1980, la problématique des clauses léonines a surtout été alimentée par le contentieux relatif aux opérations sur titres, notamment les opérations dans lesquelles des promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher interviennent.

La question s’est, en effet, posée de savoir devant les tribunaux si ces opérations de cession de titres à prix plancher n’étaient pas de nature à exonérer un associé de tout ou partie de son obligation de contribuer aux pertes.

En cas de dépréciation des titres, le cédant est assuré, en levant l’option de la promesse d’achat dont il est bénéficiaire, de céder ses droits sociaux à un prix minimum. Aussi, est-il garanti contre toute perte de valeur des titres cédés.

Dès lors, ces opérations qui ont toutes en commun de reposer sur la technique de la promesse unilatérale d’achat de droits sociaux à prix garanti, ne tomberaient-elles pas sous le coup de la prohibition des clauses léonines ?

Des réponses différentes ont été apportées par la jurisprudence à cette problématique selon l’opération en jeu.

Aussi convient-il de distinguer :

  • La cession massive de droits sociaux
  • La convention de portage
  • L’opération de capital investissement

I) Les cessions massives de droits sociaux

A) Description de l’opération

  1. La finalité de l’opération

La cession massive de droits sociaux vise, le plus souvent, à réaliser le transfert de contrôle d’une société.

2. Les parties à l’opération

  • Le cédant
    • Il s’agit de l’associé, généralement majoritaire, qui souhaite céder toute ou partie de sa participation dans la société :
      • Soit pour une raison de pure opportunité
      • Soit parce qu’il souhaite se retirer de la vie des affaires
      • Soit parce qu’il a fait l’objet d’une révocation en sa qualité de dirigeant
      • Soit parce qu’il souhaite transmettre son entreprise à un membre de sa famille
    • C’est donc lui qui détient les titres qui feront l’objet de la cession
  • Le cessionnaire
    • Il s’agit :
      • Soit d’un coassocié qui souhaite étendre sa participation dans la société
      • Soit d’un tiers qui souhaite prendre le contrôle de la société, à tout le moins y exercer un certain pouvoir

3. Le déroulement de l’opération

Afin de permettre au cessionnaire de réunir les fonds nécessaires, l’opération va se dérouler en deux temps :

  • Premier temps
    • Une première cession est conclue entre le cessionnaire et le cédant
      • Elle porte sur un nombre suffisamment important de titres pour que le cessionnaire soit en mesure de prendre le contrôle de la société.
      • Toutefois, il est un risque pour le cédant que le cessionnaire, une fois le transfert de contrôle effectué, refuse de lui racheter le reliquat de droits sociaux dont il demeure titulaire, surtout si, entre-temps, ils ont subi une perte de valeur
      • Aussi, afin de ne pas rester prisonnier de ses titres, le cédant subordonnera la première cession à la souscription par le cessionnaire d’une promesse unilatérale d’achat portant sur le restant des titres.
      • Pour se prémunir d’une dépréciation de ses droits sociaux, le cédant déterminera le prix plancher auquel la seconde cession devra s’effectuer.
  • Second temps
    • Si le cédant est toujours enclin à n’avoir plus aucune participation dans la société dont il a cédé le contrôle, il lèvera l’option d’achat dont il est bénéficiaire.
    • Le reliquat de titres dont le cédant est resté titulaire à l’issue de la première cession est alors cédé, dans le cadre d’une seconde cession, au cessionnaire.
    • L’opération est définitivement achevée.

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B) L’appréhension de l’opération par la Jurisprudence

==> Première étape : la prohibition des promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher

Pendant près d’un siècle la jurisprudence a interprété l’article 1844-1, al. 2 du Code civil de façon extrêmement restrictive.

Aussi, a-t-elle estimé que les promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher tombaient sous le coup de la prohibition des clauses léonine.

Dans un arrêt de principe du 16 janvier 1867, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la nullité frappe toute stipulation exonérant un associé de toute contribution aux pertes, sans distinguer selon qu’elle est contenue dans l’acte de société ou dans un acte séparé, selon qu’elle oblige la société entière ou seulement quelques-uns de ses membres, selon qu’elle est temporaire ou faite pour un temps déterminé » (Cass. req., 16 janv. 1867)

Manifestement, dans cette décision la haute juridiction prohibe indifféremment les stipulations :

  • selon qu’elles figurent ou non dans les statuts
  • selon que leur application est limitée entre associés ou étendue aux tiers
  • selon qu’elles ont ou non pour objet le transfert de contrôle de la société

Dans un arrêt du 10 février 1981, la chambre commerciale martelé sa position en censurant une décision de Cour d’appel par laquelle les juges du fond avait estimé que l’opération consistant à assortir une première cession de droits sociaux d’une promesse unilatérale d’achat à prix plancher en vue de réaliser à une date déterminée une seconde cession « était destinée à permettre [au cédant] de quitter la société et non de l’affranchir de toute contribution aux pertes ».

Pour la Cour de cassation, la Cour d’appel aurait, en effet, dû « rechercher si les engagements litigieux qui prévoyaient un certain nombre d’avantages, et pour plusieurs années éventuellement, au profit [du cédant], tant que celui-ci, du moins, resterait actionnaire de la société, n’avaient pas pour effet de le garantir, en tant que tel, contre tout risque de perte éventuelle » (Cass. com., 10 févr. 1981).

L’arrêt d’appel est cassé pour défaut de base légal.

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==> Critiques

À la suite de cette décision, de nombreux auteurs se sont élevés contre la position de la Cour de cassation.

Pour la doctrine majoritaire, l’interprétation restrictive de l’article 1844-1 al. 2 du Code était de nature à faire obstacle à la fluidification des échanges économiques.

En estimant que les promesses unilatérales d’achat à prix plancher s’apparentaient à des clauses léonines, la Cour de cassation restreignait, en effet, considérablement le champ des possibilités quant à réaliser le transfert de contrôle d’une société. Or il s’agit là d’un rouage essentiel à la bonne marche d’une économie.

==> Deuxième étape : la limitation de la prohibition des clauses léonines aux stipulations statutaires

Sous la pression des critiques, la Cour de cassation n’a, manifestement, eu d’autre choix que d’assouplir sa position.

Aussi, dans un arrêt du 15 juin 1982, la chambre commerciale a-t-elle jugé que la promesse unilatérale d’achat dont était assortie une cession de droits sociaux étalée dans le temps était valide alors même qu’elle prévoyait une clause fixant un prix plancher de rachat des titres.

La Cour de cassation semble néanmoins considérée que la stipulation litigieuse ne constitue pas une clause léonine en raison de sa localisation extrastatutaire.

Dans cet arrêt, elle prend, en effet, la précaution de préciser que « la clause dont les promettants contestaient la validité se trouvait contenue dans une convention portant sur les conditions dans lesquelles devaient leur être cédées les actions de la société et non dans les statuts de celle-ci ; que l’article 1855 du code civil ne visant que le contrat de société, la nullité édictée par ce texte ne peut être étendue à une telle convention »

Autrement dit, pour la Cour de cassation la prohibition des clauses léonines n’a vocation à s’appliquer qu’aux seules stipulations statutaires, soit celles qui intéressent les rapports entre la société et les associés.

Ainsi, au regard de cette décision, toutes les stipulations extrastatutaires fixant un prix plancher devraient échapper à la prohibition des clauses léonines.

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==> Critiques

Bien que cette décision ait été saluée par une partie de la doctrine, elle n’en a pas moins fait l’objet de critiques.

À la vérité, en validant la stipulation litigieuse en raison de sa localisation extrastatutaire, la Cour de cassation opère, dans l’arrêt du 15 juin 1982, une distinction, là où l’article 1844-1, al. 2 du Code civil ne distingue pas.

Comme le souligne un auteur, « l’ordre public du droit des sociétés ne s’applique pas seulement aux stipulations des statuts mais doit étendre ses prescriptions à tous les rapports sociaux et à toutes les conventions entre associés, qu’elles soient exprimées dans ou hors des statuts, sous peine d’inciter les associés à prévoir hors les statuts ce qu’ils ne peuvent prévoir à l’intérieur »[1].

Aussi, la solution nouvellement adoptée ne pouvait-elle pas rester en l’état. La chambre commerciale n’a, de la sorte, eu d’autre choix que de poursuivre le revirement amorcé.

==> Troisième étape : l’abandon par la chambre commerciale du critère de l’effet à la faveur du critère de l’objet

Dans un arrêt Bowater du 20 mai 1986 la Cour de cassation a opéré un important revirement de jurisprudence concernant les cessions de droits sociaux étalées dans le temps assorties d’une promesse d’achat à prix plancher (Cass. com., 20 mai 1986)

La chambre commerciale considère, en effet, dans cette décision que « la Cour d’appel n’avait pas à vérifier si la fixation, au jour de la promesse, d’un prix minimum, avait pour effet de libérer le cédant de toute contribution aux pertes sociales dès lors qu’elle constatait que la convention litigieuse constituait une cession ; qu’en effet est prohibée par l’article 1844-1 du Code civil la seule clause qui porte atteinte au pacte social dans les termes de cette disposition légale ; qu’il ne pouvait en être ainsi s’agissant d’une convention, même entre associés, dont l’objet n’était autre, sauf fraude, que d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, que dès lors, sans méconnaître le principe de la contradiction et sans avoir à entrer dans le détail de l’argumentation de la société Bowater, la Cour d’appel par motifs propres et adoptés, et abstraction faite de tous motifs surabondants, a décidé à bon droit que la convention litigieuse n’avait pas porté atteinte au pacte social ».

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette décision :

Sur le sens de l’arrêt

Dans l’arrêt Bowater, la Cour de cassation abandonne le critère de l’effet qu’elle remplace par le critère de l’objet. En d’autres termes, pour apprécier la validité de la promesse d’achat à prix plancher la Cour de cassation regarde, non plus l’effet de la convention, mais son objet :

  • Si la convention a pour objet une transmission pure et simple de droits sociaux, elle ne tombe pas sous le coup de la prohibition des clauses léonines, quand bien même elle a pour effet d’exonérer totalement un associé de sa contribution aux pertes.
    • Exception
      • En cas de fraude la Cour de cassation estime que, quand bien même, la clause litigieuse a pour seul objet la transmission de droits sociaux, l’article 1844-1, al. 2 a de nouveau vocation à s’appliquer.
      • Cette situation se présentera lorsque des associés recourront au mécanisme de la cession de droits sociaux, afin de se soustraire à la prohibition des clauses léonines.
  • Si la convention vise seulement à répartir les résultats de la société, on doit, à l’inverse, regarder, non plus l’objet de la clause mais son effet:
    • Si la stipulation a pour effet d’exonérer totalement un associé de sa contribution aux pertes, elle s’apparente à une clause léonine
    • Elle doit, en conséquence, être annulée.

La Cour de cassation considère que la prohibition des clauses léonines ne s’applique qu’aux relations entre la société et les associés, soit aux stipulations qui ont pour objet la répartition des résultats.

  • Lorsque la stipulation intéresse les rapports des associés entre eux, l’article 1844-1, al.2 ne s’applique pas, à condition néanmoins qu’elle ait pour objet la transmission de droits sociaux.
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation estime que pareille stipulation est « étrangère au pacte social».

La Cour de cassation abandonne clairement dans l’arrêt Bowater le critère de la localisation de la clause, lequel lui avait valu de nombreuses critiques.

  • La chambre commerciale considère, en effet, que seule « la clause qui porte atteinte au pacte social » est susceptible d’être annulée.
  • Aussi, peu importe qu’elle soit ou non localisée dans les statuts.
  • Ce qui compte, c’est qu’elle ne porte pas atteinte au contrat de société.

Sur la portée de l’arrêt

  • Dans l’arrêt Bowater, la Cour de cassation se livre à une interprétation pour le moins restrictive du domaine d’application de l’article 1844-1, al.2, en ce sens qu’elle distingue désormais :
    • Le contrat de société qui est le terrain d’élection de la prohibition des clauses léonines
    • Les cessions massives de droits sociaux dont la validité n’est plus subordonnée au respect de l’article 1844-1, al. 2, exception faite de la fraude.

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==> Quatrième étape : la résistance de la première chambre civile de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 22 juillet 1986 la première chambre civile a retenu une solution radicalement opposée à la position adoptée par la chambre commerciale dans l’arrêt Bowater (Cass. 1re civ., 22 juill. 1986).

Dans cette décision, la première chambre civile de la Cour de cassation a, en effet, estimé qu’une convention conclue entre le gérant d’une SCI qui garantissait à ce dernier un bénéfice forfaitaire, en contrepartie de quoi il devait se portait acquéreur d’un appartement détenu par la SCI devait être qualifiée de léonine.

La première chambre civile refuse, dans cette décision, d’apprécier la validité de la stipulation litigieuse en considération de son objet. Pour les magistrats, dès lors que la clause a pour effet d’exonérer un associé de sa contribution aux pertes, elle doit être annulée

La Première chambre civile a renouvelé son refus de se ranger derrière la position de la chambre commerciale, soit abandonner le critère de l’effet, dans un arrêt Levêque Houist du 7 avril 1987 (Cass. 1re civ., 7 avr. 1987).

Dans cette décision la première chambre civile reproche, en effet, à une Cour d’appel d’avoir validité une stipulation par laquelle un cessionnaire s’engageait dans le cadre d’une promesse unilatérale d’achat à racheter à prix plancher les droits sociaux du cédant, alors, selon la Cour de cassation que cet accord « avait pour effet d’affranchir [le cédant] de toute participation aux pertes de la société Ouest-Agrégats et leur assurant le remboursement intégral des sommes par elles versées pour l’achat des parts sociales et au titre des comptes courants, majorées d’un intérêt de 10 % par années écoulée – peu important que l’engagement de rachat ait été pris dans un acte distinct de la convention de cession et soit limité dans le temps ».

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Depuis l’arrêt Levêque-Houist, la première chambre civile ne s’est pas prononcée sur la validité des promesses unilatérale d’achat à prix plancher, de sorte qu’il est difficile d’affirmer que la position affirmée dans ce dernier arrêt est conforme à la position qu’elle défendrait aujourd’hui.

Les auteurs ont toutefois décelé, dans un arrêt rendu par la première chambre civile le 16 octobre 1990, un signe de ralliement de cette dernière à la position défendue par la chambre commerciale (Cass. 1re civ., 16 oct. 1990)

Dans cette décision, la première chambre civile valide, en effet, un protocole d’accord conclu entre deux sociétés qui prévoyait une répartition très inégale des pertes, le risque pesant, pour une large part, sur certains associés, tandis que les autres étaient, quant à eux, assurés de récupérer la quasi-totalité de leurs apports par un remboursement prioritaire de leur investissement.

Malgré cette exonération quasi-totale de contribution aux pertes bénéficiant à certains signataires du protocole, la Cour de cassation ne trouve rien à redire à la Cour d’appel, laquelle a « exactement énoncé que l’article 1844-1 du Code civil n’interdit pas aux associés de fixer un partage des bénéfices et des pertes dans une proportion différente des apports ».

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==> Cinquième étape : l’affermissement de la position de la chambre commerciale

Malgré le différend qui oppose la première chambre civile à la chambre commerciale sur la validité des promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher, cela n’empêche pas cette dernière de maintenir sa solution adoptée dans l’arrêt Bowater et d’en préciser les contours.

Ainsi, dans un arrêt Jallet du 10 janvier 1989, la chambre commerciale affirme que « selon l’article 1855 ancien du Code civil, seule est prohibée la clause qui porte atteinte au pacte social dans les termes de cette disposition légale ».

Elle en déduit que la promesse d’achat de droits sociaux à prix plancher dont il était question en l’espèce « était donc étrangère au pacte social et sans incidence sur l’attribution des bénéfices aux associés et sur leur contribution aux pertes » (Cass. com. 10 janv. 1989).

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Il ressort de l’arrêt Jallet que si, la Cour de cassation ne se réfère pas explicitement au critère de l’objet pour apprécier la validité de la promesse d’achat de droits sociaux, elle précise néanmoins que l’important est qu’il ne soit pas porté atteinte au pacte sociale, en ce sens que la clause doit être sans incidence sur la répartition des bénéfices dans les rapports entre la société et les associés.

==> Sixième étape : la réapparition de la référence au critère de l’objet

Dans un arrêt Lyonnaise de Banque du 19 mai 1998, la chambre commerciale fait de nouveau référence au critère de l’objet pour valider une promesse d’achat de droits sociaux à prix plancher. Dans l’espèce qui lui était soumise, elle relève que « les conventions passées entre les parties avaient pour objet d’organiser la transmission des droits sociaux, moyennant un prix librement débattu, d’où il résultait que la convention litigieuse était sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux » (Cass. com., 19 mai 1998).

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II) Les conventions de portage

A) Description de l’opération

 1. La définition de l’opération

La convention de portage se définit comme l’opération par laquelle une personne appelée porteur répond à la sollicitation d’un donneur d’ordre d’acquérir des droits sociaux, après quoi, il s’engage, passé un certain délai, à les rétrocéder à un bénéficiaire désigné qui peut être, soit un tiers, soit le donneur d’ordre lui-même.

La convention de portage consiste, autrement dit, pour le porteur à endosser temporairement la qualité d’associé sur demande du donneur d’ordre.

Pour le porteur, l’intérêt de l’opération réside dans la renumérotation qu’il perçoit en contrepartie du service qu’il rend au donneur d’ordre.

Ladite rémunération est calculée sur base d’un intérêt prorata temporis indépendamment des bénéfices réalisés par la société, dans la mesure où il est prévu que la rétrocession des titres s’effectuera à un prix plancher

2. La finalité de l’opération

La conclusion d’une convention de portage peut répondre à plusieurs objectifs :

  • Le donneur d’ordre peut recourir à la convention de portage, car il ne dispose pas de liquidités suffisantes pour acquérir les titres sociaux dont il souhaite être titulaire.
    • La convention de portage s’apparente alors à un prêt consenti par le porteur au donneur d’ordre, lequel lui remboursera les fonds avancés à l’issue de la période de portage
  • Le donneur d’ordre peut également recourir aux services d’un porteur afin de ne pas révéler immédiatement son identité aux associés dans laquelle il souhaite prendre une participation
  • Le donneur d’ordre peut encore être animé par la volonté de préparer une introduction en bourse qui débouchera sur une cession des titres confiés au porteur sur le marché.

3. Les parties à l’opération

  • Le donneur d’ordre
    • Il s’agit de l’associé qui va céder tout ou partie de ses droits sociaux au porteur
  • Le porteur
    • Il s’agit du cessionnaire des titres sociaux cédés par le donneur d’ordre
    • Le porteur sera, très souvent, un établissement financier
  • Le bénéficiaire de la convention
    • Il s’agit de la personne à laquelle le porteur va rétrocéder les droits sociaux acquis à la demande du donneur d’ordre
    • Le bénéficiaire, désigné par le donneur d’ordre, peut être :
      • Soit un tiers
      • Soit le donneur d’ordre lui-même

4. Le déroulement de l’opération

  • Premier temps : la conclusion de la convention
    • La convention de portage est conclue entre le donneur d’ordre et le porteur
    • Cette convention a pour objet de :
      • Fixer les modalités de cession et de rétrocession des droits sociaux sur lesquels porte la convention
      • Régir les rapports entre le donneur d’ordre et le porteur durant toute la durée du portage des titres
      • Afin de se prémunir d’une dépréciation des droits sociaux qu’il a acquis, le porteur exigera la détermination d’un prix plancher auquel la seconde rétrocession des titres devra s’effectuer.
  • Second temps : l’entrée de l’opération
    • Le donneur d’ordre ou la personne désignée par lui cède au porteur les droits sociaux, objet de la convention de portage, conformément aux conditions prévues initialement entre les parties
  • Troisième phase : le portage des droits sociaux
    • Durant toute la durée du portage de droits sociaux prévue par la convention, le porteur exerce toutes les prérogatives attachées à la qualité d’associé
  • Quatrième phase : la sortie de l’opération
    • Le porteur rétrocède, au prix plancher convenu dans la convention, les droits sociaux qu’il a acquis sur demande du donneur d’ordre
      • Soit à la personne désignée par le donneur d’ordre
      • Soit au donneur d’ordre lui-même

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4. Problématique de l’opération

Si la validité des cessions massives de droits sociaux à prix plancher a pu susciter un vif débat en jurisprudence, au regard de la prohibition des clauses léonines, l’interrogation est d’autant plus permise lorsque la cession intervient dans le cadre d’une opération de portage.

Deux raisons peuvent être avancées au soutien de l’irrégularité d’une opération :

  • D’une part, contrairement à la cession de droits sociaux étalée dans le temps, le porteur, qui le plus souvent est un établissement financier, n’a nullement l’intention d’être associé de la société dont il acquiert les titres.
    • La condition tenant à l’affectio societatis fait donc défaut au porteur
    • Il ne remplit donc pas tous les critères de la qualité d’associé
  • D’autre part, lors de l’acquisition des droits sociaux, le porteur est assuré de pouvoir les rétrocéder à un prix plancher, de sorte qu’il est contractuellement exonéré de l’obligation de contribution aux pertes qui échoit à tout associé
    • Ainsi, le porteur est-il garanti contre toute dépréciation des titres, ce qui pourrait être considéré comme contraire à la lettre de l’article 1844-1 du Code civil qui prohibe la stipulation de clauses léonines
    • La stipulation de la convention de portage qui prévoit que la rétrocession des droits sociaux à un prix plancher devrait, dans ces conditions, être réputée non écrite.
  • Enfin, dans un arrêt du 3 juin 1986, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que « l’affectio societatis suppose que les associés collaborent de façon effective à l’exploitation dans un intérêt commun et sur un pied d’égalité, chacun participant aux bénéfices comme aux pertes» ( com. 3 juin 1986).
    • Manifestement, dans le cadre d’une convention de portage, ni la condition tenant à l’affectio societatis, ni la condition tenant à la participation aux résultats ne sont remplies.
    • Aussi, la question de la validité de cette opération se pose.

B) L’appréhension de l’opération par la jurisprudence

==> Première étape : l’admission de la validité des conventions de portage

Dans le droit fil de l’arrêt Bowater rendu six ans plus tôt, dans un arrêt Sté Go international du 19 mai 1992, la Chambre commerciale admet la validité d’une convention de portage

Elle affirme en ce sens que « la promesse d’achat n’avait pas d’autre objet, en l’absence de toute fraude, non alléguée par la société Go international, que de permettre, moyennant un prix librement débattu, la rétrocession d’actions de la société Go international SPA à des conditions visant à assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties le 16 juillet 1987, à la suite de diverses négociations aménageant les accords du mois de janvier précédent ».

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Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • Admission de la validité des conventions de portage
    • La Cour de cassation admet, pour la première fois, la validité d’une convention de portage, malgré toutes les objections susceptibles d’être soulevées à l’encontre d’une telle opération
    • Cette position s’inscrit, sans aucun doute, dans le droit fil de l’arrêt Bowater qui avait validé les cessions massives de droits sociaux à prix plancher
    • Le cas de figure en l’espèce n’était cependant pas le même, car dans le cadre d’une convention de portage, le porteur ne répond pas exactement aux critères de l’associé.
    • Aussi, la Cour de cassation fait-elle fi du défaut d’affectio societatis dont est frappé le porteur
    • Qui plus est, si l’on se réfère au critère de l’objet adopté par la Cour de cassation dans l’arrêt Bowater, l’opération de portage n’a pas pour finalité de réaliser une transmission de droits sociaux au porteur.
    • Les titres acquis par ce dernier ont effectivement vocation à être rétrocédés (à un tiers ou au donneur d’ordre) à l’issue de la période de portage, de sorte que l’objet de l’opération est sensiblement différent de celui envisagé dans l’arrêt Bowater.
  • Condition de validité des conventions de portage
    • Il peut être observé que dans l’espèce soumise à la Cour de cassation, la convention de portage ne prévoyait pas seulement la souscription d’une promesse d’achat par le donneur d’ordre à la faveur du porteur, afin de lui garantir la possibilité de rétrocéder les titres à prix plancher.
    • La promesse d’achat permettant la rétrocession des titres portés au donneur d’ordre était, en effet, complétée par une promesse de vente rédigée dans les mêmes termes à la faveur du donneur d’ordre.
    • Ainsi, est-on en présence, de ce que l’on appelle une promesse croisée.

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  • L’intérêt de la stipulation d’une promesse croisée dans le cadre d’une convention de portage est de faire supporter un aléa lors de la rétrocession des titres, non pas au seul cessionnaire (donneur d’ordre ou tiers désigné par lui), mais également au porteur
  • Il doit, en effet, être rappelé que la rétrocession s’effectuera à prix plancher.
  • Il en résulte que :
    • Si, à l’issue du portage, la valeur des titres a baissé, alors c’est le cessionnaire qui subit la moins-value, le porteur en étant exonéré le prix plancher lui garantissant de récupérer son investissement de départ.
    • Si, en revanche, à l’issue du portage, la valeur des titres a augmenté, le cessionnaire profite seul de la plus-value, le prix plancher jouant, dans ce cas de figure, en la défaveur du porteur, celui-ci subissant un manque à gagner
  • Dans l’arrêt Go International, il peut être relevé que pour justifier la validité de la convention de portage, la Cour de cassation avance que la rétrocession s’était effectuée « à des conditions visant à assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties»
  • Aussi, l’emploi de cette formule laisse-t-il à penser que la validité de la convention de portage est subordonnée à la conclusion d’une promesse croisée.
  • Autrement dit, pour ne pas tomber sous le coup de la prohibition des clauses léonines, la chambre commerciale suggère, dans cette décision, que la promesse de rachat souscrite par le donneur d’ordre à la faveur du porteur doit être complétée par une promesse de vente portant sur les mêmes titres et libellée en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes.

==> Deuxième étape : l’affirmation de l’exigence de la conclusion de promesses croisées

Bien que, avec l’arrêt Go international, la Cour de cassation avait semblé aller un peu plus loin que le stade de l’admission de la validité des conventions de portage, notamment en se référant au critère de « l’équilibre des conventions », c’est véritablement à l’arrêt Chicot du 24 mai 1994 que l’on doit l’affirmation de leur condition de validité (Cass. com., 24 mai 1994).

Dans cette décision, la Cour de cassation reproche, en effet, à une Cour d’appel d’avoir « déclaré nulle et réputée non écrite la clause relative à la définition du prix de rachat en retenant que la clause litigieuse avait eu pour but de garantir la SDBO contre toute évolution défavorable des actions et de la soustraire à tout risque de contribution aux pertes sociales », alors que les juges du fond avaient « constaté que la cession initiale avait été complétée par des promesses croisées de rachat et de vente des mêmes actions libellées en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes, ce dont il résultait que celles-ci avaient organisé, moyennant un prix librement débattu, la rétrocession des actions litigieuses sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux ».

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La solution retenue dans l’arrêt Chicot mérite plusieurs observations :

  • Confirmation de la validité des conventions de portage
    • Par cet arrêt Chicot du 24 mai 1994, la Cour de cassation vient confirmer la validité des conventions de portage, de sorte que l’arrêt Go international n’était pas un arrêt d’espèce.
    • Ainsi, la chambre commerciale entend-elle poursuivre le mouvement de libéralisation qu’elle avait engagé avec l’arrêt Bowater en admettant que, dès lors que l’opération concerne les seuls rapports entre associés, elle n’encourt pas la qualification de stipulation léonine.
    • Ce qui importe, c’est que l’opération soit « sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux».
    • Autrement dit, il ne doit pas être porté atteinte au pacte social, ce qui n’est pas le cas lorsque l’on est en présence d’une convention de portage, cette convention n’ayant pas vocation à régir les relations entre la société et les associés.
  • L’affirmation de l’exigence de promesses croisées
    • Bien que la Cour de cassation admette les conventions de portage, dans l’arrêt Chicot, elle subordonne explicitement leur validité à l’existence d’une promesse croisée.
    • La chambre commerciale reproche, en effet, au juge du fond de n’avoir pas validé une convention de portage alors qu’ils avaient « constaté que la cession initiale avait été complétée par des promesses croisées de rachat et de vente des mêmes actions libellées en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes, ce dont il résultait que celles-ci avaient organisé, moyennant un prix librement débattu»
    • L’exigence de promesse croisée posée par la Cour de cassation témoigne manifestement de sa volonté de faire subsister un aléa sur la tête du porteur.
    • Dans l’hypothèse, en effet, où la valeur des titres augmenterait il subira un manque à gagner dans la mesure où il aura consenti au donneur d’ordre ou au cessionnaire désigné une promesse de vente à prix plancher.
    • Au vrai, en posant cette exigence de promesse croisée, la chambre commerciale révèle la difficulté qu’elle rencontre à se détacher de l’article 1844-1 du Code civil, quand bien même l’opération ne porte nullement atteinte au pacte social.
    • Qui plus est, subordonner la validité des conventions de portage à l’existence d’une promesse croisée n’est pas sans conséquences
  • Les conséquences de l’exigence de conclusion de promesses croisées
    • L’équilibre des conventions
      • En exigeant que la convention de portage soit assortie d’une promesse croisée, la Cour de cassation a pour objectif d’assurer l’équilibre des conventions, en ce sens qu’elle considère qu’un aléa doit peser les deux parties à la convention de portage
      • À défaut, le déséquilibre serait tel que l’on serait en présence d’un pacte léonin qui ne pourrait échapper aux fourches caudines de l’article 1844-1 du Code civil
    • L’application du droit de la vente
      • Aux termes de l’article 1589 du Code civil « la promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix. »
      • Aussi, conformément à cette disposition, la Cour de cassation a-t-elle régulièrement l’occasion d’affirmer que la conclusion de deux promesses croisées s’apparente à une promesse synallagmatique si bien que la vente est parfaite dès l’échange des consentements.
      • Dans un arrêt du 22 novembre 2005, la chambre commerciale a estimé en ce sens que « l’échange d’une promesse unilatérale d’achat et d’une promesse unilatérale de vente réalise une promesse synallagmatique de vente valant vente définitive dès lors que les deux promesses réciproques ont le même objet et qu’elles sont stipulées dans les mêmes termes» ( com., 22 nov. 2005).
      • Appliquée aux promesses croisées dont la Cour de cassation exige la conclusion pour reconnaître la validité des conventions de portage, cela signifie que le droit de la vente est applicable à l’opération dès l’échange des consentements entre le donneur d’ordre et le porteur
      • Deux conséquences d’inégale importance en résultent :
        • Application intempestive de la garantie des vices cachés
          • Si l’on qualifie de vente la promesse croisée dont est assortie une convention de portage, cela implique que le donneur d’ordre soit fondée à se prévaloir de la garantie des vices cachés lors de la rétrocession des titres, notamment dans l’hypothèse où lesdits titres subiraient une moins-value.
          • L’invocation de cette garantie serait cependant difficilement admissible sur le plan de l’équité dans la mesure où cela reviendrait à offrir au donneur d’ordre une échappatoire en cas de dépréciation des titres, alors qu’il est seul à l’origine du mauvais placement, le porteur n’ayant participé qu’au financement de l’opération.
          • Par chance pour le porteur, en matière de cession de droits sociaux, la Cour de cassation ne reconnaît que très exceptionnellement la faculté pour le cessionnaire d’invoquer la garantie des vices cachés.
          • Dans un arrêt du 12 janvier 2000 elle a notamment rappelé que le cessionnaire de droits sociaux n’était fondé à se prévaloir de la garantie des vices cachés que si le vice affectant les titres était de nature à les rendre impropres à leur usage ( 3e civ. 12 janv. 2000)
          • Autrement dit, pour la Cour de cassation, la garantie des vices cachés ne pourra être invoquée dans le cadre d’une cession de droits sociaux que dans l’hypothèse où le vice qui affecte les titres rend la réalisation de l’objet social impossible.
        • Anéantissement de l’opération
          • Si l’on considère que la promesse croisée dont est assortie la convention de portage s’apparente à une vente, cela signifie que le transfert de propriété opérée par la rétrocession des titres sociaux à la faveur du donneur d’ordre ou de la personne désignée, a lieu, non pas à l’issue de la période de portage, mais dès la conclusion des promesses, soit avant même que le portage ne soit intervenu.
          • Aussi, cela reviendrait-il à priver l’opération de tout son intérêt, dans la mesure où à aucun moment le porteur ne serait propriétaire des droits sociaux qu’il a pourtant vocation à « porter », conformément à la volonté des parties.
          • L’intérêt de la convention de portage réside, en effet, précisément dans le transfert de propriété des titres qui s’opère entre le donneur d’ordre et le porteur.
          • Or si ce transfert voulu par les parties est annihilé par la requalification des promesses croisées en vente, l’opération n’a plus lieu d’être.

==> Troisième étape : incertitude quant au maintien de l’exigence de promesses croisées

Après que l’arrêt Chicot a été rendu, plusieurs décisions ont semé le doute quant au maintien de l’exigence de promesses croisées quant à la validité des conventions de portage.

Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation ne se réfère plus à l’exigence de promesse croisée, si bien que certains auteurs se sont demandé si elle ne l’avait pas abandonné.

Dans cette décision, la chambre commerciale estime, en effet, que « la convention litigieuse constituait une promesse d’achat d’actions et de parts sociales, et fait ressortir qu’elle avait pour objet d’assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties »

Elle en déduit alors que « c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que la fixation au jour de la promesse, d’un prix minimum pour la cession de ces actions et parts sociales ne contrevenait pas aux dispositions de l’article 1844-1 du Code civil, dès lors que n’ayant pour objet que d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, même entre associés, elle était sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes, dans les rapports sociaux et ne portait pas atteinte au pacte social ».

Manifestement, à aucun moment la Cour de cassation ne fait référence dans cet arrêt à l’exigence de promesse croisée.

Qui plus est, dans un arrêt rendu à la même époque, la chambre commerciale censure une Cour d’appel qui, pourtant, avait appliqué, à la lettre, la solution retenue dans l’arrêt Chicot (Cass. com., 16 nov. 1999). La cassation est prononcée en l’espèce, non pas sur le fondement de l’article 1844-1 du Code civil mais au visa de l’article 4 du Code de procédure civile, ce qui laisse à penser que l’existence de promesses croisées n’était pas en cause.

==> Quatrième étape : réapparition de l’exigence de promesses croisées

Il faut attendre un arrêt Laurent du 22 février 2005 pour voir réapparaître l’exigence de promesses croisées (Cass. com., 22 févr 2005).

Pour valider une convention de portage, la Cour de cassation relève ainsi que « c’est sans dénaturation des conventions litigieuses de promesses croisées de rachat et de vente des actions, dont elle constatait qu’elles étaient rédigées en termes identiques au profit de chacune des parties, notamment quant au prix et aux modalités de leur réalisation, que la cour d’appel qui, par motifs propres et adoptés, a relevé que ces conventions ne faisaient qu’organiser, moyennant un prix librement débattu et dans des conditions assurant l’équilibre des droits respectifs des parties, la rétrocession des actions litigieuses sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux ».

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III) Les opérations de capital investissement

A) La description de l’opération

  1. La définition de l’opération

Le capital-investissement est l’opération par laquelle un investisseur participe à l’augmentation de capital d’une société en contrepartie de la garantie, après l’écoulement d’un certain délai, que les titres qu’il a acquis lui seront rachetés à un prix plancher, correspondant, a minima, au montant investi, augmenté des intérêts.

Ainsi, comme pour la cession massive de droits sociaux ou la convention de portage, l’opération de capital-investissement repose sur la conclusion d’une promesse unilatérale d’achat à prix plancher conclue à la faveur de l’investisseur.

2. La finalité de l’opération

Contrairement, à la convention de portage, l’opération de capital-investissement ne s’apparente nullement à un service qui serait rendu à un donneur d’ordre.

Les investisseurs ont, en effet, pour seul objectif de réaliser une plus-value en souscrivant à l’augmentation de capital réalisé par une société qui a besoin de capitaux propres.

Ainsi, l’investisseur n’est autre qu’un bailleur de fonds.

3. Le déroulement de l’opération

  • Premier temps
    • Une promesse d’achat à prix plancher est consentie à l’investisseur par des actionnaires ou une personne désignée
  • Deuxième temps
    • L’investisseur souscrit à l’augmentation de capital
      • Soit en rachetant des titres déjà existants auprès d’anciens actionnaires
      • Soit par apport de fonds à la société sous la forme d’une souscription directe aux titres nouvellement émis
    • Troisième temps
      • À l’issue d’un certain délai, l’investisseur lève l’option d’achat sur les titres qu’il avait acquis en souscrivant à l’augmentation de capital
      • La promesse étant assortie d’un stipulant prévoyant le rachat de ses titres à un prix plancher, l’investisseur est garanti de récupérer l’intégralité des fonds qu’il avait investis, augmentés des intérêts.

4. La problématique de l’opération

L’opération de capital investissement pose sensiblement les mêmes problèmes que la convention de portage :

  • D’une part, l’investisseur qui n’est autre qu’un bailleur de fonds n’a nullement l’intention d’être associé de la société dont il participe à l’augmentation de capital
    • La condition tenant à l’affectio societatis lui fait donc défaut
    • Il ne remplit donc pas tous les critères de la qualité d’associé
  • D’autre part, lors de sa souscription à l’augmentation de capital, l’investisseur est assuré de récupérer les fonds investis par le jeu de la promesse de rachat de ses titres à prix plancher qui lui a été consentie
    • Il est donc contractuellement exonéré de l’obligation de contribution aux pertes qui échoit à tout associé

Essentiellement, pour ces deux raisons, la question de la validité de l’opération de capital investissement se pose.

B) L’appréhension de l’opération par la jurisprudence

==> Première étape : admission de la validité de l’opération de capital-investissement

Dans un arrêt Belkhelfa du 16 novembre 2004, la Cour de cassation valide une opération de capital-investissement en approuvant une Cour d’appel d’avoir jugé que « la convention litigieuse constituait une promesse d’achat d’actions et relevé qu’elle avait pour objet, en fixant un prix minimum de cession, d’assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties en assurant à M. X…, lequel est avant tout un bailleur de fonds, le remboursement de l’investissement auquel il n’aurait pas consenti sans cette condition déterminante, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que cette clause ne contrevenait pas aux dispositions de l’article 1844-1 du Code civil dès lors qu’elle n’avait pour objet que d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux entre associés et qu’elle était sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux, peu important à cet égard qu’il s’agisse d’un engagement unilatéral de rachat ».

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Trois enseignements majeurs peuvent être tirés de cet arrêt :

  • Premier enseignement : admission de la validité des opérations de capital-investissement
    • Par cette décision, la Cour de cassation admet la validité des opérations de capital-investissement.
    • Aussi, cette position s’inscrit-elle incontestablement, comme en matière de convention de portage, dans le droit fil de la jurisprudence Bowater qui avait admis la promesse d’achat à prix plancher dont était assortie une cession de droits sociaux.
    • Le cas de figure en l’espèce n’était cependant pas le même, car dans le cadre d’une opération de capital-investissement, le bailleur de fonds ne répond en aucune manière aux critères de l’associé.
    • Aussi, la Cour de cassation fait-elle fi du défaut d’affectio societatis dont est frappé l’investisseur
  • Deuxième enseignement : abandon de l’exigence de promesses croisées à la faveur du critère de l’équilibre des conventions
    • La chambre commerciale précise dans sa motivation qu’il importait peu, en l’espèce, « qu’il s’agisse d’un engagement unilatéral de rachat».
    • La Cour de cassation entend ainsi signifier par cette formule qu’elle abandonne l’exigence de promesses croisées, en ce sens qu’elle n’est pas une condition de validité de l’opération.
    • L’abandon de cette exigence vaut-il seulement pour les opérations de capital-investissement ou doit-on étendre cet abandon aux conventions de portage ?
    • Au regard de la jurisprudence postérieure, il semble qu’il faille opter pour la seconde solution
    • Désormais, il n’est donc plus nécessaire que l’opération soit assortie de promesses croisées.
    • L’accent est désormais mis, par la Cour de cassation, sur le critère de l’équilibre des conventions.
    • Car pour la Cour de cassation, l’équilibre des conventions est sauf, dans la mesure où la promesse d’achat à prix plancher consentie à l’investisseur n’est autre que la contrepartie à l’apport de nouveaux fonds qu’il effectue dans le cadre de l’augmentation de capital.
    • La Chambre commerciale avance en ce sens que cette promesse n’était autre que l’assurance pour l’investisseur d’un « remboursement de l’investissement auquel il n’aurait pas consenti sans cette condition déterminante».
  • Troisième enseignement : introduction de la distinction entre les associés et les bailleurs de fonds
    • La Cour de cassation semble manifestement introduire dans cet arrêt la distinction entre les véritables associés, soumis au principe de prohibition des clauses léonines, et les bailleurs de fonds qui ne seraient pas concernés par l’application de ce principe.
    • Dans cette décision, la Cour de cassation considère, en effet, que c’est parce que le bénéficiaire de la promesse d’achat à prix plancher était un bailleur de fonds qu’il devait échapper au couperet de l’article 1844-1 du Code civil.
    • Cette solution se justifie par le fait que l’investisseur rend un service à la société en souscrivant à l’augmentation de son capital social.
    • La contrepartie de ce service ne peut dès lors résider pour ce dernier, outre le paiement d’intérêts, dans la garantie qu’il pourra récupérer son investissement en cas de dépréciation des titres.

==> Deuxième étape : confirmation de l’introduction de la distinction entre les véritables associés et les bailleurs de fonds

Dans un arrêt Bourgoin du 27 septembre 2005, la Cour de cassation fait de nouveau référence à la distinction entre les « véritables associés », soumis à l’article 1844-1 du Code civil et les bailleurs de fonds qui échapperait à l’application de la prohibition des clauses léonines (Cass. com., 27 sept 2005)

La Chambre commerciale affirme en ce sens que « en se référant à l’ensemble des conventions liant les parties, que la promesse litigieuse tendait à assurer à la société CDR Participations, qui est avant tout un bailleur de fonds, le remboursement de l’investissement auquel elle n’aurait pas consenti sans ce désengagement déterminant, et retenu que cette promesse avait ainsi pour objet d’assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que la fixation au jour de la promesse d’un prix minimum de cession ne contrevenait pas aux dispositions de l’article 1844-1 du Code civil, peu important à cet égard qu’il s’agisse d’un engagement unilatéral de rachat ».

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==> Troisième étape : l’apparition du critère de la fenêtre de tir

Dans un arrêt du Textilinter rendu le 22 février 2005, la Cour de cassation semble mettre en œuvre un nouveau critère pour apprécier la validité d’une opération de capital-investissement : l’existence d’une fenêtre de tir (Cass. com., 22 févr. 2005).

Dans cette affaire, la chambre commerciale reproche, en effet, à une Cour d’appel d’avoir invalidé une promesse de rachat à prix plancher conclue dans le cadre d’une opération de capital-investissement « alors qu’elle constatait que M. Z… ne pouvait lever l’option qu’à l’expiration d’un certain délai et pendant un temps limité, ce dont il résulte qu’il restait, en dehors de cette période, soumis au risque de disparition ou de dépréciation des actions, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ».

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Plusieurs observations peuvent être formulées au sujet de cet arrêt :

  • Sur le critère de la fenêtre de tir
    • Dans l’arrêt Textilinter la Cour de cassation valide une promesse unilatérale d’achat à prix plancher
    • Pour ce faire, elle relève que le bénéficiaire de la promesse « ne pouvait lever l’option qu’à l’expiration d’un certain délai et pendant un temps limité».
    • La chambre commerciale en déduit que ce dernier « restait, en dehors de cette période, soumis au risque de disparition ou de dépréciation des actions».
    • Il apparaît donc, dans cette décision, que la Cour de cassation apprécie la validité de la promesse en considération, non plus de la qualité de son bénéficiaire – elle ne cherche pas à savoir s’il est ou non bailleur de fonds – mais en considération de l’aléa auquel le promettant est soumis.
    • Or la chambre commerciale relève, en l’espèce, qu’un aléa pesait bien sur l’investisseur, dans la mesure où s’il ne levait pas l’option d’achat dans les temps, soit dans la fenêtre de tir qui avait été conventionnement convenu avec le promettant, il demeurait soumis au risque de dépréciation des titres.
    • Pour la Cour de cassation cet aléa qui ainsi pèse sur le bénéficiaire de la promesse suffirait à considérer qu’il n’est pas totalement exonéré de la contribution aux pertes.
    • La promesse unilatérale d’achat à prix plancher ne tomberait pas, par conséquent, sous le coup de la prohibition des clauses léonines.
  • Une solution contraire à l’arrêt Bowater ?
    • Certains auteurs ont fait valoir que, par une lecture a contrario, la solution rendue par la Cour de cassation laisserait à penser qu’elle revient sur l’arrêt Bowater.
    • Si, en effet, l’on considère que la validité de la promesse unilatérale d’achat à prix plancher est subordonnée à l’existence d’un aléa qui pèserait sur le bénéficiaire, a contrario cela signifie que si la promesse n’est enfermée dans aucun délai elle devrait être qualifiée de léonine
    • Or dans l’arrêt Bowater, la Cour de cassation considère que le caractère léonin d’une promesse unilatérale d’achat à prix plancher doit être apprécié en considération, non pas de l’existence d’un délai d’option dans lequel elle serait enfermée, mais de son objet : la transmission de droits sociaux.

[1] F.-X. Lucas, Théorie des bénéfices et des pertes – Clauses léonines, JurisClasseur Sociétés TraitéJurisClasseur Sociétés Traité

Le régime de l’action en nullité des sociétés

I) La titularité de l’action en nullité

Aux termes de l’article 31 du Code de procédure civil « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

Ainsi, pour engager une action en nullité, cela suppose-t-il pour le requérant de justifier d’une qualité à agir.

Or en matière de nullité, la qualité à agir dépend de la nature de l’intérêt protégé par la règle sanctionnée par la nullité.

  • Lorsque la nullité est relative, soit lorsqu’elle vise à sanctionner le non-respect d’une règle d’ordre public de protection, ont seules qualité à agir les personnes dont le législateur a souhaité assurer la protection, à condition que le demandeur justifie d’un intérêt à agir.
    • Les règles dont le non-respect est sanctionné par une nullité relative sont celles qui concernent :
      • Les vices du consentement
      • Le défaut de consentement
        • La Cour de cassation l’assimile régulièrement, à tort, au vice du consentement ( Com. 20 juin 1989)
      • L’incapacité
  • Lorsque la nullité est absolue, soit lorsqu’elle vise à sanctionner le non-respect d’une règle d’ordre public de direction, ont qualité à agir toutes les personnes susceptibles de se prévoir d’un intérêt à agir
    • Les règles dont le non-respect est sanctionné par une nullité absolue sont celles relatives :
      • Au défaut d’affectio societatis
      • Au défaut d’apport
      • À l’absence de pluralité d’associé
      • Au défaut d’accomplissement des formalités de publicité relatives à une société en nom collectif ou en commandite simple
      • La fraude
      • L’illicéité de l’objet social
      • Le défaut d’acte constitutif

II) La prescription de l’action en nullité

Par exception à l’article 2224 du Code civil qui prévoit que l’action en nullité se prescrit par 5 ans, le délai de prescription est raccourci à 3 ans en matière de nullité de société

Les articles 1844-14 du Code civil et L. 235-9 du Code de commerce disposent en ce sens que « les actions en nullité de la société ou d’actes et délibérations postérieurs à sa constitution se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue. »

Quid du point de départ de la prescription lorsque l’irrégularité qui entache la constitution de la société persiste au cours de la vie sociale, tel que le défaut d’affectio societatis ou l’illicéité de l’objet social ?

Dans un arrêt remarqué du 20 novembre 2001, la Cour de cassation a estimé que « les actions en nullité de la société se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue » (Cass. 1ère civ., 20 nov. 2001)

Ainsi, la haute juridiction reproche à la Cour d’appel d’avoir jugé que « s’agissant d’une nullité permanente, seule la disparition de la cause de celle-ci, soit la reconstitution d’une affectio societatis fait courir la prescription de trois ans de l’article 1844-14 du Code civil »

Pour la première chambre civile, le point de départ du délai de prescription n’est pas le jour de la disparition de la cause de nullité, mais au jour. Le délai court dès lors que la cause de nullité survient.

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III) L’exception de nullité

Conformément à l’adage quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum, la nullité est toujours susceptible d’être opposée comme exception en défense à une action principale en exécution d’une obligation.

La Cour de cassation a notamment rappelé cette règle, applicable en matière de nullité de société, dans un arrêt du 20 novembre 1990 (Cass. com., 20 nov. 1990)

La chambre commerciale affirme en ce sens que « si l’action en nullité d’une délibération d’une assemblée générale prise en violation des statuts de la société est soumise à la prescription triennale instituée par l’article 1844-14 du Code civil, l’exception de nullité est perpétuelle ».

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Dans un arrêt du 25 novembre 1998, la Cour de cassation réitère sa solution en affirmant que « la prescription d’une action en nullité n’éteint pas le droit d’opposer celle-ci comme exception en défense à une action principale » (Cass. 3e civ., 25 nov. 1998).

Dans un arrêt du 13 février 2007, la première chambre civile a néanmoins précisé que « l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté » (Cass. 1ère civ. 13 févr. 2007)

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IV) La régularisation de la nullité

Lors de l’élaboration du régime de nullité, le législateur ne s’est pas contenté de restreindre les causes de nullité, il a, en parallèle, considérablement facilité la régularisation des sociétés dont la constitution est entachée d’une irrégularité.

Deux cas de figure doivent être distingués :

  • La régularisation constatée
    • Aux termes de l’article L. 235-3 du Code de commerce, « l’action en nullité est éteinte lorsque la cause de la nullité a cessé d’exister le jour où le tribunal statue sur le fond en première instance, sauf si cette nullité est fondée sur l’illicéité de l’objet social»
    • Aux termes de l’article L. 235-4 du Code de commerce :
      • Le tribunal de commerce, saisi d’une action en nullité, peut, même d’office, fixer un délai pour permettre de couvrir les nullités
      • Le Tribunal peut prononcer la nullité moins de deux mois après la date de l’exploit introductif d’instance. »
      • Si, pour couvrir une nullité, une assemblée doit être convoquée ou une consultation des associés effectuée, et s’il est justifié d’une convocation régulière de cette assemblée ou de l’envoi aux associés du texte des projets de décision accompagné des documents qui doivent leur être communiqués, le tribunal accorde par jugement le délai nécessaire pour que les associés puissent prendre une décision.
  • La régularisation provoquée
    • Plusieurs hypothèses doivent être distinguées
      • En cas de vice du consentement ou d’incapacité d’un associé
        • Toute personne y ayant intérêt peut mettre en demeure celui qui est susceptible de l’opérer, soit de régulariser, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. Cette mise en demeure est dénoncée à la société (art. L. 235-6 C. com)
      • En cas de violation des règles de publicité
        • Toute personne ayant intérêt à la régularisation de l’acte peut mettre la société en demeure d’y procéder, dans le délai fixé par décret en Conseil d’État. À défaut de régularisation dans ce délai, tout intéressé peut demander la désignation, par décision de justice, d’un mandataire chargé d’accomplir la formalité ( L. 235-7 C. com)
      • En cas d’irrégularité quelconque
        • Si les statuts ne contiennent pas toutes les énonciations exigées par la loi et les règlements ou si une formalité prescrite par ceux-ci pour la constitution de la société a été omise ou irrégulièrement accomplie, tout intéressé est recevable à demander en justice que soit ordonnée, sous astreinte, la régularisation de la constitution. Le ministère public est habile à agir aux mêmes fins ( L. 210-7, al. 2 C. com)

V) Les effets de la nullité

  • Les effets de la nullité à l’égard de la société
    • Absence de rétroactivité
      • Aux termes de l’article 1844-15 du Code civil la nullité a pour effet
        • De mettre fin, sans rétroactivité, à l’exécution du contrat de société (al. 1)
        • De produire les effets d’une dissolution prononcée par justice (al. 2)
      • Ainsi la nullité de la société n’opère que pour l’avenir. Elle n’a point d’effet rétroactif, de sorte qu’elle ne donnera pas lieu au jeu des restitutions.
    • Effet d’une dissolution
      • La nullité de la société produit les mêmes effets qu’une dissolution
      • Ainsi, conformément à l’article 1844-8 du Code civil :
        • « La dissolution de la société entraîne sa liquidation, hormis les cas prévus à l’article 1844-4 et au troisième alinéa de l’article 1844-5. Elle n’a d’effet à l’égard des tiers qu’après sa publication.
        • Le liquidateur est nommé conformément aux dispositions des statuts. Dans le silence de ceux-ci, il est nommé par les associés ou, si les associés n’ont pu procéder à cette nomination, par décision de justice. Le liquidateur peut être révoqué dans les mêmes conditions. La nomination et la révocation ne sont opposables aux tiers qu’à compter de leur publication. Ni la société ni les tiers ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d’une irrégularité dans la nomination ou dans la révocation du liquidateur, dès lors que celle-ci a été régulièrement publiée.
        • La personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu’à la publication de la clôture de celle-ci.
        • Si la clôture de la liquidation n’est pas intervenue dans un délai de trois ans à compter de la dissolution, le ministère public ou tout intéressé peut saisir le tribunal, qui fait procéder à la liquidation ou, si celle-ci a été commencée, à son achèvement.»
  • Les effets de la nullité à l’égard des tiers
    • Principe
      • L’article 1844-16 du Code civil prévoit que « ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d’une nullité à l’égard des tiers de bonne foi»
      • Cela signifie que la nullité leur est inopposable.
      • Ils sont donc toujours fondés à se prévaloir des engagements souscrits envers eux par la société
    • Exception
      • L’article 1844-16 du Code civil pose une exception au principe d’inopposabilité de la nullité aux tiers de bonne foi :
        • « la nullité résultant de l’incapacité ou de l’un des vices du consentement est opposable même aux tiers par l’incapable et ses représentants légaux, ou par l’associé dont le consentement a été surpris par erreur, dol ou violence»

La restriction des causes de nullité des sociétés par le droit de l’Union européenne (Jurisprudence Marleasing)

==> Les causes de nullité en droit de l’Union européenne

Le Conseil de l’Union européenne a adopté le 9 mars 1968 une directive « tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers » (directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968 )

L’objectif affiché par le législateur européen est, selon ses termes, « d’assurer la sécurité juridique dans les rapports entre la société et les tiers ainsi qu’entre les associés, de limiter les cas de nullité ainsi que l’effet rétroactif de la déclaration de nullité et de fixer un délai bref pour la tierce opposition à cette déclaration ».

Ainsi, la directive du 9 mars 1968 a été adoptée dans le dessein de réduire les causes de nullité des sociétés à la portion congrue.

Il peut être observé que ce texte ne concerne que les sociétés commerciales, de sorte que les sociétés de personne sont exclues de son champ d’application.

Aussi, l’article 11 de ce texte énonce que :

« La législation des États membres ne peut organiser le régime des nullités des sociétés que dans les conditions suivantes: 1. la nullité doit être prononcée par décision judiciaire;

les seuls cas dans lesquels la nullité peut être prononcée sont:

a) le défaut d’acte constitutif ou l’inobservation, soit des formalités de contrôle préventif, soit de la forme authentique;

b) le caractère illicite ou contraire à l’ordre public de l’objet de la société;

 c) l’absence, dans l’acte constitutif ou dans les statuts, de toute indication au sujet soit de la dénomination de la société, soit des apports, soit du montant du capital souscrit, soit de l’objet social;

 d) l’inobservation des dispositions de la législation nationale relatives à la libération minimale du capital social;

 e) l’incapacité de tous les associés fondateurs;

 f) le fait que, contrairement à la législation nationale régissant la société, le nombre des associés fondateurs est inférieur à deux.

En dehors de ces cas de nullité, les sociétés ne sont soumises à aucune cause d’inexistence, de nullité absolue, de nullité relative ou d’annulabilité »

==> Confrontation avec les causes de nullité en droit interne

Pour mémoire, en droit interne, deux textes énoncent les causes de nullités encourues par une société :

  • L’article 1844-10 du Code civil prévoit que « la nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions des articles 1832, 1832-1, alinéa 1er, et 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général.»
  • L’article L. 235-1 du Code de commerce prévoit que « La nullité d’une société ou d’un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats.»

Il ressort de la combinaison de ces deux articles que la nullité d’une société peut résulter :

  • Soit de la violation d’une disposition qui compose le régime général du contrat
  • Soit de la violation d’une disposition spéciale qui régit le contrat de société
  • Soit de la violation d’une disposition expresse du Livre II du Code de commerce

À l’examen, il ressort de la confrontation du droit interne et du droit de l’Union européenne, que de nombreuses causes de nullité édictées en droit français ne sont pas prévues par l’article 11 de la directive du 9 mars 1968.

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Arrêt Marleasing

(CJCE, 13 nov. 1990)

Dans un arrêt du 13 novembre 1990, la Cour de justice de l’Union européenne a été conduite à se prononcer sur l’interprétation à donner de l’article 11 de la directive du 9 mars 1968 qui restreint les causes de nullité des sociétés.
1 Par ordonnance du 13 mars 1989, parvenue à la Cour le 3 avril suivant, le juge de première instance et d’ instruction n° 1 d’ Oviedo a posé, en vertu de l’ article 177 du traité CEE, une question préjudicielle concernant l’ interprétation de l’ article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’ article 58, deuxième alinéa, du traité CEE pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers ( JO L 65, p . 8 ).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’ un litige opposant la société Marleasing SA, la requérante au principal, à un certain nombre de défenderesses au nombre desquelles figure La Comercial Internacional de Alimentación SA ( ci-après : “La Comercial “). Cette dernière a été constituée sous la forme d’ une société anonyme par trois personnes, parmi lesquelles se trouve la société Barviesa, qui a fait apport de son patrimoine .
3 Il résulte des motifs de l’ ordonnance de renvoi que Marleasing a conclu à titre principal, sur la base des articles 1261 et 1275 du code civil espagnol, qui privent de tout effet juridique les contrats sans cause ou dont la cause est illicite, à l’ annulation du contrat de société instituant La Comercial, au motif que la constitution de cette dernière serait dépourvue de cause juridique, entachée de simulation et serait intervenue en fraude des droits des créanciers de la société Barviesa, cofondatrice de la défenderesse . La Commercial a conclu au rejet intégral de la demande en invoquant, notamment, le fait que la directive 68/151, précitée, dont l’ article 11 dresse la liste limitative des cas de nullité des sociétés anonymes, ne fait pas figurer l’ absence de cause juridique parmi ces cas .
4 La juridiction nationale a rappelé que, conformément à l’ article 395 de l’ acte relatif aux conditions d’ adhésion du royaume d’ Espagne et de la République portugaise aux Communautés européennes ( JO 1985, L 302, p . 23 ), le royaume d’ Espagne était tenu de mettre la directive en vigueur dès son adhésion, transposition qui n’ avait pas encore eu lieu au jour de l’ ordonnance de renvoi . Considérant donc que le litige soulevait un problème d’ interprétation du droit communautaire, la juridiction nationale a posé à la Cour la question suivante :
“L’ article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil du 9 mars 1968, qui n’a pas été mise en œuvre dans le droit interne, est-il directement applicable pour empêcher la déclaration de nullité d’une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à l’article précité ?”
5 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure et des observations présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d’audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .
6 Sur la question de savoir si un particulier peut se prévaloir de la directive à l’encontre d’une loi nationale, il convient de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier et, par conséquent, la disposition d’une directive ne peut pas être invoquée en tant que telle à l’encontre d’une telle personne ( arrêt du 26 février 1986, Marshall, 152/84, Rec . p . 723 ).
7 Il ressort, toutefois, du dossier que la juridiction nationale vise, en substance, à savoir si le juge national qui est saisi d’un litige dans une matière entrant dans le domaine d’application de la directive 68/151, précitée, est tenu d’interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive, afin d’empêcher la déclaration de nullité d’une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à son article 11 .
8 En vue de répondre à cette question, il convient de rappeler que, comme la Cour l’ a précisé dans son arrêt du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, point 26 ( 14/83, Rec . p . 1891, l’obligation des États membres, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir, en vertu de l’article 5 du traité, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation s’imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles. Il s’ensuit qu’en appliquant le droit national, qu’il s’agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l’interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l’article 189, troisième alinéa, du traité .
9 Il s’ensuit que l’exigence d’une interprétation du droit national conforme à l’article 11 de la directive 68/151, précitée, interdit d’interpréter les dispositions du droit national relatives aux sociétés anonymes d’une manière telle que la nullité d’une société anonyme puisse être prononcée pour des motifs autres que ceux qui sont limitativement énoncés à l’article 11 de la directive en cause .
10 En ce qui concerne l’ interprétation à donner à l’ article 11 de la directive, et notamment son paragraphe 2, sous b ), il y a lieu de constater que cette disposition interdit aux législations des États membres de prévoir une annulation judiciaire en dehors des cas limitativement énoncés dans la directive, parmi lesquels figure le caractère illicite ou contraire à l’ ordre public de l’ objet de la société .
11 Selon la Commission, l’expression “l’objet de la société” doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement l’objet de la société, tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts. Il s’ensuivrait que la déclaration de nullité d’une société ne pourrait pas résulter de l’activité qu’elle poursuit effectivement, telle que, par exemple, spolier les créanciers des fondateurs.
12 Cette thèse doit être retenue. Ainsi qu’il ressort du préambule de la directive 65/151, précitée, son but était de limiter les cas de nullité et l’effet rétroactif de la déclaration de nullité afin d’assurer la “sécurité juridique dans les rapports entre la société et les tiers ainsi qu’entre les associés” ( sixième considérant ). De plus, la protection des tiers “doit être assurée par des dispositions limitant, autant que possible, les causes de non-validité des engagements pris au nom de la société “. Il s’ensuit, dès lors, que chaque motif de nullité prévu par l’article 11 de la directive est d’interprétation stricte. Dans de telles circonstances, les mots “l’objet de la société” doivent être compris comme se référant à l’objet de la société tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts.
13 11 y a donc lieu de répondre à la question posée que le juge national qui est saisi d’un litige dans une matière entrant dans le domaine d’application de la directive 68/151 est tenu d’interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive, en vue d’empêcher la déclaration de nullité d’une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à son article 11 .

Faits :

  • La société engage une action en nullité contre la société La Comerciale, à laquelle elle reproche d’avoir été constituée en violation des articles 1261 et 1275 du Code civil espagnol
  • Or ces dispositions sanctionnent par la nullité les contrats conclus sans cause ou dont la cause est illicite
  • Plus précisément, la société Marleasing reproche à la société La Comerciale de n’avoir été constituée que pour soustraire du gage des créanciers, parmi lesquels figure la société Marleasing, l’actif d’une tierce société, la société Barviesa, cofondatrice de la société Marleasing.
  • En défense, la société La comerciale soutient que dans la mesure où la directive du 9 mars 1968 n’érige pas l’absence de cause ou la cause illicite comme une cause de nullité des sociétés. Or la liste des causes de nullité dressée par ce texte est limitative.

Procédure :

  • La juridiction espagnole saisie du litige pose à la Cour de justice, sur la base de l’article 177 du traité, une question préjudicielle concernant l’interprétation de l’article 11 de la directive 68/151/CEE du 9 mars 1968.

Problème de droit :

  • Il est demandé à la Cour si l’existence d’une cause illicite s’agissant de la constitution d’une société peut constituer un cas de nullité au sens de l’article 11 de la directive

Solution :

  • La CJUE estime que l’article 11 de la directive est d’interprétation stricte
  • Par conséquent, les législations nationales ne peuvent pas prévoir comme cause de nullité d’autres cas que ceux prévus par l’article 11 de ladite directive
  • La CJUE poursuit en jugeant que l’expression « objet social » visée à l’article 11 doit s’entendre comme l’objet social défini dans les statuts de la société.
  • La CJUE refuse dès lors que soit pris en compte pour apprécier la licéité de l’objet, l’objet réel de la société. Seul compte l’objet statutaire

Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • Sur la restriction des causes de nullité
    • La CJUE juge, sans ambiguïté que « l’exigence d’une interprétation du droit national conforme à l’article 11 de la directive 68/151, précitée, interdit d’interpréter les dispositions du droit national relatives aux sociétés anonymes d’une manière telle que la nullité d’une société anonyme puisse être prononcée pour des motifs autres que ceux qui sont limitativement énoncés à l’article 11 de la directive en cause ».
    • Ainsi, la liste des causes de nullité dressée par la directive est limitative.
    • En dehors des cas prévus par le texte communautaire, les juges nationaux ne sont pas fondés à prononcer la nullité d’une société
  • Sur la notion d’objet social
    • Tout d’abord la CJUE affirme que « en ce qui concerne l’interprétation à donner à l’article 11 de la directive, et notamment son paragraphe 2, sous b ), il y a lieu de constater que cette disposition interdit aux législations des États membres de prévoir une annulation judiciaire en dehors des cas limitativement énoncés dans la directive, parmi lesquels figure le caractère illicite ou contraire à l’ordre public de l’objet de la société»
    • Ensuite, la juridiction européenne estime que si la nullité d’une société est prononcée sur le fondement de l’illicéité de son objet social, le caractère illicite ou contraire à l’ordre public de celui-ci doit être apprécié au regard des statuts de la société
    • Elle affirme en ce sens que « la déclaration de nullité d’une société ne pourrait pas résulter de l’activité qu’elle poursuit effectivement, telle que, par exemple, spolier les créanciers des fondateurs »
    • Autrement dit, seul l’objet social statutaire doit être pris en compte pour prononcer la nullité d’une société et non son objet réel.
    • Au soutien de sa décision la CJUE invoque la position de la Commission européenne qui a eu l’occasion d’affirmer que « l’objet de la société” doit être interprété en ce sens qu’elle vise exclusivement l’objet de la société, tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts».
  • Sur la justification de la solution dégagée par la CJUE
    • Il ressort de la ratio legis de la directive que le but affiché par le législateur européen est de réduire à la portion congrue les causes de nullité des sociétés
    • La CJUE est animée par le souci de protection des tiers, comme le signale l’intitulé du texte communautaire.
  • Critiques
    • En souhaitant conférer aux tiers une protection dans leurs rapports avec les sociétés, la CJUE restreint de façon déraisonnable les causes de nullité des sociétés
    • Qui plus est, on est légitimement en droit de se demander si, au regard de cet arrêt Marleasing, les causes de nullité visées par la directive ne seraient pas des cas d’école.
    • Comment, en effet, envisager que des associés puissent prévoir un objet statutaire illicite lors de la constitution de leur société ? Cela n’aurait pas de sens
    • Cette hypothèse ne se rencontrera donc jamais en pratique.
    • Par ailleurs, la CJUE tend à présenter la nullité comme portant gravement atteinte aux intérêts des tiers.
    • Toutefois c’est oublier qu’en droit des sociétés
      • D’une part, la nullité opère sans rétroactivité
      • D’autre part, la nullité n’est pas opposable aux tiers de bonne foi
    • Au total, à trop vouloir réduire les causes de nullité, la CJCE les réduit avec cette décision dans une proportion difficilement justifiable

==> Réception de la jurisprudence Marleasing en droit français

Manifestement, la jurisprudence Marleasing a, dans un premier temps, été accueillie pour le moins fraîchement en droit interne, après quoi une période d’incertitude s’est installée en jurisprudence.

Deux décisions ont particulièrement retenu l’attention :

  • L’arrêt Demuth ( com. 18 janv. 1992)
    • L’arrêt Démuth rendu par la Cour de cassation le 18 janvier 1992 témoigne de cette hostilité des juridictions française à l’égard de la position adoptée par la CJUE.
    • Pour mémoire, dans cet arrêt, la Haute juridiction admet qu’une société qui a été constituée dans un but frauduleux puisse être annulée, alors que la fraude n’est pas une cause de nullité visée par la directive du 9 mars 1968.
  • L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 21 septembre 2001
    • Il s’agissait en l’espèce d’une action en nullité engagée à l’encontre d’une société en raison de l’apport fictif réalisé par ses associés dans le dessein de couvrir l’attribution d’actions à trois des associés
    • Cependant, le défaut d’apport, ou l’apport fictif n’est pas une cause de nullité prévue par la directive du 9 mars 1968
    • À la surprise générale, par un arrêt du 21 septembre 2001, la Cour d’appel de Paris déboute le demandeur de ses demandes et refuse de prononcer la nullité de la société anonyme pour apport fictif (CA Paris, 21 sept. 2001).
    • Les juges parisiens estiment que « l’article L. 235-1 du Code de commerce, en ce qu’il se réfère aux dispositions du droit commun des contrats comme cause de nullité d’un contrat de société, n’est pas compatible avec les dispositions de l’article 11 de la directive susvisée qui énumère de manière limitative les causes de nullité de la société »
    • Autrement dit, pour la Cour d’appel, que dans la mesure que, le défaut d’apport où l’apport fictif n’est pas une cause de nullité au sens de l’article 11 de la directive, la société en l’espèce ne saurait faire l’objet d’une annulation, conformément au principe de primauté du droit communautaire sur le droit national dégagé dans l’arrêt Costa c. Enel de la CJUE du 15 juillet 1964.

==> Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 10 novembre 2015, la Cour de cassation semble s’être ralliée à la position adoptée par la CJUE dans l’arrêt Marleasing.

La Cour de cassation affirme, en effet, « qu’il résulte des dispositions des articles 1833 et 1844-10 du code civil, qui doivent, en ce qui concerne les causes de nullité des sociétés à responsabilité limitée, être analysées à la lumière de l’article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, repris à l’article 12 de la directive 2009/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, tel qu’interprété par l’arrêt de la Cour de justice de l’union européenne du 13 novembre 1990, (Marleasing SA/Comercial Internacional de Alimentación SA, C-106/89) que la nullité d’une société tenant au caractère illicite ou contraire à l’ordre public de son objet doit s’entendre comme visant exclusivement l’objet de la société tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts »

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Faits :

  • Une société qui souhaitait réaliser une opération immobilière soutient qu’une SARL a été constituée dans l’unique but de contester devant la juridiction administrative les permis de construire qu’elle avait obtenu.

Procédure :

  • Par un arrêt du 20 mars 2014, la Cour d’appel d’Aix en Provence déboute la société requérante de sa demande d’annulation
  • Les juges du fond estiment que le fait d’avoir constitué une société dans le seul but de contester des permis de construire n’est pas une cause de nullité
  • Seule la responsabilité du gérant est susceptible d’être recherchée

Solution :

  • Par son arrêt du 15 novembre 2015, la Cour de cassation rejette le pourvoi en se conformant, pour la première fois, à la position de la CJUE adoptée dans l’arrêt Marleasing
  • Deux points retiennent l’attention :
  • Sur la nullité de la société
    • La chambre commerciale estime que « dispositions des articles 1833 et 1844-10 du code civil, qui doivent, en ce qui concerne les causes de nullité des sociétés à responsabilité limitée, être analysées à la lumière de l’article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, repris à l’article 12 de la directive 2009/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009»
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation, en dehors des cas expressément prévus par la directive, une société ne saurait faire l’objet d’une annulation
    • On peut en déduire que la haute juridiction entend, à l’avenir, apprécier la nullité d’une société qu’au regard du seul texte communautaire.
    • Toutes les causes de nullités qui, jusqu’à présent, étaient admises en droit français et qui ne sont pas prévues par la directive, ont donc vocation à disparaître.
    • Cela concerne :
      • La fictivité de la société pour défaut de consentement
      • Les vices du consentement
      • Le défaut d’apport
      • Le défaut d’affectio societatis
  • Sur l’appréciation de l’illicéité de l’objet social
    • La Cour de cassation retient exactement la même solution que celle adoptée par la CJUE dans l’arrêt Marleasing : pour apprécier l’illicéité de l’objet social seul doit être pris en compte l’objet statutaire et non l’objet réel de la société
    • La chambre commerciale affirme en ce sens que « la nullité d’une société tenant au caractère illicite ou contraire à l’ordre public de son objet doit s’entendre comme visant exclusivement l’objet de la société tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts».

La nullité des sociétés

En tant qu’elle constitue un acte juridique, la société devrait, en théorie, encourir la nullité toutes les fois que l’un de ses éléments constitutifs fait défaut.

La société n’est, cependant, pas un acte ordinaire. Le pacte social que les associés ont conclu lors de la constitution de la société donne naissance à une personne morale qui jouit d’une pleine et entière capacité juridique.

Dans cette perspective, lorsque les tiers nouent des relations économiques avec la société, ils contractent, non pas directement avec les associés, mais avec une personne morale en considération de son autonomie patrimoniale. On dit alors que la société fait écran, en ce sens qu’elle s’interpose entre les associés et les tiers.

Dès lors, dans l’hypothèse où la société ferait l’objet d’une annulation, il est un risque que ses créanciers se retrouvent sans débiteurs. Les recours dont ils disposent contre les associés sont, en effet, par nature, pour le moins aléatoires et limités.

Aussi, afin de procurer aux tiers de bonne foi la sécurité juridique qu’ils sont légitimement en droit d’attendre dans leurs rapports avec une société, le législateur, notamment européen, a considérablement restreint les causes de nullité (I), tout autant qu’il a encadré les modalités d’exercice de l’action en nullité (II).

I) Les causes de nullité

Deux textes énoncent les causes de nullités encourues par une société :

  • L’article 1844-10 du Code civil prévoit que « la nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions des articles 1832, 1832-1, alinéa 1er, et 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général.»
  • L’article L. 235-1 du Code de commerce prévoit que « La nullité d’une société ou d’un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats.»

Il ressort de la combinaison de ces deux articles que la nullité d’une société peut résulter :

  • Soit de la violation d’une disposition qui compose le régime général du contrat
  • Soit de la violation d’une disposition spéciale qui régit le contrat de société
  • Soit de la violation d’une disposition expresse du Livre II du Code de commerce

Nonobstant le silence des textes, il convient d’ajouter, à ces trois séries de causes de nullité, la fraude dont la jurisprudence estime, conformément à l’adage fraus omnia corrumpit, qu’elle constitue également une cause de nullité.

A) La nullité résultant de la violation d’une disposition qui compose le régime général du contrat

Aux termes du nouvel article 1128 du Code civil, « sont nécessaires à la validité d’un contrat :

  • Le consentement des parties ;
  • Leur capacité de contracter ;
  • Un contenu licite et certain. »
  1. Le consentement des associés

Les articles 1832 et 1128 du Code civil ayant érigé le consentement comme une condition de validité du contrat de société, celui-ci est nul dès lors que les associés n’ont pas valablement consenti à leur engagement.

Aussi, cela suppose-t-il que le consentement des associés existe et qu’il ne soit pas vicié

a) L’existence du consentement des associés

La condition relative à l’existence du consentement se traduit, en droit des sociétés, par l’exigence d’un consentement non simulé.

La simulation consiste pour les associés à donner l’apparence de constituer une société alors que la réalité est toute autre.

Aussi, la simulation peut-elle prendre trois formes différentes. Elle peut porter :

  • Sur l’existence du contrat de société
  • Sur la nature du contrat conclu entre eux
  • Sur la personne d’un ou plusieurs associés

==> La simulation portant sur l’existence du contrat de société

Dans l’hypothèse où la simulation porte sur l’existence du contrat de société, on dit que la société est fictive.

  • Notion de fictivité
    • Une société est fictive lorsque les associés n’ont nullement l’intention de s’associer, ni même de collaborer
    • Ils poursuivent une fin étrangère à la constitution d’une société
  • Caractères de la fictivité
    • Les juges déduiront la fictivité de la société en constatant le défaut d’un ou plusieurs éléments constitutifs de la société
      • Défaut d’affectio societatis
      • Absence d’apport
      • Absence de pluralité d’associé
  • Sanction de la fictivité
    • Il convient de distinguer selon que la société fait ou non l’objet d’une procédure collective :
      • Si la société fictive fait l’objet d’une procédure collective
        • Dans un arrêt Lumale du 16 juin 1992, la Cour de cassation a estimé « qu’une société fictive est une société nulle et non inexistante» ( com. 16 juin 1992).
        • Il en résulte plusieurs conséquences :
          • La nullité ne produit aucun effet rétroactif conformément à l’article 1844-15 du Code civil qui prévoit que « lorsque la nullité de la société est prononcée, elle met fin, sans rétroactivité, à l’exécution du contrat. »
          • La nullité n’est pas opposable aux tiers de bonne foi conformément à l’article 1844-16 du Code civil qui prévoit que « ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d’une nullité à l’égard des tiers de bonne foi»
          • L’action en nullité se prescrit par trois ans

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  • Si la société fictive ne fait pas l’objet d’une procédure collective
    • Dans un arrêt Franck du 19 février 2002, la Cour de cassation a estimé ( com. 19 févr. 2002) que la fictivité d’une société soumise à une procédure collective devait être sanctionnée par l’extension de ladite procédure au véritable maître de l’affaire, conformément à l’article L. 621-2 du Code de commerce pris en son alinéa 2.
      • Cette disposition prévoit que « à la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale. »
    • Autrement dit, en cas de procédure collective ouverte à l’encontre d’une société fictive, la fictivité est inopposable aux créanciers, en ce sens que ses associés ne sauraient se prévaloir d’une quelconque nullité du contrat de société.
    • Rien n’empêche, dès lors, que la procédure collective soit étendue au véritable maître de l’affaire.

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==> La simulation portant sur la nature du contrat conclu entre les associés

Cette hypothèse se rencontre lorsque la conclusion du pacte social dissimule une autre opération.

Sous couvert de la constitution d’une société, les associés ont, en effet, pu vouloir dissimuler une donation ou bien encore un contrat de travail.

Aussi, les associés sont-ils animés, le plus souvent, par une intention frauduleuse.

Ils donnent au pacte qu’ils concluent l’apparence d’un contrat de société, alors qu’il s’agit, en réalité, d’une opération dont ils se gardent de révéler la véritable nature aux tiers.

==> La simulation portant sur la personne d’un ou plusieurs associés

Cette catégorie de simulation correspond à l’hypothèse de l’interposition de personne. Autrement dit, l’associé apparent sert de prête-nom au véritable associé qui agit, dans le secret, comme un donneur d’ordre.

Dans cette configuration deux contrats peuvent être identifiés :

  • Le contrat de société
  • Le contrat de mandat conclu entre l’associé apparent (le mandataire) et le donneur d’ordre (le mandant)

Quid de la validité de la simulation par interposition de personne ?

  • Principe
    • Dans un arrêt du 30 janvier 1961, la Cour de cassation a jugé que « une souscription par prête-noms ne constitue pas en elle-même une cause de nullité des lors qu’ils constatent que la simulation incriminée ne recouvre aucune fraude et que la libération des actions n’est pas fictive, les fonds étant réellement et définitivement entres dans les caisses de la société.» ( com. 30 janv. 1961).
    • Il ressort de cette jurisprudence que la simulation par interposition de personne ne constitue pas, en soi, une cause de nullité.
  • Exceptions
    • La simulation par interposition de personne constitue une cause de nullité lorsque :
      • D’une part, une fraude est constatée ( com. 30 janv. 1961)
      • D’autre part, lorsque tous les associés apparents servent de prête-nom à un même donneur d’ordre

b) L’intégrité du consentement des associés

Pour que le contrat de société soit valable, il ne suffit pas que le consentement des associés existe, il faut encore qu’il soit intègre.

Aussi cela suppose-t-il qu’il soit exempt de tous vices.

Comme en matière de droit des contrats, trois vices de consentement sont susceptibles de conduire à l’annulation d’une société :

  • L’erreur
  • Le dol
  • La violence

2. La capacité des associés

Pour pouvoir prendre part à la constitution d’une société, encore faut-il jouir de la capacité juridique.

Par capacité juridique, il faut entendre l’aptitude à être titulaire de droits et à les exercer.

En raison de l’absence de dispositions particulières en droit des sociétés concernant la capacité juridique, il convient de se tourner vers le droit commun de la capacité civile et commerciale.

Aussi, convient-il de distinguer la capacité des personnes physiques de la capacité des personnes morales.

La capacité des personnes physiques

  • Principe
    • Aux termes de l’article 1145, al.1 du Code civil « toute personne physique peut contracter sauf en cas d’incapacité prévue par la loi».
    • Il en résulte que, par principe, toute personne physique jouit de la capacité juridique pour endosser la qualité de partie au contrat de société, soit pour être associé.
  • Les mineurs
    • La lecture de l’article 1145, al. 1 du Code civil nous révèle que rien n’empêche un mineur de devenir associé.
    • Limites
      • Le mineur étant frappé d’une incapacité d’exercice général, il ne pourra exercer ses prérogatives d’associé que par l’entremise de son représentant légal
      • Pour les actes de dispositions graves, tel que l’apport d’un immeuble ou d’un fonds de commerce, le mineur devra obtenir l’autorisation du juge des tutelles
    • Exclusion
      • Principe
        • Le mineur ne peut pas, par principe, endosser la qualité de commerçant.
        • Il résulte qui ne peut pas devenir associé dans une société qui requiert la qualité de commerçant, telle que la société en nom collectif ou la société en commandite simple
      • Exception
        • Le nouvel article L. 121-2 du Code de commerce introduit par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée prévoit que « le mineur émancipé peut être commerçant sur autorisation du juge des tutelles au moment de la décision d’émancipation et du président du tribunal de grande instance s’il formule cette demande après avoir été émancipé.»
        • Ainsi, rien n’empêche désormais le mineur émancipé de devenir associé d’une société qui requiert la qualité de commerçant
  • Les majeurs incapables
    • Comme les mineurs, les majeurs incapables peuvent par principe devenir associés d’une société.
    • Cependant, selon la mesure de protection dont ils font l’objet (sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle), leur capacité d’exercice sera plus ou moins limitée, de sorte qu’ils devront obtenir l’autorisation de leur représentant légal selon la gravité de l’acte qu’ils souhaitent accomplir.
  • Les sociétés entre époux
    • L’ancien article 1832-1 du Code civil prévoyait que « deux époux peuvent, seuls ou avec d’autres personnes, être associés dans une même société et participer ensemble ou non à la gestion sociale. Toutefois, cette faculté n’est ouverte que si les époux ne doivent pas, l’un et l’autre, être indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales.»
    • Ainsi, cette disposition interdisait-elle aux époux de devenir associé dès lors qu’il s’agissait d’une société à risque illimité.
    • La loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs a supprimé cette restriction, de sorte que rien ne fait plus obstacle à ce que des époux soient associés d’une même société, quelle que soit la forme sociale adoptée.
    • Le nouvel article 1832-1 du Code civil dispose en ce sens que « même s’ils n’emploient que des biens de communauté pour les apports à une société ou pour l’acquisition de parts sociales, deux époux seuls ou avec d’autres personnes peuvent être associés dans une même société et participer ensemble ou non à la gestion sociale.»

La capacité des personnes morales

  • Principe de spécialité
    • Contrairement aux personnes physiques, les personnes morales ne disposent pas d’une capacité de jouissance générale.
    • Leur capacité est enserrée dans la limite de leur objet sociale.
    • Il en résulte qu’une société ne peut devenir associée d’une société que si cette association se rattache à la réalisation de son objet social.
    • En dehors de cette limite, rien n’empêche une personne morale d’endosser la qualité d’associé.
    • Cette possibilité vaut tant pour les personnes morales de droit privé que pour les personnes morales de droit public.

3. L’objet social

==> Définition

Ni le Code civil, ni le Code de commerce ne donne de définition de l’objet social, bien que de nombreux textes normatifs y fassent référence.

C’est donc vers la doctrine qu’il convient de se tourner afin d’en cerner la notion.

Les auteurs s’accordent à définir l’objet social comme « le programme des activités auxquelles la société peut se livrer en vue de faire des bénéfices ou des économies et d’en faire profiter ses membres »[1].

Ainsi, l’objet social représente-t-il l’ensemble des activités que la société s’est donné pour tâche d’exercer. Il s’agit du but poursuivi par la société.

==> Conditions de validité

La validité de l’objet social est subordonnée à la satisfaction de deux conditions :

  • L’objet social doit être déterminé
  • L’objet social doit être licite

À défaut de respect de l’une de ces conditions, la société encourt la nullité

a) La détermination de l’objet social

L’exigence de détermination de l’objet social suppose qu’il soit précisé dans les statuts et qu’il soit possible.

  • La précision de l’objet social dans les statuts
    • L’article 1835 du Code civil prévoit que « les statuts doivent être établis par écrit. Ils déterminent, outre les apports de chaque associé, la forme, l’objet, l’appellation, le siège social, le capital social, la durée de la société et les modalités de son fonctionnement. »
    • Il ressort de cette disposition que les associés ont l’obligation de décrire l’objet social dans les statuts de la société, faute de quoi la société est susceptible d’être annulée.
    • La description qui figure dans statuts doit être conforme au principe de spécialité qui préside à la constitution de toute personne morale.
    • Cela signifie, en d’autres termes, que l’objet social ne saurait être trop général et visé, comme l’a rappelé l’autorité des marchés financiers « “toutes opérations commerciales, industrielles ou financières ».
    • Qui plus est, les associés doivent être particulièrement vigilants quant à la description de l’objet social, dans la mesure où il détermine l’étendue de la capacité juridique de la société ainsi que des pouvoirs des dirigeants sociaux.
  • La possibilité de l’objet social
    • L’objet social doit être possible dans la mesure où l’existence-même de la société tient à la réalisation de son objet.
    • Conformément à l’article 1844-7, 2° du Code civil la société est dissoute de plein droit notamment « par la réalisation ou l’extinction de son objet ».
    • Ainsi, l’impossibilité de réaliser l’objet social d’une société constitue une cause de dissolution, sauf à ce que les associés décident de modifier l’objet social.

b) La licéité de l’objet social

  • Exposé du principe
    • L’article 1833 du Code civil dispose que « toute société doit avoir un objet licite».
    • Aussi, cela signifie-t-il que l’objet social :
      • Ne doit pas porter atteinte à une disposition impérative
      • Ne doit pas être contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs conformément à l’article 6 du Code civil
  • Appréciation de la licéité
    • Depuis l’arrêt Marleasing rendu le13 novembre 1990 par la Cour de justice de l’Union européenne, s’agissant de l’appréciation de la licéité de l’objet social d’une société une distinction doit être faite entre le droit interne et le droit de l’Union européenne.
      • En droit interne
        • La licéité de l’objet social s’apprécie au regard, non pas de l’objet statutaire de la société, mais de son objet réel, soit de l’activité effectivement exercée par la personne morale ( com., 18 juill. 1989, n° 88-13.261)

schema-3

  • En droit de l’Union européenne
    • Pour mémoire l’article 11-2 b) de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968 prévoit que «  le caractère illicite ou contraire à l’ordre public de l’objet de la société» constitue une cause de nullité (http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex:31968L0151)
    • Dans un arrêt Marleasing du 13 novembre 1990 la Cour de justice de l’Union européenne a, manifestement, retenu une solution radicalement contraire à celle adoptée par les juridictions françaises s’agissant de l’appréciation de la licéité de l’objet social.
    • Les juges européens ont, en effet, estimé que seul l’objet statutaire devait être pris en compte pour apprécier la licéité de l’objet social d’une société
    • Autrement dit, l’objet statutaire prime l’objet réel, de sorte que, quand bien même l’activité réellement exercée par la société serait contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, dès lors que l’objet statutaire est licite, la société n’encourt pas la nullité.
    • La Cour de justice affirme en ce sens que « les mots “l’ objet de la société” doivent être compris comme se référant à l’ objet de la société tel qu’ il est décrit dans l’ acte de constitution ou dans les statuts»
    • Elle justifie sa décision en se référant à la position de la Commission européenne qui a eu l’occasion d’affirmer que « l’expression “l’ objet de la société” doit être interprétée en ce sens qu’ elle vise exclusivement l’ objet de la société, tel qu’ il est décrit dans l’ acte de constitution ou dans les statuts».
  • Sanction de l’illicéité
    • La nullité
      • L’illicéité de l’objet social est sanctionnée par la nullité de la société.
        • L’article 1844-10 du Code civil prévoit explicitement cette sanction en visant l’article 1833, disposition posant la condition de la licéité de l’objet social.
        • L’article L. 235-1 du Code de commerce vise quant à lui expressément « lois qui régissent la nullité des contrats».
      • La nullité absolue
        • La nullité prononcée pour illicéité de l’objet social est absolue, de sorte qu’aucune régularisation n’est permise.
          • L’article 1844-11 du Code civil dispose en ce sens que « l’action en nullité est éteinte lorsque la cause de la nullité a cessé d’exister le jour où le tribunal statue sur le fond en première instance, sauf si cette nullité est fondée sur l’illicéité de l’objet social.»

B) La nullité résultant de la violation d’une disposition spéciale qui régit le contrat de société

Aux termes de l’article 1832 du Code civil :

« La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter.

Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne.

Les associés s’engagent à contribuer aux pertes. »

Il ressort de cette disposition que la validité d’une société est subordonnée à la réunion de trois éléments constitutifs :

  • La pluralité d’associés
  • La constitution d’apports par les associés
  • La participation aux résultats de la société (bénéfices et pertes)
  • La volonté de s’associer (l’affectio societatis)
  1. La pluralité d’associés

La condition tenant à la pluralité d’associés doit être envisagée :

  • Lors de la constitution de la société
  • Au cours de la vie sociale

==> Lors de la constitution de la société

  • Principe : la pluralité d’associés
    • L’article 1832 du Code civil exige que « deux ou plusieurs personnes » concourent à la constitution d’une société.
    • Cette condition tient à la dimension contractuelle de la société.
    • La formation d’un contrat suppose la rencontre des volontés des parties, lesquelles doivent en conséquence, être au mininum deux, ce quand bien même le contrat conclu est unilatéral, soit ne crée d’obligations qu’à la charge d’une seule partie.
    • D’où l’exigence de pluralité d’associés comme élément constitutif de la société
  • Seuils
    • Si l’article 1832 fixe en nombre minimum d’associés en deçà duquel la société ne saurait être valablement constituée (deux), elle ne prévoit, en revanche, aucun seuil maximum, de sorte qu’il n’est, en principe, aucune limite quant au nombre de personnes pouvant être associés d’une société.
    • Toutefois, par exception, l’exigence de pluralité d’associés peut varier selon la forme sociale de la société.
    • Ainsi, convient-il de distinguer les sociétés dont le nombre d’associé est encadré le seuil de droit commun, des sociétés pour lesquelles la loi a instauré un seuil spécial.
      • Les sociétés soumises au seuil de droit commun
        • La société civile
        • La société créée de fait
        • La société en participation
        • La société en nom collectif
        • La société en commandite simple
        • Le groupement d’intérêt économique
      • Les sociétés soumises à un seuil spécial
        • La société à responsabilité limitée ( L. 223-3 c. com)
          • Seuil minimum: 2
          • Seuil maximum: 100
        • La société anonyme ( L. 225-1 c. com)
          • Seuil minimum
            • Pour la SA côtée : 7
            • Pour la SA non côtée : 2
          • Seuil maximum
            • Illimité
          • La société en commandite par actions ( L. 226-4 c. com)
            • Seuil minimum: 3
            • Seuil maximum: illimité
  • Exception : la société unipersonnelle
    • L’article 1832, al.2 du Code civil dispose que la société « peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne. »
    • Cette disposition prévoit ainsi une dérogation à l’exigence de pluralité d’associés
    • Toutefois, la possibilité d’instituer une société par un seul associé est strictement encadrée en ce sens que société qui ne comporte qu’un seul associé doit nécessairement revêtir l’une des formes expressément prévues par la loi.
    • On dénombre aujourd’hui quatre types de sociétés à associé unique :
      • L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL)
        • Elle emprunte son régime juridique à la SARL ( L. 223-1 à L. 223-43 c. com.)
      • L’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL)
      • La société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU)

==> Au cours de la vie sociale

La condition tenant à la pluralité d’associé doit être remplie, tant lors de la constitution de la société qu’au cours de la vie sociale.

Aussi, cela signifie-t-il que dans l’hypothèse où, au cours de la vie social, le seuil du nombre d’associés fixé par la loi n’est plus atteint, soit en raison du décès d’un associé, soit en raison du retrait d’un ou plusieurs associés, la société devrait être dissoute.

Bien qu’il s’agisse là d’un principe que l’on peut aisément déduire de l’article 1832 du Code civil, tel n’est cependant pas la règle instaurée par l’article 1844-5 du Code civil, lequel a posé comme principe, la survie – temporaire – de la société en cas de « réunion de toutes les parts en une seule main ».

L’article 1844-5 du Code civil dispose en effet que « La réunion de toutes les parts sociales en une seule main n’entraîne pas la dissolution de plein droit de la société. »

 Deux enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • La réunion de toutes les parts en une seule main au cours de la vie sociale n’a pas pour effet de dissoudre la société.
    • La personne morale survit, quand bien même la condition tenant à la pluralité d’associés n’est plus remplie
  • Si aucune régularisation de la situation n’est effectuée par l’associé détenteur de toutes les parts, la dissolution de la société peut être prononcée
    • L’article 1844-5 précise en ce sens que le défaut de pluralité d’associés n’entraîne pas la dissolution de la société « de plein droit», ce qui donc implique que la survie de la société n’est que temporaire

Deux issues sont envisageables lorsque l’hypothèse de réunion de toutes les parts en une seule main se produit :

  • La survie de la société
    • L’associé doit alors satisfaire à deux conditions
      • Il doit réagir dans un délai d’un an à compter de la réunion de toutes les parts en une seule main
        • L’article 1844-5 ajoute que ce délai peut être prorogé de 6 mois
      • Il doit régulariser la situation
        • Soit en cédant une partie de ses droits sociaux à un tiers
        • Soit en créant de nouvelles parts par le biais d’une augmentation de capital social
  • La dissolution de la société
    • Lorsque l’associé est à l’initiative de la dissolution elle peut être demandée par lui au greffe du Tribunal de commerce sans délai
    • Lorsque c’est un tiers qui est à l’initiative de la dissolution, trois conditions doivent être remplies
      • La demande de dissolution ne peut être formulée qu’un an après la réunion de toutes les parts en une seule main
      • L’associé ne doit pas avoir régularisation la situation dans le délai d’un an que la loi lui octroie
      • Le tiers doit formaliser sa demande auprès du Tribunal de commerce, en ce sens que tant qu’aucune demande de dissolution n’est formulée, la société survit

2. La constitution d’apports

Conformément à l’article 1832 du Code civil, les associés ont l’obligation « d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie », soit de constituer des apports à la faveur de la société.

La mise en commun d’apports par les associés traduit leur volonté de s’associer et plus encore d’œuvrer au développement d’une entreprise commune.

Aussi, cela explique-t-il pourquoi la constitution d’un apport est exigée dans toutes les formes de sociétés, y compris les sociétés créées de fait (Cass. com. 8 janv. 1991) et les sociétés en participation (Cass. com. 7 juill. 1953).

==> Conditions générales tenant à l’objet de l’apport

  • Licéité de l’apport
    • L’objet de l’apport doit être licite et ne doit pas être contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
    • Il ne doit pas non plus consister en un bien hors du commerce ( en ce sens Cass. com. 25 juin 2013)

schema-4

  • Légitimité de l’apport
    • L’apport ne doit pas avoir été réalisé en fraude des droits des créanciers de l’apporteur
    • À défaut, ces derniers seraient fondés à demander la réintégration du bien apporté en fraude de leurs droits dans le patrimoine de leur débiteur
      • Soit par le biais de l’action obligation ( civ., 11 avr. 1927)
      • Soit par le biais de l’action paulienne ( 3e civ., 20 déc. 2000)
  • Précision statutaire de l’apport
    • Aux termes de l’article 1835 du Code civil, « les statuts […] déterminent […] les apports de chaque associé»
    • Aussi, cela signifie-t-il que les statuts doivent déterminer les apports de chaque associé, tant dans leur forme, que dans leur étendue.
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler cette exigence, notamment dans un arrêt du 14 décembre 2004 en affirmant que « seuls les statuts déterminent les apports de chaque associé».

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Faits :

  • Acquisition par deux associés de 13 et 11 parts sociales sur 50 d’une société civile d’exploitation agricole
  • Quelques années plus tard, ils souhaitent se retirer
  • Désignation d’un expert pour évaluer le montant de leurs parts sociales
  • Contestations par les deux associés de l’expertise à laquelle ils reprochent de ne pas avoir tenu compte de l’apport en industrie qu’ils avaient effectué, à savoir le coût du travail fourni par eux depuis leur entrée dans la société

Demande :

Assignation de la société afin de faire reconnaître leurs droits

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 7 mars 2001, la Cour d’appel de Bourges déboute les deux associés de leur demande

Motivation des juges du fond:

  • Les juges du fond estiment que pour qu’un associé puisse faire un apport en industrie, il faut que cette possibilité soit permise par les statuts
  • Or en l’espèce, les juges du fond constatent que les statuts prévoyaient seulement la possibilité de faire des apports en espèce
  • Qui plus est, pas de cumul possible entre une rémunération en qualité de salarié et la rémunération due au titre du partage des bénéfices

Moyens des parties :

  • Première branche: l’apport en industrie peut résulter, à défaut d’une mention dans les statuts, d’un accord unanime des associés
  • Deuxième branche: il ne s’agit pas pour eux de demander un supplément de rémunération en qualité de salarié, mais seulement au titre du partage des bénéfices ès qualités d’associé

Problème de droit :

L’apport en industrie effectué par deux associés d’une société civile d’exploitation agricole est-il valable alors qu’il n’a pas expressément été prévu par les statuts ?

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt:

Par un arrêt du 14 décembre 2004, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les deux associés

  • Sens de l’arrêt:

La Cour de cassation condamne, en l’espèce l’idée que des apports en industrie puissent être effectués par des associés sans que le pacte social l’ait prévu : les parts d’industrie, comme les parts sociales doivent être expressément déterminées par les statuts.

En l’espèce, la chambre commerciale rappelle que ce formalisme procède d’une exigence légale posée à l’article 1835 du Code civil.

Dans cette perspective, pour la Cour de cassation il ne saurait y avoir d’apport valablement réalisé sans qu’il soit prévu dans les statuts.

Cette règle ne s’applique pas seulement aux apports en industrie. Elle vaut également pour les apports en numéraire et les apports en nature.

À défaut de précision dans les statuts de l’existence d’un apport ou de sa forme, l’associé ne saurait s’en prévaloir aux fins de revendiquer l’octroi de droits sociaux.

Quid dans l’hypothèse où la possibilité de réaliser un apport non prévu dans les statuts procède d’une délibération des associés ?

Pour mémoire, l’article 1854 du Code civil dispose que dans les sociétés civiles « les décisions peuvent encore résulter du consentement de tous les associés exprimé dans un acte »

Or en l’espèce, comme le soutien le pourvoi, il y avait bien eu une décision de tous les associés tendant à reconnaître l’apport en industrie des deux requérants.

Dès lors, on pouvait légitimement se poser la question de savoir si cet accord unanime de tous les associés pouvait pallier le défaut de mention dans les statuts de la possibilité d’effectuer un apport en industrie.

Aussi, apparaît-il que la solution rendue par la Cour d’appel était loin d’être acquise. D’où le recours par la Cour de cassation a la formule « à bon droit » pour approuver la décision des juges du fond

La haute juridiction estime, en effet, que la décision résultant du consentement unanime des associés ne peut avoir pour effet de modifier les statuts que dans l’hypothèse où elle est formalisée dans un acte.

La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser de manière très explicite que la modification des statuts ne peut « être établie pas tous moyens et se déduire du mode de fonctionnement de la société » (Cass. 1re civ., 21 mars 2000).

3. La participation aux résultats

Il ressort de l’article 1832 du Code civil que l’associé a vocation :

  • soit à patager les bénéfices d’exploitation de la société ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter
  • soit à contribuer aux pertes

a) Le partage des bénéfices et des économies

Deux objectifs sont été assignés par la loi à la société :

  • Le partage de bénéfices
  • Le partage de l’économie qui pourra en résulter.

Que doit-on entendre par bénéfices ?

La loi donne en donne plusieurs définitions :

  • L’article L. 232-11 du Code de commerce dispose que « le bénéfice distribuable est constitué par le bénéfice de l’exercice, diminué des pertes antérieures, ainsi que des sommes à porter en réserve en application de la loi ou des statuts, et augmenté du report bénéficiaire.»
  • L’article 38, 2 du Code général des impôts définit, quant à lui, le bénéfice comme « la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt diminuée des suppléments d’apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l’exploitant ou par les associés. L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ».

En raison de leur trop grande spécificité, aucune de ces définitions légales des bénéfices ne permet de distinguer la société des autres groupements.

Pour ce faire, c’est vers la jurisprudence qu’il convient de se tourner.

Dans un célèbre arrêt Caisse rurale de la commune de Manigod c/ Administration de l’enregistrement rendu en date du 11 mars 1914, la Cour de cassation définit les bénéfices comme « tout gain pécuniaire ou tout gain matériel qui ajouterait à la fortune des intéressés ».

L’adoption d’une définition des bénéfices par la Cour de cassation procède, manifestement, d’une volonté de distinguer la société des autres groupements tels que :

  • Les groupements d’intérêt économique
  • Les associations

==> L’inclusion des groupements d’intérêt économique dans le champ de la qualification de société

Bien que la définition des bénéfices posée par la Cour de cassation ait le mérite d’exister, elle n’en a pas moins été jugée trop restrictive.

En estimant que les bénéfices ne pouvaient consister qu’en un gain pécuniaire ou matériel, cette définition implique que les groupements qui se sont constitués en vue, non pas de réaliser un profit, mais de générer des économies sont privés de la possibilité d’adopter une forme sociale.

Or la structure sociétaire présente de très nombreux avantages.

Aussi, afin de permettre aux groupements d’intérêt économique, dont l’objet est la réalisation d’économies, de se constituer en société, le législateur a-t-il décidé d’intervenir.

La loi du 4 janvier 1978 a, de la sorte, modifié l’article 1832 du Code civil en précisant qu’une société peut être instituée « en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. »

Si, cet élargissement de la notion de société a permis aux groupements d’intérêt économique d’adopter une forme sociale, il a corrélativement contribué à flouer la distinction entre les sociétés et les groupements dont le but est autre que la réalisation de bénéfices.

Ainsi, la frontière entre les sociétés et les associations est parfois difficile à déterminer.

==> L’exclusion des associations du champ de la qualification de société

Quelle est la distinction entre une société et une association ?

La différence entre ces deux groupements tient à leur finalité.

  • Conformément à l’article 1832 du Code civil, « la société est instituée […] en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. »
  • Aux termes de l’article 1er de la loi du 1er juillet 1901 « l’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices».

Ainsi, le critère de la distinction entre la société et l’association est le partage des bénéfices.

Tandis que la société se constitue dans un but exclusivement lucratif, l’association se forme, en principe, dans un but non-lucratif

En apparence, ce critère ne semble pas soulever de difficultés. Sa mise est œuvre n’est, cependant, pas aussi aisée qu’il y paraît.

En effet, si l’on procède à une lecture attentive de la loi du 1er juillet 1901, il ressort de l’alinéa 1er que ce qui est interdit pour une association, ce n’est pas la réalisation de bénéfices, mais leur distribution entre ses membres.

Dans ces conditions, rien n’empêche une association de se constituer dans un but à vocation exclusivement lucrative.

Aussi, lorsque cette situation se rencontre, la différence entre l’association et la société est pour le moins ténue.

b) La contribution aux pertes

Aux termes de l’article 1832, al. 3 du Code civil, dans le cadre de la constitution d’une société « les associés s’engagent à contribuer aux pertes ».

Aussi, cela signifie-t-il que, en contrepartie de leur participation aux bénéfices et de l’économie réalisée, les associés sont tenus de contribuer aux pertes susceptibles d’être réalisées par la société.

Le respect de cette exigence est une condition de validité de la société.

L’obligation de contribution aux pertes pèse sur tous les associés quelle que soit la forme de la société.

==> Contribution aux pertes / Obligation à la dette

Contrairement à l’obligation à la dette dont la mise en œuvre s’effectue au cours de la vie sociale, la contribution aux pertes n’apparaît, sauf stipulation contraire, qu’au moment de la liquidation de la société.

En effet, pendant l’exercice social, les associés ne sont jamais tenus de contribuer aux pertes de la société. Ces pertes sont compensées par les revenus de la société.

Ce n’est que lorsque l’actif disponible de la société ne sera plus en mesure de couvrir son actif disponible (cession des paiements) que l’obligation de contribution aux pertes sera mise en œuvre.

Tant que la société n’est pas en liquidation, seule la société est tenue de supporter la charge de ces pertes.

 ==> Principe de contribution aux pertes

Quelle est l’étendue de l’obligation de contribution aux pertes ?

  • Dans les sociétés à risque limité l’obligation de contribution aux pertes ne peut excéder le montant des apports.
  • Dans les sociétés à risque illimité l’obligation de contribution aux pertes ne connaît aucune limite.
    • La responsabilité des associés peut-être recherchée au-delà de ses apports

En toute hypothèse, chaque associé est tenu de contribuer aux pertes proportionnellement à la part du capital qu’il détient dans la société.

Toutefois, une répartition inégalitaire est admise à certaines conditions.

==> Répartition inégalitaire autorisée

L’article 1844-1, al. 1er du Code civil dispose que « la part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l’associé qui n’a apporté que son industrie est égale à celle de l’associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire. »

Plusieurs enseignements ressortent de cette disposition :

  • Principe
    • Dans le silence des statuts, la part des associés dans les bénéfices est proportionnelle à leurs apports
  • Exceptions
    • Les associés peuvent prévoir dans les statuts
      • Soit un partage égal des bénéfices et des pertes nonobstant des apports inégaux
      • Soit un partage inégal des bénéfices et des pertes nonobstant des apports égaux

==> Prohibition des clauses léonines

Aux termes de l’article 1844-1, al. 2 du Code civil « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ».

Trois interdictions ressortent de cette disposition qui prohibe ce que l’on appelle les clauses léonines, soit les stipulations qui attribueraient à un associé « la part du lion ».

En vertu de cette disposition sont ainsi prohibées les clauses qui :

  • attribueraient à un seul associé la totalité des bénéfices réalisés par la société
  • excluraient totalement un associé du partage des bénéfices
  • mettrait à la charge d’un associé la totalité des pertes

La présence d’une clause léonine dans les statuts n’est pas une cause de nullité de la société. La stipulation est seulement réputée non-écrite, de sorte que le partage des bénéfices et des pertes devra s’opérer proportionnellement aux apports des associés.

4. L’affectio societatis

La validité du contrat de société n’est pas seulement subordonnée par l’existence du consentement des associés à l’acte constitutif du groupement qu’ils entendent instituer, elle suppose encore que ces derniers soient animés par la volonté de s’associer. Cette exigence est qualifiée, plus couramment, d’affectio societatis.

==> Affectio societatis / Consentement

Contrairement à la condition tenant au consentement des associés qui est exigé au moment de la formation du contrat de société, l’affectio societatis doit exister :

  • D’abord, lors de la constitution du groupement
  • Ensuite, tout au long de l’exécution du pacte social.

Yves Guyon affirme en ce sens que l’affectio societatis est plus « que le consentement à un contrat instantané. Elle s’apparenterait davantage au consentement au mariage, qui est non seulement la volonté de contracter l’union mais aussi celle de mener la vie conjugale »[1]

Aussi, si l’affectio societatis venait à disparaître au cours de la vie sociale, la société concernée encourrait la dissolution judiciaire pour mésentente, conformément à l’article 1844-7, 5° du Code civil (Cass. Com. 13 févr. 1996)

==> Définition

L’affectio societatis n’est défini par aucun texte, ni même visée à l’article 1832 du Code civil. Aussi, c’est à la doctrine et à la jurisprudence qu’est revenue la tâche d’en déterminer les contours.

Dans un arrêt du 9 avril 1996, la Cour de cassation a défini l’affectio societatis comme la « volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre commune » (Cass. com. 9 avr. 1996).

Bien que le contenu de la notion diffère d’une forme de société à l’autre, deux éléments principaux ressortent de cette définition :

  • La volonté de collaborer
    • Cela implique que les associés doivent œuvrer, de concert, à la réalisation d’un intérêt commun : l’objet social
    • Ainsi le contrat de société constitue-t-il l’exact opposé du contrat synallagmatique.
      • Comme l’a relevé Paul Didier « le premier type de contrat établit entre les parties un jeu à somme nulle en ceci que l’un des contractants gagne nécessairement ce que l’autre perd, et les intérêts des parties y sont donc largement divergents, même s’ils peuvent ponctuellement converger. Le deuxième type de contrat, au contraire crée entre les parties les conditions d’un jeu de coopération où les deux parties peuvent gagner et perdre conjointement et leurs intérêts sont donc structurellement convergents même s’ils peuvent ponctuellement diverger»[2]
  • Une collaboration sur un pied d’égalité
    • Cela signifie qu’aucun lien de subordination ne doit exister entre associés bien qu’ils soient susceptibles d’être détenteurs de participations inégales dans le capital de la société (Cass. com., 1er mars 1971).

==> Rôle de l’affectio societatis

L’affectio societatis remplit, grosso modo, deux fonctions distinctes. Il permet d’apprécier, d’une part, l’existence de la société et, d’autre part, la qualité d’associé.

  • L’appréciation de l’existence de la société
    • Lors de la constitution de la société
      • Afin de déterminer si une société est ou non fictive, il suffit pour le juge de vérifier l’existence d’un affectio societatis.
      • Si cet élément constitutif du pacte social fait défaut, la société encourt la nullité
      • Dans un arrêt du 15 mai 2007, la Cour de cassation a ainsi validé la nullité d’une société prononcée par une Cour d’appel pour défaut d’affectio societatis ( com., 15 mai 2007).
      • La Chambre commerciale relève, au soutien de sa décision, plusieurs éléments qui témoignent de la fictivité de la société annulée :
        • Le défaut de fonctionnement de la société
        • L’absence d’acte de gestion relatif à l’achat ou à la vente de valeurs mobilières n’ayant été effectuée entre le moment de la constitution de la société et l’acte de donation-partage litigieux
        • L’absence d’autonomie financière de la société
        • L’absence d’apports réels
        • Le défaut d’une véritable volonté de s’associer

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  • Au cours de la vie sociale
    • Si l’affectio societatis venait à disparaître au cours de la vie sociale, il s’agit là d’une cause de dissolution judiciaire de la société
    • L’article 1844-7 du Code civil dispose en ce sens que « la société prend fin […] par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société».
    • Dans un arrêt du 16 mars 2011, la Cour de cassation est cependant venue préciser que « la mésentente existant entre les associés et par suite la disparition de l’affectio societatis ne pouvaient constituer un juste motif de dissolution qu’à la condition de se traduire par une paralysie du fonctionnement de la société» ( com. 16 mars 2011).
    • Ainsi, pour la chambre commerciale, la disparition de l’affectio societatis au cours de la vie sociale n’est une cause de dissolution qu’à la condition qu’elle soit assortie d’une paralysie du fonctionnement de la société.
    • Dans le cas contraire, le juge ne sera pas fondé à prononcer la dissolution judiciaire, quand bien même une mésentente s’est installée entre les associés.

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  • L’appréciation de la qualité d’associé
    • L’affectio societatis permet de distinguer les associés des personnes entretiennent des rapports avec la société, sans pour autant être investies des droits et obligations dont est assortie la qualité d’associé.
    • Seuls les associés jouissent d’un droit de vote et d’un droit aux dividendes ou au boni de liquidation.
    • En somme, l’affectio societatis est la cause des droits et obligations des associés
    • Surtout l’affectio societatis fonde le droit propre de l’associé à faire partie de la société et donc de ne pas en être exclu dès lors qu’il a satisfait à son obligation de réalisation des apports.

==> La sanction du défaut d’affectio societatis

Dans la mesure où aucun texte ne vise expressément l’exigence d’affectio societatis quant à la validité du contrat de société, on est légitimement en droit de s’interroger sur sa sanction.

Conformément au principe « pas de nullité sans texte », le défaut d’affectio societatis ne devrait, en effet, jamais conduire le juge à prononcer la nullité de la société.

Qui plus est, la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, ne prévoit pas que le défaut d’affectio societatis soit constitutif d’une cause de nullité.

Toutefois, les juridictions ont tendance à rattacher la condition tenant à l’affectio societatis à l’article 1832 du Code civil.

Aussi, est-ce, par exemple, en s’appuyant précisément sur ce texte que la chambre commerciale a jugé que la nullité prononcée par une Cour d’appel à l’encontre d’une société en raison de l’absence d’affectio societatis entre les associés était bien fondée (Cass. com., 15 mai 2007).

C) La nullité résultant de la violation d’une disposition expresse du Livre II du Code de commerce

Aux termes de l’article L. 235-1 du Code de commerce « la nullité d’une société ou d’un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats».

La question qui alors immédiatement se pose est de savoir quelles sont les causes de nullité prévues par le Livre II du Code de commerce.

À l’examen, ledit livre ne vise expressément qu’une seule cause de nullité, une seconde cause étant néanmoins débattue par la doctrine

==> Le défaut d’accomplissement des formalités de publicité relatives aux sociétés en nom collectif et en commandite simple

Aux termes de l’article L. 235-2 du Code de commerce prévoit en ce sens que « dans les sociétés en nom collectif et en commandite simple, l’accomplissement des formalités de publicité est requis à peine de nullité de la société, de l’acte ou de la délibération, selon les cas, sans que les associés et la société puissent se prévaloir, à l’égard des tiers, de cette cause de nullité. Toutefois, le tribunal a la faculté de ne pas prononcer la nullité encourue, si aucune fraude n’est constatée. »

Ainsi, dans les sociétés en nom collectif et en commandite simple l’accomplissement des formalités de publicité est exigé à peine de nullité.

En pratique, il s’agira là néanmoins d’une cause de nullité exceptionnelle, dans la mesure où le greffe du Tribunal de commerce vérifiera, systématiquement, avant toute immatriculation de la société, que les formalités requises ont bien été accomplies.

La cause de nullité prévue à l’article L. 235-2 du Code de commerce n’est donc qu’un cas d’école.

Le juge est-il tenu de prononcé la nullité dès lors qu’il constate le défaut d’accomplissement des formalités de publicité ou s’agit-il d’une simple faculté ?

Il apparaît que l’article L. 235-2 du Code de commerce n’oblige en rien le juge à prononcer la nullité. Il lui laisse un pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de prononcer la nullité de la société.

Conformément à l’article L. 210-7 du Code de commerce, cette cause de nullité est susceptible de faire l’objet d’une régularisation

==> L’absence de tenue d’une assemblée constitutive pour les sociétés faisant appel public à l’épargne

Aux termes de l’article L. 225-8, al. 3 et 4 du Code de commerce :

« L’assemblée générale constitutive statue sur l’évaluation des apports en nature et l’octroi d’avantages particuliers. Elle ne peut les réduire qu’à l’unanimité de tous les souscripteurs.

À défaut d’approbation expresse des apporteurs et des bénéficiaires d’avantages particuliers, mentionnée au procès-verbal, la société n’est pas constituée. »

Toute la question est alors de savoir que doit-on entendre par « la société n’est pas constituée » ?

Est-ce une cause de nullité qui est instituée par ce texte ? Cependant, une société qui n’est pas constituée n’est pas nulle pour autant. Car une société nulle, est une société qui a bien été constituée mais dont l’acte constitutif est entaché d’une irrégularité.

D) La nullité fondée sur la théorie de la fraude

Quelle sanction adopter, lorsqu’une société est constituée dans un but frauduleux ?

  1. Exposé de la problématique

Cette hypothèse se rencontrera

  • Soit lorsque les associés souhaiteront se soustraire à une obligation juridique qu’ils ne pourront contourner qu’en constituant une société
  • Soit lorsqu’ils seront animés par la volonté de porter atteinte aux droits de tiers.

Conformément au principe général du droit fraus omnia corrumpit (la fraude corrompt tout), on pourrait estimer que la constitution d’une société dans un but frauduleux est sanctionnée par la nullité.

Cependant, aucun texte du Code civil, ni du Code de commerce ne vise la fraude comme cause de nullité. Or il ne saurait y avoir de nullité sans texte.

Reste néanmoins que lorsqu’une société est constituée dans un but frauduleux, on pourrait estimer que la cause du contrat de société est illicite.

Aussi, pourrait-on faire application du nouvel article 1162 du Code civil qui prévoit que « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. ».

Dans ces conditions, rien n’empêche que la fraude puisse être sanctionnée par la nullité sur le fondement du droit commun des contrats. Cette solution aurait indéniablement le mérite de fournir un support textuel à la nullité de la société fondée sur la fraude.

2. Position de la jurisprudence

Si, dans un premier temps, la jurisprudence était plutôt opposée à prononcer la nullité constituée dans un but frauduleux, dans un second temps elle a finalement admis que la fraude puisse être une cause nullité.

Qui plus est, la Cour de cassation est passée d’une conception subjective, à une conception objective de la fraude, facilitant alors l’action en nullité fondée sur la fraude.

==> Première étape : la conception subjective de la fraude

Dans un arrêt Demuth du 28 janvier 1992, la Cour de cassation a admis pour la première fois qu’une société qui avait été constituée dans un but frauduleux puisse être annulée (Cass. com., 28 janv. 1992)

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Faits :

  • Fonds artisanal créé par un couple d’époux mariés sous le régime légal
  • Fonds est exploité par les deux époux puis seulement par le mari
  • Alors qu’une mésentente conjugale s’installait, ce dernier a organisé un montage sociétaire avec plusieurs associés en vue de réaménager le régime juridique d’exploitation du fonds artisanal commun.
    • Ce montage consistait en la concession à la société de la gérance du fonds moyennant un loyer très inférieur aux revenus de son exploitation.

Demande :

  • Estimant que la création de cette société n’avait été effectuée que pour faire échec à ses droits, elle fait alors assigner la SARL ainsi que ses associés devant le Tribunal de grande instance de Belfort à l’effet de voir prononcer la nullité de la SARL ainsi que la nullité de la location-gérance.

Procédure :

  • Dispositif de la décision rendue au fond:
    • Par un arrêt du 16 mai 1990, la Cour d’appel de Besançon fait droit à la demande de l’épouse
  • Motivation des juges du fond:
    • Les juges du fond estiment que la location-gérance a été consentie à la société en fraude des droits de l’épouse et que par conséquent cette opération devait être déclarée nulle
    • Violation de l’article 1424 du C. civ qui prévoit que:

« Les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations »

  • Pour bien comprendre le montage il faut observer que le fonds artisanal avait la nature d’un bien commun relevant de la gestion exclusive du mari dans la mesure où son épouse ne participait pas à l’exploitation.
  • Le mari ne pouvait, certes, pas aliéner seul le fonds de commerce
  • Il pouvait néanmoins parfaitement le donner en location-gérance.
  • C’est la raison pour laquelle, à l’approche de son divorce, il a créé une société afin de lui consentir la location-gérance du fonds de commerce qu’il exploitait.
  • Cependant, en l’espèce, il apparaît que la location du fonds à la société est faite pour une somme dérisoire alors que
    • le fonds est prospère
    • l’opération s’est déroulée moins d’un an avant le début de la procédure de divorce
    • l’épouse n’a pas été avertie conformément aux dispositions de l’article 1832-2 du Code civil au moment de la création de la société mais, plus tard, à une époque où l’entrée de l’épouse dans la société dépendait de l’agrément des autres associés
      • Aux termes de cette disposition : « un époux ne peut, sous la sanction prévue à l’article 1427, employer des biens communs pour faire un apport à une société ou acquérir des parts sociales non négociables sans que son conjoint en ait été averti et sans qu’il en soit justifié dans l’acte»

Problème de droit :

La question qui se posait ici était de savoir une société qui avait été créée en vue de frauder les droits de l’épouse d’un des associés peut être annulée

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt:
    • Par un arrêt du 28 janvier 1992, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Besançon
    • Visa : article 360 de la loi du 24 juillet 1960
    • Cas d’ouverture : défaut de base légale

Sens de l’arrêt:

  • Sur le défaut de base légale
    • La Cour de cassation reproche, en l’espèce, à la Cour d’appel de n’avoir pas apporté suffisamment d’éléments à la Cour de cassation, pour que cette dernière puisse exercer son contrôle sur la bonne application de la règle de droit !
    • Pourquoi la motivation de la Cour d’appel est insuffisante en l’espèce ?
    • La Cour d’appel aurait dû rechercher si tous les associés de la société avaient concouru à la fraude retenue par les juges du fond
    • Dès lors, cet arrêt ne saurait s’interpréter comme un rejet, par la Cour de cassation, de la fraude comme cause de nullité d’une société.
    • Il s’agit là d’un contresens qui doit être évité.
  • Admission de la fraude comme cause de nullité
    • Dans cet arrêt Demuth, la Cour de cassation admet que la fraude puisse être une cause de nullité
  • Restriction du principe
    • La Cour de cassation précise que pour que la fraude soit une cause de nullité, il est nécessaire que tous les associés aient concouru à la fraude.

Valeur de l’arrêt

  • Sur le visa
    • Dans l’arrêt Demuth, la Cour de cassation vise l’ancien article 360 de la loi du 24 juillet 1960
    • Cette disposition prévoyait que « La nullité d’une société ou d’un acte modifiant les statuts ne peut que résulter d’une disposition expresse de la présente loi ou de celles qui régissent la nullité des contrats. En ce qui concerne les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, la nullité de la société ne peut résulter ni d’un vice de consentement, ni de l’incapacité, à moins que celle-ci n’atteigne tous les associés fondateurs»
    • Il ressort manifestement de cette disposition que la fraude n’est nullement érigée en cause de nullité
    • Pourquoi, dès lors, viser cette disposition ?
    • La raison en est que la Cour de cassation entend ériger la fraude comme une cause autonome de nullité.
    • En effet, la haute juridiction aurait pu rattacher la fraude à la cause illicite comme l’avait fait la Cour d’appel. Cependant, elle s’y refuse.
    • D’où le recours à ce visa qui fonde, de manière générale, toutes les causes de nullité, sans distinction.
  • Sur la notion de fraude
    • Gérard Cornu définit la fraude de manière générale comme « acte régulier en soi accompli dans l’intention d’éluder une loi impérative ou prohibitive et qui, pour cette raison est frappé d’inefficacité par la jurisprudence ou par la loi ».
    • En somme, la fraude consiste en un agissement licite accompli en vue de poursuivre un but illicite
    • Deux conceptions de la fraude sont envisageables en droit des sociétés :
      • Une conception subjective
        • Selon cette conception, la fraude s’apparente à la volonté de poursuivre un but illicite, en ce sens que l’auteur de la fraude est animé par l’intention de frauder
        • La fraude requiert donc la caractérisation d’un élément moral
      • Une conception objective
        • Selon cette conception, la fraude est caractérisée par la seule violation de la loi, peu importe que son auteur ait ou non été animé par l’intention de frauder.
        • Ici, c’est l’élément matériel qui détermine la fraude. L’élément moral est indifférent.
      • De toute évidence, dans l’arrêt Demuth, la Cour de cassation retient une conception subjective de la faute dans la mesure où elle exige que tous les associés aient concouru à la fraude.
      • Cette solution se justifie par le souci de protection des associés de bonne foi.
      • Elle est néanmoins défavorable à la victime qui, si elle ne parvient pas à prouver que la fraude touchait tous les associés, ne pourra pas obtenir la nullité de la société, quand bien même elle aurait été constituée en fraude de ses droits.

==> Deuxième étape : la conception objective de la fraude

Dans un arrêt du 7 octobre 1998, la Cour de cassation est passée d’une conception subjective de la fraude à une conception objective estimant que « un contrat peut être annulé pour cause illicite ou immorale, même lorsque l’une des parties n’a pas eu connaissance du caractère illicite ou immoral du motif déterminant de la conclusion du contrat » (Cass. 1ère civ. 7 oct. 1998).

Il ressort de cette décision qu’il n’est, désormais, plus nécessaire que tous les associés aient été touchés par la fraude que la société constituée dans un but frauduleux encourt la nullité.

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==> La reconnaissance de la fraude comme principe général du droit européen

Dans un arrêt Centros du 9 mars 1999 et un arrêt Inspire Art du 30 septembre 2003, la CJUE a eu l’occasion d’affirmer que la fraude constituait une limite à la liberté d’établissement des sociétés.

Dans ces deux décisions, la fraude est érigée par la juridiction européenne comme un principe général de droit européen.

Dans l’arrêt Centros, la CJUE estime notamment que les États sont fondés à « prendre toute mesure de nature à prévenir ou à sanctionner les fraudes, soit à l’égard de la société elle-même, le cas échéant en coopération avec l’État membre dans lequel elle est constituée, soit à l’égard des associés dont il serait établi qu’ils cherchent en réalité, par le biais de la constitution d’une société, à échapper à leurs obligations vis-à-vis de créanciers privés ou publics établis sur le territoire de l’État membre concerné. » (CJCE, 9 mars 1999, n° C-212/97)

Dans l’arrêt Inspire Art, le même raisonnement est tenu (CJCE, 30 sept. 2003, n° C-167/01).

Si, dès lors, la fraude est érigée au rang de principe général du droit européen, cela signifie qu’elle constitue une cause autonome de nullité.

La jurisprudence de la Cour de cassation en matière de nullité pour fraude ne serait donc pas contraire au droit européen.

E) La restriction des causes de nullité par le droit de l’Union européenne

==> Les causes de nullité en droit de l’Union européenne

Le Conseil de l’Union européenne a adopté le 9 mars 1968 une directive « tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers » (directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968 )

L’objectif affiché par le législateur européen est, selon ses termes, « d’assurer la sécurité juridique dans les rapports entre la société et les tiers ainsi qu’entre les associés, de limiter les cas de nullité ainsi que l’effet rétroactif de la déclaration de nullité et de fixer un délai bref pour la tierce opposition à cette déclaration ».

Ainsi, la directive du 9 mars 1968 a été adoptée dans le dessein de réduire les causes de nullité des sociétés à la portion congrue.

Il peut être observé que ce texte ne concerne que les sociétés commerciales, de sorte que les sociétés de personne sont exclues de son champ d’application.

Aussi, l’article 11 de ce texte énonce que :

« La législation des États membres ne peut organiser le régime des nullités des sociétés que dans les conditions suivantes: 1. la nullité doit être prononcée par décision judiciaire;

les seuls cas dans lesquels la nullité peut être prononcée sont:

a) le défaut d’acte constitutif ou l’inobservation, soit des formalités de contrôle préventif, soit de la forme authentique;

b) le caractère illicite ou contraire à l’ordre public de l’objet de la société;

c) l’absence, dans l’acte constitutif ou dans les statuts, de toute indication au sujet soit de la dénomination de la société, soit des apports, soit du montant du capital souscrit, soit de l’objet social;

d) l’inobservation des dispositions de la législation nationale relatives à la libération minimale du capital social;

e) l’incapacité de tous les associés fondateurs;f) le fait que, contrairement à la législation nationale régissant la société, le nombre des associés fondateurs est inférieur à deux.

En dehors de ces cas de nullité, les sociétés ne sont soumises à aucune cause d’inexistence, de nullité absolue, de nullité relative ou d’annulabilité »

==> Confrontation avec les causes de nullité en droit interne

Pour mémoire, en droit interne, deux textes énoncent les causes de nullités encourues par une société :

  • L’article 1844-10 du Code civil prévoit que « la nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions des articles 1832, 1832-1, alinéa 1er, et 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général.»
  • L’article L. 235-1 du Code de commerce prévoit que « La nullité d’une société ou d’un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats.»

Il ressort de la combinaison de ces deux articles que la nullité d’une société peut résulter:

  • Soit de la violation d’une disposition qui compose le régime général du contrat
  • Soit de la violation d’une disposition spéciale qui régit le contrat de société
  • Soit de la violation d’une disposition expresse du Livre II du Code de commerce

À l’examen, il ressort de la confrontation du droit interne et du droit de l’Union européenne, que de nombreuses causes de nullité édictées en droit français ne sont pas prévues par l’article 11 de la directive du 9 mars 1968.

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Arrêt Marleasing

(CJCE, 13 nov. 1990)

Dans un arrêt du 13 novembre 1990, la Cour de justice de l’Union européenne a été conduite à se prononcer sur l’interprétation à donner de l’article 11 de la directive du 9 mars 1968 qui restreint les causes de nullité des sociétés.
1 Par ordonnance du 13 mars 1989, parvenue à la Cour le 3 avril suivant, le juge de première instance et d’ instruction n° 1 d’ Oviedo a posé, en vertu de l’ article 177 du traité CEE, une question préjudicielle concernant l’ interprétation de l’ article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’ article 58, deuxième alinéa, du traité CEE pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers ( JO L 65, p . 8 ).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’ un litige opposant la société Marleasing SA, la requérante au principal, à un certain nombre de défenderesses au nombre desquelles figure La Comercial Internacional de Alimentación SA ( ci-après : “La Comercial “). Cette dernière a été constituée sous la forme d’ une société anonyme par trois personnes, parmi lesquelles se trouve la société Barviesa, qui a fait apport de son patrimoine .
3 Il résulte des motifs de l’ ordonnance de renvoi que Marleasing a conclu à titre principal, sur la base des articles 1261 et 1275 du code civil espagnol, qui privent de tout effet juridique les contrats sans cause ou dont la cause est illicite, à l’ annulation du contrat de société instituant La Comercial, au motif que la constitution de cette dernière serait dépourvue de cause juridique, entachée de simulation et serait intervenue en fraude des droits des créanciers de la société Barviesa, cofondatrice de la défenderesse . La Commercial a conclu au rejet intégral de la demande en invoquant, notamment, le fait que la directive 68/151, précitée, dont l’ article 11 dresse la liste limitative des cas de nullité des sociétés anonymes, ne fait pas figurer l’ absence de cause juridique parmi ces cas .
4 La juridiction nationale a rappelé que, conformément à l’ article 395 de l’ acte relatif aux conditions d’ adhésion du royaume d’ Espagne et de la République portugaise aux Communautés européennes ( JO 1985, L 302, p . 23 ), le royaume d’ Espagne était tenu de mettre la directive en vigueur dès son adhésion, transposition qui n’ avait pas encore eu lieu au jour de l’ ordonnance de renvoi . Considérant donc que le litige soulevait un problème d’ interprétation du droit communautaire, la juridiction nationale a posé à la Cour la question suivante :
“L’ article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil du 9 mars 1968, qui n’a pas été mise en œuvre dans le droit interne, est-il directement applicable pour empêcher la déclaration de nullité d’une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à l’article précité ?”
5 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure et des observations présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d’audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .
6 Sur la question de savoir si un particulier peut se prévaloir de la directive à l’encontre d’une loi nationale, il convient de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier et, par conséquent, la disposition d’une directive ne peut pas être invoquée en tant que telle à l’encontre d’une telle personne ( arrêt du 26 février 1986, Marshall, 152/84, Rec . p . 723 ).
7 Il ressort, toutefois, du dossier que la juridiction nationale vise, en substance, à savoir si le juge national qui est saisi d’un litige dans une matière entrant dans le domaine d’application de la directive 68/151, précitée, est tenu d’interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive, afin d’empêcher la déclaration de nullité d’une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à son article 11 .
8 En vue de répondre à cette question, il convient de rappeler que, comme la Cour l’ a précisé dans son arrêt du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, point 26 ( 14/83, Rec . p . 1891, l’obligation des États membres, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir, en vertu de l’article 5 du traité, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation s’imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles. Il s’ensuit qu’en appliquant le droit national, qu’il s’agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l’interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l’article 189, troisième alinéa, du traité .
9 Il s’ensuit que l’exigence d’une interprétation du droit national conforme à l’article 11 de la directive 68/151, précitée, interdit d’interpréter les dispositions du droit national relatives aux sociétés anonymes d’une manière telle que la nullité d’une société anonyme puisse être prononcée pour des motifs autres que ceux qui sont limitativement énoncés à l’article 11 de la directive en cause .
10 En ce qui concerne l’ interprétation à donner à l’ article 11 de la directive, et notamment son paragraphe 2, sous b ), il y a lieu de constater que cette disposition interdit aux législations des États membres de prévoir une annulation judiciaire en dehors des cas limitativement énoncés dans la directive, parmi lesquels figure le caractère illicite ou contraire à l’ ordre public de l’ objet de la société .
11 Selon la Commission, l’expression “l’objet de la société” doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement l’objet de la société, tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts. Il s’ensuivrait que la déclaration de nullité d’une société ne pourrait pas résulter de l’activité qu’elle poursuit effectivement, telle que, par exemple, spolier les créanciers des fondateurs.
12 Cette thèse doit être retenue. Ainsi qu’il ressort du préambule de la directive 65/151, précitée, son but était de limiter les cas de nullité et l’effet rétroactif de la déclaration de nullité afin d’assurer la “sécurité juridique dans les rapports entre la société et les tiers ainsi qu’entre les associés” ( sixième considérant ). De plus, la protection des tiers “doit être assurée par des dispositions limitant, autant que possible, les causes de non-validité des engagements pris au nom de la société “. Il s’ensuit, dès lors, que chaque motif de nullité prévu par l’article 11 de la directive est d’interprétation stricte. Dans de telles circonstances, les mots “l’objet de la société” doivent être compris comme se référant à l’objet de la société tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts.
13 11 y a donc lieu de répondre à la question posée que le juge national qui est saisi d’un litige dans une matière entrant dans le domaine d’application de la directive 68/151 est tenu d’interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive, en vue d’empêcher la déclaration de nullité d’une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à son article 11 .

Faits :

  • La société engage une action en nullité contre la société La Comerciale, à laquelle elle reproche d’avoir été constituée en violation des articles 1261 et 1275 du Code civil espagnol
  • Or ces disposition sanctionnent par la nullité les contrats conclus sans cause ou dont la cause est illicite
  • Plus précisément, la société Marleasing reproche à la société La Comerciale de n’avoir été constituée que pour soustraire du gage des créanciers, parmi lesquels figure la société Marleasing, l’actif d’une tierce société, la société Barviesa, cofondatrice de la société Marleasing.
  • En défense, la société La comerciale soutient que dans la mesure où la directive du 9 mars 1968 n’érige pas l’absence de cause ou la cause illicite comme une cause de nullité des sociétés. Or la liste des causes de nullité dressée par ce texte est limitative.

Procédure :

  • La juridiction espagnole saisie du litige pose à la Cour de justice, sur la base de l’article 177 du traité, une question préjudicielle concernant l’interprétation de l’article 11 de la directive 68/151/CEE du 9 mars 1968.

Problème de droit :

  • Il est demandé à la Cour si l’existence d’une cause illicite s’agissant de la constitution d’une société peut constituer un cas de nullité au sens de l’article 11 de la directive

Solution :

  • La CJUE estime que l’article 11 de la directive est d’interprétation stricte
  • Par conséquent, les législations nationales ne peuvent pas prévoir comme cause de nullité d’autres cas que ceux prévus par l’article 11 de ladite directive
  • La CJUE poursuit en jugeant que l’expression « objet social » visée à l’article 11 doit s’entendre comme l’objet social défini dans les statuts de la société.
  • La CJUE refuse dès lors que soit pris en compte pour apprécier la licéité de l’objet, l’objet réel de la société. Seul compte l’objet statutaire

Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • Sur la restriction des causes de nullité
    • La CJUE juge, sans ambiguïté que « l’exigence d’une interprétation du droit national conforme à l’article 11 de la directive 68/151, précitée, interdit d’interpréter les dispositions du droit national relatives aux sociétés anonymes d’une manière telle que la nullité d’une société anonyme puisse être prononcée pour des motifs autres que ceux qui sont limitativement énoncés à l’article 11 de la directive en cause ».
    • Ainsi, la liste des causes de nullité dressée par la directive est limitative.
    • En dehors des cas prévus par le texte communautaire, les juges nationaux ne sont pas fondés à prononcer la nullité d’une société
  • Sur la notion d’objet social
    • Tout d’abord la CJUE affirme que « en ce qui concerne l’interprétation à donner à l’article 11 de la directive, et notamment son paragraphe 2, sous b ), il y a lieu de constater que cette disposition interdit aux législations des États membres de prévoir une annulation judiciaire en dehors des cas limitativement énoncés dans la directive, parmi lesquels figure le caractère illicite ou contraire à l’ordre public de l’objet de la société»
    • Ensuite, la juridiction européenne estime que si la nullité d’une société est prononcée sur le fondement de l’illicéité de son objet social, le caractère illicite ou contraire à l’ordre public de celui-ci doit être apprécié au regard des statuts de la société
    • Elle affirme en ce sens que « la déclaration de nullité d’une société ne pourrait pas résulter de l’activité qu’elle poursuit effectivement, telle que, par exemple, spolier les créanciers des fondateurs »
    • Autrement dit, seul l’objet social statutaire doit être pris en compte pour prononcer la nullité d’une société et non son objet réel.
    • Au soutien de sa décision la CJUE invoque la position de la Commission européenne qui a eu l’occasion d’affirmer que « l’objet de la société” doit être interprété en ce sens qu’elle vise exclusivement l’objet de la société, tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts».
  • Sur la justification de la solution dégagée par la CJUE
    • Il ressort de la ratio legis de la directive que le but affiché par le législateur européen est de réduire à la portion congrue les causes de nullité des sociétés
    • La CJUE est animée par le souci de protection des tiers, comme le signale l’intitulé du texte communautaire.
  • Critiques
    • En souhaitant conférer aux tiers une protection dans leurs rapports avec les sociétés, la CJUE restreint de façon déraisonnable les causes de nullité des sociétés
    • Qui plus est, on est légitimement en droit de se demander si, au regard de cet arrêt Marleasing, les causes de nullité visées par la directive ne seraient pas des cas d’école.
    • Comment, en effet, envisager que des associés puissent prévoir un objet statutaire illicite lors de la constitution de leur société ? Cela n’aurait pas de sens
    • Cette hypothèse ne se rencontrera donc jamais en pratique.
    • Par ailleurs, la CJUE tend à présenter la nullité comme portant gravement atteinte aux intérêts des tiers.
    • Toutefois c’est oublier qu’en droit des sociétés
      • D’une part, la nullité opère sans rétroactivité
      • D’autre part, la nullité n’est pas opposable aux tiers de bonne foi
    • Au total, à trop vouloir réduire les causes de nullité, la CJCE les réduit avec cette décision dans une proportion difficilement justifiable

==> Réception de la jurisprudence Marleasing en droit français

Manifestement, la jurisprudence Marleasing a, dans un premier temps, été accueillie pour le moins fraîchement en droit interne, après quoi une période d’incertitude s’est installée en jurisprudence.

Deux décisions ont particulièrement retenu l’attention :

  • L’arrêt Demuth ( com. 18 janv. 1992)
    • L’arrêt Démuth rendu par la Cour de cassation le 18 janvier 1992 témoigne de cette hostilité des juridictions française à l’égard de la position adoptée par la CJUE.
    • Pour mémoire, dans cet arrêt, la Haute juridiction admet qu’une société qui a été constituée dans un but frauduleux puisse être annulée, alors que la fraude n’est pas une cause de nullité visée par la directive du 9 mars 1968.
  • L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 21 septembre 2001
    • Il s’agissait en l’espèce d’une action en nullité engagée à l’encontre d’une société en raison de l’apport fictif réalisé par ses associés dans le dessein de couvrir l’attribution d’actions à trois des associés
    • Cependant, le défaut d’apport, ou l’apport fictif n’est pas une cause de nullité prévue par la directive du 9 mars 1968
    • À la surprise générale, par un arrêt du 21 septembre 2001, la Cour d’appel de Paris déboute le demandeur de ses demandes et refuse de prononcer la nullité de la société anonyme pour apport fictif (CA Paris, 21 sept. 2001).
    • Les juges parisiens estiment que « l’article L. 235-1 du Code de commerce, en ce qu’il se réfère aux dispositions du droit commun des contrats comme cause de nullité d’un contrat de société, n’est pas compatible avec les dispositions de l’article 11 de la directive susvisée qui énumère de manière limitative les causes de nullité de la société »
    • Autrement dit, pour la Cour d’appel, que dans la mesure que, le défaut d’apport où l’apport fictif n’est pas une cause de nullité au sens de l’article 11 de la directive, la société en l’espèce ne saurait faire l’objet d’une annulation, conformément au principe de primauté du droit communautaire sur le droit national dégagé dans l’arrêt Costa c. Enel de la CJUE du 15 juillet 1964.

==> Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 10 novembre 2015, la Cour de cassation semble s’être ralliée à la position adoptée par la CJUE dans l’arrêt Marleasing.

La Cour de cassation affirme, en effet, « qu’il résulte des dispositions des articles 1833 et 1844-10 du code civil, qui doivent, en ce qui concerne les causes de nullité des sociétés à responsabilité limitée, être analysées à la lumière de l’article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, repris à l’article 12 de la directive 2009/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, tel qu’interprété par l’arrêt de la Cour de justice de l’union européenne du 13 novembre 1990, (Marleasing SA/Comercial Internacional de Alimentación SA, C-106/89) que la nullité d’une société tenant au caractère illicite ou contraire à l’ordre public de son objet doit s’entendre comme visant exclusivement l’objet de la société tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts »

schema-10

Faits :

  • Une société qui souhaitait réaliser une opération immobilière soutient qu’une SARL a été constituée dans l’unique but de contester devant la juridiction administrative les permis de construire qu’elle avait obtenu.

Procédure :

  • Par un arrêt du 20 mars 2014, la Cour d’appel d’Aix en Provence déboute la société requérante de sa demande d’annulation
  • Les juges du fond estiment que le fait d’avoir constitué une société dans le seul but de contester des permis de construire n’est pas une cause de nullité
  • Seule la responsabilité du gérant est susceptible d’être recherchée

Solution :

  • Par son arrêt du 15 novembre 2015, la Cour de cassation rejette le pourvoi en se conformant, pour la première fois, à la position de la CJUE adoptée dans l’arrêt Marleasing
  • Deux points retiennent l’attention :
  • Sur la nullité de la société
    • La chambre commerciale estime que « dispositions des articles 1833 et 1844-10 du code civil, qui doivent, en ce qui concerne les causes de nullité des sociétés à responsabilité limitée, être analysées à la lumière de l’article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, repris à l’article 12 de la directive 2009/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009»
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation, en dehors des cas expressément prévus par la directive, une société ne saurait faire l’objet d’une annulation
    • On peut en déduire que la haute juridiction entend, à l’avenir, apprécier la nullité d’une société qu’au regard du seul texte communautaire.
    • Toutes les causes de nullités qui, jusqu’à présent, étaient admises en droit français et qui ne sont pas prévues par la directive, ont donc vocation à disparaître.
    • Cela concerne :
      • La fictivité de la société pour défaut de consentement
      • Les vices du consentement
      • Le défaut d’apport
      • Le défaut d’affectio societatis
  • Sur l’appréciation de l’illicéité de l’objet social
    • La Cour de cassation retient exactement la même solution que celle adoptée par la CJUE dans l’arrêt Marleasing : pour apprécier l’illicéité de l’objet social seul doit être pris en compte l’objet statutaire et non l’objet réel de la société
    • La chambre commerciale affirme en ce sens que « la nullité d’une société tenant au caractère illicite ou contraire à l’ordre public de son objet doit s’entendre comme visant exclusivement l’objet de la société tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts».

II) L’action en nullité

==> La titularité de l’action en nullité

Aux termes de l’article 31 du Code de procédure civil « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

Ainsi, pour engager une action en nullité, cela suppose-t-il pour le requérant de justifier d’une qualité à agir.

Or en matière de nullité, la qualité à agir dépend de la nature de l’intérêt protégé par la règle sanctionnée par la nullité.

  • Lorsque la nullité est relative, soit lorsqu’elle vise à sanctionner le non-respect d’une règle d’ordre public de protection, ont seules qualité à agir les personnes dont le législateur a souhaité assurer la protection, à condition que le demandeur justifie d’un intérêt à agir.
    • Les règles dont le non-respect est sanctionné par une nullité relative sont celles qui concernent :
      • Les vices du consentement
      • Le défaut de consentement
        • La Cour de cassation l’assimile régulièrement, à tort, au vice du consentement ( Com. 20 juin 1989)
      • L’incapacité
  • Lorsque la nullité est absolue, soit lorsqu’elle vise à sanctionner le non-respect d’une règle d’ordre public de direction, ont qualité à agir toutes les personnes susceptibles de se prévoir d’un intérêt à agir
    • Les règles dont le non-respect est sanctionné par une nullité absolue sont celles relatives :
      • Au défaut d’affectio societatis
      • Au défaut d’apport
      • À l’absence de pluralité d’associé
      • Au défaut d’accomplissement des formalités de publicité relatives à une société en nom collectif ou en commandite simple
      • La fraude
      • L’illicéité de l’objet social
      • Le défaut d’acte constitutif

==> La prescription de l’action en nullité

Par exception à l’article 2224 du Code civil qui prévoit que l’action en nullité se prescrit par 5 ans, le délai de prescription est raccourci à 3 ans en matière de nullité de société

Les articles 1844-14 du Code civil et L. 235-9 du Code de commerce disposent en ce sens que « les actions en nullité de la société ou d’actes et délibérations postérieurs à sa constitution se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue. »

Quid du point de départ de la prescription lorsque l’irrégularité qui entache la constitution de la société persiste au cours de la vie sociale, tel que le défaut d’affectio societatis ou l’illicéité de l’objet social ?

Dans un arrêt remarqué du 20 novembre 2001, la Cour de cassation a estimé que « les actions en nullité de la société se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue » (Cass. 1ère civ., 20 nov. 2001)

Ainsi, la haute juridiction reproche à la Cour d’appel d’avoir jugé que « s’agissant d’une nullité permanente, seule la disparition de la cause de celle-ci, soit la reconstitution d’une affectio societatis fait courir la prescription de trois ans de l’article 1844-14 du Code civil »

Pour la première chambre civile, le point de départ du délai de prescription n’est pas le jour de la disparition de la cause de nullité, mais au jour. Le délai court dès lors que la cause de nullité survient.

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==> L’exception de nullité

Conformément à l’adage quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum, la nullité est toujours susceptible d’être opposée comme exception en défense à une action principale en exécution d’une obligation.

La Cour de cassation a notamment rappelé cette règle, applicable en matière de nullité de société, dans un arrêt du 20 novembre 1990 (Cass. com., 20 nov. 1990)

La chambre commerciale affirme en ce sens que « si l’action en nullité d’une délibération d’une assemblée générale prise en violation des statuts de la société est soumise à la prescription triennale instituée par l’article 1844-14 du Code civil, l’exception de nullité est perpétuelle ».

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Dans un arrêt du 25 novembre 1998, la Cour de cassation réitère sa solution en affirmant que « la prescription d’une action en nullité n’éteint pas le droit d’opposer celle-ci comme exception en défense à une action principale » (Cass. 3e civ., 25 nov. 1998).

Dans un arrêt du 13 février 2007, la première chambre civile a néanmoins précisé que « l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté » (Cass. 1ère civ. 13 févr. 2007)

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==> La régularisation de la nullité

Lors de l’élaboration du régime de nullité, le législateur ne s’est pas contenté de restreindre les causes de nullité, il a, en parallèle, considérablement facilité la régularisation des sociétés dont la constitution est entachée d’une irrégularité.

Deux cas de figure doivent être distingués :

  • La régularisation constatée
    • Aux termes de l’article L. 235-3 du Code de commerce, « l’action en nullité est éteinte lorsque la cause de la nullité a cessé d’exister le jour où le tribunal statue sur le fond en première instance, sauf si cette nullité est fondée sur l’illicéité de l’objet social»
    • Aux termes de l’article L. 235-4 du Code de commerce :
      • Le tribunal de commerce, saisi d’une action en nullité, peut, même d’office, fixer un délai pour permettre de couvrir les nullités
      • Le Tribunal peut prononcer la nullité moins de deux mois après la date de l’exploit introductif d’instance. »
      • Si, pour couvrir une nullité, une assemblée doit être convoquée ou une consultation des associés effectuée, et s’il est justifié d’une convocation régulière de cette assemblée ou de l’envoi aux associés du texte des projets de décision accompagné des documents qui doivent leur être communiqués, le tribunal accorde par jugement le délai nécessaire pour que les associés puissent prendre une décision.
  • La régularisation provoquée
    • Plusieurs hypothèses doivent être distinguées
      • En cas de vice du consentement ou d’incapacité d’un associé
        • Toute personne y ayant intérêt peut mettre en demeure celui qui est susceptible de l’opérer, soit de régulariser, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. Cette mise en demeure est dénoncée à la société (art. L. 235-6 C. com)
      • En cas de violation des règles de publicité
        • Toute personne ayant intérêt à la régularisation de l’acte peut mettre la société en demeure d’y procéder, dans le délai fixé par décret en Conseil d’État. À défaut de régularisation dans ce délai, tout intéressé peut demander la désignation, par décision de justice, d’un mandataire chargé d’accomplir la formalité ( L. 235-7 C. com)
      • En cas d’irrégularité quelconque
        • Si les statuts ne contiennent pas toutes les énonciations exigées par la loi et les règlements ou si une formalité prescrite par ceux-ci pour la constitution de la société a été omise ou irrégulièrement accomplie, tout intéressé est recevable à demander en justice que soit ordonnée, sous astreinte, la régularisation de la constitution. Le ministère public est habile à agir aux mêmes fins ( L. 210-7, al. 2 C. com)

==> Les effets de la nullité

  • Les effets de la nullité à l’égard de la société
    • Absence de rétroactivité
      • Aux termes de l’article 1844-15 du Code civil la nullité a pour effet
        • De mettre fin, sans rétroactivité, à l’exécution du contrat de société (al. 1)
        • De produire les effets d’une dissolution prononcée par justice (al. 2)
      • Ainsi la nullité de la société n’opère que pour l’avenir. Elle n’a point d’effet rétroactif, de sorte qu’elle ne donnera pas lieu au jeu des restitutions.
    • Effet d’une dissolution
      • La nullité de la société produit les mêmes effets qu’une dissolution
      • Ainsi, conformément à l’article 1844-8 du Code civil :
        • « La dissolution de la société entraîne sa liquidation, hormis les cas prévus à l’article 1844-4 et au troisième alinéa de l’article 1844-5. Elle n’a d’effet à l’égard des tiers qu’après sa publication.
        • Le liquidateur est nommé conformément aux dispositions des statuts. Dans le silence de ceux-ci, il est nommé par les associés ou, si les associés n’ont pu procéder à cette nomination, par décision de justice. Le liquidateur peut être révoqué dans les mêmes conditions. La nomination et la révocation ne sont opposables aux tiers qu’à compter de leur publication. Ni la société ni les tiers ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d’une irrégularité dans la nomination ou dans la révocation du liquidateur, dès lors que celle-ci a été régulièrement publiée.
        • La personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu’à la publication de la clôture de celle-ci.
        • Si la clôture de la liquidation n’est pas intervenue dans un délai de trois ans à compter de la dissolution, le ministère public ou tout intéressé peut saisir le tribunal, qui fait procéder à la liquidation ou, si celle-ci a été commencée, à son achèvement.»
  • Les effets de la nullité à l’égard des tiers
    • Principe
      • L’article 1844-16 du Code civil prévoit que « ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d’une nullité à l’égard des tiers de bonne foi»
      • Cela signifie que la nullité leur est inopposable.
      • Ils sont donc toujours fondés à se prévaloir des engagements souscrits envers eux par la société
    • Exception
      • L’article 1844-16 du Code civil pose une exception au principe d’inopposabilité de la nullité aux tiers de bonne foi :
        • « la nullité résultant de l’incapacité ou de l’un des vices du consentement est opposable même aux tiers par l’incapable et ses représentants légaux, ou par l’associé dont le consentement a été surpris par erreur, dol ou violence»

[1] Y Guyon, Droit des affaires, tome 1 : Economica, 11e éd., 2002, n° 124, p. 127

[2] .P. Didier, « Brèves notes sur le contrat-organisation », in L’avenir du droit – Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz-PUF-Juris-classeur, 1999, p. 636.

[3] G. Ripert et R. Roblot par M. Germain, Traité de droit commercial, LGDJ, 17 éd. 1998, t.1, n°1051, p. 822.

L’affectio societatis

La validité du contrat de société n’est pas seulement subordonnée par l’existence du consentement des associés à l’acte constitutif du groupement qu’ils entendent instituer, elle suppose encore que ces derniers soient animés par la volonté de s’associer. Cette exigence est qualifiée, plus couramment, d’affectio societatis.

==> Affectio societatis / Consentement

Contrairement à la condition tenant au consentement des associés qui est exigé au moment de la formation du contrat de société, l’affectio societatis doit exister :

  • D’abord, lors de la constitution du groupement
  • Ensuite, tout au long de l’exécution du pacte social.

Yves Guyon affirme en ce sens que l’affectio societatis est plus « que le consentement à un contrat instantané. Elle s’apparenterait davantage au consentement au mariage, qui est non seulement la volonté de contracter l’union mais aussi celle de mener la vie conjugale »[1]

Aussi, si l’affectio societatis venait à disparaître au cours de la vie sociale, la société concernée encourrait la dissolution judiciaire pour mésentente, conformément à l’article 1844-7, 5° du Code civil (Cass. Com. 13 févr. 1996)

I) Définition

L’affectio societatis n’est défini par aucun texte, ni même visée à l’article 1832 du Code civil. Aussi, c’est à la doctrine et à la jurisprudence qu’est revenue la tâche d’en déterminer les contours.

Dans un arrêt du 9 avril 1996, la Cour de cassation a défini l’affectio societatis comme la « volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre commune » (Cass. com. 9 avr. 1996).

Bien que le contenu de la notion diffère d’une forme de société à l’autre, deux éléments principaux ressortent de cette définition :

  • La volonté de collaborer
    • Cela implique que les associés doivent œuvrer, de concert, à la réalisation d’un intérêt commun : l’objet social
    • Ainsi le contrat de société constitue-t-il l’exact opposé du contrat synallagmatique.
      • Comme l’a relevé Paul Didier « le premier type de contrat établit entre les parties un jeu à somme nulle en ceci que l’un des contractants gagne nécessairement ce que l’autre perd, et les intérêts des parties y sont donc largement divergents, même s’ils peuvent ponctuellement converger. Le deuxième type de contrat, au contraire crée entre les parties les conditions d’un jeu de coopération où les deux parties peuvent gagner et perdre conjointement et leurs intérêts sont donc structurellement convergents même s’ils peuvent ponctuellement diverger»[2]
  • Une collaboration sur un pied d’égalité
    • Cela signifie qu’aucun lien de subordination ne doit exister entre associés bien qu’ils soient susceptibles d’être détenteurs de participations inégales dans le capital de la société (Cass. com., 1er mars 1971).

II) Critère de qualification du contrat de société

L’exigence d’affectio societatis permet de distinguer le contrat de société de figures juridiques voisines :

==>Société et indivision

  • Difficultés nées de la loi du 31 décembre 1976
    • L’indivision est définie comme la situation juridique d’une ou plusieurs personnes titulaires en commun d’un droit sur un même bien ou sur un même ensemble de biens, sans qu’il y ait division matérielle de leurs parts.
    • Traditionnellement, l’indivision était présentée comme un état involontaire des biens, en ce sens qu’elle résulte d’un comportement purement passif des indivisaires, lesquels subissaient une situation dont le fait générateur résidait, soit dans l’ouverture d’une succession, soit dans l’opération de liquidation d’un régime matrimonial.
    • Ainsi l’indivision se distinguait-elle très nettement de la société, puisque la constitution de pareil groupement suppose, de la part des associés, une démarche active.
    • La loi du 31 décembre 1976 est néanmoins venue atténuer le trait qui sépare ces deux figures juridiques, avec l’introduction dans le Code civil de l’indivision conventionnelle.
    • Cette réforme a, en effet, conduit la doctrine à abandonner le critère contractuel pour distinguer la société de l’indivision, dans la mesure où, dorénavant, elle peut résulter d’une démarche volontaire.
  • Critères de distinction
    • Comment, nonobstant l’adoption de la loi du 31 décembre 1976, distinguer les notions de société et d’indivision ?
    • Selon Corinne Saint-Alary-Houin, c’est dans l’affectio societatis que réside le critère de distinction.
    • Plus précisément pour cet auteur, il faut « scruter l’intention des parties, analyser leur volonté. Dans ce cas, la nuance entre la société et l’indivision existe même si elle demeure très mince. La société se présente comme une affectation de biens à l’entreprise commune ; c’est un groupement dynamique. La seconde est une simple jouissance de biens dans le souci d’en conserver sa valeur. Elle est de nature plus statique » (C. Saint-Alary-Houin, « Les critères distinctifs de la société et de l’indivision depuis les réformes récentes du Code civil » ; RTD com. 1979, p. 645 s).
    • Dans un arrêt De Rotschild du 18 novembre 1997 la Cour de cassation a statué en ce sens, estimant que dès lors que des biens indivis sont affectés volontairement à une exploitation commune, cette situation « correspond à une société en participation » ( com., 18 nov. 1997).
    • Ainsi, les objectifs poursuivis par les associés et les indivisaires sont-ils différents :
      • Les associés ont affecté à une entreprise commune un ou plusieurs biens en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter.
      • Les indivisaires exercent en commun un droit de propriété sur un même bien en vue de s’en réserver la jouissance et d’en d’assurer la conservation.

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==> Société et concubinage

  • Exposé de la problématique
    • Comme l’a exprimé Napoléon lors de la rédaction du Code civil : « les concubins se désintéressent du droit, alors le droit se désintéresse des concubins».
    • Ainsi, cette célèbre formule explique-t-elle pourquoi les personnes qui vivent en union libre ne bénéficient d’aucun régime spécifique.
    • Les concubins étant ignorés du droit, lors de la rupture d’un concubinage, le partage des biens acquis au cours de leur union obéit, en conséquence, aux seules règles du droit commun.
    • Ils ne sauraient, dès lors, se prévaloir, comme le rappelle fréquemment la Cour de cassation, des dispositions qui régissent la liquidation du régime matrimonial applicable aux couples mariés.
    • Aussi, afin de reconstituer ce régime matrimonial, certains concubins ont-ils cherché à revendiquer, devant les tribunaux, le bénéfice des règles de liquidation instituées en droit des sociétés, ce qui dès lors suppose de démontrer l’existence, entre concubins, d’une société créée de fait.
  • Position de la jurisprudence
    • Première étape
      • Dans un premier temps, les juridictions se sont livrées à une appréciation plutôt souple des éléments constitutifs du contrat de société, afin de reconnaître l’existence entre concubins d’une société créée de fait
      • Les juges étaient animés par la volonté de préserver les droits de celui ou celle qui, soit s’était investi dans l’activité économique de l’autre, soit dans l’acquisition d’un immeuble construit sur le terrain de son concubin.
      • Pour ce faire, les tribunaux déduisaient l’existence d’un affectio societatis de considérations qui tenaient au concubinage en lui-même ( req., 14 mars 1927).
    • Seconde étape
      • Rapidement, la Cour de cassation est néanmoins revenue sur la bienveillance dont elle faisait preuve à l’égard des concubins :
      • Dans un arrêt du 25 juillet 1949, elle a, en effet, durci sa position en reprochant à une Cour d’appel de n’avoir pas « relevé de circonstances de fait d’où résulte l’intention qu’auraient eu les parties de mettre en commun tous les produits de leur activité et de participer aux bénéfices et aux pertes provenant du fonds social ainsi constitué, et alors que la seule cohabitation, même prolongée de personnes non mariées qui ont vécu en époux et se sont fait passer pour tels au regard du public, ne saurait donner naissance entre elles à une société» ( com., 25 juill. 1949)
      • Autrement dit, pour la Cour de cassation, l’affectio societatis ne saurait se déduire de la cohabitation prolongée des concubins.
      • Pour la haute juridiction cet élément constitutif du contrat de société doit être caractérisé séparément.
      • Dans des arrêts rendus le 12 mai 2004, la chambre commerciale a reformulé, encore plus nettement, cette exigence, en censurant une Cour d’appel pour n’avoir « relevé aucun élément de nature à démontrer une intention de s’associer distincte de la mise en commun d’intérêts inhérente à la vie maritale» ( 1re civ., 12 mai 2004).
      • Dans un autre arrêt du 23 juin 2004, la haute juridiction a plus généralement jugé que « l’existence d’une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l’existence d’apports, l’intention de collaborer sur un pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun et l’intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu’aux pertes éventuelles pouvant en résulter ; que ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres» ( com., 23 juin 2004).

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Faits :

  • Un couple de concubins se sépare.
  • Ces derniers se disputent alors l’occupation du domicile dans lequel ils ont vécu, domicile construit sur le terrain du concubin.

Demande :

  • Le propriétaire du terrain demande l’expulsion de sa concubine.
  • La concubine demande la reconnaissance de l’existence d’une société créée de fait entre eux.

Procédure :

  • Dispositif de la Cour d’appel: La Cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 11 janvier 2000, déboute la concubine de sa demande.
  • Motivation de la Cour d’appel: les juges du fond estiment que la preuve de l’existence d’un affectio societatis entre les concubins n’a nullement été rapportée et que, par conséquent, aucune société créée de fait ne saurait avoir existé entre eux.

Moyens des parties :

  • La concubine fait valoir que quand bien même le prêt de la maison a été souscrit par son seul concubin, elle a néanmoins participé au remboursement de ce prêt de sorte que cela témoignait de la volonté de s’associer en vue de la réalisation d’un projet commun : la construction d’un immeuble.
  • Qui plus est, elle a réinvesti le don qui lui avait été fait par son concubin dans l’édification d’une piscine, de sorte que là encore cela témoigner de l’existence d’une volonté de s’associer.

Problème de droit :

Une concubine qui contribue au remboursement du prêt souscrit par son concubin en vue de l’édification d’un immeuble sur le terrain dont il est propriétaire peut-elle être qualifiée, avec ce dernier, d’associé de fait ?

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt:
    • Par un arrêt du 23 juin 2004, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la concubine.
  • Sens de l’arrêt:
    • La Cour de cassation estime que pour que l’existence d’une société créée de fait entre concubins soit reconnue cela suppose la réunion cumulative de trois éléments :
      • L’existence d’apports
      • L’intention de collaborer sur un même pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun
      • L’intention de participer aux bénéfices et aux pertes
    • La Cour d’appel n’étant pas parvenue à établir SOUVERAINEMENT l’existence d’un affectio societatis, alors il n’était pas besoin qu’ils se penchent sur l’existence d’une participation financière à la participation de la maison
  • Valeur de l’arrêt:
    • Ici, la décision de la Cour de cassation est somme toute logique :
    • la Cour de cassation estime que pour que l’existence d’une société créée de fait soit reconnue, il faut la réunion de trois éléments cumulatifs.
    • Il faut que ces éléments soient établis séparément
    • Par conséquent, si le premier d’entre eux fait défaut (l’affectio societatis), il n’est pas besoin de s’interroger sur la caractérisation des autres !
    • Le défaut d’un seul suffit à faire obstacle à la qualification de société créée de fait.
    • La Cour de cassation précise que ces éléments ne sauraient se déduire les uns des autres.
    • Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il est établi une participation aux bénéfices et aux pertes que l’on peut en déduire l’existence de l’affectio societatis.
    • Ici, la Cour de cassation nous dit que les trois éléments doivent être établis séparément.

==> Société et contrat de travail

  • Exposé de la problématique
    • Parce que l’affectio societatis, suppose que les associés collaborent sur un pied d’égalité, aucun lien de subordination ne saurait exister entre eux, pas même dans les rapports entre associés majoritaires et associés minoritaires.
    • Un associé ne peut, en conséquence, recevoir aucun ordre, injonction ou commandement d’un autre associé.
    • Les associés sont seulement tenus de se plier aux décisions prises dans le cadre des délibérations sociales.
    • Quid, néanmoins, de l’hypothèse où une partie de la rémunération d’un salarié est indexée sur les bénéfices réalisés par la société ?
    • Peut-on, dans cette hypothèse, considérer que le salarié s’apparente à un apporteur en industrie ?
  • Position de la jurisprudence
    • Dans la mesure où la qualité d’associé n’est pas exclusive de celle de salarié, on peut parfaitement envisager qu’un salarié soit considéré comme un associé de fait (V. en ce sens soc. 18 avr. 2008)
    • Plusieurs hypothèses, peuvent, dans ces conditions être envisagées :
      • À supposer que le contrat de travail soit fictif en raison, notamment, de l’absence de lien de subordination, rien n’empêche que le salarié soit qualifié d’associé de fait ( soc. 18 avr. 2008)
      • À l’inverse, s’il est établi qu’un associé se trouve dans une situation de subordination de fait, il sera fondé à se prévaloir d’un contrat de travail ( soc. 17 avr. 1991)

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==> Société et contrat de prêt

  • Exposé de la problématique
    • Lorsqu’un prêt est consenti par un banquier à une société en contrepartie du paiement d’intérêts dont le calcul est étranger au résultat d’exploitation, la différence entre le contrat de prêt et le contrat de société ne soulève guère de difficultés.
    • Quid, néanmoins, dans l’hypothèse où le prêteur consent un crédit à une société en contrepartie d’une quote-part sur les bénéfices.
    • Ce type de contrat, qualifié de financement participatif, ou crowdfunding, force, de toute évidence, à l’interrogation.
    • Dans ce type de montage, celui qui avance les fonds doit-il être qualifié de prêteur ou d’associé ?
    • Pour le déterminer, cela suppose de déterminer de s’intéresser au comportement du prêteur et plus précisément de répondre à la question de savoir si l’affectio societatis est ou non caractérisée.
  • Position de la jurisprudence
    • Il peut tout d’abord être observé que le banquier qui s’immisce dans la gestion de la société est susceptible d’être qualifié de dirigeant de fait notamment dans le cadre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif
      • L’article L. 650-1 du Code de commerce prévoit, en ce sens, que « lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.»
    • Aussi, rien n’empêche que le prêteur soit qualifié d’associé de fait :
      • Si, d’une part, il s’est investi, au-delà de son obligation de conseil, dans la gestion de la société
      • Si, d’autre part, il est établi qu’il avait la volonté de participer aux résultats de l’entreprise.
    • Dans un arrêt du 24 septembre 2003, la Cour de cassation a ainsi jugé qu’un prêteur qui s’était ingéré dans la gestion d’une société pouvait être qualifié d’associé de fait ( com., 24 sept. 2003).

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III) Rôle de l’affectio societatis

L’affectio societatis remplit, grosso modo, deux fonctions distinctes. Il permet d’apprécier, d’une part, l’existence de la société et, d’autre part, la qualité d’associé.

  • L’appréciation de l’existence de la société
    • Lors de la constitution de la société
      • Afin de déterminer si une société est ou non fictive, il suffit pour le juge de vérifier l’existence d’un affectio societatis.
      • Si cet élément constitutif du pacte social fait défaut, la société encourt la nullité
      • Dans un arrêt du 15 mai 2007, la Cour de cassation a ainsi validé la nullité d’une société prononcée par une Cour d’appel pour défaut d’affectio societatis ( com., 15 mai 2007).
      • La Chambre commerciale relève, au soutien de sa décision, plusieurs éléments qui témoignent de la fictivité de la société annulée :
        • Le défaut de fonctionnement de la société
        • L’absence d’acte de gestion relatif à l’achat ou à la vente de valeurs mobilières n’ayant été effectuée entre le moment de la constitution de la société et l’acte de donation-partage litigieux
        • L’absence d’autonomie financière de la société
        • L’absence d’apports réels
        • Le défaut d’une véritable volonté de s’associer

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  • Au cours de la vie sociale
    • Si l’affectio societatis venait à disparaître au cours de la vie sociale, il s’agit là d’une cause de dissolution judiciaire de la société
    • L’article 1844-7 du Code civil dispose en ce sens que « la société prend fin […] par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société».
    • Dans un arrêt du 16 mars 2011, la Cour de cassation est cependant venue préciser que « la mésentente existant entre les associés et par suite la disparition de l’affectio societatis ne pouvaient constituer un juste motif de dissolution qu’à la condition de se traduire par une paralysie du fonctionnement de la société» ( com. 16 mars 2011).
    • Ainsi, pour la chambre commerciale, la disparition de l’affectio societatis au cours de la vie sociale n’est une cause de dissolution qu’à la condition qu’elle soit assortie d’une paralysie du fonctionnement de la société.
    • Dans le cas contraire, le juge ne sera pas fondé à prononcer la dissolution judiciaire, quand bien même une mésentente s’est installée entre les associés.

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  • L’appréciation de la qualité d’associé
    • L’affectio societatis permet de distinguer les associés des personnes entretiennent des rapports avec la société, sans pour autant être investies des droits et obligations dont est assortie la qualité d’associé.
    • Seuls les associés jouissent d’un droit de vote et d’un droit aux dividendes ou au boni de liquidation.
    • En somme, l’affectio societatis est la cause des droits et obligations des associés
    • Surtout l’affectio societatis fonde le droit propre de l’associé à faire partie de la société et donc de ne pas en être exclu dès lors qu’il a satisfait à son obligation de réalisation des apports.

IV) La sanction du défaut d’affectio societatis

Dans la mesure où aucun texte ne vise expressément l’exigence d’affectio societatis quant à la validité du contrat de société, on est légitimement en droit de s’interroger sur sa sanction.

Conformément au principe « pas de nullité sans texte », le défaut d’affectio societatis ne devrait, en effet, jamais conduire le juge à prononcer la nullité de la société.

Qui plus est, la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, ne prévoit pas que le défaut d’affectio societatis soit constitutif d’une cause de nullité.

Toutefois, les juridictions ont tendance à rattacher la condition tenant à l’affectio societatis à l’article 1832 du Code civil.

Aussi, est-ce, par exemple, en s’appuyant précisément sur ce texte que la chambre commerciale a jugé que la nullité prononcée par une Cour d’appel à l’encontre d’une société en raison de l’absence d’affectio societatis entre les associés était bien fondée (Cass. com., 15 mai 2007).

[1] Y Guyon, Droit des affaires, tome 1 : Economica, 11e éd., 2002, n° 124, p. 127

[2] .P. Didier, « Brèves notes sur le contrat-organisation », in L’avenir du droit – Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz-PUF-Juris-classeur, 1999, p. 636.

La participation aux résultats

Il ressort de l’article 1832 du Code civil que l’associé a vocation :

  • soit à partager les bénéfices d’exploitation de la société ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter
  • soit à contribuer aux pertes

I) Le partage des bénéfices et des économies

Deux objectifs sont été assignés par la loi à la société :

  • Le partage de bénéfices
  • Le partage de l’économie qui pourra en résulter.

Que doit-on entendre par bénéfices ?

La loi donne en donne plusieurs définitions :

  • L’article L. 232-11 du Code de commerce dispose que « le bénéfice distribuable est constitué par le bénéfice de l’exercice, diminué des pertes antérieures, ainsi que des sommes à porter en réserve en application de la loi ou des statuts, et augmenté du report bénéficiaire.»
  • L’article 38, 2 du Code général des impôts définit, quant à lui, le bénéfice comme « la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt diminuée des suppléments d’apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l’exploitant ou par les associés. L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ».

En raison de leur trop grande spécificité, aucune de ces définitions légales des bénéfices ne permet de distinguer la société des autres groupements.

Pour ce faire, c’est vers la jurisprudence qu’il convient de se tourner.

Dans un célèbre arrêt Caisse rurale de la commune de Manigod c/ Administration de l’enregistrement rendu en date du 11 mars 1914, la Cour de cassation définit les bénéfices comme « tout gain pécuniaire ou tout gain matériel qui ajouterait à la fortune des intéressés ».

L’adoption d’une définition des bénéfices par la Cour de cassation procède, manifestement, d’une volonté de distinguer la société des autres groupements tels que :

  • Les groupements d’intérêt économique
  • Les associations

==> L’inclusion des groupements d’intérêt économique dans le champ de la qualification de société

Bien que la définition des bénéfices posée par la Cour de cassation ait le mérite d’exister, elle n’en a pas moins été jugée trop restrictive.

En estimant que les bénéfices ne pouvaient consister qu’en un gain pécuniaire ou matériel, cette définition implique que les groupements qui se sont constitués en vue, non pas de réaliser un profit, mais de générer des économies sont privés de la possibilité d’adopter une forme sociale.

Or la structure sociétaire présente de très nombreux avantages.

Aussi, afin de permettre aux groupements d’intérêt économique, dont l’objet est la réalisation d’économies, de se constituer en société, le législateur a-t-il décidé d’intervenir.

La loi du 4 janvier 1978 a, de la sorte, modifié l’article 1832 du Code civil en précisant qu’une société peut être instituée « en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. »

Si, cet élargissement de la notion de société a permis aux groupements d’intérêt économique d’adopter une forme sociale, il a corrélativement contribué à flouer la distinction entre les sociétés et les groupements dont le but est autre que la réalisation de bénéfices.

Ainsi, la frontière entre les sociétés et les associations est parfois difficile à déterminer.

==> L’exclusion des associations du champ de la qualification de société

Quelle est la distinction entre une société et une association ?

La différence entre ces deux groupements tient à leur finalité.

  • Conformément à l’article 1832 du Code civil, « la société est instituée […] en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. »
  • Aux termes de l’article 1er de la loi du 1er juillet 1901 « l’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices».

Ainsi, le critère de la distinction entre la société et l’association est le partage des bénéfices.

Tandis que la société se constitue dans un but exclusivement lucratif, l’association se forme, en principe, dans un but non-lucratif

En apparence, ce critère ne semble pas soulever de difficultés. Sa mise est œuvre n’est, cependant, pas aussi aisée qu’il y paraît.

En effet, si l’on procède à une lecture attentive de la loi du 1er juillet 1901, il ressort de l’alinéa 1er que ce qui est interdit pour une association, ce n’est pas la réalisation de bénéfices, mais leur distribution entre ses membres.

Dans ces conditions, rien n’empêche une association de se constituer dans un but à vocation exclusivement lucrative.

Aussi, lorsque cette situation se rencontre, la différence entre l’association et la société est pour le moins ténue.

II) La contribution aux pertes

Aux termes de l’article 1832, al. 3 du Code civil, dans le cadre de la constitution d’une société « les associés s’engagent à contribuer aux pertes ».

Aussi, cela signifie-t-il que, en contrepartie de leur participation aux bénéfices et de l’économie réalisée, les associés sont tenus de contribuer aux pertes susceptibles d’être réalisées par la société.

Le respect de cette exigence est une condition de validité de la société.

L’obligation de contribution aux pertes pèse sur tous les associés quelle que soit la forme de la société.

==> Contribution aux pertes / Obligation à la dette

Contrairement à l’obligation à la dette dont la mise en œuvre s’effectue au cours de la vie sociale, la contribution aux pertes n’apparaît, sauf stipulation contraire, qu’au moment de la liquidation de la société.

En effet, pendant l’exercice social, les associés ne sont jamais tenus de contribuer aux pertes de la société. Ces pertes sont compensées par les revenus de la société.

Ce n’est que lorsque l’actif disponible de la société ne sera plus en mesure de couvrir son actif disponible (cession des paiements) que l’obligation de contribution aux pertes sera mise en œuvre.

Tant que la société n’est pas en liquidation, seule la société est tenue de supporter la charge de ces pertes.

==> Principe de contribution aux pertes

Quelle est l’étendue de l’obligation de contribution aux pertes ?

  • Dans les sociétés à risque limité l’obligation de contribution aux pertes ne peut excéder le montant des apports.
  • Dans les sociétés à risque illimité l’obligation de contribution aux pertes ne connaît aucune limite.
    • La responsabilité des associés peut-être recherchée au-delà de ses apports

En toute hypothèse, chaque associé est tenu de contribuer aux pertes proportionnellement à la part du capital qu’il détient dans la société.

Toutefois, une répartition inégalitaire est admise à certaines conditions.

==> Répartition inégalitaire autorisée

L’article 1844-1, al. 1er du Code civil dispose que « la part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l’associé qui n’a apporté que son industrie est égale à celle de l’associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire. »

Plusieurs enseignements ressortent de cette disposition :

  • Principe
    • Dans le silence des statuts, la part des associés dans les bénéfices est proportionnelle à leurs apports
  • Exceptions
    • Les associés peuvent prévoir dans les statuts
      • Soit un partage égal des bénéfices et des pertes nonobstant des apports inégaux
      • Soit un partage inégal des bénéfices et des pertes nonobstant des apports égaux

==> Prohibition des clauses léonines

Aux termes de l’article 1844-1, al. 2 du Code civil « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ».

Trois interdictions ressortent de cette disposition qui prohibe ce que l’on appelle les clauses léonines, soit les stipulations qui attribueraient à un associé « la part du lion ».

En vertu de cette disposition sont ainsi prohibées les clauses qui :

  • attribueraient à un seul associé la totalité des bénéfices réalisés par la société
  • excluraient totalement un associé du partage des bénéfices
  • mettrait à la charge d’un associé la totalité des pertes

La présence d’une clause léonine dans les statuts n’est pas une cause de nullité de la société. La stipulation est seulement réputée non-écrite, de sorte que le partage des bénéfices et des pertes devra s’opérer proportionnellement aux apports des associés.

La responsabilité du fait d’autrui: principe général (l’arrêt Blieck et ses suites)

La reconnaissance d’une responsabilité générale du fait d’autrui, c’est-à-dire au-delà des cas expressément prévus par la loi s’inscrit dans le mouvement tendant à améliorer le sort de la victime.

L’objectif poursuivi est de mettre en rapport un préjudice à réparer et une personne solvable, afin d’améliorer l’indemnisation des dommages.

Cette amélioration va résulter de la conjugaison de deux phénomènes :

  • La découverte de nouveaux cas de responsabilité du fait d’autrui
  • La reconnaissance d’une responsabilité de plein droit

I) La découverte de nouveaux cas de responsabilité du fait d’autrui

A) L’émergence de nouveaux cas de responsabilité du fait d’autrui

?Situation en 1804

En 1804, les rédacteurs du Code civil n’ont nullement envisagé d’instaurer en principe général de responsabilité du fait d’autrui.

La raison en est que, par principe, l’on estimait que l’on ne pouvait être responsable que de son propre fait, l’exception étant que l’on puisse répondre des actes d’autrui.

C’est la raison pour laquelle, en 1804, le législateur n’a reconnu que trois cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui, énoncés à l’ancien article 1384 du Code civil.

L’article 1384 prévoyait en ce sens que :

  • « Le père, et la mère après le décès du mari, sont responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux »
  • « Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés »
  • « Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance »

?Réforme des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui

À partir de la fin du XIXe siècle, le législateur s’est employé à réformer les cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui, afin de les adapter aux évolutions du droit positif, comme, par exemple, la reconnaissance d’une égalité entre les parents quant à leur responsabilité du fait de leurs enfants.

Ce mouvement réformateur des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui s’est traduit par une modification de l’article 1384 du Code civil qui, à l’issue des réformes successives, sera rédigé dans les termes suivants :

  • « Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux. »
  • « Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés. »
  • « Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance. »

Nonobstant le toilettage des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui entrepris par le législateur au début du siècle dernier, la reconnaissance d’un principe général est demeurée exclue, alors même que, sensiblement à la même époque, la jurisprudence venait de découvrir à l’alinéa 1er de l’article 1384 un principe général de responsabilité du fait des choses.

Pour mémoire, cette disposition, devenu l’article 1242 du Code civil, prévoit en son alinéa 1er que :

« On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

Il peut être observé que lors de l’adoption du Code civil en 1804, ses rédacteurs n’avaient pour seule intention, en insérant cet alinéa, que d’annoncer les cas particuliers de responsabilité du fait du fait d’autrui énoncés aux alinéas 2,3 et 4 de l’article 1242 et de responsabilité du fait des choses prévus aux articles 1243 (responsabilité du fait des animaux) et 1244 (responsabilité du fait des bâtiments en ruine).

Il s’agissait, en d’autres termes, d’un texte de transition entre la responsabilité du fait personnel des articles 1240 et 1241 et les cas spéciaux de responsabilité énumérés aux dispositions suivantes. L’article 1242, al. 1er était en ce sens dépourvu de toute valeur normative.

Pendant près d’un siècle, nul n’a envisagé l’existence d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui, pas plus qu’un principe général de responsabilité du fait des choses.

Les seules hypothèses dans lesquelles une personne était susceptible de répondre de la conduite d’autrui étaient celles limitativement énumérées à l’article 1242 du Code civil.

?La reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses

Par ailleurs, les seules choses dont l’intervention dans la production d’un dommage était susceptible d’engager la responsabilité du gardien, ne pouvaient être, selon la jurisprudence, que celles énumérées aux articles 1243 et 1244 du Code civil.

Dans l’hypothèse où la chose à l’origine d’un dommage n’était, ni un animal, ni un bâtiment en ruine, on estimait, dès lors, qu’elle devait être appréhendée comme un simple instrument de l’action humaine, de sorte qu’il appartenait à la victime de rechercher la responsabilité du gardien sur le fondement de la responsabilité du fait personnel.

Cela supposait donc de rapporter la preuve d’une faute en relation avec le dommage (V. en ce sens Cass. civ., 19 juill. 1870)

La liste des cas de responsabilité du fait des choses est demeurée limitative jusqu’à l’avènement de la Révolution industrielle.

Comme le souligne Philippe Brun, « si dans la société agraire du début du XIXe siècle, les animaux et les bâtiments ont pu apparaître comme les principales sources de dommages parmi les choses, ce schéma a volé en éclat avec la Révolution industrielle »[1].

Cette révolution a, en effet, été accompagnée par un accroissement considérable des accidents de personnes provoqués par l’explosion des techniques encore mal maîtrisées, liées notamment à l’exploitation des machines à vapeur.

La victime se retrouvait le plus souvent dans l’impossibilité de déterminer la cause exacte du dommage et, surtout, d’établir une faute à l’encontre du gardien.

Cela aboutissait alors à une situation particulièrement injuste. Les victimes étaient privées d’indemnisation en raison des conditions restrictives de mise en œuvre de la responsabilité du fait personnel : en l’absence de faute, la responsabilité du propriétaire de machine ne pouvait pas être engagée, quand bien même l’accident survenait dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail.

Manifestement, il attendre la fin du XIXe siècle pour que naisse une prise de conscience de la nécessité d’améliorer le sort des victimes du machinisme en jurisprudence.

Aussi, dans un arrêt du 16 juin 1896, la Cour de cassation reconnaît-elle, pour la première fois, le caractère non limitatif de l’ancien article 1384, alinéa 1er du Code civil (Cass. civ, 16 juin 1896)

Cette reconnaissance d’un principe général du fait des choses a, par la suite, été confirmée par le célèbre arrêt Jand’heur du 13 février 1930 (Cass. Ch. réun., 13 févr. 1930).

Par cette décision, la Cour de cassation reconnaît, en d’autres termes, la valeur normative de l’article 1242, al. 1er du Code civil, de sorte que, désormais, la victime est fondée à rechercher la responsabilité du gardien d’une chose qui lui a causé un dommage en dehors des cas particuliers prévus par la loi.

La question qui immédiatement s’est alors posée a été de savoir si cette reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses alors conduire à l’abandon du caractère limitatif de la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui.

?Le refus de reconnaître symétriquement un principe général de responsabilité du fait d’autrui

Une lecture attentive de l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil nous révèle que cette disposition ne vise pas seulement la responsabilité du fait des choses.

Il est fait explicitement référence à la responsabilité du fait d’autrui :

« on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

En 1930, la situation après que l’arrêt Jand’heur a été rendu est alors la suivante :

Alors que la Cour de cassation a découvert un principe général de responsabilité du fait des choses par une interprétation audacieuse de la formule « des choses que l’on a sous sa garde », elle se refuse à faire preuve de la même audace avec la formule « des personnes dont on doit répondre ».

Autrement dit, elle considère que seule la seconde partie de l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil serait porteuse d’un principe général, la formule « des personnes dont on doit répondre » étant dépourvue de toute valeur normative.

La conséquence en est pour la victime qui souhaite agir en réparation sur le fondement de la responsabilité du fait d’autrui :

  • Soit de se situer sur l’un des cas particuliers visés expressément à l’article 1242
  • Soit d’établir une faute de surveillance sur le fondement des articles 1240 et 1241

En dehors de ces deux hypothèses, la Cour de cassation était totalement fermée à l’idée de reconnaître un principe général de responsabilité du fait d’autrui.

La position qu’elle défend repose sur l’idée qu’il ne saurait y avoir de responsabilité que du fait personnel,

Ce principe a, notamment, pour fondement textuel l’article 121-1 du Code pénal qui prévoit que « nul n’est responsable que de son propre fait ».

Il s’agit là d’une conception directement héritée de la doctrine judéo-chrétienne selon laquelle l’homme est libre, de sorte que l’on ne saurait engager sa responsabilité que s’il fait un mauvais usage de sa liberté.

Aussi, admettre que l’on puisse répondre des actes délictueux d’autrui conduirait à une situation totalement injuste, voire dangereuse :

  • Injuste
    • Reconnaître un principe général de responsabilité du fait d’autrui reviendrait à obliger une personne à assumer les conséquences dommageables de l’exercice de la liberté d’autrui alors qu’elle ne peut pas, en principe, en contrôler la conduite.
  • Dangereuse
    • Le mécanisme de la responsabilité du fait d’autrui conduit à mettre à la charge d’une personne une obligation de réparation, alors qu’elle n’a, personnellement, commis aucune faute

À la vérité, il faut attendre le début des années 1990 pour que la Cour de cassation assouplisse sa position assise sur le fondement de la faute et envisage d’ouvrir la liste des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui.

?L’abandon du caractère limitatif de la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui

C’est dans un arrêt Blieck du 29 mars 1991 rendu par la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, que le caractère limitatif de la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui est abandonné (Cass. ass. plén., 29 mars 1991, n°89-15.231).

Arrêt Blieck

(Cass. ass. plén., 29 mars 1991)

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Limoges, 23 mars 1989), que X…, handicapé mental, placé au Centre d’aide par le travail de Sornac, a mis le feu à une forêt appartenant aux consorts X… ; que ceux-ci ont demandé à l’Association des centres éducatifs du Limousin, qui gère le centre de Sornac, et à son assureur, la réparation de leur préjudice ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir condamné ces derniers à des dommages-intérêts par application de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, alors qu’il n’y aurait de responsabilité du fait d’autrui que dans les cas prévus par la loi et que la cour d’appel n’aurait pas constaté à quel titre l’association devrait répondre du fait des personnes qui lui sont confiées ;

Mais attendu que l’arrêt relève que le centre géré par l’association était destiné à recevoir des personnes handicapées mentales encadrées dans un milieu protégé, et que X… était soumis à un régime comportant une totale liberté de circulation dans la journée ;

Qu’en l’état de ces constatations, d’où il résulte que l’association avait accepté la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de ce handicapé, la cour d’appel a décidé, à bon droit, qu’elle devait répondre de celui-ci au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, et qu’elle était tenue de réparer les dommages qu’il avait causés ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits

Une personne handicapée mentale, placée dans un centre éducatif spécialisé, échappe à la surveillance de ses encadrants et met le feu à une forêt.

?Demande

Les propriétaires du domaine demandent réparation au centre dans lequel résidait l’auteur de l’incendie ainsi qu’aux assureurs de ce centre.

?Procédure

  • Dispositif de la Cour d’appel :
    • Par un arrêt confirmatif du 23 mars 1989, la Cour d’appel de Limoges va, sans un brin de provocation, accéder à la requête des propriétaires du domaine sur lequel a eu lieu l’incendie.
  • Motivation de la Cour d’appel :
    • La Cour d’appel fonde sa décision sur l’alinéa 1er de l’article 1384 du Code civil, estimant que la responsabilité du fait d’autrui ne saurait être restreinte aux cas limitatifs prévus par la loi
    • Ainsi, pour les juges du fond, l’article 1384 alinéa 1er instituerait une présomption de responsabilité du fait des personnes dont on doit répondre.

?Moyens des parties

On ne peut être responsable du fait d’autrui que dans les cas limitativement prévus par la loi.

?Problème de droit

Un centre éducatif spécialisé est-il responsable des dommages causés par l’incendie à l’origine duquel se trouve une personne dont il assure la prise en charge ?

?Solution de la Cour de cassation

  • Dispositif de l’arrêt
    • Par un arrêt du 29 mars 1991, à la surprise générale, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le centre éducatif spécialisé.
  • Sens de l’arrêt
    • La Cour de cassation relève « que l’association avait accepté la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de ce handicapé ».
    • Elle en déduit que « la cour d’appel a décidé, à bon droit, que [l’association] devait répondre de celui-ci au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, et qu’elle était tenue de réparer les dommages qu’il avait causés »
    • Pour la première fois, la haute juridiction accepte donc d’appliquer la responsabilité du fait d’autrui à une hypothèse qui n’est pas prévue dans le Code civil
    • Pour ce faire, il n’est pas anodin de noter que la Cour de cassation relève que le centre éducatif avait
      • la charge d’organiser le mode de vie de l’auteur du dommage
      • de contrôler ce mode de vie
      • à titre permanent
    • L’assemblée plénière en déduit que le centre éducatif engage alors sa responsabilité
    • De toute évidence, les critères auxquels a recours l’assemblée plénière pour abandonner le caractère limitatif de la liste des cas particuliers de responsabilité d’autrui ressemblent étrangement à ceux qui ont été retenus dans l’arrêt Franck pour déterminer les conditions d’application du principe général de responsabilité du fait des choses (Cass. ch. Réunies, 2 déc. 1941). Nous y reviendrons.

?Justification de la solution

Lorsque l’arrêt Blieck a été rendu, la question s’est immédiatement posée de savoir pourquoi la Cour de cassation avait finalement décidé d’ouvrir la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui, alors qu’elle était parvenue à résister à l’attraction du principe général de responsabilité du fait des choses pendant près d’un siècle.

Plusieurs raisons peuvent être avancées pour justifier cette solution :

  • Le parallèle avec la responsabilité contractuelle
    • Il est acquis en matière contractuelle que le débiteur d’une obligation engage sa responsabilité lorsque l’inexécution de la convention est imputable à un tiers qu’il a volontairement introduit dans l’exécution de celle-ci.
    • Ainsi, le débiteur d’une obligation contractuelle répond-il du fait :
      • De son préposé
      • De son sous-traitant
    • Ainsi, existe-t-il en matière contractuelle, un principe de responsabilité du fait d’autrui, alors que la loi ne le prévoit pas.
  • Le parallèle avec la responsabilité administrative
    • Très tôt, l’existence d’un principe de responsabilité du fait d’autrui a été reconnue en droit administratif.
    • Les juridictions administratives ont, en effet, admis une responsabilité objective de l’État pour risque spécial, lorsque les personnes gardées présentent une dangerosité particulière, comme les mineurs délinquants ou les déments.
      • Dans un arrêt Thouzellier du 3 février 1956 la Conseil d’État a reconnu la responsabilité sans faute de l’État du fait de délinquants qui étaient placés sous un régime de semi-liberté (CE, 3 févr. 1956, Thouzellier)
      • Plus récemment, dans un arrêt GIE AXA courtage du 11 février 2005, la haute juridiction administrative a estimé que l’État engageait sa responsabilité, sans faute, pour le fait dommageable à l’origine duquel se trouvait un mineur qui faisait l’objet d’un placement dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative (CE, 11. Févr. 2005, GIE AXA).
  • Le parallèle avec la responsabilité du fait des choses
    • Un principe général de responsabilité du fait des choses a été découvert à l’article 1384, al. 1er du Code civil, pourquoi ne pas faire de même en matière de responsabilité du fait d’autrui, laquelle est expressément visée dans le même alinéa ?
  • Le parallèle avec le droit étranger
    • L’existence d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui a été reconnue dans de nombreux pays (Québed, Grèce, Japon)

?Portée de l’arrêt Blieck

Il peut tout d’abord être relevé que la formule utilisée par la Cour de cassation dans l’arrêt Blieck nous rappelle étroitement l’expression utilisée, un demi-siècle plus tôt, dans l’arrêt Franck.

Pour mémoire, dans l’arrêt Franck relatif à la responsabilité du fait des choses, la Cour de cassation affirmait que la notion de garde d’une chose devait être entendue comme le « pouvoir d’usage, de direction et de contrôle » de la chose.

Dans l’arrêt Blieck, la Cour de cassation retient que l’association « avait accepté la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie » de la personne dont elle doit répondre. Force est de constater que les deux expressions sont étroitement proches.

Immédiatement, deux questions alors se posent :

  • La Cour de cassation a-t-elle entendu poser un critère général et unique de mise en œuvre d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui ?
  • La Cour de cassation a-t-elle souhaité, au contraire, poser un critère se rapportant à un cas particulier de responsabilité du fait d’autrui, celui de l’adulte ou enfant handicapé qui réside dans un centre éducatif spécialisé ?

Lorsque l’arrêt Blieck a été rendu, cette question est restée grande ouverte, à tout le moins jusqu’en 1995, la Cour de cassation n’ayant eu à se prononcer jusqu’à cette date que sur des espèces voisines de l’arrêt Blieck.

B) La découverte d’un nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 1er

Il faut attendre un arrêt du 22 mai 1995 pour voir la position de la Cour de cassation se préciser concernant le domaine d’application de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242 al. 1er du Code civil (Cass. 2e civ., 22 mai 1995, n°92-21.871).

Cass. 2e civ., 22 mai 1995

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’au cours d’un match de rugby, une bagarre a mis aux prises les joueurs des deux équipes appartenant à des associations sportives différentes ; que M. X…, membre de l’Union sportive de Monteux, a été mortellement blessé ; qu’une information pénale a été clôturée par une ordonnance de non-lieu ; que les consorts X… ont demandé à l’équipe adverse, l’Union sportive du personnel électricité gaz de Marseille (Uspeg), la réparation de leur préjudice ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir retenu la responsabilité de l’Uspeg alors que, selon le moyen, ” d’une part, le préposé est celui qui agit pour le compte d’une autre personne, le commettant, lequel exerce à son égard un pouvoir de direction, de surveillance et de contrôle ; que les joueurs de rugby sont des amateurs ; qu’ils ne sont donc pas rémunérés en contrepartie de leur activité sportive ni soumis à aucune contrainte d’entraînement ou de participation aux rencontres ; qu’en retenant cependant l’existence d’un lien de préposition entre le club et les joueurs amateurs qui en sont membres, la cour d’appel a violé les articles 1384, alinéa 5, du Code civil, 101 et 107 du règlement de la Fédération française de rugby ; d’autre part, le rapport de subordination d’où découle la responsabilité des commettants suppose de la part de ceux-ci le pouvoir de donner des ordres à leurs préposés ; que ce lien de subordination n’est pas caractérisé dès l’instant où aucun pouvoir de contrôle et de direction ne peut ainsi être exercé ; que, lors d’un match de championnat, les joueurs présents sur le terrain sont sous la seule autorité de l’arbitre ; qu’il résulte des constatations mêmes de l’arrêt attaqué que la bagarre qui aurait entraîné la mort de Dominique X… s’est déclenchée ” au cours du match ” (arrêt p. 9, alinéa 3) ; qu’à cet instant, seul l’arbitre, à l’exclusion des clubs sportifs, exerçait un pouvoir de contrôle et de direction sur les joueurs ; qu’en déclarant cependant un club responsable des conséquences dommageables d’une bagarre survenue pendant un match, la cour d’appel a violé les articles 1384, alinéa 5, du Code civil et 206 du règlement de la Fédération française de rubgy ; enfin, la responsabilité du commettant ne peut être engagée que si la preuve d’une faute commise par l’un de ses préposés est rapportée ; que l’auteur de la faute doit être identifié afin que le commettant puisse exercer le recours qui lui est reconnu contre son préposé fautif ; que la cour d’appel n’a pas identifié les joueurs qui auraient frappé M. X… ; qu’en retenant cependant la responsabilité de l’association sportive pour des fautes commises par plusieurs de ses préposés non identifiés, la cour d’appel a violé l’article 1384, alinéa 5, du Code civil ” ;

Mais attendu que les associations sportives, ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent, sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, des dommages qu’ils causent à cette occasion ;

Et attendu que l’arrêt retient que les joueurs de l’Uspeg participaient à une compétition sportive et que ce sont des joueurs de cette association qui ont exercé sur M. X… des violences ;

Que, par ces seuls motifs, l’arrêt se trouve légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits

  • À l’occasion d’un match de rugby un joueur est blessé lors d’un contact par un membre de l’équipe adverse

?Demande

  • Action en responsabilité de la victime contre l’association sportive dont est membre l’auteur du dommage

?Procédure

  • Dispositif de la décision rendue au fond
    • La Cour d’appel fait droit à la demande de la victime et condamne l’association et son assureur à réparer le dommage causé
  • Motivation des juges du fond
    • La Cour d’appel estime que l’association sportive dont est membre l’auteur du dommage était responsable en cas de dommage causé par lui
    • Les juges du fond fondent leur décision non pas sur l’alinéa 1er de l’ancien article 1384, mais sur son alinéa 5, soit sur la responsabilité du commettant du fait de son préposé.

?Moyens des parties

  • L’association sportive conteste la décision de la Cour d’appel estimant que sa responsabilité ne saurait être engagée pour le fait fautif commis par l’un de ses membres
  • Selon elle, elle n’entre dans aucun des cas de figure de responsabilité du fait d’autrui énoncé à l’article 1384 du Code civil
  • Plus précisément, elle considère qu’on ne saurait rechercher sa responsabilité sur le fondement de l’alinéa 5 de cette disposition car il concerne la responsabilité du commettant du fait de son préposé
  • Or il n’existe aucun lien de subordination entre l’association et son membre

?Problème de droit

Une association sportive engage-t-elle sa responsabilité pour le dommage causé par l’un de ses membres à un joueur de l’équipe adverse dans le cadre d’un match de rugby ?

?Solution de la Cour de cassation

  • Dispositif de l’arrêt
    • Par un arrêt du 22 mai 1995, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’association
  • Sens de l’arrêt
    • La Cour de cassation estime en l’espèce que dans la mesure où l’association sportive avait pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de ses membres au cours d’événements sportifs, la victime était parfaitement fondée à engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1384, al. 1er du Code civil.
    • Ainsi, la Cour de cassation reconnaît-elle que le principe général de responsabilité du fait d’autrui s’applique aux associations sportives.

?Analyse de l’arrêt

Il ressort de la comparaison de l’arrêt du 22 mai 1995 avec l’arrêt Blieck, que la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’alinéa 1er de l’article 1384, ne se limite pas à l’hypothèse d’un responsable qui aurait la charge d’organiser et de contrôler le mode de vie du gardé.

Dans la présente décision, il est question, non pas d’une entité qui a sous sa garde des personnes dont elle organise le mode de vie à titre permanent. Il s’agit d’une association sportive qui va simplement organiser et contrôler, temporairement, soit le temps d’un match ou d’un entraînement, l’activité de ses membres. L’hypothèse est donc totalement différente de celle envisagée dans l’arrêt Blieck.

On peut en déduire que la Cour de cassation consacre, dans cet arrêt, un nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui, un cas où le responsable organise, non pas le mode de vie d’autrui, mais l’activité à laquelle se livre le gardé.

Il en résulte que les critères posés par la Cour de cassation dans l’arrêt Blieck (organiser et contrôler à titre permanent le mode de vie du gardé) ne sauraient être considérés comme les critères du principe général de responsabilité du fait d’autrui. Ces critères sont propres au cas de responsabilité du fait d’autrui envisagé dans l’arrêt Blieck.

Ainsi, depuis 1995, la Cour de cassation retient-elle la responsabilité du fait d’autrui sur le fondement de l’alinéa 1er de l’article 1384

  • Soit en cas de contrôle du mode de vie du gardé
  • Soit en cas de contrôle d’une activité

1. 1er cas : les personnes physiques ou morales ayant la charge d’organiser et de contrôler le mode de vie d’une personne

Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité des personnes chargées d’assurer l’organisation du mode de vie d’autrui tiennent à plusieurs choses :

  • La personne du gardé
    • Le gardé ne peut, a priori, être qu’une personne vulnérable exigeant une surveillance particulière, le bon père étant en mesure de se prendre en charge sans l’assistance de personne.
      • Ainsi, le gardé pour être :
        • Soit un mineur en difficulté
        • Soit un majeur protégé
  • La qualité du gardien
    • Compte tenu du profil des personnes susceptibles d’être assistées quant à l’organisation de leur mode de vie, deux catégories de gardiens peuvent être envisagées :
      • Les personnes morales qui se voient confier la garde d’autrui par une autorité
      • Les tuteurs
    • L’examen de la jurisprudence révèle que la jurisprudence est pour le moins réticente à retenir, sur le fondement de l’article 1242, al. 1er, la responsabilité :
      • Des instituteurs
      • Des grands-parents
      • Des oncles et tantes
      • Des curateurs
      • Des administrateurs légaux sous contrôle judiciaire
    • La position de la jurisprudence s’explique par le fait que les personnes physiques, notamment les particuliers, ne sont pas assurées pour les faits dommageables susceptibles d’être commis par la personne dont ils organisent le mode de vie, contrairement aux personnes morales et aux tuteurs qui jouissent d’une couverture juridique au titre de leur assurance responsabilité civile professionnelle.
    • La responsabilité des particuliers peut néanmoins être engagée sur le fondement des articles 1240 et 1241 si la victime prouve l’existence d’une faute de surveillance (V. en ce sens Cass. 2e civ., 5 févr. 2004 n°02-15.383 et 01-03.585)
    • Au total, comme le soutiennent certains auteurs, l’exclusion des particuliers du domaine de l’article 1242, al. 1er du Code civil devrait être érigée en critère d’application du principe de responsabilité du fait d’autrui, afin qu’aucune obligation de réparation ne puisse être mise à leur charge lorsqu’elles sont mises en cause dans le cadre d’activités bénévoles.
  • Les pouvoirs du gardien sur le gardé
    • Pour que la responsabilité d’une personne qui organise le mode de vie d’autrui puisse être engagée, il est nécessaire que le gardien exerce sur le gardé un pouvoir juridique.
    • Aucune règle de droit n’autorise à une personne à exercer un pouvoir de fait sur autrui quant à l’organisation de son mode de vie
    • Dans cette perspective, il ressort de la jurisprudence que lorsque la responsabilité du gardien a été retenue, un juge était intervenu en vue de mettre en place :
      • Soit une mesure de tutelle
      • Soit une mesure d’assistance éducative
    • Ainsi, la jurisprudence exige-t-elle pour que la responsabilité du gardien puisse être engagée que ce dernier exerce sur le gardé un pouvoir non seulement juridique, mais également judiciaire.
    • La conséquence en est que la responsabilité du gardien sera susceptible d’être recherchée même s’il n’exerçait pas de pouvoir effectif sur le gardé lors de la commission du fait dommageable.
    • Telle est la solution qui a été retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 juin 2002 (Cass. 2e civ. 6 juin 2002, n°00-15.606).

Cass. 2e civ., 6 juin 2002

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu qu’une association chargée par décision d’un juge des enfants d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d’un mineur demeure, en application du texte susvisé, responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, même lorsque celui-ci habite avec ses parents, dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission éducative ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le mineur Franck A…, âgé de seize ans, placé par un juge des enfants dans un foyer éducatif géré par l’Association de la région havraise pour l’enfance et l’adolescence en difficultés (l’Association) a, lors d’un séjour de fin de semaine au domicile de ses parents, commis un incendie volontaire qui a détruit le fonds de commerce de Mme X… ; qu’il a été pénalement condamné du chef de ce délit ; que Mme X… et son assureur la compagnie Assurances générales de France (compagnie AGF) ont assigné en réparation l’Association et son assureur la compagnie Axa ; qu’un jugement a accueilli leurs demandes ;

Attendu que pour débouter Mme X… et la compagnie AGF de leurs demandes, l’arrêt retient qu’il est établi que les parents A… bénéficiaient d’un droit de visite et d’hébergement de fin de semaine à exercer selon le rythme d’une semaine sur deux, que selon les pièces du dossier pénal, le jeune Franck A… a déclaré être rentré chez lui ” après les faits “, que selon la notice de renseignements, ce mineur était placé et revenait chez ses parents en fin de semaine, qu’enfin le mineur a déclaré à un psychologue qu’il avait mis le feu ” au cours d’un week-end chez lui ” ; que dans ces conditions, il est établi que Franck A… était en séjour régulier et autorisé chez ses parents lors de la fin de semaine où il a provoqué l’incendie, de sorte que l’Association ne peut être déclarée civilement responsable de ses agissements ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 mars 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Rouen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Caen.

?Faits

  • Placement d’un mineur dans un foyer éducatif par décision judiciaire.
  • À l’occasion d’un séjour chez ses parents, celui-ci va commettre un incendie volontaire endommageant le fonds de commerce d’un commerçant.

?Demande

Le propriétaire du fonds de commerce demande réparation du préjudice occasionné au foyer éducatif en charge du mineur.

?Procédure

  • Dispositif de la Cour d’appel
    • Par un arrêt du 15 mars 2000, la Cour d’appel de Rouen a débouté le commerçant et son assureur de leur demande en réparation.
  • Motivation de la Cour d’appel
    • Les juges du fond estiment que, dans la mesure où l’enfant était sous la surveillance de ses parents, car il séjournait chez eux, l’association qui en avait la charge au quotidien ne pouvait voir sa responsabilité engager.

?Problème de droit

Une association qui s’est vue confier par un juge la garde d’un mineur est-elle responsable des agissements de ce dernier lorsqu’il séjourne, dans le cadre de l’exercice d’un droit de visite, chez ses parents ?

?Solution de la Cour de cassation

  • Dispositif de l’arrêt
    • Par un arrêt du 6 juin 2002, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1384, al. 1er du Code civil.
  • Sens de l’arrêt
    • La deuxième chambre civile justifie sa décision en affirmant « qu’une association chargée par décision d’un juge des enfants d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d’un mineur demeure, en application du texte susvisé, responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, même lorsque celui-ci habite avec ses parents, dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission éducative ».
    • En d’autres termes, pour la Cour de cassation, peu importe que le mineur ne fût pas sous la surveillance effective de l’association lorsque le fait dommageable a été commis.
    • Ce qui compte, c’est le pouvoir juridique que l’association exerçait sur l’auteur du dommage.
    • Il s’agissait, en l’espèce, plus précisément d’un pouvoir judiciaire

?Analyse de l’arrêt

Plusieurs enseignements peuvent être retirés de l’arrêt du 6 juin 2002 :

  • Exigence d’un pouvoir juridique sur le gardé
    • La Cour de cassation semble exiger du gardien visé à l’article 1384, al. 1er qu’il soit investi des mêmes pouvoirs que les parents sur leur enfant.
      • Autrement dit, il est nécessaire, le gardien exerce, a minima, un pouvoir juridique sur le gardé.
      • En l’espèce c’était le cas, puisque l’association s’était vue confier la garde du mineur par décision de justice.
  • L’exigence d’un pouvoir permanent sur le gardé
    • L’organisation du mode de vie d’autrui suppose que le gardien exerce sur le gardé un pouvoir permanent, d’où l’exigence posée par la Cour de cassation lorsqu’elle affirme que pour être responsable l’association doit « organiser et contrôle à titre permanent le mode de vie » du gardé.
  • Les conditions de transfert de la garde
    • Dans l’arrêt du 6 juin 2002, la responsabilité du gardien a été retenue alors même qu’il n’exerçait aucun pouvoir effectif sur le gardé, celui-ci étant chez ses parents au moment du dommage.
    • Est-ce à dire que seule une décision de justice serait susceptible d’opérer un transfert de la garde, semblablement à la solution adoptée par la jurisprudence en matière de responsabilité des parents du fait de leurs enfants ?
    • Une lecture attentive de la jurisprudence antérieure et postérieure nous révèle qu’il convient, en réalité, de distinguer deux situations, selon que la garde procède d’une démarche volontaire ou selon qu’elle procède d’une décision de justice :
      • La garde procède d’une démarche volontaire : l’exigence d’une autorité relative sur le gardé
        • Dans l’hypothèse où le transfert de la garde procède d’une démarche d’une démarche volontaire, comme c’était le cas dans l’arrêt Blieck, la jurisprudence admet que le gardien puisse n’exercer qu’une autorité relative.
        • Ainsi, il apparaît que, dans cette situation, que la jurisprudence répugne à condamner l’établissement en charge d’assurer le mode de vie du gardé lorsqu’elle n’exerce pas de pouvoir effectif sur lui au moment du dommage.
          • Tel sera notamment le cas lorsque le gardé est hébergé sous le régime de la demi-pension ou lorsqu’il rentre chez ses parents pendant une période de vacances.
          • Dans un arrêt du 25 février 1998 où elle refuse de retenir la responsabilité du gardien qu’il n’exerçait qu’une autorité relative sur le gardé, la Cour de cassation relève que, lors de la commission du fait dommageable, la personne dont elle avait la charge « ne se trouvait plus sous l’autorité de l’association, laquelle n’avait plus à partir de ce moment, la surveillance et l’organisation des conditions de vie de cet handicapé ». (Cass. 2e civ., 25 févr. 1998).
      • La garde procède d’une décision de justice : l’exigence d’une autorité absolue sur le gardé
        • Dans l’hypothèse où le transfert de la garde procède d’une décision de justice, comme c’était le cas dans l’arrêt du 6 juin 2002, la jurisprudence exige que le gardien exerce une autorité absolue.
        • Autrement dit, le transfert de la garde ne pourra s’opérer que sous l’effet d’une décision de justice.
        • Peu importe que le gardien n’exerçât pas un pouvoir effectif sur le gardé au moment du dommage, sa responsabilité pourra malgré tout être recherchée.
          • Dans un arrêt du 26 mars 1997, la Cour de cassation affirme en ce sens que le gardien engage sa responsabilité « dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission » (Cass. crim., 26 mars 1997, n°95-83.956).
        • Un parallèle peut être fait ici avec la responsabilité des parents du fait de leurs enfants, où la jurisprudence n’admet le transfert de la garde que s’il procède d’une décision judiciaire (Cass. 2e civ., 19 févr. 1997, n°94-21.111)
        • Plus récemment, la Cour de cassation a réaffirmé cette solution en considérant, au sujet d’une association qui assurait la prise en charge d’un mineur placée sous son autorité par le juge des tutelles, qu’elle demeurait responsable de ce dernier « dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission » (Cass. 2e civ., 7 oct. 2004, n°03-16.078).

?Quid du cumul de la responsabilité avec les autres cas de responsabilité du fait d’autrui ?

La question qui se pose est de savoir si la victime peut engager la responsabilité de plusieurs responsables du fait d’autrui en invoquant concurremment plusieurs fondements ?

Autrement dit, les différents cas de responsabilité du fait d’autrui sont-ils susceptibles de faire l’objet d’un cumul ?

Très tôt, la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer dans un arrêt du 18 mars 1981 que « les différentes responsabilités du fait d’autrui ne sont pas cumulatives mais alternatives » (Cass. 2e civ., 18 mars 1981, n°79-14.036).

Cette solution s’explique par le fait qu’il est difficilement envisageable que plusieurs personnes puissent organiser, conjointement, hormis les parents, le mode de vie d’une personne.

Une telle garde n’est pas divisible, de sorte que son exercice ne peut être qu’exclusive. D’où la réticence de la jurisprudence à admettre le cumul des gardiens.

Ainsi, une victime d’un dommage causé par une personne gardée ne saurait rechercher cumulativement la responsabilité de ses parents sur le fondement de l’article 1242, al. 4 et la responsabilité de l’établissement chargé d’assurer l’organisation de son mode de vie sur le fondement de l’article 1242, al. 1er (V. en ce sens Cass. crim., 26 mars 1997, n°95-83.956).

La garde ne se partage pas, elle se transfère.

2. Second cas : les associations ayant pour mission d’organiser et de contrôler l’activité de leurs membres

Comme pour les personnes qui assurent l’organisation et le contrôle du mode de vie d’autrui, les conditions de mise en œuvre de la responsabilité des associations ayant pour mission d’organiser et de contrôler l’activité de ses membres tiennent à plusieurs choses :

?La qualité du gardien

L’examen de la jurisprudence révèle que la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 1er du code civil confine à la responsabilité collective.

En d’autres termes, seules les associations semblent concernées par ce cas particulier de responsabilité et plus généralement les personnes morales qui ont pour mission l’organisation et le contrôle d’une activité spécifique.

Il ne semble pas que la Cour de cassation ait l’intention de retenir la responsabilité de simples personnes physiques organisatrices d’une activité dans la mesure où une personne physique n’est pas nécessairement assurée pour les activités qu’elle organise.

Il en résulte qu’une une baby-sitter ou des grands-parents qui contrôle l’activité mais pas le mode de vie d’un mineur ne sauraient voir leur responsabilité engagée sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er.

?Toutes les associations sont-elles visées par le principe de responsabilité du fait d’autrui ?

Pendant longtemps, les auteurs ont pensé que seules les associations sportives étaient susceptibles d’engager leur responsabilité sur le fondement de l’article 1242, al. 1 du Code civil

Autrement dit, il avait été conjecturé que le principe de responsabilité du fait d’autrui n’était applicable qu’aux associations qui avaient pour mission d’organiser et de contrôler une activité dangereuse, comme tel était le cas dans l’arrêt du 22 mai 1995.

Cette idée a néanmoins volé en éclats à la suite d’un arrêt du 12 décembre 2002 de la deuxième chambre civile (Cass. 2e civ., 12 déc. 2002, n°00-13.553).

Cass. 2e civ., 12 déc. 2002

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 15 octobre 1999), que Mlle X…, qui participait à un défilé de majorettes organisé par l’association Saint-Louis de Poissy (l’association) a été blessée par le bâton manipulé par une autre majorette, Mme Le Y… ; que Mlle X… a assigné en responsabilité et dommages-intérêts Mme Le Y… et la société Assurances générales de France sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, ainsi que l’association et son assureur, la compagnie Axa assurances (Axa), sur le fondement des articles 1382 et 1384, alinéas 1 et 5, du Code civil ;

Attendu que l’association et la compagnie Axa font grief à l’arrêt de les avoir condamnées, solidairement avec Mme Le Y…, à réparer le préjudice subi par Mlle X… alors, selon le moyen, que seules les personnes ayant mission de régler le mode de vie d’autrui ou de contrôler l’activité potentiellement dangereuse à laquelle il se livre répondent, de plein droit, des dommages qu’il peut causer par son fait ;

que tel n’est pas le cas d’une association communale chargée d’organiser un défilé de majorettes, les exercices d’adresse auxquels celles-ci se livrent ne présentant de danger objectif ni pour les participantes, ni pour le public, et cette association n’exerçant de surcroît aucun contrôle sur la réalisation des exercices préparés et répétés à l’avance par un corps constitué, se bornant à donner à l’ensemble des instructions de marche ;

d’où il suit qu’en déclarant l’association, même en l’absence de toute faute de sa part, responsable de plein droit du dommage causé par la chute d’un bâton échappé à la maîtrise d’une participante, la cour d’appel a violé l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Mais attendu que l’arrêt, confirmatif sur ce point, relève, par motifs propres et adoptés, que le dommage a été causé par un membre de l’association, à l’occasion du défilé de majorettes organisée par celle-ci, laquelle avait pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de ses membres au cours du défilé ;

Que par ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu, sans avoir à tenir compte de la dangerosité potentielle de l’activité exercée par un des membres de l’association, décider que celle-ci était tenue de plein droit de réparer, avec son assureur, le préjudice résultant du fait dommageable commis par l’un de ses membres à l’occasion de la manifestation qu’elle avait organisée ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

?Faits

  • Accident survenu lors d’un défilé de majorettes.
  • À la suite d’une erreur de manipulation, l’une d’elles perd le contrôle de son bâton, lequel vient blesser une autre majorette.
  • La victime agit en réparation contre l’association organisatrice du défilé.

?Procédure

  • Dans un arrêt du 15 octobre 1999, la Cour d’appel de Versailles fait droit à la demande de la victime
  • Pour retenir la responsabilité de l’association, les juges du fond relèvent que « le dommage a été causé par un membre de l’association, à l’occasion du défilé de majorettes organisée par celle-ci, laquelle avait pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de ses membres au cours du défilé ».

?Moyens

  • L’association conteste sa condamnation en soutenant que « seules les personnes ayant mission de régler le mode de vie d’autrui ou de contrôler l’activité potentiellement dangereuse à laquelle il se livre répondent, de plein droit, des dommages qu’il peut causer par son fait », ce qui n’était pas son cas dans la mesure où elle était à la tête de l’organisation d’un défilé de majorette ce qui, par nature, n’est pas une activité dangereuse.

?Solution

  • Bien que l’on eût pu être séduit par l’argumentation développée par l’association, la Cour de cassation rejette son pourvoi.
  • La deuxième chambre civile approuve les juges du fond de n’avoir pas tenu compte « de la dangerosité potentielle de l’activité exercée par un des membres de l’association »
  • Aussi, considère-t-elle que l’association était « tenue de plein droit de réparer, avec son assureur, le préjudice résultant du fait dommageable commis par l’un de ses membres à l’occasion de la manifestation qu’elle avait organisée ».

?Portée

  • Quel enseignement retenir de cet arrêt ?
  • Il importe peu que l’activité organisée et contrôle par l’association présente un caractère dangereux
  • Ce qui compte c’est que le dommage se soit produit dans le cadre de l’activité dont l’association assurait l’organisation.
  • Ainsi, l’idée de risque n’est pas nécessairement la source de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil.

?Quid de la nature des pouvoirs que l’association doit exercer pour engager sa responsabilité dans le cadre de l’organisation d’une activité ?

Deux solutions sont envisageables :

  • Soit on estime qu’il suffit que l’association exerce un pouvoir effectif dans le cadre de l’activité dont elle assure le contrôle et l’organisation auquel cas sa responsabilité est susceptible d’être retenu
    • Tant pour les dommages occasionnés par ses membres
    • Que pour les dommages occasionnés par les tiers
  • Soit on estime qu’il est nécessaire que l’association exerce un pouvoir juridique dans le cadre de l’activité dont elle assure le contrôle et l’organisation auquel cas sa responsabilité ne pourra être retenue que pour les dommages occasionnés par ses membres.

Dans un arrêt du 22 septembre 2005, la Cour de cassation s’est prononcée en faveur de la seconde solution.

Elle estime, en effet, que « les associations sportives, ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent, ne sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, des dommages qu’ils causent à cette occasion qu’à la condition que le dommage dont la victime demande réparation ait été causé par un membre de cette association » (Cass. 2e civ. 22 sept. 2005, n°04-18.258).

En d’autres termes, il est nécessaire que l’auteur du dommage soit membre de l’association, c’est-à-dire une personne qui soit rattachée juridiquement à cette dernière pour que sa responsabilité puisse être recherchée sur le fondement de l’article 1242 alinéa 1er du Code civil.

Cass. 2e civ., 22 sept. 2005

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 novembre 2003), que M. X…, membre de l’association sportive du Lycée polyvalent de Miramas (l’association), a été blessé alors qu’il disputait une compétition de judo organisée par l’Union nationale du sport scolaire (l’UNSS) ; qu’il a assigné l’association ainsi que son assureur, la Mutuelle assurance des instituteurs de France, en responsabilité et indemnisation devant le tribunal de grande instance ; que l’UNSS est intervenue volontairement à l’instance ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir infirmé le jugement ayant déclaré l’UNSS responsable de plein droit de l’accident subi par M. X… au cours d’une compétition sportive alors, selon le moyen, que l’organisateur d’une compétition sportive est responsable de plein droit des dommages causés par ses participants (violation de l’article 1384 du Code civil) ;

Mais attendu que l’arrêt, après avoir exactement rappelé que les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent ne sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, des dommages qu’ils causent à cette occasion qu’à la condition que le dommage dont la victime demande réparation ait été causé par un membre de cette association, retient que si l’UNSS est l’organisatrice de la compétition sportive au cours de laquelle M. X… a été blessé par son adversaire, il n’est ni justifié, ni même allégué, que ce dernier serait membre de l’UNSS ;

Que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a exactement déduit que la responsabilité civile de l’UNSS en sa qualité d’organisatrice de la compétition sportive ne pouvait être recherchée sur le fondement des dispositions de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Quid de l’identification du membre de l’association à l’origine du dommage ?

Si la Cour de cassation exige que le dommage ait été commis par un membre de l’association pour que sa responsabilité puisse être retenue, elle a précisé que l’application de l’article 1242, al. 1er n’était pas subordonné à l’identification du membre de l’association à l’origine du fait dommageable (Cass. 2e civ., 21 oct. 2004, n°03-17.910 et 03-18.942).

Elle a estimé en ce sens que « les associations sportives, ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu’ils causent à cette occasion, dès lors qu’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à l’un de ses membres, même non identifié ».

Cass. 2e civ., 20 nov. 2003, n°02-13.653

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué (Rennes,30 janvier 2002), que M. Jean-Pierre Le X…, licencié à la Fédération française de rugby et membre de l’association sportive Brest université club (l’association), participant à un match de rugby, a été grièvement blessé aux vertèbres ; qu’il a assigné en réparation l’association ainsi que son propre assureur, la compagnie Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF), en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine (la CPAM) ; que la compagnie La Sauvegarde, assureur de l’association, est intervenue à l’instance ;

qu’un jugement a déclaré l’association responsable de l’accident sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil et l’a condamnée in solidum avec son assureur à payer diverses sommes à M. Le X… et à la CPAM ;

Attendu que M. Le X… fait grief à l’arrêt de l’avoir débouté de ses demandes, alors, selon le moyen :

1 / que les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil des dommages qu’ils causent à cette occasion, sans qu’il soit besoin de rapporter la preuve d’un fait fautif ou intentionnel, si bien que l’arrêt n’est pas justifié au regard du texte précité ;

2 / qu’en tout état de cause, en faisant profiter le doute sur l’origine du grave accident -qui ne pouvait normalement s’inscrire dans le cours normal du jeu- survenu à un joueur lors d’une compétition sportive, à l’association sportive et non au joueur, la cour d’appel a renversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 du Code civil ;

3 / qu’en tout état de cause, en faisant profiter le doute sur l’origine du grave accident -qui ne pouvait normalement s’inscrire dans le cours normal du jeu- survenu à un joueur lors d’une compétition sportive, à l’association sportive et non au joueur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Mais attendu que l’arrêt retient que M. Le X… a subi, au cours de l’effondrement d’une mêlée ou d’un regroupement, une torsion à la nuque affectant ses vertèbres cervicales ; que cette blessure n’a pu résulter d’un coup ; qu’au surplus, l’expert a noté que “des déclarations de l’intéressé et de l’étude des pièces figurant au dossier, il résulte que M. Le X… participait à un match de rugby lorsqu’à la suite d’un coup de pied à suivre du numéro 15 (l’arrière), il aurait brutalement perdu connaissance, n’ayant aucun souvenir d’un fait accidentel particulier” ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, dont il résulte qu’aucune faute caractérisée par une violation des règles du jeu et imputable à un joueur, même non identifié, membre de l’association sportive à laquelle M. Le X… appartenait lui-même n’était établie, la cour d’appel, qui n’a pas inversé la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision au regard de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Quid du cumul de responsabilité entre gardien organisant et contrôlant le mode de vie et gardien organisant et contrôlant une activité spécifique ?

Cette question renvoie à l’hypothèse où un mineur, dont les parents exercent sur lui l’autorité parentale, cause un dommage dans le cadre d’une activité spécifique encadrée par une association sportive ou culturelle.

Peut-on envisager que la victime puisse cumulativement engager la responsabilité des parents et de l’association sur le fondement des alinéas 1 et 4 de l’article 1242 ?

  • Soit l’on applique la jurisprudence rendue en matière d’organisation du mode de vie de la personne gardée, auquel cas on ne saurait admettre un cumul des fondements de responsabilité du fait d’autrui.
  • Soit l’on peut estimer que les deux cas de responsabilité ne sont pas incompatibles, car ils relèvent de deux logiques possibles.
    • Les parents assurent l’organisation et le contrôle du mode de vie de leur enfant
    • L’association assure l’organisation et le contrôle de l’activité de ses membres
  • Un cumul des responsabilités fondées sur les alinéas 1er et 4 de l’article 1242 serait alors possible
  • Cette solution aurait le mérite d’offrir à la victime un débiteur supplémentaire

C) La condition tenant au fait générateur de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 1er

?Exposé de la problématique

À la suite de l’arrêt Blieck, les auteurs se sont interrogés sur la question de savoir s’il était nécessaire pour la victime d’établir la faute du gardé pour engager la responsabilité du gardien sur le fondement de l’alinéa 1er de l’article 1242.

L’arrêt Blieck n’apportant pas vraiment de réponse à cette question, deux solutions ont été envisagées :

  • Soit l’on raisonne par analogie avec la responsabilité des parents du fait de leurs enfants fondée sur l’alinéa 4 de l’article 1242
    • Conformément à la jurisprudence Fullenwarth (Cass. ass. plén., 9 mai 1984, n°83-11.742), on devrait alors estimer que le simple fait causal du gardé devrait suffire à engager :
      • soit la responsabilité du centre qui a la charge de l’organisation et du contrôle du mode de vie du gardé
      • soit la responsabilité de l’association qui a la charge de l’organisation et du contrôle d’une activité spécifique exercé par le gardé
    • Ainsi la responsabilité du gardien fondée sur l’article 1242, al. 1er devrait pouvoir être retenue, alors même que le fait commis ne permettrait pas d’engager la responsabilité personnelle du gardé sur le fondement des articles 1240 et 1241.
  • Soit l’on raisonne par analogie avec la responsabilité des parents du fait de leurs enfants fondée sur l’alinéa 5 de l’article 1242
    • Classiquement, la Cour de cassation exige que le fait dommageable commis par le préposé soit fautif pour que la responsabilité du commettant puisse être retenue (Cass. 2e civ., 3 mars 1977, n°75-12.279).
    • Aussi, à supposer que cette solution soit maintenue, bien que l’arrêt Costoat soit venu nuancer cette solution (Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, n°97-17.378 et 97-20.152), cela signifierait, par analogie, que la mise en œuvre de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 1er serait subordonnée à l’établissement d’une faute du gardé.
    • Le simple fait causal ne suffirait donc pas à engager la responsabilité du gardien.

?La position de la jurisprudence

Si, pendant une longue période aucune solution ne se dégageait des décisions rendues par les différentes juridictions, il faut attendre 2002 pour que la jurisprudence évolue.

Deux décisions ont particulièrement retenu l’attention :

  • L’arrêt d’assemblée plénière du 13 décembre 2002
    • Dans cette décision, la cour de cassation, saisie d’un pourvoi relatif à la responsabilité des parents du fait de leurs enfants vise explicitement le premier alinéa de l’article 1384 aux côtés de l’alinéa 4 au soutien de l’attendu de principe dans lequel elle réaffirme avec force que « pour que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l’autorité parentale sur un mineur habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur » (Cass. ass. plén. 13 déc. 2002, n°01-14.007).
    • Pourquoi cette référence à l’alinéa 1er de l’article 1384 du Code civil alors que le litige concernait la responsabilité des parents du fait de leurs enfants ?
    • Certains auteurs en ont déduit que la haute juridiction entendrait étendre la solution retenue dans cet arrêt à la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’alinéa 1er de l’article 1384, de sorte que le simple fait causal suffirait désormais à engager la responsabilité du gardien qui
      • soit assure l’organisation du mode de vie d’autrui,
      • soit assure l’organisation d’une activité spécifique.

Cass. ass. plén., 13 déc. 2002

Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche qui est préalable :

Vu l’article 1384, alinéas 1er, 4 et 7, du Code civil ;

Attendu que, pour que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l’autorité parentale sur un mineur habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur ; que seule la cause étrangère ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de cette responsabilité ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’au cours d’une partie de ballon improvisée entre adolescents, Vincent X… a été blessé, au moment où il se relevait, par la chute de Maxime Y…, porteur du ballon, elle-même provoquée par le plaquage de Jérôme Z… ; que les époux X… et leur fils Vincent, devenu majeur et assisté de son père en qualité de curateur (les consorts X…), ont demandé réparation de leurs préjudices aux époux Z… et aux époux Y…, tant comme civilement responsables que comme représentants légaux de leurs fils mineurs Jérôme et Maxime, ainsi qu’à leurs assureurs, les compagnies UAP et AXA, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie de Maubeuge ; qu’en cause d’appel, Jérôme Z… et Maxime Y…, devenus majeurs, sont intervenus à l’instance, de même que la compagnie AXA, aux droits de l’UAP, ainsi que l’Union des mutuelles accidents élèves auprès de laquelle les époux X… avaient souscrit un contrat d’assurance ;

Attendu que, pour rejeter les demandes des consorts X… et de leur assureur, l’arrêt retient qu’aucune faute n’est établie à l’encontre de Jérôme Z… et de Maxime Y… ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 16 décembre 1999, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris

  • L’arrêt de la deuxième chambre civile du 20 novembre 2003
    • Dans cette décision, la Cour de cassation décide que la mise en œuvre de la responsabilité d’une association sportive est subordonnée à l’établissement d’une « faute caractérisée par une violation des règles du jeu et imputable à un joueur » (Cass. 2e civ. 20 nov. 2003, n°02-13.653).
    • Un an plus tard, la Cour de cassation adopte ainsi la solution contraire que celle retenue un an plus tôt par l’assemblée plénière.
    • Dans cette décision, la deuxième chambre civile considère, en effet, que le simple fait causal ne suffit pas à engager la responsabilité du gardien sur le fondement de l’article 1384, al.1er, de sorte qu’il appartient à l’a victime d’établir une faute sur le fondement de laquelle la responsabilité personnelle du gardé serait susceptible d’être engagée.
    • La Cour de cassation réitère cette solution dans un arrêt du 13 janvier 2005 à l’occasion duquel elle affirme que « les associations sportives, ayant pour objet d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions et entraînements auxquels ils participent, sont responsables de plein droit des dommages qu’ils causent par leur faute caractérisée par une violation des règles du jeu » (Cass. 2e civ. 13 janv. 2005, n°03-18.617).

Cass. 2e civ. 20 nov. 2003, n°02-13.653

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué (Rennes,30 janvier 2002), que M. Jean-Pierre Le X…, licencié à la Fédération française de rugby et membre de l’association sportive Brest université club (l’association), participant à un match de rugby, a été grièvement blessé aux vertèbres ; qu’il a assigné en réparation l’association ainsi que son propre assureur, la compagnie Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF), en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine (la CPAM) ; que la compagnie La Sauvegarde, assureur de l’association, est intervenue à l’instance ;

qu’un jugement a déclaré l’association responsable de l’accident sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil et l’a condamnée in solidum avec son assureur à payer diverses sommes à M. Le X… et à la CPAM ;

Attendu que M. Le X… fait grief à l’arrêt de l’avoir débouté de ses demandes, alors, selon le moyen :

1 / que les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil des dommages qu’ils causent à cette occasion, sans qu’il soit besoin de rapporter la preuve d’un fait fautif ou intentionnel, si bien que l’arrêt n’est pas justifié au regard du texte précité ;

2 / qu’en tout état de cause, en faisant profiter le doute sur l’origine du grave accident -qui ne pouvait normalement s’inscrire dans le cours normal du jeu- survenu à un joueur lors d’une compétition sportive, à l’association sportive et non au joueur, la cour d’appel a renversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 du Code civil ;

3 / qu’en tout état de cause, en faisant profiter le doute sur l’origine du grave accident -qui ne pouvait normalement s’inscrire dans le cours normal du jeu- survenu à un joueur lors d’une compétition sportive, à l’association sportive et non au joueur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Mais attendu que l’arrêt retient que M. Le X… a subi, au cours de l’effondrement d’une mêlée ou d’un regroupement, une torsion à la nuque affectant ses vertèbres cervicales ; que cette blessure n’a pu résulter d’un coup ; qu’au surplus, l’expert a noté que “des déclarations de l’intéressé et de l’étude des pièces figurant au dossier, il résulte que M. Le X… participait à un match de rugby lorsqu’à la suite d’un coup de pied à suivre du numéro 15 (l’arrière), il aurait brutalement perdu connaissance, n’ayant aucun souvenir d’un fait accidentel particulier” ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, dont il résulte qu’aucune faute caractérisée par une violation des règles du jeu et imputable à un joueur, même non identifié, membre de l’association sportive à laquelle M. Le X… appartenait lui-même n’était établie, la cour d’appel, qui n’a pas inversé la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision au regard de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

?Quels enseignements tirer des solutions adoptées par la Cour de cassation dans les arrêts rendus en 2002, 2003 et 2005 ?

Si, de prime abord, ces décisions apparaissent pour le moins contradictoires, à l’examen, on peut néanmoins y voir une certaine cohérence.

Cette cohérence se dessine, en effet, si l’on entreprend de distinguer les deux cas de responsabilité du fait d’autrui fondés sur l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil :

  • S’agissant de la responsabilité des associations qui ont pour mission d’organiser et de contrôler l’activité de leurs membres
    • La position de la Cour de cassation semble désormais être bien arrêtée : la mise en œuvre de la responsabilité du gardien est subordonnée à l’établissement d’une faute caractérisée du gardé.
    • L’assemblée plénière a récemment rappelé cette exigence dans un arrêt du 29 juin 2007 où elle réaffirme que « les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu’ils causent à cette occasion, dès lors qu’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à un ou plusieurs de leurs membres, même non identifiés » (Cass. ass. plén., 29 juin 2007, n°06-18.141).
    • L’exigence d’une faute caractérisée est-elle valable uniquement pour les associations sportives ou est-ce que l’établissement d’une faute simple suffirait pour retenir la responsabilité d’une association qui assurerait l’organisation d’une activité autre que sportive ?
    • La question reste, pour l’heure, en suspens.
  • S’agissant de la responsabilité des personnes morales et physique qui ont pour mission d’organiser et de contrôler le mode de vie d’autrui
    • Si l’on se réfère à l’arrêt d’assemblée plénière du 13 décembre 2002, il semble que le simple fait causal suffise à engager la responsabilité du gardien qui organise le mode de vie d’autrui, semblablement aux exigences posées en matière de responsabilité des parents du fait de leur enfant (Cass. ass. plén. 13 déc. 2002, n°01-14.007).
    • Cette solution doit sans aucun doute être approuvée, dans la mesure où un centre qui organise et contrôle le mode de vie d’une personne vulnérable remplit finalement le même rôle que celui de parents.
    • Il ne serait donc pas anormal de raisonner par analogie avec l’alinéa 5 de l’article 1242.
    • Le simple fait causal devrait donc suffire à engager la responsabilité du gardien qui organise et contrôle le mode de vie du gardé.
    • Pour l’heure, aucun arrêt n’est venu confirmer cette solution que les auteurs ont dégagées, on le rappelle, du seul visa l’arrêt du 13 décembre 2002.

II) La reconnaissance d’une responsabilité de plein droit

De toute évidence, la découverte d’une responsabilité générale du fait d’autrui doit s’accompagner de l’admission d’une présomption pesant sur le gardien, sans quoi cette découverte n’aurait pas vraiment de sens.

La question qui alors se pose est de savoir s’il s’agit d’une présomption de faute ou d’une présomption de responsabilité ?

Pour mémoire, les deux présomptions ce distinguent en ce que :

  • Si une présomption de faute pèse sur le gardien alors il peut s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’a pas commis de faute de surveillance
  • Si une présomption de responsabilité pèse sur le gardien alors il ne peut s’exonérer de sa responsabilité qu’en prouvant la survenance d’une cause étrangère

Manifestement cette question n’a pas été tranchée dans l’arrêt Blieck. Il ressort seulement de cette décision que la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui ne présente plus de caractère limitatif.

Dans l’arrêt Blieck, l’assemblée plénière ne s’est nullement prononcée sur les causes d’exonérations susceptibles d’être invoquées par le gardien.

À la vérité, il faut attendre un arrêt de la deuxième chambre civile du 16 mars 1994 pour obtenir un début de réponse (Cass. 2e civ., 16 mars 1994, n°92-19.649).

Dans cette décision, la Cour de cassation décide que « la responsabilité de l’État, substituée à celle des membres de l’enseignement pour les dommages causés par leurs élèves pendant que ceux-ci sont sous leur surveillance, n’est pas une responsabilité de plein droit, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil »

A contrario, cela signifie donc que la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1383, al. 1er serait une responsabilité de plein droit, de sorte que pèserait sur le gardien, non pas une présomption de faute, mais une présomption de responsabilité !

Cette solution, annonciatrice de l’évolution imminente de la jurisprudence en matière de responsabilité du fait d’autrui, a été confirmée par l’arrêt Notre Dame des Flots rendus à quelques semaines d’intervalle de l’arrêt Bertrand, soit le 26 mars 1997.

Dans cette décision, la Cour de cassation considère que la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’ancien article 1384, al. 1er est une responsabilité de plein droit, de sorte que le gardien ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’a pas commis de faute (Cass. crim., 26 mars 1997, n°95-83.958).

Cass. crim., 26 mars 1997

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, par jugement devenu définitif sur l’action publique, Sophie XX., Eva Y., Malika YY. et Virginie XY. ont été déclarées coupables, notamment, d’un vol avec violences au préjudice de Magalie P.; que Virginie XY. a été en outre condamnée pour violences avec usage d’une arme sur la personne de René F.; que tous ces délits ont été commis alors que, étant mineures, les prévenues se trouvaient confiées au Foyer Notre-Dame des Flots en exécution de décisions prises par le juge des enfants sur le fondement des articles 375 et suivants du Code civil; que les victimes, constituées parties civiles devant la juridiction répressive, ont demandé réparation de leur préjudice ;

Attendu que, pour confirmer la décision des premiers juges ayant déclaré le Foyer Notre-Dame des Flots civilement responsable, l’arrêt attaqué énonce que, détenant la garde des mineures, il avait pour mission de contrôler et d’organiser, à titre permanent leur mode de vie et “qu’il est donc tenu au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil sans qu’il y ait besoin de caractériser une faute” de sa part ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a fait l’exacte application de la loi ;

Qu’en effet, les personnes tenues de répondre du fait d’autrui au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, ne peuvent s’exonérer de la responsabilité de plein droit résultant de ce texte en démontrant qu’elles n’ont commis aucune faute ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi

?Faits

  • Vol d’un véhicule par trois adolescents dont la garde avait été confiée au foyer Notre-Dame des Flots
  • Ils font l’objet d’une condamnation par le Tribunal correctionnel.

?Demande

Action en responsabilité de la victime du vol contre le foyer dans lequel séjournaient les auteurs de l’infraction

?Procédure

  • Dispositif de la décision rendue au fond
    • La Cour d’appel fait droit à la demande de la victime et condamne le foyer éducatif à réparer le préjudice occasionné à la victime du vol
  • Motivation des juges du fond
    • Les juges du fond estiment que dans la mesure où le foyer éducatif avait pour mission de contrôler et d’organiser, à titre permanent le mode de vie des auteurs du dommage, il était tenu au sens de l’article 1384, alinéa 1er du Code civil peu importe qu’il ait ou non commis une faute dans l’exercice de sa mission.

?Moyens des parties

  • L’auteur du pourvoi soutient que pesait sur le foyer non pas une présomption irréfragable de responsabilité mais une présomption simple de faute
  • Le défendeur argue, autrement dit, qu’il pouvait s’exonérer de sa responsabilité s’il parvenait à démontrer qu’il n’avait commis aucune faute s’agissant de l’organisation et du contrôle du mode de vie des trois mineurs qu’il avait sous sa garde
  • Or en l’espèce, aucune faute ne pouvait lui être reprochée de sorte qu’il pouvait s’exonérer de sa responsabilité

?Solution de la Cour de cassation

  • Dispositif de l’arrêt
    • Par un arrêt du 26 mars 1997, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le foyer
  • Sens de l’arrêt
    • La Cour de cassation affirme, sans ambiguïté que « les personnes tenues de répondre du fait d’autrui au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, ne peuvent s’exonérer de la responsabilité de plein droit résultant de ce texte en démontrant qu’elles n’ont commis aucune faute »
    • Ainsi, la Cour de cassation considère-t-elle que pèse sur le gardien une présomption de responsabilité.
    • Le gardien ne peut, par conséquent, s’exonérer de sa responsabilité que s’il parvient à démontrer la survenance d’une cause étrangère (cas de force majeure)

?Analyse de l’arrêt

Dans l’arrêt Notre Dame des Flots, la Cour de cassation affirme pour la première fois que la responsabilité du fait d’autrui fondé sur l’alinéa 1er de l’article 1384 est une responsabilité de plein droit.

Elle adopte ainsi la même solution que celle retenue dans l’arrêt de Bertrand en matière de responsabilité des parents du fait de leurs enfants où elle avait estimé, sensiblement dans les mêmes termes que « seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait exonérer [les] parents de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par » leur enfant (Cass. 2e civ., 19 févr. 1997, n°94-21.111)

Cette solution se justifie à plusieurs titres :

  • Conforme à l’objectif de la responsabilité du fait d’autrui : l’indemnisation de la victime
  • Identité de régime entre responsabilité du fait des choses et responsabilité du fait d’autrui car elles sont toutes les deux fondées sur le même texte : l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil
  • Reconnaissance, un mois avant l’arrêt Notre Dame des Flots, d’une responsabilité de plein droit des parents du fait de leurs enfants dans le célèbre arrêt Bertrand.

Ainsi cette solution offre plus de cohérence au sein des différents régimes de responsabilité que contient l’article 1384 pris dans tous ses alinéas.

Immédiatement, une dernière question alors se pose : cette décision qui a été rendue au sujet d’un établissement qui organisait et contrôlait le mode de vie d’autrui, est-elle applicable aux associations qui assurent l’organisation d’une activité spécifique ?

?Extension de la jurisprudence Notre Dame des Flots aux associations ayant pour mission l’organisation d’une activité spécifique

Dans un arrêt du 13 janvier 2005, la Cour de cassation a estimé que « les associations sportives, ayant pour objet d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions et entraînements auxquels ils participent, sont responsables de plein droit des dommages qu’ils causent par leur faute caractérisée par une violation des règles du jeu » (Cass. 2e civ. 13 janv. 2005, n°03-18.617).

En l’espèce, la Cour de cassation reprochait à la Cour d’appel d’avoir envisagé que l’association sportive puisse s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve qu’elle n’avait pas commis de faute !

Autrement dit elle lui reproche d’avoir fait peser une présomption simple de faute sur le gardien alors que pèse sur lui une présomption de responsabilité.

La Cour de cassation estime donc que la responsabilité des associations qui organisent une activité spécifique est une responsabilité de plein droit. Elles ne peuvent donc s’exonérer de leur responsabilité qu’en rapportant la preuve d’un cas de force majeure ou d’une faute de la victime.

Au total il ressort de cet arrêt que sont désormais concernées par cette responsabilité de plein droit toutes les structures qui exercent sur autrui un pouvoir à titre temporaire ou permanent.

Cass. 2e civ. 13 janv. 2005

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu que les associations sportives, ayant pour objet d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions et entraînements auxquels ils participent, sont responsables de plein droit des dommages qu’ils causent par leur faute caractérisée par une violation des règles du jeu ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que lors d’un match amical de football, M. X…, gardien de but, joueur membre du club de Tarbes Sendere, a été heurté et blessé par M. Y…, joueur membre de l’association sportive Football club de Lugagnan (l’association) ; qu’il a assigné en responsabilité et réparation l’association et son assureur, la société Azur assurances, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie des Hautes-Pyrénées ;

Attendu que pour déclarer l’association responsable des dommages subis par M. X… et la condamner in solidum avec son assureur à verser des indemnités à celui-ci, l’arrêt énonce qu’il n’est pas établi que le choc au cours duquel M. X… a été blessé est la conséquence d’un comportement fautif de M. Y… ; qu’il résulte des faits que M. Y… est venu heurter M. X… au cours d’une action de jeu régulière ; que l’association ne démontre ni même n’allègue une faute de la victime ou la survenance d’un fait de force majeure ; que c’est donc à bon droit, que, même en l’absence de toute faute d’un joueur de l’association, le premier juge a retenu la responsabilité de celle-ci, dès lors que M. X… démontre qu’un des joueurs de cette association est intervenu par son fait dans la production du dommage subi ;

En quoi la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 23 juin 2003, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ;

  1. Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 2005, n°414, p. 211. ?