Preuve des actes juridiques: le commencement de preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

Nous nous focaliserons ici sur le commencement de preuve par écrit.

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1347 du Code civil prévoyait que l’exigence de préconstitution d’un écrit pour la preuve des actes juridiques reçoit « exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit ».

Le commencement de preuve par écrit est ainsi passé du statut d’exception à l’exigence de preuve littérale au statut de mode de preuve pouvant suppléer l’écrit.

Ce changement d’approche opéré par le législateur en 2016 n’est pas sans interroger.

Pourquoi, en effet, mettre le commencement de preuve par écrit sur le même plan que l’aveu judiciaire et le serment décisoire alors que, contrairement à ces deux derniers, il n’appartient pas à la catégorie des modes de preuve parfaits ?

Pour mémoire, les modes de preuve parfaits présentent la particularité d’être admis en toutes matières et, surtout, de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

Dans l’affirmative, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait ou de l’acte allégué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

Le commencement de preuve par écrit, quant à lui, ne s’impose pas au juge. Il est de jurisprudence constante que l’autre moyen de preuve devant corroborer le commencement de preuve par écrit est soumis à l’appréciation souveraine du juge.

C’est pour cette raison que le commencement de preuve par écrit ne s’analyse pas en un mode de preuve parfait.

Comme énoncé par l’article 1361 du Code civil cela ne l’empêche pas, pour autant, d’être un mode de preuve reconnu comme l’équivalent d’un écrit lorsqu’il est corroboré par un autre moyen de preuve.

Pour faire la preuve d’un acte juridique, le commencement de preuve par écrit doit donc remplir deux conditions :

  • Répondre à la définition prévue par la loi
  • Être corroboré par un autre moyen de preuve

Ce n’est que lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que l’exigence de preuve littérale pourra être écartée.

1. La notion de commencement de preuve par écrit

Parce que le commencement de preuve par écrit a été instrumenté par la jurisprudence comme un moyen d’atténuer l’exigence – parfois difficilement surmontable – de la production d’un écrit pour la preuve des actes juridiques, elle s’est employée, dès le XIXe siècle à élargir les contours de la notion.

Les juridictions ont notamment admis dans son périmètre, un certain nombre d’éléments de preuve qu’elles ont considérés comme valant commencement de preuve par écrit.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve, la Cour de cassation a consacré cette extension de la notion de commencement de preuve par écrit au-delà de ses frontières originelles.

a. Les éléments constitutifs de la notion de commencement par écrit

L’article 1362 du Code civil définit le commencement de preuve par écrit comme « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il s’agit là d’une reprise sensiblement dans les mêmes termes de la définition qui était énoncée par l’ancien article 1348 du Code civil. Le législateur n’a pas innové sur ce point. Il a préféré ne pas bouleverser l’économie générale de la notion.

Aussi, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

i. Un écrit

Comme suggéré par son appellation, un commencement de preuve par écrit consiste, avant toute chose, en un écrit.

Plus précisément, l’article 1362 du Code civil énonce qu’il peut s’agir de « tout écrit ».

Par cette formulation, il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire que l’écrit versé aux débats soit un acte sous seing privé ou un acte authentique.

Et pour cause, un commencement de preuve par écrit a précisément vocation à être produit pour le cas où le demandeur n’est pas en mesure de fournir un écrit au sens des articles 1364 et suivants du Code civil.

Exiger qu’un commencement de preuve par écrit présente les mêmes attributs que la preuve littérale, reviendrait à vider le dispositif institué par le législateur de tout son intérêt.

C’est ce qui a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 janvier 1971 aux termes duquel elle a reproché aux juges du fond d’avoir ajouté une condition à la loi en exigeant que l’écrit produit par l’un des plaideurs soit signé – et donc remplisse les conditions d’un acte sous seing privé – pour valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1971, n°69-13.273).

Aussi, est-il admis de voir dans toute forme de document écrit un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il ne s’agisse, ni d’un acte sous seing privé, ni d’un acte authentique.

Classiquement, on recense trois catégories d’écrits susceptibles de répondre à la qualification de commencement de preuve par écrit :

?: Les écrits irréguliers

Le plus souvent, la reconnaissance du statut de commencement de preuve par écrit à un document résultera de la requalification d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique frappé d’une irrégularité.

Tel serait le cas d’un acte sous seing privé qui ne comporterait pas l’une des mentions énoncées par l’ancien article 1326 du Code civil, devenu l’article 1376.

Dans un arrêt du 21 mars 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’absence d’indication du montant de l’engagement unilatéral souscrit en chiffres affectait l’acte de telle sorte qu’il « ne pouvait constituer qu’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 2006, n°04-18.673).

Dans un arrêt du 15 octobre 1991, elle a encore décidé que « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

L’oubli de la mention indiquant le nombre d’originaux établis par les parties est également de nature à faire requalifier l’acte en commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013, n°11-24.453).

Il en va de même dans l’hypothèse où l’acte n’a pas été rédigé en autant d’originaux qu’il y a de parties, comme exigé par l’article 1375 du Code civil (Cass. com., 5 nov. 1962).

La Cour de cassation a encore estimé que pouvait valoir commencement de preuve par écrit un procès-verbal constatant un accord ne comportant pas la signature des parties (Cass. com. 20 janv. 1965, n°62-11.990).

La Cour de cassation a retenu la même solution pour un acte authentique qui, à encore, n’avait pas été signé par les parties (Cass. 1ère civ. 28 oct. 2003, n°01-02.654).

La première chambre civile a également admis qu’une reconnaissance de dette dont la signature avait été raturée pouvait valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 16 juin 1993, n°91-20.105).

On peut encore citer les lettres missives auxquelles il a toujours été reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit pourvu qu’elles rendent vraisemblable l’existence de l’acte juridique litigieux (Cass. 1ère civ. 20 avr. 1983, n°82-150).

Dans un arrêt récent rendu le 24 janvier 2018, la Chambre commerciale a ainsi admis qu’une lettre aux termes de laquelle la banque reconnaissait avoir retrouvé le double du bordereau d’une remise de fonds, valait commencement de preuve par écrit du dépôt de la somme d’argent réalisé par un client (Cass. com. 24 janv. 2018, n°16-19.866).

?: Les écrits réguliers ne permettant pas d’identifier avec certitude l’acte litigieux

Autre typologie d’écrit susceptibles de valoir commencement de preuve par écrit, ceux qui ne sont frappés d’aucune irrégularité, mais qui ne permettent pas d’identifier avec suffisamment de certitude l’acte juridique auquel ils se rapportent.

Il en va ainsi d’un chèque rejeté pour absence de provision (Cass. com. 5 févr. 1991, n°89-16.333).

Il pourra également s’agir d’ordres de virement mentionnant le motif de l’opération (Cass. 1ère civ. 25 juin 2008, n°07-12.545).

?: Les copies d’actes sous signature privée

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la jurisprudence admettait qu’une copie puisse valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-14.370).

Elle subordonnait toutefois la reconnaissance de cette valeur probatoire à l’absence de contestation de la copie produite aux débats.

La Cour de cassation a, par exemple, statué en ce sens un arrêt du 14 février 1995 s’agissant de la photocopie d’une reconnaissance de dette signée par le débiteur « qui ne contestait ni l’existence de l’acte ni la conformité de la photocopie à l’original, selon lui détruit » (Cass.1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Elle a retenu la même solution pour des copies certifiées conformes dans un arrêt du 13 décembre 2005 aux termes duquel elle a jugé que « les copies d’actes sous seing privé même certifiées conformes qui n’ont par elles-mêmes aucune valeur juridique dès lors que l’existence de l’original est déniée, ne peuvent valoir comme commencement de preuve » (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-14.229).

La Haute juridiction considérait ainsi que, lorsque la copie produite aux débats était contestée par le défendeur, elle devait être purement et simplement écartée des débats (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).

Cette position se fondait sur l’ancien article 1334 du Code civil qui prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »

Si cette disposition admettait qu’une copie puisse être produite en justice aux fins de prouver un acte juridique, la partie adverse pouvait néanmoins toujours exiger la production de l’original.

Il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence que la force probante d’une copie était subordonnée à l’existence de l’écrit original.

Lorsque cette condition était remplie la copie pouvait alors faire foi au même titre que l’original (Cass. req. 16 févr. 1926). La copie était ainsi dépourvue de toute valeur juridique autonome.

S’agissant des photocopies, compte tenu de ce qu’elles ne sont pas revêtues de la signature originale des parties, elles ne pouvaient valoir que commencement de preuve par écrit.

Reste que pour se voir reconnu cette valeur probatoire, aucune contestation ne devait être élevée par le défendeur.

En réaction à cette jurisprudence qui subordonnait la reconnaissance d’une valeur probatoire aux copies à l’absence de contestation, ce, alors même que les techniques de reproduction étaient de plus en plus fiables, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne.

C’est ce qu’il a fait en adoptant la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 laquelle a introduit un article 1348, al. 2e dans le Code civil qui a renforcé la valeur juridique des copies en leur conférant une force probante autonome.

Ce texte prévoyait, en effet, que « lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable », cette copie était admise pour faire la preuve d’un acte juridique par exception à l’exigence de la preuve par écrit.

Aussi, désormais une copie pouvait-elle faire foi nonobstant la disparition de l’original dont sa persistance n’était donc plus une exigence absolue.

Pour que la copie puisse toutefois être pourvue d’une force probante autonome, soit pour le cas où l’original n’existerait plus ou ne pouvait pas être produit, encore fallait-il que soient démontrées la fidélité de la reproduction et la durabilité du support utilisé.

À cet égard, le texte précisait que « est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »

Bien que cette précision renseignât sur ce qu’il fallait entendre par une copie « durable », cela était loin d’être suffisant pour déterminer quelles étaient les copies qui répondaient aux conditions de reproduction énoncée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Rapidement la question s’est alors posée en jurisprudence de savoir si les photocopies remplissaient la condition de fiabilité exigée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 25 juin 1996, elle a jugé que cette technique pouvait être admise au rang des procédés permettant l’obtention d’une « reproduction fidèle et durable ».

Elle en déduisit que la photocopie qui était produite aux débats « ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, mais faisait pleinement la preuve de l’existence » de l’acte juridique dont l’existence était contestée au cas particulier (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, n°94-11.745).

Dans cette décision, la haute juridiction reconnaissait ainsi à la photocopie la valeur d’une preuve complète, puisque n’exigeant pas qu’elle soit corroborée, comme c’est le cas pour un commencement de preuve par écrit, par des éléments probatoires extrinsèques, tels que des témoignages ou des présomptions.

Bien qu’il puisse être porté au crédit de la loi du 12 juillet 1980 d’avoir été le premier texte à reconnaître à la copie d’un écrit une valeur probatoire indépendante de l’original, le dispositif, tel que prévu par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil, souffrait de deux carences principales.

  • Première carenceLa règle renforçant la force probante de la copie était logée dans un article relevant de la preuve testimoniale. Or le régime des copies intéresse la preuve littérale.
    • Ce problème de méthode quant à la localisation de la règle dans le corpus textuel du droit de la preuve était de nature à flouer la portée qu’il y avait lieu de donner au dispositif mis en place.
  • Seconde carenceL’autonomie probatoire conférée à la copie résultait non pas d’une exception à l’absence de principe de force probante des copies, mais d’une exception à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques, ce qui, de l’avis des auteurs, n’était pas très cohérent

Pour ces deux raisons, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne à nouveau afin de clarifier le régime juridique des copies.

?Droit positif

Le législateur s’est attelé à la tâche de réformer le régime juridique des copies à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur justifie cette réforme en avançant que :

  • D’une part, sous l’empire de l’ancienne loi du 12 juillet 1980, le Code civil ne disposait d’aucun régime unifié et cohérent de la copie
  • D’autre part, que l’évolution des technologies implique une conception plus large de l’écrit qui ne se matérialise plus nécessairement sur papier, et consécutivement une multiplication des techniques de reproduction, raison pour laquelle le régime juridique de la copie doit être revu

C’est sur la base de ces deux constats que le législateur a donc façonné un nouveau régime de la copie qui a désormais pour siège le nouvel article 1379 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original. »

Il s’évince de cette disposition un principe général d’équivalence entre la copie dite fiable et l’original.

Surtout, et c’est là une rupture avec l’ancien article 1334 du Code civil, cette équivalence opère peu important que l’original subsiste ou pas, et peu important l’origine.

Autrement dit, il est indifférent que l’original ait disparu ou que son détenteur soit dans l’incapacité de le produire ; la copie possède la même valeur probatoire que l’original pourvu qu’elle soit fiable.

À l’analyse, en énonçant un principe général d’équivalence entre les deux types d’écrits, le législateur confirme l’autonomie probatoire qu’il avait entendu conférer à la copie à l’occasion de l’adoption de la loi du 12 juillet 1980.

Aussi, désormais, la force probante d’une copie tient, non plus à la persistance de l’original mais à sa fiabilité :

  • La force probante de la copie fiableEn application de l’article 1379, al. 1er du Code civil, elle possède la même valeur que l’original.
    • Cela signifie que :
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte authentique, la copie « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte sous seing privé, la copie fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire.
  • La force probante de la copie non fiableL’article 1379 du Code civil est silencieux sur la force probante de la copie dont la fiabilité ne serait pas reconnue.
    • Est-ce à dire qu’elle ne serait pourvue d’aucune valeur probatoire ?
    • Pour le déterminer il convient de se reporter au troisième alinéa de l’article 1379 qui fournit un indice.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
    • Il convient tout d’abord d’observer que cette exigence est a priori inapplicable à la copie fiable.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 indique en ce sens que « si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie. »
    • Il faut comprendre ici, s’agissant de la copie fiable, que la disparition de l’original est sans incidence sur sa force probante.
    • En revanche, pour les copies qui ne répondent pas à l’exigence de fiabilité, l’article 1379, al. 3e suggère que leur force probante est subordonnée à la subsistance de l’original.
    • On retrouve là, manifestement, la règle énoncée par l’ancien article 1334 du Code civil qui, pour mémoire, prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
    • Cette règle n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour le cas où la copie produite aux débats est contestée par la partie adverse.
    • Dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune discussion, il devrait être admis qu’elle puisse faire foi conformément à ce qui avait été décidé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).

ii. Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente

Un écrit ne peut donc être qualifié de commencement de preuve par écrit qu’à la condition qu’il émane de la personne à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 11 avril 1995, la Cour de cassation a rappelé cette exigence en énonçant, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil devenu l’article 1362, que « pour valoir commencement de preuve, l’écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s’en prévaut » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.246 ; V. également dans le même sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2012, n°11-25.900).

Cette règle n’est autre qu’une déclinaison du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » désormais énoncé à l’article 1363 du Code civil.

Aussi, dans l’hypothèse où l’écrit produit émanerait de celui-là même qui l’a établi ne saurait se voir reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 10 juill. 2002, n°99-15.430).

Par extension, l’article 1362 du Code civil admet que le commencement de preuve par écrit puisse émaner du représentant de la partie contre laquelle il est produit.

Dans un arrêt du 28 juin 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « le commencement de preuve par écrit peut émaner du mandataire de celui à qui on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 28 juin 1989, n°86-19.012).

La solution est logique en ce que la représentation d’une personne consiste en l’accomplissement d’actes au nom et pour le compte de cette personne, de telle sorte que les actes sont réputés avoir été passés par cette dernière.

Aussi, est-il logique d’admettre que l’écrit émanant du représentant soit pourvu de la même valeur que celui établi par le représenté lui-même.

En revanche, le commencement de preuve par écrit ne saurait émaner d’un tiers.

Dans un arrêt du 25 novembre 2023 la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit à des documents qui avaient été établis par des tiers et non par des personnes auxquelles ils étaient opposés (Cass. 1ère civ., 25 nov. 2003, n° 00-22.577).

Par exception, il est admis qu’un écrit émanant d’un tiers puisse valoir commencement de preuve par écrit lorsqu’il a été approuvé par la partie à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 20 janvier 2004, la Cour de cassation a reconnu la qualification de commencement de preuve par écrit à une demande de permis de construire qui n’émanait pas du défendeur, au cas particulier un architecte auquel les demandeurs réclamaient la restitution d’acomptes et d’honoraires versés.

Ce document comportait toutefois le nom et la signature de l’architecte, ce qui suffisait, pour la Troisième chambre civile, à lui conférer la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 20 janv. 2004, n°02-12.674).

La Cour de cassation est allée encore plus loin en admettant, dans des arrêts anciens, qu’un écrit puisse valoir commencement de preuve par écrit, alors même que la partie à laquelle il était opposé n’avait pas participé matériellement à son établissement.

Elle en était, en revanche, l’auteur intellectuel, le tiers n’ayant fait que reporter sur le document litigieux les énonciations qui lui étaient dictées.

Pour le démontrer, il conviendra de prouver que l’écrit ne fait qu’exprimer la volonté de la personne intéressée, ce qui suggère qu’il a été approuvé tacitement par cette dernière (Cass. 3e civ.29 févr. 1972, n°70-13.069).

Cette implication intellectuelle dans la rédaction de l’écrit pourra également se déduire lorsque l’auteur matériel de l’acte indique l’origine des déclarations et justifie d’une qualité qui ne permet pas de mettre en cause son impartialité (Cass. req. 29 avr. 1922 : affaire portant sur un acte d’état civil).

iii. Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

En application de l’article 1362 du Code civil, l’élément de preuve produit aux débats ne pourra endosser la qualification de commencement de preuve par écrit que s’il « rend vraisemblable ce qui est allégué ».

Que faut-il entendre par cette formule ? Des auteurs suggèrent qu’il faut comprendre que « le commencement de preuve par écrit doit être pertinent, approprié au fond de l’affaire, et créer un préjugé en faveur de celui qui l’invoque »[14].

Autrement dit, l’élément de preuve produit doit être suffisamment convaincant et sérieux pour rendre possible et envisageable le fait allégué. La vraisemblance ne saurait résulter d’une simple possibilité ou d’une hypothèse. En somme, il ne doit pas y avoir d’équivoque pour qu’il y ait vraisemblance.

À cet égard, la condition tenant à la vraisemblance du fait allégué est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1970, n°69-10.414 ; Cass. 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-18.787).

Il peut être observé que cette question de l’appréciation de la vraisemblance a fait l’objet d’un contentieux nourri s’agissant des chèques bancaires.

La question s’est notamment posée de savoir si un chèque pouvait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt d’argent pour le montant mentionné sur le chèque.

Dans un premier temps, la Cour de cassation l’a admis pour le cas où le chèque avait été endossé par le débiteur.

Dans un arrêt du 10 mai 1995, elle a jugé en ce sens que « si le chèque ne peut, en tant que tel, valoir commencement de preuve par écrit contre le bénéficiaire, il en est différemment du chèque endossé par celui-ci » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1995, n°93-13.133).

Dans un second temps, elle a retenu la solution inverse, considérant que « l’endossement de chèques démontre seulement la réalité de la remise de fonds » (Cass. 1ère civ. 3 juin 1998, n°96-14.232).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, si un chèque permet bien d’établir la remise de fonds lorsqu’il a été endossé, cette remise ne permet pas d’établir sa cause, à tout le moins avec vraisemblable.

Une remise de fonds peut procéder, tout autant d’une donation que de l’existence d’une créance. C’est la raison pour laquelle un chèque, même endossé, ne saurait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt.

b. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit

Animée par une volonté de faciliter la preuve des actes juridiques, la Cour de cassation a progressivement adopté une approche extensive de la notion de commencement de preuve par écrit, à telle enseigne qu’elle a admis que puissent valoir commencement de preuve par écrit des éléments de preuve qui dérogent :

  • Soit à la condition tenant l’exigence d’un écrit
  • Soit à la condition tenant à l’origine de l’écrit

i. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’exigence d’un écrit

Comme vu précédemment, pour valoir commencement de preuve par écrit, l’élément de preuve produit doit, en principe, consister en un écrit.

L’article 1362 al. 2 du Code civil déroge toutefois à cette exigence en énonçant que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Il s’agit là d’une reprise de l’alinéa 3e de l’ancien article 1347 du Code civil, lequel était issu de la loi n°75-596 du 9 juillet 1975.

Cette loi était venue consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que des déclarations orales puissent valoir commencement de preuve par écrit (Cass. req., 29 avr. 1922).

Toutefois, toutes les déclarations orales ne constituent pas nécessairement des commencements de preuve par écrit.

Le texte précise en effet que sont seules éligibles à cette qualification :

  • les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle
  • Le refus d’une partie de répondre aux questions du juge
  • L’absence de comparution d’une partie

Dans un arrêt du 19 novembre 2002 la Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit à une sommation interpellative qui était pourtant consignée dans un constat d’huissier de justice (Cass. 1ère civ. 19 nov. 2002, n°01-10.169).

À l’analyse, l’article 1362, al. 2e du Code civil n’apporte rien de nouveau au droit positif dans la mesure où il ne fait qu’énoncer une règle qui existe déjà dans le Code de procédure civile et qui a été introduite dans ce code à l’article 198 par une loi du 23 mai 1942.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le juge peut tirer toute conséquence de droit des déclarations des parties, de l’absence ou du refus de répondre de l’une d’elles et en faire état comme équivalent à un commencement de preuve par écrit. »

En tout état de cause, c’est au juge, dit le texte, d’apprécier souverainement s’il y a lieu de considérer comme équivalent à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.

ii. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’origine de l’écrit

Si, en principe, pour valoir commencement de preuve par écrit l’élément de preuve produit doit émaner de la partie à laquelle on l’oppose, l’article 1362, al. 3e du Code civil assortit la règle d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « la mention d’un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public vaut commencement de preuve par écrit. »

La règle déroge ici aux conditions du commencement de preuve par écrit en ce que le registre susceptible d’être produit comme élément de preuve émane d’un tiers (l’autorité publique qui tient le registre) et non de la partie à laquelle il est opposé.

À la différence de la précédente dérogation, cette règle ne figurait pas dans l’ancien article 1347 du Code civil. Il s’agit là d’une création de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Si l’on se réfère au rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, cette création vise à alléger « les conditions dans lesquelles la transcription d’un acte sur les registres publics peut servir de commencement de preuve par écrit. »

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1336 du Code civil prévoyait, pour mémoire, que pour que la transcription d’un acte sur les registres publics puisse servir de commencement de preuve par écrit, il fallait que deux conditions cumulatives soient réunies :

  • Qu’il soit constant que toutes les minutes du notaire, de l’année dans laquelle l’acte paraît avoir été fait, soient perdues, ou que l’on prouve que la perte de la minute de cet acte a été faite par un accident particulier ;
  • Qu’il existe un répertoire en règle du notaire, qui constate que l’acte a été fait à la même date.

Aujourd’hui, ces deux conditions n’ont plus cours. Il suffit que le registre produit soit public pour que les mentions qui y figurent vaillent commencement de preuve par écrit.

2. La corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve

Pour qu’un commencement de preuve par écrit soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Ainsi, un commencement de preuve par écrit ne suffit pas à lui seul à faire la preuve d’un acte juridique. C’est là ce qui le distingue fondamentalement des autres modes de preuve parfaits qui, quant à eux, ne requiert l’addition d’aucun autre moyen de preuve pour que le fait allégué soit réputé établi.

En somme, comme souligné par un auteur « le commencement de preuve par écrit ne prouve pas le fait contesté. Il rend seulement admissible d’autres modes de preuve dans un domaine où, à son défaut, ils auraient été irrecevables »[15].

La Cour de cassation rappelle régulièrement cette impuissance du commencement de preuve par écrit à faire la preuve d’un acte juridique lorsqu’il n’est pas corroboré par un autre moyen de preuve (V. par exemple Cass. com. 31 mai 1994, n°92-10.795 ; Cass. 1ère civ. 28 févr. 1995, n°92-19.097).

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quels sont les « autres moyens de preuve » admis à compléter un commencement de preuve par écrit.

À l’analyse, le moyen de preuve complémentaire produit doit répondre à deux exigences :

  • Consister en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil
  • Présenter un caractère extrinsèque

?Un mode de preuve reconnu par le Code civil

L’article 1361 du Code civil exige donc que le commencement de preuve par écrit soit complété par un « autre moyen de preuve ».

Par « autre moyen de preuve », il faut comprendre ceux énoncés sous le chapitre consacré aux « différents modes de preuve ».

Pour mémoire, sont reconnus par le Code civil comme mode de preuve pouvant être produit en justice :

  • L’écrit (art. 1363 à 1380 C. civ.)
  • Le témoignage (art. 1382 C. civ.)
  • Les présomptions judiciaires (art. 1381 C. civ.)
  • L’aveu (art. 1383 à 1383-2 C. civ.)
  • Le serment (art. 1384 à 1386-1 C. civ.)

Parmi ces modes de preuves, il y a lieu d’ores et déjà d’exclure ceux qui sont parfaits, compte tenu de ce qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils rendent dès lors inutile le recours au mécanisme du commencement de preuve par écrit pour le plaideur qui serait en mesure de se prévaloir de l’un d’eux, au nombre desquels figurent, pour rappel, l’écrit, l’aveu judiciaire et le serment décisoire.

Il s’en déduit que les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit.

Dès lors que l’un de ces moyens de preuve est produit par le plaideur dans ce cadre, le juge ne saurait subordonner la preuve de l’acte juridique litigieux à la satisfaction d’une autre condition (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a, par ailleurs, rappelé que c’est aux juges du fond qu’il revient d’apprécier « souverainement les éléments invoqués par une partie pour compléter un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 4 oct. 2005, n°02-13.395).

C’est, autrement dit, à lui seul de dire si la condition tenant à l’exigence de corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve est remplie.

À l’inverse, il incombe aux parties de se prévaloir de l’exception tirée d’un commencement de preuve par écrit. Le juge ne dispose pas du pouvoir de relever ce moyen d’office (Cass. 3e civ. 5 juill. 2011, n°08-12.689). Il est seulement tenu de prendre en compte le commencement de preuve par écrit, à tout le moins de vérifier que ses conditions de recevabilité sont satisfaites.

?Un mode de preuve présentant un caractère extrinsèque

Pour qu’un élément de preuve soit admis à compléter un commencement de preuve par écrit, il ne suffit pas qu’il consiste en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil, il faut encore qu’il présente un caractère extrinsèque.

Cette exigence avait été formulée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016.

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation avait, par exemple, affirmé, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil, que « pour compléter un commencement de preuve par écrit, le juge doit se fonder sur un élément extrinsèque a ce document » (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-10.431).

Bien que l’exigence d’extériorité de l’élément de preuve produit en complément d’un commencement de preuve par écrit ne soit pas exprimée explicitement par les nouveaux textes, les auteurs s’accordent à dire qu’elle s’infère de la formule « autre moyen de preuve » que l’on retrouve à l’article 1361 du Code civil.

L’exigence d’origine jurisprudentielle serait donc maintenue, ce qui conduit dès lors à se poser la question de savoir ce qu’il faut entendre par « un élément de preuve extrinsèque ».

Deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche matérielleSelon cette approche, l’élément de preuve produit en complément du commencement de preuve par écrit doit être matériellement distinct de lui.
    • Autrement dit, il ne saurait être recherché dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit ; l’élément de preuve complémentaire doit lui être totalement extérieur
    • Un même document ne saurait ainsi servir à la fois de commencement de preuve par écrit et d’élément de preuve complémentaire.
  • L’approche intellectuelleSelon cette approche, il n’est pas nécessaire que l’élément invoqué en complément du commencement de preuve par écrit, soit matériellement distinct de lui.
    • Il peut donc parfaitement être contenu dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit, pourvu néanmoins qu’il n’émane pas de l’auteur de cet instrumentum
    • Il pourrait, par exemple, s’agir d’une mention ou d’une signature ajoutée par une personne autre que celle qui a établi le commencement de preuve par écrit produit.

Entre ces deux approches, la Cour de cassation semble avoir opté pour la seconde.

Dans un arrêt du 8 octobre 2014, elle a, en effet, considéré que des signatures apposées par des témoins sur un écrit constatant une reconnaissance de dette pouvaient constituer des éléments extrinsèques à l’acte, alors même qu’elles figuraient sur le même support que le commencement de preuve par écrit qu’elles venaient corroborer (Cass. 1ère civ. 8 oct. 2014, n°13-21.776).

À l’analyse, les éléments de preuve extérieurs au commencement de preuve par écrit peuvent être d’une grande variété.

Ces éléments pourront notamment consister en des témoignages ou des présomptions (Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Il pourra également s’agit d’un aveu-extrajudiciaire qui, pour mémoire, consiste en une déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n° 00-15.834).

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation a encore admis qu’un acte d’exécution puisse constituer un élément de preuve venant compléter un commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-12.425).

De façon générale, tout indice pourra être retenu par le juge pour valoir élément de preuve complétant le commencement de preuve par écrit produit.

Il pourra, par exemple, s’agir d’une clause ou d’une énonciation contenue dans un acte (Cass. com. 5 mai, n°2004, n°02-11.574), peu importe qu’il soit nul (Cass. 1ère civ. 25 janv. 1965).

Il pourra également s’agir de tout indice tiré du comportement d’une partie au cours de l’instance (Cass. 1ère civ. 23 janv. 1996, n°94-12.931) ou encore de la qualité de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit aux débats (Cass. com., 22 juin 1999, n°97-12.839).

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: les modes de preuve admis à suppléer l’écrit

Si les actes juridiques portant sur montant supérieur à 1500 euros ne peuvent, par principe, être prouvés qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit
  • Soit en cas de stipulation par les parties d’une clause contraire

Nous nous focaliserons ici sur les modes de preuve admis à suppléer l’écrit.

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

I) Le commencement de preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1347 du Code civil prévoyait que l’exigence de préconstitution d’un écrit pour la preuve des actes juridiques reçoit « exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit ».

Le commencement de preuve par écrit est ainsi passé du statut d’exception à l’exigence de preuve littérale au statut de mode de preuve pouvant suppléer l’écrit.

Ce changement d’approche opéré par le législateur en 2016 n’est pas sans interroger.

Pourquoi, en effet, mettre le commencement de preuve par écrit sur le même plan que l’aveu judiciaire et le serment décisoire alors que, contrairement à ces deux derniers, il n’appartient pas à la catégorie des modes de preuve parfaits ?

Pour mémoire, les modes de preuve parfaits présentent la particularité d’être admis en toutes matières et, surtout, de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

Dans l’affirmative, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait ou de l’acte allégué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

Le commencement de preuve par écrit, quant à lui, ne s’impose pas au juge. Il est de jurisprudence constante que l’autre moyen de preuve devant corroborer le commencement de preuve par écrit est soumis à l’appréciation souveraine du juge.

C’est pour cette raison que le commencement de preuve par écrit ne s’analyse pas en un mode de preuve parfait.

Comme énoncé par l’article 1361 du Code civil cela ne l’empêche pas, pour autant, d’être un mode de preuve reconnu comme l’équivalent d’un écrit lorsqu’il est corroboré par un autre moyen de preuve.

Pour faire la preuve d’un acte juridique, le commencement de preuve par écrit doit donc remplir deux conditions :

  • Répondre à la définition prévue par la loi
  • Être corroboré par un autre moyen de preuve

Ce n’est que lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que l’exigence de preuve littérale pourra être écartée.

A) La notion de commencement de preuve par écrit

Parce que le commencement de preuve par écrit a été instrumenté par la jurisprudence comme un moyen d’atténuer l’exigence – parfois difficilement surmontable – de la production d’un écrit pour la preuve des actes juridiques, elle s’est employée, dès le XIXe siècle à élargir les contours de la notion.

Les juridictions ont notamment admis dans son périmètre, un certain nombre d’éléments de preuve qu’elles ont considérés comme valant commencement de preuve par écrit.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve, la Cour de cassation a consacré cette extension de la notion de commencement de preuve par écrit au-delà de ses frontières originelles.

1. Les éléments constitutifs de la notion de commencement par écrit

L’article 1362 du Code civil définit le commencement de preuve par écrit comme « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il s’agit là d’une reprise sensiblement dans les mêmes termes de la définition qui était énoncée par l’ancien article 1348 du Code civil. Le législateur n’a pas innové sur ce point. Il a préféré ne pas bouleverser l’économie générale de la notion.

Aussi, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

a. Un écrit

Comme suggéré par son appellation, un commencement de preuve par écrit consiste, avant toute chose, en un écrit.

Plus précisément, l’article 1362 du Code civil énonce qu’il peut s’agir de « tout écrit ».

Par cette formulation, il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire que l’écrit versé aux débats soit un acte sous seing privé ou un acte authentique.

Et pour cause, un commencement de preuve par écrit a précisément vocation à être produit pour le cas où le demandeur n’est pas en mesure de fournir un écrit au sens des articles 1364 et suivants du Code civil.

Exiger qu’un commencement de preuve par écrit présente les mêmes attributs que la preuve littérale, reviendrait à vider le dispositif institué par le législateur de tout son intérêt.

C’est ce qui a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 janvier 1971 aux termes duquel elle a reproché aux juges du fond d’avoir ajouté une condition à la loi en exigeant que l’écrit produit par l’un des plaideurs soit signé – et donc remplisse les conditions d’un acte sous seing privé – pour valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1971, n°69-13.273).

Aussi, est-il admis de voir dans toute forme de document écrit un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il ne s’agisse, ni d’un acte sous seing privé, ni d’un acte authentique.

Classiquement, on recense trois catégories d’écrits susceptibles de répondre à la qualification de commencement de preuve par écrit :

i. Les écrits irréguliers

Le plus souvent, la reconnaissance du statut de commencement de preuve par écrit à un document résultera de la requalification d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique frappé d’une irrégularité.

Tel serait le cas d’un acte sous seing privé qui ne comporterait pas l’une des mentions énoncées par l’ancien article 1326 du Code civil, devenu l’article 1376.

Dans un arrêt du 21 mars 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’absence d’indication du montant de l’engagement unilatéral souscrit en chiffres affectait l’acte de telle sorte qu’il « ne pouvait constituer qu’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 2006, n°04-18.673).

Dans un arrêt du 15 octobre 1991, elle a encore décidé que « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

L’oubli de la mention indiquant le nombre d’originaux établis par les parties est également de nature à faire requalifier l’acte en commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013, n°11-24.453).

Il en va de même dans l’hypothèse où l’acte n’a pas été rédigé en autant d’originaux qu’il y a de parties, comme exigé par l’article 1375 du Code civil (Cass. com., 5 nov. 1962).

La Cour de cassation a encore estimé que pouvait valoir commencement de preuve par écrit un procès-verbal constatant un accord ne comportant pas la signature des parties (Cass. com. 20 janv. 1965, n°62-11.990).

La Cour de cassation a retenu la même solution pour un acte authentique qui, à encore, n’avait pas été signé par les parties (Cass. 1ère civ. 28 oct. 2003, n°01-02.654).

La première chambre civile a également admis qu’une reconnaissance de dette dont la signature avait été raturée pouvait valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 16 juin 1993, n°91-20.105).

On peut encore citer les lettres missives auxquelles il a toujours été reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit pourvu qu’elles rendent vraisemblable l’existence de l’acte juridique litigieux (Cass. 1ère civ. 20 avr. 1983, n°82-150).

Dans un arrêt récent rendu le 24 janvier 2018, la Chambre commerciale a ainsi admis qu’une lettre aux termes de laquelle la banque reconnaissait avoir retrouvé le double du bordereau d’une remise de fonds, valait commencement de preuve par écrit du dépôt de la somme d’argent réalisé par un client (Cass. com. 24 janv. 2018, n°16-19.866).

ii. Les écrits réguliers ne permettant pas d’identifier avec certitude l’acte litigieux

Autre typologie d’écrit susceptibles de valoir commencement de preuve par écrit, ceux qui ne sont frappés d’aucune irrégularité, mais qui ne permettent pas d’identifier avec suffisamment de certitude l’acte juridique auquel ils se rapportent.

Il en va ainsi d’un chèque rejeté pour absence de provision (Cass. com. 5 févr. 1991, n°89-16.333).

Il pourra également s’agir d’ordres de virement mentionnant le motif de l’opération (Cass. 1ère civ. 25 juin 2008, n°07-12.545).

iii. Les copies d’actes sous signature privée

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la jurisprudence admettait qu’une copie puisse valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-14.370).

Elle subordonnait toutefois la reconnaissance de cette valeur probatoire à l’absence de contestation de la copie produite aux débats.

La Cour de cassation a, par exemple, statué en ce sens un arrêt du 14 février 1995 s’agissant de la photocopie d’une reconnaissance de dette signée par le débiteur « qui ne contestait ni l’existence de l’acte ni la conformité de la photocopie à l’original, selon lui détruit » (Cass.1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Elle a retenu la même solution pour des copies certifiées conformes dans un arrêt du 13 décembre 2005 aux termes duquel elle a jugé que « les copies d’actes sous seing privé même certifiées conformes qui n’ont par elles-mêmes aucune valeur juridique dès lors que l’existence de l’original est déniée, ne peuvent valoir comme commencement de preuve » (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-14.229).

La Haute juridiction considérait ainsi que, lorsque la copie produite aux débats était contestée par le défendeur, elle devait être purement et simplement écartée des débats (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).

Cette position se fondait sur l’ancien article 1334 du Code civil qui prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »

Si cette disposition admettait qu’une copie puisse être produite en justice aux fins de prouver un acte juridique, la partie adverse pouvait néanmoins toujours exiger la production de l’original.

Il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence que la force probante d’une copie était subordonnée à l’existence de l’écrit original.

Lorsque cette condition était remplie la copie pouvait alors faire foi au même titre que l’original (Cass. req. 16 févr. 1926). La copie était ainsi dépourvue de toute valeur juridique autonome.

S’agissant des photocopies, compte tenu de ce qu’elles ne sont pas revêtues de la signature originale des parties, elles ne pouvaient valoir que commencement de preuve par écrit.

Reste que pour se voir reconnu cette valeur probatoire, aucune contestation ne devait être élevée par le défendeur.

En réaction à cette jurisprudence qui subordonnait la reconnaissance d’une valeur probatoire aux copies à l’absence de contestation, ce, alors même que les techniques de reproduction étaient de plus en plus fiables, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne.

C’est ce qu’il a fait en adoptant la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 laquelle a introduit un article 1348, al. 2e dans le Code civil qui a renforcé la valeur juridique des copies en leur conférant une force probante autonome.

Ce texte prévoyait, en effet, que « lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable », cette copie était admise pour faire la preuve d’un acte juridique par exception à l’exigence de la preuve par écrit.

Aussi, désormais une copie pouvait-elle faire foi nonobstant la disparition de l’original dont sa persistance n’était donc plus une exigence absolue.

Pour que la copie puisse toutefois être pourvue d’une force probante autonome, soit pour le cas où l’original n’existerait plus ou ne pouvait pas être produit, encore fallait-il que soient démontrées la fidélité de la reproduction et la durabilité du support utilisé.

À cet égard, le texte précisait que « est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »

Bien que cette précision renseignât sur ce qu’il fallait entendre par une copie « durable », cela était loin d’être suffisant pour déterminer quelles étaient les copies qui répondaient aux conditions de reproduction énoncée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Rapidement la question s’est alors posée en jurisprudence de savoir si les photocopies remplissaient la condition de fiabilité exigée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 25 juin 1996, elle a jugé que cette technique pouvait être admise au rang des procédés permettant l’obtention d’une « reproduction fidèle et durable ».

Elle en déduisit que la photocopie qui était produite aux débats « ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, mais faisait pleinement la preuve de l’existence » de l’acte juridique dont l’existence était contestée au cas particulier (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, n°94-11.745).

Dans cette décision, la haute juridiction reconnaissait ainsi à la photocopie la valeur d’une preuve complète, puisque n’exigeant pas qu’elle soit corroborée, comme c’est le cas pour un commencement de preuve par écrit, par des éléments probatoires extrinsèques, tels que des témoignages ou des présomptions.

Bien qu’il puisse être porté au crédit de la loi du 12 juillet 1980 d’avoir été le premier texte à reconnaître à la copie d’un écrit une valeur probatoire indépendante de l’original, le dispositif, tel que prévu par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil, souffrait de deux carences principales.

  • Première carence
    • La règle renforçant la force probante de la copie était logée dans un article relevant de la preuve testimoniale. Or le régime des copies intéresse la preuve littérale.
    • Ce problème de méthode quant à la localisation de la règle dans le corpus textuel du droit de la preuve était de nature à flouer la portée qu’il y avait lieu de donner au dispositif mis en place.
  • Seconde carence
    • L’autonomie probatoire conférée à la copie résultait non pas d’une exception à l’absence de principe de force probante des copies, mais d’une exception à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques, ce qui, de l’avis des auteurs, n’était pas très cohérent

Pour ces deux raisons, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne à nouveau afin de clarifier le régime juridique des copies.

?Droit positif

Le législateur s’est attelé à la tâche de réformer le régime juridique des copies à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur justifie cette réforme en avançant que :

  • D’une part, sous l’empire de l’ancienne loi du 12 juillet 1980, le Code civil ne disposait d’aucun régime unifié et cohérent de la copie
  • D’autre part, que l’évolution des technologies implique une conception plus large de l’écrit qui ne se matérialise plus nécessairement sur papier, et consécutivement une multiplication des techniques de reproduction, raison pour laquelle le régime juridique de la copie doit être revu

C’est sur la base de ces deux constats que le législateur a donc façonné un nouveau régime de la copie qui a désormais pour siège le nouvel article 1379 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original. »

Il s’évince de cette disposition un principe général d’équivalence entre la copie dite fiable et l’original.

Surtout, et c’est là une rupture avec l’ancien article 1334 du Code civil, cette équivalence opère peu important que l’original subsiste ou pas, et peu important l’origine.

Autrement dit, il est indifférent que l’original ait disparu ou que son détenteur soit dans l’incapacité de le produire ; la copie possède la même valeur probatoire que l’original pourvu qu’elle soit fiable.

À l’analyse, en énonçant un principe général d’équivalence entre les deux types d’écrits, le législateur confirme l’autonomie probatoire qu’il avait entendu conférer à la copie à l’occasion de l’adoption de la loi du 12 juillet 1980.

Aussi, désormais, la force probante d’une copie tient, non plus à la persistance de l’original mais à sa fiabilité :

  • La force probante de la copie fiable
    • En application de l’article 1379, al. 1er du Code civil, elle possède la même valeur que l’original.
    • Cela signifie que :
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte authentique, la copie « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte sous seing privé, la copie fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire.
  • La force probante de la copie non fiable
    • L’article 1379 du Code civil est silencieux sur la force probante de la copie dont la fiabilité ne serait pas reconnue.
    • Est-ce à dire qu’elle ne serait pourvue d’aucune valeur probatoire ?
    • Pour le déterminer il convient de se reporter au troisième alinéa de l’article 1379 qui fournit un indice.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
    • Il convient tout d’abord d’observer que cette exigence est a priori inapplicable à la copie fiable.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 indique en ce sens que « si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie. »
    • Il faut comprendre ici, s’agissant de la copie fiable, que la disparition de l’original est sans incidence sur sa force probante.
    • En revanche, pour les copies qui ne répondent pas à l’exigence de fiabilité, l’article 1379, al. 3e suggère que leur force probante est subordonnée à la subsistance de l’original.
    • On retrouve là, manifestement, la règle énoncée par l’ancien article 1334 du Code civil qui, pour mémoire, prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
    • Cette règle n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour le cas où la copie produite aux débats est contestée par la partie adverse.
    • Dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune discussion, il devrait être admis qu’elle puisse faire foi conformément à ce qui avait été décidé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).

b. Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente

Un écrit ne peut donc être qualifié de commencement de preuve par écrit qu’à la condition qu’il émane de la personne à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 11 avril 1995, la Cour de cassation a rappelé cette exigence en énonçant, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil devenu l’article 1362, que « pour valoir commencement de preuve, l’écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s’en prévaut » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.246 ; V. également dans le même sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2012, n°11-25.900).

Cette règle n’est autre qu’une déclinaison du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » désormais énoncé à l’article 1363 du Code civil.

Aussi, dans l’hypothèse où l’écrit produit émanerait de celui-là même qui l’a établi ne saurait se voir reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 10 juill. 2002, n°99-15.430).

Par extension, l’article 1362 du Code civil admet que le commencement de preuve par écrit puisse émaner du représentant de la partie contre laquelle il est produit.

Dans un arrêt du 28 juin 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « le commencement de preuve par écrit peut émaner du mandataire de celui à qui on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 28 juin 1989, n°86-19.012).

La solution est logique en ce que la représentation d’une personne consiste en l’accomplissement d’actes au nom et pour le compte de cette personne, de telle sorte que les actes sont réputés avoir été passés par cette dernière.

Aussi, est-il logique d’admettre que l’écrit émanant du représentant soit pourvu de la même valeur que celui établi par le représenté lui-même.

En revanche, le commencement de preuve par écrit ne saurait émaner d’un tiers.

Dans un arrêt du 25 novembre 2023 la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit à des documents qui avaient été établis par des tiers et non par des personnes auxquelles ils étaient opposés (Cass. 1ère civ., 25 nov. 2003, n° 00-22.577).

Par exception, il est admis qu’un écrit émanant d’un tiers puisse valoir commencement de preuve par écrit lorsqu’il a été approuvé par la partie à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 20 janvier 2004, la Cour de cassation a reconnu la qualification de commencement de preuve par écrit à une demande de permis de construire qui n’émanait pas du défendeur, au cas particulier un architecte auquel les demandeurs réclamaient la restitution d’acomptes et d’honoraires versés.

Ce document comportait toutefois le nom et la signature de l’architecte, ce qui suffisait, pour la Troisième chambre civile, à lui conférer la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 20 janv. 2004, n°02-12.674).

La Cour de cassation est allée encore plus loin en admettant, dans des arrêts anciens, qu’un écrit puisse valoir commencement de preuve par écrit, alors même que la partie à laquelle il était opposé n’avait pas participé matériellement à son établissement.

Elle en était, en revanche, l’auteur intellectuel, le tiers n’ayant fait que reporter sur le document litigieux les énonciations qui lui étaient dictées.

Pour le démontrer, il conviendra de prouver que l’écrit ne fait qu’exprimer la volonté de la personne intéressée, ce qui suggère qu’il a été approuvé tacitement par cette dernière (Cass. 3e civ.29 févr. 1972, n°70-13.069).

Cette implication intellectuelle dans la rédaction de l’écrit pourra également se déduire lorsque l’auteur matériel de l’acte indique l’origine des déclarations et justifie d’une qualité qui ne permet pas de mettre en cause son impartialité (Cass. req. 29 avr. 1922 : affaire portant sur un acte d’état civil).

c. Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

En application de l’article 1362 du Code civil, l’élément de preuve produit aux débats ne pourra endosser la qualification de commencement de preuve par écrit que s’il « rend vraisemblable ce qui est allégué ».

Que faut-il entendre par cette formule ? Des auteurs suggèrent qu’il faut comprendre que « le commencement de preuve par écrit doit être pertinent, approprié au fond de l’affaire, et créer un préjugé en faveur de celui qui l’invoque »[14].

Autrement dit, l’élément de preuve produit doit être suffisamment convaincant et sérieux pour rendre possible et envisageable le fait allégué. La vraisemblance ne saurait résulter d’une simple possibilité ou d’une hypothèse. En somme, il ne doit pas y avoir d’équivoque pour qu’il y ait vraisemblance.

À cet égard, la condition tenant à la vraisemblance du fait allégué est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1970, n°69-10.414 ; Cass. 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-18.787).

Il peut être observé que cette question de l’appréciation de la vraisemblance a fait l’objet d’un contentieux nourri s’agissant des chèques bancaires.

La question s’est notamment posée de savoir si un chèque pouvait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt d’argent pour le montant mentionné sur le chèque.

Dans un premier temps, la Cour de cassation l’a admis pour le cas où le chèque avait été endossé par le débiteur.

Dans un arrêt du 10 mai 1995, elle a jugé en ce sens que « si le chèque ne peut, en tant que tel, valoir commencement de preuve par écrit contre le bénéficiaire, il en est différemment du chèque endossé par celui-ci » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1995, n°93-13.133).

Dans un second temps, elle a retenu la solution inverse, considérant que « l’endossement de chèques démontre seulement la réalité de la remise de fonds » (Cass. 1ère civ. 3 juin 1998, n°96-14.232).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, si un chèque permet bien d’établir la remise de fonds lorsqu’il a été endossé, cette remise ne permet pas d’établir sa cause, à tout le moins avec vraisemblable.

Une remise de fonds peut procéder, tout autant d’une donation que de l’existence d’une créance. C’est la raison pour laquelle un chèque, même endossé, ne saurait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt.

2. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit

Animée par une volonté de faciliter la preuve des actes juridiques, la Cour de cassation a progressivement adopté une approche extensive de la notion de commencement de preuve par écrit, à telle enseigne qu’elle a admis que puissent valoir commencement de preuve par écrit des éléments de preuve qui dérogent :

  • Soit à la condition tenant l’exigence d’un écrit
  • Soit à la condition tenant à l’origine de l’écrit

a. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’exigence d’un écrit

Comme vu précédemment, pour valoir commencement de preuve par écrit, l’élément de preuve produit doit, en principe, consister en un écrit.

L’article 1362 al. 2 du Code civil déroge toutefois à cette exigence en énonçant que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Il s’agit là d’une reprise de l’alinéa 3e de l’ancien article 1347 du Code civil, lequel était issu de la loi n°75-596 du 9 juillet 1975.

Cette loi était venue consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que des déclarations orales puissent valoir commencement de preuve par écrit (Cass. req., 29 avr. 1922).

Toutefois, toutes les déclarations orales ne constituent pas nécessairement des commencements de preuve par écrit.

Le texte précise en effet que sont seules éligibles à cette qualification :

  • les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle
  • Le refus d’une partie de répondre aux questions du juge
  • L’absence de comparution d’une partie

Dans un arrêt du 19 novembre 2002 la Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit à une sommation interpellative qui était pourtant consignée dans un constat d’huissier de justice (Cass. 1ère civ. 19 nov. 2002, n°01-10.169).

À l’analyse, l’article 1362, al. 2e du Code civil n’apporte rien de nouveau au droit positif dans la mesure où il ne fait qu’énoncer une règle qui existe déjà dans le Code de procédure civile et qui a été introduite dans ce code à l’article 198 par une loi du 23 mai 1942.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le juge peut tirer toute conséquence de droit des déclarations des parties, de l’absence ou du refus de répondre de l’une d’elles et en faire état comme équivalent à un commencement de preuve par écrit. »

En tout état de cause, c’est au juge, dit le texte, d’apprécier souverainement s’il y a lieu de considérer comme équivalent à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.

b. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’origine de l’écrit

Si, en principe, pour valoir commencement de preuve par écrit l’élément de preuve produit doit émaner de la partie à laquelle on l’oppose, l’article 1362, al. 3e du Code civil assortit la règle d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « la mention d’un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public vaut commencement de preuve par écrit. »

La règle déroge ici aux conditions du commencement de preuve par écrit en ce que le registre susceptible d’être produit comme élément de preuve émane d’un tiers (l’autorité publique qui tient le registre) et non de la partie à laquelle il est opposé.

À la différence de la précédente dérogation, cette règle ne figurait pas dans l’ancien article 1347 du Code civil. Il s’agit là d’une création de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Si l’on se réfère au rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, cette création vise à alléger « les conditions dans lesquelles la transcription d’un acte sur les registres publics peut servir de commencement de preuve par écrit. »

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1336 du Code civil prévoyait, pour mémoire, que pour que la transcription d’un acte sur les registres publics puisse servir de commencement de preuve par écrit, il fallait que deux conditions cumulatives soient réunies :

  • Qu’il soit constant que toutes les minutes du notaire, de l’année dans laquelle l’acte paraît avoir été fait, soient perdues, ou que l’on prouve que la perte de la minute de cet acte a été faite par un accident particulier ;
  • Qu’il existe un répertoire en règle du notaire, qui constate que l’acte a été fait à la même date.

Aujourd’hui, ces deux conditions n’ont plus cours. Il suffit que le registre produit soit public pour que les mentions qui y figurent vaillent commencement de preuve par écrit.

B) La corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve

Pour qu’un commencement de preuve par écrit soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Ainsi, un commencement de preuve par écrit ne suffit pas à lui seul à faire la preuve d’un acte juridique. C’est là ce qui le distingue fondamentalement des autres modes de preuve parfaits qui, quant à eux, ne requiert l’addition d’aucun autre moyen de preuve pour que le fait allégué soit réputé établi.

En somme, comme souligné par un auteur « le commencement de preuve par écrit ne prouve pas le fait contesté. Il rend seulement admissible d’autres modes de preuve dans un domaine où, à son défaut, ils auraient été irrecevables »[15].

La Cour de cassation rappelle régulièrement cette impuissance du commencement de preuve par écrit à faire la preuve d’un acte juridique lorsqu’il n’est pas corroboré par un autre moyen de preuve (V. par exemple Cass. com. 31 mai 1994, n°92-10.795 ; Cass. 1ère civ. 28 févr. 1995, n°92-19.097).

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quels sont les « autres moyens de preuve » admis à compléter un commencement de preuve par écrit.

À l’analyse, le moyen de preuve complémentaire produit doit répondre à deux exigences :

  • Consister en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil
  • Présenter un caractère extrinsèque

?Un mode de preuve reconnu par le Code civil

L’article 1361 du Code civil exige donc que le commencement de preuve par écrit soit complété par un « autre moyen de preuve ».

Par « autre moyen de preuve », il faut comprendre ceux énoncés sous le chapitre consacré aux « différents modes de preuve ».

Pour mémoire, sont reconnus par le Code civil comme mode de preuve pouvant être produit en justice :

  • L’écrit (art. 1363 à 1380 C. civ.)
  • Le témoignage (art. 1382 C. civ.)
  • Les présomptions judiciaires (art. 1381 C. civ.)
  • L’aveu (art. 1383 à 1383-2 C. civ.)
  • Le serment (art. 1384 à 1386-1 C. civ.)

Parmi ces modes de preuves, il y a lieu d’ores et déjà d’exclure ceux qui sont parfaits, compte tenu de ce qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils rendent dès lors inutile le recours au mécanisme du commencement de preuve par écrit pour le plaideur qui serait en mesure de se prévaloir de l’un d’eux, au nombre desquels figurent, pour rappel, l’écrit, l’aveu judiciaire et le serment décisoire.

Il s’en déduit que les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit.

Dès lors que l’un de ces moyens de preuve est produit par le plaideur dans ce cadre, le juge ne saurait subordonner la preuve de l’acte juridique litigieux à la satisfaction d’une autre condition (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a, par ailleurs, rappelé que c’est aux juges du fond qu’il revient d’apprécier « souverainement les éléments invoqués par une partie pour compléter un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 4 oct. 2005, n°02-13.395).

C’est, autrement dit, à lui seul de dire si la condition tenant à l’exigence de corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve est remplie.

À l’inverse, il incombe aux parties de se prévaloir de l’exception tirée d’un commencement de preuve par écrit. Le juge ne dispose pas du pouvoir de relever ce moyen d’office (Cass. 3e civ. 5 juill. 2011, n°08-12.689). Il est seulement tenu de prendre en compte le commencement de preuve par écrit, à tout le moins de vérifier que ses conditions de recevabilité sont satisfaites.

?Un mode de preuve présentant un caractère extrinsèque

Pour qu’un élément de preuve soit admis à compléter un commencement de preuve par écrit, il ne suffit pas qu’il consiste en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil, il faut encore qu’il présente un caractère extrinsèque.

Cette exigence avait été formulée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016.

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation avait, par exemple, affirmé, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil, que « pour compléter un commencement de preuve par écrit, le juge doit se fonder sur un élément extrinsèque a ce document » (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-10.431).

Bien que l’exigence d’extériorité de l’élément de preuve produit en complément d’un commencement de preuve par écrit ne soit pas exprimée explicitement par les nouveaux textes, les auteurs s’accordent à dire qu’elle s’infère de la formule « autre moyen de preuve » que l’on retrouve à l’article 1361 du Code civil.

L’exigence d’origine jurisprudentielle serait donc maintenue, ce qui conduit dès lors à se poser la question de savoir ce qu’il faut entendre par « un élément de preuve extrinsèque ».

Deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche matérielle
    • Selon cette approche, l’élément de preuve produit en complément du commencement de preuve par écrit doit être matériellement distinct de lui.
    • Autrement dit, il ne saurait être recherché dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit ; l’élément de preuve complémentaire doit lui être totalement extérieur
    • Un même document ne saurait ainsi servir à la fois de commencement de preuve par écrit et d’élément de preuve complémentaire.
  • L’approche intellectuelle
    • Selon cette approche, il n’est pas nécessaire que l’élément invoqué en complément du commencement de preuve par écrit, soit matériellement distinct de lui.
    • Il peut donc parfaitement être contenu dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit, pourvu néanmoins qu’il n’émane pas de l’auteur de cet instrumentum
    • Il pourrait, par exemple, s’agir d’une mention ou d’une signature ajoutée par une personne autre que celle qui a établi le commencement de preuve par écrit produit.

Entre ces deux approches, la Cour de cassation semble avoir opté pour la seconde.

Dans un arrêt du 8 octobre 2014, elle a, en effet, considéré que des signatures apposées par des témoins sur un écrit constatant une reconnaissance de dette pouvaient constituer des éléments extrinsèques à l’acte, alors même qu’elles figuraient sur le même support que le commencement de preuve par écrit qu’elles venaient corroborer (Cass. 1ère civ. 8 oct. 2014, n°13-21.776).

À l’analyse, les éléments de preuve extérieurs au commencement de preuve par écrit peuvent être d’une grande variété.

Ces éléments pourront notamment consister en des témoignages ou des présomptions (Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Il pourra également s’agit d’un aveu-extrajudiciaire qui, pour mémoire, consiste en une déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n° 00-15.834).

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation a encore admis qu’un acte d’exécution puisse constituer un élément de preuve venant compléter un commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-12.425).

De façon générale, tout indice pourra être retenu par le juge pour valoir élément de preuve complétant le commencement de preuve par écrit produit.

Il pourra, par exemple, s’agir d’une clause ou d’une énonciation contenue dans un acte (Cass. com. 5 mai, n°2004, n°02-11.574), peu importe qu’il soit nul (Cass. 1ère civ. 25 janv. 1965).

Il pourra également s’agir de tout indice tiré du comportement d’une partie au cours de l’instance (Cass. 1ère civ. 23 janv. 1996, n°94-12.931) ou encore de la qualité de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit aux débats (Cass. com., 22 juin 1999, n°97-12.839).

II) Les modes de preuve parfaits

En application de l’article 1361 du Code civil, il peut être suppléé à l’écrit :

  • Soit par l’aveu judiciaire
  • Soit par le serment décisoire

Ces deux moyens de preuve appartiennent à la catégorie des modes de preuve parfaits.

Aussi, présentent-ils une double spécificité :

  • En premier lieu, ils sont admis en toutes matières, soit pour faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques peu importe le montant de ces deniers
  • En second lieu, ils s’imposent au juge en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonnera à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

En l’absence d’écrit pour faire la preuve d’un acte juridique, les plaideurs ont ainsi la faculté de recourir à un mode de preuve parfait, étant précisé qu’il n’existe aucune hiérarchie entre ces derniers (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 28 janv. 1981, 79-17.501).

Sous réserve que les conditions d’admission du mode de preuve parfait soient réunies, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve de l’acte juridique litigieux soit rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: l’impossibilité de se procurer un écrit

Si les actes juridiques portant sur montant supérieur à 1500 euros ne peuvent, par principe, être prouvés qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit
  • Soit en cas de stipulation par les parties d’une clause contraire

Nous nous focaliserons ici sur l’impossibilité de se procurer un écrit.

L’article 1360 du Code civil prévoit que l’exigence de production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique reçoit « exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Il ressort de cette disposition qu’il est fait exception à l’exigence de prouver un acte juridique au moyen d’un écrit dans deux cas :

  • Premier cas : l’impossibilité de rédiger un écrit
  • Second cas : l’impossibilité de produire un écrit

I) L’impossibilité de rédiger un écrit

En application de l’article 1360 du Code civil, l’exigence de produire un écrit pour la preuve des actes juridiques est écartée en cas d’impossibilité de rédiger un écrit.

Cette exception à la règle recouvre deux situations :

  • L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit
  • L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

A) L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit

1. Énoncé du principe

La première exception à l’exigence de prouver un acte juridique par écrit, c’est donc l’impossibilité matérielle ou morale dans laquelle se sont trouvées les parties au moment de la conclusion de l’acte juridique de rédiger un écrit.

Parce qu’il leur était impossible, à ce moment, de se préconstituer un écrit il serait particulièrement injuste d’exiger du plaideur qui se prévaut de l’acte juridique litigieux de produire un écrit qui, par hypothèse, n’a pas pu être établi.

Or comme exprimé par l’adage latin ad impossibilia nemo tenetur : à l’impossibile nul n’est tenu.

Pour que le moyen tiré de l’impossibilité d’établir un écrit soit recevable, cette impossibilité doit, dit le texte, être soit matérielle, soit morale.

?L’impossibilité matérielle de se procurer un écrit

Pour que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit soit admise comme exception à l’exigence d’écrit, elle doit résulter de circonstances exceptionnelles qui ont empêché la rédaction d’un écrit au moment de la conclusion de l’acte.

Quelles sont ces circonstances exceptionnelles ? L’ancien article 1348 du Code civil en vigueur en 1804 fournissait quelques illustrations.

Il visait notamment :

  • Les « dépôts nécessaires faits en cas d’incendie, tumulte ou naufrage »
  • Les « obligations contractées en cas d’accidents imprévus »

Ces illustrations, bien que ne figurant plus dans le Code civil, sont toujours d’actualité. À tout le moins, elles donnent une indication sur la nature des circonstances qui autorisent un plaideur à se prévaloir de l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit.

Pour être dispensé de rapporter la preuve de l’acte juridique litigieux par écrit, celui-ci doit démontrer que la conclusion de cet acte est intervenue dans le cadre d’une situation d’urgence, ce qui rendait impossible l’établissement d’un écrit.

Plus généralement, la Cour de cassation admet que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit est caractérisée lorsque les parties se sont heurtées, au moment de la conclusion de l’acte, à un obstacle insurmontable qui les a empêchées de rédiger un écrit.

Dans un arrêt du 13 mai 1964, la Cour de cassation a admis que cet obstacle puisse consister en l’incapacité pour l’une des parties d’écrire (Cass. 1ère civ. 13 mai 1964).

?L’impossibilité morale de se procurer un écrit

L’impossibilité de se procurer un écrit n’est pas seulement retenue lorsqu’elle est matérielle ; il est expressément admis par l’article 1360 du Code civil qu’elle puisse être morale.

Cette admission de l’impossibilité morale au rang des exceptions à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques est d’origine jurisprudentielle.

Elle n’était pas prévue par les rédacteurs du Code civil. Il a fallu attendre l’adoption de la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 pour qu’elle soit consacrée par le législateur.

Cette reconnaissance de l’impossibilité morale de se procurer un écrit a considérablement étendu le domaine de l’exception initiale.

En effet, l’impossibilité morale d’établir un écrit recouvre de nombreuses situations, puisque tenant à un obstacle psychologique.

Elle sera admise lorsque les parties entretiennent des relations particulières entre elles.

Plus précisément, l’impossibilité de rédiger un écrit pourra provenir de l’existence d’un lien familial.

Elle a ainsi été admise lorsque la conclusion d’un acte juridique était intervenue entre parents et enfant (Cass. 1ère civ. 6 déc. 1972, n°71-13.427), entre frères (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-17.128), entre époux (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°15-27.387) ou encore entre concubins (Cass. 3e civ. 7 janv. 1972, n°70-13.528).

Le lien familial entre les deux parties à l’acte devra toutefois être suffisamment étroit et fort pour que l’impossibilité morale de se procurer un écrit soit admise (V. en ce sens Cass. 3e civ. 24 oct. 1972, n°71-12.175). Par ailleurs, il ne devra pas exister de relations d’affaires entretenues entre les parties (Cass. com. 3 avr. 1973, n°71-14.663).

L’existence d’une impossibilité morale de se procurer un écrit pourra également être caractérisée en présence de relations d’affection entre les parties à l’acte (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 janv. 1981, n°79-14.831 ; Cass. 1ère civ. 7 mars 2000, n°98-10.574).

2. Effets du principe

Lorsque l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit est admise, la preuve de l’acte juridique litigieux pourra se faire par tout moyen et notamment au moyen de témoignages ou de présomptions.

Dans un arrêt du 29 janvier 2014, la Cour de cassation a précisé que pour produire ses effets, la règle instituant l’impossibilité de se procurer un écrit comme exception à l’exigence d’écrit n’est pas « subordonnée à l’existence d’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 29 janv. 2014, n°12-27.186).

Aussi, la seule démonstration de l’existence d’une impossibilité matérielle ou morale suffit à écarter l’exigence de preuve littérale, étant précisé que cette impossibilité, en ce qu’elle s’analyse en un fait juridique, se prouve par tout moyen.

La Cour de cassation a en revanche rappelé dans un arrêt du 19 octobre 2016 que lorsque l’impossibilité de se ménager un écrit est caractérisée, cela ne dispense pas le demandeur de rapporter la preuve par tous moyens du prêt allégué (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°16-27.387).

L’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ne saurait ainsi avoir pour effet de renverser la charge de la preuve, laquelle pèse toujours sur le demandeur auquel il incombe « de prouver par tous moyens l’obligation dont il réclame l’exécution ».

B) L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

L’exigence de produire un écrit afin de prouver un acte juridique reçoit également une exception, dit l’article 1360 du Code civil, « s’il est d’usage de ne pas établir un écrit ».

Il s’agit là d’une innovation de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Comme indiqué par le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur a entendu consacrer ici une exception reconnue par la jurisprudence aux côtés des autres causes d’impossibilité de se procurer un écrit.

La Cour de cassation a, en effet, admis de longue date que lorsqu’il est d’usage dans une profession de conclure des actes juridiques verbalement, cette habitude peut s’analyser comme une impossibilité morale de se ménager un écrit (Cass. 1ère civ. 15 janv. 1963).

Tel est le cas pour certaines professions médicales, telles que les médecins par exemple (Cass. req. 27 mars 1907) ou encore pour les avocats, à tout le moins avant que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ne rende obligatoire l’établissement d’une convention d’honoraire.

Toujours est-il que, comme souligné par un auteur, ces pratiques consistant à contracter par voie orale répondent souvent « à un souci de délicatesse qui font regarder l’exigence d’un écrit comme n’étant pas convenable »[13].

Plus généralement, exiger de son cocontractant l’établissement d’un écrit peut être perçu par lui comme la marque d’un manque de confiance. Or dans les relations d’affaires la confiance est primordiale.

Pour cette raison, il paraît juste de ne pas faire application de l’exigence de rédaction d’un écrit en présence d’un usage contraire.

À cet égard, non seulement le législateur a consacré cette exception à la règle, mais encore il lui a conféré une autonomie. Cette autonomie s’explique, selon la doctrine, par le fondement de la nouvelle dérogation à l’exigence de preuve littérale.

Bien que cette dérogation ait été rattachée par la jurisprudence à l’impossibilité morale de se préconstituer un écrit, elle se fonde, en réalité, sur le caractère supplétif de l’ancien article 1341 du Code civil, devenu l’article 1359.

L’existence d’un usage contraire est, en effet, susceptible de dispenser des cocontractants de l’établissement d’un écrit, non pas parce que l’usage représente un empêchement moral pour ces dernières, mais parce qu’il peut être dérogé à l’exigence d’écrit par convention contraire en raison du caractère supplétif de cette règle. Or l’usage peut s’analyser en une telle convention.

II) L’impossibilité de produire un écrit

L’existence d’une impossibilité de rédiger un écrit n’est pas la seule exception à l’exigence d’écrit pour la preuve des actes juridiques. L’article 1360 du Code civil admet qu’il puisse également être dérogé à la règle en cas d’impossibilité de produire un écrit.

Cette dérogation tient, non pas aux circonstances qui ont entouré l’établissement d’un écrit au jour de la conclusion de l’acte, mais aux circonstances qui empêchent la production de l’écrit qui, a bien été établi conformément à l’article 1359 du Code civil, mais qui a été perdu en raison de la survenance d’un cas de force majeure.

Là encore, la règle procède de l’idée que « à l’impossible nul n’est tenu ». Autrement dit, il est difficile d’exiger de plaideurs qu’ils produisent un écrit qui a disparu pour une cause indépendante de leur volonté.

Pour que l’exigence de preuve littérale soit écartée en pareille circonstance, encore faut-il que deux conditions cumulatives soient remplies :

  • Première condition
    • Le demandeur doit prouver qu’un écrit avait bien été rédigé au jour de la conclusion de l’acte juridique litigieux.
    • Plus précisément, il doit être établi qu’un écrit répondant aux conditions de l’article 1364 du Code civil avait bien été préconstitué par les parties conformément à l’exigence énoncée par l’article 1359 du Code civil
    • Compte tenu de ce qu’il s’agira de prouver un fait juridique, la preuve peut être rapportée par tout moyen.
  • Seconde condition
    • Le demandeur doit démontrer que l’impossibilité de produire un écrit résulte d’une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure.
    • Pour mémoire, on attribue classiquement à la force majeure trois attributs :
      • Irrésistible
        • Par irrésistible, il faut entendre l’impossibilité pour les parties à l’acte d’empêcher que la cause étrangère ne survienne
      • Imprévisible
        • L’imprévisibilité suppose que les plaideurs n’ont pas pu prévoir la réalisation de la cause étrangère, soit la disparition de l’écrit.
      • Extérieure
        • On dit de la force majeure qu’elle doit être extérieure, en ce sens que sa survenance doit être indépendante de la volonté des parties à l’acte
    • Pour qu’il puisse être dérogé à l’exigence d’écrit, la force majeure devra être caractérisée dans tous éléments constitutifs, étant précisé qu’il appartient aux juges du fonds de vérifier que ces éléments sont bien réunis (Cass. 1ère civ. 23 juin 1971, n°70-10.937).
    • Aussi, dans l’hypothèse où la perte de l’écrit serait imputable à une simple négligence du demandeur, celui-ci ne sera pas admis à prouver l’acte juridique au moyen d’un autre mode de preuve que l’écrit.
    • Dans un arrêt du 15 mai 1973, la Cour de cassation a ainsi jugé que « la perte de l’original alléguée, en l’absence de toute justification des circonstances qui l’auraient entrainée, ne peut être assimilée à un cas de force majeure » (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).
    • Le plus souvent, la perte de l’écrit sera imputable à un tiers auquel les parties avaient confié la conservation de l’instrumentum.
    • Nombreux sont notamment les arrêts qui traitent de cas où c’est le notaire qui a perdu l’original de l’acte litigieux (V. en ce sens pour la perte de l’original d’un testament Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°01-16.001).
    • Pour que l’exception tenant à l’impossibilité de produire un écrit puisse jouer encore faut-il que la disparition de cet écrit soit irrémédiable.
    • Dans un arrêt du 12 novembre 2009, la Cour de cassation a ainsi refusé d’admettre que l’impossibilité pour un plaideur de produire l’original d’un testament, compte tenu de ce que son avocat ne l’avait pas emporté avec lui lors de son changement de cabinet, constituait un cas de force majeure.
    • L’original n’avait, en effet, pas disparu ; il était seulement conservé dans l’ancien cabinet de l’avocat de la plaignante, de sorte que cette dernière disposait toujours de la faculté de se le procurer et de le produire aux débats (Cass. 1ère civ. 12 nov. 2009, n°08-18.898).
    • Quoi qu’il en soit, régulièrement, la Cour de cassation rappelle que c’est à celui qui se prévaut de la disparition de l’écrit en raison de la survenance d’un cas de force majeur d’en rapporter la preuve (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-19.064).
  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: les dérogations à l’exigence d’écrit

Si les actes juridiques portant sur montant supérieur à 1500 euros ne peuvent, par principe, être prouvés qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit
  • Soit en cas de stipulation par les parties d’une clause contraire

I) L’impossibilité de se procurer un écrit

L’article 1360 du Code civil prévoit que l’exigence de production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique reçoit « exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Il ressort de cette disposition qu’il est fait exception à l’exigence de prouver un acte juridique au moyen d’un écrit dans deux cas :

  • Premier cas : l’impossibilité de rédiger un écrit
  • Second cas : l’impossibilité de produire un écrit

A) L’impossibilité de rédiger un écrit

En application de l’article 1360 du Code civil, l’exigence de produire un écrit pour la preuve des actes juridiques est écartée en cas d’impossibilité de rédiger un écrit.

Cette exception à la règle recouvre deux situations :

  • L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit
  • L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

1. L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit

a. Énoncé du principe

La première exception à l’exigence de prouver un acte juridique par écrit, c’est donc l’impossibilité matérielle ou morale dans laquelle se sont trouvées les parties au moment de la conclusion de l’acte juridique de rédiger un écrit.

Parce qu’il leur était impossible, à ce moment, de se préconstituer un écrit il serait particulièrement injuste d’exiger du plaideur qui se prévaut de l’acte juridique litigieux de produire un écrit qui, par hypothèse, n’a pas pu être établi.

Or comme exprimé par l’adage latin ad impossibilia nemo tenetur : à l’impossibile nul n’est tenu.

Pour que le moyen tiré de l’impossibilité d’établir un écrit soit recevable, cette impossibilité doit, dit le texte, être soit matérielle, soit morale.

?L’impossibilité matérielle de se procurer un écrit

Pour que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit soit admise comme exception à l’exigence d’écrit, elle doit résulter de circonstances exceptionnelles qui ont empêché la rédaction d’un écrit au moment de la conclusion de l’acte.

Quelles sont ces circonstances exceptionnelles ? L’ancien article 1348 du Code civil en vigueur en 1804 fournissait quelques illustrations.

Il visait notamment :

  • Les « dépôts nécessaires faits en cas d’incendie, tumulte ou naufrage »
  • Les « obligations contractées en cas d’accidents imprévus »

Ces illustrations, bien que ne figurant plus dans le Code civil, sont toujours d’actualité. À tout le moins, elles donnent une indication sur la nature des circonstances qui autorisent un plaideur à se prévaloir de l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit.

Pour être dispensé de rapporter la preuve de l’acte juridique litigieux par écrit, celui-ci doit démontrer que la conclusion de cet acte est intervenue dans le cadre d’une situation d’urgence, ce qui rendait impossible l’établissement d’un écrit.

Plus généralement, la Cour de cassation admet que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit est caractérisée lorsque les parties se sont heurtées, au moment de la conclusion de l’acte, à un obstacle insurmontable qui les a empêchées de rédiger un écrit.

Dans un arrêt du 13 mai 1964, la Cour de cassation a admis que cet obstacle puisse consister en l’incapacité pour l’une des parties d’écrire (Cass. 1ère civ. 13 mai 1964).

?L’impossibilité morale de se procurer un écrit

L’impossibilité de se procurer un écrit n’est pas seulement retenue lorsqu’elle est matérielle ; il est expressément admis par l’article 1360 du Code civil qu’elle puisse être morale.

Cette admission de l’impossibilité morale au rang des exceptions à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques est d’origine jurisprudentielle.

Elle n’était pas prévue par les rédacteurs du Code civil. Il a fallu attendre l’adoption de la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 pour qu’elle soit consacrée par le législateur.

Cette reconnaissance de l’impossibilité morale de se procurer un écrit a considérablement étendu le domaine de l’exception initiale.

En effet, l’impossibilité morale d’établir un écrit recouvre de nombreuses situations, puisque tenant à un obstacle psychologique.

Elle sera admise lorsque les parties entretiennent des relations particulières entre elles.

Plus précisément, l’impossibilité de rédiger un écrit pourra provenir de l’existence d’un lien familial.

Elle a ainsi été admise lorsque la conclusion d’un acte juridique était intervenue entre parents et enfant (Cass. 1ère civ. 6 déc. 1972, n°71-13.427), entre frères (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-17.128), entre époux (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°15-27.387) ou encore entre concubins (Cass. 3e civ. 7 janv. 1972, n°70-13.528).

Le lien familial entre les deux parties à l’acte devra toutefois être suffisamment étroit et fort pour que l’impossibilité morale de se procurer un écrit soit admise (V. en ce sens Cass. 3e civ. 24 oct. 1972, n°71-12.175). Par ailleurs, il ne devra pas exister de relations d’affaires entretenues entre les parties (Cass. com. 3 avr. 1973, n°71-14.663).

L’existence d’une impossibilité morale de se procurer un écrit pourra également être caractérisée en présence de relations d’affection entre les parties à l’acte (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 janv. 1981, n°79-14.831 ; Cass. 1ère civ. 7 mars 2000, n°98-10.574).

b. Effets du principe

Lorsque l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit est admise, la preuve de l’acte juridique litigieux pourra se faire par tout moyen et notamment au moyen de témoignages ou de présomptions.

Dans un arrêt du 29 janvier 2014, la Cour de cassation a précisé que pour produire ses effets, la règle instituant l’impossibilité de se procurer un écrit comme exception à l’exigence d’écrit n’est pas « subordonnée à l’existence d’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 29 janv. 2014, n°12-27.186).

Aussi, la seule démonstration de l’existence d’une impossibilité matérielle ou morale suffit à écarter l’exigence de preuve littérale, étant précisé que cette impossibilité, en ce qu’elle s’analyse en un fait juridique, se prouve par tout moyen.

La Cour de cassation a en revanche rappelé dans un arrêt du 19 octobre 2016 que lorsque l’impossibilité de se ménager un écrit est caractérisée, cela ne dispense pas le demandeur de rapporter la preuve par tous moyens du prêt allégué (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°16-27.387).

L’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ne saurait ainsi avoir pour effet de renverser la charge de la preuve, laquelle pèse toujours sur le demandeur auquel il incombe « de prouver par tous moyens l’obligation dont il réclame l’exécution ».

2. L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

L’exigence de produire un écrit afin de prouver un acte juridique reçoit également une exception, dit l’article 1360 du Code civil, « s’il est d’usage de ne pas établir un écrit ».

Il s’agit là d’une innovation de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Comme indiqué par le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur a entendu consacrer ici une exception reconnue par la jurisprudence aux côtés des autres causes d’impossibilité de se procurer un écrit.

La Cour de cassation a, en effet, admis de longue date que lorsqu’il est d’usage dans une profession de conclure des actes juridiques verbalement, cette habitude peut s’analyser comme une impossibilité morale de se ménager un écrit (Cass. 1ère civ. 15 janv. 1963).

Tel est le cas pour certaines professions médicales, telles que les médecins par exemple (Cass. req. 27 mars 1907) ou encore pour les avocats, à tout le moins avant que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ne rende obligatoire l’établissement d’une convention d’honoraire.

Toujours est-il que, comme souligné par un auteur, ces pratiques consistant à contracter par voie orale répondent souvent « à un souci de délicatesse qui font regarder l’exigence d’un écrit comme n’étant pas convenable »[13].

Plus généralement, exiger de son cocontractant l’établissement d’un écrit peut être perçu par lui comme la marque d’un manque de confiance. Or dans les relations d’affaires la confiance est primordiale.

Pour cette raison, il paraît juste de ne pas faire application de l’exigence de rédaction d’un écrit en présence d’un usage contraire.

À cet égard, non seulement le législateur a consacré cette exception à la règle, mais encore il lui a conféré une autonomie. Cette autonomie s’explique, selon la doctrine, par le fondement de la nouvelle dérogation à l’exigence de preuve littérale.

Bien que cette dérogation ait été rattachée par la jurisprudence à l’impossibilité morale de se préconstituer un écrit, elle se fonde, en réalité, sur le caractère supplétif de l’ancien article 1341 du Code civil, devenu l’article 1359.

L’existence d’un usage contraire est, en effet, susceptible de dispenser des cocontractants de l’établissement d’un écrit, non pas parce que l’usage représente un empêchement moral pour ces dernières, mais parce qu’il peut être dérogé à l’exigence d’écrit par convention contraire en raison du caractère supplétif de cette règle. Or l’usage peut s’analyser en une telle convention.

B) L’impossibilité de produire un écrit

L’existence d’une impossibilité de rédiger un écrit n’est pas la seule exception à l’exigence d’écrit pour la preuve des actes juridiques. L’article 1360 du Code civil admet qu’il puisse également être dérogé à la règle en cas d’impossibilité de produire un écrit.

Cette dérogation tient, non pas aux circonstances qui ont entouré l’établissement d’un écrit au jour de la conclusion de l’acte, mais aux circonstances qui empêchent la production de l’écrit qui, a bien été établi conformément à l’article 1359 du Code civil, mais qui a été perdu en raison de la survenance d’un cas de force majeure.

Là encore, la règle procède de l’idée que « à l’impossible nul n’est tenu ». Autrement dit, il est difficile d’exiger de plaideurs qu’ils produisent un écrit qui a disparu pour une cause indépendante de leur volonté.

Pour que l’exigence de preuve littérale soit écartée en pareille circonstance, encore faut-il que deux conditions cumulatives soient remplies :

  • Première condition
    • Le demandeur doit prouver qu’un écrit avait bien été rédigé au jour de la conclusion de l’acte juridique litigieux.
    • Plus précisément, il doit être établi qu’un écrit répondant aux conditions de l’article 1364 du Code civil avait bien été préconstitué par les parties conformément à l’exigence énoncée par l’article 1359 du Code civil
    • Compte tenu de ce qu’il s’agira de prouver un fait juridique, la preuve peut être rapportée par tout moyen.
  • Seconde condition
    • Le demandeur doit démontrer que l’impossibilité de produire un écrit résulte d’une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure.
    • Pour mémoire, on attribue classiquement à la force majeure trois attributs :
      • Irrésistible
        • Par irrésistible, il faut entendre l’impossibilité pour les parties à l’acte d’empêcher que la cause étrangère ne survienne
      • Imprévisible
        • L’imprévisibilité suppose que les plaideurs n’ont pas pu prévoir la réalisation de la cause étrangère, soit la disparition de l’écrit.
      • Extérieure
        • On dit de la force majeure qu’elle doit être extérieure, en ce sens que sa survenance doit être indépendante de la volonté des parties à l’acte
    • Pour qu’il puisse être dérogé à l’exigence d’écrit, la force majeure devra être caractérisée dans tous éléments constitutifs, étant précisé qu’il appartient aux juges du fonds de vérifier que ces éléments sont bien réunis (Cass. 1ère civ. 23 juin 1971, n°70-10.937).
    • Aussi, dans l’hypothèse où la perte de l’écrit serait imputable à une simple négligence du demandeur, celui-ci ne sera pas admis à prouver l’acte juridique au moyen d’un autre mode de preuve que l’écrit.
    • Dans un arrêt du 15 mai 1973, la Cour de cassation a ainsi jugé que « la perte de l’original alléguée, en l’absence de toute justification des circonstances qui l’auraient entrainée, ne peut être assimilée à un cas de force majeure » (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).
    • Le plus souvent, la perte de l’écrit sera imputable à un tiers auquel les parties avaient confié la conservation de l’instrumentum.
    • Nombreux sont notamment les arrêts qui traitent de cas où c’est le notaire qui a perdu l’original de l’acte litigieux (V. en ce sens pour la perte de l’original d’un testament Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°01-16.001).
    • Pour que l’exception tenant à l’impossibilité de produire un écrit puisse jouer encore faut-il que la disparition de cet écrit soit irrémédiable.
    • Dans un arrêt du 12 novembre 2009, la Cour de cassation a ainsi refusé d’admettre que l’impossibilité pour un plaideur de produire l’original d’un testament, compte tenu de ce que son avocat ne l’avait pas emporté avec lui lors de son changement de cabinet, constituait un cas de force majeure.
    • L’original n’avait, en effet, pas disparu ; il était seulement conservé dans l’ancien cabinet de l’avocat de la plaignante, de sorte que cette dernière disposait toujours de la faculté de se le procurer et de le produire aux débats (Cass. 1ère civ. 12 nov. 2009, n°08-18.898).
    • Quoi qu’il en soit, régulièrement, la Cour de cassation rappelle que c’est à celui qui se prévaut de la disparition de l’écrit en raison de la survenance d’un cas de force majeur d’en rapporter la preuve (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-19.064).

II) Les modes de preuves admis à suppléer l’écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

A) Le commencement de preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1347 du Code civil prévoyait que l’exigence de préconstitution d’un écrit pour la preuve des actes juridiques reçoit « exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit ».

Le commencement de preuve par écrit est ainsi passé du statut d’exception à l’exigence de preuve littérale au statut de mode de preuve pouvant suppléer l’écrit.

Ce changement d’approche opéré par le législateur en 2016 n’est pas sans interroger.

Pourquoi, en effet, mettre le commencement de preuve par écrit sur le même plan que l’aveu judiciaire et le serment décisoire alors que, contrairement à ces deux derniers, il n’appartient pas à la catégorie des modes de preuve parfaits ?

Pour mémoire, les modes de preuve parfaits présentent la particularité d’être admis en toutes matières et, surtout, de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

Dans l’affirmative, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait ou de l’acte allégué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

Le commencement de preuve par écrit, quant à lui, ne s’impose pas au juge. Il est de jurisprudence constante que l’autre moyen de preuve devant corroborer le commencement de preuve par écrit est soumis à l’appréciation souveraine du juge.

C’est pour cette raison que le commencement de preuve par écrit ne s’analyse pas en un mode de preuve parfait.

Comme énoncé par l’article 1361 du Code civil cela ne l’empêche pas, pour autant, d’être un mode de preuve reconnu comme l’équivalent d’un écrit lorsqu’il est corroboré par un autre moyen de preuve.

Pour faire la preuve d’un acte juridique, le commencement de preuve par écrit doit donc remplir deux conditions :

  • Répondre à la définition prévue par la loi
  • Être corroboré par un autre moyen de preuve

Ce n’est que lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que l’exigence de preuve littérale pourra être écartée.

1. La notion de commencement de preuve par écrit

Parce que le commencement de preuve par écrit a été instrumenté par la jurisprudence comme un moyen d’atténuer l’exigence – parfois difficilement surmontable – de la production d’un écrit pour la preuve des actes juridiques, elle s’est employée, dès le XIXe siècle à élargir les contours de la notion.

Les juridictions ont notamment admis dans son périmètre, un certain nombre d’éléments de preuve qu’elles ont considérés comme valant commencement de preuve par écrit.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve, la Cour de cassation a consacré cette extension de la notion de commencement de preuve par écrit au-delà de ses frontières originelles.

a. Les éléments constitutifs de la notion de commencement par écrit

L’article 1362 du Code civil définit le commencement de preuve par écrit comme « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il s’agit là d’une reprise sensiblement dans les mêmes termes de la définition qui était énoncée par l’ancien article 1348 du Code civil. Le législateur n’a pas innové sur ce point. Il a préféré ne pas bouleverser l’économie générale de la notion.

Aussi, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

i. Un écrit

Comme suggéré par son appellation, un commencement de preuve par écrit consiste, avant toute chose, en un écrit.

Plus précisément, l’article 1362 du Code civil énonce qu’il peut s’agir de « tout écrit ».

Par cette formulation, il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire que l’écrit versé aux débats soit un acte sous seing privé ou un acte authentique.

Et pour cause, un commencement de preuve par écrit a précisément vocation à être produit pour le cas où le demandeur n’est pas en mesure de fournir un écrit au sens des articles 1364 et suivants du Code civil.

Exiger qu’un commencement de preuve par écrit présente les mêmes attributs que la preuve littérale, reviendrait à vider le dispositif institué par le législateur de tout son intérêt.

C’est ce qui a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 janvier 1971 aux termes duquel elle a reproché aux juges du fond d’avoir ajouté une condition à la loi en exigeant que l’écrit produit par l’un des plaideurs soit signé – et donc remplisse les conditions d’un acte sous seing privé – pour valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1971, n°69-13.273).

Aussi, est-il admis de voir dans toute forme de document écrit un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il ne s’agisse, ni d’un acte sous seing privé, ni d’un acte authentique.

Classiquement, on recense trois catégories d’écrits susceptibles de répondre à la qualification de commencement de preuve par écrit :

?: Les écrits irréguliers

Le plus souvent, la reconnaissance du statut de commencement de preuve par écrit à un document résultera de la requalification d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique frappé d’une irrégularité.

Tel serait le cas d’un acte sous seing privé qui ne comporterait pas l’une des mentions énoncées par l’ancien article 1326 du Code civil, devenu l’article 1376.

Dans un arrêt du 21 mars 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’absence d’indication du montant de l’engagement unilatéral souscrit en chiffres affectait l’acte de telle sorte qu’il « ne pouvait constituer qu’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 2006, n°04-18.673).

Dans un arrêt du 15 octobre 1991, elle a encore décidé que « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

L’oubli de la mention indiquant le nombre d’originaux établis par les parties est également de nature à faire requalifier l’acte en commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013, n°11-24.453).

Il en va de même dans l’hypothèse où l’acte n’a pas été rédigé en autant d’originaux qu’il y a de parties, comme exigé par l’article 1375 du Code civil (Cass. com., 5 nov. 1962).

La Cour de cassation a encore estimé que pouvait valoir commencement de preuve par écrit un procès-verbal constatant un accord ne comportant pas la signature des parties (Cass. com. 20 janv. 1965, n°62-11.990).

La Cour de cassation a retenu la même solution pour un acte authentique qui, à encore, n’avait pas été signé par les parties (Cass. 1ère civ. 28 oct. 2003, n°01-02.654).

La première chambre civile a également admis qu’une reconnaissance de dette dont la signature avait été raturée pouvait valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 16 juin 1993, n°91-20.105).

On peut encore citer les lettres missives auxquelles il a toujours été reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit pourvu qu’elles rendent vraisemblable l’existence de l’acte juridique litigieux (Cass. 1ère civ. 20 avr. 1983, n°82-150).

Dans un arrêt récent rendu le 24 janvier 2018, la Chambre commerciale a ainsi admis qu’une lettre aux termes de laquelle la banque reconnaissait avoir retrouvé le double du bordereau d’une remise de fonds, valait commencement de preuve par écrit du dépôt de la somme d’argent réalisé par un client (Cass. com. 24 janv. 2018, n°16-19.866).

?: Les écrits réguliers ne permettant pas d’identifier avec certitude l’acte litigieux

Autre typologie d’écrit susceptibles de valoir commencement de preuve par écrit, ceux qui ne sont frappés d’aucune irrégularité, mais qui ne permettent pas d’identifier avec suffisamment de certitude l’acte juridique auquel ils se rapportent.

Il en va ainsi d’un chèque rejeté pour absence de provision (Cass. com. 5 févr. 1991, n°89-16.333).

Il pourra également s’agir d’ordres de virement mentionnant le motif de l’opération (Cass. 1ère civ. 25 juin 2008, n°07-12.545).

?: Les copies d’actes sous signature privée

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la jurisprudence admettait qu’une copie puisse valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-14.370).

Elle subordonnait toutefois la reconnaissance de cette valeur probatoire à l’absence de contestation de la copie produite aux débats.

La Cour de cassation a, par exemple, statué en ce sens un arrêt du 14 février 1995 s’agissant de la photocopie d’une reconnaissance de dette signée par le débiteur « qui ne contestait ni l’existence de l’acte ni la conformité de la photocopie à l’original, selon lui détruit » (Cass.1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Elle a retenu la même solution pour des copies certifiées conformes dans un arrêt du 13 décembre 2005 aux termes duquel elle a jugé que « les copies d’actes sous seing privé même certifiées conformes qui n’ont par elles-mêmes aucune valeur juridique dès lors que l’existence de l’original est déniée, ne peuvent valoir comme commencement de preuve » (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-14.229).

La Haute juridiction considérait ainsi que, lorsque la copie produite aux débats était contestée par le défendeur, elle devait être purement et simplement écartée des débats (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).

Cette position se fondait sur l’ancien article 1334 du Code civil qui prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »

Si cette disposition admettait qu’une copie puisse être produite en justice aux fins de prouver un acte juridique, la partie adverse pouvait néanmoins toujours exiger la production de l’original.

Il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence que la force probante d’une copie était subordonnée à l’existence de l’écrit original.

Lorsque cette condition était remplie la copie pouvait alors faire foi au même titre que l’original (Cass. req. 16 févr. 1926). La copie était ainsi dépourvue de toute valeur juridique autonome.

S’agissant des photocopies, compte tenu de ce qu’elles ne sont pas revêtues de la signature originale des parties, elles ne pouvaient valoir que commencement de preuve par écrit.

Reste que pour se voir reconnu cette valeur probatoire, aucune contestation ne devait être élevée par le défendeur.

En réaction à cette jurisprudence qui subordonnait la reconnaissance d’une valeur probatoire aux copies à l’absence de contestation, ce, alors même que les techniques de reproduction étaient de plus en plus fiables, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne.

C’est ce qu’il a fait en adoptant la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 laquelle a introduit un article 1348, al. 2e dans le Code civil qui a renforcé la valeur juridique des copies en leur conférant une force probante autonome.

Ce texte prévoyait, en effet, que « lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable », cette copie était admise pour faire la preuve d’un acte juridique par exception à l’exigence de la preuve par écrit.

Aussi, désormais une copie pouvait-elle faire foi nonobstant la disparition de l’original dont sa persistance n’était donc plus une exigence absolue.

Pour que la copie puisse toutefois être pourvue d’une force probante autonome, soit pour le cas où l’original n’existerait plus ou ne pouvait pas être produit, encore fallait-il que soient démontrées la fidélité de la reproduction et la durabilité du support utilisé.

À cet égard, le texte précisait que « est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »

Bien que cette précision renseignât sur ce qu’il fallait entendre par une copie « durable », cela était loin d’être suffisant pour déterminer quelles étaient les copies qui répondaient aux conditions de reproduction énoncée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Rapidement la question s’est alors posée en jurisprudence de savoir si les photocopies remplissaient la condition de fiabilité exigée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 25 juin 1996, elle a jugé que cette technique pouvait être admise au rang des procédés permettant l’obtention d’une « reproduction fidèle et durable ».

Elle en déduisit que la photocopie qui était produite aux débats « ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, mais faisait pleinement la preuve de l’existence » de l’acte juridique dont l’existence était contestée au cas particulier (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, n°94-11.745).

Dans cette décision, la haute juridiction reconnaissait ainsi à la photocopie la valeur d’une preuve complète, puisque n’exigeant pas qu’elle soit corroborée, comme c’est le cas pour un commencement de preuve par écrit, par des éléments probatoires extrinsèques, tels que des témoignages ou des présomptions.

Bien qu’il puisse être porté au crédit de la loi du 12 juillet 1980 d’avoir été le premier texte à reconnaître à la copie d’un écrit une valeur probatoire indépendante de l’original, le dispositif, tel que prévu par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil, souffrait de deux carences principales.

  • Première carence
    • La règle renforçant la force probante de la copie était logée dans un article relevant de la preuve testimoniale. Or le régime des copies intéresse la preuve littérale.
    • Ce problème de méthode quant à la localisation de la règle dans le corpus textuel du droit de la preuve était de nature à flouer la portée qu’il y avait lieu de donner au dispositif mis en place.
  • Seconde carence
    • L’autonomie probatoire conférée à la copie résultait non pas d’une exception à l’absence de principe de force probante des copies, mais d’une exception à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques, ce qui, de l’avis des auteurs, n’était pas très cohérent

Pour ces deux raisons, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne à nouveau afin de clarifier le régime juridique des copies.

?Droit positif

Le législateur s’est attelé à la tâche de réformer le régime juridique des copies à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur justifie cette réforme en avançant que :

  • D’une part, sous l’empire de l’ancienne loi du 12 juillet 1980, le Code civil ne disposait d’aucun régime unifié et cohérent de la copie
  • D’autre part, que l’évolution des technologies implique une conception plus large de l’écrit qui ne se matérialise plus nécessairement sur papier, et consécutivement une multiplication des techniques de reproduction, raison pour laquelle le régime juridique de la copie doit être revu

C’est sur la base de ces deux constats que le législateur a donc façonné un nouveau régime de la copie qui a désormais pour siège le nouvel article 1379 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original. »

Il s’évince de cette disposition un principe général d’équivalence entre la copie dite fiable et l’original.

Surtout, et c’est là une rupture avec l’ancien article 1334 du Code civil, cette équivalence opère peu important que l’original subsiste ou pas, et peu important l’origine.

Autrement dit, il est indifférent que l’original ait disparu ou que son détenteur soit dans l’incapacité de le produire ; la copie possède la même valeur probatoire que l’original pourvu qu’elle soit fiable.

À l’analyse, en énonçant un principe général d’équivalence entre les deux types d’écrits, le législateur confirme l’autonomie probatoire qu’il avait entendu conférer à la copie à l’occasion de l’adoption de la loi du 12 juillet 1980.

Aussi, désormais, la force probante d’une copie tient, non plus à la persistance de l’original mais à sa fiabilité :

  • La force probante de la copie fiable
    • En application de l’article 1379, al. 1er du Code civil, elle possède la même valeur que l’original.
    • Cela signifie que :
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte authentique, la copie « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte sous seing privé, la copie fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire.
  • La force probante de la copie non fiable
    • L’article 1379 du Code civil est silencieux sur la force probante de la copie dont la fiabilité ne serait pas reconnue.
    • Est-ce à dire qu’elle ne serait pourvue d’aucune valeur probatoire ?
    • Pour le déterminer il convient de se reporter au troisième alinéa de l’article 1379 qui fournit un indice.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
    • Il convient tout d’abord d’observer que cette exigence est a priori inapplicable à la copie fiable.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 indique en ce sens que « si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie. »
    • Il faut comprendre ici, s’agissant de la copie fiable, que la disparition de l’original est sans incidence sur sa force probante.
    • En revanche, pour les copies qui ne répondent pas à l’exigence de fiabilité, l’article 1379, al. 3e suggère que leur force probante est subordonnée à la subsistance de l’original.
    • On retrouve là, manifestement, la règle énoncée par l’ancien article 1334 du Code civil qui, pour mémoire, prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
    • Cette règle n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour le cas où la copie produite aux débats est contestée par la partie adverse.
    • Dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune discussion, il devrait être admis qu’elle puisse faire foi conformément à ce qui avait été décidé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).

ii. Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente

Un écrit ne peut donc être qualifié de commencement de preuve par écrit qu’à la condition qu’il émane de la personne à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 11 avril 1995, la Cour de cassation a rappelé cette exigence en énonçant, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil devenu l’article 1362, que « pour valoir commencement de preuve, l’écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s’en prévaut » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.246 ; V. également dans le même sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2012, n°11-25.900).

Cette règle n’est autre qu’une déclinaison du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » désormais énoncé à l’article 1363 du Code civil.

Aussi, dans l’hypothèse où l’écrit produit émanerait de celui-là même qui l’a établi ne saurait se voir reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 10 juill. 2002, n°99-15.430).

Par extension, l’article 1362 du Code civil admet que le commencement de preuve par écrit puisse émaner du représentant de la partie contre laquelle il est produit.

Dans un arrêt du 28 juin 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « le commencement de preuve par écrit peut émaner du mandataire de celui à qui on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 28 juin 1989, n°86-19.012).

La solution est logique en ce que la représentation d’une personne consiste en l’accomplissement d’actes au nom et pour le compte de cette personne, de telle sorte que les actes sont réputés avoir été passés par cette dernière.

Aussi, est-il logique d’admettre que l’écrit émanant du représentant soit pourvu de la même valeur que celui établi par le représenté lui-même.

En revanche, le commencement de preuve par écrit ne saurait émaner d’un tiers.

Dans un arrêt du 25 novembre 2023 la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit à des documents qui avaient été établis par des tiers et non par des personnes auxquelles ils étaient opposés (Cass. 1ère civ., 25 nov. 2003, n° 00-22.577).

Par exception, il est admis qu’un écrit émanant d’un tiers puisse valoir commencement de preuve par écrit lorsqu’il a été approuvé par la partie à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 20 janvier 2004, la Cour de cassation a reconnu la qualification de commencement de preuve par écrit à une demande de permis de construire qui n’émanait pas du défendeur, au cas particulier un architecte auquel les demandeurs réclamaient la restitution d’acomptes et d’honoraires versés.

Ce document comportait toutefois le nom et la signature de l’architecte, ce qui suffisait, pour la Troisième chambre civile, à lui conférer la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 20 janv. 2004, n°02-12.674).

La Cour de cassation est allée encore plus loin en admettant, dans des arrêts anciens, qu’un écrit puisse valoir commencement de preuve par écrit, alors même que la partie à laquelle il était opposé n’avait pas participé matériellement à son établissement.

Elle en était, en revanche, l’auteur intellectuel, le tiers n’ayant fait que reporter sur le document litigieux les énonciations qui lui étaient dictées.

Pour le démontrer, il conviendra de prouver que l’écrit ne fait qu’exprimer la volonté de la personne intéressée, ce qui suggère qu’il a été approuvé tacitement par cette dernière (Cass. 3e civ.29 févr. 1972, n°70-13.069).

Cette implication intellectuelle dans la rédaction de l’écrit pourra également se déduire lorsque l’auteur matériel de l’acte indique l’origine des déclarations et justifie d’une qualité qui ne permet pas de mettre en cause son impartialité (Cass. req. 29 avr. 1922 : affaire portant sur un acte d’état civil).

iii. Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

En application de l’article 1362 du Code civil, l’élément de preuve produit aux débats ne pourra endosser la qualification de commencement de preuve par écrit que s’il « rend vraisemblable ce qui est allégué ».

Que faut-il entendre par cette formule ? Des auteurs suggèrent qu’il faut comprendre que « le commencement de preuve par écrit doit être pertinent, approprié au fond de l’affaire, et créer un préjugé en faveur de celui qui l’invoque »[14].

Autrement dit, l’élément de preuve produit doit être suffisamment convaincant et sérieux pour rendre possible et envisageable le fait allégué. La vraisemblance ne saurait résulter d’une simple possibilité ou d’une hypothèse. En somme, il ne doit pas y avoir d’équivoque pour qu’il y ait vraisemblance.

À cet égard, la condition tenant à la vraisemblance du fait allégué est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1970, n°69-10.414 ; Cass. 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-18.787).

Il peut être observé que cette question de l’appréciation de la vraisemblance a fait l’objet d’un contentieux nourri s’agissant des chèques bancaires.

La question s’est notamment posée de savoir si un chèque pouvait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt d’argent pour le montant mentionné sur le chèque.

Dans un premier temps, la Cour de cassation l’a admis pour le cas où le chèque avait été endossé par le débiteur.

Dans un arrêt du 10 mai 1995, elle a jugé en ce sens que « si le chèque ne peut, en tant que tel, valoir commencement de preuve par écrit contre le bénéficiaire, il en est différemment du chèque endossé par celui-ci » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1995, n°93-13.133).

Dans un second temps, elle a retenu la solution inverse, considérant que « l’endossement de chèques démontre seulement la réalité de la remise de fonds » (Cass. 1ère civ. 3 juin 1998, n°96-14.232).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, si un chèque permet bien d’établir la remise de fonds lorsqu’il a été endossé, cette remise ne permet pas d’établir sa cause, à tout le moins avec vraisemblable.

Une remise de fonds peut procéder, tout autant d’une donation que de l’existence d’une créance. C’est la raison pour laquelle un chèque, même endossé, ne saurait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt.

b. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit

Animée par une volonté de faciliter la preuve des actes juridiques, la Cour de cassation a progressivement adopté une approche extensive de la notion de commencement de preuve par écrit, à telle enseigne qu’elle a admis que puissent valoir commencement de preuve par écrit des éléments de preuve qui dérogent :

  • Soit à la condition tenant l’exigence d’un écrit
  • Soit à la condition tenant à l’origine de l’écrit

i. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’exigence d’un écrit

Comme vu précédemment, pour valoir commencement de preuve par écrit, l’élément de preuve produit doit, en principe, consister en un écrit.

L’article 1362 al. 2 du Code civil déroge toutefois à cette exigence en énonçant que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Il s’agit là d’une reprise de l’alinéa 3e de l’ancien article 1347 du Code civil, lequel était issu de la loi n°75-596 du 9 juillet 1975.

Cette loi était venue consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que des déclarations orales puissent valoir commencement de preuve par écrit (Cass. req., 29 avr. 1922).

Toutefois, toutes les déclarations orales ne constituent pas nécessairement des commencements de preuve par écrit.

Le texte précise en effet que sont seules éligibles à cette qualification :

  • les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle
  • Le refus d’une partie de répondre aux questions du juge
  • L’absence de comparution d’une partie

Dans un arrêt du 19 novembre 2002 la Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit à une sommation interpellative qui était pourtant consignée dans un constat d’huissier de justice (Cass. 1ère civ. 19 nov. 2002, n°01-10.169).

À l’analyse, l’article 1362, al. 2e du Code civil n’apporte rien de nouveau au droit positif dans la mesure où il ne fait qu’énoncer une règle qui existe déjà dans le Code de procédure civile et qui a été introduite dans ce code à l’article 198 par une loi du 23 mai 1942.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le juge peut tirer toute conséquence de droit des déclarations des parties, de l’absence ou du refus de répondre de l’une d’elles et en faire état comme équivalent à un commencement de preuve par écrit. »

En tout état de cause, c’est au juge, dit le texte, d’apprécier souverainement s’il y a lieu de considérer comme équivalent à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.

ii. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’origine de l’écrit

Si, en principe, pour valoir commencement de preuve par écrit l’élément de preuve produit doit émaner de la partie à laquelle on l’oppose, l’article 1362, al. 3e du Code civil assortit la règle d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « la mention d’un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public vaut commencement de preuve par écrit. »

La règle déroge ici aux conditions du commencement de preuve par écrit en ce que le registre susceptible d’être produit comme élément de preuve émane d’un tiers (l’autorité publique qui tient le registre) et non de la partie à laquelle il est opposé.

À la différence de la précédente dérogation, cette règle ne figurait pas dans l’ancien article 1347 du Code civil. Il s’agit là d’une création de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Si l’on se réfère au rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, cette création vise à alléger « les conditions dans lesquelles la transcription d’un acte sur les registres publics peut servir de commencement de preuve par écrit. »

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1336 du Code civil prévoyait, pour mémoire, que pour que la transcription d’un acte sur les registres publics puisse servir de commencement de preuve par écrit, il fallait que deux conditions cumulatives soient réunies :

  • Qu’il soit constant que toutes les minutes du notaire, de l’année dans laquelle l’acte paraît avoir été fait, soient perdues, ou que l’on prouve que la perte de la minute de cet acte a été faite par un accident particulier ;
  • Qu’il existe un répertoire en règle du notaire, qui constate que l’acte a été fait à la même date.

Aujourd’hui, ces deux conditions n’ont plus cours. Il suffit que le registre produit soit public pour que les mentions qui y figurent vaillent commencement de preuve par écrit.

2. La corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve

Pour qu’un commencement de preuve par écrit soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Ainsi, un commencement de preuve par écrit ne suffit pas à lui seul à faire la preuve d’un acte juridique. C’est là ce qui le distingue fondamentalement des autres modes de preuve parfaits qui, quant à eux, ne requiert l’addition d’aucun autre moyen de preuve pour que le fait allégué soit réputé établi.

En somme, comme souligné par un auteur « le commencement de preuve par écrit ne prouve pas le fait contesté. Il rend seulement admissible d’autres modes de preuve dans un domaine où, à son défaut, ils auraient été irrecevables »[15].

La Cour de cassation rappelle régulièrement cette impuissance du commencement de preuve par écrit à faire la preuve d’un acte juridique lorsqu’il n’est pas corroboré par un autre moyen de preuve (V. par exemple Cass. com. 31 mai 1994, n°92-10.795 ; Cass. 1ère civ. 28 févr. 1995, n°92-19.097).

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quels sont les « autres moyens de preuve » admis à compléter un commencement de preuve par écrit.

À l’analyse, le moyen de preuve complémentaire produit doit répondre à deux exigences :

  • Consister en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil
  • Présenter un caractère extrinsèque

?Un mode de preuve reconnu par le Code civil

L’article 1361 du Code civil exige donc que le commencement de preuve par écrit soit complété par un « autre moyen de preuve ».

Par « autre moyen de preuve », il faut comprendre ceux énoncés sous le chapitre consacré aux « différents modes de preuve ».

Pour mémoire, sont reconnus par le Code civil comme mode de preuve pouvant être produit en justice :

  • L’écrit (art. 1363 à 1380 C. civ.)
  • Le témoignage (art. 1382 C. civ.)
  • Les présomptions judiciaires (art. 1381 C. civ.)
  • L’aveu (art. 1383 à 1383-2 C. civ.)
  • Le serment (art. 1384 à 1386-1 C. civ.)

Parmi ces modes de preuves, il y a lieu d’ores et déjà d’exclure ceux qui sont parfaits, compte tenu de ce qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils rendent dès lors inutile le recours au mécanisme du commencement de preuve par écrit pour le plaideur qui serait en mesure de se prévaloir de l’un d’eux, au nombre desquels figurent, pour rappel, l’écrit, l’aveu judiciaire et le serment décisoire.

Il s’en déduit que les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit.

Dès lors que l’un de ces moyens de preuve est produit par le plaideur dans ce cadre, le juge ne saurait subordonner la preuve de l’acte juridique litigieux à la satisfaction d’une autre condition (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a, par ailleurs, rappelé que c’est aux juges du fond qu’il revient d’apprécier « souverainement les éléments invoqués par une partie pour compléter un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 4 oct. 2005, n°02-13.395).

C’est, autrement dit, à lui seul de dire si la condition tenant à l’exigence de corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve est remplie.

À l’inverse, il incombe aux parties de se prévaloir de l’exception tirée d’un commencement de preuve par écrit. Le juge ne dispose pas du pouvoir de relever ce moyen d’office (Cass. 3e civ. 5 juill. 2011, n°08-12.689). Il est seulement tenu de prendre en compte le commencement de preuve par écrit, à tout le moins de vérifier que ses conditions de recevabilité sont satisfaites.

?Un mode de preuve présentant un caractère extrinsèque

Pour qu’un élément de preuve soit admis à compléter un commencement de preuve par écrit, il ne suffit pas qu’il consiste en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil, il faut encore qu’il présente un caractère extrinsèque.

Cette exigence avait été formulée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016.

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation avait, par exemple, affirmé, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil, que « pour compléter un commencement de preuve par écrit, le juge doit se fonder sur un élément extrinsèque a ce document » (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-10.431).

Bien que l’exigence d’extériorité de l’élément de preuve produit en complément d’un commencement de preuve par écrit ne soit pas exprimée explicitement par les nouveaux textes, les auteurs s’accordent à dire qu’elle s’infère de la formule « autre moyen de preuve » que l’on retrouve à l’article 1361 du Code civil.

L’exigence d’origine jurisprudentielle serait donc maintenue, ce qui conduit dès lors à se poser la question de savoir ce qu’il faut entendre par « un élément de preuve extrinsèque ».

Deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche matérielle
    • Selon cette approche, l’élément de preuve produit en complément du commencement de preuve par écrit doit être matériellement distinct de lui.
    • Autrement dit, il ne saurait être recherché dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit ; l’élément de preuve complémentaire doit lui être totalement extérieur
    • Un même document ne saurait ainsi servir à la fois de commencement de preuve par écrit et d’élément de preuve complémentaire.
  • L’approche intellectuelle
    • Selon cette approche, il n’est pas nécessaire que l’élément invoqué en complément du commencement de preuve par écrit, soit matériellement distinct de lui.
    • Il peut donc parfaitement être contenu dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit, pourvu néanmoins qu’il n’émane pas de l’auteur de cet instrumentum
    • Il pourrait, par exemple, s’agir d’une mention ou d’une signature ajoutée par une personne autre que celle qui a établi le commencement de preuve par écrit produit.

Entre ces deux approches, la Cour de cassation semble avoir opté pour la seconde.

Dans un arrêt du 8 octobre 2014, elle a, en effet, considéré que des signatures apposées par des témoins sur un écrit constatant une reconnaissance de dette pouvaient constituer des éléments extrinsèques à l’acte, alors même qu’elles figuraient sur le même support que le commencement de preuve par écrit qu’elles venaient corroborer (Cass. 1ère civ. 8 oct. 2014, n°13-21.776).

À l’analyse, les éléments de preuve extérieurs au commencement de preuve par écrit peuvent être d’une grande variété.

Ces éléments pourront notamment consister en des témoignages ou des présomptions (Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Il pourra également s’agit d’un aveu-extrajudiciaire qui, pour mémoire, consiste en une déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n° 00-15.834).

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation a encore admis qu’un acte d’exécution puisse constituer un élément de preuve venant compléter un commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-12.425).

De façon générale, tout indice pourra être retenu par le juge pour valoir élément de preuve complétant le commencement de preuve par écrit produit.

Il pourra, par exemple, s’agir d’une clause ou d’une énonciation contenue dans un acte (Cass. com. 5 mai, n°2004, n°02-11.574), peu importe qu’il soit nul (Cass. 1ère civ. 25 janv. 1965).

Il pourra également s’agir de tout indice tiré du comportement d’une partie au cours de l’instance (Cass. 1ère civ. 23 janv. 1996, n°94-12.931) ou encore de la qualité de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit aux débats (Cass. com., 22 juin 1999, n°97-12.839).

B) Les modes de preuve parfaits

En application de l’article 1361 du Code civil, il peut être suppléé à l’écrit :

  • Soit par l’aveu judiciaire
  • Soit par le serment décisoire

Ces deux moyens de preuve appartiennent à la catégorie des modes de preuve parfaits.

Aussi, présentent-ils une double spécificité :

  • En premier lieu, ils sont admis en toutes matières, soit pour faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques peu importe le montant de ces deniers
  • En second lieu, ils s’imposent au juge en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonnera à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

En l’absence d’écrit pour faire la preuve d’un acte juridique, les plaideurs ont ainsi la faculté de recourir à un mode de preuve parfait, étant précisé qu’il n’existe aucune hiérarchie entre ces derniers (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 28 janv. 1981, 79-17.501).

Sous réserve que les conditions d’admission du mode de preuve parfait soit réunies, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve de l’acte juridique litigieux soit rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

III) L’aménagement conventionnel de l’exigence d’écrit

Les articles 1358 et 1359 du Code civil énoncent des règles qui ne sont pas d’ordre public, de sorte que les parties peuvent y déroger par convention contraire.

Bien que l’on se soit, un temps, posé la question de la licéité des conventions sur la preuve, elles ont finalement été admises par la jurisprudence.

Dans deux arrêts particulièrement remarqués rendus le 8 novembre 1989, la Cour de cassation a jugé très explicitement que « pour les droits dont les parties ont la libre disposition, [les] conventions relatives à la preuve sont licites » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1989, n°86-16.196 et 86-16.197).

Prenant acte de cette position bien établie en jurisprudence, le législateur l’a consacrée à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1356, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition ».

Il ressort de cette disposition que les parties sont libres d’aménager, par voie contractuelle, les règles de preuve.

À cet égard, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la licéité des conventions visant à déterminer contractuellement quels seront les modes de preuves admis pour faire la preuve d’un droit ou d’une obligation.

Pour la Haute juridiction, les parties sont libres, tant d’étendre les modes de preuve admissibles (Cass. req. 6 janv. 1936) ; que de les restreindre (Cass. 1ère civ. 10 janv. 1995, n°92-18.013).

Il s’en déduit que les parties peuvent parfaitement prévoir contractuellement que la preuve de l’acte juridique conclu entre elles pourra se faire par tous moyens.

La liberté conférée aux parties d’aménager les règles de preuve n’est toutefois pas sans limites ; elle se heurte, en particulier, aux dispositions d’ordre public que l’on retrouve notamment en droit de la consommation.

Dans ce domaine, il est notamment interdit au professionnel de restreindre les modes de preuve admis à prouver l’acte juridique conclu avec un consommateur.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

La preuve outre ou contre un écrit: régime

I) Principe

L’article 1359, al. 2 du Code civil prévoit que « il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n’excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique. »

Il ressort de cette disposition que dès lors qu’un acte juridique est prouvé au moyen d’un écrit, les énonciations figurant dans ce dernier – pris en tant qu’instrumentum – ne pourront être contredites ou complétées que par la production d’un autre écrit.

Plus précisément, cette exigence joue, dit le texte, lorsqu’il s’agit de prouver « outre ou contre un écrit établissant un acte juridique ».

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « prouver outre ou contre un écrit ».

  • La preuve outre un écrit
    • Il s’agit de la preuve qui vise à établir que toutes les stipulations de l’acte juridique litigieux ne se retrouvent pas dans l’écrit produit.
    • Prouver outre un écrit consiste ainsi à en compléter les vides et à établir ce qu’il ne dit pas
    • En application de l’article 1359, al. 2e du Code civil, seule la production d’un autre écrit qui constaterait les stipulations manquantes sera alors admise.
  • La preuve contre un écrit
    • Il s’agit de la preuve qui vise à contredire une ou plusieurs énonciations figurant dans l’écrit produit :
      • Soit parce qu’elles ne seraient pas conformes aux termes de l’acte juridique conclu entre les parties
      • Soit parce qu’elles ne rendraient pas compte de la véritable nature de l’acte, tel qu’il résulterait de l’accord conclu entre les parties
    • Autrement dit, prouver contre un écrit c’est établir que les énonciations figurant dans l’instrumentum versé aux débats ne reflèteraient pas la réalité de l’accord passé entre les parties.

Qu’il s’agisse de prouver contre ou outre un écrit, dans les deux cas, l’article 1359, al. 2e du Code civil exige que la preuve soit rapportée par écrit.

À cet égard, la Cour de cassation est régulièrement conduite à faire application de cette règle.

Dans un arrêt du 27 novembre 1967, elle a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis que la preuve puisse être rapportée par tous moyens s’agissant d’établir la stipulation d’une clause qui ne figurait pas dans l’écrit versé aux débats (Cass. 1ère civ. 27 nov. 1967).

Dans un arrêt du 17 février 2010, la Première chambre civile a encore rappelé qu’un acte authentique qui avait conféré à opération l’apparence d’une donation, alors qu’il s’agissait en réalité d’une vente, ne pouvait être contredit au qu’au moyen de la production autre écrit (Cass. 1ère civ. 17 févr. 2010, n°09-11.455).

On peut enfin évoquer un arrêt du 4 novembre 2011 qui reproche à une Cour d’appel d’avoir admis comme preuve du remboursement d’un prêt consenti par un établissement de crédit une quittance adressée à l’emprunteur à la suite d’une erreur matérielle consécutive à une défaillance de son système informatique, « alors que si celui qui a donné quittance peut établir que celle-ci n’a pas la valeur libératoire qu’implique son libellé, cette preuve ne peut être rapportée que dans les conditions prévues par les articles 1341 et suivants du Code civil » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 2011, n°10-27.035).

II) Mise en œuvre

La règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil n’est pas sans soulever un certain nombre de difficultés de mise en œuvre.

?L’indifférence du montant de l’acte litigieux

Dans la mesure où la preuve par écrit n’est exigée que pour les seuls actes juridiques portant sur un montant supérieur à 1500 euros, on pourrait être légitimement en droit de se demander si, par parallélisme des formes, il n’y aurait pas lieu d’appliquer ce seuil s’agissant de prouver contre ou outre un écrit.

À l’analyse, l’article 1359, al. 2e du Code civil l’exclut expressément. Le texte dit, en effet, qu’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, « même si la somme ou la valeur n’excède pas [le seuil réglementaire] ».

Aussi, peu importe le montant de l’acte litigieux, dès lors que celui-ci a été prouvé par écrit, il ne pourra être contesté qu’au moyen d’un autre écrit.

Au fond, cette règle ne fait que rappeler le principe de supériorité de l’écrit sur les autres modes de preuve (exceptions faites du serment décisoire ou de l’aveu judiciaire qui sont des modes de preuve parfaits et qui, à ce titre, sont toujours admis à pallier l’absence d’écrit).

Bien que l’écrit ne soit pas exigé pour établir un acte juridique portant sur un montant inférieur à 1500 euros, rien n’interdit les plaideurs de produire aux débats une preuve littérale.

Compte tenu de ce que l’écrit est pourvu d’une force probante supérieure aux témoignages et précomptions, il est parfaitement cohérent de considérer que pour combattre un écrit, seul un autre écrit peut être admis.

C’est là le sens l’article 1359, al. 2e du Code civil lorsqu’il précise qu’il est indifférent que la somme ou la valeur de l’acte juridique litigieux « n’excède pas » le seuil réglementaire.

?Exclusion de l’interprétation

Si la preuve outre ou contre un écrit requiert la production d’un autre écrit, tel n’est pas le cas de l’interprétation d’un acte juridique.

Si les deux opérations sont susceptibles de se ressembler, elles ne se ressemblent pas.

En effet, l’interprétation est l’opération qui consiste à conférer une signification aux stipulations d’un acte juridique. Aussi n’a-t-elle vocation à intervenir qu’en présence d’un écrit dont les énonciations seraient obscures et ambiguës.

Prouver outre ou contre un écrit est une opération quelque peu différente.

Il ne s’agit pas de donner un sens à une énonciation qui présenterait un caractère sibyllin. Au contraire, parce que l’énonciation contestée est parfaitement claire, le plaideur chercher à lui ajouter ou à lui retrancher quelque chose dans la mesure où la règle qu’elle exprime n’est pas conforme aux termes de l’accord conclu entre les parties.

Faisait une distinction entre les deux opérations, dans un arrêt du 19 octobre 1964 la Cour de cassation « s’il n’est reçu aucune preuve par témoins ou présomptions contre et outre le contenu aux actes, cette preuve peut cependant être invoquée pour interpréter un acte, s’il est obscur ou ambigu » (Cass. 1ère civ. 19 oct. 1964).

Ainsi, lorsqu’il s’agit de prouver l’interprétation à donner à l’énonciation d’un écrit, la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen.

Cette position qui doit être approuvée a, par suite, été reconduite à plusieurs reprises par la Cour de cassation (Cass. 1ère civ. 26 janv. 2012, n°10-28.356).

En effet, l’opération consistant à interpréter un écrit s’analyse en un fait juridique. Il s’agit de sonder l’interprétation des parties et d’identifier le sens qu’elles ont voulu donner à l’acte juridique litigieux.

Reste que, en pratique, comme souligné par les auteurs « au-delà des mots, la frontière entre la contestation de l’acte et son interprétation est parfois poreuse »[10].

Tel était notamment le cas dans un arrêt rendu par la Troisième chambre civile le 10 avril 1973 (Cass. 3e civ. 10 avr. 1973, n°71-13.405 ).

Dans cette affaire, les acquéreurs d’une exploitation agricole assignent en justice leurs vendeurs pour défaut de délivrance de l’intégralité des droits afférents à ce bien, spécialement du droit de replantation d’un hectare de vignes provenant de ce que les vendeurs avaient arraché ces vignes

Par un arrêt du 16 juin 1971, la Cour d’appel de Montpellier déboute les acquéreurs de leur demande en dommages et intérêts au motif que les droits invoqués n’étaient mentionnés nulle part dans l’acte notarié produit.

Au soutien de leur demande ils faisaient notamment valoir que les juges du fond ne pouvaient recevoir aucune preuve par témoin contre et outre le contenu de l’acte authentique, dont les termes s’imposaient à eux pour déterminer la volonté des parties.

Tandis que la Cour d’appel avait, en effet, raisonné sur le terrain de l’interprétation de l’acte litigieux, raison pour laquelle elle avait jugé recevable, comme élément de preuve, « la correspondance échangée entre les notaires des parties », les acquéreurs considéraient, quant à eux, que l’opération en jeu visait, non pas à interpréter l’écrit versé aux débats – dont les énonciations étaient parfaitement claires au cas particulier – mais à lui ajouter quelque chose qu’il ne disait pas. Or prouver contre un écrit requiert la production d’un autre écrit.

On voit bien dans cette affaire que la ligne séparant l’interprétation d’un écrit et l’opération consistant à le contester peut être extrêmement ténue. D’où la difficulté de mise en œuvre de la règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil.

?Conflits entre écrits

S’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit que par un autre écrit, cela signifie qu’il est des cas où deux écrits exprimant des clauses contraires, à tout le moins divergentes sont susceptibles d’entrer en conflit.

La question qui alors se pose est de savoir comment régler ce conflit entre écrits ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1368 du Code civil qui prévoit que « à défaut de dispositions ou de conventions contraires, le juge règle les conflits de preuve par écrit en déterminant par tout moyen le titre le plus vraisemblable. »

Aussi, en cas de production d’écrits par chacune des parties, c’est au juge que revient la charge d’arbitrer et de déterminer quel écrit lui apparaît le plus vraisemblable et doit, en conséquence, primer sur l’autre.

III) Portée

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1341 du Code civil prévoyait que « il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre. »

Si l’article 1359, al. 2e du Code civil reprend sensiblement dans les mêmes termes la règle énoncée par l’ancienne disposition, il en simplifie toutefois la formulation.

L’ordonnance du n°2016-131 du 10 février 2016 a notamment abandonné la précision selon laquelle il n’est reçu aucune preuve par témoins « sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes ». La raison en est qu’elle n’apportait rien.

Le législateur a, par ailleurs, jugé bon de circonscrire la règle énoncée aux seuls actes « établissant un acte juridique ». Cette précision n’est pas neutre ainsi que nous allons le voir juste après.

En effet, la jurisprudence avait déduit de l’ancienne formulation de l’article 1341 du Code civil que, quelle que soit la mention énoncée dans l’instrumentum produit en justice, elle ne pouvait être contestée qu’au moyen d’un écrit, y compris lorsque cette mention relatait un fait juridique, tel que, par exemple, la cause de l’acte litigieux, la réalisation d’un paiement ou encore l’exécution de travaux.

Dans un arrêt du 23 février 2012, la Cour de cassation a ainsi jugé que « dans les rapports entre les parties, la preuve de la fausseté de la cause exprimée à l’acte doit être administrée par écrit, dans les conditions prévues par l’article 1341 du Code civil » (Cass. 1ère civ. 23 févr. 2012, n°11-11.230).

Cette position adoptée par la jurisprudence était pour le moins sévère, car elle imposait aux plaideurs de produire un écrit aux fins de prouver un fait juridique, certes relaté dans un acte juridique, mais ne perdant néanmoins pas sa qualification de fait pour autant.

Or la preuve d’un fait juridique est, en principe libre. Tel n’était pas l’avis de la Cour de cassation qui, par une application rigoureuse, sinon rigoriste de l’ancien article 1341 du Code civil, estimait que la preuve de la fausseté d’un fait relaté dans un écrit ne pouvait se faire qu’au moyen d’un autre écrit.

Suite à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 ayant porté réforme du droit de la preuve, un débat est né en doctrine sur la portée qu’il y avait lieu de reconnaître à la nouvelle règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil.

Deux thèses s’opposent :

  • Première thèse
    • Pour une partie de la doctrine[11], il y aurait lieu de voir dans la nouvelle formulation de l’article 1359, al. 2 du Code civil l’abandon de l’exigence de preuve littérale pour les écrits qui se bornent à relater un fait juridique.
    • Cet abandon s’évincerait de la précision « un écrit établissant un acte juridique », ce dont il se déduirait que seraient exclus du domaine de la règle les écrits établissant des faits juridiques.
    • Selon cette thèse, le législateur aurait donc fait le choix de préciser dans le nouveau texte que l’exigence de preuve par écrit ne joue que s’il s’agit de prouver contre ou outre un écrit « établissant un acte juridique ».
    • Si dès lors, la mention contestée se limite à relater un fait juridique, la preuve littérale ne serait pas exigée ; la preuve pourrait donc être rapportée par tout moyen.
  • Seconde thèse
    • L’interprétation consistant à dire que l’exigence de preuve littérale aurait été abandonnée, s’agissant de contester un fait relaté dans un écrit, ne fait pas l’unanimité en doctrine.
    • Certains auteurs avancent que le sens de la règle énoncée par l’ancien article 1341 du Code civil demeure inchangé, de sorte que la preuve d’un fait juridique relaté dans un acte requiert toujours la production d’un écrit[12].
    • Au soutien de cette position, est invoqué le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016.
    • Il est en effet indiqué dans ce rapport que « le second alinéa, également inspiré de l’article 1341, prévoit qu’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit que par un écrit, et ce quelle que soit la valeur ou le montant sur lequel porte l’obligation en cause, et sa source, acte ou fait juridique ».
    • Au surplus, il y aurait lieu de retenir la même signification pour la formule « contre et outre le contenu aux actes » et la formule « outre ou contre un écrit établissant un acte juridique ».
    • Dans les deux cas, seul l’instrumentum serait visé, sans considération de ce qu’il constate un acte juridique ou relate des faits juridiques.
    • Pour cette raison, la preuve des faits juridiques relatés dans un écrit serait toujours soumise à l’exigence de preuve littérale

Comment départager ces deux thèses ? Les auteurs s’accordent à dire qu’un commencement de réponse peut être trouvé à l’article 1356, al. 2 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que les contrats sur la preuve « ne peuvent davantage établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable. »

Autrement dit, il est fait interdiction aux parties de rendre incontestables des faits juridiques qu’elles entendraient relater dans un acte.

Or comme souligné par Gwendoline Lardeux « énoncer un fait dans un acte juridique ne le rend contestable que par un autre écrit qui, en pratique, n’existe pas […]. Par conséquent, affirmer un fait dans un écrit le rend indiscutable ; en d’autres termes, cela revient à stipuler une présomption irréfragable de l’existence de ce fait »

Parce que la stipulation de telles présomptions est prohibée, cela devrait conduire, en toute logique, à admettre que la preuve d’un fait juridique relaté dans un écrit puisse être rapportée par tout moyen.

En l’absence de jurisprudence sur ce point, il est difficile de dire si la Cour de cassation maintiendra sa position adoptée sous l’empire de l’ancien article 1341 du Code civil ou si elle l’abandonnera.

Si tel est le cas, sur quel fondement : l’article 1359, al. 2e ou l’article 1356, al. 2? La question demeure en suspens.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: les actes non soumis à l’exigence d’écrit

Nonobstant la formulation générale de la règle énoncée à l’article 1359, al. 1er du Code civil, il est un certain nombre de cas où la production d’un écrit n’est pas exigée pour établir un acte juridique, de telle sorte que la preuve peut être rapportée par tout moyen :

  • Les actes juridiques dont le montant est inférieur au seuil réglementaire
    • Dans la mesure où la production d’un écrit est exigée pour les seuls actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, cela signifie, a contrario, que les actes dont le montant est inférieur à ce seuil ne sont pas soumis à l’exigence de preuve littérale.
    • Aussi, pour ces actes la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen.
  • Les actes de commerce
    • L’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi »
    • Il ressort de cette disposition que la preuve des actes de commerce ne requiert pas la production d’un écrit, quand bien même l’acte porterait sur un montant supérieur au seuil réglementaire visé par l’article 1359, al. 1er du Code civil.
    • Pour que la preuve soit libre encore faut-il que deux conditions cumulatives soit remplies :
      • Première condition
        • L’acte litigieux doit présenter un caractère commercial.
        • Pour mémoire, il existe trois sortes d’actes de commerce :
          • Les actes de commerce par nature, soit ceux portant sur les opérations visées aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce et qui, pour présenter un caractère commercial, doivent nécessairement être accomplis de façon répétée et à des fins spéculatives
          • Les actes de commerce par la forme, soit ceux dont la commercialité ne dépend ni de la qualité de la personne qui les accomplis, ni de leur finalité ou de leur répétition
          • Les actes de commerce par accessoire, soit ceux, quelle que soit leur nature, dont l’accomplissement se rattache à une opération commerciale principale
      • Seconde condition
        • Pour que le plaideur auquel il appartient de prouver un acte de commerce ne soit pas soumis à l’exigence d’écrit, le défendeur doit endosser la qualité de commerçant.
        • En effet, si l’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que les actes de commerce peuvent être prouvés par tous moyens, le texte précise que la règle ne joue que pour les seuls actes accomplis « à l’égard des commerçants ».
        • Aussi, dans l’hypothèse où le défendeur n’endosserait pas la qualité de commerçant, la preuve de l’acte de commerce requerra la production d’un écrit, à tout le moins pour le demandeur.
        • On parlera alors d’acte de mixte.
        • Un acte est dit mixte, lorsqu’il présente un caractère commercial à l’égard d’une partie et un caractère civil à l’égard de l’autre partie.
        • Dans cette hypothèse, le régime probatoire applicable est asymétrique :
  • Les actes relevant de la compétence du juge prud’homal
    • En matière prud’homale, il est de jurisprudence constante que la preuve est, par principe, libre (Cass. soc. 27 mars 2001, n°98-44.666)
    • La raison en est l’impossibilité morale résultant du rapport de subordination existant entre l’employeur et le salarié.
    • C’est pourquoi, il est admis que les faits allégués soient établis par tous moyens.
    • À cet égard, régulièrement la Cour de cassation rappelle qu’en matière prud’homale, « les juges du fond apprécient souverainement la portée et la valeur probante des éléments qui leur sont soumis » (Cass. soc. 10 juin 1965 ; Cass. soc. 13 févr. 2013, n°11-26.098).
  • Les actes dont se prévalent les tiers
    • Principe
      • En application du principe de l’effet relatif des conventions, le contrat ne produit d’effets qu’entre les parties (art. 1199 C. civ.).
      • Est-ce à dire que les tiers ne pourraient pas s’en prévaloir ? Dans l’affirmative, comment prouver l’acte juridique qu’un tiers souhaiterait opposer aux parties ?
      • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1200 du Code civil.
      • Cette disposition prévoit que les tiers peuvent se prévaloir de la situation juridique créée par le contrat « notamment pour apporter la preuve d’un fait ».
      • Ainsi, est-il admis qu’un tiers puisse opposer à des contractants l’existence ou le contenu de l’acte qu’ils ont conclu.
      • En pareille hypothèse, il est de jurisprudence constante que la preuve est libre.
      • La raison en est que pour les tiers, le contrat conclu entre les parties constitue un fait juridique.
      • Pour cette raison, la preuve de l’acte par le tiers peut être rapportée par tous moyens.
      • Dans un arrêt du 25 novembre 1970, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’ancien article 1341 du Code civil, que « les règles édictées par ce texte, relativement à la preuve des actes juridiques, ne concernent que les parties auxdits actes, et qu’il est permis aux tiers d’établir leur existence par tous moyens de preuve » (Cass. 1ère civ. 25 nov. 1970, n°69-10.893).
      • Dans un arrêt du 30 juin 1980, la Chambre commerciale a encore affirmé que « la défense de prouver par témoins ou par présomptions contre et outre le contenu à l’acte ne concerne que les parties contractantes et qu’il est permis au tiers de contester par ces modes de preuves la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » (Cass. com. 30 juin 1980, n°79-10.623).
      • La Première chambre civile a rappelé plus récemment cette règle dans un arrêt du 3 juin 2015.
      • Aux termes de cette décision, elle a décidé, s’agissant d’un contrat de mandat, que « le banquier dépositaire, qui se borne à exécuter les ordres de paiement que lui transmet le mandataire du déposant, peut rapporter la preuve par tous moyens du contrat de mandat auquel il n’est pas partie » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2015, n°14-20.518).
      • À l’inverse, lorsqu’une partie à l’acte souhaite, en application de l’article 1200 du Code civil, opposer à un tiers « la situation judiciaire créée par le contrat », la Cour de cassation juge que s’il « est permis aux tiers de contester par tous modes de preuve la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » ; en revanche « il appartient aux parties à un acte d’en rapporter la preuve contre les tiers dans les termes du droit commun » (Cass. 3e civ. 15 mai 1974, n°73-12.073).
      • Autrement dit, y compris lorsqu’ils cherchent à opposer l’acte juridique qu’ils ont conclu à un tiers, les contractants sont soumis à l’exigence de preuve par écrit.
    • Domaine
      • Seuls les tiers à l’acte ne sont pas soumis à l’existence de production d’un écrit s’agissant de la preuve de son existence et de son contenu.
      • Encore faut-il que l’on s’entende sur la notion de tiers.
      • Une première approche conduit à exclure de la qualification de tiers toutes les personnes qui ne sont pas partie à l’acte, soit qui n’y ont pas adhéré.
      • Cette approche est toutefois trop restrictive
      • Il est, en effet, certaines personnes qui, si au moment de la conclusion de l’acte, endossaient la qualité de tiers, peuvent, après coup, endosser la qualité de partie.
      • Tel est le cas du cessionnaire qui se substitue à l’une des parties initiales.
      • Il en va de même des ayants-cause universels ou à titre universels, soit des héritiers des parties, lesquels ont vocation à « continuer » la personne du défunt : la mort saisit le vif.
      • Par exception, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 18 avril 1989 que « les héritiers réservataires sont admis à faire la preuve d’une donation déguisée de nature à porter atteinte à leur réserve par tous moyens et même à l’aide de présomptions » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 1989, n°87-10.388).
  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: la condition tenant au montant des actes soumis à l’exigence d’écrit

?Principe

L’article 1359, al. 1er du Code civil n’impose la preuve par écrit que pour les seuls actes juridiques « portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret ».

Il convient alors de se reporter au décret n°80-533 du 15 juillet 1980, modifié à plusieurs reprises, afin de déterminer le seuil au-delà duquel la preuve par écrit est exigée.

Tandis que le texte originel avait fixé ce seuil à 5000 francs, il a été porté à 800 euros par le décret n° 2001-476 du 30 mars 2001 consécutivement au passage du franc à l’euro.

Considérant que ce montant était trop faible, compte tenu de l’inflation, il a été relevé, peu de temps après, par le décret n° 2004-836 du 20 août 2004, à 1500 euros.

Aussi, le texte réglementaire prévoit désormais que « la somme ou la valeur visée à l’article 1359 du Code civil est fixée à 1 500 euros. »

La fixation de ce seuil procède de la volonté du législateur d’exclure du domaine de l’exigence de la preuve par écrit les actes de la vie courante. Cette exclusion avait déjà été prévue par l’ordonnance de Moulins qui avait fixé le seuil à « cinquante francs ».

Les actes juridiques de la vie courante peuvent ainsi se prouver par tout moyen. Ils ne requièrent pas la préconstitution d’un écrit.

La règle est heureuse ; elle favorise la fluidité des échanges économiques. Il serait inenvisageable, sinon inutile de contraindre les agents à régulariser un écrit pour les actes portant sur des sommes modiques qu’ils accomplissent au quotidien, parfois plusieurs fois par jour (achats de produits alimentaires, de vêtements ou encore de loisirs).

L’exigence d’établissement d’un écrit se justifie en revanche lorsque l’acte juridique porte sur une somme importante, soit inférieure à 1500 euros. Dans cette hypothèse, les parties seront plus portées à saisir le juge en cas de litige.

Or la meilleure solution pour prévenir un procès c’est, comme affirmé par Bentham, de se préconstituer une preuve afin d’être en mesure « d’établir de manière incontestable le droit qui est attaqué »[9].

?Mise en œuvre

La fixation d’un seuil au-delà duquel la production d’un écrit est exigée aux fins de prouver un acte juridique ne permet pas de mettre en œuvre la règle.

En effet, pour déterminer la nature de la preuve à rapporter en présence d’un acte juridique encore faut-il définir les modalités de calcul du seuil visé par le législateur.

En cas de litige, doit-on prendre en compte le montant de la créance dont se prévaut le demandeur ou celui initialement stipulé dans l’acte ? Par ailleurs, faut-il inclure les intérêts et autres accessoires de la créance litigieuse ou s’en tenir au principal ? Quid, en outre, du moment de l’évaluation du montant de créance ?

Sous l’empire du droit antérieur, le Code civil prévoyait un certain nombre de règles de calcul du seuil.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve n’a conservé que celles énoncées aux troisième et quatrième alinéas des articles 1343 et 1344 du Code civil en modifiant leur formulation pour plus de clarté et de rigueur.

  • Première règle
    • L’article 1359, al. 3e du Code civil prévoit que « celui dont la créance excède le seuil mentionné au premier alinéa ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande. ».
    • Il s’infère de cette disposition que les parties ne peuvent pas contourner l’exigence de production d’un écrit en ajustant le montant de leur demande de telle sorte que celui-ci serait inférieur au seuil réglementaire.
    • Il se déduit de cette règle que pour déterminer si ce seuil est dépassé il y a lieu de prendre en considération, non pas le montant de la demande du plaideur, mais le montant de la créance stipulé dans l’acte initial.
    • Autrement dit, il convient de se placer au moment de la formation de l’acte pour évaluer le montant de la créance litigieuse.
    • La raison en est que c’est à ce moment précis du processus contractuel qu’il y a lieu pour les parties de décider si la préconstitution d’un écrit est ou non nécessaire.
    • À cet égard, la Cour de cassation avait statué en ce sens dans un arrêt du 17 novembre 2011.
    • Dans cette décision elle avait, en effet, jugé que pour déterminer si l’objet du contrat avait une valeur inférieure ou supérieure au seuil réglementaire de 1500 euros il convenait de se positionner « au jour de la naissance de l’obligation » (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-25.343).
    • Pratiquement cela signifie que, en cas d’action en responsabilité contractuelle engagée par une partie contre l’autre, il y aura lieu de tenir compte, non pas du montant des dommages et intérêts réclamés, mais du montant de l’obligation principale stipulée au contrat au jour de sa formation.
    • De la même façon, l’application de la règle énoncée à l’article 1359, al. 3e du Code civil conduit à ne pas tenir compte des intérêts éventuellement produits par la créance et/ou des pénalités attachées pour déterminer si celle-ci excède le seuil réglementaire.
    • Dans la mesure où, au jour de la naissance de l’obligation, elle n’a, par hypothèse, pas pu produire d’intérêts, ni être assortie de pénalités, seul le principal de la créance doit être pris en compte dans son évaluation.
  • Seconde règle
    • L’article 1359, al. 4e du Code civil prévoit que celui dont la demande, même inférieure au seuil réglementaire, porte sur le solde ou sur une partie d’une créance supérieure à ce montant ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande.
    • Ainsi, il importe peu que le solde restant dû de la créance soit inférieur au seuil réglementaire.
    • Afin de déterminer si ce seuil est atteint, il y a lieu de tenir compte de la créance initiale prise dans sa globalité.
    • Cette règle a été instituée par le législateur afin d’empêcher que, par le jeu d’un fractionnement de la créance litigieuse, une partie puisse se soustraire à l’exigence d’écrit.

?Exceptions

Par dérogation à l’exigence de production d’un écrit pour la preuve des actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, il est un certain nombre de dispositions légales qui imposent la preuve littérale quel que soit le montant de l’acte litigieux.

Au nombre de ces dispositions, on compte celles relatives notamment à :

  • La transaction
    • L’article 2044, al. 2e du Code civil prévoit que « ce contrat doit être rédigé par écrit. »
  • Le contrat d’assurance
    • L’article L. 112-3 du Code des assurances prévoit que « le contrat d’assurance et les informations transmises par l’assureur au souscripteur mentionnées dans le présent code sont rédigés par écrit, en français, en caractère apparents. »
    • Dans un arrêt du 2 mars 2004, la Cour de cassation a déduit de cette disposition que « la preuve de la conclusion du contrat d’assurance ne peut résulter que d’un écrit émanant de la partie à laquelle on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°00-19.871).
  • Le contrat de représentation, d’édition et de production audiovisuelle
    • L’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que ce type de contrat doit nécessairement être constaté par écrit.
  • Cession de parts sociales
    • L’article L. 221-14 du Code de commerce prévoit que, pour les sociétés en nom collectif « la cession des parts sociales doit être constatée par écrit ».
    • Il en va de même pour les sociétés à responsabilité limitée (art. L. 223-17 C. com.)

Pour tous ces contrats, le montant de leur objet est indifférent. Leur preuve ne peut être rapportée qu’au moyen d’un écrit.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: les actes soumis à l’exigence d’écrit

Si, en application de l’article 1359 du Code civil, la production d’un écrit n’est exigée comme mode de preuve que pour les seuls actes juridiques, tous les actes juridiques ne sont pas visés par cette exigence.

1. Les actes juridiques visés par l’exigence de preuve par écrit

Pour être soumis à l’exigence de preuve par écrit, l’acte dont la preuve doit être rapportée doit répondre à deux conditions cumulatives :

  • D’une part, il doit endosser la qualification d’acte juridique
  • D’autre part, il doit porter sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret

a. La qualification d’acte juridique

i. Les éléments de la qualification d’acte juridique

Les actes juridiques sont définis à l’article 1100-1 du Code civil comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »

Il ressort de cette définition que les actes juridiques sont la conjonction de deux éléments : une manifestation de volonté et la production d’effets de droit voulus :

  • Des manifestations de volonté
    • L’acte juridique suppose l’extériorisation d’une intention en vue de générer des conséquences juridiques.
    • L’acte juridique repose donc sur la manifestation de volonté de son auteur, lequel recherche la production d’effets de droit
      • Exemple : un contrat, une démission, une déclaration de naissance, l’acceptation d’une succession etc.
    • Comme souligné par Gérard Cornu dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, « fondamentalement, tous les actes juridiques se caractérisent, comme actes volontaires, par la direction que prend la volonté (car les faits juridiques peuvent aussi être volontaires). »
    • Reste que dans l’acte juridique, « la volonté est toujours tendue vers l’effet de droit consciemment perçu et recherché par son auteur (ce que traduisent les mots-clé « destinés », « en vue »). »
    • À cet égard, l’acte juridique peut résulter de l’expression d’une pluralité de volontés ou d’une volonté unique.
    • Dans le premier cas l’acte sera conventionnel, tandis que dans le second cas il sera unilatéral.
    • L’article 1100-1 du Code civil précise en ce sens que les actes juridiques peuvent être « conventionnels ou unilatéraux ».
      • Les actes juridiques conventionnels
        • Les actes juridiques conventionnels forment la catégorie des contrats.
        • Par contrat, il faut entendre, selon l’article 1101 du Code civil, « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. »
        • L’un des éléments essentiels qui caractérise le contrat est d’être le produit d’un accord d’au moins deux volontés.
        • Quand bien même le contrat ne crée d’obligations qu’à la charge d’une seule partie, ce qui pourrait inciter à le classer dans la catégorie des actes unilatéraux, il requiert toujours la rencontre de plusieurs volontés.
        • Aussi, on qualifie d’unilatéral un contrat, non pas parce qu’il est le produit d’une manifestation unilatérale de volonté, mais parce que, en pareil cas, une seule partie s’oblige sans qu’il y ait d’engagement réciproque de l’autre partie.
        • L’article 1106 du Code civil pose en ce sens que :
          • Le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres.
          • Il est unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci.
      • Les actes juridiques unilatéraux
        • Contrairement à l’acte juridique conventionnel, l’acte juridique unilatéral n’est défini par aucune disposition du Code civil.
        • L’avant-projet de réforme du droit des obligations avait pourtant proposé de le définir comme « un acte accompli par une seule ou plusieurs personnes unies dans la considération d’un même intérêt en vue de produire des effets de droit dans les cas admis par la loi ou par l’usage. »
        • Il ressort de cette définition que l’acte unilatéral se distingue de l’acte conventionnel en deux points :
          • En premier lieu, il n’est pas le produit d’une rencontre de plusieurs volontés, mais la manifestation d’une volonté unique.
          • En second lieu, l’acte unilatéral est établi « dans la considération d’un même intérêt », alors que l’acte conventionnel est porteur d’une pluralité d’intérêts divergents ou opposés.
  • La production d’effets de droit voulus
    • Une manifestation de volonté ne suffit pas à créer un acte juridique, il faut encore que cette volonté soit exprimée en vue de produire des effets de droit.
    • Autrement dit, il faut que le ou les auteurs de l’acte aient intentionnellement recherché des conséquences juridiques.
    • Lorsque, par exemple, deux personnes décident de conclure un contrat, les obligations stipulées dans cet acte conventionnel sont toujours voulues.
    • La volonté de produire des effets de droit est également présente lorsqu’un salarié décide de démissionner de ses fonctions ou lorsqu’un héritier accepte une succession.
    • C’est là une différence fondamentale avec les faits juridiques dont les conséquences juridiques ne sont jamais voulues.
    • À cet égard, selon que l’acte juridique est conventionnel ou unilatéral, les effets produits sont différents.
    • Effectivement, ce qui fondamentalement distingue l’acte juridique unilatéral de l’acte juridique conventionnel, c’est qu’il n’est jamais générateur d’obligations.
    • Il ne produit que quatre sortes d’effets de droit :
      • Un effet déclaratif : la reconnaissance de paternité
      • Un effet translatif : le testament
      • Un effet abdicatif : la renonciation, la démission
      • Un effet extinctif : la résiliation
    • Il peut être relevé le cas particulier de l’engagement unilatéral de volonté :
      • À la différence de l’acte juridique unilatéral, l’engagement unilatéral de volonté est générateur d’obligations
      • À la différence du contrat unilatéral, la validité de l’engagement unilatéral de volonté n’est pas subordonnée à l’acceptation du créancier de l’obligation
    • Compte tenu des caractéristiques de l’engagement unilatéral de volonté, la question s’est posée de savoir s’il pouvait être classé parmi les actes juridiques.
    • Le rapport au Président de la République dont est assortie l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a répondu positivement à cette question en indiquant que « en précisant que l’acte juridique peut être conventionnel ou unilatéral, [cela] inclut l’engagement unilatéral de volonté, catégorie d’acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui-ci ».

ii. La mise en œuvre de la qualification d’acte juridique

Bien que les actes juridiques bénéficient depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 d’une définition, l’exigence de la preuve par écrit soulève un certain nombre de difficultés qui tiennent, tantôt à la nature de l’acte en cause, tantôt à la qualification même d’acte juridique.

?Les difficultés qui tiennent à la nature de l’acte

S’il ne fait aucun doute que les actes juridiques conventionnels sont tous soumis à l’exigence de preuve par écrit, le doute est permis s’agissant des actes juridiques unilatéraux.

En effet, l’article 1359 du Code civil relève d’un chapitre dédié à l’admissibilité des modes de preuve, lequel chapitre relève d’un titre consacré à la preuve des obligations.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si seuls les actes juridiques créateurs d’obligations sont soumis à l’exigence de preuve par écrit.

Dans l’affirmative, cela signifierait que les actes juridiques unilatéraux ne seraient pas soumis à cette exigence et, par voie de conséquence, pourraient être prouvés par tout moyen.

Il est, en effet, de principe que les actes juridiques unilatéraux ne sont pas créateurs d’obligations. Comme vu précédemment, ils ne produisent que quatre sortes d’effets (déclaratif, translatif, abdicatif et extinctif).

Par ailleurs, certaines décisions rendues sous l’empire du droit antérieur ont pu semer le trouble en admettant que l’exigence de preuve par écrit puisse être écartée s’agissant d’établir l’existence d’engagements unilatéraux (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 oct. 1995, n°93-20.300 ; Cass. 1ère civ. 23 mai 2006, n°04-19.099).

Cette jurisprudence suggérait ainsi que tous les actes juridiques ne devaient pas nécessairement être prouvés par écrit.

Si le débat était ouvert sous l’empire du droit antérieur, les auteurs s’accordent aujourd’hui à dire qu’il n’a plus lieu d’être au regard de la nouvelle formulation des textes.

L’article 1359 du Code civil, bien qu’appartenant à un chapitre traitant de la preuve des obligations, prévoit que l’exigence de preuve par écrit s’applique à « l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret ».

Le texte n’opère aucune distinction, il vise, par principe, tous les actes juridiques quelle que soit leur nature, pourvu qu’ils portent sur un montant supérieur à 1500 euros.

Sont donc soumis à l’exigence de preuve par écrit, tant le contrat, que l’engagement unilatéral de volonté ou encore l’acte produisant un effet extinctif (résiliation) ou déclaratif (partage).

Quid des contrats réels ? des quasi-contrats ?

?Les difficultés qui tiennent à la qualification d’acte

Il est certaines opérations dont la qualification interroge en raison de la difficulté rencontrée à déterminer si elles relèvent de la catégorie des actes juridiques ou des faits juridiques.

  • Le paiement
    • Bien que le paiement soit une opération courante, sa nature a été particulièrement discutée en doctrine.
    • La question s’est, en effet, posée de savoir s’il s’agissait d’un acte juridique ou d’un fait juridique.
    • La qualification du paiement comporte deux enjeux :
      • Premier enjeu : le mode de preuve
        • Si le paiement s’apparente à en un acte juridique, alors la preuve est soumise à l’exigence de la production d’un écrit (art. 1359 C. civ.)
        • Si le paiement s’apparente à un fait juridique, alors la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen (art. 1358 C. civ.)
      • Second enjeu : la capacité juridique
        • Si le paiement s’apparente à un acte juridique, sa validité est subordonnée à la capacité juridique du solvens et de l’accipiens
        • Si le paiement s’apparente à un fait juridique, il est indifférent que le solvens ou l’accipiens soient capables : il produira ses effets y compris lorsqu’il aura été réalisé par un incapable
    • Dans le cadre du débat qui a opposé les auteurs sur la nature du paiement, deux thèses ont émergé :
      • La thèse de l’acte juridique
        • Selon cette thèse, le paiement s’analyserait en une convention conclue entre le solvens (celui qui paye) et l’accipiens (celui qui est payé) aux fins d’éteindre l’obligation originaire.
        • Bien que séduisante, cette thèse ne permet pas de rendre compte de l’hypothèse – fréquente – où le paiement est effectué par un tiers.
        • Elle ne permet pas non plus d’expliquer le cas où le débiteur peut contraindre le créancier à accepter le paiement par voie de mise en demeure (art. 1345-3 C. civ.).
      • La thèse du fait juridique
        • Selon cette thèse, le paiement tirerait ses effets de la loi et non de la volonté du débiteur.
        • Si donc le paiement produit, tantôt un effet extinctif, tantôt un effet subrogatoire, ce n’est pas parce que les parties intéressées à l’opération l’ont voulu, mais parce que la loi le prévoit.
    • Entre ces deux thèses, la Cour de cassation a opté pour la seconde.
    • Dans un arrêt du 6 juillet 2004, elle a jugé en ce sen que « la preuve du paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens » (Cass. 1ère civ. 6 juill. 2004, 01-14.618).
    • Par suite, à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le législateur a validé cette approche en insérant un article 1342-8 dans le Code civil qui dispose que « le paiement se prouve par tout moyen. »
    • Est-ce à dire que le débat est clos et que le paiement doit, désormais, être regardé comme un fait juridique ? Le texte ne le précise pas.
    • Si l’on se focalise sur les modalités de preuve du paiement, une réponse positive s’impose. Dans la mesure où la preuve est libre, le paiement s’apparenterait à un fait juridique.
    • Si, en revanche, on se tourne vers ses conditions de validité, il y a lieu d’être plus nuancé.
    • L’article 1342-2 du Code civil exige en effet que celui qui reçoit le paiement dispose de sa pleine capacité juridique. À défaut, le paiement n’est pas valable, sauf à ce que le créancier incapable en ait tiré profit.
  • La compensation
    • La compensation est définie à l’article 1347 du Code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes ».
    • Bien que son régime ait été réformé par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les nouveaux textes ne disent rien sur sa nature.
    • À cet égard, elle est souvent présentée comme consistant en un double paiement.
    • Compte tenu de ce que le paiement se prouve désormais par tout moyen, faut-il en déduire qu’il en va de même pour la compensation ?
    • Les auteurs suggèrent de distinguer selon que la compensation est légale ou conventionnelle.
    • Lorsqu’elle procède d’un accord entre les parties, dans les conditions de l’article 1348-2 du Code civil, il est certain qu’elle est soumise à l’exigence de la preuve par écrit à l’instar de n’importe quel contrat, à tout le moins lorsque les créances réciproques en jeu portent sur un montant supérieur à 1500 euros.
    • Lorsque, en revanche, la compensation est d’origine légale, le doute est permis.
    • Dans cette hypothèse, elle s’opère de plein droit par l’effet de la loi.
    • Pour cette raison, elle s’apparenterait à un fait juridique, faute d’avoir été voulue par les parties.
    • La volonté de ces dernières n’est toutefois pas étrangère à l’opération.
    • En effet, pour que la compensation légale produise ses effets, encore faut-il qu’elle ait été invoquée par la personne qui s’en prévaut.
    • L’article 1347, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que la compensation « s’opère, sous réserve d’être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies ».
    • Cette exigence était-elle suffisante pour conférer à la compensation légale la qualification d’acte juridique ?
    • Nous ne le pensons pas. Reste que la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur cette question.

b. Le montant de l’acte juridique

?Principe

L’article 1359, al. 1er du Code civil n’impose la preuve par écrit que pour les seuls actes juridiques « portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret ».

Il convient alors de se reporter au décret n°80-533 du 15 juillet 1980, modifié à plusieurs reprises, afin de déterminer le seuil au-delà duquel la preuve par écrit est exigée.

Tandis que le texte originel avait fixé ce seuil à 5000 francs, il a été porté à 800 euros par le décret n° 2001-476 du 30 mars 2001 consécutivement au passage du franc à l’euro.

Considérant que ce montant était trop faible, compte tenu de l’inflation, il a été relevé, peu de temps après, par le décret n° 2004-836 du 20 août 2004, à 1500 euros.

Aussi, le texte réglementaire prévoit désormais que « la somme ou la valeur visée à l’article 1359 du Code civil est fixée à 1 500 euros. »

La fixation de ce seuil procède de la volonté du législateur d’exclure du domaine de l’exigence de la preuve par écrit les actes de la vie courante. Cette exclusion avait déjà été prévue par l’ordonnance de Moulins qui avait fixé le seuil à « cinquante francs ».

Les actes juridiques de la vie courante peuvent ainsi se prouver par tout moyen. Ils ne requièrent pas la préconstitution d’un écrit.

La règle est heureuse ; elle favorise la fluidité des échanges économiques. Il serait inenvisageable, sinon inutile de contraindre les agents à régulariser un écrit pour les actes portant sur des sommes modiques qu’ils accomplissent au quotidien, parfois plusieurs fois par jour (achats de produits alimentaires, de vêtements ou encore de loisirs).

L’exigence d’établissement d’un écrit se justifie en revanche lorsque l’acte juridique porte sur une somme importante, soit inférieure à 1500 euros. Dans cette hypothèse, les parties seront plus portées à saisir le juge en cas de litige.

Or la meilleure solution pour prévenir un procès c’est, comme affirmé par Bentham, de se préconstituer une preuve afin d’être en mesure « d’établir de manière incontestable le droit qui est attaqué »[9].

?Mise en œuvre

La fixation d’un seuil au-delà duquel la production d’un écrit est exigée aux fins de prouver un acte juridique ne permet pas de mettre en œuvre la règle.

En effet, pour déterminer la nature de la preuve à rapporter en présence d’un acte juridique encore faut-il définir les modalités de calcul du seuil visé par le législateur.

En cas de litige, doit-on prendre en compte le montant de la créance dont se prévaut le demandeur ou celui initialement stipulé dans l’acte ? Par ailleurs, faut-il inclure les intérêts et autres accessoires de la créance litigieuse ou s’en tenir au principal ? Quid, en outre, du moment de l’évaluation du montant de créance ?

Sous l’empire du droit antérieur, le Code civil prévoyait un certain nombre de règles de calcul du seuil.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve n’a conservé que celles énoncées aux troisième et quatrième alinéas des articles 1343 et 1344 du Code civil en modifiant leur formulation pour plus de clarté et de rigueur.

  • Première règle
    • L’article 1359, al. 3e du Code civil prévoit que « celui dont la créance excède le seuil mentionné au premier alinéa ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande. ».
    • Il s’infère de cette disposition que les parties ne peuvent pas contourner l’exigence de production d’un écrit en ajustant le montant de leur demande de telle sorte que celui-ci serait inférieur au seuil réglementaire.
    • Il se déduit de cette règle que pour déterminer si ce seuil est dépassé il y a lieu de prendre en considération, non pas le montant de la demande du plaideur, mais le montant de la créance stipulé dans l’acte initial.
    • Autrement dit, il convient de se placer au moment de la formation de l’acte pour évaluer le montant de la créance litigieuse.
    • La raison en est que c’est à ce moment précis du processus contractuel qu’il y a lieu pour les parties de décider si la préconstitution d’un écrit est ou non nécessaire.
    • À cet égard, la Cour de cassation avait statué en ce sens dans un arrêt du 17 novembre 2011.
    • Dans cette décision elle avait, en effet, jugé que pour déterminer si l’objet du contrat avait une valeur inférieure ou supérieure au seuil réglementaire de 1500 euros il convenait de se positionner « au jour de la naissance de l’obligation » (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-25.343).
    • Pratiquement cela signifie que, en cas d’action en responsabilité contractuelle engagée par une partie contre l’autre, il y aura lieu de tenir compte, non pas du montant des dommages et intérêts réclamés, mais du montant de l’obligation principale stipulée au contrat au jour de sa formation.
    • De la même façon, l’application de la règle énoncée à l’article 1359, al. 3e du Code civil conduit à ne pas tenir compte des intérêts éventuellement produits par la créance et/ou des pénalités attachées pour déterminer si celle-ci excède le seuil réglementaire.
    • Dans la mesure où, au jour de la naissance de l’obligation, elle n’a, par hypothèse, pas pu produire d’intérêts, ni être assortie de pénalités, seul le principal de la créance doit être pris en compte dans son évaluation.
  • Seconde règle
    • L’article 1359, al. 4e du Code civil prévoit que celui dont la demande, même inférieure au seuil réglementaire, porte sur le solde ou sur une partie d’une créance supérieure à ce montant ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande.
    • Ainsi, il importe peu que le solde restant dû de la créance soit inférieur au seuil réglementaire.
    • Afin de déterminer si ce seuil est atteint, il y a lieu de tenir compte de la créance initiale prise dans sa globalité.
    • Cette règle a été instituée par le législateur afin d’empêcher que, par le jeu d’un fractionnement de la créance litigieuse, une partie puisse se soustraire à l’exigence d’écrit.

?Exceptions

Par dérogation à l’exigence de production d’un écrit pour la preuve des actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, il est un certain nombre de dispositions légales qui imposent la preuve littérale quel que soit le montant de l’acte litigieux.

Au nombre de ces dispositions, on compte celles relatives notamment à :

  • La transaction
    • L’article 2044, al. 2e du Code civil prévoit que « ce contrat doit être rédigé par écrit. »
  • Le contrat d’assurance
    • L’article L. 112-3 du Code des assurances prévoit que « le contrat d’assurance et les informations transmises par l’assureur au souscripteur mentionnées dans le présent code sont rédigés par écrit, en français, en caractère apparents. »
    • Dans un arrêt du 2 mars 2004, la Cour de cassation a déduit de cette disposition que « la preuve de la conclusion du contrat d’assurance ne peut résulter que d’un écrit émanant de la partie à laquelle on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°00-19.871).
  • Le contrat de représentation, d’édition et de production audiovisuelle
    • L’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que ce type de contrat doit nécessairement être constaté par écrit.
  • Cession de parts sociales
    • L’article L. 221-14 du Code de commerce prévoit que, pour les sociétés en nom collectif « la cession des parts sociales doit être constatée par écrit ».
    • Il en va de même pour les sociétés à responsabilité limitée (art. L. 223-17 C. com.)

Pour tous ces contrats, le montant de leur objet est indifférent. Leur preuve ne peut être rapportée qu’au moyen d’un écrit.

2. Les actes juridiques non visés par l’exigence de preuve par écrit

Nonobstant la formulation générale de la règle énoncée à l’article 1359, al. 1er du Code civil, il est un certain nombre de cas où la production d’un écrit n’est pas exigée pour établir un acte juridique, de telle sorte que la preuve peut être rapportée par tout moyen :

  • Les actes juridiques dont le montant est inférieur au seuil réglementaire
    • Dans la mesure où la production d’un écrit est exigée pour les seuls actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, cela signifie, a contrario, que les actes dont le montant est inférieur à ce seuil ne sont pas soumis à l’exigence de preuve littérale.
    • Aussi, pour ces actes la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen.
  • Les actes de commerce
    • L’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi »
    • Il ressort de cette disposition que la preuve des actes de commerce ne requiert pas la production d’un écrit, quand bien même l’acte porterait sur un montant supérieur au seuil réglementaire visé par l’article 1359, al. 1er du Code civil.
    • Pour que la preuve soit libre encore faut-il que deux conditions cumulatives soit remplies :
      • Première condition
        • L’acte litigieux doit présenter un caractère commercial.
        • Pour mémoire, il existe trois sortes d’actes de commerce :
          • Les actes de commerce par nature, soit ceux portant sur les opérations visées aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce et qui, pour présenter un caractère commercial, doivent nécessairement être accomplis de façon répétée et à des fins spéculatives
          • Les actes de commerce par la forme, soit ceux dont la commercialité ne dépend ni de la qualité de la personne qui les accomplis, ni de leur finalité ou de leur répétition
          • Les actes de commerce par accessoire, soit ceux, quelle que soit leur nature, dont l’accomplissement se rattache à une opération commerciale principale
      • Seconde condition
        • Pour que le plaideur auquel il appartient de prouver un acte de commerce ne soit pas soumis à l’exigence d’écrit, le défendeur doit endosser la qualité de commerçant.
        • En effet, si l’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que les actes de commerce peuvent être prouvés par tous moyens, le texte précise que la règle ne joue que pour les seuls actes accomplis « à l’égard des commerçants ».
        • Aussi, dans l’hypothèse où le défendeur n’endosserait pas la qualité de commerçant, la preuve de l’acte de commerce requerra la production d’un écrit, à tout le moins pour le demandeur.
        • On parlera alors d’acte de mixte.
        • Un acte est dit mixte, lorsqu’il présente un caractère commercial à l’égard d’une partie et un caractère civil à l’égard de l’autre partie.
        • Dans cette hypothèse, le régime probatoire applicable est asymétrique :
  • Les actes relevant de la compétence du juge prud’homal
    • En matière prud’homale, il est de jurisprudence constante que la preuve est, par principe, libre (Cass. soc. 27 mars 2001, n°98-44.666)
    • La raison en est l’impossibilité morale résultant du rapport de subordination existant entre l’employeur et le salarié.
    • C’est pourquoi, il est admis que les faits allégués soient établis par tous moyens.
    • À cet égard, régulièrement la Cour de cassation rappelle qu’en matière prud’homale, « les juges du fond apprécient souverainement la portée et la valeur probante des éléments qui leur sont soumis » (Cass. soc. 10 juin 1965 ; Cass. soc. 13 févr. 2013, n°11-26.098).
  • Les actes dont se prévalent les tiers
    • Principe
      • En application du principe de l’effet relatif des conventions, le contrat ne produit d’effets qu’entre les parties (art. 1199 C. civ.).
      • Est-ce à dire que les tiers ne pourraient pas s’en prévaloir ? Dans l’affirmative, comment prouver l’acte juridique qu’un tiers souhaiterait opposer aux parties ?
      • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1200 du Code civil.
      • Cette disposition prévoit que les tiers peuvent se prévaloir de la situation juridique créée par le contrat « notamment pour apporter la preuve d’un fait ».
      • Ainsi, est-il admis qu’un tiers puisse opposer à des contractants l’existence ou le contenu de l’acte qu’ils ont conclu.
      • En pareille hypothèse, il est de jurisprudence constante que la preuve est libre.
      • La raison en est que pour les tiers, le contrat conclu entre les parties constitue un fait juridique.
      • Pour cette raison, la preuve de l’acte par le tiers peut être rapportée par tous moyens.
      • Dans un arrêt du 25 novembre 1970, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’ancien article 1341 du Code civil, que « les règles édictées par ce texte, relativement à la preuve des actes juridiques, ne concernent que les parties auxdits actes, et qu’il est permis aux tiers d’établir leur existence par tous moyens de preuve » (Cass. 1ère civ. 25 nov. 1970, n°69-10.893).
      • Dans un arrêt du 30 juin 1980, la Chambre commerciale a encore affirmé que « la défense de prouver par témoins ou par présomptions contre et outre le contenu à l’acte ne concerne que les parties contractantes et qu’il est permis au tiers de contester par ces modes de preuves la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » (Cass. com. 30 juin 1980, n°79-10.623).
      • La Première chambre civile a rappelé plus récemment cette règle dans un arrêt du 3 juin 2015.
      • Aux termes de cette décision, elle a décidé, s’agissant d’un contrat de mandat, que « le banquier dépositaire, qui se borne à exécuter les ordres de paiement que lui transmet le mandataire du déposant, peut rapporter la preuve par tous moyens du contrat de mandat auquel il n’est pas partie » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2015, n°14-20.518).
      • À l’inverse, lorsqu’une partie à l’acte souhaite, en application de l’article 1200 du Code civil, opposer à un tiers « la situation judiciaire créée par le contrat », la Cour de cassation juge que s’il « est permis aux tiers de contester par tous modes de preuve la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » ; en revanche « il appartient aux parties à un acte d’en rapporter la preuve contre les tiers dans les termes du droit commun » (Cass. 3e civ. 15 mai 1974, n°73-12.073).
      • Autrement dit, y compris lorsqu’ils cherchent à opposer l’acte juridique qu’ils ont conclu à un tiers, les contractants sont soumis à l’exigence de preuve par écrit.
    • Domaine
      • Seuls les tiers à l’acte ne sont pas soumis à l’existence de production d’un écrit s’agissant de la preuve de son existence et de son contenu.
      • Encore faut-il que l’on s’entende sur la notion de tiers.
      • Une première approche conduit à exclure de la qualification de tiers toutes les personnes qui ne sont pas partie à l’acte, soit qui n’y ont pas adhéré.
      • Cette approche est toutefois trop restrictive
      • Il est, en effet, certaines personnes qui, si au moment de la conclusion de l’acte, endossaient la qualité de tiers, peuvent, après coup, endosser la qualité de partie.
      • Tel est le cas du cessionnaire qui se substitue à l’une des parties initiales.
      • Il en va de même des ayants-cause universels ou à titre universels, soit des héritiers des parties, lesquels ont vocation à « continuer » la personne du défunt : la mort saisit le vif.
      • Par exception, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 18 avril 1989 que « les héritiers réservataires sont admis à faire la preuve d’une donation déguisée de nature à porter atteinte à leur réserve par tous moyens et même à l’aide de présomptions » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 1989, n°87-10.388).
  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

La preuve des actes juridiques: régime

À la différence des faits juridiques qui se prouvent par tout moyen (art. 1358 C. civ.), les actes juridiques ne peuvent être prouvés que par la production d’un écrit (art. 1359 C. civ.).

Cette règle n’est toutefois pas absolue ; elle souffre de plusieurs dérogations énoncées notamment aux articles 1360 et suivants du Code civil.

§1: Les principes encadrant la preuve des actes juridiques

?Origines

Les règles qui encadrent la preuve des actes juridiques sont héritées de l’ordonnance de Moulins de février 1566 qui prescrivait en son article 54 l’obligation d’établir un écrit pour toutes les opérations dont le montant excédait 150 livres[1].

L’adoption de cette ordonnance a bouleversé la hiérarchie des modes de preuve admis à l’époque.

Jusqu’alors le système probatoire avait accordé une place importante, sinon prépondérante aux témoignages.

Durant la période médiévale, les juges étaient, en effet, particulièrement portés à privilégier ce mode de preuve, compte tenu de ce que l’écrit était encore peu répandu dans les relations d’affaires.

Cette place conférée à la preuve testimoniale dans le système probatoire était exprimée par l’adage « témoins passent lettres », ce qui signifiait que ce mode de preuve prévalait sur l’écrit.

Progressivement, les juristes ont toutefois appréhendé la preuve testimoniale avec de plus en plus de méfiance considérant que sa fiabilité était, par nature, limitée.

En parallèle, à partir de l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée en août 1539 par François 1er, l’écrit a commencé à supplanter les autres modes de preuve s’agissant de la preuve des actes juridiques.

Domat justifiait la primauté de la preuve littérale en avançant que « la force des preuves par écrit consiste en ce que les hommes sont convenus de conserver par l’écriture le souvenir des choses qui se sont passées et dont ils ont voulu faire subsister la mémoire, pour s’en faire des règles, ou avoir la preuve perpétuelle de la vérité de ce que l’on a écrit ».

Aussi, pour le célèbre jurisconsulte, « on écrit les conventions pour conserver la mémoire de ce qu’on s’est prescrit en contractant et pour se faire une loi fixe et immuable de ce qui a été convenu ».

Au fond, l’ordonnance de Moulins de février 1566 n’a fait qu’entériner l’abandon progressif de la preuve testimoniale – qui est devenue un mode de preuve subsidiaire – à la faveur de la preuve littérale.

Cette primauté de l’écrit sur le témoignage, à compter de la seconde moitié du XVIe siècle, sera reprise 250 ans plus tard par les rédacteurs du Code civil.

Ils y introduisirent un article 1341 qui reprenait fidèlement les termes de l’ordonnance de Moulins en prévoyant que « il doit être passé acte devant notaires ou sous signature privée, de toutes choses excédant la somme ou valeur de cent cinquante francs, même pour dépôts volontaires ; et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre de cent cinquante francs ».

Cette disposition est ainsi venue consacrer l’exigence d’un écrit pour la preuve des actes juridiques.

Assez curieusement néanmoins, elle siégeait dans une section dédiée à la preuve testimoniale, ce qui n’a pas manqué de susciter des critiques.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant notamment réforme du droit de la preuve, le législateur en a profité pour rectifier cette maladresse.

La règle énoncée à l’ancien article 1341 du Code civil a été transférée à l’article 1359. Elle relève désormais d’un chapitre sous lequel sont rassemblés les principes généraux qui régissent l’admissibilité des modes de preuve.

La formulation de la règle a, par ailleurs, été modernisée. Le nouveau texte a été débarrassée de ses tournures désuètes. Il énonce dorénavant deux règles bien distinctes.

  • La première règle pose l’exigence de la production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique dont le montant excède un certain seuil (art. 1359, al. 1er C. civ.)
  • La seconde règle prévoit, quant à elle, qu’on ne peut prouver contre ou outre un acte juridique qu’en produisant un autre écrit (art. 1359, al. 2e C. civ.).

I) La preuve de l’acte juridique

A) L’exposé du principe

1. Signification

L’article 1359 du Code civil prévoit que « l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique. »

Il ressort de cette disposition que la preuve d’un acte juridique suppose la production d’un écrit.

Il s’agit là d’une exception au principe institué à l’article 1358 du Code civil qui, pour mémoire, prévoit que « hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen. »

Les actes juridiques ne sont ainsi pas soumis au principe de liberté de la preuve. Lorsque le montant sur lequel ils portent excède un certain seuil (1500 euros), ils ne peuvent être prouvés qu’au moyen d’un écrit qui en constate l’établissement.

Comme souligné dans le Rapport au Président de la République qui accompagnait l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 « l’écrit n’étant pas exigé à titre de validité du contrat, en vertu du principe du consensualisme, la sécurité des transactions rend indispensable l’exigence de la preuve par écrit ».

Pratiquement, cela signifie que, lorsqu’il s’agit de rapporter la preuve d’un acte juridique, le seul mode de preuve admissible c’est l’écrit.

Faute de production d’un écrit par la partie qui se prévaut de l’acte juridique, le juge devra réputer le fait allégué comme n’ayant pas été prouvé. Or comme énoncé par l’adage : idem est non esse non probari. Cela signifie littéralement que c’est la même chose de ne pas être ou de ne pas pouvoir être prouvé.

Aussi, le plaideur qui se trouve dans l’incapacité de produire un écrit alors qu’il lui incombe de prouver un acte juridique est promis à perdre le procès.

Quand bien même il verserait aux débats des témoignages ou convoquerait des présomptions, le juge n’aura d’autre choix que de les écarter, le seul mode de preuve recevable, s’agissant de prouver un acte juridique, étant l’écrit.

Encore faut-il néanmoins que l’écrit produit par le plaideur réponde aux exigences fixées par la loi.

2. Notion d’écrit

?L’appréhension de l’écrit par l’ancien droit

Très tôt, l’écriture est apparue comme un formidable moyen pour l’Homme de fixer sur des supports les plus divers (tablettes de pierre, papyrus, parchemins etc.) les récits de son vécu.

Assez paradoxalement, ce n’est à partir du XVIe siècle que les juristes lui ont accordé une place prépondérante dans le système probatoire.

Si une hiérarchie des modes de preuve relativement sophistiquée avait été établie dans l’ancien droit, la preuve par écrit a occupé pendant longtemps un rang bien inférieur à celui conféré aux preuves irrationnelles telles que les ordalies, le duel judiciaire ou encore le serment.

Ce n’est qu’à partir de l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée en août 1539 par François 1er que l’écrit a commencé à supplanter les autres modes de preuve.

Domat justifiait la primauté de la preuve littérale en avançant que « la force des preuves par écrit consiste en ce que les hommes sont convenus de conserver par l’écriture le souvenir des choses qui se sont passées et dont ils ont voulu faire subsister la mémoire, pour s’en faire des règles, ou avoir la preuve perpétuelle de la vérité de ce que l’on a écrit ».

Ainsi poursuit-il « on écrit les conventions pour conserver la mémoire de ce qu’on s’est prescrit en contractant et pour se faire une loi fixe et immuable de ce qui a été convenu ».

?L’absence de définition de l’écrit dans le Code civil de 1804

Cette place réservée à la preuve par écrit à compter du XVIe siècle a été reconduite par les rédacteurs du Code civil en 1804.

Curieusement, ces derniers n’avaient toutefois pas jugé utile de définir ce que l’on devait entendre par écrit.

Tout au plus, l’ancien article 1359 du Code civil prévoyait que « il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre ».

Cette disposition définissait donc le domaine de la preuve littérale sans pour autant préciser le sens de la notion.

Pour certains auteurs, ce silence trahit l’état d’esprit dans lequel se trouvait le législateur en 1804 qui ne concevait pas que l’on puisse dissocier l’écrit de son support.

La preuve littérale ou preuve par écrit n’a pas été définie tant il était évident, à l’époque, que l’adjectif littéral désignait « une écriture apposée en signes lisibles sur un support tangible ».

Pour les promoteurs du Code napoléonien, l’écrit faisait nécessairement qu’un avec le support destiné à le recevoir, en l’occurrence pour les actes juridiques, le papier. Or le papier est une notion qui ne requiert pas qu’on la définisse ; sa signification relève de l’évidence.

L’absence de définition de la preuve littérale dans le Code civil ne soulevait aucune difficulté tant que les actes juridiques étaient dressés sur des supports papiers.

L’apparition des nouvelles technologies de l’information et de la communication a toutefois complètement bouleversé la conception que l’on se faisait de l’écrit.

La possibilité offerte aux opérateurs économiques de conclure et d’exécuter des opérations par voie dématérialisée a contraint les juristes et les pouvoirs publics à réfléchir à l’adaptation du droit de la preuve aux nouvelles technologies de l’information.

Dès la fin du XXe siècle une partie de la doctrine a plaidé pour interprétation souple des textes alors en vigueur.

Ces derniers n’en demeuraient pas moins inadaptés aux actes conclus par voie électronique.

Comme relevé par le Conseil d’État, dans son rapport intitulé « Internet et les réseaux » publié le 2 juillet 1998, « la notion d’original n’a pas de sens s’agissant d’un message numérique et il serait dangereux de considérer comme satisfaisant à l’obligation d’une signature un procédé dont la loi n’aurait pas fixé les conditions de validité ».

Cela n’a toutefois pas empêché la Chambre commerciale de la Cour de cassation de construire une jurisprudence tendant vers une assimilation des documents électroniques offrant certaines garanties à un écrit.

Dans un arrêt remarqué du 2 décembre 1997, elle a ainsi jugé que « l’écrit constituant, aux termes de l’article 6 de la loi du 2 janvier 1981, l’acte d’acceptation de la cession ou de nantissement d’une créance professionnelle, peut être établi et conservé sur tout support, y compris par télécopies, dès lors que son intégrité et l’imputabilité de son contenu à l’auteur désigné ont été vérifiées, ou ne sont pas contestées » (Cass. com. 2 déc. 1997, n°95-251).

Pour la Chambre commerciale, c’est donc aux juges du fond qu’il revenait d’analyser les circonstances dans lesquelles avait été émis l’écrit pour établir s’il pouvait ou non être retenu comme établissant la preuve d’un acte.

Cette position n’a pas été partagée par toutes les chambres de la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 14 février 1995, la Première chambre civile a, par exemple, estimé qu’une photocopie ne pouvait pas être assimilée à un écrit et ne pouvait dès lors valoir que commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Si le droit en vigueur autorisait à prendre en compte les documents électroniques au titre des exceptions prévues par la loi à l’exigence de preuve littérale, la doctrine s’accordait à dire qu’il ne permettait pas, en revanche, de leur reconnaître la même valeur probatoire qu’un écrit.

D’où l’appel du Conseil d’État émis dans son rapport de 1998 à procéder à « une reconnaissance rapide de la valeur juridique du document électronique [qui] s’impose et rend nécessaire une adaptation du Code civil ».

?L’apparition tardive d’une définition de l’écrit dans le Code civil

Il a fallu attendre l’adoption de la loi n°2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique pour voir apparaître dans le Code civil une définition de l’écrit.

Cette définition a d’abord eu pour siège l’ancien article 1316 du Code civil. Puis, elle a été transférée à l’article 1365 consécutivement à l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Selon ce texte, « l’écrit consiste en une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support. »

Comme précisé dans les travaux parlementaires, la définition retenue de la preuve littérale a été formulée en des termes suffisamment généraux pour couvrir, non seulement l’écrit électronique, mais également toute autre forme d’écrit susceptible de résulter des évolutions technologiques à venir.

Si cette définition présente indéniablement l’avantage d’embrasser tout le champ des possibles, certains auteurs ont souligné qu’elle demeurait malgré tout « incomplète »[2].

En effet, l’article 1365 du Code civil se limite à présenter l’écrit comme consistant « en une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible ». Il est pourtant bien plus que cela.

Le législateur a omis d’intégrer dans la définition de l’écrit sa raison d’être : faire la preuve de ce qu’il constate.

Dans son sens juridique, l’écrit est indissociable de sa finalité probatoire. Il n’est autre que le support qui a vocation à fixer la volonté de ceux qui l’établissent à produire des effets de droit.

La notion d’écrit conjugue, autrement dit, ce que l’on appelle le negocium et l’instrumentum.

Pour mémoire :

  • S’agissant du negocium
    • Il consiste en l’acte juridique, soit l’opération voulue par son auteur.
    • L’article 1100-1 du Code civil définit les actes juridiques comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »
    • Exemple : la vente d’un bien, la fourniture d’un service, la location d’un immeuble, l’acceptation d’une succession etc.
  • S’agissant de l’instrumentum
    • Il s’agit du support qui constate une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit, soit un acte juridique.
    • L’instrumentum renferme ainsi l’opération juridique telle que voulue, à tout le moins décrite, par son auteur.
    • Autrement dit, l’instrumentum est le contenant, tandis que le negocium est le contenu

L’écrit au sens juridique du terme fait la synthèse entre ces deux notions : il consiste en l’instrumentum qui constate le negocium.

À l’analyse, la définition formulée à l’article 1365 du Code civil ne rend pas compte de cette double dimension de l’écrit.

Pour ce faire, il aurait fallu qu’elle exprime la nécessité pour qu’une suite de signes puisse valoir écrit que celle-ci ait été établie en vue de faire la preuve de l’acte juridique qu’elle constate.

Absente de la définition de l’écrit, cette exigence est éclatée entre les différents articles relevant de la sous-section du Code civil consacrée aux dispositions générales applicable à la preuve par écrit.

À cet égard, il s’évince de ce corpus introductif de textes qu’un écrit se caractérise par la réunion de plusieurs éléments constitutifs qui tiennent :

  • À sa consistance
    • L’article 1365 du Code civil prévoit que « l’écrit consiste en une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible ».
    • Il ressort de cette disposition que la notion d’écrit couvre, tant la formulation de lettres et de chiffres traduisant un langage courant, que l’inscription de signes et de symboles dont la compréhension requiert une opération de traduction, à tout le moins d’interprétation.
    • Au fond, la seule exigence posée par le texte pour que l’on soit en présence d’un écrit, c’est que la suite de signes ou de symboles susceptible d’être présentée au juge soit dotée d’une signification intelligible.
    • Il en résulte qu’un texte crypté, mais déchiffrable par son destinataire, est intelligible et possède par conséquent une vocation probatoire.
  • À son support
    • L’article 1365 du Code civil ne subordonne manifestement l’écrit à aucune condition qui tiendrait à son support ou à ses modalités de transmission.
    • Désormais, la preuve littérale ne s’identifie plus au papier et peut résulter d’une communication à distance (e-mail, disquette, disque dur, clé USB).
    • Au fond, comme souligné par des auteurs, l’insertion dans le Code civil d’une définition de l’écrit par la loi n°2000-230 du 13 mars 2000 « n’a eu d’autre but que de permettre de reconnaître valeur juridique à l’écrit électronique »[3].
    • À cet égard, la disposition qui suit l’article 1365 du Code civil n’est autre que celle qui place sur un pied d’égalité l’écrit papier et l’écrit électronique.
    • Le législateur a écarté la proposition visant à établir dans la loi une hiérarchie entre l’écrit sur support papier et l’écrit électronique, dans les cas où l’écrit sur support papier était authentifié, c’est-à-dire signé des parties.
    • L’article 1366 prévoit ainsi que « l’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier ».
    • Le texte subordonne toutefois l’admission de l’écrit électronique à une double condition :
      • D’une part, la personne dont il émane doit pouvoir « être dûment identifiée »
      • D’autre part, il doit être « établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».
  • À sa signature
    • Bien que l’article 1365 du Code civil soit silencieux sur l’exigence de signature de l’écrit, elle n’en est pas moins l’un de ses éléments constitutifs.
    • L’article 1367 prévoit, en ce sens, que la signature est « nécessaire à la perfection d’un acte juridique ».
    • Pour être précis, la signature est requise pour parfaire, non pas « l’acte juridique », mais « l’écrit » en tant que mode de preuve. La formulation de la règle est maladroite : le législateur confond ici l’instrumentum avec le negocium.
    • En effet, au sens strict, l’acte juridique c’est le negocium, soit l’opération voulue par son auteur. Or conformément au principe du consensualisme, la perfection du negocium est subordonnée à la seule expression des volontés. La signature n’est donc pas une condition de validité du negocium.
    • Si la signature est exigée c’est pour permettre d’établir l’existence et le contenu du negocium. C’est la raison pour laquelle elle est requise uniquement pour parfaire l’écrit, soit l’instrumentum constatant le negocium.
    • Comme souligné par des auteurs, la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 « aurait pu être l’occasion de corriger cette inadvertance, en érigeant la signature en condition de perfection de l’écrit, qu’il soit authentique ou sous signature privée, électronique ou papier, plutôt qu’en condition de l’acte juridique »[4].
    • Le législateur n’a pas saisi cette occasion ; il s’est contenté en 2016 de reprendre dans les mêmes termes la règle énoncée à l’ancien article 1316-4 du Code civil qu’il a transféré à l’article 1367.
  • À son auteur
    • Il est un principe constant en droit de la preuve selon lequel pour être recevable, l’écrit produit en justice ne peut pas émaner de la partie qui s’en prévaut.
    • Aussi, est-il fait interdiction au demandeur de fonder ses prétentions sur des preuves qu’il se serait préconstituées unilatéralement ; il ne peut prouver ses allégations qu’au moyen d’éléments qui lui sont extérieurs.
    • Cette règle a, très tôt, été énoncée par Pothier qui écrivait dans son Traité des obligations que « personne ne pouvant se faire de titre à soi-même, suivant le principe que nous avons déjà établi, il suit de là que les livres-journaux des marchands sur lesquels ils inscrivent jour par jour les marchandises qu’ils débitent aux différents particuliers, ne peuvent pas faire une preuve pleine et entière de ces fournitures contre les personnes à qui elles ont été faites »[5].
    • Elle a, par suite, été reconduite par les rédacteurs du Code civil qui l’ont codifiée aux anciens articles 1329 et 1331 du Code civil.
    • Ces dispositions interdisaient de prouver des allégations :
      • Pour les marchands en produisant leurs propres registres contre des personnes non marchandes
      • Pour les particuliers en produisant leurs propres registres ou papiers domestiques
    • On retrouvait également cette règle à l’ancien article 1347, alinéa 2e du Code civil qui définissait le commencement de preuve par écrit comme un acte « qui est émané de celui contre lequel la demande est formée ».
    • Alors que l’application des dispositions précitées était a priori cantonnée à des domaines spéciaux, la jurisprudence a dégagé des règles énoncées un principe général selon lequel « nul ne peut se constituer une preuve à lui-même ».
    • La reconnaissance de ce principe est notamment intervenue dans un arrêt du 23 novembre 1972 rendu par la Chambre sociale aux termes duquel elle reproche à une Cour d’appel d’avoir retenu à titre de preuve une affirmation émanant du demandeur à l’allégation (Cass. soc. 23 nov. 1972, 71-12.032).
    • La Première chambre civile se fondera sur ce même principe dans un arrêt du 2 avril 1996 pour décider que la SNCF ne pouvait, dans le cadre d’un procès, produire aux débats des témoignages émanant de ses propres salariés aux fins de s’exonérer de sa responsabilité envers un voyeur victime d’un accident (Cass. 1ère civ. 2 avr. 1996, n°93-17.181).
    • Comme souligné par un auteur, cette règle se fonde « sur des considérations d’élémentaire justice et de protection de la partie adverse de celle à qui incombe la charge de la preuve dans un procès »[6].
    • On ne peut, en effet, raisonnablement admettre qu’un demandeur puisse fonder ses prétentions sur ses propres déclarations ou sur les documents qu’il a lui-même établis.
    • Le principe d’interdiction des preuves constituées par et pour soi-même relève de l’évidence, sinon du « bon sens »[7] et participe de l’exigence de « loyauté dans le débat judiciaire »[8].
  • À sa forme
    • L’article 1364 du Code civil prévoit que « la preuve d’un acte juridique peut être préconstituée par un écrit en la forme authentique ou sous signature privée. »
    • Il s’infère de cette disposition que, pour produire les effets juridiques d’un écrit et donc pour être recevable à titre de preuve d’un acte juridique, l’élément de preuve rapportée par les parties doit prendre la forme, soit d’un acte authentique, soit d’un acte sous signature privée :
      • S’agissant de l’acte authentique, il présente la particularité d’être dressé par un officier public qui est tiers à l’opération conclue entre les parties. L’intervention de ce tiers lui confère à l’acte son authenticité et la plus haute valeur juridique, ce qui le place au sommet de la hiérarchie des écrits. Son établissement est requis dans certains domaines, tels que, par exemple, la régularisation d’un contrat de mariage, la vente d’un immeuble ou encore l’octroi d’une donation.
      • S’agissant de l’acte sous signature privée, il se distingue de l’acte authentique en ce qu’il est rédigé par les parties elles-mêmes, sans l’intervention d’un officier public. À cet égard, il tire sa valeur juridique de la signature dont il est revêtu. Il peut être recouru à l’acte sous signature privée dans tous les domaines où l’établissement d’un acte authentique n’est pas exigé. Ce sera notamment le cas pour tous les contrats consensuels, soit les contrats qui se forment par le seul échange des consentements des parties.
    • Comme l’acte sous signature privée, l’acte authentique est un acte instrumentaire, c’est-à-dire un écrit rédigé spécialement en vue de constater des droits et obligations.
    • Mais, à la différence de l’acte sous signature privée, il est revêtu d’une qualité particulière, l’authenticité, résultant de ce qu’il est dressé par un officier public (ce qui impose sa présence pour recevoir le consentement des parties) suivant les formalités requises.
    • Ces formalités varient selon les catégories d’actes, mais deux formalités sont toujours exigées : la signature manuscrite de l’officier public et l’indication de la date.
    • Si donc l’acte sous signature privée et l’acte authentique sont recevables à titre de preuve d’un acte juridique ils se distinguent sur plusieurs points :
      • La sécurité procurée par l’acte
        • La signature d’un acte authentique par l’officier public qui l’établit garantit son authenticité et plus précisément la véracité de ce que ce dernier a été en mesure de vérifier par lui-même : l’origine de l’acte, sa date, le contenu des déclarations des parties, le paiement intervenu entre ses mains etc.
        • Tel n’est pas le cas de la signature apposée sur un acte sous signature privée qui a seulement pour fonction d’identifier l’auteur de l’acte et son consentement à l’opération constatée.
        • Aussi, en dehors des exceptions prévues par la loi, l’acte sous signature privée n’est soumis à aucune autre condition de forme que la signature de ceux qui s’obligent.
      • La force probante
        • S’agissant de l’acte authentique
          • Il fait foi jusqu’à inscription en faux des faits que l’officier public y a énoncés
          • Cela qui signifie que pour contester ce type d’acte, il est nécessaire de mettre en œuvre une procédure spécifique obéissant à des règles très précises (articles 303 et suivants du Code de procédure civile).
          • À cet égard, le demandeur en faux qui succomberait à l’issue de cette procédure encourt une condamnation à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
        • S’agissant de l’acte sous signature privée
          • Il fait foi entre ceux qui y ont souscrit et leurs héritiers ou ayant cause.
          • Toutefois, il est permis d’en rapporter la preuve contraire sans qu’il soit besoin de mettre en œuvre la procédure d’inscription en faux applicable aux actes authentiques.
      • La force exécutoire
        • L’un des principaux avantages de l’acte authentique réside dans la force exécutoire dont il est pourvu.
        • Cette force exécutoire permet à son bénéficiaire de solliciter l’exécution des obligations constatées dans l’acte auprès d’un huissier de justice sans avoir besoin au préalable de recourir à une décision de justice.
        • Autrement dit, l’acte authentique dispense son titulaire d’agir en justice aux fins de faire reconnaître ses droits : il peut obtenir l’exécution forcée de son titre sur la simple présentation de ce que l’on appelle une copie exécutoire
        • C’est là une différence fondamentale avec les actes sous signature privée qui ne sont pas dotés de la force exécutoire.
        • La partie à un acte sous signature privée est, en effet, contrainte de saisir le juge si elle souhaite recouvrer sa créance, faute d’exécution spontanée du débiteur
      • Le coût de l’acte
        • La rédaction d’un acte sous signature privée est, la plupart du temps, bien moins onéreuse que l’établissement d’un acte authentique.
        • L’acte authentique requiert, en effet, toujours l’intervention d’un officier public, ce qui génère un coût, outre les taxes et autres frais attachés à l’opération constatée dans l’acte.
        • Tel n’est pas le cas de l’acte sous signature privée qui peut être établi par les seules parties.
        • Ces dernières peuvent néanmoins décider de se faire assister par un avocat, ce qui impliquera le paiement d’honoraires. Cela n’est toutefois pas une obligation.

B) Le domaine du principe

Si, en application de l’article 1359 du Code civil, la production d’un écrit n’est exigée comme mode de preuve que pour les seuls actes juridiques, tous les actes juridiques ne sont pas visés par cette exigence.

1. Les actes juridiques visés par l’exigence de preuve par écrit

Pour être soumis à l’exigence de preuve par écrit, l’acte dont la preuve doit être rapportée doit répondre à deux conditions cumulatives :

  • D’une part, il doit endosser la qualification d’acte juridique
  • D’autre part, il doit porter sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret

a. La qualification d’acte juridique

i. Les éléments de la qualification d’acte juridique

Les actes juridiques sont définis à l’article 1100-1 du Code civil comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »

Il ressort de cette définition que les actes juridiques sont la conjonction de deux éléments : une manifestation de volonté et la production d’effets de droit voulus :

  • Des manifestations de volonté
    • L’acte juridique suppose l’extériorisation d’une intention en vue de générer des conséquences juridiques.
    • L’acte juridique repose donc sur la manifestation de volonté de son auteur, lequel recherche la production d’effets de droit
      • Exemple : un contrat, une démission, une déclaration de naissance, l’acceptation d’une succession etc.
    • Comme souligné par Gérard Cornu dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, « fondamentalement, tous les actes juridiques se caractérisent, comme actes volontaires, par la direction que prend la volonté (car les faits juridiques peuvent aussi être volontaires). »
    • Reste que dans l’acte juridique, « la volonté est toujours tendue vers l’effet de droit consciemment perçu et recherché par son auteur (ce que traduisent les mots-clé « destinés », « en vue »). »
    • À cet égard, l’acte juridique peut résulter de l’expression d’une pluralité de volontés ou d’une volonté unique.
    • Dans le premier cas l’acte sera conventionnel, tandis que dans le second cas il sera unilatéral.
    • L’article 1100-1 du Code civil précise en ce sens que les actes juridiques peuvent être « conventionnels ou unilatéraux ».
      • Les actes juridiques conventionnels
        • Les actes juridiques conventionnels forment la catégorie des contrats.
        • Par contrat, il faut entendre, selon l’article 1101 du Code civil, « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. »
        • L’un des éléments essentiels qui caractérise le contrat est d’être le produit d’un accord d’au moins deux volontés.
        • Quand bien même le contrat ne crée d’obligations qu’à la charge d’une seule partie, ce qui pourrait inciter à le classer dans la catégorie des actes unilatéraux, il requiert toujours la rencontre de plusieurs volontés.
        • Aussi, on qualifie d’unilatéral un contrat, non pas parce qu’il est le produit d’une manifestation unilatérale de volonté, mais parce que, en pareil cas, une seule partie s’oblige sans qu’il y ait d’engagement réciproque de l’autre partie.
        • L’article 1106 du Code civil pose en ce sens que :
          • Le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres.
          • Il est unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci.
      • Les actes juridiques unilatéraux
        • Contrairement à l’acte juridique conventionnel, l’acte juridique unilatéral n’est défini par aucune disposition du Code civil.
        • L’avant-projet de réforme du droit des obligations avait pourtant proposé de le définir comme « un acte accompli par une seule ou plusieurs personnes unies dans la considération d’un même intérêt en vue de produire des effets de droit dans les cas admis par la loi ou par l’usage. »
        • Il ressort de cette définition que l’acte unilatéral se distingue de l’acte conventionnel en deux points :
          • En premier lieu, il n’est pas le produit d’une rencontre de plusieurs volontés, mais la manifestation d’une volonté unique.
          • En second lieu, l’acte unilatéral est établi « dans la considération d’un même intérêt », alors que l’acte conventionnel est porteur d’une pluralité d’intérêts divergents ou opposés.
  • La production d’effets de droit voulus
    • Une manifestation de volonté ne suffit pas à créer un acte juridique, il faut encore que cette volonté soit exprimée en vue de produire des effets de droit.
    • Autrement dit, il faut que le ou les auteurs de l’acte aient intentionnellement recherché des conséquences juridiques.
    • Lorsque, par exemple, deux personnes décident de conclure un contrat, les obligations stipulées dans cet acte conventionnel sont toujours voulues.
    • La volonté de produire des effets de droit est également présente lorsqu’un salarié décide de démissionner de ses fonctions ou lorsqu’un héritier accepte une succession.
    • C’est là une différence fondamentale avec les faits juridiques dont les conséquences juridiques ne sont jamais voulues.
    • À cet égard, selon que l’acte juridique est conventionnel ou unilatéral, les effets produits sont différents.
    • Effectivement, ce qui fondamentalement distingue l’acte juridique unilatéral de l’acte juridique conventionnel, c’est qu’il n’est jamais générateur d’obligations.
    • Il ne produit que quatre sortes d’effets de droit :
      • Un effet déclaratif : la reconnaissance de paternité
      • Un effet translatif : le testament
      • Un effet abdicatif : la renonciation, la démission
      • Un effet extinctif : la résiliation
    • Il peut être relevé le cas particulier de l’engagement unilatéral de volonté :
      • À la différence de l’acte juridique unilatéral, l’engagement unilatéral de volonté est générateur d’obligations
      • À la différence du contrat unilatéral, la validité de l’engagement unilatéral de volonté n’est pas subordonnée à l’acceptation du créancier de l’obligation
    • Compte tenu des caractéristiques de l’engagement unilatéral de volonté, la question s’est posée de savoir s’il pouvait être classé parmi les actes juridiques.
    • Le rapport au Président de la République dont est assortie l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a répondu positivement à cette question en indiquant que « en précisant que l’acte juridique peut être conventionnel ou unilatéral, [cela] inclut l’engagement unilatéral de volonté, catégorie d’acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui-ci ».

ii. La mise en œuvre de la qualification d’acte juridique

Bien que les actes juridiques bénéficient depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 d’une définition, l’exigence de la preuve par écrit soulève un certain nombre de difficultés qui tiennent, tantôt à la nature de l’acte en cause, tantôt à la qualification même d’acte juridique.

?Les difficultés qui tiennent à la nature de l’acte

S’il ne fait aucun doute que les actes juridiques conventionnels sont tous soumis à l’exigence de preuve par écrit, le doute est permis s’agissant des actes juridiques unilatéraux.

En effet, l’article 1359 du Code civil relève d’un chapitre dédié à l’admissibilité des modes de preuve, lequel chapitre relève d’un titre consacré à la preuve des obligations.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si seuls les actes juridiques créateurs d’obligations sont soumis à l’exigence de preuve par écrit.

Dans l’affirmative, cela signifierait que les actes juridiques unilatéraux ne seraient pas soumis à cette exigence et, par voie de conséquence, pourraient être prouvés par tout moyen.

Il est, en effet, de principe que les actes juridiques unilatéraux ne sont pas créateurs d’obligations. Comme vu précédemment, ils ne produisent que quatre sortes d’effets (déclaratif, translatif, abdicatif et extinctif).

Par ailleurs, certaines décisions rendues sous l’empire du droit antérieur ont pu semer le trouble en admettant que l’exigence de preuve par écrit puisse être écartée s’agissant d’établir l’existence d’engagements unilatéraux (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 oct. 1995, n°93-20.300 ; Cass. 1ère civ. 23 mai 2006, n°04-19.099).

Cette jurisprudence suggérait ainsi que tous les actes juridiques ne devaient pas nécessairement être prouvés par écrit.

Si le débat était ouvert sous l’empire du droit antérieur, les auteurs s’accordent aujourd’hui à dire qu’il n’a plus lieu d’être au regard de la nouvelle formulation des textes.

L’article 1359 du Code civil, bien qu’appartenant à un chapitre traitant de la preuve des obligations, prévoit que l’exigence de preuve par écrit s’applique à « l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret ».

Le texte n’opère aucune distinction, il vise, par principe, tous les actes juridiques quelle que soit leur nature, pourvu qu’ils portent sur un montant supérieur à 1500 euros.

Sont donc soumis à l’exigence de preuve par écrit, tant le contrat, que l’engagement unilatéral de volonté ou encore l’acte produisant un effet extinctif (résiliation) ou déclaratif (partage).

Quid des contrats réels ? des quasi-contrats ?

?Les difficultés qui tiennent à la qualification d’acte

Il est certaines opérations dont la qualification interroge en raison de la difficulté rencontrée à déterminer si elles relèvent de la catégorie des actes juridiques ou des faits juridiques.

  • Le paiement
    • Bien que le paiement soit une opération courante, sa nature a été particulièrement discutée en doctrine.
    • La question s’est, en effet, posée de savoir s’il s’agissait d’un acte juridique ou d’un fait juridique.
    • La qualification du paiement comporte deux enjeux :
      • Premier enjeu : le mode de preuve
        • Si le paiement s’apparente à en un acte juridique, alors la preuve est soumise à l’exigence de la production d’un écrit (art. 1359 C. civ.)
        • Si le paiement s’apparente à un fait juridique, alors la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen (art. 1358 C. civ.)
      • Second enjeu : la capacité juridique
        • Si le paiement s’apparente à un acte juridique, sa validité est subordonnée à la capacité juridique du solvens et de l’accipiens
        • Si le paiement s’apparente à un fait juridique, il est indifférent que le solvens ou l’accipiens soient capables : il produira ses effets y compris lorsqu’il aura été réalisé par un incapable
    • Dans le cadre du débat qui a opposé les auteurs sur la nature du paiement, deux thèses ont émergé :
      • La thèse de l’acte juridique
        • Selon cette thèse, le paiement s’analyserait en une convention conclue entre le solvens (celui qui paye) et l’accipiens (celui qui est payé) aux fins d’éteindre l’obligation originaire.
        • Bien que séduisante, cette thèse ne permet pas de rendre compte de l’hypothèse – fréquente – où le paiement est effectué par un tiers.
        • Elle ne permet pas non plus d’expliquer le cas où le débiteur peut contraindre le créancier à accepter le paiement par voie de mise en demeure (art. 1345-3 C. civ.).
      • La thèse du fait juridique
        • Selon cette thèse, le paiement tirerait ses effets de la loi et non de la volonté du débiteur.
        • Si donc le paiement produit, tantôt un effet extinctif, tantôt un effet subrogatoire, ce n’est pas parce que les parties intéressées à l’opération l’ont voulu, mais parce que la loi le prévoit.
    • Entre ces deux thèses, la Cour de cassation a opté pour la seconde.
    • Dans un arrêt du 6 juillet 2004, elle a jugé en ce sen que « la preuve du paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens » (Cass. 1ère civ. 6 juill. 2004, 01-14.618).
    • Par suite, à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le législateur a validé cette approche en insérant un article 1342-8 dans le Code civil qui dispose que « le paiement se prouve par tout moyen. »
    • Est-ce à dire que le débat est clos et que le paiement doit, désormais, être regardé comme un fait juridique ? Le texte ne le précise pas.
    • Si l’on se focalise sur les modalités de preuve du paiement, une réponse positive s’impose. Dans la mesure où la preuve est libre, le paiement s’apparenterait à un fait juridique.
    • Si, en revanche, on se tourne vers ses conditions de validité, il y a lieu d’être plus nuancé.
    • L’article 1342-2 du Code civil exige en effet que celui qui reçoit le paiement dispose de sa pleine capacité juridique. À défaut, le paiement n’est pas valable, sauf à ce que le créancier incapable en ait tiré profit.
  • La compensation
    • La compensation est définie à l’article 1347 du Code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes ».
    • Bien que son régime ait été réformé par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les nouveaux textes ne disent rien sur sa nature.
    • À cet égard, elle est souvent présentée comme consistant en un double paiement.
    • Compte tenu de ce que le paiement se prouve désormais par tout moyen, faut-il en déduire qu’il en va de même pour la compensation ?
    • Les auteurs suggèrent de distinguer selon que la compensation est légale ou conventionnelle.
    • Lorsqu’elle procède d’un accord entre les parties, dans les conditions de l’article 1348-2 du Code civil, il est certain qu’elle est soumise à l’exigence de la preuve par écrit à l’instar de n’importe quel contrat, à tout le moins lorsque les créances réciproques en jeu portent sur un montant supérieur à 1500 euros.
    • Lorsque, en revanche, la compensation est d’origine légale, le doute est permis.
    • Dans cette hypothèse, elle s’opère de plein droit par l’effet de la loi.
    • Pour cette raison, elle s’apparenterait à un fait juridique, faute d’avoir été voulue par les parties.
    • La volonté de ces dernières n’est toutefois pas étrangère à l’opération.
    • En effet, pour que la compensation légale produise ses effets, encore faut-il qu’elle ait été invoquée par la personne qui s’en prévaut.
    • L’article 1347, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que la compensation « s’opère, sous réserve d’être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies ».
    • Cette exigence était-elle suffisante pour conférer à la compensation légale la qualification d’acte juridique ?
    • Nous ne le pensons pas. Reste que la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur cette question.

b. Le montant de l’acte juridique

?Principe

L’article 1359, al. 1er du Code civil n’impose la preuve par écrit que pour les seuls actes juridiques « portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret ».

Il convient alors de se reporter au décret n°80-533 du 15 juillet 1980, modifié à plusieurs reprises, afin de déterminer le seuil au-delà duquel la preuve par écrit est exigée.

Tandis que le texte originel avait fixé ce seuil à 5000 francs, il a été porté à 800 euros par le décret n° 2001-476 du 30 mars 2001 consécutivement au passage du franc à l’euro.

Considérant que ce montant était trop faible, compte tenu de l’inflation, il a été relevé, peu de temps après, par le décret n° 2004-836 du 20 août 2004, à 1500 euros.

Aussi, le texte réglementaire prévoit désormais que « la somme ou la valeur visée à l’article 1359 du Code civil est fixée à 1 500 euros. »

La fixation de ce seuil procède de la volonté du législateur d’exclure du domaine de l’exigence de la preuve par écrit les actes de la vie courante. Cette exclusion avait déjà été prévue par l’ordonnance de Moulins qui avait fixé le seuil à « cinquante francs ».

Les actes juridiques de la vie courante peuvent ainsi se prouver par tout moyen. Ils ne requièrent pas la préconstitution d’un écrit.

La règle est heureuse ; elle favorise la fluidité des échanges économiques. Il serait inenvisageable, sinon inutile de contraindre les agents à régulariser un écrit pour les actes portant sur des sommes modiques qu’ils accomplissent au quotidien, parfois plusieurs fois par jour (achats de produits alimentaires, de vêtements ou encore de loisirs).

L’exigence d’établissement d’un écrit se justifie en revanche lorsque l’acte juridique porte sur une somme importante, soit inférieure à 1500 euros. Dans cette hypothèse, les parties seront plus portées à saisir le juge en cas de litige.

Or la meilleure solution pour prévenir un procès c’est, comme affirmé par Bentham, de se préconstituer une preuve afin d’être en mesure « d’établir de manière incontestable le droit qui est attaqué »[9].

?Mise en œuvre

La fixation d’un seuil au-delà duquel la production d’un écrit est exigée aux fins de prouver un acte juridique ne permet pas de mettre en œuvre la règle.

En effet, pour déterminer la nature de la preuve à rapporter en présence d’un acte juridique encore faut-il définir les modalités de calcul du seuil visé par le législateur.

En cas de litige, doit-on prendre en compte le montant de la créance dont se prévaut le demandeur ou celui initialement stipulé dans l’acte ? Par ailleurs, faut-il inclure les intérêts et autres accessoires de la créance litigieuse ou s’en tenir au principal ? Quid, en outre, du moment de l’évaluation du montant de créance ?

Sous l’empire du droit antérieur, le Code civil prévoyait un certain nombre de règles de calcul du seuil.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve n’a conservé que celles énoncées aux troisième et quatrième alinéas des articles 1343 et 1344 du Code civil en modifiant leur formulation pour plus de clarté et de rigueur.

  • Première règle
    • L’article 1359, al. 3e du Code civil prévoit que « celui dont la créance excède le seuil mentionné au premier alinéa ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande. ».
    • Il s’infère de cette disposition que les parties ne peuvent pas contourner l’exigence de production d’un écrit en ajustant le montant de leur demande de telle sorte que celui-ci serait inférieur au seuil réglementaire.
    • Il se déduit de cette règle que pour déterminer si ce seuil est dépassé il y a lieu de prendre en considération, non pas le montant de la demande du plaideur, mais le montant de la créance stipulé dans l’acte initial.
    • Autrement dit, il convient de se placer au moment de la formation de l’acte pour évaluer le montant de la créance litigieuse.
    • La raison en est que c’est à ce moment précis du processus contractuel qu’il y a lieu pour les parties de décider si la préconstitution d’un écrit est ou non nécessaire.
    • À cet égard, la Cour de cassation avait statué en ce sens dans un arrêt du 17 novembre 2011.
    • Dans cette décision elle avait, en effet, jugé que pour déterminer si l’objet du contrat avait une valeur inférieure ou supérieure au seuil réglementaire de 1500 euros il convenait de se positionner « au jour de la naissance de l’obligation » (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-25.343).
    • Pratiquement cela signifie que, en cas d’action en responsabilité contractuelle engagée par une partie contre l’autre, il y aura lieu de tenir compte, non pas du montant des dommages et intérêts réclamés, mais du montant de l’obligation principale stipulée au contrat au jour de sa formation.
    • De la même façon, l’application de la règle énoncée à l’article 1359, al. 3e du Code civil conduit à ne pas tenir compte des intérêts éventuellement produits par la créance et/ou des pénalités attachées pour déterminer si celle-ci excède le seuil réglementaire.
    • Dans la mesure où, au jour de la naissance de l’obligation, elle n’a, par hypothèse, pas pu produire d’intérêts, ni être assortie de pénalités, seul le principal de la créance doit être pris en compte dans son évaluation.
  • Seconde règle
    • L’article 1359, al. 4e du Code civil prévoit que celui dont la demande, même inférieure au seuil réglementaire, porte sur le solde ou sur une partie d’une créance supérieure à ce montant ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande.
    • Ainsi, il importe peu que le solde restant dû de la créance soit inférieur au seuil réglementaire.
    • Afin de déterminer si ce seuil est atteint, il y a lieu de tenir compte de la créance initiale prise dans sa globalité.
    • Cette règle a été instituée par le législateur afin d’empêcher que, par le jeu d’un fractionnement de la créance litigieuse, une partie puisse se soustraire à l’exigence d’écrit.

?Exceptions

Par dérogation à l’exigence de production d’un écrit pour la preuve des actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, il est un certain nombre de dispositions légales qui imposent la preuve littérale quel que soit le montant de l’acte litigieux.

Au nombre de ces dispositions, on compte celles relatives notamment à :

  • La transaction
    • L’article 2044, al. 2e du Code civil prévoit que « ce contrat doit être rédigé par écrit. »
  • Le contrat d’assurance
    • L’article L. 112-3 du Code des assurances prévoit que « le contrat d’assurance et les informations transmises par l’assureur au souscripteur mentionnées dans le présent code sont rédigés par écrit, en français, en caractère apparents. »
    • Dans un arrêt du 2 mars 2004, la Cour de cassation a déduit de cette disposition que « la preuve de la conclusion du contrat d’assurance ne peut résulter que d’un écrit émanant de la partie à laquelle on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°00-19.871).
  • Le contrat de représentation, d’édition et de production audiovisuelle
    • L’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que ce type de contrat doit nécessairement être constaté par écrit.
  • Cession de parts sociales
    • L’article L. 221-14 du Code de commerce prévoit que, pour les sociétés en nom collectif « la cession des parts sociales doit être constatée par écrit ».
    • Il en va de même pour les sociétés à responsabilité limitée (art. L. 223-17 C. com.)

Pour tous ces contrats, le montant de leur objet est indifférent. Leur preuve ne peut être rapportée qu’au moyen d’un écrit.

2. Les actes juridiques non visés par l’exigence de preuve par écrit

Nonobstant la formulation générale de la règle énoncée à l’article 1359, al. 1er du Code civil, il est un certain nombre de cas où la production d’un écrit n’est pas exigée pour établir un acte juridique, de telle sorte que la preuve peut être rapportée par tout moyen :

  • Les actes juridiques dont le montant est inférieur au seuil réglementaire
    • Dans la mesure où la production d’un écrit est exigée pour les seuls actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, cela signifie, a contrario, que les actes dont le montant est inférieur à ce seuil ne sont pas soumis à l’exigence de preuve littérale.
    • Aussi, pour ces actes la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen.
  • Les actes de commerce
    • L’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi »
    • Il ressort de cette disposition que la preuve des actes de commerce ne requiert pas la production d’un écrit, quand bien même l’acte porterait sur un montant supérieur au seuil réglementaire visé par l’article 1359, al. 1er du Code civil.
    • Pour que la preuve soit libre encore faut-il que deux conditions cumulatives soit remplies :
      • Première condition
        • L’acte litigieux doit présenter un caractère commercial.
        • Pour mémoire, il existe trois sortes d’actes de commerce :
          • Les actes de commerce par nature, soit ceux portant sur les opérations visées aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce et qui, pour présenter un caractère commercial, doivent nécessairement être accomplis de façon répétée et à des fins spéculatives
          • Les actes de commerce par la forme, soit ceux dont la commercialité ne dépend ni de la qualité de la personne qui les accomplis, ni de leur finalité ou de leur répétition
          • Les actes de commerce par accessoire, soit ceux, quelle que soit leur nature, dont l’accomplissement se rattache à une opération commerciale principale
      • Seconde condition
        • Pour que le plaideur auquel il appartient de prouver un acte de commerce ne soit pas soumis à l’exigence d’écrit, le défendeur doit endosser la qualité de commerçant.
        • En effet, si l’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que les actes de commerce peuvent être prouvés par tous moyens, le texte précise que la règle ne joue que pour les seuls actes accomplis « à l’égard des commerçants ».
        • Aussi, dans l’hypothèse où le défendeur n’endosserait pas la qualité de commerçant, la preuve de l’acte de commerce requerra la production d’un écrit, à tout le moins pour le demandeur.
        • On parlera alors d’acte de mixte.
        • Un acte est dit mixte, lorsqu’il présente un caractère commercial à l’égard d’une partie et un caractère civil à l’égard de l’autre partie.
        • Dans cette hypothèse, le régime probatoire applicable est asymétrique :
  • Les actes relevant de la compétence du juge prud’homal
    • En matière prud’homale, il est de jurisprudence constante que la preuve est, par principe, libre (Cass. soc. 27 mars 2001, n°98-44.666)
    • La raison en est l’impossibilité morale résultant du rapport de subordination existant entre l’employeur et le salarié.
    • C’est pourquoi, il est admis que les faits allégués soient établis par tous moyens.
    • À cet égard, régulièrement la Cour de cassation rappelle qu’en matière prud’homale, « les juges du fond apprécient souverainement la portée et la valeur probante des éléments qui leur sont soumis » (Cass. soc. 10 juin 1965 ; Cass. soc. 13 févr. 2013, n°11-26.098).
  • Les actes dont se prévalent les tiers
    • Principe
      • En application du principe de l’effet relatif des conventions, le contrat ne produit d’effets qu’entre les parties (art. 1199 C. civ.).
      • Est-ce à dire que les tiers ne pourraient pas s’en prévaloir ? Dans l’affirmative, comment prouver l’acte juridique qu’un tiers souhaiterait opposer aux parties ?
      • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1200 du Code civil.
      • Cette disposition prévoit que les tiers peuvent se prévaloir de la situation juridique créée par le contrat « notamment pour apporter la preuve d’un fait ».
      • Ainsi, est-il admis qu’un tiers puisse opposer à des contractants l’existence ou le contenu de l’acte qu’ils ont conclu.
      • En pareille hypothèse, il est de jurisprudence constante que la preuve est libre.
      • La raison en est que pour les tiers, le contrat conclu entre les parties constitue un fait juridique.
      • Pour cette raison, la preuve de l’acte par le tiers peut être rapportée par tous moyens.
      • Dans un arrêt du 25 novembre 1970, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’ancien article 1341 du Code civil, que « les règles édictées par ce texte, relativement à la preuve des actes juridiques, ne concernent que les parties auxdits actes, et qu’il est permis aux tiers d’établir leur existence par tous moyens de preuve » (Cass. 1ère civ. 25 nov. 1970, n°69-10.893).
      • Dans un arrêt du 30 juin 1980, la Chambre commerciale a encore affirmé que « la défense de prouver par témoins ou par présomptions contre et outre le contenu à l’acte ne concerne que les parties contractantes et qu’il est permis au tiers de contester par ces modes de preuves la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » (Cass. com. 30 juin 1980, n°79-10.623).
      • La Première chambre civile a rappelé plus récemment cette règle dans un arrêt du 3 juin 2015.
      • Aux termes de cette décision, elle a décidé, s’agissant d’un contrat de mandat, que « le banquier dépositaire, qui se borne à exécuter les ordres de paiement que lui transmet le mandataire du déposant, peut rapporter la preuve par tous moyens du contrat de mandat auquel il n’est pas partie » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2015, n°14-20.518).
      • À l’inverse, lorsqu’une partie à l’acte souhaite, en application de l’article 1200 du Code civil, opposer à un tiers « la situation judiciaire créée par le contrat », la Cour de cassation juge que s’il « est permis aux tiers de contester par tous modes de preuve la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » ; en revanche « il appartient aux parties à un acte d’en rapporter la preuve contre les tiers dans les termes du droit commun » (Cass. 3e civ. 15 mai 1974, n°73-12.073).
      • Autrement dit, y compris lorsqu’ils cherchent à opposer l’acte juridique qu’ils ont conclu à un tiers, les contractants sont soumis à l’exigence de preuve par écrit.
    • Domaine
      • Seuls les tiers à l’acte ne sont pas soumis à l’existence de production d’un écrit s’agissant de la preuve de son existence et de son contenu.
      • Encore faut-il que l’on s’entende sur la notion de tiers.
      • Une première approche conduit à exclure de la qualification de tiers toutes les personnes qui ne sont pas partie à l’acte, soit qui n’y ont pas adhéré.
      • Cette approche est toutefois trop restrictive
      • Il est, en effet, certaines personnes qui, si au moment de la conclusion de l’acte, endossaient la qualité de tiers, peuvent, après coup, endosser la qualité de partie.
      • Tel est le cas du cessionnaire qui se substitue à l’une des parties initiales.
      • Il en va de même des ayants-cause universels ou à titre universels, soit des héritiers des parties, lesquels ont vocation à « continuer » la personne du défunt : la mort saisit le vif.
      • Par exception, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 18 avril 1989 que « les héritiers réservataires sont admis à faire la preuve d’une donation déguisée de nature à porter atteinte à leur réserve par tous moyens et même à l’aide de présomptions » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 1989, n°87-10.388).

C) La portée du principe

?La preuve de l’existence et du contenu de l’acte

L’exigence de preuve littérale vaut, tant s’agissant d’établir l’existence de l’acte, que son contenu.

  • La preuve de l’existence de l’acte juridique
    • Lorsque c’est l’existence même de l’acte juridique qui est contestée, il est admis qu’il y a lieu de faire application de l’article 1359 du Code civil : la production d’un écrit est donc exigée.
    • Il est certains arrêts qui ont toutefois pu laisser penser le contraire.
    • Dans un arrêt du 19 octobre, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’existence d’un contrat d’entreprise était établie compte tenu de ce que le maître d’ouvrage avait réceptionné la facture qui lui avait été adressée par l’entrepreneur et qu’il avait laissé les travaux s’exécuter.
    • Dans cette affaire, la preuve est ainsi tirée de l’acceptation tacite et de l’exécution des travaux, sans qu’aucun écrit constatant le contrat litigieux n’ait été produit aux débats (Cass. 3e civ. 19 oct. 1971, n°70-11.510).
    • Faut-il en déduire que la preuve de l’existence d’un contrat peut être rapportée par tout moyen, dès lors qu’il est établi qu’un échange des volontés est bien intervenu entre les parties ?
    • À l’analyse, quand bien même la validité d’un contrat n’est pas subordonnée à l’établissement d’un écrit et que, à ce titre, il est admis qu’il puisse être formé de manière tacite, la preuve de son existence demeure cependant toujours – sauf exceptions – soumise à l’exigence de preuve littérale.
    • Comment expliquer dès lors certaines décisions entreprises par la Cour de cassation qui admettent que l’existence d’un contrat puisse être rapportée par tout moyen ?
    • Pour Gwendoline Lardeux, l’explication réside dans le caractère supplétif de l’article 1359 du Code civil.
    • Cette disposition n’étant pas d’ordre public, le juge n’est pas tenu de relever d’office la règle prescrivant l’exigence de production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique.
    • Or dans aucune des affaires où l’existence du contrat est réputée établie sur la base de la seule attitude des parties, ces dernières ne s’étaient prévalues de l’exigence de preuve littérale.
    • Pour cette raison, il n’y aurait pas d’incohérence dans la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle statue au regard des moyens soulevés par les plaideurs.
  • La preuve du contenu de l’acte juridique
    • La production d’un écrit n’est pas seulement exigée pour établir l’existence d’un acte juridique, elle est également requise pour prouver son contenu.
    • Bien que cette exigence ne soulève, a priori, aucune difficulté d’application la jurisprudence n’a pourtant pas toujours eu la même position sur ce point.
    • Dans un premier temps, la Cour de cassation estimait, en effet, que dès lors que l’existence de l’acte juridique n’était pas contestée, la preuve de son contenu pouvait être rapportée par tout moyen.
    • Dans un arrêt du 20 janvier 1969, elle a jugé en ce sens s’agissant d’un contrat d’entreprise que « l’existence de la commande et de la livraison n’étant pas déniée, il est possible de prouver par tous moyens le contenu même du contrat et notamment le prix convenu entre les parties qu’aucun écrit n’était venu préciser » (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1969).
    • Dans un second temps, la Cour de cassation est revenue sur sa position en estimant que l’établissement de l’existence d’un acte juridique était sans incidence sur l’exigence de preuve par écrit s’agissant de son contenu.
    • Dans un arrêt du 13 mai 2004, elle a ainsi affirmé, à propos d’un contrat d’assurance, « que le fait que l’assuré apporte la preuve de l’existence d’un contrat ne le dispensait pas de l’obligation d’apporter également la preuve littérale et suffisante du contenu de celui-ci » (Cass. 2e civ. 13 mai 2004, n°03-10.964).

?La preuve des irrégularités frappant l’acte et de l’exécution des obligations

  • Les irrégularités frappant l’acte
    • Les vices du consentement
      • Il est admis que la preuve des vices du consentement (erreur, dol ou violence), affectant la validité d’un acte juridique est libre.
      • La raison en est qu’il s’agit là de faits juridiques (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 26 janv. 1972, n°69-14.771).
      • Dans ces conditions, ce sont les dispositions de l’article 1358 du Code civil qui s’appliquent.
      • Dans un arrêt du 23 février 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « un vice du consentement, tel que l’erreur ou le dol, constitue un simple fait extérieur à l’acte notarié, de telle sorte qu’en principe sa preuve est libre et peut s’administrer par tous moyens » (Cass. 1ère civ. 23 févr. 1994, n°91-20.189).
    • L’illicéité de l’acte
      • Lorsqu’un acte est frappé d’illicéité, il est de jurisprudence constante que la preuve peut être rapportée par tous moyens.
      • La raison en est que la cause de l’illicéité de l’acte réside le plus souvent dans des circonstances extérieures à l’acte, soit dans des faits juridiques.
      • Dans un arrêt du 24 février 1960 la Cour de cassation a par exemple indiqué que « le caractère illicite de la cause d’une obligation peut être établi par tout mode de preuve, notamment par simples présomptions » (Cass. soc. 24 févr. 1960).
  • L’exécution des obligations résultant de l’acte
    • Il est admis que la bonne exécution des obligations résultant de l’acte est soumise au régime de la preuve libre.
    • Là encore, l’exécution d’une obligation, bien que contractuelle, s’analyse en un fait juridique.
    • Ainsi a-t-il été décidé par la Cour de cassation dans un arrêt du 14 octobre 1997 que la preuve de l’exécution de l’obligation d’information dont est débiteur un médecin peut être rapportée par tous moyens (Cass. 1ère civ. 14 oct. 1997, n°95-19.609).
    • Dans un arrêt du 3 février 1998, elle a encore jugé que « la preuve du conseil donné, qui incombe au notaire, peut résulter de toute circonstance ou document établissant que le client a été averti clairement des risques inhérents à l’acte que le notaire a instrumenté » (Cass. 1ère civ., 3 févr. 1998, n° 96-13.201).

Si la preuve des irrégularités frappant l’acte et de l’exécution des obligations en résultant peut, en principe, être rapportée par tous moyens, tel plus le cas lorsqu’il s’agit de prouver un fait qui est de nature à contredire les termes de l’acte.

Lorsque, en effet, il s’agit de prouver contre un acte juridique, conformément à l’article 1359, al. 2e du Code civil, la preuve doit nécessairement se faire au moyen de la production d’un écrit.

II) La preuve outre et contre l’acte juridique

A) Principe

L’article 1359, al. 2 du Code civil prévoit que « il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n’excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique. »

Il ressort de cette disposition que dès lors qu’un acte juridique est prouvé au moyen d’un écrit, les énonciations figurant dans ce dernier – pris en tant qu’instrumentum – ne pourront être contredites ou complétées que par la production d’un autre écrit.

Plus précisément, cette exigence joue, dit le texte, lorsqu’il s’agit de prouver « outre ou contre un écrit établissant un acte juridique ».

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « prouver outre ou contre un écrit ».

  • La preuve outre un écrit
    • Il s’agit de la preuve qui vise à établir que toutes les stipulations de l’acte juridique litigieux ne se retrouvent pas dans l’écrit produit.
    • Prouver outre un écrit consiste ainsi à en compléter les vides et à établir ce qu’il ne dit pas
    • En application de l’article 1359, al. 2e du Code civil, seule la production d’un autre écrit qui constaterait les stipulations manquantes sera alors admise.
  • La preuve contre un écrit
    • Il s’agit de la preuve qui vise à contredire une ou plusieurs énonciations figurant dans l’écrit produit :
      • Soit parce qu’elles ne seraient pas conformes aux termes de l’acte juridique conclu entre les parties
      • Soit parce qu’elles ne rendraient pas compte de la véritable nature de l’acte, tel qu’il résulterait de l’accord conclu entre les parties
    • Autrement dit, prouver contre un écrit c’est établir que les énonciations figurant dans l’instrumentum versé aux débats ne reflèteraient pas la réalité de l’accord passé entre les parties.

Qu’il s’agisse de prouver contre ou outre un écrit, dans les deux cas, l’article 1359, al. 2e du Code civil exige que la preuve soit rapportée par écrit.

À cet égard, la Cour de cassation est régulièrement conduite à faire application de cette règle.

Dans un arrêt du 27 novembre 1967, elle a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis que la preuve puisse être rapportée par tous moyens s’agissant d’établir la stipulation d’une clause qui ne figurait pas dans l’écrit versé aux débats (Cass. 1ère civ. 27 nov. 1967).

Dans un arrêt du 17 février 2010, la Première chambre civile a encore rappelé qu’un acte authentique qui avait conféré à opération l’apparence d’une donation, alors qu’il s’agissait en réalité d’une vente, ne pouvait être contredit au qu’au moyen de la production autre écrit (Cass. 1ère civ. 17 févr. 2010, n°09-11.455).

On peut enfin évoquer un arrêt du 4 novembre 2011 qui reproche à une Cour d’appel d’avoir admis comme preuve du remboursement d’un prêt consenti par un établissement de crédit une quittance adressée à l’emprunteur à la suite d’une erreur matérielle consécutive à une défaillance de son système informatique, « alors que si celui qui a donné quittance peut établir que celle-ci n’a pas la valeur libératoire qu’implique son libellé, cette preuve ne peut être rapportée que dans les conditions prévues par les articles 1341 et suivants du Code civil » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 2011, n°10-27.035).

B) Mise en œuvre

La règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil n’est pas sans soulever un certain nombre de difficultés de mise en œuvre.

?L’indifférence du montant de l’acte litigieux

Dans la mesure où la preuve par écrit n’est exigée que pour les seuls actes juridiques portant sur un montant supérieur à 1500 euros, on pourrait être légitimement en droit de se demander si, par parallélisme des formes, il n’y aurait pas lieu d’appliquer ce seuil s’agissant de prouver contre ou outre un écrit.

À l’analyse, l’article 1359, al. 2e du Code civil l’exclut expressément. Le texte dit, en effet, qu’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, « même si la somme ou la valeur n’excède pas [le seuil réglementaire] ».

Aussi, peu importe le montant de l’acte litigieux, dès lors que celui-ci a été prouvé par écrit, il ne pourra être contesté qu’au moyen d’un autre écrit.

Au fond, cette règle ne fait que rappeler le principe de supériorité de l’écrit sur les autres modes de preuve (exceptions faites du serment décisoire ou de l’aveu judiciaire qui sont des modes de preuve parfaits et qui, à ce titre, sont toujours admis à pallier l’absence d’écrit).

Bien que l’écrit ne soit pas exigé pour établir un acte juridique portant sur un montant inférieur à 1500 euros, rien n’interdit les plaideurs de produire aux débats une preuve littérale.

Compte tenu de ce que l’écrit est pourvu d’une force probante supérieure aux témoignages et précomptions, il est parfaitement cohérent de considérer que pour combattre un écrit, seul un autre écrit peut être admis.

C’est là le sens l’article 1359, al. 2e du Code civil lorsqu’il précise qu’il est indifférent que la somme ou la valeur de l’acte juridique litigieux « n’excède pas » le seuil réglementaire.

?Exclusion de l’interprétation

Si la preuve outre ou contre un écrit requiert la production d’un autre écrit, tel n’est pas le cas de l’interprétation d’un acte juridique.

Si les deux opérations sont susceptibles de se ressembler, elles ne se ressemblent pas.

En effet, l’interprétation est l’opération qui consiste à conférer une signification aux stipulations d’un acte juridique. Aussi n’a-t-elle vocation à intervenir qu’en présence d’un écrit dont les énonciations seraient obscures et ambiguës.

Prouver outre ou contre un écrit est une opération quelque peu différente.

Il ne s’agit pas de donner un sens à une énonciation qui présenterait un caractère sibyllin. Au contraire, parce que l’énonciation contestée est parfaitement claire, le plaideur chercher à lui ajouter ou à lui retrancher quelque chose dans la mesure où la règle qu’elle exprime n’est pas conforme aux termes de l’accord conclu entre les parties.

Faisait une distinction entre les deux opérations, dans un arrêt du 19 octobre 1964 la Cour de cassation « s’il n’est reçu aucune preuve par témoins ou présomptions contre et outre le contenu aux actes, cette preuve peut cependant être invoquée pour interpréter un acte, s’il est obscur ou ambigu » (Cass. 1ère civ. 19 oct. 1964).

Ainsi, lorsqu’il s’agit de prouver l’interprétation à donner à l’énonciation d’un écrit, la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen.

Cette position qui doit être approuvée a, par suite, été reconduite à plusieurs reprises par la Cour de cassation (Cass. 1ère civ. 26 janv. 2012, n°10-28.356).

En effet, l’opération consistant à interpréter un écrit s’analyse en un fait juridique. Il s’agit de sonder l’interprétation des parties et d’identifier le sens qu’elles ont voulu donner à l’acte juridique litigieux.

Reste que, en pratique, comme souligné par les auteurs « au-delà des mots, la frontière entre la contestation de l’acte et son interprétation est parfois poreuse »[10].

Tel était notamment le cas dans un arrêt rendu par la Troisième chambre civile le 10 avril 1973 (Cass. 3e civ. 10 avr. 1973, n°71-13.405 ).

Dans cette affaire, les acquéreurs d’une exploitation agricole assignent en justice leurs vendeurs pour défaut de délivrance de l’intégralité des droits afférents à ce bien, spécialement du droit de replantation d’un hectare de vignes provenant de ce que les vendeurs avaient arraché ces vignes

Par un arrêt du 16 juin 1971, la Cour d’appel de Montpellier déboute les acquéreurs de leur demande en dommages et intérêts au motif que les droits invoqués n’étaient mentionnés nulle part dans l’acte notarié produit.

Au soutien de leur demande ils faisaient notamment valoir que les juges du fond ne pouvaient recevoir aucune preuve par témoin contre et outre le contenu de l’acte authentique, dont les termes s’imposaient à eux pour déterminer la volonté des parties.

Tandis que la Cour d’appel avait, en effet, raisonné sur le terrain de l’interprétation de l’acte litigieux, raison pour laquelle elle avait jugé recevable, comme élément de preuve, « la correspondance échangée entre les notaires des parties », les acquéreurs considéraient, quant à eux, que l’opération en jeu visait, non pas à interpréter l’écrit versé aux débats – dont les énonciations étaient parfaitement claires au cas particulier – mais à lui ajouter quelque chose qu’il ne disait pas. Or prouver contre un écrit requiert la production d’un autre écrit.

On voit bien dans cette affaire que la ligne séparant l’interprétation d’un écrit et l’opération consistant à le contester peut être extrêmement ténue. D’où la difficulté de mise en œuvre de la règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil.

?Conflits entre écrits

S’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit que par un autre écrit, cela signifie qu’il est des cas où deux écrits exprimant des clauses contraires, à tout le moins divergentes sont susceptibles d’entrer en conflit.

La question qui alors se pose est de savoir comment régler ce conflit entre écrits ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1368 du Code civil qui prévoit que « à défaut de dispositions ou de conventions contraires, le juge règle les conflits de preuve par écrit en déterminant par tout moyen le titre le plus vraisemblable. »

Aussi, en cas de production d’écrits par chacune des parties, c’est au juge que revient la charge d’arbitrer et de déterminer quel écrit lui apparaît le plus vraisemblable et doit, en conséquence, primer sur l’autre.

C) Portée

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1341 du Code civil prévoyait que « il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre. »

Si l’article 1359, al. 2e du Code civil reprend sensiblement dans les mêmes termes la règle énoncée par l’ancienne disposition, il en simplifie toutefois la formulation.

L’ordonnance du n°2016-131 du 10 février 2016 a notamment abandonné la précision selon laquelle il n’est reçu aucune preuve par témoins « sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes ». La raison en est qu’elle n’apportait rien.

Le législateur a, par ailleurs, jugé bon de circonscrire la règle énoncée aux seuls actes « établissant un acte juridique ». Cette précision n’est pas neutre ainsi que nous allons le voir juste après.

En effet, la jurisprudence avait déduit de l’ancienne formulation de l’article 1341 du Code civil que, quelle que soit la mention énoncée dans l’instrumentum produit en justice, elle ne pouvait être contestée qu’au moyen d’un écrit, y compris lorsque cette mention relatait un fait juridique, tel que, par exemple, la cause de l’acte litigieux, la réalisation d’un paiement ou encore l’exécution de travaux.

Dans un arrêt du 23 février 2012, la Cour de cassation a ainsi jugé que « dans les rapports entre les parties, la preuve de la fausseté de la cause exprimée à l’acte doit être administrée par écrit, dans les conditions prévues par l’article 1341 du Code civil » (Cass. 1ère civ. 23 févr. 2012, n°11-11.230).

Cette position adoptée par la jurisprudence était pour le moins sévère, car elle imposait aux plaideurs de produire un écrit aux fins de prouver un fait juridique, certes relaté dans un acte juridique, mais ne perdant néanmoins pas sa qualification de fait pour autant.

Or la preuve d’un fait juridique est, en principe libre. Tel n’était pas l’avis de la Cour de cassation qui, par une application rigoureuse, sinon rigoriste de l’ancien article 1341 du Code civil, estimait que la preuve de la fausseté d’un fait relaté dans un écrit ne pouvait se faire qu’au moyen d’un autre écrit.

Suite à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 ayant porté réforme du droit de la preuve, un débat est né en doctrine sur la portée qu’il y avait lieu de reconnaître à la nouvelle règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil.

Deux thèses s’opposent :

  • Première thèse
    • Pour une partie de la doctrine[11], il y aurait lieu de voir dans la nouvelle formulation de l’article 1359, al. 2 du Code civil l’abandon de l’exigence de preuve littérale pour les écrits qui se bornent à relater un fait juridique.
    • Cet abandon s’évincerait de la précision « un écrit établissant un acte juridique », ce dont il se déduirait que seraient exclus du domaine de la règle les écrits établissant des faits juridiques.
    • Selon cette thèse, le législateur aurait donc fait le choix de préciser dans le nouveau texte que l’exigence de preuve par écrit ne joue que s’il s’agit de prouver contre ou outre un écrit « établissant un acte juridique ».
    • Si dès lors, la mention contestée se limite à relater un fait juridique, la preuve littérale ne serait pas exigée ; la preuve pourrait donc être rapportée par tout moyen.
  • Seconde thèse
    • L’interprétation consistant à dire que l’exigence de preuve littérale aurait été abandonnée, s’agissant de contester un fait relaté dans un écrit, ne fait pas l’unanimité en doctrine.
    • Certains auteurs avancent que le sens de la règle énoncée par l’ancien article 1341 du Code civil demeure inchangé, de sorte que la preuve d’un fait juridique relaté dans un acte requiert toujours la production d’un écrit[12].
    • Au soutien de cette position, est invoqué le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016.
    • Il est en effet indiqué dans ce rapport que « le second alinéa, également inspiré de l’article 1341, prévoit qu’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit que par un écrit, et ce quelle que soit la valeur ou le montant sur lequel porte l’obligation en cause, et sa source, acte ou fait juridique ».
    • Au surplus, il y aurait lieu de retenir la même signification pour la formule « contre et outre le contenu aux actes » et la formule « outre ou contre un écrit établissant un acte juridique ».
    • Dans les deux cas, seul l’instrumentum serait visé, sans considération de ce qu’il constate un acte juridique ou relate des faits juridiques.
    • Pour cette raison, la preuve des faits juridiques relatés dans un écrit serait toujours soumise à l’exigence de preuve littérale

Comment départager ces deux thèses ? Les auteurs s’accordent à dire qu’un commencement de réponse peut être trouvé à l’article 1356, al. 2 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que les contrats sur la preuve « ne peuvent davantage établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable. »

Autrement dit, il est fait interdiction aux parties de rendre incontestables des faits juridiques qu’elles entendraient relater dans un acte.

Or comme souligné par Gwendoline Lardeux « énoncer un fait dans un acte juridique ne le rend contestable que par un autre écrit qui, en pratique, n’existe pas […]. Par conséquent, affirmer un fait dans un écrit le rend indiscutable ; en d’autres termes, cela revient à stipuler une présomption irréfragable de l’existence de ce fait »

Parce que la stipulation de telles présomptions est prohibée, cela devrait conduire, en toute logique, à admettre que la preuve d’un fait juridique relaté dans un écrit puisse être rapportée par tout moyen.

En l’absence de jurisprudence sur ce point, il est difficile de dire si la Cour de cassation maintiendra sa position adoptée sous l’empire de l’ancien article 1341 du Code civil ou si elle l’abandonnera.

Si tel est le cas, sur quel fondement : l’article 1359, al. 2e ou l’article 1356, al. 2? La question demeure en suspens.

§2: Les dérogations aux principes régissant la preuve des actes juridiques

Si les actes juridiques portant sur montant supérieur à 1500 euros ne peuvent, par principe, être prouvés qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit
  • Soit en cas de stipulation par les parties d’une clause contraire

I) L’impossibilité de se procurer un écrit

L’article 1360 du Code civil prévoit que l’exigence de production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique reçoit « exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Il ressort de cette disposition qu’il est fait exception à l’exigence de prouver un acte juridique au moyen d’un écrit dans deux cas :

  • Premier cas : l’impossibilité de rédiger un écrit
  • Second cas : l’impossibilité de produire un écrit

A) L’impossibilité de rédiger un écrit

En application de l’article 1360 du Code civil, l’exigence de produire un écrit pour la preuve des actes juridiques est écartée en cas d’impossibilité de rédiger un écrit.

Cette exception à la règle recouvre deux situations :

  • L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit
  • L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

1. L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit

a. Énoncé du principe

La première exception à l’exigence de prouver un acte juridique par écrit, c’est donc l’impossibilité matérielle ou morale dans laquelle se sont trouvées les parties au moment de la conclusion de l’acte juridique de rédiger un écrit.

Parce qu’il leur était impossible, à ce moment, de se préconstituer un écrit il serait particulièrement injuste d’exiger du plaideur qui se prévaut de l’acte juridique litigieux de produire un écrit qui, par hypothèse, n’a pas pu être établi.

Or comme exprimé par l’adage latin ad impossibilia nemo tenetur : à l’impossibile nul n’est tenu.

Pour que le moyen tiré de l’impossibilité d’établir un écrit soit recevable, cette impossibilité doit, dit le texte, être soit matérielle, soit morale.

?L’impossibilité matérielle de se procurer un écrit

Pour que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit soit admise comme exception à l’exigence d’écrit, elle doit résulter de circonstances exceptionnelles qui ont empêché la rédaction d’un écrit au moment de la conclusion de l’acte.

Quelles sont ces circonstances exceptionnelles ? L’ancien article 1348 du Code civil en vigueur en 1804 fournissait quelques illustrations.

Il visait notamment :

  • Les « dépôts nécessaires faits en cas d’incendie, tumulte ou naufrage »
  • Les « obligations contractées en cas d’accidents imprévus »

Ces illustrations, bien que ne figurant plus dans le Code civil, sont toujours d’actualité. À tout le moins, elles donnent une indication sur la nature des circonstances qui autorisent un plaideur à se prévaloir de l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit.

Pour être dispensé de rapporter la preuve de l’acte juridique litigieux par écrit, celui-ci doit démontrer que la conclusion de cet acte est intervenue dans le cadre d’une situation d’urgence, ce qui rendait impossible l’établissement d’un écrit.

Plus généralement, la Cour de cassation admet que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit est caractérisée lorsque les parties se sont heurtées, au moment de la conclusion de l’acte, à un obstacle insurmontable qui les a empêchées de rédiger un écrit.

Dans un arrêt du 13 mai 1964, la Cour de cassation a admis que cet obstacle puisse consister en l’incapacité pour l’une des parties d’écrire (Cass. 1ère civ. 13 mai 1964).

?L’impossibilité morale de se procurer un écrit

L’impossibilité de se procurer un écrit n’est pas seulement retenue lorsqu’elle est matérielle ; il est expressément admis par l’article 1360 du Code civil qu’elle puisse être morale.

Cette admission de l’impossibilité morale au rang des exceptions à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques est d’origine jurisprudentielle.

Elle n’était pas prévue par les rédacteurs du Code civil. Il a fallu attendre l’adoption de la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 pour qu’elle soit consacrée par le législateur.

Cette reconnaissance de l’impossibilité morale de se procurer un écrit a considérablement étendu le domaine de l’exception initiale.

En effet, l’impossibilité morale d’établir un écrit recouvre de nombreuses situations, puisque tenant à un obstacle psychologique.

Elle sera admise lorsque les parties entretiennent des relations particulières entre elles.

Plus précisément, l’impossibilité de rédiger un écrit pourra provenir de l’existence d’un lien familial.

Elle a ainsi été admise lorsque la conclusion d’un acte juridique était intervenue entre parents et enfant (Cass. 1ère civ. 6 déc. 1972, n°71-13.427), entre frères (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-17.128), entre époux (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°15-27.387) ou encore entre concubins (Cass. 3e civ. 7 janv. 1972, n°70-13.528).

Le lien familial entre les deux parties à l’acte devra toutefois être suffisamment étroit et fort pour que l’impossibilité morale de se procurer un écrit soit admise (V. en ce sens Cass. 3e civ. 24 oct. 1972, n°71-12.175). Par ailleurs, il ne devra pas exister de relations d’affaires entretenues entre les parties (Cass. com. 3 avr. 1973, n°71-14.663).

L’existence d’une impossibilité morale de se procurer un écrit pourra également être caractérisée en présence de relations d’affection entre les parties à l’acte (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 janv. 1981, n°79-14.831 ; Cass. 1ère civ. 7 mars 2000, n°98-10.574).

b. Effets du principe

Lorsque l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit est admise, la preuve de l’acte juridique litigieux pourra se faire par tout moyen et notamment au moyen de témoignages ou de présomptions.

Dans un arrêt du 29 janvier 2014, la Cour de cassation a précisé que pour produire ses effets, la règle instituant l’impossibilité de se procurer un écrit comme exception à l’exigence d’écrit n’est pas « subordonnée à l’existence d’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 29 janv. 2014, n°12-27.186).

Aussi, la seule démonstration de l’existence d’une impossibilité matérielle ou morale suffit à écarter l’exigence de preuve littérale, étant précisé que cette impossibilité, en ce qu’elle s’analyse en un fait juridique, se prouve par tout moyen.

La Cour de cassation a en revanche rappelé dans un arrêt du 19 octobre 2016 que lorsque l’impossibilité de se ménager un écrit est caractérisée, cela ne dispense pas le demandeur de rapporter la preuve par tous moyens du prêt allégué (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°16-27.387).

L’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ne saurait ainsi avoir pour effet de renverser la charge de la preuve, laquelle pèse toujours sur le demandeur auquel il incombe « de prouver par tous moyens l’obligation dont il réclame l’exécution ».

2. L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

L’exigence de produire un écrit afin de prouver un acte juridique reçoit également une exception, dit l’article 1360 du Code civil, « s’il est d’usage de ne pas établir un écrit ».

Il s’agit là d’une innovation de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Comme indiqué par le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur a entendu consacrer ici une exception reconnue par la jurisprudence aux côtés des autres causes d’impossibilité de se procurer un écrit.

La Cour de cassation a, en effet, admis de longue date que lorsqu’il est d’usage dans une profession de conclure des actes juridiques verbalement, cette habitude peut s’analyser comme une impossibilité morale de se ménager un écrit (Cass. 1ère civ. 15 janv. 1963).

Tel est le cas pour certaines professions médicales, telles que les médecins par exemple (Cass. req. 27 mars 1907) ou encore pour les avocats, à tout le moins avant que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ne rende obligatoire l’établissement d’une convention d’honoraire.

Toujours est-il que, comme souligné par un auteur, ces pratiques consistant à contracter par voie orale répondent souvent « à un souci de délicatesse qui font regarder l’exigence d’un écrit comme n’étant pas convenable »[13].

Plus généralement, exiger de son cocontractant l’établissement d’un écrit peut être perçu par lui comme la marque d’un manque de confiance. Or dans les relations d’affaires la confiance est primordiale.

Pour cette raison, il paraît juste de ne pas faire application de l’exigence de rédaction d’un écrit en présence d’un usage contraire.

À cet égard, non seulement le législateur a consacré cette exception à la règle, mais encore il lui a conféré une autonomie. Cette autonomie s’explique, selon la doctrine, par le fondement de la nouvelle dérogation à l’exigence de preuve littérale.

Bien que cette dérogation ait été rattachée par la jurisprudence à l’impossibilité morale de se préconstituer un écrit, elle se fonde, en réalité, sur le caractère supplétif de l’ancien article 1341 du Code civil, devenu l’article 1359.

L’existence d’un usage contraire est, en effet, susceptible de dispenser des cocontractants de l’établissement d’un écrit, non pas parce que l’usage représente un empêchement moral pour ces dernières, mais parce qu’il peut être dérogé à l’exigence d’écrit par convention contraire en raison du caractère supplétif de cette règle. Or l’usage peut s’analyser en une telle convention.

B) L’impossibilité de produire un écrit

L’existence d’une impossibilité de rédiger un écrit n’est pas la seule exception à l’exigence d’écrit pour la preuve des actes juridiques. L’article 1360 du Code civil admet qu’il puisse également être dérogé à la règle en cas d’impossibilité de produire un écrit.

Cette dérogation tient, non pas aux circonstances qui ont entouré l’établissement d’un écrit au jour de la conclusion de l’acte, mais aux circonstances qui empêchent la production de l’écrit qui, a bien été établi conformément à l’article 1359 du Code civil, mais qui a été perdu en raison de la survenance d’un cas de force majeure.

Là encore, la règle procède de l’idée que « à l’impossible nul n’est tenu ». Autrement dit, il est difficile d’exiger de plaideurs qu’ils produisent un écrit qui a disparu pour une cause indépendante de leur volonté.

Pour que l’exigence de preuve littérale soit écartée en pareille circonstance, encore faut-il que deux conditions cumulatives soient remplies :

  • Première condition
    • Le demandeur doit prouver qu’un écrit avait bien été rédigé au jour de la conclusion de l’acte juridique litigieux.
    • Plus précisément, il doit être établi qu’un écrit répondant aux conditions de l’article 1364 du Code civil avait bien été préconstitué par les parties conformément à l’exigence énoncée par l’article 1359 du Code civil
    • Compte tenu de ce qu’il s’agira de prouver un fait juridique, la preuve peut être rapportée par tout moyen.
  • Seconde condition
    • Le demandeur doit démontrer que l’impossibilité de produire un écrit résulte d’une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure.
    • Pour mémoire, on attribue classiquement à la force majeure trois attributs :
      • Irrésistible
        • Par irrésistible, il faut entendre l’impossibilité pour les parties à l’acte d’empêcher que la cause étrangère ne survienne
      • Imprévisible
        • L’imprévisibilité suppose que les plaideurs n’ont pas pu prévoir la réalisation de la cause étrangère, soit la disparition de l’écrit.
      • Extérieure
        • On dit de la force majeure qu’elle doit être extérieure, en ce sens que sa survenance doit être indépendante de la volonté des parties à l’acte
    • Pour qu’il puisse être dérogé à l’exigence d’écrit, la force majeure devra être caractérisée dans tous éléments constitutifs, étant précisé qu’il appartient aux juges du fonds de vérifier que ces éléments sont bien réunis (Cass. 1ère civ. 23 juin 1971, n°70-10.937).
    • Aussi, dans l’hypothèse où la perte de l’écrit serait imputable à une simple négligence du demandeur, celui-ci ne sera pas admis à prouver l’acte juridique au moyen d’un autre mode de preuve que l’écrit.
    • Dans un arrêt du 15 mai 1973, la Cour de cassation a ainsi jugé que « la perte de l’original alléguée, en l’absence de toute justification des circonstances qui l’auraient entrainée, ne peut être assimilée à un cas de force majeure » (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).
    • Le plus souvent, la perte de l’écrit sera imputable à un tiers auquel les parties avaient confié la conservation de l’instrumentum.
    • Nombreux sont notamment les arrêts qui traitent de cas où c’est le notaire qui a perdu l’original de l’acte litigieux (V. en ce sens pour la perte de l’original d’un testament Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°01-16.001).
    • Pour que l’exception tenant à l’impossibilité de produire un écrit puisse jouer encore faut-il que la disparition de cet écrit soit irrémédiable.
    • Dans un arrêt du 12 novembre 2009, la Cour de cassation a ainsi refusé d’admettre que l’impossibilité pour un plaideur de produire l’original d’un testament, compte tenu de ce que son avocat ne l’avait pas emporté avec lui lors de son changement de cabinet, constituait un cas de force majeure.
    • L’original n’avait, en effet, pas disparu ; il était seulement conservé dans l’ancien cabinet de l’avocat de la plaignante, de sorte que cette dernière disposait toujours de la faculté de se le procurer et de le produire aux débats (Cass. 1ère civ. 12 nov. 2009, n°08-18.898).
    • Quoi qu’il en soit, régulièrement, la Cour de cassation rappelle que c’est à celui qui se prévaut de la disparition de l’écrit en raison de la survenance d’un cas de force majeur d’en rapporter la preuve (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-19.064).

II) Les modes de preuves admis à suppléer l’écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

A) Le commencement de preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1347 du Code civil prévoyait que l’exigence de préconstitution d’un écrit pour la preuve des actes juridiques reçoit « exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit ».

Le commencement de preuve par écrit est ainsi passé du statut d’exception à l’exigence de preuve littérale au statut de mode de preuve pouvant suppléer l’écrit.

Ce changement d’approche opéré par le législateur en 2016 n’est pas sans interroger.

Pourquoi, en effet, mettre le commencement de preuve par écrit sur le même plan que l’aveu judiciaire et le serment décisoire alors que, contrairement à ces deux derniers, il n’appartient pas à la catégorie des modes de preuve parfaits ?

Pour mémoire, les modes de preuve parfaits présentent la particularité d’être admis en toutes matières et, surtout, de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

Dans l’affirmative, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait ou de l’acte allégué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

Le commencement de preuve par écrit, quant à lui, ne s’impose pas au juge. Il est de jurisprudence constante que l’autre moyen de preuve devant corroborer le commencement de preuve par écrit est soumis à l’appréciation souveraine du juge.

C’est pour cette raison que le commencement de preuve par écrit ne s’analyse pas en un mode de preuve parfait.

Comme énoncé par l’article 1361 du Code civil cela ne l’empêche pas, pour autant, d’être un mode de preuve reconnu comme l’équivalent d’un écrit lorsqu’il est corroboré par un autre moyen de preuve.

Pour faire la preuve d’un acte juridique, le commencement de preuve par écrit doit donc remplir deux conditions :

  • Répondre à la définition prévue par la loi
  • Être corroboré par un autre moyen de preuve

Ce n’est que lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que l’exigence de preuve littérale pourra être écartée.

1. La notion de commencement de preuve par écrit

Parce que le commencement de preuve par écrit a été instrumenté par la jurisprudence comme un moyen d’atténuer l’exigence – parfois difficilement surmontable – de la production d’un écrit pour la preuve des actes juridiques, elle s’est employée, dès le XIXe siècle à élargir les contours de la notion.

Les juridictions ont notamment admis dans son périmètre, un certain nombre d’éléments de preuve qu’elles ont considérés comme valant commencement de preuve par écrit.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve, la Cour de cassation a consacré cette extension de la notion de commencement de preuve par écrit au-delà de ses frontières originelles.

a. Les éléments constitutifs de la notion de commencement par écrit

L’article 1362 du Code civil définit le commencement de preuve par écrit comme « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il s’agit là d’une reprise sensiblement dans les mêmes termes de la définition qui était énoncée par l’ancien article 1348 du Code civil. Le législateur n’a pas innové sur ce point. Il a préféré ne pas bouleverser l’économie générale de la notion.

Aussi, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

i. Un écrit

Comme suggéré par son appellation, un commencement de preuve par écrit consiste, avant toute chose, en un écrit.

Plus précisément, l’article 1362 du Code civil énonce qu’il peut s’agir de « tout écrit ».

Par cette formulation, il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire que l’écrit versé aux débats soit un acte sous seing privé ou un acte authentique.

Et pour cause, un commencement de preuve par écrit a précisément vocation à être produit pour le cas où le demandeur n’est pas en mesure de fournir un écrit au sens des articles 1364 et suivants du Code civil.

Exiger qu’un commencement de preuve par écrit présente les mêmes attributs que la preuve littérale, reviendrait à vider le dispositif institué par le législateur de tout son intérêt.

C’est ce qui a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 janvier 1971 aux termes duquel elle a reproché aux juges du fond d’avoir ajouté une condition à la loi en exigeant que l’écrit produit par l’un des plaideurs soit signé – et donc remplisse les conditions d’un acte sous seing privé – pour valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1971, n°69-13.273).

Aussi, est-il admis de voir dans toute forme de document écrit un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il ne s’agisse, ni d’un acte sous seing privé, ni d’un acte authentique.

Classiquement, on recense trois catégories d’écrits susceptibles de répondre à la qualification de commencement de preuve par écrit :

?: Les écrits irréguliers

Le plus souvent, la reconnaissance du statut de commencement de preuve par écrit à un document résultera de la requalification d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique frappé d’une irrégularité.

Tel serait le cas d’un acte sous seing privé qui ne comporterait pas l’une des mentions énoncées par l’ancien article 1326 du Code civil, devenu l’article 1376.

Dans un arrêt du 21 mars 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’absence d’indication du montant de l’engagement unilatéral souscrit en chiffres affectait l’acte de telle sorte qu’il « ne pouvait constituer qu’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 2006, n°04-18.673).

Dans un arrêt du 15 octobre 1991, elle a encore décidé que « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

L’oubli de la mention indiquant le nombre d’originaux établis par les parties est également de nature à faire requalifier l’acte en commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013, n°11-24.453).

Il en va de même dans l’hypothèse où l’acte n’a pas été rédigé en autant d’originaux qu’il y a de parties, comme exigé par l’article 1375 du Code civil (Cass. com., 5 nov. 1962).

La Cour de cassation a encore estimé que pouvait valoir commencement de preuve par écrit un procès-verbal constatant un accord ne comportant pas la signature des parties (Cass. com. 20 janv. 1965, n°62-11.990).

La Cour de cassation a retenu la même solution pour un acte authentique qui, à encore, n’avait pas été signé par les parties (Cass. 1ère civ. 28 oct. 2003, n°01-02.654).

La première chambre civile a également admis qu’une reconnaissance de dette dont la signature avait été raturée pouvait valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 16 juin 1993, n°91-20.105).

On peut encore citer les lettres missives auxquelles il a toujours été reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit pourvu qu’elles rendent vraisemblable l’existence de l’acte juridique litigieux (Cass. 1ère civ. 20 avr. 1983, n°82-150).

Dans un arrêt récent rendu le 24 janvier 2018, la Chambre commerciale a ainsi admis qu’une lettre aux termes de laquelle la banque reconnaissait avoir retrouvé le double du bordereau d’une remise de fonds, valait commencement de preuve par écrit du dépôt de la somme d’argent réalisé par un client (Cass. com. 24 janv. 2018, n°16-19.866).

?: Les écrits réguliers ne permettant pas d’identifier avec certitude l’acte litigieux

Autre typologie d’écrit susceptibles de valoir commencement de preuve par écrit, ceux qui ne sont frappés d’aucune irrégularité, mais qui ne permettent pas d’identifier avec suffisamment de certitude l’acte juridique auquel ils se rapportent.

Il en va ainsi d’un chèque rejeté pour absence de provision (Cass. com. 5 févr. 1991, n°89-16.333).

Il pourra également s’agir d’ordres de virement mentionnant le motif de l’opération (Cass. 1ère civ. 25 juin 2008, n°07-12.545).

?: Les copies d’actes sous signature privée

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la jurisprudence admettait qu’une copie puisse valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-14.370).

Elle subordonnait toutefois la reconnaissance de cette valeur probatoire à l’absence de contestation de la copie produite aux débats.

La Cour de cassation a, par exemple, statué en ce sens un arrêt du 14 février 1995 s’agissant de la photocopie d’une reconnaissance de dette signée par le débiteur « qui ne contestait ni l’existence de l’acte ni la conformité de la photocopie à l’original, selon lui détruit » (Cass.1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Elle a retenu la même solution pour des copies certifiées conformes dans un arrêt du 13 décembre 2005 aux termes duquel elle a jugé que « les copies d’actes sous seing privé même certifiées conformes qui n’ont par elles-mêmes aucune valeur juridique dès lors que l’existence de l’original est déniée, ne peuvent valoir comme commencement de preuve » (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-14.229).

La Haute juridiction considérait ainsi que, lorsque la copie produite aux débats était contestée par le défendeur, elle devait être purement et simplement écartée des débats (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).

Cette position se fondait sur l’ancien article 1334 du Code civil qui prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »

Si cette disposition admettait qu’une copie puisse être produite en justice aux fins de prouver un acte juridique, la partie adverse pouvait néanmoins toujours exiger la production de l’original.

Il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence que la force probante d’une copie était subordonnée à l’existence de l’écrit original.

Lorsque cette condition était remplie la copie pouvait alors faire foi au même titre que l’original (Cass. req. 16 févr. 1926). La copie était ainsi dépourvue de toute valeur juridique autonome.

S’agissant des photocopies, compte tenu de ce qu’elles ne sont pas revêtues de la signature originale des parties, elles ne pouvaient valoir que commencement de preuve par écrit.

Reste que pour se voir reconnu cette valeur probatoire, aucune contestation ne devait être élevée par le défendeur.

En réaction à cette jurisprudence qui subordonnait la reconnaissance d’une valeur probatoire aux copies à l’absence de contestation, ce, alors même que les techniques de reproduction étaient de plus en plus fiables, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne.

C’est ce qu’il a fait en adoptant la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 laquelle a introduit un article 1348, al. 2e dans le Code civil qui a renforcé la valeur juridique des copies en leur conférant une force probante autonome.

Ce texte prévoyait, en effet, que « lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable », cette copie était admise pour faire la preuve d’un acte juridique par exception à l’exigence de la preuve par écrit.

Aussi, désormais une copie pouvait-elle faire foi nonobstant la disparition de l’original dont sa persistance n’était donc plus une exigence absolue.

Pour que la copie puisse toutefois être pourvue d’une force probante autonome, soit pour le cas où l’original n’existerait plus ou ne pouvait pas être produit, encore fallait-il que soient démontrées la fidélité de la reproduction et la durabilité du support utilisé.

À cet égard, le texte précisait que « est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »

Bien que cette précision renseignât sur ce qu’il fallait entendre par une copie « durable », cela était loin d’être suffisant pour déterminer quelles étaient les copies qui répondaient aux conditions de reproduction énoncée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Rapidement la question s’est alors posée en jurisprudence de savoir si les photocopies remplissaient la condition de fiabilité exigée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 25 juin 1996, elle a jugé que cette technique pouvait être admise au rang des procédés permettant l’obtention d’une « reproduction fidèle et durable ».

Elle en déduisit que la photocopie qui était produite aux débats « ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, mais faisait pleinement la preuve de l’existence » de l’acte juridique dont l’existence était contestée au cas particulier (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, n°94-11.745).

Dans cette décision, la haute juridiction reconnaissait ainsi à la photocopie la valeur d’une preuve complète, puisque n’exigeant pas qu’elle soit corroborée, comme c’est le cas pour un commencement de preuve par écrit, par des éléments probatoires extrinsèques, tels que des témoignages ou des présomptions.

Bien qu’il puisse être porté au crédit de la loi du 12 juillet 1980 d’avoir été le premier texte à reconnaître à la copie d’un écrit une valeur probatoire indépendante de l’original, le dispositif, tel que prévu par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil, souffrait de deux carences principales.

  • Première carence
    • La règle renforçant la force probante de la copie était logée dans un article relevant de la preuve testimoniale. Or le régime des copies intéresse la preuve littérale.
    • Ce problème de méthode quant à la localisation de la règle dans le corpus textuel du droit de la preuve était de nature à flouer la portée qu’il y avait lieu de donner au dispositif mis en place.
  • Seconde carence
    • L’autonomie probatoire conférée à la copie résultait non pas d’une exception à l’absence de principe de force probante des copies, mais d’une exception à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques, ce qui, de l’avis des auteurs, n’était pas très cohérent

Pour ces deux raisons, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne à nouveau afin de clarifier le régime juridique des copies.

?Droit positif

Le législateur s’est attelé à la tâche de réformer le régime juridique des copies à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur justifie cette réforme en avançant que :

  • D’une part, sous l’empire de l’ancienne loi du 12 juillet 1980, le Code civil ne disposait d’aucun régime unifié et cohérent de la copie
  • D’autre part, que l’évolution des technologies implique une conception plus large de l’écrit qui ne se matérialise plus nécessairement sur papier, et consécutivement une multiplication des techniques de reproduction, raison pour laquelle le régime juridique de la copie doit être revu

C’est sur la base de ces deux constats que le législateur a donc façonné un nouveau régime de la copie qui a désormais pour siège le nouvel article 1379 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original. »

Il s’évince de cette disposition un principe général d’équivalence entre la copie dite fiable et l’original.

Surtout, et c’est là une rupture avec l’ancien article 1334 du Code civil, cette équivalence opère peu important que l’original subsiste ou pas, et peu important l’origine.

Autrement dit, il est indifférent que l’original ait disparu ou que son détenteur soit dans l’incapacité de le produire ; la copie possède la même valeur probatoire que l’original pourvu qu’elle soit fiable.

À l’analyse, en énonçant un principe général d’équivalence entre les deux types d’écrits, le législateur confirme l’autonomie probatoire qu’il avait entendu conférer à la copie à l’occasion de l’adoption de la loi du 12 juillet 1980.

Aussi, désormais, la force probante d’une copie tient, non plus à la persistance de l’original mais à sa fiabilité :

  • La force probante de la copie fiable
    • En application de l’article 1379, al. 1er du Code civil, elle possède la même valeur que l’original.
    • Cela signifie que :
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte authentique, la copie « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte sous seing privé, la copie fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire.
  • La force probante de la copie non fiable
    • L’article 1379 du Code civil est silencieux sur la force probante de la copie dont la fiabilité ne serait pas reconnue.
    • Est-ce à dire qu’elle ne serait pourvue d’aucune valeur probatoire ?
    • Pour le déterminer il convient de se reporter au troisième alinéa de l’article 1379 qui fournit un indice.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
    • Il convient tout d’abord d’observer que cette exigence est a priori inapplicable à la copie fiable.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 indique en ce sens que « si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie. »
    • Il faut comprendre ici, s’agissant de la copie fiable, que la disparition de l’original est sans incidence sur sa force probante.
    • En revanche, pour les copies qui ne répondent pas à l’exigence de fiabilité, l’article 1379, al. 3e suggère que leur force probante est subordonnée à la subsistance de l’original.
    • On retrouve là, manifestement, la règle énoncée par l’ancien article 1334 du Code civil qui, pour mémoire, prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
    • Cette règle n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour le cas où la copie produite aux débats est contestée par la partie adverse.
    • Dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune discussion, il devrait être admis qu’elle puisse faire foi conformément à ce qui avait été décidé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).

ii. Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente

Un écrit ne peut donc être qualifié de commencement de preuve par écrit qu’à la condition qu’il émane de la personne à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 11 avril 1995, la Cour de cassation a rappelé cette exigence en énonçant, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil devenu l’article 1362, que « pour valoir commencement de preuve, l’écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s’en prévaut » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.246 ; V. également dans le même sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2012, n°11-25.900).

Cette règle n’est autre qu’une déclinaison du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » désormais énoncé à l’article 1363 du Code civil.

Aussi, dans l’hypothèse où l’écrit produit émanerait de celui-là même qui l’a établi ne saurait se voir reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 10 juill. 2002, n°99-15.430).

Par extension, l’article 1362 du Code civil admet que le commencement de preuve par écrit puisse émaner du représentant de la partie contre laquelle il est produit.

Dans un arrêt du 28 juin 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « le commencement de preuve par écrit peut émaner du mandataire de celui à qui on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 28 juin 1989, n°86-19.012).

La solution est logique en ce que la représentation d’une personne consiste en l’accomplissement d’actes au nom et pour le compte de cette personne, de telle sorte que les actes sont réputés avoir été passés par cette dernière.

Aussi, est-il logique d’admettre que l’écrit émanant du représentant soit pourvu de la même valeur que celui établi par le représenté lui-même.

En revanche, le commencement de preuve par écrit ne saurait émaner d’un tiers.

Dans un arrêt du 25 novembre 2023 la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit à des documents qui avaient été établis par des tiers et non par des personnes auxquelles ils étaient opposés (Cass. 1ère civ., 25 nov. 2003, n° 00-22.577).

Par exception, il est admis qu’un écrit émanant d’un tiers puisse valoir commencement de preuve par écrit lorsqu’il a été approuvé par la partie à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 20 janvier 2004, la Cour de cassation a reconnu la qualification de commencement de preuve par écrit à une demande de permis de construire qui n’émanait pas du défendeur, au cas particulier un architecte auquel les demandeurs réclamaient la restitution d’acomptes et d’honoraires versés.

Ce document comportait toutefois le nom et la signature de l’architecte, ce qui suffisait, pour la Troisième chambre civile, à lui conférer la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 20 janv. 2004, n°02-12.674).

La Cour de cassation est allée encore plus loin en admettant, dans des arrêts anciens, qu’un écrit puisse valoir commencement de preuve par écrit, alors même que la partie à laquelle il était opposé n’avait pas participé matériellement à son établissement.

Elle en était, en revanche, l’auteur intellectuel, le tiers n’ayant fait que reporter sur le document litigieux les énonciations qui lui étaient dictées.

Pour le démontrer, il conviendra de prouver que l’écrit ne fait qu’exprimer la volonté de la personne intéressée, ce qui suggère qu’il a été approuvé tacitement par cette dernière (Cass. 3e civ.29 févr. 1972, n°70-13.069).

Cette implication intellectuelle dans la rédaction de l’écrit pourra également se déduire lorsque l’auteur matériel de l’acte indique l’origine des déclarations et justifie d’une qualité qui ne permet pas de mettre en cause son impartialité (Cass. req. 29 avr. 1922 : affaire portant sur un acte d’état civil).

iii. Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

En application de l’article 1362 du Code civil, l’élément de preuve produit aux débats ne pourra endosser la qualification de commencement de preuve par écrit que s’il « rend vraisemblable ce qui est allégué ».

Que faut-il entendre par cette formule ? Des auteurs suggèrent qu’il faut comprendre que « le commencement de preuve par écrit doit être pertinent, approprié au fond de l’affaire, et créer un préjugé en faveur de celui qui l’invoque »[14].

Autrement dit, l’élément de preuve produit doit être suffisamment convaincant et sérieux pour rendre possible et envisageable le fait allégué. La vraisemblance ne saurait résulter d’une simple possibilité ou d’une hypothèse. En somme, il ne doit pas y avoir d’équivoque pour qu’il y ait vraisemblance.

À cet égard, la condition tenant à la vraisemblance du fait allégué est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1970, n°69-10.414 ; Cass. 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-18.787).

Il peut être observé que cette question de l’appréciation de la vraisemblance a fait l’objet d’un contentieux nourri s’agissant des chèques bancaires.

La question s’est notamment posée de savoir si un chèque pouvait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt d’argent pour le montant mentionné sur le chèque.

Dans un premier temps, la Cour de cassation l’a admis pour le cas où le chèque avait été endossé par le débiteur.

Dans un arrêt du 10 mai 1995, elle a jugé en ce sens que « si le chèque ne peut, en tant que tel, valoir commencement de preuve par écrit contre le bénéficiaire, il en est différemment du chèque endossé par celui-ci » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1995, n°93-13.133).

Dans un second temps, elle a retenu la solution inverse, considérant que « l’endossement de chèques démontre seulement la réalité de la remise de fonds » (Cass. 1ère civ. 3 juin 1998, n°96-14.232).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, si un chèque permet bien d’établir la remise de fonds lorsqu’il a été endossé, cette remise ne permet pas d’établir sa cause, à tout le moins avec vraisemblable.

Une remise de fonds peut procéder, tout autant d’une donation que de l’existence d’une créance. C’est la raison pour laquelle un chèque, même endossé, ne saurait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt.

b. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit

Animée par une volonté de faciliter la preuve des actes juridiques, la Cour de cassation a progressivement adopté une approche extensive de la notion de commencement de preuve par écrit, à telle enseigne qu’elle a admis que puissent valoir commencement de preuve par écrit des éléments de preuve qui dérogent :

  • Soit à la condition tenant l’exigence d’un écrit
  • Soit à la condition tenant à l’origine de l’écrit

i. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’exigence d’un écrit

Comme vu précédemment, pour valoir commencement de preuve par écrit, l’élément de preuve produit doit, en principe, consister en un écrit.

L’article 1362 al. 2 du Code civil déroge toutefois à cette exigence en énonçant que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Il s’agit là d’une reprise de l’alinéa 3e de l’ancien article 1347 du Code civil, lequel était issu de la loi n°75-596 du 9 juillet 1975.

Cette loi était venue consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que des déclarations orales puissent valoir commencement de preuve par écrit (Cass. req., 29 avr. 1922).

Toutefois, toutes les déclarations orales ne constituent pas nécessairement des commencements de preuve par écrit.

Le texte précise en effet que sont seules éligibles à cette qualification :

  • les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle
  • Le refus d’une partie de répondre aux questions du juge
  • L’absence de comparution d’une partie

Dans un arrêt du 19 novembre 2002 la Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit à une sommation interpellative qui était pourtant consignée dans un constat d’huissier de justice (Cass. 1ère civ. 19 nov. 2002, n°01-10.169).

À l’analyse, l’article 1362, al. 2e du Code civil n’apporte rien de nouveau au droit positif dans la mesure où il ne fait qu’énoncer une règle qui existe déjà dans le Code de procédure civile et qui a été introduite dans ce code à l’article 198 par une loi du 23 mai 1942.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le juge peut tirer toute conséquence de droit des déclarations des parties, de l’absence ou du refus de répondre de l’une d’elles et en faire état comme équivalent à un commencement de preuve par écrit. »

En tout état de cause, c’est au juge, dit le texte, d’apprécier souverainement s’il y a lieu de considérer comme équivalent à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.

ii. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’origine de l’écrit

Si, en principe, pour valoir commencement de preuve par écrit l’élément de preuve produit doit émaner de la partie à laquelle on l’oppose, l’article 1362, al. 3e du Code civil assortit la règle d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « la mention d’un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public vaut commencement de preuve par écrit. »

La règle déroge ici aux conditions du commencement de preuve par écrit en ce que le registre susceptible d’être produit comme élément de preuve émane d’un tiers (l’autorité publique qui tient le registre) et non de la partie à laquelle il est opposé.

À la différence de la précédente dérogation, cette règle ne figurait pas dans l’ancien article 1347 du Code civil. Il s’agit là d’une création de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Si l’on se réfère au rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, cette création vise à alléger « les conditions dans lesquelles la transcription d’un acte sur les registres publics peut servir de commencement de preuve par écrit. »

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1336 du Code civil prévoyait, pour mémoire, que pour que la transcription d’un acte sur les registres publics puisse servir de commencement de preuve par écrit, il fallait que deux conditions cumulatives soient réunies :

  • Qu’il soit constant que toutes les minutes du notaire, de l’année dans laquelle l’acte paraît avoir été fait, soient perdues, ou que l’on prouve que la perte de la minute de cet acte a été faite par un accident particulier ;
  • Qu’il existe un répertoire en règle du notaire, qui constate que l’acte a été fait à la même date.

Aujourd’hui, ces deux conditions n’ont plus cours. Il suffit que le registre produit soit public pour que les mentions qui y figurent vaillent commencement de preuve par écrit.

2. La corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve

Pour qu’un commencement de preuve par écrit soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Ainsi, un commencement de preuve par écrit ne suffit pas à lui seul à faire la preuve d’un acte juridique. C’est là ce qui le distingue fondamentalement des autres modes de preuve parfaits qui, quant à eux, ne requiert l’addition d’aucun autre moyen de preuve pour que le fait allégué soit réputé établi.

En somme, comme souligné par un auteur « le commencement de preuve par écrit ne prouve pas le fait contesté. Il rend seulement admissible d’autres modes de preuve dans un domaine où, à son défaut, ils auraient été irrecevables »[15].

La Cour de cassation rappelle régulièrement cette impuissance du commencement de preuve par écrit à faire la preuve d’un acte juridique lorsqu’il n’est pas corroboré par un autre moyen de preuve (V. par exemple Cass. com. 31 mai 1994, n°92-10.795 ; Cass. 1ère civ. 28 févr. 1995, n°92-19.097).

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quels sont les « autres moyens de preuve » admis à compléter un commencement de preuve par écrit.

À l’analyse, le moyen de preuve complémentaire produit doit répondre à deux exigences :

  • Consister en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil
  • Présenter un caractère extrinsèque

?Un mode de preuve reconnu par le Code civil

L’article 1361 du Code civil exige donc que le commencement de preuve par écrit soit complété par un « autre moyen de preuve ».

Par « autre moyen de preuve », il faut comprendre ceux énoncés sous le chapitre consacré aux « différents modes de preuve ».

Pour mémoire, sont reconnus par le Code civil comme mode de preuve pouvant être produit en justice :

  • L’écrit (art. 1363 à 1380 C. civ.)
  • Le témoignage (art. 1382 C. civ.)
  • Les présomptions judiciaires (art. 1381 C. civ.)
  • L’aveu (art. 1383 à 1383-2 C. civ.)
  • Le serment (art. 1384 à 1386-1 C. civ.)

Parmi ces modes de preuves, il y a lieu d’ores et déjà d’exclure ceux qui sont parfaits, compte tenu de ce qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils rendent dès lors inutile le recours au mécanisme du commencement de preuve par écrit pour le plaideur qui serait en mesure de se prévaloir de l’un d’eux, au nombre desquels figurent, pour rappel, l’écrit, l’aveu judiciaire et le serment décisoire.

Il s’en déduit que les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit.

Dès lors que l’un de ces moyens de preuve est produit par le plaideur dans ce cadre, le juge ne saurait subordonner la preuve de l’acte juridique litigieux à la satisfaction d’une autre condition (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a, par ailleurs, rappelé que c’est aux juges du fond qu’il revient d’apprécier « souverainement les éléments invoqués par une partie pour compléter un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 4 oct. 2005, n°02-13.395).

C’est, autrement dit, à lui seul de dire si la condition tenant à l’exigence de corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve est remplie.

À l’inverse, il incombe aux parties de se prévaloir de l’exception tirée d’un commencement de preuve par écrit. Le juge ne dispose pas du pouvoir de relever ce moyen d’office (Cass. 3e civ. 5 juill. 2011, n°08-12.689). Il est seulement tenu de prendre en compte le commencement de preuve par écrit, à tout le moins de vérifier que ses conditions de recevabilité sont satisfaites.

?Un mode de preuve présentant un caractère extrinsèque

Pour qu’un élément de preuve soit admis à compléter un commencement de preuve par écrit, il ne suffit pas qu’il consiste en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil, il faut encore qu’il présente un caractère extrinsèque.

Cette exigence avait été formulée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016.

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation avait, par exemple, affirmé, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil, que « pour compléter un commencement de preuve par écrit, le juge doit se fonder sur un élément extrinsèque a ce document » (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-10.431).

Bien que l’exigence d’extériorité de l’élément de preuve produit en complément d’un commencement de preuve par écrit ne soit pas exprimée explicitement par les nouveaux textes, les auteurs s’accordent à dire qu’elle s’infère de la formule « autre moyen de preuve » que l’on retrouve à l’article 1361 du Code civil.

L’exigence d’origine jurisprudentielle serait donc maintenue, ce qui conduit dès lors à se poser la question de savoir ce qu’il faut entendre par « un élément de preuve extrinsèque ».

Deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche matérielle
    • Selon cette approche, l’élément de preuve produit en complément du commencement de preuve par écrit doit être matériellement distinct de lui.
    • Autrement dit, il ne saurait être recherché dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit ; l’élément de preuve complémentaire doit lui être totalement extérieur
    • Un même document ne saurait ainsi servir à la fois de commencement de preuve par écrit et d’élément de preuve complémentaire.
  • L’approche intellectuelle
    • Selon cette approche, il n’est pas nécessaire que l’élément invoqué en complément du commencement de preuve par écrit, soit matériellement distinct de lui.
    • Il peut donc parfaitement être contenu dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit, pourvu néanmoins qu’il n’émane pas de l’auteur de cet instrumentum
    • Il pourrait, par exemple, s’agir d’une mention ou d’une signature ajoutée par une personne autre que celle qui a établi le commencement de preuve par écrit produit.

Entre ces deux approches, la Cour de cassation semble avoir opté pour la seconde.

Dans un arrêt du 8 octobre 2014, elle a, en effet, considéré que des signatures apposées par des témoins sur un écrit constatant une reconnaissance de dette pouvaient constituer des éléments extrinsèques à l’acte, alors même qu’elles figuraient sur le même support que le commencement de preuve par écrit qu’elles venaient corroborer (Cass. 1ère civ. 8 oct. 2014, n°13-21.776).

À l’analyse, les éléments de preuve extérieurs au commencement de preuve par écrit peuvent être d’une grande variété.

Ces éléments pourront notamment consister en des témoignages ou des présomptions (Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Il pourra également s’agit d’un aveu-extrajudiciaire qui, pour mémoire, consiste en une déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n° 00-15.834).

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation a encore admis qu’un acte d’exécution puisse constituer un élément de preuve venant compléter un commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-12.425).

De façon générale, tout indice pourra être retenu par le juge pour valoir élément de preuve complétant le commencement de preuve par écrit produit.

Il pourra, par exemple, s’agir d’une clause ou d’une énonciation contenue dans un acte (Cass. com. 5 mai, n°2004, n°02-11.574), peu importe qu’il soit nul (Cass. 1ère civ. 25 janv. 1965).

Il pourra également s’agir de tout indice tiré du comportement d’une partie au cours de l’instance (Cass. 1ère civ. 23 janv. 1996, n°94-12.931) ou encore de la qualité de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit aux débats (Cass. com., 22 juin 1999, n°97-12.839).

B) Les modes de preuve parfaits

En application de l’article 1361 du Code civil, il peut être suppléé à l’écrit :

  • Soit par l’aveu judiciaire
  • Soit par le serment décisoire

Ces deux moyens de preuve appartiennent à la catégorie des modes de preuve parfaits.

Aussi, présentent-ils une double spécificité :

  • En premier lieu, ils sont admis en toutes matières, soit pour faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques peu importe le montant de ces deniers
  • En second lieu, ils s’imposent au juge en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonnera à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

En l’absence d’écrit pour faire la preuve d’un acte juridique, les plaideurs ont ainsi la faculté de recourir à un mode de preuve parfait, étant précisé qu’il n’existe aucune hiérarchie entre ces derniers (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 28 janv. 1981, 79-17.501).

Sous réserve que les conditions d’admission du mode de preuve parfait soient réunies, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve de l’acte juridique litigieux soit rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

III) L’aménagement conventionnel de l’exigence d’écrit

Les articles 1358 et 1359 du Code civil énoncent des règles qui ne sont pas d’ordre public, de sorte que les parties peuvent y déroger par convention contraire.

Bien que l’on se soit, un temps, posé la question de la licéité des conventions sur la preuve, elles ont finalement été admises par la jurisprudence.

Dans deux arrêts particulièrement remarqués rendus le 8 novembre 1989, la Cour de cassation a jugé très explicitement que « pour les droits dont les parties ont la libre disposition, [les] conventions relatives à la preuve sont licites » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1989, n°86-16.196 et 86-16.197).

Prenant acte de cette position bien établie en jurisprudence, le législateur l’a consacrée à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1356, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition ».

Il ressort de cette disposition que les parties sont libres d’aménager, par voie contractuelle, les règles de preuve.

À cet égard, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la licéité des conventions visant à déterminer contractuellement quels seront les modes de preuves admis pour faire la preuve d’un droit ou d’une obligation.

Pour la Haute juridiction, les parties sont libres, tant d’étendre les modes de preuve admissibles (Cass. req. 6 janv. 1936) ; que de les restreindre (Cass. 1ère civ. 10 janv. 1995, n°92-18.013).

Il s’en déduit que les parties peuvent parfaitement prévoir contractuellement que la preuve de l’acte juridique conclu entre elles pourra se faire par tous moyens.

La liberté conférée aux parties d’aménager les règles de preuve n’est toutefois pas sans limites ; elle se heurte, en particulier, aux dispositions d’ordre public que l’on retrouve notamment en droit de la consommation.

Dans ce domaine, il est notamment interdit au professionnel de restreindre les modes de preuve admis à prouver l’acte juridique conclu avec un consommateur.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Le paiement des obligations de sommes d’argent (art. 1343 à 1343-5 C. civ.)

C’est une nouveauté introduite par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, le Code civil renferme désormais une section entière consacrée aux « obligations de sommes d’argent ».

Cette section comporte des dispositions qui constituent le droit spécial du paiement, à tout le moins elles sont présentées comme tel.

Le législateur a indiqué en ce sens, dans le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, que « les obligations de sommes d’argent présentent des particularités justifiant de consacrer une partie distincte aux règles propres à leur paiement. »

La particularité des obligations de sommes d’argent tient notamment au cours de la monnaie qui, par nature, peut varier. Ces obligations comportent encore des spécificités lorsqu’elles sont productives d’intérêts.

Les difficultés que sont susceptibles de soulever les obligations monétaires sont abordées aux articles 1343 et suivants du Code civil.

Après avoir posé le principe du nominalisme monétaire, ces dispositions traitent des intérêts susceptibles d’être produit par la dette. Enfin elles abordent les modalités du paiement de l’obligation de somme d’argent.

§1: Le nominalisme monétaire

I) Principe

==> Exposé du principe du nominalisme monétaire

Lorsqu’une obligation porte sur une somme d’argent, cela implique pour le débiteur de payer le créancier au moyen de monnaie.

À cet égard, la monnaie ne constitue pas seulement un instrument de paiement, elle a également pour fonction d’évaluer un bien ou un service.

Autrement dit, dans cette fonction, la monnaie s’analyse en une unité de mesure. Contrairement toutefois aux unités de mesure utilisées dans le domaine des sciences, elle présente un caractère instable dans la mesure où sa valeur est fixée par un cours. Or ce cours est susceptible de varier et, par voie de conséquence, d’affecter la valeur de la monnaie.

Aussi, la fluctuation monétaire rend-elle difficile l’évaluation des biens et services sur une période longue, en particulier durant des périodes d’inflation ou de dépréciation monétaires.

La question qui alors se pose est de savoir quel montant le débiteur d’une obligation de somme d’argent doit-il verser au créancier pour éteindre sa dette. Deux approches sont envisageables :

  • Première approche : le nominalisme monétaire
    • Pour se libérer de son obligation, le débiteur doit verser au créancier le montant nominal de la dette stipulé au contrat.
    • L’inconvénient de cette approche est que, en cas de fluctuation monétaire entre le jour de la conclusion du contrat et le jour du paiement, la valeur de la somme d’argent réglée par le débiteur au créancier ne correspondra plus à la valeur du montant de la dette stipulé au contrat.
  • Seconde approche : le valorisme monétaire
    • Pour se libérer de son obligation, le débiteur doit verser au créancier une somme d’argent dont le montant a été actualisé au jour du paiement et qui donc est susceptible d’être différent de celui déterminé lors de la conclusion du contrat.
    • Cette approche présente l’avantage de tenir compte des phénomènes d’inflation et de dépréciation monétaires.

Entre ces deux approches, le législateur a retenu la première. L’article 1343, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal. »

Cette disposition pose donc le principe du nominalisme monétaire, principe selon lequel le débiteur doit verser la somme correspondant au montant nominal de sa dette, même si la valeur de la monnaie a varié.

Concrètement, cela signifie qu’une dette dont la valeur nominale est de 100 vaudra toujours 100 peu importe le nombre d’années qui s’est écoulé entre la conclusion du contrat et le paiement de l’obligation.

Autrement dit, le paiement doit porter sur le même nombre d’unités monétaires que celui stipulé au contrat au jour de la naissance de la dette, les fluctuations monétaires étant sans incidence sur le montant nominal dû par le débiteur.

==> Consécration du principe du nominalisme monétaire

Sous l’empire du droit antérieur, le principe du nominalisme monétaire avait été déduit de l’article 1895 du Code civil qui prévoit, en matière de prêt de consommation, que « l’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat. »

Le second alinéa de ce texte précise que « s’il y a eu augmentation ou diminution d’espèces avant l’époque du paiement, le débiteur doit rendre la somme prêtée, et ne doit rendre que cette somme dans les espèces ayant cours au moment du paiement. »

S’il n’est pas douteux que, en application de ce texte, l’emprunteur ne soit tenu de rembourser au prêteur que le montant nominal de la somme d’argent prêtée, on est légitimement en droit de s’interroger, en revanche, sur le domaine de la règle ainsi énoncée.

Une approche restrictive devrait conduire à cantonner le champ d’application de cette règle aux seuls prêts d’argent.

Telle n’est toutefois pas la voie qui a été empruntée par la jurisprudence qui, très tôt, a dégagé de l’article 1895 du Code civil un principe général (V. en ce sens Cass. req. 25 févr. 1929).

Afin de lever toute ambiguïté et prévenir toute difficulté d’interprétation du texte, le législateur a fait le choix, à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations, de consacrer le principe du nominalisme monétaire, énoncée désormais à l’article 1343 du Code civil.

Reste que si le principe du nominalisme monétaire pose une exigence de parfaite égalité entre le montant nominal de la somme d’argent stipulé au contrat au jour de la naissance de la créance et le montant nominal de la dette qui doit être payée par le débiteur au jour du paiement, cette correspondance pas toujours, pour autant, à la réalité économique.

II) Exceptions

En période de stabilité monétaire, le principe du nominalisme monétaire ne soulève aucune difficulté d’application pour les parties.

La valeur de la monnaie étant constante, le montant de la somme d’argent due au créancier est toujours égal au montant de la dette qui doit être réglée par débiteur.

Lorsque, en revanche, la monnaie connaît des périodes de fluctuation, le principe du nominalisme monétaire est susceptible de contrevenir à l’équité.

Afin de surmonter cette difficulté le législateur a :

  • D’une part, autorisé les parties à déroger contractuellement au principe du nominalisme monétaire
  • D’autre part, institué le système des dettes de valeur

A) L’aménagement contractuel du principe du nominalisme monétaire

1. Techniques contractuelles visant à déroger au principe du nominalisme monétaire

Le principe du nominalisme monétaire n’est pas d’ordre public. Il est donc admis que les parties puissent y déroger par convention contraire.

Très tôt la pratique a développé deux techniques contractuelles permettant de protéger les parties contre le phénomène de fluctuation monétaire :

  • Les clauses monétaires
  • Les clauses d’indexation

1.1. S’agissant des clauses monétaires

a. Notion

Une clause monétaire est celle qui vise comme unité de valeur de référence d’une créance de somme d’argent une unité monétaire ou l’or.

Il s’agit, autrement dit, de stipulations aux termes desquelles les parties conviennent de se référer à une monnaie étrangère plutôt que d’utiliser la monnaie légale, soit pour évaluer les créances, soit pour les régler.

Classiquement, on distingue deux catégories de clauses monétaires :

  • Première catégorie : les clauses monnaies étrangères et les clauses-or
    • Il s’agit des clauses qui stipulent que le paiement devra s’effectuer dans une monnaie autre que celle déterminée par la loi (clause monnaie étrangère) ou en or (clause-or).
    • Ces clauses écartent ainsi le principe posé à l’article 1343-3, al .1er du Code civil selon lequel « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros.»
    • La monnaie étrangère a donc vocation à être utilisée ici, en lieu et place de la monnaie légale, aux fins de règlement de la dette
  • Seconde catégorie : les clauses valeur-monnaie étrangère et les clauses valeur or
    • Il s’agit des clauses qui visent la monnaie étrangère ou l’or, non pas comme une monnaie de paiement, mais comme une monnaie de compte.
    • Autrement dit, elles stipulent que le paiement s’effectuera en monnaie légale (l’euro), mais que la valeur nominale de la dette variera en fonction du cours d’une monnaie étrangère ou de l’or.
    • Ce type de clause vise donc à se référer à une monnaie étrangère ou au cours de l’ord pour évaluer une dette

b. Cours forcé et cours légal

Au début du XIXe siècle, en raison de la relativement grande stabilité du franc, il était admis que les parties à un contrat puissent stipuler des clauses monétaires et que donc le paiement puisse s’effectuer en monnaie étrangère ou en or.

Puis le législateur institua, par le décret du 15 mars 1848, un cours forcé des billets émis par la Banque de France ce qui signifiait les paiements devaient nécessairement être réalisés en monnaie légale et que les détenteurs de ces billets ne pouvaient plus réclamer leur conversion en monnaie métallique. L’objectif recherché était double : mettre un frein à la fuite des réserves de métaux précieux de la Banque de France et favoriser l’utilisation large des billets comme monnaie fiduciaire.

Si le cours forcé a été aboli en 1850, il a été rétabli par la loi du 12 août 1870 qui a, en outre, institué ce que l’on appelle un cours légal du billet. Selon ce cours, il est fait obligation à tout créancier d’accepter les billets de banque émis par la banque de France comme instrument de paiement au même titre que la monnaie métallique.

L’adoption du cours forcé et du cours légal n’a pas été sans incidence sur la validité des clauses monétaires.

Ces deux cours faisaient désormais obstacle au paiement d’une créance en monnaie étrangère ou en or. Leur instauration revenait ainsi à prohiber les clauses monnaies étrangères et les clauses or. Cette prohibition a, dans un premier temps, visé les clauses or (Cass. civ., 11 févr. 1873), puis les clauses monnaie étrangère (V. en ce sens Cass. civ. 17 mai 1927).

La jurisprudence a, par suite, étendu cette prohibition aux clauses valeur-monnaies étrangères et aux clauses valeur-or (V. en ce sens Cass. civ. 31 déc. 1928).

c. Régime

Si la stipulation de clauses monétaires est, par principe, prohibée pour les opérations réalisées sur le territoire français, elle est admise lorsqu’elle intéresse des opérations qui présentent un caractère international.

c.1 Les opérations internationales

La prohibition générale des clauses monétaires posée par la jurisprudence à partir de la fin du XIXe siècle est rapidement apparue comme étant inconciliable avec les exigences et impératifs du commerce international.

Le maintien de cette prohibition aurait eu pour effet d’empêcher les marchands français de commercer avec des partenaires étrangers.

Pour cette raison, très tôt la Cour de cassation a admis que les opérations présentant un caractère international échappaient à la prohibition des clauses monétaires.

Dans un arrêt Matter rendu le 17 mai 1927 (Cass. civ. 17 mai 1927), elle a ainsi jugé qu’une clause prévoyant le règlement d’une obligation dans une devise étrangère n’était pas illicite, pourvu qu’elle se rattache à une opération internationale.

Pour présenter un caractère international et donc échapper à la prohibition des clauses monétaires, l’opération doit produire un mouvement de valeurs transfrontalier, soit un flux qui circule d’un état vers un autre.

Une circulaire du garde des Sceaux aux procureurs généraux du 16 juillet 1926 a indiqué en ce sens que les règlements internationaux sont ceux « qui concernent des opérations qui se poursuivent sur le territoire de deux États, se règlent par un appel de change d’un État sur un autre et aboutissent finalement à un règlement de pays à pays ».

Dès lors que cette condition est remplie, les parties sont libres de déroger au cours légal et au cours forcé ; elles peuvent donc prévoir que les règlements s’effectueront au moyen d’une devise étrangère.

À cet égard, il peut être dérogé pour les opérations internationales au principe de prohibition des clauses monétaires, tant lorsque la monnaie étrangère est utilisée comme une monnaie de paiement (clauses monnaie étrangère) que lorsqu’elle est utilisée comme une monnaie de compte (clauses valeur-monnaie étrangère).

Dans ce dernier cas, la conversion de la devise étrangère en euro devra se faire au jour du paiement. La Cour de cassation a jugé en ce sens dans un arrêt du 18 décembre 1990, que « la contre-valeur en francs français d’une dette stipulée en monnaie étrangère doit être fixée au jour du paiement, sauf si le retard apporté à celui-ci est imputable à l’une des parties » (Cass. 1ère civ. 18 déc. 1990, n°88-20.232).

Si la dérogation au principe de prohibition des clauses monétaires pour les opérations internationales a été admise par la jurisprudence dès le début du XXe siècle, il a fallu attendre près d’un siècle pour qu’elle soit consacrée par le législateur.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a ainsi inséré un article 1343-3 dans un le Code civil qui prévoyait que, si « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros. Toutefois, le paiement peut avoir lieu en une autre devise si l’obligation ainsi libellée procède d’un contrat international ou d’un jugement étranger. »

Cette disposition a toutefois fait l’objet d’un ajustement à l’occasion de l’adoption de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016.

Il a été relevé que la rédaction de l’article 1343-3, telle que retenue par cette ordonnance, était plus restrictive que l’état du droit antérieur.

Il a notamment été souligné que dans une décision rendue le 11 octobre 1989 à propos d’un contrat de prêt, la Cour de cassation s’était référée à la notion plus souple d’« opération de commerce international » et non de contrat international (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°87-16.341).

Cette notion permettait aux parties de déterminer la monnaie de compte ou de paiement de leurs obligations même si le paiement devait être réalisé sur le sol français, dès lors qu’il pouvait être qualifié d’opération de commerce international.

Il est toutefois apparu que cette notion d’« opération de commerce international » ne permettait pas non plus de couvrir l’ensemble des hypothèses dans lesquelles le paiement en monnaies étrangères était admis avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance.

Pour s’approcher au plus près de l’état du droit antérieur et permettre aux entreprises d’utiliser la monnaie de leur choix, tout en n’affaiblissant pas la monnaie nationale, il a finalement été décidé de retenir le critère d’« opération à caractère international », à la place de celui trop restrictif de lien avec un « contrat international », cette rédaction pouvant encore être affinée au cours de la navette parlementaire.

Aussi, désormais après avoir énoncé que « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros », l’article 1343-3, al. 2e du Code civil est rédigé comme suit : « le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’une opération à caractère international ou d’un jugement étranger. »

c.2 Les opérations internes

==> Principe

Très tôt la jurisprudence a donc posé le principe de prohibition des clauses monétaires pour les opérations internes, considérant que ces clauses heurtaient l’ordre public monétaire (V. en ce sens Cass. com., 27 avr. 1964 ; Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°87-16.341).

Cette prohibition procédait notamment de l’idée que les clauses de monnaie étrangère avaient pour effet d’affaiblir la monnaie nationale.

Certains auteurs soutiennent qu’elle n’est aujourd’hui plus justifiée dans la mesure où le droit français fait figure d’exception au sein de la zone euro[1].

D’autres avances que « les règles du cours légal et du cours forcé constituent […] des fondements insuffisants à l’illicéité des clauses monétaires. Et leur cumul n’y saurait rien changer : la somme de deux arguments creux sonne creux »[2].

  • S’agissant du cours forcé, il empêche seulement le détenteur de billets émis par la Banque de France de demander auprès d’elle la conversion en or ou en argent. Il ne fait a priori nullement obstacle à ce que les parties à un contrat décident que le règlement des dettes s’effectuera au moyen d’une monnaie étrangère.
  • S’agissant du cours légal, il interdit, quant à lui, à tout créancier d’une obligation de refuser un paiement au moyen de billets émis par la Banque de France. Cette interdiction ne fait nullement obstacle, là encore, à ce que les parties à un contrat utilisent une devise étrangère comme moyen de règlement des obligations.

Si, en l’état du droit positif, la prohibition des clauses monétaires demeure, nonobstant les critiques – nombreuses – formulées par la doctrine, elle a toutefois connu un assouplissement, notamment sous l’impulsion du développement des clauses d’indexation.

À compter du milieu du XXe siècle, la jurisprudence a, en effet, commencé à distinguer selon que la monnaie étrangère était utilisée par les parties comme une monnaie de paiement ou comme une monnaie de compte.

Pour mémoire, tandis que dans le premier cas le contrat écarte purement et simplement la monnaie légale comme moyen de règlement des obligations (clause monnaie étrangère), dans le second cas la monnaie étrangère sert seulement à évaluer le montant des créances, le paiement s’effectuant, en tout état de cause, dans la monnaie légale (clause valeur-monnaie étrangère).

Dans l’ordre interne, alors que les clauses monnaie étrangères ont toujours été prohibées par la jurisprudence, la Cour de cassation demeurant inflexible, elle a fini par admettre la validité des clauses valeur-monnaie étrangère, soit celles n’impliquant le paiement de l’obligation dans une devise étrangère (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1962).

La Cour de cassation subordonna toutefois leur validité au respect des règles encadrant les clauses d’indexation.

En parallèle de cette jurisprudence, elle maintint la prohibition des clauses monnaie étrangère (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2013, n°12-23.208).

La violation de cette prohibition est sanctionnée par la nullité absolue, dans la mesure où elle porte atteinte à l’ordre public monétaire (Cass. 1ère civ. 18 nov. 1997, n°95-14.003).

Dans un arrêt du 2 octobre 2007, la Cour de cassation a précisé qu’il appartient, en conséquence, au juge de relever d’office cette cause de nullité du contrat (Cass. 3e civ. 2 oct. 2007, n°06-14.725).

==> Exceptions

Le principe d’interdiction de stipuler pour les contrats relevant de l’ordre interne une clause de règlement d’une obligation en devise étrangère souffre de deux exceptions :

  • Première exception
    • L’article 1343-3, al. 3e du Code civil prévoit que « les parties peuvent convenir que le paiement aura lieu en devise s’il intervient entre professionnels, lorsque l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis pour l’opération concernée. »
    • Cette exception, qui est issue de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, vise à tenir compte des réalités économiques et notamment des impératifs rencontrés dans certains domaines d’activité où il est d’usage que les paiements s’opèrent en devise étrangère et notamment en dollar américain.
  • Seconde exception
    • L’article L. 112-5-1 du Code monétaire et financier prévoit que « par dérogation au premier alinéa de l’article 1343-3 du code civil, le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’un instrument financier à terme ou d’une opération de change au comptant.»

1.2. S’agissant des clauses d’indexation

Une clause d’indexation, qualifiée également de clause d’échelle mobile, est celle qui fait varier le montant de la dette en fonction d’un indice extérieur au contrat.

La clause peut renvoyer, soit à un indice publié par un organisme public ou privé, soit au cours d’une marchandise ou d’un service, pourvu qu’elle ne contrevienne pas au cours forcé.

À l’instar des clauses monétaires, pendant longtemps les clauses d’indexation ont été regardées avec méfiance par la jurisprudence, les juridictions voyant en elles un facteur d’inflation.

En effet, la clause d’indexation ne fait certes pas varier le montant de la somme due par le débiteur en fonction du cours d’une devise étrangère. Toutefois, en stipulant une telle clause les parties cherchent indirectement à se prémunir des fluctuations monétaires susceptibles d’affecter la valeur de l’obligation souscrite.

Afin de limiter le recours aux clauses d’indexation la Cour de cassation a opéré une distinction entre :

  • D’un côté, les clauses qui avaient été stipulées dans le seul but d’échapper aux fluctuations monétaires.
  • D’un autre côté, les clauses qui avaient été stipulées aux fins de préserver l’équivalence économique des prestations.

Tandis que les premières étaient prohibées (Cass. 1ère civ. 3 nov. 1953), les secondes ont été reconnues valables (Cass. 1ère civ. 27 déc. 1954).

Dans ce contexte de fébrilité de la jurisprudence quant à la reconnaissance des clauses de d’indexation, la question de leur validité s’est posée spécifiquement pour les contrats de prêt.

Pour mémoire, l’article 1895 du Code civil prévoit que « s’il y a eu augmentation ou diminution d’espèces avant l’époque du paiement, le débiteur doit rendre la somme prêtée, et ne doit rendre que cette somme dans les espèces ayant cours au moment du paiement. »

Selon cette disposition, qui pose le principe du nominalisme monétaire en matière de prêt, le montant remboursé par l’emprunteur doit correspondre au montant nominal qui a été mis à sa disposition par le prêteur.

Est-ce à dire que, pour cette catégorie de contrat, toute clause visant à indexer le montant de la somme prêtée sur indice et donc à faire fluctuer le montant nominal de la somme devant être remboursée serait nulle ?

Se fondant sur le principe du nominalisme monétaire, certaines juridictions ont statué en ce sens.

La Cour de cassation a toutefois porté un coup d’arrêt à cette jurisprudence dans un arrêt Guyot rendu en date du 27 juin 1957 (Cass. 1ère civ. 27 juin 1957, n°57-01.212).

Aux termes de cette décision, la Première chambre civile affirma que :

  • En premier lieu, que l’article 1895 ne présente aucun caractère d’ordre public dans la mesure où :
    • D’une part, « il a seulement pour objet d’écarter, dans le silence de la convention, une révision judiciaire des conditions de remboursement du prêt d’argent, éventuellement demandée, en vertu de l’article 1892, pour changement de “qualité” de la monnaie. »
    • D’autre part, que « l’ordre public n’exige pas, dans le prêt d’argent, une protection des emprunteurs contre la libre acceptation du risque d’une majoration de la somme à rembourser, destinée à conserver à celle-ci le pouvoir d’achat de la somme prêtée apprécié par rapport au coût d’une denrée, dès lors qu’ils peuvent assumer des risques de même importance dans d’autres contrats»
    • Enfin « qu’on ne peut non plus prétendre que le caractère impératif de cet article serait justifié par des principes d’ordre monétaire, qui l’imposeraient en raison d’un danger que les clauses entraînant cette majoration présenteraient pour la stabilité de la monnaie, l’influence desdites clauses à cet égard apparaissant en l’état trop incertaine pour légitimer une nullité portant une atteinte grave à la sécurité de l’épargne et du crédit»
  • En second lieu, que les lois monétaires en vigueur n’impliquent pas l’invariabilité du pouvoir d’achat de la monnaie, lequel varie avec le prix des denrées, et n’empêchant pas dès lors les prêteurs plus que les autres créanciers de faire état des variations de ce pouvoir d’achat

Ainsi, par cet arrêt, non seulement la Cour de cassation reconnaît admet qu’une clause d’indexation puisse être stipulé dans un contrat de prêt en raison du caractère non impératif de l’article 1895 du Code civil, mais encore elle pose un principe général de validité des clauses d’indexation.

Elle abandonne ainsi la distinction entre les clauses stipulées dans le but de prévenir des fluctuations monétaires et celles stipulées aux fins de garantir l’équilibre économique des prestations.

Désormais, toutes les clauses d’indexation sont réputées valables, peu importe la finalité recherchée par les parties.

Dans un arrêt du 4 décembre 1962, la Cour de cassation a, par suite, appliqué la solution retenue dans l’arrêt Guyot aux clauses valeur or.

Après avoir rappelé « qu’aucune clause d’indexation n’est interdite par l’article 1895, texte non impératif », la Première chambre civile affirme que « la stipulation faisant dépendre le nombre de francs à rembourser du cours des Pièces d’or union latine n’était pas illicite, la liberté des transactions sur ces pièces et la reconnaissance officielle des variations corrélatives de leur valeur en francs, impliquant nécessairement la possibilité pour les particuliers de subordonner le montant d’un payement a ces variations » (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1962).

Puis dans un arrêt du 10 mai 1966, la Haute juridiction reconnaît, pour la première fois, la validité des clauses valeur-monnaie étrangère, soit celles qui utilisent la monnaie, non pas comme une monnaie de paiement, mais comme une monnaie de compte, peu importe qu’elles soient stipulées dans un contrat qui ne présente aucun caractère international (Cass. 1ère civ. 10 mai 1966).

Pour justifier sa position, la Cour de cassation a indiqué, dans plusieurs arrêts, que la fixation d’une créance en monnaie étrangère devait s’analyser en « une indexation déguisée » (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°87-16.341).

Or dans la mesure où les clauses d’indexation sont valides, il doit en être de même pour les clauses de valeur-monnaie étrangère.

Aujourd’hui, l’article 1343, al. 2e du Code civil, issu l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations, prévoit expressément que « le montant de la somme due peut varier par le jeu de l’indexation ».

Une lecture rapide de cette disposition suggère que le législateur a entendu reconnaître les clauses d’indexation. L’apparence est toutefois trompeuse.

À l’analyse, il y a lieu de comprendre ce texte comme posant moins un principe de validité des clauses d’indexation que comme une atténuation à la règle du nominalisme monétaire.

La liberté de stipuler des clauses d’indexation est, en effet, enfermée dans des conditions strictes énoncées aux articles L. 112-1 et suivants du Code monétaire et financière. Ces dispositions sont issues des ordonnances n° 58-1374 du 30 décembre 1958 et n° 59-246 du 4 février 1959.

a. Le régime des clauses d’indexation

a.1 Principe

L’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services ».

Ainsi, cette disposition prohibe le recours par les parties à des indices généraux. Lors de l’instauration de cette prohibition, le principal objectif recherché par le législateur n’était autre que la lutte contre l’inflation.

Concrètement, il est donc fait interdiction aux parties d’indexer les obligations stipulées au contrat sur :

  • D’une part, le SMIC
    • Dans un arrêt du 18 mars 1992, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une décision rendue par un Conseil de prud’hommes qui avait validé la clause stipulée dans un contrat de travail qui « prévoyait une rémunération brute horaire égale au SMIC augmenté de 7 %» ( soc. 18 mars 1992, n°88-43.434).
    • Pour la Chambre sociale, la prohibition des « clauses prévoyant des indexations fondées sur le SMIC le salaire minimum interprofessionnel de croissance» interdisait à l’employeur de « consentir par avance une révision automatique du salaire basée sur le SMIC ».
  • D’autre part, le niveau général des prix
    • La Cour de cassation a ainsi jugé dans un arrêt du 27 mars 1990 qu’était nulle la clause stipulée dans un contrat de location-gérance d’un fonds de commerce prévoyant que la redevance serait indexée sur l’indice des prix à la consommation des ménages urbains ( com. 27 mars 1990, n°88-15.092)
  • Enfin, le niveau général des salaires
    • Dans un arrêt du 3 novembre 1988, la Cour de cassation a, par exemple, jugé qu’était « atteinte d’une nullité absolue » la clause stipulée dans un contrat de fourniture de marchandises prévoyant l’indexation du prix de vente « sur l’indice général des taux de salaires horaires des ouvriers toutes activités série France entière» ( com. 3 nov. 1988, n°87-10.043).

a.2 Tempéraments

i. L’indexation libre

La prohibition du recours par les parties à des indices généraux n’est pas absolue. Elle souffre d’exceptions prévues par la loi.

L’article L. 112-2, al. 3e du CMF prévoit notamment que l’indexation est libre pour les opérations intéressant les dettes d’aliments.

Par rente d’aliments il faut entendre, précise le texte « les rentes viagères constituées entre particuliers, notamment en exécution des dispositions de l’article 759 du code civil ».

L’indexation peut encore être librement stipulée pour les prestations compensatoires qui prennent la forme de rentes (art. 276-1 C. civ.)

L’article L. 112-3 du CMF autorise, par ailleurs, l’indexation de certaines conventions sur le niveau général des prix :

  • Les livrets A définis à l’article L. 221-1 ;
  • Les comptes sur livret d’épargne populaire définis à l’article L. 221-13 ;
  • Les livrets de développement durable et solidaire définis à l’article L. 221-27 ;
  • Les comptes d’épargne-logement définis à l’article L. 315-1 du code de la construction et de l’habitation ;
  • Les livrets d’épargne-entreprise définis à l’article 1er de la loi n° 84-578 du 9 juillet 1984 sur le développement de l’initiative économique ;
  • Les livrets d’épargne institués au profit des travailleurs manuels définis à l’article 80 de la loi de finances pour 1977 (n° 76-1232 du 29 décembre 1976) ;
  • Les prêts accordés aux personnes morales ainsi qu’aux personnes physiques pour les besoins de leur activité professionnelle ;
  • Les loyers prévus par les conventions portant sur un local d’habitation ou sur un local affecté à des activités commerciales ou artisanales relevant du décret prévu au premier alinéa de l’article L. 112-2 ;
  • Les loyers prévus par les conventions portant sur un local à usage des activités prévues au deuxième alinéa de l’article L. 112-2 ;
  • Les rémunérations des cocontractants de l’Etat et de ses établissements publics ainsi que les rémunérations des cocontractants des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et de leurs groupements, au titre des contrats de concession et de marché de partenariat conclus dans le domaine des infrastructures et des services de transport.

L’article D. 112-1 précise que l’indexation sur le niveau général des prix autorisée pour les produits et services visés à l’article L. 112-3 est mise en œuvre en utilisant l’indice des prix à la consommation pour l’ensemble des ménages, hors tabac, publié mensuellement par l’Institut national de la statistique et des études économiques.

Enfin, l’article L. 112-3-1 du CPC prévoit que « l’indexation des titres de créance et des contrats financiers mentionnés respectivement au 2 du II et au III de l’article L. 211-1 est libre. »

ii. L’indexation encadrée

S’il est fait interdiction pour les parties à un contrat de recourir à des indices généraux aux fins d’indexer leurs créances, l’article L. 112-2 du CMF les autorise à se référer à des indices spéciaux.

Ce texte prévoit, en effet, que l’indexation est permise lorsque l’indice stipulé au contrat entretient une relation directe :

  • Soit avec l’objet de la convention
  • Soit avec l’activité de l’une des parties

?. L’indexation en relation directe avec l’objet de la convention

La clause d’indexation est donc valable, à la condition que l’indice choisi par les parties soit en relation directe avec l’objet de la convention.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « l’objet de la convention ».

Deux approches sont possibles :

  • Une approche restrictive
    • Cette approche consiste à appréhender la notion « d’objet de la convention» au regard du droit commun des contrats.
    • Si l’on emprunte cette voie, l’objet de la convention désigne la prestation à propos de laquelle l’accord des parties est intervenu et autour de laquelle s’ordonne l’économie du contrat
  • Une approche extensive
    • Cette approche consiste à s’émanciper du droit commun des contrats pour inclure dans l’objet de la convention la finalité recherchée par les parties.
    • L’objet de la convention ne se limiterait donc pas seulement à l’objet de l’obligation des parties, il embrasserait également le but poursuivi par elles.

Entre ces deux approches, la jurisprudence a opté pour la seconde. Dans un arrêt du 9 janvier 1974, la Cour de cassation a, en effet, jugé à propos de la stipulation d’une clause d’indexation dans un contrat de prêt que « l’objet de la convention, au sens de l’article 79 de l’ordonnance du 30 décembre 1958 modifie par l’article 14 de l’ordonnance du 4 février 1959, doit s’entendre dans son acception la plus large et que notamment l’objet d’un prêt peut être de permettre à l’acquéreur de construire ou d’acheter un immeuble » (Cass. 1ère civ. 9 janv. 1974, n°72-13.846).

En l’espèce, pour déterminer s’il existait un lien direct entre l’indice choisi par les parties et l’objet du prêt la haute juridiction examine la finalité du contrat de prêt qui avait été conclu aux fins de financier l’acquisition d’un bien immobilier.

Elle en déduit que la clause indexant la dette d’emprunt sur l’indice du coût de la construction était parfaitement valable.

?. L’indexation en relation directe avec l’activité de l’une des parties

La clause d’indexation est également valable lorsque l’indice retenu par les parties est en relation directe avec l’activité de l’une d’elles.

Comme pour la notion d’objet de la convention, la jurisprudence s’est livrée à une interprétation extensive de la notion d’activité de l’une des parties.

Elle a, en effet, admis que l’activité en cause ne devait pas nécessairement être celle exercée à titre principal (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 7 mars 1984, n°83-11.094).

Dans un arrêt du 6 juin 1984, la Cour de cassation a précisé que le changement d’activité de l’une des parties au cours du contrat était indifférent dans la mesure où « la validité d’une clause d’indexation doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat et ne peut être affectée par le changement d’activité du débiteur survenu ultérieurement » (Cass. 1ère civ. 6 juin 1984, n°83-12.301).

?. Le caractère direct de la relation entre l’indice choisi et l’objet de la convention ou l’activité de l’une des parties

==> Appréciation de l’existence d’une relation directe

L’appréciation du caractère direct de la relation entre l’indice choisi et l’objet de la convention ou l’activité de l’une des parties relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Dans un arrêt du 4 mars 1964, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’appréciation du rapport existant entre la nature de l’indice et l’objet du contrat, étant fonction de la part plus ou moins importante pour laquelle le produit ou service envisage est susceptible d’entrer dans la réalisation de cet objet, est une question de fait qui échappe au contrôle de la cour de cassation » (Cass. com. 4 mars 1964).

À l’analyse, les juridictions font plutôt montre d’une grande indulgence en la matière. La Cour de cassation a, par exemple, jugé dans un arrêt du 31 janvier 1984 qu’il existait une relation suffisamment directe entre le prêt consenti à un restaurateur et le prix des bouteilles d’eau de la marque « Perrier » sur lequel le financement était indexé (Cass. com. 31 janv. 1984, n°82-16.533).

Il a encore été jugé que cette relation directe existait entre le prix de vente du fonds de commerce d’un garagiste et le salaire de l’ouvrier qualifié dans l’échelon le plus élevé qui avait été utilisé comme indice de valorisation du fonds (Cass. 3e civ. 15 févr. 1972, n°70-13.280).

La Troisième chambre civile a décidé, dans le même sens, qu’était valide l’indexation du prix de vente d’une exploitation agricole sur le cours du lait (Cass. 3e civ. 4 juin 1971, n°69-14.047).

Il ressort de ces décisions que la jurisprudence reconnaît l’existence d’une relation directe dans des cas où l’indexation repose sur des éléments qui ne représentent que très partiellement l’activité.

Malgré, la souplesse de la jurisprudence quant à l’appréciation de cette relation directe entre l’indice choisi et l’activité exercée par l’une des parties ou l’objet de la convention, les parties ne sont pas à l’abri de voir annuler la clause d’indexation stipulée au contrat.

Dans un arrêt du 22 octobre 1970, la Cour de cassation a, par exemple, jugé illicite l’indexation de la valeur d’un immeuble sur le cours de la pièce d’or Napoléon (Cass. 3e civ. 22 oct. 1970, n°69-11.470).

Elle a également cassé, dans un arrêt du 16 février 1993, la décision d’une Cour d’appel qui avait déclaré licite la clause prévoyant l’indexation de la redevance due par un locataire-gérant sur l’indice national du coût de la construction.

La Chambre commerciale considère que, au cas particulier, il n’y avait pas de relation directe entre l’indice choisi et l’activité exercé par l’une des parties, dans la mesure où le contrat de location-gérance d’un fonds de commerce est relatif à un bien meuble incorporel et non à un immeuble bâti. Or l’indice du coût de la construction intéresse précisément les immeubles bâtis (Cass. com. 16 févr. 1993, n°91-13.277).

==> Présomptions de relation directe

Afin de prévenir les difficultés d’appréciation de la validité des clauses d’indexation, le législateur a posé des présomptions de relation directe jouant dans trois cas précis :

  • Présomption de relation directe entre l’indice du coût de la construction et une convention relative à un immeuble bâti
    • Issu de la loi n° 70-600 du 9 juillet 1970 modifiant l’article 79 de l’ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958, relatif aux indexations, l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « est réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble bâti toute clause prévoyant une indexation sur la variation de l’indice national du coût de la construction publié par l’Institut national des statistiques et des études économiques»
  • Présomption de relation directe entre l’indice trimestriel des loyers commerciaux et certaines activités commerciales ou artisanales
    • Issu de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier prévoit que « est réputée en relation directe […] toute clause prévoyant une indexation […] pour des activités commerciales ou artisanales définies par décret, sur la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux publié dans des conditions fixées par ce même décret par l’Institut national de la statistique et des études économiques.»
  • Présomption de relation directe entre l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires et les conventions relatives à un immeuble conclues pour une activité autre que commerciale ou artisanale
    • Issu de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, l’article L. 112-2, al. 2e du Code monétaire et financier prévoit que « est également réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble toute clause prévoyant, pour les activités autres que celles visées au premier alinéa ainsi que pour les activités exercées par les professions libérales, une indexation sur la variation de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques dans des conditions fixées par décret. »

iii. L’indexation interdite

Outre la prohibition générale de l’indexation automatique des prix de biens ou de services posée par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier, cette même disposition prévoit des interdictions spécifiques en matière de contrats à exécution successive et de baux d’habitation.

L’alinéa 2e de ce texte prévoit ainsi que « est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision. »

L’alinéa 3e de l’article L. 112-1 du CMF prévoit encore que « est interdite toute clause d’une convention portant sur un local d’habitation prévoyant une indexation fondée sur l’indice ” loyers et charges ” servant à la détermination des indices généraux des prix de détail. »

Le texte poursuit en énonçant qu’« il en est de même de toute clause prévoyant une indexation fondée sur le taux des majorations légales fixées en application de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948, à moins que le montant initial n’ait lui-même été fixé conformément aux dispositions de ladite loi et des textes pris pour son application. »

b. Sanction

La mise en œuvre d’une clause d’indexation est susceptible de se heurter à deux difficultés :

  • Sont irrégularité au regard du cadre contraignant posé par le législateur
  • La disparition de l’indice au cours du contrat

i. L’irrégularité de l’indice choisi par les parties

==> La nature de la nullité

Il est admis que l’irrégularité d’une clause d’indexation soit sanctionnée par la nullité absolue (Cass. com. 3 nov. 1988, n°87-10.043). La raison en est que cette irrégularité porterait atteinte à l’ordre public monétaire.

D’aucuns soutiennent toutefois que, en raison de l’admission par le législateur des clauses d’indexation, les règles encadrant leur stipulation viseraient moins à défendre l’ordre public de direction, qu’à protéger les débiteurs contre les dangers représentés par l’indexation d’une dette.

Aussi, pour une frange de la doctrine « l’indexation devrait être frappée de nullité simplement relative »[3].

Pour l’heure, la Cour de cassation n’a adopté aucune décision en ce sens.

==> L’étendue de la nullité

S’agissant de l’étendue de la nullité, la question s’est posée de savoir si elle affectait seulement la clause jugée irrégulière ou si elle anéantissait l’acte dans son entier.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition de portée générale régissant l’étendue de la nullité.

Tout au plus, on a pu voir dans la combinaison des articles 900 et 1172 une distinction à opérer s’agissant de l’étendue de la nullité entre les actes à titre gratuit et les actes à titre onéreux.

  • Les actes à titre gratuit
    • L’article 900 du Code civil prévoit que « dans toute disposition entre vifs ou testamentaire, les conditions impossibles, celles qui sont contraires aux lois ou aux mœurs, seront réputées non écrites»
    • Pour les actes à titre gratuit, la nullité pourrait donc n’être que partielle en cas d’illicéité d’une clause
  • Les actes à titre onéreux
    • L’ancien article 1172 prévoyait que « toute condition d’une chose impossible, ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi est nulle, et rend nulle la convention qui en dépend»
    • Sur le fondement de cette disposition les auteurs estimaient que, pour les actes à titre onéreux, l’illicéité d’une stipulation contractuelle entachait l’acte dans son ensemble de sorte que la nullité ne pouvait être totale.

Manifestement, la jurisprudence a très largement dépassé ce clivage.

Les tribunaux ont préféré s’appuyer sur le critère du caractère déterminant de la clause dans l’esprit des parties. Ella a notamment retenu cette approche pour les clauses d’indexation (Cass. 3e civ. 24 juin 1971, n°70-11.730).

Aussi, la détermination de l’étendue de la nullité supposait-elle de distinguer deux situations :

  • Lorsque la clause présente un caractère « impulsif et déterminant», soit est essentielle, son illicéité affecte l’acte dans son entier
    • La nullité est donc totale
  • Lorsque la clause illicite ne présente aucun caractère « impulsif et déterminant», soit est accessoire, elle est seulement réputée non-écrite
    • La nullité est donc partielle

Jugeant le Code civil « lacunaire » sur ce point, à l’occasion de la réforme des obligations, le législateur a consacré la théorie de la nullité partielle, reprenant le critère subjectif institué par la jurisprudence.

Aux termes de l’article 1184, al. 1er du Code civil, « lorsque la cause de nullité n’affecte qu’une ou plusieurs clauses du contrat, elle n’emporte nullité de l’acte tout entier que si cette ou ces clauses ont constitué un élément déterminant de l’engagement des parties ou de l’une d’elles. »

Il ressort de cette disposition que quand bien même un acte est affecté par une cause de nullité, il peut être sauvé.

Le juge dispose, en effet, de la faculté de ne prononcer qu’une nullité partielle de l’acte.

Cela suppose toutefois que deux conditions soient remplies :

  • L’illicéité affecte une ou plusieurs clauses de l’acte
  • La stipulation desdites clauses ne doit pas avoir été déterminante de l’engagement des parties

Si ces deux conditions sont remplies, les clauses affectées par la cause de nullité seront réputées non-écrites

L’application de cette règle à la clause d’indexation signifie que si elle a été déterminante du consentement des parties, alors le contrat doit être annulé dans son intégralité.

 Dans le cas contraire, la clause d’indexation doit seulement être réputée non écrite. Aussi, appartient-il aux juges de rechercher l’intention des parties.

Dans un arrêt du 14 janvier 2016, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui pour prononcer la nullité d’une clause d’indexation avait relevé « le caractère essentiel de l’exclusion d’un ajustement à la baisse du loyer à la soumission du loyer à l’indexation » (Cass. 3e civ. 14 janv. 2016, n°14-24.681).

Dans un arrêt du 29 novembre 2018, la Troisième chambre civile a toutefois cherché à moduler cette sanction en censurant une Cour d’appel qui avait réputé non écrite la clause d’indexation dans son entier. Or elle estime que seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée doit être réputée non écrite (Cass. 3e civ. 29 nov. 2018, n°17-23.058).

Cette limite vise à contenir les conséquences financières de l’annulation de l’intégralité d’une clause d’indexation. Il s’agit, en effet, d’éviter que le créancier ait à restituer l’intégralité des sommes indûment perçues résultant de l’indexation.

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la question s’est posée de savoir si plutôt que d’annuler la clause d’indexation, même partiellement, le juge ne pouvait pas procéder à une substitution de l’indice irrégulier.

Dans un arrêt du 14 octobre 1975, la Cour de cassation a rejeté cette thèse en affirmant que le juge ne pouvait pas « se substituer aux parties pour remplacer une clause d’indexation, déclarée nulle par la loi, par une clause nouvelle se référant à un indice diffèrent » (Cass. 3e civ. 14 oct. 1975, n°74-12.880).

Elle a toutefois tempéré son approche en admettant, dans un arrêt du 22 juin 1987, que le juge puisse substituer à l’indice annulé un indice admis par la loi, dès lors que cette substitution se déduit de la commune intention des parties (Cass. 3e civ. 22 juill. 1987, n°84-10.548).

Cette position adoptée par la Cour de cassation ne paraît pas avoir été remise en cause par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime des obligations.

Le nouvel article 1167 introduit dans le code civil par ce texte prévoit, en effet, que « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Certes ce texte n’envisage la réfaction du contrat qu’en cas de disparition ou d’inapplication de l’indice. La doctrine considère toutefois que la règle peut être étendue au cas de nullité de l’indice irrégulier.

==> L’action en nullité

S’agissant des titulaires de l’action en nullité, l’article 1180 du Code civil prévoit que « la nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, ainsi que par le ministère public. »

Quant au délai de prescription de l’action, il y a lieu de distinguer selon que la nullité est soulevée par voie d’action ou par voie d’exception :

Lorsque la nullité est invoquée par voie d’action, l’article 2224 du Code civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans ».

Lorsque, en revanche, la nullité est soulevée par voie d’action, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.

Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »

Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle.

ii. La disparition de l’indice choisi par les parties

L’article 1167 du Code civil prévoit « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Lorsqu’ainsi l’indice choisi par les parties est inapplicable, le juge est investi du pouvoir de le remplacer par un autre indice. Ce pouvoir avait déjà été reconnu au juge sous l’empire du droit antérieur (V. en ce sens Cass. 3e civ. 12 janv. 2005, n°03-17.260)

Il a également été admis que le juge puisse se faire assister par un expert afin de déterminer les évolutions probables de l’indice qui a cessé d’exister (Cass. com. 25 févr. 1963).

En cas d’impossibilité de déterminer l’évolution de l’indice qui a cessé d’exister ou de le substituer par un nouvel indice, l’issue retenue par le juge devrait, en toute logique, être la caducité du contrat (V. en ce sens Cass. com., 30 juin 1980, n° 79-10.632).

B) Les dettes de valeur

Autre correctif au principe du nominalisme monétaire institué par le législateur : le mécanisme de la dette de valeur.

La dette de valeur s’oppose radicalement à la dette de monnaie en ce que son montant est fixé, non pas à la date de création de l’obligation, mais au jour de son paiement.

En présence d’une dette de monnaie, le débiteur doit verser au créancier à la date d’exigibilité de l’obligation, le montant nominal de la dette stipulé au contrat.

Tel n’est pas le cas en présence d’une dette de valeur. Le montant dû par le débiteur correspond à une valeur non chiffrée qui est susceptible de subir des variations jusqu’à la date d’échéance et qui ne sera convertie en valeur monétaire qu’au jour du paiement.

Le mécanisme de la dette de valeur a été consacré par le législateur à l’occasion de la réforme du régime général des obligations opéré par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1343, al. 3e du Code civil prévoit que « le débiteur d’une dette de valeur se libère par le versement de la somme d’argent résultant de sa liquidation. »

Nombreuses sont les domaines dans lesquels la dette de valeur trouve application :

  • Les restitutions
    • L’article 1352 du Code civil prévoit que « la restitution d’une chose autre que d’une somme d’argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution.»
    • Lorsqu’ainsi un débiteur doit restituer un bien en valeur, faute de pouvoir le restituer en nature, le montant de la dette correspondra à la valeur du bien dont l’estimation sera faite à la date du jugement ordonnant la restitution
  • Les dettes de réparations
    • Il est admis de longue date que les dommages et intérêts alloués à la victime d’un dommage sont évalués, non pas à la date de réalisation de ce dommage, mais au jour du jugement (V. en ce sens req. 24 mars 1942).
    • Dans un arrêt du 11 janvier 1979, la Cour de cassation a, par exemple, affirmé que « si le droit, pour la victime d’un accident, d’obtenir la réparation du préjudice subi existe dès que le dommage a été cause, l’évaluation de ce dommage doit être faite par le juge au moment où il rend sa décision» ( 2e civ. 11 janv. 1979, n°77-12.937).
    • Dans un arrêt du 13 novembre 2003, elle a encore jugé que « le préjudice économique subi par l’ayant droit d’une victime du fait du décès de celle-ci doit être évalué au jour de la décision qui le fixe en tenant compte de tous les éléments connus à cette date» ( 2e civ. 13 nov. 2003, n°02-16.733).
  • Les récompenses
    • Le mécanisme de la dette de valeur se retrouve également en droit des régimes matrimoniaux s’agissant du calcul des récompenses.
    • L’article 1469, al. 1er du Code civil prévoit que « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »
    • Il est ainsi des cas où le montant de la récompense dû à un époux correspondra au profit subsistant, soit à l’enrichissement dont a bénéficié le patrimoine débiteur de la récompense à raison de la dépense faite par le patrimoine créancier.
  • L’accession
    • En cas de construction d’un immeuble sur le terrain d’autrui, l’article 555, al. 3e du Code civil prévoit que lorsque le propriétaire du fonds opte pour la conservation de l’ouvrage, « il doit, à son choix, rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d’œuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l’état dans lequel se trouvent lesdites constructions, plantations et ouvrages.»
  • L’indivision
    • L’article 815-13 du Code civil prévoit que « lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l’aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés. »

La question qui se pose au regard de ces différentes applications de la technique de la dette de valeur est de savoir si les parties à un contrat pourraient y recourir en dehors des cas prévus par la loi et la jurisprudence.

Dans un arrêt du 5 juillet 2005, la Cour de cassation a rappelé que « le principe du nominalisme monétaire n’est pas d’ordre public » (Cass. com. 5 juill. 2005, n°02-10.233).

Aussi, cela signifie-t-il qu’il peut y être dérogé par convention contraire, raison pour laquelle il y a lieu de penser que la stipulation d’une dette de valeur doit être admise.

§2: Les dettes productives d’intérêts

==> Vue générale

L’une des particularités des dettes de somme d’argent est qu’elles sont susceptibles de produire des intérêts.

Par intérêt il faut entendre le revenu produit par un capital prêté, placé ou dû à raison d’une convention ou d’une condamnation.

Au fond, l’intérêt correspond à ce que l’on désigne plus couramment sous la formule de « loyer de l’argent » ou encore de « prix du temps ».

De façon plus imagée, Jean Carbonnier disait de l’intérêt qu’il est « l’enfant naturel de la monnaie »[4]. On pourrait alors filer la métaphore en précisant que la monnaie donne en réalité naissance à des jumeaux ; car l’intérêt est tantôt créditeur, tantôt débiteur.

Technique, l’intérêt se calcule en appliquant un pourcentage (le taux d’intérêt) à une somme d’argent (le capital) sur une période donnée.

Classiquement on distingue l’intérêt légal de l’intérêt conventionnel :

  • L’intérêt légal
    • Lorsqu’il est légal, l’intérêt a vocation à s’appliquer dans un certain nombre de situations prévues par la loi ou la jurisprudence.
    • Ce taux de référence est principalement utilisé dans les procédures civiles ou commerciales.
    • L’article 1231 du Code civil énonce en ce sens que « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure».
    • L’article 1231-7 dispose encore que « en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement.».
    • Initialement, le taux d’intérêt légal était établi par le législateur lui-même.
    • Par une loi du 3 septembre 1807 il avait, par exemple, été porté à 5%.
    • Afin d’apporter un peu plus de souplesse à ce système qui, en période de forte inflation monétaire, ne permettait pas de rémunérer suffisamment les créanciers, la loi n° 89-421 du 23 juin 1989 relative à l’information et à la protection des consommateurs a prévu que le taux d’intérêt légal serait dorénavant fixé par décret « en fonction de la moyenne arithmétique des douze dernières moyennes mensuelles des taux de rendement actuariel des adjudications de bons du Trésor à taux fixe à treize semaines».
    • Le calcul, fondé sur le taux de financement de l’État à treize semaines conduisit toutefois à une baisse très forte de son niveau dans un contexte où les taux sans risque de court terme étaient pratiquement nuls.
    • Parce qu’il était particulièrement bas, le taux légal n’était nullement dissuasif pour les débiteurs contre lesquels courraient des intérêts moratoires. Aussi, Le législateur est-il intervenu une nouvelle fois dans le dessein de le rendre plus représentatif du coût de refinancement de celui à qui l’argent est dû et de l’évolution de la situation économique.
    • L’ordonnance n° 2014-947 du 20 août 2014 relative au taux de l’intérêt légal a institué, dans cette perspective, une distinction entre deux taux légaux fondée sur le coût de refinancement.
    • L’article 313-2 du Code monétaire et financier prévoit désormais que le taux légal « comprend un taux applicable lorsque le créancier est une personne physique n’agissant pas pour des besoins professionnels et un taux applicable dans tous les autres cas. ».
    • Dans les deux cas, il est calculé semestriellement, en fonction du taux directeur de la Banque centrale européenne sur les opérations principales de refinancement et des taux pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement.
    • Toutefois, pour les particuliers, les taux pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pris en compte pour le calcul du taux applicable sont les taux effectifs moyens de crédits consentis aux particuliers.
  • L’intérêt conventionnel
    • Le taux d’intérêt conventionnel est celui qui est prévu par les parties dans la convention de crédit.
    • Ces dernières sont certes libres de convenir le taux qui leur sied. Toutefois leur liberté demeure enfermée dans une double limite.
      • D’une part, conformément à l’article 1907 du Code civil, la rémunération du prêteur ne peut pas excéder le taux d’usure, lequel ne saurait céder sous l’effet du principe d’autonomie de la volonté. Dès lors que des intérêts sont stipulés en violation de la règle de prohibition de l’usure, le prêteur s’expose notamment à une réduction de son droit aux intérêts au taux légal[5].
      • D’autre part, il ressort des articles L. 314-5 du Code de la consommation et L. 313-4 du Code monétaire et financier que toutes les fois qu’un crédit est consenti par un professionnel la convention qui constate l’opération doit mentionner ce que l’on appelle le taux effectif global.

Cette distinction entre l’intérêt légal et l’intérêt conventionnel puise son origine dans l’article 1907 du Code civil applicable aux prêts d’argent qui prévoit que « l’intérêt est légal ou conventionnel. »

À l’occasion de la réforme du régime général des obligations opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le législateur a élevé cette distinction au rang de summa divisio des obligations de somme d’argent portant intérêts.

Ces obligations sont désormais abordées aux articles 1343-1 et 1343-2 du Code civil qui, comme relevé par des auteurs « esquissent un droit commun des intérêts de somme d’argent »[6].

Car en effet, le domaine des intérêts est bien plus vaste que les règles énoncées par ces dispositions qui se limitent à poser les principes généraux qui président :

  • D’une part, aux paiements des dettes portant intérêts
  • D’autre part, à la stipulation d’intérêts
  • Enfin, à l’anatocisme

I) Le paiement des dettes portant intérêts

A) Libération du débiteur

L’article 1343-1 du Code civil prévoit que « lorsque l’obligation de somme d’argent porte intérêt, le débiteur se libère en versant le principal et les intérêts. »

Il ressort de cette disposition que lorsque d’une dette est productive d’intérêts, son extinction est subordonnée au paiement :

  • D’une part, du capital
  • D’autre part, des intérêts

Il s’agit là de deux éléments indissociables qui participent d’une même obligation. Aussi, le paiement du seul capital ne suffit pas à éteindre la dette.

Tant que les intérêts, accessoires de la dette, ne sont pas réglés, le débiteur n’est pas libéré de son obligation.

Ainsi, la dette d’intérêt ne saurait être regardée comme étant distincte de la dette de capital : capital et intérêts forment une seule et même dette.

À ce titre, elle est soumise, à l’instar de n’importe quelle autre dette, au principe d’indivisibilité du paiement. Or pour mémoire, en application de ce principe qui s’infère de l’article 1342-4, al. 1er du Code civil, le paiement doit nécessairement porter sur tout ce qui est dû, faute de quoi le créancier est fondé à le refuser.

B) Imputation du paiement

==> Principe

L’article 1343-1, al. 1er prévoit que si l’obligation de somme d’argent porte intérêt « le paiement partiel s’impute d’abord sur les intérêts. »

À l’analyse, il s’agit là d’une reprise de la règle énoncée par l’ancien article 1254 du Code civil qui disposait que « le paiement fait sur le capital et intérêts, mais qui n’est point intégral, s’impute d’abord sur les intérêts. »

Ainsi, en présence du paiement partiel d’une dette unique, celui-ci s’impute :

  • D’abord sur les intérêts
  • Ensuite sur le capital

L’objectif recherché ici est de protéger le créancier. Tant qu’il n’a pas été intégralement payé, sa dette doit continuer à produire des intérêts.

Or la base de calcul de ces intérêts n’est autre que le capital de la dette. Aussi, imputer le paiement prioritairement sur le capital reviendrait à affecter le rendement de la dette, alors même que le créancier n’a pas été totalement satisfait.

Pour cette raison, le législateur a estimé que, en cas de paiement partiel, celui-ci devait s’imputer d’abord sur les intérêts.

Dans un arrêt du 7 février 1995, la Cour de cassation a précisé que « au même titre que les intérêts visés par l’article 1254 du Code civil, les frais de recouvrement d’une créance constituent des accessoires de la dette ; que le débiteur ne peut, sans le consentement du créancier, imputer les paiements qu’il fait sur le capital par préférence à ces accessoires » (Cass. 1ère civ. 7 févr. 1995, n°92-14.216).

Ainsi, la règle prévoyant d’imputer prioritairement le paiement sur les intérêts de la dette est étendue aux frais de recouvrement et plus généralement à l’ensemble des accessoires de la dette.

==> Tempéraments

Le principe posé à l’article 1343-1 du Code civil n’est pas absolu ; il est assorti d’un certain nombre de tempéraments :

  • Premier tempérament
    • L’article 1343-1 est une disposition supplétive de volonté, ce qui signifie que les parties peuvent y déroger.
    • Aussi, sont-elles libres de prévoir que le paiement s’imputera prioritairement sur le capital.
    • À cet égard, contrairement à l’hypothèse où le débiteur est tenu de plusieurs dettes, il ne pourra pas imposer un ordre d’imputation au créancier.
    • Dans un arrêt du 20 octobre 1992 la Cour de cassation a jugé en ce sens :
      • D’une part, que « le débiteur d’une dette qui porte intérêt ne peut, sans le consentement du créancier, imputer le paiement qu’il a fait sur le capital par préférence aux intérêts»
      • D’autre part, que « le consentement des créanciers peut seul permettre l’imputation des paiements sur le capital par préférence aux intérêts» ( com. 20 oct. 1992, n°90-13.072)
    • Ainsi, l’imputation du paiement ne pourra se faire prioritairement sur le capital de la dette que si le créancier y consent.
  • Deuxième tempérament
    • Dans un arrêt du 11 juin 1996, la Cour de cassation a précisé que « l’imputation légalement faite du paiement effectué par le débiteur principal est opposable à la caution» ( com., 11 juin 1996, n° 94-15.097).
    • Il en résulte que l’imputation prioritaire des paiements effectués par le débiteur principal sur les intérêts générés par l’obligation garantie s’impose à la caution.
    • L’article 2302 du Code civil apporte une dérogation à ce principe en disposant que « dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette. »
    • Pratiquement cela signifie que le créancier sera déchu de l’intégralité des intérêts échus tant que le défaut d’information subsistera dans la mesure où les paiements du débiteur principal ne s’imputeront d’abord sur le capital restant dû.
    • Cette sanction est de nature à inciter le créancier à régulariser au plus vite sa situation, faute de quoi le règlement de ses intérêts ne sera pas garanti.
  • Troisième tempérament
    • L’article 1343-5 du Code civil prévoit que, dans le cadre d’une demande de délai de grâce qui lui est adressée par un débiteur justifiant d’une situation financière obérée, le juge peut ordonner notamment « que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.»
  • Quatrième tempérament
    • L’article L. 733-1, 2° du Code de la consommation dispose que, dans le cadre d’une procédure de surendettement, la Commission de surendettement peut, à la demande du débiteur et après avoir mis les parties en mesure de fournir leurs observations, décider que les paiements s’imputeront « d’abord sur le capital»

II) La stipulation d’intérêts

L’article 1343-1 du Code civil prévoit que « l’intérêt est accordé par la loi ou stipulé dans le contrat ».

Il ressort de cette disposition que la création d’obligations portant intérêt n’est pas le monopole du législateur. Les parties à contrats sont également autorisées à stipuler des intérêts.

Si cette faculté ne leur a pas toujours été reconnue, elle n’est pas non plus sans être rigoureusement encadrée.

A) De la prohibition à l’admission de la stipulation d’intérêts

La stipulation d’intérêts qui se rencontre essentiellement dans les prêts d’argent, était autrefois prohibée par le droit canonique.

Pour justifier cette interdiction, Saint Thomas d’Aquin soutenait qu’il serait contraire à la loi de Dieu d’exiger un intérêt de l’emprunteur en contrepartie du prêt d’une chose, alors même que cette chose a vocation à être restituée au prêteur en nature ou par équivalent, ce qui, en toute hypothèse, est constitutif d’une opération à somme nulle.

Une dérogation existait néanmoins pour les juifs et les Lombards. Une ordonnance royale prise en 1360 leur conféra le privilège de consentir des prêts d’argent moyennant rémunération. Les chrétiens, quant à eux, demeuraient tenus d’observer les prescriptions du droit canonique.

 À partir du XVIe siècle, le bien-fondé de l’interdiction commence toutefois à être discuté, notamment sous l’impulsion Du Moulin puis de Turgot.

La critique portée par ces auteurs reposait, en substance, sur la revendication du droit à disposer de ses biens, d’où il s’infère la possibilité de faire produire des fruits à son argent.

Cette thèse a emporté, sans mal, la conviction du législateur révolutionnaire qui, dès 1789, a levé l’interdiction de la stipulation d’intérêts.

Puis, en 1804, les rédacteurs du Code civil ont consacré la liberté de stipuler des intérêts à l’article 1907 du Code civil, lequel admet que le contrat de prêt puisse être conclu à titre onéreux.

À l’occasion de la réforme du régime général des obligations, le législateur a entendu conférer une portée générale à la liberté de stipuler des intérêts en insérant dans le Code civil des dispositions (les articles 1343-1 et 1343-2) qui ont vocation à s’appliquer à toutes les obligations productives d’intérêts au-delà du contrat de prêt.

Cette liberté n’est toutefois pas sans limite : la stipulation d’intérêt requiert la satisfaction de plusieurs exigences.

B) L’encadrement de la stipulation d’intérêts

==> L’exigence d’une stipulation contractuelle

L’article 1343-1, al. 2e du Code civil prévoit que « l’intérêt est accordé par la loi ou stipulé dans le contrat ».

Il ressort de cette disposition que, pour produire intérêt, une obligation de somme d’argent doit avoir été :

  • Soit prévue par la loi
  • Soit stipulée dans un contrat

Aussi, en l’absence de texte ou de stipulation contractuelle, une obligation est réputée ne produire aucun intérêt.

==> L’exigence générale d’un écrit

L’article 1343-1, al. 2e poursuit en prévoyant que « le taux de l’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit ».

Cette disposition ne fait manifestement que reprendre l’exigence énoncée à l’article 1907 du Code civil qui prévoit, en matière de prêt d’argent que « le taux de l’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit ».

De toute évidence, il s’agit là d’une disposition extrêmement protectrice des intérêts du débiteur[7]. Est-ce à dire que, en cas d’inobservation de cette exigence le créancier est totalement déchu de son droit aux intérêts ?

À l’analyse, à l’instar de l’article 1907 du Code civil, l’article 1343-1, al. 2e exige l’établissement d’un écrit s’agissant de la mention, non pas de l’intérêt, mais du taux de l’intérêt, soit sa mesure.

En matière de prêt d’argent, la question s’est rapidement posée de savoir s’il s’agissait d’une règle de preuve ou d’une règle de fond.

Par un arrêt du 24 juin 1981, la Cour de cassation a opté pour la seconde solution en jugeant que « l’exigence d’un écrit mentionnant le taux de l’intérêt conventionnel est une condition de validité de la stipulation d’intérêt » (Cass. 1ère civ. 24 juin 1981, n°80-12.773).

En cas d’absence d’écrit, la sanction est donc la nullité de la prévision des parties, ce qui revient, en pratique, à priver de son intérêt la présomption simple posée à l’article 1905 du Code civil.

En effet, tandis que cette disposition autorise le prêteur à rétablir son droit aux intérêts conventionnels s’il rapporte la preuve de la stipulation, l’article 1907 écarte, dans le même temps, cette possibilité en prévoyant que la mention du taux est exigée ad validitatem.

La stipulation d’intérêts ne se concevant pas en dehors de l’établissement d’un taux, la règle de fond posée à l’article 1907 prime nécessairement sur la règle de preuve édictée à l’article 1905.

La primauté de l’exigence d’un écrit à peine de nullité est d’autant plus forte que depuis la loi n°66-1010 du 28 décembre 1966 relative à l’usure, aux prêts d’argent et à certaines opérations de démarchage et de publicité, il est une règle d’ordre public édictée désormais à l’article L. 314-5 du Code de la consommation aux termes de laquelle le taux effectif global doit être « mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt ».

==> L’exigence de mention de la périodicité de l’intérêt

L’article 1343-1, al. 2e du Code civil prévoit que le taux d’intérêt « est réputé annuel par défaut ».

Cette précision est une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations puisqu’elle ne se retrouve pas à l’article 1907 du Code civil.

Aussi, en l’absence de stipulation contraire, le calcul des intérêts se fait sur une période d’un an.

De l’avis de la doctrine, cette règle est supplétive de volonté, ce qui implique que les parties peuvent y déroger et donc prévoir une périodicité plus courte ou plus longue.

==> L’exigence spécifique de mention du taux effectif global

Introduite par la loi n°66-1010 du 28 décembre 1966 relative à l’usure, aux prêts d’argent et à certaines opérations de démarchage et de publicité, la notion de taux effectif global (TEG) est au cœur du dispositif de protection de l’emprunteur en matière de crédit.

Le législateur est parti du constat que le seul taux débiteur pratiqué par le prêteur ne permettait pas de rendre compte du coût exact du crédit, ne serait-ce que parce que d’autres frais se greffent à l’opération tels que l’assurance emprunteur, la rémunération des intermédiaires ou encore les frais de dossier.

L’appréciation du caractère usuraire de la rémunération du prêteur s’en trouve alors faussée. D’où la nécessité de mettre en place un outil qui permette de mesurer avec exactitude le coût réel de l’opération supporté par l’emprunteur. Parce qu’il intègre dans son calcul tous les frais payés par l’emprunteur, le taux effectif global répond à ce besoin.

Dans un premier temps, l’utilisation de cet outil a été circonscrite au domaine de la répression de l’usure. L’article 1er de la loi 28 décembre 1966 prévoit que l’usure doit être appréciée au regard du taux effectif global dont mention doit obligatoirement être faite dans tout acte constatant une opération de crédit. L’objectif poursuivi par ce texte était ainsi la protection du consommateur, lequel doit pouvoir déterminer la licéité du taux qui lui est appliqué.

Dans un second temps, il a été recouru à la notion de taux effectif global, sous l’impulsion du législateur européen, afin de stimuler la concurrence entre les établissements bancaires. Constatant qu’il existait de grandes disparités entre les législations des différents États membres dans le domaine du crédit à la consommation et que ces disparités étaient susceptibles de créer des distorsions de concurrence entre les prêteurs dans le marché commun, les instances communautaires ont en tiré la conclusion qu’il était nécessaire de faciliter la comparaison des offres de crédits.

Pour ce faire, cela suppose notamment que les emprunteurs reçoivent des informations adéquates sur les conditions et le coût du crédit. Parmi ces informations, le taux effectif global occupe une place centrale dans le dispositif mis en place par le législateur européen. La directive 87/102/CEE du Conseil du 22 décembre 1986 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation a ainsi créé l’obligation pour les établissements bancaires de mentionner, et dans leurs publicités, et dans les contrats de crédits proposés aux consommateurs, le taux effectif global.

Une fois cette exigence de communication par écrit à l’emprunteur du taux effectif global posée, la problématique relative au coût du crédit n’était pas pour autant définitivement résolue. Restait, en effet, à déterminer comment calculer le taux effectif global.

S’il est aisé de se représenter à quoi correspond le taux effectif global, plus délicate est la question de sa détermination.

Parce qu’il est supposé refléter le coût réel du crédit, les juges se montrent particulièrement exigeants à l’égard du banquier. La difficulté à laquelle celui-ci est confronté tient à l’obligation qui lui est faite de communiquer à l’emprunteur un taux effectif global exact à une décimale près.

Contrairement à ce que l’on pourrait être intuitivement tenté de penser, l’obtention de ce résultat est loin de consister en l’accomplissement d’une simple formalité pour le banquier, notamment lorsque le crédit présente de nombreuses particularités.

Tout d’abord, il lui appartient de n’omettre aucuns frais dans l’assiette de calcul, ce qui n’est pas sans soulever des difficultés liées à l’opportunité d’inclure ou d’exclure certains éléments.

Ensuite, le banquier doit veiller à communiquer à l’emprunteur toutes les informations nécessaires au calcul du taux effectif global, notamment le taux de période lorsque le crédit est consenti à un professionnel.

Enfin, il peut être observé que le calcul du taux effectif global consiste à résoudre une équation dont le résultat n’est jamais un nombre fini, à tout le moins l’hypothèse est rare.

Aussi, le taux effectif global est-il la plupart du temps le résultat d’un arrondi, alors même que le législateur ne tolère qu’une erreur à une décimale près.

Pour toutes ces raisons, la détermination du taux effectif global se révèle être un exercice extrêmement périlleux pour le banquier.

Celui-ci est d’autant plus tenu de faire preuve de vigilance que les actions en responsabilité se sont multipliées ces dernières années. La détermination du taux effectif global a donné lieu à un contentieux fourni qui s’articule autour de deux reproches.

Le premier consiste pour les plaideurs à contester le calcul, en tant que tel, du taux effectif global, soit parce qu’un élément aurait été omis dans son assiette, soit parce que le banquier n’aurait pas appliqué la bonne méthode de calcul, à tout le moins pas correctement.

Le second reproche qui est adressé au banquier tient à la communication du taux effectif global qui figure sur le contrat de prêt. Le grief se focalise ici, tant sur l’inexactitude du taux annoncé, que sur l’exhaustivité des informations communiquées à l’emprunteur.

L’absence de mention écrite du TEG/TAEG sur le contrat prêt, tel qu’exigé par l’article L. 314-5 du Code de la consommation quelle que soit la nature du crédit, est sanctionnée pénalement.

L’article L. 341-9 du même Code prévoit, en effet, une peine d’amende de 150.000 euros, étant précisé que, antérieurement à la loi Hamon du 17 mars 2014, elle n’était que de 4.500 euros.

L’augmentation du montant de cette amende témoigne de la volonté du législateur de sanctionner lourdement l’inexécution de l’obligation de communication du TEG/TAEG.

Quant à la sanction civile, l’article L. 341-48-1 du Code de la consommation prévoit que « en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global prévue à l’article L. 314-5, le prêteur peut être déchu du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l’emprunteur. »

Lorsque le prêteur est déchu du droit aux intérêts dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu ainsi que, le cas échéant, au paiement des intérêts dont le prêteur n’a pas été déchu.

Les sommes perçues au titre des intérêts, qui sont productives d’intérêts au taux de l’intérêt légal à compter du jour de leur versement, sont restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû.

III) L’anatocisme

Il n’est pas exclu que les intérêts produits par le capital de la dette produisent eux-mêmes des intérêts. C’est ce que l’on appelle l’anatocisme. Ce terme est issu du grec ana- (« encore une fois ») et tokos (« revenu »).

Dans un arrêt du 20 janvier 1998 a parfaitement décrit le mécanisme de l’anatocisme en observant que « lorsque le créancier et le débiteur sont convenus […] que les intérêts à échoir se capitaliseront à la fin de chaque année pour produire eux-mêmes des intérêts, ils constituent non plus des intérêts mais un nouveau capital qui s’ajoute au premier » (Cass. com. 20 janv. 1998, n°95-14.101).

Ce mécanisme, qui donc consiste à capitaliser les intérêts échus, a toujours été regardé avec une certaine méfiance ; car il est de nature à accélérer l’alourdissement du poids de la dette et ce, sans que le débiteur en prenne nécessairement conscience.

Bien que les rédacteurs du Code civil aient hésité à interdire l’anatocisme[8], le législateur s’est finalement résolu à l’autoriser.

Dans un premier temps, l’anatocisme a été régi par l’article 1154 du Code civil qui prévoyait que « les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière. »

Cette disposition relevait d’une section du Code civil consacrée aux « dommages et intérêts résultant de l’inexécution de l’obligation ».

Est-ce à dire qu’il fallait limiter le domaine de l’anatocisme aux intérêts échus, comme le suggère d’ailleurs expressément le texte. Autrement dit, fallait-il comprendre que seuls les intérêts qui faisaient l’objet d’un retard de paiement pouvaient être capitalisés ?

Aussi, serait-il fait interdiction aux parties d’établir une convention qui stipulerait une capitalisation annuelle des intérêts à échoir.

Comme relevé par les auteurs[9], la Cour de cassation a très tôt écarté cette thèse, bien que l’article 1154 du Code civil vise « les intérêts échus ».

La Haute juridiction a affirmé que le texte n’interdisait nullement la stipulation d’une clause d’anatocisme pour les intérêts à échoir. Selon elle, l’article 1154 énonçait seulement la règle selon laquelle seuls les intérêts échus peuvent faire l’objet d’une capitalisation (V. en ce sens Cass. civ. 15 févr. 1965).

Cette interprétation, pour le moins extensive de l’article 1154 du Code civil, a été validée par le législateur à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans un second temps, le législateur a, en effet, entendu conférer une portée générale à la règle autorisant l’anatocisme puisque désormais énoncée à l’article 1343-2 du Code civil qui relève du droit commun du paiement des obligations de sommes d’argent.

Ce nouveau texte prévoit que « les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise. »

Il s’agit là assurément d’une modernisation de l’ancien article 1154 du Code civil ; les anciennes conditions de l’anatocisme étant reprises.

Pour être valable, plusieurs conditions doivent, en effet, être réunies :

  • Exigence tenant à la source de l’anatocisme
    • L’article 1343-2 du Code civil prévoit que l’anatocisme ne peut jouer que si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise
      • L’anatocisme prévu par le contrat
        • Principe
          • L’anatocisme ne peut donc jouer que si une clause du contrat le prévoit.
          • À défaut, les intérêts de la dette ne pourront pas être capitalisés.
          • À cet égard, les parties pourront prévoir une capitalisation des intérêts, tant pour les intérêts échus, soit ceux qui font l’objet d’un retard de paiement, que pour les intérêts à échoir, pourvu que cette capitalisation soit annuelle
        • Exception
          • La jurisprudence considère que la stipulation d’une clause d’anatocisme est prohibée en matière de crédit consenti à un consommateur.
          • Dans un arrêt du 20 avril 2022 elle a par exemple affirmé que l’article L. 313-52 du Code de la consommation selon lequel aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux qui sont mentionnés à l’article L. 313-51 ne peuvent être mis à la charge de l’emprunteur dans les cas de défaillance prévus par les dispositions de cet article « fait obstacle à l’application de la capitalisation des intérêts prévue par l’ancien article 1154 du Code civil ( 1ère civ. 20 avr. 2002, n°20-23.617).
      • L’anatocisme ordonné par une décision de justice
        • Alors que l’ancien article 1154 du Code civil prévoyait que l’anatocisme pouvait résulter d’« une demande judiciaire», le nouvel article 1343-2 prévoit qu’il peut jouer « si une décision de justice le précise ».
        • Cette modification du texte suggère qu’il n’est désormais plus nécessaire de formuler une demande en justice pour obtenir, faute de stipulation au contrat d’une clause d’anatocisme, la capitation des intérêts produits par une obligation.
        • Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait refusé de reconnaître au juge le pouvoir de prononcer, de sa propre initiative, la capitalisation des intérêts ( 1ère civ. 4 avr. 82-16.683)
        • Cette faculté semble désormais lui être reconnue.
  • Exigence tenant à l’annualité de l’anatocisme
    • L’article 1343-2 du Code civil prévoit que pour être capitalisés, les intérêts échus doivent être « dus au moins pour une année entière».
    • Ainsi, l’anatocisme ne peut jouer que sur la base d’une périodicité annuelle.
    • Limitation vise à empêcher un alourdissement excessif du poids de la dette.
    • Il s’agit là d’une règle d’ordre public, de sorte que les parties ne peuvent pas y déroger par convention contraire.

§3: Les modalités du paiement d’une obligation de somme d’argent

A) La monnaie du paiement

L’article 1343-3, al. 1er du Code civil prévoit que « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros. »

Il s’agit là d’une règle d’ordre public qui donc s’impose, tant au débiteur, qu’au créancier d’une obligation.

Cette règle n’est toutefois pas absolue ; elle ne s’applique que pour les opérations réalisées « en France ».

Pour les opérations qui présentent un caractère international, le paiement en devises étrangères est admis.

B) Les modes de paiement

Si les parties sont libres de choisir le mode de paiement qui leur sied, le législateur a posé certaines restrictions pour le paiement en espèces.

L’article L. 112-6 du Code monétaire et financier prévoit en ce sens que « ne peut être effectué en espèces ou au moyen de monnaie électronique le paiement d’une dette supérieure à un montant fixé par décret, tenant compte du lieu du domicile fiscal du débiteur, de la finalité professionnelle ou non de l’opération et de la personne au profit de laquelle le paiement est effectué. »

Il ressort de cette disposition que le paiement en espèces est interdit au-delà d’un certain montant qui dépend notamment du domicile fiscal du débiteur et de s’il agit ou non pour les besoins de son activité professionnelle :

  • Le débiteur a son domicile fiscal en France ou agi pour les besoins de son activité professionnelle
    • L’article D. 112-3, I, 1° du Code monétaire et financier prévoit que, lorsque le débiteur a son domicile fiscal sur le territoire de la République française ou agit pour les besoins d’une activité professionnelle, il lui ait fait interdiction :
      • de payer en espèce une somme d’argent supérieure à 1.000 euros
      • de payer au moyen de monnaie électronique une somme d’argent supérieure à 3.000 euros
  • Le débiteur a son domicile fiscal en France ou n’agit pas pour les besoins de son activité professionnelle
    • Il convient de distinguer ici selon que le paiement est ou non réalisé au profit de l’une des personnes mentionnées à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier au nombre desquelles figurent notamment les établissements de crédit, les établissements de paiement, les entreprises d’assurance, les institutions de prévoyance, les mutuelles, les intermédiaires en opérations de banque et services de paiement, les intermédiaires d’assurance etc.
      • Le paiement est réalisé au profit d’une personne mentionnée à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier
        • L’article D. 112-3, I, 3° du Code monétaire et financier prévoit qu’il est fait interdiction au débiteur de payer en espèces ou au moyen de monnaie électronique une somme d’argent supérieure à 15.000 euros
      • Le paiement n’est pas réalisé au profit d’une personne mentionnée à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier
        • L’article D. 112-3, I, 2° du Code monétaire et financier prévoit qu’il est fait interdiction au débiteur de payer en espèces ou au moyen de monnaie électronique une somme d’argent supérieure à 10.000 euros

C) Le lieu du paiement

L’article 1343-4 du Code civil prévoit que « à défaut d’une autre désignation par la loi, le contrat ou le juge, le lieu du paiement de l’obligation de somme d’argent est le domicile du créancier. »

Ainsi, pour les obligations monétaires, le paiement est non pas quérable, mais portable, ce qui signifie que c’est au débiteur de se rendre au domicile du créancier aux fins de lui « porter » son dû.

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations.

Le législateur justifie cette nouveauté en avançant « des raisons techniques, liées à la généralisation de la monnaie scripturale (chèque, virement, paiement par carte bancaire). »

[1] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1458, p. 1534

[2] F. Grua, Paiement des obligations de sommes d’argent – Monnaie étrangère, Jcl. Notarial Répertoire, fasc. 40, n°37

[3] J. François, Les obligations – Régime général, éd. Economica, 2020, n°51, p. 52

[4] J. Carbonnier, Les biens, 19e éd., 2000, PUF, n°22.

[5] Article L. 341-48 C. conso

[6] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°964, p. 867.

[7] F. PELTIER, « Le droit positif des taux d’intérêt conventionnels », Banque et droit, juill.-août 1991, p. 127.

[8] Le projet d’article 1154 (ancien) du Code civil prévoyait que « il n’est point dû d’intérêts d’intérêts ».

[9] V. notamment sur cette question F. terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2002, n°607, p. 590.