==> Généralités
L’article 647 du code civil dispose que « tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l’exception portée en l’article 682. »
Est ainsi exprimée la prérogative qui échoit au propriétaire de dresser des barrières physiques sur son fonds afin d’empêcher que l’on y pénètre sans y avoir été invité.
À cet égard, le droit de se clore prévu par l’article 647 du Code civil n’est pas seulement un moyen de protéger le propriétaire contre les incursions des tiers mais est aussi le signe que la vue de son bien est une utilité qui lui appartient.
La clôture est en quelque sorte la marque de la souveraineté exercée par le propriétaire sur son bien, marque à laquelle étaient très attachés les révolutionnaires.
Sous l’ancien régime, en effet, il était défendu de disposer des obstacles sur ses terres en raison du droit dont étaient titulaires les seigneurs de pénétrer dans les domaines aux fins d’y chasser le gibier.
La nuit du 4 août 1789 emporta avec elle ce privilège de chasse. Il s’ensuivit l’adoption de la loi des 28 septembre et 6 octobre 1791 qui rompit avec l’ancien droit féodal et consacra le droit fondamental pour chaque propriétaire d’élever une clôture
Le texte prévoyait en ce sens que « le droit de clore et de déclore ses héritages résulte essentiellement de celui de propriété, et ne peut être contesté à aucun propriétaire. »
La question s’est posée en doctrine de la nature de ce droit qui est envisagée dans le chapitre consacré aux servitudes qui dérivent de la situation des lieux.
À l’examen, le droit de se clore relève moins de la catégorie des servitudes que des attributs du droit de propriété.
Pour constituer une servitude il faut qu’existe un rapport entre un fonds servant et un fonds dominant. Or par hypothèse, ce rapport est inexistant en matière de clôture l’exercice du droit de se clore n’ayant pas pour effet d’asservir le fonds voisin.
Il s’agit là d’une prérogative qui peut être exercée discrétionnairement et qui, au vrai, peut être rattachée à l’article 544 du Code civil.
À cet égard, dans un arrêt du 3 février 1913, la Cour de cassation a affirmé que « le droit de clore ou de déclore les héritages résulte essentiellement de celui de la propriété » (Cass. 3e civ., 3 févr. 1913)
De surcroît, comme le droit de propriété, le droit de se clore ne se prescrit pas par le non-usage, ce qui est le cas des servitudes (art. 706 C. civ.)
A) Le contenu du droit de se clore
- Notion de clôture
L’article R. 651-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoir que, est réputé clos « tout terrain entouré, soit par une haie vive, soit par un mur, une palissade, un treillage, une haie sèche d’une hauteur d’un mètre au moins, soit par un fossé d’un mètre vingt à l’ouverture et de cinquante centimètres de profondeur, soit par des traverses en bois ou des fils métalliques distants entre eux de trente-trois centimètres au plus s’élevant à un mètre de hauteur, soit par toute autre clôture continue et équivalente faisant obstacle à l’introduction des animaux »
Une clôture consiste ainsi en tout ce qui vise à empêcher la pénétration d’un tiers ou d’animaux dans une propriété.
La circulaire n°78-112 du 21 août 1978 assimile à une clôture les « murs, portes de clôture, clôtures à claire-voie, clôtures en treillis, clôtures de pieux, clôtures métalliques, palissades, grilles, herses, barbelés, lices, échaliers »
Ces listes établies par les textes ne sont pas exhaustives, le juge disposant d’un pouvoir d’appréciation en la matière.
En tout état de cause, la clôture élevée par le propriétaire sur son fonds peut être naturelle (une haie) ou artificielle (un mur), pourvu qu’elle obstrue le passage et qu’elle soit continue et constante (art. L. 424-3 C. env.)
A l’analyse, il ressort de la jurisprudence que constitue une clôture tout ouvrage dont la finalité consiste à fermer l’accès à tout ou partie d’une propriété.
Dans un arrêt du 21 juillet 2009, le Conseil d’État a précisé que, un tel ouvrage n’a pas à être implanté en limite de propriété pour constituer une clôture.
2. Condition d’installation de la clôture
a) Les conditions tenant à la position la clôture
==> Principe : installation en limite de fonds
Par principe, une clôture peut être installée en limite de fonds. Si elle est mitoyenne, ou si le voisin y consent, elle pourra être élevée sur la ligne séparative.
À défaut d’accord, la clôture devra être en positionnée en retrait, faute de quoi elle empiéterait sur le fonds voisin ce qui autoriserait son propriétaire à solliciter son déplacement, voire sa démolition (Cass. 3e civ., 20 mars 2002, n°00-16.015).
Celui qui installe une clôture sur son fond doit ainsi être extrêmement vigilant quant à son emplacement.
À cet égard, il ne devra pas seulement veiller à ce que l’ouvrage qu’il élève n’empiète pas sur le fonds voisin, il devra encore s’assurer, si la clôture consiste en des plantations, que la distance avec la ligne séparative est respectée.
==> Exception : observation d’une distance avec la ligne séparative
Lorsque la clôture consiste en des plantations, soit en une haie ou des arbustes, elle ne pourra pas être positionnée en limite de fonds.
La règle est énoncée à l’article 671 du Code civil qui prévoit que « il n’est permis d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu’à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d’un demi-mètre pour les autres plantations. »
Le principe qui s’infère de cette disposition est que pour éviter que les plantations nuisent au fonds voisin par leurs branches et leurs racines, l’article 671 interdit en principe à un propriétaire « d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes » jusqu’à l’extrême limite de son terrain.
Ainsi que l’observe un auteur toutes les plantations sont en réalité visées par cette interdiction[1]. Au vrai, la seule question qui se pose est de savoir quelle est la distance minimale qui doit être observée entre les plantations et la ligne séparative du fonds.
Afin de déterminer la distance requise, l’article 671 du Code civil renvoie, d’abord aux règlements et usage, puis subsidiairement prescrit une distance par défaut.
- La distance prévue par les règlements et les usages
- Pour savoir jusqu’à quelle distance un propriétaire peut avoir des plantations, il est nécessaire de se référer en premier lieu aux règlements particuliers et aux usages constants et reconnus.
- S’agissant des règlements particuliers
- Ils sont constitués par les arrêtés, les documents d’urbanisme ou les servitudes d’utilité publique susceptibles de prescrire des distances ou des hauteurs particulières de plantations.
- S’agissant des usages
- Ils peuvent quant à eux être relevés par les chambres d’agriculture[2], mais ils peuvent également être directement reconnus par les juges du fond.
- Ainsi, l’usage parisien autorise à planter jusqu’à l’extrême limite de son fonds, compte tenu de l’exiguïté des parcelles (V. en ce sens 3e civ., 14 février 1984, n°82-16092).
- Il en va de même pour le pays de Caux ou à Marseille.
- Dans certains cas, comme à Poitiers, les usages prescrivent des distances supérieures à celles prévues par le code civil.
- S’agissant des règlements particuliers
- Pour savoir jusqu’à quelle distance un propriétaire peut avoir des plantations, il est nécessaire de se référer en premier lieu aux règlements particuliers et aux usages constants et reconnus.
- La distance prévue par le code civil
- Ce n’est qu’à défaut de règlement et d’usage que s’appliquent les distances prévues par le code civil, qui ont donc un caractère subsidiaire.
- Dans cette hypothèse, l’article 671 pose un principe qu’il assortit d’une limite à l’alinéa 2.
- Principe
- La distance à observer dépend de la hauteur de la plantation, étant précisé que le calcul de cette hauteur ne tient pas compte de l’inclinaison du fonds, mais seulement de la taille intrinsèque de la plantation, de la base à son sommet (V. en ce sens 3e civ., 4 nov. 1998, n°96-19708).
- Ainsi, la distance d’espacement est donc de :
- Deux mètres de la ligne séparative pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres
- Un demi-mètre de la ligne séparative pour les autres plantations.
- Seule importe donc la hauteur de la plantation, étant précisé que ne doit pas être prise en compte la croissance naturelle des arbres, ni la date habituelle de leur taille ( 3e civ. 19 mai 2004, n°03-10077).
- En outre, dans un arrêt du 1er avril 2009, la Cour de cassation a précisé que « la distance existant entre les arbres et la ligne séparative des héritages doit être déterminée depuis cette ligne jusqu’à l’axe médian des troncs des arbres» ( 3e civ. 1er avr. 2009, n°08-11876).
- Exception
- L’article 671 prévoit une exception à la règle prescrivant une distance à observer entre les plantations et la limite du fonds.
- En effet, l’alinéa 2 de ce texte dispose que lorsqu’existe un mur séparatif des plantations peuvent être faites « en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l’on soit tenu d’observer aucune distance, mais [elles] ne pourront dépasser la crête du mur».
- Si le mur n’est pas mitoyen, seul son propriétaire peut procéder à de telles plantations en espaliers.
- Principe
b) Les conditions tenant à l’aspect de la clôture
Outre les règles d’emplacement de la clôture, doivent également être observées des règles qui tiennent à son aspect.
En principe, le choix de la clôture est libre, mais il est souvent soumis à certaines contraintes fixées par les règles d’urbanisme et plus précisément par les plans locaux d’urbanisme ou par les plans d’occupation des sols.
Ces règles propres à chaque agglomération et commune, peuvent ainsi imposer aux propriétaires des hauteurs ou des distances avec la ligne séparative à respecter ou des matériaux spécifiques à utiliser.
Par exemple, la nature et l’apparence des clôtures sont souvent réglementées par les dispositions du règlement du plan local d’urbanisme (PLU), qui va indiquer en général la hauteur maximale admise ainsi que l’apparence (enduit, etc) ou encore la forme que peuvent prendre les clôtures, en général :
- Un mur plein
- Un mur bahut d’une certaine hauteur obligatoirement surmonté d’un dispositif à claire-voie ou d’un grillage
- Un simple grillage sans mur bahut.
Le code de l’urbanisme n’opère pas de distinction selon les types de clôture. Il peut s’agir de clôtures électriques, de grillages ou de tout autre procédé ayant pour fonction de fermer l’accès à un terrain ou d’introduire un obstacle à la circulation.
Dès lors que l’ouvrage a pour finalité de fermer l’accès à un terrain, quel que soit son emplacement sur la parcelle concernée et quelle que soit sa nature, il peut être assimilé à une clôture et, en conséquence, être soumis aux règles du PLU relatives à l’aspect et la forme des clôtures.
À défaut de réglementation spécifique, la hauteur d’un mur ne doit pas être supérieure à 3,20 m pour les villes de 50 000 habitants et plus, et à 2,60 m dans les autres cas, étant précisé que la clôture se mesure à partir du terrain le plus bas.
La clôture réalisée en méconnaissance des règles du PLU peut donner lieu à des sanctions pénales et une procédure devant le tribunal correctionnel.
L’aspect de la clôture peut également être stipulé par le cahier des charges d’une copropriété lorsque le fonds relève d’un lotissement, auquel cas les propriétaires seront tenus de s’y soumettre.
c) Les conditions tenant à la déclaration préalable
L’édification d’une clôture n’est, en principe, pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration préalable.
Lorsque, toutefois, le fonds se situe dans une zone particulière une telle déclaration peut être exigée.
L’article R. 421-12 du Code de l’urbanisme prévoit en ce sens que doit être précédée d’une déclaration préalable l’édification d’une clôture située :
- Dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable classé en application de l’article L. 631-1 du code du patrimoine ou dans les abords des monuments historiques définis à l’article L. 621-30 du code du patrimoine ;
- Dans un site inscrit ou dans un site classé ou en instance de classement en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l’environnement ;
- Dans un secteur délimité par le plan local d’urbanisme en application de l’article L. 151-19 ou de l’article L. 151-23 ;
- Dans une commune ou partie de commune où le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme a décidé de soumettre les clôtures à déclaration.
Ainsi, l’édification de clôtures peut être soumise à déclaration préalable, dès lors que le projet est situé dans un secteur sauvegardé, dans le champ de visibilité d’un monument historique, dans une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, dans un site inscrit ou un site classé, dans un secteur délimité de plan local d’urbanisme (PLU) ou par délibération du conseil municipal ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en PLU sur tout ou partie de la commune.
La jurisprudence a précisé que seule l’édification d’une clôture est soumise à la déclaration préalable et non sa rénovation ou sa modification (V. en ce sens Cass. crim., 26 févr. 1985).
La déclaration préalable doit satisfaire aux exigences de formes prescrites aux articles R. 431-35 à R. 431-37 du Code de l’urbanisme et notamment comporter
- L’identité du ou des déclarants ;
- La localisation et la superficie du ou des terrains ;
- La nature des travaux ou du changement de destination ;
- S’il y a lieu, la surface de plancher et la destination des constructions projetées ;
- Les éléments, fixés par arrêtés, nécessaires au calcul des impositions.
La déclaration préalable doit, ensuite être adressée par pli recommandé avec demande d’avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés (art. R. 423-1 C. urb.).
La déclaration et le dossier qui l’accompagnent sont établis en deux exemplaires pour les déclarations préalables (art. R. 423-2 C. urb.).
Dans les quinze jours qui suivent le dépôt de la déclaration et pendant la durée d’instruction de celle-ci, le maire procède à l’affichage en mairie d’un avis de dépôt de demande de permis ou de déclaration préalable précisant les caractéristiques essentielles du projet, dans des conditions prévues par arrêté du ministre chargé de l’urbanisme (art. R. 423-6 C. urb.).
Le délai d’instruction de droit commun est un mois pour les déclarations préalables, étant précisé que ce délai court à compter de la réception en mairie d’un dossier complet.
À défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction déterminé le silence gardé par l’autorité compétente vaut décision de non-opposition à la déclaration préalable (art. R. 424-1 C. urb.).
B) Les limites du droit de se clore
Le droit de se clore rencontre trois sortes de limites :
- Celles qui tiennent au droit de vaine pâture
- Celles qui tiennent au respect des servitudes
- Celles qui tiennent à l’abus de droit
==> Les limites tenant au droit de vaine pâture
On entend par vaine pâture le droit qu’ont les habitants d’une commune de mener paître leurs bestiaux sur les terres incultes de leur territoire, ainsi que sur les autres fonds non clos, dépouillés de leurs récoltes après les premières et secondes herbes.
Lorsque ce droit existe entre les habitants d’une même commune, on lui donne le nom de vaine pâture et il prend celui de parcours lorsqu’il s’exerce de commune en commune.
Ainsi, le droit de parcours n’est qu’un droit de vaine pâture exercée sur une plus grande échelle.
Les droits de vaine pâture et de parcours ont toujours été regardés comme des actes de simple tolérance. Sous l’ancien régime ils sont devenus constitutifs d’une servitude, à telle enseigne qu’il était défendu aux propriétaires de clore leur héritage.
Cette interdiction a été levée par les révolutionnaires qui, dans le même temps, ont conservé le droit de vaine pâture dans le Code rural adopté en 1791.
La loi du 9 juillet 1889 a maintenu ce droit dans deux cas :
- Premier cas: l’article L. 651-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que « le droit de vaine pâture appartenant à la généralité des habitants et s’appliquant en même temps à la généralité d’une commune ou d’une section de commune, en vertu d’une ancienne loi ou coutume, d’un usage immémorial ou d’un titre, n’est reconnu que s’il a fait l’objet avant le 9 juillet 1890 d’une demande de maintien non rejetée par le conseil départemental ou par un décret en Conseil d’État. »
- Second cas: l’article L. 651-10 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que « la vaine pâture fondée sur un titre, et établie sur un héritage déterminé, soit au profit d’un ou plusieurs particuliers, soit au profit de la généralité des habitants d’une commune, est maintenue et continue à s’exercer conformément aux droits acquis. Mais le propriétaire de l’héritage grevé peut toujours s’affranchir soit moyennant une indemnité fixée à dire d’experts, soit par voie de cantonnement »
Quant à l’exercice du droit de vaine pâture il est très strictement encadré. Ainsi, dans aucun cas et dans aucun temps, la vaine pâture ne peut s’exercer sur les prairies artificielles.
Par ailleurs, elle ne peut avoir lieu sur aucune terre ensemencée ou couverte d’une production quelconque faisant l’objet d’une récolte, tant que la récolte n’est pas enlevée.
En outre les conseils municipaux peuvent réglementer le droit de vaine pâture, notamment pour en suspendre l’exercice en cas d’épizootie, le dégel ou de pluies torrentielles, pour cantonner les troupeaux de différents propriétaires ou les animaux d’espèces différentes, pour interdire la présence d’animaux dangereux ou malades dans les troupeaux.
Surtout, l’article L. 651-4 prévoit que « le droit de vaine pâture ne fait jamais obstacle à la faculté que conserve tout propriétaire soit d’user d’un nouveau mode d’assolement ou de culture, soit de se clore. Tout terrain clos est affranchi de la vaine pâture. »
Cette disposition ne fait que reprendre la règle énoncée à l’article 648 du Code civil qui autorise expressément les propriétaires, par principe, à faire obstacle au droit de vaine pâture en élevant des clôtures sur leurs fonds.
Le texte prévoit en ce sens que « le propriétaire qui veut se clore perd son droit au parcours et vaine pâture en proportion du terrain qu’il y soustrait. »
L’idée qui préside à cette règle est que celui qui retire sa mise de la société ne prenne plus de part dans la mise des autres.
Pour exemple, lorsqu’un propriétaire a clos un quart de son héritage, il ne peut plus faire paître que les trois quarts des bestiaux pour lesquels il avait droit antérieurement.
Lorsque toutefois, le droit de vaine pâture est fondé sur un titre, il ne peut plus être exercé puisque s’apparentant alors à une servitude (V. en ce sens Cass. req. 28 juill. 1875).
==> Les limites tenant au respect des servitudes
L’exercice du droit de se clore ne peut jamais porter atteinte aux servitudes susceptibles de grever le fonds.
Ainsi, l’installation d’une clôture ne doit jamais entraver l’exercice notamment :
- D’une servitude de passage
- D’une servitude d’écoulement des eaux
Ainsi que l’ont relevé des auteurs, « d’une manière plus générale le droit de se clore est limité par l’obligation de ne pas mettre obstacle à l’exercice d’une servitude quelconque dont le fonds serait grevé au profit d’un autre fonds »[3].
Dans un arrêt du 28 juin 1853 la Cour de cassation a précisé qu’il appartient au juge « tout en respectant autant que possible le droit de clôture du fonds servant, de veiller à ce qu’aux termes de l’article 701, il ne soit rien fait qui tende à diminuer ou à rendre plus incommode, au préjudice du fonds dominant, l’usage de la servitude » (Cass. civ., 28 juin 1853).
Dans un arrêt du 21 novembre 1969 la troisième chambre civile a encore affirmé que si le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude de passage conserve le droit d’y faire tous travaux qu’il juge convenables et de se clore, il ne doit cependant rien entreprendre qui puisse diminuer l’usage de la servitude ou le rendre moins commode, l’appréciation des circonstances modificatives de cet usage rentrant dans les pouvoirs souverains des juges du fond.
Au cas particulier, elle relève que les propriétaires du fonds grevé avaient réduit la largeur du passage, qui n’était plus que de 3,38 m, alors qu’il devait être de 4 mètres et en déduit que le trouble ainsi apporte à l’exercice du passage ne pouvait être utilement contesté puisque ledit passage était le seul accès permettant au propriétaire du fonds dominant d’exploiter sa ferme (Cass. 3e civ. 21 nov. 1969).
==> Les limites tenant à l’abus de droit
Le droit de se clore doit, pour pouvoir être librement exercé, ne pas dégénérer en abus de droit, soit être exercé dans l’intention de nuire au propriétaire du fonds voisin.
Deux critères sont traditionnellement exigés pour caractériser l’abus de droit de propriété : l’inutilité de l’action du propriétaire et son intention de nuire.
- S’agissant de l’inutilité de l’action du propriétaire
- Il s’agit ici d’établir que l’action du propriétaire ne lui procure aucune utilité personnelle
- Dans l’arrêt Clément Bayard, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que le dispositif ne présentait aucune utilité pour le terrain.
- Elle avait en outre relevé que ce dispositif avait été érigé « sans d’ailleurs, à la hauteur à laquelle il avait été élevé, constituer au sens de l’article 647 du code civil, la clôture que le propriétaire est autorisé à construire pour la protection de ses intérêts légitimes»
- Au sujet du critère de l’inutilité, dans un arrêt du 20 janvier 1964, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « l’exercice du droit de propriété qui a pour limite la satisfaction d’un intérêt sérieux et légitime, ne saurait autoriser l’accomplissement d’actes malveillants, ne se justifiant par aucune utilité appréciable et portant préjudice à autrui» ( 2e civ., 20 janv. 1964).
- S’agissant de l’intention de nuire du propriétaire
- L’intention de nuire qui est un critère psychologique, est l’élément central de la notion d’abus de droit
- En effet, c’est l’intention de celui qui exerce son droit de propriété qui permet de caractériser l’abus de droit.
- Dès lors, la recherche du juge consistera en une analyse des mobiles du propriétaire.
- À l’évidence, l’exercice est difficile, l’esprit se laissant, par hypothèse, difficilement sondé.
- Comment, dans ces conditions, démontrer l’intention de nuire, étant précisé que la charge de la preuve pèse sur le demandeur, soit sur la victime de l’abus ?
- Compte tenu de la difficulté qu’il y a à rapporter la preuve de l’intention de nuire, la jurisprudence admet qu’elle puisse se déduire de constatations matérielles, en particulier l’inutilité de l’action du propriétaire et le préjudice causé.
- Si le propriétaire n’avait aucun intérêt légitime à exercer son droit de propriété comme il l’a fait, on peut conjecturer que son comportement procède d’une intention de nuire à autrui, à plus forte raison s’il en résulte en préjudice.
S’agissant du droit de se clore, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 30 octobre 1972, admis qu’il puisse dégénérer en abus de droit.
- Faits
- Un propriétaire édifie un mur face à la maison de ses voisins et installe plusieurs rangées de fils de fer barbelés dans le grillage séparant son jardin du chemin qui le borde
- Les propriétaires du fonds voisin sollicitent la démolition du mur arguant qu’il avait été édifié dans l’unique but de priver leur habitation de vue et de lumière et d’en gêner l’accès.
- De son côté, le propriétaire du mur soutient que l’édification de ce mur aurait été prescrite par l’autorité sanitaire, après l’enquête provoquée par les plaintes de ses voisins du fait des odeurs provenant de l’élevage de bestiaux.
- Procédure
- Par un arrêt du 29 mars 1971, la Cour d’appel d’Orléans ordonne la démolition du mur litigieux et le retrait des rangées de fils barbelés.
- Les juges du fond relèvent :
- D’une part, que les conditions imposées par l’administration au défendeur pour la poursuite de son exploitation d’élevage ne comprenaient pas l’édification du mur litigieux
- D’autre part, que c’est à la suite de la plainte portée par les voisins auprès de l’autorité administrative que le défendeur a fait élever en face de la maison de ceux-ci, sans le prolonger au-delà, le mur litigieux, qui a été ultérieurement surmonté d’un grillage supportant des plantes grimpantes, manifestant de la sorte son intention évidente de priver leur habitation de vue et de lumière et d’en gêner l’accès, et a fait placer dans le grillage, qui était suffisant pour servir de clôture a son jardin, des rangées de fils de fer barbelés, créant ainsi un danger certain pour les usagers du chemin et notamment pour les enfants
- La Cour d’appel en conclut que les actes du propriétaire du mur litigieux ne se justifiaient par aucune utilité appréciable en vue de satisfaire un intérêt sérieux et ont été inspirés par une intention malveillante, qui apparaît encore dans la pose, contre le mur litigieux et face à l’entrée de la maison des demandeurs à l’action, d’une pancarte portant l’inscription, « mur du repentir et de la honte, pour ceux qui en ont obligé la construction, que les morveux se mouchent»
- Décision
- Par un arrêt du 30 octobre 1972 la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le propriétaire du mur litigieux.
- Elle considère que la pose du mur avait bien dégénéré en abus de droit eu égard les circonstances de son édification et les motivations de son auteur.
Il ressort de cet arrêt que, lorsque l’intention de nuire est établie, il peut être fait échec à l’exercice du droit de se clore.
Lorsque, en revanche, il apparaît que la clôture ne présente pas un aspect inesthétique caractérisé et que son aspect est conforme à une autorisation municipale octroyée au propriétaire du fond, il a été jugé que l’action en trouble de voisinage ne peut pas prospérer (Cass. 3e civ. 18 janv. 2011, n°09-17459).