De la protection juridique des logiciels: brevet ou droit d’auteur?

La protection des logiciels. Le débat qui s’est tenu sous l’égide du législateur français reflète relativement bien les discussions qui ont eu lieu au sein des États membres de l’OMPI. Afin de comprendre la décision qui en ait résulté, celle-ci ayant été partagée par la plupart des législateurs nationaux, prenons ce débat comme fil directeur de nos propos. En France donc, nombreux sont ceux à s’être spontanément prononcés en faveur de la protection des programmes d’ordinateur par le droit des brevets[1]. L’argument le plus souvent avancé est de dire que le logiciel revêt une dimension fonctionnelle, ce à quoi s’ajoute le fait que le droit d’auteur n’aurait pour seule fonction que de protéger les créations intellectuelles qui relèvent du domaine du beau. Si cette thèse est, à maints égards, fort attrayante, elle révèle, toutefois, chez ceux qui ont pu la soutenir, une certaine méconnaissance du droit de la propriété littéraire et artistique. En vertu de l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle, ont vocation à être protégées « toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination». Il est, dans ces conditions, inenvisageable de dénier la protection du droit d’auteur au logiciel au seul motif que celui-ci ne procèderait pas d’une démarche esthétique. De la même manière, alors que la loi du 13 juillet 1978 relative à l’activité inventive tend à n’accorder sa protection qu’aux seules inventions qui présentent un caractère technique[2], aucune raison ne justifie que les programmes d’ordinateur soient exclus de cette protection. Leur fonction première est de « tirer parti des ressources de la machine en vue d’un résultat déterminé »[3]. Or, quel autre nom donner à ce processus, sinon celui de l’effet technique, condition préalable à la qualification d’invention ? Partant, de par sa nature, le logiciel apparaît comme susceptible de revêtir toutes les formes de protections qu’offre le droit aux créateurs. Cela a pour conséquence directe, selon Christophe Caron, de faire « éclater les frontières traditionnelles de la propriété intellectuelle »[4]. Il a pourtant bien fallu choisir entre l’une ou l’autre des protections, l’hypothèse d’un cumul ou d’une option laissée aux programmeurs étant juridiquement inenvisageable[5].

L’exclusion du droit des brevets. Dès lors, afin de ne pas se laisser enfermer dans un choix qu’il aurait pu regretter, le législateur a jugé opportun de légiférer en procédant par exclusion plutôt que par choix. Parce que choisir immédiatement une protection aurait été précipité à une époque où les programmes d’ordinateur n’étaient encore que des sujets de laboratoire, les résidents du Palais Bourbon se sont contentés d’exclure la protection qui leur semblaient la moins appropriée. Cette exclusion s’est faite dans un contexte très animé, où était débattu le texte remplaçant la vieille loi du 5 juillet 1844 relative aux brevets d’invention. Personne n’avait, toutefois, imaginé que les logiciels soient écartés purement et simplement de son champ d’application. Malgré l’affaire Prater & Wei, pendante devant les tribunaux aux États-Unis[6], où la Court of Customs and Patent Appeals (CCPA), juridiction spécialisée dans le domaine des brevets, avait amorcé la protection des logiciels par le droit des brevets, la loi du 2 janvier 1968 les en a pourtant exclus, au motif qu’ils seraient dénués de tout caractère industriel[7]. Preuve que cette exclusion des programmes d’ordinateur de la protection des brevets est partagée, à l’époque, par de nombreux États, les parties à la Convention de Munich du 5 octobre 1973 relative à la délivrance de brevets européens ont inscrit à l’article 52 alinéa 2 c) de ce texte que « ne sont pas considérées comme des inventions […] les programmes d’ordinateur». Cette fois-ci, le défaut de caractère industriel n’est pas même évoqué dans les travaux préparatoires du traité. Il est acquis aux yeux de tous, que les logiciels ne constituent pas des inventions. Même s’il a marqué une étape déterminante dans la protection par le droit des programmes d’ordinateur, ce consensus n’a pas, pour autant, suffi à faire patienter les éditeurs de logiciels, dont l’activité économique prenait des proportions à la mesure de ce qu’allait très vite devenir l’industrie de l’informatique. C’est la raison pour laquelle, après le temps de l’exclusion des logiciels du droit des brevets, est venu le temps pour le législateur de choisir une protection juridique pour ces derniers. Afin de mettre un terme aux spéculations de la doctrine d’une part, qui n’en finissait pas de confectionner des listes à la Prévert dans l’espoir de déterminer quelle protection serait in fine adoptée[8] et, d’autre part pour garantir au plus vite la sécurité juridique qui s’effritait à mesure que les contentieux se multipliaient[9], le législateur s’est résolu à faire un choix.

Le choix, par défaut, du droit d’auteur. En réalité, ce choix s’imposait de lui-même dans la mesure où les États-Unis étaient farouchement opposés à l’idée que les logiciels soient revêtus d’une protection spécifique[10]. Par ailleurs, le droit de la propriété intellectuelle ne pouvait offrir aux programmes d’ordinateur que deux sortes de protection, le recours à l’une d’elles qu’est le droit des brevets étant d’ores et déjà exclu par la convention de Munich à laquelle était partie la France. Restait plus qu’aux députés français, le choix du droit de la propriété littéraire et artistique, lequel a solennellement été entériné par la loi du 3 juillet 1985[11]. Comme le souligne Jean-Louis. Goutal, par cette loi, la protection du logiciel par le droit d’auteur est, semble-t-il, « gravée pour toujours dans le silicium des mémoires d’ordinateurs où se trouvent maintenant nos lois»[12]. Elle est d’autant plus ancrée dans notre droit, qu’elle a été introduite dans l’ordre juridique communautaire, par le biais de la directive 91/250 du 14 mai 1991. Ce texte dispose en son article 1er que « les états membres protègent les programmes d’ordinateur par le droit d’auteur en tant qu’œuvres littéraires au sens de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques » [13]. Transposée par la loi du 10 mai 1994[14], la directive communautaire a, comme s’accordent à le dire de nombreux auteurs, le mérite de faire sortir les programmes d’ordinateurs de la « cabane au fond du jardin » dans laquelle ils avaient été rangés par la précédente loi[15]. Plus surprenant encore, et c’est là le point d’orgue de ce mouvement, après que de nombreux pays ont opté, à leur tour, pour cette solution[16], la protection des logiciels par le droit d’auteur est inscrite à l’article 10.1 de l’accord ADPIC. Tous les États membres de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) se voient, de la sorte, imposer de protéger « les programmes d’ordinateur […] en tant qu’œuvres littéraires en vertu de la convention de Berne »[17]. Dorénavant, hormis quelques différences susceptibles d’être relevées quant à leur régime juridique[18], les logiciels peuvent être considérés, dans de nombreux pays, dont la France, comme des œuvres de l’esprit à part entière, et ce même aux États-Unis où c’est le copyright, parent du droit d’auteur qui, dans presque tous les cas, s’appliquera.

[1] V. notamment J.-M. Mousseron, Traité des brevets, Paris, Litec, 1991, n°180 et s. ; J. Azéma et J.-C. Galloux, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, coll. « précis », 2010, p. 116.

[2] Une invention sera considérée comme possédant un caractère technique si elle est susceptible de faire l’objet d’une application industrielle. Ainsi, selon l’article 7 de la loi de 1968 « est considérée comme industrielle toute invention concourant dans son objet, son application et son résultat, tant par la main de l’homme que par la machine à la production de biens ou de résultats techniques ».

[3] A. Lucas, J. Devèze et J. Frayssinet, Droit de l’informatique et de l’internet, PUF, coll. « Thémis », 2001, n°511, p. 303.

[4] Ch. Caron, « La coexistence du droit d’auteur et du droit des brevets sur un même logiciel »,  in Brevetabilité des logiciels : Droit des technologies avancées, 1-2/2002, vol. 9, p. 183.

[5] Contrairement aux autres biens intellectuels qui peuvent, à certaines conditions, faire l’objet d’un cumul de protection, les logiciels ne semblent pas pouvoir bénéficier de plusieurs régimes différents. L. 611-10, c) dispose en ce sens que « ne sont pas considérées comme des inventions au sens du premier alinéa du présent article notamment […] les programmes d’ordinateurs ». Cela n’empêche pas certains auteurs de plaider en faveur de l’abolition du principe de non-cumul. V. en ce sens A, Bertrand, Marques et brevets, dessins et modèles, Delmas, 1996, p. 6 ; Ch. Caron, art. préc., p. 203.

[6] Prater & Wei, 159 USPQ (United States Patent Quaterly) 583 (1968).

[7] L’article 7 de la loi du 2 janvier 1968 excluait, de la brevetabilité, « tous autres systèmes de caractère abstrait, et notamment les programmes ou séries d’instructions pour le déroulement des opérations d’une machine calculatrice ».

[8] Comme le remarque Jean-Louis Goutal à l’époque à propos de la protection juridique des logiciel « on n’a […] que l’embarras du choix : protection contractuelle […] ; action en responsabilité civile […] ; protection par le brevet du logiciel […] ; protection par le droit d’auteur […] ; et même protection par l’action d’enrichissement sans cause […] ; ou enfin, protection par le droit pénal […] » (J.-L. Goutal, « La protection juridique du logiciel », Dalloz, 1984, n°33, chron., pp. 197-206).

[9] Pour exemple, tandis que dans un arrêt Mobil Oil du 28 mai 1975, la chambre commerciale de la Cour de cassation refuse de valider un brevet au motif qu’il portait sur un programme destiné à de simples calculs informatiques, hors de tout appareillage ou procédé technique externe (Cass. Com., 28 mai 1975, PIBD 1975.155.III.349, suite à CA Paris, 22 mai 1973, Ann. propr. ind. 1973, p. 275, note Mathély ; PIBD 1973.107.III.197), dans un arrêt Schlumberger du 15 juin 1981, la Cour d’appel de Paris consacre la brevetabilité d’une invention dès lors que celle-ci porte sur un procédé technique dont certaines étapes sont mises en oeuvre par logiciel (CA Paris 15 juin 1981, PIBD.1981.285.III.175, Dossiers Brevets 1981.III.1, Ann. Prop. ind. 1982, p. 24).

[10] La Cour suprême est allée dans ce sens, en décidant de la non-brevetabilité des algorithmes dans une affaire Gottschalk v. Benson, (409 U.S, 1972). La Court of Customs and Pattent Appeals emprunta le même chemin en se prononçant, à de multiples reprises, contre la brevetabilité des logiciels. V. notamment, les Parker v. Flook, 198 USPQ 193 (1978) et Diamond v. Diehr, 209 USPQ 1 (1981).

[11] Loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle.

[12] J.-L. Goutal, « Logiciel : l’éternel retour », in Droit et Technique. Études à la mémoire du Pr. Linant de Bellefonds, Litec, 2007, p. 217.

[13] Directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, JOCE 17 mai 1991, L. 122.

[14] Loi no 94-361 du 10 mai 1994 portant mise en œuvre de la directive (C.E.E.) no 91-250 du Conseil des communautés européennes en date du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur et modifiant le code de la propriété intellectuelle, JORF n°109 du 11 mai 1994, p. 6863.

[15] V. en ce sens J.-L. Goutal, art. préc., p. 218.

[16] On pense notamment aux États-Unis, à l’Allemagne, à la Grande Bretagne ou encore au Japon.

[17] Après d’âpres négociations c’est l’accord de Marrakech du 15 décembre 1993 qui prévoit que les programmes d’ordinateur seront protégés en tant qu’œuvres littéraires en vertu de la Convention de Berne.

[18] La singularité du régime juridique du logiciel réside dans le fait que les développeurs bénéficient de droits moraux amoindris sur leur création.


La fourniture et la gestion d’une plateforme de partage en ligne d’œuvres protégées telle que « The Pirate Bay » peut constituer une violation du droit d’auteur (CJUE, 14 juin 2017, Aff. C-610/15)

Par un arrêt du 14 juin 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la fourniture et la gestion d’une plateforme de partage en ligne doit effectivement être considérée comme un acte de communication au sens de la directive

Plus précisément, les juges luxembourgeois ont estimé que la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la mise à disposition et la gestion, sur Internet, d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer).

CJUE, 14 juin 2017

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation, d’une part, de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10), et, d’autre part, de l’article 11 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45 et rectificatif JO 2004, L 195, p. 16).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Stichting Brein, une fondation qui défend les intérêts de titulaires du droit d’auteur, à Ziggo BV et à XS4ALL Internet BV (ci-après « XS4ALL »), des fournisseurs d’accès à Internet, au sujet de demandes présentées par Stichting Brein visant à ce qu’il soit ordonné à ces derniers de bloquer les noms de domaine et les adresses IP de la plateforme de partage en ligne « The Pirate Bay » (ci-après la « plateforme de partage en ligne TPB »).

Le cadre juridique

3 Les considérants 9, 10, 23 et 27 de la directive 2001/29 énoncent :

« (9) Toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.

(10) Les auteurs ou les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, doivent obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, de même que les producteurs pour pouvoir financer ce travail. L’investissement nécessaire pour créer des produits, tels que des phonogrammes, des films ou des produits multimédias, et des services tels que les services à la demande, est considérable. Une protection juridique appropriée des droits de propriété intellectuelle est nécessaire pour garantir une telle rémunération et permettre un rendement satisfaisant de l’investissement.

[...]

(23) La présente directive doit harmoniser davantage le droit d’auteur de communication au public. Ce droit doit s’entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication. Ce droit couvre toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion. Il ne couvre aucun autre acte.

[...]

(27) La simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de la présente directive. »

4 L’article 3 de cette directive, intitulé « Droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. »

5 L’article 8 de ladite directive, intitulé « Sanctions et voies de recours », prévoit, à son paragraphe 3 :

« Les États membres veillent à ce que les titulaires des droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin. »

6 Le considérant 23 de la directive 2004/48 se lit comme suit :

« Sans préjudice de toute autre mesure, procédure ou réparation existante, les titulaires des droits devraient avoir la possibilité de demander une injonction à l’encontre d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte au droit de propriété industrielle du titulaire. Les conditions et procédures relatives à une telle injonction devraient relever du droit national des États membres. En ce qui concerne les atteintes au droit d’auteur et aux droits voisins, un niveau élevé d’harmonisation est déjà prévu par la directive 2001/29/CE. Il convient, par conséquent, que la présente directive n’affecte pas l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE. »

7 Aux termes de l’article 11 de la directive 2004/48, intitulé « Injonctions » :

« Les États membres veillent à ce que, lorsqu’une décision judiciaire a été prise constatant une atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les autorités judiciaires compétentes puissent rendre à l’encontre du contrevenant une injonction visant à interdire la poursuite de cette atteinte. Lorsque la législation nationale le prévoit, le non-respect d’une injonction est, le cas échéant, passible d’une astreinte, destinée à en assurer l’exécution. Les États membres veillent également à ce que les titulaires des droits puissent demander une injonction à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle, sans préjudice de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8 Stichting Brein est une fondation néerlandaise qui défend les intérêts des titulaires du droit d’auteur.

9 Ziggo et XS4ALL sont des fournisseurs d’accès à Internet. Une partie importante de leurs abonnés utilise la plateforme de partage en ligne TPB, un référenceur de fichiers BitTorrent. Le BitTorrent est un protocole par lequel les utilisateurs (appelés « pairs » ou « peers ») peuvent partager des fichiers. La caractéristique essentielle du BitTorrent réside dans le fait que les fichiers à partager sont fragmentés en de petits éléments, permettant ainsi de ne pas reposer sur un serveur centralisé pour stocker lesdits fichiers, ce qui allège la charge des serveurs individuels lors du processus de partage. Pour pouvoir partager des fichiers, les utilisateurs doivent d’abord télécharger un logiciel spécifique, appelé « client-BitTorrent », qui n’est pas fourni par la plateforme de partage en ligne TPB. Ce « client-Bit-Torrent » est un logiciel qui permet de créer des fichiers torrents.

10 Les utilisateurs (appelés « seeders ») qui souhaitent mettre un fichier qui se trouve sur leur ordinateur à la disposition d’autres utilisateurs (appelés « leechers ») doivent créer un fichier torrent au moyen de leur client-BitTorrent. Les fichiers torrents renvoient à un serveur centralisé (appelé « tracker ») qui identifie les utilisateurs disponibles pour partager un fichier torrent particulier ainsi que le fichier média sous-jacent. Ces fichiers torrents sont téléchargés vers l’amont (upload) par les seeders sur une plateforme de partage en ligne, telle que TPB, qui procède ensuite à leur indexation, afin que ceux-ci puissent être retrouvés par les utilisateurs de la plateforme de partage en ligne et que les œuvres auxquels ces fichiers torrents renvoient puissent être téléchargées vers l’aval (download) sur les ordinateurs de ces derniers en plusieurs fragments, au moyen de leur client-BitTorrent.

11 Des « liens magnet » sont souvent utilisés à la place des fichiers torrents. Ces liens identifient le contenu d’un fichier torrent et y renvoient au moyen d’une empreinte numérique.

12 Les fichiers torrents proposés sur la plateforme de partage en ligne TPB renvoient, dans leur grande majorité, à des œuvres protégées par le droit d’auteur, sans que les titulaires du droit n’aient donné leur autorisation aux administrateurs et aux utilisateurs de cette plateforme pour effectuer les actes de partage en cause.

13 Dans le cadre de la procédure au principal, Stichting Brein demande, à titre principal, qu’il soit ordonné à Ziggo et à XS4ALL de bloquer les noms de domaines et les adresses IP de la plateforme de partage en ligne TPB, afin d’éviter que les services de ces fournisseurs d’accès à Internet puissent être utilisés pour porter atteinte au droit d’auteur et aux droits voisins des titulaires des droits dont Stichting Brein protège les intérêts.

14 Le juge de première instance a accueilli les demandes de Stichting Brein. Celles-ci ont toutefois été rejetées en appel.

15 Le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) relève que, dans la présente affaire, il est établi que, par l’intervention de la plateforme de partage en ligne TPB, des œuvres protégées sont mises à la disposition du public sans l’autorisation des titulaires des droits. Il est également établi que les abonnés de Ziggo et de XS4ALL, par l’intermédiaire de cette plateforme, rendent accessibles des œuvres protégées sans l’autorisation des titulaires des droits et portent ainsi atteinte au droit d’auteur et aux droits voisins desdits titulaires.

16 Le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) relève toutefois que la jurisprudence de la Cour ne permet pas de répondre avec certitude à la question de savoir si la plateforme de partage en ligne TPB réalise également une communication au public des œuvres au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, en particulier :

– en créant et en maintenant un système dans lequel les utilisateurs d’Internet se connectent entre eux pour pouvoir partager, par fragments, des œuvres qui se trouvent sur leurs propres ordinateurs ;

– en administrant un site Internet à partir duquel les utilisateurs peuvent mettre en ligne des fichiers torrents qui renvoient à des fragments de ces œuvres, et

– en indexant les fichiers torrents mis en ligne sur ce site Internet et en les classant de sorte que les fragments de ces œuvres sous-jacentes puissent être localisés et que les utilisateurs puissent télécharger ces œuvres (comme un ensemble) sur leurs ordinateurs.

17 Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’administrateur d’un site Internet réalise-t-il une communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, lorsqu’aucune œuvre protégée n’est présente sur ce site, mais qu’il existe un système [...] dans lequel des métadonnées relatives à des œuvres protégées qui se trouvent sur les ordinateurs d’utilisateurs sont indexées et classées pour les utilisateurs de sorte que ces derniers peuvent ainsi tracer les œuvres protégées et les mettre en ligne ainsi que les télécharger sur lesdits ordinateurs ?

2) Si la première question appelle une réponse négative :

L’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 et l’article 11 de la directive 2004/48 permettent-ils de rendre une injonction à l’encontre d’un intermédiaire au sens desdites dispositions lorsque cet intermédiaire facilite les atteintes commises par des tiers de la manière visée à la première question ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

18 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la mise à disposition et la gestion, sur Internet, d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer).

19 Il découle de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 que les États membres sont tenus de veiller à ce que les auteurs bénéficient du droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière à ce que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.

20 En vertu de cette disposition, les auteurs disposent ainsi d’un droit de nature préventive leur permettant de s’interposer entre d’éventuels utilisateurs de leur œuvre et la communication au public que ces utilisateurs pourraient envisager d’effectuer, et ce afin d’interdire celle-ci (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 25 et jurisprudence citée).

21 L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ne précisant pas la notion de « communication au public », il y a lieu de déterminer le sens et la portée de cette notion au regard des objectifs poursuivis par cette directive et au regard du contexte dans lequel la disposition interprétée s’insère (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 26 et jurisprudence citée).

22 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il résulte des considérants 9 et 10 de la directive 2001/29 que celle-ci a pour objectif principal d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur des auteurs, permettant à ceux-ci d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, notamment à l’occasion d’une communication au public. Il s’ensuit que la notion de « communication au public » doit être entendue au sens large, ainsi que l’énonce explicitement le considérant 23 de cette directive (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 27 et jurisprudence citée).

23 La Cour a également souligné, s’agissant de la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, qu’elle implique une appréciation individualisée (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 28 et jurisprudence citée).

24 Il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 que la notion de communication au public associe deux éléments cumulatifs, à savoir un « acte de communication » d’une œuvre et la communication de cette dernière à un « public » (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 29 et jurisprudence citée).

25 Afin d’apprécier si un utilisateur réalise un acte de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, il importe de tenir compte de plusieurs critères complémentaires, de nature non autonome et interdépendants les uns par rapport aux autres. Par conséquent, il y a lieu de les appliquer tant individuellement que dans leur interaction les uns avec les autres, étant entendu qu’ils peuvent, dans différentes situations concrètes, être présents avec une intensité très variable (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 30 et jurisprudence citée).

26 Parmi ces critères, la Cour a souligné, tout d’abord, le rôle incontournable joué par l’utilisateur et le caractère délibéré de son intervention. En effet, cet utilisateur réalise un acte de communication lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, ou ne pourraient que difficilement, jouir de l’œuvre diffusée (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 31 et jurisprudence citée).

27 Ensuite, elle a précisé que la notion de « public » vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 32 et jurisprudence citée).

28 La Cour a également rappelé que, selon une jurisprudence constante, pour être qualifiée de « communication au public », une œuvre protégée doit être communiquée selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés ou, à défaut, auprès d’un « public nouveau », c’est-à-dire un public n’ayant pas été déjà pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale de leur œuvre au public (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 33 et jurisprudence citée).

29 Enfin, la Cour a souligné, à maintes reprises, que le caractère lucratif d’une communication, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, n’est pas dénué de pertinence (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 34 et jurisprudence citée).

30 S’agissant, en premier lieu, du point de savoir si la mise à disposition et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, constitue un « acte de communication », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, il y a lieu de relever, ainsi qu’il ressort du considérant 23 de la directive 2001/29, que le droit d’auteur de communication au public, visé audit article 3, paragraphe 1, couvre toute transmission ou retransmission d’une œuvre au public non présent au lieu d’origine de la communication, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion.

31 En outre, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, pour qu’il y ait un « acte de communication », il suffit, notamment, qu’une œuvre soit mise à la disposition d’un public de telle sorte que les personnes qui le composent puissent y avoir accès, de l’endroit et au moment qu’elles choisissent individuellement, sans qu’il soit déterminant qu’elles utilisent ou non cette possibilité (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 36 et jurisprudence citée).

32 La Cour a déjà jugé, à cet égard, que le fait de fournir, sur un site Internet, des liens cliquables vers des œuvres protégées publiées sans aucune restriction d’accès sur un autre site offre aux utilisateurs du premier site un accès direct auxdites œuvres (arrêt du 13 février 2014, Svensson e.a., C?466/12, EU:C:2014:76, point 18 ; voir également, en ce sens, ordonnance du 21 octobre 2014, BestWater International, C?348/13, EU:C:2014:2315, point 15, et arrêt du 8 septembre 2016, GS Media, C?160/15, EU:C:2016:644, point 43).

33 La Cour a également jugé que tel est aussi le cas de la vente d’un lecteur multimédia sur lequel ont été préinstallés des modules complémentaires, disponibles sur Internet, contenant des liens hypertextes renvoyant à des sites Internet librement accessibles au public sur lesquels ont été mises à disposition des œuvres protégées par le droit d’auteur sans l’autorisation des titulaires de ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, points 38 et 53).

34 Ainsi, il peut être déduit de cette jurisprudence que, en principe, tout acte par lequel un utilisateur donne, en pleine connaissance de cause, accès à ses clients à des œuvres protégées est susceptible de constituer un « acte de communication », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

35 En l’occurrence, il y a lieu de constater, tout d’abord, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 45 de ses conclusions, qu’il est constant que des œuvres protégées par le droit d’auteur sont, par l’intermédiaire de la plateforme de partage en ligne TPB, mises à la disposition des utilisateurs de cette plateforme, de manière à ce que ceux-ci puissent y avoir accès, de l’endroit et au moment qu’ils choisissent individuellement.

36 Ensuite, certes, ainsi que l’a souligné la juridiction de renvoi, les œuvres ainsi mises à la disposition des utilisateurs de la plateforme de partage en ligne TPB ont été mises en ligne sur cette plateforme non pas par les administrateurs de cette dernière, mais par ses utilisateurs. Il n’en demeure pas moins que ces administrateurs, par la mise à disposition et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, interviennent en pleine connaissance des conséquences de leur comportement, pour donner accès aux œuvres protégées, en indexant et en répertoriant sur ladite plateforme les fichiers torrents qui permettent aux utilisateurs de celle-ci de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer). À cet égard, ainsi que l’a indiqué en substance M. l’avocat général au point 50 de ses conclusions, en l’absence de la mise à disposition et de la gestion par lesdits administrateurs, lesdites œuvres ne pourraient pas être partagées par les utilisateurs ou, à tout le moins, leur partage sur Internet s’avérerait plus complexe.

37 Il y a lieu, dès lors, de considérer que, par la mise à disposition et la gestion de la plateforme de partage en ligne TPB, les administrateurs de celle-ci offrent à leurs utilisateurs un accès aux œuvres concernées. Ils peuvent donc être considérés comme jouant un rôle incontournable dans la mise à disposition des œuvres en cause.

38 Enfin, les administrateurs de la plateforme de partage en ligne TPB ne sauraient être considérés comme réalisant une « simple fourniture » d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication, au sens du considérant 27 de la directive 2001/29. En effet, il ressort de la décision de renvoi que cette plateforme procède à l’indexation des fichiers torrents, de sorte que les œuvres auxquelles ces fichiers torrents renvoient puissent être facilement localisées et téléchargées par les utilisateurs de ladite plateforme de partage. En outre, il ressort des observations soumises à la Cour que la plateforme de partage en ligne TPB propose, en sus d’un moteur de recherche, un index classant les œuvres sous différentes catégories, fondées sur la nature des œuvres, leur genre ou leur popularité, au sein desquelles sont réparties les œuvres qui sont mises à disposition, le respect du placement d’une œuvre dans la catégorie adéquate étant vérifié par les administrateurs de cette plateforme. Par ailleurs, lesdits administrateurs procèdent à la suppression des fichiers torrents obsolètes ou erronés et filtrent de manière active certains contenus.

39 Eu égard à ces considérations, la fourniture et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, doit être considérée comme un acte de communication, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

40 En second lieu, pour relever de la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, encore faut-il que les œuvres protégées soient effectivement communiquées à un public (arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 43 et jurisprudence citée).

41 À cet égard, la Cour a précisé, d’une part, que la notion de « public » comporte un certain seuil de minimis, ce qui exclut de cette notion une communauté de personnes concernées trop petite, voire insignifiante. D’autre part, il convient de tenir compte des effets cumulatifs qui résultent de la mise à disposition des œuvres protégées auprès des destinataires potentiels. Ainsi, il convient de savoir non seulement combien de personnes ont accès à la même œuvre parallèlement, mais également combien d’entre elles ont successivement accès à celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 44 et jurisprudence citée).

42 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi qu’une partie importante des abonnés de Ziggo et de XS4ALL a téléchargé des fichiers médias par l’intermédiaire de la plateforme de partage en ligne TPB. Il ressort également des observations présentées à la Cour que cette plateforme serait utilisée par un nombre considérable de personnes, les administrateurs de TPB ayant fait état, sur leur plateforme de partage en ligne, de plusieurs dizaines de millions de « pairs ». À cet égard, la communication en cause au principal vise, à tout le moins, l’ensemble des utilisateurs de cette plateforme. Ces utilisateurs peuvent accéder, à tout moment et simultanément, aux œuvres protégées qui sont partagées par l’intermédiaire de ladite plateforme. Ainsi, cette communication vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique un nombre important de personnes (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

43 Il s’ensuit que, par une communication telle que celle en cause au principal, des œuvres protégées sont effectivement communiquées à un « public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

44 En outre, s’agissant de la question de savoir si ces œuvres ont été communiquées à un public « nouveau » au sens de la jurisprudence citée au point 28 du présent arrêt, il y a lieu de relever que la Cour, dans son arrêt du 13 février 2014, Svensson e.a. (C?466/12, EU:C:2014:76, points 24 et 31), ainsi que dans son ordonnance du 21 octobre 2014, BestWater International (C?348/13, EU:C:2014:2315, point 14), a jugé qu’un tel public est un public qui n’a pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsque ces derniers ont autorisé la communication initiale.

45 En l’occurrence, il ressort des observations présentées à la Cour, d’une part, que les administrateurs de la plateforme de partage en ligne TPB ont été informés que cette plateforme, qu’ils mettent à la disposition des utilisateurs et qu’ils gèrent, donne accès à des œuvres publiées sans l’autorisation des titulaires de droits et, d’autre part, que les mêmes administrateurs manifestent expressément, sur les blogs et les forums disponibles sur ladite plateforme, leur objectif de mettre des œuvres protégées à la disposition des utilisateurs, et incitent ces derniers à réaliser des copies de ces œuvres. En tout état de cause, il ressort de la décision de renvoi que les administrateurs de la plateforme en ligne TPB ne pouvaient ignorer que cette plateforme donne accès à des œuvres publiées sans l’autorisation des titulaires de droits, eu égard à la circonstance, expressément soulignée par la juridiction de renvoi, qu’une très grande partie des fichiers torrents figurant sur la plateforme de partage en ligne TPB renvoient à des œuvres publiées sans l’autorisation des titulaires de droits. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer qu’il y a communication à un « public nouveau » (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Stichting Brein, C?527/15, EU:C:2017:300, point 50).

46 Par ailleurs, il ne saurait être contesté que la mise à disposition et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, est réalisée dans le but d’en retirer un bénéfice, cette plateforme générant, ainsi qu’il ressort des observations soumises à la Cour, des recettes publicitaires considérables.

47 Dès lors, il y a lieu de considérer que la mise à disposition et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, constitue une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

48 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la mise à disposition et la gestion, sur Internet, d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer).

Sur la seconde question

49 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

La notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la mise à disposition et la gestion, sur Internet, d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer).

Pour une approche renouvelée du statut des droits sociaux en régime de communauté

Les qualités d’époux et d’associé peuvent-elles cohabiter ? Telle est la question que l’on est inévitablement conduit à se poser lorsque l’on s’interroge sur le statut des droits sociaux en régime de communauté. Tandis que le droit des régimes matrimoniaux commande à l’époux marié sous le régime légal de collaborer avec son conjoint sur un pied d’égalité pour toutes les décisions qui intéressent la communauté, le droit des affaires répugne à admettre que les « acteurs périphériques » d’une société, puissent, quelle que soit leur qualité (commissaire aux comptes, administration fiscale, juge), s’immiscer dans la gestion de l’entreprise[1].

Lorsque des droits sociaux sont acquis avant le mariage, ou en cours d’union à titre gratuit, ou encore par le biais d’un acte d’emploi ou de remploi, cette situation ne soulève guère de difficultés. Ils endossent la qualification de biens propres, de sorte que, conformément à l’article 1428 du Code civil, l’époux associé est seul investi du pouvoir d’en disposer et, à plus forte raison, d’en jouir et de les administrer. Une immixtion du conjoint dans la gestion de la société s’avère donc impossible, à tout le moins par l’entremise d’une voie de droit. Il en va de même lorsque les époux sont mariés sous un régime séparatiste, les patrimoines de chacun étant strictement cloisonnés[2].

Lorsque, en revanche, les titres sociaux, dont s’est porté acquéreur un époux, répondent à la qualification de biens communs, le droit des régimes matrimoniaux et le droit des sociétés ne peuvent plus s’ignorer. La raison en est l’existence d’interactions fortes entre la qualité d’époux et celle d’associé. Dans cette configuration, d’une part, l’article 1424 du Code civil impose à l’époux associé de se conformer au principe de cogestion s’agissant des actes de dispositions portant sur des droits sociaux non négociables. D’autre part, en vertu de l’article 1832-2, alinéa 1er, obligation lui est faite, lors de l’acquisition de parts sociales au moyen de biens communs, d’en informer son conjoint et de justifier, dans l’acte de souscription, l’accomplissement de cette démarche[3].

Ainsi, lorsque les droits sociaux constituent des acquêts, le droit des régimes matrimoniaux permet-il au conjoint de l’époux associé de s’ingérer dans la gestion de la société. Plus encore, au titre de l’article 1832-2, alinéa 3, ce dernier est fondé à revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts sociales souscrites en contrepartie de l’apport d’actifs communs[4].

Bien que les prérogatives dont est investi le conjoint de l’époux associé soient une projection fidèle de l’idée selon laquelle « la vocation communautaire du régime [légal] justifie le droit de regard du conjoint de l’associé sur les conséquences patrimoniales des prérogatives personnelles de celui-ci »[5], l’exercice desdites prérogatives n’en porte pas moins atteinte au principe général de non-immixtion qui gouverne le droit des sociétés. De surcroît, la possibilité pour le conjoint de l’époux titulaire des droits sociaux de revendiquer la qualité d’associé, vient heurter l’intuitu personae dont sont particulièrement empreintes les sociétés de personnes[6] et les sociétés à responsabilité limitée, alors mêmes que ces groupements sont censés constituer un « univers […] clos, rebelle à toute ingérence étrangère »[7].

Immédiatement, se pose alors la question de l’articulation entre le droit des régimes matrimoniaux et le droit des sociétés. Pendant longtemps, les auteurs ont considéré ces deux corpus normatifs comme étant, par essence, peu compatibles en raison de l’opposition frontale qui existerait entre les modes de fonctionnement de la structure sociétaire et du couple marié sous le régime de communauté[8]. Françoise Dekeuwer-Défossez résume parfaitement cette idée en observant qu’il s’agit là « de deux structures antagonistes [qui] coexistent », mais dont « les règles qui gouvernement chacune d’entre elles tendent à intervenir dans le fonctionnement de l’autre »[9]. Est-ce à dire que ces règles qui, tantôt modifient les rapports entre associés, tantôt modifient les rapports entre époux, sont inconciliables ?

On ne saurait être aussi catégorique ne serait-ce que parce que le droit des régimes matrimoniaux a, depuis l’adoption du Code civil, considérablement évolué. La hiérarchie conjugale qui était difficilement compatible avec le principe d’égalité entre associés a, de la sorte, été abolie par la loi du 23 décembre 1985 instituant l’égalité entre époux. Le principe d’immutabilité des conventions matrimoniales qui contrevenait à la possibilité pour les époux de constituer une société entre eux[10] a subi le même sort, celui-ci ayant été considérablement assoupli[11]. Qu’en est-il de la problématique née de la possibilité pour le conjoint de l’époux associé de s’immiscer dans la gestion de la société ?

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que le statut des parts d’intérêts émises par les sociétés de capitaux n’a jamais réellement été discuté dans la mesure où ces groupements sont dépourvus d’intuitu personae. Il s’ensuit que la titularité de la qualité d’associé est indifférente[12]. Aussi, le débat s’est-il exclusivement focalisé sur les droits sociaux que l’on qualifie de non-négociables[13]. Par droits sociaux non négociables, il faut entendre les parts d’intérêt qui représentent un droit dont la titularité est étroitement attachée à la personne de son détenteur. Selon Estelle Naudin, leur singularité réside dans l’impossibilité pour ces titres sociaux de faire l’objet d’une quelconque « transmission sur un marché financier »[14].

Pour appréhender cette catégorie de droits sociaux lorsqu’ils sont détenus par des époux mariés sous un régime communautaire, pendant longtemps, la jurisprudence leur a appliqué la distinction du titre et de la finance[15], mise au point au XIXe siècle, afin de surmonter le problème de patrimonialité qui se posait pour les offices ministériels[16].

À plusieurs reprises, le législateur a, de son côté, tenté de résoudre cette problématique notamment en cherchant à préciser le statut des droits sociaux[17] ainsi qu’en clarifiant l’attribution de la qualité d’associé[18]. Toutefois, de l’avis général des auteurs, par ses interventions successives, il a moins contribué à éclairer le débat qu’à l’obscurcir[19], « à tel point que les divergences doctrinales s’accrurent »[20]. Deux textes sont à l’origine de l’embrasement du débat : l’article 1404 et l’article 1424 du Code civil.

Relevant que le premier de ces textes confère la qualification de bien propre à « tous les droits exclusivement attachés à la personne », certains auteurs en ont déduit que les droits sociaux non négociables répondaient à cette qualification en raison du fort intuitu personae dont ils sont marqués[21].

À l’inverse, d’autres auteurs ont avancé qu’il convenait plutôt de retenir la qualification d’acquêts de communauté, l’article 1424 rangeant très explicitement les droits sociaux non négociables dans la catégorie des biens communs dont un époux ne peut disposer seul[22].

Rejetant les thèses monistes, une partie de la doctrine a plaidé pour un maintien de la distinction du titre et de la finance[23]. Les tenants de cette opinion ont argué que seule la conception dualiste permettrait d’opérer une conciliation entre les articles 1404 et 1424 du Code civil.

D’autres auteurs ont enfin proposé de renouveler la distinction du titre et de la finance qui, selon eux, serait « inutile et dépassée »[24]. Reprochant à cette distinction d’opposer les droits sociaux à leur valeur patrimoniale, ces auteurs préconisent de faire entrer les parts sociales dans la communauté, non seulement pour leur valeur, mais également en nature[25]. L’objectif poursuivi est de préserver aux mieux les intérêts de la communauté, tout en garantissant au titulaire des parts le monopole de la qualité d’associé.

Alors que la jurisprudence n’a jamais adopté de position suffisamment convaincante pour mettre en terme définitif au débat[26], le législateur est intervenu le 10 juillet 1982 dans le dessein de clarifier le statut du conjoint de l’époux associé. Aux termes de l’article 1832-2, celui-ci est désormais fondé à revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites, à condition qu’elles aient été acquises au moyen d’actifs communs.

Bien que cette disposition ne tranche pas directement la question de la qualification des droits sociaux non négociables, certains auteurs y ont vu néanmoins une consécration de la thèse dualiste. André Colomer n’hésite pas à affirmer que « l’article 1832-2 du Code civil […] consacre implicitement la doctrine de la distinction de la qualité d’associé (qui reste personnelle) et des parts sociales (qui sont des biens commun en nature) »[27]. Cet auteur est rejoint par Gérard Champenois pour qui il ne fait aucun doute que la loi du 10 juillet 1982 retient cette analyse. Pour lui, on saurait tout à la fois offrir la possibilité de revendiquer la qualité d’associé et admettre que les parts d’intérêt puissent endosser la qualification de biens propres, sauf à reconnaître au conjoint un droit à « expropriation »[28].

Qu’en est-il aujourd’hui ? La jurisprudence semble s’être prononcée en faveur du maintien de la distinction du titre et de la finance. Dans un arrêt remarqué du 9 juillet 1991, la Cour de cassation a décidé que seule la valeur patrimoniale des parts sociales d’un groupement agricole d’exploitation (GAEC) était commune, les parts en elles-mêmes ne rentrant pas dans l’indivision post-communautaire[29]. Pour la haute juridiction, la qualité d’associé demeure propre au mari. Cette dernière a réitéré cette solution quelques années plus tard en considérant que la valeur des parts sociales d’une SCP constituait un bien dépendant de la communauté. Elle en a déduit que les fruits et revenus tirés de l’exercice des droits sociaux tombaient alors dans l’indivision post-communautaire[30]. Plus récemment, elle a affirmé de façon très explicite « qu’à la dissolution de la communauté matrimoniale, la qualité d’associé attaché à des parts sociales non négociables dépendant de celle-ci ne tombe pas dans l’indivision post-communautaire qui n’en recueille que leur valeur »[31]. Ainsi, la Cour de cassation apparaît-elle toujours très attachée à la distinction du titre et de la finance, malgré les difficultés pratiques que cette position soulève[32]. Selon Isabelle Dauriac néanmoins, « l’hésitation est toujours permise »[33].

Plus précisément, les auteurs ne s’entendent toujours pas sur la qualification à donner aux parts sociales acquises au moyen de deniers communs, l’intérêt pratique du débat résidant – il n’est pas inutile de le rappeler – dans la résolution des difficultés soulevées par le fonctionnement parallèle d’une société et d’un régime communautaire. Au vrai, le sentiment nous est laissé, au regard de l’abondante littérature consacrée au sujet, que le problème est peut-être insoluble. Face à ce constat, deux attitudes peuvent être adoptées.

On peut tout d’abord considérer que les deux branches du droit que l’on cherche à articuler sont fondamentalement si différentes l’une de l’autre qu’aucune conciliation n’est possible, si bien que la solution retenue in fine, ne pourra être qu’un pis-aller. On peut également refuser cette fatalité et se demander si l’insolubilité du problème ne viendrait pas de ce que la doctrine raisonne à partir d’un postulat erroné. Toutes les thèses avancées par les auteurs reposent sur l’idée que les droits sociaux sont des biens. Partant, la seule conséquence que l’on peut tirer de ce postulat, c’est que les parts d’intérêt viennent nécessairement alimenter, tantôt la masse commune, tantôt la masse propre de l’époux associé, tantôt simultanément les deux masses si l’on adhère à la thèse dualiste du titre et de la finance. C’est alors que l’on se retrouve dans une impasse dont la seule issue conduit, selon Jean Derruppé, « à ce qu’il y a de plus regrettable pour la pratique : l’incertitude du droit »[34].

Pour sortir de cette impasse, ne pourrait-on pas envisager que les droits sociaux puissent ne pas être rangés dans la catégorie des biens ? Une frange ancienne de la doctrine soutient, en effet, que les prérogatives dont est investi l’associé s’apparentent, non pas à des droits réels, mais à des droits de créance contre la société[35]. Plus récemment, reprochant à cette thèse de réduire l’associé à un simple créancier, alors que le droit de créance est insusceptible de rendre compte de toutes les prérogatives dont l’associé est titulaire[36], des auteurs ont avancé que les droits sociaux seraient, en réalité, « de nature hybride », en ce sens qu’ils traduiraient « la position contractuelle de l’associé, composée d’obligations actives et passives »[37]. Une appréhension des droits sociaux de l’époux associé comme résultante de la position sociétaire, serait donc possible (II). Cette approche permettrait ainsi d’abandonner le postulat consistant à assimiler systématiquement les parts d’intérêt à des biens, postulat qui est à l’origine de nombreuses difficultés quant à l’articulation entre le droit des régimes matrimoniaux et le droit des sociétés (I).

I) La difficile appréhension des droits sociaux comme objet de droit de propriété

Le classement des droits sociaux dans la catégorie des biens soulève, tant des difficultés théoriques en droit des sociétés (A), que des difficultés pratiques en droit des régimes matrimoniaux (B).

A) Les difficultés théoriques soulevées par la qualification de bien en droit des sociétés

S’il est acquis en droit des régimes matrimoniaux que les droits sociaux doivent être classés dans la catégorie des biens, cette vision est loin de faire l’unanimité en droit des sociétés. L’admission de ce postulat suppose de considérer que les associés exerceraient un droit de propriété sur les titres auxquels ils ont souscrits et, corrélativement, de rejeter l’idée qu’ils puissent être regardés comme les titulaires d’une créance contre la société. L’adoption de l’une ou l’autre thèse demeure pourtant très discutée en doctrine. Cette question touche, en effet, au débat relatif à la nature de la société. Or indépendamment du caractère fondamental de la problématique à laquelle ce débat se rapporte, il connaît un fort regain d’intérêt depuis quelques années, notamment sous l’impulsion du « renouveau de la thèse contractuelle »[38] que l’on oppose, classiquement, à la conception institutionnelle[39].

Selon la première conception, directement héritée du droit romain[40], la société s’apparenterait à un contrat. Défendue par Pothier[41] et Domat[42], cette thèse a été consacrée par le Code Napoléon, qui naguère disposait, en son article 1832, que « la société est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre en commun dans la vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter ». Des stigmates de cette définition se retrouvent, encore aujourd’hui, dans le Code civil. Le nouvel article 1832 convoque toujours la figure du contrat pour définir la notion de société. De nombreux autres arguments ont, par ailleurs, été avancés au soutien de la thèse contractuelle.

Tout d’abord, semblablement à un contrat, la société n’est autre que le produit d’une manifestation de volontés. Sa constitution ne s’impose donc pas aux associés. Aucune obligation ne leur commande de conclure un pacte social ou d’y adhérer. Ensuite, la validité de l’acte juridique que constitue la société est subordonnée au respect des conditions générales de formation exigées en matière de contrat. Enfin, l’autonomie de la volonté préside, pour une large part, à l’élaboration du pacte social, en ce sens que les associés sont libres d’adopter la forme sociale qui leur sied et de déterminer le contenu des statuts.

Bien qu’il soit incontestable que la société trouve sa source dans un acte juridique, de nombreuses critiques ont été adressées à la thèse contractuelle. Les auteurs relèvent notamment que la constitution d’une société peut résulter de l’accomplissement d’un acte unilatéral. Depuis 1985, le législateur reconnaît la possibilité d’instituer une société « par l’acte de volonté d’une seule personne »[43]. Par ailleurs, Philippe Merle observe que « la société n’accède à la vie juridique que par une formalité administrative, l’immatriculation et non par la volonté des associés »[44]. Il a encore été objecté que c’est la loi de la majorité qui régit l’adoption des délibérations sociales alors que la modification d’un contrat requiert l’unanimité des parties[45]. En outre, de nombreuses règles d’origine légale et réglementaire gouvernent le fonctionnement des sociétés, sans qu’il puisse y être dérogé dans les statuts, ce qui, pour certains, est de nature à disqualifier la thèse contractuelle. Finalement, le reproche général formulé par les contradicteurs de cette thèse est que le recours au concept de contrat ne permet pas d’appréhender dans sa globalité la notion de société[46].

C’est la raison pour laquelle, pour certains auteurs, la société s’apparenterait moins à un contrat qu’à une institution[47]. Par institution, il faut entendre, selon le doyen Hauriou, « une idée d’œuvre ou d’entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social; pour la réalisation de cette idée, un pouvoir s’organise qui lui procure des organes; d’autre part, entre les membres du groupe social intéressés à la réalisation de l’idée, il se produit des manifestations de communion dirigées par les organes du pouvoir et réglées par des procédures »[48]. La thèse institutionnelle revient alors à appréhender la société comme un ensemble de règles impératives qui organisent de façon durable le fonctionnement du groupement qu’elle constitue en vue de la réalisation d’un but social déterminé, distinct des intérêts privés poursuivis par chacun de ses membres. Aussi, cela expliquerait-il pourquoi la société est pourvue de la personnalité juridique et d’un patrimoine propre. Cette thèse permet également de justifier la loi de la majorité qui préside à l’adoption des décisions sociales ainsi que l’important corpus normatif d’ordre public qui s’impose aux associés.

Bien qu’elle présente un certain nombre d’avantages, la conception institutionnelle n’échappe pas non plus à la critique, au premier rang desquelles figure le reproche consistant à dire qu’elle « s’apparente davantage à une idée ou à une image qu’à une véritable théorie car elle ne détermine aucun régime juridique précis »[49]. Qui plus est, elle néglige l’acte constitutif du groupement. Or cet élément est consubstantiel de la notion de société, spécialement lorsqu’il s’agit d’appréhender les sociétés dépourvues de personnalité morale où l’aspect contractuel est prépondérant. Au total, pour la doctrine majoritaire[50], ni la thèse institutionnelle, ni la thèse contractuelle ne semblent être en mesure de rendre compte du concept de société. Pour certains auteurs, une troisième voie serait néanmoins possible en revisitant la classification traditionnelle des contrats, soit en introduisant la distinction entre le contrat-échange et le contrat-organisation[51].

Selon Paul Didier« le premier type de contrat établit entre les parties un jeu à somme nulle en ceci que l’un des contractants gagne nécessairement ce que l’autre perd, et les intérêts des parties y sont donc largement divergents, même s’ils peuvent ponctuellement converger. Le deuxième type de contrat, au contraire crée entre les parties les conditions d’un jeu de coopération où les deux parties peuvent gagner et perdre conjointement et leurs intérêts sont donc structurellement convergents même s’ils peuvent ponctuellement diverger »[52]. Autrement dit, tandis que le contrat-échange « réalise une permutation de biens ou de services », le contrat-organisation aménage « une agrégation de bien ou de services »[53]. Patrice Hoang définit en ce sens le contrat-organisation comme l’« acte juridique qui a pour objet d’établir dans la durée des règles susceptibles d’organiser une collectivité de personnes et d’ordonner leur activité autour du but qu’elle s’est proposée d’atteindre »[54].

Aussi, le recours au concept de contrat-organisation permet-il de réussir là où l’approche restrictive du contrat de société échoue : expliquer l’existence d’une communauté d’intérêts qui prime sur les intérêts particuliers de chacun des associés. Cela justifie, dès lors, la soumission de ces derniers à la loi de la majorité. Plus généralement, cela permet d’appréhender la dimension institutionnelle de la société, soit les règles de fonctionnement et de représentation du groupement. Au fond, comme le souligne Nicolas Mathey, le concept de contrat-organisation « est certainement la formulation la plus exacte de ce qu’est réellement cet acte qui se trouve si souvent au fondement des personnes morales »[55]. Cette nouvelle approche de la notion de société a d’ailleurs récemment inspiré certains civilistes qui y ont vu un moyen d’envisager le droit des obligations sous un nouvel angle[56]. Appliquée en droit des régimes matrimoniaux, cela permettrait d’appréhender l’époux associé comme une véritable partie à un contrat et non plus comme un propriétaire, ce qui n’est pas sans soulever un certain nombre de difficultés pratiques.

B) Les difficultés pratiques soulevées par la qualification de bien en droit des régimes matrimoniaux

S’il est indéniable que chacune des qualifications préconisées par la doctrine à la faveur des droits sociaux non négociables présentent de réels avantages, à l’examen, aucune d’elles ne permet de concilier pleinement le droit des régimes matrimoniaux avec le droit des sociétés, ce, en raison des nombreuses difficultés pratiques que soulèvent ces qualifications. Sans qu’il soit besoin de nous livrer à une analyse exhaustive de ces difficultés – l’exercice mériterait qu’on lui consacre une étude entière – arrêtons-nous sur certaines d’entre elles – les plus saillantes – afin de mieux cerner l’impasse à laquelle conduit inexorablement l’assimilation des droits sociaux à des biens.

S’agissant, tout d’abord, de la qualification de biens communs, cette thèse s’imbrique certes parfaitement dans le système communautaire mis en place par le régime légal. Toutefois, elle fait fi du caractère personnel des droits sociaux non-négociables. Comme le relèvent les auteurs, la qualité d’associé n’est pas un bien[57]. Il s’agit d’une « prérogative attachée à une personne »[58]. Il en résulte qu’elle ne saurait tomber en communauté, sauf à reconnaître à cette dernière la personnalité morale. Or la doctrine n’y est majoritairement pas favorable[59]. Dans ces conditions, l’application du statut communautaire aux droits sociaux apparaît difficilement envisageable. L’argument tendant à invoquer au soutien de cette thèse l’article 1424 du Code civil, lequel impose la cogestion pour certains biens communs parmi lesquels figurent les droits sociaux non négociables, n’y change rien. Cette disposition instaure une règle pouvoir et non de propriété, de sorte qu’on ne saurait en tirer une quelconque conséquence quant à la qualification des parts d’intérêt.

Concernant, ensuite, la qualification de biens propres, cette thèse a manifestement reçu un bien meilleur accueil que la précédente par la doctrine, notamment en ce qu’elle « rend inutile la distinction artificielle et dépassée du titre et de la finance »[60]. Cependant, elle n’échappe pas non plus à la critique. Le premier grief que l’on peut formuler à l’encontre de cette théorie est que la qualification de bien propre conduit à priver la communauté d’actifs économiques importants alors qu’ils ont été acquis au moyen de biens communs. En somme, comme le souligne Jean Derruppé « la communauté réduite aux acquêts devient une communauté réduite aux récompenses »[61], ce qui est contraire à l’esprit communautaire dont est animé le régime légal. La seconde critique – la principale – que l’on peut adresser à la qualification de bien propre est que, conformément à l’article 1404 du Code civil, elle repose exclusivement sur l’intuitu personae dont est susceptible d’être marquée la qualité d’associé. Or l’existence de cette intuitu personae est déterminée, soit par la forme sociale de la société, soit par l’insertion d’une clause d’agrément dans les statuts. Aussi, cela revient-il à faire dépendre le statut des droits sociaux non pas de la loi, mais, pour une large part, de la volonté de l’époux associé. Celui-ci peut, de la sorte, trouver dans l’écran de la personne morale un excellent moyen de soustraire certains biens de la communauté.

S’agissant, enfin, de la thèse qui préconise le maintien de la distinction du titre et de la finance, bien que, appliquée de façon constante par la jurisprudence, et défendue par la doctrine majoritaire[62], elle n’est pas sans faille. La théorie dualiste repose, tout d’abord, sur une distinction purement « arbitraire »[63], en ce sens qu’elle opère une dissociation du titre et de la finance, alors que la part sociale est une : la qualité d’associé est indissociable de la valeur du titre. La conséquence en est l’application de règles juridiques différentes – parfois contraires – à un même bien. D’où les difficultés que la doctrine rencontre à les concilier. Il en va ainsi du conflit qui naît, par exemple, à l’occasion d’une cession de parts sociales, entre l’article 1424 qui requiert le consentement du conjoint pour tout acte de disposition portant sur des droits sociaux non négociables, et les articles 225 qui confèrent aux époux une pleine indépendance quant à la gestion des biens qui revêtent un caractère personnel. Là ne s’arrêtent pas les difficultés pratiques que soulève la théorie dualiste. Cette théorie conduit à l’application de l’article 1424, soit à instaurer une cogestion pour les titres sociaux non négociables, alors que la qualité d’associé est exclusivement attachée à la personne du titulaire des titres. Cela a pour effet pervers de permettre au conjoint de s’ingérer dans le fonctionnement d’une société pourtant empreinte d’intuitu personae.

Surtout, dans le droit fil de cette critique, la mise en œuvre de la distinction du titre et de la finance est susceptible de porter grandement atteinte à l’autonomie professionnelle de l’époux titulaire des droits sociaux. Un époux peut, en effet, jouir de la qualité d’associé pour les besoins de son activité professionnelle. Dans cette hypothèse, les articles 223 et 1421, al. 2 devraient en toute logique lui garantir une pleine et entière indépendance quant à l’exercice de ses droits sociaux[64]. Tel n’est cependant pas le cas si l’on adhère à la thèse dualiste. En cours de régime, l’adoption de cette thèse conduit à soumettre l’époux associé à la cogestion, par application de l’article 1424[65]. De surcroît, lors de la dissolution de la communauté, il est un risque que sa participation même dans la société soit menacée. Si l’on estime que les parts sociales entrent seulement pour leur valeur en communauté, l’époux associé sera contraint, lors du partage de l’indivision post-communautaire, d’indemniser son conjoint à concurrence de la moitié de la valeur des titres qu’il détient, ce qui peut avoir pour conséquence fâcheuse de l’obliger, s’il ne dispose pas de liquidités suffisantes, de céder tout ou partie sa participation dans la société[66]. Si au contraire, l’on considère que les parts sociales intègrent la communauté en nature[67], l’époux associé se retrouvera dans une situation encore plus inconfortable : le partage des parts devra s’effectuer non pas en valeur, mais en nature, ce qui mécaniquement fera perdre à l’époux titulaire des titres la moitié de sa participation dans la société. Ainsi, que les parts d’intérêt entrent en communauté pour leur valeur ou en nature, dans les deux cas, la liberté d’exercice professionnel de l’époux associé s’en trouve entravée. C’est là, de toute évidence, une sérieuse critique que l’on peut formuler à l’encontre de la thèse dualiste.

Tout bien pesé, il apparaît qu’aucune des thèses suggérées quant à la qualification des droits sociaux n’est à l’abri des critiques. Toutes soulèvent des difficultés pratiques qui font obstacle à la conciliation entre le droit des régimes matrimoniaux et le droit des sociétés. Au vrai, des objectifs radicalement différents président au développement de ces deux branches du droit. Tandis que le droit des régimes matrimoniaux encadre l’autonomie des époux en considération de l’obligation à la dette qui leur échoit, le droit des sociétés est hermétique à toute ingérence des tiers dans le fonctionnement de l’entreprise. D’où la difficulté de les concilier. Le problème vient de ce que le statut de bien endossé par les droits sociaux ne permet pas la cohabitation de la qualité d’époux avec celle d’associé. Cela devient néanmoins possible si l’on envisage les droits sociaux, non plus comme des biens, mais comme le produit d’un contrat.

II) La possible appréhension des droits sociaux comme effet du contrat de société

La qualification de bien ne constitue, en aucune manière, l’alpha et l’oméga de la problématique relative au statut des droits sociaux. Non seulement une appréhension de ces derniers sous l’angle du contrat est envisageable (A), mais encore, elle est préférable à maints égards (B).

A) L’endossement par l’époux associé de la qualité de contractant substituable à la qualité de propriétaire

Afin de sortir du postulat selon lequel la titularité de droits sociaux conférerait nécessairement à l’époux associé la qualité de propriétaire, il convient de s’interroger sur la question de savoir si, véritablement, les droits sociaux sont appropriables. Cela revient à se demander s’ils peuvent être qualifiés de biens. Le Code civil ne donne aucune définition des biens. Il se contente d’en dresser une classification. C’est à la doctrine qu’est revenue la tâche de les définir. Si, pour certains auteurs, une définition s’avère impossible[68], tous s’accordent néanmoins à voir dans les biens des choses appropriables qui possèdent une valeur patrimoniale[69]. Un bien s’apparente, en d’autres termes, à une richesse économique susceptible de faire l’objet d’une circulation juridique. Est-ce à dire que tout ce qui est évaluable en argent revêt nécessairement la qualification de bien ?

Pour le déterminer, reportons-nous à la summa divisio établie par Code civil à l’article 516 entre les immeubles et les meubles. Tandis que les premiers sont les biens qui adhèrent au sol, en ce sens qu’ils sont inséparables de celui-ci, les seconds peuvent être physiquement déplacés. Les meubles se distinguent, par ailleurs, des immeubles en ce que, conformément à l’article 527, une entité peut être qualifiée de meuble « par la détermination de la loi », soit en dehors de toute application du critère de mobilité. Cette catégorie particulière de meubles est traitée à l’article 529 qui prévoit notamment que doivent être classés dans la catégorie des meubles « les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou d’industrie ». Les droits sociaux, qu’ils émanent de sociétés de personnes ou de capitaux, sont de la sorte appréhendés par la loi comme des meubles. Si cette assimilation – légale – des droits sociaux à des biens ne souffre, en apparence, d’aucune contestation possible, elle peine pourtant à convaincre.

Il ressort, en effet, de l’article 1832 du Code civil que les droits sociaux conférés à l’associé ne sont autres que la contrepartie de l’apport qu’il effectue lors de la conclusion du pacte social ou de son entrée dans la société. Les droits sociaux représentent, dans cette perspective, le rapport que l’associé entretient avec la société. Or il s’agit là d’un rapport entre une personne physique et une personne morale. Conséquemment, le droit que l’associé exerce sur la société devrait, en toute logique, être qualifié de personnel et non de réel comme c’est le cas dans le cadre d’une relation entre le propriétaire et son bien[70]. C’est pourquoi, pour Jean Dabin, les droits sociaux sont assimilables à des créances[71]. Cette qualification de créance est certes contestée – à juste titre – par certains auteurs pour qui « l’originalité de la part sociale est qu’elle confère à l’associé ce qu’un créancier n’a jamais : un droit d’intervention, c’est-à-dire une vocation à la vie sociale, dans la personnalité interne de la société »[72]. Techniquement, les droits sociaux ne peuvent donc pas être qualifiés de droits de créances. L’adoption de cette qualification est trop réductrice[73]. En tout état de cause, bien que la qualification de créance ne permette pas de rendre totalement compte des droits et obligations que confère la qualité d’associé, le constat n’en demeure pas moins inchangé : les droits sociaux sont le produit de la relation contractuelle que leur titulaire entretient avec une personne morale. L’associé s’apparente, dans ces conditions, moins à un propriétaire de titres qu’à une partie à un contrat. D’où l’inopportunité de qualifier les droits sociaux de biens. Ils représentent, en réalité, « la position contractuelle »[74] de l’associé.

Immédiatement, une nouvelle question se pose : si les titres sociaux que l’associé détient ne lui confèrent pas la qualité de propriétaire de la société, lesdits titres peuvent-ils, malgré tout, faire l’objet d’un droit de propriété ? Il convient, en effet, de distinguer les droits sociaux que les parts d’intérêt ou les valeurs mobilières constatent, des droits dont les titres sociaux sont, en eux-mêmes, susceptibles de faire l’objet. C’est ainsi qu’un auteur a pu soutenir que « la position contractuelle de l’associé […] peut être qualifiée de bien »[75]. D’autres encore estiment que « la créance se matérialise dans le titre qui la constate, lequel, étant une chose corporelle, est susceptible de propriété »[76]. Indépendamment de la théorie de l’incorporation qui a fait l’objet de nombreuses critiques[77], des auteurs plaident, plus généralement, pour une reconnaissance de la propriété des créances[78]. En somme, pour les défendeurs de cette thèse, dans la mesure où les créances possèdent une valeur patrimoniale et que, au même titre que les biens, elles sont cessibles, transmissibles, saisissables et peuvent être données en garantie, pourquoi ne pas envisager qu’elles puissent faire l’objet d’un droit de propriété ? Qui plus est, la Cour européenne des droits de l’Homme[79] et, dans une moindre mesure, le Conseil constitutionnel[80] ont admis la propriété des créances. Pour séduisante que soit cette théorie, elle n’est cependant pas satisfaisante[81].

Comme le relèvent très justement d’éminents auteurs « un droit personnel ne peut être rationnellement l’objet d’un droit réel. En effet, puisque le droit réel s’analyse comme un pouvoir exercé directement sur une chose, un tel droit ne peut s’exercer sur une personne qui ne peut devenir objet de propriété »[82]. De surcroît, pour Gabriel Marty et Pierre Raynaud « la notion de propriété ainsi appliquée à tous les droits patrimoniaux (pourquoi pas les autres droits ?) perd toute signification précise : en réalité, elle se réduit à l’élément d’appartenance, de titularité, que l’on retrouve dans tout droit subjectif, voire dans toute compétence. À généraliser ainsi le concept de propriété, on le fait disparaître »[83]. Surtout, et c’est là, selon nous, l’argument décisif, la reconnaissance de la propriété des créances est difficilement admissible en théorie du droit.

À supposer que l’on puisse exercer un droit réel sur une créance, cela suppose que son titulaire soit fondé à en abuser. Cela signifie qu’il doit, notamment, pouvoir accomplir librement tous les actes qui en affectent la substance. Le créancier ne dispose cependant pas de pareille prérogative. Comme l’a démontré Kelsen, une créance s’apparente à une norme[84]. Or pour que la modification d’une norme soit valide, elle doit avoir été faite conformément à une norme d’habilitation supérieure. Cela implique, autrement dit, que le créancier ait été investi par la loi du pouvoir de redéfinir le contenu de la créance. En droit commun, les parties à un contrat ne sont, toutefois, jamais habilitées, sauf exception, à accomplir un tel acte[85]. La loi exige, tout au contraire, que les contractants satisfassent à l’exigence du mutuus dissensus. Aussi, dans la mesure où le créancier n’a pas le pouvoir de modifier, à sa guise, les stipulations du contrat auquel il est partie par une déclaration unilatérale de volonté, on ne saurait adhérer à l’idée qu’il exerce un droit de propriété sur la créance qu’il détient.

On peut en déduire, in fine, que l’époux associé ne saurait endosser la qualité de propriétaire. Au vrai, il s’agit d’une illusion qui conduit à faire abstraction de la position contractuelle dans laquelle le titulaire de droits sociaux est placé et qui, par bien des aspects, est préférable à celle de propriétaire.

B) L’endossement par l’époux associé de la qualité de contractant préférable à la qualité de propriétaire

Appréhender le statut des droits sociaux en s’émancipant de la qualification de biens présente de nombreux avantages. Le premier réside dans l’opportunité qu’offre cette démarche de sortir d’un débat qui n’a jamais été clos, nonobstant les nombreuses réformes législatives qui ont jalonné l’évolution du droit des régimes matrimoniaux et du droit des sociétés. Si l’on regarde l’époux associé, non plus comme un propriétaire, mais comme un contractant, il n’est plus besoin de se demander à quelle masse de biens les droits sociaux appartiennent. Leur titularité devient indissociable des prérogatives attachées à la qualité d’associé de sorte que la distinction entre le titre et la finance n’est plus envisageable. La question qui, néanmoins, est susceptible de se poser est de savoir à qui échoit la qualité de partie au contrat de société.

L’hésitation est difficilement permise. Si l’on se réfère au principe de relativité des conventions combiné à l’autonomie dont jouit le contractant marié, le champ des possibles se réduit : l’époux qui contracte a seul, par principe, la qualité de partie au contrat[86]. La qualité d’associé ne peut donc être attribuée qu’à l’époux qui a adhéré au contrat de société. Le conjoint de l’époux associé ne lui emprunte pas, de plein droit, cette qualité. Tout au plus, il lui est possible, conformément à l’article 1832-2, de revendiquer la qualité d’associé à concurrence de la moitié des droits sociaux dont l’acquisition a été réalisée au moyen de biens communs. Le succès de cette revendication est néanmoins susceptible de se heurter à l’existence d’une clause d’agrément, d’où il s’ensuit que la qualité d’associé est loin d’être acquise pour le conjoint revendiquant. À supposer qu’il mène son action à bien, la question de la titularité des droits sociaux ne soulève, là encore, guère de difficultés. Comme le relève André Colomer « faute d’être dotée de personnalité, la communauté n’est pas sujet de droit à proprement parler »[87]. Il en résulte que l’on peut d’emblée l’exclure du rang des prétendants. La qualité d’associé ne peut, en conséquence, être endossée que par l’un des époux, ou éventuellement les deux en cas de succès de l’action en revendication. La question de savoir si les parts sociales tombent en valeur ou en nature dans la communauté devient, en tout état de cause, caduque.

Le deuxième avantage que l’on peut retirer de l’appréhension de l’époux associé, non plus comme un propriétaire, mais comme un contractant, découle du premier. L’adhésion à cette idée revient, en effet, à écarter l’éventualité que les droits sociaux puissent être qualifiés de biens communs. Leur exercice n’est donc plus susceptible d’être régi par le principe de gestion concurrente ou de cogestion. Il n’est dès lors plus aucun risque que le conjoint de l’époux associé s’immisce dans la gestion de la société par le jeu des articles 1421 ou 1424 du Code civil. La question qui, de la sorte, s’était posée en jurisprudence de savoir si l’époux associé devait ou non obtenir l’autorisation de son conjoint pour céder sa participation dans une société n’a, elle aussi, plus lieu d’être[88]. Il est libre d’accomplir tous les actes d’administration et de disposition des parts d’intérêt dont il est titulaire. D’aucuns objecteront qu’il s’agit là d’une atteinte manifeste portée à l’esprit communautaire du régime légal, compte tenu de la grande valeur patrimoniale que les droits sociaux sont susceptibles de représenter, ce qui justifierait l’existence d’« un contrôle minimum » de la part du conjoint de l’époux associé[89]. Toutefois, comme le relève Gilles Plaisant on ne saurait « faire de l’importance économique du bien le seul critère de la cogestion »[90]. Surtout, on ne saurait occulter les effets négatifs de l’article 1424 dont l’application conduit, au même titre que l’article 1832-2, à introduire « un grain de sable dans les rouages de l’indépendance pourtant érigée en principe »[91] à l’article 223, composante essentielle du régime primaire impératif, lequel prime, en cas de conflit de règles, sur le statut matrimonial. L’approche strictement contractuelle des droits sociaux permet alors de préserver l’autonomie professionnelle de l’époux associé. Là ne s’arrête pas l’avantage d’abandonner la qualification de biens.

Cela permet également se sortir de la distinction « arbitraire »[92] entre les titres négociables et les titres non négociables, à tout le moins en partie. En l’état du droit positif, la non-négociabilité d’un titre est érigée par la loi en critère d’application de la cogestion (article 1424) et du régime de l’action en revendication de la qualité d’associé. La jurisprudence et la doctrine y ont également recours pour déterminer à quelle masse de biens appartiennent les droits sociaux acquis au moyen d’actifs communs. Dans l’hypothèse où ils sont négociables, la doctrine est unanime : ils tombent en communauté[93]. Dans le cas contraire, tandis que pour certains auteurs ils endossent la qualification de biens propres, pour d’autres il convient d’opérer une distinction entre le titre et la finance. Si, immédiatement, le critère de la négociabilité des titres renvoie à la distinction entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux, comment appréhender les parts d’intérêt qui émanent de sociétés placées dans une situation intermédiaire ? La question s’est un temps posée pour la SARL qui est une société « de nature hybride »[94] : fallait-il appliquer aux parts sociales le régime juridique des titres non-négociables, soit une qualification mixte ou leur refuser cette qualification ? Si la jurisprudence s’est incontestablement prononcée en faveur de la première option, malgré quelques hésitations[95], l’interrogation est toujours permise s’agissant des sociétés de capitaux dont les statuts comportent une clause d’agrément[96]. Ainsi, la soustraction des droits sociaux à la catégorie des biens permettrait-elle de se départir de la distinction entre les titres négociables et non négociables comme le réclament certains auteurs pour qui « rien ne justifie une différence de traitement entre l’époux associé d’une société à responsabilité limitée et l’époux actionnaire d’une société par actions simplifiées »[97].

En conclusion, nombreux sont les avantages que présente l’adoption d’une approche purement contractuelle des droits sociaux. Le seul dommage notable que ce changement de paradigme occasionnerait est la neutralisation de l’article 1424 dont l’application repose exclusivement sur le critère de négociabilité des titres sociaux. Cette neutralisation aurait toutefois comme vertu salvatrice de désamorcer, pour une large part, la menace que l’article 1424 fait peser sur l’exercice de la liberté professionnelle de l’époux associé. Qui plus est, la mise à l’écart de cette disposition, dont certains réclament d’ailleurs une redéfinition[98], ne se ferait pas au détriment des intérêts de la communauté. Celle-ci conserverait son droit à récompense en cas d’acquisition de parts d’intérêts au moyen de biens communs[99], tout autant qu’elle serait toujours fondée à percevoir les revenus générés par l’exercice des droits sociaux. L’esprit communautaire du régime légal est sauf.

[1] C. Gerschel, « Le principe de la non-immixtion en droit des affaires », LPA 30 août 1995 ; V. également sur cette question M. Clet-Desdevises, L’immixion dans la gestion d’une société, Éco. et compta. 1980, p. 17.

[2] Les articles 1536 et 1569 du Code civil prévoient en ce sens, dans les mêmes termes, que lorsque les époux se sont mariés sous le régime de la séparation de biens ou de la participation aux acquêts, « chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels. ».

[3] Le non-respect de cette exigence est sanctionné par la nullité prescrite à l’article 1427 du Code civil. V. en ce sens CA Paris, 28 nov. 1995 : JCP G 1996, I, 3962, n° 10, obs. Ph. Simler ; Dr. sociétés 1996, comm. 75, obs. Y. Chaput.

[4] Il lui suffit, pour ce faire, de notifier à son conjoint son intention de devenir associé.

[5] J. revel, « Droit des sociétés et régime matrimonial : préséance et discrétion », D. 1993, chron. p. 35.

[6] On pense notamment aux sociétés en nom collectif, aux sociétés en commandite simple ou encore aux sociétés civiles.

[7] A. Colomer, Droit cvil : Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, coll. « Manuel », n°769, p. 348.

[8] V. en ce sens notamment R. Roblot, Traité de droit commercial, t. I, 17e éd., par M. Germain et L. Vogel, LGDJ, 1998, n° 1035 ; Ph. Malaurie et L. Aynès, Droit civil, t. VII, Les régimes matrimoniaux, 3e éd., Cujas, 1994, n° 106.

[9] F. Dekeuwer-Défossez, « Mariage et sociétés », Études dédiées à René Roblot, Aspects actuels du droit commercial français, LGDJ 1984, p. 271.

[10] V. en ce sens Cass. crim., 9 août 1851 : DP 1852, 1, p. 160 ; S. 1852, 1, p. 281 ; Cass. civ., 7 mars 1888 : DP 1888, 1, p. 349 ; S. 1888, 1, p. 305.

[11] La loi du 13 juillet 1965 a mis fin au principe absolu de l’immutabilité des conventions matrimoniaux. Puis, la loi du 23 juin 2006 a modifié les articles 1396, alinéa 3, et 1397 du Code civil, lesquels n’exigent plus, lors d’un changement de régime matrimonial que ce changement soit soumis au juge pour être homologué.

[12] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, Armand Colin, 2e éd. 2001, n°323.

[13] V. notamment M. Nast, « Des parts d’intérêt sous le régime de la communauté d’acquêts », Defrénois 1933, art. 23.584 ; R. Savatier, « Le statut en communauté des parts de sociétés de personnes », Defrénois 1960, art. 27.920 ; G. Chauveau, « La jurisprudence devant le conflit entre le droit matrimonial et le droit des sociétés », Gaz. Pal. 1958, I, Doct. 65.

[14] E. Naudin, « L’époux associé et le régime légal de la communauté réduite aux acquêts », in Mélanges Champenois, Defrénois, 2012, p. 617.

[15] Cass. Com. 19 mars 1957, D. 1958. 170, note Le Galcher-Baron ; JCP 1958.II.10517, note Bastian ; Cass. com., 23 déc. 1957, D. 1958, p. 267, note M. Le Galcher-Baron ; JCP G 1958, II, 10516, note J.R. ; Cass. 1re civ., 22 déc. 1969, D. 1970, p. 668, note G. Morin ; JCP G 1970, II, 16473, note J. Patarin.

[16] Cass. civ., 4 janv. 1853, DP 1853, I, p. 73 ; S. 1853, 1, p. 568.; Cass. req., 6 janv. 1880, DP 1880, I, p. 361 ; S. 1881, 1, p. 49, note Labbé. Cass. 1re civ., 27 avr. 1982, Bull. civ. 1982, I, n° 145 ; JCP G 1982, IV, 236.

[17] La loi du 13 juillet 1965 a de sorte modifié l’article 1404 du Code civil, laissant alors entrevoir l’idée que les droits sociaux non négociables pouvaient être qualifiés de biens propres par nature. Cette même loi précise, en parallèle, à l’article 1424, qu’un époux ne pouvait pas en disposer seul, ce qui fera dire à certains qu’ils doivent être rangés parmi les biens communs.

[18] Loi n° 82-596 du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d’artisans et de commerçants travaillant dans l’entreprise familiale.

[19] V. en ce sens J. Derruppé, « Régimes de communauté et Droit des sociétés », JCP 1971, I, 2403 ; E. Naudin, « L’époux associé et le régime légal de la communauté réduite aux acquêts », in Mélanges Champenois, Defrénois, 2012, p. 617 ; F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les régimes matrimoniaux, Précis Dalloz, 6e éd. 2011, n° 330, p.261.

[20] A. Colomer, « Les problèmes de gestion soulevés par le fonctionnement parallèle d’une société et d’un régime matrimonial », Defrénois 1983, art. 33102, p. 865.

[21] A. Ponsard, Les régimes matrimoniaux, in Ch. Aubry et Ch. Rau, Droit civil français, t. VIII, 7e éd. 1973, n° 167 ; G. Marty et P. Raynaud, Droit civil. Les régimes matrimoniaux, Sirey, 2e éd. 1985, n° 181 et s.; G. Paisant, Des actions et parts de sociétés dans le droit patrimonial de la famille : thèse, Poitiers, 1978, p. 146 et s.

[22] J. Patarin et G. Morin, La réforme des régimes matrimoniaux, t. 1, 4e éd., 1977, Defrénois, n° 152 ; R. Savatier, « Le statut, en communauté, des parts de sociétés de personnes », Defrénois 1968, art. 29097, p. 421.

[23] H., L., et J. Mazeaud et de Juglart, Les régimes matrimoniaux, 5e éd. 1982, n° 156 ; G. Morin, D. 1970. 668, note sous Civ. 1ère, 22 déc. 1969.

[24] J. Derruppé, « Régime de communauté et droit des sociétés », JCP G 1971, I, 2403 ; du même auteur V. également « Les droits sociaux acquis avec des biens communs selon la loi du 10 juillet 1982 », Defrénois 1983, art. 33053, p. 521 et s.

[25]A. Colomer, « La nature juridique des parts de société au regard du régime matrimonial », Defrénois 1979, art. 32020, p. 817 et s. ; J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, Armand Colin, 2001, n°323, p. 315.

[26] V. en ce sens Cass. 1re civ., 8 janv. 1980, n° 78-15.902 : D. 1980, inf. rap. p. 397, obs. D. Martin ; Defrénois 1980, art. 32503, n° 118, p. 1555, obs. G. Champenois.

[27] A. Colomer, op. cit., n°780, p. 353-354.

[28] G. Champenois, op. cit., n°323, p. 315.

[29] Cass. 1re civ., 9 juill. 1991 : Bull. civ. 1991, I, n° 232 ; JCP N 1992, II, 378, n° 11, obs. Ph. Simler.

[30] Cass. 1re civ., 10 févr. 1998 : Bull. civ. 1998, I, n° 47 ; Defrénois 1998, art. 1119, note Milhac ; Gaz. Pal. 1999, 1, somm. p. 124, obs. S. Piedelièvre.

[31] Cass. 1re civ., 12 juin 2014, n° 13-16.309 : JCP G 2014, 1265, Ph. Simler ; D. 2014, p. 1908, obs. V. Brémond ; dans le même sens V. Cass. 1re civ., 4 juill. 2012, n° 11-13.384 : JurisData n° 2012-014917 ; JCP G 2012, 1104, note Paisant ; JCP N 2012, 1382, note J.-D. Azincourt ; Dr. famille 2012, comm. 158, obs. Paisant.

[32] V. en ce sens Cass. 1re civ., 9 juill. 1991, n° 90-12.503 : Bull. civ. 1991, I, n° 232 ; JCP G 1992, I, 3614, n° 8 ; Defrénois 1992, art. 35202, p. 236, obs. X. Savatier ; Cass. 1re civ., 12 juin 2014, n° 13-16.309 : D. 2014, p. 1908, obs. V. Brémond ; JCP G 2014, 1265, Ph. Simler ; Cass. 1re civ., 22 oct. 2014, n° 12-29.265 : JCP G 2014, act. 1137, P. Hilt ; JCP G 2014, 1265, Ph. Simler.

[33] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le PACS, LGDJ-Lextenso éditions, 2e éd., 2010, coll. « Manuel », n°376, p. 229.

[34] J. Derruppé, art. précit.

[35]V. en ce sens J. Dabin, Le droit subjectif, Dalloz, 1952, p.209 ; G. Ripert, Traité élémentaire de droit commercial, 3e éd., 1954, n°665, p. 297 ; F.-X. Lucas, Les transferts temporaires de valeurs mobilières, Pour une fiducie de valeurs mobilières, préf. de L. Lorvellec, L.G.D.J., 1997, n°411 ; F. Nizard, Les titres négociables, préf. de H. Synvet, Economica, 2003, n°30, p. 17 ; A. Galla-Beauchesne, « Les clauses de garantie de passif dans les cessions d’actions et de parts sociales », Rev. sociétés 1980, p. 30-31.

[36] V. en ce sens R. Mortier, Le rachat par la société de ses droits sociaux, préf. de J.-J. Daigre, Dalloz, 2003, n°302.

[37] S. Lacroix-De Sousa, La cession de droits sociaux à la lumière de la cession de contrat, préf. M.-É. Ancel, LGDJ, 2010, n°101, p. 103.

[38] J.-P. Bertel, « Liberté contractuelle et sociétés, Essai d’une théorie du juste milieu en droit des sociétés », RTD com. 1996, p. 595.

[39] Pour une étude approfondie sur l’évolution de la notion de société V. C. Champaud, « Le contrat de société existe-t-il encore ? », in Le droit contemporain des contrats, Travaux de la faculté des sciences juridiques de Rennes, Economica, 1987, p. 125 et s.

[40] J.Ph. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, éd. Dalloz, 2002, coll. « précis », n°474, p. 703 et s.

[41] R.-J. Pothier, Traité du contrat de société, éd. 1807.

[42] J. Domat, Lois civiles, Civ. 1ère, Titre VIII, in principio.

[43] Loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée.

[44] Ph. Merle, Sociétés commerciales, Dalloz, 19e éd. 2016, coll. « précis », n°31, p. 44.

[45] V. en ce sens M. Buchberger, Le contrat d’apport – Essai sur la relation entre la société et son associé, éd. Panthéon-Assas, 2011, préf. M. Germain, n° 193, p. 169.

[46] J.-P. Bertel, art. préc.

[47] V. en ce sens A. Gaillard, La société anonyme de demain, la théorie institutionnelle et le fonctionnement de la société anonyme, Sirey, 2e éd., 1933.

[48] M. Hauriou, « La théorie de l’institution et de la fondation (essai de vitalisme social) », in Aux sources du droit, le pouvoir, l’ordre et la liberté, Les Cahiers de la nouvelle journée, n°23, p. 89-128.

[49] M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, 29e éd., 2016, p. 5.

[50] V. en ce sens Ph. Merle, op. cit. n°33, p. 45 ; M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, op. cit., p. 5.

[51] V. notamment en ce sens P. Didier, « Le consentement avec l’échange : le contrat de société », RJ com. nov. 1995, n° spéc., « L’échange des consentements », p. 74 ; K. Peglow, Le contrat de société en droit allemand et en droit français comparés, préf. de J.-B. Blaise, L.G.D.J., 2003, p. 403 et s. ; S. Lacroix-De Sousa, thèse préc., p. 149 et s.

[52] P. Didier, « Brèves notes sur le contrat-organisation », in L’avenir du droit – Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz-PUF-Juris-classeur, 1999, p. 636.

[53] P. Didier, « Le consentement avec l’échange : le contrat de société », art. préc., p. 75.

[54] P. Hoang, La protection des tiers face aux associations. Contribution à la notion de « contrat-organisation », préf. P. Didier, L.G.D.J., 2002, introduction.

[55] N. Mathey, Recherche sur la personnalité morale en droit privé, thèse Paris II, 2001, p. 212.

[56] F. Chénedé, Les commutations en droit privé – Contribution à la théorie générale des obligations, préf. A. Ghozi, Economica, 2008 ; V. également J.-F. Hamelin, Le contrat alliance, thèse dactyl. Paris II, 2010 ; S. Lequette, Le contrat-coopération – Contribution à la théorie générale du contrat, préf. C. Brenner, Economica, 2012.

[57] J. Derruppé, « Régimes de communauté et droit des sociétés », art. préc. ; G. Plaisant, « Peut-on abandonner la distinction du titre et de la finance en régime de communauté ? », JCP N 1984, I, p. 19» ; E. Naudin, « L’époux associé et le régime légal de la communauté réduite aux acquêts », art. préc.

[58] J. Derruppé, art. préc.

[59] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, op. cit., n°249, p. 240 ; A. Colomer, op. cit., n°403, p. 195.

[60] J. Derruppé, « La nécessaire distinction de la qualité d’associé et des droits sociaux », JCP N 1984, I, p. 251.

[61] J. Derruppé, « L’altération du régime de communauté avec l’extension des propres par nature », in Mélanges Colomer, Litec, 1993, p. 161.

[62] V. notamment J. Derruppé, « Régimes de communauté et droit des sociétés », art. préc. ; J. Flour et G. Champenois, op. cit., n°323, p. 314-315.

[63] G. Plaisant, art. préc.

[64] V. en ce sens F. Vialla, « Autonomie professionnelle en régime communautaire et droit des sociétés : des conflits d’intérêts ? », RTD civ. 1996, p. 864, n° 105.

[65] Cass. 1re civ., 9 nov. 2011, n° 10-12.123 : JCP N 2012, note 1107, D. Boulanger ; JCP G 2012, 131, note G. Paisant ;  JCP N 2012, 1376, obs. Ph. Simler.

[66] V. en ce sens L. Nurit-Pontier, « Conjoint d’associé : être ou ne pas être associé », in Mélanges R. Le Guidec, LexisNexis, 2014, p. 229 et s.

[67] V. notamment J. Derruppé, « Régime de communauté et droit des sociétés », art. préc.

[68] C. Grzegorczyk, « Le concept de bien juridique : l’impossible définition ? », in Les biens et les choses, Arch. phil. dr., Sirey 1979, t. 24, p. 259.

[69] V. en ce sens F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens, PUF, 3e éd. 2008, p. 15 et s. ; Ch. Atias, Droit civil, Les biens, LexisNexis, 2015, n°36, p. 21 et s.

[70] V. en ce sens F. Zenati-Castaing et Th. Revet, op. cit., n°88, p.113.

[71] J. Dabin, op. cit., p. 209.

[72] R. Mortier, op. cit., n°302.

[73] V. en ce sens R.T. Troplong, Le droit civil expliqué – Du contrat de société civile et commerciale, Paris 1843, n°140, p. 154, cité in M. Caffin-Moi, Cession de droits sociaux et droit des contrats, préf. de D. Bureau, Economica, 2009, n°398.

[74] S. Lacroix, op. cit., n°142, p. 124.

[75] P. Berlioz, La notion de bien, préf. de L. Aynès, L.G.D.J., 2007, n°1100.

[76] F. Chabas, H.-L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, t. II, vol. II, Biens, droit de propriété et ses démembrements, Montchrétien, 8e éd., 1994, n°1301, p. 13.

[77] V. en ce sens H. Le Nabasque, « Les actions sont des droits de créance négociables », Aspects actuels de droit des affaires, in Mélanges en l’honneur de Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 673.

[78] V. en ce sens S. Ginosar, Droit réel, propriété et créance. Élaboration d’un système rationnel des droits patrimoniaux, thèse : Paris, 1960, n°12 ; F. Zenati, « Pour une rénovation de la théorie de la propriété », RTD civ. 1993, p. 316 ; Y. EMERICH, La propriété des créances, approche comparative, préface F. Zenati-Castaing, L.G.D.J., t. 469, 2007 ; W. Dross, « Une approche structurale de la propriété », RTD civ., 2012, p. 419.

[79] CEDH, 9 déc. 1994, Raffineries grecques Stran et Stratis andreadis c/ Grèce, n° 13427/87, RTD civ. 1995. 652, obs. F. Zenati; CEDH, 14 févr. 2006, n° 67847/01, Lecarpentier, D. 2006. 717, obs. C. RondeyDocument InterRevues ; RDI 2006. 458, obs. H. Heugas-Darraspen Document InterRevues ; RTD civ. 2006. 261, obs. J.-P. Marguénaud.

[80] Cons. const. 10 juin 2010, n° 2010-607 DC, Loi relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, cons. 7-10, D. 2010. 2553, note S. MoutonDocument InterRevues ; ibid. 2011. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin.

[81] Pour une critique de la propriété des créances V. notamment J. Dabin, « Une nouvelle définition du droit réel », RTD civ., 1962, p. 20.

[82] J. Ghestin, M. Billau et G. Loiseau, Traité de droit civil, Le régime des créances et des dettes, L.G.D.J., 2005.

[83] G. Marty et P. Raynaud, Droit civil, t. 2, Les biens, Sirey, 1980, p. 5, n° 6.

[84] H. Kelsen, Théorie pure du droit, éd. Bruylant-LGDJ, 1999, trad. Ch. Eisenmann, p. 257 ; V. également en ce sens G. Forest, Essai sur la notion d’obligation en droit privé, Préf. F. Leduc, Dalloz, coll. « Bibl. Thèses », 2012.

[85] On peut notamment penser à l’admission de la théorie de l’imprévision consacrée en droit civil par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

[86] Sur cette question V. notamment C. Bourdaire-Mignot, Le Contractant marié, préf. J. Revel, Defrénois, coll. « Doctorat & Notariat », 2009.

[87] A. Colomer, « les problèmes de gestion soulevés par le fonctionnement parallèle d’une société et d’un régime matrimonial », art. préc., p. 867.

[88] Sur cette question V. notamment Cass. 1re civ., 9 nov. 2011, n° 10-12.123 : JCP N 2012, note 1107, D. Boulanger ; JCP G 2012, 131, note G. Paisant ; D. 2012, p. 483, note V. Barabé-Bouchard ; contra V. Cass. 1re civ., 9 juill. 1991, n° 90-12.503 : Bull. civ. 1991, I, n° 232 ; JCP G 1992, I, 3614, n° 8 ; Defrénois 1991, art. 35152, p. 1333, note P. Le Cannu ; Cass. 1re civ., 12 juin 2014, n° 13-16.309 : D. 2014, p. 1908, obs. V. Brémond ; JCP G 2014, 1265, Ph. Simler ; Cass. 1re civ., 22 oct. 2014, n° 12-29.265 : JCP G 2014, act. 1137, P. Hilt ; JCP N 2014, n° 45-46, act. 1154 ; JCP G 2014, 1265, Ph. Simler.

[89] J. Revel, art. préc.

[90] G. Plaisant, art. préc.

[91] F. Vialla, art. préc.

[92] J. Derruppé, « L’altération du régime de communauté avec l’extension des propres par nature », art. préc.

[93] G. Champenois, op. cit., n°323, p. 313 ; A. Colomer, op. cit., n°769, p.348.

[94] Ph. Merle, Sociétés commerciales, Dalloz, 19e éd. 2016, coll. « précis », n°209, p. 208.

[95] V. en ce sens Cass. com., 19 mars 1957 : JCP G 1958, 10517, note D. Bastian ; D. 1958, jurispr. p. 170, note M. Le Galcher Baron; Cass. 1re civ, 22 déc. 1969 : JCP 1970, II, 16473, note J. Patarin ; Bull. civ. 1969, I, n° 400; Cass. com., 20 janv. 1971 : JCP G 1971, II, 16795.

[96] Sur ce débat V. notamment E. Naudin, « L’époux associé et le régime légal de la communauté réduite aux acquêts », art. préc.

[97] Ibid.

[98] Ibid.

[99] L’article 1468 dispose en ce sens que : « il est établi, au nom de chaque époux, un compte des récompenses que la communauté lui doit et des récompenses qu’il doit à la communauté, d’après les règles prescrites aux sections précédentes ».

De la distinction entre droits réels et droits personnels

I) Situation de la distinction

Afin de mieux cerner la distinction entre droits réels et droits personnels, il convient de remonter à la notion de « droit subjectif ».

Classiquement le droit subjectif se définit comme la prérogative reconnue aux sujets de droits – par le droit objectif – dont l’atteinte peut être sanctionnée en justice.

Il en existe deux catégories :

  • Les droits patrimoniaux
  • Les droits extrapatrimoniaux

==>Les droits extrapatrimoniaux

  • Notion
    • Les droits extrapatrimoniaux sont ceux qui n’ont pas de valeur pécuniaire.
    • Autrement dit, ils sont hors du commerce juridique. Ils ne peuvent pas faire l’objet d’échanges.
    • Les droits extrapatrimoniaux sont strictement attachés à la personne de leur titulaire.
    • Ils relèvent en somme de l’être et non de l’avoir, contrairement aux droits patrimoniaux qui sont attachés, non pas à la personne de leur titulaire, mais à son patrimoine.
  • Identification
    • On distingue trois sortes de droits extrapatrimoniaux :
      • Les droits de la personnalité (droit à la vie privée, droit à l’image, droit à la dignité, droit au nom, droit à la nationalité)
      • Les droits familiaux (l’autorité parentale, droit au mariage, droit à la filiation, droit au respect de la vie familiale)
      • Les droits civiques et politiques (droit de vote, droit de se présenter à une élection etc.)
  • Caractères
    • Les droits extrapatrimoniaux sont :
      • Incessibles
      • Intransmissibles
      • Insaisissables
      • Imprescriptibles

==>Les droits patrimoniaux

  • Notion
    • Les droits patrimoniaux sont les droits subjectifs appréciables en argent. Ils possèdent une valeur pécuniaire. Ils sont, en conséquence, disponibles, ce qui signifie qu’ils peuvent faire notamment l’objet d’opérations translatives.
    • Les droits patrimoniaux forment le patrimoine de leur titulaire
    • Ce patrimoine rassemble deux composantes qui constituent les deux faces d’une même pièce :
      • un actif
      • un passif
  • Identification
    • Les droits patrimoniaux se scindent en deux catégories
      • Les droits réels (le droit de propriété est l’archétype du droit réel)
      • Les droits personnels (le droit de créance : obligation de donner, faire ou ne pas faire)
    • Ainsi, les droits réels et les droits personnels ont pour point commun d’être des droits patrimoniaux et donc d’être appréciables en argent.
  • Caractères
    • Les droits patrimoniaux se distinguent fondamentalement des droits extrapatrimoniaux en ce qu’ils sont :
      • Cessibles
      • Transmissibles
      • Saisissables
      • Prescriptibles (prescription acquisitive et extinctive)

En résumé :

II) Principe de la distinction

A) Le droit réel

==>Notion

Il confère à son titulaire un pouvoir direct et immédiat sur une chose.

Structurellement, le droit réel suppose un sujet, le propriétaire et un objet, la chose sur laquelle s’exerce le droit réel.

Le droit réel établit, en d’autres termes, une relation entre une personne et une chose.

Le droit réel s’exerce ainsi sans qu’il soit besoin d’actionner une personne. Il s’exerce sans l’entremise d’un tiers.

Le propriétaire ou l’usufruitier jouit directement de la chose.

Le droit réel est celui qui naît de l’acquisition de la qualité de propriétaire.

==>Summa divisio

Il existe deux catégories de droits réels :

  • Les droits réels principaux
    • Le droit de propriété dans sa plénitude (usus, fructus et abusus)
    • Les démembrements du droit de propriété qui confèrent à leur titulaire une partie seulement des prérogatives attachées au droit de propriété
      • L’usufruit (usus et fructus)
      • L’abusus
      • La servitude (charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit fonds dominant).
  • Les droits réels accessoires
    • On parle de droits réels accessoires, car ils portent sur une chose, et qu’ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir
      • Exemple : les sûretés réelles : il s’agit des droits consentis à un créancier sur un bien déterminé en garantie d’une dette
      • Exemple : le gage, le nantissement, l’hypothèque

 

B) Le droit personnel

==>Notion

Il confère à son titulaire un pouvoir non pas sur une chose, mais contre une personne.

Plus précisément le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier, d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation.

Structurellement, le droit personnel suppose donc deux sujets, un créancier, le sujet actif du droit, et un débiteur, le sujet passif du droit et un objet, la prestation convenue entre les parties.

À la différence du droit réel, le droit personnel établit une relation, non pas entre une personne et une chose mais entre deux personnes entre elles

Le droit personnel est celui qui naît de la conclusion d’une convention

==>Summa divisio

  • Le droit personnel est pourvu de deux facettes :
    • Dans sa face active, le droit personnel est qualifié de créance
    • Dans sa face passive, le droit personnel est qualifié de dette
  • Les droits personnels se classent en trois grandes catégories :
    • L’obligation de donner
      • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
        • Exemple: dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
    • L’obligation de faire
      • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
        • Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble.
    • L’obligation de ne pas faire
      • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
        • Exemple: le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé

En résumé:

 

III) Critères de la distinction

==>Objet du droit

  • Le droit réel s’exerce sur une chose (« réel » vient du latin « res » : la chose)
    • L’étude des droits réels relève du droit des biens
  • Le droit personnel s’exerce contre une personne (« personnel » vient du latin « persona » : la personne)
    • L’étude des droits personnels relève du droit des obligations

Illustration : un locataire et un propriétaire habitent la même maison

  • Le propriétaire exerce un droit direct sur l’immeuble : il peut en user, en abuser et en percevoir les fruits (les loyers)
  • Le locataire exerce un droit personnel, non pas sur la chose, mais contre le bailleur : il peut exiger de lui, qu’il lui assure la jouissance paisible de l’immeuble loué

==>Contenu du droit

  • Les parties à un contrat peuvent créer des droits personnels en dehors de ceux déjà prévus par le législateur, pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs (art. 6 et 1102, al. 2 C. civ).
    • En matière de création de droits personnels règne ainsi le principe de la liberté contractuelle (art. 1102, al. 1 C. civ.)
  • La création de droits réels relève de la compétence du seul législateur, contrairement aux droits personnels
    • Autrement dit, la loi peut seule déterminer l’étendue des pouvoirs que détient une personne sur une chose.
    • Les droits réels sont donc en nombre limité

==>Portée du droit

Les droits réels sont absolus en ce sens qu’ils peuvent être invoqués par leur titulaire à l’égard de toute autre personne

Les droits personnels sont relatifs, en ce sens qu’ils ne créent un rapport qu’entre le créancier et le débiteur.

Certains auteurs soutiennent que la distinction entre droits réels et droits personnels tiendrait à leur opposabilité.

  • Les droits réels seraient opposables erga omnes.
  • Les droits personnels ne seraient opposables qu’au seul débiteur

Bien que séduisante en apparence, cette analyse est en réalité erronée. Il ne faut pas confondre l’opposabilité et l’effet relatif :

  • Tant les droits personnels que les droits réels sont opposables au tiers, en ce sens que le titulaire du droit est fondé à exiger des tiers qu’ils ne portent pas atteinte à son droit
  • Le droit personnel n’a, en revanche, qu’une portée relative, en ce sens que son titulaire, le créancier, ne peut exiger que du seul débiteur l’exécution de la prestation qui lui est due.

==>Nature du droit

Le droit réel est toujours un droit actif, en ce sens qu’il n’a jamais pour effet de constituer une dette dans le patrimoine de son titulaire

Le droit personnel est tantôt actif (lorsqu’il est exercé par le créancier contre le débiteur : la créance), tantôt passif (lorsqu’il commande au débiteur d’exécuter une prestation : la dette).

==>Vigueur du droit

  • L’exercice d’un droit réel est garanti par le bénéfice de son titulaire d’un droit de suite et de préférence
    • Droit de suite : le titulaire d’un droit réel pourra revendiquer la propriété de son bien en quelque main qu’il soit
    • Droit de préférence : le titulaire d’un droit réel sera toujours préféré aux autres créanciers dans l’hypothèse où le bien convoité est détenu par le débiteur.
  • L’exécution du droit personnel dépend de la solvabilité du débiteur
    • Le créancier ne jouit que d’un droit de gage général sur le patrimoine du débiteur (art. 1285 C. civ)
    • Il n’exerce aucun pouvoir sur un bien en particulier, sauf à être bénéficiaire d’une sûreté réelle

==>La transmission du droit

La transmission de droits réels s’opère sans qu’il soit besoin d’accomplir de formalités particulières, exception faite de la vente de la transmission d’un bien immobilier

La transmission de droits personnels suppose de satisfaire répondre aux exigences de la cession de créance, conformément aux articles 1321 et s. C. civ.

IV) Critiques de la distinction

Deux critiques majeures ont été formulées à l’endroit de la distinction entre les droits réels et les droits personnels :

  • Une première critique tend à assimiler les droits réels à des droits personnels
  • La seconde critique a consisté à réduire les droits personnels à des droits réels

A) La thèse de l’assimilation des droits réels à des droits personnels

==>Contenu de la thèse de l’assimilation des droits réels à des droits personnels

PLANIOL a défendu l’idée que le droit réel ne pouvait pas consister en un lien entre une personne et une chose dans la mesure où une chose n’est pas un sujet de droit. Elle ne peut donc pas en être le sujet passif.

Pour cet auteur, un droit ne peut que créer un lien entre deux personnes ou plusieurs personnes.

Ainsi, les droits réels créent une obligation qu’il qualifie d’obligation passive universelle.

Dans ce schéma, le propriétaire de la chose s’apparente à un créancier. Tous ceux qui ne sont pas titulaires d’un droit réel sur cette chose sont des débiteurs.

L’obligation qui leur échoit consiste à ne pas venir troubler la possession paisible de la chose.

Ainsi, il n’existe aucune différence de nature entre le droit réel et le droit personnel.

Il y a simplement une différence de degré :

  • Le droit réel constitue un droit personnel à sujet passif indéterminé
  • Le droit de créance constitue un droit personnel à sujet passif déterminé

==>Critique de la thèse de l’assimilation des droits réels à des droits personnels

L’obligation passive universelle ne vient nullement grever le patrimoine des débiteurs de cette obligation. Et pour cause, dans la mesure où ils n’y ont pas consenti

Le droit de propriété consiste avant à exercer un pouvoir direct et immédiat sur une chose. Il y a donc bien création d’un lien entre une personne et une chose

B) La thèse de l’assimilation des droits personnels à des droits réels

==>Contenu de la thèse de l’assimilation des droits personnels à des droits réels

GINOSSAR a défendu l’idée que les créances peuvent faire l’objet d’un droit de propriété. Autrement dit, elles peuvent être qualifiées de biens

Selon lui, la créance revêt toutes les caractéristiques d’un bien (elle possède une valeur économique et elle est transmissible)

Surtout, pour cet auteur, le droit de propriété ne serait autre qu’un moyen de s’approprier des choses. Or parmi les choses, il y a les droits personnels. Les créances peuvent ainsi faire l’objet d’un droit de propriété

==>Critique de la thèse de l’assimilation des droits personnels à des droits réels

Il s’agit là d’une vision purement comptable des opérations économiques

Cette thèse nie l’existence du rapport qui s’établit entre deux personnes dans le cadre de l’exercice d’un droit personnel

L’exercice d’un droit réel sur une créance suppose que le propriétaire puisse modifier, à sa guise, le contenu de la créance. Il est, en effet, censé pouvoir abuser de la chose qu’il détient. Cela est pourtant impossible s’agissant d’une créance, car pour en abuser il doit nécessairement satisfaire aux exigences du mutus dissensus.

Propriété intellectuelle et innovation font-ils bon ménage ?

La politique menée par les législateurs nationaux répond à une logique simple : l’octroi d’un droit de propriété intellectuelle à l’auteur ou à l’inventeur est de nature à stimuler l’innovation. Dès l’antiquité on trouve les traces de ce raisonnement. Les penseurs grecs avancent que la culture du fruit de la pensée suppose qu’il soit procédé, au préalable, à une fertilisation de la création. Or cette fertilisation passe par l’octroi au créateur d’un monopole d’exploitation sur son œuvre ou son invention[1]. Curieusement, il faut attendre le début du XIVe siècle pour que cet engrais, que sont les privilèges[2], soit adopté par les souverains d’Europe[3]. Comme le soulignent néanmoins certains auteurs, ces privilèges « restent rares, accordés arbitrairement et peu importants dans une société peu sensible à l’idée de progrès technique »[4]. En France, ils ne sont arrivés que très tardivement. Le premier édit qui reconnaît de tels privilèges est daté du 24 septembre 1762. Louis XV entendait « stimuler le développement de l’esprit inventif et du progrès de l’industrie ». Bien plus qu’une déclaration de principe, cet édit prononce les fiançailles entre la propriété intellectuelle et l’innovation. L’attention prêtée à ce couple se révèle, par la suite, telle, que son mariage sera célébré en grande pompe lors de la Révolution française. Pour ce faire, les révolutionnaires ont jugé bon de graver dans le marbre de la loi la qualité de bien du fruit de la pensée qui, dorénavant, est susceptible de faire l’objet d’un droit de propriété. Si, manifestement, les liens qui unissent la propriété intellectuelle à l’innovation ne sont pas explicitement apparents dans les textes adoptés par les constituants, comme c’est par exemple le cas dans la constitution des États-Unis de 1 787[5], il ne fait aucun doute qu’ils y sont très présents. En témoigne le Chevalier de Boufflers, député et promoteur de cette loi, pour qui « toute idée nouvelle, dont la manifestation et le développement peuvent devenir utiles à la Société, appartient primitivement à celui qui l’a conçue, et que ce serait attaquer les droits de l’homme dans leur essence, que de ne pas regarder une découverte industrielle comme la propriété de son auteur »[6].

I) Un mariage justifié ?

L’union entre la propriété intellectuelle et l’innovation est de la sorte scellée pour toujours. Malgré les réticences de certains auteurs tels que Proudhon, Victor Hugo ou le socialiste révolutionnaire Louis blanc, vis-à-vis de la propriété intellectuelle qui ne voient en elle qu’une illusion[7], nombreux sont ceux à avoir exprimé à son égard une foi inconditionnelle. Stanislas de Boufflers, Frédéric Bastiat, Isaac le chapelier, tous sont convaincus d’avoir trouvé avec la propriété intellectuelle, l’ingrédient sans lequel la formule du progrès ne saurait fonctionner. De nos jours encore, la doctrine est majoritairement partie prenante de cette thèse[8]. Paul Roubier écrit en ce sens qu’« il est évident que le progrès est surexcité au plus haut point par les inventions ou les créations, et, si l’on veut que celles-ci se multiplient, il faut naturellement récompenser leurs auteurs, la récompense la plus naturelle et la plus heureuse [étant un] monopole temporaire d’exploitation […] »[9]. Cette croyance se justifie aisément chez les auteurs les plus anciens, dans la mesure où ils étaient encore, à l’époque, très imprégnés de cette société de privilèges qu’ils venaient de quitter. Elle appelle, néanmoins, aujourd’hui, plus de réserve, compte tenu des nouveaux facteurs avec lesquels il faut composer pour que le progrès puisse prospérer. Il faut bien avoir à l’esprit que, sitôt la Révolution française achevée, la révolution industrielle prend le relais. Cette mutation de la société ne s’est pas faite sans un changement radical de modèle économique. Les corporations de métiers se sont vues remplacées[10] par un système fondé sur la liberté d’entreprendre et la libre concurrence[11]. Autrement dit, d’un modèle économique qui reposait exclusivement sur des monopoles corporatifs dont la répartition était pour le moins inégalitaire, puisqu’octroyés arbitrairement par la royauté, on est passé à un modèle économique fondé sur la concurrence[12]. Immédiatement, une contradiction criante apparaît entre d’une part, le droit de la propriété intellectuelle, qui a pour objet de conférer des monopoles d’exploitation aux créateurs et, d’autre part, le droit de la concurrence, dont la finalité n’est autre que de défaire les monopoles[13]. Et si selon Roubier il n’y a pas là de véritable contradiction entre les deux droits[14], il n’en demeure pas moins que les intérêts protégés par eux se heurtent frontalement.

II) Le paradigme schumpétérien

Tandis que le droit de la propriété intellectuelle protège l’intérêt individuel des créateurs, le droit de la concurrence protège, quant à lui, l’intérêt collectif des entrepreneurs et des consommateurs[15]. Il s’ensuit que le conflit ainsi créé lors de la révolution industrielle, est de nature à perturber grandement l’harmonie qui, jusqu’ici, régnait au sein du couple propriété intellectuelle-innovation. Qu’en est-il, aujourd’hui, de sa pertinence, à l’aune d’une époque où le système économique auquel prennent part les agents est exclusivement fondé sur la concurrence ? Si pour bon nombre d’auteurs, tant le droit de la propriété intellectuelle que le droit de la concurrence « partagent le même but – l’intérêt général – et concourent chacun à promouvoir l’innovation »[16], il est des raisons de penser qu’il faille être plus nuancé quant à cette perception de la réalité. Il ne saurait être oublié que le droit de la propriété intellectuelle confère, avant tout, aux créateurs, un monopole d’exploitation sur le fruit de leur pensée. Il est donc de l’essence de ce droit d’interdire l’utilisation d’une œuvre ou d’une invention sans le consentement de son créateur. Par définition, le progrès s’apparente pourtant à une chaîne de créations, chacune dépendant les unes des autres[17]. Isaac Newton concède, dans le droit fil de cette idée, que « si j’ai vu plus loin que les autres, c’est parce que j’ai été porté par des épaules de géants ». Tel est la loi de l’innovation. Adam Smith ajoute que cette loi « fonctionne mieux quand les idées circulent librement »[18]. Briser la chaîne des créations, reviendrait donc freiner l’innovation. Face à ces attaques récurrentes « ressurgissant dans un vaste mouvement de contestation à l’égard de la propriété intellectuelle »[19], ses partisans se retranchent derrière le concept schumpetérien de l’« entrepreneur dynamique ». Selon ce concept, les monopoles favoriseraient l’innovation. Plus précisément, cette période de jouissance exclusive octroyée à l’entrepreneur lui permettrait de dégager un surprofit appelé, par Schumpeter, la « rente de monopole ». Cette rente lui apporterait alors une garantie suffisante quant à la couverture des investissements consentis pour réaliser son innovation, voire un surplus financier qui l’inciterait à, de nouveau, investir. Bien que convaincante à bien des égards puisse être cette thèse, elle n’en a pas moins été remise en cause par bon nombre démonstrations aussi contradictoires les unes que les autres[20].

Pour l’heure, la seule certitude que l’on puisse se risquer à formuler concernant la relation de cause à effet qui lierait le droit de la propriété intellectuelle à l’innovation, c’est que jamais aucune étude n’est parvenue à établir irréfutablement son existence[21]. Dans ces conditions, sans doute est-il légitime de penser que cette absence de preuves tangibles qui témoigneraient de la présence de pareille relation s’explique par le fait qu’en réalité il n’y en a aucune. Des siècles durant, l’humanité s’est passée du droit de la propriété intellectuelle. Or cela ne l’a pas empêchée d’accéder aux progrès. Les sept merveilles du monde ont, par exemple, été édifiées sans que l’on octroie à leurs bâtisseurs le moindre monopole d’exploitation. De la même façon, de très grandes inventions ont été confectionnées alors même que leurs inventeurs ne se sont vus conférer, en contrepartie, aucun brevet.

[1] Ainsi, Athénée a-t-il écrit, par exemple, dans le banquet des sages que « si quelque traiteur ou chef de cuisine inventait un plat d’une qualité exceptionnelle, tel était son privilège que nul autre que lui-même ne pouvait en adopter l’usage avant une année afin que le premier à inventer puisse le posséder le droit de le réaliser pendant cette période, de manière à encourager les autres à exceller par de telles inventions dans une vive compétition » (cité in M. Vivant, Juge et loi du brevet, Paris, Librairies techniques, 1977, p. 2).

[2] On parle de privilège en ce sens que, sous l’ancien régime, c’est le Roi seul qui va accorder aux imprimeurs, lesquels remplissent à l’époque également la fonction d’éditeur, le droit de publier un ouvrage. Sans le sceau du Roi, toute diffusion et exploitation de l’œuvre était interdite. Pour un exposé très complet de l’histoire du droit d’auteur en France V. B. Edelman, Le sacre de l’auteur, Seuil, coll. « Sciences humaines », 2004 ; J. Boncompain, La révolution des auteurs. Naissance de la propriété intellectuelle, Fayard, 2001.

[3] Y. Passeraud et F. Savignon, L’État et l’invention : histoire des brevets, La Documentation française, 1986, p. 18.

[4] J. Schmidt-Szalewski et J.-L. Pierre, Droit de la propriété industrielle, Litec, 2007, n° 10, p. 5.

[5] Les auteurs des lois révolutionnaires qui consacrent le droit d’auteur et le droit des brevets d’invention se sont considérablement inspirés de la constitution des États-Unis, première nation à effectuer un pas en avant vers la reconnaissance du droit de la propriété intellectuelle comme stimulant de l’innovation. Il est ainsi inscrit dans la constitution américaine, à l’article 1er, Sec. 8, § 8 que le congrès a le pouvoir de « favoriser le développement de la science et des arts utiles, en garantissant pour une période de temps déterminée aux auteurs et inventeurs le droit exclusif à leurs livres et à leurs inventions ».

[6] Rapport fait à l’assemblée nationale au nom du comité d’agriculture et de commerce sur la propriété des auteurs de découvertes et d’inventions en tout genre d’industrie, Paris, Imprimerie Nationale, 1791.

[7] Pour Victor Hugo par exemple, « la propriété intellectuelle fait plus que porter atteinte au domaine public ; elle fraude le public de la part qui lui revient dans la production de toute idée et de toute forme » (cité in A. Latournerie, « Droit d’auteur, droit du public : une approche historique », Revue économie politique, avril 2004, n° 22). Pour Proudhon encore « la propriété c’est le vol » (P.-J. Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ? Livre de poche, coll. « Classiques de la philosophie », 2009, p. 3).

[8] V. en ce sens le plaidoyer fait par Christophe Caron en imaginant un monde où le droit d’auteur aurait complètement disparu (Ch. Caron, « Le droit d’auteur de l’an 2440. Cauchemar s’il en fût jamais », in Études à la mémoire du Professeur Xavier Linant de Bellefonds. Droit et Technique, Litec, 2007, pp. 105-115). Cet auteur n’hésite d’ailleurs pas à reprendre l’expression d’Alfred de Musset dans l’un de ses autres articles : « Je hais comme la mort l’état de plagiaire ! » (Ch. Caron, « Je hais comme la mort l’état de plagiaire ! », CCE, n° 3, mars 2007, repère 3). V. également les thèses développées par Pierre Yves Gautier qui déplore la place croissante faite aux exceptions du droit d’auteur. Selon lui, il s’agit là du « signe des temps de consommation de masse que nous vivons, les œuvres se trouvant de plus en plus traitées par le public comme les autres produits et services auxquels il exige le meilleur accès ». P.-Y. Gautier, « L’élargissement des exceptions aux droits exclusifs, contrebalancé par le « test des trois étapes », CCE, n° 11, nov. 2006, étude 26.

[9] P. Roubier, Le droit de la propriété industrielle, Librairie du Recueil Sirey, 1952, p. 3.

[10] Le préambule de la constitution de 1791 dispose ainsi qu’« il n’y a plus, pour aucune partie de la Nation, ni pour aucun individu, aucun privilège, ni exception au droit commun de tous les français ».

[11] Proclamation de la liberté d’entreprendre et de la libre concurrence par le décret d’Allarde des 2 mars et 17 mars 1791.

[12] Selon Montesquieu la concurrence a pour objet de mettre « un juste prix aux marchandises, et […] établit les vrais rapports entre elles » (Montesquieu, De l’Esprit des lois, Flammarion, coll. « Garnier Flammarion », 1979, liv. XX, chap. IX, pp. 15-16).

[13] V. en ce sens F. Lévêque, Économie de la propriété intellectuelle, La découverte, coll. « Repères », 2003, 122 p.

[14] Selon Paul Roubier « cette concurrence, que beaucoup d’économistes et de sociologues considèrent comme la loi sociale par excellence, ne peut pas être sans frein ; elle ne peut constituer, pour un commerçant ou un industriel, un droit absolu, parce que, si ce droit était absolu aux mains de chacun, comme d’autre part, il est égal pour tous, il en résulterait des conflits insolubles. Il est donc nécessaire, si on fait du principe de la concurrence la loi fondamentale de l’économie, de lui fixer des limites qui délimiteront son cours, et constitueront des positions qu’il ne pourra emporter » (P. Roubier, op. cit. note 287, p. 1).

[15] E. Wery, « Le droit de la concurrence et la propriété intellectuelle sont-ils incompatibles ? », Les échos, 10 juin 2008.

[16] F. Lévêque et Y. Ménière, Analyse économique de la propriété intellectuelle. Disponible sur : http://www.cerna.ensmp.fr/Documents/cerna
_regulation/FL-YM-ProprieteIntelle-5.pdf. Ces auteurs n’hésitent pas à affirmer en ce sens que ces « deux droits poursuivent un objectif économique commun central : la maximisation du bien-être ».

[17] François Lévêque le démontre : « prenons par exemple une invention initiale 1 au coût c1 et de valeur v1 et une invention 2 qui améliore la première et dont le coût et la valeur s’élèvent respectivement à c2 et v2. Supposons que : v1-c1 < 0 mais que v1 + v2 – c1 – c2 > 0. En d’autres termes, les deux inventions doivent voir le jour car elles procurent un gain net de richesse, mais si le premier inventeur n’est pas sûr d’obtenir que le second lui verse une partie de son profit, il ne mettra pas au point son invention car elle lui rapportera alors moins qu’elle ne lui coûte. Supposons donc qu’il détienne un brevet suffisamment large pour que le brevet du second inventeur empiète sur le sien. Le premier inventeur peut alors espérer percevoir une partie du gain du second. Mais c’est au tour de ce dernier de ne plus avoir intérêt à innover. Son brevet dépendant du premier, il risque de se faire déposséder de l’essentiel de son gain. Du coup, il n’investit pas et le premier non plus. Idéalement, les droits de propriété intellectuelle doivent être découpés et attribués de telle sorte que toutes les innovations successives puissent être développées. En d’autres termes les incitations à innover de l’un ne doivent pas détruire celles de l’autre. Le bilan du brevet en matière d’incitations à innover doit rester positif sur l’ensemble de la chaîne d’innovation » (F. Lévêque, « La décision du TPICE contre Microsoft : où est passée l’économie ? », Revue Lamy de la Concurrence : droit, économie, régulation 2 008 Nº 14 p. 22-26).

[18] Cité in L. Lessig, L’avenir des idées. Le sort des biens communs à l’heure des réseaux numériques, trad. J.-B., Soufron et A. Boony, Lyon, PUL, 2005, p. 90.

[19] Ch. Caron, « Les licences de logiciels dits « libres » à l’épreuve du droit d’auteur français », Dalloz, 2003, n° 2003.

[20] Une étude intéressante conduite aux États-Unis démontre que les entreprises qui se sont dotées d’importants portefeuilles de brevets dans les années quatre-vingt-dix, ont réduit, corrélativement, de manière significative leurs investissements dans le développement de nouveaux programmes. Cette étude observe que cela a été particulièrement le cas lorsque ces entreprises n’étaient plus aussi innovantes que par le passé, de sorte que l’extension du champ de la brevetabilité aux programmes d’ordinateurs aux États-Unis a pu conduire à une baisse de l’innovation dans ces entreprises (J. Bessen et R.-M. Hunt, « The software Patent Experiment », in Patents, Innivation and Economic Performance, OECD, 2004, p. 247).

[21] A.-B. Jaffe, « The US Patent System » in Transition : Policy Innovation and the Innovation Process, Working Paper, 1999, 7820, National Bureau of Economic Research, Cambridge.

L’information est-elle appropriable ?

I) La définition de l’information

Les chercheurs en sciences de la nature ne sont pas les seuls à s’être pris d’intérêt pour cette entité, redécouverte au début du XXe siècle, que constitue l’information. Les juristes s’y sont également intéressés. Comme les biologistes physiciens et autres cybernéticiens, ils se sont heurtés à la même difficulté : sa définition. Tandis que pour les uns, l’information pourrait se définir comme « tout message communicable à autrui par un moyen quelconque »[1], pour d’autres, elle s’assimilerait en « la forme ou l’état particulier de la matière ou de l’énergie susceptible d’une signification »[2]. Pour d’autres encore, elle ne serait « ni matière, ni énergie », ni ne se confondrait « avec le message, l’idée, la donnée ou la connaissance […], elle serait une entité à part »[3]. Dans cette perspective, l’information se définirait par sa fonction : tout ce qui est « porteur de signification »[4]. À la vérité, pas plus qu’en sciences de la nature, il ne saurait y avoir, en droit, de définition globale de l’information[5]. Cela s’explique par le fait que, comme le fait observer Jérôme Passa, elle est « une notion générique, sous laquelle l’opinion commune range des éléments aussi variés qu’une donnée brute, un savoir-faire, une invention végétale, un secret industriel, une idée, une découverte, une création de forme, un évènement d’actualité, une donnée à caractère personnel, etc.. : autant de concepts plus précis que celui d’information […] »[6]. Nonobstant cet état de fait, tant le pouvoir réglementaire que le législateur se sont aussi essayés à définir la notion d’information. Dans un arrêté du 22 décembre 1981, l’information est présentée comme « un élément de connaissance susceptible d’être représenté à l’aide de conventions pour être conservé, traité ou communiqué ». Dans la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 relative à la communication audiovisuelle, elle y est encore définie comme tout ce qui s’apparente à des « sons, images, documents, données ou messages de toute nature »[7]. Cette profusion de définitions témoigne du grand intérêt que portent les juristes pour l’information. Pourquoi cette volonté si soudaine de définir cette notion ? Il y a encore une quarantaine d’années, cela ne faisait nullement partie de leurs préoccupations. Pour les auteurs, la raison de ce changement d’attitude n’est pas sans lien avec l’avènement de l’informatique et des nouveaux moyens de communication.

II) L’information, source de valeur

Depuis que l’information a remplacé le charbon comme « ressource stratégique essentielle »[8] dont a besoin, pour se développer, l’industrie des biens et services d’aujourd’hui, elle est devenue l’objet de toutes les convoitises. Or la convoitise a toujours fait naître – l’histoire le montre – chez les agents, un désir d’appropriation. Ce désir est susceptible d’engendrer chez certains, l’adoption de conduites malveillantes à l’endroit de leurs semblables. D’où l’intervention du droit, qui entre en scène, chaque fois qu’une nouvelle source de conflits se révèle à lui. La question qui, très vite, s’est posée au juriste a été de savoir si l’information pouvait ou non faire l’objet d’une appropriation. Dans un premier temps, les auteurs ont plutôt répondu par l’affirmative à cette question. Les tenants de cette position sont partis du constat suivant : l’information aurait pour « vocation naturelle […] de posséder, sauf exception, une valeur patrimoniale »[9]. Elle serait, par ailleurs, « devenue le dénominateur commun de tous les nouveaux droits qui apparaissent, des différentes tentatives de réservation de tel ou tel nouveau produit de l’industrie humaine »[10]. Aussi, est-ce la valeur économique que possède l’information qui justifierait son inclusion dans la catégorie des biens juridiques. Pour Pierre Catala, par exemple, « la valeur marchande de l’information établit sa réalité patrimoniale » et de poursuivre « l’information en elle-même […] devrait être l’objet de droit »[11]. Bien qu’ayant le mérite d’avoir été l’une des premières à être proposée, la théorie des biens informationnels est loin d’avoir fait l’unanimité au sein de la doctrine. Comme le souligne André Lucas, « il ne saurait y avoir une corrélation parfaite entre les valeurs économiques et les biens qui en sont la traduction juridique »[12]. Cela se justifie par le fait que ce n’est pas à la loi du marché de déterminer l’existence d’une telle corrélation, mais au juriste[13]. Plus précisément, c’est au législateur qu’il revient de dire ce qui peut ou non faire l’objet d’un droit de propriété.

III) L’absence de protection générale de l’information

Il s’y est de la sorte employé ponctuellement pour répondre à un besoin social particulier. Ainsi, a-t-il été reconnu, par deux décrets successifs, adoptés les 13 et 19 janvier 1791 et les 19 et 24 juillet 1793, un droit de propriété intellectuel à l’auteur, sur son œuvre[14]. Puis, par la loi du 5 juillet 1844, c’est l’inventeur qui s’est vu investir d’une prérogative semblable[15]. Peut encore être mentionnée la directive du 11 mars 1996, transposée par la loi du 1er juillet 1998 qui confère au producteur d’une base de données un droit réel sur le contenu de celle-ci[16]. En accordant, spécifiquement, aux auteurs de certaines créations immatérielles des droits de propriété intellectuelle, n’est-ce pas là la preuve que le législateur se refuse à reconnaître un droit privatif général sur l’information en elle-même ? S’il le faisait, cela retirerait « à l’évidence tout intérêt aux droits privatifs existants. Qui demandera un brevet, qui invoquera le bénéfice du droit d’auteur s’il a l’assurance d’être titulaire en toute hypothèse d’un droit de propriété sur l’information dont il a la maîtrise ? »[17]. Autre indice permettant d’affirmer que l’information, lorsqu’elle ne revêt pas de forme particulière visée par la loi, ne fait l’objet d’aucune protection : la jurisprudence considère qu’elle ne peut pas être volée[18]. L’information n’est pas une chose ordinaire, si tant est que l’on puisse la qualifier de chose[19]. À la différence d’une chaise, d’un bijou ou d’un tableau, lorsque l’on s’en saisit, cela ne prive pas son détenteur de sa possession. Au contraire, cela a pour effet de la dupliquer. Il s’ensuit que l’information ne peut faire l’objet d’aucune soustraction. C’est pourquoi les juridictions pénales considèrent que l’acte qui consiste à s’en emparer frauduleusement ne saurait être qualifié de vol. Dans ces conditions, l’information ne peut qu’être exclue de la catégorie des biens juridiques. À l’inverse des choses matérielles, les créations immatérielles n’accéderaient donc à cette qualité que par exception, exception que le législateur a, jusqu’alors, toujours cherchée à concilier avec le principe de libre circulation de l’information.

IV) La nécessité de libre circulation des idées

Dans son entreprise d’appréhension des choses qui composent le monde de l’immatériel, il y a une ligne que le droit s’est toujours refusé à franchir : il s’agit de la ligne au-delà de laquelle se trouvent ce que les spécialistes du droit de la propriété intellectuelle appellent les idées. Par idées il faut entendre, grosso modo, une pensée de l’esprit non-encore exprimée dans une forme perceptible par les sens. Pourquoi ces dernières échappent-elles à la marque du droit pour qui elles ne peuvent faire l’objet d’aucune réservation privative ? Plusieurs raisons président au principe de libre circulation des idées. Tout d’abord, ce principe reposerait sur la liberté d’expression qui est consacrée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1 789 et par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Selon un auteur « ce serait […] une entrave au développement de [cette] liberté » si les idées faisaient l’objet d’une protection[20]. Le deuxième argument soutenu par les tenants de cette thèse consiste à dire que les idées appartiennent au fonds commun de l’humanité, de sorte qu’elles entreraient dans la catégorie juridique des choses communes[21]. Pour Henri Desbois, « quelle qu’en soit l’ingéniosité et même si elles sont marquées au coin du génie, la propagation et l’exploitation des idées exprimées par autrui ne peut être contrariée par les servitudes inhérentes aux droits d’auteur : elles sont par essence et par destination de libre parcours »[22]. Dans le droit fil de cette pensée, Augustin-Charles Renouard n’hésite pas à affirmer qu’il serait insensé « d’introduire dans le monde des idées l’institution de parts exclusivement réservées à certains esprits et interdites à certains autres. Le communisme intellectuel est la loi de l’humanité ; et il n’est pas, pour notre espèce, de plus noble apanage »[23]. Enfin, il est un autre argument avancé par les défenseurs du principe de libre circulation des idées. Pour eux, rares sont les fois où l’idée à partir de laquelle l’auteur ou l’inventeur sera le pur produit de leur pensée ; « il arrivera le plus souvent, sinon toujours, qu’il ne fera […] que marquer de son empreinte personnelle une idée ancienne, déjà exploitée par d’autres et sur laquelle, parût elle-même absolument originale et neuve, il ne saurait prétendre exercer un monopole »[24]. Pour toutes ces raisons, tant le législateur, que le juge ont toujours dénié aux idées la qualité de chose susceptible de faire l’objet d’une réservation privative[25]. Peut-on en déduire que les informations, quelle que soit leur forme, sont, définitivement, inappropriables ?

V) La variété des techniques de réservation de l’information

Pour que pareille conclusion soit valide, encore faut-il que le dispositif juridique qu’est la propriété soit le seul moyen de s’approprier une information. Cela est, cependant, loin d’être le cas. Comme le fait remarquer Jean-Christophe Galloux, « il existe […] d’autres techniques de réservation des informations : les techniques contractuelles ou de la responsabilité civile »[26]. S’agissant de la technique contractuelle il peut, entre autres, y être recouru pour protéger, dans le cadre de relations commerciales, un savoir-faire, un secret de fabrication ou bien encore des procédés ou méthodes industriels. Quant à l’action en responsabilité civile, celle-ci peut être utilisée aux mêmes fins que l’exercice d’un droit de propriété intellectuelle sur une œuvre ou une invention. Dans cette hypothèse, il s’agira, pour l’agent concerné, de dénoncer les pratiques anticoncurrentielles auxquelles se livreraient ses concurrents qui portent atteinte à son activité économique. Jérôme Passa abonde en ce sens lorsqu’il écrit qu’« il est acquis depuis bien longtemps que l’action en concurrence déloyale, action en responsabilité du fait personnel fondée sur l’article 1382 du Code civil, constitue dans certains cas une défense permettant d’obtenir protection d’une valeur économique non couverte par un droit de propriété intellectuelle »[27]. Il apparaît donc que la réservation de l’usage d’une création immatérielle n’est pas seulement conditionnée par la possibilité que puisse s’exercer sur elle un droit de propriété intellectuelle. Pour savoir si cette création peut faire l’objet d’une appropriation il faut, en outre, se demander si son exploitation peut être strictement délimitée par contrat et si l’atteinte à cette exploitation est susceptible de fonder une action en concurrence déloyale ou en parasitisme.

[1] P. Catala, « Ébauche d’une théorie juridique de l’information », Dalloz, 1984, chron., p. 98.

[2] J.-C. Galloux, « Ébauche d’une définition juridique de l’information », Dalloz, 1994, chron., p. 233.

[3] E. Daragon, « Étude sur le statut juridique de l’information », Dalloz, 1998, chron., p. 64.

[4] Ibid.

[5] V. en ce sens P. Leclercq, « Essai sur le statut juridique des informations », in Les flux transfrontières de données : vers une économie internationale de l’information ?, La Documentation française, 1982, p. 112.

[6] J. Passa, « La propriété de l’information : un malentendu » ?, Droit et Patrimoine, mars 2001, n° 91, p. 65.

[7] Loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 relative à la communication audiovisuelle, JO 30 juillet 1982.

[8] E. Daragon, art. préc., p. 63.

[9] P. Catala, art. préc., p. 97

[10] J.-C. Galloux, art. préc., p. 229

[11] P. Catala, art. préc., p. 97.

[12] A. Lucas, J. Devèze, et J. Frayssinet, op. cit. note 216, n° 471, p. 272.

[13] Ibid.

[14] Par une formule que l’on ne se lasse pas d’entendre, Le chapelier justifie l’adoption de ces textes qui consacrent le droit d’auteur, en affirmant que « la plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable et […] la plus personnelle de toutes les propriétés, est l’ouvrage, fruit de la pensée de l’écrivain » (Rapport sur la pétition des auteurs dramatiques, Assemblée constituante, séance du 13 jan. 1791).

[15] En vérité c’est la loi du 7 janvier 1791 qui constitue le premier texte consacrant le droit des brevets. L’esprit ayant animé ses auteurs est comparable à celui dont sont empreints les décrets révolutionnaires portant sur le droit d’auteur. Ainsi, la première loi sur les brevets d’invention l’affirme-t-elle : « ce serait attaquer les droits de l’Homme dans leur essence que de ne pas regarder une découverte industrielle comme la propriété de son auteur » (cité in M. Ch. Comte, Traité de la propriété, Librairie de jurisprudence de H. Tarlier, 1835, p. 189).

[16] Loi n° 98-536 du 1er juillet 1998 portant transposition dans le code de la propriété intellectuelle de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données, JORF n° 151 du 2 juillet 1998, p. 10075. Au titre de l’article L. 341-1 du Code de la propriété intellectuelle le producteur d’une base de données « entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants » bénéficie « d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel. Cette protection est indépendante et s’exerce sans préjudice de celles résultant du droit d’auteur ou d’autre droit sur la base de données ou un de ces éléments constitutifs ».

[17] A. Lucas, Le droit de l’informatique, PUF, coll. « Thémis », 1987, n° 306.

[18] On a pu penser le contraire dans deux décision rendues par la chambre criminelle de la Cour de cassation les 12 janvier et 1er mars 1989 (Cass. crim., 12 janv. 1989 : Bull. crim. 1989, n° 14 ; Cass. crim., 1er mars 1989 : Bull. crim. 1989, n° 100). Les commentateurs s’accordent cependant à dire, qu’il s’agissait de vol portant sur l’information et leur support, de sorte que si l’acte de soustraction avait porté sur la seule information, la Cour de cassation n’aurait pas retenu la qualification de vol. Cette thèse a d’ailleurs été confirmée dans un arrêt rendu le 3 avril 1995 la chambre criminelle estimant que « une information quelle qu’en soit la nature ou l’origine échappe aux prévisions » des articles dans lesquels sont érigées les infractions de vol et de recel (Cass. crim., 3 avr. 1995 : Juris-Data n° 1995-000928 ; Bull. crim. 1995, n° 142 ; JCP G 1995, II, 22 429, note Deneux ; Rev. sc. crim. 1995, p. 599, obs. Francillon et 821, obs. Ottenhof). Cette décision a été confirmée le 26 octobre 1995 (Cass. crim., 26 oct. 1995 : Bull. crim. 1995, n° 324 ; Rev. soc. 1996, p. 326, note Bouloc).

[19] Si, de nombreux auteurs doutent de la possibilité de pouvoir qualifier l’information de chose, pour Thiébaut Devergranne, « le concept de chose n’est que le produit d’une démarche intellectuelle, qui conduit le sujet à individualiser et désigner un élément pour lui permettre de l’appréhender. Peu importe, donc, que la chose ait une existence matérielle, dès lors que le sujet lui s’accorde, sans trop contrarier l’ordre social, à lui conférer, une réalité substantielle. Si la chose est le produit d’un processus intellectuel, alors tout ce qui peut être intellectualisé peut être chose : l’information, les droits, le bien le fait, le sujet… » (Th. Devergranne, La propriété informatique, thèse : Paris 2, 2007, p. 181).

[20] D. Cohen, « La liberté de créer », in Libertés et droits fondamentaux, sous la dir. De R. Cabrillac, M.-A. Frison-Roche, Th. Revet, Dalloz, 10e éd., 2004, p. 407, spéc. n° 553, p. 415.

[21] V. en ce sens M.-A. Chardeaux, Les choses communes, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2006, p. 150 et s.

[22] H. Desbois, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 1978, n° 17, p. 22.

[23] A.-Ch. Renouard, Du droit industriel dans ses rapports avec les principes du droit civil sur les personnes et sur les choses, Paris, Guillaumin, 1860, n° 212.

[24] Paris, 12 mai 1909 et 10 nov. 1909, D.P. 1910,2.81, note Ch. Caro.

[25] V. en ce sens notamment Cass. com., 29 nov. 1960, comm. C. Fruteau ; RTD com. 1961, p. 607, obs. H. Desbois ; in M. Vivant (dir.), Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz, 2003, n° 6 ; CA Paris, 8 juill. 1972 : JCP G 1973, II, 17509, note J.-M. Leloup ; RTD com. 1974, p. 91, obs. H. Desbois ; Civ. 1re, 17 juin 2003, CCE, 2003, comm. 80, obs. Caron ; Cass. 1re civ., 23 mars 1983 : Bull. civ. 1983, IV, n° 108 ; Cass. 1re civ., 5 juill. 2006, n° 05-12.193 : JurisData n° 2006-034428 ; Bull. civ. 2006, I, n° 360 ; Propr. intell. 2006, p. 501, obs. J. Passa.

[26] J.-C. Galloux, art. cit. note 250, n° 28, p. 233.

[27] J. Passa, art. cit. note 254, p. 70.