La preuve du fait ou l’exigence d’un fait pertinent et contesté

S’intéresser à l’objet de la preuve suppose de déterminer ce que la partie à un procès doit prouver pour garantir le succès de ses prétentions.

De façon assez surprenante, l’objet de la preuve n’est abordé par aucun texte, alors même qu’il soulève de nombreuses difficultés.

La principale tient à la question de savoir si les justiciables doivent seulement prouver la situation qui est la cause du droit dont ils se prévalent ou s’ils doivent également prouver la règle de droit applicable.

À l’analyse, le principe est que seuls les faits doivent être prouvés. Ce principe n’est toutefois pas absolu. Il est des cas où la preuve du droit devra être rapportée.

Nous nous focaliserons ici sur la preuve du fait. 

S’il revient aux justiciables de rapporter la preuve des faits, tous les faits n’ont pas à être prouvés.

Il s’agit, en effet, de ne pas contraindre les parties à devoir prouver tous les faits qui ont concouru à la situation présentée au juge. Cela pourrait revenir, en effet, à exiger d’elles qu’elles remontent la causalité de l’univers et donc à rendre la preuve impossible.

C’est la raison pour laquelle seuls les faits répondant à certains critères doivent être prouvés. Il doit s’agir :

  • D’une part, de faits pertinents
  • D’autre part, de faits contestés

A) Un fait

==> La preuve du fait et non du droit

L’article 9 du Code de procédure civile prévoit que « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »

Aussi, est-ce aux justiciables qu’il revient de supporter le fardeau de la preuve des faits à l’origine du litige porté devant le juge.

Comme souligné par François Terré « cette exigence naturelle est l’expression d’une nécessaire collaboration avec le juge, de la part de celui qui s’adresse à lui »[1].

La règle ainsi énoncée doit être lue en contemplation de l’article 12 du Code de procédure qui prévoit que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. »

Il ressort de cette disposition que la règle de droit, contrairement aux faits qui dépendent des parties, est l’affaire du juge.

En effet, l’office du juge ne se limite pas à dire le droit, il lui appartient également de le « donner ».

Cette règle est exprimée par l’adage « da mihi factum, da tibi jus » qui signifie littéralement : « donne-moi les faits, je te donnerai le droit ».

Les parties n’ont ainsi nullement l’obligation de prouver la règle de droit dont elles entendent se prévaloir. C’est au juge qu’il incombe de trancher le litige qui lui est soumis au regard de la règle de droit applicable.

La raison en est que le Juge est présumé connaitre la règle de droit conformément à l’adage jura novit curia.

À cet égard, comme souligné par Aubry et Rau « les règles de droit ne sauraient en général faire l’objet d’une preuve proprement dite. Leur existence, leur teneur, et leur portée peuvent donner lieu à discussion, mais le juge est, par sa formation et son expérience, habile à en décider »[2].

N’étant pas tenues de prouver le droit, les parties doivent concentrer leurs efforts sur la preuve du fait. Plus précisément, selon Motulsky, il leur faut prouver « les éléments générateurs du droit par elle réclamé »[3].

A titre d’illustration, une victime qui saisit le Juge afin d’obtenir réparation d’un préjudice devra prouver non pas l’existence d’une règle qui « oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (art. 1240 C. civ.), mais que les conditions d’application de cette règle sont réunies (préjudice, fait générateur et lien de causalité).

Dans un procès les rôles sont ainsi parfaitement répartis entre le juge et les parties :

  • D’un côté, il appartient aux parties de prouver les faits qu’elles allèguent au soutien de leurs prétentions
  • D’un autre côté, il revient au juge d’une part, de recueillir les faits qui lui sont soumis, d’autre part, de leur donner ou restituer une exacte qualification et, enfin, de leur appliquer la règle de droit adéquate

==> La preuve du fait au sens large

Lorsque l’article 9 du Code de procédure civile prévoit qu’il incombe « à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention », la question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « faits ».

Doit-on comprendre les faits au sens civiliste du terme, ou doit-on retenir une approche extensive ?

  • L’approche civiliste
    • Si l’on retient l’approche civiliste, il y a lieu d’opérer une distinction entre les faits juridiques et les actes juridiques :
      • Les faits juridiques
        • Ils sont définis à l’article 1100-2 du Code civil comme « des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit».
        • Exemple: un accident de voiture, la dissimulation d’un objet, une tornade, blessures infligées à autrui etc…
      • Les actes juridiques
        • Ils sont définis à l’article 1100-1 du Code civil comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »
        • Exemple: un contrat, une démission, une déclaration de naissance, l’acceptation d’une succession etc.
    • Il ressort de ces deux définitions que, le fait juridique se distingue de l’acte juridique en ce que les effets de droit qu’il est susceptible de produire n’ont pas été voulus.
    • Si l’on s’en tient à l’approche strictement civiliste de la notion de « faits », elle devrait conduire à exclure les actes juridiques de l’objet de la preuve, tel que présenté par l’article 9 du Code de procédure civile.
    • Est-ce à dire qu’il n’incomberait pas aux parties de prouver les actes juridiques qu’elles produisent au soutien de leurs prétentions ?
    • L’admettre reviendrait à imposer au juge de tenir pour vrai des éléments dont l’existence et l’authenticité ne seraient pas établies, alors même que l’une ou l’autre serait douteuse, sinon improbable.
    • Or cela serait contraire à la finalité du procès qui, pour mémoire, doit permettre notamment « la manifestation de la vérité» ( 10, al. 1er C. civ.)
    • Pour cette raison, seule une approche extensive de la notion de « faits » peut être envisagée.
  • L’approche extensive
    • Cette approche consiste à appréhender la notion de « faits » comme comprenant, tant les faits juridiques, que les actes juridiques.
    • Aussi, sont-ce de façon générale toutes « les situations juridiques»[4] qui doivent être prouvées par les parties, peu importe leur nature ou leur cause.

S’il n’est pas douteux que la notion de fait doit être comprise largement, cela ne signifie pas pour autant que tous les faits doivent être prouvés.

B) Un fait pertinent

Pour que pèse l’obligation sur une partie de prouver « les faits nécessaires au succès de sa prétention » (art. 9 CPC), encore faut-il que ces faits soient pertinents ou selon la terminologie processualiste « concluants » ou encore « relevants ».

Cette exigence est exprimée par l’adage frustra probatur quod probatum non relevat qui signifie : « il est vain de prouver les faits qui ne sont pas pertinents ».

Par pertinent, il faut comprendre que le fait qui doit être prouvé entretienne un rapport avec le litige porté devant le juge.

Plus précisément, il faut, selon Motulsky, que ce fait présente « une importance pour la solution du litige ».

Aubry et Rau abondent dans le même sens en écrivant que « le juge doit admettre ou ordonner la preuve que des faits relevants, pertinents, ou concluants, c’est-à-dire qui soient de nature à influer, d’une manière plus ou moins décisive, sur le jugement de la cause à l’occasion de laquelle ils sont allégués »[5].

À quoi bon, en effet, prouver un fait qui serait sans incidence sur la solution du litige à tout le moindre qui n’apporterait rien au débat judiciaire.

À cet égard, comme souligné par Jacques Ghestin et Gilles Goubeaux « le plaideur alléguant un fait qui, à supposer établi, ne donnerait prise à aucune règle de droit apte à produire l’effet demandé, doit voir sa prétention rejetée, sans qu’il soit besoin de se préoccuper de l’existence de ce fait »[6].

L’exigence de pertinence des faits à prouver n’est formulée par aucune disposition générale relevant du droit commun de la preuve.

On la retrouve toutefois dans certaines dispositions du Code de procédure civile intéressant les mesures d’instruction susceptibles d’être prises par le Juge.

L’article 143 de ce code prévoit, par exemple, que « les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible ».

Cette règle confère ainsi le droit à un justiciable de solliciter auprès du juge une mesure d’instruction, tant en cours d’instance, qu’en prévision d’un litige à naître, pourvu que le fait qui requiert cette mesure d’instruction soit susceptible d’influer sur la solution du litige.

La question qui alors se pose est de savoir comment identifier un tel fait.

Pour Motulsky les faits pertinents « sont ceux qui correspondent aux éléments générateurs du droit subjectif déduit en justice ». Il poursuit en rappelant « la nécessité pour toute partie faisant valoir un droit subjectif en justice d’alléguer, sous peine d’être déboutée de sa prétention, toutes les circonstances de fait répondant aux éléments générateurs de ce droit »[7].

Or c’est précisément sur la base de ces circonstances que le juge sera en capacité de se forger une conviction.

D’où la conclusion partagée par la plupart des auteurs consistant à admettre qu’un fait présente un caractère pertinent « lorsque, à supposer son existence établie, il est de nature à entraîner la conviction du juge en l’aidant à conclure définitivement le litige »[8].

Pour déterminer si un fait répond au critère de pertinence il y a donc lieu de se demander s’il est susceptible d’influer la conviction du juge et donc d’orienter le sens de sa décision.

S’agissant de l’appréciation par le juge de la pertinence, il y a lieu de distinguer deux hypothèses :

  • Première hypothèse : l’appréciation de la pertinence du fait intéresse la conviction du juge
    • Lorsque l’enjeu de la preuve du fait se limite à influer la conviction du juge alors l’appréciation de la pertinence de la preuve relève de son pouvoir souverain (V. par exemple 2e civ. 30 janv. 1980, n°79-12.470).
    • Le juge est, en effet, seul à pouvoir déterminer si un fait est susceptible d’avoir une incidence sur sa décision
    • Lorsqu’ainsi il estime qu’un fait est trop éloigné du fait qu’une partie cherche à établir, il pourra rejeter la preuve à rapporter, car inutile ( 1ère civ. 20 nov. 1973, n°72-13.508).
    • Le juge pourra encore refuser d’ordonner une mesure d’instruction visant à établir un fait « quand sa conviction est formée» ( 2e civ. 12 mars 1970, n°69-12.291).
  • Seconde hypothèse : l’appréciation de la pertinence du fait mobilise une règle de droit
    • Lorsque l’enjeu de la preuve d’un fait intéresse la violation ou l’application d’une règle de droit, il est admis que la Cour de cassation exerce son contrôle sur l’appréciation par les juges du fond de la pertinence de la preuve rapportée.
    • Dans un arrêt du 29 juin 1967, la Deuxième chambre civile a jugé en ce sens que « si les juges du fond ont, en principe, un pouvoir souverain d’appréciation, quant à la pertinence des faits offerts en preuve, il en est autrement quand les faits invoqués, dans le cas où l’existence en serait établie, justifieraient les prétentions de la partie qui les articule» ( 2e civ. 29 juin 1967).

C) Un fait contesté

==> Théorie du fait constant

Parce que « la preuve juridique est une preuve judiciaire »[9], elle ne doit être rapportée que si le fait dont se prévaut l’une des parties au procès est contesté.

Cette exigence est issue de la « théorie du fait constant » développée par Motulsky qui a soutenu que « pour que se pose la question de la preuve, il faut donc une contestation ; un fait reconnu ou simplement non contesté n’a pas besoin d’être prouvé »[10].

Cet auteur explique que pour que les parties à un procès puissent espérer voir prospérer leurs prétentions, il leur échoit d’accomplir deux tâches bien distinctes :

  • Première tâche : l’allégation des faits
    • La première tâche qui incombe à une partie qui se prévaut de l’application d’une règle de droit est d’alléguer les faits qui justifient son application
    • Cette exigence est énoncée à l’article 6 du Code de procédure civile qui prévoit que « à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder».
    • Il ne s’agit pas, à ce stade, de prouver les faits qui ont concouru à la situation présentée au juge, mais seulement de les lui exposer, pourvu qu’ils soient pertinents.
    • Car rappelle Motulsky, avant de s’intéresser à la preuve du fait, le juge va d’abord chercher à déterminer s’il existe « une coïncidence totale entre les éléments générateurs du droit réclamé et les allégations du demandeur»[11].
    • Dans l’affirmative, le juge devra tenir pour vrai le fait allégué et faire droit à la prétention du demandeur, sauf à ce que s’élève une contestation du défendeur.
  • Seconde tâche : la preuve des faits
    • Ce n’est que dans l’hypothèse où le défendeur oppose une résistance au demandeur que ce dernier sera tenu de rapporter la preuve des faits qu’il allègue.
    • À cet égard, comme souligné par Motulsky « la position du défendeur n’intéresse […] le juge qu’à condition que le défendeur nie la réalité de l’une au moins des circonstances faisant écho aux éléments générateurs [du droit invoqué par le demandeur]»[12].
    • Aussi l’objet de la preuve est-il circonscrit aux seuls faits qui sont contestés

La doctrine a tenté de justifier la théorie du fait constant soutenue par Motulsky en convoquant le principe dispositif et le dispositif de l’aveu judiciaire :

  • Le principe dispositif
    • Ce principe est énoncé à l’article 4, al. 1er du Code de procédure civile qui prévoit que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. »
    • Parce que donc ce sont les parties qui déterminent le périmètre du procès, seuls les faits qu’elles entendraient soumettre à la discussion devraient être prouvés.
    • Les faits qui ne feraient l’objet d’aucune contestation s’imposeraient donc au juge qui n’aurait d’autre choix que de les tenir pour vrai.
    • D’ailleurs, l’article 7, al. 1er prévoit que « le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. »
    • Bien que l’argument soit séduisant, il se heurte notamment au second alinéa de l’article 7 qui dispose que « parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions. »
    • L’article 8 confère, en outre, au juge le pouvoir d’« inviter les parties à fournir les explications de fait qu’il estime nécessaires à la solution du litige.»
    • De toute évidence, le principe dispositif peine à justifier la théorie du fait constant.
  • L’aveu judiciaire
    • D’aucuns ont avancé que si un fait contesté n’a pas besoin d’être prouvé, c’est parce que l’absence de contestation par le défendeur s’analyse à un aveu tacite.
    • Or l’aveu compte parmi les modes de preuve.
    • À cet égard, l’article 1383-2 du Code civil prévoit, d’une part, que l’aveu judiciaire « fait foi contre celui qui l’a fait», d’autre part, qu’« il est irrévocable, sauf en cas d’erreur de fait. »
    • Là encore, l’argument ne convainc pas.
    • Compte tenu des conséquences attachées à l’aveu judiciaire, il serait dangereux d’admettre qu’il puisse s’induire du silence d’une partie.
    • La définition qui en est donnée par le premier alinéa de l’article 1383-2 du Code civil semble d’ailleurs s’y opposer.
    • Cette disposition prévoit que « l’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté. »
    • Une déclaration consiste toujours en un acte positif et plus précisément en la manifestation d’une volonté.
    • Dès lors, il y a une incompatibilité entre l’aveu et la reconnaissance tacite d’un fait.

Au bilan, aucun des deux arguments portés par la doctrine ne parvient à justifier la théorie du fait constant. Cela n’a toutefois pas empêché sa réception en droit positif.

==> Réception de la théorie du fait constant en droit positif

L’examen de la jurisprudence révèle que la théorie du fait constant a été reconnue dans de nombreuses décisions.

Dans un arrêt du 16 novembre 1972, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une Cour d’appel qui, pour refuser à des salariés le remboursement de frais de voyages a retenu que les états produits par chacun d’eux ne constituaient pas la preuve qu’il avait bien effectué les voyages.

La Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu au motif qu’un salarié « n’est tenu de rapporter cette preuve que si la réalité du voyage est déniée par l’employeur débiteur des remboursements » (Cass. soc. 16 nov. 1972, n°72-40.080).

La Chambre commerciale a statué dans le même sens dans un arrêt du 2 mai 1989 à propos de créances tirées d’effets de commerce déclarées au passif d’une procédure collective.

Faute d’avoir été contestées par le débiteur, la Cour de cassation a estimé que les créances déclarées devaient être admises au passif de la procédure (Cass. com. 2 mai 1989, n°87-17.159).

Si les décisions admettant l’absence de nécessité de rapporter la preuve d’un fait non contesté soit nombreuses, certaines ont semé le trouble quant à l’assimilation en droit positif de la théorie du fait constant.

Dans un arrêt du 10 mai 1991, la Cour de cassation a notamment jugé qu’une Cour d’appel « n’était pas tenue de considérer que les faits allégués étaient constants au seul motif qu’ils n’avaient pas été expressément contestés par les autres parties » (Cass. 2e civ. 10 mai 1991, n°89-10.460).

Ainsi dans cette décision, la Deuxième chambre civile considère-t-elle que le juge n’est nullement obligé de tenir pour vrai un fait dès lors qu’il n’est pas contesté. Il S’agit là d’une simple faculté qu’il est libre d’exercer.

Cette approche a été partagée par la Chambre commerciale qui, dans un arrêt du 10 octobre 2000, a décidé que « le juge n’est pas tenu de considérer un fait allégué pour constant au seul motif qu’il n’est pas expressément contesté » (Cass. com. 10 oct. 2000, n°97-22.399).

Il s’infère de ces décisions que la théorie du fait constant est pour le moins fragile, sinon remise en cause. Le juge demeure, en effet, toujours libre de ne pas réputer comme établi un fait qui ne serait pas contesté.

Il semble donc falloir s’en tenir à la règle énoncée à l’article 9 du Code de procédure civile qui n’opère aucune distinction entre les faits à prouver. En application de cette disposition il incombe à chaque partie d’établir « les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

À cet égard, dans un arrêt du 18 avril 2000, la Cour de cassation a jugé que « le silence opposé à l’affirmation d’un fait ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 2000, n°97-22.421).

Autrement dit, le silence du défendeur ne saurait dispenser le demandeur de prouver les faits qu’il allègue.

 

[1] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°487, p. 516.

[2] C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, 6e éd. 1958, T. 12, par P. Esmein, p. 52.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128

[4] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°488, p. 516.

[5] C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariea, éd. Hachette Livre – BNF, p. 153

[6] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°576, p.452.

[7] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°85, p. 87.

[8] R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français, t. 9, Les contrats et les obligations, par G. Lagarde et R. Perrot, 1953, Rousseau, n°1170.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128.

[11] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[12] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[13] P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, éd. LGDJ, 2001, n°179

[14] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, 2005, V. Coutume, p. 248

La preuve de la coutume

À l’instar de la loi étrangère, le juge n’est pas censé connaître tous les usages et coutumes auxquels les justiciables sont susceptibles de se soumettre.

Pour mémoire, la coutume se définit comme une « norme de droit objectif fondée sur une tradition populaire (consensus utentium) qui prête à une pratique constante, un caractère juridiquement contraignant »[14].

Lorsqu’une partie à un procès se prévaut de l’application d’une coutume immédiatement se pose la question de la preuve de l’existence et du contenu de la règle invoquée.

Très tôt la jurisprudence a posé que la preuve de la coutume devait être rapportée par la partie qui en réclame l’application (V. par exemple Cass. soc. 11 juin 1987, n°84-43.059).

L’assemblée plénière a confirmé cette solution dans un arrêt du 26 février 1988 (Cass. ass. plén. 26 févr. 1988, n°85-40.034)

Parce que la coutume est traitée comme un fait, elle peut être prouvée par tous moyens.

Ainsi, les usages professionnels pourront, par exemple, être établis au moyen d’attestations délivrées par des Chambres de commerce, des Chambres des métiers ou encore des associations de professionnels (V. en ce sens Cass. com. 9 janv. 2001, n°97-22.668 ; Cass. com. 12 déc. 1973, n°72-12.979).

Dans un arrêt du 6 janvier 1987, la Cour de cassation a précisé « qu’il n’appartient pas à la Cour de Cassation de contrôler l’existence et l’application des principes et usages du commerce international » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1987, n°84-17.274).

C’est donc aux seuls juges du fond qu’il revient d’apprécier souverainement l’existence et le contenu de la coutume invoquée par une partie.

 

[1] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°487, p. 516.

[2] C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, 6e éd. 1958, T. 12, par P. Esmein, p. 52.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128

[4] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°488, p. 516.

[5] C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariea, éd. Hachette Livre – BNF, p. 153

[6] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°576, p.452.

[7] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°85, p. 87.

[8] R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français, t. 9, Les contrats et les obligations, par G. Lagarde et R. Perrot, 1953, Rousseau, n°1170.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128.

[11] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[12] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[13] P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, éd. LGDJ, 2001, n°179

[14] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, 2005, V. Coutume, p. 248

La preuve de la loi étrangère

Lorsqu’une situation juridique comporte un élément d’extranéité, elle mobilise potentiellement plusieurs droits nationaux qui peuvent rentrer en conflit.

Ce conflit est appréhendé par ce que l’on appelle une règle de conflit lois, laquelle a pour fonction de désigner la loi applicable.

Par le jeu de ce dispositif, le juge français est ainsi susceptible de faire application d’une loi étrangère sur le territoire national.

Très tôt la question s’est posée de savoir quel traitement réserver à la loi étrangère s’agissant de la preuve. Deux approchent viennent à l’esprit en première intention :

  • Première approche
    • Elle consiste à appréhender la loi étrangère comme n’importe règle de droit français.
    • Cette approche conduit alors à dispenser les parties de prouver la loi étrangère
    • C’est donc au juge que reviendrait la tâche de trancher le litige qui lui est soumis en appliquant la loi étrangère adéquate
    • Cette position revient toutefois à considérer que le juge connaît le contenu de la loi étrangère
    • Or il s’agit là d’un vœu pieux, le juge étant déjà bien en peine de maîtriser le droit français compte tenu de sa complexité
  • Seconde approche
    • Elle consiste à appréhender la loi étrangère comme un fait, de sorte que c’est aux parties qu’il incomberait de prouver son existence et son contenu.
    • Cette approche se veut pragmatique ; puisque intégrant l’impossibilité pour le juge français de connaître les droits de tous les États du monde.
    • L’autre argument avancé par les auteurs est que la loi étrangère « apparaît au juge français dépouillée de son élément impératif, en lequel réside justement le caractère juridique»[13].
    • Pour cette raison, elle ne se distinguerait pas d’un fait juridique et devrait, en conséquence, être traitée comme telle.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a adopté la seconde approche. Dans un arrêt Lautour du 25 mai 1948, elle a, en effet, fait peser l’obligation sur les parties de rapporter la preuve de la loi étrangère applicable.

Au soutien de sa décision, la Haute juridiction a avancé qu’« il n’appartenait pas aux juges du fond de déplacer le fardeau de la preuve et de soustraire au contrôle de la Cour de cassation leur décision relative au règlement du conflit, en reprochant subsidiairement au défendeur à l’instance l’ignorance où ils les aurait laissés à des dispositions précises du droit espagnol capables de justifier ses allégations, alors que la victime, demanderesse en réparation, à laquelle incombait la charge de prouver que la loi applicable lui accordait les dommages-intérêts réclamés, ne contestait pas l’interprétation du droit espagnol affirmée par son adversaire » (Cass. Civ. 25mai 1948).

La Cour de cassation a, par suite, réaffirmé cette solution notamment dans un arrêt Sté Thinet rendu en date du 24 janvier 1984 (Cass. 1ère civ. 24 janv. 1984, n°82-16.767).

Dans un deuxième temps, la Cour de cassation a infléchi sa position en opérant une distinction entre les demandes portant sur des droits disponibles et celles portant sur des droits indisponibles

  • Première situation : les droits litigieux sont disponibles
    • Dans cette hypothèse, la charge de la preuve de la loi étrangère pèse sur les parties.
    • Dans un arrêt du 16 novembre 1993, la Chambre commerciale a jugé que « les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits, il incombe à la partie qui prétend que la mise en œuvre du droit étranger, désigné par la règle de conflit de lois, conduirait à un résultat différent de celui obtenu par l’application du droit français, de démontrer l’existence de cette différence par la preuve du contenu de la loi étrangère qu’elle invoque, à défaut de quoi le droit français s’applique en raison de sa vocation subsidiaire» ( com. 16 nov. 1993, n°91-16.116).
  • Seconde situation : les droits litigieux sont indisponibles
    • Dans cette hypothèse, c’est au juge qu’il appartient de rechercher d’office le contenu de la loi étrangère
    • Dans un arrêt du 1er juillet 1997, la Première chambre civile a jugé en ce sens que « l’application de la loi étrangère désignée pour régir les droits dont les parties n’ont pas la libre disposition impose au juge français de rechercher la teneur de cette loi» ( 1ère civ. 1er juill. 1997, n°95-17.925)

Dans un troisième temps, la Cour de cassation a abandonné cette distinction en décidant dans un arrêt du 27 janvier 1998 « qu’il appartient au juge qui déclare applicable une loi étrangère de procéder à sa mise en œuvre, et, spécialement, d’en rechercher la teneur » (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1998, n°95-20.600).

Elle a ensuite confirmé ce revirement de jurisprudence en précisant dans deux arrêts rendus, le même jour, par la Première chambre civile et la Chambre commerciale, « qu’il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d’en rechercher, soit d’office soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger » (Cass. 1ère civ. 28 juin 2005, n°00-15.734 ; Cass. com. 28 juin 2005, n°02-14.686).

Par ces deux arrêts, la Cour de cassation renonce ainsi à l’idée que la preuve du contenu de la loi étrangère incombe exclusivement aux parties.

Dès lors que le conflit de lois a été résolu, le caractère disponible ou indisponible des droits subjectifs discutés devant le juge est sans incidence sur l’établissement du contenu de la loi étrangère.

La Cour de cassation a résumé cette idée dans un arrêt du 16 septembre 2015 aux termes duquel elle a jugé que « qu’il incombe au juge français, saisi d’une demande d’application d’un droit étranger, de rechercher la loi compétente, selon la règle de conflit, puis de déterminer son contenu, au besoin avec l’aide des parties, et de l’appliquer » (Cass. 1ère civ. 16 sept. 2015, n°14-10.373)

S’agissant du contrôle exercé par la Cour de cassation sur l’interprétation de la loi étrangère par les juges du fond, il est le même que celui exercé en matière d’actes juridiques.

Dans un arrêt du 13 novembre 2003, la Première chambre civile a, en effet, affirmé « que s’il incombe au juge français, qui applique une loi étrangère, de rechercher et de justifier la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif de l’Etat concerné, l’application qu’il fait de ce droit étranger, quelle qu’en soit la source, légale ou jurisprudentielle, échappe, sauf dénaturation, au contrôle de la Cour de Cassation » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2003, n°01-00.859).

Par hypothèse, la Cour de cassation n’est investie d’aucun pouvoir juridictionnel ou disciplinaire sur le droit étranger. Dans ces conditions, elle ne peut appréhender la loi étrangère que comme un acte juridique ordinaire relevant du domaine des faits au sens large – par opposition au droit.

C’est la raison pour laquelle, lorsque la Cour de cassation est saisie pour se prononcer sur l’application d’une loi étrangère, son contrôle se limite à vérifier que les juges du fond n’ont pas dénaturé le sens de la règle discutée.

 

 

[1] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°487, p. 516.

[2] C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, 6e éd. 1958, T. 12, par P. Esmein, p. 52.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128

[4] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°488, p. 516.

[5] C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariea, éd. Hachette Livre – BNF, p. 153

[6] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°576, p.452.

[7] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°85, p. 87.

[8] R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français, t. 9, Les contrats et les obligations, par G. Lagarde et R. Perrot, 1953, Rousseau, n°1170.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128.

[11] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[12] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[13] P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, éd. LGDJ, 2001, n°179

[14] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, 2005, V. Coutume, p. 248

Objet de la preuve: théorie du fait constant

==> Théorie du fait constant

Parce que « la preuve juridique est une preuve judiciaire »[9], elle ne doit être rapportée que si le fait dont se prévaut l’une des parties au procès est contesté.

Cette exigence est issue de la « théorie du fait constant » développée par Motulsky qui a soutenu que « pour que se pose la question de la preuve, il faut donc une contestation ; un fait reconnu ou simplement non contesté n’a pas besoin d’être prouvé »[10].

Cet auteur explique que pour que les parties à un procès puissent espérer voir prospérer leurs prétentions, il leur échoit d’accomplir deux tâches bien distinctes :

  • Première tâche : l’allégation des faits
    • La première tâche qui incombe à une partie qui se prévaut de l’application d’une règle de droit est d’alléguer les faits qui justifient son application
    • Cette exigence est énoncée à l’article 6 du Code de procédure civile qui prévoit que « à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder».
    • Il ne s’agit pas, à ce stade, de prouver les faits qui ont concouru à la situation présentée au juge, mais seulement de les lui exposer, pourvu qu’ils soient pertinents.
    • Car rappelle Motulsky, avant de s’intéresser à la preuve du fait, le juge va d’abord chercher à déterminer s’il existe « une coïncidence totale entre les éléments générateurs du droit réclamé et les allégations du demandeur»[11].
    • Dans l’affirmative, le juge devra tenir pour vrai le fait allégué et faire droit à la prétention du demandeur, sauf à ce que s’élève une contestation du défendeur.
  • Seconde tâche : la preuve des faits
    • Ce n’est que dans l’hypothèse où le défendeur oppose une résistance au demandeur que ce dernier sera tenu de rapporter la preuve des faits qu’il allègue.
    • À cet égard, comme souligné par Motulsky « la position du défendeur n’intéresse […] le juge qu’à condition que le défendeur nie la réalité de l’une au moins des circonstances faisant écho aux éléments générateurs [du droit invoqué par le demandeur]»[12].
    • Aussi l’objet de la preuve est-il circonscrit aux seuls faits qui sont contestés

La doctrine a tenté de justifier la théorie du fait constant soutenue par Motulsky en convoquant le principe dispositif et le dispositif de l’aveu judiciaire :

  • Le principe dispositif
    • Ce principe est énoncé à l’article 4, al. 1er du Code de procédure civile qui prévoit que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. »
    • Parce que donc ce sont les parties qui déterminent le périmètre du procès, seuls les faits qu’elles entendraient soumettre à la discussion devraient être prouvés.
    • Les faits qui ne feraient l’objet d’aucune contestation s’imposeraient donc au juge qui n’aurait d’autre choix que de les tenir pour vrai.
    • D’ailleurs, l’article 7, al. 1er prévoit que « le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. »
    • Bien que l’argument soit séduisant, il se heurte notamment au second alinéa de l’article 7 qui dispose que « parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions. »
    • L’article 8 confère, en outre, au juge le pouvoir d’« inviter les parties à fournir les explications de fait qu’il estime nécessaires à la solution du litige.»
    • De toute évidence, le principe dispositif peine à justifier la théorie du fait constant.
  • L’aveu judiciaire
    • D’aucuns ont avancé que si un fait contesté n’a pas besoin d’être prouvé, c’est parce que l’absence de contestation par le défendeur s’analyse à un aveu tacite.
    • Or l’aveu compte parmi les modes de preuve.
    • À cet égard, l’article 1383-2 du Code civil prévoit, d’une part, que l’aveu judiciaire « fait foi contre celui qui l’a fait», d’autre part, qu’« il est irrévocable, sauf en cas d’erreur de fait. »
    • Là encore, l’argument ne convainc pas.
    • Compte tenu des conséquences attachées à l’aveu judiciaire, il serait dangereux d’admettre qu’il puisse s’induire du silence d’une partie.
    • La définition qui en est donnée par le premier alinéa de l’article 1383-2 du Code civil semble d’ailleurs s’y opposer.
    • Cette disposition prévoit que « l’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté. »
    • Une déclaration consiste toujours en un acte positif et plus précisément en la manifestation d’une volonté.
    • Dès lors, il y a une incompatibilité entre l’aveu et la reconnaissance tacite d’un fait.

Au bilan, aucun des deux arguments portés par la doctrine ne parvient à justifier la théorie du fait constant. Cela n’a toutefois pas empêché sa réception en droit positif.

==> Réception de la théorie du fait constant en droit positif

L’examen de la jurisprudence révèle que la théorie du fait constant a été reconnue dans de nombreuses décisions.

Dans un arrêt du 16 novembre 1972, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une Cour d’appel qui, pour refuser à des salariés le remboursement de frais de voyages a retenu que les états produits par chacun d’eux ne constituaient pas la preuve qu’il avait bien effectué les voyages.

La Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu au motif qu’un salarié « n’est tenu de rapporter cette preuve que si la réalité du voyage est déniée par l’employeur débiteur des remboursements » (Cass. soc. 16 nov. 1972, n°72-40.080).

La Chambre commerciale a statué dans le même sens dans un arrêt du 2 mai 1989 à propos de créances tirées d’effets de commerce déclarées au passif d’une procédure collective.

Faute d’avoir été contestées par le débiteur, la Cour de cassation a estimé que les créances déclarées devaient être admises au passif de la procédure (Cass. com. 2 mai 1989, n°87-17.159).

Si les décisions admettant l’absence de nécessité de rapporter la preuve d’un fait non contesté soit nombreuses, certaines ont semé le trouble quant à l’assimilation en droit positif de la théorie du fait constant.

Dans un arrêt du 10 mai 1991, la Cour de cassation a notamment jugé qu’une Cour d’appel « n’était pas tenue de considérer que les faits allégués étaient constants au seul motif qu’ils n’avaient pas été expressément contestés par les autres parties » (Cass. 2e civ. 10 mai 1991, n°89-10.460).

Ainsi dans cette décision, la Deuxième chambre civile considère-t-elle que le juge n’est nullement obligé de tenir pour vrai un fait dès lors qu’il n’est pas contesté. Il S’agit là d’une simple faculté qu’il est libre d’exercer.

Cette approche a été partagée par la Chambre commerciale qui, dans un arrêt du 10 octobre 2000, a décidé que « le juge n’est pas tenu de considérer un fait allégué pour constant au seul motif qu’il n’est pas expressément contesté » (Cass. com. 10 oct. 2000, n°97-22.399).

Il s’infère de ces décisions que la théorie du fait constant est pour le moins fragile, sinon remise en cause. Le juge demeure, en effet, toujours libre de ne pas réputer comme établi un fait qui ne serait pas contesté.

Il semble donc falloir s’en tenir à la règle énoncée à l’article 9 du Code de procédure civile qui n’opère aucune distinction entre les faits à prouver. En application de cette disposition il incombe à chaque partie d’établir « les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

À cet égard, dans un arrêt du 18 avril 2000, la Cour de cassation a jugé que « le silence opposé à l’affirmation d’un fait ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 2000, n°97-22.421).

Autrement dit, le silence du défendeur ne saurait dispenser le demandeur de prouver les faits qu’il allègue.

 

 

[1] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°487, p. 516.

[2] C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, 6e éd. 1958, T. 12, par P. Esmein, p. 52.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128

[4] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°488, p. 516.

[5] C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariea, éd. Hachette Livre – BNF, p. 153

[6] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°576, p.452.

[7] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°85, p. 87.

[8] R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français, t. 9, Les contrats et les obligations, par G. Lagarde et R. Perrot, 1953, Rousseau, n°1170.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128.

[11] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[12] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[13] P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, éd. LGDJ, 2001, n°179

[14] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, 2005, V. Coutume, p. 248

L’objet de la preuve: théorie générale

S’intéresser à l’objet de la preuve suppose de déterminer ce que la partie à un procès doit prouver pour garantir le succès de ses prétentions.

De façon assez surprenante, l’objet de la preuve n’est abordé par aucun texte, alors même qu’il soulève de nombreuses difficultés.

La principale tient à la question de savoir si les justiciables doivent seulement prouver la situation qui est la cause du droit dont ils se prévalent ou s’ils doivent également prouver la règle de droit applicable.

À l’analyse, le principe est que seuls les faits doivent être prouvés. Ce principe n’est toutefois pas absolu. Il est des cas où la preuve du droit devra être rapportée.

I) La preuve du fait

S’il revient aux justiciables de rapporter la preuve des faits, tous les faits n’ont pas à être prouvés.

Il s’agit, en effet, de ne pas contraindre les parties à devoir prouver tous les faits qui ont concouru à la situation présentée au juge. Cela pourrait revenir, en effet, à exiger d’elles qu’elles remontent la causalité de l’univers et donc à rendre la preuve impossible.

C’est la raison pour laquelle seuls les faits répondant à certains critères doivent être prouvés. Il doit s’agir :

  • D’une part, de faits pertinents
  • D’autre part, de faits contestés

A) Un fait

==> La preuve du fait et non du droit

L’article 9 du Code de procédure civile prévoit que « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »

Aussi, est-ce aux justiciables qu’il revient de supporter le fardeau de la preuve des faits à l’origine du litige porté devant le juge.

Comme souligné par François Terré « cette exigence naturelle est l’expression d’une nécessaire collaboration avec le juge, de la part de celui qui s’adresse à lui »[1].

La règle ainsi énoncée doit être lue en contemplation de l’article 12 du Code de procédure qui prévoit que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. »

Il ressort de cette disposition que la règle de droit, contrairement aux faits qui dépendent des parties, est l’affaire du juge.

En effet, l’office du juge ne se limite pas à dire le droit, il lui appartient également de le « donner ».

Cette règle est exprimée par l’adage « da mihi factum, da tibi jus » qui signifie littéralement : « donne-moi les faits, je te donnerai le droit ».

Les parties n’ont ainsi nullement l’obligation de prouver la règle de droit dont elles entendent se prévaloir. C’est au juge qu’il incombe de trancher le litige qui lui est soumis au regard de la règle de droit applicable.

La raison en est que le Juge est présumé connaitre la règle de droit conformément à l’adage jura novit curia.

À cet égard, comme souligné par Aubry et Rau « les règles de droit ne sauraient en général faire l’objet d’une preuve proprement dite. Leur existence, leur teneur, et leur portée peuvent donner lieu à discussion, mais le juge est, par sa formation et son expérience, habile à en décider »[2].

N’étant pas tenues de prouver le droit, les parties doivent concentrer leurs efforts sur la preuve du fait. Plus précisément, selon Motulsky, il leur faut prouver « les éléments générateurs du droit par elle réclamé »[3].

A titre d’illustration, une victime qui saisit le Juge afin d’obtenir réparation d’un préjudice devra prouver non pas l’existence d’une règle qui « oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (art. 1240 C. civ.), mais que les conditions d’application de cette règle sont réunies (préjudice, fait générateur et lien de causalité).

Dans un procès les rôles sont ainsi parfaitement répartis entre le juge et les parties :

  • D’un côté, il appartient aux parties de prouver les faits qu’elles allèguent au soutien de leurs prétentions
  • D’un autre côté, il revient au juge d’une part, de recueillir les faits qui lui sont soumis, d’autre part, de leur donner ou restituer une exacte qualification et, enfin, de leur appliquer la règle de droit adéquate

==> La preuve du fait au sens large

Lorsque l’article 9 du Code de procédure civile prévoit qu’il incombe « à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention », la question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « faits ».

Doit-on comprendre les faits au sens civiliste du terme, ou doit-on retenir une approche extensive ?

  • L’approche civiliste
    • Si l’on retient l’approche civiliste, il y a lieu d’opérer une distinction entre les faits juridiques et les actes juridiques :
      • Les faits juridiques
        • Ils sont définis à l’article 1100-2 du Code civil comme « des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit».
        • Exemple: un accident de voiture, la dissimulation d’un objet, une tornade, blessures infligées à autrui etc…
      • Les actes juridiques
        • Ils sont définis à l’article 1100-1 du Code civil comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »
        • Exemple: un contrat, une démission, une déclaration de naissance, l’acceptation d’une succession etc.
    • Il ressort de ces deux définitions que, le fait juridique se distingue de l’acte juridique en ce que les effets de droit qu’il est susceptible de produire n’ont pas été voulus.
    • Si l’on s’en tient à l’approche strictement civiliste de la notion de « faits », elle devrait conduire à exclure les actes juridiques de l’objet de la preuve, tel que présenté par l’article 9 du Code de procédure civile.
    • Est-ce à dire qu’il n’incomberait pas aux parties de prouver les actes juridiques qu’elles produisent au soutien de leurs prétentions ?
    • L’admettre reviendrait à imposer au juge de tenir pour vrai des éléments dont l’existence et l’authenticité ne seraient pas établies, alors même que l’une ou l’autre serait douteuse, sinon improbable.
    • Or cela serait contraire à la finalité du procès qui, pour mémoire, doit permettre notamment « la manifestation de la vérité» ( 10, al. 1er C. civ.)
    • Pour cette raison, seule une approche extensive de la notion de « faits » peut être envisagée.
  • L’approche extensive
    • Cette approche consiste à appréhender la notion de « faits » comme comprenant, tant les faits juridiques, que les actes juridiques.
    • Aussi, sont-ce de façon générale toutes « les situations juridiques»[4] qui doivent être prouvées par les parties, peu importe leur nature ou leur cause.

S’il n’est pas douteux que la notion de fait doit être comprise largement, cela ne signifie pas pour autant que tous les faits doivent être prouvés.

B) Un fait pertinent

Pour que pèse l’obligation sur une partie de prouver « les faits nécessaires au succès de sa prétention » (art. 9 CPC), encore faut-il que ces faits soient pertinents ou selon la terminologie processualiste « concluants » ou encore « relevants ».

Cette exigence est exprimée par l’adage frustra probatur quod probatum non relevat qui signifie : « il est vain de prouver les faits qui ne sont pas pertinents ».

Par pertinent, il faut comprendre que le fait qui doit être prouvé entretienne un rapport avec le litige porté devant le juge.

Plus précisément, il faut, selon Motulsky, que ce fait présente « une importance pour la solution du litige ».

Aubry et Rau abondent dans le même sens en écrivant que « le juge doit admettre ou ordonner la preuve que des faits relevants, pertinents, ou concluants, c’est-à-dire qui soient de nature à influer, d’une manière plus ou moins décisive, sur le jugement de la cause à l’occasion de laquelle ils sont allégués »[5].

À quoi bon, en effet, prouver un fait qui serait sans incidence sur la solution du litige à tout le moindre qui n’apporterait rien au débat judiciaire.

À cet égard, comme souligné par Jacques Ghestin et Gilles Goubeaux « le plaideur alléguant un fait qui, à supposer établi, ne donnerait prise à aucune règle de droit apte à produire l’effet demandé, doit voir sa prétention rejetée, sans qu’il soit besoin de se préoccuper de l’existence de ce fait »[6].

L’exigence de pertinence des faits à prouver n’est formulée par aucune disposition générale relevant du droit commun de la preuve.

On la retrouve toutefois dans certaines dispositions du Code de procédure civile intéressant les mesures d’instruction susceptibles d’être prises par le Juge.

L’article 143 de ce code prévoit, par exemple, que « les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible ».

Cette règle confère ainsi le droit à un justiciable de solliciter auprès du juge une mesure d’instruction, tant en cours d’instance, qu’en prévision d’un litige à naître, pourvu que le fait qui requiert cette mesure d’instruction soit susceptible d’influer sur la solution du litige.

La question qui alors se pose est de savoir comment identifier un tel fait.

Pour Motulsky les faits pertinents « sont ceux qui correspondent aux éléments générateurs du droit subjectif déduit en justice ». Il poursuit en rappelant « la nécessité pour toute partie faisant valoir un droit subjectif en justice d’alléguer, sous peine d’être déboutée de sa prétention, toutes les circonstances de fait répondant aux éléments générateurs de ce droit »[7].

Or c’est précisément sur la base de ces circonstances que le juge sera en capacité de se forger une conviction.

D’où la conclusion partagée par la plupart des auteurs consistant à admettre qu’un fait présente un caractère pertinent « lorsque, à supposer son existence établie, il est de nature à entraîner la conviction du juge en l’aidant à conclure définitivement le litige »[8].

Pour déterminer si un fait répond au critère de pertinence il y a donc lieu de se demander s’il est susceptible d’influer la conviction du juge et donc d’orienter le sens de sa décision.

S’agissant de l’appréciation par le juge de la pertinence, il y a lieu de distinguer deux hypothèses :

  • Première hypothèse : l’appréciation de la pertinence du fait intéresse la conviction du juge
    • Lorsque l’enjeu de la preuve du fait se limite à influer la conviction du juge alors l’appréciation de la pertinence de la preuve relève de son pouvoir souverain (V. par exemple 2e civ. 30 janv. 1980, n°79-12.470).
    • Le juge est, en effet, seul à pouvoir déterminer si un fait est susceptible d’avoir une incidence sur sa décision
    • Lorsqu’ainsi il estime qu’un fait est trop éloigné du fait qu’une partie cherche à établir, il pourra rejeter la preuve à rapporter, car inutile ( 1ère civ. 20 nov. 1973, n°72-13.508).
    • Le juge pourra encore refuser d’ordonner une mesure d’instruction visant à établir un fait « quand sa conviction est formée» ( 2e civ. 12 mars 1970, n°69-12.291).
  • Seconde hypothèse : l’appréciation de la pertinence du fait mobilise une règle de droit
    • Lorsque l’enjeu de la preuve d’un fait intéresse la violation ou l’application d’une règle de droit, il est admis que la Cour de cassation exerce son contrôle sur l’appréciation par les juges du fond de la pertinence de la preuve rapportée.
    • Dans un arrêt du 29 juin 1967, la Deuxième chambre civile a jugé en ce sens que « si les juges du fond ont, en principe, un pouvoir souverain d’appréciation, quant à la pertinence des faits offerts en preuve, il en est autrement quand les faits invoqués, dans le cas où l’existence en serait établie, justifieraient les prétentions de la partie qui les articule» ( 2e civ. 29 juin 1967).

C) Un fait contesté

==> Théorie du fait constant

Parce que « la preuve juridique est une preuve judiciaire »[9], elle ne doit être rapportée que si le fait dont se prévaut l’une des parties au procès est contesté.

Cette exigence est issue de la « théorie du fait constant » développée par Motulsky qui a soutenu que « pour que se pose la question de la preuve, il faut donc une contestation ; un fait reconnu ou simplement non contesté n’a pas besoin d’être prouvé »[10].

Cet auteur explique que pour que les parties à un procès puissent espérer voir prospérer leurs prétentions, il leur échoit d’accomplir deux tâches bien distinctes :

  • Première tâche : l’allégation des faits
    • La première tâche qui incombe à une partie qui se prévaut de l’application d’une règle de droit est d’alléguer les faits qui justifient son application
    • Cette exigence est énoncée à l’article 6 du Code de procédure civile qui prévoit que « à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder».
    • Il ne s’agit pas, à ce stade, de prouver les faits qui ont concouru à la situation présentée au juge, mais seulement de les lui exposer, pourvu qu’ils soient pertinents.
    • Car rappelle Motulsky, avant de s’intéresser à la preuve du fait, le juge va d’abord chercher à déterminer s’il existe « une coïncidence totale entre les éléments générateurs du droit réclamé et les allégations du demandeur»[11].
    • Dans l’affirmative, le juge devra tenir pour vrai le fait allégué et faire droit à la prétention du demandeur, sauf à ce que s’élève une contestation du défendeur.
  • Seconde tâche : la preuve des faits
    • Ce n’est que dans l’hypothèse où le défendeur oppose une résistance au demandeur que ce dernier sera tenu de rapporter la preuve des faits qu’il allègue.
    • À cet égard, comme souligné par Motulsky « la position du défendeur n’intéresse […] le juge qu’à condition que le défendeur nie la réalité de l’une au moins des circonstances faisant écho aux éléments générateurs [du droit invoqué par le demandeur]»[12].
    • Aussi l’objet de la preuve est-il circonscrit aux seuls faits qui sont contestés

La doctrine a tenté de justifier la théorie du fait constant soutenue par Motulsky en convoquant le principe dispositif et le dispositif de l’aveu judiciaire :

  • Le principe dispositif
    • Ce principe est énoncé à l’article 4, al. 1er du Code de procédure civile qui prévoit que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. »
    • Parce que donc ce sont les parties qui déterminent le périmètre du procès, seuls les faits qu’elles entendraient soumettre à la discussion devraient être prouvés.
    • Les faits qui ne feraient l’objet d’aucune contestation s’imposeraient donc au juge qui n’aurait d’autre choix que de les tenir pour vrai.
    • D’ailleurs, l’article 7, al. 1er prévoit que « le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. »
    • Bien que l’argument soit séduisant, il se heurte notamment au second alinéa de l’article 7 qui dispose que « parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions. »
    • L’article 8 confère, en outre, au juge le pouvoir d’« inviter les parties à fournir les explications de fait qu’il estime nécessaires à la solution du litige.»
    • De toute évidence, le principe dispositif peine à justifier la théorie du fait constant.
  • L’aveu judiciaire
    • D’aucuns ont avancé que si un fait contesté n’a pas besoin d’être prouvé, c’est parce que l’absence de contestation par le défendeur s’analyse à un aveu tacite.
    • Or l’aveu compte parmi les modes de preuve.
    • À cet égard, l’article 1383-2 du Code civil prévoit, d’une part, que l’aveu judiciaire « fait foi contre celui qui l’a fait», d’autre part, qu’« il est irrévocable, sauf en cas d’erreur de fait. »
    • Là encore, l’argument ne convainc pas.
    • Compte tenu des conséquences attachées à l’aveu judiciaire, il serait dangereux d’admettre qu’il puisse s’induire du silence d’une partie.
    • La définition qui en est donnée par le premier alinéa de l’article 1383-2 du Code civil semble d’ailleurs s’y opposer.
    • Cette disposition prévoit que « l’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté. »
    • Une déclaration consiste toujours en un acte positif et plus précisément en la manifestation d’une volonté.
    • Dès lors, il y a une incompatibilité entre l’aveu et la reconnaissance tacite d’un fait.

Au bilan, aucun des deux arguments portés par la doctrine ne parvient à justifier la théorie du fait constant. Cela n’a toutefois pas empêché sa réception en droit positif.

==> Réception de la théorie du fait constant en droit positif

L’examen de la jurisprudence révèle que la théorie du fait constant a été reconnue dans de nombreuses décisions.

Dans un arrêt du 16 novembre 1972, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une Cour d’appel qui, pour refuser à des salariés le remboursement de frais de voyages a retenu que les états produits par chacun d’eux ne constituaient pas la preuve qu’il avait bien effectué les voyages.

La Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu au motif qu’un salarié « n’est tenu de rapporter cette preuve que si la réalité du voyage est déniée par l’employeur débiteur des remboursements » (Cass. soc. 16 nov. 1972, n°72-40.080).

La Chambre commerciale a statué dans le même sens dans un arrêt du 2 mai 1989 à propos de créances tirées d’effets de commerce déclarées au passif d’une procédure collective.

Faute d’avoir été contestées par le débiteur, la Cour de cassation a estimé que les créances déclarées devaient être admises au passif de la procédure (Cass. com. 2 mai 1989, n°87-17.159).

Si les décisions admettant l’absence de nécessité de rapporter la preuve d’un fait non contesté soit nombreuses, certaines ont semé le trouble quant à l’assimilation en droit positif de la théorie du fait constant.

Dans un arrêt du 10 mai 1991, la Cour de cassation a notamment jugé qu’une Cour d’appel « n’était pas tenue de considérer que les faits allégués étaient constants au seul motif qu’ils n’avaient pas été expressément contestés par les autres parties » (Cass. 2e civ. 10 mai 1991, n°89-10.460).

Ainsi dans cette décision, la Deuxième chambre civile considère-t-elle que le juge n’est nullement obligé de tenir pour vrai un fait dès lors qu’il n’est pas contesté. Il S’agit là d’une simple faculté qu’il est libre d’exercer.

Cette approche a été partagée par la Chambre commerciale qui, dans un arrêt du 10 octobre 2000, a décidé que « le juge n’est pas tenu de considérer un fait allégué pour constant au seul motif qu’il n’est pas expressément contesté » (Cass. com. 10 oct. 2000, n°97-22.399).

Il s’infère de ces décisions que la théorie du fait constant est pour le moins fragile, sinon remise en cause. Le juge demeure, en effet, toujours libre de ne pas réputer comme établi un fait qui ne serait pas contesté.

Il semble donc falloir s’en tenir à la règle énoncée à l’article 9 du Code de procédure civile qui n’opère aucune distinction entre les faits à prouver. En application de cette disposition il incombe à chaque partie d’établir « les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

À cet égard, dans un arrêt du 18 avril 2000, la Cour de cassation a jugé que « le silence opposé à l’affirmation d’un fait ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 2000, n°97-22.421).

Autrement dit, le silence du défendeur ne saurait dispenser le demandeur de prouver les faits qu’il allègue.

II) La preuve du droit

S’il a toujours été admis qu’il n’incombait pas aux parties de prouver la règle de droit dont elles se prévalaient, ce principe n’en souffre pas moins de tempéraments qui tiennent, pour les premiers, à l’invocation du droit, pour les seconds, à la preuve du droit.

A) L’invocation du droit

Il n’échoit certes pas aux parties de rapporter la preuve du droit, les dernières réformes de la procédure civile ont néanmoins visé à leur faire jouer un rôle actif dans son invocation.

L’article 768 du Code de procédure prévoit ainsi s’agissant de la procédure par-devant le Tribunal judiciaire que « les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. »

Les parties sont ainsi tenues d’invoquer les règles de droit qu’elles entendent voir appliquer par le juge.

À cet égard, dans un arrêt Cesareo du 7 juillet 2006 la Cour de cassation a jugé que « qu’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci » (Cass. ass. Plén. 7 juill. 2006, n°04-10.672). C’est ce que l’on appelle le principe de concentration des moyens.

Ce principe vise en somme à interdire aux parties qui, dans le cadre d’un nouveau procès, formulent une demande ayant le même objet, de se prévaloir d’un moyen de droit qui n’aurait pas été invoqué en première instance. La violation de cette règle est sanctionnée par l’irrecevabilité de la nouvelle demande.

Deux ans plus tard, la Troisième chambre civile a été plus loin en étendant l’obligation de concentration des moyens aux parties en défense (Cass. 3e civ. 13 févr. 2008, 06-22.093)

Dans l’intervalle, l’assemblée plénière avait pris le soin de préciser dans un arrêt du 21 décembre 2007 que « si, parmi les principes directeurs du procès, l’article 12 du nouveau code de procédure civile oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes » (Cass. ass. plén. 21 déc. 2007, n°06-11.343).

Ce principe de concentration des moyens dégagé par la jurisprudence oblige donc les parties à jouer un rôle actif dans le processus de mobilisation de la règle de droit, à telle enseigne que l’on est légitimement en droit de se demander ce qu’il reste de l’office du juge.

En effet, tandis que les parties sont sommées de présenter au juge l’ensemble des moyens de droit qu’elles estiment de nature à fonder leurs prétentions, le juge est quant à lui dispenser de leur en proposer s’il n’en voit pas l’utilité.

Ce retrait du juge dans la proposition de la règle de droit peut être accentué par l’exercice de la faculté que lui confère l’article 13 du Code de procédure civile d’« inviter les parties à fournir les explications de droit qu’il estime nécessaires à la solution du litige. »

B) La preuve du droit

Si a priori il n’incombe pas aux parties de prouver la règle de droit qu’elles entendent voir appliquer, il est dérogé au principe pour deux catégories de normes :

  • La loi étrangère
  • La coutume

1. La preuve de la loi étrangère

Lorsqu’une situation juridique comporte un élément d’extranéité, elle mobilise potentiellement plusieurs droits nationaux qui peuvent rentrer en conflit.

Ce conflit est appréhendé par ce que l’on appelle une règle de conflit lois, laquelle a pour fonction de désigner la loi applicable.

Par le jeu de ce dispositif, le juge français est ainsi susceptible de faire application d’une loi étrangère sur le territoire national.

Très tôt la question s’est posée de savoir quel traitement réserver à la loi étrangère s’agissant de la preuve. Deux approchent viennent à l’esprit en première intention :

  • Première approche
    • Elle consiste à appréhender la loi étrangère comme n’importe règle de droit français.
    • Cette approche conduit alors à dispenser les parties de prouver la loi étrangère
    • C’est donc au juge que reviendrait la tâche de trancher le litige qui lui est soumis en appliquant la loi étrangère adéquate
    • Cette position revient toutefois à considérer que le juge connaît le contenu de la loi étrangère
    • Or il s’agit là d’un vœu pieux, le juge étant déjà bien en peine de maîtriser le droit français compte tenu de sa complexité
  • Seconde approche
    • Elle consiste à appréhender la loi étrangère comme un fait, de sorte que c’est aux parties qu’il incomberait de prouver son existence et son contenu.
    • Cette approche se veut pragmatique ; puisque intégrant l’impossibilité pour le juge français de connaître les droits de tous les États du monde.
    • L’autre argument avancé par les auteurs est que la loi étrangère « apparaît au juge français dépouillée de son élément impératif, en lequel réside justement le caractère juridique»[13].
    • Pour cette raison, elle ne se distinguerait pas d’un fait juridique et devrait, en conséquence, être traitée comme telle.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a adopté la seconde approche. Dans un arrêt Lautour du 25 mai 1948, elle a, en effet, fait peser l’obligation sur les parties de rapporter la preuve de la loi étrangère applicable.

Au soutien de sa décision, la Haute juridiction a avancé qu’« il n’appartenait pas aux juges du fond de déplacer le fardeau de la preuve et de soustraire au contrôle de la Cour de cassation leur décision relative au règlement du conflit, en reprochant subsidiairement au défendeur à l’instance l’ignorance où ils les aurait laissés à des dispositions précises du droit espagnol capables de justifier ses allégations, alors que la victime, demanderesse en réparation, à laquelle incombait la charge de prouver que la loi applicable lui accordait les dommages-intérêts réclamés, ne contestait pas l’interprétation du droit espagnol affirmée par son adversaire » (Cass. Civ. 25mai 1948).

La Cour de cassation a, par suite, réaffirmé cette solution notamment dans un arrêt Sté Thinet rendu en date du 24 janvier 1984 (Cass. 1ère civ. 24 janv. 1984, n°82-16.767).

Dans un deuxième temps, la Cour de cassation a infléchi sa position en opérant une distinction entre les demandes portant sur des droits disponibles et celles portant sur des droits indisponibles

  • Première situation : les droits litigieux sont disponibles
    • Dans cette hypothèse, la charge de la preuve de la loi étrangère pèse sur les parties.
    • Dans un arrêt du 16 novembre 1993, la Chambre commerciale a jugé que « les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits, il incombe à la partie qui prétend que la mise en œuvre du droit étranger, désigné par la règle de conflit de lois, conduirait à un résultat différent de celui obtenu par l’application du droit français, de démontrer l’existence de cette différence par la preuve du contenu de la loi étrangère qu’elle invoque, à défaut de quoi le droit français s’applique en raison de sa vocation subsidiaire» ( com. 16 nov. 1993, n°91-16.116).
  • Seconde situation : les droits litigieux sont indisponibles
    • Dans cette hypothèse, c’est au juge qu’il appartient de rechercher d’office le contenu de la loi étrangère
    • Dans un arrêt du 1er juillet 1997, la Première chambre civile a jugé en ce sens que « l’application de la loi étrangère désignée pour régir les droits dont les parties n’ont pas la libre disposition impose au juge français de rechercher la teneur de cette loi» ( 1ère civ. 1er juill. 1997, n°95-17.925)

Dans un troisième temps, la Cour de cassation a abandonné cette distinction en décidant dans un arrêt du 27 janvier 1998 « qu’il appartient au juge qui déclare applicable une loi étrangère de procéder à sa mise en œuvre, et, spécialement, d’en rechercher la teneur » (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1998, n°95-20.600).

Elle a ensuite confirmé ce revirement de jurisprudence en précisant dans deux arrêts rendus, le même jour, par la Première chambre civile et la Chambre commerciale, « qu’il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d’en rechercher, soit d’office soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger » (Cass. 1ère civ. 28 juin 2005, n°00-15.734 ; Cass. com. 28 juin 2005, n°02-14.686).

Par ces deux arrêts, la Cour de cassation renonce ainsi à l’idée que la preuve du contenu de la loi étrangère incombe exclusivement aux parties.

Dès lors que le conflit de lois a été résolu, le caractère disponible ou indisponible des droits subjectifs discutés devant le juge est sans incidence sur l’établissement du contenu de la loi étrangère.

La Cour de cassation a résumé cette idée dans un arrêt du 16 septembre 2015 aux termes duquel elle a jugé que « qu’il incombe au juge français, saisi d’une demande d’application d’un droit étranger, de rechercher la loi compétente, selon la règle de conflit, puis de déterminer son contenu, au besoin avec l’aide des parties, et de l’appliquer » (Cass. 1ère civ. 16 sept. 2015, n°14-10.373)

S’agissant du contrôle exercé par la Cour de cassation sur l’interprétation de la loi étrangère par les juges du fond, il est le même que celui exercé en matière d’actes juridiques.

Dans un arrêt du 13 novembre 2003, la Première chambre civile a, en effet, affirmé « que s’il incombe au juge français, qui applique une loi étrangère, de rechercher et de justifier la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif de l’Etat concerné, l’application qu’il fait de ce droit étranger, quelle qu’en soit la source, légale ou jurisprudentielle, échappe, sauf dénaturation, au contrôle de la Cour de Cassation » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2003, n°01-00.859).

Par hypothèse, la Cour de cassation n’est investie d’aucun pouvoir juridictionnel ou disciplinaire sur le droit étranger. Dans ces conditions, elle ne peut appréhender la loi étrangère que comme un acte juridique ordinaire relevant du domaine des faits au sens large – par opposition au droit.

C’est la raison pour laquelle, lorsque la Cour de cassation est saisie pour se prononcer sur l’application d’une loi étrangère, son contrôle se limite à vérifier que les juges du fond n’ont pas dénaturé le sens de la règle discutée.

2. La preuve de la coutume

À l’instar de la loi étrangère, le juge n’est pas censé connaître tous les usages et coutumes auxquels les justiciables sont susceptibles de se soumettre.

Pour mémoire, la coutume se définit comme une « norme de droit objectif fondée sur une tradition populaire (consensus utentium) qui prête à une pratique constante, un caractère juridiquement contraignant »[14].

Lorsqu’une partie à un procès se prévaut de l’application d’une coutume immédiatement se pose la question de la preuve de l’existence et du contenu de la règle invoquée.

Très tôt la jurisprudence a posé que la preuve de la coutume devait être rapportée par la partie qui en réclame l’application (V. par exemple Cass. soc. 11 juin 1987, n°84-43.059).

L’assemblée plénière a confirmé cette solution dans un arrêt du 26 février 1988 (Cass. ass. plén. 26 févr. 1988, n°85-40.034)

Parce que la coutume est traitée comme un fait, elle peut être prouvée par tous moyens.

Ainsi, les usages professionnels pourront, par exemple, être établis au moyen d’attestations délivrées par des Chambres de commerce, des Chambres des métiers ou encore des associations de professionnels (V. en ce sens Cass. com. 9 janv. 2001, n°97-22.668 ; Cass. com. 12 déc. 1973, n°72-12.979).

Dans un arrêt du 6 janvier 1987, la Cour de cassation a précisé « qu’il n’appartient pas à la Cour de Cassation de contrôler l’existence et l’application des principes et usages du commerce international » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1987, n°84-17.274).

C’est donc aux seuls juges du fond qu’il revient d’apprécier souverainement l’existence et le contenu de la coutume invoquée par une partie.

 

 

[1] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°487, p. 516.

[2] C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, 6e éd. 1958, T. 12, par P. Esmein, p. 52.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128

[4] F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°488, p. 516.

[5] C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariea, éd. Hachette Livre – BNF, p. 153

[6] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°576, p.452.

[7] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°85, p. 87.

[8] R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français, t. 9, Les contrats et les obligations, par G. Lagarde et R. Perrot, 1953, Rousseau, n°1170.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°115, p. 128.

[11] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[12] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[13] P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, éd. LGDJ, 2001, n°179

[14] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. Puf, 2005, V. Coutume, p. 248

La preuve: vue générale

==> Notion

Dans son acception courante la preuve est, selon le Dictionnaire Littré, « ce qui montre la vérité d’une proposition, la réalité d’un fait ».

Le mot « preuve » vient du latin « proba » qui a pour signification « échantillon, essai ». Sa forme verbale, « prouver », est dérivée du latin « probare » qui signifie « éprouver, essayer, examiner, vérifier ».

Aussi, la notion de preuve renvoie-t-elle à l’exercice consistant à démonter qu’une chose est vraie ou à faire reconnaître quelque chose comme étant réel.

Aubry et Rau ont écrit en ce sens que « prouver (hoc sensu), c’est de la part de l’une des parties, soumettre au juge saisi d’une contestation, des éléments de conviction propres à justifier la vérité d’un fait qu’elle allègue et que l’autre partie dénie, fait que sans cela le juge ne serait, ni obligé, ni même autorisé à tenir pour vrai »[1].

En droit, bien qu’aucun texte ne définisse ce qu’est une preuve, l’approche qui lui est réservée se rapproche très étroitement du sens qu’on lui prête dans le langage commun à la nuance près qu’elle ne s’envisage que dans la perspective d’un procès.

==> Finalité

La preuve n’est pas l’apanage du droit. Elle se rencontre dans bien d’autres domaines, tels que les sciences, l’histoire ou encore la philosophie :

  • Le scientifique doit prouver la loi de la nature qu’il décrit.
  • Le philosophe s’attache à démontrer la loi métaphysique qu’il propose.
  • L’historien doit quant à lui prouver la réalité du fait qu’il cherche à rattacher à une date

De façon générale, tout un chacun peut, dans la vie de tous les jours, être appelé à rapporter la preuve de ce qu’il dit, de ce qu’il fait ou de ce qu’il est afin d’établir sa bonne foi, sa valeur, sa probité, sa morale ou encore son courage.

Selon les circonstances, les buts poursuivis par celui qui se livre à l’exercice de la preuve, sont susceptibles d’être bien différents.

En droit, la preuve n’a qu’une seule finalité : emporter la conviction du juge.

Comme souligné par Jacques Ghestin et Gilles Goubeaux « la preuve juridique est une preuve judiciaire »[2].

Aussi, la plupart des auteurs ont-ils pris le parti d’enfermer la définition de la preuve dans ce seul périmètre.

Planiol a écrit, par exemple, que « on appelle preuve les divers procédés employés pour convaincre le juge »[3].

Ambroise Colin et Henri Capitant ont avancé dans le même sens que « prouver, c’est faire connaître en justice la vérité d’une allégation par laquelle on affirme un fait d’où découlent des conséquences juridiques »[4].

Ces deux approches mettent parfaitement en exergue la finalité assignée à la preuve dans le système juridique, à tout le moins en droit civil.

Il s’agit moins « d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité », comme suggéré par l’article 10, al. 1er du Code civil, que d’établir « les faits nécessaires au succès de sa prétention » comme énoncé à l’article 9 du Code de procédure civile,

Car au fond, ce qui se joue pour les parties à un procès, ce n’est pas tant d’avoir raison mais plutôt de convaincre le juge.

Bien que l’idéal de justice invite à ne se focaliser que sur la découverte de la vérité, le juge se heurte, en pratique, à plusieurs obstacles qui le contraignent à s’écarter de cet idéal.

Le premier obstacle n’est autre que le temps. Comme souligné par un auteur « alors qu’en matière scientifique au sens large, la vérité peut être provisoire, attendant des découvertes nouvelles pour être révélée, celle que le juge doit retenir lors d’un procès ne souffre pas d’être suspendue »[5].

La raison en est qu’il a l’obligation de trancher le litige qui lui est soumis dans les délais fixés par la loi.

À cet égard, comme énoncé par l’article 4 du Code civil, le juge qui refuserait de statuer « sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi » se livrerait à un déni de justice sanctionné, pour mémoire, par une amende de 7 500 euros et l’interdiction d’exercer des fonctions publiques pour une durée de 5 à 20 ans (art. 434-7-1 C. pén.).

Aussi, l’insuffisance de preuves rapportées par les parties au soutien de leurs prétentions respectives ne saurait justifier que le juge reporte indéfiniment le prononcé de sa décision.

Cette obligation qui pèse sur le juge de rendre justice dans un temps limité le contraint à se satisfaire d’une vérité qui ne serait pas ou que partiellement établie.

L’impératif de mettre fin au litige pour rétablir la paix sociale prime ainsi la recherche de la vérité, ce qui explique pourquoi la vérité judiciaire ne correspond pas toujours à la vérité des faits.

Le second obstacle rencontré par le juge qui le contraint à entretenir « avec la réalité matérielle des rapports parfois distants »[6] résulte du droit lui-même.

Il est, en effet, des cas où la loi interdit purement et simplement la recherche de la vérité.

Il en va ainsi lorsque la loi édicte une prescription, la vérité étant alors sacrifiée sur l’autel du droit à l’oubli.

Un auteur souligne que « la prescription joue un rôle fondamental qui est d’aligner le droit sur le fait quand la discordance entre l’un et l’autre a trop longtemps durée »[7]

La prescription vise, en d’autres termes, à figer dans le marbre certaines situations dont la remise en cause tardive serait susceptible de troubler la paix sociale plus qu’elle ne la servirait.

En faisant tomber dans l’oubli certaines réalités au-delà du délai fixé par la loi, la prescription coupe court à toute possibilité pour la partie contre laquelle elle joue d’agir en justice et, par voie de conséquence, de prouver le bien-fondé de ses prétentions.

À l’inverse, il est des cas où la loi imposera aux parties une vérité en faisant fi des preuves susceptibles d’être rapportées par elles.

Cette situation se rencontre notamment lorsque la loi institue une présomption, que l’on définit classiquement comme la conséquence que la loi ou le juge tire d’un fait connu à un fait inconnu dont l’existence est rendue vraisemblable par le premier.

Lorsque la présomption est simple, elle peut être combattue par la preuve contraire. L’objectif recherché est seulement d’alléger le fardeau de la preuve pour une partie, raison pour laquelle il est permis de rétablir la vérité.

Lorsque, en revanche, la présomption est irréfragable, elle ne souffre pas de la preuve contraire. Le législateur ou le juge ont entendu ici s’opposer à toute recherche de la réalité des faits à la faveur de la préservation d’un intérêt supérieur.

L’article 222 du Code civil institue, par exemple, une présomption irréfragable de pouvoir des époux à l’égard du banquier afin de garantir leur indépendance patrimoniale.

Parfois, la loi interdira, non pas aux parties de prouver leurs allégations, mais de recourir à certaines preuves.

Il en va ainsi en matière d’actes juridiques, la loi exigeant que la preuve se fasse par la production d’un écrit (art. 1359 C. civ.).

Au bilan, tous ces obstacles qui se dressent sur le chemin de la vérité parcouru par les parties au procès conduisent à admettre que la vérité judiciaire repose moins sur le fait que sur la vraisemblance et la probabilité.

Un auteur a parfaitement résumé cette idée en avançant que « le droit s’attache bien à la réalité, mais il préfère la réalité superficielle à la réalité profonde. Il légitime l’apparence »[8].

==> Enjeu

La preuve occupe une place éminemment centrale dans le système juridique. Son importance est exprimée par l’adage idem est non esse non probari qui signifie littéralement : c’est la même chose de ne pas être ou de ne pas pouvoir être prouvé.

Est-ce à dire qu’un droit subjectif qui ne serait pas prouvé serait réputé ne pas exister et, par voie de conséquence, ne pourrait pas être exercé ?

Il n’en est rien ; la maxime susvisée doit être accueillie avec prudence. Comme souligné par des auteurs « un droit existe indépendamment de sa preuve »[9].

En effet, comme mis en exergue par Henri Motulsky, seuls les droits contestés doivent être prouvés[10]. Un droit qui donc ne ferait l’objet d’aucune contestation pourrait parfaitement exister.

À l’analyse, il y a lieu de distinguer les règles de preuve des règles de fond :

  • S’agissant des règles de preuve
    • Elles ont notamment pour fonction de régir l’admission des modes de preuve.
    • On dit que les conditions énoncées par ces règles sont requises ad probationem.
    • Cela signifie que, en cas de non-respect de l’exigence posée, la preuve est réputée n’avoir pas été rapportée.
    • Pour exemple, l’article 1376 du Code civil prévoit qu’un contrat par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent doit comporter la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention écrite du montant de l’obligation en toutes lettres et en chiffres.
    • En cas d’irrégularité de la mention manuscrite, l’acte n’est pas nul. Il est seulement impuissant à prouver le montant de l’engagement souscrit par le débiteur.
    • Aussi, la violation d’une règle de preuve est sans incidence sur l’existence du droit dont se prévaut son titulaire, pourvu que les conditions d’existence de ce droit soient remplies.
  • S’agissant des règles de fond
    • Elles ont pour objet de définir les conditions d’existence d’un droit.
    • On dit que ces conditions sont requises ad validitatem.
    • Leur violation est sanctionnée, non pas par le défaut de valeur probatoire de l’acte, mais par sa nullité.
    • Il en résulte que l’acte, et donc les droits dont il est porteur, est réputé n’avoir jamais existé.
    • Pour exemple, l’article 2297 du Code civil prévoit que « à peine de nullité de son engagement, la caution personne physique appose elle-même la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. »
    • L’irrégularité de la mention devant exprimer l’étendue de l’engagement de caution est sanctionnée par la nullité du cautionnement.
    • C’est donc l’existence même du droit dont est titulaire le créancier qui se trouve affectée par la violation de la règle.

La distinction entre les règles de preuve et les règles de fond révèle bien que, en théorie, l’existence d’un droit n’est pas subordonnée à sa preuve.

En pratique toutefois, l’impossibilité pour le titulaire d’un droit d’établir son existence menacera sérieusement son exercice. Car il suffit que le débiteur en conteste le bien-fondé pour que le créancier, faute d’être en capacité de rapporter la preuve de son droit, succombe en cas de procès.

Comme souligné par François Geny, « en réalité l’existence juridique d’un fait dépend tellement de sa preuve que celle-ci en reste la première condition d’efficacité »[11].

D’où l’importance de la preuve dans le système juridique. Il ne suffit pas se prévaloir d’un droit ou d’un fait pour en tirer profit, encore faut-il être en mesure de le prouver ; car « sans preuve, le droit est comme désarmé »[12].

==> Sources

Les sources du droit de la preuve sont multiples. Elles sont réparties entre plusieurs Codes qui intéressent les trois branches du droit que sont : le droit pénal, le droit administratif et le droit civil.

En matière pénale, la preuve est régie par des règles énoncées dans le Code de procédure pénale. Ces règles se rapportent notamment à la production et la discussion des preuves ainsi qu’à l’administration par le juge de la preuve.

En matière administrative, c’est le Code de justice administrative qui recueille les règles de preuve. La question de la preuve y est abordée notamment sous l’angle des moyens d’investigation octroyés au Juge administratif.

En matière civile, les règles de preuve sont réparties entre le Code civil et le Code de procédure civile.

  • Le Code civil
    • Il comporte, d’un côté, des règles générales qui forment une sorte de droit commun de la preuve et, d’un autre côté, des règles particulières qui ne trouvent à s’appliquer qu’en certains domaines.
      • S’agissant des règles générales de preuve
        • Sous l’empire du droit antérieur, le droit de la preuve était traité par le Code civil dans un chapitre intitulé « de la preuve des obligations et de celle du paiement», lequel chapitre relevait d’un titre consacré aux contrats et aux obligations conventionnelles en général.
        • Ce rattachement du droit de la preuve au droit des contrats avait été fortement critiqué par la doctrine qui appelait de ses vœux à l’élaboration d’un droit général de la preuve.
        • Aborder la preuve sous l’angle du seul contrat est bien trop restrictif, car c’est faire fi de l’existence des droits réels ou encore des droits de créance qui ne résultent pas d’une convention, tel que, par exemple, le droit à réparation d’un préjudice causé par un délit civil.
        • Or ces droits doivent également être prouvés pour pouvoir être exercé.
        • Reste que le Code civil ne se préoccupait que de la preuve des obligations nées d’un contrat.
        • Afin de remédier à cette anomalie, le législateur a, lors de l’adoption de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, entrepris de détacher le droit de la preuve du droit des contrats.
        • Au lieu toutefois de l’intégrer dans le Titre préliminaire du Code civil afin qu’il embrasse l’ensemble des droits subjectifs reconnus en droit civil, le législateur a préféré le rattacher au droit des obligations en créant en Titre IV bis dédié à « la preuve des obligations».
        • L’objectif de créer une théorie générale du droit de la preuve n’a manifestement pas été atteint.
        • Il en résulte l’existence, encore aujourd’hui, d’un éparpillement relativement important du droit de la preuve au sein du Code civil.
      • S’agissant des règles particulières de preuve
        • Elles interviennent notamment en droit de la nationalité, en droit de la filiation, en droit la famille, en droit des régimes matrimoniaux ou encore en droit des successions.
        • Comme souligné par Gwendoline LARDEUX « cet éparpillement des règles de preuve au sein même du code civil répond à la préoccupation de les adapter, voire de déroger au droit probatoire commun, afin de tenir compte de la spécificité de certains contentieux qui poursuivent des objectifs qui ne sont pas forcément ceux du droit commun»[13].
  • Le Code de procédure civile
    • Le Code de procédure civile règle la question de la preuve à travers, d’une part, les principes directeurs du procès ( 9 à 11 CPC) et, d’autre part, l’administration judiciaire de la preuve (art. 132 à 322 CPC).
    • La preuve y est ainsi abordé sous l’angle strictement processuel.
    • C’est d’ailleurs ce que suggère l’article 1357 du Code civil qui prévoit que « l’administration judiciaire de la preuve et les contestations qui s’y rapportent sont régies par le code de procédure civile. »

Si le Code civil et le Code de procédure civile regroupent, aujourd’hui, l’essentiel des règles de preuve susceptibles d’être mobilisées dans le cadre d’un procès civil, la jurisprudence n’est pas sans avoir joué un rôle important, sinon prépondérant dans la construction du droit de la preuve.

Aussi, est-ce le Juge, et non le législateur, qui, par exemple, a dégagé le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ou encore qui a reconnu un droit à la preuve.

Aujourd’hui, ces principes n’ont toujours pas été consacrés par le législateur, alors même qu’une réforme du droit de la preuve est intervenue à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Le gouvernement avait pourtant été habilité par le législateur à « clarifier et simplifier l’ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ».

De l’avis général de la doctrine la réforme opérée en 2016 est inachevée, puisqu’omettant de consacrer des règles prétoriennes qui aurait mérité d’être codifiées.

==> Économie générale

Le droit de la preuve s’articule autour de quatre corpus de règles qui répondent aux questions qui se poseront successivement dans le cadre d’un procès en vue de la recherche de la vérité : quoi ? Qui ? Comment Quel résultat ?

  • Quoi ?
    • Cette question intéresse l’objet de la preuve ; elle est double:
      • Que doit-on prouver ? Un fait ou la règle applicable ?
      • Quels sont les caractères que doit présenter le fait – au sens large – à prouver ?
  • Qui ?
    • La question qui ici se pose concerne la charge de la preuve
    • Autrement dit qui doit prouver ; sur quelle partie pèse la charge de la preuve?
  • Comment ?
    • Il s’agit de déterminer quelles sont les preuves susceptibles d’être produites par les parties au soutien de leurs prétentions et quelles sont celles qui seront admises par le juge
  • Quel résultat ?
    • Il ne suffit pas pour une partie de rapporter une preuve de sa prétention, encore faut-il que cette preuve soit pourvue d’une force probante.
    • En d’autres termes, elle doit être appréciée par le juge qui, selon le type de preuve rapportée, sera, tantôt contraint d’en tenir compte, tantôt libre de se forger une intime conviction.

[1] C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariea, éd. Hachette Livre – BNF, p. 151

[2] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[3] M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, 9e éd. T. 2, 1923, n°2.

[4] A. Colin et H. Capitant, Cours élémentaire de Droit civil français, Dalloz, 1953, n°718.

[5] G. Lardeux, « Preuve : règles de preuve », Répertoire Dalloz, 2018, n°28

[6] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°7, p. 10.

[7] M. Brandac, « Les tendances récentes de la prescription extinctive en droit français », RIDC, Vol. 46, n°2, Avril-juin 1994, p. 359.

[8] P. Louis-Lucas, « Vérité matérielle et vérité juridique », in Mélanges offerts à René Savatier, Dalloz, 1965, p. 593

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.442.

[10] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, n°115

[11] F. Gény, Science et technique en droit privé positif, t. 3, n°205

[12]J.-Fr. Cesaro, Vérité et renouement, in Rapport de la Cour de cassation 2012, La preuve : Doc.fr. 2013, avant-propos

[13] G. Lardeux, « Preuve : règles de preuve », Répertoire Dalloz, 2018, n°18

L’accession immobilière naturelle : la modification du lit d’un cours d’eau

L’accession est dite naturelle lorsque l’incorporation de la chose ne procède pas du fait de l’homme, en ce sens qu’il n’est pas intervenu dans le processus d’union des biens.

Cette incorporation est qui donc est le résultat d’un phénomène naturel peut avoir pour objet tout autant un meuble qu’un immeuble.

Nous nous focaliserons ici sur l’incorporation des immeubles

L’accession immobilière ne procède pas seulement de l’incorporation d’un meuble, elle peut également résulter de l’union de plusieurs immeubles.

Le phénomène naturel susceptible de conduire à ce résultat n’est autre que le mouvement de l’eau qui sous l’effet des événements climatiques peut donner lieu à la création de nouveaux biens, à tout le moins à une redéfinition de l’assiette de la propriété.

Création d’un îlot, abandon par un cours d’eau de son lit, apparition d’alluvions et de relais sont autant de phénomènes qui sont envisagés par le Code civil dans le cadre de l’accession immobilière.

Ces phénomènes ont en commun de conduire à des situations d’extension ou de réduction de l’assiette de la propriété d’un fonds.

La question qui a lors se pose est de savoir à qui profite ou préjudicie les mouvements de l’eau qui modifient la configuration des terrains et, par voie de conséquence, les limites de voisinage.

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux articles 556 à 563 du Code civil qui distinguent plusieurs phénomènes, dont la modification du lit d’un cours d’eau.

Le Code civil envisage deux sortes de modifications dont est susceptible de faire l’objet un cours d’eau : la formation d’un nouveau bras et l’abandon de son lit

  • Formation d’un nouveau bras
    • L’article 562 du Code civil prévoit que « si un cours d’eau, en se formant un bras nouveau, coupe et embrasse le champ d’un propriétaire riverain, et en fait une île, ce propriétaire conserve la propriété de son champ, encore que l’île se soit formée dans un cours d’eau domanial. »
    • Il ressort de cette disposition que la formation d’un nouveau bras est sans incidence sur la limite de propriété du cours d’eau, à tout le moins lorsqu’il est domanial.
    • Lorsque, en revanche, il s’agit d’un cours d’eau domanial la propriété du propriétaire du fonds traversé par le nouveau bras s’en trouve diminuée d’autant.
  • Abandon de son lit
    • Dans l’hypothèse où un cours d’eau abandonne son lit, il y a lieu de distinguer selon que celui-ci présente un caractère domanial ou non.
      • Les cours d’eaux domaniaux
        • L’article 563 du Code civil dispose que « si un cours d’eau domanial forme un nouveau cours en abandonnant son ancien lit, les propriétaires riverains peuvent acquérir la propriété de cet ancien lit, chacun en droit soi, jusqu’à une ligne qu’on suppose tracée au milieu du cours d’eau.»
        • Il ressort de cette disposition que l’ancien lit d’un cours d’eau tombe dans le domaine privé de la personne publique ce qui implique qu’il peut faire l’objet d’une aliénation ou qu’il peut être acquis par usucapion.
        • Lorsqu’il est aliéné, l’alinéa 1er in fine de l’article 563 du Code civil précise que « le prix de l’ancien lit est fixé par des experts nommés par le président du tribunal de la situation des lieux, à la requête de l’autorité compétente. »
        • À cet égard, il peut être observé que l’aliénation de l’ancien lit du cours d’eau ne constitue, en aucun cas, une faculté laissée à la discrétion : il s’agit d’une véritable obligation mise à sa charge.
        • L’alinéa 2e du texte prévoit en ce sens que « à défaut par les propriétaires riverains de déclarer, dans les trois mois de la notification qui leur sera faite par l’autorité compétente, l’intention de faire l’acquisition aux prix fixés par les experts, il est procédé à l’aliénation de l’ancien lit selon les règles qui président aux aliénations du domaine des personnes publiques. »
        • S’agissant du prix payé par les acquéreurs privés du nouveau lit, il vise à indemniser les propriétaires des fonds sur lesquels le nouveau lit du cours d’eau s’est établi, ce qui a pour conséquence, de diminuer l’assiette de leur propriété.
        • Cet objectif a été érigé en règle énoncée à l’article 533, al. 3e du Code civil qui prévoit que « le prix provenant de la vente est distribué aux propriétaires des fonds occupés par le nouveau cours à titre d’indemnité, dans la proportion de la valeur du terrain enlevé à chacun d’eux. »
      • Les cours d’eau non-domaniaux
        • L’article L. 215-4 du Code de l’environnement dispose que lorsqu’un cours d’eau non domanial abandonne naturellement son lit, les propriétaires des fonds sur lesquels le nouveau lit s’établit sont tenus de souffrir le passage des eaux sans indemnité.
        • Toutefois, ils peuvent, dans l’année qui suit le changement de lit, prendre les mesures nécessaires pour rétablir l’ancien cours des eaux.
        • Les propriétaires riverains du lit abandonné jouissent de la même faculté et peuvent, dans l’année et dans les mêmes conditions poursuivre l’exécution des travaux nécessaires au rétablissement du cours primitif.
        • À l’expiration de ce délai le nouveau lit appartient pour moitié aux propriétaires riverains et le lit abandonné aux propriétaires anciennement riverains.

L’accession immobilière artificielle : vue générale

L’accession immobilière correspond à l’hypothèse où une chose mobilière ou immobilière est incorporée à un immeuble, de telle sorte qu’une union se crée entre les deux biens qui en formeront plus qu’un seul et même bien.

À l’examen, outre son objet, les immeubles, l’accession immobilière se distingue de l’accession mobilière en ce qu’elle remplit deux fonctions.

En effet, l’accession immobilière n’est pas seulement un mode d’acquisition de la propriété, elle vise également à en fixer les limites.

Avant de résoudre un conflit de propriétés, ce qui est la fonction première de l’accession, encore faut-il être en mesure de délimiter les assiettes des droits qui s’affrontent, ne serait-ce que pour identifier celle qui correspond au principal et emporte, par voie de conséquence, la propriété du bien accessoire.

Lorsque les propriétés en conflits portent sur des biens meubles, la délimitation de l’assiette des droits de chaque propriétaire ne soulève aucune difficulté dans la mesure où elle embrasse les contours physiques du bien qui, par nature, sont finis.

Lorsque, en revanche, il s’agit de délimiter l’assiette de la propriété d’un bien immobilier, l’exercice est tout autre. La propriété d’un immeuble est assise sur le sol. Or non seulement celui-ci peut s’étendre sans fin, mais encore il doit être appréhendé tant de long en large (surface) que de haut en bas (dessus et dessous).

Aussi, la délimitation de l’assiette de la propriété immobilière est loin d’être aussi évidente qu’en matière mobilière où ce sont les contours physiques de la chose qui fixent l’assiette des droits de son propriétaire.

Afin de surmonter cette difficulté de la délimitation de la propriété immobilière, qui est un préalable nécessaire, à la résolution des conflits de propriétés, les rédacteurs du Code civil ont posé des règles aux articles 552 et 552.

Si ces règles introduisent la section consacrée à l’accession immobilière, elles y sont en réalité étrangères.

En effet, elles visent à définir, non pas un mode d’acquisition de la propriété, mais l’assiette du droit du propriétaire d’un immeuble.

La résolution des conflits de propriétés en matière immobilière est, quant à elle, envisagée aux articles suivants (art. 554 à 564 C. civ.) qui donc intéressent le mode d’acquisition de la propriété que constitue l’accession.

A cet égard, le Code civil distingue selon que l’accession immobilière est le résultat d’un phénomène naturel ou selon qu’elle procède de l’intervention de la main de l’homme.

Nous nous focaliserons ici sur l’accession artificielle.

L’accession est dite artificielle lorsque l’incorporation de la chose procède donc du fait de l’homme, en ce sens qu’il est intervenu dans le processus d’union des biens.

Cette forme d’accession est régie aux articles 554 et 555 du Code civil qui doivent être articulés avec les articles 552 et 553.

==> Délimitation de la propriété et résolution des conflits de propriété

Le mécanisme d’acquisition de la propriété institué par les articles 554 et 555 du Code civil ne peut être compris que s’il est appréhendé à la lumière des articles 552 et 553.

  • L’article 552 vise à définir l’objet de la propriété immobilière en présument le propriétaire du sol, propriétaire du dessus et du dessous
  • L’article 553 vise, quant à lui, non pas à délimiter l’objet de la propriété immobilière, mais à prévenir la survenance d’un conflit entre propriétaires résultant de l’incorporation à un fonds d’un bien appartenant à autrui.

La combinaison de ces deux dispositions a manifestement pour effet de conférer au propriétaire du sol une maîtrise totale de l’immeuble en ce que non seulement il est présumé être propriétaire du dessus et du dessous mais encore il est réputé avoir édifié tout ce qui est implanté sur son fonds.

S’agissant, spécifiquement, de l’article 553 du Code civil, cette disposition envisage l’hypothèse où la propriété d’un bien incorporé dans le sous-sol ou élevé en surface serait contestée au propriétaire du sol.

Deux situations sont susceptibles de se présenter :

  • Soit le propriétaire du sol a réalisé un ouvrage en incorporant à son fonds les biens d’autrui
  • Soit un tiers a réalisé un ouvrage incorporé au fonds du propriétaire du sol parce qu’il en avait la jouissance, en vertu d’un droit personnel (bail), d’un droit réel (usufruit) ou encore qu’il était occupant sans droit ni titre

Afin de résoudre ce conflit de propriétés, deux approches peuvent être adoptées :

  • Première approche
    • Elle consiste à faire une application stricte de la règle de l’accession ce qui aurait pour effet de désigner de façon systématique le propriétaire du sol comme étant le propriétaire de l’ouvrage réalisé, peu importe que la construction procède de l’intervention d’un tiers
    • Cette approche présente l’avantage de la simplicité, en ce qu’elle fait d’emblée échec à toute action en revendication.
    • L’inconvénient, c’est qu’elle peut s’avérer pour le moins sévère sinon injuste pour le tiers muni d’un titre qui, bien qu’il soit l’auteur de l’ouvrage réalisé, ne pourra pas échapper à une expropriation.
  • Seconde approche
    • Elle consiste à positionner le conflit de propriétés sur le terrain probatoire en posant une présomption qui désigne le propriétaire du sol comme l’auteur des ouvrages réalisés sur son fonds, mais qui peut être combattue par la preuve contraire.
    • Cette approche autorise ainsi les tiers à contester la propriété de la chose incorporée au fonds du propriétaire du sol et donc à faire valoir ses droits sur le bien revendiqué.
    • Faute de preuve suffisante, c’est la règle de l’accession qui a vocation à s’appliquer, d’où il s’ensuit la désignation du propriétaire du sol comme étant le propriétaire de l’ouvrage implanté sur son fonds

À l’examen, les rédacteurs du Code civil ont opté pour la seconde approche, l’article 553 instituant au profit du propriétaire du sol une présomption réfragable, soit qui peut être combattue par la preuve contraire.

==> Présomption et accession

La présomption instituée à l’article 553 du Code civil est à double détente :

  • Première détente: toutes les constructions élevées sur un fonds sont présumées avoir été réalisées par le propriétaire de ce fonds à ses frais.
  • Seconde détente: faute de preuve contraire, l’ouvrage implanté sur le fonds est réputé appartenir au propriétaire du sol.

Il peut être observé que le texte ne rattache nullement ici la propriété de la construction à la qualité de propriétaire du sol, ce qui reviendrait à faire application de la règle de l’accession.

Il se limite seulement à énoncer que l’incorporation d’un ouvrage à un fonds fait présumer que cet ouvrage a été réalisé par le propriétaire du sol.

Aussi, l’article 553 ne déduit la qualité de propriétaire de la construction, non pas de la qualité de propriétaire du sol, mais de la qualité de maître d’ouvrage.

Cette subtilité n’est pas sans importance, dans la mesure où elle offre la possibilité à quiconque de revendiquer la propriété d’un ouvrage élevé sur le fonds d’autrui.

Pour ce faire, il est néanmoins nécessaire de combattre la présomption posée par le texte à laquelle il peut être fait échec par tout moyen.

Dans un arrêt du 7 novembre 1978, la Cour de cassation a ainsi admis que la preuve de la propriété d’un ouvrage élevé sur le terrain d’autrui était rapportée du seul fait que le revendicant était parvenu à démontrer que le bien revendiqué a été construit pour son propre compte, sur ses plans et en partie de ses mains, sans aucune intervention du propriétaire du sol, et qu’il justifiait, par des factures établies à son nom et payées par lui, avoir assumé seul la charge du coût de la construction (Cass. 3e civ. 7 nov. 1978, n°77-13045).

Il ressort de la jurisprudence que pour faire échec à la présomption posée à l’article 553 il y a lieu de prouver :

  • D’une part, que le tiers agi dans son propre intérêt et non pour le compte du propriétaire du sol ou d’autrui
  • D’autre part, que le tiers a agi à ses frais, soit que c’est lui qui a personnellement supporté le coût de la construction

Lorsque la preuve de la réalisation de l’ouvrage par un tiers est rapportée, il n’en acquiert pas pour autant la propriété.

En effet, cette preuve a seulement pour effet de faire échec à l’attribution, par présomption, de la propriété de la construction au propriétaire du sol.

Elle ne pourra toutefois pas faire obstacle à l’application de la règle de fond énoncée à l’article 555 du Code civil qui désigne, par voie d’accession, le propriétaire du sol comme le propriétaire de toutes les plantations, constructions et ouvrages élevés sur son fonds.

L’union des biens est inévitable : si elle ne se fait pas sur le terrain probatoire, elle se fera sous l’effet de la règle de l’accession.

Mais alors, puisque l’attribution de l’ouvrage au propriétaire du sol est inévitable, immédiatement la question se pose de l’intérêt de l’article 553 du Code civil ?

Pourquoi ouvrir la possibilité aux tiers de contester, sur le fondement de l’article 553, la propriété de l’ouvrage élevé sur le fonds d’autrui si, in fine, elle sera systématiquement attribuée au propriétaire du sol ?

L’intérêt pour le tiers de se placer sur le terrain probatoire, c’est que, une fois démontré que c’est lui qui a endossé la qualité de maître d’ouvrage et non le propriétaire du sol, il sera fondé, au titre de cette qualité, à réclamer dans le cadre de l’application de la règle de l’accession à percevoir une indemnité.

C’est là qu’interviennent les articles 554 et 555 du Code civil qui, lorsqu’il est fait échec à la présomption posée à l’article 553 du Code civil, opèrent un basculement vers l’application de la règle de l’accession.

D’une présomption de propriété on passe à un mode d’acquisition de la propriété du bien incorporé au fonds.

Cette incorporation peut résulter :

  • Soit de la réalisation de plantations ou de constructions par le propriétaire du sol sur son fonds avec des matériaux qui appartiennent à autrui
  • Soit de la réalisation de plantations ou de constructions par un tiers sur un fonds appartenant à autrui

Les articles 554 et 555 du Code civil envisagent ces deux hypothèses qui, toutes deux, mobilisent la règle de l’accession.