La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent: régime juridique

Lorsqu’un contrat est anéanti, soit par voie de nullité, soit par voie de résolution, soit encore par voie de caducité, il y a lieu de liquider la situation contractuelle dans laquelle se trouvent les parties et à laquelle il a été mis fin.

Pour ce faire, a été mis en place le système des restitutions. Ces restitutions consistent, en somme, pour chaque partie à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition propre aux restitutions après anéantissement du contrat. Tout au plus, il ne contenait que quelques règles éparses sur la mise en œuvre de ce mécanisme, telles que les dispositions relatives à la répétition de l’indu, dont la jurisprudence s’est inspirée pour régler le sort des restitutions en matière contractuelle.

La réforme du droit des obligations a été l’occasion pour le législateur de combler ce vide en consacrant, dans le Code civil, un chapitre propre aux restitutions.

Surtout, le but recherché était d’unifier la matière en rassemblant les règles dans un même corpus normatif et que celui-ci s’applique à toutes formes de restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation, la résolution, la caducité ou encore la répétition de l’indu.

À l’examen, le régime juridique attaché aux restitutions s’articule autour de trois axes déterminés par l’objet desdites restitutions.

À cet égard, les règles applicables diffèrent selon que, la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, sur une somme d’argent ou sur une prestation de service.

En substance, il ressort des textes que :

  • D’une part, la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent se fait, par principe, en nature et lorsque cela est impossible, par équivalent monétaire
  • D’autre part, la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées
  • Enfin, la restituons d’une prestation de service a lieu en valeur

Nous nous focaliserons sur la première forme de restitutions.

?Textes

La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent est régie aux articles 1352 à 1352-3 du Code civil. L’article 1352-5 du Code civil en complète le régime.

?Domaine

Par chose, il faut entendre, tant les meubles que les immeubles, à l’exclusion des sommes d’argent.

La restitution de ces dernières fait l’objet d’un traitement spécifique à l’article 1352-6. Cette disposition a, en effet, vocation à s’appliquer lorsque l’exécution de l’obligation consiste en le paiement d’une valeur monétaire.

Quant aux contrats dont l’anéantissement conduit à la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent, il peut s’agir, tout aussi bien de contrats translatifs de propriété (contrat de vente, contrat d’entreprise, donation, échange etc.), que de contrats qui ne font que mettre à la disposition du débiteur une chose sans lui en transférer la propriété (contrat de bail, contrat de dépôt, contrat de prêt, etc.).

?Régime

Lorsque la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, le principe posé par l’article 1352 du Code civil, c’est la restitution en nature.

Par exception, soit lorsque la restitution en nature s’avère impossible, la restitution se fera en valeur, soit par équivalent monétaire.

I) Principe : la restitution en nature

A) Exposé du principe

L’article 1352 du Code civil pose donc le principe de restitution en nature des choses autres qu’une somme d’argent.

L’instauration de ce principe, d’abord reconnu par la jurisprudence, puis consacré par la loi, procède de l’objectif poursuivi par le législateur qui vise à remettre les parties dans la situation patrimoniale à laquelle elles se trouvaient au moment de la survenance de l’irrégularité entachant l’acte ou de son inexécution.

Aussi, le retour à ce statu quo ante suppose, avant toute chose, d’exiger des parties qu’elles restituent à l’autre ce qui se trouve encore entre dans leurs patrimoines respectifs.

Lorsqu’il s’agit de restituer en nature un corps certain, la partie qui le détient devra restituer à son cocontractant le même corps certain que celui qui lui a été remis lors de son entrée en possession.

Lorsque, en revanche, la restitution porte sur une chose de genre, la chose rendue devra être de même nature, être restituée dans la même quotité et présenter les mêmes qualités.

B) Mise en œuvre du principe

Si, en cas d’anéantissement d’un acte, la restitution, en nature, des choses qui se trouvaient dans les patrimoines respectifs des parties est une étape nécessaire vers un retour au statu quo ante, cette opération n’est, dans bien des cas, pas suffisante.

Entre le moment où la chose a été remise et la date de sa restitution, des événements sont, en effet, susceptibles d’avoir affecté l’état de la chose.

Elle peut, tout aussi bien avoir été détériorée ou s’être dégradée, qu’avoir fait l’objet d’améliorations ou de réparations.

Des dépenses auront, par ailleurs, pu être exposées pour assurer sa conservation. La chose peut encore avoir produit des fruits en même temps qu’il a été permis à son détenteur d’en jouir.

Aussi, afin de se rapprocher de la situation dans laquelle les parties se trouvaient au moment de la survenance de l’irrégularité ayant entaché l’acte ou de son inexécution, il est nécessaire de rétablir les équilibres qui ont pu être rompus en raison :

  • Soit des dépenses exposées par détenteur de la chose pour assurer sa conservation
  • Soit des circonstances qui ont affecté l’état de la chose (plus-values et moins-values)
  • Soit de la jouissance que la chose a procurée et des fruits dont le détenteur a tiré profit

Pour ce faire, les articles 1352-1, 1352-3 et 1352-5 du Code civil prévoient un certain nombre de règlements accessoires à la restitution, en principal, de la chose qui visent, selon la doctrine, à tenir compte de l’écoulement du temps.

Plus précisément, ces règlements accessoires à la restitution de la chose ont été institués pour traiter :

  • Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose
  • Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose
  • Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose

1. Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose

L’article 1352-1 du Code civil dispose que « celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute. »

Il ressort de cette disposition que la restitution en nature de la chose suppose qu’elle soit rendue au créancier dans le même état que celui dans lequel elle se trouvait au moment de sa remise.

Aussi, dans l’hypothèse où la chose objet de la restitution est dégradée ou détériorée, pèse sur la partie qui détient la chose une obligation d’indemnisation du créancier, ainsi que le suggère l’emploi du terme « répond ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par dégradation et détérioration.

Plus précisément, ces deux notions couvrent-elles seulement les altérations anormales affectant accidentellement ou intentionnellement l’état de la chose ou embrassent-elles également l’usure résultant de l’usure normale de la chose ?

Dans le silence des textes, les deux interprétations sont possibles. Reste que, par analogie avec les règles qui régissent le contrat de bail, il peut être postulé que l’usure normale de la chose restituée ne donne pas lieu à indemnisation, à l’instar du local restitué au bailleur en fin de bail.

À cet égard, dans un arrêt du 8 mars 2005 la Cour de cassation avait considéré que « l’effet rétroactif de la résolution d’une vente oblige l’acquéreur à indemniser le vendeur de la dépréciation subie par la chose à raison de l’utilisation qu’il en a faite, à l’exclusion de celle due à la vétusté » (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005, n° 02-11.594).

Lorsque, en revanche, l’altération de l’état de la chose ne résulte pas de son usure normale, alors le débiteur de l’obligation de restituer doit indemniser le créancier.

Cette indemnisation est toutefois subordonnée à la réunion de deux conditions alternatives :

  • Première condition : la mauvaise foi du débiteur de l’obligation de restituer
    • L’article 1352-1 du Code civil prévoit que l’indemnisation ne peut avoir lieu en cas de dégradation ou de détérioration de la chose qu’à la condition que le débiteur de l’obligation de restituer soit de mauvaise foi.
    • Ce dernier sera de mauvaise foi lorsqu’il connaissait la cause d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.
    • Autrement dit, le débiteur savait qu’il ne pouvait pas valablement détenir et jouir de la chose.
    • Il importe peu que la dégradation ou la détérioration de la chose soit de sa faute : dans les deux cas, dès lors que sa mauvaise foi est établie, il a l’obligation d’indemniser le créancier de la restitution.
  • Seconde condition : la faute du débiteur de l’obligation de restituer
    • Il s’infère de l’article 1352-1 du Code civil que, dans l’hypothèse où le débiteur serait de bonne foi, le créancier ne pourra solliciter une indemnisation que s’il démontre que les dégradations ou détériorations de la chose résultent de la faute du débiteur.
    • À défaut, aucune indemnisation ne sera due, sauf à ce que le débiteur de l’obligation de restitution soit de mauvaise foi, ce qui sera suffisant pour l’obliger à réparer le préjudice résultant de l’altération de l’état de la chose.

2. Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose

L’article 1352-3 du Code civil dispose que « la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée. »

La règle ainsi posée vise tenir compte de l’utilisation de la chose par le débiteur entre le moment où il est en entrée en possession de cette chose et la date à laquelle il doit la restituer.

Pendant cette période, ce dernier a, tout d’abord, pu en jouir, soit tirer profit de sa possession. Tel est le cas de l’acquéreur d’un véhicule qui dispose de la possibilité de le conduire ou de l’acquéreur d’un immeuble qui peut l’habiter.

La possession d’une chose peut ensuite permettre à son détenteur d’en percevoir les fruits. Selon la définition donnée par Gérard Cornu, les fruits, s’entendent « des biens de toute sorte (sommes d’argent, biens en nature) que fournissent et rapportent périodiquement les biens frugifères (sans que la substance de ceux-ci soit entamée comme elle l’est par les produits au sens strict) ; espèce de revenus issus des capitaux, à la différence des revenus du travail. Ex. : récoltes, intérêts des fonds prêtés, loyers des maisons ou des terres louées, arrérages des rentes. ».

Si les avantages que procure la jouissance de la chose et, éventuellement, la perception de ses fruits sont sans incidence sur sa substance, en ce sens que cela ne lui apporte aucune moins-value, ni plus-value, sa seule restitution au créancier, en cas d’anéantissement du contrat au titre duquel elle avait été transférée, ne permet pas d’obtenir les effets recherchés par cet anéantissement, soit le retour des parties au statu quo ante.

Tandis que le débiteur de l’obligation de restituer s’est enrichi en tirant profit de la jouissance de la chose et en percevant les fruits, le créancier a, quant à lui, été privé de son utilisation.

Aussi, afin de rétablir l’équilibre qui a été rompu consécutivement à la disparition de l’acte, très tôt la question s’est posée de l’indemnisation de ce dernier.

La question est alors double. Elle tient à l’indemnisation du créancier de l’obligation de restituer résultant :

  • D’une part, de la jouissance de la chose par le débiteur
  • D’autre part, de la perception des fruits par le débiteur

Mettant fin à une jurisprudence fournie qui n’est pas sans avoir tergiversé, en particulier sur l’indemnisation de la jouissance de la chose, l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit que, tant la valeur de la jouissance de la chose que les fruits procurés par elle au débiteur donnent lieu à restitution.

L’article 1352-7 précise toutefois que l’étendue de cette restitution varie selon que le débiteur de l’obligation de restituer était de bonne ou de mauvaise foi au moment où il a perçu les fruits ou a commencé à jouir de la chose.

a. Le principe de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

?) La restitution de la valeur de la jouissance de la chose

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence était fluctuante, s’agissant d’octroyer au créancier de l’obligation de restituer une indemnité visant à compenser la jouissance de la chose par le débiteur.

À l’analyse, deux positions s’affrontaient : celle de la première chambre civile qui refusait d’indemniser le créancier à raison de l’utilisation de la chose restituée par le débiteur et celle de la troisième chambre civile qui admettait que ce dernier puisse percevoir une indemnité.

Cette situation qui opposait les deux chambres a conduit la chambre mixte à se prononcer. Son intervention n’a toutefois pas suffi à mettre fin au débat.

  • La position de la première chambre civile : le refus d’indemniser
    • Dans un arrêt du 2 juin 1987, la première chambre civile a jugé que « dans le cas où un contrat nul a […] été exécuté, les parties doivent être remises dans l’état où elles étaient auparavant, en raison de la nullité dont la vente est entachée dès l’origine ».
    • Toutefois, elle a ajouté que « le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant au profit qu’a retiré l’acquéreur de l’utilisation de la machine » (Cass. 1ère civ. 1 juin 1987, n°84-16.624)
    • La première chambre civile a précisé sa position dans un arrêt du 11 mars 2003, aux termes duquel elle a affirmé que « en raison de l’effet rétroactif de la résolution de la vente, le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant à la seule utilisation du véhicule par l’acquéreur » (Cass. 1ère civ. 2003, 01-01.673)
    • La première chambre civile fait ici manifestement une application stricte du principe de l’anéantissement rétroactif du contrat : si l’acquéreur doit remettre la chose, abstraction faite de l’évolution de sa valeur, au même état que si les obligations nées du contrat n’avaient pas existé, le vendeur doit restituer le prix, le principe du nominalisme monétaire interdisant toute revalorisation.
    • Cette position n’était toutefois pas partagée par la troisième chambre civile.
  • La position de la troisième chambre civile : l’admission d’un droit à indemnisation
    • Dans un arrêt du 12 janvier 1988, la troisième chambre civile a adopté une position radicalement inverse à celle retenue par la première chambre civile.
    • Au visa de l’article 544 du Code civil, ensemble les articles 1644, 1645 et 1646 du même Code, elle a jugé que « lorsque la vente d’une chose est résolue par l’effet de l’action rédhibitoire, cette chose est remise au même état que si les obligations du contrat n’avaient pas existé »
    • Elle en a tiré la conséquence que « l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire, sauf si celui-ci connaissait les vices de l’immeuble » (Cass. 3e civ. 12 janv. 1988, n°86-15.722).
    • La troisième chambre civile a réitéré sa position dans un arrêt du 26 janvier 1994 aux termes duquel elle affirmait que « la résolution de la vente anéantit les stipulations du contrat et que l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1994, n° 91-20.934).
    • Elle a, à nouveau, retenu cette solution dans un arrêt du 12 mars 2003 (Cass. 3e civ. 12 mars 2003, n°01-17.207), soit le lendemain de l’arrêt rendu par la première chambre civile qui adoptait la position inverse (Cass. 1ère civ. 2003, n°01-01.673).
  • L’intervention de la chambre mixte
    • Dans un arrêt du 9 juillet 2004 la chambre mixte s’est finalement prononcée sur la question qui opposait la première civile à la troisième chambre civile.
    • Dans cette décision elle a jugé que « le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble » (Cass. ch. mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16.302i).
    • Ainsi la chambre mixte de la Cour de cassation a-t-elle opiné dans le sens de la position adoptée par la première chambre civile.
    • Dans un arrêt du 9 novembre 2007 elle a toutefois semblé opérer un revirement de jurisprudence en retenant la solution inverse.
    • Elle a, en effet, considéré dans cette décision que « c’est sans méconnaître les effets de l’annulation du contrat de bail et dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation que les juges du fond ont évalué le montant de l’indemnité d’occupation due par l’EURL en contrepartie de sa jouissance des lieux » (Cass. ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-19.508).
    • Les auteurs ont interprété cette décision comme opérant, non pas un revirement de jurisprudence, mais une distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail.
    • Tandis que pour les premiers aucune indemnité ne serait due au vendeur, pour les seconds, le bailleur serait fondé à réclamer une indemnisation au preneur.
    • Cette interprétation qui semblait avoir été validée par un arrêt rendu le 24 juin 2009 par la première chambre civile (Cass. 3e civ. 24 juin 2009, n° 08-12.251) a toutefois été remise en cause par une décision de la chambre commerciale du 3 décembre 2015.
    • Cette dernière a, en effet, jugé que « la remise des parties dans l’état antérieur à un contrat de location-gérance annulé exclut que le bailleur obtienne une indemnité correspondant au profit tiré par le locataire de l’exploitation du fonds de commerce dont il n’a pas la propriété » (Cass. com. 3 déc. 2015, n°14-22.692).

Au bilan, la jurisprudence était pour le moins incertaine quant au bien-fondé de l’octroi d’une indemnité au créancier correspondant à l’usage de la chose restituée.

Quant à la doctrine, les auteurs étaient partagés.

Planiol et Riper étaient favorable à la reconnaissance d’une indemnité de jouissance à la charge du débiteur de l’obligation de restituer. Pour eux « la liquidation comportera le paiement de la valeur de toute chose consommée, de toute jouissance, de tout service reçu, dont l’autre partie n’aurait pas eu, en exécution des conventions, la contrepartie effective »[2].

Dans le même sens, pour Marie Malaurie, dans certains cas, une indemnité de jouissance peut être versée. Les restitutions sont bilatérales et gouvernées par une « règle de corrélation », cette indemnité compensant l’utilisation du bien aurait pour « corollaire les intérêts légaux qui indemnisent forfaitairement la jouissance de l’argent à laquelle pourrait prétendre l’acheteur »[3].

Dans ces conditions une indemnité est due en l’absence de corrélation entre la jouissance du prix et celle de la chose. À ce titre, deux exemples d’indemnisation sont cités : la perception partielle ou la non-perception du prix par le vendeur et la jouissance de la chose conjuguée à la perception des fruits par l’acquéreur.

À l’inverse, pour Jean-Louis Aubert, « l’utilisation du bien faite par l’acheteur se situe indéniablement hors le champ des restitutions »[4].

Pour les tenants de cette thèse « seules sont restituables, en valeur, les prestations fournies en exécution du contrat annulé, c’est-à-dire mises, par le contrat, à la charge de celui qui les a exécutées »[5].Or, à la différence d’un bailleur tenu d’une obligation de faire, le vendeur n’a exécuté aucune obligation relative à la jouissance, il n’est donc tenu que d’une obligation de délivrance, en exécution de l’obligation de donner résultant du contrat de vente. Dès lors, l’octroi d’une indemnité d’utilisation « outrepasserait la restitution intégrale » puisque, dans un contrat de bail, l’indemnité d’occupation correspond à la restitution en valeur de la jouissance, tandis qu’en matière de vente, l’indemnité est réclamée en plus de la restitution en nature de la chose[6].

Si, à l’examen, la doctrine était plutôt défavorable au versement d’une indemnité de jouissance au créancier de l’obligation de restituer, le législateur a, lors de la réforme du droit des obligations, finalement tranché en faveur d’une indemnisation.

?Ordonnance du 10 février 2016

L’article 1352-3, al. 1re prévoit que la restitution de la chose donne lieu, corrélativement à la restitution de la valeur de la jouissance.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle renversé la position qui avait été adoptée antérieurement par la chambre mixte de la Cour de cassation en matière de contrat de vente.

Manifestement, le nouvel article 1352-3 du Code civil n’opère aucune distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail. On peut en déduire que cette disposition a vocation à s’appliquer à tous les contrats.

Quelle que soit la nature du contrat anéanti, le créancier de l’obligation de restituer sera donc fondé à réclamer au débiteur le versement d’une indemnité de jouissance.

L’alinéa 2 de l’article 1352-3 précise que « la valeur de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce. »

Quant à l’évaluation de la valeur en tant que telle de la jouissance, c’est vers le Rapport au Président de la République qu’il convient de se tourner pour comprendre ses modalités de calcul. Selon ce rapport, l’indemnité de jouissant doit être regardée « comme un équivalent économique des fruits que la chose aurait pu produire. »

En d’autres termes, si la chose objet de la restitution est un immeuble, la valeur de la jouissance doit être calculée sur la base des loyers qui auraient pu être perçus par le créancier de l’obligation de restituer.

L’application de cette méthode de calcul conduit immédiatement à s’interroger sur l’octroi d’une indemnité de jouissance en cas de restitution d’un bien non frugifère.

Le rapport au Président de la République semble s’y opposer. Toutefois, l’article 1352-3 du Code civil ne l’interdit pas, de sorte qu’il convient d’attendre que la jurisprudence se prononce avant de tirer des conséquences sur la portée de la règle.

?) La restitution des fruits produits par la chose

À l’instar de la valeur de la jouissance de la chose, le nouvel article 1352-3 du Code civil pose que les fruits qu’elle a procurés au débiteur ont vocation à être restitués au créancier en cas d’anéantissement du contrat.

Cette règle n’était toutefois pas d’application systématique ce qui a conduit le législateur lors de la réforme du droit des obligations à clarifier les choses.

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, pour déterminer si, en cas d’anéantissement d’un acte, il y avait lieu de restituer les fruits procurés par la chose, la jurisprudence distinguait selon que le débiteur était de bonne ou mauvaise foi.

Dans un arrêt du 5 juillet 1978, la Cour de cassation a jugé en ce sens, application de l’article 549 du Code civil, « le possesseur de bonne foi fait siens les fruits dans le cas où il possède de bonne foi » (Cass. 3e civ. 5 juill. 1978, n°77-11.157). Elle a eu l’occasion de préciser ensuite que le possesseur de bonne foi ne doit restituer les fruits au propriétaire qu’à compter de la demande qu’il en a fait (Cass. 3e civ. 28 juin 1983, n°81-14.889).

À l’inverse, la chambre commerciale a, dans un arrêt du 14 mai 2013, considéré que « la circonstance que la restitution consécutive à l’annulation d’une cession de droits sociaux a lieu en valeur ne fait pas obstacle à la restitution au cédant des fruits produits par les parts sociales litigieuses et perçus en connaissance du vice affectant l’acte annulé par celui qui est tenu à restitution » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17.637). Ainsi, lorsque le débiteur est de mauvaise foi, pèse sur lui une obligation de restitution des fruits.

L’ordonnance du 10 février 2016 a mis fin à cette jurisprudence qui subordonnait la restitution des fruits à la mauvaise foi du débiteur.

?Ordonnance du 10 février 2016

En application de l’article 1352-3 du Code civil, les fruits doivent être restitués sans que cette restitution dépende de la bonne ou mauvaise foi du débiteur de la restitution.

Il ressort du 3e alinéa de cette disposition que la restitution des fruits doit, par principe, avoir lieu en nature, ce qui n’est pas sans rappeler le principe général posé par l’article 1352 du Code civil qui impose cette modalité de restitution pour la chose elle-même.

Ce n’est que si la restitution des fruits en nature est impossible, qu’elle peut intervenir en valeur.

À cet égard, le texte précise que, en cas de restitution en valeur :

  • D’une part, l’estimation doit se faire « à la date du remboursement des fruits par le débiteur », soit plus précisément à la date du jugement
  • D’autre part, cette estimation doit être effectuée « suivant l’état de la chose au jour du paiement de l’obligation », ce qui signifie que le créancier ne peut réclamer la restitution que des seuls fruits que la chose était susceptible de produire dans l’état où elle se trouvait au moment de sa remise au débiteur. Le législateur a entendu ici consacrer la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 juin 1967 aux termes duquel elle avait jugé que « si le possesseur doit restituer les fruits au propriétaire, qui revendique la chose, à compter du jour de la demande, le propriétaire ne saurait prétendre qu’aux fruits qu’aurait produits la chose dans l’état où le possesseur en a pris possession » (Cass. 1ère civ., 20 juin 1967)

Il convient enfin de préciser que les règles qui gouvernent la restitution des fruits ne sont pas d’ordre public, ainsi que le prévoit le troisième alinéa de l’article 1352-3 du Code civil. Les parties peuvent y déroger par convention contraire, ce qui implique qu’elles sont libres de prévoir que l’anéantissement du contrat ne donnera pas lieu à restitution des fruits.

Les contractants peuvent encore stipuler des modalités d’évaluation de la valeur des fruits différentes de celles fixées par l’article 1352-3.

b. L’étendue de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

L’article 1352-7 du Code civil dispose que « celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande. »

Il ressort de cette disposition que, s’agissant de la restitution des fruits et de la valeur de la jouissance, l’étendue de cette restitution dépend de la bonne foi du débiteur.

Si, conformément à l’article 2268 du Code civil la bonne foi est toujours présumée, la mauvaise foi est, quant à elle, caractérisée lorsqu’il est établi que le débiteur de l’obligation de restituer avait connaissance et de la cause d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.

Deux situations sont donc susceptibles de se présenter :

  • Le débiteur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement, soit à compter de la date à laquelle il est entré en possession de la chose.
  • Le débiteur est de bonne foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du jour de la demande, ou de la date d’introduction de l’action en justice.

3. Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose

L’article 1352-5 du Code civil dispose que « pour fixer le montant des restitutions, il est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses nécessaires à la conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution. »

Il ressort de cette disposition que toutes les dépenses qui ont été exposées par le débiteur pour conserver ou pour améliorer à la chose donnent lieu à restitution.

Cette règle participe toujours de l’idée que si le débiteur ne doit pas s’être enrichi en jouissant de la chose ou en en percevant les fruits, il en va de même pour le créancier qui ne doit pas pouvoir tirer profit de la restitution de la chose lorsqu’elle a fait l’objet d’améliorations ou que des frais de conservation ont été exposés par son détenteur.

Pour cette raison, l’article 1352-5 du Code civil prévoit que les frais et dépenses exposées par le débiteur de l’obligation de restituer durant l’exécution du contrat doivent être supportés par le créancier.

À l’examen, l’évaluation de la restitution est envisagée différemment selon que les dépenses exposées concernent la conservation de la chose ou l’amélioration de la chose.

  • S’agissant des dépenses de conservation de la chose
    • L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses nécessaires à la conservation de la chose » doivent être supportées par le créancier de l’obligation de restituer
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir quelles sont les dépenses de conservation visées par cette disposition.
    • La lecture du texte révèle que seules les dépenses nécessaires à sa conservation donnent lieu à restituer.
    • Autrement dit, ces dépenses doivent être indispensables, ce qui exclut, par hypothèse, les dépenses somptuaires au sens de l’article
    • Concrètement, il s’agira ainsi des dépenses courantes, des frais d’entretien, ainsi que des frais attachés à la possession de la chose, tels que les impôts let autres taxes par exemple.
    • Contrairement à ce que suggère la lettre de l’article 1352-5 du Code civil, afin de déterminer le montant de la restitution, il n’y a pas lieu de plafonner les dépenses de conservation à hauteur de « la plus-value estimée au jour de la restitution. »
    • Et pour cause ce type de dépenses n’a pas vocation à apporter une plus-value à la chose, seulement à la maintenir dans son état initial.
    • L’indemnisation du débiteur doit donc couvrir l’intégralité des dépenses de conservation exposées, sans limite de montant.
    • Le plafonnement de l’indemnisation ne concerne, en réalité, que les dépenses d’amélioration.
  • S’agissant des dépenses d’amélioration de la chose
    • L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses qui ont augmenté la valeur de la chose » doivent être supportées par le créancier de l’obligation de restituer, ce « dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution ».
    • Il ressort de ce texte que l’indemnisation due au débiteur doit être calculée, non pas sur la plus-value intrinsèque apportée à la chose, mais sur la base des dépenses exposées.
    • Ainsi, dans l’hypothèse où la plus-value serait de 200 et que les dépenses exposées par le débiteur représenteraient un coût de 100, la restitution ne pourrait pas être supérieure à 100.
    • Seules les améliorations résultant de dépenses ne peuvent donc donner lieu à restitution.
    • L’article 1352-5 précise que le montant de l’indemnisation est, en toute hypothèse, plafonné à hauteur de « la plus-value estimée au jour de la restitution ».
    • Aussi, de deux choses l’une :
      • Soit le montant le montant des dépenses exposées est inférieur à la plus-value apportée à la chose auquel cas le débiteur pourra être intégralement indemnisé
      • Soit le montant des dépenses exposées est supérieur à la plus-value apportée à la chose auquel cas l’indemnisation du débiteur sera plafonnée à hauteur de cette plus-value.
    • À cet égard, tandis que le montant des dépenses s’apprécie au jour où elles ont été exposées, le montant de la plus-value est, quant à lui, apprécié à la date de la restitution, soit du jugement.

II) Exception : la restitution en valeur

L’article 1352 du Code civil prévoit que, par exception au principe de restitution en nature de la chose, lorsque cette restitution est impossible, elle a lieu en valeur.

Ce texte envisage ainsi l’hypothèse du débiteur qui n’est plus en possession de la chose au jour où naît l’obligation de la restituer.

Seule alternative pour surmonter l’obstacle : obliger le débiteur à restituer la chose par équivalent, soit en valeur.

Bien que simple en apparence, cette solution n’est toutefois pas sans soulever plusieurs difficultés.

Ces difficultés tiennent :

  • D’une part, à la délimitation du domaine de l’impossibilité
  • D’autre part, aux modalités d’estimation de la valeur restituée

A) Le domaine de l’impossibilité

?L’étendue du domaine de l’impossibilité

La première question qui se pose est de savoir à partir de quand peut-on considérer que la restitution de la chose est impossible.

Lorsque la chose a disparu ou a péri, l’impossibilité de la restituer s’impose d’elle-même. Il en va de même pour les choses consomptibles.

Plus délicate est, en revanche, la question pour les choses dont le débiteur est toujours en possession mais pour lesquelles la restitution représenterait pour lui un coût si élevé qu’il serait déconnecté de l’économie initiale du contrat.

Dans un arrêt du 18 février 1992, la Cour de cassation a répondu à cette question en censurant une Cour d’appel pour avoir mis à la charge d’un débiteur une obligation de restituer en nature consécutivement à l’anéantissement d’un contrat considérant, au cas particulier, que « l’obligation de restitution en nature du matériel impose des travaux coûteux au revendeur de carburant, non justifiés par des nécessités techniques en raison de la durée de vie des cuves, et qu’elle est susceptible de le dissuader de traiter avec un autre fournisseur ; qu’elle est ainsi disproportionnée avec la fonction qui lui a été fixée de faire respecter l’exclusivité d’achat du carburant et constitue un frein à la concurrence d’autres fournisseurs, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. com. 18 févr. 1992, n°87-12.844).

Ainsi, pour la Cour de cassation, lorsque la restitution en nature serait disproportionnée eu égard le résultat recherché par l’anéantissement de l’acte, soit un retour au statu quo, elle ne peut avoir lieu qu’en valeur.

Cette solution a été réaffirmée par la troisième chambre civile dans un arrêt du 15 octobre 2015 aux termes duquel elle a cassé la décision d’une Cour d’appel à laquelle elle reprochait de n’avoir pas recherché « si la démolition de l’ouvrage, à laquelle s’opposait la société Trecobat, constituait une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectaient » (Cass. 3e civ. 15 oct. 2015, n°14-23.612).

Dans le silence de l’article 1352 du Code civil sur la notion d’impossibilité, peut-on considérer que cette jurisprudence a été reconduite par le législateur ?

D’aucuns postulent que la réponse à cette question résiderait dans la comparaison de l’article 1352 avec l’article 1221.

En effet, cette dernière disposition exige expressément la réalisation d’un contrôle de proportionnalité pour déterminer s’il y a lieu d’exclure l’exécution forcée en nature d’une obligation en cas d’inexécution du contrat.

Tel n’est pas le cas de l’article 1352 qui est silencieux sur ce point s’agissant de l’exclusion de la restitution de la chose en nature.

Pour l’heure la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée, de sorte qu’il est difficile de tirer des conclusions sur le maintien de la jurisprudence antérieure.

?Cas particulier de la revente de la chose

L’article 1352-2 du Code civil envisage le cas particulier de la revente de la chose qui devait être restituée au vendeur en suite de l’anéantissement du contrat.

Cette disposition prévoit, plus précisément, que lorsque l’acquéreur revend la chose qui lui a été délivrée, la restitution s’opère en valeur.

Selon le texte, il y a néanmoins lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de bonne ou de mauvaise foi.

Si, de prime abord, l’on est tenté d’apprécier la bonne foi de l’acquéreur au moment de la délivrance de la chose, certains auteurs plaident pour que cette appréciation se fasse au stade de la revente[7].

Il peut, en effet, parfaitement être envisagé que l’acquéreur ignorât la cause d’anéantissement du contrat au moment de la délivrance de la chose, mais que, en revanche, il l’ait revendue en toute connaissance de cause.

L’objectif recherché par l’article 1352-2, al.2 étant de sanctionner l’acquéreur qui, sciemment, a cherché à tirer profit de la revente de la chose au préjudice du vendeur, il ne serait pas aberrant d’apprécier sa bonne foi au jour de la revente de la chose.

Dans le silence de l’article 1352-2, c’est à la jurisprudence qu’il reviendra de se prononcer sur cette question.

Reste que, en toute hypothèse, il y a lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de bonne ou de mauvaise foi.

  • L’acquéreur est de bonne foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 1352-2 prévoit qu’il ne doit restituer que le prix de la vente de la chose
    • Le prix à restituer est celui, non pas de l’acquisition initiale de la chose, mais celui de la revente.
    • L’acquéreur ne peut ainsi tirer profit de la revente, ni s’appauvrir, l’objectif recherché étant une opération à somme nulle.
  • L’acquéreur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 1352 dispose qu’il « en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix. »
    • Autrement dit, pour déterminer le montant de la somme à restituer, il convient de se placer non pas au moment de la revente de la chose, mais à la date de sa restitution qui, concrètement, correspond à celle du jugement.
    • À cet égard, le texte oblige l’acquéreur de mauvaise foi à restituer la plus forte des deux sommes entre le prix de revente de la chose et sa valeur au moment de la restitution
    • Aussi, de deux choses l’une :
      • Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est inférieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur ne devra restituer au vendeur que ce seul prix de revente
      • Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est supérieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur devra restituer au vendeur non seulement ce seul prix de revente, mais encore la plus-value réalisée au jour du jugement
    • Le sort réservé ici à l’acquéreur de mauvaise foi est manifestement pour le moins défavorable dans la mesure où il sera privé des profits réalisés en suite de la revente de la chose.

B) Les modalités d’estimation de la valeur restituée

Une fois admis que la restitution de la chose en nature est impossible, reste à estimer sa valeur afin que puisse être restituée au créancier une somme d’argent.

Deux questions alors se posent :

  • D’une part, à quelle date la valeur de la chose doit-elle être estimée ?
  • D’autre part, quel critère d’estimation retenir pour déterminer la valeur de la chose ?

?Sur la date d’estimation de la valeur de la chose

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du droit des obligations, la jurisprudence avait posé, en l’absence de texte, que pour estimer la valeur de la chose restituée il y avait lieu de se situer à la date de remise de la chose.

Dans un arrêt du 14 juin 2005, la chambre commerciale a jugé en ce sens, s’agissant d’une annulation de cession de titres sociaux, que « l’annulation de la cession litigieuse confère au vendeur, dans la mesure où la remise des actions en nature n’est plus possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur au jour de l’acte annulé » (Cass. com. 15 juin 2005, n°03-12.339).

Cette solution a été reconduite dans une décision rendue le 14 mai 2013 aux termes de laquelle la Cour de cassation a considéré que « l’annulation d’une cession de parts sociales confère au vendeur, dans la mesure où leur restitution en nature n’est pas possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur laquelle doit être appréciée au jour de l’acte annulé » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17.637).

Prenant le contre-pied de cette jurisprudence, l’ordonnance du 10 février 2016 a retenu la solution inverse en prévoyant que lorsque la restitution de la chose a lieu en valeur, cette valeur est « estimée au jour de la restitution. »

Ce n’est donc plus à la date de la remise de la chose au débiteur que sa valeur doit être estimée, mais au jour du jugement qui ordonne sa restitution.

L’objectif recherché par le législateur était de calquer la restitution en valeur sur la restitution en nature.

Autrement dit, il a voulu que les plus-values et moins-values réalisées par le débiteur soient prises en compte dans l’évaluation du montant de la restitution. Il ne faudrait pas qu’une partie s’enrichisse au préjudice de l’autre, à raison de la survenance de circonstances postérieures à la conclusion du contrat anéanti.

Il peut être observé que, contrairement à la restitution de la valeur de la jouissance ou des fruits procurés par la chose, il est indifférent, ici, que le débiteur soit de bonne ou mauvaise foi : dans les deux cas, l’estimation de la valeur à restituer doit être effectuée au jour de la restitution de la chose.

?Sur le critère d’estimation de la valeur de la chose

Autre question qui se pose lorsque la restitution de la chose a lieu en valeur : quid du critère de son évaluation ? En d’autres termes, doit-on retenir le prix stipulé par les parties dans le contrat ou doit-on se référer au prix du marché ?

L’article 1352 est silencieux sur ce point. Reste que dans un arrêt du 8 mars 2005, la Cour de cassation avait considéré, au visa de l’ancien article 1184 du Code civil, que « la créance de restitution en valeur d’un bien, est égale, non pas au prix convenu, mais à la valeur effective, au jour de la vente, de la chose remise » (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005, n° 02-11.594).

Ainsi, est-ce une approche objective qui avait été retenue par la première chambre civile, la position adoptée consistant à dire, en substance, que l’estimation de la chose doit être effectuée sur la base de sa valeur effective au moment de sa restitution et non en considération du prix initialement fixé par les parties.

Manifestement, cette solution se concilie parfaitement bien avec l’exigence d’estimation de la valeur de la chose au jour de sa restitution, de sorte qu’il est fort probable que la solution dégagée par la Cour de cassation en 2005 soit maintenue.

Conservation de la minute du jugement et délivrance des copies et des expéditions

?Notions

Lorsqu’une décision de justice est établie, il convient de distinguer la minute, la copie de l’acte et l’expédition

  • La minute : il s’agit de l’acte original qui constate par écrit la décision des juges et qui n’est établi qu’en un seul exemplaire conservé par le greffe du Tribunal
  • La copie simple : il s’agit d’une reproduction de la décision qui peut être tantôt intégrale, tantôt partielle
  • L’expédition ou copie exécutoire : il s’agit d’une copie spéciale de la décision en ce qu’elle est revêtue de la formule exécutoire.

I) Conservation de la minute

L’article R. 123-5 du CPC dispose que le greffier « est dépositaire, sous le contrôle des chefs de juridiction, des minutes et archives dont il assure la conservation »

Il ressort de cette disposition que la conservation de la minute du jugement est assurée par le seul greffier.

La conséquence en est que c’est à lui qu’il incombe de délivrer les expéditions et les copies des décisions rendues.

II) Délivrance des copies et des expéditions

Les copies de décisions judiciaires se divisent en deux catégories :

  • Les copies simples
  • Les copies exécutoires ou expéditions

A) La délivrance des copies simples

?La délivrance des copies aux parties

Les parties au jugement peuvent, en toutes circonstances, demander qu’il leur soit communiqué une copie de la décision.

Il est indifférent que la décision ait été rendue publiquement ou en chambre du conseil. En toute hypothèse, les parties peuvent solliciter du greffe une copie – simple – de la décision.

?La délivrance des copies aux tiers

  • Domaine de la délivrance
    • Principe
      • L’article 11-3 de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 instituant un juge de l’exécution et relative à la réforme de la procédure civile, modifiée par la loi n°75-596 du 9 juillet 1975 dispose que « les tiers sont en droit de se faire délivrer copie des jugements prononcés publiquement. »
      • Il ressort de cette disposition que des personnes autres que les parties peuvent obtenir, sur demande, la copie d’une décision rendue publiquement.
      • Dans la mesure où les débats se sont rendus en présence du public et que le prononcé du jugement était également public, il est somme toute logique que les tiers puissent obtenir une copie de la décision.
      • Ce droit qui leur est conféré par la loi participe de la transparence de la justice.
    • Limite
      • Une lecture a contrario de l’article 11-3 de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 révèle que lorsque la décision n’a pas été rendue publiquement, soit en chambre du conseil, les tiers ne disposent pas de la faculté de se faire délivrer une copie de la décision
      • Là encore, la règle est logique : le procès s’est tenu à huis clos.
      • La décision est donc parfaitement cohérente que la décision ne puisse pas être communiquée aux tiers.
      • Aussi, seules les personnes directement concernées par le jugement (celles citées par le jugement en tant que partie) ou leurs héritiers peuvent en obtenir copie.
      • C’est notamment le cas pour obtenir la copie d’un jugement de divorce.
      • C’est également le cas pour les domaines suivants :
        • adoption,
        • filiation,
        • nom et prénom
        • changement de régime matrimonial,
        • protection juridique des personnes (tutelle, curatelle…).
  • Modalités de la délivrance
    • Lorsque le tiers est en droit de solliciter une copie de la décision, demande peut être faite via une simple lettre ou un recommandé avec accusé de réception.
    • Elle doit être envoyée au greffe du tribunal qui a rendu la décision au moyen du formulaire Cerfa n°11808*05
    • La demande de copie est gratuite.
    • Pour un envoi à domicile par courrier, il faut néanmoins en couvrir les frais en fournissant une enveloppe suffisamment timbrée.
  • Contenu de la copie
    • La copie délivrée aux tiers peut consister, soit en la reproduction intégrale de la décision, soit se limiter à un extrait.
    • La délivrance du seul extrait d’un jugement se justifie pour des considérations qui tiennent à la vie privée des parties.
  • L’absence ou le refus de délivrance
    • L’article 1441 du CPC dispose que, en cas de refus ou de silence, le président du tribunal judiciaire ou, si le refus émane d’un greffier, le président de la juridiction auprès de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, saisi par requête, statue, le demandeur et le greffier ou le dépositaire entendus ou appelés.
    • Il doit statuer après avoir entendu le demandeur et le greffier ou le dépositaire
    • L’ordonnance rendue sur requête est susceptible de faire l’objet d’une voie de recours
    • L’appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse.

B) La délivrance des expéditions (copies exécutoires)

?Définition

L’expédition ou copie exécutoire n’est autre que la copie authentique certifiée conforme de la décision rendue par le Tribunal.

Elle est également appelée « grosse » par référence à la pratique ancienne qui consistait à rédiger la copie du jugement en gros caractère par souci de commodité de lecture

L’expédition se distingue de la copie simple en ce qu’elle est revêtue de la formule exécutoire.

?Finalité

La délivrance de l’expédition aux parties a pour finalité de leur permettre de signifier la décision et de la faire exécuter par un huissier de justice.

L’article 502 du CPC dispose en ce sens que « nul jugement, nul acte ne peut être mis à exécution que sur présentation d’une expédition revêtue de la formule exécutoire, à moins que la loi n’en dispose autrement. »

Sans expédition, l’huissier saisi ne pourra engager aucune procédure d’exécution, sauf à ce que la décision soit exécutoire « au seul vu de la minute »

Tel est le cas :

  • D’une part, des ordonnances sur requête
  • D’autre part, des ordonnances de référé lorsque le caractère exécutoire sur minute est expressément prévu

?Contenu de la formule exécutoire

L’article 1er du décret n°47-1047 du 12 juin 1947 dispose que les expéditions des arrêts, jugements, mandats de justice, ainsi que les grosses et expéditions des contrats et de tous les actes susceptibles d’exécution forcée, seront intitulées ainsi qu’il suit :

« République française

“Au nom du peuple français “, et terminées par la formule suivante :

“En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt (ou ledit jugement, etc.) à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

“En foi de quoi, le présent arrêt (ou jugement, etc.) a été signé par… ».

?Limitation du nombre d’expéditions délivrées

  • Principe
    • L’article 465 du CPC prévoit que « chacune des parties a la faculté de se faire délivrer une expédition revêtue de la formule exécutoire. »
    • Ainsi, le nombre d’expéditions susceptibles d’être délivrées aux parties est extrêmement restreint dans la mesure où il est limité à une expédition par partie.
    • Par ailleurs, il peut être observé que, une fois la décision exécutée, l’expédition qui aura été confiée à l’huissier, et sans laquelle il lui est interdit d’engager des procédures d’exécution, ne sera pas restituée.
    • Il s’agit d’éviter qu’une partie ne puisse faire exécuter une même décision plusieurs fois.
  • Exception
    • L’alinéa 2 de l’article 465 du CPC prévoit que « s’il y a un motif légitime, une seconde expédition, revêtue de cette formule, peut être délivrée à la même partie par le greffier de la juridiction qui a rendu le jugement. »
    • Pour obtenir la délivrance d’une seconde expédition, il conviendra donc pour les parties de justifier d’un motif légitime.
    • Ce motif légitime pourrait consister en la survenance d’un cas de force majeure, tel que la perte ou la destruction de la grosse.
  • Difficulté relative à la délivrance
    • L’article 465 du CPC précise que « en cas de difficulté, le président de la juridiction qui a rendu le jugement statue par ordonnance sur requête. »

Le prêt à usage : les obligations de l’emprunteur

Contrat synallagmatique imparfait.- L’idée en la matière est que seul l’emprunteur est débiteur d’obligations : le prêteur, qui rend service (v. ci-dessous le service intéressé), est laissé en paix par le code civil. Ceci concourt à le qualifier un peu vite de contrat unilatéral. La réalité est un peu plus complexe, dans la mesure où le prêteur supporte lui aussi quelques obligations, minimalistes il est vrai. Le prêt n’est donc pas tout à fait un contrat synallagmatique, ni vraiment un contrat unilatéral : il est un contrat synallagmatique imparfait en quelque sorte.

1.- Les obligations de l’emprunteur relativement à l’usage de la chose

Usage personnel.- Le prêt, service d’ami, est un contrat intuitu personae, c’est-à-dire conclu en considération de la personne du cocontractant. L’emprunteur ne peut donc pas transférer l’usage de la chose qui lui a été prêtée à un tiers. Il ne peut donc pas valablement louer la chose empruntée ni la prêter à son tour. Il peut en revanche conclure un dépôt, puisque le dépositaire ne peut user (en principe) de la chose. Si l’interdiction est franchie, mais que personne ne dit rien : tout se passera pour le mieux dans le meilleur des mondes. Si le prêteur demande des comptes, l’emprunteur, qui aura manqué à son obligation, sera tenu de payer des dommages intérêts contractuels pour peu bien entendu que l’emprunteur rapporte la preuve d’un dommage. Ceci pour dire que la violation de la loi contractuelle est nécessaire mais pas suffisante (ce qui est critiquable à certains égards). Quant au tiers détenteur, sa responsabilité extracontractuelle pourra être engagée s’il est démontré qu’il est entré en possession en toute connaissance de cause (art. 1240 nouv. c.civ.). Dans ce cas de figure, la théorie de l’apparence ne pourra pas le sauver de la condamnation (voy. l’article « L’apparence »). Dit autrement, et à grands traits, le sous-emprunteur ou le locataire ne pourra pas utilement faire valoir que celui dont il tient la chose avait l’apparence du propriétaire. Et que c’est en toute bonne foi qu’il a conclu le contrat.

Usage déterminé.- L’emprunteur ne peut pas faire n’importe quoi avec la chose. C’est le sens de l’article 1880 c.civ., qui lui impose de n’employer la chose « qu’à l’usage déterminé par sa nature ou par la convention ». Ex. l’emprunteur ne peut pas utiliser la voiture qu’on vient de lui prêter pour participer à une course de stock-car… à moins qu’il s’agisse d’une voiture de stock-car ou que la convention ne l’y autorise.

Usage sanctionné.- Les sanctions de l’usage abusif sont de diverses sortes. Certaines sont prévues par le droit commun du contrat. Il s’agit de la résiliation judiciaire et des dommages et intérêts contractuels (art. 1217 nouv. c.civ.). D’autres sont édictées par le droit spécial du prêt. L’article 1881 c.civ. prévoit une sanction pour le moins originale, qui consiste en un transfert des risques de la chose sur la tête de l’emprunteur. Pourquoi est-ce remarquable ? Eh bien parce que ces risques sont en principe supportés par le prêteur puisqu’il garde demeure propriétaire : res perit domino. Pour le dire autrement, l’emprunteur, qui détourne l’usage de la chose (en la louant ou bien en la sous-prêtant), se voit transférer les risques. Il est alors tenu de la perte de ladite chose même si celle si survient par cas fortuit. Ex. voiture prêtée pour un trajet Tours-Paris, l’emprunteur l’utilise pour une course de rallye locale. Le rallye fini, il la gare devant chez lui. Une tempête survient, qui déracine un arbre qui s’abat sur la voiture et la détruit – cas de force majeure. L’emprunteur est alors tenu de rembourser la voiture. Ce n’aurait pas été le cas s’il s’en était tenu à l’usage convenu.

2.- L’obligation de conservation

Contenu.- Aux termes de l’article 1880 c.civ., l’emprunteur est tenu de veiller raisonnablement (exit le bon père de famille. Loi n° 2014-873 du 4 août 2014, rel. à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, art. 26), à la garde et à la conservation de la chose prêtée.

La référence à la personne raisonnable aujourd’hui, au bon père de famille hier, signifie que l’efficacité de sa conservation sera appréciée par rapport au standard du sujet de droit normalement précautionneux. Un tel choix pourrait passer pour évident. Ce n’est pourtant pas le cas. À bien y réfléchir, le standard de conduite choisi par le législateur afin de comparer ce qui a été fait et ce qui aurait dû être fait pourrait être l’emprunteur lui-même. L’appréciation que le juge serait amené à porter sur le comportement du débiteur de l’obligation ne serait alors pas bien sévère (appréciation intrinsèque). Car, en comparant ce qu’a fait l’emprunteur dans le cas particulier avec ce qu’il fait d’habitude, il y a fort à parier qu’il ne soit pas pris en défaut très souvent (voy. l’article « Le dépôt : les obligations du déposant »). Disons par là que s’il n’est pas précautionneux en général, il n’y a pas de raison d’espérer qu’il le soit en particulier. Pour quelle raison le législateur n’a pas jugé opportun de retenir un tel critère ? Eh bien parce que l’on aurait réduit à peau de chagrin l’intensité juridique de l’obligation de conservation de l’emprunteur (qui n’encourrait pour ainsi dire aucun sanction en cas d’inexécution de son obligation) et sacrifié injustement le prêteur qui a rendu service.

Mais le code civil va plus loin. Le législateur s’est appliqué à moraliser la conduite de l’emprunteur envers le prêteur altruiste (fonction préventive du dispositif) et à le sanctionner en cas de défaillance (fonction punitive du dispositif). Voilà l’idée : en cas de sinistre, l’emprunteur doit penser à la chose du prêteur avant de penser à la sienne. En bref, il doit sauver la chose empruntée avant la sienne. C’est ce qui ressort de l’article 1882 c.civ., qui dispose que « si la chose prêtée périt par cas fortuit dont l’emprunteur aurait pu la garantir en employant la sienne propre, ou si, ne pouvant conserver que l’une des deux, il a préféré la sienne, il est tenu de la perte de l’autre » !

Responsabilité.- L’emprunteur est tenu d’une obligation de résultat atténuée (ou de moyens renforcée). Si la chose est perdue ou détériorée, la faute de l’emprunteur est présumée (comme elle le serait dans le cas d’une obligation de résultat) – la simple constatation de la perte ou de la détérioration laisse présumer la faute de l’emprunteur. Mais il peut échapper à la responsabilité :

1° En démontrant un cas fortuit mais avec une limite, que pose l’article 1883 : si la chose a été estimée lors de la conclusion du contrat, la perte est pour l’emprunteur, qui devra en rembourser le preneur. Il s’agit d’une présomption. Le droit présume – par faveur (une fois encore la nature du contrat dicte son régime juridique) – que le prêteur ayant estimé la chose (i.e. porté au contrat sa valeur) a voulu s’assurer qu’il reverrait au moins la valeur de cette chose – restitution par équivalent – si sa restitution s’avérait impossible.

2° En démontrant, ce qui est très voisin, s’il s’agit d’une détérioration, que la chose ne s’est détériorée que par le fait de son usage normal (art. 1884 c.civ.). C’est une nouvelle manifestation de la gratuité du prêt.

3° En démontrant qu’il n’a pas commis de faute (ce qui aurait été impossible si l’obligation avait été de résultat, d’où l’expression d’obligation de résultat atténuée) – i.e. qu’il a eu le comportement d’une personne raisonnable – (v. par ex. Civ. 1ère, 6 févr. 1996, Bull. civ. I, n° 68 ; 1er mars 2005, Bull. civ. I, n° 103).

Illustration.- Un chalet est prêté par un couple à des amis. Le chalet brûle en l’absence des emprunteurs, partis au restaurant. L’assureur des prêteurs – subrogé dans leurs droits – les assigne en responsabilité, invoquant la présomption de faute de l’emprunteur. Débouté en appel, il soutient dans son pourvoi que cette obligation est de résultat. La Cour de cassation rejette le pourvoi en rappelant sa position traditionnelle : l’emprunteur est tenu d’une obligation de résultat atténuée, ce qui l’autorise à prouver son absence de faute. En l’espèce, les emprunteurs réussissent à démontrer avoir éteint le feu et débranché les convecteurs électriques avant de partir au restaurant – ce qui est relativement fort. En bref, la Cour considère qu’ils se sont comportés en personnes raisonnables, ce qui excluait toute faute de leur part (Cass. 1ère civ., 6 févr. 1996, n° 94-13388, Bull. civ. I, n° 68). Remarque : la solution suggère également que l’emprunteur est responsable si la cause de la perte ou de la détérioration de la chose reste inconnue. Après tout, il a profité d’un contrat gratuit. Il est donc juste et utile de sacrifier ce dernier pour lotir le prêteur.

Usage commun par le prêteur et l’emprunteur.- La présomption de faute cède en cas d’usage conjoint de la chose par le prêteur et l’emprunteur (Cass. 1ère civ. 1ère, 29 avr. 1985, n° 84-13286, Bull. civ. I, n° 133). Les explications de cette règle prétorienne sont assez diverses. Faisons simple.

1° Matériellement, le véritable usage conjoint rend délicat la détermination précise des fautes (ex. terrain prêté pour faire du ball-trap en compagnie du prêteur rendu empoisonné par la retombée des plombs, ou avec des plantations dégradées par ces retombées. Les deux ont tiré, peut-on réellement retracer la trajectoire de chaque tir ? Non bien entendu. Dès lors, il n’y a aucune raison de présumer que l’un est fautif plus que l’autre. Cette solution ne vaut pas en cas d’usage alternatif.

2° Techniquement, la qualification d’obligation de résultat, même atténuée, se révèle rétive à l’usage conjoint. Il n’est pas possible d’exiger un résultat de quelqu’un qui n’a pas la totale maîtrise de son action. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence décide par exemple que l’exploitant d’un télésiège ne peut être tenu d’une obligation de sécurité de résultat au départ de celui-ci, car la montée dans le télésiège nécessite la collaboration, plus ou moins adroite, du skieur. Le raisonnement est le même ici : en cas d’usage conjoint, l’emprunteur ne peut pas être tenu d’une obligation de conservation de résultat, même atténuée, dès lors qu’il n’agit pas seul.

Solidarité des co-emprunteurs.- L’art. 1887 c.civ. prévoit la solidarité des co-emprunteurs en cas de perte ou de détérioration. Il s’agit d’une faveur légale que le prêteur doit à son désintéressement. Dans cette optique, la jurisprudence a eu l’occasion de préciser que la solidarité ne s’appliquait qu’au prêt à usage et pas au prêt d’argent (Civ. 1ère, 20 févr. 2001, n° 97-18528, inédit). À noter que dans la mesure où, en pratique, la convention est consentie entre amis et que, par voie de conséquence, la solidarité n’est possiblement pas présumée (art. 1310 nouv. c.civ.), le législateur pallie cette situation et récompense en quelque sorte le prêteur.

Le référé probatoire (art. 145 du CPC)

« La procédure est la forme dans laquelle on doit intenter les demandes en justice, y défendre, intervenir, instruire, juger, se pourvoir contre les jugements et les exécuter » (R.-J. POTHIER, Traité de procédure civile, in limine, 1er volume Paris, 1722, Debure)

?Présentation générale

Lorsqu’un litige exige qu’une solution, au moins provisoire, soit prise dans l’urgence par le juge, une procédure spécifique dite de référé est prévue par la loi.

Elle est confiée à un juge unique, généralement le président de la juridiction qui rend une ordonnance de référé.

L’article 484 du Code de procédure civile définit l’ordonnance de référé comme « une décision provisoire rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires. »

Il ressort de cette disposition que la procédure de référé présente trois caractéristiques :

  • D’une part, elle conduit au prononcé d’une décision provisoire, en ce sens que le juge des référés ne se prononce pas sur le fond du litige. L’ordonnance rendue en référé n’est donc pas définitive
  • D’autre part, la procédure de référé offre la possibilité à un requérant d’obtenir du Juge toute mesure utile afin de préserver ses droits et intérêts
  • Enfin, la procédure de référé est, à la différence de la procédure sur requête, placée sous le signe du contradictoire, le Juge ne pouvant statuer qu’après avoir entendu les arguments du défendeur

Le juge des référés, juge de l’urgence, juge de l’évidence, juge de l’incontestable, paradoxalement si complexes à saisir, est un juge au sens le plus complet du terme.

Il remplit une fonction sociale essentielle, et sa responsabilité propre est à la mesure du pouvoir qu’il exerce.

Selon les termes de Pierre DRAI, ancien Premier Président de la Cour de cassation « toujours présent et toujours disponible (…) (il fait) en sorte que l’illicite ne s’installe et ne perdure par le seul effet du temps qui s’écoule ou de la procédure qui s’éternise ».

Le référé ne doit cependant pas faire oublier l’intérêt de la procédure à jour fixe qui répond au même souci, mais avec un tout autre aboutissement : le référé a autorité provisoire de chose jugée alors que dans la procédure à jour fixe, le juge rend des décisions dotées de l’autorité de la chose jugée au fond.

En toute hypothèse, avant d’être une technique de traitement rapide aussi bien de l’urgence que de plusieurs cas d’évidence, les référés ont aussi été le moyen de traiter l’urgence née du retard d’une justice lente.

Reste que les fonctions des référés se sont profondément diversifiées. Dans bien des cas, l’ordonnance de référé est rendue en l’absence même d’urgence.

Mieux encore, lorsqu’elle satisfait pleinement le demandeur, il arrive que, provisoire en droit, elle devienne définitive en fait – en l’absence d’instance ultérieure au fond.

En outre, la Cour européenne des droits de l’homme applique désormais au juge du provisoire les garanties du procès équitable de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, gde ch., arrêt du 15 octobre 2009, Micallef c. Malte, no 17056/06). S’affirme ainsi une véritable juridiction du provisoire.

Le juge des référés est saisi par voie d’assignation. Il instruit l’affaire de manière contradictoire lors d’une audience publique, et rend une décision sous forme d’ordonnance, dont la valeur n’est que provisoire et qui n’est pas dotée au fond de l’autorité de la chose jugée.

L’ordonnance de référé ne tranche donc pas l’entier litige. Elle est cependant exécutoire à titre provisoire.

Le recours au juge des référés, qui n’est qu’un juge du provisoire et de l’urgence, n’est possible que dans un nombre limité de cas :

  • Le référé d’urgence
    • Dans les cas d’urgence, le juge peut prononcer toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence du litige en question. On dit à cette occasion que le juge des référés est le juge de l’évidence, de l’incontestable.
  • Le référé conservatoire
    • Le juge des référés peut également prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite (il peut ainsi, par exemple, suspendre la diffusion d’une publication portant manifestement atteinte à la vie privée d’un individu).
  • Le référé provision
    • Le juge des référés est compétent pour accorder une provision sur une créance qui n’est pas sérieusement contestable.
  • Le référé injonction
    • Le juge des référés peut enjoindre une partie d’exécuter une obligation, même s’il s’agit d’une obligation de faire.
  • Le référé probatoire
    • Lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de certains faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, le juge peut ordonner des mesures d’instruction, par exemple une expertise.

Nous nous focaliserons ici sur le référé probatoire.

Selon l’article 9 du code de procédure civile, c’est aux parties qu’incombe la charge de prouver les faits propres à fonder leurs prétentions.

Cependant, l’article 143 précise que « les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible ».

Certes, les parties ne sont pas véritablement titulaires d’un droit à obtenir une mesure d’instruction.

À cet égard, l’article 146 du code de procédure civile fait interdiction au juge d’ordonner une mesure d’instruction en vue de suppléer leur carence dans l’établissement de la preuve.

Toutefois, le code de procédure civile a prévu la possibilité pour une partie d’obtenir l’organisation d’une mesure d’instruction judiciaire avant même l’engagement d’un procès.

L’article 145 de ce code dispose en ce sens que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Il est de jurisprudence constante que l’article 146 du code de procédure civile est sans application lorsque le juge est saisi sur le fondement de l’article 145 du même code (Cass. 2e civ., 10 juillet 2008, n°07-15.369 ; Cass. 2e civ., 10 mars 2011, n°10-11.732).

Plus précisément, le demandeur doit justifier que la mesure, qui ne peut être ordonnée si un procès est déjà en cours entre les parties, est en lien avec un litige susceptible de les opposer et que l’action éventuelle concernant ce litige n’est pas manifestement vouée à l’échec : la mesure doit être de nature à éclairer le juge susceptible d’être saisi du litige opposant les parties (Cass. 2e civ., 29 sept. 2011, n° 10-24.684).

Il ressort de l’article 145 du Code de procédure civile que, lorsque le juge est saisi, avant qu’un procès n’ait lieu, il est investi du pouvoir de prendre deux sortes de mesures :

  • Soit il peut prendre des mesures propres à assurer la conservation des preuves
  • Soit il peut prendre des mesures qui tendent à la constitution de preuves

C’est ce que l’on appelle des mesures d’instruction in futurum

Reste que la mise en œuvre de cette disposition est subordonnée à la satisfaction de plusieurs conditions et que les mesures susceptibles d’être prononcées par le juge sont limitées.

I) Les conditions de mises en œuvre

A) Les conditions procédurales

L’article 145 du Code de procédure civile présente la particularité de permettre la saisine du juge aux fins d’obtenir une mesure d’instruction avant tout procès, soit par voie de référé, soit par voie de requête.

Est-ce à dire que la partie cherchant à se préconstituer une preuve avant tout procès dispose d’une option procédurale ?

L’analyse de la combinaison des articles 145 et 845 du Code de procédure civile révèle qu’il en est rien.

Régulièrement, la Cour de cassation rappelle, en effet, qu’il ne peut être recouru à la procédure sur requête qu’à la condition que des circonstances particulières l’exigent.

Autrement dit, la voie du référé doit être insuffisante, à tout le moins inappropriée, pour obtenir le résultat recherché.

Cette hiérarchisation des procédures qui place la procédure sur requête sous le signe de la subsidiarité procède de la volonté du législateur de n’admettre une dérogation au principe du contradictoire que dans des situations très exceptionnelles.

D’où l’obligation pour les parties d’envisager, en première intention, la procédure de référé, la procédure sur requête ne pouvant intervenir que dans l’hypothèse où il n’existe pas d’autre alternative.

Dans un arrêt du 29 janvier 2002, la Cour de cassation avait ainsi reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe de la contradiction » (Cass. com., 29 janv. 2002, n°00-11.134).

Lorsque toutefois la procédure sur requête se justifie, deux conditions devront être remplies par le requérant :

  • D’une part, aucune instance au fond ne doit avoir été introduite, les mesures d’instructions in futurum visant à se procurer des preuves avant tout procès
  • D’autre part, il doit justifier d’un motif légitime qu’il a de conserver ou d’établir l’existence de faits en prévision d’un éventuel procès : il faut que l’action éventuelle au fond ne soit pas manifestement vouée à l’échec

Au bilan, la voie privilégiée pour engager une demande sur le fondement de l’article 145 du CPC, c’est le référé.

La procédure sur requête ne peut être envisagée qu’à la condition de justifier de circonstances exceptionnelles.

B) Les conditions de fond

Lorsque le Juge des référés est saisi sur le fondement de l’article 145 du CPC, la mesure sollicitée doit être justifiée par la nécessité de conserver ou d’établir les faits en vue d’un procès potentiel.

?Sur la justification d’un motif légitime

La demande ne peut être accueillie que si le demandeur justifie d’un motif légitime, dont l’existence est appréciée souverainement par les juges du fond (Cass. 2e civ., 8 févr. 200, n°05-14.198).

La légitimité du motif est étroitement liée à la situation des parties et à la nature de la mesure sollicitée, le motif n’étant légitime que si les faits à établir ou à conserver sont eux-mêmes pertinents et utiles.

Le juge n’a pas à caractériser la légitimité de la mesure au regard des différents fondements juridiques possibles de l’action en vue de laquelle elle était sollicitée (Cass. 2e civ., 8 juin 2000, n° 97-13.962).

Les mesures d’instruction peuvent tendre à la conservation des preuves, mais aussi à l’établissement de faits, et peuvent concerner des tiers, si aucun empêchement légitime ne s’y oppose (Cass. 2e civ., 26 mai 2011, n°10-20.048).

Les mesures d’investigation ordonnées, que ce soit en référé ou sur requête, doivent être légalement admissibles.

La Cour de cassation veille à ce que le juge se soit assuré que les mesures sollicitées ne comportent pas d’atteinte à une liberté fondamentale (Cass. 2e civ., 10 nov. 2010, n° 09-71.674 ; Cass. 2e civ., 6 janv. 2011, n° 09-72.841).

Par exemple, il a été jugé qu’excède les mesures d’instruction légalement admissibles au sens de l’article 145 du code de procédure civile, la mesure ordonnée par le président d’un tribunal de commerce autorisant un huissier de justice à se rendre dans les locaux d’une société suspectée d’actes de concurrence déloyale et de détournement de clientèle et à se saisir de tout document social, fiscal, comptable, administratif, de quelque nature que ce soit, susceptible d’établir la preuve, l’origine et l’étendue du détournement, permettant ainsi à l’huissier de justice de fouiller à son gré les locaux de la société, sans avoir préalablement sollicité la remise spontanée des documents concernés et obtenu le consentement du requis (Cass. 2e civ., 16 mai 2012, n° 11-17.229).

Aussi, la Cour de cassation se montre vigilante sur l’étendue des investigations pouvant être autorisées sur le fondement de l’article 145 du CPC.

Il peut être noté que, dans un arrêt du 7 janvier 1999, la Cour de cassation a estimé que « le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées » (Cass. 2e civ. 7 janvier 1999, n° 95-21.934).

En pratique, il existe de nombreuses contestations contre les décisions ordonnant des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145, en raison :

  • De l’insuffisance de démonstration du « motif légitime » de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ;
  • De l’imprécision de la mesure d’expertise sollicitée, la mission de l’expert ne pouvant pas être générale, mais précisément limitée à la recherche des faits pertinents, en quelque sorte « ciblée » (comme pour toute demande d’expertise, y compris devant le juge du fond) ;

Reste que, le Juge ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire, raison pour laquelle il lui appartient de motiver sa décision d’admettre ou de rejeter une demande de mesure d’instruction ou de production forcée de pièces sur le fondement de l’article 145 du CPC (Cass. 2e civ., 8 mars 2007, n° 06-15.251).

C’est là une différence essentielle avec le juge saisi au fond qui dispose du pouvoir d’ordonner discrétionnairement ou non une mesure d’instruction (Cass. com. 3 avr. 2007, n° 06-12.762 ; Cass. com17 mars 2004, n° 00-13.081).

?Sur la potentialité d’un procès

Mesure par nature préventive, le référé de l’article 145 du code de procédure civile, parfois appelé « référé instruction », a pour objet de permettre à un sujet de droit de se procurer une preuve dont il pourrait avoir besoin à l’appui d’un procès potentiel.

Encore faut-il que ce dernier soit envisageable.

Le litige doit être potentiel, ce qui signifie qu’il ne doit pas être en cours. Selon une jurisprudence bien établie, la condition tenant à l’absence d’instance au fond, prescrite par le texte (« avant tout procès »), est une condition de recevabilité devant être appréciée, et conséquemment remplie, au jour de la saisine du juge des référés.

Par procès, il faut entendre une instance au fond. Dans un arrêt du 11 mai 1993, la Cour de cassation a considéré qu’une mesure in futurum devait être ordonnée « avant tout procès, c’est-à-dire avant que le juge du fond soit saisi du procès en vue duquel (cette mesure) est sollicitée » (Cass. com., 11 mai 1993, n°90-20.430).

La saisine du Juge des référés n’interdit donc pas l’introduction d’une demande sur le fondement de l’article 145 du CPC (Cass. 2e civ., 17 juin 1998, n°95-10.563).

Quant à l’appréciation de l’existence d’un procès, dans un arrêt du 28 juin 2006, la Cour de cassation a considéré « qu’en statuant ainsi, alors que l’absence d’instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande, devait s’apprécier à la date de la saisine du juge, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. 2e civ., 28 juin 2006, n° 05-19.283).

Reste que l’interdiction de saisir le Juge des référés sur le fondement de l’article 145 est inapplicable lorsque la mesure litigieuse est sollicitée pour recueillir la preuve, avant tout procès, d’actes de concurrence déloyale distincts du procès qui oppose les parties (Cass. com. 3 avr. 2013, n°12-14.202).

II) Les mesures prises

Lorsque le juge des référés est saisi sur le fondement de l’article 145 CPC, il peut prendre toutes les mesures d’instructions utiles légalement admissibles.

Ce qui importe, c’est que ces mesures répondent à l’un des deux objectifs suivants :

  • Conserver la preuve d’un fait
  • Établir la preuve d’un fait

Il ressort d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 7 janvier 1999 que la mesure sollicitée ne peut pas être d’ordre général.

La deuxième chambre civile a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait considéré que parce que « la mesure d’instruction demandée s’analysait en une mesure générale d’investigation portant sur l’ensemble de l’activité de la société Drouot et tendant à apprécier cette activité et à la comparer avec celle de sociétés ayant le même objet, la cour d’appel n’a fait qu’user des pouvoirs qu’elle tient de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile, en décidant sans ajouter au texte une condition qu’il ne contenait pas, que la mesure demandée excédait les prévisions de cet article » (Cass. 2e civ. 7 janv. 1999, n°97-10.831).

Les mesures prononcées peuvent être extrêmement variées pourvu qu’elles soient précises. À cet égard, ce peut être :

  • La désignation d’un expert
  • La désignation d’un huissier de justice
  • La production forcée de pièces par une autre partie ou par un tiers

S’agissant de la production forcée de pièces, c’est de manière prétorienne que les « mesures d’instruction » ont été étendues à cette sollicitation, par combinaison des articles 10, 11 et 145 du CPC.

En effet, l’article 145 relève d’un sous-titre du Code de procédure civile consacrée aux mesures d’instruction.

La production de pièces est régie, quant à elle, par un sous-titre distinct, ce qui a fait dire à certains que, en l’absence de texte prévoyant expressément la production forcée de pièces par une autre partie ou par un tiers, cette mesure ne relevait pas de la compétence du Juge des référés saisi sur le fondement de l’article 145 du CPC.

Reste que l’article 145 est compris dans le titre VII du Code de procédure dédié à « l’administration judiciaire de la preuve ».

C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation a admis que le juge des référés puisse ordonner la production forcée de pièces détenues, soit par une autre partie (Cass. com. 11 avril 1995, n° 92-20.985 ; Cass. 2e civ. 23 sept. 2004, n° 02-16.459 ; Cass. 2e civ., 17 févr. 2011, n° 10-30.638) ou par des tiers (Cass. 1ère civ., 20 déc. 1993, n° 92-12.819 ; Cass. 2e civ., 26 mai 2011, n° 10-20.048).

Il a, en effet, été considéré que cette production forcée était de nature à contribuer à la bonne « instruction » de l’affaire.

Pratiquement, il conviendra, de solliciter la production forcée de pièces sous astreinte, afin que l’ordonnance rendue puisse être exécutée efficacement.

Enfin, Lorsque la demande de production forcée de pièces est sollicitée en cours de procédure, il conviendra de se fonder sur les articles 11 et 138 du Code de procédure civile.

III) L’exécution de la mesure prise

?Principe

Lorsque le Juge des référés est saisi sur le fondement de l’article 145 du CPC il est immédiatement dessaisi après avoir ordonné la mesure sollicitée (Cass. 2e civ., 6 juin 2013, n° 12-21.683).

Il en résulte qu’il n’est pas compétent pour connaître de l’irrégularité de l’exécution de la mesure ordonnée.

Dans un arrêt du 15 juin 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « en déboutant les époux X… de leur demande d’interdiction et en ordonnant la mesure d’instruction sollicitée, avait épuisé sa saisine en tant que juridiction des référés ; qu’elle a donc à bon droit déclaré que les époux X… n’étaient pas recevables à lui demander une nouvelle expertise » (Cass. 2e civ., 15 juin 1994, n°92-18.186).

Dans un arrêt du 24 juin 1998, elle a encore décidé après avoir relevé que « pour commettre un nouveau technicien en lui confiant une mission identique à celle qui avait été précédemment ordonnée, [l’arrêt attaqué] retient que le premier technicien n’a pas correctement exécuté sa mission alors qu’en ordonnant par son arrêt du 3 octobre 1995 la mesure d’expertise sollicitée par la société Henri Maire, elle avait épuisé les pouvoirs que le juge des référés tient de l’article 145 susvisé, toute demande de nouvelle mesure d’instruction motivée par l’insuffisance des diligences du technicien commis ne pouvant relever que de l’appréciation du juge du fond, la cour d’appel a méconnu l’étendue de ses pouvoirs » (Cass. 2e civ. 24 juin 1998, n° 97-10.638).

Aussi, c’est aux seuls juges du fond d’apprécier la régularité de l’exécution de la mesure d’instruction in futurum ordonnée par le Juge des référés sur le fondement de l’article 145 du CPC (Cass. 2e civ. 2 déc. 2004, n°02-20.205).

?Tempéraments

Une fois la mesure ordonnée le Juge des référés peut seulement « sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, déclarer commune à une autre partie une mesure d’instruction qu’il a précédemment ordonnée en référé » (Cass. 2e civ., 12 juill. 2001, n° 00-10.162).

Rien ne lui interdit, par ailleurs d’étendre la mission de l’expert à toutes fins utiles dont dépend la solution du litige (Cass. com., 22 sept. 2016, n° 15-14.449).

Les sûretés judiciaires: publicité provisoire et définitive

==> Contexte

Il est des situations qui imposent au créancier d’agir immédiatement, faute de temps pour obtenir un titre exécutoire, aux fins de se prémunir contre l’insolvabilité de son débiteur en assurant la sauvegarde de ses droits.

L’enjeu pour le créancier, est, en d’autres termes, de se ménager la possibilité d’engager une procédure d’exécution forcée à l’encontre de son débiteur, lorsqu’il aura obtenu, parfois après plusieurs années, un titre exécutoire à l’issue d’une procédure au fond ou en référé.

Afin de répondre à la situation d’urgence dans laquelle est susceptible de se trouver un créancier, la loi lui confère la possibilité de solliciter, du Juge de l’exécution, ce que l’on appelle des mesures conservatoires.

L’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose en ce sens que « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. »

Afin d’assurer la sauvegarde de ses droits, le créancier peut solliciter du Juge deux sortes de mesures conservatoires au nombre desquelles figurent :

  • La saisie conservatoire
    • Elle vise à rendre indisponible un bien ou une créance dans le patrimoine du débiteur
  • La sûreté judiciaire
    • Elle vise à conférer au créancier un droit sur la valeur du bien ou de la créance grevée

Parce que les mesures conservatoires peuvent être prises sans que le créancier justifie d’un titre exécutoire, à tout le moins d’une décision passée en force de chose jugée, les conditions d’application de ces mesures ont été envisagées plus restrictivement que celles qui encadrent les mesures d’exécution forcée.

==> Notion de sûreté

Une sûreté est une garantie accordée à un créancier contre le risque d’insolvabilité de son débiteur.

Classiquement, on distingue les sûretés réelles, des sûretés personnelles.

  • La sûreté personnelle
    • Elle est l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette.
    • Autrement dit, consiste en l’adjonction au rapport d’obligation principal existant d’un rapport d’obligation accessoire qui confère au créancier un droit de gage général sur le patrimoine du garant en cas de défaillance du débiteur initial
    • Conformément à l’article 2287-1 du Code civil, au nombre des sûretés personnelles figurent :
      • Le cautionnement
      • La garantie autonome
      • La lettre d’intention
  • La sûreté réelle
    • Elle consiste en l’affectation d’un bien au paiement préférentiel du créancier.
    • Elle se caractérise ainsi par l’affectation spéciale et prioritaire d’un ou plusieurs éléments d’actif du débiteur en garantie de l’obligation souscrite
    • Parmi les sûretés réelles on distingue les sûretés réelles immobilières des sûretés réelles mobilières
      • Les sûretés réelles immobilières
        • Enumérées à l’article 2373 du Code civil, il s’agit :
          • Du privilège
          • Du gage immobilier
          • De l’hypothèque.
      • Les sûretés réelles mobilières
        • Enumérées à l’article 2329 du Code civil, il s’agit :
          • Des privilèges mobiliers
          • Du gage de meubles corporels
          • Du nantissement de meubles incorporels
          • De La propriété retenue ou cédée à titre de garantie

Parmi les sûretés réelles, figurent donc ce que l’on appelle les privilèges.

L’article 2324 du Code civil définit le privilège comme le « droit que la qualité de la créance donne à un créancier d’être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires. »

Le privilège est une sûreté légale en ce sens que pas de privilège sans texte. Il est accordé en considération de la qualité de la créance.

Les privilèges se classent en deux catégories :

  • Les privilèges généraux: ils portent sur l’ensemble des biens meubles et immeubles du débiteur
  • Les privilèges spéciaux: ils portent sur certains biens meubles ou immeubles du débiteur

==> Sûretés conventionnelles, légales et judiciaires

Les sûretés ne se distinguent pas seulement par leur objet, elles se différencient également selon leur source :

  • Une sûreté est dite conventionnelle lorsqu’elle est librement stipulée par les parties à un contrat
  • Une sûreté est dite légale lorsque la loi subordonne l’exercice d’un droit à sa constitution
  • Une sûreté est dite judiciaire lorsque, soit sa constitution résulte de la décision d’un juge, soit sa mise en œuvre est soumise au contrôle du juge

S’agissant des sûretés dites judiciaires, il convient de ne pas confondre les sûretés résultant d’un jugement de condamnation, de celles constituées à titre conservatoire.

  • S’agissant des sûretés résultant d’un jugement de condamnation, elles sont, en réalité, d’origine légale, en ce sens que c’est la loi qui assortit de plein droit la décision du juge d’une sûreté
  • S’agissant des sûretés constituées à titre conservatoire, leur constitution procède d’une appréciation souveraine du Juge indépendamment de l’effet que la loi attache à sa décision

Manifestement, le régime juridique de ces deux sortes de sûretés diffère fondamentalement dans la mesure où les sûretés constituées à titre conservatoire font l’objet d’une publicité provisoire, ce qui n’est pas le cas des sûretés résultant d’un jugement de condamnation.

Il convient, enfin, d’observer, s’agissant des sûretés judiciaires, qu’elles ne résultent pas toutes de la décision d’un juge.

Elles peuvent également être constituées par un créancier dispensé d’obtenir l’autorisation d’un juge, car détenant un titre exécutoire. On qualifie ces sûretés de judiciaires, car leur mise en œuvre demeure soumise au contrôle du Juge qui, à tout moment, peut prononcer la mainlevée de la mesure conservatoire s’il estime que les conditions requises ne sont pas réunies.

==> Domaine des sûretés judiciaires

L’article L. 531-1 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que, une sûreté judiciaire peut être constituée à titre conservatoire sur :

  • Les immeubles
  • Les fonds de commerce
  • Les actions, parts sociales et valeurs mobilières.

Il convient d’observer que la sûreté judiciaire peut être constituée sur un bien frappé d’indisponibilité telle qu’une créance faisait l’objet d’une saisie conservatoire.

==> Conditions de constitution des sûretés judiciaires

  • Les conditions de fond
    • L’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.»
    • Il ressort de cette disposition que l’inscription d’une sûreté judiciaire est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :
      • Une créance paraissant fondée dans son principe
      • Des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement
  • Les conditions procédurales
    • Le principe
      • Dans la mesure où des mesures conservatoires peuvent être prises, alors même que le créancier n’est en possession d’aucun titre exécutoire, le législateur a subordonné leur adoption à l’autorisation du juge ( L.511-1 du CPCE).
      • S’agissant des sûretés judiciaires, l’article R. 531-1 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que « sur présentation de l’autorisation du juge ou du titre en vertu duquel la loi permet qu’une mesure conservatoire soit pratiquée, une sûreté peut être prise sur un immeuble, un fonds de commerce, des parts sociales ou des valeurs mobilières appartenant au débiteur.»
      • L’article L. 511-3 du Code des procédures civiles d’exécution désigne le Juge de l’exécution comme disposant de la compétence de principe pour connaître des demandes d’autorisation.
      • La saisine du Juge de l’exécution peut être effectuée, tant avant tout procès, qu’en cours d’instance.
      • La compétence du Juge de l’exécution n’est, toutefois, pas exclusive
      • Il peut, à certaines conditions, être concurrencé par le Président du Tribunal de commerce.
    • Les exceptions
      • Par exception, l’article L. 511-2 du CPCE prévoit que, dans un certain nombre de cas, le créancier est dispensé de solliciter l’autorisation du Juge pour pratiquer une mesure conservatoire.
      • Les cas visés par cette disposition sont au nombre de quatre :
        • Le créancier est en possession d’un titre exécutoire
        • Le créancier est en possession d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire
        • Le créancier est porteur d’une lettre de change acceptée, d’un billet à ordre ou d’un chèque
        • Le créancier est titulaire d’une créance de loyer impayé

==> Mise en œuvre de la constitution des sûretés judiciaires

La mise en œuvre de la constitution d’une sûreté judiciaire comporte deux phases :

  • La phase de publicité provisoire de la sûreté
  • La phase de publicité définitive de la sûreté

I) La publicité provisoire des sûretés judiciaires

A) Les formalités de publicité

Les formalités de publicité provisoire diffèrent d’une sûreté à l’autre.

==> L’inscription provisoire d’une hypothèse

L’article R. 532-1 du CPCE prévoit que l’inscription provisoire d’hypothèque est opérée par le dépôt au service de la publicité foncière de deux bordereaux dans les conditions prévues par l’article 2428 du code civil.

A cet égard, en application de cette dernière disposition, le créancier doit présenter au service chargé de la publicité foncière :

  • L’original, une expédition authentique ou un extrait littéral de la décision judiciaire donnant naissance à l’hypothèque, lorsque celle-ci résulte des dispositions de l’article 2123 ;
  • L’autorisation du juge, la décision judiciaire ou le titre pour les sûretés judiciaires conservatoires.

Chacun des bordereaux doit contenir exclusivement les informations suivantes :

  • La désignation du créancier, l’élection de domicile et la désignation du débiteur, conformément aux dispositions des 1° et 2° du troisième alinéa de l’article 2428 du C. civ. ;
  • L’indication de l’autorisation ou du titre en vertu duquel l’inscription est requise ;
  • L’indication du capital de la créance et de ses accessoires ;
  • La désignation, conformément aux premier et troisième alinéas de l’article 7 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, de l’immeuble sur lequel l’inscription est requise.

Le dépôt est refusé :

  • A défaut de présentation du titre générateur de la sûreté pour les hypothèques et sûretés judiciaires ;
  • A défaut de la mention visée de la certification de l’identité des parties prescrite par les articles 5 et 6 du décret du 4 janvier 1955, ou si les immeubles ne sont pas individuellement désignés, avec indication de la commune où ils sont situés.

La formalité est également rejetée :

  • D’une part, lorsque les bordereaux comportent un montant de créance garantie supérieur à celui figurant dans le titre pour les hypothèques et sûretés judiciaires
  • D’autre part, si le requérant ne substitue pas un nouveau bordereau sur formule réglementaire au bordereau irrégulier en la forme.

==> Le nantissement provisoire d’un fonds de commerce

L’article R. 532-2 du CPCE prévoit que l’inscription provisoire de nantissement sur un fonds de commerce est opérée par le dépôt au greffe du tribunal de commerce de deux bordereaux sur papier libre contenant :

  • La désignation du créancier, son élection de domicile dans le ressort du tribunal de commerce où se trouve situé le fonds et la désignation du débiteur ;
  • L’indication de l’autorisation ou du titre en vertu duquel l’inscription est requise ;
  • L’indication du capital de la créance et de ses accessoires.

==> Le nantissement de parts sociales

L’article R. 532-3 du CPCE prévoit que le nantissement de parts sociales est opéré par la signification à la société d’un acte contenant :

  • La désignation du créancier et celle du débiteur ;
  • L’indication de l’autorisation ou du titre en vertu duquel la sûreté est requise ;
  • L’indication du capital de la créance et de ses accessoires.

Dans l’hypothèse où il s’agit d’une société civile immatriculée, l’acte de nantissement est publié au registre du commerce et des sociétés.

Par principe, le nantissement a pour effet de grever l’ensemble des parts à moins qu’il ne soit autrement précisé dans l’acte.

==> Le nantissement de valeurs mobilières

L’article R. 532-4 du CPCE prévoit que le nantissement des valeurs mobilières est opéré par la signification d’une déclaration à l’une des personnes mentionnées aux articles R. 232-1 à R. 232-4 selon le cas.

Cette déclaration doit contenir :

  • La désignation du créancier et du débiteur ;
  • L’indication de l’autorisation ou du titre en vertu duquel la sûreté est requise ;
  • L’indication du capital de la créance et de ses accessoires.

Le nantissement grève alors l’ensemble des valeurs mobilières à moins qu’il ne soit autrement précisé dans l’acte.

B) L’information du débiteur

En application de l’article R. 532-5 du CPCE, quelle que soit la nature de la sûreté prise, le créancier doit, à peine de caducité de la mesure, en informer le débiteur par acte d’huissier huit jours au plus tard après le dépôt des bordereaux d’inscription ou la signification du nantissement

Cet acte de dénonciation doit contenir, à peine de nullité :

  • Une copie de l’ordonnance du juge ou du titre en vertu duquel la sûreté a été prise
    • La copie de la requête doit être annexée à l’acte en application de l’article 495 du code de procédure civile qui prévoit que « la copie de la requête et de l’ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée»
    • Toutefois, s’il s’agit d’une créance de l’État, des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics, il n’est fait mention que de la date, de la nature du titre et du montant de la dette ;
  • L’indication, en caractères très apparents, que le débiteur peut demander la mainlevée de la sûreté comme il est dit à l’article R. 512-1 du CPCE
  • La reproduction :
    • Des dispositions de l’article R. 511-1 à R. 512-3 du CPCE relatives aux conditions de validité des mesures conservatoires
    • Des dispositions de l’article R. 532-6 du CPCE concernant la mainlevée de la publicité provisoire.

C) Diligences complémentaires en l’absence de titre exécutoire

==> Obtention d’un titre exécutoire

L’article R. 511-7 du CPCE prévoit que si ce n’est dans le cas où la mesure conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, à peine de caducité, introduit une procédure ou accomplit les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire.

Ainsi, si le créancier ne possède pas de titre exécutoire lors la réalisation de la mesure conservatoire, il lui appartient d’entreprendre toutes les démarches utiles aux fins d’en obtenir un.

La formule « accomplir les formalités nécessaires » vise le cas où un jugement a déjà été rendu mais n’a pas encore le caractère exécutoire.

Il suffira alors d’attendre l’écoulement du délai de la voie de recours suspensive et de solliciter un certificat de non-appel.

La formule vise encore toutes les procédures précontentieuses préalables, mais obligatoires, aux fins d’obtenir un titre exécutoire.

En tout état de cause, le créancier dispose, pour ce faire, d’un délai d’un mois.

La procédure sera réputée engagée, dès lors que l’acte introductif d’instance aura été signifié avant l’expiration de ce délai d’un mois

L’examen de la jurisprudence révèle qu’il est indifférent que la procédure engagée soit introduite au fond ou en référé

Dans un arrêt remarqué du 3 avril 2003, la Cour de cassation a encore considéré qu’en délivrant une assignation, même devant une juridiction incompétente, dans le délai d’un mois, le créancier satisfait à l’exigence de l’article R. 511-7 du CPCE (Cass. 2e civ. 3 avr. 2003).

Cette incompétence ne constituera, en conséquence, pas un obstacle à la délivrance d’une nouvelle assignation au-delà du délai d’un mois, dès lors que l’action se poursuit et que le lien d’instance entre les parties n’a jamais été interrompu

==> La dénonciation aux tiers

L’article R. 511-8 du CPCE dispose que lorsque la mesure est pratiquée entre les mains d’un tiers, le créancier signifie à ce dernier une copie des actes attestant les diligences requises par l’article R. 511-7, dans un délai de huit jours à compter de leur date.

Cette hypothèse se rencontrera uniquement en matière de nantissement de parts sociales ou de valeurs mobilières.

En cas d’inobservation de ce délai de huit jours pour dénoncer la mesure conservatoire au tiers entre les mains duquel la mesure est pratiquée, elle est frappée de caducité.

Dans un arrêt du 30 janvier 2002, la Cour de cassation a néanmoins estimé que l’article R. 511-8 n’avait pas lieu de s’appliquer lorsque les diligences requises ont été effectuées avant la réalisation de la mesure conservatoire (Cass. 2e civ. 30 janv. 2002).

Tel sera notamment le cas lorsque le créancier a fait signifier une décision qui n’est pas encore passée en force de chose jugée et qu’il n’a pas reçu le certificat de non-appel sollicité auprès du greffe de la Cour.

Dans l’hypothèse où il ferait pratiquer une mesure conservatoire, il ne disposerait alors d’aucun acte à dénoncer au tiers entre les mains duquel la mesure est réalisée.

Dans un arrêt du 15 janvier 2009, la Cour de cassation a néanmoins précisé que, en cas de concomitance, de la réalisation de la mesure conservatoire et de l’accomplissement de diligences en vue de l’obtention d’un titre exécutoire, ces dernières doivent être dénoncées au tiers dans le délai de 8 jours, conformément à l’article R. 511-8 du CPCE (Cass. 2e civ. 15 janv. 2009).

D) Les effets de la publicité provisoire

==> Opposabilité aux tiers

Aux termes de l’article L. 532-1 du CPCE « les sûretés judiciaires deviennent opposables aux tiers du jour de l’accomplissement des formalités de publicité. »

Le rang initial résultant de la publicité provisoire sera maintenu si la publicité définitive est régulièrement effectuée.

==> Conservation de la sûreté

L’article R. 532-7 du CPCE prévoit que la publicité provisoire conserve la sûreté pendant trois ans dans la limite des sommes pour lesquelles elle a été opérée. Son renouvellement peut être effectué dans les mêmes formes et pour une durée égale.

Si le renouvellement n’est pas effectué dans le délai légal, la sûreté judiciaire devient caduque et donc rétroactivement anéantie : elle sera réputée n’avoir jamais été prise.

Dans un arrêt du 5 mai 1981, la Cour de cassation a jugé qu’une régularisation tardive d’une inscription provisoire d’hypothèque est impossible (Cass. 3e civ. 5 mai 1981, n° 79-17057).

==> Attribution du prix de vente du bien grevé avant l’accomplissement de la publicité définitive

L’article L. 531-2 du CPCE prévoit que les biens grevés d’une sûreté demeurent aliénables.

Si, dès lors, le bien est vendu avant l’accomplissement des formalités de publicité définitive, le créancier titulaire de la sûreté judiciaire provisoire jouit des mêmes droits que le titulaire d’une sûreté conventionnelle ou légale.

Toutefois, la part du prix qui lui revient dans la distribution est consignée en application de l’article R. 532-8, al. 1er du CPCE.

Cette part lui est remise s’il justifie avoir procédé à la publicité définitive dans le délai prévu. À défaut, elle revient aux créanciers en ordre de la recevoir ou au débiteur (Art. R. 532-8, al. 2 CPCE).

Par exception, en cas de vente de valeurs mobilières inscrites sur un compte tenu et géré par un intermédiaire habilité, le prix peut être utilisé pour acquérir d’autres valeurs qui sont alors subrogées aux valeurs vendues (Art. L. 531-2, al. 2 CPCE).

A cet égard, la Cour de cassation considère que les différents titres compris dans un portefeuille de valeurs mobilières ne s’analysent pas comme des biens indépendants, mais qu’ils sont un bien unique, car formant une universalité (Cass. civ. 1ère, 12 nov.1998, n° 96-18041).

Le réemploi n’est, néanmoins, pas obligatoire. En son absence, le prix de vente des valeurs mobilières sera consigné.

E) Recours du débiteur

Le débiteur a la possibilité d’obtenir :

  • Soit la mainlevée de la publicité provisoire
  • Soit le cantonnement des effets de la sûreté
  • Soit la substitution de la sûreté

==> Sur la mainlevée

La mainlevée ordonnée par le juge a pour conséquence d’entraîner la radiation de l’inscription provisoire d’hypothèque ou de nantissement, celle-ci devenant rétroactivement sans effet.

Elle ne s’effectue pas de la même façon suivant les sûretés judiciaires :

  • En cas d’hypothèque judiciaire conservatoire ou en cas de nantissement conservatoire de fonds de commerce, on opère une radiation de l’inscription provisoire.
  • En cas de nantissement conservatoire de parts sociales ou en cas de nantissement conservatoire de valeurs mobilières, il n’y a rien à radier et par conséquent la décision de mainlevée suffit.

==> Sur le cantonnement des effets de la sûreté

Seul, le débiteur peut demander au juge de l’exécution de limiter les effets de la sûreté provisoire lorsque la valeur des biens grevés est manifestement supérieure au montant des sommes garanties (Art. R. 532-9 du CPCE).

Le débiteur doit justifier que les biens qui demeurent grevés, après prononcé de la limitation des effets de la sûreté provisoire, ont une valeur double du montant des sommes garanties.

La réduction sera possible uniquement si la sûreté grève plusieurs biens.

==> La substitution de la sûreté

Comme toutes les mesures conservatoires, le débiteur dispose de la faculté de demander le remplacement de la sûreté judiciaire qui grève un ou plusieurs de ses biens.

Cette faculté peut être intéressante pour le débiteur, car même si les biens grevés par des sûretés judiciaires ne sont pas indisponibles, il aura cependant plus de difficultés à céder de tels biens, et en tout état de cause la valeur qu’il en retirera sera moindre.

II) La publicité définitive des sûretés judiciaires

A) Délai

La publicité définitive doit être effectuée dans un délai de deux mois.

Le point de départ de ce délai est différent, selon que la procédure a été mise en œuvre après autorisation du juge de l’exécution ou avec un titre exécutoire (Art. R. 533-4 CPCE).

Ce délai est calculé comme le sont les délais de procédure, c’est-à-dire selon les dispositions des articles 640 et suivants du CPC.

En particulier, il expire le dernier jour du mois qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir.

À défaut d’un quantième identique, il expire le dernier jour du mois (art. 641 CPC).

==> Procédure mise en œuvre après autorisation du juge de l’exécution

Le délai de deux mois pour procéder à la publicité définitive court du jour où le titre constatant les droits du créancier est passé en force de chose jugée.

À cet égard, il est rappelé qu’une décision rendue par une juridiction civile est considérée comme passée en force de chose jugée lorsque les voies de recours ordinaires (opposition et appel) sont épuisées.

==> Procédure mise en œuvre avec un titre exécutoire

II résulte de la combinaison de l’article R. 532-6 et de l’article R. 533-4 du CPCE que le délai de deux mois est décompté de la manière suivante :

  • Délai minimum à respecter : la publicité définitive ne peut être effectuée avant l’expiration du délai d’un mois à compter de la signification de l’acte de dénonciation prévu à l’article R. 532-5 du CPCE destiné à informer le débiteur de la réalisation de la publicité provisoire ( R. 532-6 CPCE) ;
  • Le point de départ du délai de deux mois est donc l’expiration du délai d’un mois
  • Par conséquent, le délai maximum dont dispose un créancier muni d’un titre exécutoire pour procéder à la publicité définitive est de trois mois à compter de la notification de l’acte informant le débiteur de l’accomplissement de la publicité provisoire (Art. R. 532-5 CPCE).

Toutefois, lorsque le débiteur a demandé la mainlevée de la publicité provisoire, le délai de deux mois court du jour de la décision rejetant la contestation (Art. R. 533-4, al. 2 CPCE).

Si le titre n’était exécutoire qu’à titre provisoire, le délai a pour point de départ le jour où le titre est passé en force de chose jugée.

B) Procédure

Pour procéder à la publicité définitive de la sûreté conservatoire, le créancier doit démontrer que les conditions requises sont réunies, c’est-à-dire, dans le cas le plus fréquent, présenter son titre exécutoire en application du dernier alinéa de l’article R. 533-4 du CPCE.

II convient d’envisager deux situations.

1. Le bien objet de la sûreté n’a pas été vendu

==> Inscription d’hypothèque

L’article art. R. 533-2, al. 1 du CPCE prévoit que les formalités de publicité définitive de l’hypothèque judiciaire provisoire sont effectuées conformément à l’article 2428 du Code civil.

L’inscription provisoire prise par un créancier est confirmée par une inscription définitive, sans qu’il y ait lieu d’obtenir du juge une décision au fond, dans les deux mois de la décision passée en force de chose jugée rendant exécutoire la créance.

Sous réserve de l’appréciation des tribunaux, il y a lieu de considérer que ce délai de deux mois court à compter de la notification au redevable de la décision passée en force de chose jugée.

Il est calculé comme le sont les délais de procédure, selon les dispositions des articles 640 et suivants du Code de procédure civile.

Par ailleurs, en application du dernier alinéa de l’article R. 533-4 du CPCE le créancier doit présenter au responsable du service de la publicité foncière le document attestant du respect des conditions de délai qui lui sont imparties pour requérir l’inscription définitive.

Le défaut de production de cette pièce est sanctionné par le refus de dépôt, sans que le créancier ne puisse régulièrement s’y opposer.

En outre, l’inscription initiale devient caduque et sa radiation peut être demandée par l’intéressé au juge de l’exécution, en l’absence de confirmation de l’inscription dans le délai de deux mois.

En revanche, l’inscription définitive effectuée dans le délai rétroagit à la date de la formalité de l’inscription provisoire initiale dans la limite des sommes visées par cette dernière (Art. R. 533-1 CPCE).

L’inscription définitive conserve l’hypothèque judiciaire pendant dix ans.

==> Inscription de nantissement du fonds de commerce

L’article R. 533-2, al. 1er du CPCE prévoit que la publicité définitive du nantissement provisoire du fonds de commerce est opérée conformément à l’article L. 143-17 du code de commerce et à l’article 24 de la loi du 17 mars 1909 relative à la vente et au nantissement du fonds de commerce c’est-à-dire par le dépôt de deux bordereaux établis sur papier libre dans les mêmes formes que ceux utilisés pour requérir l’inscription provisoire, accompagnés d’un original ou d’une expédition du titre exécutoire.

==> Nantissement des parts sociales et valeurs mobilières

L’article R. 533-3, al. 1er du CPCPE prévoit que la publicité définitive du nantissement des parts sociales et valeurs mobilières est effectuée dans les mêmes formes que la publicité provisoire, c’est-à-dire par la signification d’un acte à la société ou d’une déclaration à l’une des personnes mentionnées aux articles R. 232-1, à R. 232-4 du CPCE.

S’il s’agit d’une société civile immatriculée, l’acte de nantissement devra être publié au registre du commerce et des sociétés.

Après accomplissement de cette formalité, le créancier peut, le cas échéant, demander l’agrément du nantissement.

2. La vente du bien objet de la sûreté est intervenue

Lorsque la vente du bien grevé est intervenue avant que le créancier ait été en mesure de procéder à la publicité définitive, cette dernière est remplacée par la signification du titre exécutoire à la personne chargée de la répartition du prix.

En application de l’article R. 533-5 du CPCE, cette signification doit intervenir dans le délai de deux mois prévu à l’article R. 533-4 du CPCE.

C) Effet

L’article R. 533-1 du CPCE prévoit que la publicité définitive donne rang à la sûreté à la date de la formalité initiale, dans la limite des sommes conservées par cette dernière.

L’inscription définitive se substitue alors rétroactivement à l’inscription provisoire.

II en résulte que l’ouverture d’une procédure collective ne met pas obstacle à la confirmation de la sûreté lorsque cette dernière a été publiée à titre conservatoire avant la cessation des paiements et le jugement déclaratif.

Cette position est conforme à la jurisprudence rendue par la Cour de cassation en matière d’hypothèque judiciaire provisoire (Cass. com. 17 novembre 1992, n° 90-22058).

L’article L. 632-1 du Code de commerce précise que la publicité définitive prise après la cessation des paiements est nulle, à moins que la publicité provisoire ne soit antérieure à la date de cessation des paiements.

L’inscription définitive de l’hypothèque judiciaire confère au créancier un droit de préférence et un droit de suite qui sont exercés dans les conditions prévues en matière d’hypothèque légale.

L’inscription conserve l’hypothèque judiciaire pendant dix ans. Pour conserver la garantie, le créancier doit procèder au renouvellement de l’inscription avant l’expiration de ce délai.

D) Conséquence du défaut de publicité définitive

À défaut de confirmation dans le délai prévu à l’article R. 533-4 du CPCE, la publicité provisoire est caduque (art. L. 533-1 et R. 533-6, al. 1 du CPCE). Elle cesse donc de produire effet et entraîne la radiation de l’inscription.

Lorsque l’inscription provisoire est devenue caduque car n’ayant pas été confirmée dans le délai prévu à l’article R. 533-4 du CPCE la demande de radiation est portée devant le juge de l’exécution.

L’article R. 533-6, al. 1er du CPCE prévoit encore que, en cas d’extinction de l’instance introduite par le créancier ou de rejet de sa demande, la demande de radiation est portée devant le juge saisi du fond ou, à défaut, devant le juge de l’exécution.

Lorsque le juge saisi du fond a statué sur la demande de mainlevée de la publicité provisoire, la radiation est effectuée sur présentation de la décision passée en force de chose jugée (Art. R. 533-6, al. 3 CPCE).

Les frais de radiation sont à la charge du créancier.

Enfin, si le bien grevé a été vendu, la part du prix revenant au créancier titulaire de la sûreté conservatoire, qui a normalement été consignée, est remise, selon le cas, aux créanciers en ordre de la recevoir ou au débiteur.

Si la publicité provisoire a été effectuée pour un nantissement de parts sociales ou de valeurs mobilières, il ne peut y avoir de radiation.

Faute de disposition particulière du décret visant cette hypothèse, il y a lieu de considérer que l’acte de nantissement ou la déclaration est devenue rétroactivement sans effet, ce que le juge de l’exécution constatera en prononçant la mainlevée de la mesure.

Les sources du droit de la protection des données à caractère personnel

Section 1 : le droit international

§1 : Principes directeurs de l’ONU

Dans le cadre de sa résolution A/RES/45/95, l’Assemblée générale des Nations Unis a adopté, le 14 décembre 1990, des « principes directeurs pour la réglementation des fichiers personnels informatisés »

Ce texte envisage un certain nombre de garanties minimales qui doivent être prévues par les États membres, étant précisé que, contrairement aux décisions prises par le Conseil de sécurité, les résolutions adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unis sont dépourvues de force contraignante.

Les principes directeurs énoncés par la résolution ainsi adoptée sont au nombre de 10 :

A) Champ d’application

Les présents principes s’appliquent :

  • D’une part, à tous les fichiers informatisés publics et privés et, par voie d’extension facultative et sous réserve des adaptations adéquates, aux fichiers traités manuellement.
  • D’autre part, si cela est expressément prévu par les législations nationales, aux fichiers de personnes morales, notamment lorsqu’ils contiennent pour partie des informations concernant des personnes physiques.

B) Principe de licéité et de loyauté

Les données concernant les personnes ne doivent pas être obtenues ou traitées à l’aide de procédés illicites ou déloyaux, ni utilisées à des fins contraires aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies.

C) Principe d’exactitude

Les personnes responsables de l’établissement d’un fichier ou celles responsables de leur mise en œuvre doivent être tenues de vérifier l’exactitude et la pertinence des données enregistrées et de veiller à ce qu’elles demeurent aussi complètes que possible pour éviter les erreurs par omission et qu’elles soient mises à jour, périodiquement ou lors de l’utilisation des informations contenues dans un dossier, tant qu’elles font l’objet d’un traitement.

D) Principe de finalité

La finalité en vue de laquelle est créé un fichier et son utilisation en fonction de cette finalité doivent être spécifiées, justifiées et, lors de sa mise en œuvre, faire l’objet d’une mesure de publicité ou être portées à la connaissance de la personne concernée, afin qu’il soit ultérieurement possible de vérifier :

  • Si toutes les données personnelles collectées et enregistrées restent pertinentes par rapport à la finalité poursuivie ;
  • Si aucune desdites données personnelles n’est utilisée ou divulguée, sauf accord de la personne concernée, à des fins incompatibles avec celles ainsi spécifiées ;
  • Si la durée de conservation des données personnelles n’excède pas celle permettant d’atteindre la finalité pour laquelle elles ont été enregistrées.

E) Principe de l’accès par les personnes concernées

Toute personne justifiant de son identité a le droit de savoir si des données la concernant font l’objet d’un traitement, d’en avoir communication sous une forme intelligible, sans délais ou frais excessifs, d’obtenir les rectifications ou destructions adéquates en cas d’enregistrements illicites, injustifiés ou inexacts, et, lorsqu’elles sont communiquées, d’en connaître les destinataires.

Une voie de recours doit être prévue, le cas échéant, auprès de l’autorité de contrôle prévue.

En cas de rectification, le coût devrait être à la charge du responsable du fichier.

Il est souhaitable que les dispositions de ce principe s’appliquent à toute personne, quelle que soit sa nationalité ou sa résidence.

F) Principe de non-discrimination

Sous réserve des cas de dérogations limitativement prévus sous le principe 6, les données pouvant engendrer une discrimination illégitime ou arbitraire, notamment les informations sur l’origine raciale ou ethnique, la couleur, la vie sexuelle, les opinions politiques, les convictions religieuses, philosophiques ou autres, ainsi que l’appartenance à une association ou un syndicat, ne doivent pas être collectées.

G) Faculté de dérogation

Deux catégories de dérogations doivent être distinguées :

  • Les dérogations relatives aux principes de licéité et de loyauté, d’exactitude, de finalité et de libre accès peuvent faire l’objet de dérogations.
    • Ces dérogations peuvent être envisagées par les États à la double condition
      • D’une part, que ces dérogations soient nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publique ainsi que, notamment, les droits et libertés d’autrui, spécialement de personnes persécutées (clause humanitaire)
      • D’autre part, que ces dérogations soient expressément prévues par la loi ou par une réglementation équivalente prise en conformité avec le système juridique interne qui en fixe expressément les limites et édicte des garanties appropriées.
  • Les dérogations relatives au principe de la prohibition de la discrimination
    • Outre qu’elles doivent être soumises aux mêmes garanties que celles prévues pour les dérogations précédentes, elles ne peuvent être autorisées que dans les limites prévues par la Charte internationale des droits de l’homme et les autres instruments pertinents dans le domaine de la protection des droits de l’homme et de la lutte contre les discriminations.

H) Principe de sécurité

Des mesures appropriées doivent être prises pour protéger les fichiers tant contre les risques naturels, tels que la perte accidentelle ou la destruction par sinistre, que les risques humains, tels que l’accès non autorisé, l’utilisation détournée de données ou la contamination par des virus informatiques.

I) Contrôle et sanctions

Chaque législation doit désigner l’autorité qui, en conformité avec le système juridique interne, est chargée de contrôler le respect des principes précités.

Cette autorité doit présenter des garanties d’impartialité, d’indépendance à l’égard des personnes ou organismes responsables des traitements et de leur mise en œuvre, et de compétence technique.

En cas de violation des dispositions de la loi interne mettant en œuvre les principes précités, des sanctions pénales ou autres doivent être prévues ainsi que des recours individuels appropriés.

J) Flux transfrontières de données

Lorsque la législation de deux ou plusieurs pays, concernés par un flux transfrontière de données, présente des garanties comparables au regard de la protection de la vie privée, les informations doivent pouvoir circuler aussi librement qu’à l’intérieur de chacun des territoires concernés.

En l’absence de garanties comparables, des limitations à cette circulation ne peuvent être imposées indûment et seulement dans la stricte mesure où la protection de la vie privée l’exige.

§2 : Les lignes directrices de l’OCDE

A) Ratio legis

Par décision du 23 septembre 1980, l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) a adopté des lignes directrices régissant la protection de la vie privée et les flux transfrontières de données de caractère personnel.

Les États membre de cette organisation internationale sont partis du constat, dès 1980, que le traitement automatique de l’information, qui permet de transmettre de vastes quantités de données en quelques secondes à travers les frontières nationales et même à travers les continents tendait à se généraliser et à prendre un essor qui n’aurait de cesse de s’accroître.

Il a encore été relevé que, en réaction, des législations relatives à la protection de la vie privée ont été adoptées en vue de prévenir des actes considérés comme constituant des violations des droits fondamentaux de l’homme, tels que le stockage illicite de données de caractère personnel qui sont inexactes, l’utilisation abusive ou la divulgation non autorisée de ces données.

L’OCDE y a vu le risque que des disparités se créent dans les législations nationales et qu’elles entravent la libre circulation des données de caractère personnel à travers les frontières.

Des restrictions imposées à ces flux pourraient, en effet, entraîner de graves perturbations dans d’importants secteurs de l’économie, tels que la banque et les assurances.

C’est pourquoi, les pays Membres de l’OCDE ont jugé nécessaire d’élaborer des lignes directrices qui permettraient d’harmoniser les législations nationales relatives à la protection de la vie privée et qui, tout en contribuant au maintien de ces droits de l’homme, empêcheraient que les flux internationaux de données ne subissent des interruptions.

Ces lignes directrices sont l’expression d’un consensus sur des principes fondamentaux qui peuvent être intégrés à la législation nationale en vigueur ou servir de base à une législation dans les pays qui ne sont pas encore dotés.

B) Énoncé des principes

Deux catégories de principes sont envisagées par les Lignes directrices de l’OCDE

?Les principes fondamentaux applicables au plan national

  • Principe de la limitation en matière de collecte
    • Il convient d’assigner des limites à la collecte des données de caractère personnel et toute donnée de ce type devrait être obtenue par des moyens licites et loyaux et, le cas échéant, après en avoir informé la personne concernée ou avec son consentement.
  • Principe de la qualité des données
    • Les données de caractère personnel doivent être pertinentes par rapport aux finalités en vue desquelles elles doivent être utilisées et, dans la mesure où ces finalités l’exigent, elles doivent être exactes, complètes et tenues à jour.
  • Principe de la spécification des finalités
    • Les finalités en vue desquelles les données de caractère personnel sont collectées doivent être déterminées au plus tard au moment de la collecte des données et lesdites données ne doivent être utilisées par la suite que pour atteindre ces finalités ou d’autres qui ne soient pas incompatibles avec les précédentes et qui seraient déterminées dès lors qu’elles seraient modifiées.
  • Principe de la limitation de l’utilisation
    • Les données de caractère personnel ne doivent pas être divulguées, ni fournies, ni utilisées à des fins autres que celles spécifiées conformément au paragraphe 9, si ce n’est :
      • Avec le consentement de la personne concernée
      • Lorsqu’une règle de droit le permet.
  • Principe des garanties de sécurité
    • Il convient de protéger les données de caractère personnel, grâce à des garanties de sécurité raisonnables, contre des risques tels que la perte des données ou leur accès, destruction, utilisation, ou divulgation non autorisés.
  • Principe de la transparence
    • Il convient d’assurer, d’une façon générale, la transparence des progrès, pratiques et politiques, ayant trait aux données de caractère personnel.
    • Il doit être possible de se procurer aisément les moyens de déterminer l’existence et la nature des données de caractère personnel, et les finalités principales de leur utilisation, de même que l’identité du maître du fichier et le siège habituel de ses activités.
  • Principe de la participation individuelle
    • Toute personne physique doit avoir le droit :
      • D’obtenir du maître d’un fichier, ou par d’autres voies, confirmation du fait que le maître du fichier détient ou non des données la concernant ;
      • De se faire communiquer les données la concernant :
        • Dans un délai raisonnable ;
        • Moyennant, éventuellement, une redevance modérée ;
        • Selon des modalités raisonnables ;
        • Sous une forme qui lui soit aisément intelligible ;
      • D’être informée des raisons pour lesquelles une demande quelle aurait présentée est rejetée et de pouvoir contester un tel rejet,
      • De contester les données la concernant et, si la contestation est fondée, de les faire effacer, rectifier, compléter ou corriger.
  • Principe de la responsabilité
    • Tout maître de fichier devrait être responsable du respect des mesures donnant effet aux principes énoncés ci-dessus.

? Les principes fondamentaux applicables au plan international

  • Libre circulation
    • Les pays Membres doivent prendre en considération les conséquences pour d’autres pays Membres d’un traitement effectué sur leur propre territoire et de la réexportation des données de caractère personnel
    • Les pays Membres doivent prendre toutes les mesures raisonnables et appropriées pour assurer que les flux transfrontières de données de caractère personnel, et notamment le transit par un pays Membre, aient lieu sans interruption et en toute sécurité.
    • Un pays Membre doit s’abstenir de limiter les flux transfrontières de données de caractère personnel entre son territoire et celui d’un autre pays Membre, sauf lorsqu’un ce dernier ne se conforme pas encore pour l’essentiel aux Lignes directrices ou lorsque la réexportation desdites données permettrait de contourner sa législation interne sur la protection de la vie privée et des libertés individuelles.
  • Restrictions légitimes
    • Un pays Membre peut imposer des restrictions à l’égard de certaines catégories de données de caractère personnel pour lesquelles sa législation interne sur la protection de la vie privée et les libertés individuelles prévoit des réglementations spécifiques en raison de la nature de ces données et pour lesquelles l’autre pays Membre ne prévoit pas de protection équivalente.
    • Les pays Membres doivent néanmoins éviter d’élaborer des lois, des politiques et des procédures, qui, sous couvert de la protection de la vie privée et des libertés individuelles, créeraient des obstacles à la circulation transfrontière des données de caractère personnel qui iraient au-delà des exigences propres à cette protection.

§3 : La convention STE 108

?Adoption de la convention

Les pays membres du Conseil de l’Europe ont adopté le 28 janvier 1981 la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, dite Convention STE 108.

Cette convention fut, indéniablement, le premier instrument international juridique contraignant dans le domaine de la protection des données.

Il a été convenu, entre ses signataires, qu’ils devaient prendre toutes les mesures nécessaires en droit interne pour en appliquer les principes afin d’assurer, sur leur territoire, le respect des droits fondamentaux de la personne humaine au regard de l’application de la protection des données.

Concrètement, le but poursuivi par la Convention STE 108 est de garantir, sur le territoire des États membres, à toute personne physique, quelles que soient sa nationalité ou sa résidence, le respect de ses droits et de ses libertés fondamentales, et notamment de son droit à la vie privée, à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel la concernant.

?Applicabilité directe

Dans un arrêt du 18 novembre 1992, la Conseil d’État a reconnu l’applicabilité directe de la Convention STE 108 (CE, 18 nov. 1992, n° 115367)

?Évolution de la convention

  • Amendements à la Convention 108 permettant l’adhésion des Communautés Européennes
    • Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté, le 15 juin 1999, des amendements permettant l’adhésion des Communautés Européennes à la Convention
    • L’adhésion des Communautés correspondait à la volonté de l’Union européenne de renforcer la coopération avec le Conseil de l’Europe et de contribuer au renforcement d’un large forum international en matière de protection des données, notamment à l’égard des pays tiers.
    • Selon le texte initial, seuls les États pouvaient en devenir Parties.
    • C’est la raison pour laquelle il a été nécessaire de procéder par voie d’amendements
  • Protocole additionnel à la Convention 108 sur les autorités de contrôle et les flux transfrontières de données (STE N°181)
    • Le Protocole additionnel, ouvert à la signature le 8 novembre 2001 à Strasbourg, exige des parties la mise en place des autorités de contrôle, exerçant leurs fonctions en parfaite indépendance, et qui sont un élément de la protection effective des individus au regard du traitement des données personnelles.
    • Avec l’accroissement des échanges de données personnelles à travers les frontières nationales, il est nécessaire d’assurer la protection effective des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et en particulier du droit à la vie privée par rapport à de tels échanges de données personnelles.
    • Ce texte renforce la protection des données personnelles et de la vie privée, en complétant la Convention de 1981 (STE n° 108) sur deux points.
      • Premier point
        • Il prévoit tout d’abord l’établissement d’autorités de contrôle chargées d’assurer le respect des lois ou règlements introduits par les États en application de la Convention concernant la protection des données personnelles et les flux transfrontières de données.
      • Second point
        • Il prévoit que les flux transfrontières de données vers des pays tiers ne peuvent être transférées que si elles bénéficient dans l’État ou l’organisation internationale destinataire, d’un niveau de protection adéquat.

?Contenu de la convention

Plusieurs principes ont été posés dans la Convention STE n°108:

  • Sur la qualité des données
    • Les données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement automatisé sont :
      • Obtenues et traitées loyalement et licitement ;
      • Enregistrées pour des finalités déterminées et légitimes et ne sont pas utilisées de manière incompatible avec ces finalités ;
      • Adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées ;
      • Exactes et si nécessaire mises à jour ;
      • Conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées.
  • Sur les catégories particulières de données
    • Les données à caractère personnel révélant l’origine raciale, les opinions politiques, les convictions religieuses ou autres convictions, ainsi que les données à caractère personnel relatives à la santé ou à la vie sexuelle, ne peuvent être traitées automatiquement à moins que le droit interne ne prévoie des garanties appropriées.
    • Il en est de même des données à caractère personnel concernant des condamnations pénales.
  • Sur la sécurité des données
    • Des mesures de sécurité appropriées sont prises pour la protection des données à caractère personnel enregistrées dans des fichiers automatisés contre la destruction accidentelle ou non autorisée, ou la perte accidentelle, ainsi que contre l’accès, la modification ou la diffusion non autorisés.
  • Sur les droits d’accès et de rectification
    • Toute personne doit pouvoir :
      • Connaître l’existence d’un fichier automatisé de données à caractère personnel, ses finalités principales, ainsi que l’identité et la résidence habituelle ou le principal établissement du maître du fichier ;
      • Obtenir à des intervalles raisonnables et sans délais ou frais excessifs la confirmation de l’existence ou non dans le fichier automatisé, de données à caractère personnel la concernant ainsi que la communication de ces données sous une forme intelligible ;
      • Obtenir, le cas échéant, la rectification de ces données ou leur effacement lorsqu’elles ont été traitées en violation des dispositions du droit interne donnant effet aux principes de base énoncés dans les articles 5 et 6 de la présente Convention ;
      • Disposer d’un recours s’il n’est pas donné suite à une demande de confirmation ou, le cas échéant, de communication, de rectification ou d’effacement, visée aux paragraphes b et c du présent article.

§4 : La Convention européenne des droits de l’homme

A) Le silence du texte

La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne comporte aucune stipulation relative à la protection des données à caractère personnel.

Ce silence du texte n’a, toutefois, pas empêché la Cour européenne des droits de l’homme de veiller à garantir aux ressortissants des États membres une protection à l’égard des traitements automatisés de données à caractère personnel.

Pour ce faire, elle se fonde essentielle sur l’article 8 de la Convention relatif au respect de la vie privée et familiale

Aux termes de cette disposition « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance »

Dans un arrêt du 7 août 1997, la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que « la protection des données à caractère personnel […] revêt une importance fondamentale pour l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention » (CEDH, 27 août 1997, aff. 20837/92,  M. S. c/ Suède)

Encore, dans un arrêt du 4 décembre 2008, elle a précisé que « la protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental pour l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale consacré par l’article 8. La législation interne doit donc ménager des garanties appropriées pour empêcher toute utilisation de données à caractère personnel qui ne serait pas conforme aux garanties prévues dans cet article (…). La nécessité de disposer de telles garanties se fait d’autant plus sentir lorsqu’il s’agit de protéger les données à caractère personnel soumises à un traitement automatique, en particulier lorsque ces données sont utilisées à des fins policières. Le droit interne doit notamment assurer que ces données soient pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu’elles soient conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées (…). [Il] doit aussi contenir des garanties de nature à protéger efficacement les données à caractère personnel enregistrées contre les usages impropres et abusifs (…) » (CEDH, 4 déc. 1997, aff. 30562/04 S. et Marper c/ Royaume-Uni).

B) La jurisprudence

?Aff. Klass et autres c. Allemagne – 6 septembre 1978

  • Les faits
    • Dans cette affaire, les requérants, cinq avocats allemands, dénonçaient en particulier la législation allemande qui permettait aux autorités de surveiller leur correspondance et leurs communications téléphoniques sans qu’elles aient l’obligation de les informer ultérieurement des mesures prises contre eux.
  • Décision
    • La Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 de la Convention, jugeant que le législateur allemand était fondé à considérer l’ingérence résultant de la législation litigieuse dans l’exercice du droit consacré par l’article 8 § 1 comme nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales (article 8 § 2).
    • La Cour a observé en particulier que le pouvoir de surveiller en secret les citoyens, caractéristique de l’État policier, n’était tolérable d’après la Convention que dans la mesure strictement nécessaire à la sauvegarde des institutions démocratiques.
    • Constatant toutefois que les sociétés démocratiques se trouvent menacées de nos jours par des formes très complexes d’espionnage et par le terrorisme, de sorte que l’État doit être capable, pour combattre efficacement ces menaces, de surveiller en secret les éléments subversifs opérant sur son territoire, elle a estimé que l’existence de dispositions législatives accordant des pouvoirs de surveillance secrète de la correspondance, des envois postaux et des télécommunications était, devant une situation exceptionnelle, nécessaire dans une société démocratique à la sécurité nationale et/ou à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales.

?Aff. Rotaru c. Roumanie – 4 mai 2000

  • Faits
    • Le requérant se plaignait de l’impossibilité de réfuter les données, selon lui contraires à la réalité, détenues dans un dossier à son sujet par le Service roumain des renseignements (SRI).
    • L’intéressé avait été condamné en 1948 à une peine d’emprisonnement d’un an pour avoir exprimé des opinions critiques à l’égard du régime communiste.
  • Décision
    • La Cour a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention, jugeant que la détention et l’utilisation par le SRI d’informations sur la vie privée du requérant n’étaient pas prévues par la loi.
    • La Cour a observé en particulier que des données de nature publique peuvent relever de la vie privée lorsqu’elles sont, d’une manière systématique, recueillies et mémorisées dans des fichiers tenus par les pouvoirs publics.
    • Cela vaut davantage encore lorsque ces données concernent le passé lointain d’une personne.
    • Elle a ensuite relevé qu’aucune disposition de droit interne ne définissait ni le genre d’informations pouvant être consignées, ni les catégories de personnes susceptibles de faire l’objet des mesures de surveillance telles que la collecte et la conservation de données, ni les circonstances dans lesquelles pouvaient être prises ces mesures, ni la procédure à suivre.
    • De même, la loi ne fixait pas de limites quant à l’ancienneté des informations détenues et la durée de leur conservation. Enfin, il n’existait aucune disposition explicite et détaillée de droit interne sur les personnes autorisées à consulter les dossiers, la nature de ces derniers, la procédure à suivre et l’usage qui pouvait être donné aux informations ainsi obtenues.
    • Dès lors, la Cour la Cour a estimé que le droit roumain n’indiquait pas avec assez de clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré.
    • La Cour a également conclu dans cette affaire à la violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) de la Convention, en raison de l’impossibilité pour le requérant de contester sa détention ou de réfuter la véracité des renseignements en question.

?Aff. Gaskin c. Royaume-Uni – 7 juillet 1989

  • Faits
    • Le requérant, pris en charge par les services sociaux pendant son enfance, chercha à connaître son passé à sa majorité pour surmonter ses problèmes personnels.
    • L’accès à son dossier lui fut refusé au motif qu’il contenait des informations confidentielles.
  • Décision
    • La Cour a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention, jugeant que les procédures suivies n’avaient pas assuré à la vie privée et familiale du requérant le respect voulu par cet article.
    • Elle a observé en particulier que les personnes se trouvant dans la situation du requérant ont un intérêt primordial, protégé par la Convention, à recevoir les renseignements nécessaires pour connaître et comprendre leur enfance et leurs années de formation.
    • Cependant, le caractère confidentiel des dossiers officiels revêt de l’importance si l’on souhaite recueillir des informations objectives et dignes de foi et peut être nécessaire pour préserver des tiers.
    • Sous ce dernier aspect, un système subordonnant l’accès aux dossiers à l’acceptation des informateurs, comme alors au Royaume-Uni, peut en principe être tenu pour compatible avec l’article 8, eu égard à la marge d’appréciation de l’État.
    • La Cour a toutefois estimé qu’un tel système doit sauvegarder, quand un informateur n’est pas disponible ou refuse abusivement son accord, les intérêts de quiconque cherche à consulter des pièces relatives à sa vie privée et familiale et qu’il ne cadre avec le principe de proportionnalité que s’il charge un organe indépendant, au cas où un informateur ne répond pas ou ne donne pas son consentement, de prendre la décision finale sur l’accès.
    • Or, il n’en allait pas ainsi en l’espèce.

?Aff. Perry c. Royaume-Uni – 17 juillet 2003

  • Faits
    • Le requérant fut arrêté après qu’eut été commise une série de vols à main armée sur la personne de chauffeurs de taxi, puis relâché en attendant que se tienne une séance d’identification.
    • Comme il ne s’était pas présenté à la séance prévue ni à plusieurs autres séances ultérieures, la police sollicita l’autorisation de le filmer en secret avec une caméra vidéo. Le requérant se plaignait que la police l’avait filmé en secret en vue de l’identifier puis avait utilisé le film vidéo dans le cadre des poursuites dirigées contre lui.
  • Décision
    • La Cour a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention.
    • Elle a relevé que rien n’indiquait que le requérant s’attendait à ce qu’on le filme au poste de police à des fins d’identification au moyen d’un enregistrement vidéo ni à ce que le film soit éventuellement utilisé comme preuve à charge lors de son procès.
    • Le stratagème adopté par la police avait outrepassé l’utilisation normale de ce type de caméra et constitué une ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit au respect de sa vie privée.
    • Cette ingérence n’était par ailleurs pas prévue par la loi, la police n’ayant pas respecté les procédures énoncées par le code applicable : elle n’avait pas obtenu le consentement du requérant, ne l’avait pas averti de l’enregistrement vidéo et, de surcroît, ne l’avait pas informé de ses droits à cet égard.

?Aff. Z. c. Finlande – 25 février 1997

  • Faits
    • Cette affaire concernait la révélation de la séroposivité de la requérante au cours d’une procédure pénale dirigée contre son mari.
  • Décision
    • La Cour a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention, jugeant que la divulgation de l’identité et de la séropositivité de la requérante dans le texte de l’arrêt de la cour d’appel communiqué à la presse ne se justifiait pas par quelque motif impérieux que ce soit et que la publication de ces informations avait dès lors porté atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante.
    • La Cour a observé en particulier que le respect du caractère confidentiel des informations sur la santé constitue un principe essentiel du système juridique de toutes les Parties contractantes à la Convention et est capital non seulement pour protéger la vie privée des malades mais également pour préserver leur confiance dans le corps médical et les services de santé en général.
    • La législation interne doit donc ménager des garanties appropriées pour empêcher toute communication ou divulgation de données à caractère personnel relatives à la santé qui ne serait pas conforme aux garanties prévues à l’article 8 de la Convention.

Section 2 : Le droit de l’Union européenne

§1 : La directive du 24 octobre 1995

A) La genèse de la directive

Par l’adoption de directive 95/46 CE du 24 octobre 1995, l’Union européenne s’est, pour la première fois, dotée d’un cadre commun de protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel.

?Compétence matérielle

Il peut être observé que, lors des travaux législatifs, la question de la compétence de la Communauté européenne pour légiférer dans cette matière s’est posée, la protection des libertés et de la vie privée étant exclue de son champ de compétence.

Néanmoins, la Commission des Communautés européennes a considéré qu’il s’agissait principalement d’établir la libre circulation des données à caractère personnel, considérées comme des marchandises, ce qui explique que la directive 95/46 CE soit une directive « marché intérieur ».

Sa négociation fut longue et difficile, s’agissant d’un problème de liberté opposant des cultures différentes.

?Socle de protection minimum

Le Conseil d’État s’est prononcé en assemblée générale par un avis du 10 juin 1999 invitant le Gouvernement à veiller à ce que la directive « ne contienne pas de dispositions qui conduiraient à priver des principes de valeur constitutionnelle de la protection que leur accorde la loi du 6 janvier 1978 actuellement en vigueur » afin de prévenir « tout risque d’inconstitutionnalité de la future loi assurant la transposition de cette directive » et énumérant certaines dispositions du projet susceptibles de conduire à une régression du niveau de protection.

En outre, le Parlement a adopté des résolutions sur ce projet en application de l’article 88-4 de la Constitution issu de la révision du 25 juin 1992.

L’Assemblée nationale a estimé dans une résolution du 25 juin 1993 que l’intervention de la Communauté européenne ne devait pas nuire au haut degré de protection dont devaient bénéficier les personnes, ni assimiler ces données à de simples marchandises.

Elle craignait également que les options très larges laissées aux États membres pour la transposition ne garantissent pas l’homogénéité de cette protection dans la Communauté européenne.

Elle demandait donc au Gouvernement :

  • D’une part, de subordonner son accord au maintien intégral du niveau de protection assuré par la loi du 6 janvier 1978
  • D’autre part, de prévenir le risque de divergences dangereuses au moment de la transposition de la directive par les États membres
  • Enfin, de garantir aux États membres le pouvoir d’interdire le transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers n’assurant pas un niveau de protection adéquat, au besoin par l’instauration d’une procédure d’urgence.

Le Sénat a adopté une résolution le 7 juin 1994, par laquelle il observait que la référence à des articles du Traité de nature économique, appliquée en l’espèce au domaine des libertés publiques conduisait à une interprétation extensive des compétences de la Communauté, mais que cette intervention était justifiée. Il appelait en outre à une harmonisation préalable de leur législation par les États membres.

Ces recommandations ont été suivies dans une large mesure.

B) Le contenu de la directive

?Champ d’application

Tout d’abord, la directive ne s’applique qu’aux traitements relevant du champ de compétences de l’Union européenne, c’est-à-dire qu’elle exclut notamment les « traitements de souveraineté » (défense, sécurité publique, sûreté de l’État, droit pénal).

En revanche, son champ d’application est élargi puisqu’elle s’étend non seulement aux traitements automatisés, mais aussi aux fichiers manuels à l’expiration d’un délai de 12 ans à compter de son adoption, c’est-à-dire en octobre 2007.

Par ailleurs, elle couvre les sons et les images à l’exclusion des traitements de vidéosurveillance mis en œuvre à des fins de sécurité publique.

?Méthodologie

Selon l’article 189 du traité instituant la Communauté européenne, « la directive lie tout État membre quant aux résultats à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ».

De surcroît, les directives de l’Union imposent généralement aux États la mise en œuvre de leurs dispositions dans des délais qu’elles déterminent : en l’espèce, l’article 32 de la directive 95/46 impliquait que « les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard à l’issue d’une période de trois ans à compter de son adoption », soit le 24 octobre 1998.

Sans doute, la loi du 6 janvier 1978 constitue-t-elle, en quelque sorte, une « transposition anticipée » de la directive, puisque nombre de ses dispositions répondent aux exigences communautaires.

Toutefois, au-delà de principes communs, tels que la loyauté de la collecte des données, la protection des données dites sensibles, le principe de finalité des traitements ou le droit d’information, de rectification ou d’opposition des personnes, ainsi que la nécessité de l’existence d’une autorité de contrôle indépendante, des différences substantielles subsistent entre la loi du 6 janvier 1978 et la directive 95/46 qui requièrent, en conséquence, une modification de notre législation.

On remarquera, notamment, que la directive du 24 octobre 1995 retient une démarche particulière, en quatre étapes :

Elle s’attache à définir :

  • En premier lieu, les conditions générales de licéité des traitements
  • En deuxième lieu, les droits fondamentaux des personnes concernées
  • En troisième lieu, les restrictions qu’il est possible de leur apporter
  • En quatrième lieu, les procédures et les recours destinés à assurer la régularité des traitements de données à caractère personnel.

Cette organisation tient à la primauté accordée par la directive aux principes de fond sur les dispositions de forme, les États membres possédant davantage de marge de manœuvre pour transposer les secondes que les premières.

Or, tel n’est pas le choix fait par le législateur français qui a établi une distinction essentielle fondée sur la nature juridique du destinataire du traitement, dont il déduit la procédure et les règles de forme applicables.

?L’égalité de principe entre secteurs public et privé

Alors que la loi du 6 janvier 1978 retient un critère organique, la directive retient un critère matériel et soumet les traitements similaires de responsables publics et privés à une même procédure.

Ainsi, les traitements de données à caractère personnel, qu’ils soient privés ou publics, ne sont plus désormais soumis qu’à une obligation de déclaration préalable auprès de l’autorité de contrôle.

La distinction entre les régimes de la déclaration et de l’autorisation, qui subsiste, est donc désormais indépendante de la qualité du responsable.

On retrouve un tel précédent dans la loi informatique et libertés en matière de traitement de recherche dans le domaine de la santé et d’évaluation des pratiques de soins.

L’assimilation des deux secteurs ne sera néanmoins pas totale, puisque les traitements de souveraineté ne sont pas concernés par les dispositions de la directive, celle-ci ne s’appliquant qu’aux traitements relevant du champ de compétence de l’Union européenne.

?Le renforcement du contrôle a posteriori

L’article 20 de la directive indique que les États membres doivent préciser les traitements « susceptibles de présenter des risques particuliers au regard des droits et des libertés des personnes concernées et veillent à ce que ces traitements soient examinés avant leur mise en œuvre ».

À l’inverse, ceux qui « ne sont pas susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés des personnes concernées » peuvent ne donner lieu qu’à une déclaration simplifiée ou même être exonérés de toute formalité.

Parallèlement à cette limitation des contrôles a priori, la directive invite à un recentrage des missions de la CNIL en direction du contrôle a posteriori.

L’article 28 de la directive relatif aux prérogatives de l’autorité de contrôle précise donc qu’elle doit disposer en particulier de pouvoirs d’investigations ou d’accès aux données ainsi que de pouvoirs « effectifs d’intervention » lui permettant le cas échéant d’ordonner le verrouillage, l’effacement ou la destruction des données.

Si la loi du 6 janvier 1978 comporte déjà des dispositions relatives aux pouvoirs de contrôle a posteriori de la CNIL (article 21), l’insuffisance des moyens de la CNIL et la relative indifférence des parquets et tribunaux face à une matière nouvelle et technique ont, dans les faits, largement relativisé sa portée.

?La reconnaissance de l’importance des flux internationaux de données à caractère personnel

Si la loi du 6 janvier 1978 évoque déjà la question de la circulation des données, elle ne distingue pas entre les transferts vers d’autres États membres de la Communauté européenne et ceux intervenant vers des États tiers.

Or, la mondialisation de la circulation des données a été démultipliée par l’apparition des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Dès son article premier, la directive affirme donc le principe de la libre circulation des données au sein des États membres de l’Union européenne.

En revanche, ne sont possibles les transferts vers des pays tiers que si ceux-ci assurent un niveau de protection adéquat. La directive prévoit des mécanismes communautaires permettant de l’évaluer (articles 25 et 26), ainsi que leur articulation avec les modalités d’intervention en la matière de l’autorité nationale de contrôle.

§2 : Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD)

La directive 95/46/CE qui constitue l’instrument législatif central de la protection des données à caractère personnel en Europe, a posé un jalon dans l’histoire de la protection des données.

Ses objectifs, qui consistent à assurer le fonctionnement du marché unique et la protection effective des libertés et des droits fondamentaux des personnes physiques, demeurent d’actualité.

Mais elle a été adoptée il y a plus de 20 ans, soit à une époque où internet n’en était qu’à ses premiers balbutiements.

L’environnement numérique actuel et ses exigences font que les règles en vigueur ne présentent ni le degré d’harmonisation requis ni l’efficacité nécessaire pour garantir le droit à la protection des données à caractère personnel.

C’est dans ce contexte que la Commission européenne a proposé, le 25 janvier 2012, un règlement destiné à remplacer la directive 95/46/CE et qui instaure un cadre général de l’UE pour la protection des données.

La proposition de règlement modernise les principes de la directive de 1995 en les adaptant à l’ère numérique et en harmonisant la législation sur la protection des données en Europe.

La protection des données doit faire l’objet de règles strictes pour rétablir la confiance des personnes dans la manière dont leurs données à caractère personnel sont utilisées.

La proposition de règlement vise à renforcer les droits des personnes et le marché intérieur de l’UE, garantir un contrôle accru de l’application de la réglementation, simplifier les transferts internationaux de données à caractère personnel et instaurer des normes mondiales en matière de protection des données.

À l’issue de longues négociations, le Parlement européen et le Conseil ont adopté le « paquet protection des données » le 27 avril 2016, fruit d’un compromis entre les États membres de l’Union européenne.

Ce paquet se compose :

  • D’un règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement (UE) 2016/679)
    • Applicable notamment à la matière civile et commerciale, il constitue le cadre général de la protection des données.
    • Ce règlement abroge la directive 95/46/CE transposée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 qui avait modifié la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. Il conforte les droits des personnes physiques sur leurs données à caractère personnel déjà garantis dans la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978.
    • Il renforce ainsi notamment le droit d’information des personnes, qui disposeront d’informations plus complètes et claires sur le traitement de leurs données, et en crée de nouveaux : droit à l’effacement ou « droit à l’oubli », droit à la portabilité des données.
    • En outre, le règlement uniformise et simplifie les règles auxquelles les organismes traitant des données sont soumis tout en renforçant les garanties offertes par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978.
    • Il prévoit en particulier la réduction des formalités préalables pour la mise en œuvre des traitements comportant le moins de risques, avec le passage d’un système de contrôle ex ante de la Commission nationale de l’informatique et des libertés par le biais des déclarations et autorisations à un contrôle ex post plus adapté aux évolutions technologiques.
    • Ce règlement est applicable à compter du 25 mai 2018.
  • D’une directive relative aux traitements mis en œuvre à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales (directive (UE) 2016/680)
    • La directive s’applique aux traitements de données à caractère personnel mis en œuvre par une autorité compétente à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution des sanctions pénales, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces.
    • La directive n’est pas applicable dès lors que le traitement de données est mis en œuvre pour d’autres finalités ou par une autorité qui n’est pas compétente. La directive n’est pas non plus applicable aux traitements intéressant la sûreté de l’État et la défense, qui ne relèvent pas du droit de l’Union.
    • La directive vise à faciliter le libre flux des données à caractère personnel entre les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces au sein de l’Union, et le transfert de telles données vers des pays tiers et à des organisations internationales, tout en assurant un niveau élevé de protection des données à caractère personnel.
    • Certaines dispositions de la directive sont porteuses d’un changement de philosophie du droit de la protection des données ; d’autres représentent de réelles innovations qui, sans témoigner d’un réel changement de philosophie, imposent d’importantes modifications d’ordre technique.
    • Cette directive doit être transposée d’ici le 6 mai 2018.

L’articulation entre la directive et le règlement est précisée par le considérant 12 de la directive.

Celui-ci indique notamment que relèvent de la directive les traitements concernant des « activités menées par la police ou d’autres autorités répressives [qui] sont axées principalement sur la prévention et la détection des infractions pénales et les enquêtes et les poursuites en la matière, y compris les activités de police effectuées sans savoir au préalable si un incident constitue une infraction pénale ou non».

Il précise que « ces activités peuvent également comprendre l’exercice de l’autorité par l’adoption de mesures coercitives, par exemple les activités de police lors de manifestations, de grands événements sportifs et d’émeutes », et que « parmi ces activités figure également le maintien de l’ordre public lorsque cette mission est confiée à la police ou à d’autres autorités répressives lorsque cela est nécessaire à des fins de protection contre les menaces pour la sécurité publique et pour les intérêts fondamentaux de la société protégés par la loi, et de prévention de telles menaces, qui sont susceptibles de déboucher sur une infraction pénale ».

Il indique en revanche, qu’entrent dans le champ d’application du règlement, pour autant qu’ils relèvent du droit de l’Union, les traitements par lesquels « les États membres [confient] aux autorités compétentes d’autres missions qui ne sont pas nécessairement menées à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes ou de poursuites en la matière, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces ».

Les nouvelles exigences posées par le législateur européen ont été transposées en droit français lors de l’adoption de la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles.

Section 3 : Le droit interne

§1 : La loi du 6 janvier 1978

Les premiers travaux ayant trait au développement de l’informatique dans les administrations virent le jour, en fait, à la fin des années 1960, tant en Europe que sur le continent américain : ils mettent en évidence les risques que font peser ces nouvelles pratiques sur les libertés publiques.

En France, le Conseil d’État adressa au Gouvernement, dès 1971, une série de recommandations visant à encadrer l’usage des données personnelles. Mais la prise de conscience des enjeux liés à cette question intervint en 1974, face à un projet gouvernemental connu sous le nom de « Système automatisé des fichiers administratifs et du répertoire des individus » (SAFARI), qui prévoyait une interconnexion des fichiers publics à partir d’un identifiant unique, le numéro de sécurité sociale.

Ce dispositif suscita alors de fortes réactions, résumées, le 21 mars, par le journal Le Monde, sous le titre suivant : « Safari ou la chasse aux Français ». Ce débat a débouché sur le « rapport Tricot », issu des travaux d’une commission mise en place par le Premier ministre pour proposer des mesures tendant à garantir que le développement de l’informatique se réalise dans le respect de la vie privée et des libertés, puis sur la loi n°78-17 du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Ce texte, communément appelé « loi Informatique et libertés », fut l’un des premiers au monde à encadrer l’usage des données à caractère personnel ; il a d’ailleurs inspiré, dans une large mesure, les instruments internationaux intervenus depuis lors, y compris la directive du 24 octobre 1995 que le présent projet de loi tend à transposer en droit français.

Il se présente comme un corpus de normes destinées à assurer la défense des libertés individuelles et publiques des personnes physiques face aux technologies informationnelles.

De fait, c’est bien sur ce terrain que le législateur s’est placé en affirmant, d’emblée, dès l’article 1er, que : « L’informatique doit être au service de chaque citoyen. (…) Elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques ».

La loi du 6 janvier 1978 réglemente la collecte et l’utilisation des informations dites « nominatives », qui permettent, aux termes de son article 4, d’identifier, directement ou indirectement, des personnes physiques. Elle s’applique à deux types de procédés :

  • Le traitement automatisé desdites informations, quel que soit le support ou la technique utilisée, qui est défini, à l’article 5, comme : « tout ensemble d’opérations réalisées par les moyens automatiques, relatif à la collecte, l’enregistrement, l’élaboration, la modification, la conservation et la destruction d’informations nominatives ainsi que tout ensemble d’opérations de même nature se rapportant à l’exploitation de fichiers ou bases de données et notamment les interconnexions ou rapprochements, consultations ou communications d’informations nominatives».
  • Les fichiers manuels ou mécanographiques, qui n’étaient pourtant pas visés par le texte initial du Gouvernement : la loi ne fait d’ailleurs référence qu’à « l’informatique », tant à l’article 1er (« L’informatique doit être au service de chaque citoyen ») que dans le titre de l’institution de contrôle qu’elle crée par ailleurs (« Commission nationale de l’informatique et des libertés »). Cette extension a été réalisée à l’initiative du Parlement, qui a modifié, en conséquence, l’intitulé de la loi (« relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés »). Toutefois, ces fichiers ne sont soumis qu’à une partie des règles applicables aux traitements automatisés (notamment les dispositions relatives à la collecte, l’enregistrement et la conservation des informations, ainsi que le droit d’accès ou d’opposition), à l’exclusion de certaines obligations telles que les formalités de déclaration préalable auprès de la CNIL.

§2 : La loi du 6 août 2004

La loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel, qui modifie la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, a pour objet d’assurer la transposition de la directive européenne du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Au-delà de cette transposition, il vise à adapter le droit des fichiers informatiques aux progrès technologiques et aux réalités contemporaines, dans le respect des principes fondamentaux posés par la loi du 6 janvier 1978.

Les principales dispositions du projet de loi peuvent être résumées autour de quatre axes :

  • Le renforcement des droits fondamentaux des personnes dès lors que des données, de quelque nature qu’elles soient (informations nominatives, voix, image, empreintes génétiques …), font l’objet d’un fichier, sous forme d’un traitement automatisé ou non, ainsi que le renforcement des obligations pesant sur les responsables de ces traitements. En particulier, le caractère discrétionnaire du droit d’opposition des personnes intéressées à l’encontre de la mise en œuvre de tels traitements à des fins de prospection, notamment commerciale, est reconnu
  • La consécration de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), dont la composition est, à une exception près, inchangée, comme l’autorité administrative indépendante chargée du contrôle de la mise en œuvre de la loi. La commission voit ses pouvoirs substantiellement développés ; elle sera, en particulier, dotée de pouvoirs d’investigation, d’injonction et de sanction administrative qui lui permettront d’exercer un contrôle a posteriori sur les traitements de données
  • La rationalisation des formalités préalables exigées pour la création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel : le projet de loi ne distingue plus le régime administratif applicable selon la nature publique ou privée du responsable du traitement. Le régime de droit commun sera celui de la déclaration, qui sera simplifiée pour les modèles de traitement les plus courants. Mais toutes les catégories de traitement dont les finalités ou le contenu présentent des risques particuliers au regard des droits des personnes seront soumises à l’autorisation de la CNIL.
  • Les traitements publics, dits de souveraineté, intéressant la sûreté de l’État, la défense et la sécurité publique, ou les traitements publics utilisant le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques, continuent à faire l’objet d’une autorisation par un décret ou par un arrêté pris après avis de la CNIL

§3 : La loi du 20 juin 2018

La loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles vise à transposer le « paquet européen de protection des données » adopté par le Parlement européen et le Conseil le 27 avril 2016.

Pour mémoire, ce mémoire se compose :

  • d’un règlement (UE) 2016/679 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel. Applicable notamment à la matière civile et commerciale, il constitue le cadre général de la protection des données. Les obligations prévues par le règlement seront également applicables aux opérateurs installés hors de l’Union européenne et offrant des biens et services aux Européens. Ce règlement est applicable à compter du 25 mai 2018 ;
  • d’une directive (UE) 2016/680 relative aux traitements mis en œuvre à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales. Cette directive doit être transposée d’ici le 6 mai 2018.

Afin d’assurer la transposition de ces deux textes, le Gouvernement français a fait le choix symbolique de ne pas abroger la loi fondatrice du 6 janvier 1978.

Certes, l’adaptation du droit national au règlement et la transposition de la directive exigent de remanier plusieurs articles de cette loi, mais les principes fondateurs dégagés par le législateur il y a près de quarante ans demeurent toujours valables.

À cet égard, la loi du 20 juin 2018 retranscrit les dispositions du règlement qui conforte les droits des personnes physiques sur leurs données à caractère personnel déjà garantis dans la loi du 6 janvier 1978 (notamment le droit d’information des personnes), et en crée de nouveaux comme le droit à l’effacement ou « droit à l’oubli » et le droit à la portabilité des données.

En outre, le règlement uniformise et simplifie les règles auxquelles les organismes traitant des données sont soumis tout en renforçant les garanties offertes par la loi de 1978.

Il prévoit en particulier la réduction des formalités préalables pour la mise en œuvre des traitements comportant le moins de risques, avec le passage d’un système de contrôle a priori de la CNIL, par le biais des déclarations et autorisations, à un contrôle a posteriori plus adapté aux évolutions technologiques.

En contrepartie, la CNIL voit ses pouvoirs de contrôle et de sanctions renforcés avec la possibilité d’infliger des amendes pouvant aller jusqu’à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’organisme concerné.