L’extinction du cautionnement par voie accessoire: régime

Les causes d’extinction du cautionnement sont nombreuses et parfois complexes. La raison en est qu’il s’agit d’une opération triangulaire qui mobilise plusieurs rapports d’obligations.

Classiquement on distingue deux sortes de causes d’extinction du cautionnement :

  • Les causes d’extinction qui puisent leur source dans le rapport entre la caution et le créancier : on dit que le cautionnement s’éteint par voie principale
  • Les causes d’extinction qui puisent leur source dans le rapport entre le créancier et le débiteur : on dit que le cautionnement s’éteint par voie accessoire

Ces différentes causes d’extinction du cautionnement sont envisagées aux articles 2313 à 2320 du Code civil.

À cet égard, l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a réaffirmé que le cautionnement pouvait s’éteindre, soit par voie principale, soit par voie accessoire.

Nous nous focaliserons ici sur la seconde cause d’extinction du cautionnement. 

En raison du caractère accessoire du cautionnement, il suit le sort de l’obligation principale. Aussi, l’extinction de la dette cautionnée a-t-elle vocation à se répercuter sur l’obligation de la caution qui donc se trouve libérée de son engagement.

L’article 2313 du Code civil prévoit en ce sens que l’obligation de caution « s’éteint aussi par suite de l’extinction de l’obligation garantie ».

La plupart du temps, l’extinction du cautionnement par voie accessoire procédera d’un désintéressement du créancier en ce sens qu’il aura obtenu satisfaction, soit par voie de paiement, soit par voie de compensation.

Il est néanmoins des cas où l’extinction du cautionnement accessoire opérera alors même que le créancier n’aura pas été désintéressé.

Nous envisagerons successivement les deux cas de figure.

I) L’extinction du cautionnement par désintéressement du créancier

A) Le paiement

Le paiement du créancier est le « mode normal d’extinction du cautionnement »[1] ; il est sa principale cause.

Pour mémoire, la caution ne s’est obligée à payer la dette du débiteur qu’« en cas de défaillance de celui-ci » (art. 2288 C. civ.), de sorte qu’elle n’a vocation à intervenir qu’à titre subsidiaire.

Si donc le débiteur paye, soit exécute son obligation à l’égard du créancier, il s’ensuit nécessairement la libération de la caution de son engagement.

Pour produire son effet extinctif, encore faut-il que le paiement du créancier réponde à certaines exigences d’une part et soit prouvé d’autre part.

1. Les conditions du paiement

Pour que paiement du créancier ait pour effet d’éteindre le cautionnement, il doit satisfaire à un certain nombre de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à l’auteur du paiement
  • D’autre part, à la validité du paiement
  • En outre, aux effets du paiement
  • Enfin, au montant du paiement

1.1 L’auteur du paiement

Pour que le paiement du créancier emporte extinction du cautionnement, il doit être réalisé par le débiteur principal lui-même ou son représentant.

Lorsque, en effet, le paiement est effectué par un tiers, la caution n’est pas libérée de son obligation (V. en ce sens Cass. com. 17 déc. 1985, n°84-14.057).

La raison en est qu’un tel paiement a pour effet, lorsque les conditions sont remplies, de subroger le tiers dans les droits du créancier

Or la subrogation, qu’elle soit légale ou conventionnelle, présente cette particularité de maintenir, nonobstant le désintéressement du créancier, le rapport d’obligation initial, de sorte que la dette du débiteur n’est pas éteinte.

Le débiteur principal étant désormais tenu envers le tiers solvens, il en va de même de la caution qui n’est pas déchargée de son obligation et qui donc est susceptible d’être actionnée en paiement par ce dernier.

En application de l’article 1346-5 du Code civil, la subrogation est opposable à la caution dès le paiement du créancier, sans qu’il y ait lieu de lui notifier le changement de créancier.

1.2 La validité du paiement

Pour que la caution soit libérée de son obligation, le paiement du créancier doit être valable (V. en ce sens Cass. com. 22 oct. 1996, n°94-14.570).

Cela signifie notamment :

  • D’une part, que le paiement doit avoir été effectué entre les mains du créancier ou de la personne désignée par lui pour le recevoir ( 1342-2, al. 1er C. civ.)
  • D’autre part, que le créancier ait la capacité de recevoir le paiement ( 1342-2, al. 3e C. civ.), tout autant que le débiteur doit avoir la capacité de payer.

Là ne sont pas les seules conditions de validité du paiement ; celui-ci peut être anéanti en raison de sa réalisation en période suspecte (art. L. 632-1 C.com/.) ou encore parce que le bien fourni au créancier à titre de paiement n’appartenait pas au débiteur.

Quelles que soient les causes d’annulation du paiement, son anéantissement se répercutera sur l’engagement de caution qui sera rétroactivement maintenu (V. en ce sens Cass. com. 14 avr. 1992, n°89-21.863).

1.3 Les effets du paiement

Pour emporter extinction du cautionnement, le paiement du créancier ne doit pas seulement être valable, il doit encore avoir pour effet de libérer le débiteur principal.

Autrement dit, ce dernier ne doit plus être obligé envers le créancier, ce qui suppose que celui-ci ait été valablement désintéressé.

Quid dans l’hypothèse où le créancier refuserait le paiement du débiteur principal ? Est-ce à dire que l’engagement de caution serait maintenu et donc suspendu à l’acceptation du créancier ?

Il convient, sans aucun doute, d’apporter une réponse positive à cette question, l’extinction du cautionnement étant subordonné, par principe, au paiement du créancier.

Toutefois, le débiteur n’est pas totalement démuni ; il dispose d’une solution pour contraindre le créancier à recevoir le paiement, à tout le moins à se libérer de son obligation.

Pour ce faire, il lui faut mettre en œuvre la procédure prévue aux articles 1345 à 1345-3 du Code civil

En application de l’article 1345 du Code civil, cette procédure est ouverte à tout débiteur confronté à un créancier qui « à l’échéance et sans motif légitime, refuse de recevoir le paiement qui lui est dû ou l’empêche par son fait ».

Lorsque cette condition est remplie, le débiteur devra observer deux étapes :

  • Première étape
    • Le débiteur doit mettre en œuvre le créancier d’accepter le paiement ou d’en permettre l’exécution.
    • À cet égard, la mise en demeure du créancier arrête le cours des intérêts dus par le débiteur et met les risques de la chose à la charge du créancier, s’ils n’y sont déjà, sauf faute lourde ou dolosive du débiteur.
    • En revanche, elle n’interrompt pas la prescription.
  • Seconde étape
    • L’obligation porte sur une somme d’argent ou sur la livraison d’une chose
      • Si l’obstruction n’a pas pris fin dans les deux mois de la mise en demeure, le débiteur peut, lorsque l’obligation porte sur une somme d’argent, la consigner à la Caisse des dépôts et consignations ou, lorsque l’obligation porte sur la livraison d’une chose, séquestrer celle-ci auprès d’un gardien professionnel.
      • Si le séquestre de la chose est impossible ou trop onéreux, le juge peut en autoriser la vente amiable ou aux enchères publiques. Déduction faite des frais de la vente, le prix en est consigné à la Caisse des dépôts et consignations.
      • La consignation ou le séquestre libère le débiteur à compter de leur notification au créancier.
    • L’obligation porte sur autre chose qu’une somme d’argent ou que la livraison d’une chose
      • La consignation ou le séquestre libère le débiteur à compter de leur notification au créancier.

La procédure de mise en demeure du créancier permet ainsi au débiteur principal de se libérer de son obligation et par voie de conséquence de délier la caution de son engagement.

1.4 Le quantum du paiement

a. Le paiement intégral

Pour que la caution soit libérée, par voie accessoire, de son obligation, le débiteur doit avoir intégralement payé le créancier, faute de quoi il ne sera pas désintéressé.

Or s’il n’est pas totalement désintéressé, il sera toujours fondé à appeler en garantie la caution pour la fraction de la dette échue et non payée.

Aussi, lorsque l’obligation principale porte sur une somme d’argent, le créancier doit avoir été payé à hauteur du montant de la dette garantie. Lorsqu’elle porte sur une chose, celle-ci doit avoir été livrée au créancier. Enfin, lorsque l’obligation cautionnée porte sur un service, celui-ci doit avoir été fourni par le débiteur.

b. Le paiement partiel

Lorsque le cautionnement garantit une dette déterminée, en cas de paiement partiel il est admis que la caution n’est libérée qu’à due concurrence de ce qui a été réglé (V. en ce sens Cass. com. 29 mai 1979, n°77-15.696).

Si, dans l’hypothèse le paiement partiel ne soulève pas de difficulté particulière, il en va différemment lorsque ce paiement :

  • Soit porte sur une dette partiellement cautionnée
  • Soit intervient en présence d’une pluralité de dettes échues dont une seule est cautionnée.

==> Le paiement partiel d’une dette partiellement cautionnée

Lorsque le paiement partiel porte sur une dette partiellement cautionnée, la question se pose de l’imputation de ce paiement.

De deux choses l’une :

  • Soit l’on impute le paiement partiel du débiteur sur la fraction de la dette cautionnée, auquel cas la caution est susceptible d’être libérée de son obligation
  • Soit l’on impute le paiement partiel du débiteur sur la fraction de la dette non cautionnée, auquel cas la caution demeure tenue envers le créancier

Dans le silence des textes, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se prononcer.

Très tôt la Cour de cassation a statué en faveur du créancier, considérant qu’il y avait lieu d’imputer le paiement partiel du débiteur en priorité sur la fraction non cautionnée de la dette (V. en ce sens Cass. req. 8 jujn 1901).

Dans un arrêt du 28 janvier 1997, la Chambre commerciale a ainsi jugé que « lorsque le cautionnement ne garantit qu’une partie de la dette, il n’est éteint que lorsque cette dette est intégralement payée, les paiements partiels faits par le débiteur principal s’imputant d’abord, sauf convention contraire, non alléguée en l’espèce, sur la portion non cautionnée de la dette » (Cass. com. 28 janv. 1997, n°94-19.347).

Elle a réitéré cette solution dans un arrêt du 12 janvier 2010 en précisant que lorsque le créancier était déchu de son droit aux intérêts en raison d’un manquement à l’obligation d’information annuelle, l’imputation du paiement partiel doit être cantonnée à la fraction relative au principal de la dette (Cass. com. 12 janv. 2010, n°09-11.710).

Dans un arrêt du 27 mars 2012, la Cour de cassation a encore considéré que, dans l’hypothèse où des cautions solidaires garantissent des fractions distinctes d’une même dette, il y a lieu d’imputer les paiements partiels, non pas sur la fraction de la dette garantie par chacune, mais sur les fractions non couvertes par leurs engagements respectifs.

La conséquence en est, en cas de poursuite par le créancier d’une seule caution, qu’elle est susceptible d’être condamnée au paiement de l’intégralité de son obligation (Cass. com. 27 mars 2012, n°11-13.960).

Plusieurs justifications ont été avancées par les auteurs au soutien de la règle d’imputation des paiements partiels sur la fraction non cautionnée de la dette.

D’aucuns soutiennent qu’elle aurait pour fondement la fonction de garantie du cautionnement, tandis que d’autres estiment qu’elle puise sa source dans la règle subordonnant le paiement partiel du débiteur à l’acceptation du créancier (art. 1342-4, al. 1er C. civ.).

À l’analyse, l’ordonnance du n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations n’a apporté aucune réponse qui permettrait de trancher le débat.

Bien que, encore aujourd’hui, la position adoptée par la jurisprudence demeure sans fondement textuel, elle est approuvée par la doctrine majoritaire qui y voit la marque de l’équité et du bon sens[2].

À cet égard, les parties demeurent libres de déroger à la règle en stipulant une clause dans l’acte de cautionnement qui prévoirait que le paiement partiel du débiteur s’imputerait en priorité sur la fraction cautionnée de la dette.

==> Le paiement partiel en présence d’une pluralité de dettes dont une seule est cautionnée

Lorsque le paiement partiel intervient en présence d’une pluralité de dettes échues dont une seule est cautionnée, la question de l’imputation des paiements se pose à nouveau.

En pareille circonstance, plusieurs options sont susceptibles d’être envisagées :

  • Le paiement partiel peut être imputé sur la seule dette cautionnée, ce qui aurait pour conséquence de libérer la caution
  • Le paiement partiel peut, à l’inverse, être imputé prioritairement sur les dettes échues non cautionnées, auquel cas l’engagement de caution est maintenu

Quelle solution retenir ? Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter à l’article 1342-10 du Code civil qui prévoit que :

  • D’une part, le débiteur de plusieurs dettes peut indiquer, lorsqu’il paie, celle qu’il entend acquitter (alinéa 1er).
  • D’autre part, à défaut d’indication par le débiteur, l’imputation a lieu comme suit : d’abord sur les dettes échues ; parmi celles-ci, sur les dettes que le débiteur avait le plus d’intérêt d’acquitter (alinéa 2e).
  • Enfin, à égalité d’intérêt, l’imputation se fait sur la plus ancienne ; toutes choses égales, elle se fait proportionnellement (alinéa 2e in fine).

Il ressort de cette disposition que, en présence d’une pluralité de dette échue, c’est au débiteur qu’il revient d’indiquer sur quelle dette il y a lieu d’imputer le paiement partiel.

En l’absence d’instruction fournie, l’imputation se fera « sur les dettes que le débiteur avait le plus d’intérêt d’acquitter ».

La question qui alors se pose est de savoir quelle est la dette que le débiteur a le plus intérêt d’acquitter : est-ce la dette qui est garantie ou celle qui ne l’est pas.

Pour la doctrine, suivie par la jurisprudence, il s’agit de la dette cautionnée. En s’acquittant prioritairement de cette dette, son paiement libère la caution, ce qui le prémunit d’un éventuel recours en remboursement (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 29 oct. 1963 ; Cass. 1ère civ. 19 janv. 1994, n°92-12.585).

Cette règle n’est toutefois pas d’application absolue. La Cour de cassation a admis que dans certaines circonstances, le débiteur pouvait trouver un intérêt à acquitter une dette autre que celle cautionnée en raison soit de sa garantie par une sûreté de meilleur rang (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1989, n°88-10.205), soit de son caractère plus onéreux (Cass. com. 16 mars 2010, n°0912.226).

Par ailleurs, la liberté d’imputation des paiements conférée au débiteur en présence d’une pluralité de dettes ne saurait être exercée en fraude des droits de la caution, faute de quoi l’imputation litigieuse lui serait inopposable.

Enfin, les règles énoncées par l’article 1342-10 du Code civil sont supplétives de sorte que les parties sont libres de stipuler dans l’acte de cautionnement que le paiement partiel du débiteur s’imputera prioritairement sur les dettes échues non cautionnées (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 18 oct. 2017, n°16-23.978).

Dans un arrêt du 29 octobre 1968 la Cour de cassation a précisé que « une imputation postérieure au payement ne peut faire revivre des suretés éteintes par suite de l’imputation légale » (Cass. 1ère civ. 29 oct. 1968).

Il en résulte que, une fois l’imputation réalisée sur une dette désignée par le débiteur, il n’est plus possible de revenir sur ce choix.

La dette sur laquelle a été imputé le paiement partiel est irrévocablement éteinte, ce qui emporte extinction définitive des sûretés dont elle était assortie.

2. La preuve du paiement

Dans l’hypothèse où le créancier appelle la caution en garantie, c’est à cette dernière de rapporter la preuve du paiement réalisé par le débiteur principal.

La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt rendu en date du 22 avril 1997 (Cass. com. 22 avr. 1997, n°95-15.019).

Parce que le paiement est un fait juridique, la preuve peur être rapportée par tout moyen (Cass. 1ère civ. 6 juill. 2004, n°01-14.618).

Cette solution jurisprudentielle a été consacrée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. La règle est énoncée à l’article 1342-8 du Code civil.

B) La dation en paiement

La dation en paiement s’analyse en un mode d’extinction des obligations.

Plus précisément, elle se définit comme « la convention par laquelle le créancier accepte de recevoir en paiement une prestation différente de celle qui était prévue au contrat »[3].

La dation en paiement est envisagée par l’article 1342-4 du Code civil comme l’opération consistant, pour le créancier, à « accepter de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû ».

Concrètement, c’est le fait pour le débiteur d’une obligation ayant pour objet, par exemple une somme d’argent, de s’acquitter de sa dette par l’exécution d’une autre prestation, telle que la délivrance d’une chose ou la fourniture d’un service d’une valeur équivalente.

Lorsque la dation en paiement intervient dans le cadre de l’exécution d’une obligation cautionnée, la question se pose de savoir si elle produit le même effet que le paiement ordinaire, soit la libération de la caution.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 2315 du Code civil prévoyait que « l’acceptation volontaire que le créancier a faite d’un immeuble ou d’un effet quelconque en paiement de la dette principale décharge la caution, encore que le créancier vienne à en être évincé. »

Ainsi, la dation en paiement avait-elle pour effet de libérer la caution de son engagement (Cass. 1ère civ., 13 juin 1979, n°78-12.030) quand bien même elle s’avérait finalement inefficace pour le créancier (V. en ce sens Cass. com. 28 janv. 1997, n°94-19.347).

La caution était donc susceptible d’être déchargée de son obligation, tandis que l’obligation principale était maintenue en raison de l’inefficacité de la dation en paiement.

Cette règle se justifiait par la nécessité de protéger les cautions des risques engendrés par la dation en paiement qui a toujours été appréhendée avec méfiance par le législateur.

Lorsque, en effet, le créancier consent à être réglé par le débiteur par voie de dation en paiement, il est un risque qu’il se fasse évincer du bien qu’il a acceptée en paiement. Ce bien peut notamment appartenir à un tiers ou encore avoir été remis à des fins frauduleuses.

En acceptant la dation en paiement, le créancier fait ainsi courir un risque à la caution dont le sort est étroitement lié au paiement du débiteur.

Pour cette raison, le législateur a estimé qu’il y avait lieu de ne pas soumettre la caution aux aléas attachés à l’efficacité de la dation en paiement.

Bien qu’accueillie favorablement par la doctrine, cette faveur faite aux cautions n’a pas été reconduite par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Aussi, désormais, il y a lieu de considérer que l’inefficacité de la dation en paiement et plus précisément l’éviction du créancier du bien qu’il a accepté en paiement devrait pouvoir être opposée à la caution qui donc, en pareille circonstance, suivra le sort réservé au débiteur principal.

Autrement dit, à l’instar de ce dernier, la caution ne sera libérée de son obligation qu’à la condition que la dation en paiement soit valable et libératoire.

C) La compensation

1. Règles de droit commun

La compensation est définie à l’article 1347 du Code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes ».

Cette modalité d’extinction des obligations suppose ainsi l’existence de deux créances réciproques.

Outre l’exigence de réciprocité des créances, l’article 1347-1 du Code civil prévoit que la compensation ne peut avoir lieu qu’en présence de « deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles. »

Par ailleurs, sous l’empire du droit antérieur à la réforme du régime général des obligations instituée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l’ancien article 1290 du Code civil disposait que « la compensation s’opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l’insu des débiteurs ; les deux dettes s’éteignent réciproquement, à l’instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives. »

Une lecture littérale de ce texte suggérait que la compensation produisait ses effets entre les débiteurs automatiquement, c’est-à-dire sans qu’il leur soit besoin de s’en prévaloir.

La jurisprudence avait néanmoins adopté une solution radicalement opposée. Très tôt, elle a, en effet, estimé que, pour jouer, la compensation devait être expressément invoquée par le débiteur (V. en ce sens Cass. req. 11 mai 1880).

Relevant l’existence d’une discordance entre la règle énoncée à l’article 1294 du Code civil et la jurisprudence, le législateur a mis fin au débat, à l’occasion de la réforme du régime général des obligations, en précisant au nouvel article 1347, al. 2e du Code civil que la compensation « s’opère, sous réserve d’être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies. ».

Il a ainsi été opté pour la thèse de l’absence d’automaticité de la compensation. La compensation n’opère donc plus de plein droit ; pour jouer elle doit être invoquée par le débiteur qui se prévaut de l’extinction de son obligation.

2. Application au cautionnement

==> La caution simple

À l’instar d’un paiement simple, lorsque la compensation est invoquée, elle a pour effet d’éteindre, rétroactivement, les obligations réciproques.

Il en résulte que, en présence d’une obligation cautionnée, la compensation devrait avoir pour effet de libérer la caution à la date même où ses conditions se trouvent réunies.

L’ancien article 1294, al. 1er du Code civil prévoyait en ce sens que « la caution peut opposer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal ».

La question s’est alors posée de savoir si, pour que la caution puisse se prévaloir de la compensation, elle devait avoir été, au préalable, invoquée par le débiteur principal ?

Au regard de la solution retenue par la Cour de cassation s’agissant des effets de la compensation dans les rapports entre le créancier et le débiteur, on aurait pu le penser.

Néanmoins, la jurisprudence a estimé qu’il n’y avait pas lieu de transposer cette exigence aux rapports entre le créancier et la caution, au motif que l’ancien article 1294 ne subordonnait nullement l’extinction du cautionnement à l’invocation de la compensation par le débiteur principal.

À cet égard, la Cour de cassation est allée plus loin en admettant que la caution puisse opposer au créancier la compensation à laquelle le débiteur principal avait pourtant renoncé (V. en ce sens Cass. com. 26 oct. 1999, n°96-12.571).

Alors que cette règle était bien fixée en jurisprudence, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 est venue semer le doute en substituant l’ancien article 1294 par l’article 1347-6 qui prévoyait que « la caution peut opposer au créancier la compensation intervenue entre ce dernier et le débiteur principal. »

La formule ainsi retenue était pour le moins malheureuse, dans la mesure où, comme relevé par les commentateurs du texte, l’utilisation du terme « intervenue » pourrait laisser penser que, si la compensation n’a pas été invoquée par le débiteur ou le créancier, la caution ne saurait s’en prévaloir.

Si donc, pour opérer, la compensation doit avoir été invoquée, cela signifie que la caution, en présence d’un débiteur inactif, sinon négligent, serait privée de la possibilité de se libérer de son obligation, alors même que la compensation est constitutive d’une exception inhérente à la dette et qui, à ce titre, doit pouvoir être opposée au créancier.

La formulation retenue par le législateur conduisait manifestement au résultat contraire, raison pour laquelle, il a été décidé de modifier l’article 1347-6 du Code civil, à l’occasion de l’adoption de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Reprenant mot pour mot les termes de l’ancien article 1294 du Code civil, le nouvel article 1347-6 prévoit que « la caution peut opposer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal. »

Ainsi, est-il expressément énoncé par cette disposition que la caution est autorisée à se prévaloir de la compensation dès lors que ses conditions sont réunies, alors même qu’elle n’a pas été préalablement invoquée par le débiteur.

==> La caution solidaire

Très tôt, la question s’est posée de savoir si, à l’instar de la caution simple, la caution solidaire pouvait se prévaloir de la compensation qui serait intervenue entre le créancier et le débiteur principal.

Sous l’empire du droit antérieur, les textes étaient ambigus :

  • D’un côté, l’alinéa 1er de l’ancien article 1214 du Code civil autorisait la caution à opposer « la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal»,
  • D’autre côté, l’alinéa 3e de ce même texte interdisait au débiteur solidaire d’opposer « la compensation de ce que le créancier doit à son codébiteur.»

En présence d’un cautionnement solidaire comment concilier ces deux dispositions ?

De deux choses l’une :

  • Soit l’on faisait application de la règle régissant l’obligation solidaire, auquel cas la caution solidaire ne pouvait pas se prévaloir de la compensation intervenue entre le créancier et le débiteur principal
  • Soit l’on faisait prévaloir la règle applicable à la caution, auquel cas, en cas d’engagement solidaire, il lui était permis de se prévaloir de la compensation

Entre ces deux approches, la Cour de cassation a opté pour la seconde dans un arrêt du 1er juin 1983.

Aux termes de cette décision elle a jugé que « la caution, même solidaire, a la faculté d’opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal et qui, comme la compensation, sont inhérentes à la dette » (Cass. 1ère civ. 1er juin 1983, n°82-10.749).

Cette solution a, par suite, été consacrée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations.

Après avoir rappelé que « la caution peut opposer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal », le nouvel article 1347-6 du Code civil précise que « le codébiteur solidaire peut se prévaloir de la compensation de ce que le créancier doit à l’un de ses coobligés pour faire déduire la part divise de celui-ci du total de la dette. »

Ainsi, désormais, est-il admis que la caution solidaire puisse se prévaloir, comme la caution simple, de la compensation intervenue entre le créancier et le débiteur principal.

II) L’extinction du cautionnement sans désintéressement du créancier

A) La novation

1. Principe

La novation consiste en un « contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée » (art. 1329 C. civ.)

Il s’agit, autrement dit, d’une modalité d’extinction d’une obligation préexistante par la substitution d’une obligation nouvelle.

Ce mécanisme présente la particularité de lier indivisiblement l’extinction de la première obligation et la création de la seconde.

Autrement dit, la création de l’obligation nouvelle ne peut s’opérer sans extinction de l’obligation primitive.

La novation peut avoir lieu :

  • Soit par substitution d’obligation entre les mêmes parties
    • Cette hypothèse se rencontre, par exemple, en cas de modification d’un bail commercial en bail d’habitation
  • Soit par changement de débiteur
    • Cette hypothèse correspond à la délégation parfaite, soit à l’opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur
    • Par le jeu de la novation, le délégant est déchargé de son obligation envers le délégataire
  • Soit par changement de créancier
    • Cette hypothèse est proche de la cession de créance, à la différence près que le consentement du débiteur est requis et qu’il n’y a pas de transfert de créance au profit du nouveau créancier

Lorsque les conditions sont remplies, la novation a donc pour effet d’éteindre l’obligation ancienne qui est substituée par une obligation nouvelle.

La question qui alors se pose est de savoir si dans l’hypothèse où l’exécution de l’obligation initiale est garantie par un cautionnement, la novation emporte également extinction de cette sûreté.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1334 du Code civil qui prévoit que « l’extinction de l’obligation ancienne s’étend à tous ses accessoires. »

Il ressort de cette disposition que la novation a pour effet d’éteindre les sûretés attachées à l’obligation principale et donc de libérer les cautions.

La décharge de la caution se justifie par l’interdiction d’étendre le cautionnement « au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ».

Or la novation, en ce qu’elle crée une obligation nouvelle, est susceptible de durcir les termes du contrat initial.

Pour cette raison, le législateur a estimé qu’il y avait lieu de décharger la caution en cas de novation de l’obligation garantie.

La charge de la preuve pèse toutefois sur cette dernière, en ce sens que c’est à elle qu’il appartiendra de démontrer que les conditions de la novation sont réunies (Cass. com. 5 nov. 1971, n°70-12.319).

Or ces conditions sont rigoureuses, de sorte que, en pratique, la preuve de la novation sera difficile à rapporter.

==> L’élément matériel de la novation

La novation suppose l’extinction et la création corrélatives d’obligations valables

  • L’extinction d’une obligation ancienne
    • Parce que la novation est un mode d’extinction de l’obligation, elle suppose que les parties soient liées par un rapport d’obligation préexistant.
    • Il s’en déduit que la novation ne peut avoir lieu que si l’obligation ancienne à laquelle est substituée la nouvelle est valable ( 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-16.695).
    • Cette règle est désormais énoncée à l’article 1331 du Code civil.
    • Le principe ainsi énoncé est toutefois assorti d’une limite : lorsque la nullité de l’ancienne obligation est relative et donc susceptible de confirmation, la novation peut valoir confirmation ( 1331 in fine C. civ.)
    • Aussi, ce n’est qu’en cas de nullité absolue que la novation sera remise en cause.
    • En toute hypothèse, l’annulation de l’obligation primitive emporte anéantissement rétroactif de l’obligation nouvelle qui est réputée n’avoir jamais été créée.
    • Or sans obligation nouvelle, il ne saurait y avoir novation et donc libération de la caution.
    • À cet égard, il peut être observé que lorsque l’obligation primitive est non pas anéantie, mais seulement prescrite la Cour de cassation a admis que la novation puisse malgré tout produire ses effets ( 3e civ. 29 oct. 1968).
    • La raison en est que la prescription éteint, non pas l’obligation, mais le droit d’agir.
  • La création d’une obligation nouvelle
    • En premier lieu, il ne peut y avoir novation que si l’extinction de l’obligation primitive emporte création d’une obligation nouvelle. C’est ce que l’on appelait en droit romain l’aliquid novi.
    • Plus précisément, l’opération doit consister en un une modification d’un ou plusieurs « éléments constitutifs essentiels [de l’obligation ancienne] qui en changent la nature»[4].
    • Une simple modification des modalités d’exécution de cette obligation serait insuffisante quant à produire un effet novatoire.
    • La jurisprudence refuse ainsi régulièrement de voir dans la prorogation du terme d’une convention une novation (V. en ce sens 1ère civ. 20 févr. 2001, n°99-13.679).
    • Dans un ancien arrêt rendu le 8 novembre 1875, la Cour de cassation a jugé, de façon plus générale, que pour qu’il y ait novation « il ne suffit pas d’augmenter ou de diminuer la dette, de fixer un terme plus long ou plus court, et d’ajouter ou de retrancher une hypothèque ou une autre sûreté, ou même de changer l’espèce de l’obligation, à moins que les parties n’expriment une intention contraire» ( req. 8 nov. 1875).
    • Ainsi, une simple modification d’un élément secondaire du rapport d’obligation n’opère pas novation.
    • Il en résulte que l’obligation primitive subsiste avec ses accessoires en particulier les sûretés qui en garantissent l’exécution.
    • Pour qu’il y ait novation, la nouveauté ne peut donc pas être minime ; elle doit être suffisamment conséquente pour emporter la disparition de l’ancienne obligation à la faveur de la nouvelle.
    • Ce sera sans aucun doute le cas en présence d’une substitution de créancier ou de débiteur.
    • Lorsque, en revanche, la nouveauté affecte l’obligation elle-même la novation est bien moins évidente.
    • Il s’agit de l’hypothèse où le créancier accepte de recevoir en paiement autre chose qui ce qui était initialement convenu, ce qui rapproche cette situation de la dation en paiement.
    • La novation par changement d’objet s’en distingue pourtant en ce que la dation produit seulement en effet extinctif alors que la novation ne se limite pas à éteindre le rapport d’obligation préexistant, elle fait naître corrélativement une nouvelle obligation.
    • La novation par changement d’objet est, par exemple, admise en cas de modification de la nature du contrat : il peut s’agir de la transformation d’un contrat de dépôt en contre de vente ( com. 30 oct. 1968), ou encore la substitution d’un bail commercial par un bail d’habitation (Cass. 3e civ. 12 déc. 1968).
    • En deuxième lieu, pour que la qualification de novation soit retenue, la nouveauté apportée ne doit pas être en totale rupture avec le rapport primitif d’obligation : en l’absence de lien entre l’extinction de l’obligation ancienne et la création de l’obligation nouvelle, il s’agira d’une simple succession d’obligations non liées entre elles.
    • Or la novation ne se conçoit qu’en présence d’obligations indissociables : l’obligation créée doit avoir pour cause l’extinction de l’obligation initiale
    • En dernier lieu, à l’instar de l’obligation ancienne, pour que la novation produise ses effets l’obligation nouvelle doit être valable.
    • Dans un arrêt du 14 mai 1996, la Cour de cassation a affirmé, par exemple, que « la novation n’a lieu que si une obligation valable est substituée à l’obligation initiale».
    • Il en résulte qu’en cas d’annulation de la convention novatoire la première obligation retrouve son efficacité.
    • Il en va de même, précise la Chambre commerciale, « lorsque le créancier savait que l’obligation nouvelle était annulable de son propre fait » ( com. 14 mai 1996, n°94-14.625).
    • Il est donc indifférent que la nullité de la seconde obligation résulte d’un dol du créancier : en toute hypothèse la première obligation survit.

==> L’élément intentionnel de la novation

Parce que la novation est un acte grave, en ce qu’elle consiste à substituer une obligation primitive par une obligation nouvelle, pour produire ses effets l’intention des parties doit être certaine.

Cette intention ne saurait toutefois se limiter à l’extinction d’un rapport d’obligation préexistant et à la création d’un nouveau rapport.

Les parties doivent avoir eu, en outre, la volonté de lier indissociablement les opérations d’extinction et de création d’obligation qui se servent mutuellement de cause.

Autrement dit, elles doivent avoir voulu subordonner l’extinction de l’obligation ancienne à la création de l’obligation nouvelle et réciproquement. Cette intention était qualifiée en droit romain d’animus novandi.

L’exigence d’animus novandi est énoncée à l’article 1330 du Code civil qui prévoit que « la novation ne se présume pas ; la volonté de l’opérer doit résulter clairement de l’acte. »

La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 15 janvier 1975 « qu’il n’est pas nécessaire que l’intention de nover soit exprimée en termes formels dès lors qu’elle est certaine » (Cass. 3e civ. 15 janv. 1975, n°73-13.331).

Il est ainsi admis qu’elle puisse être tacite. Dans un arrêt du 19 mars 1974, la Première chambre civile a jugé en ce sens, après avoir rappelé que « l’acte novatoire ne doit pas nécessairement être passe par écrit », que celui-ci pouvait parfaitement résulter des circonstances de la cause (Cass. 1ère civ. 19 mars 1974, n°72-12.118).

La Chambre commerciale a encore affirmé que si la novation ne se présume pas, elle peut résulter « des faits et actes intervenus entre les parties » pourvu qu’elle soit certaine (Cass. com. 19 mars 1979, n°77-12.889).

Reste que lorsque la novation ne sera pas clairement exprimée dans l’acte, il sera souvent difficile de sonder l’intention des parties.

Ont-elles voulu substituer une obligation par une autre ou seulement stipuler des obligations successives qui n’entretiennent pas nécessairement de lien entre elles ?

Dans le doute, les obligations souscrites successivement par un débiteur au profit d’un même débiteur seront réputées, non pas se substituer les unes aux autres, mais s’additionner.

Les combinaisons possibles sont nombreuses, raison pour laquelle la preuve de la novation n’est pas aisée à rapporter.

Aussi, la caution sera-t-elle, la plupart du temps, bien en peine d’établir que l’obligation dont elle garantit l’exécution a été novée.

2. Tempérament

Si, en principe, la novation ne laisse pas subsister les accessoires de l’obligation primitive, cette règle n’est nullement impérative.

L’article 1334 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, prévoit, en effet, que « par exception, les sûretés d’origine peuvent être réservées pour la garantie de la nouvelle obligation avec le consentement des tiers garants. »

Ainsi, les parties sont-elles libres de convenir que les sûretés constituées en garantie de l’obligation ancienne seront transférées sur l’obligation nouvelle.

En réalité, il s’agit moins d’un transfert que de la souscription d’un nouvel engagement pour le garant, dans la mesure où l’obligation initiale est éteinte.

Or s’agissant du cautionnement, son caractère accessoire fait obstacle à ce qu’il survive à l’obligation principale.

C’est la raison pour laquelle, en cas d’accord des parties pour maintenir le cautionnement, bien que l’article 1334 ne le précise pas, un nouvel engagement devra être souscrit par la caution dans les mêmes conditions que l’ancien, soit en observant les conditions requises à titre de validité et à titre de preuve.

B) La confusion

Selon l’article 1349 du Code civil « la confusion résulte de la réunion des qualités de créancier et de débiteur d’une même obligation dans la même personne. »

Parce que l’on ne peut pas conclure un contrat avec soi-même, la réunion des qualités de créancier et de débiteur sur la même tête emporte extinction de l’obligation.

La question qui alors se pose est de savoir si la confusion a également pour effet d’éteindre le cautionnement de l’obligation sur laquelle elle porte.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1349 qui prévoit expressément que la confusion « éteint la créance et ses accessoires, sous réserve des droits acquis par ou contre des tiers. »

Il ressort de cette disposition que l’extinction de l’obligation par l’effet de la confusion s’étend également à ses accessoires et donc aux sûretés.

En présence d’un cautionnement, la confusion a donc pour effet de libérer la caution. L’article 1349-1, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « lorsque la confusion concerne une obligation cautionnée, la caution, même solidaire, est libérée. »

Le texte précise néanmoins que, « lorsqu’il y a solidarité entre plusieurs débiteurs ou entre plusieurs créanciers, et que la confusion ne concerne que l’un d’eux, l’extinction n’a lieu, à l’égard des autres, que pour sa part. »

Par ailleurs, dans l’hypothèse où la confusion concerne l’obligation d’une des cautions, le débiteur principal n’en est pas pour autant libéré.

Quant aux autres cautions solidaires, elles sont libérées à concurrence de la part de la caution libérée par le jeu de la confusion.

C) La remise de dette

1. Principe

==> La caution simple

La remise de dette est définie à l’article 1350 du Code civil comme « le contrat par lequel le créancier libère le débiteur de son obligation ».

Ainsi, la remise de dette produit-elle un effet extinctif. Elle délie le débiteur de tout ou partie de son engagement, ce qui revient pour le créancier à renoncer au droit de créance dont il est titulaire à l’encontre du débiteur, sous réserve d’acceptation de ce dernier.

La question qui alors se pose est de savoir si cet extinctif attaché à la remise de dette se propage au cautionnement garantissant l’obligation sur laquelle elle porte.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1350-2 du Code civil qui prévoit expressément que « la remise de dette accordée au débiteur principal libère les cautions. »

La remise de dette profite donc aux cautions qui sont déchargées de leur obligation.

La raison en est que ces dernières ne sauraient être tenues plus sévèrement que le débiteur principal (art. 2296 C. civ.).

Dans l’hypothèse où la remise de dette n’est que partielle, la caution est libérée dans les mêmes proportions que le débiteur.

À cet égard, cette dernière bénéficie également de la présomption de libération du débiteur instituée par l’article 1342-9 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « la remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération. »

En tout état de cause, pour produire ses effets, la remise de dette doit répondre à plusieurs exigences :

Tout d’abord, parce qu’elle est un contrat elle doit, d’une part, avoir été consentie volontairement par le créancier et, d’autre part, avoir été acceptée par le débiteur.

Ensuite, la remise de dette n’est valable que si le créancier jouit de la capacité de disposer.

Enfin, elle doit être certaine, en ce sens que la volonté des parties ne doit pas être équivoque, étant précise que la jurisprudence admet qu’elle puisse être tacite (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 28 oct. 1991, n°89-21.871)

==> La caution solidaire

Comme pour la compensation, la question s’est posée de savoir si la caution solidaire pouvait se prévaloir d’une remise de dette consentie par le créancier au débiteur principal.

Tandis que l’ancien article 1287, al. 1er du Code civil prévoyait que la remise de dette accordée au débiteur principal avait pour effet de libérer les cautions, l’ancien article 1285, al. 1er retenait, quant à lui, la solution inverse pour des codébiteurs solidaires.

Comment articuler ces deux textes en présence d’un cautionnement solidaire ? La difficulté soulevée était exactement la même que celle rencontrée avec la compensation.

  • Soit l’on faisait application de l’article 1287, auquel cas il y avait lieu d’admettre que la caution solidaire puisse se prévaloir de la remise de dette consentie au débiteur principal.
  • Soit l’on faisait application de l’article 1285, auquel cas la caution ne pouvait pas se prévaloir de la remise de dette consentie au débiteur principal.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations a retenu la seconde solution, de sorte que, comme pour la compensation, la caution solidaire est autorisée à se prévaloir de la remise de dette octroyée au débiteur principal.

Le nouvel article 1350-2, al. 1er du Code civil dispose en ce sens que « la remise de dette accordée au débiteur principal libère les cautions, même solidaires. »

L’alinéa 2 précise que si la remise consentie à l’une des cautions solidaires ne libère pas le débiteur principal, elle libère les autres cautions à concurrence de sa part.

Par exception, l’alinéa 3 prévoit que « ce que le créancier a reçu d’une caution pour la décharge de son cautionnement doit être imputé sur la dette et décharger le débiteur principal à proportion ». Les autres cautions ne restent, quant à elles, tenues que déduction faite de la part de la caution libérée ou de la valeur fournie si elle excède cette part.

Cette disposition vise à empêcher le créancier de s’enrichir par le biais du cautionnement, en cumulant la contrepartie de la remise et le paiement par le débiteur principal.

2. Tempérament

Bien que la remise de dette ait, par principe, pour effet de décharger les cautions, il est des situations où, nonobstant la libération du débiteur principal, le cautionnement sera maintenu.

Tel est notamment le cas lorsque le créancier se limitera à renoncer à poursuivre le débiteur en paiement, la question se pose de savoir si cette renonciation profite à la caution.

La Cour de cassation a répondu par la négative dans un arrêt du 22 mai 2007.

Au soutien de sa décision, elle a affirmé que « la renonciation par le créancier au droit à agir en paiement contre le débiteur principal n’emporte pas extinction de l’obligation principale ni du recours de la caution contre ce débiteur, de sorte que la clause précitée ne fait pas obstacle aux poursuites du créancier contre la caution solidaire » (Cass. com. 22 mai 2007, n°06-12.196).

Ainsi, la chambre commerciale refuse-t-elle d’assimiler la remise de poursuites à la remise de dette.

C’est la raison pour laquelle elle n’admet pas que la caution puisse être libérée en cas de renonciation du créancier à son droit d’agir contre le débiteur.

Si l’on se place sur le terrain strict du droit commun des obligations, cette solution est parfaitement justifiée.

Il n’est nullement contestable que le droit de créance – droit substantiel – ne se confond pas avec le droit d’agir en justice.

Cette dichotomie explique, par exemple, pourquoi le paiement d’une obligation prescrite est valable et ne donne pas lieu à répétition de l’indu : la prescription a pour effet d’éteindre non pas la créance, mais l’action.

Appliquée à la remise de poursuites, la distinction entre le droit et l’action, explique, de la même manière, pourquoi l’obligation n’est pas éteinte, ce qui conduit à maintenir l’engagement de caution.

Reste que si l’on se place, cette fois-ci, sur le terrain du cautionnement, la position adoptée par la Cour de cassation est, à certains égards, critiquable.

Elle revient, en effet, à admettre que la caution puisse être tenue plus sévèrement que le débiteur principal. Or cela est contraire au principe posé par l’article 2296 du Code civil.

D’un autre côté, la solution retenue ne heurte aucunement le caractère accessoire du cautionnement qui lie le sort de l’engagement de caution à l’obligation principale.

Sans doute faut-il voir dans ce dernier argument l’élément qui a été décisif dans le raisonnement de la Cour de cassation.

D) La prescription

==> Principe

Parce que la prescription de l’obligation principale est une exception inhérente à la dette, il est admis que la caution puisse s’en prévaloir.

Pour mémoire, l’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293 ».

Dans un arrêt du 14 mars 2000 la Cour de cassation a précisé que la caution pouvait se prévaloir de la prescription quinquennale des actions en paiement des intérêts des sommes prêtées et plus généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts (Cass. 1ère civ. 14 mars 2000, n°98-11.770)

S’agissant de l’interruption de la prescription, l’article 2246 du Code civil prévoit que « l’interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution. »

Ainsi, la caution est-elle logée à la même enseigne que le débiteur garanti : l’interruption de la prescription lui est pleinement opposable.

La Cour de cassation a fait application de cette règle en matière de déclaration de créance. Dans un arrêt du 26 septembre 2006, elle a effectivement affirmé « que la déclaration de créance interrompt la prescription à l’égard de la caution sans qu’il soit besoin d’une notification et que cet effet se prolonge jusqu’à la clôture de la procédure collective » (Cass. com. 26 sept. 2006, n°04-19.751).

À cet égard, il a été jugé que la renonciation du débiteur à se prévaloir d’une prescription acquise était sans incidence sur la situation de la caution qui est libérée de son engagement (V. en ce sens Cass. civ. 2 févr. 1886).

==> Tempérament

L’article 218-2 du Code de la consommation prévoit que « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans. »

Ce délai de prescription s’applique à toutes actions entreprises par un créancier professionnel contre un débiteur consommateur.

La conséquence en est que le créancier qui n’a pas agi dans ce bref délai est forclos, ce qui signifie qu’il ne peut plus actionner en paiement le débiteur.

Lorsque l’obligation prescrite était garantie par un cautionnement, la question s’est posée de savoir si le créancier pouvait malgré tout se retourner contre la caution.

En raison du caractère accessoire du cautionnement, un tel recours devrait lui être refusé.

De façon assez surprenante, tel n’est pas la voie qui a été empruntée par la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 8 octobre 1996, elle a, en effet, estimé que le créancier était parfaitement fondé à poursuivre la caution peu importe que l’action dirigée contre le débiteur principal soit prescrite.

La seule exigence posée par la Première chambre civile est que le créancier ait agi contre la caution dans le bref délai de deux ans, ce qui était le cas dans cette affaire (Cass. 1ère civ. 8 oct. 1996, n°94-16.633).

Cette position a été abondamment critiquée par la doctrine. À l’analyse, elle est intervenue à une période au cours de laquelle la Cour de cassation avait adopté une approche pour le moins extensive des exceptions personnelles du débiteur, soit celles dont la caution ne pouvait pas se prévaloir à l’encontre du créancier.

Pour mémoire, dans un arrêt du 8 juin 2007, elle avait notamment jugé que la caution « n’était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal et qui, destinée à protéger ce dernier, constituait une exception purement personnelle » (Cass. ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15.602).

Elle a, par suite, étendu cette solution à toutes les causes de nullité relative (V. en ce sens Cass. com., 13 oct. 2015, n° 14-19.734).

En restreignant considérablement le domaine des exceptions inhérentes à la dette, il a été reproché à la Haute juridiction de déconnecter l’engagement de la caution de l’obligation principale en ce qu’il est de nombreux cas où elle était devenue plus rigoureusement tenue que le débiteur lui-même.

Attentif aux critiques – nombreuses – émises par la doctrine et reprenant la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés, le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de mettre un terme à l’inflation des cas d’inopposabilité des exceptions.

Par souci de simplicité et de sécurité juridique, il a donc été décidé d’abolir la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

D’où la formulation du nouvel article 2298 du Code civil qui pose le principe selon lequel la caution peut opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient personnelles à ce dernier ou inhérentes à la dette.

Compte tenu de cette modification de l’état du droit opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, il n’est pas exclu que la Cour de cassation revienne sur sa jurisprudence et admette que la caution puisse se prévaloir du bref délai applicable aux actions engagées par un créancier professionnel contre un débiteur consommateur.

 

 

[1] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – Publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°231, p.196

[2] V. en ce sens Ph. Simler, Cautionnement – Extinction par voie accessoire, Lexisnexis, fasc. Jurisclasseur, n°24

[3] J. François, Traité de droit civil – Les obligations, Régime général, Economica 2017, n°139, p. 126.

[4] F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit des obligations, éd. Dalloz, 2002, n°1421, p. 1309

Cautionnement: les recours de la caution contre les cofidéjusseurs (recours personnel et recours subrogatoire)

Il est des cas où plusieurs cautions se seront engagées aux fins de garantir une même dette. On dit qu’elles sont cofidéjusseurs.

le La plupart du temps, ces cautions auront renoncé au bénéfice de division de sorte qu’elles sont solidaires.

Il en résulte que le créancier est fondé, en cas de défaillance du débiteur, d’actionner l’une d’elles en paiement pour le tout.

La caution qui aura payé dispose alors de deux options :

  • Première option
    • Elle peut décider de se retourner contre le débiteur principal sur le fondement des recours personnel et subrogatoire prévus aux articles 2308 et 2309 du Code civil
  • Seconde option
    • Elle peut choisir de se retourner contre les autres cautions à concurrence de leurs parts respectives, afin que le poids définitif de la dette soit supporté par l’ensemble des cofidéjusseurs.

Nous ne nous focaliserons dans cette étude que sur la seconde option qui est envisagée à l’article 2312 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « en cas de pluralité de cautions, celle qui a payé a un recours personnel et un recours subrogatoire contre les autres, chacune pour sa part. »

Dans un arrêt du 21 novembre 1973, la Cour de cassation a précisé que la renonciation par la caution à son recours contre le débiteur principal ne lui faisait pas perdre le droit d’exercer un recours contre ses cofidejusseurs (Cass. 1ère civ. 21 nov. 1973, n°70-13.061).

Cette renonciation aura seulement pour effet de libérer le débiteur à concurrence de la part contributive de la caution qui en est à l’origine.

En tout état de cause, lorsque la caution choisit de se retourner contre ses cofidéjusseurs, elle dispose des mêmes recours que ceux qui lui sont conférés contre le débiteur principal, soit :

  • Le recours personnel
  • Le recours subrogatoire

§1 : Le recours personnel

L’exercice du recours personnel par la caution présente principalement deux avantages :

  • Premier avantage
    • Le recours personnel offrira à la caution la possibilité de recevoir une indemnisation des plus large.
    • Au titre de ce recours, elle pourra, en effet, réclamer à ses cofidéjusseurs le remboursement :
      • D’une part, de ce qu’elle a payé au créancier
      • D’autre part, des intérêts moratoires produits par la somme que ses cofidéjusseurs lui doivent, lesquels intérêts commencement à courir à compter de la date de paiement du créancier
      • Enfin des frais exposés dans le cadre de ses rapports avec le créancier
    • C’est là une différence majeure avec le recours subrogatoire qui ne permettra à la caution d’obtenir que le remboursement des seules sommes qu’elle a payées au créancier.
  • Second avantage
    • Le recours personnel est soumis au délai de prescription de droit commun, lequel court à compter de la date du paiement par la caution du créancier.
    • Tel n’est pas le cas du délai de prescription du recours subrogatoire qui n’est autre que celui applicable à l’action en paiement dont est titulaire le créancier à l’encontre du débiteur principal.
    • Aussi, ce délai est-il susceptible d’être partiellement écoulé au jour du paiement du créancier et donc d’être plus bref que celui auquel est soumis le recours personnel.
    • À cet égard, si l’action attachée à l’obligation principale est prescrite, la caution sera irrecevable à exercer son recours subrogatoire.

I) Fondement du recours personnel

L’article 2312 du Code civil reconnaît expressément à la caution qui a payé au-delà de sa part contributive un recours personnel contre ses cofidéjusseurs.

Ce recours est dit « personnel », car il s’agit d’un droit attaché à la qualité de caution qui donc ne dérive pas de l’obligation principale.

La doctrine majoritaire justifie la reconnaissance de ce recours sur le fondement de la gestion d’affaires, en ce sens que la caution qui a désintéressé le créancier a rendu service aux autres cautions.

À ce titre, il y a lieu de rétablir l’équilibre injustement rompu par la prise en charge intégrale de la dette par la caution solvens, alors que cette dette est due par l’ensemble des cofidéjusseurs.

II) Domaine du recours personnel

==> Principe

L’article 2312 du Code civil ouvre le recours personnel contre les cofidéjusseurs à toutes les cautions, peu importe qu’il s’agisse d’une caution simple, solidaire ou encore que l’engagement souscrit présente un caractère civil ou commercial.

Dans un arrêt rendu en date du 3 octobre 1995, la Cour de cassation a précisé qu’il était indifférent que les cautions se soient engagées dans un même acte ou par le biais d’actes séparés (Cass. 1ère civ. 3 oct. 1995, n°93-11.279)

La seule exigence est que la caution qui exerce ce recours ait payé le créancier au-delà de sa part contributive.

À cet égard, en application de l’article 2325, al. 2e du Code civil, le recours personnel est également reconnu à la caution réelle, soit à la personne qui a consenti au créancier une sûreté réelle sur son patrimoine en garantie de la dette d’autrui.

==> Tempérament

Si le recours personnel contre les cofidéjusseurs est ouvert, de plein droit, à la caution qui a payé le créancier, cette dernière est autorisée à y renoncer.

Pour produire ses effets, la renonciation devra avoir été exprimée par la caution ; elle ne se présume pas.

Cette renonciation, qui peut intervenir, tant au jour de la souscription du cautionnement qu’au stade de son exécution, s’analysera alors en une libéralité consentie aux cofidéjusseurs bénéficiaires.

Deux configurations sont alors susceptibles de se présenter :

  • Première configuration : la caution renonce à son recours au profit de tous les cofidéjusseurs
    • Dans cette hypothèse, la caution solvens supportera seule la charge définitive de la dette.
    • Tout au plus elle pourra se retourner contre le débiteur principal sur le fondement des recours personnel et subrogatoire qui ne sont pas affectés par la renonciation de son recours contre les cofidéjusseurs.
  • Seconde configuration : la caution renonce à son recours au profit d’un ou plusieurs cofidéjusseurs
    • Dans cette hypothèse, la caution solvens devra supporter seule la charge définitive des parts contributives des cautions bénéficiaires de la renonciation
    • Quant aux autres cofidéjusseurs non bénéficiaires, la caution renonçante ne pourra leur réclamer que leur part contributive normale

Au bilan, la renonciation par la caution à l’exercice de son recours personnel lui interdit d’actionner un paiement les cofidéjusseurs bénéficiaires de cette renonciation.

Ces derniers seront néanmoins fondés, s’ils sont actionnés en paiement par le créancier, à se retourner contre la caution renonçante à concurrence de la totalité de ce qu’ils auront payé.

III) Objet du recours personnel

En application de l’article 2312 du Code civil, le recours personnel reconnu à la caution qui a payé le créancier a pour objet le paiement de plusieurs sortes de créances qui tiennent :

  • D’une part, aux sommes qu’elle a payées au créancier
  • D’autre part, aux intérêts moratoires produits par les sommes qu’elle a payées
  • Enfin, aux frais qu’elle a exposés dans le cadre de ses rapports avec le créancier

A) Le paiement des sommes payées au créancier

La caution peut réclamer à ses cofidéjusseurs, au titre de son recours personnel, l’intégralité des sommes qu’elle a payées au créancier.

Ces sommes se scindent en deux catégories : le principal et les accessoires de la dette cautionnée.

==> S’agissant du principal

La souscription d’un cautionnement a pour effet d’obliger la caution à garantir l’obligation principale dans son intégralité, si son engagement est indéfini et dans une limite convenue avec le créancier si cet engagement est défini.

En tout état de cause, en cas de défaillance du débiteur principal, la caution devra se substituer à lui dans l’exécution de l’obligation garantie, peu importe le montant dû.

C’est cette somme qui a été payée par la caution au titre de l’obligation principale qui pourra être réclamée par cette dernière à ses cofidéjusseurs.

==> S’agissant des accessoires

Lorsqu’une personne se porte caution au profit d’un créancier, l’obligation de couverture ne se limite pas au principal de la dette garantie, elle s’étend à ses accessoires.

Ce principe est exprimé à l’article 2295 du Code civil qui prévoit que « sauf clause contraire, le cautionnement s’étend aux intérêts et autres accessoires de l’obligation garantie, ainsi qu’aux frais de la première demande, et à tous ceux postérieurs à la dénonciation qui en est faite à la caution. »

Il ressort de cette disposition que le cautionnement garantit les obligations accessoires à l’obligation principale, soit celles qui, selon un ancien arrêt de la Cour de cassation, sont la conséquence normale ou prévisible de l’obligation cautionnée (Cass. req., 22 juill. 1891).

Aussi, le créancier est-il fondé à réclamer à la caution le paiement de ces accessoires de la dette garantie, laquelle pourra, à son tour, en solliciter le remboursement auprès de ses cofidéjusseurs.

Au nombre des accessoires couverts par le cautionnement garantissant une ou plusieurs obligations principales, on compte notamment :

  • Les intérêts produits par l’obligation garantie
  • Les dommages et intérêts auxquels est susceptible d’être tenu le débiteur principal au titre de la résolution ou de l’annulation du contrat principal ou encore au titre d’une clause pénale
  • Les frais de justice exposés par le créancier aux fins de recouvrer sa créance (mise en demeure, citation en justice etc.)

B) Le paiement des intérêts moratoires

Bien que l’article 2312 du Code civil ne le précise pas, il est admis que la caution solvens est fondée à réclamer à ses cofidéjusseurs au titre de son recours personnel les intérêts produits par sa propre créance.

Plus précisément, il s’agit des intérêts qui s’appliquent aux sommes payées par la caution au créancier.

À cet égard, il s’infère de la jurisprudence que ces intérêts courent de plein droit du jour du paiement réalisé par la caution entre les mains du créancier (V. en ce sens CA Paris 17 févr. 1984).

C’est là une exception à la règle énoncée à l’article 1231-6 du Code civil qui prévoit que, en principe, « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. »

S’agissant du taux applicable aux intérêts moratoires dus à la caution, il s’agit du taux légal, sauf à ce qu’elle ait prévu un taux différent dans une convention conclue avec ses cofidéjusseurs.

C) Le paiement des frais exposés

Outre les sommes qu’elle a payées au créancier, la caution solvens il est admis que la caution solvens puisse réclamer à ses cofidéjusseurs les frais qu’elle a été contrainte de supporter dans le cadre de l’action en paiement exercée contre elle par le créancier.

IV) Conditions du recours personnel

A) Les conditions tenant au paiement du créancier

==> Un paiement valable et libératoire

Conformément à l’article 2312 du Code civil, pour être fondée à exercer son recours personnel, la caution doit avoir payé le créancier.

À cet égard, le paiement en lui seul ne suffit pas ; pour produire ses effets il doit être valable et libératoire :

  • Un paiement valable
    • D’une part, pour être valable, le paiement doit avoir été payé entre les mains, soit du créancier, soit de son représentant.
    • D’autre part, conformément à l’article 1342-2 du Code civil, le créancier doit avoir la capacité de recevoir le paiement.
    • À défaut, le paiement n’est pas valable, sauf à ce que le créancier en ait tiré profit
  • Un paiement libératoire
    • Pour ouvrir droit au recours personnel, le paiement effectué par la caution ne doit pas seulement être valable, il doit encore être libératoire.
    • Plus précisément, il doit avoir pour effet de libérer le débiteur principal et les cofidéjusseurs de leurs obligations respectives envers le créancier
    • À cet égard, le mode de paiement retenu par la caution est indifférent, pourvu que le créancier soit désintéressé.

==> Cas particulier du paiement partiel

Lorsque la caution a payé le créancier, pour pouvoir exercer son recours personnel contre ses cofidéjusseurs, elle doit avoir payé au-delà de sa part contributive.

Aussi, est-il indifférent que le paiement soit total ou partiel ; ce qui importe c’est que la caution ait payé plus que ce qu’elle devait au créancier (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 9 mars 2004, n°01-18.026).

B) Les conditions tenant à la prescription du recours

Parce que le recours personnel est un droit propre reconnu à la caution, il n’est pas assujetti aux règles de prescription applicables à l’obligation principale.

Aussi, ce recours est-il soumis à la prescription de droit commun dont le fondement diffère selon que le cautionnement présente un caractère civil ou commercial.

  • Le cautionnement civil
    • Dans cette hypothèse, l’article 2224 du Code civil prévoit que le délai de prescription est de 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
  • Le cautionnement commercial
    • Dans cette hypothèse, l’article L. 110-4 du Code de commerce prévoit que les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

Au bilan, il est indifférent que le cautionnement présente un caractère civil ou commercial ; dans les deux cas le délai de prescription du recours personnel est de 5 ans. Il commence à courir à compter du jour du paiement du créancier par la caution.

V) Montant du recours personnel

==> Principe

L’article 2312 du Code civil prévoit que la caution qui a payé le créancier dispose d’un recours contre « les autres, chacune pour sa part ».

La précise « chacune pour sa part » suggère que la caution solvens doit diviser ses poursuites entre toutes les cautions.

À cet égard, dans l’hypothèse où l’une des cautions serait insolvable, cette insolvabilité devra être supportée par l’ensemble des cofidéjusseurs solvables.

Illustrons ce cas de figure par un exemple : supposons que sur cinq cautions qui garantissent une même dette, l’une d’elles est notoirement insolvable.

La caution qui a payé le créancier devra alors diviser ses poursuites contre ses cofidéjusseurs, non pas en cinq, mais en quatre.

==> Mise en œuvre

S’agissant du calcul du montant de la part contributive de chaque caution, il y a lieu de distinguer deux situations :

  • Les cautions se sont toutes engagées pour le même montant
    • Dans cette hypothèse, la division se fait par part virile, soit une part égale pour chaque caution, laquelle part est obtenue en divisant le montant de la dette payée par la caution solvens par le nombre de cofidéjusseurs solvables.
    • À supposer, par exemple, que trois cautions se soient engagées à garantir une dette de 120.000 euros, la part virile est égale à 120.000 / 3, soit à 40.000 euros.
  • Les cautions se sont engagées pour des montants différents
    • Dans cette hypothèse, la part contributive de chaque caution est proportionnelle au montant de son engagement.
    • Dans un arrêt du 2 février 1982, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la fraction de la dette devant être supportée par chacune des cautions à la suite de ce recours doit être déterminée en proportion de leur engagement initial» ( 1ère civ. 2 févr. 1982, n°80-14.764).
    • Pour exemple, trois cautions se sont respectivement engagées à hauteur de 40.000 euros, 90.000 euros et 120.000 euros en garantie d’une dette de 120.000 euros
    • Pour déterminer la part contribution de chaque caution il convient :
      • D’abord, d’additionner les montants des engagements souscrits, soit 40.000 + 90.000 + 120.000 = 250.000 euros
      • Ensuite, de rapporter chaque engagement pris individuellement au montant total obtenu.
        • Soit, 40.000 / 250.000 euros, 90.000 / 250.0000 et 120.000 / 250.000 euros
      • Enfin, d’appliquer la proportion obtenue au montant de la dette garantie.
        • Soit 4/25e de 120.000 euros (19.200 euros), 9/25e de 120.000 euros (43.200 euros) et 12/25e de 120.000 euros (57.600 euros)
    • Dans un arrêt du 18 février 1997, la Cour de cassation a précisé que le montant total des parts contributives de chaque caution ne pouvait pas être supérieur au montant de la dette principale.
    • Elle justifie sa position en rappelant le principe général selon lequel « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur et que le cautionnement qui excède la dette est réductible à la mesure de l’obligation principale» ( com. 18 févr. 1997, n°95-10.840).

§2: Le recours subrogatoire

Le principal avantage du recours subrogatoire est de permettre à la caution de bénéficier de l’ensemble des droits et accessoires dont était titulaire le créancier et en particulier les sûretés constituées à son profit par les autres garants.

En revanche, le recours subrogatoire présente l’inconvénient pour la caution solvens de ne pas pouvoir réclamer à ses cofidéjusseurs, outre le remboursement des sommes qu’elle a payées, les frais exposés dans le cadre de la procédure qui l’a opposé au créancier. L’objet de son recours est strictement cantonné à ce qu’elle a payé.

Autre inconvénient pour la caution solvens, elle pourra se voir opposer par ses cofidéjusseurs les exceptions que ces dernières pouvaient opposer au créancier, à tout le moins celles inhérentes à la dette (prescription, nullité, novation, paiement, confusion, compensation, résolution, caducité etc.)

I) Fondement du recours

L’article 2312 du Code civil reconnaît expressément à la caution solvens un recours subrogatoire à l’encontre de ses cofidéjusseurs.

Ainsi le paiement effectué par la caution entre les mains du créancier produit l’effet d’une subrogation

Par subrogation il faut entendre, selon le Doyen Mestre, « la substitution d’une personne dans les droits attachés à la créance dont une autre est titulaire, à la suite d’un paiement effectué par la première entre les mains de la seconde ».

Il ressort de la définition de la subrogation personnelle qu’il s’agit là d’une opération pour le moins singulière.

En principe, le paiement effectué, même par un tiers, a seulement pour effet d’éteindre le rapport d’obligation.

Pourtant, par le jeu de la subrogation, ledit rapport subsiste à la faveur du subrogé qui dispose d’un recours contre les coobligés du créancier (au cas particulier les cofidéjusseurs).

C’est précisément ce mécanisme que l’on retrouve dans l’opération de cautionnement, l’article 2312 du Code civil reconnaissant à la caution le droit de se subroger dans les droits du créancier après avoir payé tout ou partie de ce qui était dû par ses cofidéjusseurs.

II) Domaine du recours

==> Principe

L’article 2312 du Code civil ouvre le recours subrogatoire à toutes les cautions, peu importe qu’il s’agisse d’une caution simple, solidaire ou encore que l’engagement souscrit présente un caractère civil ou commercial.

En application de l’article 2325, al. 2e du Code civil, le recours subrogatoire est également reconnu à la caution réelle, soit à la personne qui a consenti au créancier une sûreté réelle sur son patrimoine en garantie de la dette d’autrui.

==> Tempérament

Si le recours subrogatoire est ouvert, de plein droit, à la caution qui a payé le créancier, cette dernière est autorisée à y renoncer.

Cette renonciation, qui peut intervenir, tant au jour de la souscription du cautionnement qu’au stade de son exécution, s’analysera alors en une libéralité consentie au débiteur principal.

Pour produire ses effets, la renonciation devra avoir été exprimée par la caution ; elle ne se présume pas.

III) Conditions du recours

A) Les conditions tenant au paiement du créancier

==> Un paiement valable et libératoire

Conformément à l’article 2312 du Code civil, l’exercice du recours subrogatoire par la caution contre le débiteur principal est subordonné au paiement du créancier.

C’est là la condition première de la subrogation qui s’analyse en une variété de paiement.

À cet égard, cette condition tenant au paiement est expressément énoncée à l’article 1346 du Code civil qui prévoit que la subrogation légale ne peut jouer qu’au profit de celui qui « paie ».

Le texte ajoute une condition que ne précise pas l’article 2312, soit que le paiement doit, pour produire son effet subrogatoire, libérer « envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. »

Appliquée au cautionnement, cette règle signifie que le paiement effectué par la caution doit avoir pour effet de libérer ses cofidéjusseurs envers le créancier, ce qui suppose que ce paiement soit valable et libératoire.

  • Un paiement valable
    • D’une part, pour être valable, le paiement doit avoir été payé entre les mains, soit du créancier, soit de son représentant.
    • D’autre part, conformément à l’article 1342-2 du Code civil, le créancier doit avoir la capacité de recevoir le paiement.
    • À défaut, le paiement n’est pas valable, sauf à ce que le créancier en ait tiré profit
  • Un paiement libératoire
    • Pour ouvrir droit au recours subrogatoire, le paiement effectué par la caution ne doit pas seulement être valable, il doit encore être libératoire.
    • Plus précisément, il doit avoir pour effet de libérer le débiteur principal et les cofidéjusseurs de leurs obligations respectives envers le créancier.

B) Les conditions tenant à la prescription du recours

Parce que le recours subrogatoire consiste pour la caution à exercer l’action même du créancier, elle dispose du même délai pour agir que ce dernier contre le débiteur.

Autrement dit, le délai de prescription dans lequel est enfermé le recours de la caution contre ses cofidéjusseurs n’est autre que celui applicable à l’obligation principale (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 5 avr. 2018, n°17-13.501).

C’est là un inconvénient majeur du recours subrogatoire dans la mesure où le délai de prescription est susceptible d’être partiellement écoulé au jour du paiement du créancier et donc d’être plus bref que celui auquel est soumis le recours personnel.

À cet égard, si l’action attachée à l’obligation principale est prescrite, la caution sera irrecevable à exercer son recours subrogatoire.

IV) Montant du recours

==> Principe

L’article 2312 du Code civil prévoit que la caution qui a payé le créancier dispose d’un recours contre « les autres, chacune pour sa part ».

La précise « chacune pour sa part » suggère que la caution solvens doit diviser ses poursuites entre toutes les cautions.

À cet égard, dans l’hypothèse où l’une des cautions serait insolvable, cette insolvabilité devra être supportée par l’ensemble des cofidéjusseurs solvables.

Illustrons ce cas de figure par un exemple : supposons que sur cinq cautions qui garantissent une même dette, l’une d’elles est notoirement insolvable.

La caution qui a payé le créancier devra alors diviser ses poursuites contre ses cofidéjusseurs, non pas en cinq, mais en quatre.

==> Mise en œuvre

S’agissant du calcul du montant de la part contributive de chaque caution, il y a lieu de distinguer deux situations :

  • Les cautions se sont toutes engagées pour le même montant
    • Dans cette hypothèse, la division se fait par part virile, soit une part égale pour chaque caution, laquelle part est obtenue en divisant le montant de la dette payée par la caution solvens par le nombre de cofidéjusseurs solvables.
    • À supposer, par exemple, que trois cautions se soient engagées à garantir une dette de 120.000 euros, la part virile est égale à 120.000 / 3, soit à 40.000 euros.
  • Les cautions se sont engagées pour des montants différents
    • Dans cette hypothèse, la part contributive de chaque caution est proportionnelle au montant de son engagement.
    • Dans un arrêt du 2 février 1982, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la fraction de la dette devant être supportée par chacune des cautions à la suite de ce recours doit être déterminée en proportion de leur engagement initial» ( 1ère civ. 2 févr. 1982, n°80-14.764).
    • Pour exemple, trois cautions se sont respectivement engagées à hauteur de 40.000 euros, 90.000 euros et 120.000 euros en garantie d’une dette de 120.000 euros
    • Pour déterminer la part contribution de chaque caution il convient :
      • D’abord, d’additionner les montants des engagements souscrits, soit 40.000 + 90.000 + 120.000 = 250.000 euros
      • Ensuite, de rapporter chaque engagement pris individuellement au montant total obtenu.
        • Soit, 40.000 / 250.000 euros, 90.000 / 250.0000 et 120.000 / 250.000 euros
      • Enfin, d’appliquer la proportion obtenue au montant de la dette garantie.
        • Soit 4/25e de 120.000 euros (19.200 euros), 9/25e de 120.000 euros (43.200 euros) et 12/25e de 120.000 euros (57.600 euros)
    • Dans un arrêt du 18 février 1997, la Cour de cassation a précisé que le montant total des parts contributives de chaque caution ne pouvait pas être supérieur au montant de la dette principale.
    • Elle justifie sa position en rappelant le principe général selon lequel « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur et que le cautionnement qui excède la dette est réductible à la mesure de l’obligation principale» ( com. 18 févr. 1997, n°95-10.840).

V) Effets du recours

En application de l’article 1346-4 du Code civil, la subrogation « transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires, à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier. »

La subrogation produit ainsi un effet translatif ; la créance du créancier subrogeant fait l’objet d’une transmission à la faveur de la caution subrogée.

Cette opération opère un transfert d’actif d’un patrimoine à un autre à l’instar de la cession de créance. La caution se retrouve donc substituée dans les droits du titulaire originaire de la créance.

La conséquence en est que la caution ne saurait acquérir plus de droits que n’en avait le subrogeant au moment de la subrogation.

À cet égard, en application de l’article 1346-4 du Code civil, la subrogation ne se limite pas à transmettre la créance au solvens subrogé (la caution), elle lui transmet également les accessoires de cette créance.

A) La créance principale

La subrogation a donc pour principal effet de transmettre à la caution subrogée la créance principale.

Toutefois, comme précisé par l’article 1346-4 du Code civil, la subrogation n’opère qu’à concurrence des sommes payées au créancier.

Autrement dit, la caution n’est subrogée dans les droits du créancier que dans la limite de ce qu’elle a payé.

C’est là une grande différence avec le recours personnel qui autorise la caution à réclamer au débiteur au-delà des sommes réglées au créancier, telles que les frais exposés dans ses rapports avec le créancier ou le débiteur ou encore des dommages et intérêts.

B) Les accessoires de la créance

==> Les droits transmis à la caution

En application de l’article 1346-4 du Code civil, outre la créance principale, la subrogation transmet à la caution les accessoires de la créance.

Les accessoires transmis comprennent notamment les sûretés réelles et personnelles, les privilèges et plus généralement tous les droits préférentiels qui se rattachent à la créance principale.

La loi n’opérant aucune distinction entre les droits susceptibles d’être transmis par l’effet de la subrogation, la jurisprudence en a déduit que la caution pouvait se prévaloir des privilèges de toutes natures tels que, par exemple, le privilège du Trésor public (Cass. com. 23 nov. 1982, n°81-10.516) ou encore le superprivilège des salaires (Cass. com. 3 juin 1982, n°80-15.573).

Après avoir hésité sur le sort de la clause de réserve de propriété, la Cour de cassation a décidé dans un arrêt du 15 mars 1988 qu’elle devait être regardée comme un accessoire transmissible au titre de la subrogation.

Au soutien de sa décision elle a affirmé que « la subrogation conventionnelle a pour effet d’investir le subrogé, non seulement de la créance primitive, mais aussi de tous les avantages et accessoires de celle-ci ; qu’il en est ainsi de la réserve de propriété, assortissant la créance du prix de vente et affectée à son service exclusif pour en garantir le paiement » (Cass. com. 15 mars 1988, n°86-13.687).

La Cour de cassation a adopté la même solution pour les actions de justice attachées à la créance principale.

Dans un arrêt du 7 décembre 1983 elle a ainsi décidé que « le paiement avec subrogation, s’il a pour effet d’éteindre la créance à l’égard du créancier, la laisse subsister au profit du subrogé, qui dispose de toutes les actions qui appartenaient au créancier et qui se rattachaient à cette créance immédiatement avant le paiement » (Cass. 1ère civ. 7 déc. 1983, n°82-16.838).

Lorsque la créance transmise à la caution est garantie par une sûreté réelle, la question s’est posée de savoir si l’exigence de publication – sous forme de mentions en marge des inscriptions existantes – au fichier immobilier des subrogations aux hypothèques (art. 2425 C. civ.) était une condition d’opposabilité aux tiers de la subrogation résultant du paiement de la caution.

Dans un premier temps, la troisième chambre civile et la chambre commerciale se sont opposées sur cette question.

  • D’un côté la Troisième chambre civile avait considéré dans un arrêt du 2 février 1982 que « la publicité prévue par l’article 2149, alinéa 1er, du code civil, est obligatoire et nécessaire pour rendre la subrogation et la transmission de l’hypothèque opposable aux tiers» ( 3e civ. 2 févr. 1982, n°80-14.689)
  • D’un autre côté, la Chambre commerciale avait jugé que la subrogation qui emporte modification dans la personne du créancier de l’inscription sans aggraver la situation du débiteur, a « pour effet d’investir le subrogé de la créance primitive, avec tous ses avantages et accessoires», de sorte qu’elle produit ses effets de plein droit à l’égard des tiers ( com. 7 déc. 1981, n°80-16.284).

Cette opposition entre la Troisième chambre civile et la Chambre commerciale s’est finalement dénouée par un ralliement de la première à la position de la seconde.

Dans un arrêt du 16 juillet 1987, la Troisième chambre civile a, en effet, considéré, après avoir relevé que la subrogation litigieuse dont se prévalait la caution comportait modification dans la personne du titulaire de l’inscription sans aggraver la situation du débiteur, qu’elle avait bien « pour effet d’investir le subrogé de la créance primitive avec tous ses avantages et accessoires » (Cass. 3e civ. 16 juill. 1987, n°85-10.541)

==> L’exclusion des droits attachés à la personne

L’article 1346 dispose que la subrogation n’opère pas de transmission « des droits exclusivement attachés à la personne du créancier ».

Il s’agit de tous les droits consentis par un cofidéjusseur au subrogeant en considération de sa personne, soit qui présentent un caractère intuitu personae.

Sont également visées toutes les prérogatives qui sont strictement attachées à la qualité du créancier subrogeant.

Il en va ainsi, par exemple, des prérogatives de puissance publique dont est titulaire le Trésor (Cass. com. 9 févr. 1971, n°69-14.147).

S’agissant du privilège des AGS, si la Cour de cassation a tranché dans un sens favorable à sa transmission à la caution dans un arrêt du 25 avril 1984 (Cass. soc. 24 avr. 1984, n°82-16.683), la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises a condamné cette solution en insérant un article 3253-21 dans le Code du travail qui prévoit que « Le mandataire judiciaire reverse immédiatement les sommes qu’il a reçues aux salariés et organismes créanciers, à l’exclusion des créanciers subrogés, et en informe le représentant des salariés. »

C) Le sort des intérêts

La question s’est posée de savoir si la caution subrogée pouvait réclamer à ses cofidéjusseurs le remboursement des intérêts conventionnels produits par l’obligation principale postérieurement au paiement.

Dans un arrêt du 29 octobre 2002, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question.

Au soutien de sa décision, elle a rappelé que la subrogation était à la mesure du paiement de sorte que « le subrogé ne peut prétendre, en outre, qu’aux intérêts produits au taux légal par la dette qu’il a acquittée, lesquels, en vertu du second, courent de plein droit à compter du paiement » (Cass. com. 1ère civ. 29 oct. 2002, n°00-12.703).

Ainsi, la caution n’est-elle fondée à réclamer à ses cofidéjusseurs que les seuls intérêts moratoires produits par la créance qu’elle a payée au créancier, lesquels commencent à courir à compter du paiement.

La Première chambre civile a réitéré cette solution sensiblement dans les mêmes termes dans un arrêt du 18 mars 2003 (Cass. 1ère civ. 18 mars 2003, n°00-12.209).

Effets du cautionnement: le cautionnement simple

Selon que le cautionnement souscrit par la caution est simple ou solidaire, les conditions d’exercice des poursuites engagées par le créancier diffèrent.

Cette distinction entre ces deux formes de cautionnement est rappelée par le nouvel article 2290, al. 1er du Code civil qui prévoit que « le cautionnement est simple ou solidaire. ».

Nous nous focaliserons ici sur le cautionnement simple. 

Le cautionnement simple se distingue du cautionnement solidaire en ce qu’il confère à la caution deux prérogatives que sont :

  • Le bénéfice de discussion
  • Le bénéfice de division

I) Le bénéfice de discussion

A) Notion

Le bénéfice de discussion se définit comme la prérogative permettant à la caution d’obliger le créancier à poursuivre d’abord le débiteur principal (art. 2305, al. 1er C. civ.).

Il consiste, autrement dit, en un moyen de défense que la caution peut opposer au créancier en cas de poursuites dirigées contre elle.

C’est là la particularité du cautionnement simple : l’engagement de la caution présente un caractère subsidiaire, en ce sens qu’elle ne peut être actionnée en paiement qu’à la condition que le créancier ait engagé des poursuites, à titre principal, contre le débiteur défaillant.

Ce n’est que si les poursuites engagées à l’encontre de ce dernier sont vaines que le créancier pourra actionner en paiement la caution simple.

B) Domaine

Si l’article 2305 du Code civil présente le bénéfice de discussion comme pouvant être invoqué par n’importe quelle caution, il assortit, dans le même temps, le principe de sérieuses exceptions.

Le second alinéa de ce texte précise, en effet, que « ne peut se prévaloir de ce bénéfice ni la caution tenue solidairement avec le débiteur, ni celle qui a renoncé à ce bénéfice, non plus que la caution judiciaire. »

Il ressort de cette disposition que le bénéfice de discussion est, en réalité, réservé à une catégorie limitée de cautions, à telle enseigne que l’on peut légitimement se demander si le domaine des exceptions ne serait plus étendu que le champ d’application du principe.

==> Les cautions autorisées à se prévaloir du bénéfice de discussion

En premier lieu, l’article 2305 du Code civil exige de celui qui se prévaut du bénéfice de discussion qu’il justifie de sa qualité de caution.

Aussi, ce bénéfice ne peut être invoqué que dans le cadre d’un contrat de cautionnement. Il ne saurait, par exemple, opérer au profit du souscripteur d’une garantie autonome, d’une lettre d’intention ou encore d’un aval.

En deuxième lieu, le cautionnement souscrit par la caution doit être conventionnel ou légal. Il ne doit pas être judiciaire, soit avoir été sollicité par un juge.

En troisième lieu, seule la caution simple peut se prévaloir du bénéfice de discussion soit celle qui :

  • D’une part, ne s’est pas engagée solidairement avec le débiteur principal
  • D’autre part, n’a pas renoncé au bénéfice de discussion

En quatrième lieu, il est admis que le certificateur de caution et la sous-caution puissent se prévaloir du bénéfice de discussion.

Pour mémoire, tandis que le certificateur garantit l’engagement souscrit par la caution, la sous-caution garantie, quant à elle, le recours de la caution contre le débiteur principal (art. 2291 et art. 2291-1).

En cinquième lieu, l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a reconnu que le bénéfice de discussion pouvait être invoqué par la caution réelle, soit celle qui a constitué une sûreté réelle en garantie de la dette d’autrui.

Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait adopté la solution contraire. Dans un arrêt du 6 mars 1979, elle affirme par exemple que « le bénéfice de discussion et le bénéfice de division ne sont pas accordés à la caution réelle en l’absence de stipulation contraire » (Cass. 1ère civ. 6 mars 1979, n°77-11.840).

Plus récemment, elle a refusé à une caution hypothécaire le bénéfice de discussion au motif que la constitution d’une sûreté réelle n’impliquait aucun engagement personnel et, par voie de conséquence, ne s’analysait pas en un cautionnement (Cass. 2e civ. 4 sept. 2014, n°13-11.887).

A l’occasion de la réforme des sûretés, le législateur a porté un coup d’arrêt à cette jurisprudence en prévoyant à l’article 2325 du Code civil que lorsqu’une sûreté réelle est constituée par un tiers « les dispositions des articles 2299,2302 à 2305-1, 2308 à 2312 et 2314 sont alors applicables. »

Le rapport au président de la République justifie cette rupture avec le droit antérieur

par le fait que c’est un tiers qui s’engage en garantie de la dette du débiteur et que, à ce titre, il a besoin de protection à l’instar de la caution.

==> Les cautions qui ne sont pas autorisées à se prévaloir du bénéfice de discussion

L’article 2305, al. 2e du Code civil prévoit que « ne peut se prévaloir de ce bénéfice ni la caution tenue solidairement avec le débiteur, ni celle qui a renoncé à ce bénéfice, non plus que la caution judiciaire. »

Sont ainsi exclues du bénéfice de discussion trois catégories de cautions qui ne pourront donc pas obliger le créancier à poursuivre d’abord le débiteur principal.

  • S’agissant des cautions qui se sont engagées solidairement avec le débiteur principal
    • Lorsque le cautionnement comporte une clause de solidarité, la caution ne peut pas se prévaloir du bénéfice de discussion.
    • Toutes les formes de solidarité ne sont toutefois pas visées par cette exclusion.
    • Le bénéfice de discussion ne sera écarté qu’en présence d’une solidarité verticale, soit d’un engagement aux termes duquel la caution a consenti à être appelée en paiement à titre principal et non plus à titre subsidiaire.
    • La caution devient alors solidaire du débiteur, de sorte que le créancier dispose de la faculté d’actionner indifféremment l’un ou l’autre en paiement.
    • Dans cette configuration l’engagement de caution est situé sur le même plan que l’obligation principale, raison pour laquelle le bénéfice de discussion est neutralisé.
    • Lorsque, en revanche, la solidarité stipulée dans l’acte de cautionnement est horizontale, ce qui correspond à l’hypothèse où la caution est solidaire, non pas du débiteur, mais des cofidéjusseurs, le bénéfice de discussion peut jouer.
    • L’exclusion prévue par l’article 2305, al. 2e ne vise que la seule solidarité verticale, puisque envisagent le cas où « la caution [est] tenue solidairement avec le débiteur»
  • S’agissant des cautions qui ont renoncé au bénéfice de discussion
    • Si le bénéfice de discussion est un moyen de défense efficace qui permet à la caution de contraindre le créancier à préalablement actionner le débiteur principal en paiement, il s’agit d’une simple faculté.
    • Il n’y a là aucune automaticité dans l’application du bénéfice de discussion.
    • À cet égard, l’article 2305-1 prévoit expressément que c’est à la caution qu’il revient d’opposer au créancier le bénéfice de discussion dans le respect de certaines formes, faute de quoi ce bénéfice ne pourra pas opérer.
    • Aussi, lorsqu’elle est appelée en garantie, la caution peut parfaitement décider de renoncer au bénéfice de discussion.
    • La particularité de cette renonciation est qu’elle intervient en cours d’exécution du contrat de cautionnement.
    • Elle produira néanmoins les mêmes effets qu’une clause de solidarité puisque fera échec au bénéfice de discussion.
    • Il est admis que cette renonciation puisse être expresse ou tacite pourvu qu’elle soit certaine.
    • Il peut être observé que, en présence d’un cautionnement est souscrit par une personne physique, la renonciation au bénéfice de discussion n’est, a priori, pas subordonnée à la reproduction de la mention prescrite à peine de nullité à l’article 2297 du Code civil.
    • Cette mention n’est, en effet, exigée qu’au stade de la conclusion du consentement et non au cours de son exécution.
  • S’agissant des cautions judiciaires
    • L’article 2305, al. 2e du Code civil écarte le bénéfice de discussion en présence d’un cautionnement judiciaire.
    • Pour mémoire, l’article 2289, al. 2e du Code civil prévoit que « lorsque la loi confère au juge le pouvoir de subordonner la satisfaction d’une demande à la fourniture d’un cautionnement, il est dit judiciaire.»
    • Aussi, le cautionnement est dit judiciaire lorsque c’est le juge qui exige d’une partie à un procès qu’elle fournisse une caution.
    • En pareille hypothèse, la caution ne pourra donc pas se prévaloir du bénéfice de discussion.
    • La doctrine justifie cette exclusion en avançant que l’exécution du jugement qui exige la fourniture d’une caution ne doit pas être suspendue à l’exercice du bénéfice de discussion.

C) Conditions

L’article 2305-1 du Code civil subordonne l’exercice du bénéfice de discussion au respect de deux conditions cumulatives, étant précisé que sous l’empire du droit antérieur l’ancien article 2300 en prévoyait une troisième

1. L’exigence d’invocation du bénéfice de discussion dès les premières poursuites

L’article 2305-1, al. 1er du Code civil prévoit que « le bénéfice de discussion doit être invoqué par la caution dès les premières poursuites dirigées contre elle. »

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • D’une part, le bénéfice de discussion n’opère que s’il est invoqué par la caution
  • D’autre part, l’invocation du bénéfice de discussion doit intervenir dès les premières poursuites

==> La charge de l’invocation

Pour opérer, le bénéfice de discussion doit donc nécessairement être invoqué par la caution.

Aussi, son application ne présente aucun caractère automatique ; il n’opère pas de plein droit. C’est donc à la caution qu’il appartient de faire la démarche de le soulever.

À défaut, le bénéfice de discussion ne pourra produire ses effets. La caution sera réputée y avoir renoncé.

Or comme précisé par l’article 2305, al. 2e du Code civil, la renonciation fait échec au bénéfice de discussion.

==> Le moment de l’invocation

L’article 2305-1, al. 1er du Code civil n’impose pas seulement à la caution de se prévaloir du bénéfice de discussion, il exige également que son invocation intervienne « dès les premières poursuites dirigées contre elle ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par la formule « dès les premières poursuites ».

Doit-on comprendre que c’est au stade de la mise en demeure que la caution doit opposer au créancier le bénéfice de discussion ou peut-elle attendre de faire l’objet d’une assignation en justice ?

Deux situations doivent être distinguées :

  • Le cautionnement a été conclu par voie d’acte sous seing privé
    • Dans cette hypothèse, le créancier est contraint d’obtenir un titre exécutoire auprès du juge pour poursuivre la caution en exécution forcée.
    • Pour opérer, le bénéfice de discussion devra alors être soulevé in limine litis, soit avant toute défense au fond.
    • Le Code de procédure civile envisage, en effet, le bénéfice de discussion comme une exception dilatoire.
    • L’article 108 du CPC prévoit, en ce sens, que « le juge doit suspendre l’instance lorsque la partie qui le demande jouit soit d’un délai pour faire inventaire et délibérer, soit d’un bénéfice de discussion ou de division, soit de quelque autre délai d’attente en vertu de la loi. »
    • La particularité de ce moyen de défense qui relève de la catégorie des exceptions de procédures est qu’il doit être soulevé avant toute défense au fond.
    • Pour mémoire, par défense au fond il faut entendre, selon l’article 71 du CPC, « tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire. ».
    • Dès lors que l’exception de procédure est soulevée après la prise de conclusions exposant les prétentions, fussent-elles banales et de pure forme, ou l’exercice d’un recours, elle est irrecevable.
    • Ainsi, il a par exemple été jugé que le fait de s’en rapporter à justice constitue une défense au fond, interdisant ensuite de soulever une exception d’incompétence ( 2e civ., 7 juin 2007, n°06-15920).
    • Cette règle est applicable devant toutes les juridictions, y compris devant la Cour d’appel.
  • Le cautionnement a été conclu par voie d’acte notarié
    • Dans cette hypothèse, pour obtenir un titre exécutoire, il n’est pas besoin pour le créancier de saisir le juge.
    • En application de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution, les actes notariés revêtus de la formule exécutoire constituent des titres exécutoires.
    • L’exécution forcée pourra ainsi être engagée contre la caution sur la base du seul contrat de cautionnement.
    • Les « premières poursuites» ne pourront dès lors pas être envisagées comme des exceptions de procédure.
    • En présence d’un cautionnement notarié, elles correspondront au premier acte d’exécution forcée pratiqué par l’huissier de justice.
    • Il pourra s’agir notamment d’un commandement de payer ou d’une saisie-attribution.

2. L’exigence d’indication des biens qui doivent être discutés

==> Principe

L’article 2305-1, al. 2e du Code civil prévoit que pour que le bénéfice de discussion opère, « la caution doit indiquer au créancier les biens du débiteur susceptibles d’être saisis, qui ne peuvent être des biens litigieux ou grevés d’une sûreté spéciale au profit d’un tiers. »

Autrement dit, lorsque la caution se prévaut du bénéfice de discussion, elle doit identifier dans le patrimoine du débiteur principal des biens pouvant être appréhendés par le créancier aux fins qu’il se fasse payer.

Faute de satisfaire à cette exigence, la caution ne pourra pas faire échec aux poursuites dirigées contre elle.

Dans un arrêt du 23 octobre 2008, la Cour de cassation a, par exemple, approuvé une Cour d’appel qui, pour estimer que des cautions ne pouvaient pas opposer le bénéfice de discussion au créancier, a relevé que ces dernières « n’avaient pas rempli, sur les premières poursuites engagées à leur encontre, les conditions prévues par l’article 2300 du code civil, puisqu’elles n’ont proposé aucun bien à la discussion du créancier, ni avancé les deniers suffisants pour faire la discussion » (Cass. 2e civ. 23 oct. 2008, n°07-20.035).

Deux enseignements peuvent être retirés de cette règle contraignant la caution à désigner les biens du débiteur principal susceptibles d’être discutés :

  • Premier enseignement
    • Pour que la caution puisse opposer au créancier le bénéfice de discussion, elle doit avoir un motif valable.
    • Autrement dit, elle doit justifier que l’appel en garantie dont elle fait l’objet est inutile dans la mesure où le patrimoine du débiteur principal est suffisant pour désintéresser le créancier.
    • Cette exigence procède de l’idée que, en présence, d’un cautionnement simple, l’engagement de caution est subsidiaire.
    • Cela signifie donc qu’elle ne saurait être actionnée en paiement si le créancier peut obtenir satisfaction auprès du débiteur cautionné.
  • Second enseignement
    • Le bénéfice de discussion ne saurait être invoqué par la caution dans l’hypothèse où le débiteur principal est insolvable, soit lorsque sa situation est irrémédiablement compromise.
    • Dans un arrêt du 4 avril 1973, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la discussion des biens du débiteur principal n’est pas exigée lorsque l’insolvabilité de ce dernier est notoire» ( 3e civ. 4 avr. 1973, n°72-11.506).
    • Lorsque, toutefois, l’insolvabilité du débiteur n’est que partielle, en ce sens que certains biens sont susceptibles de désintéresser pour partie le créancier, la caution pourra se prévaloir du bénéfice de discussion.
    • En pareille hypothèse, la doctrine estime que le bénéfice de discussion ne fera échec aux poursuites du créancier qu’à concurrence de la valeur des biens désignés.
    • Pour le surplus, la caution devra payer le créancier, sauf à identifier d’autres biens dans le patrimoine du débiteur dont la valeur serait susceptible de couvrir le reliquat de la créance de ce dernier.

==> Tempéraments

L’article 2305-1 du Code civil assortit l’obligation pour la caution d’indiquer au créancier les biens du débiteur susceptibles d’être discutés de deux limites :

  • Première limite
    • Les biens désignés par la caution ne doivent pas être « litigieux».
    • Par « biens litigieux », il faut comprendre les biens qui, soit ne sont pas saisissables par le créancier (ex : résidence principale de l’entrepreneur individuel), soit dont la propriété est contestée par un tiers (ex : action en revendication, réserve de propriété, action en nullité ou en résolution du contrat de vente etc.).
    • Ainsi, seuls les biens qui peuvent être facilement appréhendés par le créancier peuvent être désignés par la caution.
    • L’idée qui préside à cette règle est que les poursuites du créancier sur les biens désignés par la caution ne doivent pas être vouées à l’échec.
    • L’exercice du bénéfice de discussion ne se justifie que si les biens qui figurent dans le patrimoine du débiteur principal sont susceptibles de désintéresser le créancier.
    • À défaut, ce dernier est fondé à actionner en paiement, à titre subsidiaire, la caution
  • Seconde limite
    • L’article 2305-1, al. 2e du Code civil prévoit que, outre les biens litigieux, sont exclus des biens que la caution peut indiquer au créancier, ceux qui sont « grevés d’une sûreté spéciale au profit d’un tiers».
    • Cette exclusion procède de la même idée que précédemment : en dirigeant ses poursuites vers les biens désignés par la caution, le créancier ne doit pas se heurter à un obstacle qui l’empêcherait de recouvrer sa créance.
    • Or la constitution d’une sûreté réelle sur un bien consentie au profit d’un tiers est précisément de nature à faire échec à des poursuites.
    • C’est la raison pour laquelle, le législateur a décidé qu’il y avait lieu d’écarter d’emblée de tels biens de la liste de ceux susceptibles d’être désignés par la caution.

3. L’abandon de la condition tenant à la prise en charge des frais de discussion

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 2300 du Code civil prévoyait que l’exercice du bénéfice de discussion était subordonné à l’avance par la caution des « deniers suffisants pour faire la discussion. »

Autrement dit, il appartenait à la caution de prendre en charge les frais exposés par le créancier aux fins de discuter les biens désignés dans le cadre de l’exercice du bénéfice de discussion.

Cette exigence a été supprimée par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, le législateur ayant estimé qu’elle était « trop sévère », car dissuadant la caution d’exercer le bénéfice de discussion.

D) Effets

==> Les effets à l’égard de la caution

L’exercice du bénéfice de discussion par la caution a pour effet de suspendre les poursuites dirigées contre elle par le créancier.

Aussi, ce dernier ne pourra reprendre les poursuites contre la caution qu’une fois l’intégralité des biens disponibles dans le patrimoine du débiteur principal vendus et à la condition que le produit de la vente n’ait pas suffi à le désintéresser.

Si donc le bénéfice de discussion fait obstacle à ce que le créancier puisse poursuivre en exécution forcée la caution, il ne lui interdit pas d’entreprendre des mesures conservatoires sur le fondement de l’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution.

Pour ce faire, il devra néanmoins justifier de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance s’il était finalement contraint d’actionner la caution en paiement.

==> Les effets à l’égard du créancier

Si l’exercice du bénéfice de discussion contraint la caution à indiquer au créancier les biens du débiteur principal susceptibles d’être saisis, ce dernier n’est nullement tenu de suivre cette indication.

Il demeure libre de ne pas poursuivre en exécution forcée le débiteur. L’exercice de cette liberté n’est toutefois pas sans conséquence.

L’article 2305-1, al. 3e du Code civil prévoit que « si le créancier omet de poursuivre le débiteur, il répond à l’égard de la caution de l’insolvabilité de celui-ci à concurrence de la valeur des biens utilement indiqués. »

Autrement dit, dans l’hypothèse où il tarde à exercer des poursuites contre le débiteur, le créancier s’expose, en cas d’insolvabilité de ce dernier, à ne pas pouvoir réclamer à la caution la valeur des biens qu’elle lui avait indiqués.

Cette règle vise à sanctionner la négligence du créancier qui ne doit pas préjudicier à la caution.

En s’abstenant d’agir, le créancier prend le risque que les biens désignés par la caution sortent du patrimoine du débiteur principal.

Or s’il avait exercé ses poursuites dans un délai raisonnable, il aurait pu obtenir le paiement de sa créance, ce qui, par voie de conséquence, aurait profité à la caution, l’appel en garantie étant devenu inutile.

C’est donc parce que l’inaction du créancier est susceptible de faire perdre à la caution une chance de ne pas être actionnée en paiement, que l’indemnisation du préjudice subi par cette dernière se justifie.

II) Le bénéfice de division

A) Notion

Afin de bien comprendre en quoi consiste le bénéfice de division, il y a lieu d’aborder, au préalable, le principe auquel ce bénéfice déroge : le principe de division.

1. Le principe de division

==> Droit commun

Dans sa configuration la plus simple, l’obligation ne comporte que deux sujets : un créancier et un débiteur.

Néanmoins, il est des situations où l’obligation comportera plusieurs sujets.

Le rapport d’obligation existera alors :

  • Tantôt entre un créancier et plusieurs débiteurs

 

  • Tantôt entre plusieurs créanciers et un débiteur

Dans l’hypothèse où l’obligation comporte plusieurs sujets, le principe instauré par le législateur est la division de l’obligation en autant de rapports indépendants qu’il existe de créanciers ou de débiteurs.

L’article 1309 du Code civil dispose en ce sens que « l’obligation qui lie plusieurs créanciers ou débiteurs se divise de plein droit entre eux ». L’obligation est dite conjointe.

La conséquence attachée par l’article 1309, al. 2 du Code civil à cette configuration de l’obligation est double :

  • Chacun des créanciers n’a droit qu’à sa part de la créance commune
    • Cela signifie que chaque créancier ne pourra réclamer au débiteur que la part de la dette due personnellement par celui-ci
    • Pour obtenir le paiement complet de sa créance, le créancier devra, en conséquence, diviser ses poursuites envers chaque débiteur pris individuellement
  • Chacun des débiteurs n’est tenu que de sa part de la dette commune
    • Cela signifie que chaque débiteur n’est obligé qu’à concurrence de sa part dans la dette
    • Le débiteur sera donc libéré de son obligation dès qu’il aura exécuté la part de son obligation

==> Cautionnement

L’article 2306, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque plusieurs personnes se sont portées cautions de la même dette, elles sont chacune tenues pour le tout. »

Autrement dit, en présence d’une pluralité de cautions qui garantissent une même dette, chacune a vocation à supporter l’intégralité du poids de la dette cautionnée.

Il y a là, manifestement, une dérogation au principe de division qui, s’il était appliqué, devrait conduire à ce que chaque caution ne soit tenue qu’à concurrence de sa part dans la dette cautionnée.

Tel n’est pourtant pas la voie empruntée par le législateur qui, pour le cautionnement, a fait le choix de déroger au principe de division.

Ce choix se justifie par l’essence même du cautionnement qui consiste pour la caution à s’obliger envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.

Aussi, est-il inhérent à l’engagement de caution de garantir l’intégralité de l’obligation principale, sauf à stipuler dans l’acte de cautionnement une limitation à cet engagement.

C’est la raison pour laquelle, en présence de plusieurs de plusieurs cautions qui garantissent une même dette, la règle qui a été retenue est que chacune d’elles est tenue pour le tout.

Cette règle n’est toutefois pas absolue ; elle a été assortie d’un tempérament.

2. Le bénéfice de division

L’article 2306, al. 2e du Code civil prévoit que « néanmoins, celle qui est poursuivie peut opposer au créancier le bénéfice de division. Le créancier est alors tenu de diviser ses poursuites et ne peut lui réclamer que sa part de la dette. »

Il ressort de cette disposition que, en présence d’une pluralité de cautions garantissant le paiement d’une même dette, chacune d’elles peut opposer le bénéfice de division, ce qui aura pour effet de contraindre le créancier à diviser ses poursuites entre les cautions simples. Il ne pourra alors réclamer à chacune que sa part de la dette.

L’exercice du bénéfice de division permet ainsi à la caution qui s’en prévaut de ne pas supporter :

  • D’une part, l’intégralité du poids de la dette cautionnée qui est réparti entre tous les cofidéjusseurs
  • D’autre part, la charge des recours à exercer à l’encontre des autres cautions qui pèse, dans un premier temps, sur le créancier

B) Domaine

Si l’article 2306 du Code civil présente le bénéfice de discussion comme pouvant être invoqué par n’importe quelle caution, il assortit, dans le même temps, le principe de sérieuses exceptions.

Le troisième alinéa de ce texte précise, en effet, que « ne peuvent se prévaloir du bénéfice de division les cautions solidaires entre elles, ni les cautions qui ont renoncé à ce bénéfice. »

Il ressort de cette disposition que le bénéfice de discussion est, en réalité, réservé à une catégorie limitée de cautions, à telle enseigne que l’on peut légitimement se demander si le domaine des exceptions ne serait plus étendu que le champ d’application du principe.

==> Les cautions autorisées à se prévaloir du bénéfice de discussion

En premier lieu, l’article 2306 du Code civil exige de celui qui se prévaut du bénéfice de division qu’il justifie de sa qualité de caution.

Aussi, ce bénéfice ne peut être invoqué que dans le cadre d’un contrat de cautionnement. Il ne saurait, par exemple, opérer au profit du souscripteur d’une garantie autonome, d’une lettre d’intention ou encore d’un aval.

En deuxième lieu, seule la caution simple peut se prévaloir du bénéfice de division soit celle qui :

  • D’une part, ne s’est pas engagée solidairement avec les autres cautions
  • D’autre part, n’a pas renoncé au bénéfice de division

En troisième lieu, il est indifférent que le contrat de cautionnement souscrit soit conventionnel, légal ou judiciaire.

Il y a là une différence avec le bénéfice de discussion qui est inapplicable en présence d’un engagement de caution judiciaire.

En quatrième lieu, à la différence du bénéfice de discussion, il n’est pas admis que le bénéfice de division puisse être invoqué par la caution réelle, soit celle qui a constitué une sûreté réelle en garantie de la dette d’autrui.

À l’occasion de la réforme du droit des sûretés opérée par l’ordonnance du n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le législateur a fait le choix de maintenir la solution qui avait été adoptée sous l’empire du droit antérieur.

Pour mémoire, la Cour de cassation avait jugé, dans un arrêt du 6 mars 1979, que « le bénéfice de discussion et le bénéfice de division ne sont pas accordés à la caution réelle en l’absence de stipulation contraire » (Cass. 1ère civ. 6 mars 1979, n°77-11.840)

==> Les cautions qui ne sont pas autorisées à se prévaloir du bénéfice de discussion

L’article 2306, al. 3e du Code civil prévoit que « ne peuvent se prévaloir du bénéfice de division les cautions solidaires entre elles, ni les cautions qui ont renoncé à ce bénéfice. »

Sont ainsi exclues du bénéfice de division deux catégories de cautions qui ne pourront donc pas obliger le créancier à diviser ses poursuites entre les cofidéjusseurs.

  • S’agissant des cautions qui se sont engagées solidairement entre elles
    • Lorsque le cautionnement comporte une clause de solidarité, la caution ne peut pas se prévaloir du bénéfice de division
    • Toutes les formes de solidarité ne sont toutefois pas visées par cette exclusion.
    • Le bénéfice de division ne sera écarté qu’en présence d’une solidarité horizontale.
    • Cette forme de solidarité affecte non pas le rapport caution-débiteur, mais les rapports entre cautions.
    • Autrement dit, elle prive les cofidéjusseurs de leur faculté d’obliger le créancier à diviser ses poursuites.
    • Il pourra dès lors actionner en paiement chaque caution prise individuellement pour la totalité de la dette.
    • À cet égard, il peut être observé que la stipulation d’une clause de solidarité entre cautions ne devrait pas d’affecter le bénéfice de discussion dont chaque cofidéjusseur reste investi tant qu’il n’y a pas renoncé.
    • Aussi, ce n’est qu’après avoir vainement poursuivi le débiteur à titre principal que le créancier pourra mobiliser la solidarité des cautions.
    • En pratique, cette situation relève du cas d’école, les établissements de crédits exigeant systématiquement que les cautions renoncent également à leur bénéfice de discussion.
  • S’agissant des cautions qui ont renoncé au bénéfice de division
    • Si le bénéfice de division est un moyen de défense efficace qui permet à la caution de contraindre le créancier à diviser ses poursuites entre tous les cofidéjusseurs, à l’instar du bénéfice de discussion, il s’agit d’une simple faculté.
    • Il n’y a là aucune automaticité dans l’application du bénéfice de division.
    • L’article 2306 prévoit d’ailleurs que c’est à la caution qu’il revient d’opposer au créancier le bénéfice de division dans le respect de certaines formes, faute de quoi ce bénéfice ne pourra pas opérer.
    • Aussi, lorsqu’elle est appelée en garantie, la caution peut parfaitement décider de renoncer au bénéfice de division.
    • La particularité de cette renonciation est qu’elle intervient en cours d’exécution du contrat de cautionnement.
    • Elle produira néanmoins les mêmes effets qu’une clause de solidarité puisque fera échec au bénéfice de division.
    • Il est admis que cette renonciation puisse être expresse ou tacite pourvu qu’elle soit certaine.
    • Il peut être observé que, en présence d’un cautionnement est souscrit par une personne physique, la renonciation au bénéfice de division n’est, a priori, pas subordonnée à la reproduction de la mention prescrite à peine de nullité à l’article 2297 du Code civil.
    • Cette mention n’est, en effet, exigée qu’au stade de la conclusion du consentement et non au cours de son exécution.

C) Conditions

En application de l’article 2306-1 du Code civil, l’exercice du bénéfice de division est subordonné à la réunion de plusieurs conditions cumulatives.

1. L’exigence d’invocation du bénéfice de division dès les premières poursuites

L’article 2306-1, al. 1er du Code civil prévoit que « le bénéfice de division doit être invoqué par la caution dès les premières poursuites dirigées contre elle. »

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • D’une part, le bénéfice de division n’opère que s’il est invoqué par la caution
  • D’autre part, l’invocation du bénéfice de division doit intervenir dès les premières poursuites

==> La charge de l’invocation

Pour opérer, le bénéfice de division doit donc nécessairement être invoqué par la caution.

Aussi, son application ne présente aucun caractère automatique ; il n’opère pas de plein droit. C’est donc à la caution qu’il appartient de faire la démarche de le soulever.

À défaut, le bénéfice de division ne pourra produire ses effets. La caution sera réputée y avoir renoncé.

Or comme précisé par l’article 2306, al. 3e du Code civil, la renonciation fait échec au bénéfice de discussion.

==> Le moment de l’invocation

L’article 2306-1, al. 1er du Code civil n’impose pas seulement à la caution de se prévaloir du bénéfice de division, il exige également que son invocation intervienne « dès les premières poursuites dirigées contre elle ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par la formule « dès les premières poursuites ».

Doit-on comprendre que c’est au stade de la mise en demeure que la caution doit opposer au créancier le bénéfice de division ou peut-elle attendre de faire l’objet d’une assignation en justice ?

Deux situations doivent être distinguées :

  • Le cautionnement a été conclu par voie d’acte sous seing privé
    • Dans cette hypothèse, le créancier est contraint d’obtenir un titre exécutoire auprès du juge pour poursuivre les cautions en exécution forcée.
    • Pour opérer, le bénéfice de division devra alors être soulevé in limine litis, soit avant toute défense au fond.
    • Le Code de procédure civile envisage, en effet, le bénéfice de division comme une exception dilatoire.
    • L’article 108 du CPC prévoit, en ce sens, que « le juge doit suspendre l’instance lorsque la partie qui le demande jouit soit d’un délai pour faire inventaire et délibérer, soit d’un bénéfice de discussion ou de division, soit de quelque autre délai d’attente en vertu de la loi. »
    • La particularité de ce moyen de défense qui relève de la catégorie des exceptions de procédures est qu’il doit être soulevé avant toute défense au fond.
    • Pour mémoire, par défense au fond il faut entendre, selon l’article 71 du CPC, « tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire. ».
    • Dès lors que l’exception de procédure est soulevée après la prise de conclusions exposant les prétentions, fussent-elles banales et de pure forme, ou l’exercice d’un recours, elle est irrecevable.
    • Ainsi, il a par exemple été jugé que le fait de s’en rapporter à justice constitue une défense au fond, interdisant ensuite de soulever une exception d’incompétence ( 2e civ., 7 juin 2007, n°06-15920).
    • Cette règle est applicable devant toutes les juridictions, y compris devant la Cour d’appel.
  • Le cautionnement a été conclu par voie d’acte notarié
    • Dans cette hypothèse, pour obtenir un titre exécutoire, il n’est pas besoin pour le créancier de saisir le juge.
    • En application de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution, les actes notariés revêtus de la formule exécutoire constituent des titres exécutoires.
    • L’exécution forcée pourra ainsi être engagée contre la caution sur la base du seul contrat de cautionnement.
    • Les « premières poursuites» ne pourront dès lors pas être envisagées comme des exceptions de procédure.
    • En présence d’un cautionnement notarié, elles correspondront au premier acte d’exécution forcée pratiqué par l’huissier de justice.
    • Il pourra s’agir notamment d’un commandement de payer ou d’une saisie-attribution.

2. L’exigence de solvabilité des cautions

==> Principe

L’article 2306-1, al. 2e du Code civil prévoit que le bénéfice de division « ne peut être mis en œuvre qu’entre cautions solvables. »

Cette disposition dispense ainsi le créancier, en présence d’une caution insolvable, de diriger ses poursuites contre cette dernière.

Il pourra alors focaliser son action sur les cautions qui sont solvables, soit celles qui sont en mesure de le désintéresser.

À cet égard, le texte prévoit que « l’insolvabilité d’une caution au jour où la division est invoquée est supportée par celles qui sont solvables. »

Illustrons ce cas de figure par un exemple : supposons que sur cinq personnes qui se sont portées cautions, l’une d’elles est notoirement insolvable.

Nonobstant le bénéfice de division, la dette sera alors divisée, non pas en cinq, mais en quatre.

L’article 2306-1, al. 2e précise que, dans l’hypothèse où l’une des cautions deviendrait insolvable postérieurement à l’invocation du bénéfice de division, celle qui s’en est prévalue ne pourra pas être recherchée à raison de cette insolvabilité.

==> Tempérament

L’article 2306-2 du Code civil apporte un tempérament à l’exigence de solvabilité des cautions dans le cadre de l’exercice du bénéfice de division.

Cette disposition prévoit que « si le créancier a divisé de lui-même son action, il ne peut plus revenir sur cette division, même s’il y avait, au temps de l’action, des cautions insolvables. »

Autrement dit, lorsque c’est le créancier qui est à l’initiative de la division des poursuites, en présence d’une caution insolvable, il ne pourra pas demander aux autres cautions, de supporter la fraction de la dette qu’il n’a pas été en capacité de recouvrer.

D) Effets

Le bénéfice de division a pour effet de contraindre le créancier à diviser ses poursuites entre toutes les cautions.

Aussi, ce dernier ne pourra-t-il réclamer à la caution qui se prévaut de ce bénéfice que sa part de la dette cautionnée ; il ne pourra pas l’actionner en paiement pour le tout.

La question qui alors se pose est de savoir comment s’opère le calcul de la part personnelle susceptible d’être réclamée à la caution qui se prévaut du bénéfice de discussion.

Pour le déterminer, deux situations doivent être distinguées :

  • Les cautions se sont toutes engagées pour le même montant
    • Dans cette hypothèse, la division se fait par part virile, laquelle est obtenue en divisant le montant de la dette cautionnée par le nombre de cautions solvables.
    • À supposer, par exemple, que trois cautions se sont engagées à garantir une dette de 120.000 euros, la part virile est égale à 120.000 / 3, soit à 40.000 euros.
  • Les cautions se sont engagées pour des montants différents
    • Dans cette hypothèse, la part contributive de chaque caution est proportionnelle au montant de son engagement.
    • Pour exemple, trois cautions se sont respectivement engagées à hauteur de 40.000 euros, 90.000 euros et 120.000 euros en garantie d’une dette de 120.000 euros
    • Pour déterminer la part contribution de chaque caution il convient :
      • D’abord, d’additionner les montants des engagements souscrits, soit 40.000 + 90.000 + 120.000 = 250.000 euros
      • Ensuite, de rapporter chaque engagement pris individuellement au montant total obtenu.
        • Soit, 40.000 / 250.000 euros, 90.000 / 250.0000 et 120.000 / 250.000 euros
      • Enfin, d’appliquer la proportion obtenue au montant de la dette garantie.
        • Soit 4/25e de 120.000 euros (19.200 euros), 9/25e de 120.000 euros (43.200 euros) et 12/25e de 120.000 euros (57.600 euros)

Il peut être observé pour conclure que le bénéfice de division ne profite qu’à la seule caution qui l’exerce.

Il en résulte que le créancier demeure libre de poursuivre les autres cautions pour le tout.

La poursuite de la caution: conditions communes à l’ensemble des cautionnements

Dans les rapports entre le créancier et la caution, la mise en œuvre du cautionnement est subordonnée à la réunion de droit conditions cumulatives:

  • L’obligation principale doit être exigible
  • Le débiteur principal doit être défaillant
  • Le créancier doit appeler en garantie la caution

I) L’exigibilité de l’obligation principale

A) Principe

Parce que le cautionnement présente un caractère accessoire, le créancier ne peut appeler en garantie la caution qu’à la condition que l’obligation principale soit exigible.

Pour mémoire, une créance est exigible lorsque le terme de l’obligation est arrivé à l’échéance.

Aussi, est-ce la survenance du terme de l’obligation principale qui rend exigible l’obligation de la caution.

En principe, il y a concomitance de l’exigibilité des obligations auxquelles sont respectivement tenus la caution et le débiteur principal (V. en ce sens Cass. com. 19 févr. 1979, n°77-13.340).

Cette concomitance n’est toutefois pas systématique. Elle est susceptible d’être remise en cause, tantôt par les parties elles-mêmes, tantôt par des évènements affectant le terme de l’obligation principale.

B) Mise en œuvre

1. La fixation de la date d’exigibilité de l’obligation de la caution

==>Principe

La plupart du temps, le contrat de cautionnement est silencieux sur la date d’exigibilité de l’obligation de caution.

La conséquence en est que cette obligation emprunte à l’obligation principale son terme et devient donc exigible au même moment.

Il y a ainsi concomitance des deux dates d’exigibilité, si bien que la caution suit le sort du débiteur principal.

Cette règle n’est toutefois pas d’ordre public ; à tout le moins les parties peuvent y déroger, dans une certaine mesure, par convention contraire et prévoir une date d’exigibilité de l’engagement de caution différente de celle de l’obligation principale.

==> Aménagements

  • Les aménagements autorisés
    • Il est admis que les parties puissent stipuler une date d’exigibilité de l’obligation de caution au-delà du terme de l’obligation principale.
    • Une telle clause vise à différer dans le temps l’appel en garantie de la caution dont le sort est, dès lors, dissocié de celui du débiteur garanti.
    • En effet, l’engagement de caution deviendra exigible, non pas à l’arrivée du terme de l’obligation principale, mais à la date d’exigibilité fixée dans le contrat de cautionnement (V. en ce sens 1ère civ. 19 juin 2001, n°98-16.183).
  • Les aménagements interdits
    • L’article 2296 du Code civil prévoit que le cautionnement ne peut « être contracté sous des conditions plus onéreuses».
    • Cela signifie que l’engagement de caution ne peut pas être assorti de modalités plus rigoureuses que celles stipulées pour l’obligation principale.
    • Il en résulte que le créancier ne saurait exiger de la caution qu’elle règle la dette garantie à une échéance plus rapprochée que celle stipulée pour le débiteur principal.
    • Une clause qui conférerait cette faculté au créancier serait réputée nulle, dans la mesure où cela reviendrait à obliger la caution plus sévèrement que le débiteur principal.

2. Les incidences des évènements affectant l’exigibilité de l’obligation principale

Lorsqu’une obligation est assortie d’un terme suspensif son exigibilité est suspendue à la réalisation d’un événement déterminé par les parties ou le cas échéant par la loi.

Tant que cet événement ne s’est pas réalisé, le créancier ne peut pas en réclamer l’exécution.

La question qui alors se pose est de savoir si des événements qui affectent l’exigibilité d’une obligation cautionnée sont susceptibles de se répercuter sur l’engagement de caution.

Le caractère accessoire du cautionnement suggère d’apporter une réponse positive à cette question.

La position adoptée par la jurisprudence est toutefois plus nuancée. Les juridictions ont, en effet, cherché à trouver un équilibre entre les intérêts, parfois contradictoires, des personnes intéressées à l’opération de cautionnement.

Quant à la loi, elle est venue clarifier le débat lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations.

À l’analyse, deux événements affectant l’exigibilité de l’obligation principale sont source de difficulté :

  • La déchéance du terme
  • La prorogation du terme

a. La déchéance du terme de l’obligation principale

La déchéance du terme est une sanction qui consiste à priver le débiteur du bénéfice du terme, soit de la suspension de l’exigibilité de l’obligation.

Il s’ensuit que l’obligation devient immédiatement exigible, ce qui offre la possibilité, pour le créancier, d’engager des poursuites.

Les cas de déchéance du terme sont d’origine légale et conventionnelle.

Pour exemple, il est courant sinon systématique que les contrats de prêt stipulent que, en cas de non-remboursement d’une échéance par l’emprunteur, la somme prêtée devient immédiatement exigible dans son intégralité.

On peut encore signaler l’article 1305-4 du Code civil qui dispose que « le débiteur ne peut réclamer le bénéfice du terme s’il ne fournit pas les sûretés promises au créancier ou s’il diminue celles qui garantissent l’obligation. »

Quel que soit le cas de déchéance du terme invoqué par le créancier, lorsque cet événement frappe une obligation cautionnée, la question s’est posée de savoir si cette déchéance rendait exigible l’engagement de caution.

Deux thèses se sont affrontées :

  • Première thèse
    • Cette thèse consiste à soutenir que la déchéance du terme serait opposable à la caution.
    • Pour les tenants de cette thèse, la déchéance du terme ne serait autre qu’une manifestation de la défaillance du débiteur.
    • Or c’est précisément la finalité du cautionnement que de garantir cette défaillance.
    • L’opposabilité de la déchéance du terme de l’obligation principale à la caution se justifierait d’autant plus que le cautionnement présente un caractère accessoire.
    • Tous les événements affectant l’obligation garantie devraient, dans ces conditions, se répercuter sur l’obligation de caution.
    • À cet égard, les textes abordant le caractère accessoire du cautionnement ne distinguent pas selon que les effets qui en résultent intéressent l’existence de l’obligation principale ou son exigibilité.
  • Seconde thèse
    • Cette thèse consiste à soutenir que la déchéance du terme serait inopposable à la caution.
    • C’est la force obligatoire dont est pourvu le contrat de cautionnement qui s’opposerait à ce que l’exigibilité de l’engagement souscrit par la caution puisse être affectée par un élément extérieur à la convention conclu entre les parties.
    • Bien que le cautionnement présente un caractère accessoire, la caution s’est engagée en considération du terme suspensif de l’obligation principale.
    • Aussi, ne saurait-on rendre son obligation exigible avant la date fixée dans le contrat cautionné.

Dans un premier temps, la jurisprudence a opté pour la seconde thèse en considérant que la déchéance du terme était inopposable à la caution

La Cour de cassation a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 20 décembre 1976 aux termes duquel elle refuse d’étendre à la caution la déchéance du terme qui était encourue par le débiteur principal (Cass. 1ère civ. 20 déc. 1976, n°75-12.439).

Plus récemment, elle a encore jugé « qu’en l’absence d’une clause contraire, dont l’existence n’était pas alléguée en l’espèce, la déchéance du terme résultant de la liquidation judiciaire du débiteur principal n’avait d’effet qu’à l’égard de celui-ci et était sans incidence sur la situation de la caution poursuivie en paiement » (Cass. com. 4 nov. 2014, n°12-35.357).

Dans un deuxième temps, la Cour de cassation est venue préciser que les parties demeuraient libres de stipuler une clause prévoyant que la déchéance du terme de l’obligation principale entraînerait, par là même, l’exigibilité de l’engagement de caution.

Elle a jugé en ce sens que « la déchéance du terme encourue par le débiteur principal défaillant ne s’étend pas en principe à la caution solidaire poursuivie en paiement sauf si celui-ci a étendu contractuellement son engagement au cas de déchéance du terme » (Cass. 1ère civ. 30 oct. 1984, n°82-14.062).

Dans un troisième temps, le législateur est intervenu afin de clarifier la règle posée par la jurisprudence.

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations a, en effet, inséré dans le Code civil un article 1305-5 qui prévoit que « la déchéance du terme encourue par un débiteur est inopposable à ses coobligés, même solidaires, et à ses cautions. »

Il ressort de cette disposition que le législateur a entendu consacrer le principe d’inopposabilité de la déchéance du terme à la caution.

Le créancier devra, en conséquence, attendre la survenance de l’échéance pour actionner les coobligés ou la caution en paiement.

Cette règle se justifie par la nature de la déchéance du terme qui n’est autre qu’une sanction.

Il s’agit, plus précisément, d’une sanction qui présente un caractère purement personnel.

Aussi, ne saurait-elle produire d’effet sur les coobligés du débiteur déchu lesquels n’ont commis aucune faute, sauf texte spécial dérogeant à cette règle.

Il peut être observé que, initialement, l’article 1305-5 du Code civil introduit par l’ordonnance du 10 février 2016 ne visait que les seuls coobligés.

La question s’est alors posée de savoir si la règle énoncée par ce texte s’appliquait également aux cautions.

Il ressort de la lecture du rapport au Président de la République que le législateur entendait inclure dans le domaine de la règle, tant les codébiteurs, que les cautions.

Reste que, stricto sensu, le terme « coobligés » fait référence aux codébiteurs seulement.

Afin de clarifier le flou juridique dénoncé par la doctrine, le législateur est intervenu, une nouvelle fois, à l’occasion de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance aux fins de compléter l’article 1305-5 du Code civil. Cette disposition vise désormais expressément les cautions du débiteur déchu.

À cet égard, il y a lieu de noter que la règle énoncée est supplétive. Il en résulte qu’il peut y être dérogé par convention contraire.

Les parties sont donc libres de prévoir que la déchéance du terme de l’obligation principale est opposable à la caution (Cass. 1ère civ. 30 oct. 1984, n°82-14.062).

Dans un arrêt du 11 juillet 1988, la Chambre commerciale a, par exemple, considéré que valait renonciation au principe d’inopposabilité de la déchéance du terme, la clause figurant dans l’acte de cautionnement stipulant que « toutes les clauses et conditions du contrat de crédit-bail lui soient opposables comme si ledit contrat avait été revêtu de sa propre signature » (Cass. com. 11 juillet 1988, n°86-11.689).

b. La prorogation du terme de l’obligation principale

i. Contenu de la règle

La prorogation du terme consiste à différer l’exigibilité d’une obligation, de sorte que le créancier devra attendre la survenance du nouveau terme avant de réclamer le paiement de sa créance.

Cette situation se rencontre notamment lorsque le débiteur se voit octroyer un délai de paiement.

À l’instar de la déchéance du terme, la question s’est posée de savoir si la prorogation du terme consentie au débiteur principal pouvait profiter à la caution.

Le caractère accessoire du cautionnement devrait conduire à répondre positivement à cette question.

Une partie de la doctrine a toutefois soutenu qu’il y avait lieu de faire primer la force obligatoire du contrat de cautionnement.

La caution s’étant engagée à garantir le débiteur à la date initialement prévue au contrat, rien ne justifie que l’on diffère l’exigibilité de son obligation de payer. La prorogation ne devrait donc pas lui profiter.

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 2316 du Code civil prévoyait que « la simple prorogation de terme, accordée par le créancier au débiteur principal, ne décharge point la caution, qui peut, en ce cas, poursuivre le débiteur pour le forcer au paiement. »

Il ressortait de cette disposition que la prorogation du terme de l’obligation principale se répercutait sur le cautionnement qui donc était maintenu au-delà du terme initial.

Il était toutefois précisé que la caution disposait de la faculté de « forcer au paiement » le débiteur.

À ce titre, il était admis qu’elle puisse :

  • Soit entreprendre mes mesures conservatoires à l’encontre du débiteur principal
  • Soit payer directement le créancier à l’échéance prévue initialement et se retourner ensuite contre le débiteur

Cette faculté ouverte à la caution lui a été conférée en raison du risque que la prorogation est susceptible de lui faire courir.

En effet, l’octroi d’un délai de paiement est, la plupart du temps, le signe de la mauvaise santé financière du débiteur. La prorogation s’analyse donc en une dernière chance laissée au débiteur avant l’exercice de poursuites par le créancier.

Parce que la situation du débiteur est susceptible de se dégrader au cours de la période contractuelle prorogé, le législateur a ouvert une option à la caution :

  • Soit elle se prévaut de la prorogation du terme, considérant que le débiteur est en capacité de se redresser et de désintéresser le créancier à la nouvelle date fixée dans l’accord de prorogation
  • Soit elle anticipe la défaillance du débiteur et engage des mesures afin de contraindre au paiement le débiteur principal

==> Réforme des sûretés

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a reconduit la règle anciennement énoncée à l’ancien article 2316 du Code civil.

Le nouvel article 2320 prévoit en ce sens que « la simple prorogation de terme, accordée par le créancier au débiteur principal, ne décharge pas la caution. »

Ainsi, comme le prévoyait l’ancien texte, et comme les juges le rappellent régulièrement, la prorogation de l’obligation principale ne libère pas la caution.

En revanche, conformément à la règle de l’accessoire, la caution peut se prévaloir de cette prorogation pour refuser de payer le créancier avant l’échéance ainsi reportée.

Compte tenu de la suppression du recours avant paiement qui, sous l’empire du droit antérieur, pouvait être exercé par la caution en cas de prorogation de l’obligation principale, pour compenser cette suppression, le nouvel article 2320 du Code civil prévoit que lorsque le terme initial est échu, la caution peut :

  • Soit payer le créancier – qui ne pourra pas refuser le paiement – et se retourner contre le débiteur
  • Soit, en vertu des dispositions du livre V du code des procédures civiles d’exécution, solliciter la constitution d’une sûreté judiciaire sur tout bien du débiteur à hauteur des sommes garanties.

Si la caution exerce cette seconde option, elle est présumée justifier de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance, sauf preuve contraire apportée par le débiteur.

Elle n’aura donc pas à rapporter la preuve exigée par l’article 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution.

Le rapport au Président de la République précise que « l’article R. 511-7 du code des procédures civiles d’exécution impose au créancier d’introduire, dans le délai d’un mois à compter de la réalisation de la mesure conservatoire, une procédure pour obtenir un titre exécutoire. »

La caution étant dans l’impossibilité de respecter cette condition puisque la dette n’est pas exigible, cette disposition sera complétée par voie réglementaire pour prévoir que le délai d’un mois court dans cette hypothèse à compter du paiement du créancier par la caution.

Par crainte que la situation du débiteur ne s’aggrave, la caution peut également préférer ignorer cette prorogation du terme et payer le créancier, ce qui lui permet d’exercer immédiatement son recours contre le débiteur.

En tout état de cause, l’article 2320 ne fait pas obstacle à des aménagements contractuels différents ; en particulier, les parties peuvent toujours prévoir que le créancier a l’interdiction d’accorder une prorogation du terme au débiteur principal sans l’accord de la caution.

ii. Domaine de la règle

Il s’infère de l’article 2320 du Code civil que l’absence de décharge de la caution en cas de prorogation du terme ne joue que dans l’hypothèse où elle est « accordée par le créancier au débiteur principal ».

Il convient donc d’aborder différemment cette prorogation, selon qu’elle est volontairement consentie par le créancier ou selon qu’elle est imposée.

==> La prorogation du terme volontaire

Dans l’hypothèse où la prorogation du terme de l’obligation principale est volontairement consentie par le créancier, la caution n’est pas déchargée de son engagement.

Cette situation se rencontrera notamment lorsque le créancier aura octroyé au débiteur principal un délai de paiement.

À cet égard, il est indifférent que la prorogation du terme soit expresse ou tacite. Dans le second cas, cela pourra se traduire par l’inaction du créancier à l’échéance de l’obligation garantie.

Lorsque cette situation se présente, la jurisprudence estime que la caution n’en reste pas moins tenue à son engagement (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 oct. 1971, n°69-13.473).

En contrepartie de l’absence de décharge, la caution simple pourra se prévaloir du délai de paiement consenti – peu importe qu’il soit exprès ou tacite – et l’opposer au créancier qui ne pourra donc engager aucune poursuite à l’encontre de cette dernière.

En d’autres termes, la caution bénéficie de tous les délais de paiement octroyés par le créancier au débiteur principal. C’est là une autre conséquence du caractère accessoire du cautionnement.

Si donc la prorogation du terme consenti volontairement par le créancier au débiteur principal profite, de plein droit, à la caution, il est admis que les parties au contrat de cautionnement puissent déroger à la règle.

Comme précisé par le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 15 septembre 2021, l’article 2320 ne fait pas obstacle à des aménagements contractuels différents ; en particulier, les parties peuvent toujours prévoir que le créancier a l’interdiction d’accorder une prorogation du terme au débiteur principal sans l’accord de la caution.

Elles sont encore libres de stipuler que la prorogation du terme de l’obligation principale aura pour effet de décharger la caution de son obligation.

Elles pourront enfin convenir que la prorogation de l’obligation principale sera sans incidence sur la durée de l’engagement de caution qui prendra fin à la date fixée dans l’acte.

Si, l’application d’une telle clause ne soulève pas de difficulté particulière lorsque la prorogation est expresse, plus délicate est sa mise en œuvre lorsque la prorogation procède de l’inaction du créancier.

Dans la mesure où celui-ci n’a pas formalisé, à tout le moins, exprimé sa volonté de proroger le terme de l’obligation principale, la question se pose de savoir si la caution peut se prévaloir de la clause qui aménage la règle énoncée à l’article 2320 du Code civil.

Ainsi, par exemple, la clause prévoyant la décharge de la caution en cas de prorogation du terme peut-elle jouer dans l’hypothèse où le créancier n’actionne pas en paiement le débiteur principal.

Deux approches radicalement opposées peuvent être adoptées :

  • Du point de vue du créancier, il peut être argué que son inaction ne signifie pas qu’il a entendu consentir à une prorogation du terme de l’obligation principale. En conséquence, la caution ne pourrait, en aucune manière, se prévaloir du bénéfice d’une clause dont la mie en œuvre a pour fait générateur la prorogation du terme
  • Du point de vue de la caution, il peut être avancé que l’inaction du créancier s’apparente à un délai de paiement et donc à une prorogation du terme de l’obligation principale. Dans ces conditions, la caution devrait pouvoir se prévaloir des effets de la clause attachée à cette prorogation.

À l’analyse, la Cour de cassation n’exclut aucune de ces deux approches. Elle raisonne au cas par cas en s’appuyant sur l’appréciation souveraine des juges du fond.

Dans un arrêt du 7 juin 1978, elle a, par exemple, estimé que l’inaction prolongée du créancier entre le 1er septembre 1971 et le 3 mai 1973, soit pendant une période de vingt et un mois s’analysait en un délai de paiement (Cass. 1ère civ. 7 juin 1978, n°77-10.444).

La solution retenue par la Première chambre civile aurait sans doute été radicalement différente si le créancier avait agi dans un délai raisonnable ou aurait justifié, par la réalisation de démarches amiables par exemple, de son inertie (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 1er déc. 1993, .n°91-19.973).

Ce qu’il y a lieu de retirer de la jurisprudence, c’est que l’inaction du créancier ne s’apparente pas nécessairement à une prorogation tacite du terme de l’obligation principale.

Les juges rechercheront, pour déterminer si la caution est ou non déchargée de son obligation, l’existence chez le créancier d’une intention d’octroyer un délai de paiement.

Cette intention pourra se déduire notamment du délai durant lequel ce dernier est resté inactif, des démarches entreprises par lui, de la nature de la relation d’affaires entretenue avec le débiteur principal et plus généralement des circonstances.

==> La prorogation du terme imposée

Pou mémoire, l’article 2320 du Code civil prévoit que l’absence de décharge de la caution en cas de prorogation du terme ne joue que dans l’hypothèse où elle est « accordée par le créancier au débiteur principal ».

Il s’en déduit que lorsque la prorogation est imposée au créancier, parce qu’elle procède, soit d’une décision du juge, soit de l’effet de la loi, la règle énoncée par ce texte n’est pas applicable.

L’article 1343-5 du Code civil prévoit, par exemple, que « le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. »

Lorsqu’ainsi un délai de grâce est octroyé au débiteur, cette situation ne fera pas obstacle à ce que la caution soit poursuivie par le créancier à l’échéance initiale prévue au contrat cautionné.

La raison en est que l’octroi d’un délai de grâce n’est autre qu’une manifestation de la défaillance du débiteur qui, s’il ne bénéficie pas de cette mesure de faveur, ne pourra pas régler le créancier.

Or le cautionnement a précisément pour finalité de garantir le risque de défaillance. D’où le refus du législateur de faire profiter la caution de la mesure accordée par le juge.

Ce raisonnement s’applique également au débiteur qui bénéficie de délais de paiement dans le cadre d’une procédure de surendettement ouverte à son endroit.

C’est la raison pour laquelle, dans un arrêt du 3 mars 1998, la Cour de cassation a estimé que « le redressement judiciaire civil ne prive pas le créancier des garanties qui lui ont été consenties ; que la caution ne peut se prévaloir, pour se soustraire à son engagement, des mesures arrêtées par le juge en faveur du débiteur surendetté » (Cass. 1ère civ. 3 mars 1998, n°96-10.753).

En contrepartie, il est admis que la caution puisse exercer son recours contre le débiteur principal, nonobstant la prorogation du terme dont il a bénéficié dans le cadre du surendettement.

S’agissant d’une procédure de prévention ou de traitement des difficultés des entreprises, le sort réservé par le législateur et la jurisprudence à la caution est radicalement différent.

Cette dernière peut se prévaloir d’un certain nombre de mesures de faveur octroyé au débiteur principal et notamment de la suspension des poursuites individuelles.

Plusieurs situations doivent être envisagées.

  • En matière de procédure de conciliation, l’article L. 611-10-2 du Code de commerce prévoit que « les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir des mesures accordées au débiteur en application du cinquième alinéa de l’article L. 611-7 ou du deuxième alinéa de l’article L. 611-10-1 ainsi que des dispositions de l’accord constaté ou homologué. »
  • En matière de procédure de sauvegarde, l’article L. 622-28 du Code de commerce prévoit que « le jugement d’ouverture suspend jusqu’au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie. Le tribunal peut ensuite leur accorder des délais ou un différé de paiement dans la limite de deux ans. »
  • En matière de procédure de redressement judiciaire, l’article L. 631-14 du Code civil prévoit que s’applique la même règle que celle énoncée pour la procédure de sauvegarde : la caution bénéficie de la suspension des poursuites individuelles contre le débiteur principal
  • En matière de procédure de liquidation judiciaire, la situation diffère sensiblement des autres procédures collectives dans la matière où elle n’a pas pour effet de suspendre les poursuites individuelles. Elle provoque seulement la déchéance du terme des obligations souscrites par le débiteur principal. Régulièrement, la jurisprudence rappelle que cette déchéance du terme est inopposable à la caution qui donc ne peut être poursuivie qu’à la date d’exigibilité initiale de la créance garantie. Dans un arrêt du 4 novembre 2014, la Cour de cassation a jugé en ce sens « qu’en l’absence d’une clause contraire, dont l’existence n’était pas alléguée en l’espèce, la déchéance du terme résultant de la liquidation judiciaire du débiteur principal n’avait d’effet qu’à l’égard de celui-ci et était sans incidence sur la situation de la caution poursuivie en paiement» ( com. 4 nov. 2014, n°12-35.357).

II) La défaillance du débiteur principal

Pour mémoire, l’article 2288 du Code civil définit le cautionnement comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il ressort de cette disposition que la mise en œuvre du cautionnement est subordonnée à « la défaillance » du débiteur principal.

Que faut-il entendre par défaillance ? Il s’agit de la non-satisfaction du créancier et plus précisément l’inexécution par le débiteur cautionné de l’obligation principale à l’échéance.

Lorsque cette situation se produit, il appartient au créancier d’entreprendre deux mesures :

  • Informer la caution de la défaillance du débiteur principal
  • Constater la défaillance du débiteur

A) S’agissant de l’information de la caution de la défaillance du débiteur

En application de l’article 2303 du Code civil, pèse sur le créancier professionnel l’obligation d’informer la caution de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement.

À l’instar de l’obligation d’information relative à l’étendue de l’engagement de caution, l’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur a, sous l’empire du droit antérieur, fait l’objet de plusieurs consécrations.

Son régime variait néanmoins d’un texte à l’autre au gré des interventions du législateur.

==> Loi du 31 décembre 1989

L’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur a été consacrée, pour la première fois, par la loi n°89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, dite loi Neiertz.

L’objectif recherché était de renforcer la protection de la caution et plus précisément de limiter la survenance des cas de surendettement « par ricochet » résultant de la mise en œuvre du cautionnement.

Cette loi a inséré un article L. 313-9 dans le Code de la consommation qui prévoyait que « toute personne physique qui s’est portée caution à l’occasion d’une opération de crédit relevant des chapitres Ier ou II du présent titre doit être informée par l’établissement prêteur de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement caractérisé susceptible d’inscription au fichier institué à l’article L. 333-4. »

Le domaine de l’obligation visée par ce texte était limité aux opérations de crédit à la consommation et de crédit immobilier.

==> Loi du 29 juillet 1998

La loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions a, par suite, étendu l’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur à deux catégories d’opérations :

  • Première catégorie d’opérations : les cautionnements souscrits en garantie d’une dette contractée par un entrepreneur individuel
    • La loi du 29 juillet 1998 a inséré dans la loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle d’un article 47, II, al. 3e qui prévoyait que « lorsque le cautionnement est consenti par une personne physique pour garantir une dette professionnelle d’un entrepreneur individuel ou d’une entreprise constituée sous forme de société, le créancier informe la caution de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l’exigibilité de ce paiement.»
  • Seconde catégorie d’opérations : les cautionnements conclus entre un créancier professionnel et une caution personne physique
    • La loi du 29 juillet 1998 a inséré un article L. 341-1 dans le Code de la consommation (devenu L. 333-1) qui prévoyait que « sans préjudice des dispositions particulières, toute personne physique qui s’est portée caution est informée par le créancier professionnel de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l’exigibilité de ce paiement.»

À l’analyse, ces deux textes conféraient une portée quasi générale à l’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur principal.

Reste qu’ils se recoupaient entre eux ainsi qu’avec la disposition adoptée dix ans plus tôt par la loi Neiertz.

De l’avis général des auteurs, il était nécessaire de remédier à cette situation, ce que le législateur a fait à l’occasion de la réforme du droit des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021.

==> Ordonnance du 15 septembre 2021

L’ordonnance du 15 septembre 2021 a, comme précisé par le rapport au Président de la République qui l’accompagnait, unifié l’obligation d’information sur la défaillance du débiteur principal.

Cette obligation a été sortie du Code de la consommation pour être insérée dans le Code civil.

Aussi, est-elle désormais envisagée par un seul texte : l’article 2303 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « le créancier professionnel est tenu d’informer toute caution personne physique de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l’exigibilité de ce paiement, à peine de déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus entre la date de cet incident et celle à laquelle elle en a été informée. »

Afin d’appréhender le régime de cette obligation dont est créancière la caution, il convient d’envisager successivement son domaine d’application, son contenu, sa mise en œuvre et la sanction du défaut de son exécution.

1. Domaine de l’obligation relative à la défaillance du débiteur principal

a. Domaine quant aux personnes

Il ressort de l’article 2303 du Code civil que l’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur s’applique aux cautionnements conclus entre :

  • D’une part, une caution personne physique
  • D’autre part, un créancier professionnel

S’agissant de la caution, il est donc indifférent qu’elle soit avertie ou profane. Ce qui importe, c’est qu’il s’agisse d’une personne morale.

L’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur principal n’a donc pas vocation à s’appliquer en présence d’une caution personne morale.

S’agissant du créancier, l’article 2302 du Code civil exige qui endosse la qualité de professionnel.

Pour mémoire, au sens du droit de la consommation, le professionnel est défini par l’article liminaire du Code de la consommation comme « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel. »

Le professionnel peut donc indistinctement être, une personne physique, une personne morale, une personne privée, une personne publique ou encore une personne investie d’un pouvoir de représentation.

Dans un arrêt du 9 juillet 2009, la Cour de cassation a, précisé, au sujet d’un cautionnement, que « le créancier professionnel s’entend de celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale » (Cass. 1ère civ. 9 juill. 2009, n°08-15.910).

C’est donc le critère du rapport direct entre le cautionnement et l’activité exercée par le créancier qui permet de déterminer si celui-ci endosse la qualité de professionnel, faute de quoi il sera considéré, soit comme un consommateur, soit comme un non-professionnel.

b. Domaine quant aux opérations

En application de l’article 2325 du Code civil, l’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur s’applique, tant aux cautionnements personnels, qu’aux cautionnements réels.

À l’instar de l’obligation d’information annuelle, cette obligation n’a pas vocation à s’appliquer en matière d’aval (Cass. com. 16 juin 2009, n°08-14.532).

2. Contenu de l’obligation relative à la défaillance du débiteur principal

L’information due à la caution en application de l’article 2303 du Code civil porte sur « le premier incident de paiement ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par cette formule. Qu’est-ce qu’un premier incident de paiement ?

Le texte apporte une précision sur ce point. Il indique que constitue un incident de paiement ce qui n’est pas « régularisé dans le mois de l’exigibilité de ce paiement ».

Cela signifie que passé le délai d’un mois à compter de la date d’exigibilité de l’obligation principale, en l’absence de paiement réalisé par le débiteur, le créancier doit en informer la caution.

3. La mise en œuvre de l’obligation relative à la défaillance du débiteur principal

L’article 2303 du Code civil n’impose aucune forme s’agissant de la notification de l’information due à la caution.

Reste que le créancier devra se prémunir de toute contestation quant à la délivrance de l’information, raison pour laquelle l’envoi d’un courrier recommandé avec accusé de réception est préconisé.

Quant au délai d’envoi, le texte est également silencieux sur ce point. Il se limite à indiquer que l’information doit être notifiée à la caution consécutivement au premier incident de paiement non régularisé.

On en déduit que le créancier devra agir dans un délai raisonnable et donc ne pas attendre qu’un deuxième incident de paiement survienne.

En tout état de cause, il devra être en mesure de prouver, tant la date d’envoi du courrier, que son contenu, ce qui soulève les mêmes difficultés que la preuve de la délivrance de l’information annuelle prescrite à l’article 2302 du Code civil.

4. La sanction de l’obligation relative à la défaillance du débiteur principal

L’article 2303 du Code civil prévoit que le manquement à l’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur est sanctionné par la déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus entre la date de l’incident de paiement et celle à laquelle la caution en a été informée.

Autrement dit, le créancier sera privé de la possibilité de réclamer à la caution le paiement des intérêts pour la période comprise entre le premier incident de paiement et la date à laquelle il a régularisé sa situation.

À cet égard, l’alinéa 2 du texte ajoute que « dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette. »

À l’analyse, la sanction applicable est ici sensiblement la même que pour la violation de l’obligation d’information annuelle, à la nuance près que la déchéance couvre non seulement les intérêts contractuels, mais également les pénalités éventuellement dues par le débiteur.

Dans un arrêt du 3 octobre 2018, la Cour de cassation a précisé que « la déchéance du droit aux intérêts prévue en cas de manquement par la banque à son obligation d’information envers la caution dès le premier incident de paiement n’est pas subordonnée à la preuve d’un préjudice » (Cass. com. 3 oct. 2018, n°17-19.514).

B) S’agissant du constat de la défaillance du débiteur

==> Principe

Ainsi qu’il l’a été indiqué précédemment, la défaillance du débiteur principal consiste en l’absence de règlement du créancier à l’échéance.

La question s’est alors posée de savoir en doctrine si cette défaillance devait ou non être formellement constatée.

Deux thèses se sont affrontées :

  • Première thèse
    • La mise en œuvre du cautionnement supposerait que, au préalable, le débiteur ait été formellement mis en demeure de payer.
    • Aussi, serait-ce à la condition que cette mise en demeure soit restée vaine que le créancier pourrait actionner la caution en paiement
    • Au soutien de cette thèse, il a été avancé que le cautionnement présente un caractère accessoire, de sorte que la caution n’a vocation à intervenir qu’à titre subsidiaire.
    • C’est donc la subsidiarité du cautionnement qui justifierait que le débiteur soit mis en demeure de payer préalablement à toute action engagée à l’encontre de la caution
  • Seconde thèse
    • La seule survenance de l’échéance de l’obligation principale autoriserait le créancier à actionner en paiement la caution.
    • Il ne serait donc pas besoin de mettre en demeure le débiteur au préalable ; la caution pourrait être immédiatement appelée en garantie dès lors qu’il est établi que l’obligation principale est exigible

Après une période d’hésitation, les auteurs se sont accordés pour dire que, au fond, il n’existe aucune incompatibilité entre ces deux thèses.

Pour les concilier, il suffit de distinguer selon que l’on est en présence d’un cautionnement simple ou d’un cautionnement solidaire.

Tandis que la première thèse trouve application en présence d’un cautionnement simple, la seconde se vérifie en présence d’un cautionnement solidaire.

  • Le cautionnement simple
    • Le cautionnement simple présente la particularité de conférer à la caution le droit d’opposer au créancier ce que l’on appelle le bénéfice de discussion.
    • En application de l’article 2305 du Code civil, ce bénéfice permet « d’obliger le créancier à poursuivre d’abord le débiteur principal. »
    • Pratiquement, cela signifie que la caution ne pourra être actionnée en paiement qu’à la condition que le débiteur ait été vainement mis en demeure d’exécuter son obligation.
    • Ce n’est qu’une fois cette démarche accomplie que le créancier pourra appeler la caution en garantie.
    • La première thèse est ainsi vérifiée : la défaillance du débiteur devra être formellement constatée – via une mise en demeure du débiteur – préalablement à toute poursuite de la caution
  • Le cautionnement solidaire
    • Lorsque le cautionnement est solidaire la caution renonce, par hypothèse, à se prévaloir du bénéfice de discussion.
    • Il s’en déduit que le créancier n’est pas tenu d’engager des poursuites à l’endroit du débiteur principal préalablement à l’appel en garantie de la caution.
    • En présence d’un cautionnement solidaire, il n’est donc pas besoin que la défaillance du débiteur soit formellement constatée ; la seule survenance de l’échéance de l’obligation principale autorise le créancier à agir contre la caution

==> Aménagement contractuel

Si la défaillance du débiteur principale est une condition de mise en œuvre du cautionnement à laquelle les parties ne peuvent pas déroger, elles demeurent libres de subordonner l’appel en garantie de caution à l’observance de conditions.

Ils peuvent ainsi, parfaitement convenir que la caution ne pourra être actionnée en paiement qu’à la condition que le débiteur principal ait été vainement mis en demeure de régler le créancier.

Elles peuvent encore prévoir qu’aucune poursuite ne saurait être engagée à l’endroit de la caution, tant que le débiteur n’a pas fait l’objet d’une condamnation définitive.

On peut également imaginer que le contrat de cautionnement dispense le créancier de toutes poursuites amiables ou judiciaires préalablement à l’appel en garantie de la caution.

III) L’appel en garantie de la caution

A) Les diligences entreprises par le créancier

1. Les diligences obligatoires

a. La mise en demeure de la caution

i. L’exigence de mise en demeure

==> Principe

En application de l’article 1217 du Code civil, le créancier qui entend appeler en garantie la caution doit, au préalable, la mettre en demeure de payer en lieu et place du débiteur principal.

Pour mémoire, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier commande à son débiteur d’exécuter son obligation.

Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.

==> Exception

L’article 1344 du Code civil dispose que les parties au contrat peuvent prévoir que l’exigibilité des obligations prévues au contrat vaudra mise en demeure du débiteur.

Dans cette hypothèse, l’appel en garantie de la caution ne sera donc pas subordonné à sa mise en demeure.

==> Sanctions

L’absence de mise en demeure peut être invoquée par la caution comme un moyen de défense au fond aux fins de faire échec aux prétentions du créancier.

ii. Formalisme

==> Mentions

Pour valoir mise en demeure, plusieurs mentions doivent y figurer :

  • Date de l’acte
  • Identité du créancier
    • Si le requérant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance
    • Si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement
  • Les nom et domicile du destinataire, ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social

==> Contenu de l’acte

La mise en demeure doit comporter :

  • Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
  • Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à la mise en demeure
  • La menace d’une sanction

==> Notification

En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure peut être notifiée au débiteur :

  • Soit par voie de signification
  • Soit au moyen d’une lettre missive

iii. Effets

La mise en demeure de la caution emporte notamment deux effets :

  • Elle ouvre droit à l’introduction d’une action en justice en cas d’inaction de la caution
  • Elle fait courir l’intérêt moratoire au taux légal

b. L’obtention d’un titre exécutoire

Pour poursuivre la caution en exécution forcée, le créancier doit être muni d’un titre exécutoire.

À cet égard, ce titre doit constater, non pas l’obligation souscrite par le débiteur principal, mais l’engagement pris par caution.

Aussi, le créancier ne pourrait pas se prévaloir d’un titre exécutoire qu’il aurait obtenu contre le débiteur principal afin d’engager une exécution forcée à l’endroit de la caution (V. en ce sens Cass. req. 2 mars 1942).

Seul un titre exécutoire visant la créance née du cautionnement autorise le créancier à poursuivre la caution en exécution forcée.

Deux situations doivent alors être distinguées :

  • Le cautionnement a été conclu par voie d’acte notarié
    • Dans cette hypothèse, pour obtenir un titre exécutoire, il n’est pas besoin pour le créancier de saisir le juge
    • En application de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution, les actes notariés revêtus de la formule exécutoire constituent des titres exécutoires.
    • L’exécution forcée pourra ainsi être engagée contre la caution sur la base du seul contrat de cautionnement
  • Le cautionnement a été conclu par voie d’acte sous seing privé
    • Dans cette hypothèse, faute de disposer d’un acte notarié valant titre exécutoire, le créancier n’aura d’autre choix que de saisir le juge.
    • En application de l’article L. 111-3 du Code des voies d’exécution, il lui faudra, en effet, obtenir une décision condamnant la caution au paiement des sommes réclamées.
    • Ce n’est qu’une fois obtenu une décision ayant force exécutoire que le créancier pourra engager des mesures d’exécution forcée à l’encontre de la caution.

2. Les diligences facultatives

Si le cautionnement est censé garantir le créancier de la défaillance de son débiteur, il n’est pas à l’abri que la caution lui fasse également défaut le jour où il l’actionne en paiement.

Afin de se prémunir contre l’insolvabilité de la caution qui, tantôt sera subie par elle, tantôt sera organisée dans le but d’échapper à d’éventuelles poursuites, le créancier dispose de la faculté de solliciter auprès du juge de l’exécution l’adoption de mesures conservatoires.

L’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose en ce sens que « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. »

a. Définition

Afin d’assurer la sauvegarde de ses droits, le créancier peut solliciter du Juge deux sortes de mesures conservatoires au nombre desquelles figurent :

  • La saisie conservatoire
    • Elle vise à rendre indisponible un bien ou une créance dans le patrimoine du débiteur
  • La sûreté judiciaire
    • Elle vise à conférer au créancier un droit sur la valeur du bien ou de la créance grevée

Parce que les mesures conservatoires peuvent être prises sans que le créancier justifie d’un titre exécutoire, à tout le moins d’une décision passée en force de chose jugée, les conditions d’application de ces mesures ont été envisagées plus restrictivement que celles qui encadrent les mesures d’exécution forcée.

De surcroît, dans la mesure où il n’est pas certain que, à l’issue de la procédure judiciaire qu’il aura engagée en parallèle, le créancier poursuivant obtienne gain de cause, ces mesures ne peuvent être que provisoires.

Aussi, de deux choses l’une :

  • Soit il est fait droit à la demande du créancier auquel cas la mesure conservatoire est convertie en mesure définitive
  • Soit le créancier est débouté de ses prétentions auquel cas la mesure conservatoire prise prend immédiatement fin

b. Domaine

  • S’agissant des saisies conservatoires, elles peuvent porter sur tous les biens du débiteur à l’exclusion :
    • Des revenus du travail
    • Des indemnités de non-concurrence
    • Des immeubles
    • Des biens détenus en indivision
  • S’agissant des sûretés judiciaires elles ne peuvent être constituées que sur certains biens que sont :
    • Les immeubles
    • Le fonds de commerce
    • Les parts sociales
    • Les valeurs mobilières

c. Conditions

L’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. »

Il ressort de cette disposition que l’adoption de mesures conservatoires est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • Une créance paraissant fondée dans son principe
  • Des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement

i. Une créance paraissant fondée dans son principe

Aucun texte ne définissant ce que l’on doit entendre par la formule « créance qui paraît fondée dans son principe », il convient de lui conférer un sens des plus larges.

==> Sur la nature de la créance

Il est indifférent que la créance soit de nature civile, commerciale, contractuelle ou délictuelle

Ce qui importe c’est qu’il s’agisse d’une créance, soit d’un droit personnel dont est titulaire un créancier à l’encontre de son débiteur.

==> Sur l’objet de la créance

  • Principe
    • L’article L. 511-4 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que « à peine de nullité de son ordonnance, le juge détermine le montant des sommes pour la garantie desquelles la mesure conservatoire est autorisée et précise les biens sur lesquels elle porte».
    • Il s’infère manifestement de cette disposition que la créance dont se prévaut le créancier ne peut porter que sur paiement d’une somme d’argent.
  • Exception
    • Si, par principe, seule une créance de somme d’argent peut justifier l’adoption d’une mesure conservatoire, il est admis que, par exception, la créance de restitution ou de délivrance d’un bien peut également être invoquée à l’appui de la demande du créancier.
    • Dans cette hypothèse, la mesure prendra la forme d’une saisie-revendication diligentée à titre conservatoire.

==> Sur la certitude de la créance

Contrairement à ce que l’on pourrait être intuitivement tenté de penser, il n’est pas nécessaire que la créance soit certaine pour que la demande de mesure conservatoire soit justifiée.

Il ressort de la jurisprudence que, par créance paraissant fondée dans son principe, il faut entendre une créance dont l’existence est raisonnablement plausible.

Dans un arrêt du 15 décembre 2009, la Cour de cassation parle en termes « d’apparence de créance » (Cass. com. 15 déc. 2009).

Aussi, le juge pourra se déterminer au regard des seules apparences, lesquelles doivent être suffisamment convaincantes, étant précisé que le juge est investi, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation.

Il ne s’agira donc pas pour le créancier de rapporter la preuve de l’existence de la créance, mais seulement d’établir sa vraisemblance.

Aussi, une créance sous condition suspensive, voire éventuelle pourra fonder l’adoption d’une mesure conservatoire.

==> Sur la liquidité de la créance

Une créance liquide est une créance déterminée dans son montant et qui ne souffre d’aucune contestation.

S’agissant de l’adoption d’une mesure conservatoire, il n’est pas nécessaire de justifier de la liquidité de la créance. Elle peut parfaitement faire l’objet d’une contestation, ce qui sera le plus souvent le cas.

La détermination de son montant peut, par ailleurs, s’avérer incertaine en raison, par exemple, de la difficulté à évaluer le préjudice subi par le créancier. Cette situation n’est, toutefois, pas un obstacle à la sollicitation d’une mesure conservatoire.

L’adoption d’une telle mesure est moins guidée par le souci d’indemniser le créancier que de geler le patrimoine du débiteur.

==> Sur l’exigibilité de la créance

Tout autant qu’il n’est pas nécessaire que la créance invoquée soit certaine et liquide, il n’est pas non plus requis qu’elle soit exigible. Et pour cause, une telle condition serait incohérente eu égard les termes de la formule « créance qui paraît fondée de son principe » porteuse, en elle-même, d’une exigence moindre.

La créance fondant l’adoption d’une mesure conservatoire peut, en conséquence, parfaitement être assortie d’un terme non encore échu.

ii. Des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance invoquée

Outre la justification d’une créance paraissant fondée dans son principe, pour que des mesures conservatoires puissent être adoptées, le créancier doit être en mesure d’établir l’existence de circonstances susceptible de menacer le recouvrement de sa créance.

Il s’agira autrement dit, pour le créancier, de démontrer que la créance qu’il détient contre son débiteur est menacée des agissements de ce dernier ou de l’évolution de sa situation patrimoniale.

L’ancien article 48 de la loi du 12 novembre 1955 visait l’urgence et le péril. En raison du flou qui entourait ces deux notions, elles ont été abandonnées par le législateur lors de la réforme des procédures civiles d’exécution par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991.

Aussi appartient-il désormais au juge de déterminer les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance du créancier, étant précisé qu’il dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation.

Il a ainsi été décidé par la Cour de cassation, dans un arrêt du 1er septembre 2016, qu’une telle menace existait dès lors que la société poursuivie ne justifiait pas ses comptes annuels depuis plusieurs exercices (Cass. com. 1er sept. 2016).

Les juridictions statuent régulièrement dans le même sens lorsque le débiteur mis en demeure de payer à plusieurs reprises n’a pas réagi (CA Paris, 16 oct. 1996) ou lorsqu’un constructeur à l’origine d’un désordre ne justifie pas d’une police d’assurance responsabilité civile (CA Paris, 28 févr. 1995).

Le Juge considérera néanmoins qu’aucune menace n’est caractérisée lorsque le débiteur a toujours satisfait à ses obligations ou que son patrimoine est suffisant pour désintéresser le créancier poursuivant.

En tout état de cause, il appartiendra au créancier d’établir l’existence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance.

B) Les moyens de défense opposés par la caution

Afin de neutraliser les poursuites engagées à son encontre, la caution peut opposer plusieurs moyens de défense au créancier.

1. L’opposabilité des exceptions

==> Principe

L’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293. »

Par exception, il faut entendre tout moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité (causes de nullité, prescription, inexécution, cause d’extinction de la créance etc…).

Le principe d’opposabilité des exceptions puise directement son fondement dans le caractère accessoire du cautionnement.

Parce que la caution ne peut être tenue à plus que ce qui est du par le débiteur principal, elle doit être en mesure d’opposer au créancier tous les moyens que pourrait lui opposer le débiteur principal afin de se décharger de son obligation, à tout le moins de la limiter.

Il ne faudrait pas, en effet, que le débiteur principal puisse se libérer de son obligation, tandis que la caution serait contrainte, faute de pouvoir opposer les mêmes moyens de défense que le débiteur au créancier, de le payer.

Ne pas reconnaître à la caution cette faculté, l’exposerait donc à être plus rigoureusement tenu que le débiteur principal.

Or cette situation serait contraire au principe de limitation de l’étendue de l’engagement de caution à celle de l’obligation principale.

D’où le principe d’opposabilité des exceptions institué en matière de cautionnement ; il en est d’ailleurs l’un des principaux marqueurs.

À cet égard, il peut être observé que la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne s’est pas limitée à réaffirmer ce principe, elle en a renforcé la portée.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

En substance :

  • Les exceptions inhérentes à la dette sont celles qui affectent son existence, sa validité, son étendue ou encore ses modalités (prescription, nullité, novation, paiement, confusion, compensation, résolution, caducité etc.)
  • Les exceptions personnelles au débiteur sont celles qui affectent l’exercice du droit de poursuite des créanciers en cas de défaillance de celui-ci (incapacité du débiteur, délais de grâce, suspension des poursuites en cas de procédure collective etc.)

Seules les exceptions inhérentes à la dette étaient susceptibles d’être opposées par la caution au débiteur avant la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

Dans un premier temps, la jurisprudence a adopté une approche restrictive de la notion d’exception personnelle en ne retenant de façon constante comme exception inopposable au créancier que celles tirées de l’incapacité du débiteur.

Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en élargissant, de façon significative, le domaine des cas d’inopposabilité des exceptions.

Dans un arrêt du 8 juin 2007, la Cour de cassation a ainsi jugé que la caution « n’était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal et qui, destinée à protéger ce dernier, constituait une exception purement personnelle » (Cass. ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15.602).

Elle a, par suite, étendu cette solution à toutes les causes de nullité relative (V. en ce sens Cass. com., 13 oct. 2015, n° 14-19.734).

La première chambre civile est allée jusqu’à juger que la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution en ce qu’elle constituait « une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service » (Cass. 1ère civ. 11 déc. 2019, n°18-16.147).

En restreignant considérablement le domaine des exceptions inhérentes à la dette, il a été reproché à la haute juridiction de déconnecter l’engagement de la caution de l’obligation principale en ce qu’il est de nombreux cas où elle était devenue plus rigoureusement tenue que le débiteur lui-même.

Attentif aux critiques – nombreuses – émises par la doctrine et reprenant la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés, le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de mettre un terme à l’inflation des cas d’inopposabilité des exceptions.

Par souci de simplicité et de sécurité juridique, il a donc été décidé d’abolir la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

D’où la formulation du nouvel article 2298 du Code civil qui pose le principe selon lequel la caution peut opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient personnelles à ce dernier ou inhérentes à la dette.

En reconnaissant à la caution le bénéfice des mêmes moyens de défense que ceux dont jouit le débiteur principal, le législateur a ainsi redonné une place centrale au caractère accessoire du cautionnement.

==> Dérogations

Il est seulement deux cas où le principe d’opposabilité des exceptions est écarté :

  • Premier cas
    • L’article 2298 du Code civil prévoit que l’incapacité du débiteur ne peut jamais être opposée par la caution au créancier.
    • Cette règle, qui déroge au caractère accessoire du cautionnement, se justifie par le caractère purement personnel de l’exception au débiteur.
    • Surtout, elle vise à favoriser le crédit des incapables dont les engagements doivent pouvoir être aisément cautionnés.
    • Pour ce faire, il est nécessaire de garantir au créancier qu’il ne risque pas de se voir opposer par la caution l’incapacité de son débiteur
    • D’où la dérogation portée au principe d’opposabilité des exceptions pour les personnes incapables (mineurs ou majeurs).
  • Second cas
    • L’alinéa 2 de l’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire. »
    • Aussi par dérogation au principe d’opposabilité des exceptions, la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance (les délais de grâce d’origine légale ou judiciaire, suspension des poursuites dans le cadre d’une procédure collective etc.).
    • La raison en est que le cautionnement a précisément pour finalité de couvrir une telle défaillance.
    • L’ordonnance du 15 septembre 2015 est ici venue clarifier le principe qui était pour le moins obscur sous l’empire du droit antérieur.
    • Il est toutefois admis que le droit des procédures collectives ou le droit du surendettement puissent prévoir, dans certains cas, des solutions différentes en fonction des objectifs qui sont les leurs.
    • Tel sera notamment le cas en présence de cautions personnes physiques dirigeantes qui, par exemple, bénéficient de l’arrêt du cours des intérêts et peuvent se prévaloir de l’inopposabilité de la créance non déclarée.

2. La demande de délai de grâce

Si l’article 2298, al. 2e du Code civil interdit à la caution de se prévaloir des délais de grâce qui seraient éventuellement consentis au débiteur principal, cette disposition n’empêche pas cette dernière de solliciter une telle mesure pou elle-même auprès du juge.

Pour ce faire, elle devra agir sur le fondement de l’article 1343-5 du Code civil qui prévoit que « le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. »

Pour obtenir un délai de grâce, la caution devra notamment justifier :

  • D’une part, d’une situation obérée, soit qu’elle rencontre des difficultés qui objectivement ne lui permettent pas de satisfaire à son obligation de paiement
  • D’autre part, que les difficultés rencontrées résultent de circonstances indépendantes de sa volonté
  • Enfin, qu’elle est de bonne foi, ce qui signifie qu’elle a mis en œuvre tous les moyens dont ils disposent pour remplir son obligation

À l’égard de la caution, l’octroi d’un délai de grâce a pour effet principal d’empêcher l’engagement de poursuites judiciaires à son encontre et non d’affecter le terme de l’obligation, en ce que son exigibilité serait suspendue, soit pour partie en cas d’échelonnement de la dette, soit totalement en cas de report de l’échéance à une date ultérieure.

À l’égard du créancier, le délai de grâce produit un double effet :

  • D’une part, la décision du juge suspend les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier.
  • D’autre part, les majorations d’intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

L’article 513 du Code de procédure tempère néanmoins cette règle en disposant que le délai de grâce ne fait pas obstacle aux mesures conservatoires.

Cette faculté offerte au créancier lui permet de se garantir contre une éventuelle défaillance de paiement à l’issue du délai de grâce.

3. Le reste à vivre

L’article 2307 du Code civil prévoit que « l’action du créancier ne peut avoir pour effet de priver la caution personne physique du minimum de ressources fixé à l’article L. 731-2 du code de la consommation. »

Cette règle est issue de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions vise à faire bénéficier à la caution du dispositif dont est susceptible de se prévaloir le débiteur surendetté.

Aussi, s’agit-il là d’une limite apportée au droit de poursuite du créancier, laquelle a pour but d’éviter que la caution ne se trouve totalement démunie, à la suite de l’exécution de son engagement de caution, et d’éviter ainsi son surendettement.

Pratiquement, le « reste à vivre » devant être laissé à la caution est déterminé par l’article L. 731-2 du Code de la consommation.

Cette disposition prévoit que la part des ressources nécessaire aux dépenses courantes du ménage ne peut être inférieure, pour le ménage en cause, au montant forfaitaire mentionné à l’article L. 262-2 du code de l’action sociale et des familles. Elle intègre le montant des dépenses de logement, d’électricité, de gaz, de chauffage, d’eau, de nourriture et de scolarité, de garde et de déplacements professionnels ainsi que les frais de santé. Les conditions de prise en compte et d’appréciation de ces dépenses par le règlement intérieur de chaque commission sont précisées par la voie réglementaire.

À cet égard, l’article R. 731-2 du Code de la consommation précise que la part de ressources réservée par priorité au débiteur est déterminée au regard de l’ensemble des dépenses courantes du ménage,

Enfin l’article L 731-2 du même code ajoute que, en vue d’éviter la cession de la résidence principale, le montant des remboursements peut, avec l’accord du débiteur et dans des limites raisonnables, excéder la somme calculée par référence à la quotité saisissable du salaire telle qu’elle résulte des dispositions des articles L. 3252-2 et L. 3252-3 du Code du travail.

 

Cautionnement: les obligations d’information pesant sur le créancier (art. 2302 et 2303 C. civ.)

Le rapport qui se noue entre le créancier et la caution procède de l’engagement de cette dernière à payer l’obligation principale en cas de défaillance du débiteur.

On touche là au principal effet du cautionnement : la réalisation de la sûreté et plus précisément, l’octroi d’un droit de poursuite au créancier à l’encontre de la caution.

Est-ce à dire que, en l’absence de défaillance du débiteur, le cautionnement ne produirait aucun effet ? Il n’en est rien.

À l’instar de n’importe quelle sûreté, le cautionnement procure au créancier une garantie et, par voie de conséquence, permet au débiteur cautionné d’accéder au crédit.

Il est indifférent que la caution ait ou non été appelée en paiement : dès sa formation, le cautionnement produit un premier effet.

Là n’est pas le seul effet qu’il engendre en l’absence de défaillance du débiteur.

Animé par le souci de conférer une protection aux cautions, le législateur a fait peser sur la tête du créancier plusieurs obligations d’information qu’il doit exécuter, nonobstant la situation du débiteur et, ce, jusqu’à l’extinction du cautionnement.

Aussi, dans les rapports entre le créancier et la caution, on distingue classiquement les effets permanents du cautionnement de ceux qui n’interviennent qu’en cas de défaillance du débiteur.

Nous nous focaliserons ici sur les premier effets.

Depuis le milieu des années 1980, le législateur a multiplié les interventions visant à mettre à la charge des créanciers des obligations d’information.

Les obligations instituées par ce dernier sont au nombre de deux :

  • L’obligation d’information annuelle relative à l’étendue de l’engagement de la caution
  • L’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur principal

I) L’obligation d’information relative à l’étendue de l’engagement de la caution

À compter du milieu des années 1980, le législateur a donc été animé par la volonté de conférer une protection aux cautions.

La démarche engagée s’est appuyée sur le double constat suivant :

  • Premier constat
    • Le cautionnement est une sûreté dangereuse en ce qu’elle permet à un établissement de crédit de poursuivre l’exécution d’une dette due par un tiers sur l’ensemble du patrimoine de la caution.
    • Or nonobstant ce danger, un grand nombre de dirigeants d’entreprises, au moment de la cessation de leurs fonctions, ou même des particuliers, omettent de révoquer un cautionnement à durée illimitée.
  • Second constat
    • Le cautionnement, acte unilatéral par excellence, n’étant pas établi en double exemplaire, le document constatant cet engagement est détenu par la banque et non par la caution, ce qui peut, notamment, poser de graves difficultés lors de l’ouverture d’une succession, les héritiers acceptant la succession sans connaître l’existence de ce cautionnement.

Pour remédier à cette situation qui exposait les cautions à lourdes conséquences financières, le législateur a décidé de créer une obligation d’information imposant aux banques de faire connaître à la caution, à partir de la fin de chaque exercice, le montant en principal, intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir à la clôture de l’exercice au titre de l’engagement bénéficiant de la caution.

==> Loi du 1er mars 1984

Cette obligation a, pour la première fois, été instituée par la loi n° 84-148 du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises a été le premier texte à mettre à la charge du créancier une obligation d’information au profit de la caution.

Elle a introduit dans le Code monétaire et financier un article L. 313-22 qui prévoyait que « les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation bénéficiant de la caution ainsi que le terme de cet engagement sanctions*. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l’établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette ».

==> Loi du 11 février 1994

Soucieux d’aménager le régime du cautionnement des dettes professionnelles contractées par un entrepreneur individuel, le législateur a, dix ans plus tard, étendu, au profit de ces derniers, le domaine de l’obligation d’information créée par la loi du 1er mars 1984.

La loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle a, par suite, a ainsi édicté une disposition prévoyant que « en cas de cautionnement à durée indéterminée consenti par une personne physique pour garantir une dette professionnelle d’un entrepreneur individuel, le créancier doit respecter les dispositions prévues à l’article 48 de la loi no 84-148 du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises. »

==> Loi du 29 juillet 1998

Dans le droit fil de ses interventions précédentes, le législateur a souhaité étendre un peu plus le domaine de l’obligation d’information des cautions sur l’évolution de la créance garantie et de ses accessoires.

Aussi, à l’occasion de l’adoption de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, a-t-il introduit cette obligation dans le Code civil aux fins de généraliser son application à l’ensemble des cautionnements indéfinis consentis par une personne physique.

Cela s’est traduit par l’ajout d’un second alinéa à l’ancien article 2016 du Code civil qui prévoyait que « lorsque ce cautionnement est contracté par une personne physique, celle-ci est informée par le créancier de l’évolution du montant de la créance garantie et de ces accessoires au moins annuellement à la date convenue entre les parties ou, à défaut, à la date anniversaire du contrat, sous peine de déchéance de tous les accessoires de la dette, frais et pénalités. »

==> Loi du 1er août 2003

Le mouvement tendant à renforcer la protection des cautions s’est poursuivi avec l’adoption de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique, dite loi Dutreil.

Ce texte a introduit dans le Code de la consommation une disposition semblable à celle qu’il avait insérée dans le Code monétaire et financier, visant à obliger le créancier professionnel à informer chaque année la caution personne physique du montant de la dette (principal, intérêts, commissions, frais et accessoires), le terme de l’engagement ou, s’il est à durée indéterminée, la faculté de révocation et les conditions d’exercice de celle-ci.

La règle insérée à l’article L. 341-6 du code de la consommation était néanmoins pourvue d’un domaine d’application plus étendue, puisque faisant peser l’obligation d’information sur l’ensemble des créanciers professionnels et plus seulement sur les établissements de crédit.

==> Ordonnance du 21 septembre 2021

Si la création d’une obligation d’information annuelle au profit de la caution procède d’une intention des plus louables, la multiplication des textes n’est pas sans avoir fait l’objet de nombreuses critiques de la part de la doctrine.

Les différentes réformes législatives intervenues entre 1984 et 2003 ont, en effet, progressivement étendu le domaine d’application de l’obligation d’information sans pour autant abroger corrélativement les dispositions préexistantes.

Il en est résulté un empilement des textes, ce qui était de nature à nuire à leur compréhension et, par voie de conséquence, à porter atteinte à la sécurité juridique des parties à l’opération de cautionnement.

Conscient de la nécessité de mettre un terme à cette situation, le législateur a saisi l’occasion de la réforme du droit des sûretés pour remettre à plat le système mis en place.

Pour ce faire, l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a introduit un article 2302 dans le Code civil qui unifie et précise les dispositions relatives à l’obligation d’information annuelle de la caution qui, jusque-là, étaient dispersées entre le code civil, le code de la consommation, le code monétaire et financier et la loi du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle.

Afin d’appréhender le régime de cette obligation dont est créancière la caution, il convient d’envisager successivement son domaine d’application, son contenu, sa mise en œuvre et la sanction du défaut de son exécution.

A) Domaine de l’obligation d’information relative à l’étendue de l’engagement de la caution

Il ressort de l’article 2302 du Code civil que l’obligation d’information relative à l’étendue de l’engagement de la caution s’applique à deux catégories de cautionnements :

  • D’une part, les cautionnements souscrits par une personne physique envers un créancier professionnel
  • D’autre part, les cautionnements souscrits par une personne morale envers un établissement de crédit ou une société de financement en garantie d’un concours financier accordée à une entreprise

Dans les deux cas, l’obligation d’information annuelle sera applicable, par extension, au cautionnement réel, conformément à l’article 2325 du Code civil.

Dans un arrêt du 16 juin 2009, la Cour de cassation a, revanche, exclu du domaine d’application de cette obligation l’aval au motif qu’il garantit le paiement d’un titre cambiaire et que, à ce titre, il « ne constitue pas le cautionnement d’un concours financier accordé par un établissement de crédit à une entreprise » (Cass. com. 16 juin 2009, n°08-14.532).

1. S’agissant des cautionnements souscrits par une personne physique envers un créancier professionnel

En application de l’article 2302, al. 1er du Code civil, l’obligation d’information annuelle s’impose à tout cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel.

Trois enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • L’obligation d’information est nécessairement due en présence d’une caution personne physique.
    • Il est donc indifférent que la personne qui s’est obligée soit une caution avertie, tel un dirigeant de société ou une caution profane qui donc ne disposerait d’aucune compétence financière ou juridique particulière.
  • Deuxième enseignement
    • L’obligation d’information visée par l’article 2302, al. 1er du Code civil ne pèse que sur les seuls créanciers professionnels
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par créancier professionnel.
    • Au sens du droit de la consommation, le professionnel est défini par l’article liminaire du Code de la consommation comme « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel. »
    • Le premier enseignement qui peut être retiré de cette disposition c’est que, à la différence de la caution, il est indifférent que le créancier soit une personne physique ou morale.
    • Le professionnel peut, indistinctement être, une personne physique, une personne morale, une personne privée, une personne publique ou encore une personne investie d’un pouvoir de représentation.
    • En toute hypothèse, le professionnel doit nécessairement exercer une activité économique à titre indépendant.
    • Aussi, le professionnel se définit-il surtout par l’activité qu’il exerce, laquelle peut être de toute nature (commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole).
    • Le professionnel n’est donc pas nécessairement un commerçant. Il constitue une catégorie bien plus large qui transcende la distinction entre les commerçants et les non-commerçants.
    • Dans un arrêt du 9 juillet 2009, la Cour de cassation a, précisé, au sujet d’un cautionnement, que « le créancier professionnel s’entend de celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale» ( 1ère civ. 9 juill. 2009, n°08-15.910).
    • C’est donc le critère du rapport direct entre le cautionnement et l’activité exercée par le créancier qui permet de déterminer si celui-ci endosse la qualité de professionnel, faute de quoi il sera qualifié, soit de consommateur, soit de non professionnel.
    • Comment ce rapport direct doit-il être apprécié ? La loi est silencieuse sur ce point.
    • Dans un arrêt du 17 juillet 1996, la Cour de cassation a estimé que l’appréciation du rapport direct relevait du pouvoir souverain des juges du fond ( 1ère civ., 17 juill. 1996, n°94-14.662).
    • Il ressort toutefois des décisions que pour apprécier l’existence d’un rapport, cela suppose de s’interroger sur la finalité de l’opération.
    • Plus précisément la question que le juge va se poser est de savoir si l’accomplissement de l’acte a servi l’exercice de l’activité professionnel.
    • Si le contrat a été conclu à la faveur exclusive de l’activité professionnelle, l’existence du lien direct sera établie.
    • Dans l’hypothèse où l’acte ne profitera que partiellement à l’exercice de l’activité professionnelle, plus délicate sera alors l’établissement du rapport direct.
    • La question centrale est : l’activité professionnelle a-t-elle tirée un quelconque bénéficie de l’accomplissement de l’acte.
    • S’il n’est pas nécessaire que le bénéfice retiré par le créancier du cautionnement relève de son activité principale, comme indiqué par la Cour de cassation dans l’arrêt du 9 juillet 2009, il doit néanmoins entretenir un rapport direct avec l’une des activités exercées par le créancier à titre professionnel (V. en ce sens com. 10 janv. 2012, n°10-26.630; Cass. 1ère civ., 15 oct. 2014, n° 13-20.919 ; Cass. 1ère civ., 25 juin 2009, n° 07-21.506).
    • Dans un arrêt du 27 septembre 2017, la Chambre commerciale a été jusqu’à reconnaître la qualité de créancier professionnel à une association sans but lucratif qui exerçait l’activité de fourniture de la garantie financière prévue par l’article L. 211-18 II (a) du code du tourisme, nécessaire à l’obtention de la licence d’agent de voyages ( com. 27 sept. 2017, n°15-24.895).
    • Cette décision révèle l’approche pour le moins extensive de la notion de créancier professionnelle adoptée par la jurisprudence qui est manifestement animée par la volonté d’étendre dans la limite du possible le dispositif protecteur dont jouissent les cautions.
  • Troisième enseignement
    • La nature de l’opération garantie est sans incidence sur l’obligation d’information, laquelle s’applique dès lors que le cautionnement est souscrit par une personne physique au profit d’un créancier professionnel.
    • Il importe peu, par ailleurs, que le cautionnement présente un caractère civil ou commercial, l’article 2302, al. 1er n’opérant aucune distinction.

2. S’agissant des cautionnements souscrits par une personne morale envers un établissement de crédit ou une société de financement en garantie d’un concours financier accordée à une entreprise

Inspiré de l’ancien article L. 313-22 du Code monétaire et financier, le nouvel article 2302, al. 3e du Code civil étend le domaine de l’obligation d’information annuelle aux cautionnements souscrits par une personne morale envers un établissement de crédit ou une société de financement en garantie d’un concours financier accordée à une entreprise.

Il ressort de cette disposition que les personnes morales ne sont pas tout à fait exclues du dispositif institué par le premier alinéa du texte.

Pour être créancières de l’obligation d’information annuelle au même titre que les cautions personnes physiques, les personnes morales doivent néanmoins avoir souscrit un cautionnement devant répondre à trois conditions cumulatives :

==> Première condition

En application de l’article 2302, al. 3e du Code civil, le cautionnement doit avoir été contracté au profit d’un établissement de crédit ou une société de financement.

La question qui alors se pose est de savoir ce que recouvrent ces deux catégories d’entreprises.

  • S’agissant des établissements de crédit, ils sont définis par l’article 4 du règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 comme « une entreprise dont l’activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d’autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour son propre compte»
  • S’agissant des sociétés financement, il s’agit au sens de l’article L. 511-1, II du Code monétaire et financier, de « personnes morales, autres que des établissements de crédit, qui effectuent à titre de profession habituelle et pour leur propre compte des opérations de crédit dans les conditions et limites définies par leur agrément».

De façon générale tous les établissements titulaires d’un agrément les autorisant à octroyer des concours financiers sont soumis à l’obligation d’information annuelle.

À cet égard, dans un arrêt du 26 octobre 1999, la Cour de cassation a refusé d’appliquer l’obligation d’information annuelle aux compagnies d’assurances au motif qu’elles « ne sont pas habilitées à pratiquer des opérations de crédit et ne peuvent consentir des prêts aux collectivités locales que par une dérogation légale particulière » (Cass. com. 26 oct. 1999, n°96-14.123).

==> Deuxième condition

L’article 2302, al. 3e du Code civil subordonne l’application de l’obligation d’information annuelle à la souscription d’un cautionnement en garantie d’un concours financier.

Que doit-on entendre par concours financier ? Les textes ne fournissent aucune définition de cette notion.

Il en va de même pour la jurisprudence qui n’a toujours pas adopté de véritable critère permettant d’identifier les opérations s’analysant à des concours financiers.

Dans une acception large, le concours financier consiste a priori en un crédit, lequel se définit comme l’« opération par laquelle une personne met ou fait mettre une somme d’argent à disposition d’une autre personne en raison de la confiance qu’elle lui fait »[1].

À cet égard, comme relevé par François Grua, le crédit « peut se réaliser de trois manières différentes : soit par la mise à disposition de fonds, soit par l’octroi d’un délai de paiement, soit par un engagement de garantie d’une dette »[2].

C’est là une différence avec le contrat de prêt qui ne connaît, quant à lui, qu’une seule forme : la mise à disposition de fonds ; encore que dans cette configuration, le prêt ne se recoupe que partiellement avec la notion de crédit.

Tandis que le crédit par mise à disposition de fonds peut consister, soit en la remise immédiate d’une somme d’argent, soit en une avance éventuelle de fonds, soit en une mobilisation de créances, le prêt ne se conçoit que sous la première de ces modalités.

S’agissant du concours financier, la Cour de cassation semble considérer qu’il y a lieu de l’envisager, moins comme une opération de crédit, que comme un prêt.

Pour exemple, dans un arrêt du 30 novembre 1993, la Chambre commerciale a jugé que les établissements de crédit-bail n’étaient pas soumis à l’obligation d’information annuelle, dans la mesure où, selon elle, le crédit preneur s’acquitterait, non pas d’une échéance de remboursement de prêt, mais de loyers, de sorte que l’opération garantie ne s’analyserait pas en un véritable concours financier (Cass. com. 30 nov. 1993, n°91-12.123).

Elle a statué dans le même sens dans un arrêt du 28 janvier 2014 dans une affaire où le cautionnement avait été souscrit en garantie d’une opération de location avec option d’achat (Cass. com. 28 janv. 2014, n°12-24.592).

Le point commun entre l’opération de crédit-bail et l’opération de location avec option d’achat réside dans l’absence de mise à disposition des fonds au bénéficiaire du crédit.

Est-ce le critère retenu par la Cour de cassation permettant de déterminer si l’on est ou non en présence d’un concours financier au sens de l’ancien article L. 313-22 du Code monétaire et financier ?

À l’analyse, s’il s’agit là d’un critère dont il est tenu compte par la Haute juridiction, certaines solutions adoptées par cette dernière suggèrent que l’absence de mise à disposition n’est pas exclusive de la qualification de concours financier.

Dans un arrêt du 30 novembre 1993, la Cour de cassation a, par exemple, étendu le domaine de l’obligation d’information annuelle pesant sur les établissements de crédit et les sociétés de financement aux sociétés d’affacturage (V. en ce sens Cass. com. 30 nov. 1993, n°91-14.856).

L’opération d’affacturage ne suppose pourtant pas de mise à disposition de fonds : elle consiste seulement pour un créancier, l’adhérent, à transférer à un établissement de crédit, le factor, des créances commerciales par le jeu d’une subrogation personnelle moyennant le paiement d’une commission.

Au bilan, il est difficile de dégager un critère du concours financier, la Cour de cassation raisonnant pour l’heure au cas par cas.

==> Troisième condition

L’article 2302, al. 3e du Code civil ne s’applique qu’à la condition que le concours financier cautionné soit « accordé à une entreprise ».

Si intuitivement l’on se représente assez facilement ce qu’est une entreprise, étonnement il s’agit là d’une notion qui n’est définie par aucun texte.

Tout au plus l’administration fiscale définit l’entreprise comme d’une unité économique autonome :

  • D’une part, qui est gérée et détenue par une ou plusieurs personnes physiques n’ayant pas constitué entre elles une société et regroupant des moyens d’exploitation et une clientèle propres.
  • D’autre part, qui dispose d’un bilan fiscal où sont inscrits les éléments d’actif et de passif, affectés à l’exercice d’une activité professionnelle de nature industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole ainsi que ceux que l’exploitant a décidé d’y porter dans le cadre de la liberté de gestion qui, le cas échéant, lui est reconnue par la loi.

Cette définition rejoint celle retenue en droit européen. L’entreprise a été définie par la Cour de justice de l’Union européenne comme « toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement » (CJCE, 23 avril 1991, Höfner, aff. C-41/90).

Le critère de l’entreprise est donc matériel, puisqu’il tient à l’exercice d’une activité économique.

Pour être qualifiée d’entreprise, il est donc indifférent que l’activité exercée par l’entité, personne morale ou personne physique, soit commerciale, artisanale, libérale ou agricole. Ce qui importe c’est qu’il s’agisse d’une activité économique.

À cet égard, dans un arrêt du 25 octobre 2001, la CJCE a jugé que « constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné » (CJCE, 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, aff. C-475/99).

Le caractère économique d’une activité se déduit donc de la capacité d’une entité à offrir des biens et services sur un marché pertinent. Le marché peut être réel ou simplement potentiel, et l’activité en cause doit répondre aux lois du marché.

Pour la Commission européenne toutes les activités peuvent être qualifiées d’économiques à l’exception de celles relevant de prérogatives de puissance publique telles que la surveillance antipollution d’un port, la police, etc.

Ceci étant posé, l’obligation d’information annuelle mise à la charge des établissements de crédit et des sociétés de financement par l’article 2302, al. 3e du Code civil n’aura vocation à s’appliquer que dans l’hypothèse où l’entité bénéficiaire du concours financier cautionné exerce une activité économique.

Dans un arrêt du 9 mai 1996 la Cour de cassation a, par exemple, exclu l’application de l’obligation d’information au motif que le cautionnement portait non pas sur un crédit consenti à une entreprise, mais sur une ouverture de crédit en compte courant octroyé à un notaire à titre personnel (Cass. 1ère civ. 9 mai 1996, n°94-12.258).

En sens inverse, la Première chambre civile a jugé dans un arrêt du 29 juin 2004, que l’obligation d’information annuelle était due par un établissement de crédit qui avait consenti un concours financier à deux particuliers, dès lors que ces derniers avaient informé la banque de leur intention d’affecter les fonds prêtés à l’augmentation du capital social d’une société commerciale (Cass. 1ère civ. 29 juin 2004, n°02-19.445).

Le critère déterminant c’est donc l’affectation finale du concours financier à une entreprise.

En pratique, ce qui soulèvera le plus de difficulté, ce ne sera pas tant d’établir la destination des fonds ; mais de démontrer que l’entité bénéficiaire du concours financier exerce une activité économique et que donc elle peut être qualifiée d’entreprise.

La question s’est notamment posée pour les SCI constituées aux fins de gestion d’un patrimoine immobilier.

Peut-on considérer que la poursuite de cet objet social s’analyse en une activité économique ?

En pareille hypothèse, la jurisprudence semble plutôt répondre par la négative (V. en ce sens CA paris 23 juin 1998, n°96/05089). Cette solution est majoritairement approuvée par la doctrine.

Lorsque, en revanche, il est démontré que la SCI exerce une réelle activité économique, la Cour de cassation estime qu’il n’y a aucune raison d’écarter l’application de l’obligation d’information annuelle (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 5 mai 2004, n°01-12.278 ; Cass. 1ère civ. 15 mars 2005, n°02-20.335).

La Première chambre civile a, dans un arrêt du 12 mars 2002, retenu la même solution pour les associations qui, dès lors qu’elles exercent une activité économique, y compris à titre accessoire, sont susceptibles d’endosser la qualification d’entreprise (Cass. 1ère civ. 12 mars 2002, n°99-17.209).

B) Contenu de l’obligation d’information relative à l’étendue de l’engagement de la caution

L’article 2302 du Code civil prévoit que le créancier professionnel doit fournir à la caution deux séries d’informations.

Tandis que la première série d’informations tient au montant de l’engagement de caution, la seconde est relative à sa durée.

==> Les informations relatives au montant de l’engagement de caution

L’article 2302 du Code civil prévoit que le créancier professionnel est tenu « de faire faire connaître à toute caution personne physique le montant du principal de la dette, des intérêts et autres accessoires restant dus au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation garantie ».

Il ressort de cette disposition que l’information fournie à la caution devra être précise, en ce sens qu’elle devra décomposer le montant de l’engagement restant dû entre :

  • D’une part, le principal de la dette
  • D’autre part, les intérêts
  • Enfin, les accessoires

L’exigence ne serait donc pas satisfaite si le créancier se limitait à fournir à la caution une information sur le montant global restant dû (V. en ce sens Cass. com. 22 juin 1993, n°91-14.741).

==> Les informations relatives à la durée de l’engagement de caution

L’article 2302 du Code civil prévoit que le créancier professionnel doit rappeler :

  • Si le cautionnement est à durée déterminée le terme de l’engagement de caution

OU

  • Si le cautionnement est à durée indéterminée, la faculté de résiliation de la caution à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci peut être exercée.

C) Mise en œuvre de l’obligation d’information relative à l’étendue de l’engagement de la caution

1. Date de la délivrance de l’information

L’article 2302, al. 1er du Code civil prévoit que l’information due par le créancier professionnel doit être délivrée à la caution « avant le 31 mars de chaque année ».

Dans un arrêt du 2 novembre 1993, la Cour de cassation a précisé que cette information devait être fournie dès lors que la dette cautionnée existe au 31 décembre de l’année précédente.

L’obligation d’information doit, par ailleurs, être exécutée « jusqu’à l’extinction de la dette » (Cass. com. 2 nov. 1993, n°91-17.256).

Dans un arrêt du 17 novembre 2006, la Chambre mixte a ajouté que l’information devait être fournie à la caution jusqu’à extinction de la dette garantie par le cautionnement, quand bien même cette dernière aurait fait l’objet d’une condamnation définitive au paiement de l’obligation principale (Cass. ch. Mixte, 17 nov. 2006, n°04-12.863).

Cette position a été reconduite, à plusieurs reprises, par la Haute juridiction (Cass. com. 16 nov. 2010, n°09-71.935 ; Cass. com. 13 déc. 2017, n°16-14.404).

2. Forme de la délivrance de l’information

L’article 2302 du Code civil ne prescrit aucune forme particulière quant à la délivrance de l’information due par le créancier professionnel, de sorte qu’il est indifférent qu’elle soit notifiée à la caution par lettre simple ou par lettre recommandée avec accusé de réception.

Cette absence d’exigence de formalisme est toutefois un leurre dans la mesure où la charge de la preuve de la délivrance de l’information pèse sur le créancier professionnel.

3. Preuve de la délivrance de l’information

C’est donc au créancier qu’il appartient d’établir que les informations énoncées à l’article 2302 du Code civil ont été dûment fournies à la caution.

À cet égard, dans un arrêt du 17 octobre 2000, la Cour de cassation a jugé que « l’information de la caution constitue un fait qui peut être prouvé par tous moyens et qu’il n’incombe pas à l’établissement de crédit de prouver que la caution a effectivement reçu » (Cass. com. 17 oct. 2000, n°97-18.746).

Cette liberté de la preuve dont bénéficie le créancier ne le dispense pas d’établir :

  • D’une part, que l’information a été délivrée à la caution avant le 31 mars de chaque année
  • D’autre part, que l’information délivrée répondait aux exigences posées par l’article 2302 du Code civil quant à son contenu

==> S’agissant de la preuve de la date de délivrance de l’information

Il appartient donc au créancier de prouver, en cas de litige, qu’il a bien notifié l’information due à la caution avant le 31 mars de chaque année.

Pratiquement, cela signifie qu’il devra démontrer que le courrier a été envoyé avant cette date.

Dans un arrêt du 25 novembre 1997, la Première chambre civile est venue préciser qu’il n’incombait pas, en revanche, au créancier « de prouver que la caution a effectivement reçu l’information envoyée » (Cass. 1ère civ. 25 nov. 1997, n°96-10.527).

Afin d’établir que l’information a été délivrée dans les délais, le moyen le plus efficace est, sans aucun doute, la notification de l’information par voie de lettre recommandée avec accusé de réception.

Reste que cette modalité de délivrance de l’information est particulièrement couteuse, raison pour laquelle la plupart des établissements de crédit privilégient, compte tenu du volume des notifications à traiter, l’envoi par lettre simple.

Dans plusieurs arrêts la Cour de cassation a toutefois averti que « la seule production de la copie d’une lettre ne suffit pas à justifier de son envoi » (V. en ce sens Cass. com. 9 févr. 2016, n°14-22.179 ; Cass. com. 5 déc. 2018, n°17-21.489 ).

Elle a estimé que la preuve de cet envoi n’était pas non plus rapportée en cas de fourniture d’un document constatant un prélèvement effectué par la banque sur le compte de la société débitrice d’une somme au titre des frais d’information annuelle de la caution (Cass. com. 19 janv. 2022, 20-17.553).

La Chambre commerciale a encore jugé insuffisant comme élément de preuve la production d’un tableau d’amortissement (CA Metz 15 mars 1991), d’un relevé de compte (Cass. com. 5 oct. 1993) ou encore d’une attestation de commissaire aux comptes, assortie d’un constat d’huissier de la mise sous pli et de l’affranchissement du courrier (Cass. com. 11 avr. 1995, n°93-10.575).

En réaction à l’exigence probatoire fixée par la Cour de cassation, les établissements de crédit ont opté pour une technique consistant à faire constater par un huissier de justice, d’une part, les relevés informatiques de l’ensemble des lettres d’information envoyées aux cautions en mars de chaque année et, d’autre part, l’envoi global des envois annuels.

Cette technique de preuve semble avoir été admise par la Chambre commerciale dans deux arrêts rendus le 17 novembre 2015 et le 4 mai 2017 (Cass. com. 17 nov. 2015, n°14-28.359 ; Cass. com. 4 mai 2017, n°15-20.352).

==> S’agissant de la preuve du contenu de l’information délivrée

Outre la preuve de la date de délivrance de l’information due à la caution, le créancier doit démontrer que le contenu du courrier envoyé était conforme aux exigences légales.

Dans un arrêt du 17 novembre 1998, elle a ainsi approuvé une Cour d’appel qui pour considérer qu’un établissement bancaire avait manqué à son obligation d’information a jugé que « si les documents produits permettaient d’établir qu’une lettre avait bien été adressée à M. X…, caution, ils ne démontraient pas que celle-ci contenait les informations exigées par l’article 48 de la loi du 1er mars 1984 » (Cass. 1ère civ. 17 nov. 1998, n°96-22.455).

Il ressort de cette décision que la preuve de l’envoi du courrier ne permet pas de démontrer le contenu de l’information délivrée.

La Cour de cassation admet en revanche que la preuve de ce contenu puisse être rapportée au moyen de la production de la copie de la lettre adressée à la caution (Cass. com. 17 oct. 2000, n°97-18.746).

4. Coût de la délivrance de l’information

L’article 2302 du Code civil prévoit que le coût de la délivrance de l’information doit être supporté par le créancier professionnel.

Sous l’empire du droit antérieur, ce dernier avait seulement interdiction de facturer les frais de notification à la caution.

Les établissements bancaires en avaient tiré la conséquence qu’ils pouvaient faire supporter cette charge financière sur le débiteur principal.

Cette pratique est désormais interdite : le créancier professionnel doit délivrer l’information due à la caution à ses seuls frais.

D) Sanction du défaut d’exécution de l’obligation d’information relative à l’étendue de l’engagement de la caution

L’article 2302 du Code civil prévoit que le non-respect de l’obligation d’information est sanctionné par la « déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus depuis la date de la précédente information et jusqu’à celle de la communication de la nouvelle information ».

Cette disposition qui ne fait que reprendre les solutions en vigueur antérieurement à l’adoption de l’ordonnance du 15 septembre 2021, appelle plusieurs remarques :

==> Sur le domaine de la déchéance

Dans un arrêt du 9 décembre 1997 la Cour de cassation a jugé que la déchéance encourue en cas de manquement à l’obligation d’information ne concernait que les intérêts conventionnels appliqués à l’obligation principale et ne pouvait donc pas « être étendue aux intérêts au taux légal auxquels […] la caution est tenue, à titre personnel, à compter de la première mise en demeure qu’elle reçoit » (Cass. 1ère civ. 9 déc. 1997, n°95-19.940).

Dans le droit fil de cette décision, la Chambre commerciale a jugé dans un arrêt du 6 mars 2019, que la déchéance ne couvrait pas non plus les accessoires de la dette principale, tels que notamment les pénalités et autres intérêts de retard (Cass. com. 6 mars 2019, n°17-21.571).

==> Sur l’invocation de la déchéance

S’agissant de l’invocation de la déchéance des intérêts, la Cour de cassation a affirmé, dans un arrêt remarqué, qu’elle pouvait intervenir nonobstant l’existence d’une décision passée en force jugée rendue à l’encontre du débiteur principal au motif que la caution solidaire peut opposer au créancier toutes les exceptions qui lui sont personnelles.

Au cas particulier, il s’agissait de l’admission définitive par le Juge-commissaire d’une créance à la procédure collective d’un débiteur.

Au soutien de sa décision, la Chambre commerciale avance que la décision d’admission de la créance, passée en force de chose jugée, n’interdisait pas aux cautions solidaires, d’invoquer l’exception personnelle tirée de l’inobservation par la banque des obligations dont elle était tenue à leur égard (Cass. com. 22 avr. 1997, n°94-12.862).

==> Sur la durée de la déchéance

Dans un arrêt du 22 juin 1993, la Cour de cassation a jugé que, en cas de notification tardive de l’information due à la caution, la déchéance des intérêts était encourue seulement pour la période comprise entre la date butoir fixée par la loi et la date de régularisation de la situation du créancier (Cass. com. 22 juin 1993, n°91-14.741).

Si donc l’information est délivrée le 30 juin de l’année en cours au lieu du 31 mars, la déchéance couvrira trois mois d’intérêts.

À cet égard, en cas de non-respect de l’obligation d’information, la déchéance prend effet non pas au jour de la souscription du cautionnement, mais à compter de la date à laquelle l’information devait être délivrée au plus tard, soit avant le 31 mars de chaque année (Cass. com. 17 oct. 2000, n°97-18.746).

==> Dérogation au principe d’imputation des paiements

En présence d’une dette unique qui produit des intérêts, l’article 1343-1 du Code civil prévoit que « le paiement partiel s’impute d’abord sur les intérêts. »

Dans un arrêt du 11 juin 1996, la Cour de cassation a précisé que « l’imputation légalement faite du paiement effectué par le débiteur principal est opposable à la caution » (Cass. com., 11 juin 1996, n° 94-15.097).

Il en résulte que l’imputation prioritaire des paiements effectués par le débiteur principal sur les intérêts générés par l’obligation garantie s’impose à la caution.

L’article 2302 du Code civil apporte une dérogation à ce principe en disposant que « dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette. »

Pratiquement cela signifie que le créancier sera déchu de l’intégralité des intérêts échus tant que le défaut d’information subsistera dans la mesure où les paiements du débiteur principal ne s’imputeront d’abord sur le capital restant dû.

Cette sanction est de nature à inciter le créancier à régulariser au plus vite sa situation, faute de quoi le règlement de ses intérêts ne sera pas garanti.

II) L’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur principal

En application de l’article 2303 du Code civil, pèse sur le créancier professionnel l’obligation d’informer la caution de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement.

À l’instar de l’obligation d’information relative à l’étendue de l’engagement de caution, l’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur a, sous l’empire du droit antérieur, fait l’objet de plusieurs consécrations.

Son régime variait néanmoins d’un texte à l’autre au gré des interventions du législateur.

==> Loi du 31 décembre 1989

L’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur a été consacrée, pour la première fois, par la loi n°89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, dite loi Neiertz.

L’objectif recherché était de renforcer la protection de la caution et plus précisément de limiter la survenance des cas de surendettement « par ricochet » résultant de la mise en œuvre du cautionnement.

Cette loi a inséré un article L. 313-9 dans le Code de la consommation qui prévoyait que « toute personne physique qui s’est portée caution à l’occasion d’une opération de crédit relevant des chapitres Ier ou II du présent titre doit être informée par l’établissement prêteur de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement caractérisé susceptible d’inscription au fichier institué à l’article L. 333-4. »

Le domaine de l’obligation visée par ce texte était limité aux opérations de crédit à la consommation et de crédit immobilier.

==> Loi du 29 juillet 1998

La loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions a, par suite, étendu l’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur à deux catégories d’opérations :

  • Première catégorie d’opérations : les cautionnements souscrits en garantie d’une dette contractée par un entrepreneur individuel
    • La loi du 29 juillet 1998 a inséré dans la loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle d’un article 47, II, al. 3e qui prévoyait que « lorsque le cautionnement est consenti par une personne physique pour garantir une dette professionnelle d’un entrepreneur individuel ou d’une entreprise constituée sous forme de société, le créancier informe la caution de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l’exigibilité de ce paiement.»
  • Seconde catégorie d’opérations : les cautionnements conclus entre un créancier professionnel et une caution personne physique
    • La loi du 29 juillet 1998 a inséré un article L. 341-1 dans le Code de la consommation (devenu L. 333-1) qui prévoyait que « sans préjudice des dispositions particulières, toute personne physique qui s’est portée caution est informée par le créancier professionnel de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l’exigibilité de ce paiement.»

À l’analyse, ces deux textes conféraient une portée quasi générale à l’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur principal.

Reste qu’ils se recoupaient entre eux ainsi qu’avec la disposition adoptée dix ans plus tôt par la loi Neiertz.

De l’avis général des auteurs, il était nécessaire de remédier à cette situation, ce que le législateur a fait à l’occasion de la réforme du droit des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021.

==> Ordonnance du 15 septembre 2021

L’ordonnance du 15 septembre 2021 a, comme précisé par le rapport au Président de la République qui l’accompagnait, unifié l’obligation d’information sur la défaillance du débiteur principal.

Cette obligation a été sortie du Code de la consommation pour être insérée dans le Code civil.

Aussi, est-elle désormais envisagée par un seul texte : l’article 2303 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « le créancier professionnel est tenu d’informer toute caution personne physique de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l’exigibilité de ce paiement, à peine de déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus entre la date de cet incident et celle à laquelle elle en a été informée. »

Afin d’appréhender le régime de cette obligation dont est créancière la caution, il convient d’envisager successivement son domaine d’application, son contenu, sa mise en œuvre et la sanction du défaut de son exécution.

A) Domaine de l’obligation relative à la défaillance du débiteur principal

1. Domaine quant aux personnes

Il ressort de l’article 2303 du Code civil que l’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur s’applique aux cautionnements conclus entre :

  • D’une part, une caution personne physique
  • D’autre part, un créancier professionnel

S’agissant de la caution, il est donc indifférent qu’elle soit avertie ou profane. Ce qui importe, c’est qu’il s’agisse d’une personne morale.

L’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur principal n’a donc pas vocation à s’appliquer en présence d’une caution personne morale.

S’agissant du créancier, l’article 2302 du Code civil exige qui endosse la qualité de professionnel.

Pour mémoire, au sens du droit de la consommation, le professionnel est défini par l’article liminaire du Code de la consommation comme « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel. »

Le professionnel peut donc indistinctement être, une personne physique, une personne morale, une personne privée, une personne publique ou encore une personne investie d’un pouvoir de représentation.

Dans un arrêt du 9 juillet 2009, la Cour de cassation a, précisé, au sujet d’un cautionnement, que « le créancier professionnel s’entend de celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale » (Cass. 1ère civ. 9 juill. 2009, n°08-15.910).

C’est donc le critère du rapport direct entre le cautionnement et l’activité exercée par le créancier qui permet de déterminer si celui-ci endosse la qualité de professionnel, faute de quoi il sera considéré, soit comme un consommateur, soit comme un non-professionnel.

2. Domaine quant aux opérations

En application de l’article 2325 du Code civil, l’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur s’applique, tant aux cautionnements personnels, qu’aux cautionnements réels.

A l’instar de l’obligation d’information annuelle, cette obligation n’a pas vocation à s’appliquer en matière d’aval (Cass. com. 16 juin 2009, n°08-14.532).

B) Contenu de l’obligation relative à la défaillance du débiteur principal

L’information due à la caution en application de l’article 2303 du Code civil porte sur « le premier incident de paiement ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par cette formule. Qu’est-ce qu’un premier incident de paiement ?

Le texte apporte une précision sur ce point. Il indique que constitue un incident de paiement ce qui n’est pas « régularisé dans le mois de l’exigibilité de ce paiement ».

Cela signifie que passé le délai d’un mois à compter de la date d’exigibilité de l’obligation principale, en l’absence de paiement réalisé par le débiteur, le créancier doit en informer la caution.

C) La mise en œuvre de l’obligation relative à la défaillance du débiteur principal

L’article 2303 du Code civil n’impose aucune forme s’agissant de la notification de l’information due à la caution.

Reste que le créancier devra se prémunir de toute contestation quant à la délivrance de l’information, raison pour laquelle l’envoi d’un courrier recommandé avec accusé de réception est préconisé.

Quant au délai d’envoi, le texte est également silencieux sur ce point. Il se limite à indiquer que l’information doit être notifiée à la caution consécutivement au premier incident de paiement non régularisé.

On en déduit que le créancier devra agir dans un délai raisonnable et donc ne pas attendre qu’un deuxième incident de paiement survienne.

En tout état de cause, il devra être en mesure de prouver, tant la date d’envoi du courrier, que son contenu, ce qui soulève les mêmes difficultés que la preuve de la délivrance de l’information annuelle prescrite à l’article 2302 du Code civil.

D) La sanction de l’obligation relative à la défaillance du débiteur principal

L’article 2303 du Code civil prévoit que le manquement à l’obligation d’information relative à la défaillance du débiteur est sanctionné par la déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus entre la date de l’incident de paiement et celle à laquelle la caution en a été informée.

Autrement dit, le créancier sera privé de la possibilité de réclamer à la caution le paiement des intérêts pour la période comprise entre le premier incident de paiement et la date à laquelle il a régularisé sa situation.

À cet égard, l’alinéa 2 du texte ajoute que « dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette. »

À l’analyse, la sanction applicable est ici sensiblement la même que pour la violation de l’obligation d’information annuelle, à la nuance près que la déchéance couvre non seulement les intérêts contractuels, mais également les pénalités éventuellement dues par le débiteur.

Dans un arrêt du 3 octobre 2018, la Cour de cassation a précisé que « la déchéance du droit aux intérêts prévue en cas de manquement par la banque à son obligation d’information envers la caution dès le premier incident de paiement n’est pas subordonnée à la preuve d’un préjudice » (Cass. com. 3 oct. 2018, n°17-19.514).

 

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 7e éd., 2005, p. 249, v. « crédit ».

[2] F. Grua, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec, 2001, n°324.

Le nouveau statut de l’entrepreneur individuel

==> Ratio legis

Lorsqu’un entrepreneur individuel exerce, en nom propre, son activité professionnelle, il s’expose à ce que la totalité de son patrimoine – professionnel et personnel – soit saisie en cas de difficultés financières.

Jusque récemment, le seul moyen pour un entrepreneur de préserver son patrimoine personnel en limitant le gage des créanciers aux biens exploités à titre professionnel était de créer une société.

En effet, le recours à la forme sociétale répond parfaitement au souci de distinguer patrimoine professionnel et patrimoine personnel, dettes professionnelles et dettes personnelles.

Une société, personne morale distincte de l’entrepreneur, dispose d’un patrimoine propre et répond des dettes résultant de son activité. Quant au patrimoine personnel de l’entrepreneur, il demeure extérieur à l’activité professionnelle et, par conséquent, est protégé de ses aléas.

La création d’une personne morale se révèle néanmoins parfois inadaptée à l’exercice d’une activité professionnelle à titre individuel en raison de la lourdeur du formalisme et des obligations qui pèsent sur le chef d’entreprise.

Par ailleurs, des études ont révélé que la vulnérabilité de leur statut ou plutôt de leur absence de statut, ne suffisait pas à inciter les entrepreneurs individuels à faire le choix systématique de la forme sociétale. Ils sont en proie à des « freins psychologiques », que l’on peut résumer en une réticence de l’entrepreneur à constituer une personne morale distincte.

==> De l’EURL à l’EIRL

Fort de ce constat, le législateur a cherché à encourager les entrepreneurs à se tourner vers la forme sociale en simplifiant les règles de création et de fonctionnement des sociétés :

  • La loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée a rompu avec le principe de l’affectio societatis, selon lequel une société résulte de la volonté de collaborer d’au moins deux associés, en permettant à un entrepreneur individuel de constituer seul une société ;
  • La loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle a procédé à une refonte des formalités et obligations auxquelles étaient soumises les entreprises, dans le but de les simplifier ;
  • La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a d’abord institué le mécanisme d’insaisissabilité de la résidence principale aux articles L. 526-1 à L. 526-5 du code de commerce, constituant une entorse au droit de gage général posé aux articles 2284 et 2285 du code civil. Elle a ensuite supprimé le capital minimum dans les SARL, rompant ainsi avec le principe de capitalisation des sociétés ;
  • La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a procédé à de nouvelles simplifications dans le fonctionnement des entreprises et étendu l’insaisissabilité à tous les biens fonciers non affectés à l’usage professionnel.

Nonobstant ces réformes successives qui visaient à encourager l’exercice de l’entreprenariat individuel au moyen d’une forme sociale, ni l’EURL ni l’insaisissabilité de la résidence principale n’ont attiré les entrepreneurs.

Le législateur en a tiré la conséquence, qu’il convenait de changer de paradigme et d’ouvrir une brèche dans le sacro-saint principe de l’unicité du patrimoine.

Pour mémoire, ce principe théorisé au début du XIXe siècle par Charles Aubry et Charles-Frédéric Rau, signifie qu’une personne ne peut être titulaire que d’un seul patrimoine. Aussi, parle-t-on, d’unicité ou d’indivisibilité du patrimoine.

  • Positivement, il en résulte que le passif répond du passif et que l’ensemble des dettes sont exécutoires sur l’ensemble des biens, conformément aux articles 2284 et 2285 du Code civil : « qui s’oblige, oblige le sien»
  • Négativement, il se déduit qu’il est interdit d’isoler certains éléments du patrimoine, pour constituer une universalité distincte du reste du patrimoine

Ainsi, une personne qui affecterait certains biens à l’exercice d’une activité professionnelle n’aurait, par principe, pas pour effet de créer un ensemble de biens et de dettes séparé de son patrimoine personnel, sauf à créer une personne morale ou à accomplir les formalités aux fins de constituer un patrimoine professionnel.

Très tôt le principe d’unicité du patrimoine a été critiqué par la doctrine en ce qu’elle exposait l’entrepreneur individuel à des risques financiers importants sur son patrimoine personnel pour des dettes nées dans le cadre de son activité professionnelle.

Jusque récemment, la seule solution qui s’offrait à lui pour contourner le principe d’unicité du patrimoine était de créer une société, laquelle serait titulaire d’un patrimoine distinct de son propre patrimoine.

À cet égard, tout entrepreneur individuel, qu’il soit commerçant, artisan, indépendant ou agriculteur, peut créer une société unipersonnelle à responsabilité limitée et opérer de cette manière une distinction entre son patrimoine personnel et son patrimoine professionnel.

L’EURL n’a toutefois pas obtenu le succès escompté, les entrepreneurs individuels préférant majoritairement exercer leur activité en nom propre.

Par souci de justice sociale et de protection de la famille des entrepreneurs ayant adopté cette seconde modalité – risquée – d’exercice, le législateur a finalement décidé d’ouvrir une brèche dans le principe d’unicité du patrimoine en créant, par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

La particularité de ce statut – et c’est la révolution opérée par ce texte – est qu’il permet à l’entrepreneur individuel, tout à la fois d’exercer son activité en nom propre et de créer un patrimoine d’affectation.

Pour la première fois, l’entrepreneur individuel était ainsi autorisé à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.

À l’analyse, la création d’un patrimoine d’affectation déroge aux règles posées aux articles 2284 et 2285 du Code civil, en établissant que les créances personnelles de l’entrepreneur ne sont gagées que sur le patrimoine non affecté, et les créances professionnelles sur le patrimoine affecté.

L’admission de la constitution d’un patrimoine d’affectation opère donc une rupture profonde avec le dogme de l’unicité du patrimoine organisé jusqu’alors par le droit civil français.

Le bénéfice du régime de l’EIRL était toutefois subordonné à l’observation d’un formalisme rigoureux visant à garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur lui-même et des tiers.

Pour créer un patrimoine d’affectation, l’entrepreneur devait notamment :

  • D’une part, procéder à une déclaration d’affectation
  • D’autre part, tenir une comptabilité séparée

Là encore, à l’instar de l’EURL, l’EIRL n’a pas rencontré un franc succès chez les entrepreneurs individuels.

Selon une étude réalisée par le Conseil d’État, en 2021, seuls 97 000 chefs d’entreprise étaient soumis au régime de l’EIRL alors que, à la même époque, on comptait près de 3 millions de travailleurs indépendants.

Les raisons de cet échec doivent sans doute être recherchées dans la complexité des formalités administratives et comptables requises pour créer une EIRL, quoiqu’elles aient été progressivement simplifiées, notamment par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite « PACTE ».

C’est dans ce contexte, qu’il est à nouveau apparu nécessaire de réformer le statut de l’entrepreneur individuel.

==> La création d’un statut unique d’entrepreneur individuel

Animé par la volonté de renforcer la protection des travailleurs indépendants, le législateur est intervenu en 2022 aux fins de créer un statut unique d’entrepreneur individuel.

À cet effet, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a innové en instaurant une séparation de plein droit entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.

Il n’est désormais plus nécessaire que celui-ci procède à une déclaration préalable d’affectation.

Dès lors qu’une personne exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes, elle est titulaire de deux patrimoines :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Outre la consécration d’une séparation de plein droit des patrimoines de l’entrepreneur individuel, la loi du 14 février 2022 a instauré un dispositif permettant la transmission universelle du patrimoine professionnel entre vifs, y compris sous la forme d’un apport en société.

Ce dispositif déroge au principe selon lequel une personne physique ne peut, de son vivant, transmettre son patrimoine.

Pour cette catégorie de personnes, il est seulement permis de transmettre des biens et des obligations à titre particulier.

Le régime de cette transmission universelle de patrimoine instauré par la loi du 14 février 2022 est largement emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts sociales en une seule main.

À cet égard, bien qu’ouvert désormais aux personnes physiques, ce nouveau dispositif, à l’instar de la séparation des patrimoines professionnel et personnel, ne peut bénéficier qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

Aussi, convient-il, avant d’envisager un à un chacun de ces dispositifs, d’aborder les conditions du statut d’entrepreneur individuel qui diffèrent sensiblement de celles anciennement requises pour accéder au statut d’EIRL.

Section 1 : Les conditions du statut unique d’entrepreneur individuel

§1: Les conditions d’éligibilité au statut d’entrepreneur individuel

Le statut institué par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

L’article L. 526-22 du Code de commerce définit l’entrepreneur individuel comme « une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. »

Il ressort de cette disposition que la qualité d’entrepreneur individuel requiert la réunion de plusieurs éléments cumulatifs :

  • Premier élément
    • L’entrepreneur individuel est nécessairement une personne physique.
    • Et pour cause, le statut unique d’entrepreneur individuel a précisément été créé pour les personnes qui ne souhaitaient pas, pour diverses raisons, exercer leur activité professionnelle par l’entremise d’une société.
    • Aussi, le statut d’entrepreneur individuel ne saurait être sollicité par une personne morale.
    • Une société est donc strictement assujettie au principe d’unicité de son patrimoine sans possibilité pour elle d’y déroger.
  • Deuxième élément
    • L’entrepreneur individuel exerce nécessairement en son nom propre, ce qui signifie qu’il agit pour son propre compte.
    • Il n’intervient donc pas en représentation d’une tierce personne, de sorte qu’il est personnellement tenu aux engagements qu’il souscrit.
  • Troisième élément
    • Pour se prévaloir du statut d’entrepreneur individuel, il est nécessaire, précise l’article L. 526-22 du Code de commerce, d’exercer « une ou plusieurs activités professionnelles».
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « activité professionnelle».
    • Aussi, l’activité exercée par l’entrepreneur doit constituer une profession.
    • Par profession, il faut entendre selon le doyen Riper « le fait de consacrer d’une façon principale et habituelle son activité à l’accomplissement d’une tâche dans le dessein d’en tirer profit »
    • En d’autres termes, pour qu’une activité constitue une profession, cela suppose qu’elle soit, pour son auteur, sa principale source de revenus et, surtout, lui permette d’assurer la pérennité de son entreprise
  • Quatrième élément
    • Le statut d’entrepreneur individuel ne peut bénéficier qu’aux personnes qui exercent une activité indépendante.
    • L’indépendance dont il s’agit est juridique et non économique.
    • Il en résulte que les membres d’un réseau de distribution ou un franchisé peuvent parfaitement endosser le statut d’entrepreneur individuel.
    • Les personnes en revanche exclues du bénéfice de ce statut sont :
      • Les salariés qui agissent pour le compte de leur employeur.
      • Les dirigeants sociaux qui agissent au nom et pour le compte d’une société.
      • Les mandataires, tels que les agents commerciaux qui représentent un commerçant

Il ressort de ces quatre éléments constitutifs de la notion d’entrepreneur individuel que le statut attaché à cette qualité est ouvert à de nombreux agents économiques au nombre desquels figurent notamment les commerçants, les artisans, les agriculteurs et plus généralement tous les autres professionnels indépendants, qu’ils relèvent ou nom d’une profession réglementée.

À cet égard, comme indiqué par les travaux parlementaires, l’immatriculation à un registre de publicité légale professionnelle n’est pas une condition pour bénéficier du statut d’entrepreneur individuel : ce statut peut donc bénéficier à un entrepreneur individuel dont la profession n’est pas soumise à une réglementation qui lui est propre et qui n’est donc pas inscrit sur un registre spécifique ou un ordre particulier.

§2: Les conditions d’exercice du statut d’entrepreneur individuel

==> La dénomination professionnelle

L’article R. 526-27 du Code de commerce issu du décret n° 2022-725 du 28 avril 2022, pose deux exigences s’agissant de la dénomination professionnelle adoptée par l’entrepreneur individuel :

  • Première exigence
    • Pour l’exercice de son activité professionnelle l’entrepreneur individuel utilise une dénomination incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.
    • Cette restriction de la liberté de choisir une dénomination professionnelle se justifie par la protection des tiers auxquels le statut de l’entrepreneur individuel doit être porté à leur connaissance.
  • Seconde exigence
    • La dénomination choisie par l’entrepreneur individuel doit figurer sur tous les documents et correspondances à usage professionnel de l’intéressé.

À ces deux exigences énoncées par l’article R. 526-27 du Code de commerce, il convient d’en compter une troisième lorsque l’entrepreneur individuel exerce une activité commerciale.

En effet, l’article R. 123-237 du Code de commerce prévoit que toute personne immatriculée au registre du commerce et des sociétés est tenu d’indiquer sur ses factures, notes de commande, tarifs et documents publicitaires ainsi que sur toutes correspondances et tous récépissés concernant son activité et signés par elle ou en son nom la dénomination utilisée pour l’exercice de l’activité professionnelle incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.

Il devra indiquer, en outre, sur son site internet la mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée.

==> Le compte bancaire

Sous l’empire du droit antérieur, l’article L. 526-13 du Code de commerce imposait à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) d’« ouvrir dans un établissement de crédit un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés à l’activité à laquelle le patrimoine a été affecté ».

Le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 a mis fin à cette obligation, de sorte que l’entrepreneur individuel n’est plus tenu d’ouvrir un compte bancaire exclusivement dédié à son activité professionnelle.

L’article R. 526-27 du Code de commerce prévoit seulement que « chaque compte bancaire dédié à son activité professionnelle ouvert par l’entrepreneur individuel doit contenir la dénomination dans son intitulé. »

Section 2 : Le contenu du statut unique d’entrepreneur individuel

Le statut de l’entrepreneur individuel repose sur trois dispositifs spécifiques :

  • La séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel
  • La faculté de transmission universelle du patrimoine professionnel
  • Le principe d’insaisissabilité de la résidence principale

§1 : La séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel

I) Le principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

==> Patrimoine professionnel et patrimoine personnel

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a donc instauré un principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel.

Cela signifie que toute personne endossant le statut d’entrepreneur individuel est désormais titulaire, de plein droit, soit sans qu’il soit nécessaire d’accomplir un quelconque acte de volonté ou toute autre formalité, de deux patrimoines distincts :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Sous l’empire du droit antérieur, la ligne de démarcation entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur exerçant en EIRL procédait d’une déclaration d’affectation.

Pratiquement cette déclaration consistait pour l’entrepreneur à désigner les biens qu’il jugeait nécessaire à l’exercice de son activité professionnelle.

Désormais, la consistance de l’un et l’autre patrimoine est déterminée par un critère fixé par la loi : le critère de « l’utilité ».

==> Le critère de l’utilité

En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel serait donc constitué – automatiquement – de l’ensemble des biens, droits, obligations et sûretés « utiles » à l’exercice de son activité professionnelle.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « utile ». Il s’agit là d’une notion qui occupe une place centrale dans le dispositif mis en place par le législateur.

Aussi, afin de garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel, de ses ayants droit, mais également des tiers, le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 est venu préciser la notion d’utilité en dressant une liste des biens, droits et obligations réputés utiles à l’exercice de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel.

L’article R. 526-26 du Code de commerce, issu de ce décret, prévoit en ce sens :

En premier lieu, que les biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utiles à l’activité professionnelle, s’entendent de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité, tels que :

  • Le fonds de commerce, le fonds artisanal, le fonds agricole, tous les biens corporels ou incorporels qui les constituent et les droits y afférents et le droit de présentation de la clientèle d’un professionnel libéral ;
  • Les biens meubles comme la marchandise, le matériel et l’outillage, le matériel agricole, ainsi que les moyens de mobilité pour les activités itinérantes telles que la vente et les prestations à domicile, les activités de transport ou de livraison ;
  • Les biens immeubles servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel ; lorsque ces immeubles sont détenus par une société dont l’entrepreneur individuel est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l’entrepreneur individuel, les actions ou parts d’une telle société ;
  • Les biens incorporels comme les données relatives aux clients, les brevets d’invention, les licences, les marques, les dessins et modèles, et plus généralement les droits de propriété intellectuelle, le nom commercial et l’enseigne ;
  • Les fonds de caisse, toute somme en numéraire conservée sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, les sommes inscrites aux comptes bancaires dédiés à cette activité, notamment au titre des articles L. 613-10 du code de la sécurité sociale et L. 123-24 du présent code, ainsi que les sommes destinées à pourvoir aux dépenses courantes relatives à cette même activité.

En second lieu, que lorsque l’entrepreneur individuel est tenu à des obligations comptables légales ou réglementaires, son patrimoine professionnel est présumé comprendre au moins l’ensemble des éléments enregistrés au titre des documents comptables, sous réserve qu’ils soient réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise. Sous la même réserve, les documents comptables sont présumés identifier la rémunération tirée de l’activité professionnelle indépendante, qui est comprise dans le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

==> Sort des biens mixtes

À l’occasion des travaux parlementaires, le Sénat avait relevé que le projet de loi examiné était silencieux sur le sort des biens mixtes, soit ceux utilisés à la fois à des fins professionnelles ou personnelles.

La question qui est alors susceptible de se poser est de savoir à quelle masse de biens ce type de bien appartient, à tout le moins comment articuler le droit de gage des créanciers professionnel et personnel.

Afin d’apporter une meilleure protection à l’entrepreneur individuel les sénateurs ont proposé de limiter les biens relevant du patrimoine professionnel à ceux « exclusivement utiles » à l’exercice de l’activité professionnelle.

De cette façon, les biens à usage mixte seraient nécessairement compris dans le patrimoine personnel.

En contrepartie, il a été imaginé que le droit de gage des créanciers professionnels soit étendu au patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel à hauteur de la valeur d’un droit d’usage des biens mixtes, correspondant à leur utilisation effective dans un cadre professionnel pour une durée d’une année.

L’illustration a été donnée du local dont l’entrepreneur individuel est propriétaire ou locataire qui serait utilisé à des fins professionnelles et personnelles. Les créanciers professionnels seraient en droit de saisir sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur l’équivalent des sommes dues pour une mise à disposition non exclusive du local pendant un an.

Bien que séduisante, cette proposition n’a finalement pas été retenue par l’Assemblée nationale au motif qu’elle aurait conduit à ajouter de la complexité au critère de l’utilité.

Faute de précision dans la version finale de la loi du sort des biens mixtes, la Conseil d’État a suggéré qu’un décret soit adopté afin de pallier cette carence qui est de nature à affecter la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel.

==> Charge de la preuve

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que la charge de la preuve incombe à l’entrepreneur individuel pour toute contestation de mesures d’exécution forcée ou de mesures conservatoires qu’il élève concernant l’inclusion ou non de certains éléments d’actif dans le périmètre du droit de gage général du créancier.

Aussi, appartiendra-t-il à l’entrepreneur, pour échapper aux poursuites de ses créanciers, de prouver que le bien appréhendé :

  • Soit est utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie n’est pas née à l’occasion de son activité professionnelle
  • Soit n’est pas utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie est née à l’occasion de son activité professionnelle.

Le texte ajoute que la responsabilité du créancier saisissant peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu’il a procédé à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d’actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général.

Avant d’appréhender un ou plusieurs biens de l’entrepreneur individuel, le créancier devra donc s’assurer que le bien convoité relève du patrimoine sur lequel s’exerce son droit de gage général. À défaut, il s’expose à engager sa responsabilité.

II) Les effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

A) La date de prise d’effet du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-23 du Code de commerce régit la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines dont la mise en œuvre consiste pour l’entrepreneur individuel à ne répondre de ses dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle que sur son seul patrimoine professionnel.

L’enjeu pour le législateur était de permettre aux tiers de savoir au moment où ils contractent avec un entrepreneur individuel s’il est ou non tenu de répondre de ses engagements sur l’ensemble de ses biens.

Afin de satisfaire à cet objectif, le législateur a subordonné la limitation du droit de gage des créanciers de l’entrepreneur individuel à la condition que son activité professionnelle ait fait l’objet, à la date de naissance de la créance, d’une mesure de publicité adéquate : immatriculation à un registre de publicité légale, inscription sur une liste ou au tableau d’un ordre etc.

Dans l’hypothèse toutefois où aucune obligation d’immatriculation ne pèse sur l’entrepreneur individuel, la date de prise d’effet est fixée au jour de l’accomplissement du premier acte matérialisant le commencement d’activité professionnelle.

Pratiquement, la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines diffère donc selon que pèse ou non sur l’entrepreneur individuel une obligation d’immatriculation.

  • L’entrepreneur est assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de l’immatriculation au registre dont relève l’entrepreneur individuel pour son activité (registre du commerce et des sociétés, répertoires des métiers etc.).
    • Lorsque celui-ci relève de plusieurs registres, la dérogation prend effet à compter de la date d’immatriculation la plus ancienne.
    • À cet égard, lorsque la date d’immatriculation est postérieure à la date déclarée du début d’activité, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de la date déclarée du début d’activité, dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État.
  • L’entrepreneur n’est pas assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, l’article L. 526-23 du Code de commerce prévoit que la séparation des patrimoines opère à compter du premier acte que l’entrepreneur exerce en qualité d’entrepreneur individuel.
    • Pour déterminer cette date, il conviendra, suggère le texte, de se reporter aux documents et correspondances éventuellement établis par l’entrepreneur individuel dans la mesure à sa qualité doit obligatoirement y être mentionnée.

B) Le déploiement des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

1. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers professionnels

1.1 Principe

L’article L. 526-22, al. 3e du Code de commerce prévoit que « par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil et sans préjudice des dispositions légales relatives à l’insaisissabilité de certains biens, notamment la section 1 du présent chapitre et l’article L. 526-7 du présent code, l’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l’article L. 526-25. »

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine professionnel.

C’est là la conséquence directe du principe de séparation des patrimoines qui donc limite le gage des créanciers professionnels qui ne pourront donc pas exercer leurs poursuites sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

La séparation entre les patrimoines professionnel et personnel n’est toutefois pas absolue ; elle souffre de quelques tempéraments visant tantôt à octroyer de la souplesse quant à la mise en œuvre du dispositif, tantôt à protéger certains créanciers.

1.2 Tempéraments

Le législateur a assorti le principe de séparation des patrimoines de deux tempéraments afin de faciliter l’accès au crédit de l’entrepreneur individuel dans ses rapports avec les créanciers professionnels.

a. Constitution de sûretés sur le patrimoine personnel

L’article L. 526-22, al. 4e du Code de commerce autorise l’entrepreneur individuel, nonobstant le principe de séparation des patrimoines, à consentir à ses créanciers professionnels des sûretés constituées sur des biens relevant de son patrimoine personnel.

Par exemple, il peut constituer une hypothèque sur un bien immobilier personnel en garantie d’un prêt contracté auprès d’un établissement de crédit aux fins de financer son activité professionnelle.

L’alinéa 3 du texte précise, en revanche, que « la distinction des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est débiteur principal. »

Cette règle qui interdit à l’entrepreneur individuel de s’auto-cautionner trouve sa racine dans l’économie générale de l’opération de cautionnement qui requiert que la caution soit une personne distincte du débiteur principal.

Déjà sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait jugé dans un arrêt du 28 avril 1964 qu’un entrepreneur individuel ne pouvait pas cautionner les dettes souscrites au titre de son activité professionnelle.

Au soutien de sa décision, elle avait avancé que « celui qui est débiteur d’une obligation à titre principal ne peut être tenu de la même obligation comme caution » (Cass. com. 28 avr. 1964). Était ainsi posée l’interdiction de l’engagement de caution souscrit pour soi-même.

Il en résulte que la faculté pour l’entrepreneur principal de consentir à ses créanciers professionnels des garanties conventionnelles n’opère que pour les sûretés réelles.

Il peut enfin être observé que cette faculté n’est prévue par la loi qu’au bénéfice des créanciers professionnels.

Aucune disposition de ce type n’est prévue en sens inverse, au profit des créanciers personnels.

Il s’en déduit qu’il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de constituer une sûreté sur un bien relevant de son patrimoine professionnel aux fins de garantir une dette personnelle.

b. Renonciation à la séparation des patrimoines

b.1 Principe de la renonciation

Afin de ne pas limiter les capacités de financement de l’entrepreneur individuel, la loi l’autorise à renoncer purement et simplement au principe de séparation des patrimoines.

En exerçant ce droit, l’entrepreneur permet ainsi à ses créanciers d’étendre leur droit de gage sur tout ou partie de son patrimoine personnel.

Concrètement, le créancier poursuivant pourra ainsi saisir les biens personnels de l’entrepreneur individuel pour obtenir le recouvrement de sa créance, à l’exclusion de ceux frappés d’insaisissabilités telle que la résidence principale.

Cette faculté de renonciation a été prévue par le législateur afin de ne pas empêcher les entrepreneurs qui n’ont que peu de garanties à proposer d’accéder plus facilement au crédit.

Comme relevé lors de débats parlementaires, il s’agit là d’une grande avancée par rapport au statut de l’EIRL, qui ne permettait pas une renonciation spécifique : c’était « tout ou rien ».

b.2 Modalités de la renonciation

La renonciation étant un acte grave, dont les conséquences peuvent être ruineuses pour l’entrepreneur, sa validité est subordonnée à l’observation d’un certain nombre de modalités fixées par la loi.

i. Une demande formulée par le créancier professionnel

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation de l’entrepreneur au principe de séparation des patrimoines n’est valable que si, au préalable, le créancier professionnel en a fait la demande.

Cette demande, formulée par le créancier professionnel doit être écrite

Le créancier professionnel devra s’assurer qu’elle a bien été réceptionnée par l’entrepreneur individuel, dans la mesure où la réception de la demande de renonciation fait courir au délai de réflexion.

ii. L’observation d’un délai de réflexion 

  • Principe
    • À réception de la demande de renonciation formulée par le créancier professionnel, l’entrepreneur individuel dispose d’un délai de réflexion de sept jours francs.
    • Cela signifie que l’acte de renonciation ne peut produire ses effets avant l’expiration de ce délai.
  • Tempérament
    • L’article L. 526-25, al. 2e du Code de commerce prévoit la possibilité de réduire le délai de réflexion à trois jours francs Si l’entrepreneur individuel fait précéder sa signature d’une mention manuscrite dont les termes sont fixés par l’article D. 526-28, IV du Code de commerce.
    • Cette disposition prévoit que Lorsque l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation entendent réduire le délai de réflexion au terme duquel la renonciation intervient, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article L. 526-25, l’acte de renonciation porte, de la main de l’entrepreneur individuel, la mention manuscrite suivante :
      • « Je déclare par la présente renoncer au bénéfice du délai de réflexion de sept jours francs, fixé conformément aux dispositions de l’article L. 526-25 du code de commerce. En conséquence, ledit délai est réduit à trois jours francs. »
    • La possibilité de réduire le délai de réflexion à 3 jours procède d’un amendement proposé par les sénateurs qui ont fait valoir que le délai de sept jours pourrait apparaître long en cas de besoin urgent pour l’entrepreneur individuel d’accéder au crédit et notamment obtenir un crédit court terme pour faire face à une baisse voire à une interruption imprévue de son activité.

iii. L’établissement d’un acte de renonciation

?: Conditions de fond 

  • Une renonciation spéciale
    • L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que l’entrepreneur individuel ne peut renoncer au principe de séparation des patrimoines que « pour un engagement spécifique dont il doit rappeler le terme et le montant, qui doit être déterminé ou déterminable. »
    • À la différence de l’entrepreneur qui exerçait en EIRL, l’entrepreneur individuel ne pourra donc pas opter pour une renonciation globale, soit qui opérerait pour l’ensemble des dettes contractées.
    • Pratiquement, l’acte de renonciation devra donc :
      • D’une part, désigner l’engagement spécifique concerné
      • D’autre part, préciser le terme et le montant de cet engagement
    • À défaut, la renonciation encourt la nullité
  • Une renonciation éclairée
    • L’article D 526-28 du Code de commerce met à la charge du bénéficiaire de la renonciation une obligation d’information sur les conséquences de celle-ci sur les patrimoines de l’entrepreneur individuel.
    • L’information délivrée doit ainsi permettre à ce dernier d’apprécier la portée de cette renonciation, laquelle est susceptible d’emporter de lourdes conséquences sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur. Individuel, puisque réintégré dans l’assiette du droit de gage général des créanciers professionnels.
    • Cette obligation d’information n’est toutefois assortie d’aucune sanction.
    • Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’il reviendra de préciser ce point et notamment de déterminer si le défaut d’information doit être sanctionné par la nullité de la renonciation ou par l’octroi de dommages et intérêts.

?: Conditions de forme

==> Remise d’un modèle d’acte

L’article D. 526-29 du Code de commerce prévoit que « si le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier, il remet gratuitement un exemplaire du modèle type à l’entrepreneur individuel qui en fait la demande. »

À cet effet, un modèle type d’acte de renonciation a été approuvé par l’arrêté du 12 mai 2022 relatif à certaines formalités concernant l’entrepreneur individuel et ses patrimoines (accessible à partir du lien suivant : modèle de renonciation)

==> Les mentions figurant dans l’acte

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation par l’entrepreneur individuel au principe de séparation des patrimoines « doit respecter, à peine de nullité, des formes prescrites par décret. »

Il y a donc lieu de se reporter à l’article D. 526-28 issu du décret n° 2022-799 du 12 mai 2022 afin de déterminer les formes devant être observées par l’acte de renonciation.

Cette disposition prévoit que doivent figurer plusieurs sortes de mentions sur l’acte de renonciation :

  • En ce qui concerne l’entrepreneur individuel renonçant à la protection de son patrimoine personnel
    • Les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, nationalité, date et lieu de naissance et domicile de l’entrepreneur individuel ;
    • L’activité ou les activités professionnelles et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 ;
    • L’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
    • Le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 si l’entrepreneur est déjà immatriculé, ou, lorsqu’elle est antérieure à la date d’immatriculation, la date déclarée du début d’activité ;
  • En ce qui concerne le bénéficiaire de la renonciation
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne physique :
      • les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, date, lieu de naissance et domicile du bénéficiaire de la renonciation ;
      • le cas échéant, l’activité ou les activités professionnelles exercées, l’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne morale :
      • la raison sociale ou la dénomination sociale, suivie, le cas échéant, du sigle et de la forme ;
      • l’adresse du siège social ou de l’établissement, ou, à défaut, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
      • le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
      • l’indication que le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier.
  • En ce qui concerne l’engagement au titre duquel la renonciation est sollicitée
    • La date de l’engagement ;
    • L’objet de l’engagement ;
    • La date d’échéance de l’engagement, c’est-à-dire la date contractuelle prévue pour le remboursement total des sommes dues au titre de l’engagement, étant précisé que celle-ci peut être prorogée soit par un accord des parties soit par une décision judiciaire ;
    • Le montant de l’engagement ou les éléments permettant de le déterminer ; ces éléments, une fois spécifiés dans l’acte de renonciation fixent définitivement le plafond pour lequel une même renonciation vaut ;
    • La date de demande de la renonciation.

==> La signature de l’acte de renonciation

L’article D. 526-28 du Code de commerce prévoit que, à peine de nullité, l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation apposent leur signature sur l’acte, ainsi que la date et le lieu.

Ce texte précise qu’il peut être fait usage d’une signature électronique qualifiée répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique.

c. L’inopposabilité de la séparation des patrimoines aux créanciers publics

L’article L. 526-24 du Code de commerce prévoit une dérogation au principe de séparation des patrimoines au profit des créanciers publics et plus précisément de l’administration fiscale et des organismes de recouvrement de la sécurité sociale.

Cette disposition prévoit que « le droit de gage de l’administration fiscale et des organismes de sécurité sociale porte sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales, dans les conditions prévues aux I et II de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales, ou d’inobservation grave et répétée dans le recouvrement des cotisations et contributions sociales, dans les conditions prévues à l’article L. 133-4-7 du code de la sécurité sociale ».

Ainsi, la dissociation des patrimoines ne sera pas opposable à l’administration fiscale et aux organismes de sécurité sociale en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée des obligations fiscales ou sociales.

Le texte ajoute que cette inopposabilité joue également pour les impositions mentionnées au III de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « le recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux ainsi que de la taxe foncière afférente aux biens immeubles utiles à l’activité professionnelle dont est redevable la personne physique exerçant une activité professionnelle en tant qu’entrepreneur individuel ou son foyer fiscal peut être recherché sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel. Le présent III n’est pas applicable au recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux lorsque l’entrepreneur individuel a opté pour l’impôt sur les sociétés dans les conditions prévues à l’article 1655 sexies du code général des impôts. »

Enfin, l’article L. 526-24 du Code de commerce précise, s’agissant spécifiquement des organismes de sécurité sociale, que la séparation des patrimoines professionnels et personnels de l’entrepreneur individuel leur est inopposable pour les impositions et contributions mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 133-4-7 du même code.

2. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers personnels

a. Principe

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que « seul le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers dont les droits ne sont pas nés à l’occasion de son exercice professionnel ».

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées en dehors du cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine personnel.

Il en résulte que les biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel sont hors de portée de ses créanciers personnels dont le gage est limité aux seuls biens qui ne sont pas utiles à l’activité professionnelle.

Ce principe n’est toutefois pas absolu. Le législateur l’a assorti de tempéraments.

b. Tempéraments

En application du principe de séparation des patrimoines, parce qu’il existe une corrélation entre les dettes contractées par l’entrepreneur individuel et le passif engagé, les tempéraments dont ce principe est assorti devraient, en toute logique, jouer symétriquement à la faveur tant des créanciers professionnels que des créanciers personnels.

Telle n’est toutefois pas la voie empruntée par le législateur qui a institué une différence de traitement entre les deux catégories de créanciers.

Les possibilités offertes aux créanciers personnels de l’entrepreneur individuel de se soustraire à l’application du principe de séparation des patrimoines sont, en effet, bien plus limitées que celles dont bénéficient les créanciers professionnels.

==> Tempéraments retenus

Le principe de séparation des patrimoines souffre de deux tempéraments en faveur des créanciers personnels

  • Premier tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que, par exception au principe de séparation des patrimoines, « si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s’exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos. »
    • Pratiquement, dans l’hypothèse où la réalisation de l’actif relevant du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel ne permettrait pas désintéresser totalement ses créanciers personnels, ces derniers seront autorisés à appréhender le bénéfice éventuellement réalisé par leur débiteur dans le cadre de son activité professionnelle.
    • S’agissant de prendre pour point de référence le dernier exercice clos pour calculer le montant du bénéfice saisissable par les créanciers personnels, les travaux parlementaires justifient ce choix par l’impossibilité de déterminer en cours d’exercice quel montant a vocation à être prélevé par l’entrepreneur pour son usage personnel, autrement dit à rejoindre le patrimoine personnel.
    • À l’analyse, le montant maximal susceptible d’être prélevé par l’entrepreneur étant celui du bénéfice annuel, la seule solution est de se reporter au dernier exercice clos.
  • Second tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que les sûretés réelles consenties par l’entrepreneur individuel avant le commencement de son activité ou de ses activités professionnelles indépendantes conservent leur effet, quelle que soit leur assiette.
    • Il en résulte que dans l’hypothèse où une sûreté serait constituée sur un bien devenu utile à l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel en garantie d’une dette personnelle, le bénéficiaire de la sûreté sera autorisé à saisir le bien grevé, nonobstant le principe de séparation des patrimoines.

==> Tempéraments exclus

Deux tempéraments au principe de séparation des patrimoines qui jouent en faveur des créanciers professionnels ne bénéficient pas aux créanciers personnels.

  • Première exclusion
    • Bien que la loi soit silencieuse sur ce point, il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de renoncer à la séparation des patrimoines en faveur de ses créanciers personnels.
    • Cette renonciation ne peut jouer qu’au profit des seuls créanciers professionnels.
    • Le gage des créanciers personnels sera, dans ces conditions, nécessairement cantonné aux biens composant le patrimoine personnel de l’entrepreneur
  • Seconde exclusion
    • Comme précisé dans le rapport établi par Christophe-André Frassa, si la loi ménage expressément la faculté, pour l’entrepreneur individuel, de consentir à ses créanciers professionnels des sûretés conventionnelles assises sur des biens compris dans son patrimoine personnel, « aucune disposition de ce type n’est prévue, en sens inverse, au bénéfice des créanciers personnels».
    • Il est donc fait interdiction à l’entrepreneur individuel d’accorder à ses créanciers personnels une sûreté qui serait constituée sur un bien relevant de son patrimoine professionnel.

Ainsi, comme relevé dans les travaux parlementaires, une nette dissymétrie oppose les créanciers professionnels aux créanciers personnels.

Les premiers, pour assurer le recouvrement de leur créance, pourront saisir dans certaines conditions tout ou partie des biens compris dans le patrimoine personnel, soit qu’ils soient titulaires d’une sûreté conventionnelle assise sur l’un de ces biens, soit qu’ils bénéficient d’une renonciation à la séparation des patrimoines.

Les seconds, en revanche, ne pourront exercer leur droit de gage général sur le patrimoine professionnel qu’à titre subsidiaire et dans la limite du montant du bénéfice du dernier exercice clos.

Les biens à usage professionnel sont donc mis hors de portée des créanciers personnels, comme s’ils étaient logés dans une société.

Selon Christophe-André Frassa, cette dissymétrie peut se justifier. En effet, alors que le patrimoine professionnel est défini limitativement, ce n’est pas le cas du patrimoine personnel, qui comprend tous les biens et droits non compris dans l’autre patrimoine.

En outre, parmi les biens de l’entrepreneur individuel, les plus précieux (notamment, le cas échéant, sa résidence principale) seraient le plus souvent compris dans son patrimoine personnel et pourraient donc être appréhendés par ses créanciers personnels.

Afin de ne pas diminuer excessivement les droits des créanciers professionnels, il est donc légitime de ne pas autoriser, au profit des créanciers personnels, la constitution de sûretés sur des biens professionnels ou la renonciation à la séparation des patrimoines.

III) L’extinction des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-22 du Code de commerce prévoit deux cas de réunion des patrimoines professionnels et personnels :

  • Premier cas : la cessation d’activité
    • Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le texte prévoit que le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis.
    • Il en résulte que les créanciers antérieurs recouvrent un droit de gage général sur l’ensemble des biens de leur débiteur.
    • Cette solution diffère manifestement de celle applicable à l’EIRL.
    • En effet, sous ce statut, le gage général des créanciers antérieurs demeurait limité aux seuls biens qui relevaient du patrimoine d’affectation de l’entrepreneur.
    • Ce « gel » du gage des créanciers antérieurs était toutefois possible en raison de la déclaration d’affectation réalisée par l’entrepreneur individuel qui consistait à dresser une liste exhaustive des biens affectés à l’exercice de son activité professionnelle.
    • Tel n’est pas le cas de l’entrepreneur individuel qui exerce sous le nouveau statut.
    • Aucun texte ne l’oblige à réaliser un inventaire des biens qui composent son patrimoine professionnel.
    • Aussi, leur identification au moment de la cessation d’activité de l’entrepreneur individuel – laquelle est susceptible d’intervenir plusieurs années après leur entrée dans le patrimoine professionnel – s’avérerait complexe sinon impossible.
    • C’est la raison pour laquelle le législateur a préféré n’opérer aucune distinction : le droit de gage des créanciers antérieur s’exerce sur l’ensemble des biens de l’entrepreneur individuel qui a cessé son activité.
  • Second cas : le décès
    • En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le décès de l’entrepreneur individuel a pour effet de réunir les patrimoines professionnels et personnels.
    • Comme pour le cas de la cessation d’activité, s’est posée la question du cantonnement du gage des créanciers antérieurs aux biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.
    • La raison en est que la réunion des patrimoines professionnels et personnels pour former un patrimoine successoral unique fait peser un risque important sur les héritiers et autres successeurs à titre universel, qui sont susceptibles de se voir transmettre l’intégralité des dettes de l’entrepreneur individuel au jour de son décès sans que le droit de gage des créanciers ne soit limité.
    • Aussi, comme souligné par Christophe-André Frassa, « la protection des héritiers repose alors entièrement sur leur droit d’option : dans le cas où des dettes trop lourdes grèveraient le patrimoine successoral, ils pourraient renoncer à la succession ou ne l’accepter qu’à concurrence de l’actif net (la liquidation portant alors sur l’ensemble du patrimoine successoral, issu de la réunion des patrimoines professionnel et personnel).»

§2 : Le dispositif de transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

==> Généralités

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a fortement innové en prévoyant la possibilité pour l’entrepreneur individuel de procéder à une transmission universelle entre vifs de son patrimoine professionnel.

Le transfert universel du patrimoine professionnel peut être défini comme la cession, à titre universel et indivisible, de l’ensemble des biens, droits et obligations compris dans ce patrimoine. Elle peut être consentie à titre onéreux ou gratuit. La cession des biens et droits à une société peut également revêtir la forme d’un apport en société.

L’objectif recherché par le législateur est de faciliter la transmission d’une entreprise individuelle (par vente ou donation) ou de faciliter sa transformation en société, tout en préservant les droits des créanciers.

À cet égard, comme souligné par l’étude d’impact réalisé au stade du projet de loi, le dispositif envisagé vise à « créer un continuum permettant d’assurer la fluidité du passage d’une activité amorcée en entreprise individuelle vers l’exploitation en société pour en poursuivre le développement et la croissance ».

Le dispositif instauré par le législateur permet a priori à l’entrepreneur individuel de bénéficier d’un régime de faveur quant aux modalités de la transmission des biens et obligations composant son patrimoine qui, s’ils étaient transmis à titre particulier, seraient soumis à des règles hétérogènes et, pour certaines, contraignantes (donation, cession de créances, vente immobilière etc.).

Le dispositif de transmission universelle de patrimoine présente l’avantage de pouvoir être mise en œuvre par l’effet d’un seul acte soumis aux seules conditions attachées aux modalités de transmission propres à l’universalité[1].

I) Le principe de transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « l’entrepreneur individuel peut céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l’intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci. »

Cette disposition reconnaît donc à l’entrepreneur la faculté de céder ou de donner l’intégralité de son patrimoine et de préciser que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour transmettre son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

Cette faculté de transmission universelle octroyée à l’entrepreneur individuel constitue une véritable nouveauté en ce qu’elle déroge au principe général interdisant à une personne physique de transmettre, de son vivant, son patrimoine.

Cette interdiction s’explique par le fait que « le patrimoine est la représentation pécuniaire de la personne ».

Autrement dit, si le patrimoine exprime la situation financière de son titulaire, il traduit surtout son aptitude à être titulaires de droits et d’obligations. Or cette aptitude perdure aussi longtemps que la personne est en vie.

Cette caractéristique du patrimoine emporte notamment comme conséquence son incessibilité du vivant de la personne physique.

Si rien n’empêche le titulaire – personne physique – d’un patrimoine à céder tous ses biens et/ou toutes ses dettes, il ne peut, en revanche, céder son aptitude à acquérir de nouveaux droits et contracter de nouvelles dettes.

C’est la raison pour laquelle le patrimoine d’une personne physique est incessible entre vifs. Il ne peut être transmis qu’à cause de mort.

Tel était du moins l’état du droit positif avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 qui a instauré un dispositif permettant à un entrepreneur individuel de transmettre un ensemble d’actifs et de passifs afférents à son activité professionnelle.

Il peut être observé que contrairement à la cession d’un fonds de commerce, qui ne porte que sur un actif composé de divers biens et droits, le transfert de patrimoine professionnel peut aussi porter sur des dettes professionnelles.

De ce point de vue, le transfert d’un patrimoine professionnel ressemble très étroitement, dans son principe, à la succession d’une personne physique.

En effet, le patrimoine transmis s’analyse ici comme une universalité de droit, soit comme un ensemble constitué d’un actif et d’un passif.

Pour cette raison, la transmission universelle de patrimoine ne s’envisage que si elle vise à céder l’intégralité de l’actif et du passif de l’entrepreneur individuel présentant un caractère professionnel.

À cet égard, l’article L. 526-27 du Code de commerce précise que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour céder son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

II) Le régime de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les modalités de transmission

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que le transfert universel du patrimoine professionnel peut s’opérer selon trois modalités différentes :

  • La cession à titre onéreux
  • La donation
  • L’apport en société

B) Règles applicables

Si le régime de la transmission universelle de patrimoine est, pour une large part, emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts en une seule main, il s’en distingue néanmoins en raison de la différence de situation.

En effet, à la différence de la transmission universelle du patrimoine d’une société dissoute, celle d’un patrimoine professionnel n’emporte pas disparition de la personne de l’entrepreneur individuel.

Pour cette raison, le législateur a été contraint d’opérer un certain nombre d’adaptations, à telle enseigne que certaines règles interrogent sur le caractère réellement universel de la transmission de patrimoine telle qu’envisagée pour l’entrepreneur individuel

==> Des règles propres à la transmission universelle

L’un des principaux intérêts de la transmission universelle réside pour son auteur dans la possibilité de soumettre le transfert de son patrimoine à un régime juridique unique.

Si, en effet, il avait transmis à titre particulier les éléments de ce patrimoine, chaque opération, prise individuellement, aurait été soumise à un régime juridique spécifique.

C’est d’ailleurs ce que rappelle en substance l’article L. 526-27, al. 1er du Code de commerce en prévoyant que « le transfert non intégral d’éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions légales applicables à la nature dudit transfert et, le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés. »

Ce n’est donc que si le transfert porte sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel que les règles propres à la transmission universelles peuvent jouer.

À cet égard, selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, la transmission universelle obéira à des règles différentes.

La transmission universelle à titre onéreux devrait ainsi être soumise au régime de la vente, tandis que la transmission universelle à titre gratuit devrait être soumise au régime des donations.

Quant à la transmission du patrimoine au profit d’une société, elle devrait être régie par les règles de l’apport.

Afin que la transmission universelle du patrimoine de l’entrepreneur individuel puisse s’opérer efficacement et pour faciliter sa mise en œuvre, le législateur a écarté le jeu de plusieurs règles susceptibles d’interférer avec le transfert.

L’article L. 526-29 du Code de commerce prévoit ainsi que ne sont pas applicables au transfert universel du patrimoine professionnel d’un entrepreneur individuel, toute clause contraire étant réputée non écrite :

  • L’article 815-14 du Code civil
    • Cette disposition régit le droit de préemption dont sont titulaires les coïndivisaires d’un bien en cas de cession d’une quote-part indivise par un indivisaire à un tiers.
  • L’article 1699 du Code civil
    • Cette disposition régit la cession d’un droit litigieux
  • Les articles L. 141-12 à L. 141-22 du Code de commerce
    • Ces dispositions régissent le privilège du vendeur de fonds de commerce

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine de l’entrepreneur individuel comprendrait un bien indivis ou un fonds de commerce, la transmission de ce patrimoine ne pourra ainsi pas se heurter à l’exercice du droit de préemption d’un coindivisaire ou à la mise en œuvre du privilège du vendeur.

La transmission universelle s’opèrera nonobstant ces dispositifs qui, en cas de transfert à titre particulier, feraient obstacle à la réalisation de l’opération.

==> La résurgence de règles de droit commun

Bien que le dispositif de transmission universelle d’un patrimoine présente la particularité d’être soumis à un seul et même régime juridique, l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce assortit ce principe d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Une lecture du texte suggère que, nonobstant la transmission universelle, les règles propres au transfert de chaque bien et de chaque obligation logés dans le patrimoine transmis demeureraient applicables.

La règle ainsi posée est pour le moins énigmatique dans la mesure où son application littérale conduirait à ruiner le principe même de la transmission universelle qui devrait précisément avoir pour effet de neutraliser le jeu des règles applicables à chaque opération prise individuellement.

En l’absence de dispositions qui précisent l’intention du législateur, la question de l’articulation entre les règles propres à la transmission universelle et celles propres au transfert de chaque élément du patrimoine est ouverte.

C) Les conditions de transmission

Selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, les conditions applicables diffèrent.

Certaines conditions s’appliquent, en revanche, quelle que soit la modalité de transmission retenue

1. Conditions communes

La transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel est subordonnée à la réunion de deux conditions générales :

  • Première condition
    • L’article L. 526-30 du Code de commerce prévoit que « le transfert doit porter sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, qui ne peut être scindé»
    • Aussi, quand bien même l’entrepreneur individuel exercerait plusieurs activités professionnelles, interdiction lui est faite de « scinder » son patrimoine en plusieurs parties.
    • La transmission ne pourra porter que sur la globalité de son patrimoine.
    • Il s’agit ici d’éviter qu’une scission du patrimoine préjudicie à certains créanciers.
    • Le non-respect de cette condition est sanctionné par la nullité de la transmission du patrimoine.
  • Seconde condition
    • L’article L. 526-27, al. 4e du Code de commerce prévoit que la transmission universelle du patrimoine n’est pas permise si l’entrepreneur individuel s’est « obligé contractuellement à ne pas céder un élément de son patrimoine professionnel ou à ne pas transférer celui-ci à titre universel».
    • Le texte précise que la violation de cette règle engage la responsabilité de l’entrepreneur individuel sur l’ensemble de ses biens, sans emporter la nullité du transfert.

2. Conditions spécifiques

Selon les modalités de transmission choisies par l’entrepreneur individuel les conditions d’application diffèrent.

==> La transmission universelle à titre onéreux

Dans cette hypothèse, ce sont donc les règles de la vente qui devraient s’appliquer.

Aussi, pour être valide, la transmission devra notamment satisfaire aux conditions posées à l’article 1583 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. »

Bien que s’imposant comme naturelle en cas de cession à titre onéreux du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, l’application du régime de la vente n’est pas sans soulever des difficultés.

Il est plusieurs questions qui se posent auxquelles les textes n’apportent, pour l’heure, aucune réponse.

Ainsi, le cédant du patrimoine sera-t-il tenu aux mêmes garanties que celles du vendeur (garantie des vices cachés, garantie d’éviction) ? La rescision pour lésion sera-t-elle possible, lorsque le patrimoine professionnel comprend des biens dont la vente peut être rescindée ? Le cédant à titre onéreux jouira-t-il des divers privilèges du vendeur ?

==> La transmission universelle à titre gratuit

Dans cette hypothèse, la transmission universelle s’analysera en une donation. Elle pourra prendre la forme d’une donation ordinaire ou d’une donation-partage.

En tout état de cause, ce sont les règles des libéralités qui ont vocation à s’appliquer et plus précisément celles relatives aux donations.

Pour être valable, la transmission supposera notamment, conformément à l’article 931 du Code civil, d’établir un acte notarié.

==> La transmission universelle sous la forme d’un apport en société

Lorsque la transmission universelle prend la forme d’un apport en société, elle s’analyse en un apport en nature.

Aussi, ce sont les règles du droit des sociétés qui s’appliquent ; mais pas seulement.

Les articles L. 526-30 et L. 526-31 énoncent trois règles spécifiques applicables à la transmission universelle sous forme d’apport en société.

  • Première règle
    • En cas d’apport à une société nouvellement créée, l’actif disponible du patrimoine professionnel doit permettre de faire face au passif exigible sur ce même patrimoine ( L. 526-30, 2e C. com.)
    • La situation contraire serait, en effet, constitutive d’une cessation des paiements et devrait donc obliger le titulaire du patrimoine professionnel à demander l’ouverture d’une procédure collective portant sur ce patrimoine.
  • Deuxième règle
    • Ni l’auteur, ni le bénéficiaire du transfert ne doivent avoir été frappés de faillite personnelle ou d’une peine d’interdiction prévue à l’article L. 653-8 du présent code ou à l’article 131-27 du Code pénal, par une décision devenue définitive ( L. 526-30, 3° C. com.)
  • Troisième règle
    • Lorsque le patrimoine professionnel apporté en société contient des biens constitutifs d’un apport en nature, il est fait recours à un commissaire aux apports ( L. 526-31 C. com.)

III) Les effets de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les effets de la transmission universelle entre les parties

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que « le transfert universel du patrimoine professionnel emporte cession des droits, biens, obligations et sûretés dont celui-ci est constitué ».

Le transfert vise ici à transférer le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel envisagé comme une universalité de droit.

Par universalité de droit il faut entendre, pour mémoire, un ensemble pécuniaire permanent qui comprend, un actif et un passif réuni autour d’une même personne et dont l’un répond de l’autre.

Aussi, est-ce l’ensemble de l’actif, mais également du passif qui sont transférés, étant précisé que ce transfert s’opère sans liquidation.

Le transfert a donc pour effet de libérer l’entrepreneur individuel de ses obligations professionnelles qui sont transmises au bénéficiaire du patrimoine.

S’agissant des sûretés constituées en garantie des obligations transférées, elles subissent le même sort en raison de leur caractère accessoire.

L’opération de transmission ne devrait donc pas avoir pour effet de libérer les cautions, ni de remettre en cause les sûretés réelles constituées sur les biens relevant du patrimoine professionnel, objet du transfert.

B) Les effets de transmission universelle à l’égard des tiers

La transmission universelle de patrimoine n’est pas sans incidence sur les tiers, en particulier sur les créanciers de l’entrepreneur individuel.

L’opération a pour effet de leur donner un nouveau débiteur, le bénéficiaire de la transmission universelle, qui se substitue à l’entrepreneur individuel.

Il en résulte que le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire de l’apport en société devient débiteur des créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, sans que cette substitution emporte novation à leur égard.

Si, à première vue, cette substitution de débiteur s’apparente à une cession de dette, à l’analyse, elle s’en distingue en ce que l’accord des créanciers cédés n’est pas requis.

Ces derniers sont donc « cédés » de plein droit par l’effet de la transmission universelle du patrimoine.

Dans le silence des textes, cette cession joue pour tous les créanciers y compris pour ceux dont la créance est issue d’un contrat intuitu personae, ce qui n’est pas sans portée atteinte au principe d’autonomie de la volonté.

Pour cette raison, le législateur a mis en place un dispositif visant à assurer la protection des créanciers antérieurs auxquels le changement le débiteur est susceptible de préjudicier.

Ce dispositif s’articule autour de deux séries de règles qui instituent :

  • D’une part, un formalisme d’opposabilité
  • D’autre part, un droit d’opposition

1. Le formalisme d’opposabilité aux tiers de la transmission universelle de patrimoine

==> Formalités générales

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « le transfert de propriété ainsi opéré n’est opposable aux tiers qu’à compter de sa publicité, dans des conditions prévues par décret. »

Il ressort de cette disposition que l’opposabilité de la transmission universelle est subordonnée à l’accomplissement de formalités de publicité.

La date de ces formalités correspond, en quelque sorte, à la ligne de démarcation entre les créanciers antérieurs et les créanciers postérieurs.

À cet égard, seuls les créanciers dont la créance est née antérieurement avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel.

S’agissant des formalités à accomplir, l’article D. 526-30 du Code de commerce prévoit que le cédant, le donateur ou l’apporteur publie, à sa diligence, le transfert universel du patrimoine professionnel, sous forme d’avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, au plus tard un mois après sa réalisation.

Cet avis contient les indications suivantes :

  • S’agissant du cédant, du donateur ou de l’apporteur : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’activité professionnelle ou les activités professionnelles exercées ainsi que les numéros et codes caractérisant cette activité ou ces activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
  • S’agissant du cessionnaire, du donataire ou du bénéficiaire de l’apport : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée, le cas échéant, la raison sociale ou la dénomination sociale suivie du sigle, de la forme, de l’adresse du siège, du montant du capital et du numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ainsi que, le cas échéant, les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités professionnelles exercées visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223.

L’avis publié au bulletin est accompagné d’un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés composant le patrimoine professionnel, tel qu’il résulte du dernier exercice comptable clos actualisé à la date du transfert, ou, pour les entrepreneurs individuels qui ne sont pas soumis à des obligations comptables, à la date qui résulte de l’accord des parties.

L’état descriptif est établi dans des formes prévues par arrêté du ministre chargé de l’économie.

La sanction de l’absence de réalisation de ces formalités est l’inopposabilité du transfert aux tiers.

==> Formalités spéciales

En principe, les formalités accomplies au titre de la transmission universelle devraient dispenser l’entrepreneur individuel d’accomplir les formalités qui auraient été exigées s’il avait transmis, à titre particulier, les biens et obligations composant son patrimoine professionnel.

Reste que le transfert de propriété de certains biens demeure soumis à l’accomplissement de formalités spécifiques.

À tout le moins, c’est ce que l’on peut déduire de l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce qui prévoit que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel comprendrait des immeubles, son transfert supposerait l’accomplissement de formalités auprès des services de la publicité foncière, conformément à l’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière.

2. Le droit d’opposition des tiers à la transmission universelle de patrimoine

==> L’octroi d’un droit d’opposition

L’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce prévoit que « les créanciers de l’entrepreneur individuel dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel »

Le législateur a ainsi octroyé la faculté aux créanciers qui s’estimeraient lésés par la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel de réagir.

Si comme précisé par l’alinéa 2 du texte, l’opposition formée par un créancier n’a pas pour effet d’interdire le transfert du patrimoine professionnel, elle vise en revanche pour le créancier à obtenir auprès d’un juge le remboursement de sa créance ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes.

==> La titularité du droit d’opposition

En application de l’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce, le droit d’opposition ne peut être exercé que par les seuls créanciers « dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété ».

S’agissant des créanciers dont les droits sont nés postérieurement au transfert, ils ne disposent d’aucun droit de gage sur l’entrepreneur individuel qui a cédé son patrimoine professionnel, raison pour laquelle ils ne peuvent pas former opposition.

S’agissant des créanciers antérieurs, le texte n’opère aucune distinction entre eux, de sorte que le droit d’opposition devrait pouvoir être exercé, tant pour les créanciers professionnels, que par les créanciers personnels de l’entrepreneur.

Comme souligné par certains auteurs, l’ouverture d’un droit d’opposition aux créanciers personnels ne se justifie en aucune manière, dans la mesure où la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur est sans incidence sur leur droit de gage qui demeure cantonné au patrimoine personnel.

Tout au plus, ils perdent la faculté, en cas d’insuffisance d’actif dans le patrimoine personnel, d’appréhender le montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel (art. L. 526-22, al. 6e C. com.).

La situation des créanciers professionnels est, au contraire, tout à fait différente. L’opération de transfert affecte directement leur droit de gage en ce qu’ils subissent un changement de débiteur.

À supposer que leur nouveau débiteur ne soit pas solvable ou se trouve en difficulté financière, ils auront tout intérêt à réclamer auprès de l’entrepreneur individuel, soit le règlement immédiat de leur créance, soit à la constitution de sûretés.

==> L’exercice du droit d’opposition

  • Le délai d’exercice du droit d’opposition
    • Les créanciers dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété doivent exercer leur droit d’opposition dans le mois suivant la publication ( D. 526-30 C. com.)
  • Les modalités d’exercice du droit d’opposition
    • L’exercice du droit d’opposition requiert la saisine du Tribunal compétent qui, selon la nature de l’activité exercée par l’entrepreneur individuel, sera tantôt le Tribunal judiciaire, tantôt le Tribunal de commerce
  • L’issue de la procédure d’opposition
    • La décision de justice statuant sur l’opposition
      • Soit rejette la demande du créancier
      • Soit ordonne le remboursement des créances ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes
    • L’article L. 526-28, al. 4e précise que lorsque la décision de justice ordonne le remboursement des créances, l’entrepreneur individuel auteur du transfert est tenu de remplir son engagement.
    • Autrement dit, dans cette hypothèse, les droits des créanciers antérieurs dont l’opposition est admise sont préservés par le fait que le transfert du patrimoine professionnel leur est inopposable en cas de défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties ordonnées par le juge.

§3 : L’insaisissabilité de la résidence principale et des biens immobiliers non affectés à l’usage professionnel

I) Principe de l’insaisissabilité

Autre entorse faite par le législateur au principe d’unicité du patrimoine : l’adoption de textes qui visent à rendre insaisissable de la résidence principale et plus généralement les biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel.

Les biens couverts par cette insaisissabilité sont, en effet, exclus du gage général des créanciers, ce qui revient à créer une masse de biens protégée au sein même du patrimoine de l’entrepreneur individuel.

Cette protection patrimoniale dont jouit ce dernier a été organisée par une succession de lois qui, au fil des réformes, ont non seulement assoupli les conditions de l’insaisissabilité de la résidence principale, mais encore ont étendu son assiette aux autres biens immobiliers non affectés à l’activité professionnelle.

  • Première étape : la loi n° 2003-271 du 1er août 2003 sur l’initiative économique avait permis à l’entrepreneur individuel de rendre insaisissables les droits qu’il détient sur l’immeuble lui servant de résidence principale.
  • Deuxième étape: la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, dite loi de modernisation de l’économie (LME) a étendu le bénéfice de l’insaisissabilité aux droits détenus par l’entrepreneur individuel sur tout bien foncier bâti ou non bâti non affecté à un usage professionnel.
  • Troisième étape: la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a limité les effets de la déclaration d’insaisissabilité en prévoyant que celle-ci n’est pas opposable à l’administration fiscale lorsqu’elle relève, à l’encontre du déclarant, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales au sens de l’article 1729 du code général des impôts.
  • Quatrième étape: la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a rendu, de plein droit, insaisissable la résidence principale de l’entrepreneur individuel

Ainsi, cette dernière loi a-t-elle renforcé la protection de ce dernier qui n’est plus obligé d’accomplir une déclaration pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité.

Reste que cette insaisissabilité, de droit, ne vaut que pour la résidence principale. S’agissant, en effet, des autres biens immobiliers détenus par l’entrepreneur et non affectés à son activité professionnelle, leur insaisissabilité est subordonnée à l’accomplissement d’un acte de déclaration.

II) Domaine

En application de l’article L. 526-1 du Code de commerce le dispositif ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs immatriculés à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante.

Il convient ainsi d’opérer une distinction entre les entrepreneurs individuels pour lesquels le texte exige qu’ils soient immatriculés et ceux qui ne sont pas assujettis à cette obligation

  • Les entrepreneurs assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les commerçants doivent s’immatriculer au Registre du commerce et des sociétés
    • Les artisans doivent s’immatriculer au Répertoire des métiers
    • Les agents commerciaux doivent s’immatriculer au registre national des agents commerciaux s’il est commercial.
    • Concomitamment à cette immatriculation, l’article L. 526-4 du Code de commerce prévoit que « lors de sa demande d’immatriculation à un registre de publicité légale à caractère professionnel, la personne physique mariée sous un régime de communauté légale ou conventionnelle doit justifier que son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l’exercice de sa profession. »
  • Les entrepreneurs non assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les agriculteurs n’ont pas l’obligation de s’immatriculer au registre de l’agriculture pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité
    • Il en va de même pour les professionnels exerçant à titre indépendant, telles que les professions libérales (avocats, architectes, médecins etc.)

Au total, le dispositif d’insaisissabilité bénéficie aux entrepreneurs individuels, au régime réel comme au régime des microentreprises, aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée propriétaires de biens immobiliers exerçant une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole, ainsi qu’aux entrepreneurs au régime de la microentreprise et aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL).

III) Régime

Désormais, le régime de l’insaisissabilité des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel diffère, selon qu’il s’agit de sa résidence principale ou de ses autres biens immobiliers.

==> L’insaisissabilité de la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 1er du Code de commerce dispose désormais en ce sens que « les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité de la résidence principale est de droit, de sorte qu’elle n’est pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration.

Le texte précise que lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire.

==> L’insaisissabilité des biens immobiliers autres que la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 2e du Code de commerce prévoit que « une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’elle n’a pas affecté à son usage professionnel. »

Ainsi, si les biens immobiliers autres que la résidence principale peuvent bénéficier du dispositif de l’insaisissabilité, c’est à la double condition que l’entrepreneur individuel accomplisse, outre les formalités d’immatriculation le cas échéant requises, qu’il accomplisse une déclaration d’insaisissabilité et qu’il procède aux formalités de publication.

  • Sur l’établissement de la déclaration d’insaisissabilité
    • L’article L. 526-2 du Code de commerce précise qu’elle doit être reçue par notaire sous peine de nullité.
    • C’est donc par acte notarié que la déclaration d’insaisissabilité doit être établie
    • En outre, elle doit contenir la description détaillée des biens et l’indication de leur caractère propre, commun ou indivis.
    • Par ailleurs, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que lorsque le bien foncier n’est pas utilisé en totalité pour un usage professionnel, la partie non affectée à un usage professionnel ne peut faire l’objet de la déclaration qu’à la condition d’être désignée dans un état descriptif de division.
  • Sur la publicité de la déclaration d’insaisissabilité
    • Une fois établie, la déclaration d’insaisissabilité doit faire l’objet de deux formalités de publicité
      • En premier lieu, elle doit être publiée au fichier immobilier ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, de sa situation.
      • En second lieu, elle doit :
        • Soit, lorsque la personne est immatriculée dans un registre de publicité légale à caractère professionnel, y être mentionnée.
        • Soit, lorsque la personne n’est pas tenue de s’immatriculer dans un registre de publicité légale, être publié sous la forme d’extrait dans un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département dans lequel est exercée l’activité professionnelle pour que cette personne puisse se prévaloir du bénéfice de l’insaisissabilité.

Enfin, il convient d’observer que la déclaration d’insaisissabilité ne peut porter que sur les biens immobiliers non affectés à l’usage professionnel.

Aussi, elle se distingue de la déclaration d’affection du patrimoine du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, laquelle porte obligatoirement sur les biens, droits, obligations ou sûretés nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle et facultativement sur les biens, droits, obligations ou sûretés utilisés dans ce cadre (cette dernière, permet d’exclure du patrimoine professionnel tous les biens mobiliers et les droits qui ne peuvent être protégés par la déclaration d’insaisissabilité).

Il en résulte que, l’entrepreneur d’une EIRL peut limiter l’étendue de la responsabilité en constituant un patrimoine d’affectation, destiné à l’activité professionnelle, sans constituer de société, étant précisé que les deux déclarations peuvent être cumulées.

IV) Effets

S’agissant de la résidence principale de l’entrepreneur individuel, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que l’insaisissabilité, qui est ici de droit, ne produit ses effets qu’à l’encontre des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne.

Dès lors que la dette est contractée dans le cadre de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, il bénéficie du dispositif d’insaisissabilité de sa résidence principale. La date de la créance est ici indifférente.

S’agissant des biens immobiliers autres que la résidence principale, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, après sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant.

Il en résulte que les dettes à caractère professionnel contractées antérieurement à la publication de la déclaration d’insaisissabilité, elles demeurent exécutoires sur l’ensemble des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel, y compris sur sa résidence principale.

En toute hypothèse, seules les dettes contractées dans le cadre d’une activité professionnelle autorisent l’entrepreneur individuel à se prévaloir de l’insaisissabilité de ses biens immobiliers.

En outre, en application de l’article L. 526-1, al. 3 du Code de commerce, l’insaisissabilité n’est jamais opposable à l’administration fiscale lorsque celle-ci relève, à l’encontre de la personne, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales.

Par ailleurs, les effets de l’insaisissabilité et ceux de la déclaration subsistent après la dissolution du régime matrimonial lorsque l’entrepreneur est attributaire du bien. Ils subsistent également en cas de décès jusqu’à la liquidation de la succession.

Enfin, en cas de cession des droits immobiliers sur la résidence principale, le prix obtenu demeure insaisissable, sous la condition du remploi dans le délai d’un an des sommes à l’acquisition par l’entrepreneur individuel d’un immeuble où est fixée sa résidence principale.

V) La renonciation

À l’analyse le dispositif d’insaisissabilité mis en place par le législateur peut avoir un impact sur l’accès au crédit, dans la mesure où la résidence principale ne fait plus d’emblée partie du gage de l’ensemble des créanciers.

C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu que l’entrepreneur individuel puisse, afin de ne pas limiter ses capacités de financement, d’y renoncer.

==> Principe

L’article L. 526-3 du Code de commerce prévoit que « l’insaisissabilité des droits sur la résidence principale et la déclaration d’insaisissabilité portant sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, non affecté à l’usage professionnel peuvent, à tout moment, faire l’objet d’une renonciation soumise aux conditions de validité et d’opposabilité prévues à l’article L. 526-2 ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité qui protège les biens immobiliers de l’entrepreneur individuel peut, sur sa décision, être levée à la faveur de créanciers avec lesquels il aurait contracté dans le cadre de son activité professionnelle.

Cette faculté de renonciation dont jouit l’entrepreneur individuel peut porter sur tout ou partie des biens.

Elle peut également être faite au bénéfice d’un ou de plusieurs créanciers désignés par l’acte authentique de renonciation.

Afin d’obtenir un prêt, il est donc possible à l’entrepreneur individuel de renoncer au profit d’une banque à l’insaisissabilité de sa résidence principale.

==> Conditions

Tout d’abord, la renonciation au dispositif d’insaisissabilité doit être effectuée au moyen d’un acte notarié à l’instar de la déclaration d’insaisissabilité.

Ensuite, l’article R. 526-2 du Code de commerce prévoir que cette renonciation doit dans un délai d’un mois, faire l’objet d’une demande d’inscription modificative au registre du commerce et des sociétés.

Enfin, lorsque le bénéficiaire de cette renonciation cède sa créance, le cessionnaire peut se prévaloir de celle-ci.

==> Révocation

La renonciation peut néanmoins, à tout moment, être révoquée dans les mêmes conditions de validité et d’opposabilité que celles prévues pour la déclaration d’insaisissabilité.

Il s’agit là d’une faculté qui peut être exercée discrétionnairement par l’entrepreneur individuel, sans que les créanciers puissent former opposition.

Cette révocation n’aura toutefois d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à sa publication.

[1] V. en ce sens N. Jullian, « La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, de nouvelles opérations au service des entrepreneurs individuels », JCP E, n°13, mars 2022, 1137.

Protection de l’entrepreneur individuel: l’insaisissabilité de la résidence principale

I) Principe de l’insaisissabilité

Autre entorse faite par le législateur au principe d’unicité du patrimoine : l’adoption de textes qui visent à rendre insaisissable de la résidence principale et plus généralement les biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel.

Les biens couverts par cette insaisissabilité sont, en effet, exclus du gage général des créanciers, ce qui revient à créer une masse de biens protégée au sein même du patrimoine de l’entrepreneur individuel.

Cette protection patrimoniale dont jouit ce dernier a été organisée par une succession de lois qui, au fil des réformes, ont non seulement assoupli les conditions de l’insaisissabilité de la résidence principale, mais encore ont étendu son assiette aux autres biens immobiliers non affectés à l’activité professionnelle.

  • Première étape : la loi n° 2003-271 du 1er août 2003 sur l’initiative économique avait permis à l’entrepreneur individuel de rendre insaisissables les droits qu’il détient sur l’immeuble lui servant de résidence principale.
  • Deuxième étape: la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, dite loi de modernisation de l’économie (LME) a étendu le bénéfice de l’insaisissabilité aux droits détenus par l’entrepreneur individuel sur tout bien foncier bâti ou non bâti non affecté à un usage professionnel.
  • Troisième étape: la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a limité les effets de la déclaration d’insaisissabilité en prévoyant que celle-ci n’est pas opposable à l’administration fiscale lorsqu’elle relève, à l’encontre du déclarant, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales au sens de l’article 1729 du code général des impôts.
  • Quatrième étape: la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a rendu, de plein droit, insaisissable la résidence principale de l’entrepreneur individuel

Ainsi, cette dernière loi a-t-elle renforcé la protection de ce dernier qui n’est plus obligé d’accomplir une déclaration pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité.

Reste que cette insaisissabilité, de droit, ne vaut que pour la résidence principale. S’agissant, en effet, des autres biens immobiliers détenus par l’entrepreneur et non affectés à son activité professionnelle, leur insaisissabilité est subordonnée à l’accomplissement d’un acte de déclaration.

II) Domaine

En application de l’article L. 526-1 du Code de commerce le dispositif ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs immatriculés à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante.

Il convient ainsi d’opérer une distinction entre les entrepreneurs individuels pour lesquels le texte exige qu’ils soient immatriculés et ceux qui ne sont pas assujettis à cette obligation

  • Les entrepreneurs assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les commerçants doivent s’immatriculer au Registre du commerce et des sociétés
    • Les artisans doivent s’immatriculer au Répertoire des métiers
    • Les agents commerciaux doivent s’immatriculer au registre national des agents commerciaux s’il est commercial.
    • Concomitamment à cette immatriculation, l’article L. 526-4 du Code de commerce prévoit que « lors de sa demande d’immatriculation à un registre de publicité légale à caractère professionnel, la personne physique mariée sous un régime de communauté légale ou conventionnelle doit justifier que son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l’exercice de sa profession. »
  • Les entrepreneurs non assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les agriculteurs n’ont pas l’obligation de s’immatriculer au registre de l’agriculture pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité
    • Il en va de même pour les professionnels exerçant à titre indépendant, telles que les professions libérales (avocats, architectes, médecins etc.)

Au total, le dispositif d’insaisissabilité bénéficie aux entrepreneurs individuels, au régime réel comme au régime des microentreprises, aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée propriétaires de biens immobiliers exerçant une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole, ainsi qu’aux entrepreneurs au régime de la microentreprise et aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL).

III) Régime

Désormais, le régime de l’insaisissabilité des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel diffère, selon qu’il s’agit de sa résidence principale ou de ses autres biens immobiliers.

==> L’insaisissabilité de la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 1er du Code de commerce dispose désormais en ce sens que « les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité de la résidence principale est de droit, de sorte qu’elle n’est pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration.

Le texte précise que lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire.

==> L’insaisissabilité des biens immobiliers autres que la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 2e du Code de commerce prévoit que « une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’elle n’a pas affecté à son usage professionnel. »

Ainsi, si les biens immobiliers autres que la résidence principale peuvent bénéficier du dispositif de l’insaisissabilité, c’est à la double condition que l’entrepreneur individuel accomplisse, outre les formalités d’immatriculation le cas échéant requises, qu’il accomplisse une déclaration d’insaisissabilité et qu’il procède aux formalités de publication.

  • Sur l’établissement de la déclaration d’insaisissabilité
    • L’article L. 526-2 du Code de commerce précise qu’elle doit être reçue par notaire sous peine de nullité.
    • C’est donc par acte notarié que la déclaration d’insaisissabilité doit être établie
    • En outre, elle doit contenir la description détaillée des biens et l’indication de leur caractère propre, commun ou indivis.
    • Par ailleurs, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que lorsque le bien foncier n’est pas utilisé en totalité pour un usage professionnel, la partie non affectée à un usage professionnel ne peut faire l’objet de la déclaration qu’à la condition d’être désignée dans un état descriptif de division.
  • Sur la publicité de la déclaration d’insaisissabilité
    • Une fois établie, la déclaration d’insaisissabilité doit faire l’objet de deux formalités de publicité
      • En premier lieu, elle doit être publiée au fichier immobilier ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, de sa situation.
      • En second lieu, elle doit :
        • Soit, lorsque la personne est immatriculée dans un registre de publicité légale à caractère professionnel, y être mentionnée.
        • Soit, lorsque la personne n’est pas tenue de s’immatriculer dans un registre de publicité légale, être publié sous la forme d’extrait dans un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département dans lequel est exercée l’activité professionnelle pour que cette personne puisse se prévaloir du bénéfice de l’insaisissabilité.

Enfin, il convient d’observer que la déclaration d’insaisissabilité ne peut porter que sur les biens immobiliers non affectés à l’usage professionnel.

Aussi, elle se distingue de la déclaration d’affection du patrimoine du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, laquelle porte obligatoirement sur les biens, droits, obligations ou sûretés nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle et facultativement sur les biens, droits, obligations ou sûretés utilisés dans ce cadre (cette dernière, permet d’exclure du patrimoine professionnel tous les biens mobiliers et les droits qui ne peuvent être protégés par la déclaration d’insaisissabilité).

Il en résulte que, l’entrepreneur d’une EIRL peut limiter l’étendue de la responsabilité en constituant un patrimoine d’affectation, destiné à l’activité professionnelle, sans constituer de société, étant précisé que les deux déclarations peuvent être cumulées.

IV) Effets

S’agissant de la résidence principale de l’entrepreneur individuel, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que l’insaisissabilité, qui est ici de droit, ne produit ses effets qu’à l’encontre des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne.

Dès lors que la dette est contractée dans le cadre de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, il bénéficie du dispositif d’insaisissabilité de sa résidence principale. La date de la créance est ici indifférente.

S’agissant des biens immobiliers autres que la résidence principale, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, après sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant.

Il en résulte que les dettes à caractère professionnel contractées antérieurement à la publication de la déclaration d’insaisissabilité, elles demeurent exécutoires sur l’ensemble des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel, y compris sur sa résidence principale.

En toute hypothèse, seules les dettes contractées dans le cadre d’une activité professionnelle autorisent l’entrepreneur individuel à se prévaloir de l’insaisissabilité de ses biens immobiliers.

En outre, en application de l’article L. 526-1, al. 3 du Code de commerce, l’insaisissabilité n’est jamais opposable à l’administration fiscale lorsque celle-ci relève, à l’encontre de la personne, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales.

Par ailleurs, les effets de l’insaisissabilité et ceux de la déclaration subsistent après la dissolution du régime matrimonial lorsque l’entrepreneur est attributaire du bien. Ils subsistent également en cas de décès jusqu’à la liquidation de la succession.

Enfin, en cas de cession des droits immobiliers sur la résidence principale, le prix obtenu demeure insaisissable, sous la condition du remploi dans le délai d’un an des sommes à l’acquisition par l’entrepreneur individuel d’un immeuble où est fixée sa résidence principale.

V) La renonciation

À l’analyse le dispositif d’insaisissabilité mis en place par le législateur peut avoir un impact sur l’accès au crédit, dans la mesure où la résidence principale ne fait plus d’emblée partie du gage de l’ensemble des créanciers.

C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu que l’entrepreneur individuel puisse, afin de ne pas limiter ses capacités de financement, d’y renoncer.

==> Principe

L’article L. 526-3 du Code de commerce prévoit que « l’insaisissabilité des droits sur la résidence principale et la déclaration d’insaisissabilité portant sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, non affecté à l’usage professionnel peuvent, à tout moment, faire l’objet d’une renonciation soumise aux conditions de validité et d’opposabilité prévues à l’article L. 526-2 ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité qui protège les biens immobiliers de l’entrepreneur individuel peut, sur sa décision, être levée à la faveur de créanciers avec lesquels il aurait contracté dans le cadre de son activité professionnelle.

Cette faculté de renonciation dont jouit l’entrepreneur individuel peut porter sur tout ou partie des biens.

Elle peut également être faite au bénéfice d’un ou de plusieurs créanciers désignés par l’acte authentique de renonciation.

Afin d’obtenir un prêt, il est donc possible à l’entrepreneur individuel de renoncer au profit d’une banque à l’insaisissabilité de sa résidence principale.

==> Conditions

Tout d’abord, la renonciation au dispositif d’insaisissabilité doit être effectuée au moyen d’un acte notarié à l’instar de la déclaration d’insaisissabilité.

Ensuite, l’article R. 526-2 du Code de commerce prévoir que cette renonciation doit dans un délai d’un mois, faire l’objet d’une demande d’inscription modificative au registre du commerce et des sociétés.

Enfin, lorsque le bénéficiaire de cette renonciation cède sa créance, le cessionnaire peut se prévaloir de celle-ci.

==> Révocation

La renonciation peut néanmoins, à tout moment, être révoquée dans les mêmes conditions de validité et d’opposabilité que celles prévues pour la déclaration d’insaisissabilité.

Il s’agit là d’une faculté qui peut être exercée discrétionnairement par l’entrepreneur individuel, sans que les créanciers puissent former opposition.

Cette révocation n’aura toutefois d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à sa publication.

La transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel: régime

==> Généralités

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a fortement innové en prévoyant la possibilité pour l’entrepreneur individuel de procéder à une transmission universelle entre vifs de son patrimoine professionnel.

Le transfert universel du patrimoine professionnel peut être défini comme la cession, à titre universel et indivisible, de l’ensemble des biens, droits et obligations compris dans ce patrimoine. Elle peut être consentie à titre onéreux ou gratuit. La cession des biens et droits à une société peut également revêtir la forme d’un apport en société.

L’objectif recherché par le législateur est de faciliter la transmission d’une entreprise individuelle (par vente ou donation) ou de faciliter sa transformation en société, tout en préservant les droits des créanciers.

À cet égard, comme souligné par l’étude d’impact réalisé au stade du projet de loi, le dispositif envisagé vise à « créer un continuum permettant d’assurer la fluidité du passage d’une activité amorcée en entreprise individuelle vers l’exploitation en société pour en poursuivre le développement et la croissance ».

Le dispositif instauré par le législateur permet a priori à l’entrepreneur individuel de bénéficier d’un régime de faveur quant aux modalités de la transmission des biens et obligations composant son patrimoine qui, s’ils étaient transmis à titre particulier, seraient soumis à des règles hétérogènes et, pour certaines, contraignantes (donation, cession de créances, vente immobilière etc.).

Le dispositif de transmission universelle de patrimoine présente l’avantage de pouvoir être mise en œuvre par l’effet d’un seul acte soumis aux seules conditions attachées aux modalités de transmission propres à l’universalité[1].

I) Le principe de transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « l’entrepreneur individuel peut céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l’intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci. »

Cette disposition reconnaît donc à l’entrepreneur la faculté de céder ou de donner l’intégralité de son patrimoine et de préciser que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour transmettre son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

Cette faculté de transmission universelle octroyée à l’entrepreneur individuel constitue une véritable nouveauté en ce qu’elle déroge au principe général interdisant à une personne physique de transmettre, de son vivant, son patrimoine.

Cette interdiction s’explique par le fait que « le patrimoine est la représentation pécuniaire de la personne ».

Autrement dit, si le patrimoine exprime la situation financière de son titulaire, il traduit surtout son aptitude à être titulaires de droits et d’obligations. Or cette aptitude perdure aussi longtemps que la personne est en vie.

Cette caractéristique du patrimoine emporte notamment comme conséquence son incessibilité du vivant de la personne physique.

Si rien n’empêche le titulaire – personne physique – d’un patrimoine à céder tous ses biens et/ou toutes ses dettes, il ne peut, en revanche, céder son aptitude à acquérir de nouveaux droits et contracter de nouvelles dettes.

C’est la raison pour laquelle le patrimoine d’une personne physique est incessible entre vifs. Il ne peut être transmis qu’à cause de mort.

Tel était du moins l’état du droit positif avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 qui a instauré un dispositif permettant à un entrepreneur individuel de transmettre un ensemble d’actifs et de passifs afférents à son activité professionnelle.

Il peut être observé que contrairement à la cession d’un fonds de commerce, qui ne porte que sur un actif composé de divers biens et droits, le transfert de patrimoine professionnel peut aussi porter sur des dettes professionnelles.

De ce point de vue, le transfert d’un patrimoine professionnel ressemble très étroitement, dans son principe, à la succession d’une personne physique.

En effet, le patrimoine transmis s’analyse ici comme une universalité de droit, soit comme un ensemble constitué d’un actif et d’un passif.

Pour cette raison, la transmission universelle de patrimoine ne s’envisage que si elle vise à céder l’intégralité de l’actif et du passif de l’entrepreneur individuel présentant un caractère professionnel.

À cet égard, l’article L. 526-27 du Code de commerce précise que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour céder son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

II) Le régime de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les modalités de transmission

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que le transfert universel du patrimoine professionnel peut s’opérer selon trois modalités différentes :

  • La cession à titre onéreux
  • La donation
  • L’apport en société

B) Règles applicables

Si le régime de la transmission universelle de patrimoine est, pour une large part, emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts en une seule main, il s’en distingue néanmoins en raison de la différence de situation.

En effet, à la différence de la transmission universelle du patrimoine d’une société dissoute, celle d’un patrimoine professionnel n’emporte pas disparition de la personne de l’entrepreneur individuel.

Pour cette raison, le législateur a été contraint d’opérer un certain nombre d’adaptations, à telle enseigne que certaines règles interrogent sur le caractère réellement universel de la transmission de patrimoine telle qu’envisagée pour l’entrepreneur individuel

==> Des règles propres à la transmission universelle

L’un des principaux intérêts de la transmission universelle réside pour son auteur dans la possibilité de soumettre le transfert de son patrimoine à un régime juridique unique.

Si, en effet, il avait transmis à titre particulier les éléments de ce patrimoine, chaque opération, prise individuellement, aurait été soumise à un régime juridique spécifique.

C’est d’ailleurs ce que rappelle en substance l’article L. 526-27, al. 1er du Code de commerce en prévoyant que « le transfert non intégral d’éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions légales applicables à la nature dudit transfert et, le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés. »

Ce n’est donc que si le transfert porte sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel que les règles propres à la transmission universelles peuvent jouer.

À cet égard, selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, la transmission universelle obéira à des règles différentes.

La transmission universelle à titre onéreux devrait ainsi être soumise au régime de la vente, tandis que la transmission universelle à titre gratuit devrait être soumise au régime des donations.

Quant à la transmission du patrimoine au profit d’une société, elle devrait être régie par les règles de l’apport.

Afin que la transmission universelle du patrimoine de l’entrepreneur individuel puisse s’opérer efficacement et pour faciliter sa mise en œuvre, le législateur a écarté le jeu de plusieurs règles susceptibles d’interférer avec le transfert.

L’article L. 526-29 du Code de commerce prévoit ainsi que ne sont pas applicables au transfert universel du patrimoine professionnel d’un entrepreneur individuel, toute clause contraire étant réputée non écrite :

  • L’article 815-14 du Code civil
    • Cette disposition régit le droit de préemption dont sont titulaires les coïndivisaires d’un bien en cas de cession d’une quote-part indivise par un indivisaire à un tiers.
  • L’article 1699 du Code civil
    • Cette disposition régit la cession d’un droit litigieux
  • Les articles L. 141-12 à L. 141-22 du Code de commerce
    • Ces dispositions régissent le privilège du vendeur de fonds de commerce

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine de l’entrepreneur individuel comprendrait un bien indivis ou un fonds de commerce, la transmission de ce patrimoine ne pourra ainsi pas se heurter à l’exercice du droit de préemption d’un coindivisaire ou à la mise en œuvre du privilège du vendeur.

La transmission universelle s’opèrera nonobstant ces dispositifs qui, en cas de transfert à titre particulier, feraient obstacle à la réalisation de l’opération.

==> La résurgence de règles de droit commun

Bien que le dispositif de transmission universelle d’un patrimoine présente la particularité d’être soumis à un seul et même régime juridique, l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce assortit ce principe d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Une lecture du texte suggère que, nonobstant la transmission universelle, les règles propres au transfert de chaque bien et de chaque obligation logés dans le patrimoine transmis demeureraient applicables.

La règle ainsi posée est pour le moins énigmatique dans la mesure où son application littérale conduirait à ruiner le principe même de la transmission universelle qui devrait précisément avoir pour effet de neutraliser le jeu des règles applicables à chaque opération prise individuellement.

En l’absence de dispositions qui précisent l’intention du législateur, la question de l’articulation entre les règles propres à la transmission universelle et celles propres au transfert de chaque élément du patrimoine est ouverte.

C) Les conditions de transmission

Selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, les conditions applicables diffèrent.

Certaines conditions s’appliquent, en revanche, quelle que soit la modalité de transmission retenue

1. Conditions communes

La transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel est subordonnée à la réunion de deux conditions générales :

  • Première condition
    • L’article L. 526-30 du Code de commerce prévoit que « le transfert doit porter sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, qui ne peut être scindé»
    • Aussi, quand bien même l’entrepreneur individuel exercerait plusieurs activités professionnelles, interdiction lui est faite de « scinder » son patrimoine en plusieurs parties.
    • La transmission ne pourra porter que sur la globalité de son patrimoine.
    • Il s’agit ici d’éviter qu’une scission du patrimoine préjudicie à certains créanciers.
    • Le non-respect de cette condition est sanctionné par la nullité de la transmission du patrimoine.
  • Seconde condition
    • L’article L. 526-27, al. 4e du Code de commerce prévoit que la transmission universelle du patrimoine n’est pas permise si l’entrepreneur individuel s’est « obligé contractuellement à ne pas céder un élément de son patrimoine professionnel ou à ne pas transférer celui-ci à titre universel».
    • Le texte précise que la violation de cette règle engage la responsabilité de l’entrepreneur individuel sur l’ensemble de ses biens, sans emporter la nullité du transfert.

2. Conditions spécifiques

Selon les modalités de transmission choisies par l’entrepreneur individuel les conditions d’application diffèrent.

==> La transmission universelle à titre onéreux

Dans cette hypothèse, ce sont donc les règles de la vente qui devraient s’appliquer.

Aussi, pour être valide, la transmission devra notamment satisfaire aux conditions posées à l’article 1583 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. »

Bien que s’imposant comme naturelle en cas de cession à titre onéreux du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, l’application du régime de la vente n’est pas sans soulever des difficultés.

Il est plusieurs questions qui se posent auxquelles les textes n’apportent, pour l’heure, aucune réponse.

Ainsi, le cédant du patrimoine sera-t-il tenu aux mêmes garanties que celles du vendeur (garantie des vices cachés, garantie d’éviction) ? La rescision pour lésion sera-t-elle possible, lorsque le patrimoine professionnel comprend des biens dont la vente peut être rescindée ? Le cédant à titre onéreux jouira-t-il des divers privilèges du vendeur ?

==> La transmission universelle à titre gratuit

Dans cette hypothèse, la transmission universelle s’analysera en une donation. Elle pourra prendre la forme d’une donation ordinaire ou d’une donation-partage.

En tout état de cause, ce sont les règles des libéralités qui ont vocation à s’appliquer et plus précisément celles relatives aux donations.

Pour être valable, la transmission supposera notamment, conformément à l’article 931 du Code civil, d’établir un acte notarié.

==> La transmission universelle sous la forme d’un apport en société

Lorsque la transmission universelle prend la forme d’un apport en société, elle s’analyse en un apport en nature.

Aussi, ce sont les règles du droit des sociétés qui s’appliquent ; mais pas seulement.

Les articles L. 526-30 et L. 526-31 énoncent trois règles spécifiques applicables à la transmission universelle sous forme d’apport en société.

  • Première règle
    • En cas d’apport à une société nouvellement créée, l’actif disponible du patrimoine professionnel doit permettre de faire face au passif exigible sur ce même patrimoine ( L. 526-30, 2e C. com.)
    • La situation contraire serait, en effet, constitutive d’une cessation des paiements et devrait donc obliger le titulaire du patrimoine professionnel à demander l’ouverture d’une procédure collective portant sur ce patrimoine.
  • Deuxième règle
    • Ni l’auteur, ni le bénéficiaire du transfert ne doivent avoir été frappés de faillite personnelle ou d’une peine d’interdiction prévue à l’article L. 653-8 du présent code ou à l’article 131-27 du Code pénal, par une décision devenue définitive ( L. 526-30, 3° C. com.)
  • Troisième règle
    • Lorsque le patrimoine professionnel apporté en société contient des biens constitutifs d’un apport en nature, il est fait recours à un commissaire aux apports ( L. 526-31 C. com.)

III) Les effets de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les effets de la transmission universelle entre les parties

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que « le transfert universel du patrimoine professionnel emporte cession des droits, biens, obligations et sûretés dont celui-ci est constitué ».

Le transfert vise ici à transférer le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel envisagé comme une universalité de droit.

Par universalité de droit il faut entendre, pour mémoire, un ensemble pécuniaire permanent qui comprend, un actif et un passif réuni autour d’une même personne et dont l’un répond de l’autre.

Aussi, est-ce l’ensemble de l’actif, mais également du passif qui sont transférés, étant précisé que ce transfert s’opère sans liquidation.

Le transfert a donc pour effet de libérer l’entrepreneur individuel de ses obligations professionnelles qui sont transmises au bénéficiaire du patrimoine.

S’agissant des sûretés constituées en garantie des obligations transférées, elles subissent le même sort en raison de leur caractère accessoire.

L’opération de transmission ne devrait donc pas avoir pour effet de libérer les cautions, ni de remettre en cause les sûretés réelles constituées sur les biens relevant du patrimoine professionnel, objet du transfert.

B) Les effets de transmission universelle à l’égard des tiers

La transmission universelle de patrimoine n’est pas sans incidence sur les tiers, en particulier sur les créanciers de l’entrepreneur individuel.

L’opération a pour effet de leur donner un nouveau débiteur, le bénéficiaire de la transmission universelle, qui se substitue à l’entrepreneur individuel.

Il en résulte que le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire de l’apport en société devient débiteur des créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, sans que cette substitution emporte novation à leur égard.

Si, à première vue, cette substitution de débiteur s’apparente à une cession de dette, à l’analyse, elle s’en distingue en ce que l’accord des créanciers cédés n’est pas requis.

Ces derniers sont donc « cédés » de plein droit par l’effet de la transmission universelle du patrimoine.

Dans le silence des textes, cette cession joue pour tous les créanciers y compris pour ceux dont la créance est issue d’un contrat intuitu personae, ce qui n’est pas sans portée atteinte au principe d’autonomie de la volonté.

Pour cette raison, le législateur a mis en place un dispositif visant à assurer la protection des créanciers antérieurs auxquels le changement le débiteur est susceptible de préjudicier.

Ce dispositif s’articule autour de deux séries de règles qui instituent :

  • D’une part, un formalisme d’opposabilité
  • D’autre part, un droit d’opposition

1. Le formalisme d’opposabilité aux tiers de la transmission universelle de patrimoine

==> Formalités générales

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « le transfert de propriété ainsi opéré n’est opposable aux tiers qu’à compter de sa publicité, dans des conditions prévues par décret. »

Il ressort de cette disposition que l’opposabilité de la transmission universelle est subordonnée à l’accomplissement de formalités de publicité.

La date de ces formalités correspond, en quelque sorte, à la ligne de démarcation entre les créanciers antérieurs et les créanciers postérieurs.

À cet égard, seuls les créanciers dont la créance est née antérieurement avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel.

S’agissant des formalités à accomplir, l’article D. 526-30 du Code de commerce prévoit que le cédant, le donateur ou l’apporteur publie, à sa diligence, le transfert universel du patrimoine professionnel, sous forme d’avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, au plus tard un mois après sa réalisation.

Cet avis contient les indications suivantes :

  • S’agissant du cédant, du donateur ou de l’apporteur : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’activité professionnelle ou les activités professionnelles exercées ainsi que les numéros et codes caractérisant cette activité ou ces activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
  • S’agissant du cessionnaire, du donataire ou du bénéficiaire de l’apport : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée, le cas échéant, la raison sociale ou la dénomination sociale suivie du sigle, de la forme, de l’adresse du siège, du montant du capital et du numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ainsi que, le cas échéant, les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités professionnelles exercées visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223.

L’avis publié au bulletin est accompagné d’un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés composant le patrimoine professionnel, tel qu’il résulte du dernier exercice comptable clos actualisé à la date du transfert, ou, pour les entrepreneurs individuels qui ne sont pas soumis à des obligations comptables, à la date qui résulte de l’accord des parties.

L’état descriptif est établi dans des formes prévues par arrêté du ministre chargé de l’économie.

La sanction de l’absence de réalisation de ces formalités est l’inopposabilité du transfert aux tiers.

==> Formalités spéciales

En principe, les formalités accomplies au titre de la transmission universelle devraient dispenser l’entrepreneur individuel d’accomplir les formalités qui auraient été exigées s’il avait transmis, à titre particulier, les biens et obligations composant son patrimoine professionnel.

Reste que le transfert de propriété de certains biens demeure soumis à l’accomplissement de formalités spécifiques.

À tout le moins, c’est ce que l’on peut déduire de l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce qui prévoit que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel comprendrait des immeubles, son transfert supposerait l’accomplissement de formalités auprès des services de la publicité foncière, conformément à l’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière.

2. Le droit d’opposition des tiers à la transmission universelle de patrimoine

==> L’octroi d’un droit d’opposition

L’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce prévoit que « les créanciers de l’entrepreneur individuel dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel »

Le législateur a ainsi octroyé la faculté aux créanciers qui s’estimeraient lésés par la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel de réagir.

Si comme précisé par l’alinéa 2 du texte, l’opposition formée par un créancier n’a pas pour effet d’interdire le transfert du patrimoine professionnel, elle vise en revanche pour le créancier à obtenir auprès d’un juge le remboursement de sa créance ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes.

==> La titularité du droit d’opposition

En application de l’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce, le droit d’opposition ne peut être exercé que par les seuls créanciers « dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété ».

S’agissant des créanciers dont les droits sont nés postérieurement au transfert, ils ne disposent d’aucun droit de gage sur l’entrepreneur individuel qui a cédé son patrimoine professionnel, raison pour laquelle ils ne peuvent pas former opposition.

S’agissant des créanciers antérieurs, le texte n’opère aucune distinction entre eux, de sorte que le droit d’opposition devrait pouvoir être exercé, tant pour les créanciers professionnels, que par les créanciers personnels de l’entrepreneur.

Comme souligné par certains auteurs, l’ouverture d’un droit d’opposition aux créanciers personnels ne se justifie en aucune manière, dans la mesure où la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur est sans incidence sur leur droit de gage qui demeure cantonné au patrimoine personnel.

Tout au plus, ils perdent la faculté, en cas d’insuffisance d’actif dans le patrimoine personnel, d’appréhender le montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel (art. L. 526-22, al. 6e C. com.).

La situation des créanciers professionnels est, au contraire, tout à fait différente. L’opération de transfert affecte directement leur droit de gage en ce qu’ils subissent un changement de débiteur.

À supposer que leur nouveau débiteur ne soit pas solvable ou se trouve en difficulté financière, ils auront tout intérêt à réclamer auprès de l’entrepreneur individuel, soit le règlement immédiat de leur créance, soit à la constitution de sûretés.

==> L’exercice du droit d’opposition

  • Le délai d’exercice du droit d’opposition
    • Les créanciers dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété doivent exercer leur droit d’opposition dans le mois suivant la publication ( D. 526-30 C. com.)
  • Les modalités d’exercice du droit d’opposition
    • L’exercice du droit d’opposition requiert la saisine du Tribunal compétent qui, selon la nature de l’activité exercée par l’entrepreneur individuel, sera tantôt le Tribunal judiciaire, tantôt le Tribunal de commerce
  • L’issue de la procédure d’opposition
    • La décision de justice statuant sur l’opposition
      • Soit rejette la demande du créancier
      • Soit ordonne le remboursement des créances ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes
    • L’article L. 526-28, al. 4e précise que lorsque la décision de justice ordonne le remboursement des créances, l’entrepreneur individuel auteur du transfert est tenu de remplir son engagement.
    • Autrement dit, dans cette hypothèse, les droits des créanciers antérieurs dont l’opposition est admise sont préservés par le fait que le transfert du patrimoine professionnel leur est inopposable en cas de défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties ordonnées par le juge.

[1] V. en ce sens N. Jullian, « La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, de nouvelles opérations au service des entrepreneurs individuels », JCP E, n°13, mars 2022, 1137.

Statut de l’entrepreneur individuel: la séparation des patrimoines personnel et professionnel (principe et effets)

Animé par la volonté de renforcer la protection des travailleurs indépendants, le législateur est intervenu en 2022 aux fins de créer un statut unique d’entrepreneur individuel.

À cet effet, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a innové en instaurant une séparation de plein droit entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.

Il n’est désormais plus nécessaire que celui-ci procède à une déclaration préalable d’affectation.

Dès lors qu’une personne exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes, elle est titulaire de deux patrimoines :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Après avoir envisagé le principe de séparation des patrimoines, nous aborderons ses effets.

I) Le principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

==> Patrimoine professionnel et patrimoine personnel

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a donc instauré un principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel.

Cela signifie que toute personne endossant le statut d’entrepreneur individuel est désormais titulaire, de plein droit, soit sans qu’il soit nécessaire d’accomplir un quelconque acte de volonté ou toute autre formalité, de deux patrimoines distincts :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Sous l’empire du droit antérieur, la ligne de démarcation entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur exerçant en EIRL procédait d’une déclaration d’affectation.

Pratiquement cette déclaration consistait pour l’entrepreneur à désigner les biens qu’il jugeait nécessaire à l’exercice de son activité professionnelle.

Désormais, la consistance de l’un et l’autre patrimoine est déterminée par un critère fixé par la loi : le critère de « l’utilité ».

==> Le critère de l’utilité

En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel serait donc constitué – automatiquement – de l’ensemble des biens, droits, obligations et sûretés « utiles » à l’exercice de son activité professionnelle.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « utile ». Il s’agit là d’une notion qui occupe une place centrale dans le dispositif mis en place par le législateur.

Aussi, afin de garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel, de ses ayants droit, mais également des tiers, le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 est venu préciser la notion d’utilité en dressant une liste des biens, droits et obligations réputés utiles à l’exercice de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel.

L’article R. 526-26 du Code de commerce, issu de ce décret, prévoit en ce sens :

En premier lieu, que les biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utiles à l’activité professionnelle, s’entendent de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité, tels que :

  • Le fonds de commerce, le fonds artisanal, le fonds agricole, tous les biens corporels ou incorporels qui les constituent et les droits y afférents et le droit de présentation de la clientèle d’un professionnel libéral ;
  • Les biens meubles comme la marchandise, le matériel et l’outillage, le matériel agricole, ainsi que les moyens de mobilité pour les activités itinérantes telles que la vente et les prestations à domicile, les activités de transport ou de livraison ;
  • Les biens immeubles servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel ; lorsque ces immeubles sont détenus par une société dont l’entrepreneur individuel est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l’entrepreneur individuel, les actions ou parts d’une telle société ;
  • Les biens incorporels comme les données relatives aux clients, les brevets d’invention, les licences, les marques, les dessins et modèles, et plus généralement les droits de propriété intellectuelle, le nom commercial et l’enseigne ;
  • Les fonds de caisse, toute somme en numéraire conservée sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, les sommes inscrites aux comptes bancaires dédiés à cette activité, notamment au titre des articles L. 613-10 du code de la sécurité sociale et L. 123-24 du présent code, ainsi que les sommes destinées à pourvoir aux dépenses courantes relatives à cette même activité.

En second lieu, que lorsque l’entrepreneur individuel est tenu à des obligations comptables légales ou réglementaires, son patrimoine professionnel est présumé comprendre au moins l’ensemble des éléments enregistrés au titre des documents comptables, sous réserve qu’ils soient réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise. Sous la même réserve, les documents comptables sont présumés identifier la rémunération tirée de l’activité professionnelle indépendante, qui est comprise dans le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

==> Sort des biens mixtes

À l’occasion des travaux parlementaires, le Sénat avait relevé que le projet de loi examiné était silencieux sur le sort des biens mixtes, soit ceux utilisés à la fois à des fins professionnelles ou personnelles.

La question qui est alors susceptible de se poser est de savoir à quelle masse de biens ce type de bien appartient, à tout le moins comment articuler le droit de gage des créanciers professionnel et personnel.

Afin d’apporter une meilleure protection à l’entrepreneur individuel les sénateurs ont proposé de limiter les biens relevant du patrimoine professionnel à ceux « exclusivement utiles » à l’exercice de l’activité professionnelle.

De cette façon, les biens à usage mixte seraient nécessairement compris dans le patrimoine personnel.

En contrepartie, il a été imaginé que le droit de gage des créanciers professionnels soit étendu au patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel à hauteur de la valeur d’un droit d’usage des biens mixtes, correspondant à leur utilisation effective dans un cadre professionnel pour une durée d’une année.

L’illustration a été donnée du local dont l’entrepreneur individuel est propriétaire ou locataire qui serait utilisé à des fins professionnelles et personnelles. Les créanciers professionnels seraient en droit de saisir sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur l’équivalent des sommes dues pour une mise à disposition non exclusive du local pendant un an.

Bien que séduisante, cette proposition n’a finalement pas été retenue par l’Assemblée nationale au motif qu’elle aurait conduit à ajouter de la complexité au critère de l’utilité.

Faute de précision dans la version finale de la loi du sort des biens mixtes, la Conseil d’État a suggéré qu’un décret soit adopté afin de pallier cette carence qui est de nature à affecter la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel.

==> Charge de la preuve

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que la charge de la preuve incombe à l’entrepreneur individuel pour toute contestation de mesures d’exécution forcée ou de mesures conservatoires qu’il élève concernant l’inclusion ou non de certains éléments d’actif dans le périmètre du droit de gage général du créancier.

Aussi, appartiendra-t-il à l’entrepreneur, pour échapper aux poursuites de ses créanciers, de prouver que le bien appréhendé :

  • Soit est utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie n’est pas née à l’occasion de son activité professionnelle
  • Soit n’est pas utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie est née à l’occasion de son activité professionnelle.

Le texte ajoute que la responsabilité du créancier saisissant peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu’il a procédé à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d’actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général.

Avant d’appréhender un ou plusieurs biens de l’entrepreneur individuel, le créancier devra donc s’assurer que le bien convoité relève du patrimoine sur lequel s’exerce son droit de gage général. À défaut, il s’expose à engager sa responsabilité.

II) Les effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

A) La date de prise d’effet du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-23 du Code de commerce régit la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines dont la mise en œuvre consiste pour l’entrepreneur individuel à ne répondre de ses dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle que sur son seul patrimoine professionnel.

L’enjeu pour le législateur était de permettre aux tiers de savoir au moment où ils contractent avec un entrepreneur individuel s’il est ou non tenu de répondre de ses engagements sur l’ensemble de ses biens.

Afin de satisfaire à cet objectif, le législateur a subordonné la limitation du droit de gage des créanciers de l’entrepreneur individuel à la condition que son activité professionnelle ait fait l’objet, à la date de naissance de la créance, d’une mesure de publicité adéquate : immatriculation à un registre de publicité légale, inscription sur une liste ou au tableau d’un ordre etc.

Dans l’hypothèse toutefois où aucune obligation d’immatriculation ne pèse sur l’entrepreneur individuel, la date de prise d’effet est fixée au jour de l’accomplissement du premier acte matérialisant le commencement d’activité professionnelle.

Pratiquement, la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines diffère donc selon que pèse ou non sur l’entrepreneur individuel une obligation d’immatriculation.

  • L’entrepreneur est assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de l’immatriculation au registre dont relève l’entrepreneur individuel pour son activité (registre du commerce et des sociétés, répertoires des métiers etc.).
    • Lorsque celui-ci relève de plusieurs registres, la dérogation prend effet à compter de la date d’immatriculation la plus ancienne.
    • À cet égard, lorsque la date d’immatriculation est postérieure à la date déclarée du début d’activité, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de la date déclarée du début d’activité, dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État.
  • L’entrepreneur n’est pas assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, l’article L. 526-23 du Code de commerce prévoit que la séparation des patrimoines opère à compter du premier acte que l’entrepreneur exerce en qualité d’entrepreneur individuel.
    • Pour déterminer cette date, il conviendra, suggère le texte, de se reporter aux documents et correspondances éventuellement établis par l’entrepreneur individuel dans la mesure à sa qualité doit obligatoirement y être mentionnée.

B) Le déploiement des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

1. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers professionnels

1.1 Principe

L’article L. 526-22, al. 3e du Code de commerce prévoit que « par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil et sans préjudice des dispositions légales relatives à l’insaisissabilité de certains biens, notamment la section 1 du présent chapitre et l’article L. 526-7 du présent code, l’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l’article L. 526-25. »

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine professionnel.

C’est là la conséquence directe du principe de séparation des patrimoines qui donc limite le gage des créanciers professionnels qui ne pourront donc pas exercer leurs poursuites sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

La séparation entre les patrimoines professionnel et personnel n’est toutefois pas absolue ; elle souffre de quelques tempéraments visant tantôt à octroyer de la souplesse quant à la mise en œuvre du dispositif, tantôt à protéger certains créanciers.

1.2 Tempéraments

Le législateur a assorti le principe de séparation des patrimoines de deux tempéraments afin de faciliter l’accès au crédit de l’entrepreneur individuel dans ses rapports avec les créanciers professionnels.

a. Constitution de sûretés sur le patrimoine personnel

L’article L. 526-22, al. 4e du Code de commerce autorise l’entrepreneur individuel, nonobstant le principe de séparation des patrimoines, à consentir à ses créanciers professionnels des sûretés constituées sur des biens relevant de son patrimoine personnel.

Par exemple, il peut constituer une hypothèque sur un bien immobilier personnel en garantie d’un prêt contracté auprès d’un établissement de crédit aux fins de financer son activité professionnelle.

L’alinéa 3 du texte précise, en revanche, que « la distinction des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est débiteur principal. »

Cette règle qui interdit à l’entrepreneur individuel de s’auto-cautionner trouve sa racine dans l’économie générale de l’opération de cautionnement qui requiert que la caution soit une personne distincte du débiteur principal.

Déjà sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait jugé dans un arrêt du 28 avril 1964 qu’un entrepreneur individuel ne pouvait pas cautionner les dettes souscrites au titre de son activité professionnelle.

Au soutien de sa décision, elle avait avancé que « celui qui est débiteur d’une obligation à titre principal ne peut être tenu de la même obligation comme caution » (Cass. com. 28 avr. 1964). Était ainsi posée l’interdiction de l’engagement de caution souscrit pour soi-même.

Il en résulte que la faculté pour l’entrepreneur principal de consentir à ses créanciers professionnels des garanties conventionnelles n’opère que pour les sûretés réelles.

Il peut enfin être observé que cette faculté n’est prévue par la loi qu’au bénéfice des créanciers professionnels.

Aucune disposition de ce type n’est prévue en sens inverse, au profit des créanciers personnels.

Il s’en déduit qu’il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de constituer une sûreté sur un bien relevant de son patrimoine professionnel aux fins de garantir une dette personnelle.

b. Renonciation à la séparation des patrimoines

b.1 Principe de la renonciation

Afin de ne pas limiter les capacités de financement de l’entrepreneur individuel, la loi l’autorise à renoncer purement et simplement au principe de séparation des patrimoines.

En exerçant ce droit, l’entrepreneur permet ainsi à ses créanciers d’étendre leur droit de gage sur tout ou partie de son patrimoine personnel.

Concrètement, le créancier poursuivant pourra ainsi saisir les biens personnels de l’entrepreneur individuel pour obtenir le recouvrement de sa créance, à l’exclusion de ceux frappés d’insaisissabilités telle que la résidence principale.

Cette faculté de renonciation a été prévue par le législateur afin de ne pas empêcher les entrepreneurs qui n’ont que peu de garanties à proposer d’accéder plus facilement au crédit.

Comme relevé lors de débats parlementaires, il s’agit là d’une grande avancée par rapport au statut de l’EIRL, qui ne permettait pas une renonciation spécifique : c’était « tout ou rien ».

b.2 Modalités de la renonciation

La renonciation étant un acte grave, dont les conséquences peuvent être ruineuses pour l’entrepreneur, sa validité est subordonnée à l’observation d’un certain nombre de modalités fixées par la loi.

i. Une demande formulée par le créancier professionnel

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation de l’entrepreneur au principe de séparation des patrimoines n’est valable que si, au préalable, le créancier professionnel en a fait la demande.

Cette demande, formulée par le créancier professionnel doit être écrite

Le créancier professionnel devra s’assurer qu’elle a bien été réceptionnée par l’entrepreneur individuel, dans la mesure où la réception de la demande de renonciation fait courir au délai de réflexion.

ii. L’observation d’un délai de réflexion 

  • Principe
    • À réception de la demande de renonciation formulée par le créancier professionnel, l’entrepreneur individuel dispose d’un délai de réflexion de sept jours francs.
    • Cela signifie que l’acte de renonciation ne peut produire ses effets avant l’expiration de ce délai.
  • Tempérament
    • L’article L. 526-25, al. 2e du Code de commerce prévoit la possibilité de réduire le délai de réflexion à trois jours francs Si l’entrepreneur individuel fait précéder sa signature d’une mention manuscrite dont les termes sont fixés par l’article D. 526-28, IV du Code de commerce.
    • Cette disposition prévoit que Lorsque l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation entendent réduire le délai de réflexion au terme duquel la renonciation intervient, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article L. 526-25, l’acte de renonciation porte, de la main de l’entrepreneur individuel, la mention manuscrite suivante :
      • « Je déclare par la présente renoncer au bénéfice du délai de réflexion de sept jours francs, fixé conformément aux dispositions de l’article L. 526-25 du code de commerce. En conséquence, ledit délai est réduit à trois jours francs. »
    • La possibilité de réduire le délai de réflexion à 3 jours procède d’un amendement proposé par les sénateurs qui ont fait valoir que le délai de sept jours pourrait apparaître long en cas de besoin urgent pour l’entrepreneur individuel d’accéder au crédit et notamment obtenir un crédit court terme pour faire face à une baisse voire à une interruption imprévue de son activité.

iii. L’établissement d’un acte de renonciation

?: Conditions de fond 

  • Une renonciation spéciale
    • L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que l’entrepreneur individuel ne peut renoncer au principe de séparation des patrimoines que « pour un engagement spécifique dont il doit rappeler le terme et le montant, qui doit être déterminé ou déterminable. »
    • À la différence de l’entrepreneur qui exerçait en EIRL, l’entrepreneur individuel ne pourra donc pas opter pour une renonciation globale, soit qui opérerait pour l’ensemble des dettes contractées.
    • Pratiquement, l’acte de renonciation devra donc :
      • D’une part, désigner l’engagement spécifique concerné
      • D’autre part, préciser le terme et le montant de cet engagement
    • À défaut, la renonciation encourt la nullité
  • Une renonciation éclairée
    • L’article D 526-28 du Code de commerce met à la charge du bénéficiaire de la renonciation une obligation d’information sur les conséquences de celle-ci sur les patrimoines de l’entrepreneur individuel.
    • L’information délivrée doit ainsi permettre à ce dernier d’apprécier la portée de cette renonciation, laquelle est susceptible d’emporter de lourdes conséquences sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur. Individuel, puisque réintégré dans l’assiette du droit de gage général des créanciers professionnels.
    • Cette obligation d’information n’est toutefois assortie d’aucune sanction.
    • Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’il reviendra de préciser ce point et notamment de déterminer si le défaut d’information doit être sanctionné par la nullité de la renonciation ou par l’octroi de dommages et intérêts.

?: Conditions de forme

==> Remise d’un modèle d’acte

L’article D. 526-29 du Code de commerce prévoit que « si le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier, il remet gratuitement un exemplaire du modèle type à l’entrepreneur individuel qui en fait la demande. »

À cet effet, un modèle type d’acte de renonciation a été approuvé par l’arrêté du 12 mai 2022 relatif à certaines formalités concernant l’entrepreneur individuel et ses patrimoines (accessible à partir du lien suivant : modèle de renonciation)

==> Les mentions figurant dans l’acte

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation par l’entrepreneur individuel au principe de séparation des patrimoines « doit respecter, à peine de nullité, des formes prescrites par décret. »

Il y a donc lieu de se reporter à l’article D. 526-28 issu du décret n° 2022-799 du 12 mai 2022 afin de déterminer les formes devant être observées par l’acte de renonciation.

Cette disposition prévoit que doivent figurer plusieurs sortes de mentions sur l’acte de renonciation :

  • En ce qui concerne l’entrepreneur individuel renonçant à la protection de son patrimoine personnel
    • Les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, nationalité, date et lieu de naissance et domicile de l’entrepreneur individuel ;
    • L’activité ou les activités professionnelles et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 ;
    • L’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
    • Le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 si l’entrepreneur est déjà immatriculé, ou, lorsqu’elle est antérieure à la date d’immatriculation, la date déclarée du début d’activité ;
  • En ce qui concerne le bénéficiaire de la renonciation
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne physique :
      • les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, date, lieu de naissance et domicile du bénéficiaire de la renonciation ;
      • le cas échéant, l’activité ou les activités professionnelles exercées, l’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne morale :
      • la raison sociale ou la dénomination sociale, suivie, le cas échéant, du sigle et de la forme ;
      • l’adresse du siège social ou de l’établissement, ou, à défaut, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
      • le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
      • l’indication que le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier.
  • En ce qui concerne l’engagement au titre duquel la renonciation est sollicitée
    • La date de l’engagement ;
    • L’objet de l’engagement ;
    • La date d’échéance de l’engagement, c’est-à-dire la date contractuelle prévue pour le remboursement total des sommes dues au titre de l’engagement, étant précisé que celle-ci peut être prorogée soit par un accord des parties soit par une décision judiciaire ;
    • Le montant de l’engagement ou les éléments permettant de le déterminer ; ces éléments, une fois spécifiés dans l’acte de renonciation fixent définitivement le plafond pour lequel une même renonciation vaut ;
    • La date de demande de la renonciation.

==> La signature de l’acte de renonciation

L’article D. 526-28 du Code de commerce prévoit que, à peine de nullité, l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation apposent leur signature sur l’acte, ainsi que la date et le lieu.

Ce texte précise qu’il peut être fait usage d’une signature électronique qualifiée répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique.

c. L’inopposabilité de la séparation des patrimoines aux créanciers publics

L’article L. 526-24 du Code de commerce prévoit une dérogation au principe de séparation des patrimoines au profit des créanciers publics et plus précisément de l’administration fiscale et des organismes de recouvrement de la sécurité sociale.

Cette disposition prévoit que « le droit de gage de l’administration fiscale et des organismes de sécurité sociale porte sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales, dans les conditions prévues aux I et II de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales, ou d’inobservation grave et répétée dans le recouvrement des cotisations et contributions sociales, dans les conditions prévues à l’article L. 133-4-7 du code de la sécurité sociale ».

Ainsi, la dissociation des patrimoines ne sera pas opposable à l’administration fiscale et aux organismes de sécurité sociale en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée des obligations fiscales ou sociales.

Le texte ajoute que cette inopposabilité joue également pour les impositions mentionnées au III de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « le recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux ainsi que de la taxe foncière afférente aux biens immeubles utiles à l’activité professionnelle dont est redevable la personne physique exerçant une activité professionnelle en tant qu’entrepreneur individuel ou son foyer fiscal peut être recherché sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel. Le présent III n’est pas applicable au recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux lorsque l’entrepreneur individuel a opté pour l’impôt sur les sociétés dans les conditions prévues à l’article 1655 sexies du code général des impôts. »

Enfin, l’article L. 526-24 du Code de commerce précise, s’agissant spécifiquement des organismes de sécurité sociale, que la séparation des patrimoines professionnels et personnels de l’entrepreneur individuel leur est inopposable pour les impositions et contributions mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 133-4-7 du même code.

2. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers personnels

a. Principe

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que « seul le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers dont les droits ne sont pas nés à l’occasion de son exercice professionnel ».

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées en dehors du cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine personnel.

Il en résulte que les biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel sont hors de portée de ses créanciers personnels dont le gage est limité aux seuls biens qui ne sont pas utiles à l’activité professionnelle.

Ce principe n’est toutefois pas absolu. Le législateur l’a assorti de tempéraments.

b. Tempéraments

En application du principe de séparation des patrimoines, parce qu’il existe une corrélation entre les dettes contractées par l’entrepreneur individuel et le passif engagé, les tempéraments dont ce principe est assorti devraient, en toute logique, jouer symétriquement à la faveur tant des créanciers professionnels que des créanciers personnels.

Telle n’est toutefois pas la voie empruntée par le législateur qui a institué une différence de traitement entre les deux catégories de créanciers.

Les possibilités offertes aux créanciers personnels de l’entrepreneur individuel de se soustraire à l’application du principe de séparation des patrimoines sont, en effet, bien plus limitées que celles dont bénéficient les créanciers professionnels.

==> Tempéraments retenus

Le principe de séparation des patrimoines souffre de deux tempéraments en faveur des créanciers personnels

  • Premier tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que, par exception au principe de séparation des patrimoines, « si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s’exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos. »
    • Pratiquement, dans l’hypothèse où la réalisation de l’actif relevant du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel ne permettrait pas désintéresser totalement ses créanciers personnels, ces derniers seront autorisés à appréhender le bénéfice éventuellement réalisé par leur débiteur dans le cadre de son activité professionnelle.
    • S’agissant de prendre pour point de référence le dernier exercice clos pour calculer le montant du bénéfice saisissable par les créanciers personnels, les travaux parlementaires justifient ce choix par l’impossibilité de déterminer en cours d’exercice quel montant a vocation à être prélevé par l’entrepreneur pour son usage personnel, autrement dit à rejoindre le patrimoine personnel.
    • À l’analyse, le montant maximal susceptible d’être prélevé par l’entrepreneur étant celui du bénéfice annuel, la seule solution est de se reporter au dernier exercice clos.
  • Second tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que les sûretés réelles consenties par l’entrepreneur individuel avant le commencement de son activité ou de ses activités professionnelles indépendantes conservent leur effet, quelle que soit leur assiette.
    • Il en résulte que dans l’hypothèse où une sûreté serait constituée sur un bien devenu utile à l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel en garantie d’une dette personnelle, le bénéficiaire de la sûreté sera autorisé à saisir le bien grevé, nonobstant le principe de séparation des patrimoines.

==> Tempéraments exclus

Deux tempéraments au principe de séparation des patrimoines qui jouent en faveur des créanciers professionnels ne bénéficient pas aux créanciers personnels.

  • Première exclusion
    • Bien que la loi soit silencieuse sur ce point, il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de renoncer à la séparation des patrimoines en faveur de ses créanciers personnels.
    • Cette renonciation ne peut jouer qu’au profit des seuls créanciers professionnels.
    • Le gage des créanciers personnels sera, dans ces conditions, nécessairement cantonné aux biens composant le patrimoine personnel de l’entrepreneur
  • Seconde exclusion
    • Comme précisé dans le rapport établi par Christophe-André Frassa, si la loi ménage expressément la faculté, pour l’entrepreneur individuel, de consentir à ses créanciers professionnels des sûretés conventionnelles assises sur des biens compris dans son patrimoine personnel, « aucune disposition de ce type n’est prévue, en sens inverse, au bénéfice des créanciers personnels».
    • Il est donc fait interdiction à l’entrepreneur individuel d’accorder à ses créanciers personnels une sûreté qui serait constituée sur un bien relevant de son patrimoine professionnel.

Ainsi, comme relevé dans les travaux parlementaires, une nette dissymétrie oppose les créanciers professionnels aux créanciers personnels.

Les premiers, pour assurer le recouvrement de leur créance, pourront saisir dans certaines conditions tout ou partie des biens compris dans le patrimoine personnel, soit qu’ils soient titulaires d’une sûreté conventionnelle assise sur l’un de ces biens, soit qu’ils bénéficient d’une renonciation à la séparation des patrimoines.

Les seconds, en revanche, ne pourront exercer leur droit de gage général sur le patrimoine professionnel qu’à titre subsidiaire et dans la limite du montant du bénéfice du dernier exercice clos.

Les biens à usage professionnel sont donc mis hors de portée des créanciers personnels, comme s’ils étaient logés dans une société.

Selon Christophe-André Frassa, cette dissymétrie peut se justifier. En effet, alors que le patrimoine professionnel est défini limitativement, ce n’est pas le cas du patrimoine personnel, qui comprend tous les biens et droits non compris dans l’autre patrimoine.

En outre, parmi les biens de l’entrepreneur individuel, les plus précieux (notamment, le cas échéant, sa résidence principale) seraient le plus souvent compris dans son patrimoine personnel et pourraient donc être appréhendés par ses créanciers personnels.

Afin de ne pas diminuer excessivement les droits des créanciers professionnels, il est donc légitime de ne pas autoriser, au profit des créanciers personnels, la constitution de sûretés sur des biens professionnels ou la renonciation à la séparation des patrimoines.

III) L’extinction des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-22 du Code de commerce prévoit deux cas de réunion des patrimoines professionnels et personnels :

  • Premier cas : la cessation d’activité
    • Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le texte prévoit que le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis.
    • Il en résulte que les créanciers antérieurs recouvrent un droit de gage général sur l’ensemble des biens de leur débiteur.
    • Cette solution diffère manifestement de celle applicable à l’EIRL.
    • En effet, sous ce statut, le gage général des créanciers antérieurs demeurait limité aux seuls biens qui relevaient du patrimoine d’affectation de l’entrepreneur.
    • Ce « gel » du gage des créanciers antérieurs était toutefois possible en raison de la déclaration d’affectation réalisée par l’entrepreneur individuel qui consistait à dresser une liste exhaustive des biens affectés à l’exercice de son activité professionnelle.
    • Tel n’est pas le cas de l’entrepreneur individuel qui exerce sous le nouveau statut.
    • Aucun texte ne l’oblige à réaliser un inventaire des biens qui composent son patrimoine professionnel.
    • Aussi, leur identification au moment de la cessation d’activité de l’entrepreneur individuel – laquelle est susceptible d’intervenir plusieurs années après leur entrée dans le patrimoine professionnel – s’avérerait complexe sinon impossible.
    • C’est la raison pour laquelle le législateur a préféré n’opérer aucune distinction : le droit de gage des créanciers antérieur s’exerce sur l’ensemble des biens de l’entrepreneur individuel qui a cessé son activité.
  • Second cas : le décès
    • En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le décès de l’entrepreneur individuel a pour effet de réunir les patrimoines professionnels et personnels.
    • Comme pour le cas de la cessation d’activité, s’est posée la question du cantonnement du gage des créanciers antérieurs aux biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.
    • La raison en est que la réunion des patrimoines professionnels et personnels pour former un patrimoine successoral unique fait peser un risque important sur les héritiers et autres successeurs à titre universel, qui sont susceptibles de se voir transmettre l’intégralité des dettes de l’entrepreneur individuel au jour de son décès sans que le droit de gage des créanciers ne soit limité.
    • Aussi, comme souligné par Christophe-André Frassa, « la protection des héritiers repose alors entièrement sur leur droit d’option : dans le cas où des dettes trop lourdes grèveraient le patrimoine successoral, ils pourraient renoncer à la succession ou ne l’accepter qu’à concurrence de l’actif net (la liquidation portant alors sur l’ensemble du patrimoine successoral, issu de la réunion des patrimoines professionnel et personnel).»

[1] V. en ce sens N. Jullian, « La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, de nouvelles opérations au service des entrepreneurs individuels », JCP E, n°13, mars 2022, 1137.

Le statut de l’entrepreneur individuel: règles générales et conditions

==> Ratio legis

Lorsqu’un entrepreneur individuel exerce, en nom propre, son activité professionnelle, il s’expose à ce que la totalité de son patrimoine – professionnel et personnel – soit saisie en cas de difficultés financières.

Jusque récemment, le seul moyen pour un entrepreneur de préserver son patrimoine personnel en limitant le gage des créanciers aux biens exploités à titre professionnel était de créer une société.

En effet, le recours à la forme sociétale répond parfaitement au souci de distinguer patrimoine professionnel et patrimoine personnel, dettes professionnelles et dettes personnelles.

Une société, personne morale distincte de l’entrepreneur, dispose d’un patrimoine propre et répond des dettes résultant de son activité. Quant au patrimoine personnel de l’entrepreneur, il demeure extérieur à l’activité professionnelle et, par conséquent, est protégé de ses aléas.

La création d’une personne morale se révèle néanmoins parfois inadaptée à l’exercice d’une activité professionnelle à titre individuel en raison de la lourdeur du formalisme et des obligations qui pèsent sur le chef d’entreprise.

Par ailleurs, des études ont révélé que la vulnérabilité de leur statut ou plutôt de leur absence de statut, ne suffisait pas à inciter les entrepreneurs individuels à faire le choix systématique de la forme sociétale. Ils sont en proie à des « freins psychologiques », que l’on peut résumer en une réticence de l’entrepreneur à constituer une personne morale distincte.

==> De l’EURL à l’EIRL

Fort de ce constat, le législateur a cherché à encourager les entrepreneurs à se tourner vers la forme sociale en simplifiant les règles de création et de fonctionnement des sociétés :

  • La loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée a rompu avec le principe de l’affectio societatis, selon lequel une société résulte de la volonté de collaborer d’au moins deux associés, en permettant à un entrepreneur individuel de constituer seul une société ;
  • La loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle a procédé à une refonte des formalités et obligations auxquelles étaient soumises les entreprises, dans le but de les simplifier ;
  • La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a d’abord institué le mécanisme d’insaisissabilité de la résidence principale aux articles L. 526-1 à L. 526-5 du code de commerce, constituant une entorse au droit de gage général posé aux articles 2284 et 2285 du code civil. Elle a ensuite supprimé le capital minimum dans les SARL, rompant ainsi avec le principe de capitalisation des sociétés ;
  • La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a procédé à de nouvelles simplifications dans le fonctionnement des entreprises et étendu l’insaisissabilité à tous les biens fonciers non affectés à l’usage professionnel.

Nonobstant ces réformes successives qui visaient à encourager l’exercice de l’entreprenariat individuel au moyen d’une forme sociale, ni l’EURL ni l’insaisissabilité de la résidence principale n’ont attiré les entrepreneurs.

Le législateur en a tiré la conséquence, qu’il convenait de changer de paradigme et d’ouvrir une brèche dans le sacro-saint principe de l’unicité du patrimoine.

Pour mémoire, ce principe théorisé au début du XIXe siècle par Charles Aubry et Charles-Frédéric Rau, signifie qu’une personne ne peut être titulaire que d’un seul patrimoine. Aussi, parle-t-on, d’unicité ou d’indivisibilité du patrimoine.

  • Positivement, il en résulte que le passif répond du passif et que l’ensemble des dettes sont exécutoires sur l’ensemble des biens, conformément aux articles 2284 et 2285 du Code civil : « qui s’oblige, oblige le sien»
  • Négativement, il se déduit qu’il est interdit d’isoler certains éléments du patrimoine, pour constituer une universalité distincte du reste du patrimoine

Ainsi, une personne qui affecterait certains biens à l’exercice d’une activité professionnelle n’aurait, par principe, pas pour effet de créer un ensemble de biens et de dettes séparé de son patrimoine personnel, sauf à créer une personne morale ou à accomplir les formalités aux fins de constituer un patrimoine professionnel.

Très tôt le principe d’unicité du patrimoine a été critiqué par la doctrine en ce qu’elle exposait l’entrepreneur individuel à des risques financiers importants sur son patrimoine personnel pour des dettes nées dans le cadre de son activité professionnelle.

Jusque récemment, la seule solution qui s’offrait à lui pour contourner le principe d’unicité du patrimoine était de créer une société, laquelle serait titulaire d’un patrimoine distinct de son propre patrimoine.

À cet égard, tout entrepreneur individuel, qu’il soit commerçant, artisan, indépendant ou agriculteur, peut créer une société unipersonnelle à responsabilité limitée et opérer de cette manière une distinction entre son patrimoine personnel et son patrimoine professionnel.

L’EURL n’a toutefois pas obtenu le succès escompté, les entrepreneurs individuels préférant majoritairement exercer leur activité en nom propre.

Par souci de justice sociale et de protection de la famille des entrepreneurs ayant adopté cette seconde modalité – risquée – d’exercice, le législateur a finalement décidé d’ouvrir une brèche dans le principe d’unicité du patrimoine en créant, par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

La particularité de ce statut – et c’est la révolution opérée par ce texte – est qu’il permet à l’entrepreneur individuel, tout à la fois d’exercer son activité en nom propre et de créer un patrimoine d’affectation.

Pour la première fois, l’entrepreneur individuel était ainsi autorisé à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.

À l’analyse, la création d’un patrimoine d’affectation déroge aux règles posées aux articles 2284 et 2285 du Code civil, en établissant que les créances personnelles de l’entrepreneur ne sont gagées que sur le patrimoine non affecté, et les créances professionnelles sur le patrimoine affecté.

L’admission de la constitution d’un patrimoine d’affectation opère donc une rupture profonde avec le dogme de l’unicité du patrimoine organisé jusqu’alors par le droit civil français.

Le bénéfice du régime de l’EIRL était toutefois subordonné à l’observation d’un formalisme rigoureux visant à garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur lui-même et des tiers.

Pour créer un patrimoine d’affectation, l’entrepreneur devait notamment :

  • D’une part, procéder à une déclaration d’affectation
  • D’autre part, tenir une comptabilité séparée

Là encore, à l’instar de l’EURL, l’EIRL n’a pas rencontré un franc succès chez les entrepreneurs individuels.

Selon une étude réalisée par le Conseil d’État, en 2021, seuls 97 000 chefs d’entreprise étaient soumis au régime de l’EIRL alors que, à la même époque, on comptait près de 3 millions de travailleurs indépendants.

Les raisons de cet échec doivent sans doute être recherchées dans la complexité des formalités administratives et comptables requises pour créer une EIRL, quoiqu’elles aient été progressivement simplifiées, notamment par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite « PACTE ».

C’est dans ce contexte, qu’il est à nouveau apparu nécessaire de réformer le statut de l’entrepreneur individuel.

==> La création d’un statut unique d’entrepreneur individuel

Animé par la volonté de renforcer la protection des travailleurs indépendants, le législateur est intervenu en 2022 aux fins de créer un statut unique d’entrepreneur individuel.

À cet effet, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a innové en instaurant une séparation de plein droit entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.

Il n’est désormais plus nécessaire que celui-ci procède à une déclaration préalable d’affectation.

Dès lors qu’une personne exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes, elle est titulaire de deux patrimoines :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Outre la consécration d’une séparation de plein droit des patrimoines de l’entrepreneur individuel, la loi du 14 février 2022 a instauré un dispositif permettant la transmission universelle du patrimoine professionnel entre vifs, y compris sous la forme d’un apport en société.

Ce dispositif déroge au principe selon lequel une personne physique ne peut, de son vivant, transmettre son patrimoine.

Pour cette catégorie de personnes, il est seulement permis de transmettre des biens et des obligations à titre particulier.

Le régime de cette transmission universelle de patrimoine instauré par la loi du 14 février 2022 est largement emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts sociales en une seule main.

À cet égard, bien qu’ouvert désormais aux personnes physiques, ce nouveau dispositif, à l’instar de la séparation des patrimoines professionnel et personnel, ne peut bénéficier qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

§1: Les conditions d’éligibilité au statut d’entrepreneur individuel

Le statut institué par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

L’article L. 526-22 du Code de commerce définit l’entrepreneur individuel comme « une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. »

Il ressort de cette disposition que la qualité d’entrepreneur individuel requiert la réunion de plusieurs éléments cumulatifs :

  • Premier élément
    • L’entrepreneur individuel est nécessairement une personne physique.
    • Et pour cause, le statut unique d’entrepreneur individuel a précisément été créé pour les personnes qui ne souhaitaient pas, pour diverses raisons, exercer leur activité professionnelle par l’entremise d’une société.
    • Aussi, le statut d’entrepreneur individuel ne saurait être sollicité par une personne morale.
    • Une société est donc strictement assujettie au principe d’unicité de son patrimoine sans possibilité pour elle d’y déroger.
  • Deuxième élément
    • L’entrepreneur individuel exerce nécessairement en son nom propre, ce qui signifie qu’il agit pour son propre compte.
    • Il n’intervient donc pas en représentation d’une tierce personne, de sorte qu’il est personnellement tenu aux engagements qu’il souscrit.
  • Troisième élément
    • Pour se prévaloir du statut d’entrepreneur individuel, il est nécessaire, précise l’article L. 526-22 du Code de commerce, d’exercer « une ou plusieurs activités professionnelles».
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « activité professionnelle».
    • Aussi, l’activité exercée par l’entrepreneur doit constituer une profession.
    • Par profession, il faut entendre selon le doyen Riper « le fait de consacrer d’une façon principale et habituelle son activité à l’accomplissement d’une tâche dans le dessein d’en tirer profit »
    • En d’autres termes, pour qu’une activité constitue une profession, cela suppose qu’elle soit, pour son auteur, sa principale source de revenus et, surtout, lui permette d’assurer la pérennité de son entreprise
  • Quatrième élément
    • Le statut d’entrepreneur individuel ne peut bénéficier qu’aux personnes qui exercent une activité indépendante.
    • L’indépendance dont il s’agit est juridique et non économique.
    • Il en résulte que les membres d’un réseau de distribution ou un franchisé peuvent parfaitement endosser le statut d’entrepreneur individuel.
    • Les personnes en revanche exclues du bénéfice de ce statut sont :
      • Les salariés qui agissent pour le compte de leur employeur.
      • Les dirigeants sociaux qui agissent au nom et pour le compte d’une société.
      • Les mandataires, tels que les agents commerciaux qui représentent un commerçant

Il ressort de ces quatre éléments constitutifs de la notion d’entrepreneur individuel que le statut attaché à cette qualité est ouvert à de nombreux agents économiques au nombre desquels figurent notamment les commerçants, les artisans, les agriculteurs et plus généralement tous les autres professionnels indépendants, qu’ils relèvent ou nom d’une profession réglementée.

À cet égard, comme indiqué par les travaux parlementaires, l’immatriculation à un registre de publicité légale professionnelle n’est pas une condition pour bénéficier du statut d’entrepreneur individuel : ce statut peut donc bénéficier à un entrepreneur individuel dont la profession n’est pas soumise à une réglementation qui lui est propre et qui n’est donc pas inscrit sur un registre spécifique ou un ordre particulier.

§2: Les conditions d’exercice du statut d’entrepreneur individuel

==> La dénomination professionnelle

L’article R. 526-27 du Code de commerce issu du décret n° 2022-725 du 28 avril 2022, pose deux exigences s’agissant de la dénomination professionnelle adoptée par l’entrepreneur individuel :

  • Première exigence
    • Pour l’exercice de son activité professionnelle l’entrepreneur individuel utilise une dénomination incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.
    • Cette restriction de la liberté de choisir une dénomination professionnelle se justifie par la protection des tiers auxquels le statut de l’entrepreneur individuel doit être porté à leur connaissance.
  • Seconde exigence
    • La dénomination choisie par l’entrepreneur individuel doit figurer sur tous les documents et correspondances à usage professionnel de l’intéressé.

À ces deux exigences énoncées par l’article R. 526-27 du Code de commerce, il convient d’en compter une troisième lorsque l’entrepreneur individuel exerce une activité commerciale.

En effet, l’article R. 123-237 du Code de commerce prévoit que toute personne immatriculée au registre du commerce et des sociétés est tenu d’indiquer sur ses factures, notes de commande, tarifs et documents publicitaires ainsi que sur toutes correspondances et tous récépissés concernant son activité et signés par elle ou en son nom la dénomination utilisée pour l’exercice de l’activité professionnelle incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.

Il devra indiquer, en outre, sur son site internet la mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée.

==> Le compte bancaire

Sous l’empire du droit antérieur, l’article L. 526-13 du Code de commerce imposait à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) d’« ouvrir dans un établissement de crédit un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés à l’activité à laquelle le patrimoine a été affecté ».

Le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 a mis fin à cette obligation, de sorte que l’entrepreneur individuel n’est plus tenu d’ouvrir un compte bancaire exclusivement dédié à son activité professionnelle.

L’article R. 526-27 du Code de commerce prévoit seulement que « chaque compte bancaire dédié à son activité professionnelle ouvert par l’entrepreneur individuel doit contenir la dénomination dans son intitulé. »