Les servitudes légales: régime juridique

Les servitudes établies par la loi sont envisagées aux articles 649 et suivant du Code civil.

L’article 649 les introduit en disposant que « les servitudes établies par la loi ont pour objet l’utilité publique ou communale, ou l’utilité des particuliers. »

Surtout, ainsi que l’indique l’article 651, la singularité des servitudes légales est que « la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l’un à l’égard de l’autre, indépendamment de toute convention. »

Au nombre de ces servitudes légales figurent celles qui intéressent :

  • La distance et des ouvrages intermédiaires requis pour certaines constructions
  • Les vues sur la propriété de son voisin
  • L’égout des toits

Classiquement, ces servitudes sont présentées au moyen de la distinction entre :

  • D’une part, les servitudes réciproques
  • D’autre part, les servitudes unilatérales

I) Les servitudes réciproques

Les servitudes réciproques sont celles qui ont pour finalité d’imposer des règles de distance entre les différents fonds, l’objectif recherché étant de préserver la tranquillité et l’intimité des propriétaires.

Elles sont qualifiées de réciproques car, d’une part, elles pèsent de manière identique sur les deux fonds contigus et, d’autre part, elles s’exercent alternativement au profit et à la charge de chacun d’eux.

Ces servitudes conduisent à entourer toute propriété d’une sorte de cordon sanitaire qui constitue la limite à ne pas franchir, sous peine de sanction qui peut aller jusqu’à la démolition.

La distance de sécurité qui doit être établie entre deux fonds voisins intéresse :

  • Les constructions
  • Les plantations
  • Les ouvertures sur le fonds voisin

A) Les constructions

L’objectif poursuivi ici par la loi est d’imposer aux propriétaires de reculer ou d’isoler certaines constructions en raison de la nuisance qu’elles sont susceptibles d’occasionner.

Cette règle ne leur interdit, dans l’absolu, pas de construire en limite de fonds. Cette faculté leur est seulement refusée pour certains ouvrages jugés particulièrement préjudiciables pour le voisinage.

Une liste de ces ouvrages est énoncée à l’article 674 qui vise les situations suivantes :

  • Celui qui fait creuser un puits ou une fosse d’aisance près d’un mur mitoyen ou non,
  • Celui qui veut y construire cheminée ou âtre, forge, four ou fourneau,
  • Y adosser une étable,
  • Ou établir contre ce mur un magasin de sel ou amas de matières corrosives,

Il a toujours été admis que cette liste n’était pas exhaustive et qu’elle pouvait être enrichie d’autres ouvrages, dès lors qu’il est établi qu’ils sont de nature à porter atteinte à la quiétude du voisinage « Cass. civ. 10 juill. 1872 ».

Aussi, en présence d’un tel ouvrage, l’article 674 dit qu’il échoit au propriétaire de « laisser la distance prescrite par les règlements et usages particuliers sur ces objets, ou à faire les ouvrages prescrits par les mêmes règlements et usages, pour éviter de nuire au voisin. »

Il ressort ce texte que pour prévenir les nuisances, le propriétaire doit, en tout état de cause se conformer aux règlements administratifs et aux usages locaux.

Deux options s’offrent alors à lui :

  • Soit il laisse la distance prescrite entre la ligne séparative et l’ouvrage nouveau qu’il construit
  • Soit il isole cet ouvrage par des travaux de protection afin d’éviter qu’il ne cause des nuisances au voisinage

Reste que, désormais, il convient d’observer que ces mesures qui visent à prévenir les nuisances sont directement dictées par les règles d’urbanisme qui imposent que les constructions soient édifiées à une certaine distance de la limite séparative du fonds.

B) Les plantations

À l’instar des constructions, les plantations qui se développent en limite de fonds sont susceptibles de perturber la tranquillité du voisinage.

Aussi, afin de préserver cette tranquillité et d’assurer la paix sociale, le législateur a instauré des distances à respecter pour les plantations.

Ces règles sont énoncées aux articles 671 à 673 du Code civil et s’appliquent à tous les fonds, urbains comme ruraux, clos ou non clos.

Il ressort de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer selon que les plantations empiètent ou non sur le fonds voisin.

  1. Les plantations n’empiètent pas sur le fonds voisin

a) Principe

Le principe est énoncé à l’article 671 du Code civil qui prévoit que « il n’est permis d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu’à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d’un demi-mètre pour les autres plantations. »

Le principe qui s’infère de cette disposition est que pour éviter que les plantations nuisent au fonds voisin par leurs branches et leurs racines, l’article 671 interdit en principe à un propriétaire « d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes » jusqu’à l’extrême limite de son terrain.

Ainsi que l’observe un auteur toutes les plantations sont en réalité visées par cette interdiction[1]. Au vrai, la seule question qui se pose est de savoir qu’elle est la distance minimale qui doit être observée entre les plantations et la ligne séparative du fonds.

b) Mise en œuvre

Afin de déterminer la distance requise, l’article 671 du Code civil renvoie, d’abord aux règlements et usage, puis subsidiairement prescrit une distance par défaut.

==> La distance prévue par les règlements et les usages

Pour savoir jusqu’à quelle distance un propriétaire peut avoir des plantations, il est nécessaire de se référer en premier lieu aux règlements particuliers et aux usages constants et reconnus.

  • S’agissant des règlements particuliers
    • Ils sont constitués par les arrêtés, les documents d’urbanisme ou les servitudes d’utilité publique susceptibles de prescrire des distances ou des hauteurs particulières de plantations.
  • S’agissant des usages
    • Ils peuvent quant à eux être relevés par les chambres d’agriculture[2], mais ils peuvent également être directement reconnus par les juges du fond.
    • Ainsi, l’usage parisien autorise à planter jusqu’à l’extrême limite de son fonds, compte tenu de l’exiguïté des parcelles (V. en ce sens 3e civ., 14 février 1984, n°82-16092).
    • Il en va de même pour le pays de Caux ou à Marseille.
    • Dans certains cas, comme à Poitiers, les usages prescrivent des distances supérieures à celles prévues par le code civil.

==> La distance prévue par le code civil

 Ce n’est qu’à défaut de règlement et d’usage que s’appliquent les distances prévues par le code civil, qui ont donc un caractère subsidiaire.

Dans cette hypothèse, l’article 671 pose un principe qu’il assortit d’une limite à l’alinéa 2.

  • Principe
    • La distance à observer dépend de la hauteur de la plantation, étant précisé que le calcul de cette hauteur ne tient pas compte de l’inclinaison du fonds, mais seulement de la taille intrinsèque de la plantation, de la base à son sommet (V. en ce sens 3e civ., 4 nov. 1998, n°96-19708).
    • Ainsi, la distance d’espacement est donc de :
      • Deux mètres de la ligne séparative pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres
      • Un demi-mètre de la ligne séparative pour les autres plantations.
    • Seule importe donc la hauteur de la plantation, étant précisé que ne doit pas être prise en compte la croissance naturelle des arbres, ni la date habituelle de leur taille ( 3e civ. 19 mai 2004, n°03-10077).
    • En outre, dans un arrêt du 1er avril 2009, la Cour de cassation a précisé que « la distance existant entre les arbres et la ligne séparative des héritages doit être déterminée depuis cette ligne jusqu’à l’axe médian des troncs des arbres» ( 3e civ. 1er avr. 2009, n°08-11876).
  • Exception
    • L’article 671 prévoit une exception à la règle prescrivant une distance à observer entre les plantations et la limite du fonds.
    • En effet, l’alinéa 2 de ce texte dispose que lorsqu’existe un mur séparatif des plantations peuvent être faites « en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l’on soit tenu d’observer aucune distance, mais [elles] ne pourront dépasser la crête du mur».
    • Si le mur n’est pas mitoyen, seul son propriétaire peut procéder à de telles plantations en espaliers.

==> Sanction

La sanction du non-respect des distances légales de plantation est énoncée à l’article 672 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l’article précédent, à moins qu’il n’y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire. »

Il ressort de cette disposition que si l’inobservation des règles de distance prescrites par l’article 671 peut être sanctionnée par l’arrachage ou le rabotage des plantations, le propriétaire peut y échapper en certains cas.

  • Principe
    • L’article 672 du Code civil sanctionne donc les atteintes portées par les plantations d’un fonds au fonds voisin par l’arrachage ou la réduction à la hauteur prescrite (deux mètres)
    • À cet égard, il peut être observé que :
      • D’une part, une jurisprudence constante reconnaît que le voisin n’a pas besoin d’établir qu’il souffre d’un préjudice pour demander l’arrachage ou la réduction (V. en ce sens civ., 5 mars 1850; Cass. civ., 2 juill. 1867 ; Cass. 3e civ., 16 mai 2000, n° 98-22382.)
      • D’autre part, le voisin ne peut pas se faire justice à lui-même en procédant à l’arrachage ou à la réduction des plantations ne respectant pas les distances prescrites : il est tenu de saisir le juge d’instance de sa demande ;
      • Enfin, l’option entre l’arrachage et la réduction appartient au propriétaire ( 3e civ. 14 oct. 1987).
    • Il peut être observé que la sanction n’est applicable qu’autant que les prescriptions posées à l’article 671 du Code civil ne sont pas respectées.
    • Aussi, dans l’hypothèse où les plantations causeraient un préjudice au fonds voisin mais qu’aucun manquement ne serait susceptible d’être reproché au propriétaire, les sanctions énoncées à l’article 672 ne seront pas applicables ( req. 8 juill. 1874)
    • Tout au plus, il a été admis dans un arrêt du 4 janvier 1990, que la victime des nuisances pouvait agir sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.
    • Dans cette décision, la troisième chambre civile a validé un arrêt rendu par une Cour d’appel qui, après avoir relevé que « les racines des arbres plantés par les époux X… entraînent des boursouflures du revêtement du sol dans la propriété des époux Z… et que les feuilles mortes envahissent leur terrasse d’agrément et nuisent au bon écoulement des eaux» a retenu l’existence d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage de sorte que « l’abattage des arbres était le seul moyen de faire cesser les désordres qu’ils causaient » ( 3e civ. 4 janv. 1990, n°87-18724).
  • Exceptions
    • L’article 672 prévoit cependant trois exceptions, permettant au propriétaire d’échapper à l’arrachage ou à la réduction des plantations irrégulières :
      • Première exception : existence d’un titre
        • Les voisins peuvent se mettre d’accord par convention pour aménager la distance, la hauteur, ou la servitude de recul de manière différente de celle prévue par la loi puisque les articles 671 et 672 ne sont pas d’ordre public
      • Deuxième exception : la destination du père de famille
        • Cette exception suppose, selon l’article 693 du code civil, que « les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c’est par lui que les choses ont été mises dans l’état duquel résulte la servitude».
        • Il s’agit donc ici de préserver une plantation qui existait déjà au moment de la division du fonds.
      • Troisième exception : la prescription trentenaire
        • Si un arbre dépasse la hauteur autorisée, et que le voisin reste inactif pendant 30 ans il ne peut plus réclamer son arrachage ou sa réduction.
        • Dans un arrêt du 8 décembre 1981, la Cour de cassation a précisé que « le point de départ de la prescription trentenaire pour la réduction des arbres à la hauteur déterminée par l’article 671 du code civil, n’est pas la date à laquelle les arbres ont été plantés, mais la date à laquelle ils ont dépassé la hauteur maximum permise» ( 3e civ. 8 déc. 1981).

2. Les plantations empiètent sur le fonds voisin

Il convient ici de distinguer le sort des plantations, du sort des fruits engendrés par les arbres.

==> Le sort des plantations

L’article 673, al.1er du Code civil dispose que « celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. »

L’alinéa 2 poursuit en prévoyant que « si ce sont les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même à la limite de la ligne séparative. »

Tout d’abord, il ressort de ceux deux premiers alinéas du texte que l’arbre, même planté à distance réglementaire, ne doit pas empiéter sur le fonds voisin.

Dans un arrêt du 2 février 1982, la Cour de cassation a précisé que ce texte « l’article 673 du code civil n’est pas applicable aux fonds séparés par un chemin prive dont l’usage commun par les riverains ne saurait être limite à la circulation et au passage » (Cass. 3e civ. 2 févr. 1982, n°81-12532).

Ensuite, il convient ici de distinguer selon que ce sont les branches de la plantation qui empiètent ou des racines, ronces et brindilles.

  • Les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux
    • Dans cette hypothèse, le propriétaire du fonds sur lequel il est empiété peut « contraindre» le propriétaire du fonds voisin à couper les branches qui empiètent.
    • Le choix des mots est ici important : l’emploi du terme contraindre signifie qu’il est interdit à la victime de l’empiétement de se faire justice elle-même ( Req. 19 janv. 1920)
    • Autrement dit, sauf exécution spontanément, il conviendra de saisir le juge qui aura seul pouvoir de « contraindre» le propriétaire des plantations à couper les branches qui dépassent.
    • Par ailleurs, il convient d’observer que la sanction consiste seulement à couper les branches des arbres qui avancent au-delà de la ligne séparative.
    • En aucun cas, il ne pourra donc être imposé au propriétaire des plantations de les arracher ou de les réduire dès lors qu’elles respectent la distance prescrite à l’article 671 du Code civil.
    • Par ailleurs, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 13 juin 2012 que « l’article 673 du code civil n’est pas d’ordre public et qu’il peut y être dérogé».
    • Aussi, a-t-elle validé le rejet par une Cour d’appel d’une demande d’élagage d’un pin parasol établi dans un lotissement après avoir relevé que le règlement « imposait le maintien et la protection des plantations quelles que soient leurs distances aux limites séparatives» ( 3e civ. 13 juin 2012, n°11-18791).
  • Les racines, ronces et brindilles
    • Dans cette hypothèse, l’article 672, al. 2e prévoit que le propriétaire du fonds qui fait l’objet d’un empiétement a le droit de les couper lui-même les racines, ronces et brindilles à la limite de la ligne séparative.
    • Ainsi, est-il autorisé à se faire justice lui-même.
    • Des auteurs avancent que ce pouvoir « s’explique pratiquement par le fait que le propriétaire du terrain peut, en creusant, couper involontairement des racines et ne saurait se le voir reprocher».[3]
    • Dans un arrêt du 6 avril 1965 la Cour de cassation a précisé que « le législateur n’a pas entendu, par les dispositions de l’article 673 du code civil, restreindre le droit à réparation du dommage réalise, mais, au contraire, assurer une protection plus efficace en instituant des mesures de prévention au profit des voisins» ( 1ère civ. 6 avr. 1965, n°61-11025).

Enfin, l’article 673 du Code civil pris en son alinéa 3 dispose que « le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux est imprescriptible. »

Cela signifie que le propriétaire du fonds voisin peut toujours agir, quand bien même les plantations empiéteraient sur son terrain depuis plus de trente ans.

C’est là une différence avec l’article 672 qui pose que lorsque la prescription trentenaire est acquise les plantations qui ne respectent pas la distance requise par rapport à la ligne séparative ne peuvent plus être arrachées ou réduites.

Dans un arrêt du 16 janvier 1991, la Cour de cassation est venue préciser que l’acquisition par un arbre en application de l’article 672 du Code civil du droit d’être maintenu en place et en vie, ne saurait justifier « une restriction au droit imprescriptible du propriétaire, sur le fonds duquel s’étendent les branches des arbres du voisin, de contraindre ce dernier à couper ces branches » (Cass. 3e civ. 16 janv. 1991, n°89-13698).

En outre, dans un arrêt du 17 juillet 1975 la troisième chambre civile a affirmé que « si celui sur la propriété de qui avancent les branches des arbres du voisin, tient de l’article 673 du code civil le droit imprescriptible d’en réclamer l’élagage, le non-exercice de cette faculté, en l’absence de convention expresse, constitue une tolérance qui ne saurait caractériser une servitude dont la charge s’aggraverait avec les années » (Cass. 3e civ. 17 juill. 1975, n°74-11217).

Autrement dit, il ressort de cette décision que l’inaction du propriétaire du fonds sur lequel il est empiété ne saurait avoir pour effet de créer une servitude à sa charge, sauf à ce qu’une convention soit conclue avec le propriétaire du fonds voisin.

==> Le sort des fruits tombés des arbres

L’article 673, al. 1er in fine dispose que « les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent. »

Ainsi le propriétaire du fonds sur lequel sont établies les plantations perd le droit sur les fruits produits dès lors qu’ils tombent sur le fonds voisin.

C) Les ouvertures sur le fonds voisin

Les servitudes qui intéressent les ouvertures sont régies aux articles 675 à 680 du Code civil qui relève d’une section consacrée aux « vues sur la propriété de son voisin ».

Ces dispositions visent à encadrer les ouvertures des immeubles établis sur un fonds, lesquelles sont susceptibles de porter atteinte à l’intimité et à la vie privée du propriétaire du fonds voisin.

Là encore, l’objectif recherché est de préserver la paix sociale en instaurant des règles qui encadrent très strictement la réalisation d’ouvertures dans les corps de bâtiment.

==> Domaine

Tout d’abord, il convient de préciser que ces dispositions n’ont vocation à s’appliquer qu’aux fonds contigus, soit à ceux qui se touchent (du latin contigus, « touchant »). Il est indifférent que les fonds soient situés en milieu urbain ou rural et qu’ils comportent ou non des constructions. Ils doivent seulement être contigus.

Dans un arrêt du 22 mars 1989, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les prescriptions relatives aux distances à respecter pour ouvrir des vues droites sur l’immeuble voisin ne concernent que les propriétés contiguës » (Cass. 3e civ. 22 mars 1989, n°87-16753).

Ensuite, lorsque lorsqu’une voie publique, s’interpose entre les deux fonds, les dispositions qui régissent les servitudes de vue ne sont pas applicables (V. en ce sens Cass. 3e civ. 28 sept. 2005, n°04-13942). Il importe peu que la distance qui sépare les fonds soit insignifiante, pourvu que ce soit le domaine public qui se dresse entre eux.

Dans un arrêt du 23 novembre 2017, la Cour de cassation a étendu cette solution à l’hypothèse où le terrain qui s’interposerait entre les deux fonds serait de nature privée, ou sans maître (Cass. 3e civ., 23 nov. 2017, n° 15-26240).

Cass. 3e civ., 23 nov. 2017
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 17 juin 2015), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 3 octobre 2012, pourvoi n° 11-13.152), que les consorts A... sont propriétaires d'une parcelle, voisine de celle de M. et Mme Y..., dont la propriété leur a été reconnue par un jugement du 11 janvier 2005 auquel la commune de [...] était intervenue volontairement ; que, soutenant que M. et Mme Y... avaient construit leur balcon et ouvert des vues sur leur parcelle, les consorts A... les ont assignés en démolition et remise en état ; que, sur tierce opposition de M. et Mme Y... au jugement du 11 janvier 2005, les consorts A... et la commune de [...] ont été jugés non propriétaires d'une bande de terrain située en bordure du fonds de M. et Mme Y... auxquels il a été enjoint de supprimer les vues ouvrant sur le fonds A... ;

[…]

Vu l'article 678 du code civil ;

Attendu que les distances prescrites par ce texte ne s'appliquent que lorsque les fonds sont contigus ;

Attendu que, pour condamner M. et Mme Y... à supprimer les vues ouvertes sur le fonds A..., l'arrêt retient que ni les consorts A... ni M. et Mme Y... ne sont propriétaires de la bande de terrain séparant leurs héritages ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ces motifs que les fonds A... et Y... n'étaient pas contigus, de sorte que peu importait l'usage commun de la bande de terrain, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Attendu que la cassation sur le moyen relevé d'office entraîne la cassation par voie de conséquence de la disposition rejetant la demande de dommages-intérêts formée par M. et Mme Y... ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts formée par les consorts A..., l'arrêt rendu le 17 juin 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Cette décision a manifestement opéré un revirement de jurisprudence. Jusqu’alors, la Cour de cassation considérait, en effet, que les prescriptions des articles 678 et 680 du Code civil, relatifs aux distances à observer pour l’établissement de vues droites sur le fonds voisin s’appliquaient lorsque le fonds dans lequel la vue a été établie était séparé du fonds sur lequel elle donne par un espace privé commun (V. en ce sens Cass. 3e civ. 14 janv. 2004, n°02-18.564).

Désormais, la position de la troisième chambre civile consiste à dire qu’il est indifférent que la bande de terrain qui sépare les deux fonds soit d’usage commun. Ce qui importe, c’est qu’ils soient contigus et donc que le terrain qui s’interpose entre eux soit la propriété de l’un ou l’autre propriétaire des fonds.

Lorsqu’ainsi, le chemin qui s’interpose est rattaché à l’un des deux fonds et quand bien même il serait utilisé par des habitants du village comme passage, il y a lieu de faire application du régime judiciaire des servitudes de vue (Cass. 3e civ. 5 avr. 2006, 05-12441).

Enfin, dans un arrêt du 14 mars 1973 la cour de cassation a affirmé au visa des articles 678 et 679 du Code civil que « les prescriptions de ces textes ne sont pas applicables au cas où le fonds ou la partie du fonds sur lequel s’exerce la vue droite ou oblique est déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d’une servitude de passage faisant obstacle à l’édification de constructions » (Cass. 3e civ. 14 mars 1973, n°72-10676).

Autrement dit, lorsqu’un fonds est grevé par une servitude de passage, le propriétaire du fonds dominant peut bénéficier d’une vue directe sur la partie du fonds voisin constitutive de l’assiette du passage.

Cette vue est, en effet, peu gênante pour le propriétaire du fonds servant qui, en raison de l’existence de la servitude de passage, ne peut d’ores et déjà pas édifier de constructions sur cette partie du terrain et n’en a pas la jouissance exclusive.

La question s’est alors posée de savoir si un tiers pouvait se dispenser, à l’instar du propriétaire du fonds dominant, de satisfaire les exigences de l’article 678, dans la mesure où le propriétaire du fonds servant ne pourra pas non plus être gêné en cas de création d’une vue sur sa partie du terrain grevé par la servitude de passage.

Dans un arrêt du 23 février 2005, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question. Elle a jugé que « l’exception au principe de l’interdiction prévue par l’article 678 du Code civil ne s’applique que lorsque le fonds sur lequel s’exerce la vue est grevé d’une servitude de passage au profit du fonds qui bénéficie de cette vue » (Cass. 3e civ. 23 févr. 2005, n°03-17156).

Cass. 3e civ. 23 févr. 2005
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 6 mai 2003), que M. X..., propriétaire d'un fonds jouxtant celui de Mme Y..., longé par un chemin appartenant à celle-ci, sur lequel le fonds d'un tiers bénéficie d'un droit de passage, a ouvert des vues droites sur le fonds de sa voisine ; que celle-ci l'a assigné en vue de leur suppression ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le condamner à remplacer les deux vues par un verre dormant, alors, selon le moyen, qu'on peut avoir des vues droites sur un fonds voisin, quand ce fonds est grevé d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions en bordure du fonds bénéficiant desdites vues, quand bien même cette servitude de passage existerait au profit d'un autre fonds ;

qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le chemin situé en bordure des fonds de M. X... et Mme Y... constituait l'assiette d'une servitude de passage au profit du fonds de Mme Z... ; qu'en obligeant M. X... à mettre en place un verre dormant, au motif erroné qu'on ne pourrait ouvrir des vues droites quand le fonds sur lequel elles s'exercent est grevé d'une servitude de passage au profit d'un autre fonds que celui bénéficiant desdites vues, la cour d'appel a violé l'article 678 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, à bon droit, que l'exception au principe de l'interdiction prévue par l'article 678 du Code civil ne s'applique que lorsque le fonds sur lequel s'exerce la vue est grevé d'une servitude de passage au profit du fonds qui bénéficie de cette vue et constaté qu'un chemin qui n'était pas ouvert au public, propriété de Mme Y..., longeait le fonds de M. X... et que la servitude de passage dont il était grevé ne bénéficiait pas à ce dernier, la cour d'appel en a exactement déduit que M. X... ne pouvait avoir des vues droites sur le fonds de Mme Y... ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Cette solution se justifie par le principe d’interprétation stricte des exceptions. La troisième chambre civile a, par ailleurs, souhaité ne pas alourdir la charge qui pèse déjà sur le propriétaire du fonds servant qui, non seulement supporte une servitude de passage sur son terrain, mais encore ne peut pas s’opposer à la création de vues par le propriétaire du fonds dominant sur la partie de son fonds grevé par la servitude.

Si l’on peut comprendre que le bénéficiaire d’une servitude de passage puisse avoir une vue sur le chemin qu’il utilise pour accéder à son terrain, il n’en va pas de même pour les tiers qui n’ont n’y ont pas accès et qui donc n’ont aucune raison de savoir ce qu’il s’y passe.

==> Notions

Il s’évince des articles 675 à 680 du Code civil qu’il y a lieu de distinguer deux sortes d’ouvertures : les jours et les vues

  • Les jours
    • Les jours, qualifiés également de jours de tolérance ou de souffrance, se définissent comme des ouvertures à verre dormant, soit qui ne peuvent pas s’ouvrir et dont la seule fonction est de laisser passer la lumière à l’exclusion de l’air.
    • Les jours peuvent donner soit sur la voie publique, soit sur le fonds d’un propriétaire privé.
    • Parce que les jours ne le laissent pas passer le regard, à tout le moins difficilement, les règles qui les encadrent sont plus souples que celles qui régissent les vues.
  • Les vues
    • Les vues se définissent comme des ouvertures qui, à la différence des jours, tout en laissant passer la lumière, peuvent s’ouvrir, de sorte qu’elles permettent de regarder sur l’extérieur.
    • Les vues ne sont autres que les fenêtres, portes, balcons, terrasses, belvédères etc.
    • Elles peuvent être droites ou obliques
      • Vues droites (directes), c’est lorsqu’elles sont ouvertes dans un mur parallèle à la ligne de séparation des deux fonds : elles permettent de regarder directement chez le voisin sans fournir aucun effort
      • Vues obliques (indirectes), c’est lorsqu’elles sont ouvertes dans un mur non parallèle à la ligne séparatrice : elles exigent de se pencher pour regarder chez le voisin, soit de se contorsionner.
    • Par nature, elles permettent de facilement porter atteinte à l’intimité du voisinage puisque laissant passer le regard.
    • Aussi, la création de vues est très encadrée, bien plus que les jours, car il s’agit de préserver la vie privée du propriétaire du fonds voisin.

==> Régime juridique

Selon que l’ouverture consiste en un jour ou en une vue le régime juridique applicable diffère. La raison en est que l’atteinte à l’intimité est bien plus grande en cas de création d’une vue.

En outre, il ressort des articles 675 à 680 du Code de civil que, en tout état de cause, il y a lieu de distinguer selon que l’ouverture est percée sur un mur mitoyen ou selon qu’elle est percée sur un mur non mitoyen.

  1. L’ouverture est percée sur un mur mitoyen

==> Principe

L’article 675 du Code civil dispose que « l’un des voisins ne peut, sans le consentement de l’autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant. »

Lorsqu’ainsi, les deux fonds contigus sont séparés par un mur mitoyen, il est fait interdiction aux propriétaires de percer des ouvertures, quelle que soit leur nature.

Tant la création de jours, que de vues suppose l’obtenir l’accord du propriétaire du fonds voisin. Pour mémoire, le mur mitoyen est celui qui est détenu en copropriété par les propriétaires de deux fonds contigus et qui, ensemble, exercent des droits (ex. appui d’un bâtiment) et supportent des charges (entretien) soumis à un régime spécial pour leur acquisition et leur preuve.

C’est l’existence de cette copropriété entre voisins qui fait obstacle à la possibilité de percer des ouvertures à discrétion. Admettre le contraire, reviendrait à empêcher, en cas d’ouverture, l’un des propriétaires à exercer son droit d’appuyer une construction ou des plantations sur le mur mitoyen.

Or l’article 657 du Code civil prévoit que « tout copropriétaire peut faire bâtir contre un mur mitoyen, et y faire placer des poutres ou solives dans toute l’épaisseur du mur, à cinquante-quatre millimètres près, sans préjudice du droit qu’a le voisin de faire réduire à l’ébauchoir la poutre jusqu’à la moitié du mur, dans le cas où il voudrait lui-même asseoir des poutres dans le même lieu, ou y adosser une cheminée. »

Afin de préserver les droits des copropriétaires d’un mur mitoyen, il a donc été posé un principe général d’interdiction de création d’ouverture dans cette catégorie de murs.

Le non-respect de cette interdiction s’apparenterait à un empiétement sanctionné alors par la suppression de l’ouverture réalisée (V. en ce sens Cass. 3e civ. 25 mars 2015, n°13-28137).

Cass. 3e civ. 25 mars 2015
Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu l'article 675 du code civil ;

Attendu que l'un des voisins ne peut, sans le consentement de l'autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 11 mars 2013), que M. et Mme Y... ont fait édifier à la bordure de leur fonds et de celui de leur voisin, M. X..., un mur dans lequel ils ont intégré un dispositif d'ouverture consistant en deux châssis basculants et comportant une ventilation ; que M. X..., se fondant sur le caractère mitoyen de ce mur les a assignés en suppression de ce dispositif ;

Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que le mur est mitoyen mais que l'installation de M. et Mme Y... garantit une discrétion suffisante ;

Qu'en statuant ainsi, tout en constatant que l'installation constituée de châssis basculants réalisait une ouverture prohibée par l'article 675 du code civil, la cour d'appel a violé ce texte ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi incident qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de suppression d'ouvertures de M. X..., l'arrêt rendu le 11 mars 2013 entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Riom autrement composée ;

==> Exceptions

Le principe d’interdiction de percement d’une ouverture dans un mur mitoyen est assorti de plusieurs exceptions :

  • Tout d’abord, l’article 675 autorise la création d’une ouverture dans un mur mitoyen en cas d’accord entre les copropriétaires.
  • Ensuite, la jurisprudence a considéré dans un arrêt du 10 avril 1975 que « l’ouverture pratiquée dans un mur mitoyen, contrairement à la prohibition établie par l’article 675 du code civil, [était] susceptible d’être acquise par prescription lorsqu’elle ne constitue pas un simple jour mais une servitude de vue» ( 3e civ. 10 avr. 1975, n°73-14136).
  • Enfin, il a été jugé qu’un assemblage de carreaux en verre épais et non transparent disposé dans la clôture séparative de deux fonds, qui ne laisse passer que la lumière et non le regard, n’est ni une vue, ni un jour, mais une simple paroi de mur qui échappe à la réglementation des vues et des jours ( 1ère civ 26 novembre 1964)

En dehors de ces cas, le percement d’une ouverture dans un mur mitoyen demeure strictement interdit, sous peine de remise en état du mur (Cass. 3e civ. 10 juill. 1996, n°94-16357).

2. L’ouverture est percée sur un mur non-mitoyen

Lorsque le mur est non-mitoyen, soit lorsqu’il n’est pas détenu en copropriété par les propriétaires des fonds contigus, mais seulement pas l’un d’eux – on parle alors de mur privatif – il convient de distinguer selon que ce mur joint immédiatement l’héritage d’autrui ou selon qu’il est en retrait.

2.1 Le mur privatif joint immédiatement le fonds voisin

==> Principe

L’article 676 du Code civil dispose que « le propriétaire d’un mur non mitoyen, joignant immédiatement l’héritage d’autrui, peut pratiquer dans ce mur des jours ou fenêtres à fer maillé et verre dormant. »

Le premier enseignement qui ressort de cette disposition est que lorsque le mur privatif joint immédiatement le fonds voisin, seul le percement de jours de souffrances est autorisé, à l’exclusion de toute autre ouverture.

Le percement d’une vue, quand bien même elle serait faite dans un mur privatif est interdit, la règle se justifiant par la protection de l’intimité du propriétaire du fonds voisin.

Le second enseignement qui peut être retiré de ce texte est que le percement de jours dans un mur non mitoyen est strictement encadré.

==> Conditions

Deux conditions doivent être réunies pour qu’un jour de souffrance puisse être pratiqué dans un mur privatif :

  • Première condition
    • L’article 676, al. 2e dispose que lorsqu’un jour est pratiqué sur un mur privatif les « fenêtres doivent être garnies d’un treillis de fer dont les mailles auront un décimètre (environ trois pouces huit lignes) d’ouverture au plus et d’un châssis à verre dormant. »
    • La fenêtre doit ainsi être posée sur un châssis fixe qui ne permet donc pas son ouverture.
    • Il s’agit ici limiter autant que possible les atteintes qui pourraient être portées à la quiétude du fonds voisin
  • Seconde condition
    • L’article 677 du Code civil prévoit que les fenêtres ou jours « ne peuvent être établis qu’à vingt-six décimètres (huit pieds) au-dessus du plancher ou sol de la chambre qu’on veut éclairer, si c’est à rez-de-chaussée, et à dix-neuf décimètres (six pieds) au-dessus du plancher pour les étages supérieurs».
    • En imposant que les ouvertures soient situées à des hauteurs relativement hautes par rapport au plancher, (2.60 m pour le rez-de-chaussée et 1.90 m pour les étages supérieurs), cela permet d’empêcher, à tout le moins de limiter, les regards indiscrets sur le fonds voisin.
    • S’agissant du calcul de la hauteur, c’est toujours à partir du sol que le jour éclaire qu’elle se calcule.
    • Lorsqu’il s’agit d’un escalier, il convient de prendre pour référence chaque marche prise une à une
    • Dans un arrêt remarqué rendu le 27 mai 2009, la Cour de cassation est venue préciser que, en cas d’opacité des jours percés dans le mur, leur positionnement importait peu.
    • Aussi, a-t-elle validé la décision prise par une Cour d’appel qui après avoir relevé que les jours litigieux, garnis d’un treillis métallique et d’un châssis fixe sur lequel était monté un matériau translucide mais opaque, qui ne faisaient qu’éclairer l’immeuble dans lequel ils étaient pratiqués, offraient au fonds servant des garanties de discrétion suffisante en a déduit qu’il n’y avait pas à s’assurer de leur hauteur par rapport au plancher ( 3e civ. 27 mai 2009, n°08-12819).

Dans une affaire jugée en date du 2 novembre 2011, les requérants avançaient, au soutien d’une demande du QPC, que les dispositions des articles 676 et 677 du Code civil, réglementant les jours susceptibles d’être pratiqués dans un mur non mitoyen joignant immédiatement le fonds voisin, portaient atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

La Cour de cassation les a déboutés de leur demande au motif que la question posée ne présentait pas un caractère sérieux dès lors que les dispositions législatives en cause, qui n’ont ni pour objet ni pour effet de priver le propriétaire du mur de son droit de propriété, mais seulement d’en restreindre l’exercice, tendent à assurer des relations de bon voisinage par l’édiction de règles de construction proportionnées à cet objectif d’intérêt général (Cass. 3e civ., 2 nov. 2011, n° 11-15.428 QPC).

==> Sanction

Il est admis que lorsqu’une ouverture est irrégulièrement percée dans un mur privatif, le propriétaire du fonds voisin peut en exiger la suppression ou la mise en conformité avec les prescriptions posées aux articles 676 et 677 du Code civil (V. en ce sens Cass. 3e civ., 3 juill. 1973).

La Cour de cassation a néanmoins précisé dans un arrêt du 7 avril 2004 s’agissant des jours que « le fait de pratiquer un jour dans un mur joignant immédiatement l’héritage d’autrui ne fait pas naître à la charge de cet héritage une servitude et n’entraîne pour son propriétaire aucune restriction à son droit de propriété, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (Cass. 3e civ., 7 avr. 2004, n° 02-20502).

Il en résulte que rien n’interdit le propriétaire du fonds voisin d’édifier en limite séparative une construction qui obstruait le jour percé empêchant ainsi la lumière d’éclairer à la pièce à la faveur de laquelle l’ouverture a été créée.

Lorsque, en revanche, l’ouverture percée est une vue et non un jour de souffrance, ce qui est interdit lorsqu’il s’agit d’un mur qui joint immédiatement le fonds voisin, la Cour de cassation admet que l’auteur de l’ouverture puisse se prévaloir d’une acquisition de la servitude par prescription si le propriétaire n’a pas contesté la construction pendant une durée de trente ans (Cass. 3e civ., 7 avr. 2004, n° 02-20502)

2.2 Le mur privatif est en retrait du fonds voisin

==> Principe

Dans l’hypothèse où le mur privatif est en retrait du fonds voisin, il est permis de pratiquer dans ces murs, tout autant des jours que des vues.

Si le percement de jours ne comporte ici aucune restriction, il n’en va pas de même pour les vues qui font l’objet d’un encadrement strict.

Lorsqu’il s’agit donc de pratiquer une vue dans un mur privatif en retrait, il convient de distinguer selon que cette vue est droite ou oblique afin de déterminer la distance qui doit être observée entre le mur et la ligne séparative du fonds voisin.

  • S’agissant des vues droites
    • L’article 678 du Code civil prévoit que « on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d’aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l’héritage clos ou non clos de son voisin, s’il n’y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s’exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d’une servitude de passage faisant obstacle à l’édification de constructions. »
    • Il ressort de cette disposition que lorsque l’ouverture consiste en une vue droite, la distance minimale à observer est de 1,90 m.
    • La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 29 novembre 1983 que « les termes de l’article 678 du code civil ne sont point limitatifs, qu’ils s’appliquent non seulement aux fenêtres et balcons, mais aussi aux terrasses, plates-formes ou autres exhaussements de terrain d’où l’on peut exercer une servitude de vue sur le fonds voisin» ( 3e civ. 29 nov. 1983, n°82-14155).
  • S’agissant des vues obliques
    • L’article 679 du Code civil prévoit que « on ne peut, sous la même réserve, avoir des vues par côté ou obliques sur le même héritage, s’il n’y a six décimètres de distance.»
    • La distance à observer entre le mur et la ligne séparative est ici de 0.60 m.

La différence de traitement entre les vues droites et les vues obliques se justifie par l’intensité des nuisances susceptibles d’être engendrées qui varie de l’une à l’autre.

Tandis que la vue droite permet de très facilement regarder sur le fonds voisin, la vue oblique exige l’accomplissement d’un effort particulier pour y parvenir.

Ainsi l’intimité du propriétaire du fonds voisin est bien mieux préservée dans le second cas, d’où la réduction de la distance devant être observée à 0.60 m au lieu de 1.90 pour les vues droites.

==> Mise en œuvre

S’agissant du calcul de la distance, il convient de se référer aux indications prescrites par l’article 680 du Code civil qui prévoit que « la distance dont il est parlé dans les deux articles précédents se compte depuis le parement extérieur du mur où l’ouverture se fait, et, s’il y a balcons ou autres semblables saillies, depuis leur ligne extérieure jusqu’à la ligne de séparation des deux propriétés. »

Ainsi, pour les vues droites le point de référence, c’est le parement du mur et non l’aplomb de l’ouverture. Pour les vues obliques, en revanche, il est admis que la distance doive être calculée à partir de l’arrête de l’ouverture la plus proche de la ligne séparatrice.

Lorsque les deux fonds sont séparés par un mur ou une clôture, le calcul de la distance se fait à partir du parement de l’ouverture jusque :

  • Soit au parement du mur ou de la clôture qui borde le fond voisin s’ils sont privatifs
  • Soit au milieu du mur ou de la clôture s’ils sont mitoyens

Lorsque, en revanche, les deux fonds sont séparés par un espace, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 12 avril 1972 que « quelle que soit sa qualification : passage, ruelle, chemin d’exploitation, cour, etc, affecte a un usage commun aux deux fonds, la distance légale pour l’établissement des vues droites se compte depuis la limite du fonds voisin situe non pas au milieu de l’espace commun, mais de l’autre cote de ladite voie » (Cass. 12 avr. 1972, n°70-13213).

==> Prescription

À la différence des jours qui constituent des actes de tolérance, les vues sont éligibles au jeu de la prescription acquisitive.

La raison en est qu’elles sont constitutives de servitudes continues et apparentes. Or en application de l’article 690 du Code civil elles « s’acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans. »

Lorsqu’ainsi, l’ouverture a été percée il y a plus de trente ans, son bénéficiaire est fondé à se prévaloir de l’acquisition d’une servitude de vue sur le fonds voisin (Cass. 3e civ. 21 juin 1981).

Pour que la prescription acquisitive puisse jouer encore faudra-t-il démontrer que la vue était apparente et que son existence ne pouvait pas être ignorée du propriétaire du fonds voisin (Cass. 3e civ. 17 mars 1972).

Surtout, il convient de préciser que le jeu de cette prescription n’intéresse que les ouvertures irrégulières, soit celles percées en violation des règles prescrites par les articles 678 et 679 du Code civil (V. en ce sens Cass. 3e civ., 8 déc. 1976).

Lorsque, en effet, l’ouverture est régulière, soit répond aux distances requises, elle ne sera jamais regardée comme une servitude grevant le fonds voisin, mais seulement comme l’exercice du droit de propriété de son bénéficiaire.

La conséquence en est que le propriétaire du fonds sur lequel s’exerce la vue est autorisé à édifier une construction en limite de fonds, ce, quand bien même cette construction obstruait la vue percée régulièrement.

Lorsque, en revanche, l’ouverture est irrégulière et que, par le jeu de la prescription, elle s’est transformée en une servitude grevant le fonds voisin, elle emporte des effets radicalement différents.

En effet, non seulement, le propriétaire du fonds servant ne peut pas solliciter la suppression ou la modification de l’ouverture irrégulièrement percée (Cass. 3e civ. 10 avr. 1975), mais encore il lui est fait interdiction d’édifier une construction à une distance inférieure à celle requise pour les vues droites ou obliques (Cass. 3e civ., 8 juill. 2009, n°08-17639).

==> Sanction

Lorsque l’ouverture est pratiquée en violation des prescriptions légales, le propriétaire du fonds voisin est fondé à solliciter sa suppression ou sa modification (Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n° 15-20899).

Si les juridictions ne disposent du pouvoir de substituer à la démolition l’allocation de dommages et intérêts (Cass. 1ère civ. 4 mai 1964), ils peuvent néanmoins ordonner l’adoption d’une mesure alternative, telle que la transformation d’une vue en jour de souffrance ou en la pose de cloisons translucides (Cass. 3e civ., 26 févr. 1974).

II) Les servitudes unilatérales

Les servitudes unilatérales se caractérisent par l’absence de réciprocité de la charge qui pèse le propriétaire d’un fonds.

Surtout, à la différence de la servitude réciproque, la servitude unilatérale donne lieu à une indemnisation du propriétaire du fonds servant. Son préjudice n’est, en effet, pas compensé par la réciprocité de la charge qui pèse sur lui.

Aussi, une indemnité est due par le propriétaire du fonds dominant, dont la propriété est valorisée par l’existence d’une telle servitude constituée à son profit.

L’illustration même de la servitude unilatérale, c’est la servitude de passage qui est une servitude positive puisqu’elle autorise le propriétaire du fonds dominant à accomplir un acte sur le fonds servant (passage, puisage etc.), à la différence des servitudes négatives qui exigent du propriétaire du fonds servant une abstention.

Cette servitude légale est régie aux articles 682 à 685-1 du Code civil, étant précisé qu’elle n’est envisagée qu’en cas d’enclave du fonds. L’une des principales difficultés consistera ainsi à définir ce qu’est un fonds enclavé, puisque c’est ce qui déterminera la constitution d’une servitude de passage.

A) Constitution de la servitude

L’article 682 du Code civil prévoit que « le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner. »

Ainsi, en cas de situation d’enclave d’un fonds, soit sans issue sur la voie publique, la loi confère à son propriétaire le droit d’exiger l’établissement d’un passage sur le fonds voisin.

L’objectif recherché ici par le législateur est de permettre l’exploitation du fonds conformément à sa destination. Sans accès à la voie publique, l’exercice du droit de propriété sur le fonds est, en effet, pour le moins limité, sinon illusoire.

Aussi, afin que le fonds enclavé puisse être exploité et puisse arborer une certaine valeur marchande dans une logique de circulation économique des biens une servitude légale est consentie au propriétaire.

L’exercice de cette servitude – de passage – est néanmoins subordonné à la réunion de plusieurs conditions, à commencer par l’existence d’une situation d’enclave.

Cette situation doit, par ailleurs, ne peut être le fait du propriétaire du fonds enclavé faute de quoi il ne pourra se prévaloir d’aucun droit de passage sur le fonds voisin.

  1. Principe

1.1 Les conditions tenant à la configuration du fonds

Il ressort de l’article 682 du Code civil que pour que puisse être constituée une servitude de passage :

  • D’une part, le fonds doit être enclavé
  • D’autre part, un besoin d’exploitation du fonds doit exister

a) Un fonds enclavé

Première condition exigée pour qu’une servitude de passage puisse être constituée, le propriétaire qui s’en prévaut doit justifier de l’état d’enclave de son fonds.

Cette condition ressort expressément de l’article 682 du Code civil qui définit le fonds enclavé comme celui qui ne comporte, soit aucune issue, soit qu’un accès réduit et insuffisant à la voie publique.

La situation d’enclave se caractérise ainsi par la réunion de deux éléments cumulatifs

  • L’absence ou l’insuffisance d’accès à une voie
  • L’absence de voie ouverture au public

a.1. L’absence ou l’insuffisance d’accès à une voie

==> L’absence d’issue sur la voie publique

L’article 682 du Code civil prévoit que le fonds enclavé est d’abord celui « qui n’a sur la voie publique aucune issue »

À l’examen, cette absence d’issue peut tenir, soit à l’impossibilité physique s’accéder au fonds, soit à une impossibilité juridique.

  • L’impossibilité matérielle d’accéder au fond
    • Critère physique
      • La situation d’enclave d’un fonds est le plus souvent liée à la configuration des lieux qui rendent sont accès impossible.
      • Cette situation se rencontrera lorsque le fonds est entouré par des terres qui appartiennent à d’autres propriétaires.
      • Il a par exemple été jugé dans un arrêt du 30 janvier 1884 rendu par la Cour de cassation que l’état d’enclave était caractérisé lorsque le fonds était séparé de la voie publique par un talus dont la pense rendait impossible le passage des chevaux et des bestiaux affectés à son exploitation ( req. 30 janv. 1884).
      • Plus généralement, cet état d’enclave est établi lorsqu’il est physiquement impossible d’aménager un accès à la voie publique, en raison du relief, de la position du fonds, ou de la configuration des lieux.
      • Il convient enfin d’observer que l’état d’enclave s’apprécie globalement, soit en considération de l’ensemble des parcelles contiguës susceptibles d’être détenus par un même propriétaire et constituant un même fonds.
      • En effet, La servitude de passage est réservée à celui dont le fonds est enclavé, et n’est pas applicable dès lors que seulement l’une des parcelles qui compose le fonds est enclavée.
      • La demande en reconnaissance de servitude de passage est par conséquent infondée dès lors que le fonds est constitué de plusieurs parcelles contiguës dont l’une dispose d’un accès à la voie publique, le propriétaire de ce fonds devant faire son affaire de l’enclavement de l’autre parcelle (CA Douai, 1re ch., 2e sect., 25 janv. 2018, n° 17/02067).
    • Critère économique
      • Afin d’apprécier le caractère enclavé d’un terrain, les juridictions tiennent compte du coût des travaux à réaliser pour établir une communication avec la voie publique.
      • Dans un arrêt du 4 juin 1971 la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’état d’enclave était établi lorsque les chemins ruraux permettant d’accéder au fonds sont impraticables et que leur remise en état engendrerait une dépense excessive « qui serait hors de proportion avec l’usage qui en serait fait et la valeur de la propriété» ( 3e civ. 4 juin 1971, n°70-11857).
      • Les juges refuseront, en revanche, de considérer qu’un fonds est enclavé lorsqu’il est possible de le rendre accessible en mettant en œuvre des moyens normaux et raisonnables.
      • Ainsi, les juridictions doivent-elles vérifier si le propriétaire du fonds enclavé ne dispose pas d’une solution de nature à remédier à l’absence d’issue ( 3e civ., 12 juill. 2018, n° 17-18488).
      • Dans un arrêt du 8 juillet 2009, la Cour de cassation a par exemple reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « comme il le lui était demandé, s’il suffisait à Mme X… de réaliser sur ses parcelles des travaux permettant un accès à la voie publique dont le coût ne serait pas disproportionné par rapport à la valeur de son fonds» ( 3e civ. 8 juill. 2009, n°08-11745).
      • La troisième chambre civile a néanmoins précisé dans un arrêt du 8 avril 1999, qu’il n’appartient pas au juge de procéder d’office à cette recherche tenant à la disproportion du coût des travaux à réaliser pour désenclaver le fonds ( 3e civ. 8 avr. 1999, n°97-11716).
      • Ce moyen doit être soulevé par les parties, faute de quoi le juge ne pourra pas tenir compte du critère économique pour déterminer si le fonds est enclavé.
  • L’impossibilité juridique d’accéder au fonds
    • La situation d’enclave d’un terrain ne tient pas seulement à la configuration physique des lieux, elle peut également procéder de contraintes juridiques.
    • Tel sera le cas lorsque l’accès à la voie publique est interdit, soit par une règle juridique, soit par une décision prise par une autorité compétente.
    • Dans un arrêt du 14 janvier 2016, la Cour de cassation a, par exemple, admis l’état d’enclave juridique d’un fonds, au motif que « le certificat d’urbanisme interdisait tout accès direct depuis la route départementale 183 au fonds de la SCI»
    • Or dans la mesure où cette dernière « ne pouvait se voir contrainte à exercer un recours à l’encontre de cet acte […] le fonds concerné était enclavé et devait bénéficier d’une servitude légale de passage» ( 3e civ. 14 janv. 2016, n°14-26640).
    • Dans un arrêt du 8 octobre 1985, la troisième chambre civile a précisé qu’il ne suffit pas que l’accès à la voie publique soit subordonné à l’obtention d’une autorisation administrative, encore faut-il que la demande d’autorisation soit valablement refusée ( 3e civ. 8 oct. 1985, n°84-12213).

==> L’insuffisance de l’issue sur la voie publique

La situation d’enclave d’un fonds est caractérisée, non seulement lorsque celui-ci ne comporte aucune issue, mais encore lorsque l’accès qui le relie à la voie publique est insuffisant.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la notion d’« issue insuffisance » visée par l’article 682 du Code civil.

À l’examen, cette insuffisance d’accès est appréciée, selon la formule de la Cour de cassation, en considération « de l’état des lieux et des communications nécessaires à l’utilisation normale du fonds dominant, compte tenu de sa destination » (Cass. 1ère civ. 8 mars 1965, n°63-11698).

En la matière les juges du fond sont investis d’un pouvoir souverain d’appréciation, la Cour de cassation se limitant à un contrôle restreint de la motivation (Cass. 3e civ., 27 oct. 2004, n° 03-15151).

L’insuffisance d’accès justifiant la constitution d’une servitude de passage résultera le plus souvent de la configuration des lieux.

Tel est le cas notamment lorsque l’accès qui relie le fonds à la voie publique est :

  • Soit trop étroit, de telle sorte qu’il ne peut pas être emprunté en voiture ou qu’il n’est pas possible de faire passer des véhicules utilitaires ou des engins agricoles (V. en ce sens 3e civ., 16 mars 2017, 15-28551).
  • Soit trop dangereux, en ce sens que son utilisation fait courir un risque au propriétaire car supposant, par exemple, d’emprunter une voie d’eau, de longer une falaise ou encore d’utiliser un chemin escarpé en proie aux éboulements ( req., 31 juill. 1844).

En revanche, l’état d’enclave sera refusé :

  • Soit en cas de possibilité d’aménagement de l’accès
    • Lorsque des travaux dont le coût n’est pas excessif eu égard la valeur du fonds peuvent être réalisés afin d’aménager un accès à la voie publique, le terrain ne sera pas considéré comme enclavé ( 3e civ., 11 févr. 1975, n° 73-13974).
    • Ainsi, lorsque les obstacles qui limitent l’accès peuvent être facilement supprimés au moyen d’aménagement peu coût, le propriétaire du fonds ne sera pas fondé à réclamer la constitution d’une servitude.
    • Il ne faut toutefois pas que le coût des travaux à réaliser soit hors de proportion avec l’usage qui sera fait du fonds et la valeur de la propriété.
    • C’est donc sur la base d’un critère économique qu’il pourra être déterminé si un aménagement de l’accès à la charge du propriétaire du fonds est envisageable dans des conditions raisonnables.
  • Soit en cas de simple commodité
    • Un terrain ne sera pas considéré comme enclavé lorsque l’insuffisance d’accès dont se prévaut le propriétaire du fonds procède d’une simple commodité personnelle, en ce sens que la constitution de la servitude n’est pas indispensable à l’usage normal du fonds ( 3e civ. 24 juin 2008, n°07-15944).
    • Tel sera le cas lorsque le fonds dispose déjà d’un accès à la voie publique et que son propriétaire cherche à réduire son temps de trajet pour y accéder (CA Nîmes, 2e ch. civ., A, 6 oct. 2016, n° 14/04909)
    • Si dès lors il existe un passage suffisant pour accéder au fonds, la demande de désenclavement ne pourra pas prospérer, les juridictions considérant qu’elle relève de la simple commodité ainsi que de la convenance personnelle.
    • La constitution d’une servitude de passage est une atteinte significative au droit de propriété
    • Aussi, ne doit-elle être admise que lorsqu’il est démontré qu’elle est indispensable et que le propriétaire du fonds ne dispose d’aucune alternative raisonnable pour y accéder.

a.2. L’existence d’une voie ouverte au public

L’état d’enclave suppose, outre la difficulté d’accès au fonds, l’absence d’issue sur la voie publique.

La notion de « voie publique » doit être entendue de façon extensive, en ce sens qu’il faut l’envisager, non pas sous l’angle du droit public – ce qui exclurait les voies privées –, mais la comprendre dans une acception générale.

Par « voie publique », il faut ainsi plutôt comprendre voie « ouverte au public » ou « affectée à l’usage du public ».

Il suffit pour s’en convaincre de tourner le regard vers un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 13 mai 2009 (Cass. 3e civ. 13 mai 2009, n°08-14640).

Dans cette affaire, une Cour d’appel avait admis la constitution d’une servitude de passage considérant que le fonds bénéficiaire était seulement desservi par des voies privées et non par une voie publique.

La Cour de cassation censure cette décision au motif que les juges du fonds auraient dû rechercher si les parcelles étaient ouvertes au public et permettaient à leur propriétaire d’accéder à son fonds.

Le statut de la voie par laquelle est desservi le fonds est ainsi sans incidence sur la qualification d’enclave. Il est indifférent que cette voie relève du domaine privé ou qu’elle soit détenue à titre privatif.

Seul importe qu’elle soit ouverte au public et que, par conséquent, elle puisse être empruntée par le propriétaire du fonds qui se prévaut d’une situation d’enclave.

Au nombre des voies affectées à l’usage du public figurent les voies terrestres mais également les voies d’eau, pourvu qu’elles constituent les moyens normaux de communication, de transport et d’exploitation des terrains qui les bordent.

Dès lors que la voie est interdite d’accès au public et qu’elle représente la seule issue pour un fonds, la situation d’enclave sera établie (CA Nancy, 1re ch. civ., 9 déc. 2008).

b) Le besoin d’exploitation du fonds

==> Utilisation normale du fonds

Pour que l’état d’enclave soit caractérisé, il ne suffit pas d’établir l’absence ou l’insuffisance d’issue stricto sensu, il faut encore démontrer que la difficulté d’accès empêche l’exploitation du fonds et plus précisément son utilisation normale.

C’est là le sens de l’article 682 du Code civil qui précise qu’il y a enclave si l’issue est insuffisante pour la desserte complète du fonds dans lequel est exercée une activité agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété ou sur lequel sont susceptibles d’être réalisées des opérations de construction ou de lotissement.

Selon le Doyen Cornu, « l’état d’enclave est toujours apprécié par rapport à une situation d’activité. ». Autrement dit, la desserte doit toujours s’apprécier en fonction de l’exploitation de la parcelle enclavée et des moyens nécessaires à celle-ci, étant précisé que cette desserte doit être complète (Cass. 3e civ., 23 nov. 2017, n ° 16-22841).

Alors que l’article 682 du Code civil ne vise que des activités professionnelles comme susceptibles de justifier l’état d’enclave, la Cour de cassation considère que la notion d’exploitation doit être entendue largement, ce qui signifie que la constitution d’une servitude de passage peut être sollicitée pour n’importe quel besoin d’exploitation du fonds (V. en ce sens Cass. req., 7 mai 1879).

Ainsi, pour la Cour de cassation, « le droit, pour le propriétaire d’une parcelle enclavée, de réclamer un passage sur les fonds de ses voisins, conformément aux dispositions de l’article 682 du code civil, est fonction non de l’existence d’une exploitation agricole ou industrielle, au sens étroit de ces termes, mais de l’utilisation normale du fonds, quelle qu’en soit la destination » (Cass. 1ère civ. 2 mai 1961).

Dans le même sens, la Cour de cassation rappelle régulièrement, sous la même formulation, que l’article 682 du Code civil ne distingue pas « entre les divers modes d’exploitation dont peut être l’objet le fonds dominant » (Cass. 3e civ. 7 avr. 1994, n°89-20964 ; Cass. 3e civ. 2 juin 1999, n°96-21594).

La Cour de cassation a ainsi admis qu’un fonds était enclavé, car l’exploitation d’un cinéma exigeait la création d’une issue de secours (Cass. 3e civ. 5 mars 1974). Elle a statué dans le même sens dans les situations suivantes :

  • Besoin de la création d’un passage qui puisse être emprunté par un véhicule, compte tenu des conditions actuelles de la vie et de la nécessité de permettre un secours rapide en cas d’incendie ( 3e civ. 28 oct. 1974).
  • Besoin de la création d’un passage qui puisse être emprunté par des machines agricoles pour les besoins d’exploitation du fonds ( 3e civ. 9 mars 1976)
  • Besoin de la création d’un passage pour que la clientèle d’un hôtel puisse y accéder au moyen d’un véhicule (CA Chambéry, 2e ch., 11 oct. 2005, n° 04/01893).
  • Besoin de la création d’un passage en raison de la construction d’un grand ensemble immobilier, le fonds bénéficiaire étant insuffisamment desservi pour la réalisation de cette opération ( 3e civ. 29 avr. 1981).

Ce qui devra être démontré par le propriétaire du fonds qui se prévaut d’un droit de passage sur le fonds voisin, c’est que sans la constitution de la servitude il ne peut pas faire un usage normal de son fonds.

L’appréciation des besoins d’utilisation normale du fonds sera appréciée objectivement par le juge qui vérifiera si le besoin exprimé est réel et réalisable.

Si, en effet, il s’agit de solliciter un droit de passage en prétextant qu’il a vocation à permettre la réalisation d’une opération immobilière, alors que le terrain ne se situe pas sur une zone constructible, la demande sera rejetée par le juge (CA Aix-en-Provence, 4e ch., A, 2 juill. 2015, n° 14/17422).

==> Changement de destination

S’agissant du changement de destination du fonds, la Cour de cassation considère qu’il ne s’agit pas d’un obstacle à la constitution d’une servitude de passage (V. en ce sens Cass. req. 7 mai 1879).

Dans un arrêt du 4 octobre 2000, la troisième chambre civile a, par exemple, confirmé la décision d’une Cour d’appel qui avait admis que le changement de destination d’un terrain puisse justifier l’octroi d’un droit de passage à son propriétaire sur le fonds voisin.

Les juges du fonds avaient constaté que « le terrain des consorts X…, précédemment à vocation agricole et forestière, avait été classé en zone constructible du plan d’occupation des sols (POS) modifié de la commune, que l’autorisation de bâtir avait cependant été refusée en 1995 en raison de ce que le projet ne comportait qu’un accès unique, générateur d’insécurité dans l’usage de la voie publique, et relevé que l’opération de lotissement envisagée constituait une utilisation normale du fonds »

Prenant ensuite considération « les exigences du POS en la matière et les nécessités de circulation découlant de la vocation nouvelle du fonds des consorts X… à être loti », ils en déduisent que « les passages existants, reliant les terrains des demandeurs à la voie publique à travers ceux de la SICA, tels que résultant de servitudes conventionnelles, n’assuraient pas une desserte suffisante du futur lotissement, et que celui-ci se trouvait donc en état d’enclave » (Cass. 3e civ. 4 oct. 2000, n°98-12284).

Il est donc indifférent que la demande de droit de passage soit fondée sur le changement de destination du fonds dont l’exploitation qui était antérieurement à vocation agricole, est devenue industrielle.

Ce qui importe c’est que la nouvelle exploitation corresponde à une utilisation normale et légitime du fonds (CA Chambéry, 6 févr. 1951).

Dans un arrêt du 25 juin 1997, la Cour de cassation a affirmé que le changement de destination du fonds ne devait pas être confondu avec la situation de l’enclave volontaire, cause d’exclusion de la constitution d’une servitude de passage, dès lors que la nouvelle exploitation s’apparentait à une utilisation normale du fonds (Cass. 3e civ. 25 juin 1997, n°95-15772).

1.2. Les conditions tenant à l’exercice du droit de passage

La constitution d’une servitude ne suppose pas seulement que soit établie une situation d’enclave, il faut encore que :

  • D’une part, que celui qui se prévaut d’un droit de passage soit titulaire d’un droit réel
  • D’autre part, que le propriétaire du fonds grevé par la servitude soit indemnisé

==> La titularité du droit

La question qui se pose ici est de savoir qu’elle est la nature du droit qui doit être exercé sur le fonds enclavé pour que celui qui l’exploite soit fondé à solliciter un droit de passage.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 682 du Code civil qui ne laisse que peu de place à l’ambiguïté.

Il ressort, en effet, de cette disposition que seul « le propriétaire dont les fonds sont enclavés » peut solliciter la constitution d’une servitude de passage.

Plus généralement, il est admis que la demande d’octroi d’un droit de passage puisse émaner de celui qui exerce un droit réel sur le fonds.

Dans un arrêt du 6 juin 1999, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le texte, qui accorde l’exercice de l’action au titulaire possédant un droit réel sur le fonds dominant, n’interdisant nullement que cette utilisation du fonds soit mise en œuvre par un autre que le propriétaire, auquel celui-ci a donné son agrément » (Cass. 3e civ. 6 juin 1969).

Il en résulte qu’il n’est pas nécessaire d’être investi de tous les attributs du droit de propriété pour solliciter la constitution d’une servitude de passage. Ce droit est également ouvert à l’usufruitier, l’usager ou l’emphytéote.

En revanche, les personnes qui exploitent le fonds au titre d’un droit personnel qu’ils exercent contre le propriétaire, ne sont pas fondées à solliciter l’octroi d’un droit de passage sur le fonds voisin.

Dans un arrêt du 2 mars 1983, la Cour de cassation a, par exemple, jugé « qu’un fermier est sans droit à se prévaloir de l’état d’enclave pour réclamer une servitude de passage au profit du fonds qui lui est donne à bail » (Cass. 3e civ. 2 mars 1983, n°81-16323).

La même solution pourrait être retenue pour le titulaire d’un bail commercial ou d’un bail d’habitation, celui-ci n’étant investi que d’un droit personnel contre le bailleur.

Dans un arrêt du 18 décembre 1991, la troisième chambre civile a précisé que « toute servitude étant une charge imposée à un héritage pour l’usage et l’utilité d’un autre héritage, seules peuvent être prises en considération, pour reconnaître à un fonds le bénéfice d’une servitude, les conditions que les conventions ou la loi ont posées pour ce bénéfice [de sorte] qu’il importe peu, lorsque le fonds est mis en vente, que la réclamation de la servitude soit formulée par le propriétaire vendeur ou le propriétaire acquéreur » (Cass. 3e civ. 18 déc. 1991, n°89-19245).

==> Versement d’une indemnité

L’article 682 du Code civil prévoit que si le propriétaire d’un fonds enclavé peut solliciter la constitution d’une servitude sur le fonds voisin, cette constitution ne peut intervenir qu’en contrepartie du versement « d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner. »

Cette indemnité vise à réparer le préjudice résultant de l’atteinte portée au droit de propriété du propriétaire du fonds grevé par la servitude de passage.

Dans un arrêt du 16 avril 1973, la Cour de cassation a précisé que « le propriétaire d’un fonds assujetti au passage a droit à une indemnité proportionnée au dommage que le passage peut occasionner, donc indépendante du profit procuré au propriétaire du fonds enclave » (Cass. 3e civ. 16 avr. 1973, n°71-14703).

Il en résulte que l’indemnité versée doit être fixée en considération, non pas de la valeur vénale du terrain correspondant à l’assiette de passage, mais du seul préjudice occasionné par le passage (V. en ce sens Cass. 3e civ. 9 févr. 1994, n°92-11500).

S’agissant de la forme de l’indemnité, elle peut consister en le versement d’un capital ou d’une redevance annuelle (Cass. req. 15 juin 1875).

Enfin, l’article 685, al. 2e du Code civil prévoit que « l’action en indemnité, dans le cas prévu par l’article 682, est prescriptible, et le passage peut être continué, quoique l’action en indemnité ne soit plus recevable. »

La prescription de l’action est ici attachée à la possession de la servitude par le propriétaire du fonds dominant, de sorte qu’elle se prescrit par trente ans.

Son point de départ correspond au jour où le droit de passage à commencer à s’exercer, soit à partir du moment où les éléments constitutifs de la possession sont réunis (Cass. req. 10 févr. 1941).

Cette possession devra, en outre, satisfaire à toutes les exigences prescrites à l’article 2261 du Code civil qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

2. Exceptions

Par exception au principe posé à l’article 682 du Code civil qui octroie au propriétaire d’un fonds enclavé un droit de passage sur le fonds voisin, il est certains cas où ce droit de passage lui sera refusé.

==> L’enclave procède du fait volontaire du propriétaire du fonds

Lorsque la situation d’enclave du fonds procède d’un fait volontaire du propriétaire, il n’est pas fondé à solliciter la constitution d’une servitude de passage sur le fonds voisin.

Dans un arrêt du 4 mai 1964, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait jugé que le propriétaire d’un fonds « ne pouvait invoquer un état d enclave de son immeuble dès lors qu’il avait lui-même obstrué l’issue lui donnant accès à la voie publique et ouvert une porte sur la cour intérieure pour le desservir » (Cass. 1ère civ. 4 mai 1964).

Tout l’enjeu consistera alors à déterminer si la situation d’enclave du fonds résulte du fait personnel de son propriétaire, les juges du fonds étant investis, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation (Cass. 3e civ., 7 févr. 1969).

Aussi, l’enclave pour justifier la constitution d’une servitude de passage ne peut procéder que d’un cas événement indépendant de la volonté du propriétaire du fonds (cas fortuit, force majeure, fait d’un tiers etc.).

C’est seulement lorsqu’il sera établi que l’absence ou l’insuffisance d’issue est imputable au fait personnel du propriétaire du fonds qu’il lui est fait interdiction de se prévaloir du dispositif prévu à l’article 682 du Code civil. Il peut s’agir, tant d’un fait positif, tel qu’un mauvais aménagement du fonds, ou la création d’un obstacle, que d’un fait négatif, tel qu’un défaut d’entretien qui a rendu la voie d’accès au fonds impraticable.

Dans un arrêt du 7 mai 1986, la Cour de cassation a précisé que la charge de la preuve du caractère volontaire devait être supportée par le propriétaire du fonds servant (Cass. 3e civ. 7 mai 1986, n°84-16957).

L’enclave volontaire ne serait toutefois pas caractérisée lorsque l’absence ou l’insuffisance d’issue procède d’un changement de destination du fonds qui, alors qu’il était affecté à une exploitation agricole par exemple, est affecté à une exploitation industrielle (Cass. 3e civ. 25 juin 1997, n°95-15772).

==> Le propriétaire du fonds enclavé dispose d’un droit de passage conventionnel

Le propriétaire d’un fonds enclavé ne peut pas non plus se prévaloir d’un droit de passage, lorsqu’il dispose d’un accès établi conventionnellement avec le propriétaire d’un fonds voisin.

Il importe peu que cet accès soit moins commode que celui auquel pourrait prétendre le propriétaire du fonds en application de l’article 683 du Code civil, soit « être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique ».

Ce qui compte c’est qu’il dispose d’une issue conduisant sur une voie ouverte au public et que cette issue permet une utilisation normale du fonds.

Si dès lors, le fonds est affecté à une exploitation agricole et que l’issue établie conventionnellement ne peut pas être empruntée par des engins agricoles, le propriétaire du fonds pourra se prévaloir d’un droit de passage.

Aussi, c’est aux juges qu’il appartiendra de déterminer souverainement si l’accès conventionnel permet un usage normal du fonds enclavé.

==> Le fonds enclavé comporte une issue de tolérance

Il est admis que lorsque le fonds enclavé comporte une issue de tolérance sont propriétaire ne peut pas se prévaloir d’un droit de passage.

Dans un arrêt du 16 juin 1981, la Cour de cassation a par exemple jugé que le fonds qui bénéficie d’une tolérance de passage lui permettant un libre accès pour les besoins de son exploitation, n’est pas enclavé tant que cette tolérance est maintenue (Cass. 3e civ. 16 juin 1981, n°80-11230).

La troisième chambre civile a encore statué en ce sens dans un arrêt du 27 septembre 2007 (Cass. 3e civ. 27 sept. 2007, n°05-16451).

Dans cette affaire elle a notamment estimé qu’une parcelle n’est pas enclavée dès lors que les propriétaires du fonds voisin ont laissé en toute connaissance de cause son propriétaire passer sur leur parcelle pendant vingt-sept ans sans protester.

Cette situation s’analyse, manifestement, en une tolérance de passage qui, parce qu’elle offre une issue au fonds enclavé, fait obstacle à la constitution d’une servitude.

Seule la révocation de la tolérance est de nature à justifier la demande d’un droit de passage par le propriétaire du fonds enclavé (V. en ce sens Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n° 16-27702).

Dans un arrêt du 2 juin 1999, la Cour de cassation a précisé qu’il convenait, pour déterminer si l’existence d’une tolérance faisait obstacle à la demande d’un droit de passage, que cette tolérance permette un usage normal du fonds conformément à sa destination.

Ainsi, a-t-elle validé la décision d’une Cour d’appel qui après avoir relevé « que les consorts Y… exploitaient dans les lieux un poney club et que l’ouverture d’une entrée sur le parc de stationnement communal, dont ils bénéficiaient en vertu d’une tolérance de la municipalité, ne permettait pas le passage de véhicules de plus de 3 tonnes 5 assurant la livraison du fourrage ou le transport des équidés, a […] caractérisé l’utilisation normale du fonds et souverainement retenu l’état d’enclave de celui-ci » (Cass. 3e civ. 2 juin 1999, n°96-21594).

==> La division du fonds consécutivement à l’accomplissement d’un acte

  • Principe
    • L’article 684 du Code civil dispose que « si l’enclave résulte de la division d’un fonds par suite d’une vente, d’un échange, d’un partage ou de tout autre contrat, le passage ne peut être demandé que sur les terrains qui ont fait l’objet de ces actes. »
    • Ainsi, lorsque la situation d’enclave d’un fonds est le résultat de la division de l’unité foncière d’origine en plusieurs parcelles, il appartient aux parties à l’opération de s’entendre pour octroyer une issue au fonds enclavée, issue qui doit nécessairement prendre assise sur les fonds divisés, peu importe que l’accès créé soit moins commode que si son assiette avait été déterminée application de l’article 682 du Code civil.
    • Il est classiquement admis que la règle posée à l’article 684 du Code civil se justifie par l’obligation de garantie qui pèse sur les parties à l’acte de division.
    • Elles ne sauraient, en effet, faire peser la charge d’un droit de passage aux propriétaires des fonds voisins qui sont étrangers à l’opération.
    • Au surplus, il est admis de longue date que la constitution d’une servitude sur l’héritage d’autrui ne peut jamais procéder de son propre fait ( req. 27 avr. 1898).
    • Aussi, ainsi que l’ont écrit des auteurs les parties à l’acte de division du fonds « sont tenus d’une obligation de garantie qui implique de fournir un accès permettant l’exploitation du fonds»[1].
    • Il en résulte que l’acquéreur d’un fonds enclavé issu d’une division après partage ne peut réclamer un droit de passage qu’à ses copartageants (V. en ce sens 3e civ., 3 mars 1993, n°91-16065).
  • Exception
    • Ce n’est que lorsqu’aucun passage suffisant ne peut être créé sur les fonds qui ont fait l’objet d’une division que l’article 682 du Code civil redevient applicable.
    • Cette exception est issue de la loi du 20 août 1881 qui a admis que, bien que le passage nécessaire à l’exploitation d’un fonds actuellement enclavé à la suite d’une division aurait du être pris sur les autres portions de l’ancienne unité foncière, sans qu’il y ait lieu d’examiner si le passage par d’autres terrains limitrophes ne serait pas plus court et moins dommageable, une exception aux articles 682 et 683 du Code civil ne pouvait être invoquée par les voisins lorsque, à raison de la conformation des lieux, il y avait impossibilité d’établir ailleurs que sur leur fonds un chemin offrant les moyens de communication nécessaires.
    • Ainsi, afin de déterminer si la servitude doit ou non être constituée sur un autre fonds que ceux objet de la division, il conviendra d’établir qu’aucune issue suffisante permettant une utilisation normale du fonds enclavé ne peut être créée sur les fonds divisés.
    • Ce n’est que lorsque cette insuffisance d’accès sera démontrée, que l’article 682 du Code civil pourra s’appliquer.
    • La conséquence en est qu’une servitude de passage pourra alors être constituée sur un autre fonds que ceux objet de la division.
    • Dans cette hypothèse, non seulement une indemnité sera due au propriétaire du fond servant, mais encore celui-ci ne pourra pas y renoncer dans l’acte de division, l’article 682 étant d’ordre public sur ce point.

B) Exercice de la servitude de passage

  1. Les fonds assujettis au droit de passage

Il est admis que la servitude de passage est susceptible de grever tous les fonds voisins qui séparent le fonds enclavé de la voie publique.

Peu importe la nature de ces fonds, qu’ils soient contigus, qu’ils soient bâtis ou encore qu’ils soient clôturés. Leur configuration physique ou juridique est indifférente.

Il pourra donc s’agir d’un fonds sur lequel est établi une habitation, un jardin, un parc, soit n’importe quel fonds au travers duquel il est possible de relier la parcelle enclavée à la voie publique.

La seule limite a été posée par la Cour de cassation dans un arrêt du 2 mars 1994 qui a jugé « qu’il résulte du principe de l’inaliénabilité des biens du domaine public qu’ils ne peuvent être grevés de servitudes légales de droit privé, et notamment d’un droit de passage en cas d’enclave » (Cass. 1ère civ. 2 mars 1994, n°87-16932).

Ainsi, les fonds qui relèvent du domaine public ne peuvent être grevés d’aucune servitude de passage, en raison de leur inaliénabilité.

2. La détermination de l’assiette de passage

Lorsque les conditions de constitution d’une servitude de passage sont réunies, cette dernière grève de plein droit les fonds voisins permettant de libérer le fonds dominant de son enclave.

Reste qu’il y a lieu de déterminer l’endroit où la servitude prendra son emprise, étant précisé que son assiette sera limitée à ce qui est nécessaire pour ouvrir une issue suffisante au fonds enclavé.

La détermination de cette assiette peut résulter de plusieurs situations :

  • La conclusion d’une convention
  • La décision du juge
  • La prescription
  • La division du fonds

a) La détermination de l’assiette de passage par convention

L’assiette du droit de passage peut, tout d’abord, être fixé par convention entre propriétaires du fonds servant et du fonds dominant.

Ce mode de détermination de l’assiette de la servitude présente l’avantage de permettre aux contractants de déroger aux critères énoncés par l’article 683 du Code civil qui aura vocation à s’appliquer faute d’accord.

La seule contrainte dont ne peuvent pas s’exonérer les parties a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 24 mai 2000 : « une servitude ne peut être constituée par un droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété »

Il en résulte que la constitution d’une servitude doit se limiter à « l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire » (Cass. 3e civ. 24 mai 2000, n°97-22255).

Cass. 3e civ. 24 mai 2000
Sur le premier moyen :
Vu l'article 544 du Code civil, ensemble l'article 637 de ce Code ;

Attendu que la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ; qu'une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 octobre 1997) que les consorts Y..., propriétaires d'un terrain, portant plusieurs bâtiments, ont vendu, après division parcellaire, à la société Toutes transactions immobilières (TTI), le 13 septembre 1988, le lot B, 21, rue Fabre-d'Eglantine et le 9 juillet 1990 le lot A, ... ; que la société TTI a revendu le lot B à la société immobilière Bust, puis le lot A à la société Natiocrédibail-Sicomi (Natiocrédibail) ; que celle-ci et la société Leva, constructeur d'un nouvel immeuble sur le terrain correspondant au lot A, ont assigné la société Immobilière Bust et le syndicat des copropriétaires du 21, rue Fabre-d'Eglantine, pour faire juger que l'enclave, dans le lot A, d'un petit local avec cabinet d'aisances attaché au lot n° 51 du lot B, était leur propriété et obtenir, avec la suppression de l'empiétement, la libération de ce local et la réparation de leur préjudice ; que la société Immobilière Bust a assigné la société Cabinet Fabre-d'Eglantine, cessionnaire d'un bail consenti par les consorts Y... en 1985 et occupant à ce titre le lot n° 51 du lot B, ainsi que la société TTI ; que les instances ont été jointes ;

Attendu que pour dire que la société Immobilière Bust dispose d'un droit de jouissance sur la parcelle, portant le cabinet d'aisances litigieux, propriété de la société Natiocrédibail, et que le bail consenti à la société Cabinet Fabre-d'Eglantine incluant ce local est opposable à la société Natiocrédibail, l'arrêt retient que l'empiétement reproché, continu et apparent, antérieur à la division parcellaire et maintenu en l'état par les auteurs communs des deux lots, relève d'une servitude de père de famille, de l'auteur commun, de droit exclusif de jouissance grevant le lot A au profit du lot B, de l'enclave incorporée dans les locaux commerciaux du lot B donnés à bail par l'auteur et qui revêt un caractère définitif compte tenu de la configuration des lieux antérieurement murés et hermétiques du côté du fonds servant et ouverts et accessibles seulement du côté du fonds dominant à partir du lot auquel la servitude est attachée ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'une servitude ne peut être constituée par un droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il met M. X..., ès qualités, hors de cause, l'arrêt rendu le 21 octobre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

Enfin, il est admis que le propriétaire du fonds dominant renonce unilatéralement à la servitude de passage.

Dans un arrêt du 3 mars 2009, la troisième chambre civile a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait fait application de l’article 682 du Code civil afin de reconnaître l’établissement d’une servitude de passage, alors même que le propriétaire du fonds enclavé y avait renoncé par déclaration unilatérale.

Au soutien de sa décision la Cour de cassation avance que « la renonciation à un droit peut résulter d’actes manifestant sans équivoque la volonté de son bénéficiaire d’y renoncer », de sorte que la renonciation du propriétaire du fonds dominant à son droit de passage était pleinement valide (Cass. 3e civ., 3 mars 2009, n°08-11.540).

b) La détermination de l’assiette de passage par décision du juge

Ce n’est que lorsque le propriétaire d’un fonds enclavé n’est pas parvenu à s’entendre sur son droit de passage avec le propriétaire du fonds voisin que le juge a vocation à intervenir.

Son intervention aura pour objet, outre la confirmation du bien-fondé de la demande de constitution d’une servitude, de déterminer son assiette.

Pour ce faire, il lui faudra faire application des critères légaux, étant précisé, ainsi que l’a indiqué la Cour de cassation dans un arrêt du 4 janvier 1991 « qu’il appartient au juge et non au propriétaire du fonds servant de fixer l’assiette du passage pour la desserte d’une parcelle enclavée, conformément aux dispositions de l’article 683 du Code civil » (Cass. 3e civ. 4 janv. 1991, n°89-18492).

À cet égard, l’article 683 du Code civil adresse une double directive au juge en prévoyant que :

  • D’une part, le passage doit régulièrement être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique.
  • D’autre part, il doit néanmoins être fixé dans l’endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé.

Il ressort de cette disposition que si, en principe, le trajet du passage reliant le fonds enclavé à la voie publique, c’est la ligne droite, celle-ci peut, en application de l’alinéa 2 de l’article 683, subir quelques contorsions afin de limiter le préjudice causé propriétaire du fonds servant.

En somme, l’objectif qui devra être recherché par le juge, c’est de concilier les intérêts en présence, ce qui consistera :

  • D’un côté, à définir le passage le plus court et qui corresponde à une utilisation normale du fonds dominant conformément à sa destination
  • D’un autre côté, à veiller à ce que ce passage soit le moins dommageable pour le fonds servant et qui soit compatible avec les contraintes d’urbanisme et environnementales applicables au fonds servant situé en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager

A priori, le tracé qui permet de remplir au mieux cet objectif de conciliation des intérêts c’est la ligne droite car elle permet :

  • Du point de vue du propriétaire du fonds servant, une emprise moindre de la servitude de passage sur son terrain
  • Du point de vue du propriétaire du fonds dominant, un accès à la voie publique plus rapide et moins onéreux

À l’évidence, si le trajet rectiligne consiste a priori, en la solution la plus avantageuse pour les propriétaires voisins, cela est vrai tant que trajet ne se heurte pas à une construction où à un obstacle topographique, telle qu’un rocher ou une pente trop abrupte.

Lorsque, en effet, un obstacle se dresse sur le chemin le plus court offrant au fonds enclavé un accès sur la voie publique, il appartiendra au juge de définir des trajets alternatifs en combinant avec méthode les alinéas 1 et 2 de l’article 683 du Code civil.

À cet égard, la Cour de cassation rappelle régulièrement que les juges du fond sont investis d’un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer l’assiette qui répond aux exigences fixées par le texte (Cass. 1ère civ. 19 janv. 1969).

La Cour de cassation n’hésite pas à censurer les Cours d’appel qui retiendront la de solution de désenclavement la plus adéquate pour le fonds dominant sans rechercher si elle constitue l’endroit le moins dommageable pour le fonds servant (Cass. 3e civ. 3 mars 1993, n°91-12673).

La troisième chambre civile a précisé que dans un arrêt du 20 décembre 1989 que lorsque le maintien de l’assiette de passage à son emplacement initial entraînait un trouble au fonds dominant et que sa modification n’intervenait que pour la commodité du propriétaire du fonds servant qui avait modifié l’usage de son terrain, les frais d’implantation afférents à la nouvelle assiette sont à la seule charge de ce dernier (Cass. 3e civ. 20 déc. 1989, n°88-15376).

c) La détermination de l’assiette de passage par prescription

L’article 685, al. 1er dispose que « l’assiette et le mode de servitude de passage pour cause d’enclave sont déterminés par trente ans d’usage continu. »

Il ressort de cette disposition que la détermination de l’assiette du passage peut résulter de la prescription acquisitive.

La prescription aura pour effet de figer cette assiette, quand bien même elle ne répondrait pas aux exigences fixées à l’article 683 du Code civil.

Tel ne sera pas le cas, en revanche, du passage qui résultera d’un acte de pure faculté ou de simple tolérance lequel consiste en la permission tacite ou expresse du propriétaire octroyé à autrui.

Aussi, pour que la démarche du propriétaire du fonds enclavé puisse faire jouer la prescription acquisitive, elle devra remplir les conditions énoncées à l’article 2261 qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Aussi, est-il absolument nécessaire que le propriétaire du fonds enclavé emprunte toujours le même trajet, faute de quoi la prescription ne pourra pas jouer.

Lorsqu’il existera plusieurs tracés de servitude, la Cour de cassation considérera qu’il s’agit là d’une circonstance impropre à caractériser une possession non équivoque de l’assiette de la servitude de passage de sorte que la possession ne pourra produire aucun effet acquisitif (Cass. 3e civ. 19 oct. 2017, n° 16-23.679)

Dans un arrêt du 17 septembre 2008, la Cour de cassation a précisé que « le propriétaire d’un fonds bénéficiant d’une servitude conventionnelle de passage ne peut prétendre avoir prescrit par une possession trentenaire une assiette différente de celle originairement convenue » (Cass. 3e civ., 17 sept. 2008, n°07-14043).

Il ressort de cette décision que la prescription ne permet pas de modifier une assiette qui a été fixée conventionnellement. Admettre le contraire reviendrait à contrevenir à l’article 691 du Code civil qui prévoit que les servitudes discontinues ne peuvent pas être établies par prescription.

En dehors de ce cas, lorsque la prescription trentenaire est acquise, l’article 683 du Code civil ne pourra plus être invoqué aux fins de modifier l’assiette de passage, quand bien même le chemin tracé serait plus long pour le propriétaire du fonds dominant ou plus dommageable pour le propriétaire du fonds servant (V. en ce sens Cass. civ. 26 août 1874).

La possession trentenaire a donc pour effet de figer irrévocablement l’assiette du passage à l’endroit où il a toujours été exercé sans protestation.

Seule solution pour les propriétaires du fonds servant et du fonds dominant s’ils éprouvent le besoin d’anéantir les effets de la prescription : conclure une convention modifiant l’assiette de passage fixée par prescription (Cass. req. 16 juill. 1899). Cela suppose néanmoins que s’opère une rencontre des volontés, faute de quoi aucun accord ne saurait être scellé.

d) La détermination de l’assiette de passage procède d’une division

  • Principe
    • L’article 684 du Code civil dispose que « si l’enclave résulte de la division d’un fonds par suite d’une vente, d’un échange, d’un partage ou de tout autre contrat, le passage ne peut être demandé que sur les terrains qui ont fait l’objet de ces actes. »
    • Ainsi, lorsque la situation d’enclave d’un fonds est le résultat de la division de l’unité foncière d’origine en plusieurs parcelles, il appartient aux parties à l’opération de s’entendre pour octroyer une issue au fonds enclavée, issue qui doit nécessairement prendre assise sur les fonds divisés, peu importe que l’accès créé soit moins commode que si son assiette avait été déterminée application de l’article 682 du Code civil.
    • Il est classiquement admis que la règle posée à l’article 684 du Code civil se justifie par l’obligation de garantie qui pèse sur les parties à l’acte de division.
    • Elles ne sauraient, en effet, faire peser la charge d’un droit de passage aux propriétaires des fonds voisins qui sont étrangers à l’opération.
    • Au surplus, il est admis de longue date que la constitution d’une servitude sur l’héritage d’autrui ne peut jamais procéder de son propre fait ( req. 27 avr. 1898).
    • Aussi, ainsi que l’ont écrit des auteurs les parties à l’acte de division du fonds « sont tenus d’une obligation de garantie qui implique de fournir un accès permettant l’exploitation du fonds»[1].
    • Il en résulte que l’acquéreur d’un fonds enclavé issu d’une division après partage ne peut réclamer un droit de passage qu’à ses copartageants (V. en ce sens 3e civ., 3 mars 1993, n°91-16065).
  • Conditions
    • Deux conditions doivent être réunies pour que l’article 684 du Code civil s’applique :
      • La division doit résulter d’un fait volontaire
        • La règle édictée à l’article 684, al.1er du Code civil ne s’applique que si la division de l’unité foncière d’origine procède d’un fait volontaire des parties à l’acte.
        • Lorsque, dès lors, elle résulte d’une vente forcée qui s’inscrit dans le cadre d’une liquidation judiciaire ou d’une procédure d’expropriation, l’article 684 ne sera pas applicable
      • La situation d’enclave doit être la conséquence directe de la division
        • Pour que l’article 684 du Code civil s’applique, il faut que la situation d’enclave soit la conséquence directe de l’opération de division.
        • Cela signifie que l’unité foncière d’origine devait comporte, avant la division, une issue sur la voie publique
        • À défaut, les articles 682 et 683 demeurent applicables
        • Dans un arrêt du 27 novembre 1973, la Cour de cassation a précisé que lorsque des fonds proviennent de la division d’une parcelle d’un auteur commun en application de l’article 684, le passage peut être demandé sur les terrains qui ont fait l’objet de cet acte sans qu’il puisse être opposé aux acquéreurs le fait de l’enclave volontaire de leur auteur ( 3e civ. 27 nov. 1973, n°72-13948).
        • Plus récemment, la troisième chambre civile a encore affirmé, au visa des articles 682 et 684 du Code civil, que consécutivement à une division de fonds « l’acquéreur d’une parcelle enclavée ne peut se voir opposer la renonciation d’un précédent propriétaire au bénéfice de la servitude légale de passage conventionnellement aménagée» ( 3e civ. 24 oct. 2019, n°18-20.119).
        • Ainsi, la renonciation par le propriétaire d’une parcelle dont la situation d’enclave procède d’une division à un droit de passage, ne fait pas obstacle à ce que l’acquéreur se prévale de l’article 682 du Code civil afin de solliciter la constitution d’une servitude de passage.
  • Versement d’une indemnité
    • Initialement, la servitude de passage telle qu’envisagée à l’article 684 du Code civil, était regardée comme une servitude conventionnelle car procédant de l’accomplissement d’un acte – conventionnel – de division.
    • La jurisprudence en tirait la conséquence qu’il n’y avait pas lieu d’octroyer une indemnité au propriétaire du fonds grevé par la servitude de passage, celle-ci étant incluse dans l’estimation des fonds divisés (V. en ce sens req. 1er août 1861).
    • La Cour de cassation a néanmoins revu sa position dans un arrêt du 15 octobre 2013 aux termes duquel elle censure la décision d’une Cour d’appel qui avait refusé l’octroi d’une indemnité au propriétaire du fonds servant, considérant que la servitude de passage avait un fondement conventionnel car instituée sur le fondement de l’article 684 du Code civil.
    • La troisième chambre civile prend le contre-pied de ce raisonnement en jugeant que « alors qu’elle constatait que la parcelle E 156 était enclavée et que l’acte de partage n’avait pas pour effet de modifier le fondement légal de la servitude et ne contenait aucune renonciation des propriétaires du fonds servant à la perception d’une indemnité, la cour d’appel a violé les textes susvisés» ( 3e civ. 15 oct. 2013, n°12-19563).
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, parce que le droit de passage envisagé à l’article 684 a un fondement légal et non conventionnel, il justifie le versement d’une indemnité en réparation du préjudice subi par le propriétaire du fonds servant.
    • Elle précise néanmoins que cette indemnité est due sauf clause contraire dans l’acte de division.
    • À l’examen, il ressort de cette décision que l’article 684 du Code civil doit être lu comme opérant une dichotomie entre, d’une part, la fixation de l’assiette du droit de passage et, d’autre part, le versement d’une indemnité au propriétaire du fonds servant.
      • S’agissant de la détermination de l’assiette du droit de passage
        • L’article 684 est d’ordre public de sorte qu’il ne peut pas y être dérogé par convention contraire.
        • Cela signifie que la servitude devra prioritairement être constituée sur les fonds issus de la division de l’unité foncière d’origine.
        • Elle ne pourra pas être établie sur les parcelles étrangères à l’opération de partage
      • S’agissant du versement d’une indemnité
        • Lorsque la servitude est constituée sur le fondement de l’article 684 du Code civil, l’indemnité due au propriétaire du fonds servant n’est pas d’ordre public
        • Ce dernier peut y renoncer dans l’acte de division, ce qui devra être expressément stipulé
  • Exception
    • Ce n’est que lorsqu’aucun passage suffisant ne peut être créé sur les fonds qui ont fait l’objet d’une division que l’article 682 du Code civil redevient applicable.
    • Cette exception est issue de la loi du 20 août 1881 qui a admis que, bien que le passage nécessaire à l’exploitation d’un fonds actuellement enclavé à la suite d’une division aurait du être pris sur les autres portions de l’ancienne unité foncière, sans qu’il y ait lieu d’examiner si le passage par d’autres terrains limitrophes ne serait pas plus court et moins dommageable, une exception aux articles 682 et 683 du Code civil ne pouvait être invoquée par les voisins lorsque, à raison de la conformation des lieux, il y avait impossibilité d’établir ailleurs que sur leur fonds un chemin offrant les moyens de communication nécessaires.
    • Ainsi, afin de déterminer si la servitude doit ou non être constituée sur un autre fonds que ceux objet de la division, il conviendra d’établir qu’aucune issue suffisante permettant une utilisation normale du fonds enclavé ne peut être créée sur les fonds divisés.
    • Ce n’est que lorsque cette insuffisance d’accès sera démontrée, que l’article 682 du Code civil pourra s’appliquer.
    • La conséquence en est qu’une servitude de passage pourra alors être constituée sur un autre fonds que ceux objet de la division.
    • Dans cette hypothèse, non seulement une indemnité sera due au propriétaire du fond servant, mais encore celui-ci ne pourra pas y renoncer dans l’acte de division, l’article 682 étant d’ordre public sur ce point.

3. Les modalités du passage

Ni l’article 682, ni l’article 683 du Code civil n’évoque les modalités du passage octroyé au propriétaire du fonds enclavé.

Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de définir les règles applicables, au premier rang desquelles figure celle imposant que le titulaire de la servitude puisse avoir une utilisation normale du fonds conformément à sa destination.

La largeur du passage devra, de la sorte, être plus ou moins importante, selon que le fonds est affecté à une exploitation agricole ou à usage d’habitation.

Dans un arrêt du 19 juin 2002, la Cour de cassation a, par exemple, après avoir rappelé que « le droit pour le propriétaire d’une parcelle enclavée de réclamer un passage sur les fonds de ses voisins est fonction de l’utilisation normale du fonds quelle qu’en soit la destination » censuré à une Cour d’appel qui pour déterminer les modalités du passage octroyé au propriétaire du fonds enclavé s’est « déterminée par un motif d’ordre général sans caractériser une telle utilisation ni rechercher si l’accès des voitures automobiles aux parcelles de M. X… répondait à des nécessités découlant de cette utilisation » (Cass. 3e civ. 19 juin 2002, n°00-11675).

Au cas particulier, les juges du fonds avaient estimé que le bénéficiaire de la servitude devait pouvoir accéder à son fonds avec le mode de locomotion habituel en cette fin de XXème siècle : une voiture automobile, alors même que celui-ci était totalement inexploité

L’enseignement à retirer de cet arrêt, c’est que les modalités du passage dépendent du seul besoin du propriétaire du fonds dominant.

Cass. 3e civ. 19 juin 2002
Sur le moyen unique :

Vu l'article 682 du Code civil ensemble l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que pour décider que les parcelles appartenant à M. X... sont enclavées et que leur desserte s'effectue par le chemin privé situé sur la propriété de ses voisins les époux Y..., l'arrêt attaqué (Montpellier 2 décembre 1999), rendu après expertise judiciaire, retient que les époux Y... ne contestent pas les constatations techniques de l'expert mais la qualité d'exploitant agricole de M. X... et la nature de ses parcelles qui sont inexploitées et que, quel que soit le mode d'exploitation dont peuvent faire l'objet ses parcelles, ce dernier doit pouvoir y accéder avec le mode de locomotion habituel en cette fin de XXème siècle : une voiture automobile ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le droit pour le propriétaire d'une parcelle enclavée de réclamer un passage sur les fonds de ses voisins est fonction de l'utilisation normale du fonds quelle qu'en soit la destination, la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif d'ordre général sans caractériser une telle utilisation ni rechercher si l'accès des voitures automobiles aux parcelles de M. X... répondait à des nécessités découlant de cette utilisation, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 décembre 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

La question se pose également de la nature de la voie de passage susceptible d’être empruntée. S’agit-il nécessairement de la voie terrestre, ou peut-il également s’agir de la voie aérienne, souterraine ou encore fluviale ?

À l’examen, la jurisprudence est assez libérale, celle-ci n’excluant aucune possibilité. L’objectif recherché c’est de permettre une utilisation normale du fonds.

Dès lors, tous les modes de passage sont envisageables, à commencer par la voie souterraine qui a été admise très tôt par la jurisprudence.

Dans cet arrêt du 22 novembre 1937, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le droit de passage visé par ce texte doit s’entendre en ce sens que les mots “sur les fonds de ses voisins” ne visent pas seulement la surface du sol, mais peuvent aller jusqu’à comprendre “le dessous”, afin d’assurer les communications strictement nécessaires à l’utilisation normale du fonds enclavé ; qu’il s’applique ainsi aux canalisations souterraines indispensables à cet effet » (Cass. civ. 22 nov. 1937).

Cass. civ. 22 nov. 1937
La Cour,

Ouï, en l'audience publique du 8 novembre 1937, M. le conseiller Kastler, en son rapport ; Maîtres Bosviel et Aguillon, avocat des parties en leurs observations respectives, ainsi que M. Chartrou, avocat général, en ses conclusions.

Et après en avoir délibéré le 22 novembre 1937, en la chambre du conseil ;

Sur le moyen unique :

Attendu que le droit de passage visé par ce texte doit s'entendre en ce sens que les mots "sur les fonds de ses voisins" ne visent pas seulement la surface du sol, mais peuvent aller jusqu'à comprendre "le dessous", afin d'assurer les communications strictement nécessaires à l'utilisation normale du fonds enclavé ; qu'il s'applique ainsi aux canalisations souterraines indispensables à cet effet ;

Attendu que la demoiselle X..., propriétaire à Trouville-sur-Mer, d'une maison n'ayant d'accès à la voie publique qu'au moyen d'une ruelle appartenant au sieur Y..., a fait ouvrir dans celle-ci des tranchées destinées à l'adduction de l'eau, de gaz, de l'électricité et à l'évacuation des eaux ménagères, mais que l'arrêt attaqué a décidé que si, en raison de l'état d'enclave, elle possédait un droit de passage, ce droit lui permettait uniquement le passage à pied, à cheval ou en voiture, l'établissement de travaux permanents destinés à un autre usage ne rentrant pas dans les prévisions de l'article 682 du Code civil ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi au lieu de rechercher, d'une part, si les travaux projetés seraient de nature à réagir sur le montant de l'indemnité prévue par l'article susvisé, et d'autre part, si ces travaux pouvaient s'effectuer d'une façon moins dommageable pour le fonds servant et aussi appropriés aux besoins de l'exploitation du fonds dominant, l'arrêt n'a pas donné de base légale à sa décision

Par ces motifs ;
Casse.

La Cour de cassation a encore validé la décision d’une Cour d’appel qui après avoir constaté que la cave, a usage de champignonnière, située dans le sous-sol du fonds appartenant à un exploitant, était enclavée a accordé, pour sa desserte, un droit de passage à travers la cave attenante où son voisin exploitait une industrie de même nature (Cass. 1ère 3 déc. 1962).

Il est également admis que la voie souterraine puisse être utilisée pour la pose des canalisations nécessaires à la satisfaction des besoins de la construction édifiée sur leur propriété, notamment lorsqu’il s’avère que le trajet le plus court pour rejoindre la voie publique était une ligne droite traversant, à l’endroit le moins dommageable, plusieurs parcelles, et s’identifiant au chemin empierre sous lequel se trouvaient des canalisations d’eau et d’électricité (Cass. 3e civ., 14 déc. 1977, n°76-11254).

S’agissant de la voie aérienne, elle est également susceptible de servir d’assiette à la servitude de passage, notamment lorsqu’il s’agit de tirer des câbles entre la voie publique et le fonds enclavé afin de le raccorder à l’électricité (V. en ce sens Cass. civ., 24 févr. 1930).

C) Extinction de la servitude de passage

  1. Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur il a longtemps été soutenu par les auteurs que la fin de l’état d’enclave emportait nécessairement remise en cause de la servitude qui était, en quelque sorte, privée de cause.

Surtout, admettre le contraire reviendrait à maintenir une servitude qui ne répondrait plus aux exigences énoncées à l’article 682 du Code civil.

Au surplus, ce serait là porter une atteinte excessive au droit de propriété du propriétaire du fonds servant qui ne doit souffrir d’un passage qu’en cas d’absolue nécessité, soit dans l’hypothèse où l’absence d’issue fait obstacle à l’utilisation normale du fonds enclavé.

Il a été opposé à cette thèse, que parce que les servitudes sont perpétuelles, le désenclavement du fonds dominant ne suffit pas à éteindre le droit de passage exercé par son propriétaire.

Finalement, la Cour de cassation a tranché en faveur dernière position, considérant que dans deux cas au moins, la servitude subsiste même quand l’enclave a cessé, d’une part, lorsqu’elle trouve sa source dans un contrat, et, d’autre part, lorsque son assiette et son mode d’exercice ont été déterminés par trente ans d’usage continu (Cass. civ., 26 août 1874, n°75.1.124).

Si le maintien de la servitude en cas de disparition de l’enclave se justifie aisément lorsqu’elle résulte d’un accord qui aura été librement discuté et négociée par les propriétaires des fonds concernés, ce maintien est moins évident lorsqu’il procède de la prescription acquisitive qui, pour la jurisprudence valait titre.

En effet, l’article 691 du Code civil pose que les servitudes discontinues, au nombre desquelles figure le droit de passage, ne peuvent pas être établies par prescription.

Admettre que, au bout de trente années d’exercice de droit de passage, le propriétaire du fonds enclavé acquiert la servitude définitivement, y compris en cas de désenclavement, c’était là manifestement faire une entorse malheureuse à la règle, car portant une atteinte excessive au droit de propriété du voisin, à plus forte raison parce que la servitude grevant son fonds n’était plus nécessaire.

Entendant les nombreuses critiques formulées par la doctrine à l’encontre de cette position jurisprudentielle, le législateur est intervenu en 1971 pour y mettre un terme.

2. Droit positif

La loi du 25 juin 1971 relative à l’extinction de la servitude de passage pour cause d’enclave a été adoptée afin d’anéantir la solution retenue par la Cour de cassation qui consistait à maintenir la servitude de passage acquise par prescription alors même que l’état d’enclave du fonds dominant avait cessé.

Selon les mots du rapporteur de ce texte, il apparaîtrait pourtant logique qu’en contrepartie de la sujétion parfois très lourde imposée au propriétaire sur le terrain duquel s’exerce la servitude, celle-ci soit limitée dans le temps par la durée même des circonstances qui en ont justifié la création.

C’est la raison pour laquelle le texte prévoit expressément que la servitude disparaît lorsque cesse l’enclave.

==> Principe

La règle est énoncée à l’article 685-1 du Code civil qui dispose que « en cas de cessation de l’enclave et quelle que soit la manière dont l’assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l’extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l’article 682 ».

Il ressort de cette disposition que la disparition de l’état d’enclave du fonds grevé emporte anéantissement de la servitude lorsqu’elle a été établie dans les conditions de l’article 682 du Code civil.

Le jeu de la prescription acquisitive ne permet donc plus de faire subsister la servitude dont le sort est désormais lié au seul état d’enclave du fonds.

==> Domaine

Peu de temps après l’adoption de la loi du 25 juin 1971, la Cour de cassation est venue préciser dans un arrêt du 27 février 1974 que « l’article 685-1 du code civil qui ne vise que l’extinction du titre légal fondant la servitude de passage pour cause d’enclave, laisse en dehors de son champ d’application les servitudes conventionnelles » (Cass. 3e civ. 27 févr. 1974, n°72-14016).

Ainsi, lorsque l’établissement du droit de passage procède d’un accord de volonté des propriétaires, la disparition de la situation d’enclave est sans effet sur la servitude qui subsiste.

Il en va de même lorsqu’elle a été établie par destination du père de famille. Cette solution a été affirmée dans un arrêt du 16 juillet 1974 aux termes duquel il a été jugé, dans les mêmes termes que la décision précédente, que l’article 685-1 du Code civil « qui ne vise que l’extinction du titre légal fondant la servitude de passage pour cause d’enclave, laisse en dehors de son champ d’application, les servitudes conventionnelles ou résultant de la destination du père de famille » (Cass. 3e civ. 16 juill. 1974, n°73-12580).

La jurisprudence a toutefois précisé que lorsque la convention visait seulement à fixer l’assiette et les modalités du passage, l’article 685-1 demeurait applicable

Dans un arrêt du 3 novembre 1982, la troisième chambre civile a affirmé en ce sens que « en cas de cessation de l’enclave, et quelle que soit la manière dont l’assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l’extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l’article 682 du même code » (Cass. 3e civ. 3 nov. 1982).

L’application de l’article 685-1 du Code civil est donc exclue uniquement lorsque l’accord conclu entre les propriétaires porte sur le principe même de l’établissement de la servitude de passage.

Aussi, appartient-il aux juridictions de vérifier si l’état d’enclave n’a pas été la cause déterminante de la stipulation conventionnelle d’une servitude de passage, faute de quoi l’accord conclu entre les parties ne pourra pas faire obstacle à la disparition de la servitude engendrée par le désenclavement du fonds (Cass. 3e civ. 18 févr. 1997, n°95-14.389).

==> Conditions

Pour que l’extinction de la servitude de passage soit acquise, deux conditions doivent être réunies :

  • Première condition : le désenclavement du fonds
    • L’article 685-1 du Code civil prévoit que l’extinction du droit de passage est subordonnée à la disparition de l’état d’enclavement du fonds.
    • Autrement dit, il doit être démontré que le propriétaire fonds qui était enclavé dispose désormais d’un accès suffisant sur la voie publique.
    • Plus précisément il faut que cet accès permette une utilisation normale du fonds correspondant aux besoins de son exploitation ( 3e civ., 12 déc. 2006, n° 05-20857).
    • C’est donc la démonstration inverse à celle qui avait permis la constitution de la servitude qui doit être faite.
    • À cet égard, peu importe la cause du désenclavement qui peut être le fait du propriétaire lui-même, du fait d’un tiers ou d’un cas fortuit.
    • Ce qui compte c’est que ce désenclavement ait lui et qu’il offre une issue suffisante.
  • Seconde condition : constatation conventionnelle ou judiciaire
    • La disparition de l’état d’enclave du fonds n’emporte pas cessation de plein droit de la servitude du passage.
    • Pour que cette cessation soit effective, encore faut-il qu’elle soit constatée, soit par convention, soit par décision de justice (V. en ce sens 3e civ. 1er juill. 1980, n°79-11264)
    • Cette exigence s’infère du second alinéa de l’article 658-1 du Code civil dispose que « à défaut d’accord amiable, cette disparition est constatée par une décision de justice. »
    • On pourrait légitimement s’interroger sur la nécessité de ce second alinéa : si la servitude est éteinte du seul fait de la cessation de l’enclave, pourquoi devoir recourir à une décision de justice ?
    • Pour le rapporteur de la loi du 25 juin 1971, il semble toutefois que cette disposition soit indispensable pour assurer au texte une certaine souplesse d’application.
    • Plusieurs raisons sont avancées :
      • Tout d’abord, il peut y avoir lieu à contestation sur l’existence même d’une cause de cessation de l’enclave, celle-ci étant caractérisée par l’absence d’une sortie suffisante sur la voie publique.
      • Or, même s’il a acquis des parcelles d’un seul tenant jusqu’à celle-ci, le propriétaire peut rester enclavé en fait, à cause, notamment, de l’existence d’obstacles naturels.
      • Ensuite, la servitude a pu entraîner le versement d’une indemnité au profit du propriétaire du fonds servant, indemnité consistant soit en une somme en capital payée une fois pour toutes, soit en une somme annuelle, proportionnelle au dommage causé par l’exercice du droit de passage ( Req., 25 nov. 1845).
      • En outre, le bénéficiaire de la servitude a pu être amené à engager d’autres dépenses : construction d’un chemin, par exemple.
      • Il appartiendra, dans toutes ces hypothèses, au tribunal de déterminer si les frais assumés par le bénéficiaire de la servitude n’ont pas excédé le montant du préjudice qu’il a causé au propriétaire du fonds servant, ou si, au contraire, ce dernier ne bénéficie pas, du fait de la cessation de la servitude, d’un enrichissement sans cause, tant du fait des sommes reçues par lui en contrepartie d’une servitude qui n’existe plus qu’en raison des travaux accomplis par l’ancien bénéficiaire et qui peuvent conserver une utilité.
      • Le tribunal appréciera, dans ce dernier cas, le montant de l’indemnité éventuellement due par le propriétaire du terrain sur lequel s’exerçait antérieurement la servitude.
      • Enfin, Le tribunal devra dans le cas d’une servitude ayant fait l’objet d’une convention entre les parties, apprécier si l’état d’enclave a constitué la cause déterminante de cette convention, qui se trouve ainsi remise en cause si l’enclave cesse, ou si, au contraire, il s’agit d’un droit de passage pour la simple convenance du bénéficiaire, auquel cas la convention reste valable, la cause qui l’a motivée restant inchangée.
    • Pour toutes ces raisons, le législateur a souhaité mettre un garde-fou, le juge, faute d’accord amiable entre les propriétaires.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les biens, 9e éd., Précis Dalloz, 2014, n° 306

[1] E. Gavin-Millan Oosterlynck, « Servitudes légales, Distances à observer pour les plantations », J.-Cl. Civil Code, art. 671 à 673, 2010, n° 3.

[2] V. en ce sens l’article L. 511-3 du code rural et de la pêche maritime

[3] F. Rerré et Ph. Simler, Droit civil – Les Biens, éd. Dalloz, 2004, n°291, p239.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les biens, 9e éd., Précis Dalloz, 2014, n° 306

La notion de donnée à caractère personnel

L’article 2, al. 2 de la loi informatique et libertés prévoit que « constitue une donnée à caractère personnel toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres ».

 Il ressort de cette disposition que la notion de données à caractère personnel est définie de manière relativement large.

À titre de remarquer liminaire, il convient d’observer que la notion de « données à caractère personnel » a été substituée à celle « d’informations nominatives » par la loi du 6 août 2004.

Initialement, la loi du 6 janvier 1978 prévoyait, en son article 4 (ancien), que « sont réputées nominatives au sens de la présente loi les informations qui permettent, sous quelque forme que ce soit, directement ou non, l’identification des personnes physiques auxquelles elles s’appliquent, que le traitement soit effectué par une personne physique ou par une personne morale. »

Désormais, on ne parle plus d’informations nominatives, mais de données à caractère personnel.

Ce glissement sémantique résulte de la prise en compte des progrès des techniques d’identification (moteurs de recherche, logiciels de reconnaissance vocale ou morphologique).

La notion « d’information nominative » suggérait qu’elle ne recouvrait que les éléments d’identification entretenant une proximité avec le nom de la personne visée.

Or son périmètre était, en réalité, bien plus large, notamment en raison du développement des mesures d’identification indirect.

La notion de « donnée à caractère personnel » est donc apparue plus pertinente, en ce qu’elle permet de couvrir des informations permettant tant l’identification, tant directe, qu’indirecte de la personne.

En pratique d’ailleurs, la CNIL avait adopté une conception large des informations nominatives, en incluant, par exemple, les numéros de téléphone, les plaques d’immatriculation ou les numéros de certains badges, ainsi que les clichés permettant d’identifier une personne.

Ce terme de données à caractère personnel, suffisamment neutre et général, permet ainsi d’éviter l’obsolescence rapide de la loi.

Il permet en outre de mettre fin en droit français à une confusion dénoncée par le Conseil d’État entre les « informations nominatives » au sens de la loi du 6 janvier 1978 et les « informations nominatives » au sens de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public, qui a pour effet de restreindre la liberté d’accès aux documents administratifs.

En toute hypothèse, il apparaît que la définition retenue par le législateur comporte plusieurs éléments :

I) Toute information

L’expression « toute information » que l’on retrouve dans la définition, tant de la loi informatique et libertés, que dans le RGPD manifeste clairement la volonté du législateur d’élaborer un concept large des données à caractère personnel.

==> Sur la nature des informations

Le concept de données à caractère personnel englobe toutes sortes de renseignements à propos d’une personne. Il peut s’agir d’informations «objectives» telles qu’une particularité sanguine de la personne concernée, comme il peut aussi s’agir d’informations «subjectives» sous forme d’avis ou d’appréciations.

Ce dernier type de renseignements représente une grande partie du traitement des données à caractère personnel dans des secteurs tels que celui des banques, pour l’évaluation de la fiabilité des emprunteurs («X est un emprunteur fiable»), des assurances («X ne devrait pas mourir dans un proche avenir») ou de l’emploi («X est un bon travailleur et mérite d’être promu»).

Pour être considérées comme des « données à caractère personnel », il n’est pas nécessaire que ces informations soient vraies ou prouvées.

En réalité, les règles de protection des données envisagent déjà que des informations puissent être incorrectes et prévoient pour la personne concernée le droit d’accéder à ces informations et de les contester par des voies de recours adéquates.

==> Sur le contenu des informations

On entend par «données à caractère personnel» toutes sortes d’informations.

Cela couvre évidemment les informations à caractère personnel considérées comme «données sensibles», au sens de la loi informatique et libertés, en raison du fort potentiel de risque qu’elles présentent, mais également des informations plus générales.

L’expression «données à caractère personnel» englobe les informations touchant à la vie privée et familiale d’une personne physique, stricto sensu, mais également les informations relatives à ses activités, quelles qu’elles soient, tout comme celles concernant ses relations de travail ainsi que son comportement économique ou social.

Il s’agit donc d’informations concernant des personnes physiques, indépendamment de leur situation ou de leur qualité (en tant que consommateurs, patients, employés, clients, etc.).

==> Sur le format des informations ou du support utilisé

Le concept de données à caractère personnel englobe les informations disponibles sous n’importe quelle forme, qu’elles soient alphabétiques, numériques, graphiques, photographiques ou acoustiques.

Sont par exemple concernées les informations conservées sur papier, tout comme les informations stockées dans une mémoire d’ordinateur (code binaire) ou sur une cassette vidéo.

C’est une conséquence logique de l’intégration du traitement automatisé des données à caractère personnel dans son champ d’application. Il apparaît en particulier que les données constituées par des sons et des images méritent, à ce titre, d’être reconnues comme des données à caractère personnel, dans la mesure où elles peuvent représenter des informations sur une personne physique.

Par ailleurs, il n’est pas nécessaire, pour que ces informations soient considérées comme données à caractère personnel, qu’elles soient contenues dans une base de données ou un fichier structuré. Les informations contenues sous forme de texte libre dans un document électronique peuvent également être reconnues comme des données à caractère personnel, pour autant que les autres critères énoncés dans la définition des données à caractère personnel soient remplis.

Les courriers électroniques contiennent par exemple des « données à caractère personnel ».

II) Des données portant sur une personne physique

Une donnée ne peut être regardée comme revêtant un caractère personnel, qu’à la condition qu’elle porte sur une personne physique.

Le concept de «personne physique» est évoqué à l’article 6 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui se lit comme suit: « chacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. »

La personnalité juridique n’est autre que la capacité à être sujet de droit, de la naissance de l’individu jusqu’à son décès.

Les données personnelles sont dès lors, par principe, des données qui concernent des personnes vivantes identifiées ou identifiables.

Il s’ensuit plusieurs conséquences :

==> Exclusion des données portant sur une personne décédée

Les informations relatives à des personnes décédées ne sauraient, en principe, être considérées comme des données à caractère personnel soumises aux règles du RGPD, dans la mesure où, conformément au droit des personnes, elles ne sont plus des personnes physiques.

Telle est la solution retenue par le RGPD. Dans son considérant 27, il prévoit en ce sens qu’il n’a pas vocation à s’appliquer aux données à caractère personnel des personnes décédées.

Toutefois, les États membres peuvent prévoir des règles relatives au traitement des données à caractère personnel des personnes décédées.

À cet égard, l’article 57 de loi informatique et libertés dispose que « les informations concernant les personnes décédées, y compris celles qui figurent sur les certificats des causes de décès, peuvent faire l’objet d’un traitement de données, sauf si l’intéressé a, de son vivant, exprimé son refus par écrit ».

==> Exclusion des données portant une personne morale

Des informations qui seraient collectées sur une personne morale ne relèveraient pas du champ d’application de la loi informatique et libertés.

 Dans son considérant n°14, le RGPD prévoit, à cet égard, que la protection conférée par le présent règlement devrait s’appliquer aux personnes physiques, indépendamment de leur nationalité ou de leur lieu de résidence, en ce qui concerne le traitement de leurs données à caractère personnel.

Aussi, ce texte n’a pas vocation à couvrir le traitement des données à caractère personnel qui concernent les personnes morales, et en particulier des entreprises dotées de la personnalité juridique, y compris le nom, la forme juridique et les coordonnées de la personne morale.

Toutefois, comme l’a précisé la Cour de justice des Communautés européennes, rien ne s’oppose à ce qu’un État membre étende la portée de la législation nationale transposant les dispositions de la directive 95/46 à des domaines non inclus dans le champ d’application de cette dernière, pour autant qu’aucune autre disposition du droit communautaire n’y fasse obstacle[1].

Ainsi, certains États membres, tels que l’Italie, l’Autriche et le Luxembourg, ont étendu l’application de certaines dispositions de leur législation nationale transposant la directive (comme celles sur les mesures de sécurité) au traitement de données concernant des personnes morales.

Comme dans le cas des informations relatives aux personnes décédées, il peut arriver, en outre, qu’en vertu des modalités pratiques mises en place par le responsable du traitement des données, des données relatives à des personnes morales soient soumises de facto aux règles sur la protection des données.

Tel sera le cas lorsque des données concernant les dirigeants d’une personne morale seront collectées.

Aussi, dans une délibération n° 85-45, du 15 octobre  1985 la CNIL est venue préciser que « sont indirectement nominatives, quelle que soit la forme de l’entreprise, les informations relatives à la situation et à l’activité de l’entreprise, notamment les informations économiques et financières, dès lors qu’elles permettent l’identification des dirigeants ».

Il en résulte que les informations qui concernent les dirigeants de personnes morales doivent, quant à elles, être considérées comme des données à caractère personnel.

III) Des données permettant d’identifier directement ou indirectement une personne physique

L’article 2 de la loi informatique et libertés prévoit, en substance, qu’une personne est identifiable lorsqu’elle peut être identifiée directement ou indirectement par référence à un identifiant qui consiste :

  • soit à un numéro d’identification
  • soit à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres.

Le RGPD précise que l’identifiant peut prendre la forme d’« un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ».

Autrement dit, l’identifiant pourra être qualifié de donnée à caractère personnel, dès lors qu’il permet d’établir un lien direct ou indirect avec la personne à laquelle il est attaché.

Autant dire que toute information qui porte sur les caractéristiques d’une personne est susceptible d’être qualifiée de donnée à caractère personnel.

À cet égard, l’examen des textes révèle que pour déterminer si une personne est identifiable, deux éléments doivent être pris en compte :

  • L’identifiant attaché à la personne
  • Les moyens d’identification de la personne

Il s’en déduit que les informations anonymes ne peuvent, par nature, pas être qualifiées de données à caractère personnel.

A) Sur l’identifiant attaché à la personne

Pour être qualifiée de donnée à caractère personnel, l’information collectée doit permettre l’identification, directe ou indirecte de la personne visée.

D’une manière générale, on peut considérer une personne physique comme « identifiée » lorsque, au sein d’un groupe de personnes, elle se « distingue » de tous les autres membres de ce groupe.

La personne physique est donc « identifiable » lorsque, même sans avoir encore été identifiée, il est possible de le faire (comme l’exprime le suffixe «-able»). Cette seconde option constitue donc en pratique la condition de base qui détermine si les informations entrent dans le champ d’application du troisième élément.

L’identification se fait normalement au moyen d’informations spécifiques que l’on peut appeler «identifiants» et qui présentent une relation particulièrement privilégiée et étroite avec la personne physique concernée.

Il peut s’agir, par exemple, de signes extérieurs concernant l’apparence de cette personne comme sa taille, la couleur de ses cheveux, ses vêtements, etc. ou d’une caractéristique de cette personne qui n’est pas immédiatement perceptible, comme une profession, une fonction, un nom, etc.

Ainsi peut-on considérer que des informations rendent identifiable une personne physique, lorsqu’elles ont trait à cette personne physique. Dans nombre de situations, ce lien est facile à établir.

Par exemple, dans le cas de données enregistrées dans le dossier personnel d’un employé dans un service du personnel, il s’agit clairement de données « concernant » la situation de la personne en sa qualité d’employé.

Il en va de même des données relatives aux résultats de l’examen médical d’un patient dans son dossier médical, ou de l’image d’une personne filmée sur une vidéo lors d’une interview.

On peut citer un certain nombre d’autres situations où il n’est pas toujours aussi évident que dans les cas précédents de déterminer que les informations « concernent » une personne physique.

Dans certaines situations, les informations découlant des données concernent en premier lieu des objets, et non des personnes.

Ces objets appartiennent en général à quelqu’un, ou peuvent subir l’influence particulière de personnes ou exercer une influence particulière sur des personnes ou se trouver d’une manière ou d’une autre à proximité physique ou géographique de personnes ou d’autres objets.

Ce n’est donc que de manière indirecte que l’on pourra considérer que ces informations concernent ces personnes ou ces objets

Ainsi, l’identification d’une personne directe peut être directe ou indirecte

1) L’identification directe

S’agissant des personnes «directement» identifiées ou identifiables, le nom de la personne est évidemment l’identifiant le plus courant et, dans la pratique, la notion de «personne identifiée» implique le plus souvent une référence au nom de cette personne.

Afin de s’assurer de son identité, le nom de la personne doit parfois être associé à d’autres éléments d’information (date de naissance, nom des parents, adresse ou photo d’identité) afin d’éviter toute confusion entre cette personne et d’éventuels homonymes.

À titre d’exemple, l’information selon laquelle X est redevable d’une certaine somme d’argent peut être considérée comme concernant une personne identifiée, car elle est liée au nom de cette personne.

Le nom est un élément d’information qui révèle que la personne utilise cette combinaison de lettres et de sons pour se distinguer d’autres personnes et être distinguée par d’autres personnes avec lesquelles elle établit des relations.

Le nom peut également être le point de départ conduisant à des informations sur le domicile de la personne ou l’endroit où elle se trouve et à des informations sur les membres de sa famille (par le biais du nom de famille) et sur différentes relations juridiques et sociales associées à ce nom (scolarité/études, dossier médical, comptes bancaires).

Il est même possible de connaître l’apparence d’une personne si sa photographie est associée à ce nom. Tous ces nouveaux éléments d’information liés au nom peuvent permettre à quelqu’un de «zoomer» sur la personne en chair et en os, et grâce aux identifiants, l’élément d’information initial est alors associé à une personne physique que l’on peut distinguer d’autres personnes.

2) L’identification indirecte

S’agissant des personnes « indirectement » identifiées ou identifiables, cette catégorie relève en général du phénomène des « combinaisons uniques », à quelque degré que ce soit.

Pour les cas où, de prime abord, les identifiants sont insuffisants pour permettre à quiconque de distinguer une personne particulière, cette personne peut néanmoins être « identifiable », car ces informations combinées à d’autres éléments d’information (que ces derniers soient conservés par le responsable du traitement ou non) permettent de la distinguer parmi d’autres personnes.

C’est pourquoi la directive précise « un ou plusieurs éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique, culturelle ou sociale ».

Certaines caractéristiques, de par leur spécificité, permettent d’identifier quelqu’un sans difficulté («actuel premier ministre espagnol»), mais une combinaison de détails à un niveau catégoriel (tranche d’âge, origine régionale, etc.) peut également s’avérer assez concluante dans certaines circonstances, notamment si l’on a accès à des informations supplémentaires.

Ce phénomène a été étudié de manière approfondie par les statisticiens toujours soucieux de ne pas commettre de violation de la confidentialité.

À cet égard, il convient de relever que si l’identification par le nom constitue, dans la pratique, le moyen le plus répandu, un nom n’est pas toujours nécessaire pour identifier une personne, notamment lorsque d’autres «identifiants» sont utilisés pour distinguer quelqu’un.

En effet, les fichiers informatiques enregistrant les données à caractère personnel attribuent habituellement un identifiant spécifique aux personnes enregistrées pour éviter toute confusion entre deux personnes se trouvant dans un même fichier. Sur l’internet aussi, les outils de surveillance du trafic permettent de cerner facilement le comportement d’une machine et, derrière celle-ci, de son utilisateur.

On reconstitue ainsi la personnalité de l’individu pour lui attribuer certaines décisions. Sans même s’enquérir du nom et de l’adresse de la personne, on peut la caractériser en fonction de critères socio-économiques, psychologiques, philosophiques ou autres et lui attribuer certaines décisions dans la mesure où le point de contact de la personne (l’ordinateur) ne nécessite plus nécessairement la révélation de son identité au sens étroit du terme.

En d’autres termes, la possibilité d’identifier une personne n’implique plus nécessairement la faculté de connaître son identité. La définition des données à caractère personnel reflète ce constat.

La Cour de justice des Communautés européennes a statué dans ce sens, considérant que la « l’opération consistant à faire référence, sur une page Internet, à diverses personnes et à les identifier soit par leur nom, soit par d’autres moyens, par exemple leur numéro de téléphone ou des informations relatives à leurs conditions de travail et à leurs passe-temps, constitue un «traitement de données à caractère personnel »[2].

==> Cas de l’adresse IP

La question s’est posée de savoir si l’adresse IP d’un utilisateur pouvait être qualifiée de donnée à caractère personnel.

Techniquement, une adresse IP est attachée, non pas à une personne mais à une machine. Reste, que cette machine est la propriété d’une personne, de sorte que, à partir d’une adresse IP, il est possible d’identifier son titulaire.

La jurisprudence

Sur cette question la jurisprudence a été fluctuante.

Dans un arrêt du 14 décembre 2006, le Tribunal correctionnel de Bobigny a jugé que l’adresse IP constituait bien une donnée à caractère personnel (T. corr. Bobigny, 14 déc. 2006).

À l’inverse, d’un arrêt du 24 août 2006, la Cour d’appel de Pau a retenu une solution radicalement opposée (CA Pau, 24 août 2006, n° 06/593).

La Cour d’appel de Paris a statué dans le même sens dans un arrêt du 15 mai 2007 (CA Paris, 13e ch., sect. A, 15 mai 2007, n° 06/01954, Henri S. c/ SCPP).

  • Les faits
    • Un prévenu était poursuivi du chef de contrefaçon pour des faits de téléchargement illégal et de mise à disposition des internautes de fichiers musicaux.
    • L’infraction avait été constatée par un agent assermenté d’une société de gestion collective de droits qui a procédé au recueil de l’adresse IP de l’ordinateur du prévenu.
    • Ce dernier prétendait alors que cette opération nécessitait l’obtention d’une autorisation de la CNIL et que le mode de preuve est donc illicite.
    • Cet argument a été écarté par les juges du fond
  • Solution
    • La Cour d’appel de Paris considère arguments le simple constat probatoire de l’élément matériel d’une infraction commise sur Internet par un individu utilisant un pseudonyme, dressé par l’agent, conformément à la législation sur la propriété intellectuelle, ne constitue pas un traitement de données personnelles.
    • Pour elle, seule la plainte auprès des autorités judiciaires a conduit à l’identification de la personne, dans le cadre des règles de procédure pénale.
    • Le relevé de l’adresse IP de l’ordinateur servant à commettre les faits entre dans le constat de la matérialité du délit et non dans l’identification de son auteur.
    • En effet, cette série de chiffres ne constitue pas une donnée indirectement nominative relative à la personne, l’adresse se rapportant à une machine et non à la personne l’utilisant. Les opérations de traitement de données visant à “la mise en place d’une surveillance automatisée des réseaux peer to peer”, auxquelles la CNIL a refusé l’autorisation à la société de gestion des droits par une décision de 2005, sont très différentes du simple procès-verbal d’un agent assermenté transmis aux autorités judiciaires aux fins d’identification et de poursuite.
    • Par conséquent, le procédé utilisé ne nécessitait nullement l’agrément de la CNIL.

Finalement, la Cour de cassation est intervenue dans un arrêt du 13 janvier 2009. Elle ne s’est toutefois pas prononcée en faveur de la qualification de l’adresse IP en donnée à caractère personnel (Cass. crim., 13 janv. 2009, n° 08-84.088).

À cet égard, elle a considéré que « les constatations visuelles effectuées sur internet et les renseignements recueillis en exécution de l’article L. 331-2 du code de la propriété intellectuelle par un agent assermenté qui, sans recourir à un traitement préalable de surveillance automatisé, utilise un appareillage informatique et un logiciel de pair à pair, pour accéder manuellement, aux fins de téléchargement, à la liste des œuvres protégées irrégulièrement proposées sur la toile par un internaute, dont il se contente de relever l’adresse IP pour pouvoir localiser son fournisseur d’accès en vue de la découverte ultérieure de l’auteur des contrefaçons, rentrent dans les pouvoirs conférés à cet agent par la disposition précitée, et ne constituent pas un traitement de données à caractère personnel relatives à ces infractions, au sens des articles 2, 9 et 25 de la loi susvisée »

La chambre criminelle a réitéré cette solution dans un arrêt du 23 mars 2010 (Cass. crim., 23 mars 2010, n° 09-80.787).

Alors que la position de la Cour de cassation était pour le moins critiquée, elle a, dans un arrêt du 3 novembre 2016, opéré un revirement de jurisprudence en considérant, sans ambiguïté que « les adresses IP, qui permettent d’identifier indirectement une personne physique, sont des données à caractère personnel, de sorte que leur collecte constitue un traitement de données à caractère personnel et doit faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL » (Cass, 1ère civ., 3 novembre 2016, n°15-22595).

La haute juridiction s’est ainsi ralliée à la position de la CNIL et de la CJUE.

Cass. 1ère civ. 3 nov. 2016
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les sociétés Groupe logisneuf, C.Invest et European Soft, appartenant toutes trois au groupe Logisneuf, ont constaté la connexion, sur leur réseau informatique interne, d’ordinateurs extérieurs au groupe, mais faisant usage de codes d’accès réservés aux administrateurs du site internet logisneuf.com ; qu’elles ont obtenu du juge des requêtes une ordonnance faisant injonction à divers fournisseurs d’accès à Internet de leur communiquer les identités des titulaires des adresses IP utilisées pour les connexions litigieuses ; que, soutenant que la conservation, sous forme de fichier, de ces adresses IP aurait dû faire l’objet d’une déclaration auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et invoquant, par suite, l’illicéité de la mesure d’instruction sollicitée, la société Cabinet Peterson, qui exerce une activité de conseil en investissement et en gestion de patrimoine concurrente de celle du groupe Logisneuf, a saisi le président du tribunal de commerce en rétractation de son ordonnance ;

Sur les premier et deuxième moyens, ci-après annexés :

Attendu que ces moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 2 et 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ;

Attendu qu’aux termes du premier de ces textes, constitue une donnée à caractère personnel toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres ; que constitue un traitement de données à caractère personnel toute opération ou tout ensemble d’opérations portant sur de telles données, quel que soit le procédé utilisé, et notamment la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, ainsi que le verrouillage, l’effacement ou la destruction ;

Que, selon le second, les traitements automatisés de données à caractère personnel font l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL ;

Attendu que, pour rejeter la demande de rétractation formée par la société Cabinet Peterson, l’arrêt retient que l’adresse IP, constituée d’une série de chiffres, se rapporte à un ordinateur et non à l’utilisateur, et ne constitue pas, dès lors, une donnée même indirectement nominative ; qu’il en déduit que le fait de conserver les adresses IP des ordinateurs ayant été utilisés pour se connecter, sans autorisation, sur le réseau informatique de l’entreprise, ne constitue pas un traitement de données à caractère personnel ;

Qu’en statuant ainsi, alors que les adresses IP, qui permettent d’identifier indirectement une personne physique, sont des données à caractère personnel, de sorte que leur collecte constitue un traitement de données à caractère personnel et doit faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du troisième moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 28 avril 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;

La position de la CNIL

Dans un avis du 2 août 2007, la CNIL avait fait part de son inquiétude s’agissant de l’absence de reconnaissance, par la jurisprudence, de la qualification de données à caractère personnel de l’adresse IP.

Pour la gardienne de la loi informatique et libertés, cette position remet profondément en cause la notion de donnée à caractère personnel qui est très large.

En effet, l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée en 2004 qui la définit, vise toute information relative à une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à des éléments qui lui sont propres. Ce qui est le cas d’un numéro de plaque d’immatriculation de véhicule, d’un numéro de téléphone ou d’une adresse IP.

L’ensemble des autorités de protection des données des États membres de l’Union européenne a d’ailleurs récemment rappelé, dans un avis du 20 juin 2007 relatif au concept de données à caractère personnel, que l’adresse IP attribuée à un internaute lors de ses communications constituait une donnée à caractère personnel.

Surtout, la CNIL s’inquiète des répercussions qu’une telle jurisprudence pourrait avoir sur la protection de la vie privée et des libertés individuelles sur internet, de plus en plus largement utilisé par tous, dans notre société

La position du G29

Le groupe de travail de l’article 29 a considéré les adresses IP comme des données concernant une personne identifiable.

Le G29 justifie sa position en relevant que les fournisseurs d’accès Internet et les gestionnaires des réseaux locaux peuvent, en utilisant des moyens raisonnables, identifier les utilisateurs Internet auxquels ils ont attribué des adresses IP, du fait qu’ils enregistrent systématiquement dans un fichier les date, heure, durée et adresse dynamique IP donnée à l’utilisateur Internet.

Il en va de même pour les fournisseurs de services internet qui conservent un fichier-registre sur le serveur HTTP. Dans ces cas, on peut parler, sans l’ombre d’un doute, de données à caractère personnel au sens de l’article 2, point a), de la directive».

Il apparaît notamment que lorsque le traitement d’adresses IP a été effectué pour identifier les utilisateurs de l’ordinateur (par exemple, par des titulaires de droits d’auteur afin de poursuivre ces utilisateurs d’ordinateurs pour violation de droits de la propriété intellectuelle), le responsable du traitement part du principe que les « moyens susceptibles d’être raisonnablement mis en œuvre » pour identifier les personnes seront disponibles, par exemple par l’intermédiaire des tribunaux saisis (sinon la collecte d’informations serait inutile), de sorte qu’il convient de considérer ces informations comme des données à caractère personnel.

La position de la CJUE

Dans un arrêt du 24 novembre 2011, la CJUE s’est prononcée pour la première fois sur la question de savoir si l’adresse IP pouvait être qualifiée de donnée à caractère personnel (CJUE, 24 nov. 2011, aff. C-70/10, Scarlet Extended).

Elle a considéré que les adresses IP étaient bien des données protégées à caractère personnel, car elles permettent l’identification précise desdits utilisateurs.

Dans un autre arrêt du 19 octobre 2016 elle a confirmé sa jurisprudence en considérant que « une adresse IP (protocole Internet) dynamique par laquelle un utilisateur a accédé au site Internet d’un fournisseur de médias électroniques constitue pour celui-ci une donnée à caractère personnel, dans la mesure où un fournisseur d’accès au réseau possède des informations supplémentaires qui, combinées à l’adresse IP dynamique, permettraient d’identifier l’utilisateur » (CJUE, 19 oct. 2016, aff. C-582/14).

Ce qui importe, c’est donc que l’information collectée rende la personne identifiable. Or pour qu’une personne soit considérée comme identifiable, il n’est pas nécessaire que tous les moyens d’identification de cette personne se trouvent entre les mains d’une seule entité.

Ainsi, une adresse IP peut constituer une donnée à caractère personnel si un tiers (par exemple, le fournisseur d’accès à Internet) dispose des moyens nécessaires à l’identification du titulaire de cette adresse sans déployer d’efforts démesurés.

Le RGPD

Le considérant 30 du RGPD prévoit que « les personnes physiques peuvent se voir associer, par les appareils, applications, outils et protocoles qu’elles utilisent, des identifiants en ligne tels que des adresses IP et des témoins de connexion («cookies») ou d’autres identifiants, par exemple des étiquettes d’identification par radiofréquence. Ces identifiants peuvent laisser des traces qui, notamment lorsqu’elles sont combinées aux identifiants uniques et à d’autres informations reçues par les serveurs, peuvent servir à créer des profils de personnes physiques et à identifier ces personnes. »

Il se déduit ainsi de ce texte que l’adresse IP constitue bien une donnée à caractère personnel. Le débat semble désormais clos.

Au total, il importe peu qu’une personne puisse être directement ou indirectement identifiée, toute la difficulté étant, au fond, de déterminer, si l’information collectée se rapporte à une personne physique identifiable.

Pour ce faire, il convient de se tourner, soit vers les textes, soit vers la jurisprudence lesquels fournissent plusieurs critères d’appréciations.

B) Sur les moyens d’identification de la personne

L’article 2 de la loi informatique et libertés dispose que « pour déterminer si une personne est identifiable, il convient de considérer l’ensemble des moyens en vue de permettre son identification dont dispose ou auxquels peut avoir accès le responsable du traitement ou toute autre personne. »

Cela signifie que la simple possibilité hypothétique de distinguer une personne n’est pas suffisante pour considérer cette personne comme «identifiable».

Si, compte tenu de l’ensemble des moyens susceptibles d’être raisonnablement mis en œuvre, soit par le responsable du traitement, soit par une autre personne, cette possibilité n’existe pas ou qu’elle est négligeable, la personne ne saurait être considérée comme «identifiable» et les informations ne seraient pas des «données à caractère personnel».

Le critère de l’ensemble des moyens susceptibles d’être raisonnablement mis en œuvre doit notamment prendre en compte tous les facteurs en jeu.

Le considérant 26 du RGPD précise en ce sens que « pour établir si des moyens sont raisonnablement susceptibles d’être utilisés pour identifier une personne physique, il convient de prendre en considération l’ensemble des facteurs objectifs, tels que le coût de l’identification et le temps nécessaire à celle-ci, en tenant compte des technologies disponibles au moment du traitement et de l’évolution de celles-ci ».

Ainsi, la finalité visée, la manière dont le traitement est structuré, l’intérêt escompté par le responsable du traitement, les intérêts en jeu pour les personnes, les risques de dysfonctionnements organisationnels (par exemple violations du devoir de confidentialité) et les défaillances techniques sont autant d’aspects qu’il convient de prendre en considération.

Par ailleurs, ce critère présente un caractère dynamique d’où la nécessité de tenir compte de l’état d’avancement technologique au moment du traitement et de changements éventuels pendant la période pour laquelle les données seront traitées. Il se peut que l’identification ne soit pas possible aujourd’hui avec l’ensemble des moyens existants auxquels l’on peut raisonnablement recourir.

Si les données doivent être conservées pendant une durée d’un mois, il est probable que l’identification ne pourra intervenir pendant la «durée de vie» des informations, et elles ne sauraient dès lors être considérées comme des données à caractère personnel.

Cependant, si elles doivent être conservées pendant dix ans, le responsable du traitement doit envisager la possibilité d’une identification pouvant intervenir même au cours de la neuvième année, ce qui en ferait à ce moment-là des données à caractère personnel. Il est souhaitable que le système puisse s’adapter à ces développements lorsqu’ils interviennent, et intégrer alors les mesures techniques et organisationnelles appropriées en temps utile.

En toute hypothèse, un facteur essentiel pour évaluer l’ensemble des moyens susceptibles d’être raisonnablement mis en œuvre pour identifier les personnes sera, en réalité, la finalité visée par le responsable du traitement dans le cadre du traitement des données.

Lorsque la finalité du traitement implique l’identification de personnes physiques, il est permis de penser que le responsable du traitement ou toute autre personne concernée dispose ou disposera de moyen «susceptibles d’être raisonnablement mis en œuvre» pour identifier la personne concernée.

En réalité, prétendre que les personnes physiques ne sont pas identifiables alors que la finalité du traitement est précisément de les identifier serait une contradiction absolue in terminis. Il est dès lors essentiel de considérer ces informations comme concernant des personnes physiques identifiables et d’appliquer les règles de protection des données à leur traitement.

[1] CJUE Arrêt du 6 novembre 2003 dans l’affaire C-101/2001 (Lindqvist), point 98

[2] CJUE Arrêt du 6 novembre 2003 dans l’affaire C-101/2001 (Lindqvist), point 27.

L’abus de dépendance ou la violence économique

Il ressort des articles 1142 et 1143 du Code civil que la violence, en tant que vice du consentement, est sanctionnée quel que soit son auteur.

Contrairement au dol, elle peut émaner :

  • Soit d’un tiers
  • Soit de circonstances particulières

Nous nous focaliserons ici sur la seconde situation.

?Exposé de la problématique

S’il ne fait aucun doute que la violence peut émaner d’une personne, qu’il s’agisse du contractant lui-même ou d’un tiers, la question s’est rapidement posée de savoir si elle ne pouvait pas dériver de circonstances extérieures au contrat.

Plus précisément, les auteurs se sont interrogés sur l’assimilation de ce que l’on appelle l’état de nécessité à la violence.

En matière contractuelle, l’état de nécessité se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, en raison de circonstances économiques, naturelles ou politiques est contrainte, par la force des choses, de contracter à des conditions qu’elle n’aurait jamais acceptées si les circonstances qui la placent dans cette situation ne s’étaient pas produites.

L’exemple classique est celui du navire perdu en mer et d’un remorqueur qui profiterait de la situation pour lui imposer un prix bien plus élevé que celui habituellement pratiqué.

Doit-on considérer qu’il s’agit là d’un cas de violence, alors même qu’elle n’émane pas, à proprement parler, d’une personne ?

?Hésitations

Les opinions divergent et la jurisprudence n’est guère abondante sur le sujet.

Certaines décisions, toutefois, paraissent ne pas exclure l’idée qu’il puisse y avoir là un cas de violence.

  • Arguments contre l’assimilation de l’état de nécessité à a violence
    • Le premier argument consistait à dire que lorsqu’un contrat est conclu alors qu’une partie se trouvait dans un état de nécessité, cela relève moins du vice de violence que de la lésion. Or la lésion n’est pas sanctionnée en droit français
    • Quant au second argument avancé par les auteurs, il trouvait sa source dans une interprétation stricte des anciennes dispositions du Code civil qui n’envisageait pas que la violence puisse émaner de circonstances.
  • Arguments pour l’assimilation de l’état de nécessité à la violence
    • L’existence d’une lésion ne constitue nullement un obstacle à l’annulation d’un contrat, dès lors qu’il est établi que le consentement de la victime a été vicié.
    • En outre, lorsque la violence résulte de circonstances, elle n’en a pas moins toujours pour origine, in fine, une personne qui a abusé des circonstances en vue de priver la victime de sa liberté de contracter.

?Assimilation de l’état de nécessité à la violence en matière de contrat d’assistance maritime

Convaincue par ces derniers arguments, dans un arrêt célèbre du 28 avril 1887, la Cour de cassation a admis que les circonstances, qui avaient conduit le capitaine d’un bateau à accepter des conditions qu’il n’aurait jamais acceptées si son navire n’était pas en péril, étaient constitutives du vice de violence (Cass. req., 27 avr. 1887)

Plus tard, le législateur consacrera cette jurisprudence dans une loi du 29 avril 1916, relative au sauvetage en mer.

Désormais, elle figure à l’article L. 5132-6 du Code des transports qui prévoit qu’un contrat ou certaines de ses clauses peuvent être annulés ou modifiés, si :

  • Soit le contrat a été conclu sous une pression abusive ou sous l’influence du danger et que ses clauses ne sont pas équitables
  • Soit le paiement convenu en vertu du contrat est beaucoup trop élevé ou beaucoup trop faible pour les services effectivement rendus

Le domaine d’application de cette disposition est cependant circonscrit aux seuls contrats d’assistance maritime.

La question s’est alors posée de savoir s’il ne convenait pas de lui donner une portée générale

?La reconnaissance de la violence économique

Dans un arrêt du 30 mai 2000, la première chambre civile a admis l’assimilation de l’état de nécessité à la violence en dehors du cadre d’un contrat d’assistance maritime.

Elle a affirmé à cette occasion que « la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion » (Cass. 1er civ. 30 mai 2000, n°98-15.242).

Cass. 1ère civ. 30 mai 2000

Attendu que M. X…, assuré par les Assurances mutuelles de France ” Groupe azur ” (le Groupe Azur) a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait ; que, le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs ;

Sur le premier moyen : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu les articles 2052 et 2053 du Code civil, ensemble l’article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation de l’acte du 10 septembre 1991, l’arrêt attaqué retient que, la transaction ne pouvant être attaquée pour cause de lésion, la contrainte économique dont fait état M. X… ne saurait entraîner la nullité de l’accord ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la transaction peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion, la cour d’appel a violé les textes susvisés

  • Faits
    • Un particulier a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait
    • Le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs
  • Demande
    • L’assuré engage une action en nullité du protocole d’accord, en invoquant la violence dont il aurait fait l’objet
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 18 mars 1998, la Cour d’appel de Paris rejette la demande formulée par l’assuré
    • Elle estime que la convention ne pouvait pas être attaquée pour cause de lésion, celle-ci ne constituant pas une cause de nullité en droit français
  • Solution
    • Dans son arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel estimant que la transaction en l’espèce pouvait parfaitement faire l’objet d’une action en nullité, dans la mesure où la contrainte économique à laquelle était soumis l’assuré lors de la conclusion de l’acte litigieux était constitutive du vice de violence et non d’une lésion.
  • Analysé
    • Ainsi, pour la première fois, la Cour de cassation admet-elle que la contrainte économique puisse constituer un cas de violence en dehors du contexte maritime.

?La délimitation de la violence économique : l’arrêt Bordas

Dans un célèbre arrêt Bordas du 3 avril 2002, la Cour de cassation a estimé que « seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement » (Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002, n°00-12.932).

Arrêt Bordas

(Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002)

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1112 du Code civil ;

Attendu que Mme X… était collaboratrice puis rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas depuis 1972 ; que selon une convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, elle a reconnu la propriété de son employeur sur tous les droits d’exploitation d’un dictionnaire intitulé ” Mini débutants ” à la mise au point duquel elle avait fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire ; que, devenue ” directeur éditorial langue française ” au terme de sa carrière poursuivie dans l’entreprise, elle en a été licenciée en 1996 ; que, en 1997, elle a assigné la société Larousse-Bordas en nullité de la cession sus-évoquée pour violence ayant alors vicié son consentement, interdiction de poursuite de l’exploitation de l’ouvrage et recherche par expert des rémunérations dont elle avait été privée ;

Attendu que, pour accueillir ces demandes, l’arrêt retient qu’en 1984, son statut salarial plaçait Mme X… en situation de dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant d’accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu’elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu’aux dispositions protectrices des droits d’auteur ; que leur refus par elle aurait nécessairement fragilisé sa situation, eu égard au risque réel et sérieux de licenciement inhérent à l’époque au contexte social de l’entreprise, une coupure de presse d’août 1984 révélant d’ailleurs la perspective d’une compression de personnel en son sein, même si son employeur ne lui avait jamais adressé de menaces précises à cet égard ; que de plus l’obligation de loyauté envers celui-ci ne lui permettait pas, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent ; que cette crainte de perdre son travail, influençant son consentement, ne l’avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses droits d’auteur comme elle aurait pu le faire si elle n’avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant, ce lien n’ayant cessé qu’avec son licenciement ultérieur ;

Attendu, cependant, que seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, sans constater, que lors de la cession, Mme X… était elle-même menacée par le plan de licenciement et que l’employeur avait exploité auprès d’elle cette circonstance pour la convaincre, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la seconde branche du premier moyen, ni sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 janvier 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles.

  • Faits
    • Une rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas a, par convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, reconnu la propriété de son employeur sur tous les droits d’exploitation d’un dictionnaire intitulé ” Mini débutants ” à la mise au point duquel elle avait fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire
    • Devenue ” directrice éditoriale langue française ” au terme de sa carrière poursuivie dans l’entreprise, elle en a été licenciée en 1996.
  • Demande
    • La salariée licenciée assigne son employeur en nullité de la cession sus-évoquée pour violence ayant alors vicié son consentement.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 12 janvier 2000, la Cour d’appel de paris, accède à la demande de nullité de la salariée licenciée la requérante.
    • Les juges du fond estiment que :
      • d’une part, le statut salarial plaçait la requérante en situation de dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant d’accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu’elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu’aux dispositions protectrices des droits d’auteur
      • d’autre part, la Cour d’appel relève que l’obligation de loyauté due envers son employeur ne permettait pas à la salariée licenciée, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent
      • Les juges du fond en déduisent que cette crainte de perdre son travail, influençant son consentement, ne l’avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses droits d’auteur comme elle aurait pu le faire si elle n’avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant.
  • Solution
    • Par un arrêt du 3 avril 2002, au visa de l’article 1112 du Code civil, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris
    • La première chambre civil avance, au soutien de sa décision, que la seule situation de dépendance économique ne suffit pas à caractériser la violence cause de nullité contractuelle.
    • Pour la Cour de cassation, le vice de violence ne pouvait être caractérisé en l’espèce que si la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée était exploitée abusivement par son employeur.
    • Or aucun des éléments sur lesquels les juges du fond se sont appuyés ne permettait d’établir l’existence d’un tel abus.
    • D’où la cassation de l’arrêt pour défaut de base légale.
    • L’affaire est renvoyée devant une autre Cour d’appel, à qui il est revenu la tâche de déterminer si l’employeur avait ou non abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée.

?Consécration légale de l’abus de l’état de dépendance

L’ordonnance du 10 février 2016 est, manifestement, venue consacrer la jurisprudence Bordas en insérant dans le Code civil un article 1143 qui prévoit que « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

Il ressort de cette disposition que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’abus de l’état de dépendance soit caractérisé :

  • Une situation de dépendance
    • Le texte ne précisant pas de quel type de dépendance il doit s’agir, on peut en déduire qu’il ne vise pas seulement l’état de dépendance économique.
    • Est-ce à dire que l’état de dépendance affective serait également visé ?
    • Rien ne permet d’exclure, en l’état du droit positif, cette éventualité.
  • Un abus de la situation de dépendance
    • Il ne suffit pas de démontrer qu’une partie au contrat se trouve dans un état de dépendance par rapport à une autre pour établir le vice de violence.
    • Encore faut-il que la partie en position de supériorité ait abusé de la situation.
    • Aussi, l’existence d’une situation de dépendance n’est pas propre à faire peser une présomption de violence.
  • L’octroi d’un avantage manifestement excessif
    • Pour que l’abus de dépendance soit caractérisé, cela suppose que l’auteur de la violence ait obtenu un avantage manifestement excessif que son cocontractant ne lui aurait jamais consenti s’il ne s’était pas retrouvé en situation de dépendance
    • Cette condition a, manifestement, été reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dès l’arrêt Bordas, faisait de cette exigence un élément constitutif de la violence économique (V. notamment Cass. 3e civ. 22 mai 2012, n°11-16.826).