La détermination du mode de partage: amiable ou judiciaire?

Le partage des biens indivis constitue une étape décisive pour mettre fin à l’indivision, qu’elle résulte d’une succession, d’une séparation ou de toute autre situation juridique. Ce processus, bien que fondé sur le principe de la liberté contractuelle, est encadré par des règles destinées à garantir à la fois la protection des intérêts de chaque indivisaire et l’efficacité des opérations.

Le législateur, conscient des enjeux souvent émotionnels et financiers qui entourent le partage, privilégie le partage amiable comme mode principal. Cette voie consensuelle repose sur l’autonomie des indivisaires et leur capacité à s’accorder sur les modalités de répartition des biens. Toutefois, lorsque le consensus devient impossible ou que des circonstances particulières l’imposent, le partage judiciaire intervient en tant que solution subsidiaire, encadrée par des règles strictes pour préserver l’équité et la sécurité juridique.

I) Le partage amiable comme principe

Le partage amiable s’impose aujourd’hui comme la voie privilégiée pour mettre un terme à l’indivision. Il incarne l’autonomie des indivisaires et offre des avantages indéniables, alliant souplesse, efficacité et maîtrise des coûts.

Aux termes de l’article 835 du Code civil, le partage amiable repose sur la capacité juridique des indivisaires et leur présence effective, ou à défaut, leur représentation légale. Ce mécanisme exige également l’unanimité des parties, condition essentielle à sa mise en œuvre. En effet, les indivisaires doivent non seulement être capables de consentir au partage, mais également s’accorder sur les modalités du partage, qu’il s’agisse de l’évaluation des biens, de leur répartition ou de toute autre disposition.

La liberté qui caractérise le partage amiable permet aux indivisaires de personnaliser leurs accords, tout en respectant les exigences formelles imposées par la nature des biens. Par exemple, lorsque le partage porte sur des biens immobiliers, un acte notarié est requis conformément aux dispositions du décret du 4 janvier 1955, qui impose la publication foncière pour garantir la validité et l’opposabilité du partage.

La souplesse du partage amiable est tempérée par la nécessité de protéger les intérêts des indivisaires juridiquement incapables, tels que les mineurs ou les majeurs sous tutelle, ainsi que ceux des indivisaires absents. Dans de telles hypothèses, le législateur a prévu des mécanismes spécifiques visant à concilier la possibilité d’un partage amiable avec la protection des personnes vulnérables. L’article 836 du Code civil autorise ainsi un partage amiable sous réserve d’une autorisation préalable délivrée par le juge des tutelles ou, dans certains cas, par le conseil de famille.

Cette autorisation est essentielle pour garantir que les droits des indivisaires protégés soient scrupuleusement respectés. Le juge des tutelles ou le conseil de famille examine les modalités du partage, s’assurant notamment que l’état liquidatif ne lèse pas les intérêts des parties vulnérables. Ces mécanismes d’encadrement permettent de maintenir le principe du partage amiable, même lorsque tous les indivisaires ne peuvent y consentir directement.

Bien que le législateur encourage vivement le partage amiable, certaines situations peuvent rendre ce mode de règlement inapplicable. En cas de désaccord entre les indivisaires, sur les modalités du partage ou sur l’approbation de l’état liquidatif, l’unanimité requise fait défaut. De même, si le juge des tutelles refuse d’accorder l’autorisation nécessaire ou si les parties ne parviennent pas à un compromis, le partage amiable devient impraticable.

Dans ces cas, le recours au partage judiciaire s’impose. Ce mode, bien que subsidiaire, est encadré par des règles précises visant à garantir l’équité entre les parties. Toutefois, il s’accompagne de contraintes procédurales et économiques non négligeables : la demande en justice, l’intervention d’experts pour l’établissement de l’état liquidatif, les débats contradictoires et l’homologation par le tribunal engendrent des coûts et des délais significatifs. Ces inconvénients soulignent l’importance de privilégier le partage amiable chaque fois que cela est possible.

Le législateur, conscient des avantages du partage amiable, en fait aujourd’hui le principe, réservant le partage judiciaire aux situations où aucun autre moyen ne permet de mettre un terme à l’indivision. Cette promotion s’inscrit dans une logique de pacification des relations entre indivisaires, en encourageant la coopération et en limitant les conflits. Ainsi, même dans les cas complexes impliquant des personnes protégées ou absentes, le partage amiable demeure accessible, sous réserve de certaines adaptations procédurales.

II) Le partage judiciaire comme exception

Bien que le partage amiable constitue la règle, il arrive que les circonstances exigent une intervention judiciaire pour mettre fin à l’indivision. Dans de tels cas, le partage judiciaire, prévu par l’article 840 du Code civil, s’impose à titre subsidiaire, offrant une solution équitable lorsque le consensus des indivisaires est impossible ou inapproprié.

Lorsque l’unanimité fait défaut, le partage amiable ne peut prospérer. En cas de désaccord persistant entre les indivisaires, qu’il s’agisse de la répartition des biens, de leur évaluation ou des modalités de tirage au sort, le recours au juge devient inévitable. Cette intervention garantit que les opérations de partage se déroulent dans des conditions équitables pour tous.

De même, l’inertie ou le désintérêt volontaire d’un indivisaire peut également rendre nécessaire cette voie contentieuse. Dans de telles hypothèses, l’article 837 du Code civil impose qu’une mise en demeure soit préalablement adressée à l’indivisaire défaillant. Si ce dernier persiste dans son silence, le tribunal peut désigner un mandataire chargé de le représenter, mais le caractère judiciaire de la procédure demeure prédominant.

Certains biens indivis, en raison de leur complexité ou de leur nature particulière, requièrent l’intervention du juge pour que leur partage soit réalisé dans des conditions adéquates. Tel est le cas des biens immobiliers complexes ou indivisibles, lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’accorder sur leur valeur ou leur division matérielle. Dans de telles situations, la juridiction saisie peut ordonner une expertise ou, en dernier ressort, une vente judiciaire sous forme de licitation. De même, les biens grevés de droits spécifiques, tels que les sûretés réelles ou les mesures conservatoires, requièrent souvent une intervention judiciaire afin de lever les incertitudes juridiques et de permettre une répartition équitable.

La procédure de partage judiciaire se distingue par sa rigueur et son formalisme. Elle comprend des étapes bien définies, à commencer par la saisine du tribunal. Sous la direction d’un notaire désigné, un état liquidatif est établi, décrivant en détail la répartition projetée des biens. Cet état est ensuite soumis à l’homologation judiciaire, qui en garantit la conformité et la légalité. Enfin, dans les cas où la répartition ne peut être déterminée par un accord entre les parties, le tirage au sort des lots assure une allocation impartiale des biens. Bien que cette procédure puisse sembler contraignante, elle demeure essentielle pour préserver l’équité, notamment lorsque les relations entre les indivisaires sont conflictuelles ou que la nature des biens le requiert.

Malgré son importance dans les situations les plus complexes, le partage judiciaire reste une solution ultime et résiduelle. Le législateur, soucieux de promouvoir des solutions consensuelles, encourage une transition vers le partage amiable, même lorsqu’une procédure judiciaire est en cours. L’article 842 du Code civil permet ainsi aux parties, à tout moment, d’abandonner les voies judiciaires pour conclure un partage amiable, sous réserve d’un accord unanime. Cette disposition illustre la volonté de privilégier, autant que possible, une résolution autonome et harmonieuse des différends entre indivisaires.

Les variétés de modes de partage

Le partage, acte par lequel l’indivision prend fin pour attribuer à chaque indivisaire des droits exclusifs sur les biens concernés, constitue une étape essentielle en vue de liquider une succession, un régime matrimonial ou encore l’actif d’une personne morale.

Ce processus, destiné à mettre un terme à la copropriété indivise, peut être réalisé selon deux modes distincts : le partage amiable et le partage judiciaire. Ces deux formes traduisent des philosophies différentes, l’une valorisant le consensualisme, l’autre imposant l’intervention de l’autorité judiciaire.

==>Le partage amiable

Le partage amiable, favorisé par le législateur, repose sur l’accord unanime des indivisaires quant aux modalités de répartition des biens indivis. En vertu de l’article 835 du Code civil, dès lors que tous les indivisaires sont présents et capables, le partage peut intervenir dans les formes et selon les modalités librement définies par les parties. Il peut être formalisé par un acte sous seing privé ou un acte notarié, ce dernier étant obligatoire en présence de biens immobiliers pour garantir leur publicité foncière.

Ce mode de partage illustre la prééminence du consensualisme en présence d’une situation d’indivision. Sa rapidité, son faible coût et sa souplesse en font la solution privilégiée, particulièrement encouragée depuis la réforme de 2006. Même en cas de difficultés – présence d’un indivisaire protégé, présumé absent ou défaillant – des mécanismes spécifiques permettent de préserver le recours au partage amiable, moyennant autorisation ou représentation.

==>Le partage judiciaire

Lorsque l’accord entre les indivisaires fait défaut, que des désaccords surgissent sur la composition des lots ou que des indivisaires sont dans l’incapacité de consentir, le partage judiciaire s’impose comme une alternative incontournable. Encadré par l’article 840 du Code civil, ce mode de partage offre une solution dans les situations de blocage. La procédure, régie par les articles 1359 à 1378 du Code de procédure civile, implique la saisine du Tribunal judiciaire, lequel désignera alors un notaire liquidateur chargé de conduire les opérations de partage.

Le partage judiciaire est une procédure souvent longue et coûteuse, comprenant plusieurs étapes : l’établissement de l’état liquidatif, l’homologation des lots par le juge, et, en cas de désaccord persistant, le recours au tirage au sort ou à la licitation. Toutefois, cette procédure garantit l’équité entre les indivisaires et permet de trancher les litiges, assurant ainsi une répartition conforme à leurs droits respectifs.

Au bilan, Ces deux modes de partage traduisent un équilibre recherché par le législateur entre l’autonomie des parties et l’intervention de l’autorité judiciaire. Alors que le partage amiable favorise la liberté contractuelle et la rapidité, le partage judiciaire, bien qu’exceptionnel, demeure une garantie essentielle dans les situations conflictuelles. Il est d’ailleurs toujours possible pour les indivisaires, même après l’engagement d’une procédure judiciaire, de revenir à un partage amiable, conformément à l’article 842 du Code civil.

En définitive, cette dualité des modes de partage permet d’offrir une solution adaptée à chaque situation, conciliant souplesse, efficacité et respect des droits de chacun.

Le partage amiable: régime

Le partage amiable, en tant que modalité privilégiée de sortie de l’indivision, repose sur un principe fondamental : le consensualisme. Il incarne la volonté du législateur de favoriser des solutions apaisées et autonomes, permettant aux indivisaires de s’accorder librement sur la répartition des biens. Cette souplesse procédurale, prévue par l’article 835 du Code civil, confère aux parties la latitude de définir elles-mêmes les modalités du partage, tout en encadrant cette liberté par des exigences de fond et de forme destinées à garantir l’équité et la sécurité juridique.

Toutefois, cette voie suppose la satisfaction d’une condition essentielle : la participation de l’ensemble des indivisaires. L’unanimité est le socle du partage amiable, conditionnant sa validité et son opposabilité à tous. Dès lors, la présence ou la représentation de chaque indivisaire devient indispensable pour assurer l’équilibre de l’opération. Cette exigence, bien que garante d’une répartition juste, peut devenir source de complexité lorsque certains indivisaires sont protégés, absents ou défaillants, ou lorsque des intérêts divergents entravent le processus.

C’est dans ce contexte que la réglementation prévoit des mécanismes adaptés pour permettre la participation effective de tous les indivisaires, tout en préservant leurs droits fondamentaux. De la protection des personnes vulnérables à la représentation des indivisaires absents, en passant par la gestion des situations de blocage, le cadre juridique du partage amiable s’efforce de concilier souplesse et sécurité.

Dès lors, il convient d’examiner les conditions dans lesquelles les indivisaires peuvent participer au partage amiable, en s’attachant à préciser les principes qui régissent leur intervention, les garanties offertes aux parties protégées et les solutions prévues en cas de défaillance ou d’absence d’un indivisaire.

I) Les parties au partage amiable

A) Le principe de participation de tous les indivisaires

Parce que le partage amiable requiert le consentement unanime de tous les indivisaires, tous doivent y participer. La participation de chacun est à la fois un gage de légitimité et de stabilité dans l’opération de partage. Elle confère aux indivisaires la faculté de définir librement les modalités de répartition, qu’il s’agisse de la composition des lots, de leur évaluation ou de leur attribution.

Cette liberté, caractéristique du partage amiable, est renforcée par l’abandon du principe d’égalité en nature au profit d’une égalité en valeur. Les parties peuvent ainsi recourir à des mécanismes tels que les soultes ou les licitations pour rétablir l’équilibre patrimonial. De même, l’unanimité permet d’écarter les aléas liés au tirage au sort, autorisant une répartition mieux adaptée aux intérêts et volontés de chacun.

Cependant, cette exigence de consentement unanime des indivisaires n’est pas sans contrainte. Si un indivisaire refuse d’adhérer à la composition ou à l’attribution des lots, le partage amiable devient inopposable à celui-ci. Dans un arrêt du 3 février 1982, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la participation de tous les indivisaires est une condition essentielle pour conférer un caractère obligatoire à un partage amiable (Cass. 1ère civ. 3 févr. 1982).

En l’espèce, la succession d’un défunt, comprenant un important domaine, n’avait pas été immédiatement partagée après son décès en 1938. En 1977, l’un des héritiers avait sollicité l’authentification d’un accord prétendument conclu en mai 1967 entre tous les indivisaires pour réaliser le partage. Cependant, certains cohéritiers avaient contesté la validité de cet accord, soutenant qu’il ne s’agissait que d’un projet de partage non signé par tous les indivisaires. La Cour d’appel, tout en reconnaissant l’absence d’assentiment unanime, avait néanmoins donné mission à un notaire de procéder au partage sur la base du contenu de ce projet.

La Cour de cassation a cassé cet arrêt, affirmant qu’un projet de partage n’ayant pas reçu l’assentiment de tous les coindivisaires ne pouvait être imposé à ceux qui ne l’avaient pas approuvé. Elle a jugé que, faute de consentement unanime, une telle convention n’avait aucun caractère obligatoire à l’égard des indivisaires non-signataires et ne pouvait servir de fondement à un partage judiciaire. Par ailleurs, elle a rappelé que cette absence d’unanimité rendait le projet inopposable aux coindivisaires dissidents, bien qu’il puisse éventuellement engager les signataires à titre individuel en tant que convention préparatoire.

Il convient par ailleurs de préciser que l’omission d’un indivisaire dans le cadre des opérations de partage constitue une irrégularité grave, sanctionnée par la nullité de l’acte. Ce principe découle de la nature indivisible du partage, qui exige la participation de tous les indivisaires pour assurer une répartition équitable des biens. En l’absence d’un indivisaire, l’acte se trouve donc privé de toute validité juridique.

Toutefois, cette nullité n’est pas irréversible. Il est, en effet, admis que l’acte de partage initialement entaché d’irrégularité puisse être consolidé par une ratification, qu’elle soit expresse ou tacite, de l’indivisaire omis (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 11 janv. 1984). Une ratification expresse résulte d’une déclaration claire et non équivoque d’adhésion au partage, tandis qu’une ratification tacite peut être déduite de comportements révélateurs, tels que l’exécution volontaire des obligations issues de l’acte. Ainsi, si un indivisaire omis accepte, par exemple, les biens ou les soultes qui lui sont attribués dans le cadre du partage, il manifeste implicitement son consentement à l’acte et en purifie les vices initiaux.

En pratique, ce cadre impose que tous les indivisaires soient partie à l’acte, qu’ils soient présents en personne ou représentés. Cette égalité procédurale s’étend également au partage judiciaire, où chaque indivisaire conserve le même droit de participation, que ce soit en qualité de demandeur ou de défendeur à l’action.

Dans le cadre des partages successoraux, le recours à une division par souches, tel que prévu par l’article 827 du Code civil, peut engendrer des problématiques particulières. Ce mode de répartition, qui divise la succession en fonction des branches familiales plutôt qu’en fonction du nombre exact d’héritiers, soulève la question délicate de la représentation collective des cohéritiers appartenant à une même souche.

La Cour de cassation a, dans un arrêt du 13 avril 1961 admis que le partage ne puisse être contesté au seul motif que tous les indivisaires d’une même souche n’avaient pas directement participé aux opérations (Cass. 1ère civ., 13 avr. 1961). Ce principe, bien qu’ayant pour finalité de simplifier les procédures et d’éviter des blocages inutiles, institue une représentation implicite des cohéritiers d’une souche par les autres membres de celle-ci.

Cependant, cette approche demeure controversée. Elle repose sur une construction jurisprudentielle dépourvue de fondement légal explicite et suscite des critiques quant à ses conséquences. En effet, permettre qu’un héritier soit représenté de manière collective au sein de sa souche revient à limiter son droit individuel à une participation active et personnelle au partage. Une telle pratique peut priver un héritier de l’opportunité de revendiquer l’attribution directe de certains biens ou de participer à la négociation des modalités du partage, ce qui peut être perçu comme une atteinte à son droit de propriété.

Ainsi, si cette solution jurisprudentielle vise à faciliter les opérations de partage dans des situations complexes, elle pose néanmoins des difficultés en termes de respect des droits fondamentaux des indivisaires. La doctrine continue de s’interroger sur l’équilibre à trouver entre l’efficacité des procédures de partage et la garantie des droits individuels de chaque cohéritier.

Enfin, le partage amiable reste strictement circonscrit aux indivisaires eux-mêmes. Les tiers, bien qu’ils puissent intervenir pour autoriser ou encadrer certaines opérations, ne participent pas à l’acte de partage. Cette exclusion garantit que la répartition des biens demeure une affaire interne, respectant le principe d’égalité et l’autonomie des parties directement concernées.

B) Les conditions de participation des indivisaires

Le partage, bien qu’il s’agisse d’un acte déclaratif, emporte des effets d’une gravité comparable à ceux d’une aliénation, substituant aux droits indivis flottants un droit privatif sur des biens individualisés. Cette transformation, qui touche aux fondements mêmes de la propriété, confère au partage une portée juridique et patrimoniale majeure. Conscient de ces implications, le législateur a érigé le consentement des indivisaires en pierre angulaire du dispositif, lui conférant une place centrale et indépassable.

L’article 835 du Code civil, en disposant que « Si tous les indivisaires sont présents et capables, le partage peut intervenir dans la forme et selon les modalités choisies par les parties », érige l’exigence de capacité et de présence pour participer pleinement au partage en principe cardinal du dispositif. Chaque indivisaire doit être juridiquement apte et matériellement disponible pour prendre part aux opérations, assurant ainsi la légitimité et l’équité des décisions prises.

Toutefois, le législateur, soucieux de ne pas rendre le partage amiable impraticable face aux contraintes de la vie, a également prévu des mécanismes spécifiques pour répondre aux situations où un indivisaire est présumé absent, hors d’état de manifester sa volonté ou défaillant. Ces règles, énoncées aux articles 836 et 837 du Code civil, visent à concilier la préservation des intérêts de l’indivisaire empêché et l’exigence d’une résolution harmonieuse de l’indivision.

1. La situation des indivisaires protégés

Historiquement, les indivisaires protégés étaient exclus des procédures de partage amiable, le cadre juridique limitant cette possibilité au seul partage judiciaire. Cette restriction, motivée par la nécessité de préserver les intérêts des personnes vulnérables, s’accompagnait d’un formalisme particulièrement rigoureux. Ainsi, tout partage nécessitait une autorisation préalable du conseil de famille ou, à défaut, du juge des tutelles, suivie d’une homologation par le tribunal de grande instance. Ces étapes, bien que protectrices, alourdissaient considérablement les procédures et freinaient la résolution des situations d’indivision.

Face aux lourdeurs inhérentes à ce cadre judiciaire, des pratiques dérogatoires ont vu le jour. Parmi celles-ci figuraient les conventions de partage assorties de promesses de ratification ultérieure par l’incapable ou encore des conventions d’indivision provisionnelle. Ces mécanismes, bien que contestés sur le plan juridique, révélaient une volonté pragmatique de contourner les rigidités du système pour faciliter la gestion des indivisions.

Les réformes successives de 1964, 1968, 2006 et 2007 ont marqué un tournant majeur en assouplissant ces exigences. Désormais, un partage amiable est possible, y compris pour les indivisaires protégés, à condition de respecter certaines exigences. Ces évolutions témoignent de l’effort du législateur pour allier la protection des personnes vulnérables à l’efficacité des opérations de partage.

Cette avancée est désormais consacrée par l’article 836 du Code civil, qui dispose que « si un indivisaire fait l’objet d’un régime de protection, un partage amiable peut intervenir dans les conditions prévues aux titres X, XI et XII du livre Ier. » Cette disposition renvoie ainsi au droit commun des personnes protégées, lequel encadre minutieusement les modalités d’assistance ou de représentation des indivisaires vulnérables, tout en garantissant la sauvegarde de leurs intérêts patrimoniaux. Par ce mécanisme, le législateur réaffirme son ambition de conjuguer souplesse procédurale et sécurité juridique au profit des individus les plus fragiles.

a. La situation des mineurs

i. Le mineur sous administration légale

La réforme opérée par l’ordonnance du 15 octobre 2015, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, a profondément transformé le régime de l’administration légale des biens des mineurs, consacrant une volonté de simplification et d’unification des règles applicables. En mettant fin à la distinction entre administration légale pure et simple et administration sous contrôle judiciaire, le législateur a instauré un cadre unique, destiné à mieux répondre aux exigences de protection tout en assouplissant les formalités.

Désormais régie par les articles 382 et suivants du Code civil, l’administration légale est confiée à ceux qui exercent l’autorité parentale, qu’il s’agisse d’un parent unique ou des deux parents conjointement. Ce cadre juridique modernisé sert une double ambition : offrir aux administrateurs légaux une autonomie renforcée pour gérer le patrimoine du mineur et préserver, par des mécanismes adaptés, les droits patrimoniaux de celui-ci face à des décisions engageant ses intérêts à long terme.

Dans ce contexte, les opérations de partage relatives au patrimoine du mineur s’inscrivent dans un dispositif articulé autour de principes d’autonomie, de contrôle et de prévention des conflits d’intérêts.

==>Administration légale conjointe ou unique

  • L’administration légale conjointe
    • Lorsque les deux parents exercent conjointement l’autorité parentale, ils assument ensemble l’administration légale des biens du mineur, en vertu des dispositions de l’article 382-1 du Code civil.
    • Ce régime repose sur un principe cardinal : toute décision relative au patrimoine de l’enfant doit être approuvée par chacun des administrateurs légaux, afin d’assurer une gestion à la fois équilibrée et protectrice de ses intérêts.
    • Les actes de disposition, parmi lesquels figure le partage amiable, requièrent impérativement le consentement conjoint des deux parents.
    • Cette exigence traduit la volonté du législateur de s’assurer que les deux parents ont donné leur consentement à l’acte, favorisant ainsi la protection des intérêts patrimoniaux du mineur.
    • Cependant, cette règle ne s’applique pas aux actes relevant de l’administration courante, lesquels, en raison de leur impact limité sur le patrimoine du mineur, peuvent être accomplis sans nécessiter une telle formalité.
    • En cas de désaccord entre les deux administrateurs légaux, le Code civil prévoit des mécanismes destinés à prévenir tout blocage.
    • Ainsi, l’un des parents peut saisir le juge des tutelles, lequel est habilité soit à autoriser l’acte envisagé, soit à désigner un administrateur ad hoc pour représenter le mineur.
    • Cette possibilité de recourir au juge est de nature à garantir que les décisions demeurent conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant.
  • L’administration légale unique
    • Dans les situations où un seul parent détient l’autorité parentale – en raison d’une filiation unilatérale, du décès de l’un des parents, ou d’une décision judiciaire ayant retiré l’autorité parentale à l’autre – l’administration légale des biens du mineur est exercée par ce parent unique.
    • Conformément à l’article 382-2 du Code civil, cette configuration confère à l’administrateur légal une autonomie accrue, tout en préservant l’objectif de protection des intérêts patrimoniaux de l’enfant.
    • Dans ce cadre, l’administrateur légal peut agir seul pour autoriser un partage amiable ou accomplir les actes relatifs à la gestion du patrimoine du mineur.

==>Les actes soumis à autorisation du juge des tutelles

La gestion des biens des mineurs, confiée aux administrateurs légaux, est soumise à un encadrement rigoureux dès lors que certains actes, en raison de leur gravité ou de leur complexité, sont susceptibles de compromettre durablement le patrimoine de l’enfant. Ainsi, l’article 387-1 du Code civil érige en principe l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour les opérations susceptibles d’affecter durablement les droits patrimoniaux du mineur.

Lorsque le partage porte sur des biens spécifiques, tels que des immeubles ou des instruments financiers définis à l’article L.211-1 du Code monétaire et financier, cette autorisation s’impose. Conformément aux dispositions de l’article 387-12 du Code civil, elle est requise indépendamment de la nature amiable ou judiciaire du partage, traduisant la volonté du législateur de prévenir tout préjudice éventuel dans la répartition des biens. Cette exigence trouve sa justification dans la valeur souvent substantielle de ces actifs, ainsi que dans leur capacité à influer durablement sur la situation patrimoniale du mineur.

Les actes relatifs aux valeurs mobilières, par leur volatilité et leur caractère spéculatif, ne sauraient échapper à cette surveillance renforcée. L’autorisation préalable du juge des tutelles garantit ici que de telles opérations, parfois complexes et risquées, ne compromettent pas les intérêts supérieurs du mineur.

De surcroît, toute transaction impliquant une renonciation à un droit est strictement encadrée par l’exigence d’une approbation judiciaire. Cette précaution vise à s’assurer que l’acte envisagé repose sur une justification impérieuse et qu’il ne porte atteinte ni à la substance ni à la pérennité du patrimoine du mineur. De même, les partages impliquant des biens grevés de droits spécifiques, tels qu’une hypothèque ou une servitude, requièrent l’intervention du juge pour vérifier leur conformité aux intérêts patrimoniaux protégés.

L’intervention du juge des tutelles, loin de constituer une simple formalité, traduit une double ambition. Elle vise, d’une part, à garantir la parfaite adéquation des décisions aux intérêts supérieurs du mineur et, d’autre part, à prévenir tout risque de conflit d’intérêts ou d’appréciation erronée.

==>Prévention des conflits d’intérêts

L’article 383 du Code civil prévoit la désignation d’un administrateur ad hoc en cas de conflit d’intérêts entre le mineur et son administrateur légal, ou entre les coadministrateurs. Cette disposition vise à protéger les intérêts du mineur pour les cas où l’impartialité des administrateurs légaux pourrait être mise en cause.

Lorsque de tels conflits apparaissent, il appartient aux administrateurs légaux de solliciter auprès du juge des tutelles la nomination d’un administrateur ad hoc. Ce dernier, choisi pour son indépendance, assume alors la représentation du mineur pour les actes affectés par le conflit. Cette désignation garantit que les décisions prises dans ce cadre servent exclusivement les intérêts patrimoniaux de l’enfant.

En l’absence de diligence des administrateurs légaux, le juge des tutelles peut procéder à cette nomination de sa propre initiative, à la demande du ministère public ou encore du mineur lui-même, lorsque ce dernier est en mesure d’exprimer sa volonté.

Dans les cas où le conflit d’intérêts ne concerne qu’un des deux coadministrateurs, une solution alternative est prévue par l’article 383. Le juge des tutelles peut, en effet, habiliter l’autre administrateur légal à représenter le mineur pour un ou plusieurs actes déterminés. Cette mesure évite de recourir systématiquement à un administrateur ad hoc, tout en maintenant les garanties essentielles à la protection du patrimoine du mineur.

==>Contrôle judiciaire a posteriori

Même en l’absence de conflit apparent, le juge des tutelles conserve un pouvoir de surveillance a posteriori (art. 387-3 C. civ.). Ce contrôle permet de garantir que les actes accomplis par les administrateurs légaux, bien qu’autonomes en principe, demeurent conformes à l’intérêt supérieur du mineur. Le juge peut intervenir de manière corrective ou préventive, en posant des conditions ou des restrictions aux décisions affectant le patrimoine du mineur.

Ainsi, à l’occasion du contrôle des actes mentionnés à l’article 387-1 du Code civil, le juge des tutelles peut, s’il l’estime nécessaire pour la sauvegarde des droits patrimoniaux du mineur, subordonner la validité d’un acte ou d’une série d’actes de disposition à une autorisation préalable. Cette faculté prend en considération divers facteurs, tels que la composition ou la valeur du patrimoine, l’âge du mineur ou encore sa situation familiale.

En outre, le juge peut être saisi par plusieurs acteurs en cas de comportements ou d’omissions manifestement préjudiciables à l’enfant. Les parents, individuellement ou conjointement, le ministère public, ou encore tout tiers ayant connaissance d’une situation compromettant substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur, peuvent solliciter l’intervention du juge. Cette saisine est conçue comme un outil de sauvegarde proactive, permettant de corriger ou d’encadrer une gestion susceptible de porter gravement atteinte au patrimoine de l’enfant.

Dans ce contexte, il est expressément prévu que les tiers qui informent le juge de tutelle ne sont pas tenus pour responsables de la gestion des biens réalisée par l’administrateur légal. Cette précision vise à encourager la vigilance de l’entourage du mineur sans pour autant leur transférer les obligations ou les responsabilités incombant aux administrateurs légaux.

==>Sanctions en cas d’irrégularités

Le non-respect des règles encadrant l’administration légale des biens du mineur expose les actes irrégulièrement accomplis à la nullité. Toutefois, cette nullité n’est pas absolue : elle peut être levée par une confirmation ou une régularisation a posteriori, sous réserve que l’acte en question respecte l’intérêt supérieur du mineur, comme le prévoit l’article 1151 du Code civil.

La confirmation peut intervenir lorsque l’acte irrégulier, bien que vicié dans sa réalisation initiale, ne porte pas atteinte aux intérêts fondamentaux du mineur et s’avère conforme à ses besoins. Ce mécanisme permet d’éviter une remise en cause systématique des décisions.

La régularisation a posteriori, quant à elle, peut prendre la forme d’une intervention judiciaire ou d’un accord entre les parties concernées, visant à réparer les manquements formels ou procéduraux. Cette démarche, encadrée par le juge des tutelles, garantit que l’acte, une fois corrigé, s’inscrive pleinement dans le cadre de la protection des intérêts du mineur.

ii. Le mineur sous tutelle

La situation du mineur placé sous tutelle s’inscrit dans un cadre juridique rigoureux, visant à garantir la protection de ses intérêts patrimoniaux. Si le tuteur, investi de la représentation légale du mineur dans les actes civils, dispose de prérogatives étendues, celles-ci sont toutefois particulièrement encadrées lorsqu’il s’agit d’opérations de partage.

L’article 507 du Code civil prévoit en ce sens que « le partage à l’égard d’une personne protégée peut être fait à l’amiable sur autorisation du conseil de famille ou, à défaut, du juge, qui désigne, s’il y a lieu, un notaire pour y procéder. Il peut n’être que partiel. L’état liquidatif est soumis à l’approbation du conseil de famille ou, à défaut, du juge. Le partage peut également être fait en justice conformément aux articles 840 et 842. Tout autre partage est considéré comme provisionnel. »

  • L’autorisation préalable du conseil de famille ou du juge des tutelles
    • Toute démarche tendant à la réalisation d’un partage amiable exige, en amont, une autorisation expresse du conseil de famille, organe collégial chargé de veiller sur les décisions affectant le patrimoine du mineur.
    • Cette formalité préliminaire n’est pas un simple contrôle de forme ; elle s’analyse en un véritable examen de fond de l’opportunité et des modalités du partage envisagé.
    • Elle permet de s’assurer que l’opération projetée est conforme à l’intérêt du mineur, prévenant ainsi toute précipitation ou risque de préjudice.
    • À défaut d’intervention du conseil de famille, le juge des tutelles se substitue à cette instance et peut statuer sur la demande d’autorisation.
    • Ce recours juridictionnel assure la continuité de la protection et renforce la validité des décisions prises.
    • En cas d’opposition d’intérêts entre le tuteur et le mineur, ou entre plusieurs indivisaires mineurs, le juge peut également désigner un subrogé tuteur ou un administrateur ad hoc (art. 410 et 507, al. 1 C. civ.).
    • Cette formalité préalable demeure requise, y compris lorsque le tuteur se trouve en situation de devoir répondre à une demande en partage judiciaire introduite par un autre indivisaire, ainsi qu’en témoigne une jurisprudence antérieure à la réforme de 2007 (Cass. 1ère civ., 15 mai 2001, n°99-13.944).
  • La désignation éventuelle d’un notaire
    • Dans les situations où la complexité des opérations le requiert, il peut être fait appel à un notaire, désigné par le conseil de famille ou le juge des tutelles.
    • Cet officier ministériel, par son expertise, intervient pour évaluer les actifs, liquider les droits indivis et composer les lots à attribuer, tout en veillant scrupuleusement au respect des droits du mineur.
    • Toutefois, cette intervention n’a rien d’automatique ; elle demeure conditionnée à la nature et à la difficulté des biens concernés.
    • Lorsque le notaire intervient, il agit comme un garant de la rigueur des opérations, veillant à ce que chaque acte serve strictement les intérêts patrimoniaux du mineur.
  • L’approbation de l’état liquidatif
    • Une fois les opérations de partage finalisées, l’état liquidatif doit être soumis à l’approbation du conseil de famille ou, à défaut, du juge des tutelles.
    • Ce document sert à consigner la répartition des droits indivis, la composition des lots et leur attribution ; il constitue ainsi la pierre angulaire de la procédure.
    • L’approbation de l’état liquidatif confère à l’opération son caractère définitif et son opposabilité, consolidant ainsi la sécurité juridique de l’ensemble des parties.

À défaut de se conformer à cette triple exigence, le partage ne saurait produire d’effets définitifs. Conformément à l’article 507 du Code civil, il est relégué au rang de partage provisionnel, dépourvu de force contraignante à l’égard du mineur. Ce dernier, ou ses représentants, conserve alors la faculté de contester ou de réviser les décisions prises en son nom, préservant ainsi l’intégrité de son patrimoine.

iii. Le mineur émancipé

Le mineur émancipé occupe une position singulière dans le cadre d’un partage, bénéficiant d’une capacité juridique pleine et entière, équivalente à celle d’un majeur. L’article 413-6 du Code civil dispose en ce sens que « l’émancipation confère au mineur la pleine capacité pour tous les actes de la vie civile », ce qui inclut la possibilité de participer à un partage sans autorisation ni assistance. Cette autonomie, fruit de l’émancipation, traduit une rupture avec la logique de protection renforcée caractérisant le régime des mineurs non émancipés.

Libéré de l’obligation d’être représenté ou assisté, le mineur émancipé peut négocier et consentir à un partage amiable avec une liberté identique à celle d’un majeur. Il peut ainsi, à titre personnel, procéder à l’évaluation de ses droits indivis, discuter les modalités de liquidation et accepter la composition des lots. Cette capacité s’étend également aux décisions relatives aux actes de disposition, tels que l’aliénation ou la mutation de biens issus du partage, sans qu’il soit nécessaire de solliciter une autorisation judiciaire ou familiale.

En matière de partage judiciaire, le mineur émancipé intervient également comme un copartageant ordinaire. Il peut agir en demande pour provoquer le partage en justice, conformément à l’article 840 du Code civil, ou répondre à une action intentée par un autre indivisaire. Il jouit donc de l’intégralité des droits procéduraux conférés aux indivisaires majeurs, que ce soit pour contester un état liquidatif ou pour demander la révision d’un partage non conforme à ses intérêts.

b. La situation des majeurs protégés

i. Le majeur sous tutelle

Le majeur placé sous tutelle bénéficie d’une protection juridique renforcée qui s’inspire des règles applicables aux mineurs en tutelle, conformément à l’article 507 du Code civil. Dans le cadre d’un partage amiable, la représentation exclusive du majeur protégé est confiée au tuteur. Celui-ci agit en son nom, mais cette représentation est strictement encadrée par des obligations légales destinées à garantir les droits patrimoniaux du majeur protégé.

Avant de procéder à un partage amiable, le tuteur doit impérativement obtenir une autorisation préalable du juge des tutelles. Cette autorisation vise à évaluer la pertinence et la conformité de l’acte avec l’intérêt supérieur du majeur. Une fois le partage réalisé, l’état liquidatif doit être soumis à l’approbation du juge, afin de s’assurer que l’opération respecte pleinement les droits et intérêts du majeur protégé.

Toutefois, en présence d’un conflit d’intérêts entre le tuteur et le majeur protégé, la loi prévoit des mécanismes de substitution pour préserver l’impartialité et la légitimité des décisions. L’article 454 du Code civil dispose que, dans une telle situation, un tuteur ad hoc est désigné par le juge des tutelles. Cette désignation garantit que les droits du majeur protégé sont défendus sans parti pris, évitant ainsi tout détournement ou abus potentiel.

ii. Le majeur sous curatelle

Le partage amiable auquel participe un majeur sous curatelle repose sur un équilibre subtil entre l’autonomie résiduelle du curatélaire et la nécessité de protection conférée par l’assistance du curateur. L’article 467 du Code civil établit que le curatélaire peut consentir au partage, mais uniquement avec l’assistance de son curateur. En pratique, cela signifie que l’acte de partage doit être signé par le majeur protégé et contresigné par son curateur, témoignant ainsi d’une double validation.

Contrairement à la tutelle, le partage amiable dans le cadre de la curatelle ne nécessite pas d’autorisation préalable du juge des tutelles, ni l’approbation de l’état liquidatif par celui-ci. Ce choix législatif s’inscrit dans une logique de déjudiciarisation et de simplification des mesures de protection, permettant ainsi une gestion plus fluide et moins intrusive du patrimoine des personnes protégées. Toutefois, cette autonomie relative est encadrée par des mécanismes de contrôle.

Le juge des tutelles conserve un rôle essentiel en cas de dysfonctionnement dans la relation entre le curatélaire et son curateur. Deux hypothèses principales appellent son intervention :

  • D’une part, en cas d’opposition d’intérêts entre le curatélaire et son curateur, le juge peut désigner un curateur ad hoc pour représenter le majeur dans l’acte de partage.
  • D’autre part, en cas de refus d’assistance de la part du curateur, le juge des tutelles peut suppléer cette carence en autorisant lui-même l’acte litigieux, conformément aux dispositions de l’article 469, alinéa 3, du Code civil.

iii. Le majeur sous sauvegarde de justice

Le majeur placé sous sauvegarde de justice conserve, conformément à l’article 435 du Code civil, sa capacité à consentir seul à un partage amiable. Cette aptitude repose sur le principe général selon lequel le majeur sous sauvegarde de justice conserve l’exercice de ses droits civils. Néanmoins, cette capacité est conditionnée par l’absence de trouble mental affectant son discernement, comme le prévoit l’article 414-1 du Code civil. Ainsi, un partage amiable conclu dans un contexte où le majeur serait atteint d’un trouble mental invalidant pourrait être remis en cause.

Le régime de la sauvegarde de justice prévoit également des mécanismes de protection pour prévenir les atteintes au patrimoine du majeur. En particulier, tout acte de partage peut être rescindé pour simple lésion ou réduit en cas d’excès, conformément à l’alinéa 2 de l’article 435 du Code civil.

Par ailleurs, l’article 437 du Code civil permet de désigner un mandataire spécial lorsque le majeur sous sauvegarde de justice est dans l’incapacité de prendre part au partage ou si les circonstances le justifient. Dans cette hypothèse, le mandataire agit pour le compte du majeur et bénéficie des pouvoirs nécessaires pour représenter ses intérêts. Cette désignation peut cependant priver le majeur de sa capacité d’intervenir directement, introduisant ainsi une limitation temporaire à son autonomie.

Enfin, dans les cas où un désaccord ou un conflit d’intérêts surgirait entre le majeur et une autre partie au partage, ou encore entre le majeur et son mandataire spécial, l’intervention du juge des tutelles pourrait être sollicitée. Ce dernier dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour garantir que les décisions prises soient conformes à l’intérêt supérieur du majeur, renforçant ainsi les garanties offertes par ce régime.

iv. Le majeur sous mandat de protection future

Le mandat de protection future, institué par l’article 490 du Code civil, s’inscrit dans une perspective d’autonomie anticipative, permettant à une personne, appelée le mandant, de désigner un mandataire chargé de gérer ses affaires en cas de perte d’autonomie future. Lorsqu’il est mis à exécution, ce dispositif permet au mandataire d’agir pour le compte du mandant dans un cadre défini par le mandat lui-même.

Dans le contexte d’un partage amiable, le mandataire peut consentir à l’acte sous certaines conditions. Si le mandat est notarié, il confère généralement au mandataire une capacité étendue, incluant la faculté de participer à un partage amiable sans nécessiter d’autorisation judiciaire préalable, sauf clause contraire expressément stipulée dans le mandat. En revanche, si le mandat est sous seing privé, l’étendue des pouvoirs du mandataire est plus restreinte. Dans ce cas, la réalisation d’un acte aussi significatif qu’un partage amiable nécessite un pouvoir spécial mentionné explicitement dans le mandat, et une autorisation préalable du juge des tutelles est indispensable pour valider l’acte, conformément à l’article 493 du Code civil.

Toutefois, la situation se complexifie en cas d’opposition d’intérêts entre le mandant et le mandataire. Conformément au droit commun de la représentation, tel qu’énoncé à l’article 1161 du Code civil, le représentant ne peut pas contracter avec lui-même ou représenter deux parties ayant des intérêts opposés dans le même acte. Le juge des tutelles n’a pas la possibilité de désigner un mandataire ad hoc dans ce cadre. Une telle opposition d’intérêts pourrait alors bloquer la réalisation de l’acte, à moins que le juge n’intervienne pour évaluer si celui-ci respecte l’intérêt supérieur du mandant et ne constitue pas une atteinte à ses droits patrimoniaux.

v. Le majeur sous habilitation familiale

L’habilitation familiale, conçue pour offrir une alternative souple et moins intrusive aux régimes traditionnels de protection, permet à la personne habilitée de consentir au partage amiable pour le compte du majeur protégé, conformément à l’article 494-6 du Code civil. Cette habilitation, lorsqu’elle est étendue à la représentation pour les actes de disposition, peut inclure le partage amiable sans nécessiter d’autorisation préalable ou d’approbation judiciaire, sauf si des dispositions contraires sont spécifiées par le juge des tutelles dans la décision habilitante.

Cependant, ce régime, marqué par une volonté de déjudiciarisation, ne supprime pas toute intervention judiciaire. En effet, en cas d’opposition d’intérêts entre la personne habilitée et la personne protégée, le juge des tutelles peut exceptionnellement autoriser la personne habilitée à agir, dès lors que l’intérêt de la personne protégée le justifie.

En outre, les actes de disposition à titre gratuit, tels que la donation ou la renonciation à des droits, restent soumis à l’autorisation préalable du juge des tutelles, conformément aux principes fondamentaux du droit de la protection des majeurs. Cette exigence vise à prévenir toute atteinte injustifiée au patrimoine de la personne protégée, tout en conservant une certaine flexibilité pour les actes nécessaires à la gestion courante de ses biens.

2. La situation des indivisaires absents ou hors d’état de manifester leur volonté

Dans le cadre des opérations de partage, la présence et la participation active de tous les indivisaires constituent des conditions essentielles pour garantir l’équilibre et l’efficacité des décisions prises. Toutefois, certaines situations, telles que l’absence prolongée ou l’impossibilité manifeste pour un indivisaire de manifester sa volonté en raison d’un éloignement, compliquent ce processus. Pour répondre à ces cas particuliers, le législateur a instauré des mécanismes spécifiques destinés à préserver les intérêts patrimoniaux des indivisaires vulnérables tout en assurant la continuité de la gestion de l’indivision.

a. L’indivisaire absent

==>L’indivisaire présumé absent

L’article 836 du Code civil prévoit que lorsqu’un indivisaire est présumé absent, un partage amiable peut être réalisé dans les conditions définies à l’article 116. Cette situation concerne les cas où un indivisaire a cessé de paraître à son domicile ou résidence sans qu’aucune nouvelle ne parvienne, conformément aux dispositions de l’article 112 du Code civil. Le juge des tutelles, saisi à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constate alors la présomption d’absence et désigne un représentant pour exercer les droits du présumé absent, notamment dans le cadre d’un partage amiable.

L’article 116 encadre rigoureusement ce partage amiable. Le juge des tutelles doit, en premier lieu, autoriser le partage et peut, si nécessaire, désigner un notaire pour en superviser les opérations. Ce contrôle garantit que les intérêts du présumé absent sont pleinement préservés. Ensuite, l’état liquidatif résultant du partage doit obligatoirement être soumis à l’approbation du juge, marquant ainsi l’achèvement du processus et conférant à l’opération sa validité juridique. Enfin, en cas d’opposition d’intérêts entre le représentant et le présumé absent, le juge des tutelles peut désigner un remplaçant chargé de représenter impartialement les droits de ce dernier.

Dans le cas où ces formalités ne seraient pas respectées, l’article 116 prévoit que le partage amiable sera considéré comme provisionnel. Il ne pourra produire d’effets définitifs qu’après régularisation, garantissant ainsi une protection accrue du patrimoine du présumé absent.

==>L’indivisaire déclaré absent

Lorsque la présomption d’absence se prolonge sans nouvelles pendant dix ans (ou vingt ans en l’absence de constatation judiciaire), l’article 122 du Code civil permet de prononcer une déclaration d’absence. Ce jugement, qui assimile juridiquement l’absence à un décès, emporte des conséquences radicales : la personnalité juridique de l’indivisaire s’éteint, autorisant l’ouverture de sa succession. L’article 128 précise que cette déclaration prend effet à partir de sa transcription sur les registres d’état civil, marquant ainsi une rupture définitive avec les mécanismes de protection antérieurs.

Contrairement au présumé absent, l’indivisaire déclaré absent ne peut participer au partage amiable ni être représenté dans les opérations de l’indivision. La déclaration d’absence entraîne la liquidation de ses intérêts comme s’il était décédé, mettant fin aux mesures d’administration des biens qui avaient été prises à son bénéfice.

b. L’indivisaire hors d’état de manifester sa volonté en raison d’un éloignement

L’article 836 du Code civil s’applique également aux indivisaires qui, en raison d’un éloignement, se trouvent hors d’état de manifester leur volonté. Cette situation, bien que distincte de la présomption d’absence, obéit aux mêmes dispositions protectrices énoncées à l’article 116 du Code civil.

Ainsi, lorsqu’un indivisaire est temporairement ou durablement empêché de participer aux décisions relatives à l’indivision en raison de son éloignement, le juge des tutelles peut désigner un représentant chargé d’agir en son nom. Le partage amiable, sous réserve de l’autorisation préalable du juge, peut alors être engagé. Si des intérêts divergents apparaissent entre l’indivisaire éloigné et son représentant, le juge des tutelles peut, comme dans le cas du présumé absent, désigner un remplaçant pour garantir l’impartialité des décisions.

L’article 120 du Code civil prévoit expressément que les règles applicables à l’administration des biens et à la représentation des présumés absents s’étendent aux indivisaires éloignés. Cela inclut l’autorisation préalable pour le partage amiable, la possibilité de désigner un notaire pour superviser l’opération, et l’approbation obligatoire de l’état liquidatif par le juge des tutelles.

3. La situation des indivisaires défaillants

L’article 837 du Code civil, issu de la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006, a introduit un mécanisme destiné à remédier aux difficultés que peut engendrer l’inertie d’un indivisaire dans le cadre d’un partage amiable. Ce dispositif, conçu pour éviter les lourdeurs et contraintes d’un partage judiciaire, établit un équilibre entre la nécessité de faire avancer les opérations et la préservation des droits de l’indivisaire absent.

Un indivisaire est qualifié de défaillant lorsqu’il ne répond pas aux sollicitations relatives au partage, qu’il s’agisse d’une négligence, d’un désintérêt manifeste ou d’une stratégie d’obstruction. Toutefois, cette situation se distingue de celles régies par l’article 836 du Code civil, qui concernent les indivisaires incapables, présumés absents ou hors d’état de manifester leur volonté en raison d’un éloignement. L’indivisaire défaillant n’oppose ici ni refus exprès au partage ni incapacité légale.

Pour surmonter cette inertie, l’article 837 prévoit qu’un coindivisaire diligent peut adresser à l’indivisaire défaillant une mise en demeure, notifiée par acte extrajudiciaire, de se faire représenter au partage. Cette démarche ouvre un délai de trois mois, durant lequel l’indivisaire doit désigner un mandataire. Si ce dernier n’agit pas dans le délai imparti, le juge peut être saisi par tout coindivisaire afin de désigner une personne qualifiée pour représenter l’indivisaire défaillant.

La personne désignée par le juge agit en représentation de l’indivisaire jusqu’à l’achèvement complet des opérations de partage. Cependant, son pouvoir est limité : elle ne peut consentir au partage amiable qu’avec l’autorisation expresse du juge.

En, effet, l’article 1358 du Code de procédure civile précise que la personne désignée ne peut consentir au partage amiable qu’avec l’autorisation préalable du juge qui l’a nommée. Pour obtenir cette autorisation, le représentant doit transmettre au juge le projet de partage, approuvé par l’ensemble des autres coindivisaires. L’autorisation judiciaire ainsi accordée est rendue en dernier ressort, conférant au partage une force juridique incontestable et évitant tout recours dilatoire.

Le juge joue ici un rôle central, intervenant non seulement pour désigner un représentant qualifié, mais également pour examiner le projet de partage et s’assurer qu’il respecte les droits de l’indivisaire défaillant. Cette double intervention témoigne d’un équilibre subtil entre protection des parties et efficacité procédurale, permettant d’éviter que l’inertie d’un indivisaire n’entrave indûment la réalisation du partage.

Enfin, s’agissant de la juridiction compétente pour connaître des demandes relatives à la défaillance d’un indivisaire dans le cadre d’un partage amiable, l’article 1379 du Code de procédure civile dispose que les demandes formées en application de l’article 837 du Code civil sont portées devant le président du tribunal judiciaire. Ce magistrat statue dans les formes prévues aux articles 493 à 498 et 846, soit selon les règles de la procédure d’ordonnance sur requête.

II) L’assiette du partage amiable

Le partage amiable constitue une modalité souple et consensuelle de sortie de l’indivision, permettant aux indivisaires d’organiser la répartition des biens selon leurs volontés respectives.

L’assiette du partage peut varier, comprenant soit une fraction limitée des biens indivis (partage partiel), soit plusieurs indivisions regroupées dans une seule masse partageable (partage cumulatif). Ces deux formes de partage, désormais consacrées par les articles 838 et 839 du Code civil.

A) Le partage partiel

Le partage partiel, encadré par l’article 838 du Code civil, se distingue par sa souplesse, permettant de répartir certains éléments de l’indivision tout en maintenant celle-ci sur d’autres biens ou entre certaines personnes.

Contrairement au partage total, qui met fin à l’indivision en attribuant l’ensemble des biens indivis aux indivisaires pour remplir intégralement leurs droits, le partage partiel organise une sortie progressive, souvent adaptée aux contraintes ou à la complexité des situations patrimoniales.

==>Les formes du partage partiel

L’article 838 du Code civil prévoit que « le partage amiable peut être total ou partiel. Il est partiel lorsqu’il laisse subsister l’indivision à l’égard de certains biens ou de certaines personnes. » Il s’infère de cette disposition une distinction fondamentale entre deux modalités de répartition : tandis que le partage total met un terme définitif à l’indivision en attribuant l’ensemble des biens indivis à chaque indivisaire, le partage partiel, quant à lui, limite cette répartition, laissant perdurer l’indivision, soit sur certains biens, soit entre certains indivisaires.

Le partage est partiel quant aux biens lorsque certains éléments spécifiques de l’indivision, tels que les liquidités ou les biens meubles aisément divisibles, sont répartis entre les indivisaires, tandis que d’autres biens, notamment les biens immobiliers ou ceux présentant une nature indivisible, demeurent temporairement soumis à l’indivision. Ce mécanisme, souvent adopté pour répondre à des contraintes pratiques ou patrimoniales, instaure une gestion par étapes, où chaque phase de partage contribue à réduire progressivement le périmètre des biens encore indivis. Cette approche graduelle favorise une transition ordonnée, tout en conservant la souplesse requise pour s’adapter à la diversité et à la complexité des situations patrimoniales.

À l’inverse, le partage partiel quant aux personnes intervient lorsqu’une partie des indivisaires est remplie de ses droits et quitte l’indivision, tandis que les autres y demeurent. Ce procédé, qui permet une sortie individualisée de certains indivisaires, maintient néanmoins l’indivision, celle-ci nécessitant, par nature, la coexistence d’au moins deux indivisaires. Cette modalité offre ainsi une solution intermédiaire, adaptée aux situations où tous les indivisaires ne souhaitent ou ne peuvent sortir simultanément de l’indivision.

Dans certaines situations, ces deux formes de partage partiel peuvent se combiner. Il devient alors possible d’attribuer certains biens spécifiques à des indivisaires précis tout en conservant une indivision résiduelle pour les autres, répondant ainsi à des exigences d’équité et de pragmatisme.

Par ailleurs, la jurisprudence reconnaît l’existence de conventions préparatoires au partage, parfois désignées sous les termes d’« avant-partage » ou de « promesse de partage ». Ces accords, bien qu’ils ne constituent pas un partage définitif, visent à organiser les modalités futures de la répartition. Ils peuvent, par exemple, prévoir la licitation de certains biens ou en fixer les principes de répartition, sans pour autant procéder immédiatement à leur attribution. Ces conventions engagent les parties dès lors qu’elles expriment une volonté claire et ferme, comme l’a établi la Cour de cassation dans plusieurs arrêts (Cass. 1re civ., 20 janv. 1982, n°80-16.909). En revanche, un simple projet de partage, dépourvu d’intention d’engagement, demeure sans effet obligatoire.

==>L’exigence de consentement unanime des indivisaires

En principe, le partage partiel nécessite l’unanimité des indivisaires, car il modifie les équilibres patrimoniaux au sein de l’indivision. Le juge ne peut imposer un partage partiel amiable, sauf à obtenir l’accord de toutes les parties concernées. Cette règle s’inscrit dans la logique du droit de l’indivision, qui repose sur une gestion collective et consensuelle.

Cependant, le législateur et la jurisprudence ont apporté des tempéraments à ce principe. Par exemple, il est admis que certains éléments d’actif puissent être exclus d’un partage, notamment en cas de doute sur leur existence ou leur consistance, dès lors que cette exclusion ne remet pas en cause la répartition décidée (Cass. 1ère civ., 28 mars 1979, n°78-11.889 et 78-12.807). De plus, certaines situations imposent un partage partiel sans qu’un consentement unanime soit requis. Ainsi, l’attribution éliminatoire prévue à l’article 824 du Code civil ou la perception de bénéfices en vertu de l’article 815-11 sont autant de mécanismes permettant un partage partiel, même en présence d’indivisaires opposés.

==>Effets du partage partiel

Le partage partiel peut être définitif ou provisionnel. Lorsqu’il est définitif, il emporte les mêmes effets déclaratifs qu’un partage total, consacrant la propriété privative des biens attribués. En revanche, un partage provisionnel, limité dans ses effets, n’engage pas définitivement les parties et peut être modifié ou complété ultérieurement.

Le caractère égalitaire ou inégalitaire du partage partiel peut également influer sur ses conséquences juridiques. Un partage partiel inégalitaire, bien que permis par la loi, doit respecter les droits de chaque indivisaire en termes de valeur, conformément à l’article 826 du Code civil, qui privilégie désormais une égalité en valeur plutôt qu’en nature. Dans tous les cas, le partage partiel ne peut produire ses effets que dans la mesure où il respecte les règles applicables à la gestion de l’indivision, notamment l’obligation de préserver les droits de chaque indivisaire.

Enfin, certaines dispositions permettent au juge de suspendre le droit au partage de certains biens tout en autorisant un partage partiel pour d’autres. Cette faculté, prévue aux articles 821 et 820 du Code civil, illustre une forme indirecte de partage partiel imposé, où les indivisaires sont contraints de se limiter à une répartition cantonnée. Ces mécanismes visent à concilier les impératifs de préservation du patrimoine indivis avec les besoins des indivisaires.

B) Le partage cumulatif

Le partage cumulatif, prévu par l’article 839 du Code civil, autorise le regroupement de plusieurs indivisions distinctes au sein d’une masse unique à partager, dès lors qu’elles concernent exclusivement les mêmes indivisaires, qu’il s’agisse de biens identiques ou de nature différente. Cette disposition, issue de la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006, rompt avec les exigences traditionnelles qui imposaient un traitement séparé de chaque indivision, sauf à recourir à des mécanismes judiciaires comme la licitation globale. Ce changement témoigne d’une volonté de rationalisation et de simplification des opérations de partage.

Cette technique trouve une application particulière dans les cas de successions confondues. Ainsi, lorsqu’après le décès de leurs parents, des enfants doivent partager deux successions post-successorales et une indivision post-communautaire, le regroupement de ces masses indivises permet de simplifier considérablement la composition des lots. Comme ont pu le souligner des auteurs « cette fongibilité des biens indivis au sein d’une masse unique facilite la répartition et diminue les risques de morcellement des biens »[1]. De plus, cette méthode atténue les déséquilibres financiers, grâce à l’intégration éventuelle de créances de soulte, et limite le recours aux licitations, conformément à une logique patrimoniale harmonieuse.

Avant la réforme de 2006, le partage cumulatif requérait l’unanimité des indivisaires pour être réalisé à l’amiable. À défaut, il était nécessaire de procéder à un partage judiciaire, indivision par indivision, sauf justification d’un intérêt suffisant pour ordonner une licitation globale (Cass. 1re civ., 11 févr. 1969). Cette solution s’appuyait sur le principe selon lequel chaque indivisaire avait le droit de recevoir une part en nature dans chaque indivision (Cass. 1re civ., 29 juill. 1952). Toutefois, la loi de 2006, en abandonnant l’exigence d’égalité en nature au profit d’une égalité en valeur, a supprimé cet obstacle. Désormais, le partage cumulatif est autorisé, même en présence de biens issus de plusieurs indivisions, dès lors que les indivisaires y consentent ou que des mécanismes judiciaires permettent de surmonter les oppositions.

L’article 826 du Code civil entérine cette évolution en consacrant une logique d’égalité en valeur, en remplacement de l’égalité en nature. Comme l’a précisé Michel Grimaldi, « cette évolution permet de concilier la souplesse des opérations amiables avec les impératifs d’équité entre les indivisaires ». Désormais, les indivisaires ne sont plus contraints de recevoir une part en nature dans chaque indivision, mais bénéficient d’une répartition globale, équitable et simplifiée.

Malgré ces avancées, le partage cumulatif demeure strictement encadré, en particulier lorsqu’il est réalisé sous l’égide du juge. Ce dernier doit garantir que les droits de chaque indivisaire sont respectés et qu’aucun tiers, notamment un créancier personnel, ne soit lésé par la fusion des masses indivises (Cass. 1re civ., 30 mai 1911). À cet égard, le juge dispose du pouvoir de refuser un partage cumulatif qui compromettrait les droits de tiers ou l’équilibre des indivisaires.

III) Les modalités du partage amiable

A) Liberté dans le choix des modalités de partage

Le principe de liberté est le fondement du partage amiable. L’article 835 du Code civil prévoit en ce sens que « le partage peut intervenir dans la forme et selon les modalités choisies par les parties ». Cette latitude confère au partage amiable une grande flexibilité, adaptée à la diversité des situations patrimoniales et familiales.

Les indivisaires disposent d’une totale liberté pour organiser le partage. Ils peuvent, s’ils le souhaitent, s’inspirer des règles applicables au partage judiciaire tout en y apportant les adaptations nécessaires pour répondre à leurs besoins spécifiques. Cette possibilité d’aménagement leur permet de simplifier les opérations ou d’élaborer des solutions sur mesure, comme l’a confirmé la jurisprudence (Cass. 27 mai 1903). Cette approche sur mesure favorise un règlement apaisé de l’indivision, évitant les rigidités du cadre judiciaire.

La liberté des parties s’exprime également dans la possibilité de conclure des actes préparatoires, qui servent à poser les bases du partage sans y procéder immédiatement. Ces accords préliminaires, qualifiés parfois de promesses de partage ou d’accords de principe, permettent de fixer les grandes lignes des modalités futures. Ils peuvent, par exemple, organiser la vente préalable de certains biens indivis ou définir des critères de répartition. Ces actes lient les signataires (Cass. 1ère civ., 20 janv. 1982, n°80-16.909) et constituent une étape essentielle pour préparer un partage définitif dans un cadre clair et consensuel.

Toutefois, ces actes n’ont pas de force obligatoire à l’égard des indivisaires qui ne les ont pas signés. Ils ne produisent donc pas les effets d’un partage au sens juridique, mais préfigurent son contenu, facilitant ainsi la conclusion d’un accord global.

Le partage amiable peut, en outre, être conclu sous condition suspensive ou résolutoire. Cette faculté permet aux parties de subordonner l’effet du partage à la réalisation d’un événement futur et incertain. Par exemple, un partage peut être suspendu à l’obtention d’une autorisation administrative ou à la vente d’un bien indivis. Tant que la condition n’est pas réalisée, l’indivision demeure, et les règles qui encadrent son fonctionnement continuent de s’appliquer (Cass. Req. 12 août 1856).

B) Liberté de composition des lots

Le partage amiable se distingue par la souplesse qu’il offre aux indivisaires dans la composition des lots. Cette liberté constitue l’un des atouts majeurs de cette modalité de partage, permettant aux parties de modeler les lots en fonction de leurs besoins spécifiques, de leurs préférences ou encore des contraintes pratiques attachées aux biens en indivision.

==>Modalités de composition des lots

Dans le cadre du partage amiable, les indivisaires peuvent librement constituer les lots selon leur convenance, qu’il s’agisse de lots prédéterminés attribués à chaque copartageant ou de lots tirés au sort, si tel est leur choix. Cette souplesse leur permet également de recourir à des modalités alternatives pour disposer des biens indivis. Ainsi, certains biens peuvent être vendus, soit de gré à gré, soit par adjudication amiable, afin que le produit de la vente soit ensuite réparti entre les indivisaires selon leurs droits respectifs. Cette faculté est particulièrement utile pour éviter les difficultés liées au partage matériel de biens indivisibles ou difficilement partageables en nature.

La latitude conférée dans la composition des lots reflète une grande harmonie dans l’adaptation aux circonstances. Ainsi, les indivisaires peuvent modeler les lots selon leur convenance, en y intégrant des biens mobiliers ou immobiliers, des créances, ou encore des droits spécifiques, façonnant ainsi une répartition qui s’accorde au mieux aux aspirations et besoins de chacun.

==>Principe d’égalité dans le partage

Cette liberté de composition est néanmoins tempérée par l’exigence d’égalité dans le partage, telle que consacrée par l’article 826 du Code civil. Ce principe impose que chaque indivisaire reçoive une part correspondant à la valeur de ses droits dans l’indivision. L’égalité dans le partage ne requiert pas nécessairement une identité en nature entre les lots attribués, mais garantit une équité en valeur.

Lorsque les biens à partager présentent une diversité telle qu’une égalité stricte en nature s’avère impossible, les indivisaires peuvent recourir aux soultes, c’est-à-dire des compensations financières mises à la charge des copartageants avantagés. Ces soultes permettent de rétablir l’équilibre entre les parts, en indemnisant les indivisaires lésés par une répartition inégale en nature. Par exemple, un indivisaire recevant un bien de valeur supérieure à ses droits pourra être tenu de verser une soulte aux autres indivisaires, afin de rétablir l’équité patrimoniale.

==>L’exigence d’unanimité

Enfin, la faculté de façonner les lots trouve son fondement dans l’accord unanime des indivisaires. Chaque choix relatif à la constitution des lots, à la vente des biens ou à l’attribution des soultes naît de la concertation, élevant ainsi le dialogue et la négociation au cœur du partage amiable.

L’exigence de ce consensus, loin d’apparaître comme une entrave, confère aux opérations une solidité juridique accrue, tout en permettant de forger des solutions sur mesure, en parfaite adéquation avec les spécificités uniques de chaque indivision.

C) Estimation des lots

L’évaluation des biens dans le cadre du partage amiable est un art délicat, laissé à la sagesse et au discernement des indivisaires. Libres de fixer les critères qui guideront cette estimation, ces derniers peuvent convenir, d’un commun accord, de valeurs adaptées aux particularités de leur indivision.

La jurisprudence, empreinte de pragmatisme, a reconnu que bien qu’une date unique d’évaluation soit souhaitable, les copartageants conservent la faculté de fixer des dates distinctes pour certains biens, dès lors que cela répond aux besoins de leur situation (Cass., ass. plén., 22 avr. 2005, n°02-15.180). Cette souplesse, loin de nuire à l’équité, permet de mieux appréhender les réalités patrimoniales lorsque les opérations s’étendent sur une durée significative.

Dans ce paysage d’accords et de conventions, la clause de jouissance divise, telle qu’envisagée par l’article 829 du Code civil, s’impose comme un instrument précieux de régulation. Cette clause, souvent insérée dans les actes notariés, établit le moment à partir duquel les fruits et revenus des biens cessent d’appartenir à l’indivision pour être attribués, avec grâce et justice, aux lots respectifs. Elle incarne, dans sa subtilité, la transition entre l’indivision et l’attribution privative, orchestrant une harmonie entre les parties tout en préservant l’équilibre des droits.

D) Force obligatoire du partage amiable

Une fois scellé par l’accord des parties, le partage amiable s’auréole de la force impérative des conventions, s’imposant aux indivisaires comme une loi contractuelle à laquelle ils ne sauraient se soustraire. À l’instar des contrats les plus solennels, il ne peut être remis en question que dans les cas strictement encadrés où des vices du consentement ou des irrégularités de procédure entacheraient sa validité (Cass. 1ère civ., 26 juin 1985, 84-12.417). Ainsi, celui qui a donné son assentiment à une licitation ou à toute autre modalité de répartition ne saurait, sans déroger à ses engagements, en contester ultérieurement les termes.

Cette force contraignante ne s’arrête pas aux engagements principaux mais s’étend aux conditions accessoires, telles que les délais impartis pour le règlement des soultes. Si ces délais venaient à être ignorés, les créanciers peuvent invoquer l’article 828 du Code civil pour demander une réévaluation des sommes dues, selon les termes du contrat ou à l’aune d’un indice convenu par les parties. Cette rigueur, loin d’être une contrainte, confère au partage amiable la stabilité et la sécurité nécessaires, permettant à chacun de trouver dans ses engagements la juste mesure de ses droits et obligations.

IV) La formalisation du partage amiable

Le partage, processus destiné à mettre fin à l’indivision, se situe au carrefour de la volonté des parties et des exigences légales. La formalisation de cet acte revêt des contours variables, selon qu’elle concerne la validité intrinsèque du partage ou simplement sa preuve.

A) Les exigences de forme ad validitatem

La question des formes à respecter pour la validité du partage appelle à distinguer selon que le bien objet du partage est soumis ou non à une obligation de publicité foncière.

1. Indivision ne comprenant pas de biens soumis à publicité foncière

L’article 835, alinéa 1er, du Code civil, dans une formulation limpide et respectueuse de la liberté contractuelle, énonce que le partage amiable peut être conclu « dans la forme et selon les modalités choisies par les parties ». En instituant le principe du consensualisme, ce texte met en lumière l’importance primordiale de l’accord des copartageants, lesquels sont libres de façonner les contours de leur convention.

Le consensualisme, dans ce contexte, signifie que les parties ne sont soumises à aucune contrainte légale quant à la forme que doit revêtir leur partage. Ce dernier peut ainsi être verbal ou écrit, et, si la voie écrite est retenue, il peut prendre la forme d’un acte notarié ou sous seing privé. La doctrine, notamment sous la plume de Michel Grimaldi, souligne cette liberté exceptionnelle, rappelant que l’écrit, lorsqu’il existe, n’a pas nécessairement à être solennel pour conférer validité au partage[2].

Toutefois, si cette souplesse semble a priori un gage de simplicité, elle ne saurait occulter les risques inhérents à l’absence de formalisme.

Le partage verbal, bien que juridiquement valable, a suscité par le passé de vives controverses doctrinales et jurisprudentielles. Certaines juridictions, au XIXe siècle, rejetaient catégoriquement sa validité, arguant que seul un écrit pouvait constituer un acte de partage au sens de l’article 816 du Code civil. Cette interprétation formaliste a été écartée par la Cour de cassation, qui, dans un arrêt de principe rendu le 21 janvier 1867, a affirmé la validité d’un partage verbal, reconnaissant que l’expression « acte de partage » devait s’entendre dans son sens substantiel et non formel (Cass. req., 21 janv. 1867).

Néanmoins, cette reconnaissance de la validité du partage verbal ne dispense pas les parties d’une prudence certaine. Le partage verbal présente un inconvénient majeur : celui de la preuve. En l’absence d’un écrit, les copartageants, confrontés à un désaccord ultérieur, devront se tourner vers les règles du droit commun de la preuve, prévues par les articles 1353 et suivants du Code civil. Ces règles imposent notamment, pour les biens d’une valeur excédant 1 500 euros, la production d’un écrit probant (art. 1359 C. civ.), sauf impossibilité matérielle ou morale de s’en procurer un, ou en cas de commencement de preuve par écrit corroboré par d’autres éléments (art. 1360 et 1361 C. civ.).

Dans un esprit de prévoyance, les copartageants opteront souvent pour un partage écrit. Cette formalisation leur offre une preuve préconstituée et, par conséquent, une sécurité juridique accrue. L’établissement de cet écrit peut résulter de divers supports : un simple compte de répartition établi par un notaire, pourvu qu’il soit signé et mentionne l’accord des parties, peut suffire à établir un partage (Cass. 1re civ., 24 févr. 2016, n° 15-13.758). En outre, plusieurs documents distincts, pris ensemble, peuvent également constituer un écrit valable dès lors qu’ils témoignent de manière concordante de l’accord des parties (Cass. 1re civ., 27 févr. 1952).

Pour prévenir tout litige et renforcer la sécurité juridique, il est fortement conseillé d’établir un écrit détaillant les modalités du partage et exprimant clairement l’accord des copartageants. Même lorsque les parties s’accordent sur un partage verbal, il peut être opportun d’obtenir des éléments matériels, tels qu’un commencement de preuve par écrit, pour corroborer leur entente en cas de contestation ultérieure. Enfin, en présence de biens mobiliers d’importance ou d’une indivision complexe, le recours à un acte notarié demeure une solution prudente, bien que facultative.

2. Indivision comprenant des biens soumis à publicité foncière

L’article 835, alinéa 2, du Code civil assortit le principe du consensualisme en matière de partage amiable d’un tempérament lorsqu’il s’agit de biens soumis à publicité foncière. Il impose, dans ce cas, que l’acte de partage soit établi par acte notarié. Toutefois, cette exigence, loin de déroger au principe, poursuit un objectif spécifique : celui de permettre la publicité de l’acte et, ainsi, d’assurer son opposabilité aux tiers.

==>L’exigence de l’acte notarié ad publicatem

Contrairement à ce que pourrait laisser penser une lecture superficielle du texte, l’obligation de recourir à un notaire n’a pas pour finalité de conférer une validité intrinsèque à l’acte. La Cour de cassation, dans un arrêt de principe du 24 octobre 2012, a, en effet, précisé que cette formalité, imposée par l’article 835, al. 2, du Code civil, vise uniquement à garantir l’effectivité de la publicité obligatoire dans les services de publicité foncière, et non à conditionner la validité du partage (Cass. 1re civ., 24 oct. 2012, n° 11-19.855). Ainsi, un acte sous seing privé, voire un partage verbal, reste pleinement valable entre les parties, mais il ne pourra être opposé aux tiers qu’après avoir été authentifié et publié.

Cette interprétation est également soutenue par les travaux parlementaires ayant accompagné la réforme des successions et des libéralités de 2006, lesquels précisent que la formalité notariée requise pour les biens soumis à publicité foncière découle de l’article 4 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, qui impose la forme authentique pour tout acte sujet à publication.

En pratique, le recours à un acte notarié dès l’origine est souvent privilégié pour des raisons de simplicité et de sécurité. Le notaire, par son expertise, garantit non seulement la conformité de l’acte au regard des règles de publicité foncière mais aussi sa solidité juridique, réduisant ainsi les risques de contestation ultérieure.

Cependant, il convient de rappeler que cette formalité peut engendrer des coûts supplémentaires, notamment en raison des émoluments notariaux et des droits d’enregistrement. Il appartient donc aux copartageants de peser les avantages d’une publicité immédiate contre les contraintes financières qu’elle impose.

Enfin, il peut être observé que, dans certains cas, lorsqu’un partage sous seing privé n’a pas été authentifié pour permettre sa publication, les parties peuvent demander son authentification judiciaire. Cette procédure, reconnue par la doctrine et confirmée par les conservateurs des hypothèques, permet de déposer l’acte privé au rang des minutes d’un notaire, éventuellement accompagné d’une déclaration unilatérale de volonté par l’un des indivisaires souhaitant obtenir la publication (Décret n°55-22 du 4 janvier 1955, art. 37, al. 2). Ce mécanisme offre une alternative pratique aux situations où l’un des copartageants refuserait de réitérer son consentement en la forme authentique.

==>Opposabilité aux tiers

Le partage, en matière d’indivision comprenant des biens immobiliers, a un effet déclaratif : il ne crée pas de droits nouveaux mais consacre la répartition des droits préexistants entre les indivisaires. La publicité foncière, rendue nécessaire par l’article 835, al. 2, vient renforcer cet effet en rendant opposables aux tiers les attributions opérées dans le cadre du partage. Toutefois, comme le souligne la jurisprudence, l’absence de publication ne rend pas l’acte inopposable aux tiers par principe ; elle ouvre seulement droit à des dommages et intérêts si un tiers subit un préjudice du fait de cette omission (Cass. 1ère civ., 7 nov. 1984, n°83-13.643).

Cela signifie qu’un partage non publié demeure valable et opposable aux tiers dans la mesure où ces derniers n’ont pas à s’en plaindre. Cette solution, pragmatique, distingue le partage des actes translatifs de propriété qui, eux, ne peuvent produire aucun effet vis-à-vis des tiers sans publicité (Décret n°55-22 du 4 janvier 1955, art. 30).

B) Les exigences de forme ad probationem

Le partage amiable, fruit de la volonté unanime des indivisaires, se présente comme une convention librement négociée. Cependant, cette liberté, tout en permettant une grande souplesse dans les formes, appelle à une organisation précise lorsque se pose la question de la preuve. Car, en l’absence de formalités établies, la clarté de l’accord peut se trouver compromise, exposant les parties à des litiges prolongés.

Le partage amiable, comme tout acte juridique, obéit au droit commun de la preuve. Si l’accord peut être verbal ou écrit, il n’en reste pas moins que l’absence d’écrit fragilise sa preuve. Les décisions jurisprudentielles rappellent avec constance qu’un partage verbal est valide, mais qu’il expose les indivisaires à des difficultés sérieuses de preuve (Cass. 1re civ., 29 avr. 1968).

Lorsque le partage concerne des biens d’une valeur n’excédant pas 1 500 euros, la preuve est libre : témoignages, présomptions et indices suffisent à établir la réalité de l’accord (art. 1358 C. civ.). Au-delà de ce seuil, la loi impose un écrit, sous seing privé ou authentique, pour garantir la sécurité des conventions et préserver la stabilité des relations entre les indivisaires (art. 1359 C. civ.).

Toutefois, le législateur, attentif aux circonstances exceptionnelles, a prévu des tempéraments à cette exigence. Ainsi, lorsque l’écrit ne peut être produit en raison d’une impossibilité matérielle ou morale, ou lorsqu’il a été détruit par un cas de force majeure, il est permis de prouver le partage par tout moyen (art. 1360 C. civ.). De même, un commencement de preuve par écrit, corroboré par d’autres éléments, peut suppléer à l’absence d’un acte écrit (art. 1361 et 1362 C. civ.).

En l’absence d’écrit, d’autres moyens, tels que l’aveu judiciaire ou le serment décisoire, conservent leur pleine efficacité pour établir la preuve. Ces procédés, bien qu’exceptionnels, demeurent des instruments de droit commun permettant de trancher les différends dans les cas les plus complexes (art. 1361 C. civ.).

Enfin, l’acte notarié, par sa force probante et sa conformité aux exigences de publicité foncière, constitue le mode de preuve par excellence. Même lorsqu’il est affecté d’un vice de forme, il peut valoir comme acte sous seing privé, conservant ainsi sa portée probatoire (Cass. 1re civ., 11 juill. 1955).

Ainsi, bien que la liberté probatoire reste la règle, il est toujours prudent d’établir un écrit, seul capable de protéger les parties contre les incertitudes et les litiges futurs. L’écrit, sous seing privé ou authentique, demeure le gage de sécurité et de stabilité des accords conclus.

 

  1. A. Delfosse et J.-L. F. Peniguel, La réforme des successions et libéralités, éd. LexisNexis, 2006 ?
  2. M. Grimaldi, Droit des successions, LexisNexis, 7e éd., 2017, n° 952 ?

Les modes de partage: principes généraux

Le partage peut s’opérer selon deux modalités distinctes : amiable ou judiciaire. Lorsque les indivisaires parviennent à s’accorder sur la répartition des biens, le partage amiable s’impose naturellement, privilégiant la souplesse, la rapidité et la maîtrise des coûts. Il repose sur le principe du consensualisme et permet aux parties de définir librement les modalités du partage, sous réserve du respect des règles de forme imposées par la nature des biens. Toutefois, lorsque l’unanimité fait défaut, qu’un indivisaire est empêché de consentir ou que des désaccords persistent quant à la composition des lots ou à la valeur des biens, le partage judiciaire devient inévitable. Placée sous le contrôle du juge, cette voie contentieuse assure l’équité entre les parties, mais au prix d’une procédure souvent longue et coûteuse. En tout état de cause, la loi privilégie le partage amiable, considérant le recours au juge comme une solution subsidiaire, réservée aux situations de blocage ou de conflit avéré.

I) Les variétés de modes de partage

Le partage, acte par lequel l’indivision prend fin pour attribuer à chaque indivisaire des droits exclusifs sur les biens concernés, constitue une étape essentielle en vue de liquider une succession, un régime matrimonial ou encore l’actif d’une personne morale.

Ce processus, destiné à mettre un terme à la copropriété indivise, peut être réalisé selon deux modes distincts : le partage amiable et le partage judiciaire. Ces deux formes traduisent des philosophies différentes, l’une valorisant le consensualisme, l’autre imposant l’intervention de l’autorité judiciaire.

==>Le partage amiable

Le partage amiable, favorisé par le législateur, repose sur l’accord unanime des indivisaires quant aux modalités de répartition des biens indivis. En vertu de l’article 835 du Code civil, dès lors que tous les indivisaires sont présents et capables, le partage peut intervenir dans les formes et selon les modalités librement définies par les parties. Il peut être formalisé par un acte sous seing privé ou un acte notarié, ce dernier étant obligatoire en présence de biens immobiliers pour garantir leur publicité foncière.

Ce mode de partage illustre la prééminence du consensualisme en présence d’une situation d’indivision. Sa rapidité, son faible coût et sa souplesse en font la solution privilégiée, particulièrement encouragée depuis la réforme de 2006. Même en cas de difficultés – présence d’un indivisaire protégé, présumé absent ou défaillant – des mécanismes spécifiques permettent de préserver le recours au partage amiable, moyennant autorisation ou représentation.

==>Le partage judiciaire

Lorsque l’accord entre les indivisaires fait défaut, que des désaccords surgissent sur la composition des lots ou que des indivisaires sont dans l’incapacité de consentir, le partage judiciaire s’impose comme une alternative incontournable. Encadré par l’article 840 du Code civil, ce mode de partage offre une solution dans les situations de blocage. La procédure, régie par les articles 1359 à 1378 du Code de procédure civile, implique la saisine du Tribunal judiciaire, lequel désignera alors un notaire liquidateur chargé de conduire les opérations de partage.

Le partage judiciaire est une procédure souvent longue et coûteuse, comprenant plusieurs étapes : l’établissement de l’état liquidatif, l’homologation des lots par le juge, et, en cas de désaccord persistant, le recours au tirage au sort ou à la licitation. Toutefois, cette procédure garantit l’équité entre les indivisaires et permet de trancher les litiges, assurant ainsi une répartition conforme à leurs droits respectifs.

Au bilan, Ces deux modes de partage traduisent un équilibre recherché par le législateur entre l’autonomie des parties et l’intervention de l’autorité judiciaire. Alors que le partage amiable favorise la liberté contractuelle et la rapidité, le partage judiciaire, bien qu’exceptionnel, demeure une garantie essentielle dans les situations conflictuelles. Il est d’ailleurs toujours possible pour les indivisaires, même après l’engagement d’une procédure judiciaire, de revenir à un partage amiable, conformément à l’article 842 du Code civil.

En définitive, cette dualité des modes de partage permet d’offrir une solution adaptée à chaque situation, conciliant souplesse, efficacité et respect des droits de chacun.

II) La détermination du mode de partage

Le partage des biens indivis constitue une étape décisive pour mettre fin à l’indivision, qu’elle résulte d’une succession, d’une séparation ou de toute autre situation juridique. Ce processus, bien que fondé sur le principe de la liberté contractuelle, est encadré par des règles destinées à garantir à la fois la protection des intérêts de chaque indivisaire et l’efficacité des opérations.

Le législateur, conscient des enjeux souvent émotionnels et financiers qui entourent le partage, privilégie le partage amiable comme mode principal. Cette voie consensuelle repose sur l’autonomie des indivisaires et leur capacité à s’accorder sur les modalités de répartition des biens. Toutefois, lorsque le consensus devient impossible ou que des circonstances particulières l’imposent, le partage judiciaire intervient en tant que solution subsidiaire, encadrée par des règles strictes pour préserver l’équité et la sécurité juridique.

A) Le partage amiable comme principe

Le partage amiable s’impose aujourd’hui comme la voie privilégiée pour mettre un terme à l’indivision. Il incarne l’autonomie des indivisaires et offre des avantages indéniables, alliant souplesse, efficacité et maîtrise des coûts.

Aux termes de l’article 835 du Code civil, le partage amiable repose sur la capacité juridique des indivisaires et leur présence effective, ou à défaut, leur représentation légale. Ce mécanisme exige également l’unanimité des parties, condition essentielle à sa mise en œuvre. En effet, les indivisaires doivent non seulement être capables de consentir au partage, mais également s’accorder sur les modalités du partage, qu’il s’agisse de l’évaluation des biens, de leur répartition ou de toute autre disposition.

La liberté qui caractérise le partage amiable permet aux indivisaires de personnaliser leurs accords, tout en respectant les exigences formelles imposées par la nature des biens. Par exemple, lorsque le partage porte sur des biens immobiliers, un acte notarié est requis conformément aux dispositions du décret du 4 janvier 1955, qui impose la publication foncière pour garantir la validité et l’opposabilité du partage.

La souplesse du partage amiable est tempérée par la nécessité de protéger les intérêts des indivisaires juridiquement incapables, tels que les mineurs ou les majeurs sous tutelle, ainsi que ceux des indivisaires absents. Dans de telles hypothèses, le législateur a prévu des mécanismes spécifiques visant à concilier la possibilité d’un partage amiable avec la protection des personnes vulnérables. L’article 836 du Code civil autorise ainsi un partage amiable sous réserve d’une autorisation préalable délivrée par le juge des tutelles ou, dans certains cas, par le conseil de famille.

Cette autorisation est essentielle pour garantir que les droits des indivisaires protégés soient scrupuleusement respectés. Le juge des tutelles ou le conseil de famille examine les modalités du partage, s’assurant notamment que l’état liquidatif ne lèse pas les intérêts des parties vulnérables. Ces mécanismes d’encadrement permettent de maintenir le principe du partage amiable, même lorsque tous les indivisaires ne peuvent y consentir directement.

Bien que le législateur encourage vivement le partage amiable, certaines situations peuvent rendre ce mode de règlement inapplicable. En cas de désaccord entre les indivisaires, sur les modalités du partage ou sur l’approbation de l’état liquidatif, l’unanimité requise fait défaut. De même, si le juge des tutelles refuse d’accorder l’autorisation nécessaire ou si les parties ne parviennent pas à un compromis, le partage amiable devient impraticable.

Dans ces cas, le recours au partage judiciaire s’impose. Ce mode, bien que subsidiaire, est encadré par des règles précises visant à garantir l’équité entre les parties. Toutefois, il s’accompagne de contraintes procédurales et économiques non négligeables : la demande en justice, l’intervention d’experts pour l’établissement de l’état liquidatif, les débats contradictoires et l’homologation par le tribunal engendrent des coûts et des délais significatifs. Ces inconvénients soulignent l’importance de privilégier le partage amiable chaque fois que cela est possible.

Le législateur, conscient des avantages du partage amiable, en fait aujourd’hui le principe, réservant le partage judiciaire aux situations où aucun autre moyen ne permet de mettre un terme à l’indivision. Cette promotion s’inscrit dans une logique de pacification des relations entre indivisaires, en encourageant la coopération et en limitant les conflits. Ainsi, même dans les cas complexes impliquant des personnes protégées ou absentes, le partage amiable demeure accessible, sous réserve de certaines adaptations procédurales.

B) Le partage judiciaire comme exception

Bien que le partage amiable constitue la règle, il arrive que les circonstances exigent une intervention judiciaire pour mettre fin à l’indivision. Dans de tels cas, le partage judiciaire, prévu par l’article 840 du Code civil, s’impose à titre subsidiaire, offrant une solution équitable lorsque le consensus des indivisaires est impossible ou inapproprié.

Lorsque l’unanimité fait défaut, le partage amiable ne peut prospérer. En cas de désaccord persistant entre les indivisaires, qu’il s’agisse de la répartition des biens, de leur évaluation ou des modalités de tirage au sort, le recours au juge devient inévitable. Cette intervention garantit que les opérations de partage se déroulent dans des conditions équitables pour tous.

De même, l’inertie ou le désintérêt volontaire d’un indivisaire peut également rendre nécessaire cette voie contentieuse. Dans de telles hypothèses, l’article 837 du Code civil impose qu’une mise en demeure soit préalablement adressée à l’indivisaire défaillant. Si ce dernier persiste dans son silence, le tribunal peut désigner un mandataire chargé de le représenter, mais le caractère judiciaire de la procédure demeure prédominant.

Certains biens indivis, en raison de leur complexité ou de leur nature particulière, requièrent l’intervention du juge pour que leur partage soit réalisé dans des conditions adéquates. Tel est le cas des biens immobiliers complexes ou indivisibles, lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’accorder sur leur valeur ou leur division matérielle. Dans de telles situations, la juridiction saisie peut ordonner une expertise ou, en dernier ressort, une vente judiciaire sous forme de licitation. De même, les biens grevés de droits spécifiques, tels que les sûretés réelles ou les mesures conservatoires, requièrent souvent une intervention judiciaire afin de lever les incertitudes juridiques et de permettre une répartition équitable.

La procédure de partage judiciaire se distingue par sa rigueur et son formalisme. Elle comprend des étapes bien définies, à commencer par la saisine du tribunal. Sous la direction d’un notaire désigné, un état liquidatif est établi, décrivant en détail la répartition projetée des biens. Cet état est ensuite soumis à l’homologation judiciaire, qui en garantit la conformité et la légalité. Enfin, dans les cas où la répartition ne peut être déterminée par un accord entre les parties, le tirage au sort des lots assure une allocation impartiale des biens. Bien que cette procédure puisse sembler contraignante, elle demeure essentielle pour préserver l’équité, notamment lorsque les relations entre les indivisaires sont conflictuelles ou que la nature des biens le requiert.

Malgré son importance dans les situations les plus complexes, le partage judiciaire reste une solution ultime et résiduelle. Le législateur, soucieux de promouvoir des solutions consensuelles, encourage une transition vers le partage amiable, même lorsqu’une procédure judiciaire est en cours. L’article 842 du Code civil permet ainsi aux parties, à tout moment, d’abandonner les voies judiciaires pour conclure un partage amiable, sous réserve d’un accord unanime. Cette disposition illustre la volonté de privilégier, autant que possible, une résolution autonome et harmonieuse des différends entre indivisaires.

Preuve des actes juridiques: le commencement de preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

Nous nous focaliserons ici sur le commencement de preuve par écrit.

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1347 du Code civil prévoyait que l’exigence de préconstitution d’un écrit pour la preuve des actes juridiques reçoit « exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit ».

Le commencement de preuve par écrit est ainsi passé du statut d’exception à l’exigence de preuve littérale au statut de mode de preuve pouvant suppléer l’écrit.

Ce changement d’approche opéré par le législateur en 2016 n’est pas sans interroger.

Pourquoi, en effet, mettre le commencement de preuve par écrit sur le même plan que l’aveu judiciaire et le serment décisoire alors que, contrairement à ces deux derniers, il n’appartient pas à la catégorie des modes de preuve parfaits ?

Pour mémoire, les modes de preuve parfaits présentent la particularité d’être admis en toutes matières et, surtout, de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

Dans l’affirmative, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait ou de l’acte allégué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

Le commencement de preuve par écrit, quant à lui, ne s’impose pas au juge. Il est de jurisprudence constante que l’autre moyen de preuve devant corroborer le commencement de preuve par écrit est soumis à l’appréciation souveraine du juge.

C’est pour cette raison que le commencement de preuve par écrit ne s’analyse pas en un mode de preuve parfait.

Comme énoncé par l’article 1361 du Code civil cela ne l’empêche pas, pour autant, d’être un mode de preuve reconnu comme l’équivalent d’un écrit lorsqu’il est corroboré par un autre moyen de preuve.

Pour faire la preuve d’un acte juridique, le commencement de preuve par écrit doit donc remplir deux conditions :

  • Répondre à la définition prévue par la loi
  • Être corroboré par un autre moyen de preuve

Ce n’est que lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que l’exigence de preuve littérale pourra être écartée.

1. La notion de commencement de preuve par écrit

Parce que le commencement de preuve par écrit a été instrumenté par la jurisprudence comme un moyen d’atténuer l’exigence – parfois difficilement surmontable – de la production d’un écrit pour la preuve des actes juridiques, elle s’est employée, dès le XIXe siècle à élargir les contours de la notion.

Les juridictions ont notamment admis dans son périmètre, un certain nombre d’éléments de preuve qu’elles ont considérés comme valant commencement de preuve par écrit.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve, la Cour de cassation a consacré cette extension de la notion de commencement de preuve par écrit au-delà de ses frontières originelles.

a. Les éléments constitutifs de la notion de commencement par écrit

L’article 1362 du Code civil définit le commencement de preuve par écrit comme « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il s’agit là d’une reprise sensiblement dans les mêmes termes de la définition qui était énoncée par l’ancien article 1348 du Code civil. Le législateur n’a pas innové sur ce point. Il a préféré ne pas bouleverser l’économie générale de la notion.

Aussi, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

i. Un écrit

Comme suggéré par son appellation, un commencement de preuve par écrit consiste, avant toute chose, en un écrit.

Plus précisément, l’article 1362 du Code civil énonce qu’il peut s’agir de « tout écrit ».

Par cette formulation, il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire que l’écrit versé aux débats soit un acte sous seing privé ou un acte authentique.

Et pour cause, un commencement de preuve par écrit a précisément vocation à être produit pour le cas où le demandeur n’est pas en mesure de fournir un écrit au sens des articles 1364 et suivants du Code civil.

Exiger qu’un commencement de preuve par écrit présente les mêmes attributs que la preuve littérale, reviendrait à vider le dispositif institué par le législateur de tout son intérêt.

C’est ce qui a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 janvier 1971 aux termes duquel elle a reproché aux juges du fond d’avoir ajouté une condition à la loi en exigeant que l’écrit produit par l’un des plaideurs soit signé – et donc remplisse les conditions d’un acte sous seing privé – pour valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1971, n°69-13.273).

Aussi, est-il admis de voir dans toute forme de document écrit un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il ne s’agisse, ni d’un acte sous seing privé, ni d’un acte authentique.

Classiquement, on recense trois catégories d’écrits susceptibles de répondre à la qualification de commencement de preuve par écrit :

α: Les écrits irréguliers

Le plus souvent, la reconnaissance du statut de commencement de preuve par écrit à un document résultera de la requalification d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique frappé d’une irrégularité.

Tel serait le cas d’un acte sous seing privé qui ne comporterait pas l’une des mentions énoncées par l’ancien article 1326 du Code civil, devenu l’article 1376.

Dans un arrêt du 21 mars 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’absence d’indication du montant de l’engagement unilatéral souscrit en chiffres affectait l’acte de telle sorte qu’il « ne pouvait constituer qu’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 2006, n°04-18.673).

Dans un arrêt du 15 octobre 1991, elle a encore décidé que « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

L’oubli de la mention indiquant le nombre d’originaux établis par les parties est également de nature à faire requalifier l’acte en commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013, n°11-24.453).

Il en va de même dans l’hypothèse où l’acte n’a pas été rédigé en autant d’originaux qu’il y a de parties, comme exigé par l’article 1375 du Code civil (Cass. com., 5 nov. 1962).

La Cour de cassation a encore estimé que pouvait valoir commencement de preuve par écrit un procès-verbal constatant un accord ne comportant pas la signature des parties (Cass. com. 20 janv. 1965, n°62-11.990).

La Cour de cassation a retenu la même solution pour un acte authentique qui, à encore, n’avait pas été signé par les parties (Cass. 1ère civ. 28 oct. 2003, n°01-02.654).

La première chambre civile a également admis qu’une reconnaissance de dette dont la signature avait été raturée pouvait valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 16 juin 1993, n°91-20.105).

On peut encore citer les lettres missives auxquelles il a toujours été reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit pourvu qu’elles rendent vraisemblable l’existence de l’acte juridique litigieux (Cass. 1ère civ. 20 avr. 1983, n°82-150).

Dans un arrêt récent rendu le 24 janvier 2018, la Chambre commerciale a ainsi admis qu’une lettre aux termes de laquelle la banque reconnaissait avoir retrouvé le double du bordereau d’une remise de fonds, valait commencement de preuve par écrit du dépôt de la somme d’argent réalisé par un client (Cass. com. 24 janv. 2018, n°16-19.866).

β: Les écrits réguliers ne permettant pas d’identifier avec certitude l’acte litigieux

Autre typologie d’écrit susceptibles de valoir commencement de preuve par écrit, ceux qui ne sont frappés d’aucune irrégularité, mais qui ne permettent pas d’identifier avec suffisamment de certitude l’acte juridique auquel ils se rapportent.

Il en va ainsi d’un chèque rejeté pour absence de provision (Cass. com. 5 févr. 1991, n°89-16.333).

Il pourra également s’agir d’ordres de virement mentionnant le motif de l’opération (Cass. 1ère civ. 25 juin 2008, n°07-12.545).

γ: Les copies d’actes sous signature privée

==>Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la jurisprudence admettait qu’une copie puisse valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-14.370).

Elle subordonnait toutefois la reconnaissance de cette valeur probatoire à l’absence de contestation de la copie produite aux débats.

La Cour de cassation a, par exemple, statué en ce sens un arrêt du 14 février 1995 s’agissant de la photocopie d’une reconnaissance de dette signée par le débiteur « qui ne contestait ni l’existence de l’acte ni la conformité de la photocopie à l’original, selon lui détruit » (Cass.1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Elle a retenu la même solution pour des copies certifiées conformes dans un arrêt du 13 décembre 2005 aux termes duquel elle a jugé que « les copies d’actes sous seing privé même certifiées conformes qui n’ont par elles-mêmes aucune valeur juridique dès lors que l’existence de l’original est déniée, ne peuvent valoir comme commencement de preuve » (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-14.229).

La Haute juridiction considérait ainsi que, lorsque la copie produite aux débats était contestée par le défendeur, elle devait être purement et simplement écartée des débats (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).

Cette position se fondait sur l’ancien article 1334 du Code civil qui prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »

Si cette disposition admettait qu’une copie puisse être produite en justice aux fins de prouver un acte juridique, la partie adverse pouvait néanmoins toujours exiger la production de l’original.

Il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence que la force probante d’une copie était subordonnée à l’existence de l’écrit original.

Lorsque cette condition était remplie la copie pouvait alors faire foi au même titre que l’original (Cass. req. 16 févr. 1926). La copie était ainsi dépourvue de toute valeur juridique autonome.

S’agissant des photocopies, compte tenu de ce qu’elles ne sont pas revêtues de la signature originale des parties, elles ne pouvaient valoir que commencement de preuve par écrit.

Reste que pour se voir reconnu cette valeur probatoire, aucune contestation ne devait être élevée par le défendeur.

En réaction à cette jurisprudence qui subordonnait la reconnaissance d’une valeur probatoire aux copies à l’absence de contestation, ce, alors même que les techniques de reproduction étaient de plus en plus fiables, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne.

C’est ce qu’il a fait en adoptant la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 laquelle a introduit un article 1348, al. 2e dans le Code civil qui a renforcé la valeur juridique des copies en leur conférant une force probante autonome.

Ce texte prévoyait, en effet, que « lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable », cette copie était admise pour faire la preuve d’un acte juridique par exception à l’exigence de la preuve par écrit.

Aussi, désormais une copie pouvait-elle faire foi nonobstant la disparition de l’original dont sa persistance n’était donc plus une exigence absolue.

Pour que la copie puisse toutefois être pourvue d’une force probante autonome, soit pour le cas où l’original n’existerait plus ou ne pouvait pas être produit, encore fallait-il que soient démontrées la fidélité de la reproduction et la durabilité du support utilisé.

À cet égard, le texte précisait que « est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »

Bien que cette précision renseignât sur ce qu’il fallait entendre par une copie « durable », cela était loin d’être suffisant pour déterminer quelles étaient les copies qui répondaient aux conditions de reproduction énoncée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Rapidement la question s’est alors posée en jurisprudence de savoir si les photocopies remplissaient la condition de fiabilité exigée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 25 juin 1996, elle a jugé que cette technique pouvait être admise au rang des procédés permettant l’obtention d’une « reproduction fidèle et durable ».

Elle en déduisit que la photocopie qui était produite aux débats « ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, mais faisait pleinement la preuve de l’existence » de l’acte juridique dont l’existence était contestée au cas particulier (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, n°94-11.745).

Dans cette décision, la haute juridiction reconnaissait ainsi à la photocopie la valeur d’une preuve complète, puisque n’exigeant pas qu’elle soit corroborée, comme c’est le cas pour un commencement de preuve par écrit, par des éléments probatoires extrinsèques, tels que des témoignages ou des présomptions.

Bien qu’il puisse être porté au crédit de la loi du 12 juillet 1980 d’avoir été le premier texte à reconnaître à la copie d’un écrit une valeur probatoire indépendante de l’original, le dispositif, tel que prévu par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil, souffrait de deux carences principales.

  • Première carenceLa règle renforçant la force probante de la copie était logée dans un article relevant de la preuve testimoniale. Or le régime des copies intéresse la preuve littérale.
    • Ce problème de méthode quant à la localisation de la règle dans le corpus textuel du droit de la preuve était de nature à flouer la portée qu’il y avait lieu de donner au dispositif mis en place.
  • Seconde carenceL’autonomie probatoire conférée à la copie résultait non pas d’une exception à l’absence de principe de force probante des copies, mais d’une exception à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques, ce qui, de l’avis des auteurs, n’était pas très cohérent

Pour ces deux raisons, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne à nouveau afin de clarifier le régime juridique des copies.

==>Droit positif

Le législateur s’est attelé à la tâche de réformer le régime juridique des copies à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur justifie cette réforme en avançant que :

  • D’une part, sous l’empire de l’ancienne loi du 12 juillet 1980, le Code civil ne disposait d’aucun régime unifié et cohérent de la copie
  • D’autre part, que l’évolution des technologies implique une conception plus large de l’écrit qui ne se matérialise plus nécessairement sur papier, et consécutivement une multiplication des techniques de reproduction, raison pour laquelle le régime juridique de la copie doit être revu

C’est sur la base de ces deux constats que le législateur a donc façonné un nouveau régime de la copie qui a désormais pour siège le nouvel article 1379 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original. »

Il s’évince de cette disposition un principe général d’équivalence entre la copie dite fiable et l’original.

Surtout, et c’est là une rupture avec l’ancien article 1334 du Code civil, cette équivalence opère peu important que l’original subsiste ou pas, et peu important l’origine.

Autrement dit, il est indifférent que l’original ait disparu ou que son détenteur soit dans l’incapacité de le produire ; la copie possède la même valeur probatoire que l’original pourvu qu’elle soit fiable.

À l’analyse, en énonçant un principe général d’équivalence entre les deux types d’écrits, le législateur confirme l’autonomie probatoire qu’il avait entendu conférer à la copie à l’occasion de l’adoption de la loi du 12 juillet 1980.

Aussi, désormais, la force probante d’une copie tient, non plus à la persistance de l’original mais à sa fiabilité :

  • La force probante de la copie fiableEn application de l’article 1379, al. 1er du Code civil, elle possède la même valeur que l’original.
    • Cela signifie que :
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte authentique, la copie « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte sous seing privé, la copie fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire.
  • La force probante de la copie non fiableL’article 1379 du Code civil est silencieux sur la force probante de la copie dont la fiabilité ne serait pas reconnue.
    • Est-ce à dire qu’elle ne serait pourvue d’aucune valeur probatoire ?
    • Pour le déterminer il convient de se reporter au troisième alinéa de l’article 1379 qui fournit un indice.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
    • Il convient tout d’abord d’observer que cette exigence est a priori inapplicable à la copie fiable.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 indique en ce sens que « si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie. »
    • Il faut comprendre ici, s’agissant de la copie fiable, que la disparition de l’original est sans incidence sur sa force probante.
    • En revanche, pour les copies qui ne répondent pas à l’exigence de fiabilité, l’article 1379, al. 3e suggère que leur force probante est subordonnée à la subsistance de l’original.
    • On retrouve là, manifestement, la règle énoncée par l’ancien article 1334 du Code civil qui, pour mémoire, prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
    • Cette règle n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour le cas où la copie produite aux débats est contestée par la partie adverse.
    • Dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune discussion, il devrait être admis qu’elle puisse faire foi conformément à ce qui avait été décidé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).

ii. Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente

Un écrit ne peut donc être qualifié de commencement de preuve par écrit qu’à la condition qu’il émane de la personne à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 11 avril 1995, la Cour de cassation a rappelé cette exigence en énonçant, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil devenu l’article 1362, que « pour valoir commencement de preuve, l’écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s’en prévaut » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.246 ; V. également dans le même sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2012, n°11-25.900).

Cette règle n’est autre qu’une déclinaison du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » désormais énoncé à l’article 1363 du Code civil.

Aussi, dans l’hypothèse où l’écrit produit émanerait de celui-là même qui l’a établi ne saurait se voir reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 10 juill. 2002, n°99-15.430).

Par extension, l’article 1362 du Code civil admet que le commencement de preuve par écrit puisse émaner du représentant de la partie contre laquelle il est produit.

Dans un arrêt du 28 juin 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « le commencement de preuve par écrit peut émaner du mandataire de celui à qui on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 28 juin 1989, n°86-19.012).

La solution est logique en ce que la représentation d’une personne consiste en l’accomplissement d’actes au nom et pour le compte de cette personne, de telle sorte que les actes sont réputés avoir été passés par cette dernière.

Aussi, est-il logique d’admettre que l’écrit émanant du représentant soit pourvu de la même valeur que celui établi par le représenté lui-même.

En revanche, le commencement de preuve par écrit ne saurait émaner d’un tiers.

Dans un arrêt du 25 novembre 2023 la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit à des documents qui avaient été établis par des tiers et non par des personnes auxquelles ils étaient opposés (Cass. 1ère civ., 25 nov. 2003, n° 00-22.577).

Par exception, il est admis qu’un écrit émanant d’un tiers puisse valoir commencement de preuve par écrit lorsqu’il a été approuvé par la partie à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 20 janvier 2004, la Cour de cassation a reconnu la qualification de commencement de preuve par écrit à une demande de permis de construire qui n’émanait pas du défendeur, au cas particulier un architecte auquel les demandeurs réclamaient la restitution d’acomptes et d’honoraires versés.

Ce document comportait toutefois le nom et la signature de l’architecte, ce qui suffisait, pour la Troisième chambre civile, à lui conférer la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 20 janv. 2004, n°02-12.674).

La Cour de cassation est allée encore plus loin en admettant, dans des arrêts anciens, qu’un écrit puisse valoir commencement de preuve par écrit, alors même que la partie à laquelle il était opposé n’avait pas participé matériellement à son établissement.

Elle en était, en revanche, l’auteur intellectuel, le tiers n’ayant fait que reporter sur le document litigieux les énonciations qui lui étaient dictées.

Pour le démontrer, il conviendra de prouver que l’écrit ne fait qu’exprimer la volonté de la personne intéressée, ce qui suggère qu’il a été approuvé tacitement par cette dernière (Cass. 3e civ.29 févr. 1972, n°70-13.069).

Cette implication intellectuelle dans la rédaction de l’écrit pourra également se déduire lorsque l’auteur matériel de l’acte indique l’origine des déclarations et justifie d’une qualité qui ne permet pas de mettre en cause son impartialité (Cass. req. 29 avr. 1922 : affaire portant sur un acte d’état civil).

iii. Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

En application de l’article 1362 du Code civil, l’élément de preuve produit aux débats ne pourra endosser la qualification de commencement de preuve par écrit que s’il « rend vraisemblable ce qui est allégué ».

Que faut-il entendre par cette formule ? Des auteurs suggèrent qu’il faut comprendre que « le commencement de preuve par écrit doit être pertinent, approprié au fond de l’affaire, et créer un préjugé en faveur de celui qui l’invoque »[14].

Autrement dit, l’élément de preuve produit doit être suffisamment convaincant et sérieux pour rendre possible et envisageable le fait allégué. La vraisemblance ne saurait résulter d’une simple possibilité ou d’une hypothèse. En somme, il ne doit pas y avoir d’équivoque pour qu’il y ait vraisemblance.

À cet égard, la condition tenant à la vraisemblance du fait allégué est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1970, n°69-10.414 ; Cass. 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-18.787).

Il peut être observé que cette question de l’appréciation de la vraisemblance a fait l’objet d’un contentieux nourri s’agissant des chèques bancaires.

La question s’est notamment posée de savoir si un chèque pouvait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt d’argent pour le montant mentionné sur le chèque.

Dans un premier temps, la Cour de cassation l’a admis pour le cas où le chèque avait été endossé par le débiteur.

Dans un arrêt du 10 mai 1995, elle a jugé en ce sens que « si le chèque ne peut, en tant que tel, valoir commencement de preuve par écrit contre le bénéficiaire, il en est différemment du chèque endossé par celui-ci » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1995, n°93-13.133).

Dans un second temps, elle a retenu la solution inverse, considérant que « l’endossement de chèques démontre seulement la réalité de la remise de fonds » (Cass. 1ère civ. 3 juin 1998, n°96-14.232).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, si un chèque permet bien d’établir la remise de fonds lorsqu’il a été endossé, cette remise ne permet pas d’établir sa cause, à tout le moins avec vraisemblable.

Une remise de fonds peut procéder, tout autant d’une donation que de l’existence d’une créance. C’est la raison pour laquelle un chèque, même endossé, ne saurait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt.

b. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit

Animée par une volonté de faciliter la preuve des actes juridiques, la Cour de cassation a progressivement adopté une approche extensive de la notion de commencement de preuve par écrit, à telle enseigne qu’elle a admis que puissent valoir commencement de preuve par écrit des éléments de preuve qui dérogent :

  • Soit à la condition tenant l’exigence d’un écrit
  • Soit à la condition tenant à l’origine de l’écrit

i. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’exigence d’un écrit

Comme vu précédemment, pour valoir commencement de preuve par écrit, l’élément de preuve produit doit, en principe, consister en un écrit.

L’article 1362 al. 2 du Code civil déroge toutefois à cette exigence en énonçant que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Il s’agit là d’une reprise de l’alinéa 3e de l’ancien article 1347 du Code civil, lequel était issu de la loi n°75-596 du 9 juillet 1975.

Cette loi était venue consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que des déclarations orales puissent valoir commencement de preuve par écrit (Cass. req., 29 avr. 1922).

Toutefois, toutes les déclarations orales ne constituent pas nécessairement des commencements de preuve par écrit.

Le texte précise en effet que sont seules éligibles à cette qualification :

  • les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle
  • Le refus d’une partie de répondre aux questions du juge
  • L’absence de comparution d’une partie

Dans un arrêt du 19 novembre 2002 la Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit à une sommation interpellative qui était pourtant consignée dans un constat d’huissier de justice (Cass. 1ère civ. 19 nov. 2002, n°01-10.169).

À l’analyse, l’article 1362, al. 2e du Code civil n’apporte rien de nouveau au droit positif dans la mesure où il ne fait qu’énoncer une règle qui existe déjà dans le Code de procédure civile et qui a été introduite dans ce code à l’article 198 par une loi du 23 mai 1942.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le juge peut tirer toute conséquence de droit des déclarations des parties, de l’absence ou du refus de répondre de l’une d’elles et en faire état comme équivalent à un commencement de preuve par écrit. »

En tout état de cause, c’est au juge, dit le texte, d’apprécier souverainement s’il y a lieu de considérer comme équivalent à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.

ii. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’origine de l’écrit

Si, en principe, pour valoir commencement de preuve par écrit l’élément de preuve produit doit émaner de la partie à laquelle on l’oppose, l’article 1362, al. 3e du Code civil assortit la règle d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « la mention d’un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public vaut commencement de preuve par écrit. »

La règle déroge ici aux conditions du commencement de preuve par écrit en ce que le registre susceptible d’être produit comme élément de preuve émane d’un tiers (l’autorité publique qui tient le registre) et non de la partie à laquelle il est opposé.

À la différence de la précédente dérogation, cette règle ne figurait pas dans l’ancien article 1347 du Code civil. Il s’agit là d’une création de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Si l’on se réfère au rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, cette création vise à alléger « les conditions dans lesquelles la transcription d’un acte sur les registres publics peut servir de commencement de preuve par écrit. »

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1336 du Code civil prévoyait, pour mémoire, que pour que la transcription d’un acte sur les registres publics puisse servir de commencement de preuve par écrit, il fallait que deux conditions cumulatives soient réunies :

  • Qu’il soit constant que toutes les minutes du notaire, de l’année dans laquelle l’acte paraît avoir été fait, soient perdues, ou que l’on prouve que la perte de la minute de cet acte a été faite par un accident particulier ;
  • Qu’il existe un répertoire en règle du notaire, qui constate que l’acte a été fait à la même date.

Aujourd’hui, ces deux conditions n’ont plus cours. Il suffit que le registre produit soit public pour que les mentions qui y figurent vaillent commencement de preuve par écrit.

2. La corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve

Pour qu’un commencement de preuve par écrit soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Ainsi, un commencement de preuve par écrit ne suffit pas à lui seul à faire la preuve d’un acte juridique. C’est là ce qui le distingue fondamentalement des autres modes de preuve parfaits qui, quant à eux, ne requiert l’addition d’aucun autre moyen de preuve pour que le fait allégué soit réputé établi.

En somme, comme souligné par un auteur « le commencement de preuve par écrit ne prouve pas le fait contesté. Il rend seulement admissible d’autres modes de preuve dans un domaine où, à son défaut, ils auraient été irrecevables »[15].

La Cour de cassation rappelle régulièrement cette impuissance du commencement de preuve par écrit à faire la preuve d’un acte juridique lorsqu’il n’est pas corroboré par un autre moyen de preuve (V. par exemple Cass. com. 31 mai 1994, n°92-10.795 ; Cass. 1ère civ. 28 févr. 1995, n°92-19.097).

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quels sont les « autres moyens de preuve » admis à compléter un commencement de preuve par écrit.

À l’analyse, le moyen de preuve complémentaire produit doit répondre à deux exigences :

  • Consister en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil
  • Présenter un caractère extrinsèque

==>Un mode de preuve reconnu par le Code civil

L’article 1361 du Code civil exige donc que le commencement de preuve par écrit soit complété par un « autre moyen de preuve ».

Par « autre moyen de preuve », il faut comprendre ceux énoncés sous le chapitre consacré aux « différents modes de preuve ».

Pour mémoire, sont reconnus par le Code civil comme mode de preuve pouvant être produit en justice :

  • L’écrit (art. 1363 à 1380 C. civ.)
  • Le témoignage (art. 1382 C. civ.)
  • Les présomptions judiciaires (art. 1381 C. civ.)
  • L’aveu (art. 1383 à 1383-2 C. civ.)
  • Le serment (art. 1384 à 1386-1 C. civ.)

Parmi ces modes de preuves, il y a lieu d’ores et déjà d’exclure ceux qui sont parfaits, compte tenu de ce qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils rendent dès lors inutile le recours au mécanisme du commencement de preuve par écrit pour le plaideur qui serait en mesure de se prévaloir de l’un d’eux, au nombre desquels figurent, pour rappel, l’écrit, l’aveu judiciaire et le serment décisoire.

Il s’en déduit que les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit.

Dès lors que l’un de ces moyens de preuve est produit par le plaideur dans ce cadre, le juge ne saurait subordonner la preuve de l’acte juridique litigieux à la satisfaction d’une autre condition (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a, par ailleurs, rappelé que c’est aux juges du fond qu’il revient d’apprécier « souverainement les éléments invoqués par une partie pour compléter un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 4 oct. 2005, n°02-13.395).

C’est, autrement dit, à lui seul de dire si la condition tenant à l’exigence de corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve est remplie.

À l’inverse, il incombe aux parties de se prévaloir de l’exception tirée d’un commencement de preuve par écrit. Le juge ne dispose pas du pouvoir de relever ce moyen d’office (Cass. 3e civ. 5 juill. 2011, n°08-12.689). Il est seulement tenu de prendre en compte le commencement de preuve par écrit, à tout le moins de vérifier que ses conditions de recevabilité sont satisfaites.

==>Un mode de preuve présentant un caractère extrinsèque

Pour qu’un élément de preuve soit admis à compléter un commencement de preuve par écrit, il ne suffit pas qu’il consiste en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil, il faut encore qu’il présente un caractère extrinsèque.

Cette exigence avait été formulée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016.

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation avait, par exemple, affirmé, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil, que « pour compléter un commencement de preuve par écrit, le juge doit se fonder sur un élément extrinsèque a ce document » (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-10.431).

Bien que l’exigence d’extériorité de l’élément de preuve produit en complément d’un commencement de preuve par écrit ne soit pas exprimée explicitement par les nouveaux textes, les auteurs s’accordent à dire qu’elle s’infère de la formule « autre moyen de preuve » que l’on retrouve à l’article 1361 du Code civil.

L’exigence d’origine jurisprudentielle serait donc maintenue, ce qui conduit dès lors à se poser la question de savoir ce qu’il faut entendre par « un élément de preuve extrinsèque ».

Deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche matérielleSelon cette approche, l’élément de preuve produit en complément du commencement de preuve par écrit doit être matériellement distinct de lui.
    • Autrement dit, il ne saurait être recherché dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit ; l’élément de preuve complémentaire doit lui être totalement extérieur
    • Un même document ne saurait ainsi servir à la fois de commencement de preuve par écrit et d’élément de preuve complémentaire.
  • L’approche intellectuelleSelon cette approche, il n’est pas nécessaire que l’élément invoqué en complément du commencement de preuve par écrit, soit matériellement distinct de lui.
    • Il peut donc parfaitement être contenu dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit, pourvu néanmoins qu’il n’émane pas de l’auteur de cet instrumentum
    • Il pourrait, par exemple, s’agir d’une mention ou d’une signature ajoutée par une personne autre que celle qui a établi le commencement de preuve par écrit produit.

Entre ces deux approches, la Cour de cassation semble avoir opté pour la seconde.

Dans un arrêt du 8 octobre 2014, elle a, en effet, considéré que des signatures apposées par des témoins sur un écrit constatant une reconnaissance de dette pouvaient constituer des éléments extrinsèques à l’acte, alors même qu’elles figuraient sur le même support que le commencement de preuve par écrit qu’elles venaient corroborer (Cass. 1ère civ. 8 oct. 2014, n°13-21.776).

À l’analyse, les éléments de preuve extérieurs au commencement de preuve par écrit peuvent être d’une grande variété.

Ces éléments pourront notamment consister en des témoignages ou des présomptions (Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Il pourra également s’agit d’un aveu-extrajudiciaire qui, pour mémoire, consiste en une déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n° 00-15.834).

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation a encore admis qu’un acte d’exécution puisse constituer un élément de preuve venant compléter un commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-12.425).

De façon générale, tout indice pourra être retenu par le juge pour valoir élément de preuve complétant le commencement de preuve par écrit produit.

Il pourra, par exemple, s’agir d’une clause ou d’une énonciation contenue dans un acte (Cass. com. 5 mai, n°2004, n°02-11.574), peu importe qu’il soit nul (Cass. 1ère civ. 25 janv. 1965).

Il pourra également s’agir de tout indice tiré du comportement d’une partie au cours de l’instance (Cass. 1ère civ. 23 janv. 1996, n°94-12.931) ou encore de la qualité de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit aux débats (Cass. com., 22 juin 1999, n°97-12.839).

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: les modes de preuve admis à suppléer l’écrit

Si les actes juridiques portant sur montant supérieur à 1500 euros ne peuvent, par principe, être prouvés qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit
  • Soit en cas de stipulation par les parties d’une clause contraire

Nous nous focaliserons ici sur les modes de preuve admis à suppléer l’écrit.

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

I) Le commencement de preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1347 du Code civil prévoyait que l’exigence de préconstitution d’un écrit pour la preuve des actes juridiques reçoit « exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit ».

Le commencement de preuve par écrit est ainsi passé du statut d’exception à l’exigence de preuve littérale au statut de mode de preuve pouvant suppléer l’écrit.

Ce changement d’approche opéré par le législateur en 2016 n’est pas sans interroger.

Pourquoi, en effet, mettre le commencement de preuve par écrit sur le même plan que l’aveu judiciaire et le serment décisoire alors que, contrairement à ces deux derniers, il n’appartient pas à la catégorie des modes de preuve parfaits ?

Pour mémoire, les modes de preuve parfaits présentent la particularité d’être admis en toutes matières et, surtout, de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

Dans l’affirmative, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait ou de l’acte allégué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

Le commencement de preuve par écrit, quant à lui, ne s’impose pas au juge. Il est de jurisprudence constante que l’autre moyen de preuve devant corroborer le commencement de preuve par écrit est soumis à l’appréciation souveraine du juge.

C’est pour cette raison que le commencement de preuve par écrit ne s’analyse pas en un mode de preuve parfait.

Comme énoncé par l’article 1361 du Code civil cela ne l’empêche pas, pour autant, d’être un mode de preuve reconnu comme l’équivalent d’un écrit lorsqu’il est corroboré par un autre moyen de preuve.

Pour faire la preuve d’un acte juridique, le commencement de preuve par écrit doit donc remplir deux conditions :

  • Répondre à la définition prévue par la loi
  • Être corroboré par un autre moyen de preuve

Ce n’est que lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que l’exigence de preuve littérale pourra être écartée.

A) La notion de commencement de preuve par écrit

Parce que le commencement de preuve par écrit a été instrumenté par la jurisprudence comme un moyen d’atténuer l’exigence – parfois difficilement surmontable – de la production d’un écrit pour la preuve des actes juridiques, elle s’est employée, dès le XIXe siècle à élargir les contours de la notion.

Les juridictions ont notamment admis dans son périmètre, un certain nombre d’éléments de preuve qu’elles ont considérés comme valant commencement de preuve par écrit.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve, la Cour de cassation a consacré cette extension de la notion de commencement de preuve par écrit au-delà de ses frontières originelles.

1. Les éléments constitutifs de la notion de commencement par écrit

L’article 1362 du Code civil définit le commencement de preuve par écrit comme « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il s’agit là d’une reprise sensiblement dans les mêmes termes de la définition qui était énoncée par l’ancien article 1348 du Code civil. Le législateur n’a pas innové sur ce point. Il a préféré ne pas bouleverser l’économie générale de la notion.

Aussi, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

a. Un écrit

Comme suggéré par son appellation, un commencement de preuve par écrit consiste, avant toute chose, en un écrit.

Plus précisément, l’article 1362 du Code civil énonce qu’il peut s’agir de « tout écrit ».

Par cette formulation, il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire que l’écrit versé aux débats soit un acte sous seing privé ou un acte authentique.

Et pour cause, un commencement de preuve par écrit a précisément vocation à être produit pour le cas où le demandeur n’est pas en mesure de fournir un écrit au sens des articles 1364 et suivants du Code civil.

Exiger qu’un commencement de preuve par écrit présente les mêmes attributs que la preuve littérale, reviendrait à vider le dispositif institué par le législateur de tout son intérêt.

C’est ce qui a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 janvier 1971 aux termes duquel elle a reproché aux juges du fond d’avoir ajouté une condition à la loi en exigeant que l’écrit produit par l’un des plaideurs soit signé – et donc remplisse les conditions d’un acte sous seing privé – pour valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1971, n°69-13.273).

Aussi, est-il admis de voir dans toute forme de document écrit un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il ne s’agisse, ni d’un acte sous seing privé, ni d’un acte authentique.

Classiquement, on recense trois catégories d’écrits susceptibles de répondre à la qualification de commencement de preuve par écrit :

i. Les écrits irréguliers

Le plus souvent, la reconnaissance du statut de commencement de preuve par écrit à un document résultera de la requalification d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique frappé d’une irrégularité.

Tel serait le cas d’un acte sous seing privé qui ne comporterait pas l’une des mentions énoncées par l’ancien article 1326 du Code civil, devenu l’article 1376.

Dans un arrêt du 21 mars 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’absence d’indication du montant de l’engagement unilatéral souscrit en chiffres affectait l’acte de telle sorte qu’il « ne pouvait constituer qu’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 2006, n°04-18.673).

Dans un arrêt du 15 octobre 1991, elle a encore décidé que « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

L’oubli de la mention indiquant le nombre d’originaux établis par les parties est également de nature à faire requalifier l’acte en commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013, n°11-24.453).

Il en va de même dans l’hypothèse où l’acte n’a pas été rédigé en autant d’originaux qu’il y a de parties, comme exigé par l’article 1375 du Code civil (Cass. com., 5 nov. 1962).

La Cour de cassation a encore estimé que pouvait valoir commencement de preuve par écrit un procès-verbal constatant un accord ne comportant pas la signature des parties (Cass. com. 20 janv. 1965, n°62-11.990).

La Cour de cassation a retenu la même solution pour un acte authentique qui, à encore, n’avait pas été signé par les parties (Cass. 1ère civ. 28 oct. 2003, n°01-02.654).

La première chambre civile a également admis qu’une reconnaissance de dette dont la signature avait été raturée pouvait valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 16 juin 1993, n°91-20.105).

On peut encore citer les lettres missives auxquelles il a toujours été reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit pourvu qu’elles rendent vraisemblable l’existence de l’acte juridique litigieux (Cass. 1ère civ. 20 avr. 1983, n°82-150).

Dans un arrêt récent rendu le 24 janvier 2018, la Chambre commerciale a ainsi admis qu’une lettre aux termes de laquelle la banque reconnaissait avoir retrouvé le double du bordereau d’une remise de fonds, valait commencement de preuve par écrit du dépôt de la somme d’argent réalisé par un client (Cass. com. 24 janv. 2018, n°16-19.866).

ii. Les écrits réguliers ne permettant pas d’identifier avec certitude l’acte litigieux

Autre typologie d’écrit susceptibles de valoir commencement de preuve par écrit, ceux qui ne sont frappés d’aucune irrégularité, mais qui ne permettent pas d’identifier avec suffisamment de certitude l’acte juridique auquel ils se rapportent.

Il en va ainsi d’un chèque rejeté pour absence de provision (Cass. com. 5 févr. 1991, n°89-16.333).

Il pourra également s’agir d’ordres de virement mentionnant le motif de l’opération (Cass. 1ère civ. 25 juin 2008, n°07-12.545).

iii. Les copies d’actes sous signature privée

==>Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la jurisprudence admettait qu’une copie puisse valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-14.370).

Elle subordonnait toutefois la reconnaissance de cette valeur probatoire à l’absence de contestation de la copie produite aux débats.

La Cour de cassation a, par exemple, statué en ce sens un arrêt du 14 février 1995 s’agissant de la photocopie d’une reconnaissance de dette signée par le débiteur « qui ne contestait ni l’existence de l’acte ni la conformité de la photocopie à l’original, selon lui détruit » (Cass.1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Elle a retenu la même solution pour des copies certifiées conformes dans un arrêt du 13 décembre 2005 aux termes duquel elle a jugé que « les copies d’actes sous seing privé même certifiées conformes qui n’ont par elles-mêmes aucune valeur juridique dès lors que l’existence de l’original est déniée, ne peuvent valoir comme commencement de preuve » (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-14.229).

La Haute juridiction considérait ainsi que, lorsque la copie produite aux débats était contestée par le défendeur, elle devait être purement et simplement écartée des débats (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).

Cette position se fondait sur l’ancien article 1334 du Code civil qui prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »

Si cette disposition admettait qu’une copie puisse être produite en justice aux fins de prouver un acte juridique, la partie adverse pouvait néanmoins toujours exiger la production de l’original.

Il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence que la force probante d’une copie était subordonnée à l’existence de l’écrit original.

Lorsque cette condition était remplie la copie pouvait alors faire foi au même titre que l’original (Cass. req. 16 févr. 1926). La copie était ainsi dépourvue de toute valeur juridique autonome.

S’agissant des photocopies, compte tenu de ce qu’elles ne sont pas revêtues de la signature originale des parties, elles ne pouvaient valoir que commencement de preuve par écrit.

Reste que pour se voir reconnu cette valeur probatoire, aucune contestation ne devait être élevée par le défendeur.

En réaction à cette jurisprudence qui subordonnait la reconnaissance d’une valeur probatoire aux copies à l’absence de contestation, ce, alors même que les techniques de reproduction étaient de plus en plus fiables, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne.

C’est ce qu’il a fait en adoptant la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 laquelle a introduit un article 1348, al. 2e dans le Code civil qui a renforcé la valeur juridique des copies en leur conférant une force probante autonome.

Ce texte prévoyait, en effet, que « lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable », cette copie était admise pour faire la preuve d’un acte juridique par exception à l’exigence de la preuve par écrit.

Aussi, désormais une copie pouvait-elle faire foi nonobstant la disparition de l’original dont sa persistance n’était donc plus une exigence absolue.

Pour que la copie puisse toutefois être pourvue d’une force probante autonome, soit pour le cas où l’original n’existerait plus ou ne pouvait pas être produit, encore fallait-il que soient démontrées la fidélité de la reproduction et la durabilité du support utilisé.

À cet égard, le texte précisait que « est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »

Bien que cette précision renseignât sur ce qu’il fallait entendre par une copie « durable », cela était loin d’être suffisant pour déterminer quelles étaient les copies qui répondaient aux conditions de reproduction énoncée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Rapidement la question s’est alors posée en jurisprudence de savoir si les photocopies remplissaient la condition de fiabilité exigée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 25 juin 1996, elle a jugé que cette technique pouvait être admise au rang des procédés permettant l’obtention d’une « reproduction fidèle et durable ».

Elle en déduisit que la photocopie qui était produite aux débats « ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, mais faisait pleinement la preuve de l’existence » de l’acte juridique dont l’existence était contestée au cas particulier (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, n°94-11.745).

Dans cette décision, la haute juridiction reconnaissait ainsi à la photocopie la valeur d’une preuve complète, puisque n’exigeant pas qu’elle soit corroborée, comme c’est le cas pour un commencement de preuve par écrit, par des éléments probatoires extrinsèques, tels que des témoignages ou des présomptions.

Bien qu’il puisse être porté au crédit de la loi du 12 juillet 1980 d’avoir été le premier texte à reconnaître à la copie d’un écrit une valeur probatoire indépendante de l’original, le dispositif, tel que prévu par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil, souffrait de deux carences principales.

  • Première carence
    • La règle renforçant la force probante de la copie était logée dans un article relevant de la preuve testimoniale. Or le régime des copies intéresse la preuve littérale.
    • Ce problème de méthode quant à la localisation de la règle dans le corpus textuel du droit de la preuve était de nature à flouer la portée qu’il y avait lieu de donner au dispositif mis en place.
  • Seconde carence
    • L’autonomie probatoire conférée à la copie résultait non pas d’une exception à l’absence de principe de force probante des copies, mais d’une exception à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques, ce qui, de l’avis des auteurs, n’était pas très cohérent

Pour ces deux raisons, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne à nouveau afin de clarifier le régime juridique des copies.

==>Droit positif

Le législateur s’est attelé à la tâche de réformer le régime juridique des copies à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur justifie cette réforme en avançant que :

  • D’une part, sous l’empire de l’ancienne loi du 12 juillet 1980, le Code civil ne disposait d’aucun régime unifié et cohérent de la copie
  • D’autre part, que l’évolution des technologies implique une conception plus large de l’écrit qui ne se matérialise plus nécessairement sur papier, et consécutivement une multiplication des techniques de reproduction, raison pour laquelle le régime juridique de la copie doit être revu

C’est sur la base de ces deux constats que le législateur a donc façonné un nouveau régime de la copie qui a désormais pour siège le nouvel article 1379 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original. »

Il s’évince de cette disposition un principe général d’équivalence entre la copie dite fiable et l’original.

Surtout, et c’est là une rupture avec l’ancien article 1334 du Code civil, cette équivalence opère peu important que l’original subsiste ou pas, et peu important l’origine.

Autrement dit, il est indifférent que l’original ait disparu ou que son détenteur soit dans l’incapacité de le produire ; la copie possède la même valeur probatoire que l’original pourvu qu’elle soit fiable.

À l’analyse, en énonçant un principe général d’équivalence entre les deux types d’écrits, le législateur confirme l’autonomie probatoire qu’il avait entendu conférer à la copie à l’occasion de l’adoption de la loi du 12 juillet 1980.

Aussi, désormais, la force probante d’une copie tient, non plus à la persistance de l’original mais à sa fiabilité :

  • La force probante de la copie fiable
    • En application de l’article 1379, al. 1er du Code civil, elle possède la même valeur que l’original.
    • Cela signifie que :
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte authentique, la copie « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte sous seing privé, la copie fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire.
  • La force probante de la copie non fiable
    • L’article 1379 du Code civil est silencieux sur la force probante de la copie dont la fiabilité ne serait pas reconnue.
    • Est-ce à dire qu’elle ne serait pourvue d’aucune valeur probatoire ?
    • Pour le déterminer il convient de se reporter au troisième alinéa de l’article 1379 qui fournit un indice.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
    • Il convient tout d’abord d’observer que cette exigence est a priori inapplicable à la copie fiable.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 indique en ce sens que « si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie. »
    • Il faut comprendre ici, s’agissant de la copie fiable, que la disparition de l’original est sans incidence sur sa force probante.
    • En revanche, pour les copies qui ne répondent pas à l’exigence de fiabilité, l’article 1379, al. 3e suggère que leur force probante est subordonnée à la subsistance de l’original.
    • On retrouve là, manifestement, la règle énoncée par l’ancien article 1334 du Code civil qui, pour mémoire, prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
    • Cette règle n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour le cas où la copie produite aux débats est contestée par la partie adverse.
    • Dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune discussion, il devrait être admis qu’elle puisse faire foi conformément à ce qui avait été décidé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).

b. Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente

Un écrit ne peut donc être qualifié de commencement de preuve par écrit qu’à la condition qu’il émane de la personne à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 11 avril 1995, la Cour de cassation a rappelé cette exigence en énonçant, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil devenu l’article 1362, que « pour valoir commencement de preuve, l’écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s’en prévaut » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.246 ; V. également dans le même sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2012, n°11-25.900).

Cette règle n’est autre qu’une déclinaison du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » désormais énoncé à l’article 1363 du Code civil.

Aussi, dans l’hypothèse où l’écrit produit émanerait de celui-là même qui l’a établi ne saurait se voir reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 10 juill. 2002, n°99-15.430).

Par extension, l’article 1362 du Code civil admet que le commencement de preuve par écrit puisse émaner du représentant de la partie contre laquelle il est produit.

Dans un arrêt du 28 juin 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « le commencement de preuve par écrit peut émaner du mandataire de celui à qui on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 28 juin 1989, n°86-19.012).

La solution est logique en ce que la représentation d’une personne consiste en l’accomplissement d’actes au nom et pour le compte de cette personne, de telle sorte que les actes sont réputés avoir été passés par cette dernière.

Aussi, est-il logique d’admettre que l’écrit émanant du représentant soit pourvu de la même valeur que celui établi par le représenté lui-même.

En revanche, le commencement de preuve par écrit ne saurait émaner d’un tiers.

Dans un arrêt du 25 novembre 2023 la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit à des documents qui avaient été établis par des tiers et non par des personnes auxquelles ils étaient opposés (Cass. 1ère civ., 25 nov. 2003, n° 00-22.577).

Par exception, il est admis qu’un écrit émanant d’un tiers puisse valoir commencement de preuve par écrit lorsqu’il a été approuvé par la partie à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 20 janvier 2004, la Cour de cassation a reconnu la qualification de commencement de preuve par écrit à une demande de permis de construire qui n’émanait pas du défendeur, au cas particulier un architecte auquel les demandeurs réclamaient la restitution d’acomptes et d’honoraires versés.

Ce document comportait toutefois le nom et la signature de l’architecte, ce qui suffisait, pour la Troisième chambre civile, à lui conférer la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 20 janv. 2004, n°02-12.674).

La Cour de cassation est allée encore plus loin en admettant, dans des arrêts anciens, qu’un écrit puisse valoir commencement de preuve par écrit, alors même que la partie à laquelle il était opposé n’avait pas participé matériellement à son établissement.

Elle en était, en revanche, l’auteur intellectuel, le tiers n’ayant fait que reporter sur le document litigieux les énonciations qui lui étaient dictées.

Pour le démontrer, il conviendra de prouver que l’écrit ne fait qu’exprimer la volonté de la personne intéressée, ce qui suggère qu’il a été approuvé tacitement par cette dernière (Cass. 3e civ.29 févr. 1972, n°70-13.069).

Cette implication intellectuelle dans la rédaction de l’écrit pourra également se déduire lorsque l’auteur matériel de l’acte indique l’origine des déclarations et justifie d’une qualité qui ne permet pas de mettre en cause son impartialité (Cass. req. 29 avr. 1922 : affaire portant sur un acte d’état civil).

c. Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

En application de l’article 1362 du Code civil, l’élément de preuve produit aux débats ne pourra endosser la qualification de commencement de preuve par écrit que s’il « rend vraisemblable ce qui est allégué ».

Que faut-il entendre par cette formule ? Des auteurs suggèrent qu’il faut comprendre que « le commencement de preuve par écrit doit être pertinent, approprié au fond de l’affaire, et créer un préjugé en faveur de celui qui l’invoque »[14].

Autrement dit, l’élément de preuve produit doit être suffisamment convaincant et sérieux pour rendre possible et envisageable le fait allégué. La vraisemblance ne saurait résulter d’une simple possibilité ou d’une hypothèse. En somme, il ne doit pas y avoir d’équivoque pour qu’il y ait vraisemblance.

À cet égard, la condition tenant à la vraisemblance du fait allégué est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1970, n°69-10.414 ; Cass. 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-18.787).

Il peut être observé que cette question de l’appréciation de la vraisemblance a fait l’objet d’un contentieux nourri s’agissant des chèques bancaires.

La question s’est notamment posée de savoir si un chèque pouvait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt d’argent pour le montant mentionné sur le chèque.

Dans un premier temps, la Cour de cassation l’a admis pour le cas où le chèque avait été endossé par le débiteur.

Dans un arrêt du 10 mai 1995, elle a jugé en ce sens que « si le chèque ne peut, en tant que tel, valoir commencement de preuve par écrit contre le bénéficiaire, il en est différemment du chèque endossé par celui-ci » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1995, n°93-13.133).

Dans un second temps, elle a retenu la solution inverse, considérant que « l’endossement de chèques démontre seulement la réalité de la remise de fonds » (Cass. 1ère civ. 3 juin 1998, n°96-14.232).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, si un chèque permet bien d’établir la remise de fonds lorsqu’il a été endossé, cette remise ne permet pas d’établir sa cause, à tout le moins avec vraisemblable.

Une remise de fonds peut procéder, tout autant d’une donation que de l’existence d’une créance. C’est la raison pour laquelle un chèque, même endossé, ne saurait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt.

2. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit

Animée par une volonté de faciliter la preuve des actes juridiques, la Cour de cassation a progressivement adopté une approche extensive de la notion de commencement de preuve par écrit, à telle enseigne qu’elle a admis que puissent valoir commencement de preuve par écrit des éléments de preuve qui dérogent :

  • Soit à la condition tenant l’exigence d’un écrit
  • Soit à la condition tenant à l’origine de l’écrit

a. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’exigence d’un écrit

Comme vu précédemment, pour valoir commencement de preuve par écrit, l’élément de preuve produit doit, en principe, consister en un écrit.

L’article 1362 al. 2 du Code civil déroge toutefois à cette exigence en énonçant que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Il s’agit là d’une reprise de l’alinéa 3e de l’ancien article 1347 du Code civil, lequel était issu de la loi n°75-596 du 9 juillet 1975.

Cette loi était venue consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que des déclarations orales puissent valoir commencement de preuve par écrit (Cass. req., 29 avr. 1922).

Toutefois, toutes les déclarations orales ne constituent pas nécessairement des commencements de preuve par écrit.

Le texte précise en effet que sont seules éligibles à cette qualification :

  • les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle
  • Le refus d’une partie de répondre aux questions du juge
  • L’absence de comparution d’une partie

Dans un arrêt du 19 novembre 2002 la Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit à une sommation interpellative qui était pourtant consignée dans un constat d’huissier de justice (Cass. 1ère civ. 19 nov. 2002, n°01-10.169).

À l’analyse, l’article 1362, al. 2e du Code civil n’apporte rien de nouveau au droit positif dans la mesure où il ne fait qu’énoncer une règle qui existe déjà dans le Code de procédure civile et qui a été introduite dans ce code à l’article 198 par une loi du 23 mai 1942.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le juge peut tirer toute conséquence de droit des déclarations des parties, de l’absence ou du refus de répondre de l’une d’elles et en faire état comme équivalent à un commencement de preuve par écrit. »

En tout état de cause, c’est au juge, dit le texte, d’apprécier souverainement s’il y a lieu de considérer comme équivalent à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.

b. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’origine de l’écrit

Si, en principe, pour valoir commencement de preuve par écrit l’élément de preuve produit doit émaner de la partie à laquelle on l’oppose, l’article 1362, al. 3e du Code civil assortit la règle d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « la mention d’un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public vaut commencement de preuve par écrit. »

La règle déroge ici aux conditions du commencement de preuve par écrit en ce que le registre susceptible d’être produit comme élément de preuve émane d’un tiers (l’autorité publique qui tient le registre) et non de la partie à laquelle il est opposé.

À la différence de la précédente dérogation, cette règle ne figurait pas dans l’ancien article 1347 du Code civil. Il s’agit là d’une création de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Si l’on se réfère au rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, cette création vise à alléger « les conditions dans lesquelles la transcription d’un acte sur les registres publics peut servir de commencement de preuve par écrit. »

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1336 du Code civil prévoyait, pour mémoire, que pour que la transcription d’un acte sur les registres publics puisse servir de commencement de preuve par écrit, il fallait que deux conditions cumulatives soient réunies :

  • Qu’il soit constant que toutes les minutes du notaire, de l’année dans laquelle l’acte paraît avoir été fait, soient perdues, ou que l’on prouve que la perte de la minute de cet acte a été faite par un accident particulier ;
  • Qu’il existe un répertoire en règle du notaire, qui constate que l’acte a été fait à la même date.

Aujourd’hui, ces deux conditions n’ont plus cours. Il suffit que le registre produit soit public pour que les mentions qui y figurent vaillent commencement de preuve par écrit.

B) La corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve

Pour qu’un commencement de preuve par écrit soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Ainsi, un commencement de preuve par écrit ne suffit pas à lui seul à faire la preuve d’un acte juridique. C’est là ce qui le distingue fondamentalement des autres modes de preuve parfaits qui, quant à eux, ne requiert l’addition d’aucun autre moyen de preuve pour que le fait allégué soit réputé établi.

En somme, comme souligné par un auteur « le commencement de preuve par écrit ne prouve pas le fait contesté. Il rend seulement admissible d’autres modes de preuve dans un domaine où, à son défaut, ils auraient été irrecevables »[15].

La Cour de cassation rappelle régulièrement cette impuissance du commencement de preuve par écrit à faire la preuve d’un acte juridique lorsqu’il n’est pas corroboré par un autre moyen de preuve (V. par exemple Cass. com. 31 mai 1994, n°92-10.795 ; Cass. 1ère civ. 28 févr. 1995, n°92-19.097).

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quels sont les « autres moyens de preuve » admis à compléter un commencement de preuve par écrit.

À l’analyse, le moyen de preuve complémentaire produit doit répondre à deux exigences :

  • Consister en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil
  • Présenter un caractère extrinsèque

==>Un mode de preuve reconnu par le Code civil

L’article 1361 du Code civil exige donc que le commencement de preuve par écrit soit complété par un « autre moyen de preuve ».

Par « autre moyen de preuve », il faut comprendre ceux énoncés sous le chapitre consacré aux « différents modes de preuve ».

Pour mémoire, sont reconnus par le Code civil comme mode de preuve pouvant être produit en justice :

  • L’écrit (art. 1363 à 1380 C. civ.)
  • Le témoignage (art. 1382 C. civ.)
  • Les présomptions judiciaires (art. 1381 C. civ.)
  • L’aveu (art. 1383 à 1383-2 C. civ.)
  • Le serment (art. 1384 à 1386-1 C. civ.)

Parmi ces modes de preuves, il y a lieu d’ores et déjà d’exclure ceux qui sont parfaits, compte tenu de ce qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils rendent dès lors inutile le recours au mécanisme du commencement de preuve par écrit pour le plaideur qui serait en mesure de se prévaloir de l’un d’eux, au nombre desquels figurent, pour rappel, l’écrit, l’aveu judiciaire et le serment décisoire.

Il s’en déduit que les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit.

Dès lors que l’un de ces moyens de preuve est produit par le plaideur dans ce cadre, le juge ne saurait subordonner la preuve de l’acte juridique litigieux à la satisfaction d’une autre condition (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a, par ailleurs, rappelé que c’est aux juges du fond qu’il revient d’apprécier « souverainement les éléments invoqués par une partie pour compléter un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 4 oct. 2005, n°02-13.395).

C’est, autrement dit, à lui seul de dire si la condition tenant à l’exigence de corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve est remplie.

À l’inverse, il incombe aux parties de se prévaloir de l’exception tirée d’un commencement de preuve par écrit. Le juge ne dispose pas du pouvoir de relever ce moyen d’office (Cass. 3e civ. 5 juill. 2011, n°08-12.689). Il est seulement tenu de prendre en compte le commencement de preuve par écrit, à tout le moins de vérifier que ses conditions de recevabilité sont satisfaites.

==>Un mode de preuve présentant un caractère extrinsèque

Pour qu’un élément de preuve soit admis à compléter un commencement de preuve par écrit, il ne suffit pas qu’il consiste en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil, il faut encore qu’il présente un caractère extrinsèque.

Cette exigence avait été formulée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016.

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation avait, par exemple, affirmé, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil, que « pour compléter un commencement de preuve par écrit, le juge doit se fonder sur un élément extrinsèque a ce document » (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-10.431).

Bien que l’exigence d’extériorité de l’élément de preuve produit en complément d’un commencement de preuve par écrit ne soit pas exprimée explicitement par les nouveaux textes, les auteurs s’accordent à dire qu’elle s’infère de la formule « autre moyen de preuve » que l’on retrouve à l’article 1361 du Code civil.

L’exigence d’origine jurisprudentielle serait donc maintenue, ce qui conduit dès lors à se poser la question de savoir ce qu’il faut entendre par « un élément de preuve extrinsèque ».

Deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche matérielle
    • Selon cette approche, l’élément de preuve produit en complément du commencement de preuve par écrit doit être matériellement distinct de lui.
    • Autrement dit, il ne saurait être recherché dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit ; l’élément de preuve complémentaire doit lui être totalement extérieur
    • Un même document ne saurait ainsi servir à la fois de commencement de preuve par écrit et d’élément de preuve complémentaire.
  • L’approche intellectuelle
    • Selon cette approche, il n’est pas nécessaire que l’élément invoqué en complément du commencement de preuve par écrit, soit matériellement distinct de lui.
    • Il peut donc parfaitement être contenu dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit, pourvu néanmoins qu’il n’émane pas de l’auteur de cet instrumentum
    • Il pourrait, par exemple, s’agir d’une mention ou d’une signature ajoutée par une personne autre que celle qui a établi le commencement de preuve par écrit produit.

Entre ces deux approches, la Cour de cassation semble avoir opté pour la seconde.

Dans un arrêt du 8 octobre 2014, elle a, en effet, considéré que des signatures apposées par des témoins sur un écrit constatant une reconnaissance de dette pouvaient constituer des éléments extrinsèques à l’acte, alors même qu’elles figuraient sur le même support que le commencement de preuve par écrit qu’elles venaient corroborer (Cass. 1ère civ. 8 oct. 2014, n°13-21.776).

À l’analyse, les éléments de preuve extérieurs au commencement de preuve par écrit peuvent être d’une grande variété.

Ces éléments pourront notamment consister en des témoignages ou des présomptions (Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Il pourra également s’agit d’un aveu-extrajudiciaire qui, pour mémoire, consiste en une déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n° 00-15.834).

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation a encore admis qu’un acte d’exécution puisse constituer un élément de preuve venant compléter un commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-12.425).

De façon générale, tout indice pourra être retenu par le juge pour valoir élément de preuve complétant le commencement de preuve par écrit produit.

Il pourra, par exemple, s’agir d’une clause ou d’une énonciation contenue dans un acte (Cass. com. 5 mai, n°2004, n°02-11.574), peu importe qu’il soit nul (Cass. 1ère civ. 25 janv. 1965).

Il pourra également s’agir de tout indice tiré du comportement d’une partie au cours de l’instance (Cass. 1ère civ. 23 janv. 1996, n°94-12.931) ou encore de la qualité de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit aux débats (Cass. com., 22 juin 1999, n°97-12.839).

II) Les modes de preuve parfaits

En application de l’article 1361 du Code civil, il peut être suppléé à l’écrit :

  • Soit par l’aveu judiciaire
  • Soit par le serment décisoire

Ces deux moyens de preuve appartiennent à la catégorie des modes de preuve parfaits.

Aussi, présentent-ils une double spécificité :

  • En premier lieu, ils sont admis en toutes matières, soit pour faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques peu importe le montant de ces deniers
  • En second lieu, ils s’imposent au juge en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonnera à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

En l’absence d’écrit pour faire la preuve d’un acte juridique, les plaideurs ont ainsi la faculté de recourir à un mode de preuve parfait, étant précisé qu’il n’existe aucune hiérarchie entre ces derniers (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 28 janv. 1981, 79-17.501).

Sous réserve que les conditions d’admission du mode de preuve parfait soient réunies, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve de l’acte juridique litigieux soit rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: l’impossibilité de se procurer un écrit

Si les actes juridiques portant sur montant supérieur à 1500 euros ne peuvent, par principe, être prouvés qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit
  • Soit en cas de stipulation par les parties d’une clause contraire

Nous nous focaliserons ici sur l’impossibilité de se procurer un écrit.

L’article 1360 du Code civil prévoit que l’exigence de production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique reçoit « exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Il ressort de cette disposition qu’il est fait exception à l’exigence de prouver un acte juridique au moyen d’un écrit dans deux cas :

  • Premier cas : l’impossibilité de rédiger un écrit
  • Second cas : l’impossibilité de produire un écrit

I) L’impossibilité de rédiger un écrit

En application de l’article 1360 du Code civil, l’exigence de produire un écrit pour la preuve des actes juridiques est écartée en cas d’impossibilité de rédiger un écrit.

Cette exception à la règle recouvre deux situations :

  • L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit
  • L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

A) L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit

1. Énoncé du principe

La première exception à l’exigence de prouver un acte juridique par écrit, c’est donc l’impossibilité matérielle ou morale dans laquelle se sont trouvées les parties au moment de la conclusion de l’acte juridique de rédiger un écrit.

Parce qu’il leur était impossible, à ce moment, de se préconstituer un écrit il serait particulièrement injuste d’exiger du plaideur qui se prévaut de l’acte juridique litigieux de produire un écrit qui, par hypothèse, n’a pas pu être établi.

Or comme exprimé par l’adage latin ad impossibilia nemo tenetur : à l’impossibile nul n’est tenu.

Pour que le moyen tiré de l’impossibilité d’établir un écrit soit recevable, cette impossibilité doit, dit le texte, être soit matérielle, soit morale.

?L’impossibilité matérielle de se procurer un écrit

Pour que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit soit admise comme exception à l’exigence d’écrit, elle doit résulter de circonstances exceptionnelles qui ont empêché la rédaction d’un écrit au moment de la conclusion de l’acte.

Quelles sont ces circonstances exceptionnelles ? L’ancien article 1348 du Code civil en vigueur en 1804 fournissait quelques illustrations.

Il visait notamment :

  • Les « dépôts nécessaires faits en cas d’incendie, tumulte ou naufrage »
  • Les « obligations contractées en cas d’accidents imprévus »

Ces illustrations, bien que ne figurant plus dans le Code civil, sont toujours d’actualité. À tout le moins, elles donnent une indication sur la nature des circonstances qui autorisent un plaideur à se prévaloir de l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit.

Pour être dispensé de rapporter la preuve de l’acte juridique litigieux par écrit, celui-ci doit démontrer que la conclusion de cet acte est intervenue dans le cadre d’une situation d’urgence, ce qui rendait impossible l’établissement d’un écrit.

Plus généralement, la Cour de cassation admet que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit est caractérisée lorsque les parties se sont heurtées, au moment de la conclusion de l’acte, à un obstacle insurmontable qui les a empêchées de rédiger un écrit.

Dans un arrêt du 13 mai 1964, la Cour de cassation a admis que cet obstacle puisse consister en l’incapacité pour l’une des parties d’écrire (Cass. 1ère civ. 13 mai 1964).

?L’impossibilité morale de se procurer un écrit

L’impossibilité de se procurer un écrit n’est pas seulement retenue lorsqu’elle est matérielle ; il est expressément admis par l’article 1360 du Code civil qu’elle puisse être morale.

Cette admission de l’impossibilité morale au rang des exceptions à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques est d’origine jurisprudentielle.

Elle n’était pas prévue par les rédacteurs du Code civil. Il a fallu attendre l’adoption de la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 pour qu’elle soit consacrée par le législateur.

Cette reconnaissance de l’impossibilité morale de se procurer un écrit a considérablement étendu le domaine de l’exception initiale.

En effet, l’impossibilité morale d’établir un écrit recouvre de nombreuses situations, puisque tenant à un obstacle psychologique.

Elle sera admise lorsque les parties entretiennent des relations particulières entre elles.

Plus précisément, l’impossibilité de rédiger un écrit pourra provenir de l’existence d’un lien familial.

Elle a ainsi été admise lorsque la conclusion d’un acte juridique était intervenue entre parents et enfant (Cass. 1ère civ. 6 déc. 1972, n°71-13.427), entre frères (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-17.128), entre époux (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°15-27.387) ou encore entre concubins (Cass. 3e civ. 7 janv. 1972, n°70-13.528).

Le lien familial entre les deux parties à l’acte devra toutefois être suffisamment étroit et fort pour que l’impossibilité morale de se procurer un écrit soit admise (V. en ce sens Cass. 3e civ. 24 oct. 1972, n°71-12.175). Par ailleurs, il ne devra pas exister de relations d’affaires entretenues entre les parties (Cass. com. 3 avr. 1973, n°71-14.663).

L’existence d’une impossibilité morale de se procurer un écrit pourra également être caractérisée en présence de relations d’affection entre les parties à l’acte (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 janv. 1981, n°79-14.831 ; Cass. 1ère civ. 7 mars 2000, n°98-10.574).

2. Effets du principe

Lorsque l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit est admise, la preuve de l’acte juridique litigieux pourra se faire par tout moyen et notamment au moyen de témoignages ou de présomptions.

Dans un arrêt du 29 janvier 2014, la Cour de cassation a précisé que pour produire ses effets, la règle instituant l’impossibilité de se procurer un écrit comme exception à l’exigence d’écrit n’est pas « subordonnée à l’existence d’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 29 janv. 2014, n°12-27.186).

Aussi, la seule démonstration de l’existence d’une impossibilité matérielle ou morale suffit à écarter l’exigence de preuve littérale, étant précisé que cette impossibilité, en ce qu’elle s’analyse en un fait juridique, se prouve par tout moyen.

La Cour de cassation a en revanche rappelé dans un arrêt du 19 octobre 2016 que lorsque l’impossibilité de se ménager un écrit est caractérisée, cela ne dispense pas le demandeur de rapporter la preuve par tous moyens du prêt allégué (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°16-27.387).

L’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ne saurait ainsi avoir pour effet de renverser la charge de la preuve, laquelle pèse toujours sur le demandeur auquel il incombe « de prouver par tous moyens l’obligation dont il réclame l’exécution ».

B) L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

L’exigence de produire un écrit afin de prouver un acte juridique reçoit également une exception, dit l’article 1360 du Code civil, « s’il est d’usage de ne pas établir un écrit ».

Il s’agit là d’une innovation de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Comme indiqué par le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur a entendu consacrer ici une exception reconnue par la jurisprudence aux côtés des autres causes d’impossibilité de se procurer un écrit.

La Cour de cassation a, en effet, admis de longue date que lorsqu’il est d’usage dans une profession de conclure des actes juridiques verbalement, cette habitude peut s’analyser comme une impossibilité morale de se ménager un écrit (Cass. 1ère civ. 15 janv. 1963).

Tel est le cas pour certaines professions médicales, telles que les médecins par exemple (Cass. req. 27 mars 1907) ou encore pour les avocats, à tout le moins avant que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ne rende obligatoire l’établissement d’une convention d’honoraire.

Toujours est-il que, comme souligné par un auteur, ces pratiques consistant à contracter par voie orale répondent souvent « à un souci de délicatesse qui font regarder l’exigence d’un écrit comme n’étant pas convenable »[13].

Plus généralement, exiger de son cocontractant l’établissement d’un écrit peut être perçu par lui comme la marque d’un manque de confiance. Or dans les relations d’affaires la confiance est primordiale.

Pour cette raison, il paraît juste de ne pas faire application de l’exigence de rédaction d’un écrit en présence d’un usage contraire.

À cet égard, non seulement le législateur a consacré cette exception à la règle, mais encore il lui a conféré une autonomie. Cette autonomie s’explique, selon la doctrine, par le fondement de la nouvelle dérogation à l’exigence de preuve littérale.

Bien que cette dérogation ait été rattachée par la jurisprudence à l’impossibilité morale de se préconstituer un écrit, elle se fonde, en réalité, sur le caractère supplétif de l’ancien article 1341 du Code civil, devenu l’article 1359.

L’existence d’un usage contraire est, en effet, susceptible de dispenser des cocontractants de l’établissement d’un écrit, non pas parce que l’usage représente un empêchement moral pour ces dernières, mais parce qu’il peut être dérogé à l’exigence d’écrit par convention contraire en raison du caractère supplétif de cette règle. Or l’usage peut s’analyser en une telle convention.

II) L’impossibilité de produire un écrit

L’existence d’une impossibilité de rédiger un écrit n’est pas la seule exception à l’exigence d’écrit pour la preuve des actes juridiques. L’article 1360 du Code civil admet qu’il puisse également être dérogé à la règle en cas d’impossibilité de produire un écrit.

Cette dérogation tient, non pas aux circonstances qui ont entouré l’établissement d’un écrit au jour de la conclusion de l’acte, mais aux circonstances qui empêchent la production de l’écrit qui, a bien été établi conformément à l’article 1359 du Code civil, mais qui a été perdu en raison de la survenance d’un cas de force majeure.

Là encore, la règle procède de l’idée que « à l’impossible nul n’est tenu ». Autrement dit, il est difficile d’exiger de plaideurs qu’ils produisent un écrit qui a disparu pour une cause indépendante de leur volonté.

Pour que l’exigence de preuve littérale soit écartée en pareille circonstance, encore faut-il que deux conditions cumulatives soient remplies :

  • Première condition
    • Le demandeur doit prouver qu’un écrit avait bien été rédigé au jour de la conclusion de l’acte juridique litigieux.
    • Plus précisément, il doit être établi qu’un écrit répondant aux conditions de l’article 1364 du Code civil avait bien été préconstitué par les parties conformément à l’exigence énoncée par l’article 1359 du Code civil
    • Compte tenu de ce qu’il s’agira de prouver un fait juridique, la preuve peut être rapportée par tout moyen.
  • Seconde condition
    • Le demandeur doit démontrer que l’impossibilité de produire un écrit résulte d’une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure.
    • Pour mémoire, on attribue classiquement à la force majeure trois attributs :
      • Irrésistible
        • Par irrésistible, il faut entendre l’impossibilité pour les parties à l’acte d’empêcher que la cause étrangère ne survienne
      • Imprévisible
        • L’imprévisibilité suppose que les plaideurs n’ont pas pu prévoir la réalisation de la cause étrangère, soit la disparition de l’écrit.
      • Extérieure
        • On dit de la force majeure qu’elle doit être extérieure, en ce sens que sa survenance doit être indépendante de la volonté des parties à l’acte
    • Pour qu’il puisse être dérogé à l’exigence d’écrit, la force majeure devra être caractérisée dans tous éléments constitutifs, étant précisé qu’il appartient aux juges du fonds de vérifier que ces éléments sont bien réunis (Cass. 1ère civ. 23 juin 1971, n°70-10.937).
    • Aussi, dans l’hypothèse où la perte de l’écrit serait imputable à une simple négligence du demandeur, celui-ci ne sera pas admis à prouver l’acte juridique au moyen d’un autre mode de preuve que l’écrit.
    • Dans un arrêt du 15 mai 1973, la Cour de cassation a ainsi jugé que « la perte de l’original alléguée, en l’absence de toute justification des circonstances qui l’auraient entrainée, ne peut être assimilée à un cas de force majeure » (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).
    • Le plus souvent, la perte de l’écrit sera imputable à un tiers auquel les parties avaient confié la conservation de l’instrumentum.
    • Nombreux sont notamment les arrêts qui traitent de cas où c’est le notaire qui a perdu l’original de l’acte litigieux (V. en ce sens pour la perte de l’original d’un testament Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°01-16.001).
    • Pour que l’exception tenant à l’impossibilité de produire un écrit puisse jouer encore faut-il que la disparition de cet écrit soit irrémédiable.
    • Dans un arrêt du 12 novembre 2009, la Cour de cassation a ainsi refusé d’admettre que l’impossibilité pour un plaideur de produire l’original d’un testament, compte tenu de ce que son avocat ne l’avait pas emporté avec lui lors de son changement de cabinet, constituait un cas de force majeure.
    • L’original n’avait, en effet, pas disparu ; il était seulement conservé dans l’ancien cabinet de l’avocat de la plaignante, de sorte que cette dernière disposait toujours de la faculté de se le procurer et de le produire aux débats (Cass. 1ère civ. 12 nov. 2009, n°08-18.898).
    • Quoi qu’il en soit, régulièrement, la Cour de cassation rappelle que c’est à celui qui se prévaut de la disparition de l’écrit en raison de la survenance d’un cas de force majeur d’en rapporter la preuve (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-19.064).
  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: les dérogations à l’exigence d’écrit

Si les actes juridiques portant sur montant supérieur à 1500 euros ne peuvent, par principe, être prouvés qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit
  • Soit en cas de stipulation par les parties d’une clause contraire

I) L’impossibilité de se procurer un écrit

L’article 1360 du Code civil prévoit que l’exigence de production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique reçoit « exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Il ressort de cette disposition qu’il est fait exception à l’exigence de prouver un acte juridique au moyen d’un écrit dans deux cas :

  • Premier cas : l’impossibilité de rédiger un écrit
  • Second cas : l’impossibilité de produire un écrit

A) L’impossibilité de rédiger un écrit

En application de l’article 1360 du Code civil, l’exigence de produire un écrit pour la preuve des actes juridiques est écartée en cas d’impossibilité de rédiger un écrit.

Cette exception à la règle recouvre deux situations :

  • L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit
  • L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

1. L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit

a. Énoncé du principe

La première exception à l’exigence de prouver un acte juridique par écrit, c’est donc l’impossibilité matérielle ou morale dans laquelle se sont trouvées les parties au moment de la conclusion de l’acte juridique de rédiger un écrit.

Parce qu’il leur était impossible, à ce moment, de se préconstituer un écrit il serait particulièrement injuste d’exiger du plaideur qui se prévaut de l’acte juridique litigieux de produire un écrit qui, par hypothèse, n’a pas pu être établi.

Or comme exprimé par l’adage latin ad impossibilia nemo tenetur : à l’impossibile nul n’est tenu.

Pour que le moyen tiré de l’impossibilité d’établir un écrit soit recevable, cette impossibilité doit, dit le texte, être soit matérielle, soit morale.

==>L’impossibilité matérielle de se procurer un écrit

Pour que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit soit admise comme exception à l’exigence d’écrit, elle doit résulter de circonstances exceptionnelles qui ont empêché la rédaction d’un écrit au moment de la conclusion de l’acte.

Quelles sont ces circonstances exceptionnelles ? L’ancien article 1348 du Code civil en vigueur en 1804 fournissait quelques illustrations.

Il visait notamment :

  • Les « dépôts nécessaires faits en cas d’incendie, tumulte ou naufrage »
  • Les « obligations contractées en cas d’accidents imprévus »

Ces illustrations, bien que ne figurant plus dans le Code civil, sont toujours d’actualité. À tout le moins, elles donnent une indication sur la nature des circonstances qui autorisent un plaideur à se prévaloir de l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit.

Pour être dispensé de rapporter la preuve de l’acte juridique litigieux par écrit, celui-ci doit démontrer que la conclusion de cet acte est intervenue dans le cadre d’une situation d’urgence, ce qui rendait impossible l’établissement d’un écrit.

Plus généralement, la Cour de cassation admet que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit est caractérisée lorsque les parties se sont heurtées, au moment de la conclusion de l’acte, à un obstacle insurmontable qui les a empêchées de rédiger un écrit.

Dans un arrêt du 13 mai 1964, la Cour de cassation a admis que cet obstacle puisse consister en l’incapacité pour l’une des parties d’écrire (Cass. 1ère civ. 13 mai 1964).

==>L’impossibilité morale de se procurer un écrit

L’impossibilité de se procurer un écrit n’est pas seulement retenue lorsqu’elle est matérielle ; il est expressément admis par l’article 1360 du Code civil qu’elle puisse être morale.

Cette admission de l’impossibilité morale au rang des exceptions à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques est d’origine jurisprudentielle.

Elle n’était pas prévue par les rédacteurs du Code civil. Il a fallu attendre l’adoption de la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 pour qu’elle soit consacrée par le législateur.

Cette reconnaissance de l’impossibilité morale de se procurer un écrit a considérablement étendu le domaine de l’exception initiale.

En effet, l’impossibilité morale d’établir un écrit recouvre de nombreuses situations, puisque tenant à un obstacle psychologique.

Elle sera admise lorsque les parties entretiennent des relations particulières entre elles.

Plus précisément, l’impossibilité de rédiger un écrit pourra provenir de l’existence d’un lien familial.

Elle a ainsi été admise lorsque la conclusion d’un acte juridique était intervenue entre parents et enfant (Cass. 1ère civ. 6 déc. 1972, n°71-13.427), entre frères (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-17.128), entre époux (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°15-27.387) ou encore entre concubins (Cass. 3e civ. 7 janv. 1972, n°70-13.528).

Le lien familial entre les deux parties à l’acte devra toutefois être suffisamment étroit et fort pour que l’impossibilité morale de se procurer un écrit soit admise (V. en ce sens Cass. 3e civ. 24 oct. 1972, n°71-12.175). Par ailleurs, il ne devra pas exister de relations d’affaires entretenues entre les parties (Cass. com. 3 avr. 1973, n°71-14.663).

L’existence d’une impossibilité morale de se procurer un écrit pourra également être caractérisée en présence de relations d’affection entre les parties à l’acte (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 janv. 1981, n°79-14.831 ; Cass. 1ère civ. 7 mars 2000, n°98-10.574).

b. Effets du principe

Lorsque l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit est admise, la preuve de l’acte juridique litigieux pourra se faire par tout moyen et notamment au moyen de témoignages ou de présomptions.

Dans un arrêt du 29 janvier 2014, la Cour de cassation a précisé que pour produire ses effets, la règle instituant l’impossibilité de se procurer un écrit comme exception à l’exigence d’écrit n’est pas « subordonnée à l’existence d’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 29 janv. 2014, n°12-27.186).

Aussi, la seule démonstration de l’existence d’une impossibilité matérielle ou morale suffit à écarter l’exigence de preuve littérale, étant précisé que cette impossibilité, en ce qu’elle s’analyse en un fait juridique, se prouve par tout moyen.

La Cour de cassation a en revanche rappelé dans un arrêt du 19 octobre 2016 que lorsque l’impossibilité de se ménager un écrit est caractérisée, cela ne dispense pas le demandeur de rapporter la preuve par tous moyens du prêt allégué (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°16-27.387).

L’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ne saurait ainsi avoir pour effet de renverser la charge de la preuve, laquelle pèse toujours sur le demandeur auquel il incombe « de prouver par tous moyens l’obligation dont il réclame l’exécution ».

2. L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

L’exigence de produire un écrit afin de prouver un acte juridique reçoit également une exception, dit l’article 1360 du Code civil, « s’il est d’usage de ne pas établir un écrit ».

Il s’agit là d’une innovation de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Comme indiqué par le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur a entendu consacrer ici une exception reconnue par la jurisprudence aux côtés des autres causes d’impossibilité de se procurer un écrit.

La Cour de cassation a, en effet, admis de longue date que lorsqu’il est d’usage dans une profession de conclure des actes juridiques verbalement, cette habitude peut s’analyser comme une impossibilité morale de se ménager un écrit (Cass. 1ère civ. 15 janv. 1963).

Tel est le cas pour certaines professions médicales, telles que les médecins par exemple (Cass. req. 27 mars 1907) ou encore pour les avocats, à tout le moins avant que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ne rende obligatoire l’établissement d’une convention d’honoraire.

Toujours est-il que, comme souligné par un auteur, ces pratiques consistant à contracter par voie orale répondent souvent « à un souci de délicatesse qui font regarder l’exigence d’un écrit comme n’étant pas convenable »[13].

Plus généralement, exiger de son cocontractant l’établissement d’un écrit peut être perçu par lui comme la marque d’un manque de confiance. Or dans les relations d’affaires la confiance est primordiale.

Pour cette raison, il paraît juste de ne pas faire application de l’exigence de rédaction d’un écrit en présence d’un usage contraire.

À cet égard, non seulement le législateur a consacré cette exception à la règle, mais encore il lui a conféré une autonomie. Cette autonomie s’explique, selon la doctrine, par le fondement de la nouvelle dérogation à l’exigence de preuve littérale.

Bien que cette dérogation ait été rattachée par la jurisprudence à l’impossibilité morale de se préconstituer un écrit, elle se fonde, en réalité, sur le caractère supplétif de l’ancien article 1341 du Code civil, devenu l’article 1359.

L’existence d’un usage contraire est, en effet, susceptible de dispenser des cocontractants de l’établissement d’un écrit, non pas parce que l’usage représente un empêchement moral pour ces dernières, mais parce qu’il peut être dérogé à l’exigence d’écrit par convention contraire en raison du caractère supplétif de cette règle. Or l’usage peut s’analyser en une telle convention.

B) L’impossibilité de produire un écrit

L’existence d’une impossibilité de rédiger un écrit n’est pas la seule exception à l’exigence d’écrit pour la preuve des actes juridiques. L’article 1360 du Code civil admet qu’il puisse également être dérogé à la règle en cas d’impossibilité de produire un écrit.

Cette dérogation tient, non pas aux circonstances qui ont entouré l’établissement d’un écrit au jour de la conclusion de l’acte, mais aux circonstances qui empêchent la production de l’écrit qui, a bien été établi conformément à l’article 1359 du Code civil, mais qui a été perdu en raison de la survenance d’un cas de force majeure.

Là encore, la règle procède de l’idée que « à l’impossible nul n’est tenu ». Autrement dit, il est difficile d’exiger de plaideurs qu’ils produisent un écrit qui a disparu pour une cause indépendante de leur volonté.

Pour que l’exigence de preuve littérale soit écartée en pareille circonstance, encore faut-il que deux conditions cumulatives soient remplies :

  • Première condition
    • Le demandeur doit prouver qu’un écrit avait bien été rédigé au jour de la conclusion de l’acte juridique litigieux.
    • Plus précisément, il doit être établi qu’un écrit répondant aux conditions de l’article 1364 du Code civil avait bien été préconstitué par les parties conformément à l’exigence énoncée par l’article 1359 du Code civil
    • Compte tenu de ce qu’il s’agira de prouver un fait juridique, la preuve peut être rapportée par tout moyen.
  • Seconde condition
    • Le demandeur doit démontrer que l’impossibilité de produire un écrit résulte d’une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure.
    • Pour mémoire, on attribue classiquement à la force majeure trois attributs :
      • Irrésistible
        • Par irrésistible, il faut entendre l’impossibilité pour les parties à l’acte d’empêcher que la cause étrangère ne survienne
      • Imprévisible
        • L’imprévisibilité suppose que les plaideurs n’ont pas pu prévoir la réalisation de la cause étrangère, soit la disparition de l’écrit.
      • Extérieure
        • On dit de la force majeure qu’elle doit être extérieure, en ce sens que sa survenance doit être indépendante de la volonté des parties à l’acte
    • Pour qu’il puisse être dérogé à l’exigence d’écrit, la force majeure devra être caractérisée dans tous éléments constitutifs, étant précisé qu’il appartient aux juges du fonds de vérifier que ces éléments sont bien réunis (Cass. 1ère civ. 23 juin 1971, n°70-10.937).
    • Aussi, dans l’hypothèse où la perte de l’écrit serait imputable à une simple négligence du demandeur, celui-ci ne sera pas admis à prouver l’acte juridique au moyen d’un autre mode de preuve que l’écrit.
    • Dans un arrêt du 15 mai 1973, la Cour de cassation a ainsi jugé que « la perte de l’original alléguée, en l’absence de toute justification des circonstances qui l’auraient entrainée, ne peut être assimilée à un cas de force majeure » (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).
    • Le plus souvent, la perte de l’écrit sera imputable à un tiers auquel les parties avaient confié la conservation de l’instrumentum.
    • Nombreux sont notamment les arrêts qui traitent de cas où c’est le notaire qui a perdu l’original de l’acte litigieux (V. en ce sens pour la perte de l’original d’un testament Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°01-16.001).
    • Pour que l’exception tenant à l’impossibilité de produire un écrit puisse jouer encore faut-il que la disparition de cet écrit soit irrémédiable.
    • Dans un arrêt du 12 novembre 2009, la Cour de cassation a ainsi refusé d’admettre que l’impossibilité pour un plaideur de produire l’original d’un testament, compte tenu de ce que son avocat ne l’avait pas emporté avec lui lors de son changement de cabinet, constituait un cas de force majeure.
    • L’original n’avait, en effet, pas disparu ; il était seulement conservé dans l’ancien cabinet de l’avocat de la plaignante, de sorte que cette dernière disposait toujours de la faculté de se le procurer et de le produire aux débats (Cass. 1ère civ. 12 nov. 2009, n°08-18.898).
    • Quoi qu’il en soit, régulièrement, la Cour de cassation rappelle que c’est à celui qui se prévaut de la disparition de l’écrit en raison de la survenance d’un cas de force majeur d’en rapporter la preuve (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-19.064).

II) Les modes de preuves admis à suppléer l’écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

A) Le commencement de preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1347 du Code civil prévoyait que l’exigence de préconstitution d’un écrit pour la preuve des actes juridiques reçoit « exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit ».

Le commencement de preuve par écrit est ainsi passé du statut d’exception à l’exigence de preuve littérale au statut de mode de preuve pouvant suppléer l’écrit.

Ce changement d’approche opéré par le législateur en 2016 n’est pas sans interroger.

Pourquoi, en effet, mettre le commencement de preuve par écrit sur le même plan que l’aveu judiciaire et le serment décisoire alors que, contrairement à ces deux derniers, il n’appartient pas à la catégorie des modes de preuve parfaits ?

Pour mémoire, les modes de preuve parfaits présentent la particularité d’être admis en toutes matières et, surtout, de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

Dans l’affirmative, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait ou de l’acte allégué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

Le commencement de preuve par écrit, quant à lui, ne s’impose pas au juge. Il est de jurisprudence constante que l’autre moyen de preuve devant corroborer le commencement de preuve par écrit est soumis à l’appréciation souveraine du juge.

C’est pour cette raison que le commencement de preuve par écrit ne s’analyse pas en un mode de preuve parfait.

Comme énoncé par l’article 1361 du Code civil cela ne l’empêche pas, pour autant, d’être un mode de preuve reconnu comme l’équivalent d’un écrit lorsqu’il est corroboré par un autre moyen de preuve.

Pour faire la preuve d’un acte juridique, le commencement de preuve par écrit doit donc remplir deux conditions :

  • Répondre à la définition prévue par la loi
  • Être corroboré par un autre moyen de preuve

Ce n’est que lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que l’exigence de preuve littérale pourra être écartée.

1. La notion de commencement de preuve par écrit

Parce que le commencement de preuve par écrit a été instrumenté par la jurisprudence comme un moyen d’atténuer l’exigence – parfois difficilement surmontable – de la production d’un écrit pour la preuve des actes juridiques, elle s’est employée, dès le XIXe siècle à élargir les contours de la notion.

Les juridictions ont notamment admis dans son périmètre, un certain nombre d’éléments de preuve qu’elles ont considérés comme valant commencement de preuve par écrit.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve, la Cour de cassation a consacré cette extension de la notion de commencement de preuve par écrit au-delà de ses frontières originelles.

a. Les éléments constitutifs de la notion de commencement par écrit

L’article 1362 du Code civil définit le commencement de preuve par écrit comme « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il s’agit là d’une reprise sensiblement dans les mêmes termes de la définition qui était énoncée par l’ancien article 1348 du Code civil. Le législateur n’a pas innové sur ce point. Il a préféré ne pas bouleverser l’économie générale de la notion.

Aussi, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

i. Un écrit

Comme suggéré par son appellation, un commencement de preuve par écrit consiste, avant toute chose, en un écrit.

Plus précisément, l’article 1362 du Code civil énonce qu’il peut s’agir de « tout écrit ».

Par cette formulation, il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire que l’écrit versé aux débats soit un acte sous seing privé ou un acte authentique.

Et pour cause, un commencement de preuve par écrit a précisément vocation à être produit pour le cas où le demandeur n’est pas en mesure de fournir un écrit au sens des articles 1364 et suivants du Code civil.

Exiger qu’un commencement de preuve par écrit présente les mêmes attributs que la preuve littérale, reviendrait à vider le dispositif institué par le législateur de tout son intérêt.

C’est ce qui a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 janvier 1971 aux termes duquel elle a reproché aux juges du fond d’avoir ajouté une condition à la loi en exigeant que l’écrit produit par l’un des plaideurs soit signé – et donc remplisse les conditions d’un acte sous seing privé – pour valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1971, n°69-13.273).

Aussi, est-il admis de voir dans toute forme de document écrit un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il ne s’agisse, ni d’un acte sous seing privé, ni d’un acte authentique.

Classiquement, on recense trois catégories d’écrits susceptibles de répondre à la qualification de commencement de preuve par écrit :

α: Les écrits irréguliers

Le plus souvent, la reconnaissance du statut de commencement de preuve par écrit à un document résultera de la requalification d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique frappé d’une irrégularité.

Tel serait le cas d’un acte sous seing privé qui ne comporterait pas l’une des mentions énoncées par l’ancien article 1326 du Code civil, devenu l’article 1376.

Dans un arrêt du 21 mars 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’absence d’indication du montant de l’engagement unilatéral souscrit en chiffres affectait l’acte de telle sorte qu’il « ne pouvait constituer qu’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 2006, n°04-18.673).

Dans un arrêt du 15 octobre 1991, elle a encore décidé que « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

L’oubli de la mention indiquant le nombre d’originaux établis par les parties est également de nature à faire requalifier l’acte en commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013, n°11-24.453).

Il en va de même dans l’hypothèse où l’acte n’a pas été rédigé en autant d’originaux qu’il y a de parties, comme exigé par l’article 1375 du Code civil (Cass. com., 5 nov. 1962).

La Cour de cassation a encore estimé que pouvait valoir commencement de preuve par écrit un procès-verbal constatant un accord ne comportant pas la signature des parties (Cass. com. 20 janv. 1965, n°62-11.990).

La Cour de cassation a retenu la même solution pour un acte authentique qui, à encore, n’avait pas été signé par les parties (Cass. 1ère civ. 28 oct. 2003, n°01-02.654).

La première chambre civile a également admis qu’une reconnaissance de dette dont la signature avait été raturée pouvait valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 16 juin 1993, n°91-20.105).

On peut encore citer les lettres missives auxquelles il a toujours été reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit pourvu qu’elles rendent vraisemblable l’existence de l’acte juridique litigieux (Cass. 1ère civ. 20 avr. 1983, n°82-150).

Dans un arrêt récent rendu le 24 janvier 2018, la Chambre commerciale a ainsi admis qu’une lettre aux termes de laquelle la banque reconnaissait avoir retrouvé le double du bordereau d’une remise de fonds, valait commencement de preuve par écrit du dépôt de la somme d’argent réalisé par un client (Cass. com. 24 janv. 2018, n°16-19.866).

β: Les écrits réguliers ne permettant pas d’identifier avec certitude l’acte litigieux

Autre typologie d’écrit susceptibles de valoir commencement de preuve par écrit, ceux qui ne sont frappés d’aucune irrégularité, mais qui ne permettent pas d’identifier avec suffisamment de certitude l’acte juridique auquel ils se rapportent.

Il en va ainsi d’un chèque rejeté pour absence de provision (Cass. com. 5 févr. 1991, n°89-16.333).

Il pourra également s’agir d’ordres de virement mentionnant le motif de l’opération (Cass. 1ère civ. 25 juin 2008, n°07-12.545).

γ: Les copies d’actes sous signature privée

==>Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la jurisprudence admettait qu’une copie puisse valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-14.370).

Elle subordonnait toutefois la reconnaissance de cette valeur probatoire à l’absence de contestation de la copie produite aux débats.

La Cour de cassation a, par exemple, statué en ce sens un arrêt du 14 février 1995 s’agissant de la photocopie d’une reconnaissance de dette signée par le débiteur « qui ne contestait ni l’existence de l’acte ni la conformité de la photocopie à l’original, selon lui détruit » (Cass.1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Elle a retenu la même solution pour des copies certifiées conformes dans un arrêt du 13 décembre 2005 aux termes duquel elle a jugé que « les copies d’actes sous seing privé même certifiées conformes qui n’ont par elles-mêmes aucune valeur juridique dès lors que l’existence de l’original est déniée, ne peuvent valoir comme commencement de preuve » (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-14.229).

La Haute juridiction considérait ainsi que, lorsque la copie produite aux débats était contestée par le défendeur, elle devait être purement et simplement écartée des débats (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).

Cette position se fondait sur l’ancien article 1334 du Code civil qui prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »

Si cette disposition admettait qu’une copie puisse être produite en justice aux fins de prouver un acte juridique, la partie adverse pouvait néanmoins toujours exiger la production de l’original.

Il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence que la force probante d’une copie était subordonnée à l’existence de l’écrit original.

Lorsque cette condition était remplie la copie pouvait alors faire foi au même titre que l’original (Cass. req. 16 févr. 1926). La copie était ainsi dépourvue de toute valeur juridique autonome.

S’agissant des photocopies, compte tenu de ce qu’elles ne sont pas revêtues de la signature originale des parties, elles ne pouvaient valoir que commencement de preuve par écrit.

Reste que pour se voir reconnu cette valeur probatoire, aucune contestation ne devait être élevée par le défendeur.

En réaction à cette jurisprudence qui subordonnait la reconnaissance d’une valeur probatoire aux copies à l’absence de contestation, ce, alors même que les techniques de reproduction étaient de plus en plus fiables, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne.

C’est ce qu’il a fait en adoptant la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 laquelle a introduit un article 1348, al. 2e dans le Code civil qui a renforcé la valeur juridique des copies en leur conférant une force probante autonome.

Ce texte prévoyait, en effet, que « lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable », cette copie était admise pour faire la preuve d’un acte juridique par exception à l’exigence de la preuve par écrit.

Aussi, désormais une copie pouvait-elle faire foi nonobstant la disparition de l’original dont sa persistance n’était donc plus une exigence absolue.

Pour que la copie puisse toutefois être pourvue d’une force probante autonome, soit pour le cas où l’original n’existerait plus ou ne pouvait pas être produit, encore fallait-il que soient démontrées la fidélité de la reproduction et la durabilité du support utilisé.

À cet égard, le texte précisait que « est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »

Bien que cette précision renseignât sur ce qu’il fallait entendre par une copie « durable », cela était loin d’être suffisant pour déterminer quelles étaient les copies qui répondaient aux conditions de reproduction énoncée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Rapidement la question s’est alors posée en jurisprudence de savoir si les photocopies remplissaient la condition de fiabilité exigée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 25 juin 1996, elle a jugé que cette technique pouvait être admise au rang des procédés permettant l’obtention d’une « reproduction fidèle et durable ».

Elle en déduisit que la photocopie qui était produite aux débats « ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, mais faisait pleinement la preuve de l’existence » de l’acte juridique dont l’existence était contestée au cas particulier (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, n°94-11.745).

Dans cette décision, la haute juridiction reconnaissait ainsi à la photocopie la valeur d’une preuve complète, puisque n’exigeant pas qu’elle soit corroborée, comme c’est le cas pour un commencement de preuve par écrit, par des éléments probatoires extrinsèques, tels que des témoignages ou des présomptions.

Bien qu’il puisse être porté au crédit de la loi du 12 juillet 1980 d’avoir été le premier texte à reconnaître à la copie d’un écrit une valeur probatoire indépendante de l’original, le dispositif, tel que prévu par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil, souffrait de deux carences principales.

  • Première carence
    • La règle renforçant la force probante de la copie était logée dans un article relevant de la preuve testimoniale. Or le régime des copies intéresse la preuve littérale.
    • Ce problème de méthode quant à la localisation de la règle dans le corpus textuel du droit de la preuve était de nature à flouer la portée qu’il y avait lieu de donner au dispositif mis en place.
  • Seconde carence
    • L’autonomie probatoire conférée à la copie résultait non pas d’une exception à l’absence de principe de force probante des copies, mais d’une exception à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques, ce qui, de l’avis des auteurs, n’était pas très cohérent

Pour ces deux raisons, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne à nouveau afin de clarifier le régime juridique des copies.

==>Droit positif

Le législateur s’est attelé à la tâche de réformer le régime juridique des copies à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur justifie cette réforme en avançant que :

  • D’une part, sous l’empire de l’ancienne loi du 12 juillet 1980, le Code civil ne disposait d’aucun régime unifié et cohérent de la copie
  • D’autre part, que l’évolution des technologies implique une conception plus large de l’écrit qui ne se matérialise plus nécessairement sur papier, et consécutivement une multiplication des techniques de reproduction, raison pour laquelle le régime juridique de la copie doit être revu

C’est sur la base de ces deux constats que le législateur a donc façonné un nouveau régime de la copie qui a désormais pour siège le nouvel article 1379 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original. »

Il s’évince de cette disposition un principe général d’équivalence entre la copie dite fiable et l’original.

Surtout, et c’est là une rupture avec l’ancien article 1334 du Code civil, cette équivalence opère peu important que l’original subsiste ou pas, et peu important l’origine.

Autrement dit, il est indifférent que l’original ait disparu ou que son détenteur soit dans l’incapacité de le produire ; la copie possède la même valeur probatoire que l’original pourvu qu’elle soit fiable.

À l’analyse, en énonçant un principe général d’équivalence entre les deux types d’écrits, le législateur confirme l’autonomie probatoire qu’il avait entendu conférer à la copie à l’occasion de l’adoption de la loi du 12 juillet 1980.

Aussi, désormais, la force probante d’une copie tient, non plus à la persistance de l’original mais à sa fiabilité :

  • La force probante de la copie fiable
    • En application de l’article 1379, al. 1er du Code civil, elle possède la même valeur que l’original.
    • Cela signifie que :
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte authentique, la copie « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte sous seing privé, la copie fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire.
  • La force probante de la copie non fiable
    • L’article 1379 du Code civil est silencieux sur la force probante de la copie dont la fiabilité ne serait pas reconnue.
    • Est-ce à dire qu’elle ne serait pourvue d’aucune valeur probatoire ?
    • Pour le déterminer il convient de se reporter au troisième alinéa de l’article 1379 qui fournit un indice.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
    • Il convient tout d’abord d’observer que cette exigence est a priori inapplicable à la copie fiable.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 indique en ce sens que « si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie. »
    • Il faut comprendre ici, s’agissant de la copie fiable, que la disparition de l’original est sans incidence sur sa force probante.
    • En revanche, pour les copies qui ne répondent pas à l’exigence de fiabilité, l’article 1379, al. 3e suggère que leur force probante est subordonnée à la subsistance de l’original.
    • On retrouve là, manifestement, la règle énoncée par l’ancien article 1334 du Code civil qui, pour mémoire, prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
    • Cette règle n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour le cas où la copie produite aux débats est contestée par la partie adverse.
    • Dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune discussion, il devrait être admis qu’elle puisse faire foi conformément à ce qui avait été décidé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).

ii. Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente

Un écrit ne peut donc être qualifié de commencement de preuve par écrit qu’à la condition qu’il émane de la personne à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 11 avril 1995, la Cour de cassation a rappelé cette exigence en énonçant, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil devenu l’article 1362, que « pour valoir commencement de preuve, l’écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s’en prévaut » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.246 ; V. également dans le même sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2012, n°11-25.900).

Cette règle n’est autre qu’une déclinaison du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » désormais énoncé à l’article 1363 du Code civil.

Aussi, dans l’hypothèse où l’écrit produit émanerait de celui-là même qui l’a établi ne saurait se voir reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 10 juill. 2002, n°99-15.430).

Par extension, l’article 1362 du Code civil admet que le commencement de preuve par écrit puisse émaner du représentant de la partie contre laquelle il est produit.

Dans un arrêt du 28 juin 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « le commencement de preuve par écrit peut émaner du mandataire de celui à qui on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 28 juin 1989, n°86-19.012).

La solution est logique en ce que la représentation d’une personne consiste en l’accomplissement d’actes au nom et pour le compte de cette personne, de telle sorte que les actes sont réputés avoir été passés par cette dernière.

Aussi, est-il logique d’admettre que l’écrit émanant du représentant soit pourvu de la même valeur que celui établi par le représenté lui-même.

En revanche, le commencement de preuve par écrit ne saurait émaner d’un tiers.

Dans un arrêt du 25 novembre 2023 la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit à des documents qui avaient été établis par des tiers et non par des personnes auxquelles ils étaient opposés (Cass. 1ère civ., 25 nov. 2003, n° 00-22.577).

Par exception, il est admis qu’un écrit émanant d’un tiers puisse valoir commencement de preuve par écrit lorsqu’il a été approuvé par la partie à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 20 janvier 2004, la Cour de cassation a reconnu la qualification de commencement de preuve par écrit à une demande de permis de construire qui n’émanait pas du défendeur, au cas particulier un architecte auquel les demandeurs réclamaient la restitution d’acomptes et d’honoraires versés.

Ce document comportait toutefois le nom et la signature de l’architecte, ce qui suffisait, pour la Troisième chambre civile, à lui conférer la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 20 janv. 2004, n°02-12.674).

La Cour de cassation est allée encore plus loin en admettant, dans des arrêts anciens, qu’un écrit puisse valoir commencement de preuve par écrit, alors même que la partie à laquelle il était opposé n’avait pas participé matériellement à son établissement.

Elle en était, en revanche, l’auteur intellectuel, le tiers n’ayant fait que reporter sur le document litigieux les énonciations qui lui étaient dictées.

Pour le démontrer, il conviendra de prouver que l’écrit ne fait qu’exprimer la volonté de la personne intéressée, ce qui suggère qu’il a été approuvé tacitement par cette dernière (Cass. 3e civ.29 févr. 1972, n°70-13.069).

Cette implication intellectuelle dans la rédaction de l’écrit pourra également se déduire lorsque l’auteur matériel de l’acte indique l’origine des déclarations et justifie d’une qualité qui ne permet pas de mettre en cause son impartialité (Cass. req. 29 avr. 1922 : affaire portant sur un acte d’état civil).

iii. Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

En application de l’article 1362 du Code civil, l’élément de preuve produit aux débats ne pourra endosser la qualification de commencement de preuve par écrit que s’il « rend vraisemblable ce qui est allégué ».

Que faut-il entendre par cette formule ? Des auteurs suggèrent qu’il faut comprendre que « le commencement de preuve par écrit doit être pertinent, approprié au fond de l’affaire, et créer un préjugé en faveur de celui qui l’invoque »[14].

Autrement dit, l’élément de preuve produit doit être suffisamment convaincant et sérieux pour rendre possible et envisageable le fait allégué. La vraisemblance ne saurait résulter d’une simple possibilité ou d’une hypothèse. En somme, il ne doit pas y avoir d’équivoque pour qu’il y ait vraisemblance.

À cet égard, la condition tenant à la vraisemblance du fait allégué est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1970, n°69-10.414 ; Cass. 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-18.787).

Il peut être observé que cette question de l’appréciation de la vraisemblance a fait l’objet d’un contentieux nourri s’agissant des chèques bancaires.

La question s’est notamment posée de savoir si un chèque pouvait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt d’argent pour le montant mentionné sur le chèque.

Dans un premier temps, la Cour de cassation l’a admis pour le cas où le chèque avait été endossé par le débiteur.

Dans un arrêt du 10 mai 1995, elle a jugé en ce sens que « si le chèque ne peut, en tant que tel, valoir commencement de preuve par écrit contre le bénéficiaire, il en est différemment du chèque endossé par celui-ci » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1995, n°93-13.133).

Dans un second temps, elle a retenu la solution inverse, considérant que « l’endossement de chèques démontre seulement la réalité de la remise de fonds » (Cass. 1ère civ. 3 juin 1998, n°96-14.232).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, si un chèque permet bien d’établir la remise de fonds lorsqu’il a été endossé, cette remise ne permet pas d’établir sa cause, à tout le moins avec vraisemblable.

Une remise de fonds peut procéder, tout autant d’une donation que de l’existence d’une créance. C’est la raison pour laquelle un chèque, même endossé, ne saurait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt.

b. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit

Animée par une volonté de faciliter la preuve des actes juridiques, la Cour de cassation a progressivement adopté une approche extensive de la notion de commencement de preuve par écrit, à telle enseigne qu’elle a admis que puissent valoir commencement de preuve par écrit des éléments de preuve qui dérogent :

  • Soit à la condition tenant l’exigence d’un écrit
  • Soit à la condition tenant à l’origine de l’écrit

i. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’exigence d’un écrit

Comme vu précédemment, pour valoir commencement de preuve par écrit, l’élément de preuve produit doit, en principe, consister en un écrit.

L’article 1362 al. 2 du Code civil déroge toutefois à cette exigence en énonçant que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Il s’agit là d’une reprise de l’alinéa 3e de l’ancien article 1347 du Code civil, lequel était issu de la loi n°75-596 du 9 juillet 1975.

Cette loi était venue consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que des déclarations orales puissent valoir commencement de preuve par écrit (Cass. req., 29 avr. 1922).

Toutefois, toutes les déclarations orales ne constituent pas nécessairement des commencements de preuve par écrit.

Le texte précise en effet que sont seules éligibles à cette qualification :

  • les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle
  • Le refus d’une partie de répondre aux questions du juge
  • L’absence de comparution d’une partie

Dans un arrêt du 19 novembre 2002 la Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit à une sommation interpellative qui était pourtant consignée dans un constat d’huissier de justice (Cass. 1ère civ. 19 nov. 2002, n°01-10.169).

À l’analyse, l’article 1362, al. 2e du Code civil n’apporte rien de nouveau au droit positif dans la mesure où il ne fait qu’énoncer une règle qui existe déjà dans le Code de procédure civile et qui a été introduite dans ce code à l’article 198 par une loi du 23 mai 1942.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le juge peut tirer toute conséquence de droit des déclarations des parties, de l’absence ou du refus de répondre de l’une d’elles et en faire état comme équivalent à un commencement de preuve par écrit. »

En tout état de cause, c’est au juge, dit le texte, d’apprécier souverainement s’il y a lieu de considérer comme équivalent à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.

ii. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’origine de l’écrit

Si, en principe, pour valoir commencement de preuve par écrit l’élément de preuve produit doit émaner de la partie à laquelle on l’oppose, l’article 1362, al. 3e du Code civil assortit la règle d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « la mention d’un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public vaut commencement de preuve par écrit. »

La règle déroge ici aux conditions du commencement de preuve par écrit en ce que le registre susceptible d’être produit comme élément de preuve émane d’un tiers (l’autorité publique qui tient le registre) et non de la partie à laquelle il est opposé.

À la différence de la précédente dérogation, cette règle ne figurait pas dans l’ancien article 1347 du Code civil. Il s’agit là d’une création de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Si l’on se réfère au rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, cette création vise à alléger « les conditions dans lesquelles la transcription d’un acte sur les registres publics peut servir de commencement de preuve par écrit. »

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1336 du Code civil prévoyait, pour mémoire, que pour que la transcription d’un acte sur les registres publics puisse servir de commencement de preuve par écrit, il fallait que deux conditions cumulatives soient réunies :

  • Qu’il soit constant que toutes les minutes du notaire, de l’année dans laquelle l’acte paraît avoir été fait, soient perdues, ou que l’on prouve que la perte de la minute de cet acte a été faite par un accident particulier ;
  • Qu’il existe un répertoire en règle du notaire, qui constate que l’acte a été fait à la même date.

Aujourd’hui, ces deux conditions n’ont plus cours. Il suffit que le registre produit soit public pour que les mentions qui y figurent vaillent commencement de preuve par écrit.

2. La corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve

Pour qu’un commencement de preuve par écrit soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Ainsi, un commencement de preuve par écrit ne suffit pas à lui seul à faire la preuve d’un acte juridique. C’est là ce qui le distingue fondamentalement des autres modes de preuve parfaits qui, quant à eux, ne requiert l’addition d’aucun autre moyen de preuve pour que le fait allégué soit réputé établi.

En somme, comme souligné par un auteur « le commencement de preuve par écrit ne prouve pas le fait contesté. Il rend seulement admissible d’autres modes de preuve dans un domaine où, à son défaut, ils auraient été irrecevables »[15].

La Cour de cassation rappelle régulièrement cette impuissance du commencement de preuve par écrit à faire la preuve d’un acte juridique lorsqu’il n’est pas corroboré par un autre moyen de preuve (V. par exemple Cass. com. 31 mai 1994, n°92-10.795 ; Cass. 1ère civ. 28 févr. 1995, n°92-19.097).

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quels sont les « autres moyens de preuve » admis à compléter un commencement de preuve par écrit.

À l’analyse, le moyen de preuve complémentaire produit doit répondre à deux exigences :

  • Consister en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil
  • Présenter un caractère extrinsèque

==>Un mode de preuve reconnu par le Code civil

L’article 1361 du Code civil exige donc que le commencement de preuve par écrit soit complété par un « autre moyen de preuve ».

Par « autre moyen de preuve », il faut comprendre ceux énoncés sous le chapitre consacré aux « différents modes de preuve ».

Pour mémoire, sont reconnus par le Code civil comme mode de preuve pouvant être produit en justice :

  • L’écrit (art. 1363 à 1380 C. civ.)
  • Le témoignage (art. 1382 C. civ.)
  • Les présomptions judiciaires (art. 1381 C. civ.)
  • L’aveu (art. 1383 à 1383-2 C. civ.)
  • Le serment (art. 1384 à 1386-1 C. civ.)

Parmi ces modes de preuves, il y a lieu d’ores et déjà d’exclure ceux qui sont parfaits, compte tenu de ce qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils rendent dès lors inutile le recours au mécanisme du commencement de preuve par écrit pour le plaideur qui serait en mesure de se prévaloir de l’un d’eux, au nombre desquels figurent, pour rappel, l’écrit, l’aveu judiciaire et le serment décisoire.

Il s’en déduit que les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit.

Dès lors que l’un de ces moyens de preuve est produit par le plaideur dans ce cadre, le juge ne saurait subordonner la preuve de l’acte juridique litigieux à la satisfaction d’une autre condition (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a, par ailleurs, rappelé que c’est aux juges du fond qu’il revient d’apprécier « souverainement les éléments invoqués par une partie pour compléter un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 4 oct. 2005, n°02-13.395).

C’est, autrement dit, à lui seul de dire si la condition tenant à l’exigence de corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve est remplie.

À l’inverse, il incombe aux parties de se prévaloir de l’exception tirée d’un commencement de preuve par écrit. Le juge ne dispose pas du pouvoir de relever ce moyen d’office (Cass. 3e civ. 5 juill. 2011, n°08-12.689). Il est seulement tenu de prendre en compte le commencement de preuve par écrit, à tout le moins de vérifier que ses conditions de recevabilité sont satisfaites.

==>Un mode de preuve présentant un caractère extrinsèque

Pour qu’un élément de preuve soit admis à compléter un commencement de preuve par écrit, il ne suffit pas qu’il consiste en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil, il faut encore qu’il présente un caractère extrinsèque.

Cette exigence avait été formulée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016.

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation avait, par exemple, affirmé, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil, que « pour compléter un commencement de preuve par écrit, le juge doit se fonder sur un élément extrinsèque a ce document » (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-10.431).

Bien que l’exigence d’extériorité de l’élément de preuve produit en complément d’un commencement de preuve par écrit ne soit pas exprimée explicitement par les nouveaux textes, les auteurs s’accordent à dire qu’elle s’infère de la formule « autre moyen de preuve » que l’on retrouve à l’article 1361 du Code civil.

L’exigence d’origine jurisprudentielle serait donc maintenue, ce qui conduit dès lors à se poser la question de savoir ce qu’il faut entendre par « un élément de preuve extrinsèque ».

Deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche matérielle
    • Selon cette approche, l’élément de preuve produit en complément du commencement de preuve par écrit doit être matériellement distinct de lui.
    • Autrement dit, il ne saurait être recherché dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit ; l’élément de preuve complémentaire doit lui être totalement extérieur
    • Un même document ne saurait ainsi servir à la fois de commencement de preuve par écrit et d’élément de preuve complémentaire.
  • L’approche intellectuelle
    • Selon cette approche, il n’est pas nécessaire que l’élément invoqué en complément du commencement de preuve par écrit, soit matériellement distinct de lui.
    • Il peut donc parfaitement être contenu dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit, pourvu néanmoins qu’il n’émane pas de l’auteur de cet instrumentum
    • Il pourrait, par exemple, s’agir d’une mention ou d’une signature ajoutée par une personne autre que celle qui a établi le commencement de preuve par écrit produit.

Entre ces deux approches, la Cour de cassation semble avoir opté pour la seconde.

Dans un arrêt du 8 octobre 2014, elle a, en effet, considéré que des signatures apposées par des témoins sur un écrit constatant une reconnaissance de dette pouvaient constituer des éléments extrinsèques à l’acte, alors même qu’elles figuraient sur le même support que le commencement de preuve par écrit qu’elles venaient corroborer (Cass. 1ère civ. 8 oct. 2014, n°13-21.776).

À l’analyse, les éléments de preuve extérieurs au commencement de preuve par écrit peuvent être d’une grande variété.

Ces éléments pourront notamment consister en des témoignages ou des présomptions (Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Il pourra également s’agit d’un aveu-extrajudiciaire qui, pour mémoire, consiste en une déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n° 00-15.834).

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation a encore admis qu’un acte d’exécution puisse constituer un élément de preuve venant compléter un commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-12.425).

De façon générale, tout indice pourra être retenu par le juge pour valoir élément de preuve complétant le commencement de preuve par écrit produit.

Il pourra, par exemple, s’agir d’une clause ou d’une énonciation contenue dans un acte (Cass. com. 5 mai, n°2004, n°02-11.574), peu importe qu’il soit nul (Cass. 1ère civ. 25 janv. 1965).

Il pourra également s’agir de tout indice tiré du comportement d’une partie au cours de l’instance (Cass. 1ère civ. 23 janv. 1996, n°94-12.931) ou encore de la qualité de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit aux débats (Cass. com., 22 juin 1999, n°97-12.839).

B) Les modes de preuve parfaits

En application de l’article 1361 du Code civil, il peut être suppléé à l’écrit :

  • Soit par l’aveu judiciaire
  • Soit par le serment décisoire

Ces deux moyens de preuve appartiennent à la catégorie des modes de preuve parfaits.

Aussi, présentent-ils une double spécificité :

  • En premier lieu, ils sont admis en toutes matières, soit pour faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques peu importe le montant de ces deniers
  • En second lieu, ils s’imposent au juge en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonnera à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

En l’absence d’écrit pour faire la preuve d’un acte juridique, les plaideurs ont ainsi la faculté de recourir à un mode de preuve parfait, étant précisé qu’il n’existe aucune hiérarchie entre ces derniers (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 28 janv. 1981, 79-17.501).

Sous réserve que les conditions d’admission du mode de preuve parfait soit réunies, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve de l’acte juridique litigieux soit rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

III) L’aménagement conventionnel de l’exigence d’écrit

Les articles 1358 et 1359 du Code civil énoncent des règles qui ne sont pas d’ordre public, de sorte que les parties peuvent y déroger par convention contraire.

Bien que l’on se soit, un temps, posé la question de la licéité des conventions sur la preuve, elles ont finalement été admises par la jurisprudence.

Dans deux arrêts particulièrement remarqués rendus le 8 novembre 1989, la Cour de cassation a jugé très explicitement que « pour les droits dont les parties ont la libre disposition, [les] conventions relatives à la preuve sont licites » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1989, n°86-16.196 et 86-16.197).

Prenant acte de cette position bien établie en jurisprudence, le législateur l’a consacrée à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1356, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition ».

Il ressort de cette disposition que les parties sont libres d’aménager, par voie contractuelle, les règles de preuve.

À cet égard, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la licéité des conventions visant à déterminer contractuellement quels seront les modes de preuves admis pour faire la preuve d’un droit ou d’une obligation.

Pour la Haute juridiction, les parties sont libres, tant d’étendre les modes de preuve admissibles (Cass. req. 6 janv. 1936) ; que de les restreindre (Cass. 1ère civ. 10 janv. 1995, n°92-18.013).

Il s’en déduit que les parties peuvent parfaitement prévoir contractuellement que la preuve de l’acte juridique conclu entre elles pourra se faire par tous moyens.

La liberté conférée aux parties d’aménager les règles de preuve n’est toutefois pas sans limites ; elle se heurte, en particulier, aux dispositions d’ordre public que l’on retrouve notamment en droit de la consommation.

Dans ce domaine, il est notamment interdit au professionnel de restreindre les modes de preuve admis à prouver l’acte juridique conclu avec un consommateur.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

La preuve outre ou contre un écrit: régime

I) Principe

L’article 1359, al. 2 du Code civil prévoit que « il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n’excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique. »

Il ressort de cette disposition que dès lors qu’un acte juridique est prouvé au moyen d’un écrit, les énonciations figurant dans ce dernier – pris en tant qu’instrumentum – ne pourront être contredites ou complétées que par la production d’un autre écrit.

Plus précisément, cette exigence joue, dit le texte, lorsqu’il s’agit de prouver « outre ou contre un écrit établissant un acte juridique ».

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « prouver outre ou contre un écrit ».

  • La preuve outre un écrit
    • Il s’agit de la preuve qui vise à établir que toutes les stipulations de l’acte juridique litigieux ne se retrouvent pas dans l’écrit produit.
    • Prouver outre un écrit consiste ainsi à en compléter les vides et à établir ce qu’il ne dit pas
    • En application de l’article 1359, al. 2e du Code civil, seule la production d’un autre écrit qui constaterait les stipulations manquantes sera alors admise.
  • La preuve contre un écrit
    • Il s’agit de la preuve qui vise à contredire une ou plusieurs énonciations figurant dans l’écrit produit :
      • Soit parce qu’elles ne seraient pas conformes aux termes de l’acte juridique conclu entre les parties
      • Soit parce qu’elles ne rendraient pas compte de la véritable nature de l’acte, tel qu’il résulterait de l’accord conclu entre les parties
    • Autrement dit, prouver contre un écrit c’est établir que les énonciations figurant dans l’instrumentum versé aux débats ne reflèteraient pas la réalité de l’accord passé entre les parties.

Qu’il s’agisse de prouver contre ou outre un écrit, dans les deux cas, l’article 1359, al. 2e du Code civil exige que la preuve soit rapportée par écrit.

À cet égard, la Cour de cassation est régulièrement conduite à faire application de cette règle.

Dans un arrêt du 27 novembre 1967, elle a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis que la preuve puisse être rapportée par tous moyens s’agissant d’établir la stipulation d’une clause qui ne figurait pas dans l’écrit versé aux débats (Cass. 1ère civ. 27 nov. 1967).

Dans un arrêt du 17 février 2010, la Première chambre civile a encore rappelé qu’un acte authentique qui avait conféré à opération l’apparence d’une donation, alors qu’il s’agissait en réalité d’une vente, ne pouvait être contredit au qu’au moyen de la production autre écrit (Cass. 1ère civ. 17 févr. 2010, n°09-11.455).

On peut enfin évoquer un arrêt du 4 novembre 2011 qui reproche à une Cour d’appel d’avoir admis comme preuve du remboursement d’un prêt consenti par un établissement de crédit une quittance adressée à l’emprunteur à la suite d’une erreur matérielle consécutive à une défaillance de son système informatique, « alors que si celui qui a donné quittance peut établir que celle-ci n’a pas la valeur libératoire qu’implique son libellé, cette preuve ne peut être rapportée que dans les conditions prévues par les articles 1341 et suivants du Code civil » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 2011, n°10-27.035).

II) Mise en œuvre

La règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil n’est pas sans soulever un certain nombre de difficultés de mise en œuvre.

==>L’indifférence du montant de l’acte litigieux

Dans la mesure où la preuve par écrit n’est exigée que pour les seuls actes juridiques portant sur un montant supérieur à 1500 euros, on pourrait être légitimement en droit de se demander si, par parallélisme des formes, il n’y aurait pas lieu d’appliquer ce seuil s’agissant de prouver contre ou outre un écrit.

À l’analyse, l’article 1359, al. 2e du Code civil l’exclut expressément. Le texte dit, en effet, qu’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, « même si la somme ou la valeur n’excède pas [le seuil réglementaire] ».

Aussi, peu importe le montant de l’acte litigieux, dès lors que celui-ci a été prouvé par écrit, il ne pourra être contesté qu’au moyen d’un autre écrit.

Au fond, cette règle ne fait que rappeler le principe de supériorité de l’écrit sur les autres modes de preuve (exceptions faites du serment décisoire ou de l’aveu judiciaire qui sont des modes de preuve parfaits et qui, à ce titre, sont toujours admis à pallier l’absence d’écrit).

Bien que l’écrit ne soit pas exigé pour établir un acte juridique portant sur un montant inférieur à 1500 euros, rien n’interdit les plaideurs de produire aux débats une preuve littérale.

Compte tenu de ce que l’écrit est pourvu d’une force probante supérieure aux témoignages et précomptions, il est parfaitement cohérent de considérer que pour combattre un écrit, seul un autre écrit peut être admis.

C’est là le sens l’article 1359, al. 2e du Code civil lorsqu’il précise qu’il est indifférent que la somme ou la valeur de l’acte juridique litigieux « n’excède pas » le seuil réglementaire.

==>Exclusion de l’interprétation

Si la preuve outre ou contre un écrit requiert la production d’un autre écrit, tel n’est pas le cas de l’interprétation d’un acte juridique.

Si les deux opérations sont susceptibles de se ressembler, elles ne se ressemblent pas.

En effet, l’interprétation est l’opération qui consiste à conférer une signification aux stipulations d’un acte juridique. Aussi n’a-t-elle vocation à intervenir qu’en présence d’un écrit dont les énonciations seraient obscures et ambiguës.

Prouver outre ou contre un écrit est une opération quelque peu différente.

Il ne s’agit pas de donner un sens à une énonciation qui présenterait un caractère sibyllin. Au contraire, parce que l’énonciation contestée est parfaitement claire, le plaideur chercher à lui ajouter ou à lui retrancher quelque chose dans la mesure où la règle qu’elle exprime n’est pas conforme aux termes de l’accord conclu entre les parties.

Faisait une distinction entre les deux opérations, dans un arrêt du 19 octobre 1964 la Cour de cassation « s’il n’est reçu aucune preuve par témoins ou présomptions contre et outre le contenu aux actes, cette preuve peut cependant être invoquée pour interpréter un acte, s’il est obscur ou ambigu » (Cass. 1ère civ. 19 oct. 1964).

Ainsi, lorsqu’il s’agit de prouver l’interprétation à donner à l’énonciation d’un écrit, la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen.

Cette position qui doit être approuvée a, par suite, été reconduite à plusieurs reprises par la Cour de cassation (Cass. 1ère civ. 26 janv. 2012, n°10-28.356).

En effet, l’opération consistant à interpréter un écrit s’analyse en un fait juridique. Il s’agit de sonder l’interprétation des parties et d’identifier le sens qu’elles ont voulu donner à l’acte juridique litigieux.

Reste que, en pratique, comme souligné par les auteurs « au-delà des mots, la frontière entre la contestation de l’acte et son interprétation est parfois poreuse »[10].

Tel était notamment le cas dans un arrêt rendu par la Troisième chambre civile le 10 avril 1973 (Cass. 3e civ. 10 avr. 1973, n°71-13.405 ).

Dans cette affaire, les acquéreurs d’une exploitation agricole assignent en justice leurs vendeurs pour défaut de délivrance de l’intégralité des droits afférents à ce bien, spécialement du droit de replantation d’un hectare de vignes provenant de ce que les vendeurs avaient arraché ces vignes

Par un arrêt du 16 juin 1971, la Cour d’appel de Montpellier déboute les acquéreurs de leur demande en dommages et intérêts au motif que les droits invoqués n’étaient mentionnés nulle part dans l’acte notarié produit.

Au soutien de leur demande ils faisaient notamment valoir que les juges du fond ne pouvaient recevoir aucune preuve par témoin contre et outre le contenu de l’acte authentique, dont les termes s’imposaient à eux pour déterminer la volonté des parties.

Tandis que la Cour d’appel avait, en effet, raisonné sur le terrain de l’interprétation de l’acte litigieux, raison pour laquelle elle avait jugé recevable, comme élément de preuve, « la correspondance échangée entre les notaires des parties », les acquéreurs considéraient, quant à eux, que l’opération en jeu visait, non pas à interpréter l’écrit versé aux débats – dont les énonciations étaient parfaitement claires au cas particulier – mais à lui ajouter quelque chose qu’il ne disait pas. Or prouver contre un écrit requiert la production d’un autre écrit.

On voit bien dans cette affaire que la ligne séparant l’interprétation d’un écrit et l’opération consistant à le contester peut être extrêmement ténue. D’où la difficulté de mise en œuvre de la règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil.

==>Conflits entre écrits

S’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit que par un autre écrit, cela signifie qu’il est des cas où deux écrits exprimant des clauses contraires, à tout le moins divergentes sont susceptibles d’entrer en conflit.

La question qui alors se pose est de savoir comment régler ce conflit entre écrits ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1368 du Code civil qui prévoit que « à défaut de dispositions ou de conventions contraires, le juge règle les conflits de preuve par écrit en déterminant par tout moyen le titre le plus vraisemblable. »

Aussi, en cas de production d’écrits par chacune des parties, c’est au juge que revient la charge d’arbitrer et de déterminer quel écrit lui apparaît le plus vraisemblable et doit, en conséquence, primer sur l’autre.

III) Portée

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1341 du Code civil prévoyait que « il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre. »

Si l’article 1359, al. 2e du Code civil reprend sensiblement dans les mêmes termes la règle énoncée par l’ancienne disposition, il en simplifie toutefois la formulation.

L’ordonnance du n°2016-131 du 10 février 2016 a notamment abandonné la précision selon laquelle il n’est reçu aucune preuve par témoins « sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes ». La raison en est qu’elle n’apportait rien.

Le législateur a, par ailleurs, jugé bon de circonscrire la règle énoncée aux seuls actes « établissant un acte juridique ». Cette précision n’est pas neutre ainsi que nous allons le voir juste après.

En effet, la jurisprudence avait déduit de l’ancienne formulation de l’article 1341 du Code civil que, quelle que soit la mention énoncée dans l’instrumentum produit en justice, elle ne pouvait être contestée qu’au moyen d’un écrit, y compris lorsque cette mention relatait un fait juridique, tel que, par exemple, la cause de l’acte litigieux, la réalisation d’un paiement ou encore l’exécution de travaux.

Dans un arrêt du 23 février 2012, la Cour de cassation a ainsi jugé que « dans les rapports entre les parties, la preuve de la fausseté de la cause exprimée à l’acte doit être administrée par écrit, dans les conditions prévues par l’article 1341 du Code civil » (Cass. 1ère civ. 23 févr. 2012, n°11-11.230).

Cette position adoptée par la jurisprudence était pour le moins sévère, car elle imposait aux plaideurs de produire un écrit aux fins de prouver un fait juridique, certes relaté dans un acte juridique, mais ne perdant néanmoins pas sa qualification de fait pour autant.

Or la preuve d’un fait juridique est, en principe libre. Tel n’était pas l’avis de la Cour de cassation qui, par une application rigoureuse, sinon rigoriste de l’ancien article 1341 du Code civil, estimait que la preuve de la fausseté d’un fait relaté dans un écrit ne pouvait se faire qu’au moyen d’un autre écrit.

Suite à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 ayant porté réforme du droit de la preuve, un débat est né en doctrine sur la portée qu’il y avait lieu de reconnaître à la nouvelle règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil.

Deux thèses s’opposent :

  • Première thèse
    • Pour une partie de la doctrine[11], il y aurait lieu de voir dans la nouvelle formulation de l’article 1359, al. 2 du Code civil l’abandon de l’exigence de preuve littérale pour les écrits qui se bornent à relater un fait juridique.
    • Cet abandon s’évincerait de la précision « un écrit établissant un acte juridique », ce dont il se déduirait que seraient exclus du domaine de la règle les écrits établissant des faits juridiques.
    • Selon cette thèse, le législateur aurait donc fait le choix de préciser dans le nouveau texte que l’exigence de preuve par écrit ne joue que s’il s’agit de prouver contre ou outre un écrit « établissant un acte juridique ».
    • Si dès lors, la mention contestée se limite à relater un fait juridique, la preuve littérale ne serait pas exigée ; la preuve pourrait donc être rapportée par tout moyen.
  • Seconde thèse
    • L’interprétation consistant à dire que l’exigence de preuve littérale aurait été abandonnée, s’agissant de contester un fait relaté dans un écrit, ne fait pas l’unanimité en doctrine.
    • Certains auteurs avancent que le sens de la règle énoncée par l’ancien article 1341 du Code civil demeure inchangé, de sorte que la preuve d’un fait juridique relaté dans un acte requiert toujours la production d’un écrit[12].
    • Au soutien de cette position, est invoqué le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016.
    • Il est en effet indiqué dans ce rapport que « le second alinéa, également inspiré de l’article 1341, prévoit qu’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit que par un écrit, et ce quelle que soit la valeur ou le montant sur lequel porte l’obligation en cause, et sa source, acte ou fait juridique ».
    • Au surplus, il y aurait lieu de retenir la même signification pour la formule « contre et outre le contenu aux actes » et la formule « outre ou contre un écrit établissant un acte juridique ».
    • Dans les deux cas, seul l’instrumentum serait visé, sans considération de ce qu’il constate un acte juridique ou relate des faits juridiques.
    • Pour cette raison, la preuve des faits juridiques relatés dans un écrit serait toujours soumise à l’exigence de preuve littérale

Comment départager ces deux thèses ? Les auteurs s’accordent à dire qu’un commencement de réponse peut être trouvé à l’article 1356, al. 2 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que les contrats sur la preuve « ne peuvent davantage établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable. »

Autrement dit, il est fait interdiction aux parties de rendre incontestables des faits juridiques qu’elles entendraient relater dans un acte.

Or comme souligné par Gwendoline Lardeux « énoncer un fait dans un acte juridique ne le rend contestable que par un autre écrit qui, en pratique, n’existe pas […]. Par conséquent, affirmer un fait dans un écrit le rend indiscutable ; en d’autres termes, cela revient à stipuler une présomption irréfragable de l’existence de ce fait »

Parce que la stipulation de telles présomptions est prohibée, cela devrait conduire, en toute logique, à admettre que la preuve d’un fait juridique relaté dans un écrit puisse être rapportée par tout moyen.

En l’absence de jurisprudence sur ce point, il est difficile de dire si la Cour de cassation maintiendra sa position adoptée sous l’empire de l’ancien article 1341 du Code civil ou si elle l’abandonnera.

Si tel est le cas, sur quel fondement : l’article 1359, al. 2e ou l’article 1356, al. 2? La question demeure en suspens.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: les actes non soumis à l’exigence d’écrit

Nonobstant la formulation générale de la règle énoncée à l’article 1359, al. 1er du Code civil, il est un certain nombre de cas où la production d’un écrit n’est pas exigée pour établir un acte juridique, de telle sorte que la preuve peut être rapportée par tout moyen :

  • Les actes juridiques dont le montant est inférieur au seuil réglementaire
    • Dans la mesure où la production d’un écrit est exigée pour les seuls actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, cela signifie, a contrario, que les actes dont le montant est inférieur à ce seuil ne sont pas soumis à l’exigence de preuve littérale.
    • Aussi, pour ces actes la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen.
  • Les actes de commerce
    • L’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi »
    • Il ressort de cette disposition que la preuve des actes de commerce ne requiert pas la production d’un écrit, quand bien même l’acte porterait sur un montant supérieur au seuil réglementaire visé par l’article 1359, al. 1er du Code civil.
    • Pour que la preuve soit libre encore faut-il que deux conditions cumulatives soit remplies :
      • Première condition
        • L’acte litigieux doit présenter un caractère commercial.
        • Pour mémoire, il existe trois sortes d’actes de commerce :
          • Les actes de commerce par nature, soit ceux portant sur les opérations visées aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce et qui, pour présenter un caractère commercial, doivent nécessairement être accomplis de façon répétée et à des fins spéculatives
          • Les actes de commerce par la forme, soit ceux dont la commercialité ne dépend ni de la qualité de la personne qui les accomplis, ni de leur finalité ou de leur répétition
          • Les actes de commerce par accessoire, soit ceux, quelle que soit leur nature, dont l’accomplissement se rattache à une opération commerciale principale
      • Seconde condition
        • Pour que le plaideur auquel il appartient de prouver un acte de commerce ne soit pas soumis à l’exigence d’écrit, le défendeur doit endosser la qualité de commerçant.
        • En effet, si l’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que les actes de commerce peuvent être prouvés par tous moyens, le texte précise que la règle ne joue que pour les seuls actes accomplis « à l’égard des commerçants ».
        • Aussi, dans l’hypothèse où le défendeur n’endosserait pas la qualité de commerçant, la preuve de l’acte de commerce requerra la production d’un écrit, à tout le moins pour le demandeur.
        • On parlera alors d’acte de mixte.
        • Un acte est dit mixte, lorsqu’il présente un caractère commercial à l’égard d’une partie et un caractère civil à l’égard de l’autre partie.
        • Dans cette hypothèse, le régime probatoire applicable est asymétrique :
  • Les actes relevant de la compétence du juge prud’homal
    • En matière prud’homale, il est de jurisprudence constante que la preuve est, par principe, libre (Cass. soc. 27 mars 2001, n°98-44.666)
    • La raison en est l’impossibilité morale résultant du rapport de subordination existant entre l’employeur et le salarié.
    • C’est pourquoi, il est admis que les faits allégués soient établis par tous moyens.
    • À cet égard, régulièrement la Cour de cassation rappelle qu’en matière prud’homale, « les juges du fond apprécient souverainement la portée et la valeur probante des éléments qui leur sont soumis » (Cass. soc. 10 juin 1965 ; Cass. soc. 13 févr. 2013, n°11-26.098).
  • Les actes dont se prévalent les tiers
    • Principe
      • En application du principe de l’effet relatif des conventions, le contrat ne produit d’effets qu’entre les parties (art. 1199 C. civ.).
      • Est-ce à dire que les tiers ne pourraient pas s’en prévaloir ? Dans l’affirmative, comment prouver l’acte juridique qu’un tiers souhaiterait opposer aux parties ?
      • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1200 du Code civil.
      • Cette disposition prévoit que les tiers peuvent se prévaloir de la situation juridique créée par le contrat « notamment pour apporter la preuve d’un fait ».
      • Ainsi, est-il admis qu’un tiers puisse opposer à des contractants l’existence ou le contenu de l’acte qu’ils ont conclu.
      • En pareille hypothèse, il est de jurisprudence constante que la preuve est libre.
      • La raison en est que pour les tiers, le contrat conclu entre les parties constitue un fait juridique.
      • Pour cette raison, la preuve de l’acte par le tiers peut être rapportée par tous moyens.
      • Dans un arrêt du 25 novembre 1970, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’ancien article 1341 du Code civil, que « les règles édictées par ce texte, relativement à la preuve des actes juridiques, ne concernent que les parties auxdits actes, et qu’il est permis aux tiers d’établir leur existence par tous moyens de preuve » (Cass. 1ère civ. 25 nov. 1970, n°69-10.893).
      • Dans un arrêt du 30 juin 1980, la Chambre commerciale a encore affirmé que « la défense de prouver par témoins ou par présomptions contre et outre le contenu à l’acte ne concerne que les parties contractantes et qu’il est permis au tiers de contester par ces modes de preuves la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » (Cass. com. 30 juin 1980, n°79-10.623).
      • La Première chambre civile a rappelé plus récemment cette règle dans un arrêt du 3 juin 2015.
      • Aux termes de cette décision, elle a décidé, s’agissant d’un contrat de mandat, que « le banquier dépositaire, qui se borne à exécuter les ordres de paiement que lui transmet le mandataire du déposant, peut rapporter la preuve par tous moyens du contrat de mandat auquel il n’est pas partie » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2015, n°14-20.518).
      • À l’inverse, lorsqu’une partie à l’acte souhaite, en application de l’article 1200 du Code civil, opposer à un tiers « la situation judiciaire créée par le contrat », la Cour de cassation juge que s’il « est permis aux tiers de contester par tous modes de preuve la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » ; en revanche « il appartient aux parties à un acte d’en rapporter la preuve contre les tiers dans les termes du droit commun » (Cass. 3e civ. 15 mai 1974, n°73-12.073).
      • Autrement dit, y compris lorsqu’ils cherchent à opposer l’acte juridique qu’ils ont conclu à un tiers, les contractants sont soumis à l’exigence de preuve par écrit.
    • Domaine
      • Seuls les tiers à l’acte ne sont pas soumis à l’existence de production d’un écrit s’agissant de la preuve de son existence et de son contenu.
      • Encore faut-il que l’on s’entende sur la notion de tiers.
      • Une première approche conduit à exclure de la qualification de tiers toutes les personnes qui ne sont pas partie à l’acte, soit qui n’y ont pas adhéré.
      • Cette approche est toutefois trop restrictive
      • Il est, en effet, certaines personnes qui, si au moment de la conclusion de l’acte, endossaient la qualité de tiers, peuvent, après coup, endosser la qualité de partie.
      • Tel est le cas du cessionnaire qui se substitue à l’une des parties initiales.
      • Il en va de même des ayants-cause universels ou à titre universels, soit des héritiers des parties, lesquels ont vocation à « continuer » la personne du défunt : la mort saisit le vif.
      • Par exception, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 18 avril 1989 que « les héritiers réservataires sont admis à faire la preuve d’une donation déguisée de nature à porter atteinte à leur réserve par tous moyens et même à l’aide de présomptions » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 1989, n°87-10.388).
  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?