(Version à jour de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations)
Il ressort des articles 1142 et 1143 du Code civil que la violence est sanctionnée quel que soit son auteur.
Contrairement au dol, elle peut émaner :
- Soit d’un tiers
- Soit de circonstances particulières
I) La violence émanant d’un tiers
L’article 1142 du Code civil prévoit expressément que « la violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers. »
Pour mémoire, l’ancien article 1111 disposait que la violence est une cause de nullité quand bien même elle est « exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite. »
Les auteurs justifient cette règle par le fait que la violence n’a pas seulement pour effet de vicier le consentement de la victime : elle porte atteinte à sa liberté de contracter.
Le contractant qui fait l’objet de violences est donc privé de tout consentement, d’où la sévérité du législateur à son endroit.
II) La violence émanant de circonstances
==> Exposé de la problématique
- S’il ne fait aucun doute que la violence peut émaner d’une personne, qu’il s’agisse du contractant lui-même ou d’un tiers, la question s’est rapidement posée de savoir si elle ne pouvait pas dériver de circonstances extérieures au contrat.
- Plus précisément, les auteurs se sont interrogés sur l’assimilation de ce que l’on appelle l’état de nécessité à la violence.
- En matière contractuelle, l’état de nécessité se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, en raison de circonstances économiques, naturelles ou politiques est contrainte, par la force des choses, de contracter à des conditions qu’elle n’aurait jamais acceptées si les circonstances qui la placent dans cette situation ne s’étaient pas produites.
- L’exemple classique est celui du navire perdu en mer et d’un remorqueur qui profiterait de la situation pour lui imposer un prix bien plus élevé que celui habituellement pratiqué.
- Doit-on considérer qu’il s’agit là d’un cas de violence, alors même qu’elle n’émane pas, à proprement parler, d’une personne ?
==> Hésitations
- Les opinions divergent et la jurisprudence n’est guère abondante sur le sujet.
- Certaines décisions, toutefois, paraissent ne pas exclure l’idée qu’il puisse y avoir là un cas de violence.
- Arguments contre l’assimilation de l’état de nécessité à a violence
- Le premier argument consistait à dire que lorsqu’un contrat est conclu alors qu’une partie se trouvait dans un état de nécessité, cela relève moins du vice de violence que de la lésion. Or la lésion n’est pas sanctionnée en droit français
- Quant au second argument avancé par les auteurs, il trouvait sa source dans une interprétation stricte des anciennes dispositions du Code civil qui n’envisageait pas que la violence puisse émaner de circonstances.
- Arguments pour l’assimilation de l’état de nécessité à la violence
- L’existence d’une lésion ne constitue nullement un obstacle à l’annulation d’un contrat, dès lors qu’il est établi que le consentement de la victime a été vicié.
- En outre, lorsque la violence résulte de circonstances, elle n’en a pas moins toujours pour origine, in fine, une personne qui a abusé des circonstances en vue de priver la victime de sa liberté de contracter.
- Arguments contre l’assimilation de l’état de nécessité à a violence
==> Assimilation de l’état de nécessité à la violence en matière de contrat d’assistance maritime
- Convaincue par ces derniers arguments, dans un arrêt célèbre du 28 avril 1887, la Cour de cassation a admis que les circonstances, qui avaient conduit le capitaine d’un bateau à accepter des conditions qu’il n’aurait jamais acceptées si son navire n’était pas en péril, étaient constitutives du vice de violence ( req., 27 avr. 1887)
- Plus tard, le législateur consacrera cette jurisprudence dans une loi du 29 avril 1916, relative au sauvetage en mer.
- Désormais, elle figure à l’article L. 5132-6 du Code des transports qui prévoit qu’un « contrat ou certaines de ses clauses peuvent être annulés ou modifiés, si :
- 1° Le contrat a été conclu sous une pression abusive ou sous l’influence du danger et que ses clauses ne sont pas équitables ; ou
- 2° Si le paiement convenu en vertu du contrat est beaucoup trop élevé ou beaucoup trop faible pour les services effectivement rendus»
- Le domaine d’application de cette disposition est cependant circonscrit aux seuls contrats d’assistance maritime.
- La question s’est alors posée de savoir s’il ne convenait pas de lui donner une portée générale
==> La reconnaissance de la violence économique
- Dans un arrêt du 30 mai 2000, la première chambre civile a admis l’assimilation de l’état de nécessité à la violence en dehors du cadre d’un contrat d’assistance maritime.
- Elle a affirmé à cette occasion que « la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion » ( 1er civ. 30 mai 2000)
- Faits
- Un particulier a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait
- Le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs
- Demande
- L’assuré engage une action en nullité du protocole d’accord, en invoquant la violence dont il aurait fait l’objet
- Procédure
- Dans un arrêt du 18 mars 1998, la Cour d’appel de Paris rejette la demande formulée par l’assuré
- Elle estime que la convention ne pouvait pas être attaquée pour cause de lésion, celle-ci ne constituant pas une cause de nullité en droit français
- Solution
- Dans son arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel estimant que la transaction en l’espèce pouvait parfaitement faire l’objet d’une action en nullité, dans la mesure où la contrainte économique à laquelle était soumis l’assuré lors de la conclusion de l’acte litigieux était constitutive du vice de violence et non d’une lésion.
- Analysé
- Ainsi, pour la première fois, la Cour de cassation admet-elle que la contrainte économique puisse constituer un cas de violence en dehors du contexte maritime.
==> La délimitation de la violence économique : l’arrêt Bordas
- Dans un célèbre arrêt Bordas du 3 avril 2002, la Cour de cassation a estimé que « seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement» ( 1ère civ. 3 avr. 2002).
- Faits
- Une rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas a, par convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, reconnu la propriété de son employeur sur tous les droits d’exploitation d’un dictionnaire intitulé ” Mini débutants ” à la mise au point duquel elle avait fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire
- Devenue ” directrice éditoriale langue française ” au terme de sa carrière poursuivie dans l’entreprise, elle en a été licenciée en 1996
- Demande
- La salariée licenciée assigne son employeur en nullité de la cession sus-évoquée pour violence ayant alors vicié son consentement
- Procédure
- Par un arrêt du 12 janvier 2000, la Cour d’appel de paris, accède à la demande de nullité de la salariée licenciée la requérante.
- Les juges du fond estiment que :
- d’une part, le statut salarial plaçait la requérante en situation de dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant d’accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu’elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu’aux dispositions protectrices des droits d’auteur
- d’autre part, la Cour d’appel relève que l’obligation de loyauté due envers son employeur ne permettait pas à la salariée licenciée, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent
- Les juges du fond en déduisent que cette crainte de perdre son travail, influençant son consentement, ne l’avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses droits d’auteur comme elle aurait pu le faire si elle n’avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant
- Solution
- Par un arrêt du 3 avril 2002, au visa de l’article 1112 du Code civil, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris
- La première chambre civil avance, au soutien de sa décision, que la seule situation de dépendance économique ne suffit pas à caractériser la violence cause de nullité contractuelle.
- Pour la Cour de cassation, le vice de violence ne pouvait être caractérisé en l’espèce que si la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée était exploitée abusivement par son employeur.
- Or aucun des éléments sur lesquels les juges du fond se sont appuyés ne permettait d’établir l’existence d’un tel abus.
- D’où la cassation de l’arrêt pour défaut de base légale.
- L’affaire est renvoyée devant une autre Cour d’appel, à qui il est revenu la tâche de déterminer si l’employeur avait ou non abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée.
- Portée
- La solution dégagée dans l’arrêt Bordas a été confirmée par la suite dans plusieurs autres décisions (V. en ce sens com. 3 oct. 2006; Cass. com. 22 mai 2012)
==> Consécration légale de l’abus de l’état de dépendance
- L’ordonnance du 10 février 2016 est, manifestement, venue consacrer la jurisprudence Bordas en insérant dans le Code civil un article 1143 qui prévoit que « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »
- Il ressort de cette disposition que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’abus de l’état de dépendance :
- Une situation de dépendance
- Le texte ne précisant pas de quel type de dépendance il doit s’agir, on peut en déduire qu’il ne vise pas seulement l’état de dépendance économique.
- Est-ce à dire que l’état de dépendance affective serait également visé ?
- Rien ne permet d’exclure, en l’état du droit positif, cette éventualité.
- Un abus de la situation de dépendance
- Il ne suffit pas de démontrer qu’une partie au contrat se trouve dans un état de dépendance par rapport à une autre pour établir le vice de violence.
- Encore faut-il que la partie en position de supériorité ait abusé de la situation.
- Aussi, l’existence d’une situation de dépendance n’est pas propre à faire peser une présomption de violence.
- L’octroi d’un avantage manifestement excessif
- Pour que l’abus de dépendance soit caractérisé, cela suppose que l’auteur de la violence ait obtenu un avantage manifestement excessif que son cocontractant ne lui aurait jamais consenti s’il ne s’était pas retrouvé en situation de dépendance
- Cette condition a, manifestement, été reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dès l’arrêt Bordas, faisait de cette exigence un élément constitutif de la violence économique (V. notamment 3e civ. 22 mai 2012).
- Une situation de dépendance
L’incertitude sur la portée de cette disposition, en raison de l’absence de définition claire de l’état de dépendance et des interrogations sur son articulation tant avec le régime de protection des incapables prévu par le code civil qu’avec les dispositions existantes au sein d’autres branches du droit ou au sein des droits spéciaux des contrats, est apparue être source de complexité et d’insécurité juridique.
Aussi a-t-il été jugé que ce régime, dont l’objectif est la protection de la partie la plus faible au contrat, était susceptible d’avoir des effets contre-productifs en décourageant des cocontractants présumés forts de contracter avec des parties présumées faibles, par crainte de voir leur contrat annulé sur le fondement de l’abus de l’état de dépendance.
Dans un premier temps, il a dès lors été décidé de restreindre l’application de l’abus de l’état de dépendance au champ économique, en se référant à une formulation bien connue et établie par la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 1ère civ., 30 mai 2000, n° 98-15.242), soit en visant expressément « l’abus de dépendance économique ».
Finalement, la commission des lois de l’Assemblée nationale a, préféré supprimer la mention du champ économique introduite par le Sénat, au motif qu’elle aurait restreint la protection apportée aux cocontractants les plus faibles.
Dans un second temps, il a été rappelé que la lettre de l’article 1143 du code civil ne permet pas de protéger, au sens strict, une personne considérée comme faible ou vulnérable, mais bien une partie à un contrat qui se trouverait dans une situation de dépendance, c’est-à-dire une personne en position de sujétion par rapport à une autre.
Aussi, afin de répondre aux inquiétudes exprimées sur la portée de cette nouvelle acception du vice de violence, tout en restant fidèle à l’esprit originel du texte, le législateur a décidé d’indiquer explicitement que l’état de dépendance de l’une des parties au contrat s’entend bien à l’égard de son cocontractant, c’est-à-dire dans le cadre expressément défini du contrat entre les deux parties.
La doctrine a pu faire valoir en ce sens que, en l’absence de précision, l’état de dépendance pourrait aussi être constitué à l’égard d’un tiers, et pas seulement à l’égard du cocontractant qui en abuse.
Afin d’écarter cette possibilité et de le limiter le champ de l’abus de dépendance aux seules hypothèses de dépendance de l’une des parties à l’égard de l’autre il a été choisi d’ajouter la précision « à son égard ».