Les nullités de la période suspecte

En cas d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, le législateur a institué un système de nullités qui s’appliquent au cours de la période s’étendant de la date de la cessation des paiements à la date du jugement d’ouverture. Cette période est qualifiée de suspecte.

L’objectif poursuivi par ce dispositif est de sanctionner les actes qui, entre ces deux dates, auraient pour objet ou pour effet de disperser l’actif du débiteur ou d’avantager indûment certains débiteurs par rapport à d’autres, avant même l’ouverture d’une procédure collective.

Tout d’abord, il peut être observé que la procédure de sauvegarde n’est pas concernée par la période suspecte dans la mesure où elle est subordonnée à l’absence de cessation des paiements.

Or il s’agit là du point de départ de la période suspecte.

La détermination de la date de cessation des paiements présente ainsi un intérêt majeur.

==> Période suspecte et cessation des paiements

  • Fixation initiale de la date de cessation des paiements
    • Aux termes de l’article L. 631-8 du Code de commerce le tribunal fixe la date de cessation des paiements après avoir sollicité les observations du débiteur.
    • À défaut de détermination de cette date, la cessation des paiements est réputée être intervenue à la date du jugement d’ouverture de la procédure.
    • Ainsi, le Tribunal tentera de déterminer le plus précisément possible le moment à partir duquel le débiteur n’était plus en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.
    • Si l’identification de ce moment est impossible, c’est la date du jugement d’ouverture qui fera office de date de la cessation des paiements.
    • En toute hypothèse, la cessation des paiements doit être appréciée au jour où la juridiction statue (V. en ce sens com. 14 nov. 2000).
    • Il en va de même lorsque le débiteur a interjeté appel ( com. 7 nov. 1989).
  • Report de la date de cessation des paiements
    • Principe
      • En cours de procédure, le Tribunal peut être conduit à modifier la date de cessation des paiements
      • L’article L. 631-8, al. 2e dispose en ce sens que « elle peut être reportée une ou plusieurs fois»
    • Conditions
      • Les personnes ayant qualité à agir
        • La demande de report de la date de cessation des paiements ne peut être formulée que par les personnes limitativement énumérées par l’article L. 631-8, al. 3e du Code de commerce
          • l’administrateur
          • le mandataire judiciaire
          • le ministère public
        • Ainsi, le débiteur n’a pas qualité à agir en report de la date de cessation des paiements.
        • Il en va de même pour les créanciers qui souhaiteraient agir à titre individuel
      • Le délai de demande du report
        • L’article L. 631-8 du Code de commerce prévoit que la demande de modification de date doit être présentée au tribunal dans le délai d’un an à compter du jugement d’ouverture de la procédure.
        • Une fois ce délai écoulé, l’action en report est forclose de sorte que la date de cessation des paiements est définitivement figée.
    • Limites
      • La possibilité pour le Tribunal saisi de reporter la date de cessation des paiements est enfermée dans trois limites
        • Première limite : date butoir
          • Si la date de cessation des paiements peut être reportée plusieurs fois, elle ne peut pas être antérieure à plus de 18 mois à la date du jugement d’ouverture de la procédure
          • La date butoir des 18 mois peut être écartée dans certains cas prévus par la jurisprudence
            • Caractérisation du délit de banqueroute ( crim. 12 janv. 1981).
            • Action en comblement de l’insuffisance d’actif ( com. 30 nov. 1993).
        • Deuxième limite : homologation de l’accord amiable
          • Lorsqu’une procédure de conciliation a été ouverte et que l’accord conclu entre le débiteur et les créanciers a été homologué, la date de cessation des paiements ne peut pas être antérieure à la date de la décision d’homologation.
        • Troisième limite : personne morale en formation
          • La date de cessation des paiements ne peut fort logiquement jamais être reportée antérieurement à la date de naissance de la personne morale, quand bien même la date butoir des 18 mois n’est pas atteinte ( com. 1er févr. 2000).

==> Période suspecte et présomption de fraude

Ensuite, si le législateur a décidé de faire peser une présomption de fraude sur les actes accomplis par le débiteur pendant la période suspecte, tous ne sont pas logés à la même enseigne.

Cette présomption sera plus ou moins facile à combattre selon la nature et la gravité de l’acte.

Aussi, plusieurs cas de nullité doivent être distingués. Plus précisément, deux catégories de nullités sont envisagées par le Code de commerce.

  • Les nullités de droit
    • Elles sanctionnent les actes sur lesquels pèse une présomption irréfragable de fraude
  • Les nullités facultatives
    • Elles sanctionnent les actes dont le caractère frauduleux est laissé à la libre appréciation du juge

I) Les nullités de droit

Les nullités de droit sont celles qui doivent être prononcées par le juge dès lors que l’un des actes énumérés par l’article L. 632-1 du Code de commerce a été accompli par le débiteur au cours de la période suspecte.

Tous les actes visés par cette disposition sont irréfragablement présumés comme anormaux, soit parce qu’ils ont pour effet de distraire certains biens du patrimoine du débiteur, soit parce qu’ils ont pour effet de porter atteinte au principe d’égalité des créanciers.

L’article L. 632-1 du Code de commerce énumère douze cas de nullités de droit :

  • Tous les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière
    • Sont ici visés tous les actes de donation qui par nature sont suspects en raison de la situation de fragilité dans laquelle le débiteur se trouvait au moment où ils sont été accomplis.
    • Peu importe la forme de la donation, ce qui compte étant l’existence d’une intension libérale du débiteur qui conduit à un appauvrissement de l’actif de l’entreprise sans contrepartie.
  • Tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l’autre partie
    • Pour mémoire le contrat est commutatif lorsque chacune des parties s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit.
    • Autrement dit, le contrat commutatif est celui où l’étendue, l’importance et le montant des prestations réciproques sont déterminés lors de la formation du contrat
    • Aussi, sont ici visés les contrats qui ont été conclus sans véritable contrepartie
    • À tout le moins la contrepartie consentie au débiteur est dérisoire
  • Tout paiement, quel qu’en ait été le mode, pour dettes non échues au jour du paiement
    • Sont ici visés les paiements effectués par le débiteur avant le terme de l’obligation.
    • Ce dernier a ainsi réglé une dette qu’il n’était pas tenu de payer car non encore arrivée à échéance.
    • Pour cette raison, on suspecte que ce paiement a été accompli afin de permettre au créancier satisfait d’échapper à la procédure de répartition.
  • Tout paiement pour dettes échues, fait autrement qu’en espèces, effets de commerce, virements, bordereaux de cession visés par la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises ou tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d’affaires
    • Ce qui est ici suspect ce n’est pas la date du paiement, mais le mode de règlement utilisé par le débiteur.
      • Les modes de paiements normaux
        • Aux termes de l’article L. 632-1-I-4 quatre modes de paiements sont réputés normaux
          • Le paiement en espèces
          • Le paiement par effets de commerce
          • Le paiement par virement bancaire
          • Le paiement par bordereau Dailly
        • En dehors de ce texte, plusieurs autres modes de paiement sont admis par la jurisprudence
          • La cession de créance ( com. 30 mars 1993)
          • La délégation ( com. 23 janv. 2001)
          • La compensation légale
      • Les modes de paiement anormaux
        • La dation en paiement
        • La compensation conventionnelle
  • Tout dépôt et toute consignation de sommes effectués en application de l’article 2075-1 du code civil, à défaut d’une décision de justice ayant acquis force de chose jugée
    • Pour mémoire, l’article 2075-1 du Code civil désormais codifié à l’article 2350 prévoit que le dépôt ou la consignation de sommes, effets ou valeurs, ordonné judiciairement à titre de garantie ou à titre conservatoire, emporte affectation spéciale et droit de préférence au sens de l’article 2333.
    • Ainsi, est ici visé le privilège du gagiste sur les sommes consignées par le débiteur à la suite d’une décision judiciaire
    • La nullité se justifie car l’opération s’apparente à la constitution d’une sûreté en garantie d’une créance antérieure.
  • Toute hypothèque conventionnelle, toute hypothèque judiciaire ainsi que l’hypothèque légale des époux et tout droit de nantissement ou de gage constitués sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées
    • Sont ici visées les sûretés prises durant la période suspecte en garantie d’une créance antérieure.
    • Les sûretés personnelles ne sont manifestement pas concernées par ce cas de nullité
    • Il peut être observé que la date de référence qui doit être prise en compte pour déterminer si la sûreté a été prise au cours de la période suspecte est le jour de constitution de la sûreté et non sa date de publication.
  • Toute mesure conservatoire, à moins que l’inscription ou l’acte de saisie ne soit antérieur à la date de cessation de paiement
    • Sont ici visées les mesures conservatoires prises là encore en garantie d’une créance antérieure
    • Il s’agit notamment des saisies conservatoires et des sûretés judiciaires conservatoires
  • Toute autorisation et levée d’options définies aux articles L. 225-177 et suivants du présent code
    • Ce cas de nullité a pour objet de sanctionner par la nullité les autorisations, levées et reventes d’options donnant droit à la souscription d’actions, intervenues au cours de la période suspecte.
    • L’article L. 225-177 du code de commerce permet, en effet, à l’assemblée générale extraordinaire d’une société anonyme d’autoriser, sur le rapport du conseil d’administration ou du directoire, et sur le rapport spécial des commissaires aux comptes, le conseil d’administration ou le directoire à consentir, au bénéfice des membres du personnel salarié de la société ou de certains d’entre eux, des options donnant droit à la souscription d’actions.
    • Ces options d’achat peuvent alors être levées par leurs bénéficiaires, dans un délai déterminé.
    • L’application du régime des nullités de la période suspecte se justifie alors par le fait que les propriétaires d’options pourraient avoir accès à des informations avant les marchés financiers sur l’état des difficultés de l’entreprise et seraient donc susceptibles d’en abuser et d’affaiblir encore davantage le capital de l’entreprise.
    • Aussi, par souci de limiter au maximum les risques de détournement qui pourraient intervenir au cours de la période suspecte, il importe d’éviter que les dirigeants d’une société qui connaît des difficultés qui l’ont conduite à la cessation des paiements puissent procéder à des opérations sur leurs stocks-options.
  • Tout transfert de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire, à moins que ce transfert ne soit intervenu à titre de garantie d’une dette concomitamment contractée
    • La fiducie constitue ainsi une cause de nullité lorsque l’acte est accompli au cours de la période suspecte
    • Le législateur a souhaité observer un certain parallélisme avec le sort des sûretés réelles.
  • Tout avenant à un contrat de fiducie affectant des droits ou biens déjà transférés dans un patrimoine fiduciaire à la garantie de dettes contractées antérieurement à cet avenant
    • Est ici visée l’opération de fiducie-sûreté « rechargeable »
    • Le législateur sanctionne ici encore la volonté du créancier d’échapper à la procédure de répartition.
  • Lorsque le débiteur est un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, toute affectation ou modification dans l’affectation d’un bien, sous réserve du versement des revenus mentionnés à l’article L. 526-18, dont il est résulté un appauvrissement du patrimoine visé par la procédure au bénéfice d’un autre patrimoine de cet entrepreneur
    • Le législateur anticipe ici un éventuel changement d’affectation par le débiteur de ses biens
    • Il est, en effet, un risque que, en cas de cession des paiements, ce dernier ne soit tenté de transférer son patrimoine d’une masse de biens à l’autre.
  • La déclaration d’insaisissabilité faite par le débiteur en application de l’article L. 526-1.
    • Ce cas de nullité procède de la même logique que le précédent
    • Surtout, il a été institué par le législateur afin de briser la jurisprudence de la Cour de cassation qui, par exemple, dans un arrêt du 13 mars 2012 a dénié le droit à un liquidateur de contester la déclaration d’insaisissabilité accomplie par le débiteur au cours de la période suspecte en raison d’un défaut de qualité à agir.
    • La chambre commerciale a estimé en ce sens que « le liquidateur ne peut légalement agir que dans l’intérêt de tous les créanciers et non dans l’intérêt personnel d’un créancier ou d’un groupe de créanciers ; qu’en application du premier, la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant ; qu’en conséquence, le liquidateur n’a pas qualité pour agir, dans l’intérêt de ces seuls créanciers, en inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité » ( com. 13 mars 2012).

II) Les nullités facultatives

Les nullités facultatives sont celles sur lesquelles ne pèse pas de présomption irréfragable de fraude.

Elles viennent sanctionner les actes dont le caractère frauduleux est laissé à la libre appréciation du juge

Ainsi, le juge dispose-t-il d’un pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de prononcer une nullité facultative.

Trois cas de nullité facultative sont énumérés par les articles L. 632-1, II et L. 632-2 du Code de commerce :

  • Les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière et la déclaration d’insaisissabilité faits dans les six mois précédant la date de cessation des paiements ( L. 632-1, II C. com.)
    • Les actes visés ici sont les mêmes que ceux sanctionnés par une nullité de droit
    • Seulement, ils ont été accomplis, non pas au cours de la période suspecte, mais dans les 6 mois qui précèdent cette période
  • Les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements ( L. 632-2, al. 1er C. com.)
    • Le domaine de cette nullité est extrêmement vaste
    • Cette disposition offre, en effet, la possibilité au juge d’annuler tous les actes et paiements effectués par le débiteur avec un créancier qui avait connaissance de la cessation de paiement.
    • La difficulté sera alors d’établir que le créancier avait connaissance au moment de la conclusion de l’acte de l’état de cessation des paiements du débiteur.
    • La preuve peut se faire par tous moyens.
  • Tout avis à tiers détenteur, toute saisie attribution ou toute opposition peut également être annulé lorsqu’il a été délivré ou pratiqué par un créancier à compter de la date de cessation des paiements et en connaissance de celle-ci.
    • Nouveauté de la loi du 26 juillet 2005, le législateur a envisagé que des actes émanant de tiers puissent faire l’objet d’une nullité.
    • Il en va ainsi des avis à tiers détenteur, des saisies-attribution et des oppositions
    • Il faut néanmoins qu’ils interviennent au cours de la période suspecte pour être menacés par la sanction de l’annulation.

La lésion: régime juridique

Il ressort des articles 1168 à 1171 du Code civil que, pour être valide, le contrat doit assurer une certaine équivalence entre les prestations des parties.

L’existence d’un déséquilibre contractuel ne sera cependant pas toujours sanctionnée, notamment lorsqu’il s’apparentera à une lésion.

Aussi, afin de déterminer si l’exigence d’équivalence des prestations est satisfaite, cela supposera de vérifier :

  • D’une part, si la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage n’est pas illusoire ou dérisoire.
  • D’autre part, si une clause du contrat ne porte pas atteinte à une obligation essentielle.
  • Enfin, si une stipulation contractuelle ne crée pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

Nous nous focaliserons ici sur la lésion.

Aux termes du nouvel article 1168 du Code civil « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement. »

Ainsi, conformément à la tradition française, le législateur a-t-il maintenu l’absence de sanction de la lésion : elle n’est pas une cause de nullité.

Pour mémoire, l’ancien article 1118 du Code civil disposait que « la lésion ne vicie les conventions que dans certains contrats ou à l’égard de certaines personnes, ainsi qu’il sera expliqué en la même section. »

I) Notion

Classiquement, la lésion est définie comme le préjudice subi par l’une des parties au moment de la conclusion du contrat, du fait d’un déséquilibre existant entre les prestations.

Il ressort de cette définition que la lésion présente deux caractéristiques majeures :

  • Il s’agit d’un vice originel, car elle se crée au moment de la formation du contrat, et non lors de son exécution
  • Il s’agit d’un vice objectif, en ce sens qu’elle procède d’un déséquilibre exclusivement économique. Elle peut donc être caractérisée en l’absence d’un vice du consentement.

II) La nature de la lésion

Deux conceptions s’affrontent s’agissant de la nature de la lésion

A) La conception subjective

La lésion s’apparenterait à un vice du consentement.

L’existence d’un déséquilibre entre les prestations au moment de conclusion du contrat ne peut s’expliquer que par une altération du consentement de l’une des parties

Si, en somme, le consentement de la victime était libre et éclairé lors de la conclusion de l’acte, elle ne se serait jamais engagée en des termes aussi défavorables.

B) La conception objective

Selon cette conception, la lésion consisterait, non pas en un vice du consentement, mais en un déséquilibre contractuel.

Autrement dit, elle s’analyserait seulement en un défaut d’équivalence des prestations, « indépendamment des circonstances qui ont pu l’accompagner ou lui donner naissance » (Cass. req., 28 déc. 1932).

La lésion est ainsi fondée sur la justice commutative, par opposition à la justice distributive :

  • La justice commutative
    • C’est la justice qui repose sur l’égalité purement arithmétique
    • Aussi la justice commutative renvoie-t-elle la notion d’équité
    • Elle aura pour formule « A chacun une part égale »
    • Il s’agit de la justice qui préside aux échanges et aux relations entre les individus
      • Le vendeur doit obtenir l’équivalent de la chose fournie.
      • Le salarié doit être rémunéré à hauteur des services fournis.
      • La victime doit obtenir une compensation intégrale de son dommage.
  • La justice distributive
    • C’est la justice qui repose, non pas sur une égalité arithmétique, mais sur l’égalité géométrique
    • Aussi, la justice distributive renvoie-t-elle à la notion de proportion
    • Selon Aristote, la justice n’est pas une simple égalité comme peut l’être la justice commutative
    • Elle est une égalité de rapports, c’est-à-dire une Proportion, de la forme :

part de x mérite de x

———– = ———-

part de y mérite de y

    • Selon cette conception de la justice, chacun doit recevoir en fonction de ses mérites, de ses vertus
    • Il ne serait pas juste en effet de donner une récompense égale à tous les étudiants d’une université : ici pour être juste, équitable, on doit donner à chacun selon son mérite
    • Ainsi, le critère de répartition n’est pas du tout le même que celui qui préside à la justice commutative.
      • On traite de manière égale ce qui est égal
      • On traite de manière inégale ce qui est inégal
    • Quand justice commutative, on traite ce qui est inégal ce qui est égal
    • Selon Jean Dabin, « La justice distributive doit s’entendre, non d’une égalité mathématique de quantités, tous les citoyens étant censés égaux en valeur, en besoins, en mérite et devant donc recevoir exactement le même traitement, mais d’une égalité de proportion, chacun étant appelé à participer à la distribution d’après certaines règles générales, valables pour tous, mais tirées des qualités personnelles des sujets par rapport à l’élément du bien commun à distribuer ».
    • Exemples :
      • Le montant de l’impôt dû par les contribuables doit être calculé en fonction des facultés contributives de chacun
      • Les fonctions publiques doivent être réservées aux plus aptes, aux plus compétents et aux plus intègres

Au total, il apparaît que justice commutative et justice distributive sont deux visions opposées de la justice :

  • La justice commutative est juridique, individualiste
  • La justice distributive est politique, corrective et sociale

Ainsi, au regard de ces deux conceptions, DROIT et JUSTICE ne sauraient se confondre !

S’agissant de la lésion, lorsque, par exception, elle est sanctionnée, il ressort de la jurisprudence que la Cour de cassation rattache toujours cette dernière à la justice commutative.

III) Le principe d’indifférence de la lésion

Il résulte donc de l’article 1168 du Code civil que « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement. »

Ainsi, l’existence d’un déséquilibre lésionnaire au moment de la formation du contrat n’affecte pas sa validité.

Régulièrement, la jurisprudence a l’occasion de rappeler ce principe qui fait l’objet d’une application particulièrement stricte.

Dans un arrêt du 18 octobre 1994, la Cour de cassation a par exemple refusé de faire droit à la demande d’une épouse qui avait engagé une action en rescision pour lésion d’une convention de divorce homologuée par le Juge aux affaires familiales (Cass. 1ère civ. 18 oct. 1994).

La première chambre civile argue, au soutien de sa décision, que « le prononcé du divorce et l’homologation de la convention définitive ayant un caractère indissociable, celle-ci, qu’elle porte ou non sur le partage de l’ensemble du patrimoine des époux, ne peut être remise en cause hors des cas limitativement prévus par la loi, au nombre desquels ne figure pas la rescision pour lésion »

Dans un autre arrêt 15 janvier 1997, la haute juridiction a encore estimé que l’action en rescision pour lésion ne pouvait pas être invoquée dans le cadre d’une opération de retrait de l’associé d’une société (Cass. 3e civ. 15 janv. 1997, n°94-22.154).

La troisième chambre civile affirme en ce sens que « si l’article 1844-9 du Code civil, après avoir déterminé les règles de liquidation des sociétés, dispose que les règles concernant le partage des successions s’appliquent au partage de l’actif entre associés, ce texte ne peut recevoir application que lorsque l’actif social a été établi après paiement des dettes et remboursement du capital social et que la liquidation de la société ne se confond pas avec le retrait d’associé qui laisse survivre la société après une simple réduction de capital et qui ne donne lieu qu’à l’évaluation des droits de l’associé ». Elle en déduit alors que « le retrait d’associé n’était pas susceptible de rescision pour lésion »

Elle adopte également la même position en matière de cession d’office ministériel. Dans un arrêt du 7 décembre 2004, la Cour de cassation a ainsi considéré que « s’appliquent aux cessions d’offices publics ou ministériels les règles de droit commun de la vente mobilière qui n’admettent pas la révision du prix » (Cass. 1ère civ. 7 déc. 2004, n°01-10.271).

IV) Justification de l’absence de sanction de la lésion

Deux raisons principales sont généralement avancées pour justifier l’absence de sanction de la lésion en droit français :

  • Première justification : la théorie de l’autonomie de la volonté
    • Les rédacteurs du Code civil estiment que dès lors que le consentement des parties existe ou n’est pas vicié, le déséquilibre qui se crée entre les prestations au moment de la formation du contrat est réputé avoir été voulu.
    • Pour René Savatier « la valeur de l’engagement libre devait l’emporter même sur le déséquilibre du contrat ».
    • Autrement dit, les prestations sont présumées irréfragablement équivalentes parce que les parties ont, en toute connaissance de cause, contracté l’une avec l’autre.
    • Si un déséquilibre existait au moment de la formation du contrat, jamais les contractants n’auraient échangé leurs consentements.
    • Ainsi, la validité du contrat ne saurait-elle être subordonnée à l’existence d’une équivalence objective des prestations.
    • L’équivalence doit seulement être subjective, en ce sens qu’il suffit que les parties aient regardé les prestations comme équivalentes.
    • Il s’agit donc là d’une application stricte de l’autonomie de la volonté
    • Conformément à la célèbre formule de Fouillée : « qui dit contractuel, dit juste ».
    • Ainsi, le juste prix est toujours celui convenu entre les parties et non celui fixé en considération d’éléments extérieurs à leur volonté.
  • Seconde justification : l’impératif de sécurité juridique des relations
    • Afin que les conventions ne puissent pas être trop facilement remises en cause par les parties, il est nécessaire de lier les parties à leur engagement sans possibilité pour elles de s’y soustraire en invoquant un déséquilibre entre les prestations
    • Qui plus est, comment mettre en œuvre le principe de la lésion ? Quels critères retenir pour déterminer si l’équivalence des prestations est ou non atteinte ?
    • Ainsi, est-il préférable de ne pas sanctionner la lésion : on risquerait de porter atteinte à la sécurité juridique que le contrat a pour fonction de procurer aux parties.

V) Les exceptions

Deux sortes d’exceptions au principe d’absence de sanction de la lésion : des exceptions explicites et des exceptions implicites

?Les exceptions explicites

Si article 1168 du Code civil pose un principe d’indifférence de la lésion en droit français, il assortit ce principe d’une limite : l’hypothèse où la loi en dispose autrement.

Or nombreux sont les textes qui envisagent la lésion comme une cause de nullité :

  • Les actes accomplis par le mineur non émancipé
    • L’article 1149 du Code civil prévoit que « les actes courants accomplis par le mineur peuvent être annulés pour simple lésion. Toutefois, la nullité n’est pas encourue lorsque la lésion résulte d’un événement imprévisible. »
  • Les actes accomplis par le majeur incapable
    • La sauvegarde de justice
      • L’article 435 al. 2 prévoit que « les actes qu’elle a passés et les engagements qu’elle a contractés pendant la durée de la mesure peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès alors même qu’ils pourraient être annulés en vertu de l’article 414-1. Les tribunaux prennent notamment en considération l’utilité ou l’inutilité de l’opération, l’importance ou la consistance du patrimoine de la personne protégée et la bonne ou mauvaise foi de ceux avec qui elle a contracté. »
    • Le mandat de protection future
      • L’article 488 prévoit que « les actes passés et les engagements contractés par une personne faisant l’objet d’un mandat de protection future mis à exécution, pendant la durée du mandat, peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès alors même qu’ils pourraient être annulés en vertu de l’article 414-1 ».
  • L’action en complément de part en matière de succession
    • L’article 889 prévoit que « lorsque l’un des copartageants établit avoir subi une lésion de plus du quart, le complément de sa part lui est fourni, au choix du défendeur, soit en numéraire, soit en nature. Pour apprécier s’il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l’époque du partage. »
  • La vente d’immeuble
    • L’article 1674 dispose que « si le vendeur a été lésé de plus de sept douzièmes dans le prix d’un immeuble, il a le droit de demander la rescision de la vente, quand même il aurait expressément renoncé dans le contrat à la faculté de demander cette rescision, et qu’il aurait déclaré donner la plus-value. »
  • La cession de droits d’auteur
    • L’article 131-5 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « en cas de cession du droit d’exploitation, lorsque l’auteur aura subi un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l’œuvre, il pourra provoquer la révision des conditions de prix du contrat. »

?Les exceptions implicites

Bien que, par principe, la lésion ne soit pas sanctionnée lorsqu’elle affecte un acte juridique, il est néanmoins certaines dispositions du droit commun des contrats qui permettent de contourner cette règle.

  • L’exigence d’une contrepartie non illusoire ou dérisoire (art. 1169 C. civ.)
    • En exigeant, pour les contrats à titre onéreux, que les engagements pris par les parties soient assortis d’une contrepartie non illusoire ou dérisoire, cela revient à admettre que la lésion puisse être une cause de nullité lorsque le déséquilibre des prestations est tel que l’une des parties s’est engagée sans contrepartie à l’obligation souscrite.
  • L’erreur sur la valeur provoquée par un dol (art. 1139 C. civ.)
    • Si l’erreur sur la valeur est toujours indifférente, elle devient une cause de nullité lorsqu’elle a été provoquée par un dol
    • Aussi, cela revient-il, indirectement, qu’un déséquilibre lésionnaire puisse être sanctionné.
  • La prohibition des clauses léonines (art. 1844-1 C. civ.)
    • Aux termes de l’article 1844-1, al. 2 du Code civil « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ».
    • Trois interdictions ressortent de cette disposition qui prohibe ce que l’on appelle les clauses léonines, soit les stipulations qui attribueraient à un associé « la part du lion ».
    • En vertu de cette disposition sont ainsi prohibées les clauses qui :
      • attribueraient à un seul associé la totalité des bénéfices réalisés par la société
      • excluraient totalement un associé du partage des bénéfices
      • mettraient à la charge d’un associé la totalité des pertes
    • Ainsi, cela revient-il à admettre que la lésion puisse être une cause de nullité, lorsqu’une clause statutaire met à la charge d’un associé la totalité des pertes subies par la société

VI) La sanction de la lésion

Lorsqu’elle est admise, la lésion peut donner lieu à deux types de sanctions :

  • La rescision du contrat
    • La rescision pour lésion produit les mêmes effets que la nullité
    • Le contrat est anéanti rétroactivement
    • L’action en rescision appartient à la seule partie lésée
  • La révision du contrat
    • Dans certains cas, le juge peut maintenir le contrat et se contenter de le rééquilibrer.
    • Il procédera alors à une réduction du prix

L’abus de dépendance ou la violence économique

Il ressort des articles 1142 et 1143 du Code civil que la violence, en tant que vice du consentement, est sanctionnée quel que soit son auteur.

Contrairement au dol, elle peut émaner :

  • Soit d’un tiers
  • Soit de circonstances particulières

Nous nous focaliserons ici sur la seconde situation.

?Exposé de la problématique

S’il ne fait aucun doute que la violence peut émaner d’une personne, qu’il s’agisse du contractant lui-même ou d’un tiers, la question s’est rapidement posée de savoir si elle ne pouvait pas dériver de circonstances extérieures au contrat.

Plus précisément, les auteurs se sont interrogés sur l’assimilation de ce que l’on appelle l’état de nécessité à la violence.

En matière contractuelle, l’état de nécessité se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, en raison de circonstances économiques, naturelles ou politiques est contrainte, par la force des choses, de contracter à des conditions qu’elle n’aurait jamais acceptées si les circonstances qui la placent dans cette situation ne s’étaient pas produites.

L’exemple classique est celui du navire perdu en mer et d’un remorqueur qui profiterait de la situation pour lui imposer un prix bien plus élevé que celui habituellement pratiqué.

Doit-on considérer qu’il s’agit là d’un cas de violence, alors même qu’elle n’émane pas, à proprement parler, d’une personne ?

?Hésitations

Les opinions divergent et la jurisprudence n’est guère abondante sur le sujet.

Certaines décisions, toutefois, paraissent ne pas exclure l’idée qu’il puisse y avoir là un cas de violence.

  • Arguments contre l’assimilation de l’état de nécessité à a violence
    • Le premier argument consistait à dire que lorsqu’un contrat est conclu alors qu’une partie se trouvait dans un état de nécessité, cela relève moins du vice de violence que de la lésion. Or la lésion n’est pas sanctionnée en droit français
    • Quant au second argument avancé par les auteurs, il trouvait sa source dans une interprétation stricte des anciennes dispositions du Code civil qui n’envisageait pas que la violence puisse émaner de circonstances.
  • Arguments pour l’assimilation de l’état de nécessité à la violence
    • L’existence d’une lésion ne constitue nullement un obstacle à l’annulation d’un contrat, dès lors qu’il est établi que le consentement de la victime a été vicié.
    • En outre, lorsque la violence résulte de circonstances, elle n’en a pas moins toujours pour origine, in fine, une personne qui a abusé des circonstances en vue de priver la victime de sa liberté de contracter.

?Assimilation de l’état de nécessité à la violence en matière de contrat d’assistance maritime

Convaincue par ces derniers arguments, dans un arrêt célèbre du 28 avril 1887, la Cour de cassation a admis que les circonstances, qui avaient conduit le capitaine d’un bateau à accepter des conditions qu’il n’aurait jamais acceptées si son navire n’était pas en péril, étaient constitutives du vice de violence (Cass. req., 27 avr. 1887)

Plus tard, le législateur consacrera cette jurisprudence dans une loi du 29 avril 1916, relative au sauvetage en mer.

Désormais, elle figure à l’article L. 5132-6 du Code des transports qui prévoit qu’un contrat ou certaines de ses clauses peuvent être annulés ou modifiés, si :

  • Soit le contrat a été conclu sous une pression abusive ou sous l’influence du danger et que ses clauses ne sont pas équitables
  • Soit le paiement convenu en vertu du contrat est beaucoup trop élevé ou beaucoup trop faible pour les services effectivement rendus

Le domaine d’application de cette disposition est cependant circonscrit aux seuls contrats d’assistance maritime.

La question s’est alors posée de savoir s’il ne convenait pas de lui donner une portée générale

?La reconnaissance de la violence économique

Dans un arrêt du 30 mai 2000, la première chambre civile a admis l’assimilation de l’état de nécessité à la violence en dehors du cadre d’un contrat d’assistance maritime.

Elle a affirmé à cette occasion que « la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion » (Cass. 1er civ. 30 mai 2000, n°98-15.242).

Cass. 1ère civ. 30 mai 2000

Attendu que M. X…, assuré par les Assurances mutuelles de France ” Groupe azur ” (le Groupe Azur) a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait ; que, le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs ;

Sur le premier moyen : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu les articles 2052 et 2053 du Code civil, ensemble l’article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation de l’acte du 10 septembre 1991, l’arrêt attaqué retient que, la transaction ne pouvant être attaquée pour cause de lésion, la contrainte économique dont fait état M. X… ne saurait entraîner la nullité de l’accord ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la transaction peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion, la cour d’appel a violé les textes susvisés

  • Faits
    • Un particulier a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait
    • Le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs
  • Demande
    • L’assuré engage une action en nullité du protocole d’accord, en invoquant la violence dont il aurait fait l’objet
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 18 mars 1998, la Cour d’appel de Paris rejette la demande formulée par l’assuré
    • Elle estime que la convention ne pouvait pas être attaquée pour cause de lésion, celle-ci ne constituant pas une cause de nullité en droit français
  • Solution
    • Dans son arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel estimant que la transaction en l’espèce pouvait parfaitement faire l’objet d’une action en nullité, dans la mesure où la contrainte économique à laquelle était soumis l’assuré lors de la conclusion de l’acte litigieux était constitutive du vice de violence et non d’une lésion.
  • Analysé
    • Ainsi, pour la première fois, la Cour de cassation admet-elle que la contrainte économique puisse constituer un cas de violence en dehors du contexte maritime.

?La délimitation de la violence économique : l’arrêt Bordas

Dans un célèbre arrêt Bordas du 3 avril 2002, la Cour de cassation a estimé que « seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement » (Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002, n°00-12.932).

Arrêt Bordas

(Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002)

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1112 du Code civil ;

Attendu que Mme X… était collaboratrice puis rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas depuis 1972 ; que selon une convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, elle a reconnu la propriété de son employeur sur tous les droits d’exploitation d’un dictionnaire intitulé ” Mini débutants ” à la mise au point duquel elle avait fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire ; que, devenue ” directeur éditorial langue française ” au terme de sa carrière poursuivie dans l’entreprise, elle en a été licenciée en 1996 ; que, en 1997, elle a assigné la société Larousse-Bordas en nullité de la cession sus-évoquée pour violence ayant alors vicié son consentement, interdiction de poursuite de l’exploitation de l’ouvrage et recherche par expert des rémunérations dont elle avait été privée ;

Attendu que, pour accueillir ces demandes, l’arrêt retient qu’en 1984, son statut salarial plaçait Mme X… en situation de dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant d’accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu’elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu’aux dispositions protectrices des droits d’auteur ; que leur refus par elle aurait nécessairement fragilisé sa situation, eu égard au risque réel et sérieux de licenciement inhérent à l’époque au contexte social de l’entreprise, une coupure de presse d’août 1984 révélant d’ailleurs la perspective d’une compression de personnel en son sein, même si son employeur ne lui avait jamais adressé de menaces précises à cet égard ; que de plus l’obligation de loyauté envers celui-ci ne lui permettait pas, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent ; que cette crainte de perdre son travail, influençant son consentement, ne l’avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses droits d’auteur comme elle aurait pu le faire si elle n’avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant, ce lien n’ayant cessé qu’avec son licenciement ultérieur ;

Attendu, cependant, que seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, sans constater, que lors de la cession, Mme X… était elle-même menacée par le plan de licenciement et que l’employeur avait exploité auprès d’elle cette circonstance pour la convaincre, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la seconde branche du premier moyen, ni sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 janvier 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles.

  • Faits
    • Une rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas a, par convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, reconnu la propriété de son employeur sur tous les droits d’exploitation d’un dictionnaire intitulé ” Mini débutants ” à la mise au point duquel elle avait fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire
    • Devenue ” directrice éditoriale langue française ” au terme de sa carrière poursuivie dans l’entreprise, elle en a été licenciée en 1996.
  • Demande
    • La salariée licenciée assigne son employeur en nullité de la cession sus-évoquée pour violence ayant alors vicié son consentement.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 12 janvier 2000, la Cour d’appel de paris, accède à la demande de nullité de la salariée licenciée la requérante.
    • Les juges du fond estiment que :
      • d’une part, le statut salarial plaçait la requérante en situation de dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant d’accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu’elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu’aux dispositions protectrices des droits d’auteur
      • d’autre part, la Cour d’appel relève que l’obligation de loyauté due envers son employeur ne permettait pas à la salariée licenciée, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent
      • Les juges du fond en déduisent que cette crainte de perdre son travail, influençant son consentement, ne l’avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses droits d’auteur comme elle aurait pu le faire si elle n’avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant.
  • Solution
    • Par un arrêt du 3 avril 2002, au visa de l’article 1112 du Code civil, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris
    • La première chambre civil avance, au soutien de sa décision, que la seule situation de dépendance économique ne suffit pas à caractériser la violence cause de nullité contractuelle.
    • Pour la Cour de cassation, le vice de violence ne pouvait être caractérisé en l’espèce que si la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée était exploitée abusivement par son employeur.
    • Or aucun des éléments sur lesquels les juges du fond se sont appuyés ne permettait d’établir l’existence d’un tel abus.
    • D’où la cassation de l’arrêt pour défaut de base légale.
    • L’affaire est renvoyée devant une autre Cour d’appel, à qui il est revenu la tâche de déterminer si l’employeur avait ou non abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée.

?Consécration légale de l’abus de l’état de dépendance

L’ordonnance du 10 février 2016 est, manifestement, venue consacrer la jurisprudence Bordas en insérant dans le Code civil un article 1143 qui prévoit que « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

Il ressort de cette disposition que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’abus de l’état de dépendance soit caractérisé :

  • Une situation de dépendance
    • Le texte ne précisant pas de quel type de dépendance il doit s’agir, on peut en déduire qu’il ne vise pas seulement l’état de dépendance économique.
    • Est-ce à dire que l’état de dépendance affective serait également visé ?
    • Rien ne permet d’exclure, en l’état du droit positif, cette éventualité.
  • Un abus de la situation de dépendance
    • Il ne suffit pas de démontrer qu’une partie au contrat se trouve dans un état de dépendance par rapport à une autre pour établir le vice de violence.
    • Encore faut-il que la partie en position de supériorité ait abusé de la situation.
    • Aussi, l’existence d’une situation de dépendance n’est pas propre à faire peser une présomption de violence.
  • L’octroi d’un avantage manifestement excessif
    • Pour que l’abus de dépendance soit caractérisé, cela suppose que l’auteur de la violence ait obtenu un avantage manifestement excessif que son cocontractant ne lui aurait jamais consenti s’il ne s’était pas retrouvé en situation de dépendance
    • Cette condition a, manifestement, été reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dès l’arrêt Bordas, faisait de cette exigence un élément constitutif de la violence économique (V. notamment Cass. 3e civ. 22 mai 2012, n°11-16.826).